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N° 934

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 février 2025.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins,

 

 

 

Par M. Christophe NAEGELEN,

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 877.

 


SOMMAIRE

___

Pages

introduction

Travaux de la commission

annexe

 


—  1  —

   introduction

 Le groupe Libertés, Indépendants, Outremer et Territoires (LIOT) a déposé, le 3 février 2025, une proposition de résolution « tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins (n° 877).

Conformément à l’article 140 du Règlement, cette proposition de résolution a été renvoyée à la commission des affaires sociales, compétente au fond, afin qu’elle « vérifie si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies et se prononce sur son opportunité ».

Néanmoins, le Règlement prévoit une procédure spécifique destinée à renforcer les droits des groupes minoritaires et d’opposition, communément nommée « droit de tirage ». En vertu de l’article 141, alinéa 2, « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l’exception de celle précédant le renouvellement de l’Assemblée, la création d’une commission d’enquête ».

Au cours de la réunion de la Conférence des présidents du 4 février dernier, le président du groupe LIOT, M. Stéphane Lenormand, a manifesté le souhait de son groupe de faire usage de ce droit de tirage pour la présente proposition de résolution.

Dans cette situation, le Règlement prévoit que « la Conférence des présidents prend acte de la création de la commission d’enquête si les conditions requises pour cette création sont réunies ». Autrement dit, il ne revient plus à la commission de se prononcer sur l’opportunité de la proposition de résolution, mais seulement sur sa recevabilité. La commission ne peut, non plus, être saisie d’amendements.

Les conditions de recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont énoncées à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 ([1]) et aux articles 137 à 139 du Règlement de l’Assemblée nationale.

● En premier lieu, une commission d’enquête peut être créée « pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées ».

En l’espèce, l’organisation du service public de la santé mobilise une grande variété d’acteurs publics et privés : établissements, professionnels de santé, réseaux, partenariats, infrastructures mais aussi industries, qui dépendent néanmoins tous de moyens et de financements publics directs ou indirects issus du système de protection sociale. Force est de constater que notre système de santé ne parvient désormais plus à assurer de manière satisfaisante l’effectivité de l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire. La nouvelle dénomination du ministère de la santé, également chargé de « l’accès aux soins », illustre combien l’enjeu est majeur. Les investigations de la commission d’enquête auraient à déterminer la cause précise, dans l’organisation du service public de la santé, des dysfonctionnements qui compromettent l’accès aux soins de nombreux citoyens et mettent en péril le modèle social.

Cette commission d’enquête s’inscrit dans la continuité du travail engagé en avril 2024 sous la précédente législature, quand une commission suscitée par le même groupe politique enquêtait sur les dysfonctionnements de l’hôpital public. Ce travail, prématurément interrompu par la dissolution de l’Assemblée nationale, avait été l’occasion d’auditionner une diversité d’acteurs parmi lesquels plusieurs anciens ministres et un grand nombre de professionnels de santé lors de tables rondes. Il laissait penser que la crise de l’hôpital public ne devait pas être traitée isolément de celle du système de santé et des dysfonctionnements constatés dans l’organisation des soins sur le territoire. Pour les auteurs de la proposition de résolution, cette première expérience a démontré une nécessité d’élargir le champ d’investigation afin de proposer une vision claire du fonctionnement du système de santé, de sa gouvernance, de ses moyens et de ses missions.

L’exposé des motifs de la présente proposition de résolution souligne qu’il s’agira de « questionner les responsabilités politiques, administratives et médicales », à l’échelle nationale et à l’échelle locale, dans les nombreux dysfonctionnements constatés conduisant à la crise de notre système de santé. La commission d’enquête aurait notamment vocation à faire la lumière sur :

– l’adéquation des moyens matériels et humains dont disposent les hôpitaux avec les besoins de santé de la population, singulièrement s’agissant des services d’urgences, d’obstétrique, de pédiatrie et de psychiatrie ;

– les causes de la désertification médicale qui s’étend désormais à tous les territoires et l’évaluation de ses répercussions sur, notamment, les territoires ruraux, insulaires et ultra-marins ;

– les étapes de la dégradation du système de santé et les décisions politiques et administratives qui ont contribué à cette évolution, afin d’interroger la pertinence de la gouvernance des politiques de santé au niveau national et leur déclinaison territoriale ;

– les disparités entre le secteur privé et le secteur public, afin de rétablir une plus grande équité entre ces derniers.

