N° 930
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 février 2025
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI
instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches (n° 768),
PAR Mme Eva SAS,
Députée
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Voir les numéros :
Assemblée nationale : 1ère lecture : 768.
SOMMAIRE
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COMMENTAIRE DE L’ARTICLE UNIQUE
Article unique Création d’un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches
1. Le manque de données fiscales complique l’évaluation précise du patrimoine des ultrariches
a. Une forte augmentation des richesses des plus fortunés est constatée à l’échelle mondiale
b. Cette augmentation est nourrie par la faiblesse des taux d’imposition du capital
a. Une forte concentration du patrimoine est également observée en France
ii. L’instauration du prélèvement forfaitaire unique
1. Un mouvement mondial en faveur de la taxation des ultrariches s’est progressivement affirmé
A. une imposition ciblant spécifiquement les foyers fiscaux les plus fortunés
2. L’ajout d’un dispositif d’« exit tax » permet de limiter le risque d’exil fiscal
2. Les biens professionnels sont intégralement compris dans l’assiette de l’imposition
D. Un rendement attendu de plusieurs milliards d’euros
2. Un exil fiscal limité et prévenu par un dispositif d’«exit tax »
Liste des personnes auditionnÉes par lA RAPPORTEURE
En vingt ans, les cinq cents plus grandes fortunes de France ont vu leur patrimoine cumulé passer de 124 milliards d’euros en 2003 à 1 228 milliards d’euros en 2024 ([1]), soit une augmentation de 890 %.
Pourtant, ces foyers à très hauts patrimoines paient considérablement moins d’impôts que la moyenne des Françaises et des Français. Une étude de l’Institut des politiques publiques ([2]), parue en juin 2023, montre que l’ensemble des impôts personnels devient fortement régressif à partir du seuil des 0,001 % des foyers aux revenus les plus élevés, jusqu’à ne représenter plus que 2 % du revenu économique pour les 378 foyers parmi les plus aisés.
Et, de fait, notre système fiscal n’est aujourd’hui pas adapté à la réalité des capacités contributives des foyers les plus fortunés. Pour 75 ménages de milliardaires, 97 % de leur revenu économique, soit l’ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par le foyer fiscal, échappe au revenu fiscal de référence selon l’Institut des politiques publiques.
Cette situation résulte directement de la forte concentration des biens professionnels - dont les titres de sociétés cotés ou non cotées - au sommet de la distribution des patrimoines. Ces biens professionnels prennent souvent la forme de holdings détenues par les plus fortunés, qui ne se versent qu’un minimum de dividendes afin d’échapper à l’imposition. Nous nous retrouvons ainsi dans une situation quasi identique à celle de l’Ancien Régime, où, selon les mots d’Alexis de Tocqueville « l’impôt avait pour objet non d’atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s’en défendre ([3])».
À l’échelle internationale, le constat de la faible taxation des plus riches a conduit à une prise de conscience, comme en témoigne le rapport commandé par la présidence brésilienne du G20 à l’économiste Gabriel Zucman. Dans ce rapport remis en juin dernier ([4]), est préconisée l’instauration, de façon coordonnée dans les différents États, d’un impôt de 2 % sur le patrimoine des milliardaires. Une telle proposition est soutenue par de nombreux pays, dont la France.
Le gouvernement français a publiquement soutenu cette initiative et le moment est venu d’envisager concrètement sa mise en œuvre sur le territoire national. La France pourrait ainsi jouer un rôle de précurseur en matière de taxation minimale des plus riches, comme elle l’a été avec la taxation minimale des multinationales en instaurant la taxe GAFAM ([5]).
Établie en concertation avec des économistes, dont Gabriel Zucman, la proposition de loi faisant l’objet du présent rapport vise à instaurer un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des plus fortunés.
Les foyers fiscaux dont le patrimoine excède 100 millions d’euros contribueront chaque année à hauteur de 2 % de leur patrimoine, au redressement des finances publiques, au financement de la transition écologique et des services publics et aux intérêts de la Nation. Le montant de cette contribution additionnelle résultera de la différence entre 2 % de la valeur nette du patrimoine du redevable et la somme des montants acquittés au titre de l’impôt sur la fortune financière (IFI), de l’impôt sur le revenu (IR), de la contribution sociale généralisée (CSG), de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), de façon à prévenir toute forme de double imposition.
Avec un seuil fixé à 100 millions d’euros, il est évident que cette imposition ne concerne que les grandes fortunes, sans affecter les gérants de petites et moyennes entreprises (PME), les artisans ou les jeunes entrepreneurs.
Afin de garantir l’efficacité de cette imposition en matière de contribution des foyers aux très hauts patrimoines, son assiette inclut les biens professionnels, lesquels représentent, selon le Comité de la réforme de la fiscalité du capital, au moins 66 % du patrimoine des 380 foyers les plus riches. Les exclure de l’assiette de cette imposition, comme ces biens le sont de l’assiette de l’IFI et l’étaient de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), reviendrait à maintenir une faille béante dans notre système fiscal et à transgresser les principes de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui dispose, en son article 13, que la contribution publique doit être également répartie entre tous les citoyens, à raison de leurs facultés contributives.
Bien que les prévisions soient complexes du fait d’un manque de données disponibles sur le patrimoine des plus aisés, le rendement de cette imposition pourrait se monter à plus de 15 milliards d’euros, une somme non seulement essentielle mais également nécessaire pour redresser nos finances publiques, financer la transition écologique et consolider nos services publics.
Aujourd’hui, après les nombreux efforts déjà consentis par les Français, cette mesure de justice fiscale s’impose comme une nécessité pour rétablir un juste équilibre dans la répartition de l’effort fiscal.
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COMMENTAIRE DE L’ARTICLE UNIQUE
Résumé du dispositif
L’article unique de la présente proposition de loi prévoit la création d’un impôt plancher sur la fortune.
Cet impôt annuel s’appliquerait aux personnes physiques, dont la valeur nette du patrimoine, appréciée au 1er janvier de l’année, excède 100 millions d’euros et qui sont :
– domiciliées fiscalement en France, à raison de leurs biens situés en France et à l’étranger ;
– non domiciliées fiscalement en France, à raison de leurs biens situés en France.
Son assiette serait assise sur la valeur nette des biens, droits et valeurs imposables des redevables, c’est-à-dire les membres d’un même foyer fiscal, y compris les enfants mineurs, ou, en cas de concubinage notoire, les concubins.
L’imposition porterait également sur :
– les primes versées après l’âge de soixante-dix ans au titre des contrats d’assurance non rachetables, ainsi que la valeur de rachat des contrats d’assurance rachetables ;
– les biens en usufruit, intégrés dans le patrimoine de l’usufruitier ;
– les biens placés en fiducie et ou trust, réputés appartenir au constituant ou au bénéficiaire.
L’impôt plancher fonctionnerait comme une contribution additionnelle égale à la différence, si elle est positive, entre le montant résultant de l’application d’un taux 2 % à la valeur nette taxable du patrimoine du redevable et le montant résultant de la somme des montants acquittés pour l’année en cours, par le redevable, au titre de l’impôt sur le revenu, de l’IFI, de la CSG, de la CRDS et de la CEHR.
Les redevables doivent souscrire au plus tard le 23 septembre de chaque année une déclaration de leur fortune, précisant la valeur brute et la valeur nette taxable de leur patrimoine, déposée au service des impôts de leur domicile au 1er janvier et accompagnée du paiement de l’impôt.
La contribution entrerait en vigueur au 1er janvier 2026 et s’appliquerait dès l’exercice fiscal de l’année de son entrée en vigueur.
Principaux amendements adoptés par la commission des finances
Seize amendements rédactionnels déposés par la rapporteure ont été adoptés. En outre, la rapporteure a déposé un amendement établissant que les personnes domiciliées en France depuis plus de dix ans seront soumises à l’impôt au titre de leurs biens situés en France ou hors de France pendant les cinq années qui succèdent à leur départ. Cet amendement a également été adopté.
L’article ainsi modifié a été adopté par la commission des finances.
I. dans un contexte de renforcement des inégalités, alimenté par la faible contribution fiscale des foyers les plus aisés, la France peut jouer un rôle de précurseur en impulsant une réforme fiscale ambitieuse
La faible imposition des foyers fiscaux les plus riches, dont le patrimoine est largement composé de biens professionnels, peu taxés, contribue à l’aggravation du phénomène de concentration du patrimoine. Face à ce constat, et dans un contexte où émerge une nouvelle sensibilité pour cette problématique, la France est en mesure d’assumer un rôle de pionnier en adoptant une réforme fiscale ambitieuse.
A. le taux d’imposition des foyers les plus riches devient régressif au-delà d’un certain seuil, tant en France que dans d’autres pays de l’ocde
En dépit de la difficulté à obtenir une évaluation précise du patrimoine des ultrariches, la littérature économique a mis en évidence, à partir des données de 2016, que le taux d’imposition effectif des foyers les plus fortunés, à partir du seuil des 0,1 % foyers les plus riches, est régressif. Ce phénomène est observé en France et dans plusieurs pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
1. Le manque de données fiscales complique l’évaluation précise du patrimoine des ultrariches
La caractérisation et la mesure du patrimoine des ultrariches représentent un défi en raison de la difficulté d’accès à des données fiscales précises. Compte tenu des enjeux de justice fiscale liés à la répartition du patrimoine et à l’imposition des plus aisés, il est impératif que la puissance publique favorise l’établissement et le partage des données nécessaires pour évaluer avec précision le patrimoine des foyers fiscaux les plus fortunés.
a. Les données fiscales disponibles ne permettent pas d'identifier précisément les très hauts patrimoines en France
Les données publiques disponibles ne permettent pas d’identifier avec précision le nombre de foyers fiscaux dont le patrimoine excède 100 millions d’euros. Seuls certains classements publiés par des magazines proposent des estimations.
En effet, la principale source de données statistiques permettant d’évaluer la concentration du patrimoine des ménages est l’enquête Patrimoine ([6]) de l’Insee. Toutefois, cette enquête se limite à l’analyse du centile supérieur de la distribution du patrimoine et ne permet pas d’identifier plus finement les foyers les plus aisés.
Ainsi, l’enquête sur les hauts patrimoines de l’Insee ([7]) distingue certains seuils : parmi les ménages vivant dans un logement ordinaire, les 10 % des ménages les mieux dotés en patrimoine brut, dits « ménages à haut patrimoine », possèdent au minimum 716 300 euros, les 5 % les mieux dotés au minimum 1 034 600 euros et les 1 % les mieux dotés plus de 2,2 millions d’euros.
La fiabilité de l’enquête Patrimoine de l’Insee est néanmoins souvent critiquée du fait de son taux de réponse, qui est faible (69 %), et, en outre, décroissant selon la taille du patrimoine ([8]).
Des travaux plus récents permettent d’obtenir une estimation plus précise. Dans une récente note, parue en janvier 2025 ([9]), la Direction générale des finances publiques (DGFiP) a procédé à une analyse des foyers fiscaux à très hauts patrimoines. Cette catégorie regroupe les 0,1 % des foyers possédant les patrimoines les plus élevés, soit environ 40 700 foyers en 2022. Selon la DGFiP, le patrimoine moyen de ces foyers à très haut patrimoine s’élevait à 9,9 millions d’euros dont 7,8 millions d’euros de patrimoine mobilier et 2,1 millions d’euros de patrimoine immobilier.
Cependant, cette analyse se concentre uniquement sur les 0,1 % des foyers les plus fortunés. Elle rencontre, par ailleurs, des limites méthodologiques en raison du manque de données sur les patrimoines mobiliers, lié à la substitution de l’ISF par l’IFI et à la suppression de la déclaration des patrimoines mobiliers.
Pour combler les lacunes des études statistiques sur cette population, il peut être pertinent de se référer aux classements, établis selon une méthodologie rendue publique et publiés par des magazines, tels que Forbes ou Challenges. Chaque année, Challenges publie son classement des plus grandes fortunes professionnelles de France, avec un seuil d’entrée fixé à un patrimoine d’au moins 245 millions d’euros.
En extrapolant ces données, l’économiste Gabriel Zucman estime à 1 800 le nombre de foyers fiscaux possédant un patrimoine supérieur à 100 millions d'euros.
La méthodologie de Challenges pour l’établissement du classement des fortunes
La méthodologie de Challenges ([10]) pour établir son classement des fortunes françaises repose sur une estimation des actifs professionnels, qu’ils soient cotés ou non cotés. Pour les actifs cotés, la fortune boursière est calculée à partir des valeurs des titres en juin de chaque année. Cette approche permet de prendre en compte l’évolution des actifs sur les marchés financiers.
Pour ce qui concerne les actifs non cotés, l’estimation se fonde sur une analyse approfondie des comptes et des informations disponibles des entreprises. L’évaluation prend également en compte la situation du secteur dans lequel ces entreprises opèrent.
Le classement se concentre exclusivement sur les fortunes professionnelles, sans inclure les biens personnels tels que les propriétés privées, les véhicules ou les œuvres d’art.
b. Un besoin impératif de données publiques pour caractériser et quantifier le patrimoine des ultrariches
Le constat d’une base de données insuffisante pour caractériser le patrimoine des foyers fiscaux les plus fortunés, est largement partagé. Les auteurs du Rapport sur les inégalités mondiales de 2022 ([11]), de même que Gabriel Zucman, dans son Rapport sur la taxation minimale des ultrariches ([12]), soulignent également la difficulté à obtenir les données nécessaires pour estimer de façon précise le patrimoine des ultrariches.
En France, le manque de données est, en grande partie, lié à la suppression de l’ISF, qui a entraîné la disparition de la déclaration des patrimoines mobiliers des contribuables les plus fortunés.
Face à ce constat, la rapporteure plaide pour l’établissement d’une base de données précises sur les foyers fiscaux à très hauts patrimoines, un accès élargi à ces données fiscales et un renforcement de la coopération entre les équipes de la DGFiP et les instituts de recherche, sur le modèle des bases de données rendues accessibles dans le cadre des travaux d’évaluation de la réforme de la fiscalité du capital, afin de mieux comprendre la répartition des grandes fortunes en France.
2. Les foyers fiscaux les plus riches sont soumis à un taux d’imposition global particulièrement faible au regard de leur capacité contributive
La progressivité des impôts payés directement par les foyers fiscaux, voulue par le législateur, se vérifie uniquement si l’on considère le revenu fiscal de référence comme mesure de la capacité contributive. Dès lors que l’on privilégie une approche du revenu reflétant mieux les capacités contributives réelles des ménages, il apparaît que les foyers les plus aisés sont soumis à un taux d’imposition globale extrêmement faible, estimé à 0,2 % pour les 37 foyers fiscaux les plus aisés ([13]). Ce phénomène préoccupant se vérifie également dans d’autres pays de l’OCDE.
a. Le revenu fiscal de référence, souvent utilisé pour analyser la progressivité du système fiscal, sous-estime la capacité contributive de certains ménages
La progressivité du système fiscal s’évalue en classant les foyers fiscaux suivant leur capacité contributive, cette dernière étant fréquemment fondée sur la mesure du revenu fiscal de référence (RFR), soit l’assiette de l’impôt sur le revenu avant application de divers abattements spécifiques.
