N° 868

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 janvier 2025.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,


visant à abroger le titre de séjour pour étranger malade
 

PAR M. Éric PAUGET

Député

——

 

 

 

 

 

 Voir le numéro : 689

 


SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION..................................................... 5

Commentaire de l’article unique

Article unique (supprimé) (art. L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) Suppression de la délivrance d’une carte de séjour temporaire au titre de l’admission au séjour pour soins

Compte rendu des dÉbats

Personnes entendues

 


 

 

 

 

 

Mesdames, Messieurs,

La France s’est dotée, ces dernières décennies, d’un dispositif complet de prise en charge des frais médicaux des étrangers présents sur son territoire, y compris lorsqu’ils sont en situation irrégulière. Comme l’ont rappelé les travaux de notre ancienne collègue Véronique Louwagie, onze dispositifs coexistent aujourd’hui pour la prise en charge des dépenses de santé des étrangers qui ne bénéficient pas d’un titre de séjour valide. L’aide médicale de l’État (AME), le plus connu d’entre eux, se cumule en réalité avec d’autres modalités de prise en charge des soins.

Cette proposition de loi porte sur l’une de ces modalités, l’admission au séjour pour soins. Celle-ci permet la délivrance d’une carte de séjour temporaire à l’étranger résidant de façon habituelle sur le territoire français, lorsque son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont l’absence pourrait avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qui ne pourrait pas bénéficier d’une prise en charge adaptée dans son pays d’origine. Il s’agit d’un dispositif humanitaire conçu au cours des années 1990 pour faire face à l’épidémie internationale du virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

Ce dispositif a été conçu, initialement, comme une protection contre les mesures d’éloignement au bénéfice des étrangers dont le pronostic vital était engagé. Depuis, il a été transformé en véritable titre de séjour et élargi à de nombreuses pathologies.

Or, dans le même temps, la prise en charge des soins par d’autres mécanismes a été étendue, tant pour les étrangers disposant d’un titre de séjour qui bénéficient désormais de la protection universelle maladie (PUMa) que pour les étrangers en situation irrégulière, via l’AME. Aujourd’hui, l’admission au séjour pour soins apparaît comme un outil redondant et, par ailleurs, dévoyé en opportunité de régularisation.

Dévoyé, d’abord, parce qu’avec le développement de la prise en charge des frais médicaux, il n’est plus nécessaire de lier accès aux soins et mesure de régularisation. Aujourd’hui, un étranger en situation irrégulière ayant besoin de suivre un traitement bénéficie d’une prise en charge des soins avec l’AME et, par ailleurs, ne peut faire l’objet d’une mesure d’éloignement. À ce titre, l’AME apparaît d’ailleurs plus favorable, puisqu’elle n’est pas conditionnée à « l’exceptionnelle gravité » des conséquences sur la santé ou à l’état des infrastructures médicales dans le pays d’origine.

Dévoyé, ensuite, parce que l’admission au séjour pour soins bénéficie chaque année à des personnes en provenance des pays les plus développés de la planète comme les États-Unis, le Canada, le Japon ou la Chine, ce qui interroge au regard de l’objectif humanitaire de l’admission au séjour pour soins. Par ailleurs, il permet à certains ressortissants extracommunautaires disposant déjà d’un titre de séjour délivré par un autre pays de l’Union européenne de déposer une demande en France afin de bénéficier d’une prise en charge de meilleure qualité. En effet, notre pays est l’un des rares en Europe à s’être doté d’une telle mesure de régularisation et, au sein de ce nombre limité de pays, il a développé le système qui est indéniablement le plus attractif.

Dévoyé, enfin, dans le contrôle des conditions pour en bénéficier. Alors que la délivrance du titre de séjour est théoriquement limitée aux étrangers résidant en France de façon habituelle, une autorisation de séjour provisoire (APS) peut être délivrée à celui qui ne respecte pas cette condition. Par ailleurs, l’appréciation des caractéristiques du système de santé du pays d’origine a progressivement glissé vers une approche subjective de l’accès aux soins, dépendant de critères socio-économiques. Il ne s’agit plus de savoir si les infrastructures existent dans le pays d’origine mais plutôt si la personne peut y avoir accès – ce qui ne relève pas de l’évidence pour les traitements les plus innovants, même au sein des pays développés. De plus, les infrastructures médicales se sont beaucoup développées dans de nombreux pays, notamment grâce à des programmes internationaux soutenus par la France. À titre d’exemple, les traitements contre le Sida sont aujourd’hui accessibles dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne.

Aussi, à l’heure où les tensions dans l’accès aux soins sont de plus en plus fortes, il n’est pas compréhensible pour nos concitoyens qu’un tel dispositif, redondant avec d’autres voies d’accès aux soins, puisse perdurer. Il n’est pas non plus raisonnable de faire peser sur l’Assurance maladie une telle dépense sans possibilité de suivi budgétaire par le Parlement.

Dès lors, le présent texte propose l’abrogation des dispositions législatives régissant l’admission au séjour pour soins.

 


 

   Commentaire de l’article unique

Supprimé par la Commission

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article unique de cette proposition de loi abroge les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) relatives à l’admission au séjour pour soins.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a introduit une dérogation au secret médical pour permettre aux médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) de solliciter auprès des professionnels de santé concernés les informations médicales nécessaires à la rédaction de l’avis médical prévu pour l’instruction de la demande de titre de séjour, sous réserve de l’accord de l’étranger ayant déposé la demande.

L’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile a inscrit les dispositions relatives à l’admission au séjour pour soins au sein des nouveaux articles L. 425-9, L. 425-9-1 et L. 425-10.

       Position de la Commission

La Commission a supprimé cet article.

  1.   L’État du droit
    1.   L’admission au sÉjour pour soin, un dispositif Élargi au-delÀ de sa vocation initiale
      1.   Un dispositif créé à la fin des années 1990

Le titre de séjour au bénéfice des étrangers malades a été créé au cours des années 1990, dans un contexte de développement de l’épidémie du virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

La première étape a été franchie avec la loi du 24 avril 1997 ([1]), qui a étendu la liste des étrangers protégés contre une mesure d’éloignement à « l’étranger résidant habituellement en France atteint d’une pathologie grave nécessitant un traitement médical dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays de renvoi » ([2]).

Selon notre ancien collègue Yves Bur, coauteur avec M. Arnaud Cazin d’Honincthun ([3]) de l’amendement à l’origine de ces dispositions, il s’agissait de « suspendre la procédure d’expulsion le temps d’amener le traitement à son terme. Il n’est pas question d’octroyer à la personne concernée un titre de séjour temporaire, la suspension devant naturellement être liée à un avis médical » ([4]). L’intention initiale n’était pas, ainsi, de créer une nouvelle catégorie de titre de séjour pour motifs médicaux.

La nouvelle majorité issue des élections législatives convoquées après la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le Président de la République le
21 avril 1997 a significativement élargi ce dispositif.

La loi n° 98-349 du 11 mai 1998, présentée par le gouvernement de M. Lionel Jospin, crée ainsi, en parallèle de cette protection contre l’éloignement, un droit à délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », sous réserve que la présence de l’étranger ne constitue pas une menace pour l’ordre public ([5]). Une telle mesure avait été proposée par le rapport remis au Premier ministre par M. Patrick Weil le 1er juillet 1997 ([6]).

Cette possibilité de suivre un traitement en France a été ouverte, en particulier, au bénéfice des étrangers atteints par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), lorsqu’ils sont ressortissants de pays ne disposant pas de systèmes de santé offrant une prise en charge adaptée. À cet égard, une circulaire du
30 septembre 2005 invitait les médecins concernés à considérer que « dans l’ensemble des pays en développement, il [n’était] pas encore possible de considérer que les personnes séropositives [pouvaient] avoir accès aux traitements antirétroviraux ni à la prise en charge médicale nécessaire pour les porteurs d’une infection par le VIH » ([7]).

Ces dispositions législatives, régulièrement modifiées, ont été codifiées à deux reprises :

– d’abord, par l’ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre 2004 relative à la partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, au 11° de l’article L. 313-11 de ce code ;

– ensuite, par l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en les inscrivant au sein du nouvel article L. 425-9 de ce code.

Enfin, il convient de noter que ce dispositif ne concerne que les étrangers en provenance de pays situés en dehors de l’Union européenne. Le régime de circulation des ressortissants des pays de l’Union est en effet régi par des règles spécifiques détaillées au livre II du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

  1.   L’élargissement progressif des conditions d’accès

Les conditions d’éligibilité à cette carte de séjour temporaire pour soins ont été progressivement élargies, la jurisprudence administrative ayant contribué à ce mouvement.

Ainsi, par deux décisions de 2010, le Conseil d’État a considéré que « lorsque le défaut de prise en charge risque d’avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité sur la santé de l’intéressé, l’autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s’il existe des possibilités de traitement approprié de l’affection en cause dans son pays d’origine ; que si de telles possibilités existent mais que l’étranger fait valoir qu’il ne peut en bénéficier, soit parce qu’elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l’absence de modes de prise en charge adaptés, soit parce qu’en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l’empêcheraient d’y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité […] d’apprécier si l’intéressé peut ou non bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans son pays d’origine » ([8]). Cette solution s’éloigne de celle retenue auparavant : en 2005, le Conseil d’État avait ainsi jugé que le moyen lié à la modicité des ressources de la personne intéressée ainsi que les éventuelles difficultés de prise en charge des dépenses médicales dans le pays d’origine étaient sans incidence sur le sens de la décision de l’autorité administrative ([9]).

En réponse à cette évolution jurisprudentielle, la loi du 16 juin 2011 est venue supprimer la référence au « bénéfice effectif » d’un traitement approprié et conditionner le droit à délivrance d’une carte de séjour à « l’absence » d’un traitement approprié dans le pays d’origine ([10]). Elle ajoute également la précision selon laquelle cette condition s’applique « sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l’autorité administrative après avis du directeur général de l’agence régionale de santé ».

La loi du 7 mars 2016 ([11]) est revenue sur ces modifications en réintroduisant la notion de « bénéfice effectif » d’un traitement approprié, qui a été conservée depuis et codifiée au sein de l’article L. 425-9. Elle a également transféré l’instruction des demandes d’admission au séjour pour soins des agences régionales de santé à l’Ofii ([12]), dans un souci d’harmonisation des décisions. Cette mission est aujourd’hui prévue par le 7° de l’article L. 121-1 du Ceseda.