Compte tenu de l’ampleur des dysfonctionnements du service public de santé ainsi que des questions précisément soulevées par les travaux déjà accomplis, il ne fait aucun doute que la première condition de recevabilité est pleinement satisfaite.

● L’article 6 de l’ordonnance précitée de 1958 dispose en outre qu’il « ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours ». Il s’agit là d’une exigence ferme, qui vise à éviter tout empiètement du pouvoir politique sur le domaine judiciaire.

Pour en garantir l’application, l’article 141 du Règlement prévoit que « le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des Sceaux, ministre de la justice », afin que ce dernier manifeste, le cas échéant, que « des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Dans cette hypothèse, la proposition de résolution ne peut être mise en discussion.

Dans sa réponse, en date du 10 février 2025, annexée au présent rapport, le garde des sceaux a fait savoir qu’il n’y avait pas de « procédures en cours susceptibles de recouvrir le périmètre de la commission d’enquête envisagée ».

 Enfin, l’article 138 du Règlement interdit de créer une commission d’enquête qui aurait le même objet qu’une précédente commission d’enquête – ou mission d’information, lorsqu’elle s’est dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête – avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux.

Depuis le début de la XVIIe législature, aucune commission d’enquête n’a porté sur l’organisation du système de santé. Seule une commission d’enquête a abordé, et de manière très indirecte, le champ sanitaire au sens large sous la XVI e législature ([2]). Il est ainsi manifeste qu’il n’a pas été fait usage des pouvoirs d’une commission d’enquête au cours de la période récente pour explorer le champ visé par la présente proposition de résolution.

La présente proposition de résolution crée une nouvelle commission d’enquête ayant le même objectif que la commission d’enquête sur l’hôpital public, lancée au printemps 2024 et inachevée du fait de la dissolution, afin de mener à bien les travaux interrompus du fait de la dissolution. Ce cas particulier que constitue un changement de législature ne contrevient ni aux dispositions du Règlement de l’Assemblée nationale ni à celles de l’ordonnance du 17 novembre 1958. En effet, l’assemblée nouvellement élue est souveraine dans le choix de ses travaux de contrôle et elle ne saurait être liée par la précédente. En effet, aux termes de l’article 3, alinéa 1er, de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Le peuple s’étant exprimé à l’occasion des dernières élections législatives, il appartient à ses représentants nouvellement élus de décider quels travaux d’évaluation et de contrôle il convient de mener sous la XVIIe législature.

Du reste, il est permis de considérer que l’ordonnance de 1958 précitée n’avait pas pour objet d’entraver la capacité d’enquête du Parlement : il s’agissait de l’encadrer pour éviter les dérives. En l’espèce, la disposition de l’alinéa 5 du I de l’article 6 de cette ordonnance visait à empêcher une assemblée de consacrer un temps indéterminé à un même sujet ou d’y revenir de manière trop régulière, au risque potentiellement d’empiéter sur les compétences de l’une des commissions permanentes, voire de contourner l’article 43, alinéa 1er, de la Constitution, qui limite à huit le nombre de ces commissions dans chaque assemblée.

Au bénéfice de cette analyse, votre rapporteur estime que cette proposition de résolution répond pleinement aux conditions fixées par l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée et par le Règlement de l’Assemblée nationale.

Aucun obstacle ne s’oppose ainsi à la création de la commission d’enquête demandée par le groupe LIOT.

