N° 2343

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 mars 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,

visant à prévenir les ingérences étrangères en France, (n° 2150)

PAR M. Sacha HOULIÉ,

Député

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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION.................................................... 5

I. la proposition de loi

A. un texte qui prolonge les travaux de la dÉlÉgation parlementaire au renseignement

B. les dispositions de la proposition de loi

II. les modifications apportÉeS par la commission

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er (art. 18-11 à 18-17 [nouveaux] et 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique) Création d’un répertoire numérique des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger

Article 2 (art. L. 111-3 [nouveau] du code de la sécurité intérieure) Rapport sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale  en raison d’ingérences étrangères

Article 3 (art. L. 851-3 du code de la sécurité intérieure) Extension de la technique dite de l’algorithme aux cas d’ingérence étrangère

Article 4 (art. L. 562-1 et L. 562-2 du code monétaire et financier) Possibilité de procéder au gel des fonds et des ressources économiques  des personnes se livrant à des actes d’ingérence

Compte rendu des débats

Personnes entendues

 

 


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Mesdames, Messieurs,

 

Dans son dernier rapport, la délégation parlementaire au renseignement a décrit les ingérences comme une menace « protéiforme, omniprésente et durable ».

Protéiforme, d’abord, parce que les opérations d’ingérence ne se limitent plus, de nos jours, aux techniques traditionnelles visant à manœuvrer pour approcher les élites politiques et administratives d’un pays, ou à procéder à de l’espionnage économique. Qu’il s’agisse de cyberattaques ou de campagnes de manipulation de l’information à grande échelle, les ingérences modernes se sont largement diversifiées.

Omniprésente, ensuite, parce que les attaques menées contre notre pays et nos alliés sont quotidiennes, et concernent tous les pans de notre société, qu’elles tentent de fragmenter et de déstabiliser. Les ingérences ne sont plus le fait des seuls services de renseignement, et font désormais intervenir une multiplicité d’acteurs. Les partis politiques, les universités, les entreprises technologiques, ou les médias sont autant de cibles de choix pour les puissances étrangères malveillantes.

Durable, enfin, parce que la menace liée aux ingérences étrangères a pris ces dernières années une dimension nouvelle. L’évolution du contexte géopolitique, caractérisé par l’essor et l’affirmation de puissances autoritaires menant des stratégies de rivalité voire de confrontation avec les démocraties occidentales, leur est particulièrement propice.

Chaque jour, la presse se fait l’écho de nouveaux assauts. L’année 2024, au cours de laquelle seront organisés plusieurs scrutins essentiels au sein des grandes démocraties occidentales, et qui verra la France accueillir les Jeux olympiques et paralympiques, constitue une année à hauts risques.

Face à ces constats, et devant la nécessité d’agir, la délégation parlementaire au renseignement a formulé 18 recommandations. Le présent texte, qui fait suite à ces travaux, vise à faire aboutir celles qui sont de nature législative.

Il est structuré autour de trois axes forts : le renforcement de la transparence en matière d’influence étrangère, l’amélioration de l’information du public comme de la représentation nationale, et l’élargissement des outils à la disposition de nos services de renseignement.

Il constitue un texte attendu et nécessaire, car derrière la prévention des ingérences, c’est la défense de nos valeurs, de nos institutions démocratiques et de notre économie qui sont en jeu.

 

 

 

 


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I.   la proposition de loi

A.   un texte qui prolonge les travaux de la dÉlÉgation parlementaire au renseignement

Instituée par la loi du 9 octobre 2007 portant création d’une délégation parlementaire au renseignement ([1]), la délégation parlementaire au renseignement (DPR) est commune au Sénat et à l’Assemblée nationale.

La délégation comprend huit parlementaires, quatre sénateurs et quatre députés. Elle a pour mission d’exercer le contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement, d’évaluer la politique publique en ce domaine, et d’assurer un suivi des enjeux d’actualité et des défis à venir qui s’y rapportent. Ses travaux sont couverts par le secret de la défense nationale.

La DPR exerce les attributions de la commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS), chargée de s’assurer, chaque année, que les fonds spéciaux votés en loi de finances sont utilisés conformément à leur destination.

Elle publie, chaque année, un rapport relatif à son activité, qui ne peut faire état d’aucune information, ni d’aucun élément d’appréciation protégés par le secret de la défense nationale. Elle présente ses recommandations au président de chaque assemblée, et peut les adresser au Président de la République et au Premier ministre.

La DPR a choisi de consacrer son dernier rapport annuel au sujet des ingérences étrangères, qui constituent des leviers de déstabilisation sans précédent de nos sociétés démocratiques ([2]).

Elle s’est intéressée au rôle des services de renseignement français et aux moyens dont ils disposent pour détecter, surveiller et entraver ces ingérences étrangères.

Au-delà d’une analyse de la menace, la DPR s’est attachée à présenter et à évaluer l’écosystème du renseignement construit pour protéger notre pays des ingérences étrangères, dans le respect des principes et des règles d’un État de droit.

Dans le cadre de ce rapport, elle a formulé 22 propositions, dont 18 au titre de la lutte contre les ingérences étrangères.

B.   les dispositions de la proposition de loi

La proposition de loi comporte quatre articles, qui traduisent sous forme législative les recommandations n° 7, 13, 14 et 15 du rapport précité.

L’article 1er renforce la transparence des activités d’influence conduites sur notre territoire et pour le compte d’un mandant étranger.

Il prévoit la création d’un répertoire numérique des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger, dont la gestion serait confiée à la Haute Autorité pour la transparence pour la vie publique (HATVP).

En effet, si l’influence, qui ne présente pas nécessairement d’intention malveillante ou de caractère secret, ne doit pas être confondue avec l’ingérence, elle en constitue parfois le préalable, et les responsables publics comme les citoyens sont en droit de connaître le commanditaire de telles activités.

L’article 2 vise à améliorer l’information de la représentation nationale et de l’opinion publique. Il prévoit la remise d’un rapport annuel au Parlement sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale, et notamment des menaces résultant d’ingérences étrangères, qui pourra faire l’objet d’un débat au Parlement.

Les articles 3 et 4 proposent de développer les outils dont disposent les services de renseignement pour identifier et prévenir les ingérences étrangères.

L’article 3 autorise les services de renseignements à faire fonctionner des traitements automatisés de données, afin de détecter des connexions susceptibles de révéler toute forme d’ingérence ou de tentative d’ingérence étrangère, à titre expérimental et jusqu’au 31 décembre 2026.

L’article prévoit également la remise au Parlement d’un rapport d’application, six mois avant la fin de l’expérimentation, afin de permettre au Parlement de statuer sur son éventuelle pérennisation.

L’article 4 ouvre au ministre chargé de l’économie et au ministre de l’intérieur la possibilité de décider, conjointement, le gel des fonds et ressources économiques des personnes physiques ou morales, ou de toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes d’ingérence, y incitent ou y participent.

Il définit pour cela l’acte d’ingérence comme l’intervention délibérée d’une personne physique ou morale étrangère visant à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, à la sécurité économique, aux systèmes d’information, à la sincérité des processus électoraux et à diffuser intentionnellement de fausses informations de nature à perturber le fonctionnement régulier des institutions ou le débat démocratique.

II.   les modifications apportÉeS par la commission

La Commission a adopté 6 amendements, dont 5 amendements de votre rapporteur et un amendement de Mme Anna Pic et du groupe Socialistes et apparentés.

À l’article 1er, sur proposition de votre rapporteur, la Commission a adopté un amendement de rédaction globale, qui précise la notion de mandant étranger, la nature de la relation entre le mandant et le mandataire, ainsi que les activités concernées.

L’amendement adopté prévoit par ailleurs des exclusions au dispositif, dresse la liste des informations devant être transmises par le représentant d’intérêts, clarifie l’articulation entre le répertoire ainsi institué et le dispositif applicable aux représentants d’intérêts issu de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », renforce les peines applicables, en les portant à trois ans et 45 000 euros d’amende, et procède à divers compléments techniques.

À l’article 2, sur proposition de votre rapporteur, la Commission a modifié la fréquence de remise du rapport, afin qu’il soit présenté au Parlement tous les deux ans.

À l’article 3, la Commission a adopté deux modifications au dispositif :

– sur proposition de votre rapporteur, elle a prolongé la durée de l’expérimentation, afin que celle-ci puisse être conduite pendant quatre ans à compter de la promulgation de la loi, et a modifié par cohérence la date de remise du rapport d’application ;

– sur proposition de Mme Anna Pic, et suite à un avis de sagesse de votre rapporteur, elle a précisé le champ du rapport, afin qu’il précise les éventuelles conséquences sur les traitements algorithmiques déjà mis en œuvre.

À l’article 4, et sur proposition de votre rapporteur, la Commission a précisé la définition de l’acte d’ingérence, considérant qu’il devait renvoyer à l’intervention, non pas d’une « personne physique ou morale étrangère », mais d’une « personne physique ou morale agissant au nom ou pour le compte d’une puissance étrangère ». Elle a par ailleurs adopté un amendement rédactionnel.

 


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   COMMENTAIRE DES ARTICLES

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 1er prévoit la création d’un répertoire numérique des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger, dont la gestion serait confiée à la Haute Autorité pour la transparence pour la vie publique.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite « 3DS », a prévu l’extension du dispositif des représentants d’intérêts créé par la loi « Sapin 2 » aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre de plus de 100 000 habitants.

       Principaux apports de la Commission

Sur proposition de votre rapporteur, la Commission a adopté un amendement de rédaction globale, qui précise notamment la notion de mandant étranger, la nature de la relation entre le mandant et le mandataire, ainsi que les activités concernées. Par ailleurs, l’amendement adopté prévoit des exclusions au dispositif, dresse la liste des informations devant être transmises par le représentant d’intérêts, clarifie l’articulation entre le répertoire ainsi institué et le dispositif applicable aux représentants d’intérêts issu de la loi « Sapin 2 », renforce les peines applicables, en les portant à trois ans et 45 000 euros d’amende, et procède à divers compléments techniques.

  1.   L’état du droit
    1.   Le répertoire numérique des représentants d’intérêts, issu de la loi « Sapin 2 »

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », a créé un répertoire numérique des représentants d’intérêts, dans l’objectif d’assurer une meilleure transparence des activités de lobbying, et de prévenir les risques de conflits d’intérêts et de corruption.

Elle a pour cela créé une nouvelle sous-section au sein de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ([3]), et a renvoyé à un décret le soin de préciser les dispositions concernées. Ces dispositions ont été complétées par le décret du 9 mai 2017 ([4]).

Ce dispositif, mis en œuvre par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), instaure des obligations déclaratives et déontologiques communes à l’ensemble des représentants d’intérêts.

Les représentants d’intérêts sont définis comme les personnes morales de droit privé, les établissements publics ou groupements publics exerçant une activité industrielle et commerciale, les chambres de commerce et d’industrie, les chambres de l’artisanat et les chambres d’agriculture, dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire, en entrant en communication avec un responsable public ([5]).

Les responsables publics concernés appartiennent au personnel politique national et local ainsi qu’à la haute fonction publique de l’État et des collectivités territoriales ([6]).

Le dispositif fait peser sur les représentants d’intérêts (et non sur les responsables publics) des obligations déclaratives importantes : ceux-ci doivent communiquer à la HATVP un certain nombre d’éléments relatifs à leurs contacts avec ces responsables publics, tels que l’identité de la personne physique réalisant l’entrée en communication, le champ des activités de représentation d’intérêts, les actions menées et les dépenses associées, le nombre de personnes employées pour l’activité de représentation d’intérêts, ou encore le chiffre d’affaires du représentant d’intérêts au titre de l’année précédente.

Lorsque l’action de représentation d’intérêts est exercée pour compte de tiers, l’identité de ces tiers doit également être déclarée.

Le dispositif prévoit par ailleurs une série d’obligations déontologiques, et précise que les représentants d’intérêts agissent avec probité et intégrité.

Ces obligations peuvent faire l’objet de contrôles, et sont pénalement sanctionnées : le refus de communiquer des informations à la HATVP ou de se soumettre aux obligations prévues par la loi est passible d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende (articles 18-9 et 18-10 de la loi du 11 octobre 2013 précitée).

En application du droit existant, le répertoire actuel des représentants d’intérêts permet d’appréhender certaines actions d’influence réalisées pour le compte d’acteurs étrangers : la circulaire du Premier ministre du 21 octobre 2021 relève ainsi que « lorsqu’elle vise à peser sur la décision publique, qu’elle est conduite formellement par une personne morale de droit privé ou une personne physique agissant à titre individuel, et qu’elle s’exerce auprès des cibles désignées par la loi, une action d’influence étrangère est susceptible d’entrer dans le champ de ces dispositions » ([7]) .

Dans le même esprit, les dernières lignes directrices de la HATVP, en vigueur depuis le 1er octobre 2023, soulignent que :

– d’une part, une personne morale, même étrangère, peut être qualifiée de représentant d’intérêts dès lors qu’elle remplit les conditions prévues par la loi ;

– d’autre part, toute personne morale différente de celle qui mène l’action de représentation d’intérêts et pour le compte de laquelle celle-ci est menée doit être déclarée comme un tiers : il peut donc s’agir d’autorités publiques étrangères, qui auraient confié à une autre personne le soin de mener une action de représentation d’intérêts auprès des responsables publics nationaux visés par la loi. Dans ces situations, les clients étrangers et les actions menées pour leur compte doivent être déclarées à la HATVP.

Actuellement, deux cabinets de conseil inscrits sur le répertoire des représentants d’intérêts ont déclaré des puissances étrangères comme clients ([8]). Il est possible que d’autres cabinets fassent de même d’ici la fin de la période déclarative en cours, qui s’achèvera le 31 mars 2024.

Enfin, et comme l’ont rappelé plusieurs travaux parlementaires, le répertoire numérique des représentants d’intérêts constitue une avancée indéniable pour la transparence démocratique, mais son champ d’application reste très incomplet ([9]). Les précisions apportées par le décret du 9 mai 2017 concernant la définition retenue pour la notion d’activité régulière (qui exige d’entrer en communication avec des responsables publics au moins dix fois par an pour permettre la qualification de représentant d’intérêts) et le critère dit de l’initiative (qui implique que seules les prises de contact réalisées à l’initiative du représentant d’intérêts doivent être prises en compte, tant pour déterminer s’il doit être inscrit ou non sur le répertoire, que pour identifier les actions devant être déclarées) limitent fortement la portée du dispositif.

  1.   Les expériences étrangères

Certains pays étrangers, et notamment les États-Unis, ont mis en place des dispositifs assurant la transparence des actions d’influence menées sur leur territoire au nom de puissances étrangères.

  1.   Le Foreign Agents Registration Act américain

Aux États-Unis, le Foreign Agents Registration Act (loi sur l’enregistrement des agents étrangers, ou FARA), prévoit un régime déclaratif applicable aux agents qui travaillent pour le compte d’un mandant étranger, en les obligeant à s’inscrire sur un registre spécifique.

Adopté en 1938, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le FARA visait initialement à répondre aux préoccupations liées à la propagande politique étrangère. Plutôt que de tenter d’interdire totalement de telles actions, ce qui serait entré en contradiction avec le premier amendement de la Constitution américaine qui protège la liberté d’expression et la liberté de la presse, la loi FARA organisait la transparence, afin que les pouvoirs publics et les citoyens puissent connaître la source des informations émanant d’agents de l’étranger qui ont pour but d’influencer l’opinion publique, le personnel politique ou les processus décisionnels américains.

La loi fut modifiée à plusieurs reprises, et fut réorientée dans les années 1960 pour mettre davantage l’accent sur l’encadrement du lobbying ciblant le gouvernement américain, y compris sur les questions économiques.

La loi appréhende largement les actions d’influence. Elle ne se limite donc pas aux actions d’ingérence, malveillantes, et s’applique de la même manière à l’ensemble des agents de l’étranger, quelle que soit la nationalité du mandant.

Aux termes du dispositif actuel, les personnes définies comme agents d'un mandant étranger (« agent of a foreign principal ») doivent s'enregistrer auprès du gouvernement fédéral américain et transmettre un certain nombre d’informations relatives à leur mandat et aux actions conduites.

Le dispositif FARA : définitions

Aux termes du FARA, sont considérés comme des mandants étrangers (« foreign principal ») :

– les gouvernements des pays étrangers ;

– les partis politiques étrangers ;

– les personnes morales (sociétés, associations, ou toute autre combinaison de personnes) organisées en vertu des lois d'un pays étranger ou ayant leur principal lieu d'activité dans un pays étranger ;

– les personnes résidant en dehors des États-Unis.

La définition des agents d’un mandant étranger (« agent of a foreign principal ») comporte trois composantes, relatives à la relation entre l’agent et le mandant, à la nature du mandant, et aux activités que l'agent effectue dans le cadre de cette relation.

Premièrement, s’agissant de la nature de la relation, l’agent doit agir sur l'ordre, la demande, ou sous la direction ou le contrôle du mandant.

Deuxièmement, l’agent doit agir à la demande, soit d’un mandant étranger, soit d’une personne dont les activités sont directement ou indirectement supervisées, dirigées, contrôlées, financées ou subventionnées en totalité ou en grande partie par un mandant étranger.

Troisièmement, un agent doit réaliser l’une des activités suivantes :

– s'engager dans des « activités politiques » dans l'intérêt d'un mandant étranger, c’est-à-dire réaliser des actions de lobbying en direction du personnel américain ou du public ;

– agir en tant qu'agent de publicité ou de consultant politique dans l'intérêt du mandant étranger ;

– solliciter, collecter ou distribuer de l'argent ou d'autres biens de valeur dans l'intérêt d'un mandant étranger ;

– ou représenter les intérêts d'un mandant étranger devant toute agence ou tout fonctionnaire du Gouvernement américain.

Enfin, certaines catégories de personnes sont exclues de la définition des agents d’un mandant étranger. Il s’agit :

– du personnel diplomatique ;

– des fonctionnaires étrangers, lorsqu’ils ne sont ni des conseillers en relations publiques, ni des agents de publicité, ni des employés de services d'information ;

– des personnes conduisant des activités commerciales réelles ou d’autres activités ne servant pas principalement un intérêt étranger ;

– des associations réalisant des collectes de fonds humanitaires ;

– des personnes poursuivant des activités religieuses, scolaires, académiques, artistiques ou scientifiques ;

– certaines activités liées à la défense des gouvernements étrangers vitales pour la défense des États-Unis ;

– des personnes assurant la représentation légale d'un mandant étranger divulgué devant un tribunal ou une agence du Gouvernement des États-Unis ;

– des personnes régulièrement enregistrées en vertu du Lobbying Disclosure Act (loi sur le lobbying, ou LDA) ;

– des services de presse ou d'informations engagés dans des activités journalistiques ou d'actualités réelles, qui sont organisés en vertu des lois américaines, détenus à au moins 80 % et dirigés par des personnes de nationalité américaine, et qui ne sont pas détenus, dirigés ou financés par un agent ou un mandant étrangers.

Source : « Foreign Agents Registration Act (FARA) : A Legal Overview », Congressional Research Service, mis à jour le 9 mars 2023.

Les agents d’un mandant étranger qui répondent aux critères posés par le FARA doivent remplir un formulaire d’inscription dans les dix jours suivant l’accord conclu avec le mandant étranger et préalablement à toute activité pour le compte de ce dernier. La déclaration d'enregistrement doit notamment inclure le nom et l’adresse de chaque mandant étranger pour lequel l'agent agit, une déclaration détaillée des activités à effectuer par l'agent au nom du mandant étranger, ainsi que la nature et le montant de la rémunération de l’agent.

Ils doivent par ailleurs déposer des rapports sur leurs activités tous les six mois, et soumettre une copie de tout document d’information diffusé auprès de deux personnes ou plus dans l'intérêt d'un mandant étranger dans les 48 heures suivant leur transmission. Ces documents doivent inclure une déclaration explicite indiquant que les documents sont distribués par un agent au nom d'un mandant étranger.

Les agents doivent enfin conserver tous les documents écrits concernant leurs activités pour inspection par les autorités américaines chargées de l'application de la loi.

Le non-respect des règles applicables au FARA peut donner lieu à des sanctions civiles et pénales. En cas de violation délibérée du FARA, des sanctions pénales allant jusqu’à cinq ans de prison et 250 000 dollars d’amende sont encourues. Pour certaines violations mineures, les peines d’emprisonnement sont réduites à six mois et 5 000 dollars d’amende. Les violations non-intentionnelles donnent lieu à des procédures civiles : le procureur général peut notamment demander une injonction exigeant l'enregistrement au registre ou la correction d’une déclaration erronée ou incomplète.

Lors de son audition par votre rapporteur, M. Evan Turgeon, chef du pôle FARA auprès de la National Security Division du Department of Justice, a indiqué à votre Rapporteur que 505 agents, employant 2 390 personnes physiques, et représentant 747 mandants étrangers, étaient inscrits sur le registre.

  1.   Les autres expériences étrangères

Plus récemment, d’autres pays ont adopté ou envisagent d’adopter des dispositifs visant à renforcer la transparence sur les actions d’influence étrangères.

En Australie, la loi sur le régime de transparence des influences étrangères (Foreign Influence Transparency Scheme Act, ou FITS) de 2018 oblige les personnes qui se livrent à certaines activités au nom de puissances étrangères ou de partis politiques étrangers à s’enregistrer auprès d’un registre géré par le ministère de la justice. Les activités concernées concernent le lobbying politique, les actions de communication, et le versement de financements dans l’intérêt du mandant étranger.

Au Royaume-Uni, la loi sur la sécurité nationale (National Security Act) de 2023 a prévu la création d’un registre relatif aux influences étrangères (Foreign Influence Registration Scheme, ou FIRS), qui est en cours de mise en œuvre.

Au Canada, le Gouvernement fédéral a conduit une consultation publique en 2023 sur la création d’un registre de l’influence étrangère, qui s’ajouterait au répertoire relatif au lobbying général qui est d’ores et déjà mis en œuvre ([10]).

  1.   Au sein de l’Union européenne

Au niveau des institutions européennes, le champ d’application du registre de transparence de l’Union européenne a été précisé en 2021. Il est désormais prévu que les lobbyistes doivent préciser si leurs activités sont exercées au nom d’un État tiers.

Enfin, dans le cadre du paquet législatif « Défense de la démocratie européenne », la Commission européenne a proposé le 12 décembre 2023 une proposition de directive relative à la transparence de la représentation d’intérêts exercée pour le compte de pays tiers ([11]). Au moment de l’examen de la présente proposition de loi, le texte était en cours d’examen au Conseil de l’Union européenne.

  1.   Les constats de la délégation parlementaire au renseignement

Dans son rapport de juin 2023, la délégation parlementaire au renseignement relevait que si la France dispose, depuis la loi « Sapin 2 », d’un dispositif de transparence des représentants d’intérêts, ce régime apparaît néanmoins insuffisant, dès lors qu’il a été conçu pour viser principalement les activités de lobbying économique : il se révèle de ce fait insuffisamment adapté aux spécificités de l’action d’influence étrangère.

À cet effet, et sur le modèle du répertoire déjà en vigueur, la délégation parlementaire au renseignement proposait de rendre obligatoire l’enregistrement des acteurs influant sur la vie publique française pour le compte d’une puissance étrangère et de les soumettre à une série d’obligations déontologiques.

La finalité d’un tel enregistrement serait double : limiter les tentatives d’influence, voire d’ingérence étrangère sur l’action publique française, d’une part, ; renforcer l’information des responsables publics et des élus sur la nature de leurs interlocuteurs étrangers, d’autre part.

La délégation plaidait pour l’adoption d’un dispositif de transparence ad hoc, spécifique aux influences étrangères, ce qui présenterait trois avantages :

– premièrement, un nouveau répertoire conduirait à distinguer clairement la problématique du lobbying économique et celle de l’influence étrangère ;

– deuxièmement, cela permettrait d’attraire dans le champ du nouveau registre un nombre plus important d’agents d’influence que ceux qui relèvent du répertoire déjà en vigueur ;

– troisièmement, cette initiative enverrait un signal politique fort dans un contexte géopolitique marqué par la résurgence des ingérences étrangères.

  1.   Le dispositif proposé

L’article 1er de la proposition de loi prévoit la création d’un répertoire numérique des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger, dont la gestion serait confiée à la Haute Autorité pour la transparence pour la vie publique.

