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N° 697

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 ASSEMBLÉE   NATIONALE 

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 décembre 2024.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi, adoptÉe par le sÉnat, relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé,

 

 

 

 

Par M. Guillaume GAROT,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

Voir les numéros :

 Sénat  105, 281, 282 et T.A. 47 (2022‑2023).

 Assemblée nationale :  104.

 

 

 


– 1 –

SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

A. LES EXPÉRIENCES DE RATIO DE SOIGNANTS À L’Étranger et pour les activitÉs de soinS critiques MONTRENT DES EFFETS VERTUEUX

1. À l’étranger, des bonnes pratiques sources d’inspiration

2. En France, des ratios de sécurité mis en œuvre pour les activités hospitalières sensibles

B. FACE À LA CRISE PROFONDE DE L’HÔPITAL PUBLIC, l’enjeu EST DOUBLE : REVALORISER LES CONDITIONS DE TRAVAIL DES SOIGNANTS et REDONNER CONFIANCE AUX PATIENTS

1. Rendre les métiers du soin à nouveau attractifs

2. Améliorer la prise en charge des patients

C. un outil souple et consensuel : LE RATIO DE SOIGNANTS

1. Fixer un cap d’espérance par un instrument simple

2. Une mesure fédératrice, appelée de leurs vœux par les personnels soignants

Commentaire d’article

Article unique Instaurer progressivement un ratio de soignants par patient

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE  1 : Liste des personnes entendues par le rapporteur

ANNEXE  2 : textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 


– 1 –

   Avant-propos

La crise de l’hôpital est d’abord une crise humaine de l’hôpital : des soignants qui font face à des cadences infernales et à des pressions extrêmement lourdes, des patients qui perdent confiance en l’institution... Cette dégradation des relations est continue depuis plusieurs années et elle doit nous alarmer.

Le service public hospitalier est au cœur de notre pacte républicain. L’idée fondatrice selon laquelle chacun doit avoir le même accès aux soins, quelles que soient ses origines et ses conditions matérielles d’existence, est un choix fort qu’a fait la Nation au sortir de la Seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, nous ne sommes plus à la hauteur de l’ambition de nos aînés.

Nous devons, collectivement, refonder les bases d’une confiance partagée des soignants et des patients en l’hôpital, en fixant un cap clair par une loi ambitieuse dans son principe mais simple dans sa mise en œuvre. L’idée d’un ratio de soignants par patient est une mesure vertueuse qui rassemble largement.

Portée avec conviction par le sénateur Bernard Jomier fin 2022 ([1]), la présente proposition de loi a été adoptée à une large majorité par le Sénat le 1er février 2023. Les aléas de la vie politique n’ont malheureusement pas permis à ce texte d’être examiné à l’Assemblée nationale aussi rapidement que tous les acteurs concernés l’auraient souhaité.

Alors que le contexte de tension à l’hôpital est plus prégnant que jamais, cette proposition de loi arrive enfin devant les députés. La volonté de votre rapporteur est désormais la célérité. Largement remaniée lors de son examen au Sénat, la proposition de loi présente aujourd’hui tous les garde-fous nécessaires pour que l’instauration progressive de ces nouveaux ratios qualitatifs ne conduise pas à la fermeture de lits mais constitue bien un signal d’alerte. Adoptée dans les mêmes termes qu’au Sénat, elle pourrait dessiner, dès 2025, un chemin vers une reconsidération des personnels soignants et des patients.

*

*     *


A.   LES EXPÉRIENCES DE RATIO DE SOIGNANTS À L’Étranger et pour les activitÉs de soinS critiques MONTRENT DES EFFETS VERTUEUX

1.   À l’étranger, des bonnes pratiques sources d’inspiration

● Tant la littérature scientifique que les expériences internationales concluent à des résultats probants quant à l’instauration d’un ratio de soignants par patient. En effet, un État américain comme la Californie a mis en œuvre un tel dispositif depuis déjà une vingtaine d’années.

Or, une étude sur ce cas californien, conduite en 2010, indique que les infirmières s’occupent en moyenne à l’hôpital d’un patient de moins que leurs homologues des autres États, et deux de moins en moyenne pour les unités médicales et chirurgicales ([2]). En outre, la mise en œuvre d’un tel ratio a pour effets positifs démontrés et quantifiés :

 une augmentation de la qualité des soins et du temps passé au chevet du patient ;

– une diminution du taux de mortalité ;

– une diminution des réadmissions dans les trente jours suivant la sortie ;

– une diminution du temps d’attente aux urgences ;

 une diminution du nombre de postes vacants et du taux de roulement du personnel ;

– une diminution des accidents du travail chez les personnels soignants ;

– une augmentation du nombre d’inscriptions au cursus d’études en soins infirmiers ainsi que du nombre de diplômés.

La Californie a depuis été rejointe par d’autres États américains comme le Nevada. Un dispositif similaire a également été déployé depuis une dizaine d’années au Pays de Galles, en Écosse ou encore dans l’État australien du Queensland.

● Les gains révélés par ces expériences étrangères sont de plusieurs natures.

D’une part, le ratio de soignants a pour conséquence de meilleures conditions d’accueil à l’hôpital du point de vue humain, tant pour les soignants que pour les patients. Les conditions de travail des personnels soignants se trouvant améliorées, par effet de ricochet, ces métiers attirent davantage d’étudiants. Il va de soi qu’une meilleure prise en charge des patients induit logiquement une guérison plus rapide et une baisse du risque de complications.

D’autre part, le ratio de soignants a des effets économiques non négligeables. Dans le Queensland, une étude de The Lancet publiée en 2021 a démontré que les économies réalisées par la diminution des durées de séjours et des réadmissions représentent le double du coût engendré par la hausse des effectifs d’infirmiers ([3]). Pensé comme dépense d’investissement et non de fonctionnement, le ratio de soignants produit ainsi des gains économiques réels et quantifiables.

2.   En France, des ratios de sécurité mis en œuvre pour les activités hospitalières sensibles

Cinq activités de soins sont aujourd’hui soumises du fait de leur lourdeur et de leur sensibilité médicale à des « conditions techniques de fonctionnement » au sens de l’article L. 6124‑1 du code de la santé publique. Des ratios réglementés de personnels par activité de soins sont ainsi fixés par décret et régulièrement révisés. Ainsi, s’agissant des soins critiques, de nouveaux ratios sont entrés en vigueur au 1er juin 2023 ([4]).

RÉcapitulatif de la rÈglementation des activitÉs de soins sensibles

Catégorie de soins

Activité

Référence réglementaire

(code de la santé publique)

Entrée en vigueur

Obstétrique, néonatologie, réanimation néonatale

Obstétrique

D. 6124‑44

Décret n° 98‑900 du 9 octobre 1998

Néonatologie et soins intensifs de néonatologie

D. 6124‑56

Réanimation néonatale

D. 6124‑61

Grands brûlés

Traitement des grands brûlés

D. 6124‑158

Décret n° 2007‑1240 du 20 août 2007

Soins critiques

Réanimation et soins intensifs polyvalents, et de spécialité le cas échéant

D. 6124‑28‑4 et D. 6124‑8‑5

Décret n° 2002‑466 du 5 avril 2002

Soins intensifs d’hématologie

D. 6124‑31‑3

Soins intensifs de neurologie vasculaire

D. 6124‑30‑3

Soins intensifs de cardiologie

D. 6124‑29‑3

Réanimation de recours et soins intensifs pédiatriques polyvalents

D. 6124‑33‑3 à D. 6124‑33‑5

Insuffisance rénale chronique

Centres d’hémodialyse pour adultes et pour enfants

D. 6124‑70 et D. 6124‑73

Décret n° 2002‑1198 du 23 septembre 2002

Unités de dialyse médicalisée

D. 6124‑77

Unités d’autodialyse

D. 6124‑81

Dialyse péritonéale à domicile

D. 6124‑87

Traitement du cancer

Radiothérapie externe

D. 6124‑140‑2

Décret n° 2022‑693 du 26 avril 2022

Source : direction générale de l’offre de soins.

Ces dispositions réglementaires indiquent, par exemple, que l’équipe non médicale de l’unité de réanimation comprend au moins :

– deux infirmiers pour cinq lits ouverts ;

– un aide-soignant pour quatre lits ouverts ;

– un masseur-kinésithérapeute en mesure d’intervenir sept jours sur sept dans l’unité, justifiant d’une expérience attestée en soins critiques ;

– un psychologue ;

– en tant que de besoin un diététicien, un ergothérapeute et du personnel à compétence biomédicale ([5]).

Ces ratios sont souvent adaptés en fonction du jour ou de la nuit.

En cas de non-respect, les capacités d’accueil de l’établissement sont réduites ou l’activité du service concerné est suspendue. La nécessité de tels ratios de « sécurité » est soulignée par l’ensemble du personnel soignant pour tenir compte de la complexité de la prise en charge des patients accueillis.

B.   FACE À LA CRISE PROFONDE DE L’HÔPITAL PUBLIC, l’enjeu EST DOUBLE : REVALORISER LES CONDITIONS DE TRAVAIL DES SOIGNANTS et REDONNER CONFIANCE AUX PATIENTS

1.   Rendre les métiers du soin à nouveau attractifs

 L’épuisement professionnel des personnels soignants en place et en devenir n’est plus à démontrer. Fin 2021, une enquête de l’Ordre national des infirmiers auprès de 60 000 infirmières et infirmiers dressait le constat alarmant suivant ([6]) :

– 85 % des infirmiers jugent leurs conditions de travail dégradées depuis le début de la crise sanitaire ;

– 72 % décrivent un état d’esprit marqué par la lassitude ;

– 54 % des salariés d’établissements publics estiment traverser un « burn out » ayant des effets préjudiciables sur la qualité des soins ;

– 15 % affirment vouloir changer de métier dans les douze mois à venir.

Par conséquent, le taux de rotation des personnels soignants à l’hôpital augmente. D’après les données de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), le taux de rotation « médian » des personnels médical et non médical est passé respectivement de 14,8 % à 15,6 % et de 9,1 % à 10,1 % entre 2018 et 2019 ([7]). Au total, fin 2019, près d’une infirmière hospitalière sur deux avait quitté l’hôpital ou changé de métier après seulement dix ans de carrière ([8]).

Ce « turn-over » représente d’abord un coût social humain élevé puisque le découragement des personnels entraîne une désaffection pour l’hôpital et une perte d’estime de soi. De nombreux infirmiers et aides-soignants abandonnent ou démissionnent pour s’orienter vers d’autres métiers.

Cette rotation des effectifs représente aussi une perte économique sévère, d’une part pour l’hôpital qui doit faire appel à des personnels intérimaires pour un coût bien plus élevé que ce que représente à terme le recrutement pérenne de soignants et, d’autre part, pour l’Assurance maladie du fait de l’accroissement des arrêts de travail. Les dépenses d’intérim médical des hôpitaux publics s’élevaient, en effet, à 1,5 milliard d’euros en 2022, en progression de 25 % par rapport à 2017, soit 2 % des dépenses totales de personnel médical ([9]).

● Le manque d’attractivité pour les métiers du soin se traduit concrètement par des abandons en cours de formation. D’après les données du Collectif inter-hôpitaux (CIH) fournies à votre rapporteur, on observerait près d’un tiers d’interruption d’études. Les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) confirment cette dégradation puisqu’une publication récente indique que les étudiantes en formation d’infirmière sont trois fois plus nombreuses à abandonner en première année en 2021 qu’en 2011 ([10]).

Les facteurs pouvant expliquer ces abandons sont multiples :

– expérience décourageante du premier stage ;

– décalage entre l’enseignement théorique reçu et l’impossibilité de le mettre en pratique. Le cas de la durée théorique d’une toilette au regard du temps qui lui réellement consacré sur le terrain est à ce titre, emblématique ;

– dégradation des conditions de formation avec une baisse parfois massive du nombre d’heures d’enseignement théorique. Ainsi, en psychiatrie, il a pu être divisé par dix en trente ans.

 Dans ce contexte, il apparaît qu’une meilleure rémunération n’est pas toujours la première motivation des infirmiers qui ont privilégié l’intérim à l’exercice hospitalier. En effet, d’après une enquête menée par l’Agence d’emploi des métiers et de santé (AGEMS) en novembre 2022 auprès de 1 047 infirmières intérimaires, les raisons ayant conduit à ce mode d’exercice étaient avant tout d’ordre organisationnel.

