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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 janvier 2025
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI,
visant à exclure les heures supplémentaires du calcul du revenu fiscal de référence (n° 753),
PAR M. Corentin LE FUR,
Député
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Voir les numéros :
Assemblée nationale : 1ère lecture : 753, 863.
SOMMAIRE
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Pages
A. LES HEURES SUPPLÉMENTAIRES PERMETTENT UN RENFORCEMENT DU POUVOIR D’ACHAT DE NOMBREUX FRANÇAIS
2. Les heures supplémentaires font l’objet d’un encadrement spécifique
a. Des prestations accordées par l’État
b. Des prestations accordées par les collectivités locales
2. Des exonérations en matière fiscale
Travailler plus, pour gagner plus et donc vivre mieux. Telle est la promesse des heures supplémentaires. Or aujourd’hui hélas, travailler plus revient à payer plus ou à perdre le bénéfice de très nombreux dispositifs ou aides. Parce que son niveau conditionne l’accès à de multiples aides et à certaines exonérations fiscales et sociales, le revenu fiscal de référence (RFR), en incluant les revenus tirés des heures supplémentaires, peut, en effet, aboutir à priver des salariés qui réalisent des heures supplémentaires du bénéfice de telles aides ou exonérations. Ceci n’est pas acceptable.
Ceci est d’autant moins acceptable que faire des d’heures supplémentaires représente toujours un effort, voire, parfois, un sacrifice pour les salariés. Ces heures de travail s’effectuent en effet au détriment de leur vie personnelle, du temps passé en famille et, dans certains cas, de leur santé. Elles doivent donc être justement valorisées. À cet égard, si leur défiscalisation apparaît ainsi nécessaire, elle n’est aujourd’hui plus suffisante, surtout pour des salariés modestes qui ne sont pas imposables.
Pour les salariés aux revenus modestes, pour lesquels les compléments issus des heures supplémentaires constituent une part non négligeable de leur rémunération, ces heures supplémentaires représentent une différence concrète. Aussi, ces heures ne doivent-elles constituer un moyen d’améliorer le quotidien des Français qui les réalisent et ne pas induire des effets pervers qui en annulent le bénéfice. Or, leur inclusion actuelle dans le calcul du revenu fiscal de référence revient à réduire l’impact positif qu’elles peuvent avoir pour des millions de citoyens qui travaillent dur.
Les aides pour lesquelles l’éligibilité des foyers repose sur le niveau du revenu fiscal de référence sont en effet nombreuses et concernent des pans variés de la vie des ménages français :
– C’est le cas en matière de logement puisque l’accès au logement social est conditionné au montant du revenu fiscal de référence des foyers ;
– Le soutien apporté par le dispositif de rénovation énergétique MaPrimeRénov dépend, lui aussi, du niveau du revenu fiscal de référence ;
– C’est également le cas en matière de justice puisque l’éligibilité à l’aide juridictionnelle, qui consiste en une prise en charge totale ou partielle des frais de justice d’un individu lors d’un procès, est conditionnée aux ressources financières de cet individu, évaluées sur la base du revenu fiscal de référence ;
– C’est encore le cas dans le domaine des transports, différentes aides à l’acquisition de véhicules propres reposant sur le revenu fiscal de référence ;
– En matière d’éducation, le montant des bourses de collège et lycée dépend aussi du revenu fiscal de référence, de même que le coût de la cantine scolaire.
Mis bout à bout, les bénéfices de ces divers dispositifs de soutien financier peuvent représenter, chaque année, des centaines voire des milliers d’euros pour certains ménages.
Outre l’accès à différentes prestations, le revenu fiscal de référence a aussi des conséquences en matière fiscale puisque son niveau peut ouvrir droit à certaines exonérations. En matière de fiscalité locale directe par exemple, sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) les titulaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), au titre de leur habitation principale, lorsque le montant de leur revenu fiscal de référence n’excède pas une certaine limite.
Exclure les heures supplémentaires du calcul du revenu fiscal de référence représente ainsi bien un enjeu de pouvoir d’achat pour les Français. Cette exclusion constituerait également un signal fort pour revaloriser le travail et redonner du pouvoir d’achat à ceux qui travaillent.
Les heures supplémentaires, loin d'être un complément accessoire, sont souvent une nécessité pour de nombreux salariés aux revenus modestes. Il n’est pas acceptable de continuer à pénaliser ceux qui cherchent à améliorer leur situation en travaillant plus. Au contraire, il est crucial de reconnaître leur effort et de les soutenir dans leur démarche. C’est le sens de cette proposition de loi.
I. LES HEURES SUPPLÉMENTAIRES PERMETTENT À DES TRAVAILLEURS AUX REVENUS MODESTES D’AMÉLIORER LEUR POUVOIR D’ACHAT MAIS BÉNÉFICIENT AUJOURD’HUI D’UN TRAITEMENT FISCAL INSUFFISAMMENT AVANTAGEUX
A. LES HEURES SUPPLÉMENTAIRES PERMETTENT UN RENFORCEMENT DU POUVOIR D’ACHAT DE NOMBREUX FRANÇAIS
1. Un recours croissant aux heures supplémentaires qui permet d’améliorer le pouvoir d’achat des Français aux faibles revenus
Une heure supplémentaire désigne toute heure de travail accomplie, à la demande de l’employeur, au-delà de la durée légale, c’est-à-dire 35 heures par semaine ou 1 607 heures par an ([1]). Les heures supplémentaires ne doivent pas être confondues avec les heures complémentaires qui désignent, dans le cadre d’un contrat à temps partiel, les heures de travail réalisées au-delà de la durée de travail prévue au contrat. Les heures supplémentaires sont réalisées par le salarié à la demande de l’employeur à la suite d’une notification écrite ou orale. Le salarié est dans l’obligation d’effectuer les heures supplémentaires demandées par son employeur, sauf en cas d’abus de droit, par exemple dans le cas où l’employeur n’en a pas informé le salarié suffisamment tôt.
Si elles existaient déjà auparavant, le recours aux heures supplémentaires est étroitement lié aux lois dites « Aubry » et à l’introduction de la durée légale du temps de travail de 35 heures par semaine à temps complet ([2]). À main-d’œuvre égale, cette réforme a en effet conduit à diminuer le temps de travail global au sein d’une entreprise. Pour les petites entreprises qui n’avaient pas les moyens de recruter des salariés supplémentaires afin de compenser la moindre activité induite par la réduction du temps de travail, les heures supplémentaires sont logiquement apparues comme un moyen de maintenir la production. Le nombre d’heures supplémentaires maximal autorisé a ainsi été porté de 130 à 180 en 2002 ([3]), avant d’être réévalué à plusieurs reprises.
Si le recours accru aux heures supplémentaires avait donc initialement vocation à accompagner la généralisation de la semaine de trente-cinq heures, il n’a cessé de prendre de l’ampleur, preuve que ce dispositif répond à une vraie demande sociale des Français, qui leur permet d’accroître leur pouvoir d’achat en travaillant plus.
Ainsi, alors qu’en 2019, 35 % des salariés à temps complet avaient réalisé au moins une heure supplémentaire ([4]), cette proportion s’élevait à 38 % en 2023. Les salariés réalisant des heures supplémentaires ne sont pas seulement plus nombreux, ils en réalisent également un nombre plus important. Ainsi, les salariés à temps complet effectuent en moyenne 68 heures supplémentaires aujourd’hui contre 53 heures en 2014. Cette progression démontre le succès des heures supplémentaires auprès des travailleurs qui sont très souvent volontaires et demandeurs de telles heures.
Plus précisément, parmi les salariés qui effectuent des heures supplémentaires, le nombre moyen d’heures constaté en 2023 est de 181 heures, soit une quinzaine d’heures par mois. Cette moyenne masque toutefois des disparités entre les différentes catégories de travailleurs. Les ouvriers sont en effet ceux qui réalisent le plus grand nombre d’heures supplémentaires, suivi des employés, avec respectivement 192 et 174 heures annuelles. Le recours aux heures supplémentaires varie aussi selon les secteurs d’activité et la taille des entreprises. C’est ainsi parmi les petites et moyennes entreprises (PME) que la part des salariés qui font des heures supplémentaires est la plus grande. En ce qui concerne les secteurs, on recense un plus grand nombre de travailleurs effectuant des heures supplémentaires dans ceux de l’hébergement et la restauration (54 %), de la construction (53 %) et des transports (48 %). Cette proposition de loi bénéficierait ainsi avant tout aux travailleurs aux revenus modestes ou moyens, qui connaissent des conditions de travail difficiles au sein de petites entreprises.
En matière de rémunération, la rémunération brute annuelle moyenne des heures supplémentaires par salarié et par an, pour les salariés concernés, s’élève à 3 303 euros. Par ailleurs, la part prise dans la rémunération brute globale varie selon la catégorie socioprofessionnelle. Comme le montre le graphique ci-dessous, la catégorie des ouvriers constitue celle pour laquelle la proportion que représentent les heures supplémentaires dans la rémunération brute globale est la plus grande. Plus globalement, alors que la part des heures supplémentaires dans la rémunération brute totale dans l’ensemble de la population active est de 1,8 %, cette part est supérieure pour les sept premiers déciles ([5]). C’est donc avant tout aux travailleurs aux revenus modestes que cette proposition de loi est destinée.
Source : DARES, 2025.
2. Les heures supplémentaires font l’objet d’un encadrement spécifique
Si le rapporteur souhaite valoriser le pouvoir d’achat des travailleurs en excluant les heures supplémentaires du calcul du revenu fiscal de référence, il a toutefois conscience que celles-ci peuvent parfois demander un réel effort pour les salariés et souhaite donc rappeler que des précautions existent pour éviter les abus, et notamment pour limiter le nombre d’heures supplémentaires réalisées par chaque salarié.
De fait, parce qu’elles constituent une dérogation à la durée légale du travail, les heures supplémentaires font l’objet d’un encadrement spécifique prévu par les articles L. 212-5 à L. 212-10 du code de travail notamment.
Les heures supplémentaires sont calculées à l’échelle de la semaine et le salarié qui en effectue ne doit pas dépasser la durée maximale hebdomadaire de travail. Soit l’équivalent de :
10 heures par jour ;
48 heures par semaine (sauf dans ces circonstances exceptionnelles où ce plafond peut être porté à 60 heures) ;
44 heures par semaine en moyenne sur une période de douze semaines consécutives.
Au-delà de la durée maximale hebdomadaire légale, il existe un « contingent annuel d’heures supplémentaires ». Ce contingent annuel est fixé par la convention collective ou l’accord collectif de l’entreprise. À défaut de convention ou d’accord, ce contingent annuel est fixé à 220 heures par salarié et par an. En cas de dépassement, les obligations à la charge de l'employeur sont alors accrues puisque l’employeur doit notamment consulter les représentants du personnel avant de demander aux salariés d'effectuer des heures en plus.
Toujours parce qu’elles constituent une dérogation à la durée légale du travail, les heures supplémentaires bénéficient de contreparties. L’article L. 3 121 du code du travail prévoit ainsi que : « Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent. »
Les heures supplémentaires effectuées donnent ainsi droit au salarié à une rémunération plus favorable (taux horaire majoré). Il existe plusieurs taux de majoration des heures supplémentaires, fixés par convention ou accord collectif d'entreprise (ou par convention ou accord de branche). Le taux minimal est fixé à 10 %. En l’absence d'accord ou de convention, les taux de majoration horaire sont fixés à :
25 % pour les huit premières heures supplémentaires travaillées dans la même semaine soit, pour une durée légale du travail de 35 heures, de la trente-sixième à la quarante-troisième heure ;
50 % pour les heures suivantes.
