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N° 525

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 octobre 2024.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,
 

visant à reporter le renouvellement général
des membres du congrès et des assemblées de province
de la Nouvelle-Calédonie

PAR MM. Florent BOUDIÉ ET Arthur DELAPORTE

Députés

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Voir les numéros :

 Sénat :  759 (2023-2024), 38, 39 et T.A. 11 (2024-2025).

Assemblée nationale :  483.


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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION............................................ 5

I. LA NOUVELLE-CALÉDONIE EST CONFRONTÉE À DE GRAVES DIFFICULTÉS DEPUIS MAI DERNIER QUI RENDENT INOPPORTUNE L’ORGANISATION DES ÉLECTIONS DES MEMBRES DU CONGRÈS ET DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE DANS LE DÉLAI PRÉVU

A. LES ÉMEUTES DE MAI 2024 ET LEURS SUITES LAISSENT LE TERRITOIRE DANS UNE SITUATION DRAMATIQUE

1. Une crise d’une extrême gravité

2. Un lourd bilan humain, économique et social

B. DANS CE CONTEXTE, LES CONDITIONS NE PARAISSENT PAS RÉUNIES POUR ORGANISER LES ÉLECTIONS DE FAÇON SEREINE DANS LE DÉLAI PRÉVU

1. Face au risque d’effondrement du territoire, l’urgence est à l’accompagnement et à la reconstruction

2. La situation locale ne semble pas permettre l’organisation des élections dans de bonnes conditions matérielles

3. « Panser les plaies entre les communautés » ()

II. LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE, LARGEMENT SOUTENUE PAR LES ACTEURS LOCAUX, PRÉVOIT EN CONSÉQUENCE LE REPORT DU RENOUVELLEMENT GÉNÉRAL DU CONGRÈS ET DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE

A. L’examen parlementaire de lA PROPOSITION DE LOI organique

1. La proposition de loi initiale et ses modifications par le Sénat

2. La position de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale

B. UNE PROPOSITION SOUTENUE PAR LE CONGRÈS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE ET PAR L’immense majorité dES ACTEURS POLITIQUES CALÉDONIENS

III. le report des élections ouvre une nouvelle période pour construire l’avenir du territoire

A. Le report donne aux partenaires locaux une opportunité de rechercher ensemble un accord global

1. La volonté de dialogue et l’objectif de trouver un accord semblent partagés

2. Ce processus pourrait s’appuyer sur des travaux initiés avant les émeutes, en particulier au cours de discussions en format bilatéral

B. L’État et la représentation nationale doivent prendre leurs responsabilités pour accompagner les calédoniens

1. L’État suscite de fortes attentes et doit notamment retrouver son rôle de « tiers de confiance »

2. L’Assemblée nationale, et en particulier la commission des Lois, a un rôle à jouer en développant son suivi et son expertise sur les questions calédoniennes

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 1er Report des élections et prolongation des mandats en cours

Article 2  Prorogation des fonctions des membres des organes du congrès en cours

Article 3  Entrée en vigueur

compte rendu des débats

Personnes entendues

 

 

 

 

 


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Mesdames, Messieurs,

 

Depuis le 13 mai 2024, la Nouvelle-Calédonie est confrontée à une crise d’une gravité exceptionnelle, dont le point de départ a été l’examen puis le vote par notre assemblée du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province. La Nouvelle-Calédonie, et en particulier la zone du grand Nouméa, a été le théâtre de scènes d’émeutes, d’incendies, de pillages et d’agressions, ce qui a conduit à la déclaration de l’état d’urgence dès le 16 mai et au déploiement d’importants effectifs de forces de l’ordre face à une situation de type insurrectionnel.

Ces émeutes, selon le bilan humain dressé par le Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, ont causé « treize morts, dont deux gendarmes, ainsi qu’un Caldoche – Calédonien d’origine européenne – et dix Kanaks ». Elles ont aussi détruit des centaines d’entreprises, provoquant une puissante dégradation de la situation économique et sociale. La crise a engendré un nombre important de départs de l’archipel – même si leur ampleur est à ce stade difficile à estimer – ainsi que des déplacements de population à l’intérieur du territoire calédonien, dus par exemple au retour dans leurs communes d’origine de personnes ne pouvant plus s’acquitter de leur loyer, de salariés au chômage ou des enfants de ces derniers. 

Près de six mois après le démarrage des émeutes, l’intensité des violences a considérablement diminué, la désescalade semble être engagée, mais la crise n’est pas résolue pour autant, de même que n’est pas atteint le total retour à l’ordre public. L’économie du territoire est en partie détruite et la crise économique et sociale devient également budgétaire : l’ensemble des Calédoniens auditionnés par vos rapporteurs ont exprimé leur grande inquiétude à cet égard, évoquant le risque, à court et moyen terme, de véritables « émeutes de la faim ».

Dans ce contexte, la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province, déposée sur le bureau du Sénat le 16 septembre 2024 par M. Patrick Kanner et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et adoptée par le Sénat en première lecture le 23 octobre dernier, entend reporter les élections provinciales au plus tard le 30 novembre 2025.

Initialement prévues entre le 12 avril et le 12 mai 2024 et reportées par la loi organique n° 2024-343 du 15 avril 2024, elles devaient se tenir le 15 décembre 2024 au plus tard. Mais la Nouvelle-Calédonie panse ses plaies et la priorité est au redressement, pas à l’organisation d’une campagne électorale susceptible de raviver les clivages.

Prenant acte de cette situation, le Premier ministre Michel Barnier a confirmé le 1er octobre 2024, dans son discours de politique générale, le report des élections des membres du congrès et des assemblées de province jusqu’à fin 2025, afin de mettre à profit la période pour la « reconstruction économique et sociale de la Nouvelle-Calédonie et la recherche d’un consensus politique sur son avenir institutionnel ».

Le report des élections ne peut en effet constituer une finalité en soi, mais doit ouvrir une nouvelle période pour répondre à l’urgence de la situation et aux immenses défis de la Nouvelle-Calédonie. Au fond, comme le soulignait Michel Rocard dans sa déclaration de politique générale du 29 juin 1988, dix jours après les accords de Matignon, il s’agit encore, en cette fin d’année 2024, de rétablir « la paix des cœurs, des esprits et des âmes », tout autant que de rechercher des « solutions juridiques et administratives ».

Ce travail doit être conduit dans le respect des convictions de chacun et de la diversité du peuple calédonien. Il revient bien sûr aux Calédoniens de retourner à la table des discussions pour construire un projet d’avenir partagé et retisser les fils du dialogue afin de réinventer les voies d’un destin commun mis à rude épreuve par la crise. Face à l’urgence, la reprise rapide du dialogue est indispensable : elle doit permettre d’apporter au plus vite des réponses aux défis institutionnels et économiques de la Nouvelle-Calédonie.

L’État a cependant un rôle déterminant à jouer en redevenant un « tiers de confiance » impartial, garant de la continuité à la fois du processus de reconstruction socio-économique et du processus politique qui doit pouvoir s’engager, comme il a su l’être avec les accords de Matignon en 1988 puis de Nouméa en 1998. Malgré les très nombreuses tentatives de dialogue engagées par ses représentants, un grand nombre d’acteurs locaux auditionnés par vos rapporteurs ont eu, à l’égard de l’action de l’État et de son rôle dans le déclenchement de la crise, des mots sévères – et ce en dépit des signes, mentionnés par certains intervenants, d’une dégradation de la situation économique et sociale antérieure à la crise de mai. La période qui s’ouvre, et les signes d’apaisement donnés par le nouveau Gouvernement, doivent permettre de rétablir la confiance malmenée.

À l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, vos rapporteurs formulent enfin le souhait que la représentation nationale s’engage pleinement sur les questions calédoniennes. La visite prochaine des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat en Nouvelle-Calédonie témoigne de l’intérêt porté par les parlementaires à ce territoire. Cette « mission parlementaire » de haut niveau, parce qu’elle n’a pas en tant que telle vocation à représenter l’État, doit permettre d’engager l’ensemble des parties prenantes, du fait de l’autorité personnelle et morale des deux présidents, dans un dialogue tripartite. Dans ce contexte, la commission des Lois entend apporter sa contribution afin de constituer, à la place qui est la sienne et dans la continuité de son rôle passé, un interlocuteur des acteurs calédoniens ainsi qu’une force, tout à la fois, de dialogue et de proposition.    


I.   LA NOUVELLE-CALÉDONIE EST CONFRONTÉE À DE GRAVES DIFFICULTÉS DEPUIS MAI DERNIER QUI RENDENT INOPPORTUNE L’ORGANISATION DES ÉLECTIONS DES MEMBRES DU CONGRÈS ET DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE DANS LE DÉLAI PRÉVU

Alors que les élections devaient, en application de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie ([1]), avoir lieu le 12 mai 2024 au plus tard, la loi organique du 15 avril 2024, précitée, a prévu qu’elles pourraient se tenir au plus tard le 15 décembre 2024.

En raison de la grave crise économique, sociale et budgétaire mais aussi de craintes sur la capacité à organiser matériellement une élection dans un contexte sécuritaire non stabilisé, le maintien de ce calendrier soulève des difficultés.

A.   LES ÉMEUTES DE MAI 2024 ET LEURS SUITES LAISSENT LE TERRITOIRE DANS UNE SITUATION DRAMATIQUE     

1.   Une crise d’une extrême gravité

La Nouvelle-Calédonie a connu au mois de mai dernier de graves émeutes, dans le contexte de l’examen puis de l’adoption par l’Assemblée nationale, les 13 et 14 mai 2024, du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie ([2]). La zone du grand Nouméa ([3]), particulièrement stratégique pour l’économie et qui concentre les deux tiers de la population, a été la plus touchée.

Dès le 13 mai 2024, dans un point de situation, le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie évoque « des blocages de voie publique » dans le grand Nouméa ainsi que des « barrages filtrants » mis en place de façon illégale ([4]).

Un nouveau communiqué de presse publié le 14 mai évoque « des troubles à l’ordre public d’une grande intensité » survenus dans la nuit du 13 au 14 mai et ayant causé « de nombreux blessés » parmi les forces de l’ordre ([5]).

Le 15 mai, un nouveau point de situation fait état « de nombreux incendies et pillages de commerces, d’infrastructures et d’établissements publics – dont plusieurs écoles et collèges », ainsi que d’« une nouvelle rébellion avec tentative d’évasion » au centre pénitentiaire de Nouméa ([6]).

Ces premiers points de situation s’accompagnent d’un appel à restreindre les déplacements des populations. De nombreux bâtiments ont été pillés ou incendiés, obligeant leurs occupants à prendre la fuite. Face à ces risques, des habitants – « voisins vigilants » pour les uns, « milices armées » pour les autres – érigent des barricades et des barrages pour défendre leurs habitations.

L’ampleur des destructions, l’intensité de la violence dirigée contre les biens mais aussi contre les personnes, et les perturbations profondes engendrées sur la vie quotidienne, révèlent la gravité des émeutes. Le procureur de la République à Nouméa, M. Yves Dupas, y voit « un mouvement insurrectionnel animé par une radicalisation violente sur fond identitaire », avec « des objectifs ciblés pour déstabiliser l’agglomération, plusieurs services de l’État, la gendarmerie, des bâtiments communaux et puis la vie économique » ([7]).

En réponse à ces événements, des renforts massifs de forces de sécurité intérieure ont été déployés, dont le GIGN, le RAID et l’armée. Ainsi, à la veille des émeutes, les effectifs de forces de l’ordre en Nouvelle-Calédonie étaient au plus bas avec 500 personnes environ. Dans son point de situation du 24 mai, le Haut-commissariat annonçait la présence d’un total de 3 000 policiers et gendarmes sur place, appuyés par une centaine d’hommes du RAID et du GIGN ([8]) tandis que le communiqué du 21 septembre ([9]) fait état de 41 unités de forces mobiles, soit près de 6 000 policiers, gendarmes et sapeurs-pompiers.

L’état d’urgence a par ailleurs été décrété par le Président de la République sur l’ensemble du territoire de la Nouvelle-Calédonie ([10]) tandis qu’en application du décret n° 2024-437 du 15 mai 2024 relatif à l’application de la loi du 3 avril 1955, plusieurs arrêtés d’assignations à résidence et ordres de perquisition administratives ont été pris, en particulier à l’encontre d’individus membres de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT).

Le Haut-commissaire de la République a aussi pris diverses mesures administratives comme l’instauration d’un couvre-feu entre 18 heures et 6 heures du matin ([11]), l’interdiction des rassemblements sur la voie publique et les lieux publics dans le grand Nouméa ainsi que l’interdiction du transport et du port d’armes sur tout le territoire. L’aéroport international de Nouméa-La Tontouta a fermé le 14 mai pour ne rouvrir que le 17 juin.

2.   Un lourd bilan humain, économique et social

Le bilan humain des émeutes, dressé par le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, est lourd : « treize morts, dont deux gendarmes, ainsi qu’un Caldoche – Calédonien d’origine européenne – et dix Kanaks ».  La fermeture des routes et les restrictions de circulation ont aussi entraîné des décès de personnes n’ayant pas pu se rendre à l’hôpital pour y recevoir des soins. Il faut rappeler que ces chiffres concernent un territoire qui ne compte que 268 000 habitants ([12]). Des centaines de personnes ont également été blessées, dont de nombreux membres des forces de l’ordre.

Les auditions menées par vos rapporteurs ont par ailleurs mis en évidence les conséquences dévastatrices des émeutes sur l’économie calédonienne et, par ricochet, sur la situation sociale et budgétaire, ainsi résumées par le président du groupe Union calédonienne-FLKNS et Nationalistes (UC-FLNKS) au congrès, Pierre-Chanel Tutugoro : « la Nouvelle-Calédonie, ses institutions, son territoire, sa population, ne se relèvent pas encore et ne sont pas prêts de se relever (…). Les chiffres ne cessent de se dégrader, le climat aussi s’est dégradé, les services publics n’arrivent plus à s’organiser et les populations ont l’impression d’être laissées pour compte ».

● Selon le bilan établi par le Haut-commissariat, les dégâts dans les secteurs privé et public sont évalués à 2,3 milliards d’euros. 750 entreprises ont été détruites, et plus de 1300 autres ont subi des pertes d’exploitation. Les entreprises qui n’ont pas été détruites ont toutefois subi les entraves à la circulation et les coupures d’axes routiers qui ont empêché les salariés de se rendre sur leur lieu de travail. Par ailleurs, 6 000 emplois directs ont été détruits et près du tiers des effectifs salariés du pays – 20 000 personnes sur 65 000 – bénéficient désormais d’un dispositif de chômage partiel en vigueur jusqu’à la fin de l’année et compensé, à ce stade, par l’État ([13]). La perte de PIB est estimée à 20 à 30 % ([14]).

De nombreux équipements publics ont aussi été détruits : écoles, hôpitaux, dispensaires médicaux, bâtiments administratifs…

Enfin, les dégâts subis n’ont été indemnisés qu’à hauteur de 10 % en moyenne par les assurances, qui ont depuis retiré la garantie du « risque émeutes » du champ de leurs contrats.

● En raison de la chute des recettes fiscales provenant des entreprises détruites et des salariés au chômage, la situation budgétaire s’est dégradée ([15]). Les recettes de la province Sud ont ainsi diminué de 31 % et son débat d’orientation budgétaire, qui s’est tenu le 24 octobre dernier, a fait apparaître la perspective d’une réduction de plusieurs dispositifs de soutien social ([16]), après une première restriction des bourses scolaires et de l’accès au logement social à une condition de dix années de résidence en province Sud, contre six mois antérieurement, décidée dès le 15 juillet dernier ([17]). Le président de l’Association des maires de Nouvelle-Calédonie a pour sa part relayé les suppressions ou diminutions des transports scolaires ou de la cantine scolaire envisagées par plusieurs communes membres pour l’année 2025, ainsi que la baisse par certains maires de leurs indemnités.

● Ces crises économiques et budgétaires renforcent la crise sociale qui pourrait s’aggraver au cours des prochains mois si les dispositifs de soutien aux entreprises et aux particuliers, comme le chômage partiel, n’étaient pas prolongés.

La protection sociale, plus limitée que sur le reste du territoire de la République ([18]), pourrait s’avérer insuffisante face à l’ampleur des dégâts et n’est par ailleurs pas calibrée pour absorber un choc d’une telle ampleur. Ainsi, la durée d’indemnisation du chômage de droit commun, vers lequel les allocataires du chômage partiel pourraient basculer à l’expiration du dispositif, est de neuf mois pour les moins de 50 ans. À l’issue de cette période, faute d’avoir retrouvé un emploi et en l’absence d’équivalent du RSA, les allocataires se retrouveront sans ressources. Le député de la 1ère circonscription de Nouvelle-Calédonie, Nicolas Metzdorf, estime ainsi que le territoire pourrait se diriger « vers une quasi crise humanitaire ». Les représentants syndicaux de l’UNSOENC, auditionnés à leur demande, font état d’une situation de renforcement continu de la crise sociale. Précarisés, certains salariés au chômage rentrent dans leur commune d’origine ou y envoient leurs enfants, faute de pouvoir subvenir à leurs besoins.

La situation économique et sociale est ainsi qualifiée de « grave » par le Haut-commissaire et par le président de la province des Îles Loyauté, Jacques Lalié, de « catastrophique » pour le président de l’Association des maires de Nouvelle-Calédonie Florentin Dedane et le président du groupe Calédonie ensemble Philippe Michel, de « jamais atteinte » pour la présidente du groupe Rassemblement Virginie Ruffenach. Pour Mme Sonia Backès, présidente de la province Sud, « on est en train de s’effondrer », tandis que M. Nicolas Metzdorf évoque « une économie d’après-guerre ». Le conseiller M. Vaimu’a Muliava souligne « une économie à terre ». La plupart des acteurs auditionnés disent ainsi craindre, si l’État ne contribue pas davantage à la mise en œuvre et au prolongement de dispositifs de soutien à l’urgence sociale, comme l’exprime notamment M. Philippe Michel, « des émeutes non plus à caractère politique mais des émeutes de la faim ».

B.   DANS CE CONTEXTE, LES CONDITIONS NE PARAISSENT PAS RÉUNIES POUR ORGANISER LES ÉLECTIONS DE FAÇON SEREINE DANS LE DÉLAI PRÉVU 

Le Haut-commissariat a indiqué à vos rapporteurs que l’organisation des élections d’ici au 15 décembre 2024 demeure « techniquement » possible. Toutefois, auditionné par le groupe de contact de l’Assemblée nationale le 18 septembre 2024, il avait évoqué la nécessité d’une saisine préalable, par le Premier ministre, de l’Organisation des nations unies, afin de désigner les 18 personnalités qualifiées indépendantes nécessaires à la révision des listes électorales : cette saisine n’a pas été enclenchée.

Les semaines passant, la possibilité de mener à bien la révision des listes et l’organisation matérielle du scrutin est apparue de moins en moins envisageable sur le plan technique. Surtout, cette solution apparaît à vos rapporteurs, et à l’immense majorité des acteurs auditionnés, inopportune dans le contexte actuel. Après une série de consultations politiques, le Premier ministre a ainsi annoncé, le 1er octobre, sa volonté de voir les élections reportées.

1.   Face au risque d’effondrement du territoire, l’urgence est à l’accompagnement et à la reconstruction

Pour les formations politiques comme pour les Calédoniens, l’urgence économique et sociale relègue la question politique au second plan. Pour Mme Virginie Ruffenach, les élections seraient « la dernière des préoccupations » de la population. De fait, il a été confirmé à vos rapporteurs qu’aucune formation politique n’avait engagé de campagne électorale lorsque l’annonce du report a été effectuée.