 


—  1  —

Travaux de la commission

Lors de sa seconde réunion du mercredi 12 février 2025, la commission examine, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins (n° 877) (M. Christophe Naegelen, rapporteur) ([3]).

M. le président Frédéric Valletoux. Mes chers collègues, en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, nous devons examiner la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Il convient donc de vérifier que les conditions requises pour sa création sont réunies, sans se prononcer sur son opportunité.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le groupe Libertés, Indépendants, Outre‑mer et Territoires, auquel j’appartiens, a choisi de faire usage de son droit de tirage pour demander la création d’une commission d’enquête sur l’organisation du système de santé et les difficultés d’accès aux soins.

La déliquescence de notre système de santé et l’effondrement de l’accès aux soins sont désormais évidents. Ainsi, depuis le mois de décembre, nous sommes confrontés à une épidémie de grippe qui submerge les hôpitaux et les médecins généralistes. Qui, parmi nous, n’a pas été alerté, pendant les fêtes de fin d’année, sur la saturation des lits d’hospitalisation ou l’impossibilité de trouver un médecin disponible en urgence ? Au-delà de la grippe saisonnière, quel département ne compte aucun désert médical ? Qui, parmi nous, n’est pas régulièrement averti de fermetures de lits, voire de services entiers, dans les hôpitaux ? Qui n’a pas encore constaté les dérives du recours à l’intérim médical et paramédical ? Sans parler de la situation alarmante dans les départements insulaires et ultramarins : l’accès à un dentiste, à une maternité ou à un plateau technique de biologie ou de radiologie y est tout bonnement impossible en dehors de l’hôpital public, qui fait figure de dernier bastion dans le désert médical.

Pourtant, personne ne reste les bras croisés : nous nous battons chaque année pour que la loi de financement de la sécurité sociale fixe un objectif national de dépenses d’assurance maladie en augmentation par rapport à l’année précédente ; nous avons voté les lois « Rist 1 » et « Rist 2 », visant à encadrer l’intérim médical et soignant ainsi qu’à simplifier l’organisation des soins par la création des services d’accès aux soins et d’accès directs aux professionnels de santé sans prescription médicale ; plus récemment, nous avons voté la loi « Valletoux », qui prévoit des mesures de lutte contre les déserts médicaux et d’amélioration de l’accès aux soins, avec de nouveaux dispositifs d’incitation à l’installation dans les zones sous‑denses, une réglementation plus stricte de l’intérim des jeunes professionnels de santé, ou encore l’élargissement des obligations de permanence des soins pour les secteurs public et privé, sous le contrôle des agences régionales de santé (ARS). Enfin, malgré la parution récente du décret très attendu sur le volet de cette loi relatif à la permanence des soins, il est encore trop tôt pour se prononcer sur l’efficacité de ces mesures.

Nous nous efforçons de colmater les brèches : le Ségur de la santé, après la crise sanitaire, a ainsi permis d’importantes revalorisations salariales et le financement de plans d’investissement nécessaires.

Dans ces conditions, pourquoi notre système de santé subit-il une lente érosion ? Est-il trop tôt pour percevoir les effets des mesures adoptées ou avons-nous mal cerné le problème ? Est-ce parce que, selon l’adage, le poisson pourrit par la tête ? Autrement dit, la gouvernance hospitalière et celle du système de santé sont-elles à l’origine de la sclérose et de l’inefficacité globale du service public de santé ?

Malgré votre expertise indéniable et votre connaissance fine des enjeux sanitaires et sociaux, je vous mets au défi de me présenter de manière simple l’organisation du système de santé, sa gouvernance au sein des différents ministères et des agences concernées, la déclinaison territoriale des politiques sanitaires et la répartition des missions et des responsabilités entre les secteurs public et privé. Je vous mets au défi de répondre à la question suivante : pour quelles raisons notre système de santé, auquel nous consacrons tant d’argent, est-il devenu synonyme de déclin, d’inégalités et de désillusions ? Si chacun a son idée, en réalité personne n’en sait rien, parce que personne n’y comprend plus rien ! L’organisation est devenue tellement complexe que personne ne peut s’en faire une représentation fidèle ni expliquer sans dogmatisme la cause de son effondrement.