La rémunération des heures supplémentaires peut être remplacée, en tout ou partie, par un repos compensateur équivalent et définie par convention ou accord. La durée de ce repos est alors équivalente à la rémunération majorée. Par exemple, une heure supplémentaire payée à un taux majoré de 50 % donne lieu à un repos compensateur équivalent, soit une heure et demie.
Enfin, en plus des majorations salariales et du repos compensateur, toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel donne lieu à une contrepartie obligatoire en termes de repos. Les modalités d’application de cette contrepartie sont définies par accord collectif. À défaut d’accord collectif, la contrepartie obligatoire en repos est fixée à 50 % des heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel pour les entreprises de 20 salariés au plus et à 100 % de ces mêmes heures pour les entreprises de plus de 20 salariés.
B. Les heures supplÉmentaires bÉnÉficient aujourd’hui d’un traitement préférentiel en matière fiscale
Les revenus issus des heures supplémentaires ont été pour la première fois défiscalisés en 2007. Cette mesure se voulait l’incarnation de la promesse phare du président Nicolas Sarkozy, « Travailler plus pour gagner plus », qui s’est matérialisée dans la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA ([6]). Celle-ci exonère d’impôt sur le revenu ceux issus des heures supplémentaires et allège les cotisations sociales salariales qui pèsent sur eux. En outre, la loi TEPA prévoit une déduction forfaitaire de cotisations patronales d’un montant de 0,50 euro par heure supplémentaire dans les entreprises de plus de 20 salariés, et de 1,50 euro dans les entreprises de moins de 20 salariés. L’enjeu de cette la défiscalisation était double. Il s’agissait d’augmenter le nombre d’heures travaillées afin de relancer la croissance économique par une hausse de l’activité et d’augmenter le pouvoir d’achat des Français.
Le dispositif a depuis été modifié à plusieurs reprises. En 2012, la majorité socialiste nouvellement élue a abrogé l’exonération fiscale des heures supplémentaires pour l’impôt sur le revenu des personnes physiques et la réduction des cotisations sociales salariales sur les heures supplémentaires ([7]). Elle a par ailleurs supprimé la déduction forfaitaire de cotisations patronales pour les entreprises de 20 salariés et plus. La défiscalisation des heures supplémentaires était perçue comme négative pour l’emploi car elle incitait les entreprises à privilégier le recours aux heures supplémentaires plutôt que la création de nouveaux emplois, contribuant ainsi à l'augmentation du chômage.
La fiscalité des heures supplémentaires a été à nouveau modifiée en réponse au mouvement des « Gilets Jaunes » de 2018 et aux revendications exprimées dans le cadre de ce mouvement en matière de pouvoir d’achat. La loi du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales ([8]) a réinstauré la défiscalisation des heures supplémentaires d’impôt au titre de l’impôt sur le revenu à partir de 2019, dans une limite de 5 000 euros par an dans un premier temps.
Les règles actuelles en matière de fiscalité des heures supplémentaires s’appliquent depuis 2022. Le plafond de l’exonération d’impôt sur le revenu a alors été rehaussé à 7 500 euros par an ([9]). Le souci est que cette exonération d’impôt sur le revenu, bien que bienvenue, ne bénéficie pas à tous. Certains travailleurs ne sont en effet pas assujettis à l’impôt sur le revenu. Même pour ceux qui y sont soumis, elle n’empêche pas que la hausse du revenu fiscal de référence induite par la rémunération d’heures supplémentaires conduise à perdre l’accès à certaines prestations ou voir leur montant diminuer. C’est ce qu’entend corriger cette proposition de loi.
II. LA PRÉSENTE PROPOSITION DE LOI TEND À RÉCOMPENSER ENCORE DAVANTAGE LES HEURES SUPPLÉMENTAIRES EN EXCLUANT LES REVENUS QUI EN SONT ISSUS DU CALCUL DU REVENU FISCAL DE RÉFÉRENCE DONT LE MONTANT CONDITIONNE L’ACCÈS À PLUSIEURS AIDES OU EXONÉRATIONS
A. lE REVENU FISCAL DE RÉFÉRENCE COMPREND AUJOURD’HUI LES REVENUS GÉNÉRÉS GRÂCE À LA RÉALISATION D’HEURES SUPPLÉMENTAIRES
Le revenu fiscal de référence, défini au 1° du IV de l’article 1417 du code général des impôts (CGI), a vocation à représenter le plus fidèlement possible, parmi l’ensemble des catégories de revenus calculés par l’administration fiscale, la capacité contributive du foyer fiscal. Il permet d'appréhender les ressources effectivement perçues par un foyer fiscal au cours d'une année d'imposition. Il se distingue ainsi du revenu net imposable.
À ce titre, il s’entend du montant net, après application éventuelle des règles de quotient définies à l’article 163-0 A du CGI, des revenus et plus-values retenus pour l’établissement de l’impôt sur le revenu au titre de l’année précédente, majoré, le cas échéant, de certaines charges déductibles du revenu global constituant des dépenses d’ordre personnel, de certains revenus et profits exonérés d’impôt sur le revenu ou faisant l’objet d’un report ou d’un sursis d’imposition, de certains abattements appliqués pour la détermination du revenu catégoriel et des revenus et profits soumis aux prélèvements ou versements libératoires.
De façon très concrète, pour obtenir le revenu fiscal de référence, il faut notamment ajouter au revenu net imposable certains revenus soumis à un prélèvement libératoire (par exemple, revenus des capitaux mobiliers), certains abattements déductibles (par exemple, abattement de 40 % sur les dividendes), certaines charges déductibles du revenu (par exemple, cotisations et primes d’épargne-retraite déduites du revenu global), certains revenus exonérés d'impôt ou encore les plus-values immobilières taxables.
Les revenus exonérés, les abattements ainsi que les charges déductibles du revenu global ne sont réintégrés dans la composition du revenu fiscal de référence que s’ils sont expressément mentionnés au 1° du IV de l’article 1417 du CGI.
C’est notamment le cas des heures supplémentaires. En effet, sont mentionnés explicitement au c) du 1° du IV de l’article 1417 du CGI les montants des revenus visés à l’article 81 quater du CGI qui fait référence aux rémunérations, majorations et éléments de rémunérations mentionnés aux I et III de l'article L. 241‑17 du code de la sécurité sociale, autrement dit, notamment, les heures supplémentaires.
Le problème est que le montant du revenu fiscal de référence conditionne non seulement l’accès à de nombreuses prestations mais également à des exonérations, taux réduits de taxes, prélèvements, contributions ou impôts.
B. Cette proposition de loi doit permettre aux travailleurs qui réalisent des heures supplémentaires de ne pas se retrouver lésés en matière d’accès à des aides ou exénorations
1. De multiples prestations, en nature ou en espèce, dépendent du niveau de ressources des ménages estimé sur la base du revenu fiscal de référence
Le revenu fiscal de référence est utilisé pour déterminer l’éligibilité à de nombreuses aides accordées par l’État et par les collectivités locales, de même que pour le calcul du montant de ces aides lorsqu’elles prennent la forme d’un soutien financier.
Ces prestations concernent des pans variés de la vie des Français puisqu’elles ont par exemple trait aux transports, à l’éducation ou encore à l’alimentation.
a. Des prestations accordées par l’État
Sans prétendre à l’exhaustivité, les exemples ci-dessous soulignent à quel point les prestations accordées par l’État, dont l’éligibilité dépend du revenu fiscal de référence, relèvent de multiples composantes de la vie d’un foyer et constituent pour certains ménages une source non négligeable de revenus ou d’économies.
Ainsi, pour les foyers fiscaux avec un ou plusieurs enfants, les bourses de collège et lycée doivent permettre aux familles, dont les ressources sont reconnues insuffisantes, d'assumer la scolarité de leur(s) enfant (s) ([10]). Les parents d’enfants au collège peuvent bénéficier de la bourse de collège dont le montant maximum peut atteindre 495 euros par enfant et par an. La bourse de lycée varie quant à elle entre 474 et 1 008 euros par enfant par an, ce qui représente une somme conséquente pour un foyer aux revenus modestes. Les répercussions peuvent être en cascade puisque l’échelon de la bourse de lycée détermine l’attribution de la prime à l’internat, destinée aux élèves boursiers hébergés en internat, qui peut atteindre jusqu’à 2 016 euros par enfant et par an.
Le revenu fiscal de référence influence aussi la rémunération de l’épargne des Français. La possibilité d’ouvrir un livret d’épargne populaire (LEP) dépend en effet du niveau de ressource d’un individu, évalué sur la base de son revenu fiscal de référence. Or ce livret offre un taux d’intérêt attractif, fixé par l’État de 3,5 %, soit le taux le plus élevé parmi les livrets d’épargne réglementée existants.
Taux des livrets d’épargne réglementée au 1er février 2025
Livret |
Taux |
Livret d’épargne populaire (LEP) |
3,5 % |
Livret de développement durable et solidaire (LDDS) |
2,4 % |
Livret A |
2,4 % |
Livret jeune |
> 2,4 % |
Les aides qui reposent sur le revenu fiscal de référence concernent aussi les transports, en facilitant notamment l’acquisition et la location de véhicules faiblement émetteurs. C’est l’objectif du « bonus écologique » dont le montant peut atteindre jusqu’à 4 000 euros. Ce bonus est accessible sans condition de revenu – à hauteur de 2 000 euros – mais son montant augmente à mesure que le revenu fiscal de référence diminue.
Dans le domaine de la rénovation énergétique, des aides dont le montant varie selon le niveau du revenu fiscal de référence existent également. C’est le cas du dispositif MaPrimeRénov’. Ce dispositif couvre l’ensemble des étapes d’une rénovation énergétique, du diagnostic de performance énergétique (DPE) à l’installation de chaudières et de pompes à chaleur en passant par l’isolation thermique des bâtiments. Certaines aides forfaitaires atteignent des montants significatifs, comme celles dédiées aux travaux de chauffage et de production d’eau chaude sanitaire, pouvant aller jusqu'à 18 000 euros pour les ménages les plus modestes. Outre le fait que ce dispositif permet de réaliser des travaux à moindres coûts, les ménages profitent ensuite des économies d’énergie du fait des travaux effectués. Le bénéfice à long terme est donc substantiel.
Le revenu fiscal de référence est par ailleurs utilisé pour déterminer l’éligibilité à l’aide juridictionnelle. Cette aide consiste, pour les ménages dont les ressources financières sont jugées insuffisantes, en la prise en charge, par l’État, d’une partie ou de la totalité des frais d’un procès, qu’il s’agisse des honoraires d’avocat ou des frais de justice. Selon le revenu fiscal de référence, les foyers peuvent bénéficier d’une prise en charge de 25 %, 55 % ou 100 % des coûts d’un procès, soit des centaines d’euros.
Aide juridictionnelle – Taux de prise en charge selon les ressources pour une personne seule
Revenu fiscal de référence |
Taux de prise en charge |
RFR 12 712 euros |
25 % |
12 713 euros RFR 15 203 euros |
55 % |
15 204 euros RFR 19 290 euros |
100 % ([11]) |
b. Des prestations accordées par les collectivités locales
L’éligibilité à certaines prestations accordées par les collectivités locales repose également sur le revenu fiscal de référence. À l’instar des aides délivrées par l’État, elles concernent des aspects très variés de la vie des ménages.
