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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 décembre 2024
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE
ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LE PROJET DE loi spéciale prévue par l’article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (n° 711),
Par M. Charles DE COURSON
Rapporteur général,
Député
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SOMMAIRE
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Pages
Article 1er Autorisation de continuer à percevoir les impôts existants
Article 2 Autorisation de l’État à recourir à l’emprunt
Article 1er Autorisation de percevoir les impôts existants
Article additionnel après l’article 1er Revalorisation du barème de l’impôt sur le revenu
Article 2 Autorisation de l’Etat de recourir à l’emprunt
Le dépôt du projet de loi spéciale autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année s’inscrit dans un cadre constitutionnel et organique qui précise le recours à cette procédure exceptionnelle (I).
Si l’absence de promulgation d’un projet de loi de finances avant le début de l’année budgétaire a eu lieu à deux reprises sous la Cinquième République, en 1962 et en 1979, les circonstances actuelles diffèrent mais justifient le dépôt d’un projet de loi spéciale par le Gouvernement démissionnaire (II). Ce projet de loi comporte trois articles qui visent à autoriser le Gouvernement à percevoir les ressources et impôts existants et à permettre à l’État d’emprunter jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025, ainsi qu’à permettre à divers régimes et organismes de sécurité sociale d’emprunter jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (III).
L’article 47 de la Constitution du 4 octobre 1958 définit les modalités du vote des projets de loi de finances ([1]). Dans le cas particulier où la loi de finances de l’année n’aurait « pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de l’exercice », le quatrième alinéa de cet article prévoit que « le Gouvernement demande d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés ».
L’article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) détaille les modalités de la procédure d’adoption de l’autorisation de percevoir les impôts, en prévoyant deux options :
– le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale, avant le 11 décembre de l’année qui précède le début de l’exercice, d’émettre un vote séparé sur l’ensemble de la première partie de la loi de finances de l’année. Ce projet de loi partiel est ensuite soumis au Sénat selon la procédure accélérée ;
– si la procédure précédente n’a pas été suivie ou n’a pas abouti, le Gouvernement dépose, avant le 19 décembre de l’année qui précède le début de l’exercice, devant l’Assemblée nationale, un projet de loi spéciale l’autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année ([2]). Ce projet est discuté selon la procédure accélérée.
Comme le souligne le Conseil d’État au point 6 de son avis n° 409081 du 9 décembre 2024 ([3]), la finalité de la loi spéciale « est de permettre qu’interviennent, en temps utile, c’est-à-dire avant le début de l’exercice budgétaire à venir, les seules mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, dans l’attente de l’adoption de la loi de finances initiale de l’année ».
Après avoir reçu l’autorisation de continuer à percevoir les impôts soit par la promulgation de la première partie de la loi de finances de l’année, soit par la promulgation d’une loi spéciale, le Gouvernement prend des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés, qui ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l’année, c’est-à-dire la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances initiale pour 2024.
L’article 45 de la LOLF prévoit que ces procédures n’interrompent pas la discussion en cours du projet de loi de finances de l’année, qui devra être discuté dans le courant de l’année qu’il doit régir – et elles ne sauraient à plus forte raison faire obstacle au dépôt d’un nouveau projet de loi de finances de l’année. En effet, comme l’a souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 décembre 1979 sur la loi autorisant le Gouvernement à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants, la loi spéciale « constitue un élément détaché, préalable et temporaire de la loi de finances » ([4]).
Les services votés
En cas d’impossibilité de promulguer la loi de finances de l’année avant le début de l’exercice budgétaire, le Gouvernement doit demander l’autorisation de percevoir les impôts et ouvrir par décret les crédits applicables aux seuls services votés ([5]).
Les services votés, qui constituaient avant la promulgation de la LOLF la référence à partir de laquelle se déroulait la discussion sur les crédits budgétaires ([6]), ne doivent pas être entendus au sens de la loi de finances dans son entier, mais, aux termes du dernier alinéa de l’article 45 de la LOLF, comme « le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par le Parlement. Ils ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l’année ». La notion de crédit, définie à l’article 7 de la LOLF, renvoie aux crédits budgétaires fixés en deuxième partie des lois de finances.
La question du périmètre du plafond des services votés est discutable : alors que l’unité de vote est la mission, en vertu de l’article 43 de la LOLF, ce qui permettrait de dépenser dans la limite du plafond de crédits fixé au niveau de chaque mission par la dernière loi de finances de l’année, l’unité de l’autorisation parlementaire est fixée au niveau du programme. Un plafond de crédits fixé par programme semblerait davantage conforme à la lettre de l’article 45 de la LOLF.
Enfin, la notion de services votés est interprétée de manière stricte par le juge constitutionnel, qui a observé que « la procédure des services votés ne peut s’appliquer qu’en cas de poursuite de l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par le Parlement » ([7]). Si cette interprétation n’a pas eu l’occasion d’être confirmée depuis la promulgation de la LOLF, la question du périmètre des services votés se pose, notamment s’agissant de la possibilité d’allouer par décret des crédits aux services publics dont le fonctionnement a été modifié depuis l’entrée en vigueur de la loi de finances initiale pour 2024.
Le périmètre des services votés a été précisé par le ministre démissionnaire chargé du budget et des comptes publics M. Laurent Saint-Martin lors de son audition devant la commission des finances le 11 décembre 2024. Il a ainsi affirmé que « le fonctionnement des services publics en masse salariale et en dépenses courantes sera assuré, les contrats en cours seront honorés, (…) les prestations dues au titre de dispositions législatives et réglementaires existantes seront versées ». En revanche, il a fait valoir que ne relèvent pas des services votés, sauf exception qui relève de l’urgence, « les dépenses nouvelles qualifiées de discrétionnaires ». Seraient donc exclus, sauf cas d’urgence manifeste, « les investissements nouveaux », ainsi que « les dépenses d’intervention discrétionnaires, par exemple les subventions aux collectivités territoriales, aux entreprises et aux associations ».
S’agissant des dotations de soutien à l’investissement des collectivités territoriales ([8]), financées par des crédits budgétaires figurant dans différentes missions, principalement Relations avec les collectivités territoriales, un courrier porté à la connaissance du rapporteur général, envoyé par le ministre chargé du budget et des comptes publics et la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation au président de l’Association des maires de France, indique que « les crédits nécessaires à la couverture des engagements antérieurs seront mis à disposition dans le cadre des services votés » mais que « les nouveaux engagements de ces subventions resteront subordonnés au vote de la loi de finances ». Il est précisé qu’« il reviendra au prochain Gouvernement de donner des instructions aux préfets pour anticiper l’exercice de programmation annuelle et de priorisation des projets dans l’attente de l’adoption du projet de loi de finances. » S’agissant des nouveaux engagements budgétaires destinés à financer les politiques de cohésion et d’aménagement du territoire, dans la ruralité et dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, ils « feront l’objet d’un examen au cas par cas, en fonction de la nature finale de la dépense (fonctionnement ou investissement) et de son niveau d’urgence ».
Sous la Cinquième République, la question de la procédure à suivre en cas d’absence de promulgation d’un projet de loi de finances initiale avant le début de l’année s’est posée à deux reprises (A). Les circonstances actuelles, qui font obstacle à ce que le projet de loi de finances pour 2025 puisse être promulgué avant le début de l’exercice budgétaire, justifient le dépôt d’un projet de loi spéciale (B).
En 1962 et en 1979, au regard de circonstances faisant obstacle à l’adoption de la loi de finances de l’année avant le début de l’exercice budgétaire, le Gouvernement a dû recourir aux procédures aujourd’hui prévues aux 1° et 2° de l’article 45 de la LOLF afin d’assurer la continuité de la vie nationale.
● En 1962, l’Assemblée nationale fut dissoute le 9 octobre, après le renversement du Gouvernement le 4 octobre à la suite de l’adoption d’une motion de censure dans les conditions prévues à l’article 49, alinéa 2, de la Constitution. De ce fait, le projet de loi de finances pour 1963 ne fut déposé que le 11 décembre par le nouveau Gouvernement issu des élections législatives. Sur le fondement du 1° de l’article 44 de l’ordonnance du 2 janvier 1959, qui est similaire aux dispositions actuelles du 1° de l’article 45 de la LOLF, la première partie du projet de loi de finances pour 1963 fut discutée en séance à l’Assemblée à compter du 18 décembre, pour être promulguée le 22 décembre 1962. La seconde partie fut discutée en janvier et février 1963, pour être promulguée le 23 février 1963. Les deux parties de la loi de finances pour 1963 furent donc promulguées à des dates différentes.
● En 1979, le Conseil constitutionnel, par une décision du 24 décembre ([9]), censura la loi de finances pour 1980 dans sa totalité. Il avait alors considéré que l’absence d’adoption à l’Assemblée nationale de l’article dit « d’équilibre » de la première partie du projet de loi de finances pour 1980 – qui évalue les recettes, fixe les plafonds des charges et vise à « garantir qu’il ne sera pas porté atteinte, lors de l’examen des dépenses, aux grandes lignes de l’équilibre préalablement défini, tel qu’il a été arrêté par le Parlement » –, contrevenait à l’article 40 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 selon lequel « la seconde partie de la loi de finances de l’année ne peut être mise en discussion devant une assemblée avant le vote de la première partie ».
Le Gouvernement déposa alors un projet de loi l’autorisant à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants. Lors de la discussion de ce projet de loi en séance à l’Assemblée nationale le 27 décembre 1979, le ministre du budget avait rappelé que ce texte constituait « le moyen immédiat et strictement nécessaire de faire face au risque de vide juridique » quant à la perception des recettes et ne « [traitait] d’aucune question de fond du budget » ([10]). Adoptée le 27 décembre par l’Assemblée, puis le lendemain par le Sénat en des termes conformes, la loi fut promulguée le 30 décembre 1979 ([11]). Cette procédure fut retenue en l’absence de tout fondement textuel – les dispositions de l’article 45 de la LOLF ne figuraient pas dans l’ordonnance du 2 janvier 1959 – mais le Conseil constitutionnel admit sa régularité dans sa décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979.
Le projet de loi de finances pour 1980, déposé le 27 décembre 1980, fut examiné par l’Assemblée à compter du 7 janvier 1980 et considéré comme adopté le 9 janvier à la suite de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. La loi de finances pour 1980 fut promulguée le 18 janvier 1980.
Les délais restants pour la discussion du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 et l’absence de nomination d’un Gouvernement de plein exercice en temps utile justifient le dépôt d’un projet de loi spéciale autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances pour l’année 2025.
● La nomination le 21 septembre 2024 des membres du Gouvernement du Premier ministre Michel Barnier ([12]), à la suite des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024, a entraîné un dépôt tardif du PLF pour 2025 le 10 octobre 2024, soit dix jours après l’expiration du délai fixé par l’article 39 de la LOLF ([13]).
Le rejet de la première partie du PLF pour 2025 par l’Assemblée nationale le 12 novembre 2024 a entraîné le rejet de l’ensemble du texte, conformément à l’article 42 de la LOLF. Le texte a ensuite été transmis au Sénat, qui a adopté la première partie lors de la séance publique du 1er décembre 2024. L’Assemblée nationale ayant adopté le 4 décembre 2024 une motion de censure dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution et rejeté les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, le Gouvernement a présenté sa démission ([14]) conformément à l’article 50 de la Constitution ; en conséquence, le Sénat a ajourné ses travaux, ce qui a interrompu son examen de la deuxième partie du PLF pour 2025.
Comme il apparaît manifeste au regard des circonstances actuelles que le PLF pour 2025 ne pourra être adopté à temps pour entrer en vigueur au 1er janvier 2025, le Gouvernement, qui n’envisage pas de proposer l’adoption de la première partie du projet de loi de finances pour 2025 comme le permettrait le 1° de l’article 45 de la LOLF, soumet à l’approbation du Parlement un projet de loi spéciale sur le fondement du 2° de l’article 45 de la LOLF.
● Il convient de relever que ce dépôt du projet de loi spéciale ne correspond pas strictement aux conditions fixées par le quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution – et par l’article 45 de la LOLF qui en précise les modalités –, puisque la demande d’autorisation de percevoir les impôts a pour élément déclencheur un dépôt tardif de la loi de finances qui empêcherait sa promulgation avant le début de l’exercice budgétaire. Or, si le PLF pour 2025 aurait certes dû être déposé au plus tard le 1er octobre 2024 en vertu de l’article 39 de la LOLF, on peut considérer qu’il a néanmoins été déposé en temps utile puisqu’il pouvait être débattu dans le délai de 70 jours fixé par le troisième alinéa de l’article 47 de la Constitution ([15]) et donc être promulgué avant la fin de l’année 2025. Les dispositions constitutionnelles et organiques ne prévoient donc pas expressément de procédure à suivre dans un tel cas.
Toutefois, dans sa décision précitée du 30 décembre 1979 sur la loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants, le Conseil constitutionnel avait validé la solution juridique retenue par le Gouvernement, qui n’avait alors pas de fondement textuel, en relevant que « dans cette situation et en l’absence de dispositions constitutionnelles ou organiques directement applicables, il appartient, de toute évidence, au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ; qu’ils doivent, pour ce faire, s’inspirer des règles prévues, en cas de dépôt tardif du projet de loi de finances, par la Constitution et par l’ordonnance portant loi organique, en ce qui concerne tant les ressources que la répartition des crédits et des autorisations relatifs aux services votés. » Dans sa décision n° 2001-448 sur la LOLF, le Conseil constitutionnel a eu également une lecture constructive du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution, puisqu’il a considéré que l’article 45 de la LOLF pris pour son application « organise des procédures d’urgence destinées (…) à l’adoption de mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, lorsque la loi de finances de l’année ne peut être adoptée en temps utile pour être promulguée avant le début de l’année » ([16]). Ces interprétations semblent pouvoir être reprises dans les circonstances actuelles et permettre le dépôt d’un projet de loi spéciale autorisant la perception des impôts existants sur le fondement de l’article 45 de la LOLF.
● S’agissant de la possibilité pour un Gouvernement démissionnaire, chargé des affaires courantes, de déposer un projet de loi spéciale et de le défendre au Parlement, le précédent de 1979 n’est pas pertinent puisque le Gouvernement dirigé par M. Raymond Barre était de plein exercice.
Comme le rappelle une note du Secrétariat général du Gouvernement (SGG) en date du 2 juillet 2024 relative à l’expédition des affaires courantes, « sous la Cinquième République, et contrairement à ce qui prévalait sous les régimes précédents, il n’y a jamais eu, en période d’expédition des affaires courantes, ni de projet de loi délibéré en conseil des ministres, ni de projet de loi adopté par le Parlement ». Toutefois, l’édiction de mesures financières urgentes figure parmi les catégories de textes relevant des affaires courantes dans la note du SGG, qui souligne que « c’est la nécessité de prendre des mesures financières urgentes, et singulièrement de doter la France d’un budget qui, sous les Républiques précédentes, a le plus fréquemment justifié le recours à des initiatives législatives de la part des gouvernements démissionnaires ».
Au point 5 de son avis précité, le Conseil d’État estime que, à l’aune de l’impératif de continuité du fonctionnement de l’État et de la vie nationale, « un gouvernement démissionnaire reste compétent pour prendre les décisions qui relèvent de l’expédition des affaires courantes. » Ainsi, dès lors que la loi spéciale autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts existants constitue une mesure d’ordre financier nécessaire pour assurer la continuité de la vie nationale, « un gouvernement démissionnaire demeure compétent pour soumettre à la délibération du conseil des ministres un projet de loi ayant un tel objet, le déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale et, si aucun gouvernement de plein exercice n’a été nommé avant son examen par le Parlement, en soutenir la discussion devant les assemblées parlementaires ».
À la lumière de l’ensemble de ces éléments, il semble donc que le Gouvernement démissionnaire actuel puisse valablement déposer et défendre le projet de loi spéciale.
Le projet de loi spéciale comporte trois articles qui visent à autoriser le Gouvernement à percevoir les impôts existants et à permettre à l’État et à divers régimes et organismes de sécurité sociale d’emprunter pour l’année 2025.
● En l’absence de loi de finances pour 2025, le premier article du projet de loi spéciale a pour objet d’assurer que la perception des ressources de l’État et des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l’État soit possible à compter du 1er janvier 2025, conformément aux lois et règlements. Si cette disposition est similaire à celles figurant traditionnellement à l’article premier des lois de finances initiales, l’autorisation ne vaut pas pour l’ensemble de l’année et n’a qu’une portée temporaire : elle est accordée par le Parlement jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025.
S’agissant des prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne et des collectivités territoriales, qui n’existaient pas en 1979 lors de l’examen du projet de loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants, le Conseil d’État estime au point 7 de son avis que « le respect des engagements européens de la France et le fonctionnement des collectivités territoriales » relèvent bien du champ de la loi spéciale, dont l’objectif est d’adopter les « seules mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, dans l’attente de l’adoption de la loi de finances initiale de l’année ».
Si la mention de ces prélèvements ne figure pas explicitement dans le dispositif de l’article 1er, l’exposé général des motifs du projet de loi spéciale précise que la rédaction retenue « emporte également la reconduction des prélèvements sur les recettes mentionnés à l’article 6 de la LOLF, soit les prélèvements sur les recettes au profit des collectivités territoriales (PSR-CT) et de l’Union européenne (PSR-UE) ».
● L’article 2 prévoit d’autoriser le ministre chargé des finances à procéder à des emprunts : cette disposition, prévue à l’article 26 de la LOLF, est habituellement contenue dans l’article d’équilibre des lois de finances de l’année. Si le Conseil d’État estime que cette autorisation ne saurait être assimilée à l’autorisation de percevoir l’impôt, il relève que la part significative des ressources annuelles de l’État issue de l’emprunt « conditionne la possibilité même pour le Gouvernement d’ouvrir par décret les crédits se rapportant aux services votés » imposée par l’article 47 de la Constitution. Dès lors, au regard des obligations constitutionnelles, l’inscription de l’article 2 est jugée nécessaire afin de « financer l’écart entre les dépenses se rapportant aux services votés et le produit des impôts existants et (…) [de] refinancer les emprunts venus à échéance ».
● L’article 3 vise à anticiper l’absence probable de promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2025 avant le 1er janvier 2025 en autorisant l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel ferroviaire (CPRPF), la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM) et la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) de recourir à l’emprunt, comme le prévoit l’article 13 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025.
Si la place d’une telle disposition dans un projet de loi spéciale autorisant à percevoir les impôts existants n’est pas évidente, d’autant plus qu’elle relève du domaine obligatoire de la LFSS ([17]), le Conseil d’État considère au point 13 de son avis précité que « en l’absence d’autorisation de recourir à des ressources non permanentes, les organismes concernés ne seraient plus en mesure d’assurer la continuité des paiements et remboursements des prestations sociales ». En effet, cette interruption « serait de nature à porter atteinte aux principes constitutionnels de protection de la santé et d’accès à des moyens convenables d’existence garantis par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dans des conditions telles qu’il en résulterait une atteinte à la continuité de la vie nationale » : le Conseil d’État en conclut qu’au regard de la finalité du projet de loi spéciale, qui vise à garantir la continuité de la vie nationale, la disposition proposée par l’article 3 permettrait au Gouvernement de satisfaire à ses obligations constitutionnelles.
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article 1er du projet de loi spéciale a pour objet d’autoriser la perception des ressources de l’État et des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l’État jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025.
Position de la commission des finances
La commission a adopté cet article sans modification. Elle a ensuite adopté le projet de loi spéciale.
Aux termes de l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement ». Découlant du principe ainsi posé en 1789, l’article 1er du projet de loi de finances de l’année renouvelle l’autorisation annuelle de percevoir les impôts, élément essentiel de la tradition démocratique en vertu de laquelle l’impôt n’est légitime que parce qu’il est librement consenti par la Nation. Il revient donc au Parlement d’exprimer ce consentement qui, par nature, doit être renouvelé régulièrement.
Compétence exclusive et obligatoire de la loi de finances de l’année, l’autorisation prévue par l’article 1er voit son champ précisé par le 1° du I de l’article 34 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ([18]), qui dispose que « la loi de finances de l’année autorise, pour l’année, la perception des ressources de l’État et des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l’État ».
L’autorisation n’est accordée que pour l’année, conformément au principe constitutionnel d’annualité repris à l’article 1er de la LOLF. Elle vise non seulement les recettes fiscales mais également l’ensemble des autres ressources perçues en vue de financer le service public : revenus industriels et commerciaux, rémunérations de services rendus, fonds de concours, remboursements de prêts et d’avances, produits de cessions, etc. Elle couvre les impositions de toutes natures affectées aux collectivités territoriales, aux établissements publics et aux organismes divers – publics ou privés – habilités à les percevoir. D’application générale, le principe d’annualité de l’impôt vise à protéger, par cette autorisation, l’ensemble des contribuables, quel que soit l’organisme bénéficiaire de l’imposition.
L’article 6 de la LOLF encadre l’usage des prélèvements sur recettes (PSR) de l’État, dérogatoires au principe d’universalité car institués au bénéfice direct des collectivités territoriales et de l’Union européenne. Il prévoit ainsi qu’un « montant déterminé de recettes de l’État peut être rétrocédé directement au profit des collectivités territoriales ou de l’Union européenne ». Ces montants permettent notamment de financer les charges financières de ces dernières ainsi que de compenser des exonérations, des réductions ou des plafonnements d’impôts établis au profit des collectivités territoriales. L’article précise que ces PSR sont, « dans leur montant, évalués de façon précise et distincte dans la loi de finances ».
D’un point de vue comptable et juridique, les PSR ne sont donc pas des dépenses, mais des moindres recettes pour l’État.
Versé en application de la loi du 8 février 2021 autorisant l’approbation de la décision (UE, Euratom) 2020/2023 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne ([19]) et du décret du 30 juin 2021 relatif au prélèvement sur recettes au bénéfice de l’Union européenne ([20]), le prélèvement sur recettes en faveur de l’Union européenne (PSR‑UE) correspond à la majeure partie de la contribution annuelle de la France au budget de l’Union européenne (UE), le reste étant constitué des ressources propres traditionnelles collectées par les États membres pour le compte de l’UE.
Il est évalué chaque année par la loi de finances.
L’article 164 de la loi de finances pour 2024 ([21]) a évalué le montant du PSR‑UE pour l’exercice 2024 à 21,6 milliards d’euros ; selon les dernières prévisions d’exécution, ce montant devrait atteindre 22,3 milliards d’euros.
Le montant de 23,3 milliards d’euros inscrit à l’article 40 du projet de loi de finances pour 2025 ([22]) au titre du PSR-UE pour l’exercice 2025 correspond à l’évaluation ex ante qui intervient avant le vote du budget de l’Union européenne, réalisée en fonction des prévisions de recettes et de dépenses de ce budget au titre de l’année 2025 telles qu’elles ressortent de la proposition de la Commission européenne du 19 juin 2024, et des prévisions de recettes issues du comité consultatif sur les ressources propres du mois de mai 2024.
Cette augmentation en 2025 s’expliquait notamment par deux facteurs principaux :
– une légère reprise des paiements de la politique de cohésion par rapport à 2024 ;
– une hausse limitée des ressources propres traditionnelles à la suite de la baisse des droits de douane estimée pour 2024 (l’exécution 2024 se situerait en deçà de l’exécution 2023, alors que l’estimation du PSR-UE dans le cadre de la loi de finances pour 2024 reposait notamment sur l’hypothèse d’une hausse).
PrÉlÈvement sur recettes au profit de l’Union europÉenne
depuis 2008
(en milliards d’euros)
Année |
Montant |
2008 |
16,6 |
2009 |
18,3 |
2010 |
17,5 |
2011 |
18,2 |
2012 |
19,1 |
2013 |
22,5 |
2014 |
20,3 |
2015 |
20,7 |
2016 |
19,0 |
2017 |
16,4 |
2018 |
20,6 |
2019 |
21,0 |
2020 |
23,7 |
2021 |
26,4 |
2022 |
24,2 |
2023 |
25 |
2024 * |
22,3 |
2025 * |
23,1 ([23]) |
* : Prévision.
Source : commission des finances.
Pour 2024, le montant des prélèvements sur recettes de l’État au profit des collectivités territoriales s’élevait à 45,1 milliards d’euros. Ils représentaient près de 30 % de l’ensemble des transferts financiers élargis ([24]) de l’État aux collectivités territoriales dans la loi de finances initiale pour 2024.
D’un montant de 27,25 milliards d’euros, la dotation globale de fonctionnement (DGF) constitue le PSR le plus important, suivi par le fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), dont le montant était évalué à 7,1 milliards d’euros en loi de finances initiale pour 2024.
Le projet de loi de finances pour 2025 évaluait le montant des PSR pour 2025 à 44,19 milliards d’euros ([25]), soit une baisse nominale de 869 millions d’euros.
Cette évolution reflétait plusieurs mouvements :
– une stagnation du niveau de la DGF ;
– la diminution du FCTVA de 800 millions d’euros par rapport à sa hausse tendancielle anticipée pour 2025, conduisant à un montant inférieur de 258 millions à celui de 2024. Cette baisse résulterait de la réduction du taux de remboursement et de l’assiette des dépenses éligibles au FCTVA que le projet de loi de finances pour 2025 prévoyait à son article 30 ;
– la hausse de 274 millions d’euros du PSR destiné à compenser la division par deux des valeurs locatives des bâtiments industriels, du fait notamment de la dynamique des bases ainsi que de l’augmentation des allocations compensatrices d’exonérations relatives à la fiscalité locale pour un montant de 47 millions d’euros ;
– la progression des minorations des variables d’ajustement (dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle – DCRTP du bloc communal, des départements et des régions, ainsi que les dotations aux fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle – FDPTP) pour un montant total de 487 millions d’euros contre 67 millions d’euros en 2024 ;
– l’extinction du PSR « filet de sécurité inflation » au titre de 2023, évalué à 400 millions d’euros en loi de finances pour 2024, ainsi que celle de l’abondement exceptionnel au fonds de sauvegarde des départements (53 millions d’euros).
Évolution des prÉlÈvements sur recettes aux collectivitÉs territoriales entre le projet de loi de finances pour 2025
et la Loi de finances initiale pour 2024
(en euros)
PSR |
LFI 2024 |
PLF 2025 |
Variation |
Dotation globale de fonctionnement |
27 245 046 362 |
27 244 686 833 |
– 359 529 |
Dotation spéciale pour le logement des instituteurs |
4 753 232 |
4 253 232 |
– 500 000 |
Dotation de compensation des pertes de bases de la TP et de redevance des mines |
30 000 000 |
30 000 000 |
0 |
Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée |
7 104 000 000 |
6 846 000 000 |
– 258 000 000 |
Allocations compensatrices |
664 114 745 |
710 856 803 |
46 742 058 |
Dotation pour transferts de compensations d’exonérations de fiscalité directe locale (dot²) |
378 003 970 |
378 003 970 |
0 |
Dotation élu local |
123 506 000 |
123 506 000 |
0 |
PSR au profit de la collectivité de Corse |
42 946 742 |
42 946 742 |
0 |
Fonds de mobilisation départementale pour l’insertion |
431 738 376 |
431 738 376 |
0 |
Dotation départementale d’équipement des collèges |
326 317 000 |
326 317 000 |
0 |
Dotation régionale d’équipement scolaire |
661 186 000 |
661 186 000 |
0 |
Dotation globale de construction et d’équipement scolaire |
2 686 000 |
2 686 000 |
0 |
Dotation de compensation de la réforme de la TLV (réforme 2013) |
4 000 000 |
4 000 000 |
0 |
Dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) |
2 840 213 735 |
2 411 320 050 |
– 428 893 685 |
Dotation de compensation liée au processus de départementalisation de Mayotte |
107 000 000 |
107 000 000 |
0 |
Dotation aux fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) |
272 278 000 |
214 278 401 |
– 57 999 599 |
Fonds de compensation des nuisances aéroportuaires |
6 822 000 |
6 822 000 |
0 |
Compensation des pertes de recettes liées au relèvement du seuil d’assujettissement des entreprises au versement transport |
48 020 650 |
48 020 650 |
0 |
PSR au profit de la collectivité territoriale de Guyane |
27 000 000 |
27 000 000 |
0 |
PSR au profit des régions au titre de la neutralisation financière de la réforme de l’apprentissage |
122 559 085 |
122 559 085 |
0 |
PSR au profit de la Polynésie française |
90 552 000 |
90 552 000 |
0 |
Compensation de la réduction de 50 % des valeurs locatives de TFPB et de CFE des locaux industriels |
4 016 619 586 |
4 291 098 809 |
274 479 223 |
Compensation des contributeurs au FNGIR subissant une perte de base de CFE |
3 000 000 |
3 000 000 |
0 |
PSR au titre de la compensation de la réforme 2023 de la TLV (réforme 2023) |
24 700 000 |
33 366 000 |
8 666 000 |
PSR en faveur des communes nouvelles |
17 600 000 |
24 400 000 |
6 800 000 |
PSR pertes exceptionnelles de recettes de TFPB |
3 300 000 |
3 300 000 |
0 |
PSR compensation pertes recettes TFPB |
7 000 000 |
0 |
– 7 000 000 |
Filet de sécurité inflation 2023 |
400 000 000 |
0 |
– 400 000 000 |
Abondement fonds de sauvegarde |
52 862 037 |
0 |
– 52 862 037 |
Total |
45 057 825 520 |
44 188 897 951 |
– 868 927 569 |
Source : commission des finances.
