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N° 998

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 février 2025.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à simplifier et réorienter la politique familiale vers le premier enfant,

 

 

 

 

Par Mme Anne Bergantz,

 

 

Députée.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 839.

 


– 1 –

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION

1. L’universalité du versement des allocations familiales est une nécessité pour compenser les charges de l’enfant

2. La modulation des allocations familiales constitue une remise en cause de l’universalité des allocations et présente de nombreuses limites

3. Des allocations familiales qui ne correspondent plus à la réalité démographique des familles

4. Créer une allocation universelle forfaitaire dès le premier enfant pour adapter la politique familiale aux évolutions démographiques

Commentaire des articles

Article 1er Créer une allocation familiale forfaitaire unique versée dès le premier enfant

Article 1er bis (nouveau) Rapport détaillant les pistes de réforme des allocations familiales

Article 2 Gage financier

Travaux de la commission

ANNEXE  1 : LISTE DES PERSONNES entendues PAR LA RAPPORTEURE

ANNEXE  2 : liste des Contributions reçues par lA rapporteurE

ANNEXE  3 : TABLEAU DU MONTANT DES ALLOCATIONS FAMILIALES

 

 

 


– 1 –

   INTRODUCTION

Le « cap du premier enfant » – comme certains experts appellent la première expérience de parentalité – constitue une évolution notable de la vie personnelle, sociale et professionnelle des individus. En effet, au-delà du bonheur réel des familles, la première naissance implique des adaptations d’emploi du temps, une évolution du rapport au travail et de nombreux coûts financiers liés aux besoins alimentaires, vestimentaires, de loisirs ou de modes de garde de l’enfant.

Ainsi, le coût lié à l’entretien d’un enfant de moins de 14 ans est communément estimé à 30 % du coût d’entretien d’un adulte ([1]). Ce surcroît de dépenses lié à la naissance d’un enfant peut atteindre 5 900 euros par an pour un parent seul ([2]). Une étude de la direction générale du Trésor indique, quant à elle, que les familles d’un ou deux enfants ont, en moyenne, un niveau de vie inférieur de 11 % à celui d’un ménage sans enfant ([3]).

1.   L’universalité du versement des allocations familiales est une nécessité pour compenser les charges de l’enfant

La politique familiale a été historiquement constituée autour du principe de compensation des charges associées à l’éducation d’un enfant. Ainsi, dès l’instauration des allocations familiales en 1938 ([4]), la logique « horizontale » de transferts financiers à destination des familles nombreuses constitue le socle de cet instrument de politique familiale.

Une perspective universaliste préside dès lors à la gestion des allocations familiales, lesquelles sont décorrélées du niveau de revenus des ménages. À cette relative universalité vient s’adjoindre, au sortir de 1945, une logique « familialiste » ([5]), ciblée sur l’arrivée du troisième enfant. Dans une mesure restée célèbre, le président Giscard d’Estaing va même jusqu’à créer, à cette fin, une allocation de 10 000 francs versée à la naissance du troisième enfant, le « million Giscard ».

2.   La modulation des allocations familiales constitue une remise en cause de l’universalité des allocations et présente de nombreuses limites

À partir des années 1990 et, de façon plus franche, des années 2010, l’universalité des allocations familiales est toutefois remise en cause. Cette évolution transcende d’ailleurs les clivages politiques, les gouvernements Balladur et Jospin proposant de réduire le montant des allocations familiales, tantôt au moyen de la fiscalisation des prestations familiales ([6]), tantôt par la suppression des droits à prestation, au-delà de 25 000 francs de revenus mensuels.

La modulation du montant des allocations familiales en fonction du revenu, prévue par la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 ([7]) et en vigueur au 1er juillet 2015, constitue l’aboutissement de ce processus. En effet, elle marque un changement profond de la finalité de la politique familiale en outil de redistribution verticale.

Toutefois, les travaux conduits par la rapporteure font apparaître plusieurs limites connues de cette réforme :

– d’une part, elle contribue fortement à complexifier le système de prestations familiales par la création de seuils selon l’âge de l’enfant, le rang de l’enfant et le niveau de revenus du foyer ;

– d’autre part, elle affaiblit le principe historique de redistribution horizontale qui prévalait depuis la création des allocations familiales ;

– ensuite, la hausse de revenu disponible induite par la réforme n’a été que marginale, de l’ordre de 0,2 %, pour les ménages appartenant au deuxième et au troisième déciles de l’échelle de revenus ([8]) ;

– enfin, elle fragilise le consentement au système socio-fiscal en faisant supporter aux derniers déciles de revenus le choix politique de réaliser des économies sur la branche famille de la sécurité sociale.

3.   Des allocations familiales qui ne correspondent plus à la réalité démographique des familles

En l’état du droit, le bénéfice des allocations familiales demeure restreint, à l’exception des familles résidant en outre-mer ([9]), au deuxième enfant. Ce cadre légal, hérité du XXe siècle, visait à favoriser l’émergence de familles nombreuses dans un contexte d’entre-deux-guerres où l’État souhaitait garantir, par une politique nataliste, l’efficacité de sa force armée.

Force est de constater que la philosophie qui présidait à l’organisation générale des allocations familiales est, aujourd’hui, en décalage avec l’évolution de la structure des familles en France qui présente une part élevée de familles à enfant unique, 36,2 % du total des familles, en 2020 ([10]). À titre de comparaison, en 1950, 41 % des mariages conduisaient à la formation de familles d’au moins trois enfants ([11]).

Ce décalage est d’autant plus notable dans la période récente que la baisse de la fécondité, débutée en 2010, s’est accélérée à partir de 2021. En effet, pour la première fois en 2023, la France est passée sous la barre des 700 000 naissances annuelles ([12]) et l’indice de la fécondité française a atteint, un an plus tard, 1,62 enfant par femme, son plus bas niveau depuis un siècle.

Renforcer le ciblage de la politique familiale autour du premier enfant devient donc une nécessité. En outre, l’enjeu démographique décisif a cessé d’être le troisième enfant pour devenir le deuxième.

4.   Créer une allocation universelle forfaitaire dès le premier enfant pour adapter la politique familiale aux évolutions démographiques

Dans ce contexte, la présente proposition de loi constitue un premier pas afin de réinscrire la politique familiale dans sa logique de redistribution horizontale. Elle vise ainsi à résoudre la contradiction entre un système de prestations familiales conçu au bénéfice des familles nombreuses dans un pays à fort taux de fécondité et la réalité démographique de 2025 où le désir d’enfant est au plus bas. À cette fin :

● Elle substitue au système actuel la création d’une allocation mensuelle d’un montant minimal de 70 euros ouverte dès le premier enfant, revalorisée annuellement.

● En supprimant la modulation des allocations familiales en fonction de l’âge et du niveau de revenus, elle entend simplifier un système de prestations familiales d’une très grande complexité et marqué par de réels effets de bord.

Fidèle aux dispositions du Préambule de la Constitution de 1946, selon lequel « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ([13]), la présente proposition de loi réaffirme donc le principe historique par lequel la naissance d’un enfant doit ouvrir le même type de droit aux allocations familiales, indépendamment de la situation sociale.

 Consciente des contraintes budgétaires actuelles, la rapporteure souligne que la présente proposition de loi vise un objectif de neutralité pour les comptes publics.

Pour cela elle prévoit les mesures suivantes :

– d’une part, la suppression de la majoration existante pour les enfants âgés de plus de 14 ans, permettant de dégager une économie de 1,6 milliard d’euros par année pleine, selon la direction de la sécurité sociale (DSS) ([14]). Cette mesure est cohérente sur le plan économique, les auditions ayant mis en lumière l’absence d’étude permettant d’affirmer, avec certitude, qu’un adolescent coûterait plus cher qu’un enfant de moins de 14 ans. La direction de la recherche des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) a d’ailleurs, elle-même reconnu qu’il n’était plus pertinent de traiter différemment l’enfant de moins de 14 ans de celui de 14 ans ou plus ([15]);

– d’autre part, la montée en charge progressive du dispositif par la mise en œuvre de la « clause du nouvel enfant » prévue dans le texte et qui appliquerait la réforme aux familles dont les enfants vont naître à la suite de la promulgation de la présente proposition de loi.

Sur le long-terme, la rapporteure note que les coûts liés à l’entrée des premiers enfants nés dans le système seront compensés à mesure de la sortie des aînés du périmètre du calcul actuel des allocations familiales.

● Enfin, au-delà de la réforme des allocations familiales, la rapporteure souhaite insister sur le renforcement des actions d’investissement social visant à développer les prestations en biens et en services. À cet égard, elle note que des progrès significatifs ont été réalisés depuis 2017 :

– la création du « bonus territoire » et du « bonus mixité » dans le cadre de la stratégie nationale prévention et de lutte contre la pauvreté (SNPLP) permet aux caisses d’allocations familiales (CAF) de renforcer les moyens en ingénierie de crèches assurant une plus grande diversité d’accueil ;

– la mise en œuvre de la tarification cantines à 1 euro touche près de 15 531 élèves en 2019-2020 et 24 851 élèves en 2020-2021, parmi les plus précaires ([16]) ;

 la structuration d’un service public de la petite enfance est amorcée avec la création d’une compétence communale d’organisation de l’accueil du jeune enfant par l’article 17 de la loi n° 2023-1196 du 18 décembre 2023 pour le plein emploi ;

 plus largement, une augmentation du nombre de places en crèches a été réalisée, celles-ci passant de 450 000, en 2017, à 507 000, en 2022, tous modes d’accueil confondus ([17]).