Ainsi, en matière d’alimentation, la tarification des repas des cantines scolaires est souvent définie par les collectivités locales en fonction du revenu fiscal de référence. C’est le cas par exemple à Strasbourg où le prix d’un repas peut aller de 1,40 euro pour les foyers les plus modestes à 6,90 euros pour les foyers les plus aisés. Le prix de la cantine à Bordeaux varie également en fonction du revenu fiscal de référence des familles, de 0,48 euro à 6,90 euros. Outre la cantine, la ville de Bordeaux module les tarifs de plusieurs activités à destination des enfants (voir ci-après) : forfait annuel du conservatoire, coût de la nuitée lors d’un séjour scolaire, coût de la journée au centre d’accueil et de loisir.
Simulation du coût de plusieurs services offerts aux familles
par la ville de bordeaux ([12])
En ce qui concerne le logement, qui est souvent le principal poste de dépense des citoyens, l’attribution d’un logement social (PLAI, PLUS, PLS et PLI) permet aux foyers les plus modestes de bénéficier de logements à des loyers plus abordables que ceux pratiqués sur le reste marché. Or, pour obtenir un logement social, le total des revenus annuels des personnes à loger ne doit pas dépasser un montant maximum, déterminé par le revenu fiscal de référence. Dans le domaine du logement toujours, il existe d’autres dispositifs assis sur le revenu fiscal de référence et proposés par les collectivités. La ville de Paris propose par exemple à ses habitants aux revenus modestes et moyens une assurance habitation à des prix plus avantageux que ceux du marché.
Enfin, dans le domaine des mobilités, qui concerne à nouveau directement la vie quotidienne des citoyens, les collectivités sont souvent pourvoyeuses d’aides. Les transports peuvent représenter un coût non négligeable, en particulier pour les individus qui souhaitent opter pour des moyens de se déplacer plus écoresponsables, dont l’accès est plus difficile. Afin de soutenir l’adoption de solutions de transport plus durables, des dispositifs tels que l’aide aux mobilités propres de la ville de Paris prévoient ainsi une prise en charge partielle des coûts d’acquisition d’un vélo et de l’équipement associé, pouvant atteindre 450 euros.
2. Des exonérations en matière fiscale
De façon plus limitée, le revenu fiscal de référence est utilisé pour déterminer si un ménage peut bénéficier d’exonérations ou de taux réduits sur certains impôts, taxes, prélèvements ou contributions. Ainsi, en matière de fiscalité locale directe, sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), à raison de leur habitation principale, les redevables âgés de plus de 75 ans au 1er janvier de l’année d’imposition, pour l’immeuble habité exclusivement par eux et les titulaires de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), pour leur habitation principale, lorsque le montant de leur revenu fiscal de référence de l’année précédente n’excède pas une certaine limite.
Lors de sa réunion du mercredi 29 janvier 2025, la commission examine la proposition de loi visant à exclure les heures supplémentaires du calcul de revenu fiscal de référence (n° 753) (M. Corentin Le Fur, rapporteur).
M. le président Éric Coquerel. Nous examinons ce matin la proposition de loi visant à exclure les heures supplémentaires du calcul du revenu fiscal de référence dont M. Corentin Le Fur est le rapporteur et que le groupe Droite républicaine a inscrit comme quatrième texte à l’ordre du jour de la journée qui lui est réservée le jeudi 6 février.
M. Corentin Le Fur, rapporteur. C’est un grand honneur pour moi de défendre cette proposition de loi. Elle me tient à cœur. Je l’ai mûrie au contact des habitants de ma circonscription, et c’est avant tout pour eux que je l’ai pensée : pour les ouvriers de l’agroalimentaire qui travaillent à l’usine ou en abattoir, pour les salariés agricoles, pour les aides-soignantes, pour les aides à domicile, pour les artisans du bâtiment, pour les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) et pour tous ceux qui, par leur travail, font avancer le pays.
J’ai la chance d’être élu dans une circonscription populaire, rurale, agricole et ouvrière, qui comprend de belles entreprises. C’est donc un territoire dans lequel il y a de l’emploi. Mais les métiers y sont difficiles et offrent des petits salaires. Dans ma circonscription, vivent des Bretons qui savent ce que travailler veut dire, qui savent ce que c'est de se lever aux aurores ou en pleine nuit parce qu’ils font les 2x8 ou les 3x8, qui connaissent le prix de l’effort et du mérite, et qui le payent parfois, hélas, au prix fort avec des troubles musculo-squelettiques. Cette France modeste et besogneuse constate que travailler ne rapporte pas assez, ou que travailler plus revient souvent à payer plus. Nos concitoyens ont le sentiment, à tort ou à raison, d’entretenir ceux qui ne travaillent pas voire, parfois, ne veulent pas travailler. Ils ont aussi le sentiment que, parce qu’ils travaillent, les aides sont toujours pour les autres et jamais pour eux.
Je suis très attaché à la solidarité. C’est l’honneur de la France. C’est ce que notre société offre de plus noble. Nous pouvons tous connaître des accidents de la vie, des coups durs, des périodes de chômage, et c’est précisément dans ces moments que la solidarité sert. Toutefois, je fais une grande différence entre la solidarité et l’assistanat. En l’occurrence, pour préserver la solidarité et sauver notre modèle social, nous devons combattre l’assistanat en faisant en sorte que les revenus du travail rapportent nettement plus que ceux de l’assistance. Cette proposition de loi de la Droite républicaine vise un double objectif : mieux rémunérer le travail et encourager les heures supplémentaires.
Dans ma circonscription de Loudéac-Lamballe, comme un peu partout en France, les entreprises peinent à recruter. Elles nous le disent tous les jours, qu’il s’agisse de postes à l’usine, dans la restauration, à l’hôpital ou en Ehpad. Souvent, le système tient grâce aux heures supplémentaires qui répondent au besoin des entreprises et augmentent le pouvoir d’achat des familles, pour financer les vacances d’été ou accumuler un petit pécule en vue de payer les études des enfants ou le permis de conduire.
Plus de la moitié des salariés les plus modestes effectuent des heures supplémentaires, et c’est parmi les ouvriers que la part des heures supplémentaires dans la rémunération totale est la plus importante. C’est dans les secteurs de la restauration, du bâtiment, et dans les usines que l’on compte le plus grand nombre de salariés effectuant des heures supplémentaires.
Ces heures supplémentaires ont été défiscalisées par le précédent gouvernement. C’était une bonne mesure, que je salue. À défaut, certaines personnes ayant effectué des heures supplémentaires auraient basculé dans l’impôt sur le revenu. Toutefois, cela ne suffit pas, car les travailleurs qui réalisent des heures supplémentaires se situent en majorité dans les premiers déciles de revenus. Ce sont donc des Français qui, souvent, ne sont pas imposables ou paient peu d’impôts. En outre, bien que défiscalisés, les revenus tirés de ces heures supplémentaires sont inclus dans le revenu fiscal de référence, lequel conditionne un très grand nombre d’aides et de prestations. Tarifs de la cantine, accès au logement social, aides à la rénovation thermique ou primes à la conversion vers un véhicule propre, éligibilité à une bourse scolaire ou à un livret d’épargne populaire : tout notre système d’aide sociale et de prestations repose sur le revenu fiscal de référence qui constitue, de fait, un impôt déguisé – un impôt d’autant plus injuste qu’il frappe en premier lieu les revenus modestes et ceux qui travaillent. Ainsi, nombre de familles qui ont le malheur d’accepter des heures supplémentaires constatent qu’elles y perdent financièrement, alors même qu’elles sont parfois effectuées au détriment de la vie personnelle.
Prenons l’exemple de, Jessica, mère célibataire qui élève seule sa fille. Ouvrière dans un abattoir, elle a perçu 22 500 euros l’an dernier, dont 3 303 euros pour des heures supplémentaires. Or celles-ci l’empêchent de percevoir une bourse pour sa fille au lycée, et la privent donc de 474 euros par an. Ces heures supplémentaires l’empêchent aussi de bénéficier de l’aide juridictionnelle, donc d’une prise en charge des frais de justice dont elle doit s’acquitter dans une procédure judiciaire contre son ex-mari. Elles l’empêchent également de prétendre aux aides financières de la commune dans laquelle elle réside, qui l’auraient incitée à privilégier des mobilités propres pour un montant pouvant aller jusqu’à 450 euros. Au total, elle perd autant, voire plus, que les 3 000 euros que lui ont rapportés les heures supplémentaires. C’est une injustice.
Autre exemple, un couple dont le mari est carreleur et dont la femme fait des ménages s’est rendu compte qu’il n’avait pas intérêt à accepter des heures supplémentaires, car pour gagner quelques centaines d’euros de plus, il ne serait plus éligible au logement social pour lequel il a fait la demande. Résultat des courses, ce ménage refusera de faire des heures supplémentaires ou sera tenté de travailler de façon dissimulée.
Ces exemples, comme de nombreux autres, illustrent l’intérêt de cette proposition de loi. Nous devons faire en sorte que ces personnes ne perdent pas d’une main ce qu’ils gagnent de l’autre. Agissons pour faire en sorte que travailler plus ne rime plus avec payer plus ou avoir le droit à moins. Nous devons collectivement voter cette proposition de loi pour exclure les heures supplémentaires du calcul du revenu fiscal de référence.
Je salue les amendements du groupe Ensemble pour la République, qui permettent d’encadrer cette proposition pour la rendre moins coûteuse. Je leur donnerai un avis favorable. J’espère que, par ce travail en commun, nous arriverons à voter cette proposition de loi.
M. le président Éric Coquerel. Cela ne vous étonnera pas, je serai opposé à cette proposition de loi. Je suis d’accord avec votre assertion selon laquelle le travail ne rapporte pas assez. En revanche, quand vous considérez que ceux qui travaillent paient ce que vous appelez « l’assistanat », je regarderais plutôt de l’autre côté de l’échelle, en l’occurrence ceux qui profitent du travail produit, c’est-à-dire d’une rente qui n’est pas assise sur leur travail mais sur les actions qu’ils possèdent. À cet égard, nos approches sont différentes. Oui, il est important que le travail rapporte plus et que ceux qui travaillent en profitent davantage, mais ce ne doit pas être grâce à la baisse de ce que vous appelez les revenus de l’assistance et que je considère comme des solidarités sociales.
Le problème vient du fait que le travail n’est pas assez payé, et non de la rémunération des heures supplémentaires parce qu’il faut travailler plus. Vous évoquez, à juste titre, les troubles dont souffrent les salariés à l’usine ou dans les secteurs de la restauration ou du bâtiment, mais vous proposez qu’ils travaillent encore plus. Moi, je souhaite qu’ils perçoivent des salaires plus élevés. Or, depuis 2017, la part des salaires dans le pouvoir d’achat diminue.
Je serai favorable à tout texte qui visera, d’une manière ou d’une autre, à augmenter les salaires, notamment pour les catégories de la population que vous avez évoquées. En revanche, je considère que faire en sorte qu’elles travaillent plus, donc qu’elles s’épuisent encore plus, n’est pas la solution.
En outre, cette proposition de loi reviendrait à créer des heures fantômes. Or, les cotisations sont du salaire différé. Elles sont la part socialisée des salaires. Ainsi, en les supprimant, vous retirez une part du salaire qui permet les mécanismes de solidarité. J’ajoute que ces heures fantômes bénéficieront d’abord aux cadres, lesquels effectuent le plus d’heures supplémentaires, donc à ceux qui sont un peu plus aisés – sans pour autant être privilégiés. Ainsi, la cible prioritaire que vous pointez n’est pas celle qui sera atteinte.
