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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 décembre 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI
visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer (n° 522 rect.)
PAR Mme BÉatrice BELLAY
Députée
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Voir le numéro : 522 rect.
SOMMAIRE
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Pages
a. La vie chère dans les Pays des océans, alimentée par des causes structurelles et conjoncturelles
b. La vie chère, terreau des contestations et des crises sociales
2. Des écarts de prix démesurés entre les territoires ultramarins et l’Hexagone
a. La vie chère, un phénomène multidimensionnel
b. Des écarts de prix démesurés et persistants
3. La lutte contre la vie chère, un combat social et institutionnel de longue haleine
B. Un phénomène de concentration économique qui ne favorise pas la baisse des prix en outre-mer
1. Une structuration oligopolistique, voire monopolistique, des marchés ultramarins
2. Une accumulation de coûts et de marges le long de la chaîne de valeur
4. Un tissu industriel présent mais insuffisamment compétitif
1. Des dispositifs insuffisants pour réduire le coût de la vie des ultramarins
iii. Une instance aux moyens humains et financiers quasiment inexistants
iv. Une instance sans personnalité morale et sans pouvoirs propres
v. Une instance aux liens distendus, voire quasi-inexistants avec l’Autorité de la concurrence
b. Le bouclier qualité-prix (BQP) : une portée existante mais limitée
ii. Un outil présentant cependant de nombreuses limites
iii. L’injonction structurelle, un outil spécifique aux territoires ultramarins
iv. Les pratiques restrictives de concurrence, sanctionnées par la DGCCRF
a. Revaloriser le rôle et renforcer les moyens des OPMR
iii. Revaloriser les moyens humains et financiers des OPMR
b. Renforcer le dispositif du bouclier qualité-prix
i. Rendre les accords de modération des prix plus exigeants
ii. Élargir le nombre de produits au sein des dispositifs BQP
iv. Mettre en œuvre un dispositif de comparaison des prix à destination des populations ultramarines
c. Prévoir des sanctions pour donner une pleine effectivité au BQP
a. Sanctionner plus durement le non-respect de l’obligation de publication des comptes
b. Instaurer une transparence sur la constitution des prix et des marges arrière
3. Encadrer et limiter les concentrations économiques de manière plus ambitieuse
LISTES DES PERSONNES AUDITIONNÉES
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES
Depuis plusieurs décennies, les habitants des Pays des océans dits « d’Outre-mer », font face à une problématique persistante : un coût de la vie exorbitant. Les prix à la consommation apparaissent significativement supérieurs à ceux pratiqués dans l’Hexagone. L’enquête de comparaison spatiale des prix de l’Insee, publiée en 2022, comparant les niveaux de prix entre les différents territoires français, révèle un écart frappant de 40 % en moyenne pour les produits alimentaires, impactant lourdement le pouvoir d’achat des 2,8 millions de Français vivant dans ces territoires ultramarins.
Cette situation contraint de nombreux ménages - dont 30 à 70 %, suivant les territoires, vivent sous le seuil national de pauvreté, soit avec moins de 1 014 euros par mois - à consacrer une part disproportionnée de leurs revenus aux produits de première nécessité, renforçant les inégalités socio-économiques et limitant la satisfaction de besoins essentiels tels que le logement, la santé, l’accès aux transports ou encore à une alimentation de qualité.
Ce phénomène de vie chère s’explique par plusieurs facteurs structurels : l’insularité, l’éloignement géographique, une forte dépendance aux importations, mais également à des marchés souvent dominés par des structures oligopolistiques. Ces éléments génèrent des surcoûts qui pèsent directement sur les consommateurs et aggravent les disparités économiques et sociales.
Malgré des initiatives législatives telles que la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, portée par Victorin Lurel, qui instaurait le dispositif du « bouclier qualité-prix » (BQP) pour encadrer et modérer les prix de quelques produits de consommation courante dans une logique conventionnelle de négociations avec les parties prenantes, les résultats obtenus peinent à convaincre les habitants de ces territoires, qui souhaitent pouvoir se nourrir et vivre dignement. Il ne parvient pas à impacter positivement la réalité du prix du panier moyen des ménages.
La cherté de la vie dans les Pays des océans dépasse la dimension économique : elle représente un défi social et de développement territorial majeur. Elle creuse le fossé entre ces territoires et l’Hexagone, alimentant un profond sentiment d’injustice et de relégation chez leurs habitants. Par exemple, certains produits de consommation courante – aliments, services de téléphonie ou pièces détachées pour automobiles – peuvent coûter jusqu’à cinq fois plus cher que dans l’Hexagone, exerçant une pression constante sur les budgets des ménages les plus modestes.
Dans ce contexte, cette proposition de loi vise à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère, afin de réduire cette pression étouffante sur les habitants des Pays des océans. Elle vise ainsi à élargir les produits et les secteurs concernés par le « bouclier qualité-prix », à renforcer les moyens et les compétences des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), à rendre plus dissuasives les sanctions contre les entreprises qui ne jouent pas le jeu de la transparence et à abaisser les seuils de contrôle des concentrations économiques. Ce texte se propose d’être une première étape pour garantir aux citoyens des Pays des océans un accès équitable aux biens et services, tout en soutenant l’initiative et le développement économique local.
I. Une crise de la vie chère persistante et exacerbée, renforcée par des degrés élevés de concentration économique au sein des territoires ultramarins
A. Un phénomène de vie chère multifactoriel, multidimensionnel et persistant, asphyxiant les consommatrices et les consommateurs des pays des océans dans leur quotidien
1. Des Pays des océans toujours confrontés à un phénomène de vie chère multidimensionnel, relevant de causes à la fois structurelles et conjoncturelles
a. La vie chère dans les Pays des océans, alimentée par des causes structurelles et conjoncturelles
Les Pays des océans, dits « d’outre-mer », sont confrontés à une problématique persistante : celle d’un coût de la vie particulièrement élevé par rapport à l’Hexagone.
Ce phénomène de vie chère résulte d’une combinaison complexe de facteurs structurels et conjoncturels qui affectent directement le pouvoir d’achat des populations ultramarines, captives sur des marchés exigus où l’offre économique est restreinte.
Sur le plan structurel, se combinent notamment:
– un « isolement géographique », avec l’éloignement des grands marchés européens (de moyens techniques et humains). Cette distance, impliquant des coûts de transport, d’infrastructure et de logistique (fret, assurance, taxes, coûts de stockage, etc.), entraîne des délais supplémentaires et des coûts d’importation, s’agissant notamment des produits de première nécessité, qui sont les produits les plus consommés mais également ceux ayant la plus faible valeur ajoutée ;
– l’exiguïté des marchés, conduisant à de moindres débouchés et économies d’échelle potentielles et à une pression foncière forte due à des problématiques multiples ;
– de forts degrés de concentration économique sur des marchés fréquemment dominés par des oligopoles, voire des monopoles locaux, ce qui contribue à maintenir des prix élevés et à limiter la diversité de la concurrence, mais aussi son effectivité et son influence sur la fixation des prix – et ce, malgré une relative variété de l’offre ;
– un tissu productif reposant essentiellement sur de petites et moyennes entreprises, sur des industries et sur un tissu artisanal réduit.
Au-delà des déterminants structurels, des éléments conjoncturels viennent aggraver cette situation. Les fluctuations des cours mondiaux des matières premières, la hausse récente des coûts de l’énergie, ainsi que l’inflation globale liée aux crises économiques ou géopolitiques ont un impact direct sur les prix dans les Pays des océans.
Ces effets sont souvent amplifiés par le caractère insulaire ou enclavé des Pays des océans, qui les rendent particulièrement vulnérables aux chocs économiques externes.
Comme partout en Europe, les dernières crises géopolitiques ont également généré des effets inflationnistes, opportunistes pour beaucoup. À ce jour, les Pays des océans ne ressentent que très peu les effets désinflationnistes, comme partout ailleurs.
En outre, les événements climatiques extrêmes (ouragans, cyclones, inondations), récurrents dans certaines zones ultramarines, viennent également perturber les circuits d’approvisionnement et entraîner une hausse temporaire, mais significative, des prix.
Ces facteurs conjoncturels, bien que ponctuels, s’ajoutent aux difficultés structurelles, rendant la vie chère omniprésente et insupportable pour les populations ultramarines qui la subissent au quotidien.
b. La vie chère, terreau des contestations et des crises sociales
Le coût élevé de la vie dans les territoires ultramarins exacerbe les inégalités sociales et cristallise les tensions socio-économiques. Les populations les plus précaires sont les premières touchées, avec une proportion élevée de foyers vivant sous le seuil de pauvreté.
Cette situation persistante alimente la colère des populations concernées et un large ressentiment à l’égard des entreprises faiseuses de prix.
Depuis plusieurs mois, la Martinique est le théâtre d’une mobilisation citoyenne inédite contre la vie chère, marquée par des actes de violence sur l’île.
Ces mouvements de forte contestation contre la vie chère ne sont pas nouveaux dans les territoires ultramarins : ils ont eu notamment lieu en Guyane fin 2008 et 2021, aux Antilles de janvier à mars 2009, à Mayotte en 2011, à nouveau en Guyane de mars à avril 2017, puis à Mayotte de février à avril 2018, et enfin à La Réunion de novembre à décembre 2018.
Ces mobilisations dénoncent la dégradation des conditions de vie et l’incapacité de l’État à faire face à la domination économique de grands groupes, et revendiquent une baisse des prix ainsi que des réformes structurelles pour parvenir à une économie plus équitable et à des prix justes. Elles reflètent un profond malaise lié aux difficultés d’accès à l’emploi et aux droits fondamentaux, à la montée des inégalités socio-économiques, ainsi qu’à l’insécurité sociale, sanitaire et environnementale qui pèse sur ces populations.
2. Des écarts de prix démesurés entre les territoires ultramarins et l’Hexagone
a. La vie chère, un phénomène multidimensionnel
La vie chère dans les territoires ultramarins est un phénomène complexe qui touche divers secteurs essentiels. L’alimentation est particulièrement concernée, avec des écarts de prix considérablement plus élevés que dans l’Hexagone, notamment en raison des coûts d’importation, auxquels s’ajoutent une diversité d’acteurs mais un faible niveau de concurrence.
D’autres secteurs participent de la « vie chère », il s’agit notamment :
– du transport et de la mobilité. La rareté, dans la plupart des Pays des océans, de systèmes de transport fiables, abordables financièrement et établis sur une amplitude horaire large oblige souvent les actifs à faire l’acquisition de véhicules personnels, ce qui augmente substantiellement le budget consacré aux déplacements. Des taxes d’importation importantes et un marché restreint touchent, par ailleurs, le secteur de l’automobile ;
– du logement, qui souffre également de la rareté des terrains et de la cherté des matériaux ;
– de la téléphonie, secteur soumis à des monopoles ou à des infrastructures limitées ;
– des assurances : les conséquences insupportables de la cherté de la vie ont entraîné des contestations sociales violentes et des dégâts, notamment dans des hypermarchés et supermarchés implantés localement, et renchérissent le coût des assurances, au point où certains assureurs renâclent à couvrir certains sinistres, voire décident radicalement de se retirer des marchés ultramarins.
Ce caractère multidimensionnel de la vie chère en fait ainsi une réalité omniprésente, qui asphyxie les populations ultramarines dans leur quotidien.
b. Des écarts de prix démesurés et persistants
La vie chère se traduit par des prix considérablement plus élevés que dans l’Hexagone. Ces écarts de prix, quantifiés et analysés par l’Insee dans sa dernière enquête de comparaison spatiale des niveaux de prix à la consommation (ECSP) entre territoires français ([1]), non seulement persistent malgré des initiatives pour y remédier, mais s’accroissent même par endroits et pour certains biens de consommation.
Cette enquête, qui mesure l’écart de niveau des prix entre chaque département ou région d’outre-mer (DROM) et l’Hexagone en étudiant les prix de produits comparables sur les différents territoires, conclut, sur une moyenne tous produits, à des prix plus élevés dans tous les DROM par rapport à l’Hexagone, en particulier pour un panier de consommation « métropolitain », mais également pour un panier « domien ». Ainsi, « consommer le « panier moyen du DROM » coûte aussi plus cher que dans l’Hexagone » ([2]).
En 2015 comme en 2022, les prix dans l’ensemble des territoires d’Outre‑mer restent largement supérieurs à ceux de l’Hexagone ; mais en 2022, ces écarts – appelés « écarts de Fisher » – se sont encore accentués.
Résultats d’ensemble de l’enquête de comparaison spatiale des prix (moyenne tous produits) en 2015 et 2022
(en pourcentage)
|
Écart de Fisher DROM/ |
Écarts |
Écarts |
|||
Années |
2015 |
2022 |
2015 |
2022 |
2015 |
2022 |
Guadeloupe |
12,5 % |
15,8 % |
17 % |
19,2% |
8,1 % |
12,6 % |
Martinique |
12,3 % |
13,8 % |
17,1 % |
17,1 % |
7,6 % |
10,6 % |
Guyane |
11,6 % |
13,7 % |
16,2 % |
17,6 % |
7,3 % |
10,0 % |
La Réunion |
7,1 % |
8,9 % |
10,6 % |
12,3 % |
3,7 % |
5,5 % |
Mayotte |
6,9 % |
10,3 % |
16,7 % |
17,7 % |
- 2,0% |
3,4 % |
Source : Insee, enquêtes de comparaison spatiale des prix 2015 et 2022.
Champ : France, consommation des ménages hors fioul, gaz de ville et transports ferroviaires, et pour Mayotte hors loyers.
En 2022, l’écart de prix de Fisher est de + 13,7 % en Guyane par rapport à la France hexagonale. C’est la moyenne entre deux approches :
– d’une part, en prenant comme référence le panier de consommation des ménages de France hexagonale, les prix en Guyane sont en moyenne supérieurs de 17,6 % à ceux pratiqués dans l’Hexagone ;
– d’autre part, en prenant comme référence le panier consommé par les guyanais, les prix en Guyane sont en moyenne supérieurs de 10 % à ceux pratiqués dans l’Hexagone.
Ces écarts de prix sont particulièrement marqués en ce qui concerne les biens : par exemple en 2022, les prix des biens sont en moyenne supérieurs de 20,6 % en Guadeloupe par rapport à l’Hexagone, et les prix des services de 10,5 %.
Des écarts de prix élevés pour l’alimentaire, dans tous les DROM
|
Écart DROM/ moyen |
Écarts |
Écarts |
Guadeloupe |
41,8 % |
51,3 % |
32,8 % |
Martinique |
40,2 % |
50,4 % |
30,6 % |
Guyane |
39,4 % |
51,2 % |
28,5 % |
La Réunion |
36,7 % |
46,4 % |
27,7 % |
Mayotte |
30,2 % |
54,4 % |
9,8 % |
Source : Insee, enquêtes de comparaison spatiale des prix 2022.
Cette comparaison spatiale des prix met également en lumière des écarts de prix particulièrement élevés pour l’alimentaire, dans l’ensemble des DROM. L’écart moyen entre les DROM et l’Hexagone sur l’alimentaire est par exemple de 41,8 % pour la Guadeloupe, de 40,2 % pour la Martinique, de 39,4 % en Guyane, de 36,7 % à La Réunion et de 30,2 % à Mayotte (hors loyers).
Or, « les dépenses alimentaires pèsent plus dans les dépenses de consommation des ménages les plus modestes, ce constat est amplifié dans les DROM » ([3]).
Part des produits alimentaires et des boissons non alcoolisées dans la consommation des ménages, par quintile de niveau de vie, par unité de consommation (en pourcentage)
Source : Insee, enquête Budget de Famille 2017 ([4])
Ces écarts de prix ont par ailleurs tendance à s’accroître d’année en année. L’OPMR de La Réunion indique que « l’écart moyen des prix entre La Réunion et l’Hexagone serait passé de 6 % en 2010 à 9 % en 2022 » et que « concernant les produits alimentaires, l’écart, plus important, serait passé de 24 à 37 % sur la même période, soit une augmentation de plus de 50 % ».
À ces éléments de long terme s’ajoute enfin une inflation plus forte dans les pays des océans que dans l’Hexagone depuis 2023 : « en octobre 2024, l’inflation calculée sur 12 mois était ainsi de 1,5 % à 2,3 % selon les DROM, contre 1,2 % en France [hexagonale]. Les prix de l’alimentation étaient en hausse de 2,7 % à 3,4 % selon les DROM, contre + 0,6 % dans l’Hexagone » ([5]), indique l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
Ces écarts entre les prix dans les territoires ultramarins et ceux pratiqués dans l’Hexagone conduisent à s’interroger sur la construction des prix, et notamment sur les marges et leur cumul tout au long de la chaîne de valeur.
Dans ce contexte, l’OPMR de La Réunion a lancé, à la fin du premier trimestre 2024, un groupe de travail relatif à la transparence sur la formation des prix en associant 6 enseignes sur 7 ([6]) de la grande distribution à dominance alimentaire (GS), à savoir Carrefour, Leclerc, U, Leader-price, Intermark, Run Market et Auchan.
3. La lutte contre la vie chère, un combat social et institutionnel de longue haleine
« La lutte contre la vie chère dans les Outre-mer est un vieux serpent de mer qui provoque des soubresauts de plus en plus fréquents et violents.
Elle s’explique certes pour des raisons d’ordre géographique: l’éloignement des DOM par rapport à ses sources d’approvisionnement. Elle renvoie surtout à un contexte historique et politique: la persistance du système colonial qui se traduit en particulier par une relation quasi-exclusive entre les DOM et l’Hexagone en matière économique. » ([7])
Votre rapporteure appelle ainsi au développement des relations économiques au sein des différents bassins régionaux dits « de géographie cordiale », afin de permettre une diminution des coûts du transport de marchandise, pour des raisons à la fois écologiques et économiques.
Face à cette problématique de la vie chère, des solutions sont recherchées, notamment la mise en place de mesures fiscales adaptées (octroi de mer dynamique, subventions ciblées, suppression de la TVA à l’instar de Mayotte et de la Guyane), le développement de circuits courts pour réduire les coûts d’approvisionnement, et la stimulation de la concurrence sur les marchés locaux. Toutefois, pour atténuer durablement les effets de la vie chère, une réponse efficace nécessite une approche coordonnée, mêlant action locale, soutien national et implication des acteurs économiques concernés (grossistes, industriels, importateurs, etc.).
Un protocole d’objectifs et de moyens pour lutter contre la vie chère,
signé en Martinique le 16 octobre 2024
Pour répondre à ces limites, un protocole d’objectifs et de moyens pour lutter contre la vie chère a été signé le 16 octobre 2024 en Martinique entre « l’État, la Collectivité Territoriale de Martinique, les élus locaux, les distributeurs présents en Martinique, les grossistes, les représentants des socioprofessionnels, le Grand port maritime et le principal transporteur (CMA-CGM) » ([8]).
Ils proposent que soit examinée, au cours d’une période d’observation d’une durée de 36 mois, la mise en œuvre 28 actions autour des trois axes suivants :
– faire baisser les prix de plus de 6 000 produits alimentaires en Martinique ;
– agir en faveur de la baisse des prix de l’ensemble des produits de l’alimentation en Martinique ;
– agir pour la refondation de notre modèle économique ([9]) .
L’accord a notamment entendu apporter une réponse plus globale en visant, non plus des produits, mais des familles de produits, soit 54 familles représentant près de 6 000 produits de grande consommation.
Cette extension aux familles de produits est également proposée à l’article 1er de la proposition de loi, afin que cette extension puisse concerner l’ensemble des territoires ultramarins concernés par le BQP, et non seulement la Martinique parvenue à signer cet accord.
L’État s’est également engagé, en plus de la non application de l’octroi de mer pour 54 familles de produits, à appliquer une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à taux nul pour une assiette de 69 familles de produit.
Toutefois, dans une logique de « neutralité budgétaire », cette baisse de taux sera compensée par une suppression d’exonérations de TVA sur d’autres produits non-alimentaires.
Cette péréquation sur la fiscalité est ainsi paradoxalement de nature à faire porter sur les consommateurs ultramarins le coût de cette mesure de réduction de TVA.
Votre rapporteure estime au contraire qu’il convient de réduire le taux d’effort des ménages : ce n’est pas aux populations de financer ces mesures pour lutter contre la vie chère. L’effort doit en effet porter principalement sur les grands groupes dégageant des chiffres d’affaires et des marges suffisantes, ainsi que sur l’État, dans une logique de continuité territoriale.
En somme, la lutte contre la vie chère dans les territoires ultramarins exige une compréhension fine des dynamiques locales et des mécanismes de formation des prix et des marges, afin de proposer une réponse adaptée aux enjeux et aux spécificités de chaque territoire.
B. Un phénomène de concentration économique qui ne favorise pas la baisse des prix en outre-mer
1. Une structuration oligopolistique, voire monopolistique, des marchés ultramarins
Les marchés ultramarins sont caractérisés par une forte concentration économique, avec une domination par un nombre limité d’acteurs. Dans plusieurs secteurs clés, comme l’alimentation, la distribution de carburants ou encore les télécommunications, les entreprises en position dominante bénéficient d’un pouvoir de marché significatif, ce qui limite la concurrence et maintient des prix élevés.
