N° 468
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2025 (n° 324),
PAR M. Charles de COURSON,
Rapporteur général
Député
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ANNEXE N° 23
Engagements financiers de l’État
Rapporteur spécial : M. Kévin Mauvieux
Député
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SOMMAIRE
___
Pages
Principales observations du rapporteur spÉcial
A. L’encours de la dette négociable de l’État continue de progresser à un rythme croissant
1. L’évolution de l’encours de la dette négociable et de ses caractéristiques
2. Le besoin de financement de l’État sera élevé en 2025
B. La poursuite de la hausse de la charge de la dette
1. Une baisse en trompe-l’œil de la charge de la dette en 2024
C. La charge budgétaire liée à la gestion de la trésorerie de l’État se maintient à un niveau faible
II. Le programme 114 Appels en garantie de l’État
1. Les caractéristiques des PGE accordés
2. Une prévision budgétaire des risques associés aux PGE qui demeure soumise à des aléas importants
C. Les dépenses prévisionnelles liées aux appels en garantie des autres actions du programme
III. Les crédits du programme 145 Épargne
A. Les dépenses liées aux primes d’épargne logement
1. L’accélération de la baisse de l’encours des PEL et CEL en 2023
2. Une forte baisse des dépenses liées aux primes épargne logement depuis 2010
B. L’importance des dépenses fiscales associées au programme
IV. Les crédits du programme 355 Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État
VI. Les crédits du programme 369 Amortissement de la dette liée à la covid‑19
VII. Analyse du verdissement de la mission
A. La progression de l’OAT verte
B. Un impact essentiellement neutre sur l’environnement des dépenses rattachées à la mission
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur spécial
L’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fixe au 10 octobre la date limite pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires. À cette date, 100 % des réponses relatives à la mission étaient parvenues à la commission des finances. Le rapporteur spécial se félicite de ce taux de réponse et remercie l’Agence France Trésor et la direction générale du Trésor pour leur diligence et leur mobilisation malgré un contexte financier exceptionnel. |
Principales observations du rapporteur spÉcial Les crédits de la mission Engagements financiers de l’État renoueraient avec leur croissance en 2025 et s’établiraient à 61,3 milliards d’euros, en hausse de 520,4 millions d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2024 et de 1,3 milliard d’euros par rapport à la prévision actualisée pour 2024. ● Cette hausse est essentiellement due à l’évolution des crédits alloués au programme 117 Charge de la dette et trésorerie de l’État, qui s’élèveraient à 54,2 milliards d’euros en 2025, soit une hausse de 2,8 milliards d’euros par rapport aux crédits prévus en loi de finances initiale pour 2024 (+ 5,5 %) et de 3,6 milliards d’euros par rapport aux crédits prévus à la suite du décret du 21 février 2024 ([1]) (+ 7,2 %). Cette hausse résulte de l’effet de plusieurs mouvements contraires. D’une part, le reflux de l’inflation connu en 2024 devrait se poursuivre en 2025 selon les estimations du Gouvernement, pour s’établir à 1,8 % en moyenne annuelle. Ce ralentissement de l’inflation entraînerait une diminution en 2025 de la provision pour charge d’indexation des titres indexés de 1,2 milliard d’euros, s’établissant à 5,8 milliards d’euros. Malgré cette baisse, la provision pour charge d’indexation demeure à un niveau élevé, alimenté par la hausse structurelle de l’inflation, et qui s’applique à un encours de titres indexés important s’élevant à 280 milliards d’euros. À ce titre, le rapporteur spécial considère que le volume d’encours indexé devrait être réduit afin de préserver les marges de manœuvre financières de l’État en période d’inflation soutenue. En effet, les titres indexés n’ont pas démontré leur rôle contra-cyclique théorique, venant grever les ressources de l’État en période de crise, d’autant plus que les trois-quarts de ces titres sont indexés sur l’inflation de la zone euro, plus élevée que l’inflation française sur la période 2022-2023. La dynamique des recettes fiscales de 2023 et 2024 en deçà des prévisions du Gouvernement confirme l’impossibilité de maîtriser les charges liées aux titres indexés et la nécessité de réduire la part de ces titres au sein de la dette négociable de l’État. Sur le long terme, les incertitudes pesant sur le niveau d’inflation et sa volatilité, dues au changement climatique et aux tensions géopolitiques persistantes, plaident également pour une réduction de l’encours de titres de dette indexés.
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D’autre part, la normalisation de la politique monétaire de la Banque centrale européenne amorcée depuis 2022 expose la France à un environnement de taux d’intérêt de long terme structurellement plus élevés. Les taux d’intérêt des obligations souveraines françaises à 10 ans poursuivraient leur hausse, s’élevant à 3,3 % à la fin de l’année 2024, puis à 3,6 % à la fin de l’année 2025 et à 3,7 % à partir de la fin de l’année 2026. En 2025, cette augmentation des taux aurait un effet de + 1,7 milliard d’euros sur la charge de la dette de l’État. Cet environnement marque la fin de la période exceptionnelle de taux d’intérêt faibles voire négatifs des années 2010. En ce sens, le rapporteur spécial déplore que la France ait poursuivi durant cette période son programme d’émission d’obligations assimilables du Trésor indexées sur l’inflation française (OATi) et européenne (OAT€i), prenant donc délibérément la décision de refuser un endettement gratuit pour un endettement dangereux, incertain et coûteux. Enfin, l’effet volume de + 4,3 milliards d’euros provoqué par la hausse continue de l’encours de dette serait la première cause de l’augmentation de la charge de la dette en 2025. En effet, le rapporteur spécial souligne que les dérapages budgétaires successifs, caractérisés par des déficits publics très élevés en 2023 (5,5 %) et 2024 (6,1 %) ont contribué à accroître excessivement le volume de la dette publique française et à dégrader durablement les conditions de financement de la France. Cette dégradation s’est traduite par une hausse du spread de taux d’intérêt de long terme par rapport à l’Allemagne de 30 points de base depuis le début de l’année 2024, et par des révisions à la baisse par les agences de notation de la qualité de la dette française. Aussi, alors que la qualité de la signature française était un atout qui lui permettait de bénéficier de conditions de financement avantageuses, le rapporteur spécial souligne que l’inaction et l’absence de sérieux des Gouvernements successifs ont conduit à un renchérissement durable de la charge de la dette. En ce sens, les crédits du programme 117 poursuivraient leur envolée en 2026, s’élevant à 59,4 milliards d’euros (+ 9,6 %), et en 2027, atteignant 69 milliards d’euros (+ 16,2 %). À terme, la charge de la dette deviendra le premier poste de dépense de l’État, et le volume de l’encours de dette, conjugué aux taux d’intérêt durablement élevés, devraient entraîner un effet boule de neige sur cette charge, qui ne serait plus maîtrisable.
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● La dotation demandée au titre du programme 114 Appels en garantie de l’État s’élèverait à 985,3 millions d’euros en 2025, en baisse de 917,2 millions d’euros par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2024 (– 48,2 %) et de 817,2 millions d’euros par rapport aux crédits ouverts en 2024 à la suite du décret du 21 février 2024 précité (– 45,3 %). Les appels en garantie au titre des prêts garantis par l’État (PGE) représentent 58 % de la dépense anticipée pour 2025 (571 millions d’euros). Le rapporteur spécial souligne que le coût des PGE pour l’État en 2025 devra faire l’objet d’un suivi attentif compte tenu des écarts successifs entre les prévisions et la matérialisation des dépenses au titre des appels en garantie de l’État en 2023 et 2024, et des incertitudes pesant sur la conjoncture macroéconomique. ● La dotation du programme 145 Épargne poursuivrait son augmentation en 2025, s’élevant à 119,4 millions d’euros, en hausse de 48,3 millions d’euros par rapport à 2024 (+ 68 %). Cette hausse, qui intervient dans un contexte plus général d’extinction progressive des primes d’épargne logement versées par l’État lors de la mobilisation de comptes épargne-logement (CEL) ou de la clôture de plans d’épargne‑logement (PEL), s’explique par des taux d’intérêt de marché structurellement plus élevés, à l’origine d’un écart de rémunération avec d’autres produits d’épargne. Les dépenses fiscales associées au programme se maintiendraient à un niveau élevé de 7,1 milliards d’euros en 2025, favorisé par le coût associé à l’exonération des intérêts de plusieurs produits d’épargne dans un contexte de taux d’intérêt élevés. ● Les crédits alloués en 2025 au programme 355 Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État s’établiraient à 692 millions d’euros en 2025, en baisse de 115 millions d’euros par rapport à 2024 (– 14,3 %). ● La dotation du programme 344 Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats financiers structurés à risque, destiné à aider les collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts dits « toxiques », s’élèverait à 181 millions d’euros, en baisse de 6,7 millions d’euros par rapport à 2024 (– 3,5 %). ● Enfin, le programme 369 Amortissement de la dette liée à la covid-19 serait doté de 5,2 milliards d’euros en crédits de paiement en 2025, un montant en baisse de 1,3 milliard d’euros par rapport à 2024 (– 20,4 %). Le rapporteur spécial rappelle, d’une part, que l’isolement d’une partie de la dette française n’est qu’une mesure d’affichage sans aucun effet réel sur le stock total de dette ni sur les conditions de son financement, et d’autre part, que les prévisions d’ouverture de crédits du programme à l’horizon 2027 remettent sérieusement en cause la trajectoire d’amortissement des 165 milliards d’euros de dette issus de la crise sanitaire en 2042. |
Évolution des crÉdits de la mission Engagements financiers de l’État (en crédits de paiement, en milliards d’euros)
* Crédits de paiement ouverts suite au décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits. Source : commission des finances d’après les documents budgétaires. RÉpartition des crÉdits de la mission par programme
Source : commission des finances d’après les documents budgétaires. |
Les crédits de la mission Engagements financiers de l’État : la confirmation de la tendance haussière de la charge de la dette
Après le point historiquement bas atteint en 2020, les crédits de paiement (CP) de la mission Engagements financiers de l’État ont connu une progression inédite à partir de 2022, due à la hausse de l’inflation et des taux d’intérêt. Si ces crédits ont connu une stabilisation en 2024 du fait du reflux de l’inflation, leur montant s’élèverait en 2025 à 61,3 milliards d’euros, correspondant à une hausse de 520 millions d’euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2024, et de 1,42 milliard d’euros par rapport au niveau des CP à la suite du décret du 21 février 2024 ([2]). Cette augmentation confirme la tendance haussière de long terme de la charge de la dette, qui devrait s’accélérer à l’horizon 2027.
Évolution des crÉdits de la mission Engagements financiers de l’État (À pÉrimÈtre COURANT*)
(en crédits de paiement, en milliards d’euros)
* Le projet de loi de finances pour 2024 a intégré le programme 355 Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État, auparavant intégré à la mission Écologie, développement et mobilité durables, au sein de la mission Engagements financiers de l’État.
** Montant des CP ouverts suite au décret du 21 février 2024.
Source : commission des finances d’après les documents budgétaires.
Cette évolution des crédits proposés sur le périmètre de la mission résulte des évolutions suivantes :
– le programme 117 Charge de la dette et trésorerie de l’État, qui représente 88,4 % des CP de la mission, verrait ses crédits augmenter de 2,8 milliards d’euros (+ 5,5 %) par rapport à la loi de finances initiale pour 2024, et de 3,6 milliards d’euros (+ 7,2 %) par rapport au niveau de crédits à la suite du décret du 21 février 2024. Cette augmentation serait la conséquence d’effets contraires, à la baisse, de la poursuite de la baisse de l’inflation, et à la hausse, de l’augmentation de l’encours total de dette et de la hausse des taux d’intérêt de long terme. Le projet de loi de finances pour 2025 présente en outre une estimation révisée des dépenses de charge de la dette en 2024, qui s’élèveraient à 50 milliards d’euros, en baisse de 1,3 milliard d’euros par rapport aux crédits ouverts en LFI 2024, et en ligne avec l’annulation de 800 millions d’euros de crédits du programme en février 2024 ;
– le programme 114 Appels en garantie de l’État (1,6 % des crédits de la mission) connaîtrait une forte baisse de ses crédits en 2025 (– 917,1 millions d’euros par rapport à la LFI 2024 et – 817,1 millions d’euros par rapport au niveau de crédits à la suite du décret du 21 février 2024), en raison de la diminution des crédits de l’action 03 Financement des entreprises et industrie, retraçant notamment le coût anticipé pour l’État des appels en garantie au titre des PGE ;
– les crédits alloués au programme 145 Épargne (0,2 % des crédits de la mission) connaîtraient une hausse de 48,3 millions d’euros en 2025, sous l’effet de la poursuite de la hausse du nombre de primes versées au titre de la clôture de plans d’épargne-logement (PEL) et comptes épargne-logement (CEL) ;
– le programme 355 Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État (1,1 % des crédits de la mission) verrait ses crédits diminuer de 115 millions d’euros en 2025 ;
– le programme 334 Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats financiers structurés à risque (0,3 % des crédits de la mission) connaîtrait une baisse de ses crédits en 2025 (– 6,7 millions d’euros) ;
– le programme 369 Amortissement de la dette de l’État liée à la covid-19 connaîtrait une forte baisse de ses crédits en 2025 (– 1,3 milliard d’euros), éloignant la trajectoire d’amortissement de la dette du calendrier proposé en loi de finances pour 2022.
Évolution des crÉdits de la mission par rapport À 2024
(en millions d’euros)
|
Autorisations d’engagement |
Crédits de paiement |
||||||||
|
LFI 2024 |
Crédits annulés en 2024* |
PLF 2025 |
Évolution |
Évolution |
LFI 2024 |
Crédits annulés en 2024* |
PLF 2025 |
Évolution |
Évolution |
Programme 117 Charge de la dette et trésorerie de l’État |
51 375,0 |
– 800,0 |
54 207,0 |
+ 2 832,0 + 5,5 % |
+ 3 632,0 + 7,2 % |
51 375,0 |
– 800,0 |
54 207,0 |
+ 2 832,0 + 5,5 % |
+ 3 632,0 + 7,2 % |
Programme 114 Appels en garantie de l’État |
1 902,4 |
– 100,0 |
985,3 |
– 917,1 – 48,2 % |
– 817,1 – 45,3 % |
1 902,4 |
– 100,0 |
985,3 |
– 917,1 – 48,2 % |
– 817,1 – 45,3 % |
Programme 145 Épargne |
71,1 |
– |
119,4 |
+ 48,3 + 68,0 % |
+ 48,3 + 68,0 % |
71,1 |
– |
119,4 |
+ 48,3 + 68,0 % |
+ 48,3 + 68,0 % |
Programme 355 Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l'État |
807,0 |
– |
692,0 |
– 115,0 – 14,3 % |
– 115,0 – 14,3 % |
807,0 |
– |
692,0 |
– 115,0 – 14,3 % |
– 115,0 – 14,3 % |
Programme 344 Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats financiers structurés à risque |
– |
– |
– |
– |
– |
187,7 |
– |
181,0 |
– 6,7 – 3,5 % |
– 6,7 – 3,5 % |
Programme 369 Amortissement de la dette liée à la covid-19 |
– |
– |
– |
– |
– |
6 475,0 |
– |
5 153,5 |
– 1 321,5 – 20,4 % |
– 1 321,5 – 20,4 % |
Total |
54 155,5 |
– 900,0 |
56 003,7 |
+ 1 848,2 + 3,4 % |
+ 2 748,2 + 5,2 % |
60 818,2 |
– 900,0 |
61 338,2 |
+ 520,0 + 0,9 % |
+ 1 420,0 + 2,4 % |
* Crédits annulés par le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
Source : commission des finances d’après le projet de loi de finances pour 2025.
D’après les prévisions du Gouvernement, les crédits de la mission poursuivraient leur envolée en 2026 (+ 5,7 milliards d’euros) et en 2027 (+ 9,9 milliards d’euros). Cette forte hausse serait entièrement provoquée par l’explosion de la charge de la dette de l’État. Le rapporteur spécial s’alarme de cette dynamique, qui traduit l’ancrage d’un effet boule de neige de l’endettement public.
Il est important de rappeler que les crédits relatifs à la charge de la dette et à la trésorerie de l’État (programme 117), à la charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État (programme 355) ainsi que ceux alloués aux appels en garantie de l’État (programme 114) ne sont pas limitatifs, comme la plupart des autres crédits du budget général, mais évaluatifs.
L’article 10 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ([3]) prévoit que ces crédits, dont le champ est strictement limité ([4]), peuvent faire l’objet de dépassements sans autorisation budgétaire. Le Gouvernement doit cependant informer les commissions des finances de l’Assemblée et du Sénat des motifs du dépassement et des perspectives d’exécution jusqu’à la fin de l’année, et proposer des ouvertures de crédits dans le projet de loi de finances suivant afférent à l’année concernée.
Cette dérogation à l’autorisation parlementaire s’explique par la nécessité pour l’État de couvrir certaines charges obligatoires ou quasi obligatoires alors qu’elles sont peu pilotables, du fait de l’évolution des taux d’intérêt. Les modifications pouvant être proposées au cours de l’examen parlementaire ont une portée plus limitée que dans le cas des crédits limitatifs.
I. Les crédits du programme 117 Charge de la dette et trésorerie de l’État retrouvent en 2025 une tendance haussière qui devrait s’accélérer sur le moyen terme
Principaux éléments du programme 117
Après une baisse en trompe-l’œil de la charge de la dette en 2024, portée par le ralentissement de l’inflation et la baisse des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne, la charge de la dette poursuivrait sa hausse de long terme en 2025, s’élevant à 53,54 milliards d’euros, en hausse de 3,6 milliards d’euros par rapport à la prévision actualisée pour 2024.