Ce répertoire a pour objectif de faire la lumière sur les opérations d’influence menées sur notre territoire pour le compte d’une entité étrangère.

Il insère pour cela une nouvelle section III ter, intitulée « répertoire numérique des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger », au sein du chapitre Ier de la loi du 11 octobre 2013 précitée, et composée de sept articles nouveaux (18-10-1 à 18-10-7).

Le nouvel article 18-10-1 prévoit qu’un répertoire numérique recense les représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger.

Serait qualifié de représentant d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger toute personne physique ou morale qui exerce une activité obéissant à une double condition :

– il faudrait, premièrement, que cette activité soit exercée pour le compte d’une entité étrangère et aux fins de promouvoir ses intérêts ;

– il faudrait, deuxièmement, que cette activité vise à influencer la décision publique, la conduite des politiques publiques ou les résultats de tout scrutin prévu par le code électoral.

Le champ des activités devant être déclarées est ainsi significativement plus large que celui retenu dans le dispositif actuel issu de la loi « Sapin 2 ».

D’une part, il n’exige pas que l’activité de représentation d’intérêts soit l’activité principale ou régulière, et ne retient pas non plus le critère de l’initiative.

D’autre part, le champ des actions concernées va au-delà de l’influence sur la décision publique, et s’étend à l’influence sur la conduite des politiques publiques ainsi que sur les résultats de tout scrutin prévu par le code électoral.

Le nouvel article 18‑10‑2 prévoit que ce répertoire numérique serait rendu public par la HATVP.

Le nouvel article 18‑10‑3 précise que les obligations déclaratives et déontologiques des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger sont les mêmes que celles applicables aux représentants d’intérêts de la loi « Sapin 2 ».

Le nouvel article 18‑10‑4 confie à la HATVP la mission de s’assurer du respect des obligations déclaratives et déontologiques. Afin de contrôler leur respect, elle pourrait faire usage des pouvoirs de contrôle actuellement prévus à l’égard des représentants d’intérêts de la loi « Sapin 2 » (droit de communication, et droit de vérification sur place dans les locaux professionnels sur autorisation du juge des libertés et de la détention).

Le nouvel article 18‑10‑5 punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait, pour un représentant d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger, de ne pas remplir ses obligations déclaratives, de sa propre initiative ou à la demande de la HATVP.

Le nouvel article 18‑10-6 articule le nouveau répertoire avec le dispositif existant : il dispense les représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger de communiquer de nouveau les informations exigées au titre du dispositif issu de la loi « Sapin 2 ».

Le nouvel article 18‑10-6 renvoie à un décret en Conseil d’État, pris après avis de la HATVP, le soin de définir les modalités de mise en œuvre ces dispositions.

Enfin, le texte modifie l’article 20 de la loi du 11 octobre 2013, relatif aux missions de la HATVP, pour prévoir que la Haute Autorité définit des recommandations portant sur les relations avec les représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger.

  1.   Les modifications apportées par la Commission

Sur proposition de votre rapporteur, la Commission a adopté un amendement de rédaction globale qui prévoit d’importants ajustements au dispositif, tout en en conservant l’esprit ([12]).

  1.   La définition du représentant d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger

L’amendement précise tout d’abord les critères déclenchant l’obligation d’inscription au répertoire. Il définit pour cela la notion de mandant étranger, la nature de la relation entre le mandant et le mandataire, ainsi que les activités concernées.

Le nouvel article 18-12-1 de la loi du 11 octobre 2013 prévoit que doit être qualifié de représentant d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger toute personne physique ou morale qui répond aux trois critères cumulatifs suivants :

– premièrement, la personne doit agir sur l’ordre, la demande, ou sous la direction ou le contrôle d’un mandant étranger ;

– deuxièmement, la personne doit agir aux fins de promouvoir les intérêts de ce mandant ;

– troisièmement, la personne doit se livrer à une ou plusieurs activités appartenant à l’une des trois catégories suivantes : les activités d’influence (ou de lobbying), les activités de communication, et les activités de collecte de fonds.

Le mandant étranger est défini comme appartenant à l’une des trois catégories suivantes :

– les puissances étrangères ;

– les personnes morales qui sont directement ou indirectement dirigées ou contrôlées par ces puissances étrangères, ou dont ces dernières financent plus de la moitié des ressources ;

– les organisations politiques étrangères.

Il s’agit, par cette définition, d’appréhender, non seulement les États et gouvernements étrangers, mais également leurs démembrements ou leurs émanations.

Ainsi, en l’état de la rédaction, toute personne, quelle que soit sa nationalité, qui promeut les intérêts d’une puissance étrangère auprès des pouvoirs publics français ou du grand public, serait soumise aux obligations déclaratives et déontologiques.

Si le périmètre des activités s’éloigne, en apparence, de celui qui avait été retenu dans la rédaction initiale de la proposition de loi et qui mentionnait « une activité visant à influencer la décision publique, la conduite des politiques publiques ou les résultats de tout scrutin prévu par le code électoral », la nouvelle rédaction poursuit en réalité le même objectif : assurer la transparence des activités d’influence menées pour le compte des puissances étrangères sur notre territoire, qu’elles visent les responsables politiques, les hauts fonctionnaires, ou le grand public.

Le dispositif recoupe partiellement le répertoire des représentants d’intérêts créé par la loi « Sapin 2 », mais va en réalité bien plus loin pour deux raisons :

– d’une part, s’agissant des actions visant à influencer la décision publique (les actions de lobbying), les critères prévus pour apprécier les actions devant être déclarées sont plus larges : à l’inverse du dispositif prévu par la loi « Sapin 2 », celui créé par la proposition de loi n’exige plus que l’activité du représentant d’intérêts soit « principale ou régulière », et supprime par ailleurs le critère dit de « l’initiative » ([13]). Dès lors, toutes les actions d’influence menées pour le compte d’un mandant étranger devraient être déclarées dans le nouveau registre, pour peu qu’elles répondent aux trois critères énoncés plus haut ;

– d’autre part, le champ des activités concerné par ce nouveau répertoire s’étend au-delà du lobbying : il couvre les activités de communication et de collecte ou de distribution de fonds réalisées pour le compte d’une puissance étrangère et aux fins de promouvoir ses intérêts.

  1.   Les personnes exclues de cette définition

Des exclusions au dispositif sont par ailleurs prévues. À ce stade, et sans s’interdire d’en préciser le périmètre en séance publique, votre rapporteur considère que les personnes suivantes ne doivent pas pouvoir être qualifiés de représentant d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger, et ne doivent donc pas se voir imposer les obligations déclaratives et déontologiques prévues par le texte :

– les membres du personnel diplomatique et consulaire en poste en France, ainsi que les fonctionnaires des États étrangers et les personnes assimilées ;

– les avocats, lorsqu’ils réalisent des prestations d’assistance ou de représentation des parties devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires ;

– les associations à objet cultuel, qui font l’objet de contrôles renforcés depuis la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite « Séparatisme » ([14]), et qui sont d’ordinaires contrôlées par le préfet, et non par la HATVP ([15]) ;

– les entreprises éditrices d’un service de presse, qui font déjà l’objet d’un encadrement en application de loi n° 86‑897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse ([16]).

  1.   Les obligations déclaratives et déontologiques

Le nouvel article 18-13 de la loi du 11 octobre 2013 précise la portée des obligations déclaratives, et donne le détail des informations qui devront être transmises par le représentant d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger.

Celui-ci devra notamment transmettre à la HATVP le nom et l’adresse de chacun des mandants étrangers pour le compte desquels il agit, le contenu de l’accord avec le mandant étranger, le nombre de personnes employées ainsi que le chiffre d’affaires de l’année précédente, et il devra présenter les actions réalisées.

Ces informations seraient transmises chaque semestre, sauf les informations financières qui seraient transmises annuellement.

Elles seraient rendues publiques.

Le nouvel article 18-13-2 de la même loi prévoit que, s’agissant des activités d’influence menées par les représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger, les obligations déontologiques actuellement prévues pour les représentants d’intérêts dans le dispositif « Sapin 2 » sont applicables.

Le nouvel article 18-13-1 de cette loi précise qu’en application du principe d’autonomie des assemblées parlementaires, les règles applicables aux représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger au sein de chaque assemblée sont déterminées et mises en œuvre dans les conditions prévues par l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

  1.   Les sanctions applicables

Le nouvel article 18-15 porte à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende les sanctions applicables en cas de non-respect de leurs obligations par les représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger, là où la rédaction initiale de la proposition de loi prévoyait des peines de deux ans de prison et de 30 000 euros d’amende ([17]).

Le renforcement des sanctions voté par la Commission doit permettre de procéder à l’expulsion d’une personne étrangère qui refuserait de s’inscrire au répertoire, en application de l’article L. 631-2 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile tel que modifié par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.

  1.   Les pouvoirs de la HATVP

S’agissant du contrôle du respect des obligations prévues par le texte, le nouvel article 18-14 de la loi du 11 octobre 2013 prévoit que les pouvoirs de la HATVP sont alignés sur ceux déjà applicables aux représentants d’intérêts.

  1.   L’articulation avec le dispositif applicable aux représentants d’intérêts prévu par la loi « Sapin 2 »

Le nouvel article 18-16 de la loi du 11 octobre 2013 clarifie l’articulation entre le répertoire ainsi institué et le dispositif applicable aux représentants d’intérêts issu de la loi « Sapin 2 » : si une personne remplissait simultanément les critères prévus par ce nouveau dispositif ainsi que par le dispositif « Sapin 2 » existant, c’est ce nouveau dispositif qui primerait, et seules les sanctions prévues par la présente proposition de loi seraient applicables.

Une personne pourrait être inscrite simultanément sur les deux répertoires (dans le cas, par exemple, d’un représentant d’intérêts agissant pour le compte de tiers qui travaillerait à la fois pour des mandants étrangers ainsi que pour d’autres clients).

Toutefois, dans l’hypothèse où une activité répondrait simultanément aux critères prévus par les deux répertoires, cette activité devrait obligatoirement être déclarée dans le répertoire des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger : les obligations prévues par le dispositif « Sapin 2 » seraient alors réputées remplies.

Si le représentant d’intérêts le souhaite, il pourrait également déclarer ces activités dans le répertoire « Sapin 2 », mais dans un tel cas de figure, les obligations ne seraient pas pour autant réputées remplies au titre du dispositif applicable aux représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger.

 

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Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 2 prévoit la remise d’un rapport annuel au Parlement sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale, et notamment des menaces résultant d’ingérences étrangères. Ce rapport pourra faire l’objet d’un débat au Parlement.

       Principaux apports de la Commission

Sur proposition de votre rapporteur, la Commission a modifié la fréquence de remise du rapport, afin qu’il soit présenté au Parlement tous les deux ans.

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Dans son rapport de juin 2023, la délégation parlementaire au renseignement relevait que les démocraties étaient, par leur nature même, vulnérables face aux moyens utilisés par les régimes autoritaires, dont les méthodes relèvent d’un autre registre.

La délégation rappelait les termes de la résolution adoptée le 9 mars 2022 par le Parlement européen, qui se déclarait « préoccupé du manque criant de sensibilisation, y compris parmi le grand public et les représentants des pouvoirs publics, à la gravité des menaces actuelles que présentent les régimes autoritaires étrangers et d’autres acteurs malveillants et qui visent tous les niveaux et secteurs de la société européenne dans le but de nuire aux droits fondamentaux et à la légitimité des autorités publiques, d’exacerber la fragmentation politique et sociale et, dans certains cas, même de mettre en danger la vie des citoyens de l’Union » ([18]).

Du fait de l’évolution permanente des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale, de leur intensification et de la nécessité de sensibiliser l’ensemble des acteurs publics et privés pour s’en prémunir, et afin que ces sujets n’échappent pas au débat public, la délégation parlementaire au renseignement recommandait qu’un rapport public au Parlement soit établi chaque année par le Gouvernement sur l’état des menaces pesant sur la sécurité nationale. Elle proposait que ce rapport fasse l’objet d’un débat sans vote au Parlement, comme cela est le cas dans la plupart des démocraties occidentales.

Faisant droit à cette recommandation, l’article 2 de la proposition de loi prévoit la remise au Parlement, par le Gouvernement, d’un rapport annuel sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale en raison d’ingérences étrangères, remis avant le 1er juillet de chaque année. Ce rapport pourra faire l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Sur proposition de votre rapporteur, la Commission a adopté un amendement modifiant la fréquence de remise du rapport, pour prévoir que celui-ci soit remis tous les deux ans, et non plus chaque année. Une telle fréquence apparaît en effet mieux adaptée à la nature des menaces, et suffisante au regard de leur évolution ([19]).

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Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 3 autorise les services de renseignements à faire fonctionner des traitements automatisés de données afin de détecter des connexions susceptibles de révéler toute forme d’ingérence ou de tentative d’ingérence étrangère, à titre expérimental et jusqu’au 31 décembre 2026.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement a opéré plusieurs modifications au dispositif d’encadrement de la technique dite de l’algorithme pour détecter des menaces terroristes :

– elle a étendu le champ des données collectées aux adresses complètes de ressources (« URL ») ;

– elle a renforcé les garanties procédurales, en limitant aux seuls services spécialisés de renseignement la possibilité de demander la mise en œuvre d’un algorithme, en centralisant de l’exécution des algorithmes au sein des services du Premier ministre, en renforçant les garanties en cas d’avis défavorable de la CNCTR sur une demande de mise en œuvre ou d’un algorithme ou de levée d’anonymat, et en limitant la période de conservation des données recueillies en cas d’alerte ;

– elle a enfin pérennisé le dispositif.

       Principaux apports de la Commission

La Commission a adopté deux modifications au dispositif :

– sur proposition de votre rapporteur, elle a prolongé la durée de l’expérimentation, afin que celle-ci puisse être conduite pendant quatre ans à compter de la promulgation de la loi, et a modifié par cohérence la date de remise du rapport d’application ;

– sur proposition de Mme Anna Pic, et suite à un avis de sagesse de votre rapporteur, elle a précisé le champ du rapport, afin qu’il précise les éventuelles conséquences sur les traitements algorithmiques déjà mis en œuvre.

  1.   L’état du droit

Depuis la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure encadre le recours aux traitements automatisés de données, ou « algorithmes », dans la seule finalité de détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste.

Initialement prévue à titre expérimental, jusqu’au 31 décembre 2018, en raison de son caractère novateur, cette disposition a été prorogée deux fois ([20]), avant d’être pérennisée et complétée par la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.

L’algorithme ne permet pas aux services de renseignement d’accéder à l’ensemble des données des réseaux des opérateurs. L’objectif de l’algorithme est de produire des alertes susceptibles de révéler l’existence d’une menace. Ce n’est que dans un second temps, une fois que l’algorithme a détecté une menace, que l’identification de la personne en cause peut être demandée, et que d’autres techniques de renseignements pourront être mises en œuvre, dans le cadre du droit commun.

La technique dite de l’algorithme répond au besoin d’anticiper, le plus en amont possible, les menaces terroristes, en contribuant à la détection d’individus qui étaient jusque-là inconnus des services de renseignement, ou dont les comportements antérieurs n’avaient pas permis d’identifier comme menaçants, du fait du caractère « diffus et très évolutif » de cette menace ([21]).

L’étude d’impact jointe au projet de loi relatif au renseignement de 2015 relevait ainsi que « les services de renseignement, confrontés à une multitude sans cesse croissante de réseaux, modes et supports de communications générant au plan planétaire des flux massifs de données, doivent pouvoir recueillir, traiter, analyser et recouper un grand nombre d’éléments techniques anonymes pour détecter les signaux de faible intensité qui témoignent d’une menace pesant sur les intérêts de notre pays ».

Afin d’assurer l’efficacité opérationnelle du dispositif et de satisfaire aux exigences liées à la protection de la vie privée des individus, le dispositif créé par la loi du 24 juillet 2015, et complété par la loi du 30 juillet 2021, prévoit un strict encadrement juridique du recours aux algorithmes, fondé sur la délimitation stricte de leur périmètre, ainsi que sur plusieurs garanties procédurales.

Dans sa décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 rendue à propos de la loi relative au renseignement, le Conseil constitutionnel a considéré qu’eu égard aux conditions dans lesquelles cette technique était mise en œuvre ainsi qu’aux garanties prévues, ces dispositions ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée, et a validé le dispositif.

  1.   Les données utilisées

Les algorithmes utilisent exclusivement des données de connexion ainsi que les adresses complètes de ressources utilisées sur internet, sans recueillir d’autres données que celles qui répondent à leurs paramètres de conception, et sans permettre l’identification des personnes auxquelles les informations, documents ou adresses se rapportent.

Les données de connexion sont définies par référence aux « informations ou documents » mentionnés à l’article L. 851-1 du code de la sécurité intérieure, qui renvoie lui-même aux informations et documents « traités ou conservés par [les] réseaux ou services » des opérateurs de communications électroniques, mentionnés à l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques.

Elles recouvrent donc des données téléphoniques ainsi que des données de connexion sur Internet.

Il en découle que constituent des données de connexion les données conservées et traitées par ces opérateurs, qui portent exclusivement sur l’identification des personnes utilisatrices des services fournis par les opérateurs, sur les caractéristiques techniques des communications assurées par ces derniers, et sur la localisation des équipements terminaux (art. L. 34-1 CPCE).

Ces informations et documents comprennent notamment les données techniques relatives à l’identification des numéros d’abonnement ou de connexion à des services de communications électroniques, au recensement de l’ensemble des numéros d’abonnement ou de connexion d’une personne désignée, à la localisation des équipements terminaux utilisés ainsi qu’aux communications d’un abonné portant sur la liste des numéros appelés et appelants, la durée et la date des communications (art. L. 851-1 CSI).

Dans sa décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a précisé que ces données ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées ([22]).

La loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 précitée a étendu le champ des données utilisées par les algorithmes aux adresses complètes de ressources utilisées sur internet, c’est-à-dire aux adresses « URL » (Uniforme Ressource Locator).

Ces adresses revêtent la nature de données à caractère mixte, qui sont susceptibles de comporter à la fois des données de connexion et des mots faisant référence au contenu de correspondances échangées ou d’informations consultées, sans toutefois être porteuses de ce contenu ([23]).

L’extension du champ des données utilisées aux adresses « URL » traduit la nécessité d’adapter le dispositif au « caractère évolutif de la menace ». L’étude d’impact du projet de loi relevait que « ces données sont, au regard des usages actuels en matière de communication, les plus pertinentes pour détecter les comportements » susceptibles de caractériser une menace terroriste, en permettant « la détection de consultations ou le téléchargement de fichiers […] (manuels de création d’explosifs ou de poisons, vidéo de revendications ou d’appel au djihad, etc…) » ([24]) .

Enfin, le dispositif ne permet d’utiliser que des données relatives à des communications émises ou reçues depuis le territoire national. La surveillance des communications qui sont émises ou reçues à l’étranger, laquelle peut être autorisée aux seules fins de défense et de promotion des intérêts fondamentaux de la Nation, est quant à elle encadrée par les articles L. 854-1 et suivants du code de la sécurité intérieure.

  1.   La procédure d’élaboration et la mise en œuvre de l’algorithme et le contrôle de la CNCTR

Pour les seuls besoins de la prévention du terrorisme, les services spécialisés de renseignement peuvent demander la mise en œuvre d’un traitement automatisé sur les données transitant par les réseaux des opérateurs de communication électronique. Ces services sont limitativement énumérés. Il s’agit de :

– la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ;

– la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) ;

– la direction du renseignement militaire (DRM) ;

– la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ;

– la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ;

– et le service de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin) ([25]).

Après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), le Premier ministre autorise la mise en œuvre du traitement automatisé pour une durée de deux mois, renouvelable pour une durée de quatre mois. Il précise à cette occasion le champ technique de la mise en œuvre du traitement.

Le paramétrage de l’algorithme fait donc l’objet d’un contrôle de la CNCTR, au cours duquel elle s’assure que les paramètres retenus correspondent à la finalité annoncée et que la demande est motivée de manière précise et circonstanciée ; les ingénieurs des services de la Commission analysent le code de l’algorithme dans le détail ([26]).

La Commission dispose par ailleurs d’un accès permanent, complet et direct à ces traitements ainsi qu’aux informations et données recueillies. Elle est informée de toute modification apportée aux traitements et paramètres, et peut émettre des recommandations.

Il est rappelé qu’en application de l’article L. 833-6 du CSI, la CNCTR peut adresser à tout moment au Premier ministre une recommandation tendant à ce qu’une technique de renseignement soit interrompue si elle est mise en œuvre dans des conditions non conformes au code. Ces dispositions s’appliquent à la technique de l’algorithme.

Au-delà du strict contrôle effectué par la CNCTR, il est rappelé que, d’un point de vue opérationnel, un enjeu essentiel réside dans le ciblage des alertes, et donc dans la modélisation des comportements recherchés, qui doivent être les plus précis possible. Un mauvais paramétrage de l’algorithme conduirait en effet à un nombre de « fausses alertes » important, et ne répondrait pas à l’objectif d’orienter au mieux l’action des services. Pour être efficace, l’algorithme doit être le plus discriminant possible, et doit permettre d’identifier les menaces réelles.

L’exécution des algorithmes est assurée de manière centralisée, sous le contrôle de la CNCTR, par le Groupement interministériel de contrôle (GIC), service du Premier ministre à compétence nationale chargé de centraliser les demandes d’autorisation pour la mise en œuvre de techniques de renseignement émises par les services. Le GIC fait ainsi « écran » entre les données passées au tamis des algorithmes, et les services de renseignement ayant demandé leur mise en œuvre ([27]).

  1.   L’identification des personnes concernées

Le dispositif ne permet pas, dans un premier temps, d’identifier les personnes concernées : ce n’est que lorsque la menace est avérée que l’identification de la personne en cause et le recueil de ses données de connexion peuvent être demandés.

Ainsi, lorsque l’algorithme détecte des données de connexion susceptibles de caractériser l’existence d’une menace à caractère terroriste, le Premier ministre, ou l’une des personnes déléguées par lui, peut autoriser, après avis de la CNCTR, l’identification de la ou des personnes concernées et le recueil des données y afférentes.

Cette autorisation est donnée dans les conditions de droit commun relatives à la mise en œuvre sur le territoire national des techniques de recueil de renseignement, prévues aux articles L. 821-1 et suivants du code de la sécurité intérieure.

Afin de mettre le droit du renseignement en conformité avec le droit européen, et bien que le Premier ministre n’ait jamais outrepassé un avis défavorable de la CNCTR pour l’accès des services de renseignement à des données de connexion, la portée des avis de la CNCTR a été renforcée par la loi du 30 juillet 2021 précitée, qui a modifié l’article L. 821-1 du CSI.

Ainsi, lorsque l’autorisation est délivrée après avis défavorable de la CNCTR, le Conseil d’État est immédiatement saisi et statue dans un délai de vingt-quatre heures.

La décision d’autorisation ne peut être exécutée avant que le Conseil d’État ait statué, sauf en cas d’urgence dûment justifiée et si le Premier ministre a ordonné sa mise en œuvre immédiate.

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État relevait que « ce choix, qui combine un mécanisme d’avis conforme d’une autorité administrative indépendante avec celui d’un contrôle préalable et effectif d’une juridiction lorsque le Premier Ministre passe outre l’avis défavorable de la CNCTR, assure une mise en conformité avec le droit de l’Union et n’appelle pas d’observation du Conseil d’État » ([28]).

  1.   La conservation des données

La loi encadre enfin la durée de conservation des données :

– les données non détectées par les traitements comme susceptibles de révéler une menace à caractère terroriste sont détruites immédiatement ;

– les données relatives à l’identification des personnes concernées par une alerte, recueillies sur demande du Premier ministre et après avis de la CNCTR, sont exploitées dans un délai de soixante jours à compter de ce recueil, et sont détruites à l’expiration de ce délai.

  1.   Les résultats

Le rapport du Gouvernement au Parlement sur l’application de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure a été remis le 30 juin 2020.

Ce rapport relève que l’apport de la technique dite de l’algorithme est « indéniable », et que son utilisation a été « utile » aux services de renseignement.