Dans certains cas, cette concentration prend la forme d’oligopoles, où quelques grandes entreprises se partagent le marché et peuvent coordonner implicitement leurs comportements, réduisant ainsi les incitations à baisser les prix. À l’extrême, certains secteurs sont monopolistiques lorsqu’une seule entreprise contrôle la totalité de l’offre, rendant les consommateurs dépendants de ses tarifs.
Cette situation de forte concentration est exacerbée par « l’isolement géographique » des territoires ultramarins, c’est-à-dire l’éloignement des grands hubs commerciaux et financiers français et plus globalement européens, dont dépendent les échanges. Cela complique l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché. Ce contexte contribue à donner une situation de rente économique aux acteurs historiquement implantés et augmente la vulnérabilité et la volatilité inflationniste des prix.
Ce manque, parfois, de diversité de l’offre et, surtout, de concurrence, freine la baisse des prix, pesant lourdement sur le pouvoir d’achat des populations ultramarines.
Or, « dans des territoires ultramarins où la concurrence est au mieux limitée, les lois du “marché libre et sans entrave” sont particulièrement inadaptées.
« La régulation spécifique doit impérativement être renforcée et porter sur la transparence des marchés (publication des comptes des entreprises, contrôles renforcés, transmission électronique des tickets de caisse, etc.) et surtout sur la structuration des marchés pour écarter les risques d’abus de positions dominantes (limitation de la taille des surfaces de vente, interdiction des concentrations verticales et démantèlement dès lors qu’elles sont déjà existantes, etc.).
« Dit autrement, sans une intervention forte du législateur permettant en particulier de rompre avec l’opacité et les rentes de situation, aucune action ne permettra de lutter efficacement contre la vie chère » ([10]) assure l’OPMR de La Réunion.
2. Une accumulation de coûts et de marges le long de la chaîne de valeur
Circuit logistique simplifié de l’approvisionnement des marchandises
entre l’Hexagone et la Polynésie française
Source : Contribution écrite du groupe WANE.
« Alors qu’en Hexagone, il faut trois opérateurs pour qu’un produit arrive à un client, dans nos territoires en général, il en faut quatorze, soit près de cinq fois plus d’intermédiaires » expliquait le groupe CréO dans le cadre de la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution.
En Outre-mer, le coût des produits est ainsi alourdi par la complexité de la chaîne de valeur, décrite par les distributeurs comme comportant jusqu’à quatorze étapes avant qu’un produit n’arrive au consommateur. Chaque maillon de la chaîne – du producteur au détaillant – appliquerait sa marge, ce qui entraînerait une augmentation mécanique progressive du prix à chaque étape. Cette situation est particulièrement marquée dans des secteurs clés comme l’alimentation et les biens de consommation courante.
Étapes de l’approvisionnement des supermarchés du groupe Safo vers la Martinique
La colonne « Sociétés » identifie les étapes réalisées par une société appartenant au même groupe.
Source : Groupe Safo
Les quatorze étapes mentionnées dans ce document sont « indispensables » dans l’acheminement vers les territoires ultramarins, assure le groupe Safo. « Elles ne sont pas spécifiques à la Martinique et concernent tous les échanges internationaux de marchandises. Il existe deux possibilités pour un importateur: intégrer ces étapes ou les externaliser. Chaque groupe opère sa propre stratégie mais nous ne constatons pas que ceux qui externalisent soient les plus compétitifs : les prestataires externes cherchant à rentabiliser chaque étape » ([11]) . Bien qu’ayant des sociétés intégrées, le groupe Safo indique qu’il est parfois amené à faire appel à des prestataires (Vatinel, Frigodom, Logidom, Kuehne+Nagel, etc.) et que les coûts subséquents, à qualité de service équivalente, restent conformes à ceux du marché.
De son côté, le groupe Bernard Hayot assure n’intervenir que « sur deux voire trois étapes sur les quatorze étapes communément citées, à savoir les achats, le transit et, lorsque c’est indispensable, la manutention » ([12]), mais détient pourtant plusieurs sociétés qui participent d’une chaîne de valeur intégrale, comme « SOMAUDEX Logistic ».
Toutefois, le faible nombre d’étapes communiqué par le groupe Bernard Hayot ne permet pas en l’état de déterminer le pouvoir de marché de ce groupe sur la chaîne de valeur. Pour mesurer l’importance de ce pouvoir de marché, il faudrait pouvoir connaître le poids que représente chaque étape dans la chaîne de valeur, et non pas seulement le nombre de sociétés détenues.
L’internalisation des étapes au sein de sociétés appartenant à un même groupe devrait permettre d’être plus compétitif sur les prix, en évitant que des prestataires externes ne cherche à rentabiliser leur marge à chaque étape du processus. Or, cette dynamique n’est pas constatée sur les marchés et chaînes de valeurs des échanges relatifs aux Pays des océans.
Il apparait également que le phénomène de concentration économique accentue la dynamique de captivité commerciale dans ces territoires. Par exemple, le rachat de Vindémia, qui regroupe les filiales du groupe Casino à La Réunion, Mayotte, Madagascar et Maurice, par le groupe Groupe Bernard Hayot (GBH) ([13]), acteur majeur de la distribution dans les Outre‑mer, illustre cette tendance. Ce rapprochement, loin de stimuler la concurrence, contribue à consolider la position dominante du groupe, réduisant ainsi les opportunités de nouvelles entrées sur le marché et limitant les alternatives pour les consommateurs.
Contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’une telle concentration, les économies d’échelle potentielles n’ont pas conduit à une baisse des prix. Au contraire, les opérations de concentration ont eu tendance à maintenir, voire à augmenter les prix pratiqués. Les consommateurs ultramarins supportent donc des coûts gonflés par des marges successives, qui pèsent lourdement sur leur pouvoir d’achat.
Cette accumulation de coûts et de marges appelle à une réflexion sur la nécessité de réguler davantage les marges pratiquées tout au long de la chaîne de valeur et de favoriser des alternatives concurrentielles, pour redonner du pouvoir d’achat aux populations locales.
3. Une concentration d’acteurs menant des stratégies d’intégration verticale et horizontale, leur donnant la capacité de peser sur les prix
La concentration des acteurs économiques en Outre-mer s’accompagne souvent de stratégies d’intégration verticale et horizontale, renforçant leur pouvoir sur le marché et leur capacité à influencer les prix.
L’intégration verticale consiste à contrôler plusieurs étapes de la chaîne de valeur, depuis la production jusqu’à la distribution, ce qui permet à ces entreprises de maîtriser l’ensemble du processus et de fixer des marges à chaque niveau. Par exemple, un groupe peut posséder à la fois des entreprises de transport, des entrepôts et des réseaux de distribution, réduisant ainsi la concurrence et limitant la flexibilité des prix.
Parallèlement, l’intégration horizontale, qui implique le rachat ou la fusion avec des concurrents directs, permet de réduire le nombre d’acteurs sur le marché, créant ainsi des situations d’oligopole ou de quasi-monopole.
Cette double stratégie, bien que pouvant théoriquement générer des économies d’échelle, aboutit souvent à un renforcement des marges plutôt qu’à une baisse des prix, limitant les bénéfices pour les consommateurs et contribuant au phénomène de vie chère dans les Pays des océans.
Le groupe Safo explique déterminer les prix de vente pratiqués dans ses magasins en fonction de deux critères cumulatifs : d’une part, « les prix des concurrents relevés tout au long de l’année », et d’autre part, « le prix de revient des produits » ([14]). Il en est de même pour le groupe CREO : « Nos enseignes hard discount Pli Bel Price, Caraïbe Price et Megastock déterminent principalement leurs prix de vente par rapport à la concurrence » ([15]).
Or, si la concurrence n’est pas assez forte, le risque est que les magasins du groupe ne soient pas incités à faire baisser leur prix pour rester compétitifs face aux prix pratiqués par leurs concurrents.
Pourtant, les groupes de distributeurs assurent que « la concurrence en Outre-mer est très intense » ([16]) : ainsi, il existerait « sept opérateurs de la distribution alimentaire en Martinique, contre 8 groupes de grande distribution au niveau national » ([17]). Toutefois, cette comparaison n’est pas suffisante : pour avoir une idée du degré de concurrence, il convient également de s’intéresser au nombre de propriétaires indépendants de grandes et moyennes surfaces (GMS) au sein d’un territoire donné. Ainsi, ces données ne semblent pas comparables dans la mesure où les groupes peuvent à la fois représenter des commerces intégrés mais aussi des franchisés.
4. Un tissu industriel présent mais insuffisamment compétitif
L’industrie martiniquaise est principalement orientée vers l’agroalimentaire (rhum, transformation de fruits) et l’énergie. Elle représente environ 10 % du PIB local, mais la production locale reste insuffisante pour couvrir la demande. Le recours massif aux importations fragilise le tissu industriel. L’octroi de mer différentiel favorise certaines filières locales (rhum, boissons, farine), mais des critiques pointent des situations de rente, notamment dans le monopole des grossistes.
b. À La Réunion
À La Réunion, l’industrie représente environ 7 % du PIB, dominée par l’agroalimentaire (sucre, rhum) et les matériaux de construction. La production locale est insuffisante pour satisfaire la consommation intérieure, ce qui rend l’île fortement dépendante des importations. L’octroi de mer différentiel encourage certaines industries locales, mais certaines entreprises protégées de la concurrence internationale en tirent des rentes économiques injustifiées.
c. En Guyane
En Guyane, l’industrie est embryonnaire, représentant moins de 5 % du PIB. Les secteurs clés incluent la transformation de bois et l’agroalimentaire, mais la production locale est très marginale face à la demande. La faible concurrence, combinée à l’octroi de mer différentiel, crée des situations de rente, où certains acteurs captent des bénéfices importants sans incitations à investir pour améliorer la compétitivité.
L’industrie guadeloupéenne est semblable à celle de la Martinique, avec une prédominance de l’agroalimentaire (rhum, transformation de canne à sucre) et des matériaux de construction. Elle contribue à environ 8 % du PIB. L’octroi de mer différentiel protège des filières locales, mais des critiques émergent quant à son usage, favorisant des monopoles régionaux et des prix élevés pour les consommateurs.
L’industrie à Saint-Pierre-et-Miquelon est limitée, avec une économie principalement axée sur la pêche et la transformation des produits de la mer. L’approvisionnement en produits manufacturés dépend quasi exclusivement des importations. L’octroi de mer différentiel est moins marqué dans ce territoire, mais le faible tissu industriel et les monopoles locaux favorisent aussi des effets de rente, notamment dans les secteurs alimentaires et énergétiques.
En somme, dans ces territoires, la faiblesse du tissu industriel entraîne une forte dépendance aux importations, amplifiant les coûts pour les consommateurs. L’application de l’octroi de mer différentiel, bien qu’essentielle pour soutenir l’économie locale, engendre parfois des rentes économiques et freine la diversification industrielle. Une réforme de ces mécanismes pourrait stimuler une concurrence saine et baisser les coûts de la vie.
II. L’incapacité des dispositifs existants à réduire le coût de la vie au sein des pays des océans appelle à la mise en œuvre de dispositifs ambitieux proposant une plus forte régulation des prix et des concentrations économiques
A. Les dispositifs existants se sont avérés insuffisants pour réduire efficacement le coût de la vie des ultramarins et assurer une transparence dE la formation des prix
1. Des dispositifs insuffisants pour réduire le coût de la vie des ultramarins
a. Les observatoires des prix, des marges et des revenus : des instances essentielles, sans véritables moyens dédiés, sans personnalité morale et sans pouvoirs propres
Le président de l’observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) de La Réunion résume la situation ainsi :
« L’OPMR manque aujourd’hui d’à peu près tout : il n’a pas d’existence juridique, il ne dispose d’aucun pouvoir d’enquête, les moyens humains mis à sa disposition sont extrêmement réduits (l’équivalent d’un ETP), ses moyens matériels en propre sont quasi-inexistants (pas de locaux, pas d’outils informatiques, pas de budget de fonctionnement), ses moyens financiers sont dérisoires.
« Bref, il existe depuis toujours un décalage énorme entre les missions et les attentes attribuées aux OPMR et les moyens réellement à sa disposition qui suscite régulièrement une très forte incompréhension » ([18]).
i. Une composition variable des observatoires des prix, des marges et des revenus au sein des territoires ultramarins
L’article L. 910-1 A du code de commerce prévoit l’existence d’un observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) au sein des collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et des collectivités d’outre-mer de Saint‑Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna.
Cet article dispose également que l’OPMR « analyse le niveau et la structure des prix, des marges et des revenus et fournit aux pouvoirs publics une information régulière sur leur évolution ».
Actuellement, le périmètre territorial des OPMR correspond à la répartition explicitée ci-après :
– l’OPMR de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de Saint‑Martin et de Saint-Barthélemy ;
– l’OPMR de La Réunion ;
– l’OPMR de Mayotte ([19]) ;
– l’OPMR de Wallis-et-Futuna ;
– l’OPMR de Saint-Pierre-et-Miquelon.
L’article L. 910-1 C dispose notamment que chaque observatoire comprend, outre son président, les députés et sénateurs élus dans la collectivité concernée, des représentants de ces collectivités territoriales, de l’État, des associations de consommateurs, des syndicats d’employeurs et de salariés, du conseil économique et social régional, des chambres consulaires et « des personnalités qualifiées à raison de leur compétence ou de leurs connaissances en matière de formation des prix, des marges et des revenus ». La liste des membres pouvant composer les différents OPMR est précisée à l’article D. 910-1 C du code de commerce.
Le Président de l’OPMR de Mayotte estime notamment que « l’OPMR est un outil intéressant pour entendre et faire entendre les associations de consommateurs » ([20]).
En complément de la liste des membres de droit, l’OPMR de La Réunion a pour particularité d’associer des citoyens volontaires à ses travaux, en dehors de tout cadre juridique ([21]).
À Mayotte, la composition de l’OPMR bute sur deux difficultés : « d’une part, l’absence récurrente de certaines catégories de membres, et d’autre part, le fait que le fonctionnement de l’OPMR repose sur le recours à des commissions instituées en son sein, dont l’animation dépend de la mobilisation de quelques personnes (commission études, commission vie chère). Dans les faits, l’OPMR fonctionne avec l’implication des services de l’État et des personnalités qualifiées (une experte comptable et un maître de conférences en économie) » ([22]).
L’OPMR de Mayotte s’est doté d’un règlement intérieur, sans fondement juridique : cela « pourrait justifier une réforme des dispositions en vigueur pour donner une base juridique incontestable à un règlement intérieur » ([23]), estime son président.
La fréquence des réunions de l’OPMR est à géométrie variable en fonction des territoires : l’OPMR de La Réunion déclare ainsi se réunir en moyenne 3 à 4 fois par an depuis la crise des gilets jaunes, tandis que l’OPMR de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon indique qu’il s’est réuni 9 fois depuis 2020. En revanche, tous pointent un nombre réduit de participants.
ii. Des observatoires des prix, des marges et des revenus paradoxalement dans l’incapacité d’analyser les prix, les marges et les revenus
Alors même que la loi leur confie ce rôle, « les OPMR ne sont pas en mesure de jouer leur rôle d’analyse de ces coûts » déplore l’OPMR de Mayotte.
« Le code du commerce prévoit par exemple que le coût du passage portuaire fasse l’objet d’un rapport annuel. Deux OPMR y ont procédé ponctuellement (La Réunion et Mayotte). À Mayotte, l’étude remise en 2024 est manifestement insuffisante faute d’accéder aux données utiles. L’Autorité de la concurrence, de son côté, avait essayé d’analyser les conditions de concurrence dans le domaine des prix des biens importés sans y parvenir vraiment. » ([24]).
Il en est de même sur la question des prix et des marges : paradoxalement, alors qu’ils sont censés être notamment des observatoires des marges, les OPMR déclarent « ne disposer d’aucune donnée sur les marges et les marges arrière » ([25]).
iii. Une instance aux moyens humains et financiers quasiment inexistants
Alors qu’il couvre les territoires de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, l’OPMR « Antilles‑Guyane » ne bénéficie que d’un ETP, son président.
Le secrétariat et l’appui technique sont assurés par trois agents de la préfecture en plus d’autres missions ([26]).
En outre, le III de l’article L. 910 C dispose que « les membres de chaque observatoire exercent leurs fonctions à titre gratuit », la situation des présidents des observatoires des prix, des marges et des revenus s’apparentant ainsi à du quasi‑bénévolat.
Les observatoires des prix, des marges et des revenus ne bénéficient pas de ligne budgétaire dédiée.
« Les moyens de l’OPMR sont limités. Sur un plan financier, ils dépendent d’un programme budgétaire relevant de la responsabilité des services du secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR).
« L’exercice de dialogue de gestion, avec la direction générale des outre‑mer (DGOM), relève du SGAR et non de l’OPMR. Ce dernier, qui n’a pas de personnalité morale, n’exprime pas de besoins. La seule possibilité consiste à formuler des demandes de financement d’études sous réserve de leur conduite effective. » ([27])
À titre d’exemple, la préfecture de Martinique indique que le budget de l’OPMR est de 80 000 euros par an. Ce budget contribue essentiellement à l’engagement d’études, dont dépend la consommation des crédits. Ces études ont conduit en 2024 à 200 000 euros d’autorisations d’engagement en raison du financement d’une vaste étude Antilles-Guyane plus onéreuse. Il permet également de couvrir les frais de fonctionnement de l’entité.
Crédits alloués à l’OPMR de Martinique (2019-2024)
En autorisations d’engagement (AE) et en crédits de paiement (CP)
Source : Préfecture de Martinique.
Dans le cadre de leur audition, les OPMR ont ainsi témoigné de leur manque cruel d’effectifs.
À Mayotte par exemple, la mission de secrétariat de l’OPMR « est assumée sans que budgétairement la quote-part d’ETP dédiée à cette mission soit allouée au service. Un fonctionnement optimal du secrétariat de l’OPMR supposerait de disposer d’un demi ETP » ([28]).
« Les capacités de l’OPMR sont donc limitées budgétairement » ([29]) .
« Les moyens humains et financiers sont mis à disposition par le préfet. En fonction de l’appétence de chaque préfet pour le sujet de la vie chère, les moyens varient » ([30]) explique le président de l’OPMR Antilles, Guyane, Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
« L’indépendance [des OPMR s’est] renforcée depuis que le président de l’OPMR est un magistrat des juridictions financières », estime la présidente de l’observatoire des prix, des marges et des revenus de Saint-Pierre-et-Miquelon ([31]).
Le président de l’OPMR est en effet un juge de la chambre régionale des comptes (CRC). « Ce statut lui confie une indépendance totale vis-à-vis de l’autorité préfectorale », assure la préfecture de Guadeloupe ([32]). L’OPMR peut ainsi travailler avec les autorités locales ou nationales de la concurrence et de la répression des fraudes.
Toutefois, outre le fait que les moyens financiers de l’OPMR dépendent de la préfecture, « la réglementation prévoit que le secrétariat de l’OPMR est assuré par la préfecture. […] Le fait de confier le secrétariat de l’OPMR à l’État qui est membre de l’OPMR au même titre que toutes les autres parties prenantes peut surprendre puisque les services de l’État sont amenés à rendre compte de leur action auprès de l’OPMR dans leur champ de compétence (par exemple, les services de la DEETS sont invités à faire un point sur les contrôles effectués sur la mise en œuvre des accords de modération) ». ([33])
Ainsi l’indépendance fonctionnelle des OPMR continue à faire l’objet d’interrogations par certains acteurs.
iv. Une instance sans personnalité morale et sans pouvoirs propres
« Une augmentation de budget ne peut à elle seule être une solution pour assurer l’ensemble des missions prévues par les articles L. 910-1-E à J. En effet, le lancement d’études nécessite la rédaction d’appels d’offre qui nécessitent des agents compétents. A minima, il serait nécessaire de disposer d’un attaché à plein temps pour assurer le secrétariat, d’un agent spécialiste en marché public et un agent compétent en analyse de données (data scientist). L’embauche d’agent par l’OPMR est impossible faute de personnalité morale. » ([34])
Dans le cadre de leur audition, les présidents des OPMR ont mis en avant le fait que ces instances ne disposent pas de la personnalité morale. Cette absence d’ « existence juridique » ([35]) accentue la dépendance fonctionnelle des OPMR à l’égard des services de la préfecture et créée un manque de visibilité sur leurs actions.
Au-delà de leur statut juridique peu autonomisant, la capacité des OPMR à mener à bien leurs missions est également réduite par leur manque de pouvoirs propres : ils n’ont ni pouvoir de sanction, ni pouvoir d’enquête ou d’instruction. Par ailleurs, les présidents d’OPMR ne sont pas ordonnateurs.
v. Une instance aux liens distendus, voire quasi-inexistants avec l’Autorité de la concurrence
L’article L. 462-1 du code de commerce prévoit que l’Autorité de la concurrence donne son avis sur toute question de concurrence à la demande du Gouvernement, mais également à la demande des présidents des observatoires des prix, des marges et des revenus des collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et des collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Wallis-et-Futuna et de Saint-Pierre-et-Miquelon, en ce qui concerne les intérêts dont ils ont la charge.
