N° 2247

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME  LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 février 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT,
 

portant réparation des personnes condamnées
pour homosexualité entre 1945 et 1982

PAR M. Hervé SAULIGNAC

Député

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Voir les numéros :

 Sénat :  864 (2021‑2022), 103 et 104 (2023‑2024) et T.A. 23.

Assemblée nationale :  1915.

 

 


 

 

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION..................................................... 5

I. l’examen du texte au sÉnat

II. les modifications apportées par la commission

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er  Reconnaissance par la Nation du caractère discriminatoire des dispositions légales pénalisant l’homosexualité en vigueur entre 1942 et 1982

Article 2 (suppression maintenue) (art. 24 ter [nouveau] de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) Création d’un délit réprimant la contestation ou la minoration outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale

Article 3 Réparation financière des personnes condamnées pour homosexualité

Article 4 Création d’une commission chargée de statuer sur les demandes de réparation financière

Article 5 (suppression maintenue) Compensation financière (gage)

Examen en commission

Personnes entendues

 

 

 

 


 

Mesdames, Messieurs,

 

Alors que, sous l’Ancien Régime, l’homosexualité était un crime punissable de mort, le code pénal issu des lois des 25 septembre et 6 octobre 1791, adopté pendant la Révolution, fit disparaître le « crime de sodomie » du droit national, dépénalisant ainsi les relations entre personnes de même sexe.

Pendant plus d’un siècle et demi, la législation pénale française fit donc abstraction de l’homosexualité, alors que nombre de nos voisins européens appliquaient des dispositions répressives.

Cette législation plutôt libérale, et à ce titre inédite en Occident, ne doit pas masquer cependant des persécutions de nature diverses, des fichages, des traques policières et l’usage abusif de certains articles du code pénal pour réprimer les homosexuels à l’instar de ceux sur le vagabondage, l’outrage public ou l’attentat à la pudeur. Les historiens ont largement documenté la permanence de ces discriminations par l’usage de dispositions pénales qui ne ciblaient pourtant pas les personnes homosexuelles.

La pénalisation de certaines relations entre personnes de même sexe fut réintroduite dans le droit français par la loi du 6 août 1942, adoptée sous Vichy, qui aligna l’âge de la majorité sexuelle sur celui de la majorité civile pour les seules relations homosexuelles. Contre toute attente, ces dispositions furent maintenues à la Libération.

Deux décennies plus tard, l’arsenal répressif fut même complété par l’ordonnance du 25 novembre 1960, qui créa une circonstance aggravante en cas d’outrage public à la pudeur, lorsque celui-ci était commis avec une personne du même sexe.

Certes, l’homosexualité n’était pas pénalisée en tant que telle, puisque les relations sexuelles entre personnes majeures de même sexe dans le cadre privé restaient autorisées. Ces dispositions n’en demeuraient pas moins profondément discriminatoires, attentatoires au droit au respect de la vie privée, et moralement injustifiables.

En l’espace d’une quarantaine d’années, elles auront conduit à la condamnation d’au moins dix mille personnes, dont 93 % à des peines de prison Au-delà des statistiques, ce sont des vies humaines qui ont été parfois brisées, souvent bouleversées, et toujours marquées par ces condamnations, qui exposaient au regard férocement désapprobateur d’une société encore trop peu ouverte.

Le sursaut intervint au tournant des années 1980. Par trois textes successifs adoptés entre 1980 et 1982, le législateur abrogea ces dispositions iniques et vota l’amnistie des personnes condamnées.

À l’initiative du sénateur Hussein Bourgi, la présente proposition de loi propose de reconnaître et de réparer les préjudices subis par les personnes homosexuelles du fait de l’application de ces lois discriminatoires.

Cette proposition de loi est ambitieuse.

Elle porte un symbole fort, en posant le principe de la reconnaissance par la France du caractère discriminatoire de ces dispositions.

Elle prolonge cette reconnaissance symbolique par des mesures concrètes, à travers la création d’un mécanisme de réparation financière pour les personnes condamnées, qui reposerait sur une commission indépendante.

Elle constitue un texte nécessaire, et attendu.

En 1982, le regretté Robert Badinter, alors garde des Sceaux, déclarait à la tribune de notre Assemblée qu’ « il n’est que temps de prendre conscience de tout ce que la France doit aux homosexuels ».

Quatre décennies plus tard, il n’est que temps de reconnaître et de réparer les préjudices que nos lois ont causés aux personnes homosexuelles. 

 

 


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I.   l’examen du texte au sÉnat

  1.   les dispositions de la proposition de loi

La proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982 a été déposée au Sénat le 6 août 2022 par M. Hussein Bourgi, quarante ans jours après l’abrogation de l’alinéa 2 de l’article 331 du code pénal.

Rappelant que plusieurs dizaines de milliers de personnes furent victimes d’un droit français discriminatoire, entre 1942 et 1982 le texte entend rendre justice aux dernières victimes encore en vie de cette législation, qui ont longtemps vécu avec le poids d’une condamnation dégradante et infamante.

La proposition de loi comporte cinq articles

L’article 1er prévoit la reconnaissance, par la République française, de la politique de pénalisation et de discrimination mise en œuvre entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982 à l’encontre des personnes homosexuelles, ou présumées telles, et condamnées en application des articles 330 et 331 de l’ancien code pénal, aujourd’hui abrogés.

L’article 2 prévoit la création d’un nouveau délit punissant la contestation, la négation, la minoration ou la banalisation de manière outrancière de l’existence de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité depuis la France, en zone occupée comme en zone libre, pendant la Seconde Guerre mondiale. Il modifie pour cela la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

L’article 3 ouvre aux personnes reconnues victimes d’une discrimination en application de l’article 1er un droit au versement d’une allocation financière, ainsi qu’au remboursement de l’amende acquittée, le cas échéant.

L’article 4 prévoit la création, auprès du Premier ministre, d’une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982. Cette commission serait chargée de statuer sur les demandes présentées sur le fondement de l’article 3.

L’article 5 prévoit la compensation financière des dépenses créées par la proposition de loi.

  1.   les modifications apportées au sénat

Après avoir rejeté le texte en commission, le Sénat a finalement adopté le texte en séance publique, dans une version largement remaniée, et amoindrie.

À l’article 1er, le Sénat a adopté un amendement de rédaction globale du rapporteur, M. Francis Szpiner, procédant à plusieurs modifications.

Tout d’abord, l’amendement tend à limiter la période temporelle faisant l’objet de la reconnaissance de responsabilité aux seuls régimes républicains, et donc à exclure du champ du texte les condamnations prononcées entre 1942 et 1945.

Ensuite, l’amendement précise le périmètre de la responsabilité ainsi reconnue, en la recentrant sur l’application des dispositions pénales précitées.

Enfin, l’amendement supprime la référence au principe d’une réparation financière, mais consacre la reconnaissance des souffrances et des traumatismes endurés par les personnes concernées.

Le Sénat n’a pas adopté l’article 2, considérant que le délit autonome dont il prévoyait la création était satisfait par le droit en vigueur, que son autonomisation pourrait perturber certains contentieux en cours, et qu’il présentait un risque d’inconstitutionnalité.

Il n’a pas non plus adopté les articles 3, 4 et 5, relatifs aux mécanismes de réparation financière. Le rapporteur relevait des difficultés juridiques, et avançait que les exemples de réparation financière observés à l’étranger existent dans des pays dont l’histoire diffère substantiellement de celle de la France, et selon des modalités qui ne sont pas comparables avec ce que proposent les auteurs.

II.   les modifications apportées par la commission

Suivant l’avis de votre rapporteur, la Commission a largement modifié le texte issu du Sénat, dont elle a renforcé la portée.

Elle a ainsi adopté dix amendements, proposés par des députés des groupes Renaissance, Socialiste et apparentés, Écologiste – NUPES, et La France Insoumise-Nouvelle union populaire écologique et sociale.

À l’article 1er, la Commission a adopté un amendement de rédaction globale, qui étend notamment le champ du texte aux condamnations prononcées entre 1942 et 1945, et prévoit en conséquence que c’est la Nation, plutôt que la République française, qui reconnaissance le caractère discriminatoire des dispositions concernées.

S’agissant de l’article 2, votre rapporteur partage entièrement les observations formulées au Sénat. La Commission n’a pas souhaité rétablir cet article.

Enfin, la Commission a considéré qu’en l’absence de mécanisme de réparation, la proposition de loi aurait une portée limitée. Elle a de ce fait rétabli les articles 3 et 4, dans leur rédaction initiale.

 


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   COMMENTAIRE DES ARTICLES

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er prévoit la reconnaissance, par la République française, de la politique de pénalisation et de discrimination mise en œuvre entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982 à l’encontre des personnes homosexuelles, ou présumées telles, et condamnées en application des articles 330 et 331 de l’ancien code pénal, aujourd’hui abrogés.

       Modifications apportées par le Sénat

En séance publique, le Sénat a adopté un amendement de rédaction globale de M. Francis Szpiner, rapporteur, tendant à limiter la période temporelle faisant l’objet de la reconnaissance de responsabilité aux seuls régimes républicains, à préciser le périmètre de cette responsabilité, et à supprimer la référence au principe d’une réparation financière.

       Modifications apportées par la Commission

Sur proposition de M. David Valence, et suivant l’avis favorable de votre rapporteur, la Commission a adopté un amendement CL30 de rédaction globale qui prévoit de faire référence à la Nation plutôt qu’à la République française, et qui ajoute à la liste des dispositions pénales reconnues comme discriminatoires le premier alinéa de l’article 334 du code pénal issu de la loi du 6 août 1942. Il étend de ce fait le champ du texte aux condamnations prononcées entre 1942 et 1945.

Elle a par ailleurs adopté trois sous-amendements à cet amendement :

– un sous-amendement CL39 de M. Sacha Houlié corrigeant une erreur matérielle ;

– deux sous-amendements CL34 et CL35 de votre rapporteur tendant, d’une part, à préciser la rédaction de l’article, et d’autre part, à rétablir la référence au dispositif de réparation financière prévu à l’article 3.

  1.   L’état du droit

Alors que, sous l’Ancien Régime, l’homosexualité était un crime punissable de mort, le code pénal issu des lois des 25 septembre et 6 octobre 1791, adopté pendant la Révolution, fit disparaître le « crime de sodomie » du droit national, dépénalisant ainsi les relations entre personnes de même sexe ([1]).

Pendant plus d’un siècle et demi, la législation pénale française fit donc abstraction de l’homosexualité. Elle appréhendait de la même manière les auteurs d’attentats aux mœurs – selon la formulation employée par l’ancien code pénal –, qu’il s’agisse de personnes de sexe opposé, ou de personnes de même sexe, et leur appliquait les mêmes dispositions légales.

Le droit français apparaissait donc, de ce point de vue, plus libéral que de nombreux autres pays occidentaux, au sein desquels les relations entre personnes de même sexe étaient réprimées ([2]).

Comme le rappelle Florence Tamagne, il n’en demeure pas moins que, si la France avait acquis une « réputation durable de tolérance » depuis l’abrogation du crime de sodomie, les lieux de drague homosexuels faisaient l’objet d’une surveillance policière, et les relations entre personnes de même sexe pouvaient être poursuivies en application des dispositions de droit commun pour outrage public à la pudeur ([3]).

La pénalisation de certaines relations entre personnes de même sexe fut toutefois réintroduite dans le droit pénal français par la loi du 6 août 1942, qui aligna l’âge de la majorité sexuelle sur celui de la majorité civile pour les seules relations homosexuelles.

Ces dispositions répressives furent complétées par l’ordonnance du 25 novembre 1960, qui créa une circonstance aggravante en cas d’outrage public à la pudeur, lorsque celui-ci était commis avec une personne du même sexe.

Si l’homosexualité n’était pas pénalisée en tant que telle (les relations sexuelles entre personnes majeures de même sexe dans le cadre privé restant autorisées), ces dispositions n’en demeuraient pas moins profondément discriminatoires, et moralement injustifiables.

Jusqu’à leur abrogation, entre 1980 et 1982, soit en l’espace d’une quarantaine d’années, elles auront conduit à la condamnation d’au moins dix mille personnes.

  1.   La commission d’un acte impudique ou contre-nature avec un mineur du même sexe âgé de moins de 21 ans, puis de 18 ans (article 334 al. 3, transféré à l’article 331 al. 3, puis à l’article 331 al. 2 de l’ancien code pénal)

La loi du 6 août 1942, adoptée sous le régime de Vichy ([4]), a instauré une distinction entre personnes hétérosexuelles et personnes homosexuelles concernant l’âge de la majorité sexuelle : alors que la majorité sexuelle était fixée à 13 ans pour les actes hétérosexuels, celle-ci a été portée à 21 ans pour les actes homosexuels, ce qui correspondait à l’âge de la majorité civile ([5]).

La loi a pour cela modifié l’article 334 de l’ancien code pénal, qui réprimait alors l’excitation à la débauche, pour prévoir une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans et une peine d’amende de 200 à 60 000 francs pour quiconque aura « soit pour satisfaire les passions d’autrui, excité, favorisé ou facilité habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l’un ou de l’autre sexe au-dessous de l’âge de vingt et un ans, soit pour satisfaire ses propres passions, commis un ou plusieurs actes impudiques ou contre nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de vingt et un ans ».

L’expression de « mineur […] âgé de moins de vingt et un ans » renvoie ici à une personne ayant atteint l’âge de la majorité sexuelle (13 ans jusqu’en 1945, puis 15 ans), mais pas encore celui de la majorité civile (ou « légale »). En effet, dans le cas d’un mineur de moins de 13 ans (ou à partir de 1945, de 15 ans), les faits auraient été constitutifs d’un crime d’attentat à la pudeur sans violence ([6]).

Après la Libération, cette disposition a été conservée, mais transférée vers l’article 331 du code pénal. L’exposé des motifs de l’ordonnance du 8 février 1945, qui a procédé à ce transfert, relevait que la réforme, « inspirée par le souci de prévenir la corruption des mineurs, ne saurait, en son principe, appeler aucune critique. Mais en la forme une telle disposition serait mieux à sa place dans l’article 331 » ([7]), qui sanctionnait les attentats à la pudeur commis sur les mineurs de quinze ans ([8]) .

Le troisième alinéa de l’article 331 disposait désormais que « sans préjudice des peines plus graves prévues par les alinéas qui précèdent [attentat à la pudeur commis sur un mineur de quinze ans] ou par les articles 332 [viol] et 333 [inceste] du présent code, sera puni d’un emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 200 à 50 000 francs quiconque aura commis un acte impudique on contre nature avec un individu de son sexe mineur de vingt et un ans ».

Ces dispositions introduisaient une double discrimination.

