N° 2249

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 février 2024.

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Land du BadeWurtemberg relatif à la création d’une compagnie de gendarmerie fluviale francoallemande sur le Rhin,

PAR M. Kévin PFEFFER

Député

——

 

 

AVEC

 

EN ANNEXE

LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

 

Voir les numéros :

 Assemblée nationale : 2141.

 Sénat : 50, 273, 274 et T.A 60 (2023-2024).


SOMMAIRE

Pages

introduction

I. une coopÉration interÉtatique ancienne visant À garantir la libertÉ et la sÉcuritÉ sur le rhin

A. une gestion commune jalonnÉe de plusieurs Étapes

B. une compagnie fluviale francoallemande crÉÉe À titre expÉrimental

II. un accord international mÛrement négociÉ

A. Des travaux menés sur près d’une décennie

B. Une unitÉ assurant des missions de contrÔle dans une zone dÉterminÉe

C. Un encadrement juridique solide

III. Une approbation nÉcessaire

A. un bilan À saluer

B. Des enjeux importants

C. un dispositif À pÉrenniser

Examen en commission

annexe N° 1 : TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

ANNEXE N° 2 : Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

 


    

   introduction

 

La commission des affaires étrangères est saisie du projet de loi n° 2141 autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg relatif à la création d’une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin.

Ce texte a été adopté par le Sénat le 1er février 2024.

L’accord dont il est demandé au Parlement d’autoriser l’approbation vise à pérenniser, sur la base d’un accord international précis et soigneusement négocié, une unité fluviale qui ne doit son existence depuis 2011 qu’à un simple « arrangement » entre les administrations française et allemande.

Cette pérennisation se justifie au regard tant du bilan très positif de cette compagnie fluviale que des enjeux importants, en termes d’échanges humains et commerciaux, liés à la navigation sur le Rhin.

 


I.   une coopÉration interÉtatique ancienne visant À garantir la libertÉ et la sÉcuritÉ sur le rhin

Colonne vertébrale de l’Europe rhénane et espace économique le plus dynamique d’Europe, le Rhin traverse neuf pays. La volonté d’y faire respecter la liberté de navigation pour tous et d’y garantir la sécurité des personnes et des biens a conduit les États concernés à conclure une série d’accords internationaux renforçant leur coopération. La mise en place en 2011, à titre expérimental, d’une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande se situe dans la lignée de ce processus plus que séculaire.

A.   une gestion commune jalonnÉe de plusieurs Étapes

Doté du statut de fleuve international et constituant une frontière « naturelle » entre la France et l’Allemagne, le Rhin sépare ces deux derniers pays sur un tronçon long de 164 kilomètres. Plusieurs accords intergouvernementaux ont organisé sa gestion conjointe. D’autres conventions internationales ont permis plus généralement aux États européens, et notamment à la France et à l’Allemagne, de renforcer leur coopération policière et douanière en zone frontalière.

Signé le 17 octobre 1868 entre les quatre États riverains du Rhin (France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas) et la Suisse, l’Acte de Mannheim ([1]) a garanti la libre circulation sur le fleuve, simplifié les procédures de dédouanement et uniformisé les règles de sécurité. La Commission centrale pour la navigation du Rhin (CCNR), prévue par ce texte, est chargée d’édicter un règlement de police de la navigation du Rhin (RPNR), applicable de manière uniforme à l’ensemble de la voie fluviale dans sa partie internationale.

À la suite de l’entrée en vigueur, en mars 1995, de la convention d’application de l’accord de Schengen (CAAS) ([2]), la France a élaboré un modèle d’accord-type de coopération transfrontalière en matière policière et douanière, afin de décliner les dispositions de la CAAS sur une base bilatérale. Six accords de ce type ont été signés par la France avec les États limitrophes entre 1997 et 2001.

Conclu le 9 octobre 1997 entre la France et l’Allemagne, l’accord de Mondorf ([3]) a offert un premier cadre juridique intégré à la coopération transfrontalière franco‑allemande en matière policière et douanière, laquelle ne relevait auparavant que d’accords bilatéraux à la portée limitée et de textes locaux lacunaires et peu contraignants. Il a notamment donné une base juridique à la création de centres de coopération policière et douanière (CCPD), devant permettre d’approfondir les échanges d’informations opérationnelles en zone frontalière. Il a aussi prévu une vaste panoplie d’outils de coopération directe entre services opérationnels, tels que les patrouilles mixtes, les centres de commandement communs ou encore les groupes de recherche et de contrôle.

Signé le 10 novembre 2000 et entré en vigueur le 1er novembre 2003, l’accord de Vittel ([4]) a prévu la possibilité, pour les autorités de police fluviale des deux pays, d’intervenir sur toute la largeur du secteur franco-allemand du Rhin et d’y exercer l’ensemble des missions de police de la navigation et de police judiciaire.

Enfin, le traité de Prüm ([5]), conclu le 27 mai 2005 par sept États de l’Union européenne (dont l’Allemagne et la France), a relancé la coopération policière entre ces États membres, avec notamment le développement d’opérations conjointes et un système d’échanges d’informations concernant les données relatives à l’acide désoxyribonucléique (ADN), les données dactyloscopiques et celles portant sur l’immatriculation des véhicules. La majeure partie des stipulations de ce traité a ensuite été intégrée dans le droit communautaire par une décision du Conseil de l’Union européenne du 23 juin 2008 ([6]) .

B.   une compagnie fluviale franco‑allemande crÉÉe À titre expÉrimental

S’inscrivant dans le prolongement des accords précités, l’« agenda franco‑allemand 2020 », adopté le 4 février 2010, a fixé pour objectif à la France et à l’Allemagne d’approfondir et de systématiser leur coopération policière en zone frontalière, « notamment en créant une unité fluviale franco-allemande sur le Rhin ». Cette recommandation s’inspirait de propositions faites en 2007 par la gendarmerie de la région d’Alsace et la police du Land de Bade‑Wurtemberg tendant à développer des formes de coopération plus intégrées sur le Rhin, pouvant aller jusqu’à une mutualisation de leurs unités fluviales.

Ce vœu a été satisfait par la conclusion, le 19 avril 2011, d’un « arrangement administratif » entre le commandant de la région de gendarmerie d’Alsace et la ministre de l’intérieur du Land du Bade‑Wurtemberg. Cet accord « interservices » a permis la mise en place, à titre provisoire, d’une compagnie fluviale commune de cinq unités (deux unités de la police bade-wurtembergeoise et trois unités françaises de gendarmerie). Cette compagnie a été chargée de la police de la navigation, et de la sécurité publique, au sens large, tant sur le Rhin lui‑même que dans les espaces attenants, tels que les affluents, les lacs et les ports.

