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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 février 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,
visant à faciliter l’accès
des demandeurs d’asile au marché du travail,
PAR Mme Léa BALAGE EL MARIKY
Députée
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Voir le numéro : 771.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION............................................ 5
Commentaire de l’article unique
1. Première réunion du mercredi 12 février 2025 à 10 heures
2. Deuxième réunion du mercredi 12 février 2025 à 15 heures
En 2024, la France a accordé l’asile à 70 000 personnes, soit à près d’un demandeur d’asile sur deux.
Ces personnes qui fuient les persécutions dans leurs pays d’origine ont vocation à séjourner durablement sur le sol français où elles ont trouvé protection. Toutefois, avant d’obtenir le statut de réfugié ou la protection subsidiaire, les demandeurs d’asile ont souvent dû faire face à un parcours du combattant, ponctué par les difficultés administratives et par la précarité.
En effet, en vertu de notre législation, les demandeurs d’asile n’ont le droit de travailler que si l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) n’a pas statué sur leur demande à l’issue d’un délai de 6 mois. Leur employeur doit alors effectuer une demande d’autorisation de travai,l dont la délivrance est soumise à de nombreuses conditions, et à laquelle peut être opposée la situation de l’emploi.
Cette limitation de l’accès au marché du travail produit ses effets : très peu de demandeurs d’asile accèdent au marché du travail avant la reconnaissance de leur statut de réfugié. Selon les données du ministère de l’intérieur, entre avril 2021 et avril 2022, sur 4 745 demandes d'autorisation de travail présentées par des demandeurs d'asile, 38 % ont fait l’objet d’un accord. Cela représente 2,3 % du total des demandeurs d'asile majeurs enregistrés sur l'année 2021.
La directive européenne « Accueil », qui encadre les conditions d’accès au marché du travail des demandeurs d’asile, impose que les États membres permettent aux demandeurs d’asile de travailler à l’issue d’un délai maximal de 9 mois après l’introduction de leur demande.
Ainsi, l’un des objectifs de la refonte de cette directive effectuée en 2013 était de substituer le principe du libre accès au marché du travail à l’ancienne règle d’interdiction d’accès pendant une période déterminée et par conséquent de favoriser l’inclusion et l’autosuffisance des demandeurs d’asile. Ainsi, l’Union européenne autorise la mise en place d’un délai d’attente mais ne l’érige pas en principe.
À cet égard, notre législation est à la fois injuste et contre-productive.
Injuste, car placés face à l’interdiction de travailler, les demandeurs d’asile sont dépendants de l’octroi des conditions matérielles d’accueil et contraints à des périodes d’inactivité dont la durée peut être estimée à celle d’une procédure d’asile, en moyenne de onze mois.
L’allocation pour demandeurs d’asile est une allocation de subsistance, dont le montant s’élève au plus à 426 euros par mois, ce qui ne permet pas aux demandeurs de subvenir à leurs besoins dans des conditions dignes et les placent, de fait, dans une situation de précarité. De surcroît, la multiplication des motifs de retrait des conditions matérielles d’accueil accroît le nombre demandeurs qui ne bénéficient en pratique d’aucune allocation.
Par conséquent, les demandeurs d’asile sont particulièrement exposés au risque d’exploitation et de traite des êtres humains.
Cette législation est également contre-productive. En premier lieu, car cette longue période d’attente sans accès au marché du travail affecte très largement le capital humain des demandeurs d’asile. Privées du droit de mettre leurs talents au service de notre collectivité, ces personnes perdent les compétences acquises dans leur pays d’origine et leur confiance en elles. Les études académiques démontrent que plus une période d’attente sans activité professionnelle est longue, moins l’intégration future est garantie, dans toutes ses dimensions sociale, culturelle, et linguistique.
En second lieu, cette législation est aussi contre-productive pour la société française. D’abord, parce qu’elle prive nos territoires et nos entreprises de ressources humaines dans des secteurs qui peinent à recruter.
Ensuite, parce que les restrictions imposées aux demandeurs d’asile pour accéder au marché du travail ont un coût pour les finances publiques et l’économie : celui de l’aide sociale versée aux demandeurs d’asile à laquelle s’ajoutent les cotisations et impôts que la collectivité aurait pu percevoir s’ilsavaient été autorisés à travailler et plus globalement la perte de production liée à une quantité de travail moins importante dans l’économie. En 2021, des chercheurs ont estimé à 37,6 milliards d'euros la perte de production due aux interdictions de travail imposées aux demandeurs d'asile qui sont arrivés en Europe lors de la crise des réfugiés de 2015.
Enfin, cette législation est aussi injustifiée. L’argument de « l’appel d’air », trop souvent avancé pour restreindre les droits sociaux des étrangers, se trouve en effet démenti par les faits. Ce sont les pays à revenu faible ou intermédiaire qui accueillent 75 % des réfugiés dans le monde, car les exilés se déplacent en priorité dans les pays voisins de leur État d’origine.
Pour l’ensemble de ces raisons, cette proposition de loi a pour objet de supprimer le délai d’attente imposé aux demandeurs d’asile afin de leur permettre d’accéder au marché du travail dès l’introduction de leur demande. La décision du Conseil d’État en date du 24 février 2022, qui, à ce jour, n’a pas été exécutée par le Gouvernement, implique également d’inclure dans ce dispositif les demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert en application du règlement « Dublin III ».
Cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité de nombreuses recommandations, celles de la Défenseure des droits mais aussi des réflexions de Jean-Noël Barrot et Stella Dupont formulées dans leur rapport de 2020 sur l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés ([1]) ainsi que sur l’expérience réussie de l’accès immédiat au marché du travail des déplacés ukrainiens.
Commentaire de l’article unique
Adopté par la commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article unique de la proposition de loi a pour objet de faciliter l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile en leur permettant de solliciter une autorisation de travail dès l’introduction de leur demande d’asile.
Dernières modifications législatives intervenues
L’article 49 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a réduit de neuf à six mois le délai à partir duquel le demandeur d’asile peut solliciter une autorisation de travail à compter de l’introduction de sa demande d’asile.
Modifications apportées par la commission des Lois
La commission a adopté un amendement de la rapporteure ([2]) de réécriture globale de l’article unique. Cet amendement procède, d’une part, à des modifications rédactionnelles. D’autre part, il dispense les demandeurs d’asile de l’obligation de demander une autorisation de travail, sauf pour les demandeurs placés en procédure accélérée.
La circulaire du 17 mai 1985 du Premier ministre Laurent Fabius relative aux demandeurs d’asile, par dérogation à la règle de droit commun exigeant une autorisation de travail, permettait aux demandeurs d’asile d’accéder de plein droit au marché du travail dès l’introduction de leur demande.
Cette circulaire a toutefois été abrogée par une nouvelle circulaire de la Première Ministre Édith Cresson du 26 septembre 1991 relative à la situation des demandeurs d’asile au regard du marché du travail, exigeant que ceux-ci sollicitent une autorisation de travail lorsqu’ils souhaitaient accéder au marché du travail.
La directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres a, pour la première fois, encadré au niveau européen l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile. Son article 11 disposait que « Les États membres fixent une période commençant à la date de dépôt de la demande d'asile durant laquelle le demandeur n'a pas accès au marché du travail ». Cette durée ne pouvait en principe être supérieure à un an.
Ces dispositions ont été révisées par l’article 15 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale. Celui-ci prévoit désormais que « les États membres veillent à ce que les demandeurs aient accès au marché du travail dans un délai maximal de neuf mois à compter de la date d’introduction de la demande de protection internationale lorsqu’aucune décision en première instance n’a été rendue par l’autorité compétente et que le retard ne peut être imputé au demandeur ».
La directive prévoit également que « les États membres décident dans quelles conditions l’accès au marché du travail est octroyé au demandeur, conformément à leur droit national, tout en garantissant que les demandeurs ont un accès effectif à ce marché ».
Ainsi, en vertu de l’article L. 554-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), les demandeurs d’asile ne peuvent accéder au marché du travail uniquement lorsque l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) n'a pas statué sur leur demande à l’issue d’un délai de six mois à compter de l'introduction de celle-ci, pour des raisons qui ne leur sont pas imputables. Ce délai, initialement fixé à neuf mois, a été réduit à six par l’article 49 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.
Cette modification se fondait notamment sur la proposition n° 47 formulée dans le rapport de M. Aurélien Taché ([3]) . Ce rapport soulignait que « le maintien des demandeurs d’asile dans l’inactivité est en effet préjudiciable à tous : déresponsabilisant et frustrante pour les intéressés, elle les enferme dans une logique d’assistance qu’ils supportent mal et qui nuit considérablement à leurs facultés ultérieures d’intégration ».
La demande d’autorisation de travail doit être formulée avant que l’OFPRA ne statue sur la demande d’asile. Ainsi, une demande d’autorisation de travail ne peut être présentée en cours de procédure contentieuse devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). En revanche, une fois délivrée, l’autorisation de travail demeure valable pendant la durée du droit au maintien sur le territoire français du demandeur d’asile, y compris lors de l’examen de son éventuel recours devant la CNDA.
Le demandeur d’asile est soumis aux règles de droit commun applicables aux travailleurs étrangers pour la délivrance d’une autorisation de travail, comme le dispose l’article L. 554-3 du CESEDA.
L’article L. 5221-5 du code du travail dispose ainsi qu'un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de travail mentionnée au 2° de l'article L. 5221-2.
La demande est formulée par l’employeur auprès du préfet, qui instruit la demande selon les conditions énoncées à l’article R. 5221-20 du code du travail.
Parmi ces conditions, deux concernent l’emploi proposé qui doit :
– relever de la liste des métiers en tension prévue à l’article L. 421-4 du CESEDA ;
– ou viser une offre d’emploi qui a été préalablement publiée pendant un délai de trois semaines et n'a pu être satisfaite.
En outre, trois conditions sont relatives à l’employeur, qui doit respecter la règlementation sociale et notamment ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation pénale ou de sanctions administratives pour des infractions relevant du travail illégal. L’article R. 5521-20 du code du travail dispose également que la rémunération proposée doit être conforme au salaire minimum de croissance ou à la rémunération minimale prévue par la convention collective applicable à l'employeur.
L’article L. 554-3 du CESEDA précise que l’autorité administrative dispose d’un délai d’instruction de deux mois à compter de la réception de la demande d’autorisation de travail. À défaut de réponse dans ce délai, l'autorisation est réputée acquise.
