N° 702
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 décembre 2024.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi prenant des mesures d’urgence pour protéger nos enfants accueillis en crèches privées à but lucratif,
Par Mme Céline HERVIEU,
Députée.
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Voir le numéro : 517.
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SOMMAIRE
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Pages
I. Lutter contre la financiarisation du secteur des crèches
1. L’ouverture du secteur des crèches aux acteurs privés lucratifs
3. La financiarisation du secteur de l’accueil du jeune enfant
II. Renforcer les sanctions pour faire cesser les maltraitances
1. Des maltraitances systémiques et généralisées ont été mises au jour depuis deux ans
2. Les contrôles exercés sur les établissements d’accueil du jeune enfant sont insuffisants
III. Mettre fin aux assouplissements de la rÉglementation applicable aux crèches
1. Manque de professionnels et déréglementation, le « cercle vicieux » de la pénurie
ANNEXE N° 1 : Liste des personnes entendues par la rapporteure
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Le service public de la petite enfance doit garantir à chaque famille qui en fait la demande une solution d’accueil de haute qualité, quels que soient le lieu de résidence et la composition de la famille de l’enfant accueilli. Au sein de ce service public de la petite enfance, si le soutien aux crèches publiques doit être prioritaire, tous les acteurs ont leur place, y compris les crèches associatives et les crèches privées lucratives, à condition que l’intérêt supérieur de l’enfant soit toujours garanti et ce, pour tous les enfants, grâce à des conditions d’accueil dignes et garantissant la bonne utilisation des fonds publics.
Dans le contexte actuel, il est peu de dire que le secteur de la petite enfance est en crise. Au-delà des enjeux dits réputationnels que soulèvent les révélations de dérives scandaleuses documentées grâce au travail rigoureux de journalistes d’investigation, la crise que traverse le secteur est profonde, structurelle. En France, l’offre de modes d’accueil demeure structurellement insuffisante. Avec 200 000 places manquantes aujourd’hui en France, il n’y a ainsi qu’une place en crèche pour cinq enfants. L’accueil de tous les enfants n’est pas assuré. Ce déficit d’offre constitue un échec collectif.
Cet échec soulève des enjeux de société à long terme. D’une part, le manque de places et la dégradation de l’accueil des jeunes enfants portent atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes, puisque le principe d’égal accès à un mode d’accueil pour toutes les familles n’est pas respecté, avec des répercussions en termes de parentalité et de retour au travail des parents et en particulier des femmes. D’autre part, et peut-être de manière plus grave encore, la situation actuelle du secteur de la petite enfance porte atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant, alors même que toute la littérature scientifique s’accorde à affirmer que la période des 1 000 premiers jours de l’enfant est fondamentale dans son développement.
Cet échec est celui d’un modèle qui a pourtant accompagné, depuis une vingtaine d’années, le développement d’entreprises privées lucratives censées répondre au besoin de créer des places supplémentaires en France, qui sont devenues, dans l’intervalle, des champions mondiaux de l’accueil du jeune enfant, sans pour autant répondre à la demande croissante des familles. À partir du début des années 2000, dans le secteur de la petite enfance, les pouvoirs publics ont fait le choix délibéré d’encourager le développement du secteur privé lucratif.
Aujourd’hui, alors qu’une place en crèche privée lucrative est financée à hauteur de 66 % par des dépenses publiques, et que plus d’une place sur deux créée en France relève du secteur marchand, les crèches privées lucratives représentent un chiffre d’affaires de 1,7 milliard d’euros. Si les entreprises de crèches bénéficient, à l’instar des crèches publiques ou associatives, de la prestation de service unique pour couvrir une partie de leurs coûts de fonctionnement, elles peuvent en revanche mobiliser les avantages fiscaux dont bénéficient les employeurs réservataires pour assurer tant leur rentabilité que leur profitabilité. Grâce à ce dispositif construit en partenariat avec les pouvoirs publics, le secteur privé lucratif a bénéficié d’un effet d’aubaine qui a facilité sa recherche d’investisseurs pour financer sa stratégie de croissance.
Jusqu’au milieu des années 2010, ce développement du secteur privé lucratif a favorisé le développement de l’offre de crèches en France. Ces stratégies doivent toutefois être interrogées dès lors qu’elles ne contribuent plus à une meilleure couverture du territoire en modes d’accueil, mais qu’elles visent avant tout la recherche de profit, soit par le rachat de structures déjà existantes, soit par une dégradation de la qualité d’accueil des enfants dans les crèches. Le drame survenu dans une crèche à Lyon en 2022, au-delà de la responsabilité pénale individuelle de l’auteur du meurtre, est aussi la conséquence des dérives d’un secteur privé lucratif.
Le secteur lucratif de la petite enfance a longtemps affiché une rentabilité dynamique qui a permis, grâce à la dépense publique qui assurait sa solvabilité, d’attirer des investisseurs, pour soutenir des stratégies de croissance ambitieuses assises sur le développement de l’entreprise et la réalisation d’une plus-value lors de la revente des parts par rapport à leur valeur d’achat. Aujourd’hui néanmoins, la croissance financière des entreprises privées de crèches ne s’accompagne plus du développement de l’offre de modes d’accueil en France, mais d’une croissance à l’international. En outre, dans un secteur traversé par une crise réputationnelle et par un ralentissement économique marqué, les conditions de financement de ces entreprises vont se resserrer, interrogeant leur viabilité et partant, l’offre de places en crèches en France.
Les investisseurs de demain ne seront pas ceux d’hier et leurs exigences, en termes de taux d’intérêt ou de plus-value, pourraient faire peser des risques financiers supplémentaires. Les entreprises de crèches vont ainsi au-devant de difficultés financières qui auront des répercussions sur leur gestion, les conditions de travail des professionnels et, finalement, sur l’offre de places d’accueil et sur la qualité de l’accompagnement proposé aux jeunes enfants et à leurs parents. Il est donc crucial de sécuriser le financement des entreprises de crèches contre de potentielles dérives financières pouvant résulter, soit d’une gestion problématique, soit de la pression de leurs actionnaires. C’est cette question qui anime tout le secteur de l’économie sociale, qu’il s’agisse du domaine de la santé, du grand âge ou de la petite enfance.
Dès lors, si les pouvoirs publics jouent un rôle majeur dans le financement du secteur de la petite enfance, ils doivent aussi garantir la bonne régulation des financeurs privés du secteur. Des travaux ont déjà été engagés en ce sens par la précédente majorité et le Gouvernement actuel : création du service public de la petite enfance et réforme du régime d’autorisation et de sanction des gestionnaires de crèches ; travaux en cours afin de mettre fin au régime dérogatoire des micro-crèches ; développement du contrôle des conditions d’accueil des enfants et mise en place d’un référentiel qualité. Néanmoins, il nous faut aussi envisager la crise qui vient, et faire en sorte d’éviter la fermeture des dizaines de milliers de places d’accueil que porte le secteur privé lucratif, tout en exigeant une haute qualité d’accueil.
Les pouvoirs publics doivent ainsi être en mesure de réguler l’entrée au capital des entreprises du secteur. Si des exigences de rentabilité ou de désendettement sont susceptibles de détériorer la qualité d’accueil, l’entrée au capital de fonds d’investissement ou de fonds de dette au capital des entreprises de crèches doit être proscrite et sanctionnée.
Le non-respect des conditions de l’agrément et la mise en danger des enfants sur le plan physique, psychologique ou affectif doivent faire l’objet de sanctions dissuasives. La loi a évolué en ce sens, en instaurant des sanctions financières, mais celles-ci doivent être renforcées afin d’obliger au respect des conditions d’accueil du jeune enfant.
Enfin, les dérives du secteur privé lucratif ne doivent pas nous faire oublier que le manque persistant de places de crèches et le non-respect des conditions d’accueil du jeune enfant sont également le résultat d’une crise plus profonde, celle de l’attractivité des métiers de la petite enfance. Cette crise n’est pas étrangère aux exigences de rentabilité qui pèsent sur la gestion de la ressource humaine dans le secteur. Le taux d’encadrement, chroniquement insuffisant, s’est en effet affirmé comme une variable d’ajustement pour assurer la rentabilité des entreprises de crèches. L’insuffisance du taux d’encadrement aggrave la pénibilité au travail pour les professionnels du secteur, et les conduit à renoncer à des emplois pourtant choisis par passion.
Les professionnels de la petite enfance souffrent aussi du manque cruel d’investissement dans la formation, exposant ces professions à un déficit d’attractivité et à des difficultés de recrutement. La capacité d’un secteur à attirer, à recruter et à fidéliser des professionnels dépend notamment de la formation initiale offerte aux futurs diplômés et de la formation continue proposée aux professionnels pour leur permettre d’évoluer dans leur carrière. Les pouvoirs publics doivent en conséquence repenser la formation des métiers de la petite enfance et favoriser les conditions d’une attractivité renforcée. Il faut d’urgence restaurer des formations de qualité. À cet égard, il n’est pas admissible qu’on puisse délivrer des formations à distance pour former des professionnels qui seront en lien direct avec le jeune enfant. Ces formations doivent être interdites.
Ces mesures d’urgence, que promeut cette proposition de loi, appellent d’autres décisions structurelles, et en premier lieu la réforme des financements publics. Le mode actuel de financement par la prestation de service unique, soit une tarification horaire, conduit à des effets de bord délétères pour la qualité de l’accueil et doit laisser place à un mode de financement forfaitaire, à la journée ou à la demi‑journée. Il faut aussi mettre un terme à la logique du moindre coût (low cost), qui a prospéré notamment dans le cadre des délégations de service public. À cette fin, un prix plancher par berceau et une meilleure prise en compte des critères relatifs à la qualité par rapport au critère du prix doivent être privilégiés. De même, le travail des professionnels du secteur doit être mieux rémunéré, mieux respecté, mieux considéré. La formation initiale et la formation continue doivent être améliorées pour mieux préparer les professionnels à l’accueil du jeune enfant. Les passerelles doivent être favorisées et la pénibilité mieux reconnue, afin d’améliorer les parcours professionnels. Il est par ailleurs urgent de revaloriser les niveaux de rémunération des professionnels, qui sont majoritairement des femmes.
« Les modes d’accueil de la petite enfance sont des espaces et des moments privilégiés pour veiller au bon développement, à la santé, et à l’épanouissement des enfants à cet âge de la vie qui fonde les bases de la personne, mais qui ne détermine pas pour autant linéairement son devenir ultérieur. Les modes d’accueil peuvent être des outils utiles pour déjouer les inégalités sociales, les inégalités entre filles et garçons, les mécanismes d’exclusion ou de stigmatisation. » ([1])
En 2016, Sylviane Giampino, psychologue pour enfants et psychanalyste, remettait un rapport à la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes. Elle y démontrait à la fois toute l’importance des modes d’accueil dans le développement des jeunes enfants, et identifiait déjà les difficultés majeures rencontrées par le secteur des crèches – effets de bord pervers de la tarification horaire par la prestation de service unique, pénurie de professionnels de la petite enfance, insuffisance des contrôles.
Huit ans plus tard, et alors même que d’autres travaux ont également mis en évidence le caractère primordial de la période des 1 000 premiers jours de l’enfant ([2]), la situation des crèches françaises, loin de s’être améliorée, est au contraire devenue critique.
Alors même que les gouvernements successifs ont continué à annoncer des plans ambitieux de création de places en crèches, les familles sont confrontées à un manque de places et à une couverture très disparate du territoire par les différents modes d’accueil. Cela conduit chaque année environ 160 000 parents, le plus souvent les mères, à cesser ou à réduire leur activité professionnelle pour prendre soin de leur jeune enfant.
Les jeunes enfants et leurs parents sont également confrontés à une dégradation de la qualité d’accueil en crèche à l’œuvre depuis une quinzaine d’années. Les professionnels de la petite enfance, qui se sont mobilisés de longue date pour dénoncer la détérioration de leurs conditions de travail et des conditions d’accueil des enfants sous l’effet d’une déréglementation du secteur, d’un sous‑financement structurel et d’une pénurie de personnels qui s’aggrave chaque année, n’ont pas été entendus.
Il a fallu attendre une véritable tragédie pour que leurs alertes soient enfin prises au sérieux et que la situation des crèches françaises s’impose au cœur du débat public. En juin 2022, le meurtre d’une petite fille âgée de 11 mois dans une crèche lyonnaise appartenant au groupe People and Baby a suscité un large mouvement de libération de la parole chez les professionnels de la petite enfance, qui a été relayé par la presse nationale. Suite à ce drame et à la vive émotion qu’il a provoquée, le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, M. Jean‑Christophe Combe, a confié à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) une mission d’évaluation des processus et des mesures en œuvre pour garantir la sécurité et la bientraitance des enfants accueillis au sein des crèches ([3]).
Depuis, les enquêtes et les rapports relatifs aux crèches se sont multipliés. Deux investigations journalistiques conclues en septembre 2023 ont ainsi pointé de nombreuses dérives dans les crèches privées lucratives, ainsi que la financiarisation galopante du secteur de la petite enfance, qui attire de grands fonds d’investissement internationaux ([4]). À la même période, un rapport d’information parlementaire a également montré que le système français d’accueil n’avait pas su s’adapter à l’évolution des connaissances scientifiques sur le développement et les besoins du jeune enfant ([5]).
Au premier semestre 2024, une commission d’enquête a identifié les failles du modèle économique des crèches françaises, qui résultent à la fois d’un sous-financement structurel par les pouvoirs publics et d’une forme de sur‑financement de certains acteurs privés lucratifs ayant su exploiter, pour dégager d’importantes marges financières, les dispositifs socio-fiscaux favorables aux modes d’accueil, dont le crédit d’impôt famille (Cifam) et les subventions d’investissement des caisses d’allocations familiales ([6]). À la même période, l’Igas a publié un rapport relatif au modèle économique et à la qualité d’accueil au sein des micro-crèches, faisant état d’une réglementation dérogatoire injustifiée et d’un pilotage lacunaire tant au regard de l’installation de ces structures que des financements publics dont elles bénéficient ([7]).
Enfin, en septembre 2024, le journaliste Victor Castanet, dans son ouvrage Les Ogres, a mis en lumière la « dynamique du low cost », ou recherche du moindre coût, qui a animé le secteur depuis une quinzaine d’années. Il mettait en cause l’entreprise People and Baby pour de graves dérives financières et réglementaires ([8]).
Confrontés à l’ensemble des constats établis par ces différents travaux, la précédente majorité et l’actuel Gouvernement ont pris des initiatives afin de répondre aux différents problèmes soulevés.
Ainsi, à l’automne 2023, en réaction à la publication du rapport de l’Igas sur la qualité d’accueil et les maltraitances au sein des crèches, ainsi qu’à celle des ouvrages Le Prix du berceau et Babyzness, le Gouvernement a introduit, au sein du projet de loi pour le plein emploi, une disposition prévoyant le renforcement des contrôles et des sanctions sur les crèches ([9]).
Le même projet de loi a conduit à la création d’un service public de la petite enfance, qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2025 ([10]). Le code de l’action sociale et des familles confie désormais au bloc communal – commune ou intercommunalité en cas de transfert de la compétence « petite enfance » – le rôle d’autorité organisatrice de ce service public ([11]). Cette compétence obligatoire nouvelle s’organise autour de quatre axes :
– l’ensemble des communes ou intercommunalités doivent recenser sur leur territoire les besoins des familles en matière de services aux familles (modes d’accueil, soutien à la parentalité) ainsi que l’offre déjà existante (assistants maternels, crèches) ;
– l’ensemble des communes ou intercommunalités doivent informer et accompagner les familles ayant un ou plusieurs enfants de moins de 3 ans ainsi que les futurs parents pour le choix et l’accès à un mode d’accueil ;
– les communes ou intercommunalités de plus de 3 500 habitants doivent planifier, sur la base des besoins recensés, le développement des modes d’accueil du jeune enfant sur leur territoire (création ou rénovation de places d’accueil, identification de zones prioritaires à couvrir) ;
– les communes ou intercommunalités de plus de 3 500 habitants doivent enfin soutenir la qualité des modes d’accueil recensés sur leur territoire, notamment par des actions de sensibilisation ou de formation pédagogique.
Cet automne, le Gouvernement a également indiqué que la mise en place du service public de la petite enfance devrait s’accompagner de l’élaboration d’un « référentiel relatif à la qualité d’accueil » au sein des crèches ainsi que d’une « stratégie coordonnée de contrôles » des établissements d’accueil du jeune enfant ([12]), au moins une fois tous les cinq ans. La ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance, Agnès Canayer, a par ailleurs annoncé son intention d’engager « en lien avec la Cnaf [Caisse nationale des allocations familiales], un groupe de travail de réflexion pour définir des pistes permettant de clarifier et faire évoluer [les] modes de financement [des crèches] » ([13]).
Ces mesures et ces annonces sont à saluer. Elles devraient contribuer, dans les mois à venir, à répondre, au moins en partie, aux défis du secteur de la petite enfance. Néanmoins, elles comportent des angles morts, dont la financiarisation du secteur.
C’est la raison pour laquelle la présente proposition de loi déposée par le groupe Socialistes et apparentés comporte les mesures d’urgence qu’appelle la situation des crèches françaises, en particulier dans le secteur privé lucratif.
I. Lutter contre la financiarisation du secteur des crèches
La financiarisation que connaît aujourd’hui le secteur des crèches, qui se traduit par la présence de fonds d’investissement internationaux au capital des grandes entreprises de crèches françaises, résulte du développement des acteurs privés lucratifs au cours des vingt dernières années.
1. L’ouverture du secteur des crèches aux acteurs privés lucratifs
Au tournant des années 2000, le secteur français des crèches a connu un véritable bouleversement. Face à une demande croissante de places d’accueil de la part des familles, notamment sous l’effet d’une forte hausse du taux d’emploi des femmes – et donc des mères –, les pouvoirs publics ont été confrontés à la nécessité de créer de nouvelles structures d’accueil du jeune enfant.
Or, au tout début des années 2000, les crèches étaient, pour l’essentiel, financées et gérées par les municipalités et, de manière plus résiduelle, par le secteur associatif. Les acteurs privés lucratifs étaient absents. En 2003, le Gouvernement et le conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) ont retenu l’option d’ouvrir l’accueil du jeune enfant au secteur marchand, mettant en avant la capacité d’investissement des entreprises privées pour créer des places dans des délais plus brefs que le secteur public. Ce choix s’est traduit dans une décision du conseil d’administration de la Cnaf qui autorise les acteurs privés lucratifs à solliciter et à obtenir les aides financières de la branche famille de la sécurité sociale. De plus, afin d’encourager les entreprises à investir ce secteur d’activité, le Gouvernement a introduit, au sein du projet de loi de finances pour 2004 ([14]), le crédit d’impôt famille (Cifam) ([15]), devenu aujourd’hui un levier majeur du modèle économique des crèches privées lucratives ([16]).
L’ouverture du secteur des crèches aux acteurs privés lucratifs a été finalisée lors de la transposition de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ([17]), dite directive « Bolkenstein », qui favorise le libre jeu de la concurrence au sein du marché commun en matière de services. Au moment de sa transposition en 2010, alors même que cette directive ne s’adresse qu’aux « services fournis en échange d’une contrepartie économique » et ne s’applique pas aux « services d’intérêt économique général » (SIEG), l’État français n’a pas fait le choix d’inclure l’accueil du jeune enfant parmi les SIEG. Ceci a permis la mise en concurrence des collectivités territoriales et des associations gérant des structures d’accueil avec les entreprises privées qui cherchaient à s’implanter sur le marché.
2. Le développement des entreprises de crèches et la course au moindre coût (ou « dynamique du low cost »)
Jusqu’au tournant des années 2010, les entreprises de crèches étaient encore balbutiantes et s’efforçaient de construire, en lien avec les pouvoirs publics, un modèle économique viable ([18]). À compter de 2006, elles ont commencé à s’implanter sur le territoire français en construisant des crèches pour leur propre réseau, en assurant la gestion de crèches d’entreprises ou encore de crèches municipales par l’intermédiaire des délégations de service public (DSP).