Le 4 décembre 2024, l’Assemblée nationale a adopté une motion de censure dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution et rejeté, par voie de conséquence, les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. En conséquence, en application de l’article 50 de la Constitution, le Premier ministre a présenté au Président de la République la démission du Gouvernement.
Dès lors, l’Assemblée nationale et le Sénat – lequel examinait alors en première lecture la seconde partie du projet de loi de finances pour 2025 – ont ajourné leurs travaux et il paraît impossible d’aboutir à la promulgation d’un projet de loi de finances pour 2025 avant le 31 décembre 2024.
Comme exposé dans l’introduction du présent rapport, ni la Constitution ni la LOLF n’ont expressément prévu la procédure s’appliquant dans un tel cas, à savoir des circonstances de nature à faire obstacle à la promulgation du projet de loi de finances pour 2025 avant le 31 décembre 2024.
Pour autant, et comme le souligne l’avis du Conseil d’État relatif à l’interprétation de l’article 45 de la LOLF ([26]), qui se réfère à la décision du Conseil constitutionnel du 30 décembre 1979 ([27]), il appartient dans ces circonstances au Gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, en s’inspirant des dispositions prévues par l’article 45 de la LOLF – celles applicables dans le cas d’un dépôt tardif du projet de loi de finances, prévu par le quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution ou celles prévues en cas de censure par le Conseil constitutionnel du projet de loi de finances. Le Gouvernement est ainsi fondé à déposer « un projet de loi spéciale l’autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année », prévu par le 2° de l’article 45 de la LOLF.
Dans son avis précité relatif à l’interprétation de l’article 45 de la LOLF, le Conseil d’État considère, « eu égard, d’une part, aux termes mêmes des dispositions du 2° de l’article 45 de la LOLF, qui limitent aux seuls “impôts existants” l’autorisation accordée par le Parlement au Gouvernement et, d’autre part, à la finalité de la loi spéciale, qui est exclusivement d’assurer la continuité de la vie nationale dans l’attente de l’adoption d’une loi de finances initiale, […] que les mesures nouvelles d’ordre fiscal, qui ne sauraient, en tout état de cause, être regardées comme des mesures nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, ne relèvent pas du domaine de la loi spéciale ».
● Comportant un seul alinéa, l’article 1er du projet de loi spéciale a pour objet d’autoriser la perception des ressources de l’État et des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l’État jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025, conformément aux lois et règlements.
Il reprend les termes traditionnels de l’article 1er de toute loi de finances de l’année, à l’exception, précisément, de la référence à la loi de finances de l’année elle-même, qui ne se justifierait pas en l’occurrence, et des précisions relatives à son application dans le temps pour les différents impôts. Lors de l’audition du Gouvernement démissionnaire par la commission sur ce projet de loi, M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, a précisé que cette dernière question renvoyait à des choix politiques et qu’elle ne saurait donc trouver sa place dans une loi spéciale autorisant à percevoir les impôts.
Il convient de préciser que les avantages fiscaux, notamment les réductions et crédits d’impôt, venant à leur terme le 31 décembre 2024 ne trouveront pas à s’appliquer en 2025 dans le cadre de l’autorisation de percevoir les impôts existants prévue par le projet de loi spéciale, laquelle est mise en œuvre « conformément aux lois et règlements ». La prorogation de ces avantages fiscaux au-delà du 31 décembre 2024 – par exemple le crédit d’impôt innovation pour les entreprises ou encore le crédit d’impôt au titre des dépenses de remplacement pour congé pour les exploitants agricoles –, implique d’adopter des dispositions en ce sens dans le projet de loi de finances pour 2025.
● Selon l’avis précité du Conseil d’État, cette autorisation « doit être regardée […] comme emportant, également, la reconduction des prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne et des collectivités territoriales, soit pour un montant résultant des règles en vigueur qui leur sont applicables, soit pour celui fixé pour l’exercice précédent, en l’espèce 2024, lorsqu’il incombe, en vertu de ces règles, à la loi de finances de fixer leur montant, comme c’est notamment le cas pour la dotation globale de fonctionnement en application de l’article L. 1613-1 du code général des collectivités territoriales ».
En effet, il résulte de la jurisprudence constitutionnelle ([28]) que « la finalité de la loi spéciale […] est de permettre qu’interviennent, en temps utile, c’est-à-dire avant le début de l’exercice budgétaire à venir, les seules mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, dans l’attente de l’adoption de la loi de finances initiale de l’année ». Or relèvent de ces mesures « le respect des engagements européens de la France et le fonctionnement des collectivités territoriales ».
Dans un courrier ([29]) adressé au président de l’Association des maires de France, M. David Lisnard, les ministres démissionnaires M. Laurent Saint-Martin et Mme Catherine Vautrin soulignent également que l’autorisation de continuer à percevoir les ressources de l’État et les impôts existants emporte la reconduction des prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne et des collectivités territoriales « afin d’assurer la continuité de leur fonctionnement » ; l’ensemble des PSR‑CT sont inclus dans les ressources de l’État dont le présent article autorise la perception.
La reconduction des PSR-CT relève donc, pour le Conseil d’État comme pour le Gouvernement démissionnaire, des « mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ». Eu égard aux montants qu’ils représentent (45 milliards d’euros) et à leur caractère indispensable dans le budget de fonctionnement des collectivités territoriales, le rapporteur général souscrit à cette analyse.
Cette reconduction s’avère particulièrement nécessaire pour ceux de ces prélèvements qui, à l’instar de la DGF, voient leur montant précisément fixé par la loi de finances. Le Conseil d’État rappelle ainsi que l’article L. 1613-1 du code général des collectivités territoriales dispose que le montant de DGF est fixé chaque année en loi de finances.
En ce qui concerne les autres PSR-CT – ceux dont les modalités de calcul sont fixées par la loi –, leur montant fait l’objet d’une évaluation en loi de finances qui ne contraint pas leur niveau final. C’est en particulier le cas du FCTVA ([30]) dont le montant résulte directement du niveau d’investissement des collectivités territoriales.
Le Conseil d’État, qui apparaît établir dans son avis une telle distinction entre les PSR‑CT, ne semble toutefois pas considérer qu’elle puisse entraîner de conséquences dans leurs modalités de reconduction.
Enfin, le périmètre et les montants des PSR-CT reconduits ne sauraient différer de ceux évalués par la loi de finances initiale pour 2024, en ce qu’elle constitue le dernier exercice de référence en l’absence de règles en vigueur au 1er janvier 2025 les concernant. Le courrier précité précise que les versements aux collectivités territoriales interviendront dans leurs modalités de droit commun, soit par douzièmes, comme c’est le cas pour l’essentiel des composantes de la DGF, soit dans leur intégralité lorsque c’est d’ordinaire la modalité de gestion retenue.
En revanche, le montant du PSR-UE qui sera versé par la France à compter du 1er janvier 2025, sur le fondement de la loi spéciale, sera bien celui évalué en fonction des prévisions de recettes et de dépenses du projet de budget de l’Union européenne pour 2025 – et non le montant du PSR-UE versé par la France en 2024, comme pour les PSR-CT –, pour permettre à la France de respecter ses engagements européens.
*
* *
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article 2 du projet de loi spéciale a pour objet d’autoriser le ministre chargé des finances à recourir à l’emprunt pour couvrir l’ensemble des charges de trésorerie ou pour renforcer les réserves de change, ainsi qu’à procéder à toute opération de gestion de la dette ou de la trésorerie de l’État.
Position de la commission des finances
La commission a adopté cet article sans modification. Elle a ensuite adopté le projet de loi spéciale.
● En application des 1° et 4° de l’article 26 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ([31]) aux termes desquels « le placement des disponibilités de l’État est effectué conformément aux autorisations annuelles générales ou particulières données par la loi de finances de l’année » et « l’émission, la conversion et la gestion des emprunts sont effectuées conformément aux autorisations annuelles générales ou particulières données par la loi de finances de l’année », la loi de finances autorise chaque année le ministre chargé des finances à procéder à des opérations en matière d’emprunt par l’État.
● Le 8° du I de l’article 34 de la LOLF dispose que la première partie de la loi de finances de l’année « comporte les autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l’État prévues à l’article 26 » du même texte. En outre, le 9° du même I dispose qu’elle « fixe le plafond de la variation nette, appréciée en fin d’année, de la dette négociable de l’État d’une durée supérieure à un an ainsi que, pour chaque budget annexe, le plafond de l’encours total de dette autorisé ». Ces dispositions figurent traditionnellement à l’article dit d’équilibre des lois de finances.
● Bien que l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances ne fasse pas expressément état de la nécessité que le projet de loi spéciale comporte un dispositif sur les autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie, un tel dispositif se révèle indispensable pour assurer l’ouverture des crédits relevant des services votés.
En effet, si, dans son avis relatif à l’interprétation de l’article 45 de la LOLF, délibéré le 9 décembre 2024, le Conseil d’État estime que « l’autorisation de recourir à l’emprunt ne saurait être assimilée à l’autorisation de percevoir l’impôt », il n’en estime pas moins que le caractère « significatif » de la part des emprunts dans le total des ressources annuelles de l’État « conditionne la possibilité même pour le Gouvernement d’ouvrir par décret les crédits se rapportant aux services votés ».
Ces crédits doivent être ouverts en application du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution. Dès lors, le Conseil d’État considère « qu’il appartient au Gouvernement […] d’inscrire dans le projet de loi spéciale des dispositions autorisant l’État à recourir à l’emprunt, d’une part, pour financer l’écart entre les dépenses se rapportant aux services votés et le produit des impôts existants », ce qui correspond à la notion de déficit à financer, « et, d’autre part, pour refinancer les emprunts venus à échéance », ce qui correspond à l’amortissement de la dette à moyen et long termes.
● Entre 2018 et 2023, le déficit à financer a progressé de 128 %. S’il a connu en 2020 et 2021 une aggravation sensible qu’expliquent la crise sanitaire et les mesures prises pour y faire face, force est de constater qu’il demeure depuis lors d’un montant très supérieur à son niveau d’avant-crise. Au terme de l’exercice 2024, il atteindrait ainsi, selon les prévisions de la loi de finances de fin de gestion ([32]), 163,2 milliards d’euros, soit un niveau encore supérieur de 76 % à celui de la fin de l’exercice 2019. En 2025, aux termes du projet de loi de finances déposé le 10 octobre 2024, compte tenu de ressources d’un montant (316,8 milliards d’euros) toujours très inférieur à celui des charges (457,4 milliards d’euros), celles-ci demeureraient couvertes à hauteur de 31 % par le recours à l’emprunt, la prévision de déficit à financer s’établissant à 142,1 milliards d’euros.
Évolution du dÉficit à financer de l’État
(en milliards d’euros)
|
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 (prévisions) |
2025 (prévisions) |
Déficit à financer |
76 |
92,7 |
178,1 |
170,7 |
151,5 |
173,3 |
163,2 |
142,1 |
Source : commission des finances d’après les lois de règlement (LR) de 2018, 2019, 2020, le projet de loi de règlement (PLR) de 2021, les projets de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes (PLRG) de 2022 et 2023, la loi de finances de fin de gestion (LFG) pour 2024 et le projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
● Au déficit à financer chaque année, s’ajoute l’amortissement de la dette à moyen et long termes. Une fois pris en compte l’amortissement des dettes reprises par l’État et les autres besoins de trésorerie, l’on obtient le besoin de financement de l’État pour l’exercice budgétaire. Le tableau ci-après permet de constater la nette augmentation de ce besoin de financement depuis 2018, notamment à partir de 2020, pour atteindre un point haut en 2024, à 316,5 milliards d’euros.
évolution du besoin de financement de l’État
(en milliards d’euros)
|
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 (prévisions) |
2025 (prévisions) |
Déficit à financer |
76 |
92,7 |
178,1 |
170,7 |
151,4 |
173 |
162,4 |
142,1 |
Amortissement de la dette à moyen et long termes |
116,6 |
130,2 |
136,1 |
118,3 |
145,7 |
149,6 |
155,1 |
174,8 |
Amortissement des dettes reprises par l’État |
0 |
0 |
2,2 |
1,3 |
3,0 |
3 |
2,7 |
1,1 |
Autres besoins de trésorerie |
– 0,6 |
– 2,4 |
– 6,9 |
– 5,0 |
– 20,2 |
– 11 |
– 3,7 |
– 4,8 |
Besoin de financement total |
191,9 |
220,5 |
309,5 |
285,3 |
280,0 |
314,6 |
316,5 |
313,2 |
Source : commission des finances d’après les lois de règlement (LR) de 2018, 2019, 2020, le projet de loi de règlement (PLR) de 2021, les projets de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes (PLRG) de 2022 et 2023, la loi de finances de fin de gestion (LFG) pour 2024 et le projet de loi de finances (PLF) pour 2025.
● Le besoin de financement est couvert à titre principal par des émissions de dette à moyen et long termes (obligations assimilables du Trésor – OAT) nettes des rachats. Si la loi de finances de l’année autorise le ministre chargé des finances à procéder aux emprunts de long, moyen et court termes, elle fixe également le plafond de la variation nette de la dette négociable de l’État d’une durée supérieure à un an. Aussi, les écarts aux besoins de financement effectifs en cours d’année sont couverts par l’émission de bons du Trésor à taux fixe et à intérêt précompté (BTF), dont la maturité est inférieure ou égale à un an. Ces ressources de financement sont complétées par des ressources de trésorerie telles que les ressources affectées à la Caisse de la dette publique, la variation des dépôts des correspondants au compte unique du Trésor, la variation des disponibilités du Trésor à la Banque de France et les placements de trésorerie de l’État, et d’autres ressources de trésorerie, parmi lesquelles les primes nettes des décotes à l’émission.
Le tableau ci-après retrace l’évolution des ressources de financement de l’État destiné à couvrir son besoin de financement. Il montre la part prépondérante, généralement supérieure à 90 %, des émissions de dette à moyen et long termes, nette des rachats, au sein de ces ressources, qui croissent depuis 2018 corrélativement à la hausse du besoin de financement.
Évolution des ressources de financement de l’État
(en milliards d’euros)
|
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
2024 (prévisions) |
2025 (prévisions) |
Ressources de financement totales |
191,9 |
220,5 |
309,5 |
285,3 |
280,0 |
314,6 |
316,5 |
313,2 |
Émission de dette à moyen et long termes, nettes des rachats |
195 |
200 |
260,0 |
260,0 |
260,0 |
270 |
285 |
300 |
Ressources affectées à la Caisse de la dette publique et consacrées au désendettement |
- |
- |
- |
- |
1,9 |
6,6 |
6,5 |
5,2 |
Variation des BTF (+ si augmentation de l’encours ; – sinon) |
– 13,6 |
– 6 |
54,7 |
– 6,2 |
– 6,9 |
20,8 |
34,9 |
5 |
Variation des dépôts des correspondants (+ si augmentation de l’encours ; – sinon) |
9,8 |
11,5 |
27,8 |
18,7 |
1,2 |
– 11,5 |
– 3 |
0 |
Variation des disponibilités (+ si diminution ; – sinon) |
– 11,1 |
– 5,7 |
– 63,4 |
– 4,4 |
35,2 |
47,6 |
0 |
0 |
Autres ressources de trésorerie |
11,8 |
20,6 |
30,4 |
17,2 |
– 11,4 |
– 18,8 |
– 6,9 |
3 |
Source : commission des finances d’après les LR 2018, 2019 et 2020, le PLR 2021, les PLRG 2022 et 2023, la LFG 2024 et le PLF 2025
L’émission et la gestion de la dette de l’État sont effectuées par l’Agence France Trésor (AFT), service à compétence nationale rattaché au directeur général du Trésor. Sur la base des données du tableau de financement du projet de loi de finances, le ministre chargé des finances arrête au mois de décembre un programme indicatif de financement de l’État pour l’année à venir, que l’AFT est chargée de mettre en œuvre.
L’article 2 du projet de loi spéciale a pour objet d’accorder au ministre chargé des finances l’autorisation de « procéder à des emprunts à long, moyen et court termes libellés en euros ou en autres devises pour couvrir l’ensemble des charges de trésorerie ou pour renforcer les réserves de change, ainsi qu’à toute opération de gestion de la dette ou de la trésorerie de l’État ». Par ailleurs, une échéance est fixée, au terme de laquelle le dispositif devient inopérant : l’autorisation précitée ne serait accordée que « jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de finances pour 2025 ».
Le dispositif proposé est plus réduit que celui figurant à l’article 41, dit article d’équilibre, du projet de loi de finances pour 2025 déposé le 10 octobre 2024 qui répondait précisément aux exigences précitées du 9° du I de l’article 34 de la LOLF : il ne comporte notamment aucun plafonnement ni de la variation nette de la dette négociable d’une durée supérieure à un an ni de l’encours total de dette autorisé pour chacun des budgets annexes. Lors de son audition, le Gouvernement a effectivement indiqué qu’il estime que de telles dispositions, fixant un cadre économique et budgétaire pour l’année, ne sauraient figurer que dans la loi de finances de l’année. Le rapporteur général relève le caractère pour le moins paradoxal d’une autorisation qui, donnée par une loi qui ne comporte que les mesures nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, ne serait pas plafonnée, permettant ainsi un recours à l’emprunt d’une ampleur susceptible d’excéder la finalité de la loi spéciale.
La loi de finances pour 2024 ([33]) prévoyait pour sa part que :
– le plafond de la variation nette, appréciée en fin d’année et en valeur nominale, de la dette négociable de l’État d’une durée supérieure à un an soit fixé pour l’année à 133,9 milliards d’euros ;
– le plafond de l’encours total de dette autorisé pour le budget annexe Contrôle et exploitation aériens soit fixé pour l’année à 2,35 milliards d’euros ;
– le plafond de l’encours total de dette autorisé pour le budget annexe Publications officielles et information administrative pour l’année soit nul.
*
* *
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article 3 propose d’arrêter la liste des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et des organismes concourant à leur financement autorisés à recourir à des ressources non permanentes jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
Comme en 2024, les quatre organismes concernés par cette habilitation seraient l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel ferroviaire (CPRPF), la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM) et la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL).
Contrairement au I de l’article 13 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, les plafonds de l’autorisation de recourir à des ressources non permanentes ne seraient pas déterminés en fonction de montants précis mais des besoins de trésorerie constatés en gestion.
Position de la commission des finances
La commission a adopté cet article sans modification. Elle a ensuite adopté le projet de loi spéciale.
En application de l’article L. 225-1 du code de la sécurité sociale, l’ACOSS assure la gestion commune de la trésorerie des branches du régime général de la sécurité sociale.
● À ce titre et, afin de couvrir des besoins de trésorerie ponctuels du régime général, l’ACOSS compte parmi les organismes habilités par la loi de financement de la sécurité sociale de l’année à « recourir à des ressources non permanentes » c’est-à-dire des emprunts dans la limite d’un plafond défini par cette loi ([34]). Le recours par l’ACOSS à des ressources non permanentes est justifié en principe par le décalage calendaire entre, d’une part, les encaissements par les régimes de cotisations et contributions sociales et de recettes affectées et, d’autre part, les décaissements réalisés au titre des versements de prestations aux affiliés et des frais de gestion.
Conformément au chapitre 9 ter du titre III du livre Ier du code de la sécurité sociale, l’ACOSS dispose de différents outils pour couvrir ses besoins de trésorerie. Dans la pratique, elle privilégie les émissions de court terme sur les marchés financiers. Elle peut également recourir à des emprunts auprès de banques ou de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ou, en application de l’article L. 225-1-3 du même code, à la rémunération de disponibilités que placeraient auprès d’elle d’autres entités de la sphère sociale depuis 2009.
L’ACOSS peut, de surcroît, consentir à des prêts et des avances de trésorerie d’une durée inférieure à douze mois au régime d’assurance vieillesse des non‑salariés agricoles et au régime d’assurance vieillesse du régime spécial de sécurité sociale dans les mines. Les régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS) autres que le régime général, tels que la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM), la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) et la Caisse de prévoyance et de retraite du personnel ferroviaire (CPRPF), peuvent également bénéficier d’avances d’une durée inférieure à un mois pour couvrir leurs besoins de trésorerie ([35]).
● La capacité d’endettement de l’ACOSS est néanmoins encadrée.
Tout d’abord, l’ACOSS couvre les besoins de financement de court terme en souscrivant des emprunts dont la durée ne peut excéder douze mois ([36]). Cette limitation constitue l’une des traductions du principe d’équilibre financier de la sécurité sociale, en vertu duquel les déficits de cette dernière ne devraient revêtir qu’un caractère transitoire, et selon lequel toute dette devrait être remboursée à brève échéance.
C’est précisément ce qui distingue l’ACOSS de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) créée pour amortir, dans un horizon temporel resserré et au moyen de ressources spécifiques, les déficits cumulés des branches et des régimes de sécurité sociale qui lui sont transférés à l’initiative du législateur. La maturité des emprunts souscrits par la CADES n’est pas limitée, ce qui lui permet de s’endetter à de meilleures conditions auprès des marchés afin de refinancer ces passifs, qu’elle rembourse progressivement dans le respect de la durée d’amortissement prévue par la loi organique ([37]).
Ensuite, aux termes de l’article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale, il est prévu que la loi de financement de l’année arrête non seulement « la liste des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement habilités à recourir à des ressources non permanentes » mais aussi « les limites dans lesquelles leurs besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources ».
Ces plafonds d’emprunt sont fixés en fonction de l’estimation du « point bas » de trésorerie atteint par ces organismes, c’est-à-dire du solde négatif le plus important, pour l’exercice à venir, afin de couvrir les besoins maximaux estimés par le projet de loi de financement. En outre, ils sont systématiquement ajustés à la hausse pour parer à une éventuelle dégradation de la trésorerie en cours d’exercice ainsi que l’a notamment connu, entre autres, le régime général en mars 2020 dans le contexte de la crise sanitaire.
● La dette financée par l’ACOSS au titre du déficit du régime général connaît un accroissement continu en raison de la fin du cycle de reprise des déficits des régimes de base par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), prévu par les lois organique n° 2020-991 et ordinaire n° 2020-991 du 7 août 2020 relatives à la dette sociale et à l’autonomie ([38]).
Le dernier rapport du Gouvernement à la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS), paru en octobre 2024, estime le montant des déficits des branches maladie et vieillesse du régime général qui n’ont pas pu être repris par la CADES et qui devront être financés par l’ACOSS à 8,6 milliards d’euros en 2023 et à 18,6 milliards d’euros celui des déficits de ces mêmes branches pour la seule année 2024.
● En outre, les régimes spéciaux, dont les besoins en ressources non permanentes sont assurés exclusivement par des avances de trésorerie de l’ACOSS, connaissent également des déficits significatifs.
En premier lieu, la CNRACL a renoué avec un besoin de recourir à des ressources non permanentes depuis 2019. De fait, la croissance des dépenses de la CNRACL dépasse largement celle de ses recettes en raison de la combinaison de trois facteurs : la dégradation de son ratio démographique, qui est passé de plus de 4 cotisants par pensionné dans les années 1980 à 1,46 en 2023, la montée en puissance de la contractualisation dans le secteur public, entraînant une substitution des fonctionnaires titulaires cotisant à la CNRACL par des agents contractuels affiliés à d’autres régimes, et l’absence de ressources spécifiques pour financer les prestations non contributives. Selon le rapport du Gouvernement à la CCSS, le montant des déficits de la CNRACL s’élèverait à 7,1 milliards d’euros pour les années 2020 à 2023 et à 3,4 milliards d’euros pour la seule année 2024. Le solde moyen prévisionnel de trésorerie de la CNRACL s’établirait à – 6,7 milliards d’euros en 2024, avec un point bas situé à – 9,5 milliards d’euros.
La CANSSM, chargée d’assurer la gestion commune de la trésorerie des différentes branches du régime minier, fait face à des difficultés de financement depuis qu’elle a commencé à accumuler des résultats déficitaires. Ces derniers, en conduisant à réduire les réserves de la caisse, ont limité sa capacité à couvrir ses besoins de financement, qui étaient auparavant pris en charge en mobilisant celles‑ci. Pour l’exercice 2024, le point bas a été enregistré le 31 mai à hauteur de – 375,1 millions d’euros.
Enfin, la CPRPF est également exposée à d’importants besoins de trésorerie. En 2024, le solde moyen de trésorerie sur l’année est prévu à 50,87 millions d’euros (contre 71,9 millions d’euros en 2023), avec un point bas à – 496,25 millions d’euros constaté le 4 janvier.
La somme des déficits du régime général et de la CNRACL se monterait ainsi à plus 37 milliards d’euros à la fin de l’année 2024. Dans ces conditions et en l’absence d’un nouveau transfert de dette sociale à la CADES, l’ACOSS sera conduite au cours des prochaines années à souscrire régulièrement de nouveaux emprunts pour couvrir des besoins de financement croissants.
L’article 3 du projet de loi spéciale propose d’arrêter, conformément au e) du 2° de l’article L.O. 111‑3‑4 du code de la sécurité sociale, la liste des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (ROBSS) et des organismes concourant à leur financement autorisés à recourir à des ressources non permanentes, sans toutefois fixer les montants en deçà desquels leurs besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources (1).
Par ailleurs, il n’est pas proposé de relever la durée maximale des emprunts souscrits par l’ACOSS de douze à vingt-quatre mois, alors que cette mesure figure au II de l’article 13 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 (2).
L’article 3 du projet de loi spéciale, composé d’un alinéa unique, propose d’habiliter l’ACOSS, la CPRPF, la CANSSM et la CNRACL à recourir à des ressources non permanentes en 2025.
L’ACOSS, la CPRPF, la CANSSM et la CNRACL seraient autorisées à recourir à des ressources non permanentes « jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 ».
La rédaction retenue souligne le caractère exceptionnel et transitoire de l’habilitation demandée, qui ne couvre pas l’ensemble de l’exercice de 2025. Il convient de rappeler que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979, a considéré que la loi spéciale « constitu[ait] un élément détaché, préalable et temporaire » de la loi de finances de l’année ([39]). Un raisonnement similaire peut s’appliquer aux dispositions ressortissant du domaine de la loi de financement de la sécurité sociale, l’habilitation proposée à l’article 3 du projet de loi spéciale pouvant être interprétée comme se contentant de « [faire] la soudure » jusqu’à l’entrée en vigueur de la LFSS pour 2025 ([40]).
● À l’inverse de l’ensemble des lois de financement de la sécurité sociale adoptées depuis l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996 ([41]) et, plus récemment, de l’habilitation proposée au I de l’article 13 du PLFSS pour 2025 ([42]), l’article 3 du projet de loi spéciale ne fixe pas les montants maximaux des encours de ressources non permanentes auxquels les organismes concernés sont autorisés à recourir.
Alors même que la place de l’habilitation demandée dans le projet de loi spéciale, examinée infra, est peu évidente, la solution retenue tend à affaiblir la portée de l’autorisation parlementaire. En vertu du e) du 2° de l’article L.O. 111‑3‑4 du code de la sécurité sociale, il est prévu que la loi de financement de la sécurité sociale arrête la liste des organismes concernés mais aussi « les limites dans lesquelles leurs besoins de trésorerie peuvent être couverts ». Ces dernières ne peuvent être relevées par le Gouvernement qu’« en cas d’urgence » ou qu’« en cas d’urgence et de nécessité impérieuse d’intérêt national », dans les conditions prévues à l’article L.O. 111-9-2 du code de la sécurité sociale.
● L’article 3 du projet de loi spéciale se borne à préciser que les quatre régimes et organismes de sécurité sociale visés sont habilités à recourir à des ressources non permanentes « dans la seule mesure nécessaire à la couverture de leurs besoins de trésorerie ». Il peut être considéré que cette exigence est satisfaite par la disposition littéraire proposée, qui fixe bien les « limites » du recours à des ressources non permanentes. La forme et la nature de celles‑ci ne sont pas définies par le e) du 2° de l’article L.O. 111‑3‑4 du code de la sécurité sociale. Les ressources non permanentes, à savoir l’emprunt pour l’ACOSS et les avances de trésorerie consenties par l’ACOSS pour la CPRPF, la CANSSM et la CNRACL, ne pourront être mobilisées que dans la limite des besoins de trésorerie constatés en gestion.
