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N°2451

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 avril 2024.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode

 

 

 

 

PAR Mme Francesca PASQUINI,

 

Députée.

 

——

 

 

Voir le numéro : 2348.

 


 


SOMMAIRE

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Pages

Examen de la proposition de résolution

I. LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

II. opportunitÉ de la crÉation de la commission d’enquÊte

travaux de la commission

ANNEXE

 

 


   Examen de la proposition de résolution

 

Mesdames, Messieurs,

Le 14 mars 2024, Mme Francesca Pasquini et plusieurs de ses collègues du groupe Écologiste - NUPES, ainsi que des députés membres des groupes Démocrate (MoDem et Indépendants) , Gauche démocrate et républicaine – NUPES, Horizons et apparentés, LFI – NUPES, Libertés, Indépendants, Outremer et Territoires, Renaissance, Les Républicains et Socialistes et apparentés – NUPES, ont déposé une proposition de résolution tendant à « la création d’une commission d’enquête sur la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode ».

I.   LA RECEVABILITÉ JURIDIQUE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

L’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 137 à 144-2 du Règlement de l’Assemblée nationale fixent le régime de la création et du fonctionnement d’une commission d’enquête parlementaire.

L’article 140 dispose ainsi que « les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont renvoyées à la commission permanente compétente ». La présente proposition de résolution a par conséquent été renvoyée à la commission des Affaires culturelles et de l’éducation.

Dans le cadre de la procédure de droit commun, la commission saisie au fond doit, d’une part, vérifier si les conditions requises pour la création d’une commission d’enquête sont réunies et, d’autre part, se prononcer sur son opportunité.

Dans l’hypothèse où la commission conclut positivement sur ces deux points, la création résulte dans un dernier temps du vote par l’Assemblée de la proposition de résolution déposée à cet effet.

Les demandes tendant à la création d’une commission d’enquête doivent satisfaire aux exigences de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 ([1]), ainsi qu’aux critères fixés par les articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale reproduits ci‑après.

 

Dispositions encadrant la création des commissions d’enquête

 

Article 137

Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.

Article 138

1. Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.

2. L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.

Article 139

1. Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la Justice.

2. Si le garde des Sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.

3. Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des Sceaux, en informe le président de la commission. Celle‑ci met immédiatement fin à ses travaux.

Source : Règlement de l’Assemblée nationale.

● En premier lieu, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doit satisfaire à l’exigence d’une détermination précise des faits donnant lieu à enquête. Tel est le cas en l’espèce puisque l’article unique ainsi que l’exposé des motifs assignent à la commission d’enquête un champ d’investigations précis.

En effet, selon l’article unique, la commission d’enquête serait chargée « d’évaluer la situation des mineurs qui travaillent au sein des industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode ; d’identifier les mécanismes et les défaillances qui permettent d’éventuels abus et violences sur ces enfants et d’établir les responsabilités de chaque acteur en la matière ; d’émettre des recommandations sur les réponses à y apporter ».

L’exposé des motifs précise par ailleurs que les travaux de la commission devront porter sur « toutes formes d’abus, qu’ils soient sexuels, physiques ou psychologiques », ce qui permet de définir le champ des atteintes aux mineurs qui pourront être considérés par les travaux de la commission.

La proposition de résolution est donc conforme aux dispositions de l’article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale.

La finalité de la commission d’enquête dont elle demande la création correspond également à l’esprit et à la lettre de l’alinéa 2 de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 : en proposant d’évaluer la situation des mineurs qui travaillent au sein des industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode et d’identifier les mécanismes et les défaillances qui permettent d’éventuels abus et violences sur ces enfants et d’établir les responsabilités de chaque acteur en la matière le constat, la commission d’enquête vise bien à  « recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics […] ».

● En second lieu, la proposition de résolution définit un champ d’investigations qui ne paraît pas de nature à interférer avec celui d’une mission d’information investie des prérogatives d’une commission d’enquête ou d’une commission d’enquête dont les travaux se seraient achevés dans les douze derniers mois.

En effet, le recensement des commissions d’enquête créées depuis plus d’un an à l’Assemblée nationale montre qu’aucune ne présente le même objet ([2]).

Ainsi, la présente proposition de résolution remplit la condition de recevabilité prévue à l’article 138 du Règlement de l’Assemblée nationale.

● En dernier lieu, la proposition de résolution ne contrevient pas à l’interdiction faite aux assemblées parlementaires de créer des commissions d’enquête portant sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires.

Dans sa réponse en date du 8 avril 2024 adressée à la Présidente de l’Assemblée nationale, le garde des Sceaux indique que « le périmètre de la commission d’enquête parlementaire envisagée est susceptible de recouvrir des procédures en cours sur les faits ayant motivé la proposition de résolution ».

L’existence de possibles contentieux portés devant les juridictions ne constitue toutefois pas en soi un obstacle dirimant : il appartient en effet à l’Assemblée nationale de veiller à « l’articulation de l’enquête parlementaire avec les procédures judiciaires ». La commission d’enquête devra donc veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas étendre ses investigations à des faits faisant l’objet d’instances devant l’autorité judiciaire.

Dès lors et sous cette réserve, l’existence de procédures en cours n’entraîne pas l’irrecevabilité de la présente proposition de résolution au regard de l’article 139 du Règlement de l’Assemblée nationale.

*

Aussi, il résulte de l’analyse qui précède que la proposition de résolution n° 1743 est juridiquement recevable au regard des exigences de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 137 à 139 du Règlement.

II.   opportunitÉ de la crÉation de la commission d’enquÊte

Si la protection de l’enfance contre les actes de violence a connu une lente et progressive montée en puissance depuis la Seconde guerre mondiale, nul doute que la libération de la parole permise dans le champ des violences sexuelles et sexistes par le mouvement « Me too » dans ses différentes déclinaisons a entrainé une volonté publique d’agir plus fortement pour protéger les mineurs. Des comportements qui pouvaient passer pour acceptables vingt ans plus tôt, notamment dans les milieux de la culture, sont aujourd’hui perçus comme inadmissibles.

Une analyse plus poussée des phénomènes d’emprise, permise notamment par une plus grande écoute de la parole des femmes y ayant été confrontées, a conduit par extension à une compréhension plus fine de la relation d’autorité se tissant entre adultes et enfants et à réinterroger la capacité de consentement des mineurs. Ainsi, la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a conduit à ce qu’aucun adulte ne puisse se prévaloir du consentement sexuel d’un enfant s’il a moins de 15 ans, ou moins de 18 ans en cas d’inceste.

Ces dernières années ont en effet été marquées par une attention plus forte et une moindre tolérance de l’opinion publique pour les abus perpétrés à l’encontre des personnes vulnérables, au premier rang desquels les enfants. Ces violences, qu’elles soient commises par des pairs dans le cas du harcèlement scolaire, ou par des adultes dans le cadre de situations d’abus sexuels ou de mauvais traitements, font aujourd’hui l’objet d’une dénonciation unanime et de mesures plus fortes des pouvoirs publics.

La création d’une délégation aux droits des enfants au sein de l’Assemblée nationale lors de la XVIe législature témoigne de cette prise de conscience salutaire, et de l’intérêt porté au sujet par les députés de tous horizons. L’association de députés d’un grand nombre de groupes parlementaires au dépôt de la présente proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête marque également le caractère transpartisan de cette initiative et la reconnaissance de son opportunité sur tous les bancs de l’Assemblée nationale.