En application de l’article L. 554-4 du CESEDA, le demandeur d’asile qui accède au marché du travail peut bénéficier des actions de formation professionnelle continue prévues à l’article L. 6313-1 du code du travail.
Il doit être souligné que, par une décision du 24 février 2022, le Conseil d'État a jugé les dispositions de l’article L. 554-1 du CESEDA contraires à l'article 15 de la directive « Accueil » en tant qu’elles excluent l'accès au marché du travail aux demandeurs d'asile faisant l'objet d'une décision de transfert en application du règlement (UE) n° 604/2013 dit « Dublin III ». Cette décision fait application de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ([4]). À ce jour, la France n’a toutefois pas mis en conformité sa législation avec le droit de l’Union européenne.
Enfin, l’article 4 du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration déposé au Sénat par le Gouvernement le 1er février 2023 entendait permettre aux demandeurs d’asile d’accéder au marché du travail, dès l’introduction de leur demande d’asile, lorsqu’ils étaient originaires d’un pays pour lequel le taux de protection internationale accordée en France était élevé.
Selon les termes de l’étude d’impact du projet de loi, cette mesure visait ainsi à accélérer le parcours d’intégration des personnes que la France doit protéger et à lutter contre le travail dissimulé ([5]) .
Dans son avis sur ce projet de loi, le Conseil d’État a relevé que la mesure aurait « pour effet bénéfique de permettre une intégration plus rapide sur le marché du travail de demandeurs d’asile ayant certainement vocation à obtenir une protection, et donc à résider durablement en France, et de leur permettre de disposer d’autres ressources que les seules conditions matérielles d’accueil. » ([6])
La disposition, qui avait été supprimée par le Sénat en séance publique et rétablie par la commission des Lois de l’Assemblée nationale ([7]) , n’a toutefois pas été retenue par la Commission mixte paritaire.
En pratique, l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail est extrêmement restreint. Selon les données de l’étude d’impact du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, entre avril 2021 et avril 2022, sur 4 745 demandes d'autorisation de travail présentées par des demandeurs d'asile, 1 814 ont fait l'objet d'un accord, soit 38,2 % des personnes en ayant fait la demande. Cela représente environ 2,3 % du total des demandeurs d'asile majeurs enregistrés sur l'année 2021.
En outre, la procédure de demande d’autorisation de travail est complexe et inadaptée à la situation de l’emploi. Hors la charge administrative que cela représente pour les employeurs, elle implique un délai d’attente pouvant s’étendre à deux mois. À cet égard, le rapport d’information de M. Jean-Noël Barrot et Mme Stella Dupont de septembre 2020, relevait que le délai de deux mois laissé à l’administration pour instruire les demandes était particulièrement long et proposait de le ramener à un mois, voire quinze jours, comme cela est le cas en matière d’instruction des ruptures conventionnelles individuelles ([8]).
De plus, si l’emploi proposé ne figure pas sur la liste des métiers en tension, l’employeur est contraint par un délai préalable minimal de trois semaines pendant lesquelles l’offre d’emploi doit être publiée auprès d’un organisme de service public de l’emploi, puis, doit justifier auprès de l’autorité administrative qu’aucun autre candidat ne satisfait aux critères de l’offre. Cette procédure allonge encore le délai avant lequel le demandeur d’asile accède effectivement à l’emploi.
S’agissant du recrutement sur des métiers en tension, la liste prévue à l’article L. 414-13 du CESEDA est obsolète et n’a toujours pas été mise à jour depuis 2021. Les syndicats et fédérations patronales entendues dans le cadre des auditions s’accordent sur son ineffectivité dès lors qu’elle ne correspond pas aux réalités de difficultés de recrutement constatées. De plus, comme le relevait la représentante de la CFDT, de nombreux secteurs ne sont pas considérés en tension car ils reposent en réalité sur l’emploi dissimulé de travailleurs étrangers non déclarés.
Ces freins au recrutement de salariés étrangers sont d’autant plus dommageables que de nombreuses entreprises déclarent avoir des difficultés à trouver la main-d’œuvre adéquate. L’enquête « Besoins en Main-d’œuvre » (BMO) de France Travail pour l’année 2024 montre que 57,4 % des recrutements sont jugés « difficiles » par les entreprises ([9]) .
Placés face à l’interdiction de travailler, les demandeurs d’asile sont dépendants de l’octroi des conditions matérielles d’accueil (CMA) prévues aux articles L. 550-1 et suivants du CESEDA et sont contraints à des périodes d’inactivité dont la durée peut être estimée à la durée moyenne d’une procédure d’asile, à savoir, en 2024, une durée de 132 jours pour l’instruction de la demande devant l’OFPRA, auquel peut s’ajouter une durée supplémentaire moyenne de cinq mois en cas de recours devant la CNDA ([10]) .
Les conditions matérielles d’accueil
Les conditions matérielles d’accueil sont composées d’un hébergement dans une structure adaptée et du versement de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA).
Le versement de l’ADA est subordonné à une condition de ressources, celles-ci devant être inférieures au montant du revenu de solidarité active (RSA). Le montant de l’ADA est déterminé selon la composition du ménage et est majoré si aucune place d’hébergement n’est proposée au demandeur d’asile. Il s’élève à 6,80 euros par jour et par personne. Un montant journalier additionnel de 7,40 euros est ajouté en l’absence d’offre d’hébergement.
Les articles L. 551-15 et L. 551-16 du CESEDA déterminent les motifs de refus et de suspension des CMA. Les CMA peuvent par exemple être réfusées en raison de l’introduction tardive d’une demande d’asile ou du refus de « l’offre de prise en charge » proposée par l’OFII. Les CMA peuvent également être suspendues en cas de départ de la région d’orientation ou du lieu d’hébergement ou en cas de dissimulation ou de fourniture d’informations mensongères.
En 2023, selon le rapport d’activité de l’OFII, 100 939 personnes étaient allocataires de l’ADA chaque mois, pour un montant global de 23,07 millions d’euros en moyenne, soit environ 230€ par mois par individu bénéficiaire.
L’ADA versée au titre des CMA est une allocation de subsistance qui ne permet pas aux demandeurs d’asile de subvenir à leurs besoins dans des conditions dignes et les place de fait dans une situation de précarité. De surcroît, la multiplication des motifs de retrait des CMA accroît le nombre de demandeurs qui ne bénéficient en pratique d’aucune allocation. Ainsi, selon L’état des lieux de l’asile en France et en Europe, publié annuellement par l’association Forum réfugiés ([11]), la part de demandeurs d’asile bénéficiaires de l’ADA représentait 70 % entre 2022 et 2023, alors qu’elle était supérieure à 90 % entre 2018 et 2020.
Par conséquent, les demandeurs d’asile sont particulièrement exposés au risque d’exploitation et de traite des êtres humains dans le cadre du travail dissimulé.
Les délais d’accès au marché du travail imposés aux demandeurs d’asile, dont près de la moitié a vocation à acquérir le statut de réfugié et à résider durablement en France ([12]), génèrent des coûts sociaux et économiques non négligeables, et constituent une véritable perte de chance pour l’intégration.
L’accès au travail est un puissant facteur d’intégration qui est d’autant plus efficace qu’il intervient tôt dans le parcours des réfugiés. La littérature académique établit un lien clair entre l’accès précoce au marché du travail des demandeurs d’asile et l’intégration professionnelle de ces derniers une fois le statut de réfugié obtenu.
Une étude de 2018 relative à des demandeurs d’asile en provenance d’ex‑Yougoslavie arrivés en Allemagne avant et après la réduction de la durée d’attente imposée pour accéder au marché du travail a montré que l’intégration professionnelle des seconds a été bien plus rapide que celles des premiers. La première cohorte, qui a attendu 7 mois de plus que la seconde avant de pouvoir travailler, se caractérise par des taux d’emploi durablement plus faibles, avec un écart de 10 points de pourcentage après cinq ans ([13]) . Une autre étude menée en Suisse entre 1994 et 2004 montre qu’une année supplémentaire d’attente avant de pouvoir accéder au marché du travail fait baisser de quatre à cinq points de pourcentage le taux d’emploi par la suite ([14]).
Les restrictions imposées aux demandeurs d’asile pour accéder au marché du travail ont également un coût pour les finances publiques et l’économie. En 2021, des chercheurs ont estimé à 37,6 milliards d'euros la perte de production due aux interdictions de travail imposées aux demandeurs d'asile qui sont arrivés en Europe lors de la crise des réfugiés de 2015 ([15]) .
L’ouverture du marché du travail a été réalisée avec succès concernant les bénéficiaires ukrainiens de la protection temporaire. Les autorisations provisoires de séjour « protection temporaire » délivrées aux ressortissants ukrainiens sur le fondement de la directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001 ouvrent automatiquement le droit à l’exercice d’une activité professionnelle ([16]) , le décret n° 2022-468 du 1er avril 2022 ayant supprimé la nécessité de demander une autorisation provisoire de travail.
L’étude d’impact du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration soulignait l’impact positif de ce dispositif.
Cet accès rapide au marché du travail est conforme aux objectifs de la directive « Accueil ». Dans sa décision précitée du 14 janvier 2021, la CJUE soulignait que l’un des objectifs poursuivis par la directive consistait à favoriser l’autosuffisance des demandeurs de protection internationale et que « l’accès au marché du travail est profitable tant au demandeur de protection internationale qu’à l’État membre d’accueil. Une simplification de l’accès au marché du travail pour ces demandeurs est susceptible de prévenir un risque important d’isolement et d’exclusion sociale compte tenu de la précarité de leur situation. » ([17]) .
Ainsi, comme le notait déjà le rapport de M. Jean-Noël Barrot et Mme Stella Dupont, « les politiques publiques mises en œuvre en matière d’accès au marché du travail des demandeurs d’asile peuvent paraître excessivement restrictives au regard des objectifs de la directive “Accueil” n° 2013/33/UE du 26 juin 2013, des perspectives d’évolution des délais de traitement de la demande d’asile et de l’intérêt de soutenir l’insertion professionnelle de certains réfugiés en devenir ».
L’article unique de la proposition de loi supprime le délai imposé aux demandeurs d’asile pour accéder au marché du travail, afin qu’ils puissent solliciter une autorisation de travail dès l’introduction de leur demande d’asile.