Le rapport souligne que s’il n’est « pas possible de détailler dans un rapport public les résultats obtenus au moyen de ces algorithmes, qui sont protégés au titre de la protection du secret de la défense nationale », il est « néanmoins possible de mentionner que ces algorithmes ont notamment permis :

«  d’identifier des individus porteurs d’une menace à caractère terroriste et de détecter des contacts entre les individus porteurs de menace ;

«  d’obtenir des informations sur la localisation d’individus en lien avec cette menace ;

«  de mettre à jour des comportements d’individus connus des services de renseignement et nécessitant des investigations plus approfondies ;

«  d’améliorer la connaissance des services sur la manière de procéder des individus de la mouvance terroriste. »

Plusieurs travaux parlementaires de contrôle et d’évaluation ont également insisté sur l’utilité de cette technique ([29]).

Enfin, l’étude d’impact jointe au projet de loi présenté en 2021 relevait que le paramétrage des algorithmes, placé sous le contrôle de la CNCTR, avait permis de « contenir la fréquence des alertes tout en maintenant un seuil de détection utile », et indiquait que le nombre d’alertes issues des différents algorithmes autorisés s’était élevé à 1 739 pour l’année 2020, ces alertes ayant donné lieu à autant de levées d’anonymat, systématiquement effectuées après avis favorable de la CNCTR ([30]) .

Comme cela a déjà été rappelé, le législateur a finalement pérennisé cette technique et a étendu le champ des données utilisables aux données d’URL, par la loi du 30 juillet 2021 précitée.

S’agissant de l’extension aux données d’URL, prévue par ladite loi du 30 juillet 2021, le Gouvernement doit adresser au Parlement un rapport d’application sur le sujet, au plus tard le 31 juillet 2024.

  1.   Les constats de la délégation parlementaire au renseignement

Dans son rapport précité de juin 2023, la délégation parlementaire au renseignement a relevé qu’en matière de contre-espionnage et de contre-ingérence, le recours à la technique de l’algorithme permettrait de renforcer les capacités de détection précoce de toute forme d’ingérence ou de tentative d’ingérence étrangère des services de renseignement.

Elle rappelait qu’il était en effet possible de « modéliser les méthodes opératoires propres à certains services de renseignement étrangers agissant sur le territoire national, en termes de déplacements comme d’habitudes de communication, de manière à détecter sur les réseaux des opérateurs téléphoniques des comportements susceptibles de révéler une menace pour les intérêts fondamentaux de la Nation ».

La délégation recommandait l’extension de la technique de l’algorithme à cette finalité, à titre expérimental et pour une durée de trois ans.

  1.   Le dispositif proposé

L’article 3 de la proposition de loi autorise la mise en œuvre de traitements automatisés afin de détecter des connexions susceptibles de révéler toute forme d’ingérence ou de tentative d’ingérence étrangère, à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2026.

Il complète pour cela les finalités au titre desquelles la technique de l’algorithme peut être utilisée.

Les finalités du renseignement, c’est-à-dire les intérêts publics pour lesquels les services de renseignement peuvent recourir aux techniques de recueil de renseignement prévues par le code de la sécurité intérieure, sont prévues à son article L. 811-3.

Les finalités du renseignement prévues à l’article L. 811-3 du CSI

Créé par la loi du 24 juillet 2015, l’article L. 811-3 du CSI prévoit que les services spécialisés de renseignement peuvent recourir aux techniques de renseignement pour le seul exercice de leurs missions respectives, et pour le recueil des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation suivants :

1° L’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale ;

2° Les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ;

3° Les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France ;

4° La prévention du terrorisme ;

5° La prévention :

a) Des atteintes à la forme républicaine des institutions ;

b) Des actions tendant au maintien ou à la reconstitution de groupements dissous ;

c) Des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique ;

6° La prévention de la criminalité et de la délinquance organisées ;

7° La prévention de la prolifération des armes de destruction massive.

Parmi ces finalités figure, au 2° de l’article L. 811-3 du CSI, la référence à la prévention de toute forme d’ingérence étrangère.

Cette finalité avait été ajoutée lors de l’examen de la loi du 24 juillet 2015 précitée, par amendement du rapporteur de la commission des Lois de l’Assemblée nationale. Ce dernier justifiait cet ajout en relevant que « la lutte contre l’espionnage doit demeurer une priorité, qui nécessite que la “ prévention de toute forme d’ingérence étrangère ˮ soit une finalité de l’action de nos services de renseignement » ([31]). Dans son premier rapport d’activité, la CNCTR relevait que la deuxième finalité visait « aussi bien la contribution des services à vocation extérieure à la diplomatie française que le contre-espionnage » ([32]).

Le dernier rapport d’activité de la CNCTR, réalisé au titre de l’année 2022, relevait par ailleurs que pour caractériser une situation d’ingérence étrangère, la commission s’assurait d’ « une implication personnelle de l’intéressé au vu d’indices montrant qu’il est en relation avec une puissance étrangère » ([33]).

Votre rapporteur considère que la prévention des ingérences, dont les formes sont multiples et en constante évolution, dépasse les seules activités de contre-espionnage.

En effet, les opérations d’ingérence ne prennent plus seulement la forme de manœuvres visant à approcher et à infiltrer les élites politiques, administratives ou économiques, ou d’activités d’espionnage : elles sont de plus en plus agressives, et se rapprochent parfois de véritables actes de guerre hybride.

Afin d’écarter toute ambiguïté sur les finalités du dispositif, la rédaction de l’article 3 ouvre la possibilité d’utiliser la technique de l’algorithme pour détecter les actes d’ingérence dans leurs différentes formes.

Le I complète ainsi l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure pour prévoir que les traitements automatisés de données pourront être utilisés pour la détection, non seulement de menaces terroristes, mais également de toute forme d’ingérence ou de tentative d’ingérence étrangère.

Dans cette perspective, il prévoit que les traitements automatisés ne pourront être autorisés, en plus de la prévention du terrorisme, que pour défendre et promouvoir les intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés aux 1° et 2° de l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, c’est-à-dire :

– l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale () ;

– les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère ().

Le II consacre le caractère expérimental du dispositif, qui serait applicable jusqu’au 31 décembre 2026.

Afin que la représentation nationale dispose des éléments utiles pour pouvoir pérenniser le dispositif si l’expérimentation était concluante, le III prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur l’application de l’extension prévue au présent article, au plus tard le 30 juin 2026.

  1.   Les modifications apportées par la Commission

La Commission a adopté deux amendements.

Sur proposition de votre rapporteur, elle a d’abord prolongé la durée de l’expérimentation, afin que celle-ci puisse être conduite pendant quatre ans à compter de la promulgation de la loi ([34]).

En effet, l’élaboration d’un algorithme prend du temps, qui se compte en mois, voire en années.

Ainsi, le premier algorithme mis en œuvre avait été autorisé par le Premier ministre plus de deux ans après l’adoption de la loi du 24 juillet 2024 ([35]). Ce délai s’expliquait alors par la nécessité d’élaborer l’architecture générale de la mise en œuvre des traitements automatisés, en lien avec la CNCTR, ainsi que par des difficultés techniques et juridiques liées à l’élaboration de l’algorithme lui-même. Le premier algorithme a par ailleurs été modifié assez largement dans ses premiers mois de fonctionnement, afin d’en améliorer la précision ([36]).

Si l’expérience acquise a permis de concevoir plus rapidement les autres algorithmes applicables en matière de terrorisme, l’élargissement de l’algorithme à d’autres finalités nécessitera un long et important travail de modélisation des comportements recherchés, ce qui risque de prendre du temps.

Votre rapporteur relève par ailleurs que l’utilisation des « URL » par l’algorithme, rendue possible par la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, n’a pas encore pu être mise en œuvre.

Il rappelle enfin que le législateur avait initialement prévu que le dispositif créé en 2015 puisse être applicable pendant un peu plus de trois ans ([37]). Cette durée s’étant révélée trop courte, il avait été nécessaire de la prolonger deux fois avant la pérennisation du dispositif ([38]). L’expérimentation aura finalement duré près de six ans.

Sur proposition de Mme Anna Pic et des membres du groupe Socialistes et apparentés, et suite à l’avis de sagesse donné par votre rapporteur, la Commission a ensuite adopté un amendement visant à préciser le contenu du rapport d’évaluation : il devra ainsi détailler les conséquences de l’élargissement des finalités justifiant le recours à la technique de l’algorithme sur son efficacité dans la lutte contre le terrorisme ([39]).

 

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Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 4 ouvre au ministre chargé de l’économie et au ministre de l’intérieur la possibilité de décider, conjointement, le gel des fonds et ressources économiques des personnes physiques ou morales ou de toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes d’ingérence, y incitent ou y participent.

       Dernières modifications législatives intervenues

L’ordonnance n° 2016-1575 du 24 novembre 2016 portant réforme du dispositif de gel des avoirs a notamment étendu le champ des avoirs susceptibles d’être gelés, notamment aux biens immobiliers et mobiliers, et a élargi les catégories de personnes assujetties au respect de ces mesures d’interdiction pour permettre le gel de certains versements de prestations en provenance d’organismes publics.

       Principaux apports de la Commission

Sur proposition de votre rapporteur, la Commission a précisé la définition proposée à l’article 4, considérant que l’acte d’ingérence devait renvoyer à l’intervention, non pas d’une « personne physique ou morale étrangère », mais d’une « personne physique ou morale agissant au nom ou pour le compte d’une puissance étrangère ». Elle a par ailleurs adopté un amendement rédactionnel.

  1.   L’état du droit

Le droit en vigueur prévoit plusieurs procédures tendant au gel des avoirs et des ressources économiques des personnes qui commettent ou tentent de commettre des actes de terrorisme.

En droit international, le Conseil de sécurité des Nations Unies peut, dans le cadre de ses missions de maintien de la paix, adopter des résolutions en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression, comme le prévoit le chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, et prévoir des mesures de gel. Le Conseil peut alors mettre en place un comité des sanctions, qui a notamment pour fonction de désigner les personnes ou entités faisant l’objet de ces mesures. La création d’un tel comité est souvent le cas en pratique.

Par ailleurs, dans le cadre de la politique extérieure et de sécurité commune (PESC), l’Union européenne peut adopter des règlements européens sur le fondement de l’article 215 du traité sur le fondement de l’Union européenne, et imposer des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d’entités non étatiques ([40]).

En droit interne, le gel des avoirs et des ressources économiques peut être prononcé sur deux fondements.

La loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme a prévu un dispositif autonome de gel des avoirs aux fins de lutte contre le financement du terrorisme ([41]).

Aux termes de l’article L. 562-2 du code monétaire et financier, le ministre chargé de l’économie et le ministre de l’intérieur peuvent décider, conjointement, pour une durée de six mois, renouvelable, le gel des fonds et ressources économiques des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent. Ce même article permet également de décider le gel des fonds et ressources des personnes morales que ces personnes détiennent ou contrôlent.

Par ailleurs, l’ordonnance du 30 janvier 2009 a étendu le gel des fonds et des ressources économiques au cas des sanctions financières internationales adoptées en application des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ou du Conseil de l’Union européenne ([42]).

L’article L. 562-3 du code monétaire et financier prévoit la possibilité de procéder au gel des fonds et ressources économiques des personnes qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actions sanctionnées ou prohibées par :

– les résolutions adoptées dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies, relative à l’action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ;

– les actes pris en application de l’article 29 du traité sur l’Union européenne, qui dispose que le Conseil adopte des décisions qui définissent la position de l’Union sur une question particulière de nature géographique ou thématique ;

– les actes pris en application de l’article 75 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui prévoit qu’en ce qui concerne la prévention du terrorisme et des activités connexe, le Parlement européen et le Conseil peuvent statuer par voie de règlements pour définir un cadre de mesures administratives concernant les mouvements de capitaux et les paiements, telles que le gel des fonds, des avoirs financiers ou des bénéfices économiques qui appartiennent à des personnes physiques ou morales, à des groupes ou à des entités non étatiques, sont en leur possession ou sont détenus par eux.

  1.   Les constats de la délégation parlementaire au renseignement

Dans son rapport précité, la délégation parlementaire au renseignement a proposé d’élargir le spectre des gels d’avoirs à but antiterroriste (GABAT) à toute personne ou structure se livrant à des actions préjudiciables au maintien de la cohésion nationale ou destinée à favoriser les intérêts d’une puissance étrangère.

Une telle extension permettrait d’appréhender les manœuvres de contournement de la réglementation, en lien avec une puissance étrangère.

La délégation relève que le régime devrait conserver sa vocation préventive : le gel serait prononcé sur une personne morale ou physique qui agirait de manière avérée afin de contourner la réglementation, et la personne visée aurait alors six mois pour se mettre en conformité avec la réglementation ou prouver sa bonne foi aux autorités.

  1.   Le dispositif proposé

L’article 4 de la proposition de loi étend aux personnes se livrant à des actes d’ingérence le dispositif de gel d’avoirs et de ressources actuellement applicable en matière de terrorisme.

Le  modifie l’article L. 562-1 du code monétaire et financier pour faire référence à la notion d’acte d’ingérence, définie comme l’intervention délibérée d’une personne physique ou morale étrangère visant à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, à la sécurité économique, aux systèmes d’information et à la sincérité des processus électoraux, ainsi qu’à diffuser intentionnellement de fausses informations de nature à perturber le fonctionnement régulier des institutions ou le débat démocratique.

Le  modifie l’article L. 562-2, qui prévoit le dispositif de gel d’avoirs aux fins de lutter contre le terrorisme. Il ouvre ainsi au ministre chargé de l’économie et au ministre de l’intérieur la possibilité de décider, conjointement, le gel des fonds et ressources économiques des personnes physiques ou morales ou de toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes d’ingérence, y incitent ou y participent.

  1.   Les modifications apportées par la Commission

Sur proposition de votre rapporteur, la Commission a enrichi la définition de l’acte d’ingérence prévue par l’article 4.

La Commission a d’abord précisé que l’ingérence renvoyait à l’intervention délibérée, non pas d’une « personne physique ou morale étrangère », mais d’une « personne physique ou morale agissant au nom ou pour le compte d’une puissance étrangère » ([43]).

En effet, c’est bien le fait d’agir pour le compte d’une puissance étrangère ou en son nom qui constitue un élément de définition de l’acte d’ingérence, et non la nationalité de la personne physique ou morale qui commet l’acte en question. Une personne étrangère qui commet un acte visant à porter atteinte à un intérêt fondamental de la Nation ne le fait pas nécessairement au nom d’une puissance étrangère, et inversement, une personne de nationalité française peut parfaitement participer à un acte d’ingérence dès lors qu’elle agit pour le compte d’une telle puissance.

La notion de puissance étrangère est déjà consacrée dans notre droit, et notamment aux articles 411-2 et suivants du code pénal, relatifs à certains faits de trahison ou d’espionnage.

La Commission a par ailleurs adopté un amendement rédactionnel de votre rapporteur, préférant faire référence aux « scrutins » plutôt qu’aux « processus électoraux », dès lors que la notion de scrutin est déjà largement consacrée par le droit en vigueur, et notamment dans le code électoral ([44]).

 

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   Compte rendu des débats

Lors de ses réunions du mercredi 13 mars 2024, la Commission examine la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France (n° 2150) (M. Sacha Houlié, rapporteur).

Lien vidéo matin : https://assnat.fr/bELwMr

Lien vidéo après-midi : https://assnat.fr/4rsHJT

Mme Caroline Abadie, présidente. Cette proposition de loi sera examinée en séance le 25 mars, pendant la semaine de l’Assemblée nationale. Elle a été déposée par trois des membres de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) – vous-même, monsieur le président, Thomas Gassilloud et Constance Le Grip.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Cette proposition de loi est le fruit d’un long travail, mené au sein de la délégation parlementaire au renseignement, dont j’ai assuré la présidence au cours de la session 2022-2023. La délégation, composée de quatre députés et de quatre sénateurs, offre la possibilité de travailler sur des thématiques choisies par son président. Sur le sujet des ingérences étrangères, nous avons ainsi formulé vingt-deux propositions. Certaines, qui vous sont soumises ce matin, relèvent du champ législatif, d’autres du champ réglementaire, d’autres enfin de l’organisation des services.

Notre rapport a reçu un très bon accueil, comme pourraient le confirmer Thomas Gassilloud, le président de la commission de la défense, et Constance Le Grip, par ailleurs rapporteure d’une commission d’enquête sur les ingérences étrangères, excellente malgré son contexte polémique. Il est rare que les parlementaires soient à l’initiative de textes sur un tel sujet. Si les pôles ministériels sont très forts en cette matière – Tracfin et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières à Bercy, la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure) au ministère des armées et la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure) au ministère de l’intérieur –, nous nous sommes pleinement saisis de nos compétences pour assurer une forme d’interministérialité.

Qu’il s’agisse du rapport de la commission d’enquête rédigé par Constance Le Grip ou de celui de la DPR, nous disposons d’une littérature assez fournie qui justifie la proposition de loi. Les ingérences étrangères sont une menace actuelle, réelle et immédiate. Nul besoin de remonter loin, la cyberattaque menée par un groupe de hackeurs pro-russes dont ont été victimes, il y a quelques jours, les services de plusieurs ministères montre toute son acuité. Dans les derniers mois, les exemples ne manquent pas : je pense à l’amplification de la polémique sur les punaises de lit, à la reproduction d’étoiles de David dans les rues de Paris et en Île-de-France à la fin du mois d’octobre, ou encore aux activités du réseau « Portal Kombat », identifié par l’agence Viginum, qui rassemble 193 sites participant d’un vaste mouvement de manipulation de l’information. Ce sont des exemples éloquents du nombre et de la qualité des auteurs de ces attaques.

Nous sommes frappés en France métropolitaine mais aussi outre-mer, et nos intérêts sont également attaqués à l’étranger, notamment en Afrique. Bien sûr, la France n’est pas la seule concernée : l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne sont aussi victimes de telles attaques. Ce sont en réalité toutes les démocraties occidentales qui sont directement visées dans cette guerre informationnelle particulièrement agressive. Les institutions européennes ont fait l’objet de pressions, devenues quotidiennes. Pensons au Qatargate au Parlement européen ou à la députée lettonne accusée de collusion avec le FSB.

Si les ingérences étrangères ont toujours existé, elles ont particulièrement évolué ces dernières années, du fait de l’affrontement entre régimes autoritaires et démocraties libérales et des nouveaux outils que leur offre la révolution numérique et technologique.

La notion d’ingérence renvoie à toute action réalisée pour le compte d’une puissance étrangère, directement ou indirectement, et qui vise à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de nos nations. Leur forme s’est diversifiée. Traditionnellement, il s’agissait d’approcher des élites politiques et administratives et de procéder à de l’espionnage économique. Aujourd’hui, nous assistons à des cyberattaques et à des campagnes de désinformation, qui portent la signature de leurs auteurs, qu’il s’agisse de la Russie, de la Chine, de la Turquie ou de l’Iran, comme l’ont montré les rapports de la commission d’enquête et de la DPR.

La Russie, par exemple, essaie d’attirer dans sa sphère d’influence des dirigeants européens, actuels ou anciens, en leur offrant de participer aux conseils d’administration de grands groupes. Elle procède à des opérations de manipulation de l’information de grande ampleur et tente d’intervenir dans les processus électoraux.

La Chine, de son côté, a plutôt recours à la stratégie dite du « front uni », qui utilise différents leviers d’action : le recours aux diasporas, les médias, l’économie, les universités et le monde de la recherche ou encore la sphère culturelle autour des instituts Confucius.

La Turquie promeut ses intérêts par le biais de quatre leviers : l’enseignement de la langue et de la culture, la pratique religieuse, l’entrisme politique, grâce à la participation aux élections locales et nationales, et la présence active sur les réseaux sociaux.

Enfin, la stratégie des otages pratiquée par l’Iran est particulièrement agressive.

L’État a évidemment réagi. La loi de programmation militaire 2024-2030 a fait du renforcement des capacités techniques un objectif stratégique. La gouvernance du renseignement a évolué et des outils ont été créés, comme l’agence Viginum, en 2021, pour protéger le débat public numérique contre les campagnes de manipulation de l’information, ou l’Anssi (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information), chargée de lutter contre les cyberattaques.

La commission des lois a beaucoup débattu ces derniers temps de la création de nouvelles sanctions pénales, mais ce ne sont pas des délits qu’ajoute cette proposition de loi : elle crée quatre outils, qui se développent autour de trois axes.

Le premier axe vise à sensibiliser les parlementaires et l’opinion publique, grâce à l’organisation d’un débat régulier au Parlement sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale. Le débat se fonderait sur un rapport remis par le Gouvernement. Je vous proposerai qu’il soit remis tous les deux ans, et non tous les ans comme nous l’avions imaginé initialement, car la menace évolue certes très rapidement, mais pas suffisamment pour nécessiter un débat annuel.

Le deuxième axe concerne le contrôle de l’influence, avec la création d’un répertoire des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger. Il s’inspire directement du Foreign Agent Registration Act (FARA) américain. Il s’agit de faire toute la transparence sur l’influence, qui, dans de nombreuses situations, constitue le préalable de l’ingérence. La frontière est assez poreuse entre ces deux notions : l’influence ne tend pas toujours à la déstabilisation, mais elle y participe. C’est pourquoi nous avons besoin de mieux connaître les personnes qui s’y livrent, qui devront désormais se déclarer. Ce répertoire s’inspire aussi de ce qui avait été fait dans la loi Sapin 2 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Je vous proposerai d’enrichir le dispositif, notamment pour définir les personnes qui en relèvent et celles qui n’en relèvent pas, comme les diplomates, les avocats ou les sociétés de presse : c’est l’objet de mon amendement CL39 rectifié.

Il y aura donc deux registres, exclusifs l’un de l’autre : l’un de lobbying domestique, prévu par la loi « Sapin 2 », Mme Untermaier et M. Le Gendre ont récemment proposé des pistes d’amélioration – et l’autre, nouveau, spécifique aux actions d’influence menées pour le compte d’une puissance étrangère.

La volonté qui préside à la création de ce nouvel outil peut paraître naïve. Pourquoi ces personnes auraient-elles intérêt à se déclarer ? Parce que, si elles ne le font pas, des sanctions pénales s’appliqueront. Le dispositif initial prévoit des peines deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. Nous vous proposerons de le porter à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Dans le cas de ressortissants étrangers, des mesures d’interdiction du territoire français, voire d’expulsion pourront être appliquées, sachant que nous pratiquons déjà, pour les pays avec lesquels nous entretenons des relations particulièrement difficiles, une parité diplomatique qui nous amène à éconduire toute une partie de leurs diplomates et à limiter les ingérences.

Le troisième axe vise à renforcer les outils dont disposent les services de renseignement pour contrer les ingérences.

L’article 3 ouvre ainsi la possibilité d’utiliser des algorithmes sur les données de connexion pour détecter des ingérences. Cette technique existe déjà en matière de terrorisme mais, compte tenu des modes d’action très diversifiés des terroristes, sa performance est assez limitée. Par ailleurs, comme la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement nous l’a confirmé, nous n’utilisons pas encore d’algorithmes sur les URL, bien que cela ait été permis par la loi de 2021.

La technique de l’algorithme, qui ne peut être mise en œuvre actuellement que dans le but de prévenir le terrorisme, pourra désormais l’être aussi pour défendre et promouvoir l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale – c’est ce qu’on appelle la finalité n° 1 du renseignement – ainsi que les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère – c’est la finalité n° 2. Dans ce cadre, la technique de l’algorithme ne pourra être employée que pour rechercher spécifiquement les ingérences étrangères.

Les services considèrent que cette nouvelle possibilité leur serait utile : le traitement algorithmique permettra aux services d’identifier plus facilement les agents étrangers. En effet, les services étrangers disposent, tout comme nous, de protocoles standardisés, : les agents chinois, par exemple, peuvent avoir pour habitude de faire plusieurs réservations d’hôtels, de billets de train ou d’avion, et de les annuler avant d’arriver dans le pays.

L’article 4 modifie le code monétaire et financier pour élargir aux ingérences étrangères le périmètre de la procédure des gels d’avoirs, aujourd’hui réservée à la lutte contre le terrorisme. Nous proposerons une définition légèrement révisée, à la suite de nos consultations.

Voilà la boîte à outils que nous voulons constituer pour mobiliser l’opinion, lutter contre les influences et entraver les ingérences.

Mme Constance Le Grip (RE). Chers collègues, merci de m’accueillir dans votre prestigieuse commission des lois pour traiter d’un sujet qui m’est cher.

