2455


ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

 

 525


SÉNAT

 

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale
le 10 avril 2024

 

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 avril 2024

 

RAPPORT

 

FAIT

 

au nom de la commission mixte paritaire(1) chargée de proposer un texte               sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi
visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques,

 

 

par M. Marc FERRACCI,
Rapporteur,

Député
 

 

par Mme Catherine DI FOLCO,
Rapporteur,

Sénateur
 

 

 

 

 

 

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, sénateur, président ; M. Sacha Houlié, député, viceprésident ; Mme Catherine Di Folco, sénateur, M. Marc Ferracci, député, rapporteurs.

 

Membres titulaires : Mme Françoise Dumont, M. Jean-Michel Arnaud, Mmes Corinne Narassiguin, Audrey Linkenheld, Patricia Schillinger, sénateurs ; Mme Fanta Berete, MM. Thomas Ménagé, Sébastien Delogu, Raphaël Schellenberger, Philippe Latombe, députés.

 

Membres suppléants : Mmes Marie Mercier, Muriel Jourda, MM. Hervé Marseille, Pierre-Alain Roiron, Ian Brossat, Alain Marc, Mme Mélanie Vogel, sénateurs ; MM. Emmanuel Blairy, Philippe Pradal, Mme Marietta Karamanli, M. Olivier Serva, députés.

 

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16e législ.) :

Première lecture : 1494, 1903 et T.A. 209
 

Sénat :

Première lecture : 183, 398, 399 et T.A. 82 (2023‑2024)
Commission mixte paritaire : 526 (2023-2024)

 

Mesdames, Messieurs,

Conformément au deuxième alinéa de l’article 45 de la Constitution, et à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques s’est réunie au Sénat le mercredi 10 avril 2024.

Elle a procédé à la désignation de son bureau qui a été ainsi constitué :

– M. François-Noël Buffet, sénateur, président ;

– M. Sacha Houlié, député, vice-président.

La commission a également désigné :

– Mme Catherine Di Folco, sénateur, rapporteur pour le Sénat ;

– M. Marc Ferracci, député, rapporteur pour l’Assemblée nationale.

 

*

*          *

 

La commission procède ensuite à l’examen des dispositions restant en discussion.

M. François-Noël Buffet, sénateur, président. – Mes chers collègues, nous sommes réunis pour proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques. Je souhaite la bienvenue à nos collègues députés.

M. Marc Ferracci, rapporteur pour l’Assemblée nationale. – La version initiale de la proposition de loi que nous discutons aujourd’hui avait pour ambition de faire progresser la lutte contre les discriminations, dont je ne vais pas rappeler ici à quel point elles sont un fléau, qui touche un grand nombre de nos concitoyens.

Cette version, enrichie par les débats en commission des lois et en séance à l’Assemblée nationale, donnait à la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) la responsabilité de mener des tests individuels de discrimination, susceptibles d’être utilisés dans le cadre de recours juridictionnels. Elle visait également à ce que soient multipliés les tests statistiques de discrimination, et à ce que ceux-ci soient à la fois précédés et suivis d’un dialogue avec les entreprises et les administrations concernées, ce dialogue pouvant conduire à publier les résultats en cas d’insuffisance des réponses apportées à une situation de discrimination.

Je constate que les débats au Sénat ont conduit à vider purement et simplement le texte de sa substance.

La première suppression majeure est intervenue à l’article 1er, qui a été amputé des alinéas relatifs aux tests individuels. Ceux-ci sont pourtant un moyen, reconnu par le code pénal, d’apporter la preuve des discriminations. Le développement de tels tests est essentiel pour offrir un véritable droit à la réparation aux personnes discriminées. Il faut rappeler ici que, en dépit des moyens offerts par la législation, le nombre de condamnations pénales pour des faits de discrimination est ridiculement faible – en 2020, il n’y en a eu aucune. Cet échec a des causes multiples, mais la principale, selon les acteurs de terrain, reste la difficulté à apporter la preuve de la discrimination. Face à cette situation, la solution retenue par le Sénat consiste à assumer un statu quo, c’est-à-dire à refuser aux citoyens ou aux associations l’accès à un véritable service public du test individuel leur permettant de voir établie la preuve de leur discrimination.