● Or, la mise en concurrence des différents opérateurs de crèches privées lucratives, entre eux et avec les structures associatives historiquement implantées sur certains territoires, a déclenché une course au moindre coût, ou « dynamique du low cost », décrite par Victor Castanet dans son ouvrage Les Ogres ([19]), et qui avait déjà été pointée par les journalistes Elsa Marnette et Bérangère Lepetit dans leur enquête Babyzness. Ainsi, lors de la première vague de renouvellement des DSP attribuées au milieu des années 2000, trois des grandes entreprises de crèches françaises – People and Baby, Les Petits Chaperons Rouges et La Maison Bleue – se sont livrées à une féroce guerre des prix sous le regard bienveillant des communes ou intercommunalités délégantes. En effet, au moins une partie d’entre elles s’est réjouie de faire ainsi des économies non négligeables sur le budget dédié à la petite enfance, qui représente souvent l’un des postes de dépenses les plus importants pour les communes et les intercommunalités qui exercent cette compétence. Selon Victor Castanet, « les maires, à qui l’on proposait des prix inférieurs de moitié, ont très souvent, soit par choix économique, soit sous la pression de leur opposition, opté pour l’offre la moins chère, donc la moins-disante » ([20]).
Le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative au modèle économique des crèches avait également relevé que l’accroissement du recours aux délégations de service public était très critiqué par une partie du secteur pour trois motifs :
« – l’instabilité financière et le manque de visibilité qu’engendre le renouvellement périodique des DSP » pour les délégataires ;
« – le poids donné au prix dans la pondération des critères au sein de l’appel d’offre, qui démontre la volonté de certaines communes ou intercommunalités délégantes de réduire autant que possible le coût du service ;
« – la concurrence que cela génère entre les structures associatives et les entreprises de crèches, ces dernières étant parfois en position de proposer des prix plus bas, du fait des économies d’échelle qu’elles peuvent réaliser, quitte à pratiquer des prix excessivement bas, pour s’implanter sur certains territoires » ([21]).
Cette guerre des prix dans le cadre des délégations de service public semble néanmoins avoir largement ralenti – sans pour autant disparaître – ces dernières années. Les candidats aux appels d’offres ont eux-mêmes constaté les limites de leurs démarches et l’une des quatre grandes entreprises du marché, Babilou, a même renoncé à répondre aux appels d’offres, faute de pouvoir proposer des prix suffisamment bas. Il ressort à la fois des auditions conduites par la rapporteure que des travaux de la commission d’enquête précitée que les acteurs privés lucratifs, comme les acteurs associatifs et mutualistes, dénoncent aujourd’hui la recherche du prix le plus bas par certaines collectivités territoriales délégantes, et l’insuffisante prise en compte de la qualité du projet pédagogique proposé dans les réponses aux appels d’offres.
S’il est regrettable que le critère du prix puisse encore occuper une place trop importante, voire déterminante, dans l’attribution d’une délégation de service public, la rapporteure souhaite souligner que les collectivités territoriales se heurtent aujourd’hui à des contraintes budgétaires très significatives, qui les obligent à rechercher un équilibre fragile entre le maintien d’un service d’accueil des jeunes enfants sur leur territoire et la nécessité de contenir la progression des coûts de fonctionnement des établissements d’accueil du jeune enfant.
À ce titre, elle rejoint le constat formulé par Victor Castanet devant la commission des affaires sociales du Sénat : « Partout, on a fait le choix du moins cher et donc du moins‑disant. Le mode de financement [des crèches] pensé par l’administration, la fameuse prestation de service unique (PSU), a participé de cette dégradation en se focalisant uniquement sur des critères financiers et d’occupation, négligeant ainsi les questions de qualité. » ([22])
● Les difficultés auxquelles sont confrontées les collectivités territoriales pour financer les crèches implantées sur leur territoire sont par ailleurs le résultat du mécanisme de financement que constitue la PSU et de ses défaillances, unanimement dénoncées par l’ensemble des acteurs du secteur.
La PSU correspond à un financement versé par la branche famille de la sécurité sociale censé couvrir au maximum 66 % du coût de fonctionnement des crèches, une fois la participation des familles prise en compte. Pour équilibrer son budget, une crèche a donc besoin d’un tiers financeur : il s’agit de la commune ou de l’intercommunalité pour les crèches municipales mais aussi pour les crèches associatives, par l’intermédiaire d’une subvention de service public ou dans le cadre d’une délégation de service public. Les crèches privées lucratives peuvent également bénéficier du tiers financement communal dans le cadre des DSP, ou se tourner vers la réservation de berceaux par des entreprises privées ou des acteurs publics au bénéfice de leurs personnels.
Théoriquement, le tiers financement, qu’il soit communal ou issu de la réservation de berceaux, ne devrait avoir à couvrir que 34 % des coûts de fonctionnement de la structure, les deux tiers restants résultant de la participation des familles des enfants accueillis ainsi que du versement de la PSU par les caisses des allocations familiales (CAF). Or, le rapport de la commission d’enquête parlementaire relative au modèle économique des crèches a démontré que « la somme de la PSU et des participations familiales n’atteint jamais 66 % du coût de fonctionnement des structures » ; elle représente plutôt « 40 à 50 % du coût de fonctionnement en moyenne, soit une part très éloignée du reste à charge théorique de 34 % » ([23]). Les facteurs expliquant ce niveau de reste à charge sont notamment :
– le plafonnement du prix de revient horaire qui sert de base de calcul à la PSU à un niveau bien inférieur au coût de revient réel moyen au niveau national ;
– la prise en compte, depuis 2014, du taux de facturation dans le calcul de la PSU afin d’inciter les établissements à facturer les familles au plus près de leurs besoins, et donc de la présence réelle de leurs enfants au sein de la structure. Ainsi, plus le taux de facturation est élevé, plus le montant de la PSU se voit réduit, et donc plus le reste à charge du gestionnaire est important.
Or, la présence ou l’absence des enfants au sein d’une crèche dépend de facteurs sur lesquels les gestionnaires de structures n’ont que peu d’influence : un parent qui prend une demi-journée de congé et qui en profite pour passer du temps avec son enfant ; les grands-parents qui gardent leurs petits-enfants quelques jours ; un enfant malade... Pourtant, ce sont les gestionnaires qui sont mis en difficulté car l’absence imprévue d’un enfant engendre une dégradation du taux de facturation de la structure, jusqu’à entraîner parfois une diminution du financement que perçoit la crèche alors même que ses charges sont restées fixes. En effet, les coûts de fonctionnement d’une crèche résultent essentiellement de la masse salariale, et l’absence d’un enfant ne dispense pas un professionnel de la petite enfance de sa présence.
Victor Castanet résume ainsi les difficultés générées par la PSU : « Ce sont des systèmes d’une complexité inouïe [...] qui ont poussé les opérateurs à maximiser l’occupation effective. Il en a résulté la mise en place d’une incroyable usine à gaz, puisque les parents ont dû commencer à badger systématiquement à l’arrivée et au départ de la crèche, parfois au quart d’heure près, tandis que les opérateurs ont été incités à se focaliser sur les taux d’occupation et de facturation ». À cet égard, « il s’agit d’ailleurs d’un des rares points sur lesquels les opérateurs s’accordent, qu’il s’agisse de groupes associatifs, de groupes privés ou [des représentants des municipalités] » qui « racontent tous la même histoire et tous se sont plaints auprès de leurs CAF et de la Cnaf, depuis la création de ce système », sans qu’« aucune remise en cause [ne soit] intervenue du côté de la Cnaf ou de l’administration » ([24]).
Ainsi, la rapporteure rejoint un constat déjà plusieurs fois formulé dans les différents travaux conduits sur le secteur des crèches au cours des dernières années : le système de financement des crèches françaises a été conçu et maintenu dans le but de contenir l’évolution à la hausse des coûts de fonctionnement des structures, au détriment de la qualité d’accueil. Le mécanisme de la PSU est construit pour inciter les gestionnaires à maximiser l’occupation de la structure et à optimiser leurs coûts de fonctionnement.
Dès lors, tous les gestionnaires de crèches, quel que soit leur statut juridique, ont été contraints de se livrer à des pratiques délétères pour la qualité d’accueil des jeunes enfants afin de conserver un niveau de financement permettant de couvrir leurs coûts de fonctionnement. Il ressort néanmoins des différentes enquêtes journalistiques publiées depuis un an que certains acteurs privés lucratifs semblent avoir eu recours à des systèmes élaborés pour tenter de maximiser leurs financements et de réduire leurs charges de fonctionnement : dégradation de la masse salariale, non-respect des ratios d’encadrement, rationnement des repas et des couches, pratiques commerciales agressives pour tenter de « remplir » les structures, etc.
3. La financiarisation du secteur de l’accueil du jeune enfant
Dès son rapport sur la qualité d’accueil et les maltraitances au sein des crèches publié en 2023, l’Inspection générale des affaires sociales s’était interrogée sur la financiarisation de l’accueil du jeune enfant : « le secteur des crèches est marqué par la domination de grands groupes engagés dans des stratégies de croissance ambitieuses, par une entrée des fonds de capital-investissement dans l’actionnariat du secteur ». La mission indiquait que « cette dynamique doit susciter la vigilance de l’État, tant pour les risques de coûts financiers [qu’elle] représente [...] que pour les exigences de rentabilité qui peuvent lui être associées » ([25]).
Au cours de la décennie 2010, les grandes entreprises de crèches ont connu une croissance très importante, soutenue par les financements apportés par des fonds d’investissement auxquels elles ont ouvert leur capital. Se sont ainsi succédé au capital de Babilou les sociétés Alpha Private Equity Fund, Société Générale Capital Partenaires ou encore le fonds américain TA Associates, qui ont accompagné le développement de l’entreprise grâce au rachat d’autres réseaux de crèches privées lucratives. Aujourd’hui, le fonds d’investissement Antin Infrastructure Partners est l’actionnaire majoritaire du groupe Babilou.
Des acteurs institutionnels ont également accompagné le développement des entreprises de crèches, à l’image de Bpifrance qui est intervenue, par le passé, au capital du groupe Grandir – Les Petits Chaperons Rouges et du groupe People and Baby. Bpifrance détient par ailleurs aujourd’hui un peu plus d’un quart des droits économiques sur le groupe La Maison Bleue, en parallèle du fonds d’investissement Towerbrook et du président fondateur du groupe, M. Sylvain Forestier. Le groupe Grandir – Les Petits Chaperons Rouges est détenu, pour plus de 60 % des parts, par le fonds d’investissement Infravia.
Le groupe People and Baby constitue, quant à lui, un cas particulier dans cet écosystème. Si l’entreprise a pu ouvrir son capital à des fonds d’investissement à l’instar de ces concurrents, ses cofondateurs, M. Christophe Durieux et Mme Odile Broglin, ont fait le choix, en 2015, de racheter les parts détenues par leurs actionnaires, revendiquant leur souhait de conserver leur indépendance sur les choix stratégiques de développement et d’investissement. Le rachat de ces parts a été rendu possible par la souscription d’une dette très importante auprès du fonds Indigo Capital France, ensuite rachetée en 2018 par le fonds de dette britannique Alcentra.
Auditionnés par la commission d’enquête parlementaire relative au modèle économique des crèches, les représentants d’Alcentra ont expliqué avoir investi dans People and Baby « car le groupe avait besoin d’argent pour refinancer sa dette [...] et accompagner son développement » ([26]), visant ainsi la création de places de crèches en France et à l’international. Selon Victor Castanet, Alcentra aurait injecté, entre 2018 et 2022, environ 450 millions d’euros au sein du groupe People and Baby afin de financer son développement à l’international – Dubaï, Singapour, Chine, États-Unis. Cette dette est assortie de taux d’intérêt très élevés, entre 10 % et 15 %. Elle s’est donc « amplifiée à une vitesse folle, immaîtrisable, pour atteindre 600 millions d’euros : en 2023, People and Baby devait rembourser 37 millions d’euros d’intérêts annuels » ([27]).
De plus, la gestion de l’entreprise par Christophe Durieux, documentée par Victor Castanet dans son enquête Les Ogres, semble avoir été organisée au détriment du groupe et au profit de son président. À cet égard, le journaliste relève : « chez People & Baby, s’il y a eu des dérives pendant vingt ans, c’est précisément parce qu’il n’y avait pas d’actionnaires. Le groupe ne réalisait pas d’hyperprofits ; il était en déficit permanent. [...] En réalité, les fondateurs se sont enrichis non pas grâce aux dividendes, mais grâce à un système de sociétés civiles immobilières (SCI) qui fonctionnait en parallèle, voire au détriment de People & Baby. Des SCI appartenant en propre à Christophe Durieux et Odile Broglin – cela représente aujourd’hui 7 millions d’euros de loyers annuels et une valorisation comprise entre 120 millions d’euros et 150 millions d’euros – louaient leurs locaux au groupe en fixant les prix, avec des risques de surfacturation. »
En outre, à compter du drame ayant conduit au décès d’un enfant dans une crèche du groupe, à Lyon, l’entreprise connaît une baisse de performance très significative, résultant à la fois de la conjoncture économique défavorable depuis l’épidémie de covid‑19, mais aussi d’une image détériorée et d’une remise en cause des conditions d’accueil proposées. Dès lors, selon les représentants d’Alcentra, dès le second semestre 2022, l’entreprise People and Baby entre en défaut de paiement des intérêts de sa dette.
À compter de cette période, Alcentra affirme être entré en négociation avec Christophe Durieux au sujet des aménagements nécessaires de la dette contractée pour préserver la pérennité du groupe, malgré les réticences du fondateur. Alcentra aurait ainsi réinjecté des fonds dans l’entreprise, en décembre 2023 puis en janvier 2024, en contrepartie de la mise en place d’une action de préférence qui pouvait être activée en cas de dégradation de la santé financière du groupe, permettant aux obligataires de bénéficier des deux tiers des droits de vote au capital. Alcentra a activé cette action de préférence le 18 avril 2024, récupérant ainsi le contrôle des droits de vote de People and Baby. Le 22 avril 2024, dans le cadre de l’assemblée des actionnaires, Christophe Durieux a été remplacé par Philippe Tapié à la présidence opérationnelle du groupe. L’ancien président et son actionnaire sont aujourd’hui en litige au sujet de la gouvernance.
Depuis le mois d’avril 2024, les difficultés de l’entreprise People and Baby sont apparues au grand jour. Si les dérives financières qu’a connu l’entreprise semblent un cas extrême, résultant des décisions de gestion de son ancien dirigeant, elles doivent néanmoins alerter les pouvoirs publics sur la financiarisation que connaît le secteur des crèches.
La présence au capital des grandes entreprises de crèches françaises – qui représentent plus de 60 000 places d’accueil en France – de fonds d’investissement ou de dette dont l’intérêt économique repose, non pas sur le versement de dividendes, mais sur le développement et la croissance, interne et externe, de l’entreprise, doit au moins interroger la représentation nationale. La financiarisation du secteur semble avoir accompagné la priorité donnée à la création de places de crèche, afin de satisfaire les besoins des familles, mais n’a pas nécessairement favorisé l’amélioration de la qualité d’accueil.
La présente proposition de loi se propose d’endiguer la financiarisation croissante du secteur. Son article 1er, dans sa rédaction initiale, prévoit d’interdire à tout fonds d’investissement d’entrer au capital d’une entreprise de crèche. Les auditions conduites par la rapporteure ont toutefois mis en évidence le caractère peu opérationnel d’une interdiction aussi stricte. En conséquence, en vue de l’examen en commission, la rapporteure proposera un amendement assurant la moralisation financière du secteur par un mécanisme d’autorisation préalable par les ministres chargés de l’enfance et de l’économie en amont de l’entrée d’un fonds d’investissement au capital d’une entreprise de crèches.
II. Renforcer les sanctions pour faire cesser les maltraitances
L’article L. 119‑1 du code de l’action sociale et des familles, créé par la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants ([28]), définit la maltraitance comme un geste, une parole, une action ou un défaut d’action qui compromet ou porte atteinte au développement, aux droits, aux besoins fondamentaux ou à la santé d’une personne en situation de vulnérabilité, lorsque cette atteinte intervient dans une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d’accompagnement. Les situations de maltraitance peuvent être ponctuelles ou durables, intentionnelles ou non, d’origine individuelle, collective ou institutionnelle.
Comme l’a rappelé l’Igas, l’accueil des jeunes enfants, comme tous les lieux d’accueil de personnes vulnérables ou dépendantes, présente intrinsèquement des risques de maltraitance. Comme toute institution qui reçoit des personnes vulnérables et dépendantes, les établissements d’accueil du jeune enfant et leurs autorités de contrôle doivent donc s’efforcer de réfléchir à leurs pratiques, de réduire les risques systémiques, et d’instaurer des circuits de signalement et d’inspection permettant de prévenir les maltraitances et d’y mettre immédiatement fin le cas échéant.
Or, au cours des deux dernières années, force est de constater que les gestionnaires de crèches comme les pouvoirs publics ont été défaillants en la matière.
1. Des maltraitances systémiques et généralisées ont été mises au jour depuis deux ans
Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur la qualité d’accueil et la prévention de la maltraitance dans les crèches fait référence pour comprendre l’ampleur et l’importance du phénomène. S’il n’est pas possible de déterminer le niveau de prévalence des faits de maltraitance dans ces établissements, l’Igas a néanmoins construit une typologie des maltraitances pouvant survenir dans une crèche, et identifié les principaux facteurs de risque sur lesquels les gestionnaires et les autorités de contrôle peuvent agir. Les témoignages sur lesquels repose cette classification sont glaçants.
L’Igas recense d’abord des maltraitances assimilables à de la négligence ou à la prévalence d’une logique quantitative dans l’accueil du jeune enfant, avec par exemple des professionnels qui ne changent pas les couches des enfants, faute de pouvoir surveiller le reste du groupe ; des bains d’une durée insuffisante, faute de temps ; des enfants oubliés dans les toilettes ou les salles de sieste ; ou encore des enfants qui s’endorment d’épuisement où ils le peuvent dans l’établissement.
Parmi les situations de maltraitance, on retrouve aussi l’absence de réponse aux pleurs des enfants avec des bébés qu’on laisse hurler de faim ou de sommeil, ou des enfants laissés en pleurs en salle de sieste jusqu’à ce qu’ils s’endorment d’épuisement. L’Igas souligne également le manque de respect du rythme de l’enfant, avec des accueils en plein milieu de l’heure de sieste dans une logique de remplissage. Le forçage alimentaire, en pinçant le nez des enfants pour les obliger à ouvrir la bouche ou en insistant jusqu’au vomissement, est également courant. Les maltraitances se traduisent aussi par le manque de soin avec la privation d’eau, l’absence de changes, le manque de couches, l’insuffisance des commandes de repas à fin d’économie ou encore le fait d’oublier de nourrir ou de lever des bébés.
L’Igas a enfin identifié des maltraitances liées à des jugements et des paroles dévalorisantes, mais aussi des punitions humiliantes, avec des enfants enfermés seuls dans le noir, attachés à des chaises, alignés contre les murs, privés de leur peluche. Des violences physiques peuvent être exercées avec des verres d’eau jetés à la figure, des claques ou des fessées, ou des enfants plaqués sur les lits par des professionnels.
Selon l’Igas, les origines de la maltraitance tiennent en grande partie à des facteurs institutionnels tels que les taux d’encadrement ; la taille des groupes ; les conditions de travail ; l’adaptation des locaux à l’activité ; l’existence de temps dédiés à l’analyse de la pratique, à la concertation entre les professionnels et à la supervision par le directeur de structure ; le manque de formation des personnels, y compris des directeurs ; l’existence de procédures de contrôle et d’évaluation.
Au regard de ces facteurs institutionnels et des effets pervers du système de financement par la PSU, il ressort des travaux de l’Igas comme des retours des professionnels, des familles et des gestionnaires que la problématique des maltraitances directes ou plus diffuses, volontaires ou impensées par les acteurs du secteur, touche des structures de tout statut juridique, public, associatif ou privé lucratif.