Bien que ce volet de la politique familiale ne constitue pas l’objet de la présente proposition de loi, la rapporteure insiste sur la nécessité de renforcer cette dynamique.

Elle attache une particulière importance à la poursuite des travaux relatifs à la qualité de la prise en charge des jeunes enfants et aux besoins de recrutement des professionnels de ce secteur, via un renforcement de leur formation continue et une amélioration de leurs perspectives de carrière.

Enfin la question des congés parentaux, de leur rémunération et de leur durée est un axe prioritaire de réflexion afin de concilier temps personnel et vie professionnelle, pour les familles.


– 1 –

   Commentaire des articles

Adopté par la commission avec modifications

L’article 1er prévoyait, dans sa version initiale, la création d’une allocation familiale forfaitaire d’un montant minimal de 70 euros et versée dès le premier enfant à charge des nouveaux bénéficiaires d’allocations familiales à compter de la promulgation de la présente proposition de loi.

En outre, il abrogeait, dans les mêmes conditions, les dispositions relatives aux modulations et majorations applicables aux montants versés d’allocations familiales suivant l’âge de l’enfant, le rang dans la fratrie, le niveau de revenu des parents.

Dans sa version modifiée par la commission, avec l’assentiment de la rapporteure, l’article 1er dispose que la Nation réaffirme le caractère universel des allocations familiales. Il prévoit, également, que la Nation se fixe l’objectif d’ouvrir le bénéfice des allocations familiales dès le premier enfant à charge avant le 1er janvier 2027.

  1.   Le droit en vigueur
    1.   DES ALLOCATIONS FAMILIALES difficilement lisibles et qui répondent peu aux enjeux contemporains

Les allocations familiales ne sont versées, depuis 1939 ([18]), qu’à partir du deuxième enfant. L’article 9 de la loi n° 46-1835 du 22 août 1946 ([19]), vient confirmer ce critère à la suite de la création de la branche famille de la sécurité sociale en restreignant le bénéfice des allocations familiales, sans condition de ressources, au deuxième enfant.

Cette disposition est aujourd’hui inscrite à l’article L. 521-1 du code de la sécurité sociale (CSS), qui dispose que « les allocations familiales sont dues à partir du deuxième enfant à charge ». Leur bénéfice se poursuit jusqu’au mois où il ne reste plus qu’un seul enfant à charge de moins 20 ans.

S’ajoutent des conditions complémentaires liées à la régularité du séjour et à la charge existante pour l’entretien de l’enfant. Ainsi :

– seules les personnes de nationalité française et les personnes étrangères remplissant les conditions générales pour bénéficier des prestations familiales ([20]) prévues aux articles L. 512–2 et L. 512–3 du code de la sécurité sociale (CSS) peuvent bénéficier des allocations familiales ;

– la personne qui bénéficie effectivement des allocations familiales doit pouvoir justifier de la charge effective liée à l’entretien de l’enfant (article L. 521-2 du CSS) ;

 en situation de garde alternée, telle que prévue à l’article 373-2-9 du code civil, les deux parents peuvent désigner un allocataire spécifique ou, le plus souvent, bénéficier chacun de la moitié du montant d’allocation due, sur leur demande ou en cas de désaccord pour désigner l’allocataire.

 Le montant des allocations familiales est déterminé dans des conditions prévues par décret à partir d’une base de calcul mensuelle dont le montant est revalorisé – sur une base annuelle – au 1er avril en fonction de l’évolution moyenne des prix à la consommation hors tabac (article D. 521-1 du CSS).

Il varie selon le nombre d’enfants à charge et fait l’objet d’une modulation en fonction du niveau de revenus du foyer, selon trois tranches, depuis le 1er juillet 2015.

Les plafonds de revenu sont ainsi fixés par voie réglementaire ([21]). Ils correspondent au revenu net catégoriel ([22]) de l’année n-2 et leur montant est revalorisé selon une évolution moyenne annuelle des prix à la consommation hors tabac ([23]).

Par ailleurs, des majorations du montant de l’allocation versée sont assurées à partir de 14 ans, afin de tenir compte des surcoûts potentiels liés à l’adolescence de l’enfant (articles L. 521–3 du CSS et R. 521-1 du CSS).

En outre, une majoration par enfant supplémentaire à charge est appliquée à partir de trois enfants (articles L. 521–3 et R. 521-1 du CSS). Le montant de la majoration est variable selon la tranche de revenus des foyers.

Un tableau, en annexe, rappelle le montant des allocations familiales suivant le nombre d’enfants et les tranches de revenus, au 1er février 2025 ([24]).

 Du fait de leurs spécificités, les départements et régions d’outre‑mer bénéficient d’un régime dérogatoire ([25]) qui ouvre droit à allocation dès le premier enfant et ne prévoit aucune modulation en fonction du revenu du ménage. Ce régime est également applicable à Saint-Martin et Saint‑Barthélemy ([26]).

Dans les départements et régions d’outre-mer (Drom), des allocations familiales versées dès le premier enfant

Le système de prestations familiales a été adapté aux spécificités des territoires ultramarins, qui connaissent un niveau de pauvreté bien supérieur à la moyenne nationale, une proportion nettement supérieure de familles à un seul enfant (41 % de l’ensemble des familles) et une forte prévalence de la monoparentalité.

En moyenne, quatre enfants sur dix vivent seuls avec leur mère, soit une proportion deux fois plus importante qu’en métropole.

Ainsi, les allocations familiales sont dues dès le premier enfant avec des montants différenciés de ceux versés en métropole.

À titre d’exemple, des dispositions spécifiques sont applicables à Mayotte à partir du troisième enfant, réduisant sensiblement (de l’ordre de 120 euros par rapport au montant métropolitain) le montant de l’allocation.

 Les allocations familiales sont versées à 5,021 millions de ménages ([27]) en 2021, couvrant ainsi un total de 11,6 millions d’enfants bénéficiaires ([28]). Une légère diminution, en tendance, du nombre d’enfants couverts par les allocations familiales est constatée depuis 2014 tandis que le nombre de familles bénéficiaires des allocations familiales est, sur dix ans, en augmentation.

Parmi les familles bénéficiaires, deux tiers ont deux enfants, 23 % trois enfants, 8 % quatre enfants et plus, 3 % ont un seul enfant et 1 % relèvent du régime de la résidence alternée prévue par le code civil ([29]).

 Concernant la répartition par tranche de revenus, les données les plus récentes à disposition ([30]) révèlent que :

– 89 % des familles relèvent de la première tranche, correspondant à des revenus inférieurs à 5,2 Smic ;

– 5 % des familles relèvent de la deuxième tranche, correspondant à des revenus supérieurs à 5,2 Smic mais inférieurs à 6,9 Smic ;

– 6 % des familles relèvent de la troisième tranche, correspondant à des revenus supérieurs à 6,9 Smic.

Suivant les déciles de revenus, les allocations familiales bénéficient davantage aux ménages appartenant aux premiers déciles de revenus.

Ainsi, sur un total de dépenses d’allocations familiales de 14,04 milliards d’euros ([31]) :

– le premier et le deuxième décile bénéficient respectivement de 3,03 milliards et 2,87 milliards d’euros d’allocations familiales ;

– les ménages appartenant aux neuvième et dixième déciles bénéficient, quant à eux, de 508 millions d’euros et de 299 millions d’euros d’allocations familiales.

● À cet égard, la rapporteure note un effet de la réforme des allocations familiales et, plus largement, des mesures socio-fiscales mises en œuvre à l’occasion du quinquennat de François Hollande (2012-2017).

Celles-ci intègrent des mesures en prélèvements obligatoires (abaissement du plafond du quotient familial par deux fois en 2013 et 2014, suppression de la tranche marginale à 5,5 % d’impôt sur le revenu) et des mesures relatives aux prestations sociales (modulation du montant des allocations familiales versées en fonction du revenu catégoriel net, revalorisation du montant du revenu de solidarité active).

En matière de politique familiale, les auditions ont permis de constater que le choix opéré par le gouvernement dit « Valls II » visait à réorienter cette politique publique afin de lutter contre la pauvreté et les inégalités.

Si cette décision relève d’un arbitrage politique légitime, la rapporteure note que cette mesure a conduit à une mise en cause, partielle mais bien réelle, de l’universalité des allocations familiales.

Plus encore, elle estime que la lisibilité des prestations familiales, qui revêtent une dimension symbolique particulière, a été largement obérée par la mesure de modulation.