Parmi les critères qui pourraient motiver un retour au sein d’un établissement hospitalier figurent en première position la nécessité d’un planning adapté puis, en deuxième position, l’application d’un ratio de soignants par patient cohérent et respecté.

2.   Améliorer la prise en charge des patients

Les conditions dégradées d’accueil des patients à l’hôpital nuisent à la confiance que ceux-ci nourrissent en ce service public fondamental pour notre pacte républicain. C’est dans ce contexte que naissent des collectifs comme les Gilets blancs fondés par l’ancienne cheffe de service des urgences de Laval, Caroline Brémaud, réunissant tant les soignants que des citoyens, simples patients de l’hôpital.

Bien qu’elle reste élevée à hauteur de 75 %, la confiance des citoyens dans l’hôpital ne cesse de diminuer ces dernières années, accusant la plus forte chute parmi toutes les organisations (– 3 points) entre 2023 et 2024 d’après le dernier baromètre de la confiance politique du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) ([11]). Elle s’élevait encore à 83 % en 2015.

● Il est évident que les cadences infernales subies par les personnels soignants ne sont pas sans risque sur la santé des patients. Médicaments non délivrés à horaire fixe, protocole de sortie de bloc opératoire difficilement respecté... Les cas de prise en charge lacunaire relayés lors des travaux préparatoires sont légion.

La littérature scientifique a bien documenté les effets délétères des carences d’effectif hospitalier sur la prise en charge des patients. Ainsi, plusieurs études démontrent l’effet d’un nombre de patients plus élevé par soignant sur la survenue de diverses complications en lien avec les hospitalisations comme l’apparition d’escarres, les chutes, les arrêts cardiaques, les infections nosocomiales, les hémorragies digestives hautes ou encore les erreurs médicamenteuses ([12]).

Une étude américaine a montré qu’une augmentation du nombre de soignants par patient permettrait, aux États-Unis, d’éviter 60 000 événements indésirables et 5 000 décès ([13]).

 Ainsi que le souligne le Collectif inter-hôpitaux (CIH), « l’impossibilité de formation continue couplée avec des taux importants de “turn-over” participent aussi à la perte d’expérience et d’expertise des professionnels conduisant à une moins bonne performance des soins avec des conséquences négatives pour les malades » ([14]).

Lors des auditions menées par votre rapporteur, les organisations syndicales ont, en effet, souligné qu’elles accompagnaient de plus en plus de personnels soignants sanctionnés pour des fautes commises dans le cadre de leurs fonctions dues à la surcharge de travail mais également à une moindre qualification professionnelle. Il va de soi que les patients hospitalisés sont les premières victimes concrètes de ces manquements.

C.   un outil souple et consensuel : LE RATIO DE SOIGNANTS

1.   Fixer un cap d’espérance par un instrument simple

Le ratio soignants/soignés apparaît, au vu des expériences étrangères qui font figure d’étude d’impact, un outil révolutionnaire en termes d’organisation des soins à l’hôpital. Conçu comme un standard souple, il aura vocation à s’appliquer aux établissements du service public hospitalier, soit principalement les hôpitaux publics et les établissements de santé privés d’intérêt collectif.

Il faut d’emblée distinguer ce nouveau ratio dit qualitatif des ratios de sécurité existants qui entraînent, à défaut d’être respectés, la fermeture de lits. Ce n’est évidemment pas l’objectif poursuivi par la proposition de loi qui se veut, avant tout, une loi fixant un horizon à atteindre. En effet, les fermetures de lit sont aujourd’hui causées par le manque de personnel soignant. L’instauration immédiate d’un ratio ne ferait qu’accentuer ce phénomène puisque les carences de personnel ne sont pas palliées.

Ainsi, la mesure se veut progressive pour redonner petit à petit confiance en l’hôpital et le rendre à nouveau attractif pour les personnels soignants. Pour reprendre les mots d’Arnaud Chiche, fondateur du collectif Santé en danger, il s’agit de créer un « choc de formation » pour attirer et surtout faire rester les étudiants.

Il faudra du temps pour établir des critères pertinents et applicables afin d’éviter l’écueil d’une uniformisation bureaucratique des ratios. C’est pourquoi la mission d’établissement de ces critères est confiée à un organisme indépendant, la Haute Autorité de santé, qui devra valoriser une approche de « terrain » auprès des personnels directement concernés.

En revanche, de l’avis majoritaire des personnes entendues lors des travaux préparatoires, une fois que ces ratios seront correctement définis – à horizon de plusieurs années –, il s’agira de rendre la mesure opposable afin de s’assurer de son application réelle à l’hôpital.

2.   Une mesure fédératrice, appelée de leurs vœux par les personnels soignants

La mise en œuvre d’un ratio soignés/soignants est une revendication de longue date portée par la majeure partie des organisations syndicales et nombre de collectifs de soignants.

Le syndicat Force ouvrière (FO) services publics et de santé a rappelé, lors de son audition, qu’une telle mesure faisait déjà partie des réflexions menées en 2016 sur l’épuisement professionnel à l’hôpital, puis qu’elle fut portée par l’intersyndicale dans le cadre du Ségur de la santé en 2020.

Le ratio de soignants par patient est une mesure consensuelle car elle concernera directement et indirectement l’ensemble du personnel hospitalier en redéfinissant, très concrètement, l’exercice paramédical à l’hôpital.

*

*     *


   Commentaire d’article

Article unique
Instaurer progressivement un ratio de soignants par patient

Adopté par la commission

Le présent article détermine un nombre minimal de personnels soignants par patient dans les établissements du service public hospitalier, établi sur des critères déterminés par la Haute Autorité de santé.

1.   Le droit existant

a.   Des ratios de sécurité définis réglementairement

Certaines activités ou spécialités de soins sont aujourd’hui soumises à des conditions de fonctionnement qui peuvent comprendre des effectifs minimaux. C’est le cas particulièrement des activités d’obstétrique, de périnatalité, de traitement du cancer, de soins critiques ou encore du traitement des grands brûlés.

Ces ratios relevant des « conditions techniques de fonctionnement » au sens de l’article L. 6124‑1 du code de la santé publique déterminent le bon fonctionnement du service concerné. L’autorisation d’activité est subordonnée au respect de ces effectifs minimaux. Dans le cas contraire, l’activité est réduite voire suspendue.

b.   Des missions de certification et de contrôle de qualité des soins de la Haute Autorité de santé justifiant son implication dans l’établissement du ratio

La Haute Autorité de santé (HAS), autorité publique indépendante à caractère scientifique, se voit déjà confier au niveau législatif des missions de diverses natures en vertu de l’article L. 161‑38 du code de la sécurité sociale. Elle est, entre autres, chargée de :

– procéder à l’évaluation périodique du service attendu des produits, actes ou prestations de santé et du service qu’ils rendent et contribuer par ses avis à l’élaboration des décisions relatives à l’inscription, au remboursement et à la prise en charge par l’assurance maladie de ces produits, actes ou prestations de santé ;

– réaliser ou valider les études médico-économiques nécessaires à l’évaluation des actes de soins mentionnés à l’article L. 162‑1‑7 du code de la sécurité sociale ;

– élaborer ou mettre à jour des fiches sur le bon usage de certains médicaments permettant notamment de définir leur place dans la stratégie thérapeutique, à l’exclusion des médicaments anticancéreux ;

– élaborer les guides de bon usage des soins ou les recommandations de bonne pratique, procéder à leur diffusion et contribuer à l’information des professionnels de santé et du public dans ces domaines ;

– établir et mettre en œuvre des procédures d’accréditation des professionnels et des équipes médicales mentionnées à l’article L. 1414‑3‑3 du code de la santé publique ;

– établir et mettre en œuvre les procédures de certification des établissements de santé prévues aux articles L. 61133 et L. 61134 du code de la santé publique ;

– participer au développement de l’évaluation de la qualité de la prise en charge sanitaire de la population par le système de santé et élaborer des référentiels de compétences, de formation et de bonnes pratiques dans le domaine de la médiation sanitaire ;

– coordonner l’élaboration et assurer la diffusion d’une information adaptée sur la qualité des prises en charge dans les établissements de santé à destination des usagers et de leurs représentants.

2.   Le dispositif proposé initialement

Dans sa version initiale, la proposition de loi du sénateur Bernard Jomier ([15]) comportait deux volets d’action : d’une part, compléter les missions de la Haute Autorité de santé et, d’autre part, préciser dans la mise en œuvre des ratios le rôle la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT).

● Le I introduit un nouvel alinéa  bis à l’article L. 161‑37 du code de la sécurité sociale afin de compléter les missions de la HAS, désormais chargée « d’établir, pour chaque spécialité et type d’activité de soin hospitalier et en tenant compte de la charge de soins associée, un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires dans les établissements de santé assurant le service public hospitalier au sens du chapitre II du titre Ier du livre Ier de la sixième partie du code de la santé publique ».

● Le II complète, par ailleurs, l’article L. 6146‑9 du code de la santé publique afin de préciser que « la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques est chargée de la mise en œuvre dans l’établissement des ratios établis par la Haute Autorité de santé conformément au  bis de l’article L. 16137 du code de la sécurité sociale ».

● Le III prévoit enfin un gage financier à la proposition de loi.

3.   Les modifications apportées par le Sénat

Afin de lever certaines inquiétudes quant à la faisabilité de ce nouveau ratio dans des délais réalistes, la commission des affaires sociales du Sénat a procédé à plusieurs larges modifications du dispositif.

● Elle a tout d’abord conservé le principe de l’établissement de ratios par la Haute Autorité de santé en précisant que le ratio serait « de nature à garantir la qualité et la sécurité des soins » (I).

● Afin de clarifier l’articulation entre ces nouveaux ratios « qualitatifs » déterminés par la HAS et les ratios de sécurité existants, la commission a distingué nettement les deux dispositifs dont les implications en termes d’autorisation d’activité diffèrent :

– ainsi, le I bis introduit d’abord un nouvel article L. 61242 dans le code de la santé publique (CSP), qui prévoit que « pour des raisons de sécurité, certaines activités de soins peuvent être soumises à des conditions de fonctionnement particulières requises pour l’accueil de patients. Celles-ci sont fixées par décret pour une période maximale de cinq ans. » Ces ratios de sécurité disposeront donc désormais d’une base légale et non plus simplement réglementaire ;

– un nouvel article L. 61243 du CSP dispose, pour sa part, qu’« en vue de garantir la qualité des soins et des conditions d’exercice, il est défini, pour chaque spécialité et type d’activité de soin hospitalier, un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires ».

Ainsi cohabiteront au même niveau normatif ratios de sécurité et ratios qualitatifs.

Cet article précise également que ce dernier ratio, « établi par décret, pris après l’avis de la Haute Autorité de santé, pour une période maximale de cinq ans, tient compte de la charge de soins liée à l’activité et peut distinguer les besoins spécifiques à la spécialisation et à la taille de l’établissement ».

Cette période maximale de cinq ans permettra de réviser régulièrement les ratios au regard de l’évolution des pratiques médicales et des besoins constatés. En outre, la considération de la charge de soins, des besoins spécifiques et de la taille de l’établissement sera de nature à rendre le dispositif plus souple et plus adapté à la réalité des établissements hospitaliers.

● Afin de préserver les compétences d’organisation propres aux établissements et de respecter les missions des responsables médicaux ainsi que des directeurs des soins et cadres coordinateurs, la commission a remplacé la « mise en œuvre » déléguée aux CSIRMT par un nouvel article L. 61244 du CSP qui prévoit une appropriation des ratios qualitatifs par les instances des établissements du service public hospitalier. Ainsi, l’organisation des soins propre aux services de l’établissement au regard des ratios sera « soumise pour approbation aux commissions médicales et chargées des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques ».

● Enfin, la commission a introduit un mécanisme d’alerte en cas de non‑respect des ratios par un nouvel article L. 61245 du CSP, qui prévoit que « lorsqu’il est constaté pour une unité de soins que les ratios à l’article L. 61242 ne peuvent être respectés pendant une durée supérieure à trois jours, le chef d’établissement en informe le directeur général de l’agence régionale de santé territorialement compétent ».