Toutefois, au cours des trois dernières années, les entreprises de crèches ont été particulièrement visées par les révélations de cas de maltraitance en lien avec des pratiques financières ou économiques très problématiques : prime au rationnement des repas et des couches, réduction de la masse salariale au point de ne pas respecter les ratios d’encadrement, sur-occupation des structures. L’Igas soulignait ainsi que les dérives qui touchent l’ensemble des crèches peuvent se trouver renforcées dans le secteur privé lucratif où des logiques de rentabilité sont susceptibles d’effacer la réponse aux besoins de l’enfant derrière une activité purement gestionnaire.
2. Les contrôles exercés sur les établissements d’accueil du jeune enfant sont insuffisants
● Les différents travaux conduits sur le secteur des crèches ont démontré l’insuffisance des contrôles sur les établissements d’accueil du jeune enfant. Ces contrôles sont de différentes natures et relèvent de la compétence de plusieurs acteurs :
– les services de la protection maternelle et infantile (PMI) sont chargés des contrôles relatifs à la sécurité des locaux et à la qualité de l’accueil proposé ;
– les caisses d’allocations familiales s’assurent du respect des règles financières et comptables associées au bénéfice de leurs subventions ;
– le cas échéant, les services de l’État peuvent être amenés à intervenir, qu’il s’agisse de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), de l’inspection du travail ou des directions départementales de la protection des populations (DDPP).
Ces contrôles n’ont toutefois pas permis d’identifier et de sanctionner l’ensemble des dérives révélées dans le secteur des crèches : ils sont insuffisants, marqués par de fortes disparités territoriales et parfois non suivis d’effet.
Ainsi, les services de PMI sont confrontés à un manque de moyens humains largement documenté qui ne leur permet pas de contrôler aussi souvent que nécessaire l’ensemble des crèches de leur ressort territorial ([29]). De plus, en l’absence de référentiel harmonisé pour ces contrôles, certaines PMI ont eu tendance à vérifier uniquement le respect des normes bâtimentaires et de sécurité, et non la qualité de l’accueil proposé aux enfants. La commission d’enquête parlementaire relative au modèle économique des crèches avait montré que 11 % des PMI ne pratiquaient aucun suivi régulier sur les établissements d’accueil du jeune enfant, et n’intervenaient qu’en cas de signalement ([30]). Depuis le drame de Lyon, les contrôles se sont néanmoins renforcés et leur caractère inopiné a été accentué.
Le contrôle des CAF est quant à lui essentiellement financier. Il ne porte que peu sur la qualité de l’accueil proposé par la structure. De plus, il ne concerne pas les micro-crèches, qui ne sont financées qu’indirectement par la branche famille, par l’intermédiaire de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) qui vient postérieurement solvabiliser les familles.
Dans son enquête Les Ogres, Victor Castanet pointe par ailleurs de nombreux dysfonctionnements au sujet des contrôles des crèches. Il révèle par exemple l’existence d’une stratégie systémique de non-respect des ratios d’encadrement au sein du groupe La Maison Bleue qui avait été identifiée par plusieurs services de PMI. Ces derniers auraient fait preuve de bienveillance dans un contexte de pénurie de professionnels de la petite enfance, et leurs éventuels signalements n’ont pas été suivis de fermetures administratives. En effet, même lorsque la PMI constate de graves dysfonctionnements, ce ne sont pas ses inspecteurs qui prennent la décision de sanction. Ainsi, selon Victor Castanet : « un certain nombre d’inspecteurs qui ont voulu mettre en place des sanctions allant jusqu’à la fermeture administrative se sont heurtés à l’absence de décision, en bout de chaîne, de l’élu local, soit pour ne pas mécontenter les familles et devoir retrouver d’autres places, soit en raison d’une dépendance au privé » ([31]).
Par ailleurs, Victor Castanet affirme qu’« au sein des Caf et de la Cnaf, de nombreux acteurs étaient au courant de certaines des pratiques incriminées [de l’entreprise People and Baby] ». Auditionné par la rapporteure, le directeur général a confirmé que certaines des pratiques avaient effectivement été identifiées et qu’elles avaient fait l’objet de redressements ainsi que d’une surveillance particulière.
● La loi pour le plein emploi, qui instaure un service public de la petite enfance, a marqué une réforme importante des contrôles et des sanctions qui visent les structures d’accueil du jeune enfant ([32]).
L’article L. 2324‑2 du code de la santé publique confie désormais au président du conseil départemental le pouvoir de vérifier que les conditions d’installation, d’organisation ou de fonctionnement des établissements « ne présentent pas de risques susceptibles de compromettre ou menacer la santé, la sécurité, le bien-être physique ou mental ou l’éducation des enfants accueillis ». Le préfet devient également compétent pour procéder à ces mêmes contrôles grâce aux services déconcentrés de l’État. La loi pour le plein emploi confère également à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l’Inspection générale des finances (IGF) la compétence de contrôler les établissements d’accueil du jeune enfant ainsi que les personnes morales qui exercent, directement ou indirectement, le contrôle exclusif ou conjoint des gestionnaires de crèches. Enfin, l’article L. 2324‑2‑2 du code de la santé publique prévoit l’élaboration d’un plan annuel départemental d’inspection et de contrôle des établissements d’accueil du jeune enfant par le préfet de département et le président du conseil départemental, en lien avec les CAF.
L’article 18 de la loi pour le plein emploi prévoit, en outre, le principe d’une évaluation des crèches à une fréquence minimale d’une fois tous les cinq ans, dont les résultats sont publiés et transmis à la commune ou à l’intercommunalité, au président du conseil départemental, au préfet de département et au directeur de la caisse d’allocations familiales.
Enfin, la même loi réforme le régime des sanctions applicables aux établissements d’accueil du jeune enfant en cas de dysfonctionnement. Lorsque le président du conseil départemental ou le préfet de département estime qu’un établissement méconnaît la réglementation applicable aux crèches ou présente des « risques susceptibles de compromettre ou menacer la santé, la sécurité, le bien-être physique ou mental ou l’éducation des enfants accueillis », il peut :
– enjoindre au gestionnaire d’y remédier dans un délai donné en réorganisant les locaux ou le fonctionnement de la structure, notamment en limitant la capacité d’accueil ;
– désigner un administrateur provisoire pour une durée de six mois renouvelable une fois, afin d’accomplir les actes d’administration urgents et nécessaires pour mettre fin aux dysfonctionnements constatés ;
– en cas de non-respect de l’injonction, prononcer une astreinte pour chaque jour de retard et décider d’une interdiction de gérer tout nouvel établissement ;
– s’il n’est toujours pas satisfait à l’injonction, ordonner la suspension ou la cessation de tout ou partie des activités de la crèche ;
– en cas d’urgence, prononcer, par arrêté motivé, la fermeture immédiate de l’établissement à titre conservatoire.
La rapporteure estime que l’évolution du régime des sanctions applicables aux crèches dont l’organisation ou le fonctionnement présente des risques pour la santé, la sécurité ou le bien-être des enfants telle que prévue par la loi pour le plein emploi va dans le bon sens. Elle considère que les sanctions pécuniaires prévues pour les gestionnaires des établissements concernés doivent être plus dissuasives encore, afin de témoigner du caractère absolument insupportable et inadmissible de la mise en danger des jeunes enfants. C’est l’objet de l’article 2 de la présente proposition de loi.
III. Mettre fin aux assouplissements de la rÉglementation applicable aux crèches
La dégradation de la qualité d’accueil au sein des crèches résulte très directement d’une pénurie de professionnels qui touche gravement le secteur. En effet, ce sont les personnels des crèches qui garantissent, au quotidien, le bien-être, l’éducation et le développement des jeunes enfants. Or, pour remplir ces missions essentielles, ces professionnels – dans leur immense majorité, des femmes – ont besoin d’être bien formés et qualifiés, d’actualiser de manière régulière leurs connaissances, de bénéficier de conditions de travail satisfaisantes, de voir la pénibilité de leurs métiers reconnue et de recevoir une digne rémunération à la hauteur du service rendu à la société.
1. Manque de professionnels et déréglementation, le « cercle vicieux » de la pénurie
La pénurie de professionnels de la petite enfance n’est pas un phénomène récent. Cela fait plus de quinze ans que les pouvoirs publics tentent d’endiguer cette dynamique sans y parvenir.
Aujourd’hui, ce sont 10 000 professionnels qui manquent dans les crèches, ce qui entraîne le gel de berceaux existants partout sur le territoire, faute de respect des ratios d’encadrement. De plus, pour répondre aux besoins des familles, il faudrait au moins 200 000 solutions d’accueil supplémentaires d’ici 2030, ce qui impliquerait la formation de 70 000 professionnels de plus selon la Cnaf ([33]).
Or, les métiers de la petite enfance sont caractérisés par un manque d’attractivité dont les causes sont connues :
– le très faible niveau des rémunérations, sans lien avec la pénibilité et les responsabilités associées à ces professions ;
– le manque de reconnaissance sociale, en lien avec l’idée que « tout le monde saurait faire ces métiers » ;
– une perte de sens pour les professionnels, et en particulier les directeurs de crèches, dont le métier se résume souvent à des tâches administratives et à s’assurer de l’occupation maximale de la structure tout au long de la semaine, en lien avec le mode de financement résultant de la PSU, plutôt qu’à l’animation d’une équipe et d’un projet pédagogique adapté aux besoins des enfants accueillis ;
– des conditions de travail qui se détériorent et une pénibilité aggravée, du fait du manque de professionnels ;
– le manque de perspectives d’évolution professionnelle.
Le rapport de la commission d’enquête parlementaire relative au modèle économique des crèches a montré qu’un « cercle vicieux de la pénurie » s’est installé dans le secteur de la petite enfance : « lorsque les gestes deviennent automatiques et que l’acte prend le pas sur la relation entre l’enfant et le professionnel », lorsque « le décalage devient trop important entre le “prendre soin” que les professionnels doivent apporter à l’enfant [...] et la réalité du terrain, un sentiment de culpabilité tend à se développer au sein des équipes, avec la sensation de mal faire leur travail ». Les professionnels « s’épuisent, puis se désinvestissent de [leur] profession » avant tout simplement de quitter le métier. Ainsi, « la dégradation des conditions d’accueil et de travail au sein des crèches alimente la pénurie de professionnels et le manque de personnels détériore d’autant plus la qualité d’accueil » ([34]).
2. Des réponses inadaptées au manque de professionnels de la petite enfance ont aggravé la crise du secteur
Face au manque de professionnels de la petite enfance, les assouplissements normatifs successifs, décidés par les pouvoirs publics dans un but de maintien des places d’accueil existantes et d’ouverture de nouvelles structures, ont eu pour effet de dégrader les conditions d’exercice de ces métiers et d’aggraver la pénurie. Cette déréglementation, qui devait n’être que temporaire et dérogatoire, n’est donc allée qu’en s’aggravant.
● Le décret dit « Morano » du 7 juin 2010 a d’abord autorisé l’accueil en surnombre des enfants au sein des crèches afin d’optimiser le taux d’occupation des structures, ainsi que la réduction de 50 à 40 % du taux d’encadrement obligatoire par les professionnels de la petite enfance les plus qualifiés – infirmiers puériculteurs ou éducateurs de jeunes enfants. Les micro-crèches ont par ailleurs été dispensées de l’obligation de désigner un directeur, et peuvent fonctionner avec seulement un référent technique. Surtout, les ratios d’encadrement applicables aux crèches, qui s’établissent à un professionnel pour cinq enfants qui ne marchent pas et un professionnel pour huit enfants qui marchent, ne s’appliquent plus au personnel « placé auprès des enfants » mais au personnel « encadrant directement les enfants », ce qui permet de prendre en compte, dans leur calcul, des agents qui ne sont pas en permanence au contact des enfants, notamment les personnels de direction.
● La réforme dite « Norma », qui résulte d’une ordonnance en date du 19 mai 2021 ([35]) et du décret du 30 août 2021 ([36]), a, au nom d’un objectif de simplification des normes applicables aux établissements d’accueil du jeune enfant, accentué la dérèglementation du secteur :
– en instaurant, pour les gestionnaires de crèches, la possibilité d’opter pour un taux d’encadrement moyen global d’un professionnel pour six enfants, au lieu des deux ratios différenciés selon que les enfants marchent ou non, là où les taux d’encadrement en vigueur dans d’autres pays se situent plutôt autour d’un professionnel pour trois ou quatre enfants ;
– en entérinant la possibilité d’accueillir en surnombre les enfants avec l’instauration d’un taux unique de sur-occupation fixé à 115 % de la capacité maximale d’accueil prévue par l’agrément de la structure ;
– en supprimant l’obligation, pour les micro-crèches, de disposer d’effectifs diplômés d’État dans les équipes au contact des enfants, qui peuvent désormais s’appuyer exclusivement sur des personnels titulaires d’un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) dans le domaine de la petite enfance, ainsi que d’une expérience professionnelle préalable ;
– en relevant la capacité maximale d’accueil au sein des micro-crèches de dix à douze enfants.
● L’arrêté du 29 juillet 2022 relatif aux professionnels autorisés à exercer dans les modes d’accueil du jeune enfant ([37]) a, lui aussi, assoupli les conditions de recrutement des professionnels de la petite enfance. Il a autorisé, à titre exceptionnel et dans un contexte local de pénurie de professionnels, des dérogations aux conditions de diplôme ou d’expérience en principe applicables aux personnels des crèches, en considération de leur formation, de leurs expériences professionnelles passées et de leur motivation. Il est désormais possible pour une structure de recruter des personnes ne disposant d’aucune qualification dans le domaine de la petite enfance à condition de leur proposer 120 heures de formation au cours desquelles elle ne peut les intégrer au calcul de son ratio d’encadrement.
Globalement, ces différents assouplissements témoignent d’une volonté de desserrer les contraintes auxquelles doivent faire face les gestionnaires de crèches, tant en termes de nombre de personnels présents au contact des enfants que de qualifications de ces personnels. Ainsi, la pénurie de professionnels de la petite enfance s’est traduite par une baisse des exigences de qualification.
C’est ce dont témoigne un phénomène qui a émergé ces dernières années : la formation en ligne des professionnels de la petite enfance, notamment dans le cadre du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) « Accompagnant éducatif petite enfance » (AEPE). De nombreux candidats se présentant à l’examen du CAP auraient ainsi suivi uniquement des enseignements à distance, sans avoir bénéficié d’une immersion suffisante dans les structures d’accueil du jeune enfant.
Or, les métiers de la petite enfance impliquent nécessairement d’être en contact avec les jeunes enfants. Ils exigent une mise en situation pratique et un apprentissage concret, en lien avec les conditions réelles d’exercice, afin d’apprendre à répondre aux besoins fondamentaux des jeunes enfants et à assurer leur sécurité en toutes circonstances. Dès lors, il est inconcevable de proposer des formations à distance dans ce secteur, et irresponsable de délivrer dans ce cadre des diplômes autorisant l’exercice d’un métier au contact direct des jeunes enfants.
C’est la raison pour laquelle l’article 3 de la présente proposition de loi interdit aux personnes ayant suivi une formation exclusivement en ligne de travailler au sein d’un établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE). La rapporteure souhaite toutefois souligner que cette mesure s’inscrit dans un projet plus ambitieux de revalorisation et de restructuration des métiers de la petite enfance. À cet effet, elle soutient plusieurs grandes orientations parmi lesquelles :
– l’amélioration des formations initiales et continues afin de renforcer les connaissances des professionnels sur les évolutions de la recherche au sujet des besoins des jeunes enfants, et ainsi tenter de mettre fin à la pénurie de personnel dans le secteur de la petite enfance ;
– la création de parcours professionnels enrichis grâce à des dispositifs passerelles facilitant l’évolution des carrières ;
– la reconnaissance de la pénibilité des métiers avec la mise en place de droits spécifiques, tels qu’un départ anticipé à la retraite ou des aménagements de poste adaptés.
Renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance, tout en exigeant une formation rigoureuse, permettra de bâtir un cadre solide pour répondre aux défis croissants auxquels fait face le secteur de l’accueil du jeune enfant.
– 1 –
Adopté par la commission avec modifications
Le présent article interdit aux fonds d’investissement l’entrée au capital d’une entreprise de crèches et prévoit des sanctions en cas de non-respect de cette interdiction, tant pour les entreprises concernées que pour les fonds d’investissement. L’entrée en vigueur de cette interdiction est différée de six mois afin de permettre aux acteurs du secteur d’adapter leur stratégie de financement et d’investissement et de se mettre en conformité avec cette nouvelle disposition.
Les entreprises de crèches du secteur privé lucratif ont connu un fort développement depuis l’ouverture au secteur marchand de l’accueil du jeune enfant, en 2003. Si le secteur public et le secteur privé non lucratif (crèches associatives ou mutualistes) représentent la majorité des places offertes aux familles (310 000 places sur un total de 430 000 places), les entreprises du secteur privé lucratif jouent un rôle moteur dans l’ouverture de nouvelles capacités depuis une quinzaine d’années, en raison des modalités de financement plus souples dont elles bénéficient.
Les perspectives de long terme de l’activité économique concernée, notamment du fait d’un taux de natalité moins déprimé en France que dans les autres pays européens et de la progression du taux d’activité des femmes, ont permis aux acteurs privés de poursuivre des stratégies de croissance ambitieuses, tandis que le risque pris par les bailleurs de fonds (créanciers et investisseurs) se trouvait pondéré par le soutien de la puissance publique au moyen de divers dispositifs tels que la prestation de service unique, ou le crédit d’impôt famille. Au cours de la décennie 2010, le financement bancaire traditionnel de ces acteurs a ainsi été complété par l’entrée au capital des grandes entreprises de crèches françaises d’acteurs étrangers au secteur de la petite enfance, et notamment de fonds d’investissement.
Du fait de cette croissance dynamique et de la priorité donnée à l’ouverture de nouvelles places de crèches, la puissance publique n’a pas soumis les entreprises du secteur à un régime spécifique, pourtant justifié au regard des enjeux sociétaux et de l’intérêt général attachés à l’activité d’accueil du jeune enfant. La financiarisation du secteur, mise en lumière par plusieurs rapports et enquêtes journalistiques, appelle désormais une régulation, alors que l’opinion publique a pu éprouver, dans le secteur du grand âge, les risques inhérents à une approche uniquement gestionnaire de l’économie sociale et solidaire.
Au tournant des années 2010, le capital des quatre grandes entreprises de crèches françaises – People and Baby, Babilou, Les Petits Chaperons Rouges, La Maison Bleue – s’est ouvert à différents fonds d’investissement. Aucune entreprise gestionnaire de crèches n’est actuellement cotée en bourse, mais leur structure capitalistique a attiré des acteurs financiers qui, s’ils affichent des objectifs généralement de plus long terme que les investisseurs boursiers, sont susceptibles de poursuivre des finalités en décalage avec les priorités du service public de la petite enfance, en termes de qualité et de sécurité de l’accueil, ou encore d’égal accès des familles sur l’ensemble du territoire.
Les fonds d’investissement ne constituent toutefois pas une catégorie juridique uniforme. Selon une définition économique, leur rôle consiste à structurer une enveloppe de mutualisation d’actifs financiers en vue d’investir collectivement dans des titres, dont la gestion est confiée à une société de gestion. Une même société de gestion peut ainsi gérer plusieurs enveloppes poursuivant des stratégies d’investissement distinctes, et notamment sectorielles.
La notion de « fonds d’investissement » figure en plusieurs occurrences du code monétaire et financier, notamment au chapitre IV du titre Ier du livre II, qui se réfère également aux notions de « placement collectif » ou d’« organisme de placement collectif ». Elle fait plus précisément l’objet d’une définition à l’article L. 214‑1, qui distingue deux catégories de placements collectifs :
– les organismes de placement en valeurs mobilières (OPCVM), qui sont agréés conformément à une directive européenne du 13 juillet 2009 ([38]) ;
– les fonds d’investissement alternatifs, dits FIA, qui relèvent d’une directive européenne du 8 juin 2011 ([39]).