La proposition de loi ne modifie pas les dispositions relatives à la procédure d’octroi de l’autorisation de travail, si bien que les demandeurs d’asile demeureraient soumis en la matière à la même réglementation que les autres travailleurs étrangers extra-européens.
En outre, la proposition de loi permet de mettre en conformité la législation avec la décision du Conseil d’État du 24 février 2022 et le droit de l’Union européenne, en prévoyant expressément que les demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert en application du règlement (UE) n°604/2013 peuvent accéder au marché du travail dans les mêmes conditions que les autres demandeurs d’asile.
La commission des Lois a adopté un amendement de réécriture globale CL13 de la rapporteure. En premier lieu, cet amendement maintient la suppression du délai de six mois imposé aux demandeurs d’asile pour accéder au marché du travail et permet cet accès dès l’enregistrement de leur demande d’asile et non plus à compter de son introduction devant l’OFPRA.
En deuxième lieu, il supprime pour les demandeurs d’asile l’obligation de solliciter une autorisation de travail et abroge par conséquent l’article L. 554‑3 du CESEDA. Cet amendement vise ainsi à assurer l’effectivité de l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile dès lors que la procédure pour obtenir une autorisation de travail est complexe et allonge le délai avant lequel le demandeur d’asile accède effectivement à l’emploi.
Elle est toutefois maintenue pour les demandeurs d’asile placés en procédure accélérée auprès de l’OFPRA.
Enfin, l’amendement procède à des modifications rédactionnelles.
Lors de ses réunions du mercredi 12 février 2025 à 10 heures et 15 heures, la Commission examine la proposition de loi visant à faciliter l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail (n° 771) (Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure).
1. Première réunion du mercredi 12 février 2025 à 10 heures
Lien vidéo : https://assnat.fr/O8IxCF
La Commission examine la proposition de loi visant à faciliter l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail (n° 771) (Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure).
M. le président Florent Boudié. Je rappelle que cette proposition de loi est inscrite en séance publique lors de la journée d’initiative parlementaire du groupe Écologiste et social du 20 février.
Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure. En 2024, la France a accordé l’asile à 70 000 personnes. Ressortissants afghans, ukrainiens ou guinéens, ces gens qui fuient les persécutions dans leur pays d’origine ont vocation à séjourner durablement sur le sol français où ils ont trouvé protection.
Toutefois, avant d’obtenir le statut de réfugié ou la protection subsidiaire, ils ont souvent affronté un parcours du combattant, ponctué par les difficultés administratives et la précarité. En effet, les demandeurs d’asile ont l’interdiction de travailler pendant six mois, sauf si l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) statue sur leur demande et leur octroi le statut de réfugié dans ce délai. Cependant, la durée moyenne d’une procédure d’asile est estimée à onze mois.
Six mois après avoir déposé son dossier, un demandeur d’asile peut chercher un travail et son employeur doit alors effectuer une demande d’autorisation de travail, dont la délivrance est soumise à de nombreuses conditions et à laquelle peut être opposée la situation de l’emploi. L’instruction de la demande d’autorisation peut courir pendant deux mois. Cela peut donc porter l’interdiction de travailler à huit mois.
Cette interdiction a des effets : très peu de demandeurs d’asile accèdent au marché du travail avant la reconnaissance de leur statut de réfugié. Selon les dernières données du ministère de l’intérieur, portant sur une période comprise entre avril 2021 et avril 2022, 38 % des 4 745 demandes d’autorisation de travail présentées ont fait l’objet d’un accord, ce qui représente 2,3 % du total des demandes d’asile de majeurs enregistrées en 2021.
Rien n’impose une telle rigueur. Cette législation est à la fois injuste et contre-productive. Laissez-moi vous parler d’un exemple qui va mettre tout le monde d’accord, celui d’un ingénieur spécialisé dans la construction de pipelines. Après avoir introduit sa demande d’asile puis envoyé son CV, il a reçu plus de dix appels par jour pour occuper un poste, mais il faut qu’il attende six mois pour qu’une autorisation de travail lui soit éventuellement accordée. On marche sur la tête ! Cette interdiction de travail pendant six mois est injuste, car les demandeurs d’asile dépendent de l’octroi des conditions matérielles d’accueil et se retrouvent contraints à des périodes d’inactivité.
L’allocation pour demandeur d’asile est une allocation de subsistance dont le montant, de 426 euros par mois, ne permet pas aux demandeurs de subvenir à leurs besoins dans des conditions dignes et les place, de fait, dans une situation de précarité. Qui peut dire qu’avec 426 euros par mois il est possible de payer son loyer, sa nourriture, son transport, d’apprendre le français et de préparer un entretien à l’Ofpra dans de bonnes conditions, donc de s’occuper de sauver sa vie, puisqu’il s’agit de cela ?
Les demandeurs d’asile sont particulièrement exposés au risque d’exploitation et de traite des êtres humains. Je pense à une cuisinière qui a payé 3 000 euros en espèces un avocat, qui ne lui a jamais répondu, pour l’aider à déposer sa demande d’asile et qui a été contrainte d’accepter tous les boulots non déclarés parce qu’elle devait rembourser cette somme. Je pense aussi à Husnia, journaliste afghane qui m’a expliqué cette semaine qu’elle se trouvait dans un rapport humiliant avec la personne qui l’hébergeait, en raison de sa précarité économique.
La législation actuelle est, par ailleurs, contre-productive. La longue période pendant laquelle l’accès au marché du travail est interdit affecte largement le capital humain des demandeurs d’asile. Privés du droit de mettre leurs talents au service de notre collectivité, ils finissent par perdre les compétences acquises dans leur pays d’origine et surtout leur confiance en eux. Toutes les études démontrent que plus une période sans activité professionnelle est longue, moins l’intégration future est garantie dans toutes ses dimensions, sociale, culturelle et linguistique. Il est prouvé que perdre trois mois en la matière ne se rattrape pas en moins de quatre ans.
En second lieu, la législation est néfaste à la société française : elle prive nos territoires et nos entreprises de ressources humaines dans des secteurs qui peinent à recruter. Hélène, qui vient de la RDC (République démocratique du Congo) et que nous avons rencontrée hier matin à l’Assemblée nationale, souhaite travailler dans une crèche ; elle a le CV et les compétences pour occuper un tel emploi, mais elle doit attendre, alors qu’elle vient d’un pays en guerre et que son avenir est en France.
Les restrictions imposées aux demandeurs d’asile pour accéder au marché du travail ont un coût pour les finances publiques et l’économie. À l’aide sociale versée aux demandeurs d’asile s’ajoutent les cotisations et les impôts que la collectivité aurait pu percevoir si ces personnes avaient été autorisées à travailler. Plus globalement, une moindre quantité de travail représente une perte de production. Des chercheurs ont estimé à 37 milliards d’euros la perte de production due aux interdictions de travail imposées aux demandeurs d’asile qui sont arrivés en Europe en 2015, lors de la crise de l’accueil des réfugiés.
Alors qu’il est question d’intelligence artificielle, j’ai rencontré hier pas moins de trois ingénieurs en informatique prêts à nous aider à défendre la souveraineté européenne en la matière. Et nous voudrions nous passer de ces personnes formées ? J’ai leurs coordonnées et leur CV. Elles sont sympathiques et parlent mieux anglais que la moyenne d’entre nous, mais on leur interdit de travailler.
Pour l’ensemble de ces raisons, la proposition de loi a pour objet de supprimer l’actuel délai de six mois qui fait perdre du temps à tout le monde. Par ailleurs, une décision du Conseil d’État du 24 février 2022, non exécutée par le gouvernement à ce jour, implique d’inclure dans le dispositif les demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert en application du règlement Dublin III.
La proposition de loi s’inscrit dans la continuité de nombreuses recommandations, comme celles de la Défenseure des droits, émises en juillet 2023, ou celles de Jean-Noël Barrot et Stella Dupont, formulées dans leur rapport de 2020 relatif à l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés. Le texte s’appuie également sur l’expérience réussie de l’accès immédiat au marché du travail des déplacés ukrainiens.
Au-delà des rapports, des chiffres et des études économiques, je pense à celles et ceux que j’ai rencontrés pendant les auditions, notamment Alhassane, de Guinée, qui anime des ateliers pour préserver la santé mentale d’autres réfugiés ou demandeurs d’asile. Il recueille les témoignages de parcours de vie, comme le ferait votre psy – vous ne payez pas votre psy, vous ? Je pense aussi à un couple qui a fui l’Ukraine et que M. Sanvert, membre du groupe Rassemblement national, a hébergé pendant quelque temps, m’a-t-il dit. Tout s’est bien passé, ce couple travaille et leurs deux enfants vont à l’école. La seule différence entre Alhassane, Hélène, Husnia et eux, c’est que nous avons autorisé les personnes venues d’Ukraine à travailler dès leur arrivée en France. Cela se passe bien quand on permet aux gens de travailler : ce n’est pas le chaos et le chômage n’augmente pas. Ces femmes et ces hommes souhaitent simplement, comme vous et moi, vivre de leur travail, ni plus ni moins.
Parce qu’il est essentiel d’avancer sur cette question, j’ai été à l’écoute des groupes politiques qui ont souhaité faire preuve d’ouverture. J’ai déposé une série d’amendements visant à construire un consensus et à prouver que le travail parlementaire peut permettre, s’il repose sur des faits plutôt que sur des représentations, de lever l’interdiction de travailler subie par certaines personnes.
Le texte concernait initialement tous les demandeurs d’asile, mais j’accepte de ne pas inclure les personnes faisant l’objet d’une procédure accélérée et qui obtiennent une réponse rapide à leur demande. L’accès sans délai au marché du travail serait alors réservé à tous les autres demandeurs d’asile. Les dispenser d’autorisation de travail serait une bonne manière d’accélérer leur inclusion.
J’ai également entendu celles et ceux qui souhaitent que les efforts d’accélération profitent d’abord aux personnes qui bénéficient d’un fort taux de protection et pour lesquelles l’octroi d’une protection internationale est presque certain. Cette voie n’a pas ma préférence car elle instaure une différence de traitement entre nationalités, là où la protection internationale repose sur l’examen d’une situation personnelle. Néanmoins, j’ai entendu les questions de certains élus et je suis prête à faire un pas, pour autant que cela permette d’avoir une dispense d’autorisation de travail.