Plusieurs travaux parlementaires récents, de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères, de la DPR et de notre collègue sénateur André Gattolin dans la mission d’information sur les influences étatiques extra-européennes dans le monde universitaire et académique français et leurs incidences, ont abondamment documenté la réalité et la dangerosité des ingérences à l’œuvre dans notre pays. Toutes ces réflexions, menées également dans d’autres parlements nationaux et au Parlement européen, accompagnées par des travaux d’experts, d’universitaires, de think tanks, de chercheurs et de journalistes, insistent sur l’intensification de ces actes hostiles, malveillants et trompeurs d’immixtion d’un État étranger ou d’une entité étrangère dans nos affaires intérieures.

Ces ingérences prennent toute une série de formes : classiques comme l’espionnage et le pillage du patrimoine intellectuel ou technologique ; plus modernes grâce aux nouvelles technologies ; et composites. Nos autorités ont clairement identifié cette guerre hybride comme une menace très forte pesant sur notre indépendance, notre souveraineté et nos intérêts. Il est important d’identifier et de combattre l’ensemble de ces marques protéiformes d’ingérence, qui vont des cyberattaques aux atteintes au patrimoine scientifique en passant par l’utilisation du droit comme arme, la captation des élites ou les manipulations et autres désinformations, sans oublier cette zone grise qui se caractérise par la proximité, la complaisance, la connivence voire l’allégeance de certains à tel ou tel régime étranger.

C’est ainsi que nous proposons, dans ce texte que j’ai eu l’honneur de contribuer à écrire, des dispositions très précises que le groupe Renaissance accueille avec beaucoup d’intérêt et une bienveillante attention. Le maître-mot est de reprendre le contrôle. Le nouveau registre où devront s’inscrire les représentants d’intérêts travaillant pour un mandat étranger, comme l’ont fait les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Australie, vise à apporter de la transparence et de l’information sur celles et ceux qui se livrent à des activités d’influence. Le rapport que nous demandons au Gouvernement fera transparaître de manière plus claire et plus objective la réalité des menaces.

Le groupe Renaissance votera cette proposition de loi. Nous regarderons en détail la réécriture de certains articles, mais nous pensons qu’il y a là une œuvre très utile pour augmenter le niveau de protection et d’entrave que nous devons opposer aux ingérences étrangères.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Je ne m’attarderai pas sur la manière dont nous travaillons dans cette commission, parfaitement inadaptée à la complexité des sujets et à l’enjeu démocratique. Sachez juste que nous ne sommes pas du tout satisfaits.

Cette proposition de loi, qui ne s’appuie pas sur un avis du Conseil d’État, fait l’objet d’une procédure accélérée et ne pourra pas, pour des raisons temporelles, prendre en compte les conclusions du rapport sur le recours aux algorithmes dans le cadre de la prévention des actes de terrorisme.

Avec ce texte, nous sommes en présence d’un objet bien étrange, d’un florilège de notions floues et indéfinies. Ce qui est tout à fait clair, c’est qu’il offre, une nouvelle fois, la possibilité de recourir à la collecte et au traitement de masse des données, qui fait courir des risques évidents à nos droits et à nos libertés fondamentales.

La définition de l’ingérence étrangère, qui est vieille comme le monde, ou en tout cas comme les États, est introuvable. Aucun des amendements qui ont été déposés n’en propose une précise. Les notions d’influence et d’ingérence se superposent. C’est pourtant bien le mot « influence », et non « ingérence », qui est adopté dans les textes de loi étrangers, même dans le FARA américain. L’ingérence, elle, est un concept anxiogène, évoquant une menace étrangère clandestine et la violation de la souveraineté de notre pays. Le choix de ce terme va dans le sens du vocabulaire militariste du Président de la République, lui qui parle de « réarmement démographique ».

C’est à se demander si la proposition de loi ne cherche pas à mettre en avant une notion anxiogène afin de justifier politiquement des mesures liberticides. Dans un État de droit, on ne peut pas contrôler un phénomène, on ne peut pas légiférer sur quelque chose qui n’est pas défini par la loi. Les représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger ne sont pas plus définis. Ce sont les ONG, les syndicalistes, les agents de consulat et d’ambassade ou les journalistes qui ne relèvent pas de la définition des entreprises éditrices qui sont visés. Tout ce petit monde serait volontairement soumis à un fichage. Nous nous opposons, par principe, à l’extension d’une surveillance de masse.

M. Ian Boucard (LR). La proposition de loi vise à renforcer la protection de la souveraineté nationale contre les ingérences étrangères, lesquelles peuvent prendre diverses formes et menacer nos intérêts politiques, militaires, économiques, scientifiques, culturels mais aussi, bien sûr, démocratiques. Ce texte est issu des travaux de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères et reprend une partie des recommandations de la délégation parlementaire au renseignement pour proposer une série de mesures législatives afin de prévenir et de contrer ces ingérences.

L’article 1er crée un registre obligatoire des acteurs influant sur la vie politique française pour le compte d’une puissance étrangère. Géré par la HATVP (Haute Autorité pour la transparence de la vie publique), ce registre vise à mieux informer les responsables publics sur leurs interlocuteurs étrangers. Des sanctions pénales sont prévues en cas de non-respect de l’obligation de déclaration. Il sera cependant nécessaire d’augmenter les moyens mis à disposition de la HATVP pour qu’elle soit en mesure de mener à bien sa mission.

L’article 2 dispose que le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport sur les menaces dues aux ingérences étrangères pesant sur la sécurité nationale. Pour que ce rapport ait une utilité, il devra toutefois être débattu notamment au sein de la DPR et des commissions compétentes – de la défense et des lois.

L’article 3 élargit les finalités permettant aux services de renseignement d’utiliser la technique de l’algorithme. Actuellement limitée à la prévention du terrorisme, cette technique pourra désormais être utilisée pour contrer les ingérences étrangères. Elle permet, de façon réglementée, d’utiliser des processus automatisés pour repérer des activités en ligne pouvant indiquer une menace potentielle. Le groupe LR restera vigilant quant à cette technique de surveillance, bien qu’elle semble nécessaire pour faire face aux méthodes utilisées par certaines puissances étrangères, qui n’ont pas toujours les mêmes scrupules que nos démocraties.

L’article 4 élargit la procédure des gels d’avoirs, actuellement limitée à la lutte contre le terrorisme, pour inclure les ingérences étrangères. Cela permettra de geler les avoirs de toute personne ou entité se livrant à des actions nuisibles aux intérêts fondamentaux de la nation en lien avec une puissance étrangère. C’est évidemment une bonne mesure.

Ces propositions visent à poser des limites à des ingérences étrangères omniprésentes et protéiformes et à nous départir d’une certaine naïveté à l’égard de puissances comme la Russie, la Chine, ou l’Azerbaïdjan que l’on ne cite pas assez. Toutefois, malgré la richesse des travaux existant sur le sujet, les réponses semblent trop timides pour inverser une tendance déjà largement amorcée. Il est à craindre que cette proposition de loi ne soit qu’un moyen de la majorité présidentielle pour régler ses comptes politiques avec le Rassemblement national en vue des élections européennes, sans faire la preuve d’une réelle volonté de trouver des réponses adaptées aux ingérences étrangères.

En effet, si cet enjeu vous semble aussi majeur qu’aux députés Les Républicains, il convient de dresser ensemble le bilan du Président de la République, qui ne cesse depuis dix ans d’encourager ou de laisser faire le démembrement de l’appareil industriel stratégique français au profit d’acteurs étrangers. En 2014, la vente de la branche énergie d’Alstom, rachetée par l’Américain General Electric (GE), a été autorisée et pilotée par Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie. En 2022, ce même Emmanuel Macron, soudain converti au souverainisme, a annoncé dans son discours de Belfort le rachat par EDF à GE des turbines Arabelle, essentielles pour la relance d’un programme de construction de centrales nucléaires en France. Et en 2015, Emmanuel Macron a défendu le rachat d’Alcatel-Lucent par Nokia, en écartant toute « vision romantique » vis-à-vis des grandes entreprises françaises. Dernier exemple en date : le projet de cession des activités d’infogérance du groupe Atos au milliardaire tchèque Daniel Křetínský, qui n’a pas suscité de réactions politiques au sein de la majorité.

En somme, pour prévenir les ingérences étrangères, la France devrait d’abord protéger beaucoup plus fermement ses actifs stratégiques. Le groupe LR estime par ailleurs que les mesures proposées sont trop timides pour être pleinement efficaces, même si nous sommes conscients que certaines sont du domaine réglementaire. Mais la lutte contre les ingérences étrangères est un sujet majeur, nécessitant une approche globale et forte sur le long terme. C’est pourquoi le groupe LR soutiendra ce texte, malgré ses lacunes, car il permettra tout de même de régler une partie des problèmes.

Mme Caroline Abadie, présidente. Nous poursuivrons l’examen de la proposition de loi cet après-midi.

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Mme Caroline Abadie, présidente. Nous poursuivons la discussion générale sur la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères.

M. Philippe Latombe (Dem). Une ingérence étrangère est l’immixtion d’un État dans les affaires d’un autre État. Elle présente un caractère malveillant, toxique, voire délictueux, car elle vise à déstabiliser et à décrédibiliser des acteurs, à saper la confiance dans les institutions d’un pays, à inciter à la haine et au harcèlement en ligne, à engendrer la confusion entre le vrai et le faux, et à servir les intérêts d’une puissance étrangère. De telles ingérences peuvent compter parmi les actes d’une guerre hybride.

Le statut de grande puissance politique, militaire, économique, scientifique, culturelle et démocratique de la France l’expose à des agressions ou à des tentatives de déstabilisation protéiformes émanant de l’étranger. De plus, la France accueille de nombreuses communautés étrangères, diasporas ou opposants politiques. Certains pays considèrent que cela nuit à leurs intérêts et surveillent ces communautés, allant parfois jusqu’à se livrer à des pressions et à des intimidations.

Les ingérences étrangères dans les campagnes électorales de 2017 et de 2022 ont poussé la France à renforcer son arsenal juridique et opérationnel. En particulier, la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information oblige les plateformes à signaler les contenus sponsorisés et crée une action judiciaire en référé pour faire cesser rapidement la circulation de fausses informations ayant vocation à troubler la paix publique ou la sincérité d’un scrutin.

Mais cela n’est pas suffisant. Bien que 5 milliards d’euros supplémentaires aient été consacrés au renseignement dans la dernière loi de programmation militaire (LPM) 2024-2030, les outils de lutte contre les ingérences étrangères demeurent insuffisants au regard de l’intensification de la menace. Dans le rapport qu’elle a rendu en 2023, la délégation parlementaire au renseignement (DPR) constate que la France a longtemps fait preuve d’une certaine naïveté, due à la méconnaissance du danger, et formule un ensemble de propositions visant à renforcer notre dispositif de prévention et d’entrave aux ingérences étrangères et aux tentatives de s’y livrer, dont la présente proposition, telle que déposée initialement, est la traduction législative. Le groupe Démocrate s’en félicite.

Les États-Unis disposent depuis 1938 d’un registre séparé répertoriant les représentants d’intérêts travaillant pour le compte d’un mandant étranger dans le but de mener des actions politiques aux États-Unis ou d’influencer un fonctionnaire ou le public américain. Ce dispositif, appelé Fara (Foreign Agents Registration Act), permet au FBI (Federal Bureau of Investigation) de mener des enquêtes et d’envoyer des notifications d’obligation d’inscription aux personnes concernées. L’article 1er de la proposition de loi propose de créer un registre répertoriant les acteurs qui influent sur la vie publique française pour le compte d’une puissance étrangère, sur le modèle du répertoire français des représentants d’intérêts, et de la législation en vigueur aux États-Unis et au Royaume-Uni. Cela nous semble nécessaire, et la réécriture de cet article par l’amendement CL39 du rapporteur nous convient.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit que le Gouvernement remette chaque année au Parlement un rapport sur l’état des menaces pesant sur la sécurité nationale, en particulier de celles qui résultent d’ingérences étrangères, ce rapport pouvant faire l’objet d’un débat. Notre groupe souhaite, contrairement au rapporteur, que ce rapport demeure annuel, car les parlementaires, en démocratie, doivent pouvoir s’appuyer sur des éléments d’information aussi actuels que possible pour éclairer leurs décisions. Cette transparence est ce qui nous distingue favorablement des dictatures et des régimes autoritaires.

L’article 3 du texte propose une expérimentation de trois ans visant à élargir les finalités pour lesquelles les services de renseignement sont autorisés à recourir à la technique dite de l’algorithme. Actuellement, celle-ci ne peut être utilisée que pour prévenir le terrorisme, la finalité 4. L’élargissement la mettrait également au service de la défense et de la promotion de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et de la défense nationale, la finalité 1, ainsi que les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère, la finalité 2. Cet élargissement est sans doute la mesure la plus clivante du texte. Selon notre groupe, il ne saurait être qu’expérimental et limité à trois années, et il devra faire l’objet d’un bilan documenté après la conclusion de l’expérimentation. Sa pérennisation ou son renouvellement ne pourront avoir lieu qu’à l’issue de ce bilan, et par la loi.

De même, avoir voulu faire entrer de plain-pied la loi Godfrain dans ce texte sans étude d’impact, ni avis préalable du Conseil d’État suscite notre vive perplexité. Nous aurions voté contre cette extension par amendement.

Enfin, le dispositif des boîtes noires, au vu de son caractère très intrusif, doit nécessairement faire l’objet d’un avis formel de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), d’où l’amendement déposé par notre groupe en ce sens.

Nonobstant ces réserves, notamment s’agissant de l’article 3, le groupe Démocrate votera en faveur du texte.

Mme Anna Pic (SOC). Les ingérences étrangères sont au cœur de l’actualité ; en témoignent les récentes attaques informatiques récemment subies par plusieurs services de l’État. Du fait de leur multiplication en France et à l’étranger, l’action publique en est venue à se préoccuper légitimement de ces ingérences ou tentatives d’ingérences, qui prennent la forme de grandes campagnes de désinformation orchestrées par des puissances étrangères. L’essor constant de l’intelligence artificielle laisse penser qu’elles n’en sont qu’à leurs prémices, ce qui nous impose de mettre tous les outils nécessaires au service de la protection de notre souveraineté et de notre démocratie, dans le respect intransigeant des libertés fondamentales garanties à nos concitoyens.

Plusieurs leviers permettent à l’État de lutter contre les ingérences étrangères : techniques de renseignement, mesures d’ordre diplomatique ou économique, sanctions pénales, ou encore dispositif de protection du potentiel scientifique et technique de la Nation. En application de la LPM, le ministre des armées peut s’opposer au recrutement par un État ou par une entreprise étrangère de militaires français détenteurs de savoir-faire militaires ou opérationnels rares.

Le texte complète donc un arsenal préexistant en empruntant des chemins que nous approuvons pour certains, et d’autres sur lesquels nous émettons des réserves importantes. Je pense notamment à l’article 3, qui prévoit l’extension des finalités justifiant le recours à la technique de renseignement dite de l’algorithme, qui pose des questions tenant au respect des droits fondamentaux. Cette technique mobilise des traitements automatisés destinés à détecter des connexions ou des navigations sur internet susceptibles de révéler de manière précoce l’existence d’une menace – des algorithmes de suspicion en quelque sorte. Cet usage potentiellement très intrusif est restreint à la seule lutte contre le terrorisme ; le texte propose de l’étendre à la défense et à la promotion de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et de la défense nationale, à la défense des intérêts majeurs de la politique étrangère, à l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et à la prévention de toute forme d’ingérence étrangère.

Une telle extension ne risque-t-elle pas d’aboutir à une utilisation trop massive de cette technique, à un brassage et un traitement trop importants de données touchant des citoyens qui ne cherchent aucunement à participer à une ingérence étrangère ? Si ce risque n’était pas sérieux, le texte ne proposerait pas d’expérimenter cette mesure pendant plusieurs années et sur le fondement d’un algorithme dont on ne connaît pas les contours.

Si les précisions que monsieur le rapporteur a décidé d’apporter par voie d’amendement ne répondent pas à toutes nos interrogations, elles nous permettent néanmoins de porter un regard plutôt bienveillant sur la proposition.

Nous proposerons plusieurs amendements à l’article 3, visant, pour l’un, à réduire d’une année l’expérimentation prévue, pour un autre, à soumettre les modifications devant être apportées à l’algorithme de surveillance à un avis conforme de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), et pour un autre encore, à préciser le contenu du rapport que le Gouvernement devra remettre au Parlement sur l’évaluation du dispositif.

D’autres éléments suscitent de la part de notre groupe des interrogations et commentaires, comme l’absence de définition de la notion de mandants étrangers, ou encore l’absence de mesures relatives au droit électoral permettant d’instaurer un régime d’autorisation en lieu et place d’un régime déclaratif sous contrôle de l’État, pour les anciens responsables politiques qui souhaiteraient travailler au service de puissances étrangères.

Notre position résultera de l’examen du texte. Nous veillerons à ce qu’il soit un outil efficace.

M. Philippe Pradal (HOR). Monsieur le président et rapporteur, avec deux de vos collègues membres de la DPR, vous nous proposez un texte important et dense, qui reprend les propositions de niveau législatif émises dans le rapport d’activité annuel 2022-2023 de cette délégation. Face à la recrudescence des tentatives de déstabilisation dont notre pays fait l’objet de la part de puissances étrangères qui l’estiment plongé dans la naïveté ou dans le déni, il est en effet urgent d’agir. Selon les services de renseignement, plusieurs rapports parlementaires et les informations publiques qui nous parviennent, le niveau de menace d’ingérences étrangères est élevé, dans un contexte international particulièrement tendu. Il est urgent que la France se donne les moyens de les empêcher et de les sanctionner.

Les ingérences étrangères ont un objectif clair : nuire à notre modèle démocratique et fragiliser notre pays à tous les niveaux. En témoignent les campagnes de manipulation menées à grande échelle lors du Brexit et des élections présidentielles américaines de 2016, ou encore l’irruption des Macron Leaks deux jours avant le second tour de l’élection présidentielle française en 2017. Cette désinformation dangereuse a pour but de diviser notre pays et d’affaiblir notre démocratie en la décrédibilisant de l’intérieur et à l’extérieur.

Le Gouvernement et le Parlement sont pleinement conscients de la nécessité de se donner les moyens de faire face à cette menace difficilement identifiable et lancinante. La LPM 2024-2030, que le groupe Horizons et apparentés a soutenue sans hésitation, prévoit d’ailleurs de consacrer 5 milliards d’euros supplémentaires au renseignement, doublant le budget des différents services. Outre ces moyens financiers, nous devons doter les services de l’État des moyens juridiques de mieux identifier et sanctionner ceux qu’il faut bien appeler nos ennemis.

Nous soutenons pleinement les dispositions prévues aux articles 1 et 3 de la proposition de loi, visant respectivement à créer un répertoire numérique des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger et à élargir à titre expérimental l’application des techniques de renseignement dites algorithmiques à la prévention des ingérences étrangères. L’usage de ces techniques permettrait aux services de renseignement de mieux détecter les comportements susceptibles de révéler une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation.

À l’occasion de mes travaux sur l’intelligence artificielle générative, au service de notre commission, j’ai pu mesurer la maturité et la variété des techniques de fraude et de falsification que permettent les nouvelles technologies, et surtout leur capacité, à tout le moins, de paralyser nos propres systèmes.

Le groupe Horizons et apparentés estime que, face à une menace protéiforme, il est indispensable de disposer d’un large panel de sanctions. Nous savons que la sanction financière est efficace et souvent nécessaire. Il nous paraît donc très pertinent d’ouvrir la possibilité de geler les avoirs financiers des personnes participant à ce type de manœuvres déstabilisatrices.

Je souligne enfin l’importance de l’article 2, qui vise à mieux informer le Parlement de l’état des menaces résultant d’ingérences étrangères. Notre chambre doit pouvoir connaître et débattre de tous les sujets, et chaque composante politique faire état de ses positions.

Dans L’Esprit des lois, Montesquieu écrivait : « L’espionnage serait peut-être tolérable s’il pouvait être exercé par d’honnêtes gens. » Si la malveillance devient la règle, notre contre-espionnage doit être implacable. C’est pourquoi le groupe Horizons et apparentés votera ce texte.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Le texte s’attaque à un sujet essentiel, compte tenu de l’élévation du niveau de la menace pesant sur les fondements de nos démocraties et sur la souveraineté de nos États. La France n’y échappe pas : des cyberattaques l’ont prise pour cible, et des campagnes de désinformation visent parfois à y perturber des élections, donc le système démocratique lui-même. Les ingérences en question proviennent essentiellement de la Russie, en matière politique et de déstabilisation de la société, de la Chine, en matière économique, mais aussi de la Turquie, de l’Iran, parfois même de nos alliés. On ne peut pas rester aveugle face à ce phénomène. Nos réponses doivent être efficaces, mais aussi compatibles avec nos principes démocratiques.

Il faut clarifier la distinction entre influence et ingérence, la première étant tout à fait admissible dans le débat démocratique. Les premiers articles, qui visent la transparence, montrent bien cette différence. Il faudrait peut-être modifier le titre pour comprendre ce dont on parle.

Je me réjouis que l’initiative du texte vienne, une fois n’est pas coutume, du Parlement. Il procède très largement des travaux de la délégation parlementaire au renseignement (DPR), qui a consacré un chapitre entier de son dernier rapport annuel aux ingérences étrangères. Cette démarche est intéressante sur le plan institutionnel, et largement tributaire des moyens attribués au Parlement, puisque, sans ses instances de contrôle de l’action du Gouvernement, nous n’aurions pas pu traiter cette question.

Le groupe Écologiste n’a aucune objection majeure à faire valoir vis-à-vis du dispositif. Il s’interroge principalement sur l’article 3.

S’agissant de l’article 2, l’organisation régulière d’un débat parlementaire nous semble essentielle pour que chacun prenne la mesure des enjeux. Nous débattrons de sa périodicité à l’occasion de la discussion des amendements. Un rythme bisannuel ou trisannuel serait acceptable, un rythme annuel un peu trop rapide.

Pour ce qui est l’article 1er, nous sommes absolument favorables à la création d’un registre imposant la transparence aux représentants des intérêts de puissances étrangères. Son placement sous la responsabilité de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) nous paraît une garantie importante. Nous voterons l’amendement de réécriture du rapporteur, qui corrige quelques flous, s’agissant notamment des entités étrangères. Nous nourrissons des incertitudes vis-à-vis de la définition que vous retenez des mandants étrangers, un peu trop large : vous visez les partis politiques étrangers sans exclure ceux de l’opposition ; or, par définition, un parti d’opposition n’agit pas pour le compte d’un gouvernement. Une précision doit être apportée à cet égard.

Nous sommes globalement favorables au texte.

Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES). La lutte contre les ingérences étrangères est à nos yeux importante et décisive. Il faut prendre des mesures d’urgence, à l’approche des Jeux olympiques et dans un moment d’instabilité prononcée en Europe et dans le monde. De l’affaire Pegasus aux kompromats russes, toutes les ingérences étrangères ont pour but de déstabiliser nos démocraties, déjà fort fragilisées, et notre vie politique. Elles peuvent mettre en danger les citoyens et les citoyennes. Il en va ainsi de la campagne de désinformation russe Doppelgänger, à l’origine des tags représentant l’étoile de David dans les rues de Paris et de sa proche banlieue.

L’article 1er de la proposition de loi vise à créer un nouveau registre des acteurs influant sur la vie publique française pour le compte d’une puissance étrangère. En vue d’une efficacité et d’une visibilité plus grande, l’ONG Transparency International préconise plutôt une extension du répertoire des représentants d’intérêts déjà existant. Contrairement à une idée avancée dans le rapport de la DPR, ce répertoire, tenu par la HATVP, ne prend pas uniquement en compte les actions de lobbying économique. En 2016, en effet, le législateur a choisi de ne pas distinguer intérêts matériels et immatériels, et ce répertoire peut tout à fait enregistrer l’action de représentation d’intérêts des autorités publiques étrangères. Étendu, il pourrait constituer un formidable outil de prévention des ingérences étrangères. L’adoption de la proposition de loi des députés Cécile Untermaier et Gilles Le Gendre sur la transparence du lobbying le rendrait d’autant plus efficace. Cette proposition préconise notamment d’étendre la définition des représentants d’intérêts, de préciser les informations consignées dans le registre, ou encore d’augmenter la fréquence des déclarations.