Enfin, faire en sorte que chacun travaille plus dans un contexte de remontée du chômage n’est pas non plus la solution or le dernier trimestre 2024 a été marqué par la plus forte augmentation de la décennie sur les catégories A, supérieure à 3 % – et les prévisions font état d’un taux de chômage prochain de 8,5 %. Proposer à ceux qui ont un emploi de travailler plus pour gagner plus ne permettra pas aux personnes privées d’emploi de revenir au travail.
En résumé, oui à des lois qui permettent d’augmenter les salaires, non à celles qui permettent de recourir davantage aux heures supplémentaires au détriment de la collectivité, y compris de ceux qui seraient contraints d’y avoir recours.
M. Corentin Le Fur, rapporteur. Les heures supplémentaires profitent davantage aux plus petits salaires et aux non-cadres. Les chiffres dont je dispose montrent que la moitié des ouvriers effectuent des heures supplémentaires, contre un tiers pour les cadres.
La mesure proposée cible la France modeste, ceux qui travaillent pour des petits salaires. C’est la raison pour laquelle je donnerai un avis favorable à l’amendement de Mathieu Lefèvre et du groupe Ensemble pour la République, qui vise à fixer un seuil de référence. Cela permettra d’éviter l’écueil que vous évoquez.
Dans ma circonscription, et il faut s’en réjouir, le taux de chômage est assez faible. En revanche, les métiers sont difficiles et les employeurs peinent à recruter. Il faut leur apporter une réponse globale, et je suis favorable, bien sûr, à tout ce qui peut contribuer à augmenter les salaires. Mais cela ne doit pas nuire à la compétitivité des entreprises qui, souvent, ne peuvent pas se permettre de verser des salaires plus élevés. De ce point de vue, les heures supplémentaires sont une bonne solution. Ainsi, avec un système plus favorable pour les heures supplémentaires, nous aiderons ceux qui acceptent de travailler un peu plus. C’est tout l’objet de cette proposition de loi.
M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Sophie-Laurence Roy (RN). Le revenu fiscal de référence est utilisé pour déterminer l’éligibilité à des aides ou avantages fiscaux, comme la prime d’activité, les tarifs sociaux ou certaines exonérations.
Les intérêts des livrets réglementés comme le livret A, le livret de développement durable et solidaire et le livret d’épargne populaire sont déjà exclus du revenu fiscal de référence. Les heures supplémentaires ne concernent que les salariés et les fonctionnaires aux 35 heures, c’est-à-dire les plus modestes. Quant à l’effet de seuil, il ne concerne pas les cadres. Dès lors, inclure le supplément de salaire dans le revenu fiscal de référence fait perdre aux salariés et fonctionnaires les plus modestes les avantages sociaux et les bourses, et entraîne l’augmentation des tarifs de certains services comme la crèche ou la cantine de leurs enfants – et ce n’est pas acceptable.
Cette proposition de loi est un levier pour le pouvoir d’achat. Nous savons que la baisse de consommation participe à la situation catastrophique des finances de l’État. Nous devons encourager et soutenir par tous les moyens ceux qui veulent travailler plus. Les heures supplémentaires ne sont pas seulement un outil pour les employeurs. Elles sont aussi une réponse immédiate et directe pour des millions de foyers. En protégeant les heures supplémentaires, nous renforçons le travail, nous augmentons la productivité des entreprises et nous encourageons une dynamique économique bénéfique pour tout le pays. Les recettes fiscales à long terme, générées par une société qui travaille plus et mieux, compenseront largement.
Ce texte porte aussi en lui une force politique. Il rassemble et dépasse les clivages idéologiques en se concentrant sur une priorité qui devrait être nationale : celle de récompenser l’effort.
Voter ce texte, c’est défendre et encourager les travailleurs. C’est leur dire que nous refusons qu’ils soient pénalisés de quelque façon que ce soit pour avoir choisi de travailler plus. Le Rassemblement national soutient chaque texte qui va dans le sens du pouvoir d’achat des Français, donc évidemment celui-là.
M. Mathieu Lefèvre (EPR). Nous saluons l’intention de M. Corentin Le Fur, qui souhaite revaloriser le travail. C’est ce à quoi nous nous attelons autour de Gabriel Attal, notamment dans le cadre de nos travaux en lien avec la « désmicardisation » : il n’est pas normal que pour permettre à un salarié de gagner 100 euros de plus, un employeur doive verser 400 euros de plus.
En revanche, nous nourrissons des inquiétudes quant au coût de cette proposition de loi, car nous savons à quel point nos finances publiques sont contraintes cette année. Aussi proposons-nous deux amendements pour en limiter l’impact, d’autant que les heures supplémentaires bénéficient déjà d’un régime social et fiscal favorable, que l’on doit à l’ancienne majorité ainsi qu’à la précédente s’agissant du relèvement de 5 000 euros à 7 500 euros du plafond de défiscalisation.
Il faut aussi mesurer les effets en cascade de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, y compris pour les collectivités territoriales. Certaines dispositions contraindraient les collectivités territoriales à dépenser plus. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Enfin, cette proposition de loi semble présenter aussi un risque juridique. D’abord, peu de revenus sont exclus du revenu fiscal de référence. Ensuite, à salaire identique, deux salariés risquent d’être imposés de façon différente suivant qu’ils aient ou non effectué des heures supplémentaires.
En résumé, nous saluons et partageons l’intention de renforcer cet outil que sont les heures supplémentaires, mais nous avons une interrogation à la fois financière et juridique.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Cette proposition de loi du groupe Droite républicaine est le symbole du sarkozysme, qui a fait la démonstration de son échec. Vous reconnaissez que travailler plus pour gagner plus ne suffit pas, mais vous vous entêtez. Vous continuez à promouvoir les heures supplémentaires plutôt que l’augmentation des salaires et le partage du temps de travail. Vous oubliez que faire des heures supplémentaires, c’est moins de temps pour voir ses enfants, moins de temps pour se reposer, moins de temps pour les loisirs.
Cette mesure crée une illusion d’équité, en favorisant les heures supplémentaires, mais elle aggrave en réalité les inégalités sociales. Les personnes les plus précaires, souvent en CDD ou à temps partiel et exclues des dispositifs permettant de faire des heures supplémentaires, comme les AESH, ne bénéficieront pas de votre proposition de loi.
En valorisant toujours plus les revenus issus du surtravail, on promeut une vision individualiste dans laquelle chacun serait responsable de sa propre réussite, et l’on discrédite l’idée même de solidarité collective.
Notre réponse est simple : partage des richesses, partage du temps de travail. Plutôt que de continuer à vouloir que les gens meurent au travail en s’usant à force de faire des heures supplémentaires, défendez avec nous l’augmentation du smic à 1 600 euros net mensuel, l’échelle mobile des salaires, l’indexation des prestations sociales sur l’inflation et l’application réelle des 35 heures hebdomadaires – ces fameuses 35 heures que vous décriez tant et qui ont pourtant permis, selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), la création d’au moins 300 000 emplois entre 2000 et 2002.
La réforme que vous proposez est un leurre. Vous prétendez lutter contre l’assistanat, mais vous augmentez le nombre d’ayants droit. Nous examinerons, d’ailleurs, une demande de rapport sur le coût de cette mesure. Vous prétendez défendre les plus précaires, mais vous faites progresser le nombre de chômeurs en favorisant les heures supplémentaires et vous accroissez le temps de travail de ceux qui travaillent déjà dur, notamment les ouvriers de l’agroalimentaire. Vous détruisez finalement des emplois. En fait, vous vous délectez du chômage de masse !
Pour toutes ces raisons, nous avons déposé un amendement de suppression de l’article 1er et nous voterons contre cette proposition en l’état.
Mme Sophie Pantel (SOC). Je ne vous le cache pas, ce texte nous pose un problème. Nous défendons de longue date la réduction du temps de travail, pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, pour une meilleure répartition du travail parmi les actifs et contre le chômage. Nous l’avons défendue en faisant adopter plusieurs dispositifs comme l’extension des congés payés, l’âge de la retraite ou les 35 heures.
Ce texte s’inscrit dans un mouvement clair engagé par Nicolas Sarkozy, celui de la désocialisation des heures supplémentaires. Vous le présentez comme un complément de revenu pertinent pour celles et ceux qui n’auraient pas de revenus suffisants. Pour notre part, nous pensons que le travail doit être payé à sa juste valeur et qu’une semaine normale de travail devrait permettre de vivre correctement, sans avoir besoin de faire des heures supplémentaires ou d’avoir recours à des aides.
Pourtant, la réalité s’impose : les salaires ne sont plus suffisants. Et le problème s’est particulièrement accentué depuis sept ans. Le pouvoir d’achat a stagné, voire baissé, pour 80 % des Français les moins riches, tandis que 1 % a gagné dix à vingt fois plus que les bas revenus. Les dépenses contraintes ont augmenté et près d’un Français sur sept est en situation de privation matérielle selon l’Insee.
Certes, ce texte permettra à un certain nombre de nos compatriotes de répondre au critère de seuil et d’avoir accès à des ressources supplémentaires et à des aides dont ils pourraient être exclus. Mais vous éludez un autre problème : rendre des personnes éligibles à certaines aides représente une dépense supplémentaire pour les collectivités territoriales chargées de leur versement. Or vous n’avez pas indiqué de quelle manière vous comptez financer cette mesure. Au-delà de l’habituel gage incantatoire, aucun mécanisme sérieux n’est prévu pour assurer la compensation aux collectivités.
Nous souhaitons connaître l’évaluation du nombre de Français concernés et celle du coût de cette mesure pour nos comptes publics. À ce stade, nous envisageons un vote d’abstention. Nous attendons les débats pour nous positionner.
M. Nicolas Ray (DR). Notre groupe soutiendra cette proposition de loi, qui s’inscrit dans la priorité de revalorisation du travail que nous défendons.
Je rappelle que notre famille politique a été à l’origine du dispositif des heures supplémentaires défiscalisées qui a permis à des millions de Français d’améliorer leur pouvoir d’achat, tout en améliorant la compétitivité des entreprises, des ouvriers, des employés et des travailleurs du bâtiment ou de l’hôtellerie-restauration. Aussi avions-nous regretté qu’à peine arrivé au pouvoir en 2012, François Hollande supprime ce dispositif de manière idéologique. Celui-ci avait heureusement été réintroduit en 2019, à notre demande, et nous avons augmenté son plafond à 7 500 euros l’an dernier. Pour autant, ce dispositif comprend un angle mort, que cette proposition de loi veut corriger.
En effet, les heures supplémentaires continuent d’être prises en compte dans le calcul du revenu fiscal de référence, dont nous savons qu’il conditionne l’accès à de nombreux dispositifs – bourse scolaire, logement social, tarif de cantine et de crèche. Cette situation est d’autant plus injuste pour les travailleurs les plus modestes, qui ne bénéficient pas de la défiscalisation des heures supplémentaires lorsqu’ils sont sous le seuil d’imposition mais subissent malgré tout leur intégration dans le calcul du revenu fiscal de référence.