Comme le souligne le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) dans son rapport Conforter l’égalité des citoyens devant l’imposition des revenus, remis le 14 octobre 2024, « le RFR ne reflète pas l’universalité des revenus, et donc des capacités contributives réelles, des ménages » ([14]).
Reposant exclusivement sur les revenus déclarés et imposables, le RFR omet, selon le CPO, près de 177 ressources, telles que les plus-values latentes et les bénéfices non distribués des entreprises contrôlées.
Or cette omission est significative pour les foyers les plus aisés, dont une part importante du revenu provient du capital. En effet, pour les 40 000 foyers fiscaux du dernier millième de la distribution, les revenus du capital représentent environ 61 % des revenus totaux, et jusqu’à 86 % des revenus des 4 000 foyers fiscaux du dernier dix millièmes ([15]). Ce constat est la conséquence logique de la très forte concentration des biens professionnels, qui prennent la forme de titres de sociétés cotées ou non cotées, au sommet de la distribution des patrimoines ([16]).
Répartition du patrimoine des trois cENTiles supérieurs en 2017
Source : Bach et al. (2021), cité par le Conseil d’analyse économique.
b. L’analyse du revenu économique met en lumière la très faible imposition des foyers fiscaux les plus riches
Pour pallier les limites du RFR, les économistes privilégient le « revenu économique », défini comme « l’ensemble des revenus réalisés et contrôlés effectivement par le foyer fiscal » ([17]).
Périmètre de revenu considéré
Le revenu fiscal de référence (RFR) est calculé à partir du revenu imposable à l’IR en y réintégrant seulement certains revenus exonérés d’impôt (tels que les revenus soumis au prélèvement forfaitaire unique), certains abattements (tels que l’abattement de 40 % sur les dividendes) et charges (telles que les cotisations et primes d’épargne retraite).
Le « revenu économique » est un concept qui inclut, en outre, des flux d’enrichissement qui ne sont pas juridiquement considérés comme à la disposition du contribuable, notamment les revenus dégagés par les sociétés contrôlées par ce dernier. Le revenu économique est construit en ajoutant au revenu fiscal deux types de revenus non imposés à l’IR : les cotisations sociales non contributives d’une part, et les bénéfices des sociétés contrôlées par les foyers fiscaux d’autre part ([18]).
En se fondant sur le revenu économique pour calculer le taux d’imposition global, les économistes de l’Institut des politiques publiques observent que le taux d’imposition global devient régressif, passant de 46 % pour 0,1 % les plus riches, à 26 % pour les 0,0002 % les plus riches, les milliardaires.
En 2016, pour 0,0002 % des contribuables, soit 75 milliardaires, le taux d’imposition totale du revenu économique s’établit ainsi à 26 % sur lesquels :
– 2 points proviennent de l’impôt sur le revenu personnel, acquitté en stricte application du barème progressif, soit jusqu’à 59 % de l’ensemble des sommes qui sont effectivement perçues par ces contribuables ;
– 24 points correspondent principalement à l’impôt sur les sociétés acquitté par les sociétés qu’ils contrôlent, pour l’ensemble des bénéfices qui sont conservés par ces sociétés et non redistribués, diminué de l’effet de quelques crédits d’impôts.
Il ressort également de cette analyse que l’imposition à l’IR est fortement décroissante au sein du dernier millième de la distribution, passant de 28 % à moins de 2 % pour les 378 ménages aux revenus économiques les plus élevés, voire à 0,2 % pour les 37 ménages les plus riches.
contribution à l’imposition du « revenu économique » des contribuables du milième supérieur
Note de lecture : la colonne D1 correspond au 1er décile soit les 10 % de foyers aux revenus les plus faibles.
Source : Note IPP, n° 92, Laurent Bach, Antoine Bozio, Arthur Guillouzouic, Clément Malgouyres, Op.cit.
c. Les ménages les plus fortunés ont la possibilité de conserver une partie de leur « revenu économique » qui échappe à l’assiette de l’imposition sur le revenu
Il existe des possibilités de minimiser l’assiette taxable par la détention de participations dans des entreprises, directement ou à travers une holding. Comme le souligne le rapport du CPO déjà cité, ce mécanisme « largement utilisé comme outil d’administration du patrimoine personnel et professionnel bénéficie aux contribuables à l’extrême haut de la distribution » ([19]).
L’augmentation de la valeur d’actif d’une société imposée à l’impôt sur les sociétés, n’entraîne, en effet, par elle-même aucune imposition de la personne physique qui la contrôle conformément au principe de séparation du patrimoine de la personne morale et de celle de ses associés ou actionnaires. Dans certains cas, cette prise de valeur permet donc de dégager un revenu dont l’assiette et la composition peuvent être ajustées en fonction de différents paramètres.
Le patrimoine financier professionnel peut ainsi être conservé dans des sociétés contrôlées par le contribuable. Les sociétés dites « patrimoniales » ou « cash box », c’est-à-dire directement contrôlées par leurs dirigeants personnes physiques, sont ainsi parfois qualifiées de « réserve d’épargne défiscalisée ». La détention de participations dans ces entreprises permet aux personnes physiques qui le contrôlent de désinvestir et réinvestir sans faire l’objet d’une imposition, cette dernière n’étant déclenchée que lorsque la personne physique reçoit des dividendes ou constate une plus-value intégrée au revenu fiscal de référence.
d. La faible taxation des foyers fiscaux les plus fortunés se vérifie également à l’échelle internationale
La faible taxation des foyers fiscaux les plus fortunés est notable dans différents pays, malgré des structures fiscales variées.
Aux États-Unis, où le système fiscal est moins progressif qu’en France, la différence est encore plus marquée. Les taux d’imposition des ultrariches sont plus bas par rapport aux autres groupes de revenu, non seulement parce que les taxes sur les hauts revenus sont moins élevées, mais aussi en raison de l’absence d’un impôt sur la fortune à l’échelle fédérale et d’une fiscalité qui touche moins les milliardaires. Cette situation crée un écart important entre la contribution fiscale des plus riches et celle des autres catégories de la population.
Le caractère régressif de l’imposition ne se manifeste pas au même niveau dans la distribution des revenus d’un pays à l’autre.
En France et aux États-Unis, cette régressivité commence à se manifester autour du 99,99e percentile des revenus, ce qui signifie que les plus riches de ce groupe paient moins en proportion que les groupes juste en dessous d’eux. Une telle concentration des gains fiscaux au sommet de la distribution est particulièrement marquée dans ces pays où les très hauts revenus bénéficient de plus d’exemptions fiscales et de crédits ou réductions d’impôts.
En revanche, dans des pays comme l’Italie et les Pays-Bas, la régressivité commence à partir du 95e percentile, ce qui indique que les inégalités fiscales sont plus accentuées dès que l’on dépasse les classes moyennes et qu’elles touchent un nombre de personnes plus important.
taux d’imposition moyen par groupe de revenus et pour les milliardaires (en % du revenu avant impÔt)
Source : Gabriel Zucman, A blueprint for a coordinated minimum effective taxation standard for ultra-high-net-worth individuals, remis en vue du sommet du G20 au Brésil, 25 juin 2024.
B. la période récente est marquée par une CONCENTRATION ACCRUE DU patrimoine, en partie liée à des taux d’imposition effectifs du capital particulièrement bas
En France, comme au sein de plusieurs pays de l’OCDE, les richesses des foyers les plus aisés ont connu, ces dernières décennies, une augmentation spectaculaire. Cette concentration accrue des patrimoines trouve, en partie, son origine dans la faiblesse de l’imposition du capital, laquelle est un facteur déterminant dans l’accélération de l’enrichissement des plus fortunés.
1. À l’échelle internationale, la forte augmentation des fortunes des foyers les plus aisés s’explique en partie par la faiblesse du taux d’imposition sur le capital
La faiblesse de l’imposition du capital constitue un facteur explicatif de l’accroissement des richesses des 0,001 % les plus fortunés, dont la part dans la richesse mondiale dépasse aujourd’hui 6 % contre 3 %, il y a 25 ans.
a. Une forte augmentation des richesses des plus fortunés est constatée à l’échelle mondiale
Selon le Rapport sur les inégalités mondiales paru en 2022, dont la rapporteure a auditionné l’auteur principal, depuis 1995, la part de la richesse mondiale détenue par le top 0,001 % a connu une croissance spectaculaire. En 2021, ce groupe de 51 700 individus détient plus de 6 % de la richesse mondiale, soit plus de 6 000 fois la richesse moyenne, contre 3 % il y a vingt-cinq ans ([20]).
distribution mondiale de la richesse en 2021
Population |
Part dans la richesse totale (%) (2021) |
Richesse moyenne par adulte |
Seuil (2021, en €) |
Taux de croissance annuel moyen |
Population totale |
100 % |
72 913 |
- |
3,2 % |
50 % inférieurs |
2 % |
2 908 |
- |
3,7 % |
40 % du milieu |
22,4 % |
40 919 |
11 954 |
3,8 % |
10 % supérieurs |
75,6 % |
550 920 |
124 876 |
3 % |
1 % supérieur |
37,8 % |
2,8 millions |
893 338 |
3,2 % |
0,1 % supérieur |
19,4 % |
14,1 millions |
3,6 millions |
4 % |
0,01 % supérieur |
11,2 % |
81,7 millions |
18 millions |
5 % |
0,001 % supérieur |
6,4 % |
469 millions |
119,4 millions |
5 % |
1 sur 1 million |
3,5 % |
2,6 milliards |
674,7 millions |
6 % |
1 sur 10 millions |
1,9 % |
14,2 milliards |
3,7 milliards |
8 % |
1 sur 100 millions |
1,1 % |
77,4 milliards |
20,3 milliards |
9,3 % |
Source : Rapport sur les inégalités mondiales de 2022, Bauluz et al. (2021).
b. Cette augmentation est nourrie par la faiblesse des taux d’imposition du capital
Dans son rapport remis en 2024 à l’occasion de la présidence brésilienne du G20 ([21]), l’économiste Gabriel Zucman a mis en évidence le rôle joué par la faiblesse des taux d’imposition des milliardaires dans la rapide augmentation de leur richesse depuis les années 1980.
Selon les données compilées par le magazine Forbes, la richesse des milliardaires mondiaux a augmenté en moyenne de 7,1 %, hors inflation, par an entre 1987 et 2024. Avec un taux d’imposition sur le capital de 0,3 % et une consommation équivalente à 0,1 % de cette richesse, ce taux de croissance implique un rendement brut du patrimoine de 7,5 % par an.
Ce rendement est supérieur au rendement moyen mondial du capital avant impôt sur la richesse, qui peut être estimé entre 6 % et 7 % sur cette période ([22]). Cette différence de rendement est encore plus prononcée après impôt, atteignant environ 7 % pour les milliardaires, contre 5 % à 6 % pour le reste de la population mondiale.
Au lieu d’être atténué par le système fiscal, l’écart de rendement a ainsi été amplifié par celui-ci.
Dans ce calcul, environ la moitié du rendement net excédentaire des milliardaires est due à des taux d’imposition effectifs relativement bas sur le capital individuel. Ces faibles taux d’imposition permettent aux milliardaires et multimillionnaires de faire croître leur patrimoine à un rythme plus rapide que celui du reste de la population, ce qui entraîne un processus d’accumulation de richesse très dynamique.
2. En France, on constate également une concentration des richesses en partie renforcée par l’allégement de la fiscalité du capital
Le patrimoine des foyers les plus fortunés s’est également considérablement accru en France, où le patrimoine moyen des 0,1 % des foyers les plus riches a presque doublé entre 2003 et 2016. Cette concentration du patrimoine s’explique notamment par le poids déterminant de l’héritage dans la constitution d’un patrimoine et par l’usage de schémas d’optimisation fiscale permettant de minimiser les revenus et l’impôt afférent, mais a également été accentuée par les réformes de la fiscalité du capital mises en œuvre. Ces dernières ont principalement bénéficié aux foyers les plus aisés, avec un coût au total relativement élevé pour les finances publiques.
a. Une forte concentration du patrimoine est également observée en France
La forte augmentation des richesses des foyers fiscaux les plus fortunés est également observée en France, où s’affirme une concentration croissante du patrimoine : le premier centile, soit les 1 % des foyers les plus aisés, détient désormais 24 % du patrimoine net du pays, contre 16 % en 1985 ([23]).
Dans une récente note, parue en janvier 2025 ([24]), la DGFiP a relevé que le patrimoine moyen des 0,1 % des foyers possédant les patrimoines les plus élevés, soit environ 40 700 foyers en 2022, a presque doublé entre 2003 et 2016, passant de 5,3 millions d’euros à 10,2 millions d’euros quand celui des autres foyers progressait de 59 %.
Entre 2017 et 2022, pour ces foyers à très hauts patrimoines :
– le patrimoine immobilier moyen est passé de 3,9 millions d’euros à 4,6 millions d’euros, soit une hausse de 18 % ;
– le patrimoine mobilier, même s’il est maintenant inconnu au niveau des foyers en l’absence de déclaration fiscale, « a vraisemblablement augmenté compte tenu de la hausse des revenus issus de la détention de capitaux mobiliers observée par ailleurs » ([25]).
Oxfam résumait cette dynamique d’accroissement des richesses des foyers les plus fortunés en soulignant qu’en 2019, la fortune des milliardaires français augmentait de plus de 24 milliards d’euros, soit l’équivalent de 13 millions d’euros par jour ([26]).
b. En France, la baisse de l’imposition du capital a également contribué à l’enrichissement des ultrariches, pour un coût au total élevé pour les finances publiques
Le phénomène de concentration des richesses résulte de facteurs complémentaires et, comme a pu le relever le Conseil d’analyse économique, l’héritage constitue « à nouveau, un facteur déterminant dans la constitution du patrimoine ». En effet, la fortune héritée représente désormais 60 % du patrimoine total contre 35 % en moyenne au début des années 1970 ([27]). Un rapport d’Oxfam estimait que 7 des 9 nouveaux milliardaires français tiraient leur fortune de leur héritage ([28]).
Néanmoins, une série de réformes mises en œuvre pour alléger la fiscalité du capital a conduit à une diminution significative de l’imposition des plus hauts patrimoines, favorisant sa concentration, comme l’a analysé le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital installé en décembre 2018.
i. La suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et son remplacement par l’impôt sur la fortune immobilière
Conformément à l’engagement pris pendant la campagne présidentielle de 2017 par Emmanuel Macron, l’IFI a été mis en place par l’article 31 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 ([29]), se substituant à l’ISF à compter du 1er janvier 2018. L’IFI s’est recentré sur les détenteurs d’un patrimoine immobilier excédant 1 300 000 euros, en excluant le patrimoine mobilier ainsi que les biens affectés à une activité professionnelle.