Troisièmement, pour ces mêmes personnes, je veux bien conserver l’autorisation de travail à la condition que la situation de l’emploi ne leur soit pas opposable, puisqu’il s’agit, d’après ce que nous a dit le ministère de l’intérieur, d’un outil de protection contre les vulnérabilités des demandeurs d’asile, par le contrôle du respect des exigences salariales et sociales des employeurs.
J’invite celles et ceux qui souhaitent œuvrer dans l’intérêt général à emprunter ensemble le chemin d’un dialogue parlementaire fécond.
Présidence de Mme Sandra Regol, vice-présidente
M. Arnaud Sanvert (RN). Nous examinons ce matin une proposition de loi dont l’adoption constituerait un appel d’air pour l’immigration. Déguisé sous les oripeaux de la solidarité et de l’humanisme, ce texte offrirait une aubaine aux filières illégales de passeurs. Il vise en effet à autoriser les demandeurs d’asile à accéder au marché du travail dès le dépôt de leur demande, avant que l’Ofpra se soit prononcé sur le bien-fondé de leur présence.
Selon BFM TV, près de sept Français sur dix partagent notre constat d’une submersion migratoire. Notre pays est rongé par une immigration massive, anarchique et incontrôlée. L’asile, qui devait être une protection réservée aux victimes de persécutions, est devenu un canal détourné d’immigration, notamment économique. En 2024, plus de 153 000 demandes de protection internationale ont été introduites à l’Ofpra, toutes procédures confondues. Parmi elles, on dénombre quelque 129 440 premières demandes d’asile. Selon les données disponibles, le taux de protection accordé par l’Ofpra et la Cour nationale du droit d’asile s’établissait à 49,3 % en 2024, ce qui signifie qu’une majorité des demandeurs d’asile ne relèvent en rien du droit d’asile.
Alors que notre pays souffre d’un chômage structurel et que nos finances publiques sont au bord du gouffre, des parlementaires proposent d’intégrer ces étrangers au marché du travail. Ce serait une faute politique et un message désastreux pour tous ceux qui rêvent d’un illusoire et fictif eldorado français. Cette mesure transformerait davantage le droit d’asile en porte d’entrée d’une immigration de peuplement car, une fois inséré dans l’emploi, un débouté du droit d’asile partira bien plus difficilement : il pourra invoquer la vie privée et familiale et s’accrocher à tous les recours possibles pour parvenir à obtenir un titre de séjour. Votre proposition de loi est en réalité un piège à régularisations.
Par ailleurs, ce texte est injuste socialement : comment expliquer à nos compatriotes qu’un étranger fraîchement arrivé accède immédiatement au marché du travail alors que tant de Français peinent à retrouver un emploi ? Comment justifier que des entreprises puissent embaucher des demandeurs d’asile quand près de 3 millions de nos concitoyens sont au chômage ? Les partisans du laxisme migratoire, à l’origine de ce texte, ouvrent la porte à une précarisation du travail et à des abus massifs. Qui garantira que les demandeurs d’asile ne seront pas sous-payés, exploités et utilisés comme une main-d’œuvre corvéable et bon marché ?
Enfin, la proposition de loi trahit l’esprit même du droit d’asile. Il a été conçu comme une protection temporaire pour ceux qui fuient des persécutions avérées. Il ne doit en aucun cas devenir une voie détournée d’une immigration non choisie. En ouvrant immédiatement le marché du travail aux demandeurs d’asile, ce texte dévoie l’asile de son objectif premier pour en faire une passerelle migratoire sans retour. La France n’a pas besoin de votre proposition de loi ; elle a besoin de reprendre le contrôle de ses frontières, de réguler ses flux migratoires, de lutter contre le dévoiement du droit d’asile en prévoyant, notamment, le dépôt des demandes auprès des consulats français à l’étranger, et d’accélérer les expulsions des déboutés.
Le Rassemblement national votera contre cette proposition de loi. Il souhaite aller plus loin en abrogeant les articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) qui donnent aux demandeurs d’asile la possibilité d’accéder au marché du travail dans un délai de six mois.
M. Roland Lescure (EPR). Cette question divise notre assemblée et nos compatriotes. J’aimerais penser, néanmoins, que nous pourrions nous rassembler autour de l’intégration par le travail des demandeurs d’asile. Un autre élément important de l’intégration de cette population est l’apprentissage de la langue française.
Je vous remercie, madame la rapporteure, d’avoir mis sur la table cette proposition de loi, même si le groupe Ensemble pour la République ne pourra pas la soutenir en l’état. Le travail est un facteur clé de l’intégration en général et de la limitation de l’impact du droit humanitaire sur les finances publiques – pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la France accueille en son sein des étrangers soumis à des persécutions dans leur pays d’origine.
Ce n’est pas la première fois que la commission des Lois se saisit de ce sujet. En décembre 2023, elle a adopté un amendement au projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, défendu par M. Gérald Darmanin, alors ministre de l’intérieur, qui visait à accélérer l’accès à l’emploi, dans des conditions un peu plus strictes que celles fixées par cette proposition de loi, des demandeurs d’asile provenant de pays dits surprotégés et figurant sur une liste qui aurait été édictée par le ministre de l’intérieur. Des pays tels que l’Afghanistan et le Yémen devaient se trouver sur cette liste – l’Ukraine bénéficiait déjà d’un tel régime.
Cet amendement, largement adopté en commission des Lois, n’ayant pas pu être discuté en séance publique du fait de l’adoption de la motion de rejet préalable, j’avais déposé, sur la présente proposition de loi, deux amendements s’inspirant de sa rédaction. Ils ont été – contrairement, du reste, à des propositions de loi dont le coût s’élève à quelque 40 milliards d’euros… – jugés irrecevables par le président de la commission des finances. Ils auraient pourtant permis aux demandeurs d’asile provenant de pays « surprotégés » d’apprendre le français ; je les redéposerai, le cas échéant, en séance publique.
Mme la rapporteure a déposé trois amendements de réécriture afin de prendre en compte les résultats des auditions. De fait, dans sa rédaction actuelle, le texte est peu trop « open bar » : il ouvrirait un accès excessivement large au travail puisque pourraient en bénéficier des demandeurs d’asile qui, compte tenu de leur pays d’origine, n’ont pas vocation à obtenir le statut de réfugié. Par ailleurs, notre groupe ne peut soutenir ces amendements dans la mesure où ils négligent l’opposabilité de la situation de l’emploi, qui permet de limiter l’accès au travail des demandeurs d’asile à des métiers en tension ou à des emplois pour lesquels le chef d’entreprise a recherché sans succès des candidats français.
Néanmoins, l’amendement CL15 me semble offrir une bonne base de travail dans la perspective d’une éventuelle discussion en séance publique. À titre personnel, j’envisage même de voter pour cet amendement si l’occasion se présente.
Mme Sandra Regol, présidente. Si cela peut vous rassurer, l’article 40 est opposé à tous les députés ici présents, à peu près tous les jours et sur tous les textes.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Nous remercions le groupe Écologiste et social d’avoir déposé cette proposition de loi, en particulier dans le contexte politique actuel, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il s’aggrave.
Attachés par principe aux droits des étrangers, et même à l’égalité des droits, nous sommes favorables à la régularisation des travailleurs et au droit des demandeurs d’asile de travailler dès le dépôt de leur demande. Faut-il en effet rappeler que le droit d’asile est sanctuarisé par l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et qu’il a été consacré par notre pays après-guerre, dans un contexte qu’il conviendrait de ne pas oublier ?
En revanche, nous ne sommes pas favorables à une vision utilitariste du rapport aux étrangers. Il nous paraît ainsi maladroit d’envisager l’autorisation qui leur serait accordée de travailler comme une source d’économie en matière d’aides sociales, et discutable de limiter leur accès au marché du travail aux seuls métiers en tension. Si nous sommes favorables à la proposition de loi, nous ne souscrivons pas à ce type d’arguments, même si nous pouvons en comprendre la dimension tactique. Nous souhaitons, par principe, aller plus loin : ces personnes doivent faire l’objet d’un respect absolu.
Tout en nous gardant de qualifier à nouveau les principes idéologiques de certains membres du gouvernement, nous ne pouvons que juger problématique le fait que d’aucuns parlent de « Français de papier » : ce type de propos ne fait qu’alimenter les idées d’extrême droite et favoriser leur diffusion.
Nous voterons très volontiers pour ce texte de progrès.
M. Paul Christophle (SOC). Récemment, notre commission a examiné deux textes visant respectivement à restreindre le droit du sol à Mayotte et à empêcher les étrangers qui tomberaient gravement malades sur notre territoire de se faire soigner. Ces textes ne concernent quelques centaines ou milliers de personnes, si bien qu’on pourrait renommer la commission des Lois « commission des cas exceptionnels et des particularités législatives ». Si les verrous du langage identitaire cèdent chaque jour un peu plus sous les coups de boutoir de ceux qui, par calcul ou idéologie, font le pari de la division et de la stigmatisation, nous favoriserons un peu plus l’avènement de l’extrême droite au pouvoir.
À cet égard, la proposition de loi du groupe Écologiste et social nous offre une forme de respiration républicaine bienvenue.
Le délai d’attente de six mois actuellement opposé aux demandeurs d’asile qui souhaitent obtenir une autorisation de travail a des effets, puisque très peu d’entre eux accèdent au marché du travail avant la reconnaissance de leur statut de réfugié. Et pour ceux qui en bénéficient, le chemin est encore long avant d’obtenir les documents officiels qui leur permettront de travailler. Selon le ministère de l’intérieur, en 2022, 1 148 autorisations ont été délivrées pour 103 164 demandes d’asile, soit environ 1,1 %. Il nous est donc proposé d’assouplir le cadre actuel en permettant aux demandeurs d’asile de solliciter une autorisation de travail dès le dépôt de leur demande d’asile. De fait, le délai actuel est inutilement restrictif et ne se justifie pas.
Le texte est équilibré : d’une part, les demandeurs d’asile restent soumis à la délivrance d’une autorisation de travail ; d’autre part, cette autorisation n’est délivrée qu’à titre temporaire, jusqu’à ce que leur statut fasse l’objet d’une décision définitive. Le groupe Socialistes et apparentés soutiendra donc pleinement la proposition de loi.