Enfin, à la lecture de la littérature existante sur le sujet ([32]), la rapporteure a relevé que la réforme avait pour principal objectif, celui de redresser la trajectoire des comptes de la branche famille, l’impact redistributif apparaissant, dès lors, secondaire.

Une mission d’information conduite en 2020 à l’Assemblée nationale ([33]) rappelle d’ailleurs que la modulation des allocations familiales en fonction du revenu net catégoriel des foyers bénéficiaires a généré une économie de 750 millions d’euros, dont 290 millions au titre de la deuxième tranche de revenus (division par deux par rapport aux montants versés avant la réforme) et 460 millions au titre de la troisième tranche (division par quatre).

En matière de redistribution, l’effet des réformes socio-fiscales menées en 2015, aussi bien en matière de prélèvements obligatoires ([34]) que de prestations ([35]), apparaît légèrement positif pour les ménages des premiers déciles et légèrement négatif pour les huitième à dixième déciles ([36]) :

– les premier à troisième déciles ont vu leur niveau de vie de mensuel moyen augmenter dans des proportions oscillant entre 0,2 % (troisième décile) et 0,9 % (premier décile) ;

– les huitième à dixième déciles ont vu leur niveau de vie mensuel moyen diminuer dans des proportions oscillant entre 0,1 % et 0,4 % par rapport à leur situation antérieure.

Toutefois, l’impact redistributif n’apparaît pas lié à un effet direct de la mesure sur la hausse du niveau de vie des ménages appartenant aux premiers déciles de revenus. Au contraire, c’est bien l’effet de diminution du revenu disponible des ménages des derniers déciles de revenus qui explique, pour l’essentiel, la baisse des inégalités associée à la modulation.

Dès lors, il apparaît à la rapporteure que la seule modulation des allocations familiales ne produit que des effets redistributifs indirects à l’endroit des ménages appartenant aux premiers déciles de revenus. Elle diminue sensiblement le niveau de vie des ménages des derniers déciles de revenus sans produire des effets significatifs sur le niveau de vie moyen des ménages des premiers déciles.

Au regard des enjeux de consentement à un système socio-fiscal marqué par un fort taux de prélèvements obligatoires ([37]), la rapporteure invite à interroger la pertinence de cette mesure, à rebours de la stricte philosophie universaliste qui prévalait jusqu’alors en matière d’allocations familiales.

  1.   les ALLOCATIONS FAMILIALES SONT INSCRITES DANS UN PAYSAGE COMPLEXE DE PRESTATIONS ET DE PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES

Les travaux de la rapporteure, sans avoir pu être exhaustifs compte tenu des délais impartis, mettent en lumière l’articulation entre les allocations familiales des prestations sociales et des dispositifs fiscaux, révélant des effets d’interaction et de substitution.

Le versement des allocations familiales s’articule ainsi avec le calcul des prestations sociales telles que le revenu de solidarité active (RSA) ([38]) ou la prime d’activité (PA) ([39]). Dès lors, pour un bénéficiaire du RSA, une diminution du montant des allocations familiales conduirait à une hausse équivalente du montant alloué au titre du RSA ([40]).

Concernant la prime d’activité, la hausse du montant des allocations familiales conduirait, selon la DSS et la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), à une diminution de la prime d’activité. Cette diminution ne serait, en revanche, pas d’un montant équivalent comme ce qui est observé pour le RSA. À cet égard, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) observe un « effet pente » qui culminerait aux alentours de 1 100 euros de revenus mensuels d’activité. De fait, l’impact de la diminution de prime d’activité, en cas de hausse des allocations familiales, apparaîtrait plus important pour les ménages présentant des revenus d’activité similaires.

En matière fiscale, les allocations familiales sont exonérées d’impôt sur le revenu et de contribution sociale généralisée. Elles ne sont, en revanche, pas exonérées du paiement de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) ([41]).

● De fait – toutes choses égales par ailleurs – une hausse du montant versé des allocations familiales conduirait à une hausse de l’assiette de revenus assujettie à la CRDS.

Par ailleurs, les allocations familiales s’articulent avec une série de prestations familiales complémentaires à destination des familles nombreuses (complément familial, allocation forfaitaire) ou visant à favoriser l’équilibre entre la vie personnelle et professionnelle des familles (prestation d’accueil du jeune enfant).

Parmi elles :

– le complément familial est attribué sous conditions de ressources aux familles métropolitaines ayant à leur charge au moins trois enfants âgés de 3 à 20 ans. Son coût est de 2 milliards d’euros en 2021 et la prestation est versée à 873 000 familles ([42]) ;

– l’allocation forfaitaire est versée jusqu’au vingt-et-unième anniversaire de l’aîné d’une famille de trois enfants. Son coût est estimé à 100 millions d’euros et elle bénéficie, en 2021, à 100 000 familles ([43]) ;

– la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) regroupe une série d’allocations – prime de naissance, allocation de base, complément de libre choix du mode de garde, prestation partagée d’éducation de l’enfant (Prepare) – dont la vocation principale est d’assurer un équilibre entre la vie personnelle et la vie professionnelle des parents. Elles permettent notamment une réduction du temps de travail des parents quand ils élèvent des enfants de moins de 3 ans (Prepare) ou la prise en charge du coût lié à l’emploi d’une assistante maternelle (complément mode de garde). La Paje bénéficie à hauteur de 90 % des masses versées aux couples avec enfants ([44]).

Ces dépenses de prestations de mode d’accueil représentent des montants financiers significatifs. En 2022, la Cour des comptes a estimé à 16,1 milliards d’euros l’ensemble des dépenses publiques liées à la garde de l’enfant ([45]).

  1.   Le dispositif proposÉ
    1.   UNE SIMPLIFICATION DU systÈme de PRESTATIONS FAMILIALES SELON UN PRINCIPE « Un ENFANT, UN DROIT À PRESTATION »
      1.   Une modification des modalités de calcul des seules allocations familiales

L’article 1er crée une allocation familiale unique et forfaitaire, en remplacement des allocations familiales existantes.

Pour ce faire, il modifie l’intitulé du chapitre Ier du titre II du livre V du code de la sécurité sociale en remplaçant la terminologie existante « Allocations familiales » par « Allocation familiale » ().

Il réécrit intégralement l’article L. 5211 du code de la sécurité sociale (2°), induisant une évolution de la règle de droit sur trois points.

Il ouvre le bénéfice des allocations familiales dès le premier enfant, et non plus au deuxième enfant.

Il renvoie à un décret le soin de fixer le montant de l’allocation forfaitaire, celui-ci ne pouvant être inférieur à 70 euros. Ce seuil minimum doit être revalorisé annuellement conformément à l’évolution de l’indice des prix à la consommation hors tabac.

Enfin, il abroge les dispositions de l’article L. 521–3 du code de la sécurité sociale et, ce faisant, il supprime les majorations du montant d’allocation pour les enfants âgés de 14 ans et plus à la charge de leurs parents, ainsi que pour le nombre d’enfants supplémentaires à charge, pour les familles ayant plus de trois enfants.

Ces changements de l’état du droit sont justifiés dans un souci de simplification et de meilleure adaptation du mode de calcul des allocations familiales aux réalités démographiques contemporaines.

Ils permettent également d’affirmer le principe, cher à la rapporteure, selon lequel la naissance d’un enfant, quel qu’il soit, ouvre le même droit à allocation.

● Concernant la temporalité de versement de l’allocation forfaitaire créée, la rapporteure rappelle que l’allocation de 70 euros a vocation à être versée chaque mois, par enfant à charge. Afin de clarifier le texte sur ce point elle a déposé un amendement de précision (AS n° 28).

  1.   Un maintien des droits existants pour le « stock » d’allocataires existant

L’article 1er prévoit également la mise en place d’une « clause du nouvel enfant », sur le modèle de la « clause du grand-père » ([46]) existante en matière de droit à la retraite.

Le sixième alinéa de l’article 1er prévoit ainsi que celui-ci s’applique aux familles dont les enfants sont nés après la promulgation de la présente loi.

Si des doutes quant à une éventuelle rupture d’égalité résultant de cette clause ont pu être évoqués lors des auditions, ceux-ci n’apparaissent pas fondés en droit.

En effet, le principe d’égalité garanti par notre Constitution ([47]) ne s’oppose pas à ce que le législateur puisse aménager ce principe en poursuivant un objectif d’intérêt général.

En l’espèce, la rapporteure considère que les dispositions de l’alinéa 6 de l’article 1er de la présente proposition de loi peuvent remplir le critère d’intérêt général à deux égards.

D’une part, en ouvrant l’allocation dès le premier enfant pour les familles dont la naissance de l’enfant intervient à la suite de la promulgation de la proposition de loi, l’article 1er traduit l’exigence constitutionnelle du Préambule de 1946 selon laquelle « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ([48]).

D’autre part, en prévenant une montée en charge trop rapide du dispositif, la « clause du nouvel enfant » vise à préserver l’équilibre des comptes des administrations publiques.