Il a beaucoup été dit, à l’Assemblée nationale et au Sénat, que la création d’un tel service reviendrait à empiéter sur les prérogatives de la Défenseure des droits. Celle-ci a émis un avis très critique sur la capacité donnée à la Dilcrah de réaliser des tests individuels, au motif qu’elle pourrait créer de la confusion et empêcher d’accompagner correctement les victimes de discriminations. Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors des débats et de le rappeler à Mme la rapporteure lors de nos échanges, cet argument ne me semble pas recevable.

Tout d’abord, confier à la Dilcrah la possibilité de faire des tests individuels n’entraverait nullement la capacité de la Défenseure des droits d’en faire de son côté. Le problème est que, à l’heure actuelle, celle-ci ne réalise pas réellement de tests individuels ; elle a d'ailleurs été incapable d’indiquer leur nombre lors de ses différentes auditions à l’Assemblée nationale. Aucun chiffre ne figure non plus dans le rapport d’activité qu’elle vient de publier et qu’elle présentera aujourd'hui même au Sénat. Au fond, la Défenseure des droits défend, sur ce sujet, un pré carré qu’elle a malheureusement laissé en jachère, alors que ses moyens ont récemment été accrus pour faire face à ses différentes missions.

Par ailleurs, elle ne dispose nullement d’une exclusivité sur la réalisation des tests individuels : d’autres acteurs – personnes discriminées, avocats, associations, etc. – peuvent déjà pratiquer de tels tests. La proposition de loi prévoit de mettre à disposition de ces acteurs la capacité à réaliser des tests, c’est-à-dire à concevoir une candidature contrefaite et à l’adresser à un employeur ou à un bailleur pour recueillir sa réponse. Cette opération est, en effet, coûteuse et délicate, comme la Défenseure des droits le reconnaît elle-même en proposant sur son site une fiche pratique pour réaliser des tests individuels. En revanche, une fois le test réalisé, l’accompagnement juridique des personnes discriminées ne relèverait pas de la Dilcrah : il serait réalisé par les acteurs existants – avocats, associations ou même la Défenseure des droits, si celle-ci le souhaitait. Cependant, elle a écarté cette proposition.

En somme, le rôle de la Dilcrah se limiterait, sur ce sujet, à la réalisation de tests individuels, outil essentiel dans la construction de la preuve. Cela contredit, au passage, l’argument selon lequel la Dilcrah serait juge et partie si elle était sollicitée pour réaliser un test individuel sur une administration publique qui conduirait à poursuivre cette dernière en justice.

Enfin, je veux signaler que la question des tests individuels a fait l’objet d’un amendement en séance à l’Assemblée nationale. Cet amendement tendait à modifier l’article 1er pour limiter dans le temps la capacité de la Dilcrah à faire des tests. Cette démarche d’expérimentation, introduite de bonne foi, visait à permettre la réalisation d’un bilan de l’action de la Dilcrah et, ainsi, à juger de l’efficacité de son action, en articulation avec les différents acteurs.

Cela n’a pas suffi à convaincre à la majorité sénatoriale, qui, à ce principe de bon sens consistant à expérimenter les choses, a préféré une suppression pure et simple des tests individuels. Cette idée selon laquelle il vaut mieux ne rien apprendre et ne rien savoir pour engager la décision publique n’est pas la mienne ni celle de la majorité à laquelle j’appartiens. En pratique, elle prive nombre de nos concitoyens d’un droit effectif à réparation face aux discriminations.

La deuxième suppression majeure est celle de l’article 2, dans sa totalité. Cet article instituait au sein de la Dilcrah un comité des parties prenantes, composé de personnalités qualifiées, de parlementaires et de représentants des personnes morales susceptibles d’être testées ainsi que de leurs salariés.

Ce comité des parties prenantes est un élément essentiel à la mise en œuvre du principe du name and shame, à savoir la publicité des résultats des tests. En le supprimant, c’est ce principe que l’on refuse. Le rôle du comité est d’abord de permettre un consensus sur les méthodes de tests statistiques, afin que les résultats soient admis par les acteurs testés. En effet, faute de consensus sur la méthode, des entreprises testées positives pourraient réagir très vivement en contestant les résultats et ne seraient nullement enclines à modifier leurs pratiques. C’est ce qui s’est produit en 2019 lorsqu’un testing réalisé par des chercheurs indépendants a conduit à publier les noms de sept entreprises du SBF 120, sans aucun préalable.