N’interprétez pas mal mon propos : je ne prétends pas être capable de répondre à brûle-pourpoint à cette question centrale mais épineuse. Je l’avoue : moi-même, je n’en sais rien.

Grâce à cette commission d’enquête, je vous propose de suivre plusieurs pistes, telles des fils d’Ariane, pour collectivement nous orienter dans ce dédale administrativo-sanitaire et essayer en premier lieu de comprendre, avec beaucoup d’humilité et sans dogmatisme, l’organisation du système de santé et les défis manifestement insurmontables que ce service public doit relever pour garantir l’accès aux soins. Une fois que nous y verrons plus clair, nous pourrons déterminer ensemble comment agir pour faire différemment et mieux. Sincèrement, je pense que nous pouvons mieux faire ; nous sommes nombreux dans cette commission à le penser ou, à tout le moins, à l’espérer. En d’autres termes, je vous propose d’essayer simplement de comprendre pour agir honnêtement.

Je vous ai brossé à grands traits l’objectif qui est le nôtre en déposant cette proposition de résolution ; il me semblait légitime que la commission soit informée de la direction que nous souhaitons prendre. Notre groupe ayant fait usage de son droit de tirage, la commission d’enquête sera créée, pour peu que les conditions de recevabilité fixées par l’ordonnance de 1958 et par le Règlement de l’Assemblée nationale soient remplies.

Permettez-moi de vous les rappeler. Tout d’abord, la commission d’enquête doit porter sur des faits précis ou sur la gestion d’un service public ; tel est le cas de celle qui nous intéresse, puisqu’elle vise très explicitement à se concentrer sur le service public de la santé. Ensuite, elle ne doit pas porter sur des faits pour lesquels une procédure judiciaire est en cours ; dans un courrier reçu hier, le garde des sceaux a indiqué à la Présidente de l’Assemblée nationale qu’il n’avait « pas connaissance de procédures en cours susceptibles de recouvrir le périmètre de la commission d’enquête envisagée ». Enfin, elle ne doit pas avoir le même objet qu’une précédente commission d’enquête ou mission d’information achevée au cours des douze derniers mois. Aucune commission d’enquête n’a directement porté sur le champ sanitaire depuis le début de la XVIIe législature ; la dernière consacrée à un sujet proche remonte à 2018.

Au terme de cet exposé, nous pouvons considérer que la recevabilité de la proposition de résolution ne fait pas débat. Je vous appelle donc à la voter et vous encourage à enrichir de votre participation les futurs travaux de la commission d’enquête.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Joëlle Mélin (RN). Le groupe Rassemblement National est favorable à la proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins, qui nous semble satisfaire aux articles 137 et suivants de notre Règlement.

Bien que nous n’ayons pas à nous prononcer sur le fond, permettez-moi de dire que notre système de distribution de soins a connu un tel déclassement en moins de trente ans qu’il convient de trouver urgemment des réponses. Cette commission d’enquête est donc particulièrement bienvenue.

M. Jean-François Rousset (EPR). Peu de temps avant la dissolution de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête semblable à celle que le groupe LIOT veut créer, mais dont le périmètre était davantage resserré sur l’hôpital public, avait commencé ses travaux sous la supervision de Christophe Naegelen et de Paul Midy, respectivement rapporteur et président.

Les mois ont passé, mais les difficultés persistent. À cet égard, nous nous réjouissons de la nouvelle portée que le groupe LIOT souhaite donner à cette commission d’enquête. Si l’hôpital public est évidemment incontournable, celle-ci abordera plus globalement les différentes composantes de notre système de santé, ainsi que les solutions diverses que nous pouvons fournir aux problèmes d’accès aux soins, en dehors des seuls établissements publics.