Après les mesures de soutien d’urgence accordées par l’État, les élus calédoniens attendent un engagement financier fort et pérenne de sa part sur des mesures sociales et de relance de l’économie, y compris lorsqu’elles relèvent des seules compétences territoriales.


Le soutien budgétaire de l’État à l’économie calédonienne à la suite des émeutes

Face à l’urgence économique et sociale, l’État a mis en place des mesures de soutien sous la forme de subventions et de prêts et visant notamment à financer :

– un dispositif de chômage partiel (dont le ministre des outre-mer a annoncé la prolongation en novembre et décembre 2024) ;

– la mise en place d’un fonds de solidarité pour les TPE et PME et une aide au cas par cas pour les entreprises non éligibles au fonds mais néanmoins en difficulté ([19]) ;

– l’octroi d’une avance de trésorerie d’un montant de 100 millions d’euros au gouvernement de la Nouvelle-Calédonie pour lui permettre de faire face à ses engagements ;

– le soutien aux banques, via l’ouverture d’une ligne de refinancement par l’Institut d’émission outre-mer, afin de leur permettre de mettre en place des mesures de soutien comme le report des échéances de prêt par les banques ou des prêts à taux zéro pour la reconstruction ;

Au début du mois de septembre, le Gouvernement a annoncé 130 millions d’euros d’aides supplémentaires, conditionnées à l’adoption de réformes, pour aider les entreprises et les services publics (apport de trésorerie au Régime universel d’assurance maladie, soutien au gestionnaire local d’énergie Enercal, subventions et prêts permettant la prolongation du chômage partiel en septembre et octobre).

Le total des aides apportées entre mai et octobre est ainsi chiffré à 400 millions d’euros (subventions et prêts). Ce montant s’ajoute :

– aux transferts annuels de l’État vers la Nouvelle-Calédonie, qui s’élèvent à 1,7 milliard d’euros, incluant en particulier les dépenses de personnel et de pensions ainsi que des dépenses d’intervention (dotations aux collectivités, subventions d’investissement) ([20]) ;

– aux mesures de soutien au secteur du nickel.

À l’issue de son déplacement en Nouvelle-Calédonie, le ministre des outre-mer M. François-Noël Buffet a annoncé le 21 octobre, au titre de l’année 2025, la garantie d’un prêt de l’Agence française de développement à hauteur de 500 millions d’euros, ainsi que le financement de la reconstruction des écoles à 100 % et des autres bâtiments publics à 70 %.

L’accompagnement de l’État à la Nouvelle-Calédonie fait notamment appel à une mission interministérielle sur la reconstruction, pilotée par l’inspecteur général des finances M. Anthony Requin et créée en mai dernier. Cette mission a la charge de réaliser un état des lieux, décliner les modalités opérationnelles de mise en place des mesures d’urgence et proposer, en discussion avec toutes les parties prenantes, des pistes pour la reconstruction et la diversification de l’économie.

Le congrès de la Nouvelle-Calédonie a ainsi voté, fin août, une demande de soutien de l’État pour la mise en œuvre d’un plan quinquennal (2024-2029) d’un montant de 500 milliards de francs pacifique (soit 4,2 milliards d’euros). Ce plan aurait pour objet :

– de compenser les pertes de recettes douanières, fiscales et sociales sur trois ans ;

– d’assurer le financement des indemnités de chômage partiel ou total au-delà du 31 décembre ;

– de faciliter la reconstruction des entreprises et infrastructures publiques détruites ;

– de sauver les systèmes de protection sociale, de soins, de transports publics, de logement social ou encore de production électrique.

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a de son côté proposé un plan de sauvegarde, de refondation et de reconstruction (PS2R) pour trois ans. Il combine, comme son nom l’indique, des mesures d’urgence de court terme en faveur des secteurs de la santé, de l’énergie, des retraites, les transports ou encore l’alimentaire ; une réflexion sur les dépenses publiques ; et une reconstruction de long terme en particulier via la diversification de l’économie et la sortie de la dépendance au nickel.

En d’autres termes, les semaines et mois à venir devraient voir se poursuivre les échanges entre l’État et les acteurs calédoniens concernant les mesures sociales, le soutien à l’économie et les réformes structurelles. Certains acteurs rappellent par ailleurs que la relance économique ne sera durable que si les perspectives politiques offrent une visibilité suffisante et participent de l’apaisement de la situation.

2.   La situation locale ne semble pas permettre l’organisation des élections dans de bonnes conditions matérielles

Les conditions matérielles ne semblent pas non plus réunies pour l’organisation d’élections sincères, comme l’ont observé plusieurs acteurs locaux auditionnés par vos rapporteurs.

Les élections législatives ont certes pu être organisées en Nouvelle-Calédonie, comme sur le reste du territoire, les 30 juin et 7 juillet 2024.

Leurs conditions difficiles d’organisation ont toutefois donné lieu au dépôt d’un recours devant le Conseil constitutionnel, soulignant l’état de tension dans lequel s’est déroulé le scrutin.     

Si la situation paraît meilleure que celle qui prévalait en juillet dernier, elle n’est pas pour autant propice à une campagne sereine. Ainsi faut-il relever :

– que la circulation sur l’ensemble du territoire est encore entravée : ainsi la route du Mont-Dore, au niveau de Saint-Louis, n’est-elle pas encore sécurisée, rendant les déplacements difficiles pour un bassin de population d’environ 12 000 personnes tandis que les transports publics collectifs n’ont repris que partiellement ([21]) ;

– qu’un couvre-feu est par ailleurs toujours en vigueur, ce qui restreint la possibilité d’organiser des réunions et des débats citoyens. Ce couvre-feu a toutefois été progressivement assoupli, étant en vigueur de minuit (au lieu de 22 heures) à 5 heures du matin à partir du 4 novembre 2024.

Si ces difficultés donnaient lieu au dépôt de nombreux recours, ces derniers, quelle que soit leur issue, ne manqueraient pas d’entacher la légitimité des élections, alors même que les futurs élus devront répondre à des défis économiques et politiques majeurs.

Auditionné par vos rapporteurs, le président de l’Association française des maires de Nouvelle-Calédonie, Pascal Vittori, alerte aussi sur le coût budgétaire que représenterait pour les communes l’organisation d’une élection, alors même qu’elles ont vu leurs recettes fiscales provenant du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie chuter d’environ 25 %. Ce chiffre est confirmé par M. Florentin Dedane en ce qui concerne la commune de Pouébo (province Nord) dont il est maire.

Il faut par ailleurs relever que les émeutes et la situation socio-économique qui en résulte ont généré des déplacements de population au sein de l’archipel. Des salariés au chômage rentrent dans leur commune d’origine, ou y envoient leurs enfants. Des femmes victimes de violences intrafamiliales, peut-être exacerbées par le climat général de tension et de violence dans l’archipel, trouvent également un refuge dans leur famille avec leurs enfants. Ces déplacements, outre les difficultés qu’ils peuvent générer pour les communes qui doivent faire face à des effectifs scolaires parfois plus élevés qu’anticipés, posent la question de la capacité des personnes concernées à participer aux élections dans une commune où elles ne résident plus à l’heure actuelle.

3.   « Panser les plaies entre les communautés » ([22])

Enfin, l’organisation d’une campagne électorale risquerait de raviver les tensions dans un territoire traumatisé par la violence des émeutes.

Le sénateur Georges Naturel considérait ainsi, au cours de son audition, que « ce ne sont pas seulement des bâtiments qu’il faut reconstruire, ce sont des cœurs ». De même, le député Nicolas Metzdorf exprime sa crainte que les élections, en soulevant de nouveau, et à très court terme, la question du corps électoral, génèrent des tensions, tandis que pour M. Jean-Marc Burette, secrétaire général de l’Union des syndicats des ouvriers et employés de Nouvelle-Calédonie (USOENC), « cela aurait envenimé la situation ».

En particulier, l’organisation des élections ne manquerait pas de soulever la question du périmètre du corps électoral spécial provincial, qui apparaissait en mai dernier comme un des principaux sujets de désaccord entre les parties prenantes. L’examen et l’adoption par l’Assemblée nationale, les 13 et 14 mai derniers, du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province constituent en effet le point de départ des émeutes. L’abandon de ce projet par le Gouvernement – le Premier ministre Michel Barnier ayant déclaré lors de sa déclaration de politique générale du 1er octobre dernier qu’il ne serait pas soumis au Congrès – a permis d’apaiser la situation locale.

Le sujet du corps électoral spécial provincial – tous les acteurs auditionnés s’accordant à dire que des évolutions, en particulier pour les natifs, sont souhaitables – pourrait être abordé dans le cadre d’un accord global entre les parties. Mais l’organisation des élections au plus tard le 15 décembre prochain est incompatible avec les délais nécessaires à la discussion, la conclusion puis la transposition éventuelle d’un tel accord dans la Constitution. Faute d’accord, les élections devraient s’organiser avec un corps électoral constant si elles se tenaient à la fin de l’année 2024.

Le Conseil d’État, saisi par le président du Sénat d’une demande d’avis sur la proposition de loi organique, considère ainsi, dans son avis du 10 octobre 2024 ([23])  qu’ « un nouveau report des élections provinciales peut être justifié par les motifs avancés dans l’exposé des motifs de la proposition de loi organique », exposé des motifs dans lequel les auteurs de la proposition évoquent « l’absence d’accord sur la définition du nouveau périmètre du corps électoral ».

 


II.   LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE, LARGEMENT SOUTENUE PAR LES ACTEURS LOCAUX, PRÉVOIT EN CONSÉQUENCE LE REPORT DU RENOUVELLEMENT GÉNÉRAL DU CONGRÈS ET DES ASSEMBLÉES DE PROVINCE     

A.   L’examen parlementaire de lA PROPOSITION DE LOI organique

1.   La proposition de loi initiale et ses modifications par le Sénat

La proposition de loi initiale, enregistrée à la présidence du Sénat le 16 septembre 2024, se composait d’un article unique prévoyant le report des élections des membres du congrès et des assemblées de province le 30 novembre 2025 au plus tard.

La commission des Lois du Sénat a validé cette disposition sur le fond.

Elle a aussi adopté trois amendements à l’initiative de ses rapporteurs, M. Philippe Bas et Mme Corinne Narassiguin, créant ainsi deux nouveaux articles.

● Le premier amendement procède à la réécriture de l’article 1er conformément aux recommandations formulées par le Conseil d’État dans son avis rendu sur la proposition de loi, le 10 octobre 2024 ([24]).

● Les sénateurs ont aussi prorogé les fonctions des membres des organes du congrès de la Nouvelle-Calédonie en cours à la date de la promulgation de la loi organique en cours d’examen. Cet amendement vise à éviter deux renouvellements successifs du bureau, de la commission permanente et des commissions intérieures du congrès.

● Le dernier amendement adopté prévoit, conformément aux recommandations du Conseil d’État dans son avis du 10 octobre 2024 précité, l’entrée en vigueur de la loi organique dès le lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française. Faute de précisions en ce sens, elle n’entrerait en vigueur que le dixième jour après sa publication, conformément à la loi organique statutaire de 1999 (article 6-1).

Il s’agit de s’assurer que le report des élections entrera en vigueur préalablement à la date à laquelle le Gouvernement est tenu de prendre le décret de convocation de celles-ci. En effet, aux termes de l’article 187 de la loi organique statutaire de 1999, la publication du décret de convocation doit intervenir quatre semaines au moins avant la date du scrutin, soit, en l’espèce, le 17 novembre 2024 au plus tard.

En séance publique, les sénateurs ont adopté le texte de la commission sans modifications supplémentaires.

2.   La position de la Commission des Lois de l’Assemblée nationale

Au cours de leur réunion du 30 octobre, les commissaires aux Lois ont adopté la proposition de loi sans lui apporter de modifications.

B.   UNE PROPOSITION SOUTENUE PAR LE CONGRÈS DE LA NOUVELLE-CALÉDONIE ET PAR L’immense majorité dES ACTEURS POLITIQUES CALÉDONIENS

En application de l’article 90 de la loi organique statutaire de 1999, le congrès de la Nouvelle-Calédonie s’est prononcé sur la proposition de loi organique, par un vote exprimé le 22 octobre 2024. Il a très majoritairement soutenu le texte, par 47 voix sur un total de 54. Une seule voix contre, émanant du vice-président Sylvain Pabouty (UC-FLNKS et Nationalistes), s’est exprimée. Deux abstentions et quatre absences de suffrages sont aussi à relever.

En d’autres termes, le soutien au report des élections est très largement consensuel et transcende le clivage entre indépendantistes et non indépendantistes, comme le confirment les auditions menées par vos rapporteurs. La plupart des acteurs politiques locaux s’accordent aussi sur la nécessité de reprendre rapidement le dialogue afin de construire les réponses économiques et institutionnelles dont le territoire a besoin.

● Parmi les acteurs non indépendantistes, M. Philippe Michel, président de Calédonie ensemble, s’y déclare favorable « sans aucune réserve », d’une part parce qu’il apparaît matériellement difficile d’organiser les élections dans les délais et, d’autre part, car il estime que les acteurs locaux ont besoin de temps pour discuter.

Mme Virginie Ruffenach, présidente du Rassemblement au congrès, est de même « très favorable » au report : « La dernière des préoccupations pour les habitants de la Nouvelle-Calédonie, c’est qu’on vienne les voir pour une campagne électorale et qu’on leur dise pour qui voter. Leur préoccupation, c’est comment nourrir leur famille, comment subvenir à leurs besoins, comment honorer leurs traites, comment faire quand leur entreprise a été complètement détruite (…), comment faire quand leur maison a été brûlée ».

Mme Sonia Backès, présidente de la province Sud, a rappelé la position des Loyalistes telle qu’exprimée dans une contribution écrite rédigée à l’occasion de la discussion du congrès sur le report du vote et transmise à vos rapporteurs. Tout en se désolidarisant de l’exposé des motifs de la proposition de loi organique d’origine sénatoriale, l’avis rappelle que « les conditions de sécurité minimales et de respect du processus électoral ne sont pas garanties aujourd’hui », et que « l’absence d’accord global » ainsi que « la nécessité de réformer le corps électoral » ne permettent pas la bonne tenue d’élections. Mme Françoise Suve, présidente du groupe au congrès, et M. Gil Brial, président du Mouvement populaire calédonien, considèrent cependant que les élections pourraient être avancées par rapport à la date limite du 30 novembre 2025 si un accord politique et sa traduction constitutionnelle le permettaient.

● Parmi les représentants des formations politiques indépendantistes, M. Louis Mapou, président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, rappelle que la proposition de loi a recueilli au congrès un soutien plus large que la loi organique du 15 avril 2024 reportant les élections une première fois. Observant que le report des élections permettrait de travailler à « redonner confiance à la population de Nouvelle-Calédonie et d’engager un certain nombre de travaux », il exprime son souhait « que les élections puissent se tenir, au terme de l’année 2025, dans une Nouvelle-Calédonie plus apaisée et qui s’est remise au travail ».

De même, pour M. Jean-Pierre Djaïwé, président du groupe « Union nationale pour l’indépendance » (UNI), ce report offrirait l’opportunité de reprendre des discussions entre les parties prenantes pour espérer parvenir à un accord. Il considère aussi que les conditions ne sont pas réunies pour organiser des élections dans de bonnes conditions d’ici le mois de décembre 2024.

Dans une contribution écrite transmise à vos rapporteurs, le président de l’Assemblée de la province Nord, Paul Néaoutyine (UNI), évoque « une décision de bon sens », rappelant en particulier que les délais sont « matériellement impossibles à tenir », que le corps électoral existant n’est « plus valide juridiquement » et que la tenue des élections d’ici au 15 décembre « ne fait pas du tout partie des préoccupations de la très grande majorité de la population qui se soucie davantage de leur situation au plan économique, financier, social, sanitaire ou éducatif ».

M. Jacques Lalié (UC-FLNKS et Nationalistes) se dit quant à lui favorable au report, tout en soulignant les imperfections du système démocratique et juridique français face au « fait colonial », une position explicitée également dans sa contribution écrite datée du 12 octobre et transmise à vos rapporteurs. Le président de la province des Îles Loyauté y rappelle que « ce qui s’est joué depuis trente ans prend racine dans l’histoire coloniale » et qu’« il ne suffit pas de reconnaître un peuple autochtone dans des textes ou des accords, encore faut-il que cette reconnaissance se traduise dans les faits, à travers l’éducation, la sensibilisation et l’évolution des mentalités ». Dès lors, le report est « une mesure nécessaire, mais insuffisante si elle n’est pas accompagnée d’une véritable refondation du dialogue entre l’État et les parties prenantes. Ce report doit servir à restaurer la confiance et à reconstruire un cadre institutionnel ».

M. Pierre-Chanel Tutugoro, président du groupe UC-FLNKS et Nationalistes au congrès, considère de même que les conditions économiques et sociales ne permettent pas d’organiser les élections à court terme. Leur report permettrait de « se donner une chance de réussir », étant entendu que la discussion, qu’il souhaite ardemment voir se tenir en Nouvelle-Calédonie plutôt qu’en France hexagonale, doit permettre de poursuivre la trajectoire de décolonisation du territoire.

● Parmi les parlementaires du territoire entendus par vos rapporteurs ([25]), M. Emmanuel Tjibaou se dit favorable au report mais déplore toutefois l’absence de lisibilité quant au cadre de travail dans lequel il serait effectué.

De même, pour M. Nicolas Metzdorf, le report serait « bienvenu », eu égard aux conditions dans lesquelles se sont déroulées les dernières élections législatives et à la situation économique.

Constatant que les élections législatives ont mis en lumière la difficulté à organiser une campagne électorale à court terme, le sénateur Georges Naturel considère qu’il « ne paraît pas raisonnable » d’organiser les élections cette année. Si le report est pour lui « nécessaire », il souhaite néanmoins qu’elles puissent être organisées au premier semestre de l’année 2025, si le contexte devait le permettre.

● Le président de l’association des maires de Nouvelle-Calédonie ([26]) M. Florentin Dedane, s’exprimant pour les maires de l’association qu’il a consultés, considère que « les gens n’ont pas la tête à aller aux élections » et se dit en conséquence favorable au report, tout en relayant les interrogations des maires sur les choix qui seront faits si aucun accord n’était conclu avant le 30 novembre 2025. Il rappelle les difficultés matérielles d’organisation des élections dans les communes du grand Nouméa en particulier, ainsi que le risque d’une trop grande proximité entre les élections qui se tiendraient à la fin de l’année 2025 et les élections municipales de mars 2026.

Pour le président de l’association française des maires de Nouvelle-Calédonie, M. Pascal Vittori, la situation sécuritaire, le coût additionnel de l’organisation d’une élection pour les communes et la question non résolue du corps électoral spécial justifient aussi un report des élections, auquel les maires de l’association se sont déclarés favorables.

● Vos rapporteurs ne peuvent toutefois s’abstenir de mentionner la position de l’Éveil océanien, qui a voté en faveur du report mais dont les élus auditionnés, la présidente du congrès Veylma Falaeo et le conseiller Vaimu’a Muliava, n’ont pas masqué leurs réserves sur cette proposition de loi organique.

La présidente, tout en concédant que « pragmatiquement » le report est nécessaire, s’y déclare initialement opposée dans son principe. Elle se montre favorable à des élections au printemps prochain si aucun accord ne se profilait, le cas échéant avec un corps électoral inchangé. M. Vaimu’a Muliava souhaite que le report ne soit pas « une énième mascarade » et tous deux formulent en filigrane le souhait que le temps supplémentaire qui serait ainsi dégagé soit utilisé à bon escient par les partenaires locaux.