Cette hausse serait portée par la stabilisation des taux d’intérêt de long terme à des niveaux structurellement élevés et par la dynamique de progression de l’encours de dette depuis 2020. Cet encours s’élevait à 2 579 milliards d’euros au 31 août 2024.
La charge de la trésorerie augmenterait sensiblement par rapport à la prévision actualisée pour 2024, pour s’élever à 671 millions d’euros en 2025.
Au total, 54,2 milliards d’euros sont demandés en AE et CP au titre du programme 117 en 2025. La progression de cette dotation s’amplifierait à 59,4 milliards d’euros (+ 5,2 milliards d’euros) fin 2026 et à 69 milliards d’euros (+ 9,6 milliards d’euros) fin 2027.
A. L’encours de la dette négociable de l’État continue de progresser à un rythme croissant
1. L’évolution de l’encours de la dette négociable et de ses caractéristiques
● À la fin de l’année 2023, l’encours total de la dette s’est établi à 2 430 milliards d’euros en valeur actualisée, en hausse de 152 milliards d’euros par rapport à 2022. Depuis le choc de dette de l’année 2020 (+ 178 milliards d’euros), le rythme de progression moyen de l’encours de la dette négociable sur la période 2019-2023 atteint 151 milliards d’euros, et se situe à un niveau plus de 2,3 fois supérieur à celui observé entre 2012 et 2019 (+ 64 milliards d’euros par an).
Évolution de l’encours de la dette négociable de l’État
(en milliards d’euros)
À la fin de l’année |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Encours de la dette de l’État, valeur actualisée |
1 313 |
1 386 |
1 457 |
1 528 |
1 576 |
1 621 |
1 686 |
1 756 |
1 823 |
2 001 |
2 145 |
2 278 |
2 430 |
Augmentation annuelle de l’encours |
+ 84 |
+ 73 |
+ 70 |
+ 71 |
+ 49 |
+ 44 |
+ 66 |
+ 70 |
+ 67 |
+ 178 |
+ 144 |
+ 133 |
+ 152 |
Source : commission des finances d’après les documents budgétaires.
Au 31 août 2024, l’encours de la dette négociable de l’État s’élevait à 2 579 milliards d’euros en valeur actualisée, soit une hausse 149 milliards d’euros par rapport à la fin de l’année 2023.
Selon l’Agence France Trésor (AFT), l’encours de la dette négociable de l’État s’élèverait à 2 545 milliards d’euros en valeur nominale à la fin de l’année 2024, et poursuivrait sa hausse en 2025 pour atteindre 2 670,8 milliards d’euros en valeur nominale à la fin de l’année. Cependant, cette information donne une vision incomplète de l’évolution de l’encours de la dette négociable de l’État, car elle ne tient pas compte du supplément d’indexation donc de la valeur actualisée de la dette. En ce sens, le rapporteur spécial déplore la disparition, dans le projet annuel de performances (PAP) relatif à la mission Engagements financiers de l’État annexé au projet de loi de finances, des prévisions de l’évolution de l’encours de la dette négociable de l’État en valeur actualisée pour les années 2024 et 2025. Le même document annexé au PLF 2024 présentait les perspectives de l’encours de la dette négociable de l’État pour les années 2023 et 2024.
● La part des bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté (BTF) dans l’encours de la dette négociable de l’État au 31 août 2024 est de 7,6 % (soit 197 milliards d’euros), en hausse par rapport au niveau fin 2023 (7 %, soit 169 milliards d’euros). Les BTF sont mobilisés par l’AFT comme outil d’absorption de chocs entraînant un besoin de financement soudain.
● Après plusieurs années marquées par un allongement de la durée de vie moyenne de la dette négociable de l’État, celle-ci s’est stabilisée depuis 2022, et s’élève à 8 ans et 173 jours fin août 2024, en légère hausse par rapport à la fin de l’année 2023. L’allongement de cette durée de vie moyenne, mené par l’AFT à la faveur d’une période de taux d’intérêt historiquement bas, rend la charge de la dette plus résiliente à moyen terme face à la remontée structurelle des taux observée depuis 2022.
Évolution de la durÉe de vie de la dette nÉgociable de l’État
Année |
fin 2015 |
fin 2016 |
fin 2017 |
fin 2018 |
fin 2019 |
fin 2020 |
fin 2021 |
fin 2022 |
fin 2023 |
fin août 2024 |
Durée de vie moyenne de la dette négociable (après swaps) |
7 ans et 47 jours |
7 ans et 195 jours |
7 ans et 296 jours |
7 ans et 336 jours |
8 ans et 63 jours |
8 ans et 73 jours |
8 ans et 153 jours |
8 ans et 184 jours |
8 ans et 168 jours |
8 ans et 173 jours |
Source : rapports annuels de l’Agence France Trésor.
Cet allongement a découlé de la hausse de la maturité moyenne des émissions de l’AFT, qui est passée de 8,1 ans en 2012 à 12,4 ans en 2021, en réponse à la demande des investisseurs en recherche de rendement dans un environnement de taux bas. La remontée des taux d’intérêt a conduit en 2023 à un retournement de cette tendance. Le rapporteur spécial retient de ces éléments que les arbitrages de la France en matière de maturité de la dette sont réalisés dans l’intérêt des investisseurs et de la finance plutôt que dans celui de la France et des Français, avec pour conséquence la dégradation des marges de manœuvre de l’État pour le financement des politiques publiques.
En effet, le rapporteur spécial relève que les taux d’intérêt demandés sont généralement plus élevés lorsque la maturité des titres est plus longue, la prime de risque étant logiquement d’autant plus importante que la durée de l’emprunt est longue, en dehors des épisodes exceptionnels d’inversion de la courbe des taux qui anticipent les récessions. La stratégie d’allongement de la durée de vie de la dette tend donc à augmenter mécaniquement la charge de la dette à terme, hors effets liés aux variations des taux dans la durée.
● La part de la dette négociable détenue par des non-résidents a diminué de près de 16 points entre 2014 et 2021, ce qui s’explique essentiellement par les achats de la Banque de France dans le cadre des programmes d’achats de titres de l’Eurosystème ([5]). Dans un contexte de normalisation des politiques monétaires, l’arrêt des programmes d’achats d’actifs à compter du 1er juillet 2022 et la fin des réinvestissements de ces actifs à compter du 1er mars 2023 ont conduit à une inversion de cette tendance. À la fin du premier semestre 2024, la part de la dette négociable détenue par des non-résidents s’élevait ainsi à 54,6 % (+ 6,8 points par rapport à 2021), soit un niveau proche de celui de 2017.
Détention par les non-résidents de la dette négociable de l’État
(en pourcentage)
Date |
Détention par des non-résidents |
31 décembre 2010 |
67 |
31 décembre 2011 |
64 |
31 décembre 2012 |
61,9 |
31 décembre 2013 |
63,5 |
31 décembre 2014 |
63,6 |
31 décembre 2015 |
61,9 |
31 décembre 2016 |
58,3 |
31 décembre 2017 |
54,5 |
31 décembre 2018 |
52,3 |
31 décembre 2019 |
53,6 |
31 décembre 2020 |
50,1 |
31 décembre 2021 |
47,8 |
31 décembre 2022 |
50,1 |
31 décembre 2023 |
53,2 |
30 juin 2024 |
54,6 |
Source : Banque de France.
La part de la dette négociable détenue par des non-résidents varie toutefois fortement selon l’instrument de dette. Aussi, au premier semestre de 2024 :
– les BTF sont détenus à 83,4 % des non-résidents, car ils constituent un instrument privilégié de placement des réserves de change pour les portefeuilles de liquidité des banques centrales, et jouent un rôle de collatéral dans le cadre de transactions sur des produits dérivés ;
– la part des OAT nominales détenue par des non-résidents s’élève à 44,5 %, tandis que cette part est plus faible pour les OAT indexées sur l’inflation européenne (32,5 %) et a fortiori pour les OAT indexées sur l’inflation française (19,5 %), prisées par les investisseurs nationaux pour rémunérer les produits d’épargne réglementée.
Le rapporteur spécial regrette que l’État ne puisse pas connaître la nationalité et l’activité des détenteurs des obligations souveraines françaises. En effet, l’article L. 228-2 du code de commerce interdit aux personnes morales de droit public de connaître l’identité des détenteurs de leurs titres de dette. Cette disposition empêche l’État d’avoir accès à une information stratégique cruciale, qui permettrait d’éviter une trop forte concentration des détenteurs de la dette publique française. L’absence de connaissance des détenteurs de la dette de l’État accroît le risque d’opérations malveillantes coordonnées sur la dette publique.
2. Le besoin de financement de l’État sera élevé en 2025
Les émissions de titres de dette constituent la principale modalité de couverture du besoin de financement de l’État. Aussi, l’encours de la dette négociable dépend du niveau du besoin de financement. Ce besoin de financement comprend à la fois l’amortissement de la dette (le fait de faire « rouler » la dette ne conduisant pas à une hausse de son encours total) et le déficit à financer (qui se traduit pour sa part essentiellement par une hausse de cet encours).
● En 2024, d’après les estimations du projet de loi de finances pour 2025, le besoin de financement de l’État dépasserait de 22,2 milliards d’euros les prévisions de la loi de finances initiale pour 2024, s’établissant à 319,4 milliards d’euros. Cet écart est essentiellement le résultat d’un déficit budgétaire de l’État supérieur de 19,7 milliards d’euros à la prévision initiale.
● En 2025, le besoin de financement de l’État s’élèverait à 313,2 milliards d’euros (– 6,2 milliards d’euros par rapport à la prévision actualisée pour 2024). Il serait constitué d’un déficit budgétaire de 142,1 milliards d’euros (– 24,5 milliards d’euros) et d’amortissements de titres à moyen et long termes de 174,8 milliards d’euros en valeur actualisée (+ 19,7 milliards d’euros).
Ce besoin de financement serait couvert par des émissions de dette à moyen et long termes s’élevant à 300 milliards d’euros, un niveau inédit (+ 15 milliards d’euros par rapport à 2024), tandis que la variation de l’encours de titres de court terme serait modérée, s’élevant à 5 milliards d’euros. Le rapporteur spécial conteste néanmoins la fiabilité de la prévision de variation de l’encours de titres de court terme, qui en 2023 et 2024 a essentiellement servi de variable d’ajustement pour financer sur le court terme les dérapages budgétaires successifs. Ces dérapages se traduisent par un écart de + 30,1 milliards d’euros sur le volume des encours de titres de court terme entre la prévision actualisée pour 2024 et celle de la LFI 2024.
Par ailleurs, les 5,2 milliards d’euros affectés à la Caisse de la dette publique (CDP) pour amortir la dette de l’État liée à la covid-19 contribuent également au financement des besoins de l’année.
Évolution du besoin de financement et de sa couverture
(en milliards d’euros)
|
Exécution 2020 |
Exécution 2021 |
Exécution 2022 |
Exécution 2023 |
LFI 2024 |
Révision 2024 |
PLF 2025 |
Écart 2025 / 2024 |
Besoin de financement |
309,5 |
285,2 |
280,0 |
314,6 |
297,2 |
319,4 |
313,2 |
– 7,2 |
Amortissement de titres d’État à moyen et long termes |
136,1 |
118,3 |
145,7 |
149,6 |
155,3 |
155,1 |
174,8 |
+ 19,7 |
Valeur nominale |
130,5 |
117,5 |
140,8 |
144,5 |
151,1 |
151,1 |
172,7 |
+ 21,6 |
Suppléments d’indexation versés à l’échéance (titres indexés) |
5,6 |
0,8 |
5,0 |
5,1 |
4,2 |
4,0 |
2,1 |
– 1,9 |
Amortissement de dettes reprises par l’État hors SNCF Réseau |
0,5 |
0 |
0,0 |
0,9 |
0 |
0 |
0 |
+ 0,0 |
Amortissement de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État |
1,7 |
1,3 |
3,0 |
2,1 |
2,7 |
2,7 |
1,1 |
– 1,6 |
Déficit à financer |
178,1 |
170,7 |
151,4 |
173,0 |
146,9 |
166,6 |
142,1 |
– 24,5 |
Autres besoins de financement (*) |
– 6,9 |
– 5,1 |
– 20,2 |
– 11,0 |
– 7,7 |
– 5,0 |
– 4,8 |
+ 0,2 |
Ressources de financement |
309,5 |
285,2 |
280,0 |
314,6 |
297,2 |
319,4 |
313,2 |
– 7,2 |
Émissions à moyen et long termes nettes des rachats |
260,0 |
260,0 |
260,0 |
270,0 |
285,0 |
285,0 |
300,0 |
+ 15,0 |
Ressources affectées à la Caisse de la dette publique et consacrées au désendettement (amortissement de la dette liée à la covid-19) |
– |
– |
1,9 |
6,6 |
6,5 |
6,5 |
5,2 |
– 1,3 |
Variation des BTF (+ si augmentation de l’encours ; – sinon) |
+ 54,7 |
– 6,2 |
– 6,9 |
+ 20,8 |
+ 5,2 |
+ 35,3 |
+ 5,0 |
– 30,3 |
Variation des dépôts des correspondants (+ si augmentation de l’encours ; – sinon) |
+ 27,8 |
+ 18,7 |
+ 1,1 |
– 11,5 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
+ 0,0 |
Variation des disponibilités du Trésor à la Banque de France et des placements de trésorerie de l’État (+ si diminution ; – sinon) |
– 63,4 |
– 4,4 |
+ 35,2 |
+ 47,6 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
+ 0,0 |
Autres ressources de trésorerie (dont primes à l’émission) |
+ 30,4 |
+ 17,2 |
– 11,3 |
– 18,8 |
+ 0,5 |
– 7,4 |
+ 3,0 |
+ 10,4 |
(*) La ligne « autres besoins de financement » présente des montants négatifs car elle inclut la neutralisation de la provision annuelle pour charge d’indexation du capital des titres indexés. Cette provision est en effet inscrite en dépense dans le déficit budgétaire à financer alors qu’elle ne génère pas de besoin en trésorerie.
Source : projets annuels de performances.
● Le rapporteur spécial rappelle que le déficit présenté dans ce tableau de financement, qui contribue au niveau du besoin de financement annuel, constitue un meilleur indicateur de la situation de la dette publique que le ratio de dette rapportée au PIB. Le déficit est en effet le fait générateur principal de la progression de l’encours de dette, qui n’est qu’imparfaitement mesurée par le taux d’endettement rapporté au PIB.
● Après avoir atteint un niveau exceptionnellement élevé de 30,7 milliards d’euros en 2020, dans un contexte de taux négatifs, le montant des primes nettes des décotes est devenu négatif en 2022, pour atteindre un point historiquement bas en 2023 (– 22 milliards d’euros). En 2024, si ce montant était anticipé à un niveau nul par la loi de finances initiale, la persistance de taux d’intérêt supérieurs à ceux des années 2010 conduit à anticiper un surplus de décotes par rapport aux primes, qui s’élève au 30 septembre 2024 à 11,2 milliards d’euros. Ce surplus des décotes par rapport aux primes explique la dégradation de la ligne « Autres ressources de trésorerie » dans le tableau de financement pour 2024.
Le rapporteur spécial souligne que les prévisions sur les primes et décotes retenues par les lois de finances pour 2023 et 2024 étaient fragiles, compte tenu de la sensibilité du solde des primes et décotes aux variations des taux d’intérêt ainsi qu’aux caractéristiques des titres émis en cours d’année. Cette fragilité devrait demeurer en 2025, alors que la ligne « Autres ressources de trésorerie » du tableau de financement pour 2025 présente un surplus de 3 milliards d’euros.
Aussi, pour la fin de l’année 2024 et pour 2025, l’AFT n’effectue pas d’hypothèses sur les montants d’émissions de primes nettes des décotes, compte tenu de l’incertitude sur les titres émis et la demande des investisseurs.
Les primes et décotes à l’émission
Les émissions de titres donnent lieu à des primes (ou décotes), lorsque le taux facial de l’obligation (ou taux de coupon) est différent du taux de marché. Ainsi, si le taux facial est supérieur au taux de marché à l’émission du titre, les souscripteurs paient à l’émission un prix d’achat supérieur à la somme qui sera remboursée à l’échéance : une prime à l’émission est alors enregistrée. Dans la situation contraire, une décote à l’émission est enregistrée.
Cette situation résulte en premier lieu de l’émission de titres sur des souches dites anciennes, porteuses de taux différents des taux de marché.
L’émission de titres à partir de souches anciennes résulte du recours, pour une partie des émissions, à la technique d’assimilation qui consiste à abonder une même « ligne » ou « souche » de dette à plusieurs reprises pour améliorer la liquidité de la dette en répondant aux attentes de taux et de maturité des investisseurs. D’un point de vue de coût actuariel, il est équivalent d’émettre un titre au taux du marché et d’émettre un titre à partir d’une souche ancienne à un taux différent de celui de marché avec une prime ou une décote à l’émission qui reflète le taux du marché.
En second lieu, l’existence de taux négatifs en 2020 et 2021 a conduit à l’enregistrement d’un volume élevé de primes à l’émission : l’AFT ne pouvant émettre des titres à taux négatif, il existait mécaniquement un écart entre le taux de l’émission de titres de référence (les nouvelles souches) et le taux de marché, ce qui générait des primes à l’émission.
Depuis 2022, cette tendance s’est inversée sous l’effet de la remontée des taux d’intérêt, de sorte que les décotes à l’émission sont désormais prépondérantes par rapport aux primes.