L’article 3 permet aux services de renseignement de recourir à la technique de l’algorithme, uniquement autorisée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Cet article, qui fera sans doute l’objet de la majorité des débats, propose à nos yeux bien trop peu de garanties de protection des droits et libertés fondamentaux. Quels seront les biais algorithmiques de cet outil ? Qui exactement en aura l’usage ? Ce sont là des questions auxquelles la commission des lois est habituée, mais il faut pouvoir les creuser. L’article prévoit en outre de recourir à cette technique à des fins de prévention des ingérences étrangères, ce qui constitue un motif beaucoup trop large.

Nous savons combien l’utilisation de dispositifs exceptionnels sans contre-pouvoir peut porter atteinte à nos libertés fondamentales. Ces dernières années, nous sommes allés beaucoup trop loin en la matière : les dérives constatées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ont été largement documentées, notamment par le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), ce qui devrait éclairer nos débats.

Il nous semble que la prévention des ingérences étrangères doit se faire dans le cadre du droit commun applicable à tous les types d’influence sur l’action publique. Certains régimes autocratiques et quelques démocraties illibérales profitent de cette lutte légitime pour museler l’opposition politique et pénaliser avant tout la société civile et les contre-pouvoirs. Si nous tenons tant à ces principes, c’est parce qu’ils nous tiennent debout, et non parce qu’ils font joli sur un papier.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). En tant qu’ancien président de la commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, je remercie la commission des lois de m’accueillir.

Chaque fois qu’au sein du Rassemblement national, nous réfléchissons à ces ingérences, il me vient cette phrase de La Chanson de Roland : « Tel qui trahit se perd, et les autres avec lui. » C’est dire si, en France, le risque de trahison est une phobie, justifiée par les tristes illustrations de ce risque qui émaillent notre histoire. Il s’illustre aussi dans les accusations infondées. La trahison et les ingérences sont évidemment un poison pour notre pays, mais la suspicion infondée d’ingérence, l’accusation infondée de trahison sont aussi un poison pour la démocratie, qui doit se prémunir de ces deux dangers.

Si la chute de l’URSS avait pu faire espérer à certaines forces politiques naïves que la fin de la tragédie de l’histoire pouvait survenir et qu’une période de paix universelle s’ouvrait devant nous, il n’en a jamais rien été. La famille souverainiste, que représente le Rassemblement national, n’a jamais été naïve. Nous savions que la fragile paix entre les grandes puissances n’avait rien de définitif et que les États-Unis poursuivraient leur politique de puissance, y compris au détriment des intérêts de leurs propres alliés. Pire encore, nous savions que les régimes autoritaires, comme la Russie, ou les dictatures, comme la Chine et les pays du Golfe, useraient de toutes les méthodes imaginables pour promouvoir leurs intérêts, souvent, pour ne pas dire toujours, contre les nôtres.

Hélas ! les gouvernements successifs ont désarmé nos services de renseignement comme ils ont désarmé notre défense. Ces deux désarmements irresponsables, même suicidaires, étaient nourris de la même corruption des esprits, et parfois de corruption matérielle. À ce sujet, comme à tant d’autres, la macronie feint de se réveiller, mais elle ne fait pas semblant de manipuler la démocratie. Il aura fallu que quatre-vingt-huit députés du Rassemblement national siègent à l’Assemblée nationale pour que vous agissiez. Depuis 2014, tous les socialistes, Emmanuel Macron en tête, criaient déjà aux ingérences étrangères, mais ne faisaient rien, et pour cause : certains en étaient les agents – que l’on pense à Alstom, à Technip ou à Alcatel. Depuis 2017, vous criez au loup, mais vous n’avez créé aucune commission d’enquête, ni pris de dispositions d’une ampleur semblable à celle des risques que vous dénonciez.

Le texte que vous proposez est creux et multiplie les impasses. C’est une loi lilliputienne contre les géants qui nous attaquent de toutes parts. Vous ne prévoyez même pas de délit pour punir les ingérences étrangères et les Français qui trahissent, alors que la commission d’enquête a montré la nécessité de le faire – en l’état, le code pénal ne comporte guère d’article pouvant s’appliquer à la zone grise que constituent toutes les formes d’ingérence.

Vous ne prévoyez rien non plus contre la corruption, ni contre les conflits d’intérêts. Pourtant la commission d’enquête a mis en lumière leur gravité et leur progression. Vous avez censuré notre amendement pour empêcher que certains hommes politiques ne soient mis devant leurs responsabilités : par exemple, Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, qui reçoit ouvertement de l’argent du Qatar et de la Russie ; Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre ; d’anciens parlementaires macronistes, tel Buon Tan ; Hubert Julien-Laferrière, parlementaire en exercice ; Jean-Marie Le Guen, membre du conseil d’administration de Huawei, qui travaille à ce titre directement pour une puissance étrangère.

La faiblesse de votre texte ne fait que traduire la manipulation malsaine à laquelle vous vous livrez sans cesse s’agissant des ingérences. Votre camp et les partis qui vous ont précédés sont si coupables que vous salissez le seul parti innocent : le Rassemblement national.

Alors chiche ! Vous voulez proposer une loi sur les ingérences ? Faisons-la ! Luttons vraiment contre la corruption, avec des dispositions solides et pas vos minuscules propositions. Donnez aux services de renseignement, aux institutions comme la HATVP, à la justice et aux enquêteurs les moyens de travailler.

Étonnamment, votre texte ne reprend pas toutes les dispositions recommandées dans le rapport rédigé par Constance Le Grip au nom de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères – par exemple, celle qui consiste à faire de la lutte contre la corruption une mission centralisée sous la direction du Premier ministre. Nous déposerons un nouvel amendement en ce sens.

Nous verrons, dans la discussion des amendements proposés par le Rassemblement national, si vous voulez vraiment lutter contre les ingérences. J’en doute, mais cette fois votre hypocrisie sera publique.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Dans son rapport rendu public le 2 novembre 2023, la DPR met en garde notre assemblée contre une forme de naïveté relative aux vulnérabilités de la France face aux ingérences de pays étrangers comme la Chine et la Russie, et émet un certain nombre de propositions pour lutter contre celles-ci. Elle s’adresse non seulement au Gouvernement, mais également aux élus locaux, car les collectivités territoriales sont susceptibles d’accueillir des investissements étrangers pouvant constituer le support d’une ingérence. La DPR propose donc d’organiser une session de sensibilisation des élus locaux aux risques d’ingérences au lendemain de chaque élection locale.

La proposition déposée pour répondre à cette menace durable prévoit des mesures étoffant notre arsenal législatif, afin de protéger la France et de déployer une riposte démocratique face aux ingérences étrangères. Parmi les principaux pays se livrant à de tels agissements en France, on trouve sans surprise la Russie. De l’espionnage à l’infiltration, des manipulations de grande ampleur à la déstabilisation de certains processus électoraux, l’État russe, particulièrement actif, reste la principale menace. À ceux qui penseraient encore que Vladimir Poutine est notre ami, on ne peut que rappeler ce qui se passe en Afrique, où la Russie tente de saborder systématiquement les intérêts de la France, en mettant en avant à dessein son passé colonial. Quant à la Chine, elle est toujours en pointe dans le domaine de l’espionnage, pas seulement industriel.

Si le texte contient des dispositions intéressantes, il est à certains égards incomplet. L’article 3, par exemple, ne fera pas consensus. La proposition de loi fait également l’impasse sur le problème des binationaux, plus particulièrement des élus binationaux. Doit-on penser que, si le texte est adopté, les députés ou les ministres binationaux pourraient être soupçonnés d’ingérence étrangère ? L’amendement que j’ai déposé en ce sens permettrait d’aborder utilement ce sujet, qui n’est pas anodin.

M. le président Sacha Houlié, rapporteur. Je remercie Mme Le Grip d’avoir parlé de son rapport sur les ingérences étrangères et des travaux de contrôle de la DPR. Ce sont autant d’études qui permettent d’objectiver les menaces, et sur lesquels nous nous sommes appuyés pour préparer cette proposition de loi.

Madame Martin, notre méthode de travail peut certes être discutée, mais il ne faut pas dire des choses inexactes : ce texte n’est pas soumis à la procédure accélérée, j’ai simplement dit que je l’aurais souhaité. Quant à l’avis du Conseil d’État, nous ne l’avons en effet pas sollicité, mais cela aurait retardé nos travaux, et la littérature parlementaire sur le sujet est déjà très abondante. Soit on considère que le Parlement est suffisamment instruit, grâce notamment aux rapports de la commission d’enquête et de la DPR, pour présenter une proposition de loi, soit on considère qu’il est ignorant sur le sujet et il faut en tirer les conclusions qui s’imposent.

L’article 3 semble poser problème. Je voudrais expliquer pourquoi le dispositif de collecte des données de connexion n’a pas été très fructueux pour la lutte antiterroriste et pourquoi il fonctionnerait en revanche pour les finalités 1 et 2, énumérées par l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure.

Je rappelle que pour créer un algorithme de collecte des données de connexion, le Premier ministre doit en faire la demande auprès de la CNCTR, en désignant un objectif ciblé. Pour que le Premier ministre puisse autoriser la mise en œuvre de l’algorithme, la CNCTR doit donner un avis favorable. Si elle rend un avis défavorable, l’algorithme ne peut être autorisé, et un recours devant le Conseil d’État est possible. Une fois l’algorithme développé, il est mis en œuvre, non par le service demandeur, mais par le groupement interministériel de contrôle (GIC), qui fait l’interface entre l’information collectée et le service. Tout cela est donc très contrôlé.

Ce dispositif n’a pas fonctionné exactement comme nous l’attendions en matière antiterroriste. D’abord, parce que les menaces projetées ont très largement décliné, pour devenir minoritaires parmi les menaces terroristes. Ensuite, parce que les menaces endogènes sont le fait de personnes chaque fois plus jeunes, qui se radicalisent seules ou par les réseaux sociaux. Dans ces conditions, il est très difficile d’analyser un comportement d’ensemble ou un comportement reproductible d’un individu à l’autre. L’extension de la surveillance algorithmique aux URL de connexion autorisée par la loi du 30 juillet 2021 n’a pas été mise en œuvre, ainsi que nous en a informés la CNCTR lors de son audition.

Les ingérences étrangères, en revanche, font l’objet de protocoles organisés. C’est ce que présument, en se fondant sur leur observation, à la fois la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), chef de file en matière de contre-espionnage, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), chargée de l’espionnage offensif à l’égard de puissances étrangères, la CNCTR et le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Selon ces services, l’utilisation d’algorithmes pour la surveillance des données de connexion pour prévenir l’ingérence étrangère, donc pour les finalités 1 et 2, serait pertinente.

Pour répondre à monsieur Latombe, l’utilisation de ces algorithmes est contrôlée, non par la Cnil, mais par la CNCTR, où siègent également des parlementaires, désignés par la présidence de l’Assemblée et celle du Sénat.

La rédaction de l’article 3 est restrictive : le dispositif ne concerne que la lutte contre les ingérences étrangères, ce qui réduit d’autant la portée des algorithmes. Je m’étais posé la question de savoir s’il fallait l’étendre à la prévention des cyberattaques portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. Je renvoie ce débat à la séance publique, après que nous ayons mené une audition complémentaire.

M. Boucard a évoqué les moyens de la HATVP. Si de nouvelles missions lui sont confiées, il est évident qu’elle recevra des moyens complémentaires. Elle a déjà bénéficié de 4 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires cette année, et ses effectifs doivent être amenés à augmenter dans un nouveau projet de loi de finances.

Monsieur Latombe, vous avez rappelé à juste titre les efforts réalisés par la loi de programmation militaire pour les services de renseignement, à hauteur de 5 milliards. Il s’agit notamment d’investissements touchant à l’humain – grilles de rémunération et recrutements –, et de projets immobiliers conséquents pour la DGSI et pour la DGSE notamment. Je ne reviens pas sur l’insuffisance des outils et la naïveté française, soulignées par le rapport de la DPR. Je vous ai répondu aussi sur la Cnil. Je partage votre attention et votre sensibilité aux libertés publiques, mais je rappelle que ce que nous cherchons est très calibré. Nous ne cherchons pas à créer un filet dérivant dans lequel tout le monde pourrait tomber. Nous ne disposons pas des moyens de la National Security Agency (NSA) pour collecter des données en quantité industrielle, que nous ne pourrions de toute façon pas traiter et qui contribueraient à surcharger les capacités d’analyse des services français plutôt qu’à un meilleur renseignement. Nous ne sommes pas les Américains, et nous opérons avec les armes qui sont les nôtres.

Madame Pic, vous avez émis des réserves, mais je rappelle que les finalités du dispositif sont restreintes. L’évolution de la menace ne semble pas assez rapide pour justifier la tenue d’un débat annuel au Parlement. Vous souhaitez restreindre l’expérimentation. Nous proposons d’aligner sa durée sur celle du régime des interceptions satellitaires, soit quatre ans.

Sur la question du rapport détaillant les retours de l’expérimentation et les précisions à apporter quant à l’usage des algorithmes dans la lutte antiterroriste, j’émettrai un avis de sagesse sur votre amendement CL11 ; peut-être faudra-t-il parfaire sa rédaction d’ici la séance.

Monsieur Pradal, je vous remercie pour votre soutien inconditionnel au texte et pour la concision et la clarté redoutable de vos propos.

Je vous remercie également, monsieur Iordanoff, pour l’intérêt que vous portez au texte et pour votre assiduité aux auditions. Vous suggérez d’apporter des précisions à l’article 1er sur les journalistes, puisque les sociétés de presse sont visées par les exemptions, et sur les partis politiques, puisque le texte considère les « organisations politiques étrangères » comme mandant étranger. Peut-être aurons-nous l’occasion de préciser en séance qu’il s’agit des partis rattachés à un État du fait d’une participation à un gouvernement ou à une majorité.

Madame Faucillon, j’espère avoir apporté des réponses à vos réserves sur l’article 3, même si je doute de vous avoir totalement convaincue. Vous avez évoqué, en reprenant à votre compte les demandes de l’organisation Transparency International, la question des registres. Nous proposons de suivre un modèle qui a fait ses preuves, celui du Fara américain créé en 1938, qui a d’ailleurs été repris quasiment à l’identique par le Royaume-Uni. Il prévoit la tenue de deux registres distincts des représentants d’intérêts : le registre domestique, qui concerne tous les représentants, à l’exception de ceux travaillant pour certains types de clients, qui doivent s’inscrire sur un registre renforcé sous peine de sanctions renforcées. Ce dernier registre concerne l’influence étrangère. J’appelle votre attention à cet égard sur les différences entre l’influence et l’ingérence : l’article 1er du texte traite de l’influence, alors que les autres articles correspondent à l’ingérence proprement dite.

Monsieur Tanguy, je vous souhaite la bienvenue à la commission des lois. Je pensais que vous étiez venu pour faire votre mea culpa : vous vous êtes illustré, lors de votre présidence de la commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères, en jetant l’opprobre sur plusieurs personnalités politiques. J’ai lu avec attention le rapport de cette commission. Il fait état, dans les pages 164 et suivantes, du Rassemblement national comme courroie de transmission de la Russie en France. Je comprends que cela puisse vous agacer, mais je n’ai pas visé le Rassemblement national lors de la discussion générale : j’ai visé les ingérences étrangères. Si vous vous êtes senti concerné, c’est peut-être le signe que ce texte touche du doigt des réalités de la vie politique française.

Je regrette que vous continuiez à affirmer faussement que nous poursuivions un désarmement des services de renseignement – je viens de rappeler qu’ils bénéficient de 5 milliards d’euros dans la loi de programmation militaire – et des armées, alors que notre industrie d’armement tourne aujourd’hui à plein régime.

Vous auriez pu vous féliciter de cette proposition de loi et faire œuvre utile pour votre pays en la soutenant, mais vous préférez verser dans la polémique. Je m’arrêterai là, car mon but est que mon pays puisse se doter des armes nécessaires pour faire face aux ingérences, aux influences et aux attaques qu’il subit.

Madame Ménard, l’article 3 ne retient aucun critère de nationalité, mais l’article 1er le prend indirectement en compte. En augmentant la peine à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour non-déclaration au registre des représentants d’intérêts étrangers, il permet au juge de prononcer des peines complémentaires d’interdiction du territoire français, en application de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, ou à l’autorité administrative de prononcer une mesure administrative d’expulsion du territoire. Ces dispositions ne concernent pas les binationaux : je m’y opposerais par principe et cela serait anticonstitutionnel.

Article 1er : Répertoire numérique des représentants d’intérêts agissant pour le compte d’un mandant étranger

Amendement de suppression CL14 de M. Bastien Lachaud

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Il existe bien sûr des situations d’ingérence, nous ne le nions pas et elles nous posent problème. Si nous proposons de supprimer le dispositif du répertoire des représentants d’intérêts, c’est, d’une part, parce que cette approche nous semble naïve et, d’autre part, que l’alourdissement de la peine pour non-respect de l’obligation de s’inscrire ne fonctionne pas. Par ailleurs, vos propos semblent opposer, dans une logique hypermanichéenne, les bonnes démocraties libérales aux méchantes dictatures. C’est plus compliqué que cela : la France elle-même n’a-t-elle pas des pratiques d’ingérence ? Enfin, l’ingérence n’est pas définie, alors qu’il en existe des définitions. Selon le patron de la DGSI, qui n’est pas le plus mal placé pour définir cette notion, l’ingérence est un sous-ensemble de l’influence : il est dangereux de superposer les deux concepts, qui ne sont pas équivalents. En effet, l’ingérence présente, selon lui, deux particularités : elle est cachée – il ne s’agit pas seulement de réserver des billets de train et de les annuler ensuite – et elle consiste à mener des actions visant à rendre la politique d’un État favorable à un autre. Il aurait donc été possible de retenir une définition stricte et précise de l’ingérence dans la proposition de loi.

M. Sacha Houlié, rapporteur. L’influence n’est pas nécessairement illégale, même si elle peut porter atteinte aux intérêts de la nation par des manœuvres de déstabilisation et de manipulation. En tout état de cause, l’article 1er ne traite pas d’ingérence, dont par ailleurs vous vous dites inquiète sans vouloir en tirer toutes les conséquences. Enfin, vous me reprochez un manichéisme opposant les gentilles démocraties aux méchants pouvoirs autocrates, mais ceux-ci sont intrinsèquement plutôt malveillants à l’égard des libertés publiques. J’ai donc tendance à vouloir protéger les démocraties libérales de l’ingérence étrangère des autocraties, plutôt que l’inverse. Le dispositif du registre, qui fait l’objet d’un amendement de réécriture, me semble donc justifié. Avis défavorable.

M. Philippe Latombe (Dem). Nous sommes favorables à l’article 1er, modifié par l’amendement de réécriture. Le modèle du Fara est un bon modèle – et en le suivant, nous rattrapons un retard accumulé depuis 1938 –, mais nous proposons d’aller jusqu’au bout de la démarche américaine. Le président Biden a, il y a quinze jours, émis un executive order pour lutter contre les influences et ingérences extérieures, prévoyant que les données sensibles concernant les Américains doivent être stockées dans des centres situés sur le territoire américain. Nous avons déposé un amendement en ce sens – notamment pour imposer cette exigence à nos données de santé, qui sont un moyen d’ingérence –, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 45 de la Constitution.

M. Ian Boucard (LR). Je ne suis pas d’accord avec Mme Martin, mais elle pose un débat intéressant. Nous devons nous poser la question des ingérences françaises. Si nous voulons nous prémunir contre les ingérences étrangères, nous devons prendre garde à ne pas interférer de la même manière dans la politique intérieure des autres pays. Je ne crois pas du tout au droit d’ingérence, défendu par exemple par Bernard Kouchner.

Avec nos armes et notre bonne morale de grande démocratie, nous ne pouvons pas lutter à armes égales avec les autocraties illibérales. Nous devons donc adapter notre droit, et c’est la raison pour laquelle je soutiens l’article 3, malgré quelques réserves. Dans l’idéal, nous ne devrions pas avoir besoin de cette proposition de loi, mais le comportement de certaines autocraties nous pousse à adopter de telles mesures.

Je suis favorable à l’article 1er, tel que réécrit par l’amendement CL39.

Mme Constance Le Grip (RE). Je m’attendais à ce que nous ayons ce débat sémantique sur la distinction entre influence et ingérence. Il a occupé pendant des heures les instances, y compris parlementaires, qui ont eu à traiter de l’ingérence et de l’influence. J’invite ceux qui se posent des questions sur cette distinction à lire les travaux de la DPR et de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’ingérence étrangère. Une commission d’enquête sénatoriale, créée à l’initiative du groupe socialiste, écologiste et républicain, travaille actuellement sur ce sujet.

L’article 1er vise à introduire de la transparence sur le modèle du Fara, suivi également par les Britanniques et par les Australiens. Ce dispositif est précisément circonscrit, puisqu’il impose aux représentants d’intérêts étrangers de déclarer les mandants pour lesquels ils travaillent. Cette déclinaison française du Fara est essentielle, et elle est attendue par de nombreux acteurs, notamment la HATVP, depuis assez longtemps.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous soutenons l’article 1er tel qu’il est rédigé, nonobstant les amendements de mon collègue Lopez-Liguori. Il est important d’avoir un filet dérivant très large, car des critères trop restrictifs sont immédiatement contournés par ceux menant des opérations d’influence ou d’ingérence. En ce domaine, qui trop embrasse bien étreint, et il faudrait pouvoir intercepter toutes les tentatives d’ingérence et même d’influence.

Malheureusement, je n’ai pas pu assister à toutes les auditions, mais le président de la HATVP a déclaré ne pas disposer des moyens suffisants pour mener à bien ses missions actuelles. Or, le dispositif prévu par l’article 1er représente une mission considérable en termes de moyens humains, financiers et matériels. Si nous ne donnons pas ces moyens à la HATVP, l’article 1er ne sera qu’un moyen de rassurer les Français pour pas cher : si ce registre n’est pas correctement surveillé, il est une fausse assurance. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement en fin de texte, pour donner davantage de moyens à la HATVP.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL39 (rectifié) de M. Sacha Houlié et sous-amendement CL46 de M. Aurélien Lopez-Liguori

M. Sacha Houlié, rapporteur. Cet amendement précise et complète l’article 1er.

Il précise les trois critères cumulatifs déclenchant la mise en œuvre des obligations déclarative et déontologique : le déclarant doit agir pour le compte d’un mandant étranger, défini comme une puissance étrangère, l’un de ses démembrements ou une organisation politique ; il doit agir sur l’ordre, la demande, la direction ou le contrôle du mandant ; il doit réaliser une activité de lobbying, de communication ou de collecte de fonds.

Le dispositif va au-delà du lobbying classique. En la matière, les critères sont plus souples que ceux prévus pour le registre créé par la loi Sapin 2, et s’inspirent des récentes propositions de Gilles Le Gendre et Cécile Untermaier pour le faire évoluer.

L’amendement prévoit des exclusions pour les diplomates, les avocats, les sociétés de presse et les associations cultuelles. Le cas des journalistes a été évoqué par la commission d’enquête, et nous devrons poursuivre la discussion en séance publique.

Il prévoit également que toute personne remplissant les critères que j’ai cités sera soumise à ce nouveau dispositif, plutôt qu’à celui de la loi Sapin 2.

Enfin, il précise les obligations déclaratives et déontologiques, et alourdit les peines pour les personnes physiques.

M. Aurélien Lopez-Liguori. Face au danger d’ingérence, la protection de nos intérêts nationaux doit passer par une plus grande transparence des actions des acteurs, des lobbys ou des cabinets d’avocats mandatés par des puissances étrangères. L’obligation de déclaration des représentants d’intérêts opérant pour un mandant étranger prévue par l’article 1er permet de cartographier les potentielles menaces, mais, en cas de non-déclaration, aucune sanction n’est prévue à l’égard des personnes morales, et la sanction pécuniaire pouvant être prononcée à l’égard d’une personne physique – 45 000 euros – est dérisoire pour un État, un gazier ou un pétrolier.