Par la suite, la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a introduit une dérogation au secret médical pour permettre aux médecins de l’Ofii, sous réserve de l’accord de l’étranger, de demander aux professionnels de santé concernés les informations médicales nécessaires à la rédaction de l’avis médical prévus pour l’instruction de la demande.

À l’occasion de la codification de ces dispositions par l’ordonnance du
16 décembre 2020, il n’est plus fait référence à la mention « sauf si l’étranger constitue une menace pour l’ordre public » introduite par la loi de 1998. Le nouvel article L. 432-1 du Ceseda dispose en effet, de façon générale, que : « la délivrance d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d’une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l’ordre public ».

  1.   Les conditions actuelles d’admission au séjour pour soin

● Le premier alinéa de l’article L. 425-9 détermine les conditions selon lesquelles un étranger peut bénéficier d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », pour une durée d’un an, en raison d’un motif médical. Cette carte concerne l’étranger :

– dont la résidence habituelle est en France. Cette notion a été définie par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration : l’article L. 433-1-1 dispose qu’est considéré comme résidant en France de manière habituelle l’étranger qui y a transféré le centre de ses intérêts privés et familiaux et qui y séjourne pendant au moins six mois au cours de l’année civile, durant les trois dernières années précédant le dépôt de la demande ou, si la période du titre en cours de validité est inférieure à trois ans, pendant la durée totale de validité du titre ;

– dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour lui. L’appréciation des « conséquences d’une exceptionnelle gravité » est précisée par l’article 4 de l’arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l’exercice par les médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration de leurs missions prévues à l’article L. 311-11 (11°) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Ces conséquences sont appréciées sur la base de trois critères : degré de gravité (mise en cause du pronostic vital de l’intéressé ou détérioration d’une de ses fonctions importantes), probabilité et délai présumé de survenance de ces conséquences ([13]) ;

– qui, au regard de l’offre de soins et des caractéristiques du système de santé dans le pays d’origine, est dans l’impossibilité d’y bénéficier effectivement d’un traitement approprié ([14]).

Ce droit concerne à la fois les étrangers majeurs et mineurs. Les parents d’étrangers mineurs admis au séjour pour soins peuvent bénéficier, en vertu de l’article L. 425-10 du Ceseda, d’une autorisation provisoire de séjour. Celle-ci est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l’étranger mineur et permet l’exercice d’une activité professionnelle.

La carte de séjour temporaire pour motif médical ouvre droit à une carte de séjour pluriannuelle dès lors que, aux termes de l’article L. 433-4, l’étranger continue de remplir les conditions de délivrance de la carte de séjour dont il était précédemment titulaire. Aux termes de l’article L. 411-4, la durée de cette carte pluriannuelle est alors égale à celle des soins, par dérogation à la règle générale d’une durée de quatre ans.

L’étranger disposant d’un tel titre de séjour bénéficie également d’une protection renforcée. À cet égard, le code pénal prévoit, à son article 131-30-2, que la peine d’interdiction du territoire français ne peut être prononcée lorsqu’est en cause un étranger qui réside en France sous couvert de l’admission au séjour pour soins.

● La décision d’admission au séjour pour soin est prise par l’autorité administrative – en l’espèce, le préfet de département –, après avis d’un collège des médecins du service médical de l’Ofii. Si le collège des médecins estime que les conditions énumérées supra sont réunies, l’autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée.

Par dérogation au premier alinéa de l’article L. 436-1, la perception d’une taxe d’un montant de 200 euros habituellement prévue pour la délivrance et le renouvellement d’un titre de séjour est exclue pour la première délivrance d’une carte de séjour pour soins.

L’article L. 312-4 du Ceseda précise également qu’un visa de retour est délivré par les autorités diplomatiques et consulaires françaises à la personne de nationalité étrangère bénéficiant d’un titre de séjour en France en vertu de l’article L. 425-9 dont le conjoint a, lors d’un séjour à l’étranger, dérobé les documents d’identité et le titre de séjour.

L’article L. 425-9 est mis en œuvre par plusieurs dispositions réglementaires. L’article R. 425-11 du Ceseda précise ainsi que l’avis du collège de médecins de l’Ofii est émis au vu d’un rapport médical établi par un médecin de l’office et des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d’un traitement approprié dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article R. 425-14 dispose que l’étranger qui ne remplit pas la condition de résidence habituelle peut recevoir une autorisation de séjour renouvelable pendant la durée de son traitement. Cette disposition atténue la condition de résidence prévue par l’article L. 425-9.

Des données précises sont transmises au Parlement chaque année à propos de ce dispositif, en application du dernier alinéa de l’article L. 425-9 qui prévoit qu’un rapport annuel présente « l’activité réalisée au titre du présent article par le service médical de l’office ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre ».

● L’article 9 du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, dans sa version adoptée par l              a commission mixte paritaire, entendait modifier le dispositif sur plusieurs points, avec :

– une restriction de la condition relative aux caractéristiques du système de santé du pays d’origine, la notion de bénéfice effectif étant remplacée par celle de « l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l’autorité administrative après avis du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration ». Cette formulation revenait ainsi à celle de la loi de 2011 précitée ;

– une limitation de la prise en charge financière du traitement par l’Assurance maladie lorsque l’étranger dispose de ressources ou d’une couverture assurantielle suffisante, hors le cas où les modalités de règlement du coût de la prise en charge médicale sont prévues par les stipulations d’une convention bilatérale de sécurité sociale ;

– la suppression de la condition d’accord de l’étranger pour la transmission des informations médicales le concernant aux médecins de l’Ofii.

Par ailleurs, l’article 10 du projet de loi modifiait également l’article L. 425-9 en précisant la définition des « circonstances d’une exceptionnelle gravité », qui devaient s’apprécier « compte tenu du risque que le défaut de prise en charge médicale fait peser sur le pronostic vital de l’étranger ou sur la détérioration significative de l’une de ses fonctions importantes, mais également sur la probabilité et du délai présumé de survenance de ces conséquences ».

Ces deux articles, ayant été considérés comme sans lien avec les dispositions initiales du projet de loi, ont cependant été censurés par le Conseil constitutionnel ([15]).


  1.   Un nombre important de bénéficiaires

● Selon le rapport de l’Ofii au Parlement sur l’admission au séjour pour soins au titre de l’année 2022 ([16]), 181 089 demandes d’admission au séjour pour soins ont été enregistrées entre 2017 et 2022, le nombre d’avis favorable au maintien sur le territoire étant de 57,6 % en moyenne. Les principales nationalités des demandeurs sont retracées dans les tableaux ci-dessous.

Pays de provenance des demandes

Pays

Part des demandes 2017-2022

Algérie

11,2 %

RDC

6,6 %

Côte d’Ivoire

5,9 %

Cameroun

5,3 %

République de Guinée

4,9 %

Comores

4,4 %

Haïti

4,1 %

Mali

4,1 %

Géorgie

3,9 %

République du Congo

3,8 %

Maroc

3,5 %

Sénégal

3,3 %

Arménie

3,3 %

Albanie

3,1 %

Nigeria

2,5 %

Kosovo

2,2 %

Tunisie

2,1 %

Bangladesh

1,5 %

Pakistan

1,5 %

Source : Ofii, rapport au Parlement sur la procédure d’admission au séjour pour soins pour l’année 2022, décembre 2024.

Les ressortissants algériens bénéficient d’un régime spécifique issu de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Aux termes de son article 6, un certificat de résidence d’un an portant la mention « vie privée et familiale » est délivré de plein droit « au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse pas effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans son pays » ([17]). Aussi, indépendamment des évolutions de la loi française, les ressortissants algériens bénéficient d’un régime reposant sur le « bénéfice effectif » d’un traitement dans le pays d’origine.

● Au titre de la seule année 2023, le nombre de demandes enregistrées par l’Ofii est de 24 858, en hausse de 2,8 % par rapport à 2022. Au total, le pourcentage d’avis favorables des médecins de l’Ofii sur ces demandes s’élève à 64,1 %.

Évolution du nombre de demandes d’admission au sÉjour pour soins

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Source : DGEF.

 

Le nombre de premiers titres de séjour pour soins délivrés par les préfectures est, quant à lui, de 3 090, en baisse de 6,1 % par rapport à l’année précédente.

Évolution du nombre de premiers titres de sÉjour pour soins

cid:image002.jpg@01DB6E50.DE776FD0

Source : DGEF.

● De nombreuses pathologies sont aujourd’hui traitées dans le cadre de l’admission au séjour pour soins.

Principales pathologies concernÉes

Pathologie

Part des demandes 2017-2022

Certaines maladies infectieuses et parasitaires

25,2 %

Maladies de l’appareil circulatoire

20,9 %

Troubles mentaux et du comportement

20,5 %

Maladies endocriniennes, nutritionnelles et métaboliques

17,4 %

Tumeurs

12,8 %

Maladies du système nerveux

7,4 %

Maladies du système ostéoarticulaire, des muscles et du tissu conjonctif

7,3 %

Facteurs influant sur l’état de santé et motifs de recours aux services de santé

7,3 %

Maladies de l’appareil génito-urinaire

6,3 %

Maladies du sang et des organes hématopoïétiques et certains troubles du système immunitaire

3,7 %

Source : Ofii, ibid.

Aussi, le titre de séjour « étranger malade » bénéficie aujourd’hui à de nombreuses personnes, dans le cadre de traitements pour des pathologies allant bien au-delà de la lutte contre le VIH : en 2022, seules 4 119 demandes liées à cette pathologie ont été enregistrées, soit 18,4 % de l’ensemble des demandes ([18]). L’Ofii souligne, d’ailleurs, que les capacités de traitement du VIH se sont développées de façon importante ces dernières années dans de nombreux pays, avec le soutien du Programme commun des Nations unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA).

  1.   Un outil humanitaire dÉsormais redondant et dÉvoyÉ en opportunitÉ de rÉgularisation

La légitimité du dispositif d’admission au séjour pour soins, dans ses conditions actuelles, pose aujourd’hui question. Inspiré par des motifs humanitaires et sanitaires, il est aujourd’hui dévoyé comme une voie d’accès au séjour dans notre pays et d’accès à des soins de meilleure qualité. En plus de sa progressive extension au-delà des soins urgents et non disponibles dans le pays d’origine, plusieurs rapports récents soulignent les carences du dispositif.