Le traitement comptable des primes à l’émission
Les primes à l’émission représentent une ressource de trésorerie pour l’État, au sens de l’article 2 de la loi organique relative aux lois de finances. Ainsi, les primes d’émissions conduisent à des encaissements qui viennent réduire le besoin de financement de l’État et donc, toutes choses égales par ailleurs, le volume d’émission de dette publique de l’année. Ce gain initial se résorbe cependant progressivement, au fur et à mesure que les coupons versés à des taux supérieurs aux taux de marché accroissent le besoin de financement de l’État.
La charge financière en comptabilité budgétaire correspond donc aux décaissements liés aux intérêts servis, conformément au taux de coupon.
Au sens de la comptabilité générale et de la comptabilité nationale « maastrichtienne », les primes et décotes à l’émission sont en revanche amorties de façon étalée sur toute la durée de vie du titre ; la charge financière correspond dès lors au taux d’intérêt de marché issu de l’adjudication. Malgré la prépondérance des décotes à l’émission sur les primes depuis 2022, l’étalement de ces primes et décotes contribuerait encore à alléger la charge de la dette en 2024 (à hauteur de – 4,8 milliards d’euros au 30 septembre 2024) au sens de la comptabilité maastrichtienne, le stock de primes nettes à étaler demeurant positif. En 2023, cet effet de passage entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité maastrichtienne s’élevait à – 8,6 milliards d’euros.
D’après les données transmises par l’AFT au rapporteur spécial, le stock de primes nettes des décotes à étaler s’établit en 2024 à environ 47,5 milliards d’euros, en baisse de 30,7 milliards d’euros par rapport à 2023.
Volume et étalement des primes et décotes à l’émission
(en milliards d’euros)
|
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 (*) |
Stock de primes à étaler en début de période |
18,8 |
21,4 |
27,1 |
30,7 |
34,0 |
52,0 |
65,6 |
69,5 |
73,1 |
85,2 |
105,2 |
111,3 |
104,3 |
92,8 |
Primes à l’émission |
5,7 |
9,5 |
8,0 |
8,0 |
24,2 |
21,2 |
12,1 |
12,2 |
21,4 |
30,9 |
18,8 |
6,3 |
0,9 |
3,6 |
Amortissement des primes |
3,1 |
3,8 |
4,4 |
4,8 |
6,2 |
7,7 |
8,2 |
8,6 |
9,3 |
10,9 |
12,7 |
13,2 |
12,4 |
8,6 |
Stock de décotes à étaler en début de période |
10,0 |
11,9 |
10,7 |
11,3 |
10,5 |
10,3 |
9,3 |
9,4 |
9,0 |
8,0 |
7,0 |
8,0 |
26,1 |
45,3 |
Décotes à l’émission |
3,3 |
0,3 |
2,0 |
0,6 |
1,5 |
0,5 |
1,6 |
0,8 |
0,2 |
0,2 |
1,9 |
19,8 |
22,9 |
14,8 |
Amortissement des décotes |
1,4 |
1,5 |
1,4 |
1,5 |
1,6 |
1,5 |
1,4 |
1,3 |
1,3 |
1,1 |
1,0 |
1,7 |
3,8 |
3,8 |
Primes nettes des décotes |
2,5 |
9,2 |
6,0 |
7,4 |
22,7 |
20,8 |
10,5 |
11,3 |
21,2 |
30,7 |
16,8 |
– 13,6 |
– 22,0 |
– 11,2 |
Effet net sur la dépense annuelle mesurée en comptabilité générale |
– 1,8 |
– 2,3 |
– 3,0 |
– 3,2 |
– 4,6 |
– 6,2 |
– 6,8 |
– 7,3 |
– 8,0 |
– 9,8 |
– 11,8 |
– 11,5 |
– 8,6 |
– 4,8 |
(*) au 30 septembre 2024.
Source : commission des finances d’après les données de l’AFT.
B. La poursuite de la hausse de la charge de la dette
1. Une baisse en trompe-l’œil de la charge de la dette en 2024
En 2025, la charge de la dette de l’État portée par l’action 01 Dette du programme 117 s’élèverait à 53,54 milliards d’euros, en hausse de 2,68 milliards d’euros par rapport à la prévision initiale de 2024 (+ 5,3 %), et de 3,6 milliards d’euros par rapport à la prévision actualisée pour 2024 (+ 7,2 %).
En effet, le projet de loi de finances pour 2025 réévalue à la baisse la charge de la dette au titre de 2024 à 49,94 milliards d’euros, contre 50,86 milliards d’euros prévus en loi de finances initiale (soit – 926 millions d’euros), pour tenir compte de la baisse des taux de long terme intervenue en 2024 et du reflux de l’inflation plus important qu’anticipé en loi de finances initiale. Cette évolution avait déjà été prise en compte par le décret du 21 février 2024 précité, qui a annulé 800 millions d’euros de crédits de paiement du programme 117.
Évolution de la charge de la dette de l’État
(en milliards d’euros, en crédits de paiement)
Source : commission des finances d’après les documents budgétaires.
La charge budgétaire de la dette diminuerait de 4,5 milliards d’euros entre 2023 et la prévision révisée de 2024. Cette baisse s’explique essentiellement par un effet inflation (– 8,9 milliards d’euros) en raison de la diminution de l’inflation en France et en zone euro, ainsi que par un effet taux (– 0,5 milliard d’euros) porté par la baisse des taux de long terme. Ces effets sont partiellement compensés par un effet volume (+ 3,9 milliards d’euros) provoqué par l’augmentation de l’encours de dette négociable. Des effets calendaires sur les opérations de l’année expliqueraient une variation de + 1,2 milliard d’euros entre 2023 et 2024.
L’augmentation de la charge de la dette entre la prévision révisée pour 2024 et 2025 (+ 3,6 milliards d’euros) s’expliquerait par les facteurs suivants :
– un effet volume de + 4,3 milliards d’euros ;
– un effet taux de +1,7 milliard d’euros résultant de la hausse des taux de long terme (+ 2,3 milliards d’euros), partiellement compensée par un effet taux négatif sur la dette de court terme (– 0,6 milliard d’euros) en raison des baisses de taux directeurs de la BCE ;
– un effet inflation de – 1,5 milliard d’euros en raison du reflux attendu de l’inflation ;
– la variation de la charge de la dette due à des effets calendaires (‑ 0,9 milliard d’euros).
La part des dépenses de charge de la dette et de la trésorerie dans le budget de l’État progresserait à nouveau en 2025 pour atteindre 12,1 %, soit un niveau dépassant celui de 2019.
Part de la charge de la dette et de la trésorerie dans le budget général de l’État
(en pourcentage des crédits de paiement, hors mission Remboursements et dégrèvements)
Source : commission des finances d’après la documentation budgétaire.
Ainsi, les dépenses du programme 117 Charge de la dette et trésorerie auraient en 2025 un impact supérieur sur le solde public à celui des crédits budgétaires alloués à la mission Défense (50,5 milliards d’euros hors contribution au compte d’affectation spéciale Pensions).
2. Un encours de dette indexée sur l’inflation porteur d’une charge de la dette toujours trop élevée en 2025
● L’inflation a un impact direct sur la charge de la dette française en raison de l’existence d’un encours de dette de moyen et long termes indexé sur l’inflation française et européenne. Depuis 1998, l’AFT émet en effet des obligations indexées sur l’inflation, c’est-à-dire des titres de dette dont le principal, qui doit être remboursé à l’échéance, augmente chaque année avec l’inflation constatée.
Ainsi, depuis 2009, la cible d’émission de titres de dette de moyen et long termes indexés sur l’inflation est d’environ 10 % du programme de financement annuel de l’AFT. La valeur des émissions effectivement réalisées varie cependant en fonction de la demande exprimée par les investisseurs.
En 2023, cette proportion s’est élevée à 9,1 % après un point bas en 2020 (7,7 %) dû à l’augmentation des volumes émis en obligations assimilables du Trésor (OAT) nominales et à une demande moins dynamique dans un environnement de taux réels très faibles. La hausse significative des anticipations d’inflation en 2021 et 2022 a entraîné une augmentation de la demande sur ce marché qui a conduit à une hausse des émissions de titres indexés. Au 31 août 2024, selon l’AFT, les émissions de titres indexés de l’année comptaient pour 7,7 % du programme de financement total de 285 milliards d’euros, cette part devant continuer à progresser jusqu’à la fin de l’année sous l’effet des nouvelles émissions.
Conformément au programme de financement pour 2024 publié le 13 décembre 2023, une nouvelle OAT indexée sur l’inflation européenne (OAT€i) de taux 0,95 % et de maturité 25 juillet 2043 a été créée (4 milliards d’euros émis par syndication le 22 mai 2024).
Proportion des OAT indexÉes dans les Émissions nettes de moyen et long termes
(en pourcentage)
Note : Les données présentées pour 2024, arrêtées au 31 août, sont rapportées à l’ensemble du programme d’émissions de moyen et long termes de l’année, soit 285 milliards d’euros. La proportion d’OAT indexées dans les émissions de moyen et long termes devrait donc s’établir à un niveau plus élevé en fin d’année.
Source : AFT.
● À la fin du mois d’août 2024, l’encours de dette indexé sur l’inflation représentait environ 280 milliards d’euros, soit 11,8 % de l’encours de dette de moyen et long termes de l’État. 73,7 % de cette fraction d’encours sont composés d’OAT indexées sur l’inflation européenne (OAT€i) ; les 26,3 % restants sont indexés sur l’inflation française (OATi) ([6]).
Encours de dette indexÉ sur l’inflation
|
Au 31 décembre 2023 |
Au 31 août 2024 |
||
|
En milliards d’euros |
En % de la dette de moyen et long termes |
En milliards d’euros |
En % de la dette de moyen et long termes |
Encours total de la dette négociable |
2 430 |
|
2 579 |
|
Encours de dette de moyen et long termes |
2 261 |
|
2 382 |
|
Dont titres indexés |
271 |
12,0 % |
280 |
11,8 % |
sur l’inflation française |
66 |
2,9 % |
71 |
3,0 % |
sur l’inflation européenne |
206 |
9,1 % |
209 |
8,8 % |
Note : montants arrondis à l’unité supérieure.
Source : AFT.
● Les obligations indexées sur l’inflation répondent à une demande des investisseurs qui souhaitent se protéger contre le risque d’inflation et maintenir le pouvoir d’achat de leurs investissements ou diversifier la composition de leur portefeuille. Les OAT indexées sur l’inflation sont proportionnellement plus recherchées par les investisseurs nationaux, notamment celles qui sont indexées sur l’inflation française (détenues à 80,5 % par les investisseurs français au premier semestre 2024). Cela s’explique notamment par le besoin de couverture des engagements d’épargne réglementée (livret A), dont le taux est lié à l’inflation, au moyen de produits indexés sur l’inflation française.
Le Royaume-Uni figure parmi les premiers pays à avoir émis des titres de dette indexée, en 1981. Le pays dispose aujourd’hui de la part la plus importante de dette indexée sur l’inflation (environ 23 % en valeur actualisée) en raison de la forte activité du secteur des fonds de pension, ceux-ci cherchant à protéger la valeur des pensions contre le risque d’inflation. Malgré une réduction des émissions de titres indexés menée dès 2018 au Royaume-Uni afin de réduire la sensibilité de la charge de la dette à l’inflation, la part de l’encours indexé s’est maintenue autour de 23 % à la fin 2023 sous l’effet de l’indexation du capital en période d’inflation soutenue.
Cette stratégie de réduction des émissions de titres indexés est partagée par l’Allemagne, qui a cessé d’émettre de nouvelles souches d’obligations indexées sur l’inflation à compter du 1er janvier 2024. La part de titres indexés dans la dette des autres pays voisins de la France s’explique par la date de démarrage des différents programmes, l’existence de programmes d’épargne indexés sur l’inflation à destination des particuliers et par le volume des dettes concernées (plus le volume de dette est important, plus le besoin de diversification des produits est fort).
Part de la dette indexée dans l’encours de dette de moyen et long termes
(en pourcentage)
Note : la part de la dette indexée inclut le supplément d’indexation. Données au 24 octobre 2024.
Source : AFT et Bloomberg.
Aussi, le rapporteur spécial regrette que, malgré un niveau d’encours d’obligations indexées sur l’inflation qui demeure limité à environ 12 % de la dette de moyen et long termes, la France s’inscrit désormais à contre-courant de ses voisins européens qui visent à réduire leur volume d’émission d’obligations souveraines indexées. Cette tendance expose davantage la charge de la dette publique française à la volatilité de l’inflation.
● Afin de retracer la charge budgétaire correspondant au coût représentatif de l’indexation des obligations – le coût supplémentaire lié à l’inflation étant en réalité payé au moment du remboursement du titre –, il a été décidé qu’une provision pour inflation serait inscrite chaque année en loi de finances ([7]), par exception au principe de comptabilité de caisse de la comptabilité budgétaire.
Entre 1998 et 2021, la provision annuelle pour charge d’indexation des titres avait atteint au maximum 4,6 milliards d’euros, au cours de l’exercice 2008. Sous l’effet d’une inflation plus faible qu’anticipé, les gains cumulés pour le budget de l’État du programme de dette indexée s’élevaient selon le Gouvernement à un niveau compris entre 15 et 25 milliards d’euros à la fin de l’année 2021. Toutefois, les provisions très élevées enregistrées en 2022 (15,5 milliards d’euros) et 2023 (15,8 milliards d’euros) à la suite du choc inflationniste ont dégradé le bilan financier pour l’État de l’indexation d’une partie de sa dette. Entre 2022 et 2023, les provisions pour indexation du capital des titres indexés auraient entraîné une perte estimée entre 19 et 21 milliards d’euros.
En 2024, ce bilan continuerait de se dégrader sous l’effet d’une provision pour indexation du capital des titres indexés de 7,0 milliards d’euros, en baisse de 8,8 milliards d’euros par rapport à 2023 en raison du reflux de l’inflation. Le Gouvernement prévoit la poursuite de la modération du montant de cette provision en 2025, qui s’établirait à 5,8 milliards d’euros. Le niveau de la provision demeurerait toutefois structurellement supérieur à celui connu avant 2022.
Bilan budgétaire du programme d’émissions indexées depuis sa création
(en milliards d’euros)
Source : rapport sur la dette des administrations publiques annexé au projet de loi de finances pour 2025.
Modification de la méthode d’estimation de l’impact budgétaire cumulé du programme d’obligations indexées
Le rapport sur la dette des administrations publiques annexé au projet de loi de finances pour 2025 a opéré deux modifications à la méthodologie d’estimation des gains et coûts budgétaires du recours aux OATi et aux OAT€i :
– D’une part, l’impact budgétaire brut tient désormais compte des économies liées au moindre endettement lié à la provision pour indexation du capital (barre bleue foncée « Gain actuariel »). En effet, si cette provision est inscrite dans le budget général, elle ne donne pas lieu à un décaissement immédiat, mais est uniquement payée lors du remboursement effectif de l’obligation indexée. Aussi, la provision ne se traduit pas immédiatement par un endettement supplémentaire, qui entraînerait des dépenses en termes de charge de la dette ;
– D’autre part, l’effet du report de l’absence d’émissions d’obligations indexées sur les émissions d’obligations nominales et sur leur taux d’intérêt est désormais intégré au modèle (lignes oranges). Cette projection repose sur l’idée qu’en l’absence d’obligations indexées, la hausse de l’encours d’obligations nominales se traduirait par une hausse du taux d’intérêt de celles-ci, lié à l’accroissement du risque induit par une hausse du volume de dette nominale. Le rapport estime cet effet à une hausse de 1 à 5 points de base.
Le cumul de ces deux modifications se traduirait par un gain budgétaire cumulé supérieur du recours aux obligations indexées de plus de 15 milliards d’euros par rapport à la méthodologie antérieure.
Le rapporteur spécial conteste toutefois les hypothèses retenues en termes de hausse des taux d’intérêt des obligations nominales en l’absence d’obligations nominales. Elles reposent sur une littérature économique lacunaire et la solidité de la signature de la dette française a permis à la France, jusqu’en 2023, de se financer à des taux d’intérêt nominaux avantageux.
Avec cette provision, la charge de la dette indexée se comporte en principe de manière contracyclique : elle augmente quand l’inflation et les rentrées fiscales augmentent ; au contraire, elle diminue en période de ralentissement de l’inflation ou de récession, comme par exemple en 2020.
Le rapporteur spécial rappelle cependant que cette provision pour inflation pèse sur le déficit budgétaire en période de forte inflation et réduit d’autant les marges de manœuvre pour financer d’autres politiques publiques et notamment les mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages – lesquelles ont représenté des montants de dépenses très importants depuis 2020.
Son inquiétude est d’autant plus forte que les trois quarts des titres indexés le sont sur l’inflation européenne, dont le niveau s’est avéré bien supérieur à l’inflation française en 2022 et sur laquelle le Gouvernement n’a aucun moyen d’action. Les recettes engrangées par l’inflation française ne couvrent donc pas le dérapage de la charge de la dette qui augmente majoritairement en lien avec l’inflation européenne, bien supérieure.
Évolution du glissement annuel de l’inflation en France et en zone euro (janvier 2007 – août 2024)
(données mensuelles en pourcentage d’évolution)
Source : commission des finances d’après Insee, Eurostat et AFT.
Les modalités de calcul de la provision pour charge d’indexation
Contrairement à la comptabilité générale, pour laquelle la charge de la dette indexée est appréciée au regard du niveau d’inflation en fin d’exercice, c’est le glissement annuel d’inflation de la période précédant la date de paiement des coupons – soit le 1er mars ou, plus fréquemment, le 25 juillet – qui est retenu comme référence en comptabilité budgétaire. Ces modalités de calcul résultent de l’article 125 de la loi n° 99‑1172 du 30 décembre 1999 de finances pour 2000.