L’Autorité de la concurrence a déjà été saisie par un OPMR de pratiques susceptibles de constituer des infractions au droit de la concurrence. Cependant, « l’usage de cette faculté par les OPMR et les collectivités territoriales reste à ce jour très limité.
« Le faible nombre de saisines de l’Autorité par les collectivités territoriales et les OPMR peut d’une part s’expliquer par le fait que leurs interlocuteurs naturels sont les antennes locales de la DGCCRF qui sont familières de nos procédures et peuvent enrichir les indices ou éléments apportés (…) avant de saisir l’Autorité. (…)
« Le faible nombre de saisine de l’Autorité par les OPMR peut également être le fait de leur manque de moyens pour mener leur mission, comme l’Autorité a pu le constater dans son avis de 2019. Si ceux-ci ont été renforcés depuis, ils pourraient demeurer insuffisants et la question de leur renforcement pourrait être à nouveau examinée » ([36]).
Les conditions d’examen des saisines reçues par l’Autorité sont identiques quelle que soit l’identité du saisissant. Les services d’instruction de l’Autorité de la concurrence, compétents pour apprécier la pertinence des saisines, vérifient notamment si celles-ci contiennent des indices suffisants de nature à justifier l’ouverture d’une enquête et éventuellement des opérations de visite et saisie.
Cette situation est problématique : les observatoires des prix, des marges et des revenus, ne disposant de quasiment aucun moyen juridique et financier, ne sont pas en capacité d’investiguer pour apporter une charge de la preuve suffisante à l’Autorité de la concurrence afin qu’elle puisse ouvrir une enquête sur cette saisine.
De leur côté, les présidents des OPMR estiment que « les liens avec l’ADLC sont quasiment inexistants. Nos saisines dans le prolongement de nos travaux sur les carburants et la grande distribution à dominante alimentaire se sont avérées vaines. Sans doute l’OPMR n’est-il pas suffisamment armé pour interpeller de manière efficace cette institution. Il n’est pas non plus impossible que [l’Autorité de la concurrence] néglige les OPMR en raison notamment de son éloignement » ([37]).
b. Le bouclier qualité-prix (BQP) : une portée existante mais limitée
Le « bouclier qualité-prix » (BQP) constitue un dispositif de modération des prix fixant, pour un panier d’articles visés, un plafond global de prix, tout en prenant en compte des critères de qualité.
Ce dispositif de promotion permanente concerne un panier de produits de consommation courante, les distributeurs restant libres du choix de la marque pour chaque article. Une signalétique « BQP » permet d’identifier les produits concernés par ce dispositif.
« À noter que le BQP n’existe pas à Saint-Martin et Saint-Barthélemy » ([38]).
L’absence de définition juridique des produits de « première nécessité »
et de « consommation courante »
Le concept de produits de première nécessité n’est pas strictement défini en droit français. En revanche, il existe la notion de « produits de consommation courante », prévue à l’article L.410-5 relatif aux négociations du BQP qui, selon l’article D. 120-1 du code de la consommation, désignent des produits de grande consommation.
Les produits de grande consommation sont eux définis à l’article D. 441-1 du code de commerce, lequel en établit une liste qui correspond, globalement, à des biens de première nécessité.
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Il n’y a pas de définition juridique des biens de première nécessité et de consommation courante concernés par le bouclier qualité-prix.
« L’enjeu est de prendre en compte localement les habitudes de consommation de la population dans le panier du BQP et de tenir compte du maillage territorial du réseau de distribution » ([39]).
Cela a par exemple conduit à la mise en place, à Mayotte depuis 2023, du « BQP de proximité », qui comprend un panier de 20 produits de grande consommation et qui permet de densifier les surfaces de vente couverte par le BQP en y incluant de petites surfaces de vente (entre 100 et 500 mètres carrés).
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Les produits entrant dans le BQP correspondent à « une liste limitative de produits de consommation courante » : « cette formulation permet une interprétation souple et non limitative du nombre et des produits choisis » ([40]).
i. Un outil pour encadrer la vie chère sur un panier regroupant certains produits de grande consommation
Pour tenter de lutter contre la vie chère, la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique Outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux Outre-mer, dite « loi Lurel », a mis en place un dispositif de « bouclier qualité-prix » (BQP) dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution – soit en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à Mayotte et à La Réunion – ainsi que dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna ([41]).
Prévu à l’article L. 410-5 du code de commerce et globalement effectif depuis 2013, le BQP est un outil de modération des prix qui se fonde sur une liste de produits de consommation courante, élaborée en concertation avec différents acteurs impliqués ([42]) (producteurs, industriels, importateurs, distributeurs, transporteurs etc.). Elle est négociée annuellement entre le préfet, représentant de l’État, et les différentes parties prenantes. Ces négociations sont éclairées par l’avis fourni au préalable par l’OPMR territorialement compétent. Le panier de produits concerné fait l’objet d’un prix global maximum qui est fixé par arrêté préfectoral, et ce pour une période annuelle.
La liste du BQP est « définie en concertation avec les associations de consommateurs qui sont interrogées chaque année sur son contenu et sur les moyens d’amélioration, au regard des exigences de santé publique et des préconisations de la circulaire annuelle transmise par le ministère des outre-mer et au regard des habitudes alimentaires de la population » ([43]), assure la préfecture de Guadeloupe.
Les négociations du BQP étant propres à chaque territoire, le nombre d’établissements partenaires, de produits et de plafonds fixés varient et dépendent des résultats de chaque accord annuel :
– en Guadeloupe à ce jour, 22 établissements sont signataires du BQP. Les paniers sont respectivement de (i) 105 produits, dont 12 fruits ou légumes locaux, pour 314 euros TTC pour 4 magasins de plus de 2 000 m² ; (ii) de 103 produits, dont 10 fruits ou légumes locaux, pour 314 euros TTC pour 8 magasins compris entre 1 000 et 2 000 m² ; (iii) de 69 produits, dont 8 fruits ou légumes locaux, pour 173 euros TTC pour 10 magasins inférieurs à 1 000 m² ; (iv) de 6 produits, 5 produits multimédia et 1 produit auto, pour 60 euros TTC, exclusivement pour les magasins de plus de 2 000 m².
– En Martinique, « depuis 2013, le BQP a permis une modération efficace des prix, passant d’un plafond de 365 euros en 2013 à 306 euros en 2022, pour 101 articles. Ce plafond a été contenu en 2021 et 2022 malgré la hausse de l’inflation. Le rehaussement du plafond du BQP à 390 euros en 2023 correspond à la révision de la liste de produits visés, avec l’intégration de nouveaux produits de qualité (poulet, steak haché, fromage, etc.), portant le total de 101 à 134 articles. » ([44])
Prix maximums autorisés pour les différents paniers BQP entre 2013 et 2024 en Martinique
Source : Préfecture de Martinique.
Pour ces paniers, le seuil indiqué constitue un prix plafond, mais la préfecture de Martinique nous indique que « le prix moyen observé se trouve le plus souvent en deçà et non au seuil ».
– À Saint-Pierre-et-Miquelon, l’accord de modération BQP officialisé par l’arrêté préfectoral n° 97 du 28 février 2024 porte sur une liste de 55 produits (dont 42 produits alimentaires) pour un montant global de 163,70 euros. La vente des produits du BQP a représenté 6 % du chiffre d’affaires total de l’unique enseigne partie prenante en 2023.
Le dispositif BQP participe ainsi à une relative modération des prix sur les produits concernés : « le dispositif BQP a permis de limiter et de contrôler la hausse des prix des produits listés, et cela en dépit de la forte inflation à laquelle fait face l’archipel » ([45]).
De plus, le BQP a une vocation sociale : la liste du BQP est en général construite sur la base des volumes de produits de consommation courante les plus achetés par les ménages locaux les plus modestes.
Enfin, le BQP peut être un atout pour la production locale : en Guadeloupe par exemple, « [le BQP a] permis de modérer le prix des produits concernés et comprend 30 % de produits locaux, ce qui assure un débouché aux producteurs guadeloupéens » ([46]).
ii. Un outil présentant cependant de nombreuses limites
Les principales limites rencontrées par le BQP sont :
– Le périmètre, puisqu’il vise un nombre restreint de produits ([47]) et ce, malgré l’effort d’élargissement : en Martinique « seuls 134 produits ([48]) sont concernés pour le format hypermarché, 72 pour les supermarchés et 35 pour les supérettes » ([49]). Bien que des extensions à d’autres secteurs aient pu avoir lieu – comme par exemple à La Réunion avec le « BQP bricolage », les négociations BQP portent principalement sur des produits de grande consommation et alimentaire, alors que la vie chère est multifactorielle et concerne tous les secteurs sur les territoires ultramarins ;
– L’absence ponctuelle d’approvisionnement de certains produits : ces ruptures de stocks dans les magasins réduisent la portée du BQP sur les prix payés par le consommateur ultramarin. « En 2013, l’OPMR [de Mayotte] avait noté une indisponibilité des produits s’échelonnant entre 16 % et 20 % selon les enseignes, couplée à une inaccessibilité des produits concernant plus particulièrement les fournitures scolaires » ([50]). De son côté, la délégation outre-mer du Conseil économique, social et environnemental (CESE) estime que « selon les produits, les taux de rupture varient entre 15 % et 30 % » ([51]) ;
– Le manque de données : « Pour Saint Martin et Saint Barthélemy, il n’est pas possible de rendre un avis car l’Insee [Institut national de la statistique et des études économiques] et l’Iedom [Institut d’émission d’outre-mer] ne disposent pas de statistiques spécifiques à chaque île. Le pole C de la Deets [direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités] dispose de données partielles » ([52]) ;
– Le manque de moyens humains, budgétaires et juridiques : « Actuellement le code du commerce fixe des missions aux OPMR sans moyen adapté » ([53]) ;
– Le manque d’effort de certaines parties prenantes au BQP : « Seuls les distributeurs sont les signataires de l’accord alors que le dispositif intéresse tous les acteurs de la chaîne. L’association de tous les acteurs de la chaîne pourrait palier aux difficultés d’approvisionnement » ([54]). Certains distributeurs assurent être les seuls à effectuer des efforts pour parvenir à des baisses de prix, tandis qu’ils regrettent que d’autres acteurs (compagnies maritimes, fournisseurs, grossistes, représentants d’industries locales, collectivités territoriales) ne participent que rarement aux négociations ;
– Les acteurs non collaboratifs (non-respect des prix affichés, problèmes de signalétique, etc). Les établissements signataires du BQP sont contrôlés par la direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DEETS). Ainsi, en septembre 2024, 22 établissements signataires ont été contrôlés en Guadeloupe : « les manquements relevés ont principalement concerné l’obligation d’affichage de la liste de produits BQP à l’entrée du magasin, l’indisponibilité de produits, l’absence de signalétique dans les rayons et, de manière plus marginale, l’écart de prix des produits BQP entre la caisse et les rayons et le dépassement du montant total du panier BQP » ([55]) ;
– La méconnaissance et l’insatisfaction vis-à-vis du dispositif BQP, qui « n’est pas toujours connu des consommateurs » ([56]). Or, l’indisponibilité des produits et les absences d’affichage ne facilitent pas la perception du dispositif par le consommateur. En outre, « les consommateurs sont globalement insatisfaits de la qualité des produits qu’offre le panier BQP quand ils en connaissent l’existence » ([57]) ;
– Le déficit d’attractivité des produits BQP, qui ne sont pas nécessairement les prix les plus bas pratiqués dans les linéaires (en raison des promotions notamment). Aussi, au sein de chaque catégorie, il arrive que des produits hors BQP présentent parfois un prix plus attractif que ceux du BQP ;
– Le caractère conventionnel du BQP : « Chaque enseigne est libre d’y participer ou non » ([58]). Le BQP repose sur le « volontariat des [grandes et moyennes surfaces] (GMS) partenaires » ([59]). Ainsi, la portée du BQP est paradoxalement dépendante de la participation des acteurs majeurs de la distribution. Par exemple, à Saint-Pierre-et-Miquelon, seul un commerçant participe au BQP : « comme les années précédentes, et malgré les tentatives de travailler avec l’ensemble des importateurs/détaillants de l’archipel, seul l’établissement Marcel DAGORT a accepté de reconduire le dispositif du BQP pour l’année 2024 » ([60]) ([61]) ;
– Le fait qu’aucune disposition n’encadre ces négociations sur la modération des prix par des objectifs chiffrés. Les distributeurs sont ainsi tentés d’y inclure des produits à faible valeur nutritionnelle ou peu sains.
Depuis 2022, le BQP comprend une clause de révision des prix autorisant le préfet, sur demande des organisations professionnelles concernées et après avis de l’OPMR, à ajuster le prix global de la liste pour tenir compte de variation importantes de coûts susceptibles de modifier le coût de revient des articles de la liste.
Ainsi, si le bouclier qualité-prix est l’un des outils clés dans la lutte contre la vie chère, son incapacité à s’attaquer aux causes de la vie chère appelle à donner plus d’ambition à ce dispositif.
c. Une possibilité de reprise en main de la fixation du prix par le préfet en cas d’échec des négociations BQP, jamais appliquée jusqu’alors
Le II de l’article L.410-5 du code de commerce prévoit que, « en l’absence d’accord un mois après l’ouverture des négociations », le préfet arrête le prix global d’une liste de produits de consommation courante sur la base des négociations et des prix les plus bas pratiqués dans le secteur économique concerné.
Or, « en 2023 et 2024, les négociations BQP n’ont pas abouti en Guyane et aucun accord n’a été signé » ([62]). De plus, « Saint-Martin et Saint Barthélemy ne lancent aucune négociation BQP depuis deux ans sans action possible de l’OPMR » ([63]).
Or, cette disposition n’a jamais trouvé à s’appliquer, la loi restant muette en cas d’inaction du préfet.
Elle reste toutefois importante dans la mesure où elle favorise l’avancée efficace des négociations. « Elle constitue un levier utile à la célérité des discussions, sans qu’elle n’ait eu besoin d’être employée depuis 2013, eu égard à la bonne implication de l’ensemble des acteurs économiques dans ce dispositif, qui résulte d’une sensibilité partagée pour la question de la vie chère. L’esprit de responsabilité de chacun des acteurs a permis d’envisager les négociations sans avoir recours au pouvoir conféré par l’alinéa II » ([64]). En ce sens, la préfecture de Guadeloupe estime qu’« il serait opportun de maintenir ce moyen de pression quel que soit le nouveau dispositif retenu » ([65]).
Par ailleurs, cette reprise en main de la fixation du prix global d’une liste limitative de produits de consommation courante n’apparait pas nécessairement souhaitable : « la mobilisation de ce levier aurait moins de portée utile que l’obtention d’un accord par consensus car il n’existe pas de sanction en cas de non respect de ce prix fixé unilatéralement. Les contrôles opérés par la DEETS (63 en 2023 dans 60 magasins) permettent toutefois de suivre le respect de l’engagement des distributeurs » ([66]).
2. L’état du droit actuel ne permet pas d’assurer une transparence suffisante sur la formation des prix
a. Un non-respect de l’obligation de publication des comptes persistant et exacerbé au sein des Pays des océans
La publication des comptes de la part des entreprises est une obligation légale, à de rares exceptions près. Les grands groupes sont ainsi tenus de publier annuellement leurs comptes, c’est-à-dire de les déposer auprès du tribunal de commerce.
Cette obligation apparaît pourtant peu respectée dans les territoires ultramarins. « La pratique du dépôt des comptes annuels auprès du greffe du tribunal mixte de commerce n’est pas légion dans nos régions d’Outre-mer et les autres instances dépositaires (Direction régionale des finances publiques (DRFIP), Caisse générale de sécurité sociale (CGSS) et Institut d’émission d’Outre-mer (IEDOM)) sont tenues à la confidentialité » ([67]). À la Martinique, par exemple, seulement 24% des sociétés déclarent leurs comptes, contre 85 % au niveau national. Tandis que les distributeurs prétendent assurer une « transparence totale vis-à-vis des autorités » ([68]), de nombreuses affaires démontrent le contraire : quatre lanceurs d’alerte ont par exemple récemment initié une procédure contre le groupe Bernard Hayot (GBH), lui enjoignant de publier ses comptes annuels au greffe du tribunal de commerce de Fort-de-France.
Souvent considérée comme intrusive par les entreprises, cette obligation légale de transparence de l’activité économique doit toutefois être conciliée avec la protection du secret des affaires. Ainsi, compte tenu des sanctions insuffisamment dissuasives prévues par le code de commerce, notamment à l’article L. 123-5-2, certaines entreprises décident parfois délibérément de ne pas publier leurs comptes. Cette pratique étant particulièrement répandue en Outre-mer, où les entreprises justifient le non-respect des dispositions légales par la crainte de divulguer, sur ces marchés restreints, des informations stratégiques à leurs concurrents.
Cette opacité assumée par les acteurs économiques entre en contradiction avec la volonté d’instaurer de la transparence sur la formation des prix.
Dans ce cadre, l’observatoire des prix, des marges et des revenus de La Réunion préconise en matière de grande surface alimentaire « l’application de la 4ème directive 78/660/CEE du Conseil du 25 juillet 1978 qui impose une publicité des comptes annuels des entreprises accompagnée par la mise en place d’une amende réellement dissuasive pour les contraindre à respecter leur obligation de publicité des comptes » ([69]).
b. Un manque de transparence persistant sur la formation des prix, et notamment sur les marges arrière
À ce non-respect de l’obligation de publication des comptes s’ajoute le manque de transparence sur le mécanisme de construction des prix : « La formation des prix en outre-mer repose sur de nombreux facteurs supposés être déterminants (le coût du transport maritime et du passage portuaire) ou indirects (octroi de mer ([70]), compléments de rémunération des agents publics ([71])). Il est nécessaire de distinguer les facteurs structurels des facteurs conjoncturels », indique l’observatoire des prix, des marges et des revenus de Mayotte ([72]).
Parmi ces facteurs, les marges effectuées par les acteurs économiques le long de la chaîne d’approvisionnement (supply chain) ont un impact non négligeable sur les prix.
En effet, la multiplication des intermédiaires entre le producteur et le distributeur conduit à une accumulation des coûts et des marges des différents acteurs, ce qui entraîne un gonflement des prix.
Cette multiplication des marges se conjugue à la pratique désormais bien identifiée des « marges arrière ». Cette « pratique courante dans la grande distribution [dans l’Hexagone] comme en outre-mer » ([73]) renvoie aux avantages que le distributeur obtient auprès de son fournisseur, non pas sur la facture d’achat des marchandises, mais sur des mécanismes divers.
Par exemple, les marges arrière renvoient à la pratique par laquelle les « grandes et moyennes surfaces » (GMS) facturent aux fournisseurs la mise en avant de leurs produits dans les rayons (frais de référencement, services de coopération commerciale et « PP-TG » [Participation publicitaire, Tête de gondole ([74])]), ou encore à celle des « ristournes de fin d’année » ([75]), versées par le fournisseur en fin d’exercice quand les objectifs commerciaux, souvent fixés par les distributeurs eux-mêmes, sont atteints. Les marges arrière englobent ainsi toutes sortes de participations des industries à d’autres frais des GMS : ouverture, agrandissement ou rénovation, nouveaux produits, logistique, informatisation, traçabilité, échanges d’informations, conseils, catalogues, publicité, promotions ou encore « nouveaux instruments de promotion » (NIP), dont cartes de fidélité. Les enjeux principaux liés à ces marges arrière tiennent à ce qu’elles sont concernées par des tentations de surfacturation et de rétention à un ou plusieurs stades de l’approvisionnement, et qu’elles contribuent au renchérissement des prix dans la mesure où le fournisseur intègre ce montant dans ses coûts, qui se répercutent in fine sur le prix payé par le consommateur.
La loi no 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales, dite « loi Galland », a régi les relations commerciales entre les fournisseurs et les distributeurs de 1997 à 2005. Elle prévoyait que le seuil de revente à perte (SRP) était égal au « prix d’achat effectif qui comprend le prix des produits figurant sur les factures et toute réduction acquise à la date de la vente ». Ainsi, les marges arrière étaient exclues de la détermination du SRP.
Dans ce contexte, les distributeurs, qui étaient tenus de respecter le seuil de revente à perte tel que défini par la loi Galland, fixaient généralement les prix de revente de certains produits à un niveau légèrement supérieur ou identique aux prix nets facturés par les fabricants.
En 2005, la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, dite « loi Dutreil », a proposé de corriger les effets indésirables de la loi Galland, qui avait amené à un gonflement des marges arrière sur les marques (jusqu’à 35 % du prix net en moyenne sur 60 groupes industriels adhérents de l’Institut de liaisons des entreprises de consommation (ILEC) en 2005), à la limitation de la concurrence inter-enseignes et à une spirale inflationniste sur les prix de détail.
Ainsi en modifiant l’article L. 442-2 du code de commerce, la loi Dutreil ([76]), d’une part, intègre dans la définition du prix d’achat effectif les « avantages financiers consentis par le vendeur » – expression faisant référence aux marges arrière –, et d’autre part, redéfinit le SRP, notamment pour réintroduire une concurrence inter-enseignes sur les marques et accroître la latitude des distributeurs pour baisser leurs prix.
La loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs prévoit que les « autres avantages financiers » sont désormais totalement pris en compte pour le calcul du seuil de revente à perte.
Ces pratiques commerciales sont donc encadrées au niveau national ([77]). « Les sommes versées au titre de ces marges apparaissent nécessairement en comptabilité, étant associées aux factures correspondantes ou aux éléments correspondants à ces réductions de prix mentionnées sur les factures des fournisseurs (…). De plus, les conventions concernant les produits de grande consommation (PGC) doivent obligatoirement mentionner chacune des obligations réciproques auxquelles se sont engagées les parties à l’issue de la négociation commerciale et leur prix unitaire (article L. 441-4 III code de commerce) » ([78]), indique la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Toutefois, le contrôle de ces pratiques apparaît difficile.
À l’exception de rares initiés, les marges arrière sont mal connues : elles sont complexes et confidentielles par nature, étant au cœur de la négociation de chaque enseigne pour chaque produit.
La mise en place d’un contrôle strict de ces mécanismes est également complexifiée par la nécessité de garantir la liberté commerciale des acteurs économiques : « le niveau de répercussion des baisses de prix obtenues par un distributeur du fait de la négociation de marges arrière relève de sa liberté tarifaire et de sa politique commerciale » ([79]), explique l’Autorité de la concurrence.
À ce jour, « les prérogatives de l’OPMR ne lui permettent pas d’accéder à ce type d’information. Les témoignages qui lui remontent corroborent l’idée d’un poids bien plus important que dans l’Hexagone des marges arrière à La Réunion, dont les effets sont particulièrement néfastes à l’économie locale (opacité du système, effets inflationniste pour le consommateur, renforcement de la position des acteurs dominants, etc.). »
Compte tenu de l’opacité de ces mécanismes et de la part qu’ils représentent dans le chiffre d’affaires des grands groupes, garantir une plus grande transparence de ces marges dans les comptes d’exploitation des entreprises apparaît toutefois indispensable pour avoir une vision réaliste de la formation des prix.
D’autant que plusieurs acteurs constatent des abus importants sur les marges arrière, qui pèsent in fine sur les prix payés par les consommateurs.
En ce sens, la délégation Outre-mer du CESE demande l’interdiction de ces pratiques commerciales abusives (services de coopération commerciale forcés, remises de fin d’année, bonifications, ristournes), et de faire figurer un prix « triple net » ([80]) sur les factures qui puisse être contrôlé par les observatoires des prix, des marges et des revenus et l’Autorité de la concurrence ([81]).
L’OPMR de La Réunion recommande « l’application de l’arrêté rendant obligatoire la transmission de données par voie électronique à des fins de statistique publique du 13 avril 2017 pour améliorer le suivi statistique sur les prix par l’Insee qui est effective près de 5 ans dans l’Hexagone mais toujours pas à La Réunion » et « considère qu’une commission d’enquête urgente doit impérativement être diligentée sur cette pratique mortifère pour mieux les encadrer, voire exiger leur suppression dans les territoires ultra-marins compte tenu de leur spécificité » ([82]).
c. Des degrés de concentration demeurant à des niveaux élevés, malgré des seuils de notification spécifiques aux territoires ultramarins et au commerce de détail et des dispositifs de répression des pratiques « antitrust »
i. Sur le volet prévention des concentrations : des seuils de notification spécifiques aux territoires ultramarins et au commerce de détail
Les trois séries de seuils de chiffre d’affaires qui fondent le contrôle des concentrations en France n’ont jamais été révisés depuis leur entrée en vigueur, c’est-à-dire depuis le 27 mars 2004 pour les seuils généraux (soit vingt ans) et depuis le 13 novembre 2008 pour les seuils commerce de détail et les seuils outre-mer (soit près de seize ans).
Du fait du contexte d’inflation et de relative croissance économique, le niveau moyen de chiffre d’affaires des entreprises actives sur le territoire national a augmenté facialement. Mécaniquement, l’absence de mise à jour des seuils de contrôle des concentrations a entrainé une diminution du niveau relatif des seuils de concentration et a contribué à une augmentation du nombre d’opérations notifiées auprès de l’Autorité de la concurrence. Entre 2010 et 2022, elles ont ainsi augmenté de près de 30 % sur l’ensemble du territoire national.
Face à un nombre croissant de notifications, plusieurs juridictions au sein de l’Union européenne ont procédé à un relèvement récent de leurs seuils de notification, comme l’Allemagne en 2021. En France, l’article 8 du projet de loi de simplification de la vie économique prévoit également un relèvement des seuils sur le territoire national. L’objectif affiché est de faire sortir du champ du contrôle 20 à 30 % des opérations aujourd’hui notifiées. En revanche, les seuils spécifiques aux outre-mer ne seraient pas modifiés.
Les seuils de notification prévus au III de l’article L. 430-2 du code de commerce et applicables aux départements et régions d’outre-mer et à certaines collectivités d’outre-mer ([83]), incluent un seuil local tous secteurs confondus (15 millions d’euros) et un seuil local spécifique au commerce de détail (5 millions d’euros).
Historique du seuil local spécifique au commerce de détail
Le seuil spécifique au commerce de détail en outre-mer a été créé en 2010, à la suite des recommandations de l’Autorité dans le cadre de son avis de 2009 ([84]) et initialement fixé à 7,5 millions d’euros.
En 2012, il a été abaissé à 5 millions d’euros, pour tenir compte du fait que « les chiffres d’affaires réalisés en outre-mer par le commerce de détail sont en moyenne inférieurs à ceux réalisés en [France hexagonale] » ([85]), et s’assurer ainsi que ces opérations n’échappent pas au contrôle de l’Autorité.
En pratique, le seuil spécifique de 5 millions d’euros pour le commerce de détail en outre-mer permet déjà à l’Autorité de la concurrence de contrôler de nombreuses opérations susceptibles de soulever des problèmes de concurrence, notamment dans le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire, comme en témoigne le tableau situé en annexe : « le seuil de 5 millions d’euros est suffisamment bas pour nous permettre de contrôler des opérations portant sur des cibles de tailles modestes telles qu’un supermarché ».
Depuis la création de l’Autorité de la concurrence en 2008, 80 décisions de contrôle des concentrations ont été rendues, dont 21 ont été assorties de conditions visant à remédier à des risques de concurrence identifiés par l’Autorité. Sur ces 80 décisions, 53 ont été rendues sur le fondement des seuils de chiffres d’affaires spécifiques aux DROM (seuil général de 15 millions d’euros et seuil applicable au commerce de détail de 5 millions d’euros).
ii. Sur le volet répression des concentrations : des dispositifs du droit de la concurrence visant à lutter contre les concentrations économiques excessives déjà constituées
Outre le contrôle des concentrations, l’Autorité de la concurrence dispose d’autres outils pour examiner des opérations de fusion/acquisition en outre-mer, y compris après leur réalisation et sans conditions liées au dépassement de seuils exprimés en chiffres d’affaires.
En effet, l’Autorité peut examiner une concentration sur le fondement des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce et 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui prohibent les ententes anticoncurrentielles et les abus de position dominante.
Les ententes anticoncurrentielles (articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE) désignent des accords expresses ou tacites ou des actions concertées ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, soit par exemple des accords de fixation de prix ou de répartition de marchés entre concurrents.
Les abus de position dominante (article L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE) prohibent le fait, pour une entreprise en position dominante sur un marché, d’abuser de sa position afin d’évincer des concurrents ou d’imposer des conditions inéquitables à des partenaires commerciaux, soit par exemple des refus de vente ou des conditions de vente discriminatoires.
Il convient de noter que les positions dominantes « ne sont pas sanctionnables en tant que telles, ce sont les abus de position dominante [qui peuvent l’être] » ([86]).
L’Autorité de la concurrence est compétente pour appliquer à la fois les dispositions du code de commerce et celle du TFUE qui font l’objet d’une application décentralisée par les autorités de concurrence nationales de l’UE. Si les dispositions européennes sont soumises à une condition d’affectation du commerce entre États membres qui n’est pas toujours remplie en outre-mer ([87]), les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce restent applicables et permettent à l’Autorité d’intervenir activement pour sanctionner les pratiques anticoncurrentielles en outre-mer, y compris lorsque celles-ci concernent des marchés locaux.
La faculté des autorités de concurrence de contrôler des opérations de concentrations au regard de l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles a été confirmée par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 mars 2023 ([88]). Cet instrument offre à l’Autorité une capacité d’action ciblée sur des opérations susceptibles d’être problématiques, notamment au regard de l’interdiction des ententes anticoncurrentielles.
À cet égard, une notification de griefs a été récemment adressée aux entreprises mises en cause par le rapporteur général de l’Autorité pour avoir conclu et mis en œuvre un accord ayant conduit à la constitution d’un monopole et à l’élimination totale de toute concurrence sur le marché du traitement et sur le marché connexe de la collecte et du transport des déchets d’activités de soins à risques infectieux (Dasri) dans l’un des départements et régions d’outre-mer ([89]).
Comme dans l’Hexagone, l’Autorité de la concurrence s’appuie sur le maillage territorial de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), qui exerce une veille au plus près du terrain et participe à la détection des infractions dans les DROM. L’Autorité peut ainsi s’appuyer sur les remontées d’indices et les rapports administratifs d’enquête des agents locaux de la DGCCRF, à savoir notamment les pôles « Concurrence, consommation, répression des fraudes et métrologie », dits « pôles C » des directions de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DEETS).
Ce cadre juridique a permis à l’Autorité d’intervenir régulièrement pour sanctionner des pratiques anticoncurrentielles en outre-mer. Depuis sa création en 2008, l’Autorité a ainsi rendu 45 décisions contentieuses pour un total de 217 millions d’euros d’amendes, dont :
– 162 millions d’euros à l’encontre d’auteurs de pratiques anticoncurrentielles (ententes et abus de position dominante) ;
– 53 millions d’euros à raison d’infractions procédurales (non-respect d’engagements, obstruction, réalisation anticipée d’une opération de concentration) ;
– 2,3 millions d’euros pour des accords exclusifs d’importation.
iii. L’injonction structurelle, un outil spécifique aux territoires ultramarins
En complément des pratiques anticoncurrentielles, l’Autorité de la concurrence dispose d’un pouvoir d’injonction structurelle spécifique aux DROM, prévu à l’article L. 752-27 du code de commerce.
En France hexagonale, le Conseil constitutionnel a considéré que le dispositif d’injonction structurelle initialement prévu par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ([90]) dans le secteur du commerce de détail en [France hexagonale], sur le modèle du dispositif existant en outre-mer, portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété et était par conséquent contraire à la Constitution ([91]).
Cette disposition permet à l’Autorité, à l’issue d’une procédure contradictoire, d’enjoindre à une entreprise ou un groupe d’entreprises exploitant des commerces de gros ou de détail, et qui détient une position dominante qui soulève des préoccupations de concurrence du fait de prix ou de marges élevés, de modifier, compléter ou résilier des accords, voire, si cela est strictement nécessaire, de céder des actifs.
Dans son avis de 2019 ([92]), l’Autorité avait constaté que ce dispositif, qui n’a encore jamais été utilisé, pourrait constituer un outil adapté pour la résolution de certaines situations en outre-mer. Elle avait toutefois observé que ses conditions d’application avaient été durcies par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ([93]), et a donc appelé à un assouplissement de ces conditions.
La loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole a modifié l’article L. 752-27 du code de commerce conformément à ces recommandations et a en outre étendu le dispositif ultramarin aux entreprises actives dans le commerce de gros. Le président de l’Autorité de la concurrence assure que « l’Autorité n’hésitera pas à y recourir si les conditions légales sont réunies » ([94]).
La mise en œuvre de cette disposition reste cependant soumise à un standard de preuve élevé et susceptible de recours.
iv. Les pratiques restrictives de concurrence, sanctionnées par la DGCCRF
Les pratiques restrictives de concurrence visées à l’article L. 442-1 du code de commerce constituent un outil utile et complémentaire au droit de la concurrence pour protéger les entreprises victimes de comportements abusifs de la part d’un partenaire commercial.
Les pratiques restrictives de concurrence ne relèvent pas de la compétence de l’Autorité de la concurrence mais du ministre de l’économie, par le biais de la DGCCRF.
Pour pallier la méconnaissance de cet outil protecteur des entreprises qui ne pèseraient pas assez, dans un rapport de force économique, pour pouvoir refuser des pratiques que leur imposerait abusivement leur partenaire commercial, votre rapporteure suggère que soient menées des campagnes de sensibilisation dans les DROM autour des pratiques restrictives de concurrence et du droit de la concurrence, comme le proposait également le rapport de la commission d’enquête vie chère. En ce sens, l’Autorité de la concurrence se dit « tout à fait disposée à participer à de telles actions en collaboration avec la DGCCRF » ([95]).
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Dans ce contexte, malgré l’ensemble des outils précités prévus par le droit de la concurrence, les degrés de concentration restent élevés en Outre-mer.
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B. Face à ces insuffisances, la proposition de loi vise à prendre des mesures d’urgence ambitieuses contre la vie chère pour une meilleure régulation de la concentration des acteurs économiques au sein des pays des océans afin de protéger les populations
1. Renforcer le rôle des observatoires des marges, des prix et des revenus (OPMR) et l’effectivité du bouclier qualité-prix (BQP)
a. Revaloriser le rôle et renforcer les moyens des OPMR
i. Substituer l’avis préalable à l’intégration directe des OPMR aux négociations BQP : une fausse bonne idée ?
S’agissant de la consultation pour avis de l’observatoire des prix, des marges et des revenus en amont des négociations, prévue à l’article L.410-5 du code de commerce, les présidents des observatoires estiment globalement qu’elle doit être maintenue, dans la mesure où elle permet de fixer un cadre aux négociations avant que celles-ci ne soient lancées sous l’égide du préfet territorialement compétent.
Prévoir un avis conforme ne leur parait pas pertinent : « plusieurs membres [de l’assemblée plénière de l’OPMR de Mayotte] s’interrogent sur la nature de cet avis conforme, en amont de négociations, qui par définition, supposent des évolutions » ([96]).
S’agissant de l’intégration directe des OPMR aux négociations BQP, l’idée initiale était de permettre aux OPMR de devenir pleinement parties prenantes des négociations du « bouclier qualité-prix » (BQP), pour qu’ils puissent y faire peser leur expertise. En effet, l’avis préalable que les OPMR fournissent en amont ne s’impose pas juridiquement aux parties prenantes lors des négociations.
Toutefois, il est apparu lors des auditions menées dans le cadre des travaux de cette proposition de loi, notamment avec les présidents des OPMR, qu’aucun consensus n’émerge pour que les OPMR soient intégrés aux négociations BQP.
Le président de l’OPMR de La Réunion estime ainsi qu’« il conviendrait désormais de régulariser cette participation sur le plan réglementaire pour conforter la légitimité de l’OPMR vis-à-vis des autres parties prenantes de la négociation prévus par la réglementation et la rendre obligatoire » ([97]) et celui des OPMR de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy assure qu’ « il serait souhaitable que le président de l’OPMR participe aux réunions de négociation comme observateur et signe les accords comme tiers de confiance sans être acteur de leur mise en oeuvre. Il est à noter que les signataires des accords actuels sont tous membres de l’OPMR » ([98]).
Toutefois, d’autres acteurs ne sont pas du même avis : « ne pas être intégré aux négociations et ne pas être partie prenante de l’accord permet à l’OPMR d’avoir une position neutre et de tiers de confiance » ([99]). En outre, la préfecture de Guadeloupe assure que « le Président de l’OPMR [Antilles-Guyane] a toujours indiqué son refus de signer l’accord, au regard de son indépendance statutaire, et afin de ne pas être juge et partie » ([100]).
De son côté, l’OPMR de Mayotte explique que « l’OPMR comprend des membres représentant des organismes qui se sentiraient en porte-à-faux avec les autres parties prenantes » ([101]) et que « la légitimité de l’OPMR tient à sa très grande diversité, et notamment la présence de représentants de la société civile : il doit garder un positionnement en surplomb, ce que ne permettrait pas le statut de partie prenante à un accord de modération » ([102]).
Par ailleurs, la préfecture de Martinique indique que, dans leur cas, « l’OPMR est systématiquement associé aux négociations annuelles, dans un échange qui rassemble ses membres, les services de l’État, les acteurs économiques et les associations de consommateurs. Le président de l’OPMR prend part quand il le souhaite aux négociations annuelles. Il a ainsi participé activement aux négociations du BQP+. Par ailleurs, le président de l’OMPR formule, en amont des négociations, un avis sur le dispositif de l’année écoulé et propose chaque année des recommandations pour améliorer le dispositif, qui sont reprises dans la mesure du possible » ([103]).
Non prévues par les textes, cette association spontanée et étroite de l’OPMR aux négociations ainsi que la prise en compte des conclusions de son avis préalable et de ses recommandations restent toutefois dépendantes de la bonne volonté des acteurs et des préfectures impliqués.
Votre rapporteure propose donc d’inscrire juridiquement cette association des OPMR territorialement aux négociations du BQP, tout en leur laissant la possibilité de ne pas en faire partie.
ii. Prévoir un découpage territorial plus fin et plus grande spécialisation des OPMR pour leur permettre de se rapprocher du terrain
« Le président des cinq OPMR des Antilles Guyane devrait consacrer 100% de son temps à cette activité si les missions devaient être toutes remplies et/ou étendues » ([104]).
Un seul et unique président d’OPMR s’occupe à la fois des territoires de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, en plus d’être président de section des chambres régionales des comptes.
Cette situation amène nécessairement à une distanciation par rapport à chaque territoire, la préfecture de Martinique reconnaissant par exemple que « pour la Martinique, l’éloignement du président de l’OMPR peut expliquer qu’il ne participe pas à l’ensemble des travaux ».
Ainsi, pour revaloriser les OPMR et leur permettre de mieux tenir compte de chaque territoire, votre rapporteure propose qu’un OPMR ne puisse pas s’occuper de plus de deux territoires ultramarins. C’est également ce que suggère le représentant de l’État en Martinique : « pour gagner en efficacité, le champ territorial de compétence de l’OPMR pourrait être révisé afin de permettre une plus grande granularité du travail réalisé et un contact plus régulier » ([105]).
iii. Revaloriser les moyens humains et financiers des OPMR
« Concernant les accords signés en Martinique, la mission de contrôle de la mise en oeuvre des accords notamment de l’évolution des prix et des marges pour plusieurs milliers de produits n’est pas possible avec les moyens actuels » ([106]).
L’OPMR de La Réunion préconise « la modification du Titre Ier A du livre IX relatif à l’observatoire des prix, des marges et des revenus dans les outre-mer pour renforcer ses prérogatives et lui permettre enfin de disposer des moyens juridiques de ses missions » ([107]).
Faut-il doter les OPMR de la personnalité morale ?
La préfecture de la Martinique alerte sur les inconvénients de donner aux OPMR une personnalité morale : « La création d’une entité nouvelle dotée d’une personnalité morale ne serait pas de nature à renforcer [l’]indépendance [fonctionnelle des OPMR], déjà garantie, mais pourrait entraîner un fonctionnement « en silo », alors que la complémentarité avec les services de l’État et ses techniciens favorise la cohérence du travail réalisé » ([108]).
Faut-il confier des pouvoirs d’enquête aux OPMR ?
« Outre son président, les membres de l’OPMR sont des représentants des consommateurs mais aussi des entreprises et secteurs clés pour les prix et les marges (distribution). La possibilité de leur conférer des pouvoirs d’enquête et de sanctions pourrait, de ce fait, être source de conflits d’intérêts. Par ailleurs, il ne parait pas possible de confier des missions d’enquêtes à du personnel non formé en la matière », estime la préfecture de Guadeloupe.
En revanche, « il pourrait cependant être utile que l’OPMR soit doté d’effectifs pour des missions de relevés de prix » ([109]).
Votre rapporteure propose d’octroyer aux observatoires des prix, des marges et des revenus des pouvoirs d’injonction et de lui confier les moyens humains nécessaires pour effectuer notamment sa mission de relevé de prix et de contrôle des marges.
Votre rapporteure recommande également, pour éviter que l’État ne soit juge et partie, que le secrétariat de l’OPMR ne soit plus assuré par la préfecture mais par un équivalent temps plein (ETP) dédié.
Par ailleurs, la présidente de l’OPMR de Saint-Pierre-et-Miquelon estime qu’il serait « pertinent d’être en mesure d’obtenir des crédits exceptionnels lorsqu’une étude plus importante se justifie » ([110]).
b. Renforcer le dispositif du bouclier qualité-prix
i. Rendre les accords de modération des prix plus exigeants
« Le constat est connu : les accords de modération reposent sur la volonté des parties, sans portée contraignante. L’absence de mise en œuvre des stipulations réduit la portée utile d’un accord de modération », déclare l’OPMR de Mayotte ([111]).
Au regard de l’impact réduit du bouclier qualité-prix sur le phénomène de vie chère dans les Pays des océans, votre rapporteure propose de rendre le dispositif du bouclier qualité-prix plus exigeant.