Le rapporteur général estime que les termes « dans la seule mesure nécessaire à la couverture de leurs besoins de trésorerie » recouvrent à la fois les besoins de trésorerie effectivement constatés et la marge de précaution à la prévision habituellement retenue par l’ACOSS pour estimer le montant du plafond d’emprunt nécessaire à la bonne conduite de ses activités de gestion de trésorerie. En effet, la rédaction du e) du 2° de l’article L.O. 111‑3‑4 du code de la sécurité sociale, qui prévoit la fixation annuelle des « limites dans lesquelles [ses] besoins de trésorerie peuvent être couverts par des [ressources non permanentes] », n’a jamais fait obstacle à cette approche prudente, qui ménage la possibilité de constituer une marge de précaution.
● Une explication possible du choix du Gouvernement de ne pas proposer au Parlement l’établissement de plafonds en valeur réside dans la difficulté d’évaluer le point bas de trésorerie que les régimes et organismes de sécurité sociale visés à l’article 3 constateront effectivement au cours des mois couverts par l’habilitation, c’est-à-dire entre le 1er janvier 2025 et l’entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
En effet, le plafond de l’autorisation de recourir à des ressources non permanentes est fixé en fonction du point bas de trésorerie prévisionnel, ajusté d’une marge de sécurité. Le besoin de financement maximal est habituellement enregistré au mois de décembre, en raison de la dégradation du solde des régimes de base concernés durant l’exercice – laquelle dépasse les seules variations du profil de trésorerie, liées au décalage temporaire entre les encaissements et les décaissements. À titre d’exemple, le point bas brut des besoins de trésorerie de l’ACOSS, qui tient compte des financements mobilisés dans le cadre de la politique de gestion de ses risques financiers et des avances consenties aux autres régimes de base, devait atteindre – 57,7 milliards d’euros, le 15 décembre 2025, selon l’annexe 3 du PLFSS pour 2025. Le plafond d’emprunt de 65 milliards d’euros proposé dans le même projet de loi permettait d’assurer une marge de sécurité de 7,3 milliards d’euros.
● Le tableau ci‑dessous récapitule à titre indicatif, pour les quatre régimes et organismes concernés, le niveau des plafonds fixés au titre de l’exercice 2024 et des plafonds proposés dans le I de l’article 13 du PLFSS pour 2025, ainsi que le point bas prévisionnel des besoins de trésorerie en 2025.
Encours limites fixÉs en 2024 et proposÉs dans le plfss pour 2025 ;
prÉvision de point bas de trÉsorerie en 2025
(en millions d’euros)
|
LFSS pour 2024 |
PLFSS pour 2025 |
Point bas prévisionnel en 2025 |
ACOSS |
45 000 |
65 000 |
57 700 |
CPRPF |
595
(période du 1er janvier |
300 |
288,05 |
350
(période du 1er février |
|||
CANSSM |
450 |
450 |
435,22 |
CNRACL |
11 000 |
13 200 |
11 798 |
Source : article 35 de la LFSS pour 2024 ; article 13 du PLFSS pour 2025 ; annexe 3 du PLFSS pour 2025.
Le rapporteur général signale toutefois que ces projections, qui reposent sur l’équilibre initial du PLFSS pour 2025, sont antérieures à la présentation du projet de loi spéciale et doivent par conséquent être examinées avec précaution. Les mesures nouvelles contenues dans le PLFSS pour 2025, dont l’incidence sur le redressement des comptes sociaux a été modérée au cours de la discussion parlementaire, ne devraient, selon toute vraisemblance, pas entrer en vigueur au 1er janvier 2025. Il est par conséquent possible que le besoin de financement maximal constaté au cours de l’exercice 2025 soit supérieur aux points bas prévisionnels présentés ci‑dessus.
● Le II de l’article 13 du PLFSS pour 2025 modifierait le premier alinéa de l’article L. 139-3 du code de la sécurité sociale pour relever de douze à vingt‑quatre mois la durée maximale des emprunts souscrits par l’ACOSS, tout en limitant à douze mois la durée moyenne annuelle pondérée de ces emprunts.
Le relèvement de la durée maximale d’emprunt proposé par le PLFSS pour 2025 doit permettre à l’ACOSS d’optimiser ses conditions de financement et de s’appuyer sur une base de financement plus pérenne, associant des titres de créances négociables à court et moyen termes. Selon la fiche d’évaluation de l’article 13 du PLFSS pour 2025, la disposition permettrait à l’ACOSS d’intervenir sur le marché des titres négociables à moyen terme, dit NEU MTN, dont la maturité est supérieure à un an. La durée moyenne des créances de l’ACOSS serait ainsi portée de trois mois à six mois ([43]), un niveau intermédiaire susceptible de garantir la distinction entre les déficits portés en trésorerie à court terme par l’agence et la dette sociale reprise par la CADES en vue de son amortissement à plus long terme.
À cet effet, afin de prévenir un report trop important de la dette sociale sur l’ACOSS, le II de l’article 13 du PLFSS pour 2025 prévoirait que la « durée moyenne annuelle pondérée » des emprunts de l’agence soit limitée à douze mois ([44]).
● L’absence de la disposition permettant à l’ACOSS de recourir à des ressources non permanentes d’une durée inférieure à vingt-quatre mois dans le projet de loi spéciale semble justifiée par le caractère structurel de la mesure, dont l’objet est étranger au domaine de loi spéciale en ce qu’il ne constitue pas une mesure nécessaire pour assurer la continuité de la vie nationale.
● Depuis l’entrée en vigueur de la loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996, l’habilitation des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et des organismes concourant à leur financement à recourir à l’emprunt pour couvrir leurs besoins de trésorerie a systématiquement été prévue par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de l’année, modifiée le cas échéant par une loi de financement rectificative de la sécurité sociale ([45]).
Aux termes du 1° et du 2° de l’article L.O. 111‑3 du code de la sécurité sociale, ces textes ont le caractère de loi de financement de la sécurité sociale. La loi spéciale, en revanche, appartient à la catégorie des lois de finances en application du 5° de l’article 1er de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), lequel reprend simplement la qualification retenue par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée n° 79-111 DC du 30 décembre 1979.
● La solution consistant à faire figurer dans le projet de loi spéciale l’habilitation des régimes et des organismes de sécurité sociale à recourir à l’emprunt est, à première vue, peu évidente. Le Conseil constitutionnel, s’il devait être saisi de la loi spéciale avant sa promulgation, pourrait ainsi juger qu’une telle disposition est étrangère au domaine de la loi de finances et la censurer, aussi bien en réponse aux griefs soulevés par les auteurs de la saisine qu’en le relevant d’office, en ce qu’elle constituerait un « cavalier budgétaire ».
Plusieurs motifs d’interrogation peuvent être relevés.
En premier lieu, le domaine de la loi spéciale n’est défini ni par le législateur organique, ni par le Conseil constitutionnel. Seule la rédaction du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution et du 2° de l’article 45 de la LOLF apporte des indications relatives à la nature de ce texte et aux dispositions susceptibles d’y figurer. Or une interprétation, même extensive, des termes « de loi spéciale autorisant [le Gouvernement] à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année » ne conduit pas naturellement à considérer que l’habilitation prévue à l’article 3 aurait sa place en loi spéciale, cette disposition ne pouvant être assimilée à la reconduction voire à la modification des impositions existantes.
En second lieu, en considérant plus largement le périmètre de la loi de finances, il apparaît que son domaine obligatoire et exclusif comporte « les autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l’État » visées au 8° du I de l’article 45 de la LOLF. Cette rédaction exclut a priori le recours à l’emprunt des régimes obligatoires de base de sécurité sociale et des organismes concourant à leur financement, lequel ne peut pas davantage être rattaché au domaine facultatif de la loi de finances. La circonstance selon laquelle l’ACOSS est un établissement public national à caractère administratif soumis « au contrôle des autorités compétentes de l’État » ([46]) et la CNRACL un établissement public administratif de l’État dont la gestion est confiée à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) ([47]) ne semble pas davantage de nature à faire ressortir du domaine de la loi de finances l’habilitation prévue à l’article 3. La définition négative des « cavaliers budgétaires » apportée par le Conseil constitutionnel conforte cette analyse, en ce qu’il apparaît que l’habilitation prévue à l’article 3 du projet de loi spéciale compte parmi les dispositions qui « ne concernent ni les ressources, ni les charges, ni la trésorerie, ni les emprunts, ni la dette, ni les garanties de l’État, ni la comptabilité publique. Elles n’ont pas trait à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures affectées à des personnes morales autres que l’État. Elles n’ont pas pour objet de répartir des dotations aux collectivités territoriales ou d’approuver des conventions financières. Elles ne sont pas relatives au régime de la responsabilité pécuniaire des agents des services publics ou à l’information et au contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques. Elles ne portent pas sur le transfert de données fiscales, lorsque celui-ci permet de limiter les charges ou d’accroître les ressources de l’État » ([48]).
En troisième lieu, l’habilitation prévue à l’article 3 est susceptible de ressortir du domaine obligatoire et exclusif de la loi de financement de la sécurité sociale, lequel comprend les dispositions ne trouvant leur place que dans ce texte et devant y figurer dès son dépôt. La lecture combinée du e) du 2° de l’article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale ([49]) et de l’article L.O. 111-3-9 du même code ([50]), lesquels précisent que les dispositions devant obligatoirement figurer en loi de financement de l’année ne peuvent être modifiées que par une autre loi de financement, tend à reconnaître ce domaine réservé à la loi de financement de la sécurité sociale. Les travaux parlementaires préparatoires à la loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS), en particulier le commentaire de son article 1er relatif au contenu et à la structure des lois de financement de la sécurité sociale, suggèrent la même analyse ([51]). Les présidents successifs de la commission des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat ont, selon une pratique constante, retenu cette approche dans le cadre du contrôle de la recevabilité organique des amendements ([52]).
● Une note du secrétariat général du Gouvernement (SGG) datée du mois d’août 2024 fait toutefois état d’une divergence d’appréciation entre la direction de la sécurité sociale (DSS) et le SGG sur la possibilité d’habiliter les entités visées à l’article 3 à recourir à des ressources non permanentes hors d’une loi de financement de la sécurité sociale, controverse qui dépasse celui de la place d’une telle disposition en loi spéciale. Le SGG estime que cette habilitation ne relève pas du monopole de la loi de financement de la sécurité sociale, tout en reconnaissant qu’il « serait effectivement en apparence baroque qu’une loi ordinaire autre qu’une LFSS fixe des dispositions obligatoires [de celle‑ci] » ([53]).
L’interprétation du SGG se fonde sur deux arguments :
– par un raisonnement a contrario, il pourrait être déduit de l’existence dans le code de la sécurité sociale d’une sous‑section consacrée « aux dispositions réservées aux lois de financement » ([54]), composée des articles L.O. 111-3-14 à L.O. 111-3-16, que les dispositions n’y figurant pas échappent au monopole de la loi de financement de la sécurité sociale ;
– aux termes de l’article L.O. 111-3-9 du code de la sécurité sociale, le monopole de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale ou des dispositions rectificatives de la loi de financement de l’année suivante vaudrait uniquement pour la modification « en cours d’année » de l’habilitation à recourir à des ressources non permanentes et non pour sa modification au titre de l’année suivante.
● Sans préjuger du sens de la décision qui pourrait être rendue par le Conseil constitutionnel quant à la place d’une telle disposition en loi spéciale, le rapporteur général relève les incertitudes qui entourent sa conformité à la Constitution.
Il est peu probable que le PLFSS pour 2025, considéré comme rejeté par l’Assemblée nationale, au stade de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, en raison de l’adoption d’une motion de censure le mercredi 4 décembre 2024, soit adopté en vue de sa promulgation avant le 31 décembre 2024.
Or aucune procédure dérogatoire n’est prévue pour habiliter, en urgence, les régimes et organismes de sécurité sociale à recourir à des ressources non permanentes au titre de l’année suivante.
À titre illustratif, les travaux parlementaires préparatoires à la loi constitutionnelle n° 96‑138 du 22 février 1996 instituant les lois de financement de la sécurité sociale révèlent que le constituant n’a pas souhaité introduire à l’article 47‑1 de la Constitution, relatif au vote des lois de financement de la sécurité sociale, la procédure prévue au quatrième alinéa de son article 47, relatif au vote de lois de finances. Ce dernier prévoit le cas de la carence du Gouvernement, c’est-à-dire celui où la loi de finances de l’année « n’a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice ». Dans cette situation, « le Gouvernement demande d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés », procédure dont les modalités de mise en œuvre sont détaillées aux 1° et 2° de l’article 45 de la LOLF.
La nécessité de promulguer la loi de financement de la sécurité sociale avant le 1er janvier de l’année auquel elle se rattache apparaissait alors comme moins évidente. À ce titre, le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Pierre Mazeaud, indique que la « solution [du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution] n’est pas transposable à la loi d’équilibre de la sécurité sociale qui n’a pas pour objet d’autoriser la perception de ses recettes, ni la réalisation de ses dépenses, dont elle fixe seulement les objectifs » ([55]). De même, son homologue du Sénat, M. Patrice Gélard, estime que « le risque de vide juridique ou financier au premier janvier ne se pose pas car même si la loi de financement n’était pas promulguée à cette date, les cotisations continueraient d’être prélevées et les prestations d’être servies aux assurés sociaux » ([56]).
Le relèvement par décret des plafonds d’emprunt au titre de l’année 2024,
une mesure de court terme écartée par le Gouvernement
Les plafonds de recours à des ressources non permanentes par les régimes et organismes de sécurité sociale fixés annuellement par la loi de financement peuvent être relevés en urgence par le Gouvernement pour répondre à des besoins de trésorerie exceptionnels.
Aux termes du premier alinéa de l’article L.O. 111-9-2 du code de la sécurité sociale, « en cas d’urgence, des décrets de relèvement pris en Conseil d’État, après avis des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale, peuvent relever les limites » autorisées par la loi de financement. Le troisième alinéa du même article prévoit une procédure similaire après simple information des commissions compétentes « en cas d’urgence et de nécessité impérieuse d’intérêt national ». Le dernier alinéa du même article dispose qu’une ratification des décrets de relèvement doit être demandée « dans le plus prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale ».
À titre d’exemple, le plafond d’emprunt de l’ACOSS a été relevé à des niveaux inédits en 2020 pour faire face à la crise sanitaire, de 39 milliards d’euros à 70 milliards d’euros par le décret n° 2020-327 du 25 mars 2020, puis de 70 milliards d’euros à 95 milliards d’euros par le décret n° 2020-603 du 20 mai 2020. L’article 6 de la LFSS pour 2021 a ratifié les deux décrets précités.
La note précitée du Secrétariat général du Gouvernement conclut que cette mesure « est juridiquement possible » en cas de difficultés d’adoption de la LFSS pour 2025, tout en relevant qu’elle serait insuffisante pour couvrir l’ensemble des besoins de trésorerie de l’ACOSS au titre de l’année 2025. Le relèvement d’ici au 31 décembre 2024 des plafonds d’emprunt institués au titre de l’année en cours permettrait théoriquement aux régimes et organismes de sécurité sociale concernés de couvrir leurs besoins de trésorerie pour les premiers mois de l’année 2025. Une incertitude réside toutefois dans la possibilité pour l’ACOSS, dans ce cas de figure, de continuer à porter des encours de dette à court terme en l’absence d’autorisation juridique de recourir à des ressources non permanentes au 1er janvier 2025.
Il a été indiqué au rapporteur général que l’adoption de décrets de relèvement au titre de l’année 2024 n’était pas envisagée.
La conformité à la Constitution de l’habilitation des régimes et organismes de sécurité sociale à recourir à des ressources non permanentes figurant dans la loi spéciale serait sans doute appréciée par le Conseil constitutionnel, s’il devait être saisi, au regard des exigences de continuité de la vie nationale.
● Le seul précédent de recours à un projet de loi spéciale autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir les impôts existants est intéressant en ce qu’il est motivé par un cas de figure – la censure de la loi de finances par le Conseil constitutionnel – qui n’était alors pas envisagé par l’article 44 de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 ([57]), disposition équivalente à l’actuel article 45 de la LOLF. Pour autant, le Conseil constitutionnel avait considéré « que, dans cette situation et en l’absence de dispositions constitutionnelles ou organiques directement applicables, il appartient, de toute évidence, au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale » ([58]).
L’habilitation des régimes et organismes de sécurité sociale à recourir à des ressources non permanentes semble pouvoir être rattachée aux « mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale », lesquelles ne sont pas définies par le juge constitutionnel. À défaut d’une telle autorisation, l’ACOSS ne serait pas en mesure d’émettre les titres lui permettant de couvrir les besoins de trésorerie du régime général et des autres régimes auxquels elle consent des avances ou des prêts. La dégradation de la capacité de financement de l’ACOSS aurait des effets préjudiciables sur le bon fonctionnement des régimes de base et fragiliserait la continuité des paiements et remboursements des prestations de sécurité sociale, lesquelles ne seraient plus garanties au‑delà de quelques mois. Or l’interruption du versement des prestations sociales en temps voulu serait de nature à porter atteinte aux principes constitutionnels de protection de la santé publique ([59]) et d’accès à des moyens convenables d’existence garantis par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.
Ces considérations conduisent le Conseil d’État, dans son avis du 9 décembre 2024, à conclure que « la loi spéciale peut comporter une disposition permettant aux organismes concernés de recourir à des ressources non permanentes et ce, conformément à sa finalité qui est de permettre de garantir la continuité de la vie nationale, sans méconnaître ni les dispositions de l’article 47 de la Constitution, ni celles de l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances » ([60]).
*
* *
AUDITION DE M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et de M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, sur le projet de loi spéciale autorisant à percevoir les impôts
Au cours de sa séance du mercredi 11 décembre après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie et de M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, sur le projet de loi spéciale prévue par l’article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (n° 711)
M. le président Éric Coquerel. Mes chers collègues, nous auditionnons M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, et M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, qui viennent nous présenter un projet de loi spéciale, adopté ce matin en conseil des ministres, autorisant le gouvernement à continuer à percevoir les impôts, conformément à ce que prévoit le 2° de l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
Il s’agit du deuxième cas de dépôt d’un tel projet de loi visant à pallier l’absence de vote d’une loi de finances initiale avant la fin de l’année. La première loi spéciale autorisant le gouvernement à continuer à percevoir les impôts existants a été adoptée en décembre 1979. Le Conseil constitutionnel ayant censuré, par une décision du 24 décembre 1979, la loi de finances pour 1980 dans sa totalité, un tel texte était nécessaire pour assurer la continuité de la vie nationale. Votée en séance publique le 27 décembre par l’Assemblée nationale et le lendemain par le Sénat en des termes conformes, la loi fut promulguée le 30 décembre 1979, après que le Conseil constitutionnel l’a jugée conforme à la Constitution.
Même si l’intitulé du projet de loi ne comporte pas les mots « loi de finances », il relève de l’une des catégories de lois de finances prévues par la LOLF, comme cela ressort expressément de ses articles 1er et 45. Par conséquent, le rapporteur général en est le rapporteur et il est examiné par la commission des finances sans qu’elle établisse de texte en vue de la séance publique.
En revanche, son objet est bien plus limité que celui des autres catégories PLF : il s’agit uniquement d’éviter une rupture juridique dans l’autorisation de percevoir les impôts. Comme le relevait le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 décembre 1979, un tel texte constitue « un élément détaché, préalable et temporaire de la loi de finances » initiale.
L’emploi par l’article 45 de la LOLF des mots « autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année » permet de définir en creux ce qu’un tel projet de loi ne peut pas faire. Comme il est question des seuls « impôts existants », il ne saurait inclure des dispositions créant un nouvel impôt. Comme il est question de « continuer à percevoir » ces impôts, un tel projet ne saurait en proposer des réformes, ce qui serait une façon détournée d’avoir des débats relevant de la première partie du PLF. Il ne saurait y être question d’autre chose qu’assurer la continuité fiscale et budgétaire.
Son vote permettra au gouvernement, une fois qu’il aura été promulgué, de prendre des décrets ouvrant des crédits pour 2025, dans la limite des services votés prévus au quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution. Sa valeur juridique court « jusqu’au vote de la loi de finances de l’année ». Il ne nous dispense donc pas d’examiner et d’adopter, en début d’année prochaine, un projet de loi de finances pour 2025, qu’il s’agisse de celui en cours d’examen au Sénat ou d’un nouveau.
Dans cette attente, je ne m’opposerai pas à ce projet de loi, qui me semble nécessaire.
Je rappelle que le texte est inscrit à l’ordre du jour de notre commission jeudi 12 décembre à 15 heures, l’expiration du délai de dépôt des amendements étant fixée au même jour à 9 heures, et qu’il sera examiné en séance publique lundi 16 décembre à 16 heures.
M. Antoine Armand, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. La motion de censure adoptée le 4 décembre dernier a interrompu la discussion des textes financiers. Elle compromet de fait l’adoption d’un budget pour la sécurité sociale et d’une loi de finances pour 2025 avant le 31 décembre de cette année.
Cette situation est exceptionnelle et grave. Ses impacts, nombreux, sont et seront visibles, tangibles, sensibles dans tous les secteurs d’activité. L’incertitude associée aura et a déjà un effet sur les décisions d’investissement des entreprises, sur l’emploi, sur l’activité, sur tout le territoire national.
En outre, l’absence de budget a une conséquence directe et immédiate pour nos compatriotes ultramarins, dont certains font face à des situations de détresse et d’urgence extrêmes. Ce matin encore, les services de mon ministère étaient en réunion avec les acteurs économiques de la Nouvelle-Calédonie, à laquelle, faute de budget, le prêt d’un milliard d’euros prévu ne pourra être accordé. En Martinique et en Guadeloupe, la baisse prévue de la TVA sur plus de 6 000 produits alimentaires ne pourra pas entrer en vigueur au 1er janvier.
Dans plusieurs autres secteurs, les dispositions en vigueur ne pourront pas être prolongées. Les engagements des précédents gouvernements en faveur des agriculteurs à la suite de la crise de 2024 ne pourront pas être tenus. Les crédits supplémentaires destinés aux secteurs régaliens – armée, police, gendarmerie, justice – ne pourront pas être débloqués. Il en va de même, pour n’en citer que quelques-uns, du crédit d’impôt innovation (CII) pour les PME et du remplacement des congés pour les agriculteurs et agricultrices.
Dans l’attente du prochain gouvernement, qui aura pour tâche de présenter de nouveaux textes financiers, la Constitution prévoit – le président de la République l’a rappelé –, à son article 47 la faculté de présenter un projet de loi spéciale. Nous vous en présentons un ce jour, moins d’une semaine après la censure et conformément à l’engagement pris par le président de la République devant les Français le 5 décembre.
Il s’agit d’un texte technique, sans portée politique, transitoire, visant uniquement à éviter toute discontinuité budgétaire et à assurer la poursuite de la vie nationale entre la fin de l’exercice 2024 et l’adoption d’un budget pour 2025, qui reste indispensable pour notre pays. Ce projet de loi vise deux objectifs et deux seulement : continuer à lever l’impôt et permettre à l’État et aux organismes de sécurité sociale de continuer à émettre de la dette, notamment pour assurer la continuité des services publics.
Je répète que nous ne devons pas avoir de débat budgétaire : en application de notre Constitution, les dispositions de ce projet de loi spéciale ne peuvent aller au-delà des deux objectifs que j’ai mentionnés. Le Conseil d’État vient de rappeler très explicitement, et vous à sa suite, monsieur le président, qu’aucune réforme ni mesure nouvelle en matière de fiscalité, au premier chef en matière d’impôt sur le revenu et de barème des impôts, ne saurait être considérée comme relevant du champ de ce texte.
Enfin, puisqu’il n’est pas à proprement parler un projet de budget, il n’est sous-tendu ni par une prévision de croissance, ni par une prévision de déficit, ni par une prévision d’endettement. Il plonge le pays, pour la période transitoire, dans une incertitude budgétaire inédite. La stratégie économique pour notre pays – dont les fondamentaux demeurent solides, l’attractivité et la réindustrialisation ne dépendant que de notre persévérance – comme la vitesse de réduction de nos déficits – qui ne se sont pas volatilisés avec la censure du gouvernement – devront être décidées par le futur gouvernement.
J’insiste simplement sur le fait que notre situation financière et budgétaire ne sera que plus contrainte lors de la discussion du prochain budget et que nos engagements internationaux et européens devront eux aussi être tenus. Sans esprit de responsabilité, sans adoption rapide d’un budget, l’activité économique sera toujours plus affectée. Pour l’heure, notre responsabilité collective se borne à l’examen et à l’adoption du projet de loi spéciale que nous vous soumettons.
M. Laurent Saint-Martin, ministre auprès du premier ministre, chargé du budget et des comptes publics. Nous nous trouvons dans une configuration inédite. C’est la première fois qu’un projet de loi est présenté en Conseil des ministres par un gouvernement chargé des affaires courantes. C’est la première fois également que des ministres démissionnaires sont appelés au banc du gouvernement pour défendre un projet de loi. C’est inédit mais nécessaire à la continuité de la vie nationale.
L’Assemblée nationale a adopté le 4 décembre dernier une motion de censure à la suite de l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, qui avait recueilli le soutien d’une majorité de députés et de sénateurs réunis en commission mixte paritaire. Conformément à la Constitution, le premier ministre a remis au président de la République la démission de son gouvernement le 5 décembre.
En conséquence, l’examen du projet de loi de finances pour 2025 ne peut aller à son terme et le texte ne peut être adopté dans les délais prescrits. Il revient donc au gouvernement chargé des affaires courantes de présenter ce texte, au titre du caractère urgent et impératif que revêt son adoption.
Tôt ou tard, il faudra donner à la France un budget. Le projet de loi spéciale que vous vous apprêtez à examiner ne saurait en tenir lieu. La situation de nos finances publiques n’a pas changé depuis la démission du gouvernement. L’état de nos comptes est toujours le même avec tous les défis que cela comporte, pour le présent comme pour l’avenir.
Le texte que nous vous présentons ne préjuge pas des nouveaux arbitrages qui seront rendus par un prochain gouvernement de plein exercice. Il ne préempte en aucun cas les futures discussions budgétaires, dont je souhaite qu’elles aient lieu rapidement, dans l’intérêt supérieur de notre pays et de nos concitoyens. Il n’a pas davantage vocation à permettre la répétition des débats que nous avons eus lors de l’examen du PLF et du PLFSS pour 2025.
Ce texte n’a qu’un seul objectif, qui délimite strictement son contenu : assurer à titre exceptionnel et transitoire la continuité de la vie de la Nation. La loi spéciale vise à éviter que la France connaisse une interruption de ses services publics faute de pouvoir les financer – ce que les Américains appellent un shutdown.
Elle ne peut pas faire moins, mais elle ne peut pas non plus en faire davantage. La jurisprudence et les textes sont clairs sur ce point.
En premier lieu, la loi spéciale ne peut pas modifier le code des impôts. Elle n’exprime pas le consentement à l’impôt ; elle n’en constate que la nécessité. Elle ne permet donc pas de reconduire pour l’année suivante les dispositions fiscales arrivant à échéance à la fin de 2024. Elle ne permet donc pas non plus de modifier le barème de l’impôt sur le revenu pour l’indexer sur l’inflation.
L’avis rendu par le Conseil d’État sur ces deux points ne souffre d’aucune ambiguïté. Je le cite : « L’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu […] ou encore la modification du droit aux fins de prolonger la durée d’application de crédits d’impôts dont une loi de finances a prévu l’extinction au 31 décembre 2024, ne sont pas au nombre des dispositions ayant leur place en loi spéciale ». La loi spéciale ne peut qu’autoriser temporairement le gouvernement à continuer à percevoir les impôts et taxes existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année, ce qui est indispensable pour assurer le financement de nos services publics, de notre système de protection sociale et des collectivités territoriales.
En second lieu, le décret qui sera pris après la promulgation de la loi spéciale nous place sous le régime restrictif des services votés. La loi spéciale n’autorise pas le gouvernement à engager des dépenses nouvelles en tant que telle. Conformément à la Constitution et jusqu’à l’adoption d’une nouvelle loi de finances pour l’année, les crédits se rapportant aux services votés seront temporairement ouverts par décret. Ces services votés correspondent au niveau minimal de crédits jugé indispensable pour permettre l’exécution des services publics pour 2025 dans les conditions de l’année précédente.
Cela signifie que, en l’absence de loi de finances, le gouvernement ne pourra pas augmenter des budgets comme prévu dans le PLF pour 2025, au premier rang desquels ceux des armées, de la justice, du ministère de l’intérieur et de la recherche, sauf nécessité exigée par la continuité de la vie nationale ou motif d’urgence caractérisé. Le gouvernement ne pourra pas non plus procéder à de nouveaux investissements ou à des dépenses discrétionnaires, dont relève notamment le soutien aux associations, aux entreprises et aux collectivités territoriales.
Cela signifie également qu’en l’absence de loi de finances le gouvernement ne pourra pas prendre les mesures d’économie prévues ni augmenter les recettes fiscales. Il reviendra au prochain exécutif de prendre les décisions nécessaires en responsabilité.