Considérant que travailler plus ne doit pas aboutir à perdre des avantages et du pouvoir d’achat, nous voterons cette proposition de loi, bienvenue et de bon sens.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Ce texte de loi sur le revenu fiscal de référence porte en réalité sur bien autre chose, notamment les risques liés à son augmentation excessive. Ce sujet nous importe particulièrement, car il concerne des aides et des incitations financières à vocation sociale, qui devraient continuer à bénéficier à ceux qui franchissent « de bonne foi » le seuil du revenu fiscal de référence.
Il est logique que l’aide soit progressive et diminue avec l’augmentation des revenus. En revanche, il est moins acceptable que des seuils peu clairs et mal définis entraînent des conséquences drastiques. Bien que ce point ne soit pas mentionné dans votre proposition de loi, un lien avec le revenu fiscal de référence existe pour de nombreuses aides comme le chèque énergie ou MaPrimeRénov’ – des dispositifs qui nous tiennent à cœur et que nous continuerons de défendre jusqu’au bout du projet de loi de finances pour 2025, face aux coupes à répétition. L’harmonisation de ce paramètre du revenu fiscal de référence dans l’attribution des aides est essentielle.
Vous proposez de sortir les revenus tirés des heures supplémentaires déjà défiscalisées du calcul du revenu fiscal de référence. Cela nous laisse particulièrement sceptiques. Je me focaliserai sur l’angle budgétaire, puisque d’autres consacreront leur intervention à la démonstration de notre opposition politique à cette proposition.
En période de grandes interrogations pour la pérennité de nos finances publiques et sociales, cette proposition nous pousse à la prudence. Sans davantage de précision, nous n’avons pas l’intention d’aggraver le mécanisme très controversé des heures supplémentaires défiscalisées. Celles-ci permettent à trop d’employeurs de réduire leurs cotisations sociales – et l’on sait les idées auxquelles cela conduit concernant les retraites – mais aussi d’éviter d’aménager le temps de travail tout en incitant leurs salariés à travailler davantage, au détriment des finances des services publics. Ce dispositif représente un coût énorme pour l’État – 2,2 milliards d’euros en 2023 –, qui compense l’exonération des cotisations vieillesse.
Le groupe Écologiste et social ne pourra donc que s’opposer à votre proposition.
Enfin, cessez d’invoquer sans cesse le bon sens pour défendre des textes au sujet desquels tout nous distingue !
M. Emmanuel Mandon (Dem). Le présent texte vise à encourager et à valoriser le travail par une amélioration de la défiscalisation des heures supplémentaires, en excluant les revenus tirés de celles-ci du calcul du revenu fiscal de référence.
Nous comprenons le premier objectif de cette mesure, puisque le dispositif actuel ne permet pas de valoriser suffisamment l’effort. En effet, les heures supplémentaires sont certes défiscalisées, mais elles sont prises en compte dans le revenu fiscal de référence. Il y a ici une forme d’effet pervers qui nécessiterait sans doute un correctif. Pour quelques heures supplémentaires défiscalisées, les effets de seuil induits par les plafonds de ressources peuvent aboutir à ce que le ménage ne soit plus éligible à une aide ou voie le montant du loyer de son logement social alourdi par un surloyer. Toutefois, en l’état, nous émettons plusieurs réserves à l’égard du dispositif proposé. Nous espérons que nos débats permettront de les lever.
Dans la mesure où le revenu fiscal de référence est utilisé dans la détermination de multiples obligations fiscales et avantages sociaux sans ciblage, le coût du dispositif pourrait s’avérer très lourd pour nos finances publiques. Cela doit nous alerter compte tenu de la situation exceptionnelle et urgente que nous vivons.
Par ailleurs, il convient de rappeler que le revenu fiscal de référence a été conçu comme un indicateur financier permettant de mesurer le niveau de revenu réel à partir de la déclaration fiscale de revenus, afin d’attribuer avec équité divers avantages fiscaux et sociaux soumis à condition de ressources. La mesure proposée pourrait donc mettre à mal son objectivité.
Je doute que nous ayons, ce matin, le temps et les moyens de corriger ces difficultés.
Enfin, la défiscalisation des heures supplémentaires n’a été que partiellement rétablie à partir de 2019. Il conviendrait donc d’effectuer un travail d’expertise plus poussé. Si, selon l’OCDE, la mesure permet de baisser le coût du travail et d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés, elle nous paraît mal adaptée à une situation conjoncturelle dégradée. Elle pourrait donc faire l’objet d’un débat plus large.
M. Pierre Henriet (HOR). Le groupe Horizons & indépendants partage l’ambition de valorisation des Français qui s’engagent et travaillent davantage. Nous avons toujours défendu le mérite et l’effort, car ils sont au cœur de ce qui fait la force de notre pays. Lors de la discussion du PLF pour 2025, nous avons d’ailleurs proposé et soutenu des mesures ciblées, avec des effets immédiats, pour redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens. Ces mesures répondent à des besoins précis et urgents, tout en respectant l’impératif d’une gestion budgétaire responsable qui nous oblige.
Dans ce contexte, nous reconnaissons que l’intention de cette proposition de loi est louable. Néanmoins, en l’état, elle pourrait représenter un coût de plusieurs milliards d’euros pour les finances publiques. Or, à ce jour, aucune évaluation précise de ces effets économiques et sociaux n’a été effectuée. Ce texte soulève donc des interrogations majeures quant à son coût, son impact réel et ses effets de bord.
De plus, le revenu fiscal de référence, qui est au cœur de notre système fiscal et social, joue un rôle fondamental. Il garantit l’équité d’accès aux dispositifs sociaux et fiscaux, qu’il s’agisse du plafonnement des impôts locaux, des aides au logement, ou encore de la modulation des prestations.
Notre groupe reste résolument du côté de la France qui travaille. Nous avons la responsabilité de préserver nos équilibres budgétaires et de veiller à la cohérence de nos politiques publiques. Soutenir le mérite et l’effort, c’est aussi garantir un système fiscal et social solide, juste et durable. Aussi conditionnerons-nous notre vote à l’adoption d’amendements permettant d’encadrer la proposition et de réduire son impact sur nos finances publiques tout en soutenant nos concitoyens qui travaillent le plus.
M. Michel Castellani (LIOT). Cette proposition de loi nous paraît positive en ce qu’elle corrige une incohérence. Certes, depuis 2019, les exonérations d’impôt sur les heures supplémentaires jusqu’à 7 500 euros ont renforcé la valorisation du mérite et encouragé l’effort. Cependant, en maintenant ces heures dans le calcul du revenu fiscal de référence, on a créé un effet pervers, puisque les foyers sont privés d’un certain nombre de dispositifs essentiels comme MaPrimeRénov’, le livret d’épargne populaire ou les aides à la garde d’enfants. Il est anormal que des revenus complémentaires ponctuels issus du travail privent ceux qui ont fourni les efforts de dispositifs de soutien et d’accompagnement qui, eux, s’inscrivent dans une logique structurelle.
Notre groupe soutiendra cette proposition de loi, qui apparaît comme un complément nécessaire.
M. Nicolas Sansu (GDR). Tout le monde s’accorde à dire qu’avec les bas salaires et la smicardisation de la France, il y a de plus en plus de travailleurs pauvres. Cette proposition de loi vise à soutenir celles et ceux qui auraient la chance de pouvoir travailler trois ou quatre heures supplémentaires. Or ce n’est pas le cas des caissières à temps partiel. Le vrai sujet est là. En outre, nous sommes dans une société de la rente et de l’héritage, dans laquelle la rémunération du capital a augmenté au détriment de celle du travail. Un rééquilibrage est indispensable.
La France a fait le choix de socialiser un certain nombre de services, de risques et de revenus de remplacement – les retraites et la maladie avec la sécurité sociale –, mais aussi des services publics ou de biens et services dans nos collectivités. Il en découle le principe selon lequel chaque heure travaillée doit être fiscalisée et socialisée.
La proposition de seuil du revenu fiscal de référence va créer une distinction entre les salariés qui perçoivent un revenu avec leur travail et ceux qui l’obtiennent en ayant travaillé un peu plus. Comment remédier à ce problème ? La Droite républicaine est un peu schizophrène, puisqu’elle demande des réductions de dépenses publiques tout en proposant ici une augmentation sans création de nouvelles recettes ! La question est d’abord celle de l’augmentation des salaires, des pensions, des minima sociaux, du smic, du point d’indice des fonctionnaires, de l’échelle des salaires. Ensuite, il sera possible d’augmenter les plafonds des aides et des soutiens que vous mettez en exergue dans votre exposé des motifs.
Nous nous opposerons à cette proposition de loi, non pas parce que nous pensons que le travail est bien payé – il ne l’est pas dans notre pays –, mais parce que la question est celle de savoir si l’on décide de s’attaquer à celles et ceux qui profitent de revenus exorbitants, pour permettre aux salariés de s’en sortir avec leur travail.
M. Corentin Le Fur, rapporteur. Merci pour ces remarques intéressantes, qui montrent votre intérêt pour cette proposition de loi.
Madame Lepvraud, monsieur Sansu, madame Pantel, je comprends vos objections. Mais cette proposition de loi ne prétend pas répondre à toutes les questions relatives au travail en France. C’est un outil parmi d’autres qui permettrait de redonner du pouvoir d’achat à des personnes qui travaillent un peu plus. Évidemment, je souhaite moi aussi que les salaires soient plus élevés. Veillons cependant à ne pas pénaliser la compétitivité des entreprises. De nombreux patrons de petites, moyennes et très petites entreprises (PME et TPE) aimeraient payer un peu plus leurs salariés, mais ne le peuvent pas car le coût du travail est très élevé dans notre pays, ainsi que l’a rappelé M. Lefèvre.
Ce texte ne concerne donc que les heures supplémentaires. Je trouve en effet profondément injuste que quelqu’un qui accepte de travailler un peu plus se voie privé du bénéfice de cette rémunération. Je peux vous citer ainsi l’exemple d’un cuisinier, veuf avec un fils à charge, qui souhaitait changer de voiture. Son revenu fiscal de référence s’élevait à 17 200 euros et il avait gagné 1 020 euros en heures supplémentaires. Mais, du fait de cette augmentation de son revenu, il a perdu le bénéfice des aides à la conversion écologique et du bonus écologique – soit à peu près autant dans son cas. En d’autres termes, ce qu’il avait gagné d’une main, il le perdait de l’autre mais en ayant travaillé plus. Ce problème d’effet de seuil risque de décourager nos compatriotes à travailler et à effectuer des heures supplémentaires. Celles-ci sont pourtant nécessaires alors que de nombreux chefs d’entreprise ne parviennent pas à recruter.
Se pose également un problème de justice et d’éthique : comment accepter que quelqu’un qui accepte de travailler un peu plus, donc de faire un peu plus d’efforts, parfois au détriment de sa vie de famille et alors que cela engendre parfois de la pénibilité, perde d’une main ce qu’il a gagné de l’autre ? La mesure proposée relève donc pleinement de la revalorisation du travail et de la défense de ceux qui travaillent.
Bien sûr, cette mesure a un coût. Pour répondre à Mathieu Lefèvre et au groupe EPR, nous avons demandé à la chiffrer mais nous n’avons pas obtenu de chiffrage précis. Le coût serait compris entre 1 milliard et 1,5 milliard d’euros. J’entends que ce n’est pas négligeable. Mais la question est de savoir quelle priorité on accorde à la défense du travail et de ceux qui travaillent. Le sujet du pouvoir d’achat est central. Tout le monde le dit : le travail ne paie pas assez. Cette proposition de loi apporte une réponse. Vous dites tous vouloir défendre la France qui travaille : voilà une mesure précise et concrète pour le faire de manière explicite.