Dans le cas des OAT indexées ayant une échéance au 1er mars, la référence d’inflation prise en compte correspond au glissement annuel au 31 décembre précédent. Dans le cas d’une OAT indexée d’échéance 25 juillet, il s’agit du glissement annuel constaté à la fin du mois de mai précédent.
Le rapporteur spécial regrette que ses avertissements concernant l’optimisme des hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement dans les projets de loi de finances pour 2023 et pour 2024 n’aient pas été entendus. En effet, le moindre dynamisme des recettes par rapport aux prévisions en 2023 et 2024 a révélé d’une part une relative décorrélation entre l’inflation et la dynamique des recettes, limitant l’effet contra-cyclique théorique du recours à des obligations indexées, et d’autre part le besoin pour le Gouvernement de présenter, dans les documents budgétaires annexés au projet de loi de finances, plusieurs scénarios macroéconomiques alternatifs reposant sur des améliorations ou des dégradations de la conjoncture, permettant d’anticiper les ajustements budgétaires et fiscaux à opérer en cours d’année en cas de réalisation de ces scénarios. Le rapporteur spécial réitère cette recommandation.
3. La normalisation des politiques monétaires et la perspective de taux d’intérêt de long terme structurellement plus élevés
En plus de son impact immédiat sur la provision pour indexation, l’inflation a également un effet indirect sur la charge de la dette en entraînant une hausse des taux d’intérêt de marché. En effet, si les taux d’intérêt se sont établis à des niveaux historiquement bas en 2020 et 2021, le retour de l’inflation à partir du second semestre 2021 et son accélération en 2022 ont conduit la BCE à normaliser sa politique monétaire.
La BCE a ainsi mis fin à son programme d’achats d’actifs à compter du 1er juillet 2022, et a abandonné les réinvestissements d’actifs à compter du 1er mars 2023, entamant une réduction progressive de son bilan. Elle a également procédé au relèvement de ses taux directeurs entre juillet 2022 et septembre 2023 (+ 450 points de base au total). En 2024, le reflux de l’inflation a conduit la BCE à assouplir sa politique de taux, à travers des baisses de taux directeurs de 25 points de base en juin, septembre et octobre 2024. Aussi, depuis le 23 octobre 2024, le taux de dépôt est fixé à 3,25 %, le taux de refinancement à 3,4 % et le taux de la facilité de prêt marginal à 3,65 %.
Dans le cadre de son scénario macroéconomique, le Gouvernement prévoit une stabilité dans les politiques monétaires et les taux d’intérêt. Aussi, le taux des obligations souveraines françaises à 10 ans s’élèverait à 3,3 % à la fin de l’année 2024, puis à 3,6 % à la fin de l’année 2025 et à 3,7 % à partir de la fin de l’année 2026. S’agissant des taux d’intérêt à court terme, celui des BTF à 3 mois atteindrait un pic à la fin de l’année 2024 (3,3 %), puis se stabiliserait à 3 % à partir de la fin de l’année 2025.
Le rapporteur spécial souligne que la prévision du Gouvernement confirme la fin de la période exceptionnelle de taux d’intérêt bas voire négatifs et la normalisation des politiques monétaires, qui se traduit par des taux d’intérêt de long terme structurellement plus élevés, qui pèseront sur la charge de la dette et réduiront les marges financières de l’État. De plus, la stabilisation de l’inflation autour de 2 % à moyen terme pourrait être remise en cause par une plus forte volatilité due aux conséquences de la transition écologique et par la persistance des tensions géopolitiques.
Le rapporteur spécial estime que la matérialisation des risques pesant sur l’inflation remettrait en cause le scénario de taux du Gouvernement, ce qui conduirait à un alourdissement de la charge de la dette en cours d’année.
Note : les données pour les années 2024, 2025, 2026 et 2027 constituent des prévisions de niveau en fin d’année et non en moyenne annuelle.
Source : commission des finances d’après le projet annuel de performances annexé au PLF 2025.
Contrairement à la provision pour inflation des titres indexés, qui réagit immédiatement au niveau de l’inflation, la hausse des taux d’intérêt a un effet graduel sur la charge de la dette en raison du refinancement progressif de la dette. Cet effet « taux » est cependant beaucoup plus fort que celui de l’inflation en raison de l’importance du stock concerné. Ainsi, une augmentation durable de 1 % des taux d’intérêt sur toutes les maturités aurait un impact de 3,2 milliards d’euros la première année, de 7,6 milliards d’euros la deuxième année, de 19,1 milliards d’euros la cinquième année et de 32,6 milliards d’euros la neuvième année tandis qu’une accélération de l’inflation à hauteur de 1 % induit une variation fixe de la charge de la dette d’environ 2,8 milliards d’euros chaque année.
Le graphique ci-dessous présente l’effet d’une telle augmentation durable de 1 % des taux d’intérêt, conjugué à celui d’une hausse de 0,5 % de l’inflation.
Impact d’un choc de taux de 1 % simultané à un choc d’inflation de 0,5 % sur la charge de la dette négociable de l’État
(en milliards d’euros)
Note : le graphique présente l’impact sur la charge de la dette de l’État en comptabilité nationale. Cette charge tient donc compte de l’ensemble des flux de paiements associés aux émissions de dette, en répartissant uniformément la dépense d’intérêt sur la durée de vie d’un titre. Elle agrège ainsi les intérêts courus et l’étalement des primes et décotes à l’émission.
Source : projet annuel de performances annexé au PLF 2025.
4. Le creusement du spread des taux et la dégradation relative des conditions de financement de la France
● La France a connu en 2024 une dégradation sans précédent de ses conditions de financement par rapport à ses voisins. En effet, l’écart des taux d’intérêt souverains à 10 ans de la France par rapport à l’Allemagne (spread), qui mesure le risque perçu par les investisseurs vis-à-vis de la dette publique française par rapport à une obligation souveraine allemande perçue sans risques, s’est nettement dégradé, passant d’environ 50 points de base en janvier 2024 à environ 80 points de base en octobre 2024. Cette dégradation est intervenue en trois étapes :
– alors que le spread présentait une tendance baissière depuis le début de l’année 2024, se situant sous les 45 points de base au début du mois de mars, l’annonce du déficit public effectif de l’année 2023 a entraîné une hausse du spread de 5 points de base entre le 18 mars et le 1er avril ;
– à partir du 9 juin 2024, l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale et des élections législatives a provoqué une hausse du spread de 20 points de base, en raison de la perception par les investisseurs de l’instabilité politique en France et de l’afflux de ceux-ci vers les obligations allemandes considérées comme valeur refuge ;
– en septembre 2024, la dégradation des prévisions de déficit public pour l’année 2024 s’est traduite par une hausse supplémentaire du spread de 10 points de base.
Taux d’intérêt souverains de la France et de l’Allemagne sur l’ensemble de la courbe, au 30 septembre 2024
(en pourcentage)
Source : Boursorama.
Aussi, alors qu’au début de l’année 2024 la France jouissait de conditions d’endettement avantageuses au sein de la zone euro, elle connaît, depuis la fin du mois de septembre, un spread de taux avec l’Allemagne nettement supérieur à celui du Portugal (+ 20 points) et similaire à celui de l’Espagne.
Évolution du spread des taux d’intérêt souverains à 10 ans par rapport à l’Allemagne en 2024
(en points de base)
|
1er janvier |
1er février |
1er mars |
1er avril |
1er mai |
1er juin |
1er juillet |
1er août |
1er septembre |
1er octobre |
France |
53,1 |
49,4 |
47,8 |
51,3 |
48,4 |
49,9 |
74,1 |
73,5 |
72,2 |
78 |
Portugal |
67,7 |
66,8 |
64,1 |
67,9 |
61,7 |
55,9 |
67,3 |
60,4 |
60,4 |
56,8 |
Espagne |
95 |
92 |
86,9 |
85,6 |
77,5 |
71,6 |
79,7 |
82,6 |
82,9 |
77,1 |
Italie |
164,9 |
155,5 |
145,5 |
137,3 |
129,2 |
132,8 |
149,8 |
138,4 |
141,2 |
131,7 |
Grèce |
99,1 |
99,1 |
87,1 |
91,7 |
82,9 |
92,6 |
113,3 |
102,5 |
100 |
95,5 |
Source : Investing.com.
Cette dégradation du spread se traduit par un alourdissement de la charge de la dette. Celle-ci peut être assimilée à un choc de taux de 0,3 % qui se traduirait par une hausse de la charge de la dette en comptabilité nationale de 0,96 milliard d’euros la première année, de 2,28 milliards d’euros la deuxième année et de 5,73 milliards d’euros la cinquième année.
● La dégradation des conditions de financement de la France, provoquée par les dérapages budgétaires des années 2023 et 2024 et la hausse de l’encours de dette publique, a également entraîné la baisse de la notation de la dette publique française par les différentes agences de notation.
En effet, après la baisse de la note de la dette souveraine française de AA à AA– par l’agence Fitch au printemps 2023, l’année 2024 a été marquée par des révisions de la notation française des trois grandes agences de notation :
– le 31 mai 2024, Standard & Poor’s a abaissé la note de la France de AA à AA– ;
– le 11 octobre 2024, tout en maintenant la note de la dette publique française à AA–, Fitch a projeté une perspective négative sur celle-ci ;
– le 25 octobre 2024, Moody’s a maintenu la note de la France à Aa2 tout en lui adossant une perspective négative.
Dernières notations de la dette publique française
Agence |
Note ancienne |
Dernière décision |
Note à l’issue de la décision |
Fitch |
AA–, Perspective stable |
11 octobre 2024 |
Note AA–, Perspective négative |
Moody's |
Aa2, Perspective stable |
25 octobre 2024 |
Note Aa2, Perspective négative |
Standard & Poor's |
AA, Perspective négative |
31 mai 2024 |
Note AA–, Perspective stable |
Source : commission des finances d’après l’AFT.
Tableau de concordance des notes souveraines de long terme,
pour les actifs de qualité supérieure
Agence |
|
|
|
|
|
|
|
Fitch |
AAA |
AA+ |
AA |
AA– |
A+ |
A |
A– |
Moody's |
Aaa |
Aa1 |
Aa2 |
Aa3 |
A1 |
A2 |
A3 |
Standard & Poor's |
AAA |
AA+ |
AA |
AA– |
A+ |
A |
A– |
Source : commission des finances.
● Le rapporteur spécial déplore la dégradation des conditions de financement de la France et de la qualité de la signature française provoquées par l’absence de sérieux budgétaire du Gouvernement en 2023 et 2024. Cette dégradation pèsera sur la charge de la dette et privera la France de marges de manœuvres financières primordiales dans le redressement des finances publiques. Sur le long terme, cette dégradation, conjuguée aux déficits publics élevés et à l’accélération de la hausse de l’endettement, pourraient provoquer l’émergence d’un effet boule de neige sur la dette publique française, qui entraînerait une hausse incontrôlée du volume de dette publique.
C. La charge budgétaire liée à la gestion de la trésorerie de l’État se maintient à un niveau faible
Aux termes de l’article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), la Banque de France a l’interdiction d’accorder des avances à l’État. L’AFT s’assure donc que le compte unique du Trésor à la Banque de France présente chaque soir un solde créditeur. Elle mène par ailleurs une politique active de gestion de la trésorerie, en plaçant les excédents journaliers auprès de contreparties bancaires. Ces opérations sont réalisées sous forme de dépôts ou de prises en pension de titres d’État.
Le solde de la trésorerie correspond à la différence entre la rémunération reçue au titre des placements et celle versée pour certains fonds déposés au Trésor. En raison de la rémunération des fonds non consommables destinés au financement des investissements d’avenir, la trésorerie est porteuse depuis plusieurs années d’une charge budgétaire structurelle.
Le projet de loi de finances pour 2025 présente une révision du solde de la trésorerie pour 2024. Anticipé comme déficitaire à hauteur de 512 millions d’euros par la loi de finances initiale, ce solde connaîtrait finalement un déficit plus réduit de 101 millions d’euros.
En 2025, la rémunération au titre des fonds non consommables s’élèverait à 752 millions d’euros, ce qui représente 112 % du coût budgétaire prévisionnel de la trésorerie de l’État, qui s’établirait à 671 millions d’euros. Hors rémunération des fonds non consommables, la trésorerie dégagerait un solde excédentaire de 81 millions d’euros, représentant l’écart entre le rendement des placements de trésorerie et la rémunération et les dépenses au titre des pensions et des rémunérations des dépôts des correspondants du Trésor.
Impact budgétaire de la gestion de la trésorerie de l’État
(en millions d’euros)
Exercices |
Exécution 2021 |
Exécution 2022 |
Exécution 2023 |
2024 révisé |
PLF 2025 |
Trésorerie (charge nette) |
1 480 |
1 227 |
– 530 |
101 |
671 |
dont hors rémunération des fonds non consommables |
729 |
475 |
– 1 282 |
– 651 |
– 81 |
Rémunération des fonds non consommables déposés au Trésor (dépenses) * |
751 |
752 |
752 |
752 |
752 |
Autres charges de trésorerie (dépenses) |
731 |
672 |
541 |
665 |
589 |
Placements de trésorerie (recettes) |
– 2 |
– 197 |
– 1 822 |
– 1 316 |
– 670 |
* Fonds destinés au financement des investissements d’avenir.
Source : commission des finances d’après le projet annuel de performances annexé au PLF 2025.
II. Le programme 114 Appels en garantie de l’État
Principaux éléments du programme 114
En 2025, les crédits du programme connaîtraient une baisse de 48,2 % par rapport à la loi de finances pour 2024 et s’élèveraient à 985,3 millions d’euros. La dotation allouée au programme diminuerait de nouveau les années suivantes pour s’établir à 814,6 millions d’euros en 2026 et 483,6 millions d’euros en 2027.
Les variations des crédits du programme sont principalement liées à la dotation allouée aux appels en garantie au titre des prêts garantis par l’État (PGE).
Le programme 114 Appels en garantie de l’État porte les crédits budgétaires évaluatifs qui découlent de la mise en jeu de garanties octroyées par l’État. Les garanties sont des dispositifs d’engagements hors bilan, qui exposent l’État à un risque financier à plus ou moins long terme. Celles-ci prennent plusieurs formes, telles que les garanties de passifs, les opérations d’assurance, ou les garanties d’achèvement.
Les crédits alloués au programme 114 diminueraient de 48,2 % par rapport à la loi de finances pour 2024 et de 45,3 % par rapport à la prévision actualisée pour 2024, pour s’établir à 985,3 millions d’euros en 2025, principalement sous l’effet de moindres décaissements au titre des appels en garantie sur les prêts garantis par l’État (PGE).
Répartition des crédits du programme 114 Appels en garantie de l’État
(en millions d’euros et en AE = CP)
Intitulé de l’action |
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Écart 2025 / 2024 |
Action 01 Agriculture et environnement |
0,1 |
0,1 |
0,0 |
Action 02 Soutien au domaine social, logement, santé |
34,5 |
26,6 |
– 7,9 |
Action 03 Financement des entreprises et industrie |
1 563,1 |
684,9 |
– 878,2 |
Action 04 Développement international de l’économie française |
111,5 |
99,9 |
– 11,6 |
Action 05 Autres garanties |
193,2 |
173,7 |
– 19,5 |
Total |
1 902,4 |
985,3 |
– 917,2 |
Source : projet annuel de performances.
A. Le dispositif des prêts garantis par l’État porte les trois cinquièmes de la dépense du programme prévue en 2025
Mis en place par l’article 6 de la loi du 23 mars 2020 de finances rectificative pour 2020, les PGE sont des prêts de trésorerie octroyés par les établissements de crédit qui bénéficient d’une garantie de l’État jusqu’à 90 % du montant du prêt. Le dispositif a été ouvert à toutes les entreprises jusqu’au 30 juin 2022. Le prêt pouvait représenter jusqu’à trois mois du chiffre d’affaires de 2019, ou deux années de masse salariale pour les entreprises innovantes ou créées depuis le 1er janvier 2019.
Aucun remboursement n’était exigé la première année et, dans le cas où l’entreprise en faisait la demande à sa banque, seuls les intérêts étaient payés la deuxième année. L’entreprise pouvait choisir d’amortir le prêt sur une durée maximale de cinq ans à l’issue de la première année, pour une durée totale du prêt de six ans maximum, hors les cas de restructurations de PGE décidées dans le cadre de procédures judiciaires.
Les appels en garantie au titre des PGE comptaient pour un peu plus des trois quarts de la dépense anticipée du programme dans la loi de finances pour 2024, s’élevant à 1,44 milliard d’euros. Au 15 octobre 2024, 1,36 milliard d’euros ont été consommés, correspondant à un rythme supérieur à celui anticipé en loi de finances initiale. La consommation réelle en fin d’année 2024 devrait ainsi se situer à un niveau supérieur à celui anticipé en LFI 2024.
Pour l’année 2025, la direction générale du Trésor prévoit des appels en garantie au titre des PGE s’élevant à 571 millions d’euros, soit 58 % des crédits du programme 114.
Une nouvelle forme de PGE, dite « PGE Résilience », a été mise en place en avril 2022 afin de soutenir les entreprises ayant un besoin significatif de trésorerie en raison des conséquences économiques de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ce dispositif s’est appliqué jusqu’au 31 décembre 2023 ([8]). Le prêt pouvait représenter jusqu’à 15 % du chiffre d’affaires annuel moyen au cours des trois dernières années.