Enfin, la loi spéciale autorise le gouvernement à recourir aux emprunts nécessaires pour assurer ses engagements ainsi que le fonctionnement régulier des services publics, les recettes fiscales et sociales ne suffisant pas à couvrir le besoin de financement des administrations publiques étant donné la situation déficitaire de l’État comme des comptes sociaux. Sans la possibilité de recourir à l’emprunt, nous ne pourrions pas assurer nos engagements auprès de nos créanciers, ni garantir le fonctionnement régulier des services publics. Aussi, il est indispensable d’autoriser tant l’État que les régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) à émettre de la dette.
Il s’agit de parer à l’urgence dans l’attente d’un nouveau budget ; d’assurer la continuité de la Nation ; d’assurer le fonctionnement régulier des services publics qui protègent les Français, font tourner le pays et contribuent à la bonne marche de notre économie ; d’assurer le respect des engagements pris par notre pays. Avec ce texte, nous vous demandons tout simplement que nécessité fasse loi dans le respect du droit.
M. le président Éric Coquerel. Le propos introductif d’Antoine Armand m’a semblé plus politique que descriptif, contrairement à celui de Laurent Saint-Martin – peut-être s’agit-il d’une répartition des rôles. Or ce n’est pas bien de continuer à susciter des peurs sur la loi spéciale sur la base de mesures qui, en tout état de cause – le texte servant uniquement de relais dans l’attente d’un projet de loi de finances – pourront être corrigées assez rapidement lors de l’examen du PLF. L’Espagne, dont on ne cesse de donner en exemple la bonne santé économique, a dû reconduire son budget pour la troisième année consécutive – je ne souhaite évidemment pas que cela nous arrive – sans pour autant se trouver dans une situation catastrophique : on nous dit qu’elle fait mieux que nous en matière de déficit.
Lorsque la motion de censure a été adoptée, certains ont affirmé que la carte Vitale cesserait de fonctionner ou que les Français seraient victimes de la non-indexation du barème de l’impôt sur le revenu. À présent, vous reconnaissez vous-même que rien de tout cela n’aura lieu, dès lors que le prochain projet de loi de finances sera adopté avant avril. Susciter des peurs ne rend pas service au pays ; ce n’est pas bien.
C’est en outre confondre la cause et les effets. Ce n’est pas la loi spéciale, ni même la censure, qui provoque cette situation, mais la tentative d’imposer un budget sans majorité à l’Assemblée nationale, et avec lui une politique dont j’espère que le prochain budget corrigera dès que possible les effets.
J’en viens à mes questions. Le vote du projet de loi spéciale permettra au gouvernement de prendre des décrets ouvrant pour 2025 des crédits qui pourront être au plus équivalents à ceux ouverts en loi de finances initiale (LFI) pour 2024. Ils ne pourront pas être supérieurs mais ils pourraient être inférieurs. Le gouvernement pourrait faire le choix d’ouvrir des montants moindres, comme le permet l’article 45 de la LOLF : « Les services votés […] représentent le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics ».
Quelle doctrine le gouvernement appliquera-t-il ? En attendant la loi de finances qui sera adoptée en 2025 retiendra-t-il strictement les montants ouverts en 2024 ou des montants moindres ? Dans ce dernier cas, dans quelles proportions et pour quelles raisons ?
Ma deuxième question porte sur la proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public adoptée par le Parlement le 20 novembre qui prévoit d’y affecter une fraction des recettes de TVA au delà du 31 décembre 2024. Si cette loi organique est validée par le Conseil constitutionnel et promulguée avant l’examen du projet de loi spéciale, ne vous semble-t-il pas politiquement souhaitable et juridiquement possible qu’un amendement au projet de loi spéciale prolonge l’affectation de cette fraction de TVA, dont le montant ne changera pas, dans les mêmes conditions qu’en 2024 ?
Ma troisième question s’inscrit dans la réflexion sur l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu. Vous avez compris que je ne souscris pas à la démarche consistant à faire peur aux gens.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Personne n’a fait peur aux gens ! Vous êtes président de la commission des finances !
M. le président Éric Coquerel. Le président de la commission des finances a le droit de donner son avis sur ce texte et sur ce qui s’est passé sans subir des pressions ! Ce faisant, je suis strictement dans mon rôle de président de la commission des finances, dont je vous rappelle qu’il appartient à l’opposition : ne vous attendez donc pas à ce que mes observations aillent dans le sens du gouvernement !
Je n’ai pas envie de cotiser aux frayeurs qui ont été suscitées. Ce discours a cessé, ce qui est fort heureux, je n’en pense pas moins qu’il faut sécuriser le dispositif et présenterai donc un amendement en ce sens. À ce sujet, j’observe que l’avis du Conseil d’État ne vaut pas jugement.
M. Éric Woerth (EPR). Assez ! Nous ne pouvons pas vous écouter religieusement !
M. le président Éric Coquerel. Pourquoi pas ? C’est ce que je demande à tout le monde, y compris si c’est vous qui êtes interrompu. Aucun statut particulier ne vous autorise à perturber ceux qui parlent.
Le recours à une loi spéciale n’a eu lieu qu’une fois, et sans que la décision du Conseil constitutionnel précitée tranche cette question. Pour ma part, je souhaite que les impôts existants soient considérés en fonction du périmètre des contribuables touchés, afin que celui de 2024 soit conservé en 2025. Tel est d’ailleurs le cas pour l’impôt foncier.
Nous verrons si mon amendement est adopté en séance publique et s’il fait l’objet d’un éventuel recours devant le Conseil constitutionnel.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Votre rapporteur général est globalement favorable au projet de loi spéciale mais se pose de nombreuses questions.
L’article 1er, qui autorise à percevoir en 2025 les impôts existants, m’en inspire quatre.
L’article 1er de tout projet de loi de finances comporte une disposition autorisant la perception des ressources de l’État. Il paraît logique que la formulation de celui-ci soit très proche du I de l’article 1er du PLF pour 2025. Mais pourquoi ne pas avoir repris le II précisant que cette autorisation s’applique à l’impôt sur le revenu dû au titre de l’année 2024, à l’impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos à compter du 31 décembre 2023 et à compter du 1er janvier 2025 pour les autres dispositions fiscales ? Je rappelle qu’un tel dispositif est destiné à faire face à une éventuelle contestation en rétroactivité de la loi.
S’il a pu être envisagé d’introduire une disposition sur l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu dans le projet de loi spéciale, les analyses tant du secrétariat général du gouvernement que du Conseil d’État convergent pour considérer qu’une telle disposition n’a pas sa place dans ce texte dont le champ est strictement délimité par la LOLF. À défaut, pouvez-vous, messieurs les ministres, nous confirmer que l’exécutif s’engage à procéder à l’indexation de ce barème dès le futur projet de loi de finances pour 2025, ainsi qu’à l’indexation du barème d’autres impôts, notamment des tranches de droits de mutation à titre gratuit (DMTG), de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), du régime de franchise en base de TVA et du micro-foncier ?
De quelle façon les exonérations, crédits et réductions d’impôts arrivant à échéance au 31 décembre 2024 et ne pouvant être prorogés avant cette date par un prochain projet de loi de finances pour 2025 seront-ils pris en compte ?
Quelles seront les dispositions prises pour les taxes affectées faisant l’objet de plafonds mordants, dont le montant annuel est d’environ 2 milliards d’euros, versées chaque année en loi de finances aux opérateurs affectataires ?
J’ai aussi quelques questions sur les crédits se rapportant aux services votés qui, pouvant être ouverts par décret comme le prévoit l’article 47 de la Constitution, ne sont pas visés par le présent texte.
S’agissant de leur allocation, est-il prévu de reprendre la maquette budgétaire du PLF pour 2025, qui n’a pas été votée, ou, ce qui me semble dès lors raisonnable, celle de la loi de finances pour 2024 ?
Leur plafond sera-t-il fixé par mission ou par programme ? Les montants seront-ils ceux définis par la loi de finances pour 2024 ou certains seront-ils en deçà de ce plafond ?
Le 20 novembre dernier, nous avons adopté une proposition de loi organique permettant de pérenniser l’affectation d’une fraction de TVA à l’audiovisuel public au delà du 31 décembre 2024. Le Conseil constitutionnel n’a pas encore rendu sa décision sur ce texte. Selon quelles modalités l’audiovisuel public sera-t-il financé en 2025 dans le cadre des services votés ?
Est-il possible de financer dans ce même cadre l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) qui doit succéder au 1er janvier 2025 à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ?
L’article 2 autorise le ministre chargé des finances à procéder à des emprunts à long, moyen et court termes pour couvrir l’ensemble des charges de trésorerie de l’État. Il reprend donc une toute petite section du 2° du II de l’article 42, dit « d’équilibre », du projet de loi de finances pour 2025, mais il ne prévoit pas, notamment, de plafond de la variation nette de la dette négociable de l’État d’une durée supérieure à un an, ni de plafond des encours totaux de dette pour les budgets annexes. Pourquoi n’avez-vous pas tout simplement repris le texte de cet article d’équilibre ?
Pourquoi l’article 3, qui permet à quatre régimes et organismes de sécurité sociale de recourir à des ressources non permanentes, ne reprend-il pas la rédaction de l’article 13 du PLFSS pour 2025, avec la définition de plafonds d’emprunt pour chacun d’entre eux, conformément aux dispositions organiques du code de la sécurité sociale ?
En l’absence d’autorisation de recourir à l’emprunt en 2025, pendant combien de jours les régimes et organismes de sécurité sociale visés à l’article 3 pourraient-ils assurer le paiement et le remboursement des prestations sociales ?
Question subsidiaire : le renversement du gouvernement a interrompu l’examen du PLF par le Sénat, qui avait déjà engagé la discussion de la seconde partie. La reprise par le Sénat de l’examen de ce PLF au mois de janvier 2025 est‑elle envisagée, avec, le cas échéant, la perspective d’une nouvelle lecture, ou la seule option étudiée par l’exécutif est-elle le dépôt d’un nouveau projet de loi de finances au début de l’année prochaine, comme l’a évoqué le président de la République ?
M. Antoine Armand, ministre. Le président de la commission m’a reproché de dresser la liste des crédits d’impôt pour la fin de l’année 2024. Loin de moi l’idée de faire de la politique ici – je doute d’ailleurs que cette commission en ait jamais fait ! J’énumérais donc les crédits d’impôt qui, en l’absence d’un nouveau projet de budget au 1er janvier 2025, ne pourront pas être reconduits : le crédit d’impôt innovation, qui bénéficie directement à l’industrie textile, en difficulté dans de nombreux territoires, le crédit d’impôt remplacement, pour les agriculteurs qui souhaitent prendre un congé et qui peuvent être indemnisés à ce titre, et de nombreux autres. Entre le 31 décembre 2024 et l’adoption d’une nouvelle loi de finances, il y aura bien un temps pendant lequel ces crédits d’impôt ne pourront pas s’appliquer.
Si nous n’avons pas inscrit de montants d’encours et de plafonds, c’est parce que l’Assemblée nationale a voté la censure. Je l’ai dit en introduction, cette loi spéciale n’est pas un budget et, en cohérence, nous n’indiquons pas de plafonds d’emprunt ou d’encours correspondant à une stratégie économique et budgétaire qui aurait été adoptée souverainement par le Parlement sur proposition du gouvernement.
Vous allez donner au gouvernement, à titre transitoire, la possibilité de continuer à contracter à moyen et long termes l’emprunt nécessaire pour les programmes déjà lancés, et, à court terme, l’emprunt nécessaire en termes de trésorerie afin que la dette de l’État coûte le moins possible au contribuable public. Toutefois la détermination de la masse globale ne relève pas d’une loi spéciale qui n’a vocation qu’à attendre un prochain budget. Voilà pour le principe.
Pour vous répondre plus directement sur le fond, les encours et le plafond d’endettement doivent nécessairement être liés aux montants envisagés dans le projet de loi de finances et aux plafonds d’émission, soit 300 milliards d’euros environ, mais il n’appartient ni au gouvernement de le proposer ni au Parlement de l’adopter dans le cadre d’une loi spéciale. Vous soulevez donc un point très important : la loi spéciale n’est pas destinée à donner un cadre économico-financier au pays, elle est un pis-aller pour attendre l’adoption d’un budget qui seul permettra de lever l’incertitude économique.
J’aurais encore pu évoquer les agences de notation, les analystes indépendants et les instituts économiques qui sont en train de calculer le coût de l’incertitude économique liée à la censure, ou les nombreuses fédérations d’entreprises qui se sont exprimées, avant ou après celle-ci, à propos de son impact direct, déjà visible sur leurs carnets de commandes. Il ne s’agit pas ici de faire de la politique, mais de décrire la situation économique du pays, comme doit le faire un ministre, même gestionnaire des affaires courantes.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Pour être très factuel, comme l’esprit de la loi spéciale nous y invite, je rappelle que c’est la censure qui crée les conséquences de l’absence de budget. C’est un fait et il n’y a rien de polémique à le dire – d’autant moins que j’avais donné l’alerte depuis de nombreux jours à propos de la facture d’une censure : nous y sommes.
Il est normal que se posent de nombreuses questions techniques sur le décret relatif aux services votés, car la procédure est très rare. Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un décret d’application de la loi spéciale et l’on n’y trouvera pas le niveau des crédits qui seront adoptés. Il est des détails que je ne peux pas donner, puisque je ne sais pas, à ce stade, qui sera le signataire de ce décret. Ce qui est sûr, c’est que ces crédits sont en cours de préparation et d’anticipation – c’est notre responsabilité de gouvernement démissionnaire. Ce qui est sûr aussi, d’après les textes, c’est que ces crédits ne pourront pas excéder le montant de ceux qui étaient ouverts par la dernière loi de finances de l’année, c’est-à-dire 2024. Nous ne nous basons donc pas, monsieur le rapporteur général, sur la loi de finances pour 2025, mais bien sur les crédits de l’année 2024.
Les chiffres peuvent en revanche, Monsieur le président, être inférieurs aux crédits antérieurs et la réalité des services votés dans les textes doit être appréciée pour chaque dépense, au cas par cas, par le gouvernement qui sera chargé de signer ce décret, que ce soit le gouvernement démissionnaire ou un nouvel exécutif. Vous comprendrez que je ne sois pas en mesure de vous les donner.
Je tiens toutefois à préciser à nouveau que, concrètement, le fonctionnement des services publics, en masse salariale et en dépenses courantes, sera assuré. Les contrats en cours seront honorés, par exemple pour des investissements déjà lancés. Les prestations dues au titre de dispositions législatives ou réglementaires existantes seront versées, par exemple les aides personnalisées au logement (APL). En revanche, les dépenses nouvelles qualifiées de discrétionnaires ne relèvent pas des services votés, sauf exception au titre de l’urgence. Des analyses sont menées au cas par cas par les services de contrôle budgétaire sur le caractère impératif de ces actions. Les investissements nouveaux doivent donc être exclus, sauf cas de nécessité manifeste. Enfin, les dépenses d’intervention discrétionnaires sont, elles aussi, exclues du décret relatif aux services votés. Là encore, et sauf exception, les subventions aux collectivités, entreprises ou associations sont suspendues par ce décret.
J’espère que cela répond à votre question : les montants ne peuvent pas excéder les crédits antérieurs, mais ils peuvent être en-deçà, car ils doivent correspondre à ce que prévoit précisément l’article 45 de la LOLF, à savoir couvrir le minimum « indispensable pour poursuivre l’exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l’année précédente par le Parlement », et rien d’autre, sauf exception justifiée par une situation d’urgence.
Je précise que ces mesures entreront en vigueur après promulgation de la loi spéciale et ne sont pas directement liées à son contenu.
Monsieur le président, je vous rassure : le financement des sociétés d’audiovisuel public sera assuré en 2025 dans le cadre des services votés. Toutefois, le fait que le projet de loi de finances pour 2025 n’ait pas été adopté n’a pas permis de tirer pour l’année 2025 les conséquences de la loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public, qui y étaient prévues au moyen du compte de concours financier Avances à l’audiovisuel public. Ainsi, en 2025, par cohérence avec le décret des services votés, des crédits seront ouverts en dépense sur ce compte de concours financiers comme en 2024, jusqu’à l’adoption d’une nouvelle loi de finances pour 2025 qui permettra de traduire cette proposition de loi organique.
Pour ce qui est, enfin, du barème de l’impôt sur le revenu, l’avis du Conseil d’État – qui ne s’exprime pas à la légère – me semble très clair sur le fait que cette loi spéciale ne doit pas comporter de dispositions fiscales, parce qu’elle ne comporte pas de dimension politique à cet effet et qu’elle ne vise qu’à rendre possible le prélèvement de l’impôt. Ce sont deux notions très différentes. Il n’y a aucun choix politique dans cette loi : il ne s’agit que de lever de l’impôt et de la dette, et rien d’autre, sous peine de ne pas être conforme à notre Constitution et à notre loi organique.
Monsieur le rapporteur général, pour ce qui concerne l’autorisation de percevoir l’impôt en 2025, si le II n’est pas repris dans la loi spéciale, c’est précisément parce qu’il comportait des dispositions fiscales qui avaient des dates d’entrée en vigueur liées à des applications différentes, renvoyant donc à des choix politiques. De fait, tout ce qui concerne les dates d’entrée en vigueur, les taux, les assiettes ou les dépenses fiscales exprime des choix politiques et doit donc être exclu de la loi spéciale pour faire l’objet d’une prochaine loi de finances pour 2025. Il en va de même des exonérations, crédits et réductions d’impôts, ainsi que des plafonnements de taxes affectées. En revanche, la loi spéciale permet d’affecter le rendement des taxes aux organismes bénéficiaires – mais, je le répète, la modification des plafonds n’est pas possible.
Pour ce qui est de l’ASNR, la fusion entrera bien en vigueur au 1er janvier 2025 et le financement de l’agence nouvellement créée est garanti par le régime des services votés, qui couvrira la masse salariale et le fonctionnement courant.
Enfin, Antoine Armand a répondu à la question relative au plafond d’emprunt de l’AFT. La question est la même pour les caisses de sécurité sociale et il appartiendra à un prochain gouvernement de fixer dans une loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 des trajectoires financières pour ces différentes caisses.
Quant à votre question subsidiaire, monsieur le rapporteur général, qui était également une question du président, le prochain gouvernement pourra indifféremment, pour l’adoption d’un prochain PLF ou PLFSS pour 2025 – les deux textes étant suspendus, mais pas supprimés –, repartir des textes existants ou arrêter leur examen et en réécrire un à partir de zéro. En tout cas, la question ne peut pas être tranchée par le gouvernement actuel.
M. le président Éric Coquerel. Je ne vous reprochais pas que votre intervention soit politique, mais je voulais expliquer que la mienne l’était plus que je ne l’imaginais. Dans cette commission, on fait bien de la politique et je m’en honore.
Nous en venons aux questions des orateurs des groupes.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous avions dit dès avant la censure que nous soutiendrions cette loi spéciale, qui appelle néanmoins, notamment pour ce qui est de l’avis du Conseil d’État, plusieurs interrogations. Vous prenez pour argent comptant le fait qu’on ne puisse pas indexer sur l’inflation le barème de l’impôt sur le revenu, mais le Conseil d’État, dans sa grande tradition, n’invoque pas d’autre argument que sa propre autorité, expliquant dans son huitième point qu’il faut prolonger les impôts existants pour en tirer, dans son neuvième, la conclusion qu’il n’est pas besoin d’arguments pour justifier la non-indexation. Or c’est précisément la non-indexation du barème qui modifie un impôt existant, puisqu’elle modifie le nombre de contribuables – certains, qui ne payaient pas l’impôt, le paieront, tandis que d’autres, à revenu constant, en paieront davantage. Le choix politique réside donc dans la non-indexation, puisque l’indexation ne ferait que prolonger les dispositions existantes. Sous la Ve République, c’est d’ailleurs très majoritairement l’indexation qui est la norme – de mémoire, le rapport est de l’ordre d’un à cinq. Du reste, chaque fois que le barème n’a pas été indexé, il s’agissait d’un choix politique – je vous renvoie aux interventions prononcées à l’époque.
De la même façon, le Conseil d’État n’utilise encore que des arguments d’autorité pour justifier l’autorisation du recours à l’emprunt. De fait, il écrit que, dans la loi organique, le fait d’autoriser l’emprunt n’a évidemment pas de rapport avec celui d’autoriser les impôts, mais que, puisque le budget de l’État est structurellement en déficit, l’emprunt est assimilable à de l’impôt. Le fait d’avoir été reçu dans la botte au concours de l’École nationale d’administration (ENA) n’autorise pas à dire tout et son contraire ! Cela dit, moi qui suis plutôt conservateur pour ce qui concerne les institutions, je suis très heureux que le Conseil d’État se place dans la droite ligne de Cambacérès, qui consiste à toujours dire ce qui plaît au prince.
M. David Amiel (EPR). Messieurs les ministres, je salue le courage que vous avez eu en vous attaquant de front à la réduction indispensable de la dette publique. Cet enjeu reste malheureusement entièrement devant nous. Je vous remercie également du respect que vous avez témoigné à notre assemblée, dans cette commission comme en séance, avec un débat parlementaire toujours argumenté.
Pour ce qui concerne la loi spéciale, il faut sortir des discours iréniques que nous entendons depuis quelques jours. En effet, si le précédent de 1979 vaut juridiquement – la loi spéciale sera très vraisemblablement adoptée et permettra d’éviter que l’État soit en cessation de paiements au 1er janvier –, ce n’est pas le cas économiquement car, en 1979, on avait la certitude qu’interviendrait au début de 1980 un budget dont on connaissait déjà les grands équilibres, ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui, où les acteurs économiques sont confrontés à une incertitude abyssale : nos industriels doivent affronter à la fois la concurrence chinoise et américaine sans connaître le niveau de la fiscalité ni la politique industrielle en France, nos ménages doivent décider d’épargner, d’emprunter ou d’acheter une maison sans savoir s’il y aura ou non un prêt à taux zéro et sans connaître le niveau d’imposition ou la disponibilité, par exemple, des aides à la rénovation, nos agriculteurs sont en plein désarroi et nos partenaires européens ne connaissent rien de notre niveau de déficit ou de dette de l’année prochaine, quelles que soient les différentes options politiques que nous pouvons avoir quant à ce niveau.
Je vous poserai trois questions. Tout d’abord, y a-t-il la moindre différence de fond, pour les contribuables, selon que l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu serait votée par le biais de la loi spéciale ou d’un projet de loi de finances au début de l’année 2025 ?
Deuxièmement, en l’absence d’ajustements supplémentaires, quel niveau de déficit résulterait en 2025 d’une simple reconduction des crédits de l’année 2024 au titre des services votés, question sur laquelle nous entendons tout et son contraire ?
Enfin, quelles premières estimations pouvez-vous nous donner des effets macroéconomiques de cette période d’incertitude, c’est-à-dire du coût de la censure pour la croissance ?
M. Antoine Armand, ministre. La loi spéciale n’étant pas un budget, elle n’est pas sous-tendue par des prévisions de croissance, de déficit ou d’endettement. On ne peut donc pas indiquer d’estimation, de prévision ou de cible en matière de déficit dans un tel texte qui a en outre vocation, le président l’a rappelé, à s’éteindre lorsque le nouveau budget sera adopté. Force est cependant de constater que, si on applique à l’année suivante les crédits de l’année passée, le niveau des déficits sera important, de l’ordre de ceux que nous avons connus récemment, ce qui ne permet ni de les réduire durablement ni de retrouver une trajectoire de stabilisation qui nous donnerait un horizon de désendettement.
Pour ce qui est de la croissance, les prévisions sont en cours d’élaboration par les instituts économiques et par les services des ministères économiques et financiers. Vous avez raison, en tout cas, de rappeler la position exprimée en toute indépendance par ces instituts : pour une nation, l’incertitude a un coût important et, en l’absence de cadre budgétaire économique et financier, chaque jour qui passe a un coût supplémentaire. Le dire ne relève pas d’une posture politique ou politicienne : c’est chose avérée en France et dans les pays européens qui subissent des situations analogues.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Monsieur Tanguy, vous dites qu’il ne faut pas prendre pour argent comptant l’avis du Conseil d’État, mais c’est une question de respect du droit. On voit bien s’exprimer, dans cette séquence, deux écoles de pensée : il y a ceux qui considèrent qu’on peut, d’une manière indolore, mettre des coins dans les institutions et que l’on peut passer par-dessus plusieurs avis du Conseil d’État tant que le Conseil constitutionnel n’est pas saisi. Ce n’est pas ma position ni, semble-t-il, celle de nombreux députés.
Monsieur Amiel, pour ce qui concerne le barème, ce qui compte est le résultat pour nos concitoyens. Pour les contribuables la situation serait exactement la même si une loi de finances était adoptée au premier trimestre 2025 que si on faisait passer de force cette mesure dans la loi spéciale – « de force » signifiant « de façon inconstitutionnelle ». Soit donc vous rendez ce barème inconstitutionnel et plantez un coin dans les institutions, créant une jurisprudence dangereuse pour l’avenir, soit vous attendez une loi de finances pour 2025 qui permettra, comme le proposait notre projet de loi de finances, une indexation du barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Messieurs les ministres démissionnaires, nous vous avions dit sur tous les tons que votre gouvernement et son budget d’austérité ne passeraient pas l’hiver : nous sommes à peine début décembre et vous avez déjà pris la porte – qui restera, j’espère, encore ouverte quelque temps pour que le président Macron la trouve lui aussi. Contrairement à tout ce que vous dites, la chute de ce budget et, de fait, de votre gouvernement est une victoire non seulement pour La France insoumise et pour le Nouveau Front populaire, mais aussi et surtout pour les Français, car c’est grâce au fait que vous ne soyez plus ministres et que votre budget ne puisse pas s’appliquer que les retraités se priveront un peu moins de manger l’année prochaine, puisque leurs retraites seront revalorisées en fonction de l’inflation, que les Français pourront peut-être se chauffer un peu plus correctement avec la disparition de la hausse des taxes sur l’électricité, qu’ils pourront se soigner correctement, ou du moins un peu plus, puisque les médicaments ne seront pas déremboursés, ou que les élèves auront peut-être une chance d’étudier dans des conditions correctes, puisque les 4 000 postes d’enseignants qui devaient être supprimés ne le seront pas. Il n’y aura donc ni déluge – tout va bien aujourd’hui ! –ni pluie de grenouilles ou de sauterelles : ce n’est pas le grand chaos que vous décrivez.
C’est donc de votre fait, parce que vous avez refusé le budget proposé par le Nouveau Front populaire et avez voulu faire passer en force le vôtre en recourant au 49.3, que nous en sommes arrivés à la situation actuelle et à cette loi spéciale – à laquelle, comme l’a dit le président Coquerel, nous ne nous opposerons pas.
Nous voudrions toutefois vous poser quelques questions sur les services votés car, pour le cas où vous seriez encore ministres démissionnaires, vous devez commencer à réfléchir et à préparer les choses. Si les crédits prévus doivent permettre aux services publics de fonctionner dans les mêmes conditions que l’année précédente, cela exige qu’ils intègrent l’inflation. Il faut donc réfléchir en euros constants, sans quoi il s’agirait d’une nouvelle coupe austéritaire déguisée. Il serait insupportable que les hôpitaux puissent acheter moins de matériel parce que le prix en aurait augmenté.
Vous avez déjà fait assez de mal à nos services publics et vous avez déjà été sanctionnés : ne récidivez pas.
M. Philippe Brun (SOC). Si le dépôt d’un projet de loi spéciale était indispensable, son adoption définitive n’est pas souhaitable. En effet, le report à 2025 de la discussion du budget 2025 est porteur de nombreuses difficultés.
La première tient au principe de non-rétroactivité, car la petite rétroactivité que nous avons évoquée ne me semble pas pouvoir s’appliquer notamment à deux mesures importantes auxquelles tiennent les socialistes : la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et la surtaxe de l’impôt sur les sociétés sur les grandes entreprises, qui représentent 10 milliards d’euros de recettes. Ces mesures doivent être votées dès la fin de 2024 pour en permettre l’exécution en 2025.
Se pose également la question, rappelée par les ministres, des crédits d’impôt qui nécessitent également l’adoption en 2024 d’un budget pour 2025 – et je ne parle pas des autres difficultés portant notamment sur les crédits attendus par certains de nos concitoyens, dont les agriculteurs.
Sommes-nous capables, sur la base du budget qui est encore en discussion – puisqu’il n’a pas été formellement rejeté –, de nous accorder sur un budget minimal qui nous permettrait d’adopter ces mesures fiscales supplémentaires et des dépenses auxquelles nous sommes favorables, budget qui serait corrigé en début d’année par un projet de loi de finances rectificative (PLFR)? Cela nous permettrait d’avancer et d’éviter en particulier un trou fiscal de 10 milliards d’euros.
Nous avons encore le temps de réunir la commission mixte paritaire qui devait se prononcer sur la première partie du PLF et de nous accorder sur une cinquantaine d’amendements pour que cela puisse être voté par tout le monde, renvoyant les grands débats à un PLFR qui serait examiné en début d’année.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. La première intervention, qui était une tribune politique, ne comportait pas de question. Je répondrai donc directement à M. Brun.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Je vous interrogeais sur la prise en compte de l’inflation.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. J’ai déjà répondu trois fois à propos des services votés.
