N° 2412

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 mars 2024

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI,
adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord global dans le domaine
du transport aérien entre les États membres de l’association des nations de l’Asie du sud-est, et l’Union européenne et ses États membres

 

(Procédure accélérée)

PAR Mme Mereana REID ARBELOT

Députée

——

 

 

AVEC

 

EN ANNEXE

LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

Voir les numéros :

 Assemblée nationale : 2253.

 Sénat :  180, 340, 341 et T.A. 74 (20232024).


 


SOMMAIRE

Pages

Introduction

I. Un accord « bloc-à-bloc » inédit dont les gains économiques apparaissent incertains

A. Le cadre juridique des accords internationaux dans le domaine aérien

1. La conclusion d’accords internationaux dans le domaine aérien par l’UE depuis le milieu des années 2000

2. Les accords bilatéraux conclus par la France

B. Dans un contexte économique plutôt dynamique, un premier accord « bloc-à-bloc » motivé par dES PERSPECTIVES DE CROISSANCE Délicates à mesurer

1. Des relations économiques dynamiques entre la France et les États membres de l’ASEAN

2. Des estimations économiques incertaines

II. Un accord dont les stipulations poursuivent une ambition finalement modeste

A. Une ouverture des droits de trafic aux conséquences concrètes limitées pour les compagnies européennes

1. La libéralisation du trafic grâce à l’ouverture des droits relevant des 3e, 4e et 5e libertés de l’air

2. Des conséquences réelles limitées à court terme

B. Des exigences sociales et environnementales revêtant une portée non-contraignante

1. En matière environnementale

2. En matière sociale

C. Une mise en œuvre dont il convient d’assurer le suivi

1. Une mise en œuvre provisoire en dépit d’une entrée en vigueur encore lointaine

2. La nécessité de réaliser un suivi rigoureux de la mise en œuvre de l’accord

Examen en commission

Annexe 1 :  TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

Annexe 2 :  Liste des personnes entendues par la rapporteure

 


    

   Introduction

 

La commission des affaires étrangères est saisie du projet de loi n° 2253, adopté par le Sénat le 28 février 2024, autorisant l’approbation de l’accord global dans le domaine du transport aérien entre, d’une part, les dix États membres ([1]) de l’association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et, d’autre part, l’Union européenne (UE) et ses vingt-sept États membres.

Paraphé en juin 2021 puis signé à Bali le 17 octobre 2022, cet accord a été conclu à l’issue de six années de négociations menées par la Commission européenne, dans le cadre d’un mandat que lui a délivré le Conseil de l’UE le 7 juin 2016. Ce premier accord global dit de « bloc-à-bloc » a pour but de renforcer la connectivité entre les pays de l’UE et ceux de l’ASEAN, s’agissant aussi bien du transport de passagers que du fret. Il concrétise le partenariat stratégique UE-ASEAN établi en 2020 et la stratégie européenne de coopération dans l’Indopacifique initiée en 2021.

La libéralisation totale ou partielle des droits de trafic que prévoit cet accord ne devrait pas bouleverser les équilibres économiques actuels au regard des stratégies commerciales poursuivies par les compagnies aériennes, tant européennes qu’asiatiques, et de la concurrence des transporteurs des pays du Golfe et de la Turquie. En dépit de perspectives de croissance modestes et d’exigences environnementales et sociales peu ambitieuses, cet accord constitue cependant un « premier pas » salutaire, dont il conviendra d’examiner la mise en œuvre afin d’en évaluer précisément les bénéfices et les pistes d’amélioration.

 

 

 

 


I.   Un accord « bloc-à-bloc » inédit dont les gains économiques apparaissent incertains

S’inscrivant dans un cadre juridique européen, cet accord global entre les États de l’UE et ceux de l’ASEAN se substitue aux accords bilatéraux précédemment conclus entre ces derniers, dans une perspective de croissance des échanges délicate à évaluer.

A.   Le cadre juridique des accords internationaux dans le domaine aérien

Régis par le droit de l’UE, les accords internationaux de services aériens se sont multipliés au cours de deux dernières décennies. L’accord global du 17 octobre 2022 vise à se substituer aux accords bilatéraux actuels, dont les stipulations déterminent pour la plupart un nombre maximal de fréquences de vols autorisées pour le transport de passagers et de marchandises.

1.   La conclusion d’accords internationaux dans le domaine aérien par l’UE depuis le milieu des années 2000

À la suite des arrêts dits « Ciel ouvert » rendus le 5 novembre 2002 par la Cour de Justice des Communautés européennes ([2]), la définition du cadre juridique applicable aux liaisons aériennes de transport de passagers et de marchandises entre l’UE et les États tiers a fait l’objet d’une compétence partagée entre l’UE et ses États membres. Si l’UE dispose d’une compétence exclusive s’agissant des règles relevant du droit de la concurrence, les États membres conservent leur compétence quant à l’octroi des droits de trafic sur leur territoire, sous la forme d’accords bilatéraux qu’ils sont susceptibles de conclure avec des États tiers.

Sur le fondement des articles 100 et 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et du règlement (CE) n° 847/2004 du 29 avril 2004, l’UE a progressivement conclu une série d’accords internationaux dans le domaine aérien. L’objectif poursuivi vise à harmoniser les règles encadrant les liaisons aériennes depuis et vers l’Union, à garantir une concurrence loyale entre les compagnies des États parties ([3]) et à ouvrir les droits de trafic afin d’augmenter la fréquence des vols à des tarifs compétitifs pour les consommateurs. Ainsi, une dizaine d’accords multilatéraux ([4]) et bilatéraux ([5]) ont été signés dans le cadre de la politique de voisinage de l’UE ([6]). Cette dernière a également conclu deux accords bilatéraux ([7]) avec les États-Unis, en 2007, et le Canada, en 2009.

L’ouverture des marchés européen, américain et canadien résultant de ces accords a produit des résultats que la direction générale de l’aviation civile (DGAC) du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, auditionnée par la rapporteure, estime positifs. L’accord avec les États-Unis a entièrement libéralisé les droits de trafic en matière de fret ([8]), ce qui a sécurisé l’implantation de la principale base européenne de la société Fedex en région parisienne, dont l’activité génère plusieurs milliers d’emplois.

Pour autant, l’impact de ces deux accords bilatéraux sur la hausse du trafic demeure contrasté. Selon les informations communiquées par la DGAC, l’accord entre l’UE et le Canada a entraîné une augmentation du nombre de passagers ([9]) d’environ 53 % entre 2009 et 2018 ([10]), ce qui correspond à une hausse annuelle moyenne de 4,8 % ([11]), soit une croissance inférieure d’un point à celle du trafic mondial constatée sur la même période.

S’agissant de l’accord entre l’UE et les États-Unis, les conséquences de la crise économique de 2008 ont freiné la progression du trafic, stabilisé à 33 millions de passagers chaque année jusqu’en 2013. Une hausse annuelle moyenne d’environ 6 % a ensuite été observée jusqu’en 2019, pour atteindre le record annuel de 47 millions de passagers transportés avant le début de l’épidémie de Covid-19 ([12]).

Les accords bilatéraux signés par l’UE avec les États-Unis et le Canada autorisent les compagnies aériennes à opérer des vols directs illimités depuis et vers les territoires des États parties ([13]), ainsi que des vols avec escale illimités pour le fret ([14]).

2.   Les accords bilatéraux conclus par la France

À l’exception de Brunei ([15]), la France a conclu des accords bilatéraux avec neuf des dix États membres de l’ASEAN au cours des soixante dernières années.