Enfin, la rapporteure souligne l’existence d’un double système d’attribution de prestations sociales pour l’allocation aux adultes handicapés, déconjugalisée depuis le 1er octobre 2023 ([49]) et dont la légalité n’a pas été remise en cause par le juge.

● Quant à d’éventuelles difficultés matérielles liées à la mise en œuvre pratique du dispositif proposé, lequel suppose la coexistence temporaire de deux systèmes d’allocations familiales, la rapporteure invite, à la lumière de ses auditions, à en relativiser l’ampleur. Elle note que si la mise en œuvre de la réforme dite de la « solidarité à la source » constitue une priorité pour les réseaux des caisses d’allocations familiales, le directeur général de la Cnaf a néanmoins observé que les coûts logistiques liés à la création d’un double système d’allocations familiales demeureraient modérés (plusieurs dizaines de millions d’euros au maximum) ([50]).

● La rapporteure, qui souligne son attachement au principe de bonne gestion budgétaire, particulièrement dans un contexte de fortes contraintes pesant sur les finances publiques, observe qu’il est difficile d’identifier avec précision les effets budgétaires de la réforme proposée. Bien que variables, les estimations qu’elle a obtenues laissent toutefois penser qu’une telle réforme aurait un coût budgétaire relativement modéré, voire qu’elle serait, à terme, source d’économies budgétaires.

Ainsi, la direction de la sécurité sociale a estimé entre 1,5 et 2 milliards d’euros le surcoût induit par la réforme et ce si la réforme avait vocation à s’appliquer, dès à présent, sur le stock existant de bénéficiaires des allocations familiales. Ce qui n’est pas l’objet de cette proposition de loi.

L’évaluation fournie par la cellule « LexImpact » de l’Assemblée nationale est, quant à elle, bien plus favorable et montre que la réforme ne produirait pas un surcoût mais bien des économies, de l’ordre de 660 millions d’euros ([51]).

Dans le détail, les services ont estimé à :

– 170 millions d’euros l’économie induite par la création d’une allocation forfaitaire mensuelle de 70 euros ;

– 1,5 milliard d’euros l’augmentation de dépenses entraînée par la suppression de la modulation des allocations familiales ;

– 1,37 milliard d’euros l’économie permise la suppression des majorations prévues à l’article L. 521–3 du code de la sécurité sociale.

● En matière de redistribution, les travaux de la rapporteure montrent que la réforme sera particulièrement bénéfique pour les classes moyennes.

À date, la politique familiale est moins favorable aux ménages appartenant aux quatrièmes à septièmes déciles de niveau de vie ([52]).

Ces ménages ont un niveau de vie moyen situé entre 23 040 euros et 28 770 euros ([53]). Ils participent au financement du système socio-fiscal par l’impôt et les cotisations prélevées sur leur salaire mais bénéficient, en proportion, de moins de prestations sociales. Ainsi, en 2021, pour les quatrième à huitième déciles, la part des revenus d’activité dans leur niveau de vie oscille entre 69 % et 73,8 %, soit une proportion supérieure à celle des ménages des trois premiers déciles ([54]). En comparaison, ils bénéficient, en proportion, d’un moindre accès aux prestations sociales (hors pensions de retraites et allocations-chômage).

Comme le montrent les simulations réalisées par LexImpact – hors effets d’interaction avec d’autres prestations –, les classes moyennes verront, grâce à la réforme, augmenter le montant annuel d’allocations familiales qu’elles perçoivent ([55]).

Si la rapporteure reconnaît une dimension symbolique à certaines augmentations, elle tient à insister sur l’importance d’un tel symbole pour le consentement aux prélèvements obligatoires des ménages appartenant à ces déciles de revenus.

Cas-type d’une famille monoparentale gagnante du fait de la mise en œuvre de l’allocation forfaitaire dès le premier enfant

En l’état du droit, les familles monoparentales avec enfants n’ont pas un niveau de vie équivalent à celui d’un couple avec le même nombre d’enfants, après versement des prestations familiales (1).

Avec la réforme portée par la présente proposition de loi, une femme salariée non-cadre du privé avec un revenu de base de 17 302 euros par an soit l’équivalent de 0,8 fois le salaire minimum de croissance (Smic) (2) verrait son revenu disponible augmenter de 139 euros par an et son niveau de vie augmenter de 107 euros par an (3).

En effet, en émettant l’hypothèse que cette femme n’a qu’un seul enfant et est locataire du parc social pour un montant de loyer de 4 800 euros annuels, le montant annuel reçu d’allocations familiales augmente de 835 euros, sous l’effet de la réforme de la forfaitisation. Le montant annuel de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) due sur les allocations familiales augmenterait, en conséquence, de 5 euros.

Le montant annuel de la prime d’activité reçue diminuerait sous l’effet de la réforme de 695 euros. Le montant de la CRDS due sur le montant de la prime d’activité diminuerait également, à hauteur de 4 euros.

(1) Gouvernement, Rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale relatif à la branche famille, annexé au projet de loi d’approbation des comptes de la sécurité sociale, 2024.

(2) Simulations menées par la direction du contrôle et de l’évaluation de l’Assemblée nationale.

(3) Le niveau de vie correspond au revenu disponible du ménage divisé par les unités de consommation du ménage.

  1.   Les modifications adoptées par la commission

Sur proposition de M. Arnaud Simion et plusieurs de ses collègues du groupe Socialistes et apparentés, la commission a adopté un amendement de rédaction globale de l’article 1er (AS14) tel que sous-amendé par la rapporteure (AS31).

Ainsi réécrit, l’article 1er dispose que la Nation réaffirme le caractère universel des allocations familiales. Il prévoit, également, qu’elle se fixe pour objectif l’ouverture du bénéfice des allocations familiales dès le premier enfant à charge, avant le 1er janvier 2027.

La rapporteure aurait préféré une telle ouverture dès la promulgation de la présente proposition de loi mais dans un esprit de compromis et du fait du large consensus dégagé au sein de la commission, elle s’est prononcée en faveur de la version modifiée de l’article 1er. Elle a néanmoins indiqué sa vigilance quant au suivi de l’objectif posé et appelle à une constitution rapide d’un groupe de travail sur ce thème.

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Introduit par la commission

Cet article demande au Gouvernement de remettre un rapport, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, évaluant les coûts et les modalités d’une revalorisation des allocations familiales ainsi que leur versement dès le premier enfant, sans préjudice des montants versés aux familles nombreuses.

Le rapport étudiera notamment l’opportunité de financer les scénarios d’une revalorisation et d’un assouplissement du bénéfice des allocations par une réforme du quotient familial.

La demande de rapport a été introduite par un amendement (AS3) de M. Louis Boyard et ses collègues du groupe La France insoumise – Nouveau Front Populaire. La rapporteure a émis un avis défavorable à cette demande de rapport, estimant que le scénario envisagé d’une réforme du quotient familial pouvait alourdir la charge fiscale des classes moyennes. Elle a notamment rappelé qu’à deux reprises au cours de la XIVe législature, en 2013 et 2014 ([56]), un abaissement du plafond du quotient familial avait été réalisé.

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Adopté par la commission

La présente proposition de loi, qui prévoit la modification des articles L. 521–1 et L. 521–3 du code de la sécurité sociale, est de nature à accroître les charges supportées par les organismes de sécurité sociale.

L’article 2 prévoit de compenser ces charges, à due concurrence, respectivement par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

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   Travaux de la commission

Lors de sa réunion du mercredi 19 février 2025, la commission a examiné la proposition de loi visant à simplifier et réorienter la politique familiale vers le premier enfant (n° 839) (Mme Anne Bergantz, rapporteure) ([57]).

Mme Anne Bergantz, rapporteure. Je suis très heureuse de vous présenter une proposition de loi cosignée par mes collègues du groupe Les Démocrates, qui sera inscrite à l’ordre du jour de la journée qui nous sera réservée, le 6 mars.

Ce texte, constitutif de la philosophie politique de notre mouvement, vise à simplifier et à réorienter la politique familiale vers le premier enfant. Il est attendu par nombre de nos concitoyens, ainsi que par les associations de famille, et me semble répondre à la fois aux nouvelles compositions familiales et au contexte démographique actuel.

La France est sur le point d’entrer dans un hiver démographique. Le nombre de naissances annuelles est, depuis 2023, inférieur à 700 000 – 663 000 naissances exactement en 2024. L’indice de fécondité a atteint son niveau le plus faible depuis un siècle, avec un nombre moyen de 1,62 enfant par femme. Les raisons de cette baisse de la natalité sont multiples : grossesse plus tardive, infertilité, coût de l’immobilier, écoanxiété, confiance dans l’avenir en berne, individualisme ou évolution du modèle de la famille idéale.

Notre propos n’est pas d’établir un lien direct entre le système d’allocations familiales français et l’absence de dynamisme démographique. Avec humilité et sérieux, cette proposition de loi souhaite plutôt tirer parti de l’actualité des questions démographiques pour reposer un débat que je crois transpartisan. Elle s’inscrit au cœur des préoccupations de notre groupe et s’inspire des travaux du sociologue et spécialiste de la protection sociale Julien Damon, qui souligne la pertinence d’élargir le bénéfice des allocations familiales au premier enfant et de renforcer leur caractère universel.