M. Éric Pauget (DR). Au lieu de répondre à l’exigence de reprise en main de l’immigration, ce texte tend à supprimer le délai de six mois actuellement imposé aux demandeurs d’asile avant toute sollicitation d’une autorisation de travail. La proposition de loi s’inscrit ainsi dans une logique d’assouplissement systématique du droit des étrangers et brouille la distinction entre demandeurs d’asile et migrants économiques : le droit d’asile ne doit pas devenir un moyen de détourner le droit du travail pour faciliter l’installation de personnes qui n’ont pas encore prouvé qu’elles étaient en danger dans leur pays d’origine.
Ce texte risque, en outre, de créer un nouvel appel d’air. En effet, plus un pays facilite l’accès au travail des demandeurs d’asile, plus il devient attractif pour l’immigration irrégulière. Lorsque l’Allemagne et la Suède ont pris une telle décision après la crise migratoire de 2015, les demandes ont explosé au point que ces pays ont dû revoir leur politique pour limiter le phénomène. En France, le risque d’appel d’air n’est pas un mythe : en 2023, le nombre des premières demandes d’asile s’est élevé à 123 400, soit une augmentation de 8,6 % par rapport à 2022. La préférence de la France doit aller à l’immigration de travail d’une main-d’œuvre qualifiée et choisie.
Enfin, ce texte provoquerait une explosion du travail dissimulé. La suppression du délai actuel pousserait des employeurs peu scrupuleux à exploiter une main-d’œuvre vulnérable puisque la plupart des demandeurs d’asile n’ont ni formation ni compétences adaptées aux exigences du marché du travail. Nos priorités doivent être la formation et l’intégration des étrangers déjà régularisés.
En conclusion, il faut adresser un message clair aux trois quarts des Français qui considèrent à juste titre que les flux migratoires ne sont pas maîtrisés. Or, en facilitant l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail, la proposition de loi du groupe Écologiste et social organise l’impuissance publique et rend inexpulsables ceux d’entre eux qui seront déboutés. Les députés du groupe Droite républicaine voteront donc contre la proposition de loi.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Au cours des dix dernières années, 220 millions de personnes ont dû fuir leur pays à cause des catastrophes liées au dérèglement climatique et, en juin 2024, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés estimait à 120 millions le nombre des personnes déplacées de force dans le monde pour cause de guerre, de persécutions ou de violences. Pourtant, d’aucuns considèrent encore ces malheureux comme des gens de trop ! Ne leur en déplaise, le droit d’asile est et sera plus que jamais au cœur des enjeux. L’heure doit donc être au renforcement et à l’amélioration de notre système d’accueil et non à la répression et au repli sécuritaire.
En 2009, à la suite du massacre – qui a pu être qualifié de génocide – des Tamouls au Sri Lanka, 300 000 d’entre eux ont fui leur pays pour trouver asile en France. Ils doivent attendre six mois avant d’être autorisés à travailler. Si l’Ofpra déboute un de ces demandeurs d’asile au bout de sept mois, il aura dû vivre jusque-là avec les 360 euros qu’on lui verse mensuellement, notamment pour payer son logement d’urgence. Comment imaginer qu’il puisse engager une démarche de demande d’asile sereinement dans des conditions aussi déplorables ? Comment peut-on se satisfaire qu’une personne qui a fui les pires exactions soit maintenue dans un tel état de précarité ?
La politique qui vise prétendument à réguler l’immigration est en fait une trappe à illégalité, à travail dissimulé. Ceux qui s’opposent à la proposition de loi ne feraient, si elle était rejetée, qu’accentuer ce qu’ils dénoncent car, sans revenus ni repères, ces hommes et ces femmes vivront dans un état de pauvreté indicible et se tourneront nécessairement vers un travail illégal pour tenter de survivre. Alors que le travail a toujours été considéré par tous comme la première étape vers l’intégration, le lien social et une vie stable en France, pourquoi le refuser à ces personnes ?
La politique sécuritaire ne garantit en aucun cas la sécurité. Ceux qui ne veulent pas laisser les demandeurs d’asile travailler légalement en France organisent la clandestinité, la mal-intégration, l’errance. Comment pouvons-nous leur refuser le droit d’avoir des droits, même les plus essentiels ? Pourquoi, de surcroît, nous priver de leurs compétences, dont ont besoin nos territoires et nos entreprises ? En 2022, à peine 3 % des demandeurs d’asile ont obtenu une autorisation de travail. Que font les 97 % restants ?
Selon le groupe Écologiste et social, notre humanité, la raison et le bon sens nous commandent de soutenir pleinement ce texte.
M. Éric Martineau (Dem). La proposition de loi a pour objet de permettre aux primo-demandeurs d’asile ainsi qu’aux demandeurs placés sous procédure Dublin et faisant l’objet d’une procédure de transfert de déposer une demande d’autorisation de travail simultanément à leur demande d’asile.
Actuellement, l’accès au marché du travail peut être autorisé au demandeur d’asile lorsque l’Ofpra, pour des raisons qui ne sont pas imputables au demandeur, n’a pas statué dans un délai de six mois à compter de l’introduction de la demande. À l’expiration de ce délai, le demandeur est soumis aux règles de droit commun applicables aux travailleurs étrangers et doit déposer une demande d’autorisation de travail accompagnée d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche. L’autorité administrative dispose ensuite de deux mois pour s’assurer que l’embauche respecte les conditions de droit commun d’accès au marché du travail. À défaut de notification dans ce délai, l’autorisation est réputée acquise et s’applique pendant la durée du droit au maintien sur le territoire français du demandeur d’asile.
Le groupe Les Démocrates n’a aucun mal à reconnaître que l’accès rapide des étrangers au marché du travail est un très bon moyen de faciliter leur intégration sociale, culturelle et linguistique. Dans les faits, force est de constater que très peu de demandeurs d’asile parviennent à accéder à ce marché. En tant qu’agriculteur et ancien président d’une organisation de producteurs, je ne peux que souligner l’importance d’accorder des autorisations de travail aux étrangers. Mais nous devons veiller à ne pas favoriser le dépôt de demandes infondées et nous réserver la possibilité d’éloigner les personnes déboutées du droit d’asile. C’est pourquoi il est nécessaire que la décision de l’Ofpra intervienne dans les plus brefs délais et avant que le demandeur d’asile ait accédé au marché du travail.
Le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, examiné en 2023, comportait une solution de compromis : il était prévu que les personnes originaires de pays à fort taux de protection internationale pourraient déposer simultanément leur demande d’asile et leur demande d’autorisation de travail et que leur accès au marché du travail serait subordonné à la délivrance d’une autorisation de travail par le préfet, chargé d’examiner la situation de la profession et du bassin d’emploi eu égard à la liste des métiers en tension. Ce faisant, le gouvernement entendait accélérer le parcours d’intégration des demandeurs d’asile presque assurés d’obtenir le statut de réfugié et lutter contre le travail des étrangers sans autorisation de travail.
Dans une démarche de compromis avec le groupe Écologiste, nous avons proposé un amendement de réécriture allant en ce sens ; il n’a pas été retenu. Or nous ne pouvons soutenir l’accès immédiat au marché du travail de l’ensemble des demandeurs d’asile. Nous avons déposé un autre amendement qui, tenant compte de la décision du Conseil d’État du 24 février 2022, permettra également aux demandeurs placés sous procédure Dublin mais n’ayant pas pu être transférés dans un délai de six mois d’accéder au marché du travail.
Nous ne pourrons soutenir le texte que si notre amendement de réécriture est adopté en commission. En séance publique, nous souhaitons continuer de dialoguer avec le groupe Écologiste pour parvenir à un compromis.
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2. Deuxième réunion du mercredi 12 février 2025 à 15 heures
Lien vidéo : https://assnat.fr/eRUB65
La Commission poursuit l’examen de la proposition de loi visant à faciliter l'accès des demandeurs d'asile au marché du travail (n° 771) (Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure).
M. le président Florent Boudié. Nous reprenons l’examen de la proposition de loi visant à faciliter l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail. Nous nous en étions arrêtés au milieu de la discussion générale.
M. Xavier Albertini (HOR). Le droit d’asile se situe au confluent de trois sources juridiques majeures : le droit constitutionnel, le droit de l’Union européenne et le droit international. Dans ce cadre juridique protecteur, un équilibre a été trouvé s’agissant de l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile. Depuis 2005, un délai d’attente est imposé à ceux qui souhaitent une autorisation de travail, afin de simplifier les reconduites à la frontièreau cas où ils seraient in fine déboutés. Initialement fixé à douze mois, puis à neuf mois, le délai a été réduit à six mois par une loi de 2018.
Notre groupe estime que la suppression de ce délai, objet de la proposition de loi, serait excessive et inopportune. Le droit positif français respecte les exigences européennes en matière d’asile, à savoir un délai maximal de neuf mois à compter de la date d’introduction de la demande de protection internationale, au terme duquel les demandeurs doivent avoir accès au marché du travail.
En pratique, le nombre de demandes d’autorisation de travail et le taux de délivrance de ces autorisations sont très limités. En 2022, selon le ministère de l’intérieur, 4 254 demandes d’autorisation de travail ont été déposées sur un total de 103 164 demandes d’asile, soit une proportion de 4,1 %. Au terme de l’instruction, seules 1 148 autorisations ont été effectivement délivrées, ce qui représente un taux de décisions favorables de 27 %. Ces chiffres témoignent du faible recours des demandeurs d’asile aux procédures d’autorisation d’accès au marché du travail et de la nécessité de contrôler administrativement les demandes. Par ailleurs, qu’en serait-il des demandeurs d’asile qui trouveraient un emploi mais seraient déboutés, ce qui est le cas de 65 % d’entre eux ?
La proposition de loi vise aussi à mettre notre droit interne en conformité avec le droit de l’Union européenne, le Conseil d’État ayant annulé l’article L. 554-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) en tant qu’il exclut l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile faisant l’objet d’une décision de transfert en application du règlement dit Dublin III. Si notre groupe soutient pleinement cette mesure, il ne peut souscrire à la jonction, au sein d’un même texte, des deux objectifs législatifs poursuivis par le groupe Écologiste. Nous voterons donc contre la proposition de loi, à moins que nos débats n’aboutissent à dissocier ces objectifs.
M. Paul Molac (LIOT). Il convient d’accueillir les réfugiés avec dignité et de faciliter leur intégration, laquelle passe par le travail.
Toute demande d’asile doit être examinée afin de vérifier son motif et de s’assurer de sa légitimité. Si l’on veut réellement améliorer les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, la priorité doit être d’améliorer les délais d’instruction, qui sont en moyenne de dix mois.