Toutefois, et malgré un relatif consensus quant à l’urgence de l’action à mener, d’immenses progrès restent à faire pour améliorer des outils parfois mal adaptés dans la lutte contre les violences envers les mineurs et pour renforcer l’efficacité des moyens déjà employés. La rapporteure considère que la première étape de ce vaste effort doit consister en une étude approfondie et un tableau sans complaisance de la situation existante.

Pour cela, les moyens offerts par une commission d’enquête s’avèrent non seulement utiles mais indispensables, d’autant plus que la Commission Indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a malheureusement dû cesser temporairement ses travaux.

Le travail remarquable effectué par la Ciivise depuis 2021 a permis une véritable libération de la parole, notamment par le recueil de près de 30 000 témoignages de victimes durant ses trois années d’exercice. Ce travail a mené à la remise d’un rapport de plus de six cents pages et comportant plus de quatre-vingt recommandations. Aujourd’hui, même si une nouvelle direction collégiale vient tout juste d’être nommée ([3]), la mise en sommeil toujours possible de cette institution qui n’a pas un caractère pérenne pose question : alors que le nombre de récits accablants rassemblés témoignait à lui seul de la nécessité d’un tel travail, qu’adviendra-t-il de la parole des victimes si la Ciivise disparaissait définitivement ?

Lors de la publication de son rapport en novembre 2023 ([4]), la Ciivise indiquait dans le communiqué publié sur son site espérer qu’il ne s’agisse pas « de son rapport final mais d’un rapport d’étape ». Dès lors que la poursuite de la mission essentielle de cette commission a déjà par le passé été compromise, la commission d’enquête que la rapporteure appelle de ses vœux pourrait utilement continuer le travail entrepris par la Ciivise en poussant les investigations dans un champ plus précis de la société.

En outre, il semble que les violences dont peuvent être victimes les mineurs, notamment lorsqu’ils sont amenés à travailler dans certains secteurs culturels, dépassent le champ des violences sexuelles, et doivent donc être examinées dans toute leur diversité.

Le quotidien Le Monde relatait en effet dans un article récent ([5]) les conditions préoccupantes dans lesquelles s’est tenu le casting de jeunes mineurs pour le film CE2 du réalisateur Jacques Doillon. Les images des essais réalisés lors de ces castings ont été jugées suffisamment inquiétantes par les députés Mmes Perrine Goulet et Véronique Riotton et M. Erwan Balanant, membres des délégations aux droits des enfants ou aux droits des femmes et signataires de la présente proposition de résolution, pour qu’ils effectuent un signalement auprès de la procureure de la République de Paris, Mme Laure Beccuau, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale.

 

En l’espèce, les violences subies par les enfants ne sont pas d’ordre sexuel mais pourraient s’apparenter à des violences psychologiques. Lors d’un dialogue avec la directrice de casting mené en l’absence des parents ou des représentants légaux des enfants, ces derniers étaient fortement invités à évoquer les situations de harcèlement qu’ils avaient pu rencontrer dans leur vie scolaire, parfois malgré leur refus clairement exprimé de revenir sur le souvenir douloureux de ces violences subies. Le malaise profond exprimé par les jeunes aspirants comédiens n’apparaissait ainsi pas suffisant à rendre impératif l’arrêt de la discussion, et devait même, selon l’article précité, fournir un matériau issu du vécu de ces jeunes au processus créatif d’écriture du film. De telles méthodes ne manquent pas d’interroger quant à la considération attachée au bien-être de l’enfant au sein d’un secteur d’activité où le respect de l’œuvre a parfois été le prétexte aux abus les plus variés.

La prise de parole de l’actrice Judith Godrèche, notamment dans la presse ([6]) mais également devant les parlementaires ([7]) constitue évidemment l’un des éléments déclencheurs du dépôt de la proposition de résolution visant à la création d’une commission d’enquête sur la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode. On peut également citer les témoignages d’autres actrices comme Sarah Grappin, Isild Le Besco, Charlotte Arnould ou encore Adèle Haenel, l’affaire Weinstein ayant déclenché le mouvement #Metoo et ses embranchements successifs comme #Metoocinéma et #Metoothéâtre, mais aussi des accusations de violences sexuelles au sein des conservatoires ([8]) et du milieu de la mode ([9]). Cette rupture courageuse d’un silence entretenu durant de nombreuses années constitue un appel clair aux parlementaires, qui se doivent d’y donner suite par la constitution d’une commission d’enquête sur le sujet. L’art ne saurait être le paravent d’un système conduisant à des abus et des violences envers les enfants.

Lors de son audition conjointe par la délégation aux droits des enfants et la délégation aux droits des femmes à l’Assemblée nationale, Judith Godrèche a évoqué le climat d’impunité ayant trop longtemps prévalu dans le milieu du cinéma, mais a également pu offrir des préconisations très concrètes visant à remédier aux dangereux errements constatés.

L’opportunité de la création d’une commission d’enquête est d’autant plus apparente qu’au-delà des constats qu’elle permettra d’opérer, le travail mené sera à même de faire émerger des solutions pratiques aux problèmes soulevés. De nombreux acteurs de ces secteurs sont en effet conscients des dérives existantes et peuvent avoir réfléchi à des remèdes à ces situations. Le maintien du silence dans des milieux où les recrutements s’effectuent souvent par la voie du bouche à oreille ne permet toutefois pas, en l’absence d’intervention extérieure, de provoquer la rupture nécessaire avec des pratiques trop longtemps tolérées.

Les mineurs souhaitant évoluer dans les secteurs du cinéma, de la mode ou du spectacle vivant sont placés dans une position de vulnérabilité accrue : non seulement leur minorité les rend moins aptes à se défendre ou à refuser des demandes abusives énoncées par des adultes familiers du milieu auquel ces jeunes souhaitent appartenir, mais leur situation de demandeurs pour l’obtention d’un rôle ou d’un contrat les place nécessairement aussi dans une forme de subordination. Ils doivent souvent vivre seuls ces situations, leur entourage n’étant pas présent lors des castings, des tournages ou des répétitions, pas plus que lors des séquences de formation qui peuvent les préparer aux métiers artistiques concernés. De plus, ceux-ci impliquent un rapport au corps et à l’image de soi très spécifique, susceptible de renforcer des vulnérabilités existantes.

Cette commission d’enquête parlementaire est donc nécessaire, afin de faire la lumière sur des pratiques abusives trop longtemps tues, et protégées par l’omerta qui peut les entourer : son opportunité apparait indubitable quant aux effets positifs qui pourront résulter d’une prise de conscience salutaire et aux préconisations qui ne manqueront pas d’émerger une fois les justes constats posés.


   travaux de la commission

La Commission procède à l’examen, en application du premier alinéa de l’article 140 du Règlement, de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode (n°2348), lors de sa séance du 9 avril 2024  ([10]).

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Le 14 mars dernier, j’ai déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode.

Dix jours plus tard, cette proposition était cosignée par plus de soixante-dix députés appartenant à neuf groupes différents et inscrite à l’ordre du jour par la conférence des présidents. C’est la raison pour laquelle notre commission l’examine aujourd’hui.

Je souhaite remercier l’ensemble des collègues qui ont signé et soutenu cette proposition de résolution. Je pense notamment à mes collègues du groupe Écologiste, des groupes de la NUPES, mais aussi aux présidentes des délégations aux droits des enfants et des femmes, Perrine Goulet et Véronique Riotton, au vice-président de la commission des lois Erwan Balanant et à la vice-présidente de l’Assemblée Élodie Jacquier-Laforge, qui ont très rapidement appelé à cosigner ce texte dans un communiqué commun.