Le coût de la disposition implique de faire des économies ailleurs. Nous avons d’ailleurs travaillé ensemble à définir des mesures d’économie pour compenser ce montant de 1 milliard à 1,5 milliard, et je suis prêt à poursuivre ces réflexions.
Néanmoins, je mesure la difficulté que représente la dette, que Mme Arrighi a rappelée. Aussi, pour réduire ce coût de 1 milliard à 1,5 milliard d’euros, je suis également prêt à effectuer des aménagements, notamment celui prévu par l’amendement de Mathieu Lefèvre et du groupe EPR qui propose d’instaurer un seuil pour que cette mesure se concentre en priorité sur les plus petits salaires. C’est d’ailleurs avant tout pour ces travailleurs, qui ne sont souvent pas imposables, que ce texte a été déposé. J’ai entendu vos arguments, monsieur Lefèvre, et je donnerai un avis favorable à vos deux amendements. Cela répondra aussi à l’interrogation de M. Henriet. Nous sommes, nous aussi, préoccupés par l’état de nos finances publiques et nous n’ignorons rien des difficultés budgétaires que traverse notre pays. En l’occurrence, l’adoption de ces deux amendements permettrait de réduire le coût de la mesure et, je l’espère, du texte.
S’agissant de la question juridique que vous posez, monsieur Lefèvre, la direction de la législation fiscale, que nous avons interrogée a levé tout doute. Il n’existe pas de risque juridique d’inconstitutionnalité.
Je remercie M. Castellani et le groupe LIOT pour leur soutien qui me va droit au cœur. Je remercie aussi le groupe Droite républicaine pour son soutien, ainsi que le groupe RN. J’espère que nous parviendrons à faire adopter très largement cette proposition de loi. Je le répète, elle témoigne de notre volonté collective d’un peu mieux récompenser le travail, sans nous exonérer néanmoins d’une réflexion sur d’autres sujets.
(article 1417 du code général des impôts)
Exclusion des revenus issus des heures supplémentaire du calcul du revenu fiscal de référence
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article 1er de la proposition de loi modifie le calcul du revenu fiscal de référence défini à l’article 1417 du code général des impôts.
Il exclut de ce calcul les revenus tirés de la réalisation des heures supplémentaires.
L’objectif attendu, alors que le montant du revenu fiscal de référence conditionne l’accès à plusieurs prestations et exonérations, est de ne pas pénaliser les foyers modestes qui réalisent des heures supplémentaires dans l’accès à ces prestations et exonérations.
Position de la commission des finances
Après avoir adopté deux amendements pour limiter le coût du dispositif, la commission des finances a adopté cet article.
Le revenu fiscal de référence est prévu au 1° du IV de l’article 1417 du code général des impôts. Cet agrégat introduit dans la loi de finances pour 1991 ([13]) permet d’apprécier le niveau de revenu total d’un contribuable et propose une assiette de revenus large à même de représenter la capacité contributive réelle du contribuable. En effet, ce revenu agrège les différentes catégories de revenus (revenus d’activité, du capital et de patrimoine), réintègre certains revenus exonérés et neutralise une partie des niches minorant le montant de l’impôt sur le revenu in fine acquitté.
Aux termes du IV de l’article 1417 précité, le revenu fiscal de référence agrège :
– le montant net des revenus et plus-values retenus pour l’établissement de l’IR ;
– certaines charges déductibles du revenu imposable constituant des dépenses d’ordre personnel ;
– certains revenus et profits exonérés d’impôt sur le revenu ou faisant l’objet d’un report ou d’un sursis d’imposition ;
– certains abattements appliqués pour la détermination du revenu catégoriel ;
– des revenus et profits soumis aux prélèvements ou versements libératoires.
Les éléments majorant le revenu imposable soumis à l’impôt sur le revenu ne sont réintégrés dans la composition du revenu fiscal de référence que s’ils sont expressément mentionnés au IV de l’article 1417 précité. Le tableau suivant retrace ainsi les différents éléments qui entrent en compte dans le calcul du revenu fiscal de référence.
Les ÉlÉments pris en compte dans le REVENU FISCAL DE RÉFÉRENCE en plus du montant des revenus et des plus-values retenus pour le calcul de l’impÔt sur le revenu
En application a du 1° du IV de l’article 1417 du CGI |
Le montant des souscriptions au numéraire au capital des Sofipêche (163 duovicies) |
Le montant des cotisations ou primes d’épargne-retraite versées à titre facultatif aux plans d’épargne retraite (article 163 quatervicies) |
En application du a bis du 1° du IV de l’article 1417 du CGI |
Le montant des abattements majorés appliqués aux plus-values sur cessions de titres acquis moins de dix ans après la création d’une PME (1 ter et 1 quater de l’article 150-0 D ) |
Le montant de l’abattement fixe applicable aux cessions de titres ou droits par les dirigeants de PME partant à la retraite (150-0 D ter) |
Le montant de l’abattement sur les dividendes distribués par les sociétés passibles de l’impôt sur les sociétés ayant leur siège dans un État de l’Union européenne (2° du 3 de l’article 158) |
Le montant de l’abattement sur les actions distribuées (3 de l’article 200 A) |
Le montant des plus-values de cession à titre onéreux, en report d’imposition, des titres d’organismes de placements collectifs « monétaires » en cas de versement du prix dans un PEA-PME (150-0 B quater) |
Le montant des plus-values réalisées et des distributions perçues par les personnes physiques ou sociétés qui ne sont pas fiscalement domiciliées en France et soumises aux prélèvements (articles 244 bis A et 244 bis B) |
En application du b du 1° du IV de l’article 1417 du CGI |
Les bénéfices exonérés réalisés par les entreprises nouvelles qui se créent dans les zones d’aide à finalité régionale (ZAFR) – (article 44 sexies) |
Les bénéfices exonérés réalisés par les jeunes entreprises innovantes et les jeunes entreprises universitaires (articles 44 sexies A) |
Le bénéfice réalisé par les entreprises qui exercent une activité dans une zone urbaine de 3e génération ou qui créent une activité dans une zone franche urbaine-territoire entrepreneur (ZFU-TE) entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2023 (article 44 octies A) |
Le bénéfice exonéré réalisé par les entreprises créées en zones de restructuration de la défense (ZRD), dans les zones franches d’activité des départements d’outre-mer, dans les zones de revitalisation rurale ou les zones France ruralités revitalisation (ZRR), dans les bassins urbains à dynamiser (BUD), dans les zones de développement prioritaire (ZDP) – (articles 44 terdecies à septdecies) |
Des bénéfices exonérés des jeunes artistes de la création plastique (9 de l’article 93) |
En application du c du 1° du IV de l’article 1417 du CGI |
Les montants des revenus tirés des bons ou contrats de capitalisation et d’assurance-vie soumis au prélèvement libératoire (1 du II et II bis de l’article 125-0 A) |
Les montants des revenus soumis au prélèvement libératoire à taux réduit sur les produits de placement à revenus fixes abandonnés dans le cadre d’un mécanisme d’épargne solidaire (article 125 A) |
Les montants des prestations de retraite versées sous forme de capital soumis au prélèvement libératoire (article 163 bis) |
Les produits et revenus perçus en France par des non-résidents fiscaux et soumis aux retenues à la source (articles 119 bis, 182 A, 182 A bis et 182 A ter) |
Les revenus des autoentrepreneurs ayant opté pour le versement libératoire à l’impôt sur le revenu (article 151-0 du CGI) |
Les salaires exonérés perçus en rémunération des heures supplémentaires ou des heures complémentaires (81 quater) |
Les traitements et salaires et éventuellement les suppléments de rémunération perçus en contrepartie de leur activité à l’étranger par des personnes qui ont leur domicile fiscal en France et qui sont envoyées à l’étranger par un employeur établi en France (article 81 A) |
Les traitements et salaires des salariés et dirigeants appelés de l’étranger pour occuper un emploi auprès de la Chambre de commerce internationale en France (article 81 D) |
Les rémunérations versées aux personnes appelées par une entreprise établie dans un autre État à occuper un emploi en France pendant une période limitée (article 155 B) |
Les revenus perçus par les fonctionnaires des organisations internationales exonérés d’impôt sur le revenu en France |
Les revenus exonérés d’impôt sur le revenu en France en application des dispositions d’une convention fiscale internationale relative aux doubles impositions |
Les sommes versées sur un plan d’épargne entreprise exonérées d’impôt sur le revenu (article 80 sexdecies) |
les cessions de parts ou actions de sociétés qui bénéficient du statut de jeune entreprise innovante exonérés d’impôt sur le revenu (articles 163 quinquies B à 163 quinquies C bis) |
En application du d du 1° du IV de l’article 1417 du CGI |
Le montant des plus-values de cession exonérées réalisées à l’occasion de la cession ou du rachat de parts de fonds communs de placement à risques (1 du III de l’article 150-0 A) |
Le montant des gains nets exonérés réalisés lors des cessions à titre onéreux de titres de sociétés de capital-risque (1 bis du III de l’article 150-0 A) |
Le montant des plus-values exonérées en raison de la cession de titres avec les salariés de la société (7 du III de l’article 150-0 A) |
Le montant des plus-values réalisées lors du retrait de titres ou de liquidités ou du rachat d’un plan épargne avenir climat (4 ter du III de l’article 150-0 A) |
En application du e du 1° du IV de l’article 1417 du CGI |
Exonération des sommes correspondant à des jours de congés non-pris ou prélevées sur un compte épargne-temps (CET) pour alimenter un PERCO ou un plan d’épargne retraite d’entreprise collectif ou obligatoire, dans la limite de dix jours par an (18° de l’article 81 du CGI). |
Grâce à ces retraitements, le revenu fiscal de référence permet de donner une appréciation plus proche du niveau de vie effectif des foyers fiscaux, ainsi que l’illustre l’exemple ci-après. Pour le contribuable concerné, la prise en compte des revenus tirés des heures supplémentaires ajoute 2 973 euros au revenu net imposable.
Comparaison entre le revenu net imposable et le revenu fiscal de rÉfÉrence
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Montant des revenus (impôt dû) en euros |
Traitements et salaires |
20 000 |
Revenus des heures supplémentaires |
3 303 |
Revenu net imposable |
18 000 |
Revenu fiscal de référence |
20 973 |
Impôt sur le revenu |
0 |
Source : simulation réalisée sur le site www.impots.gouv.fr.
Malgré l’ensemble de ces retraitements, le revenu fiscal de référence ne reflète pas l’universalité des revenus, et donc des capacités contributives réelles des ménages. Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a ainsi dénombré 177 exemples de ressources ou revenus qui sont exonérés d’impôts sur le revenu et ne sont pas intégrés au revenu fiscal de référence ([14]).
Tel est le cas d’exonérations liées à la profession ou à l’activité (journalistes, élus locaux, militaires, policiers), de certains éléments accessoires du salaire (intéressement, titres-restaurant) ou de certains revenus du patrimoine (revenus de l’épargne réglementée, plan d’épargne en actions, plus-values immobilières).
De surcroît, de nombreuses modalités dérogatoires de calcul du revenu ne sont pas non plus intégrées au revenu fiscal de référence comme l’abattement de 10 % pour les pensions.
Le dispositif proposé vise à exclure du calcul du revenu fiscal de référence les revenus tirés des heures supplémentaires.