Le groupe Ensemble pour la République aura à cœur de participer activement aux travaux de cette commission d’enquête, comme il l’a fait pour la précédente.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Merci, monsieur le rapporteur, de relancer cette commission d’enquête, à laquelle nous aurons à cœur de participer.

Le 4 février dernier, Emmanuel Macron déclarait : « on a en France une immense chance d’avoir le système de santé qui est le nôtre et c’est une force ». C’est vrai, on a une immense chance d’avoir ce système de santé, mais on peut se demander si les soignants, eux, ont de la chance d’avoir ce Président de la République et ce gouvernement.

Il y a trente ans, nous avions le meilleur système de santé du monde. En janvier 2025, quatre-vingt-dix plans Blancs ont été déclenchés, les services d’urgences sont saturés et le sous-investissement est chronique, notamment en pédiatrie. En conséquence, notre pays est passé de la troisième à la vingtième place européenne en matière de mortalité infantile. Pourquoi ? J’espère que la commission d’enquête contribuera à répondre à cette question, mais voici quelques pistes.

Il y a trente ans, notre système reposait sur deux jambes : des soignants dévoués et un État qui investissait dans la sécurité sociale ; désormais, on a l’impression qu’il ne reste plus que les soignants. Le Parlement et les gouvernements successifs ont raboté les budgets, supprimés des lits et des postes de soignants ; l’hôpital est malade de toutes ces décisions. Celles prises depuis 2017 ont aggravé la situation : 30 000 lits d’hospitalisation ont été supprimés, soit pour des raisons économiques, soit en raison du manque de soignants, et les budgets de la sécurité sociale ont tous été sous-financés, à l’exception de ceux votés pendant la période du covid. Le dernier, adopté par 49.3, ne fait pas exception ; d’après la projection il en ira de même jusqu’en 2028.

À Limoges, dans ma circonscription, les soignants m’expliquent que dès 7 heures 30 du matin, les couloirs sont pleins ; aux urgences, il arrive que quatre-vingts patients soient accueillis concomitamment, soit vingt patients pour une seule infirmière. Les urgences sont totalement saturées parce qu’il n’y a plus de soignants pour ouvrir les lits des étages. En conséquence, des patients contractent la grippe aux urgences et les infirmiers, qui ont trop de travail, n’en peuvent plus : même la Haute Autorité de santé reconnaît que le défaut de prise en charge provoque des drames.

Chers collègues, j’espère que nous prenons tous la mesure de la tâche immense qui nous incombe avec cette commission d’enquête. J’espère surtout qu’elle nous permettra d’identifier des pistes pour améliorer la vie des patients et des soignants.

Mme Josiane Corneloup (DR). Depuis toujours, le groupe Droite Républicaine est attentif à l’accès aux soins, en particulier dans les territoires ruraux. L’organisation de notre système de santé soulève des questions, en particulier sur la formation des professionnels de santé.

Tout n’est pas une question de budget : malgré les sommes importantes qui sont dépensées, l’efficacité n’est pas au rendez-vous. À plusieurs reprises, nous avons essayé de colmater les brèches, mais nous assistons à l’érosion de notre système de santé, tant en ville qu’au sein des hôpitaux, avec des conséquences graves en matière d’accès aux soins et d’aggravation des pathologies.

La question de la gouvernance des hôpitaux se pose : pendant la crise sanitaire, nous avons constaté qu’il est parfois préférable de laisser les individus s’organiser en dehors de la mainmise des structures administratives, qui ajoutent des normes et de la complexité. Parce qu’une vision globale nous paraît nécessaire, nous participerons à cette commission d’enquête.

M. Nicolas Turquois (Dem). La création d’une commission d’enquête consacrée à l’accès aux soins repose sur un constat partagé : l’inégalité entre les territoires, le manque de spécialistes et la difficulté de les consulter dans un délai raisonnable sont autant de problèmes majeurs. Cependant, le périmètre de la commission d’enquête nous semble trop large : il couvre pratiquement tous les champs de la commission des affaires sociales – la politique de l’hôpital, les ARS ou encore le nombre de médecins libéraux.