III.   le report des élections ouvre une nouvelle période pour construire l’avenir du territoire

A.   Le report donne aux partenaires locaux une opportunité de rechercher ensemble un accord global

1.   La volonté de dialogue et l’objectif de trouver un accord semblent partagés

Eu égard à la teneur de leurs échanges avec les acteurs calédoniens, vos rapporteurs nourrissent un espoir raisonnable que la volonté d’accord soit partagée par les différentes formations politiques, indépendantistes et non indépendantistes.

● Les représentants des formations politiques non indépendantistes ont exprimé le sentiment d’une responsabilité partagée des élus quant à la conclusion d’un tel accord et Mme Sonia Backès espère que le report, s’il est voté, sera « utilisé sincèrement par tout le monde ». Pour Mme Virginie Ruffenach « tout le monde [indépendantistes et non indépendantistes] est au pied du mur et on ne peut pas proposer à notre population qu’un scénario de désastre ».

Ces élus partagent aussi le sentiment d’une certaine urgence, eu égard à la situation économique et sociale ainsi qu’au calendrier nécessaire à la transposition juridique d’un éventuel accord et à la préparation de nouvelles élections ([27])

● De même, les indépendantistes voient dans le report une opportunité pour conclure un accord institutionnel. Pour le président de l’Assemblée de la province Nord, Paul Néaoutyine (UNI), le report « va offrir les meilleures conditions en termes de temps principalement, pour que le dialogue entre les partenaires calédoniens et l’État reprenne et pour parvenir à un accord politique ».

Ils entendent toutefois inscrire le dialogue à venir dans la perspective de l’autodétermination et de la poursuite de la décolonisation – les trois consultations n’ayant pas, selon eux, clos ces sujets. Pour M. Pierre-Chanel Tutugoro (UC-FLNKS et Nationalistes), la restauration de la confiance appelle à cet égard un changement de méthode qui passera par la volonté réaffirmée du Gouvernement de poursuivre le processus de décolonisation et l’inscription claire des discussions dans cette perspective : « on a besoin de savoir que ce processus, cette trajectoire va aboutir, et aboutir quand ». M. Jacques Lalié exprime une position similaire, appelant à « une véritable refondation du dialogue entre l’État et les parties prenantes. Ce report doit servir à restaurer la confiance et à reconstruire un cadre institutionnel dans lequel toutes les parties se sentent incluses et respectées », notamment « en prenant en compte les droits collectifs, les spécificités coutumières et l’autodétermination du peuple kanak » ([28])

Ces éléments témoignent du fait que, même si des divergences se font entendre quant à la teneur de cet accord – faute desquelles il aurait déjà été conclu – l’objectif d’un accord pour réinventer le cadre institutionnel de la Nouvelle-Calédonie n’est contesté par personne.

2.   Ce processus pourrait s’appuyer sur des travaux initiés avant les émeutes, en particulier au cours de discussions en format bilatéral

Plusieurs sujets institutionnels doivent être résolus pour écrire la suite de l’accord de Nouméa : la relation avec la France, l’organisation interne du territoire, le corps électoral spécial et la citoyenneté, les modalités d’exercice futur du droit à l’autodétermination et la poursuite du processus de décolonisation.

Sur l’ensemble de ces points, comme cela a beaucoup été répété à vos rapporteurs, « on ne part pas de rien ». Un travail de dialogue, tripartite et bipartite, avait été entamé avant les émeutes.

D’une part, dans un cadre tripartite, l’État a présenté aux délégations indépendantiste et non-indépendantiste, le 7 septembre 2023, un « document martyr » destiné à servir de bases aux négociations ([29]). Ce document a fait l’objet de réunions de travail au Haut-commissariat entre des groupes non-indépendantistes et indépendantistes.

D’autre part, des échanges en format bilatéral (c’est-à-dire sans l’État), ont aussi eu lieu entre formations politiques locales, à partir d’octobre 2023 et jusqu’aux émeutes de mai, afin de nourrir les discussions en vue de la conclusion d’un accord global ([30]).

Faute d’avoir permis la conclusion d’un accord préalablement aux émeutes qui ont interrompu le dialogue, ces échanges ont le mérite d’avoir clarifié une partie des positions des uns et des autres et permis une première recherche de compromis. Des points de convergence sur certains sujets se seraient aussi dégagés.

Les émeutes et les élections législatives ont pu faire évoluer les préoccupations et les positions des uns et des autres : vos rapporteurs ont conscience que les solutions antérieures au 13 mai ne sont plus nécessairement valables pour tous. Pour autant, une grande partie des acteurs auditionnés considère que ces travaux pourraient constituer une base de travail à partir de laquelle les points de convergence et de divergence des parties prenantes pourront être clarifiés.

Les élus de l’Éveil océanien sont ceux qui se sont montrés les plus réservés quant à la possibilité de trouver un accord avec les élus actuellement en place, ce qui explique en grande partie leur scepticisme à l’égard de la proposition de loi organique – à laquelle ils ont néanmoins exprimé un avis favorable. La demande de renouvellement de la classe politique actuelle ainsi exprimée ne remet toutefois pas en cause l’objectif, unanimement partagé, que constitue la recherche d’un accord global.

Vos rapporteurs estiment donc qu’une reprise rapide du dialogue est nécessaire dans une perspective de redressement économique et de discussion sur les enjeux institutionnels. L’échéance de novembre 2025, si elle peut sembler lointaine, appelle en réalité les parties prenantes à des actes relativement rapides.

B.   L’État et la représentation nationale doivent prendre leurs responsabilités pour accompagner les calédoniens

1.   L’État suscite de fortes attentes et doit notamment retrouver son rôle de « tiers de confiance »

Plusieurs personnes auditionnées ont eu des mots sévères à l’égard du rôle de l’État dans le déclenchement de la crise ou de sa réponse à celle-ci. Pourtant, plus que jamais, il suscite de fortes attentes dans la perspective des mois à venir, porteurs d’immenses défis économiques et politiques.

● Un soutien économique et budgétaire important est attendu, exprimé le plus ouvertement par les élus non indépendantistes. Par exemple, Mme Sonia Backès déplore que les collectivités ne soient pas en mesure de mobiliser certains outils proposés, comme les prêts garantis, en raison de l’explosion de leur taux d’endettement et souhaite que les solutions proposées soient plus effectives. S’exprimant au nom de l’Association française des maires de Nouvelle-Calédonie, M. Pascal Vittori rappelle avoir demandé à obtenir, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, une compensation des pertes de recettes fiscales en provenance de la Nouvelle-Calédonie par la dotation globale de fonctionnement. Comme rappelé dans le 1 du B de la première partie du présent rapport, le congrès et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ont aussi présenté à l’État une demande de soutien via le plan quinquennal et le plan S2R ([31]).

● Un engagement de l’État est aussi souhaité par la grande majorité des parties prenantes sur l’accompagnement du processus de dialogue, en vue de l’accord que les élus disent appeler de leurs vœux.

Les élus des Loyalistes attendent « un calendrier et une méthode » en particulier à partir des discussions qui étaient en cours avant les émeutes. Pour M. Gil Brial, « l’État doit absolument prendre la main sur les discussions en matière d’accord global et remettre tout le monde autour de la table. Sinon tout le monde perdra ». M. Philippe Michel (Calédonie ensemble) voit dans l’État un « chef d’orchestre ».

Les indépendantistes attendent pour leur part un « changement de méthode ». Pour M. Jean-Pierre Djaiwé (UNI), le gouvernement doit être un « partenaire actif » et faire aussi « des efforts et des propositions pour trouver un terrain d’entente entre ceux qui veulent l’indépendance et ceux qui veulent le maintien de la Calédonie dans la République ». 

Les annonces faites par le Premier ministre Michel Barnier et le ministre des outre-mer François-Noël Buffet semblent bien perçues, tandis que le retrait du projet de loi constitutionnelle, qui ne sera finalement pas soumis au congrès, semble amorcer un changement de méthode et une baisse des tensions propices aux discussions.

Ainsi, dans la continuité des accords de Matignon et de Nouméa, l’État doit redevenir un « tiers de confiance » impartial et garant, auprès des acteurs locaux, de la continuité du processus.

2.   L’Assemblée nationale, et en particulier la commission des Lois, a un rôle à jouer en développant son suivi et son expertise sur les questions calédoniennes

Si un accord sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie était trouvé dans les mois à venir, il reviendrait au pouvoir constituant d’examiner et de voter la réforme constitutionnelle transposant cet accord afin de lui donner sa pleine effectivité juridique.

Dans ce contexte, il apparaît essentiel à vos rapporteurs que la représentation nationale s’engage pleinement et à long terme sur le sujet de la Nouvelle-Calédonie. Tel est d’ailleurs le souhait de M. Emmanuel Tjibaou, pour qui « le rôle des parlementaires, c’est d’accompagner la décolonisation et le rapport avec les outre-mer » ; ou de Mme Virginie Ruffenach, qui indique souhaiter « un suivi du Parlement ».

Le déplacement prochain de la présidente de l’Assemblée nationale et du président du Sénat en Nouvelle-Calédonie est accueilli très favorablement par la plupart des personnes auditionnées. Le format restreint de cette mission, l’autorité morale des deux présidents et leur posture – dans la mesure où ils ne représentent pas l’État – pourraient permettre d’engager les parties prenantes dans un dialogue – ou, comme l’ont exprimé plusieurs acteurs locaux, de « dresser la table » du dialogue tripartite pour encourager chacun à s’y asseoir.

M. Vaimu’a Muliava, conseiller de l’Éveil océanien, faisant le constat de « la fracture, la défiance entre la population et les politiques, les politiques entre eux, les institutions entre elles », indique même : « on a besoin d’une méthode de travail, d’une méthode de médiation, d’être accompagnés, et ça ne va pas se décréter comme ça. On attend vraiment que la mission [des présidents] soit accompagnée par des médiateurs », voire « des psychologues ».

En ce qui concerne la commission des Lois plus précisément, la continuité des compétences doit y être maintenue, afin de constituer pour les acteurs calédoniens, dans la continuité de son rôle passé, un interlocuteur et une force de dialogue et de proposition.


   COMMENTAIRE DES ARTICLES

Adopté par la Commission sans modification

  1.   Le droit existant
    1.   Le congrès et les assemblées de province sont des institutions importantes de la vie politique calédonienne

      Deux institutions dotées de larges prérogatives

La loi organique statutaire de 1999 confère de larges compétences au congrès, assemblée délibérante de la collectivité de Nouvelle-Calédonie :

– dans les matières énumérées par la loi organique, il vote les « lois du pays », actes dont le contrôle relève du Conseil constitutionnel en raison de leur caractère législatif ;

– il est consulté sur les projets de loi et propositions de loi ainsi que les projets d’ordonnance qui introduisent, modifient ou suppriment des dispositions particulières à la Nouvelle-Calédonie ;

– il disposait enfin de prérogatives spécifiques pour la mise en œuvre du droit à l’autodétermination dans le cadre des accords de Nouméa (article 217 de la loi organique statutaire de 1999) ([32]).

Les trois provinces – Nord, Sud et îles Loyauté – sont des collectivités et disposent d’une compétence de principe. Aux termes de l’article 20 de la loi organique statutaire de 1999, toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l’État ou à la Nouvelle-Calédonie par la loi organique, ou aux communes par la législation applicable en Nouvelle-Calédonie, sont de leur compétence. Elles exercent des prérogatives beaucoup plus larges que les régions de droit commun.

Les institutions de la Nouvelle-Calédonie

Aux termes de l’article 2 de la loi organique statutaire de 1999, les institutions de la Nouvelle-Calédonie comprennent le congrès, le gouvernement, le Sénat coutumier, le conseil économique, social et environnemental et les conseils coutumiers.

S’y ajoutent trois provinces et 33 communes.

      Une élection concomitante des membres du congrès et des assemblées de province

Aux termes de l’article 186 de la loi organique statutaire, les membres du congrès et des assemblées de province sont élus pour cinq ans, de façon concomitante, au cours d’une élection au scrutin de liste ([33]).

Les 54 membres du congrès sont issus des assemblées de province, l’article 185 de la loi organique statutaire de 1999 octroyant à chaque province un certain nombre de sièges au congrès :

– l’Assemblée de la province des îles Loyauté comprend quatorze membres, dont sept siègent aussi au congrès ;

– l’Assemblée de la province Nord compte vingt-deux membres, dont quinze siègent aussi au congrès ;

– l’Assemblée de la province Sud compte quarante membres, dont trente-deux siègent aussi au congrès.

 

Source : site du congrès de la Nouvelle-Calédonie.

 

Conformément à l’accord de Nouméa ([34]), sont seuls admis à voter les électeurs inscrits sur la liste électorale spéciale provinciale, telle que définie par l’article 77 de la Constitution et les articles 188 et 189 de la loi organique statutaire de 1999.

Les dernières élections des membres du congrès et des assemblées de province ont eu lieu le 12 mai 2019. L’article 187 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie disposant que « Les élections aux assemblées de province ont lieu dans le mois qui précède l’expiration du mandat des membres sortants », le mandat des élus en 2019 devait arriver à terme en mai 2024.

  1.   Le Conseil constitutionnel admet des modifications à la durée des mandats, sous réserve du respect des exigences fixées par sa jurisprudence

● Il ressort d’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel qu’il est loisible au législateur, ordinaire ou organique selon la nature des élections concernées ([35]), de modifier la durée des mandats en cours d’une assemblée élue, « dans un but d’intérêt général et sous réserve du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle » ([36]).

Le Conseil veille à ce que les électeurs soient appelés à exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable. Les modifications de la durée des mandats doivent aussi revêtir un caractère exceptionnel et transitoire et correspondre à un intérêt général.

● Saisi d’une demande d’avis sur la proposition de loi organique par le président du Sénat, le Conseil d’État a eu l’occasion de se prononcer, le 10 octobre 2024, sur ce report et a considéré que la proposition « ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel ».

En ce qui concerne plus spécifiquement la périodicité raisonnable, la nouvelle échéance proposée du 30 novembre 2025 correspond à un report cumulé de dix-huit mois par rapport à la date d’organisation des élections qui résultait de la loi organique statutaire. Le Conseil d’État, dans son avis du 7 décembre 2023 relatif à la continuité des institutions en Nouvelle-Calédonie, estimait qu’un report « pour une durée de l’ordre de douze à dix-huit mois ne se heurterait à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel », une position qu’il maintient dans son avis du 10 octobre 2024, considérant que le report envisagé « ne méconnaît pas cette jurisprudence ».

En ce qui concerne l’existence d’un but d’intérêt général suffisant, le Conseil d’État, dans son avis du 7 décembre 2023 précité, avait considéré que constituaient un tel but « le dépôt d’un projet de loi constitutionnelle » ou « la caractérisation d’un processus suffisamment engagé de négociations » mais a déjà, dans sa jurisprudence, admis d’autres éléments comme constituant un tel but ([37]). En l’espèce, il regarde « la volonté de permettre le dialogue entre les partenaires politiques de l’accord de Nouméa (…) comme répondant à un but d’intérêt général », en particulier dans un contexte de « dégradation de la situation économique et sociale » ([38]).

Enfin, en ce qui concerne le caractère exceptionnel et transitoire du report, il faut relever que les élections des membres du congrès et des assemblées de province      ont été organisées régulièrement, tous les cinq ans depuis l’accord de Nouméa : en mai des années 1999, 2004, 2009, 2014 et 2019.

  1.   La loi organique n°2024-343 du 15 avril 2024 a opéré un premier report des élections des membres du congrès et des assemblées de province qui peuvent se tenir jusqu’au 15 décembre 2024

Par dérogation à l’article 187 de la loi organique de 1999 et conformément à la jurisprudence rappelée ci-dessus, la loi organique du 15 avril 2024 a procédé à un premier report des élections au plus tard le 15 décembre 2024.

L’exposé des motifs du projet de loi organique mentionnait la nécessité de réviser au préalable le corps électoral dont le gel, « par référence à la situation existante au 8 novembre 1998, ne répond plus aux exigences démocratiques résultant des principes constitutionnels et des engagements internationaux de la France ».

Le report des élections devait donc donner davantage de temps à la conclusion d’un accord entre les acteurs locaux et à sa transposition juridique dans une révision constitutionnelle.

Consulté sur ce report en application de la loi organique, le congrès de la Nouvelle-Calédonie avait émis un avis favorable avec 38 votes pour et 16 contre. Le projet avait ainsi recueilli l’avis favorable des groupes non-indépendantistes ainsi que de l’Éveil océanien et du groupe indépendantiste Union nationale pour l’Indépendance. Le groupe UC-FLKNS et Nationalistes s’était opposé au projet.

Le lien entre le report des élections et la réforme du corps électoral était toutefois de nature politique et non juridique. Aussi l’arrêt du processus de révision constitutionnelle, engagé par le Gouvernement avec le projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, n’a-t-il pas remis en cause le report prévu par la loi du 15 avril 2024.

  1.   Le dispositif proposé

L’article 1er de la présente proposition de loi organique fixe au 30 novembre 2025 la date limite à laquelle devront être organisées les élections des membres du congrès et des assemblées de province. Pour ce faire, il remplace, à l’article 1er de la loi organique du 15 avril 2024, l’échéance du 15 décembre 2024 par celle du 30 novembre 2025.

  1.   Les modifications apportées par le Sénat

Dans un souci de lisibilité du droit et à l’initiative de ses rapporteurs, le Sénat a réécrit cet article sans modifier la date limite du 30 novembre 2025. Cela fait suite aux recommandations émises par le Conseil d’État dans son avis du 10 octobre 2024 sur la présente proposition de loi organique.

Le Sénat fait ainsi apparaître dans l’article, par souci de clarté, des dispositions qui figurent dans la loi organique du 15 avril 2024 :

– le caractère dérogatoire du report par rapport à l’article 187 de la loi organique statutaire de 1999 ;

– la date limite du 15 décembre 2024 résultant de la loi organique du 15 avril 2024 ;

– la précision selon laquelle la liste électorale spéciale et le tableau annexe ([39]) mentionnés à l’article 189 de la loi organique statutaire de 1999 sont mis à jour au plus tard dix jours avant la date du scrutin.

  1.   La position de la Commission

La Commission a adopté cet article sans modification.

 

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Adopté par la Commission sans modification

  1.   Le droit existant

Les articles 63 et 80 de la loi organique statutaire de 1999 prévoient une élection annuelle pour renouveler les membres du bureau et de la commission permanente du congrès.

La date de cette élection annuelle est fixée par le règlement intérieur du congrès à la dernière séance de la première session ordinaire qui ouvre au mois de juin, c’est-à-dire, généralement, au mois d’août. Le dernier renouvellement des instances internes du congrès a ainsi eu lieu le 29 août 2024, donnant lieu à l’élection de Mme Veylma Falaeo, membre de l’Éveil océanien, en tant que présidente du congrès.

En l’état du droit, les fonctions concernées seront donc renouvelées en août 2025.

● Le bureau est en charge de contrôler le bon déroulement des travaux institutionnels du congrès et de veiller au respect de la procédure d’adoption des textes. Il se compose d’un président, de vice-présidents, de secrétaires et de questeurs.

Aux termes de l’article 63 de la loi organique, le congrès élit chaque année un bureau parmi ses membres selon les procédures suivantes :

– Le président est élu au scrutin secret à la majorité absolue des membres du congrès. Si cette élection n’est pas acquise après les deux premiers tours de scrutin, il est procédé à un troisième tour et l’élection a lieu à la majorité relative. En cas d’égalité des voix, l’élection est acquise au bénéfice de l’âge.

– Les autres membres du bureau (vice-présidents, secrétaires et questeurs) sont élus au scrutin de liste à la représentation proportionnelle suivant la règle de la plus forte moyenne.