D’une part, elles conduisaient à punir les relations homosexuelles entre une personne majeure et un mineur de plus de 13 ans (ou de plus de 15 ans à partir de 1945), alors que ce mineur aurait été considéré comme sexuellement capable, dans le sens juridique du terme, en cas de relation hétérosexuelle.

D’autre part, la formulation employée, qui mentionnait tout acte impudique ou contre nature commis « avec » un individu de son sexe, conduisait à sanctionner également les mineurs. Le code pénal annoté de 1956 relevait ainsi que « le délit consiste dans le fait de pratiquer des actes impudiques ou contre nature, non pas “sur” un mineur, qui serait la victime du délit, mais “avec” un mineur. […] Il résulte de l’expression “avec un mineur” employée par la loi, que le mineur, n’étant pas la victime, mais un véritable partenaire dans le délit ainsi commis, pourra être lui-même poursuivi, que son coauteur soit majeur ou mineur, et condamné. […] Il ne faut certes pas abuser de ces poursuites, mais elles pourront être utiles le cas échéant pour permettre le jeu des mesures de rééducation prévue par l’ordonnance du 2 février 1945 » ([9]). La rédaction retenue ouvrait donc la possibilité de sanctionner les couples de mineurs, ainsi que les mineurs ayant eu une relation sexuelle avec un majeur de même sexe. À ce titre, l’historien Jean-Jacques Yvorel relevait que cette mesure ne constituait donc « nullement d’une mesure de protection des mineurs mais [une] mesure de défense de la morale et de l’ordre public » ([10]).

Par cohérence avec l’abaissement de l’âge de la majorité civile, la loi du 5 juillet 1974 a ensuite abaissé à 18 ans l’âge de la majorité sexuelle pour les rapports homosexuels ([11]), et la loi du 23 décembre 1980 a modifié la rédaction de l’article pour faire figurer cette incrimination au deuxième alinéa de l’article 331, et non plus au troisième ([12]). La plus récente des peines encourues prévoyait une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans ainsi qu’une amende de 60 à 20 000 francs.

C’est finalement grâce à la proposition de loi déposée par le député Raymond Forni, rapportée par Gisèle Halimi, et soutenue par Robert Badinter, alors garde des Sceaux, devenue la loi du 4 août 1982, que le législateur a abrogé le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal ([13]).

  1.   Le renforcement des peines en cas d’outrage public à la pudeur commis avec une personne du même sexe (art. 330 al. 2 de l’ancien code pénal)

Par ailleurs, l’ordonnance du 25 novembre 1960 relative à la lutte contre le proxénétisme  a prévu la création d’une circonstance aggravante à l’outrage public à la pudeur, lorsque celui-ci était commis avec une personne du même sexe ([14]).

À l’occasion de l’examen d’un projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour lutter contre certains « fléaux sociaux », l’Assemblée nationale avait adopté un amendement de M. Paul Mirguet complétant l’énumération de ces fléaux et autorisant le pouvoir exécutif à prendre « toutes mesures propres à lutter contre l’homosexualité » ([15]).

Pour « répondre au souci manifesté par le Parlement », l’article 2 de l’ordonnance du 25 novembre 1960 a ainsi institué, à l’article 330 du code pénal, une peine aggravée lorsqu’un outrage public à la pudeur consiste en un « acte contre nature avec un individu du même sexe » ([16]).

L’ordonnance procède donc au doublement de la peine minimum pour outrage public à la pudeur lorsqu’il s’agit de rapports homosexuels : alors que l’outrage public à la pudeur était puni d’une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans, et d’une amende de 500 à 15 000 francs, l’outrage résultant d’un acte « contre nature avec un individu du même sexe » était passible d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans, et d’une amende de 1 000 à 20 000 francs.

La notion d’outrage public à la pudeur est ancienne et ne figure aujourd’hui plus dans le code pénal ([17]). À la différence de l’attentat à la pudeur, la prévention de l’outrage public à la pudeur n’avait pas essentiellement pour objet la répression d’actes impudiques, commis à l’égard d’une personne déterminée, mais la réparation du scandale causé par de tels actes, à raison de leur publicité : la Cour de cassation avait ainsi jugé que « c’est ce scandale même qui fait la criminalité de l’acte, et non pas, essentiellement, l’atteinte individuelle à la pudeur de la personne qui en a été l’objet » ([18]).

L’incrimination d’outrage public à la pudeur faisait l’objet d’une définition extensive en jurisprudence et pouvait, dans certaines conditions, conduire à sanctionner des actes commis dans des lieux privés. Elle était alors fréquemment utilisée pour pénaliser la fréquentation de lieux de rencontre homosexuelle, comme cela avait notamment été le cas dans l’affaire du « Manhattan » ([19]).

Vingt ans après leur adoption, ces dispositions profondément discriminatoires furent finalement abrogées par la loi du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs, suite à l’adoption devant le Sénat d’un amendement du Gouvernement, alors représenté par Mme Monique Pelletier, secrétaire d’État auprès du garde des Sceaux ([20]).

  1.   Loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie

La loi du 4 août 1981 portant amnistie, adoptée suite à l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République, a amnistié les infractions précitées réprimant l’homosexualité, prévues aux articles 330 et 331 de l’ancien code pénal, lorsqu’elles avaient été commises antérieurement au 22 mai 1981 ([21]).

Cette loi a ainsi permis l’effacement des condamnations prononcées entre 1942 et 1981 et la remise des peines qui n’avaient pas encore été exécutées, sans toutefois prévoir leur restitution.

Distinction entre amnistie, grâce et réhabilitation

Le code pénal distingue actuellement l’amnistie de la grâce et de la réhabilitation.

L’amnistie efface les condamnations prononcées, et entraîne, sans qu’elle puisse donner lieu à restitution, la remise de toutes les peines. Elle rétablit l’auteur ou le complice de l’infraction dans le bénéfice du sursis qui avait pu lui être accordé lors d’une condamnation antérieure (art. 133-9 du code pénal).

Elle interdit par ailleurs à toute personne qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance de condamnations pénales, de sanctions disciplinaires ou professionnelles ou d’interdictions, déchéances et incapacités effacées par l’amnistie, d’en rappeler l’existence sous quelque forme que ce soit ou d’en laisser subsister la mention dans un document quelconque. Toutefois, les minutes des jugements, arrêts et décisions échappent à cette interdiction, et l’amnistie ne met pas obstacle à l’exécution de la publication ordonnée à titre de réparation (art. 133-11).

La grâce emporte seulement dispense d’exécuter la peine, et ne fait pas obstacle au droit, pour la victime, d’obtenir réparation du préjudice causé par l’infraction (art. 133-7 et 133-8 du code pénal). Elle est décidée par le Président de la République (art. 17 de la Constitution).

La réhabilitation peut être soit automatique, soit prononcée par le juge (art. 133-12 du code pénal). Elle permet l’effacement de la condamnation et interdit de la mentionner, mais n’interdit pas la prise en compte de la condamnation, par les seules autorités judiciaires, en cas de nouvelles poursuites, pour l’application des règles sur la récidive légale (art. 133‑16). À l’inverse de l’amnistie, elle suppose que la peine a été exécutée (art. 133-13 et 133‑14).

Comme le relève le Professeur Bruno Py, l’amnistie, « force de l’oubli volontaire ou instrument du pardon de la nation » constitue « le plus radical et le plus efficace des moyens dont dispose le législateur, lorsqu’il souhaite arrêter le bras armé de la répression pour entrer en voie de mansuétude. » (in Répertoire Dalloz de droit pénal et de procédure pénale, article « Amnistie », septembre 2020).

  1.   L’évaluation du nombre de personnes condamnées

Comme le rappelait Florence Tamagne lors de son audition, il existe actuellement un consensus sur le fait qu’une dizaine de milliers de personnes au moins ont été condamnées pour motif d’homosexualité sur le fondement des dispositions précitées de l’ancien code pénal.

Les derniers travaux en date sur cette question, publiés par Jérémie Gauthier et Régis Schlagdenhauffen et publiés en 2019, font ainsi état de 9 566 condamnations au moins, prononcées par la justice française entre 1945 et 1978 ([22]). Ces statistiques se fondent sur les données publiées dans le Compte général de la justice, qui comptabilisent, sans les distinguer, les condamnations au titre de l’article 331 al. 2 (relations avec un mineur de même sexe) et, à partir de 1960, au titre de l’article 330 al. 2 de l’ancien code pénal (outrage public à la pudeur commis avec une personne du même sexe) ([23]).

Les travaux de MM. Gauthier et Schlagdenhauffen soulignent que la réponse pénale a été très sévère dans ces affaires, puisqu’elle s’est principalement traduite par des peines de prison, ferme ou avec sursis, et plus rarement par des amendes. Au total, 8 211 peines de prison (soit 93 % du total des peines), et 614 peines d’amende ont été prononcées en métropole sur cette période. 79 % des peines étaient d’une durée inférieure ou égale à un an (26 % des peines prononcées étaient inférieures à trois mois, 53 % l’ont été pour une durée comprises entre trois mois et un an), tandis que les peines de un à trois ans représentaient 20 % du total. La part du sursis rapportée au total des peines de prison était nulle en 1945, et a atteint 84 % en 1974, puis 100 % en 1977 et 1978.

À ces chiffres s’ajoutent 676 mineurs, jugés entre 1958 et 1976 par les tribunaux pour enfants pour un « acte impudique ou contre-nature commis avec un individu de son sexe », selon le décompte de Jean-Jacques Yvorel ([24]).

Par ailleurs, ces condamnations concernaient très majoritairement des hommes ([25]).

Ainsi, sur la base des statistiques officielles, 10 242 condamnations pour homosexualité ont été prononcées en France entre 1945 et 1978 à l’encontre de personnes majeures et mineures.

Cette estimation semble néanmoins constituer un minimum, notamment parce que les statistiques publiées par le ministère de la justice sont disponibles pour les années 1945-1978, et excluent donc les années 1942-1945 et 1978-1982.

Au-delà de la stricte comptabilisation des condamnations prononcées sur le fondement des dispositions précitées de l’ancien code pénal, des travaux ultérieurs menés M. Schlagdenhauffen suggèrent que ces données ne retracent qu’une partie des condamnations prononcées au titre d’actes entre personnes de même sexe ([26]). Selon lui, le nombre de condamnations pour des délits connexes à l’homosexualité en France entre 1945 et 1978 serait bien plus élevé qu’envisagé, et pourrait atteindre 50 000 condamnations. La réalisation d’une telle estimation est toutefois très longue, car elle nécessite d’étudier chaque condamnation, et est pour cette raison toujours en cours.

  1.   Le dispositif proposé

L’article 1er de la proposition de loi prévoit la reconnaissance, par la République française, de la politique mise en œuvre entre 1942 et 1982 à l’encontre des personnes homosexuelles.

L’alinéa 1 dispose ainsi que la République française reconnaît et regrette la politique de criminalisation et de discrimination mise en œuvre entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982 à l’encontre des personnes homosexuelles, ou présumées telles, et condamnées en application de certaines dispositions du code pénal, aujourd’hui abrogées.

Les alinéas 2 à 4 mentionnent les dispositions concernées. Il s’agit :

 du troisième alinéa de l’article 331 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 80‑1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs, et du deuxième alinéa du même article dans sa rédaction antérieure à la loi n° 82‑683 du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal, c’est-à-dire des dispositions réprimant la commission d’un acte impudique ou contre-nature avec un mineur du même sexe âgé de moins de 21 ans ou, à partir de 1978, de moins de 18 ans (1° et 2°) ;

– du deuxième alinéa de l’article 330 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 80‑1041 du 23 décembre 1980 précitée, c’est-à-dire des dispositions relatives à l’aggravation des peines encourues en cas d’outrage public à la pudeur commis avec une personne du même sexe ().

L’alinéa 4 prévoit enfin que cette reconnaissance ouvre droit au bénéfice d’une réparation financière, dans les conditions prévues à l’article 3 de la proposition de loi.

  1.   Les modifications apportées par le Sénat

La commission des Lois du Sénat a rejeté cet article.

En séance publique, sur proposition du rapporteur, M. Francis Szpiner, et suite à un avis de sagesse du Gouvernement, le Sénat a adopté un amendement n° 1 de rédaction globale de l’article 1er, procédant à trois modifications.

Premièrement, le Sénat a souhaité limiter la période temporelle faisant l’objet de la reconnaissance de responsabilité aux seuls régimes républicains. Le rapporteur du texte relevait ainsi : « si nous sommes d’accord pour reconnaître cette discrimination […] la République ne doit pas endosser les crimes du régime de Vichy ».

La nouvelle rédaction du texte fait ainsi démarrer la période de la reconnaissance de responsabilité au 8 février 1945, qui est la date à laquelle l’ordonnance n° 45-190 modifiant l’article 331 du code pénal a été prise.

Deuxièmement, le Sénat a redéfini le périmètre de cette responsabilité, en la recentrant sur l’application des dispositions pénales précitées.

L’article ne prévoit donc plus que la République française « reconnaît et regrette la politique de criminalisation et de discrimination mise en œuvre entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982 à l’encontre des personnes homosexuelles, ou présumées telles, et condamnées en application des dispositions suivantes, aujourd’hui abrogées » mais dispose désormais que celle-ci « reconnaît sa responsabilité du fait de l’application des dispositions pénales suivantes à compter du 8 février 1945, qui ont constitué une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ».

À cette occasion, l’amendement supprime la référence au fait que la République française « regrette » cette politique, les regrets ayant, comme le rappelle le rapporteur, une valeur « morale, mais non juridique ».

Il fait par ailleurs apparaître explicitement la notion de « responsabilité », qui était jusque-là sous-entendue. La portée de cet ajout paraît néanmoins limitée : en tout état de cause, elle ne semble pas être de nature à assouplir les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État au titre de l’application de ces lois.

Enfin, et troisièmement, le Sénat a entendu supprimer la référence au mécanisme de réparation financière, qui, d’après le rapporteur du texte au Sénat, « soulève des difficultés juridiques insurmontables et ne peut donc être retenu ». Ce point sera évoqué à l’occasion du commentaire de l’article 3.

  1.   Les modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté l’amendement CL30 de rédaction globale de M. David Valence, sous-amendé par votre rapporteur (amendements CL34 et CL35), et par M. Sacha Houlié (amendement CL39).

L’amendement CL30 de M. David Valence procède à deux modifications principales :

– il ajoute l’article 334 du code pénal, issu de la loi du 6 août 1942, à la liste des dispositions pénales concernées, et étend de ce fait le champ de la reconnaissance aux condamnations prononcées entre 1942 et 1945 ;

– il choisit de faire référence à la Nation plutôt qu’à la République française, car la République française ne pourrait reconnaître « sa » responsabilité du fait de l’application des dispositions pénales créées et mises en œuvre sous le régime de Vichy.