Quoi qu’il en soit, il n’est plus possible d’éluder la question des conditions de vie des demandeurs qui attendent une décision concernant leur statut. Il faut sortir des positions dogmatiques. Le droit actuel n’est pas neutre. En imposant un délai de six mois avant d’accorder éventuellement aux demandeurs d’asile l’accès au marché de l’emploi, notre droit les plonge volontairement et automatiquement dans la précarité et la dépendance, envers un employeur notamment.
Cette précarité a un coût pour nos finances publiques. Dans le budget pour 2025, une enveloppe de 300 millions d’euros est consacrée à la seule allocation pour demandeur d’asile. Une telle dépense pourrait être évitée si on permettait à ces personnes de travailler. Au fond, l’autorisation immédiate de travailler proposée dans le texte aurait trois avantages : renforcer l’intégration par l’emploi, lutter contre le travail dissimulé et répondre aux besoins des secteurs en tension. Un quart des personnes qui travaillent dans le secteur de l’aide à la personne sont d’origine étrangère et l’UMIH, l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, estime que 40 % des emplois de ce secteur sont occupés par des étrangers, en situation régulière ou non.
Si les intentions de notre rapporteure sont plus que louables, elle me paraît un peu trop ambitieuse, compte tenu de la composition actuelle du Parlement et de la couleur politique du ministre de l’intérieur. Une solution de compromis consistant à reprendre l’ancien article 4 du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration aurait plus de chance d’être adoptée. Pour rappel, cet article visait à donner un accès immédiat au marché de l’emploi aux seuls demandeurs d’asile qui, en raison de leur pays d’origine, avaient de véritables chances d’obtenir le statut de réfugié.
En tout état de cause, parce qu’il est grand temps d’avancer dans ce domaine, notre groupe votera pour la proposition de la loi.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Ce texte est une erreur majeure : il risque de fragiliser notre politique migratoire, d’encourager l’immigration illégale et de faire peser une pression supplémentaire sur notre système social et nos services publics, déjà saturés.
Soyons clairs : en France, 60 % des demandes d’asile sont rejetées. La majorité de ceux qui déposent une demande ne remplissent donc pas les critères du droit d’asile. Si on leur donne accès au travail dès les premiers mois, nous créerons une véritable filière de régularisation déguisée, qui détournera encore davantage la procédure d’asile de son objectif premier : protéger les persécutés et non offrir un visa économique déguisé.
En 2015, après avoir facilité l’accès à l’emploi des demandeurs d’asile, l’Allemagne a vu affluer des milliers de faux demandeurs au point que le gouvernement allemand a fait machine arrière en 2019. L’Italie a connu une situation similaire. Les travailleurs français des secteurs en tension ne doivent pas subir la concurrence déloyale provoquée par une immigration massive et incontrôlée. La priorité doit être donnée aux Français et aux travailleurs étrangers en situation régulière.
Enfin, ce texte enverrait un signal désastreux aux filières de passeurs, qui n’hésiteront pas à présenter la France comme une terre d’opportunités faciles où l’asile n’est plus qu’un simple ticket d’entrée vers l’emploi, puis vers la régularisation. Nous risquons de voir exploser le nombre des entrées irrégulières et de perdre définitivement la maîtrise de nos frontières.
La proposition de loi ouvrirait la porte au chaos migratoire. Nous devons refuser cet appel d’air et défendre une politique d’asile rigoureuse et ferme. Pour notre groupe, l’asile n’est pas et ne sera jamais un outil de régularisation massive. C’est pourquoi nous voterons contre le texte.
M. Sacha Houlié (NI). Je remercie le groupe Écologiste et social de remettre l’ouvrage sur le métier, puisque nous nous étions déjà efforcés d’obtenir des progrès dans ce domaine avec l’article 4 du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Certains s’y opposent de manière populiste en entretenant la confusion entre l’accès au marché du travail et la régularité du séjour, semblant omettre que le droit d’asile ne correspond ni à un titre de séjour ni à un visa. Quoi qu’il en soit, cet article, rétabli par la commission des Lois après sa suppression au Sénat, a disparu lors de la commission mixte paritaire.
Il visait à autoriser un accès immédiat au marché du travail aux demandeurs d’asile dont la nationalité laisse penser qu’ils seront protégés in fine, tirant les conséquences de la doctrine Castaner qui priorise les demandes les moins éligibles, du fait de la nationalité du demandeur. En effet, plus vite une demande est étudiée, plus vite on peut apporter une réponse et, le cas échéant, rediriger le demandeur ou le reconduire dans son pays. Ce principe a conduit des Afghans et des Syriens, notamment, qui sont les plus éligibles, à devoir attendre six mois pour travailler. Ce qui nous est proposé aujourd’hui permettrait de résoudre cette équation infernale.
Je souscris à la position du président Coquerel en ce qui concerne la recevabilité financière des dispositions correspondant au II de l’ancien article 4 du projet de loi de 2023, qui créeraient une charge nouvelle. Madame la rapporteure, votre amendement de repli CL14 vise à lever l’exigence d’une autorisation de travailet reprend desdispositions quasiment identiques au I de l’article 4 que j’ai évoqué, ce qui me paraît tout à fait approprié dans le cadre du compromis que vous cherchez avec la majorité présidentielle.
Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure. Monsieur Sanvert, je suis un peu déçue par votre première intervention. Lors de l’audition que nous avons menée avec la Cimade et la FAS (Fédération des acteurs de la solidarité), vous m’avez émue, en parlant de la famille ukrainienne que vous avez accueillie et pour laquelle tout se passe bien, puisqu’elle a pu avoir accès au marché du travail. Vous vous étiez alors montré bien plus humain et en prise avec la réalité, loin des amalgames et des fausses informations que propage votre groupe.
Monsieur Lescure, je vous remercie de votre ouverture à un dialogue, notamment autour de l’idée que la situation de l’emploi pourrait ne plus être opposable aux demandeurs d’asile. C’est à l’issue des discussions avec la DGEF (direction générale des étrangers en France), du ministère de l’intérieur, que j’ai imaginé cet amendement de repli. On ne peut pas dire que le ministère de l’intérieur soit un théoricien du no border, mais il prend l’autorisation de travail pour ce qu’elle doit être : un instrument de protection des demandeurs d’asile qui permet de contrôler que les employeurs respectent les conditions salariales et leurs obligations sociales et conventionnelles. Le dispositif que je propose ne concernerait que les demandeurs d’asile bénéficiant d’un fort taux de protection. L’autorisation de travail serait soumise aux mêmes conditions d’octroi qu’aujourd’hui, lors d’un examen en préfecture, mais sans opposabilité de la situation de l’emploi.
Madame Martin, je suis d’accord avec ce que vous avez dit au sujet de la vision utilitariste de l’immigration chez certains collègues. J’essaie de parler à l’intelligence de chacune et chacun, d’allumer des parties du cerveau. La question de la non-opposabilité de la situation de l’emploi a fait surgir celle des métiers en tension. Il ne s’agit plus de savoir si ces personnes ont une utilité ou non mais si on les protège.
Monsieur Christophle, je remercie le groupe socialiste de son soutien. Il ne s’agit pas tant d’assouplir le cadre actuel que de revenir à la situation antérieure à 1991 en levant une interdiction. Une circulaire de Mme Cresson était alors revenue sur un principe qui permettait aux personnes demandant l’asile de travailler et, partant, de subvenir à leurs besoins et d’accélérer leur inclusion. Nous serions tous fort marris s’il nous était interdit de travailler.
M. Pauget a mentionné la hausse des demandes d’asile en 2023. Ce sont les ressortissants ukrainiens qui ont contribué, cette année-là, à faire augmenter le nombre des demandes, en raison de la fin des protections temporaires. En 2024, l’Ofpra a relevé que les demandes individuelles en Spada, les structures de premier accueil des demandeurs d’asile, baissaient pour la première fois. Cela n’est pas dû aux déclarations à l’emporte-pièce sur l’immigration des uns et des autres, mais au fait que les phénomènes de migration changent. Les principaux pays de destination sont limitrophes de ceux où des personnes subissent la guerre, la famine ou le dérèglement climatique.
Monsieur Albertini, je n’ai pas vraiment compris votre propos. Vous avez dit que la proposition de loi était une mauvaise idée en prenant pour preuve le faible taux d’acceptation des demandes d’autorisation de travail. En revanche, vous avez été plusieurs à faire part de craintes concernant des personnes qui n’obtiendraient pas l’asile au terme d’un processus dont la durée moyenne est de onze mois, de la première instance, à l’Ofpra, à un éventuel recours devant la CNDA. Après des échanges avec l’Ofpra et la DGEF, j’ai déposé des amendements visant à réserver la suppression du délai d’attente à ceux qui ne sont pas en procédure accélérée ou qui sont des ressortissants d’un pays bénéficiant d’un fort taux de protection. J’ai voulu aménager la proposition de loi dans un véritable esprit de consensus.
Monsieur Molac, vous avez parlé du coût pour les finances publiques. L’allocation pour demandeur d’asile ne serait pas versée à celles et ceux qui travailleraient et percevraient un salaire supérieur à l’allocation, qui est de 14,20 euros par jour pour une personne seule et d’environ 200 euros par mois pour une personne accueillie dans un hébergement d’urgence. N’oublions pas que 6 500 places ont été supprimées, ce qui va plonger encore plus de gens dans la précarité et renforcer pour eux la nécessité d’occuper un emploi déclaré ou non. À cause du délai de six mois, encore plus de personnes travaillent de manière non déclarée et sont d’autant plus vulnérables. En autorisant un travail déclaré, on protège, en revanche, l’ensemble des salariés, locaux et étrangers. Des études européennes ont montré que permettre aux personnes étrangères d’accéder au travail contribue à faire monter les salaires pour l’ensemble de la population.
Madame Ricourt Vaginay, il ne s’agit donc pas du tout d’une concurrence déloyale. Vous avez dit que 60 % des personnes se voient refuser l’asile. En réalité, le taux d’acceptation est de 50 % en 2024 si on prend en compte les recours devant la CNDA.
Monsieur Houlié, vous avez fait la démonstration qu’il est possible de trouver des chemins et de faire progresser les droits grâce à l’intelligence collective.