● La commission permanente est composée de sept à onze membres. Elle siège en dehors des périodes de session du congrès.

Le congrès l’élit chaque année en son sein. La commission permanente élit aussi son président, son vice-président et son secrétaire.

● Les commissions intérieures, régies par le règlement du congrès, sont au nombre de treize et comptent onze membres.

Le congrès élit aussi ces membres annuellement, d’un commun accord, en s’efforçant de tenir compte de la représentativité. En cas de désaccord seulement, il est procédé à un vote. Les commissions intérieures élisent leur président, leur vice-président et leur rapporteur.

  1.   Le dispositif proposé par le Sénat

Le présent article prévoit la prorogation des fonctions en cours à la date de la promulgation de la loi jusqu’au jour de la première réunion du congrès nouvellement élu en application de la présente loi organique.

Il évite ainsi le renouvellement de ces fonctions au mois d’août 2025, juste avant le renouvellement intégral du congrès, au plus tard le 30 novembre 2025, qui donne lieu à l’élection de nouveaux membres pour l’ensemble des instances internes du congrès.

Cet amendement fait suite, selon son exposé des motifs, à une demande transpartisane, émanant de l’ensemble des membres du congrès et transmise par courrier aux rapporteurs du texte au Sénat. Il vise à éviter deux renouvellements successifs du bureau, de la commission permanente et des commissions intérieures du congrès dans un délai très court alors même qu’ils représentent « une organisation relativement lourde d’un point de vue administratif » et « que les élus seraient en pleine campagne provinciale » pendant la durée de leur éphémère mandat ([40])

La durée d’exercice de ces fonctions sera donc vraisemblablement, à titre exceptionnel, supérieure à un an, afin d’éviter leur renouvellement successif dans un délai très court.

  1.   La position de la Commission

La Commission a adopté cet article sans modification.

 

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Adopté par la Commission sans modification

 

  1.   Le droit existant

Conformément à l’article 6-1 de la loi organique statutaire de 1999, les lois entrent en vigueur en Nouvelle-Calédonie à la date qu’elles fixent ou, à défaut, le dixième jour qui suit leur publication au Journal officiel de la République française.

La proposition de loi organique telle que déposé au Sénat étant muette sur ce point, la loi organique devrait entrer en vigueur le dixième jour après sa publication.

  1.   Le dispositif proposé par le Sénat

Par un amendement portant article additionnel adopté par la commission des Lois à l’initiative de ses rapporteurs, le Sénat a prévu l’entrée en vigueur de la loi organique dès le lendemain de sa publication au Journal officiel.

Il s’agit de s’assurer que le report des élections entrera en vigueur dans les meilleurs délais, et surtout préalablement à la date à laquelle le Gouvernement est tenu de prendre le décret de convocation de celles-ci.

Aux termes de l’article 187 de la loi organique, la publication du décret de convocation doit en effet intervenir quatre semaines au moins avant la date du scrutin, soit, en l’espèce, le 17 novembre 2024 au plus tard.

L’article 2 permet donc de raccourcir les délais d’entrée en vigueur de la loi organique sur le territoire calédonien afin de tenir compte du fait que cette dernière doit encore être votée, examinée par le Conseil constitutionnel, promulguée et publiée au Journal officiel avant le 17 novembre 2024.

  1.   La position de la Commission

La Commission a adopté cet article sans modification.

 

 


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   compte rendu des débats

Lors de sa première réunion du mercredi 30 octobre 2024, la Commission examine la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (n° 483) (MM. Florent Boudié et Arthur Delaporte, rapporteurs).

Lien vidéo : https://assnat.fr/6JmauY

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Nous examinons la proposition de loi organique (PPLO) visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie. Cette PPLO, déposée le 16 septembre par M. Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste, écologiste et républicain du Sénat, a été adoptée par le Sénat dès le 23 octobre, la procédure accélérée ayant été mise en œuvre par le Gouvernement.

Nous avons désigné deux rapporteurs appartenant, l’un à la majorité, l’autre à l’opposition : le président de notre commission, M. Florent Boudié, et M. Arthur Delaporte, du groupe socialistes et apparentés. Je leur donne sans plus tarder la parole.

M. Florent Boudié, rapporteur. Avant de rentrer dans le vif du sujet, je souhaite faire deux observations d’ordre général.

Tout d’abord, il convient d’aborder la situation néo-calédonienne avec une très grande humilité. Nous avons, en tant que rapporteurs – mais c’est également le cas de beaucoup d’entre vous ici –, une connaissance précise, documentée de la situation économique et sociale en Nouvelle-Calédonie, qui s’appuie sur le très grand nombre d’auditions auxquelles nous avons procédé ces derniers jours. Mais ce n’est pas, pour nous, une réalité vécue. Nous avons probablement une vision théorique de la situation sur place. D’où l’humilité dont il faut faire preuve.

Ensuite, rien ne serait pire que de voir nos débats nationaux influer sur le sort de l’archipel. Je crois même qu’il faut dénationaliser le débat calédonien. C’est en tout cas mon avis, et je pense qu’il est partagé par l’autre rapporteur – mais peut-être me contredira-t-il dans quelques instants. Si nous voulons apporter des réponses humbles, qui correspondent aux souhaits du peuple calédonien, dans sa diversité, il est indispensable que nous sortions de nos grilles de lecture hexagonales.

La proposition de loi organique que nous examinons aujourd’hui vise donc à reporter le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie, au plus tard le 30 novembre 2025. Elle a été déposée sur le bureau du Sénat le 16 septembre 2024 par plusieurs sénateurs du groupe socialiste, écologiste et républicain, puis adoptée, en première lecture, le 23 octobre dernier. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi une démarche transpartisane, à l’image de celle adoptée par le Sénat.

Le report proposé des élections est lié à la grave crise économique, budgétaire et sociale que connaît la Nouvelle-Calédonie depuis le mois de mai 2024. Le point de départ de ces troubles a été l’examen, puis le vote par notre assemblée, les 13 et 14 mai, du projet de loi constitutionnelle portant modification du corps électoral pour les élections au Congrès et aux assemblées de province. Les émeutes ont atteint une intensité maximale au cours des deux semaines qui ont suivi ; elles se sont matérialisées par des blocages de voies publiques, des pillages ou encore des incendies de bâtiments, publics et privés. Elles ont donné lieu à la déclaration de l’état d’urgence sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, dès le 16 mai, et à un renforcement, exceptionnel et progressif, des effectifs de forces de l’ordre présents sur place. Le procureur de la République à Nouméa, M. Yves Dupas, n’a pas hésité à les qualifier de « mouvement insurrectionnel animé par une radicalisation violente ». Le bilan humain, lourd, est de treize morts – dont deux gendarmes – et des centaines de blessés.

Six mois plus tard, la situation sécuritaire s’est améliorée et une forme de désescalade s’est engagée. Mais la crise n’est pas pour autant résolue. L’économie calédonienne a été lourdement atteinte par les émeutes, qui ont plus particulièrement touché la zone du grand Nouméa : 750 entreprises et 6 000 emplois directs ont été détruits ; près de 1 300 entreprises ont subi des pertes d’exploitation. Cette crise économique se double d’une crise budgétaire et sociale, profonde, dans la mesure où, compte tenu de la baisse de leur capacité budgétaire, un très grand nombre de collectivités locales pourraient réduire prochainement plusieurs dispositifs à caractère social. Quelques-unes l’ont d’ailleurs déjà fait. L’ensemble des acteurs locaux auditionnés par vos rapporteurs, toutes sensibilités confondues, partagent le constat quant au caractère dramatique, exceptionnel de la situation. Ils ont manifesté leur très grande inquiétude, certains craignant même des émeutes de la faim dans les prochaines semaines si rien ne s’améliorait.

Dans ce contexte, l’organisation des élections en décembre se heurte à des obstacles évidents, d’ordres politique et matériel.

Le premier obstacle est l’urgence économique et sociale, que je viens d’évoquer, qui nécessite un dialogue entre l’État et les acteurs calédoniens pour rechercher des solutions, budgétaires notamment. Nous aurons cette discussion avec le ministre chargé des outre-mer, concernant le PLF pour 2025, dès cet après-midi. Pour de nombreuses autorités locales auditionnées, la crise sociale est au cœur des préoccupations de la population. Selon Paul Néaoutyine, le président de la province Nord, « [la population] se soucie davantage de [sa] situation au plan économique, financier, social, sanitaire ou éducatif ». Ces propos sont analogues à la plupart de ceux tenus devant Arthur Delaporte et moi-même, lors des auditions.

Le deuxième obstacle tient à l’impossibilité d’organiser des élections dans de bonnes conditions matérielles. La circulation routière, par exemple, n’est pas encore possible sur tous les axes, ce qui ne favorise pas l’organisation de réunions ou de débats démocratiques. C’est en particulier le cas sur la route du Sud, ce qui met en grande difficulté de 12 000 à 15 000 personnes.

Le troisième obstacle est celui du périmètre du corps électoral, qui est un des principaux sujets de désaccord pour lequel le consensus reste la seule issue. Or l’organisation des élections d’ici au 15 décembre serait incompatible avec la nécessité de rouvrir, rapidement, le dialogue entre toutes les parties prenantes.

Enfin, la plupart des acteurs locaux estiment que l’organisation d’une campagne électorale pourrait raviver les clivages entre Calédoniens, alors que le territoire a d’abord besoin d’écoute, de dialogue et d’unité d’action.

Compte tenu de ces considérations, la proposition de loi organique soumise à notre examen s’inscrit dans le cadre juridique posé par le Conseil constitutionnel s’agissant des modifications de la durée des mandats. Il résulte de la jurisprudence constante de cette juridiction que ces modifications doivent, premièrement, permettre aux électeurs d’exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable ; deuxièmement, revêtir un caractère exceptionnel et transitoire – ce qui est le cas ; troisièmement, correspondre à un intérêt général – et je ne doute pas que le report des élections en soit un. Ces conditions sont donc, a priori, réunies.

Saisi d’une demande d’avis sur cette PPLO par le président du Sénat, le Conseil d’État a admis, dans son avis du 10 octobre 2024, « la volonté de permettre le dialogue entre les partenaires politiques de l’accord de Nouméa, en vue de rechercher un nouvel accord sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, comme répondant à un but d’intérêt général […], alors que la gravité et l’ampleur de la dégradation de sa situation économique et sociale compromettent la sérénité nécessaire tant au dialogue qu’à l’organisation du scrutin provincial dans le calendrier prévu ».

Cet avis formule également des recommandations, dont découlent deux des trois amendements adoptés par nos collègues sénateurs. L’article unique – devenu article 1er – a été réécrit, sans en changer le fond, par souci de clarté juridique. L’article 3 prévoit l’entrée en vigueur de la loi organique dès le lendemain de sa publication au Journal officiel, cela afin de tenir compte du fait qu’elle doit entrer en vigueur avant le 17 novembre, date à laquelle doit être pris le décret de convocation des électeurs, faute de report des élections.

Les sénateurs ont aussi prorogé les mandats des membres des instances internes – bureau, commissions – du Congrès de la Nouvelle-Calédonie en fonction lors de la promulgation de la loi organique en cours d’examen, suite à une demande écrite du Congrès, afin d’éviter deux renouvellements successifs dans un délai très court (article 2).

Ce report, s’il est voté, constituera une étape importante, mais pas une fin en soi. Au cours des mois à venir, la Nouvelle-Calédonie devra trouver des réponses aux défis institutionnels et économiques qui sont les siens.

Pour conclure, je souhaite évoquer la demande du Président de la République faite aux deux présidents de chambre d’assumer une mission parlementaire, qui se rendra en Nouvelle-Calédonie, du 9 au 14 novembre. Par l’autorité personnelle et morale des deux présidents, cette mission parlementaire ne sera pas une mission de représentation de l’État. Elle a vocation à rétablir le dialogue tripartite entre l’État et chacune des sensibilités calédoniennes, pour qu’ils se remettent autour de la table. Selon les propos de plusieurs intervenants lors de nos auditions, cette mission parlementaire doit « dresser la table », mais pas établir le menu. Dans ce contexte, je souhaite – je parle sous le contrôle de Philippe Gosselin, qui sait pourquoi je le cite – que la commission des lois prenne toute sa place, comme elle l’a fait dans le passé, afin qu’elle soit une interlocutrice fiable et impartiale, qu’elle soit une force d’analyse et de proposition, grâce notamment à l’approche transpartisane qu’Arthur Delaporte et moi-même incarnons.

M. Arthur Delaporte, rapporteur. Je souhaite à mon tour alerter sur la situation économique et sociale catastrophique des habitantes et des habitants de la Nouvelle-Calédonie. J’exprime, en notre nom collectif, ma profonde solidarité pour toutes celles et tous ceux dont les biens de production ont été détruits, à celles et ceux qui ont perdu leur emploi et leur logement. Je pense également à tous ces enfants qui ne vont pas à l’école, parce qu’il n’y a plus de transport scolaire, mais aussi à toutes ces femmes qui, en raison de violences intrafamiliales, ont dû quitter leur domicile dans la région de Nouméa pour retourner, notamment, dans la province Nord. Je pense encore aux treize personnes qui sont décédées lors des émeutes, ainsi qu’à toutes les victimes indirectes, privées d’accès aux soins.

La situation budgétaire en Nouvelle-Calédonie est elle aussi très inquiétante. L’urgence est réelle. Ainsi, la fin annoncée du dispositif de chômage partiel d’ici à la fin de l’année risque de faire basculer des milliers de personnes supplémentaires dans une précarité dramatique.

Si la Nouvelle-Calédonie a besoin de visibilité financière pour sortir la tête de l’eau, celle-ci doit aller de pair avec une reconstruction politique. Comme l’a rappelé Florent Boudié, notre commission – et plus largement notre assemblée – doit être à la hauteur et contribuer à la restauration d’un dialogue malmené par la crise. Une crise dans le déclenchement de laquelle l’État a une responsabilité majeure, notamment en raison de la stratégie, contestée, qu’il a suivie.

Il est en effet essentiel que la représentation nationale s’engage pleinement, avec humilité et avec un sens retrouvé de la collégialité. Il nous faut, toujours, rechercher le consensus et respecter toutes les parties prenantes dans la sérénité. Cela signifie suivre une démarche en rupture totale avec celle adoptée ces derniers mois, qui a conduit à la situation que nous déplorons.

C’est en ce sens que nous examinons la proposition de loi organique déposée par des sénateurs socialistes, qui sert de véhicule législatif, notamment pour une raison calendaire, puisqu’il nous fallait adopter une PPLO reportant ces élections provinciales avant le 17 novembre, date limite de prise du décret de convocation des élections.

Le déplacement prochain des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, une première historique d’une force symbolique sans équivoque, nous permet également d’envisager l’avenir d’un point de vue parlementaire. Ce déplacement, accueilli favorablement par la plupart des personnes que nous avons auditionnées, suscite des attentes légitimes. Le format restreint de cette mission, l’autorité morale des présidents, leurs connaissances et leur posture – ils ne représentent pas l’État – pourraient permettre d’engager les parties prenantes dans un dialogue tripartite, de « dresser la table » et d’inviter chacun à s’asseoir autour d’elle. Comme l’a dit notre collègue Tjibaou, le rôle des parlementaires est d’accompagner la décolonisation et le rapport avec les outre-mer.

C’est désormais aux Calédoniens de construire un projet d’avenir partagé et c’est dans l’archipel que doivent plus particulièrement se poursuivre les discussions.

En plus des questions économiques et sociales, plusieurs sujets institutionnels doivent être résolus pour écrire la suite de l’accord de Nouméa : la relation avec la France, l’organisation interne du territoire, le corps électoral, les modalités d’exercice futur du droit à l’autodétermination et, donc, la poursuite du processus de décolonisation.

Rien n’est fait. Toutefois, les échanges que nous avons eus au cours des auditions nous donnent un espoir raisonnable que la volonté d’accord soit partagée par les différentes formations politiques.

Le 22 octobre dernier, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a rendu un avis favorable quant à cette proposition de loi organique, par 47 voix sur 54 – une seule voix contre et quelques abstentions. M. Louis Mapou, président du gouvernement, que nous avons entendu, a d’ailleurs opportunément rappelé que la présente PPLO avait recueilli un soutien plus large que la loi organique du 15 avril 2024 reportant les élections, à laquelle une partie des indépendantistes – ceux de l’Union calédonienne – s’étaient opposés. Rappelons également que la résolution du Congrès, qui avait été votée le 13 mai, appelait au retrait du projet de loi constitutionnelle de révision du corps électoral des élections provinciales.

Les auditions que nous avons menées confirment cet avis favorable. Nous avons eu à cœur d’accueillir le plus largement possible les acteurs politiques calédoniens. Nous avons ainsi entendu, outre le haut-commissariat et des acteurs économiques – notamment les syndicats, qui ont fait une demande d’audition –, le président du gouvernement et la présidente du Congrès, les présidents de groupes au Congrès, les associations des maires et les présidents des assemblées de province, ainsi que les parlementaires du territoire, dont deux sont présents parmi nous aujourd’hui.

Un constat, globalement partagé, en ressort : le report des élections est nécessaire. L’urgence est d’ordre économique et social, mais elle est aussi institutionnelle, car les élections ne pourront être éternellement reportées.

Les élus indépendantistes considèrent ainsi que le report des élections permettrait de travailler à trouver un accord. Pour Louis Mapou, il s’agit de « redonner confiance à la population de Nouvelle-Calédonie et d’engager un certain nombre de travaux ». La notion de confiance est également mise en avant par Jacques Lalié, président de la province des îles Loyauté, pour qui le report est « une mesure nécessaire, mais insuffisante si elle n’est pas accompagnée d’une véritable refondation du dialogue entre l’État et les parties prenantes. Ce report doit servir à restaurer la confiance et à reconstruire un cadre institutionnel ». Pour Jean-Pierre Djaïwé, président du groupe de l’Union nationale pour l’indépendance (UNI) au Congrès, ce report offrirait « une nouvelle opportunité de nous retrouver autour de la table pour pouvoir discuter ».

Les non-indépendantistes rappellent en particulier que, préalablement aux mouvements de colère, des discussions avaient déjà permis de clarifier les positions, voire de trouver des terrains d’entente sur un grand nombre de sujets. Ils expriment donc le souhait que ces travaux puissent constituer une forme de base de travail à partir de laquelle les points de convergence et de divergences des parties prenantes pourront être précisés.

Il faut tout de même mentionner que les élus de l’Éveil océanien se montrent plus circonspects quant au report, en faveur duquel ils ont néanmoins voté. Toutefois, s’ils expriment une demande de renouvellement de la classe politique actuelle, la divergence porte davantage sur la capacité des élus en poste à trouver un accord, que sur l’objectif, partagé, que constitue la recherche d’un accord global.

À cet égard, les attentes des parties prenantes envers l’État sont fortes. Plusieurs personnes auditionnées ont eu des mots sévères quant à son action et son rôle dans le déclenchement de la crise. L’obstination du Président de la République à convoquer le Congrès malgré l’absence de consensus est, à mon sens, une faute politique majeure. Le dessaisissement du dossier de Matignon au profit du ministère de l’intérieur a renforcé un sentiment de défiance d’une partie des acteurs qui, aujourd’hui, demandent unanimement neutralité et impartialité à l’État, sans qu’il renonce pour autant à prendre les initiatives nécessaires pour avancer. Quant à l’envoi massif et tardif des forces de sécurité et au transfèrement de détenus dans l’Hexagone, ils demeurent des points de blocage.