Le remplacement de l’ISF par l’IFI s’est globalement traduit par une baisse du taux d’imposition du patrimoine des contribuables anciennement assujettis à l’ISF : à définition constante du patrimoine taxable, ce taux d’imposition a fortement diminué de 2017 à 2018. Au sein des 0,1 % des foyers les plus fortunés au sens de l’ISF, le taux d’imposition du patrimoine taxable au sens de l’ISF est passé de 0,45 % en 2017 à 0,09 % en 2018 tandis qu’au sein des 1 % des plus grosses fortunes, il est passé de 0,71 % en 2017 à 0,19 % en 2018 ([30]).
Selon le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, la baisse du taux d’imposition du patrimoine taxable au sens de l’ISF est maximale pour les contribuables à l’ISF aux alentours du 99e centile : pour ces derniers, l’écart entre l’IFI 2018 et l’ISF 2017 représente environ 0,5 % du patrimoine net de 2017, contre 0,1 % pour les moins fortunés des contribuables ISF et 0,35 % pour le millième le plus fortuné ([31]).
ii. L’instauration du prélèvement forfaitaire unique
Le législateur a également mis en place une réforme de l’imposition des revenus du capital mobilier avec l’instauration d’une imposition forfaitaire à un taux unique de 30 % de ces revenus, soit un taux forfaitaire d’impôt sur le revenu de 12,8 % et un taux global de prélèvements sociaux porté à 17,2 % du fait de l’augmentation concomitante de 1,7 point du taux de la contribution sociale généralisée.
Selon le rapport du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, cette réforme a bénéficié de manière significative aux « contribuables à hauts revenus percevant des revenus de capitaux mobiliers (intérêts, dividendes, plus-values mobilières et rachats d’assurance-vie) » ([32]). En effet, ces revenus sont taxés depuis 2018 au taux de 30 %, contre 60,5 % avant réforme pour les intérêts et 42,5 % pour les dividendes pour les contribuables ayant atteint la tranche la plus élevée du barème de l’impôt sur le revenu.
Le prélèvement forfaitaire unique (PFU), dit « flax tax », à 30 % sur les revenus du capital bénéficie plus largement aux classes supérieures – les 15 % les plus aisés ayant obtenu 80 % du gain total de niveau de vie ([33]).
ÉVOLUTION DU TAUX D’IMPOSITION DU CAPITAL AU SENS DE L’ISF ENTRE 2017 ET 2018
Source : France Stratégie, Rapport du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, octobre 2023, p76
iii. Ces réformes de l’imposition du capital, bénéficiant aux foyers les plus aisés, ont eu un coût relativement élevé pour les finances publiques
Ces réformes, qui ont fortement diminué l’imposition des foyers fiscaux les plus aisés, ne sont pas sans conséquence pour les finances publiques :
– le remplacement de l’ISF par l’IFI a engendré une perte de recettes, estimée à 4,5 milliards d’euros ([34]) ;
– l’instauration du PFU a eu un coût évalué à 1,8 milliard d’euros ([35]).
Ces allègements fiscaux, visant des foyers disposant pourtant d’une forte capacité contributive, ont participé à l’aggravation du déficit public.
C. dans un contexte où s’affirme une conscience accrue de la nécessité d’améliorer la progressivité du système fiscal, la France peut jouer un rôle de précurseur
Une dynamique internationale en faveur de la taxation des milliardaires s’est progressivement affirmée à l’échelle internationale. Sur le continent européen, plusieurs pays ont récemment instauré des impositions ciblées sur les foyers les plus fortunés.
En France, bien que de premières initiatives révèlent une prise de conscience timide des enjeux liés à la taxation des foyers les plus aisés, il est nécessaire d’aller plus loin pour garantir une justice fiscale durable, en s’inspirant du rôle pionnier que la France a eu lors de l’instauration d’une taxe sur les services numériques.
1. Un mouvement mondial en faveur de la taxation des ultrariches s’est progressivement affirmé
Une prise de conscience mondiale s’est progressivement imposée quant à la nécessité d’une contribution accrue des plus fortunés. Un rapport commandé par la présidence brésilienne du G20 à l’économiste français Gabriel Zucman a été remis le 25 juin 2024 ([36]).
Ce rapport préconise l’instauration d’un impôt coordonné de 2 % sur le patrimoine des milliardaires, visant à générer entre 200 et 250 milliards de dollars par an, en favorisant une plus grande justice fiscale et en renforçant la cohésion sociale. Cette imposition, flexible dans sa mise en œuvre, pourrait être introduite sans exiger le recours à un traité multilatéral, via différents mécanismes fiscaux nationaux.
La proposition bénéficie du soutien de plusieurs pays et organisations, dont l’Espagne, l’Afrique du Sud, l’Allemagne (bien que des divergences existent au sein de la coalition gouvernementale allemande), la Belgique, la Colombie, ainsi que l’Union africaine. Le gouvernement français a également manifesté son soutien à cette initiative à l’échelle internationale, tout en restant opposés à tout renforcement excessif de la mesure.
Aux États-Unis, l’administration Biden a également proposé la mise en place d’un impôt minimal de 25 % sur le revenu réel des personnes dont la richesse est supérieure à 100 millions de dollars.
L’impôt minimal sur le revenu des milliardaires (Billionaire Minimum Income Tax) proposé par l’administration Biden
Aux États-Unis, l’administration Biden a proposé, le 29 novembre 2023, l’instauration d’un impôt minimal de 25 % sur le revenu réel des personnes dont la richesse dépasse 100 millions de dollars.
Le dispositif reposait sur une taxation du revenu réel des personnes détenant une richesse supérieure à 100 millions de dollars et dont le taux d’imposition effectif avoisinait 8 %. L’impôt minimal proposé s’appuyait notamment sur la taxation des plus-values latentes.
Cette taxe, fixée à 25 % des revenus, comportait une disposition permettant aux contribuables concernés d’échelonner leur premier paiement sur neuf ans et les suivants sur cinq ans. Un mécanisme de plafonnement permettait aussi d’atténuer l’impact de cette taxe, qui était pleinement appliquée à partir d’une fortune de 200 millions de dollars.
La proposition prévoyait une exception pour les contribuables considérés comme « illiquides », c’est-à-dire ceux dont les actifs négociables représentaient moins de 20 % de leur patrimoine total. Ces contribuables pouvaient choisir de ne payer l’impôt que sur leurs actifs cotés en bourse et différer l’imposition de leurs actions privées jusqu’à leur vente effective. Une charge de report, plafonnée à 10 % des gains non réalisés, était alors appliquée au moment de la cession. Ainsi, les fondateurs d’entreprises valorisées à plusieurs centaines de millions de dollars, mais dont la fortune était principalement composée d’actions de leurs propres start-ups, étaient exemptés de cet impôt tant qu’ils ne cédaient pas leurs parts.
2. Dans une Europe où émerge une prise de conscience de la nécessité d’imposer les foyers les plus fortunés, la France peut jouer un rôle de pionnier et impulser une réforme fiscale ambitieuse
En Europe, plusieurs pays ont instauré des impôts ciblés sur les grandes fortunes pour infléchir la concentration des richesses. Dans ce contexte, la France a l’opportunité d’endosser, à nouveau, un rôle de précurseur en adoptant une réforme fiscale assurant l’imposition effective des foyers les plus aisés.
a. En Europe, la mise en place d’impositions ciblées sur les foyers fiscaux les plus aisés témoigne d’une nouvelle sensibilité sur la question de l’imposition des foyers aux patrimoines élevés
En Europe, l’accroissement des plus grandes fortunes a été constaté et a conduit à l’instauration ou au renforcement de prélèvements fiscaux spécifiquement destinés aux détenteurs de patrimoine élevé :
– en Espagne, le 29 décembre 2022, la loi 38/2022 ([37]) a établi la création d’un impôt temporaire de solidarité sur les grandes fortunes, impôt direct et personnel, complémentaire de l’impôt sur le patrimoine, applicable initialement pour les exercices 2022 et 2023, pour les personnes physiques dont le patrimoine net dépasse 3,7 millions d’euros ;
– en Norvège, une augmentation du taux d’imposition sur la richesse de 0,85 % à 1,15 % a été mise en place, accompagnée d’une réduction de l’abattement sur la valeur des actions détenues, passant de 45 % à 10 %.
b. Au regard des limites des dispositifs mis en place pour renforcer la justice fiscale, la France peut aller plus loin et assumer, à nouveau, un rôle de précurseur
La prise de conscience croissante en Europe de la nécessité d’une imposition plus efficace des foyers les plus aisés a également gagné la France.
Face à des inégalités de contribution devenues flagrantes, le gouvernement Barnier a également proposé un dispositif visant à renforcer la justice fiscale. L’article 3 du projet de loi de finances pour 2025 ([38]) a créé une nouvelle contribution temporaire sur le revenu, appelée contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR).
Les redevables de la CDHR sont les contribuables fiscalement domiciliés en France, dont le taux effectif d’imposition n’atteint pas un minimum de 20 %. Cette contribution est calculée comme la différence entre un impôt théorique de 20 %, appliqué à un revenu fiscal de référence ajusté, et l’impôt sur le revenu ainsi que la CEHR acquittés.
La CDHR fournit, dans une certaine mesure, une parade aux stratégies permettant de limiter l’imposition effectivement due sur les revenus perçus par les contribuables les plus aisés. Néanmoins, elle ne répond pas à la question de la réduction de l’assiette taxable des revenus des individus les plus aisés : seule une imposition sur le patrimoine, incluant les biens professionnels, est susceptible de répondre à cette problématique. En outre, le caractère temporaire de la CDHR limite sa capacité à garantir durablement une contribution équitable des foyers les plus fortunés à la justice fiscale.
La rapporteure estime donc que la mise en œuvre de la CDHR ne permet pas d’atteindre pleinement l’objectif d’une plus grande justice fiscale. Une option plus ambitieuse, visant à imposer effectivement les foyers fiscaux les plus fortunés, doit être portée par la France.
Le fait qu’aucun autre pays n’ait, à ce jour, mis en œuvre une imposition visant à instaurer un plancher d’imposition pour les milliardaires ne saurait constituer un obstacle. Le précédent que constitue l’instauration de la taxe sur les services numériques ([39]) dite taxe GAFAM en 2019 illustre le pouvoir d’impulsion de la France en matière de réforme fiscale. La France peut, une fois encore, ouvrir la voie et d’autant plus aisément que des discussions sur la mise en place d’une taxe sur les milliardaires sont actuellement en cours, alors qu’à l’époque de l’instauration de la taxe GAFAM, la France était isolée sur la scène internationale.
II. Le dispositif proposÉ : une contribution additionnelle instaurant un plancher de 2 % d’imposition sur l’ensemble du patrimoine pour les redevables dont le patrimoine excÈde 100 millions d’euros
A. une imposition ciblant spécifiquement les foyers fiscaux les plus fortunés
1. Le seuil d’entrée dans la catégorie des redevables fixé à 100 millions d’euros permet de cibler l’imposition sur les foyers fiscaux les plus aisés
L’imposition concerne les personnes physiques dont le patrimoine net taxable dépasse 100 millions d’euros. Le seuil établi garantit que seuls les foyers les plus riches soient taxés et exclut de ce fait, les propriétaires de petites ou moyennes entreprises (PME) ou la plupart des entreprises de taille intermédiaire (ETI).
La DGFiP n’a pas été en mesure de fournir d’estimation précise du nombre de contribuables concernés. En soulignant les limites méthodologiques rencontrées pour établir une estimation, elle indique qu’entre 76 et 378 foyers fiscaux assujettis à l’ISF déclaraient, en 2016, un patrimoine imposable – excluant donc les biens professionnels –, avoisinant les 100 millions d’euros.
En parallèle, Gabriel Zucman et les économistes auditionnés par la rapporteure, ont estimé à environ 1 800 le nombre de foyers fiscaux potentiellement concernés par cette imposition.
2. L’ajout d’un dispositif d’« exit tax » permet de limiter le risque d’exil fiscal
Un amendement déposé par la rapporteure et adopté en commission prévoit que les personnes physiques qui ont été domiciliées en France de façon continue pendant plus de dix ans demeureront imposables sur leurs biens situés en France et à l’étranger pendant les cinq années suivant leur départ de France.
L’amendement est également venu préciser que les cinq années de franchise fiscale prévues par la proposition de loi pour les contribuables venant s’installer en France seront exclues de ce calcul de la durée de la résidence fiscale en France.
Cet amendement permet ainsi d’instaurer une forme d’exit tax afin de limiter les risques d’exil fiscal des contribuables concernés par cette nouvelle imposition sur le patrimoine.
B. Une imposition à l’assiette large visant à couvrir l’intégralité de la capacité contributive des foyers concernÉs
1. L’assiette de l’imposition est définie de manière à inclure extensivement les différentes composantes du patrimoine du redevable
Comme les droits de mutation par décès, l’imposition proposée est assise sur l’ensemble des biens, droits et valeurs imposables qui, au jour du fait générateur de l’impôt, le 1er janvier de chaque année, composent le patrimoine du redevable.
Il s’agit principalement des biens, droits et valeurs divis ou indivis suivants :
– les immeubles non bâtis, terrains à bâtir qui répondent aux critères posés par le code de l’urbanisme, terres agricoles, landes, pâtures ;
– les immeubles bâtis, quelle que soit leur affectation, que les immeubles soient loués ou que le propriétaire s’en réserve la jouissance et sans qu’il y ait à distinguer selon qu’il s’agit de sa résidence principale ([40]) ou secondaire ;
– les droits réels immobiliers (usufruit, droit d’usage, droit du preneur d’un bail à construction, etc.) ;
– les entreprises industrielles, commerciales, artisanales ;
– les voitures automobiles, motocyclettes, yachts et bateaux de plaisance à moteur fixe, hors-bord ou à voile, avions de tourisme, chevaux de course, chevaux de selle ;
– les unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique (notamment les « bitcoins »).
Les biens ou droits transférés dans un patrimoine fiduciaire sont inclus dans le patrimoine du redevable, de même que les biens acquis en remploi et les revenus générés par l’exploitation de ces biens ou droits.
Enfin, les biens placés dans un trust et les revenus qu’ils génèrent sont imposés dans le patrimoine du redevable, à l’exception des trusts irrévocables lorsque les bénéficiaires sont exclusivement des organismes exonérés d’impôt (fondations, associations reconnues d’utilité publique, etc.) ou lorsque le trust est administré dans un pays ayant un accord avec la France pour lutter contre la fraude fiscale.
Sous réserve des conventions fiscales conclues par la France pour prévenir les risques de double imposition des contribuables détenant des biens hors de France, l’assiette de l’impôt proposé comprend également les biens situés hors du territoire français des redevables dès lors que ces redevables ont leur domicile fiscal en France.
Enfin, en ce qui concerne les personnes n’ayant pas leur domicile fiscal en France, il est expressément prévu que seuls leurs biens situés en France sont assujettis à cette imposition, à l’instar de ce qui est déjà prévu en matière d’impôt sur la fortune immobilière. De la même manière, l’application des conventions fiscales pourrait conduire à d’éventuelles décharges, partielles ou totales, selon les impositions dont ils se seront acquittés dans leur État de résidence fiscale.