Le comité des parties prenantes a aussi vocation à donner un avis sur la publication des résultats des testings, ce qui permet de prendre en compte les réponses apportées par l’entreprise ou l’administration en cas de test positif et de décider de ne pas publier les résultats si ces réponses sont satisfaisantes. L’action du comité vise également à établir et à consolider les connaissances sur les pratiques qui peuvent faire reculer les discriminations de manière efficace, notamment dans les processus de recrutement. Les auditions menées ont en effet permis d’établir que nombre d’entreprises ne sont pas forcément conscientes des problèmes associés à leurs pratiques d’embauche et que certaines entre elles souhaiteraient être accompagnées pour les modifier.

Par conséquent, supprimer le comité reviendrait à renvoyer à la Dilcrah la responsabilité de publier les résultats des tests, sans discussion contradictoire sur la méthode et les réponses apportées. C’est contraire à l’intérêt des entreprises, ce qui avait d’ailleurs été admis par certaines organisations patronales, comme le Mouvement des entreprises de France (Medef), lors des auditions à l’Assemblée nationale.

Pour contrer l’argument selon lequel le name and shame viserait à stigmatiser les entreprises, il peut aussi être rappelé que les tests statistiques ont vocation à s’appliquer aux discriminations dans l’accès aux biens et services, comme le logement ou le crédit bancaire, mais aussi dans l’accès aux services publics. Il ne s’agit donc pas de cibler spécifiquement les entreprises ; administrations et opérateurs de l’État ont vocation à être testés. Qui connaît un peu la fonction publique peut imaginer que les dirigeants d’une administration dénoncée comme discriminante réagiraient au moins aussi fortement que ceux des entreprises concernées par le name and shame.

Précisons enfin que, selon les auteurs de l’amendement de suppression de l’article 2, la composition figée du comité n’aurait pas permis de prendre en compte les spécificités de la situation de chacun de ses membres. Ils proposaient que les pouvoirs publics aient davantage de liberté pour établir le format des discussions. Or c’est bien ce que permettait le texte initial de la proposition de loi, qui renvoyait au décret les modalités de fonctionnement du comité.

La dernière suppression majeure concerne la totalité de l’article 3 de la proposition de loi, lequel précisait le processus d’accompagnement et de sanction consécutif à un test statistique positif.

Le postulat adopté par le Sénat consiste à considérer que l’autocontrôle des entreprises suffirait à faire reculer les discriminations et que des sanctions seraient contre-productives. Cela est parfaitement illusoire et va à l’encontre des résultats de l’ensemble des enquêtes, qui montrent la persistance, voire la progression des discriminations dans notre pays. C’est ce qui est affirmé notamment dans les rapports successifs de la Défenseure des droits, qui, en l’espèce, a émis un avis de principe positif à la multiplication des tests statistiques et au name and shame porté par la proposition de loi.

En réalité, la position de la majorité sénatoriale est bel et bien de rejeter le principe du name and shame, comme elle rejette la possibilité donnée à la Dilcrah de réaliser des tests individuels. Il a d'ailleurs été dit, lors de l’examen du texte en commission au Sénat, qu’il ne fallait pas « déstabiliser les entreprises par la publication des résultats ».

Cette position de statu quo ne prend absolument pas la mesure de l’ampleur des discriminations et des dégâts qu’ils occasionnent dans notre pays. Il me semble que c’est aussi méconnaître la volonté sincère de la plupart des entreprises de lutter contre les discriminations et d’adopter des pratiques pour les identifier et les réduire, pratiques que la possibilité ouverte par cette proposition de loi contribuerait à diffuser plus rapidement.

Par ailleurs, le processus conduisant à une éventuelle sanction, qu’il s’agisse de la publicité des résultats ou d’une amende administrative, serait trop long et complexe. Mais il vise précisément à éviter l’arbitraire qui résulte actuellement de la publication dans la presse de résultats de testings statistiques sans que les entreprises concernées aient été en capacité d’apporter des réponses. Sous couvert de ne pas déstabiliser les entreprises, on avalise un statu quo contre lequel certaines organisations patronales ont elles-mêmes émis de vives critiques. Ce n’est pas la moindre des incohérences du vote intervenu au Sénat.