Afin que la commission d’enquête soit créée, notre commission doit vérifier la recevabilité juridique de la proposition de résolution. Trois conditions sont requises.

Premièrement, les propositions de résolution tendant à la création de commissions d’enquête « doivent déterminer avec précision les faits qui donnent lieu à enquête ». Ce critère apparaît rempli, puisque cette commission d’enquête serait chargée non seulement « d’évaluer la situation des mineurs qui travaillent au sein des industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode » mais aussi « d’identifier les mécanismes et les défaillances qui permettent d’éventuels abus et violences sur ces enfants et d’établir les responsabilités de chaque acteur en la matière ».

Deuxièmement, la proposition de résolution n’est recevable que si une commission d’enquête ayant le même objet n’a pas déjà eu lieu dans l’année qui précède. Ce n’est pas le cas.

Enfin, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition. Interrogé par la présidente de l’Assemblée nationale, ce dernier lui a fait savoir, dans un courrier du 8 avril, que le périmètre envisagé pour la commission d’enquête était susceptible de recouvrir pour partie celui d’une information judiciaire en cours.

L’existence de contentieux portés devant les juridictions n’est pas un obstacle absolu, mais la commission d’enquête devra veiller tout au long de ses travaux à ne pas étendre ses investigations à des faits qui font l’objet de procédures judiciaires.

Dès lors, et sous cette réserve, les conditions de recevabilité juridique de la proposition de résolution visant à la création de cette commission d’enquête apparaissent remplies.

Comme sa création ne s’inscrit pas dans le cadre d’un « droit de tirage », notre commission doit également se prononcer sur son opportunité.

À mon sens, cette commission d’enquête est opportune mais aussi et surtout nécessaire au vu de la situation des mineurs dans le secteur culturel. Cela fait plusieurs années que des voix s’élèvent pour dénoncer la complaisance du monde du cinéma, où les violences sexuelles sur mineurs seraient passées sous silence et banalisées – voire glorifiées.

Le témoignage de Judith Godrèche et celui d’autres actrices, comme Adèle Haenel, Sarah Grappin ou encore Isild Le Besco, dessinent les contours d’un système de prédation dans le cinéma français qui vise tout particulièrement les jeunes actrices mineures.

Le cinéma n’est pas la seule industrie liée au monde de la culture qui soit concernée. D’autres accusations de violences sexuelles sur mineurs visent par exemple le spectacle vivant – en premier lieu le théâtre et la musique, qui ont vu émerger les mouvements #MeTooThéâtre et #MusicToo – mais aussi l’industrie de la mode. En 2021, plus d’une dizaine de mannequins ont dénoncé publiquement les violences sexuelles qu’elles avaient subies lorsqu’elles étaient mineures.

La place de l’enfant, le rapport à l’image et à son corps, et le rapport entre l’enfant et les adultes sont des caractéristiques communes à l’ensemble de ces industries où les enfants peuvent être exposés aux mêmes dangers.

Plus largement, les milliers de témoignages de victimes reçus par la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) – dont il faut saluer l’action remarquable menée sous l’égide du juge Édouard Durand – sont le signe d’un drame systémique auquel nous devons apporter des réponses concrètes.

Au-delà des violences sexuelles, se pose la question des violences psychologiques et des conditions de travail des enfants sur des plateaux de tournage, sur scène ou lors de séances de prises de vue. Il est nécessaire de protéger ces mineurs de toutes formes d’abus, qu’ils soient sexuels, physiques ou psychologiques.

Ces constats peuvent être étendus aux formations menant aux métiers de ces industries et à d’autres secteurs présentant les mêmes caractéristiques, comme la publicité et l’audiovisuel. Le système de prédation sexuelle et les violences subies par les enfants au sein de ces industries résonnent également avec ce qu’endurent certains adultes, en particulier les femmes. Nous ne le savons que trop bien depuis #MeToo, l’affaire Weinstein et tous les témoignages qui ont suivi.

C’est la raison pour laquelle je vous propose d’élargir le périmètre de la commission d’enquête. J’y reviendrai de manière détaillée lors de l’examen des amendements.

Je salue le courage des victimes qui témoignent des violences et abus qu’elles ont subis. Prendre la parole publiquement pour dénoncer une expérience traumatique n’est jamais évident. Je sais à quel point cela peut avoir des répercussions psychologiques, personnelles et professionnelles.

Je souhaite dire à toutes les lanceuses d’alerte et à toutes les personnes dont le témoignage a permis cette prise de conscience que leur appel a été entendu.

C’est au tour du Parlement de prendre le relais pour faire toute la lumière sur ces violences systémiques et pour s’assurer qu’elles ne se reproduisent pas.

Nous devons faire un état des lieux des violences dans le monde de la culture, identifier les mécanismes qui permettent ces violences et pointer du doigt les responsabilités et les manquements de chacun. Une commission d’enquête est un outil essentiel pour y parvenir, car elle dispose de larges pouvoirs de convocation et d’investigation.

Nous ne pouvons plus nous contenter de détourner le regard et considérer ces violences comme des exceptions. La représentation nationale ne peut pas se satisfaire de recueillir la parole trop longtemps tue des victimes : elle doit s’en faire le relais pour trouver des solutions. Plus que d’une libération de la parole, les victimes ont besoin d’une libération de l’écoute et de politiques publiques qui en tirent les conséquences.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à approuver la création de cette commission d’enquête à l’unanimité, aussi bien aujourd’hui qu’en séance publique le 2 mai prochain. Il en va de notre responsabilité.

M. Bertrand Sorre, président. Nous passons aux interventions des représentants des groupes.

M. Philippe Fait (RE). Le 14 mars dernier, notre collègue Francesca Pasquini nous a invités à déposer de manière collective une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode. La plupart des groupes politiques de notre assemblée ont répondu à l’appel, qu’il s’agisse de groupes d’opposition – Écologiste-NUPES, GDR-NUPES, Socialistes et apparentés, LFI-NUPES, LIOT et LR – ou de la majorité – Renaissance, Horizons et apparentés et Démocrate.

J’ai cosigné cette proposition et je tiens à remercier sincèrement Francesca Pasquini pour la qualité de nos échanges.

Les XXe et XXIe siècles ont été marqués par l’augmentation lente mais progressive de l’attention accordée à la protection de l’enfance contre les actes de violence. La libération de la parole sur les violences sexuelles et sexistes n’y est d’ailleurs pas étrangère et elle a poussé les pouvoirs publics à se saisir de ces problèmes et à agir plus efficacement. La France a ainsi mis en place une série de politiques visant à garantir la sécurité des mineurs mais aussi – et j’y tiens particulièrement – leur bien-être. Je pense notamment à la loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, issue d’une proposition déposée par notre collègue sénatrice Annick Billon en 2021. Ce texte prévoit qu’aucun adulte ne peut se prévaloir du consentement sexuel d’un enfant si celui-ci a moins de 15 ans, ou moins de 18 ans en cas d’inceste. Cette initiative parlementaire faisait écho au vif débat suscité dans l’opinion par la parution du livre de Camille Kouchner intitulé La familia grande, dans lequel elle relatait l’inceste dont aurait été victime son frère jumeau.

Plus globalement, l’opinion publique a accordé une attention plus importante à des abus qu’elle tolère moins : ceux perpétrés à l’encontre des personnes vulnérables, au premier rang desquelles les enfants. Qu’il s’agisse de harcèlement scolaire, d’abus sexuels ou de mauvais traitements dans le cadre familial ou professionnel, ces violences font désormais l’objet d’une dénonciation unanime et de mesures plus fortes des pouvoirs publics – et c’est bien normal.