2. Les biens professionnels sont intégralement compris dans l’assiette de l’imposition
Contrairement à l’ISF, qui excluait via de nombreuses exonérations une grande partie des biens professionnels de son assiette, l’impôt proposé repose sur une prise en compte élargie du patrimoine, ce qui permet de mieux cibler les grandes fortunes, souvent composées majoritairement d’actifs professionnels.
L’IPP a relevé que l’exclusion des biens professionnels de l’assiette de l’ISF bénéficiait particulièrement aux gros patrimoines, généralement davantage constitués d’actifs professionnels. En effet, selon les économistes de l’IPP, le patrimoine professionnel comptait pour 10 % du patrimoine total pour les contribuables au seuil des 0,1 % les plus fortunés, pour 30 % au seuil des 0,01 % les plus fortunés et 66 % pour le dernier cent-millime ([41]).
En définitive, ces analyses ont révélé que plus le patrimoine est important, plus la part des biens professionnels dans le patrimoine total est élevée, plus l’ISF payé était faible en proportion du patrimoine, en raison de l’exclusion des biens professionnels de l’assiette de l’ISF.
MONTANTS ET PARTS DES BIENS PROFESSIONNELS DANS LE PATRIMOINE TOTAL PAR QUANTILE DE PATRIMOINE TOTAL
Source : France Stratégie, op.cité, p115.
3. Afin de prévenir l’évasion fiscale, certains éléments liés aux contrats d’assurance-vie sont également inclus dans l’assiette de l’imposition
Le dispositif proposé vise à inclure dans le patrimoine imposable certains éléments liés aux contrats d’assurance-vie afin d’éviter toute forme d’évasion fiscale par leur biais.
En intégrant les primes versées après l’âge de 70 ans, le dispositif vise à éviter que ces contrats soient utilisés pour transmettre un patrimoine en échappant à l’impôt.
En outre, la valeur de rachat des contrats rachetables est également prise en compte, car elle représente un capital que le souscripteur peut récupérer. Cela permet de garantir que ces contrats ne soient pas utilisés comme moyen de conservation de capitaux non déclarés.
Enfin, lorsqu’un contrat est temporairement non rachetable, le souscripteur conserve une créance sur l’assureur, c’est-à-dire un droit sur une somme future. Cette créance est intégrée dans le patrimoine imposable afin d’éviter que de tels contrats ne soient utilisés pour faire échapper des fonds à l’assiette de l’imposition.
C. un taux d’imposition fondé sur la différence entre 2 % de la valeur nette taxable du patrimoine et la somme des montants acquittÉs au titre d’autres impositions
1. Le taux de l’imposition est construit sur la base de la différence entre 2 % de la valeur nette taxable du patrimoine et la somme des autres impositions
Le montant de l’impôt dû par le redevable est égal à la différence, si elle est positive, entre le montant résultant de l’application d’un taux de 2 % à la valeur nette taxable du patrimoine du redevable, et le montant résultant de la somme des montants acquittés, pour l’année en cours, par le redevable au titre de l’impôt sur le revenu, de l’IFI, de la CSG, de la CRDS et de la CEHR.
En résumé, le calcul de l’impôt est défini par la formule suivante :
Le dispositif proposé pour le calcul de l’impôt a été conçu de manière à éviter toute double imposition, en tenant compte des montants déjà versés par le redevable au titre des autres impôts et cotisations sociales portant sur le revenu.
Le taux de 2 % est celui envisagé au niveau international et pourrait, à terme devenir la norme au sein de l’OCDE.
2. Les spécificités de cette imposition laissent ouverte la question de sa conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel
Toute tentative d’augmentation de la fiscalité sur les hauts patrimoines doit tenir compte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l’impôt présentant un caractère confiscatoire.
Le Conseil constitutionnel considère que le principe d’égalité devant les charges publiques n’est pas respecté ([42]) si l’impôt revêt un caractère confiscatoire ou s’il fait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives.
Depuis l’examen du projet de loi de finances pour 2013, le Conseil constitutionnel porte cette appréciation en prenant en considération l’ensemble des impositions portant sur le même revenu et acquittées par le même contribuable ([43]). Cela lui permet de déterminer un taux marginal maximal d’imposition applicable à un même revenu qui, s’il est excessif, est considéré comme confiscatoire ([44]).
Par un avis du 21 mars 2013 ([45]), le Conseil d’État a synthétisé cette jurisprudence en considérant qu’un taux marginal de 66,6 % est un seuil au-delà duquel une disposition fiscale portant sur l’imposition des revenus risque d’être censurée par le Conseil constitutionnel.
En ce qui concerne l’imposition du patrimoine, le Conseil constitutionnel contrôle l’absence de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques en s’assurant notamment que l’assiette de l’imposition est en lien avec la contribution qui est demandée.
Le Conseil constitutionnel a en particulier relevé que « l’impôt de solidarité sur la fortune a pour objet de frapper la capacité contributive que confère la détention d’un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèce ou en nature procurés par ces biens ». Il a, sur ce fondement, considéré qu’« en raison de son taux et de son caractère annuel, l’impôt de solidarité sur la fortune est appelé normalement à être acquitté sur les revenus des biens imposables », et qu’il n’était ainsi pas possible d’asseoir cet impôt sur la valeur en pleine propriété d’un bien dont le contribuable est seulement nu-propriétaire et ne tire aucun revenu ([46]).
Pour autant, le Conseil constitutionnel a également considéré que « la prise en compte de cette capacité contributive n’implique pas que seuls les biens productifs de revenus entrent dans l’assiette de l’ISF » ([47]) Le Conseil constitutionnel a ainsi déjà admis que le législateur pouvait limiter la réduction de l’imposition sur la fortune qui résulte de son plafonnement en fonction des revenus afin de « faire obstacle à ce que ces contribuables [redevables de l’impôt sur la fortune] n’aménagent leur situation en privilégiant la détention de biens qui ne procurent aucun revenu imposable » ([48]). Il a de la même manière jugé qu’était constitutionnelle la réintégration dans la liste des revenus pris en compte pour le calcul du plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune des revenus distribués à une société passible de l’impôt sur les sociétés contrôlée par le contribuable si l’existence de cette société et le choix d’y recourir ont pour objet principal d’éluder tout ou partie de l’impôt ([49]).
Enfin, lorsqu’il a eu à juger de la contribution exceptionnelle sur la fortune qui avait été instituée pour une année par la loi de finances rectificative pour 2012 de l’été 2012 et constituait une imposition différentielle par rapport à l’impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de 2012, le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité cette contribution, dont les taux d’imposition pouvaient conduire à un taux maximal cumulé de 1, 8 %, comparable à celui en vigueur pour l’ISF avant 2012, alors même qu’elle n’était pas plafonnée en fonction des revenus. Il a toutefois tempéré cette déclaration en considérant que « le législateur ne saurait établir un barème de l’impôt de solidarité sur la fortune tel que celui qui était en vigueur avant l’année 2012 sans l’assortir d’un dispositif de plafonnement ou produisant des effets équivalents » ([50]).
Sans préjuger de ce que pourrait être l’appréciation du dispositif de la proposition de loi par le Conseil constitutionnel, la rapporteure souhaite souligner plusieurs éléments qui invitent à ne pas considérer qu’il s’agirait d’une imposition confiscatoire ou créant une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
Tout d’abord, l’introduction d’un seuil d’entrée dans la catégorie des redevables de cette imposition fixée, à 100 millions d’euros fait de cette imposition une imposition patrimoniale d’un genre nouveau. Le Conseil constitutionnel n’a, en effet, jamais eu à se prononcer sur un dispositif reposant sur un seuil aussi élevé, ce qui incite à une lecture prudente de sa jurisprudence antérieure. La rapporteure estime, en outre, que les sages de la rue de Montpensier ne manqueront pas de prendre en considération les preuves apportées par la littérature économique sur les stratégies de contournement de l’impôt et la faible contribution des très grandes fortunes à l’impôt.
Il convient également de souligner que, si le patrimoine du contribuable, se trouve en deçà du seuil de 100 millions d’euros, l’impôt plancher ne s’applique plus, garantissant ainsi un socle de patrimoine non concerné par l’impôt plancher sur la fortune. Le caractère confiscatoire d’un tel impôt semble ainsi difficile à établir.
Enfin, la rapporteure souligne que le taux de taxation retenu doit être mis en perspective avec le rendement moyen des hauts patrimoines, estimé entre 7 % et 10 % ([51]) par an. L’impôt proposé ne viendrait donc que minorer le rendement sans diminuer le patrimoine lui-même.
D. Un rendement attendu de plusieurs milliards d’euros
La contribution proposée permettrait de générer plusieurs milliards d’euros de nouvelles recettes fiscales, nécessaires au financement de la transition écologique, sans entraîner un important exil fiscal.
1. La contribution proposée permettrait de dégager plusieurs milliards d’euros de nouvelles recettes fiscales nécessaires
À ce stade, le rendement de l’imposition proposée ne peut être estimé que sur la base d’hypothèses, largement conditionnées par le nombre de redevables pris en compte.
Auditionnée à ce sujet, la DGFiP a précisé qu’elle ne pouvait simuler une telle imposition en l’absence d’évaluation des patrimoines financiers et des patrimoines professionnels.
Les économistes auditionnés par la rapporteure estiment que le rendement attendu de la mesure pourrait se situer entre 15 et 25 milliards d’euros, soit une contribution représentant entre 0,6 % et 0,9 % du PIB.
Cette évaluation repose sur le recensement des redevables et de leur patrimoine à partir des données publiées par le magazine Challenges. Selon le dernier classement de ce magazine, les 500 plus grandes fortunes françaises possèdent en moyenne un patrimoine de 245 millions d’euros en 2024, pour un total cumulé de 1 228 milliards d’euros. Par ailleurs, les dix plus grandes fortunes françaises détiennent un patrimoine cumulé de 400 milliards d’euros.
Cette hypothèse se fonde également sur un taux effectif d’imposition de cette population avoisinant 0,2 % pour les cinq cents plus grandes fortunes et 0,3 % pour l’ensemble des foyers fiscaux possédant un patrimoine dont la valeur nette excède 100 millions d’euros ([52]).
HYPOTHÈses de rendement d’un impÔt plancher de 2 % sur la fortune des ultrariches
Nombre et nature des redevables |
Patrimoine cumulé |
Recette potentielle |
Part du PIB estimée |
10 plus grandes fortunes de France |
400 milliards d’euros |
8 milliards d’euros |
0,3 % |
500 plus grandes fortunes de France |
1 228 milliards d’euros |
22 milliards d’euros |
0,8 % |
500 plus grandes fortunes et les foyers fiscaux dont le patrimoine est compris entre 100 millions et 245 millions d’euros |
1 500 milliards d’euros |
25 milliards d’euros |
0,9 % |
Source : Commission des finances d’après les échanges avec les économistes auditionnées
Hypothèse de rendement fiscal de l’impôt plancher sur les ultrariches
Les économistes auditionnés par la rapporteure estiment que le rendement potentiel d’une contribution supplémentaire sur les patrimoines élevés peut être estimé par l’équation suivante :
où
est le patrimoine total des contribuables concernés,
est le taux de contribution supplémentaire proposé et
est un terme d’erreur reflétant les incertitudes relatives aux données disponibles sur le patrimoine. Le taux de contribution supplémentaire proposée
est diminué par le taux d’imposition effectif
, estimé à 0,2 % pour les 500 plus grandes fortunes, et 0,3 % pour l’ensemble des foyers fiscaux possédant un patrimoine dont la valeur nette excède 100 millions d’euros.
Dans un scénario optimiste, le patrimoine total des 500 plus grandes fortunes françaises est estimé à 1 200 milliards d’euros et celui des contribuables possédant entre 100 millions et 245 millions à 300 milliards d’euros :
Dans un scénario prudent, il est supposé que 40 % des fortunes concernées par l’impôt proposé ne sont pas soumises au dispositif :
Dans un scénario intermédiaire, il est supposé que 20 % des fortunes concernées par l’impôt proposé ne sont pas soumises au dispositif :
Le rendement de cette imposition doit être mis en perspective avec les besoins de financement pour la transition écologique, pour laquelle le rapport Pisani-Ferry Mahfouz estime qu’un effort d’investissement net annuel supplémentaire de 66 milliards d’euros est nécessaire ([53]), dont 34 milliards sous forme de dépenses publiques
2. Un exil fiscal limité et prévenu par un dispositif d’«exit tax »
La mise en place de l’impôt plancher sur la fortune n’aurait, en définitive, qu’un effet très limité sur l’exil fiscal des plus fortunés.
La littérature économique a, en effet, récemment souligné l’impact restreint des réformes fiscales sur l’émigration, en s’appuyant sur l’exemple de la Suède, où l’impôt sur la fortune a été supprimé en 2007. L’économiste Camille Landais et ses co-auteurs ([54]) ont étudié les conséquences de cette réforme sur les migrations internationales des Suédois les plus riches. Leur objectif était de déterminer si, après l’abolition de l’impôt sur la fortune, les 2 % des Suédois les plus riches avaient moins souvent quitté le pays qu’entre 1999 et 2006.
Les résultats montrent que la suppression de l’impôt sur la fortune a eu des effets limités : la probabilité des plus fortunés de quitter la Suède a diminué de 0,05 point de pourcentage un an après la réforme, et le taux d’émigration des assujettis à l’impôt sur la fortune s’est rapproché de celui des riches non soumis à cette taxe.
Les économistes ont également simulé l’impact d’une hausse d’un point de pourcentage du taux effectif de l’impôt sur la fortune, estimant que cela entraînerait une augmentation de l’émigration de seulement 0,17 point de pourcentage.
En tout état de cause, pour prévenir et anticiper un éventuel exil fiscal, un amendement déposé par la rapporteure et adopté en commission prévoit que les personnes qui ont été domiciliées en France de manière continue pendant plus de dix ans demeureront soumises à l’impôt au titre d’une assiette comprenant l’ensemble de leurs biens, qu’ils soient situés en France ou à l’étranger, pendant les cinq années qui succèdent à leur départ.
Lors de sa réunion du mercredi 12 février 2025, la commission a examiné la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches (n° 930) (Mme Eva Sas, rapporteure).
M. le président Éric Coquerel. Cette proposition de loi est le deuxième texte que le groupe Écologiste a inscrit à l’ordre du jour de la niche parlementaire qui lui est réservée le jeudi 20 février 2025.
Mme Eva Sas, rapporteure. Je commencerai par deux chiffres qui m’ont particulièrement frappée. En vingt ans, les 500 plus grandes fortunes de France ont vu leur patrimoine augmenter d’environ 1 000 milliards d’euros, passant de 124 à 1 170 milliards. Par ailleurs, une étude conduite en juin 2023 par l’Institut des politiques publiques (IPP) indique que le taux de taxation effectif de ces contribuables n’est que de 2 % d’impôt sur le revenu, tous impôts personnels confondus.