La Commission a par ailleurs adopté deux sous-amendements CL34 et CL35 de votre rapporteur.

Le sous-amendement CL34 précise la rédaction du premier alinéa de l’article. D’un point de vue rédactionnel, il paraît en effet préférable que la Nation reconnaisse le caractère discriminatoire des dispositions pénales en question, plutôt qu’elle reconnaisse sa responsabilité du fait de leur application.

La suppression de la reconnaissance explicite du terme de « responsabilité » ne pose pas de difficulté particulière, dès lors que la Commission a également rétabli le principe d’une réparation financière pour les personnes condamnées pour homosexualité, par renvoi à l’article 3, en adoptant l’amendement CL35 de votre rapporteur. 

L’amendement CL35 a par la même occasion supprimé la référence aux souffrances et aux traumatismes subis par les personnes homosexuelles, termes à propos desquels les associations auditionnées par votre rapporteur s’étaient montrées réservées.

La Commission a enfin adopté le sous-amendement CL39 de M. Sacha Houlié, qui corrige une erreur matérielle.

 

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Suppression maintenue par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 2 prévoit la création d’un nouveau délit punissant la contestation, la négation, la minoration ou la banalisation de manière outrancière de l’existence de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité depuis la France, en zone occupée comme en zone libre, pendant la Seconde Guerre mondiale. Il modifie pour cela la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

       Modifications apportées par le Sénat

Considérant que ce nouveau délit était satisfait par les dispositions de l’article 24 bis actuellement en vigueur, que son autonomisation pourrait perturber certains contentieux en cours, et qu’il présentait un risque d’inconstitutionnalité, le Sénat n’a pas adopté cet article.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a maintenu la suppression de cet article.

  1.   L’état du droit

Depuis la loi du 13 juillet 1990, dite loi « Gayssot » ([27]), qui a créé l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la contestation des crimes contre l’humanité commis durant la Seconde Guerre mondiale est punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. 

Pour être caractérisée, l’infraction requiert la réunion de trois éléments.

Premièrement, il doit y avoir contestation de l’existence de certains crimes contre l’humanité. Celle-ci peut prendre plusieurs formes, telles que la négation, la mise en doute ou la minimisation des faits. La Cour de cassation a considéré que la présentation des faits sous forme déguisée ou dubitative ([28]) ou par voie d’insinuation ([29]), ainsi que la minoration outrancière du nombre de victimes ([30]), permettaient également de caractériser la contestation.

Deuxièmement, les propos ou thèses en question doivent revêtir un caractère public. La contestation doit ainsi avoir été opérée par l’un des moyens énoncés à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, c’est-à-dire, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique. L’infraction requiert un élément intentionnel, révélé par une volonté de diffuser le propos de la manière la plus large possible ([31]).

Troisièmement, la contestation doit porter sur certains crimes contre l’humanité, dont le champ est précisément circonscrit.

La contestation doit en effet porter sur un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, c’est-à-dire du Tribunal de Nuremberg. Ces crimes sont définis comme « l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu’ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime » ([32]).

Ces crimes doivent par ailleurs avoir été commis, soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle par le Tribunal militaire international de Nuremberg ([33]), soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, expression qui renvoie aux personnes « déjà condamnées à ce titre et qui pourraient n’avoir pas appartenu à une des organisations criminelles précitées » ([34]). La Cour de cassation a précisé qu’il suffisait que les personnes ainsi désignées aient « décidé ou organisé » les crimes contre l’humanité contestés, peu important que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou complètement, le fait de tiers ([35]).

L’article 24 bis de la loi de 1881 punit donc la contestation des crimes contre l’humanité commis, pour le compte des pays européens de l’Axe, par les organisations déclarées criminelles par le Tribunal de Nuremberg, ou par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale.

Dans une décision du 8 janvier 2016, le Conseil constitutionnel a reconnu la conformité de ces dispositions à la Constitution, et a notamment écarté le grief tiré de l’atteinte à la liberté d’expression, considérant que l’atteinte portée à cette liberté était nécessaire, justifiée et proportionnée ([36]).

L’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 a par la suite été complété à l’occasion de la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, qui a étendu le champ du délit de négationnisme à d’autres crimes.

Sont désormais punis des mêmes peines ceux qui auront contesté l’existence d’un crime de génocide autre que ceux déjà prévus par le texte, d’un autre crime contre l’humanité, d’un crime de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ou d’un crime de guerre, lorsque ce crime a donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale ([37]).

L’alinéa ajouté par la loi du 27 janvier 2017 fait par ailleurs référence à « ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon outrancière » l’existence de ces crimes, et non plus à ceux qui les auront « contesté », traduisant ainsi l’interprétation de ce terme retenue par la Cour de cassation dans sa jurisprudence.

Enfin, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a porté à trois ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende les peines encourues, lorsque les faits de négationnisme sont commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission ([38]).

  1.   Le dispositif proposé

L’article 2 de la proposition de loi prévoit la création d’un nouveau délit punissant la contestation de l’existence de la déportation de personnes en raison de leur homosexualité depuis la France, en zone occupée comme en zone libre, pendant la Seconde Guerre mondiale. Il introduit pour cela un article 24 ter dans la loi du 29 juillet 1881.

Ce nouveau délit est très largement inspiré des dispositions actuelles de l’article 24 bis de la même loi : comme pour le délit de négationnisme, ce nouveau délit autonome serait puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, et permettrait de sanctionner toute expression publique entrant dans son champ effectuée par l’un des moyens prévus par l’article 23 de ladite loi.

En revanche, à l’inverse de la rédaction actuelle de l’article 24 bis, le nouvel article 24 ter n’exige pas explicitement que les crimes concernés aient donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale.

  1.   Les modifications apportées par le Sénat

Suivant le raisonnement de son rapporteur, qui relevait que cette infraction serait déjà couverte par le droit en vigueur, que son autonomisation serait « porteuse d’effets pervers », et qu’elle présentait un risque d’inconstitutionnalité, la commission des Lois du Sénat n’a pas adopté cet article.

Après avoir rappelé que « la réalité de la déportation des homosexuels depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale n’est plus à prouver », le rapporteur de la commission des Lois développait ces trois arguments.

Premièrement, la déportation des homosexuels pendant la Seconde Guerre mondiale répondrait aux critères fixés par la définition du crime contre l’humanité prévue par l’article 6 du statut du Tribunal du Nuremberg (« l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre »), et entrerait donc dans le champ de l’actuel article 24 bis.

Le rapporteur rappelait à ce titre que si le statut du Tribunal de Nuremberg ne fait pas explicitement référence aux personnes homosexuelles, la déportation constitue un crime contre l’humanité, « qu’elle concerne les juifs, les tziganes, les communistes ou les homosexuels ».

Votre rapporteur souscrit à cette interprétation.

Deuxièmement, et de ce fait, le fait de créer un nouveau délit reviendrait à considérer, « implicitement mais nécessairement que l’action qu’il est proposé de réprimer […] n’est pas encore punie par notre droit pénal ». Cela risquerait de perturber des contentieux en cours, et notamment celui opposant six associations ayant déposé une plainte avec constitution de partie civile à la suite de la publication d’un ouvrage comportant des écrits litigieux.

Troisièmement, la création d’un tel délit exposerait le législateur au risque d’une censure constitutionnelle, le Conseil constitutionnel ayant déjà eu l’occasion de censurer des dispositions réprimant la contestation de l’existence et de la qualification juridique de crimes que le législateur avait lui-même reconnus et qualifiés comme tels ([39]).

Votre rapporteur rappelle par ailleurs que le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur ne pouvait réprimer la négation, la minoration et la banalisation de certains crimes n’ayant fait l’objet d’aucune condamnation judiciaire préalable, car de telles dispositions portent une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression qui n’était ni nécessaire ni proportionnée ([40]).

Il insiste sur le fait que la disposition concernée serait donc très susceptible d’être censurée par le juge constitutionnel, à l’occasion du contrôle a priori de la loi avant sa promulgation s’il en était saisi, ou dans une future question prioritaire de constitutionnalité. Dans un tel cas de figure, une censure risquerait d’être exploitée dans le débat public par les personnes ayant contesté l’existence de la déportation pour motif d’homosexualité, comme une validation des thèses négationnistes qu’ils propagent.

Votre rapporteur rappelle que l’existence de la déportation pour motif d’homosexualité en France, durant la Seconde Guerre mondiale, ne fait aucun doute, et a fait l’objet de nombreux travaux depuis le début des années 2000. Le rapport « Mercier » de 2001 ([41]), les travaux de Mickaël Bertrand ([42]) et de Régis Schlagdenhauffen ([43]), publiés en 2011, ou ceux d’Arnaud Boulligny, en 2018 ([44]), notamment, constituent autant de preuves documentées de la réalité de ce tragique épisode de notre histoire collective.

Enfin, le discours de Lionel Jospin, alors Premier ministre, le 26 avril 2001, dans lequel il relevait qu’il était « important que notre pays reconnaisse pleinement les persécutions perpétrées durant l’Occupation contre certaines minorités -les réfugiés espagnols, les tziganes ou les homosexuels » ([45]), et celui de Jacques Chirac, Président de la République, qui rappelait qu’ « en Allemagne, mais aussi sur notre territoire, celles et ceux que leur vie personnelle distinguait, je pense aux homosexuels, étaient poursuivis, arrêtés et déportés » ([46]) ont ouvert la voie à une reconnaissance officielle.

Suivant les mêmes arguments, le Sénat a rejeté cet article en séance publique.

  1.   Les modifications apportées par la Commission

La Commission a maintenu la suppression de cet article.

 

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Rétabli par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 3 ouvre aux personnes reconnues victimes d’une discrimination en application de l’article 1er un droit au versement d’une allocation financière, ainsi qu’au remboursement de l’amende acquittée, le cas échéant.

       Modifications apportées par le Sénat

Le Sénat n’a pas adopté cet article.

       Modifications apportées par la Commission

Sur proposition de MM. Andy Kerbrat (CL4), Benjamin Lucas (CL15) et David Valence (CL31), et suivant l’avis favorable de votre rapporteur, la Commission a rétabli cet article dans sa rédaction initiale.

  1.   Le dispositif proposé

L’article 3 de la proposition de loi prévoit que les personnes reconnues victimes d’une discrimination en application de l’article 1er bénéficient d’un droit au versement d’une allocation financière.

Seraient ainsi concernées les personnes condamnées du fait de la commission d’un acte impudique ou contre-nature avec un individu de même sexe de 21 ou de 18 ans, ou auxquelles a été appliquée la circonstance aggravante à l’outrage public à la pudeur lorsqu’il s’agit de rapports homosexuels.

L’allocation se composerait :

– d’une allocation forfaitaire fixe, d’un montant de 10 000 euros () ;

– d’une allocation forfaitaire variable, en fonction du nombre de jours de privation de liberté, fixée à 150 euros par jour () ;

– du remboursement de l’amende dont elles se sont, le cas échéant, acquittées en application de leur condamnation, actualisé dans des conditions fixées par décret ().

  1.   Les modifications apportées par le Sénat

Suivant les arguments avancés par son rapporteur, la commission des Lois du Sénat n’a pas adopté cet article.

Le rapporteur relevait, tout d’abord, que ce mécanisme posait des difficultés juridiques. Il s’articulerait difficilement avec l’amnistie prononcée en 1981, comme avec les règles de droit commun en matière de prescription, qui fixent à trente ans la durée maximale pendant laquelle un préjudice peut être indemnisé, ainsi qu’avec le principe général de prescription quadriennale.

Il indiquait ensuite que la « soutenabilité juridique d’une telle réparation financière [n’était] pas acquise », car cette réparation serait liée aux conséquences directes de l’application de la loi pénale (soit la condamnation elle-même et la peine exécutée). Ce mécanisme ne serait ainsi pas compatible « avec les principes généraux dégagés par le Conseil d’État en la matière ».

Il ajoutait par ailleurs que, s’agissant des pays étrangers qui avaient fait le choix d’une réparation financière, ces expériences n’étaient pas véritablement transposables au cas de la France, soit du fait de l’histoire de la répression pour motif d’homosexualité dans ces pays, soit parce que le mécanisme retenu diverge.

Enfin, si une telle indemnisation devait être envisagée, le rapporteur suggérait d’autres bases juridiques que celles retenues par les auteurs de la proposition de loi, telles que la reconnaissance de la pénalisation de l’homosexualité comme un crime contre l’humanité, rendant imprescriptibles les préjudices subis et permettant la formation d’un contentieux spécifique.

En séance publique, le Sénat a rejeté cet article.

  1.   Les modifications apportées par la Commission

Sur proposition de MM. Andy Kerbrat (CL4), Benjamin Lucas (CL15) et David Valence (CL31), et suivant l’avis favorable de votre rapporteur, la Commission a rétabli cet article tel qu’il figurait dans la rédaction initiale de la proposition de loi.

Votre rapporteur ne partage pas les inquiétudes exprimées par le Sénat concernant les difficultés juridiques qui seraient posées par le mécanisme ainsi créé.

Premièrement, c’est précisément parce que les principes relatifs à l’engagement de la responsabilité de l’État dans le cadre contentieux de droit commun, dégagés par le juge administratif, sont rigoureux, que la création par la loi d’un mécanisme spécifique de réparation financière est nécessaire.

Votre rapporteur considère que le fait d’inscrire le terme de « responsabilité » dans la loi, comme l’a fait l’amendement de rédaction globale adopté par le Sénat à l’article 1er, ne faciliterait pas véritablement l’engagement de la responsabilité de l’État dans le cadre d’un contentieux portant sur l’application des dispositions de l’ancien code pénal réprimant l’homosexualité, fussent-elles discriminatoires. Les principes applicables en matière de responsabilité de l’État du fait des lois et la règle de la prescription quadriennale semblent en effet s’y opposer ([47]).

Deuxièmement, l’amnistie prononcée en 1981 n’est pas incompatible avec la création d’un mécanisme d’indemnisation ad hoc. À titre d’exemple, l’article 100 de la loi de finances pour 2015, qui prévoit que « la République française reconnaît le caractère discriminatoire et abusif du licenciement pour faits de grève des mineurs grévistes en 1948 et 1952, amnistiés en application de la loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie, les atteintes ainsi portées à leurs droits fondamentaux et les préjudices qui leur furent ainsi causés », a ouvert aux mineurs le bénéfice de plusieurs mesures, dont une allocation financière ([48]).

La création d’un mécanisme de réparation financière spécifique est donc possible, et nécessaire.

Votre rapporteur rappelle qu’en l’absence d’un tel mécanisme de réparation, la présente proposition de loi aurait une portée limitée.

Il a donc donné un avis favorable aux amendements proposant le rétablissement de l’article 3 de la proposition de loi, dans sa rédaction initiale.