Nous proposons donc une amende pour les personnes morales pouvant aller jusqu’à 2 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Nous n’avons effectivement pas prévu à ce stade de sanctions spécifiques pour les personnes morales – nous sommes dans l’attente d’un échange avec la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ). Toutefois, votre amendement prévoit une sanction pécuniaire en termes de pourcentage, ce qui est plus courant en matière administrative qu’en matière pénale. Il ne vise que les entreprises, et exclurait donc les associations ou les instituts, comme l’institut Confucius. Avis défavorable.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Pour compléter ma précédente intervention sur les partis politiques d’opposition, je dirais qu’il faut aller au bout de la réflexion concernant les journalistes. Pourquoi viserait-on les entreprises de presse mais pas les journalistes ? Pourquoi ne ferait-on pas l’inverse ? Quelle logique a conduit à cette rédaction ? Je m’interroge aussi sur le cas des chercheurs qui, dans la rédaction actuelle, tombent sous le coup du dispositif. La plupart d’entre eux exercent en effet leur activité dans des universités, c’est-à-dire des entités dont plus de la moitié des ressources provient, en général, de gouvernements étrangers. Même si certains d’entre eux peuvent agir comme agents d’influence de certains pays – vous visez la Chine, me semble-t-il –, il vaudrait tout de même mieux exempter cette catégorie d’inscription au nouveau répertoire.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). C’est une tentative de resserrement bienvenue, même si nous n’avons toujours pas de définition claire permettant de distinguer l’ingérence de l’influence. Il me paraît d’ailleurs problématique de ne pas s’en tenir à la notion d’ingérence telle que définie par le patron de la DGSI.

Quoi qu’il en soit, ce premier resserrement présente le défaut de ne pas exclure du répertoire les journalistes et les représentants d’associations défendant les droits humains. En outre, la méthode d’inscription volontaire auprès de la HATVP ne fonctionne pas : l’ingérence étant une activité cachée, les gens qui s’y livrent ne vont pas venir déclarer qu’ils vont essayer de s’attaquer aux intérêts de la France en s’y prenant de telle ou telle manière. La question de l’efficacité se pose d’autant plus qu’elle est liée à celle des moyens alloués à la HATVP.

Nous sommes favorables à un resserrement du dispositif, mais il nous paraît illusoire d’imaginer que nous allons réussir ainsi à atteindre notre objectif commun : prévenir les ingérences étrangères en France. Nous n’allons pas y arriver au travers de ce répertoire.

M. Philippe Pradal (HOR). Pour notre part, nous sommes favorables à la réécriture proposée. Au passage, j’aimerais vous alerter sur le nuage de naïveté qui est en train de se mettre en place concernant certains partis qui ne seraient pas accusés de faire de l’ingérence sous prétexte qu’ils seraient des partis d’opposition. L’action d’États étrangers ou de puissances étrangères sur notre territoire est tellement protéiforme qu’il ne faut pas partir du principe qu’une personne est bienveillante à l’égard de notre pays dès lors qu’elle agit pour le compte ou à la demande d’un parti politique d’opposition. Certains partis d’opposition ultranationalistes ou irrédentistes peuvent conduire à remettre en cause l’intégrité de notre territoire en menant des campagnes. Ce n’est pas parce qu’un représentant d’un parti d’opposition est en France qu’il est bienveillant à l’égard de notre pays et qu’il mérite une surveillance ou des précautions moindres.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Notre collègue a parfaitement raison : des députés d’opposition peuvent agir pour le compte d’intérêts étrangers. Comme cela peut aussi être le cas de députés de la majorité – je l’invite à contacter certains de ses anciens collègues.

S’agissant de l’amendement, je ne comprends pas ces restrictions – la première version était bien meilleure. Faute de temps, je ne vais prendre que deux exemples.

Première restriction : il ne vise que « les personnes morales qui sont directement ou indirectement dirigées ou contrôlées par un Gouvernement étranger, ou dont les ressources sont financées pour plus de la moitié par un Gouvernement étranger ». Vous allez organiser votre propre désarmement. Par le biais de sociétés écrans, de montages et de magouilles diverses et variées, il sera possible de contourner ce critère. Le temps que vous arriviez à démonter les magouilles, pour peu que vous parveniez à le faire, l’influence et l’ingérence auront eu lieu depuis bien longtemps.

Deuxième restriction, plus grave et que je ne m’explique pas : vous excluez les associations à objet cultuel. C’est la porte ouverte à n’importe quoi. Toutes les religions n’ont pas la hiérarchie de l’Église catholique. Vous pouvez, par exemple, vous autoproclamer bonze d’une association cultuelle bouddhiste et venir faire la promotion de puissances étrangères qui ont cette religion – petit véhicule, grand véhicule ou même véhicule tibétain pour la Mongolie. Ne parlons pas de représentations islamiques qui peuvent revêtir une forme associative pour s’adonner à des ingérences étrangères. Vous le savez si bien que votre majorité a limité l’envoi en France d’imams étrangers pour ces questions d’ingérence. Ce n’est pas très cohérent. Je ne comprends pas pourquoi vous avez réécrit votre propre article au lieu d’en garder la première version qui a tout notre soutien, contrairement à la deuxième.

M. Philippe Latombe (Dem). Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas prévu de peine pour les personnes morales. Est-ce à dire que vous n’avez pas encore calibré le montant de l’amende et la durée de l’emprisonnement, mais que vous l’aurez fait avant l’examen en séance ? Dans ce cas, nous serions favorables à une amende fixe plutôt que définie en pourcentage du chiffre d’affaires, puisque des personnes ou des organismes tels que les associations n’ont pas de chiffre d’affaires. En revanche, nous préconisons une peine de prison pour le dirigeant, ce qui permettrait d’éviter les récidives. Pour diriger ce type d’associations, il est plus difficile d’encourir une peine de prison qu’une amende – celle-ci peut d’ailleurs être indolore même quand elle est calculée en pourcentage d’un chiffre d’affaires. Cela permettrait de satisfaire le sous-amendement sans l’adopter, et d’avoir une véritable mesure de coercition en cas de besoin.

Mme Cécile Untermaier (SOC). Pour notre part, nous saluons au contraire la réécriture de cet article, qui répond à certaines de nos interrogations. Nous voterons donc pour cet article 1er, puisque vous nous avez donné l’assurance que vous alliez revoir les points qui continuent à nous poser problème concernant les journalistes, les ONG et les syndicats – l’amendement CL18 de M. Lachaud nous semble intéressant à cet égard, mais il risque de tomber.

Le Gouvernement doit aussi s’engager à faire en sorte que la HATVP soit dotée de moyens suffisants.

Enfin, le dispositif visant les influenceurs, ne pourrait-on pas imaginer plutôt un enregistrement quasi concomitant avec l’action envisagée ? Nous nous étions posé la question pour ce que vous appelez l’enregistrement domestique, car un enregistrement qui donne des informations après l’action perd de son utilité et de sa pertinence, ce qui est particulièrement vrai en matière d’influence.

M. Ian Boucard (LR). Nous avons admis qu’il ne fallait pas tomber dans la naïveté, que nous devions prendre conscience que ceux qui veulent faire de l’ingérence en France n’ont pas les mêmes méthodes que nous. Nous envisageons d’exclure du répertoire des catégories diverses et variées telles que les journalistes, les associations à objet cultuel et autres. Sur le plan des principes, je pourrais être d’accord, mais il faut tout de même se méfier. Si un pays comme l’Azerbaïdjan ne peut faire de l’ingérence en France par le biais d’une entreprise, il va monter une association à objet cultuel, envoyer des journalistes, vrais ou faux, mais qui seront en tout cas sous l’influence totale de ce régime autocratique.

Veut-on ou non faire une loi efficace ? Si on ne le veut pas, on exclut tout le monde, et on dit : « Nous ne sommes pas contents et nous condamnons les méchants qui font de l’ingérence en France ». C’est ce que l’on fait depuis des années, en pure perte, ce qui vous conduit à nous proposer ce texte, monsieur le rapporteur. À mon avis, il faut ratisser suffisamment large pour se prémunir des méthodes de ceux que nous voulons combattre, sans toutefois adopter celles-ci. Veillons donc à ne pas exclure tout le monde : les journalistes, chercheurs et membres d’associations cultuelles ou caritatives du monde entier n’ont pas forcément la même déontologie que leurs homologues français.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Il était nécessaire de mieux préciser les critères et les définitions s’appliquant aux personnes et opérations concernées.

S’agissant des peines, il est actuellement prévu qu’elles soient identiques pour les personnes morales et les personnes physiques, ce qui n’est pas satisfaisant. Nous allons donc revoir la mesure, en envisageant la peine fixe et les conditions évoquées par monsieur Latombe.

Ce sont les exemptions qui vous posent le plus de difficultés. Pourquoi n’avais-je pas exclu d’emblée les journalistes ? Parce que certaines actions d’ingérence étaient le fait de journalistes, comme le montre notamment l’affaire Team Jorge. Nous voulions que la définition resserrée des critères puisse embrasser cette action, sans exclure par principe les journalistes. Nous pouvons revoir cet aspect du dispositif. Quant aux ONG, elles tombent dans le champ du répertoire de représentants d’intérêts, c’est-à-dire le répertoire domestique, à moins qu’elles n’agissent pour le compte d’un État étranger. Pour le coup, je ne vois pas de raison valable pour les exclure de ce champ. Les syndicats, pour leur part, ne sont pas inclus parmi les personnes morales concernées par le répertoire domestique lorsqu’elles restent dans le cadre de la négociation syndicale classique. En revanche, je ne vois pas de raison d’exclure un syndicat qui agirait pour le compte d’un État étranger ou d’une entité politique étrangère. Voici les cas identifiés qui justifient la rédaction que je vous présente à ce stade.

La commission rejette le sous-amendement.

Elle adopte l’amendement et l’article 1er est ainsi rédigé.

En conséquence, les autres amendements tombent.

Article 2 (art. L. 111-3 [nouveau] du code de la sécurité intérieure) : Rapport sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale
en raison d’ingérences étrangères

Amendement CL19 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Cet article prévoit la remise d’un rapport annuel au Parlement sur l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale. Dans un rapport – qu’il soit annuel ou bisannuel, peu importe –, le Gouvernement peut en effet nous informer sur le type de situations où, selon des critères réels et objectifs, il a pu percevoir des logiques d’ingérence. Outre ce rapport, qui n’aura forcément qu’un caractère général, nous souhaiterions un renforcement de la présence des parlementaires dans la DPR : il est intéressant de discuter des bonnes choses dans les bons endroits. Or, la DPR nous paraît être un endroit tout à fait approprié pour que les parlementaires puissent se saisir d’une façon assez précise de ce qui s’est passé.

Profitant des quelques instants qu’il me reste, je reviens un peu en arrière pour dire deux choses. Tout d’abord, nos débats prouvent que l’article 1er ne peut pas raisonner en termes de catégories de personnes, mais de nature d’actes. Ensuite, la nouvelle rédaction de l’article a fait tomber certains de nos amendements qui, de notre point de vue, restent valables sur le fond : votre propre logique devrait conduire à l’exclusion de certaines personnes du répertoire ; il faudra que des moyens soient dédiés à la HATVP.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Vous demandez une saisine de la DPR avant la remise du rapport prévu à l’article 2 sur les ingérences étrangères. C’est la DPR qui produit elle-même les rapports après audition des services de renseignements. Les choses ne se passent donc pas dans l’ordre que vous envisagez. Le but est de faire circuler des informations dont dispose déjà la DPR, un peu à la manière dont nous avons procédé avec le rapport qui donne lieu à la proposition de loi. Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). En fait, nous proposons un retour obligatoire vers le Parlement, alors que l’article 2 indique seulement : « Ce rapport, qui fait état des menaces résultant d’ingérences étrangères, peut faire l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. » Dans l’exposé des motifs de votre texte, vous expliquez pourtant : « Il est en effet nécessaire que les réponses apportées aux menaces qui pèsent sur notre démocratie fassent l’objet d’un débat public, transparent et transpartisan. » Il manque les mots « nécessaire », « transparent et transpartisan » dans la rédaction de l’article 2. Ce que nous proposons de corriger par le biais de notre amendement.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Nous sommes d’accord sur la nécessité d’un débat, mais nous ne pouvons le rédiger tel que vous le souhaitez : en vertu de la séparation des pouvoirs, l’Assemblée fixe son propre calendrier. Un article de la loi sur l’immigration a d’ailleurs été censuré à ce titre par le Conseil constitutionnel.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL40 de M. Sacha Houlié

M. Sacha Houlié, rapporteur. Comme déjà indiqué, il s’agit de prévoir une remise de rapport dans l’année qui suit celle de la promulgation de la présente loi, puis tous les deux ans.

M. Philippe Latombe (Dem). Nous sommes en désaccord avec cette idée de ne prévoir la remise d’un rapport que tous les deux ans et non plus chaque année. Faisant écho aux propos du collègue Léaument, je rappelle le constat partagé d’une certaine naïveté de la part de la France sur le sujet. Il est nécessaire que nous ayons un rapport annuel, donnant lieu ou non à un débat, mais nous permettant de nous réinterroger sur les menaces existantes et leur évolution, notamment parce que les technologies de l’information changent à toute vitesse, ce qui nous oblige à être les plus réactifs possible. Si vous voulez que ce soit efficace, les parlementaires doivent disposer d’un rapport annuel, même si cela ennuie le Gouvernement. Nous devons être au courant de ce qui se passe et en tirer les conséquences dans notre activité législative. Le groupe Démocrate souhaite donc un rapport annuel, comme prévu initialement.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous aussi, nous aurions préféré garder un rapport annuel, en particulier lors des périodes préélectorales. Imaginez que nous soyons alertés par un rapport, puis qu’il ne se passe plus rien l’année suivante alors que se déroulent des élections aux enjeux importants. Cela pose un grave problème démocratique dans les deux sens. Si le Parlement avait eu chaque année un rapport sur les ingérences étrangères, nous aurions peut-être pu lever des lièvres. L’opinion publique et le Parlement auraient peut-être pu, par exemple, contrer les rachats d’Alstom, Technip, Lafarge et Alcatel, toutes ces entreprises cédées pour de très mauvaises raisons. Certaines ingérences ont parfois été démontées par nos services démocratiques ou par la presse : les opérations de déstabilisation menées par la Russie lors des élections présidentielles de 2017 n’ont pas produit d’effet sur le résultat du scrutin, selon Conseil constitutionnel, car la presse et nos organes démocratiques ont résisté vaillamment et ont mis ces tentatives russes en échec.

M. Ian Boucard (LR). La qualité des rapports importe plus que la fréquence de leur publication. Dans l’hémicycle, nous avons souvent des débats sur la base d’informations très parcellaires fournies par le Gouvernement, qui ne nous apprennent pas grand-chose, même si chacun en ressort très satisfait de sa petite prise de parole. Il faudrait trouver un moyen de cadrer les informations – leur type, leur classification – données aux parlementaires par le Gouvernement. Il nous faut des informations de qualité et sur la durée. S’agissant du rythme, il vaut mieux que nous ayons un échange annuel, mais il ne servira à rien s’il se borne à faire état d’informations telles qu’une tentative d’attaque de Russes sur quelques messageries. Trouvons le moyen, d’ici à la séance, de cadrer suffisamment ce débat pour qu’il ait un intérêt pour le Parlement et surtout pour notre pays.

Mme Constance Le Grip (RE). Au sein de l’Assemblée nationale et du Sénat, il existe plusieurs lieux où les parlementaires peuvent être informés par le Gouvernement sur les activités de renseignements en France et à l’extérieur. Citons la DPR, dont la mission est d’exercer un contrôle parlementaire sur l’activité de nos services de renseignements. Citons aussi les commissions – des lois, des affaires étrangères, de la défense nationale et des forces armées – qui peuvent interroger les ministres concernés aussi souvent qu’elles le souhaitent. Il est d’ailleurs à noter un important changement de paradigme dans l’exécutif français : nos plus hautes autorités – Gouvernement, ministres, agences de l’État – n’hésitent plus à désigner les auteurs de campagnes de désinformation et de cyberattaques. À commencer par le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, Viginum, il existe de nombreuses instances qui informent les parlementaires et le grand public sur ces sujets. La temporalité de deux ans permettra d’avoir un débat nourri et bien renseigné.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL1 de M. Vincent Seitlinger

M. Ian Boucard (LR). Notre collègue Vincent Seitlinger tient à alerter la commission sur la place des réseaux sociaux dans les ingérences étrangères, qui se manifeste notamment par des attaques de trolls et de comptes factices – pour être honnête, elles apparaissent plus souvent sur X que sur les autres réseaux. Pour nous prémunir de l’ingérence étrangère, nous devons nous interroger sur les actions à mener sur les réseaux sociaux. Cet amendement vise à demander au Gouvernement de remettre chaque année au Parlement un rapport sur les tentatives d’ingérences étrangères à travers la désinformation sur les réseaux sociaux, ainsi que sur l’implication des algorithmes qui favorisent cette désinformation.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Notre rédaction se veut plus englobante. Il y est question de « l’état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale », notamment de celles qui résultent « d’ingérences étrangères ». Nous voulons éviter une liste à la Prévert, forcément incomplète, qui priverait le Parlement d’informations sur ces sujets. À défaut d’un retrait, j’émettrais un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL32 de M. Aurélien Lopez-Liguori

M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Nombre de nos entreprises talentueuses et innovantes sont enviées par des acteurs étrangers qui peuvent se lancer dans des stratégies offensives d’investissements et de rachats pour prendre le contrôle de ces fleurons. Nous avons vu ce phénomène à l’œuvre lors des rachats d’Exxelia, d’Aldebaran, d’Alstom et d’Alcatel.

Les rachats de pépites françaises ont déjà été autorisés. Quand ils sont confirmés, ils sont catastrophiques car ils touchent notre pays au plus profond de sa souveraineté. Des rachats d’entreprises aussi cruciales et stratégiques ne peuvent se reproduire. Nous disposons d’une procédure de contrôle des investissements étrangers, qui se déclenche lorsque l’acteur étranger atteint le seuil des 25 % des droits de vote en assemblée générale. Ce seuil a d’ailleurs été abaissé et pérennisé cette année à 10 %, mais seulement pour les entreprises cotées, ce qui est regrettable : tout un pan de notre industrie échappe à ce contrôle – nous pouvons être sûrs que des pépites très prometteuses n’échapperont pas, quant à elles, à la prédation d’acteurs extra-européens.

Pour mémoire, l’une des recommandations du rapport de la DPR était de pérenniser ce seuil de 10 %. À l’époque, monsieur le rapporteur, vous ne faisiez pas la différence entre les entreprises cotées et les autres. Dans ces conditions, je ne doute pas que vous serez favorable à cet amendement d’appel, qui n’a qu’un seul but : rappeler que les investissements étrangers doivent être étroitement surveillés, et pérenniser le seuil de 10 % pour les entreprises non cotées. Ce serait un premier pas souhaitable pour affermir le contrôle des investissements étrangers.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Vous avez raison de faire référence à une proposition du rapport de la DPR, que j’ai rédigé. Celui-ci prévoit d’ailleurs la pérennisation du seuil de 10 % pour le déclenchement de la procédure de contrôle des investissements étrangers non européens en France, et son application à toutes les entreprises, y compris non cotées. Pour ces dernières, l’observation est faite par le service de l’information stratégique et de la sécurité économiques (Sisse), en partenariat avec la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) avec la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). L’analyse intègre tous les sous-traitants de premier et second rang de la chaîne de production. Il s’agit d’être vigilants concernant les entreprises sensibles de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Sur l’aspect financier, le logiciel de prévention des investissements étrangers est donc complet. Comme celui de M. Boucard, votre amendement est satisfait. C’est pourquoi j’en demande le retrait. À défaut, j’émettrais un avis défavorable.

M. Ian Boucard (LR). En la matière, c’est davantage une question de volonté politique que de mesures législatives. Si autant d’actifs stratégiques ont été vendus depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron aux responsabilités, c’est parce qu’il n’a pas suffisamment la volonté politique de protéger notre pays. En 2014, il a décidé lui-même la vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric, contre la volonté d’Arnaud Montebourg. C’est le député de Belfort, bien placé pour le savoir, qui vous le dit. Défendant la vente d’Alcatel-Lucent à Nokia en 2015, Emmanuel Macron expliquait qu’il fallait écarter toute « vision romantique » vis-à-vis des grandes entreprises françaises. Quand on ne veut pas protéger son économie et son pays, il suffit de dire cela. Nous avons encore constaté cette absence de volonté politique au cours des derniers mois, avec le projet de cession des activités d’infogérance du groupe Atos au milliardaire Daniel Kretinsky.

La loi Pacte, relative à la croissance et la transformation des entreprises, permet au ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique de bloquer ce genre d’achat d’entreprises françaises par des investisseurs étrangers. À ma connaissance, il ne l’a fait qu’une fois, lors de la tentative de rachat de Carrefour par le groupe canadien Couche-Tard. Si le Gouvernement et le Président la République ont la volonté de défendre notre économie et les entreprises françaises, ils ont d’ores et déjà les moyens de le faire. Pour les utiliser, il faut de la volonté politique et un certain patriotisme.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Dans un rapport, on peut mettre ce qu’on veut. La rapporteure de la commission d’enquête parlementaire sur les ingérences étrangères n’a pas souhaité parler des ingérences américaines et de tout ce qui relève du droit extraterritorial – et c’est sa totale liberté. En tant que président, je n’étais pas d’accord avec ce choix, ce que j’ai exprimé avant et après, ainsi que dans mon avant-propos au rapport. Si l’on ne précise pas que les investissements étrangers peuvent constituer des ingérences, une bonne âme pourrait considérer que cela n’en fait pas partie. Or, lors de nos auditions, le magistrat du parquet national financier (PNF) avait consacré l’entièreté de son propos non pas aux ingérences chinoises ou russes, mais aux ingérences américaines sur le droit extraterritorial et les investissements réalisés dans notre pays.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Ce débat est assez révélateur : soit on est trop précis, soit on ne l’est pas. Si l’on suivait votre logique de rapport au Parlement sur le type d’ingérences étrangères auxquelles nous sommes confrontés, l’économie devrait être prise en compte au même titre que l’université ou l’opinion. Donc soit on en dit trop, soit on n’en dit pas assez, mais cette difficulté devrait être résolue si le rapport fait état auprès des députés de la nature, des types d’ingérences étrangères.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’article 2 modifié.

Article 3 (art. L. 851-3 du code de la sécurité intérieure) : Extension de la technique dite de l’algorithme aux cas d’ingérence étrangère

Amendement de suppression CL20 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Il nous manque toujours une définition précise de la notion d’ingérence étrangère. À cela vient s’ajouter la question des analyses algorithmiques : si on peut déjà discuter de leur pertinence, comme vous venez de le faire, dans le cadre de la lutte antiterroriste, on peut s’attendre à constater, dans deux ans, les mêmes insuffisances dans la lutte contre ces ingérences.

Inefficaces, ces techniques seront en revanche assurément dangereuses pour les libertés publiques, les droits humains, le respect de la vie privée. Le patron de la DGSI affirme que sur soixante-trois attentats terroristes déjoués, soixante et un l’ont été par une intervention humaine : donnons à tous nos services de renseignement des moyens humains et de véritables outils de travail modernes – mais d’une autre nature que ces techniques algorithmiques. Nous gagnerons en efficacité et en respect des droits humains – je rappelle les nombreuses condamnations de la France à ce sujet – en évitant de déployer de si larges filets.

M. Sacha Houlié, rapporteur. J’ai, pour ma part, la bonne foi de reconnaître, suivant en cela les analyses de la DGSE et de la DGSI, les limites des techniques algorithmiques de détection des données de connexion en matière de lutte contre le terrorisme. Mais nous présumons justement, à la suite de riches échanges avec ces services, qu’elles pourraient s’avérer efficaces dans le cadre des finalités prévues aux alinéas 1 (l’indépendance nationale, l’intégrité du territoire et la défense nationale) et 2 (les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère) de l’article L. 811‑3 du code de la sécurité intérieure.

Il est par ailleurs paradoxal d’affirmer que ces techniques seraient à la fois dangereuses pour les libertés fondamentales – ce qui est le cas – et qu’elles seraient totalement inefficaces : c’est l’un ou l’autre.

Le processus conduisant à l’utilisation d’un algorithme est très normé. Il est placé sous l’autorité des services du Premier ministre, qui en font la demande, et sous le contrôle de la CNCTR, dont l’avis négatif peut faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État. Sa mise en œuvre est conduite par le GIC, un service central qui collecte les informations pour le compte des services de renseignement. À cela s’ajoute, dans le cadre du caractère expérimental de notre proposition, un contrôle parlementaire.