Notre système d’allocations familiales est difficilement lisible et en décalage avec la réalité démographique de notre pays. L’enjeu décisif en matière de démographie a cessé d’être le troisième enfant, pour devenir le premier et le deuxième. C’est pourquoi notre proposition de loi prévoit la mise en place, dès le premier enfant, d’une allocation forfaitaire indépendante du niveau de revenu du ménage concerné, de l’âge de l’enfant ou de son rang dans la fratrie.

Le retour à l’universalité des allocations familiales ne contribuera pas à aggraver le déficit des administrations publiques. Il s’agit d’une condition essentielle pour le groupe Les Démocrates. Cette proposition de loi a été pensée dans une démarche de responsabilité budgétaire et de neutralité à long terme.

En 2024, les dépenses d’allocations familiales s’élèvent à 14 milliards d’euros. Versées au bénéfice de 5 millions de foyers et de 11 millions d’enfants, elles ne sont ouvertes qu’à partir du deuxième enfant, sauf dans les départements d’outre-mer où elles le sont dès le premier enfant. Leur montant est par ailleurs modulé selon le rang, l’âge de l’enfant et, depuis le 1er juillet 2015, les revenus des parents, avec trois tranches variant en fonction du rang de l’enfant.

Une famille à enfant unique ne bénéficiera donc d’aucun droit à allocation familiale en métropole. Or en 2019, près de 45 % des familles avaient un seul enfant de moins de 18 ans, ce qui correspondait à 3,6 millions d’enfants. Il faut également tenir compte des effets de seuils. Ainsi, un ménage avec deux enfants dépassant de quelques euros la deuxième tranche de revenus verra son allocation fortement réduite, avec une légère compensation sous forme d’un complément dégressif.

En l’état actuel du droit, un enfant âgé de 2 ans est considéré comme coûtant moins cher à ses parents qu’un adolescent de 14 ans, et ce sans justification économique valable, ainsi que nous l’a rappelé en audition l’économiste et présidente du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, Hélène Périvier. Ce point est d’ailleurs corroboré par plusieurs études, ainsi que par une enquête de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) qui précise qu’« il apparaît plus pertinent de ne pas traiter l’enfant de moins de 14 ans différemment de celui de 14 ans et plus ».

À cette complexité et ces effets de seuils viennent se surajouter d’autres prestations familiales – pas moins de huit ! – dont l’application varie en fonction de la taille de la famille, des plafonds de ressources, qui sont différents selon les prestations, des modalités de garde ou de l’exercice professionnel des parents.

Vous l’aurez compris, si nous avons parfois des difficultés à comprendre cet empilement de prestations, nos concitoyens sont, quant à eux, perdus et agacés par ces calculs d’équilibristes qui déterminent le montant de leurs droits.

En outre, la modulation en fonction des revenus du foyer, introduite en 2015, a fortement remis en cause le principe d’universalité des allocations familiales pourtant hérité de la IIIe République. La diminution des droits aux allocations familiales des ménages contribuant le plus a fortement miné l’un des piliers de la politique familiale. La solidarité horizontale, celle des foyers sans enfant vers les foyers avec enfants, a été fragilisée. De fait, certaines familles se sont senties exclues de la politique familiale, tout en y contribuant.

C’est donc dans un souci d’équilibre et de simplicité que la présente proposition de loi vise à profondément remanier le système d’allocations familiales, au bénéfice de sa lisibilité et du pouvoir d’achat des classes moyennes.

L’article 1er prévoit ainsi la création d’une allocation familiale forfaitaire unique, ouverte dès le premier enfant, d’un montant minimal de 70 euros par mois par enfant à charge. Cette mesure est attendue par les associations de familles que nous avons auditionnées. Elles insistent sur la nécessité de compenser la charge de l’enfant dans la famille, dès le premier enfant.

Le cap du premier enfant est un moment central de la vie personnelle et professionnelle d’une famille. Il induit parfois un nouveau lieu de résidence, un nouveau logement, voire une conception différente de l’activité professionnelle. Il revient aux pouvoirs publics d’accompagner au mieux ce changement de vie que constitue la première expérience parentale.

L’article 1er abroge également les majorations d’allocations familiales existantes suivant l’âge de l’enfant et le rang de celui-ci dans la fratrie, considérant que chaque enfant doit bénéficier du même accompagnement de l’État.

La politique familiale a vocation à s’inscrire dans une double logique de solidarité horizontale entre les familles et de solidarité verticale entre les familles aisées et les familles modestes ou précaires. Au fil des ans, cette dernière a transformé la politique familiale en une politique presque uniquement sociale. Cette proposition de loi entend procéder à un rééquilibrage.

La modulation des allocations familiales introduite en 2015, couplée aux abaissements des plafonds du quotient familial, n’a eu qu’un effet très marginal sur le niveau de vie des familles les plus modestes. La diminution du niveau de vie des ménages aisés n’a donc pas induit une amélioration significative de la situation des ménages précaires.

Vous l’aurez compris, ma conviction est que la politique familiale doit renouer avec le principe d’universalité du versement des allocations familiales et renvoyer les questions centrales de redistribution à d’autres prestations ou instruments de politique publique.

La conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle constitue également un axe primordial de la politique familiale. La demande des familles est forte en matière de services et d’équipements. Nous devons renouveler notre ambition dans ce domaine, en renforçant l’offre de garde et en avançant sur la question du congé parental ou de naissance. Ces sujets dépassent toutefois le cadre de la présente proposition de loi.

Nos simulations montrent que la réforme aura, à terme, un effet budgétaire neutre, voire positif de l’ordre de 600 millions d’euros pour nos finances publiques, préservant ainsi nos marges de manœuvre pour d’autres politiques publiques. J’ai vu circuler un chiffrage pour l’extension des allocations familiales au premier enfant allant jusqu’à 3 milliards d’euros. Je vous rassure, il est tout à fait inexact ! Notre proposition de loi est guidée par un principe de responsabilité budgétaire.

J’insiste sur la neutralité pour les finances publiques. L’article 1er de la proposition de loi maintient les bénéficiaires actuels d’allocations dans le système existant. Dès lors, les coûts induits par la prise en compte du premier enfant seront, au rythme de la montée en charge du dispositif, compensés par la sortie des aînés. Cette clause du nouvel enfant constitue une sécurité supplémentaire pour nos comptes publics.

Je sais que certains groupes s’inquiètent des conséquences de cette proposition de loi pour les familles nombreuses. Je le comprends et je demeure ouverte à une majoration du complément familial pour les familles ayant plus de trois enfants. Charge à nous de trouver les moyens de compenser ce surcoût.

En conclusion, cette proposition de loi devrait largement nous réunir. Elle permet d’adapter notre système d’allocations familiales à l’évolution de la structure des familles françaises. Simplifier et universaliser les allocations familiales : voici l’ambition de ce texte !

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Angélique Ranc (RN). Cela fait longtemps que l’hiver démographique menace l’avenir de notre nation et cela fait longtemps que le Rassemblement national alerte sur les conséquences catastrophiques des choix des derniers gouvernements en matière de politique familiale, à commencer par celui de François Hollande, qui a acté la fin du principe d’universalité des allocations. Je me réjouis donc que vous proposiez de rétablir ce pilier de notre politique familiale.

Cependant, si votre texte semble, à première vue, démocratiser l’accès aux allocations familiales, une analyse comparative révèle l’existence de biais significatifs. En effet, alors que les familles avec un enfant bénéficieraient d’un gain immédiat de 70 euros minimum, les ménages avec deux enfants verraient leurs allocations diminuer par rapport à la situation actuelle et ce recul s’accentuerait pour chaque nouvel enfant. Nous sommes loin de la philosophie historique des allocations familiales, qui était de soutenir une natalité dynamique en attribuant un soutien croissant en fonction du nombre d’enfants.

Pour 91 % des bénéficiaires actuels, le passage à ce nouveau système induirait une baisse atteignant 138 euros dès le troisième enfant et jusqu’à 369 euros pour les familles de cinq enfants. Cette réforme risquerait ainsi de pénaliser les foyers aux charges multiples, qui dépendent des aides actuelles pour l’éducation et le bien-être de leurs enfants.

Enfin, j’aimerais appeler votre attention sur deux dispositions qui font toujours défaut dans ce type de proposition de loi et affectent la ligne budgétaire allouée aux prestations familiales.

La première consisterait à réserver le versement des allocations aux enfants dont au moins l’un des deux parents détient la nationalité française. Cette condition permettrait de s’assurer que les prestations bénéficient avant tout à nos compatriotes, ce qui est important dans ces temps d’incertitude budgétaire.

Quant à la seconde, elle consisterait à verbaliser les fraudes aux allocations familiales par un montant correspondant au quintuple des sommes indûment versées. En 2023, ces fraudes représentaient, je le rappelle 400 millions d’euros.