Dans cette optique, la proposition de loi propose de substituer à l’objectif de modération celui d’une réduction des prix sur les familles de produits de première nécessité. Elle vise également à rehausser les ambitions des accords BQP, qui devront désormais tendre à ce qu’il garantisse des « prix équivalents à ceux pratiqués en moyenne dans l’Hexagone ».
ii. Élargir le nombre de produits au sein des dispositifs BQP
Tout d’abord, votre rapporteure propose d’élargir le champ des négociations BQP à d’autres secteurs également concernés par la vie chère, comme ceux de la téléphonie, de la parapharmacie ou encore des pièces détachées.
Ensuite, votre rapporteure suggère que le BQP intègre davantage de produits de « marques de distributeurs », dits « MDD », dans la mesure où ces produits sont généralement vendus à des prix inférieurs à ceux des marques nationales. « En Hexagone, les MDD sont en moyenne 30 % moins chères que les marques nationales. Ils ont gagné d’importantes parts de marché. Dans les outre-mer, les MDD ne se développent pas aussi bien que sur le territoire hexagonal » ([112]).
Enfin, votre rapporteure suggère d’inscrire dans la loi la possibilité pour les produits issus des industriels locaux d’intégrer les négociations BQP, leur permettant ainsi de trouver de nouveaux débouchés.
iii. Mettre en place une stratégie de « name and shame » pour les acteurs refusant de participer aux négociations BQP
Dans la mesure où le BQP reste un dispositif conventionnel, il convient d’exercer une pression pour que les parties prenantes, et notamment les acteurs de la grande distribution, s’efforcent de participer à cette réduction de prix.
Ainsi votre rapporteure propose de mettre en œuvre une stratégie de « name and shame », c’est-à-dire à exposer publiquement les comportements nuisibles des acteurs économiques se retirant des négociations.
iv. Mettre en œuvre un dispositif de comparaison des prix à destination des populations ultramarines
Des projets de création de dispositifs de comparatif de prix ont été lancés dans plusieurs territoires ultramarins.
Ainsi, en Martinique, « en application de l’article 24 du protocole, prévoyant le soutien à un dispositif de comparaison des prix, 190 000 euros d’autorisations d’engagement sont délégués ce jour pour appuyer l’appel à manifestation d’intérêt qui s’apprête à être lancé, le cahier des charges étant stabilisé » ([113]).
En Guadeloupe, « en juillet 2024, l’État et la Région Guadeloupe ont attribué à l’UACAZ (Union des associations de consommateurs agréées de ZOBAN, regroupant quatre associations que sont la CLCV, l’UDCSFG, la CNL et l’UDAF) un budget de 200 000 euros, permettant de financer la création du site web et de l’application abritant le comparateur de prix, ainsi que le fonctionnement pour sa mise en place. » ([114])
L’application « Kiprix », dont les données sont en open data, permet de premières comparaisons entre les prix pratiqués dans certains territoires ultramarins et ceux pratiqués dans l’Hexagone.
Or, le groupe Wane explique que « le risque du mécanisme de l’encadrement des prix et du régime des produits de première nécessité (PPN) est que la plupart des acteurs du commerce de détail font de la péréquation, en compensant la perte de marge qu’ils comptabilisent sur ces familles de produits par une augmentation de leur marge sur les autres familles de produits. S’agissant de [leurs] magasins, et notamment des hypermarchés, [le groupe WANE a] fait le choix de ne pas répercuter ces pertes de marge sur les autres familles de produits (dont les marges sont libres). » ([115])
Votre rapporteure propose ainsi d’adosser le dispositif du bouclier qualité‑prix à un dispositif de comparateur des prix pour assurer une information claire auprès des consommateurs ultramarins.
c. Prévoir des sanctions pour donner une pleine effectivité au BQP
« Sous réserve d’une analyse juridique approfondie, une révision du cadre législatif prévoyant des mesures impératives et un mécanisme de sanction pourrait renforcer les accords de modération, dans le sens d’un meilleur suivi et d’une plus grande effectivité » déclare l’OPMR de Mayotte ([116]).
i. Sanctionner l’indisponibilité récurrente des produits BQP en prévoyant un taux maximum d’indisponibilité admissible des produits BQP fixé par décret
Dans le dispositif du bouclier qualité-prix, « la notion de qualité couvre, au‑delà de la qualité nutritionnelle et la gamme des produits d’un accord de modération, la fiabilité et la continuité du dispositif via l’approvisionnement des références » ([117]).
Dans ce cadre, l’OPMR de Mayotte propose que l’accord BQP prévoit un taux maximum d’indisponibilité admissible des produits concernés.
Le groupe Safo indique que les groupes sont déjà « réglementairement contraints d’assurer la disponibilité des produits BQP » ([118]), avec une substitution admise en cas de rupture, et qu’ils n’ont pas intérêt à ce que ces indisponibilités soient récurrentes : « un client non servi est un client mécontent » ([119]).
Le groupe assure que ces ruptures d’approvisionnement ne seraient pas de leur responsabilité : « Compte tenu de notre éloignement, le délai moyen d’approvisionnement des produits à température ambiante est d’environ 10 semaines, sauf éléments non prévus (avarie navire, grève au niveau national ou local…). Les causes des ruptures sont très majoritairement étrangères aux magasins. » ([120]) .
ii. Un outil sanctionnant le non-respect du prix global qui serait fixé unilatéralement par le préfet en cas d’échec des négociations du BQP
En cas d’échec des négociations au-delà d’un délai d’un mois et de reprise en main de la fixation du prix global de la liste de produits de consommation courante, « il n’existe pas de sanction en cas de non-respect de ce prix fixé unilatéralement » ([121]) déclare la préfecture de Martinique.
En ce sens, votre rapporteure estime qu’il conviendrait de combler ce vide juridique pour donner toute son effectivité à la disposition prévue au II de l’article L. 410-5 du code de commerce.
2. La nécessité d’assurer une transparence sur la constitution des prix, notamment s’agissant des marges des grands distributeurs
a. Sanctionner plus durement le non-respect de l’obligation de publication des comptes
Compte tenu du non-respect persistant de l’obligation de publication des comptes au sein des territoires ultramarins, votre rapporteure appelle à sanctionner plus strictement ce non-respect de la loi assumé : les distributeurs qui ne déposent pas leurs comptes au greffe assument ouvertement ne pas se plier aux obligations légales.
Votre rapporteure reste toutefois attentive à ce que ce durcissement des sanctions ne conduise pas à mettre des plus petites entreprises en difficulté économique.
Ainsi, tout en laissant une liberté d’appréciation au juge, votre rapporteure propose une rédaction globale de l’article 2 sanctionnant plus durement le non-respect de l’obligation de publication des comptes, en prévoyant que le président du tribunal de commerce adresse aux sociétés concernées une injonction sous astreinte, dont le montant ne peut être inférieur à 1 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes réalisé par la société, au titre de cette activité, à l’échelle mondiale ou le cas échéant en France.
b. Instaurer une transparence sur la constitution des prix et des marges arrière
Il apparaît essentiel de garantir une plus grande transparence sur la formation des prix. L’OPMR de Saint-Pierre-et-Miquelon note à cet égard qu’« une étude sur la structuration des prix est en cours de finalisation » ([122]).
Compte tenu de l’opacité constatée sur les marges des acteurs économiques de la grande distribution alimentaire, et notamment concernant les marges arrière, votre rapporteure appelle à une plus grande transparence sur ce phénomène et à ce que des études approfondies soient menées pour définir juridiquement ce concept recouvrant des réalités plurielles.
La publication des comptes des entreprises, suite au renforcement des sanctions en cas de non-respect de l’obligation de publication, devrait permettre d’obtenir plus de transparence sur la réalité des marges des acteurs économiques, et notamment sur les marges arrière.
L’OPMR de La Réunion préconise quant à lui « le remplacement des marges arrière, à savoir les remises différées versées par le fournisseur en contrepartie des accords de coopération commerciale et des remises de fin d’année (RFA), par des remises sur facture en raison de leur opacité d’une part, avec les montants réellement perçus et les flux financiers pour une meilleure lisibilité des comptes, et de leur effet inflationniste sur les prix d’autre part dans la mesure où elles ne sont que partiellement répercutées sur le prix de vente au consommateur final (prix promo vs fond de rayon) mais systématiquement répercutées par le fournisseur dans le calcul de son prix de vente au distributeur » ([123]).
3. Encadrer et limiter les concentrations économiques de manière plus ambitieuse
a. Généraliser le seuil de notifications des concentrations économiques à 5 millions d’euros de chiffre d’affaires à l’ensemble des domaines d’activité économique au sein des outre-mer
Au regard du degré de concentration restant élevé au sein des territoires ultramarins et du fait que le coût de la vie demeure particulièrement élevé, votre rapporteure estime que les seuils relatifs aux territoires ultramarins ne doivent pas être relevés, mais au contraire être abaissés et alignés sur le seuil de local actuellement spécifique au commerce de détail, afin que les opérations de concentration qui affectent structurellement ces marchés restreints n’échappent pas au contrôle de l’Autorité de la concurrence.
C’est ainsi ce que prévoit le 1° de l’article 3 de la proposition de loi, en proposant de généraliser à l’ensemble des secteurs d’activité l’abaissement du seuil de notification des concentrations à 5 millions de chiffre d’affaires pour les activités réalisées dans les territoires ultramarins.
Lors de son audition, le président de l’Autorité de la concurrence a fait part de ses réticences : « l’extension du seuil de 5 millions d’euros à tous les domaines de l’économie ultramarine ne nous semble pas opportune car elle engendrerait un afflux important de notifications d’opérations en grande majorité non problématiques, ce qui augmenterait la charge administrative pour nos services et diminuerait notre réactivité et nos ressources dédiées aux dossiers soulevant de véritables problèmes de concurrence. » ([124])
L’Autorité met également en garde contre l’application rétroactive d’un abaissement des seuils de notification « compte tenu des nombreuses difficultés et risques juridiques qu’une telle mesure soulèverait, notamment au regard des principes de sécurité juridique reconnu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et du principe de liberté d’entreprendre et du droit de propriété tels qu’interprétés par le Conseil constitutionnel.
« À titre d’illustration, dans un arrêt du 3 septembre 2024 ([125]), la CJUE a censuré, sur le fondement du principe de sécurité juridique des entreprises, le fait, pour les autorités de concurrence nationales de l’UE, de s’appuyer sur une disposition existante du règlement de l’Union européenne sur le contrôle des concentrations ([126]) pour soumettre au contrôle de la Commission européenne des opérations de concentration n’ayant pas dépassé les seuils de notifications nationaux exprimés en chiffre d’affaires » ([127]).
La liberté d’entreprendre, un principe à valeur constitutionnelle
La liberté d’entreprendre est un principe général à valeur constitutionnelle qui découle de l’article 4 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ([128]).
Par la décision QPC du 30 novembre 2012 ([129]), le Conseil constitutionnel consacre la double portée de la liberté d’entreprendre, qui comprend « non seulement la liberté d’accéder à une profession ou à une activité économique mais également la liberté dans l’exercice de cette profession ou de cette activité ».
Il est toutefois loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ([130]).
b. Renforcer les moyens de la DGCCRF et de l’Autorité de la concurrence pour qu’elle puisse assurer un contrôle des concentrations en Outre-mer
« Une manière concrète et efficace d’améliorer les capacités d’intervention de l’Autorité de la concurrence en outre-mer serait d’augmenter les moyens de la DGCCRF, avec laquelle l’Autorité travaille étroitement et qui joue un rôle essentiel dans la détection des pratiques anticoncurrentielles. L’augmentation des moyens de l’Autorité permettrait également d’améliorer la sanction des pratiques anticoncurrentielles en outre-mer » ([131]).
Faut-il doter l’Autorité de la concurrence d’un pouvoir d’évocation ?
Un autre axe de réflexion pour agir sur les concentrations suggéré par l’Autorité de la concurrence lors de son audition serait de la doter d’un pouvoir d’évocation lui permettant de contrôler, sous certaines conditions, une opération de concentration potentiellement problématique qui n’a pas dépassé les seuils de chiffres d’affaires et qui n’a donc pas fait l’objet d’une notification obligatoire.
c. Prévoir un seuil spécifique aux territoires ultramarins s’agissant des autorisations d’exploitation commerciale (AEC).
Compte tenu des degrés de concentration persistant au sein des Pays des océans, le 2 ° de l’article 3 de la proposition de loi propose de fixer, comme c’est le cas en Polynésie française, le seuil de surface de vente au-delà duquel un projet est soumis à une autorisation d’exploitation commerciale dans les territoires ultramarins à 300 mètres carrés, au lieu de 1 000 mètres carrés actuellement.
Article adopté avec modifications
L’article 1er propose de rendre plus effectif et ambitieux le « bouclier qualité-prix » (BQP), afin de rapprocher, au sein des collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution, les prix des biens de première nécessité et de consommation courante proposés dans le cadre du BQP de ceux pratiqués en moyenne en France hexagonale.
En abrogeant notamment l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix, l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence pose comme principe général la liberté des prix, codifiée à l’article L. 410-2 du code de commerce, sauf dans les cas où la loi en dispose autrement.
Le premier alinéa de l’article L. 410-2 du code de commerce dispose ainsi que les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence – à l’exception des cas où la loi en dispose autrement.
Tempérant ce principe, le deuxième alinéa de l’article L. 410-2 du code de commerce prévoit que, « dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison, soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’État peut réglementer les prix après consultation de l’Autorité de la concurrence ».
En application de l’alinéa précité, l’article 1er de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (Lodeom) disposait ainsi qu’un décret en Conseil d’État pouvait réglementer, après consultation de l’Autorité de la concurrence et en conformité avec l’actuel article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ([132]), le prix de vente, dans toutes les collectivités territoriales d’outre-mer pour lesquelles l’État a compétence en matière de règlementation des prix, de produits ou de familles de produits de première nécessité qu’il détermine pour chaque collectivité territoriale d’outre-mer en fonction de ses particularités.
Or, l’article 15 de loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique Outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux Outre-mer, dite « loi Lurel », a, d’une part, abrogé l’article précité et proposé une nouvelle rédaction avec l’article L. 410-4 du code de commerce et, d’autre part, a créé un article L. 410-5 instaurant un « bouclier qualité-prix » au sein de certains territoires ultramarins.
L’article L. 410-4 du code de commerce donne la possibilité au Gouvernement de réglementer, après avis public de l’Autorité de la concurrence et par décret en Conseil d’État, le prix de vente de produits ou de familles de produits de première nécessité.
Dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Mayotte et Réunion) ainsi que dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna ([133]), l’article L. 410-5 du code de commerce prévoit quant à lui qu’une négociation se tiendra chaque année, dans le cadre des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) territorialement compétents, en vue de la conclusion d’un accord de modération du prix d’une liste de produits de consommation courante.
En cas d’échec des négociations ([134]), le II de l’article prévoit que le préfet arrête les modalités d’encadrement du prix des produits concernés par cette liste, sur la base des négociations et des prix les plus bas pratiqués dans le secteur économique concerné (dans les différentes enseignes pour chacun de ces produits).
L’article L. 410-5 a ainsi consacré l’existence, le fonctionnement et les missions des OPMR dans le code du commerce au titre Ier A du livre IX ([135]). La loi Lurel a également étendu les missions des OPMR aux marges et les a chargés de rendre au représentant de l’État un avis public préalable à l’ouverture des négociations annuelles dans le cadre des accords annuels de modération de prix de produits de grande consommation, dit « bouclier qualité-prix ».
D’abord, cet article prévoit que l’accord issu des négociations ne vise pas seulement une modération, mais bien une réduction du prix global d’une liste de produits. L’ambition est en effet rehaussée : les accords issus des négociations BQP devront garantir, pour chaque famille de produits, des prix équivalents à ceux pratiqués en moyenne dans la France hexagonale.
En outre, le champ de l’accord issu des négociations est également élargi aux prix de vente des produits ou des familles de produits de première nécessité, et plus seulement aux seuls produits de consommation courante. Dans ce cadre, l’accord issu des négociations portera sur la réduction du prix global d’une liste de produits qui ne sera plus « limitative ».
Par ailleurs, cet article propose de revaloriser le rôle des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), en les rendant pleinement parties prenantes aux négociations annuelles sur les prix, qui réunissent à ce stade le représentant de l’État, les organisations professionnelles du secteur du commerce de détail et leurs fournisseurs, les entreprises de fret maritime et les transitaires. Ainsi, alors qu’en l’état du droit actuel, les OPMR territorialement compétents publient un avis simple en amont des négociations, l’article 1er prévoit de supprimer cet avis préalable et d’intégrer directement les OPMR au processus de négociation du BQP. Ces acteurs locaux pourront ainsi peser sur le résultat des négociations qui définissent in fine certains prix payés par les populations ultramarines concernées.
En l’absence d’accord un mois après l’ouverture des négociations, le préfet territorialement compétent devra arrêter, non seulement le prix global des produits figurant sur la liste des produits de consommation courante, mais également les prix de vente des produits ou des familles de produits de première nécessité, sur la base des négociations préalables et sur celle des prix les plus bas pratiqués, en France hexagonale, dans le secteur économique concerné.
Enfin, le dernier alinéa de cet article prévoit une correction légistique : l’article L. 113-3, mentionné au III de l’article L. 410-5, a été abrogé par l’ordonnance n°2 016-301 du 14 mars 2016. Cet alinéa propose donc de le remplacer par une référence à l’article L. 112-1, également relatif aux modalités d’affichage du prix des produits.
Le dispositif proposé s’appuie sur celui mis en place en Polynésie française : aux termes de la loi du pays n° 2022-44 du 19 décembre 2022, les produits de première nécessité (produits ou services nécessaires à la vie courante des ménages ou à la santé des personnes, ou encore à la lutte contre une calamité naturelle) et les produits de grande consommation (produits ou services habituellement utilisés dans la vie courante et destinés aux ménages) sont identifiés dans une liste réglementaire et se caractérisent par l’encadrement de leur prix :
– soit par la fixation d’un prix plafond (exemple : la baguette à 60 francs CFP) ;
– soit en réglementant la marge maximale en valeur absolue.
La commission des affaires économiques a adopté l’amendement CE48 de votre rapporteure, identique à l’amendement CE29, ainsi que l’amendement CE47 de votre rapporteure, identique à l’amendement CE28, qui suppriment respectivement les alinéas 3 et 4 de l’article premier.
En effet, lors des auditions menées dans le cadre des travaux préparatoires à l’examen de la présente proposition de loi, aucun consensus n’a émergé pour que les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) soient intégrés aux négociations du « bouclier qualité-prix » (BQP). En outre, les présidents des OPMR ont estimé nécessaire de conserver l’avis public qu’ils fournissent en préalable des négociations du bouclier qualité-prix. Ces amendements permettent donc à ce que l’état du droit sur la participation des OPMR aux négociations du bouclier-qualité-prix reste donc inchangé pour que ces observatoires puissent conserver une position neutre et de tiers de confiance.
La commission a également adopté l’amendement CE19, avec un avis favorable de votre rapporteure, qui prévoit, en préalable des négociations BQP et en complément de l’avis fourni par les OPMR, un avis des représentants de professionnels de la nutrition et de la santé.
L’amendement CE12 a été adopté avec avis favorable de votre rapporteure : il affine la réaction de l’alinéa 7 en substituant aux mots : « des prix équivalents à ceux pratiqués en Hexagone ».
La commission a également adopté l’amendement rédactionnel CE46 de votre rapporteure, qui substitue au mot « Hexagone » les mots « France hexagonale ».
L’amendement CE15 a été adopté avec avis favorable de votre rapporteure, après l’adoption de son sous-amendement CE49 : il vise à ce que l’objectif de garantir pour chaque famille de produits, des prix équivalents aux prix moyens annuels de vente dans l’Hexagone dans le cadre des négociations de l’accord de modération du BQP, tienne compte des produits issus de la production locale, pour éviter de mettre en péril ces filières.
La commission a aussi adopté l’amendement CE35 de votre rapporteure, qui complète l’alinéa 7 et prévoit que les négociations intègrent les associations de consommateurs ou toute association que le préfet jugerait utile.
L’amendement CE31 de votre rapporteure a également été adopté : ayant la vocation d’élargir le dispositif du BQP, il prévoit que le représentant de l’État pourra désormais décider d’intégrer tout autre secteur permettant de réduire le prix de produits de consommation courante, tels que les secteurs de la téléphonie, de la parapharmacie ou des pièces détachées. Il pourra également décider que soient garanties une part de produits vendus sous marque de distributeur et une part de produits issus de l’industrie locale.
La commission a aussi adopté l’amendement CE39 de votre rapporteure, qui propose que le préfet territorialement compétent se fixe comme objectif d’adosser à l’accord BQP un dispositif de comparateur de prix rendu accessible aux populations
L’amendement CE18 a été adopté avec avis favorable de votre rapporteure, après l’adoption de son sous-amendement CE41 qui prévoit que le représentant de l’État arrête, à l’issue des négociations BQP, la liste des enseignes participant au dispositif.