Quant à votre critique sur les moyens humains, elle aurait été fondée si la loi de programmation militaire – que votre groupe n’a pas votée – n’y avait pas pourvu. Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Vous proposez d’étendre à la lutte contre les ingérences étrangères les techniques algorithmiques de surveillance jusqu’ici réservées à la lutte contre le terrorisme. Vous venez de reconnaître, monsieur le rapporteur, que ces techniques peuvent porter atteinte aux libertés fondamentales. Pour quelle raison essayons-nous de nous protéger de ces ingérences étrangères ? Pour éviter que nos démocraties ne cessent d’être ce qu’elles sont : les garantes du droit et des libertés individuelles. C’est sans craindre le ridicule que nous nous apprêtons, afin d’empêcher que des ingérences étrangères ne viennent remettre en cause notre État de droit, à le compromettre nous-mêmes.

La suppression de cet article est d’autant plus nécessaire qu’un rapport doit être rendu en juillet 2024 sur l’usage de ces techniques dans la lutte antiterroriste. Il serait donc préférable d’attendre ce rapport afin de savoir si, d’une part, elles sont attentatoires aux libertés fondamentales – bien que vous ayez déjà répondu vous-même par l’affirmative à cette question ! – et si, d’autre part, elles sont efficaces. Si elles s’avéraient aussi dangereuses pour nos libertés qu’inefficaces pour notre sécurité, il y aurait de quoi s’inquiéter, au moment où M. Philippe Pradal nous explique qu’un parti d’opposition peut être considéré comme hostile aux intérêts de la France.

M. Jérémie Iordanoff (Écolo-NUPES). Les auditions m’ont permis de revenir sur l’appréciation très négative qui avait été d’abord été la mienne sur ce sujet, dans la mesure où il s’avère que seules les données de connexion des téléphones sont utilisées pour nourrir ces algorithmes, l’usage des adresses IP paraissant plus difficile. Les effets de ces techniques ont été assez limités dans le cadre de la lutte antiterroriste, mais il semble exister une présomption qu’elles seraient plus efficaces dans le repérage de patterns de connexions propres aux activités d’espionnage et aux agissements de personnes envoyées sur le territoire à des fins malveillantes.

Je regrette que nous ne disposions que de très peu d’éléments nous permettant d’apprécier l’efficacité d’une telle mesure, expérimentée à partir de 2015 et adoptée en 2021 pour la lutte antiterroriste. Il est en effet dommage que le rapport qui en fasse le bilan ne soit disponible que d’ici à quelques mois. Ne pourrions-nous pas nous accorder pour que l’usage de ces techniques soit restreint à la finalité 2 ? La finalité 1 est très ouverte, et il me semble que toutes les attaques sur des serveurs informatiques relevant de l’ingérence sont couvertes par la finalité 2. Le groupe écologiste, à ce stade, s’abstiendra.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Les cyberattaques relèvent de la finalité 1, et il est difficile de séparer les deux finalités. Par ailleurs, la rédaction de la proposition de loi s’attache à restreindre le champ d’intervention de ces techniques aux ingérences étrangères.

Il n’est en rien contraire aux principes de l’état de droit, monsieur Léaument, que l’on puisse porter atteinte à certaines libertés fondamentales, pourvu que l’on poursuive un but d’intérêt général – en l’occurrence, la sécurité nationale – et que cette atteinte soit nécessaire et proportionnée. C’est ainsi qu’il en a été jugé pour la finalité 4, la prévention du terrorisme. Tout est très contrôlé et transparent : les services de renseignement ont accepté de nous dire ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, compte tenu du type de comportement que nous cherchons à atteindre, et je vous en fais moi-même la restitution devant cette commission. Le dispositif que nous vous présentons, avec les ajustements que nous lui apporterons ultérieurement, est donc bien calibré.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL2 de Mme Emmanuelle Ménard

Mme Emmanuelle Ménard (NI). L’article L. 811‑3 du code de la sécurité intérieure précise quels sont les intérêts fondamentaux de la nation défendus par les services de renseignement. Mon amendement a pour objet de préciser son alinéa 2 (les intérêts majeurs de la politique étrangère, l’exécution des engagements européens et internationaux de la France et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère) en ajoutant, à « toute forme d’ingérence étrangère », « les tentatives d’ingérence étrangère », dans le but d’étendre le champ d’application de cet article et ainsi d’alléger la nouvelle rédaction de l’article L. 851-3 y renvoyant.

M. Sacha Houlié, rapporteur. « Toute ingérence » implique « toute tentative d’ingérence » : votre amendement est déjà satisfait. Avis défavorable.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Dès lors que l’on travaille à partir de doutes et non de certitudes, on ne peut pas écarter le danger d’une extension indéfinie d’un dispositif qui n’est pas clairement calibré, au risque du principe de proportion.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Il ne me semble pas, monsieur le rapporteur, que la tentative d’ingérence entre bien dans le champ du texte.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Ce qui pose problème, c’est que vous proposez de modifier les finalités du renseignement. La rédaction que nous défendons les laisse inchangées, pour préciser ensuite que les tentatives d’ingérence pourront également faire l’objet de cette veille algorithmique.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL21 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Cet amendement de repli a pour objet que soit précisé, noir sur blanc, que le nouveau champ d’usage de ces techniques algorithmiques est strictement restreint aux finalités 1 et 2. Notre inquiétude est que les mailles du filet soient trop larges. Ce n’est, d’abord, en rien contradictoire avec un souci d’efficacité car, comme on dit, « qui trop embrasse mal étreint ». Mais il s’agit, aussi, de veiller au respect des libertés fondamentales. Dans cette commission des lois, nous marchons souvent sur une ligne de crête, entre protection des intérêts nationaux et respect des droits : il nous faut faire preuve de la plus grande prudence et de la plus grande clarté.

M. Sacha Houlié, rapporteur. L’alinéa 3 de l’article ne disant pas autre chose, votre amendement est déjà satisfait. Je vous invite donc à le retirer, à défaut de quoi je rendrai un avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL8 de M. Philippe Dunoyer

M. Philippe Dunoyer (RE). Cet amendement vise à actualiser le cadre de référence pour l’applicabilité des dispositions du code de la sécurité intérieure à la Polynésie française, à Wallis-et-Futuna et à la Nouvelle-Calédonie. Il s’agit, pour l’heure, de la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement : les nouvelles dispositions de la proposition de loi n’y seraient donc pas applicables.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Votre amendement entrerait cependant en contradiction avec le caractère expérimental de l’article 3. Je vous invite à le retirer et à le reprendre en séance publique, comme amendement additionnel après l’article 4, s’appliquant à la proposition de loi dans son ensemble.

L’amendement est retiré.

Amendement CL24 de Mme Élisa Martin

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous demandons, par cet amendement de repli, que l’avis rendu par la CNCTR soit contraignant pour le Premier ministre, toujours dans le but de protéger les libertés fondamentales. Il ne fait aucun doute qu’il existe au sein de la CNCTR une volonté de préserver les intérêts de l’État, et qu’elle ne rendrait pas à la légère un avis négatif. Nous nous garantirions ainsi d’éventuels rappels à l’ordre du Conseil constitutionnel ou – plus délicat encore – d’instances européennes, au sujet du respect des droits humains.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Nous sommes d’ores et déjà en conformité avec les demandes du Conseil constitutionnel et avec les exigences conventionnelles ou communautaires. La portée des avis de la CNCTR a été renforcée en 2021 pour mettre notre droit du renseignement en conformité avec le droit européen. En pratique, le Premier ministre n’a jamais passé outre un avis défavorable de la CNCTR pour un accès des services de renseignement à des données de connexion.

Je rappelle qu’au cas où l’autorisation, par le Premier ministre, de mise en œuvre d’une technique de renseignement, est délivrée après un avis défavorable de la CNCTR, le Conseil d’État, immédiatement saisi, statue dans un délai suspensif de vingt-quatre heures. Cela revient à faire de l’avis rendu par la CNCTR un avis conforme. Dans son avis sur la loi du 30 juillet 2021, le Conseil d’État avait relevé qu’elle combine le mécanisme d’un avis conforme d’une autorité administrative indépendante avec celui du contrôle préalable d’une juridiction lorsque le Premier ministre passe outre l’avis de cette autorité. Votre amendement est donc déjà satisfait. Avis défavorable.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Autant, dans ce cas, clarifier les choses en l’inscrivant dans la loi.

Vous envisagez toujours la loi comme si vous, les macronistes, alliez rester indéfiniment au pouvoir. Or, d’autres pouvoirs, moins démocratiques que le vôtre, pourraient être amenés à s’emparer des outils de surveillance que vous mettez en place – vous qui n’êtes déjà pas très démocratiques, qui faites passer les budgets par le 49.3, ce que même Louis XVI ne pouvait se permettre sous les institutions de la monarchie d’alors.

Mme Caroline Abadie, présidente. Vous êtes sur un terrain glissant, monsieur Léaument.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). C’est un fait : le droit de véto dont disposait Louis XVI n’était pas applicable aux questions budgétaires.

Vous créez donc des outils de surveillance, quand monsieur Pradal affirmait tout à l’heure qu’un parti d’opposition ne doit pas nécessairement être considéré comme bienveillant envers la France. Vous rendez-vous compte de ce que cela signifie ? Vous parlez comme Poutine ! Vous parlez comme des gens incapables de supporter l’opposition. Je suis très inquiet à la pensée de ce que des pouvoirs encore moins démocratiques pourraient faire de ces outils. La Constitution nous enjoint de faire la loi au service de l’intérêt général et au nom du peuple souverain – pas pour le surveiller.

M. Erwan Balanant (Dem). Je suis effaré des propos de monsieur Léaument. Sous vos grands airs, toujours à nous parler de 1789 – pour vous, c’est même plutôt 1793 –, vous ne croyez pas en l’État de droit. Vous nous dîtes : « le jour où un pouvoir sera moins démocratique… » – imaginons, par exemple, celui de M. Jean-Luc Mélenchon : mais l’État de droit à justement des règles, qui pondèrent l’exercice du pouvoir politique. Vous n’y croyez pas ; et c’est au fond à la démocratie que vous ne croyez pas.

Mme Constance Le Grip (RE). Je ne veux pas répondre aux provocations de monsieur Léaument, mais apporter des précisions sur le rôle et les compétences de la CNCTR. J’ai fait partie, au cours de la précédente mandature, des quatre parlementaires – deux sénateurs et deux députés – appelés à siéger au sein de cette autorité administrative indépendante. Elle est, de par la mission que lui a confiée le législateur, très attentive au respect des libertés individuelles et fondamentales, tout comme elle est pleinement engagée dans la défense de la souveraineté nationale. Elle joue un rôle décisif dans le paramétrage des algorithmes dont le GIC assure ensuite la mise en œuvre. Le Conseil constitutionnel, saisi par des parlementaires à propos de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, avait fait clairement savoir qu’il ne voyait dans l’usage de ces techniques algorithmiques aucune atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales.

Mme Anna Pic (SOC). Certes, le Premier ministre, jusqu’à présent, n’a jamais passé outre un avis de la CNCTR. Il n’est pourtant en rien improbable qu’il veuille un jour le faire, en s’adressant au Conseil d’État. Il est donc parfaitement sensé d’exiger que l’avis de la CNCTR soit contraignant, afin d’offrir une protection supplémentaire aux libertés fondamentales. C’est le sens de mon amendement à suivre, que je défends à cette occasion : et même s’il est rédigé d’une manière très différente que l’amendement dont nous discutons et si je ne le défendrais pas dans les mêmes termes que ceux de mes collègues, je ne m’oppose pas à ce dernier.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Cet échange montre bien qu’il est regrettable que nous n’ayons pas saisi le Conseil d’État, comme l’avait demandé la présidente Marine Le Pen. Il est faux de prétendre, comme cela a été fait à la reprise de la réunion, que cette demande avait été formulée dans le seul but de ralentir l’étude de ce texte. Nous l’avions adressée à Mme la présidente Yaël Braun-Pivet avant qu’il ne soit inscrit à l’ordre du jour, suivant en cela les recommandations qui nous avaient été faites lors de l’examen d’un texte précédent, le Conseil d’État ayant besoin de deux mois au minimum pour rendre son avis. Nous n’étions pas à deux mois près, et il est dommage que nous nous privions ainsi d’un éclairage utile, de nature à dissiper les inquiétudes – de plus ou moins bonne foi – des uns et des autres. Nous soutiendrons néanmoins cet article, sous réserve de son évolution ultérieure.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL10 de Mme Anna Pic

M. Sacha Houlié, rapporteur. Même si, contrairement au précédent, cet amendement a le mérite de ne pas englober toutes les techniques de renseignement mais seulement celles qui font l’objet de cette proposition de loi, je rends un avis défavorable. On ne peut pas retirer au Conseil d’État son statut de juridiction à part entière dans l’appréciation des décisions administratives.

Quant à la question de sa saisine, monsieur Tanguy, je maintiens que le Conseil d’État s’est déjà exprimé sur cette question, comme en atteste l’avis que je vous ai lu tout à l’heure.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL42 de M. Sacha Houlié, CL23 de Mme Élisa Martin, CL9 de Mme Anna Pic, CL22 de Mme Élisa Martin et CL3 de Mme Emmanuelle Ménard (discussion commune)

M. Sacha Houlié, rapporteur. À l’issue de nos auditions, compte tenu du temps requis pour la conception d’un algorithme, il nous a paru nécessaire de porter à quatre ans, au lieu de trois, la durée de l’expérimentation. Cela correspond également à la durée des expérimentations en matière de renseignement, telle qu’elle a été fixée dans la loi Silt ou dans la LPM, au sujet des interceptions satellitaires.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Nous voulons insister, par l’amendement CL23, sur le caractère expérimental du dispositif, au-delà de la question de sa durée. Il faudra pouvoir prendre le temps, quand il sera parvenu à son terme, de l’évaluer, pour éventuellement l’arrêter ou le modifier.

L’amendement CL22 vise, dans une même perspective, à supprimer la mention que le dispositif sera mis en application, de manière définitive, au 1er janvier 2027. La fin de l’expérimentation supposée étant fixée au 31 décembre 2026, on ne peut pas réellement parler de mesure expérimentale si aucun temps n’est laissé pour en débattre et en délibérer.

Mme Anna Pic (SOC). Nous proposons de réduire la durée de l’expérimentation. Parce qu’elle est susceptible d’avoir des conséquences sur les droits et libertés fondamentales de nos concitoyens, et parce que la technique algorithmique est particulièrement intrusive, il convient de l’encadrer, notamment dans le temps.

Il est par ailleurs essentiel que le Parlement, à qui il revient de décider du cadre dans lequel ce dispositif sera mis en œuvre, dispose dans les meilleurs délais d’un rapport d’évaluation à son sujet, afin de pouvoir décider, le cas échéant, d’en modifier le sens. Nous proposons donc de ramener la durée de l’expérimentation à deux ans.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). L’article 3 prévoit d’élargir les finalités qui permettent aux services de renseignement, sur autorisation et pour assurer la défense et la promotion des intérêts fondamentaux de la nation, de recourir à la technique de renseignement dite de l’algorithme.

Or, cette technique est loin d’être anodine et a déjà suscité de nombreux débats au moment de l’examen de la loi Silt. Le sujet est très sensible, puisque c’est la protection de la vie privée de chacun qui est en jeu : il serait donc pertinent d’avancer la date à laquelle le Gouvernement remettra au Parlement son rapport sur l’application du présent article.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Je conçois, madame Martin, que la rédaction initiale de cet article puisse vous paraître imprécise. Il va de soi qu’il s’agit d’une expérimentation et qu’elle ne pourra être généralisée sans une nouvelle intervention du législateur. C’est justement l’objet de mon amendement.

S’agissant de la durée, l’étude d’impact de la loi « renseignement » de 2021 indique qu’il a fallu deux ans et demi pour créer le premier algorithme, prévu par la loi de 2015 pour lutter contre le terrorisme. Il nous a donc semblé plus sage de porter la durée de l’expérimentation à quatre ans. J’émettrai un avis défavorable sur tous les amendements, à l’exception du mien.

M. Philippe Latombe (Dem). Même si vous avez eu la gentillesse, monsieur le rapporteur, de nous transmettre votre amendement un peu à l’avance, il me paraît un peu problématique de modifier un paramètre aussi important que celui de la durée de l’expérimentation de cette manière. De même, je ne suis pas très satisfait de l’introduction dans ce texte de la loi Godfrain, par voie d’amendement et sans avis du Conseil d’État.

Vous dites qu’il a fallu deux ans et demi pour créer le premier algorithme, mais on en était au défrichage et on a appris, depuis, à travailler plus vite, ce qui pourrait justifier que l’on en reste à un délai de trois ans.

Si le Gouvernement ne remet finalement un rapport au Parlement que tous les deux ans et si on allonge la durée de l’expérimentation de trois à quatre ans, les parlementaires seront moins bien informés, alors même que la menace ne cesse d’évoluer. En outre, seuls les parlementaires faisant partie des commissions spécialisées pourront disposer d’informations intermédiaires.

Le délai de trois ans nous semblait convenable ; vous dites vouloir le porter à quatre ans par parallélisme avec la loi sur le terrorisme. Dans ce cas, allons jusqu’au bout du parallélisme et intégrons la Cnil au dispositif, pour montrer que nous tenons à la transparence – ce sera l’objet de mon amendement CL26.

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Monsieur le rapporteur, je me permets d’insister, car nos amendements ne sont pas identiques. Certes, il y a l’alinéa 7, mais nous souhaiterions qu’il soit explicitement précisé à l’alinéa 6 que le dispositif est mis en œuvre « à titre expérimental ». Il faut faire une distinction entre la question de la durée et celle du statut, et je ne suis pas certaine que l’alinéa 7 renvoie clairement au caractère expérimental du dispositif. À mon sens, il faudrait même préciser que le dispositif est mis en œuvre à titre expérimental et qu’il fera l’objet d’une évaluation.

Pouvez-vous prendre l’engagement que vous déposerez, d’ici à l’examen en séance, un amendement prenant en compte les deux aspects de la question, à savoir la durée et le caractère expérimental ? À défaut, nous maintiendrons notre amendement.

Mme Caroline Abadie, présidente. Le rapporteur a déjà indiqué que vos amendements étaient satisfaits.

La commission adopte l’amendement CL42.

En conséquence, les autres amendements tombent.

Amendement CL26 de M. Philippe Latombe

M. Philippe Latombe (Dem). Puisque vous évoquez le parallélisme des formes, je rappelle que dans les textes précédents, il y avait eu, soit un avis préalable de la Cnil, soit un décret en Conseil d’État pris après avis de celle-ci. C’est ce qui s’est passé pour la LPM, à propos des balises et des traceurs, ainsi que pour la technique de l’algorithme en 2021.

Parce que ce texte élargit significativement les finalités permettant aux services de renseignement de recourir à la technique de l’algorithme, parce que les informations recueillies seront nombreuses et très sensibles et parce que cette technique, à la différence des balises et des traceurs, dirige le flux d’informations vers des serveurs qui appartiennent aux services de renseignement, nous souhaitons qu’un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Cnil, définisse les modalités de l’expérimentation.

Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que certaines des données hétérogènes qu’il s’agira de traiter seront hébergées par des logiciels d’autres pays – je rappelle par exemple que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) utilise le logiciel Foundry de Palantir. Pour garantir la parfaite transparence de ce dispositif, il paraît essentiel que la Cnil, l’autorité administrative indépendante chargée de la protection des données de nos concitoyens, émette un avis sur cette disposition – avis qui n’aura pas à être diffusé. Il me semble que cette mesure de précaution renforcerait la légitimité de ce texte et rassurerait nos concitoyens.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Selon moi, il n’a pas été question de la Cnil à propos de l’article 18 de la loi « renseignement » de 2021, relatif à l’utilisation de la technique algorithmique dans la lutte antiterroriste, mais de l’autorité administrative indépendante compétente en matière de données de connexion et d’algorithmes, à savoir la CNCTR. Nous allons vérifier tout cela : s’il s’avère que la Cnil a donné son avis, je vous donne ma parole que nous introduirons l’avis de la Cnil en séance, par parallélisme. En attendant, je vous invite à retirer votre amendement.

M. Philippe Latombe (Dem). Je maintiens mon amendement car, même s’il s’avère que l’avis de la Cnil n’était pas requis à l’époque, il s’impose aujourd’hui. Du reste, je suis certain qu’elle avait émis un avis et qu’il était assez défavorable : elle regrettait de ne pas avoir eu accès au détail de la technique algorithmique. Il faut la transparence la plus totale, y compris pour convaincre ceux de nos collègues hostiles à ce texte qu’il n’est pas aussi liberticide qu’ils peuvent le penser.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Nous voterons cet amendement, car il propose de border les choses, ce qui est essentiel quand nos libertés fondamentales sont en jeu. Lorsque j’ai interpellé notre commission à ce sujet, M. Erwan Balanant m’a répondu que je ne croyais pas à la démocratie et à l’État de droit. Précisément, je crois à l’État de droit, et il me semble que l’amendement de M. Philippe Latombe contribuera à protéger les droits de nos compatriotes. Attention à la logique qui consiste à accroître les pouvoirs de surveillance : s’en prendre à nos droits fondamentaux n’est pas forcément le meilleur moyen de faire face à des systèmes autoritaires.

J’identifie deux menaces – auxquelles M. Latombe a ajouté, à juste titre, celle que représente l’utilisation de logiciels étrangers. En tant que politiste, j’ai appris que les institutions évoluent par la pratique : c’est ce que montrent nombre de juristes et de spécialistes de sciences politiques. Le général de Gaulle lui-même disait qu’« une Constitution, c’est un esprit, des institutions et une pratique ». L’autoritarisme du pouvoir macroniste fait donc évoluer les institutions. Par ailleurs, il ne faut pas négliger la question de la corruption : dès lors que l’on donne du pouvoir à des individus, on prend le risque qu’ils se laissent corrompre. Compte tenu du pouvoir grandissant des narcotrafiquants, ce dernier point me paraît essentiel.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL11 de Mme Anna Pic

M. Mickaël Bouloux (SOC). Je propose de préciser le contenu du rapport, en soulignant qu’il importe de garantir une évaluation adéquate du dispositif. Il ne faudrait pas que l’élargissement des finalités prévu par le présent article conduise à affaiblir la capacité de lutte contre la menace terroriste. Cet élargissement va, en effet, causer une augmentation significative de la quantité de données collectées, ainsi que du nombre d’alertes générées par le système, ce qui pourrait surcharger les enquêtes et compromettre l’efficacité globale du dispositif.

Il importe de trouver, dans le paramétrage du système, un équilibre entre des critères trop restrictifs, qui pourraient conduire à une faible détection des menaces, et des critères trop larges, qui pourraient entraîner un nombre excessif d’alertes sans intérêt opérationnel. Il est crucial que le Parlement soit informé de la manière dont les modifications du paramétrage pourraient affecter la capacité de détection de la menace terroriste, afin de garantir que les décisions législatives prises dans ce domaine sont éclairées et ne compromettent pas la sécurité nationale.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Sagesse.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article 3 modifié.

Article 4 (art. L. 562-1 et L. 562-2 du code monétaire et financier) : Possibilité de procéder au gel des fonds et des ressources économiques des personnes se livrant à des actes d’ingérence

Amendement CL44 de M. Sacha Houlié

M. Sacha Houlié, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision. Je propose d’indiquer que l’ingérence est l’intervention délibérée, non pas d’une personne physique ou morale « étrangère », mais d’une personne physique ou morale « agissant au nom ou pour le compte d’une puissance étrangère ».

Mme Élisa Martin (LFI-NUPES). Je ne suis pas certaine que cet amendement apporte une précision, car la notion de puissance est assez vague et pourrait par exemple renvoyer à une entreprise. Or, l’ingérence est le fait d’un État.

M. Ian Boucard (LR). Je voterai cet amendement, car il est vrai que des faits d’ingérence étrangère peuvent être commis par des Français. On l’a vu dans l’affaire qui a secoué la chaîne BFM TV, où c’est un lobbyiste français employé par un État étranger qui a influencé un journaliste français. Il est essentiel que cette loi intègre ce genre de cas de figure, ou elle n’aura aucun sens. Les pays qui ont des projets d’ingérence en France arriveront toujours à recruter des Français qui, à l’amour de la nation, préfèrent l’argent de la trahison.

La commission adopte l’amendement.