Pour terminer, je veux dire que, durant les échanges que j’ai eus avec Mme la rapporteure après le vote du texte au Sénat, j’ai évoqué des options de compromis possibles. J’ai notamment accepté de considérer la suppression de l’article 2, donc la possibilité pour le comité des parties prenantes d’émettre des avis sur la publication des résultats des tests statistiques. Cette suppression aurait raccourci le processus de sanction prévu à l’article 3. La discussion sur la méthodologie des tests aurait alors eu lieu hors du cadre formel du comité, actant ainsi la modification introduite à l’article 1er par le Sénat. Cela aurait nécessité une modification de l’article 3 permettant que les sanctions soient prononcées en toute autonomie par l’administration – sans l’appui, donc, de l’avis du comité. Au fond, cela serait revenu à reproduire un cadre similaire à celui de l’index de l’égalité professionnelle mis en œuvre en 2018, cadre qui a d’ores et déjà abouti à sanctionner des entreprises dont l’index ne progressait pas assez. Cette solution de compromis a été rejetée, ce que je regrette profondément.

En conclusion, je fais le bilan – assez amer je dois dire – que, plutôt que de proposer des amendements visant à améliorer le cadre des testings ou à simplifier le processus de sanction, nos collègues sénateurs ont choisi de vider complètement le texte de sa substance. C’est faire peu de cas du travail réalisé avec mes collègues députés et des solutions de compromis qui se sont traduites par l’acceptation de nombreux amendements, en commission et en séance, à l’Assemblée nationale.

Au final, le texte qui nous est proposé ne nécessite pas une loi. Or je veux affirmer de manière extrêmement claire qu’une loi est bien nécessaire pour porter les principes que nous souhaitons défendre. J’ai été assez surpris que cette nécessité soit discutée au Sénat.

Il faut une loi pour sécuriser juridiquement le name and shame. Sinon, les entreprises seraient fondées à intenter des recours contre les chercheurs qui pratiquent les tests. Cette sécurisation juridique a été demandée notamment par le secrétariat général du Gouvernement, dont je ne pense pas qu’il soit peuplé de juristes débutants. Ces recours juridictionnels ne sont pas une menace en l’air : en 2019, les entreprises concernées par le testing que j’ai évoqué tout à l'heure ont envisagé d’en faire.

Il faut aussi une loi pour imposer des amendes administratives. Discuter de la nécessité de cette loi, c’est refuser de manière extrêmement claire un processus de sanction un tant soit peu crédible.

Au final, la position du Sénat prive les acteurs publics d’outils reconnus pour changer les comportements, en supprimant tout dialogue et toute sanction consécutive aux tests statistiques. Elle prive aussi les personnes d’un véritable droit à réparation, en maintenant le statu quo sur les tests individuels.

Lorsque nombre de nos concitoyens sont obligés de changer leur état civil, de mentir sur leur âge ou leur adresse pour bénéficier d’un emploi ou d’un logement, le statu quo n’est pas acceptable. La lutte contre les discriminations est une ardente nécessité ainsi qu’un engagement de la majorité présidentielle. Je prends acte qu’un consensus n’a pu être trouvé en vue de cette commission mixte paritaire et le regrette profondément.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur pour le Sénat. – Il n’y a pas de suspense : M. Ferraci l’a dit, nous ne sommes pas parvenus à un accord sur la proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique des tests individuels et statistiques.

Avant d’entrer dans les détails du texte, il me semble fondamental d’insister sur un point : notre désaccord ne porte pas sur le constat. Personne ici ne se voile la face sur la réalité et l’ampleur des discriminations dans la société française, ainsi que je l’ai dit et répété en séance. Le chiffre tout à fait préoccupant de 6 700 réclamations relatives à des discriminations transmises à la Défenseure des droits sur l’année 2023 a été régulièrement cité. Nous partageons tous collectivement la volonté de lutter contre ce fléau.

Mais, si nos deux chambres dressent un diagnostic commun, nos votes respectifs ont révélé une différence d’approche significative quant au remède à administrer.