Accords bilatéraux conclus par la France
avec les états membres de l’ASEAN

 

État signataire

Date de signature de l’accord

Contenu de l’accord

Cambodge

15 janvier 1964

Pas de limitation chiffrée du nombre de vols : principe d’opportunités libres et égales

Malaisie

22 mai 1967

3e et 4e libertés : 12 vols aller-retour hebdomadaires par pavillon pour tout service (passagers et fret)

Singapour

29 juin 1967

3e et 4e libertés : 12 vols aller-retour hebdomadaires par pavillon pour les passagers et 3 vols aller-retour hebdomadaires par pavillon pour le fret

Indonésie

24 novembre 1967

3e et 4e libertés : 7 vols aller-retour hebdomadaires par pavillon pour les passagers et 2 vols aller-retour hebdomadaires par pavillon pour le fret

5e liberté : quota de 400 passagers hebdomadaires et de 500 passagers hebdomadaires de et vers Singapour

Birmanie

11 janvier 1972

Pas de limitation chiffrée du nombre de vols : principe d’opportunités libres et égales

Laos

1er avril 1975

Pas de limitation chiffrée du nombre de vols : principe d’opportunités libres et égales

Thaïlande

7 avril 1975

3e et 4e libertés : 17 vols aller-retour hebdomadaires par pavillon pour tout service (passagers et fret) ([16])

Vietnam

14 avril 1977

3e et 4e libertés : 8 vols aller-retour hebdomadaires par pavillon pour les passagers et 3 vols aller-retour hebdomadaires par pavillon pour le fret

Philippines

17 septembre 2014

3e et 4e libertés : 7 vols aller-retour hebdomadaires par pavillon pour les passagers et 2 vols aller-retour hebdomadaires par pavillon pour le fret

Selon les éléments transmis par la DGAC à la rapporteure, les accords bilatéraux conclus entre plusieurs États membres de l’UE tels que l’Allemagne, l’Italie ou les Pays-Bas avec plusieurs pays de l’ASEAN, à l’instar de la Thaïlande, de Singapour ou de l’Indonésie, prévoient des fréquences de vols similaires sinon supérieures ([17]) à celles figurant dans les accords bilatéraux signés par la France.

B.   Dans un contexte économique plutôt dynamique, un premier accord « bloc-à-bloc » motivé par dES PERSPECTIVES DE CROISSANCE Délicates à mesurer

Créée en 1967, l’ASEAN constitue le 5e ensemble économique mondial. Celui-ci est peuplé de près de 670 millions d’habitants répartis au sein de dix États dont le niveau économique et social s’avère hétérogène.

Carte des états membres de l’asean

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Source : direction générale du trésor du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Le développement économique de la zone et le dynamisme des relations commerciales avec la France se conjuguent au partenariat stratégique noué en décembre 2020 entre l’UE et l’ASEAN ([18]) pour justifier la signature d’un premier accord aérien dit de « bloc-à-bloc », dans un objectif d’accroissement des échanges entre ces deux ensembles regroupant environ 1,1 milliard d’habitants.

1.   Des relations économiques dynamiques entre la France et les États membres de l’ASEAN

Alors que les pays de l’ASEAN bénéficient d’une conjoncture économique relativement favorable, les relations commerciales entre la France et ces derniers tendent à retrouver leur niveau de 2019, quatre ans après le début de l’épidémie de covid-19.

État des lieux de la conjoncture économique de l’ASEAN et des relations commerciales entre la France et les États membres de l’ASEAN

En 2023, la croissance de l’ASEAN (+ 4,2 %) a légèrement fléchi par rapport à son rythme historique de 5 %, demeurant néanmoins supérieure d’un point à la croissance mondiale (+ 3,1 %) et de près de trois points à celle des économies avancées (+ 1,6 %). Ce léger fléchissement s’explique par un environnement global moins porteur. Sur le plan extérieur, la croissance a en effet pâti de la stagnation du commerce mondial de biens et services, aggravée par le ralentissement de la croissance économique chinoise. Sur le plan intérieur, la consommation ne bénéficie plus de l’effet de réouverture post-Covid et se confronte désormais à des pressions inflationnistes toujours présentes, bien qu’en diminution. Le Fonds monétaire international FMI prévoit une légère amélioration en 2024 (+ 4,7 %), aidée par le recul de l’inflation et un relatif assouplissement monétaire. La solidité de la reprise dépendra toutefois de facteurs externes, comme la direction du cycle monétaire aux États-Unis, du risque (géo)politique, ainsi que la conjoncture en Chine.

En 2022, les échanges commerciaux entre la France et les pays de l’ASEAN se sont significativement relevés (+ 23,5 %, soit 37,9 milliards d’euros), et ont représenté 2,8 % de notre commerce mondial, un niveau cependant toujours en retrait par rapport aux chiffres pré-crise (3,3 % de nos échanges de 2019). Les exportations françaises ont affiché une nette progression (+18,7 %) et se sont rapprochées du montant constaté en 2019. La baisse des ventes aéronautiques (11 % du total exporté en 2022, contre 14 % en 2021), secteur qui pâtit encore des effets de la pandémie (32 % en 2019), a été compensée par la progression de nos exportations dans d’autres domaines, tandis que nos importations ont poursuivi leur tendance haussière (+ 26,9 %, soit 22,9 milliards d’euros). Les principaux postes à l’export sont les produits de luxe (26,5 %), le secteur aéronautique et spatial (11 %), les produits informatiques, électroniques et optiques (10,9 %), ainsi que les produits pharmaceutiques (10,5 %) et l’agroalimentaire (14,2 %, dont 8,2 % dans les boissons). Deux pays se distinguent comme nos principaux partenaires commerciaux dans la région : Singapour et le Vietnam, qui représentent respectivement 60,1 % de nos exportations et 30,2 % de nos importations.

D’après les données de la Banque de France, les investissement directs étrangers (IDE) de la France vers l’ASEAN, négatifs en 2021, ont bondi à 9,9 milliards d’euros en 2022. Singapour confirme son rôle de hub en attirant près des trois-quarts des IDE français à destination de la région, principalement dans les secteurs du commerce de gros et de détail, de la finance et de l’industrie.

Source : direction générale du trésor du ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, mars 2024.

Bien que le redémarrage des échanges commerciaux depuis la fin de la crise sanitaire ouvre des perspectives favorables à la réussite de l’accord aérien signé par l’UE et l’ASEAN le 17 octobre 2022, les estimations économiques sur lesquelles se fonde celui-ci semblent difficiles à objectiver.

2.   Des estimations économiques incertaines

En amont de l’ouverture des négociations en 2016, une étude d’impact réalisée par la Commission européenne l’année précédente prévoyait une hausse de trafic à hauteur de 10 % par an pour atteindre 13,7 millions de passagers six ans après l’entrée en vigueur de l’accord. L’accord est censé engendrer un bénéfice compris entre 1,3 et 2,8 milliards d’euros pour le transport de passagers ([19]) et entre 250 millions et 700 millions d’euros pour le fret, ainsi que la création de 5 700 emplois. Si près de 8 millions de passagers étaient comptabilisés en 2019, ce nombre a été divisé par trois en raison de l’épidémie de Covid-19, soit seulement 2,8 millions de passagers recensés sur les trois premiers trimestres de l’année 2022.

Les effets de la crise sanitaire sur l’évolution du trafic aérien relativisent nécessairement la pertinence de ces prévisions, dont il est difficile de vérifier le bien-fondé et la rigueur méthodologique. Au-delà des décalages temporels qu’elle implique, l’épidémie de Covid-19 affecte également les stratégies commerciales développées dans le domaine aérien, ce qui fragilise les anticipations de gains économiques reposant sur la croissance du trafic. Dans les réponses écrites adressées à la rapporteure à l’issue de son audition, la DGAC reconnaît ainsi que, « même en décalant les prévisions de dix ans, l’impact de l’accord sur le trafic et ses conséquences économiques et sociales seront nettement moins importants qu’envisagés mais ils restent significatifs ». ([20])

La reprise de l’activité économique et du trafic aérien observée depuis 2022 demeure confrontée à de fortes incertitudes, ce qui complexifie les analyses prospectives à court et moyen termes. En outre, la libéralisation totale des droits relevant des 3e et 4e libertés aériennes et la libéralisation partielle des droits relevant de la 5e liberté ne semblent pas satisfaire un besoin économique actuellement exprimé par les compagnies françaises concernées par cet accord, au regard de la réalité du trafic aérien vers les pays de l’ASEAN aujourd’hui.

 


II.   Un accord dont les stipulations poursuivent une ambition finalement modeste

Premier accord aérien dit de « bloc-à-bloc », la portée concrète de l’accord du 17 octobre 2022 apparaît limitée, en dépit de la libéralisation des droits de trafic et des engagements environnementaux et sociaux qu’il contient. Sa mise en œuvre nécessitera un suivi attentif, afin d’évaluer son impact sur la concurrence et sa contribution à la transition écologique du secteur aérien.