Cette compagnie fluviale bénéficie de moyens humains et matériels mutualisés. Elle est actuellement équipée de trois vedettes (deux fournies par la partie allemande et une par la partie française), ainsi que de sept embarcations de taille moyenne et de quatre de petite taille, que complètent trois canoës-kayaks et un sonar de recherche. Elle dispose par ailleurs de dix‑neuf véhicules de service. En termes de personnel, elle est très bien dotée grâce à un effort conjoint des deux parties pour honorer les effectifs prévus, soit vingt‑huit équivalents temps plein (ETP) du côté français et vingt‑neuf du côté allemand ([7]).

 

 

 


II.   un accord international mÛrement négociÉ

Fruit de près de dix ans de travaux, l’accord du 6 juillet 2022 est composé d’un préambule, de vingt-deux articles et d’une annexe. Il prévoit avec précision les missions, la zone d’intervention, l’organisation et les moyens de la compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande. Il encadre juridiquement, de surcroît, tant son fonctionnement interne que ses opérations.

A.   Des travaux menés sur près d’une décennie

Après une phase d’échanges et réflexions préalables en 2011 et 2012, les autorités françaises et bade-wurtembergeoises ont entamé en 2013 la négociation d’un accord international relatif à la création d’une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande. C’est bien le Land du Bade-Wurtemberg qui a été l’interlocuteur des autorités françaises, et non pas la République fédérale elle‑même, puisque la sécurité publique constitue une compétence des Länder et que ces derniers se voient reconnaître par la Loi fondamentale du 23 mai 1949 une capacité à contracter des engagements avec des États étrangers dans leurs domaines de compétence ([8]).

Si cette négociation a pris plusieurs années, ce n’est pas du fait de désaccords entre les parties mais en raison surtout du caractère juridiquement complexe d’un certain nombre de points susceptibles de figurer dans le texte, qu’il s’agisse par exemple du statut juridique de la compagnie, de l’articulation avec le droit de l’Union européenne, de la mise en place d’un fichier de données à caractère personnel ou encore du régime de la responsabilité et de la réparation des dommages. Le renouvellement des équipes en charge des négociations, du côté français, puis du côté allemand, a également freiné l’aboutissement des travaux. L’accord a finalement été trouvé en 2019 mais la crise sanitaire a conduit à repousser sa signature, qui n’est intervenue, des mains de la préfète de la région Grand Est et du vice-ministre-président du Land du Bade-Wurtemberg, que le 6 juillet 2022. Les procédures internes requises pour l’entrée en vigueur de l’accord ont été, s’agissant de la partie allemande, d’ores et déjà exécutées, tant à l’échelon du Land qu’à celui du Bund.

B.   Une unitÉ assurant des missions de contrÔle dans une zone dÉterminÉe

L’article 1er rappelle l’objet propre de l’accord, c’est‑à‑dire la création d’une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande (CG2FA).

L’article 10 définit les missions de la compagnie. Elles consistent avant tout dans la surveillance et le contrôle de la navigation sur le Rhin grâce à l’organisation de patrouilles. Elles incluent aussi la prévention, la constatation et la poursuite des infractions à la navigation, ainsi que de toutes autres infractions, la constatation des accidents, le secours et l’assistance aux personnes et l’appui à la gestion de grands événements. La compagnie réalise aussi des investigations subaquatiques pour le secours aux personnes ou pour des opérations de recherche dans le cadre d’enquêtes judiciaires.

Pour l’exercice de leurs missions, les agents de la compagnie fluviale peuvent procéder au contrôle de tous les navires, établissements flottants, matériels flottants ou autres véhicules se trouvant dans leur zone de compétence (article 11).

L’article 4 définit la zone géographique de compétence de la compagnie, soit le secteur franco-allemand du Rhin, ainsi que la zone terrestre immédiatement située le long du fleuve, les cours d’eau directement reliés au Rhin et les ports, y compris les zones de transbordement, les chantiers navals et les installations annexes ([9]).

Chacun des deux contingents nationaux est placé sous l’autorité d’un chef de détachement (article 5). Les décisions sont prises d’un commun accord. L’autorité de chaque chef ne s’exerce qu’à l’égard des agents de son détachement. L’allemand et le français constituent les deux langues de travail de la compagnie et doivent être suffisamment maîtrisés par tous ses membres.

Aux termes de l’article 6, chaque autorité d’envoi ([10]) doit faire en sorte que l’effectif global des agents de son détachement demeure globalement équivalent à celui de l’autre partie. Lorsqu’une autorité d’envoi envisage de modifier significativement le nombre de ses agents, elle doit en informer préalablement l’autre autorité d’envoi.

Le fonctionnement du service est défini d’un commun accord par les chefs de détachement (article 7). Ceux‑ci veillent à la répartition équitable des charges et des missions entre les détachements. L’action commune étant la règle, les patrouilles fluviales comme terrestres sont mixtes par principe. Un règlement intérieur définit les autres modalités de fonctionnement.

Les agents d’une partie qui se trouvent sur le territoire de l’autre partie sont autorisés à y porter leur uniforme national (article 8). Ils peuvent être munis des armes, munitions et moyens de coercition autorisés, conformément à leur droit interne. Ces armes ne peuvent être utilisées qu’aux seules fins de la légitime défense de soi-même ou d’autrui.

C.   Un encadrement juridique solide

Compte tenu du caractère novateur de l’accord du 6 juillet 2022 et de la nature relativement complexe des questions de droit soulevées, il importait que son encadrement juridique soit solide.

L’article 2 stipule que l’accord complète celui de Vittel et qu’il est mis en œuvre « sans préjudice du droit de l’Union européenne » et des autres engagements internationaux des parties.

L’article 3 précise la nature de la compagnie fluviale. Celle‑ci est dépourvue de personnalité juridique propre. Elle est établie à titre principal à Kehl, dans le Bade-Wurtemberg et, de manière secondaire, à Vogelgrun et Gambsheim, en Alsace. Les agents qui la composent sont mis à disposition par les autorités de la police du Land du Bade-Wurtemberg, d’un côté, et celles de la gendarmerie française, de l’autre. Les agents du détachement allemand et ceux du détachement français agissent comme membres de leur « autorité d’envoi », obéissent aux directives de celle-ci et demeurent soumis à la réglementation de leur État respectif. La compagnie demeure donc une unité binationale mais dispose d’un emblème commun.