La commission a également adopté l’amendement de précision légistique CE42 de votre rapporteure.
L’amendement CE1 a été adopté avec avis favorable de votre rapporteure, après l’adoption de son sous-amendement CE43. Il vise à ce que le prix global de la liste issue des négociations du BQP soit affiché de manière lisible et visible à l’entrée des surfaces de vente par le moyen d’un support d’une superficie au moins égale à un mètre carré. Il prévoit également que, pour chacun des produits exposés à la vente au détail, un balisage d’identification soit apposé de manière permanente à proximité immédiate de celui-ci.
La commission des affaires économiques a adopté l’amendement CE40 de votre rapporteure : il vise à créer des « corners BQP », c’est-à-dire à ce que les produits concernés par les négociations BQP soient présentés de façon visible et rassemblés dans un espace commun dans chaque grande catégorie de rayons de magasins concernés.
L’amendement CE17, adopté avec avis favorable de votre rapporteure, confie aux agents mentionnés au II de l’article L. 450-1 du code de commerce la charge de veiller à la disponibilité et à la qualité des produits issus des négociations BQP.
La commission a adopté l’amendement CE37 de votre rapporteure, qui prévoit, dans une logique de « name and shame », que le fait, pour une entreprise de sortir de l’accord mentionné au I, fait l’objet d’une mesure de publicité par voie de presse, par voie électronique et par voie d’affichage à la charge de l’entreprise concernée pour une durée de six mois.
L’amendement CE33 de votre rapporteure a également été adopté par la commission. Il prévoit que l’État se fixe pour objectif de renforcer les moyens humains, financiers et juridiques des observatoires des prix, des marges et des revenus.
La commission a adopté l’amendement CE32 de votre rapporteure qui prévoit que le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er octobre de chaque année, un rapport évaluant les effets du présent article sur la fixation des prix des produits concernés par l’accord de réduction des prix afin d’analyser les taux de marge réalisés sur ces produits par l’ensemble des acteurs impliqués. Ce rapport analyse également le niveau de consommation des produits concernés et les économies réalisées par ménage. Il détermine, le cas échéant, les évolutions à apporter par territoire. Ce rapport précise enfin, le cas échéant, la part des marges arrière pratiquée sur les produits de consommation faisant l’objet d’un accord de réduction des prix. Cet amendement prévoit également que l’observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires et l’OPMR soient associés à l’élaboration de ce rapport annuel d’évaluation.
L’amendement CE36 de votre rapporteure a aussi été adopté. Il prévoit que l’ensemble des opérations d’achats relatives aux produits concernés par l’accord BQP fasse l’objet d’un transfert automatique de données de la part du distributeur vers la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui assure le respect dudit accord.
Enfin, la commission a adopté l’amendement CE38 de votre rapporteure, qui donne la possibilité à chaque OPMR d’établir un règlement intérieur qui précise et complète ses règles de fonctionnement, notamment à la demande du président de l’OPMR de Mayotte.
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Article adopté avec modifications
L’article 2 a pour objectif de renforcer les sanctions envers les sociétés qui ne respectent pas l’obligation légale de publication de leurs comptes.
Conformément aux dispositions des articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce, les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions sont « tenues de déposer au greffe du tribunal, pour être annexés au registre du commerce et des sociétés », d’une part les comptes annuels et, le cas échéant, les comptes consolidés, le rapport sur la gestion du groupe et les rapports des commissaires aux comptes sur les comptes annuels et les comptes consolidés, et d’autre part, la proposition d’affectation du résultat soumis à l’assemblée et la résolution d’affectation votée ou la décision d’affectation prise.
Le dépôt des comptes mentionnés précédemment doit être effectué dans le mois suivant l’approbation des comptes annuels par l’assemblée des associés ou des actionnaires ou, lorsque ce dépôt est effectué par voie électronique, dans les deux mois suivant cette approbation.
Le fait de ne pas satisfaire à cette obligation de dépôt est puni de l’amende prévue par le 5° de l’article 131-13 du code pénal pour les contraventions de la cinquième classe, soit 1 500 euros.
En vertu des articles L. 123-5-1, L.123-5-2 et du II de l’article L. 611-2 du code de commerce, le président du tribunal de commerce peut, à son initiative ou à la demande de tout intéressé ou du ministère public, enjoindre sous astreinte au dirigeant de la société commerciale de procéder au dépôt de ses comptes.
D’abord, l’article L.123-5-1 du même code donne la possibilité au président du tribunal d’adresser, en statuant en référé, une injonction sous astreinte au dirigeant de toute personne morale afin qu’il soit procédé à bref délai au dépôt des pièces et des actes au registre du commerce et des sociétés.
Ensuite, l’article L. 123-5-2 dudit code vise plus précisément les dirigeants d’une société commerciale transformant des produits agricoles, commercialisant des produits alimentaires, exploitant, directement ou indirectement, un ou plusieurs magasins de commerce de détail de produits de grande consommation ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale de référencement ou d’achat d’entreprises de commerce de détail. Cet article donne également la possibilité au président du tribunal de commerce d’enjoindre à toute société concernée qui n’aurait pas procédé au dépôt des comptes dans les conditions et délais prévus aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du même code de le faire. Le montant de l’astreinte est encadré dans ce cas : il ne peut dépasser 2 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes réalisé en France par la société au titre de cette activité, par jour de retard à compter de la date fixée par l’injonction.
L’article 8 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 a supprimé les dispositions prévues en ce sens au sixième alinéa de l’article L. 682-1 du code rural et de la pêche maritime et l’a remplacé par l’insertion, dans le code de commerce, de l’article L. 123‑5‑2 précité, qui consacre trois changements :
– la possibilité, pour le président du tribunal de commerce, d’enjoindre sous astreinte aux sociétés commerciales du secteur agroalimentaire de déposer leurs comptes n’est plus conditionnée par une demande du président de l’observatoire en ce sens ;
– l’obligation faite au greffier d’informer le président du tribunal de commerce en cas de non-dépôt des comptes est étendue aux sociétés commerciales du secteur agroalimentaire ;
– les obligations sont étendues aux centrales d’achat ou de référencement.
Enfin, le II de l’article L. 611-2 dudit code prévoit également que le juge puisse adresser une injonction sous astreinte aux dirigeants d’une société commerciale qui ne procèdent pas au dépôt des comptes annuels dans les délais prévus par les textes applicables, le cas échéant sur demande du président de l’un des observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) mentionnés à l’article L. 910-1 A du même code. Il dispose également que, si cette injonction n’est pas suivie d’effet dans un délai fixé par décret en Conseil d’État, le président du tribunal peut également faire application à leur égard des dispositions du deuxième alinéa du I : il peut ainsi obtenir communication, par les commissaires aux comptes, les membres du comité social et économique, les administrations publiques, les organismes de sécurité et de prévoyance sociales, ainsi que les services chargés de la centralisation des risques bancaires et des incidents de paiement, des renseignements de nature à lui donner une exacte information sur la situation économique et financière du débiteur.
Enfin, le troisième alinéa du II dispose que les dispositions du II sont applicables dans les mêmes conditions à tout entrepreneur individuel à responsabilité limitée qui ne procède pas au dépôt des comptes annuels ou documents mentionnés au premier alinéa de l’article L. 526-14 du même code, lorsque l’activité professionnelle à laquelle le patrimoine est affecté est commerciale ou artisanale.
En pratique, l’obligation de dépôt des comptes au greffe est peu respectée dans les territoires ultramarins.
Les distributeurs assument publiquement ne pas respecter la loi et justifient ce non-respect par le caractère restreint des marchés ultramarins. Ils prétendent que la publication de leurs comptes leur ferait subir un désavantage comparatif notoire vis-à-vis de leurs concurrents qui font également le choix de pas respecter cette obligation : ils refusent de rendre publiques des informations sensibles et importantes sur le fonctionnement et les stratégies de leurs groupes respectifs.
Or, malgré ce non-respect assumé des obligations légales, les différents dispositifs d’astreinte prévus par la loi restent rarement mis en œuvre.
Cette situation, en plus de créer une distorsion de concurrence vis-à-vis des entreprises vertueuses, contribue à opacifier les pratiques sur ce marché et à créer de la défiance vis-à-vis de ces grands groupes. Ainsi, le secteur de la grande distribution en Outre‑mer se caractérise par une grande opacité, notamment sur les mécanismes de formation des prix, dont le caractère outrancier est pointé du doigt par les populations ultramarines qui subissent la vie chère au quotidien.
Ainsi, pour des questions de transparence de la vie économique, d’égalité devant la loi et de bonne application de la loi, l’article 2 de la proposition de loi prévoit de renforcer l’effectivité de l’obligation de publication des comptes des sociétés commerciales, en rendant plus dissuasives les sanctions en cas de non‑respect, en modifiant et en complétant les articles L. 123-5-2 et L. 611-2 du code du commerce.
D’abord, cet article impose au président du tribunal de commerce d’adresser une injonction sous astreinte à toute société commerciale, visée par l’article, qui ne procèderait pas au dépôt des comptes dans les conditions et délais prévus aux articles L. 2332-21 à L. 232-23 du même code.
Ensuite, cet article fige le montant de l’astreinte appliquée à 1 % du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé par l’entreprise ou par le groupe de sociétés.
La rédaction de l’article précise que le chiffre d’affaires pris en compte est, le cas échéant, celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise concernée. Elle ne précise toutefois pas de période pour l’application de ces astreintes.
La commission des affaires économiques a adopté l’amendement CE44 de votre rapporteure, qui réécrit globalement l’article 2.
La nouvelle rédaction permet d’ajuster les formulations initiales en prévoyant un régime dérogatoire réservé aux collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna.
Ainsi, s’agissant de l’article L. 611-2 du code de commerce, dans les territoires concernés, lorsque les dirigeants d’une société commerciale ne procèdent pas au dépôt de leurs comptes annuels dans les conditions et délais prévus aux articles L. 232‑21 à L. 232‑23, le président du tribunal de commerce devra adresser à cette société une injonction de le faire à bref délai sous astreinte, par jour de retard à compter de la date fixée par l’injonction.
Le montant de cette astreinte ne pourra être inférieur à 1 % du chiffre d’affaires journalier moyen hors taxes réalisé par la société, au titre de cette activité, à l’échelle mondiale ou le cas échéant en France, au cours du dernier exercice clos de la personne morale contrôlée, sauf décision spécialement motivée en considération de la gravité des manquements constatés et de la taille et des moyens de la société.
De plus, si l’injonction est adressée à une personne morale dont les comptes ont été consolidés ou combinés, le chiffre d’affaires pris en compte sera celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de la personne morale consolidante ou combinante.
L’amendement précise également que l’injonction précise le montant de l’astreinte journalière encourue et que l’astreinte journalière court à compter du jour suivant l’expiration du délai imparti au professionnel pour déférer à l’injonction.
Il est également prévu qu’en cas d’inexécution totale ou partielle ou d’exécution tardive, l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation pourra procéder, dans les conditions prévues à l’article L. 522‑5, à la liquidation de l’astreinte, et qu’elle tiendra compte, pour déterminer le montant total de l’astreinte liquidée, des circonstances de l’espèce.
En outre, s’agissant de l’article L. 125-5-2, les mêmes dispositions s’appliqueraient lorsque, dans les territoires concernés, les dirigeants d’une société commerciale transformant des produits agricoles, commercialisant des produits alimentaires, exploitant, directement ou indirectement, un ou plusieurs magasins de commerce de détail de produits de grande consommation ou intervenant dans le secteur de la distribution comme centrale de référencement ou d’achat d’entreprises de commerce de détail ne procèdent pas au dépôt des comptes annuels dans les conditions et délais prévus aux articles L. 232‑2.
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Article adopté avec modifications
L’article 3 a pour objectif d’élargir à l’ensemble des domaines d’activité économique le seuil spécifique de notification des concentrations de 5 millions d’euros, d’ores et déjà applicable dans le secteur du commerce de détail lorsque au moins une des parties à la concentration exerce tout ou partie de son activité dans un ou plusieurs départements d’outre-mer, dans le département de Mayotte, dans les îles Wallis et Futuna ou dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
L’article L. 430-1 du code de commerce défini les opérations de concentration telles que :
– d’une part, deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ;
– d’autre part, lorsqu’une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d’une entreprise ou lorsqu’une ou plusieurs entreprises acquièrent, directement ou indirectement, le contrôle de l’ensemble ou de parties d’une ou plusieurs autres entreprises.
En somme, les concentrations couvrent les opérations entrainant un changement durable du contrôle des entreprises concernées et donc de la structure du marché. Elles peuvent prendre différentes formes : fusion d’entreprises antérieurement indépendantes, prise de contrôle d’une entreprise par une autre entreprise, création par deux sociétés persistantes d’une entreprise commune.
L’Autorité de la concurrence, en tant qu’autorité administrative indépendante, est tenue d’examiner toute opération de concentration, avant leur réalisation, dès lors que sont dépassés certains seuils exprimés en chiffres d’affaires et définis à l’article L. 430-2 du code de commerce.
L’Autorité de la concurrence a l’obligation de se prononcer dans un délai contraint fixé par la loi, prévu aux articles L. 430-5 à L. 430-7 du code de commerce, afin de ne pas ralentir plus que nécessaire les activités économiques des entreprises. Ainsi, pour les cas ne présentant pas de difficultés particulières, l’Autorité de la concurrence effectue un examen rapide sous 25 jours ouvrés (phase 1). En revanche, si au terme de ce premier examen des doutes subsistent quant au risque d’atteinte à la concurrence, l’Autorité ouvre une procédure d’examen approfondi (phase 2) et dispose de 65 jours ouvrés supplémentaires.
Plusieurs sanctions sont prévues par l’article L. 430-8 du code de commerce à l’égard des entreprises ayant réalisé des opérations de concentration sans avoir procédé à la notification préalable obligatoire. L’Autorité de la concurrence peut ainsi obliger les sociétés à procéder à la notification, à moins de revenir à l’état antérieur à la concentration. En outre, elle peut leur infliger une sanction pécuniaire allant jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France pour les personnes morales et 1,5 millions d’euros pour les personnes physiques.
Historiquement, les seuils applicables au contrôle national des concentrations ont varié à plusieurs reprises dans la législation française.
Au départ instaurée sur une base volontaire avec la loi n° 77-806 du 19 juillet 1977 relative au contrôle de la concentration économique et à la répression des ententes illicites et des abus de position dominante, la procédure de notification des concentrations ([136]) est devenue obligatoire avec la loi n° 2001‑420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, dite loi « NRE », lorsque deux seuils exprimés en chiffre d’affaires ([137]) sont cumulativement franchis :
– le chiffre d’affaires mondial de l’ensemble des parties à la concentration est supérieur à 150 millions d’euros ;
– le chiffre d’affaires en France d’au moins deux des parties à l’opération est supérieur à 15 millions d’euros.
Ces seuils sont applicables à tous les secteurs économiques et pour l’ensemble du territoire national.
Toutefois, l’ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 a porté de 15 millions d’euros à 50 millions d’euros le second seuil en chiffre d’affaires.
La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, dite loi « LME », a transféré la compétence du contrôle des concentrations du ministre chargé de l’économie à l’Autorité de la concurrence.
La LME de 2008 a également introduit, outre les seuils généraux, des seuils spécifiques pour les opérations portant sur le commerce de détail et pour les opérations impliquant une entreprise active dans les départements et certaines collectivités d’outre-mer.
En 2010, à la suite des recommandations de l’Autorité de la concurrence dans le cadre de son avis de 2009 concernant le fonctionnement de la concurrence en outre-mer, un seuil spécifique au commerce de détail en outre-mer a été mis en place : initialement fixé à 7,5 millions d’euros, il a été abaissé à 5 millions d’euros en 2012 pour tenir compte du fait que les chiffres d’affaires réalisés en outre-mer par le commerce de détail ([138]) sont en moyenne inférieurs à ceux réalisés dans l’Hexagone, et s’assurer ainsi que ces opérations n’échappent pas au contrôle de l’Autorité de la concurrence.
Depuis la LME de 2008, le paragraphe III de l’article L. 430-2 du code commerce dispose que, lorsque au moins une des parties à la concentration exerce tout ou partie de son activité dans un ou plusieurs départements d’outre-mer, dans le département de Mayotte, dans les îles Wallis et Futuna ou dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, la concentration doit être notifiée à l’Autorité de la concurrence si les trois conditions suivantes sont cumulativement remplies :
– le chiffre d’affaires total mondial hors taxes de l’ensemble des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales parties à la concentration est supérieur à 75 millions d’euros ;
– le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé individuellement dans au moins un des départements ou collectivités territoriales concernés par deux au moins des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est supérieur à 15 millions d’euros, ou à 5 millions d’euros dans le secteur du commerce de détail, sans qu’il soit nécessaire que ce seuil soit atteint par l’ensemble des entreprises concernées dans le même département ou la même collectivité territoriale ;
– l’opération n’entre pas dans le champ d’application du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises.
Cette disposition spécifique permet à l’Autorité de la concurrence de contrôler des concentrations non soumises au contrôle des concentrations en vertu des seuils du I et II de l’article L. 430-2 du code de commerce mais qui peuvent affaiblir substantiellement la concurrence dans certains départements et collectivités d’outre-mer.
Des dispositions juridiques encadrées par le droit européen
Le règlement (CE) n° 139/2004 du 20 janvier 2004 du Conseil, relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, régit le contrôle des concentrations de dimension européenne.
Certaines de ses dispositions sont directement applicables, notamment :
– L’article premier, qui fixe la limite des compétences respectives de la Commission européenne et des autorités de concurrence nationales en fonction des chiffres d’affaires des entreprises concernées par la concentration. Une concentration est de dimension communautaire lorsque le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par l’ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à cinq milliards d’euros, et que le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans l’Union européenne par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d’euros, à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires total dans l’Union européenne à l’intérieur d’un seul et même État membre ;
– L’article 5, qui précise le mode de calcul des chiffres d’affaires mentionnés à l’article L. 430-2 du code de commerce ;
– Les articles 4 (paragraphes 4 et 5), 9 et 22, qui prévoient les mécanismes de renvoi d’une concentration entre la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence des États membres. D’une part, les renvois d’affaires de dimension européenne vers les autorités nationales de concurrence peuvent être effectués soit à la demande des entreprises (article 4§4), soit à la demande des États membres (article 9), éventuellement sur invitation de la Commission européenne (article 9). D’autre part, des concentrations de dimension nationale peuvent être renvoyées devant la Commission européenne à la demande des entreprises (Article 4§5) ou à la demande des États membres (article 22).
Les autres dispositions du règlement 139/2004 ne sont pas directement applicables au contrôle des concentrations par les autorités nationales. Toutefois, dans un souci de cohérence et d’harmonisation avec la pratique européenne, les autorités nationales se réfèrent, pour déterminer la portée des différentes notions relatives au contrôle des concentrations utilisées dans le code de commerce, aux notions mentionnées par le règlement 139/2004.
En outre, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, établie depuis son arrêt du 21 février 1973 « Continental Can » (aff. C-6/72) et récemment rappelée dans son arrêt du 16 mars 2023 « Towercast » (aff. C-449/21), affirme qu’une opération de concentration non soumise à un contrôle des concentrations, notamment parce que le chiffre d’affaires des entreprises concernées est inférieur aux seuils applicables, peut faire l’objet d’un examen contentieux au titre de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif aux abus de position dominante.
En application de l’article L. 752-1 du code de commerce, tout projet de création ou d’extension d’un commerce de détail ou d’un ensemble commercial de plus de 1 000 mètres carrés est soumis à une autorisation d’exploitation commerciale (AEC), indépendamment de la demande, éventuelle, de permis de construire.
Certains projets en sont exclus (pharmacies, concessions automobiles, halles et marchés de détail, etc.) et d’autres bénéficient de dérogations sur le calcul de la surface de vente (horticulteurs, points de retraits – drives – intégrés à un commerce déjà autorisé, etc.).
L’AEC s’obtient après l’avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC). La demande d’autorisation est enregistrée par le maire de la commune d’implantation ou par le représentant de l’État dans le département, qui préside la CDAC. Cette dernière dispose d’un délai de deux mois, à compter de sa saisine, pour rendre son avis et délivrer l’autorisation ou le refus d’exploiter, à la majorité absolue des voix.
Le refus d’exploiter entraîne le refus de délivrance du permis de construire, le cas échéant.
La décision de la CDAC peut faire l’objet d’un recours devant la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC), dans le délai d’un mois après la publication de cette décision. Le droit de recours est ouvert au porteur du projet, au représentant de l’État dans le département, au maire, au président de l’EPCI du territoire d’implantation et à toute personne qui peuvent prouver leur intérêt à agir (par exemple, un exploitant dont l’activité est située dans la zone de chalandise du projet commercial). La CNAC émet son avis dans un délai de quatre mois, et sa décision est elle-même susceptible d’un recours, devant la cour administrative d’appel compétente sur le territoire d’implantation du projet.