  1.   Une ouverture des droits de trafic aux conséquences concrètes limitées pour les compagnies européennes

L’accord de Bali prévoit une libéralisation totale des vols directs entre l’UE et l’ASEAN, correspondant aux 3e et 4e libertés aériennes, et une libéralisation partielle de vols avec escale, relevant de la 5e liberté. Cependant, les compagnies européennes, dont Air France – KLM, ne semblent pas particulièrement disposées à se saisir de ces nouvelles opportunités à court terme.

  1.   La libéralisation du trafic grâce à l’ouverture des droits relevant des 3e, 4e et 5e libertés de l’air

L’article 3 de l’accord autorise les compagnies des États de l’UE et de l’ASEAN à opérer des vols directs afin de transporter des passagers vers et depuis l’UE et l’ASEAN de manière illimitée ([21]). Il s’agit donc d’une libéralisation totale des vols directs de passagers, ce qui met fin au plafonnement des fréquences prévues dans la plupart des accords bilatéraux liant actuellement les États de l’UE et ceux de l’ASEAN.

L’article 3 octroie également la possibilité aux compagnies précitées d’exploiter des vols avec escale, ce qui leur permet de débarquer et d’embarquer, à la suite d’un premier vol à destination de l’un des États parties, du trafic en provenance ou à destination d’un État tiers. Cette ouverture des droits est illimitée s’agissant du fret. Pour les passagers, elle est plafonnée à sept vols hebdomadaires par État membre. Cette fréquence pourra être doublée et atteindre quatorze vols hebdomadaires deux ans après l’entrée en vigueur de l’accord. De façon inédite, la libéralisation des vols avec escale concerne aussi bien les liaisons vers des États tiers ([22]) qu’entre deux États appartenant au même bloc ([23]), dès lors que, s’agissant des seuls États  tiers, ces liaisons ne sont pas déjà desservies par une compagnie aérienne d’un État du même bloc ([24]).

Conformément à l’article 26, les stipulations de cet accord prévalent sur les dispositions des accords bilatéraux existant à ce jour entre les États de l’UE et ceux de l’ASEAN. Si l’article 26 précise que les accords bilatéraux précités présentant un caractère plus favorable que cet accord global continuent de s’appliquer, la DGAC a précisé à la rapporteure que ce n’est le cas d’aucun des accords bilatéraux précédemment conclus par la France, auxquels se substituera donc intégralement l’accord du 17 octobre 2022.

Son application est circonscrite aux territoires relevant de l’UE ([25]), ce qui inclut les régions ultrapériphériques (RU) – catégorie à laquelle appartiennent les collectivités de Guyane, Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin, Mayotte et la Réunion – mais exclut les pays et territoires d’outre-mer (PTOM) dont font partie Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélémy, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française.

La DGAC a indiqué à la rapporteure qu’il n’existe qu’une seule ligne directe entre l’un de ces territoires ultramarins relevant des PTOM et un État de l’ASEAN ([26]). Ces territoires bénéficient désormais de l’intégralité des droits prévus par les accords bilatéraux nationaux auxquels ils demeurent assujettis. Alors que les compagnies aériennes métropolitaines et ultramarines ([27]) doivent aujourd’hui partager l’ensemble des fréquences autorisées par les accords bilatéraux existants, l’accord conclu entre l’UE et l’ASEAN, bénéficiant principalement à Air France – KLM, permettra aux compagnies aériennes ultramarines françaises relevant des PTOM d’utiliser l’entièreté des droits prévus par les accords bilatéraux précités ([28]).

  1.   Des conséquences réelles limitées à court terme

La libéralisation totale ou partielle des droits de trafic entre l’UE et l’ASEAN a pour objectif de développer le marché du transport aérien entre ces deux blocs, dans un cadre juridique commun favorisant les échanges. Cependant, les potentialités offertes par cet accord excèdent les besoins exprimés par les compagnies européennes qui n’entendent pas, à ce stade, modifier leurs stratégies commerciales à l’aune du déplafonnement des fréquences de vols autorisées vers l’ASEAN.

L’effet concret de cet accord apparaît donc réduit à court terme, bien que celui-ci rende théoriquement possible une augmentation du nombre de liaisons opérées entre l’UE et l’ASEAN, consécutive à la reprise progressive du trafic aérien depuis la fin de la crise sanitaire. Sans pessimisme excessif, il convient donc de rester prudent, ce que confirment les représentants d’Air France – KLM et de la Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers (FNAM) auditionnés par la rapporteure.

 D’une part, les compagnies européennes sont confrontées à des difficultés conjoncturelles liées à l’obligation, depuis février 2022, de contourner l’espace aérien russe afin de rallier l’Asie du Sud-Est, ce qui allonge en conséquence la durée des vols et renchérit les coûts afférents, s’agissant notamment de la consommation de carburant.

D’autre part, l’accord ne remettra pas en cause la forte concurrence des compagnies aériennes des pays du Golfe persique ([29]) et de la Turquie ([30]), qui bénéficient d’une situation géographique privilégiée entre l’Europe et l’Asie du Sud-Est et d’une manne financière leur assurant une position dominante sur le marché.

Il en résulte une sous-utilisation très nette des fréquences de vols permises par les accords bilatéraux existants. Ainsi, Air France – KLM ne dessert aujourd’hui que trois États de l’ASEAN : Singapour, la Thaïlande et le Vietnam. Après avoir été inaugurée en 2011, la liaison hebdomadaire avec le Cambodge a été supprimée par Air France – KLM dès 2013. Selon les informations communiquées à la rapporteure, le nombre de liaisons opérées par Air France – KLM vers l’Asie du Sud-Est a subi une baisse de 25 % entre 2014 et 2024, alors même que son réseau mondial s’est élargi sur la même période. Les éléments communiqués par la DGAC à la suite de son audition font également état d’une sous-utilisation des possibilités offertes par les accords bilatéraux conclus par l’Allemagne, les Pays-Bas ou l’Italie avec la plupart des États de l’ASEAN.

Lors de leur audition, les représentants d’Air France – KLM et de la Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers ont considéré que cet accord « ne révolutionnerait pas » le marché aérien en Asie du Sud-Est, au regard de la structure historique du réseau d’Air France – KLM dans cette région et de la relative stabilité de la demande anticipée à court terme ([31]). Ils ont néanmoins convenu du signal positif que constitue la libéralisation partielle ([32]) et totale ([33]) des vols avec escale, au regard des potentielles économies d’échelle subséquentes.

B.   Des exigences sociales et environnementales revêtant une portée non-contraignante

Outre les stipulations qui figurent habituellement dans les accords aériens s’agissant de la coopération en matière de sécurité et de gestion du trafic, de la délivrance de permis techniques, de l’exploitation commerciale, de financement public des compagnies aériennes, de droits de douane et de redevances d’usage ou de la protection des consommateurs, l’accord de Bali comporte plusieurs dispositions relatives aux enjeux environnementaux et sociaux, dont l’ambition demeure limitée en raison de leur portée non-contraignante.

1.   En matière environnementale

Conformément au mandat octroyé à la Commission européenne en 2016, l’article 18 de l’accord de Bali prévoit de façon inédite l’engagement des États parties à lutter contre le réchauffement climatique, notamment par la réduction des émissions de gaz à effet de serre liées au transport aérien. Promouvant la coopération internationale dans ce domaine, l’article 18 souligne également « la nécessité de prendre des mesures appropriées pour prévenir ou agir d’une autre manière sur les incidences du transport aérien sur l’environnement […] ».

Cet engagement constitue un premier pas encourageant et témoigne d’une volonté partagée d’œuvrer en faveur de l’impératif écologique. Néanmoins, son caractère non-contraignant fragilise inévitablement sa portée. ([34])

L’impulsion louable que favorisent ces dispositions pour lutter contre le réchauffement climatique ne saurait cependant masquer les différences entre, d’une part, les réglementations environnementales applicables aux compagnies européennes et, d’autre part, les faibles contraintes auxquelles leurs homologues asiatiques sont assujetties. Adopté le 9 octobre 2023, le règlement ReFuelEU Aviation impose d’incorporer progressivement du carburant durable d’aviation dans le kérosène, suivant un objectif fixé à hauteur de 2 % en 2025, 6 % en 2030, 25 % en 2035, 34 % en 2040 et 42 % en 2045. Bien que l’État singapourien ait annoncé en février 2024 poursuivre un objectif similaire ([35]), la rapporteure regrette l’asymétrie qui caractérise les efforts consentis entre les États parties afin de protéger efficacement l’environnement, au risque de mettre en péril la lutte contre le réchauffement climatique et, par ricochet, de fausser la concurrence internationale dans le domaine des transports aériens.