Les modalités de financement de la compagnie, l’organisation de son budget et la prise en charge des frais sont définis à l’article 9.

La création d’un fichier d’assistance au commandement est prévue par l’article 13 pour l’organisation et la planification du service de la compagnie, la gestion de ses équipements et le suivi de son activité opérationnelle. La création d’un fichier opérationnel commun contenant des données à caractère personnel n’a en revanche pas été jugée nécessaire. Les agents de chaque partie conservent l’accès à leurs propres systèmes de traitement automatisé de données à caractère personnel (article 12([11]).

L’article 14 précise les exigences et les conditions requises pour assurer la sécurité des sites de la compagnie ainsi que la confidentialité des informations et des documents reçus.

Chaque partie accorde aux agents de l’autre partie, présents sur son territoire, la même protection juridique dans l’exercice de leurs fonctions qu’à ses propres agents (article 16).

L’article 17 définit les règles applicables en cas de dommages causés ou subis par les agents. Les parties renoncent, en particulier, à toutes demandes réciproques d’indemnisation en cas de blessure ou de décès d’un de leurs agents survenant lors d’une mission accomplie en vertu de l’accord, sauf faute intentionnelle ou négligence grave.

L’article 19 rappelle la possibilité laissée à chaque partie, sous certaines conditions, de refuser la participation de ses agents à une opération ou de rejeter une demande d’information formulée par l’autre partie. Il peut en aller ainsi si elle estime que cette participation serait contraire à ses engagements internationaux ou au droit de l’Union européenne, qu’elle porterait atteinte aux droits fondamentaux de la personne, qu’elle violerait sa souveraineté ou mettrait en danger la sécurité ou l’ordre public sur son sol, ou encore qu’elle porterait atteinte aux règles d’organisation et de fonctionnement de l’autorité judiciaire dans l’État concerné.

Tout différend relatif à l’interprétation ou à l’application de l’accord est réglé par voie de consultations entre les parties (article 21).


III.   Une approbation nÉcessaire

L’approbation de l’accord du 6 juillet 2022 apparaît aujourd’hui particulièrement bienvenue afin de pérenniser la compagnie fluviale mise en place en 2011 et d’offrir un cadre juridique complet et solide à l’exercice de ses missions. Cette unité a en effet démontré son efficacité dans le contrôle et la surveillance d’un des axes‑clés des échanges en Europe.

A.   un bilan À saluer

Le bilan de la compagnie fluviale commune est jugé très positif aussi bien par la France que par l’Allemagne. La coopération entre les deux détachements s’est révélée d’excellente qualité sur le plan opérationnel, tant au niveau du commandement que sur le terrain. Depuis sa mise en place, la compagne fluviale franco‑allemande s’est vu confier de multiples missions qu’elle a remplies à la pleine satisfaction des autorités des deux États.

La compagnie a été sollicitée en septembre 2023, dans le cadre de l’affaire de la disparition de la jeune Lina, pour des investigations subaquatiques pour lesquelles des moyens français et allemands ont pu être mutualisés. Quelques années auparavant, en 2018, la compagnie était intervenue dans le cadre d’un dramatique accident nautique sur le Rhin, où deux adultes et deux enfants s’étaient noyés après que leur embarcation eut chaviré. Les effectifs allemands et français de la compagnie ont été chargés de la recherche des corps et de la communication autour de l’accident, et l’enquête confiée aux gendarmes français de la compagnie.

Des patrouilles communes permettent de contrôler des ressortissants français qui traversent le Rhin pour profiter d’une réglementation allemande plus souple en matière de revente de déchets, en particulier de métaux. Les informations recueillies par les policiers allemands sur les personnes contrôlées permettent de révéler des infractions à la réglementation au droit de l’environnement et des fraudes à la sécurité sociale. Par ailleurs, à la fin de chaque année, les agents de la compagnie participent aux contrôles à la frontière franco‑allemande visant à rechercher des feux d’artifice importés illégalement d’Allemagne. Les contrôles réalisés par la compagnie à la fin du mois de décembre 2023 ont permis de saisir près de 20 kilogrammes de feux d’artifice.

Enfin, lors de visites officielles au Parlement européen de Strasbourg, la compagnie est sollicitée pour surveiller et sécuriser les abords de l’édifice, construit au bord d’un canal et d’un plan d’eau. À cette occasion, les gendarmes français travaillent en étroite collaboration avec leurs homologues allemands qui engagent leurs moyens nautiques. Cette synergie permet des relèves plus fréquentes sur des services parfois très longs, et accroît ainsi l’efficacité du dispositif de sécurité.

En 2023, le nombre de patrouilles communes s’est élevé à 672, contre 632 en 2022. Le détachement français a constaté 1 124 infractions (contre 829 en 2018), dont 48 délits, 93 contraventions de 5ème catégorie et 255 contraventions de 4ème catégorie ([12]).

La réussite de ce partenariat franco‑allemand, depuis plus d’une décennie, justifie de lui donner désormais une base juridique pérenne.

B.   Des enjeux importants

L’importance de la mission confiée à la compagnie fluviale franco‑allemande prend tout son sens au regard de l’ampleur des échanges transitant par le Rhin et de la nécessité, par conséquent, de garantir la liberté et la sécurité de circulation sur le fleuve et sur ses abords.

S’agissant des échanges humains, 4 996 bateaux (privés, de location, navires-passagers et péniches-hôtels) ont navigué sur le fleuve, entre la France et l’Allemagne, entre fin décembre 2021 et fin décembre 2022. Le nombre de personnes franchissant chaque jour le Rhin est estimé à au moins 40 000. Par ailleurs, 2,6 millions de passagers en moyenne traversent chaque année le Rhin grâce aux trois bacs transfrontaliers franco-allemands gérés par la collectivité européenne d’Alsace.

Dans le domaine des échanges commerciaux, 3,5 millions de tonnes ont été exportées de la France vers l’Allemagne via le Rhin en 2022, et 2,6 millions de tonnes de l’Allemagne vers la France. En ce qui concerne spécifiquement le Bade‑Wurtemberg, l’équivalent de 13,6 milliards d’euros de marchandises y ont été exportées depuis la France via le Rhin en 2022, et l’équivalent de 18,6 milliards d’euros importées depuis le Bade-Wurtemberg (notamment des produits issus de l’industrie chimique).