L’Assemblée nationale n’a pas été en reste et elle a également su se saisir de ces questions. La création d’une délégation aux droits des femmes en 1999, puis celle d’une délégation aux droits des enfants lors de la XVIe législature témoignent de cette prise de conscience salutaire. Je suis d’ailleurs très fier du travail mené conjointement par ces délégations depuis 2022 et je salue l’action des présidentes Véronique Riotton et Perrine Goulet, ainsi que l’ensemble des membres de chaque délégation qui se mobilisent quotidiennement.

Des révélations troublantes ont récemment été portées à notre attention. Je pense notamment aux témoignages poignants d’actrices comme Judith Godrèche, Sarah Grappin et Isild Le Besco. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg et j’ai une pensée sincère pour toutes celles et tous ceux qui ont subi les mêmes épreuves. Ces témoignages mettent en lumière la vulnérabilité des mineurs qui évoluent dans ces milieux professionnels et les préoccupations légitimes soulevées quant à leur protection et leur sécurité.

Ainsi, il apparaît évident que les moyens offerts par une commission d’enquête s’avéreront non seulement utiles mais indispensables. En outre, les violences dont peuvent être victimes les mineurs, notamment lorsqu’ils sont amenés à travailler dans certains secteurs culturels, dépassent le seul champ des violences sexuelles et doivent donc être examinées dans toute leur diversité. Dans cet esprit, j’ai tenu à m’associer à l’amendement déposé par ma collègue Véronique Riotton afin d’étendre l’objet de la commission d’enquête à l’audiovisuel et à la publicité, tout en nous intéressant aux violences commises sur des personnes majeures dans ces secteurs. J’espère que nous voterons toutes et tous pour cet amendement de bon sens.

Le groupe Renaissance soutiendra pleinement cette proposition de résolution. Nous croyons fermement qu’une commission d’enquête est nécessaire pour examiner au fond des pratiques abusives trop longtemps tues, identifier les lacunes des politiques existantes et proposer des mesures concrètes pour améliorer la protection des mineurs.

En conclusion, nous appelons à examiner cette question de manière approfondie et nous nous engageons à travailler en collaboration avec nos collègues pour garantir que la voix de nos enfants soit enfin entendue.

Mme Caroline Parmentier (RN). Le 14 mars dernier, la délégation aux droits des enfants, dont je suis membre, a auditionné l’actrice Judith Godrèche qui a porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour viol sur mineure. Elle avait 14 ans au moment des faits. Judith Godrèche a été directement victime de la « familia grande » du cinéma – et bien au-delà –, qui s’est protégée et continue de le faire.

Avec les réalisateurs qu’elle a dénoncés, Judith Godrèche a probablement vécu la pire époque, celle issue du libertarisme post-soixante-huitard, lorsque l’on ne souffrait aucune barrière ni interdit – très bien décrite précisément dans le livre La familia grande de Camille Kouchner. C’est aussi l’époque, dans les années 1970, où l’on pétitionnait en une de Libération pour défendre des pédophiles poursuivis par la justice ou dans Le Monde, en 1977, pour défendre les relations sexuelles entre les adultes et les enfants.

C’est un extrait d’un documentaire très complaisant sur Benoît Jacquot, réalisé par Gérard Miller – aujourd’hui mis en cause par plus de cinquante femmes pour violences sexuelles –, qui a décidé Judith Godrèche à prendre la parole. Le cinéma va-t-il devoir déboulonner ses propres films cultes, ses propres monuments, ses héros et ses « psy » fétiches ?

Judith Godrèche nous a clairement alertés lors de son audition sur les risques que continuent à courir les mineurs au sein de l’industrie du cinéma, à la fois dans le cadre des castings mais aussi sur les plateaux et lors des tournages. Selon elle, il n’y a actuellement aucune protection ni garde-fou pour protéger les mineurs qui se présentent pour un rôle et qui peuvent être le jouet d’un véritable système de prédation. Elle a évoqué devant notre délégation des abus psychiques, psychologiques et physiques.

Lorsque l’on demande à une actrice ou à un acteur en herbe de raconter sa vie sexuelle, de livrer son intimité à un jury d’observateurs, c’est déjà un abus caractérisé. La protection des enfants qui évoluent dans le milieu artistique ne peut pas et ne doit pas échapper à la loi.

Si je salue la demande de création d’une commission d’enquête, j’appelle votre attention, chers collègues, sur son périmètre. Une commission d’enquête consacrée à la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode me paraît trop large. Sa mise en chantier ne doit pas rester un vœu pieux. Je préfère que l’on conserve l’axe spécifique des violences sexuelles commises dans l’industrie du cinéma. J’ai déposé avec mes collègues du Rassemblement national une proposition de résolution en ce sens, qui est ouverte à la cosignature de l’ensemble des députés. Je souligne au passage le fait que nous avons été écartés de la cosignature de la présente proposition de résolution, d’une manière particulièrement minable alors que nous avons auditionné ensemble Judith Godrèche, au sein de la délégation aux droits des enfants. Cette cuisine de basse politique de votre parti, qui refuse d’associer le premier groupe d’opposition de l’Assemblée nationale alors que nous avons déposé une proposition de résolution similaire, n’est pas à la hauteur du sujet qui nous occupe aujourd’hui. Vous n’êtes pas à la hauteur de ce que les victimes attendent du Parlement.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Je salue la proposition de créer une commission d’enquête sur la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode. J’ai signé sans hésitation ce texte qui fait écho à celui que j’ai moi-même déposé après l’audition de Judith Godrèche. Qu’il s’agisse des travaux de la Ciivise, du juge Durand, des associations féministes ou des sociologues, tout nous montre que les violences sur les mineurs et les femmes sont universellement répandues. Contrairement à ce que certains voudraient faire croire ici, elles n’épargnent aucun milieu ni aucune sphère de la société. Celle-ci reste largement muette et complice, car façonnée par des schémas de domination patriarcaux.

Je crois que ce n’est pas un hasard si la première grande vague de libération de la parole des victimes, le mouvement MeToo, a émergé à la suite de l’affaire dite Weinstein, du nom d’un producteur mis en cause par plusieurs dizaines de femmes et condamné pour viols et agressions sexuelles après des années de silence d’un entourage professionnel qui savait et se taisait. Ce n’est pas un hasard si nous assistons depuis, en France, à une multiplication de témoignages d’actrices, d’Adèle Haenel à Judith Godrèche en passant par Emmanuelle Debever, Charlotte Arnould, Anna Mouglalis ou, tout récemment, Marie Gillain, des témoignages qui tentent désespérément de briser le silence de la profession, le silence entourant le cri d’Adèle Haenel qui se lève et se casse des César, le silence dénoncé par Judith Godrèche, s’exclamant, toujours aux César « Je parle, je parle, mais je ne vous entends pas ». Ce n’est pas un hasard si cette vague s’accompagne d’autres déferlantes culturelles – MeTooThéâtre, MusicToo et désormais MeTooStandUp.