  1.   Un dispositif coûteux et redondant avec d’autres voies d’accès aux soins

● Le coût budgétaire de l’admission au séjour pour soins ne fait pas l’objet d’un suivi spécifique par l’administration. Les services du ministre de l’intérieur ont ainsi confirmé au rapporteur qu’ils ne disposaient pas d’une telle donnée. De récents travaux parlementaires permettent néanmoins d’évaluer ce coût.

Dans un rapport d’information déposé en 2023 ([19]), notre ancienne collègue Véronique Louwagie estimait que le coût du dispositif pouvait s’élever à 90 millions d’euros par an. Au regard du manque de données disponibles cette estimation serait, de façon probable, fortement sous-estimée.

Le rapport de notre ancienne collègue met également en valeur la tension que fait peser la délivrance de ces titres de séjour sur certains soins, qu’il s’agisse de greffe rénale, de pédopsychiatrie ou de cancer pédiatrique.

● Si l’admission au séjour pour soins représente un coût significatif, elle s’inscrit en réalité parmi onze dispositifs d’offre de soins aux étrangers              , dont les principaux représentent un coût estimé à 1,8 milliard d’euros.

Coût estimé de sept des onze dispositifs dispensant des soins aux étrangers en situation irrégulière

(en millions d’euros)

Dispositif

Coût

Aide médicale de l’État

1 186,4

Maintien des droits à l’Assurance maladie

193,4

Mission d’intérêt général précarité

139,9

Soins dispensés à Mayotte

90

Titres de séjour pour soins

90

Permanence d’accès aux soins de santé

64,3

Soins dispensés en centres de rétention administrative

17,6

Total

1 781,6

Source : Véronique Louwagie, op. cit.

Or, au regard des conditions d’accès à ces différentes prestations, il apparaît que la suppression du titre de séjour pour soins n’entraînerait pas de rupture de la prise en charge médicale pour les étrangers concernés :

– l’aide médicale de l’État (AME) ([20]) est ouverte aux étrangers en situation irrégulière qui séjournent en France de manière ininterrompue depuis au moins trois mois et ne disposent pas de revenus annuels supérieurs à un certain plafond, actuellement de 10 166 euros annuels pour une personne seule en métropole. L’AME ouvre droit à une prise en charge à 100 % des soins médicaux et hospitaliers, dans la limite des tarifs de la sécurité sociale, sans avance de frais par la personne concernée. Les étrangers en situation irrégulière qui ne remplissent pas les conditions d’accès à l’AME peuvent également voir leurs soins urgents pris en charge ([21]) ;

– si l’étranger travaille ou à partir de trois mois de résidence stable et régulière, il peut bénéficier de la protection universelle maladie (PUMa) ([22]), qui ouvre droit aux mêmes conditions et taux de prise en charge de base des soins que les autres assurés sociaux.

Notre pays offre ainsi un accès aux soins particulièrement généreux et indépendant de la régularité du séjour de la personne concernée. Comme l’ont indiqué les services du ministre de l’intérieur au rapporteur, l’ensemble des étrangers présents sur le territoire national bénéficient d’une couverture du risque maladie et donc d’une prise en charge de leurs frais de santé, que ce soit via l’AME ou la PUMa.

L’admission au séjour pour soins apparaît redondante avec ces deux dispositifs : si l’étranger est en situation régulière, il bénéficie de la prise en charge de ses dépenses de santé par le biais de la PUMa ; à l’inverse, s’il est situation irrégulière, la prise en charge par l’AME lui est ouverte, y compris dès son arrivée pour des soins urgents. Dans ce deuxième cas, il convient de rappeler que les étrangers malades sont protégés contre les mesures d’éloignement ([23]).

  1.   Le dévoiement d’un outil devenu une opportunité de régularisation et d’accès à des soins d’une meilleure qualité

Au regard de la prise en charge médicale des frais de santé des étrangers en France, l’admission au séjour pour soins a été dévoyée en devenant une opportunité de régularisation.

● Ce dévoiement de l’admission se traduit dans l’éligibilité de certaines nationalités au dispositif. Depuis 2017, 5 598 demandes de titre de séjour pour soins ont été déposées par les ressortissants des pays du G20. Si les principaux pays d’origine des demandeurs en 2022 sont le Brésil (223 demandes) et la Russie (199 demandes), des demandes en provenance des États-Unis, du Canada, de Chine et du Japon ont été comptabilisées. Dans son rapport au Parlement précité, l’Ofii souligne qu’il ne s’agit « pas toujours de recherche de soins non disponibles dans les pays d’origine mais celle de soins de meilleure qualité que ceux qui y existent pourtant, ou de soins très onéreux et innovants, que seuls un système comme l’Assurance maladie en France permet d’offrir ». Le critère de l’indisponibilité des soins dans le pays d’origine semble ainsi peu opérant.

Dans le même temps, l’article R. 313-3 du Ceseda offre à tout étranger non résidant la possibilité de solliciter un visa pour un séjour motivé par une hospitalisation, les soins étant alors à la charge du demandeur selon les conditions de l’article R. 6145-4 du code de la santé publique. L’objectif de protection des plus démunis apparaît, dès lors, détourné et le rapport de l’Ofii conclut que la procédure « Étrangers malades » tendrait ainsi « à devenir une prestation de santé internationale se substituant au droit applicable en matière de soins aux étrangers ».

De fait, une note de mars 2023 de la Fondation pour l’innovation politique souligne que, en matière d’accès aux soins dans le cadre des politiques d’accueil des étrangers, la France est le pays le plus généreux du monde ([24]). La note considère que les titres de séjour pour soins représentent même une « exception française déraisonnable », dès lors que le critère d’accès n’est pas la disponibilité d’une offre de soin adaptée à la pathologie mais la possibilité pour la personne d’accéder à ces soins.

● Par ailleurs, le dispositif applicable en France est plus favorable que celui des autres pays européens et va au-delà des exigences du droit de l’Union. La directive n° 2008/115 du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier prévoit la prise en charge des seuls soins médicaux urgents dans le cadre des « garanties dans l’attente du retour ». Il n’impose pas la délivrance d’un titre de séjour destiné au suivi d’un traitement médical.

Aussi, certains étrangers bénéficiant déjà d’un titre de séjour délivré dans un autre pays de l’Union européenne déposent une demande d’admission au séjour pour soins en France, plus favorable que celui dont ils peuvent bénéficier ailleurs dans l’Union. Ce défaut de coordination avec les autres pays européens apparaît préjudiciable.

Outil humanitaire et sanitaire légitime en son temps, l’admission au séjour pour soins, aujourd’hui redondante avec les autres dispositifs de prise en charge des frais médicaux des étrangers en France, est devenue une opportunité dévoyée de régularisation à laquelle il convient de mettre fin. L’accès aux soins avec prise en charge des frais médicaux, qui est aujourd’hui assurée à tous les étrangers, doit être décoléré de l’octroi d’un titre de séjour, dans l’esprit du législateur de 1997.

  1.   Le dispositif proposÉ

Au regard des éléments présentés plus haut, l’article unique de la présente proposition de loi propose d’abroger l’article L. 425-9, supprimant ainsi la possibilité, pour un étranger, de se voir délivrer une carte de séjour temporaire au titre d’un traitement médical.

  1.   LA POSITION DE la commission des Lois

Par l’adoption de quatre amendements identiques CL1 de M. Christophle et des membres du groupe Socialistes et apparentés, CL2 de Mmes Faucillon et K/Bidi du groupe Gauche démocrate et Républicaine, CL5 de Mme Élisa Martin et plusieurs de ses collègues du groupe LFI-NFP et CL12 de Mme Sebaihi et plusieurs de ses collègues du groupe Écologiste et social, la commission des Lois a supprimé cet article.

 


 

   Compte rendu des dÉbats

Lors de sa seconde réunion du mercredi 29 janvier 2025, la Commission examine la proposition de loi visant à abroger le titre de séjour pour étranger malade (n° 689) (M. Éric Pauget, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/cLseiZ

M. Éric Pauget, rapporteur. Cette proposition de loi déposée par notre ancienne collègue Véronique Louwagie vise à abroger le titre de séjour pour étranger malade. Cependant, il ne remet pas en cause la prise en charge des soins dont bénéficient les personnes en situation irrégulière, désormais protégées par une dizaine de dispositifs. En revanche, il propose de supprimer une mesure devenue redondante, car le titre de séjour pour soins a été progressivement dévoyé pour devenir un outil de régularisation de l’immigration illégale.

Créé il y a une trentaine d’année, bien avant l’aide médicale de l’État (AME) ou la couverture médicale universelle (CMU), l’admission au séjour pour soins en France visait à répondre essentiellement aux défis sanitaires causés par la pandémie de VIH.

À l’origine, nos anciens collègues avaient imaginé ce dispositif pour ne pas mettre en danger la vie des étrangers séropositifs présents en France et dont le pronostic vital était engagé en cas d’absence de traitement. Il s’agissait aussi de limiter la propagation de la pandémie sur notre territoire. Comme il n’existait pas à l’époque de dispositif de soins dédié aux clandestins, ils avaient proposé de protéger des mesures d’éloignement l’étranger résidant habituellement en France atteint d’une pathologie grave nécessitant un traitement médical dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays de renvoi.

Encore régi pour l’essentiel par l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), le titre de séjour pour soins, qui a été considérablement élargi au fil du temps et progressivement remplacé par de nouveaux dispositifs de santé au bénéfice des personnes en situation irrégulière, semble avoir été détourné pour devenir un outil de régulation migratoire.

En effet, la majorité issue des élections de 1997 a profondément modifié et étendu le dispositif, en créant un titre de séjour en bonne et due forme pour motif médical. L’accès au traitement médical et la régularisation du séjour étaient dès lors intimement liés.

Son bénéfice a ensuite été progressivement élargi, malgré les alternances politiques qui en ont modifié les conditions sans remettre en cause ce lien. L’une des principales questions était de savoir si c’est l’absence de traitement dans le pays d’origine qui doit permettre le droit à l’admission au séjour pour motif médical ou l’effectivité de l’accès à ce traitement – notion qui intègre des critères socio-économiques.

Symbole de ces dérives, alors qu’une loi de 2011 avait retenu le critère de « l’absence de traitement », une nouvelle loi adoptée en 2016 était revenu à celui de « bénéfice effectif ».

Aussi, malgré les modifications législatives, l’admission au séjour pour soins est depuis trente ans un élément important de notre politique d’immigration. Environ 21 000 personnes bénéficient aujourd’hui d’un tel titre de séjour.