Comment ces revenus toujours plus importants échappent-ils à l’impôt ? L’Institut des politiques publiques a montré que 97 % du revenu économique des soixante-quinze ménages de milliardaires français n’étaient pas imposables. Les plus aisés logent leur patrimoine dans des holdings qui distribuent le minimum de dividendes, ne générant ni revenu fiscal, ni impôt.
La situation ainsi créée est presque identique à celle de l’Ancien Régime où, selon les mots d’Alexis de Tocqueville, « l’impôt avait pour objet, non d’atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s’en défendre ».
À l’échelle internationale, le constat de la faible taxation des plus riches a conduit à une prise de conscience, comme en témoigne le rapport commandé par le G20 à l’économiste Gabriel Zucman. Dans ce rapport remis en juin 2024, il préconise l’instauration de façon coordonnée dans les différents États, d’un impôt de 2 % sur le patrimoine des milliardaires. De nombreux pays ont soutenu cette proposition. Puisque le gouvernement français a publiquement appuyé cette initiative, il est temps d’envisager concrètement sa mise en œuvre sur le territoire national. La France pourrait ainsi devenir pionnière dans la taxation minimale des plus riches, comme elle l’a été pour les géants du numérique avec la taxe Gafam.
Avec ma collègue Clémentine Autain, nous avons consulté des économistes, dont Gabriel Zucman. Fortes de leurs analyses et de leur expertise, nous proposons ici la création d’un impôt plancher sur les plus fortunés, avec l’objectif de garantir que les 1 800 ménages les plus riches contribuent aux intérêts de la nation à hauteur de 2 % de leur patrimoine, tous impôts confondus.
Cet impôt concernerait exclusivement les ménages disposant d’un patrimoine qui est supérieur à 100 millions d’euros, c’est-à-dire les grandes fortunes et non les gérants de PME, les artisans ou les jeunes entrepreneurs.
Les biens professionnels, qui constituent selon le Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital au moins 66 % du patrimoine des contribuables visés, seraient inclus dans l’assiette de cet impôt. Les en exclure, comme dans le cas de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), reviendrait en effet à maintenir une faille béante dans le système fiscal, permettant aux plus riches de continuer à contourner l’impôt et donc à transgresser les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lesquels la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».
Le dispositif ne donnerait pas lieu à une double imposition, puisqu’il s’agirait d’un impôt différentiel garantissant simplement que le total des impôts payés soit au moins égal à 2 % du patrimoine.
On ne manquera pas de m’opposer un argument d’inconstitutionnalité. Toutefois, le rendement des hauts patrimoines étant en moyenne de 7 à 10 % par an, il est clair qu’un niveau de taxation de 2 % ne ferait que minorer ce rendement sans entamer le patrimoine. Par ailleurs, l’impôt plancher cesserait de s’appliquer dès lors que le patrimoine deviendrait inférieur à 100 millions d’euros. Il ne peut donc en aucun cas être considéré comme confiscatoire.
Sans doute nous objectera-t-on aussi que le Conseil constitutionnel s’est toujours prononcé en faveur d’un plafonnement de la fiscalité sur le patrimoine en fonction des revenus. Mais il convient de souligner d’une part que le Conseil n’a jamais eu à statuer sur un dispositif dont le seuil était fixé à 100 millions d’euros, d’autre part que sa jurisprudence est antérieure à l’étude de l’IPP mettant en lumière l’utilisation du plafonnement à des fins de contournement de l’impôt. Or le Conseil constitutionnel a précisément considéré en 2011 qu’il fallait « faire obstacle à ce que ces contribuables n’aménagent leur situation en privilégiant la détention de biens qui ne procurent aucun revenu imposable ». Il y a donc toute chance que l’impôt que nous proposons, caractérisé par un seuil élevé et ayant pour seul objectif d’éviter le contournement de l’impôt, soit jugé constitutionnel.
Le rendement escompté serait compris entre 15 et 20 milliards d’euros selon Gabriel Zucman. Cette somme est non seulement essentielle mais également nécessaire pour redresser nos finances publiques, financer la transition écologique et consolider nos services publics.
À l’heure où nous demandons tant d’efforts aux Français, il ne serait pas compréhensible que nous laissions les plus riches continuer à contourner l’impôt. Je vous demande donc d’adopter cette mesure simple et minimale de justice fiscale.
M. le président Éric Coquerel. Je trouve cette proposition particulièrement bienvenue.
Gabriel Attal, que nous avons auditionné, nous a expliqué que les difficultés rencontrées en 2023 et 2024 résidaient moins dans la hausse des dépenses publiques que dans un niveau de recettes plus faible que prévu. Or, face à ce diagnostic, le gouvernement s’est essentiellement attaché à limiter les dépenses.
J’ai plutôt tendance à penser qu’il aurait été plus logique de chercher à augmenter les recettes, dont la faiblesse est manifestement à l’origine des déficits. L’exercice a déjà eu lieu en séance publique, lors de la discussion de la première partie du budget : quoi qu’on pense des amendements qui ont alors été adoptés, émanant principalement du Nouveau Front Populaire, le fait est qu’ils aboutissaient à un solde positif, validé par l’article d’équilibre, de 37 milliards d’euros, et à un déficit inférieur à 3 %. L’opportunité et la crédibilité de ces amendements ont été contestées mais la démonstration demeure qu’en augmentant les recettes, le déficit passe en dessous de 3 % au lieu des 5 % annoncés.
La taxe dont nous débattons figurait parmi les amendements proposés. Elle semble pouvoir faire consensus, dans la mesure où le gouvernement a indiqué réfléchir à l’instauration d’une taxe sur le patrimoine, à hauteur de 0,5 %.
L’étude conduite par l’IPP a en outre montré, sur la base de chiffres fournis par Bercy, que les personnes les plus riches du pays payaient largement moins de 2 %, voire pas du tout d’impôt sur le revenu (IR). Le transfert d’une partie de leurs gains vers des biens professionnels leur permet en effet d’être taxés à hauteur de 25 ou 26 % de leur revenu économique, quand les 0,1 % des Français les plus riches assujettis à l’IR sont imposés à 47 ou 48 %. La différence se compte en dizaines de milliards. La taxe proposée répond précisément à cette problématique.
Au-delà de nos couleurs politiques, nous devrions par ailleurs tous trouver insupportable le chantage au départ récemment effectué par quelques-unes de ces personnes qui échappent largement à l’impôt si la moindre taxe nouvelle leur était appliquée. Bernard Arnault s’exprime beaucoup dans ce sens, tout en agitant le chiffre d’une augmentation de 40 % de son imposition. Cela me donne furieusement envie d’aller vérifier ses déclarations fiscales – dont j’ai lu qu’il était tellement inquiet que je les consulte qu’il avait, il y a quelque temps, demandé leur classement secret-défense ! Quoi qu’il en soit, je pense que nous considérons tous ici que chacun doit participer à l’effort commun et s’acquitter de façon juste et équitable des impôts qu’il doit à la nation.
Enfin, cette proposition de loi me paraît d’autant plus opportune et pertinente qu’Éric Lombard a confirmé que les taxes exceptionnelles sur les grands groupes et les ultrariches ne seraient pas prolongées plus d’un an et que la piste privilégiée pour réduire le déficit serait plutôt celle de la limitation des dépenses publiques. Je crains par conséquent que la taxe sur le patrimoine évoquée lors des négociations ne finisse dans les limbes de l’histoire. Il me paraît donc bon que notre assemblée se saisisse de la question et donne une majorité à la proposition qui nous est soumise.
Mme Claire Marais-Beuil (RN). Une solution pour réduire les injustices fiscales ? Une taxe, bien sûr ! Énième idée de la gauche à destination des contribuables.
Oui, il y a un problème de justice fiscale en France, comme ailleurs. Mais qu’ont fait les écologistes et les socialistes dans ce domaine entre 2012 et 2017, lorsqu’ils étaient au gouvernement et majoritaires au Parlement, que François Hollande était Président et Cécile Duflot ministre ? Rien. La gauche ne fait des propositions que lorsqu’elle n’est pas au pouvoir. Pire, elle choisit toujours l’injustice. Emmanuel Macron, c’est votre héritage !
Et c’est lui que vous continuez à choisir face à Marine Le Pen, quand le Rassemblement national fait des propositions pour instaurer une véritable justice fiscale. Notre position, à nous, est constante : nous souhaitons nous attaquer d’abord aux rentes et à la fortune financière parfois issue de la spéculation. C’est pourquoi nous avons déposé trois amendements visant à transformer votre taxe en impôt sur la fortune financière. Voilà un moyen de répondre directement au problème de l’injustice fiscale.
M. Mathieu Lefèvre (EPR). Pour ma part, j’assume de penser que nous gagnerions à avoir en France davantage de Bernard Arnault pour créer de la richesse et des emplois.
Votre proposition de loi est une énième flèche décochée contre les entreprises. Elle ne touchera pas que les grands groupes, mais également les petites et moyennes entreprises. En effet, dès lors que les dividendes distribués et les bénéfices qui ne le sont pas figurent indistinctement dans l’assiette, le dispositif conduira nécessairement à renchérir le coût de transmission des PME et contraindra certaines entreprises à distribuer des bénéfices alors qu’elles auraient plutôt besoin d’investir.
De l’aveu même de Gabriel Zucman, cette taxe devrait, pour être efficace, être déployée au niveau international. La France, pays déjà le plus taxé de l’OCDE en dépit des baisses d’impôts voulues par Emmanuel Macron, pourrait bien sûr se targuer d’être la première à appliquer un tel impôt en proclamant que ses entrepreneurs ont le drapeau chevillé au cœur, mais je crains que l’instauration d’une taxation spoliatrice ne les fasse quand même fuir et qu’à la fin, les premières victimes de cette proposition de loi ne soient les Français et les emplois.
Le groupe EPR s’opposera à la proposition de loi. Il préfère travailler en Européen, comme il l’a fait avec l’imposition minimale des sociétés et la taxation des géants du numérique.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). La France compte d’un côté 11 millions de pauvres et 8 millions de personnes qui dépendent de l’aide alimentaire, de l’autre 147 milliardaires et 500 familles qui accumulent quelque 1 228 milliards d’euros. Comment une infime minorité peut-elle amasser autant d’argent pendant que le pays galère et que plus d’un Français sur trois saute des repas par manque de moyens ?
Ces inégalités insupportables ne cessent de croître, depuis que Macron sévit à la Présidence. Alors que l’État devrait assurer un peu de justice, de solidarité, d’égalité, vous venez de faire adopter, par 49.3 et avec la complicité du Rassemblement national, un budget ultra-austéritaire qui ne prend rien aux plus riches et prive le pays des 72 milliards en plus que l’Assemblée nationale avait pourtant adoptés, amendement après amendement.
La proposition de loi qui nous est présentée nous offre la possibilité de ramener un tout petit peu d’équité, de garantir que les personnes gagnant plus de 100 millions d’euros par an paient au moins 2 % d’impôt. Cela ne concernerait que les 4 000 personnes les plus riches du pays, soit 0,002 % de la population. J’ajoute que cet argent n’est en réalité pas le leur, car personne ne produit 100 millions par son travail. Être milliardaire est immoral, et cent fois millionnaire aussi, puisque l’argent amassé est le produit du vol de la plus-value du travail.
À titre de comparaison, 100 millions d’euros correspondent à 6 118 années de smic ; les 215 milliards de la fortune de Bernard Arnault, à environ 13 millions d’années de smic. Garantir un minimum d’impôt de 2 % quand les milliardaires en paient bien souvent moins que les autres contribuables apparaît somme toute très raisonnable. C’est même le minimum de la décence.
M. Mickaël Bouloux (SOC). Depuis une vingtaine d’années, les inégalités s’envolent en France. Face à un contexte financier et social délicat et à une crise écologique chaque jour plus prégnante, il apparaît urgent que les ménages les plus aisés, qui ont bénéficié d’un allègement significatif de leur imposition depuis 2017, participent à l’effort national d’augmentation des recettes publiques. Dès lors, le groupe Socialistes et apparentés soutient l’instauration d’un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des contribuables les plus riches. Il a d’ailleurs porté plusieurs amendements en ce sens dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025.
Quelques interrogations subsistent toutefois sur des cas marginaux. Je pense par exemple à un rentier possédant un patrimoine important, mais dont les revenus imposables sont faibles. Le Conseil constitutionnel considérerait-il alors l’impôt comme confiscatoire ?
De plus, la proposition de loi ne supprime pas l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), ce qui peut soulever des problèmes de bornage entre les deux impôts. Il est donc nécessaire de prévoir une appréciation scrupuleuse des conditions d’assujettissement, afin d’éviter toute possibilité d’évasion fiscale.
Nous avons choisi de ne pas déposer d’amendement à ce stade et plaçons notre entière confiance en la rapporteure et en sa volonté d’améliorer les dispositions de la proposition de loi, dont nous espérons le succès et que nous soutenons avec enthousiasme.
M. Thierry Liger (DR). Cette proposition de loi présente tout d’abord l’inconvénient de fixer un plancher mais pas de plafond, ce qui risque de rendre l’impôt confiscatoire.
Elle associe par ailleurs dans un même impôt les revenus et le patrimoine, notamment professionnel. Or certaines situations, dans l’industrie notamment, combinent un important patrimoine professionnel et de faibles revenus. L’instauration d’un impôt plancher pourrait donc mettre certains entrepreneurs en difficulté de trésorerie ou les amputer d’une partie de leur patrimoine, avec de possibles impacts sur l’emploi.
Cette mesure risque également de porter préjudice à l’attractivité de la France, déjà dotée de l’un des niveaux d’imposition les plus élevés de l’OCDE, et ce alors que de nombreux pays travaillent justement à réduire leur fiscalité.
Nous venons d’adopter une contribution différentielle sur les hauts revenus et une contribution exceptionnelle pour certaines entreprises. Selon nous, la solution au déficit réside maintenant essentiellement dans un travail sur les dépenses publiques. Ajouter d’autres impôts n’en est certainement pas une. Notre groupe sera défavorable à cette proposition de loi.
Mme Clémentine Autain (EcoS). La proposition de loi qu’Eva Sas et moi vous proposons peut permettre d’une part d’introduire un peu de justice fiscale dans un monde d’inégalités, d’autre part de renflouer les caisses publiques pour répondre aux besoins du pays.
L’impôt que nous proposons devrait concerner environ 1 800 personnes – le chiffre est approximatif car il est très difficile de connaître le patrimoine des ultrariches en France, ce à quoi il conviendrait d’ailleurs de remédier avec un dispositif qui assure un peu plus de transparence. Selon les calculs de Gabriel Zucman, ses recettes s’établiraient entre 15 et 25 milliards d’euros.
Cela suppose d’inverser la tendance, Emmanuel Macron n’ayant cessé de subventionner les hyper-riches en leur octroyant toujours plus de faveurs fiscales, au prix d’un déficit abyssal, de services publics au régime sec et d’une transition écologique réduite à néant. Pendant que la majorité de la population se serre la ceinture, les 500 plus grandes fortunes françaises ont empoché 1 000 milliards de plus en dix ans.