Lors de leur audition, les représentants d’Air France – KLM ont souligné le prix particulièrement élevé du carburant d’aviation durable acheté en Europe, s’élevant à près de 5 000 euros la tonne ([36]), soit cinq fois plus que le prix du kérosène dont le coût représente entre 20 % et 30 % des dépenses d’une compagnie aérienne ([37]). L’incorporation croissante du carburant d’aviation durable ne résoudra pas à elle seule l’ensemble des enjeux liés à la pollution qu’engendre le trafic aérien : le renouvellement de la flotte d’avions gros-porteurs permet également de réduire de 15 % à 25 % de niveau des émissions de gaz à effet de serre au regard de la consommation en carburant des anciens appareils encore exploités aujourd’hui.

Pour autant, la rapporteure souligne l’intérêt de renforcer les recherches et la production de carburant d’aviation durable pour garantir à long terme notre souveraineté énergétique et industrielle, conformément à nos engagements environnementaux.

2.   En matière sociale

L’article 22 de l’accord de Bali mentionne les aspects sociaux entourant l’activité des transporteurs aériens. Il prévoit ainsi une « coopération sur les questions d’emploi relevant du présent accord, notamment en ce qui concerne les incidences sur l’emploi, les droits fondamentaux au travail, les conditions de travail, la protection sociale et le dialogue social ». Pour autant, le rappel de l’autonomie des États dans la détermination des règles applicables et l’interdiction explicite d’invoquer les normes sociales dans un but protectionniste illustre la timidité des stipulations de l’accord en la matière.

Dénué de portée contraignante, l’article 22 énonce l’engagement des États à respecter les principes découlant des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) et à en ratifier les conventions fondamentales, ce que Singapour, le Vietnam et les Philippines ([38]) ont déjà accompli s’agissant des conventions relatives au droit du travail et aux négociations collectives.

Là encore, le caractère insuffisamment ambitieux de la rédaction retenue ne doit pas occulter l’intérêt d’insérer dans un tel accord global une clause relative à la protection des droits sociaux.

C.   Une mise en œuvre dont il convient d’assurer le suivi

Si le processus de ratification ne devrait pas aboutir avant plusieurs années, l’application provisoire de l’accord depuis sa signature le 17 octobre 2022 doit faire l’objet d’un suivi rigoureux, afin d’en évaluer précisément l’impact sur l’évolution du trafic aérien entre l’UE et l’ASEAN.

1.   Une mise en œuvre provisoire en dépit d’une entrée en vigueur encore lointaine

L’accord a déjà été ratifié par six États membres de l’UE ([39]) et deux États membres de l’ASEAN ([40]). Aucun calendrier de ratification n’est précisément envisagé, le Parlement européen ayant vocation à entériner l’approbation de l’accord à l’issue de sa ratification par chacun des États membres, ce qui peut retarder l’entrée en vigueur de plusieurs années.

L’accord de Bali ne contient pas de stipulation relative à son application provisoire mais une déclaration séparée émise lors de la signature prévoit sa mise en œuvre anticipée, ce qui n’a pas soulevé de difficulté depuis le 17 octobre 2022. ([41])

2.   La nécessité de réaliser un suivi rigoureux de la mise en œuvre de l’accord

L’article 23 met en place un comité mixte chargé de veiller à la mise en œuvre de l’accord. Il s’est réuni pour la première fois en octobre 2023. Cet organe de suivi permet à chaque État de présenter l’avancement de ses travaux dans les domaines couverts par l’accord, ce qui favorise aussi les discussions sur le respect des engagements sociaux et environnementaux souscrits par les parties dans le but de renforcer la convergence des politiques nationales menées en la matière.

Régissant les conditions de financement public des compagnies aériennes afin de préserver une concurrence équitable ([42]), l’article 8 institue la possibilité pour un État de prendre des mesures unilatérales contre un autre État ou des transporteurs aériens de celui-ci, dès lors que les consultations préalables n’ont pas permis, dans les deux mois suivants la sollicitation de l’État initiateur, de rétablir les conditions d’une concurrence équitable. Les mesures précitées ([43]) doivent être appropriées, proportionnées et limitées dans leur champ d’application et leur durée à ce qui est strictement nécessaire pour atténuer le préjudice subi et supprimer l’avantage indu ([44]). Ce dispositif innovant autorise une partie à agir unilatéralement pour faire cesser rapidement le dommage, avant que les conséquences ne deviennent irréversibles.

L’utilité de ces mécanismes procéduraux ne saurait se substituer à la nécessité d’établir un suivi régulier de la mise en œuvre de l’accord, non seulement pour vérifier le respect réciproque de ses stipulations mais aussi pour en tirer un bilan afin d’évaluer son efficacité au regard des impératifs économiques, sociaux et environnementaux auxquels le transport aérien doit désormais répondre.


   Examen en commission

Le mercredi 27 mars 2024, à 11 heures, la commission examine le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l’association des nations de l’Asie du Sud-Est, et l’Union européenne et ses États membres.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Mes chers collègues, l’ordre du jour appelle l’examen du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l’association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et l’Union européenne (UE) et ses États membres.

Si la Commission européenne a initialement développé avec des pays tiers des accords portant sur la concurrence entre acteurs du transport aérien, dits horizontaux, les droits sur le trafic restant de la compétence de ses États membres, elle s’est attachée récemment à développer des accords plus globaux. Ceux-ci visent, lorsqu’ils sont conclus avec les pays du voisinage, à créer des « espaces aériens communs », à la condition d’une reprise substantielle – il me semble à cet égard utile de nous interroger sur la portée de cette notion – des standards communautaires en matière de transport aérien, notamment sur le plan de la sécurité et de la gestion du trafic.

Depuis 2006, des accords de ce type ont ainsi été conclus avec les États des Balkans occidentaux, le Maroc, la Géorgie, la Jordanie, la Moldavie, Israël, l’Ukraine et l’Arménie. Les accords globaux, conclus avec des partenaires plus lointains, visent quant à eux à ouvrir les marchés du transport aérien tout en fixant des règles communes destinées à assurer l’équité entre opérateurs. L’accord avec l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, signé le 17 octobre 2022 à Bali et dont il nous est demandé d’autoriser l’approbation ce matin, relève de cette seconde catégorie.

Cet accord dit de bloc-à-bloc est le plus grand accord aérien conclu à ce jour par l’Union européenne. Il couvre une population de 1,1 milliard d’habitants. Son objectif est de permettre de maintenir et de renforcer la connectivité directe entre les deux régions, la croissance de ce trafic étant, depuis une quinzaine d’années, très largement absorbée par les compagnies des pays du Golfe et de la Turquie via leurs plateformes de correspondances. L’accord de Bali contribuera aussi, d’une certaine manière, à la déclinaison du partenariat stratégique entre l’Union européenne et l’ASEAN, de la stratégie européenne de coopération dans l’Indopacifique et de la stratégie Global Gateway pour la connectivité.

Les conséquences attendues sont importantes. L’étude d’impact de la Commission européenne envisage, du fait de l’application de cet accord, une hausse de trafic de 10 % en six ans, pour atteindre 13,7 millions de passagers. La libéralisation des prestations engendrera des bénéfices supplémentaires de plusieurs centaines de millions d’euros pour le fret et de plus de 1,3 milliard d’euros pour le transport de passagers. Plus de 5 000 emplois devraient être créés en six ans.

C’est donc un accord d’une assez grande importance. Nous devrons avoir ces paramètres à l’esprit avant de procéder au vote.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour examiner, selon la procédure d’examen simplifiée, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l’association des nations de l’Asie du Sud-Est et l’Union européenne et ses États membres. Cet accord a été signé le 17 octobre 2022 à Bali, à l’issue de six années de négociations menées par la Commission européenne au nom des vingt-sept États membres de l’UE. À ce jour, l’accord a été ratifié par six États de l’UE – l’Estonie, la Lituanie, l’Irlande, les Pays-Bas, l’Autriche et la Roumanie – et par deux États de l’ASEAN – Singapour et le Vietnam. Le projet de loi que nous examinons a été adopté par le Sénat le 28 février dernier.

Si la France a déjà eu l’occasion d’approuver des accords aériens conclus par l’UE, dans le cadre de sa politique de voisinage, ainsi qu’avec les États-Unis en 2007 et le Canada en 2009, l’accord du 17 octobre 2022 est inédit car il a été conclu entre deux ensembles régionaux. Cet accord bloc-à-bloc a vocation à s’appliquer à trente-sept États où vivent 1,1 milliard d’habitants.