Au-delà de la question abondamment débattue de la nécessité juridique du recours à la loi, le Sénat a largement remanié un texte qu’il a jugé potentiellement contre-productif.

Monsieur le rapporteur, si le secrétaire général du Gouvernement souhaitait qu’il y ait une loi, pourquoi le Gouvernement n’a-t-il pas déposé un projet de loi ? Celui-ci aurait été assorti d’une étude d'impact qui aurait peut-être mis en avant toute la difficulté d’appliquer les outils existants…

Pour ce qui concerne les tests individuels, la proposition d’en confier la réalisation à la Dilcrah a suscité de profondes réserves sur la quasi-totalité des travées du Sénat. La préservation de la plénitude de la compétence de la Défenseure des droits en la matière nous semble le moyen le plus efficace de lutter contre les discriminations. En effet, l’introduction d’un nouvel acteur créerait un risque de concurrence qui ne profiterait à personne et surtout pas aux victimes.

Qui plus est, la Défenseure des droits est la seule à pouvoir suivre un dossier de bout en bout, jusqu’à l’accompagnement dans un éventuel contentieux. On voit mal ce que pourrait faire la Dilcrah à la suite de la réalisation d’un test, si ce n’est diriger des victimes vers la Défenseure des droits, au prix d’une perte de temps et d’une nouvelle complexité administrative… Nous nous sommes donc opposés à toute modification de la législation sur ce point.

J’en viens aux tests statistiques et à leurs suites. Là aussi, nous avons estimé que l’approche proposée n’était pas la bonne.

Le comité des parties prenantes a été pensé comme le moyen de prévenir toute critique sur la robustesse de la méthodologie des tests, contrairement à ce qui s’est passé lors de la campagne de 2019-2020. Il n’est toutefois pas réaliste de penser qu’un énième comité puisse couper court aux contestations. Figer un tel comité dans le marbre de la loi, c’est s’engager d’emblée dans une impasse, puisque ce comité devra prendre ses décisions soit à l’unanimité, ce que sa composition rend hautement improbable, soit à la majorité, ce qui ouvrirait d’entrée de jeu la voie de la contestation à la partie mise en minorité.

En outre, ce comité avait un rôle bien plus étendu que celui d’un simple conseil scientifique, puisqu’il devait donner des avis sur les mesures correctives déployées par l’organisation épinglée. Le risque d’interférence avec le dialogue social aurait été majeur : comment un comité qui comprend, par exemple, des experts de la statistique pourrait-il donner un avis légitime et éclairé sur un accord régulièrement conclu au sein d’une entreprise ?

Au vu de ces limites, il nous est apparu plus pertinent de laisser aux pouvoirs publics la liberté d’établir au cas par cas le format d’échanges le plus adapté. Là aussi, cette position a fait très largement consensus parmi les groupes politiques du Sénat.

J’en viens maintenant au cœur du réacteur : l’article 3 et les suites apportées aux tests statistiques. Je veux être claire, nous ne sommes pas opposés à la mise en place par l’État de campagnes de tests statistiques, qui sont indéniablement des outils utiles pour objectiver les discriminations. En revanche, ces tests statistiques comportent des limites et ne peuvent être l’alpha et l’oméga de la lutte contre les discriminations.

Le dispositif proposé pour en assurer les suites ne nous a également pas convaincus, pour trois raisons.

La première est sa complexité, avec une procédure subdivisée en une dizaine d’étapes pas toujours clairement articulées entre elles.

La deuxième est sa philosophie, qui n’avait d’autre finalité que l’imposition de sanctions dont l’efficacité pose question. Ainsi, la lourdeur de l’amende administrative rend son application peu crédible, tandis que l’efficacité du name and shame fait l’objet de nombreux débats, sans qu’aucun consensus n’émerge. Je note, par ailleurs, que le Gouvernement ne se prive pas d’avoir recours à cet outil sans s’appuyer sur la béquille de la loi, et que cette approche ignore les nombreuses initiatives déjà prises par les entreprises.