Ce qui est sidérant, c’est que les ultrariches cotisent infiniment moins en proportion de leur revenu que la majorité des Français. Selon l’Institut des politiques publiques, nos concitoyens paient en moyenne 50 % d’impôts, tout confondu – IR, TVA, cotisations sociales – alors que ce taux s’établit à 27 % pour les milliardaires. La France a ainsi inventé l’impôt régressif, puisque des mécanismes légaux permettent aux plus fortunés de le contourner. Le patrimoine des plus riches est en outre essentiellement constitué d’actifs financiers, atteignant des niveaux de concentration probablement inégalés dans l’histoire.
Voilà pourquoi nous devons revisiter le système d’imposition. Il s’agit d’un enjeu d’égalité et même de décence. Refuser l’instauration d’un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine reviendrait à sanctuariser la possibilité pour les ultrariches de se soustraire à l’impôt. Comment imaginer que notre assemblée laisse se perpétuer une telle injustice ?
M. Emmanuel Mandon (Dem). Directement inspirée des travaux de Gabriel Zucman, cette proposition de loi s’appuie sur le constat que le système fiscal français serait régressif pour les foyers les plus riches. Si elle présente le mérite de nous permettre d’échanger sur les moyens de rendre le système plus équitable, elle n’en repose pas moins selon nous sur une erreur fondamentale de principe : vous appréhendez en effet les revenus des plus fortunés en incluant les bénéfices des entreprises qu’ils contrôlent, alors même que ces revenus, dès lors qu’ils ne sont pas distribués, appartiennent à l’entreprise. Un tel raisonnement va à l’encontre du droit des sociétés.
Le dispositif aurait par ailleurs des effets délétères sur la santé du tissu productif français. En taxant le stock indépendamment de sa nature et de sa liquidité, l’impôt grèverait la capacité des entreprises à innover, à investir et à redistribuer. L’ISF prévoyait par exemple des exonérations visant à préserver le patrimoine professionnel.
Enfin, cet impôt contrevient à la réalité économique. L’instaurer unilatéralement dans une économie ouverte présenterait un risque majeur pour l’attractivité du pays.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Démocrates votera contre. Nous souhaitons, dans l’esprit des réflexions conduites au sein du G20, que la coopération internationale soit privilégiée pour renforcer efficacement la fiscalité appliquée aux grandes fortunes. Des travaux pourraient également être menés à l’échelle européenne et nationale afin d’inciter à la redistribution et à l’investissement des bénéfices non distribués localisés dans les holdings.
M. François Jolivet (HOR). Merci de nous proposer ce texte, qui apporte une contribution bienvenue au débat sur les recettes de l’État. Nous nous inquiétons toutefois des effets de bord qu’il serait susceptible de créer.
Sans préjuger de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la question du caractère confiscatoire de cette imposition se pose réellement, d’autant que le dispositif proposé cohabiterait avec l’IFI.
Gabriel Zucman insiste par ailleurs dans son rapport sur la dimension non pas nationale, ni même européenne, mais nécessairement internationale d’une telle taxation. La présente proposition de loi doit certainement combler les conseillers de M. Trump qui suivent nos travaux – et je crains que les industriels et les investisseurs du monde de l’intelligence artificielle que nous recevions hier à Paris ne reviennent pas si elle était adoptée !
Le texte prévoit d’intégrer à l’assiette taxable les contrats d’assurance vie temporairement non rachetables. Autre innovation, il impose une taxation de 2 % sur la fortune nette, frappant ainsi l’immobilier d’entreprise et le capital détenu. Il s’agit en somme d’un nouvel ISF venant toucher les outils de production. À ce propos, il ne me semble pas avoir vu d’exemption pour les sociétés foncières privées portant la production de logements.
Le groupe Horizon sera défavorable à cette proposition de loi.
M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Je pense que tous les parlementaires souscrivent à l’impératif de justice fiscale, qui soulève la question de l’impôt appliqué aux plus fortunés.
La mesure proposée présente toutefois le risque de déclasser encore la France, qui présente déjà le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé parmi les États développés. Cette taxation conséquente, dont le rendement serait de l’ordre de 15 à 25 milliards d’euros, pourrait encourager l’exil fiscal tandis que son assiette, incluant les biens professionnels, engendrerait un risque pour l’appareil productif français – sans parler du risque d’inconstitutionnalité que vous écartez d’un revers de main.
Le groupe LIOT estime nécessaire d’explorer des solutions fiscales plus justes pour les plus hauts patrimoines et salue l’ouverture par le premier ministre, à la demande des socialistes, d’un chantier dans cet esprit. Il lui apparaît qu’un travail approfondi sur les niches fiscales constituerait une approche plus pertinente et équilibrée que celle qui est proposée. Il est opposé aux fondements du présent texte mais s’associera à toute avancée pertinente dans la quête, sans doute utopique, d’une parfaite justice fiscale.
M. Nicolas Sansu (GDR). Je remercie et félicite le groupe Écologiste et social d’avoir choisi d’inscrire ce texte dans sa niche parlementaire. Le débat public impose de s’intéresser au sujet : en témoignent les travaux conduits par le G20 et l’OCDE, le rapport produit par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz ou encore l’étude de l’IPP montrant que les plus riches ne contribuent pas à la hauteur de leur fortune.
La question centrale est celle du consentement à l’impôt. Il faut faire en sorte que ce soit le travail qui enrichisse, plus que le patrimoine, que cette « boule d’héritage » qui ne cesse de grossir. J’ajoute que l’impôt proposé ne toucherait qu’un nombre infime de personnes et que lorsqu’on possède 100 millions, payer 2 millions tous impôts confondus, y compris l’IR et l’IFI, n’est vraiment pas grand-chose. Refuser d’instaurer cet impôt serait donc une erreur.
En 2024, Bernard Arnault a versé 3 milliards d’euros dans une holding familiale. Avec un système transparent, cela aurait dû générer, avec 30 % de flat tax, quelque 900 millions d’euros de recettes fiscales. Mais comme c’est la quote-part pour frais et charges qui s’impose, avec un impôt sur les sociétés à 25 %, cela n’a rapporté que 37,5 millions d’euros de recettes. Voilà la réalité !
Par ailleurs, à ce niveau de patrimoine, il ne s’agit pas que de villas et de yachts : il s’agit d’une fortune financière. Que le Rassemblement national se rassure, Montretout ne sera pas taxé !
Enfin, le contexte mondial est particulièrement inquiétant : les milliardaires font désormais partie du gouvernement Trump, avec une volonté impérialiste affichée. La France s’honorerait à souligner la nécessité de stopper un tel système, porteur de violence et de guerre.
M. Charles de Courson, rapporteur général. Cette idée d’un impôt plancher sur la fortune, si elle est intéressante, se heurte selon moi à des obstacles nombreux et majeurs.
Le premier est celui de la constitutionnalité. La jurisprudence du Conseil constitutionnel plafonne en effet à 70 % le total de l’impôt au regard du revenu disponible – et non d’un revenu potentiel. Le nouvel impôt sera donc confiscatoire dès lors qu’il s’appliquera à des biens qui rapportent moins de 2 % – et même de 1,4 % compte tenu du taux de 70 % – puisque cela reviendra à prélever la totalité du revenu disponible. Nous nous sommes déjà heurtés à la même difficulté s’agissant de l’ISF.
La deuxième difficulté réside dans l’inclusion dans l’assiette de l’impôt des biens professionnels. Ces derniers en ont toujours été exclus, au nom de la préservation de l’outil de travail, pour éviter les délocalisations d’entreprises. Lors de la discussion sur l’ISF, ils en avaient été exclus après adoption du fameux « amendement Liliane », qui avait été négocié directement entre la famille Bettencourt et François Mitterrand.
Troisième écueil : la concurrence internationale. Les fortunes visées par le présent impôt étant essentiellement mobilières, elles sont susceptibles à tout moment de se délocaliser.
Ces différents obstacles me paraissent incontournables en l’état actuel de l’interprétation qu’en donne le Conseil constitutionnel.
Je mentionne aussi un problème secondaire : cet impôt concernerait le patrimoine net, y compris les assurances vie ; or ces dernières, juridiquement, ne sont plus la propriété de leurs auteurs.
Reste que le problème posé par notre collègue est bien réel. La fameuse « étude secrète » conduite par le service de la législation fiscale du temps de l’ISF avait montré que dix des cinquante plus grandes fortunes françaises ne s’acquittaient pas de l’ISF, et que les quarante autres ne contribuaient qu’à 10 % à peine du barème. Les gens s’organisaient en effet en holdings familiales ne distribuant que très peu de revenus : certains même ne déclaraient aucun revenu, vivant de prêts à la consommation remboursés occasionnellement après une plus-value effectuée sur une partie de leur patrimoine. L’ISF a ainsi été complètement contourné et n’a plus concerné que les « petits riches » disposant de fortunes immobilières, et non les très grosses fortunes mobilières.
L’une des pistes majeures à explorer serait par conséquent celle des holdings familiales. Pour franchir les obstacles tant constitutionnels que concurrentiels, une solution serait peut-être de créer un précompte sur les revenus placés dans les holdings familiales non distribués.
En l’état, en tant que rapporteur général, je ne peux pas donner un avis favorable à cette proposition de loi.
Mme Eva Sas, rapporteure. Je remercie chacun pour sa contribution.
Madame Marais-Beuil, mon but n’est pas de taxer toujours plus, mais de faire en sorte que chacun paye sa part. Puisque votre groupe est favorable à une meilleure justice fiscale, nous attendons qu’il le prouve en votant ce texte qui répond directement à cet objectif.
Monsieur Lefèvre, en fixant le seuil de cet impôt à 100 millions d’euros, nous en excluons clairement les artisans et les PME. Cet argument ne tient donc pas.
Vous considérez que cette mesure devrait être prise à l’échelon international, mais Gabriel Zucman lui-même, avec lequel nous avons échangé, considère qu’il serait une très bonne chose que la France soit pionnière : cela ouvrirait la voie à la négociation internationale. La ministre Amélie de Montchalin a quant à elle cité l’exemple de la taxe Gafam, instituée par la France et qui a constitué un premier pas vers une taxation minimale des multinationales à l’échelle internationale. C’est bien la preuve que la France peut être pionnière sans déstabiliser son système fiscal ni économique.
Je partage l’indignation d’Aurélien Le Coq et de Mickaël Bouloux face à l’accroissement des inégalités et du patrimoine des plus riches dans notre pays.
Concernant la question des liquidités nécessaires pour s’acquitter de l’impôt, qui peuvent effectivement manquer ponctuellement, la proposition de loi prévoit la possibilité d’étaler le paiement sur cinq ans.
Monsieur Liger, le cas des patrimoines professionnels ne générant pas de revenu me paraît pour le moins marginal, et théorique. Cet argument est toujours utilisé pour perpétuer les comportements de contournement de l’impôt des plus fortunés, mais il ne me semble pas recevable.
Je remercie Clémentine Autain du travail effectué en commun.
Monsieur Mandon, vouloir protéger les revenus non distribués dans les holdings condamne à l’inaction face à l’évasion fiscale, puisque les plus riches s’appuient précisément sur cet élément pour contourner l’impôt.
Monsieur Jolivet, nous espérons bien sûr que la mesure que nous proposons sera adoptée au niveau international.
Les sociétés immobilières entrent bien dans le périmètre de la taxation, qui ne concerne toutefois, je le rappelle, que les contribuables physiques disposant d’un patrimoine d’au moins 100 millions. Le cas que vous soulevez est donc marginal, voire inexistant – comme tous ceux qui sont évoqués pour protéger ceux qui se livrent au contournement de l’impôt.
Monsieur Bataille et monsieur le rapporteur général, nous avons bien évidemment étudié l’argument de la constitutionnalité. Oui, la jurisprudence de 2011 peut laisser penser que la mesure que nous proposons serait déclarée conforme à la Constitution ; en tout état de cause, la question mérite d’être posée, ce qui sera possible si nous adoptons cette proposition de loi. Rien ne préjuge de la réponse du Conseil constitutionnel, qui avait considéré, en 2011, qu’il fallait faire obstacle à ce que les contribuables aménagent leur situation en privilégiant la détention de biens ne procurant aucun revenu imposable : cela correspond précisément à la situation visée par la proposition de loi.
J’entends les arguments invoqués, mais vous invite à ne pas céder à l’inaction devant l’évasion fiscale des plus riches. Ne pas adopter cet impôt plancher décevrait assurément les Français, qui tous aspirent à une égalité devant l’impôt.
Article unique
Amendements de suppression CF1 de M. Mathieu Lefèvre et CF13 de M. Jean-Didier Berger
M. Mathieu Lefèvre (EPR). Je suis toujours surpris que la question du secret fiscal puisse être mise à mal dans notre commission. Vous avez évoqué la situation personnelle d’un contribuable, monsieur le président, ce que je trouve extrêmement dangereux pour la démocratie. Et, pardon madame Autain, je n’ai pas très envie de vivre dans un monde où tout le monde connaîtrait mon patrimoine.
Madame la rapporteure, vous ne m’avez pas répondu au fond. Votre taxe ne permet pas de purger les plus-values latentes. Elle inclut l’ensemble du patrimoine des contribuables concernés, qu’il s’agisse des dividendes ou des bénéfices non distribués, ce qui aura un impact très important sur la valeur des actions prise en compte dans le cadre de la valorisation des titres détenus, donc sur la transmission des entreprises, dont le coût est déjà très élevé en France. C’est cela qui avait justifié l’instauration du pacte Dutreil, que vous souhaitez par ailleurs remettre en cause. Comment considérer qu’il ne faut pas sortir les dividendes pour financer la transmission ? Il nous faut une réponse sur ce point technique – sauf à considérer qu’avec un patrimoine de 100 millions, on n’a aucune action ni dividende dans des entreprises françaises qui, accessoirement, créent de la croissance et de l’emploi.
Nous demandons donc la suppression de l’article unique.
M. Jean-Didier Berger (DR). Il nous paraît malvenu, dans un pays déjà champion du monde en matière de fiscalité, d’aggraver la situation par l’ajout d’un impôt. Nous préférons, pour améliorer les équilibres financiers, réduire la dépense publique plutôt qu’augmenter la pression fiscale au risque de nuire à la compétitivité des entreprises et à l’image de la France sur la scène internationale.
Si des recettes fiscales devaient toutefois être trouvées, la taxation proposée ne conviendrait pas : outre les nombreux inconvénients déjà soulevés, elle conduirait à accroître la complexité de notre fiscalité, qui explique déjà largement les failles constatées. Améliorer la justice fiscale passe au contraire par une simplification – voire une révolution –, afin de rendre le système plus juste et compréhensible par l’ensemble des Français. Oui, notre impôt censément progressif peut être en réalité dégressif et nous avons un travail d’ampleur à mener sur la question.
Mme Eva Sas, rapporteure. Cette proposition de loi ne concerne pas la transmission d’entreprises et ne remet aucunement en cause le pacte Dutreil, un dispositif très avantageux qui exonère à 75 % la transmission des parts d’entreprises et permet de maintenir un actionnariat familial.