En 2022, globalement, 14,7 millions de tonnes de marchandises ont été transportées sur la portion franco-allemande du Rhin ([13]). La même année, 22 433 bateaux de commerce de toutes catégories ont utilisé le fleuve, soit une moyenne de 61 par jour. En 2022 toujours, plus de 10 millions de tonnes de marchandises ont transité par les ports français du Rhin, dont la moitié pour l’exportation.

Pour ce qui est enfin du trafic de plaisance, presque 35 000 embarcations de plaisance ont emprunté la portion franco‑allemande du fleuve en 2022.

Tous ces chiffres montrent à quel point le Rhin constitue une exceptionnelle voie d’échanges et une artère vitale, ainsi que la nécessité par conséquent pour les États riverains d’en assurer une surveillance et un contrôle adéquats.

C.   un dispositif À pÉrenniser

La compagne fluviale franco‑allemande ne repose aujourd’hui que sur un arrangement purement administratif, conclu entre les services de deux États. Les excellents résultats atteints par cette entité opérationnelle justifient d’inscrire désormais son existence dans un véritable accord international. Ce dernier apportera une stabilité et une sécurité juridique que n’offre pas un simple « arrangement » entre deux administrations. Les actes accomplis par les agents de la compagnie fluviale s’en trouveront eux-mêmes sécurisés juridiquement, qu’il s’agisse par exemple de leur présence respective sur le territoire de l’autre État, de la conduite de véhicules ou de l’usage de leurs armes sur ce même territoire, ou encore des mesures d’urgence qu’ils peuvent être amenés à prendre.

Par rapport à l’arrangement administratif de 2011, l’accord du 6 juillet 2022 souligne plus fortement le caractère paritaire du fonctionnement de la compagnie fluviale et en décrit avec davantage de précision les missions. Le périmètre géographique de ses interventions est à la fois légèrement élargi, du fait de l’inclusion de certains plans d’eau ou de zones terrestres, et décrit plus en détail grâce à l’annexe jointe à l’accord. Des précisions sont apportées quant aux compétences des agents intervenant sur le territoire de l’autre État. Enfin des clarifications sont apportées, s’agissant de la répartition de la prise en charge des coûts entre les parties et des modalités de réparation des dommages causés aux tiers.

Compte tenu des enjeux entourant la navigation sur le Rhin et de la sécurité juridique apportée par l’accord du 6 juillet 2022, son approbation – à travers l’adoption du projet de loi autorisant celle‑ci – apparaît aujourd’hui particulièrement opportune.

 

 


   Examen en commission

Le mercredi 28 février 2024, à 11 heures, la commission examine le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg relatif à la création d’une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin (n° 2141).

Mme Eléonore Caroit, présidente. Notre ordre du jour appelle l’examen du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Land de Bade-Wurtemberg relatif à la création d’une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin.

Si le Rhin constitue une frontière naturelle entre la France et l’Allemagne, il est aussi une zone très importante de transit et d’échanges : près de 5 000 bateaux et 35 000 embarcations de plaisance y naviguent sur la seule portion franco-allemande chaque année, 40 000 personnes le franchissent chaque jour et 14,7 millions de tonnes de marchandises l’ont traversé en 2022.

Il n’est donc pas étonnant que la France et l’État du Bade-Wurtemberg aient noué une coopération étroite au sujet de la gestion du fleuve. Celle-ci remonte à l’Acte de Mannheim du 17 octobre 1868 et a trouvé sa dernière concrétisation à travers un approfondissement de la coopération de la police frontalière dans le cadre de l’agenda franco‑allemand 2020, adopté le 4 février 2010.

Un arrangement administratif, signé le 19 avril 2011 entre le commandant de la région de gendarmerie d’Alsace et le ministre de l’intérieur du Land de Bade-Wurtemberg, a permis la mise en place expérimentale d’une compagnie fluviale commune de cinq unités (trois françaises et deux allemandes) reposant sur le principe d’une mutualisation des moyens humains et matériels.

Le bilan de cette expérimentation a été jugé très positif, les patrouilles et interventions mixtes s’étant déroulées dans d’excellentes conditions. Il a donc été décidé de pérenniser ce dispositif par un accord bilatéral signé à Strasbourg le 6 juillet 2022.

C’est l’approbation de cet accord, qu’il nous est demandé d’autoriser par le projet de loi dont nous débattons ce matin. Pour la partie allemande, toutes les procédures internes requises ont d’ores et déjà été exécutées. Le Sénat, lui, a adopté le texte en première lecture le 1er février dernier.

M. Kévin Pfeffer, rapporteur. Mes chers collègues, même si le titre du projet de loi annonce la « création » d’une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande, destinée à la surveillance de la navigation sur le Rhin, celle-ci existe déjà en pratique depuis 2011. L’accord qui nous est soumis vise donc plutôt à la pérenniser. L’existence de cette unité n’est en effet actuellement prévue que par un simple arrangement administratif. Il s’agit désormais de lui donner un fondement juridique solide et stable grâce à un accord intergouvernemental en bonne et due forme.

L’Allemagne et la France s’efforcent de longue date de renforcer leur coopération sur leur frontière rhénane, longue de 164 kilomètres. L’accord de Mondorf-les-Bains, conclu en 1997, a ainsi constitué une étape importante vers une forme d’intégration de leur coopération transfrontalière en matière policière et douanière, laquelle ne relevait auparavant que d’accords bilatéraux à la portée limitée et de textes locaux lacunaires et peu contraignants ; cet accord a notamment permis la mise en place de patrouilles mixtes et de centres de commandement communs.

Puis, par l’accord de Vittel conclu en 2000, les deux États ont prévu la possibilité, pour leurs autorités de police fluviale respectives, d’intervenir sur toute la largeur du secteur franco-allemand du Rhin et d’y exercer l’ensemble des missions de police de la navigation et de police judiciaire.

En 2007, la gendarmerie de la région d’Alsace et la police du Land de Bade‑Wurtemberg ont formulé des propositions tendant à développer des formes de coopération encore plus intégrées sur le Rhin, pouvant aller jusqu’à une mutualisation de leurs unités fluviales. S’inspirant de ces propositions, l’agenda franco-allemand 2020, adopté en 2010, a fixé pour objectif à la France et à l’Allemagne d’approfondir et de systématiser leur coopération policière en zone frontalière, y compris par la création d’une unité fluviale commune.