Si l’objet de ce texte n’est pas de remettre en cause le droit aux soins des personnes en situation irrégulière, nous devons nous interroger sur les conséquences des modifications de l’accès au titre de séjour pour soins, qui l’ont éloigné de son objectif initial.

Comme je l’ai dit, l’admission au séjour pour soins est actuellement soumise à un certain nombre de conditions.

La première est celle de résidence habituelle, notion que nous avons précisée dans la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Or cette condition est malheureusement peu contrôlée. Pire encore, l’article R. 425-14 du Ceseda permet à l’étranger ne la respectant pas de se voir tout de même délivrer une autorisation provisoire de séjour pour motif médical.

La deuxième condition tient à l’état de santé de la personne concernée, qui doit nécessiter une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir des conséquences d’une gravité exceptionnelle. Cette condition est notamment appréciée au regard de l’engagement du pronostic vital. Les étrangers qui la remplissent peuvent désormais bénéficier du nouveau dispositif de soins urgents et vitaux (DSUV).

La dernière condition est liée aux caractéristiques du système de santé dans le pays d’origine, qui ne doivent pas permettre à l’étranger d’y bénéficier effectivement d’un traitement approprié.

Une personne en situation irrégulière satisfaisant à toutes ces conditions se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », valable un an et renouvelable pour toute la durée des soins.

L’appréciation des deux dernières conditions est confiée aux médecins de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), qui a repris la mission d’instruction médicale des demandes de ce titre de séjour depuis 2017. Cette compétence était auparavant confiée aux agences régionales de santé (ARS).

L’instruction est effectuée par un collège de médecins, qui apprécient l’état de santé de la personne concernée ainsi que les conditions d’accès aux soins dans le pays d’origine. Si leur avis est positif, le préfet ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée.

Gageons enfin que la reconnaissance d’un droit au traitement à vie peut entraîner la délivrance d’un titre de séjour pour soins à vie, même si cette dérive se traduit le plus souvent par une mesure de régularisation.

Ces dévoiements ont été mis en lumière par Véronique Louwagie dans son rapport d’information sur l’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière et mon groupe a décidé de proposer l’abrogation du titre de séjour pour étranger malade. Ce faisant, nous avons délibérément choisi d’aller plus loin que le dispositif visant à mieux encadrer ses conditions de délivrance, adopté en commission mixte paritaire et censuré par le Conseil constitutionnel en janvier 2024 au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.

En effet, l’admission au séjour pour soins nous semble être devenue un outil totalement dévoyé de régularisation pour les raisons suivantes.

Tout d’abord, l’universalité du dispositif l’a détourné de son objectif humanitaire initial. N’importe quel ressortissant de n’importe quel pays peut présenter une demande – et la voir acceptée – dès lors qu’il justifie de l’absence d’une couverture médicale suffisante dans son pays. Cette situation conduit d’autant plus à s’interroger qu’il est difficile d’évaluer les caractéristiques du système de santé d’un pays en l’absence de bases de données fiables et actualisées. Le Sida est la seule maladie pour laquelle les médecins de l’Ofii disposent de d’informations précises sur les capacités des systèmes de santé nationaux.

Par ailleurs, il convient de noter que les capacités médicales se sont développées dans de nombreux pays, en particulier sur le continent africain, pour la prise en charge notamment du VIH, sous l’égide d’Onusida, projet auquel la France a beaucoup contribué.

Ensuite, force est de constater que la prise en charge des frais médicaux des étrangers en France s’est beaucoup développée ces dernières années. Notre ancienne collègue Véronique Louwagie avait dénombré pas moins de onze dispositifs pour cette prise en charge, dont le principal est l’’aide médicale de l’’État.

De la sorte, aujourd’hui, la prise en charge des frais médicaux des étrangers est devenue indépendante de la régularité du séjour. En effet, dès leur premier jour de présence en France, les personnes sans titre de séjour régulier sont couvertes par le DSUV. Il leur permet de bénéficier des soins destinés à lutter contre la propagation d’une maladie initialement couverte par le titre de séjour pour soins. Il permet aussi de soigner les personnes en situation irrégulière dont le pronostic vital est engagé ou touchées par une altération grave et durable de leur état de santé. Les personnes en situation irrégulière présentes en France depuis trois mois peuvent, quant à elles, disposer des soins pris en charge par l’aide médicale de l’’État créée en l’’an 2000, y compris en cas de soins urgents. L’AME est d’ailleurs plus favorable que l’admission au séjour pour soins, dès lors qu’elle n’est pas conditionnée aux caractéristiques du système de santé du pays d’origine ou à l’importance vitale du traitement.

Les personnes disposant d’un titre de séjour sont affiliées, dès trois mois de résidence, à l’assurance maladie grâce au dispositif de la protection universelle maladie (Puma). Je rappelle que la France est le seul pays au monde à proposer un titre de séjour pour soins. La Belgique a voulu se doter d’un dispositif similaire, mais il n’est finalement comparable en rien à notre dispositif tant ses conditions d’accès sont restrictives.

L’admission au séjour pour soins en France va donc largement au-delà des obligations que nous assigne le droit européen. Ces dérives créent des effets de bord préjudiciables envers nos concitoyens qui ont de plus en plus de mal à se soigner. Certains étrangers extracommunautaires bénéficiant de titres de séjour dans un autre pays de l’Union et, à ce titre, de la prise en charge des frais médicaux par le système de santé du pays concerné viennent quand même déposer une demande de titre de séjour en France pour bénéficier d’une prise en charge plus favorable. Cette prise en charge est d’ailleurs tellement favorable qu’elle attire des ressortissants des pays du G20 – ce que l’Ofii nous a confirmé lors de son audition –dont certains sont pourtant dotés de systèmes de santé équivalents au nôtre. Plus de 6 000 ressortissants de ces pays, par exemple des États-Unis, du Canada, du Japon ou de la Chine, ont effectué une telle demande de carte de séjour pour soins en France entre 2017 et 2024. Ces ressortissants viennent chercher une prise en charge que seule l’assurance maladie française est capable d’offrir, notamment pour certaines molécules innovantes.

L’octroi de titres de séjour pour soins emporte deux conséquences bien moins visibles, mais qui ont un impact majeur sur notre système de santé et de solidarité, pour lesquelles nos compatriotes cotisent.

D’une part, l’obtention du titre de séjour pour soins, régularisant la situation des clandestins, permet aux personnes en situation irrégulière, souvent bien plus jeunes que nos compatriotes candidats à une greffe, de pouvoir être prioritaires dans l’accès aux greffons, car leur âge présente de meilleures garanties de réussite de l’opération. Conséquence directe de cette pratique – ce qui nous a aussi été confirmé lors des auditions –, plus de 400 de nos concitoyens perdent la vie chaque année et des milliers d’autres sont condamnés à la dialyse à vie car ils ne peuvent être greffés.

D’autre part, le bénéfice du titre de séjour pour soins constitue une porte d’entrée dérobée vers la solidarité nationale. En effet, par-delà le droit aux soins offerts aux personnes en situation irrégulière par l’octroi de ce titre, qui pourraient pourtant être soignées grâce aux onze dispositifs de santé dédiés aux étrangers, la délivrance du titre de séjour pour soins ouvre l’accès aux personnes en situation irrégulière à l’ensemble des prestations sociales – titres de transport gratuits, aides au logement ou allocation aux adultes handicapés (AAH).

Au vu de l’existence de multiples dispositifs de soins pour les étrangers, il existe donc une véritable dérive sous-jacente du titre de séjour pour soins qui se manifeste par le dévoiement des objectifs initiaux de sauvegarde de la santé des personnes en situation irrégulière vers un outil de régularisation aux multiples avantages.

Notre groupe ne souhaite pas empêcher l’accès aux soins des étrangers présents en France. Nous souhaitons interroger un dispositif progressivement dévoyé en outil de régularisation, alors même qu’une prise en charge médicale est assurée indépendamment de la régularité du séjour. Avec le développement de la Puma et de l’aide médicale de l’État, il convient d’aller au bout de la logique d’universalisation de la prise en charge des frais de santé et d’abroger un dispositif devenu obsolète et source d’abus. Avec cette proposition de loi, c’est empreints de bon sens que nous souhaitons achever ce mouvement en décorrélant l’accès aux soins de la délivrance d’un titre de séjour. Tel est l’objet de cet article unique proposant d’abroger l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Laure Miller (EPR). Nous étudions cette proposition de loi qui porte sur l’abrogation du titre de séjour étranger malade. Nous avons déjà abordé ce sujet lors de l’examen du projet de loi de Gérald Darmanin l’année dernière.

Ce titre de séjour concerne moins de 10 000 cas chaque année, chiffre à comparer aux 400 000 bénéficiaires de l’AME. Il est né dans les années 1990 pour aider des personnes atteintes du sida qui ne pouvaient pas bénéficier d’une trithérapie dans leur pays d’origine. Nous ne sommes plus dans la même situation aujourd’hui.

Pour en bénéficier, trois conditions sont à remplir : l’étranger doit résider habituellement en France, son état de santé doit nécessiter une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité et il pourrait ne pas bénéficier d’un traitement approprié eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé de son pays d’origine.

Avant 2011, le critère était celui de la disponibilité du traitement dans le pays d’origine. En 2011, la loi a évolué pour retenir le critère de l’absence du traitement avant de revenir en 2016 à la notion de bénéfice effectif dans le pays d’origine. 2016 est aussi l’année où l’évaluation médicale des demandes de titres de séjour est passée sous la responsabilité de l’Ofii, réforme décidée à la suite de rapports d’inspection faisant état de réels dysfonctionnements. Grâce à cette réforme, le nombre de titres délivrés chaque année a baissé.

Lors de l’examen de la loi « immigration », nous étions arrivés à une solution intéressante pour encadrer plus justement ce titre, mais les articles concernés du projet de loi ont été censurés par le Conseil constitutionnel. Il s’agissait alors de revenir à la situation antérieure à 2016, où le critère était l’absence de traitements appropriés dans le pays d’origine, sauf circonstances humanitaires exceptionnelles, appréciées par l’Ofii.

Malgré un arrêté de janvier 2017 précisant la notion d’« exceptionnelle gravité » justifiant la prise en charge de l’étranger, les interprétations par la jurisprudence de ce critère sont variables et parfois discutables. Faire de cet arrêté une disposition législative permettrait de lutter contre les jurisprudences contraires à l’esprit du législateur de 2016.