Quant à la complexité du mécanisme, je signale que son principe est exactement celui qui a été retenu par le gouvernement pour éviter les abus en matière d’évasion fiscale. Non, ce dispositif n’ajouterait pas de la complexité mais de la justice fiscale, ce dont notre pays a bien besoin. Avis défavorable.
M. le président Éric Coquerel. Monsieur Lefèvre, je regrette que vous repreniez des insinuations faites à mon encontre à l’époque de ma première élection à la présidence de cette commission. Certains avaient agité le risque que je rende publics les documents fiscaux que ma fonction me permet d’obtenir. Vous remarquerez qu’en plus de deux ans, cela ne s’est jamais produit. En l’occurrence, j’estime simplement utile, à partir du moment où Bernard Arnault fait de ses impôts un objet politique, de vérifier si ses affirmations sont exactes.
S’agissant des amendements, il me semble que les adopter serait une régression par rapport au débat que nous avons eu sur le projet de loi de finances : dans un contexte où il est avéré que les plus riches ne paient pas l’impôt dont ils devraient s’acquitter, une majorité d’entre nous s’étaient exprimés pour un rééquilibrage, en adéquation d’ailleurs avec le sentiment global des Français.
L’étude de l’IPP de juin 2023 conclut que le taux d’imposition effectif est progressif jusqu’à des niveaux de revenus élevés, y compris pour les 1 % des ménages les plus riches, mais devient régressif au-delà. S’il s’élève à 46 % pour les 0,1 % de foyers fiscaux les plus riches, l’impôt passe à 26 % pour les 0,002 % les plus riches. Dans un pays où le consentement à l’impôt est essentiel, il me semble normal de rétablir une forme d’équité, quelle que soit par ailleurs l’ampleur de ce qu’apportent à l’économie ces grandes fortunes, dont je rappelle qu’elles n’existeraient pas sans le travail des salariés.
M. Matthias Renault (RN). Je tiens à rappeler que Gabriel Zucman, dont on reprend ici une taxe pensée pour être mondiale, est un économiste très engagé, qui a signé une tribune de soutien à la NUPES lors des élections législatives et ne trouve rien à redire à son programme économique invraisemblable.
L’objectif du texte est clairement de revenir sur la loi de finances pour 2025. Je doute qu’une proposition de loi soit le vecteur le mieux adapté pour cela. Par ailleurs, ce budget, qui a porté notre taux de prélèvements obligatoires à 43,5 %, nous permettant de rester le pays le plus taxé au monde, prévoit aussi une contribution exceptionnelle sur les grandes entreprises. C’est à tout cela que s’ajouterait la taxe Zucman, qui inclut les biens assurant l’activité productive. C’est vraiment la course à l’échalote.
Le groupe Rassemblement national va néanmoins s’abstenir lors du vote des amendements de suppression, car il souhaite débattre de sa proposition de transformer l’IFI en impôt sur la fortune financière.
Mme Clémentine Autain (EcoS). Le discours du Rassemblement national met tout le monde sur le même plan. Or, depuis 2019, les milliardaires ont vu leur fortune augmenter de 1,3 million d’euros par jour. Je suis donc sidérée d’entendre qu’il ne faudrait surtout pas les taxer ni les empêcher de contourner l’impôt. Quand il y a des fuites, monsieur de Courson, il faut boucher tous les trous : nous proposons un mécanisme, mais si vous avez d’autres idées pour s’attaquer aux holdings familiales, nous sommes preneurs.
On nous oppose l’argument de la compétitivité et de la délocalisation de l’outil de production : c’est méconnaître la construction de ces fortunes et leur liquidité extrême. Si nous ne prenons pas au sérieux cette taxe de 2 %, Bernard Arnault continuera à ne pas être imposé sur ses 190 milliards de patrimoine. Je n’ai pas encore entendu de proposition alternative sérieuse permettant d’affronter ce problème du contournement de l’impôt. Et je trouve inacceptable, dans une situation aussi grave, d’entendre que taxer le patrimoine des milliardaires à 2 % poserait un problème de constitutionnalité – autrement dit, d’égalité devant l’impôt !
M. Thomas Cazenave (EPR). Je soutiens l’amendement de Mathieu Lefèvre, même si je comprends l’intention de la rapporteure. Il n’y a pas de problème avec les riches en France, qui paient beaucoup d’impôts, mais il y a en effet un problème avec les ultrariches, dont plusieurs travaux montrent qu’ils ne paient pas assez d’impôts au regard de leurs revenus et de leur patrimoine.
Toutefois, le patrimoine est liquide et se déplace. Vous pouvez vous faire plaisir avec votre belle proposition de loi, mais la base taxable partira du jour au lendemain. Je trouve que vous balayez un peu trop vite l’argument de l’ouverture internationale. Nous ne sommes pas une île. Vous voulez appliquer au niveau national ce que Gabriel Zucman a pensé à l’échelle européenne et internationale. Ce faisant, vous allez ouvrir une brèche et lorsque les patrimoines se seront déplacés, non seulement vous n’aurez pas plus de justice fiscale, mais vous n’obtiendrez pas le rendement attendu. C’est la raison pour laquelle nous sommes contre, non pas votre objectif, mais votre proposition de loi purement incantatoire.
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Je suis un peu atterrée de voir qu’on invente n’importe quel prétexte pour éviter de taxer 1 800 personnes dans ce pays. S’agissant des ultrariches, nous ne sommes absolument pas les champions de la fiscalité ! De plus, il ne s’agit pas d’une taxe ou d’un impôt mais d’une garantie de contribution effective.
Je regrette par ailleurs que M. le rapporteur général brandisse de façon systématique le principe de constitutionnalité. Nous sommes ici entre parlementaires : adoptons ce texte et nous verrons bien ensuite ce que décide le Conseil constitutionnel. Je rappelle que cette mesure pourrait rapporter 20 milliards au budget de la France, ce qui, dans les circonstances actuelles, n’est pas un simple détail.
Enfin, on peut s’amuser que le Rassemblement national, qui se fait habituellement le défenseur des opprimés, refuse un impôt qui pourrait rétablir un peu de justice fiscale et qui est très attendu par les Français. Ces derniers déplorent que les ultrariches ne s’acquittent pas de leurs impôts alors qu’eux-mêmes en payent tous, ne serait-ce qu’avec la TVA.
Mme Marie-Christine Dalloz (DR). Votre but, madame la rapporteure, serait de lutter contre les abus en matière fiscale. Mais des dispositifs anti-abus existent déjà dans notre réglementation fiscale : votre texte ne répondra pas mieux à la situation.
De plus, il soulève deux questions. La première concerne le niveau de nos prélèvements. Si, madame Feld, nous sommes bien les champions du monde de la fiscalité ! Notre imposition est maximale et entrave nos perspectives économiques. La deuxième question porte sur la compétitivité des entreprises. Comment rendre notre pays attractif quand vous n’avez que le mot taxation à la bouche ? Vous n’abordez pas ce sujet.
Par ailleurs, vous pouvez faire toutes les simulations que vous voulez, mais lorsque les fortunes seront délocalisées, le rendement de l’impôt sera nul. La taxation n’est pas l’alpha et l’oméga de notre économie. Chacune de vos propositions vise à rajouter une nouvelle taxe. Je crois que vous prenez les choses dans le mauvais sens.
Enfin, monsieur le président, puisque vous parlez de consentement à l’impôt, il faudrait s’interroger sur le nombre de contribuables s’acquittant d’un impôt sur le revenu, qui est très faible en France par comparaison aux autres pays européens. Il conviendrait peut-être de créer une taxe très basse mais portant sur l’ensemble des contribuables.
Pour toutes ces raisons, nous voterons pour la suppression de cette proposition de loi.
M. le président Éric Coquerel. Je suis favorable à l’instauration de quatorze tranches qui concerneraient tout le monde : ce serait plus juste. La prochaine fois, madame Dalloz, vous pourrez donc voter avec moi !
M. Nicolas Sansu (GDR). On nous reproche de n’avoir que le mot taxation à la bouche : c’est faux ! Ce sont le consentement à l’impôt et la justice fiscale qui sont nos maîtres mots. Face aux défis posés par la transition écologique et par l’urgence climatique, soyons un peu sérieux.
Vous nous mettez en garde contre l’exil des riches, mais les États-Unis taxent leurs citoyens même quand ils quittent le pays ! Pour notre part, nous avons diminué la durée de l’exit tax… C’est totalement inconséquent de la part de nos dirigeants, alors qu’il existe des dispositifs permettant de taxer ceux qui voudraient délocaliser leur fortune financière. On pourrait par exemple les taxer pendant quinze ou vingt ans après leur départ, puisqu’ils ont bénéficié de l’éducation et du système de santé de notre pays. Ce sujet est sur la table de l’OCDE et du G20, alors arrêtez d’utiliser cet argument !
Enfin, madame Dalloz, tout le monde paye des impôts avec la TVA, qui est le premier d’entre eux. L’impôt sur le revenu n’est pas le seul prélèvement obligatoire ; c’est même un des plus petits rendements de notre architecture fiscale.
M. Mickaël Bouloux (SOC). Je suis effaré par le conservatisme de nos collègues de droite et d’extrême droite. Nous proposons une taxe relativement modérée de 2 % portant sur 0,002 % des patrimoines – ceux qui augmentent de 10 % à 15 % chaque année sans rien faire. Il s’agit d’une simple participation au bien commun, qui bénéficie par ailleurs aux contribuables concernés : croyez-vous qu’ils pourront maintenir ce niveau de rentabilité à long terme dans une société qui va mal faute d’investissements, sans parler de l’état de la planète ? Nous voterons contre ces amendements de suppression.
Mme Eva Sas, rapporteure. Monsieur Renault, il ne s’agit pas d’un impôt qui s’ajoute aux autres mais d’une taxation différentielle, permettant de s’assurer que l’ensemble de ce qui est acquitté atteint un plancher de 2 %. Ce n’est qu’un filet anti-abus. Nous sommes sur la bonne piste puisque le gouvernement réfléchit à un dispositif similaire. Or celui que nous vous proposons est opérationnel : inutile de différer plus longtemps.
Madame Dalloz, la réglementation anti-abus est manifestement inopérante puisque l’IPP a démontré que les plus riches échappent à la taxation et ne payent que 2 % d’impôts sur le revenu, tous impôts personnels confondus.
Certains disent que l’on paye trop d’impôts en France, mais ce n’est pas vrai pour tout le monde ! Cela pourrait se discuter pour les classes moyennes et supérieures, mais ce dispositif, justement pour rétablir l’égalité, ne concernera que les 1 800 contribuables les plus aisés. Ce sont ces derniers que vous protégez en vous opposant à ce texte.
Enfin, personne ne nie l’existence d’un risque d’exil fiscal. Je dis simplement qu’il y a souvent un grand pas entre la menace et son exécution. Les études réalisées dans d’autres pays, comme la Suède, montrent que l’exil fiscal est en vérité très faible parce que les contribuables les plus aisés, comme tout le monde, ont des attaches familiales et territoriales qui ne se défont pas si facilement. Il faut donc relativiser. Mais nous avons pris en compte cet argument puisque nous vous proposerons un amendement permettant de faire perdurer le dispositif pendant cinq ans après une expatriation fiscale.
La commission rejette les amendements de suppression.
Amendement CF12 de M. Jean-Philippe Tanguy
M. Matthias Renault (RN). Nous proposons de transformer l’impôt sur la fortune immobilière en impôt sur la fortune financière. C’est un amendement que nous défendons depuis des années. La gauche, quant à elle, s’y oppose depuis des années, tout en prétendant défendre les pauvres contre les riches : elle peut garder ses leçons !
Nous considérons qu’il n’y a aucune honte à faire fortune, au contraire. C’est une différence fondamentale avec la gauche, qui considère que s’enrichir est dégoûtant et que réussir est honteux. Nous pensons qu’il y a différentes façons de faire fortune et que toutes ne se valent pas. Il est tout à fait positif de s’enrichir en créant des entreprises et de la richesse dans l’économie réelle ; les rentes et la spéculation sont nettement moins légitimes. C’est toute la philosophie de notre impôt sur la fortune financière, qui est une taxe antispéculation – contrairement à l’IFI actuel, qui taxe le patrimoine enraciné.
Mme Eva Sas, rapporteure. Bien que je sois d’accord sur le fait que la fortune financière mérite d’être mieux imposée, je trouve votre proposition trop restrictive par rapport à l’impôt plancher sur la fortune, dont l’assiette est plus large et permet d’inclure des éléments relevant de la fortune immobilière. L’imposition que nous proposons est également plus juste car elle cible spécifiquement la tranche des contribuables les moins imposés et les plus aisés, ce que ne fait pas votre impôt sur la fortune financière. Avis défavorable.
M. Matthias Renault (RN). Ce n’est pas qu’une question d’assiette : notre dispositif est complètement différent du vôtre car il vise les revenus financiers et non le patrimoine. L’esprit n’est pas du tout le même.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je remarque que le Rassemblement national utilise les mêmes mots que sa patronne, Mme Le Pen, qui avait déclaré en 2022 que l’IFI était un impôt taxant l’enracinement des Français propriétaires. Leur impôt sur la fortune financière vise à protéger les classes moyennes assujetties à l’ISF du seul fait de la valorisation d’un patrimoine immobilier familial. Or l’IFI comporte déjà un abattement : seuls les contribuables détenant un patrimoine supérieur à 1,3 million d’euros, soit moins de 1 % des Français, en sont redevables – on est loin des classes moyennes qu’évoque Mme Le Pen. C’est une insulte pour les 50 % des Français dont le patrimoine est inférieur à 100 000 euros. On sait pourquoi le Rassemblement national propose chaque année ce nouvel impôt : pour en faire disparaître un auquel Mme Le Pen devrait être assujettie !
La commission rejette l’amendement.
Amendement CF11 de M. Jean-Philippe Tanguy
M. Kévin Mauvieux (RN). Il s’agit d’un amendement de repli visant à sortir les biens immobiliers du calcul de l’assiette de l’impôt. Nous considérons qu’il faut orienter la taxation sur les flux financiers et sur la spéculation plutôt que sur les biens immobiliers.
Mme Eva Sas, rapporteure. Il ne nous paraît pas justifié d’exclure des biens immobiliers de l’assiette de l’impôt plancher sur la fortune. Celui-ci cible les patrimoines très élevés, de plus de 100 millions d’euros, ce qui exclut toute taxation injuste des classes moyennes. Avis défavorable.