Ayant exercé la profession de contrôleur aérien à Paris et en Polynésie française pendant plus de trente ans, je porte naturellement un vif intérêt aux enjeux relatifs à l’aviation civile. Le rôle majeur du transport aérien dans le rapprochement des femmes, des hommes, des familles et des amis, par-delà les continents, est une évidence depuis près d’un siècle. Il est assorti, plus que jamais, de défis incontournables liés au développement économique et à la lutte contre le changement climatique. Il convient de tenir compte de tous ces aspects dans l’analyse des accords internationaux en la matière.

L’accord entre l’UE et l’ASEAN que nous examinons s’inscrit dans le cadre du partenariat stratégique noué entre ces deux organisations depuis décembre 2020. Il vise un objectif bien identifié : élaborer un cadre juridique commun applicable au transport aérien. Il se substituera à l’intégralité des accords bilatéraux en vigueur à ce jour entre les vingt-sept États membres de l’UE et les dix États membres de l’ASEAN.

S’agissant de la France, la plupart des accords bilatéraux avec ces États du Sud-Est asiatique ont été conclus au cours des années 1960 et 1970. Ils prévoient un plafonnement hebdomadaire du nombre de liaisons aériennes autorisées pour le transport de passagers et pour le fret. Concrètement, l’accord entre l’UE et l’ASEAN procède à la libéralisation totale des droits de trafic relevant des troisième et quatrième libertés de l’air, qui offrent aux compagnies la possibilité de débarquer dans un État étranger des passagers ou des marchandises acheminées depuis l’État dont elles ont la nationalité, d’une part, et d’embarquer des passagers ou des marchandises depuis un État étranger à destination de l’État dont elles ont la nationalité, d’autre part.

L’accord prévoit aussi une libéralisation partielle des droits relevant de la cinquième liberté de l’air, qui permet aux transporteurs aériens de débarquer et d’embarquer des passagers en provenance ou à destination d’un État tiers à la suite d’un premier vol à destination de l’un des États de l’UE ou de l’ASEAN. La fréquence de ces vols est plafonnée à sept vols hebdomadaires par État membre ; elle pourra doubler deux ans après l’entrée en vigueur de l’accord. Le nombre de ces vols avec escale est illimité pour le transport de marchandises. Par exemple, cela permettra à Air France-KLM d’opérer une liaison entre Paris et Singapour, puis entre Singapour et un autre État.

De façon inédite, l’accord prévoit également des engagements en matière environnementale et sociale, qui figurent à ses articles 18 et 22. Il s’agit de promouvoir la lutte contre le changement climatique et la garantie des droits liés aux conditions de travail, à la protection sociale et au dialogue social, dans le respect de la législation des États parties.

À l’issue du travail d’auditions que j’ai mené, je porte un regard distancié et lucide sur l’utilité réelle de cet accord entre l’UE et l’ASEAN. Il existe un certain décalage entre les ambitions initiales ayant motivé sa conclusion et la réalité de sa plus-value. J’évoquerai successivement les deux principaux enjeux que sont les perspectives économiques et commerciales de croissance du trafic aérien et la portée des dispositions relatives à la protection de l’environnement et aux droits sociaux.

Premièrement, les estimations de bénéfices réalisées par la Commission européenne en amont de l’ouverture des négociations s’avèrent très difficiles à expertiser et semblent surévaluées, comme l’ont admis les services de la direction générale de l’aviation civile (DGAC) et les responsables d’Air France-KLM que j’ai auditionnés. En 2015, on prévoyait des retombées financières comprises entre 1,3 et 2,8 milliards d’euros pour le transport de passagers et entre 250 et 700 millions d’euros pour le fret, ainsi que la création de 5 700 emplois.

La crise du Covid-19 a bouleversé ces projections, dans la mesure où le trafic aérien entre l’UE et l’ASEAN a été divisé par deux entre 2019 et 2022. L’année 2024 devrait permettre de revenir à la situation prévalant avant la pandémie mais la DGAC reconnaît que l’optimisme des prévisions de 2015 n’est plus d’actualité à court terme.

De façon encore plus nette, les responsables d’Air France-KLM ont indiqué que l’accord ne révolutionnerait pas le marché aérien avec l’Asie du Sud-Est. D’une part, il ne remettra pas en cause la très forte concurrence des compagnies aériennes des pays du Golfe, qui profitent d’une situation géographique stratégique et d’une manne financière illimitée leur assurant une position résolument dominante dans ce secteur. D’autre part, si l’accord entre l’UE et l’ASEAN offre de nouvelles potentialités de trafic, elles ne correspondent pas à des besoins réellement exprimés par Air France-KLM, qui n’envisage pas de modifier à court terme la structure de son réseau ni sa stratégie commerciale, qu’il s’agisse du transport de passagers ou du transport de marchandises.

Deuxièmement, les engagements environnementaux et sociaux de l’accord n’ont aucun caractère contraignant. Ils sont donc des déclarations d’intention. Louables en principe, ils ne sont pas articulés à des objectifs de maîtrise du trafic. Par exemple, l’accord fait l’impasse sur l’obligation d’incorporation de carburant durable d’aviation (SAF) et se contente d’encourager l’échange d’informations et le dialogue entre experts sur la recherche et développement (R&D) en la matière.

Ces limites sont regrettables car les défis à relever pour accélérer la transition écologique dans le domaine aérien, renforcer les droits sociaux et lutter contre toute forme de concurrence déloyale sont des objectifs qui doivent nous rassembler. Toutefois, les progrès sur ces questions impliquent par essence une véritable coopération internationale, pour laquelle les accords de bloc-à-bloc sont un atout. Nous devons assumer d’en passer par une politique de petits pas pour lui donner ensuite des prolongements plus ambitieux.

Sans naïveté, souvenons-nous que, comme disait la marquise du Deffand : « Il n’y a que le premier pas qui coûte ». Gageons que ce texte sera l’élément déclencheur d’un effort collectif qu’il conviendra d’intensifier dans les années à venir. Malgré ses insuffisances et la réalité du contexte économique d’après-Covid, cet accord entre l’UE et l’ASEAN peut être un premier pas salutaire – certes loin d’être révolutionnaire – en faveur d’une coopération internationale renforcée.

Il me semble souhaitable de l’approuver, en demeurant particulièrement attentifs à sa mise en œuvre, afin d’en évaluer précisément les bénéfices, sociaux et environnementaux en particulier. Je vous invite donc à adopter le projet de loi autorisant l’approbation de cet accord.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Béatrice Piron (RE). Depuis la fin de l’année 2015, l’UE s’est engagée dans une démarche visant à renforcer la compétitivité du secteur aérien et à instaurer des conditions de concurrence équitables avec les compagnies des pays en développement. Dans cette optique, la Commission européenne a élaboré des accords globaux de transport aérien, dont un avec l’ASEAN, que nous avons le plaisir d’étudier aujourd’hui. L’ASEAN réunit dix pays d’Asie du Sud-Est : l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, Brunei, le Vietnam, le Laos, la Birmanie et le Cambodge.

Cet accord entre deux blocs de pays est une première. Il concerne une population de plus de 1 milliard d’habitants. Il s’agit du plus grand accord conclu par l’UE à ce jour. Il vise à renforcer la connectivité directe entre nos régions respectives pour favoriser le commerce, le tourisme et l’investissement, ainsi que le développement économique et social.

Pour ce faire, il prévoit la libéralisation totale des vols directs de passagers et la libéralisation progressive et partielle des vols avec escale. Les transporteurs des pays de l’UE et de l’ASEAN pourront également effectuer des vols de fret avec escale. D’après l’étude d’impact de la Commission européenne, la libéralisation du fret et des vols directs pourrait entraîner des bénéfices significatifs et la création de milliers d’emplois au cours des six prochaines années. Nous avons compris que cette perspective semble optimiste.

Par ailleurs, l’accord introduit des mesures pour garantir une concurrence équitable, telles que la régulation des subventions aux compagnies aériennes et la coopération réglementaire. Le comité mixte prévu à l’article 23 a tenu sa première réunion en octobre 2023. Il est tenu de suivre la mise en œuvre de l’accord. Il offre à chaque État l’opportunité de rapporter les progrès accomplis dans les domaines spécifiés par l’accord. Ce processus encouragera également les échanges sur le respect des engagements sociaux et environnementaux pris par les parties, en vue de renforcer l’harmonisation des politiques nationales dans ces domaines.