Le compromis juste et digne que nous avions trouvé fin 2023 en commission mixte paritaire sur ce titre de séjour nous incite à ne pas soutenir sa suppression pure et simple. Les amendements déposés par le groupe Horizons permettraient de mettre fin aux failles du système et à la légitime incompréhension de nos compatriotes.

M. le président Florent Boudié. Je me permets de préciser vos propos, puisque le nombre de titres délivrés chaque année – environ 3 000 – est bien inférieur au chiffre de 10 000 que vous avez cité.

M. Jonathan Gery (RN). La France est un eldorado pour les étrangers malades, qui contribuent à la dérive de nos dépenses de soins. C’est, en résumé, le principal enseignement de la dernière note de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie consacrée à l’immigration et au système de santé.

Parmi les onze dispositifs de prise en charge sanitaire des étrangers en vigueur dans notre pays, deux sont financés quasi intégralement par la solidarité nationale : l’aide médicale de l’État, réservée aux immigrés en situation irrégulière, dont la générosité est sans égale dans le monde, et le séjour pour soins, qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui et qui est, lui aussi, une exception française.

Le titre de séjour pour soins, prévu par l’article L. 425-9 du Ceseda, permet à un étranger en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale urgente d’obtenir un droit de séjour temporaire renouvelable en fonction de ses besoins médicaux. Pour en bénéficier, le demandeur doit en théorie justifier d’une résidence habituelle en France d’au moins un an et ne pas avoir accès à des soins appropriés dans son pays d’origine. En outre, sa santé doit être exposée à des conséquences d’une exceptionnelle gravité en cas d’absence de traitement.

Ce dispositif a été conçu à l’origine pour des situations exceptionnelles et humanitaires mais il a évolué pour inclure un nombre croissant de bénéficiaires. Entre 2017 et 2022, 140 000 demandes ont été déposées, avec un taux d’avis favorable de 57 %. Le système français est souvent présenté comme l’un des plus favorables en Europe, bien au-delà des exigences des autres États membres de l’Union européenne.

Plusieurs critiques émergent quant à la gestion et aux critères d’accès au dispositif. La condition de résidence habituelle en France est jugée trop souple, permettant à des personnes récemment arrivées d’accéder au dispositif. En 2022, environ 13 % des demandes concernaient des étrangers présents en France depuis moins d’un an. De plus, le critère de gravité exceptionnelle des pathologies est souvent interprété de manière trop large, permettant l’admission de cas non conformes à l’objectif initial. Par exemple, des traitements comme la procréation médicalement assistée ont été approuvés pour des ressortissants dont le pays d’origine ne disposait pas de cette technologie. Enfin, le critère d’absence de traitements disponibles dans le pays d’origine est fréquemment contourné, permettant à des ressortissants de pays disposant de systèmes de santé performants comme les États-Unis et le Canada d’être admis.

Le coût du dispositif est un autre point central. Bien qu’il soit difficile à quantifier précisément, les pathologies prises en charge sont souvent lourdes et coûteuses. Par exemple, des traitements pour l’hémophilie A ou l’amyotrophie spinale peuvent coûter entre 300 000 et 1 million d’euros par an et par patient. En 2022, environ 30 000 titres de séjour pour soins étaient actifs, générant un coût estimé à au moins 100 millions, sans inclure les coûts administratifs. De plus, ces coûts pèsent sur l’assurance maladie sans que les bénéficiaires ne contribuent directement à leur financement.

Il faut souligner l’impact du dispositif sur les infrastructures de santé françaises, pourtant déjà sous pression. Les secteurs de l’oncopédiatrie, de la dialyse rénale et des greffes d’organes sont particulièrement affectés. Ainsi, 20 % des lits en hématopédiatrie au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse étaient occupés par des étrangers en 2022, créant des tensions dans l’accès aux soins pour les résidents français. Les cas de greffe d’organes illustrent cette problématique : sur les 3 400 greffes de reins réalisées en France en 2022, une proportion croissante concernait des étrangers, malgré un temps d’attente médian de deux ans et demi pour les résidents.

L’ensemble de ces éléments nous conduit à mettre en lumière l’existence d’une véritable dette de santé importée en France par l’actuelle politique d’immigration. La pression migratoire exercée sur le système de santé français apparaît difficilement soutenable à moyen et long terme, non seulement sur le plan des finances publiques, mais aussi parce qu’elle aggrave la saturation de l’offre sanitaire.

Pour toutes ces raisons, le groupe Rassemblement national soutient cette proportion de loi.

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). L’avantage avec la figure de l’étranger, c’est qu’on peut le rendre responsable de tout. Cette figure fantasmée et caricaturée évite de parler des vrais problèmes. Croyez-vous vraiment que les problèmes du système public de santé, et particulièrement des hôpitaux publics, soient dus à l’existence d’un titre de séjour pour étranger malade qui donne accès aux soins dans une logique à la fois sanitaire et humaniste ? Il faudrait plutôt réfléchir à d’autres recettes pour l’État, particulièrement en taxant les hauts revenus et les gros patrimoines, sans oublier évidemment les boursicoteurs. Mais le 49.3 est passé par là et le travail de notre assemblée, démocratique pourtant, a été mis à bas.

Vous avez été bien inspirés de déposer cette proposition de loi dans un contexte où le Président de la République évoque honteusement les Mamadou aux urgences. La couleur de peau ne dit pas la nationalité, surtout dans un pays comme le nôtre où 25 % d’entre nous ont au moins un grand-parent étranger. Nous sommes donc des mélangés et nous en sommes fiers. Vous avez été bien inspirés lorsque l’illégitime Premier ministre parle de submersion migratoire. C’est inacceptable et absolument dégoûtant. Comme à votre habitude, vous utilisez des logiques de bouc émissaire, ce qui signifie du racisme et de la xénophobie, mâtinées d’une démagogie absolue.

Vous êtes en effet incapables de préciser le nombre de bénéficiaires et les coûts afférents. Nous avons pu le constater dans les propos des orateurs précédents qui ont parlé de 30 000 bénéficiaires, parfois de 21 000, 10 000, 4 000 ou 3 000. Vous évoquez un « appel d’air migratoire », ce qui n’est pas anodin, tout en avouant qu’il est impossible de le prouver.

Vous vous prenez les pieds dans le tapis et faites des comptes d’apothicaires approximatifs. Le rapport d’information de Véronique Louwagie sur l’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière en fournit des exemples : il parle d’un « dispositif sans doute onéreux », d’« un coût difficile à estimer », d’un montant « certainement très significatif » et d’« un faisceau d’indices [laissant] supposer que ces dépenses peuvent être élevées ». Vous dégradez encore un peu plus la France humaniste en raison de coûts que vous ne connaissez même pas.

Vous ne dites pas la vérité sur la nationalité des bénéficiaires. Les premières nationalités représentées ne sont pas les Américains et les Canadiens, mais – c’est dans le rapport de Mme Louwagie – les Algériens, les Congolais et jusqu’à nos amis arméniens.

Je m’étonne au passage de votre énumération des maladies chroniques liées au mode de vie. Vous ne reculez devant rien : elle est très large. Dois-je comprendre que vous visez le capitalisme et l’ensemble de ses méfaits ?

Vous essayez de nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Vous parlez d’appel d’air, mais vous ne connaissez pas le chiffre exact des bénéficiaires. Vous laissez entendre que ce titre serait facilement distribué alors que ce n’est pas le cas puisqu’il est soumis à plusieurs conditions : résidence habituelle, défaut de prise en charge exposant la personne à des conséquences d’une exceptionnelle gravité et, en conformité avec une décision du Conseil d’État du 7 avril 2010, absence d’accès effectif au traitement en fonction de la situation économique de la personne concernée.

Ce texte xénophobe, qui vise, encore et toujours, les étrangers, et démagogique, puisque vous n’êtes pas en mesure de fonder l’abrogation du dispositif en raison, défigure encore un peu plus la France, dont le devoir est de venir en aide et de faire preuve de fraternité.

M. Paul Christophle (SOC). Ce texte, promu par une droite qu’on souhaiterait républicaine, rejoint la longue liste de ceux qui ne font pas honneur à la République. Nous étions habitués aux attaques obsessionnelles du Rassemblement national envers les étrangers. Nous sommes désormais habitués à celles des Républicains, qui décident cette fois de s’attaquer aux étrangers dont la survie médicale est en jeu.

Le titre de séjour que ce texte abroge permet à un étranger malade d’obtenir un titre de séjour d’une année aux conditions suivantes : il doit résider habituellement en France, il doit ne représenter aucune menace pour l’ordre public, il doit souffrir d’une maladie dont l’absence de prise en charge pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et dont il ne pourrait pas se soigner de manière appropriée dans son pays d’origine.

Face à ce dispositif, dont l’utilité est aujourd’hui avérée, vous opposez des arguments fallacieux qui ne résistent pas à l’analyse des faits. Vous estimez que ce titre de séjour constitue un appel d’air migratoire vers la France. Rien n’est plus faux.

Son octroi est en effet soumis à une procédure stricte qui repose sur un contrôle du corps médical du ministère de l’intérieur et une analyse du dossier par le préfet, à qui revient la décision finale d’attribution. La personne doit résider habituellement en France pour en bénéficier, ce qui permet, comme l’indique l’Ofii, d’écarter de ce dispositif les étrangers récemment entrés en France et dont le séjour sur le territoire français a manifestement pour finalité majeure l’accès aux soins en France pour traiter une maladie déjà ancienne. L’Ofii indique d’ailleurs que la durée moyenne de présence des primo-demandeurs adultes sur le territoire français à la date de dépôt de la demande est de trois ans. Votre argumentation selon laquelle des étrangers viendraient spécifiquement pour se faire soigner en France d’une maladie déjà contractée n’a donc aucun fondement. D’après les données de la direction générale des étrangers en France, 3 090 premiers titres de séjour étranger malade ont été délivrés en 2023, ce qui représente moins de 1 % des premiers titres de séjour délivrés en France cette même année. Depuis quatre ans, leur nombre a été réduit de 43 %, soit une diminution de 2 400 premiers titres de séjour pour soins entre 2019 et 2023. On est vraiment très loin de l’effet d’appel d’air migratoire que vous évoquez dans l’exposé des motifs de votre texte. On est très loin aussi de la submersion migratoire évoquée par le Premier ministre. Nos débats sur l’immigration en France méritent mieux qu’ignorance et démagogie.