L’enjeu sous-jacent est d’éviter que la réalisation d’heures supplémentaires ne conduise des ménages à perdre le bénéfice d’aides auxquelles ils auraient droit sans ces heures supplémentaires. De nombreuses prestations sont en effet conditionnées à un certain niveau de revenu fiscal de référence. De même, le barème de ces prestations est également assis sur le revenu fiscal de référence.
La commission a adopté l’article 1er modifié par deux amendements destinés à réduire le coût pour les finances publiques du dispositif proposé et pour lesquels le rapporteur avait émis un avis favorable :
Un amendement visant à décaler l’entrée en vigueur du dispositif à compter de l’imposition des revenus de l’année 2025 (amendement CF3) ;
Un amendement visant à prévoir un seuil à partir duquel les revenus tirés des heures supplémentaires restent inclus dans le calcul du revenu fiscal de référence (amendement CF3).
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Amendements de suppression CF1 de M. Nicolas Sansu et CF2 de Mme Murielle Lepvraud
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Vous prétendez défendre les pauvres, Monsieur le rapporteur, mais avec cette proposition de loi, vous ne défendez que les patrons, le capital et les revenus des plus aisés. Vous auriez pu proposer de partager la richesse que produisent les salariés ; vous suggérez plutôt de faire payer l’État. Vous expliquez que vous voulez défendre les plus modestes et les plus précaires ; mais alors que les cadres travaillent en moyenne 41,5 heures par semaine, contre 35,9 heures pour les salariés, ce sont bien les premiers que vous essayez d’avantager. Vous avancez la compétitivité, or les heures supplémentaires font baisser la productivité. Vous évoquez le prix du travail, de l’effort et du mérite et vous soulignez que travailler ne rapporte pas assez. Cependant le prix du travail se calcule en fonction du nombre d’heures ouvrées ; or, vous proposez non pas d’augmenter la rémunération du travail, mais de faire travailler plus longtemps les salariés, en les payant toujours aussi mal, et tout en invoquant les corps meurtris. Vous regrettez que trop peu de gens travaillent, tout en refusant de partager le travail, participant ainsi à l’augmentation du chômage. Par-dessus tout cela, votre texte tend à aveugler l’État : en transformant les heures supplémentaires en revenu non déclaré, celui-ci ne pourra plus analyser ce temps de travail ni prendre de mesures en conséquence. Une telle réforme serait contre-productive.
Pour ces raisons, le présent amendement tend à supprimer l’article 1er.
M. Corentin Le Fur, rapporteur. Avis défavorable.
La présente proposition de loi a été conçue pour aider les salariés les plus modestes : non imposables, ils ne bénéficient pas de la défiscalisation des heures supplémentaires – que je soutiens par ailleurs. Il s’agit notamment d’aider les salariés de l’agroalimentaire. J’ajoute que j’émettrai un avis favorable sur l’amendement CF4 de M. Mathieu Lefèvre, qui vise à plafonner le revenu concerné, donc à exclure les cadres du dispositif.
En décourageant les heures supplémentaires, nous risquons d’inciter à recourir au travail non déclaré, en particulier dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics (BTP).
Si le texte est adopté, les heures supplémentaires seront exclues du revenu fiscal de référence mais cela ne les empêchera pas d’être enregistrées et déclarées. En revanche, elles n’augmenteront pas mécaniquement le coût de beaucoup de prestations sociales, ni ne diminueront le montant des aides auxquelles pourraient prétendre les personnes concernées.
Il s’agit d’une mesure de justice fiscale qui tend à mieux récompenser le travail, donc à l’encourager. J’assume cette position idéologique : je crois profondément au travail, moyen d’ascension sociale, de sociabilité et d’épanouissement, qui favorise la production et la croissance. Il est vertueux. Nous avons intérêt à avoir une société qui travaille, ce qui nécessite effectivement d’améliorer les conditions d’exercice et les rémunérations. Les heures supplémentaires sont essentielles pour améliorer le pouvoir d’achat des personnes les plus modestes. Interrogez-les : c’est souvent grâce à ces heures qu’ils peuvent partir en vacances l’été – à condition qu’ils n’y perdent pas par ailleurs.
M. le président Éric Coquerel. Certes, certains ont recours aux heures supplémentaires pour acquitter une partie de leurs dépenses, que le montant des salaires rend de plus en plus difficiles à payer. Mais votre texte aurait pour autre inconvénient de faire exploser le cadre légal du temps de travail hebdomadaire : en rendant les heures supplémentaires toujours plus intéressantes, pour l’entreprise comme pour le salarié, on pousse à y recourir toujours davantage. Or ce sont des heures fantômes.
M. Thomas Cazenave (EPR). Je voterai les amendements de suppression.
Monsieur le rapporteur, je suis d’accord : il faut favoriser le travail, qui doit payer plus. Mais pour y parvenir, des réformes structurelles sont nécessaires, sur les allégements de charges, comme le recommandent Antoine Bozio et Étienne Wasmer dans leur rapport, sur le travail des seniors, sur la réforme des retraites.
Cependant, votre proposition de loi présente trois inconvénients. D’abord, elle tend à créer une niche au sein du revenu fiscal de référence, alors que nous nous plaignons tous que les niches fiscales sont trop nombreuses. Ensuite, il n’est pas certain qu’il suffise, pour changer les comportements, de créer des exonérations dans le revenu fiscal de référence. Surtout, nous ne pouvons pas nous permettre d’adopter une mesure qui coûte plus de 1 milliard d’euros, quand nous nous plaignons du matin au soir de l’état des finances publiques. Je salue à cet égard Mathieu Lefèvre d’avoir déposé des amendements visant à réduire les conséquences budgétaires du texte.
M. Kévin Mauvieux (RN). Les membres du Rassemblement national ont toujours défendu la valeur travail, et le travail en tant que valeur, qu’il faut inculquer aux gens. Le travail permet de s’émanciper – même si certains ici en doutent.
Il est vrai que les cadres effectuent plus d’heures supplémentaires que les salariés : lorsque ces derniers en font trop, ils sont perdants, à cause des impôts et parce qu’ils doivent renoncer aux aides qu’ils percevaient pour compléter des salaires trop bas. La Macronie en est responsable : elle gouverne à coups de primes, dont les classes moyennes ne profitent pas car leurs revenus dépassent les plafonds en dessous desquels on bénéficie du chèque énergie, du chèque « ceci » et du chèque « cela ». Nous ne pouvons pas fonctionner ainsi ; il faut que le travail paie, y compris et surtout le travail en heures supplémentaires. Je comprends que les députés de la Macronie prennent la parole pour cacher leur matraquage des classes moyennes, qui se traduit par leur volonté de rejeter ce texte. Celui-ci tend à aider les salariés qui ont besoin d’effectuer des heures supplémentaires et qui ont envie de travailler : certains ici considèrent le travail comme une peine de mort, mais ce n’est pas le cas.
Chers collègues du groupe Droite républicaine, vous donnez l’impression d’avoir presque honte de défendre votre proposition de loi ; soyez fiers au contraire de soutenir le travail, de vouloir que ceux qui veulent travailler soient correctement payés, sans être taxés, retaxés et surtaxés pour chaque heure de travail effectuée. Il est vrai qu’en France nous ne travaillons pas suffisamment, mais c’est peut-être parce que cela ne paie pas suffisamment.
M. Fabrice Brun (DR). Nous voterons contre ces amendements de suppression. En 2012, François Hollande a fait supprimer le dispositif d’exonération des heures supplémentaires : du jour au lendemain, des centaines de salariés ont vu leur fiche de paie amputée de 100 ou de 150 euros par mois. Or nous parlons des travailleurs les plus modestes qui sont volontaires pour travailler et gagner davantage : les salariés du BTP, de l’agriculture, de l’agroalimentaire. Nous le répétons : travailler plus ne doit pas faire perdre des droits, comme ceux de bénéficier de MaPrimeRénov, du livret d’épargne populaire, des bourses d’études, ni ne doit augmenter les frais de garde des enfants. Ce texte tend à rendre le travail plus rémunérateur, donc à le valoriser, notamment en augmentant l’écart qui sépare les revenus du travail de la solidarité, ce qui constitue un enjeu majeur pour notre société.
M. Nicolas Sansu (GDR). Le fondement du débat est idéologique : il s’agit de savoir comment on rémunère le travail et comment on partage la richesse. Le PDG d’une entreprise de pneumatiques installée dans ma circonscription du Cher m’a affirmé que le coût du travail était trop élevé. Dans le même temps, il m’a expliqué que pour un pneu de 100 euros, 15 euros rémunéraient le travail ; le reste paie les intrants, les frais financiers et bancaires, les coûts du capital, … Comment faire pour que les salariés perçoivent un revenu décent, pour augmenter leur salaire sans mettre en péril les services publics ni notre modèle social ?
Toute heure doit être fiscalisée et socialisée ; toute heure doit être considérée de la même manière pour le calcul des prestations. Sinon, pourquoi ne pas défiscaliser les revenus à partir de la trentième heure travaillée, ou de la vingt-cinquième ?
Monsieur le rapporteur, les aides à domicile qui travaillent dans le secteur associatif et dont le contrat prévoit 27 heures de travail hebdomadaire en effectuent souvent 35. Les heures complémentaires seront-elles éligibles au dispositif ?
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Vous dites que cette mesure profitera aux ouvriers de l’agroalimentaire. Alors que l’entrée en vigueur de la réforme des retraites les oblige déjà à travailler deux ans de plus, vous voulez augmenter leur temps de travail hebdomadaire ! Pourtant, vous reconnaissez vous-même qu’ils sont déjà cassés par un travail dur qu’ils ont commencé très jeunes. Quand cela va-t-il s’arrêter ?
Vous affirmez que les entreprises ont du mal à recruter mais une étude montre qu’entre 2022 et 2023, les profits de l’industrie agroalimentaire ont plus que doublé, passant de 3,1 à 7 milliards d’euros. La solution, c’est d’augmenter les salaires, pas de faire travailler davantage les ouvriers.
Enfin, les AESH, les accompagnants d’élèves en situation de handicap, ne sont pas concernés, puisqu’ils ne peuvent pas effectuer d’heures supplémentaires.
Mme Christine Arrighi (EcoS). Monsieur le rapporteur, il existe plein d’autres solutions pour soutenir le pouvoir d’achat des Français : par exemple, augmenter le smic, investir massivement dans les transports et dans de nombreux dispositifs, comme MaPrimeRénov’.
M. Corentin Le Fur, rapporteur. Les personnes dont nous parlons sollicitent des heures supplémentaires, qui sont donc effectuées volontairement. C’est fondamental. Il est cohérent que les personnes qui acceptent de travailler plus gagnent plus, or c’est l’inverse qui se produit.
Je comprends le discours de la gauche, qui est idéologiquement cohérent. Je ne le partage pas mais il est respectable. Il n’en va pas de même de votre intervention, monsieur Cazenave. J’entends l’argument du coût : je soutiendrai les amendements qui tendent à réduire les conséquences budgétaires. J’ai du mal en revanche à concevoir que vous votiez avec les députés LFI et communistes contre une proposition de loi visant à mieux rémunérer le travail des plus modestes. En outre, elle est susceptible d’augmenter les recettes fiscales et de lutter contre le travail dissimulé.