Votre rapporteur souligne que ce dispositif est simple et efficace : les personnes condamnées pour homosexualité qui souhaitent bénéficier d’une mesure de réparation devraient saisir la commission indépendante créée par l’article 4. Elles devraient fournir des preuves de leur condamnation. La commission indépendante statuerait ensuite sur la demande, et calculerait le montant de l’indemnisation en fonction des critères prévus à l’article 3.

Il rappelle par ailleurs que les condamnations sont anciennes. Le nombre de bénéficiaires potentiels serait donc vraisemblablement, et malheureusement, limité.

La création d’un mécanisme de réparation pose donc une question de principe, bien plus qu’une question budgétaire.

Le cas des pays ayant adopté un tel mécanisme de réparation financière est à ce titre éclairant :

– en Allemagne, on estime à 50 000 le nombre de personnes ayant été persécutées pour homosexualité sous le IIIème Reich, et à 68 000 le nombre de personnes condamnées après 1945 ([49]). Un dispositif de réparation a été créé en 2017. À la fin du mois d’août 2021, le Gouvernement a annoncé avoir versé 860 000 euros au titre de 249 dossiers clôturés. 14 dossiers étaient encore en cours, 18 demandes ont été rejetées, et 36 ont été retirées ou en cours d’examen. Les demandes pouvaient être déposées jusqu’en juillet 2022 ;

– en Espagne, on estime à 5 000 le nombre de personnes vivantes éligibles au fonds d’indemnisation créé en 2008. Ce fonds était abondé à hauteur de 2 millions d’euros ; 624 000 euros ont jusque-là été distribués à 116 victimes reconnues ([50]).

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Rétabli par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 4 prévoit la création, auprès du Premier ministre, d’une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982. Cette commission serait chargée de statuer sur les demandes présentées sur le fondement de l’article 3.

       Modifications apportées par le Sénat

Le Sénat n’a pas adopté cet article.

       Modifications apportées par la Commission

Sur proposition de M. Benjamin Lucas (CL16), et suivant l’avis favorable de votre rapporteur, la Commission a rétabli cet article dans sa rédaction initiale.

  1.   Le dispositif proposé

L’article 4 de la proposition de loi prévoit la création d’une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité, chargée de statuer sur les demandes de réparation financière, et en détaille la composition.

Le I dispose qu’il est institué auprès du Premier ministre une commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité entre le 6 août 1942 et le 4 août 1982.

Cette commission est chargée de statuer sur les demandes présentées sur le fondement de l’article 3.

Le II détaille le fonctionnement de la commission, qui comprend douze membres :

– deux députés et deux sénateurs () ;

– un membre du Conseil d’État et un magistrat de la Cour de cassation () ;

– trois représentants de l’État, désignés par le Premier ministre () ;

 trois personnalités qualifiées, issues du monde universitaire et associatif, désignées par le Premier ministre en raison de leurs connaissances dans le domaine de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ou de leurs engagements dans la lutte contre les discriminations subies en raison de l’orientation sexuelle ().

Le III renvoie à un décret simple le soin de préciser le fonctionnement de la commission, ses attributions, les conditions de son indépendance dans l’exercice de ses missions, les modalités de présentation et d’instruction des demandes de réparation ainsi que les conditions dans lesquelles les personnes concernées peuvent être entendues.

  1.   Les modifications apportées par le Sénat

Par cohérence avec la position retenue à l’article 3, la commission des Lois du Sénat n’a pas adopté cet article.

En séance publique, le Sénat a rejeté cet article.

  1.   Les modifications apportées par la Commission

Sur proposition de M. Benjamin Lucas (CL16), suivant l’avis favorable de votre rapporteur, et par cohérence avec la position retenue à l’article 3, la Commission a rétabli cet article dans sa rédaction initiale.

 

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Suppression maintenue par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 5 prévoit la compensation financière des dépenses créées par la proposition de loi.

       Modifications apportées par le Sénat

Le Sénat n’a pas adopté cet article.

       Modifications apportées par la Commission

La Commission a maintenu la suppression de cet article.

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Les mesures prévues par la proposition de loi, et notamment le dispositif de réparation financière prévu aux articles 3 et 4, se traduiraient par la création de dépenses nouvelles.

Afin de compenser financièrement ces dépenses, l’article 5 de la proposition de loi prévoit la création d’un « gage » consistant en la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs.

Par cohérence avec la position retenue aux articles 3 et 4, la commission des Lois n’a pas adopté l’article 5 et, en séance publique, le Sénat a rejeté cet article.

La Commission a maintenu la suppression de cet article.

 

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Examen en commission

Lors de sa réunion du mercredi 28 février 2024, la Commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982 (n° 1915) (M. Hervé Saulignac, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/vf9nYO

M. le président Sacha Houlié. Cette proposition de loi a été déposée le 6 août 2022 par le sénateur Hussein Bourgi et examinée par le Sénat, à la demande du groupe socialiste, le 22 novembre 2023. Elle est inscrite mercredi prochain en séance sur un ordre du jour transpartisan.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Cette proposition de loi n’est pas seulement un acte de justice ou une mesure symbolique qui se justifierait par elle-même : elle s’inscrit dans un contexte de recrudescence alarmante de la violence et de la discrimination à l’encontre des personnes LGBT. À cet égard, elle est un acte politique. Elle envoie en effet un signal fort à la société qui, malgré des avancées significatives en matière de droits et de reconnaissance, ne parvient pas à endiguer la progression de l’homophobie, de la transphobie ou d’autres discriminations fondées sur le genre ou l’orientation sexuelle.

En 2022, les services de police et de gendarmeries ont enregistré 2 417 crimes et délits anti-LGBT, chiffre qui a plus que doublé depuis 2016. Selon plusieurs enquêtes, 20 % seulement des victimes de menaces ou de violences anti-LGBT portent plainte, chiffre qui chute dramatiquement à 5 % en cas d’injure. Ces statistiques ne sont pas seulement des chiffres, mais aussi le reflet des souffrances endurées, souvent rendues invisibles et parfois vécues dans un silence coupable.

Ce contexte nous oblige à avoir des actes forts et une parole claire. Cette proposition de loi en est l’occasion.

La France affiche une histoire assez singulière en matière de pénalisation de l’homosexualité. Alors que, sous l’Ancien Régime, celle-ci était un crime passible de la peine du feu, le code pénal issu des lois de 1791 a fait disparaître de notre droit national ce que l’on appelait le crime de sodomie, c’est-à-dire l’ensemble des actes sexuels sans visée procréative. C’est ainsi qu’ont été dépénalisées les relations entre personnes de même sexe.

Pendant plus d’un siècle et demi, la législation pénale française a donc fait abstraction de l’homosexualité, alors que nombre de nos voisins européens appliquaient des dispositions répressives et souvent cruelles. La situation française, inédite sur un plan pénal au XVIIIe siècle, n’a pas pour autant sonné la fin des discriminations à l’endroit des personnes homosexuelles, loin de là, et les historiens ont clairement mis en évidence les mesures de surveillance policière, les brimades et la traque dont elles pouvaient faire l’objet. Il n’en demeure pas moins que, du fait de ce libéralisme juridique, notre pays avait acquis une réputation de tolérance en termes de droits des personnes homosexuelles.

La pénalisation de certaines relations entre personnes de même sexe a été réintroduite dans le droit pénal français par la loi du 6 août 1942, qui a aligné l’âge de la majorité sexuelle sur celui de la majorité civile pour les seules relations homosexuelles, créant ainsi une discrimination incontestable. Contre toute attente, ces dispositions ont été maintenues à la Libération, sous prétexte de protection de l’enfance et de la famille. Ainsi, d’un point de vue strictement historique, le « point zéro » de la répression pénale réside bien dans la loi du 6 août 1942, et nulle part ailleurs.

Deux décennies plus tard, l’arsenal répressif a même été complété par l’ordonnance du 25 novembre 1960, qui a créé une circonstance aggravante en cas d’outrage public à la pudeur lorsque celui-ci était commis avec une personne du même sexe. Cette disposition, que l’on connaît sous le nom d’ « amendement Mirguet », a en quelque sorte confirmé dans notre droit pénal le traitement discriminatoire visant les personnes homosexuelles.

Ainsi, pour être très précis, ce n’est donc pas l’homosexualité en tant que telle qui est pénalisée à partir de 1942, puisque les relations sexuelles entre personnes majeures de même sexe dans le cadre privé restaient autorisées ; les mesures pénales visant les homosexuels n’en étaient pas moins profondément discriminatoires, attentatoires au droit au respect de la vie privée et moralement injustifiables.

Le sursaut est intervenu au tournant des années 1980 avec trois textes successifs adoptés entre 1980 et 1982, par lesquels le législateur a abrogé ces dispositions iniques et voté l’amnistie des personnes condamnées.

Il n’en demeure pas moins que, dans notre histoire récente, la France a pénalement discriminé sa population selon ses orientations sexuelles. Entre 1945 et 1982, notre code pénal a permis de condamner au moins 10 000 personnes, dont 93 % à des peines de prison. Au-delà de ces statistiques, ce sont des vies humaines qui ont parfois été brisées, souvent bouleversées et toujours marquées par des condamnations qui exposent au jugement, à l’opprobre, à la stigmatisation et à la mise à l’écart.

Le texte que nous nous apprêtons à examiner propose de reconnaître et de réparer les préjudices subis par les personnes homosexuelles au cours des quatre décennies concernées. La proposition initiale déposée au Sénat par M. Hussein Bourgi à l’occasion du quarantième anniversaire de l’abrogation de la loi de 1942 était construite autour de trois axes forts : premièrement, la reconnaissance par la République de ces faits et de leur caractère discriminatoire ; deuxièmement, la mise en œuvre d’un mécanisme de réparation financière pour les personnes condamnées, qui repose sur une commission indépendante ; troisièmement, la création d’un nouveau délit réprimant la contestation de la déportation de personnes homosexuelles en France durant la Seconde guerre mondiale.

En séance publique, le Sénat a apporté d’importantes modifications au texte initial. Pour être plus exact, il l’a presque totalement vidé de sa substance, ne conservant que l’article 1er réécrit. L’occasion nous est donc donnée de revenir largement vers le texte initial et de l’améliorer, au lieu de nous contenter de la reconnaissance d’un préjudice, qui n’est pas une fin en soi.

Le Sénat a d’abord modifié la période concernée par les mesures de reconnaissance : considérant que la République française ne pouvait être rendue responsable de la politique menée par le régime de Vichy, il a exclu du champ du texte les années 1942 à 1945. Je comprends, bien sûr, l’intention du rapporteur, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette restriction car, à la Libération, les mesures pénales de 1942 sont restées en vigueur dans une continuité parfaite, sans aucune rupture. La disposition a été pérennisée par voie d’ordonnance et s’est appliquée jusqu’en 1982, l’exposé des motifs de l’ordonnance de février 1945 soulignant sans détour que la réforme « ne saurait, en son principe appeler aucune critique ».

Le Sénat a ensuite supprimé l’infraction de contestation de la déportation de personnes homosexuelles depuis la France, au motif que ce délit était déjà réprimé par la loi Gayssot de 1990 et que, sur un plan plus technique, la formulation de l’article 2 comportait un risque constitutionnel. Je souscris à cette analyse et j’y reviendrai lorsque nous aborderons cet article.

Le Sénat a supprimé le mécanisme de réparation financière et la commission indépendante créée par les articles 3 et 4, arguant de difficultés d’articulation de ces mesures avec l’amnistie prononcée en 1981. Il a également évoqué les exemples étrangers de réparations financières, notamment de l’Allemagne et de l’Espagne, considérant qu’ils étaient difficilement transposables à la situation française.

Je ne suis pas convaincu par ses arguments. Il me semble au contraire que si nous n’adoptons pas de mécanisme de réparation financière, nous aurons certes consacré dans la loi le principe de la reconnaissance, mais en restant en quelque sorte au milieu du gué. À quoi servirait une loi de réparation sans réparation ? Reconnaître un préjudice sans le réparer n’a aucun sens. Je vous proposerai donc sur ce point de rétablir la volonté initiale de l’auteur du texte.

Pour finir, je souhaite rendre un dernier hommage à Robert Badinter, disparu il y a peu. Il avait soutenu la proposition de loi qui a fait définitivement disparaître le délit d’homosexualité de notre code pénal. En décembre 1981, il relevait à la tribune de l’Assemblée nationale que « la discrimination, la flétrissure qu’implique […] l’existence d’une infraction particulière d’homosexualité […] nous atteint tous […] à travers une loi qui exprime l’idéologie, la pesanteur d’une époque odieuse de notre histoire. »

Il a fallu quarante années pour que l’homosexualité soit dépénalisée, grâce notamment à Robert Badinter, à Raymond Forni et à Gisèle Halimi. Quarante autres années ont passé depuis lors. Nous n’avons que trop attendu. Le temps est venu de reconnaître et de réparer. C’est ce que je vous invite à faire en adoptant cette proposition de loi.

M. David Valence (RE). Disons-le d’emblée, le groupe Renaissance se félicite de l’examen de cette proposition de loi, qui résulte d’une initiative du sénateur socialiste Hussein Bourgi. Pourtant, ce texte n’a recueilli l’assentiment de la chambre haute qu’au prix d’une sévère amputation. Notre groupe souhaite revenir à une version plus ambitieuse, et donc plus proche du texte initial.

De quoi s’agit-il ? De reconnaître le préjudice subi par les personnes homosexuelles en France jusqu’en 1982. Ce préjudice résultait d’une définition différenciée de la majorité sexuelle pour les homosexuels – et donc discriminatoire – ainsi que du fait que l’outrage public à la pudeur était assorti d’une circonstance aggravante quand il s’agissait de relations homosexuelles. En vertu de ces deux dispositions discriminatoires, des milliers d’homosexuels ont été humiliés, arrêtés, condamnés et emprisonnés en France jusqu’en 1982. Qu’il me soit permis de rendre hommage au sénateur radical Henri Caillavet, qui, en 1972, fut le premier à déposer une proposition de loi pour abroger ces circonstances discriminatoires, ainsi que, bien entendu, au garde des Sceaux Robert Badinter, qui lutta contre cette législation, issue à la fois du régime de Vichy et du sous-amendement Mirguet de juillet 1960, et en obtint l’abrogation.

Nos débats porteront ce matin sur les trois points principaux sur lesquels le texte déposé par Hussein Bourgi et la version issue des débats du Sénat diffèrent.

En ce qui concerne la création d’un délit spécifique de négation ou de minoration outrancière du phénomène de déportation des homosexuels pendant la Seconde guerre mondiale, le groupe Renaissance partage l’analyse du rapporteur du Sénat. Ce délit spécifique nous semble déjà couvert par l’article 24 bis de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. On ne peut pas mettre sur le même plan des crimes contre l’humanité, par définition imprescriptibles, et la délictualisation de l’homosexualité de 1945 à 1982.