Pour conclure, l’universalisation des allocations familiales est certes très positive, mais cette réforme doit être renforcée, pour ne pas pénaliser les plus vulnérables, ainsi que les familles françaises, et inciter réellement à la natalité.

Mme Joséphine Missoffe (EPR). Les allocations familiales sont au cœur des modèles français de sécurité sociale et de politique familiale, qui protègent les parents et les enfants en s’appuyant sur des principes d’universalité et de justice auxquels mon groupe est profondément attaché.

Pour qu’ils continuent à atteindre leurs objectifs, nous devons être attentifs aux évolutions des familles françaises et transformer nos systèmes sociaux en conséquence. Cette proposition de loi prend acte du nombre croissant de familles composées d’un seul enfant, qui sont exclues du périmètre des allocations familiales, mais qu’il est pourtant nécessaire de soutenir. Elle permet également d’améliorer la lisibilité d’un système de protection des familles qui s’est progressivement complexifiée depuis 1945 et apporte une simplification essentielle pour sa pérennité.

Nous tenons à saluer l’effort de neutralité et de responsabilité budgétaire à long terme. Toutefois, la forfaitisation du montant des allocations prévue dans cette proposition de loi pourrait affecter sensiblement les mécanismes de réduction de la pauvreté et des inégalités. Une évaluation prenant en compte l’ensemble des prestations redistributives de la politique familiale serait donc nécessaire pour s’assurer que les ménages les plus modestes ne seront pas fragilisés.

Par ailleurs, le groupe EPR restera attentif aux coûts opérationnels et budgétaires de la période de transition entre les deux dispositifs, ainsi qu’aux projections consolidées à long terme de cette réforme.

Enfin, les allocations familiales ne sont qu’un aspect des mécanismes à l’œuvre dans le soutien aux familles, notamment aux familles monoparentales ou avec un seul enfant. Ce texte nous invite à avoir un regard critique et réformateur sur l’efficacité du système dans son ensemble, afin de nous assurer qu’il ne s’éloigne ni des réalités ni de ses objectifs.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Le système des allocations familiales est daté. Conçu suivant une vision nataliste de la société, il prévoit le versement des allocations à compter du deuxième enfant seulement, alors que l’arrivée du premier constitue pour un couple un véritable bouleversement, y compris financier.

Le désir d’enfants a évolué, mais notre politique familiale repose encore sur une incitation à concevoir au moins deux enfants, alors que de nombreux couples renoncent à avoir un premier enfant ou en retardent l’arrivée, faute de moyens pour l’accueillir dans de bonnes conditions : logement suffisamment grand, salaire suffisamment stable et décent, mode d’accueil permettant le maintien dans l’emploi, temps libre suffisant pour prendre soin de l’enfant, etc.

Nous partageons l’objectif de ce texte, qui vise à soutenir le pouvoir d’achat des familles, bien que notre motivation ne consiste pas à relancer la natalité. Il s’agit de donner à nos concitoyens la possibilité de faire des enfants sans craindre de ne pas avoir les moyens de leur offrir tout ce dont ils ont besoin. C’est pour cette raison que La France insoumise défend de longue date le versement des allocations familiales dès le premier enfant. Nous sommes également favorables à la suppression de leur modulation en fonction du revenu des ménages. Sous couvert de justice sociale, l’instauration de la modulation visait à restreindre le soutien apporté aux familles par la branche famille, ou à tout le moins à limiter la progression de ces dépenses. Le principe d’universalité des allocations familiales est au cœur du projet de société que nous appelons de nos vœux : elles doivent bénéficier à toutes et tous sans aucune distinction, notamment de nationalité.

Cependant, cette proposition de loi ferait trop de perdants, notamment parmi les futures familles nombreuses ayant des adolescents à charge, puisqu’elle prévoit la suppression de la majoration des allocations familiales à partir des 14 ans de l’enfant ; en outre, le montant uniformisé, fixé à 70 euros, est trop faible. Les conséquences sociales risquent d’être désastreuses pour les familles nombreuses, puisque le texte prévoit une baisse des droits existants pour financer un droit nouveau, ce que nous ne pouvons accepter.

Enfin, il faut cesser d’invoquer la relance de la natalité comme étant une solution à tous les problèmes de la société française : les ventres des femmes ne sont pas des machines à produire des bébés pour rééquilibrer nos comptes sociaux. La réforme de 2015 peut être critiquée, mais elle n’est pas la cause de la baisse de la natalité, qui est tendancielle depuis 2010. En revanche, les inégalités femmes-hommes, la crise climatique, la diminution du pouvoir d’achat, la destruction des services publics, y contribuent de manière bien plus importante.

Compte tenu de ces éléments, le groupe La France insoumise votera contre cette proposition de loi.

M. Arnaud Simion (SOC). Les allocations familiales sont la prestation familiale la plus importante, tant par le nombre de personnes concernées – plus de 5 millions de familles – que par les montants versés – environ 13 milliards d’euros chaque année. Elles ont été créées en 1932 pour les ouvriers, mais c’est en 1946, après la Libération, que leur versement est conditionné à la naissance du deuxième enfant, afin de soutenir la natalité. Jusqu’à l’entrée en vigueur de l’article 85 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, leur montant était identique pour tous les bénéficiaires, quel que soit le niveau de leurs revenus.

La présente proposition de loi propose d’octroyer les allocations familiales dès la naissance du premier enfant : le groupe Socialistes et apparentés ne peut que soutenir cette mesure, qu’il revendique depuis longtemps, en particulier pour les familles monoparentales. Elle prévoit également d’en forfaitiser le montant et de le fixer à 70 euros par enfant, supprimant ainsi la prise en considération des ressources. Une telle remise en cause pourrait aggraver les inégalités sociales, les allocations familiales étant l’une des prestations sociales les plus efficaces pour faire sortir les familles de la pauvreté : le taux de pauvreté recule de près de deux points après leur versement.

En conséquence, si le groupe Socialistes et apparentés soutient l’octroi des allocations familiales dès le premier enfant, il défendra en revanche un amendement visant à supprimer la forfaitisation de leur montant. Dans l’attente de l’examen des amendements, il a décidé de s’abstenir, sans pour autant s’opposer à une réforme globale des allocations familiales dans le cadre d’une démarche de justice sociale.

Mme Justine Gruet (DR). Permettez-moi de vous remercier, madame la rapporteure, pour votre travail sur cet important sujet sociétal. Vous présentez une proposition de loi dont la philosophie ne peut que satisfaire le groupe Droite Républicaine.

La refonte du système des allocations familiales est un sujet important, qui aurait mérité plus de temps que celui fourni par une niche parlementaire. Nous regrettons que ce texte ne soit pas davantage débattu, d’autant qu’il ne sera probablement pas examiné en séance le 6 mars prochain, faute de temps.

La situation catastrophique de notre politique familiale ne date pas d’hier et je m’étonne de l’absence, dans ce texte, de toute mention du rôle majeur de François Hollande dans son déclin. Rappelons que la fin de l’universalité des allocations familiales date de 2015 et n’a pas été remise en cause ensuite. Depuis, le nombre de naissances est en constante diminution, passant de 818 000 en 2014 à 677 000 en 2023, et 663 000 en 2024. Or la baisse de la natalité conduit inévitablement à une mise en difficulté de notre modèle social reposant sur la répartition : là est l’urgence.

Depuis de nombreuses années, nous défendons le versement des allocations familiales dès le premier enfant et le rétablissement de l’universalité de leur montant. C’est pourquoi le groupe Droite Républicaine sera favorable à toute nouvelle idée de simplification et vigilant quant au montant proposé pour l’allocation forfaitaire. Vous suggérez que celui-ci ne soit pas inférieur à 70 euros, quand il est de 250 euros en Allemagne. Vous proposez aussi que le montant soit fixé par décret et revalorisé en fonction de l’inflation, mais je ne doute pas que nous aurons l’occasion de faire valoir qu’il serait plus pertinent de le fixer dans la loi plutôt que par décret.

Cette proposition de loi a le mérite de faire bouger les lignes ; c’est pourquoi le groupe Droite Républicaine l’examinera avec bienveillance.

M. François Ruffin (EcoS). « On comptait avoir un enfant, mais on a tout mis en attente. Pourtant, ça fait onze ans qu’on est ensemble. Quand même, après onze ans de relation, on a au moins un enfant, mais j’ai peur de me lancer et de ne plus pouvoir assumer, parce que mon compagnon est intérimaire et moi à temps partiel avec un statut précaire. » C’est Fouzia, animatrice périscolaire à Amiens, qui témoigne ainsi, se faisant l’écho de centaines de milliers d’hommes et de femmes dont le désir d’enfant est entravé.

Les statistiques permettent de mesurer le fossé existant entre le désir d’enfant, qui est de 2,4 enfants en moyenne, et le nombre d’enfants par femme, de 1,68 en moyenne. Il est nécessaire d’en parler, mais il est tragique de réduire la joie d’avoir un enfant au réarmement démographique et d’en parler avec sécheresse plutôt qu’avec tendresse, comme si c’était un devoir patriotique.