● Cette distinction juridique correspond en partie à des finalités économiques spécifiques. Les OPCVM comprennent ainsi les fonds de capital‑investissement, connus sous le terme anglais de « private equity », qui investissent au capital d’entreprises non cotées afin d’accompagner leur démarrage, leur croissance, leur restructuration ou leur cession. La société de gestion acquiert ainsi la propriété de parts sociales de l’entreprise et devient actionnaire, ce qui lui permet d’être associée aux seules décisions stratégiques relatives au développement de l’entreprise. En revanche, les actionnaires ne peuvent pas s’immiscer directement dans la gestion opérationnelle de l’entreprise, la gestion de fait étant proscrite. Les pouvoirs de gestion et l’autonomie des dirigeants ne sont néanmoins pas toujours assurés d’une séparation aussi rigide à tous les moments de la vie d’une entreprise, en particulier lorsque la situation économique se dégrade et que s’éloignent les perspectives de rentabilité ou de croissance qui ont justifié l’entrée au capital de l’investisseur.
● Alternativement, ou parallèlement aux fonds de capital-investissement, qui investissent leurs fonds propres, les entreprises cherchant à financer leur croissance peuvent naturellement souscrire des prêts : les liquidités obtenues ne viennent pas abonder le capital social de l’entreprise et doivent être remboursées. Le degré de risque pris par le prêteur, qui peut s’appréhender au regard de la situation de l’entreprise dans son secteur, de son ratio d’endettement préexistant ou encore de l’image dont elle dispose auprès de ses fournisseurs ou clients, fait l’objet d’une rémunération sous la forme d’intérêts versés à échéance régulière.
Les banques constituent les principaux prestataires de crédits pour les acteurs économiques, mais les possibilités de prêt des banques se trouvent limitées par les règles prudentielles, inscrites dans les accords dits de Bâle III à la suite de la crise financière de 2008 : afin de limiter le risque de crise systémique, les établissements bancaires sont tenus de ne pas dépasser un ratio de fonds propres et d’évaluer les risques représentés par les emprunteurs.
Cette évolution du paysage du financement institutionnel en Europe a favorisé le développement de nouveaux acteurs de dette privée, communément désignés sous le nom de « fonds de dette », et qui relèvent de la seconde catégorie des organismes de placement collectif au sens du code monétaire et financier : les fonds d’investissement alternatifs (FIA). Un fonds de dette privée est un véhicule d’investissement qui collecte des capitaux auprès d’investisseurs institutionnels et privés pour les prêter directement à des entreprises. Les entreprises qui souscrivent des prêts auprès de ces fonds de dette ne sont en principe pas tenues de leur ouvrir leur capital (les investissements sont dits, pour cette raison, « non dilutifs ») : la rémunération des fonds de dette ne repose pas sur la valorisation des parts sociales de l’entreprise, mais sur les intérêts versés à échéance régulière.
Du fait du risque important pris par le fonds de dette, les intérêts se révèlent, en pratique, généralement très supérieurs aux taux d’intérêt proposés par les établissements de crédits, qui ne peuvent prêter au-delà du « taux d’usure » défini à l’article L. 313‑5 du code monétaire et financier. En outre, le fonds de dette peut réclamer à l’entreprise emprunteuse une action de préférence, qui lui permet de disposer de droits spécifiques et d’être ainsi associé aux décisions du conseil d’administration. En cas d’incapacité de l’entreprise à honorer sa dette, le contrat financier peut prévoir l’attribution au prêteur de la majorité des droits de vote au conseil d’administration, afin de permettre un redressement.
Les fonds d’investissement et fonds de dette constituent une modalité de plus en plus significative du financement des entreprises, en particulier au stade de leur croissance. Les fortes perspectives associées au secteur des crèches avaient conduit les entreprises du secteur à solliciter des fonds d’investissement. Dans un contexte économique favorable, ils présentaient des garanties de soutien de long terme.
Pour des entreprises ayant de forts besoins d’investissement, l’excédent brut d’exploitation est, dans une proportion importante, réinvesti dans le développement et l’acquisition de nouvelles structures. Les marges dégagées peuvent être restreintes au regard du chiffre d’affaires global du secteur des crèches privées lucratives. Les fonds d’investissement, principalement intéressés par la plus-value qu’ils sont susceptibles de réaliser lors de la revente de leurs parts sociales, peuvent, dans ce contexte, présenter l’avantage de ne pas lier leur rémunération au versement de dividendes, qui seraient à imputer sur l’excédent brut d’exploitation, à l’instar des intérêts d’un emprunt bancaire. Les fonds de dette peuvent également proposer un paiement à terme des intérêts, au moment du remboursement du capital, ce qui présente le même avantage pour l’entreprise.
Lors des auditions menées par la rapporteure, les acteurs du secteur ont tous souligné le caractère vertueux, à leurs yeux, du recours aux fonds d’investissement et fonds de dette pour accompagner une dynamique de croissance comme celle du qu’a connue le secteur des crèches jusqu’au début des années 2020.
La rapporteure redoute cependant que la conjoncture économique dégradée depuis la crise sanitaire, ainsi que les répercussions en termes d’image des révélations sur les cas de maltraitance dans certaines crèches privées, ne mettent en péril les stratégies de retour sur investissement ayant motivé le soutien de fonds d’investissement aux entreprises de crèches. De plus, les dérives financières de l’entreprise People and Baby laissent à penser que les entreprises du secteur pourraient être contraintes de recourir à des fonds d’investissement à des conditions désormais moins avantageuses, qui nuiraient à leur santé financière, avec le risque que ces contraintes en termes de gestion ne se traduisent par une moindre qualité de l’accueil des enfants et du service proposé aux familles.
La rapporteure considère que l’absence de régulation du secteur de la petite enfance, déjà fortement financiarisé, ne peut se justifier dans le contexte économique actuel. Le dispositif proposé à l’article 1er de la présente proposition de la loi vise à sécuriser le financement des entreprises de crèches pour qu’elles poursuivent dans des conditions satisfaisantes leur participation au service public de la petite enfance.
● L’article 1er de la présente proposition de loi insère un nouvel article L. 214‑1‑3 dans le chapitre IV du titre Ier du livre II du code monétaire et financier, qui interdit aux organismes de placement collectif (fonds d’investissement, et notamment fonds de dette) l’investissement dans le secteur des crèches privées lucratives, et prévoit en outre un régime de sanctions en cas de violation de cette interdiction.
S’il n’existe aucune disposition similaire interdisant, sur le fondement de la nature de l’acteur financier, l’investissement dans des secteurs d’activités légaux ouverts à la concurrence, le juge constitutionnel admet des restrictions portées sur le fondement d’un motif d’intérêt général au principe de liberté du commerce et de l’industrie ([40]).
La sauvegarde, en toutes circonstances, de la sécurité et de la qualité de l’accueil des jeunes enfants au sein des établissements visés à l’article L. 2324‑1 du code de la santé publique pourrait constituer un motif d’intérêt général suffisant pour apporter des restrictions à la liberté du commerce et de l’industrie dans un secteur économique spécifique.
Le législateur a ainsi aménagé, dans des secteurs jugés stratégiques et déterminés limitativement par décret en Conseil d’État, des limites aux prises de participation d’acteurs financiers étrangers (article L. 151‑3 du code monétaire et financier), en les soumettant à une autorisation préalable du ministre chargé de l’économie. Le secteur des crèches ne relevant pas de l’ordre public, de la sécurité publique ou des intérêts de la défense nationale, visés par l’article précité, il est apparu préférable de consacrer un dispositif législatif spécifique. En outre, le dispositif proposé n’opère pas de distinction selon la nationalité des acteurs financiers, mais selon leur nature, dans la mesure où les fonds d’investissement, du fait des stratégies économiques qui leur sont propres et des risques financiers inhérents, ne sont pas toujours en mesure d’apporter aux entreprises gérant des établissements d’accueils de jeunes enfants les garanties nécessaires à leur participation au service public de la petite enfance.
● Le même article 1er modifie l’article L. 621‑15 du code monétaire et financier, qui vise les sanctions que peut appliquer l’Autorité des marchés financiers, autorité publique indépendante, en cas de manquements à certaines dispositions du code monétaire et financier. En l’espèce, la violation de l’interdiction édictée au nouvel article L. 214‑1‑3 serait passible de sanctions suivant la procédure contradictoire observée par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers.
Le a du 2° de l’article 1er soumet à ladite commission « toute personne qui ne respecte pas l’interdiction mentionnée à l’article L. 214‑1‑3 du présent code ». Le b du 2° détermine la nature des sanctions administratives pouvant être imposées aux fonds d’investissement ne respectant pas cette interdiction. Le régime des sanctions laissées à l’appréciation de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers reprend celui prévu à l’article L. 621‑15 du code monétaire et financier pour les sociétés financières, soit « l’avertissement, le blâme, l’interdiction à titre temporaire ou définitif de l’exercice de tout ou partie des services fournis, la radiation du registre d’immatriculation ». Ces sanctions peuvent être prononcées à la place ou en sus d’une sanction financière « dont le montant est compris entre 1 % et 5 % du chiffre d’affaires desdits fonds ».
Il s’agit d’établir non seulement un plafond de la sanction financière, comme il est déjà fait, en droit positif, au III bis de ce même article, mais également un plancher, afin d’instaurer un montant dissuasif s’agissant d’investissements ou de crédits qui ne font pas l’objet de publicité spécifique, dans le cas de sociétés non cotées. S’il apparaît nécessaire d’établir des sanctions importantes, le même article comporte déjà des garanties propres aux sanctions administratives de l’Autorité des marchés financiers, et rappelle au III ter l’ensemble des éléments d’appréciation dont l’administration doit tenir compte au nom du principe de proportionnalité de la sanction.
● Enfin, l’article 1er aménage un délai de six mois préalable à l’entrée en vigueur de l’interdiction faite aux fonds d’investissement d’entrer au capital des entreprises de crèches, afin de laisser aux acteurs financiers le temps nécessaire pour se défaire des titres en leur possession ou liquider les créances qu’ils détiennent, et donc ne pas déstabiliser plus encore un secteur économique déjà en difficulté.
Les auditions des différents acteurs du secteur et des administrations, menées par la rapporteure, ont souligné les risques inhérents à une interdiction aussi stricte de l’intervention des fonds d’investissement dans le développement ou la consolidation des entreprises de crèches. La rapporteure est pleinement consciente des besoins de financement auxquels doivent faire face les entrepreneurs du secteur. Tout en rappelant son attachement au service public de la petite enfance et à la place centrale que doivent y occuper les crèches publiques et associatives, la rapporteure ne souhaite pas mettre en péril la pérennité des crèches gérées par des entreprises privées, qui remplissent un rôle indispensable dans la fourniture d’une offre de places adaptées aux besoins des familles sur l’ensemble du territoire.
Dès lors, l’objectif poursuivi par la présente proposition de loi pourrait également être atteint au moyen de dispositifs législatifs n’interdisant pas strictement la participation de fonds d’investissement au développement des entreprises de crèches, mais encadrant les conditions et modalités de leur intervention au capital de ces entreprises.
Il serait ainsi possible de faire évoluer le dispositif prévu à l’article 1er de la proposition de loi vers un régime d’autorisation préalable. Le nouvel article L. 214‑1‑3 inséré au chapitre IV du titre Ier du livre II du code monétaire et financier disposerait ainsi que l’acquisition, par un fonds d’investissement, de parts, d’actions, de titres, de créances ou de contrats financiers d’une entreprise de crèches serait soumise à l’autorisation préalable du ministre chargé de l’enfance et du ministre chargé de l’économie. Cette autorisation serait délivrée sur le fondement de critères définis par décret en Conseil d’État afin de garantir, en toutes circonstances, la sécurité et la qualité de l’accueil des enfants au sein des crèches gérées par ces entreprises. Le décret énumérerait des critères tant financiers qu’extra-financiers, qui sont apparus, au cours des auditions menées par la rapporteure, propres à assurer un investissement approprié aux spécificités des entreprises concernées. Parmi ces critères, qui resteront à définir par les services du ministère des solidarités en concertation avec les organisations syndicales et les représentants des organismes familiaux, la rapporteure propose la durée de l’investissement, le taux d’intérêt, l’absence de versement de dividendes ou encore la qualité du dialogue social au niveau du groupe.
Enfin, la rapporteure juge nécessaire de prolonger ce contrôle préalable à la délivrance de l’autorisation par un contrôle à échéance régulière du respect des critères d’adéquation de l’investissement. L’Autorité des marchés financiers et la Caisse nationale des allocations familiales apparaissent, en première analyse, les organismes les plus à même d’assister les ministres compétents dans la délivrance de ces autorisations et l’exercice de leur pouvoir de contrôle.
● À l’initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement de réécriture globale, ainsi que plusieurs amendements de coordination, visant à transformer le régime d’interdiction stricte d’entrée des fonds d’investissement et fonds de dette au capital des entreprises de crèches initialement prévu en un régime d’autorisation préalable plus opérationnel.
Un tel régime de contrôle, adapté et proportionné, correspond à l’esprit de la proposition de loi, qui se concentre sur des mesures d’urgence, sans porter atteinte à la pérennité des crèches privées lucratives, dont le rôle majeur dans l’accueil du jeune enfant ne saurait être brusquement remis en cause sans mettre les familles et les salariés de ces entreprises en grande difficulté. La rapporteure a insisté sur le nécessaire encadrement de la financiarisation du secteur, qui doit être mis à l’abri d’objectifs de rentabilité et d’investissements ne prenant pas suffisamment en considération les exigences de qualité et de sécurité des structures d’accueil du jeune enfant. Le système de contrôle prévu par le nouveau dispositif n’exclut pas, en revanche, les moyens de financement appropriés à la consolidation des entreprises de crèches, dans une conjoncture économique plus difficile, et à un développement raisonné, s’inscrivant dans le cadre du nouveau service public de la petite enfance.
En outre, le septième alinéa de l’article 1er modifie l’article L. 621‑15 du code monétaire et financier, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2024‑936 du 15 octobre 2024 relative aux marchés de crypto-actifs, afin d’établir un régime de sanctions en cas de défaut de sollicitation, par les fonds d’investissement et fonds de dette, de l’autorisation préalable, ou de non-observation, sur la durée de l’investissement, des critères conditionnant l’octroi de ladite autorisation. Ces sanctions sont prononcées par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers.
Par ailleurs, l’entrée en vigueur différée de l’interdiction, présente dans la rédaction initiale de l’article 1er, devenue superflue, a été logiquement supprimée par la commission, à l’initiative de la rapporteure. Les mesures d’urgence prévues par la proposition de loi trouveront donc à s’appliquer sans délai.
● Enfin, l’adoption par la commission, après avis favorable de la rapporteure, de deux sous-amendements à son amendement de réécriture globale, respectivement de M. Thibault Bazin (groupe Droite Républicaine) et de Mme Sophia Chikirou (groupe La France insoumise – Nouveau Front Populaire), a permis d’apporter des précisions sur l’autorité compétente pour prononcer l’autorisation d’investissement. Afin d’assurer une décision fondée sur l’intérêt des enfants accueillis et des personnels de la petite enfance du secteur privé, il revient aux ministres chargés de l’enfance et des affaires sociales de se prononcer.
Si cette décision s’appuie sur l’expertise de l’Autorité des marchés financiers, qui examine le respect des critères s’appliquant directement aux investisseurs, il est ajouté, au cinquième alinéa, que la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) est compétente pour éclairer la décision des ministres. Cette double consultation n’exclut nullement la faculté, pour les ministres, de solliciter d’autres « services compétents » des ministères – ceux-ci pouvant notamment diligenter, en sus, une mission de l’inspection générale des affaires sociales. La Cnaf apparaît comme un appui indispensable en raison de sa connaissance fine des établissements et de leur comptabilité, y compris au niveau agrégé des entreprises et des groupes.
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Adopté par la commission avec modifications
Le présent article augmente le montant de la sanction financière prononcée en cas de non‑respect des conditions de l’autorisation de l’établissement ou de risques pour la santé, la sécurité ou le bien-être des enfants accueillis dans les crèches, quel que soit le statut de celles-ci (secteur public, secteur privé lucratif ou non lucratif).
Pour répondre aux différentes révélations de cas de maltraitance dans les crèches intervenues en 2023, le Gouvernement a introduit dans la loi pour le plein emploi des dispositions instaurant, au 1er janvier 2025, un service public de la petite enfance. Cette ambition s’est accompagnée de nouveaux pouvoirs donnés aux autorités chargées du contrôle des établissements d’accueil des jeunes enfants (EAJE) en renforçant les outils à leur disposition pour faire cesser, et le cas échéant sanctionner, les dysfonctionnements et manquements pouvant porter atteinte à la sécurité et au bien-être des enfants accueillis.
L’article L. 2324‑3 du code de la santé publique a ainsi été profondément remanié par l’article 18 de la loi pour le plein emploi. Il confère au président du conseil départemental et au représentant de l’État dans le département de nouvelles facultés dans l’exercice de leur mission de contrôle des établissements d’accueil des enfants de moins de 6 ans. Alors que ces autorités ne disposaient que d’un pouvoir d’injonction ou de fermeture, totale ou partielle, provisoire ou définitive, des établissements concernés, elles ont, depuis le 1er janvier 2024, la faculté de prononcer en sus des sanctions financières. L’intérêt de ces sanctions est de faire porter la responsabilité des manquements compromettant « la santé, la sécurité, le bien-être physique ou mental ou l’éducation des enfants accueillis » non seulement sur l’établissement présentant les risques, mais aussi sur la structure juridique qui le gère ou l’exploite.
Dans sa rédaction résultant de la loi du 18 décembre 2023, l’article L. 2324‑3 définit les pouvoirs d’injonction, d’administration, d’astreinte et de sanction du président du conseil départemental et du préfet, en cas de manquement constaté à l’issue des contrôles que ces mêmes autorités ont le pouvoir de diligenter, en vertu de l’article L.°2324‑2 du même code, au sein des établissements d’accueil des jeunes enfants, quel que soit leur statut juridique.
D’une part, les autorités chargées du contrôle des crèches peuvent prononcer des astreintes d’un montant de 1 000 euros par jour au plus, proportionné à la gravité des faits pour chaque jour de retard pris par l’établissement visé pour se conformer à l’injonction qui lui a été adressée. L’astreinte peut être renouvelée pour une durée totale ne pouvant excéder trois ans.
D’autre part, des sanctions financières peuvent être prononcées. Elles sont plafonnées à un montant maximal de 5 % du chiffre d’affaires réalisé en France et dans le champ d’activité en cause par le gestionnaire lors du dernier exercice connu. Lorsqu’aucun chiffre d’affaires ne peut être déterminé, le plafond est fixé à 100 000 euros.
Ces sanctions, prévues par la loi du 18 décembre 2023 à l’article L. 2324‑2 du code de la santé publique, complètent le régime de contrôle des crèches sur le modèle des sanctions existant pour les autres établissements ou services sociaux ou médico-sociaux (ESMS). Le régime de sanctions prévu pour les crèches est ainsi similaire à celui établi pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) à l’article L. 313‑14 du code de l’action sociale et des familles, issu de l’article 62 de la loi n° 2022‑1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023.
Il convient de relever que les sanctions prévues à l’article 18 de la loi du 18 décembre 2023 n’ont pu encore être prononcées, en l’absence de parution du décret d’application. La ministre chargée de l’enfance a néanmoins confirmé à la rapporteure que ce décret devrait être publié avant la fin de l’année 2024.
L’article 2 de la présente proposition de loi modifie le IV de l’article L. 2324‑3 du code de la santé publique afin de renforcer les sanctions applicables aux établissements d’accueil de jeunes enfants dont le fonctionnement n’est pas conforme à la réglementation ou présente des risques susceptibles de compromettre ou de menacer la santé, la sécurité, le bien-être physique ou mental ou l’éducation des enfants accueillis. Il est proposé de rehausser et d’encadrer les sanctions pouvant être prononcées par les autorités responsables du contrôle des crèches, c’est-à-dire le président du conseil départemental et ou le préfet.
D’une part, le plafond des sanctions, jusqu’ici fixé à 5 % du chiffre d’affaires, est porté à 15 %, tandis que le montant de la sanction ne peut être inférieur à 5 %. Lorsque le chiffre d’affaires ne peut être déterminé, le montant de la sanction est obligatoirement compris entre 10 000 et 10 millions d’euros.