La carence dans la mise en œuvre du ratio ne doit pas conduire à la réduction ou à la suspension de l’activité. Néanmoins, il est primordial que les ARS puissent connaître en temps réel la situation des hôpitaux pour effectuer un suivi davantage documenté qu’aujourd’hui et agir en tant que de besoin pour résorber une situation critique.

● L’indispensable progressivité du dispositif – unanimement réclamée – a conduit la commission des affaires sociales du Sénat à prévoir une entrée en vigueur différée de la proposition de loi suivant un calendrier en deux étapes.

Dans un premier temps, la HAS se verra confier la nouvelle mission de définition des ratios. La commission a prévu une entrée en vigueur au plus tard le 31 décembre 2024. Compte tenu des aléas de la vie politique, l’examen du texte à l’Assemblée nationale en décembre 2024 rend impossible pour la HAS de débuter ses travaux avant cette échéance. Néanmoins, votre rapporteur entend que cette proposition de loi soit votée dans les mêmes termes que le Sénat afin qu’elle soit définitivement adoptée avant la fin de l’année pour permettre à la HAS d’engager ses premiers travaux dès que possible.

La mise en œuvre opérationnelle des ratios qualitatifs, par décret, est fixée au 1er janvier 2027. Cette échéance semble toujours réaliste mais ne doit pas, pour votre rapporteur, constituer une date couperet si la définition de ratios cohérents et applicables n’était pas arrivée à son terme à cette date.

● En séance publique, les sénateurs ont adopté la proposition de loi sans qu’aucun amendement ne soit proposé.

*

*     *


– 1 –

   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa première réunion du mercredi 4 décembre2024, la commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé (n° 104) (M. Guillaume Garrot, rapporteur) ([16]).

M. Guillaume Garot, rapporteur. Cette proposition de loi, adoptée à une large majorité par nos collègues sénateurs, vise à instaurer un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé.

Nous faisons tous le même constat : l’hôpital est en souffrance, en particulier dans les villes moyennes et les départements ruraux. Les soignants sont confrontés à des cadences intenses et de fortes pressions : ils doivent courir d’une chambre à l’autre pour se rendre au chevet des patients et faire à face à de multiples sollicitations, surtout la nuit et le week-end.

L’enjeu pour notre nation est de consolider l’hôpital afin qu’il demeure un élément fondamental de notre pacte républicain. Rappelons qu’il fait partie du legs que nous ont laissé nos aînés après la Seconde Guerre mondiale avec la sécurité sociale issue du programme du Conseil national de la résistance. Ce grand service public de l’hôpital a fait la fierté de notre pays, la grandeur de la France : il garantit à chacun, quelles que soient ses origines, où qu’il habite sur le territoire national, d’avoir accès à des soins de qualité.

Il s’agit de redonner de l’espoir aux soignants et de la confiance aux patients. Actuellement, les infirmiers, les infirmières, les aides-soignantes, les aides-soignants quittent l’hôpital après y avoir travaillé quelques années, parfois pour engager des reconversions professionnelles. Dans les filières de formation – instituts de formation en soins infirmiers, instituts de formation d’aides-soignants –, nous assistons à un phénomène de plus en plus marqué d’abandons en cours d’études. Bien sûr, il faut prendre en compte les réalités de Parcoursup ; reste que beaucoup de jeunes se disent qu’ils n’y arriveront pas parce que le métier est trop dur. C’est contre cela qu’il faut lutter et c’est bien le sens de cette proposition de loi défendue par notre collègue Bernard Jomier au Sénat.

L’application de ratios de soignants par patient hospitalisé est déjà en vigueur dans notre pays et elle donne de bons résultats. Elle est toutefois limitée à cinq activités de soins : l’obstétrique, notamment la néonatalogie, le traitement des grands brûlés, des personnes souffrant d’insuffisance rénale chronique ou atteintes de cancers ainsi que les soins critiques.

Dans plusieurs pays étrangers, la mise en œuvre des ratios a fait la démonstration de son efficacité. Citons en particulier les États-Unis avec la Californie et l’Australie avec le Queensland. Une étude de The Lancet menée à partir du cas australien a montré que le coût correspondant à la hausse des effectifs a engendré des économies d’un montant deux fois plus élevé. Les ratios permettent d’alléger des postes de dépenses très lourds pour le système de santé en réduisant le nombre des infections nosocomiales et des erreurs médicamenteuses, en diminuant le temps d’attente aux urgences et le risque de réhospitalisation, en favorisant des guérisons plus rapides. Il faut donc considérer ces dépenses dans l’humain comme un investissement pour l’hôpital, qu’il s’agisse de l’amélioration des conditions de travail des soignants ou de la qualité accrue des soins reçus par les patients.

Cette proposition de loi suscite une très forte attente dans la communauté hospitalière. Nous sommes nombreux ici à le mesurer, en particulier Sabrina Sebaihi qui a reçu plusieurs collectifs d’organisations syndicales. Tous disent leur besoin de pouvoir se projeter dans l’avenir.

Ce texte provoque aussi chez certains élus des craintes, que je tiens à apaiser. Ils redoutent que la mise en œuvre immédiate des ratios ne bloque le système en provoquant la fermeture de lits et de services, faute d’effectifs de soignants suffisants. Il n’est dans l’esprit de personne de s’engager dans cette politique, à marche forcée, de manière bureaucratique. Il est bien évident qu’appliqués d’un claquement de doigts, loin de remplir leur office, ils aggraveraient la situation. C’est la raison pour laquelle il est prévu de les établir de manière progressive. Le décret fixant la date à partir de laquelle ils entreront en vigueur ne sera pas signé sur un coin de table par l’administration du ministère de la santé. Il ne sera élaboré que sur la base des travaux conduits par la Haute Autorité de santé (HAS) qui prendra le temps suffisant pour formuler ses recommandations à l’horizon de deux, quatre ou cinq ans. Ainsi, nous laisserons le temps nécessaire pour la formation des futurs soignants. Les exemples étrangers montrent que les métiers du soin redeviennent attractifs lorsqu’on peut garantir de meilleures conditions de travail.

Par ailleurs, pour échapper à tout risque bureaucratique, nous prévoyons que les ratios seront mis en œuvre au niveau local, à l’échelle de chaque établissement. Les commissions médicales d’établissement (CME) et les commissions des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT) auront leur rôle à jouer.

Chacun sait ici que la date du 1er janvier 2027 fixée pour l’entrée en vigueur des ratios n’est pas tenable. Seulement, ce texte comprend les outils nécessaires pour une application à l’horizon de six, sept ou huit ans.

Cette proposition de loi constitue une étape très importante vers la reconstruction de notre hôpital. Nous sommes attendus par les soignants, par ceux qui n’en peuvent plus, par ceux qui se demandent s’ils doivent continuer ou se reconvertir. C’est maintenant qu’il faut réagir. Et si nous voulons que les travaux nécessaires à l’application de ces quotas commencent le plus rapidement possible – même si nous visons un horizon de cinq ou sept ans pour la mise en œuvre effective –, il faut adopter le texte conforme. C’est la raison pour laquelle, en tant que rapporteur, je m’opposerai à toute modification du texte. Cela ne nous empêchera bien sûr pas de débattre et de nourrir la réflexion du Gouvernement puis de la HAS. Pour redonner de l’espoir aux soignants et de la confiance aux patients, votons cette proposition de loi.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Serge Muller (RN). Ce texte aborde une question essentielle pour l’avenir de notre système de santé : la qualité des soins et les conditions de travail de nos soignants que je connais bien pour en avoir fait partie pendant vingt-deux ans. Ces enjeux sont au cœur des préoccupations du Rassemblement national, qui a toujours défendu une médecine de proximité, humaine et efficace. Nos soignants, que je salue avec respect, sont les piliers de notre système de santé. Or, depuis des années, ils subissent une pression insoutenable en raison des politiques de rationalisation budgétaire, des fermetures de lits et d’une bureaucratie étouffante.

Cette proposition de loi va dans le bon sens mais elle reste insuffisante. Il importe de la renforcer par des mesures concrètes et ambitieuses si nous voulons que les ratios soient non seulement appliqués mais aussi pertinents. Nous demandons qu’ils soient fondés sur des données scientifiques solides, validés par des experts et élaborés avec la participation des soignants eux-mêmes. Nous devons tenir compte non seulement du nombre de patients mais aussi de la gravité des pathologies, de la complexité des soins qu’elles requièrent et des réalités des territoires, notamment dans les zones rurales. Enfin, il faut éviter que ces ratios ne constituent un fardeau supplémentaire pour nos établissements de santé. L’État doit accompagner financièrement leur mise en œuvre et investir dans la formation et le recrutement des personnels de santé : c’est une priorité nationale. Ce texte est l’occasion de leur offrir la reconnaissance qu’ils méritent et de leur accorder les moyens dont ils ont besoin.

Mme Annie Vidal (EPR). L’instauration d’un ratio minimal vise un objectif d’amélioration de la sécurité et de la qualité des soins que nous partageons. Toutefois, la proposition de loi, dans la rédaction actuelle de son article unique, ouvre un champ très large : toutes les spécialités, toutes les catégories de soignants, toutes les activités sont concernées. Elle aurait pour conséquence directe l’opposabilité des ratios, déterminés par décret après avis de la HAS et définis en fonction du nombre de lits et de passages pour les activités ambulatoires.

Notre groupe souhaite avant tout s’assurer que les solutions proposées soient réalistes et applicables. Si cette proposition de loi est mue par une volonté louable dont nous partageons le principe, elle pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, confier la responsabilité de fixer ces ratios à la HAS et à la direction générale de l’offre de soins nous semble reposer sur une approche trop centralisée et uniforme, éloignée de la réalité des services de soins et porteuse de rigidité comme de complexité. Elle est en contradiction avec notre volonté de responsabiliser les établissements et de leur laisser de la souplesse dans leur fonctionnement. Il conviendrait de leur donner la possibilité de fixer eux-mêmes ces ratios.

Il me semble aussi nécessaire dans un premier temps de limiter l’application des ratios aux unités de médecine, de chirurgie et d’obstétrique ainsi qu’aux infirmières diplômées d’État et aux aides-soignants. Leur mise en œuvre doit être ciblée si nous voulons qu’elle soit efficace. Nous éviterions ainsi de créer de rigidités excessives dans l’organisation des établissements. Enfin, monsieur le rapporteur, vous n’ignorez pas que la CSIRMT n’a qu’un avis consultatif. Elle n’a donc pas de pouvoir d’approbation.

J’insisterai insister pour finir sur un point fondamental. Dans les établissements où le nombre de postes vacants est élevé, définir des ratios peut certes être un facteur d’attractivité, mais leur opposabilité constitue un risque majeur, susceptible de contraindre des établissements à fermer des lits ou à limiter l’activité des services. Mes amendements tenteront de répondre à cette difficulté.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). N’en déplaise au Gouvernement, qui tombera ce soir, la première préoccupation des Français n’est pas l’immigration mais la santé, malmenée par Emmanuel Macron, ses gouvernements successifs et ses députés. Malmenée car depuis 2014, 43 000 lits d’hospitalisation complète ont été supprimés, dont 5 700 en pleine pandémie. Malmenée car, signe de la souffrance des soignants, 60 000 postes d’infirmiers sont vacants contre seulement 10 000 en 2019 et la moitié des infirmières ayant commencé leur carrière à la fin des années 2000 ont changé de métier. Malmenée car les salaires des soignants sont toujours aussi faibles – les infirmières françaises gagnent près de deux fois moins que leurs homologues belges. Malmenée car depuis 2017, Emmanuel Macron a organisé 15 milliards d’euros d’économies sur le dos de l’hôpital public – cette année, nous avions pourtant voté des recettes suffisantes pour le budget de la sécurité sociale mais ces 17 milliards ont été balayés comme tout le reste. Malmenée car, la semaine dernière, la minorité présidentielle a bloqué l’abrogation de la retraite à 64 ans et ma proposition de loi sur la pénibilité des métiers féminisés qui offrait la possibilité aux infirmières, aides‑soignantes et agents de service hospitalier (ASH) de partir à la retraite de manière anticipée.