1. Les caractéristiques des PGE accordés
D’après les données présentées par le PAP, au 31 mai 2024, l’encours des PGE accordés était de 145,1 milliards d’euros et le nombre d’entreprises bénéficiaires s’établissait à 686 277.
Selon les informations transmises au rapporteur spécial, 88 % des prêts et près de 90,8 % de leur montant ont été accordés dès l’année 2020. Ces parts s’élevaient à 97,8 % en 2021. Seuls 2,1 % des PGE ont été accordés en 2022 et 0,1 % en 2023.
Les PGE « Résilience » représentent une part très minoritaire du total des prêts accordés. Fin juin 2023, leur nombre s’élevait à 4 297, pour un montant supérieur à 2 milliards d’euros bénéficiant à 3 343 entreprises.
Les entreprises bénéficiaires des PGE sont majoritairement des très petites entreprises : celles-ci représentent 80,3 % des bénéficiaires et 27,3 % de l’encours total des PGE au 31 mai 2024.
Répartition des souscriptions de PGE
par taille d’entreprises au 31 mai 2024
|
Nombre de bénéficiaires |
Montants accordés (en milliards d’euros) |
||
Nombre |
Part dans le total (%) |
Encours |
Part dans le total (%) |
|
Grandes entreprises |
59 |
0,01 % |
16,2 |
11,17 % |
Entreprises de taille intermédiaire |
1 656 |
0,24 % |
20,3 |
13,97 % |
Petites et moyennes entreprises |
103 615 |
15,10 % |
67,7 |
46,65 % |
Très petites entreprises |
550 930 |
80,28 % |
39,7 |
27,34 % |
Autres |
30 017 |
4,37 % |
1,3 |
0,87 % |
Total |
686 277 |
|
145,1 |
|
Source : projet annuel de performances annexé au PLF 2025.
Les secteurs les plus concernés en nombre de bénéficiaires sont les suivants : commerce de réparation d’automobiles et de motocycles (22 %), hébergement et restauration (14 %) et construction (13 %).
Le classement est différent lorsque l’on compare l’encours de PGE : le secteur du commerce de réparation d’automobiles et de motocycles (23 %) est toujours le plus concerné mais il est ensuite suivi du secteur des activités financières et d’assurance (18 %) et de l’industrie manufacturière (13 %).
Répartition des souscriptions de PGE par secteur d’activité au 31 mai 2024
|
Nombre de bénéficiaires |
Montants accordés |
||
Nombre |
Part dans le total (%) |
Encours |
Part dans le total (%) |
|
Agriculture, sylviculture et pêche |
24 616 |
3,6 |
1,9 |
1,3 |
Industries extractives |
262 |
0,0 |
0,2 |
0,1 |
Industrie manufacturière |
48 944 |
7,1 |
18,9 |
12,9 |
Production et distribution d’électricité, gaz vapeur, air conditionné |
228 |
0,0 |
0,2 |
0,1 |
Production et distribution d’eau, assainissement, gestions des déchets, dépollution |
1 420 |
0,2 |
0,5 |
0,4 |
Construction |
89 711 |
13,1 |
12,2 |
8,4 |
Commerce de réparation d’automobiles et de motocycles |
150 890 |
22,0 |
32,9 |
22,8 |
Transports et entreposage |
22 695 |
3,3 |
5,4 |
3,7 |
Hébergement et restauration |
98 403 |
14,3 |
10,5 |
7,3 |
Information et communication |
17 552 |
2,6 |
4,9 |
3,4 |
Activités financières et d’assurance |
11 351 |
1,7 |
26,1 |
18,0 |
Activités immobilières |
16 382 |
2,4 |
1,8 |
1,2 |
Activités spécialisées scientifiques et techniques |
65 270 |
9,5 |
16,0 |
11,0 |
Activités de services administratifs et de soutien |
24 914 |
3,6 |
5,4 |
3,7 |
Administration publique |
28 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
Enseignement |
12 959 |
1,9 |
1,2 |
0,8 |
Santé humaine et action sociale |
47 569 |
6,9 |
3,3 |
2,3 |
Arts, spectacles et activités récréatives |
14 161 |
2,1 |
2,5 |
1,7 |
Activités des ménages en tant qu’employeurs |
38 823 |
5,7 |
1,5 |
1,0 |
Autres activités de services |
4 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
Activités extraterritoriales |
2 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
APE non renseigné |
93 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
Total |
686 277 |
|
145,1 |
|
Source : projet annuel de performances annexé au PLF 2025.
Le rapport du comité Cœuré de juillet 2021 ([9]) et le rapport de la Cour des comptes sur les prêts garantis par l’État ([10]), publié en juillet 2022, ont dressé le bilan de l’utilisation de ces prêts à partir des enquêtes réalisées par la Banque de France :
– les caractéristiques du PGE français ont été plus favorables que les dispositifs équivalents proposés par nos voisins européens, grâce à un taux d’intérêt particulièrement bas ;
– le dispositif a été déployé de façon efficace et particulièrement rapide sur l’ensemble du territoire, grâce à sa distribution par un réseau bancaire solide et la mise en place d’un processus fluide de demande en ligne d’attestation de garantie auprès de Bpifrance ;
– le PGE a permis aux entreprises de faire face à leurs besoins de liquidité immédiats et de sécuriser leur niveau de trésorerie dans un contexte macroéconomique incertain. Certaines entreprises ont utilisé le PGE pour réaliser des investissements lorsque les perspectives se sont améliorées ;
– le taux de refus des PGE s’est avéré très faible (environ 3 %) alors que le taux de refus habituel du crédit bancaire se situe plutôt autour de 7 %.
2. Une prévision budgétaire des risques associés aux PGE qui demeure soumise à des aléas importants
Dans son rapport précité, la Cour des comptes considérait que le coût net des PGE pour l’État devrait rester contenu, à hauteur de 3 milliards d’euros. Elle relevait notamment que la part des entreprises « zombies » ([11]) parmi les bénéficiaires serait limitée à moins de 2,5 %.
Le taux de perte brute ([12]) pour l’État par rapport aux montants octroyés et sur l’ensemble de la durée de vie des PGE, d’abord évalué à 5,3 % en 2020 et 2021, s’établirait finalement à 4,11 % d’après les dernières prévisions réalisées par la direction générale du Trésor et la Banque de France, ce qui représenterait 6 milliards d’euros. Ce taux est en phase avec des estimations réalisées par le Conseil d’analyse économique en octobre 2024 ([13]).
Entre 2020 et 2022, les décaissements constatés sur le programme 114 se sont en effet avérés plutôt rassurants, s’élevant au total à 1,57 milliard d’euros, dont 1,37 milliard d’euros pour la seule année 2022. En 2023, si la loi de finances initiale prévoyait un montant d’appels en garantie au titre des PGE de 1,9 milliard d’euros, ceux-ci se sont élevés à 1,47 milliard d’euros selon le rapport annuel de performances annexé au projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année 2023.
En 2024, la loi de finances initiale pour 2024 prévoyait des appels en garantie à hauteur de 1,44 milliard d’euros. Cependant, au 15 octobre 2024, 1,36 milliard d’euros avaient déjà été consommés au titre d’appels en garantie, en raison de la dynamique des défaillances d’entreprises supérieure à celle prévue pour 2024.
Aussi, les appels en garantie au titre des PGE devraient atteindre leur pic en 2024, la consommation totale de l’année se situant au-dessus du niveau anticipé en LFI 2024. Le programme romprait ainsi avec des années de sous-consommation chronique, liée à une difficulté à anticiper le montant effectif des appels en garantie. À la fin de l’année 2024, environ 4,8 milliards d’euros au titre des appels en garantie des PGE auraient été dépensés depuis 2020.
À partir de l’année 2025, les appels en garantie au titre des PGE devraient reculer pour s’établir à 571 millions d’euros. Les crédits du programme 114 poursuivraient également leur recul à l’horizon 2027, s’élevant à 814,6 millions d’euros en 2026 et à 483,6 millions d’euros en 2027.
Eu égard aux écarts persistants entre les prévisions et la consommation effective d’appels en garantie au titre des PGE, le rapporteur spécial souligne le besoin d’effectuer un suivi attentif des PGE, compte tenu du volume de capital restant des PGE toujours très élevé, qui s’établissait à 55,9 milliards d’euros au 30 juin 2024.
B. Les autres dispositifs créés pendant la crise sanitaire et en réponse à l’inflation font l’objet d’appels en garantie limités
● Une dotation de 136,1 millions d’euros est prévue en 2025 pour les appels en garantie émis par le fonds de garantie paneuropéen porté par la Banque européenne d’investissement. Ce fonds de garantie de 25 milliards d’euros, abondé par les États membres de l’Union européenne (dans la limite d’un plafond de 4,7 milliards d’euros pour la France) permet le déploiement de 200 milliards d’euros de financements sous la forme d’instruments de partage des risques, principalement à destination des petites et moyennes entreprises (PME) européennes.
● Un montant de 112,4 millions d’euros serait ouvert en 2025 au titre de la garantie de l’État sur des fonds investis dans des prêts participatifs Relance et des obligations Relance, octroyés à des PME et à des entreprises de taille intermédiaire afin de soutenir leur capacité d’investissement dans le cadre de la relance.
● Une dotation de 1 million d’euros est prévue pour 2025 au titre des appels en garantie sur les prêts et garanties consentis par l’Agence française de développement (AFD) et sa filiale de promotion et de participation pour la coopération économique aux entreprises et institutions financières du secteur privé africain. L’État garantit à 80 % les prêts consentis jusqu’au 31 décembre 2022 par les banques locales en faveur des TPE ou PME affectées par la crise sanitaire.
● Les dispositifs de soutien public à l’assurance-crédit CAP Francexport et CAP Francexport + et à l’assurance export créés pendant la crise sanitaire ne font l’objet d’aucune ouverture de crédits en 2025, comme en 2024.
C. Les dépenses prévisionnelles liées aux appels en garantie des autres actions du programme
● Une dotation de 26,6 millions d’euros est prévue pour les appels en garantie au titre des sinistres sur les prêts à l’accession sociale, les prêts à taux zéro et les éco-prêts à taux zéro (action 02 Soutien au domaine social, logement et santé).
● Trois dispositifs bénéficient en 2025 des crédits ouverts sur l’action 04 Développement international de l’économie française : le dispositif d’assurance prospection (76,9 millions d’euros) qui permet de couvrir les entreprises contre le risque d’échec des prospections à l’étranger, la garantie du risque exportateur (22 millions d’euros) et la garantie de charge (1 million d’euros).
● Sur l’action 05 Autres garanties, 36,1 millions d’euros sont prévus en 2025, comme en 2024, au titre de l’appel en garantie de l’État par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). En 2011, l’État a apporté sa garantie à une avance remboursable de la CDC d’un montant de 417 millions d’euros pour financer un programme industriel. En raison de commandes insuffisantes ne permettant pas à l’industriel de faire face à ses échéances de remboursement, la Caisse a appelé la garantie de l’État pour la première fois en 2022, pour une échéance payée le 1er mars 2023 d’un montant de 25,1 millions d’euros. Elle a à nouveau appelé la garantie de l’État en 2023, pour un montant de 36,1 millions d’euros (+ 11 millions d’euros) payable en 2024. En 2025, elle devrait appeler cette garantie pour le même montant au titre de l’année 2024. La dégradation de la prévision du carnet des commandes devrait accroître cet appel en garantie, qui atteindrait 50,3 millions d’euros au titre de l’année 2025, payable en 2026.
III. Les crédits du programme 145 Épargne
Principaux éléments du programme 145
Pour l’année 2025, le niveau prévisionnel des dépenses budgétaires du programme 145 est fixé à 119,4 millions d’euros. Ce programme finance essentiellement les primes d’épargne logement versées par l’État lors de la mobilisation de comptes épargne‑logement (CEL) ou de la clôture de plans d’épargne-logement (PEL).
Compte tenu de la suppression de la prime d’État associée aux PEL et CEL ouverts à compter du 1er janvier 2018, le niveau des primes d’État a considérablement baissé, entraînant une diminution significative de la dépense budgétaire. Celle-ci est passée de 1,3 milliard d’euros en 2010 à 72,7 millions d’euros en 2023.
Les dépenses fiscales associées au programme 145 atteindraient 7,1 milliards d’euros au titre de l’année 2025. L’exécution de 2023 s’élève à 6,1 milliards d’euros et la prévision actualisée pour 2024 à 7,0 milliards d’euros.
A. Les dépenses liées aux primes d’épargne logement
1. L’accélération de la baisse de l’encours des PEL et CEL en 2023
Les produits d’épargne‑logement recouvrent le compte épargne‑logement (CEL) et le plan d’épargne-logement (PEL), qui donnent à leur détenteur le droit à l’octroi d’un prêt épargne-logement, selon des taux d’intérêt définis par arrêté ministériel.
Tous les contrats souscrits avant le 12 décembre 2002 donnent lieu au versement d’une prime d’État au moment de la clôture du compte. Pour les contrats souscrits à compter de cette date, le versement de la prime d’État est soumis à deux conditions : la souscription du contrat avant le 1er janvier 2018 et la souscription d’un prêt épargne‑logement.
Le montant maximal de la prime est de 1 144 euros pour les CEL et de 1 000 euros pour les PEL, ce plafond pouvant être porté à 1 525 euros lorsque le PEL contribue à la construction ou à l’acquisition d’un logement performant énergétiquement.
Cette prime a été supprimée pour les PEL ou les CEL souscrits à compter du 1er janvier 2018, dans un contexte de perte d’attractivité de ces produits sous les effets conjugués de la baisse de leur taux de rémunération et de taux de prêts épargne-logement supérieurs aux taux de marché.
En outre, la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU) par la loi de finances pour 2018 avait pour objet de progresser vers la neutralité fiscale et budgétaire entre les différents produits d’épargne. Les intérêts des nouveaux PEL et CEL ouverts à compter du 1er janvier 2018, de même que ceux des PEL ouverts depuis plus de douze ans, sont donc imposés dans les conditions de droit commun.
L’encours des PEL et des CEL s’élevait à 293 milliards d’euros à la fin de l’année 2023, en baisse de 26,2 milliards d’euros par rapport à 2022.
Encours des comptes et plans d’épargne logement
(en milliards d’euros)
Encours à la fin de l’année |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Comptes épargne-logement (CEL) |
31,5 |
30,3 |
29,4 |
29,7 |
29,3 |
29,6 |
31,5 |
31,9 |
33,4 |
35,2 |
Plans d’épargne-logement (PEL) |
220,2 |
245,0 |
262,3 |
275,1 |
276,4 |
282,5 |
294,5 |
296,1 |
286,6 |
258,6 |
Total |
251,6 |
275,3 |
291,7 |
304,8 |
305,7 |
312,1 |
326,0 |
328,0 |
320,0 |
293,8 |
Source : projets annuels de performances.
Dans son rapport annuel sur l’épargne réglementée ([14]), la Banque de France montre que le nombre de PEL s’établissait à 9,9 millions à la fin de 2023, en baisse de 12 % par rapport à 2022. Pour la deuxième année consécutive, leur encours a diminué en 2023 (– 11 %) sous l’effet d’une décollecte nette supérieure à la capitalisation des intérêts versés. Cette évolution peut notamment s’expliquer par l’écart persistant de rémunération avec d’autres produits d’épargne réglementée plus liquides et dont les taux de rémunération sont plus élevés, et qui se traduit par un recentrage du PEL vers son objectif premier de financement pour un projet immobilier.
2. Une forte baisse des dépenses liées aux primes épargne logement depuis 2010
La dépense budgétaire du programme Épargne associée aux PEL et CEL est liée au versement de la prime d’État. Compte tenu de la désaffection des épargnants pour les prêts épargne‑logement et de la suppression des primes d’État pour les produits souscrits à compter du 1er janvier 2018, le niveau des primes d’État a considérablement baissé, entraînant une diminution significative de la dépense budgétaire. Celle-ci est passée de 1,3 milliard d’euros en 2010 à 55,9 millions d’euros en 2022.
Depuis 2023, le niveau des dépenses budgétaires au titre des primes PEL et CEL est en augmentation. Aussi, en 2025 leur niveau prévisionnel est fixé à 119,1 millions d’euros, dont 1,0 million d’euros de frais de gestion. Cette dotation est en progression de 68,3 % par rapport à celle prévue pour 2024, sous la poursuite de la hausse attendue du nombre de primes versées du fait de la remontée des taux de marché qui favorise la clôture des PEL et l’utilisation de leurs droits à prêt par les détenteurs de CEL. Les paiements de primes pour les PEL ouverts avant le 12 décembre 2002 demeurent toutefois prépondérants.
Dépense budgétaire afférente aux primes d’épargne logement
(en millions d’euros)
Source : rapports annuels de performances, projet annuel de performances.
Le montant de cette dépense devrait toutefois continuer à diminuer tendanciellement compte tenu de la suppression des primes pour les contrats souscrits à compter du 1er janvier 2018. Selon le PAP, « la gestion extinctive des primes d’épargne‑logement prendra encore plusieurs années », dans la mesure où l’encours des PEL et des CEL éligibles à la prime d’État s’élevait à environ 270 milliards d’euros à la fin de l’année 2023. Le PAP précise que le montant de la provision inscrite dans le compte général de l’État au titre du stock des primes sur les PEL souscrits avant 2002 était de 1,1 milliard d’euros à la même date.
Ainsi, les documents budgétaires annexés au projet de loi de finances pour 2025 prévoient que la dotation allouée au programme s’établisse à 96,3 millions d’euros en 2026 et 89,9 millions d’euros en 2027.