Les sanctions administratives applicables aux EAJE sont ainsi encadrées dans une large fourchette laissée à l’appréciation des autorités administratives, au regard de la gravité des faits. La publication, prévue au début de l’année 2025, d’un référentiel national d’évaluation et de contrôles des EAJE, justifie également leur renforcement. La rapporteure rappelle toutefois que, dans l’hypothèse où les enfants sont mis en danger, ces sanctions ne sont pas la seule faculté dont ces autorités disposent. La fermeture des établissements, totale ou partielle, définitive ou provisoire, doit alors être privilégiée.
La rapporteure insiste sur la portée politique de cet encadrement et de ce rehaussement des sanctions dès lors que le comportement ou manquement sanctionné fait courir des risques pour les enfants accueillis dans les crèches, publiques, privées lucratives ou non lucratives. La disposition proposée permet au législateur de montrer sa résolution à ne tolérer, à l’avenir, aucune situation mettant en danger les jeunes enfants dans les établissements où ils sont accueillis.
À l’initiative de la rapporteure, deux amendements ont été adoptés par la commission afin de renforcer le régime des sanctions applicables en cas de manquement aux règles de qualité et de sécurité d’accueil du jeune enfant, déjà consolidé par les dispositions résultant de l’article 18 de la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, mais en excluant le pourcentage du chiffre d’affaire ou le montant plancher initialement prévus.
Dans sa rédaction adoptée par la commission, l’article 2 de la présente proposition de loi relève donc à 15 % du chiffre d’affaires, ou, à défaut, à 1 million d’euros, le plafond des sanctions pouvant être appliquées aux crèches ne respectant pas leurs obligations – au lieu, respectivement, de 5 % du chiffre d’affaires ou 100 000 euros. Cette augmentation du plafond, outre son message politique, apparaît particulièrement expédiente, alors qu’un nouveau référentiel des contrôles sera publié par un décret d’ici le début de l’année 2025.
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Le présent article interdit les formations délivrées entièrement en distanciel pour l’obtention du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) « Accompagnant éducatif petite enfance ».
Le secteur de la petite enfance se caractérise par la coexistence de plusieurs métiers – les accompagnants éducatifs, les auxiliaires de puériculture, les éducateurs de jeunes enfants ou encore les infirmiers puériculteurs. Ils correspondent à des niveaux de qualification différents : certification d’aptitude professionnelle (CAP), baccalauréat professionnel, licence professionnelle.
● Les accompagnants éducatifs prodiguent les soins du quotidien aux jeunes enfants et animent les activités d’éveil qui leur sont proposées. Ils sont titulaires d’un CAP « Accompagnant éducatif petite enfance » (AEPE), auparavant dénommé CAP « Petite enfance », qui forme les professionnels aux besoins fondamentaux des enfants – alimentation, sommeil, soins –, à leur développement affectif et intellectuel ainsi qu’à leurs processus de socialisation.
Le CAP AEPE est accessible dès la classe de troisième. Il dure deux ans, ou un an seulement si la formation est suivie après l’obtention d’un premier diplôme. La formation peut être initiale ou continue, être suivie en apprentissage ou en candidat libre, et intégrer des enseignements à distance par l’intermédiaire d’organismes comme le Centre national d’enseignement à distance (Cned) ou les groupements d’établissements publics locaux d’enseignements (Greta). Dans tous les cas, il comprend un stage obligatoire d’une durée de quatorze semaines.
● Les auxiliaires de puériculture proposent des activités d’éveil et des soins auprès des enfants de la naissance à l’adolescence, afin d’assurer leur bien-être et d’accompagner leur développement et leur autonomie. Ils participent également à l’accueil et à l’intégration sociale des enfants porteurs de handicap, atteints de maladies chroniques ou en situation de risque d’exclusion.
Ils sont titulaires d’un diplôme d’État d’auxiliaire de puériculture (DEAP) à l’issue d’une formation obligatoire d’une durée de onze mois au sein d’un institut de formation. Ils y accèdent après une sélection sur dossier, confirmée par un entretien individuel, après l’obtention d’un baccalauréat professionnel dans le domaine social et médico-social, ou par une validation des acquis de l’expérience. La formation peut être initiale ou continue, être suivie en alternance ou dans le cadre d’un enseignement à distance pour certains modules.
● Les éducateurs de jeunes enfants (EJE) sont des spécialistes de l’accompagnement des enfants de moins de 7 ans et de leurs familles. Ils contribuent à leur épanouissement et à leur autonomie dans une démarche globale en accompagnant leur éveil, leur socialisation et leur inclusion sociale. Ils élaborent le projet social, éducatif et pédagogique de la structure d’accueil, et animent une équipe pluridisciplinaire de professionnels de la petite enfance. Ils occupent généralement des responsabilités de direction au sein des crèches.
Les EJE sont titulaires d’un diplôme d’État d’éducateur de jeunes enfants (DEEJE), délivré après trois années d’études à la suite du baccalauréat. La formation se déroule en alternance sur trois ans.
● Les infirmiers puériculteurs et puéricultrices sont spécialisés dans les soins et l’accompagnement apportés aux nouveau‑nés, aux enfants et à leurs parents. Ils veillent au développement physique et psychologique de l’enfant ainsi qu’à son bon état de santé, et accompagnent les parents dans leurs fonctions parentales. Au regard de leurs qualifications, ils peuvent exercer dans les établissements d’accueil du jeune enfant, où ils occupent généralement des fonctions d’encadrement.
Ils sont titulaires d’un diplôme d’État préparé pendant un an au sein d’un établissement agréé, accessible sur concours après l’obtention d’un diplôme d’État d’infirmier ou de sage-femme.
L’article L. 444‑1 du code de l’éducation définit l’enseignement à distance comme un « enseignement ne comportant pas, dans les lieux où il est reçu, la présence physique du maître chargé de le dispenser ou ne comportant une telle présence que de manière occasionnelle ou pour certains exercices ». Les établissements privés d’enseignement à distance sont régis par les articles L. 444‑1 à L. 444‑11 du code de l’éducation.
Il existe également des établissements publics d’enseignement à distance, en premier lieu le Cned, dont l’existence est prévue à l’article R. 426‑1 du code de l’éducation. Leur fonctionnement est régi par le chapitre VI du titre II du livre IV de la partie réglementaire du même code.
Il est possible, dans le cadre des formations aux métiers de la petite enfance, et en particulier pour l’obtention du CAP AEPE, de bénéficier d’un enseignement se déroulant pour tout ou partie à distance. Dès 2023, l’Igas avait déjà alerté sur les formations en ligne dans ce domaine. La mission notait que la « forte promotion du CAP AEPE [par les pouvoirs publics] a conduit au développement accéléré des candidatures (+ 30 % entre 2019 et 2021) comme de l’appareil de formation sous des formes diverses, de l’enseignement à distance, à la formation continue et à l’apprentissage ». Or, « la prolifération des organismes de formation à distance a provoqué un doublement des candidats présents et un triplement des candidats admis depuis 2019, sans que la qualité de ces formations soit toujours garantie » ([41]).
Ainsi, selon une étude de la direction de la sécurité sociale pour le Comité de filière petite enfance, le CAP AEPE représenterait, en 2022, 8 % des formations à distance, soit 1 781 personnes sur un total de 21 823 inscrits. Parmi ces diplômés, 43 % seraient des candidats individuels formés par le Cned ([42]).
Le taux de réussite varie significativement selon les modes de formation. En 2022, les formations à distance affichaient un taux de réussite de 75 %, légèrement supérieur à celui des candidats individuels (72 %). Toutefois, ces chiffres restaient inférieurs à ceux observés pour la formation continue (89 %), la voie scolaire (88 %) et l’apprentissage (87 %). Dès lors, si les formations à distance offrent une flexibilité appréciable, elles présentent des limites majeures en matière de contrôle pédagogique et d’acquisition des compétences pratiques ([43]).
L’article 3 de la présente proposition de loi insère, au sein du code de l’éducation, un nouvel article L. 444‑12 qui interdit aux personnes titulaires d’un CAP AEPE obtenu à l’issue d’une formation en ligne d’exercer au sein des établissements d’accueil du jeune enfant.
Cette disposition vise à garantir la qualité de la formation délivrée aux professionnels de la petite enfance, et à s’assurer qu’elle soit adaptée aux exigences spécifiques de ces métiers. Cela permettra de prévenir toute altération de la qualité d’accueil proposée au sein des crèches tout en renforçant la sécurité et le bien-être des enfants.
Les auditions conduites par la rapporteure ont toutefois souligné la nécessité de consolider le dispositif du présent article pour s’assurer que l’interdiction vise également les formations à distance proposées par des organismes publics, dont le Cned.
● À l’initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement de réécriture visant à garantir que l’interdiction :
– couvre également les formations réalisées dans des établissements publics de formation à distance, et en premier lieu le Cned ;
– ne concerne que les professionnels qui auront suivi leur formation après le 1er janvier 2026.
● La commission a adopté un amendement de Mme Sophia Chikirou et de ses collègues du groupe La France insoumise – Nouveau Front Populaire, avec avis favorable de la rapporteure. Cet amendement précise que la charte nationale d’accueil du jeune enfant prévoit que le taux d’encadrement des enfants accueillis dans les crèches permet de répondre aux besoins fondamentaux des enfants.
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Introduit par la commission
L’article 4 prévoit la remise d’un rapport par le Gouvernement au Parlement sur les modalités de financement des crèches que constituent la prestation d’accueil du jeune enfant et la prestation de service unique.
L’article 4 résulte de l’adoption, avec l’avis favorable de la rapporteure, d’un amendement de M. Louis Boyard et de ses collègues du groupe La France insoumise – Nouveau Front Populaire, qui prévoit la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, sur les deux prestations qui permettent de financer les crèches, la prestation d’accueil du jeune enfant et la prestation de service unique.
Il prévoit que ce rapport fait état des évolutions nécessaires de ces prestations, en analysant l’impact de leur mode de calcul sur la qualité de l’accueil des enfants et sur les conditions de travail des professionnels. Il devra également estimer l’opportunité d’une suppression du taux de facturation comme critère de financement des établissements d’accueil du jeune enfant, au profit d’un financement reposant uniquement sur les heures facturées. Enfin, le rapport devra formuler des préconisations pour faire évoluer le mode de financement de ces établissements.
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Lors de sa première réunion du mercredi 4 décembre2024, la commission examine la proposition de loi prenant des mesures d’urgence pour protéger nos enfants accueillis en crèches privées à but lucratif (n° 517) (Mme Céline Hervieu, rapporteure) ([44]).
Mme Céline Hervieu, rapporteure. Je suis très heureuse et fière d’être présente parmi vous aujourd’hui pour l’examen de cette proposition de loi comportant des mesures d’urgence pour protéger nos enfants accueillis en crèche privée à but lucratif. La petite enfance est un domaine dans lequel je me suis investie en tant qu’élue locale puisque j’ai été conseillère de Paris déléguée à la petite enfance à partir de 2020. Je me suis alors engagée pour un service public accessible à toutes les familles et je compte continuer ce travail en tant que députée.
La petite enfance est une période cruciale pour le développement des enfants et pour la création des liens affectifs avec leurs parents et tous les adultes qui les entourent, comme le rapport de la commission des 1 000 premiers jours l’a montré.
Les services aux familles que proposent les pouvoirs publics à tous les échelons, et en particulier les modes d’accueil, revêtent donc une importance toute particulière. Ils permettent notamment aux parents de concilier leur vie professionnelle et leur vie personnelle, et favorisent ainsi l’égalité entre les femmes et les hommes dans la sphère professionnelle comme dans la sphère domestique. Ils doivent également garantir aux jeunes enfants un accueil de qualité adapté à leurs besoins individuels.
Or, depuis deux ans, force est de constater que nous ne sommes pas à la hauteur de ces enjeux. Le secteur de la petite enfance souffre d’un sous-financement structurel face à l’augmentation des coûts de fonctionnement des crèches malgré les milliards d’euros d’argent public investis chaque année. Alors même que les professionnels de la petite enfance prennent soin de nos enfants au quotidien, les accompagnent dans leur éveil, dans leur développement, tant sur le plan moteur qu’affectif ou social, elles – parce que ce sont souvent des femmes –souffrent de conditions de travail dégradées dont la pénibilité n’est pas reconnue et sont insuffisamment rémunérées.
L’accueil des jeunes enfants constitue un service public essentiel, mais les collectivités territoriales rencontrent de plus en plus de difficultés pour maintenir des places d’accueil sur leur territoire. Alors qu’il manque 200 000 places de crèche, il n’existe qu’une place de crèche pour cinq enfants. L’accueil de tous les enfants est donc très loin d’être assuré. Ce déficit d’offre constitue l’échec collectif d’un modèle qui a pourtant accompagné, depuis une vingtaine d’années, le développement d’entreprises privées lucratives, censées créer des places supplémentaires en France. Certaines sont devenues dans l’intervalle des leaders mondiaux de l’accueil du jeune enfant, sans pour autant parvenir à répondre à l’ensemble des besoins des familles.
À partir du début des années 2000, les pouvoirs publics ont fait le choix d’encourager le développement du secteur privé lucratif. Les entreprises de crèche bénéficient, à l’instar des crèches publiques, de la prestation de service unique (PSU) pour couvrir une partie de leurs coûts de fonctionnement. Elles peuvent en outre, contrairement aux crèches publiques, mobiliser des avantages fiscaux dont bénéficient les employeurs réservataires de berceau pour assurer leur rentabilité et leur profitabilité. Grâce à ce dispositif, construit en partenariat avec les pouvoirs publics, le secteur privé lucratif a bénéficié d’un effet d’aubaine qui a facilité la recherche d’investisseurs pour financer leurs stratégies de croissance. Il faut le reconnaître, jusqu’au milieu des années 2000, le développement du secteur privé lucratif a favorisé le développement de l’offre de crèches en France et que les entreprises privées ont apporté des innovations pédagogiques dans le secteur.
Je ne suis pas, par principe, opposée au secteur privé lucratif. Ces stratégies peuvent cependant être interrogées quand elles ne contribuent plus à améliorer la couverture du territoire mais se concentrent sur le rachat de structures déjà existantes et qu’elles peuvent éventuellement conduire à une dégradation de la qualité de l’accueil.
Je suis consciente que de nombreux entrepreneurs ont fait le choix d’ouvrir des crèches ou des micro‑crèches dans le secteur privé par conviction et que tous ne sont pas guidés par l’unique recherche du profit. En tout état de cause, quel que soit le regard que nous portons sur le secteur privé lucratif, nous ne pouvons pas nous passer de ces dizaines de milliers de places de crèche, au risque de mettre les familles en grande difficulté, sans solution de mode d’accueil. Même si nous le voulions, nous ne pourrions pas, du jour au lendemain, mettre fin à un modèle qui a mis plus de vingt ans à se construire.
Pour autant, nous ne pouvons pas ignorer les alertes, qui se sont multipliées au cours des deux dernières années. L’enquête récente de Victor Castanet, dans son ouvrage Les Ogres, montre les dérives financières, notamment celles du groupe People&Baby, l’un des quatre leaders du secteur. La situation économique et financière très dégradée de ce groupe doit nous interpeller sur cette logique de financiarisation. Les quatre plus grandes entreprises de crèche, – People&Baby, Babylou, La Maison Bleue et Les Petits Chaperons Rouges – représentent environ 60 000 places d’accueil et elles comptent parmi leurs actionnaires des fonds d’investissement ou des fonds de dette comme Antin Infrastructure, Infravia, TowerBrook ou Alcentra.
Le cas de People and Baby est un les plus extrêmes, mais il témoigne de mécanismes à l’œuvre dans tout le secteur et du risque de voir ces fonds prendre le contrôle d’entreprises dans un secteur qui est largement financé par de l’argent public. Il est donc de notre devoir d’être vigilant et de prendre des mesures de moralisation et de régulation financière. C’est l’un des objectifs de cette proposition de loi.
La rédaction initiale de l’article 1er interdisait aux fonds d’investissement d’entrer dans le capital d’une entreprise de crèches française. Les auditions m’ont néanmoins montré les limites d’une interdiction « sèche » qui ne s’appliquerait, au mieux, qu’aux fonds français et européens, et qui risqueraient, en déstabilisant fortement des entreprises déjà fragilisées, de conduire à la fermeture de berceaux. Elle pourrait en outre être jugée contraire au droit européen et à la Constitution. J’ai donc déposé un amendement de réécriture de l’article proposant un mécanisme d’autorisation préalable à l’entrée d’un fonds d’investissement dans le capital d’une entreprise de crèche. Cette autorisation préalable serait délivrée par les ministres chargés de la famille et de l’économie après avis de l’Autorité des marchés financiers (AMF), sur la base de critères permettant de prendre en compte les spécificités de l’accueil du jeune enfant : longue durée d’investissement, pas d’objectif de rentabilité à très court terme et pas d’aggravation de la situation financière de l’entreprise. Ce dispositif me semble équilibré et la ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance s’est montrée ouverte à cette proposition.
L’article 2 propose le renforcement des sanctions instaurées par l’article 18 de la loi pour le plein emploi en cas de non-respect des conditions d’agrément et des normes d’accueil. On ne peut pas impunément porter atteinte à la sécurité physique, psychique ou affective des enfants. Certains ont cependant reproché aux socialistes d’instaurer ainsi des peines planchers. Afin que ces critiques, qui reposent sur des arguments fallacieux, ne ternissent pas le contenu de la proposition de loi, je proposerai un amendement supprimant la référence à un montant plancher pour la remplacer par une augmentation du montant des plafonds.
L’article 3 interdit les formations exclusivement délivrées en ligne. Il n’est pas possible en effet, dans de telles conditions, d’apprendre à s’occuper d’un enfant.
Cette proposition de loi est une première pierre essentielle pour les jeunes enfants et leur famille. Je remercie les administrateurs de l’Assemblée nationale qui m’ont apporté leurs précieux conseils, mes collaborateurs ainsi que tous ceux qui, parmi vous, se sont montrés attentifs à ce texte.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs de groupe.
M. Thierry Frappé (RN). L’accueil de la petite enfance est un pilier de notre société. Les trois premières années de vie d’un enfant sont essentielles et nécessitent un environnement stable, bienveillant et encadré par la compétence de professionnels bien formés.
Les récents scandales dans certaines crèches privées à but lucratif ont mis en lumière des pratiques contraires à l’intérêt des enfants, pour ne pas dire frauduleuses : rationnement, encadrement insuffisant, opacité financière...
Les sanctions renforcées contre les établissements en manquement prévues à l’article 2 traduisent la nécessité d’un contrôle rigoureux pour garantir la sécurité et le bien‑être des enfants.
L’interdiction de formation à distance pour les professionnels de la petite enfance prévue à l’article 3 est une réponse appropriée pour rehausser les standards de qualité et préparer efficacement les professionnels à leur mission.
L’article 1er suscite un débat complexe. Nous comprenons la volonté de mieux encadrer la financiarisation, mais il faut évaluer avec précaution les implications d’une telle mesure, notamment sur la capacité des structures à se financer durablement.
L’accueil de la petite enfance mérite une réflexion plus globale. Il est nécessaire de renfoncer les contrôles, de conditionner les aides publiques au respect de normes de qualité et de revaloriser les métiers pour rendre ce secteur plus attractif. Chaque action doit avoir pour objectif le bien-être des enfants et la confiance des familles. Ce texte perfectible nous offre l’opportunité de progresser sur ces enjeux cruciaux.
Mme Annie Vidal (EPR). Cette proposition de loi répond à une attente forte de la société puisqu’elle tend à garantir la sécurité et la bientraitance des enfants accueillis dans les crèches.
Les récents drames, largement médiatisés, et les enquêtes parlementaires ont mis en lumière des dysfonctionnements graves, suscitant une émotion légitime chez nos concitoyens. Cette émotion doit se transformer en solutions concrètes et opérationnelles. Notre groupe est pleinement engagé dans la promotion de la bientraitance, que ce soit dans les établissements accueillants des jeunes enfants ou dans ceux accueillant des personnes âgées ou des personnes en situation de handicap. C’est dans cet esprit que nous soutenons les recommandations du rapport de Sarah Tanzilli et Thibault Bazin pour prévenir les maltraitances et améliorer la qualité de l’accueil.