Toutefois, les annonces faites par le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, et par le ministre des outre-mer, François-Noël Buffet, sont bien perçues. Pour ce qui est du retrait du projet de loi constitutionnelle, qui ne sera finalement pas soumis au Congrès, il semble amorcer un changement de méthode, louable, et une baisse des tensions, propice aux discussions.

Les élus non indépendantistes auditionnés – Sonia Backès, Françoise Suve et Gil Brial – espèrent que l’État pourra apporter une aide à la reprise du dialogue, en s’appuyant sur une méthode et un calendrier. Philippe Michel, président du groupe Calédonie ensemble, voit pour sa part en l’État un chef d’orchestre.

En tout état de cause, l’État doit redevenir un tiers de confiance impartial, garant auprès des partenaires locaux de la continuité du processus de reconstruction socio-économique et du processus politique, comme il l’a été lors des accords de Matignon, en 1988, puis de Nouméa, en 1998.

Je vous invite, chers collègues, à adopter cette proposition de loi organique afin de permettre à la Nouvelle-Calédonie de se concentrer sur la recherche des solutions institutionnelles et économiques indispensables, dans les semaines et les mois à venir. Nous espérons un vote conforme afin que ce texte puisse être promulgué dans les plus brefs délais.

Pour conclure, voici ce que déclarait Lionel Jospin – dont chacun connaît l’engagement sur la question néo-calédonienne – dans une tribune parue en mai dernier : « L’accord à construire demain doit permettre de fonder un nouveau contrat social entre les communautés qui vivent sur une même terre. Il pourrait aussi ouvrir le chemin d’une évolution des relations entre la Nouvelle-Calédonie et la France conduisant, le moment venu, à une émancipation plus complète. »

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Yoann Gillet (RN). La proposition de loi organique dont nous débattons aujourd’hui vise à reporter les élections aux assemblées provinciales et au Congrès de Nouvelle-Calédonie, avec comme échéance le 30 novembre 2025.

Ces élections avaient déjà fait l’objet d’un report, au plus tard au 15 décembre 2024, pour favoriser la conclusion d’un accord sur l’avenir institutionnel de l’archipel et pour finaliser la réforme du corps électoral. Cependant, l’adoption par le Parlement, en mai 2024, du projet de réforme constitutionnelle sur le gel partiel du corps électoral spécial en vue des élections provinciales a engendré une crise profonde. Celle-ci a été marquée par des émeutes violentes, dont le bilan est terrible : treize décès – dont ceux de deux gendarmes –, de nombreuses déprédations et une dégradation sans précédent de la situation économique et sociale.

Nos alertes répétées, plusieurs mois avant le début des violences, sur le risque que le calendrier du gouvernement de l’époque faisait peser sur ce territoire français n’ont malheureusement pas été entendues. C’est bien le manque d’anticipation du précédent gouvernement et, disons-le, sa légèreté qui ont plongé la Nouvelle-Calédonie dans cette crise, dont le coût est énorme. Les dégâts pour le secteur privé atteignent 1,2 milliard d’euros ; plus de 700 entreprises ont été détruites ; près du tiers des effectifs salariés se retrouvent au chômage partiel. Quant aux infrastructures publiques, la facture s’élève à 1 milliard d’euros. L’impact est immense, tandis que des ingérences étrangères accentuent les tensions.

Le gouvernement a commis un nombre incalculable d’erreurs en Nouvelle-Calédonie. Il n’a pas été capable de faire une proposition statutaire à même de servir de base à des négociations tripartites.

Il faut maintenant se remettre autour de la table ; l’apaisement est la priorité.

Le Rassemblement national entend participer à la construction d’un nouveau consensus autour d’un accord global, institutionnel et économique. Nous accordons la plus grande importance à un avenir stable favorisant le développement de la Nouvelle-Calédonie et, donc, de la France dans le Pacifique, qui respecte tous les Calédoniens, dans leur diversité, afin que ce territoire français connaisse le calme qu’il mérite.

Ainsi, considérant la gravité de la situation actuelle, nous estimons qu’il est primordial de différer ces élections afin de permettre l’apaisement et la recherche d’un accord commun. Notre groupe a toujours été et demeurera un défenseur de la Nouvelle-Calédonie française. Nous resterons vigilants pour protéger les intérêts de nos compatriotes et refuserons le morcellement de la République française.

M. Vincent Caure (EPR). Si le groupe EPR ne partage pas l’ensemble des constats dressés dans l’exposé des motifs de cette PPLO, nous partageons la logique d’objectif du texte, à savoir permettre l’organisation, dans des conditions apaisées et dans le respect du droit, des futures élections provinciales et du Congrès de Nouvelle-Calédonie.

Les élections, initialement prévues le 12 mai 2024, ont été une première fois reportées au 15 décembre par le législateur, afin de permettre le dégel du corps électoral ainsi que la conclusion d’un accord global entre les représentants indépendantistes, non indépendantiste et l’État quant à l’avenir institutionnel de l’archipel.

Nous débattons et sommes appelés à voter un nouveau report à la fin de l’année 2025. Ce report est rendu nécessaire compte tenu de la situation en Nouvelle-Calédonie. Les souvenirs des événements du printemps et leur cortège de destructions et de violence – 6 000 emplois détruits, un coût de 2 milliards d’euros, treize morts, dont deux gendarmes – sont encore vifs et ne permettent pas de tenir, dans les conditions requises, le scrutin d’ici à la fin de l’année. En outre, ce report est conforme à l’esprit de l’accord de Nouméa et à l’état du droit dans notre pays ; c’est pour cela également que nous le soutenons.

Le ministre des outre-mer, François-Noël Buffet, s’est rendu dans l’archipel il y a quelques jours. Il a annoncé de nouvelles aides financières de l’État – au-delà du 1,7 milliard d’euros annuel –, dont 400 millions pour soutenir habitants, travailleurs et entreprises. Ces annonces doivent contribuer à créer les conditions du dialogue et participent de la réponse globale à apporter, pour enfin calmer les tensions.

Cependant, nous ne pouvons que constater les difficultés économiques et le besoin de retour progressif à la normalité, qui rendent matériellement inopportune l’organisation d’élections fin 2024.

Le Congrès de Nouvelle-Calédonie s’est lui-même prononcé, il y a sept jours, dans un avis consultatif, en faveur du report des élections provinciales, traduisant ainsi le soutien des acteurs locaux à ce même report. D’une part, celui-ci est conforme au droit, il respecte l’exigence constitutionnelle d’exercice suffisamment régulier du suffrage et conserve un caractère exceptionnel et transitoire. D’autre part, l’objectif qui motive ce report demeure l’intérêt général, en recherchant le dialogue entre les partenaires de l’accord politique de Nouméa.

Enfin, cette PPLO s’inscrit dans la continuité des actions menées jusqu’à présent par le Gouvernement pour rétablir le dialogue. En cela, elle est une étape, sinon un préalable, à une solution nationale durable. Cet objectif, nous le partageons : c’est celui de la responsabilité politique dans le respect du droit.

Comme l’a indiqué le Premier ministre, il s’agit de mettre à profit cette période pour reconstruire économiquement et socialement la Nouvelle-Calédonie et pour rechercher un consensus politique sur son avenir institutionnel.

En conclusion, le groupe EPR soutient cette proposition de loi organique – adoptée à l’unanimité au Sénat – et appelle à son vote conforme, tout en invitant l’ensemble de l’arc politique néo-calédonien et l’État à trouver un chemin institutionnel, nouveau et apaisé.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Nous examinons dans l’urgence une proposition de loi de report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie. Initialement prévues en mai 2024, ces élections ont été reportées au mois de décembre par un texte voté en mars. Ce report avait été décidé pour permettre, entre-temps, de dégeler le corps électoral, cela pour que les prochaines élections se déroulent avec le nouveau corps électoral.

Le groupe de La France insoumise s’était élevé contre ces deux projets, indissociables. Or le projet de dégel du corps électoral étant inacceptable et inaccepté, le Gouvernement a été dans l’impérieuse obligation d’y renoncer, face à la révolte populaire.

C’est ce qu’a acté le Premier ministre dans son discours de politique générale, prononcé devant les députés. Or ces mots n’ont pas été prononcés de la même manière devant le Sénat. Pourquoi ? Gageons que l’on puisse malgré tout lui faire confiance et que l’ensemble de ce projet inepte est annulé.

Nous avons déjà perdu beaucoup de temps pour ces élections et il nous est proposé de les reporter, à nouveau, cette fois au mois de novembre 2025. Notre groupe estime que ce report n’est pas suffisamment justifié. D’abord, il est tout à fait possible matériellement de les organiser. L’organisation des élections législatives, en juin et en juillet – une surprise en Kanaky Nouvelle-Calédonie comme ailleurs –, l’a très bien démontré. Ces élections ont fait l’objet d’un taux de participation record, preuve si l’en est de l’intérêt que leur a porté le peuple calédonien.

Puisque le Congrès calédonien s’est massivement prononcé en sa faveur, nous ne pouvons que suivre son avis. Mais attention : l’accord ne vaut que si, et seulement si, le projet de dégel unilatéral du corps électoral envisagé par le Président Macron est définitivement abandonné. La confiance dans les institutions et dans la parole politique est plus que compromise au vu des reniements au plus haut sommet de l’État.

Après le désastre né de l’obstination du Président Macron et le vote de la loi, obtenu grâce aux voix du Rassemblement national, qui nous a fait revenir quarante ans en arrière, nous avons le devoir de sortir par le haut de cette situation.

Il faut ouvrir une nouvelle séquence politique pour que les acteurs calédoniens trouvent, entre eux, un accord global sur l’avenir institutionnel de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Pour aboutir à cet accord, il me semble impératif de procéder rapidement aux élections. En effet, il me semble tout aussi impératif que la légitimité démocratique des élus s’appuie sur de nouvelles élections, les dernières remontant à 2019. Cette légitimité renouvelée est nécessaire pour que les discussions sur le devenir de l’archipel soient menées à bien.

Dernier point, et non des moindres : il faut que les prisonniers politiques soient libérés. Le président du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), Christian Tein, est en prison à Mulhouse, sous des chefs d’accusation grotesques et au mépris de tous ses droits. La Cour de cassation vient d’ailleurs de le reconnaître. M. Christian Tein sera un acteur incontournable des négociations ; il doit, avec les autres, sortir de prison et rentrer chez lui.

Plus largement, je dénonce le transfèrement dans l’Hexagone de plus d’une centaine de prisonniers, qui s’est également fait au mépris de leurs droits.

L’archipel connaît une crise politique, qui s’est transformée en crise économique et sociale d’une extrême gravité. Les émeutes de la faim sont désormais redoutées par plusieurs acteurs sur le territoire. Mais rien ne pourra être résolu sans une solution politique, qui doit être trouvée par les Calédoniens. Pour cela, il faut impérativement revenir à ce qui a permis les accords de Matignon-Oudinot, puis celui de Nouméa : l’impartialité de l’État ; le dialogue et le consensus ; l’objectif de pleine émancipation de l’archipel.

Je salue le travail des rapporteurs et en particulier celui du président-rapporteur, pour qui il ne doit pas être simple de noter que l’État a manqué d’impartialité.

Je partage, sans doute comme tous les parlementaires présents, la volonté d’aboutir à un consensus. Je pense que le consensus de la représentation nationale pourrait préfigurer la sortie de crise que nous appelons de nos vœux.

Malgré cela, je ne peux pas voter ce texte les yeux fermés, parce que les conditions de la confiance ont été rompues. J’attends du Gouvernement les engagements les plus clairs et les plus fermes quant à l’abandon du dégel unilatéral du corps électoral.

M. Jiovanny William (SOC). Mieux administrer localement. Chercher, inlassablement, les conditions de l’émancipation politique, qui permettent de vivre d’une manière qui respecte et renforce la liberté des autres. Cela me parle évidemment. Je pense que cela vous parle également. Cela doit nous parler en tout cas, ou à défaut nous interpeller en tant que parlementaires.

Prévues initialement pour le 12 mai 2024, ces élections visant le renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie ont été reportées au 15 novembre.

Mais précipiter ces élections n’a fait qu’exacerber une situation déjà délicate, renforcer l’incompréhension de la population et accroître une défiance, tangible depuis plusieurs années, vis-à-vis des institutions. Faut-il le rappeler : lors du précédent report, les députés et les sénateurs socialistes avaient déjà indiqué que le calendrier était trop serré pour permettre aux négociations d’aboutir.

Un an est le temps nécessaire, dans un État de droit, pour apaiser la situation et renouer le dialogue, pour mener des négociations fructueuses et pour adopter des mesures préparatoires, respectueuses de chacune des parties prenantes.

Cette PPLO propose, donc, de reporter la date de ces élections. Cette démarche doit garantir la légalité du processus, conformément à l’avis du Conseil d’État du 25 janvier 2024. Mais attention, chers collègues, nous devons plus que jamais être vigilants et penser d’abord, je dirais même uniquement, aux intérêts de la population calédonienne. Nous reconnaissons l’impérieuse nécessité d’instaurer des garde-fous face à ces reports successifs, tout en maintenant un cadre de négociation serein.

Par conséquent, le groupe Socialistes et apparentés soutiendra ce texte et nous espérons un vote conforme.

M. Philippe Gosselin (DR). La pression est montée pendant plusieurs mois avant la journée de manifestations du 13 mai 2024, sans doute le paroxysme de la crise, au cours de laquelle des foules immenses se sont rassemblées, dans les deux camps. On a coutume de dire, à titre de comparaison, que s’il y avait eu des manifestations de même ampleur dans l’Hexagone, 5 millions de personnes se seraient rassemblées sur la rive droite de Paris et 5 autres millions sur la rive gauche, représentant loyalistes et indépendantistes. C’est énorme et il faut garder ces chiffres et ces comparaisons à l’esprit.

Au-delà de la crise politique, il s’agit d’abord et avant tout d’une crise humaine, économique et sociale. Il faut avoir en tête la catastrophe économique qui sévit sous nos yeux ; ce n’est pas seulement le nickel qui est en crise, avec l’usine du Nord qui a fermé. Ce sont des milliers de personnes qui sont au chômage, des magasins qui ont été pillés et des entreprises qui ont fermé. La reconstruction prendra de longs mois, pour ne pas dire des années.

Depuis, le doute s’est instillé. Or il n’y a rien de pire que le fiel du doute, qui sape la confiance en l’avenir, qui sape, sans doute, les éléments fondamentaux qui devraient nous conduire vers un destin commun. Je reprends des termes des accords Matignon et de Nouméa, car la droite républicaine et moi-même n’abandonnons pas cette notion de destin commun.

À ce stade, la situation politique est très instable et le dialogue est à renouer. Ce que l’on nous propose est une solution de sagesse, car rien ne permet aujourd’hui d’organiser sereinement des élections. Ni le contexte économique ni le contexte politique n’y sont favorables.

Toutes les conditions constitutionnelles habituelles ont été vérifiées, que ce soit le soutien du Congrès avec une forte majorité, le respect de la périodicité raisonnable du droit de suffrage, le caractère exceptionnel et transitoire du report, sans oublier le motif d’intérêt général. S’il n’y a pas dans ce cas précis de motif d’intérêt général, je ne vois pas très bien où il serait possible d’en trouver un !

Cela étant, ce report n’est pas une fin en soi. Il reste un épineux sujet, qui a été le point de départ des événements – même si les braises étaient sans doute un peu chaudes –, c’est-à-dire celui du corps électoral. Cette question devra revenir dans le débat public, car ce corps électoral est figé depuis novembre 1998. Il y avait alors un delta de 7,5 % entre le corps général et le corps provincial ; il est aujourd’hui de près de 20 %, ce qui n’est pas tenable. Je crois qu’il existe des chemins pour pouvoir converger.

Pour conclure, je pense effectivement qu’il faut « dresser la table », comme cela a été dit. Il faut trouver les voies et les moyens de se parler à nouveau. Il me paraît important, dans ce contexte, que la présidente de l’Assemblée nationale et le président du Sénat puissent se rendre sur place. L’Assemblée nationale et notre commission des lois devront également jouer leur rôle, au même titre que le Sénat. La voie parlementaire sera incontournable à un moment ou à un autre, ne serait-ce que pour réviser la Constitution, puisque les accords de Nouméa sont désormais derrière nous, caducs, et qu’il faudra bien préparer l’avenir.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Depuis mai 2024, le territoire néo-calédonien kanak connaît une vague de violences, ravivant les douloureux souvenirs des années 1980. Véhicules incendiés, commerces pillés, barrages routiers érigés, habitants cloîtrés dans leur quartier et affrontements qui ont mené à la mort tragique de Kanaks, parfois âgés de seulement 17 et 19 ans, et à celles de deux gendarmes. Au total, ce sont treize personnes qui sont mortes. Ces violences n’ont épargné personne, mais elles avaient une origine claire dans le projet de loi constitutionnelle réformant le corps électoral, au sujet duquel nous avons alerté pendant des mois. Elles avaient une origine claire dans le choix irresponsable du précédent gouvernement.

Le coût des émeutes s’élève à près de 2,5 milliards d’euros. La route de Saint-Louis est toujours fermée à la circulation ; des centaines de gendarmes et des dizaines de véhicules blindés y sont encore déployés. Saint-Louis est l’illustration parfaite de l’illusion sécuritaire. Peu importe le nombre de gendarmes déployés, le moyen le plus rapide de ramener la sécurité et la tranquillité pour l’ensemble des habitants de la zone est une solution politique, qui passe par un consensus sur le dégel du corps électoral.

Les images de violence et de territoires bouclés par l’armée qui nous parviennent ne sont pas sans nous rappeler les heures les plus sombres de la France coloniale. On utilise encore, d’ailleurs, les méthodes d’un autre temps en choisissant sciemment d’incarcérer des militants kanaks dans l’Hexagone, à 17 000 kilomètres de chez eux.

En quelques mois, le gouvernement est parvenu à remettre en cause trente-six ans de réconciliation et d’accord.

Il nous reste encore du chemin à parcourir pour achever le processus de décolonisation débuté avec l’accord de Nouméa. Ce scénario est d’autant plus tragique qu’il était prévisible. Nous sommes nombreuses et nombreux dans cette commission à avoir alerté le précédent gouvernement sur le passage en force, sur l’adoption à marche forcée du projet de dégel. Nous n’avons cessé d’évoquer la brutalité d’un tel texte, qui n’était le fruit d’aucune concertation. En réponse à nos interpellations, nous avons eu, au mieux, le silence, au pire une minimisation totale de la situation. Il fallait avoir le cou long, très long, pour espérer faire aboutir une telle politique de l’autruche. L’histoire, notamment les récents événements, a montré que lorsque l’on agit comme si un danger n’existait pas, celui-ci trouve toujours de nouvelles voies pour nous rattraper et pour exploser. Il s’agit d’une grande leçon d’humilité pour tous ceux qui, coûte que coûte, ont voulu imposer ce dégel.

Après neuf mois d’âpres débats sur la Nouvelle-Calédonie Kanaky dans cette enceinte, nous voici revenus au point de départ. Voter cette proposition de loi organique déposée par mes collègues socialistes au Sénat, c’est donner une chance aux acteurs impliqués pour qu’ils parviennent à un accord avant les prochaines élections ; nous allons donc suivre l’avis du Congrès et voter ce report. Cependant, il faut le faire sans naïveté quant à la fragilité de la situation, qui rend tout aussi fragile l’éventualité d’un compromis. Pour rappel, deux Kanaks sont décédés il y a moins de deux mois.

Une nouvelle page, risquée, peut être écrite. Elle fait appel à la responsabilité de chacun pour parvenir à une solution qui implique, également, l’ensemble des acteurs.