En revanche, la définition discriminatoire de la majorité sexuelle a bien été introduite par le régime de Vichy dans la loi du 6 août 1942. Cette législation a été confirmée à la Libération par l’ordonnance du 8 février 1945 et elle est restée en vigueur jusqu’à l’amnistie du 4 août 1981. Il n’y a donc aucune raison d’exclure du champ de la loi les amendes et les peines d’emprisonnement prononcées sous Vichy.

Quant à savoir si la République doit ou non endosser la responsabilité des décisions ou de la réglementation du régime de Vichy, je préfère ne pas rouvrir le débat. Je propose un amendement de réécriture de l’article 1er qui prévoit que la Nation reconnaît sa responsabilité de manière rétroactive – Nation dont l’essence est, pour paraphraser Ernest Renan, que tous ses membres aient oublié bien des choses mais qu’ils puissent cultiver ce qu’ils ont en commun, et notamment le principe cardinal d’égalité des droits, sans distinction fondée sur le sexe ou sur l’orientation sexuelle.

Enfin, l’argumentation développée au Sénat pour s’opposer au principe de réparation financière, auquel le groupe Renaissance est attaché, est discutable. L’une des conditions de l’indemnisation des dommages causés par une loi suppose précisément que le législateur n’ait pas entendu exclure toute indemnisation. Il faut donc prévoir explicitement cette dernière dans la loi. La reconnaissance symbolique est importante, mais ne suffit pas. C’est d’ailleurs la position qu’avait adoptée en août 2022 la Première ministre Élisabeth Borne dans une interview donnée au magazine Têtu. Un régime de réparation pécuniaire suppose de créer un régime de responsabilité de l’État, du fait des lois dérogatoires à la jurisprudence du Conseil d’État – en particulier s’agissant de la prescription quadriennale. Par cohérence, le groupe Renaissance soutiendra également le rétablissement de la commission chargée de statuer sur les demandes de réparations financières.

Nous souhaitons donc rétablir un texte d’une plus grande ambition, correspondant à celle du sénateur Hussein Bourgi, et qui soit susceptible de recueillir par la suite l’assentiment du Sénat.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). « C’était une homophobie d’État, avec des provocations policières. Il y avait des complicités dans le monde de la nuit, c’est toujours plus ou moins glauque. Mais les gens condamnés avaient honte. Ils n’en parlaient pas et je n’en connaissais pas. » C’est ce que Michel, qui a 75 ans et qui a été condamné pour homosexualité en 1977, raconte au journal Le Parisien.

Avec ce texte, nous entamons une discussion importante, un travail de mémoire sur l’homophobie d’État – c’est-à-dire la négation des droits humains et des libertés fondamentales d’un groupe donné –, un travail sur les souffrances que cela a engendré et sur la société actuelle, qui a été forgée par ces violences et par celles et ceux qui les ont combattues avec courage et succès. Cette proposition de loi est politiquement et symboliquement majeure. Il est fondamental que la France reconnaisse officiellement la répression politique, policière et judiciaire dont ont été victimes les hommes homosexuels, comme d’autres pays l’ont déjà fait. Nous soutenons cette avancée vers une société qui se souvient de ses égarements pour aller fièrement vers une nouvelle architecture, loin des LGBTphobies et du patriarcat.

Malheureusement, nous avons devant nous un texte à trous mémoriels. Il oublie les lesbiennes victimes d’internement, les transsexuels victimes de la psychiatrisation et de la stérilisation forcée, et les intersexes qui ont subi des mutilations génitales, désormais interdites. Il élude volontairement la période de Vichy – oubliant les propos du président Chirac en 1995 sur la responsabilité de l’État français dans les crimes de Vichy – alors même que les victimes du fameux article 331 ont été cinq fois plus nombreuses entre 1942 et 1945 qu’entre 1945 et 1982. Le texte oublie cyniquement de donner une réparation aux survivants et des lieux de mémoire pour les disparus.

Parmi les responsables de ces absences figurent les sénateurs de la droite, qui ont jugé opportun de transformer notre mémoire en gruyère plutôt que de regarder l’histoire en face avec dignité. La proposition comprenait à l’origine plusieurs articles. Il ne reste plus qu’un après l’examen au Sénat.

Nos charmants collègues de l’autre chambre ont accepté de maintenir la reconnaissance de la responsabilité de la France tout en supprimant la référence à la période de Vichy – grossière manœuvre pour éviter le plus possible de parler de la collaboration et pour saucissonner l’histoire.

Les articles 3 et 4 prévoyaient une réparation financière pour les personnes condamnées et la constitution d’une commission indépendante visant à évaluer les demandes de réparation. Leur suppression est une pinaillerie déplacée, voire franchement honteuse. D’autre pays ont procédé à de telles indemnisations, que nous avons nous-mêmes su mettre en place par exemple pour réparer les souffrances causées aux harkis. En Allemagne, seulement 146 personnes ont obtenu une indemnisation sur cette base.

Refuser la réparation pour la centaine de survivants revient à cautionner la répression passée. Dois-je vous rappeler le nouveau slogan du chef du Gouvernement : « Tu casses, tu répares » ? L’État a cassé des vies ; qu’il répare celles qui restent, pas seulement en reconnaissant, mais aussi en indemnisant les victimes qui furent qualifiées de coupables.

Même renflouée, cette loi mémorielle restera insuffisante. Rappelons qu’elle définit de manière trop étroite la répression de l’homosexualité, en faisant référence seulement aux articles 330 et 331 du code pénal de l’époque, ce qui exclut de ce fait la répression policière et judiciaire qui a pu avoir lieu avant et après 1942 en s’appuyant sur d’autres dispositions du code pénal.

La mémoire collective d’une société est quelque chose de présent, qui irrigue directement notre perception du monde, de ce qui est naturel, acquis, juste ou injuste. Comprendre ce que fut la répression des LGBT est indispensable pour comprendre les LGBTphobies actuelles et la violence à laquelle s’expose chacun d’entre nous lorsqu’il découvre puis affiche son identité et son désir. Car nous faisons désordre, et l’autorité, l’ordre et le travail cherchent inlassablement à uniformiser les corps et les vies, à cacher ou à détruire celles et ceux qui ne rentrent pas dans le rang, qui ne participent pas à la guerre démographique et qui préfèrent leur étendard à celui de la Nation. Nous devons avoir des lieux de mémoire et de recueillement, des sanctuaires faisant vivre au présent les souffrances du passé pour que les fantômes ne deviennent pas des ombres oubliées.

Que ce texte soit une pensée en actes, un « Ne m’oublie pas » permettant d’irriguer le présent de nos luttes et la fierté de nos identités.

M. Fabien Di Filippo (LR). Ce texte a été examiné au Sénat et profondément modifié, mais il conserve ses éléments essentiels. Le premier consiste à reconnaître la responsabilité de la République française à compter du 8 février 1945 du fait de l’application de dispositions pénales qui ont constitué une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle des personnes. Le texte reconnaît que ces dispositions ont été source de souffrances et de traumatismes pour les personnes condamnées, qui devaient se cacher pour mener leur vie privée et ont parfois eu affronter les conséquences familiales et professionnelles de ces arrestations et condamnations.

Deux points me paraissent importants.

Il convient tout d’abord d’exclure du champ de la loi les décisions et les actes du régime de Vichy, pour les distinguer clairement de ce qu’est la République française – telle est notre conception des choses : le régime de Vichy, ce n’était pas la République française.

Ensuite, le Sénat a soulevé deux difficultés importantes en ce qui concerne les réparations financières. Nous sommes plusieurs dizaines d’années après les faits et une loi d’amnistie est intervenue dans les années 1980. Il est difficile de retrouver les personnes et de rassembler les preuves nécessaires. Je constate que des opinions très différentes sur ce que doit être la réparation ont été exprimées par M. Valence et par l’orateur de La France insoumise : cela m’amène à penser que le sujet est extrêmement délicat et que la question est loin d’être tranchée, y compris par les articles que certains souhaitent rétablir.

Le Sénat a fait preuve de sagesse en reconnaissant pleinement les discriminations subies par les homosexuels et en étant beaucoup plus prudent sur la question des réparations.

M. Éric Martineau (Dem). Après les commémorations, en 2022, des quarante ans de la dépénalisation de l’homosexualité et dans la lignée de lois mémorielles, nous devons reconnaître la responsabilité de la République française dans la politique de criminalisation et de discrimination envers les personnes homosexuelles entre 1942 et 1982, et nous interroger sur un droit à réparation financière pour les victimes.

Si les relations entre personnes de même sexe ont été décriminalisées lors la Révolution française en 1791, les personnes homosexuelles ont continué d’être surveillées et réprimées tout au long des XIXe et XXe siècles. Mais la loi du 6 août 1942 adoptée sous le régime de Vichy a modifié l’article 334 du code pénal pour introduire une distinction discriminatoire s’agissant de l’âge de consentement. Cette modification législative a alors servi de base juridique pour la répression policière et judiciaire dont les personnes homosexuelles ont été victimes – constitution de fichiers de police, condamnations judiciaires, dénonciations aux forces d’occupation ennemies et opprobre social. Publiées dans les journaux, ces condamnations avaient également des répercussions sur la vie professionnelle et personnelle, avec des licenciements abusifs, une vie sociale ruinée et le déshonneur pour les familles.

Alors que la plupart des lois du régime de Pétain ont été abrogées à la Libération, celle du 6 août 1942 a été maintenue par l’ordonnance du 8 février 1945. La pénalisation de l’homosexualité a perduré avec une circonstance aggravante à l’outrage public à la pudeur, la pénalisation de quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature, et des peines encourues allant de six mois à trois ans d’emprisonnement et de 60 à 15 000 francs d’amende. Nous estimons que près de 10 000 personnes ont été condamnées du fait de leur homosexualité entre 1945 et 1982. Au cours de cette même période, 50 000 personnes auraient été également condamnées pour outrage public à la pudeur homosexuel. N’oublions pas que, jusqu’en 1978, 80 % des procès ont abouti à des condamnations à des peines de prison.

La législation évoluera grâce à la mobilisation d’intellectuels comme Michel Foucault, Gilles Deleuze ou Marguerite Duras, que nous devons saluer, ainsi qu’à l’engagement d’hommes politiques, dont Robert Badinter. La disposition relative à l’outrage public à la pudeur homosexuel est abrogée en 1980 et, en 1981, toutes les personnes condamnées pour homosexualité sur la base des articles 330 et 331 du code pénal sont amnistiées grâce à François Mitterrand.

Quarante ans après l’abrogation des lois discriminant les personnes LGBT, la France n’a pas encore admis sa responsabilité dans les discriminations et les condamnations subies par les personnes homosexuelles en raison de leur orientation sexuelle, réelle ou supposée, ou de leur identité de genre. C’est pourquoi je suis honoré d’être le porte-parole du groupe Démocrate, humaniste et libre.

Nous acceptons de revenir à une rédaction qui englobe la période allant de 1942 à 1982, mais il est très important de bien faire la distinction entre le régime de Vichy, de 1942 à 1945, et la République française. Nous reconnaissons les persécutions qui ont été commises contre les personnes homosexuelles par le régime de Vichy, mais il ne faut pas pour autant confondre ce dernier avec notre République.

Les réparations ne sont pas une question budgétaire – elles ne coûteraient pas énormément d’argent. Mais l’objet de cette proposition est de reconnaître la responsabilité de l’État et de réparer le préjudice : c’est donc une question morale et non pas financière. De plus, accorder une indemnisation à des personnes qui ont été amnistiées et qui ne sont donc plus condamnées aux yeux de la justice – même si elles ont purgé leur peine – est inconstitutionnel. Voilà pourquoi nous nous abstiendrons sur la réparation financière. Mais notre groupe sera favorable à cette proposition de loi pour reconnaître la responsabilité de la République.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Cette proposition de loi déposée au Sénat par notre collègue socialiste M. Bourgi est importante. Même amputée par plusieurs amendements, elle s’inscrit dans un large mouvement international de défense des droits de l’homme, considéré comme l’un des plus dynamiques actuellement : celui des réparations en faveur les homosexuels. Il s’agit de promouvoir les politiques destinées à réparer les conséquences de la discrimination systémique fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

En 2021, le Canada, l’Allemagne, l’Irlande, la Nouvelle-Zélande, l’Espagne et le Royaume-Uni avaient adopté des mesures de réparation en faveur des homosexuels. Elles peuvent être de différente nature : excuses de l’État à la communauté LGBTQ pour les fautes commises dans le passé et promesse de faire mieux à l’avenir ; instauration d’une commémoration en faveur des victimes de la répression étatique des citoyens homosexuels ; grâce accordée à toute personne condamnée en vertu des lois criminalisant l’orientation de sexe ou de genre ; et bien entendu compensation financière pour les pertes occasionnées en raison d’un séjour en prison ou dans un établissement psychiatrique – comme cela se fait par exemple en Espagne depuis 2009 et en Allemagne depuis 2016.

La présente proposition de loi est donc très inférieure à ce qui a été fait dans plusieurs États.

Largement amputé lors de sa discussion au Sénat, le texte ne comporte plus qu’un seul article, qui pose le principe d’une reconnaissance de la responsabilité de la République française à compter du 8 février 1945. Ont été supprimées les dispositions créant un délit de négation de la déportation subie par les personnes LGBT au cours de la Seconde guerre mondiale, et, en invoquant l’article 40 de la Constitution, les articles qui prévoient l’indemnisation des personnes victimes de la législation discriminatoire et la création d’une commission indépendante visant à évaluer les demandes de réparation.

Nous soutenons cette proposition, tout en affirmant que l’État pourrait mieux faire. Il faut rappeler combien il est difficile de faire émerger une mémoire qui repose non pas sur la compassion mais sur la reconnaissance de la discrimination et de l’oppression subies. Il faut aussi aller plus loin en mettant en place une légitime compensation. Plusieurs États, y compris européens, ont fait mieux, voire beaucoup mieux que nous.

Tel est le sens de notre soutien à ce texte, en espérant de pouvoir avancer sur ce dossier avec tous les groupes, car c’est un symbole aussi important que d’autres qui ont une portée historique.

M. Philippe Pradal (HOR). Un peu plus de quarante ans après la loi du 4 août 1982 dépénalisant définitivement l’homosexualité, le groupe Horizons et apparentés salue l’initiative du groupe Socialiste, écologiste et républicain d’avoir fait inscrire à l’ordre du jour du Sénat l’examen de cette proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982.

Cette proposition présente l’intérêt symbolique majeur de reconnaître officiellement la répression judiciaire dont ont été victimes les personnes homosexuelles.