La troisième raison, qui est aussi la plus importante, est que le droit du travail offre déjà tous les instruments nécessaires. Rien n’empêche un dialogue informel entre l’administration du travail et une organisation visée par un test ! Si l’accompagnement bienveillant a parfois ses limites, l’État est loin d’être désarmé pour répondre aux organisations les plus récalcitrantes. L’inspection du travail dispose d’une compétence générale pour contrôler l’application des dispositions du code du travail et, le cas échéant, engager une action en recherche des discriminations, voire saisir le parquet.

Pour ces trois raisons, nous avons supprimé l’article 3.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nos deux chambres défendent des approches très différentes sur l’usage des tests dans la lutte contre les discriminations. Parce qu’elles sont d’ordre quasi philosophiques, ces différences ne permettent malheureusement pas de rapprochement sur le texte proposé. Tout en insistant une dernière fois sur le fait que nous partageons le même constat, je vous confirme donc que nous n’avons pas trouvé d’accord.

M. François-Noël Buffet, sénateur, président. – Compte tenu du désaccord entre les deux assemblées, je constate que la commission mixte paritaire restera infructueuse.

 

*

*          *

 

La commission mixte paritaire constate qu’elle ne peut parvenir à l’adoption d’un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques.


TABLEAU COMPARATIF

___

 

Texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture
 

Texte adopté par le Sénat en première lecture
 


 

      

      

 

 

 

 

 

 

 

Proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques

Proposition de loi visant à lutter contre les discriminations par la pratique de tests individuels et statistiques

 

Article 1er

Article 1er

 

I.  Un service, placé sous l’autorité du Premier ministre, est chargé d’œuvrer à la connaissance, à la prévention et à la correction des situations de discrimination, notamment en matière d’accès à l’emploi, au logement et aux biens et services publics ou privés.

I.  Un service, placé sous l’autorité du Premier ministre, est chargé d’œuvrer à la connaissance et à la prévention des situations de discrimination.

Ce service :

Ce service :

 Informe, conseille et oriente les personnes souhaitant réaliser des tests individuels de discrimination ;

 et  (Supprimés)

 Peut réaliser, dans des conditions déterminées par décret, à la demande de toute personne s’estimant victime d’une discrimination mentionnée aux articles 2251, 2252 ou 4327 du code pénal ou aux articles L. 11461 ou L. 21462 du code du travail, des tests individuels de discrimination selon les modalités définies à l’article 22531 du code pénal ;

 

 

 Réalise ou finance la réalisation de tests de discrimination de nature statistique, selon des orientations établies par le Gouvernement après consultation du Défenseur des droits ;

 Réalise ou finance la mise en œuvre de tests de discrimination de nature statistique auprès de personnes morales de droit privé ou de droit public d’au moins 1 000 salariés ou agents publics, selon des orientations établies par le Gouvernement après consultation du Défenseur des droits, d’une ou plusieurs associations intervenant dans la lutte contre les discriminations et des organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel ;

 Assiste, à leur demande, les personnes morales faisant l’objet des tests mentionnés au 3° du présent article pour corriger les situations de discriminations mises en évidence par ces tests ;

 et  (Supprimés)

 Rend publics les résultats des tests statistiques de discrimination dans les cas prévus à l’article 3 ;

 

 

 Élabore chaque année un rapport d’activité, rendu public, qui précise notamment les suites données aux tests statistiques et individuels de discrimination ainsi que les bonnes pratiques en matière de nondiscrimination.

 Élabore chaque année un rapport d’activité, rendu public, qui présente notamment les données quantitatives et qualitatives sur l’état des discriminations en France obtenues par l’intermédiaire de tests mentionnés au  ainsi que les bonnes pratiques en matière de nondiscrimination.

II.  Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.

II.  Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent article, notamment de consultation des organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel pour l’élaboration de la méthodologie des tests mentionnés au 3° du I.

III (nouveau).  Les 1° et 2° du I sont applicables à titre expérimental pendant une durée de trois ans à compter de la publication du décret prévu au II.

III.  (Supprimé)

Article 2

Articles 2 et 3

(Supprimés)
 

 

I.  Le service mentionné à l’article 1er de la présente loi comprend un comité des parties prenantes, chargé de mener des concertations et des débats ainsi que de formuler des propositions en matière de lutte contre les discriminations.

 

 

Le comité des parties prenantes participe à l’élaboration de la méthodologie des tests de discrimination et émet des avis et des recommandations sur les suites devant leur être données.