B. L’importance des dépenses fiscales associées au programme
Les dépenses fiscales associées au programme 145 Épargne s’élèveraient à 7,1 milliards d’euros au titre de l’année 2025, en hausse de 1,0 milliard d’euros par rapport à l’exécution de 2023 (6,1 milliards d’euros).
Cette augmentation s’explique par la hausse du coût associé à l’exonération des intérêts de plusieurs produits d’épargne dont la rémunération a progressé dans un contexte d’inflation élevée, notamment celui du livret A (+ 650 millions d’euros par rapport à l’exécution 2023) ou des livrets de développement durable et solidaire (+ 263 millions d’euros). Il est important de souligner que la progression du coût de l’ensemble de ces dépenses fiscales sera in fine plus élevée que l’estimation associée au présent projet de loi de finances puisque le montant de trois dépenses fiscales évaluées à 122 millions d’euros en 2023 n’est pas quantifié pour 2025.
Les dépenses fiscales associées au programme, d’un niveau élevé, ont pour objet d’orienter l’épargne des ménages. Elles résultent pour plus de la moitié :
– de l’exonération relative aux sommes versées au titre de la participation, de l’intéressement, des primes de partage de la valeur, d’un plan de partage de la valorisation de l’entreprise et de l’abondement aux plans d’épargne salariale et aux plans d’épargne retraite d’entreprise, représentant 2,75 milliards d’euros ;
– et de l’exonération des intérêts des livrets A, représentant 1,045 milliard d’euros.
Évolution du niveau de dépenses fiscales associées au programme 145
(en millions d’euros)
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
3 474 |
3 501 |
5 011 |
5 420 |
5 825 |
5 804 |
5 789 |
5 750 |
6 264 |
5 804 |
6 108 |
5 347 |
5 607 |
6 065 |
7 030 |
7 078 |
Source : rapports annuels de performances et projet annuel de performances annexé au PLF 2025.
Le rapporteur spécial constate que 15 dépenses fiscales sur 33 ne sont pas évaluées dans les documents budgétaires ou présentent une incidence nulle en 2025.
IV. Les crédits du programme 355 Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État
Principaux éléments du programme 355
La charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État s’élèverait à 692 millions d’euros en 2025, en baisse de 115 millions d’euros par rapport à la prévision pour 2024.
Au total, 24,2 milliards d’euros resteraient à amortir au début de l’année 2025, sur un encours initial repris de 35 milliards d’euros.
Afin d’accompagner la réforme du système ferroviaire décidée par la loi pour un nouveau pacte ferroviaire ([15]), l’État s’était engagé en 2018 à reprendre 35 milliards d’euros de dette de SNCF Réseau, sur un encours total de 48,2 milliards d’euros à la fin de cette même année. Un montant de 25 milliards d’euros a ainsi été repris en 2020 ([16]), complété en loi de finances initiale pour 2022 par la reprise de 10 milliards d’euros supplémentaires ([17]).
Cette reprise par l’État de la plus grande part de l’encours de dette de SNCF Réseau visait à redonner des marges de manœuvre financières au gestionnaire d’infrastructure, chargé d’assurer la maintenance du réseau ferroviaire. En contrepartie, SNCF Réseau s’est engagée, dans le cadre de son contrat de performance avec l’État pour la période 2021‑2030, à dégager un flux de trésorerie à l’équilibre ou positif à partir de 2024 et la « règle d’or » applicable à ses investissements a été renforcée ([18]).
Le programme 355 Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État assure le paiement de la charge de cette dette. Le remboursement du principal est quant à lui considéré, d’un point de vue budgétaire, comme une opération de trésorerie ([19]) retracée dans le tableau de financement de la loi de finances qui ne requiert pas d’ouverture de crédits.
En 2025, le coût pour l’État de la dette reprise à SNCF Réseau est estimé à 692 millions d’euros, en baisse de 115 millions d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2024 (– 14,3 %). Il comprend 657 millions d’euros correspondant à des intérêts servis au titre d’emprunts à taux fixes, 25 millions d’euros au titre des emprunts à taux variable et 9 millions d’euros d’intérêt servis pour des emprunts indexés sur l’inflation.
Ces deux dernières catégories d’emprunts constituent une part relativement faible du montant total de la dette reprise (5,5 % du capital restant à amortir au début de l’année 2025), de sorte que l’évolution de leur coût est susceptible de varier fortement en fonction des caractéristiques des titres arrivant à échéance en cours d’année.
En ce sens, le rapporteur spécial note que l’évolution de ce coût suit les tendances constatées pour l’ensemble de la dette de l’État. D’une part, le coût des emprunts indexés demeurerait stable à 9 millions d’euros en 2024 et 2025, corollaire de la stabilisation de l’inflation. D’autre part, le coût des emprunts à taux variable s’établirait à 25 millions d’euros en 2025 contre 21 millions d’euros en 2024, traduisant la hausse structurelle des taux d’intérêt de long terme.
Les taux d’intérêt moyens des titres repris par l’État anticipés pour le début de l’année 2025 s’élèvent selon le PAP à 2,9 % pour les emprunts à taux fixe, 1,3 % pour les emprunts indexés sur l’inflation et 3,3 % pour les emprunts à taux variable.
V. Les crédits du programme 344 Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats financiers structurés à risque
Principaux éléments du programme 344
Les crédits de paiement demandés pour l’exercice 2025 au titre du programme 344 Fonds de soutien relatif aux prêts et contrats financiers structurés à risque s’élèvent à 181 millions d’euros, complétés par 11,5 millions d’euros au titre des fonds de concours associés au programme.
Le fonds de soutien en faveur des collectivités territoriales a été créé par la loi de finances pour 2014 ([20]) pour aider les collectivités territoriales ayant souscrit, avant l’entrée en vigueur de la loi, des emprunts dits « toxiques ». Il est aujourd’hui en voie d’extinction puisque la très grande majorité des dossiers ont été traités (environ 90 %). Sa fin est programmée au 31 décembre 2028.
Ce fonds a été doté d’une capacité financière de 3 milliards d’euros et l’ensemble des autorisations d’engagement nécessaires ont été inscrites sur le programme en 2015. Il est important de souligner que le niveau initial de ces autorisations d’engagement a été revu à la baisse à trois reprises pour tenir compte de l’évolution des besoins des collectivités territoriales (cf. infra).
Les crédits de paiement sont décaissés progressivement : après 187,7 millions d’euros en 2024, 181 millions d’euros sont demandés sur ce programme pour 2025. En 2026 et en 2027, les crédits de paiement devraient également s’élever à 181 millions d’euros.
Cet échéancier est cependant une estimation maximale qui repose sur l’hypothèse d’une couverture totale des autorisations d’engagement ouvertes. Or, le montant initial de 3 milliards d’euros d’autorisations d’engagement a déjà fait l’objet de plusieurs annulations partielles (93,5 millions d’euros en 2016-2017, 250 millions d’euros en 2018 et 120 millions d’euros en 2021), de sorte que les autorisations d’engagement du programme s’élèvent désormais à environ 2,5 milliards d’euros.
Le fonds est financé par l’État (environ 81 millions d’euros en 2025) et par le secteur bancaire par le biais d’une taxe additionnelle à la taxe systémique (environ 100 millions d’euros en 2025). Il bénéficie également de fonds de concours dont le montant est fixe (11,5 millions d’euros), provenant de la société de financement local et de sa filiale, la Caisse française de financement local (10 millions d’euros), ainsi que de Dexia (1,5 million d’euros).
Au 31 décembre 2024, le niveau des engagements à honorer devrait s’élever à 832,7 millions d’euros, compte tenu des versements déjà réalisés depuis la création du fonds.
VI. Les crédits du programme 369 Amortissement de la dette liée à la covid‑19
Principaux éléments du programme 369
Créé par la loi de finances pour 2022, le programme 369 a été doté en 2022 d’un montant d’autorisations d’engagement correspondant à la totalité des 165 milliards d’euros de dette liée à la covid-19 qu’il doit amortir.
Ce programme est doté en 2025 de 5,2 milliards d’euros de crédits. Cette dotation s’élèverait à 5,8 milliards d’euros en 2026 et 6,5 milliards d’euros en 2027.
Le programme 369, consacré à l’amortissement de la dette liée à la covid‑19, est doté en 2025 de 5,2 milliards d’euros de crédits de paiement, soit 1,3 milliard d’euros de moins qu’en 2024.
Pour rappel, les 165 milliards d’euros de dette considérés comme directement liés à la crise sanitaire de 2020 et 2021 ont été entièrement inscrits en autorisations d’engagement en 2022 tandis que le décaissement des crédits de paiement se fait chaque année selon une trajectoire qui permettrait d’amortir l’ensemble de cette dette entre 2022 et 2042.
Ainsi, une part de 5,9 % du surcroît de recettes fiscales nettes dégagées chaque année au-delà de leur niveau de 2020 est consacrée à l’amortissement de cette dette. Cette fraction est ajustée annuellement, à la hausse ou à la baisse, selon que la croissance du PIB est plus ou moins élevée par rapport aux prévisions, afin de respecter l’horizon de remboursement.
Le Gouvernement prévoit de consacrer 5,8 milliards d’euros en 2026 et 6,5 milliards d’euros en 2027 à ce désendettement. À la fin de l’exercice 2027, il resterait donc 132,5 milliards d’euros à amortir, ce qui implique des décaissements sur la période 2028‑2042 de 8,8 milliards d’euros par an en moyenne.
Trajectoire d’amortissement de la dette liée à la covid-19
(en milliards d’euros de crédits de paiement)
Source : commission des finances d’après la documentation budgétaire.
Ces crédits de paiement sont attribués, sous forme de dotation en fonds propres, à la Caisse de la dette publique (CDP), qui est chargée du rachat de la dette « covid » lors d’échéances significatives de remboursement de dette par l’AFT. Concrètement, le programme budgétaire abonde le CAS Participations financières de l’État, à partir duquel est réalisé le versement à la Caisse de la dette publique (programme 732 Désendettement de l’État et d’établissements publics de l’État). Ainsi, sont inscrits sur le CAS Participations financières de l’État une recette et un montant de crédits égaux au montant des crédits ouverts sur le programme 369 Amortissement de la dette de l’État liée à la covid-19.
Le rapporteur spécial rappelle, d’une part, que l’isolement d’une partie de la dette française pour l’amortir n’a d’effet ni sur l’ensemble du stock de dette ni sur les conditions de son financement. En effet, l’amortissement de cette dette, réalisé pour partie sur les titres de dette arrivant à échéance au cours de l’année, est financé par l’émission de dette nouvelle. Ce programme ne répond donc qu’à un objectif d’affichage de sérieux budgétaire du Gouvernement sans garantir l’absence de dérapage du déficit public.
D’autre part, le rapporteur spécial regrette le manque de lisibilité des flux financiers liés à l’amortissement de la dette liée à la covid‑19 entre la mission Engagements financiers de l’État et le CAS Participations financières de l’État.
Enfin, le rapporteur spécial constate la révision à la baisse des prévisions d’ouverture de crédits au programme 369 entre le projet de loi de finances pour 2024 et le présent projet de loi de finances pour 2025. En effet, ce dernier présente des prévisions d’ouverture de crédits jusqu’en 2027 très en deçà de la moyenne annuelle nécessaire à rembourser la dette « covid » à l’horizon 2042. Le pourcentage du surcroît de recettes fiscales consacré à l’abondement du programme 369 n’a toutefois pas été revu à la hausse par le Gouvernement, mettant à mal la trajectoire d’amortissement de la dette « covid ». Le rapporteur spécial remarque le caractère paradoxal du non-respect de la trajectoire fixée sur un programme purement comptable, qui traduit l’incapacité du Gouvernement à assurer sa crédibilité en matière de maîtrise de l’endettement public.
Prévisions d’amortissement de la dette « covid »
(en milliards d’euros)
|
Année |
2022 |
2023 |
2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
Moyenne annuelle nécessaire jusqu'en 2042 |
Prévisions PLF 2024 |
Ouverture de CP au programme 369 |
1,9 |
6,6 |
6,5 |
8,7 |
9,0 |
– |
8,3 |
AE non couvertes en fin d'exercice |
163,1 |
156,5 |
150,1 |
141,4 |
132,4 |
– |
– |
|
Prévisions PLF 2025 |
Ouverture de CP au programme 369 |
1,9 |
6,6 |
6,5 |
5,2 |
5,8 |
6,5 |
8,8 |
AE non couvertes en fin d'exercice |
163,1 |
156,5 |
150,1 |
144,9 |
139,1 |
132,5 |
– |
Source : commission des finances d’après la documentation budgétaire
VII. Analyse du verdissement de la mission
Principaux éléments
Le succès de l’OAT verte se confirme avec un encours qui atteint 72,5 milliards d’euros, moins de huit ans après la première émission.
Dans le cadre du budget vert de l’État, l’essentiel des crédits de la mission ont été évalués comme ayant un impact neutre sur l’environnement.
A. La progression de l’OAT verte
● Le 24 janvier 2017, la France a lancé sa première obligation souveraine « verte », l’OAT verte de taux 1,75 % et de maturité 25 juin 2039, pour un montant initial de 7 milliards d’euros. Cette obligation doit permettre de dégager des ressources qui visent à financer des dépenses s’inscrivant dans la continuité des engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat.
Afin d’assurer sa liquidité, cette OAT verte a, depuis, fait l’objet de quatorze réémissions postérieures à l’émission inaugurale, portant son encours total à 35,1 milliards d’euros.
En mars 2021, l’AFT a émis une deuxième OAT verte de taux 0,5 % et de maturité 25 juin 2044, pour un montant initial de 7 milliards d’euros. Ce titre a depuis fait l’objet de six nouvelles émissions, portant son encours total à 22,3 milliards d’euros.
Le lancement de la deuxième OAT verte s’est appuyé sur la rebudgétisation du CAS Transition énergétique, qui a permis la réintégration des dépenses de soutien aux énergies renouvelables dans le budget général et dans le périmètre des dépenses éligibles à l’OAT verte. L’enveloppe est ainsi passée de 8 à 15 milliards d’euros en 2021.
L’AFT a émis pour la première fois en mai 2022 une obligation souveraine verte indexée sur l’inflation européenne de taux 0,1 % et de maturité 25 juillet 2038, pour un montant initial de 4 milliards d’euros. Ayant fait l’objet de six réémissions, son encours a été porté à 7,1 milliards d’euros. Le rapporteur spécial relève que ces émissions ont eu lieu dans un contexte d’inflation particulièrement élevée.
Enfin, l’AFT a lancé le 16 janvier 2024 une quatrième OAT verte de taux 3 % et de maturité 25 juin 2044, pour un montant de 8 milliards d’euros.
Aussi, l’encours cumulé de ces quatre obligations vertes s’établit à 72,5 milliards d’euros.
Le rapporteur spécial ne peut se réjouir de ce constat. En effet, l’OAT verte demeure le support d’une dette, au demeurant croissante, et l’on ne saurait se féliciter de l’augmentation de la dette française sous prétexte qu’elle se verdit.
Au demeurant, le rapporteur spécial rappelle que la logique même des OAT vertes, dont le montant des émissions est adossé à une enveloppe de dépenses « vertes » déterminées comme éligibles par un comité interministériel, est directement contraire aux principes budgétaires issus de la LOLF. La dette « verte » contrevient ainsi au principe d’universalité budgétaire, qui a pour corollaire la règle de non-affectation énoncée par l’article 6 de la LOLF, selon laquelle l’ensemble des recettes assure l’exécution de l’ensemble des dépenses du budget général. Le rapporteur spécial souligne que l’esprit de cette règle répond à une exigence d’unité d’action de l’État et d’égalité devant les services publics et qu’il doit en conséquence être strictement respecté.
● La création de la première OAT verte s’est accompagnée de l’engagement de la France à fournir un rapport annuel d’allocation et de performance des dépenses.
L’AFT a publié en septembre 2024 le septième rapport d’allocation et de performance, rendant compte de l’utilisation des fonds levés en 2023 ([21]). Sur les 10,2 milliards d’euros d’OAT verte émis l’an dernier, 62 % ont été alloués à des projets visant à atténuer le changement climatique, 19 % ont été consacrés à l’adaptation au changement climatique, 11 % ont servi à financer la préservation de la biodiversité et 8 % ont permis de soutenir les efforts de réduction de la pollution de l’eau, de l’air et du sol.
B. Un impact essentiellement neutre sur l’environnement des dépenses rattachées à la mission
Dans la continuité des éditions précédentes, le cinquième exercice du budget vert de l’État ([22]) évalue comme neutre l’impact sur l’environnement de 96 % des dépenses rattachées à la mission et relevant du périmètre étudié. Seuls 262,8 millions d’euros sont cotés favorables à l’environnement en 2025 ; 78 millions d’euros sont par ailleurs classés comme défavorables.
Les montants non neutres relèvent exclusivement de la catégorie des dépenses fiscales. Ils résultent :
– de quotes-parts favorables de 10 % pour l’exonération des intérêts des livrets A (soit 104,5 millions d’euros) et des livrets bleus (8,5 millions d’euros) et de 35 % pour l’exonération des intérêts des livrets de développement durable et solidaire (149,8 millions d’euros), au titre des axes « atténuation climat » et « adaptation climat » ;
– d’une quote-part défavorable de 5 % pour ces mêmes exonérations relatives aux livrets A (52,3 millions d’euros), aux livrets bleus (4,3 millions d’euros) et aux livrets de développement durable et solidaire (21,4 millions d’euros), au titre des axes « atténuation climat » et « biodiversité ».
Ces cotations résultent d’une analyse détaillée de l’emploi des fonds associés au stock d’épargne de ces trois livrets d’épargne réglementée, dont la gestion relève des banques pour 40,5 % et de la Caisse des dépôts et consignations à hauteur de 59,5 %.