Tout comme les CDAC, la CNAC rend son avis en tenant compte des dispositions de l’article L. 750-1 du code de commerce, qui fixe trois critères pouvant justifier un refus d’exploiter. Cet article dispose notamment que « les implantations, extensions, transferts d’activités existantes et changements de secteur d’activité d’entreprises commerciales et artisanales doivent répondre aux exigences d’aménagement du territoire, de la protection de l’environnement et de la qualité de l’urbanisme ». Des critères économiques existaient auparavant (densité commerciale, effet sur l’emploi), mais leur application a été jugée comme portant une atteinte disproportionnée au principe de libre concurrence – ils ont donc été supprimés.
En l’état du droit, aucun seuil spécifique n’est prévu au sein des territoires ultramarins.
Le 1° de l’article 3 propose de modifier le troisième alinéa du III de l’article L. 430-2 en retirant la mention du seuil de 15 millions d’euros et celle relative au secteur de commerce de détail pour généraliser à l’ensemble des secteurs d’activité l’abaissement du seuil de notification des concentrations à 5 millions de chiffre d’affaires total hors taxe réalisé individuellement dans au moins un des territoires ultramarins concernés.
En l’espèce, cela concerne les départements et régions d’outre-mer relevant de l’article 73 de la Constitution, ainsi que certaines collectivités d’outre-mer déjà concerné par le dispositif spécifique prévu à l’article L.430-2 du code de commerce, à savoir Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et les îles Wallis et Futuna.
Le 2° de cet article propose de prévoir un seuil spécifique, applicable aux collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et aux collectivités d’outre‑mer de Saint‑Barthélemy, de Saint‑Martin et de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, s’agissant du seuil de surface de vente au-delà duquel un projet est soumis à une autorisation d’exploitation commerciale par la commission départementale d’aménagement commercial.
Au sein des territoires ultramarins précités, ce seuil dérogatoire serait fixé à 300 mètres carrés, au lieu de 1 000 mètres carrés actuellement. Ce seuil spécifique relatif au contrôle des aménagements commerciaux est déjà appliqué en Polynésie française.
Cette extension du contrôle des aménagements commerciaux à des surfaces de vente excédant 300 mètres carrés s’appliquerait dans quatre cas, tel que le prévoit l’article ainsi rédigé :
– à la création d’un magasin de commerce de détail, résultant soit d’une construction nouvelle, soit de la transformation d’un immeuble existant ;
– à l’extension ([139]) de la surface de vente d’un magasin de commerce de détail ayant déjà atteint ce seuil ou devant le dépasser par la réalisation du projet ;
– à la création d’un ensemble commercial tel que défini à l’article L. 752-3 du code de commerce ;
– à l’extension de la surface de vente d’un ensemble commercial ayant déjà atteint ce seuil ou devant le dépasser par la réalisation du projet.
La commission des affaires économiques a adopté l’amendement CE45 de correction légistique de votre rapporteure. Il permet de laisser le renvoi au décret à la fin de l’article L. 752-1 du code de commerce.
L’amendement CE22 a également été adopté, avec avis favorable de votre rapporteure. Il prévoit qu’un nouveau seuil, ne pouvant aller au-delà de 25 % de la surface totale sur l’ensemble d’un département d’outre-mer, soit prévu pour soumettre à autorisation commerciale un projet de création ou d’extension de la surface de vente d’un magasin de commerce ou d’un centre commercial.
*
* *
Introduit par la commission
L’article 4 vise à interdire à un groupe de distribution de détenir plus de 25 % de part de marché dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon et de Wallis-et-Futuna dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi.
Si le droit de la concurrence encadre les pratiques des groupes de distribution (pratiques anticoncurrentielles, abus de position dominante, etc.), il n’existe pas, en l’état actuel du droit, de dispositions législatives encadrant strictement les part de marché des groupes de distribution.
Cet article propose que, dans chacune des collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, le fait, pour un groupe de distribution, de détenir une part de marché supérieure à 25 % soit prohibé.
Est également rendu illégal le fait de n’avoir pas mis en œuvre, sous un délai de 12 mois à compter de la promulgation la présente loi, les mesures nécessaires afin de faire revenir sa part de marché en deçà du seuil susmentionné.
L’amendement CE4 a été adopté, après une demande de retrait de votre rapporteure, qui partage la volonté de lutter contre les phénomènes de concentration dans les territoires ultramarins, mais qui estime qu’il est plus pertinent de le réguler au niveau des surfaces de vente, comme le propose l’amendement CE22 (adopté), plutôt qu’au niveau du chiffre d’affaires.
Outre les interrogations soulevées au regard des dispositions constitutionnelles relatives à la liberté d’entreprendre et à la liberté du commerce et de l’industrie, le délai de douze mois apparait ambitieux et semble source d’insécurité juridique pour les entreprises qui dépassent déjà le seuil mentionné.
Enfin, cet article ne prévoit pas de sanction pour faire respecter l’interdiction de détenir plus de 25 % de parts de marchés par un groupe de distribution.
TABLEAU RECENSANT LES Opérations examinées en raison du franchissement des seuils généraux prévus aux I et II de l’article L. 430-2 du code de commerce
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Décision |
Opération |
Dispositif |
1 |
10-DCC-25 |
Prise de contrôle exclusif d’actifs du groupe Louis Delhaize par la société H Distribution (groupe Hoio) |
Autorisation avec engagements |
19/03/2010 |
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2 |
10-DCC-51 |
Prise de contrôle exclusif de la Société Sucrière du Quartier Français par le groupe Tereos |
Autorisation avec engagements |
28/05/2010 |
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3 |
11-DCC-110 |
Prise de contrôle exclusif de la société Outremer Telecom par la société AXA Investment Managers Private Equity Europe SA |
Autorisation |
26/07/2011 |
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4 |
11-DCC-187 |
Prise de contrôle exclusif de la société Quartier Français Spiritueux par la Compagnie Financière Européenne de Prise de Participation |
Autorisation avec engagements |
13/12/2011 |
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5 |
12-DCC-11 |
Acquisition de la société Établissements Jean Didier et Cie par la société Pro-à-Pro Distribution SA |
Autorisation |
06/02/2012 |
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6 |
12-DCC-100 |
Prise de contrôle exclusif de TPS et canalsatellite par Vivendi et Groupe Canal Plus |
Autorisation avec injonctions |
23/07/2012 |
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7 |
14-DCC-15 |
Prise de contrôle exclusif des sociétés Mediaserv, Martinique Numérique, Guyane Numérique et La Réunion Numérique par la société Canal Plus Overseas |
Autorisation avec engagements |
10/02/2014 |
|||
8 |
14-DCC-45 |
Prise de contrôle de la société Esso Antilles Guyane par le groupe Sol |
Autorisation |
27/03/2014 |
|||
9 |
14-DCC-160 |
Prise de contrôle exclusif de SFR par le groupe Altice |
Autorisation avec engagements |
30/10/2014 |
|||
10 |
15-DCC-54 |
Prise de contrôle exclusif de la société Anonyme de la Raffinerie des Antilles par la société Rubis |
Autorisation avec engagements |
13/05/2015 |
|||
11 |
15-DCC-104 |
Prise de contrôle exclusif de la Société Réunionnaise de Produits Pétroliers par la société Rubis |
Autorisation avec engagements |
30/07/2015 |
|||
12 |
15-DCC-142 |
Prise de contrôle conjoint de la société Telecom Réunion Mayotte par Iliad et le groupe Hiridjee |
Autorisation |
20/10/2015 |
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13 |
16-DCC-81 |
Prise de contrôle exclusif de la société Sorec Autos par la société Socipar |
Autorisation |
10/06/2016 |
|||
14 |
16-DCC-155 |
Prise de contrôle exclusif de la société Geimex par le groupe Casino |
Autorisation avec engagements |
14/10/2016 |
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15 |
17-DCC-181 |
Prise de contrôle conjoint de cinq sociétés immobilières par le groupe Société Nationale Immobilière et l’État français |
Autorisation |
06/11/2017 |
|||
16 |
19-DCC-142 |
Prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Soco Invest aux côtés de l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc |
Autorisation |
17/07/2019 |
|||
17 |
19-DCC-204 |
Prise de contrôle exclusif de la SEMADER par CDC Habitat |
Autorisation |
28/10/2019 |
|||
18 |
20-DCC-34 |
Prise de contrôle exclusif des sociétés Teralta Ciment Réunion et Teralta Granulat Béton Réunion par la société Entreprise Audemard |
Autorisation |
04/03/2020 |
|||
19 |
20-DCC-40 |
Prise de contrôle conjoint d’un fonds de commerce de détail à dominante alimentaire par la société Soresum aux côtés de l’Association des Centres Distributeurs E. Leclerc |
Autorisation |
23/03/2020 |
|||
20 |
21-DCC-172 |
Création d’une entreprise commune par les sociétés AGI, EDF PEI, Genak et Safo |
Autorisation |
01/10/2021 |
21 |
22-DCC-88 |
Prise de contrôle exclusif de Vivo Energy par Vitol Holding |
Autorisation |
19/05/2022 |
|||
22 |
22-DCC-104 |
Prise de contrôle exclusif du groupe Bioclinic par le groupe Inovie |
Autorisation |
24/06/2022 |
|||
23 |
23-DCC-79 |
Prise de contrôle conjoint d’Equator Energy Limited par STOA, IBL Energy Holdings Ltd, Maris Limited et Nvision Engineering Ltd |
Autorisation |
27/04/2023 |
|||
24 |
23-DCC-190 |
Prise de contrôle exclusif des sociétés Guadeloupe Services Automobiles et Prestige Distribution Karaib par la société Citadelle |
Autorisation |
25/09/2023 |
|||
25 |
24-DCC-04 |
Prise de contrôle exclusif des sociétés OCS et Orange Studio par Groupe Canal Plus (Bolloré) |
Autorisation avec engagements |
12/01/2024 |
|||
26 |
24-DCC-129 |
Prise de contrôle exclusif d’actifs de Ludendo (La Grande Récré/Starjouet) par Jouéclub |
Autorisation avec engagements |
19/06/2024 |
|||
27 |
24-DCC-149 |
Prise de contrôle de certains actifs de la société Bolloré Logistics par la société Balguerie |
Autorisation |
16/07/2024 |
Source : Autorité de la concurrence.
Tableaux recensant les Opérations examinées en raison du franchissement des seuils spécifiques à l’outre-mer prévus Au III de l’article L. 430-2 du code de commerce
Dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010
|
Décision |
Opération |
Dispositif |
1 |
10-DCC-197 |
Acquisition du contrôle exclusif du fonds de commerce Cora Bas du Fort par la société Ho Hio Hen Investissements Outre Mer |
Autorisation |
30/12/2010 |
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2 |
11-DCC-09 |
Acquisition du fonds de commerce de la société Foucque Automobile par la société CFAO |
Autorisation |
20/01/2011 |
|||
3 |
11-DCC-30 |
Acquisition du contrôle exclusif d’un fonds de commerce de la société Autotec SAS par la société Nouveau Comptoir Caraïbes d’Importation et d’Exportation (NCCIE SARL) |
Autorisation |
04/03/2011 |
|||
4 |
11-DCC-45 |
Acquisition du contrôle exclusif du fonds de commerce de l’hypermarché Cora Desmarais par la société Sodex Desmarais |
Autorisation |
18/03/2011 |
|||
5 |
11-DCC-102 |
Acquisition de la Société Antillaise des Pétroles Chevron (SAPC) par le groupe Rubis |
Autorisation avec engagements |
30/06/2011 |
|||
6 |
11-DCC-134 |
Acquisition d’actifs du groupe Louis Delhaize par la société Groupe Bernard Hayot |
Autorisation avec engagements |
02/09/2011 |
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7 |
11-DCC-173 |
Prise de contrôle conjoint du fonds de commerce de la Société d’Exploitation et de Distribution Saint-François par les sociétés Carcom et Etablissements Jacques Nouy via leur filiale commune Sodex Saint-François |
Autorisation |
28/11/2011 |
|||
8 |
12-DCC-53 |
Acquisition du fonds de commerce de la société West Indies Petroleum Company SAS par la société Compagnie Antillaise des Pétroles |
Autorisation |
24/04/2012 |
|||
9 |
12-DCC-59 |
Acquisition des sociétés Socolam, Somacom et René Lancry (actifs du Groupe Lancry) par la société Socohold (Groupe Parfait) : prise de contrôle exclusif par le groupe Parfait des hypermarchés Leclerc Place d’Armes et Long Pré et de la plateforme logistique du groupe Lancry |
Autorisation avec engagements |
04/05/2012 |
Source : Autorité de la concurrence.
Dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012
|
Décision |
Opération |
Dispositif |
10 |
13-DCC-43 |
Prise de contrôle exclusif de Hyper CK par Groupe Bernard Hayot |
Autorisation |
29/03/2013 |
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11 |
13-DCC-180 |
Prise de contrôle exclusif de Sodiva SAS et Mement SARL par le groupe Citadelle |
Autorisation |
09/12/2013 |
|||
12 |
13-DCC-199 |
Prise de contrôle exclusif de Mobius SAS par Altice Blue Two SAS |
Autorisation |
24/12/2013 |
|||
13 |
14-DCC-34 |
Prise de contrôle exclusif par le groupe Parfait du fonds de commerce à dominante alimentaire Dia Sainte Rose |
Autorisation |
18/03/2014 |
|||
14 |
14-DCC-66 |
Prise de contrôle exclusif des fonds de commerce exploités par Yacatec, Rodom et Grodom par le groupe Safo-GHD |
Autorisation |
30/05/2014 |
|||
15 |
14-DCC-123 |
Prise de contrôle exclusif de Brasserie Lorraine par Antilles Glaces |
Autorisation avec engagements |
21/08/2014 |
|||
16 |
15-DCC-157 |
Prise de contrôle exclusif de GPG par Cerp Bretagne Atlantique |
Autorisation |
03/12/2015 |
|||
17 |
16-DCC-08 |
Prise de contrôle exclusif de Premium Motors Guadeloupe par AGM Holding, société mère du Groupe Parfait |
Autorisation |
25/01/2016 |
|||
18 |
16-DCC-21 |
Prise de contrôle de la Société pour l’Exploitation et le Développement des Eaux de Source par GML Investissement LTEE |
Autorisation |
17/02/2016 |
|||
19 |
16-DCC-165 |
Prise de contrôle exclusif d’un fonds de commerce de distribution automobile par AGM Holding |
Autorisation |
03/11/2016 |
|||
20 |
17-DCC-25 |
Prise de contrôle exclusif de ASDL par le groupe Océinde |
Autorisation |
16/02/2017 |
|||
21 |
17-DCC-214 |
Prise de contrôle exclusif d’actifs du groupe Ho Hio Hen par JKS Finances |
Autorisation |
20/12/2017 |
|||
22 |
18-DCC-79 |
Prise de contrôle exclusif de Dimeco par Cafom |
Autorisation |
23/05/2018 |
|||
23 |
18-DCC-142 |
Prise de contrôle exclusif de SDRO et Robert II par Groupe Bernard Hayot |
Autorisation avec engagements |
23/08/2018 |
|||
24 |
18-DCC-183 |
Prise de contrôle exclusif de SOGEMA par le groupe Safo |
Autorisation |
31/10/2018 |
|||
25 |
18-DCC-188 |
Prise de contrôle exclusif de Avenir par Groupe Bernard Hayot |
Autorisation |
06/11/2018 |
|||
26 |
19-DCC-11 |
Prise de contrôle exclusif de Mayotte Motor Corporation Distribution et Hamaha Rent Citadelle |
Autorisation |
23/01/2019 |
27 |
19-DCC-36 |
Prise de contrôle exclusif de la société Marie Brizard Wine & Spirits par la Cofepp |
Autorisation avec engagements |
28/02/2019 |
|||
28 |
19-DCC-170 |
Prise de contrôle exclusif de la Société de Manutention et de Consignation Maritime par Terminal Investment Limited |
Autorisation |
17/09/2019 |
|||
29 |
19-DCC-180 |
Prise de contrôle exclusif de NDIS Safo |
Autorisation avec engagements |
27/09/2019 |
|||
30 |
19-DCC-231 |
Prise de contrôle exclusif de six sociétés immobilières d’Outre-Mer par CDC Habitat |
Autorisation |
16/12/2019 |
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31 |
20-DCC-28 |
Prise de contrôle conjoint de Financière Pain Frotté par les groupes Kin Siong, Lam Tow et Yong Wai Man |
Autorisation avec engagements |
03/03/2020 |
|||
32 |
20-DCC-69 |
Prise de contrôle conjoint par Aram Financial et Victor Bellier Participation de 4 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire |
Autorisation |
19/05/2020 |
|||
33 |
20-DCC-72 |
Prise de contrôle exclusif Vindémia Group par Groupe Bernard Hayot |
Autorisation avec engagements |
26/05/2020 |
|||
34 |
20-DCC-74 |
Prise de contrôle exclusif de deux fonds de commerce à dominante alimentaire par Ah-Tak |
Autorisation |
26/05/2020 |
|||
35 |
20-DCC-84 |
Prise de contrôle exclusif de la SODIAC par CDC Habitat |
Autorisation |
17/07/2020 |
|||
36 |
20-DCC-180 |
Prise de contrôle exclusif par Logicare d’un fonds de commerce de distribution automobile |
Autorisation |
14/12/2020 |
|||
37 |
20-DEX-02 |
Prise de contrôle conjoint de l’hypermarché Géant-Casino La Batelière par le groupe Parfait aux côtés de l’ACDLec et à la prise de contrôle exclusif d’H Immobilier par le groupe Parfait |
Examen approfondi |
18/12/020 |
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38 |
21-DCC-138 05/08/2021 |
Prise de contrôle conjoint de la SEMAG par Action Logement Immobilier et la région et le département de la Guadeloupe |
Autorisation |
39 |
21-DCC-215 |
Prise de contrôle conjoint de la SEDRE par Action Logement Immobilier et la commune de Saint-Paul |
Autorisation |
03/12/2021 |
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40 |
22-DCC-35 |
Prise de contrôle exclusif de Bio Pôle Antilles par le groupe Inovie |
Autorisation avec engagements |
27/04/2022 |
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41 |
22-DCC-105 |
Prise de contrôle exclusif d’un fonds de commerce à La Réunion par le groupe Leal |
Autorisation |
23/06/2022 |
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42 |
22-DCC-142 |
Prise de contrôle exclusif du groupe Bio Santé par le groupe Eurofins |
Autorisation |
04/08/2022 |
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43 |
22-DCC-153 |
Prise de contrôle exclusif de SAMP par CMA CGM |
Autorisation |
16/08/2022 |
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44 |
22-DCC-168 |
Prise de contrôle exclusif de Biolab Martinique par le groupe Cerba |
Autorisation |
07/09/2022 |
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45 |
22-DCC-180 |
Prise de contrôle conjoint des sociétés Z Loc, Maxauto et Z Auto par les groupes Tetrama et GBH |
Autorisation |
22/09/2022 |
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46 |
22-DCC-254 |
Prise de contrôle exclusif de l’hypermarché Géant Casino La Batelière et de la société H Immobilier par le groupe Parfait |
Autorisation avec engagements |
22/12/2022 |
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47 |
23-DCC-137 |
Prise de contrôle exclusif de la société Make Distribution par le groupe IBL |
Autorisation |
30/06/2023 |
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48 |
23-DCC-138 |
Prise de contrôle exclusif de la SEMAC par CDC Habitat |
Autorisation |
27/08/2023 |
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49 |
23-DCC-243 |
Prise de contrôle exclusif de lPBS Auto par Socipar |
Autorisation |
19/12/2023 |
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50 |
24-DCC11 |
Prise de contrôle exclusif de Centre auto SBH, Turbe car rental et Turbe car rental II par Socipar |
Autorisation |
05/02/2024 |
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51 |
24-DCC-12 |
Prise de contrôle exclusif de Cogedal par Urcoopa |
Autorisation |
23/01/2024 |
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52 |
24-DCC-26 |
Prise de contrôle de dix sociétés appartenant au groupe Capriona par United Basalt Products |
Autorisation |
15/02/2024 |
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53 |
24-DCC-154 |
Prise de contrôle exclusif de la société Nouveau Comptoir Caraïbe d’Importation et d’Exportation par la société Citadelle |
Autorisation |
16/02/2024 |
Source : Autorité de la concurrence.
Au cours de sa réunion du mercredi 4 décembre 2024, la commission a examiné la proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer (n° 522) (Mme Béatrice Bellay, rapporteure).
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Mes chers collègues, je vous informe du report de l’audition, prévue ce matin, du président d’Auchan France et du directeur général d’Auchan Retail International, à la demande de ces derniers qui ont invoqué une contrainte internationale imprévue ce mois-ci. Nous espérons vivement les entendre prochainement. Les salariés du groupe sont d’ailleurs en train de se mobiliser à Fontenay-sous-Bois contre le plan de licenciement annoncé de 2 389 employés, qui touche des dizaines de magasins dans toute la France, c’est‑à‑dire dans quasiment toutes nos circonscriptions.