Cet objectif a été atteint par la conclusion, le 19 avril 2011, d’un arrangement administratif entre le commandant de la région de gendarmerie d’Alsace et le ministre de l’intérieur du Land de Bade-Wurtemberg. Cet accord interservices a permis la mise en place d’une compagnie fluviale commune, chargée de la police de la navigation et de la sécurité publique tant sur le Rhin lui-même que dans les espaces attenants, tels que les affluents, les lacs et les ports, et bénéficiant de moyens humains et matériels mutualisés, dont trois vedettes.

En douze ans d’existence, cette compagnie a fait la preuve de son efficacité. Ses principales missions concernent la surveillance et le contrôle de la navigation fluviale, la réalisation de patrouilles communes terrestres, la poursuite des infractions, la constatation des accidents, la réalisation de recherches subaquatiques et, plus ponctuellement, certaines missions de police fluviale à l’occasion d’événements particuliers. La compagnie est constituée de deux contingents nationaux, chacun placé sous l’autorité d’un chef de détachement. Les décisions sont prises d’un commun accord. L’allemand et le français constituent les deux langues de travail.

La coopération entre les deux détachements est jugée excellente par les deux parties, tant au niveau du commandement que sur le terrain. La compagne fluviale franco-allemande s’est vue confier des missions variées dont on pourrait donner de multiples exemples. Des patrouilles communes permettent ainsi de contrôler les ressortissants français qui traversent le Rhin pour profiter d’une réglementation allemande plus souple en matière de revente de déchets, en particulier de métaux. Les contrôles effectués par l’unité permettent aussi de révéler des infractions au droit de l’environnement et des fraudes à la sécurité sociale. Par ailleurs, les contrôles effectués à la fin de chaque année donnent lieu à la saisie de quantités importantes de feux d’artifice importés illégalement d’Allemagne. La compagnie est également sollicitée lors de visites officielles au Parlement européen de Strasbourg en vue de surveiller et de sécuriser les abords de l’édifice, construit, comme vous le savez, au bord d’un canal et d’un plan d’eau.

La compagnie est, d’autre part, intervenue sur des affaires assez dramatiques. Elle a ainsi réalisé, en septembre 2023, des investigations subaquatiques dans le cadre de l’affaire de la disparition de la jeune Lina.

Les chiffres sont parlants : en 2023, le nombre de patrouilles communes s’est élevé à 672, contre 632 en 2022. Le détachement français a constaté 1 124 infractions (contre 829 en 2018), dont 48 délits et 93 contraventions de 5e catégorie. L’expérimentation conduite ainsi sur plus d’une décennie a démontré la pertinence du modèle de cette compagnie fluviale franco-allemande. C’est pourquoi il est désormais temps d’inscrire son existence dans un véritable accord international.

En effet, comme je l’ai dit, son existence ne repose aujourd’hui que sur un arrangement purement administratif, conclu entre deux services. Un accord intergouvernemental apportera une stabilité et une sécurité juridique accrues. Les actes accomplis par les agents de la compagnie s’en trouveront ainsi sécurisés, qu’il s’agisse par exemple de leur présence respective sur le territoire de l’autre État, de la conduite de véhicules ou de l’usage de leurs armes sur ce même territoire.

Par rapport à l’arrangement administratif de 2011, l’accord du 6 juillet 2022 souligne plus fortement le caractère paritaire du fonctionnement de la compagnie et en décrit avec davantage de précision les missions. Le périmètre géographique de ses interventions est à la fois légèrement élargi, du fait de l’inclusion de certains plans d’eau ou de zones terrestres, et décrit plus en détail grâce à une annexe jointe à l’accord. Des précisions sont apportées quant aux compétences des agents intervenant sur le territoire de l’autre État. Enfin des clarifications sont apportées, s’agissant de la répartition de la prise en charge des coûts entre les parties et des modalités de réparation des dommages susceptibles d’être causés aux tiers.

Les articles de l’accord ont été soigneusement négociés, non pas que des difficultés particulières se soient élevées lors des échanges mais en raison de la complexité juridique d’un certain nombre de points et du caractère inédit de cet accord en Europe. Ainsi, après réflexion, il n’a pas été jugé nécessaire de donner à la compagnie une personnalité juridique propre. Il n’a pas non plus été jugé pertinent de créer un fichier opérationnel commun contenant des données à caractère personnel ; les agents de chaque partie conservent l’accès à leurs propres systèmes de traitement automatisé de données à caractère personnel, conformément à leur législation nationale. Vous noterez que l’accord a été conclu non pas avec la République fédérale mais avec le gouvernement d’un Land, comme cela est permis par la Loi fondamentale de 1949 pour ce qui relève des compétences des Länder. Du côté français, par ailleurs, la conclusion d’accords internationaux avec les entités fédérées d’États étrangers est permise dès lors que celles-ci sont habilitées par leur droit interne à conclure de tels accords.

Enfin, de manière remarquable, ce projet a été imaginé et lancé par les acteurs de terrain eux-mêmes, ce qui explique sans doute son succès. C’est à partir de leurs retours d’expérience, s’étalant sur plus de dix années, que cet accord a pu être validé et adapté.

Compte tenu de tous ces éléments, l’approbation de cet accord me paraît particulièrement bienvenue. C’est un nouvel exemple de la coopération entre nos deux pays en matière de sécurité à nos frontières, dont je suis régulièrement témoin dans ma propre circonscription, frontalière avec le Land de Sarre. Ici, cette coopération intervient sur la voie exceptionnelle d’échanges que constitue le Rhin, par lequel transitent chaque année non seulement des millions de tonnes de marchandises exportées ou importées mais également des milliers de bateaux privés ou de plaisance, sans compter les trois bacs transfrontaliers franco‑allemands gérés par la collectivité européenne d’Alsace. C’est dire tout l’enjeu pour les États riverains d’assurer une surveillance et un contrôle adéquats du fleuve et de ses abords, en vue de garantir la liberté et la sécurité de ce transit.

Voilà pourquoi je vous invite à adopter le projet de loi qui autorise cet accord.

Mme Eléonore Caroit, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Brigitte Klinkert (RE). Au nom du groupe Renaissance, je salue l’accord trouvé entre le Gouvernement de la République française et celui du Land de Bade‑Wurtemberg, qui vise à pérenniser la compagnie franco-allemande de gendarmerie fluviale sur le Rhin.