Rappelons que la France a été pionnière en dépénalisant l’homosexualité en 1791, au lendemain de la Révolution française, devenant ainsi l’un des pays les plus progressistes sur ce sujet. En août 1942, le régime de Vichy a rétabli une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et est revenu en arrière en instaurant une majorité sexuelle à 21 ans pour les homosexuels, contre 13 ans pour les hétérosexuels. Cette discrimination légitima jusqu’à la fin de la guerre la persécution, l’arrestation et la condamnation de dizaines de milliers d’hommes de notre pays. Quelques centaines d’entre eux furent déportés vers les camps de concentration et d’extermination. Ce n’est que quarante ans après, à l’initiative du garde des Sceaux Robert Badinter, du député Raymond Forni et de la rapporteure Gisèle Halimi, que la majorité sexuelle discriminante héritée de Vichy fut abrogée.

Le temps est venu de reconnaître la responsabilité de la République dans cette discrimination insupportable, mais elle ne doit par définition l’endosser qu’à compter de 1945. La République française ne peut être tenue comptable des agissements du régime de Vichy. Comme le rappelait le général de Gaulle, « Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu. »

Toutefois, il ne s’agit pas d’oublier ces heures qui ont souillé notre histoire et il nous appartient de trouver le chemin qui permette de rappeler le devoir à l’égard de ceux qui ont été persécutés par l’État français, tout en reconnaissant la rupture que le régime de Vichy incarne.

Par ailleurs et dans le même esprit, notre groupe estime que c’est à raison que le Sénat n’a pas adopté l’article 2 créant un délit de contestation ou de minoration outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France pendant la Seconde guerre mondiale. Instaurer ce délit reviendrait à considérer que ces faits ne sont pas déjà couverts par celui de négationnisme. Or, le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg cite expressément la déportation dans son ensemble comme constitutive d’un crime contre l’humanité, qu’elle ait concerné les juifs, les communistes, les résistants, les tziganes ou les homosexuels. La négation de la déportation entre, de ce fait, dans le cadre de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Enfin, la réparation financière nous semble complexe à mettre en œuvre, pour les raisons qui ont été exposées par d’autres orateurs. Nous nous abstiendrons sur ce point.

Le groupe Horizons et apparentés votera donc en faveur de ce texte dans la version transmise par le Sénat.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Il est des moments où le Parlement s’honore en regardant notre histoire avec lucidité, et je remercie pour cela le groupe Socialiste, écologiste et républicain du Sénat, le sénateur Hussein Bourgi, notre rapporteur et les collègues ici présents.

Il aura fallu attendre l’alternance de 1981 et la loi soutenue par Robert Badinter en 1982 pour que la France dépénalise l’homosexualité, mettant fin à un héritage vichyste perpétué des décennies durant par la République et par ses lois – cela étant dit pour répondre à certains débats théoriques sur les bornes historiques.

Notre responsabilité est désormais de réparer, même si aucun texte ou aucun débat parlementaire ne pourra jamais réparer complètement les souffrances causées par la répression dirigée contre les personnes homosexuelles pendant tant d’années et avec une telle violence. Mais nous pouvons faire notre part dans ce travail, pas simplement avec un mea culpa exprimé par la représentation nationale, mais avec une véritable indemnisation. Cela sera aussi l’objet de nos discussions, parce qu’il n’est pas ici seulement affaire de symboles, mais de vies humaines.

Avec d’autres collègues, le groupe Écologiste proposera de rétablir l’ambition initiale de ce texte, qui a été vidé d’une grande partie de sa substance par les droites coalisées – nous en avons l’habitude.

J’ai entendu un collègue du groupe LR dire que le sujet était délicat. Pour notre part, nous affirmons sans aucune ambiguïté que la République doit réparer, indemniser et prendre ses responsabilités, et cela à partir du moment où ont commencé ces répressions et ces violences, et non pas en fonction de considérations qui relèvent d’une dissertation historique. Nous serons là encore extrêmement ambitieux lors de la discussion, en commission puis en séance, afin d’aboutir à dire clairement que nous avons reconnu la responsabilité de la France au cours de son histoire et que nous nous sommes donné les moyens de la réparer.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). Cette proposition de loi, qui entend reconnaître la répression dont ont été victimes les personnes homosexuelles mais aussi, dans sa version initiale, à réparer, est importante pour nous.

Elle l’est évidemment d’un point de vue symbolique, car elle peut servir à lutter encore et toujours contre l’homophobie qui existe dans notre société.

Elle l’est ensuite parce qu’elle vise à réparer, même si c’est plus compliqué que d’adopter un simple article de loi – ce qui a tout de même une valeur politique.

Malheureusement, le texte initial a été en partie vidé de son contenu puisque, lors des débats au Sénat, on a tenté d’absoudre l’État de ses responsabilités dans la législation à l’origine de ces discriminations abjectes et de ces persécutions qui sont pourtant très largement documentées. Selon certains sénateurs, les souffrances vécues par les homosexuels sont le fait d’éléments extérieurs, ou d’individus, non de la loi elle-même. Or, jusqu’en 1982, la loi pénalisait l’homosexualité, ce qui nous permet de parler d’homophobie d’État.

Les sénateurs ont souhaité que la période où la responsabilité est reconnue n’englobe pas le régime de Vichy, au motif que ce dernier n’était pas la République. Or c’est ce régime qui réinstaure la pénalisation de l’homosexualité, pourtant abolie en 1791. C’est sous Vichy que la France instaure une majorité sexuelle de 21 ans pour les personnes homosexuelles, alors qu’elle est fixée à 13 ans pour les personnes hétérosexuelles. Cette discrimination a légitimé la persécution et l’arrestation de dizaines de milliers d’hommes dans notre pays. Quelques centaines d’entre eux furent déportés depuis la France vers les camps de concentration. Il est donc impossible à nos yeux, dans le cadre d’une volonté de reconnaissance et de réparation, de mettre à part cette période de notre histoire.

Et surtout, cette loi n’a pas été abrogée à la Libération. Pire encore, elle a été complétée par le sous-amendement du gaulliste Mirguet, qui autorisait le gouvernement à prendre toute mesure propre à lutter contre l’homosexualité, classée parmi les fléaux sociaux. Il existe donc une continuité juridique entre le régime de Vichy et les lois en vigueur sous la IVe République. Il faudra attendre la loi Forni de 1982 pour mettre un terme à la répression pénale de l’homosexualité en France – seulement pénale. C’est cette même année que le ministre communiste de la santé Jack Ralite retirera l’homosexualité de la liste des maladies mentales.

L’exigence de réparation a également disparu dans le texte adopté par le Sénat, au motif qu’il serait difficile de calculer le nombre de personnes concernées et de prouver que les persécutions ou déportations ont été motivées par leur homosexualité. Franchement, c’est un scandale. Un tel travail d’enquête est possible. Nous le savons car d’autres pays ont su reconnaître les persécutions et les indemniser avec efficacité, que ce soit l’Espagne, le Canada ou l’Allemagne.

Reconnaître sans réparer, ce n’est pas reconnaître pleinement. Cette réparation demeure symbolique, mais elle est éminemment importante compte tenu de l’objectif visé. C’est ce qui lui confère sa portée politique. Que la République reconnaisse sans ambages sa responsabilité pour avoir maintenu en vigueur entre 1945 et 1982 des infractions à caractère discriminatoire spécifiques à l’homosexualité.

Je crois, en entendant mes collègues, que cette réunion de commission nous permettra d’avancer vers la vraie réparation et la vraie reconnaissance.

M. Paul Molac (LIOT). La répression de l’homosexualité fait partie des heures sombres de l’histoire de notre pays. Les sanctions pénales ciblées, l’inscription de l’homosexualité comme fléau social et les années de discriminations sont autant de fautes dont l’État et la République sont responsables.

Ce texte va indéniablement dans le bon sens. Après l’amnistie en 1981, puis la dépénalisation de l’homosexualité en 1982, grâce au combat de deux humanistes, Robert Badinter et Gisèle Halimi, il reconnaît la responsabilité de notre pays dans cette répression pénale.

Pourquoi diable le Sénat veut-il exclure la période allant de 1942, année de l’adoption de la loi scélérate, à 1945 ? J’entends bien ceux qui disent que le régime de Vichy ce n’est pas la France, ni la République, mais je suis désolé : le régime Vichy était totalement légal. Ce sont d’ailleurs les députés qui ont donné les pleins pouvoirs au maréchal Pétain – et seulement quatre-vingt d’entre eux s’y sont opposés.

Je suis donc un peu surpris. Dans notre pays, on a quelquefois tendance à mettre la poussière sous le tapis quand des choses ne vont pas dans le bon sens. Les Américains font des films quand ils ont des problèmes à régler avec leur histoire ; nous, nous essayons de ne pas en parler. Reste que Vichy c’était légal ; c’était la République et c’était la collaboration d’État – qui a amené les fonctionnaires français à aller chercher les juifs pour les livrer aux Allemands et qui a mis toute la machine industrielle française au service de l’Allemagne pour fabriquer des armes.

Il faudrait faire ce procès-là. Vichy, c’est le côté obscur de la République, le côté de droite et d’extrême droite, qui existe aussi. Nous avons tout intérêt à le dire clairement et à le dénoncer.

Je suis donc évidemment favorable à ce que l’on fasse commencer la période de reconnaissance à la loi de 1942.

Quant au droit à réparation, je considère que si l’on condamne, il faut au moins une réparation symbolique. Il est certain que c’est compliqué en pratique, mais on ne peut pas s’en passer. Il faut aller jusque-là, il faut indemniser des personnes qui ont été très injustement traitées, discriminées, et qui ont même fini dans des camps pendant la guerre.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Ma réponse sera d’autant plus brève que l’ensemble des propos exprimés à l’instant convergent vers un objectif commun de reconnaissance et de réparation. Je remercie les orateurs, ainsi que les collègues qui se sont impliqués dans le travail sur ce texte.

Bien sûr, comme au Sénat, nous avons un débat sur la reconnaissance de la responsabilité de la République, notamment s’agissant de la période qui va de 1942 à 1945. Le régime de Vichy doit naturellement être distingué de la République. C’est la raison pour laquelle David Valence proposera une formulation qui opère ce distinguo. Il ne s’agit pas d’endosser la responsabilité de ce que le régime de Vichy a pu commettre, mais de reconnaître. Et si nous avons une responsabilité, c’est précisément l’obligation morale de reconnaître. Ce sera tout l’objet de cet amendement qui réécrit l’article 1er.

M. Di Filippo a estimé que le texte adopté par le Sénat gardait les aspects essentiels du texte initial. L’honnêteté me commande de dire que ce n’est pas du tout le cas.

Tout d’abord, le texte voté par le Sénat modifie la période de reconnaissance de responsabilité, ce qui est évidemment dommageable.

Ensuite, ce texte supprime la réparation. Mais si je reconnaissais avoir dégradé la voiture de monsieur Di Filippo, je pense qu’il me demanderait de la réparer – pardon pour cette comparaison évidemment contestable. Je considère, et je ne suis pas le seul, que la reconnaissance est indissociable de la réparation et je regrette que le Sénat l’ait supprimée.

Enfin, le Sénat a réduit les conséquences de la discrimination pénale à des souffrances et à des traumatismes. Cette réécriture n’est pas conforme à la réalité des préjudices, qui vont bien au-delà – notamment du fait des atteintes portées à la dignité.

Le Sénat n’a pas fait preuve de sagesse, mais plutôt de frilosité. Le rôle de l’Assemblée est de revenir à un texte plus ambitieux et surtout plus cohérent, intégrant la reconnaissance et la réparation. La majorité sénatoriale a semble-t-il considéré que la France ne pouvait pas faire ce que l’Allemagne, l’Irlande, le Royaume-Uni, l’Autriche, l’Espagne et le Canada ont fait. Permettez-moi d’en douter. Je vous invite à faire la démonstration inverse dans les minutes qui viennent.

Article 1er : Reconnaissance de la responsabilité de la République française du fait de l’application de dispositions légales pénalisant l’homosexualité

Amendement CL30 de M. David Valence ; sous-amendements CL34 de M. Hervé Saulignac, CL39 de M. Sacha Houlié, CL35 de M. Hervé Saulignac et CL40 de M. Sacha Houlié

M. David Valence (RE). Cet amendement de réécriture de l’article 1er vise à rétablir l’année 1942, celle de l’acte législatif sur l’âge de la majorité sexuelle qui a fondé la discrimination à l’encontre des personnes homosexuelles, comme début de la période de reconnaissance. Il me paraît en effet excessif de rejeter toute responsabilité au motif que les peines de déportation relèvent du crime contre l’humanité : c’est faire une confusion entre ces peines de déportation et les peines d’emprisonnement également prononcées par le régime de Vichy.

La rédaction que je propose reconnaît la responsabilité de la « Nation », ce qui évite au législateur de considérer que la République est responsable des actes du régime de Vichy. Il n’empêche que la législation appliquée entre 1945 et 1981 correspondait en tout point à celle adoptée par Vichy : il est donc délicat de rejeter cette responsabilité, d’autant que, sur d’autres sujets, le président Chirac a reconnu en 1995 la responsabilité de la France quant à des actes législatifs pourtant abrogés lors du rétablissement des institutions républicaines.

En somme, je propose une rédaction de l’article 1er plus ambitieuse et plus conforme à l’esprit du texte initial.

M. le président Sacha Houlié. Puisque M. Raphaël Gérard a dû s’absenter pour des raisons médicales, j’ai déposé deux sous-amendements, CL39 et CL40, identiques à ses sous-amendements CL33 et CL38 qui ne seront pas défendus. Le premier vise à corriger une erreur matérielle, tandis que le second pose le principe d’une réparation en cas de reconnaissance du préjudice subi par les personnes condamnées.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. La rédaction proposée par M. Valence est évidemment meilleure que celle issue du Sénat. Je le répète, je suis favorable à ce que la loi reconnaisse et répare les préjudices subis par les personnes condamnées pour homosexualité. Les uns et les autres ont fait référence au discours prononcé par Jacques Chirac en 1995 sur les fautes commises par l’État français. Mme Faucillon a rappelé à juste titre qu’il n’y avait pas eu de rupture à la Libération sur ce point et que la loi de 1942 avait été pérennisée par voie d’ordonnance. Cette date correspond donc à une réalité historique incontestable.

L’amendement réintègre donc une référence nécessaire aux condamnations prononcées entre 1942 et 1945. L’argument selon lequel la République n’a pas à reconnaître une quelconque responsabilité se défend ; aussi la référence à la responsabilité de la Nation, s’agissant des agissements du régime de Vichy, me paraît-elle plus appropriée. Je ne doute pas que cette modification recevra l’assentiment de M. Di Filippo et même des députés du groupe Rassemblement national, qui y consentent par leur absence.