Mme Clémentine Autain (EcoS). Le Rassemblement national n’a pas le même rapport à l’argent et à la fortune que nous. Les patrimoines des ultrariches que nous voulons soumettre à un impôt plancher proviennent pour l’essentiel d’actifs financiers, qui seront donc taxés à 2 %. Votre amendement, plus ciblé, est forcément moins-disant et reviendra en réalité à protéger les milliardaires. Notre taxe atteindra sa cible, à savoir les actifs financiers détenus par les holdings, qui sont les nouveaux moyens pour les milliardaires et les ultrariches d’échapper à l’impôt.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CF4 de Mme Mathilde Feld
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). La lutte contre l’évasion fiscale a été abandonnée par les macronistes et l’ensemble de la droite, alors qu’il s’agit d’un des plus grands fléaux de ce siècle. Le rapport que j’y avais consacré avec Nicolas Sansu reprenait ce constat de Gabriel Zucman que notre pays est devenu un paradis fiscal pour les plus riches, et proposait déjà la création d’un impôt plancher. Ce rapport s’intéressait également à l’action de nos gouvernements successifs au cours des sept dernières années, et le constat est sans appel : les plans de communication portés par M. Attal et M. Darmanin lorsqu’ils étaient chargés du budget n’ont été suivis d’aucun acte. La Cour des comptes a récemment adressé un référé au premier ministre sur le plan de lutte contre les fraudes aux finances publiques lancé en grande pompe par Gabriel Attal en 2023, qui prévoyait la création d’une unité de renseignement spécialisée dans la recherche et la prévention des fraudes fiscales les plus complexes et les plus graves. Deux ans plus tard, sur la centaine d’agents expérimentés qui devaient composer ce service, seules trois fiches de poste ont été créées et aucun recrutement n’a été réalisé.
Camarades macronistes, vous n’avez rien fait car vous aviez sans doute un problème de recettes. Vous avez l’occasion de vous rattraper en votant en faveur de ce texte de justice fiscale et sociale, ainsi que pour cet amendement visant à abaisser le seuil de l’impôt plancher à 50 millions d’euros.
Mme Eva Sas, rapporteure. Je privilégie le seuil de 100 millions pour éviter tout risque d’atteinte aux outils productifs des entreprises petites et moyennes. Un tel seuil ne touche vraiment que les ultrariches ; cela évite les faux débats. Avis défavorable.
L’amendement est retiré.
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CF14 et CF15 de Mme Eva Sas, rapporteure.
Amendement CF30 de Mme Eva Sas
Mme Eva Sas, rapporteure. C’est l’amendement dont je parlais tout à l’heure qui prévoit un dispositif anti-exil fiscal. Ceux qui s’expatrient resteraient ainsi soumis à l’impôt plancher pendant une durée de cinq ans après leur départ. Cela renforce le texte, même si ce phénomène de l’exil fiscal demeure marginal
Mme Clémentine Autain (EcoS). Dès qu’il s’agit de taxer les ultrariches, on nous oppose le risque d’une fuite des capitaux. Je soutiens donc cet amendement important qui permettra de contenir cette éventualité. Surtout, il faut battre cet argument en brèche car, en réalité, le risque n’est pas si important que cela, comme on l’a constaté avec d’autres mesures fiscales s’attaquant aux milliardaires. On ne peut pas, au prétexte que quelques-uns partiraient, renoncer à agir et laisser les milliardaires contourner l’impôt.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CF16, CF17, CF18 et CF19 de Mme Eva Sas, rapporteure.
Amendements CF5 de Mme Mathilde Feld et CF10 de M. Jean-Philippe Tanguy (discussion commune)
Mme Mathilde Feld (LFI-NFP). Si la France est devenue un paradis fiscal pour les multimillionnaires, c’est parce que sa législation est trop permissive. Les plus pauvres payent la TVA sur l’intégralité de leur revenu, puisqu’ils le consomment entièrement. Les salariés des classes moyennes payent l’impôt sur le revenu, puisqu’ils n’ont pas d’avocats pour les en exempter. Les milliardaires, eux, peuvent profiter de notre système mité de niches et d’exonérations. Pour que tout le monde soit traité de façon égale, que les gros payent gros et que les petits payent petit, il est essentiel d’adopter cette proposition de loi. Nous proposons par cet amendement d’augmenter le taux de l’impôt plancher.
Les députés du Rassemblement national proposent, pour restaurer la justice fiscale, d’instaurer un impôt sur la fortune financière, sorte d’IFI macroniste inversé fondé sur une conception étriquée du patrimoine taxable. Ils font ainsi semblant de méconnaître la structure du patrimoine des multimillionnaires, composé majoritairement d’actifs financiers. Mais s’ils votaient contre une proposition de loi qui sert précisément l’objectif qu’ils prétendent se fixer, ils montreraient qu’ils sont les garants du patrimoine des grandes fortunes. Ils confirmeraient ainsi qu’ils ne sont pas une alternative au macronisme mais son prolongement autoritaire, qu’ils n’œuvrent pas en faveur de l’intérêt commun mais dans le but de rassurer les nantis.
Qu’ils prouvent donc le contraire en votant pour cette proposition de loi, et pour cet amendement qui la rend encore plus juste et plus productive !
Mme Claire Marais-Beuil (RN). Nous continuons à préférer un impôt sur la fortune financière et proposons de ramener le taux de l’impôt plancher de 2 % à 1,5 %.
Mme Eva Sas, rapporteure. Je comprends le souhait de porter le taux à 3 % ; cela reste très bas. Toutefois, le taux de 2 % nous semble plus équilibré et efficace – c’est le taux qui a été retenu par Gabriel Zucman au niveau international. Il soulève moins de risques d’inconstitutionnalité et rapporterait 20 milliards, ce qui nous paraît déjà important.
De la même façon, il ne nous semble pas nécessaire de baisser le taux à 1,5 %, d’autant que nous avons besoin de recettes fiscales. Dès lors, et pour rester dans la droite ligne des travaux de Gabriel Zucman, j’émets un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président Éric Coquerel. Certains ici ont dépeint la France comme la championne d’Europe toutes catégories du taux de prélèvements obligatoires, invoquant une supposée concurrence internationale qui pourrait inciter les ultrariches à quitter le pays s’ils étaient davantage imposés.
Un récent rapport du Conseil des prélèvements obligatoires comparant les systèmes d’imposition de sept pays cibles considérés comme représentatifs montre pourtant que, si la France se place en troisième position, derrière le Danemark et l’Allemagne, pour les ménages dont le revenu équivaut à 50 % du salaire moyen du pays, elle n’est plus que cinquième – dépassée par la Belgique et le Royaume-Uni – pour ceux dont le revenu représente 250 % de ce salaire.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). L’énergie déployée par le Rassemblement national pour raboter la mesure ou en diminuer le périmètre est absolument hallucinante. Il n’avait pas les mêmes préoccupations quand il s’agissait de laisser passer le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui faisait 400 millions d’économies sur le dos des apprentis !
On parle ici de taxer des fortunes colossales, supérieures à 100 millions d’euros. S’agissant du patrimoine immobilier, après application des abattements, l’IFI ne taxe que les biens dont la valeur est supérieure à 1,9 million d’euros. Le texte présenté par Eva Sas prévoit un abattement de 1 million d’euros pour les résidences principales. Cette proposition reste donc très raisonnable.
Mme Clémentine Autain (EcoS). Le Rassemblement national a à cœur de baisser le taux d’imposition plancher. On ne dira jamais assez qu’il n’est pas favorable au partage des richesses et protège, en fin de compte, les fortunes des milliardaires. Nos débats le révèlent une fois de plus.
Porter le taux de l’impôt plancher à 3 % serait un pied de nez assez amusant à l’égard de la règle des 3 % de déficit public inventée sur un coin de table à Bruxelles, et l’on peut toujours discuter d’où il faut placer le curseur : si nous avions fixé le taux à 3 %, vous auriez demandé 4 % et si nous avions établi le seuil à 50 millions vous auriez proposé 25 millions. Mais notre proposition de 2 % reprend celle défendue au G20 par Gabriel Zucman. C’est un début, qui nous permet de mettre le pied dans la porte. Ce texte, s’il était adopté, constituerait déjà un bouleversement dans notre législation fiscale.
La commission rejette successivement les amendements.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CF20, CF21, CF22, CF29, CF23, CF24, CF25, CF26, CF27 et CF28 de Mme Eva Sas, rapporteure.
Amendement CF2 de M. Mathieu Lefèvre
M. Mathieu Lefèvre (EPR). Je propose de subordonner l’entrée en vigueur du texte à un accord conclu au moins au niveau européen, ou dans le cadre du G20. Vous n’avez pas répondu à l’argument relatif à la mobilité des capitaux et des chefs d’entreprise, ni à la question des transmissions patrimoniales, qui se posera forcément au vu de l’assiette que vous entendez prendre en compte.
Mme Eva Sas, rapporteure. Cet amendement me semble relever d’une stratégie dilatoire visant à retarder indéfiniment l’instauration d’un mécanisme pourtant nécessaire et légitime. Rien, à part l’absence de volonté politique, ne s’oppose à la création de cet impôt : ni le droit européen, ni le droit international n’empêchent la France d’agir dès maintenant.
Nous venons d’adopter une mesure visant à freiner l’expatriation fiscale. Dès lors, il n’est pas nécessaire d’attendre un accord international ou européen. La France peut être pionnière en la matière comme elle l’a été en créant la taxe Gafam sans déstabiliser son système fiscal et économique.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article unique modifié.
L’ensemble de la proposition de loi est ainsi adopté.
Liste des personnes auditionnÉes par lA RAPPORTEURE
DGFiP
– M. Laurent Martel, directeur de la législation fiscale ;
– M. Frédéric Parrenin, adjoint au chef du bureau de la fiscalité du patrimoine ;
– Mme Audrey Martinez, adjointe au chef du bureau de la fiscalité du patrimoine ;
– M. Thomas Laurent, chef du pôle statistiques publiques.
Oxfam
– Mme Layla Abdelke Yakoub, responsable de plaidoyer « Justice fiscale et inégalités ».
Universitaires
– Mme Anne-Laure Delatte, chargée de recherche au CNRS ;
– M. Lucas Chancel, économiste, co-directeur au Laboratoire sur les inégalités mondiales à l’École d’économie de Paris ;
– M. Quentin Parrinello, conseiller politique sénior de l’Observatoire européen de la fiscalité.
Institut des politiques publiques
– M. Arthur Guillouzouic, co-auteur de la note n° 92 de l’IPP, « Quels impôts les milliardaires paient-ils ? » ;
– M. Clément Malgouyres, co-auteur de la note précédemment citée.
([1]) Observatoire des inégalités, Rapport sur les riches en France, 2024, actualisé au regard du classement Challenges des cinq cents plus grandes fortunes françaises, 2024, (lien).
([2]) Note Institut des politiques publiques (IPP), n° 92, Laurent Bach, Antoine Bozio, Arthur Guillouzouic, Clément Malgouyres, Quels impôts les milliardaires paient-ils ?, juin 2023 (lien).
([3]) Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856.
([4]) Rapport de Gabriel Zucman, A blueprint for a coordinated minimum effective taxation standard for ultra-high-net-worth individuals, remis en vue du sommet du G20 au Brésil, 25 juin 2024 (lien).
([5]) Loi n° 2019-579 du 24 juillet 2019 portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse l’impôt sur les sociétés (lien).
([6]) Voir la présentation de cette enquête au lien suivant : https://www.insee.fr/fr/information/2964509.
([8]) Documentation de travail N° F1204 de l’Insee « Une décomposition du compte de patrimoine des ménages de la comptabilité nationale par catégorie de ménages en 2003 », juin 2012, (lien).
([9]) DGFiP Analyses, n° 8, Revenus et patrimoine des foyers les plus aisés en France, janvier 2025, (lien).
([10]) Voir Classement Challenges des cinq cents plus grandes fortunes françaises, juillet 2024, (lien).
([11]) World Inequality report 2022, chapitre 4 : « Inégalités mondiales de richesse : l’ascension des multimillionnaires », p88 (lien).
([14]) Conseil des prélèvements obligatoires, Conforter l’égalité des citoyens devant l’imposition des revenus, octobre 2024, p98 (lien).
([16]) Conseil d’analyse économique, Focus, n° 077-2021, Repenser l’héritage : analyses supplémentaires, décembre 2021 (lien).
([17]) Note IPP, n° 92, Laurent Bach, Antoine Bozio, Arthur Guillouzouic, Clément Malgouyres, Op. cité (lien).
([18]) Ibid.
([19]) Conseil des prélèvements obligatoires, op.cité, p.88.
([22]) Voir Piketty et Zucman (2024).
([23]) Données du laboratoire sur les inégalités mondiales (World Inequality Database).
([24]) DGFiP Analyses, op.cité.
([25]) Ibid.
([30]) France Stratégie, Rapport du Comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital, octobre 2023, p70 (lien).
([33]) Insee, « Effets des réformes 2018 de la fiscalité du capital des ménages sur les inégalités de niveau de vie en France : une évaluation par microsimulation », 2021 (lien).
([37]) Ley 38/2022, de 27 de diciembre, para el establecimiento de gravámenes temporales energético y de entidades de crédito y establecimientos financieros de crédito y por la que se crea el impuesto temporal de solidaridad de las grandes fortunas, y se modifican determinadas normas tributarias (loi 38/2022, du 27 décembre, pour l’établissement de taxes temporaires sur l’énergie et les établissements de crédit et établissements financiers de crédit, et créant l'impôt temporaire de solidarité sur les grandes fortunes, ainsi que pour la modification de certaines règles fiscales), (lien).
([38]) Insee, « Effets des réformes 2018 de la fiscalité du capital des ménages sur les inégalités de niveau de vie en France : une évaluation par microsimulation », 2021 (lien).
([39]) Loi n° 2019-579 du 24 juillet 2019 portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse l’impôt sur les sociétés (lien).
([40]) Un abattement forfaitaire à hauteur de 1 million d’euros est toutefois prévu au titre de la valeur vénale de la résidence principale.
([41]) Note Institut des politiques publiques (IPP), n° 36, Laurent Bach, Antoine Bozio, Arthur Guillouzouic, Clément Malgouyres, Évaluer les effets de l’impôt sur la fortune et de sa suppression sur le tissu productif, octobre 2021 (lien).
([42]) Formulation constante depuis la décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006, cons. 65.
([43]) Décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, Loi de finances pour 2013.
([44]) C’est sur le fondement de ce raisonnement que dans la décision précitée de 2012, il a censuré des dispositions conduisant à un taux d’imposition marginale maximal de 75,04 % pour les retraites dites « chapeau » excédant 288 000 euros annuels perçues en 2012 et de 75,34 % pour celles perçues à compter de 2013 ; de 90,5 % sur les revenus des bons anonymes ; de 72 % ou 77 % pour les gains et avantages procurés par la levée de stock-options ou l’attribution gratuite d’actions ; ou encore de 82 % pour les plus-values immobilières.
([45]) Avis n° 387402 du 21 mars 2013.
([46]) Décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998, Loi de finances pour 1999.
([47]) Décision n° 2010-44 QPC du 29 septembre 2010.
([48]) Décision n° 2010-99 QPC du 11 février 2011, cons. 5.
([49]) Décision n° 2016-744 DC du 29 décembre 2016, Loi de finances pour 2017.
([50]) Décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012, Loi de finances rectificative pour 2012.
([52]) Ibid.