La rhétorique du précédent gouvernement consistait à dire : si vous ne trouvez pas un accord, nous voterons un dégel que nous avons décidé unilatéralement. Aucune négociation n’était possible dans une telle configuration, qui laissait tout le loisir aux loyalistes de ne pas chercher un consensus, se sachant assurés du dégel du corps électoral au bout du compte.

Il faut être clair sur le fait que ces négociations doivent se dérouler dans l’intérêt de tous, sans épée de Damoclès au-dessus de certaines têtes et avec une impartialité totale de l’État. Nous devrons suivre ces négociations avec attention et vigilance pour éviter à tout prix que les violences ne reprennent. Les compromis politiques demandent du temps, parfois beaucoup, et je remercie à ce titre les rapporteurs pour celui qu’ils ont consacré aux nombreuses auditions.

Le report des élections n’est pas une solution miracle qui, par magie, permettra d’aboutir à une solution. Quant aux derniers mois écoulés, ils devront plus que jamais nous rappeler que l’on ne joue pas aux apprentis sorciers avec la vie des gens.

M. Éric Martineau (Dem). Depuis le 13 mai, le territoire néo-calédonien est en proie à des tensions politiques, économiques et sociales inédites. Les émeutes qui ont éclaté ont pour origine la volonté d’organiser les élections provinciales en fin d’année 2024 et de modifier le corps électoral, comme le Conseil d’État l’avait demandé dans sa décision de mars 2023.

La situation est telle que les dégâts causés aux infrastructures publiques et privées s’élèvent à plus de 2 milliards d’euros ; que treize décès, en lien direct avec ces émeutes, sont à déplorer. Le taux de chômage atteint des records, tandis que l’usine qui exploitait le nickel dans la province Nord a fermé.

En raison de la dégradation économique et sociale dans l’archipel, notre groupe a une pensée particulière pour les familles et nos forces de l’ordre. Les compagnies de gendarmes ont su répondre à l’urgence avec professionnalisme, mais ne soyons pas dupes : la situation reste très fragile, comme l’illustre le maintien du couvre-feu depuis mai dernier. C’est pourquoi une période nouvelle doit être ouverte.

Comme le Premier ministre l’a indiqué dans son discours de politique générale, la période qui s’ouvre doit être consacrée à la reconstruction économique et sociale de l’archipel, ainsi qu’à la recherche d’un consensus politique, pour dessiner son avenir institutionnel.

La création d’une mission de médiation et de travail, proposée par le Président de la République pour rechercher des pistes de dénouement de la crise, est un choix salutaire que nous devons aux Calédoniens. Et il est heureux que le Gouvernement soutienne cette PPLO, dont l’initiative revient à nos collègues sénateurs socialistes. Le consensus politique doit, en effet, être une priorité absolue. Un accord politique doit être trouvé, comme toujours depuis les accords de Matignon.

La semaine dernière, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie a donné un avis favorable sur ce texte, par 47 voix sur 50 exprimées. C’est un signe d’espoir.

Le groupe Les Démocrates considère que les conditions sont réunies pour adopter ce nouveau report des élections au 30 novembre 2025, au plus tard. Le motif d’intérêt général est patent et la durée totale de prorogation des mandats, qui est de dix-huit mois au maximum à compter du 12 mai 2024, ne sera pas dépassée.

Selon une large majorité des acteurs, ce report est dans l’intérêt des Calédoniens. Il permettra d’aller vers une sortie de crise et un accord politique pérenne. Le report de ces élections nous paraît être un préalable sur le chemin de l’apaisement.

Considérant la dégradation de la situation économique et sociale ainsi que les tensions multiples et constatant que le dispositif proposé satisfait aux exigences constitutionnelles, le groupe Les Démocrates votera en faveur de ce texte.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Le groupe Horizons & indépendants tient à rappeler son attachement à la Nouvelle-Calédonie et la nécessité de trouver un consensus concernant son avenir institutionnel. Ce territoire unique par la richesse de son histoire et par sa place dans la République française nous intime aujourd’hui de rétablir un dialogue apaisé qui soit respectueux de toutes les parties prenantes.

Atteindre collectivement ce consensus est nécessaire pour pérenniser la paix civile fondée il y a plus de trente ans. Les mots de l’accord de Matignon-Oudinot, plus que jamais d’actualité, devront constituer la ligne directrice de nos travaux. Pour que la paix civile soit rétablie de manière durable, la vie publique doit être fondée sur le respect mutuel et organisée selon des principes nouveaux.

La construction de ce chemin impose l’apaisement. À ce titre, le groupe Horizons & indépendants souhaite saluer l’action des forces de sécurité, qui contribuent au maintien de l’ordre public en Nouvelle-Calédonie et permettent aux habitants de retrouver le calme dans leur quartier. Il adresse également une pensée à toutes les personnes qui traversent des difficultés humaines, sociales ou économiques, comme l’ont fait bon nombre d’entre vous.

Mais renouer durablement avec l’ordre public nécessite d’abord, et avant tout, de rétablir la cohésion du peuple calédonien. Comme en 1998, l’État doit être prêt à accompagner la Nouvelle-Calédonie dans cette voie, celle d’un accord global tenant compte de l’irréversibilité des accords de Matignon, mais aussi de la volonté du peuple calédonien de rester au sein de la République française. Le rétablissement de cette cohésion nécessite enfin l’implication de l’ensemble des acteurs. La prochaine mission des présidents Braun-Pivet et Larcher en Nouvelle-Calédonie, après le déplacement du ministre chargé des outre-mer, va ainsi, à nos yeux, dans le bon sens. Par ailleurs, et conformément à la volonté du Premier ministre, une délégation interministérielle sur la Nouvelle-Calédonie sera constituée. Elle contribuera à la recherche d’une solution politique concertée.

Dans un tel contexte, il apparaît au groupe Horizons & indépendants que cette proposition de loi organique, en prévoyant le report du renouvellement général des membres du Congrès et des assemblées de province de Nouvelle-Calédonie, représente un cadre favorable pour avancer, ensemble, sur le chemin du consensus et pour redonner confiance. Ce report, soutenu par la majorité des acteurs politiques locaux, offrira, en effet, le temps nécessaire à la création de ce consensus. Tous les Calédoniens ont besoin que la démocratie se déploie dans ce climat apaisé et constructif. Ce report est tout simplement la sagesse et un signal important pour l’intérêt général.

La question du dégel du corps électoral demeure un enjeu démocratique essentiel qu’il ne faut pas éluder ; elle doit respecter l’ensemble des sensibilités, le dialogue et la concertation. Il faut reconnaître que les évolutions démographiques dans l’archipel sont telles que les personnes exclues de cette liste, qui représentaient près de 7 % des électeurs en 1999, en représentent aujourd’hui près de 20 %, c’est-à-dire près d’un cinquième.

Dans son avis du 7 décembre 2023, le Conseil d’État a rappelé qu’il était nécessaire de revenir au corps électoral provincial glissant, les dispositions actuelles comportant des dérogations au principe d’universalité et d’égalité du suffrage qu’il convient de modifier, afin d’en corriger le caractère excessif résultant de l’écoulement du temps.

Le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de cette proposition de loi organique et appelle de ses vœux la construction d’un accord respectueux de chacun, fidèle aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité. Ce report, s’il est important pour favoriser le retour au calme, doit être une étape dans la reconstruction d’une paix civile durable et d’un destin commun.

M. Paul Molac (LIOT). Ce texte nous renvoie huit mois en arrière ; notre commission doit à nouveau se prononcer sur le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie. Quand je contemple le chemin sur lequel nous a conduits l’obstination du gouvernement de l’époque sur ce dossier, le seul mot qui me vient à la bouche est « gâchis ». Je dois avouer que je suis profondément peiné et agacé. Le territoire de l’archipel est marqué par des épisodes de violence, par de trop nombreux morts et blessés, drames auxquels s’ajoutent une crise économique et sociale et des dégâts qui ont lourdement touché les services publics et les entreprises privées.

Cet immense gâchis doit nous inciter à plus d’humilité, à faire preuve de prudence, à écouter les élus locaux et les peuples qui composent la Nouvelle-Calédonie. Je sais que le droit français ne reconnaît aucune minorité ni aucun peuple, mais cela n’empêche pas, évidemment, ceux qui les composent de s’en sentir membres – je suis bien placé pour le savoir puisque je suis breton. En revanche, le droit international reconnaît les peuples sans État ; il classe même la Nouvelle-Calédonie dans la catégorie des territoires à décoloniser.

S’il faut tirer une leçon de cette situation, c’est qu’il faut en finir, d’abord, avec la logique de marche forcée imposée depuis Paris, et ensuite avec le fait majoritaire qui, en France, se traduit souvent par une démocratie qui n’est en fait que la dictature de la majorité sur la minorité. Ce fait majoritaire ne peut pas fonctionner dans les territoires d’outre-mer. C’est ce qu’a tenté de faire le gouvernement avec le dégel du corps électoral et en donnant le pouvoir à un des peuples au détriment de l’autre. Il ne fallait pas être grand clerc – ni devin – pour imaginer la réaction du peuple qui allait se sentir opprimé. On l’avait dit ici, entre ces murs, on avait prévenu le gouvernement et ses soutiens de ce qui allait se produire. Cette méthode brutale ne pouvait pas déboucher sur autre chose, même s’il était alors impossible de deviner qu’elle serait l’intensité de la réaction, qui a été particulièrement forte. Mais il était évident qu’il y en aurait une.

Dans un tel contexte, il n’y a pas grand-chose à faire, si ce n’est, d’une part, de revenir à un accord global et surtout, d’autre part, de ne pas organiser maintenant d’élections, mais de rechercher un consensus.

C’est la raison pour laquelle je salue le texte du Sénat, qui est la voix de l’apaisement, mais aussi la consultation du Congrès calédonien, qui a donné un avis favorable à cette proposition de loi organique.

L’histoire de la Nouvelle-Calédonie est marquée par le fait colonial, aussi la France est-elle observée de très près par l’ONU. Certes, certaines puissances étrangères en profitent pour se livrer à quelques ingérences, mais il n’empêche que c’est la France qui est à l’origine des problèmes. Soit notre pays est capable de les régler et aucun autre ne viendra nous embêter, soit il en crée de nouveaux et certains sauront en profiter.

Une dernière remarque : il faudra sans doute que des crédits soient prévus dans le budget, ce qui ne semble pas être le cas. Nous appelons tout le monde à prendre ses responsabilités et à évaluer la situation avec humanité.

M. Jean-Victor Castor (GDR). Je me souviens des multiples interventions faites ici il y a quelques mois. Ce qui me gêne dans cette histoire, c’est la question de la sincérité. Où est la sincérité de ce qu’on fait ? Un territoire a été mis à plat politiquement, socialement, économiquement, culturellement, historiquement. À la veille du vote du 15 mai, on vous a avertis qu’il pouvait y avoir des morts. Une décision politique a suffi à détruire trente-six ans d’efforts ; à l’heure où je vous parle, aucune excuse, aucun regret, aucun mea-culpa n’a été formulé. On entend encore des groupes politiques, dans cette salle, nous dire qu’il s’agit de la République française une et indivisible. Selon eux, on n’a pas à entendre la voix des Kanaks, la voix des autochtones, la voix de la légitimité. On en revient encore, après le chaos, aux discours sur la démocratie et sur le corps électoral, qui doit une nouvelle fois être remis à l’ordre du jour, à cause d’arguments qui ne sont pas justifiés. Je rappelle, en effet, comme cela a déjà été dit, que les élections législatives ont bien eu lieu dans l’archipel, dans des circonstances encore plus dégradées, notamment en matière de capacité à circuler.

Cela ne veut pas dire que le groupe GDR est contre le report, mais si report il y a, c’est pour qu’un dialogue sincère s’instaure. Et permettez-moi de douter de cette sincérité. Pourquoi ? Parce que dans son discours de politique générale, le peu de temps que M. Barnier a consacré à la Nouvelle-Calédonie Kanaky – et le peu de fois où il a fait mention de l’outre-mer –, c’était pour parler des intérêts géostratégiques de la France et de l’axe indo-pacifique. Mais il y a des peuples qui vivent sur ces territoires ! Fondamentalement, il faut dire si, oui ou non, le texte sur le dégel du corps électoral est abandonné. Bon sang !, il suffit, non pas de tenir un discours à l’Assemblée nationale et un autre – alambiqué – au Sénat, mais de le dire clairement, pour ramener la paix. Personne ici ne parle des milices, de cette justice coloniale. Il y a pourtant 3 000 procédures judiciaires en cours ! De même, lors de la première réunion du groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie, le 18 septembre, M. Louis Le Franc, haut-commissaire de la République dans l’archipel, a dit devant la représentation nationale qu’il n’y avait jamais eu de milice en Nouvelle-Calédonie Kanaky. Jamais !

Dernier point pour illustrer mon scepticisme au nom du groupe GDR : lorsque le Président de la République s’est rendu dans l’archipel, au mois de mai, son objectif était d’y installer une mission – que le haut-commissaire a qualifiée d’impossible. Avez-vous eu entre les mains le rapport de cette mission ? Savez-vous où nous en sommes ?

Nous voterons le report, mais soyons sincères. Il n’y a pas d’impartialité sans sincérité.

Mme Sophie Vaginay (UDR). Le projet de révision constitutionnelle portant modification du corps électoral en vue des prochaines élections provinciales, adopté à marche forcée par le Sénat et l’Assemblée nationale, sous la pression du gouvernement et sans recherche préalable de consensus avec les parties prenantes, a conduit à une crise majeure en Nouvelle-Calédonie, dont les effets dramatiques subsistent encore aujourd’hui.

Dans ce contexte, il est primordial de différer les élections des membres du Congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, afin de permettre un apaisement de la situation et la recherche d’un accord entre les divers partis politiques.

Le groupe UDR est donc favorable au report.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. La parole est à présent aux élus de la Nouvelle-Calédonie.

M. Nicolas Metzdorf (EPR). Je suis marqué par le fait que l’on croie que les difficultés en Nouvelle-Calédonie ont débuté avec l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi constitutionnelle sur le corps électoral. Si ce texte a été déposé, c’est parce qu’aucun accord n’avait été trouvé depuis le troisième référendum, en 2021. Je rappelle que la Calédonie a choisi d’être française en 2018, en 2020 et en 2021. Après ces trois consultations, des discussions ont été menées, mais celles-ci ont été boycottées par le parti indépendantiste le plus radical, qui contestait les trois résultats successifs. En outre, depuis 2021, ce parti indépendantiste radical n’a manifesté aucune volonté pour trouver un accord politique. C’est pour cette raison que le gouvernement a proposé le dégel du corps électoral, qui n’est ni plus ni moins qu’un droit de vote. C’est quand même dingue que l’on débatte du droit de vote de Calédoniens nés en Nouvelle-Calédonie ou qui y sont installés depuis plus de vingt ans ! Le gouvernement est arrivé avec le texte en question parce que les élections provinciales se profilaient et qu’aucun accord n’avait été trouvé depuis trois ans, à cause des indépendantistes les plus radicaux.

Chers collègues, je vous donne rendez-vous en novembre 2025, la prochaine date butoir. Nous, les non-indépendantistes – et je suis considéré comme l’un des plus fermes –, avons participé à toutes les négociations depuis 2021. Nous n’avons jamais pratiqué la politique de la chaise vide. Demain, grâce au décalage des élections provinciales, nous retournerons à la table des négociations, pour trouver un consensus, pour dialoguer, comme on dit ici. Nous ferons tout notre possible pour trouver un accord, comme nous l’avons fait pendant trois ans. Ma question est simple : est-ce que, face à nous, le partenaire le plus dur voudra, oui ou non, de cet accord ? Parce que si, à nouveau, il n’en veut pas, parce qu’on lui met dans la tête que la seule solution pour la Nouvelle-Calédonie, c’est l’indépendance – malgré le vote des Calédoniens –, il faudra, une nouvelle fois, prendre ses responsabilités. Personne, alors, ne pourra dire que le Gouvernement a mal fait les choses, parce que la responsabilité sera celle du Parlement.

J’espère de toutes mes forces, pour que les Calédoniens puissent sortir de cette crise par le haut, que nous allons trouver une solution politique. Mais ce n’est pas vers nous qu’il faut vous tourner.

Pour ceux que cela intéresse, je conseille la lecture du discours du président de l’Union calédonienne, Daniel Goa, prononcé le week-end dernier. Si vous y trouvez une quelconque volonté de dialogue, d’apaisement et le désir de trouver un accord, envoyez-moi un petit e-mail.

En ce qui nous concerne, nous prendrons nos responsabilités, comme d’habitude.

M. Emmanuel Tjibaou (GDR). Merci de donner aux indépendantistes la possibilité de s’exprimer en commission des lois sur ce texte portant sur le report des élections provinciales en Kanaky Nouvelle-Calédonie.

Cette décision était attendue par certains, moins par d’autres. Dans mon pays, les urgences s’expriment aujourd’hui à tous les niveaux, car si le 13 mai 2024, jour de déclenchement des émeutes, a drapé d’un voile noir l’héritage de trente-six ans de paix sociale, cette date marque aussi le deuil de la volonté de faire consensus dans l’accompagnement de l’État vers la sortie de l’accord de décolonisation, c’est-à-dire l’accord de Nouméa.

Cinq mois plus tard, le bilan est sombre : destructions d’infrastructures publiques, 2 milliards d’euros de dégâts, 6 000 emplois perdus, 3 usines à l’arrêt, 3 000 arrestations, 11 civils et 2 gendarmes tués. Nous ne mesurons pas encore l’ampleur du chaos dans lequel nous avons été emportés.

Aujourd’hui plus qu’hier, la responsabilité du politique est portée, parce que nous n’avons pas pu, nous n’avons pas su faire aboutir la voix de la raison. Les discussions institutionnelles engagées de part et d’autre ont débouché sur une impasse. C’est le signe que la méthode doit être remise en question, notamment le passage en force du projet de loi constitutionnelle sur le dégel du corps électoral. Nombreux ici sont ceux qui se sont exprimés sur cette méthode.

C’est le sens également du questionnement au sein du FLNKS, parmi les indépendantistes, pour qui il fallait maintenir les élections avant le 15 décembre, certains remettant en cause la légitimité des élus à cause de leur incapacité à gérer cette crise politique et institutionnelle entre les partenaires de l’accord de Nouméa – les indépendantistes, les loyalistes et l’État.

Aujourd’hui, la donne a évolué, mais nous ne sommes pas dupes quant aux déclarations du Premier ministre sur la non-soumission du projet de loi constitutionnelle de dégel du corps électoral, ni pour ce qui est de la mission prochainement conduite par les présidents des deux assemblées parlementaires. De part et d’autre émerge la volonté d’appréhender la situation autrement que par des décisions unilatérales prises depuis Paris. Le fait qu’il y ait désormais un ministre de plein exercice est également le signe que les outre-mer ne sont plus seulement traités selon des considérations d’ordre intérieur ou de sécurité.

Je rappelle le vote du Congrès de Nouvelle-Calédonie en faveur du report, qui a déjà été mentionné et qui doit nous permettre de donner du temps, de renouer les fils du dialogue. Preuve que la donne a changé, nous nous prononçons également pour ce report.

Nous restons cependant mesurés dans notre appréciation, car il faut encore clarifier la méthode et le calendrier. En outre, la question du report ne doit pas occulter celle de la négociation d’un accord de sortie institutionnelle, qui permettra d’apporter de la visibilité. Car lorsque l’on est issu d’un peuple millénaire colonisé, on aspire à recouvrer la liberté qui nous a été ôtée, il y a cent soixante-dix ans.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Nous en venons aux interventions des autres députés.