Je donne donc un avis favorable à cet amendement, que je vous invite à modifier en adoptant trois sous-amendements.

Les associations que nous avons auditionnées sont réticentes à ce que les termes de « souffrances » et de « traumatismes » soient inscrits dans la loi. Sur ce point, il me paraît préférable de revenir à la rédaction initiale de l’article 1er et d’ouvrir aux personnes condamnées « le bénéfice d’une réparation dans les conditions prévues à l’article 3 », comme le prévoit mon sous-amendement CL35. Cet amendement reprend le dispositif proposé à l’article par l’amendement CL26 de M. Gérard, qui devrait tomber si nous adoptions ces amendements.

Je présente aussi un sous-amendement de précision CL34.

Je donne un avis favorable au sous-amendement CL39, qui vise à corriger une erreur matérielle, mais un avis défavorable au sous-amendement CL40, car la rédaction du sous-amendement CL35 me semble préférable.

Le sous-amendement CL40 est retiré.

La commission adopte successivement les sous-amendements CL34, CL39 et CL35, puis l’amendement CL30 sous-amendé.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé et les autres amendements à cet article tombent.

Article 2 (supprimé) (art. 24 ter [nouveau] de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) : Création d’un délit réprimant la contestation ou la minoration outrancière de la déportation des personnes homosexuelles depuis la France pendant la Seconde guerre mondiale

La commission maintient la suppression de l’article 2.

Article 3 (supprimé) : Réparation financière des personnes condamnées pour homosexualité

Amendements identiques CL4 de M. Andy Kerbrat, CL15 de M. Benjamin Lucas et CL31 de M. David Valence

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Il est très étonnant que la commission des lois soit amenée à discuter de la réintroduction d’une mesure supprimée par le Sénat, plus précisément par les sénateurs de droite et d’extrême droite, alors que les députés de ces tendances politiques ont décidé de boycotter notre réunion – comme souvent, semble-t-il, lorsqu’il est question des droits des personnes homosexuelles, dont ils n’ont strictement rien à faire.

Dès lors que l’on reconnaît sa responsabilité dans un préjudice, on répare. Nous savons le faire : j’ai entendu les doutes constitutionnels exprimés par M. Di Filippo, mais le Parlement a déjà adopté une disposition similaire concernant les harkis par exemple. Il est essentiel d’engager cette démarche de réparation concrète.

Entre 1942 et 1945, 50 000 personnes ont été condamnées au titre de l’article 331‑1 du code pénal instauré par le régime de Vichy. Entre 1945 et 1982, au moins 10 000 individus – sans doute plus, selon les historiens, au vu des zones d’ombre qui entourent ce sujet – ont été condamnés pour le même motif, auxquels s’ajoutent 50 000 personnes condamnées pour outrage aux bonnes mœurs et exhibition, des incriminations utilisées même dans les lieux privés, où les policiers se rendaient pour faire « la chasse aux pédés ». On recense donc, au total, au moins 110 000 victimes de la répression homophobe entre 1942 et 1982.

Si notre amendement vise à rétablir l’indemnisation individuelle, notre groupe souhaite donc également une réparation collective. Je salue le travail extraordinaire du collectif Archives LGBTQI+ et je remercie le ministère de la culture d’y collaborer ; j’espère que la mairie de Paris suivra ce travail et acceptera de le financer. Il est important de favoriser cette culture et cette mémoire collectives, car ce n’est que de cette manière que la société pourra se réparer.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). En supprimant la notion de réparation du préjudice, le Sénat a enlevé tout son sens à la proposition de loi. Il est essentiel d’indemniser les victimes : il s’agit là d’une question de dignité pour les personnes concernées.

Nos collègues d’extrême droite et de la droite radicalisée votent avec les pieds en décidant de ne pas participer à cette discussion sur la réparation du préjudice que l’État français a fait subir aux personnes homosexuelles. Cela éclaire bien des discours et bien des ambiguïtés.

M. David Valence (RE). J’aimerais insister sur l’aspect juridique de ces amendements. On pourrait considérer que la reconnaissance de la responsabilité suffit pour permettre aux personnes concernées d’ester en justice ; or, la mention explicite de la nature financière de la réparation est la seule qui permette une indemnisation des dommages dans le cadre du régime de responsabilité de l’État du fait des lois. C’est aussi la seule solution pour contourner la règle de la prescription quadriennale. Si l’on veut que réparation il y ait, il est donc impératif d’apporter cette précision.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Sans surprise, je donne un avis favorable à ces amendements identiques. Si nous voulons que cette proposition de loi ait une portée, nous devons y inclure des dispositions relatives à la réparation. Les sénateurs qui s’y sont opposés ont argué de la complexité et de la lourdeur de la chose. Le dispositif de la proposition de loi initiale était pourtant simple et efficace, avec une commission indépendante créée par l’article 4 et chargée d’apprécier la recevabilité des demandes.

Il ne s’agit pas d’une question budgétaire, mais d’une question de principe. La grande majorité des personnes condamnées sur ces bases discriminatoires ne sont malheureusement plus en vie. Du reste, la demande de réparation sera une démarche volontaire. À titre d’exemple, un peu plus de 300 dossiers ont été déposés en Allemagne et 249 ont été clôturés. De même, 116 victimes ont été reconnues en Espagne alors que le nombre de personnes éligibles est estimé à 5 000.

La commission adopte les amendements et l’article 3 est ainsi rétabli.

Article 4 (supprimé) : Création d’une commission chargée de statuer sur les demandes de réparation financière

Amendement CL16 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Il s’agit de rétablir l’article 4, supprimé par le Sénat, dans sa rédaction initiale. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui a été amputé de ce qui en faisait tout le sens ; nous voulons donc revenir à la version qui existait avant qu’il soit charcuté par la droite sénatoriale.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Je suis évidemment favorable à cet amendement, que d’autres auraient pu déposer également. En cohérence avec la position que j’ai exprimée sur l’article 3, je considère qu’il est nécessaire de créer cette commission.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Il s’agit en effet d’un élément essentiel, qui permettra de rendre la réparation juridiquement fonctionnelle.

Il faudra réfléchir à la place que l’on donnera au monde associatif, à la communauté LGBT, dans cette commission. Si le combat de la dépénalisation a été mené par de grandes figures politiques telles que Raymond Forni, ancien président de notre commission des lois, Gisèle Halimi ou encore Robert Badinter, cette revendication provient en réalité des personnes homosexuelles. De même, le mariage pour tous n’est pas une simple bonne idée politique, mais résulte d’un long combat des homosexuels, conduit notamment par le Front homosexuel d’action révolutionnaire (Fhar), le Comité d’urgence anti-répression homosexuelle, l’association Choisir et les groupes de libération homosexuelle, qui se sont battus, à l’époque, contre des groupes fascistes – jusqu’à déplorer des morts dans leurs rangs – pour obtenir la dépénalisation et la fin de la répression. Il faut leur rendre hommage et donner au monde associatif et culturel LGBTQI toute sa place dans la construction de la réparation.

La commission adopte l’amendement et l’article 4 est ainsi rétabli.

Article 5 (supprimé) : Compensation financière (gage)

Amendement CL17 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous proposons de réintroduire le gage, bien que le coût de cette proposition de loi soit tout à fait négligeable compte tenu du faible nombre de personnes concernées toujours en vie.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Le gage n’est plus nécessaire, car il ne sert qu’à permettre le dépôt de la proposition de loi. Votre amendement n’ayant pas de portée, je vous demande de le retirer.

L’amendement est retiré.

La commission maintient la suppression de l’article 5.

Présidence de Mme Caroline Abadie, vice-présidente.

Après l’article 5

Amendement CL12 de M. Benjamin Lucas

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous proposons la création d’une « journée nationale de mémoire des victimes de condamnation pour homosexualité par l’État », qui permettra de souligner la responsabilité de ce dernier et de contribuer à l’indispensable travail collectif de mémoire.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Tout ce qui fait œuvre de mémoire est utile. Néanmoins, il existe déjà onze journées nationales commémoratives. Par ailleurs, depuis 2005, le 17 mai est la journée mondiale de sensibilisation et de prévention contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie : s’il ne porte pas tout à fait sur le même sujet, cet événement donne évidemment l’occasion de rappeler la responsabilité de la France dans la pénalisation de l’homosexualité. Bien que je comprenne votre envie de créer une nouvelle journée de mémoire, je vous invite à retirer votre amendement.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Dans un esprit constructif à l’égard du rapporteur, que je salue une nouvelle fois, et parce que ce sujet peut aussi faire l’objet de travaux dans d’autres cadres et à d’autres moments – une possibilité que nous avons déjà évoquée avec plusieurs collègues –, je retire mon amendement, tout en nous invitant à réfléchir collectivement à cette question et à formuler des propositions bénéficiant du soutien le plus large possible.

L’amendement est retiré.

Amendement CL14 de M. Benjamin Lucas

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Je demande le retrait de cet amendement, essentiellement parce que la définition des programmes scolaires ne relève pas de la loi. Du reste, la lutte contre l’homophobie et la transphobie y est inscrite, dans le cadre de l’enseignement moral et civique – même si elle n’y est peut-être pas abordée autant qu’on pourrait le souhaiter –, de l’éducation à la sexualité, ou encore de l’éducation aux médias et à l’information. J’ajoute que des concours scolaires permettent aux élèves de travailler sur ce thème.

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Vous avez compris qu’il s’agissait d’un amendement d’appel, que nous avons voulu déposer à un moment où l’école républicaine subit une offensive dont nous avons d’ailleurs récemment parlé, lors d’une semaine de contrôle, à l’initiative du groupe Socialistes et apparentés. Je pense notamment au groupuscule zemmouriste « Parents vigilants », qui veut imposer sa vision obscurantiste, raciste et réactionnaire à l’école républicaine. Dans cette assemblée, nous nous sommes interrogés, pour le dire poliment, quant à la nomination comme ministre de l’éducation nationale de Mme Oudéa-Castéra, qui a fait l’apologie, par ses choix personnels et dans ses revendications politiques, de l’enseignement pour le moins obscurantiste dispensé dans certains établissements privés confessionnels. Je réponds donc à l’invitation du rapporteur en retirant mon amendement, mais il me semble important que nous continuions à réfléchir à ce sujet pour protéger l’école de la tentation obscurantiste et réactionnaire qui se diffuse sans même montrer son visage.

L’amendement est retiré.

L’amendement CL9 de M. Benjamin Lucas est retiré.

Amendement CL5 de M. Andy Kerbrat

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Nous demandons un rapport contenant des informations plus précises sur le nombre de personnes condamnées, à compter du 6 août 1942, sur le fondement des dispositions pénales mentionnées à l’article 1er. Nous n’avons toujours pas de chiffre exact, alors qu’il est question de réparation individuelle et collective. Il existe pourtant des moyens d’obtenir des données précises.

Certaines personnes condamnées ont été marquées à vie. Bernard Bousset, âgé de 82 ans, en témoigne ainsi : « En plus de l’amende et de la publication dans les journaux, c’était surtout la honte d’être jugé dans un tribunal plein, en province. On ne s’en remet jamais. On vit dans la honte permanente jusqu’à la condamnation. Une condamnation, c’est marqué au fer rouge. Moi, toute ma vie j’ai eu honte d’être homosexuel, même encore aujourd’hui. »

L’homophobie continue de se propager. Ainsi, les agressions physiques contre les personnes LGBT+ ont augmenté de 28 % entre 2021 et 2022. Il est nécessaire de prendre des mesures importantes et d’intégrer le sujet de la lutte contre les discriminations dans la formation des jeunes, des enseignants et des agents de la fonction publique. En disposant d’éléments complets et précis sur les répercussions de cette législation homophobe, nous pourrons mettre en place une véritable formation et encourager chacun à refuser, dénoncer et combattre la LGBTphobie.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Comme le veut l’usage dans notre commission s’agissant des demandes de rapport, je vous invite à retirer votre amendement afin de renvoyer le débat à la séance publique, où le ministre pourra répondre à votre question. Vous évoquez cependant un vrai sujet : l’ensemble des historiens et des chercheurs que nous avons rencontrés nous ont dit à quel point cette période restait marquée du sceau de l’inconnu. Ils ont aussi indiqué qu’il faudrait éplucher des dizaines de milliers de procès-verbaux de police et de dossiers judiciaires : il s’agirait d’un travail immense, qui prendrait plusieurs années. Il est ainsi tout à fait illusoire de penser que le Gouvernement pourrait le faire dans un délai de six mois. Espérons que nous obtiendrons les résultats escomptés dans le cadre des travaux menés par ailleurs – c’est aussi le rôle du Gouvernement que d’inciter les chercheurs à s’engager dans cette voie.

Mme Danièle Obono (LFI-NUPES). Nous maintenons cet amendement d’appel. Vos propos, monsieur le rapporteur, montrent tout l’intérêt de se pencher sur cette question : de tels travaux nous donneraient à voir et à comprendre les situations particulières des personnes concernées dans l’environnement social et juridique de l’époque – autant de ressources extrêmement précieuses pour la recherche et la formation. En ouvrant ce débat, nous souhaitons inciter le Gouvernement à donner à la recherche universitaire les moyens d’entamer ce travail.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL8 de M. Andy Kerbrat

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Nous demandons un rapport sur l’opportunité de créer un fonds de recherche sur l’histoire et les droits des personnes LGBTQI+ et pour la création de lieux de mémoire en leur faveur.

Le seul lieu ayant organisé une exposition racontant l’histoire des déportés homosexuels et des victimes de la répression contre les personnes homosexuelles est le mémorial de la Shoah, à Paris, qui a réalisé à cette occasion un travail extraordinaire. Nous, membres de la communauté LGBT, ne disposons que de nos propres ressources et de nos propres centres d’archives, qui sont des archives privées. Que recevons-nous de l’État ? Qu’est-ce que l’État reconnaît de cette mémoire collective ? Il faudrait par exemple permettre à tout un chacun de savoir que le grand Saint-Just, que Jean Moulin étaient probablement bisexuels, que la grande histoire de la France s’est faite avec des personnes homosexuelles. Il est essentiel de réparer ce rapport social à l’homosexualité, d’éviter que des enfants se sentent mal dans leur identité et de leur donner la possibilité de se projeter. Il est important de connaître son passé : oui, l’État était homophobe, mais il y a eu des homosexuels extraordinaires qui ont combattu l’homophobie d’État. Il convient de donner à la recherche les moyens nécessaires et sans doute de créer, dans une de nos villes, une fondation, un lieu de mémoire ou un musée qui permette une reconnaissance collective comme il y en a eu sur d’autres sujets.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. S’agissant d’une demande de rapport, je ferai la même réponse que précédemment. Il sera intéressant d’avoir ce débat en séance publique et d’entendre l’avis du ministre sur ce sujet très important. Je partage aussi votre point de vue sur l’intérêt de créer un fonds de recherche sur cet aspect de l’histoire, mais c’est encore une fois en séance qu’il faudra trancher la question. Demande de retrait.