Comme vous, Monsieur Cazenave, je suis préoccupé par l’état de nos finances publiques ; nous pouvons travailler ensemble à réduire le coût des agences et des opérateurs de l’État ou à trouver d’autres mesures communes. Il est néanmoins essentiel de faire un geste financier pour les plus modestes et pour ceux qui travaillent. J’ai soutenu le rétablissement de l’exonération fiscale des heures supplémentaires, mais beaucoup de nos compatriotes n’en profitent pas, parce qu’ils ne sont pas imposables. La présente proposition de loi permettrait de compléter le dispositif. Bien entendu, la question est beaucoup plus vaste : il ne s’agit que d’une mesure parmi d’autres, pour mieux rémunérer le travail.
Il est vrai, madame Lepvraud, que le dispositif ne s’appliquera pas aux AESH. Avec des parlementaires de tous les bords, je travaille à mieux les rémunérer, pour qu’ils perçoivent un salaire décent, et pour faire de l’inclusion scolaire une priorité, grâce à un soutien financier.
Monsieur Sansu, je connais les difficultés des aides à domicile, notamment du travail invisible. J’y travaille également avec des parlementaires de tous les groupes. Cette proposition de loi ne résoudra pas les problèmes de toutes les catégories de travailleurs ; il faudra en voter d’autres.
Monsieur Mauvieux, je ne comprends pas votre remarque : les membres du groupe Droite républicaine sont tellement fiers de cette proposition de loi que nous l’avons inscrite à l’ordre du jour de notre niche parlementaire ; nous en avons fait une priorité, parce qu’il nous tient à cœur de consentir un geste pour la France qui travaille. Beaucoup d’entre nous l’avons défendue ; il faut maintenant traduire nos discours en actes en la votant.
Je comprends que la mesure soulève des questions et qu’on veuille travailler à l’améliorer, mais la balayer d’un revers de main en votant des amendements de suppression me paraît irrespectueux envers toutes les personnes qui en bénéficieraient : elles ne comprennent pas que parce qu’elles travaillent, elles n’ont droit à rien ou doivent payer toujours un peu plus.
La commission rejette les amendements.
Amendement CF5 de Mme Christine Arrighi
Mme Christine Arrighi (EcoS). Le présent amendement tend à obtenir un rapport relatif aux conséquences économiques et budgétaires des exonérations fiscales et sociales des heures supplémentaires. Bien qu’attractif à court terme, le dispositif en vigueur soulève des questions. Premièrement, il repose sur un mécanisme de compensation publique dont le coût budgétaire est estimé à 2,2 milliards d’euros pour 2024 ; cela fragilise le système de solidarité, en particulier le système de retraite. Deuxièmement, comme la Cour des comptes l’a relevé en mai 2024, il n’atteint plus la cible initiale, mais il accroît la concurrence entre les salariés en poste et les demandeurs d’emploi.
Il s’agit donc d’éclairer le Parlement sur les conséquences des exonérations, notamment pour les politiques de rémunération et le dialogue social dans les entreprises, et sur les éventuelles solutions alternatives pour protéger les salariés concernés. Cela est nécessaire pour garantir que le dispositif soit équitable, efficace et financièrement soutenable, et pour éviter de décider dans l’urgence. Nous voulons adopter une démarche responsable, fondée sur des données probantes, dans l’intérêt des finances publiques et des travailleurs.
M. Corentin Le Fur, rapporteur. Je ne suis pas opposé à l’élaboration d’un rapport, néanmoins il serait plus opportun de demander sa remise après un délai qui s’ouvre avec l’entrée en vigueur de la loi, afin de tenir compte du temps nécessaire à la publication des décrets. De plus, un délai de trois mois serait trop bref pour disposer des données nécessaires pour juger de l’intérêt de la mesure.
Je vous propose de retirer votre amendement, sans quoi j’émettrai un avis défavorable. Toutefois, je pourrais me prononcer favorablement sur une version remaniée lors de l’examen en séance publique.
M. Éric Woerth (EPR). Je suis très opposé à ce texte. Il ajoute de la complexité. Il était nécessaire d’exonérer les heures supplémentaires et l’exonération portait sur les revenus directs. Agir sur les conséquences indirectes du revenu revient à pénétrer dans le maquis social qui prévoit une aide, donc des conditions de ressources, pour à peu près tout. Il ne faut pas tout mélanger : on ne peut pas annuler le revenu supplémentaire perçu directement dans le calcul conditionnant l’obtention de certains droits. Il ne faut pas confondre les sujets ; on ne comprend plus rien. Je préférerais une mesure plus simple. Si le budget pouvait supporter une dépense fiscale – ce que je ne crois pas –, mieux vaudrait baisser les impôts de production pour donner du tonus aux entreprises, qui en ont bien besoin, que de créer un système kafkaïen.
M. Emeric Salmon (RN). Je ne comprends pas pourquoi vous envisagez de donner un avis favorable en séance, monsieur le rapporteur, alors que cet amendement réécrit et modifie totalement l’article 1er. Pour notre part, nous voterons contre car nous soutenons toutes les mesures qui favorisent le travail.
Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Nous soutenons cet amendement, car il est important d’informer la représentation nationale et nos concitoyens sur le coût global des heures supplémentaires avant d’élargir les mesures qui les concernent. La défiscalisation et l’exonération de cotisations de ces heures constituent à la fois un financement déguisé pour les entreprises et une perte de recettes colossale pour les finances publiques et la sécurité sociale. De plus, la multiplication et la normalisation des heures supplémentaires freinent la lutte contre le chômage en revenant insidieusement sur les trente-cinq heures hebdomadaires.
M. Fabrice Brun (DR). Nous sommes opposés à cet amendement qui dénaturerait l’excellente proposition de loi. Il a beaucoup été question du coût de la mesure, mais pas des recettes fiscales attendues. Or le déficit de 2024 tient, avant tout, au ralentissement de l’activité économique et à la diminution des recettes fiscales. Favoriser les heures supplémentaires c’est favoriser le travail, la productivité, l’activité économique et, par conséquent, les recettes fiscales, issues notamment de la TVA.
M. Corentin Le Fur, rapporteur. Je suis favorable par principe à tout ce qui contribue à la bonne information du Parlement, mais les modalités prévues par cet amendement ne me semblent pas adaptées. J’en demande le retrait ; à défaut, avis défavorable.
J’ajoute que ce n’est pas parce qu’on défend la baisse des impôts de production qu’on doit s’interdire de voter une mesure pour la France qui travaille. L’administration fiscale sait gérer des dispositifs compliqués. Le système français est certes complexe, mais ce n’est pas cette disposition qui changera cette réalité. Il s’agit même d’une mesure d’efficacité, puisqu’en incitant à effectuer davantage d’heures supplémentaires, elle augmentera le volume global de travail. Les entreprises y trouveront leur compte – je l’assume – puisque leurs salariés seront plus enclins à accepter des heures.
Il est profondément injuste que des travailleurs non imposables voient leurs aides diminuer ou leurs dépenses augmenter parce qu’ils acceptent des heures supplémentaires. D’un point de vue éthique, c’est véritablement choquant.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CF3 et CF4 de M. Mathieu Lefèvre
M. Mathieu Lefèvre (EPR). Il s’agit de rendre la proposition de loi compatible avec l’état des finances publiques, d’une part en reportant son entrée en vigueur à 2026, pour la faire porter sur les revenus de 2025, d’autre part en la plafonnant à un revenu fiscal de référence défini par décret, pour en réduire le coût.
M. Corentin Le Fur, rapporteur. Ces amendements sont frappés du sceau du bon sens. L’état des finances publiques me préoccupe autant que vous et justifie que nous limitions le coût de la mesure.
Après vérification, il s’avère que les cadres ont réalisé 172 heures supplémentaires en moyenne en 2023, contre 192 heures pour les ouvriers. Les ouvriers en réalisent donc plus et y trouvent un complément de revenus significatif.
M. le président Éric Coquerel. À en croire le gouvernement, la question des finances publiques se posera au-delà de 2025, puisque l’objectif est de ramener le déficit sous le seuil de 3 % en 2027. Si vous estimez, comme M. Cazenave, que la mesure ne doit pas s’appliquer en 2025 en raison de son coût, votre argument vaut aussi pour les années suivantes.
M. Emeric Salmon (RN). L’amendement CF4 donne tout pouvoir au gouvernement en lui confiant le soin de fixer le plafond par décret. Si M. Cazenave redevenait ministre des comptes publics, il pourrait choisir un plafond qui rendrait la proposition de loi inopérante et ferait disparaître cette aide pour les travailleurs. Comme nous défendrons toujours le travail, nous voterons contre cet amendement.
M. Corentin Le Fur, rapporteur. Je crois à la coconstruction et au travail en commun. Nous pouvons œuvrer utilement ensemble, à condition de ne pas camper sur nos positions et de faire un pas vers l’autre de sorte que la mesure soit acceptable pour les finances publiques. Si cela permet d’adopter la proposition de loi, nous y gagnerons tous. Nous serons vigilants à l’égard du décret, mais ayons confiance ; il permettra de viser les travailleurs qui perçoivent les plus petits salaires, ce qui est bien notre objectif. Avis favorable.
La commission adopte successivement les amendements.
Elle adopte l’article 1er modifié.
Gage
Cet article prévoit un mécanisme de compensation des pertes de recettes qui résulteraient, pour les collectivités et, corrélativement, pour l’État, de l’adoption de l’article 1er.
La commission adopte l’article 2.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
ADMINISTRATIONS SOLLICITÉES PAR LE RAPPORTEUR
Au ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, la direction de la législation fiscale.
Au ministère du travail, de la santé, des solidarités et des familles :
la direction de la sécurité sociale ;
la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques.
Au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, la direction générale de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle.
Différentes directions de la Ville de Paris.
([1]) Cas général.
([2]) Loi n° 98-461 du 13 juin 1998 d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail et loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail.
([3]) Décret n° 2002-1257 du 15 octobre 2002 relatif à la fixation du contingent annuel d'heures supplémentaires prévu aux articles L. 212-6 du code du travail et L. 713-11 du code rural et modifiant les décrets n° 2001‑941 du 15 octobre 2001 et n° 2001-1167 du 4 décembre 2001.
([4]) Cette donnée, ainsi que celles qui suivent, sont celles de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail.
([5]) Ainsi les revenus issus des heures supplémentaires représentent 2,8 % de la rémunération brute totale des salariés du deuxième décile et 3,2 % de la rémunération brute totale des salariés du deuxième décile. À l’inverse, ils comptent pour 0,4 % seulement de la rémunération brute totale des salariés du dixième décile.
([6]) Loi n° 2007-1 223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat.
([7]) Décret n° 2012-1 074 du 21 septembre 2012 relatif à la réduction générale de cotisations patronales de sécurité sociale et à la déduction forfaitaire de cotisations patronales sur les heures supplémentaires.
([8]) Article 2 de la loi n° 2018-1213 du 24 décembre 2018 portant mesures d’urgence économiques et sociales.
([9]) Article 4 de loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.
([10]) Elles ne doivent pas être confondues avec les bourses sur critères sociaux (BSC) destinées aux étudiants. La base ressource des BSC est en effet le revenu brut global.
([11]) Et à condition que la valeur du patrimoine mobilier ne dépasse pas 12 862 euros et que celle du patrimoine immobilier ne dépasse pas 38 580 euros.
([12]) Simulation réalisée sur https://tarifs.bordeaux.fr/famille.
([13]) Loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 de finances pour 1991, article 21. L’octroi des dégrèvements d’impôts locaux et de la prime du plan d’épargne populaire aux contribuables les plus modestes était défini en fonction de cet agrégat.
([14]) CPO, Conforter l’égalité des citoyens devant l’imposition des revenus, octobre 2024.