Mme Émeline K/Bidi (GDR). Le groupe GDR compte huit députés et représente cinq territoires d’outre-mer. Le moins que l’on puisse dire est que nous sommes en général plutôt avares en compliments quand il s’agit de la méthode employée par l’exécutif envers ces territoires et leur population.

Vous avez entendu mes camarades s’exprimer avec conviction et scepticisme, mais aussi avec espoir, et saluer un changement de méthode, qui semble préférer le dialogue à la violence, le respect au mépris. Il reste un sentiment d’immense gâchis, car bien avant la dissolution, bien avant qu’Emmanuel Tjibaou soit élu, nous avions alerté, à plusieurs reprises. Et même si nous n’avions pas de boule de cristal, nous avions prédit les manifestations, les émeutes, les destructions et, pis, la perte de vies humaines. Tout cela est malheureusement arrivé et mon collègue Jean-Victor Castor a raison lorsqu’il déplore qu’il n’y ait toujours pas eu d’excuses ni de reconnaissance de la responsabilité du gouvernement précédent. La reconstruction et le processus de dialogue devront passer par cette reconnaissance, pour que l’on puisse aller de l’avant.

Je suis presque jalouse, lorsque je vois la déférence dont on fait preuve à l’égard de la Nouvelle-Calédonie et de ses élus quand, dans le même temps, on applique en Martinique ou dans d’autres territoires les méthodes qui ont déclenché les émeutes néo-calédoniennes. J’espère que le changement de méthode aujourd’hui observé s’appliquera également aux autres territoires et que l’on n’attendra pas systématiquement qu’il y ait des morts pour changer la façon dont on s’adresse à leurs élus et à leur population.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). On ne parle pas ici d’une situation exotique, lointaine, qui devrait être regardée comme un épiphénomène. Je fais partie d’une génération qui s’est construite politiquement sur la situation en Nouvelle-Calédonie Kanaky, notamment au moment de l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou. Beaucoup dans l’Hexagone ont alors compris quelle était la réalité, tangible, des reliquats de la colonisation française et de l’accaparement de cet archipel par Napoléon III, pour ses terres, mais aussi comme stratégie de peuplement.

On discute ici de la remise en cause fondamentale de ce qui nous a réunis, de ce qui a fait consensus national en 1988, c’est-à-dire un processus de décolonisation. C’est en ces termes-là que la question s’est posée et, sous l’égide de Michel Rocard, le dialogue entre les deux parties s’est installé et a été fécond.

J’espère sincèrement que ce qui est amorcé, selon une démarche, à mon avis, intelligente et apaisante, trouvera une issue, mais qu’à aucun moment on ne remettra en cause l’esprit des accords de Matignon et sa stratégie de décolonisation.

Enfin, j’aimerais que chacun ait conscience que ce matin, nous essayons de réparer les dégâts engendrés par le Président de la République. En remettant en cause, de façon aussi désinvolte, la parole de l’État français, il a provoqué une situation d’une telle gravité qu’elle a échappé à tout le monde. J’espère que nous ne passerons pas la législature à réparer les dégâts causés par l’inconséquence du Président de la République. À cet égard, les conditions de l’examen du projet de loi de finances sont de mauvais augure.

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Les mots que vient d’avoir Pouria Amirshahi sont ceux de la génération qui précède la mienne et qui a vécu les événements de Nouméa. Moi, j’ai appris à l’école que la colonisation était terminée. Dans les livres, dans les cours d’histoire, on évoque la phase de la décolonisation : on n’apprend pas que la France est encore une puissance coloniale. Les Français ne pensent pas être membres d’une puissance coloniale ; or le pays a reconnu, avec l’accord de Nouméa, qu’il en était une et que, en Nouvelle-Calédonie Kanaky, il devait y avoir un processus de décolonisation.

Ce qui a été remis en cause pas le Président de la République et par M. Darmanin, c’est précisément la volonté d’aboutir à ce processus de décolonisation. Or il ne peut pas y avoir de trahison de la parole de la France, de la parole qui a été donnée. Dès lors que l’on reconnaît qu’il y a colonisation, on reconnaît qu’il y a deux peuples, c’est-à-dire un peuple premier et un autre, arrivé ensuite, qui est un peuple colonial. Nous devons donc aboutir à une situation dans laquelle les droits du peuple premier sont respectés. C’est la logique qui doit guider l’action des législateurs dans ce moment si particulier de la vie de notre pays.

J’entends parfois des marmonnements, des chuchotements lorsque l’on décrit la situation aussi clairement. J’entends ici et là des propos qui ne me semblent pas être à la hauteur. Lorsque la parole de la France est donnée, elle doit être respectée jusqu’au bout : tel est, me semble-t-il, l’état d’esprit qui doit animer le législateur.

M. Florent Boudié, rapporteur. Nous avons écouté une trentaine de personnes en une semaine, lors des auditions que nous avons menées. Nous leur avons dit à toutes, Arthur Delaporte et moi-même, que ces échanges n’étaient pas un solde de tout compte et que le dialogue devrait se poursuivre. J’ai également pris le temps, comme certains d’entre vous probablement, de relire la déclaration de politique générale faite en juin 1988 par le Premier ministre d’alors, Michel Rocard. Il a dit notamment devant la représentation nationale : « le temps est à rétablir la paix des cœurs, des esprits et des âmes avant toute recherche de solutions juridiques ou administratives ». Ce sont des termes peut-être un peu vagues, mais il me semble qu’au mois d’octobre 2024, ils sont toujours d’une profonde actualité.

Le fait que certains d’entre vous prononcent les termes « colonisation » et « décolonisation » suscite des réactions. C’est normal, c’est ce que l’on appelle un débat. L’enjeu de la décolonisation est explicitement visé dans l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, au point 4 et ailleurs, notamment dans le préambule. Ce point fait partie des éléments qui ont été le ciment de l’accord. J’ai dit, dans mon introduction, qu’il fallait s’interdire de projeter nos débats hexagonaux sur la situation néo-calédonienne ; il faut convenir, en effet, que l’enjeu de colonisation et de décolonisation figure parmi les éléments de débat, de discussion entre Calédoniens. Ce n’est pas pour rien que la question de l’autodétermination est essentielle, comme l’est celle de la relation à la France. Nous pouvons aborder ces sujets entre nous, mes chers collègues, dans un esprit républicain et sans anathème.

Mon cher collègue Jean-Victor Castor, je ne suis pas ici pour en prendre la défense mais je ne partage pas votre appréciation des propos tenus par Michel Barnier dans sa déclaration de politique générale. Il n’a pas évoqué les intérêts géostratégiques de la France à cette occasion ; il a, en revanche, parlé de la diversité du peuple calédonien. Il a indiqué qu’il lui paraissait nécessaire de reporter les élections à la fin de 2025, précisément pour que nous puissions trouver le chemin du dialogue. Je ne partage pas, par conséquent, un certain nombre de mots forts – que je peux comprendre – que vous avez employés et qui ne correspondent pas, d’ailleurs – je parle sous le contrôle d’Arthur Delaporte –, à la tonalité des propos qui ont été tenus dans nos échanges avec les acteurs les plus directement concernés, à l’occasion de nos auditions.

Je ne suis pas non plus certain que la bonne démarche – je fais référence à des interventions dont je ne citerai pas les trois ou quatre auteurs –, dans les jours ou les semaines à venir, soit de vouloir systématiquement faire le procès de l’État ou celui des gouvernements précédents. Bien sûr, sur un sujet aussi sensible, qui clive profondément l’archipel, on peut toujours trouver des éléments qui divisent et sur lesquels on peut discuter.

Moi, ce que je retiens des auditions de ces derniers jours – vous me permettrez de faire part d’un avis personnel –, c’est qu’il est impératif que l’État soit toujours d’une totale impartialité et qu’il soit garant de la continuité, de la continuité de la reconstruction économique et sociale qui est indispensable, mais également de la continuité du dialogue qui doit s’engager, à très court terme, entre les parties prenantes.

S’agissant du projet de loi constitutionnelle et de la perspective du Congrès, ce que j’ai compris des différentes interventions – et je pense ne pas être le seul –, du chef de l’État et du Premier ministre notamment, c’est qu’en l’état, la question du corps électoral demeure un élément stratégique. Tous nos interlocuteurs, quelle qu’en soit la sensibilité, ont d’ailleurs toujours reconnu que c’était là une donnée essentielle, avec parfois des visions différentes. Le texte que nous avons à adopter ne fera pas l’objet d’une réunion du Congrès, mais la question du corps électoral reste un élément des débats à venir.

Pour conclure et finir sur une note d’espoir, j’observe que tous nos interlocuteurs ont signalé que, jusqu’au 13 mai, le dialogue s’était toujours maintenu entre les parties prenantes. Des avancées significatives avaient été engagées – sans aboutir, il est vrai – sur les questions de l’autodétermination, de la relation à la France ou du corps électoral, mais aussi sur celle des réformes internes indispensables, notamment des institutions calédoniennes. Enfin, je remercie Nicolas Metzdorf et Emmanuel Tjibaou de nous avoir fait part de leur point de vue, qui est pour nous, évidemment, très important.

M. Arthur Delaporte, rapporteur. Si nous sommes réunis pour discuter d’un sujet délicat qui a mené au chaos, c’est bien parce que les difficultés n’ont pas commencé avec le projet de loi constitutionnelle, comme l’a rappelé Nicolas Metzdorf. Ces difficultés sont issues d’un système colonial, dont les tenants et les aboutissants sont connus de tous ; il a cristallisé des tensions politiques, créé des injustices et des inégalités profondes. Le 13 mai est un déclencheur, mais ce n’est pas la cause de la situation actuelle. Sans projet de loi constitutionnelle, il n’y aurait pas eu cette étincelle qui embrase tout, mais sans colonisation, la situation que l’on connaît aujourd’hui n’existerait pas.

Les débats que nous avons eus sont très responsables, parce que chacun a pu donner sa vision, dans le respect. J’espère que cette capacité au respect sera également de mise s’agissant des positions des uns et des autres acteurs, ce qui n’a malheureusement pas toujours été le cas.

Si, chers collègues du groupe EPR, vous ne partagez pas la tonalité de l’exposé des motifs de la proposition de loi organique du Sénat, c’est bien parce qu’il y avait dans les mots de mes collègues Patrick Kanner, Corinne Narassiguin, Rachid Temal et Viviane Artigalas – les coauteurs de ce texte – une forme de critique de la méthode des gouvernements précédents, notamment de celui de Gabriel Attal. Peut-être ne pouvez-vous pas partager cette critique, mais je crois que nous pouvons collectivement comprendre qu’il y a eu, en tout cas chez les socialistes du Sénat, la volonté de retrouver la méthode qui avait été celle de gouvernements socialistes passés et qui a permis trente-six ans de paix en Nouvelle-Calédonie, comme l’a rappelé Emmanuel Tjibaou.

Maintenant, notre rôle et notre responsabilité collective sont, justement, d’essayer de favoriser la reprise du dialogue. Contrairement à ce que dit mon collègue Bastien Lachaud, il ne s’agit pas, avec cette PPLO, de fixer des élections en novembre : il s’agit de poser une date butoir. Si un accord intervenait rapidement, ce que nous appelons de nos vœux, ces élections se tiendraient avant le mois de novembre 2025. Comme l’a dit Emmanuel Tjibaou, cette date butoir nous accorde du temps, et il faut redonner du temps pour essayer d’obtenir un accord.

Si on planifiait des élections en avril, on recréerait la même situation, en établissant une date butoir trop proche et en prenant le risque de ne pas disposer d’assez de temps pour se remettre autour de la table. Or l’objectif de cette proposition de loi organique est de faire en sorte que tous les acteurs se remettent autour de cette table.

Il m’est apparu, au cours des auditions que nous avons menées, que tous les acteurs faisaient preuve de bonne volonté. Je le dis à Nicolas Metzdorf : tous les camps politiques veulent discuter, tous veulent trouver un accord, même si, forcément, tous ne sont pas d’accord sur tout. Même sur les sujets les plus complexes, comme celui du corps électoral, il y avait une volonté et une capacité à avancer collectivement.

C’est avec cet optimisme et cette confiance dans les acteurs locaux que nous devons progresser, tous ensemble.

Article 1er : Report des élections et prolongation des mandats en cours

Amendement CL1 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Si je comprends bien, vous espérez que les prochaines élections se tiennent non dans le cadre de l’accord de Nouméa, mais dans celui d’un nouvel accord. Force est de constater que le respect du calendrier serait complexe. Imaginons qu’un accord soit conclu au mois de mars : il faudrait alors voter un projet de loi constitutionnelle, puis un projet de loi organique, avant de procéder à la révision des listes électorales. Je ne vois pas comment tout cela pourrait se faire d’ici au mois de novembre.

Contrairement à ce qu’a expliqué M. Gosselin, l’accord de Nouméa n’est pas caduc. C’est dans ce cadre que les prochaines élections doivent avoir lieu et que nous devons trouver un accord global. Aussi proposons-nous d’organiser ces élections au plus vite, afin de négocier ensuite un nouvel accord institutionnel qui prévoira de nouvelles élections.

Messieurs les rapporteurs, pensez-vous réellement que des élections puissent se tenir d’ici à novembre dans un nouveau cadre institutionnel ?

M. Florent Boudié, rapporteur. Allons-nous nous inscrire dans la continuité de l’accord de Nouméa ? M. Gosselin a formulé il y a quelques instants une réponse juridique, mais au fond, ce sera aux parties prenantes d’en décider.

L’État doit, pour sa part, rester impartial et répondre à des questions précises, s’agissant notamment de l’urgence budgétaire. Nous pourrons évoquer cette question cet après-midi avec le ministre chargé des outre-mer. M. Molac a relevé que le projet de loi de finances pour 2025 ne reprenait pas les engagements pris par le ministre à son retour de l’archipel. Les 500 millions d’euros inscrits dans le budget correspondent en fait au renouvellement des avances faites aux collectivités territoriales, pour 400 millions, et à de nouvelles avances – autrement dit à de nouveaux prêts –, pour 100 millions.

Quant aux parties prenantes, elles devront répondre à quatre questions majeures, qui portent sur la composition du corps électoral, l’autodétermination, la relation avec la France et les réformes internes. Nos interlocuteurs, aux sensibilités très diverses, considèrent que ces quatre éléments constituent le socle de la discussion qui devra s’engager. Ce n’est ni à vous, monsieur Lachaud, ni à moi de décider du cadre institutionnel dans lequel le débat aura lieu.

Vous avez écrit dans votre exposé sommaire que « les précédents gouvernements, Attal, Borne et Castex, avaient privilégié le passage en force ». Or le passage en force serait d’imposer aux parties de discuter tout de suite, à marche forcée, et de tout arrêter au printemps pour voter. Ce serait en réalité la meilleure façon de figer la discussion, ou plutôt de rendre cette dernière impossible. Quant à nous, nous voulons laisser toute sa place au dialogue, avec la conscience aiguë que rien ne sera simple et que rien n’est acquis, même en reportant les élections au 30 novembre 2025 au plus tard. Tout dépendra de la volonté des parties prenantes, de l’impartialité de l’État et de la possibilité pour la mission parlementaire menée par Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet d’engager des discussions fructueuses.

Je donne donc un avis défavorable à cet amendement.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Il m’avait semblé important de repartir de la base, c’est-à-dire de l’accord de Nouméa, et de ne pas tordre les engagements pris au sujet du corps électoral à la suite des différentes élections intermédiaires. Néanmoins, j’écoute les uns et les autres et je constate qu’il y a un consensus global pour reporter les prochaines élections. M. Tjibaou lui-même m’a confirmé qu’il était favorable à ce que le scrutin soit organisé d’ici à novembre 2025, et non pas forcément en novembre 2025. Dès lors, il convient de laisser à toutes les parties prenantes le soin de déterminer les conditions et le cadre de ces élections. Personnellement, je le répète, j’aurais préféré que l’on respecte totalement les engagements pris, mais dès lors que l’on se trouve dans une configuration nouvelle et que tout le monde s’entend pour engager un nouveau cycle de discussions, il me semble important de soutenir cette démarche.

Quelles que soient les décisions qui seront prises, même si elles vont dans le sens d’une éventuelle indépendance de la Nouvelle-Calédonie Kanaky, elles concerneront tous les habitants du territoire, qu’ils soient indépendantistes ou loyalistes.

Bien que je comprenne parfaitement l’amendement de M. Lachaud, j’estime qu’il serait plus sage de s’en remettre à ce que les parties prenantes, directement concernées par le destin de l’île, décideront par elles-mêmes.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Monsieur Boudié, vous n’avez pas répondu à ma question parce que nous ne raisonnons pas dans les mêmes termes. Pour ma part, je considère que l’accord de Nouméa n’est pas caduc et que les élections peuvent se tenir dans le cadre institutionnel actuel, c’est-à-dire avant que des discussions s’engagent et qu’un nouvel accord soit conclu. En avançant l’échéance au mois de mai, nous ne voulons pas mettre le couteau sous la gorge de qui que ce soit. Au contraire, nous proposons d’organiser les élections avant d’entamer les discussions en vue d’un nouvel accord.

J’insiste sur le fait que la tenue des trois référendums n’a pas mis un terme à l’accord de Nouméa. Ce dernier stipule qu’après ces trois scrutins, les parties prenantes doivent convenir d’un nouveau cadre institutionnel ; dans cette attente, c’est le cadre actuel qui s’applique. Notre amendement vise simplement à éviter une situation absurde : imaginons qu’un nouvel accord soit conclu en avril ou en mai mais que nous soyons tenus d’organiser des élections sur la base d’un accord antérieur ! J’entends cependant vos remarques : en attendant de rediscuter de ce sujet en séance, je retire donc mon amendement.

L’amendement est retiré.

Amendement CL3 de M. Bastien Lachaud

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Les élections provinciales ne doivent pas pouvoir se tenir tant que l’ensemble des prisonniers politiques indépendantistes n’auront pas été libérés ni rendus à leur territoire et à leur famille.

La situation actuelle est totalement absurde : Christian Tein, le président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), pourrait être candidat aux élections et même élu président de province alors même qu’il est emprisonné dans l’Hexagone à la suite d’une décision illégale de transfèrement, pourtant annulée par la Cour de cassation. Cette situation aberrante est en contradiction avec les textes de l’ONU et le droit des peuples colonisés à lutter pour leur décolonisation. Il nous semble impossible que des élections se tiennent dans un tel contexte.

M. Arthur Delaporte, rapporteur. Vous avez raison d’évoquer le sort et les conditions d’incarcération de certains militants indépendantistes. Plusieurs d’entre eux ont été transférés de nuit, par avion spécialement affrété, pour être placés en détention provisoire. Leurs avocats ont décrit leurs conditions de transfèrement de la manière suivante : « Nos clients sont restés menottés et sanglés à leurs fauteuils pendant tout le transfert. Et puis, ils avaient interdiction de parler. » Ces méthodes ne peuvent nous laisser indifférents. Nous savons parfaitement comment cette décision a été ressentie par de nombreux habitants de l’archipel, que nous devons écouter.

D’après les données communiquées par le cabinet du ministre chargé des outre-mer, treize militants font l’objet d’une procédure judiciaire : onze sont incarcérés en France hexagonale – dont Christian Tein, le président du FLNKS désigné en août dernier – et deux autres, qui avaient été emprisonnés au Camp-Est, en Nouvelle-Calédonie, ont été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Vous avez évoqué la décision par laquelle la Cour de cassation a confirmé trois décisions de maintien en détention mais en a annulé deux autres, dont celle de M. Tein, qui devront être réexaminées par une cour d’appel.