M. Andy Kerbrat (LFI-NUPES). Je connais l’habitude de la commission des lois de repousser les demandes de rapports, mais vous apprendrez pour votre part que les membres du groupe LFI-NUPES ont l’habitude de maintenir, quoi qu’il arrive, ces amendements d’appel.

La commission rejette l’amendement.

Titre

Amendement CL11 de M. Benjamin Lucas et sous-amendement CL36 de M. Hervé Saulignac

M. Benjamin Lucas (Écolo-NUPES). Nous proposons de clarifier le titre de la proposition de loi, en indiquant que la réparation porte sur les préjudices subis et non sur les personnes condamnées. En outre, dans la droite ligne du débat que nous avons eu tout à l’heure, il convient d’inclure dans la période mentionnée le régime de Vichy, conformément à l’esprit de la proposition de loi initiale déposée au Sénat par Hussein Bourgi.

M. Hervé Saulignac, rapporteur. Je suis naturellement favorable à cet amendement qui apporte une précision bienvenue – il faut viser les préjudices, car les personnes elles-mêmes sont difficilement réparables – sous réserve de l’adoption de mon sous-amendement visant à faire démarrer la période concernée en 1942 et non en 1940, en cohérence avec les dispositions adoptées précédemment.

La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.

Puis, elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi, adoptée par le Sénat, portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982 (n° 1915) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

 

 

 

 

 


—  1  —

 

 

   Personnes entendues

 

 

Table ronde d’associations

   Mme Sophie Roques, présidente

   M. Ezékiel Lucas, secrétaire général

   M. David Cupina, président

   M. Denis Quinqueton, co-directeur

   Mme Flora Bolter, co-directrice

   M. Joël Deumier, co-président

   M. Terrence Khatchadourian, secrétaire général

   M. Etienne Deshoulières, avocat

 

contributions écrites reçues

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


([1])  La dernière condamnation pour fait de sodomie remonte à l’année 1750 : MM. Bruno Lenoir et Jean Diot, surpris sur le fait par un sergent du guet rue Montorgueil, le 4 janvier 1750, furent exécutés place de Grève, le 6 juillet. Voir Thierry Pastorello, « L’abolition du crime de sodomie en 1791 : un long processus social, répressif et pénal », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, n° 112-113, 2010, mis en ligne le 1er juillet 2013.

([2])   En Angleterre, le Larceny Act de 1861, puis le Criminal Law Amendment Act de 1885, ont pénalisé l’ensemble des pratiques sexuelles entre hommes, jusqu’à leur abrogation en 1967. En Allemagne, l’article 175 du code pénal, en vigueur entre 1871 et 1994, criminalisait l’homosexualité masculine. En Autriche, le code pénal de 1852 réprimait les attentats aux mœurs, et notamment les actes « obscènes contre-nature » et commis entre deux personnes du même sexe, punis d’une réclusion criminelle d’une à cinq années. Dans l’ensemble des États américains, les pratiques homosexuelles étaient passibles de peines d’amende ou de prison jusqu’en 1962, date à laquelle l’Illinois devint le premier État à abroger sa législation criminalisant la sodomie.

([3])  Dossier de presse de l’exposition Homosexuels et lesbiennes dans l’Europe nazie, présentée au Mémorial de la Shoah à Paris du 17 juin 2021 au 22 mai 2022.

([4])  Pour un éclairage sur le contexte historique, voir les travaux de Marc Boninchi sur la question, et notamment Vichy et l’ordre moral, Presses universitaires de France, 2005, ainsi que l’article « La répression judiciaire de l’homosexualité : le contexte législatif », in La déportation pour motif d’homosexualité en France. Débats d’histoire et enjeux de mémoire, dirigé par Mickaël Bertrand, Dijon, Mémoire active, 2011.

([5]) Loi n° 744 du 6 août 1942 modifiant l’article 334 du code pénal. Son article 1er prévoit de modifier comme suit le 1° de l’article 334 du code pénal.

([6])  Qui était alors prévu par l’article 331 de l’ancien code pénal. Voir sur ce point le Précis de droit pénal spécial de M. Francisque Goyet, conseiller à la Cour d’appel de Paris, Sirey, 1945.

([7])  Ordonnance n° 45-190 du 8 février 1945 modifiant l’article 331 du code pénal.

([8])  Actuellement réprimé sur le fondement des articles 227-25 à 227-27 du code pénal, relatif aux atteintes sexuelles sur mineurs.

([9])  Code pénal annoté par Émile Garçon, professeur à la faculté de droit de Paris, nouvelle édition refondue et mise à jour par Marcel Rousselet, premier président de la Cour d’appel de Paris, Maurice Patin, président de la chambre criminelle à la Cour de cassation, et Marc Ancel, conseiller à la Cour de cassation, tome deuxième (art. 295 à 401), 1956, paragraphes 181 et suivants.

([10])  Jean-Jacques Yvorel « De la répression de l’homosexualité à la répression de l’homophobie », Les Cahiers Dynamiques, vol. 51, no. 2, 2011, pp. 101-107.

([11])  Loi n° 74-631 du 5 juillet 1974 fixant à dix-huit ans l’âge de la majorité, article 15.

([12])  III de l’article 1er de la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs.

([13])  Proposition de loi de M. Raymond Forni et plusieurs de ses collègues tendant à abroger l’alinéa 2 de l’article 331 du code pénal (n° 527), devenue la loi n° 82-683 du 4 août 1982 abrogeant le deuxième alinéa de l’article 331 du code pénal.

([14])  Article 2 de l’ordonnance n° 60-1245 du 25 novembre 1960 relative à la lutte contre le proxénétisme modifiant l’article 330 du code pénal.

([15])  Sous-amendement n° 9 à l’amendement n° 8 de la commission des affaires culturelles, déposé par M. Paul Mirguet, devenu l’article unique de la loi n° 60-773 du 30 juillet 1960 autorisant le gouvernement à prendre, par application de l’article 38 de la constitution, les mesures nécessaires pour lutter contre certains fléaux sociaux. M. Mirguet justifiait ainsi son amendement : « Je pense qu’il est inutile d’insister longuement, car vous êtes tous conscients de la gravité de ce fléau qu’est l’homosexualité, fléau contre lequel nous avons le devoir de protéger nos enfants. Au moment où notre civilisation dangereusement minoritaire dans un monde en pleine évolution devient si vulnérable. Nous devons lutter contre tout ce qui peut diminuer son prestige. Dans ce domaine, comme dans les autres, la France doit montrer l’exemple. »

([16])  Article 2 de l’ordonnance n° 60-1245 du 25 novembre 1960 relative à la lutte contre le proxénétisme : « Lorsque l’outrage public à la pudeur consistera en un acte contre nature avec un individu du même sexe, la peine sera un emprisonnement de six mois à trois ans et une amende de 1 000 nouveaux francs à 15 000 nouveaux francs ».

([17])  La notion d’outrage public à la pudeur a été remplacée par celle d’exhibition sexuelle, qui figure désormais à l’article 222-32 du nouveau code pénal.

([18])  Crim., 16 juin 1906, S. 1909, I, p. 418.

([19])  Dans la nuit du 25 au 26 mai 1977, un groupe de policiers (dix inspecteurs et un commissaire divisionnaire) avait interpellé neuf personnes en flagrant délit d’outrage public à la pudeur, ainsi que les deux cogérants du club « Le Manhattan », situé dans le cinquième arrondissement de Paris. Le procès, tenu le 3 octobre 1978, avait été largement médiatisé, et avait donné lieu à la publication d’une tribune dans le journal Libération, rédigée par des philosophes – Michel Foucault, Gilles Deleuze ou André Glucksmann –, par le journaliste et militant Guy Hocquenghem, par l’écrivaine Marguerite Duras, par le metteur en scène Patrice Chéreau, ou encore par le Prix Goncourt Jean-Louis Bory. Voir à ce sujet l’article d’Ariane Chemin, « Le procès des “backrooms” du club Le Manhattan, moment symbolique dans l’histoire des luttes homosexuelles », Le Monde, 4 août 2022.

([20])  Amendement n° 20 du Gouvernement à la proposition de loi relative au viol, issue des propositions de Mmes Brigitte Gros et Hélène Luc et de M. Robert Schwint, sénateurs, adopté le mercredi 28 juin 1978, devenu le V de l’article 1er de la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs.

([21])  Article 2 de la loi n° 81-736 du 4 août 1981 portant amnistie : « Sont amnistiées, quelle qu’ait été la juridiction compétente, les infractions suivantes, lorsqu’elles ont été commises antérieurement au 22 mai 1981 : […] 12° Délit prévu et réprimé par l’article 330 (alinéa 2) ainsi que par l’article 331 (alinéa 3) du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 et délit prévu et réprimé par l’article 331 (alinéa 2) du code pénal. »

([22])  Jérémie Gauthier et Régis Schlagdenhauffen, « Les sexualités “contre-nature” face à la justice pénale. Une analyse des condamnations pour “homosexualité” en France (1945-1982) », Déviance et Société, vol. 43, no. 3, 2019, pp. 421-459.

([23])  « Nous partons du principe que la rubrique “homosexualité” du CGJ comptabilise les condamnations en vertu de la loi de 1942 confirmée en 1945 et celles en vertu de l’amendement Mirguet à partir de 1960 : les majeur·e·s de plus de 21 ans ayant eu une relation homosexuelle avec un ou plusieurs mineur·e·s de moins de 21 ans jusqu’en 1974, puis avec un ou plusieurs mineur·e·s de moins de 18 ans après cette date. », op. cit.

([24])  Jean-Jacques Yvorel « De la répression de l’homosexualité à la répression de l’homophobie », Les Cahiers Dynamiques, vol. 51, no. 2, 2011, pp. 101-107.

([25])  106 femmes auraient été condamnées entre 1953 et 1978 (années pour lesquelles cette information est disponible), pour  7 559 hommes.

([26])  Dans la contribution écrite transmise au rapporteur du texte au Sénat, celui-ci relevait que les « outrages publics à la pudeur homosexuels » de l’article 330 n’apparaissaient pas « en toutes lettres » dans les statistiques du ministère de la justice.

([27])  Loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe.

([28])  Cass. crim, 12 septembre 2000, n° 98-88.200.

([29])  Cass. crim, 5 septembre 2023, n° 22-83.959.

([30])  Cass.crim, 17 juin 1997, n° 94-85.126.

([31])  Cass. crim., 27 nov. 2012, n° 11-86.982.

([32])  La référence à « tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime » renvoie au fait que les crimes contre l’humanité constituent, du point de vue de la compétence du Tribunal, une catégorie de crimes accessoires aux autres crimes soumis à la juridiction du Tribunal, soit aux crimes contre la paix et aux crimes de guerre. Ainsi défini, le concept comprend les actes inhumains commis en liaison avec la direction ou la conduite d’une guerre d’agression et ne rentrant pas dans le cadre des lois et des coutumes de la guerre. Voir Le statut et le jugement du tribunal de Nuremberg. Historique et analyse, Mémorandum du Secrétaire généra1 des Nations Unies, 3 mars 1949, page 81.

([33])  L’article 9 du statut du Tribunal de Nuremberg lui donnait compétence pour déclarer, à l’occasion d’un procès, un groupe ou une organisation comme « organisation criminelle ». Ont ainsi été reconnus comme criminels le corps des chefs du parti nazi, le SD (service de renseignements de la SS), les SS et la Gestapo.

([34]) M. Charles Lederman, Rapport sur la proposition de loi modifiée par l’Assemblée nationale tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, n° 337, 31 mai 1990, Sénat.

([35])  En conséquence, la déportation de juifs étrangers et en particulier la rafle du Vel d’Hiv, décidées et planifiées par l’occupant nazi (et par la SS, déclarée organisation criminelle par le Tribunal de Nuremberg), mais mise en œuvre par le Gouvernement de Vichy, entre bien dans le champ des crimes contre l’humanité couverts par l’article 24 bis. Cass. Crim., 24 mars 2020, pourvoi n° 19-80.783.

([36])  Décision n° 2015-512 QPC du 8 janvier 2016, M. Vincent R. [Délit de contestation de l’existence de certains crimes contre l’humanité].

([37]) Afin de préciser la nature des crimes entrant dans son champ, l’article fait référence défini aux articles 6, 7 et 8 du statut de la Cour pénale internationale signé à Rome le 18 juillet 1998 et aux articles 211-1 à 212-3, 224-1 A à 224-1 C et 461-1 à 461‑31 du code pénal.

([38]) Loi ()  n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

([39]) Décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012, Loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi

([40])  Décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017, Loi relative à l’égalité et à la citoyenneté.

([41])  Rapport concernant la déportation d’homosexuels à partir de la France dans les lieux de déportation nazis durant la seconde guerre mondiale au titre du motif d’arrestation n° 175, par Claude Mercier, chargé de mission pour la réalisation du livre-Mémorial de la Déportation, 15 novembre 2001.

([42]) Mickaël Bertrand (dir.), La déportation pour motif d’homosexualité en France. Débats d’histoire et enjeux de mémoire, Dijon, Mémoire active, 2011.

([43]) Régis Schlagdenhauffen, Triangle rose. La persécution des homosexuels et sa mémoire, Paris, Autrement, 2011.

([44]) Arnaud Boulligny (dir.), Les homosexuel.le.s en France : du bûcher aux camps de la mort. Histoire et mémoire d’une répression, Paris, Éditions Tirésias-Michel Reynaud, 2018.

([45])  Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en hommage à Georges Morin, ancien combattant de la Résistance, sur le rôle de l’Office national des anciens combattants (ONAC), sur le soutien du gouvernement aux fondations de la Résistance et pour la mémoire de la déportation, ainsi que sur l’accès aux archives de la guerre d’Algérie, le 26 avril 2001 à Paris.

([46])  Déclaration de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la déportation et le devoir de mémoire, le 24 avril 2005 à Paris.

([47])  Si le juge administratif reconnaît depuis 1938 la possibilité d’engager la responsabilité sans faute de l’État du fait des lois, il y a plusieurs conditions pour que la requête soit acceptée. Il faut en particulier que le législateur n’ait pas entendu exclure toute indemnisation, et que le préjudice réunisse deux conditions : qu’il soit spécial au requérant, et qu’il soit anormalement grave.

([48])  Article 100 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015.

([49])  Thomas Wieder, « L’Allemagne veut réhabiliter les homosexuels condamnés au nom de l’article 175 », Le Monde, 31 mars 2017.

([50])  Contribution écrite de Mme Flora Bolter pour l’Observatoire LGBTI+ de la Fondation Jean-Jaurès, suite à son audition par votre rapporteur.