Pour conclure, il ne s’agit pas d’ouvrir un nouveau droit mais d’arrêter d’interdire aux gens de travailler pendant six mois. Imaginez que vous arriviez dans un pays dans lequel vous souhaitez travailler pour subvenir à vos besoins et venir en aide à votre famille avec laquelle vous avez fui votre pays en guerre, parce que vous êtes un opposant politique. On vous impose de ne pas contribuer à la société que vous avez choisie pour vous accueillir et de ne pas travailler pour vous permettre de sortir de la misère. Il ne s’agit que de cela, rien de plus, rien de moins, et ce n’est pas un appel d’air mais un appel à l’humanité.
Article unique
Amendements de suppression CL1 de M. Éric Pauget et CL8 de M. Arnaud Sanvert
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu de la part de plusieurs députés des groupes Rassemblement national et UDR une demande de scrutin sur ces amendements.
M. Ian Boucard (DR). Madame la rapporteure, arrêter d’interdire, c’est ouvrir un nouveau droit. Par ailleurs, peu importe que les demandes d’asile viennent d’Ukraine ou d’ailleurs, elles ont augmenté en 2023. Contrairement à certains collègues, nous ne regardons pas la provenance des demandeurs d’asile mais la statistique brute.
Nous proposons de supprimer l’article unique de la proposition de loi, car le contrôle de l’immigration est, selon nous, un enjeu majeur pour l’avenir de notre pays. Nous estimons que notre système d’accueil est à bout de souffle et qu’il est impératif d’agir pour reprendre le contrôle de notre destin en matière migratoire en actionnant un frein d’urgence. Il faut adresser un signal clair aux trois quarts des Français qui considèrent à juste titre que les flux migratoires ne sont pas maîtrisés. Or cette proposition de loi facilitera l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail, organisera en quelque sorte l’impuissance publique et rendra encore plus inexpulsables les demandeurs d’asile qui seront déboutés, en leur permettant de travailler dès le dépôt de leur demande.
M. Arnaud Sanvert (RN). Il s’agit de supprimer l’article unique de cette proposition de loi qui tend à accorder un accès immédiat au marché du travail aux demandeurs d’asile, dès le dépôt de leur demande. Une telle mesure pose de sérieuses difficultés. Elle encourage l’installation durable, indépendamment de l’issue de la demande, et complique l’éloignement en cas de rejet par l’Ofpra. Elle risque ainsi de détourner le droit d’asile de sa finalité initiale, en en faisant un vecteur d’immigration économique à l’encontre du principe de maîtrise des flux migratoires.
Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure. Avis défavorable. Vous n’avez pas écouté, me semble-t-il, ce que j’ai dit au sujet de mes amendements de repli. Ils visent à appliquer l’accélération de l’accès au marché de l’emploi aux personnes qui ne sont pas en procédure accélérée et ont une nationalité bénéficiant d’un fort taux de protection – elles restent, nous le savons, en France. Ces amendements répondent à vos angoisses.
Quant au fameux appel d’air, il n’est qu’un fantasme. Nous avons assez de recul sur les politiques migratoires européennes pour savoir que la facilitation de l’accès au marché du travail ne provoque pas d’arrivées massives. Le Portugal a supprimé le délai d’attente pour les personnes demandant l’asile sans que les arrivées augmentent et lorsque nous avons octroyé la protection temporaire aux réfugiés ukrainiens, il n’y a pas eu plus de gens choisissant la France.
M. Jordan Guitton (RN). Selon nous, les demandes d’asile doivent se faire en dehors de notre territoire, dans les ambassades. Par ailleurs, pouvoir travailler avant même d’avoir l’autorisation de séjourner légalement sur le territoire français pose un problème. Vous détournez les règles mêmes du droit d’asile. Nous opposerons toujours une immigration choisie à une immigration subie. On voit bien ici quel est le projet du Nouveau Front populaire : une demande sur deux étant refusée par l’Ofpra, que se passera-t-il si un demandeur d’asile a un contrat de travail et que sa demande n’est pas acceptée ? Des personnes en situation irrégulière seront dotées d’un contrat de travail. Ce message n’est pas le bon.
Vous parlez de fantasme, madame la rapporteure ; je me fie, moi, à ce que pensent les Français. Selon un sondage mené par BFM TV, qui n’est pas un institut du Rassemblement national, sept Français sur dix considèrent qu’il existe une submersion migratoire. Chers collègues, revoyez plutôt votre copie et essayez modestement de défendre l’intérêt du peuple français.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). En défendant ces amendements de suppression, vous n’honorez pas la parole que la France donne en signant des traités et des conventions internationales. Surtout, il ne s’agit pas tant de savoir si nous sommes favorables à plus ou moins d’immigration, mais si nous sommes capables, solidairement, à l’échelle internationale, de prendre notre part face au chaos du monde. Le réchauffement climatique n’a pas de frontières et contrairement à ce que vous dites, au Rassemblement national, il n’existe pas de couloirs qui conduiraient directement des millions de gens vers le territoire national, puisqu’ils vont d’abord dans les pays limitrophes des leurs.
Par ailleurs, c’est une folie de vouloir empêcher des gens de travailler, a fortiori quand vous pensez ce que vous pensez, c’est-à-dire que les étrangers ne causeraient que des problèmes. Plongez les gens dans une précarité absolue, sans droit de travailler, donc sans possibilité de payer un logement, des repas, et vous créerez du désordre permanent. Au-delà de l’inhumanité dans laquelle vous nous entraînez, je souhaite que notre ordre social soit digne pour tout le monde. Si des personnes travaillent, cela signifie des cotisations en plus, des emplois pourvus, des compétences, des expériences supplémentaires.
Enfin, on le voit lorsque des parcours de migrants sont mis à l’honneur par des ONG ou des reportages télévisés, ces mémoires immigrées viennent faire un en-commun national. La mémoire française n’est pas monochrome. Elle est composée aussi de ces fabuleux parcours, pourtant faits de traumatismes, qui participent pleinement à un récit national que je préfère au vôtre.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Statistiquement, la France est loin du top 10 des pays d’accueil, même si je comprends bien que c’est le fonds de commerce du Rassemblement national, ainsi que du Premier ministre et de son ministre de l’intérieur. Parler de submersion migratoire est absolument inacceptable. C’est une façon de cacher certaines réalités auxquelles on participe soi-même. Il est évident que laisser des gens dans un tel dénuement leur interdit de mener une vie tranquille.
M. Sacha Houlié (NI). Vouloir forcer les demandeurs d’asile à se manifester auprès des pouvoirs publics dans un pays où ils sont persécutés : quelle considération pour le droit d’asile, au Rassemblement national !
L’année dernière, nous avons longuement débattu de l’opportunité d’accorder ces autorisations de travail. Or, en 2024, les demandes d’asile ont diminué de 5,5 % : on se demande où est l’appel d’air.
Vous avez dit qu’un demandeur d’asile sur deux obtient le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. La proposition de repli consistant à autoriser à travailler ceux qui sont les plus certains d’obtenir une protection, du fait de leur nationalité, ne devrait donc pas vous gêner.
Enfin, vous qui faites preuve d’une telle rigueur à l’égard des prestations sociales pour les personnes qui n’ont pas la nationalité française, ne voyez-vous pas les économies possibles sur l’allocation versée aux demandeurs d’asile s’ils sont autorisés à travailler ?
Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous voterons contre ces amendements indignes. Je rêve qu’un jour, pendant vingt-quatre heures, toutes les personnes de nationalité étrangère arrêtent de travailler. Vous verriez, mesdames et messieurs du RN, à quel point elles sont un apport pour notre société, dans tous les secteurs, ici même au Palais Bourbon, dans les restaurants, les hôpitaux, les maisons de retraite ou les sociétés de services. Ces amendements visent à jeter de l’huile sur le feu et à susciter un débat inutile. Que deviendriez-vous, ce jour-là ?
Mme Béatrice Roullaud (RN). Je rêve, moi, d’une journée où il n’y aurait plus de morts en mer. Je ne sais pas si vous connaissez cette chanson de Christophe Maé, « Lampedusa », que je ne peux pas écouter sans pleurer. L’idée de Marine Le Pen de traiter les demandes d’asile hors de France est bonne. On force des jeunes à traverser. Quand j’étais avocate, des personnes majeures en garde à vue m’ont expliqué que des trafiquants les avaient forcées, mineures, à monter sur un bateau à coups de crosse dans les côtes. C’est ce système que vous encouragez. Au Rassemblement national, nous souhaitons mettre fin à ces trafics et réduire le nombre de morts en mer.
Les résultats du scrutin sont les suivants :
Nombre de votants : 41
Nombre de suffrages exprimés : 41
Majorité absolue : 21
Pour l’adoption : 9
Contre l’adoption : 32
La commission rejette les amendements.
Amendement CL7 de M. Arnaud Sanvert, amendements identiques CL5 de M. Éric Martineau et CL10 de M. Roland Lescure, amendements CL13, CL14 et CL15 de Mme Léa Balage El Mariky (discussion commune)
M. Arnaud Sanvert (RN). Notre amendement vise à réécrire l’article unique pour abroger les articles L. 554-1 à L. 554-4 du Ceseda. La présence des intéressés sur notre territoire est conditionnée à leur demande d’asile. En leur ouvrant l’accès au marché du travail avant même que l’Ofpra ait statué, on compliquerait leur éloignement en cas de rejet de leur demande, ce qui va à l’encontre du principe même du droit d’asile.
M. Éric Martineau (Dem). L’amendement CL5 tend à réécrire l’article L. 554-1 du Ceseda pour y inclure la situation des demandeurs d’asile soumis à la procédure Dublin. Il s’agit de leur permettre d’accéder au marché du travail lorsqu’ils n’ont pas été transférés dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision de transfert – à moins que cette situation ne soit imputable au demandeur, par exemple en cas d’emprisonnement ou de fuite – et, en tout état de cause, dans un délai de neuf mois à compter de l’enregistrement de la demande, conformément à une directive européenne de 2013.
M. Roland Lescure (EPR). L’amendement CL10 vise à combler un vide juridique. À l’heure actuelle, les demandeurs d’asile dits dublinés, qui auraient déposé leur demande en France avant de partir à l’étranger puis d’être renvoyés chez nous, ne sont pas en mesure de travailler. Nous proposons que ces personnes puissent commencer à le faire dans un délai de neuf mois à compter de l’enregistrement de leur demande. Cette disposition devait compléter l’amendement que j’ai évoqué ce matin et qui a été jugé irrecevable. Il aurait permis aux non dublinés de travailler dans un délai de six mois.
Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure. Ma proposition initiale était de permettre aux demandeurs d’asile de solliciter une autorisation de travail dès l’introduction de leur demande. À l’issue des auditions et des échanges, j’ai souhaité compléter le dispositif pour tenir compte des arguments des uns et des autres.
L’amendement CL13 vise à exclure de la proposition de loi celles et ceux qui font l’objet d’une procédure accélérée, autrement dit qui proviennent d’un pays considéré comme sûr. En effet, ces personnes reçoivent généralement une réponse dans un délai de deux semaines.
Les deux amendements suivants sont de repli. L’amendement CL14 vise à permettre aux personnes encourant un grand danger dans leur pays d’origine d’accéder au marché du travail dès l’enregistrement de leur demande d’asile. Cela concerne les ressortissants de pays bénéficiant d’un fort taux de protection de la part de l’Ofpra et de la CNDA, tels l’Afghanistan, Haïti, la République démocratique du Congo, la Guinée ou encore l’Ukraine. Ces personnes pourraient ainsi travailler, de la même façon qu’elles pourront le faire lorsqu’elles se verront remettre une carte de résident ou un titre de séjour « vie privée et familiale », sans avoir à solliciter une autorisation de travail. Il n’y a pas lieu, en effet, de les soumettre à cette autorisation qui a pour objet de faire travailler des gens disposant de compétences que les entreprises ne trouvent pas ailleurs.
L’amendement CL15 vise à ce que l’on ne puisse pas opposer la situation de l’emploiaux ressortissants de pays faisant l’objet d’un fort taux de protection. En revanche, ces personnes devront toujours solliciter une autorisation de travail, que le métier qu’elles exercent soit ou non en tension.
Je vous propose d’accomplir un grand pas en avant dans l’intérêt des demandeurs d’asile, qui attendent un message d’espoir. Ils ont choisi la France comme refuge : c’est pourquoi nous leur devons un discours apaisé, digne de nos engagements internationaux. Il s’agit de mener une politique migratoire éloignée des représentations, des sondages commandés par BFM TV ou d’autres acteurs, mais axée sur la réalité, sur ce que nous disent les administrations et les associations.
Monsieur Sanvert, j’avais eu le sentiment, en début de semaine, que vous aviez compris les enjeux de l’action des associations et des opérateurs qui accompagnent les demandeurs d’asile, mais, par la présentation de cet amendement, vous me décevez. Pourtant, cela ne devrait pas me surprendre, s’agissant d’une proposition de votre groupe.
Monsieur Martineau, monsieur Lescure, vos amendements présentent certes le mérite de mettre notre droit en conformité avec nos engagements internationaux mais ils ne nous permettraient pas d’emprunter le chemin sur lequel nous devons, à mon sens, nous engager. Par conséquent, là aussi, demande de retrait ou avis défavorable.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). J’aimerais que certains collègues me réexpliquent en quoi le fait de permettre à des gens de travailler légalement amplifierait le travail irrégulier. Ils prétendent, par ailleurs, que la conclusion d’un contrat de travail empêcherait d’être expulsé. Cela revient à nier, contre toute évidence, que même lorsque l’on travaille et que l’on vit de manière régulière, depuis des décennies, dans notre pays, on n’a aucune garantie de se voir délivrer un titre de séjour. En témoigne le nombre de renouvellements de titres de séjour suspendus depuis de longs mois dans les préfectures.
La doctrine de l’extrême droite, qui vise à faire de la vie en France un enfer pour tous les étrangers afin de décourager ceux qui voudraient rejoindre le pays des droits de l’homme, est aussi contre-productive qu’inhumaine, et elle est contraire à l’esprit même de notre droit et des valeurs qui le sous-tendent. Les sanctions collectives n’existent pas en France, et encore moins le droit de punir par dérogation ceux qui n’ont rien fait. L’amendement CL7 vise à interdire à tout réfugié de travailler, quand bien même il aurait obtenu le droit de vivre en France, ce qui en dit long sur votre ignominie. Vous prétendez parfois que ce n’est pas à tous les étrangers que vous en voulez, mais uniquement à certains d’entre eux. Cet amendement fait tomber bien bas vos masques : vous êtes un parti xénophobe et raciste.
M. Yoann Gillet (RN). M. Houlié a affirmé que le nombre des demandes d’asile avait diminué alors qu’il a connu, en réalité, une hausse en 2024. Les demandes effectuées auprès des organismes centralisateurs d’accueil des demandeurs d’asile ont certes baissé, mais les entrées en instruction à l’Ofpra ont augmenté de plus de 7 % – et je ne parle pas des stocks. L’Ofpra qualifie d’ailleurs 2024 d’année record.
Dire que le droit d’asile est dévoyé, ce n’est pas être inhumain, c’est dresser un constat. Ce phénomène a de lourdes répercussions sur ceux qui pourraient légitimement bénéficier du droit d’asile. Être inhumain, c’est au contraire laisser faire les choses, accepter que certains se voient accorder des droits auxquels ils ne peuvent normalement prétendre et priver de la protection internationale, en raison de la submersion migratoire et du dévoiement du droit d’asile, des personnes qui mériteraient notre soutien.
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Comment peut-on dire que l’on n’est pas inhumain quand on parle sans cesse de flux et de stocks ? Il s’agit d’êtres humains, de personnes protégées par des conventions internationales qui engagent la France. J’ai été choqué, ce matin, par la tonalité des propos du Rassemblement national mais aussi du ministre de l’intérieur, qui témoignent d’une obstination idéologique au sujet des travailleurs sans papiers. Il faut, d’évidence, les régulariser. Cela simplifierait la vie des employeurs, garantirait des droits aux travailleurs et éviterait à l’administration préfectorale d’être submergée à cause de la bêtise du débat public sur la question migratoire et des obsessions racistes de certains.
Mme Léa Balage El Mariky, rapporteure. Les demandes initiales d’asile ont baissé de 5,5 % en 2024. L’augmentation que vous évoquez, monsieur Gillet, concerne les demandes de personnes dublinées : on ne les compte pas deux fois. Je tiens à votre disposition les chiffres de l’Ofpra.
La commission rejette successivement les amendements CL7, CL5 et CL10.
Elle adopte l’amendement CL13 et l’article unique est ainsi rédigé.
En conséquence, les amendements CL14 et CL15 tombent.
L’ensemble de la proposition de loi est ainsi adopté.
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à faciliter l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail (n° 771) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
Mme Mireille Larrede, préfète déléguée à l'immigration
M. Ludovic Guinamant, sous-directeur du séjour et du travail
M. Gabriel Morin, adjoint à la directrice de l’asile
M. Didier Leschi, directeur général
M. Julien Boucher, directeur général
M. Aymeric Morin, directeur général adjoint délégué en charge de l’offre de services
M. Thomas Adam-Cornely, chef de projet
CGT
M. Jamil Ait Idir, membre du collectif confédéral travailleurs migrants CGT et fédération des ports et docks
M. Jean-Albert Guidou, membre du collectif confédéral travailleurs migrants CGT, Urif et UD 93
M. Gérard Delahaye, membre du collectif confédéral travailleurs migrants CGT, Urif et UD 75
Confédération française démocratique du travail (CFDT)
Mme Lydie Nicol, secrétaire nationale
Mme Bérengère Faveaux, secrétaire confédérale
Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH)
M. Laurent Barthelemy, président
Mme Hélène Simoes, directrice déléguée affaires sociales
Coallia
M. Arnaud Richard, directeur général
Fédération des acteurs de la solidarité (FAS)
Mme Emmanuel Bougras, responsable du service stratégie analyse des politiques publiques
La Cimade
M. Gérard Sadik, responsable national asile
M. Christophe Pouly, avocat, docteur en droit public
M. Jérôme Valette, économiste et spécialiste des questions migratoires
([1]) Rapport n° 3357 fait au nom de la commission des Finances relatif à l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés, M. Jean-Noël Barrot et Mme Stella Dupont, Assemblée nationale, XVème législature, 23 septembre 2020
([2]) CL13
([3]) 72 propositions pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France, février 2018.
([4]) Cour de justice de l'Union européenne du 14 janvier 2021, K.S et M.H.K, et R.A.T. et D.S. (C-322/19 et C-385/19).
([5]) Étude d’impact du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, 31 janvier 2023
([6]) Conseil d’État, avis sur un projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, Séance du jeudi 26 janvier 2023, N° 406543
([7]) Amendements n° CL1703, n° CL259, n° CL1630, n° 640, n° 1262, n° 1299, n° 1445 et n° 1558. L’ensemble du texte avait ensuite été rejeté par l’adoption d’une motion de rejet préalable.
([8]) Rapport n° 3357 fait au nom de la commission des Finances relatif à l’intégration professionnelle des demandeurs d’asile et des réfugiés, M. Jean-Noël Barrot et Mme Stella Dupont, Assemblée nationale, XVème législature, 23 septembre 2020
([9]) Enquête « Besoins en Main-d’œuvre 2024 », France Travail, avril 2024
([10]) Selon le projet annuel de performance de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2025, la durée moyenne d’examen d’une demande par l’OFPRA sur les huit premiers mois de 2024 était de 132 jours. Selon le rapport annuel pour 2024 de la CNDA le délai moyen de jugement est de 5 mois et 9 jours en 2024.
([11]) Forum Réfugiés, L'asile en France et en Europe, État des lieux 2024.
([12]) En 2024, le taux de demandeurs ayant obtenu une protection s’élève à 49,3% après décision de la CNDA v. Ministère de l’intérieur, Les chiffres de l'immigration en France, février 2025.
([13]) The long-term impact of employment bans on the economic integration of refugees. Moritz Marbach, Jens Hainmueller, Dominik Hangartner. Science advances. 2018.
([14]) When lives are put on hold : Lengthy asylum processes decrease employment among refugees. Jens Hainmueller, Dominik Hangartner, Duncan Lawrence. Science Advances 03, août 2016 : volume 2, no. 8.
([15]) Fasani F., Frattini T., Minale L. (2021), « Lift the ban? Initial employment restrictions and refugee labour incomes », Journal of the European Economic Association, vol. 19, n°5, p. 2803-2854.
([16]) art. R. 581-4 du CESEDA
([17]) Cour de justice de l'Union européenne , 14 janvier 2021, K.S et M.H.K, et R.A.T. et D.S, C-322/19 et C-385/19, paragr. 70