Cette proposition de loi, bien qu’insuffisante par rapport à l’océan des besoins, nous apparaît comme une étape nécessaire, attendue par les professionnels. De tels ratios ont été mis en place en Californie, en Corée du Sud, en Australie, avec de bons résultats : diminution de la mortalité, réduction du risque d’erreurs médicales, amélioration de la qualité du pronostic des patients, baisse des accidents du travail et des burn-out chez les soignants, hausse des inscriptions en études de soins.

Quand cette loi sera votée, la HAS aura à définir les ratios mais sans avoir à se fonder sur l’état actuel des effectifs de soignants, autrement dit la pénurie. Idéalement, ces ratios devraient être inscrits dans la loi. Ils favoriseront le retour des soignants à l’hôpital public mais ce qui le favorisera encore plus, c’est le départ définitif d’Emmanuel Macron et son gouvernement.

Mme Fanny Dombre Coste (SOC). Cette proposition de loi répond à une urgence : l’état critique de notre hôpital public. La crise que nous traversons est avant tout humaine : elle se lit dans les visages fatigués des soignants et dans l’inquiétude des patients face à la fermeture de lits, voire de services d’urgences. Depuis 2020, les démissions se multiplient : infirmiers, aides-soignants, personnels de rééducation quittent massivement les hôpitaux, épuisés par des charges de travail intenables. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 85 % des soignants estiment que leurs conditions de travail se sont dégradées depuis la pandémie, plus de la moitié sont en état de burn-out et beaucoup envisagent de changer de métier. Ce constat alarmant est confirmé par les abandons en cours de formation et surtout par le recours excessif à l’intérim, qui coûte des milliards à l’hôpital sans pour autant régler les problèmes structurels.

Au-delà des soignants, ce sont les patients qui paient le prix de cette crise. Trop souvent les protocoles ne peuvent être respectés : les médicaments ne sont pas délivrés à temps, des complications évitables surviennent. L’épuisement du personnel peut directement porter atteinte à la qualité des soins.

Face à cette réalité, cette proposition de loi vise à instaurer des ratios minimaux de soignants par patient pour l’ensemble des services, y compris les services d’urgences et de soins psychiatriques. Elle s’inscrit dans une démarche plus large car elle vient compléter la proposition de loi, d’initiative transpartisane, contre les déserts médicaux. Ces deux textes sont les piliers d’une refondation du service public de santé.

Les exemples étrangers, en Californie notamment, montrent de quels bénéfices s’accompagne la mise en place de ratios : baisse de la mortalité hospitalière, amélioration des conditions de travail et surtout augmentation des vocations. Cette réforme progressive, encadrée par la HAS, fixe un cap clair pour reconstruire la confiance des soignants et des patients dans l’hôpital public.

Enfin, les députés socialistes, lors des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), ont défendu les moyens nécessaires pour le financement de ces ambitions. Nous avons démontré que des choix budgétaires responsables peuvent soutenir ces réformes indispensables. Adopter ce texte, c’est répondre aux problèmes de pénurie et d’attractivité des métiers du soin, c’est répondre à l’appel des soignants qui demandent à être respectés et des patients qui méritent des soins sûrs et de qualité.

M. Yannick Neuder, rapporteur général. Cette intervention exprimera la position du groupe Droite Républicaine.

Cette proposition de loi a été adoptée à une large majorité par nos collègues du Sénat et nous portons sur elle un regard bienveillant car elle envoie un message de soutien à nos soignants avec ces ratios de nature qualitative et non pas réglementaire destinés à accroître l’attractivité des métiers du soin et améliorer la prise en charge de nos patients.

Plusieurs études ont été citées, dont l’une publiée dans la revue internationale de très haut rang qu’est The Lancet, qui a montré que la mise en place de tels ratios s’accompagnait de gains médico-économiques, notamment en matière de diminution de la durée moyenne des séjours. Une autre étude a mis en évidence des améliorations en matière de morbimortalité, qu’il s’agisse des infections nosocomiales, des chutes ou des escarres. J’ai un petit doute s’agissant de la réduction des arrêts cardiaques, qui me semble comporter un biais, mais globalement, nous voyons bien quels bénéfices pour l’attractivité de nos hôpitaux comporte cette mesure issue des travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, dont Catherine Deroche était rapporteure.

Certains points appellent une vigilance particulière. Je préfère enfoncer le clou et revenir sur l’argument selon lequel les ratios risquent de devenir opposables et entraîner des fermetures de services. Il s’agit, rappelons-le, de ratios qualitatifs et ils ne sauraient avoir de telles conséquences. En outre, nous appelons de nos vœux des dates de mise en application raisonnables, afin que le nombre d’infirmières et d’aides-soignantes formées soit en adéquation avec les besoins. Enfin, nous sommes favorables à ce qu’il revienne à la HAS de définir les critères de qualité.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Cela fait quarante-huit heures que le Gouvernement a recouru au 49.3 pour faire adopter le budget de la sécurité sociale, un budget qui ne prend en compte ni l’hôpital public, ni les soignants, ni les usagers : il prévoit une baisse de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) alors même que les hôpitaux publics crient au sous-financement. Vendredi dernier, les présidents des conseils de surveillance des centres hospitaliers universitaires de tous bords se sont alarmés du déficit de leurs établissements et ont appelé au maintien de leurs budgets.

Il suffit de se rendre à l’hôpital pour se rendre compte de la crise qu’il traverse. N’avez-vous jamais attendu des heures aux urgences, faute de personnel ? Cet été, aux urgences de Nantes, certaines personnes sont restées jusqu’à soixante-dix heures sur un brancard avant d’être hospitalisées. N’avez-vous jamais rencontré d’infirmiers sous pression, contraints de passer rapidement de chambre en chambre pour voir un maximum de patients ? Ne voulez-vous pas préserver nos soignants et la prise en charge des usagers de notre système de santé ? Les personnels soignants sont à bout de souffle, épuisés, mal payés, insuffisamment considérés. Ils sont des milliers à abandonner un métier qu’ils avaient pourtant choisi par vocation. Près d’un infirmier sur deux jette l’éponge après dix ans de carrière à l’hôpital. Les déserts médicaux s’étendent, laissant des millions de Français sans accès à des services de santé vitaux, les forçant à se tourner vers des services d’urgences toujours plus engorgés.

Le dispositif présenté dans cette proposition de loi a été soutenu de longue date par les personnels de santé, notamment le Collectif Inter Hôpitaux – et je souhaite ici rendre hommage à ses membres, notamment Anne Gervais et Thierry Amouroux, à tous ces soignants qui, en plus de travailler dans des conditions qui frisent parfois l’indignité, prennent du temps pour porter haut les demandes d’amélioration de notre système de santé et les exigences d’excellence pour nos hôpitaux, empreints qu’ils sont du sens du service public de la santé.

La richesse d’une société se mesure à l’aune de la santé de ses citoyens et non de ses dividendes. Le groupe Écologiste et Social votera bien évidemment en faveur de cette proposition de loi : instaurer un nombre minimum de soignants par patient, c’est mieux s’occuper de l’humain.

M. Philippe Vigier (Dem). Guillaume Garot en conviendra avec moi, cela fait plus de dix ans que j’essaie de faire avancer la lutte contre la désertification médicale alors même que le groupe politique auquel il appartient a combattu mes propositions dans cette même salle. C’est pour moi un enjeu absolument majeur.

Étant moi-même soignant, je pense bien connaître la dureté de ce métier. Nous devons réfléchir tous ensemble aux possibilités d’améliorer les conditions de travail des soignants et l’attractivité de ces métiers. Cela n’a pas encore été rappelé mais 40 % des infirmières décrochent lors de leur première année d’exercice. Pourquoi le découragement l’emporte-t-il aussi rapidement alors qu’il s’agit d’un métier merveilleux ?

Je ne crois pas du tout à la suradministration de l’hôpital. J’ai eu la chance d’être député-maire pendant seize ans et en siégeant au conseil d’administration d’un hôpital de ma circonscription, j’ai pu déplorer année après année l’absence de moyens pour financer la formation des aides-soignantes et des infirmières – tous les deux ou trois ans, une ou deux seulement pouvaient en suivre une.

Monsieur le rapporteur, je connais votre engagement sur les questions de santé et je le partage. J’adhère à 1 000 % à l’esprit de votre proposition de loi. Simplement, je n’ai pas confiance dans le décret d’application qui viendra s’imposer par-dessus la tête des parlementaires. Nous découvrirons un jour que tel service aura dû fermer, faute pour l’hôpital d’avoir pu respecter le ratio mis en place. Il faut pouvoir avoir la main dessus, sinon nous serons démunis et l’irresponsabilité, nous la partagerons tous. Je me bagarre tous les jours avec l’agence régionale de santé (ARS) sur ces questions-là. Et je sais, chère collègue, l’attente interminable des patients aux urgences.

Nous ne pouvons pas en rester à une version monolithique de cette proposition de loi. Enrichissons-la par des amendements car elle va dans le bon sens.

M. François Gernigon (HOR). Le groupe Horizons & Indépendants reconnaît l’intention louable de cette proposition de loi qui vise à améliorer la qualité des soins et les conditions d’exercice des soignants à l’hôpital. Cependant nous ne pouvons l’adopter dans sa rédaction actuelle.

Le problème fondamental auquel nos hôpitaux sont confrontés n’est pas l’absence de normes ou de ratios mais le manque de personnels disponibles. L’établissement de seuils minimaux ne répondra pas à la pénurie actuelle de soignants, pas plus qu’il n’améliorera l’attractivité des métiers hospitaliers. Le manque chronique de soignants dans les établissements hospitaliers reste avant tout lié à des difficultés structurelles de recrutement et de fidélisation. Fixer des ratios minimaux sans avoir résolu ces problèmes risque de créer des contraintes insoutenables pour les hôpitaux, voire de conduire à des fermetures de lits et de services, faute de personnels en nombre suffisant.

Par ailleurs, l’approche normative centralisée proposée rigidifierait la gestion hospitalière, loin de la nécessaire souplesse qu’appelle la prise en compte des spécificités locales. Les risques d’effets pervers – contentieux, surcharge administrative pour la HAS et les ARS – sont réels et insuffisamment anticipés.

Enfin, limiter l’application de ces ratios aux établissements du service public hospitalier créerait une forte disparité avec d’autres secteurs de santé, ce qui pourrait renforcer les inégalités dans l’offre de soins.

Nous considérons donc que cette proposition, bien qu’animée d’une intention louable, ne répond pas aux défis actuels de notre système de santé. Nous restons convaincus que les solutions passent par la formation, le recrutement et la valorisation des carrières hospitalières déjà engagée par le Gouvernement.

M. Laurent Panifous (LIOT). Ce qui nuit à l’attractivité des métiers hospitaliers, ce sont les conditions de travail. Les soignants témoignent de l’existence d’un cercle vicieux : nombreuses vacances de postes, équipes épuisées et conditions dégradées. L’adoption de cette proposition de loi enverrait un signal clair : le fonctionnement d’un service public hospitalier de qualité doit reposer sur des personnels soignants en nombre suffisant.

Les expériences étrangères ont démontré que l’application de ratios d’encadrement avait conduit à une amélioration des soins et une stabilisation des équipes. Bien entendu, l’adoption de cette proposition de loi ne s’accompagnera pas d’un renforcement immédiat de l’encadrement à l’hôpital. Évitons de nourrir de faux espoirs qui ne feraient que se traduire en déception. Ce texte doit être pensé comme un outil visant à restaurer l’attractivité des métiers hospitaliers grâce à la mise en place de référentiels produits par la HAS, adaptés aux besoins et donc aux spécificités des territoires, des établissements et des activités.

Il faut toutefois absolument éviter que l’application de ratios ne se traduise par un recours renforcé aux heures supplémentaires ou par des fermetures de lits. L’objectif est bien d’améliorer le recrutement et non de réduire les prises en charge ou d’alourdir la surcharge de travail des soignants. Si ces ratios de qualité se distinguent des ratios de sécurité destinés à assurer les bonnes conditions techniques de fonctionnement, il convient de veiller à ce que leur non-respect ne reste pas sans conséquences. L’obligation d’information des ARS est l’une des pistes étudiées mais peut-être peut-on aller plus loin.