Vous indiquez ensuite que la suppression de ce titre serait justifiée par le coût exorbitant qu’il représente. L’exposé des motifs reconnaît pourtant que les auteurs de ce texte ont été incapables de chiffrer son coût. Surtout, il ne prend aucunement en compte le bénéfice de ce dispositif. Il oublie de préciser que les trois premières maladies conduisant à l’obtention de ce titre sont des maladies infectieuses, transmissibles de personne à personne. La prise en charge de personnes présentes sur le territoire français souffrant de VIH, de tuberculose ou d’hépatite permet de stopper leur propagation et leur transmission.

En définitive, ce texte ne vise qu’à s’attaquer aux personnes les plus précaires à des fins purement électoralistes. Il surfe et alimente une vague anti-immigration en mettant en danger la santé publique et l’existence de personnes qui vivent et travaillent en France et qui cotisent donc à notre système de protection sociale dont vous souhaitez pourtant les priver. Pour toutes ces raisons, le groupe Socialistes et apparentés s’opposera fermement à cette proposition de loi.

M. Xavier Breton (DR). Je voudrais tout d’abord remercier notre collègue Éric Pauget pour la présentation de cette proposition de loi qui avait été initialement déposée par notre collègue Véronique Louwagie dont chacun peut reconnaître le souci de rigueur au niveau de la gestion des finances publiques et une vision modérée et humaine des dossiers. C’est important de le préciser, car les sujets concernant les étrangers sont actuellement abordés dans un climat éruptif.

Comme l’a indiqué le Premier ministre hier lors des questions au gouvernement, il ne faut pas nier les excès qui peuvent exister dans l’application de certains dispositifs. Il ne faut pas les exagérer non plus. Cette proposition de loi nous invite à regarder un de ces dispositifs en face, qui est aujourd’hui dévoyé puisque les critères de délivrance du titre l’ouvrent potentiellement à toutes les personnes qui, dans le monde, n’ont pas accès à une couverture sanitaire optimale. Des ressortissants de pays riches déposent ainsi des demandes, attirés par la qualité des soins en France.

Nous sommes le seul pays européen à disposer d’un tel dispositif. Or, on entend souvent qu’il faudrait aligner nos politiques sur nos voisins européens, ce qui me semble d’autant plus nécessaire dans ce domaine que, pour beaucoup de Français, la couverture sanitaire et le droit d’accès aux soins sont loin d’être optimaux. Selon une enquête menée par l’institut CSA en 2023, près de 20 % des Français déclarent renoncer à des soins médicaux pour des raisons financières et ce taux monte même à 40 % pour les ménages aux revenus les plus modestes. Dans certains territoires, et notamment dans les déserts médicaux, les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous médical peuvent dépasser six mois, même pour des pathologies graves. Ces chiffres témoignent d’une véritable crise de l’accès aux soins pour nos compatriotes.

Cette proposition de loi incarne notre volonté de préserver l’équité et la justice sociale dans l’accès aux soins par la suppression d’un dispositif qui détourne des ressources pourtant nécessaires à nos concitoyens dans l’accès aux soins.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Je ne suis pas surprise par cette proposition de loi, déposée par un groupe parlementaire qui multiplie les provocations et appels du pied à l’extrême droite depuis la dernière législature. Déjà, l’année dernière, lors de votre niche parlementaire, vous aviez choisi de stigmatiser, sous des arguments fallacieux, toute une partie de la population. À l’époque, il s’agissait les Algériens et ils sont encore aujourd’hui votre obsession. Aujourd’hui, il s’agit des étrangers malades. Au lieu de vous atteler aux réformes structurelles pour notre modèle de soins, vous préférez pointer du doigt les étrangers.

Dans votre proposition de loi, pas beaucoup de chiffres, pas beaucoup de sérieux mais beaucoup d’amalgames et d’idéologie raciste. Vous parlez de submersion, d’appel d’air, de filière d’immigration, comme si tout le monde était suspect, comme si être soigné devait être réservé à une certaine catégorie de personnes. Mais où est donc passée votre humanité ? Les droits humains sont pourtant de ceux qui ne se négocient pas. Aujourd’hui, vous visez les étrangers malades, mais demain, qui sera sur votre liste ? Les chômeurs, qu’on jugera trop coûteux, les retraités, les plus précaires, pour peu qu’ils aient une couleur de peau différente ou une religion qui ne vous convient pas ? Rogner les droits des uns, c’est toujours ouvrir une brèche pour diminuer ceux des autres.

Votre proposition de loi, inhumaine par essence, continue d’alimenter un discours de peur, d’exclusion et de xénophobie qui est de plus en plus mal caché par vos prises de position. Tout à coup, le danger viendrait de celui qui aurait le VIH, le cancer, la sclérose en plaques ou encore le paludisme. Je rappelle que nous parlons de 3 291 titres de séjour pour soins délivrés en 2022, soit 1 % du total des titres de séjour délivrés.

Vous parlez souvent des valeurs civilisationnelles et judéo-chrétiennes de notre pays. Aider son prochain en fait partie. L’avez-vous oublié ? Pourquoi vouloir systématiquement enlever des droits aux autres ? Qui vous a traumatisé au point d’être obsédé par tout ce qui n’est pas blanc, catholique, européen ou simplement français ? Nous sommes devenus français au cours de la grande histoire de France, au gré des invasions. Il y a encore moins de 200 ans, le comté de Nice était étranger à la France. Jusqu’au siècle dernier, un Algérois était citoyen français.

Votre proposition de loi, si elle était adoptée, condamnerait des milliers de personnes, dont des mineurs. Elle arrêterait brutalement leurs traitements, les expulserait dans des pays où ils ne sont pas accessibles et où, parfois, leurs droits humains ne sont même pas respectés. Votre proposition de loi les condamnerait pour avoir eu le malheur de naître ailleurs.

Ce titre de séjour n’est pas un coût et la santé n’est d’ailleurs jamais un coût. Il est une question de dignité. Notre France ne trie pas les malades entre ceux qui méritent de vivre et ceux qui doivent mourir en silence, loin des regards. Notre France n’est pas celle de la sélection par la souffrance. L’étranger n’existe que par des frontières mal dessinées, par des achats de petits bouts de territoire, par des mariages plus ou moins arrangés et par des colonisations parfois barbares. Il existe à la faveur de massifs montagneux ou de fleuves qui, passant par là, ont fait reculer des invasions et mis des armées en échec.

Je vous invite à faire vôtre ces mots d’Amine Maalouf : « c’est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances et c’est notre regard qui peut aussi les libérer »

Mme Anne Bergantz (Dem). Cette proposition de loi vise à abroger le titre de séjour pour étrangers malades. Lors de sa création en 1998, sa philosophie et son humanisme étaient très clairs puisqu’il s’agissait de venir en aide à ceux qui ne pouvaient être soignés du VIH dans leur pays d’origine en raison d’une absence totale de soins adéquats. Au gré des réformes, ce titre de séjour a été en partie détourné de sa mission initiale. Ainsi, nous constatons qu’un nombre croissant d’étrangers demandent ce titre pour des pathologies vraisemblablement prises en charge par le système de santé de leur pays.

Selon l’Ofii, que nous avons auditionné, il existe 21 000 titres de séjour étranger malade en stock. On peut considérer que c’est peu face au nombre de cartes de séjour en circulation, mais il ne faut pas oublier que ces titres représentent un coût non négligeable pour l’assurance maladie. Ce coût n’est certes pas quantifiable, mais il est évaluable. Pour chacun des 21 000 bénéficiaires, dont la maladie entre dans la définition des affections de longue durée nécessitant donc un traitement prolongé et une thérapeutique coûteuse, les soins pourraient représenter au moins 50 000 euros par an et par personne, voire beaucoup plus pour les dialyses et les thérapies innovantes. Le coût global du dispositif devrait ainsi facilement atteindre 1 milliard par an.

À l’heure où l’assurance maladie et, plus largement, l’ensemble de nos finances publiques sont en crise, ces dépenses ne sont pas neutres. Elles s’ajoutent au coût de l’AME, supporté par l’État, qui correspond à l’étape préalable à la demande du titre de séjour étranger malade.

Dans un contexte de tension budgétaire et de crise hospitalière, liée notamment au manque de médecins et de personnel paramédical, il ne faut pas fuir le débat. Je vais donc poser une question difficile, éthique même : quelles capacités financières et humaines pouvons-nous allouer à l’accueil des étrangers malades, sans détériorer l’offre de soins de ceux qui contribuent à notre système social ?

Prenons un exemple concret, celui de la situation des centres de dialyse. Ils doivent faire face à l’explosion du nombre de patients atteints d’insuffisance rénale terminale, à la croissance du nombre de titres de séjour étranger malade pour insuffisance rénale et à un « atypisme concernant l’activité de dialyse pour les bénéficiaires de l’AME » – je cite le rapport Evin et Stefanini sur l’AME. Dans ces conditions, comment soigner les 10 000 nouveaux dialysés qui, chaque année, viennent rejoindre les rangs des personnes demandant des soins requérant des équipements lourds et du personnel médical et paramédical spécialisé ? Je rappelle qu’un dialysé nécessite 156 séances par an. Nous souhaiterions tous pouvoir accueillir et soigner tous les étrangers, mais on ne peut ignorer les tensions que cela ferait peser sur notre système de soins.

Le groupe Les Démocrates considère ainsi que les modalités d’accès à ce titre peuvent être questionnées. Nous soutiendrons donc la démarche du groupe Horizons visant à revenir à l’ancienne condition d’absence effective de traitements appropriés dans le pays d’origine, en remplacement de l’actuel critère de bénéfice effectif.

Notre groupe estime que si le périmètre de l’éligibilité du titre de séjour étranger malade doit être révisé, l’abrogation n’est pas une solution car elle ne permettra pas d’améliorer le contrôle des flux migratoires. En effet, en supprimant ce titre, nous supprimerions la procédure d’examen par l’Ofii pour en transférer la responsabilité aux préfectures, qui devront instruire des demandes d’autorisation provisoire de séjour. Elles ne disposeraient alors plus d’aucun avis médical sur lequel motiver leur décision concernant le titre de séjour. Notre groupe conditionnera donc son vote à une réécriture en profondeur de l’article unique sur les conditions d’accès au titre de séjour.