Notre commission est appelée à examiner deux propositions de loi en vue de la journée réservée au groupe Socialistes, prévue le 12 décembre : la proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer, pour laquelle Mme Béatrice Bellay a été désignée rapporteure ; la proposition de loi portant accélération de la rénovation énergétique des logements, pour laquelle notre rapporteur est M. Stéphane Delautrette. Pour l’instant, ces propositions de loi sont inscrites respectivement en première et sixième positions à l’ordre du jour de la séance publique du 12 décembre. Nous examinerons cet après-midi une troisième proposition de loi, inscrite en quatrième position dans le cadre de cette niche, visant à lutter contre les pannes d’ascenseur non prises en charge, pour laquelle notre collègue Philippe Brun a été désigné rapporteur.
Nous commençons par la proposition de loi sur la vie chère outre-mer. J’en profite pour rappeler que notre commission est particulièrement concernée par cette question du pouvoir d’achat, préoccupation majeure, sinon première, de nos concitoyens. C’est encore plus vrai outre-mer, pour des raisons multiples sur lesquelles vous allez revenir, madame la rapporteure. Sur cette proposition de loi, notre commission est saisie de quarante‑huit amendements. Au titre de l’article 45 de la Constitution, j’ai déclaré un amendement irrecevable car il traitait de questions fiscales, alors que les articles de ce texte abordent uniquement les mécanismes de régulation des prix outre-mer.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Si l’on m’avait dit, il y a six mois, que je me tiendrais devant des députés, à l’Assemblée nationale, afin de défendre des dispositions de nature à lutter contre la vie chère dans les pays des océans, dits d’outre-mer, je ne l’aurais pas cru. Je me battais déjà tellement dans les milieux associatifs et politiques, je hurlais si fort mon indignation chaque semaine dans les médias et dans la rue, que je ne songeais à rien d’autre qu’à ce message à faire passer, à ces vies à soutenir, à ces emplois à préserver, à ces tristesses à panser, à cette faim à combler. Non, je ne pensais pas que tout ce travail de terrain, d’accompagnement et d’éclairage politique m’aurait emmenée ici, au nom des Martiniquaises et des Martiniquais. « Ba pèp mwen, mwen ka di zot ankò mèsi pou konfyans zot ! Mwen péké désité zot » : je remercie le peuple de sa confiance et ne le décevrai pas. Malgré les découragements et les grandes frustrations que procure la vie parlementaire, malgré les luttes parfois vaines, je me rends compte chaque jour davantage que nous jouons un rôle majeur et indéniable dans le quotidien de nos compatriotes. Ce que la nature humaine ne peut parfois pas générer de façon spontanée – la bienveillance, la protection, les sécurités –, c’est à nous qu’il revient de l’organiser.
Il y a quelques semaines encore, nous entendions dire par certains que la situation dans les pays des océans, singulièrement en Martinique, était conjoncturelle. Pourtant, les gouvernements se font et se défont, les ministres s’enchaînent, les mesures s’imposent et se dissipent, mais une chose demeure : l’insoutenable cherté de la vie.
La vie chère persiste parce que nos économies sont captives, enfermées dans des structures où un petit nombre d’acteurs dominent les marchés, libres d’agir, souvent au détriment de l’intérêt de la population et d’une concurrence équitable et loyale. La vie chère persiste parce que les eaux qui entourent les territoires ultramarins continuent à être perçues comme des barrières infranchissables, comme s’il n’existait que les seules voies de passage dessinées par le temps des colonies. La vie chère persiste parce que l’État n’a toujours pas décolonisé sa vision économique et stratégique de ces territoires ni décidé de participer pleinement à leur progrès social et à leur développement. En somme, la cherté insoutenable de la vie dans les pays des océans est le fruit d’un modèle archaïque qui maintient nos populations dans une précarité qui ne choque pas trop Paris. Ce modèle archaïque, il nous faut urgemment le changer et l’adapter à nos réalités.
Le constat et la colère de la population, je les partage en tant que militante et femme politique, mais aussi et surtout en tant que Martiniquaise. Je suis nourrie d’un idéal qui s’est structuré par des années de militantisme en Seine-Saint-Denis où j’ai grandi, puis en Martinique, mon petit pays. C’est avec cet héritage que j’ai défendu, avec d’autres, le blocage des prix et le renforcement du bouclier qualité‑prix (BQP) dans les outre-mer. C’est pour cela aussi que, dès le début des mobilisations, j’ai soutenu le mouvement populaire qui s’est engagé en Martinique. J’ai été aux côtés de mes compatriotes partout où je l’ai jugé utile. Aujourd’hui, c’est ici que je le suis.
Pour mes premiers pas à l’Assemblée nationale, j’ai prolongé nos revendications en interpellant le Premier ministre et le ministre chargé des outre-mer à plusieurs reprises. C’est même avec beaucoup d’émotion, d’indignation et de détermination que j’ai posé ma première question au Gouvernement sur ce sujet. Ensuite, pendant des heures de débats houleux sur les textes budgétaires, j’ai poursuivi mon engagement en défendant avec sérieux et gravité des amendements qui visaient à assurer la dignité des habitants des pays des océans, à éviter la casse des services publics, à créer une véritable continuité territoriale, à réinvestir dans l’hôpital, à préserver le pouvoir d’achat, à développer nos territoires. Ce combat contre la vie chère et la pauvreté qui fragilisent les familles, c’est mon combat de longue date. Comme le pensait l’anthropologue américaine Margaret Mead, la misère n’est pas une fatalité, mais une honte pour la société qui la tolère.
Cette proposition de loi est une nouvelle étape pour nos différents territoires, un nouveau cycle d’actions politique et économique pour ces confettis de l’empire où, trop souvent, le « dernier kilomètre » de l’action publique – selon l’expression du Conseil d’État – peine à être assuré. Elle doit être efficace et effective.
Il est ressorti des auditions nombreuses et denses auxquelles j’ai pu procéder que le BQP ne répond pas aux besoins des ménages, qui subissent dès le début du mois la cherté des produits, que les observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR) sont des outils d’information essentiels mais inefficaces, en raison d’un manque de moyens humains, financiers et juridiques, et que la dépendance financière et logistique de ces organismes à l’égard des services préfectoraux limite leur capacité d’action. Il nous est apparu urgent de renforcer les outils de surveillance pour garantir une transparence accrue dans la chaîne de valeur, notamment pour analyser les marges arrières, mais aussi de généraliser à l’ensemble des secteurs l’abaissement des seuils de notification des opérations de concentration dans nos territoires, aux réalités économiques complexes.
Ce travail, ces auditions et ces réflexions, je les ai voulus collectifs en y associant tous mes collègues, en particulier ceux de la délégation aux outre-mer : c’est l’unité qui nous permettra d’avancer et de relever ces défis immenses. Nos 2,8 millions de compatriotes ne méritent pas moins que cette unité fraternelle et de travail au sein de l’Assemblée nationale. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être dissipés ou enfermés dans des postures égocentriques. Nous devons continuer à travailler à des solutions communes, même lorsque nous considérons que certains dispositifs ne vont pas assez loin.
Cette proposition de loi est un nouvel acte, une nouvelle pierre apportée à l’édifice. Elle s’inscrit dans une continuité historique qu’il faut rappeler pour que chacune et chacun prenne conscience que la vie chère est structurelle et non conjoncturelle, qu’elle révèle un problème d’orientation économique plus profond.
En 2009, après quarante jours de grève en Martinique et en Guadeloupe, un « relevé de décisions » avait été arraché, posant les bases d’un premier combat contre la vie chère. En 2012, il y eut la loi défendue par Victorin Lurel qui instaurait le bouclier qualité-prix. En 2017, il y eut les accords de Guyane, dits « Pou Lagwiyann dékolé » (Sauvons la Guyane). Plus récemment, il y eut la commission d’enquête sur le coût de la vie outre-mer, menée par notre ancien collègue Johnny Hajjar en 2023.
Bon nombre de ces travaux et mesures sont le fruit de l’engagement du groupe Socialistes, qui ne rechigne jamais à présenter des propositions de loi pour nos territoires. Je tiens à remercier tous mes collègues pour leur soutien, leur considération et leur engagement contre la précarité et les sentiments d’injustice, d’exclusion et de déclassement de nos populations.
Ce texte ne résout évidemment pas tous les problèmes – nous ne sommes pas dans la majorité – mais il s’inscrit dans la continuité des actions des membres de notre groupe. Il répond à une double exigence : soulager immédiatement les ménages et poser les bases d’un modèle économique plus équitable et durable.
Conscients des facteurs structurels tels que l’insularité, la dépendance construite aux importations et les structures de marché oligopolistiques, nous proposons quatre mesures : l’élargissement du bouclier qualité-prix ; le renforcement des sanctions à l’encontre des entreprises qui refusent la transparence sur leurs marges et pratiques en ne publiant pas leurs comptes ; la baisse des seuils de contrôle des concentrations économiques, afin de briser les monopoles qui étranglent les marchés ; des moyens accrus pour les observatoires des prix, des marges et des revenus afin de leur permettre d’exercer un contrôle plus rigoureux et de mieux protéger les consommateurs.
Nous ne voulons pas que nos pays des océans soient plus longtemps captifs d’un modèle économique et social hérité de l’époque des colonies, où ces territoires n’avaient vocation qu’à servir la métropole et à ne s’alimenter que du marché métropolitain. Cette proposition de loi vise à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère, qui nous permettront d’élargir notre réflexion pour parvenir à une paix sociale durable, à un développement territorial et économique, à la valorisation des initiatives économiques locales et à l’émancipation humaine et sociale des populations habitant ces territoires de la République.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Merci, madame la rapporteure, pour votre engagement dans ce domaine. Nous en venons aux orateurs des groupes.
M. Joseph Rivière (RN). En démocratie, c’est le peuple qui commande et qui décide ; en économie, c’est la demande qui dicte l’offre. La vie chère imposée aux consommateurs, donc aux citoyens, des outre-mer s’explique par l’opacité des prix conjuguée à la situation de monopole de certaines entreprises.
Commençons par l’opacité des prix. Comme mes collègues du Rassemblement national, je pense qu’il faut redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs, d’où mes amendements concernant la place de l’observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) à la table des négociations. Vous devriez vous en réjouir, chers collègues de la gauche, car l’OPMR est composé de citoyens de toute sorte, dont beaucoup votent pour vous. L’essentiel est que cette instance a fait ses preuves. En tant qu’être doué de rationalité, le consommateur de l’Hexagone fait généralement le meilleur choix quand il le peut. En outre-mer, nous n’avons pas le choix d’agir en toute rationalité, nous nous décidons par dépit.
En ce qui concerne les situations de monopole, certains les expliquent par la taille trop réduite de nos marchés, tandis que d’autres répètent à l’envi leur litanie sur les économies ultramarines qui seraient sous perfusion d’argent public. Pourrait-on convenir que les outre-mer sont la France ? Pourrait-on admettre que les grosses entreprises ont très bien compris qu’elles pouvaient tirer parti de l’imbroglio en constituant des quasi-monopoles de fait et en dictant la conduite à tenir ? Tout le monde se renvoie la balle, puis on fera semblant de découvrir la question de la vie chère après une émeute rapidement balayée par des gaz lacrymogènes.
Cette proposition de loi du groupe Socialistes est un moindre mal, eu égard à tous les leviers constitutionnels dont ce groupe a disposé en 2012 sans en faire le moindre usage au bénéfice du peuple. Compte tenu de l’urgence pour notre peuple français d’outre-mer, le groupe Rassemblement national votera certaines dispositions et proposera des amendements sur d’autres. Je n’en appelle pas à l’unité, à laquelle personne ne croit, ni à l’union, dont le temps n’est pas venu, mais à un bon sens paysan qui a traversé notre histoire et nos océans pour arriver jusqu’à nous.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Nous devons avoir une unité de vues et partager le constat de la précarité dont souffrent malheureusement certains de nos territoires. Personne ne peut dire que les constats faits et refaits sont biaisés : entre 30 % et 40 % des habitants de nos territoires vivent au-dessous du seuil de pauvreté national. Ils méritent un engagement objectif, ce qui est le but de cette proposition de loi.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). La vie chère est en effet une réalité insupportable pour nos compatriotes ultramarins. Une enquête de l’Insee montre que non seulement les prix sont plus élevés outre-mer que dans l’Hexagone, mais que l’écart se creuse chaque année.
Dans son rapport, notre ancien collègue Johnny Hajjar avait identifié diverses causes de ce phénomène, car l’éloignement et l’insularité n’expliquent pas tout. Ces territoires importent la quasi-totalité de leurs céréales et une partie importante de leur viande. Au bout de la chaîne d’importation, le prix des produits est naturellement renchéri par le fret maritime, les contraintes logistiques liées au transport de produits alimentaires et, pour certains territoires, l’octroi de mer. En aval de la chaîne de distribution, l’existence de monopoles ou d’oligopoles de fait dans les territoires ultramarins ne peut être contestée, trois ou quatre groupes se partageant le marché dans chaque secteur donné. En Polynésie française, quatre groupes de la grande distribution possèdent la quasi-totalité du marché. Cette réalité existe dans d’autres secteurs clés des économies ultramarines, tel le fret maritime où l’entreprise CMA CGM détient 62 % des parts de marché en Martinique.
Dans ce contexte, l’opacité du fonctionnement des marchés et le risque d’entente entre acteurs joue en faveur de la hausse des prix. C’est pourquoi nous sommes favorables à l’article 2, qui renforce les obligations de publication des comptes pour les entreprises, ainsi qu’à l’article 3, qui vise à abaisser les seuils de contrôle des concentrations outre-mer à 5 millions d’euros (M€) dans tous les domaines d’activité économique. Je note toutefois qu’il ne concerne pas les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et la Polynésie française.
En revanche, au nom de mon groupe, j’émets de fortes réserves sur l’article 1er, qui permettrait au préfet de bloquer les prix outre-mer au niveau de ceux observés dans l’Hexagone. Une telle mesure nous semble dangereuse sur un marché opaque, où l’économie informelle est déjà très développée et elle ferait même courir des risques de pénurie. En outre, comme l’ont montré les auditions, la contractualisation dans le cadre du bouclier qualité-prix relevant d’une démarche volontaire, la fixation d’un prix bloqué trop bas pourrait inciter les industriels et distributeurs à en sortir, ce qui aurait des effets contre-productifs.
Enfin, nous regrettons que votre proposition de loi n’aborde pas le sujet de l’octroi de mer. Lors des auditions conduites par notre ancien collègue Hajjar dans le cadre de la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les outre-mer, tous les auditionnés ont souligné l’effet inflationniste de l’octroi de mer sur les prix ainsi que l’opacité de cette taxe.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Vous avez mentionné l’éloignement au nombre des facteurs incriminés dans la cherté de la vie outre-mer. Lors de futurs travaux, il faudra réfléchir à l’une de nos demandes restées vaines : pouvoir commercer avec les pays de notre zone géographique – la Caraïbe, l’Amérique du Sud ou l’Amérique du Nord – après avoir fixé des normes. Les difficultés d’approvisionnement tiennent aussi au fait que toutes nos importations doivent traverser l’océan. Quant à l’octroi de mer, nous prônons le rajeunissement de cet outil fiscal nécessaire. Il s’agit de le rendre plus dynamique afin qu’il offre aux collectivités les moyens de stimuler notre économie locale, au lieu de servir à la mise en place de rentes par ses bénéficiaires.
M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NFP). S’il n’est pas nouveau, ce sujet reste d’actualité et primordial pour les ultramarins. Nos peuples se souviennent du grand mouvement suscité par les collectifs Cospar et LKP en 2009, au cours duquel les gens et les forces vives se sont mobilisés durant plusieurs semaines afin d’arracher des mesures immédiates contre la cherté de la vie. Nombreux sont ceux, notamment à La Réunion, qui se souviennent de la prime obtenue par le Cospar et de la liste qu’il avait dressée pour imposer aux grandes surfaces des baisses de prix significatives sur les produits de première nécessité – l’ancêtre du bouclier qualité-prix, en quelque sorte. Tout cela, c’est du passé.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Nos territoires continuent de s’embraser du fait d’un coût de la vie qui est supérieur de 19 % à 38 % à celui de l’Hexagone. Les chiffres que nous répétons depuis des lustres montrent ce que nous savons tous : la cherté de la vie s’aggrave et les gens n’en peuvent plus. Croyez-moi, les vrais experts sont les familles, les ménages, les consommateurs, ceux qui ouvrent un porte-monnaie de plus en plus vide pour payer. Ce ne sont pas les initiatives, mais les résultats qui manquent. Alors que des solutions concrètes existent, la volonté politique fait défaut, pour ne pas dire que le pouvoir continue à autoriser les abus sur nos territoires.
La proposition de loi vise plusieurs objectifs : actualiser le bouclier qualité-prix ; donner plus d’importance à l’observatoire des prix, des marges et des revenus ; instaurer plus de transparence des prix ; limiter les concentrations ; et durcir les sanctions. Ce texte, qui suscite beaucoup d’attentes et d’espoir, mérite d’être amélioré afin d’être à la hauteur des revendications de nos pays d’outre-mer. Lors de nos débats de ce matin, je souhaite qu’aucun député ne fasse faux bond. Nos populations en ont assez des paroles, des colloques, des assises et des rapports : elles veulent de quoi se nourrir, s’habiller, se soigner, se loger et payer leurs factures, c’est-à-dire vivre dignement.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Notre collègue a rappelé différents moments qui ont montré l’importance de la mobilisation de la population, même s’ils la mettent aussi en difficulté et illustrent le poids de la misère. Les épisodes graves se sont succédé depuis 2009 – le dernier, que vous avez pu suivre sur vos écrans de télévision, s’étant déroulé en Martinique. Il est temps de cesser le saupoudrage, d’apporter des réponses concrètes et de construire de vrais projets de développement pour ce qui ressemble encore trop à des confettis de la République – ou de l’empire.
M. Jiovanny William (SOC). Nous, ultramarins élus pour cette 17e législature, sommes nés au sein de territoires dont le système économique est sclérosé par la cherté de la vie. Depuis notre naissance, on nous a habitués à surveiller les prix, guetter les promotions, acheter en gros et remplir nos valises de courses lors des retours de vacances. Nous vivons dans un perpétuel « système D », comme si l’histoire de la domination économique était une fatalité.
Alors, je le dis haut et fort : la France a sa part de responsabilité dans ce statu quo, puisqu’elle n’a jamais elle-même tenté d’instaurer un équilibre et que les mesures ont toujours été arrachées par des mouvements sociaux d’ampleur. La dernière loi en date, celle de notre collègue sénateur Victorin Lurel, a été adoptée le 20 novembre 2012. D’un gouvernement à l’autre, il semble normal que les ultramarins restent ainsi appauvris et consacrent une part substantielle de leur salaire à s’alimenter.
Cette proposition de loi est un texte d’urgence et nous avons le devoir d’intervenir sur d’autres champs de la vie chère. À titre personnel, je prendrai l’exemple de l’interdiction de la pratique du yield management, qui consiste à spéculer sur les prix des billets d’avion en fonction du flux de recherche. Nous devons repenser nos filières productives alimentaires, car le modèle économique hexagonal appliqué à nos territoires n’est plus viable pour nos populations – s’il l’a jamais été. Nous avons l’ambition d’engager un vaste chantier, pour sortir de cette logique du panier de la ménagère et du bouclier qualité-prix.
Pour l’heure, nous traitons de l’urgence par le biais de ce texte. Nous voulons rendre obligatoire la fixation de prix similaires à ceux de l’Hexagone pour tous les produits de première nécessité du bouclier qualité-prix, dans un premier temps. Nous voulons sanctionner plus durement les grands groupes qui ne publieraient pas leurs comptes, afin de les contraindre à la publicité. Nous voulons renforcer le contrôle des rachats et fusions de sociétés dans tous les domaines, afin de lutter contre les concentrations. Enfin, nous voulons soumettre à autorisation préalable tout projet de création de commerce de plus de trois cents mètres carrés. Ce faisant, nous voulons préserver le pouvoir d’achat de nos compatriotes, garantir la liberté d’entreprendre et de réussir de nos entrepreneurs, et assurer une meilleure gestion du foncier disponible.
Ce n’est qu’une étape vers le rétablissement d’une justice économique et sociale outre-mer, mais je vous invite à voter pour ce texte, comme je vais le faire moi-même.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure. Merci, cher collègue et compatriote martiniquais. En ce moment, nous vivons une situation particulière, car il y a quelque chose d’insoutenable dans ce que vivent nos populations et la tension sociale que cela provoque. Nos compatriotes attendent beaucoup de nous et de nos décisions. J’espère que nous saurons tous être à la hauteur de ces attentes.
M. Jean-Pierre Vigier (DR). Nous devons apporter une réponse adéquate à nos compatriotes ultramarins. L’article 1er de cette proposition de loi vise à rendre les prix pratiqués outre-mer équivalents à ceux pratiqués dans l’Hexagone pour les produits figurant dans une liste élargie, ce qui soulève des interrogations importantes. Comment les entreprises absorberont-elles ces coûts ? Comment appliquer concrètement une telle mesure ? La cherté de la vie dans les territoires d’outre-mer est un phénomène complexe et multifactoriel, comme l’illustre le cas de la Martinique dont l’autonomie alimentaire n’est que de 20 %.
Le bouclier qualité-pr