Si le Rhin est une frontière naturelle, il est aussi et avant tout un lien fort qui unit la France et l’Allemagne. Déjà, Victor Hugo écrivait : « Le Rhin réunit tout ». Le Rhin est le symbole d’une coopération bilatérale qui a toujours revêtu une importance essentielle dans la vie quotidienne de nos concitoyens. En tant qu’Alsacienne, je constate chaque jour que le Rhin est au cœur du bassin de vie franco-allemand : y circulent familles, travailleurs, entreprises, biens et services... Le Rhin est donc bel et bien un trait d’union car nous vivons à 360 degrés sur le bassin de vie rhénan.

Cet accord marque une nouvelle étape significative dans le renforcement de la coopération entre nos deux pays. Il contribue de fait à améliorer la sécurité des individus et des biens le long du Rhin et dans ses environs. Artère essentielle au cœur de l’Europe, le Rhin est l’une des voies navigables les plus fréquentées du monde : non seulement il attire de nombreux touristes et croisiéristes mais il constitue aussi une voie de transport importante pour l’économie et l’industrie de l’Europe.

Dans ce cadre, la préfète de la région Grand Est et le ministre de l’intérieur du Land de Bade-Wurtemberg ont signé en juillet 2022, à Strasbourg, un accord visant à établir un cadre juridique solide pour une unité policière mixte permanente le long du Rhin et dans ses environs.

La gestion commune du Rhin remonte déjà au XIXe siècle. Depuis 1868, des unités de gendarmerie ont été instituées des deux côtés du fleuve, jetant ainsi les bases d’une coopération policière bilatérale pragmatique. En 2011, la compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin a été mise en place dans le cadre d’un arrangement administratif et à titre expérimental – nous aimons beaucoup les expérimentations en Alsace. Cela a favorisé une coordination efficace entre les trois unités françaises et les deux unités allemandes, ainsi que la systématisation des patrouilles françaises et allemandes sur les 164 kilomètres de la portion franco-allemande du Rhin.

Le groupe Renaissance approuve donc pleinement cet accord et votera en faveur de ce projet de loi.

Mme Eléonore Caroit, présidente. En effet, Victor Hugo s'extasiait déjà face au Rhin, « cet admirable fleuve [qui] laisse entrevoir […] sous la transparence de ses flots, le passé et l’avenir de l’Europe ».

M. Michel Guiniot (RN). La création d’une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin ne vise pas à créer une entité juridique mais à faire coopérer des forces de l’ordre autour d’objectifs communs. Il s’agit d’une brigade bien rodée, issue d’une expérimentation de plus d’une décennie.

En 2023, ses 56 agents ont constaté et sanctionné 1 124 infractions, ce qui est beaucoup, au cours de 672 patrouilles, soit presque deux par jour en moyenne, sur les 164 kilomètres du fleuve relevant de leur compétence. L’accord qui nous est soumis modifie légèrement l’arrangement conclu le 19 avril 2011, afin d’insister sur l’action commune et la mixité nationale des patrouilles, sur l’extension et la précision des missions, ainsi que sur les compétences des agents et sur les dispositions financières relatives aux charges communes et aux modalités d’indemnisation en cas de dommages.

L’article 5 précise que, si la compagnie est franco-allemande, les gendarmes français sont sous la responsabilité d’un officier français et les policiers allemands sous la responsabilité d’un commissaire allemand. Même si les missions sont communes, la souveraineté de chaque force est respectée.

L’article 13 prévoit la création d’un fichier commun. Or le rapport indique que la création d’un fichier opérationnel commun n’est pas nécessaire. D’après l’étude d’impact, le fichier prévu est un fichier d’assistance au commandement, lequel est pourtant propre, d’après l’article 5, à chaque nationalité. Quelle est la différence entre un fichier opérationnel et un fichier d’assistance au commandement ?

Notre groupe est favorable à l’accord, comme à tout accord valorisant les interventions conjointes et démontrant qu’une coopération entre États est possible sans effacer les identités et les prérogatives de chacun.

M. Kévin Pfeffer, rapporteur. Le fichier d’assistance au commandement prévu à l’article 13 de l’accord servira à assurer la diffusion rapide aux agents de leurs ordres de mission. Il s’agit d’un système d’information propre à la brigade, dans lequel aucune donnée personnelle des personnes contrôlées ou interpellées ne sera enregistrée. Il n’induira donc aucune perte de souveraineté, comme les autres dispositions de l’accord au demeurant. L’accès aux fichiers nationaux demeure réservé à chaque entité de la brigade.

M. Emmanuel Fernandes (LFI-NUPES). Le présent projet de loi vise à pérenniser l’existence d’une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin. Cette unité existe depuis une douzaine d’années. Elle est basée à Kehl, en Allemagne, juste à côté de Strasbourg. Tout un symbole ! Le Rhin, qui sépare et relie nos deux pays et qui fut le théâtre d’affrontements séculaires, est désormais un symbole de paix.

Dans d’autres domaines, la coopération franco-allemande semble défaillante. Dans le domaine linguistique et culturel, la fermeture, décidée par le gouvernement allemand, des Instituts Goethe de Bordeaux, de Lille et de Strasbourg est à regretter, s’agissant d’une institution qui est le fer de lance de la langue et de la culture allemandes dans le monde.

Le déclin de l’apprentissage de l’allemand en France, singulièrement en Alsace, est également à déplorer, en raison notamment des immenses difficultés de recrutement d’enseignants d’allemand en France faute d’attractivité suffisante du métier, dont les conditions d’exercice, en France, sont très dégradées. Les enseignants français gagnent deux fois moins que leurs homologues allemands. À quand une harmonisation par le haut des rémunérations ?

Dans le domaine de la protection de l’environnement, notamment de la gestion de l’eau, ce qui me ramène au Rhin, la coopération entre l’Allemagne et la France est insuffisante. Dans le Sud de l’Alsace, des déchets toxiques sont enfouis sur le site de StocaMine. Le gouvernement français projette de couler des milliers de mètres cubes de béton autour des déchets mais ce confinement ne sera pas étanche et, à terme, la nappe phréatique rhénane, qui alimente des millions d’Allemands et de Français, sera inéluctablement empoisonnée. La coopération entre nos deux pays est aussi urgente que nécessaire pour déstocker ces déchets et préserver la plus grande nappe phréatique d’Europe.