M. Paul Molac (LIOT). Monsieur le rapporteur, votre rapport contient beaucoup de chiffres. Pourtant, les étrangers malades sont avant tout des personnes dont le pronostic vital est engagé. En 2022, selon l’Ofii, il y a eu 150 primo-demandes de titre de séjour pour dialyse. Peut-être cela coûtera-t-il cher, mais ce seront aussi 150 personnes potentiellement sauvées. Il me semblait que ce qui comptait le plus, c’était la vie humaine. Assurément, le système actuel n’est pas parfait et il faut corriger ses failles. En revanche, proposer sa suppression pure et simple, sans vous poser la question des conséquences sur les personnes concernées, heurte mes valeurs humanistes.

Aux termes de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le titre est destiné à « l’étranger, résidant habituellement en France, dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité ». On est loin d’une procédure excessive ! D’ailleurs, le nombre de demandes n’a cessé de diminuer, en passant de 44 000 en 2017 à 24 000. En 2023, seuls 3 000 premiers titres ont été délivrés.

Plusieurs lois ont resserré les critères d’admission, dont celle relative au droit des étrangers de 2016 qui a transféré l’examen médical à un médecin de l’Ofii et non plus d’une agence régionale de santé (ARS), ce qui a permis d’harmoniser les pratiques. Le titre de séjour pour soins est essentiel. Il met en œuvre une solidarité nationale et traduit les valeurs humanistes de notre pays. Pourquoi vouloir le supprimer au lieu de chercher à l’améliorer ? À la lecture du rapport de l’Ofii, je constate que les difficultés ne viennent pas tant de la loi que de son application et d’une jurisprudence qui ne prend pas en compte l’évolution des systèmes de santé dans certains pays.

L’exposé des motifs évoque des effets d’aubaine au profit de citoyens américains, canadiens ou japonais. Si c’est le cas, je vous rejoins sur la nécessité de mieux calibrer les critères. Mais, dans le rapport de l’Ofii et même dans votre pré-rapport, ces trois pays ne figurent pas dans la liste des principaux demandeurs. Pourquoi les abus de quelques-uns devraient-ils conduire à l’abrogation d’un titre dont des hommes et des femmes ont véritablement besoin ? À ce stade, notre groupe demande au gouvernement de remettre au Parlement un chiffrage précis du coût pour l’assurance maladie des soins effectués par les bénéficiaires de ce titre de séjour. Cela permettrait d’éclairer et d’apaiser le débat public.

Je dois vous avouer une solide culture judéo-chrétienne et, comme il me reste un peu de temps, je pense qu’il ne serait pas inutile de rappeler ici la parabole du bon Samaritain. Un homme, après s’être fait rouer de coups et dépouiller, est abandonné au bord d’une route. Un prêtre passe et détourne les yeux. Un séminariste passe et détourne les yeux. Finalement, c’est un Samaritain, qui n’est pourtant pas en odeur de sainteté auprès des Hébreux de cette époque, qui s’occupe de l’homme blessé et le conduit dans un hôtel. Au fond, on pourrait tout aussi bien dire que la SNSM (Société nationale de sauvetage en mer) coûte trop cher et que les gens en perdition en mer peuvent se débrouiller. Si on les sauve, c’est parce que l’on a des principes. Notre groupe ne soutiendra pas ce texte.

Mme Elsa Faucillon (GDR). Chers collègues du bloc central, je suis prise d’un certain effroi voire d’un vertige à vous voir glisser si vite, utiliser les termes, les constats et une partie des propositions que la droite a elle-même copiés-collés des vieilles propositions du Front national. Tout cela relève d’une obsession – je ne vois pas d’autre mot pour qualifier votre manie de vouloir diminuer à ce point les droits des étrangers. Hier, c’était l’aide médicale d’État et le titre de séjour vie privée et familiale. Aujourd’hui, c’est celui pour étranger malade. On retrouve les mêmes éléments de langage : des dispositifs présentés comme des exceptions françaises et dont le coût est flou, le danger d’un supposé tourisme médical et, évidemment, pour achever la combinaison gagnante, le prétendu appel d’air.

Pourtant, ce titre concerne peu de personnes et son octroi est très encadré. Il a été créé en 1998, grâce à des mobilisations associatives, citoyennes et militantes contre le VIH. Il est réservé aux personnes étrangères gravement malades qui résident déjà en France. Alors que nous disposons de plein de chiffres, on dirait que vous n’en avez rien à faire. Selon le rapport de l’Office français de l’immigration et de l’intégration remis au Parlement le 20 décembre 2024 et portant sur l’année 2022, les principales raisons des demandes de titre de séjour pour soins étaient les maladies infectieuses et les maladies de l’appareil circulatoire, suivies des maladies endocriniennes et des cancers. Le nombre de personnes titulaires d’une carte de séjour pour raisons médicales est resté stable pendant des années, autour de 30 000, ce qui ne représente que 0,6 % de l’ensemble des titres de séjour délivrés. Supprimer ce titre entraînerait une dégradation de la santé des personnes et accroîtrait les risques d’exposition et de contamination de la population à des pathologies graves ou contagieuses.

Après les chiffres, je veux en venir aux personnes. Je suis sûre que tous les parlementaires reçoivent des gens cherchant à obtenir des titres de séjour. Avez-vous eu une seule fois le sentiment que ces personnes qui souhaitaient un titre étranger malade étaient là pour frauder ? Une maman avait plusieurs enfants dont l’un bénéficiait de ce titre – il était en France pour une maladie incurable. Elle avait un titre vie privée et familiale pour continuer de l’accompagner. Une préfecture n’a rien trouvé de mieux que de lui mettre une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Voulez-vous qu’on en arrive là ? Que des parents soient renvoyés, alors que leur enfant va mourir en France ? Où allons-nous ? En vous attaquant à ce titre, vous vous attaquez aux plus vulnérables. Ces personnes viennent avec le seul espoir d’être soignées.

M. Sacha Houlié (NI). Cette proposition de loi n’a qu’un seul mérite : témoigner de la constance de votre parti, monsieur le rapporteur, malgré les récriminations et les censures du Conseil constitutionnel, à remettre sur le métier l’abrogation de la carte de séjour temporaire au titre de l’admission pour étranger malade. Une constance qui n’a d’égale que celle du directeur de l’Ofii, Didier Leschi, qui mène un lobbying assez intensif auprès de tous les parlementaires pour parvenir à cette même fin. Une constance qui, au fond, ne se justifie même pas par les chiffres qu’il produit lui-même et ceux de la direction générale des étrangers en France. En 2019, juste après la réforme de 2018 qui a conduit à introduire une dérogation au secret médical, pour avoir un avis médical des médecins sur l’état de santé des personnes sollicitant ce titre, il y avait 5 411 titres délivrés. Dans votre rapport, vous mentionnez une baisse de 6 % entre 2022 et 2023. Entre 2019 et 2023, la baisse a été de 57 %, ce qui montre que ce que nous avons voté en 2018 se suffit à lui-même pour traiter les abus.

Vous faites état d’une immense demande de titres, peut-être même d’une submersion. Il faut la rapporter au nombre de titres accordés. En 2019, près de 30 000 demandes ont été déposées pour 5 411 titres délivrés ; en 2023, 24 800 demandes pour 3 300 titres délivrés. Le taux d’attribution est donc en baisse, alors même que 64 % des avis médicaux sont favorables. C’est dire le fort contrôle de l’Ofii et des préfets. Il n’y a plus d’abus.

Par ailleurs, vous parlez d’un dispositif coûteux et redondant, tout en reconnaissant que le coût de l’admission au séjour pour soins n’est pas précisément connu. Une telle contradiction est dérangeante. Vous citez aussi un rapport de Mme Louwagie qui mentionne un chiffre de 90 millions, avant de préciser qu’il est largement sous-estimé, sans donner plus de raisons.

Dernière approximation : vous rapprochez ce titre des coûts de l’AME et de la Puma (protection universelle maladie). En réalité, vous mélangez des choux et des carottes ! Il y a, d’une part, une couverture médicale qui bénéficie à des personnes, quel que soit leur titre, et, d’autre part, un titre qui vise à protéger des gens qui en ont besoin, selon des critères définis par la loi et très largement encadrés depuis 2018.

Je pense qu’il faut rejeter ce texte.

M. le président Florent Boudié. Monsieur Houlié, le groupe Les Républicains n’a pas fait preuve de constance sur ce sujet, puisque, jusqu’à présent, me semble-t-il, il n’était pas favorable à l’abrogation pure et simple de ce titre mais à des aménagements. En 2011, un aménagement a été voté, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. C’est en 2016 que la loi a permis le contrôle par les médecins de l’Ofii et c’est d’ailleurs à partir de ce moment-là que la courbe des premiers titres délivrés s’est mise à descendre. Personnellement, je pense que c’est une erreur, et peut-être plus qu’une erreur, de vouloir abroger cette disposition.

M. Éric Pauget, rapporteur. Je pense que l’on se méprend sur l’objet de ce titre. L’accès aux soins n’est pas remis en cause. Quand ce titre de séjour, qui est un outil de maîtrise de notre immigration, a été créé, il n’y avait pas tous les dispositifs qui existent aujourd’hui et dont les deux plus connus sont l’AME et la Puma. Le titre de séjour pour soins permettait de soigner. Il y a bien, en moyenne, 25 000 demandes par an instruites pour 3 000 titres délivrés. Que croyez-vous ? Que les 22 000 autres personnes ne sont pas soignées dans notre pays ? Elles le sont, au titre de l’un des onze dispositifs existants. Il faut absolument décorréler les deux aspects. Les gens sont soignés, que ce soit leur premier jour sur le territoire, qu’ils y aient passé trois mois ou qu’ils y travaillent, même s’ils ne sont pas régularisés. Le titre dont nous parlons est un outil dont s’est doté l’État pour régulariser.

J’entends vos remarques mais je vous assure, chers collègues, que vous vous méprenez, puisque le soin est bien dispensé. Le vrai sujet, c’est celui de la visibilité et de la traçabilité des crédits permettant la prise en charge du soin. L’AME, par exemple, représente des crédits d’environ 1,2 milliard d’euros. Nous avons un montant précis. Le jour où le titre de séjour est accordé, on bascule dans le droit commun, ce qui interdit toute traçabilité précise. Or ce titre a été dévoyé au fil des trente dernières années. D’après les chiffres que je donnais précédemment, il y a chaque année environ 22 000 personnes qui n’ont pas obtenu leur régularisation au titre de la santé, qui continuent à être soignés – on ne les a pas mises dehors !