Le monde du cinéma et du spectacle vivant, si souvent décrit comme une grande famille, fonctionne comme un miroir grossissant des violences qui traversent la société et la famille, non pas parce que ce monde serait une zone de subversion par rapport à des normes communément respectées, comme le pensent certains, mais au contraire parce qu’il est, malheureusement, un lieu de concentration, de reproduction et de légitimation des dominations de genre, économiques et symboliques, un monde encore très largement habité et dominé par les hommes et façonné par un regard masculin fantasmant et sexualisant femmes et enfants et qui va parfois jusqu’à glorifier leur agression, un monde très peu régulé, où le code du travail n’est pas toujours respecté et où la précarité règne chez les jeunes comédiennes, mais aussi chez les techniciennes, costumières, maquilleuses, qui sont légion parmi les 6 000 témoignages reçus par Judith Godrèche, un monde propice à l’emprise sur les corps et les esprits, où les rapports de pouvoir ne se résument pas à la hiérarchie professionnelle mais prennent une dimension symbolique très forte, liée à la notoriété, à l’aura artistique, et où les relations de pouvoir, d’autorité et d’emprise sont, évidemment, accrues lorsqu’il s’agit de personnes mineures, exploitées sans le moindre contrôle ni accompagnement. Il s’agit, enfin, d’un tout petit monde où chacun se connaît, se parle, se protège, un monde d’omerta où il coûte encore très cher de dénoncer des violences et où à l’inverse en être publiquement accusé n’empêche pas d’être glorifié, que l’on s’appelle Polanski, Depardieu, Rebotini, Lomepal, Tavernier ou Lioret.

Cette commission d’enquête est nécessaire non seulement pour interroger la situation juridique des mineurs mais aussi, plus largement, pour mettre au jour les mécanismes de prédation et pointer toute la chaîne de responsabilité dans la perpétuation des violences et la silenciation des victimes. Afin de renforcer le texte, j’ai proposé au nom de mon groupe plusieurs amendements qui visent à élargir l’enquête à toutes les violences sexistes et sexuelles, qu’elles soient commises sur des mineurs ou des majeurs, et à ne pas focaliser les investigations sur les seules industries culturelles mais à intégrer aussi les institutions publiques, structures du spectacle vivant, lieux de formation et organismes de régulation, comme le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Enfin, un autre amendement met l’accent sur les phénomènes d’omerta qui organisent, autour de ces violences, des silences destructeurs. Judith Godrèche nous l’a dit, entre ces murs : « Ces souffrances, beaucoup les regardent de loin, les bras croisés, comme d’éternels témoins muets, spectateurs paralysés qui font semblant de ne pas savoir. » Ne soyons pas des spectateurs qui restent les bras croisés. Nous avons le devoir, comme législateurs, de faire en sorte que les victimes soient écoutées et crues, qu’elles n’aient pas à se lever et à se casser du monde des arts. Nous avons le devoir d’examiner tout ce qui peut être mis en œuvre pour assurer la protection des femmes et des enfants, pour ne plus permettre que l’art serve de couverture à des agresseurs et pour que la culture s’émancipe de la culture du viol et renoue avec sa force émancipatrice.

M. Erwan Balanant (Dem). Je vous remercie de m’accueillir dans cette commission pour l’examen d’une proposition de résolution qui me tient, comme au groupe MoDem, particulièrement à cœur. Vous connaissez, en effet, mon attachement à la défense et à la promotion des droits des enfants ainsi qu’au monde de la culture. Je suis fier de poursuivre le combat aux côtés de Mme la rapporteure, que je remercie pour son initiative et pour le travail transpartisan qu’elle a accepté de mener – on sait que ce n’est pas toujours simple.

Les récentes révélations de Judith Godrèche ont provoqué une onde de choc dans le monde de la culture. Auditionnée en mars, cela a été rappelé, par la délégation aux droits des enfants et par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, elle a dénoncé la léthargie du monde du cinéma face à de multiples dérives qui ne cessent de se reproduire. Le témoignage, à la veille de la cérémonie des César, d’Aurélien Wiik, abusé par son agent durant son adolescence, en a été une preuve supplémentaire. Tout cela n’est pas nouveau : en 2019, Adèle Haenel avait révélé avoir été victime, adolescente, d’agressions sexuelles commises par un réalisateur ; auparavant encore, en 2016, Flavie Flament avait dénoncé le viol qu’elle avait subi, adolescente elle aussi, de la part d’un photographe. Je regrette de le dire, mais à l’époque nous n’avons pas su, collectivement, écouter suffisamment ces témoignages, nous n’avons su prendre la mesure de ces dénonciations et nous n’avons pas su agir. Nous avons beau jeu, aujourd’hui, de dénoncer l’omerta qui existe dans le monde du cinéma : nous avons tous notre part de responsabilité.

Nous refusons, au groupe MoDem, d’être de ceux qui laissent faire sans bouger. Nous refusons que notre inaction favorise l’émergence d’un monde trop dangereux pour nous tous et surtout pour nos enfants. Alors, réveillons-nous, agissons, disons à toutes les victimes de violences physiques, psychologiques, sexistes et sexuelles que nous les écoutons et que nous allons travailler à offrir un monde plus sûr. C’est ce qui nous a poussés, Perrine Goulet, Véronique Riotton, Élodie Jacquier-Laforge et moi, à soutenir immédiatement et sans aucune arrière-pensée cette proposition de résolution.

Parce que, malheureusement, les enfants ne sont pas les seules victimes de tels agissements, nous avons souhaité, d’un commun accord, étendre la commission d’enquête aux violences, sous toutes leurs formes, que peuvent subir aussi les adultes dans le monde de la culture, et cela répond sans doute aux préoccupations de Mme Legrain. Le témoignage de Flavie Flament en est la preuve, de même que l’émergence des mouvements MusicToo et MeTooThéâtre : cette commission d’enquête doit s’étendre au spectacle vivant, à la mode, à l’audiovisuel et à la publicité. Ne soyons pas aveugles, le cinéma n’est pas la seule industrie du monde de la culture qui est impliquée.

Mes chers collègues, votons, dans un esprit de responsabilité, pour cette proposition de résolution. Votons pour la création d’une commission d’enquête qui nous permettra de mettre au jour les défaillances, d’établir les responsabilités de chacun et surtout, car c’est le plus important, de proposer un cadre nouveau, plus protecteur.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Madame la rapporteure, chère Francesca, 40 000 : tel est le nombre d’enfants agressés ou violés entre le 31 décembre 2023 et le 2 avril, soit à peu près trois mois. Ce chiffre, édifiant, doit nous alerter : dans toutes les strates de notre société, les enfants sont largement victimes de comportements abusifs, de violences, d’agressions sexuelles. Leur jeune âge constitue un facteur de vulnérabilité souvent exploité par ceux qui cherchent à exercer une forme de domination, laquelle existe depuis trop longtemps, pour cause d’impunité. Plus de 3 millions de femmes et d’hommes adultes déclarent ainsi avoir été victimes de violences sexuelles ou sexistes lorsqu’ils étaient enfants. Nous avons donc un devoir de protection : parlementaires, parents, proches, nous avons le devoir de protéger ceux et celles qui, en raison de leur vulnérabilité ou de leur incapacité, ne devraient jamais être contraints de se protéger seuls.

Parce que le cinéma et le spectacle vivant ne sont pas hermétiques à toutes ces violences qui existent dans notre société, le 23 février dernier, lors de la cérémonie des César, Judith Godrèche a parlé et, avec elle, ce sont des dizaines et peut-être même des centaines de femmes, d’hommes et d’enfants du milieu artistique, mais aussi sûrement d’autres milieux, qui ont parlé. À travers elle, ils et elles ont dit stop : stop à l’impunité, stop aux agresseurs, stop à l’omerta. Il faut parler, mais pour cela il faut être écouté, entendu. Or, quand on est mineur, c’est bien compliqué. Cette proposition de création d’une commission d’enquête est donc plus qu’attendue : elle est absolument nécessaire et, bien sûr, nous la soutiendrons.

Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES). Depuis que Judith Godrèche a eu le courage de prendre la parole, à la suite de la sortie de son documentaire Icon of French Cinema, son témoignage sur l’emprise et les violences sexuelles qu’elle a subies en tant qu’actrice mineure suscite de vives réactions dans le milieu du cinéma et la société française. Ce témoignage n’est pourtant pas le premier : en 2019, Adèle Haenel dénonçait déjà les agressions et le harcèlement sexuels qu’elle avait subis, alors qu’elle était mineure, de la part du réalisateur Christophe Ruggia ; aux États-Unis, en 2017, le mouvement MeToo était lancé par l’actrice américaine Alyssa Milano, qui appelait alors à témoigner sur les réseaux sociaux. Je salue le courage de ces femmes, et de tant d’autres, qui osent prendre la parole et parfois déposer plainte, bien des années plus tard.

Les femmes n’ont pas attendu 2024 pour dénoncer les violences dont elles sont victimes, dont l’enfant qu’elles étaient a été victime, mais qui les entendait alors ? Qui prenait la peine de les écouter ? Quand, à la fin des années 1980, un réalisateur célèbre de 39 ans affiche une relation avec une jeune fille de 14 ans, on sait que c’est illégal, mais on ne dit rien. Quand en 1995, Judith Godrèche publie Point de côté, roman dans lequel elle relate une relation d’emprise avec Benoît Jacquot, qu’elle vient de quitter, et les violences qu’elle a subies, cette fois la victime parle : on sait et on ne fait rien.

Sept ans après le début de l’affaire Weinstein, aux États-Unis, le cinéma français et, avec lui, la société tout entière sont enfin sommés de regarder la réalité en face. Certaines voix de la profession et du milieu intellectuel s’élèvent actuellement, pour faire leur autocritique, mais c’est l’industrie du cinéma qui doit désormais se remettre en question. Trop longtemps, des hommes puissants se sont cachés derrière leur qualité d’artiste pour abuser d’enfants au vu et au su de tous. Dans le documentaire Les ruses du désir : l’Interdit, du psychanalyste Gérard Miller, lui aussi accusé de violences sexuelles, Benoît Jacquot assume en 2011 d’être hors la loi. Il dit que c’était interdit : « Je n’avais pas le droit » [...] « Faire du cinéma est une sorte de couverture [...] pour des mœurs de ce type-là ». « Dans le Landerneau cinématographique, on peut sentir une certaine [...] admiration pour ce que d’autres aimeraient bien pratiquer aussi. » Ces propos nous glacent le sang. Leur auteur les a pourtant prononcés, alors, dans l’indifférence générale et la plus grande impunité. Une telle romantisation de la transgression, de l’artiste qui franchit les limites du tabou et de l’interdit a mis sous silence la situation de nombreux enfants dans le milieu du cinéma et du spectacle vivant. Cela nous a empêchés de voir les situations de violence psychologique et parfois physique et sexuelle qui ont cours dans les conservatoires, écoles supérieures et écoles privées d’art dramatique.

En 2021, le lancement du hashtag MeTooThéâtre sur les réseaux sociaux a amené de nombreuses personnes à témoigner contre les méthodes employées par certains enseignants, mais la route reste longue et il est temps de faire la lumière sur les violences pour construire, avec les acteurs du cinéma, du spectacle vivant et de la mode un cadre qui permette d’accueillir la parole des victimes et surtout qui protège les enfants et les jeunes en formation. En tant que membres de la représentation nationale, il est maintenant de notre devoir de nous saisir pleinement de cette question par la création d’une commission d’enquête, pour que toute la lumière soit faite et que plus jamais un seul enfant, un seul jeune ou aucune femme ne subisse une situation de violence dans un tournage, une école ou sur une scène de théâtre.

« Depuis quelque temps je parle [...], mais je ne vous entends pas » a dit Judith Godrèche lors de la cérémonie des César. Pour que son courage, que leur courage, à toutes celles et ceux qui ont parlé, ne soit pas vain et qu’il mène, par la prise de conscience collective et le travail parlementaire que nous conduirons, à la protection des mineurs contre toute forme de violence, lançons maintenant, et résolument, cette commission d’enquête. Je remercie grandement Francesca Pasquini de l’avoir proposée, ainsi que toutes celles et ceux qui ont pris des initiatives dans ce domaine.

M. Stéphane Peu (GDR-NUPES). Depuis 2017, le mouvement MeToo a permis de mettre en évidence l’ampleur des violences sexistes et sexuelles et a contribué à libérer la parole des victimes. Pourtant, nombre d’agressions sexuelles, de violences psychologiques et physiques restent difficiles à révéler, en particulier lorsqu’elles sont subies pendant l’enfance.

Si la famille demeure la sphère de socialisation où se produisent le plus de violences sexuelles, celles-ci ont également lieu dans d’autres sphères. Ainsi, un nombre non négligeable de femmes et d’hommes déclarent avoir subi des violences sexuelles commises par une personne travaillant avec des enfants. De l’industrie de la mode au spectacle vivant en passant par le cinéma, de nombreuses professionnelles ont récemment témoigné des violences sexuelles dont elles ont été victimes lorsqu’elles étaient mineures. En 2021, au cours d’une audition au Sénat, une dizaine d’ex-mannequins ont accusé des figures de la mode, comme Gérald Marie et Jean-Luc Brunel, de les avoir violées dans les années 1980 ou 1990, alors qu’elles étaient encore mineures. Par ailleurs, les paroles très fortes de Judith Godrèche ont été rappelées.

Relations asymétriques entre réalisateurs et acteurs ou rapport à l’image, au regard de l’autre et au corps déformé par une contrainte esthétique, les industries culturelles présentent une multiplicité de facteurs de risque de violences sexistes et sexuelles. De surcroît, ces crimes sont souvent à l’origine d’une amnésie traumatique et de troubles psychologiques pérennes qui entravent la libération de la parole des victimes et, par là, la condamnation des responsables.

Des dispositifs de protection des mineurs travaillant dans les industries culturelles sont prévus, mais ils restent très insuffisants. C’est le cas, notamment, de l’autorisation préalable qui a été mise en place dans l’industrie du cinéma pour encadrer le travail des moins de 16 ans. Cette autorisation ne permet pas de prémunir les enfants contre les risques auxquels ils sont exposés une fois que le tournage a commencé. De fait, de nouvelles scènes, non prévues initialement, peuvent alors être incluses.

Cette proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est une étape utile qui doit nous permettre d’avancer sur la voie de la reconnaissance des victimes d’abus et de violences dans les secteurs culturels et publicitaires, et de la construction de dispositifs protecteurs pour l’ensemble des mineurs et des professionnels. Notre groupe votera évidemment en sa faveur.

Mme Béatrice Descamps (LIOT). « Un réalisateur, puis un autre firent de moi leur objet. Ils se disputaient l’enfant Judith. Et tout autour de nous, dans ce monde d’érudits, de savants et de génies, le silence. La permissivité de la société. La sacralisation de ces auteurs faite par les journalistes de cinéma. Par les acteurs et actrices adultes [...] Comment, dans ce contexte-là, imaginer que les bouches des petites filles, des jeunes femmes, des jeunes hommes abusés puissent bouger pour exprimer autre chose que : "Pas de problème. Oui, j’ai compris. Je me tais." » Ces mots, ce sont ceux que Judith Godrèche a employés lors de son audition par la délégation aux droits des femmes et la délégation aux droits des enfants. Elle était venue nous dire qu’elle comptait sur nous. Des millions de femmes et d’enfants le font, comme elle, pour garantir leur protection à l’école, au sport, lorsqu’ils passent des castings ou vont sur les plateaux télé, les tournages de cinéma, de publicité et de mode, partout où ils ne se sentent pas en sécurité, parce qu’une personne a décidé, souvent en vertu d’une autorité, d’un ascendant pris sur l’autre, d’abuser d’eux.