Par ailleurs, le Rhin a été fortement perturbé par les températures élevées de l’été au cours des dernières années. En 2022, le niveau du fleuve est tombé à trente centimètres par endroits. La compagnie de gendarmerie fluviale dont le texte que nous examinons prévoit de pérenniser l’existence a été perturbée par cette situation. L’accord qui nous est soumis est à durée indéterminée mais quelles sont les perspectives de long terme d’une brigade de gendarmerie fluviale sur un fleuve fortement affecté par le dérèglement climatique ? L’urgence écologique devrait constituer l’ardente priorité de la coopération entre États.

M. Kévin Pfeffer, rapporteur. Élu comme vous d’une circonscription frontalière de l’Allemagne, je suis sensible aux questions que vous soulevez. Toutefois, elles sont assez éloignées de l’accord qui nous occupe.

L’enseignement de l’allemand dans notre pays et celui du français en Allemagne, qui n’est pas non plus à son meilleur niveau, ainsi que la protection de l’environnement à nos frontières, doivent être abordés dans le cadre de l’Assemblée parlementaire franco-allemande (APFA), dont j’estime qu’elle est sous-employée.

M. Frédéric Petit (Dem). J’appelle l’attention sur le fait que l’accord qui nous est soumis est conclu non avec l’Allemagne mais avec le Land de Bade-Wurtemberg. Il est difficile, lorsque l’on est parlementaire et français, de concevoir une souveraineté de commandement non allemande mais bade-wurtembergeoise. Cela offre de nombreuses possibilités.

Je suis ravi du travail réalisé par le rapporteur et des interventions que je viens d’entendre. L’APFA et le Comité de coopération transfrontalière ont été créés par le traité d’Aix-la-Chapelle, dont j’ai cru comprendre qu’il ne faisait pas l’unanimité lors de sa signature. Il avait été accusé de tous les maux, certains allants jusqu’à prétendre que nous vendions l’Alsace- Moselle à l’Allemagne. Je me félicite que le travail réalisé dans ce cadre ait réussi à susciter l’unanimité. Les propos des orateurs qui m’ont précédé démontrent que chacun a désormais compris tout l’intérêt que présente la coopération franco-allemande.

J’aimerais savoir à quels domaines supplémentaires cette coopération pourrait être appliquée dans les mois à venir. Les Länder frontaliers de Bade-Wurtemberg et de Sarre gèrent respectivement les lycées franco-allemands de Fribourg et de Sarrebruck. Dans cette dernière, nous venons d’ouvrir, ce qui est une première, la crèche transfrontalière « Kita Salut », qui est gérée, côté français, par la caisse d’allocations familiales (CAF), ce qui laisse imaginer le degré d’imbrication atteint.

M. Kévin Pfeffer, rapporteur. Cette coopération ne date pas de la conclusion du traité d’Aix-la-Chapelle, en 2019. Par ailleurs, si certaines familles politiques se sont alors opposées à ce traité, ce n’est pas en raison d’une coopération à la frontière, que tout le monde ici, me semble-t-il, appelle de ses vœux : c’est parce qu’il emportait d’autres inconvénients.

Vous avez demandé à quels autres domaines on pourrait étendre ce modèle de coopération. D’autres unités de gendarmerie franco-allemandes ont été créées à titre expérimental, notamment pour la sécurisation de grands événements et la lutte contre l’immigration irrégulière, aux frontières. Nous pourrions renforcer encore la coopération dans ces domaines. Le moment de faire le bilan des expérimentations viendra : nous verrons alors s’il faut les formaliser, les pérenniser et éventuellement les étendre.

M. Alain David (SOC). La navigation sur le Rhin fait l’objet d’une longue tradition de coopération internationale entre les États riverains – l’Allemagne, la Belgique, la France et les Pays-Bas –, qui a permis, dès le 17 octobre 1868, la signature de l’acte de Mannheim, à l’origine de la première organisation internationale au monde, la Commission centrale pour la navigation du Rhin. Des accords complémentaires, entre la France et l’Allemagne, ont ensuite été signés. L’arrangement administratif de 2011 entre le commandant de la gendarmerie de la région d’Alsace et le ministre de l’intérieur du Land de Bade-Wurtemberg, visant à créer une compagnie fluviale commune sur le Rhin, constitue le prolongement naturel de tous les accords antérieurs. Ce projet de loi permettra de l’institutionnaliser et d’assurer sa sécurité juridique.

La compagnie fluviale, qui n’a pas de personnalité juridique propre, est constituée de deux contingents, l’un français et l’autre allemand, qui ne dépendent que de leurs chefs de détachement respectifs. Chaque partie peut exercer des prérogatives de puissance publique sur le territoire de l’autre partie, dans le plein respect du droit national et uniquement en présence de membres des forces de l’ordre de l’État dans lequel l’intervention a lieu. L’existence de locaux communs et l’exigence, pour tous les agents, d’une bonne connaissance de la langue du partenaire facilitent la coopération. De fait, les résultats de la compagnie fluviale franco‑allemande sont très encourageants.

Pour ces raisons, comme l’ont fait nos collègues du Sénat, les députés du groupe Socialistes et apparentés voteront ce texte.

Mme Stéphanie Kochert (HOR). Cet accord vise, avant tout, à pérenniser un dispositif existant, qui a fait ses preuves : il permet une coopération efficace sur le Rhin entre les forces de police. La compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande, qui est la première unité bilatérale à visée opérationnelle, a réussi à s’imposer, depuis 2012, comme une force essentielle pour la sécurisation du Rhin. Cette compagnie a constaté 1 124 infractions en 2023 et constitue une force d’appoint bienvenue pour des événements nécessitant une intervention des deux côtés du fleuve, par exemple au Parlement européen, à Strasbourg, mais aussi lors d’accidents nautiques ou de disparitions conduisant à l’intervention de plongeurs.

L’accord comporte quelques ajouts bienvenus, quoique marginaux par rapport à l’arrangement administratif signé en 2011, qui a instauré la compagnie fluviale à titre expérimental. Il s’agit d’un élargissement du périmètre géographique couvert, d’une description plus poussée des missions, de précisions relatives aux compétences des agents d’un État intervenant sur le territoire de l’autre État et d’une clarification du financement et des modalités de réparation des dommages causés aux tiers. Surtout, cet accord garantit un équilibre entre les effectifs des deux détachements, qui sont soumis à la réglementation de leur État d’origine et financés à parts égales, selon une répartition équitable des charges lors des missions communes.