Il nous aurait semblé plus pertinent de restreindre le périmètre de cette commission d’enquête et d’en définir plus précisément les axes d’intervention. Néanmoins, le groupe Les Démocrates soutient cette démarche.

Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le système de santé français est souvent cité en exemple, mais il fait face à des défis majeurs. La désertification médicale s’étend désormais à de nombreux territoires, en particulier les zones rurales, insulaires et ultramarines. Les hôpitaux, notamment les services d’urgence, d’obstétrique, de pédiatrie et de psychiatrie, manquent cruellement de moyens matériels et humains pour répondre aux besoins de la population. La crise de l’hôpital public, déjà mise en lumière par le travail engagé sous la précédente législature, ne peut être traitée isolément ; elle est le symptôme d’un dysfonctionnement plus large du système de santé.

Cette commission d’enquête aura pour mission de faire la lumière sur les dysfonctionnements et de proposer des solutions pour rétablir une plus grande équité de traitement et une complémentarité entre le secteur privé et le secteur public. Sa création, dans le cadre du droit de tirage annuel du groupe LIOT, nous semble donc justifiée. Le groupe Horizons & Indépendants prend acte de ce choix et partage l’avis du rapporteur quant à la recevabilité de la proposition de résolution.

M. Paul-André Colombani (LIOT). Le groupe Libertés, Indépendants, Outre‑mer et Territoires a décidé d’utiliser à nouveau son droit de tirage pour créer une commission d’enquête relative à l’accès aux soins, la dissolution nous ayant malheureusement empêchés de mener à bien celle consacrée aux dysfonctionnements de l’hôpital public. L’accès à des soins de qualité est un droit constitutionnel ; on ne peut se satisfaire de voir nos concitoyens en être privés, alors même qu’ils en font une priorité.

Notre précédente commission d’enquête était circonscrite à l’hôpital public, en raison de la crise qu’il traverse depuis plusieurs années, mais les premières auditions ont mis en lumière la nécessité d’élargir ce périmètre. C’est bien l’organisation de l’ensemble du système de santé qui doit être examinée : sa gouvernance, ses missions, les décisions prises et l’adéquation aux besoins des moyens financiers et humains. La désertification médicale à l’œuvre dans tous nos territoires a des répercussions considérables sur l’hôpital public. L’inéquité entre le secteur public et le secteur privé doit être également traitée, sans oublier évidemment les enjeux propres aux territoires insulaires et ultramarins, confrontés à des surcoûts structurels peu pris en considération.

Le sujet est vaste et complexe, mais nous sommes persuadés qu’un travail approfondi permettra de trouver des solutions à même d’améliorer l’accès aux soins partout et pour tous.

M. Jérôme Guedj (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés soutient cette proposition de résolution, non seulement sur la forme, mais aussi sur le fond : l’organisation du système de santé et l’accès aux soins méritent de faire l’objet d’une commission d’enquête.

Notre système de santé connaît une crise profonde, marquée par la pénurie de personnels médicaux et paramédicaux, des ruptures d’égalité dans l’accès aux soins, des services d’urgences embolisés, des praticiens à diplôme hors Union européenne maltraités, un déficit de prévention et des pénuries de médicaments. Cette crise affecte en particulier l’hôpital, mais la question de l’accès aux soins doit être élargie au champ médico-social – il existe aussi des déserts médico-sociaux.