Si nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner l’opportunité de créer une commission d’enquête sur la situation dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode, nous le devons à Judith Godrèche, à son témoignage, à ses prises de parole nombreuses, puissantes, déchirantes. Elle est pourtant loin d’être la seule à parler : des actrices révélant publiquement leurs agressions, nous en avons malheureusement entendu, des acteurs aussi, et tant d’autres personnes. Les témoignages ne s’arrêtent pas : ce n’est pas seulement pour le passé qu’une commission d’enquête est nécessaire, mais pour toutes celles et tous ceux qui sont en danger aujourd’hui ou qui pourraient l’être demain.

Je veux redire ce que notre groupe a déjà déclaré au sujet des violences sexuelles dans le sport, au moment de la clôture de la commission d’enquête consacrée à cette question : il serait faux de penser que l’omerta qui régnait n’était due qu’au fait que les victimes ne parlaient pas ; c’est aussi, et surtout, parce qu’elles n’étaient pas entendues. Nous sommes dans la même situation et notre première responsabilité est donc d’entendre les victimes, de mettre fin à la culture du secret, du tabou, de la culpabilité inversée. C’est un préalable, mais il ne pourra lui-même qu’accompagner la fin de la culture de l’impunité. Seulement 40 % des victimes vont jusqu’à un procès et à la condamnation de leurs agresseurs.

Nous devons protéger les mineurs, particulièrement lorsqu’ils se trouvent dans une situation de vulnérabilité, de forte proximité. La plupart du temps, celui qui abuse n’est pas un inconnu pour l’enfant, c’est une personne de la famille ou bien un entraîneur, un professeur, un réalisateur, un directeur de casting. C’est une personne de confiance ou qui incarne une forme d’autorité, une personne à qui il est impossible de dire non, une personne que l’on ne dénonce pas, par peur, en raison d’une emprise, par déni. Ce qui est alors subi, en tant qu’enfant, on le garde pour sa vie entière – c’est une destruction d’une part de soi.

Cette commission d’enquête, nous la devons à Judith Godrèche et plus largement à toutes ces vies volées, à ces enfances perdues. Notre groupe soutiendra, évidemment, la proposition de résolution, que j’ai d’ailleurs cosignée. Nous n’avions qu’une interrogation, celle de savoir si nous ne devrions pas étendre la commission d’enquête aux adultes, compte tenu de tous les témoignages qui émanent des industries du cinéma, du spectacle et de la mode, mais nous constatons que des amendements ont été déposés en ce sens – nous les soutiendrons.

M. Bertrand Sorre, président. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Sophie Blanc (RN). La loi du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux portait notamment sur le cas des mineurs, qui sont souvent utilisés par les marques. Des mesures spécifiques ont ainsi été mises en place pour protéger les enfants influenceurs : les règles relatives au travail des enfants youtubeurs sur les plateformes de partage de vidéos, fixées par la loi du 19 octobre 2020, ont été étendues à toutes les plateformes en ligne et les enfants influenceurs commerciaux sont désormais des acteurs protégés par le code du travail. Néanmoins, force est de constater que l’encadrement de ces mineurs se fait de façon aléatoire. Aux prises avec des adultes, souvent dans un cadre plus privé que celui d’un plateau de cinéma, ils peuvent également être l’objet de prédateurs. Dès lors, ne serait-il pas pertinent d’inclure les influenceurs mineurs dans le périmètre de la commission d’enquête ?

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je remercie tous mes collègues pour leurs différentes prises de parole.

Mme Parmentier, qui n’est plus parmi nous, a souhaité que le périmètre de cette commission d’enquête soit restreint, de manière exclusive, au cinéma, mais elle a cosigné un amendement de Mme Blanc visant au contraire à l’élargir à la publicité, ce qui me paraît poser un problème de cohérence. Par ailleurs, ce n’est pas elle qui jugera si nous serons ou non à la hauteur de la commission d’enquête. Nous mènerons le travail de façon transpartisane, avec détermination et en restant humbles face à la souffrance que ces violences ont engendrée et continuent à engendrer chez tant de victimes.

Enfin, j’observe qu’aucun amendement visant à élargir le périmètre aux influenceurs n’a été déposé – seule est visée la publicité.

 

Article unique

Amendements identiques AC8 de Mme Francesca Pasquini, AC9 de Mme Véronique Riotton et AC15 de M. Erwan Balanant

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je souhaite inclure dans le champ de la commission d’enquête l’évaluation de la situation des mineurs non seulement au cours de leur pratique professionnelle mais aussi lors des périodes d’enseignement et de formation au sein des établissements préparant aux métiers des secteurs visés par la proposition de résolution. Celle-ci fera également référence, dans un souci d’exhaustivité, à l’audiovisuel et à la publicité. Je propose, par ailleurs, que la commission d’enquête puisse se pencher sur les violences commises à l’égard des personnes majeures dans ces secteurs, compte tenu des nombreuses révélations, ces dernières années, de faits dont des personnes mineures n’étaient pas les seules victimes et de nombreuses demandes de collègues.

Mme Véronique Riotton (RE). Madame la rapporteure, je salue l’initiative que vous avez prise – c’était une évidence à la fin de l’audition que nous avons menée conjointement avec la délégation aux droits des enfants.

Judith Godrèche, Adèle Haenel, Laetitia Casta ou Virginie Efira – la liste pourrait être longue –, j’ai une pensée pour toutes les lanceuses d’alerte, victimes et témoins des violences qui persévèrent dans l’industrie de la culture. Mesdames, merci pour votre courage, nous vous avons entendues.

L’amendement que nous proposons vise à passer à l’action pour protéger les victimes – toutes les victimes, mineures comme majeures. Car, non, il ne s’agit pas de comportements inappropriés, de blagues un peu lourdes. Embrasser une actrice ou lui imposer des scènes de sexe sans la prévenir, cela ne fait pas partie du métier. Et non, affamer un mannequin, lui faire du chantage à l’emploi, ce n’est pas acceptable. Ce sont des violences. Chers collègues, j’aimerais pouvoir vous dire que ces faits sont des exceptions, mais la réalité, c’est que non.

Nous ne pouvons tolérer que le corps de nos enfants et des femmes soit sacrifié sur l’autel de la culture. La rédaction que nous proposons permettra d’analyser les mécanismes qui favorisent ou, du moins, autorisent la perpétuation de ces violences physiques, psychologiques, sexistes et sexuelles et de faire de la formation, des écoles jusqu’aux industries du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. Votons, chers collègues, pour ces amendements identiques afin de construire ensemble une culture à la française dont nous puissions être fiers.

M. Erwan Balanant (Dem).  J’ai entendu la critique à l’encontre du spectre large que nous proposons – nous devrions nous concentrer sur le cinéma. C’est une idée qui, initialement, m’a aussi traversé l’esprit, mais les messages que nous avons reçus et les interventions qui ont eu lieu à ce sujet montrent que nous ne pouvons pas laisser de côté les autres pratiques artistiques, le spectacle vivant, la musique, la mode ou la publicité : ce serait une erreur.