Monsieur Brun, un gouvernement démissionnaire ne peut pas poursuivre l’examen du PLF. Du reste, le calendrier n’en permettrait pas la promulgation avant le 31 décembre. Je ne peux toutefois que m’associer à votre préoccupation initiale face à tous les manques qui affecteront nos concitoyens, notamment les collectivités, les agriculteurs et les entreprises, faute de pouvoir appliquer les mesures prévues dans ces textes financiers sur lesquels vous avez voté la censure.
M. le président Éric Coquerel. Il me semble que la question de M. Le Coq, qui était de savoir si les montants étaient exprimés en euros constants ou courants, n’a pas obtenu de réponse.
Mme Véronique Louwagie (DR). Nous n’avons plus de gouvernement ni de budget. Cette loi spéciale est certes un texte d’exception, un texte d’urgence qui permet d’assurer le fonctionnement des services publics et les besoins minimaux. L’adoption de ce texte technique, aussi indispensable soit-elle, ne peut pas exonérer de leur responsabilité celles et ceux qui ont pris la décision politique de la censure. Cette dernière aura en effet une facture, car l’incertitude économique, l’attentisme que nous confirment toutes les entreprises et l’absence d’investissement et d’embauche ont évidemment un coût.
Je souhaite poser deux questions précises, qui m’ont été posées par des acteurs du terrain.
Tout d’abord, l’article 27 du projet de loi de finances permettait à des communes relevant du dispositif des zones de revitalisation rurale (ZRR), au nombre légèrement inférieur à 3 000, d’être maintenues dans le dispositif France ruralités revitalisation (FRR), pour lequel les admissions se terminaient le 31 décembre 2024. Qu’en sera-t-il des installations d’entreprises qui interviendraient lors des premiers mois de l’année, si le projet de loi de finances pour 2025 les intégrait à ce dispositif ? Une rétroactivité est-elle possible pour ces entreprises ?
Pour ce qui est, par ailleurs, des collectivités territoriales, qu’en est-il exactement des soutiens financiers aux investissements relevant de la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), de la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) ou du fonds vert ? Compte tenu du retard que subiront les collectivités, devons-nous dès maintenant décaler les commissions DETR sur le terrain ? Ces questions nous sont posées par des maires.
Mme Eva Sas (EcoS). Soyons clairs : nous souhaitons que le projet de loi spéciale soit adopté pour garantir la continuité des services publics et la levée de l’impôt. La censure n’entraîne donc ni un shutdown, ni l’arrêt du fonctionnement de l’État. Elle nous donne au contraire le temps de construire un projet de loi de finances plus juste et, surtout, plus démocratique, qui respecte ce que souhaitent massivement les Français : la taxation des plus riches et des grandes entreprises, le renforcement des services publics. La censure du gouvernement Barnier est un rappel démocratique : on ne peut pas gouverner dans le mépris des citoyens.
La censure n’empêche pas non plus l’indexation des retraites au 1er janvier, ce que le PLFSS ne prévoyait pas, et les minima sociaux seront revalorisés en avril, comme tous les ans.
Nous regrettons que le Conseil d’État s’oppose à l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu dans le projet de loi spéciale. Toutefois, il suffira de la rétablir dans le prochain PLF ; nos concitoyens n’en subiront donc pas les conséquences, ce qui dément les peurs que vous avez agitées dans les médias.
La continuité de l’État et l’indexation des prestations sont donc assurées, mais garantirez-vous la poursuite des politiques publiques ? Nous souhaitons obtenir des assurances s’agissant des crédits des ministères. La loi spéciale vous permet d’ouvrir les crédits correspondant aux seuls services votés, c’est-à-dire à ceux que le gouvernement juge indispensables pour poursuivre l’exécution des services publics – définition pouvant donner lieu à diverses interprétations. Quelle appréciation en avez-vous ? Au vu de vos réponses précédentes, je comprends que ces crédits ne pourront excéder ceux de la loi de finances de l’année en cours. Faut-il comprendre que c’est la loi de finances de fin de gestion pour 2024 qui fait référence ? Quelles incidences la loi spéciale aura-t-elle sur les dotations des collectivités locales ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Le décret relatif aux services votés ne permet pas d’engager des dotations discrétionnaires au profit des collectivités – je n’exprime pas là une position politique, j’énonce simplement le droit. Sont concernés la dotation de soutien à l’investissement local (Dsil), la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), le fonds Vert, le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), etc. Nous pouvons mettre en oeuvre les engagements pris précédemment, rien de plus. La mise en œuvre des mesures fiscales relatives au zonage relèvera quant à elle de la décision du prochain gouvernement dans le cadre du PLF. Elle fait partie des nombreuses mesures qui ne peuvent être appliquées en l’absence de budget voté. Le rappeler, ce n’est pas agiter des peurs, c’est dire les choses comme elles sont.
Par ailleurs, la jurisprudence du Conseil constitutionnel exclut la rétroactivité des mesures fiscales incitatives, hormis lorsqu’il s’agit de préserver des situations acquises ou lorsqu’un motif d’intérêt général le justifie. Je serai donc prudent en ce qui concerne les ZRR – la question se posera pour de nombreux autres sujets.
Une loi spéciale ne permet pas, constitutionnellement, d’indexer le barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation. Là encore, expliquer ce principe n’équivaut pas à agiter des peurs ; c’est simplement rappeler le droit.
Et pour répondre à votre dernière question, madame Sas, la référence pour la définition des services votés est la loi de finances initiale (LFI) pour 2024.
Mme Perrine Goulet (Dem). Le projet de loi spéciale est la conséquence directe de la censure. Certes, il permettra à l’État de continuer à fonctionner, mais son périmètre est restreint, comme l’a rappelé le Conseil d’État. Quand ceux qui ont voté la motion de censure voudraient faire de la loi spéciale une loi de finances bis venant réparer les dégâts causés par leur décision, le groupe Les Démocrates appelle à respecter strictement la Constitution et la LOLF, et ainsi à faire preuve de prudence dans un moment aussi grave. Ne faisons pas peser des risques juridiques inutiles sur un texte dont l’unique mission est de garantir la continuité de la vie nationale.
Nous débattons d’une loi d’urgence qui devra être remplacée par une loi de finances dans les premières semaines de l’année 2025 – c’est ce que nous souhaitons. Espérons que, cette fois, les discussions aboutiront à des compromis au profit de tous les Français, sans dresser les uns contre les autres pour des motifs politiques.
J’aimerais mieux comprendre le contenu et les conséquences de la loi spéciale. Elle permettra de lever l’impôt, mais qu’en est-il des avances de crédit d’impôt pour ceux venant à expiration, comme le crédit d’impôt en faveur du remplacement temporaire des exploitants agricoles ?
Si ce cadre contraint se prolongeait, à quel moment l’État ne sera-t-il plus capable d’absorber la hausse naturelle des prestations sociales et du coût du financement du déficit, sachant que la charge de la dette augmentera de 3,6 milliards d’euros entre 2024 et 2025 ?
Si une crise analogue à celle que nous avons connue ces dernières années se reproduisait dans les premières semaines de l’année 2025, de quelles marges de manœuvre disposerait l’État pour engager rapidement des dépenses exceptionnelles sous le régime de la loi spéciale ?
Enfin, l’hypothèse a été évoquée de faire figurer les prélèvements sur recettes de l’État au profit des collectivités et de l’Union européenne dans le projet de loi spéciale. Pouvez-vous nous confirmer que l’article 1er le permettra, sachant que le prélèvement au profit de l’Union européenne augmentera de 1,7 milliard d’euros en 2025 ?
Mme Félicie Gérard (HOR). Nous vivons un moment historique : pour la première fois dans l’histoire de la Ve République un gouvernement doit recourir à une loi spéciale après l’adoption d’une motion de censure par l’Assemblée nationale. Après la crise sanitaire et la crise énergétique, nous n’avions vraiment pas besoin d’une crise politique, mais LFI et le RN ont choisi l’inconnu et l’irresponsabilité plutôt que le compromis.
En conséquence de la censure, l’impôt sur le revenu des Français risque d’augmenter au 1er janvier puisque le relèvement des plafonds prévus dans le PLF n’interviendra pas. La capacité d’action des collectivités locales sera limitée, puisque seuls les crédits budgétaires en leur faveur votés l’an dernier seront reconduits. Les entreprises – vous savez, celles qui donnent du travail et un salaire à bon nombre de Français – paieront le prix de cette instabilité, puisque les hausses de budget prévues pour les investissements essentiels de l’État, l’innovation et la transition écologique n’auront pas lieu.
Les conséquences de l’instabilité politique et le recours à la loi spéciale affaibliront notre crédibilité internationale et notre position au regard de nos créanciers. La loi spéciale est malheureusement nécessaire pour assurer la continuité des services publics ; elle permettra à notre pays de lever l’impôt et d’emprunter pour assurer la continuité de l’État. Mais quelles conséquences aura la censure sur la confiance des marchés et sur les taux ? À politique constante, quel impact aura l’absence de budget, donc de revalorisations automatiques, sur la prévision de déficit pour 2025 ?
La loi spéciale ne fait que colmater des brèches. Vu l’extrême urgence de la situation il est impératif de nous ressaisir collectivement et de doter au plus tôt le pays d’un budget pour 2025. Les Français en ont ras-le-bol des jeux politiques. Comme toujours, les députés du groupe Horizons œuvreront de manière constructive : ils voteront le projet de loi spéciale.
M. Antoine Armand, ministre. L’article 1er du projet de loi spéciale permet bien à l’État d’effectuer des prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne. Nous honorerons donc nos engagements.
Soit les crédits d’impôt figurent déjà dans le droit et les acomptes seront versés, soit ils ne sont qu’à l’état de projet et devront être intégrés dans le prochain PLF. Par définition, une mesure incitative, qui vise à influencer les comportements futurs, ne peut pas être rétroactive.
Pour reprendre l’exemple cité par Mme Louwagie, une entreprise investit-elle dans un territoire en comptant sur le fait que quelques semaines ou quelques mois plus tard, un crédit d’impôt ou un avantage fiscal sera rétabli ? Je ne le crois pas.
Enfin, la loi spéciale ne fixe aucun cadre économique, budgétaire et financier. En conséquence, les analystes internationaux, les institutions et les partenaires européens ne disposent d’aucun élément pour juger de notre situation financière et économique. Cela a nécessairement un effet sur la crédibilité de la France et l’activité du pays.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Outre qu’elle ne dessine pas de trajectoire, la loi spéciale ne réglera en rien les problèmes de nos finances publiques. La censure n’a rien résolu, pas plus que ne le fera la loi spéciale.
Par ailleurs, madame Goulet, les avances de crédit d’impôt seront versées en janvier, comme chaque année. La mécanique récurrente des prélèvements à la source et des avances, réductions et crédits d’impôt demeure.
M. Michel Castellani (LIOT). Vous avez rappelé les limites strictes de la loi spéciale ; aussi, nous espérons adopter rapidement un projet de loi de finances pour 2025.
La situation budgétaire impose un esprit de responsabilité et l’adoption de mesures structurelles. Le futur gouvernement, quel qu’il soit, devra maîtriser le dérapage des finances publiques ; il devra faire face à l’endettement accumulé, à la menace de dégradation de la note de la France, à l’augmentation des taux d’intérêt – que nous constatons déjà – et à l’incertitude causée par l’instabilité institutionnelle, qui aggrave la situation. La nécessité de redresser les comptes publics appelle des efforts en matière de dépenses, mais des efforts ciblés, en veillant à minimiser leurs effets négatifs. Elle appelle également des efforts en matière de fiscalité, dans un pays où elle est déjà lourde, pour ne pas dire rédhibitoire. Chacun devra contribuer à la hauteur de ses possibilités, ce qui n’est pas le cas.
Nous regrettons que des mesures essentielles ne puissent pas être prises dès à présent, l’indexation du barème de l’impôt sur l’inflation au premier chef. Nous espérons que le futur projet de loi de finances confirmera un certain nombre de crédits d’impôt et de dotations – je pense en particulier aux dispositions que nous avons votées pour la Corse, comme la dotation de continuité territoriale.
Le groupe LIOT sera attentif à l’évolution des choses mais agira avec un esprit constructif.
M. Nicolas Sansu (GDR). Je vous remercie, messieurs les ministres, d’avoir présenté un projet de loi spéciale visant à assurer la continuité de l’État le temps que nous votions un projet de loi de finances conforme au vœu que les Français ont exprimé dans les urnes en juillet, c’est-à-dire qui imprime un changement de politique économique et budgétaire. Il n’y a peut-être pas eu de gagnant des élections, mais il y a assurément eu un perdant : la politique économique macroniste, battue dans les urnes. Nous ne nous opposerons donc pas à ce projet de loi spéciale.
Vous prétendez que la censure a mis le chaos, mais c’est oublier que son fait générateur est le recours à l’article 49.3 ; que le bloc central a refusé la première partie du projet de loi de finances, qui avait fait l’objet d’un débat nourri et que nous aurions pu adopter. N’agitons pas des peurs infondées.
Vous avez affirmé, monsieur Saint-Martin, que si un projet de loi de finances indexant le barème de l’impôt sur l’inflation était voté au premier trimestre, rien ne changerait pour les Français. Pouvez-vous le confirmer ? Jusqu’à quelle date pouvons-nous aller : la déclaration de revenus d’avril ? Quoi qu’il en soit, nous déposerons un amendement visant à inscrire cette indexation dans la loi spéciale.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Je ne peux pas vous donner de date précise, puisque la situation est inédite. L’adoption d’un PLF au premier trimestre me paraît la plus sûre, puisque les revenus sont déclarés au printemps.
M. Gérault Verny (UDR). Nous avons besoin de cette loi spéciale, parce que nous avons besoin de stabilité. Les ménages et les entreprises ont besoin de se projeter. Néanmoins, il est erroné de dire que le rejet du budget plonge la France dans la difficulté. Pour rappel, le projet de loi de finances que vous aviez soumis à l’Assemblée alourdissait les charges des ménages et des entreprises de 40 milliards d’euros, et votre gouvernement a été le premier depuis trente ans à proposer une hausse du coût du travail pour les entreprises. Faut-il rappeler, aussi, que le rejet du projet de budget est la conséquence du déclenchement de l’article 49.3 de la Constitution, témoignage de votre refus de la négociation et du compromis ?
Néanmoins, comme le dit l’adage : là où il y a une volonté, il y a un chemin. Vous ne pouvez pas, dans le même temps, contorsionner la Constitution et contourner l’Assemblée nationale par le 49.3, et expliquer qu’il faut suivre les préconisations du Conseil d’État comme on suit le catéchisme.
Nous considérons que l’indexation du barème de l’IR et les exonérations d’impôt des agriculteurs sont de simples modalités de perception de l’impôt, qui ne créent ni ne suppriment aucune taxe. Nous défendrons des amendements visant à les inscrire dans le projet de loi spéciale.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Vous connaissez bien les entreprises, monsieur Verny ; vous l’avez démontré lors de l’examen du PLF. Or rien n’est pire pour elles que la situation dans laquelle la censure met le pays : l’incertitude et l’attentisme, qui gèlent les investissements et les embauches.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Nicolas Metzdorf (EPR). Je tiens tout d’abord à remercier les ministres pour les efforts qu’ils ont accomplis en faveur de la Nouvelle-Calédonie ; l’aide supplémentaire de 230 millions d’euros inscrite dans le projet de loi de finances de fin de gestion permet de sauver la fin d’année 2024. Il faut maintenant parler de 2025, car la censure a une conséquence grave sur le budget calédonien : nous ne savons pas si nous pourrons payer nos fonctionnaires en janvier, février et mars. La loi spéciale peut-elle prévoir une exception au titre de l’urgence car nous avons un horizon de quinze jours ? Sinon, que faire ? La censure n’arrive vraiment pas au bon moment. Certains ont évoqué le chaos : en Nouvelle-Calédonie, il est déjà là !
M. Antoine Armand, ministre. L’absence de budget ne nous permet pas d’accorder à la Nouvelle-Calédonie le prêt d’un milliard d’euros qui était prévu par l’Agence française de développement (AFD) afin de répondre à l’urgence – paiement des fonctionnaires, aides rendues nécessaires par la situation critique de l’île… – ni de généraliser les mécanismes d’avances remboursables de court terme sur les ressources du Trésor que nous avons utilisés à plusieurs reprises ces derniers mois face à l’urgence, en réponse à une situation que les acteurs politiques et économiques nous ont exposée. Seules demeurent les aides exceptionnelles relevant des mesures d’urgence nécessaires à la continuité de l’État, mais leurs montants sont bien inférieurs aux besoins que vous avez évoqués.
M. le président Éric Coquerel. Ne pourrait-on pas utiliser les crédits non répartis du PLF pour répondre à l’urgence en Nouvelle-Calédonie ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Plusieurs mesures en faveur de la Nouvelle-Calédonie qui étaient prévues dans le PLF pour 2025 ne peuvent pas être couvertes par la loi spéciale – je suis le premier à le regretter : le prêt d’un milliard d’euros de l’AFD, garantie d’emprunt relevant du monopole des lois de finances ; le soutien aux entreprises touchées par les événements récents, à travers la Sogefom (Société de gestion de fonds de garantie d’outre-mer) ; l’intégration de la Nouvelle‑Calédonie à la liste des territoires éligibles aux taux de réduction d’impôt majorés ; la défiscalisation de l’acquisition de friches commerciales faisant l’objet de travaux de réhabilitation lourds ; l’extension et la généralisation du mécanisme d’avances remboursables de court terme sur les ressources du Trésor en cas de difficulté de trésorerie. Néanmoins, un mécanisme dérogatoire permettant de recourir à une avance remboursable en cas d’urgence pourrait être appliqué le cas échéant.
Les dépenses qui relèvent du décret relatif aux services votés devront être examinées au cas par cas pour faire face à l’urgence, si elle est bien caractérisée, dans la limite des crédits de la loi de finances initiale pour 2024.
Concernant la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles, les montants inscrits au PLF pour 2024 sont les suivants : 525 millions d’euros en autorisations d’engagement et 225 millions d’euros en crédits de paiement, hors titre 2. Ils permettront, dans le cadre du décret relatif aux services votés, d’apporter une réponse de court terme à des urgences qui surviendraient en début de gestion 2025.
M. Thibault Bazin (DR). Mes questions porteront sur la sécurité sociale. Des établissements de santé et des maisons de retraite dépendent pour partie des dotations « soins » de l’État versées par les agences régionales de santé (ARS). Ces dernières pourront-elles notifier les taux de reconduction et les augmenter en fonction des besoins des personnes accueillies ?
J’ai noté que l’État continuerait à verser aux collectivités locales les aides au fonctionnement, comme la dotation globale de fonctionnement (DGF), selon les règles en vigueur, mais en l’absence de budget, il ne pourra pas délivrer de subventions d’investissement dans le cadre de la DETR ou la DSIL, par exemple. Qu’en est-il pour les ARS ? Pourront-elles verser des subventions d’investissement aux établissements de santé et aux maisons de retraite ? Sinon, cela entraînera-t-il un report d’investissement pour ces établissements ?
J’en viens aux mesures sociales susceptibles d’être adoptées dans les budgets pour 2025 et qui modifieraient la donne pour les assujettis. Une rétroactivité est-elle possible, et sous quelles conditions ? Je pense notamment aux exonérations pour les jeunes agriculteurs.
Enfin, dans quelle mesure la situation actuelle peut-elle être source d’insécurité et de ralentissement économique ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Les tarifs en vigueur continueront à s’appliquer aux établissements sanitaires et médico-sociaux jusqu’à l’adoption d’un nouveau PLFSS. Seules pourront être financées les dépenses d’investissement ayant déjà fait l’objet d’engagements.
M. Mathieu Lefèvre (EPR). Nous le voyons, l’absence de budget soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.
Quel est, selon vous, le délai raisonnable dans lequel nous devons adopter un budget pour 2025 ? Se compte-t-il en semaines ou en mois ?
Par ailleurs, pouvez-vous confirmer que le versement anticipé du crédit d’impôt pour les services à la personne n’est pas affecté par l’absence de budget ?
Enfin, est-il vrai que l’absence de budget interdira d’appliquer des mesures catégorielles aux fonctionnaires en début d’année ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Je confirme qu’il n’y aura pas de nouvelles mesures catégorielles. Je précise que le décret relatif aux services votés ne peut valoir pour l’année entière, puisque les crédits reconduits ne permettront pas de couvrir le coût des avancements automatiques des fonctionnaires.
Enfin, l’avance de crédit d’impôt au titre des services à la personne (Cisap) sera bien versée en janvier.
M. Matthias Renault (RN). La loi spéciale permettra de verser le prélèvement sur recettes de l’État au profit de l’Union européenne sur la base du PLF pour 2024. Or ce prélèvement augmentera de près de 2 milliards d’euros en 2025 : cette dépense supplémentaire figurera-t-elle dans la loi spéciale ?
Par ailleurs, le décret relatif aux services votés sera-t-il détaillé par mission ou par programme ? Sera-t-il mensuel ou à durée indéterminée ? Vos services ont‑ils travaillé sur des pistes qui permettraient de rester en deçà du plafond des crédits de 2024 ?
M. Antoine Armand, ministre. S’agissant du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne (PSRUE), c’est bien le montant prévu dans le cadre des engagements de la France pour 2025 qui sera versé en vertu de l’article 1er du projet de loi, qui permet de lever les impôts.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. J’ai déjà répondu de façon précise à la question du plafond : il est uniquement possible d’ouvrir des crédits dont le montant n’excède pas celui de la loi de finances pour 2024.
M. Carlos Martens Bilongo (LFI-NFP). J’entends votre ton alarmiste. Néanmoins, ce n’est pas la censure qui a ouvert une période d’incertitude, y compris pour les marchés. Au contraire, elle a sanctionné une période d’instabilité ouverte par la décision prise le 9 juin par le président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale après les élections européennes. Il a ensuite imposé un gouvernement minoritaire qui a voulu imposer un budget en recourant à l’article 49.3.
Si le premier ministre était nommé immédiatement, serait-il possible d’avoir un budget avant le 31 décembre ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Compte tenu du calendrier et du temps requis pour une saisine du Conseil constitutionnel, il ne paraît pas possible qu’une loi de finances soit promulguée avant le 31 décembre.
M. Tristan Lahais (EcoS). J’ai entendu des propos ambigus s’agissant des aides versées aux tiers, en particulier aux associations. Les crédits relatifs aux aides exceptionnelles, aux subventions d’investissement et aux aides allouées dans le cadre d’appels à projets ne peuvent pas être ouverts dans le cadre de la loi spéciale. Nous confirmez-vous qu’aucun risque ne pèse quant à l’allocation de l’ensemble des subventions et des aides versées de manière récurrente à des associations œuvrant dans les domaines de l’éducation populaire, de la culture ou du sport, ou à des grandes institutions culturelles ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Je vous confirme qu’un risque pèse sur le financement des dépenses d’intervention discrétionnaires car elles ne sont pas couvertes par le décret relatif aux services votés – je l’ai dit à plusieurs reprises, notamment avant le vote de la motion de censure. Nous essaierons d’apprécier au mieux le caractère d’urgence s’agissant du financement de certaines associations, afin qu’elles puissent assurer les missions de service public qui leur sont confiées, et donc garantir la continuité de la vie nationale, conformément à l’article 45 de la LOLF.
M. Jean-Paul Mattei (Dem). Que deviennent les mesures fiscales en matière de logement prévues par d’autres textes, telle la loi dite Echaniz-Le Meur, qui étaient traduites dans le PLF ?
Monsieur le président, vous souhaitez déposer un amendement visant à indexer le barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation. Ne risquez-vous pas de fragiliser le projet de loi qui serait alors censuré par le Conseil constitutionnel ? Les conséquences seraient gravissimes.
M. le président Éric Coquerel. D’abord, il faut que le Conseil constitutionnel soit saisi du projet de loi. Ensuite, la censure d’une disposition ne fragiliserait pas tout le texte qui pourrait s’appliquer, à l’exception de cette mesure.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Les mesures fiscales prévues dans le PLF en conséquence de la loi Echaniz-Le Meur comme de la proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel, tombent. Elles devront figurer dans un nouveau projet de loi de finances.
Dans l’éventualité évoquée par ailleurs par M. Mattei, serait probablement censurée seulement la disposition contraire à la Constitution.
M. François Jolivet (HOR). Le dispositif de prêt à taux zéro (PTZ) et les donations en matière immobilière ne sont pas couverts par le projet de loi spéciale.
Pourriez-vous définir la notion de crédits d’intervention discrétionnaires ? Les aides allouées aux entreprises en difficulté en font-elles partie ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Le projet de loi spéciale ne peut prévoir de mesures fiscales qui doivent être inscrites dans un nouveau PLF. Les décrets relatifs aux services votés ouvrent des crédits indispensables à la poursuite de l’exécution des services publics, en vertu de l’article 45 de la LOLF. Les dépenses d’investissement ou d’intervention discrétionnaires, à destination des entreprises, des collectivités ou des associations, ne relèvent pas de cet article.
M. Denis Masséglia (EPR). Jusqu’au 31 décembre, l’audiovisuel public est financé par l’allocation d’une fraction du produit de la TVA. Or la proposition de loi organique prolongeant ce dispositif ne peut être appliquée. Au 1er janvier 2025, l’audiovisuel public sera-t-il financé par l’allocation d’une fraction du produit de la TVA ou par des crédits budgétaires, alors même que le PLF n’a pas été adopté ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. J’ai déjà répondu à cette question. En 2025, l’audiovisuel public sera financé par des concours financiers d’un montant égal à celui prévu dans la loi de finances initiale pour 2024. La proposition de loi organique ne peut être appliquée en l’absence d’une loi de finances.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR). Il est prévu que l’État lève 300 milliards d’euros sur les marchés pour rembourser la dette. Quel est l’état d’esprit actuel des investisseurs internationaux qui achètent de la dette française ? Dans quelles conditions travaille l’Agence France Trésor depuis la censure ?
M. Antoine Armand, ministre. Nous avons bouclé le plan de financement de la dette pour l’année 2024 qui s’élève à 300 milliards d’euros. C’est un montant record eu égard à la dette que nous avons accumulée, qui dépasse 3 220 milliards d’euros. Le projet de loi spéciale n’est pas un budget : il ne peut fixer le niveau d’endettement et donc le montant des nouveaux emprunts auxquels nous aurons recours en 2025. L’ensemble des services agira dans le meilleur intérêt de la signature française mais sans avoir de perspective quant au montant final de l’endettement en 2025.
L’Agence France Trésor travaille sur la base d’hypothèses théoriques. Il ne s’agit pas de choix entérinés par le Parlement de manière souveraine, dans le cadre d’un débat relatif à notre politique économique et budgétaire. Le regard général que portent les investisseurs sur la France est celui que porteraient des investisseurs avisés face à un pays dont le gouvernement a été censuré, qui n’aura pas de budget au 31 décembre et dont la dette atteint près de 3 300 milliards d’euros.
M. le président Éric Coquerel. Le projet de loi spéciale autorise à recourir à l’emprunt.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je suis touché par la grande nostalgie qu’éprouvent les uns et les autres s’agissant des mesures qui étaient prévues dans le PLF – ZRR, PTZ, crédits d’impôt, indexation du barème de l’IR sur l’inflation… Rétrospectivement, je suis surpris de leur opposition au PLF. Je me réjouis qu’ils envisagent de prévoir ces mesures dans un nouveau projet de budget. Néanmoins, le voteront-ils quel que soit son contenu ?
Par ailleurs, le prochain PLF ne pourra pas reprendre certaines mesures car un problème de rétroactivité se pose. Le respect de la Constitution et de la loi, ce n’est ni option, ni une croyance. Dans le cadre de l’examen du projet de loi spéciale, il faut s’en tenir au strict respect du droit.
Enfin, si la DGF est reconduite, tel n’est pas le cas de la dotation de solidarité rurale (DSR), ce qui pénalisera les communes rurales. Du reste, l’ensemble des collectivités territoriales auront connaissance tardivement du montant de la DGF – bien après le mois d’avril –, en fonction de l’adoption du prochain budget.
M. le président Éric Coquerel. Je ne suis pas sûr que les retraités, dont les pensions seront revalorisées de 2,1 % au 1er janvier alors que le PLFSS ne le prévoyait pas, soient nostalgiques.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. La DSR est reconduite.
M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Nous vivons un moment assez inédit. Le prélèvement sur recettes est maintenu dans le projet de loi spéciale. Dans le PLF était prévue une contribution des collectivités à hauteur de 5 milliards d’euros. À combien s’élevait le montant de la contribution – qui avait considérablement diminué – sur lequel vous vous étiez mis d’accord avec le Sénat ? Deux mois après la présentation du PLF, disposez-vous de nouvelles prévisions en matière de croissance et d’inflation qui permettraient de nous informer quant aux prévisions du prochain PLF ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. Ces questions ne relèvent pas de l’examen du projet de loi spéciale ; je refuse d’en parler. Il appartiendra à un nouveau gouvernement de proposer le montant de cette contribution. À la suite de longues discussions avec l’ensemble des associations d’élus, les députés et les sénateurs, nous étions parvenus à un compromis, afin notamment d’exonérer de cette contribution les départements les plus fragiles.