La rédaction initiale de l’article 1er risquait d’entraîner des pertes de place et stigmatisait les entreprises privées. Nous soutiendrons donc la réécriture de l’article que vous avez évoquée.
Les sanctions financières sont nécessaires pour moraliser le secteur, mais elles doivent être préalablement évaluées avant d’envisager leur durcissement.
J’espère que nos débats permettront l’amélioration du texte et que nous pourrons ainsi le voter. Je termine en précisant qu’il n’est pas question de stigmatiser le secteur privé, car nous avons besoin de l’ensemble des acteurs, publics et privés, pour accueillir les jeunes enfants
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Je suis dépitée : vous nous avez fait travailler sur une proposition de loi visant à définanciariser le secteur pour, à la dernière minute, présenter des amendements qui changent complètement la nature du texte. Or la commission d’enquête a bien démontré que le principal problème de ce secteur était précisément la financiarisation. Sous prétexte d’un travail transpartisan, vous cédez à la pression du lobbying des crèches privées. Je ne suis pas d’accord avec vous et je ne sais même plus quelle attitude adopter.
Je trouvais déjà la rédaction initiale de l’article 1er insuffisante, car les fonds d’investissement prêtent de sommes colossales aux groupes de crèches et, ce faisant, les mettent sous tutelle. Que dire de votre recul et de votre attitude, qui ne nous laisse même pas le temps de sous-amender ? Ce n’est pas correct !
Depuis une vingtaine d’années, les pouvoirs publics ont sciemment organisé la financiarisation du secteur, qui était 100 % publics. Aujourd’hui, il est détenu à un tiers par le privé et les nouvelles places ne sont confiées qu’à des groupes privés. L’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) ont d’ailleurs souligné que le financement public était surcalibré. Il y a un vrai problème de détournement du financement public par les fonds d’investissement. Le dispositif d’autorisation préalable ne fera que perpétuer le fonctionnement du secteur, qui est nuisible aux parents, aux enfants et aux personnels.
Je suis extrêmement déçue par votre attitude.
M. Arnaud Simion (SOC). Je remercie la rapporteure Céline Hervieu pour la qualité du travail collectif et pour son rapport.
Les études scientifiques montrent que la biologie ne décide pas de notre destin : c’est le vécu des enfants au cours des premières années qui conditionne et définit leur avenir. En 2020, la commission des 1 000 premiers jours, présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, a souligné la nécessité de placer l’intérêt supérieur de l’enfant au cœur des politiques publiques de la petite enfance. Or, plusieurs sources ont récemment révélé la gestion délétère des groupes gérant des crèches privées à but lucratif.
Le rapport de l’Igas d’avril 2023 cite ainsi des témoignages constatant que les « enfants devaient rester avec les couches souillées en attendant du renfort », des « privations d’eau » ou encore une « commande intentionnelle de repas en moins pour faire des économies ». Le livre de Victor Castanet Les Ogres dénonce des dysfonctionnements graves, comme le manque de transparence financière ou le rationnement des produits alimentaires.
Derrière ces scandales se cache un véritable phénomène de financiarisation des activités du soin et du lien, qui concerne également le secteur des personnes âgées et des personnes en situation de handicap.
La proposition de loi, et notamment son article 1er réécrit, a le mérite de contenir des mesures d’urgence pour stopper ce phénomène, en interdisant aux fonds d’investissement d’acquérir, de gérer et de revendre des titres et des parts de groupes privés de crèches, avec des sanctions au cas de non-respect, en aggravant les sanctions financières en cas de non‑respect des règles de sécurité et de qualité de l’accueil des enfants en crèche, et en interdisant les formations privées réalisées à distance.
Les élus du groupe Socialistes et apparentés sont heureux de vous présenter ce texte qui mettra fin à la recherche effrénée du profit et des dividendes sur le dos de la santé de nos enfants en bas âge. Après le scandale touchant certains établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), la représentation nationale et les pouvoirs publics doivent prendre des mesures claires de façon urgente.
M. Thibault Bazin (DR). Vous estimez que la financiarisation du secteur des crèches privées à but lucratif a conduit à des dérives. Le secteur doit certes être régulé, mais je ne partage pas l’intégralité de votre exposé des motifs. Dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur le modèle économique des crèches que j’avais eu l’honneur de présider, la rapporteure Sarah Tanzilli estimait dans son rapport que si ces crèches sont tout particulièrement pointées du doigt, « la dégradation de la qualité d’accueil touche, en réalité, les crèches de tout statut juridique, car elle résulte d’un modèle économique qui finance insuffisamment les structures d’accueil du jeune enfant, et d’une pénurie de professionnels de la petite enfance ». Nous devons donc lutter contre toutes les dérives ; peu importe le statut du gestionnaire.
L’article 1er du texte interdirait à tous les fonds d’investissement d’investir dans les crèches. Or la commission d’enquête a établi que les fonds d’investissement présents au capital des grands groupes de crèches – dont certains sont publics – n’exercent aucune pression sur les coûts en vue d’en améliorer la rentabilité à court terme.
Dans nos échanges préparatoires, madame la rappporteure – je salue votre souci permanent de concertation en amont – j’ai donc plaidé pour une réécriture complète de l’article afin de revenir sur l’interdiction des fonds d’investissement. Un régime d’autorisation préalable si possible par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) – je déposerai un sous-amendement en ce sens – nous semble préférable. En outre, compte tenu de l’état actuel de nos finances publiques, il serait préjudiciable d’exclure par principe tous les fonds d’investissement, y compris les fonds éthiques et les fonds publics.
Les articles 2 et 3 ne nous posent pas de difficultés majeures, mais il serait préférable de ne pas interdire purement et simplement le recours, même partiel, aux formations à distance.
Notre groupe votera cette proposition de loi, à condition que l’article 1er soit réécrit.
M. Hendrik Davi (EcoS). Les conditions d’accueil des enfants de moins de 3 ans dans les crèches sont un sujet crucial pour les parents et leurs enfants. Les conditions de sécurité sont-elles respectées ? L’alimentation est-elle saine ? Le personnel est-il bien formé ? Voilà les questions que se posent les familles.
Cette proposition de loi vise à prendre des mesures d’urgence pour protéger les enfants accueillis dans les crèches privées à but lucratif ; elles allaient initialement dans le bon sens. Après les révélations sur les crèches privées, notamment dans le livre Les Ogres de Victor Castanet, beaucoup d’entre nous se sont légitimement demandé comment nous en étions arrivés là.
La réponse est simple, car la même logique est à l’œuvre dans tous les services publics : on privatise et on met en concurrence. L’accueil de la petite enfance devient un commerce comme les autres. Tout a commencé dans les années 2000 ; avant, seules les communes et les associations assuraient l’accueil collectif de la petite enfance. Petit à petit, grâce à l’aide apportée par l’État aux structures lucratives, les créations d’établissements privés lucratifs ont progressé dix fois plus rapidement que celles d’établissements publics, avec à la clé des bénéfices records pour les grands groupes comme Babilou, dont le président fait partie des cinq cents plus grandes fortunes de France. Tout cela se fait bien sûr au détriment de la qualité de l’accueil et des conditions de travail des personnels des crèches.
Pour réduire les coûts, faire du profit et gagner des parts de marché, les structures lucratives se sont lancées dans des pratiques low cost : réduction du personnel, qui est moins bien formé et moins payé, mais aussi réduction des coûts des repas, des couches et des jouets. Voilà comment on en arrive à des situations dramatiques, lorsque des enfants sont victimes de maltraitances physiques et psychologiques. C’est pourtant simple : on ne doit pas faire de profit sur un public vulnérable, qu’il s’agisse des jeunes enfants ou des personnes âgées.
Par ailleurs, ce texte ne résout pas le problème du nombre de places en crèche : moins d’un enfant sur cinq bénéficie d’une place et faute de solution, plus de 150 000 parents – surtout des mères – arrêtent de travailler. Au-delà des mesures d’urgence proposées, que nous voterons, même si je partage les questions et les doutes de ma collègue Sophia Chikirou, il est urgent de revenir sur la logique de privatisation des crèches et sur leur mode de financement donnant lieu à de nombreuses dérives ; c’est pourquoi je vous invite à retirer vos amendements, madame la rapporteure.
M. Jean-Carles Grelier (Dem). Incontestablement, vos intentions ne sont pas dénuées de pertinence. Cependant, je trouve cette proposition de loi redondante, en particulier avec les articles 17 et 18 de la loi du 18 décembre 2023. Nonobstant la structure capitalistique des établissements, il importe de garantir aux parents un accueil de qualité pour leurs enfants.
Je me suis procuré le décret d’application de ces articles 17 et 18, qui sera publié prochainement. Il comprend huit articles, qui prévoient notamment : l’obligation pour un directeur de crèche privée à but lucratif de respecter les quotités minimales de temps de travail dédié aux fonctions de direction correspondant aux petites crèches, soit 0,5 équivalent temps plein (ETP) ; la présence d’au moins un professionnel diplômé dans l’équipe d’encadrement des enfants ; la possibilité d’accueillir trois enfants pour un professionnel.
Ce décret d’application, dont les consultations touchent à leur fin, répondra à toutes vos préoccupations. Il ne réglera sans doute pas la dimension capitalistique, mais il correspond aux préconisations de l’Igas et de l’IGF formulées en 2023 et en 2024. Par conséquent, votre proposition de loi est satisfaite par les dispositions légales existantes et réglementaires à venir.
M. François Gernigon (HOR). Le groupe Horizons & Indépendants soutient les parents et les professionnels pour garantir un accueil sûr et de qualité dans les crèches. Les récents scandales, révélés par le livre Les Ogres et par différents rapports officiels, ont exposé de graves dérives dans certaines structures privées. Il est évidemment essentiel de recentrer les priorités sur le bien-être des enfants et de prévenir l’influence de logiques purement financières. Nous saluons l’ambition de cette proposition de loi, qui apporte des solutions pour remédier aux carences observées.
Cependant, l’article 1er, dans sa rédaction actuelle, défend une vision excessivement idéologique, en identifiant directement les sources des investissements comme étant la cause des dérives. Si nous comprenons la volonté d’encadrer les pratiques des fonds d’investissement dans un secteur aussi sensible, il est essentiel de rééquilibrer cet article pour éviter de stigmatiser des acteurs économiques respectueux de leurs obligations, qui contribuent à la création de places de crèche indispensables pour répondre aux besoins des familles.
S’agissant des sanctions financières prévues à l’article 2, des ajustements sont nécessaires : les seuils proposés, bien qu’ayant une volonté dissuasive, pourraient être disproportionnés et contre-productifs. Dans un contexte où des réformes réglementaires importantes sont en cours, il serait plus opportun de laisser ces dispositifs s’appliquer pleinement avant de légiférer davantage.
Enfin, l’article 3 interdit les formations à distance pour les professionnels de la petite enfance : c’est une réponse adaptée aux enjeux de qualité que nous soutenons pleinement, garantissant une formation pratique essentielle pour répondre aux besoins des enfants.
Le groupe Horizons & Indépendants soutiendra ce texte, sous réserve des modifications indispensables à son application équilibrée et pragmatique.
M. Laurent Panifous (LIOT). Madame la rapporteure, je vous remercie d’avoir inscrit à l’ordre du jour le sujet de la petite enfance, ce qui nous permet enfin de parler des dérives constatées dans certaines crèches.
Vous abordez la question de la financiarisation en proposant de contrôler la présence des fonds d’investissement dans le capital d’entreprises gestionnaires de crèches. Cette présence soulève de légitimes questions : mêler intérêts financiers et protection des plus fragiles nécessite d’apporter de fortes garanties. Toutefois, nombre de dérives sont liées au mode de financement de la PSU, qui incite à la suroccupation. Nous proposons de substituer un financement forfaitaire au financement horaire, et pas uniquement pour les crèches privées.
Il serait erroné de ne regarder que la situation des structures privées : toutes les crèches subissent la pénurie de professionnels. Il faudrait en former 70 000 pour atteindre l’objectif de 200 000 places supplémentaires d’ici à 2030. Cette pénurie ne doit pas être enrayée par la baisse des exigences de qualification, au risque de dévaloriser encore ces métiers. Il n’est pas normal que les formations diplômantes puissent se dérouler en ligne, sans contact avec des enfants. Il faudrait aussi rendre effective la formation continue.
Le groupe Libertés, Indépendants, Outre‑mer et Territoires souscrit également à votre proposition d’augmenter les sanctions en cas de non-respect des règles de sécurité et d’accueil. Les contrôles, trop peu fréquents et rarement inopinés, sont essentiellement bâtimentaires.
Nous soutiendrons cette proposition de loi, sur laquelle nous avons déposé des amendements visant à assurer le contrôle qualité de toutes les crèches, sur la base de critères objectifs. Il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à créer un véritable service public de la petite enfance et il faudra tôt ou tard que l’État conduise ce grand chantier, pour en finir avec la politique low cost qui s’est développée au détriment des enfants accueillis et des professionnels de la petite enfance.
Mme Karine Lebon (GDR). Je vous remercie, chère collègue, pour votre travail qui, dans sa rédaction initiale, dit non à la financiarisation du secteur de la petite enfance, dont nous devons résoudre l’ensemble des difficultés.
Non, nos enfants ne sont pas des marchandises que l’on peut entreposer dans une pièce de sept heures à dix-huit heures. Non, nos enfants ne sont pas des robots qui répondraient aux attentes des investisseurs et actionnaires, lesquels limitent, par la rationalisation à outrance, leur liberté de jouer, d’être changés et d’être nourris. Non, nos enfants ne sont pas les variables d’ajustement de montages financiers fomentés au dernier étage d’une tour d’un quartier d’affaires.
Depuis 2004 et l’ouverture des crèches au secteur privé, l’accueil des jeunes enfants se dégrade. En 2010, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le Gouvernement a abaissé les qualifications nécessaires pour exercer en crèche, ainsi que le nombre de professionnels requis pour encadrer les enfants. Le décret du 29 juillet 2022 a autorisé des personnes non diplômées à garder des enfants en bas âge : un affront pour les professionnels de la petite enfance et une mesure contreproductive qui a conduit à la fragilisation du secteur. Il est question de bébés et d’enfants, des êtres les plus vulnérables et les plus innocents. Avons-nous oublié que nous avons été des enfants ? Avons-nous oublié l’enfant que nous avons mis au monde ou accompagné avec amour, qu’il s’agisse du nôtre, de nos petits-enfants, de nos neveux ou de nos nièces ?
De plus en plus fréquemment, nous constatons dans la société des comportements intolérants et malveillants à l’égard des enfants. Connus dans les foyers sous le nom de « violences intrafamiliales », ils sont désormais transposés dans l’espace public, dans les crèches et dans les établissements scolaires. Faut-il que notre société soit gravement malade pour s’en prendre à ses enfants, pour ne pas supporter qu’ils pleurent, qu’ils crient, qu’ils bougent ou qu’ils jouent ? Ces comportements, vitaux, sont le propre d’un enfant, ce sont ses moyens d’expression.
Nelson Mandela disait qu’une société qui ne se soucie pas de ses enfants n’est pas une vraie nation. Je répète inlassablement ces mots, qui disent tout de notre pays, celui des droits de l’homme, mais manifestement pas encore celui des droits de l’enfant.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Lorsque de futurs parents découvrent qu’ils attendent un enfant, l’une des premières questions qu’ils se posent concerne le mode de garde. De nombreux investisseurs tirent parti de la crainte des mères de ne pouvoir reprendre le travail après leur congé maternité pour vendre des places en crèche à des tarifs très élevés, sans que les conditions d’accueil soient satisfaites, ni même sûres et dignes.
En attendant la création d’un service public de la petite enfance, il est essentiel que les structures privées et publiques fassent l’objet d’un contrôle renforcé, afin de protéger non seulement les enfants, mais aussi les personnels qui, en sous-effectif, peuvent se retrouver dans des situations de détresse. Aggraver les sanctions ne servirait à rien si les contrôles ne sont pas plus réguliers.
M. Michel Lauzzana (EPR). Permettez-moi de remercier la rapporteure de cette proposition de loi, qui met en avant l’important sujet de l’accueil des jeunes enfants dans les crèches. Je la remercie surtout d’avoir su faire évoluer le texte, d’avoir écouté les uns et les autres sans a priori et sans idéologie.
Toutes les difficultés que rencontrent les crèches ne résultent pas uniquement de la financiarisation ; M. Thibault Bazin, qui présidait la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches en a parlé, ainsi que M. Laurent Panifous.
Le contrôle de ces structures a été défaillant, mais nous avons fait évoluer la loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi, afin de le renforcer. Par ailleurs, tous les fonds d’investissement ne sont pas mauvais ; certains laissent aux entreprises le temps nécessaire, adoptant un comportement de partenaires plutôt que de simples financiers. Dans le contexte de la délégation de service public par les collectivités locales, le contrôle est également essentiel.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Victor Castanet a jeté une lumière crue sur les maltraitances systémiques que les crèches privées infligent aux enfants. Depuis, les témoignages de parents affluent, comme celui de cette mère de Villeneuve-d’Ascq racontant comment ses enfants étaient brutalisés, enfermés seuls dans le noir, ou celui de ces parents marseillais, qui ont retrouvé par deux fois leur petit garçon de quatorze mois avec un membre cassé. Des bébés et de jeunes enfants sont soumis à des violences traumatiques et mettent des années à se reconstruire. Peut-on encore parler de dérive quand c’est l’organisation du système, voire la législation, qui produit ces maltraitances ? Lorsque l’on accepte, par un décret de 2022, que 15 % des personnels de crèche soient des non professionnels, dénués de diplôme et d’expérience, on accepte d’exposer les enfants à des négligences et à des accidents.
Voilà l’aboutissement de la dérégulation des crèches, poursuivie depuis le décret de Nadine Morano en 2010. Le résultat, ce sont des femmes, employées du secteur de la petite enfance, qui essayent de faire face comme elles le peuvent, malgré des salaires tirés vers le bas, malgré la déqualification de leur métier, malgré la PSU qui pousse leurs employeurs à accueillir des enfants en surnombre pour rentabiliser leurs coûts salariaux, malgré une intensification du travail et une pénibilité qui les exposent aux troubles lombaires et musculosquelettiques.
Lorsque l’on n’a ni le temps de bien faire ni la formation pour savoir comment bien faire, on fait des erreurs ; celles-ci, évitables, sont le fruit de l’exploitation de ces travailleuses par des entreprises cherchant le profit à tout prix. Les dérégulations successives ont créé un juteux marché, qui permet à une poignée de propriétaires de faire commerce de la maltraitance institutionnelle des enfants. Avec ces délégations à un secteur privé qui se gave de subventions, assomme les familles avec le reste à charge et, en bout de course, brutalise leurs enfants, que reste-t-il du service public ? Une rentabilité à 12 % : c’est le taux de profit que les fonds d’investissement imposent aux crèches, à grands coups de rationnement de repas et de couches. En attendant, nos enfants continuent d’être traités comme des matières premières pour des usines à fric qu’on nomme, de manière de plus en plus impropre, des crèches.
Il est urgent de créer un service public de la petite enfance ; nous le ferons. Vous l’appelez de vos vœux, madame la rapporteure, mais pourquoi déposez-vous des amendements qui affaiblissent votre propre texte ? Nous vous demandons de les retirer, afin que nous puissions le voter.
Mme Marie-Charlotte Garin (EcoS). Nous examinons une proposition de loi visant à protéger les enfants accueillis dans les crèches privées à but lucratif. Ce texte tend à traiter un problème alarmant, mis en lumière par le journaliste Victor Castanet dans son ouvrage Les Ogres. Les dérives qu’il décrit, notamment le rationnement des couches, les repas insuffisants et les conditions d’accueil déplorables, ne sont pas seulement des défaillances : elles sont le symptôme d’un problème plus profond, la financiarisation d’un secteur qui n’aurait jamais dû être soumis à la logique du profit.