Le texte préserve la souveraineté de la France et du Land de Bade-Wurtemberg en ce qui concerne la sécurité de leurs territoires respectifs, tout en renforçant la coopération dans une zone transfrontalière très dynamique. Je ne peux que me réjouir, en tant qu’élue du territoire concerné, que le Rhin, frontière naturelle qui a été le théâtre de tant de conflits, soit aujourd’hui la source d’une coopération étroite entre la France et l’Allemagne, coopération que l’on retrouve dans d’autres domaines, notamment les services d’incendie et de secours et la santé, qui fait l’objet de nombreuses conventions entre les hôpitaux frontaliers : c’est là l’Europe du quotidien.

Le groupe Horizons et apparentés votera, vous l’aurez compris, en faveur du projet de loi.

Mme Eléonore Caroit, présidente. Nous en venons à une question complémentaire d’un collègue, à titre individuel.

M. Bruno Fuchs (Dem). Merci pour ce rapport, qui fait état de la satisfaction totale de l’ensemble des acteurs qui pilotent la compagnie franco-allemande.

Brigitte Klinkert a eu l’humilité de ne pas le rappeler mais la création de la collectivité européenne d’Alsace (CEA) avait justement pour vocation d’ouvrir le territoire alsacien à des expérimentations permettant des coopérations en direction de l’Europe. Je rappelle aussi que la nouvelle vedette opère sous pavillon européen, et non plus franco‑allemand.

La réussite de cet accord ne pousse-t-elle pas à multiplier, à rebours de ce que prônent certains partis politiques, des collaborations intra-européennes ? Le texte qui nous est soumis engage le Gouvernement français et un Land allemand, ce qui est assez déséquilibré. Cela ne plaide-t-il pas en la faveur d’un renforcement des compétences départementales ou régionales, notamment celles de la CEA, pour permettre de signer des accords entre une collectivité française et une collectivité allemande, luxembourgeoise, espagnole ou italienne ?

M. Kévin Pfeffer, rapporteur. Je ne sais pas qui vous visiez – vos propos n’étaient pas très explicites – quand vous avez parlé de partis politiques qui s’opposeraient à des coopérations. Je pense qu’aucun de ceux représentés au Parlement ne s’oppose à un renforcement des coopérations, en tout cas aux frontières. Nous serons tous favorables aux coopérations là où elles sont les plus naturelles et se vivent au quotidien. J’en sais quelque chose, étant originaire d’une circonscription frontalière. Personne ne s’oppose, me semble-t-il, à ce que nous coopérions avec nos voisins les plus proches et les plus directs.

Les coopérations à nos frontières pourraient effectivement être renforcées dans d’autres domaines mais ce n’est pas tout à fait le sujet du jour.

Quant aux modalités, chacun son modèle : celui de la France n’est pas celui de l’Allemagne. En l’état actuel, notre Constitution, à laquelle nous sommes tous très attachés, ne nous permet pas de signer, comme vous le suggérez, ce type d’accords entre des régions ou des départements français et des Länder frontaliers. Pourtant, malgré les différences d’organisation, on arrive à s’entendre et à conclure des conventions qui, si j’ai bien compris, font l’unanimité au sein des familles politiques françaises.

*

Article unique (approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg relatif à la création d’une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin, signé à Strasbourg le 6 juillet 2022)

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

 


   annexe N° 1 :
TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

 

Article unique

 

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg relatif à la création d’une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande sur le Rhin, signé à Strasbourg le 6 juillet 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                     

N.B. : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 2141).


   ANNEXE N° 2 : Liste des personnes auditionnÉes par le rapporteur

 

    M. Paul Maurice, chef de la mission de l’Allemagne et de l’Europe alpine et adriatique à la direction de l’Union européenne du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, M. Corentin Santilli, rédacteur en charge des relations frontalières franco‑allemandes à la mission de l’Allemagne et de l’Europe alpine et adriatique, M. Jean-Charles Gontier, conseiller sécurité et accords sur la sécurité maritime à la sous-direction de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, et M. Pierre Dousset, conseiller juridique à la mission des accords et traités de la direction des affaires juridiques ;

    Lieutenant-colonel de gendarmerie Aymeric Pigot, chef de la mission juridique à la direction des affaires européennes et internationales du ministère de l’intérieur, et Mme Marine Corgié, adjointe au chef de la mission.

 

 

 


([1]) Convention pour la navigation du Rhin signée à Mannheim le 17 octobre 1868 et révisée le 20 novembre 1963.

([2]) Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les Gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen 19 juin 1990.

([3]) Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à la coopération dans leurs zones frontalières entre les autorités de police et les autorités douanières, signé à Mondorf-les-Bains le 9 octobre 1997.

([4]) Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif à la coopération dans l’exercice des missions de police de la navigation sur le secteur franco-allemand du Rhin, signé à Vittel le 10 novembre 2000.

([5]) Traité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République d’Autriche relatif à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale, fait à Prüm le 27 mai 2005.

([6]) Décision 2008/615/JAI du Conseil du 23 juin 2008 relative à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière.

([7]) Les postes du côté français sont pourvus sans aucune difficulté, l’unité étant jugée très attractive. Du côté allemand, l’unité est légèrement moins demandée, en raison de la longueur de la formation préalable prévue et de la crainte corrélative de certains policiers allemands de s’engager dans une spécialisation excessive : vingt‑six ETP sur vingt‑neuf sont ainsi actuellement honorés. Cette situation est toutefois décrite comme provisoire.

([8]) Cf. article 32 § 3 de la Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne du 23 mai 1949 : « Dans la mesure de leur compétence législative, les Länder peuvent, avec l’approbation du gouvernement fédéral, conclure des traités avec des États étrangers. »

([9]) La zone géographique de compétence de la compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande est plus précisément définie dans un tableau et une carte annexés à l’accord.

([10]) C’est‑à‑dire la police du Land du Bade-Wurtemberg pour la partie allemande et la gendarmerie nationale pour la partie française.

([11]) Les agents de chaque partie ont, eux seuls, accès aux fichiers de police et aux systèmes d’information européens auxquels ils sont habilités en vertu du droit interne de leur État. L’accès des agents d’une partie aux traitements automatisés de données à caractère personnel de l’autre partie est prohibé.

([12]) Ainsi que 258 contraventions de 3ème catégorie, 405 contraventions de 2ème catégorie et 63 contraventions de 1ère catégorie.

([13]) Une diminution de 14 % du volume des échanges commerciaux a été constatée cette année‑là, en raison de la forte période d’étiage de l’été.