Il est légitime de s’interroger quant à l’opportunité d’incarcérer des personnes à 17 000 kilomètres de chez elles, ce qui porte évidemment atteinte à leur capacité d’entretenir des liens avec leurs proches. Néanmoins, le Parlement ne peut lier ses décisions ou conditionner la tenue d’une élection à la libération de certains individus, qui relève de la compétence du juge judiciaire. Non seulement cela porterait atteinte à la séparation des pouvoirs, mais cela serait également anticonstitutionnel. Je rappelle que les décisions de transfèrement sont de la compétence du juge des libertés et de la détention, et qu’elles sont susceptibles d’appel ; elles suivent le cheminement classique de toute procédure judiciaire et, en dépit du ressenti personnel que je viens d’exprimer, le législateur ne peut les contester. Il ne m’est donc pas possible de donner un avis favorable à votre amendement. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). J’entends que notre rapporteur invoque le principe de séparation des pouvoirs. Je lui rappelle cependant que les institutions européennes considèrent que la justice française n’est pas indépendante, puisque les procureurs sont placés sous l’autorité du ministre de la justice. Dans l’affaire qui nous occupe, la demande de dépaysement avait d’ailleurs donné lieu à un avis négatif du procureur de Nouméa ; or, étonnamment, après le changement de Gouvernement, le procureur général près la Cour de cassation a estimé ce dépaysement nécessaire… Chacun jugera de l’indépendance du magistrat qui a pris cette décision. Il n’empêche que nous avons affaire à un procès politique. Je ne vois pas pourquoi nous devrions laisser le juge judiciaire décider de l’avenir du président du FLNKS ; cela obère la possibilité d’avoir des négociations apaisées sur ce territoire.

M. Ian Boucard (DR). Il faut prendre la mesure de ce que vient de dire M. Lachaud : il nous invite, nous, membres de la commission des lois, à nous asseoir sur l’État de droit et à passer outre les décisions rendues par un juge ! Je ne me prononce pas sur le fond, n’étant ni juge, ni avocat, ni spécialiste de la question, mais allons-nous vraiment écrire dans la loi que la tenue d’une élection est subordonnée à la libération de tel ou tel individu ? Et puis quoi encore ? En République, en démocratie, nous devons respecter la séparation des pouvoirs. Certains députés de La France insoumise citent matin, midi et soir la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que la Constitution, mais apparemment, ces textes n’ont de valeur que quand cela les arrange…

Depuis tout à l’heure, plusieurs collègues s’expriment comme de grands experts. Pour ma part, j’ai écouté très attentivement les députés de Nouvelle-Calédonie, ou de Kanaky, nous expliquer qu’un consensus s’était formé autour de quelques sujets. La situation sur le terrain est suffisamment grave pour que chacun ne prenne pas la parole pendant dix minutes pour tourner sa petite vidéo ! Puisque tout le monde semble d’accord, passons au vote et arrêtons de raconter des âneries, de remettre en cause la justice de notre pays et de jeter de l’huile sur le feu pour défendre quelques intérêts politiques ou électoralistes !

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Cessez de nous faire de faux procès : ce n’est pas nous qui nous asseyons sur l’État de droit, mais le ministre de l’intérieur.

L’amendement de M. Lachaud me paraît très intéressant car il nous permet de parler des prisonniers politiques. Ce n’est pas illogique alors que nous examinons un texte visant à reporter des élections après avoir vécu, il y a quelques mois, une période compliquée. M. Castor a dit à quel point nous avions besoin de restaurer la confiance et de tout faire pour que le dialogue puisse reprendre dans de bonnes conditions. Ainsi, il est essentiel d’évoquer, dans le cadre du temps de débat et d’échanges que nous aurons d’ici à la tenue des élections, la situation des prisonniers incarcérés à 17 000 kilomètres de chez eux. Quatre thèmes doivent être abordés dans le cadre des futures discussions ; je pense que la question de la libération des prisonniers politiques doit en faire partie.

Nous avons tout autant besoin d’indépendance dans nos débats. Lors d’une audition organisée par le groupe de contact réuni à l’initiative de la présidence, nous avons demandé aux hauts fonctionnaires chargés d’une mission de dialogue d’évaluer le rôle joué par l’État dans les événements qu’a connus l’archipel : j’ai été assez choquée qu’ils se soient réfugiés derrière leur devoir de réserve. Soit la mission de dialogue est indépendante, auquel cas le devoir de réserve ne s’applique pas, soit elle ne l’est pas, ce qui signifie que ses membres ne peuvent pas critiquer l’État et qu’il y a un problème dans le travail mené en Nouvelle-Calédonie Kanaky.

On sait que c’est le passage en force d’un projet de loi constitutionnelle qui a conduit aux événements survenus depuis l’année dernière. L’ancien Premier ministre avait pourtant déclaré « tu casses, tu répares ». Maintenant, à vous de réparer !

M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Si l’on ne part pas du principe qu’il existe une situation coloniale en Nouvelle-Calédonie Kanaky, on ne peut pas comprendre le sens de cet amendement. Ne vous en déplaise, les personnes incarcérées sont des prisonniers politiques, en vertu d’un droit souvent oublié mais proclamé à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – un texte que je cite souvent, en effet –, qui est celui de résister à l’oppression. Or, dans une situation coloniale, notre pays se comporte en oppresseur et réprime les libertés. Si vous considérez que nous sommes autre chose qu’une puissance coloniale, vous ne pouvez pas comprendre la révolte légitime du peuple kanak. Vous voulez soumettre à nos lois des individus qui ne reconnaissent pas totalement la légitimité de nos institutions.

Puisque nous souhaitons tous apaiser la situation, en dépit de nos opinions différentes, nous devons traiter la question des prisonniers politiques. L’une des manières de le faire – il y en a d’autres – est de demander au parquet de requérir d’autres types de peines : les personnes concernées pourraient par exemple porter un bracelet électronique ou être obligées de pointer au commissariat.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Pour contribuer à cet apaisement que nous recherchons tous, j’aimerais vous parler de ce que j’ai vécu au Pays basque, un territoire métropolitain qui a connu pareille situation. J’ai vu à Bayonne la fin de l’un des derniers conflits armés en Europe. Un processus de paix, complexe, a été engagé, accompagné par l’État français et associant l’ensemble des partis politiques et de la société civile. Je peux vous assurer que la question du rapprochement des prisonniers, qui étaient alors disséminés dans l’ensemble du pays, a été cruciale ; il s’agissait même d’une condition à l’engagement des négociations. En avril 2017, un accord a été trouvé avec le gouvernement français, qui prévoyait que l’État accompagne la remise des armes – rendez-vous compte ! Aujourd’hui, nous vivons enfin en paix : tous les acteurs de la société civile peuvent désormais se parler et travailler ensemble. Les questions évoquées ce matin sont donc normales dans le cadre d’un conflit important.

M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Il sera utile que nous ayons à nouveau ce débat intéressant en séance. Dans cette attente, je retire mon amendement.

L’amendement est retiré.

M. Yoann Gillet (RN). J’avais demandé la parole, madame la présidente ! Apprenez à présider !

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Non, monsieur Gillet, l’amendement a été retiré.

M. Arthur Delaporte, rapporteur. Nous devons respecter la procédure : lorsqu’un amendement a été retiré, il est normal que la discussion s’arrête. De la même manière, nous devons tous avoir une attitude respectueuse des procédures de l’État de droit. À ce propos, il me semble que les mots employés par M. Lachaud, qui a contesté l’indépendance de la justice en France, ne sont pas de nature à apporter au débat la sérénité à laquelle nous aspirons tous.

En tant que citoyens, nous pouvons critiquer des décisions de justice, mais le fonctionnement de l’institution judiciaire permet de faire appel de ces décisions ou de se pourvoir en cassation. À l’appui de sa démonstration, M. Lachaud a d’ailleurs cité un arrêt de la Cour de cassation : cela montre bien qu’il reconnaît la légitimité des principes du contradictoire, de l’appel et de la cassation. Dès lors, évitons d’entretenir la confusion entre les procureurs, d’une part, et les magistrats du siège, d’autre part. Ces derniers sont totalement indépendants, ce que l’Europe ne remet pas en cause.

Ce point étant réglé, le traitement réservé aux prisonniers n’en reste pas moins problématique. La justice et, plus largement, l’administration pénitentiaire devront trouver les moyens d’apaiser la situation, par exemple, comme je le souhaite, en rapatriant les détenus.

Chers collègues, quels que soient vos groupes, je vous remercie pour les mots que vous avez employés et pour la démarche commune que vous avez engagée, qui va dans le sens du consensus retrouvé, de l’apaisement et surtout du dialogue. C’est aujourd’hui notre responsabilité, mais après le vote de cette proposition de loi organique, ce sera d’abord celle du peuple calédonien.

M. Florent Boudié, rapporteur. Je remercie M. Lachaud, parce qu’il a montré ce qu’il ne fallait surtout pas faire sur la question néo-calédonienne en conflictualisant à outrance une situation d’une particulière complexité. J’avais pris la peine de commencer nos discussions en vous appelant à l’humilité, à la compréhension des enjeux locaux et à la dénationalisation du débat, et en m’appliquant ces principes. Ce n’est pas simplement une règle éthique : cela relève de l’hygiène politique.

Je ne fais pas partie de ceux qui critiquent le ministre de l’intérieur lorsqu’il écorne, comme il le fait à mes yeux, l’État de droit, tout en s’asseyant sur cette même notion en dénonçant un manque d’indépendance de la justice. Cela n’est pas acceptable.

Un prisonnier politique est une personne détenue en raison de ses opinions politiques. En France, dans la République, les gens sont emprisonnés lorsqu’ils commettent des infractions, sur le fondement d’une décision prise par un juge judiciaire indépendant.

Le report des élections est un souhait collectif, qui doit dépasser nos différences de sensibilités. J’espère qu’après le 6 novembre, une fois que nous aurons voté conforme, je l’espère, cette proposition de loi organique en séance publique, une nouvelle phase s’ouvrira pour la Nouvelle-Calédonie. Nous devons souhaiter de toutes nos forces que cela permette l’engagement d’un dialogue, car c’est le seul moyen de sortir l’archipel de l’impasse dans laquelle il se trouve.

Mme Agnès Firmin Le Bodo, présidente. Monsieur Gillet, d’autres orateurs avaient demandé la parole sur l’amendement CL3, mais eux ne contestent pas les règles de fonctionnement de notre commission.

La commission adopte l’article 1er non modifié.

Article 2 (nouveau) : Prorogation des fonctions des membres des organes du Congrès en cours

La commission adopte l’article 2 non modifié.

Article 3 (nouveau) : Entrée en vigueur

La commission adopte l’article 3 non modifié.

Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi organique sans modification.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi organique visant à reporter le renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (n° 483) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.


—  1  —

 

   Personnes entendues

 

Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie

Congrès de la Nouvelle-Calédonie

Assemblées de province

Parlementaires

 

Autres auditions

   M. Florentin Dedane, maire de Pouébo, président de l’AMNC

   M. Pascal Vittori, maire de Boulouparis, président de l’AFM-NC

   M. Alcide Ponga, maire de Kouaoua, secrétaire de l’AFM-NC

   M. Antoine Romain, directeur de cabinet de Mme Maryline D’Arcangelo (maire de Païta)

Union des syndicats des ouvriers et employés de Nouvelle-Calédonie (USOENC)

   M. Jean-Marc Burette, secrétaire général

   M. Alexis Falematagia, secrétaire général SOENC Nickel

   M. Francisco Sione, secrétaire général SOENC Transports

   Mme Sylviane Newedou, représentante SOENC Fonction publique

Confédération française démocratique du travail (CFDT)

   M. Joseph Vaisala, secrétaire général CFDT Wallis et Futuna

   M. Pascal Catto, secrétaire confédéral CFDT, délégué Outre-mer

 

 

Contribution écrite

 

    


(1) Ci-après « loi organique statutaire de 1999 ».

(2) Ce projet de loi élargissait le corps électoral spécial provincial en y intégrant tous les natifs de l’île – dont certains sont exclus du vote faute de remplir les conditions fixées par l’article 77 de la Constitution de l’article 188 de la loi organique statutaire de 1999 – et les personnes justifiant d’une durée de résidence de dix ans, même arrivées en Nouvelle-Calédonie après 1998, ce que le droit en vigueur ne permet pas.

(3) Le grand Nouméa réunit les communes de Nouméa, Le Mont-Dore, Dumbéa et Païta, soit 182 000 habitants en 2019 selon l’ISEE.

(4) Communiqué de presse du 13 mai 2024, point de situation sur les blocages.

(5) Communiqué de presse du 14 mai 2024 : point de situation.

(1) Communiqué de presse du 15 mai 2024, point de situation n° 3.

(2) Voir par exemple son interview dans l’hebdomadaire Demain en Nouvelle-Calédonie, le 30 mai 2024.

(3) Communiqué de presse du 24 mai 2024, point de situation de 16h30.

(4) Communiqué de presse du 21 septembre 2024, point de situation.

(5) Décret n° 2024-436 du 15 mai 2024 portant application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955. L’état d’urgence a été levé le 28 mai à 5 heures du matin.

(6) Ce couvre-feu a été assoupli par la suite (de 22 h à 5 h du matin). Dans un communiqué publié le 3 novembre 2024, le Haut-commissariat a annoncé que « dans le cadre de l’amélioration progressive des conditions de sécurité observées depuis plusieurs semaines », le couvre-feu courrait de minuit à 5 heures du matin jusqu’au 18 novembre inclus, date à laquelle la situation serait réévaluée.

(1) Source : Institut de la statistique et des études économiques Nouvelle-Calédonie (ISEE), au 1er janvier 2023.

(2) Le ministre des outre-mer François-Noël Buffet a confirmé le maintien de la compensation, par l’État, bien que cela ne relève pas de son champ de compétence, de ce dispositif jusqu’à décembre 2024, au cours de son audition par la commission des Lois sur les crédits de la mission outre-mer.

(3) Chiffre rapporté par Philippe Michel, et par les acteurs économiques locaux selon Les Échos, « La Nouvelle-Calédonie au bord de l'effondrement économique », 21 août 2024.

(1) La Nouvelle-Calédonie connaissait déjà des problèmes de trésorerie avant les émeutes.

(2) Étaient ainsi évoquées la fermeture des centres médico-sociaux, la  réduction des subventions aux associations ou la suppression des bourses scolaires (NC la première, « Débat d'orientation budgétaire : l'assemblée de province Sud envisage des mesures drastiques à cause d'une chute des recettes fiscales », 25 octobre 2024).

(3) NC la 1ère, « Crise en Nouvelle-Calédonie : la province Sud maintient ses investissements mais revoit ses aides sociales à la baisse », 16 juillet 2024.

(4) La protection sociale est une compétence de la Nouvelle-Calédonie, en application de l’article 22 de la loi organique statutaire de 1999.

(1) Selon les données du Haut-commissariat, au 13 septembre 2024, 29 millions d’euros avaient déjà été mobilisés pour ce fonds et 11 299 dossiers traités.

(2) Le détail de ces transferts figure en particulier dans le document « Les conséquences du oui et du non » (juillet 2021) élaboré par les services de l’État dans la perspective de la 3ème consultation sur l’autodétermination.

(1) Audition de l’Union des syndicats des ouvriers et employés de Nouvelle-Calédonie. Le taux de couverture du réseau de transport serait de l’ordre de 25 % de son potentiel avant la crise. Le nombre d’usagers quotidiens aurait chuté de 30 000 usagers avant crise à 1 300 aujourd’hui, tandis que le prix du ticket a doublé, passant de deux çà quatre euros par trajet et sans tarifications spécifiques pour les enfants ou les personnes précaires.

(2) Expression utilisée par le Haut-commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie au cours de l’audition.

([23]) Avis n° 408782, rendu à la demande du Président du Sénat ayant saisi le Conseil d’État en application de l’article 39 de la Constitution.

(1) Avis n° 408782, précité.

(1) Malgré leurs relances, vos rapporteurs n’ont pas réussi à obtenir de créneau d’audition de la part de M. Robert Wienie Xowie, sénateur de la Nouvelle-Calédonie. 

(2) Deux associations de maires coexistent : l’association des maires de Nouvelle-Calédonie (AMNC) et l’association française des maires de Nouvelle-Calédonie, née de la scission des maires loyalistes de l’AMNC et qui réunit les maires de onze communes sur 33.

([27]) Qui requiert une période de révision des listes électorales et des délais administratifs incompressibles liés aux dépôts de candidature ou encore à l’envoi de la propagande électorale.

([28]) Contribution écrite de M. Jacques Lalié transmise à vos rapporteurs.

([29]) La présentation de ce document faisait suite à la présentation en juin 2023 par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et le ministre délégué aux Outre-mer d’un bilan de l’accord de Nouméa et d’un audit de la décolonisation.

([30])  Le bilan de ces échanges était ainsi dressé par M. Philippe Dunoyer, rapporteur de la loi du 15 avril 2024, dans son rapport déposé le 13 mars 2024: « Tout d’abord, le mouvement non-indépendantiste Calédonie Ensemble et les mouvements indépendantistes Union nationale pour l’indépendance (UNI) et l’UC-FLNKS se sont réunis à 25 reprises entre octobre 2023 et décembre 2023, et ont contribué à l’élaboration d’un document, rendu public, dénommé « Déclaration commune sur les convergences entre Calédoniens pour un grand accord ». Puis, les mouvements non indépendantistes Les Loyalistes et le Rassemblement, l’UNI, l’UC-FLNKS et l’Éveil Océanien ont engagé le 23 janvier 2024 un cycle de discussions sur l’avenir institutionnel (…). »

([31]) Voir sur ce point le 1 du B de la première partie.

(1) Il pouvait en effet fixer la date de la première consultation sur l’accession à la pleine souveraineté, par une délibération adoptée à la majorité des trois cinquièmes de ses membres, dans les conditions prévues à l’article 217 ; en cas de rejet de l’accession à la pleine souveraineté, le tiers de ses membres pouvait demander une deuxième consultation sur la même question ; en cas de nouveau rejet de l’accession à la pleine souveraineté, une troisième consultation pouvait être organisée dans les mêmes conditions.

(1) Seules les listes ayant obtenu au moins 5 % du nombre des électeurs inscrits sont admises à la répartition des sièges (article 192 de la loi organique statutaire de 1999).

(1) Préambule et point 2.2.1 de l’accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998.

(2) En l’espèce, c’est au législateur organique qu’il revient de modifier la durée des mandats des membres du congrès et des assemblées de province.

(1) Selon une formule constante, reprise par exemple dans la décision n° 2024-864 DC du 11 avril 2024 sur la loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

(2) Ont ainsi été admis comme constituant un intérêt général suffisant : le souci de prévenir les perturbations que le maintien du calendrier normal aurait apportées à l’organisation de l’élection présidentielle et de ne pas solliciter à l’excès, au cours de la même période, le corps électoral (Décision n° 2005-529 DC du 15 décembre 2005, Loi organique modifiant les dates des renouvellements du Sénat) ; le souci de mettre fin à l’instabilité du fonctionnement des institutions de la Polynésie française Décision n° 2007-559 DC du 6 décembre 2007, Loi organique tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française.

(3) Avis du 10 octobre 2024, précité.

(1) L’existence du tableau annexe est le corollaire de celle de la liste électorale spéciale. Il regroupe les personnes qui, faute de pouvoir remplir la condition de durée de résidence découlant des articles 77 de la Constitution et 188 de la loi organique, ne peuvent figurer sur la liste électorale spéciale provinciale. La liste électorale spéciale comptait, selon les dernières données disponibles (2024), 181 034 électeurs et le tableau annexe 41 263 personnes (source : ISEE).

(1) Source : courrier communiqué à vos rapporteurs, signé du 14 octobre.