Quant aux prévisions, elles ne relèvent pas du projet de loi spéciale. Les trajectoires budgétaires devront être prévues par un nouveau texte financier. Le problème du redressement des comptes publics n’est pas résolu à ce stade.
Mme Claire Marais-Beuil (RN). Si un amendement visant à indexer le barème de l’impôt sur le revenu était adopté, saisiriez-vous le Conseil constitutionnel ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre. L’examen du projet de loi n’a pas commencé, aucun amendement n’a été déposé.
M. Daniel Labaronne (EPR). Cette audition est très intéressante : elle met en lumière toutes les conséquences négatives de la censure sur la vie quotidienne des entreprises, des collectivités locales et de nos compatriotes.
Confirmez-vous que le projet de loi spéciale ne prévoit aucun crédit alloué au fonds pour le développement de la vie associative (FDVA) ? Par conséquent, les préfectures, notamment dans les territoires ruraux, doivent arrêter de lancer des appels à projets auprès des associations pour le financement de leur fonctionnement ou d’investissements innovants.
M. Laurent Saint-Martin, ministre. J’ai déjà répondu à cette question.
M. le président Éric Coquerel. Je vous remercie, Messieurs les ministres.
Au cours de sa séance du jeudi 12 décembre après-midi, la commission a procédé à l’examen du projet de loi spéciale prévue par l’article 45 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (n° 711)
M. le président Éric Coquerel. Nous examinons aujourd’hui le projet de loi spéciale prévue par l’article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, adopté en conseil des ministres hier, pour lequel nous avons auditionné les ministres Antoine Armand et Laurent Saint-Martin hier après-midi.
Ce projet est inscrit à l’ordre du jour de la séance publique lundi prochain, 16 décembre, à seize heures. Le délai de dépôt des amendements pour la séance publique a été fixé à ce samedi 14 décembre à treize heures.
Je rappelle que, même si son intitulé ne comporte pas les mots « loi de finances », il s’agit bien d’un texte relevant des catégories de lois de finances prévues par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Comme le relevait le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979, un tel texte « constitue un élément détaché, préalable et temporaire » de la loi de finances de l’année.
L’emploi, par l’article 45 de la loi organique, des termes « autoriser à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote de la loi de finances de l’année » permet également de définir en creux tout ce qu’un tel projet ne peut pas faire. Comme il est question des seuls impôts existants, un tel projet ne saurait inclure de dispositions créant un nouvel impôt ; et comme il est question de continuer à percevoir, un tel projet ne saurait proposer de réforme des impôts existants.
Pour effectuer le contrôle de recevabilité des amendements déposés sur ce projet, j’ai pris en compte ce cadre organique particulier.
Il est vrai qu’en décembre 1979, lors de l’examen par le Parlement du seul projet de loi spéciale de ce type qui ait été déposé et examiné jusqu’à présent, certains des amendements examinés proposaient la création de nouveaux impôts ; d’autres amendements examinés proposaient la modification substantielle de caractéristiques d’impositions existantes. Toutefois, ce précédent doit être considéré avec beaucoup de circonspection. En effet, avaient également été discutés à cette occasion des amendements induisant une diminution des recettes publiques non gagés, donc manifestement irrecevables, ce qui fait douter de l’effectivité de leur examen au titre de la recevabilité financière. En tout état de cause, aucun amendement n’ayant été adopté lors de l’examen, le Conseil constitutionnel, saisi du projet de loi adopté, n’avait pas eu l’occasion de juger si les dispositions proposées par les parlementaires auraient eu leur place dans un tel texte.
En outre, il peut être tiré argument de la rédaction de l’article 45 de la LOLF que le projet de loi spéciale constitue une solution de repli à l’examen de la seule première partie du projet de loi de finances initiale avant la fin de l’année. En effet, l’option de la loi spéciale peut être activée plus tardivement, jusqu’au 19 décembre, alors que la demande d’un vote distinct de la première partie du projet de loi de finances doit intervenir avant le 11 décembre. Cela plaide pour considérer que le projet de loi spéciale est une voie étroite, et non une façon détournée d’avoir des débats de première partie du projet de loi de finances. Il ne saurait y être question d’autre chose que d’assurer la continuité fiscale et budgétaire pour un temps limité.
L’avis rendu ce lundi 9 décembre 2024 par le Conseil d’État sur les questions d’interprétation de l’article 45 de la LOLF qui lui étaient posées par le gouvernement va en ce sens.
J’ai considéré que, dans la mesure où l’avis du Conseil d’État relevait que l’autorisation de continuer à percevoir les impôts « doit être regardée comme emportant également la reconduction des prélèvements sur recettes » (PSR), le fait de proposer par amendement d’expliciter le montant des PSR ainsi reconduits était possible. Il convenait toutefois que les montants proposés par amendement n’excèdent pas, pour les PSR relatifs aux collectivités, les montants fixés pour l’exercice 2024. Il convenait également que ces montants soient déterminés uniquement et de façon explicite jusqu’au vote de la loi de finances pour 2025. C’est la raison pour laquelle seul un amendement relatif au montant du prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne (PSR-UE) a été déclaré recevable.
De même, pour les amendements proposant de préciser le montant des plafonds d’emprunt de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) et des caisses du personnel ferroviaire et des mines, j’ai considéré que, dans la mesure où les ministres avaient expliqué hier que l’absence de détermination dans l’article 3 d’un plafond d’emprunt offrait la possibilité de continuer à contracter des emprunts pour assurer la continuité du financement, les amendements visant à préciser un tel plafond n’étaient pas irrecevables, dès lors qu’il y était explicitement mentionné que ce plafond était applicable jusqu’au vote de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025.
Pour les amendements concernant l’actualisation du barème de l’impôt sur le revenu, j’ai privilégié une lecture différente de celle préconisée par le Conseil d’État.
Le projet de loi spéciale a un objet conservatoire : il s’agit de permettre qu’un cadre fiscal inchangé par rapport à celui qui existait en fin d’année soit maintenu en début d’année suivante pour permettre de discuter, lors de l’examen du projet de loi de finances de l’année qui n’interviendrait qu’en début d’exercice, dans des conditions identiques à celles qui préexistaient lors de l’automne précédent.
J’ai considéré que des amendements proposant d’actualiser le barème de l’impôt sur le revenu, dans la limite de l’indexation sur l’inflation qui est proposée chaque année en loi de finances, respectaient cette exigence de prolongation du cadre fiscal existant en 2024. Il ne s’agit pas tant d’introduire des règles fiscales nouvelles que d’assurer des conditions d’imposition économiquement semblables à celles qui s’appliquaient en 2024, en maintenant à l’identique le périmètre des personnes assujetties à l’impôt.
L’articulation du projet de loi spéciale avec les impositions locales renforce le caractère justifié de cette approche de la recevabilité des amendements relatifs au barème.
En effet, du seul fait que le dernier alinéa de l’article 1518 bis du code général des impôts prévoit, depuis 2018, une revalorisation annuelle des valeurs locatives cadastrales en fonction de la variation annuelle de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) établie par l’Insee entre novembre de l’année n‑2 et novembre de l’année n-1, l’adoption de l’article 1er du projet de loi spéciale garantira, sans autre précision à introduire dans le texte, que les valeurs locatives cadastrales seront effectivement revalorisées en 2025 pour la perception des taxes foncières, de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires et des autres taxes assises sur les valeurs locatives cadastrales.
J’ai considéré que, de même qu’il permettait la revalorisation des valeurs locatives cadastrales, le projet de loi spéciale devait également permettre de garantir la revalorisation du barème de l’impôt sur le revenu.
Tous les amendements relatifs au barème de l’impôt sur le revenu n’étaient pas recevables pour autant. Certains d’entre eux n’étaient pas gagés et méconnaissaient ainsi les règles habituelles de recevabilité financière. D’autres étaient bien gagés et proposaient un barème indexé sur l’inflation, mais ils omettaient de préciser que la modification proposée n’était applicable que jusqu’à la loi de finances pour 2025. La précision figure de façon systématique dans les articles du projet de loi spéciale, en cohérence avec le texte de l’article 45 de la LOLF. Elle permet de garantir juridiquement que la première partie de la loi de finances pour 2025 ne sera pas bloquée par ce qui serait voté en loi spéciale, aucun contribuable ne pouvant contester le fait que la loi de finances pour 2025 pourra faire évoluer les choses par rapport à ce que nous allons voter. Les auteurs des amendements qui auraient omis cette précision pourront les rectifier en vue de la séance publique.
En revanche, de façon plus générale, les amendements qui proposaient des modifications substantielles des règles fiscales, que ce soit sur l’exonération de taxe foncière, les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) ou le régime de taxation du gazole non routier (GNR) pour les travaux agricoles, n’étaient pas recevables.
Je me permets d’ajouter que, pour toutes ces mesures fiscales, il est loisible de proposer des réformes non seulement en première partie du projet de loi de finances, mais aussi dans un projet de loi ordinaire ou dans une proposition de loi. Ces textes pourraient être débattus en début d’année prochaine, indépendamment du calendrier fixé pour l’examen et l’adoption du projet de loi de finances pour 2025, s’ils étaient rapidement déposés et inscrits à l’ordre du jour de notre Assemblée.
Dans un communiqué de presse publié à la suite de la réunion d’hier, j’ai indiqué que plusieurs sujets identifiés par les ministres démissionnaires comme susceptibles de poser problème dans l’attente de l’adoption d’un projet de loi de finances – comme le crédit d’impôt pour congé des agriculteurs, l’extension du prêt à taux zéro (PTZ) et le crédit d’impôt collection – pourraient ainsi faire l’objet d’un projet ou d’une proposition de loi qui serait inscrite à l’ordre du jour dès le 13 janvier 2025 en vue de son adoption rapide. L’option est juridiquement possible et politiquement souhaitable, ces mesures ayant été adoptées à la quasi-unanimité dans les deux chambres. J’écrirai en ce sens au premier ministre, à qui la décision revient.
Enfin, comme d’ordinaire, les amendements relatifs aux conditions d’utilisation des titres-restaurant proposaient des dispositions qui n’avaient pas leur place en loi de finances. Ils étaient donc également irrecevables. Je signale qu’une proposition de loi sur la question a été adoptée par notre assemblée et transmise au Sénat, lequel l’a déjà examinée en commission. Lors de la conférence des présidents de mardi dernier, la présidente de l’Assemblée nationale a annoncé qu’elle s’adresserait à son homologue du Sénat pour que le texte soit inscrit le plus rapidement possible à l’ordre du jour du Sénat.
M. Charles de Courson, rapporteur général. La loi spéciale est très encadrée, puisque l’article 45 de la LOLF concerne seulement l’autorisation de « continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année » sur la base de l’état du droit en 2024.
Sur trente-cinq amendements déposés, seuls neuf ont été déclarés recevables par le président, dont ceux concernant l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu. Cela me paraît contraire à la Constitution. Pourquoi avoir retenu l’actualisation du barème de l’impôt sur le revenu et non celle du barème des droits de mutation à titre gratuit ou celle des seuils de la TVA, qui ne sont pas non plus prévues par la loi ? Si l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu figurait dans la loi, le problème ne se poserait pas, mais elle est traditionnellement décidée chaque année en loi de finances.
L’avis du Conseil d’État confirme cette analyse de bon sens : « La finalité de la loi spéciale […] est de permettre qu’interviennent, en temps utile, c’est-à-dire avant le début de l’exercice budgétaire à venir, les seules mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale, dans l’attente de l’adoption de la loi de finances initiale de l’année. » Le problème tient dans l’application de ce principe, tant pour les dépenses que pour les recettes.
En ce qui concerne les dépenses, nous aurons recours aux services votés. C’est au gouvernement d’en apprécier les plafonds. Les ministres ont confirmé, lors de l’audition d’hier, que des décrets seraient pris dans la limite des montants fixés par mission et par programme en 2024 et que toute mesure nouvelle était écartée.
Le débat est permis concernant les recettes. Le prélèvement sur recettes au profit des collectivités territoriales est limitatif. De ce fait, il est couvert par l’article 1er du texte sur la base de 2024, et aucune mesure nouvelle n’est possible, ni à la hausse ni à la baisse. En revanche, le prélèvement sur recettes au profit de l’Union européenne est évaluatif, puisqu’il s’agit d’un engagement international ; inscrire 22, 23 ou 24 milliards d’euros ne change rien.
M. le président Éric Coquerel. Il arrive que le rapporteur général et moi ne soyons pas d’accord. Les seuils relatifs aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO), à la TVA ou à la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ne sont pas réévalués chaque année de manière systématique, contrairement au barème de l’impôt sur le revenu. Si l’on considère que l’impôt existant renvoie au périmètre des contribuables, l’absence de réévaluation du barème pose un problème qu’il est nécessaire de corriger. C’est la raison pour laquelle j’ai déclaré ces amendements recevables. J’estime être dans l’esprit de la loi organique dont il est, au reste, difficile de tirer une jurisprudence, étant donné que la procédure de la loi spéciale n’a servi qu’une seule fois.
M. David Amiel (EPR). Chacun ici est favorable à l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu. En tout état de cause, la mesure sera votée bien avant le mois de septembre, date à laquelle son absence aurait des conséquences pour les Français. La question est de savoir quel véhicule législatif est le plus adapté : le projet de loi de finances ou le projet de loi spéciale ?
J’ai du mal à comprendre l’argument du président Coquerel concernant la recevabilité des amendements. En effet, le barème de l’impôt sur le revenu n’est pas indexé chaque année sur l’inflation. Dans le projet de loi de finances pour 2025, nous avions voté pour cette mesure, contrairement au groupe La France insoumise – je ne lui en fais pas reproche, car il s’agit d’une position politique ; toutefois, l’épisode démontre que le débat a bien lieu chaque année. Par ailleurs, en 2012 et en 2013, le barème de l’impôt sur le revenu n’avait pas été indexé sur l’inflation. C’est d’ailleurs l’argument qui fonde l’avis du Conseil d’État, dont j’ai du mal à comprendre que vous vous écartiez.
M. le président Éric Coquerel. Je n’ai pas invoqué une automaticité de l’indexation du barème à l’inflation ; j’ai dit que le projet de loi spéciale visait à reconduire l’impôt existant en 2024, or je considère l’impôt sur le revenu sous l’angle du périmètre des contribuables assujettis. La question ne se pose pas pour la taxe foncière, par exemple, pour laquelle les bases font l’objet d’une révision automatique.
« L’impôt existant », c’est celui de 2024, pas de n’importe quelle année. J’estime qu’il est nécessaire d’apporter cette modification pour faire en sorte que le périmètre des contribuables assujettis à l’IR reste identique à celui de 2024. En revanche, la révision périodique se fait différemment pour d’autres impôts.
M. David Amiel (EPR). Dans ce cas, pourquoi le raisonnement ne s’appliquerait-il pas aux crédits d’impôt ?
M. le président Éric Coquerel. Aucun amendement proposant de proroger jusqu’au vote de la loi de finances pour 2025 des crédits d’impôts expirant fin 2024 n’a été déposé en commission. Je n’ai donc pas eu à en juger.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je n’irai pas par quatre chemins, monsieur le président : votre comportement me choque profondément. Nous faisons la loi ; nous pouvons naturellement décider de changer la Constitution ou la LOLF, mais en attendant, nous avons l’impérieuse obligation de respecter ces textes et de nous montrer exemplaires dans ce domaine.
Je suis choqué que vous agissiez comme juge et partie. Vous portez des coups de boutoir à la Constitution, en ne respectant pas son article 40 – certes, ce n’est pas tous les jours, mais vous l’avez déjà outrepassé de manière évidente à deux reprises, sur la proposition de loi relative à EDF et sur la réforme des retraites ; vous recommencez sur ce projet de loi.
Je suis d’autant plus choqué que votre action se limite à cet impôt en particulier. Que penseront les agriculteurs dont le crédit d’impôt pour les exploitations certifiées de Haute Valeur environnementale (HVE) disparaîtra le 1er janvier ? Pourquoi ne pas appliquer la révision à tous les crédits d’impôt ? Cette dissymétrie n’a pas de sens.
Je le répète : il n’y a pas d’autre urgence que votre volonté de faire de la petite politique. Nous n’aurons aucune difficulté à adopter cette mesure, que nous défendons et que le PLF prévoyait, dans le budget que nous examinerons en début d’année prochaine. Il n’y aura aucun problème d’effet ni de rétroactivité puisque le solde de l’impôt sur le revenu est payé en septembre.
En clair, vous violez la Constitution – je pèse mes mots. C’est d’une gravité extrême parce que vous êtes président de la commission des finances. Nous respectons tous cette fonction ; elle revient de droit à un député de l’opposition, mais cela ne peut vous servir de prétexte pour en abuser.
M. le président Éric Coquerel. Jean-René Cazeneuve, votre intervention est à l’image de l’un de vos tweets récents. J’avais noté que vous n’étiez plus rapporteur général, pas encore que vous étiez président du Conseil constitutionnel, j’ai dû rater un épisode – je vous réponds sur le ton avec lequel vous avez engagé cette polémique. Vous vous permettez de juger ce qui serait constitutionnel.
Vous liez ma décision sur la recevabilité à d’autres passées. Toutes celles que j’ai prises étaient fondées sur des arguments de constitutionnalité, que j’ai exposés lors des débats. S’agissant des propositions de loi que vous citez en particulier, l’usage voulait que des textes ainsi gagés soient recevables, au nom de l’initiative parlementaire. Votre avis est différent, cela ne vous donne pas le droit de penser qu’il est définitif.
Vous m’accusez d’être juge et partie. Je ne comprends pas très bien. Comme David Amiel l’a souligné, nous souhaitons tous indexer le barème de l’IR en 2025. L’objectif est de sécuriser le dispositif. Hier, les ministres nous ont indiqué qu’il y aurait un danger si la modification du barème n’était pas adoptée avant la fin du premier trimestre. Nous pourrions donc avoir besoin de la disposition proposée si ce délai était dépassé. Je ne suis pas juge et partie, je n’agis pas ainsi pour soutenir une mesure que vous soutenez également – je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous vous opposez à l’indexation du barème. Vous comme moi pensons qu’il ne faut pas inquiéter les Français : la loi de finances sera votée rapidement, ce qui permettra d’appliquer en 2025 le barème qui y figurera. Je me félicite que tout le monde s’accorde là-dessus, puisque cela n’a pas toujours été le cas au cours des débats, certains ayant affirmé que 300 000 personnes de plus seraient assujetties à l’IR. J’en parle en connaissance de cause : plusieurs d’entre nous avons été confrontés à cette information donnée dans les médias.
David Amiel a posé une question précise, j’ai essayé de lui répondre. Je regrette qu’une fois de plus, Jean-René Cazeneuve, vous me contredisiez au titre de je ne sais quelle autorité, sans même expliquer pourquoi les arguments que j’avance ne vous semblent pas recevables. Mais c’est désormais une constante : vous profitez de la moindre occasion pour remettre en question la légitimité du président de la commission des finances. Je suis désolé que nous ayons de tels rapports.
Mme Perrine Goulet (Dem). Je ne reviendrai pas sur le fond. La réindexation n’est pas automatique chaque année : une fois sous la droite, en 2011, et une fois sous la gauche, en 2012, la revalorisation n’a pas eu lieu. Pour moi, elle doit donc être discutée lors de l’examen du projet de loi de finances ; elle n’a pas sa place ici. Vous avancez la notion de périmètre, monsieur le président, mais vous savez très bien que le périmètre de l’IR évolue chaque année, puisque des contribuables en sortent ou y entrent, en fonction de leurs revenus. Par ailleurs, la notion vaudrait également pour les crédits d’impôt, il serait donc problématique de les exclure du dispositif.
Par ailleurs, il n’est pas du tout impératif de procéder dès maintenant à cette revalorisation. Si nous adoptons en janvier ou en février un texte qui la prévoit, il sera applicable au moment du paiement du solde de l’impôt. Nous prendrions donc le risque d’affaiblir la fiabilité juridique du projet de loi pour faire un coup politique, en réaction aux effets de la censure. Le bricolage que vous voulez faire sur les crédits d’impôt le montre bien.
Enfin, avec tout le respect que nous vous devons, monsieur le président, je suis très embêtée, car vous êtes le garant de la bonne application de la LOLF. Or celle-ci est très claire : la loi spéciale autorise le gouvernement à continuer de percevoir les impôts existants. Nous devons donc nous arrêter à l’IR en vigueur, sans y toucher.
Pour conclure, j’aimerais que vous établissiez par écrit votre doctrine de l’application de l’article 40. En effet, depuis plusieurs mois, elle varie en fonction des signataires des amendements et des propositions de loi. Ainsi, nous saurons à quoi nous en tenir et pourrons, par exemple, déposer des amendements relatifs aux crédits d’impôt d’ici à la semaine prochaine.
M. le président Éric Coquerel. Ce que vous dites, madame Goulet, est totalement faux. Donnez-moi une seule preuve que mes décisions sont variables.
Mme Perrine Goulet (Dem). Sur EDF ou sur les retraites, par exemple.
M. le président Éric Coquerel. Absolument pas. Une telle insinuation m’étonne de vous.
Mme Perrine Goulet (Dem). Dans ce cas, précisez votre doctrine par écrit, pour que chacun soit fixé.
M. le président Éric Coquerel. Vous prétendez que la censure aurait provoqué une situation dont nous essayerions de nous sortir.
Mme Perrine Goulet (Dem). Ça saute aux yeux !
M. le président Éric Coquerel. Ce n’est pas du tout le cas. D’ailleurs, l’argument n’est pas fondé : même avant la censure, lorsque nous avons débattu des possibles effets d’une loi spéciale, j’avais dit d’une part qu’un PLF serait voté rapidement et qu’il n’y aurait donc pas d’incidences, d’autre part qu’il faudrait réfléchir à la question du périmètre de l’impôt sur le revenu.
J’ai fait un communiqué de presse pour envisager des problèmes concrets que les ministres ont soulevés, notamment le PTZ et la situation des agriculteurs. J’ai indiqué qu’il existait une voie législative pour adopter les mesures attendues sans attendre un PLF. Je suis stupéfait que vous ne trouviez pas l’idée intéressante, et que vous vous contentiez de qualifier cette proposition de bricolage. Ce type de discussions permet décidément de révéler certaines choses regrettables.
Mme Christine Pirès Beaune (SOC). David Amiel a raison de souligner que la non-indexation du barème n’emportera pas de conséquences dès le mois de janvier. Toutefois, certains ont tenu avant la censure un discours anxiogène qui prétendait le contraire. Nous sommes désormais tous d’accord sur ce point – tant mieux.
En revanche, le PLF pour 2013, sous la présidence de François Hollande, n’a pas été le seul à ne pas prévoir d’indexation du barème au cours des cinquante dernières années. Le cas s’est également présenté sous Sarkozy. Surtout, pour être honnête, il aurait fallu ajouter qu’en 2012, nous avons relevé le montant de la décote, justement pour préserver les contribuables les plus modestes.
Mme Véronique Louwagie (DR). Les députés du groupe Droite républicaine soutiennent, s’il était nécessaire de le rappeler, l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu.
Le rapporteur général l’a précisé : la loi spéciale est très encadrée. L’avis du Conseil d’État est d’ailleurs clair et précis. Le Conseil estime que l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu n’a pas sa place en loi spéciale, puisqu’elle constitue une modification de nature politique, qui affecte les règles de détermination de l’impôt.
Nous devons nous conformer à nos principes institutionnels. Déposer de tels amendements, les déclarer recevables voire les voter porte un coup qui affaiblit nos institutions, en provoquant l’application de dispositions inconstitutionnelles.
Vous avez évoqué, monsieur le président, la révision des valeurs locatives. Elle est automatique parce que nous, députés, avons voulu qu’il en soit ainsi, et l’avons inscrit dans la loi. En revanche, nous avons décidé de ne pas prévoir l’indexation automatique du barème de l’impôt sur le revenu. Au reste, je ne crois pas que des députés aient déposé des amendements en ce sens. Nous avons donc clairement établi cette distinction. Il est particulièrement choquant de contrevenir à notre décision par une disposition anticonstitutionnelle.
Il ne s’agit pas, dites-vous, de parer aux impacts négatifs que la censure aurait finalement sur les Français. Or ces amendements démontrent l’inverse : la censure, qui a conduit à une absence de budget, aura bien des conséquences pour les Français.
Vous proposez d’examiner un texte ad hoc en début d’année parce que vous avez une inquiétude, que je partage, concernant le délai nécessaire pour adopter un nouveau projet de loi de finances. En effet, l’examen d’un PLF et d’un PLFSS prend environ trois mois, ce qui nous mènerait à début avril. Toutefois, présenter un texte en début d’année serait discriminatoire car de nombreux aspects de la vie des Français sont concernés : pourquoi apporter des réponses à certains mais pas à d’autres ?
Enfin, pouvez-vous nous dire si les amendements qui seront éventuellement adoptés seront intégrés dans le texte, comme dans un texte non budgétaire ? S’agissant d’une loi spéciale, je souhaite une réponse claire.
M. le président Éric Coquerel. J’ai fait hier cette proposition pour répondre à des cas très précis – le crédit d’impôt pour congé des agriculteurs et le crédit d’impôt collection – cités par les ministres. Selon eux, le fait d’attendre l’adoption d’une loi de finances pendant plusieurs semaines peut mettre en danger le dispositif. Dès lors qu’une voie juridique existe et que les deux chambres ont déjà donné leur accord, cela peut aller vite. D’autres sujets poseront sans doute le même problème, et je regarderai avec intérêt les propositions en ce sens, par exemple en ce qui concerne les crédits d’impôts.
Je n’ai pas déposé cet amendement parce que je suis gêné par la motion de censure, pas plus que je ne le fais pour mettre en difficulté des collègues ou des groupes qui estimeraient qu’il est anticonstitutionnel et qui, pour cette raison, saisiraient le Conseil constitutionnel. Je pense que cet amendement est recevable car il tient compte du périmètre de l’impôt existant. Je n’ai pas encore entendu d’argument démolissant mon raisonnement.
En Conférence des présidents, tous les groupes – à part le Modem – n’étaient pas exactement sur la position qui est en train d’être défendue, selon laquelle ce serait une façon de se désolidariser de la motion de censure. Chacun a certes le droit de réfléchir. J’espère juste que cela n’est pas dû au fait qu’ils veulent à tout prix démontrer que la motion de censure nous gêne aux entournures.
Il a été clairement indiqué hier par les ministres qu’en cas de recours devant le Conseil constitutionnel, seule l’indexation proposée par amendement pourrait être annulée, sans que cela mette en danger l’intégralité du texte. Cela permettrait en outre d’établir une jurisprudence sur cette question.
Enfin, s’agissant d’un projet qui entre dans la catégorie des projets de loi de finances, les amendements adoptés par la commission sont redéposés en séance au nom de celle-ci et c’est le texte du gouvernement qui vient en discussion.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). J’ai l’impression que la panique s’empare de nos collègues macronistes qui, ayant du mal à accepter le fait d’avoir été censurés, décident de brutaliser nos institutions tous azimuts (Exclamations). Gardez votre calme, chers collègues. Nous pouvons avoir des débats sereins, sans que vous vous en preniez au président de la commission.
Vous nous expliquez qu’il n’y a finalement pas de problème pour indexer le barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation alors que, le 4 décembre, Laurent Saint-Martin, ministre du budget, affirmait qu’en cas de vote de la censure, 18 millions de Français verraient leur impôt augmenter et que 400 000 d’entre eux entreraient dans l’impôt. Nous prenons donc acte de ce revirement mais reconnaissez que vous avez indûment agité des peurs.
La comparaison entre l’impôt sur le revenu et les crédits d’impôts n’est pas pertinente. Quand le législateur décide que tel crédit d’impôt doit prendre fin à telle date, il est normal que sa prorogation ne soit pas automatique. On peut comprendre que l’on décide de le proroger dans un nouveau projet de loi de finances, mais il est impensable de le faire dans un projet de loi spéciale, parce qu’on ne peut pas revenir sur la volonté du législateur dans un tel texte.
La situation est différente pour l’impôt sur le revenu. Il s’agit de faire en sorte qu’il soit prélevé dans les mêmes conditions et selon le même périmètre que l’année dernière. Il serait dès lors invraisemblable que des personnes qui n’étaient pas assujetties l’année dernière se retrouvent dans l’obligation de payer l’impôt sur le revenu cette année. Nous pouvons débattre de cette question mais ne prétendez pas que cet amendement est objectivement anticonstitutionnel, car c’est faux.