Cet accord représente une étape vers une coopération plus étroite entre l’UE et l’ASEAN. Il offre quelques opportunités de croissance économique et de développement régional. Le groupe Renaissance votera donc le projet de loi.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Afin de préciser ce que sont les libertés de l’air, je vous montre un schéma explicatif. Ainsi, la troisième liberté de l’air permet de débarquer des passagers dans un État étranger. La quatrième liberté de l’air permet d’en embarquer dans un État étranger pour les emmener dans l’État dont la compagnie a la nationalité. La cinquième liberté de l’air permet de transporter des passagers entre deux États tiers.

M. Michel Guiniot (RN). L’accord qui nous est soumis comporte des dispositions relatives au transport des marchandises et des dispositions relatives aux vols commerciaux. Il s’agit d’actualiser des voies aériennes régies par des accords datant des années 1960 et d’ouvrir des relations aériennes.

Il faut prendre avec prudence les éléments présentés dans l’étude d’impact car les données de la Commission européenne sont antérieures au confinement. Les conséquences de l’accord sur le nombre de vols, les emplois créés et les bénéfices liés au fret s’en trouvent modifiées. Comme l’indique le rapport, la DGAC admet que « même en décalant les prévisions de dix ans, l’impact de l’accord sur le trafic et ses conséquences économiques et sociales seront nettement moins importants qu’envisagés ». La portée de l’accord semble donc un peu surévaluée.

J’aimerais obtenir des précisions sur le périmètre de l’article 6, par lequel les parties reconnaissent les avantages potentiels de la libéralisation progressive de la propriété et du contrôle de leurs transporteurs aériens respectifs. Le rapport mentionne uniquement la libéralisation totale ou partielle des droits de trafic. D’après l’exposé des motifs de l’accord, l’article 6 prévoit la libéralisation de la propriété et du contrôle des transporteurs, certes en précisant qu’un transporteur européen ne peut être détenu et contrôlé que par des intérêts européens, mais qu’en sera-t-il demain ?

L’article 22 porte sur les aspects sociaux de l’activité des transporteurs aériens. Il vise à faire reconnaître les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) par les parties prenantes ; tel n’est pas le cas de sept des États asiatiques. Madame la rapporteure, pensez-vous qu’ils modifieront leur politique sociale en matière de droit du travail ? Dans votre rapport, vous rappelez que cet article est dépourvu de portée contraignante et regrettez le caractère insuffisamment ambitieux de sa rédaction.

Quels éclaircissements pouvez-vous nous apporter sur ces deux articles ?

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Concernant l’article 6, la DGAC et Air France-KLM nous ont confirmé que l’accord n’aura aucun impact sur la structure économique et financière du groupe.

S’agissant de l’OIT, onze de ses conventions sont considérées comme fondamentales. La France en a ratifié dix. La plupart des pays de l’ASEAN en ont ratifié de sept à neuf. Le sultanat de Brunei, avec lequel la France n’a conclu aucun accord bilatéral, en a ratifié trois.

Certes, tout cela n’est pas pleinement satisfaisant. Toutefois, la conclusion d’un accord global peut être interprétée comme un signal positif laissant espérer une amélioration de la prise en compte du sort des travailleurs. Chacun convient que les conditions de travail des travailleurs dans les pays de l’ASEAN posent souvent problème. L’accord global qui nous est soumis n’a pas vocation à améliorer directement les droits sociaux des employés du secteur aérien des États de l’ASEAN. Toutefois, il a le mérite, contrairement aux nombreux accords bilatéraux en vigueur dans ce domaine, d’incorporer une disposition relative aux droits sociaux.

L’article 22 de l’accord impose une coopération entre États sur les droits fondamentaux au travail, les conditions de travail, la protection sociale et le dialogue social. Il rappelle l’importance des onze conventions fondamentales de l’OIT, dans la mesure où il dispose que chaque partie s’engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour les ratifier si elles ne l’ont pas encore fait. Il s’agit non d’une contrainte obligeant les États à les ratifier mais d’un engagement de leur part. C’est une politique des petits pas.

De plus, l’article 22 de l’accord dispose que toute partie peut demander la convocation d’une réunion du comité mixte afin d’examiner les questions liées au travail et échanger les informations pertinentes qu’elle juge importantes. Le comité mixte peut donc intervenir sur les enjeux sociaux.

M. Michel Guiniot (RN). Sur l’article 6, votre réponse n’est pas celle que j’espérais. Plus généralement, cet accord global aurait pu apporter une pierre à l’amélioration des conditions de vie des travailleurs asiatiques. Tel ne sera pas le cas.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Sur l’article 6, Madame la rapporteure a dit qu’il est sans portée normative. Cette réponse, à défaut de vous satisfaire, est claire.

M. Adrien Quatennens (LFI-NUPES). Madame la rapporteure, vous nous demandez ce matin d’approuver un accord global dans le transport aérien entre les vingt-sept États membres de l’UE et les dix États de l’ASEAN. La représentation nationale n’a pas eu son mot à dire, dans la mesure où cet accord s’applique de façon provisoire depuis sa signature le 17 octobre 2022. La Commission européenne, elle, n’a même pas besoin de 49-3 pour imposer ses décisions !

L’accord prévoit la libéralisation du fret et du transport aérien de passagers entre ces deux blocs d’États. Sa logique est à rebours des grands enjeux de notre temps. Il favorise le transport le plus polluant et facilite le grand déménagement du monde. D’après une étude publiée en 2020 dans la revue Atmospheric environment, le transport aérien représente 3 % des émissions globales de CO2. En tenant compte de toutes les émissions de l’aviation, on constate que ce mode de transport contribue pour 6 % au réchauffement global.

L’accord ne prévoit aucun dispositif contraignant pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur. Aucune harmonisation n’est prévue. Soyons clairs : la pollution du transport aérien est celle des voyageurs les plus aisés. On estime que 90 % de la population mondiale ne prend jamais l’avion. En somme, 1 % de la population mondiale est responsable de la moitié des émissions du secteur aérien. En revanche, ce sont les populations les plus fragiles qui en subissent le plus les effets.

L’accord ne prévoit pas davantage de dispositions contraignantes en matière de respect des conventions de l’OIT ou de ratification des conventions fondamentales relatives au respect des droits des travailleurs. De manière générale, les compagnies asiatiques sont soumises à bien peu de contraintes, et rien dans l’accord ne tend à nous rassurer à ce sujet.

En plus d’être climaticide et dangereux socialement, l’accord est inutile et fragilise les compagnies européennes face aux compagnies asiatiques. En 2019, on comptait 8 millions de passagers entre l’UE et les dix pays concernés. Depuis la crise sanitaire, ce niveau n’a jamais été retrouvé et ne devrait pas l’être avant 2025.

Si l’accord anticipe un triplement du nombre de passagers d’ici vingt ans, tel n’est pas l’avis des compagnies aériennes, comme l’ont clairement indiqué les représentants d’Air France-KLM. Les potentialités offertes par l’accord excèdent les besoins exprimés par les compagnies européennes, qui n’entendent pas modifier leur stratégie commerciale dans l’immédiat.

Nous voterons contre l’accord, dont nous considérons qu’il est d’un autre temps.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Vos observations ne sont pas sans pertinence. Je suis même d’accord avec certaines d’entre elles. Toutefois, si nous n’approuvons pas l’accord global, les accords bilatéraux, dépourvus de toute disposition environnementale et sociale, demeureront en vigueur. S’agissant des droits de trafic, la fréquence des vols n’a pas augmenté depuis que l’accord est appliqué à titre provisoire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Méthodologiquement, face à une proposition de cet ordre, il faut, me semble-t-il, se poser deux questions : celle que pose M. Quatennens – que change-t-elle réellement ? – et celle que vient de poser Madame la rapporteure – la situation s’améliorera-t-elle ou se dégradera-t-elle si l’accord n’est pas approuvé ? Tout jugement équitable sur un accord de ce type suppose de soulever ces deux interrogations.