J’ai conscience que le sujet est politiquement inflammable. Mettons un peu de froideur dans notre approche juridique et administrative. Dans la mesure où ces personnes sont prises en charge par la sécurité sociale, le sujet de l’incidence budgétaire n’est pas au cœur de la proposition de loi. La vraie question est celle-ci : la France doit-elle délivrer une régularisation de séjour au nom de la santé ? Si l’on n’avait pas de dispositif pour soigner, je vous rejoins, madame Faucillon, la question se poserait. Mais aujourd’hui, que ce soit à Mayotte ou en Guyane, une personne de nationalité étrangère en situation irrégulière, quelle que soit sa maladie, est prise en charge dans notre pays. Avec l’AME, elle sera même prise en charge plus rapidement et plus directement, parce qu’un collège de médecins n’aura pas eu à examiner si elle pouvait être soignée dans son pays d’origine.

Si les amendements de suppression ne sont pas adoptés, je serai favorable à l’amendement CL4 du groupe Horizons, qui soutient la position qui était celle de notre groupe au début de l’année 2024, avant que les articles 9 et 10 de la loi immigration ne soient modifiés par la CMP : non pas une abrogation mais un renforcement des conditions d’accès au titre de séjour pour soins.

Article unique

Amendements de suppression CL1 de M. Paul Christophle, CL2 de Mme Elsa Faucillon, CL5 de Mme Élisa Martin et CL12 de Mme Sabrina Sebaihi

Mme Elsa Faucillon (GDR). Ce titre de séjour permet de sécuriser administrativement des gens à un moment où ils ont particulièrement besoin de sérénité. C’est tout à l’honneur de notre pays d’avoir des médecins formidables et des personnels grâce auxquels, quoi qu’il arrive, des gens sont soignés. C’est cela qu’il faut mettre en avant !

Mme Élisa Martin (LFI-NFP). La proposition de loi est extrêmement idéologique.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Entre 2021 et 2022, les demandes de titre de séjour pour soins ont diminué de 12 %. Vous dites que ces situations seraient mieux prises en charge par l’AME, alors même que vous souhaitez sa suppression ! On entend aussi qu’il faudrait que les personnes qui se font soigner en France contribuent. Des personnes malades, pour certaines mourantes ! Contribuer à quoi ? Et comment ? Un peu de décence !

M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable. L’article L. 425-9 du Ceseda est, je le redis, obsolète, redondant et dévoyé. Que deviennent les 22 000 personnes qui n’obtiennent pas le titre pour soins ? Elles sont soignées. C’est l’octroi d’un titre de séjour qui est imposé au nom du soin et non la prise en charge médicale.

Mme Anne Bergantz (Dem). Je suis toujours navrée de voir que les discours sur l’immigration sont dépourvus de toute nuance et qu’il est compliqué voire impossible d’en parler sans se faire traiter de racistes, ce qui profondément insultant. Je ne crois pas que ces sujets doivent être préemptés par le Rassemblement national ; nous devons être capables d’en parler. Vous nous avez accusés de dire qu’il y avait des abus. Dans la mesure où le titre existe, les personnes qui en bénéficient sont évidemment dans leur droit. Nous souhaitons seulement revenir à une position ancienne, avec des conditions d’absence effective de traitement approprié dans le pays d’origine.

On entend toujours qu’il faut accueillir tout le monde et que ce ne serait qu’une question de moyens. Pour moi, ce n’est pas uniquement une question de moyens financiers ou humains. On ne peut pas faire abstraction des difficultés de notre système de santé. Sur 12 000 personnes en attente d’une greffe, 3 000 sont greffées chaque année. Selon vous, l’État devrait trouver quatre fois plus de greffons pour greffer tout le monde ? Les étrangers avec des titres de séjour sont prioritaires pour des questions d’âge. Est-ce juste et éthique ?

M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Monsieur le rapporteur, vos arguments m’étonnent. Vous nous expliquez que l’accès aux soins ne sera pas réduit pour les étrangers et qu’il s’agira seulement d’une précarisation administrative. Je note tout de même que les groupes qui se sont exprimés en faveur du texte ont avancé comme raison que cette loi permettrait de diminuer le nombre d’étrangers soignés en France, ce qui désemboliserait notre système de santé et le remettrait au service des Français. Leur motivation est en totale contradiction avec la manière dont vous le défendez. Faire des économies et désemboliser nos hôpitaux ne sont a priori pas l’objectif du texte.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, votre groupe, qui s’est largement restreint au fil des élections ces dernières années, choisit pour sa niche un texte sans étude d’impact qui permettrait de comprendre en quoi il vient satisfaire l’intérêt général voire un intérêt particulier. En réalité, il ne satisfait qu’un intérêt idéologique. Et, comme le disait Mme Bergantz, si vous ne l’aviez pas déposé, le Rassemblement national aurait proposé un texte en tous points similaire, puisque l’immigration est la tête de gondole de son aspirateur à électeurs. Vous devez être gêné, monsieur le rapporteur, de défendre un texte aussi cruel, qui va à l’encontre de toute charité. Laisser des personnes sans soins ! Pouvez-vous raisonnablement croire que des gens vont traverser la Méditerranée en bateau pneumatique pour se faire dialyser ? Vous connaissez sans doute des gens qui sont dialysés : vous font-ils état d’une submersion migratoire ?

Mme Anne Bergantz (Dem). Oui, il y a un vrai problème !

M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Aucun hôpital ne vous dira non plus qu’il manque d’organes en raison de la gourmandise des personnes migrantes !

La commission adopte les amendements.

En conséquence, l’article unique est supprimé et les autres amendements tombent.

Après l’article unique

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL8 de M. Aurélien Lopez-Liguori.

La commission ayant supprimé l’article unique de la proposition de loi, l’ensemble de celle-ci est rejeté.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi visant à abroger le titre de séjour pour étranger malade (n° 689).

 


 

   Personnes entendues

 

   M. Didier Leschi, directeur général

   Mme Thanh Le-Luong, directrice du service médical

   Mme Bénédicte Beaupère, directrice adjointe du service médical

   Mme Frédérique Ortola, cheffe de cabinet du directeur général

   M. Ludovic Guinamant, sous-directeur du séjour et du travail

   Mme Danielle Balu, sous-directrice adjointe du séjour et du travail

   Mme Sylvie Renard-Dubois, conseillère santé auprès du directeur général

 


([1])  Loi n° 97-396 du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l’immigration.

([2])  L’article 10 de la loi de 1997 a introduit ces dispositions au sein d’un 8° à l’article 25 de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.

([3])  MM. Cazin d’Honincthun et Bur étaient membres du groupe « Union pour la démocratie française et du Centre » de l’Assemblée nationale

([4])  Assemblée nationale, compte rendu de la deuxième séance du 27 février 1997.

([5])  L’article 5 de la loi de 1998 introduit un 11° au sein de l’article 12 bis de l’ordonnance de 1945 précitée, qui dispose que cette carte est délivrée de plein droit : « à l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ».

([6])  M. Patrick Weil, rapport de la mission d’étude des législations de la nationalité et de l’immigration, juillet 1997.

([7])  Circulaire n° DGS/SD6A/2005/443 du 30 septembre 2025 relative aux avis médicaux concernant les étrangers atteints par le VIH, émis dans le cadre de l’application de l’article L. 313-11 11° du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

([8])  Conseil d’État, 7 avril 2010, n° 316625 et n° 301640.

([9])  Conseil d’État, 28 septembre 2005, n° 258262.

([10])  Article 26 de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.

([11])  Loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

([12])  À la suite d’une recommandation de la mission conjointe de l’Inspection générale de l’administration et de l’Inspection générale des affaires sociales sur l’admission au séjour des étrangers malades, dont le rapport a été remis en mars 2013.

([13])  La condition des conséquences d’une exceptionnelle gravité est considérée comme remplie chaque fois que l’état de santé de l’étranger concerné présente, en l’absence de la prise en charge médicale que son état de santé requiert, une probabilité élevée à un horizon temporel qui ne saurait être trop éloigné de mise en jeu du pronostic vital, d’une atteinte à son intégrité physique ou d’une altération significative d’une fonction importante. Lorsque les conséquences d’une exceptionnelle gravité ne sont susceptibles de ne survenir qu’à moyen terme avec une probabilité élevée (pathologies chroniques évolutives), l’exceptionnelle gravité est appréciée en examinant les conséquences sur l’état de santé de l’intéressé de l’interruption du traitement dont il bénéficie actuellement en France (rupture de la continuité des soins). Cette appréciation est effectuée en tenant compte des soins dont la personne peut bénéficier dans son pays d’origine.

([14])  L’article 3 de l’arrêté du 5 janvier 2017 précité indique que les possibilités de prise en charge dans le pays concerné des pathologies graves sont évaluées, comme pour toute maladie, individuellement, en s’appuyant sur une combinaison de sources d’information sanitaires. L’offre de soin s’apprécie, notamment, au regard de l’existence de structures, d’équipements, de médicaments et de dispositifs médicaux, ainsi que de personnels compétents nécessaires pour assurer une prise en charge appropriée de l’affection en cause. L’annexe II de cet arrêté fait référence, pour l’appréciation des capacités des systèmes de santé étrangers, à différentes bases de données mises en œuvre par l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation internationale du travail et différents projets européens.

([15])  Conseil constitutionnel, décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024.

([16]) Ofii, rapport au Parlement sur la procédure d’admission au séjour pour soins pour l’année 2022, décembre 2024.

([17])  Décret n° 2002-1500 du 20 décembre 2002 portant publication du troisième avenant à l’accord du 27 décembre 1968 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles et à son protocole annexe, signé à Paris le 11 juillet 2001, JORF n° 0300 du 26 décembre 2002.

([18]) Il convient de noter que, conformément à l’objectif initial du dispositif, près de 90 % de ces demandes ont été acceptées en 2022.

([19])  Mme Véronique Louwagie, rapport d’information sur l’évaluation, du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 mai 2023.

([20])  Articles L. 251-1 et suivants du code de l’action sociale et des familles.

([21])  Article L. 254-1 du code de l’action sociale et des familles.

([22])  Article L. 160-1 du code de la sécurité sociale.

([23])  Cette protection est aujourd’hui prévue à l’article L. 631-3 du Ceseda, selon lequel ne peut faire l’objet d’une décision d’expulsion qu’en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État ou liés à des activités terroristes l’étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier d’un traitement approprié.

([24])  Fondation pour l’innovation politique, « Immigration : comment font les États européens », mars 2023.