Puéricultrices, éducatrices de jeunes enfants, auxiliaires de crèche ou de puériculture, agents d’entretien, cuisinières, directrices : les travailleurs, et surtout les travailleuses de ces établissements souffrent de ces conditions de travail et ont donné l’alerte de nombreuses fois, en vain. Nous devons d’abord penser à eux, qui ne sont pas des pions adaptables à n’importe quelles conditions de travail, pas plus que les enfants ne sont des lignes de chiffre d’affaires ou les crèches, des outils de spéculation financière.
Plus d’une place en crèche sur trois est gérée par des structures à but lucratif. Derrière ces chiffres se cache une réalité choquante : des groupes financés par des fonds d’investissement, obnubilés par les rendements, prêts, pour maximiser leurs profits, à sacrifier la qualité de l’accueil, et donc les enfants et les personnes qui en prennent soin.
Cette proposition de loi tente d’apporter des réponses pour remédier à ces problèmes, avec l’article 1er, dont la version initiale interdit à ces fonds d’investissement d’acquérir ou de gérer des crèches. Dans le secteur des Ehpad, nous avons constaté les scandales humains découlant de l’absence de régulation.
Rappelons qu’une place en crèche privée est actuellement financée à hauteur de 66 % par la branche famille de la sécurité sociale. Ces aides publiques, qui sont destinées à soutenir les familles, se retrouvent finalement captées par les entreprises pour alimenter des stratégies de croissance internationale au détriment des besoins locaux et de la qualité de l’accueil. Ce modèle, à l’évidence, est un échec.
Madame la rapporteure, vous proposez par voie d’amendement de passer d’une interdiction stricte à un régime d’interdiction préalable. Pouvez-vous nous expliquer ce changement qui nous inquiète ?
Mme Sandrine Runel (SOC). Il est temps d’en finir avec la maltraitance à l’égard des enfants et des personnels de ces établissements. Notre société a besoin de bienveillance et de professionnels formés, à l’écoute des besoins des nourrissons et des enfants. Nous ne renions en rien l’ambition initiale de cette proposition de loi, puisque l’article 1er, tel que nous proposons de le réécrire, sera plus efficace ; il est calqué sur le contrôle des investissements préalables pratiqué notamment dans le secteur de la défense. Il s’agit d’interdire tout investissement sans autorisation préalable de l’État, eu égard à la sensibilité du secteur de la petite enfance.
Vos questions sont légitimes, mais la nouvelle version de l’article 1er que nous proposons est plus solide que la version initiale. En outre, il est toujours possible d’amender ou de sous-amender un texte, en particulier dans la perspective de son examen en séance publique ; peut-être pas la semaine prochaine, mais ultérieurement, ce qui nous laisse un peu de temps pour l’améliorer. Il permet déjà de mettre un premier pied dans la porte des établissements privés.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS). À partir du moment où nous autorisons des entreprises à faire du profit sur les crèches – et c’est ce que nous faisons –, nous franchissons une ligne rouge : celle qui sépare la qualité de l’accueil des enfants du calcul du solde entre dépenses et recettes. Réduire les dépenses, c’est automatiquement diminuer la rémunération et dégrader les conditions de travail des personnels, mais aussi mégoter sur les soins et les conditions de vie des enfants, et économiser sur la qualité des matériaux utilisés dans les bâtiments.
À partir du moment où l’accueil des enfants s’inscrit dans une relation pécuniaire, vous trouverez nécessairement des économies à faire et des façons d’augmenter les recettes : en augmentant le nombre de berceaux, notamment. Cela soulève une question de société fondamentale : que décidons-nous de protéger des lois mortifères du profit ? Avec une faible régulation du développement et de l’organisation des crèches privées, nous avons franchi une frontière inacceptable en laissant nos enfants subir les lois du marché.
Mme la rapporteure. L’article 1er suscite des débats, mais sur le fond, nous souhaitons tous œuvrer pour atteindre le même objectif : garantir des conditions d’accueil optimales et sécures pour les enfants. Nous avons mis du temps à élaborer l’amendement de réécriture de l’article 1er, que j’ai déposé récemment ; j’en avais cependant informé l’ensemble des groupes politiques. Pourquoi l’avons-nous fait ? Je ne souhaite pas stigmatiser le secteur privé, mais dénoncer les dérives liées aux logiques de financiarisation. Je ne mets pas en cause la financiarisation en elle-même, mais je suis préoccupée par la compatibilité entre le plan de financement d’un fonds d’investissement ou d’un fonds de dette privée et la qualité de l’accueil des jeunes enfants.
Nous avons fait évoluer l’article 1er d’une interdiction pure à un droit de veto de l’administration à l’égard d’un fonds qui ne serait pas compatible avec l’accueil des jeunes enfants. J’insiste : il s’agit bien d’un droit de veto et non d’un faible regard, comme je l’ai entendu dire.
Après les auditions de l’AMF, de la direction générale de la cohésion sociale et de différents syndicats, il nous est apparu qu’une interdiction « sèche » pourrait être contraire à la Constitution et au droit européen, ce qui n’est pas un détail. Notre démarche pourrait donc ne pas être suivie d’effet. En outre, l’interdiction, telle qu’elle était rédigée, conduisait à exclure uniquement les fonds d’investissement et les fonds de dette français ou européens, mais pas les fonds extraeuropéens, qui présentent pourtant, a priori, les plus grands risques. La rédaction ne permettait pas non plus de distinguer les fonds publics des fonds privés. Enfin, cette interdiction aurait entraîné la fermeture de milliers de places en crèche.
L’autorisation préalable a pour objectif de faire la différence entre des fonds vautours, incompatibles avec le secteur de la petite enfance, et un soutien financier qui fait partie du modèle économique. Celui-ci peut tout à fait être remis en question, politiquement et philosophiquement, mais l’objet de cette proposition de loi consiste à créer un mécanisme efficace, un antidote contre ce qui s’est passé avec le groupe People&Baby. Si ce texte est adopté, l’État aura un droit de regard et pourra prévenir l’entreprise qu’un fonds mettra en danger les enfants et portera atteinte aux conditions de travail des professionnels.
Il ne s’agit absolument pas d’un renoncement ou d’un recul. Les syndicats sont d’ailleurs favorables à cette nouvelle rédaction de l’article 1er et les professionnels du secteur attendent ce changement. Mes convictions me poussent à œuvrer en faveur d’un mécanisme efficace, compatible avec le droit, proposant de réelles garanties pour sécuriser l’accueil des jeunes enfants et posant une première pierre dans la lutte contre la financiarisation.
Par ailleurs, je souscris aux remarques qui ont été faites au sujet des contrôles, effectués tant par la Cnaf que par les structures de protection maternelle et infantile (PMI) : ils sont absolument essentiels et doivent être renforcés. Bien que ce ne soit pas l’objet de la proposition de loi, je partage cette ambition.
Tous ceux qui s’intéressent au secteur de la petite enfance savent qu’il faut repenser les mécanismes de financement, que les structures soient privées, publiques ou associatives. De nombreux questionnements portent sur le crédit d’impôt famille, la PSU et la prestation d’accueil du jeune enfant. Cet enjeu est plus large que l’objet de ce texte, mais il est important.
La réunion est suspendue de douze heures trente à douze heures quarante.
Article 1er : Interdire l’entrée de fonds d’investissement et fonds de dette au capital des entreprises du secteur des crèches privées lucratives
Amendement de suppression AS1 de M. Thibault Bazin
M. Thibault Bazin (DR). J’ai déposé cet amendement avant d’avoir connaissance de votre propre amendement de réécriture de l’article 1er, madame la rapporteure. La rédaction initiale de celui-ci était en effet problématique, puisqu’elle empêchait tout fonds, y compris des fonds d’investissement publics ou maîtrisés par la puissance publique, des fonds éthiques et des fonds basés en France partageant des objectifs avec certaines politiques publiques, de financer des places de crèche. Mais cet amendement n’a plus lieu d’être à présent. Je le retire donc.
L’amendement est retiré.
Amendement AS28 de Mme Céline Hervieu et sous-amendements AS37 de M. Thibault Bazin et AS38 de Mme Sophia Chikirou
Mme la rapporteure. J’ajouterai simplement une précision aux explications que j’ai déjà données : l’autorisation d’entrée d’un fonds au capital d’une entreprise gérant des crèches déclenchera automatiquement une inspection de l’Igas et de l’IGF après deux ans. Il s’agit de contrôler le plan de financement au moment de l’entrée au capital et deux ans plus tard, parallèlement aux contrôles existants – qu’il nous faut renforcer. Si les engagements du fonds n’étaient pas tenus, l’État pourrait revenir sur son autorisation.
M. Thibault Bazin (DR). Il me semble compliqué de prévoir l’automaticité de l’intervention des corps d’inspection que sont l’Igas et l’IGF. Compte tenu des compétences de la Cnaf, notamment depuis l’adoption de la loi pour le plein emploi, il serait préférable de lui confier cette mission de contrôle, d’autant quelle dispose de l’ensemble des éléments relatifs au pilotage financier et à la comptabilité analytique des établissements accueillant des jeunes enfants. Le contrôle serait plus efficace et réduirait le temps de collecte des informations, puisque l’Igas les demandera de toute façon à la Cnaf.
Celle-ci délivrant les agréments des établissements accueillant de jeunes enfants, il serait également judicieux de préciser que la décision des ministères de l’économie et de la famille relative à la demande d’autorisation préalable sera prise après consultation de la Cnaf, qui détient l’entièreté des éléments financiers et a parfois accès à des éléments relatifs à la gouvernance et à la stratégie. Cela renforcerait la cohérence des politiques publiques.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Mon sous-amendement vise à donner un véritable droit de veto au ministère des affaires sociales, plutôt qu’au ministère de l’enfance comme le prévoit le texte, et de lui donner la prééminence, plutôt qu’au ministère de l’économie.
Le problème contre lequel nous entendons lutter n’est pas financier ou économique, il réside dans les conséquences de l’intervention des fonds d’investissement sur le modèle de prise en charge de la petite enfance, qui modifie complètement l’organisation des crèches et leur finalité. Plus ces fonds sont tenus à distance, moins grand est le risque de voir des comportements favorisant une plus grande rentabilité et entraînant de la maltraitance pour les travailleurs et les enfants.
Ce sous-amendement vise à confier la validation de l’entrée d’un fonds au capital d’un groupe gestionnaire de crèches au ministère des affaires sociales, auquel est rattaché l’Igas, qui a enquêté de façon approfondie sur les conséquences de ce modèle économique. C’est, je crois, la meilleure façon de protéger les enfants et les travailleurs. La question n’est pas financière ; elle est celle du modèle que nous voulons pour les crèches. Par ailleurs, il est faux de parler d’un problème de financement des crèches ; le surcalibrage des financements publics a été pointé par l’IGF.
Mme la rapporteure. Je suis favorable au sous-amendement de M. Bazin. La prise en considération de l’avis de la Cnaf est pertinente, celle-ci permettant d’apporter un prisme d’analyse du point de vue des familles grâce à sa connaissance du secteur, du modèle et des données économiques de ces entreprises. De plus, la Cnaf participe déjà à certains contrôles relatifs à l’usage des financements publics par ces structures.
Je suis également favorable au sous-amendement de Mme Chikirou. Le texte prévoit une décision du ministère de l’enfance, mais le ministère des affaires sociales est une bonne idée, d’autant que l’Igas y est rattachée. Quant au ministère de l’économie, il me semble pertinent de maintenir sa participation, d’autant que l’IGF a travaillé sur le modèle économique des crèches. En tout état de cause, je suis favorable à l’association du ministère des affaires sociales à la délivrance des autorisations d’investissement.
M. Hendrik Davi (EcoS). Madame la rapporteure, j’entends que vous vous contentez de vouloir améliorer les conditions d’accueil et de travail dans les crèches, sans reposer la question du modèle économique. Les deux sujets sont pourtant intimement liés ; je pensais que la présente proposition de loi permettrait de lutter contre le modèle de marchandisation des crèches, de renforcer les services publics et d’encourager les crèches associatives.
Il ne s’agit pas d’opposer le secteur privé au secteur public, mais le secteur privé à but lucratif à tous les autres établissements. Avec cet amendement de réécriture, vous renoncez à faire évoluer la situation entre secteur public et secteur privé lucratif. Il faut au contraire diminuer l’offre des crèches privées à but lucratif, ce qui contraindra les municipalités et les associations à proposer une offre différente. L’argent permettant de financer une telle offre est disponible, puisque 66 % du financement des places du secteur privé lucratif proviennent de la sécurité sociale et de la Cnaf. C’est pourquoi nous voterons contre votre amendement, madame la rapporteure.
La commission adopte successivement les sous-amendements AS37 et AS38, puis l’amendement AS28 sous-amendé.
Amendements AS3 et AS2 de M. Thibault Bazin (discussion commune)
M. Thibault Bazin (DR). Compte tenu de la réécriture que nous venons d’adopter, les exigences que je posais à l’égard des fonds d’investissement – siège social en France, part de capitaux publics – semblent satisfaites ; je retire donc mes amendements.
Les amendements sont retirés.
La commission adopte successivement les amendements AS29, rédactionnel, AS30 et AS31 de coordination, et AS32, rédactionnel, de Mme Céline Hervieu, rapporteure.
Amendement AS33 de Mme Céline Hervieu
Mme la rapporteure. Compte tenu de la réécriture que nous avons adoptée, il n’est plus nécessaire de prévoir l’entrée en vigueur différée des dispositions.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Amendement AS6 de M. Thibault Bazin
M. Thibault Bazin (DR). Je reprends là l’une des recommandations consensuelles de la commission d’enquête. Il est proposé d’instaurer une formation obligatoire et régulière des professionnels de la petite enfance. Un arrêté du ministre chargé de la famille en déterminerait le contenu ainsi que la fréquence à laquelle les personnes concernées devraient y participer.
Les personnels doivent enrichir leur pratique des progrès des neurosciences au fil de leur carrière.
Mme la rapporteure. L’amendement vise à former les personnels aux risques professionnels auxquels l’exercice de leur métier les expose. C’est essentiel pour renforcer l’attractivité des métiers de la petite enfance, mais aussi pour garantir la sécurité et le bien‑être des enfants accueillis. Il faut prendre en considération la pénibilité des métiers et y apporter des réponses par la formation, mais aussi par la hausse du taux d’encadrement – nettement inférieur en France à celui des pays voisins – afin de prévenir tout comportement à risque auprès des enfants, et de réduire les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Votre amendement trouverait davantage sa place au sein de l’article 3, qui traite déjà de la formation des personnels des crèches. Je vous invite donc à le retirer pour le retravailler en vue de la séance.
L’amendement est retiré.
Article 2 : Renforcer les sanctions financières en cas de manquement aux règles de sécurité et de qualité d’accueil du jeune enfant
Amendements AS34 et AS35 de Mme Céline Hervieu
Mme la rapporteure. Ces amendements visent à tenir compte des critiques formulées lors des auditions en supprimant la référence à un plancher. Ce n’est pas aujourd’hui que les socialistes rétabliront les peines plancher !
Je maintiens néanmoins que les sanctions doivent être suffisamment dissuasives.
La commission adopte successivement les amendements.
Puis elle adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
Amendement AS11 de M. Thierry Frappé
M. Thierry Frappé (RN). Les récents rapports et faits divers ont mis en lumière des situations préoccupantes de maltraitance dans certains établissements d’accueil du jeune enfant. Pour garantir la sécurité et le bien-être des enfants, il est proposé d’instituer un protocole de prévention et de lutte contre la maltraitance dans chaque structure.
Ce protocole prévoit des mécanismes de signalement, la désignation d’un référent prévention, et des actions de sensibilisation et de formation pour les personnels. Ces mesures visent à renforcer la vigilance collective et à améliorer les pratiques professionnelles au sein des structures.
En s’appuyant sur les départements pour le suivi et l’évaluation, ce dispositif tire parti des compétences existantes et ne crée pas de charges nouvelles. Il contribue à instaurer une culture de bientraitance et répond aux attentes des familles.
Mme la rapporteure. Le référentiel de la qualité d’accueil qui devrait être publié début 2025 – les services ministériels sont en train de le finaliser – répondra à votre objectif.
Le rapport Dabin, publié le 5 novembre, préconise l’instauration d’un circuit de signalement simplifié. Toutefois, pour être opérationnel, ces dispositifs doivent faire l’objet d’une déclinaison territoriale, en lien avec chaque service de PMI.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AS27 de M. Hendrik Davi
M. Hendrik Davi (EcoS). Reprenant une recommandation de la commission d’enquête, l’amendement tend à généraliser les contrôles inopinés des services de PMI.
Actuellement, les contrôles sont principalement effectués lors de la création ou de la modification d’un établissement ou à la suite d’un signalement par un parent ou un professionnel. Nous proposons de systématiser les contrôles inopinés, en nous appuyant par exemple sur un tirage au sort annuel, déjà expérimenté par certaines PMI. Cette approche permettrait une évaluation plus objective et régulière de la qualité des structures – micro‑crèches comme crèches plus grandes.
La question des moyens humains et financiers se pose inévitablement car les effectifs actuels sont déjà insuffisants pour répondre à l’augmentation du nombre de petites structures. Les PMI manquent cruellement de moyens. Il conviendrait de réfléchir au rôle des infirmières puéricultrices qui pourraient prendre une part importante dans le travail d’évaluation.
Mme la rapporteure. Je vous rejoins sur l’importance des contrôles. Je sais par expérience que les contrôles sont loin d’être inopinés – les crèches sont prévenues quinze jours à l’avance –, ce qui fausse inévitablement leurs résultats.
Les contrôles sont une préoccupation centrale pour nombre d’entre nous. La ministre nous a confié que la Cnaf doit recruter 30 ETP, notamment pour renforcer les contrôles.
Puisque de nombreux amendements ont été déposés sur le sujet, je vous invite à retirer le vôtre pour que nous puissions travailler à un amendement global. Le renforcement des contrôles implique des moyens supplémentaires ; or, à ce jour, la proposition de loi ne coûte rien. Il convient donc d’adapter la rédaction.
M. Hendrik Davi (EcoS). Je maintiens l’amendement mais je suis disposé à travailler avec vous.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Je soutiens l’amendement car le caractère inopiné des contrôles, pourtant essentiel, est le plus souvent absent. Les contrôles ne permettent donc pas d’établir si le taux d’encadrement est respecté, etc.
Ensuite, certains départements n’ont pas les moyens de procéder à des contrôles à tel point que certaines structures peuvent connaître deux ou trois années sans surveillance. Vous nous apprenez que 30 ETP vont être recrutés dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, dont nous ignorons encore le sort. Cela devrait aider à résoudre le problème des moyens que vous soulevez. Les personnels seront en nombre suffisant pour assurer les contrôles inopinés.
Il faut surtout faire en sorte que les contrôles soient véritablement inopinés.
Mme la rapporteure. S’agissant des 30 ETP, qui ne sont d’ailleurs pas inscrits noir sur blanc dans le PLFSS, ils sont destinés à la Cnaf, laquelle contrôle le bon usage de l’argent public. Parallèlement, la PMI contrôle la qualité de l’accueil.
Puisque le sujet est consensuel, je propose un travail collectif visant à introduire un article sur les contrôles qui en traite tous les aspects – fréquence, caractère inopiné, moyens associés. Par ailleurs, le référentiel qualité attendu prochainement sera un outil intéressant pour guider ces contrôles.
La commission rejette l’amendement.
Lors de sa seconde réunion du mercredi 4 décembre2024, la commission poursuit l’examen de la proposition de loi prenant des mesures d’urgence pour protéger nos enfants accueillis en crèches privées à but lucratif (n° 517) (Mme Céline Hervieu, rapporteure) ([45]).
Après l’article 2 (suite)
Amendements AS24 et AS26 de M. Laurent Panifous
M. Laurent Panifous (LIOT). Par l’amendement AS24, nous proposons qu’effectuer des contrôles inopinés figure parmi les objectifs des plans annuels départementaux d’inspection et de contrôle des modes d’accueil du jeune enfant, qui entreront en vigueur le 1er janvier prochain. Il s’agit, non pas de mettre en difficulté les dirigeants d’établissement, mais de contrôler des éléments essentiels au bien-être et à l’accompagnement des enfants ainsi qu’à la qualité de vie au travail des personnels des crèches. Ce sont des éléments sur lesquels nous devons être intransigeants.