M. Pierre-Henri Dumont (LR). L’accord qui nous est soumis est une conséquence heureuse du malheureux Brexit, lequel permet à l’UE de multiplier les accords internationaux en matière de transport aérien avec des États tiers, à présent que le différend sur Gibraltar est réglé. Par ailleurs, il s’agit du premier accord de bloc-à-bloc, en l’espèce avec les dix pays de l’ASEAN, avec lesquels, à l’exception du sultanat de Brunei, la France avait conclu des accords bilatéraux.

Cet accord permet surtout d’harmoniser les dispositions en vigueur. Je partage les interrogations exprimées sur sa portée par nos collègues et par les responsables de la compagnie Air France-KLM, qui ont indiqué ne pas avoir besoin des dispositions prévues. Toutefois, la question n’est pas de savoir si l’accord est bon ou mauvais mais s’il préservera l’acquis et s’il permet de l’améliorer.

Le groupe Les Républicains considère que cet accord permet d’améliorer la situation. Nous voterons donc le projet de loi.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. L’accord présente l’intérêt de fixer un cadre juridique global. S’il faut le faire évoluer à l’avenir, nous n’aurons qu’un seul accord à modifier et non plusieurs dizaines.

M. Bruno Fuchs (Dem). L’accord qu’il nous est demandé d’approuver a été signé le 17 octobre 2022 entre les vingt-sept États membres de l’UE et les dix États de l’ASEAN. Il s’agit du premier accord au monde conclu entre deux blocs d’États dans le domaine du transport aérien. En facilitant les liaisons directes, cet accord s’efforce de contrer la concurrence des transporteurs des pays du Golfe et de la Turquie qui, grâce à leurs plateformes de correspondance, ont très largement absorbé la croissance du trafic entre de nombreuses villes d’Europe et d’Asie du Sud-Est.

L’accord intègre des clauses, fussent-elles imparfaites, relatives à la concurrence équitable, à la protection de l’environnement et aux droits sociaux. L’exigence de concurrence équitable est, pour l’UE, une contrepartie indispensable à la libéralisation des droits commerciaux des transporteurs. Cela pose notamment la question des règles d’interdiction et d’autorisation des subventions, accordées dans des conditions bien définies.

En matière institutionnelle, si l’accord prévoit la convocation d’un comité mixte, les conditions d’application de cette possibilité, notamment les clauses fixant les modalités de recours à cet arbitrage, sont insuffisamment précisées. Il conviendra donc de surveiller l’application de ces dispositions, qui sont pour nous le point faible de l’accord.

Le groupe Démocrate votera le projet de loi.

M. Olivier Faure (SOC). Nous n’avons pas un choix démesuré. Nous avons le choix entre l’existant, qui n’est pas formidable, et un accord global qui se substitue à des accords bilatéraux et qui, s’il n’est pas formidable non plus, offre une légère amélioration et permet de faire face à la concurrence avec les États du Golfe et avec la Turquie. Ce choix n’a rien de cornélien. Personne ne s’enthousiasmera à outrance pour l’accord mais personne ne peut considérer qu’il est infamant de l’adopter.

La seule position qui nous semble possible est celle adoptée par la Chambre haute, pourtant connue pour son goût pour le libre-échangisme, indiquée dans le rapport du Sénat sur le texte que nous examinons : « Le suivi de l’application de ce traité devra être réalisé avec la plus grande application et vigilance de la part de la Commission européenne et des États membres, dont la France, dans le cadre du comité mixte. Il serait également souhaitable que les accords aériens négociés par la Commission européenne sur mandat du Conseil européen puissent faire l’objet d’une évaluation périodique, en vue d’enrichir le contenu des conventions à venir ». Cette parole nous semble assez sage.

En dépit du fait que le respect des conventions de l’OIT n’est pas contraignant dans l’accord, nous voterons sa ratification.

Mme Stéphanie Kochert (HOR). Les pays de l’ASEAN sont une destination privilégiée pour les Européens. Ils forment un espace économique très dynamique et un partenaire stratégique de l’UE.

Sur le plan économique, cette zone connaît une croissance moyenne de 5 % par an depuis vingt ans. Avec un produit intérieur brut (PIB) proche de 3 700 milliards de dollars en 2022, l’ASEAN est le cinquième ensemble économique au monde. Sur le plan stratégique, l’UE est le troisième partenaire commercial de l’ASEAN, à hauteur de 272 milliards d’euros d’échanges de biens en 2022. Elle a donc adopté un plan d’action UE-ASEAN pour la période 2023-2027, articulé autour de trois thèmes : la coopération politique et sécuritaire, la coopération économique et la coopération socio-culturelle.

Les transports aériens entre l’UE et l’ASEAN sont particulièrement dynamiques, même s’ils ont été sévèrement impactés par la crise du Covid : le niveau des échanges n’est pas encore revenu à ce qu’il était en 2019, le trafic entre les vingt-sept États membres de l’UE et les pays de l’ASEAN, cette année-là, dépassant 8 millions passagers. Toutefois, la concurrence des transporteurs des pays du Golfe et de la Turquie, dont les plateformes de correspondance ont très largement absorbé la croissance du trafic entre de nombreuses villes d’Europe et d’Asie du Sud-Est, a rendu nécessaire une libéralisation accrue du transport aérien entre l’UE et l’ASEAN pour rendre les vols directs plus compétitifs.

L’accord qui nous est soumis permet une simplification d’ampleur des accords bilatéraux en matière de transport aérien signés par la France avec les pays de l’ASEAN. La France était liée par des accords bilatéraux à neuf pays de l’ASEAN : le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, la Birmanie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam. En tout, plus de 140 accords bilatéraux signés par les États membres de l’UE sont remplacés par ce nouveau cadre.

L’accord offre des garanties bienvenues en matière de droits sociaux et de protection de l’environnement. L’article 18 prévoit une coopération en matière de réduction des GES. L’article 22 consacre l’engagement des pays de l’ASEAN à ratifier les conventions fondamentales de l’OIT. Ces dispositions n’étant pas contraignantes, il appartiendra à l’UE de rester attentive au respect par ses partenaires asiatiques de leurs engagements.

Le groupe Horizons et apparentés votera la ratification de l’accord.

M. Jean-Paul Lecoq (GDR-NUPES). L’accord laisse plusieurs questions en suspens, notamment en matière de droit du travail et de protection de l’environnement. À titre personnel, je limite mes déplacements en avion autant que possible et m’efforce de prendre le train. Toutefois, dans cette partie du monde, les îles sont nombreuses et les déplacements malaisés. L’aviation a donc encore un avenir ; nous y travaillons au Havre, où sera implantée bientôt une usine de SAF.

Madame la rapporteure, vous êtes députée de la Polynésie française, laquelle n’est pas partie à l’accord. Il est surprenant que tous les territoires d’outre-mer de la France, qui est partie à l’accord, n’y soient pas inclus. Pouvez-vous fournir à notre commission des explications à ce sujet ?

S’agissant de la politique des petits pas et des progrès qui restent à accomplir, après des conférences des parties (COP), des engagements collectifs et des initiatives de l’Organisation des Nations Unies (ONU), il est bon qu’un accord permette un progrès collectif et partagé.

Notre groupe votera la ratification de cet accord.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. La Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna ne font pas partie de l’espace Schengen. L’accord global que nous examinons ne s’y applique donc pas. Cela nous a été utile pendant la crise du Covid : les États-Unis avaient fermé leur espace aérien aux vols en provenance d’Europe mais nous pouvions continuer à nous y rendre.

Si l’accord global est appliqué, ces collectivités d’outre-mer demeureront sous le régime des accords bilatéraux antérieurs, dont elles pourront désormais pleinement profiter. Entre Nouméa et Singapour, la compagnie néo-calédonienne Aircalin a transporté 34 700 passagers en 2022 et 100 000 en 2023. Elle assure désormais un vol quasiment chaque jour. Cette ligne intéresse aussi la Polynésie française, reliée à Nouméa par un vol hebdomadaire, qui pourrait devenir bihebdomadaire.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Nous en venons aux questions posées à titre individuel. J’ai été saisi de la demande d’un seul orateur à cet effet.

M. Alexis Jolly (RN). Cet accord est une très bonne nouvelle pour la libre circulation des voyageurs et pour les affaires. J’aimerais connaître la position de la Chine sur cette nouvelle coopération aérienne entre l’Europe et l’Asie du Sud-Est. Elle pourrait voir l’accord qui nous est soumis comme une opportunité de renforcer indirectement ses propres liens commerciaux avec l’Europe ou craindre qu’il n’avantage les compagnies aériennes européennes au détriment des siennes.

Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Nous n’avons pas exploré cet aspect de la question mais, compte tenu de la faible portée de l’accord, aucune réaction chinoise d’ampleur n’est à attendre.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. La tonalité générale de l’exposé de notre rapporteure est que cet accord, pour positif qu’il soit, a une portée somme toute limitée. Il ne faut donc pas en attendre ou craindre de grands bouleversements entre l’UE, l’ASEAN et la Chine dans le domaine du trafic aérien.

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Article unique (approbation de l’accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l’association des nations de l’Asie du sud-est, et l’Union européenne et ses États membres, signé à Bali le 17 octobre 2022)

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

M. le président Jean-Louis Bourlanges. Madame la rapporteure, je vous remercie pour votre éclairage précieux sur ce sujet très technique. La commission et moi-même avons apprécié la qualité de votre travail et l’approche avec laquelle vous avez envisagé l’examen de ce texte.

 


   Annexe 1 :
TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

 

Article unique

 

Est autorisée l’approbation de l’accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l’association des nations de l’Asie du sud-est, et l’Union européenne et ses États membres, signé à Bali le 17 octobre 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                

N.B. : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 2253)


   Annexe 2 :
Liste des personnes entendues par la rapporteure

 

    M. Frédéric Inza, rédacteur à la sous-direction d’Asie du sud-est, direction générale des affaires politiques et de sécurité ;

    M. Pierre Dousset, conseiller juridique à la mission des accords et traités, direction des affaires juridiques.

   Mme Florence Szeremeta, chargée de mission à la sous-direction des services aériens, direction générale de l’aviation civile.

    M. Aurélien Gomez, directeur des affaires parlementaires et territoriales ;

    M. Eric Joffrain, négociateur des accords de service aérien.

   M. Laurent Timsit, délégué général.

 


([1]) Singapour, les Philippines, la Malaisie, l’Indonésie, le Laos, le Vietnam, le Cambodge, la Thaïlande, la Birmanie et Brunei.

([2]) Cour de Justice des Communautés européennes, affaires C-466/98, C-467/98, C-468/98, C-469/98, C-471/98, C-472/98, C-475/98 et C-476/98 du 5 novembre 2002.

([3]) S’agissant des prescriptions applicables à la sécurité, à la santé, à l’environnement, au travail et aux modalités de financement des compagnies aériennes.

([4]) Accord signé en 2006 entre l’UE, l’Islande, la Norvège, la Bulgarie, la Roumanie et les États des Balkans occidentaux.

([5]) Accords signés avec le Maroc en 2006, la Géorgie et la Jordanie en 2010, la Moldavie en 2012 et Israël en 2013. L’UE a également conclu deux accords bilatéraux avec l’Arménie et l’Ukraine en 2021 que la France n’a pas encore approuvés.

([6]) Initiée en 2004, la politique européenne de voisinage vise notamment à développer les coopérations en matière de transport et la connectivité de l’UE avec seize États qui lui sont géographiquement proches.

([7]) Un accord entre l’UE et le Qatar, que la France n’a pas encore approuvé, a été signé en 2021.

([8]) Il s’agit, en l’espèce, du droit pour une compagnie de réaliser des liaisons entre deux pays étrangers tout en n’offrant pas de vols dans le pays dont elle est originaire (7e liberté aérienne).

([9]) S’agissant du fret, le trafic est passé de 199 000 tonnes de marchandises transportées en 2009 à 293 000 tonnes en 2018, soit une progression de 47 %.

([10]) 8,7 millions de passagers en 2009 et 13,3 millions de passagers en 2018.

([11]) Cette évolution a principalement profité à la compagnie québécoise à bas coût Air Transat.

([12]) S’agissant du fret, le trafic est passé de 1,7 million de tonnes de marchandises transportées en 2009 à 2,6 millions de tonnes en 2022, soit une progression de 53 %.

([13]) 3e et 4e libertés aériennes.

([14]) 5e liberté aérienne. L’accord entre l’UE et les États-Unis prévoit des vols avec escale illimités pour les passagers et sans aucune restriction s’agissant des vols entre deux États membres de l’UE pour le fret, ce qui correspond à la 7e liberté aérienne.

([15]) Le marché potentiel du transport aérien entre la France et Brunei ne justifie pas l’ouverture d’une liaison aérienne.

([16]) Des droits relevant de la 5e liberté sont également prévus mais strictement encadrés.

([17]) Ainsi, le nombre maximal de vols aller-retour hebdomadaires entre la Thaïlande et l’Allemagne s’élève à 35, contre 21 entre la Thaïlande et les Pays-Bas.

([18]) L’UE et l’ASEAN étant « partenaires de dialogue » depuis 1977.

([19]) S’agissant des seules 3e et 4e libertés de l’air.

([20]) Réponses écrites au questionnaire de la rapporteure.

([21]) Ces 3e et 4e libertés aériennes correspondent au droit de débarquer dans un État tiers des passagers embarqués dans l’État dont la compagnie a la nationalité et, symétriquement, le droit d’embarquer dans un État tiers des passagers à destination de l’État dont la compagnie a la nationalité.

([22]) Par exemple : Singapour – Paris – Rabat.

([23]) Par exemple : Singapour – Francfort – Paris.

([24]) Suivant la demande de plusieurs États, dont la France, disposant d’une compagnie aérienne « puissante », le mandat octroyé par le Conseil de l’UE à la Commission européenne en 2016 limitait expressément le champ des négociations, afin de protéger l’accès de leurs compagnies aux marchés nord-américain ou sud-américain, dans l’intérêt des transporteurs européens opérant ces liaisons.

([25]) Article 32.

([26]) Il s’agit de la liaison entre Singapour et la Nouvelle-Calédonie, utilisée par 34 700 passagers en 2022 et 100 000 en 2023.

([27]) Air Tahiti Nui et Aircalin.

([28]) Aircalin a déjà décidé d’augmenter la fréquence des vols entre Nouméa et Singapour, à hauteur de six liaisons hebdomadaires depuis l’automne 2023.

([29]) Emirates, Etihad Airways et Qatar Airways.

([30]) Turkish Airlines.

([31]) S’agissant des compagnies aériennes d’États membres de l’ASEAN, Singapore Airlines a ajouté dès l’automne 2022 un vol hebdomadaire supplémentaire desservant Paris et Vietnam Airlines inaugurera en octobre 2024 une liaison directe entre Hanoï et Munich.

([32]) Pour le transport de passagers.

([33]) Pour le fret.

([34]) Indirectement, la libéralisation des vols avec escale prévue par l’article 3 contribue également à la réduction des émissions de carbone, en autorisant les compagnies intéressées à opérer des liaisons vers des États tiers plus courtes que celles reliant ces derniers à leur État d’origine.

([35]) 2 % en 2026 et entre 3 à 5 % en 2030.

([36]) Soit, selon les représentants d’Air France – KLM, près du double du prix du carburant durable d’aviation commercialisé aux États-Unis.

([37]) Air France – KLM a indiqué à la rapporteure consacrer près de 1,5 milliard d’euros annuels à remplir ses obligations en matière de décarbonation de son activité. Le groupe achète près de 17 % du carburant d’aviation durable disponible dans le monde.

([38]) Il s’agit des principaux États de l’ASEAN dont les compagnies aériennes sont les plus susceptibles d’assurer des liaisons intercontinentales vers et depuis l’UE.

([39]) L’Estonie, la Lituanie, l’Irlande, les Pays-Bas, l’Autriche et la Roumanie.

([40]) Singapour et le Vietnam. La ratification de l’accord est en cours d’examen par le Parlement thaïlandais.

([41]) Seule la Malaisie a décidé de ne pas appliquer provisoirement l’accord.

([42]) Selon la DGAC, l’article 8 se conforme strictement aux principes découlant du droit européen de la concurrence. Il est donc, par essence, déjà appliqué aux compagnies aériennes françaises, au regard des règles d’interdiction des subventions qui faussent la concurrence et d’autorisation des subventions sous le contrôle d’une autorité publique indépendante.

([43]) Il peut ainsi s’agir d’une réduction des droits de desserte des aéroports nationaux.

([44]) Si l’État mis en cause considère que ces mesures sont disproportionnées, il pourra porter le différend dans le cadre du mécanisme d’arbitrage prévu par l’article 25 de l’accord.