Amendement CL25 de Mme Marie-France Lorho

Mme Marie-France Lorho (RN). Cet amendement de précision vise à garantir que les éléments auxquels l’acte d’ingérence porte atteinte sont corrélés à notre nation. Dans la rédaction actuelle, il n’est pas précisé que les systèmes d’information et la sincérité des processus électoraux dont il est question sont ceux de notre pays. Ils pourraient donc renvoyer à une instance supranationale, par exemple l’Union européenne. Je propose d’ajouter des déterminants possessifs, afin qu’il soit clair que les dispositifs auxquels il est porté atteinte sont bien ceux de notre pays et d’éviter ainsi une interprétation trop large du texte.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Cette précision ne me paraît pas nécessaire, car il est clairement fait référence aux intérêts fondamentaux de la nation.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL45 de M. Sacha Houlié, CL35 de M. Aurélien Lopez-Liguori et CL5 de Mme Emmanuelle Ménard (discussion commune)

M. Sacha Houlié, rapporteur. J’invite les auteurs des autres amendements en discussion commune à les retirer au profit du mien, qui est rédactionnel. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.

M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). L’article dresse la liste des actions pouvant constituer une ingérence étrangère. Dans la rédaction actuelle, cette liste paraît cumulative, ce qui restreint fortement la définition de l’ingérence étrangère – or, je ne crois pas que ce soit votre intention. Je propose donc de clarifier la rédaction, en remplaçant le mot « et » par le mot « ou ».

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Je propose de clarifier la définition de l’acte d’ingérence, en précisant qu’un tiers agissant en vue de servir les intérêts d’un État étranger commet un acte d’ingérence.

M. Antoine Léaument (LFI-NUPES). Votre amendement n’est pas rédactionnel, monsieur le rapporteur, et je préfère la rédaction actuelle. Vous proposez de substituer aux mots « processus électoraux » le mot « scrutins », qui est beaucoup plus restrictif.

Le scrutin est l’aboutissement d’un processus électoral : c’est le moment où le peuple vote pour prendre une décision. Or, les ingérences étrangères ne faussent pas seulement le scrutin, c’est-à-dire le moment du vote, mais l’ensemble du processus électoral, c’est-à-dire le débat public qui le précède. Dernièrement, la Russie a essayé de diviser le peuple français par des tags à caractère religieux : en l’occurrence, nous n’étions pas en période électorale, mais c’est typiquement le genre d’action qu’une puissance étrangère peut mener pour influer sur un processus électoral. Le développement des deepfakes, qui permettent de faire dire à des gens des choses qu’ils n’ont pas dites, est lui aussi très préoccupant. En Équateur, le candidat Andrés Arauz, qui a subi des attaques de cet ordre, a perdu les élections à quelques points près. De tels faits peuvent vraiment avoir une incidence sur les processus électoraux.

M. Philippe Latombe (Dem). Monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous dire ce qui, dans les auditions, vous a convaincu qu’il fallait remplacer les mots « processus électoraux » par « scrutins » ? Contrairement à ce que vous dites, cet amendement n’est pas rédactionnel, et je rejoins sur ce point M. Antoine Léaument – sinon sur le fond, du moins sur la forme. Il se peut qu’un scrutin se déroule correctement mais que des fausses informations ou des hypertrucages diffusés pendant la campagne influent sur le vote. Ce n’est donc pas le scrutin en lui-même, mais tout le processus électoral qui aura été touché.

Enfin, nonobstant l’origine de l’amendement CL34, la question qu’il pose me semble légitime : pourquoi « et » et pas « ou » ?

M. Sacha Houlié, rapporteur. À la différence de l’expression « processus électoral », le terme « scrutin » est consacré par le code électoral – et il englobe la notion de processus électoral.

La commission adopte l’amendement CL45.

En conséquence, l’amendement CL35 tombe.

L’amendement CL5 est rejeté.

La commission adopte l’article 4 modifié.

Après l’article 4

Amendement CL34 de M. Aurélien Lopez-Liguori

M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Cet amendement, relatif à la cybersécurité, est d’une actualité brûlante, puisque nous venons d’apprendre que France Travail a fait l’objet d’une attaque et que 43 millions de comptes ont été touchés.

Des acteurs étatiques sont en mesure de frapper la France dans sa souveraineté, ses libertés et son fonctionnement démocratique. Le nombre de cyberattaques causées par des acteurs étrangers est en augmentation, et de nombreux États sont capables de commander des actions de cyberespionnage auprès de certaines sociétés. Ils peuvent passer par des hackers pour déstabiliser un autre État, l’espionner, récupérer des informations ou le saboter. Les exemples ne manquent pas, et je pense notamment aux attaques qui ont ciblé des hôpitaux.

En 2007, des cyberattaques massives attribuées à la Russie ont paralysé les banques, les médias et les institutions en Estonie ; en 2008, la même chose s’est produite en Géorgie. Plus récemment, ce sont les institutions ukrainiennes qui se sont retrouvées sous le feu des cyberattaques russes. À chaque fois, pour les pays concernés, les conséquences de ces cyberattaques ont été très graves : immobilisation de transports en commun, perturbation des réseaux, voire dysfonctionnements dans des centrales nucléaires. C’est le fonctionnement d’un pays entier qui peut ainsi se trouver menacé.

Par conséquent, lorsqu’il est établi qu’une cyberattaque représente une ingérence étrangère, je propose que ce soit considéré comme une circonstance aggravante et que la peine soit portée à dix ans de prison et 300 000 euros d’amende.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Ce type d’attaque n’est jamais le fait d’un seul individu. Dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), nous avons adopté deux nouvelles dispositions relatives aux infractions commises en bande organisée, d’une part, ou ayant pour effet d’exposer autrui à un risque immédiat de mort, de blessures graves ou de faire obstacle aux secours, d’autre part. Les peines prévues sont similaires à celles que vous envisagez – dix ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Il n’est donc pas nécessaire de compléter le droit. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendements CL27 et CL28 de M. Jean-Philippe Tanguy

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Ces amendements visent à créer un délit d’ingérence étrangère, qui devrait constituer le préalable de cette loi. L’amendement CL27 a trait à l’intervention d’une personne physique ou morale étrangère en France ; le second, le CL28, a pour objet les personnes physiques ou morales françaises agissant pour le compte d’une personne physique ou morale étrangère.

Les personnes auditionnées par la commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères ont établi que l’ingérence était une zone grise, pour laquelle les éléments du code pénal permettant de punir l’intelligence avec l’ennemi n’étaient pas adaptés. Ils relèvent du temps des guerres conventionnelles et de réseaux d’espionnage et d’influence qui ne sont pas comparables à ceux auxquels nous faisons face. Les amendements peuvent naturellement être sous-amendés, mais il faut créer un délit d’ingérence. On ne peut pas combattre un phénomène sans le formaliser, le qualifier pénalement.

M. Sacha Houlié, rapporteur. J’ai expliqué dans mon propos liminaire que le texte visait non pas à créer de nouveaux délits, mais à donner de nouveaux outils. Si le rapport de la commission d’enquête relève qu’il n’existe pas d’infraction visant les ingérences étrangères en tant que telles, il ajoute que le code pénal définit un certain nombre d’infractions susceptibles d’avoir directement trait à l’ingérence d’une puissance étrangère, comme la trahison, l’espionnage ou les différentes atteintes à la défense nationale. Ainsi, selon l’article 411-5 du code pénal, le fait d’entretenir des intelligences avec une puissance étrangère est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. De même, les articles 323-4-1 et 323-4-2 du code pénal sanctionnent les cyberattaques commises en bande organisée ou mettant en danger la vie d’autrui. Enfin, certaines dispositions du code électoral sanctionnent la fraude électorale.

Nos services et les autorités administratives indépendantes de déontologie et de transparence comme la HATVP ont donc plutôt besoin d’outils. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur les deux amendements.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Ce que vous dites n’est pas exact : les auditions ont montré qu’il existait un vide dans notre code pénal et dans la façon dont nous pouvons identifier, donc punir les ingérences. Les éléments que vous avez donnés correspondent à certains actes d’ingérence, d’une très forte intensité, pour lesquels une sanction est prévue.

Les poursuites, vous le savez, sont rares : parmi les éléments que votre famille politique apporte au débat public, ni les attaques de la Russie sur le processus électoral en 2017, ni les autres ingérences n’ont donné lieu à des poursuites. Les personnes compétentes ont indiqué qu’elles ne pouvaient pas les ouvrir, puisque ces agissements ne relèvent pas d’une intelligence avec l’ennemi, ni des dispositions pénales que vous avez citées. Celles-ci sont trop lourdes pour la zone grise qui caractérise les ingérences.

Vous ne voulez pas définir le délit d’ingérence par manque de volonté de lutter contre ces ingérences, puisqu’une partie d’entre elles pourrait venir en contradiction avec les alliances que vous avez formées, par exemple avec le Qatar, que vous avez reçu en grande pompe il y a quelques semaines. Ne pas sortir notre législation de la zone grise vous permet de ne pas lutter contre les ingérences qui fragilisent notre démocratie et d’insulter les partis d’opposition.

M. Sacha Houlié, rapporteur. C’est une question non de vérité, mais d’opinion, car je considère que ces dispositions ne sont pas nécessaires. Certaines actions d’influence pourront relever du domaine pénal, en application de l’article 1er. S’agissant des ingérences, les services de renseignement ont d’abord besoin de mesures d’expulsion. Les agents diplomatiques déclarés personnel non grata après l’attaque russe vous confirmeront l’existence de sanctions autrement plus efficaces et rapides que les sanctions pénales.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement CL30 de M. Jean-Philippe Tanguy

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Pour que le registre visant à identifier les personnes qui sont le relais d’intérêts étrangers en France fonctionne, vous devez donner des moyens à l’autorité compétente pour réaliser cette mission. Son président l’a dit lors de son audition, la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP) atteint une limite critique : ses moyens sont insuffisants pour honorer une nouvelle mission. Il convient donc d’établir un rapport sur les moyens financiers et humains supplémentaires requis, avant de les traduire dans les prochaines lois de finances.

Créer un délit d’ingérence ne vient nullement gêner l’action que vous souhaitez mener. En revanche, ne pas le faire entravera l’action de nos services et de l’autorité judiciaire.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Lors du dernier projet de loi de finances (PLF), j’ai déjà déposé un amendement visant à augmenter de quatre équivalents temps plein (ETP) l’effectif de la HATVP. Je ferai de même dans le PLF pour 2025, qui sera concerné par ces dispositions. Avis défavorable.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). On ne peut pas faire cela au doigt mouillé. Le président Migaud n’a pas été capable de préciser le nombre de postes dont il avait besoin : je ne vois pas comment vous pourriez l’estimer. Vous cherchez uniquement à ne pas voter un amendement du Rassemblement national.

M. Ian Boucard (LR). Jean-Philippe Tanguy a raison, la commission des lois a tendance à donner des compétences supplémentaires à la HATVP alors que les résultats du contrôle opéré ne sont pas toujours satisfaisants. Je suis convaincu que cette institution joue un rôle primordial dans notre démocratie. L’octroi de nouvelles compétences doit aller de pair avec des moyens humains et financiers significatifs, car le contrôle des ingérences étrangères n’a rien à voir avec celui des comptes bancaires d’un élu local. On modifie là les compétences de la HATVP : ajouter quatre équivalents temps plein, au doigt mouillé, semble insuffisant. Nous devrions avancer sur ce point d’ici à la séance, pour savoir de quels moyens la Haute Autorité aura besoin.

Mme Constance Le Grip (RE). Jean-Philippe Tanguy, membre de la commission des finances, sait bien que nous menons des exercices budgétaires réguliers. Lors du Printemps de l’évaluation, voulu par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), les rapporteurs spéciaux présentent un état des lieux et préparent la prochaine séquence budgétaire. Les besoins des autorités administratives indépendantes ou d’autres services de l’État peuvent être identifiés dans ce cadre. Un rapport supplémentaire du Gouvernement n’est pas nécessaire.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL6 de Mme Emmanuelle Ménard

Mme Emmanuelle Ménard (NI). L’amendement a pour objet les ressortissants binationaux exerçant de hautes responsabilités – élus, membres d’exécutifs ou du Gouvernement – qui, demain, pourraient être suspectés d’ingérences étrangères en France. La proposition de loi n’évoque pas ce point, qu’il semble important de clarifier afin de couper court à toute polémique inutile. Je propose donc que le Gouvernement remette un rapport au Parlement en vue d’étudier les répercussions des dispositifs de la proposition de loi sur les ressortissants binationaux.

M. Sacha Houlié, rapporteur. Je maintiens l’avis défavorable donné dans mon propos liminaire.

M. Ludovic Mendes (RE). Je ne comprends pas ce qui pousse Mme Ménard à remettre en question la binationalité de certaines personnes, un sujet qu’elle remet souvent sur la table. La demande de rapport jette l’opprobre sur des ressortissants, élus ou non, qui se voient parfois octroyer une nationalité qu’ils n’ont jamais demandée, dont ils ne veulent pas et à laquelle ils ont droit par leurs ascendants, lesquels vivent en France depuis très longtemps. L’Assemblée compte de nombreux élus binationaux ou trinationaux, qui n’ont jamais remis en question la République française. Cela démontre à nouveau que les personnes d’origine étrangère vous posent un problème.

Mme Emmanuelle Ménard (NI). Réécoutez mes propos et lisez mon amendement : il ne vise qu’à protéger les binationaux des soupçons qui pourraient peser sur eux en raison du vide juridique qui existe selon moi dans la proposition de loi. Vous me faites dire exactement le contraire de ce que j’ai dit. Avec un aplomb incroyable, vous prétendez que la question des binationaux revient régulièrement dans ma bouche, alors que je ne crois pas les avoir évoqués depuis le début de mon deuxième mandat. Que vous soyez concerné ou non m’est égal : je dis juste qu’il faut protéger les binationaux.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CL31 de M. Aurélien Lopez-Liguori

M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Par cet amendement, nous demandons au Gouvernement de remettre un rapport sur l’impact des législations extraterritoriales d’États extra-européens sur la souveraineté française, une menace que la proposition de loi ne prend pas en compte.

Dans le domaine numérique, les réglementations américaines telles que le Fisa (Foreign Intelligence Surveillance Act) et le Cloud Act (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act), ou la loi chinoise contre l’espionnage permettent à des autorités publiques étrangères d’accéder à des données hébergées par des entreprises relevant de leur législation. Hébergées sur des clouds extra-européens, les données d’administration publique française, d’institutions ou d’organisations vitales sont exposées à un pillage. Des informations sensibles, cruciales pour notre souveraineté sont ainsi livrées sur un plateau d’argent à Amazon, à Microsoft ou à Google parce que, pour reprendre les mots de la Macronie, il n’existe « aucune alternative française ou européenne viable ».

Nous pensons que ces alternatives existent : nous disposons d’un tissu d’entreprises parfaitement capables d’accomplir ces missions. La commande publique souveraine est possible, souhaitable, indispensable, quand notre industrie la demande.

La défense peut également être touchée par ces risques d’ingérences, avec les réglementations Itar (International Traffic in Arms Regulations) qui permettent aux États-Unis de reporter ou d’entraver des exportations dès lors que le produit comporte un composant américain. Il est toutefois difficile d’obtenir une vision d’ensemble de l’incidence de ces législations sur le nombre d’ingérences constatées dans les dernières années et sur ce que nous pouvons faire pour les contrer. Un rapport sur ces thématiques serait donc utile.

M. Sacha Houlié, rapporteur. L’excellent rapport de la commission d’enquête relative aux ingérences étrangères, remis en juin 2023, traite de ces questions aux pages 211 et suivantes. Avis défavorable.

M. Philippe Latombe (Dem). Le nouveau registre nous permettra de rattraper le retard qui est le nôtre depuis 1938. Il nous faut prendre en compte les initiatives législatives de pays amis ou du moins alliés – États-Unis, Grande-Bretagne – en matière d’ingérences, notamment le décret (executive order) du président Biden, et intégrer des dispositions relatives à ces menaces dans la loi.

Bien que la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) utilise Palantir, le futur algorithme ne devra pas inclure de logiciel extra-européen. Il serait cocasse que, pour lutter contre les ingérences étrangères, on utilise un logiciel comportant des portes dérobées (backdoors).

Enfin, sans vouloir défendre Mme Ménard, on peut être conduit à s’interroger sur les Américains accidentels, ces citoyens, européens pour la plupart, qui, pour avoir été titulaires de la carte de résident permanent (green card), se trouvent soumis à des obligations très contraignantes, notamment en matière de communication d’informations. Que ces personnes soient suspectées à la fois par les Américains et par les Français d’exercer une influence pose un problème de libertés publiques.

La commission rejette l’amendement.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France (n° 2150) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 

 


—  1  —

 

   Personnes entendues

 

   Mme Céline Berthon, directrice générale

   *****, conseiller juridique

   M. Jean-Louis Martineau, coordonnateur national adjoint

   M. Basile Jomier, conseiller juridique et parlementaire

   M. Benjamin Saoul, ministre-conseiller aux affaires étrangères et stratégiques, intérieures et de justice

   M. Paris Huxley, attaché en charge de la sécurité nationale

   Mme Anne-Claire Deseilligny, conseillère au service politique

   M. Evan Turgeon, chef du pôle FARA auprès de la National Security Division du Department of Justice

   M. Puneet Kakkar, attaché du Department of Justice à l’ambassade

   Mme Kerry Wald, cheffe de pôle politique intérieure à l’ambassade

   M. Jeffrey Michels, spécialiste politique de l’ambassade

   M. Didier Migaud, président

   Mme Louise Bréhier, secrétaire générale

   M. Ted Marx, directeur des publics, de l’information et de la communication

   M. Nicolas Lerner, directeur général

   *****, adjoint au chef de pôle juridique

   M. Serge Lasvignes, président

   Mme Airelle Niepce, secrétaire générale

 

 

 

CONTRIBUTION ÉCRITE REÇUE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(*) Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


([1]) Loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007 portant création d'une délégation parlementaire au renseignement, dont l’article unique crée l’article 6 nonies de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

([2])  Rapport public fait au nom de la délégation parlementaire au renseignement relatif à l’activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2022-2023, par M. Sacha Houlié, député (n° 1454).

([3])  Articles 18-1 à 18-10 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

([4])  Décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts.

([5])  Les personnes physiques qui exercent leur profession à titre individuel, et qui ne sont pas employées par une personne morale peuvent également être qualifiées de représentants d’intérêts, ce qui couvre le cas des lobbyistes exerçant à titre individuel. Par ailleurs, cinq catégories de personnes sont exclues de la définition des représentants d’intérêts : il s’agit des élus dans l’exercice de leur mandat, des partis et groupements politiques, des organisations syndicales de fonctionnaires, de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs dans le cadre des procédures de dialogue social, des associations à objet cultuel, ainsi que des associations représentatives des élus dans l’exercice des missions prévues dans leurs statuts.

([6])  Sont notamment concernés les collaborateurs du Président de la République, les membres du Gouvernement et du Parlement, leurs collaborateurs, les élus des grandes collectivités territoriales, les membres des autorités administratives et publiques indépendantes.

([7]) Circulaire n° 6306-SG du 11 octobre 2021 relative au renforcement de la transparence des actions d’influence étrangère conduites auprès des agents publics de l’État.

([8])  Il s’agit du Qatar et de la Corée du Sud.

([9])  Voir notamment la communication de M. Gilles Le Gendre et Mme Cécile Untermaier en conclusion des travaux de la mission « flash » sur la rédaction du décret n° 2017-867 du 9 mai 2017 relatif au répertoire numérique des représentants d’intérêts, présentée le mercredi 3 mai 2023. Une bibliographie indicative relative aux principaux travaux sur le sujet figure par ailleurs en annexe de ce rapport.

([10])  Voir le site internet de Public Safety Canada, « What We Heard Report : Consulting Canadians on the merits of a Foreign Influence Transparency Registry », novembre 2023.

([11]) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant des exigences harmonisées dans le marché intérieur en matière de transparence de la représentation d’intérêts exercée pour le compte de pays tiers et modifiant la directive (UE) 2019/1937.

([12])  Amendement CL39 rect. de M. Sacha Houlié, rapporteur.

([13])  Voir les travaux de Mme Cécile Untermaier et de M. Gilles Le Gendre précédemment cités.

([14]) Articles 68 à 88 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

([15])  Les associations cultuelles avaient été partiellement exclues du dispositif de représentation d’intérêts prévu par la loi « Sapin 2 », après de vifs débats. Deux ans plus tard, par la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, le législateur a finalement choisi d’exclure totalement les associations cultuelles de la définition des représentants d’intérêts. L’étude d’impact relevait notamment que le fait de considérer les associations cultuelles comme des représentants d’intérêts donnerait une compétence à la HATVP pour contrôler leur activité, voire pour la qualifier.

([16])  L’article 7 de la loi du 1er août 1986 précitée protège l’actionnariat des entreprises éditrices des prises de contrôle par des personnes étrangères, tandis que son article 8 prévoit qu’il est interdit à toute entreprise éditrice, sous réserve des prestations qu’elle assure, ou à l’un de ses collaborateurs, de recevoir directement ou indirectement des fonds ou avantages d’un gouvernement étranger.

([17])  Dans le dispositif actuellement en vigueur, applicable aux représentants d’intérêts, les sanctions applicables s’établissent à un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende.

([18])  Résolution du Parlement européen du 1er juin 2023 sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, y compris la désinformation.

([19])  Amendement CL40 de M. Sacha Houlié, rapporteur.

([20])  Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, et loi n° 2020-1671 du 24 décembre 2020 relative à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure.

([21])  Étude d’impact jointe au projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement de 2021, p. 181.

([22])  Décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015, Loi relative au renseignement, considérant n° 55.

([23])  Délibération de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) du 7 avril 2021, délibération de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) du 8 avril 2021, avis du Conseil d’État du 6 mai 2021.

([24])  Étude d’impact (2021), page 189.

([25])  Article L. 811-2 du CSI et décret n° 2015-1185 du 28 septembre 2015 portant désignation des services spécialisés de renseignement.

([26]) Étude d’impact (2017), p. 183.

([27])  Étude d’impact (2017), p. 192.

([28])  Avis n° 402791 sur une lettre rectificative au projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, paragraphe 16, 6 mai 2021, NOR : INTD2113198L.

([29]) Voir le rapport fait au nom de la mission d’information commune de l’Assemblée nationale par M. Loïc Kervran et M. Jean-Michel Mis sur l’évaluation de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement (n° 3069) : « si les trois algorithmes en cours n’ont pas encore atteint leur pleine mesure, ils se révèlent malgré tout très prometteurs. Si elle renonçait à cette faculté, la France se priverait d’une grande chance et prendrait du retard par rapport aux puissances partenaires », ou le rapport de la délégation parlementaire au renseignement pour l’année 2019-2020, fait par M. Christian Cambon, sénateur : « il ressort des auditions et déplacements conduits par la délégation qu’en dépit de premiers résultats encourageants, ce dispositif technique n’a pas encore donné tous les résultats escomptés. ». Ces deux rapports suggéraient de prolonger la mise en œuvre du dispositif et d’étendre le champ des données utilisées.

([30]) Étude d’impact (2021), page 177-178. 

([31]) Rapport fait par M. Jean-Jacques Urvoas au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale en première lecture, sur le projet de loi relatif au renseignement, page 102 (n° 2697).             

([32])  Rapport d’activité 2015-2016 de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, page 30.

([33])  Rapport d’activité 2022 de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (7ème rapport d’activité), page 140.

([34])  Amendement CL42 de M. Sacha Houlié, rapporteur.

([35])  Après une importante phase d’échange avec la CNCTR, la première demande d’autorisation d’un algorithme avait été présentée le 18 juillet 2017 à la CNCTR ; l’autorisation avait finalement été accordée par le Premier ministre le 12 octobre, soit deux ans et trois mois après l’adoption de la loi du 24 juillet 2015.

([36])  Rapport du Gouvernement au Parlement sur l’application de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, remis le 30 juin 2020.

([37]) L’article 25 de la loi du 24 juillet 2015 précitée prévoyait, dans sa rédaction initiale, l’application du dispositif jusqu’au 31 décembre 2018.

([38])  Une première fois jusqu’au 31 décembre 2020, par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, et une seconde fois jusqu’au 31 décembre 2021, par la loi n° 2020-1671 du 24 décembre 2020 relative à la prorogation des chapitres VI à X du titre II du livre II et de l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure.

([39])  Amendement CL11 de Mme Sophie Pic.

([40])  Sur le fondement de l’article 215 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

([41])  Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

([42])  Ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme.

([43])  Amendement CL44 de M. Sacha Houlié, rapporteur.

([44])  Amendement CL45 de M. Sacha Houlié, rapporteur.