M. Tristan Lahais (EcoS). Le groupe Écologiste et social votera pour le projet de loi spéciale. Il s’agit d’un texte technique qui permet de financer l’activité des services publics. Cela étant, il ne se substitue pas au projet de loi de finances. Il sera nécessaire d’en adopter un le plus vite possible, au besoin en réduisant un peu son périmètre, avec l’engagement d’en débattre ultérieurement dans un projet de loi de finances rectificative (PLFR).
Nous regrettons que le pouvoir élyséen procrastine à nouveau dans la nomination d’un premier ministre, nous empêchant ainsi de nous mettre très rapidement au travail. Nous avions pu constater, l’été dernier, combien cette lenteur avait retardé l’Assemblée nationale dans l’examen du projet de loi de finances. Il est bien normal qu’on puisse vous répondre quand vous agitez les peurs sur la question de l’impôt sur le revenu car nous souhaitons rassurer les Français sur cette question.
On peut avoir une interprétation différente de la vôtre s’agissant de la reconduction des impôts existants. La notion de valeur réelle, parfaitement admise en finances publiques, oppose les euros courants aux euros constants. Il est scientifiquement établi que pour déterminer une valeur réelle, il faut tenir compte de l’inflation. La reproduction des impôts exige donc leur indexation sur la valeur réelle, c’est-à-dire sur l’inflation.
M. Mathieu Lefèvre (EPR). Sans esprit polémique, on peut légitimement penser que le barème de l’impôt sur le revenu sera indexé l’an prochain car il existe un consensus sur ce point. Mais ma question est juridique : si quelqu’un dépose une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) contestant l’inflation retenue pour indexer le barème de l’impôt sur le revenu et que le Conseil censure cette disposition, ne fait-on pas courir un risque juridique majeur à nos concitoyens ?
Par ailleurs, le périmètre de l’impôt sur le revenu évolue : chaque année, certaines personnes y entrent tandis que d’autres en sortent. Personne ne peut croire que le nombre de contribuables sera identique d’une année sur l’autre. De plus, on pourrait vous objecter que nous n’indexons pas les seuils d’éligibilité au taux réduit de l’impôt sur les sociétés. Votre amendement ne peut donc qu’inquiéter les Français.
M. le président Éric Coquerel. Je veux vous rassurer concernant les QPC : celles-ci ne concernent que les atteintes aux droits et aux libertés. Cela ne s’applique donc pas à la procédure des lois de finances, qui ne peut connaître qu’un contrôle a priori.
M. Mathieu Lefèvre (EPR). Il y a des QPC en matière fiscale. Si le taux de l’inflation est contesté par un contribuable, que ferons-nous ?
M. le président Éric Coquerel. La procédure budgétaire parlementaire ne peut être invoquée pour plaider une atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
M. Mathieu Lefèvre (EPR). Un quart des QPC sont de nature fiscale.
M. le président Éric Coquerel. Oui, mais elles portent sur le fond ; la question qui nous occupe, relative à la place de la disposition dans le projet de loi spéciale, n’est pas comparable.
M. Thomas Cazenave (EPR). Votre argument principal, monsieur le président, repose sur un concept, ou plutôt sur une astuce : celle du périmètre. Or, par définition, un impôt, c’est un taux et une base – et non un périmètre. L’amendement que vous avez déposé tend à modifier la base de l’impôt sur le revenu. Il me semble pourtant que l’avis du Conseil d’État est très clair : il n’est possible dans ce projet de loi spéciale que d’autoriser à continuer à percevoir les impôts existants. Je le répète, votre amendement tend à modifier la base de l’impôt sur le revenu, donc à le modifier.
Je pense d’ailleurs que c’est parce que vous avez tout à fait conscience de la fragilité de votre raisonnement que vous introduisez ce concept de périmètre, qui n’en est pas un. À cet égard, Mathieu Lefèvre a opportunément montré que ce raisonnement ne tenait de toute façon pas, étant donné que, chaque année, des personnes entrent dans l’impôt ou en sortent.
En clair, en modifiant la base de cet impôt, votre amendement contrevient à l’article 45 de la LOLF, et donc à la Constitution. Les libertés que vous prenez créent, selon moi, un précédent dangereux en matière de recevabilité des amendements.
M. le président Éric Coquerel. Nous ne sommes pas d’accord, mais au moins nous parlons du fond. Je poursuivrai le débat avec vous.
Mme Félicie Gérard (HOR). Le groupe Horizons & indépendants est évidemment favorable à l’indexation du barème de l’IR sur l’inflation et nous n’avons eu de cesse de dénoncer le fait que la censure allait empêcher cette mesure. Cependant, mardi, le Conseil d’État a précisé qu’amender un projet de loi spéciale était inconstitutionnel, un tel texte ne devant comprendre d’autres mesures que celles nécessaires, de manière urgente, au fonctionnement de l’État. Étant donné que nous ne voulons pas agir de manière inconstitutionnelle, nous souhaitons avoir l’avis de la présidente de l’Assemblée nationale avant de nous prononcer sur cet amendement et les autres qui ont été déposés. Dans cette attente, nous nous abstiendrons.
M. le président Éric Coquerel. La présidente de l’Assemblée donnera son avis sur la recevabilité des amendements qui seront déposés en vue de la séance, je répondrai avec précision à M. Cazenave par écrit et, d’une manière générale, soyez assurés que je prends vos arguments au sérieux et que vous pouvez m’interpeller d’ici à l’examen du texte en séance.
M. Philippe Brun (SOC). Ce qui est en train de passer est assez étrange. Nous l’avons dit, il y avait un autre choix possible que celui de la loi spéciale, qui ne nous semble pas pertinent. En effet, l’article 45 de la LOLF prévoit deux procédures. Celle de la loi spéciale est la seconde ; la première, qui aurait tout à fait pu être utilisée, était l’adoption de la première partie du projet de loi de finances. Il fallait que la demande en soit faite avant le 11 décembre, nous sommes le 12, mais c’eût été beaucoup plus sage. Et je précise qu’un gouvernement démissionnaire en avait bien la possibilité, comme en atteste une note du secrétariat général du gouvernement.
Si nous avions fait ce choix, nous n’aurions pas tous les problèmes que nous avons. Il ne nous manquerait pas 10 milliards d’euros de recettes exceptionnelles et le problème de l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu ne se serait pas non plus posé. J’y insiste, le choix de recourir à une loi spéciale a été fait de manière unilatérale et il est source de grandes difficultés, relatives aux fameux crédits d’impôt dont nous avons parlé hier, à ces recettes exceptionnelles dont nous avons besoin, à certains secteurs, comme le secteur agricole, ou encore aux cercles de jeux, qui devront fermer le 1er janvier.
Comment faire pour nous en sortir ? L’amendement visant à indexer le barème de l’impôt sur le revenu ne nous semble pas poser de problème. En effet, il est évident qu’il n’y aura pas soixante députés ou sénateurs pour saisir le Conseil constitutionnel de la question de sa conformité avec la Constitution. De plus, pour des raisons de procédure, aucune QPC ne sera probablement reçue. En effet, un contribuable qui voudrait contester cette disposition par ce biais devrait le faire dans des délais très courts, entre le 1er janvier et la promulgation du PLF pour 2025, ce qui devrait avoir lieu fin janvier ou début février. Les dispositions étant régularisées ex post, il y a donc peu de chances que cela se produise. Et quand bien même ce serait le cas, les QPC ne peuvent concerner que les droits et libertés que la Constitution garantit. On ne peut ainsi demander par une QPC l’annulation d’une disposition fiscale au motif qu’elle ne respecterait pas l’article 40 de la Constitution ou une autre exigence procédurale. L’amendement du président Coquerel ne pose donc, selon nous, aucun risque constitutionnel. Je ne vois d’ailleurs même pas quel motif d’inconstitutionnalité pourrait être invoqué, dans la mesure où la loi organique n’interdit pas d’amender un projet de loi spéciale.
Pour toutes ces raisons, nous voterons ce texte les yeux ouverts, et en demandant au futur gouvernement et à notre commission de trouver des solutions pour qu’il n’ait pas à s’appliquer. L’article 47 de la Constitution permet également d’adopter le budget par ordonnances : il faudrait voir, le cas échéant, quelles mesures pourraient être reprises pour assurer la continuité de l’État. Et il est aussi possible, comme le suggère le président Coquerel, de prendre des mesures de continuité grâce à des propositions de loi ciblées, sur lesquelles le Conseil d’État n’aurait pas à rendre un avis et qui pourraient être adoptées dès la rentrée parlementaire en janvier.
Voilà ce qui doit, selon moi, nous mobiliser : assurer la continuité de nos services publics, de notre économie et du prélèvement de l’impôt.
M. Daniel Labaronne (EPR). Dans son avis, le Conseil d’État indique que l’indexation sur l’inflation du barème de l’impôt sur le revenu et la reconduction des crédits d’impôt dont la loi avait prévu l’extinction au 31 décembre 2024 « ne sont pas au nombre des dispositions ayant leur place en loi spéciale ». Pouvez-vous donc nous expliquer, monsieur le président, pourquoi votre amendement relatif à l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu a été jugé recevable, contrairement au CF18 de M. Ciotti, relatif au crédit d’impôt pour congé des agriculteurs, et plus particulièrement des éleveurs ? Comment expliquer cette différence de traitement alors que les deux dispositions ont été considérées de la même façon par le Conseil d’État ?
M. le président Éric Coquerel. Cet amendement visait non seulement à proroger le crédit d’impôt, mais aussi à en changer les règles.
M. Daniel Labaronne (EPR). Ce n’est pas vrai : cet amendement vise simplement à le proroger. Voici ses termes : « À la première phrase du premier alinéa du I [de l’article 200 undecies du code général des impôts], les mots “entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2024” sont supprimés. » Et plus loin, l’échéance de 2024 est remplacée par celle de 2028.
M. le président Éric Coquerel. J’ai l’amendement sous les yeux et je confirme que l’amendement tend non seulement à proroger le crédit d’impôt, mais à changer les règles du dispositif en allongeant la durée du congé.
Mme Perrine Goulet (Dem). L’amendement CF21 vise seulement à modifier l’échéance d’un avantage fiscal.
M. le président Éric Coquerel. Premièrement, et cela n’a rien à avoir avec le fait que M. Ciotti est l’auteur des amendements auxquels vous faites référence, si vous souhaitez contester ma position sur la recevabilité d’un amendement que vous avez déposé, il n’y a aucun problème pour m’interpeller d’ici à l’examen du texte en séance ; j’y suis toujours ouvert.
Deuxièmement, je maintiens que l’amendement CF18 vise non seulement à proroger le dispositif, mais aussi à en changer les caractéristiques.
M. Jean-Didier Berger (DR). Sans vous faire de procès d’intention, monsieur le président, je souhaite comprendre votre logique. Si, comme vous le dites, la censure n’emporte pas de conséquences, pourquoi vouloir apporter des correctifs ? Et s’il n’y a pas d’urgence à intervenir sur la question de l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu, pourquoi le faire dès aujourd’hui ?
Par ailleurs, connaissez-vous avec certitude la date à laquelle le PLF pour 2025 sera voté et savez-vous exactement ce qu’il contiendra ? J’ai regardé ce que les signataires des amendements visant à indexer sur l’inflation le barème de l’impôt sur le revenu ont voté lorsque cette disposition, qui figure à l’article 2 du PLF pour 2025, a été discutée. Or aucun membre des groupes LFI-NFP – certains ayant même voté contre –, ÉcoS et GDR ne l’ont soutenue. Comment pouvez-vous donc garantir que cette mesure sera approuvée ultérieurement alors que vous l’avez rejetée il y a quelques jours ?
Toujours sur le fond, quelle est votre définition du « périmètre » ? Nous avons esquissé une réponse, mais est-ce pour vous une liste, ou un nombre, de contribuables ? Si je suis votre raisonnement, est-ce que, au fond, voter l’impôt dans les mêmes conditions ne nécessiterait pas plutôt de maintenir le même produit, les mêmes exceptions et les mêmes niches ?
Tout cela démontre que, comme quand il s’agit de modifier la Constitution, nous ne devrions toucher à cette loi spéciale que d’une main tremblante.
M. le président Éric Coquerel. C’est votre interprétation. Je vais vous répondre, comme vous m’y invitez, sur le fond et non sur la recevabilité des amendements. Dans tous les médias, en commission et en séance, j’ai toujours répété que la censure et la loi spéciale ne mettaient pas en danger plus de 300 000 contribuables – affirmation qui a été répétée à l’envi, y compris par le ministre chargé des comptes publics. En effet, la loi spéciale est destinée à assurer la transition vers l’adoption du projet de loi de finances et non à être pérennisée pour l’année 2025 dans son ensemble. Sa fonction de transition est d’ailleurs explicitée dans l’exposé des motifs du texte. C’est pourquoi j’ai toujours pensé et affirmé que ceux qui faisaient peur aux gens avec cela avaient tort.
Par ailleurs, notons que la seule fois où une loi spéciale a été déposée, nous ne sommes pas allés au bout de la réflexion sur ce qu’un tel texte autorise sur le plan constitutionnel. Il me semble donc intéressant de clarifier la jurisprudence en la matière – sous le contrôle de la présidente de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel.
Hier, les ministres que nous avons auditionnés ont indiqué que le PLF devrait être adopté au cours du premier trimestre 2025. Je pense que ce sera le cas, quoique cela dépende des débats politiques, mais il est aussi possible que nous nous retrouvions un jour sans budget à cette échéance. Face à cette éventualité, je répète qu’il me semble intéressant de clarifier la jurisprudence, car j’estime que la notion d’« impôts existants » requiert que nos concitoyens soient touchés par l’impôt exactement de la même manière que l’année précédente. Si des contribuables qui ne payaient pas l’impôt sur le revenu se retrouvent à le payer, cela voudra dire qu’il ne peut être considéré comme l’impôt existant.
Voilà le cheminement de ma pensée et ma réponse à vos questions – sachant que vous pouvez ne pas être d’accord avec moi.
Quant à ne toucher à la loi spéciale que d’une main tremblante, vous conviendrez que nous n’avons fait que peu d’usage de cette procédure jusqu’à présent. Dès lors qu’une interprétation est possible, ce qui me semble le cas – même si je reconnais que ma position peut être contredite –, j’estime que le jeu en vaut la chandelle. Si je suis démenti par la présidente de l’Assemblée nationale ou par le Conseil constitutionnel à la suite d’un recours de certains d’entre vous, au moins aurons-nous clarifié les choses et cela ne me posera pas de problème particulier.
M. Matthias Renault (RN). On ne peut pas qualifier les amendements d’anticonstitutionnels dès lors que la question n’a pas été tranchée par la jurisprudence. Chacun peut donc avancer ses arguments ; quant à nous, nous considérons, d’une part, que ces amendements visent à maintenir le périmètre fiscal, d’autre part, que l’indexation annuelle du barème de l’impôt sur le revenu est une norme quasi constante sous la Ve République. En tout état de cause, c’est au Conseil constitutionnel de trancher : que ceux qui contestent la constitutionnalité des amendements le saisissent.
D’aucuns jugent scandaleuse la décision du président de la commission des finances. Mais elle s’inscrit dans la continuité de celle qui a été prise en 1979 par le président de la commission des finances et le président de l’Assemblée nationale d’alors, qui avaient déclaré recevables des amendements analogues.
En fait, vous êtes politiquement ennuyés, car si ces amendements étaient adoptés, vous ne pourriez pas faire de la non-indexation du barème de l’impôt sur le revenu un argument en faveur de l’adoption du prochain projet de loi de finances.
Enfin, ce qui est choquant, ce n’est pas que ces amendements aient été déclarés recevables, c’est que vous ayez dit sur tous les plateaux de télévision que 18 millions de Français verraient leur impôt augmenter.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). C’est vrai !
M. Matthias Renault (RN). Non, puisque vous reconnaissez par ailleurs que, dans tous les cas, la situation sera sécurisée avant le 1er avril. Cessez donc de dire tout et son contraire.
Quant aux mesures concernant les agriculteurs ou la prolongation au-delà du 31 décembre de l’expérimentation des clubs de jeux, elles pourraient faire l’objet d’un projet de loi ou d’une proposition de loi transpartisane que nous pourrions adopter d’ici à la fin de l’année, à condition, bien entendu, qu’un gouvernement ait été nommé.
M. Erwan Balanant (Dem). Nos débats me paraissent lunaires et inutiles. Soyons simples, et sécurisons notre démarche. La LOLF nous permet, grâce au projet de loi spéciale, de faire la soudure avec le prochain projet de loi de finances, donc de prélever l’impôt et d’assurer la continuité des politiques publiques d’ici à son adoption.
Il est vrai que le risque que représenterait une QPC n’est pas évident, car la jurisprudence est assez précise en matière fiscale. Mais pourquoi avoir un tel débat alors que tout le monde semble s’accorder sur la nécessité de revoir le barème de l’impôt sur le revenu pour 2025 ? Nous perdons du temps ! Pourquoi instiller le doute dans les esprits alors que le consensus existe ?
Monsieur le président, je ne comprends pas l’intérêt politique de votre démarche. Pourquoi ces mesures dilatoires ? Réglons plutôt la question lors du prochain projet de loi de finances, dans le cadre d’une discussion sereine et sérieuse.
M. le président Éric Coquerel. Premièrement, si je propose cette mesure, c’est parce qu’elle me paraît juste et nécessaire, et non pas, comme ce que pensent certains membres du bloc central, pour atténuer les effets de la motion de censure : je l’assume totalement. Et j’affirme – je suis ravi, du reste, que presque tous les membres du bloc central le reconnaissent – qu’il n’y a pas de risque pour la suite.
M. Erwan Balanant (Dem). Il y en aurait si votre amendement était adopté !
M. le président Éric Coquerel. Deuxièmement, ce n’est pas de ma faute si ma proposition a suscité un aussi long débat – ce n’était pas mon souhait.
Troisièmement, si le Conseil constitutionnel – et je ne ferai à personne le reproche de le saisir – jugeait que cette mesure n’est pas conforme à la Constitution,…
M. Erwan Balanant (Dem). Quelle perte de temps !
M. le président Éric Coquerel. …sa décision n’empêcherait pas l’application des autres dispositions de la loi spéciale. Enfin, vous avez très bien dit ce qu’il en était d’une éventuelle QPC.
Il est tout de même paradoxal que nous ayons un débat aussi vigoureux alors que nous approuvons tous le projet de loi spéciale.
M. Jean-René Cazeneuve (EPR). Je souhaite obtenir une précision, en vue de la séance publique : confirmez-vous que les amendements relatifs aux crédits d’impôt qui ne viseraient à modifier que la date sont recevables ?
M. le président Éric Coquerel. Je les examinerai selon la même logique…
M. Daniel Labaronne (EPR). Selon quels principes et quelle doctrine ?
Mme Perrine Goulet (Dem). Il faut réunir le bureau !
M. le président Éric Coquerel. J’ai compris que, derrière cette question, il y a un travail de déstabilisation, et je trouve les insinuations de certains politiquement très blessantes.
Monsieur Labaronne, je n’ai accepté que les amendements qui prévoyaient explicitement une application jusqu’au vote de la loi de finances. C’est ainsi que certains des amendements relatifs à la revalorisation du barème de l’impôt sur le revenu, dont celui déposé par M. Jean-Philippe Tanguy, ont été déclarés irrecevables, car ils ne comportaient pas cette précision.
En ce qui concerne les crédits d’impôt, soit les amendements déposés ne prévoyaient pas leur application jusqu’au vote de la loi de finances, soit ils en modifiaient les paramètres.
M. Erwan Balanant (Dem). Les paramètres ou le périmètre ?
M. le président Éric Coquerel. Ils modifiaient les règles existantes pour ces crédits d’impôt. Et pour l’amendement CF21, il prévoyait la reconduction du crédit d’impôt jusqu’à la fin 2025, et non jusqu’à l’adoption de loi de finances. Je l’ai donc déclaré irrecevable, en application du principe que je viens de vous exposer.
Si certains amendements doivent être examinés à la lumière de ce principe d’ici à la séance publique, je les examinerai.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Lors de la Conférence des présidents, les onze groupes se sont déclarés favorables au projet de loi spéciale. Tout le monde s’accorde également sur l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu telle qu’elle figurait dans le projet de loi de finances.
Si je maintiens qu’il ne faut pas adopter un amendement d’indexation dans le cadre du projet de loi spéciale, c’est parce qu’un tel amendement serait anticonstitutionnel. L’argument du périmètre constant, développé par notre président, n’est pas défendable, pour deux raisons. Premièrement, la situation de chaque individu évolue. Deuxièmement, une partie des crédits et des réductions d’impôt est limitée dans le temps, jusqu’au 31 décembre 2024 ; ils ne pourront donc pas être appliqués rétroactivement puisqu’ils auront disparu. La sagesse commande donc d’attendre le prochain projet de loi de finances et, pour ce qui est des dispositions urgentes, d’adopter un projet de loi portant diverses dispositions d’ordre financier (DDOF). – ce qui peut être fait très rapidement.
J’appelle votre attention sur le fait que, selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, les crédits et les réductions d’impôts ne pourront pas être appliqués pour la période comprise entre le 1er janvier et l’adoption du projet de loi de finances – disons fin mars. En effet, il s’agit de mesures incitatives : on ne peut pas donner un tel avantage fiscal pour des faits passés.
Pour ces différentes raisons, je vous demande d’être raisonnables : cessons de nous déchirer puisque nous sommes tous d’accord, et attendons un projet de DDOF ou la prochaine loi de finances.
Amendement CF10 de M. Nicolas Metzdorf
M. Nicolas Metzdorf (EPR). D’une main tremblante, j’ai déposé cet amendement rédactionnel d’appel pour vous alerter sur la situation délicate dans laquelle se trouve la Nouvelle-Calédonie. La censure du gouvernement nous place dans une position difficile car nous attendions avec impatience l’adoption du projet de loi de finances pour 2025, qui devait contribuer non seulement à redresser nos institutions mais aussi à venir en aide aux entreprises et aux salariés touchés par les émeutes du 13 mai. Nous ne pouvons hélas pas adopter d’amendements spécifiques pour la Nouvelle-Calédonie dans la loi spéciale. Les ministres auditionnés hier ont ouvert des pistes dans le cadre de son exécution, mais les sommes envisagées ne correspondent pas aux attentes locales.
Je compte donc sur un soutien massif des parlementaires lorsque nous examinerons le projet de loi de finances. Je le précise, car j’ai été étonné que la gauche s’oppose au projet de loi de finances de fin de gestion, qui comportait des crédits grâce auxquels nous pourrons tenir jusqu’à la fin de l’année. Je ne voudrais pas qu’un tel vote se renouvelle, car la Nouvelle-Calédonie a besoin d’une union nationale.
Je retire, bien entendu, l’amendement.
M. Charles de Courson, rapporteur général. J’allais vous le proposer, non seulement parce qu’il n’a pas de portée mais aussi pour une raison d’ordre rédactionnel. En effet, pour qu’une loi de finances puisse être qualifiée d’initiale, elle doit avoir été suivie d’une loi de finances rectificative ou d’une loi de finances de fin de gestion.
M. le président Éric Coquerel. J’ai proposé, dans mon communiqué de presse, que, pour répondre à ce type de demandes, on examine en urgence, à partir du 13 janvier, des projets de loi ad hoc. Malheureusement, il n’est pas possible d’étendre une telle proposition à la Nouvelle-Calédonie, car cela nécessiterait l’ouverture de crédits, ce qui doit passer par un projet de loi de finances.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Nous avons voté, à la quasi-unanimité, des crédits de 1,1 milliard d’euros dans la loi de finances de fin de gestion. Toutefois, cela ne règle le problème que jusqu’au 31 décembre. L’idée de recourir à un texte portant diverses dispositions d’ordre financier est l’une des voies possibles. Sous la IVe République, la loi de finances pour 1953 avait été votée le 7 février, et la loi de finances pour 1955 au mois de mai. Je pense que nous avons une chance d’y arriver d’ici à la fin du premier trimestre.
M. Nicolas Metzdorf (EPR). Le projet de loi de finances de fin de gestion n’a pas été voté à l’unanimité, ce que je regrette, alors qu’il concernait en grande partie la Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, sur le milliard d’euros qui a été budgété en faveur de la Nouvelle-Calédonie, seuls 230 millions iront directement à ses institutions et à ses entreprises, le reliquat servant à financer les forces de l’ordre. Ces crédits ne nous permettront donc pas de tenir jusqu’en mars ou en avril, contrairement à ce que certains ont dit.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’article 1er non modifié.
Amendements identiques CF27 de M. Éric Coquerel, CF25 de M. Aurélien Le Coq, CF26 de Mme Eva Sas et CF28 de M. Philippe Brun
M. le président Éric Coquerel. Avant que nous en venions à la présentation de ces amendements, M. Tanguy a demandé la parole.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je demande, sur le fondement de l’article 44 du règlement, un vote par scrutin sur l’amendement CF27. Je suis très choqué par l’ambiance qui règne au sein de notre commission. S’il y a bien quelqu’un ici qui pourrait faire le mauvais joueur et empêcher le président d’exercer ses fonctions, c’est moi, car j’aurais pu les exercer moi-même. Mais je respecte les personnes, les scrutins et la démocratie. Je vous rappelle qu’Éric Coquerel a été élu et réélu. Je n’ai jamais vu, dans quelque commission que ce soit, les macronistes mettre en cause un président de commission comme ils l’ont fait ici, d’autant plus depuis que vous êtes ultraminoritaires. Au fond, les institutions ne vous conviennent que lorsque vous en exercez le contrôle, directement ou, indirectement, par le biais de pantins.
M. le président Éric Coquerel. J’ai reçu la demande de scrutin de M. Tanguy sur l’amendement CF27, formulée en application du deuxième alinéa de l’article 44 du règlement. M. Tanguy ayant reçu la délégation d’un député souffrant, huit députés en sont signataires, ce qui représente plus d’un dixième des membres de la commission. J’essaie d’éviter qu’on ouvre la boîte de Pandore des scrutins mais M. Tanguy a maintenu sa demande, malgré mes tentatives pour l’en dissuader. Nous procéderons donc à un vote par appel nominal.
Venons-en aux amendements. Je propose de considérer que la longue discussion préalable que nous avons eue aura également servi à les présenter. Votre avis, monsieur le rapporteur général ?
M. Charles de Courson, rapporteur général. Je suis favorable à la disposition proposée sur le fond, mais pas dans ce texte. Elle pourrait trouver sa place soit dans un projet de DDOF, soit dans la prochaine loi de finances. Si nous votions cet amendement aujourd’hui, je maintiens que cela créerait un problème, à tout le moins pour les crédits et réductions d’impôt. On peut ne pas être toujours d’accord avec le Conseil d’État, mais je vous mets en garde sur l’aspect constitutionnel. Les parlementaires n’ont pas le monopole de la saisine du Conseil constitutionnel : cette prérogative est partagée avec le président de la République, le premier ministre et les présidents des assemblées. Il ne serait pas raisonnable de voter aujourd’hui cette disposition, alors que nous pourrions l’adopter ultérieurement de manière consensuelle. Avis défavorable.
M. le président Éric Coquerel. Depuis quelque temps, on a pris l’habitude de considérer qu’on ne peut pas adopter un texte lorsqu’il existe un risque d’inconstitutionnalité. En l’occurrence, le seul risque serait que le Conseil constitutionnel censure ce dispositif précis, mais pas le texte dans son ensemble. Nous ne devons pas systématiquement chercher à anticiper la décision que pourrait prendre le juge constitutionnel, selon qu’on privilégie telle ou telle interprétation. C’est le rôle de cette juridiction que de se livrer à cette interprétation.
M. Charles de Courson, rapporteur général. J’ai simplement dit que cet article additionnel risquait d’être annulé.
M. le président Éric Coquerel. Vous avez parlé de risque.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Oui, c’est un risque constitutionnel, mais qui ne s’étend pas à la loi dans son ensemble.
M. Mathieu Lefèvre (EPR). L’article additionnel que vous proposez est-il identique à celui qui figurait dans le projet de loi de finances ? En particulier, appliquez-vous le même taux d’inflation ? Les modalités de prélèvement à la source sont-elles exactement les mêmes ? Qu’en est-il de la décote de l’impôt sur le revenu ? Revalorisez-vous les seuils qui ouvrent droit au quotient familial ?
M. le président Éric Coquerel. C’est un copié-collé du dispositif qui avait été présenté en projet de loi de finances. La seule différence tient au fait de préciser que cette disposition s’applique jusqu’à l’adoption de la loi de finances, conformément à l’objet temporaire de ce projet de loi spéciale.
M. Jean-Paul Mattei (Dem). Si cet amendement était adopté et que le Conseil constitutionnel ne le jugeait pas conforme, demanderait-on aux Français qui ont échappé à l’impôt de le payer ? Quelles seraient les conséquences concrètes de la censure par le juge constitutionnel ? En voulant se faire plaisir, on crée une insécurité juridique, qui me semble malsaine, sur l’application de cette mesure. Aux termes de l’article 45 de la LOLF, je le rappelle, nous ne faisons qu’autoriser l’État à continuer à percevoir les impôts, pas plus.