Cette commission d’enquête devrait se pencher sur deux sujets, qui sont comme deux éléphants dans la pièce, si vous me permettez cette expression. Premièrement, le mode de financement de l’hôpital est inadapté ; depuis des années, on nous annonce la réforme de la tarification à l’activité, mais le paquebot reste à quai. Deuxièmement, les moyens alloués sont insuffisants. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons beaucoup parlé de l’augmentation des salaires des soignants à l’hôpital. Le Ségur de la santé a permis de dégager 14 milliards d’euros, ce qui était nécessaire, mais aucune recette n’a été prévue pour compenser cette dépense supplémentaire. Les soignants sont désormais mieux payés, mais leurs conditions de travail se sont dégradées et l’attractivité de leur métier n’a pas été renforcée.

Nous espérons que cette commission d’enquête proposera des pistes de financement pour que le Ségur de la santé ne pénalise pas le fonctionnement global de notre système de santé.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés, en l’occurrence à celle de M. Panifous.

M. Laurent Panifous (LIOT). Pour surmonter la crise de l’hôpital, nous devrons résoudre plusieurs problèmes. Premièrement, il faut regarder en face le mur démographique qui s’annonce : le nombre de personnes âgées augmente et leurs pathologies évoluent. Ensuite, nous allons devoir assumer les conséquences des choix politiques passés. Enfin, les pratiques de la médecine de ville et de la médecine hospitalière ont beaucoup évolué, provoquant l’insatisfaction générale des usagers et des professionnels. En d’autres termes, notre système de santé ne fonctionne plus.

Je suis en désaccord avec M. Turquois : on ne peut traiter l’hôpital public isolément, les dysfonctionnements de la médecine de ville participant à la saturation des hôpitaux. Comme l’a très bien dit le rapporteur, il est essentiel d’élargir le périmètre de cette commission si l’on veut apporter des solutions pertinentes aux problèmes du système de santé.

M. le rapporteur. Je remercie mes collègues Mélin, Rousset, Corneloup, Colin-Oesterlé et Colombani.

Monsieur Maudet, notre système de santé est en effet une immense chance. Le but de cette commission d’enquête parlementaire est avant tout de comprendre les causes de son affaissement et d’essayer de lui redonner ses lettres de noblesse.

Monsieur Turquois, le périmètre que nous avons retenu n’est pas trop large. Certains d’entre vous ont assisté aux premières auditions de la commission d’enquête lancée au printemps dernier, qui nous ont précisément fait comprendre que se limiter à l’hôpital public était beaucoup trop restrictif. Lorsque l’on cherche à comprendre les causes de la situation actuelle et que l’on en vient au financement, on constate que les enjeux sont plus larges que ceux de l’hôpital public. Comme l’a dit M. Guedj, nous devons discuter des modes de financement des secteurs public et privé, ainsi que des conséquences de la loi « Valletoux ».

Restreindre le périmètre de la précédente commission d’enquête au seul hôpital public, alors que le problème est global, était certainement une erreur. Parce que nous apprenons de nos erreurs, nous avons décidé de l’élargir, notamment pour être en mesure de tenir compte des projections démographiques et financières, afin de faire cesser la déliquescence de notre système de santé et de participer à sa refondation.

M. le président Frédéric Valletoux. À titre personnel, je trouve très pertinent d’élargir le champ de la commission d’enquête, afin de tenir compte des différents problèmes : le financement, la formation, l’attractivité des métiers, l’organisation des soins dans les territoires, etc. En définitive, tout est lié : le secteur public et le secteur privé, la médecine de ville et la médecine hospitalière. À trop saucissonner, on ne perçoit qu’une partie des enjeux.

En application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la commission constate que les conditions requises pour la création de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins sont réunies.

 

 


   annexe


([1]) Ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

([2]) Commission d’enquête sur les causes de l’incapacité de la France à atteindre les objectifs des plans successifs de maîtrise des impacts des produits phytosanitaires sur la santé humaine et environnementale et notamment sur les conditions de l’exercice des missions des autorités publiques en charge de la sécurité sanitaire, dont les travaux se sont achevés le 14 décembre 2023 (rapport d’enquête n° 2000 de M. Dominique Potier).

([3]) https://assnat.fr/mzWEQP