Plus largement, nous partageons la vision de la rapporteure au Sénat, selon laquelle cette proposition de loi devait être vue comme une loi de programmation. Celle-ci ne se fera pas du jour au lendemain et cela impliquera avant tout des moyens supplémentaires.

M. Yannick Monnet (GDR). Merci, monsieur le rapporteur, pour cette éclaircie qui contraste avec les sombres perspectives qu’ouvre le dernier PLFSS, terrible pour l’hôpital public. La mise en place de ratios de soignants par patient pour chaque spécialité et activité de soins est très attendue par les professionnels de santé mais également par les associations de patients. Ces dernières, en nombre considérable, avaient d’ailleurs publié une tribune dans Le Monde en février 2023 pour appeler à l’adoption de cette proposition de loi.

Ces ratios permettraient une amélioration des conditions de travail des soignants et par conséquent de la prise en charge des patients. À cet égard, il me semble difficile de distinguer ratios de qualité et ratios de sécurité, tant ils sont intriqués. Fixer de tels ratios, c’est aussi reconnaître le travail des soignants. Cela contribuerait à redonner du sens à leurs métiers et à les rendre un peu plus attractifs. L’une des causes majeures des difficultés de recrutement et de la fuite de personnels soignants, en particulier infirmiers, tient, plus encore qu’au faible niveau des salaires, à l’augmentation de la charge de travail due au manque d’effectifs.

Pour toutes ces raisons, nous ne nous opposerons pas à l’instauration de ces quotas. Nous soulignerons toutefois que, pour améliorer durablement les conditions de travail des soignants et la prise en charge des patients, ils doivent trouver une traduction concrète dans une loi de santé publique, reposant sur une programmation des besoins de formation et de recrutement et prévoyant des moyens correspondants.

M. Olivier Fayssat (UDR). Il est difficile de nier les problèmes rencontrés par l’hôpital public, et la nécessité d’y apporter une réponse pratique. Cette proposition de loi, qui pointe la désorganisation et la suradministration de l’hôpital – même si celle-ci touche aussi les autres services publics –, est donc très intéressante, et le groupe UDR la votera.

Néanmoins, elle appelle à être précisée : quels critères et indicateurs seront-ils pris en compte pour établir les ratios ? Ces derniers entraîneront-ils un surcoût ? Le cas échéant, nous souhaitons qu’il soit financé grâce à une réduction des dépenses – ou, à tout le moins, en garantissant une dépense plus efficace –, et non par de nouvelles recettes.

M. le président Frédéric Valletoux. Ce texte a le mérite d’aborder une préoccupation que nous partageons tous : les moyens nécessaires pour accompagner la remobilisation des soignants et permettre à l’hôpital d’exercer ses missions.

Néanmoins, j’émettrai plusieurs réserves à une adoption conforme.

Tout d’abord, je ne comprends pas le cheminement intellectuel qui consiste à combattre la bureaucratie par un peu plus de bureaucratie, et je m’interroge sur l’opportunité d’imposer le même ratio partout, alors que les services et les besoins de la population sont différents d’un territoire à l’autre.

Ensuite, en restant silencieux sur les obligations qui s’imposeraient aux établissements privés à but lucratif, ce texte concentre une fois de plus les pesanteurs et les rigidités sur les établissements publics et les établissements privés à but non lucratif, ce qui risque de créer une distorsion dans la prise en charge des patients.

Enfin, en imposant des normes nationales, cette proposition de loi risque de rigidifier le système. Cette vision très centralisée – très jacobine – de la gestion de l’hôpital me semble aller à l’encontre de l’ADN de la famille socialiste, qui a fait de l’autonomie et de la confiance dans les acteurs de terrain une antienne – et c’est d’ailleurs l’objectif qui sous-tend cette proposition de loi transpartisane.

M. le rapporteur. Nombre d’entre vous craignent que ce texte renforce la bureaucratisation de l’hôpital. Pourtant, personne n’a proposé de revenir sur les ratios de sécurité déjà appliqués dans certains services, comme les soins critiques, au nom de l’autonomie des établissements : c’est bien la preuve que c’est une idée intéressante – et même nécessaire pour assurer la qualité des soins –, fût-elle exigeante. Le terme de « maltraitance », jusqu’à présent réservé aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), est désormais utilisé s’agissant de l’hôpital : cela doit nous interroger. Les soignants sont les premiers à nous demander les moyens de faire correctement leur métier, nous devons leur apporter une réponse.

En instaurant des ratios qualitatifs – cet adjectif est très important, Yannick Neuder l’a très bien expliqué –, cette proposition de loi cherche à fixer un cap. C’est tout sauf bureaucratique ! Elle procède d’une démarche très pragmatique, inscrite dans le temps long : les ratios ne seront pas définis en trois semaines, il faudra plusieurs années ! Et c’est la HAS qui en sera responsable – tout sauf un repaire de bureaucrates, vous en conviendrez ! Cette institution est composée de professeurs de médecine, de directeurs d’hôpitaux, de professionnels qui connaissent aussi bien que nous les réalités du terrain, et leur expérience les rend légitimes à formuler des recommandations.

D’un point de vue constitutionnel, le rôle du législateur est de fixer le cadre, pas de s’assurer qu’il ne manque pas un bouton de guêtre : c’est ensuite au Gouvernement, sur la base des recommandations de la HAS, de prendre les décrets nécessaires, qui seront déclinés localement. Au reste, arrêtons de penser que les établissements les appliquent bêtement, sans réfléchir, alors qu’ils le font toujours avec bon sens et pragmatisme.

Beaucoup se sont élevés contre une prétendue opposabilité des ratios, au motif que cela bloquerait complètement le système : c’est très étonnant, car le texte ne prévoit pas l’opposabilité, seulement un mécanisme d’alerte – c’est différent.

Nous ne partons pas de rien : nous partons de la copie des sénateurs, et il faut reconnaître qu’ils ont bien travaillé. Peu d’entre vous ont assisté aux auditions, mais je peux vous assurer que ce texte, qui vise à donner des perspectives, a suscité de grands espoirs chez les professionnels, les associations d’usagers et les organisations syndicales, qui soutiennent unanimement cette proposition : nous devons être au rendez-vous de cette attente. Or, à défaut d’adoption conforme, il sera remis aux calendes grecques. Pour avoir eu les mêmes préventions lorsque j’ai commencé à travailler sur ce texte, je comprends vos craintes. Mais répondre à la crise traversée par l’hôpital, c’est avant tout prouver aux soignants et aux patients qu’on a pris la mesure de la situation et qu’on est capables de donner à l’hôpital les moyens nécessaires à son bon fonctionnement dans la durée – c’est tout l’objectif de cette proposition de loi.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Quand Emma prend son service, à l’hôpital Saint‑Louis, elle est seule pour seize patients. Comment fait-elle ? Eh bien elle fait mal – c’est elle qui le dit. Pourtant, elle aimerait avoir les moyens de faire mieux.

Malgré l’enchaînement des promesses au moment de la pandémie, rien de satisfaisant n’a été fait pour les personnels, tant et si bien que le nombre de postes d’infirmier vacants est passé de 7 500 à 60 000, que les services d’urgence ferment, et que des patients attendent des heures sur des brancards, quand ils n’y décèdent pas. Selon la HAS, une large partie des événements indésirables graves associés aux soins (EIGS) aboutissant à un décès sont liés à la charge de travail et à la fatigue des professionnels, eux-mêmes fruits du manque de personnel. Donc, dans notre pays, des patients décèdent par manque de soignants, et parce que ceux qui restent ont trop de travail et trop de patients à suivre.

Depuis 2021, le Collectif Inter Hôpitaux réclame un référendum d’initiative partagée sur l’instauration de ratios. Or, plutôt que de proposer un tel texte – qui n’aurait pas dû émaner de l’opposition parlementaire –, le Gouvernement a choisi, dans le PLFSS, de privilégier les économies. Le cap est pourtant clair : améliorer les salaires pour attirer les soignants, instaurer des ratios pour les faire rester.

L’objectif de cette proposition de loi, l’amélioration de la qualité des soins, est partagé par tous les groupes politiques, ou presque. En 2024, j’avais d’ailleurs cosigné une tribune en ce sens avec Sabrina Sebaihi, Yannick Neuder, Boris Vallaud et Rémi Salomon, président de la CME de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Selon Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), l’instauration de ratios est la première étape d’un plan Marshall de la santé. En effet, des études ont montré que réduire le nombre de patients par soignant permettait de réduire le nombre de décès et la durée de séjour à l’hôpital. Selon le SNPI, en France, il faudrait ainsi le réduire de moitié. À cet égard, l’exemple de l’Hôpital américain de Paris, situé à Neuilly‑ur‑Seine, est caractéristique. Pour attirer les soignants, cet hôpital financé par Bernard Arnault et Vincent Bolloré – où se fait d’ailleurs soigner Brigitte Macron, la femme du président –, emploie une infirmière pour sept patients, contre quinze à vingt dans un hôpital public. Et ça fonctionne : avec un tel ratio, les conditions de travail sont forcément meilleures.

Ce texte vise à changer la vie des patients – tous les patients, pas seulement ceux des hôpitaux privés, qui ont les moyens d’appliquer ces ratios. Soyez bien conscients qu’en empêchant son adoption conforme, chers collègues, vous faites obstacle à l’amélioration du quotidien des soignants.

M. Stéphane Viry (LIOT). Si elle n’est pas de nature à régler à elle seule la crise de l’hôpital public, cette proposition de loi a le mérite d’amorcer une réflexion nécessaire et, à cet égard, je la considère avec bienveillance.

Certains services sont déjà tenus de respecter un nombre minimum de soignants, et d’autres pays ont eux aussi instauré des ratios : cette idée n’est donc pas une hérésie. Toutefois, alors que l’hôpital crève déjà de la bureaucratie, je crains que confier la définition des ratios au pouvoir réglementaire ne fasse qu’aggraver le problème. Au final, qui en sera concrètement responsable : la HAS ? Les CME ? Les ARS ? En outre, quand bien même le texte serait adopté, je doute qu’il soit opérationnel et efficace.

Par ailleurs, que se passe-t-il si un établissement ne dispose pas des ressources humaines nécessaires pour atteindre les effectifs minimum ? Fait-il l’objet d’une simple pénalité, comme une amende, ou est-il contraint de fermer le service affecté ? Les conséquences du dispositif en cas de pénurie de soignants sont, à ce stade, trop incertaines, et mon vote dépendra donc de la réponse à cette question.

M. Jean-Carles Grelier (Dem). Cette proposition de loi soulève, à juste titre, la question des conditions de travail des soignants dans les établissements de santé et, en creux, celle de l’attractivité des métiers du soin, qui ne saurait se résumer à celle de la rémunération. En effet, s’ils ont permis d’augmenter la rémunération des soignants – ce qui était nécessaire et légitime –, les 14,8 milliards d’euros annuels consacrés à l’hôpital par le Ségur de la santé n’ont en revanche pas renforcé l’attractivité des métiers du soin, puisqu’on compte aujourd’hui quatre fois moins de soignants à l’hôpital qu’avant le Ségur.

Par ailleurs, la transformation de ces métiers n’est pas suffisamment prise en compte : à l’inverse de ma génération, qui travaillait sur des temps longs et des espaces courts, celle qui arrive souhaite travailler sur des temps courts et des espaces longs. Les jeunes ne veulent plus exercer le même métier pendant quarante-trois ans, sans perspective d’évolution : ils veulent pouvoir changer de métier en cours de carrière.

Le texte aborde un sujet important, mais le dispositif qu’il propose gagnerait à être complété par des mesures tendant à renforcer l’attractivité des métiers du soin et une réflexion plus large sur les aspirations de ceux qui les exerceront demain.

Mme Sylvie Bonnet (DR). Je le constate chaque fois que je rencontre des soignants hospitaliers de ma circonscription, dans la Loire : oui, il est essentiel et urgent d’améliorer les conditions de travail des soignants et de redonner confiance aux patients, que les personnels, épuisés, déplorent de ne pas pouvoir mieux accompagner. Ce texte, adopté à l’unanimité par les sénateurs, permettra d’améliorer la situation.

Néanmoins, il est tout aussi essentiel d’alléger les soignants de la paperasse administrative, particulièrement chronophage : les longues heures ainsi gagnées sont indispensables pour mieux accompagner les patients.