M. le président Éric Coquerel. Si le Conseil constitutionnel censurait cette disposition, nous pourrions néanmoins adopter en loi de finances une disposition équivalente. Nous sommes tous d’accord pour considérer qu’elle devra s’appliquer en avril.
M. Mathieu Lefèvre (EPR). Ce n’est pas tout à fait un copié-collé puisque vous indiquez que le barème s’applique aux revenus perçus ou réalisés à compter du 1er janvier, jusqu’à l’entrée en vigueur de la prochaine loi de finances. C’est de nature à créer une certaine incertitude juridique pour le contribuable, car le barème est susceptible d’être remis en cause par la loi de finances. La prochaine loi de finances – si tant est qu’elle soit adoptée par notre assemblée – devra-t-elle prévoir un nouveau barème de l’impôt sur le revenu ou reprendre celui-ci ? C’est une question juridique.
M. le président Éric Coquerel. La loi de finances le confirmera ou non : c’est la logique même de ce projet de loi spéciale et c’est pourquoi j’ai déclaré irrecevables les amendements n’indiquant pas qu’ils s’appliqueraient jusqu’à la prochaine loi de finances.
M. Mathieu Lefèvre (EPR). Quel est l’intérêt de cette disposition, en ce cas ?
M. le président Éric Coquerel. Nous espérons tous que la loi de finances sera adoptée rapidement, mais nous n’en avons pas la certitude. En votant cette disposition, nous aurons l’assurance que l’impôt prélevé jusque-là sera bien l’impôt correspondant à un barème revalorisé. En outre, cela garantit que le législateur de la loi de finances n’aura pas les mains liées.
Mme Eva Sas (EcoS). Je ne comprends vraiment pas la polémique qui est alimentée par le groupe Ensemble pour la République depuis une heure et demie. Vous lancez une controverse sur un amendement qui, au pire, est inutile et, au mieux, sécurisera nos concitoyens et dégonflera une polémique à laquelle vous avez entendu donner de l’ampleur avant la motion de censure. Le vote de cet amendement rassurerait tous nos concitoyens. Il montrerait que l’ensemble des forces politiques souhaitent indexer le barème de l’impôt sur le revenu. Cessez de polémiquer inutilement et de faire traîner les débats : ce n’est pas responsable vis-à-vis des citoyens qui nous écoutent.
Mme Véronique Louwagie (DR). Nous sommes favorables à l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu mais il nous paraît irresponsable d’intégrer cette mesure à la loi spéciale compte tenu du risque constitutionnel et de l’insécurité juridique que cela entraînerait – le rapporteur général l’a clairement indiqué.
Depuis la tenue de la Conférence des présidents, un fait important est intervenu : la publication de l’avis du Conseil d’État. Madame Sas, c’est vous qui créez une polémique sur cet avis, qui engendrez le trouble et de l’insécurité juridique, alors que le Conseil d’État a adopté une position claire. Chers collègues du groupe Écologiste et social, vous n’avez pas voté, rappelons-le, en faveur de l’article 2 du PLF en séance publique, qui prévoyait l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu, ce qui rend la situation assez cocasse.
M. le président Éric Coquerel. Certes, l’avis du Conseil d’État constitue un élément nouveau. Toutefois, lors de la Conférence des présidents, aucun président de groupe – à l’exception de M. Mattei, pour le Modem, qui a exprimé des réserves – n’a estimé que la mesure proposée aurait pour objet, en quelque sorte, d’excuser la motion de censure. Or, c’est un argument que plusieurs d’entre vous ont employé depuis le début de la réunion.
M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Comme je l’ai dit hier, nous soutenons cet amendement. Du reste, alors que le président de la commission a déclaré irrecevable un de mes amendements – j’en ai compris la raison –, je ne me suis pas roulé par terre, je n’ai pas non plus crié au scandale. D’un côté, il y a des personnes qui respectent la commission et le Parlement ; de l’autre, il y en a qui veulent toujours avoir raison même lorsqu’elles ont tort et même lorsque les Français leur ont donné tort.
Votre vision du Conseil d’État atteste de votre mauvaise foi. Le Conseil d’État a une double nature : dans le cadre du soutien juridique et légistique qu’il apporte au gouvernement, il rend un avis ; lorsqu’il agit comme une juridiction, il rend une décision de justice. Hier, le Conseil d’État a rendu un avis. Vous jouez sur cette double nature en faisant croire – comme vous l’avez fait ce matin sur un média qui vous est souvent favorable – que nous contesterions une décision de justice, alors que nous ne faisons que donner un avis sur un avis. Si cela ne vous dérange pas de vous soumettre à des personnes qui ne sont pas élues, sachez que, pour ma part, je ne me soumettrai jamais à une autorité non élue.
M. le président Éric Coquerel. Nous passons donc au vote par appel nominal des membres de la commission.
Votent pour :
M. Rodrigo Arenas, M. Carlos Martens Bilongo, M. Anthony Boulogne, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Élie Califer, M. Eddy Casterman, Mme Gabrielle Cathala, M. Éric Coquerel, M. Emmanuel Grégoire, M. Tristan Lahais, M. Aurélien Le Coq, M. Jérôme Legavre, Mme Claire Marais-Beuil, Mme Yaël Ménaché, M. Jacques Oberti, Mme Julie Ozenne, Mme Christine Pirès Beaune, M. Matthias Renault, M. Aurélien Rousseau, M. Alexandre Sabatou, Mme Isabelle Santiago, Mme Eva Sas, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Jean-Philippe Tanguy
Votent contre :
M. Charles de Courson, M. Daniel Labaronne
S’abstiennent :
M. David Amiel, M. Erwan Balanant, M. Jean-Didier Berger, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Benjamin Dirx, Mme Félicie Gérard, Mme Perrine Goulet, M. Pierre Henriet, M. François Jolivet, Mme Constance Le Grip, M. Mathieu Lefèvre, Mme Véronique Louwagie, M. Denis Masséglia, M. Jean-Paul Mattei, M. Emmanuel Maurel, M. Nicolas Metzdorf, M. Nicolas Ray, M. Charles Rodwell
Le résultat du scrutin est donc le suivant :
Nombre de votants : 46
Pour : 25
Contre : 2
Abstention : 19
La commission adopte les amendements identiques.
Amendement CF31 de M. Philippe Brun
M. Charles de Courson, rapporteur général. Lors de l’examen du PLF pour 2025, nous avons longuement débattu du montant du PSR-UE. Selon l’analyse du Conseil d’État, l’autorisation de percevoir les ressources emporte reconduction des prélèvements sur recettes. Si le Conseil d’État se trompait sur ce point, le PSR-UE n'en trouverait pas moins son fondement dans les engagements internationaux de la France. Nous ne saurions donc nous dérober à notre obligation au motif que le projet de loi spéciale n’y fait pas référence.
En effet, le PSR-UE est versé sur le fondement de la loi du 8 février 2021 autorisant l’approbation de la décision du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne. En 2025, le montant du PSR-UE serait de 23,1 milliards d’euros, conformément à l’accord trouvé entre le Conseil et le Parlement européen, le 16 novembre 2024, lors du comité de conciliation. Ce montant a été formellement adopté par le Conseil le 25 novembre et par le Parlement européen le 27 novembre 2024. Avis défavorable, l’amendement est satisfait.
L’amendement est retiré.
Amendement CF32 de M. Charles de Courson
M. Charles de Courson, rapporteur général. L’article 2 du projet de loi spéciale a pour objet d’accorder au ministre chargé des finances l’autorisation de « procéder à des emprunts à long, moyen et court termes libellés en euros ou en autres devises […] ».
Le dispositif proposé est plus réduit que celui figurant à l’article 41 du projet de loi de finances pour 2025 : il ne comporte aucun plafonnement, ni de la variation nette de la dette négociable d’une durée supérieure à un an ni de l’encours total de dette autorisé pour chacun des budgets annexes. Lors de son audition, le gouvernement a effectivement indiqué qu’il estimait que de telles dispositions, fixant un cadre économique et budgétaire pour l’année, ne sauraient figurer que dans la loi de finances de l’année.
Il est pour le moins paradoxal qu’une autorisation donnée par une loi qui ne comporte que les mesures nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ne soit pas plafonnée. Cela permettrait un recours à l’emprunt au-delà des strictes hypothèses couvertes par la loi spéciale.
La LOLF nous impose de fixer des plafonds, sans lesquels cet article risquerait d’être censuré pour incompétence négative du législateur. Je propose donc d’assortir l’autorisation d’emprunter de plafonds, fixés à leur niveau prévu par la loi de finances pour 2024 – ce qui est suffisant dans l’attente du prochain PLF –, dans un souci de cohérence avec l’article 1er.
M. David Amiel (EPR). Je ne comprends pas pourquoi on devrait fixer le montant du plafond d’endettement alors que l’esprit de la loi spéciale commande de ne pas fixer de montants s’agissant tant des dépenses, puisqu'il s’agit de reconduire les services votés, que des recettes, puisqu’il s’agit de continuer à percevoir les impôts.
Ne risquons-nous pas de fragiliser l’ensemble du projet de loi ? Il ne s’agit pas d’un projet de loi de finances ordinaire qui comporterait un tableau d’équilibre.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Cet amendement vise à rendre l’article conforme au 8° et au 9° du I de l’article 34 de la LOLF qui disposent respectivement que la première partie de la loi de finances « comporte les autorisations relatives aux emprunts et à la trésorerie de l’État prévues à l’article 26 » et « fixe le plafond de la variation nette, appréciée en fin d'année, de la dette négociable de l’État d’une durée supérieure à un an ainsi que, pour chaque budget annexe, le plafond de l’encours total de dette autorisé ».
Dès lors, le projet de loi spéciale, qui est un projet de loi de finances, doit prévoir ces plafonds. Je propose de reprendre ceux prévus pour 2024. Il s’agit d’une simple précaution.
M. Jean-Didier Berger (DR). Ne faut-il pas fixer un plafond qui nous permettrait d’emprunter en vue d’atteindre le niveau global de recettes perçues en 2024 ? Vous présumez que la TVA ne s'effondrera pas en 2025. Mais imaginons que les autres recettes s’effondrent. Que pourrions-nous alors faire hormis recourir à l’emprunt ? Fixer le niveau d’endettement à zéro ne garantit pas d’avoir des recettes suffisantes pour faire fonctionner l’État de la même façon qu’en 2024.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Dans le cadre des projets de loi de finances, les plafonds sont fixés pour une année. Or nous ne savons pas quand sera voté le PLF pour 2025 – par exemple, la loi de finances pour 1925 avait été adoptée au mois de juillet 1925. Les plafonds de la loi de finances pour 2024 sont suffisants en attendant le vote du PLF pour 2025 d’ici à quelques mois, bien que le ministre chargé du budget et des comptes publics n’ait pas su nous donner le montant des crédits se rapportant aux services votés.
L’article 2, tel qu’il est rédigé, ne respecte pas la LOLF qui impose de fixer un plafond.
M. Philippe Brun (SOC). Le mieux est ici l’ennemi du bien. Imaginons une situation de blocage qui durerait – même si nous ne le souhaitons pas. Si les mois passent et que nous ne pouvons pas recourir à l’emprunt en raison de cet amendement, nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer. Nous ne devrions donc pas l’adopter. Je comprends le raisonnement du rapporteur général, mais la LOLF n’impose pas une telle obligation en ce qui concerne la loi spéciale. Le groupe Socialistes votera contre cet amendement, afin que la loi spéciale soit efficace au cas où la situation ne se débloquerait pas.
M. Erwan Balanant (Dem). Je salue la sagesse de M. Brun et son souhait de respecter à la lettre la LOLF et la Constitution, mais pourquoi n’avez-vous pas fait de même tout à l’heure, sur les amendements relatifs au barème de l’impôt sur le revenu ? Malheureusement, votre position est inutilement teintée de visées politiques.
S’il nous arrive de voter des dispositions – notamment pénales – qui risquent l’inconstitutionnalité, c’est parce que nous jouons notre rôle de législateur et que le Conseil constitutionnel tranche. Or nous parlons ici de procédure ; ce n’est pas la même chose. Je ne comprends pas pourquoi nous devrions jouer les apprentis sorciers en matière de procédure.
M. le président Éric Coquerel. L’amendement du rapporteur général a des défenseurs et des détracteurs, mais personne n’a brandi l’argument de l’irrecevabilité. J’estime pour ma part qu’il est recevable, car la loi organique n’interdit en rien de fixer un plafond.
M. Charles de Courson, rapporteur général. J’essaie de faire mon travail de rapporteur général, et je vous avertis d’un problème : l’article 2 ne me paraît pas conforme à la loi organique. Dès lors que nous débattons d’une loi de finances, comme c’est le cas, nous devons fixer un plafond, sans quoi nous courrons un risque d’annulation pour incompétence négative – autrement dit, nous n’aurons pas appliqué correctement la loi organique. Le vote de mon amendement éviterait cet écueil. C’est une précaution juridique.
La commission rejette l'amendement.
Elle adopte l’article 2 non modifié.
Amendements CF33 et CF34 de M. Charles de Courson
M. Charles de Courson, rapporteur général. L’article 3 pose deux problèmes. Pour rappel, ses dispositions figuraient dans le PLFSS pour 2025 qui a été rejeté.
Premièrement, a-t-on le droit d’inscrire des autorisations d’emprunt pour des organismes de sécurité sociale dans une loi de finances ? Le Conseil d’État ne répond pas par la négative – non sans hésitation –, estimant que cela peut être nécessaire pour assurer le versement régulier des prestations qui relèvent des caisses de protection sociale. Rappelons également que selon les dispositions organiques relative aux lois de financement de la sécurité sociale, ces lois doivent obligatoirement prévoir des autorisations et mentionner des plafonds. Or le texte que nous examinons n’est pas un projet de loi spéciale de financement de la sécurité sociale, puisque la loi organique ne prévoit malheureusement pas un tel dispositif.
Deuxièmement, le gouvernement ne propose pas un plafond pour chacune des quatre caisses – la caisse essentielle étant l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss). Dans le PLFSS, le gouvernement avait porté de 45 à 65 milliards d’euros le plafond d’emprunt de l’Acoss, car celle-ci accorde des prêts aux caisses déficitaires, dont la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Or d’après les informations qui nous ont été communiquées, l’Acoss sera en rupture de paiement dès avril ou mai si nous maintenons le montant de 2024, de 45 milliards d’euros.
Il me semble que nous pouvons inscrire des autorisations d’emprunt dans ce projet de loi spéciale, quitte à prendre un risque d’inconstitutionnalité. Je propose que nous nous calions sur le PLFSS – mais lequel ? Celui qui a été voté en 2024 ou celui qui a été repoussé en 2025 ? Je vous présente les deux solutions. Retenir les plafonds d’un texte repoussé est discutable du point de vue démocratique. Retenir ceux de 2024 nous permettra de tenir seulement trois ou quatre mois. Nous pouvons espérer que dans ce délai, une loi de financement de la sécurité sociale aura été votée. Je plaide donc plutôt pour cette solution pour les quatre caisses – c’est-à-dire l’amendement CF34.
M. le président Éric Coquerel. En théorie, l’autorisation d’emprunt de l’Acoss n’a pas sa place dans une loi spéciale. Vous êtes prêt à prendre le risque de plafonner l’emprunt ; je le suis d’ailleurs aussi, pour assurer la continuité. Mais quand il s’agit d’indexer le barème de l’impôt sur l’inflation, le risque vous paraît insurmontable ! Permettez-moi de noter que cette appréciation des risques est assez subjective.
M. Matthias Renault (RN). Les dispositions de l’article 3 ne sont prévues ni par la Constitution, ni par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale. Le Conseil d’État juge toutefois qu’elles sont indispensables pour assurer la continuité des services publics. Dans les deux cas dont nous avons discuté, le barème de l’IR et l’Acoss, nous pouvons donc interpréter la Constitution avec un certain pragmatisme.
Nous sommes favorables à l’inscription de plafonds, mais il reste à savoir si et quand une loi de financement de la sécurité sociale sera adoptée. Pour éviter la déroute des caisses et dans l’attente d’un nouveau PLFSS, nous voterons pour la fixation des plafonds au niveau de 2024.
M. le président Éric Coquerel. Le PLFSS et le PLF ne sont pas de même nature, car le PLFSS fixe des objectifs. En l’occurrence, la seule information vraiment nécessaire est le plafond de l’emprunt.
M. David Amiel (EPR). Si nous acceptons de prendre un risque pour l’article 3 mais pas pour l’indexation du barème de l’impôt sur l’inflation, c’est tout simplement parce que nous suivons l’avis du Conseil d’État. Il est on ne peut plus clair : « Le Conseil d’État constate, au vu des informations transmises par le Gouvernement, que, eu égard à leur équilibre financier actuel et en l’absence d’autorisation de recourir à des ressources non permanentes, les organismes concernés ne seraient plus en mesure d’assurer la continuité des paiements et remboursements des prestations sociales. Il considère que leur interruption serait de nature à porter atteinte aux principes constitutionnels de protection de la santé et d’accès à des moyens convenables d’existence ». C’est pour cette raison que l’on peut mentionner la capacité d’endettement de l’Acoss dans la loi spéciale, même si les textes ne l’exigent pas.
Par ailleurs, nous voterons contre l’amendement du rapporteur général pour la même raison que nous avons rejeté l’inscription d’un plafond pour les dépenses de l’État. Nous considérons que la capacité d’endettement est garantie par la version initiale de l’article 3 du projet de loi spéciale, et qu’y introduire un élément chiffré – le seul du texte – risquerait de fragiliser la loi et son exécution.
M. le président Éric Coquerel. Je me réjouis d’entendre que vous vous fondez sur l’avis du Conseil d’État, qui ne vaut toutefois pas décision de justice.
La commission rejette successivement les amendements.
Elle adopte l’article 3 non modifié.
Elle adopte l’ensemble du projet de loi spéciale modifié.
([1]) C’est-à-dire, en vertu du l’article 1 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), la loi de finances de l’année, les lois de finances rectificatives, la loi de finances de fin de gestion, la loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année et les lois spéciales autorisant à continuer à percevoir les impôts existants prévues à l’article 45 de la LOLF.
([2]) Ce projet de loi spéciale est également prévu par le quatrième alinéa de l’article 45 de la LOLF lorsque la promulgation du projet de loi de finances de l’année n’a pu intervenir en raison d’une censure du texte par le Conseil constitutionnel.
([3]) Avis du Conseil d’État n° 409081 relatif à l’interprétation de l’article 45 de la LOLF, pris pour l’application du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution, 9 décembre 2024.
([4]) Décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979, considérant 4.
([5]) Le constituant de 1958 a mis fin à la pratique du « douzième provisoire », créée sous la Troisième République afin de répondre à l’absence d’adoption du budget au 31 décembre, qui correspondait au vote par le Parlement d’une autorisation de dépenses égales au douzième des dépenses de l’année précédente, permettant à l’État de fonctionner pendant un mois dans l’attente que le Parlement se prononce définitivement sur le budget avant la fin du mois janvier.
([6]) Article 32 de l’ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
([7]) Décision n° 74-53 DC du 30 décembre 1974, considérant 2.
([8]) Ces dotations incluent la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), la dotation politique de la ville (DPV), la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), la dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID), le fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires dit « fonds vert », et le fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT).
([9]) Décision n° 79-110 DC du 24 décembre 1979, Loi de finances pour 1980.
([10]) Journal officiel de la République française du vendredi 28 décembre 1979, p. 12545.
([11]) Loi n° 79-1159 du 30 décembre 1979 autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants.
([12]) Décret du 21 septembre 2024 relatif à la composition du Gouvernement.
([13]) Soit le premier mardi d’octobre de l’année précédant l’exécution du budget, c’est-à-dire le mardi 1er octobre 2024.
([14]) Décret du 5 décembre 2024 relatif à la cessation des fonctions du Gouvernement.
([15]) Le point de départ du délai de 70 jours prévu par la Constitution n’est pas, en pratique, le dépôt du projet de loi de finances, mais, d’après les rapports n° 4381 et 4382 de M. Laurent Saint-Martin, « l’envoi par le Gouvernement d’une lettre du secrétaire général du Gouvernement au président de l’Assemblée nationale qui, « en complément de dépôt », dresse la liste de toutes les annexes ayant un caractère obligatoire ». Les délais constitutionnels commencent à courir le lendemain de la date de l’envoi de cette lettre récapitulative. La lettre récapitulative des annexes au PLF pour 2025 ayant été envoyée le 12 octobre 2025, l’échéance du délai de 70 jours est fixée au 21 décembre 2024 à minuit.
([16]) Décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001, considérant 7.
([17]) Voir le e du 2° de l’article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale.
([18]) Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.
([19]) Décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom.
([20]) Décret n° 2021-883 du 30 juin 2021 relatif au prélèvement sur recettes au bénéfice de l’Union européenne.
([21]) Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
([22]) Le lecteur désireux de plus amples explications sur le budget et les ressources de l’Union européenne pourra se reporter au commentaire de l’article 40 du projet de loi de finances pour 2025 figurant aux pages 646 à 653 du volume I du tome II du rapport n° 468 (tome II, volume I, pp. 646-653), fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2025 par M. Charles de Courson, rapporteur général, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2024.
([23]) Lors de l’examen de cet article, le Sénat a adopté un amendement n° A-16 du Gouvernement – en seconde délibération – diminuant le montant initialement prévu de 222,8 millions d’euros soit 23,1 milliards d’euros. L’exposé sommaire de l’amendement indique : « Le niveau de crédits de paiement retenu dans le cadre de cette réévaluation reprend le montant résultant directement de l’accord trouvé entre le Conseil et le Parlement européen, le 16 novembre 2024, lors du comité de conciliation. Ce montant a été adopté formellement par le Conseil le 25 novembre et par le Parlement européen le 27 novembre 2024. »
([24]) Les transferts financiers élargis incluent l’ensemble des fractions de TVA transférées aux collectivités territoriales, conformément aux recommandations de la Cour des comptes. Les transferts financiers entendus au sens de l’article 52 de la LOLF excluent la plupart des fractions de TVA transférées.
([25]) Voir le commentaire de l’article 32 du projet de loi de finances pour 2025 figurant aux pages 541 à 553 du volume I du tome II du rapport n° 468 (tome II, volume I, pp. 646-653), fait au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2025 par M. Charles de Courson, rapporteur général, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2024.
([26]) Avis relatif à l’interprétation de l’article 45 de la LOLF, pris pour l’application du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution, délibéré le 9 décembre 2024.
([27]) Décision no 79-111 DC du 30 décembre 1979 sur la loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts existants.
([28]) Décisions nos 79-111 DC du 30 décembre 1979 sur la loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts existants et 2001-448 DC du 25 juillet 2001 sur la loi organique relative aux lois de finances.
([29]) Courrier en date du 11 décembre 2024 dont le rapporteur général a pu avoir connaissance.
([30]) Article L. 1615-1 et suivants du code général des collectivités territoriales.
([31]) Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances modifiée par la loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques.
([32]) Loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024.
([33]) Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
([34]) e) du 2° de l’article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale.
([35]) Article L. 225-1-4 du code de la sécurité sociale.
([36]) Article L. 139-3 du code de la sécurité sociale.
([37]) Premier alinéa de l’article 4 bis de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale.
([38]) La quatrième et dernière opération, consistant en la reprise de 1,6 milliard d’euros de déficits sociaux par la CADES, a été réalisée en septembre 2024 conformément à l’échéancier prévu par l’article 2 du décret n° 2024-176 du 6 mars 2024 relatif au transfert à la Caisse d’amortissement de la dette sociale des déficits du régime général en 2023 et au transfert à la Caisse d’amortissement de la dette sociale des déficits du régime général à effectuer en 2024.
([39]) Conseil constitutionnel, décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979, Loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants, cons. 4.
([40]) Le terme de « soudure » est emprunté à M. André Ségalat, rapporteur du Conseil constitutionnel sur la loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants. Au cours de la séance du 30 décembre 1979, dont le compte rendu est disponible en ligne, le rapporteur relève ainsi que la loi déférée « fait la soudure » entre la loi de finances de l’année 1979 et celle de l’année 1980, « qu’elle fait se joindre dans le temps ».
([41]) Loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996 instituant les lois de financement de la sécurité sociale.
([42]) La rédaction du I de l’article 13 du texte élaboré par la commission mixte paritaire (CMP) chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 (n° 638), déposé le 27 novembre 2024, est identique à celle du projet de loi initial.
([43]) Annexe 9 du PLFSS pour 2025, p. 66.
([44]) La notion de « durée moyenne annuelle pondérée » n’est pas définie dans le dispositif de l’article 13 du PLFSS pour 2025, mais renvoie selon l’annexe 9 du texte « à la durée, exprimée en jours, des emprunts souscrits par l’ACOSS en fonction de leur montant » (p. 66).
([45]) L’habilitation des régimes et organismes de sécurité sociale à recourir à l’emprunt n’a été modifiée en cours d’année par une loi de financement rectificative qu’à une seule reprise. Si l’article 9 de la loi n° 2011-894 du 28 juillet 2011 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2011 procède à une telle modification, l’article 8 de la loi n° 2014‑892 du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014 se contente d’indiquer que la liste des organismes habilités à recourir à l’emprunt et leur plafond d’emprunt « demeurent fixés conformément » à la loi de financement de la sécurité sociale de l’année. En l’absence de disposition contraire dans la loi n° 2023‑270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, les autorisations d’emprunt demeurent inchangées par rapport à l’habilitation initiale fixée par la loi de financement de la sécurité sociale de l’année.
([46]) Article L. 225-2 du code de la sécurité sociale.
([47]) Article 1er du décret n° 2007-173 du 7 février 2007 relatif à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales.
([48]) Voir en ce sens l’exemple le plus récent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux cavaliers budgétaires, soit sa décision n° 2023-862 DC du 28 décembre 2023 portant sur la loi de finances pour 2024 (cons. 103).
([49]) Aux termes du e) du 2° de l’article L.O. 111-3-4 du code de la sécurité sociale, la loi de financement de l’année, dans sa partie comprenant les dispositions relatives aux recettes et à l’équilibre général pour l’année à venir, « arrête la liste des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement habilités à recourir à des ressources non permanentes, ainsi que les limites dans lesquelles leurs besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources ».
([50]) Aux termes de l’article L.O. 111-3-9 du code de la sécurité sociale, « Seule une loi de financement rectificative ou les dispositions rectificatives de la loi de financement de l’année suivante peuvent modifier en cours d’année les dispositions de la loi de financement de l’année prévues au paragraphe 1 de la sous‑section 1 de la présente section », lequel comprend l’article L.O. 111-3-4 du même code.
([51]) Rapport n° 2246 fait par M. Jean-Luc Warsmann au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi organique, adopté par le Sénat (n° 2216), relatif aux lois de financement de la sécurité sociale, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 avril 2005 (XIIème législature), p. 63.
([52]) Voir en ce sens le rapport d’information n° 5107 de M. Éric Woerth sur la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l’Assemblée nationale, présenté le 23 février 2022 (Assemblée nationale, XVème législature, p. 170), et le rapport d’information n° 100 de M. Claude Raynal sur la recevabilité financière des amendements et des propositions de loi au Sénat, présenté le 30 octobre 2024 (Sénat, session ordinaire 2024-2025, p. 216).
([53]) Secrétariat général du Gouvernement, note relative au PLF et PLFSS pour 2025, p. 18.
([54]) Ressortissent du domaine réservé des lois de financement l’affectation à un tiers de recettes établies au profit de la sécurité sociale (article L.O. 111-3-14 du code de la sécurité sociale), la répartition des ressources attribuées par l’État à la sécurité sociale (article L.O. 111-3-15 du même code) et les allègements de cotisations sociales non‑compensées ou d’une durée égale ou supérieure à trois ans (article L.O. 111-3-16 du même code).
([55]) Rapport n° 2490 fait par M. Pierre Mazeaud au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi constitutionnelle (n° 2455) instituant la loi d’équilibre de la sécurité sociale , enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 janvier 1996 (Xème législature).
([56]) Rapport n° 188 fait par M. Patrice Gélard au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, instituant les lois de financement de la sécurité sociale et sur la proposition de loi constitutionnelle de M. Jacques Oudin, tendant à renforcer le contrôle du Parlement sur les comptes des régimes obligatoires de sécurité sociale, ainsi que sur les concours de l’État à leur financement, présenté le 31 janvier 1996 (session 1995‑1996), p. 50.
([57]) Article 44 de l’ordonnance n°59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
([58]) Conseil constitutionnel, décision n° 79-111 DC du 30 décembre 1979, Loi autorisant le Gouvernement à continuer à percevoir en 1980 les impôts et taxes existants, cons. 2.
([59]) Conseil constitutionnel, décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, cons. 8 et 11.
([60]) Conseil d’État, avis n° 409081 du 9 décembre 2024 relatif à l’interprétation de l’article 45 de la LOLF, pris pour l’application du quatrième alinéa de l’article 47 de la Constitution, point 13.