C’est une bonne chose de vouloir lever les obstacles à la parentalité dès le premier enfant, mais au-delà, nous devons faire en sorte que les enfants soient gardés, en crèche ou par une assistante maternelle, et que les loyers soient moins élevés pour les familles modestes. Nous devons favoriser l’émancipation et le bonheur des familles tout en assurant à la nation le renouvellement des générations.

Le groupe Écologiste et Social est favorable au versement des allocations familiales dès le premier enfant, mais il n’est pas d’accord avec la neutralité budgétaire que vous proposez. L’ambition que nous avons pour les familles suppose une ambition budgétaire à la hauteur.

Mme Perrine Goulet (Dem). Longtemps vue comme une exception française, notre natalité connaît à son tour une baisse importante. Les jeunes filles et jeunes garçons se projettent de moins en moins en tant que parents. Notre taux de fécondité est dorénavant de 1,68 enfant par femme, éloigné non seulement du taux nécessaire au renouvellement des générations, mais aussi des envies des parents.

Les causes de cette situation sont multiples : le contexte social et politique, les problèmes de logement, les difficultés de concilier travail et vie de famille, mais aussi la place faite aux enfants par notre société. Nous devons tenir compte de ces changements structurels en soutenant les familles dès le premier enfant à charge, qui représente l’investissement le plus important.

Cette proposition de loi vise à adapter notre système d’allocations familiales, hérité de l’après-guerre et du baby-boom, aux réalités démographiques de la France du XXIe siècle. Nous défendons la simplification et l’universalisation de la politique familiale grâce à une allocation forfaitaire uniforme de 70 euros par enfant, versée dès le premier. Nous souhaitons ainsi transmette un message fort aux familles : d’une part, simplifier leurs démarches en mettant fin aux trop nombreux critères de ressources, d’âge et de rang dans la fratrie, intervenant dans le calcul des aides ; d’autre part, fournir un soutien aux 2 millions de familles monoparentales n’ayant qu’un enfant à charge. Non seulement cette réforme est attendue, mais elle est un gage d’équité.

Si la question budgétaire ne saurait être un frein à l’accompagnement des familles, cette réforme ne constituera pas un surcoût : d’un montant estimé à 13 milliards d’euros par an, équivalent aux dépenses actuelles d’allocations familiales, elle serait appliquée à isopérimètre budgétaire.

J’espère que nos débats vous permettront d’être convaincus de la nécessité d’apporter notre pierre à la politique familiale : l’avenir de notre pays en dépend.

Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Cette proposition de loi vise à réformer les allocations familiales et s’inscrit dans une volonté tout à fait louable d’adapter notre politique familiale aux évolutions démographiques et sociales.

Aujourd’hui, 45 % des familles n’ont qu’un seul enfant et un quart d’entre elles sont monoparentales. Il est donc pertinent de repenser notre modèle en instaurant un soutien financier dès la naissance du premier enfant. Cette mesure constitue un progrès pour les jeunes parents, en particulier les plus modestes, qui font face à des dépenses importantes dès les premiers mois de vie de leur enfant.

Cependant, cette avancée indéniable s’accompagne d’une mesure qui pénalisera de nombreuses familles. En supprimant la modulation des allocations selon les revenus et les majorations pour âge, ce texte induit en effet une diminution conséquente de l’aide aux familles ayant plusieurs enfants. Ainsi, une famille de trois enfants, dont deux ont plus de 14 ans, perdrait près de 280 euros par mois. Des pertes significatives pénaliseraient de nombreux foyers déjà bénéficiaires, notamment ceux se situant dans la première tranche de ressources ; au-delà, la perte serait moindre.

Nous partageons les objectifs de cette proposition de loi, mais elle soulève des problèmes en matière d’équité. En outre, elle ne s’inscrit pas dans une réflexion plus large sur la politique familiale – que nous appelons de nos vœux – qui prendrait en considération l’accès à un mode de garde ou l’accompagnement des familles monoparentales.

Malgré son adhésion au principe du soutien dès le premier enfant, le groupe Horizons & Indépendants s’abstiendra ; il ne peut encourager cette réforme, qui entraînera la diminution des aides pour 4,5 millions de familles ayant plusieurs enfants.

M. Yannick Monnet (GDR). Cette proposition de loi prévoit plusieurs dispositions, dont la principale consiste à ouvrir le droit aux allocations familiales dès le premier enfant. Nous avons toujours soutenu une telle mesure universaliste, qui est d’autant plus nécessaire que les familles avec un enfant unique sont de plus en plus nombreuses et que la pauvreté infantile avoisine 20 %.

Toutefois, ce texte engage une refonte plus large, puisqu’il met fin à la modulation des allocations familiales en fonction des ressources du foyer, ce que nous approuvons, ainsi qu’à leur progressivité en fonction du nombre d’enfants. Ce faisant, il donne une autre définition de l’universalité des allocations familiales.

L’universalité, à nos yeux, consiste à verser la même allocation pour tous selon une même progressivité en fonction de la composition du foyer, quelles que soient ses ressources. Cette proposition de loi repose sur un principe différent : celui d’une allocation familiale universelle à laquelle chacun a pareillement droit et qui est exactement la même pour chaque enfant, quelle que soit la composition familiale. Ce n’est donc plus la fratrie ou la famille qui sont considérées, mais l’enfant pris isolément, et forfaitisé. Dès lors, s’agit-il encore d’une allocation familiale ?

Dans un article de Julien Damon, dont vous vous êtes directement inspirés, ces enjeux sont clairement exposés : « Ne masquons pas le propos. Passer de l’idée d’une allocation au premier enfant à une allocation par enfant procède assurément d’une certaine défamilialisation des allocations familiales car le destinataire en devient, au fond, l’enfant et non sa famille. » Il ne s’agit donc pas seulement de simplifier la politique familiale, il s’agit aussi de lui donner un autre sens, ce qui nous laisse circonspects.

Par ailleurs, en l’absence d’étude d’impact, la question budgétaire est rapidement évacuée ; l’exposé des motifs se contente d’indiquer que ces évolutions doivent être neutres budgétairement, à terme. Le texte ne s’attarde pas davantage sur les impacts, pourtant très concrets, sur le niveau de vie des familles. En effet, la somme forfaitaire, dont le minimum est fixé à 70 euros mensuels, diminuerait les allocations familiales pour les foyers les plus modestes et pour les familles nombreuses. Cela soulève la question suivante : pourquoi défamilialiser les allocations familiales pour attribuer une forme de sursalaire par le biais d’autres prestations sociales ?

M. Olivier Fayssat (UDR). Sur le principe, il nous semble juste d’octroyer les allocations familiales dès le premier enfant, que ce soit pour des raisons de solidarité, d’universalisme ou pour encourager la natalité. En effet, si l’indice de consommation d’une personne seule est égal à 100, il passe à 150 pour un couple et à 300 à la naissance du premier enfant, ce qui illustre l’impact financier du premier enfant sur un couple. Nous sommes donc tentés de soutenir cette proposition de loi.

Cependant, j’émets la même réserve que ma collègue du Rassemblement national : ce versement doit être conditionné à la présence d’au moins un parent ayant la nationalité française. De plus, l’impact négatif de cette proposition de loi sur les familles ayant plus d’un enfant est problématique.

Par conséquent, le vote du groupe UDR sera déterminé par l’issue de nos débats.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.

M. Fabien Di Filippo (DR). Je ne peux dissimuler une certaine incompréhension lorsque j’entends dire que les ventres des femmes ne sont pas des machines à faire des bébés pour équilibrer les comptes sociaux, en particulier venant de ceux qui pensent qu’il est possible de maintenir la retraite à 60 ans et des taux d’inactivité crevant les plafonds, en instaurant un droit à la paresse. La natalité et la démographie ne se sous-traitent pas à d’autres peuples ; un tel calcul serait fort cynique et très malheureux.

Lorsque notre système social a été bâti, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les foyers comptaient en moyenne quatre enfants. L’équilibre qui en découlait est maintenant rompu et il semble désormais acceptable de présenter un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) déficitaire de plus de 22 milliards d’euros. Nous devons rester vigilants. Le réarmement démographique n’est pas un gros mot et ce n’est pas instrumentaliser les femmes que de promouvoir des projets familiaux. Tout cela est au contraire fort bienvenu.

Permettez-moi simplement de faire une remarque concernant les modes de calcul des forfaits : c’est le troisième enfant qui excède le renouvellement démographique et permet à un peuple de croître. Si nous voulons assurer la pérennité à long terme de nos systèmes sociaux, prenons garde de ne pas en faire la victime des décisions que nous pourrions prendre aujourd’hui.

M. Jérôme Guedj (SOC). Je tiens à remercier Mme Anne Bergantz et les députés du groupe Les Démocrates de nous permettre de tenir ce débat. Le sujet des allocations familiales demeure trop souvent en dehors des radars, alors même qu’il nous permet d’envisager les enjeux de la sécurité sociale de manière offensive plutôt que défensive. Ainsi, ce débat nous permet de remettre en question ce qui apparaissait comme des principes intangibles.