 

 

Le comité des parties prenantes est composé :

 

 

 De deux députés et deux sénateurs, désignés respectivement par le Président de l’Assemblée nationale et par le Président du Sénat ;

 

 

 De personnalités indépendantes choisies en raison de leur compétence statistique, juridique, économique ou sociale en matière de tests de discrimination ;

 

 

 De représentants des personnes morales publiques et privées susceptibles d’être testées ;

 

 

 D’un représentant du Défenseur des droits ;

 

 

 (nouveau) De représentants des organisations d’employeurs et des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel ;

 

 

 (nouveau) De représentants d’associations choisies par le président du Conseil économique, social et environnemental parmi celles régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap.

 

 

II.  Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les procédures de délibération du comité et la répartition des voix délibératives et consultatives parmi ses membres.

 

 

Article 3

 

 

I.  Lorsque le résultat d’un test organisé en application du 3° de l’article 1er de la présente loi laisse supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article 2252 du code pénal ou à l’article L. 11321 du code du travail, le service mentionné à l’article 1er de la présente loi, après avis du comité mentionné à l’article 2 :

 

 

 En informe la personne morale concernée par le test et lui transmet le résultat du test ainsi que l’avis du comité ;

 

 

 En informe l’autorité administrative territorialement compétente et lui communique l’ensemble des éléments transmis en application du 1° du présent I.

 

 

II.  A.  Lorsque l’information prévue au 1° du I du présent article porte sur le résultat d’un test laissant supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article L. 11321 du code du travail, l’employeur engage une négociation sur des mesures visant à prévenir ou à corriger les discriminations, en vue de conclure un accord dans un délai de six mois à compter de la transmission du résultat du test mentionnée au 1° du I du présent article. À défaut d’accord, l’employeur établit, dans le même délai, un plan d’action ayant le même objet, après consultation du comité social et économique.

 

 

L’accord ou le plan d’action comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, qui portent sur un nombre de domaines d’action identifiés par les recommandations du comité mentionné à l’article 2, et évalue leur coût.

 

 

B.  Si, au terme du délai de six mois prévu au A du présent II, la négociation engagée par l’employeur est toujours en cours, l’autorité administrative chargée de la politique du travail territorialement compétente peut décider de prolonger le délai de trois mois afin de favoriser la conclusion d’un accord ou, à défaut d’accord, l’établissement d’un plan d’action, après consultation du comité social et économique.

 

 

C.  L’accord ou le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative chargée de la politique du travail territorialement compétente. Elle peut adresser à l’employeur des observations sur le contenu de l’accord ou du plan d’action, après avoir recueilli l’avis du service mentionné à l’article 1er.

 

 

Si l’accord ou le plan n’est pas transmis ou si ledit service considère, après avis du comité mentionné à l’article 2, que l’accord ou le plan transmis ne répond pas aux conditions fixées au second alinéa du A du présent II, le résultat du test est publié, au terme d’une procédure contradictoire, par dérogation aux articles L. 3116 et L. 31212 du code des relations entre le public et l’administration.

 

 

III.  A.  Lorsque l’information prévue au 1° du I du présent article porte sur le résultat d’un test laissant supposer l’existence de pratiques discriminatoires définies à l’article 2252 du code pénal, l’autorité administrative territorialement compétente met en demeure la personne morale chargée de la fourniture du bien ou du service ou de l’accès à l’activité économique, mentionnés à l’article 2252 du code pénal, d’établir, dans un délai de six mois, un plan d’action visant à prévenir ou à corriger les discriminations.

 

 

Le plan d’action comporte des mesures précises et concrètes, détermine les objectifs de progression prévus et les actions qualitatives et quantitatives permettant de les atteindre, qui portent sur un nombre de domaines d’action identifiés par les recommandations du comité des parties prenantes mentionnées à l’article 2 de la présente loi, et évalue leur coût.

 

 

B.  Le plan d’action est transmis sans délai à l’autorité administrative territorialement compétente et au service mentionné à l’article 1er. L’autorité administrative peut adresser à la personne morale des observations sur le contenu du plan d’action, après avoir recueilli l’avis dudit service.