Faut-il, par ailleurs, en rester aux mineurs ou élargir la commission d’enquête aux majeurs ? Ce sont aussi, en ce qui concerne ces derniers, des violences – il y en a dans ce monde et nous devons toutes les traiter. De plus, nous rencontrerons, si ces amendements ne sont pas adoptés, de grandes difficultés dans des cas impliquant des personnes de 18 ans, ce qui est encore très jeune.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Je suis favorable à ces amendements qui ont été écrits conjointement et qui en recoupent d’autres, puisqu’ils traitent plusieurs questions.

Il est important de ne pas se concentrer sur le cinéma et le spectacle vivant parce que la publicité et l’audiovisuel présentent certaines caractéristiques communes, même si cela revient à sortir du champ de ce qui est traditionnellement reconnu comme de l’art. Je pense à la sexualisation des corps, aux stéréotypes qui sont véhiculés, etc. Par ailleurs, énormément d’exemples d’omerta nous ont été cités dans ces domaines.

Je tiens aussi à mettre l’accent sur les institutions publiques et les lieux d’enseignement, qui font l’objet d’alertes spécifiques quant à la manière dont ces violences sont, en réalité, inculquées. Il faut qu’il y ait une responsabilité publique en la matière. Une des revendications de Judith Godrèche était que le CNC ne soit plus dirigé par quelqu’un comme Dominique Boutonnat, qui est accusé de violences sexuelles et qui perd, peut-être, en crédibilité quand il s’agit de prendre à bras-le-corps de telles questions. Tous les organismes publics sont concernés : il faut que nous puissions étudier l’ensemble des chaînes de responsabilité. Nous avons déposé un amendement qui nous permettra de parler de la question de l’omerta, qui me semble importante.

La commission adopte les amendements.

En conséquence, les amendements AC10 et AC12 de Mme Sarah Legrain, AC13 et AC11 de Mme Clémentine Autain, AC1 de Mme Sophie Blanc et AC5 de M. Alexis Jolly tombent.

Amendement AC14 de Mme Sarah Legrain

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Cet amendement vise à expliciter des éléments qui sont contenus dans l’idée même de la création de cette commission d’enquête mais qu’il importe de préciser, à savoir les mécanismes de l’omerta. Je citerai à cet égard des propos de Judith Godrèche, qui est beaucoup évoquée – et ce sera donc pour moi aussi l’occasion de saluer son courage. Elle a dénoncé l’écrasement de la parole des femmes, l’existence d’une omerta extrêmement forte dans le milieu du cinéma en répétant ces mots : « tout le monde savait ». Le principe de cet univers est que tout le monde sait, mais que le silence et la passivité règnent. C’est ce qu’on appelle des mécanismes d’omerta. Il me semble donc important que soit explicité le fait que cette commission d’enquête se penchera aussi sur les formes de complicité.

Nous ne nous plaçons pas, cela a été dit, dans le cadre d’une enquête judiciaire, mais il faut réfléchir aux mécanismes qui font système. Or il y a là un système de prédation et un système de perpétuation de la prédation qui repose sur des mécanismes de silenciation des victimes. Judith Godrèche l’a dit récemment, lors d’une autre audition que nous avons organisée à l’Assemblée nationale, de nombreuses personnes témoignent du fait que, lorsqu’elles ont parlé, elles ont reçu des menaces et se sont finalement trouvées réduites au silence. Nous devrons aussi étudier ces mécanismes-là, pour pointer toutes les responsabilités.

Il faudra, au bout du compte, que la peur change de camp, que ce ne soient plus les victimes qui aient peur de parler, mais que ceux qui sont en cause sentent que ce n’est plus possible, que plus personne ne tolère cela, que nul n’organisera le silence autour d’eux, mais qu’au contraire les choses se sauront, se diront, qu’ils ne pourront plus continuer leurs violences et que ce sera à eux, et non aux victimes, d’être blacklistés. Il est important d’avoir en tête cet objectif.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je suis, évidemment, d’accord sur le fond. Il faut briser les mécanismes d’omerta autour de ces violences, et c’est tout le sens de la création de la commission d’enquête. L’alinéa que vous proposez d’ajouter me semble, en revanche, redondant par rapport à ce qui figure déjà dans la proposition de résolution, qui propose « d’identifier les mécanismes et les défaillances qui permettent d’éventuels abus et violences » et « d’établir les responsabilités de chaque acteur en la matière ». En identifiant les mécanismes et les défaillances en jeu, nous nous intéresserons de façon naturelle aux schémas qui mènent à la reproduction et à la perpétuation des violences, ainsi qu’aux mécanismes permettant de protéger leurs auteurs. L’établissement de la responsabilité de chaque acteur concerne non seulement celle, directe, des personnes commettant des abus mais aussi celle des acteurs les ayant laissé faire ou les ayant couverts. Cet amendement m’apparaît donc satisfait et je vous demande de le retirer.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Je regrette que l’expression « protection des auteurs » ne figure pas dans la proposition de résolution, car elle est au cœur de l’omerta : il ne s’agit pas uniquement des mécanismes conduisant aux violences mais aussi de ceux permettant de protéger les personnes qui les causent. L’ajout que je propose vise à garantir que la question de ceux qui couvrent et protègent les auteurs des violences sera traitée, mais je ne voudrais pas nuire à la belle unanimité qui prévaut et je fais confiance à nos collègues pour s’y employer dans cette commission d’enquête au sein laquelle j’espère bien pouvoir travailler, moi aussi, car je suis sûre que l’Assemblée nationale validera sa création. Nous serons, en tout cas, vigilants sur cette question.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article unique modifié.

Titre

Amendement AC16 de Mme Francesca Pasquini

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Il s’agit de modifier le titre de la proposition de résolution pour faire référence « aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ».

La commission adopte l’amendement.

L’ensemble de la proposition de résolution est adopté modifié.

 

*

*     *

En conséquence, la commission demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de résolution dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/Zstx05 

Texte comparatif : https://assnat.fr/grDqbV 

 


   ANNEXE


([1])  Article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

([2])  https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/organes/autres-commissions/commissions-enquete?limit=12&statut=termine

([3]) Elle est composée de Mme Maryse Le Men Régnier, ex-magistrate et présidente de la Fédération France Victimes, M. Thierry Baubet, chef du service de psychopathologie de l'enfant à l'hôpital Avicenne à Bobigny, Mme Solène Podevin, présidente de Face à l'inceste, et de M. Bruno Questel, ancien député

([4]) Ciivise, Violences sexuelles faites aux enfants : on vous croit , 17 novembre 2023 : https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-la-ciivise/

([5]) Lorraine de Foucher et Jérôme Lefilliâtre, « Dans " CE2", le film de Jacques Doillon, questions autour du casting des enfants », Le Monde, 27 mars 2024.

([6]) Notamment dans une lettre à sa fille, publiée dans le journal Le Monde le 7 février 2024 : https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/07/lettre-de-judith-godreche-a-sa-fille-je-viens-de-comprendre-ce-truc-le-consentement-je-ne-l-ai-jamais-donne-non-jamais-au-grand-jamais_6215157_3224.html

([7]) Audition de Mme Judith Godrèche, actrice, scénariste, réalisatrice et écrivaine française, Délégation aux droits des enfants, 14 mars 2024 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/dde/l16dde2324032_compte-rendu#

([8]) https://www.radiofrance.fr/francemusique/les-accusations-de-violences-sexuelles-dans-les-conservatoires-se-multiplient-4573724

([9]) https://www.lepoint.fr/societe/exclusif-le-calvaire-des-filles-de-johann-15-11-2017-2172538_23.php#11

([10]) https://assnat.fr/yChFBu