Quant à l’amendement AS26, il précise que l’évaluation de la qualité des établissements d’accueil du jeune enfant est menée selon des critères objectifs.
Mme Céline Hervieu, rapporteure. Je vous propose de retirer vos amendements afin que nous travaillions d’ici à la séance publique, avec M. Davi, à une proposition globale qui intégrerait également la question de la fréquence des contrôles.
Les amendements sont retirés.
Article 3 : Interdire les formations dispensées entièrement à distance pour obtenir un diplôme de la petite enfance
Amendements AS36 de Mme Céline Hervieu et AS5 de M. Thibault Bazin (discussion commune)
Mme la rapporteure. Nous proposons d’améliorer la rédaction de cet article : d’une part, en étendant l’interdiction aux formations dispensées dans des établissements publics de formation à distance – parmi lesquels le Centre national d’enseignement à distance (Cned) – et, d’autre part, en précisant que cette interdiction concerne les formations suivies exclusivement en ligne.
M. Thibault Bazin (DR). Je suis ennuyé. Je ne suis pas opposé à l’amendement de la rapporteure mais je ne voudrais pas que le mien tombe... Je souscris à l’interdiction des formations suivies entièrement à distance : elles doivent comprendre un volet pratique, au contact des enfants. Néanmoins, il serait judicieux de permettre que certains modules, notamment les enseignements théoriques, puissent être délivrés à distance.
Mme la rapporteure. Dès lors qu’il est bien précisé que l’interdiction porte sur les formations comportant exclusivement des enseignements à distance, votre amendement me semble satisfait.
M. Thibault Bazin (DR). Puisque vous confirmez qu’il sera possible de suivre une formation comportant à la fois des enseignements à distance et en présentiel, je retire mon amendement.
L’amendement AS5 est retiré.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Certaines des personnes qui suivent des formations exclusivement à distance, souvent jeunes, ne savent même pas comment prendre un enfant dans les bras sans s’esquinter le dos. Ces formations sont majoritairement financées par les régions. En Île-de-France, la plupart des personnels chargés de la petite enfance n’ont jamais reçu d’enseignement pratique en crèche. Tout le monde est en danger : c’est une véritable ineptie !
Alors que la rédaction initiale de cet article vise à proscrire toute formation à distance, l’amendement AS36 n’interdirait plus celles réalisées majoritairement à distance, sans plus de précision sur la part de l’enseignement pratique. Ainsi, la formation pourrait être réalisée à 95 % en distanciel, les 5 % restants correspondant à un stage de quatre jours.
Je suis donc embêtée par cet amendement, madame la rapporteure, qui ne me paraît pas conforme à l’esprit de votre proposition de loi. Je comprends que vous souhaitiez que celle-ci puisse être examinée dans une semaine réservée aux textes transpartisans. Mais, à force de favoriser le moins-disant, vous risquez de la vider de ses principes fondamentaux.
Mme la rapporteure. Il est vrai que nous ne sommes pas entrés dans le détail en précisant les parts respectives de l’enseignement théorique et de l’enseignement pratique. En fait, nous avons constaté que 40 % des certificats d’aptitude professionnelle petite enfance sont obtenus grâce aux formations du Cned. Or, nous souhaitons garantir l’existence d’un volet pratique dans les enseignements. Tel est l’objet de l’amendement. Peut-être le dispositif devra-t-il être affiné par la suite. Mais, sur le fond, nous sommes parfaitement d’accord.
La commission adopte l’amendement AS36.
Amendement AS20 de Mme Sophia Chikirou
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). La réforme des normes applicables à la petite enfance (Norma) a abaissé le taux d’encadrement des enfants. Lors de la commission d’enquête, des personnels ont indiqué que ce taux pouvait être réduit à un adulte pour treize enfants ! Veut-on prendre soin des petits ou préfère-t-on ne surtout pas limiter la rentabilité ? Là est le cœur du problème. Le texte ne s’y attaque pas ; il ménage la chèvre et le chou : il s’agit de maintenir la possibilité de faire de l’argent dans ce secteur tout en s’efforçant de rassurer les parents. C’est insuffisant pour régler le problème. Si la rapporteure me demande de retirer cet amendement, je le ferai, mais sans conviction bien sûr.
Mme la rapporteure. J’apprécie que vous vous montriez encline au compromis. Mais l’inscription du taux d’encadrement dans la charte nationale d’accueil du jeune enfant ne me pose pas de problème : c’est une mesure symbolique.
Il faut réfléchir à ces ratios. Des syndicats professionnels se mobilisent pour que nous adoptions le taux anglais, soit un adulte pour trois enfants. Ce n’est pas la direction prise jusqu’à présent, mais c’est une idée que je défends, même s’il faut tenir compte de la pénurie de personnels.
Avis favorable.
M. Thibault Bazin (DR). Si ces assouplissements existent, et s’il y a eu des abus scandaleux qu’il faut combattre, je précise que les ratios de un pour cinq et de un pour huit restent très souvent utilisés. C’est ce que la commission d’enquête avait permis de constater : nous avions interrogé l’ensemble des caisses d’allocations familiales et des services de protection maternelle et infantile.
La commission adopte l’amendement. L’article 3 est ainsi rédigé.
Après l’article 3
Amendement AS18 de Mme Sophia Chikirou
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Lors de son audition par la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches, Philippe Vinçon, inspecteur général des finances, a expliqué que, pour garantir la rentabilité financière des grands groupes, la dérégulation du secteur avait abaissé les normes d’encadrement, ce qui a eu des répercussions négatives, parfois graves, sur la qualité de l’accueil. En effet, en 2010, le décret Morano a autorisé un accueil journalier en surnombre équivalent à 10 % de la capacité d’accueil pour les plus petites structures et à 20 % pour les plus grosses. En 2021, la réforme Norma a fixé un taux unique de 15 %.
Nous proposons, quant à nous, d’entendre le cri d’alarme des professionnels et les recommandations de l’administration : limitons le taux de surremplissage à 5 %. En adoptant cette mesure équilibrée, nous pourrions commencer à encadrer les affaires actuelles des crèches.
Mme la rapporteure. Je partage votre inquiétude concernant ces dérogations, qui peuvent en effet être un facteur de risque pour les enfants et de pénibilité pour les professionnels. Mais nous devons remédier à la pénurie de personnel.
En réalité, c’est la tarification à l’heure qui encourage les gestionnaires à favoriser la sur-occupation : il s’agit de faire en sorte que le taux de facturation soit cohérent avec les financements publics qu’ils attendent. Il convient donc de réformer le mode de financement, notamment la prestation de service unique (PSU), mis en cause par l’ensemble des acteurs et par la ministre elle-même. Aussi serait-il raisonnable de retirer votre amendement afin que nous réfléchissions ensemble à cette réforme.
M. Thibault Bazin (DR). Nous sommes un certain nombre à reconnaître la nécessité de réformer le mode de financement des établissements d’accueil du jeune enfant, notamment la PSU. Toutefois, les dérogations qui ont été évoquées autorisent un surnombre ponctuel, en journée, que les établissements peuvent souvent absorber. Au reste, les capacités d’accueil réelles peuvent être supérieures à celles qui figurent dans l’agrément. Surtout, elles permettent de répondre aux besoins de familles en difficulté en accueillant des enfants à certaines heures, en halte-garderie. Une rigidification pourrait être préjudiciable à ces familles.
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Lorsqu’un grave incident se produira, ce que je ne souhaite pas, nous aurons l’air bête en nous souvenant de cette opposition à la limitation du taux de sur-occupation à 5 % pour ne pas mettre en péril l’équilibre financier des entreprises de ce secteur.
Si j’accepte de retirer mon amendement, c’est parce que je ne veux pas empêcher la rapporteure, qui me l’a demandé, d’inscrire sa proposition de loi à l’ordre du jour d’une semaine réservée aux textes transpartisans, même si elle nous soumet des amendements qui édulcorent le texte initial. Je suis convaincue que nous avons intérêt à en débattre en séance publique. Mais nous ne pouvons pas gagner du temps en repoussant l’indispensable réforme du système actuel.
L’amendement AS18 est retiré.
Amendement AS21 de M. Louis Boyard
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). L’amendement est défendu.
Mme la rapporteure. Demande de retrait. C’est une vraie question, mais ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi.
L’amendement est retiré.
Amendement AS12 de M. Thierry Frappé
M. Thierry Frappé (RN). La qualité de l’accueil dans les établissements de la petite enfance repose sur la formation continue et l’analyse régulière des pratiques professionnelles des équipes, qui permettent de renforcer les compétences des personnels et d’améliorer les projets éducatifs, tout en répondant aux situations complexes.
Cet amendement institutionnalise trois journées pédagogiques annuelles pour susciter une réflexion collective sur les pratiques et sur la bientraitance comme pour participer à des actions de formation adaptées. Pour garantir la faisabilité de ce dispositif sans alourdir les charges de l’État, les établissements organiseront ces journées dans le cadre de leur fonctionnement habituel. La Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) sera mobilisée pour accompagner les structures.
Ce dispositif vise à répondre aux attentes des familles en matière de qualité de l’accueil et à promouvoir un environnement éducatif bienveillant et professionnel, sans création de charges nouvelles.
Mme la rapporteure. L’amendement est satisfait par la nouvelle convention d’objectifs et de gestion de la Cnaf pour la période 2023 à 2027. Ces journées sont essentielles car la souffrance des professionnels au travail vient aussi d’un manque de temps hors du soin des enfants : or ce temps est nécessaire pour analyser les pratiques, partager des expériences très fortes émotionnellement, construire des projets d’éveil. À Paris, nous sommes à quatre journées pédagogiques par an : je ne peux qu’inciter tous les élus qui le peuvent à les promouvoir.
L’amendement est retiré.
Amendement AS13 de M. Louis Boyard
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). L’amendement est défendu.
À la demande de la rapporteure, l’amendement est retiré.
Amendement AS19 de Mme Sophia Chikirou
À la demande de la rapporteure, l’amendement est retiré.
Amendement AS23 de M. Louis Boyard
Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). L’amendement est défendu.
Mme Céline Hervieu (SOC). Demande de retrait.
Il faut repenser le financement de l’accueil des jeunes enfants. Le forfait pourrait être une solution à condition d’évaluer d’éventuels effets de bord. L’expérimentation proposée est intéressante, mais ce n’est pas l’objet de la proposition de loi.
L’amendement est retiré.
Article 4 (nouveau) : Rapport sur la prestation d’accueil du jeune enfant et la prestation de service unique
Amendement AS17 de M. Louis Boyard
Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Cet amendement est une demande de rapport sur la prestation d’accueil du jeune enfant et la PSU. L’idée est d’évaluer ces prestations mais aussi de s’interroger sur la pertinence de l’utilisation du taux de facturation comme critère et surtout de formuler des propositions sur les évolutions envisageables.
Mme la rapporteure. Ce n’est pas vraiment une mesure d’urgence : des rapports existent déjà. Sur le fond, je ne suis évidemment pas opposée.
Avis plutôt favorable.
La commission adopte l’amendement. L’article 4 est ainsi rédigé.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
*
* *
En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de loi figurant dans le document annexé au présent rapport.
– texte adopté par la commission : https://assnat.fr/ntBYss
– texte comparatif : https://assnat.fr/evlR6g
– 1 –
ANNEXE N° 1 :
Liste des personnes entendues par la rapporteure
(Par ordre chronologique)
Autorité des marchés financiers – M. Philippe Sourlas, secrétaire général adjoint à la direction de la gestion d’actifs, et Mme Laure Tertrais, directrice de cabinet de la présidente, conseillère parlementaire
People and Baby – M. Cédric Dugardin, directeur général, M. Raphaël Mailly, directeur général, et Mme Sandra Lossy, directrice communication & marketing
Table ronde avec des représentants de crèches privées :
– Babilou * – M. Vincent Bulan, directeur général
– Maison Bleue – Mme Claire Laot, directrice générale
– Les Petits Chaperons Rouges – M. Sacha Tikhomiroff, directeur général France
M. Pierre Prady et Mme Pauline Callec, inspecteurs généraux des finances, auteurs du rapport Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil (2024)
Fédération française des entreprises de crèches (FFEC) * – Mme Elsa Hervy, déléguée générale, et M. Charles Desaulle, administrateur
Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) – M. Nicolas Grivel, directeur général, M. Frédéric Vabre, directeur de cabinet, Mme Gaëlle Choquer-Marchand, directrice générale déléguée chargée des politiques familiales et sociales et Mme Klara Le Corre, chargée des relations institutionnelles
Ministère de la santé et de l’accès aux soins – Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – Mme Pauline Domingo, sous-directrice du service Enfance et famille
Table ronde avec des fonds d’investissement :
– Antin Infrastructure Partners – Mme Mélanie Biessy, managing partner & chief operating officer, et M. Omar Meziane, partner
– InfraVia Capital Partners – M. Bruno Candès, partner, et M. Augustin Schneider-Maunoury, directeur Asset management
– La Maison Bleue – M. Sylvain Forestier, président fondateur
Table ronde avec les syndicats représentatifs des professionnels de la petite enfance :
– Association nationale des puéricultrices(teurs) diplômé(e)s et des étudiants(e)s (ANPDE) – M. Fabien Marchand, infirmier puériculteur, et Mme Anne Métivet-Marandon, infirmière puéricultrice
– Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE) – M. Cyrille Godfroy, co-secrétaire général
– CFDT – Mme Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale responsable des politiques familiales et de la petite enfance, et M. Bruno Lamy, secrétaire confédéral
– CGT – Mme Naouel Alcaix, secrétaire générale, et M. Joël Raffard, conseiller confédéral
– Unsa Santé et Sociaux – Mme Martine Vignau, secrétaire nationale, vice‑présidente du Conseil économique, social et environnemental, et M. Ronan Le Bizec, conseiller national
M. Victor Castanet, journaliste indépendant, auteur des livres-enquêtes Les Ogres et Les Fossoyeurs
Open Classrooms – M. Guillaume Houzel, vice-président, en charge des programmes publics et des partenariats employeurs, et M. Louis-Simon Boileau, directeur des programmes publics
France Invest * – Mme Caroline Steil, directrice policy, juridique et fiscal, et M. Alexis Dupont, directeur général
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
– 1 –
ANNEXE N° 2 :
textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi
Proposition de loi |
Dispositions en vigueur modifiées |
|
Article |
Codes et lois |
Numéro d’article |
1er |
Code monétaire et financier |
L. 214‑1‑3 [nouveau] et L. 621‑15 |
2 |
Code de la santé publique |
L. 2324‑3 |
3 |
Code de l’éducation |
L. 214‑1‑1 |
([1]) Sylviane Giampino, « Développement du jeune enfant, modes d’accueil, formation des professionnels », rapport à la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes, 9 mai 2016.
([2]) Commission des 1000 premiers jours, « Les 1000 premiers jours. Là où tout commence », septembre 2020.
([3]) Rapport Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », avril 2023.
([4]) Bérangère Lepetit et Elsa Marnette, Babyzness, Robert Laffont, 2023 ; Daphné Gastaldi et Matthieu Périsse, Le Prix du berceau : ce que la privatisation des crèches fait aux enfants, Seuil, 2023.
([5]) Rapport d’information n° 1842 de Mmes Michèle Peyron et Isabelle Santiago au nom de la délégation aux droits des enfants sur les perspectives d’évolution de la prise en charge des enfants dans les crèches, 8 novembre 2023.
([6]) Rapport d’enquête n° 2660 rectifié de Mme Sarah Tanzilli sur le modèle économique des crèches et sur la qualité d’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements, 27 mai 2024.
([7]) Rapport Igas et IGF, « Micro-crèches : modèles de financement et qualité d’accueil », janvier 2024.
([8]) Victor Castanet, Les Ogres, Flammarion, 2024.
([9]) Article 18 de la loi n° 2023‑1196 du 18 décembre 2023 pour le plein emploi.
([10]) Article 17 de la loi précitée du 18 décembre 2023.
([11]) Article L. 214‑1‑3 du code de l’action sociale et des familles.
([12]) Compte rendu de la séance de questions au Gouvernement du 19 novembre 2024, Assemblée nationale.
([13]) Entretien accordé par Mme Agnès Canayer aux journaux du groupe EBRA, 30 octobre 2024.
([14]) Loi n° 2003‑1311 de finances pour 2004 du 30 décembre 2003.
([15]) Article 244 quater F du code général des impôts.
([16]) Rapport d’enquête n° 2660 rectifié de Mme Sarah Tanzilli sur le modèle économique des crèches et sur la qualité d’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements, 27 mai 2024.
([17]) Directive 2006/122/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.
([18]) Bérangère Lepetit et Elsa Marnette, Babyzness, Robert Laffont, 2023.
([19]) Victor Castanet, op. cit.
([20]) Ibid.
([21]) Rapport d’enquête n° 2660 rectifié de Mme Sarah Tanzilli sur le modèle économique des crèches et sur la qualité d’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements, 27 mai 2024.
([22]) Compte rendu de l’audition de M. Victor Castanet par la commission des affaires sociales du Sénat, 2 octobre 2024.
([23]) Rapport d’enquête n° 2660 rectifié de Mme Sarah Tanzilli sur le modèle économique des crèches et sur la qualité d’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements, 27 mai 2024.
([24]) Compte rendu de l’audition de M. Victor Castanet par la commission des affaires sociales du Sénat, 2 octobre 2024.
([25]) Rapport Igas, « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches », mars 2023.
([26]) Compte rendu de réunion n° 50 de la commission d’enquête sur le modèle économique des crèches, audition, à huis clos, de M. Philippe Tapié, nouveau président du groupe People & Baby, et de MM. Nicolas Besson, managing director de la société Alcentra Limited et Amos Ouattara, managing director de la société Alcentra Limited., 29 avril 2024.
([27]) Compte rendu de l’audition de M. Victor Castanet par la commission des affaires sociales du Sénat, 2 octobre 2024.
([28]) Loi n° 2022‑140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants.
([29]) Rapport de Mme Michèle Peyron au Premier ministre, « Pour sauver la PMI : agissons maintenant ! », mars 2019.
([30]) Rapport d’enquête n° 2660 rectifié de Mme Sarah Tanzilli sur le modèle économique des crèches et sur la qualité d’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements, 27 mai 2024.
([31]) Compte rendu de l’audition de M. Victor Castanet par la commission des affaires sociales du Sénat, 2 octobre 2024.
([32]) Article 18 de la loi n° 2023‑1196 du 18 décembre 2023 pour le plein emploi.
([33]) Cnaf, « Pénurie de professionnels en établissements d’accueil du jeune enfant », enquête nationale, 2022.
([34]) Rapport d’enquête n° 2660 rectifié de Mme Sarah Tanzilli sur le modèle économique des crèches et sur la qualité d’accueil des jeunes enfants au sein de leurs établissements, 27 mai 2024.
([35]) Ordonnance n° 2021‑611 du 19 mai 2021 relative aux services aux familles.
([36]) Décret n° 2021‑1131 du 30 août 2021 relatif aux assistants maternels et aux établissements d’accueil de jeunes enfants.
([37]) Arrêté du 29 juillet 2022 relatif aux professionnels autorisés à exercer dans les modes d’accueil du jeune enfant.
([38]) Directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM).
([39]) Directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs et modifiant les directives 2003/41/CE et 2009/65/CE ainsi que les règlements (CE) n° 1060/2009 et (UE) n° 1095/2010.
([40]) Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 81‑132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, distingue la liberté du commerce et de l’industrie comme une « règle à valeur constitutionnelle », issue de la loi des 2 et 17 mars 1791 (« décrets d’Allarde »).
([41]) Rapport Igas, Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches, avril 2023.
([42]) Informations transmises par la Fédération française des entreprises de crèches à la suite de l’audition de Mme Hervy et de M. Dessaulle du 22 novembre 2024.
([43]) Ibid.