Au cours de sa réunion du mercredi 30 octobre 2024, la commission des finances a examiné les crédits de la mission Engagements financiers de l’État.
Conformément à l’avis défavorable du rapporteur spécial, la commission a rejeté les crédits de la mission Engagements financiers de l’État.
La commission a ensuite adopté quatre amendements n° II‑CF380 du rapporteur spécial et plusieurs de ses collèges, II‑CF617 de M. de Courson après l’adoption du sous-amendement II‑CF2976 de M. Coquerel, II‑CF381 du rapporteur spécial et plusieurs de ses collègues et II‑CF1092 de M. Bompard et plusieurs de ses collègues.
L’amendement II‑CF380 modifie l’état G Liste des objectifs et des indicateurs de performances pour y inclure les montants des primes et des décotes à l’émission et la nationalité et la classification des détenteurs de la dette publique.
L’amendement II‑CF617 tel que sous-amendé par le sous-amendement II‑CF2976 portant article additionnel après l’article 60 a pour objet d’inclure deux députés et deux sénateurs au sein du comité stratégique de l’Agence France Trésor.
L’amendement II‑CF381 portant article additionnel après l’article 60 a pour objet de prévoir la transmission au Parlement par le Gouvernement, dans un délai de six mois à compter de l’adoption de la loi de finances pour 2025, d’un rapport relatif aux détails des émissions d’obligations assimilables du Trésor indexées sur l’inflation.
L’amendement II‑CF1092 pourtant article additionnel après l’article 60 a pour objet de prévoir la transmission au Parlement par le Gouvernement, dans un délai de neuf mois suivant l’adoption de la loi de finances pour 2025, d’un rapport évaluant les effets de la mise en place d’un plancher de détention de dettes souveraines pour les banques et assureurs opérant en France.
M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial. Les crédits de la mission Engagements financiers de l’État proposés pour 2025 s’élèvent à 61,3 milliards d’euros. Contrairement à ceux que nous venons d’examiner, ces crédits sont en hausse, et ce n’est malheureusement pas une bonne nouvelle ! En effet, composés très majoritairement de la charge de la dette de l’État, ils sont cette année encore le deuxième poste de dépenses après l’enseignement scolaire. Au total, les dépenses liées à la charge de la dette dépasseraient les crédits alloués à la mission Défense, hors contributions aux pensions.
Ces chiffres donnent le vertige et mettent en évidence la dégradation de notre situation financière. Si les crédits de cette mission avaient atteint un niveau historiquement bas en 2020 – 36 milliards d’euros – à une période d’inflation faible et de taux d’intérêt négatifs, l’absence de sérieux des gouvernements successifs dans la gestion des finances publiques nous a menés de dérapage budgétaire en dérapage budgétaire et se traduit aujourd’hui par une explosion incontrôlée de la charge de la dette. Les crédits de la mission devraient ainsi atteindre 77 milliards d’euros à horizon de 2027, pesant durablement sur les marges de manœuvre financières de l’État.
La hausse des crédits de la mission est essentiellement portée par le programme 117 Charge de la dette et trésorerie de l’État, qui comprend 88 % des crédits de la mission. Les crédits alloués à ce programme s’élèvent à 54,2 milliards d’euros en 2025, en hausse de 2,8 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2024 et de 4,2 milliards d’euros par rapport à la prévision actualisée pour 2024. Après une année de stabilité en trompe-l’œil dopée par le reflux de l’inflation, la charge de la dette repartirait à la hausse sous un triple effet.
D’une part, si la modération du coût de la provision pour charge d’indexation des obligations assimilables du Trésor indexées sur l’inflation (OATi) devait se poursuivre en 2025, cette provision s’établirait néanmoins à 5,8 milliards d’euros, soit à un niveau structurellement plus élevé que celui connu avant 2022. Entre 2022 et 2023, le recours à des OATi a entraîné un surcoût d’environ 20 milliards d’euros pour l’État, effaçant tous les gains que le programme d’émission d’OATi avait procurés depuis 1999.
La perte nette pour l’État devrait progressivement s’alourdir en 2024 et en 2025, sous le poids d’une inflation structurellement plus élevée qu’avant 2022. Je réitère la proposition, issue de mes travaux antérieurs, d’éteindre progressivement le recours aux OATi, qui n’ont pas démontré leur caractère contracyclique. L’Allemagne, consciente du risque que font courir ces émissions, a décidé d’y mettre fin en 2023. Le Royaume-Uni, pourtant pionnier en ce domaine, réduit progressivement et drastiquement son recours à ces instruments. La France ne doit pas aller à contre-courant.
Malgré les baisses récentes des taux directeurs de la Banque centrale européenne (BCE), la France se finance désormais dans un contexte marqué par des taux d’intérêt haussiers, qui atteignent un niveau élevé – on anticipe un taux de 3,6 % fin 2025. Dès l’année prochaine, la charge de la dette devrait s’alourdir, par ce seul effet taux, de 1,7 milliard d’euros, soit l’équivalent du budget de la mission Sport, jeunesse et vie associative.
Enfin, et surtout, la charge de la dette s’alourdirait mécaniquement, l’année prochaine, de 4,3 milliards d’euros, du fait de la hausse du volume de la dette. Ce phénomène est le résultat de deux années de dérapage budgétaire ; les prévisions macroéconomiques, en particulier de recettes, étaient trop optimistes – point sur lequel je vous avais alertés. Les déficits publics de 5,5 % en 2023 et de 6,1 % cette année, à contre-courant de la situation de tous nos voisins, ont provoqué une dégradation sans précédent des conditions de financement de la France. Le spread – ou écart de taux d’intérêt – avec l’Allemagne a augmenté de 30 points de base depuis le printemps et frôle désormais 0,8 % ; nous nous trouvons ainsi dans une position plus défavorable que le Portugal, l’Espagne et même la Grèce.
Les trois principales agences de notation ont successivement fait part de leurs inquiétudes concernant la trajectoire financière de la France, soit en abaissant la notation de notre dette, soit en lui adossant une trajectoire négative. L’absence de sérieux budgétaire des gouvernements successifs remet donc en cause la qualité de la signature française, qui était pourtant son premier atout dans l’accès à des conditions de financement avantageuses. Elle risque de susciter un effet boule de neige sur la dette publique, qui pourrait devenir incontrôlable.
Les autres programmes de la mission concernent des montants de crédits sensiblement moindres. Le programme 369 Amortissement de la dette liée à la covid-19, qui retrace l’amortissement de 165 milliards d’euros de dette covid, serait doté de 5,2 milliards d’euros en 2025. Si ce programme n’est qu’un jeu d’écritures comptables dénué de tout effet sur le niveau d’endettement et ses conditions de remboursement, je note toutefois que les dotations sont en baisse par rapport aux prévisions, ce qui remet en cause le calendrier d’amortissement à l’horizon 2042 que le Gouvernement s’était fixé. Paradoxalement, un programme destiné à montrer le sérieux budgétaire du Gouvernement est devenu l’illustration de son incapacité à tenir ses engagements en matière de finances publiques.
La dotation du programme 114 Appels en garantie de l’État poursuit sa décrue pour atteindre 985 millions d’euros en 2025, soit une baisse de 48,2 % par rapport à 2024 sous l’effet de la diminution des appels en garantie au titre des prêts garantis par l’État (PGE). Cette prévision demeure toutefois soumise à une forte incertitude, compte tenu de l’environnement inflationniste.
La majorité des crédits de la mission sont évaluatifs, l’État étant tenu d’honorer ses engagements en matière de charge de la dette. Cependant, mon avis sera défavorable, compte tenu de la croissance incontrôlée de l’endettement et de la charge de la dette, corollaire d’une gestion des finances publiques marquée par des écarts croissants entre les prévisions et l’exécution.
Article 42 et état B : Crédits du budget général
Amendement II-CF1111 de M. Manuel Bompard
M. le président Éric Coquerel. Pendant le covid, une part de la dette, issue des aides de l’État, a été cantonnée au sein de la Cades (Caisse d’amortissement de la dette sociale). Or, la dette sociale, contrairement à la dette de l’État, ne peut pas rouler, ce qui nous oblige à en rembourser une grande partie chaque année. Si l’État s’était endetté d’un même montant, il paierait la charge de la dette mais ne serait pas contraint de rembourser le stock. Ce choix se justifie d’autant moins qu’il s’agit d’une politique publique de l’État et non d’une politique sociale. Aussi l’amendement vise-t-il à minorer de 5,153 milliards d’euros en CP l’action 01 du programme 369 Amortissement de la dette de l’État liée à la covid-19, de façon à nous redonner des marges financières.
M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial. Je suis très critique à l’égard du cantonnement de la dette covid, qui n’est rien d’autre qu’une manœuvre comptable d’affichage du Gouvernement et qui n’a aucun effet sur le niveau d’endettement public global – une dette reste une dette. Toutefois, je ne suis pas favorable à votre amendement, pour trois raisons.
Premièrement, dans l’exposé sommaire, vous confondez le transfert de 136 milliards de dette à la Cades, opéré par la loi organique du 7 août 2020 – qui a prolongé la durée de vie de cette caisse jusqu’en 2033 – et la création par le PLF (projet de loi de finances) pour 2022 du programme 369 Amortissement de la dette de l’État liée à la covid-19, à partir d’une estimation de la dette covid de 165 milliards d’euros. En supprimant ce programme, vous ne mettriez pas fin à l’affectation de la dette à la Cades.
Deuxièmement, on ne peut pas dire que l’État se prive du pouvoir de rouler la dette en affectant celle-ci à une autre entité. En effet, toutes les sommes que l’État affecte à la Cades amoindrissent ses recettes, ce qui accroît son endettement, tant sur la part covid que sur le reste. L’État continue donc bien à rouler la dette.
Troisièmement, s’agissant de votre critique de la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale), qui est un impôt affecté à la Cades jusqu’à l’extinction de cette dernière, je me félicite que votre groupe prône, une fois n’est pas coutume, une baisse d’impôt. Toutefois, l’amendement ne porte pas sur la Cades mais sur le programme 369.
Pour l’ensemble de ces raisons, j’émets un avis défavorable.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Monsieur le rapporteur spécial, quelle part des 165 milliards d’euros reste-t-il à amortir, et jusqu’à quelle date ? Quelle proportion représentent les intérêts et le capital dans l’abondement annuel de près de 5 milliards du programme 369 ? Il serait logique que cette dette soit traitée comme les autres dettes. Mes chers collègues, vous n’avez pas voté l’amendement que j’avais déposé sur la loi organique, il y a quelques années, visant à ce que le remboursement de la dette soit considéré comme une opération budgétaire, alors qu’actuellement, il est défini comme une opération de trésorerie, ce qui est une aberration comptable. Seul le remboursement des intérêts figure au budget de l’État. L’exception est constituée par ces 165 milliards, placés dans une section de la Cades, que nous subventionnons en vue du remboursement du capital et des intérêts. Seuls les intérêts devraient y figurer : il faudrait déduire de l’abondement annuel d’environ 5 milliards le capital remboursé. C’est pourquoi je ne suis pas favorable à l’amendement.
M. le président Éric Coquerel. Vous avez raison sur cet aspect technique, que je découvre. Cela étant, je maintiens que cela aurait dû être une dette normale de l’État et que nous devrions seulement rembourser les intérêts. Nous nous privons de moyens.
Mme Véronique Louwagie (DR). Le projet annuel de performances (PAP) évoque, non la Cades, mais la Caisse de la dette publique. S’agit-il de la même entité ? J’avais cru comprendre qu’une partie de la dette sociale liée à la covid-19 avait été affectée à la Cades mais, en l’occurrence, le PAP évoque la dette de l’État. Par ailleurs, aucune autorisation d’engagement n’est indiquée pour l’amortissement de la dette liée à la covid-19 dans le cadre du programme 369. Pourtant, on nous parle d’un échelonnement de 2022 à 2042. Pouvez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
M. David Amiel (EPR). Si l’on considère la question sous l’angle de la gouvernance et du pilotage de nos politiques publiques, on peut se demander s’il était utile ou non de cantonner la dette. En revanche, d’un point de vue macroéconomique, cela ne change rien pour nos finances publiques. Si ces 5 milliards d’euros n’étaient pas affectés à la Cades, ils abonderaient le budget général : l’émission de dette serait plus faible dans le cadre du budget général alors qu’actuellement, ces sommes réduisent la dette placée au sein de la Cades. C’est exactement équivalent. La seule chose qui compte est le solde des dépenses et des recettes, autrement dit le niveau global de la dette publique, toutes administrations confondues.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). J’espère que ces échanges conduiront au dépôt d’un amendement, en vue de la séance, que, le cas échéant, nous soutiendrons. Je suis choqué par le fait que le Gouvernement oblitère systématiquement l’amortissement de la dette covid en communiquant le chiffre de 55 milliards d’euros, ce qui fausse grandement l’information de nos concitoyens et le débat public. Il faudrait l’inviter à publier le vrai chiffre, qui est 61 milliards.
M. le président Éric Coquerel. Je maintiens cet amendement à titre d’appel, mais il faudra le retravailler en vue de la séance.
M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial. Monsieur le rapporteur général, la dette covid doit être remboursée d’ici à 2042. À la fin 2024, 150 milliards d’euros restent à rembourser, et il devrait en rester 144,9 à la fin 2025. Nous n’avons pas d’information sur la part que représentent les intérêts. Le fait que la dette covid soit séparée n’apporte rien à l’État : c’est une opération comptable qui a un objet exclusivement politique.
Madame Louwagie, la dette covid est gérée par la Caisse de la dette publique, qui est une sorte de doublon de l’Agence France Trésor (AFT), distinct de la Cades.
La commission rejette l’amendement.
Amendement II-CF1097 de M. Manuel Bompard
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Par cet amendement d’appel, nous demandons la constitution d’une équipe chargée d’établir un plancher de détention de la dette souveraine, qui s’imposerait aux banques privées et aux assurances opérant en France. Le Gouvernement lance l’alerte sur l’insoutenabilité de la dette française, mais on s’attaque peu au fond du problème, qui est la structure de la dette. Alors que, dans les années 1970, celle-ci était majoritairement aux mains de résidents nationaux, elle est à présent détenue, à 53 %, par des structures situées à l’étranger. L’élévation du plancher de détention de la dette souveraine par les établissements précités permettrait de mieux la contrôler et de la rendre plus soutenable. À l’heure actuelle, les détenteurs établis à l’étranger ont une influence sur le montant des intérêts.
M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial. Je partage votre préoccupation. Lors du Printemps de l’évaluation, je me suis efforcé de déterminer qui détenait la dette française. Or, force est de constater que l’on n’en sait rien, car le code monétaire et financier ne permet pas aux personnes publiques de demander aux détenteurs réels de la dette de révéler leur identité. On sait simplement que la dette est détenue majoritairement par des non-résidents, ce qui constitue un danger potentiel pour notre souveraineté. Avant d’appliquer le dispositif que vous proposez, il me paraît nécessaire d’étudier son impact potentiel, car la qualité de la signature française est en jeu. Avis défavorable.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Voilà plusieurs années que nous demandons ces informations. Nous avons même auditionné les gestionnaires de la dette publique pour savoir qui la détient, mais on nous a répondu qu’il était impossible de le déterminer. On sait simplement que des acteurs étrangers en possèdent entre 50 et 55 % – le chiffre varie chaque année. Les masses en jeu sont énormes : l’État français émet cette année un peu plus de 300 milliards d’euros, qui correspondent au déficit, qui dépasse 150 milliards, et au remboursement de 150 milliards d’euros de dette. Nous sommes le premier emprunteur européen. Nous ne parviendrions pas à nous financer sur le seul marché français. En effet, l’épargne des ménages français s’élève à 220 milliards d’euros, soit environ 18 % de leur revenu ; nous épuiserions toute l’épargne des ménages – comme c’est le cas au Japon – et une partie de celle des entreprises.
M. Nicolas Sansu (GDR). Je suis très favorable à cet amendement d’appel, qui replace dans le débat public la question du circuit du Trésor. Monsieur le rapporteur spécial, j’avais rédigé, en 2015, avec MM. Buisine et Gorges, un rapport sur la détention de la dette dans le cadre de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC). L’internalisation et le contrôle d’une partie de la dette, y compris à l’échelon européen – sous l’égide de la BCE – sont une question essentielle pour assurer notre souveraineté et réduire la charge de la dette. Monsieur le rapporteur général, si l’on englobe le livret A et l’assurance vie, les placements des Français atteignent 3 000 milliards d’euros. On ne pourra pas faire l’économie de ce type de dispositif car, à livrer toute notre dette aux marchés financiers, on nourrit la chaudière qui va nous tuer.
M. Matthias Renault (RN). Kévin Mauvieux a effectué des contrôles sur pièces et sur place à l’AFT et à la Banque de France pour essayer d’obtenir, non pas des données nominatives, mais un tableau indiquant, pour chaque pays, les montants de dette française détenus. Manifestement, ces données relèvent du secret d’État. Concrètement, des spécialistes en valeurs du Trésor répondent aux adjudications de l’AFT puis ces acteurs, que l’on pourrait qualifier de grossistes de la dette, la revendent par petits bouts sur le marché secondaire. L’AFT et la Banque de France affirment ne pas savoir ce que devient alors notre dette. C’est faux, puisque les spécialistes en valeurs du Trésor font des rapports réguliers à l’AFT, dans lesquels ils fournissent ces informations. En outre, la Banque de France abrite une salle des marchés, où cette information est connue. Enfin, les journalistes peuvent mener des investigations poussées au sein de la base financière Bloomberg, par exemple, dans laquelle il est possible de localiser la dette française.