M. Thibault Bazin (DR). Améliorer la qualité des soins est sans conteste un objectif louable. En tant qu’élus responsables, il nous revient d’écrire les chemins des possibles en la matière. Or la qualité des soins dépend notamment de la suffisance des ressources humaines pour répondre aux besoins des patients.

Vous avez vanté un texte pragmatique, monsieur le rapporteur : alors que de nombreux postes restent déjà vacants, avez-vous évalué le nombre de professionnels supplémentaires à recruter pour atteindre les objectifs qualitatifs fixés par le texte, si celui‑ci venait à être adopté ? Par ailleurs, avez-vous réfléchi à la possibilité d’instaurer des plafonds pour les métiers de l’hôpital qui ne sont pas directement liés aux soins ? Autrement dit, dans le contexte actuel de pénurie de ressources et de moyens budgétaires contraints, la véritable question, profondément éthique, est celle de l’allocation des ressources : parallèlement au renforcement des équipes de soignants, avez-vous envisagé un allégement administratif, ce qui serait par ailleurs synonyme de simplification ?

M. Yannick Neuder, rapporteur général. Pour ma part, je ne trouve ni choquant, ni anormal, que la HAS, déjà responsable des visites de certification de nos établissements, soit chargée de définir les ratios qualitatifs, avec le concours des communautés professionnelles.

D’expérience, je peux vous confirmer que les ratios réglementaires qui existent dans certaines activités, comme les soins intensifs en cardiologie, sont gage de qualité des soins car ils garantissent un nombre minimum d’infirmières et d’aides-soignants en fonction du nombre de patients. En raison de la pénurie de soignants, il n’en va pas de même pour les autres unités : la nuit, il n’y a qu’une infirmière et une aide-soignante pour trente lits ; la journée, une infirmière s’occupe d’une quinzaine de malades. Et pour obtenir du renfort, ce qui reste très exceptionnel, il faut justifier la lourdeur des cas à gérer – le nombre de personnes amputées, sous perfusion, ou ayant subi une trachéotomie. Et encore, il ne s’agit que d’un poste d’infirmier dit « coupé », c’est-à-dire uniquement le jour, pour soulager un peu les équipes !

Si l’on souhaite vraiment améliorer les conditions d’exercice des soignants et renforcer l’attractivité de l’hôpital, il faut instaurer des ratios de qualité.

Mme Joëlle Mélin (RN). Je remercie le sénateur Bernard Jomier pour ce texte : il pose les bonnes questions ; j’espère qu’il y apportera les bonnes réponses.

Monsieur le rapporteur, quelles seront les conséquences de l’instauration d’un ratio sur la responsabilité médicale ? Si la répartition de cette responsabilité est actuellement parfaitement codifiée, tant dans le public que dans le privé, l’introduction d’un nouveau paramètre – le respect du ratio – ne sera pas sans conséquence sur la position des experts en matière d’indemnisation, et donc sur les patients et leur famille, mais aussi sur le fonctionnement des établissements de soins.

M. le président Frédéric Valletoux. C’était le sens de ma question : en l’état, le texte, peu clair, risque effectivement de créer une importante distorsion préjudiciable aux établissements publics, ce qui est surprenant venant des forces de la gauche, qui les défendent toujours si ardemment. Peut-être faudra-t-il remédier à cette situation par voie d’amendement.

Mme Karine Lebon (GDR). Cette proposition de loi est très attendue des soignants, y compris les soignants ultramarins. Alors que près de 30 % des infirmiers se reconvertissent moins de cinq ans après l’obtention de leur diplôme, leur vocation progressivement dissoute par les fragilités du système, il est urgent de remédier à cette situation, et c’est tout l’objet de ce texte.

Un point de vigilance, tout de même : en outre-mer, nous sommes habitués à ce que le Gouvernement décide à notre place et adapte les lois à nos territoires par voie d’ordonnance ou de décret. Mais la réponse est bien souvent inadaptée et insatisfaisante.

À quel niveau l’instauration d’un ratio a-t-elle bloqué jusqu’à présent, et pourquoi est-il si difficile de l’imposer ?

Mme Annie Vidal (EPR). Nous sommes favorables au principe d’instauration d’un nombre minimum de soignants, mais nous ne souscrivons pas à la méthode retenue. En effet, dans les conditions prévues par le texte, quand les établissements vont signaler que l’effectif minimal ne peut être atteint dans un, voire plusieurs de leurs services – ce qui ne manquera pas d’arriver très vite –, l’ARS n’aura d’autre choix que de fermer des lits, si ce n’est le service entier.

Monsieur Neuder, votre plaidoyer prouve bien que c’est aux pôles, et non à la HAS, que doit revenir la définition des ratios, car ils sont les mieux placés pour connaître leurs besoins. Ces objectifs seront ensuite imposés aux établissements à travers les contrats de pôle. Aujourd’hui, si les effectifs sont garantis dans les services soumis au respect d’un ratio réglementaire, comme les soins intensifs ou la réanimation, c’est parce qu’en cas de besoin, on va chercher du personnel dans les autres services – autrement dit, on déshabille Paul pour habiller Jacques ! Et le turn-over n’y est finalement pas moins important que dans les autres services.

Mme Josiane Corneloup (DR). Améliorer la qualité des soins et les conditions de travail des soignants est un objectif louable que nous partageons tous. Mais cette proposition de loi reste très théorique. : au-delà de l’importante pénurie de soignants, l’évolution du nombre de patients hospitalisés au cours d’une journée ou d’une semaine – et je ne parle pas des fluctuations saisonnières – rend son application très compliquée. Instaurer un ratio opposable reviendrait à mobiliser d’office des professionnels dans un service sans prendre en considération son activité, empêchant ainsi de les affecter à des services où l’activité le justifierait. Cette rigidité va à l’encontre d’une gestion dynamique et pertinente des ressources disponibles en fonction de l’activité, et nous éloigne de la simplification que nous appelons tous de nos vœux – à commencer par les soignants.

M. Hendrik Davi (EcoS). Le manque de soignants qui affecte de nombreux services – il n’est pas rare de n’avoir qu’une seule infirmière pour vingt patients – n’est pas sans générer des difficultés, notamment pour les soignants, poussés au burn-out. Instaurer un ratio entre le nombre de soignants et le nombre de patients est évidemment nécessaire, et ce texte important va donc dans le bon sens.

À ceux qui craignent un renforcement de la bureaucratie, je réponds que les services déjà soumis à de tels ratios fonctionnent mieux que les autres – c’est le cas, par exemple, des services de réanimation, où on compte deux infirmières pour cinq lits ouverts, un aide‑soignant pour quatre lits, un psychologue et un masseur-kinésithérapeute.

Certes, cette proposition de loi ne résoudra pas tout : il faut aussi revoir la formation, car le système de parcours d’accès spécifique santé et la licence accès santé sont en échec. L’instauration d’un tronc commun aux études de santé explique d’ailleurs en partie le renoncement de nombreux infirmiers, qui se retrouvent dans cette voie faute d’avoir réussi médecine. Or, ce sont des métiers très différents. Il faut également renforcer les moyens consacrés à l’hôpital pour embaucher des personnels statutaires et dégeler le point d’indice. Or, tout cela nécessite d’augmenter l’Ondam, et donc de trouver de nouvelles recettes. Lors de l’examen du PLFSS, le Gouvernement s’y est refusé ; pour notre part, nous avons ainsi proposé de récupérer 13 milliards d’euros en diminuant les exonérations de cotisations sociales, ou encore d’augmenter le taux de la contribution sociale généralisée pour les revenus du capital.

Comme nous sommes nombreux à l’avoir souligné, cette proposition de loi doit absolument être assortie de moyens, faute de quoi elle manquera son but et n’aboutira qu’à fermer des lits.

Mme Justine Gruet (DR). L’accès aux soins est vital et reste donc une priorité pour nos concitoyens, mais notre système de santé souffre d’une suradministration normative.

Je vous soumets deux pistes de réflexion : reterritorialiser la gouvernance des établissements publics et privés, en complémentarité avec le corps médical, et recentrer l’exercice des soignants sur leur cœur de métier, car ils méritent toute notre considération.

Aujourd’hui, des lits sont fermés faute de professionnels. La permanence des soins est essentielle, mais pour renforcer l’attractivité des métiers du soin et garantir des services efficients, nous devons être attentifs à ne pas alourdir les contraintes administratives des soignants. Nous voulons tous les meilleurs soins possibles pour les patients, alors agissons avec bon sens.

M. Michel Lauzzana (EPR). En confiant à la HAS la responsabilité de définir des référentiels, vous créez une « usine à gaz », pour reprendre les termes de la sénatrice Laurence Rossignol. Avec ce texte, on est effectivement bien loin de la simplification que nous appelons tous de nos vœux.

En outre, des responsables de services hospitaliers m’ont alerté sur le caractère très préjudiciable du dispositif, qui risque de rigidifier un fonctionnement déjà sous tension à cause des nombreux postes vacants. L’expérience allemande a d’ailleurs montré que l’instauration de quotas pouvait déboucher sur la fermeture de services. N’ajoutons pas des contraintes à un système qui souffre déjà d’un manque de personnel.

Monsieur Davi, les débats sur l’hôpital donnent toujours dans le misérabilisme, mais nous avons déjà fortement augmenté la rémunération des personnels de santé dans les hôpitaux, et beaucoup m’ont confirmé un regain d’intérêt pour l’hôpital, même s’il ne s’agit encore que d’un frémissement. Nous sommes donc sur la bonne voie, et cette proposition de loi, quelque peu dirigiste, risque d’avoir des effets délétères.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). Disposer de suffisamment de soignants est naturellement souhaitable, à la fois pour les patients et les soignants. D’expérience, il est évidemment plus confortable de travailler dans des services soumis à des ratios : cela permet de mieux prendre en charge les patients, et donc de redonner du sens au métier, mais aussi de se sentir plus en sécurité. C’est donc un critère d’attractivité pour les professionnels. Revers de la médaille, si les effectifs n’atteignent pas le quota, des lits sont fermés.

Avant toute chose, il faut donc absolument que les organisations professionnelles de santé – et non la HAS – évaluent la charge en soins. Or, depuis plus de vingt ans, les études s’accumulent dans les placards, sans qu’aucune soit allée à son terme. En l’espèce, l’Hôpital américain de Neuilly est un bon exemple : les critères tiennent en un recto verso, et non en un pensum de cinquante pages qui change au gré des études.

Cette évaluation des besoins doit être menée pour les établissements publics, mais aussi les établissements privés et les Ehpad, car tous les secteurs doivent pouvoir en bénéficier. Les ratios sont nécessaires, important pour les soignants ; les définir demande un peu de temps, mais il ne faut pas attendre dix ans, sans quoi, ils ne seront jamais instaurés.

M. Laurent Panifous (LIOT). J’ai le sentiment qu’on tourne en rond : vous arguez qu’il est impossible d’imposer des ratios faute d’avoir les moyens humains et financiers pour y répondre, et en même temps, vous refusez de dégager les moyens nécessaires pour accompagner correctement ceux qui en ont besoin, que ce soit à l’hôpital ou dans le secteur médico-social.

En réalité, dans le secteur sanitaire, les effectifs, et donc la qualité des soins, sont toujours la variable d’ajustement en cas de contrainte budgétaire. Si vous donnez aux structures hospitalières les moyens d’embaucher les effectifs suffisants pour accompagner les patients et de les rémunérer correctement, alors l’argument comptable qui justifie les baisses d’effectifs tombera de lui-même. Au reste, que le législateur refuse d’instaurer des ratios de qualité au motif que nous n’en aurions pas les moyens est insatisfaisant, et même inacceptable.

M. le président Frédéric Valletoux. Vous opérez une distinction entre ratios de qualité et ratios de sécurité. Concrètement, qu’est-ce que cela implique en termes d’opposabilité et d’engagement de la responsabilité, notamment s’agissant des fermetures de services ? En tant que législateurs, nous devons être précis dans la rédaction des lois.