 

 

Si le plan d’action n’est pas transmis ou si le service mentionné au même article 1er considère, après avis du comité mentionné à l’article 2, que le plan transmis ne répond pas aux conditions fixées au second alinéa du A du présent III, le résultat du test est publié, au terme d’une procédure contradictoire, par dérogation aux articles L. 3116 et L. 31212 du code des relations entre le public et l’administration.

 

 

IV.  Est passible d’une amende administrative, dont le montant ne peut excéder 1 % des rémunérations et gains, au sens du I de l’article L. 2421 du code de la sécurité sociale et du premier alinéa de l’article L. 74110 du code rural et de la pêche maritime, versés aux travailleurs salariés ou assimilés au cours de l’année civile précédant l’expiration du délai mentionné au A des II et III du présent article, le fait de méconnaître :

 

 

 L’obligation de conclure l’accord ou d’établir le plan d’action prévus aux mêmes II et III ;

 

 

 (Supprimé)

 

 

 L’obligation de transmettre sans délai à l’autorité administrative compétente l’accord ou le plan d’action prévus auxdits II et III ;

 

 

 L’obligation pour l’accord ou le plan d’action mentionné au II et le plan d’action mentionné au III de respecter les conditions fixées au second alinéa du A des II et III.

 

 

L’amende est prononcée par l’autorité administrative au terme d’une procédure contradictoire. Son montant tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations prévues au présent article.

 

 

IV bis (nouveau).  Dans un délai de dixhuit mois à cinq ans à compter de son information en application du 1° du I, la personne morale concernée peut faire l’objet d’un nouveau test sur les mêmes critères, afin d’évaluer la mise en œuvre des mesures mentionnées au second alinéa du A des II et III.

 

 

Si le résultat de ce test, après avis du comité mentionné à l’article 2, met en évidence l’insuffisance des mesures mentionnées au second alinéa du A des II et III du présent article pour corriger les pratiques discriminatoires préalablement identifiées, la personne morale concernée est passible de l’amende prévue au IV. Le montant de celleci peut être porté à 5 % des rémunérations et gains mentionnés au premier alinéa du même IV.

 

 

L’amende est prononcée par l’autorité administrative au terme d’une procédure contradictoire. Son montant tient compte des efforts constatés en matière de lutte contre les discriminations ainsi que des motifs de la méconnaissance des obligations prévues au présent article.

 

 

V.  Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article, notamment les domaines d’action que peuvent aborder les recommandations du comité mentionné à l’article 2, le nombre de domaines d’action que l’accord ou le plan d’action doivent couvrir, les éléments obligatoires que ceuxci doivent comporter, les conditions de publication des tests et des recommandations du comité des parties prenantes par le service mentionné à l’article 1er ainsi que les conditions de fixation par l’autorité administrative de l’amende mentionnée au IV du présent article.

 

 

Article 3 bis (nouveau)

Article 3 bis

 

L’article 2251 du code pénal est ainsi modifié :

I.  L’article 2251 du code pénal est ainsi modifié :

 Aux premier et second alinéas, le mot : « patronyme » est remplacé par les mots : « nom de famille » ;

 Aux premier et second alinéas, le mot : « patronyme » est remplacé par les mots : « nom de famille » ;

 Au premier alinéa, après le mot : « résidence », sont insérés les mots : « , de leur domiciliation bancaire » ;

 Au premier alinéa, après le mot : « résidence », sont insérés les mots : « ou de leur domiciliation bancaire » ;

 Au second alinéa, après le mot : « résidence », sont insérés les mots : « , de la domiciliation bancaire ».

 Au second alinéa, après le mot : « résidence », sont insérés les mots : « ou de la domiciliation bancaire ».

 

II (nouveau).  À l’article L. 1311 du code général de la fonction publique, le mot : « patronyme » est remplacé par les mots : « nom de famille ».

 

III (nouveau).  La loi  2008496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations est ainsi modifiée :

 

 Au premier alinéa de l’article 1er, le mot : « patronyme » est remplacé par les mots : « nom de famille » ;

 

 Au dernier alinéa du 3° de l’article 2, le mot : « patronyme » est remplacé par les mots : « nom de famille ».

Article 4

(Supprimé)

Article 4

(Suppression conforme)