M. David Amiel (EPR). On cite souvent le cas du Japon mais il faut rappeler que ce pays a des excédents commerciaux considérables, qui lui permettent d’accumuler de l’épargne et des créances vis-à-vis du reste du monde. Il peut ainsi détenir sa propre dette publique, comme le capital et la dette de ses entreprises, tout en investissant à l’étranger. Nous ne sommes pas dans la même situation. On peut vouloir réorienter massivement l’épargne des Français vers la dette publique, mais cela se fera au détriment de la dette privée de nos entreprises. Il faut plutôt s’assigner des objectifs relatifs à la quantité d’épargne et à la croissance si l’on veut répondre aux enjeux de financement de la dette publique et de la dette privée.
Par ailleurs, je rappelle que nous avons connu une crise majeure dans la zone euro parce que les banques détenaient massivement des titres de dette publique. L’État et les banques ont plongé de pair, comme on l’a vu en Italie, en Grèce et en Espagne. La réflexion sur la détention des titres de dette publique par le système bancaire doit être menée à l’échelon européen et prendre en compte une dimension assurantielle. Dans le cas contraire, en cas de crise financière, l’État et les banques tomberaient en même temps.
M. le président Éric Coquerel. Cela a tout de même été fait, à un niveau supérieur à 20 %, pendant la crise du covid, puisque la BCE a prêté aux États par le biais des banques centrales.
M. David Amiel (EPR). C’était la BCE, pas les banques de second rang.
M. Charles de Courson, rapporteur général. La BCE a détenu 25 à 30 % de la dette publique française.
M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial. Lorsque j’ai essayé de creuser la question, lors du Printemps de l’évaluation, j’ai constaté que deux doctrines étaient en présence. Selon la première, qui émane principalement du Trésor, il ne faut pas que l’on sache qui détient la dette car, si un pays ou des investisseurs se retirent, cette information déstabiliserait les marchés. En vertu de la seconde, qui est développée par des économistes que j’ai auditionnés, on peut divulguer la nationalité des investisseurs sans risquer de déstabiliser le marché mais il ne faut pas révéler l’identité précise des personnes. Pour ma part, je souhaite connaître la nationalité et le statut juridique des investisseurs. À ce sujet, il m’a été répondu qu’il est techniquement impossible d’obtenir ces informations. Or, nous avons auditionné Euronext, qui nous a indiqué qu’on pouvait facilement avoir accès, en quarante-huit heures, à la cartographie précise des endroits où étaient détenus les titres de dette française. Autrement dit, on peut le savoir si on en a la volonté.
La commission rejette l’amendement.
M. le président Éric Coquerel. Quel est votre avis sur les crédits de la mission, monsieur le rapporteur spécial ?
M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial. Mon avis demeure défavorable. La charge de la dette explose et contraint les politiques gouvernementales de par sa structure et son mode de gestion.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux explications de vote.
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Si la charge de la dette représente 7 % du budget de l’État, le problème n’a jamais été la dette publique en soi, car celle-ci est d’une tout autre nature que celle d’un ménage. Le problème vient du fait que les dépenses publiques financées par la dette sont employées, de manière récurrente, pour sauver des marchés plutôt que pour servir l’intérêt des Français : c’est toute la différence entre la dette utile et illégitime, que notre président a exposée dans Lâchez-nous la dette !
La question est de savoir pour qui roule notre dette. Nous avons contracté des déficits non pas parce que nous aurions construit trop d’écoles et d’hôpitaux, non pas parce que nous aurions trop bien formé nos enseignants et nos médecins, mais bien parce que l’argent des Français a été mis au service des intérêts privés. Cet argent a été utilisé pour résorber les crises provoquées par le système capitaliste, qu’elles soient économiques et financières ou d’ordre sanitaire ; il a été employé pour soutenir massivement les grandes entreprises, qui reçoivent 200 milliards d’euros par an en cadeaux fiscaux et en aides ; il devrait en plus servir à payer le coût immense de la dette écologique que l’inaction climatique des sept années de macronisme nous a fait subir. L’argent des Français a servi à ce grand dispositif d’assistanat du capitalisme qu’est la dépense publique telle que conçue par Emmanuel Macron. Laurent Saint-Martin faisait mine, dans l’hémicycle, d’ignorer ce qu’est le néolibéralisme. Ce dernier, en réalité, ne se traduit pas par la rétractation de la sphère publique mais, au contraire, voit l’État devenir, à grand renfort de milliards, un acteur de marché comme les autres, qui crée et vend ses produits de dette, construisant par là sa prison dans laquelle il enferme les Français.
Nous voterons contre votre dette illégitime et irresponsable.
M. Philippe Brun (SOC). Nous voterons contre ces crédits.
Mme Véronique Louwagie (DR). Nous voterons en faveur des crédits de cette mission qui, comme son nom l’indique, concerne les engagements de l’État. S’y opposer reviendrait à remettre en cause la signature de la France et la crédibilité de notre pays. Cela étant, nous tenons à souligner la hausse particulièrement inquiétante de la charge de la dette, qui atteindra 54 milliards d’euros en 2025. C’est, d’ores et déjà, le deuxième poste de dépenses de l’État, devant la défense. Cela devrait tous nous alerter, dans un contexte géopolitique des plus instables, d’autant plus qu’elle devrait s’élever à 69 milliards d’euros en 2027, soit à un niveau supérieur au budget de l’éducation nationale. Nous serons tous d’accord, je pense, pour dresser ce constat d’échec. Moody’s a maintenu la note de la dette française, la semaine dernière, en prévoyant toutefois une trajectoire négative, signe d’un manque de confiance dans la capacité du pays à engager des réformes de fond pour résorber le déficit. Cela doit nous inciter à engager le redressement de nos finances publiques par un plan massif de réduction des dépenses que nous appelons de nos vœux pour sortir de cette spirale infernale. Ce n’est pas une question comptable mais un enjeu de souveraineté.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Sur la base du constat dressé par Mme Louwagie, nous voterons contre les crédits. Il nous faut engager les réformes de fond en faveur de la transition écologique.
M. Christophe Plassard (HOR). Comme dans la rue, il faut remettre de l’ordre dans les comptes. En franchissant le cap des 50 milliards d’euros en 2025, la charge de la dette dépasse certains budgets, dont celui de la défense. Honorer les engagements financiers de l’État est essentiel si l’on veut continuer à emprunter à un taux raisonnable.
Cela étant, rappelons que l’augmentation de la dette est allée de pair avec celle du PIB. Par ailleurs, nous ne pouvions pas laisser des milliers de PME mettre la clé sous la porte pendant la crise sanitaire. Nous assumons les choix accomplis, mais il ne faut pas confondre l’ordre dans les comptes et l’orthodoxie budgétaire. Le covid a coûté 165 milliards d’euros d’aides aux Français et engendré 155 milliards d’euros de pertes fiscales. Une fois que l’activité a repris, nous avons connu une inflation record, dont on ne pouvait, là encore, laisser les Français subir seuls la charge. L’État a pris à nouveau ses responsabilités, et les mêmes qui hurlent aujourd’hui au dérapage exigeaient il y a encore un an que la puissance publique compense toutes les hausses de prix.
Cependant, il faut être responsable : ces engagements doivent être assumés. C’est tout l’enjeu de cette mission budgétaire. Le respect de la parole donnée par la France nous permet de bénéficier encore de taux raisonnables. Il y va de notre crédibilité internationale. Nous l’avions préservée, lorsqu’Édouard Philippe était Premier ministre : rappelons en effet que la procédure de déficit excessif engagée contre notre pays avait été abandonnée en 2018. Nous aiderons l’actuel Premier ministre à poursuivre ces efforts en votant en faveur de ces crédits budgétaires.
M. Charles de Courson (LIOT). Il me paraît difficile de voter contre ces crédits. En tout état de cause, quel que soit notre vote, les créanciers de l’État français sont en droit d’exiger le paiement des intérêts et le remboursement du capital. Notre vote sera donc, bien entendu, positif.
Le temps est fini où l’on s’endettait à un coût pratiquement nul, et ce nouvel état sera durable. La situation anormale que l’on a connue pendant quelques années était liée à la politique de la BCE qui, pour soutenir l’économie, a émis massivement de la monnaie, ce qui a fait s’effondrer les taux d’intérêt. Nous sommes revenus à des taux normaux, de l’ordre de 3 %, à rapporter à une inflation de 1,5 %. Nous allons payer très cher la politique d’endettement à tout-va. Sur les 2 500 milliards d’euros de la dette de l’État, 1 000 ont été contractés au cours des sept dernières années, les 1 500 milliards d’euros antérieurs étant imputables à plusieurs majorités. Soyons raisonnables et assumons le passé.
M. Nicolas Sansu (GDR). La dette est un formidable instrument pour contraindre les services publics et empêcher de répondre aux besoins sociaux et humains. Nous savons tous qu’elle a été entretenue. Des investissements dans la transition écologique devraient être sortis de la dette et financés par la BCE. Nos collègues du bloc central nous disent qu’il faut faire attention à la dette tout en faisant voter la suppression de l’article 11 du PLF et de l’article 6 du PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale). Autrement dit, vous n’assumez pas les mesures que propose le Gouvernement pour réduire le déficit. Il faut faire preuve d’un minimum de cohérence. Nous voterons contre ces crédits.
La commission rejette les crédits de la mission Engagements financiers de l’État.
Article 45 et état G : Objectifs et indicateurs de performance
Amendement II-CF380 de M. Kévin Mauvieux
M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial. Cet amendement vise à enrichir les indicateurs de performance de la mission Engagements financiers de l’État en y incluant le montant des primes et des décotes, ainsi que la nationalité et la classification des détenteurs de la dette française. Les primes et les décotes peuvent donner une vision déformée du montant de la dette.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Je suis tout à fait favorable à cette mesure, qui permettra de mettre au jour le montant effectif de la dette. Je me suis battu pendant des années pour que l’on indique clairement le montant des primes et des décotes d’émission, qui s’élèvent à près de 40 milliards d’euros.
La commission adopte l’amendement.
Après l’article 60
Amendement II-CF617 de M. Charles de Courson
M. Charles de Courson, rapporteur général. Actuellement, le Parlement n’exerce aucun contrôle sur les activités de l’AFT. Je propose qu’un député et un sénateur siègent au sein de son comité stratégique afin de rendre compte de l’organisation de l’agence et de sa stratégie en matière d’émission des obligations souveraines. La Cour des comptes avait estimé, à l’issue de l’audit qu’elle y avait mené, que la dette française était globalement bien gérée, avec prudence, dans une perspective de long terme.
Toutefois, on peut s’interroger, par exemple, sur le bien-fondé du recours à des produits indexés sur l’inflation, que l’Allemagne a décidé de ne plus émettre. Nous devrions adopter la même position, compte tenu du risque auquel cela nous expose. À l’heure actuelle, près d’un dixième de notre dette est indexé. Il me paraît anormal qu’aucun parlementaire ne soit présent pour suivre ces questions. Lorsqu’on interroge les gestionnaires, par exemple sur la maturité d’un titre ou sur l’indexation, ils nous répondent que c’est ce que demande le marché. Or, ils ne sont pas obligés de suivre le marché s’ils estiment que cela nous fait courir un danger. Cela mérite un vrai débat.
M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial. Je donnerai, comme l’année dernière, un avis favorable sur cet amendement. La plus grande transparence doit régner sur les questions soumises à l’examen des parlementaires et, en particulier, sur la dette de l’État. Il est primordial que le Parlement puisse donner son avis sur une décision telle que l’émission d’OATi – qui représentent 10,8 % de notre dette –, d’autant plus que les investisseurs sont nombreux à vouloir acheter des obligations classiques – la demande étant deux à trois fois supérieure à l’offre.
M. le président Éric Coquerel. Je voterai pour cet amendement. Toutefois, comme on le prévoit pour la Caisse des dépôts, il faudrait que la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat nomment, chacun, deux membres de leur assemblée respective, l’un appartenant à la majorité, l’autre à l’opposition. Je sous-amende l’amendement en ce sens.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.
Amendement II-CF381 de M. Kévin Mauvieux
M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial. Cet amendement demande au Gouvernement la remise d’un rapport, dans un délai de six mois, sur les OATi, notamment sur le coût des intérêts annuels versés par l’État. Il s’agit de savoir précisément le surcoût qu’a entraîné l’émission d’OATi lorsque les taux étaient négatifs. Cela va dans le sens de la proposition de loi que j’ai déposée il y a près de deux ans pour interdire les OATi.
La commission adopte l’amendement.
Amendement II-CF1092 de M. Manuel Bompard
Mme Claire Lejeune (LFI-NFP). Cet amendement vise à ce que le Gouvernement remette un rapport permettant d’évaluer l’impact de l’introduction d’un plancher de détention de dette pour les banques et les assurances qui opèrent en France. Le rapport devra détailler les conséquences de ce mécanisme sur les taux d’emprunt et la sensibilité de la dette souveraine aux potentielles attaques spéculatives.
M. Kévin Mauvieux, rapporteur spécial. Je suis favorable à cette demande de rapport. Plus nous aurons d’éléments tangibles sur les détenteurs de la dette et les conséquences d’une modification de la structure de la détention de la dette, plus nous pourrons agir de manière cohérente et responsable. Lorsque nous demandons que les résidents obtiennent la priorité pour la détention de titres, l’AFT et le Gouvernement nous répondent souvent que cela accroîtrait les risques et augmenterait les taux, car nous aurions moins d’investisseurs et, partant, moins de liquidités. Certains, dont je fais partie, doutent du bien-fondé de cette objection.
La commission adopte l’amendement.
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Liste des personnes auditionnées par le rapporteur spécial
Standard & Poor's
– M. Rémy Carasse, directeur et analyste en chef des notations souveraines
– M. David Henry Doyle, vice-président, directeur des affaires publiques Europe, Moyen-Orient et Afrique
– M. Gerben de Noord, chargé d’affaires règlementaires, S&P Global Ratings (Paris)
Crédit agricole *
– M. Pierre Gay, directeur général délégué de Crédit agricole CIB et responsable des activités de marché
– M. Louis Harreau, économiste
Fondation IFRAP *
– Mme Agnès Verdier-Molinié, directrice
Agence France Trésor
– M. Antoine Deruennes, directeur général
– M. Mathieu Marceau, chef du bureau de la trésorerie
Direction générale du Trésor
– Mme Cécile Humbert-Bouvier, secrétaire générale adjointe
– Mme Camille Sutter, cheffe du bureau du financement et du développement des entreprises
– M. Thomas Meinzel, chef de bureau, pôle analyse économique du secteur financier – stabilité financière
– M. Manuel Château, chef du bureau Affaires budgétaires et comptables
– Mme Ryma Meziane, adjointe au chef du bureau des affaires budgétaires et comptables
– M. Quentin Bon, adjoint au chef de bureau, pôle analyse économique du secteur financier – stabilité financière
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
([1]) Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
([2]) Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
([3]) Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
([4]) Sont concernés uniquement les crédits relatifs aux charges de la dette de l’État, aux remboursements, restitutions et dégrèvements et à la mise en jeu des garanties accordées par l’État.
([5]) Le programme d’achats lancé en 2015 (« Public Sector Purchase Programme », PSPP) et le programme d’achats d’urgence face à la pandémie lancé au printemps 2020 (« Pandemic Emergency Purchase Programme », PEPP) ont pris fin au cours de l’année 2022.
([6]) Les OAT€i ont pour référence d’indexation l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) hors tabac de la zone euro publié par Eurostat. Les OATi sont indexées sur l’indice des prix à la consommation (IPC) hors tabac de la France publié par l’Insee.
([7]) Article 125 de la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999 de finances pour 2000.
([8]) Initialement prévue jusqu’au 31 décembre 2022, la garantie de l’État a été prolongée jusqu’au 31 décembre 2023 par l’article 147 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.
([9]) Comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l’épidémie de covid-19, rapport final, 27 juillet 2021.
([10]) Cour des comptes, Les prêts garantis par l’État, 25 juillet 2022.
([11]) Une entreprise « zombie » est une entreprise d’au moins dix ans d’âge, non rentable et fortement endettée, dont le résultat opérationnel est insuffisant pour couvrir sa charge d’intérêt pendant au moins trois ans.
([12]) Le coût net des PGE pour l’État résulte des pertes brutes résultant des appels en garantie constatés et des gains enregistrés au titre des commissions de garantie. La garantie de l’État est en effet rémunérée par des commissions de garantie selon un barème qui dépend de la taille de l’entreprise et de la maturité du prêt qu’elle couvre, en application de l’article 7 de l’arrêté du 23 mars 2020 accordant la garantie de l’État au titre des PGE.
([13]) Conseil d’analyse économique, Prêt garanti par l’État : les entreprises pourront-elles rembourser ? Un éclairage à la mi-2024, octobre 2024.
([14]) Banque de France, « L’épargne réglementée », rapport annuel 2023, juillet 2024.
([15]) Loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire.
([16]) Article 229 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
([17]) Article 167 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022.
([18]) L’article L. 2111-10-1 du code des transports prévoit que le ratio entre la dette financière nette de SNCF Réseau et sa marge opérationnelle ne peut dépasser un plafond fixé par les statuts de la société, qui devra être inférieur à 6 à compter de 2026 en application du contrat de performance 2021‑2030.
([19]) Au sens de l’article 25 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).
([20]) Loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, article 92.
([21]) AFT, OAT vertes, rapport d’allocation et de performance 2023, septembre 2024.
([22]) Rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État annexé au PLF 2025, octobre 2024.