M. le rapporteur. À vous écouter, il ne faudrait pas instaurer de ratios – « ça ne tient pas debout », « ça ne vole pas », « c’est compliqué », « trop bureaucratique », ai-je entendu. Mais la désaffection pour les métiers du soin est réelle, elle s’illustre à la fois dans les filières de formation et à l’hôpital, où les abandons sont nombreux. On ne peut pas faire abstraction de cette réalité ! Alors, que fait-on ? Que dit-on aux soignants ?

Dans vos interventions, je n’ai entendu aucune piste convaincante pour répondre à la crise de l’attractivité des métiers du soin et garantir la qualité des soins. Pour une fois, montrons-nous capables, collectivement, de mettre cette exigence, tellement légitime, au cœur de nos préoccupations et de construire un budget cohérent avec cette exigence ; alors, enfin, les choses pourront avancer.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre, cette proposition de loi n’aura pas d’effets délétères et préjudiciables. Bien sûr, elle ne résoudra pas la crise de l’hôpital public à elle seule, mais il faut bien commencer à agir. Le Ségur de la santé a apporté des réponses à la question des rémunérations. Certes, ce n’est pas suffisant, mais je reconnais que c’était un grand pas en avant. À votre tour, vous devez reconnaître qu’il est nécessaire d’avancer dans d’autres domaines. Ce texte sera un progrès pour l’attractivité et la qualité des soins. Si nous ignorons ces aspects, nous ne résoudrons pas le problème. J’entends qu’il manque des éléments, mais notre tâche consiste à définir le cadre, à fixer un cap. Ensuite, les responsables auront la mission de l’atteindre : le personnel de la HAS, des ministères et des établissements seront chargés d’appliquer le dispositif au mieux. Voilà la responsabilité qui nous incombe en tant que législateur. Refuser de faire ce pas en avant serait désespérant pour les soignants qui nous regardent, pour tous ceux qui attendent des réponses concrètes.

Monsieur Bazin, vous demandez si les besoins ont été évalués. La réponse est dans le texte. Le travail de la HAS consiste précisément à nous dire que pour obtenir tel ratio, il faudra tant de postes. Ensuite, nous pourrons concevoir les politiques de formation et déterminer les budgets en fonction. La proposition de loi est un point de départ, non un point d’arrivée. Je le répète : à la fin, cela débouchera sur des économies pour le système de santé et la protection sociale. L’expérience l’a prouvé, notamment en Australie, pays très libéral – que je sache, les rédacteurs de The Lancet ne sont pas des hurluberlus.

Monsieur le président, vous vous inquiétez que le dispositif ne concerne que le service public hospitalier. Vous ne pouvez pas à la fois nous objecter que nous en faisons trop, que nous exerçons des pressions insupportables, et nous reprocher de donner la priorité au service public pour résoudre les maux de l’hôpital – ce qui est de notre responsabilité. Qu’ensuite il faille appliquer la mesure à l’hôpital privé dans le cadre d’une autre proposition de loi, j’en conviens tout à fait, et je suis prêt à y travailler avec vous. Ce n’est pas parce qu’il ne traite pas tous les problèmes en même temps qu’il faut s’interdire de voter le texte et renoncer à faire ce pas en avant.

Monsieur Viry, la proposition de loi ne prévoit pas de sanctions. Si c’est nécessaire, le décret d’application y pourvoira le jour venu – il faut prévoir au moins deux ans de travail, mais il faut rendre les choses possibles, non les bloquer.

Monsieur Grelier, je suis tout à fait d’accord avec vous concernant la formation et les besoins de santé. Une loi de programmation serait légitime, nous pourrions y travailler tous ensemble. Mais ce n’est pas l’objet du présent texte, qui donne un cap et les moyens de l’atteindre. C’est pour nous une belle façon de remplir notre mission de législateur.

La réunion est suspendue de dix heures cinquante à onze heures cinq.

Article unique : Instaurer progressivement un ratio de soignants par patient

Amendement AS8 de Mme Annie Vidal

Mme Annie Vidal (EPR). Le présent amendement vise à confier la détermination des ratios permettant de garantir la qualité et la sécurité des soins aux pôles d’activité, qui les formaliseront dans les contrats de pôle. Le dispositif prévu risque en effet de provoquer de lourdes difficultés opérationnelles, notamment pour la HAS, qui devra élaborer un référentiel très dense et précis, par spécialité et par activité, en tenant compte du nombre de passages en ambulatoire et du nombre de lits ouverts – et non du nombre de lits existants. Le fonctionnement que je défends respecte l’esprit du texte mais il est plus fluide et plus conforme aux réalités du terrain. Cela diminuera le caractère centralisé de l’organisation de l’hôpital public, souvent synonyme de lourdeurs administratives.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Je défends là une position de principe : si la proposition de loi n’est pas adoptée conforme, nous n’avancerons plus. Or nous sommes attendus. Le vote définitif du texte serait un grand pas en avant ; nous pourrons ensuite nous donner tous les moyens d’en assurer la mise en œuvre, en apportant des corrections le cas échéant. Je partage certaines de vos préoccupations, mais je pense que nous pouvons fixer le cadre et faire confiance aux partenaires sociaux, à la HAS et aux acteurs de terrain pour que tout se passe au mieux.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Vous, députés du bloc central, ne voulez pas voter cette proposition de loi : vous ne voulez pas inscrire le principe des ratios dans la loi, ni donner les moyens correspondants aux soignants. Vous prétextez que la HAS rencontrera d’importantes difficultés opérationnelles. Pourtant, sa précédente présidente a signé une tribune parue en mai dans Le Monde pour soutenir le texte – on peut imaginer que selon elle, la HAS aura les moyens d’appliquer la loi.

Certains ont objecté que le texte ne concernait pas le privé. Mais quand le privé veut recruter, il le fait ! L’Hôpital américain de Neuilly applique ces ratios, et cela fonctionne. Il n’y a pas de raison que cet établissement, qui propose des chambres VIP avec vue sur la tour Eiffel et un service de voiturier, ait un meilleur système de santé que l’hôpital de Limoges, dont les chambres ont vue sur le parking payant. Tout le monde doit avoir droit à un bon système de santé – pas uniquement ceux qui ont des moyens.

M. Yannick Neuder, rapporteur général. La HAS offre un accompagnement à la décision politique ; il faut arrêter d’alléguer son fonctionnement technique pour justifier nos choix. Je suis le référent de la commission pour la HAS. Son effectif se compose de 500 équivalents temps plein et elle peut définir sur quelles missions elle souhaite travailler. La décision ici est politique ; ne nous demandons pas si sa charge sera trop lourde.

Je comprends les motivations de Mme Vidal mais je ne soutiens pas cet amendement, dont le dispositif ne sera pas effectif. Le lean management, c’est-à-dire la gestion sans gaspillage, recommande de faire reposer la décision sur la plus petite unité fonctionnelle, ici le pôle d’activité – en soi, c’est une bonne idée. Malheureusement, la gouvernance hospitalière s’est énormément dégradée. Beaucoup de contrats de pôle ne sont plus signés – moi-même, je n’en ai pas signé depuis au moins cinq ans. Ensuite, les pôles ne disposent pas de la délégation de gestion nécessaire. Il y a quinze jours environ, j’ai reçu les représentants de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux pour savoir s’il serait possible de confier à nouveau aux soignants des missions de délégation de gestion, afin de prendre les décisions au plus près des lits, pour lutter contre la bureaucratisation. Tel n’est pas le cas pour l’instant. En pratique, si nous voulons tuer le projet, confions le travail aux pôles d’activité : il ne se passera rien.

M. Philippe Vigier (Dem). Nous faisons tous les mêmes constats et nous voulons tous améliorer la situation des soignants et des patients. Cet amendement, comme d’autres qui suivront, tend à améliorer le dispositif pour le rendre parfaitement opérationnel. Qui connaît le fonctionnement des services hospitaliers sait que beaucoup de contrats ne sont pas signés. Le texte du Sénat est transpartisan ; d’autres niches seront à l’ordre du jour du Sénat, comme de l’Assemblée : il sera donc possible d’adopter rapidement une version encore améliorée du texte. Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que la réforme serait conduite dans un délai de trois à quatre ans : sommes-nous à trois ou quatre mois près ? Mon tempérament n’est pas de retarder l’action ; j’aime mieux faire que défaire, mais en votant ce texte en l’état, j’ai peur que nous ne défassions plus que nous ne fassions. La patience est la meilleure des vertus.

M. Michel Lauzzana (EPR). L’Hôpital américain de Neuilly n’est pas le privé. Le privé constitue un tissu qui couvre notamment les zones rurales : il faut faire attention de ne pas le déstabiliser, au risque que ses patients ne se retournent vers l’hôpital public, ce qui mettrait ce dernier en grande difficulté. L’équilibre est essentiel.

Comme vous, monsieur le rapporteur, nous voulons mettre plus d’huile dans les rouages. C’est le sens du présent amendement, car nous craignons que la stricte application de votre dispositif ne favorise une pesanteur préjudiciable. Pendant la crise sanitaire, les établissements ont bénéficié de souplesse. Chez moi, l’hôpital et la clinique ont instauré une coopération qui n’avait pas reçu de validation de l’ARS mais qui s’est révélée fructueuse. Essayons de trouver un peu de souplesse.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS4 de Mme Annie Vidal

Mme Annie Vidal (EPR). Le présent amendement tend à limiter l’application du texte à la médecine, la chirurgie et l’obstétrique (MCO). Un périmètre restreint favorisera l’effectivité.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

M. Yannick Neuder, rapporteur général. Il aurait été logique d’adopter un tel amendement lorsque ces activités étaient presque les seules soumises à la tarification à l’activité (T2A). Mais depuis le 1er janvier 2024, cette dernière a été étendue aux soins de suite et de réadaptation (SSR) : les contraintes de cotation d’activité sont désormais les mêmes en rééducation. Dans un souci médico-économique, nous devons prévoir le personnel nécessaire en fonction de l’activité engendrée. Avant l’application de la T2A, c’était en effet le seul endroit susceptible de bénéficier d’un peu de largesse ; désormais, le problème de ratio minimal est le même qu’en MCO : il n’y a aucune raison de les exclure du dispositif.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je ne vois pas pourquoi on n’appliquerait les ratios que dans certains domaines, ni pourquoi on exclurait les unités de soins psychiatriques et les services d’urgence, où 150 morts auraient pu être évités en décembre 2022.

On voit bien la manœuvre : certains députés tentent de « planter » le texte en défendant des amendements dont l’adoption empêcherait le vote conforme. De nombreux soignants, des représentants syndicaux, nous regardent ; ils attendent cette mesure depuis longtemps.

En 2016, le British Medical Journal notait que la mortalité diminue de 20 % lorsque le nombre de soignants par patient passe de dix à six. En 2021, The Lancet affirmait qu’un patient de moins par soignant baisse la mortalité de 7 % à trente jours. Étienne Lengline, hématologue membre du Collectif Inter Hôpitaux, souligne qu’au-delà de quatre patients par infirmier, on constate une surmortalité hospitalière ; or le ratio en France se situe entre douze et quatorze patients par infirmier.

J’incite donc les collègues concernés à retirer leurs amendements et à voter le texte. Ces manœuvres visant à empêcher un vote conforme donnent un spectacle déplorable.

M. le président Frédéric Valletoux. Le rapporteur a exprimé sa volonté de parvenir à un vote conforme. Toutefois, la défense d’amendements est un de nos premiers droits. La discussion est intéressante et chaque point de vue mérite d’être écouté. Attaquer les collègues parce qu’ils essaient, de leur point de vue, d’améliorer le texte, c’est attaquer le cœur de notre fonction – sinon autant ranger nos cahiers et aller à la buvette, sans lire le texte. Le président de la commission des affaires sociales du Sénat ne m’a pas appelé pour m’inciter à ne pas discuter les amendements au prétexte qu’il faudrait voter conforme. Dire que l’Assemblée nationale a un avis sur ce texte n’est pas faire injure à ceux qui l’attendent.

M. Thibault Bazin (DR). Ce n’est pas la première fois que nous examinons un texte en espérant un vote conforme, et jamais nous n’émettons d’objection à la discussion d’amendements : c’est un droit constitutionnel. Ils peuvent ensuite être retirés ou rejetés. Ceux qui réclament de la coconstruction en refusent ici le principe. Il ne peut pas y voir deux poids, deux mesures, selon les signataires du texte. Nos pratiques doivent respecter chacun.

M. Michel Lauzzana (EPR). Sur le fond, nous sommes d’accord : nous visons le même objectif, mais on peut l’atteindre par d’autres chemins. Nous craignons des effets contreproductifs. Pour moi, cet amendement tend à définir la mesure la plus simple et la plus rapide à appliquer, parce que le déploiement d’emblée d’un dispositif très large peut soulever des difficultés et entraîner des lourdeurs.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS6 de Mme Annie Vidal et sous-amendement AS19 de M. Michel Lauzzana, amendement AS7 de Mme Annie Vidal (discussion commune)

Mme Annie Vidal (EPR). Il s’agit toujours pour moi de rendre ce texte le plus opérant possible même si certains, à mon grand regret, trouvent cela déplorable. Le terme « soignant » est vague. L’amendement AS6 vise à appliquer les ratios aux infirmiers diplômés d’État et aux aides-soignants.

M. Michel Lauzzana (EPR). Le sous-amendement AS19 est rédactionnel : il vise à supprimer le mot « hospitalier » pour éviter toute confusion. En effet, l’amendement concerne les aides-soignants, non les ASH.

Mme Annie Vidal (EPR). L’amendement AS7 est un amendement de repli visant à substituer au mot « soignant » les mots « pour chaque catégorie de professionnels composant l’équipe soignante », afin de préciser quelles catégories de soignants seront concernées par les ratios.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement le sousamendement et les amendements.

Amendement AS18 de M. Serge Muller

M. Serge Muller (RN). N’en déplaise à Mme Cathala et aux Insoumis, je vais défendre mes amendements.

L’AS18 vise à donner des bases solides et fiables aux ratios de soignants. Ils devront être déterminés en concertation avec des professionnels de santé, à partir de données scientifiques validées par la HAS. Il est indispensable d’impliquer les soignants dans le processus car ils sont les mieux placés pour évaluer les réalités du terrain. Ce n’est qu’en combinant expertise scientifique et expérience pratique que nous établirons des ratios applicables et adaptés aux besoins de chaque établissement. Cette précision renforcerait la pertinence et la crédibilité de la réforme, elle garantirait qu’elle sera bénéfique pour tous les acteurs concernés.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendements AS10 et AS9 de Mme Annie Vidal (discussion commune)

Mme Annie Vidal (EPR). Le texte prévoit que le chef d’établissement doit informer le directeur général de l’ARS lorsque le ratio ne peut être respecté pendant plus de trois jours. L’amendement AS10 vise à moduler cette durée en fonction de l’écart constaté entre les ratios et la situation de l’unité de soins concernée. Il faut distinguer un écart d’un soignant d’un écart supérieur. L’amendement AS9 est de repli.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS2 de M. Matthieu Marchio

M. Matthieu Marchio (RN). Pour résoudre le problème de la pénurie de soignants, le présent amendement vise à favoriser le recrutement local. Cette solution pragmatique dynamisera l’emploi dans les territoires ruraux et périurbains, tout en réduisant les déserts médicaux. Recruter des soignants proches assurera leur enracinement, leur connaissance des besoins locaux et améliorera la qualité des soins. Cela limite les coûts liés au recrutement à distance, stabilise les équipes et valorise les métiers de la santé. Une telle mesure, équilibrée, est donc bénéfique pour les soignants et pour les patients.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Chers collègues du RN, vos amendements déplaisent non à Mme Cathala, mais aux soignants. Cet amendement en particulier n’est rien que bavard. Vous voulez recruter localement, mais on compte 60 000 postes d’infirmier vacants : pensez-vous que si des infirmiers étaient disponibles localement, on ne les aurait pas recrutés ? On a du mal à en recruter localement, nationalement et internationalement.

M. Thibault Bazin (DR). La résidence serait-elle prise en considération au moment du recrutement ? Cela interdirait à des concitoyens désireux d’occuper un poste de déménager à cette fin, ce que le parcours ou les choix de vie de chacun peuvent justifier. De plus, certains territoires ont davantage besoin de ressources humaines que d’autres : ils seraient pénalisés. C’est inquiétant.

M. Matthieu Marchio (RN). L’amendement n’impose aucune obligation : il incite simplement les établissements à privilégier le recrutement local. Travailler dans un hôpital de proximité permettrait par exemple à certaines familles de réduire leurs frais kilométriques, une réalité que la gauche semble avoir oubliée.

Mme Justine Gruet (DR). Nous devons aussi faire confiance aux acteurs de terrain pour recruter des candidats habitant à proximité. Avec votre amendement, une personne souhaitant travaillant dans un hôpital devra-t-elle déménager pour habiter à proximité avant d’y postuler ?

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). J’aimerais vivre dans le même monde que mes collègues du Rassemblement national, un monde où il serait tellement facile de recruter des soignants qu’on pourrait choisir ceux qui habitent à proximité.

Malheureusement, de nombreux territoires sont des déserts médicaux où il est très difficile de recruter. Les mairies se battent et doivent chercher des soignants partout en France et même à l’étranger.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS5 de Mme Annie Vidal

Mme Annie Vidal (EPR). Il semble irréaliste que la HAS puisse établir les ratios minimaux pour chaque spécialité et chaque type d’activité de soin avant le 31 décembre 2024, comme le prévoit le texte. Je propose donc de reporter cette date au 31 décembre 2025.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS3 de M. Matthieu Marchio

M. Matthieu Marchio (RN). L’application immédiate et uniforme des ratios de soignants risque de produire des effets contreproductifs dans les zones où les ressources humaines sont insuffisantes.

Cet amendement propose une évaluation préalable par la HAS pour anticiper les difficultés dans les régions les plus touchées par les pénuries de personnel. Cette démarche permettrait de garantir une mise en œuvre progressive et adaptée, en assurant que les mesures prises n’entraînent pas une détérioration temporaire de la qualité des soins. En parallèle, des plans de recrutement spécifiques pourront être déployés pour pallier les déficits constatés, répondant ainsi aux besoins locaux tout en respectant les objectifs fixés par la loi.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Mme Annie Vidal (EPR). Notre groupe est favorable à l’établissement d’un ratio minimal, mais nous n’avons pas réussi à rendre la proposition de loi plus opérante. Nous nous abstiendrons donc.

M. Yannick Neuder, rapporteur général. Nous n’avons pas évoqué le coût de la mesure proposée qui, selon une estimation à confirmer, serait de 1 milliard d’euros. Nous avons pourtant un devoir de sincérité dans nos débats.

Il nous faudra réfléchir aux modalités de financement dans le cadre de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 afin que les critères de qualité prévus par la loi puissent être applicables – a fortiori si la mesure est étendue au secteur privé. Ne l’oublions pas, l’amélioration de la qualité des soins a un coût.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous devons également réfléchir à la question de la différenciation entre les ratios de sécurité qui existent aujourd’hui dans les établissements et les ratios de qualité prévus par ce texte. Ces ratios pourront-ils conduire à fermer des services ? Cette préoccupation a été exprimée par différents groupes.

Nos débats dans l’hémicycle seront l’occasion de trouver des réponses à ces questions.

M. le rapporteur. Je vous remercie pour la qualité de nos échanges, qui ont été argumentés. Ils montrent que chacun souhaite faire avancer les choses, mais avec des modalités différentes. Ce texte constitue un premier pas et je vous invite à le voter conforme.

Je suis d’accord avec M. Neuder : nous avons besoin de moyens. Je souligne que de telles dépenses, qui pourraient être compensées par la réduction d’autres dépenses, seraient un investissement. Toutes les études produites à partir d’expériences similaires à l’étranger montrent qu’elles ont permis des économies pour le système de protection sociale tout en améliorant très sensiblement les conditions de travail des soignants.

La commission adopte l’article unique non modifié.

Après l’article unique

Amendement AS11 de M. Serge Muller

M. Serge Muller (RN). Cet amendement permet d’adapter les ratios aux réalités territoriales en tenant compte des disparités entre les zones urbaines, rurales et insulaires, afin d’assurer une prise en charge équitable sur l’ensemble du territoire.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

Amendement AS16 de M. Serge Muller

M. Serge Muller (RN). Cet amendement vise à renforcer la transparence et le contrôle citoyen en rendant accessibles les informations relatives aux ratios soignants par patient, permettant ainsi une meilleure évaluation.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.

L’ensemble de la proposition de loi est ainsi adopté.

 

*

*     *

 

En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/C3FZsw 

–Texte comparatif : https://assnat.fr/CwEHyj 

 

 


– 1 –

ANNEXE N° 1 :
Liste des personnes entendues par le rapporteur

(Par ordre chronologique)

       Table ronde :

– Collectif inter-hôpitaux (CIH)  Dr Étienne Lengline, praticien hospitalier à l’Hôpital Saint-Louis

 Collectif Gilets blancs  M. Denis Roth, co-fondateur et professeur

 Collectif Santé en danger  M. Arnaud Chiche, médecin anesthésiste-réanimateur, fondateur, et Mme Monique Chevalier, infirmière retraitée

  Table ronde :

– CGT-Santé et action sociale  M. Laurent Laporte, secrétaire général de l’union fédérale des médecins, cadres et techniciens

 FO services publics et de santé  M. Didier Birig, secrétaire général de la fédération des services publics et de santé, M. Gilles Gadier, secrétaire fédéral, branche des services de santé, M. Emmanuel Tinnes, secrétaire fédéral des personnels des services publics et de santé, et M. Arno Pionnier, secrétaire fédéral de la fédération des services publics et de santé

       Fédération Unsa Santé et sociaux public et privé – M. Yann Le Baron, secrétaire national, et Mme Karine Roger, secrétaire nationale adjointe

 

 

 

 

 

 


– 1 –

ANNEXE N° 2 :
textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code de la sécurité sociale

L. 161‑37

1er

Code de la santé publique

L. 6124‑2 à L. 6124-5 [nouveaux]

 

 


([1]) Proposition de loi n° 105 (2022‑2023) de M. Bernard Jomier et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 8 novembre 2022.

([2]) Aiken LH, Sloane DM, Cimiotti JP, Clarke SP, Flynn L, Seago JA, Spetz J, Smith HL, Implications of the California nurse staffing mandate for other states. Health Serv Res. 2010 Aug;45(4):904-21.

([3]) Matthew D McHugh, Linda H Aiken, Douglas M. Sloane, Carol Windsor, Clint Douglas, Patsy Yates – Effects of nurse-to-patient ratio legislation on nurse staffing and patient mortality, readmissions, and length of stay: a prospective study in a panel of hospitals, The Lancet – Volume 397, Issue 10288, pp. 1905-1913.

([4]) Décret n° 2022‑694 du 26 avril 2022 relatif aux conditions techniques de fonctionnement de l’activité de soins critiques.

([5]) Article D. 6124‑28‑4 du code de la santé publique.

([6]) Consultation effectuée du 10 au 15 décembre 2021 auprès de l’ensemble des infirmiers inscrits à l’Ordre national des infirmiers.

([7]) Voir le rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mars 2022.

([8]) Drees, Études et résultats, juillet 2023, n° 1277.

([9]) Données DGFiP-ATIH, comptes financiers transmis à l’ATIH, 2022.

([10]) Drees, Études et résultats, « Les étudiantes en formation d’infirmière sont trois fois plus nombreuses à abandonner en première année en 2021 qu’en 2011 », mai 2023, n° 1266.

([11]) Cevipof, Baromètre de la confiance politique, Vague 15, février 2024.

([12]) Cook, Andrew, et al., « The effect of a hospital nurse staffing mandate on patient health outcomes: Evidence from California’s minimum staffing regulation », Journal of Health Economics 31.2, 2012.

([13]) Chapman, Susan A., et al. « How have mandated nurse staffing ratios affected hospitals? Perspectives from California hospital leaders. », Journal of Healthcare Management 54.5, 2009.

([14]) Note transmise à l’attention du rapporteur, « Légiférer sur le nombre de lits hospitaliers ouverts par soignant : une nécessité pour les malades, pour les soignants et pour la pérennité du système de soins ».

([15]) Proposition de loi n° 105 (2022-2023) de M. Bernard Jomier et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 8 novembre 2022.

([16])  https://assnat.fr/vgeFhQ