Mon collègue Arnaud Simion a rappelé l’attachement des socialistes aux allocations familiales en général et au principe d’universalité en particulier – le terme a beaucoup cité. Quelles que soient les familles, il est anormal que le premier enfant n’ouvre pas droit aux allocations familiales, comme il est anormal que celles-ci soient versées sous condition de ressource.

Je n’étais pas favorable à la modulation des allocations familiales introduite en 2015, qui est une entorse à l’universalité – que je considère comme essentielle. Les conséquences de cette décision se mesurent encore aujourd’hui, lorsque l’on entend certains proposer de moduler des remboursements de l’assurance maladie en fonction des revenus.

Si nous remettons en cause l’universalité, si nous cessons de nous battre pour l’étendre autant que possible – reprenant ainsi l’ambition des pères fondateurs de la sécurité sociale –, alors le consentement collectif au système de sécurité sociale sera menacé.

Le pendant de l’universalité est la progressivité de la contribution. Il est donc indispensable d’introduire plus de progressivité dans le financement de la sécurité sociale, qu’il est en outre nécessaire d’amplifier de manière générale. Nous sommes volontaires pour travailler à ce chantier : consolider et étendre l’universalité des allocations tout en renforçant la progressivité de leur financement, qui est trop strictement proportionnel.

Mme la rapporteure. Avant de répondre plus personnellement à vos remarques, permettez-moi de commencer par des propos généraux, afin de vous expliquer mes motivations. Vous avez tour à tour qualifié cette proposition de loi de trop modeste ou de trop ambitieuse. Elle est ambitieuse en effet, puisqu’elle implique de changer notre vision de la politique familiale. La politique actuelle, nataliste, est orientée vers le soutien au troisième enfant. Ce texte vise à changer complètement de paradigme en la réorientant vers le soutien au premier et au deuxième enfant. Bien évidemment, il ne s’agit pas de cesser de soutenir les familles nombreuses. Elles le sont déjà, par le biais d’autres prestations comme le complément familial ou le mode de calcul du quotient familial, qui octroie une part entière au troisième enfant.

Parce que je suis convaincue que l’enjeu décisif pour favoriser la natalité n’est plus le troisième enfant, comme c’était le cas après-guerre, il nous faut proposer le versement des allocations familiales dès le premier. Je n’ai pas la naïveté de penser que cela incitera les couples à avoir un enfant ; ce n’est évidemment pas parce qu’on reçoit 70 euros par mois qu’on prend cette décision.

Mais la portée symbolique de cette mesure est importante. La politique familiale vise à compenser l’arrivée d’un nouvel enfant à charge. Pourquoi le premier enfant n’est-il pas concerné ? Il est nécessaire de se poser cette question, dans une période où il est plus difficile de se projeter pour fonder une famille : le début de la vie active est plus tardif, ce qui entraîne des grossesses plus tardives également. L’âge moyen auquel les Françaises ont un premier enfant est de 31 ans, ce qui décale l’âge du deuxième enfant et compromet l’idée même d’un troisième. Les difficultés à trouver un logement rendent compliquée l’installation en couple, sans parler ensuite des difficultés à trouver un mode de garde.

Le versement d’une allocation pour le premier enfant me semble faire l’objet d’un consensus. Il a été documenté dans plusieurs rapports, notamment celui de Nathalie Elimas en 2020. Plusieurs propositions de loi ont porté sur ce sujet, se heurtant à des obstacles budgétaires puisqu’elles concernaient l’ensemble des familles – le stock.

Afin de ne faire aucun perdant, nous proposons deux mesures : les familles percevant déjà des allocations familiales conservent leurs droits, qui évolueront si leur situation change – si elles accueillent un nouvel enfant, par exemple ; la réforme ne s’applique qu’au premier enfant des nouvelles familles. C’est un moyen responsable permettant de verser des allocations familiales dès le premier enfant tout en évitant un blocage budgétaire, puisque verser 70 euros à 3,6 millions de familles représenterait 3 milliards.

Certains d’entre vous ont évoqué l’absence d’étude d’impact. Objectivement, j’aurais des difficultés à vous présenter précisément la montée en puissance de cette réforme et les conséquences de l’extinction progressive du mécanisme précédent, parce que nous n’avons pas toutes les données issues des administrations centrales.

L’an dernier nous avons dénombré 663 000 naissances, dont 42 % étaient des premiers enfants. Si la réforme s’était appliquée, le versement aurait concerné 280 000 enfants, soit un budget de 240 millions d’euros. Le calcul est plus complexe pour le stock des familles, qui peuvent être concernées par la fin de la prise en compte des enfants lorsqu’ils dépassent l’âge de 20 ans. Toutefois, nous estimons qu’à terme, la montée en charge de cette réforme serait globalement équilibrée par la sortie des enfants du système, n’ayant pas d’impact négatif sur le budget global des allocations familiales, qui s’élève à 14 milliards.

Madame Ranc, vous avez évoqué le risque de perte des allocations familiales concernant le deuxième enfant, mais les familles déjà bénéficiaires ne subiront pas de pertes. Je ne conteste pas le delta de quelques euros, concernant à terme le deuxième enfant, mais cette proposition de loi prévoit un seuil minimal. En outre, on peut tout à fait calculer la forfaitisation de façon à ne pas modifier le montant perçu pour le deuxième enfant.

Cette proposition de loi fera de nombreuses familles gagnantes : non seulement celles qui accueilleront leur premier enfant, mais aussi celles qui n’ont plus qu’un seul enfant à charge, les unes comme les autres étant négligées par le système actuel des allocations familiales. La montée en charge se fera sur une période assez longue, pendant laquelle les deux systèmes cohabiteront. Enfin, ces prestations concerneront les Français et les étrangers en situation régulière, ce texte n’ayant aucunement vocation à modifier ce critère fondamental.

Madame Missoffe, le chiffre de 70 euros constitue un minimum et le montant de l’allocation sera précisé par décret. Je crois avoir suffisamment expliqué les limites du chiffrage de cette réforme, mais soyez rassurée, cette proposition de loi a été élaborée de façon responsable.

Monsieur Boyard, j’ai bien noté votre accord de principe sur le versement d’une allocation dès le premier enfant. J’entends également vos inquiétudes, mais la remise à plat du système d’allocations familiales que nous proposons ne fera pas de perdants. Il y aura certes un avant et un après, mais le stock de familles ne sera pas perdant puisque le système actuel sera maintenu. Les nouvelles règles du jeu pourront être ajustées et il n’est pas question de cesser d’aider les familles ayant trois enfants ou plus ; d’autres outils redistributifs le permettront.

Nous avons employé les termes de réarmement démographique dans l’exposé des motifs pour citer l’ouvrage du sociologue Julien Damon Les Batailles de la natalité. Quel « réarmement démographique » ? Nous ne sommes pas dans une démarche d’injonction, mais de soutien aux familles. Cette proposition de loi a une portée bien modeste et n’ambitionne pas d’inciter les couples à avoir davantage d’enfants.

Monsieur Simion, j’entends votre opposition à la forfaitisation, qui est cohérente avec la réforme de 2015 menée sous le quinquennat de François Hollande. Nous promouvons un rééquilibrage vers une solidarité plus horizontale, qui a été perdue de vue.

Vous dites que l’universalité ne serait pas remise en cause par la modulation des allocations familiales en fonction des ressources. Universalité ne vaut pas uniformité, mais l’universalité a fortement été remise en question par la réforme de 2015, d’autant que celle‑ci a été accompagnée d’une baisse significative du plafond du quotient familial. En toute honnêteté, je ne pense pas que cette réforme a provoqué une baisse de la natalité, mais elle a envoyé aux familles un message négatif.

Madame Gruet, je partage avec vous la frustration de ne pouvoir davantage approfondir cette discussion. Le 27 mars prochain aura lieu en séance publique un débat sur les enjeux de la politique familiale, mis à l’ordre du jour par le groupe Les Démocrates, au cours duquel nous pourrons aborder différents sujets comme la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle.

Monsieur Ruffin, je partage votre inquiétude quant à l’ampleur de l’écart entre le désir d’enfant et sa concrétisation. Cet écart doit sous-tendre la réflexion sur notre politique familiale. Il n’est pas simple d’identifier les mesures qui soutiendront efficacement les familles, tant le désir d’enfant relève de l’intime, mais aussi des changements plus vastes affectant la société.

La question de la conciliation entre la vie familiale et la vie privée est cruciale, tout comme l’assurance d’avoir accès à un mode de garde. Une réflexion doit également être menée sur le congé de naissance et le congé parental, qui devrait donner plus clairement aux femmes le choix de travailler ou non. Celles qui s’arrêtent de travailler sont issues de milieux modestes, parce que la différence entre les frais de garde et le montant de leur salaire est ténue. À l’inverse, les femmes ayant un salaire plus confortable ne s’arrêtent pas de travailler parce que la perte de leur rémunération est trop grande. Je suis favorable à un congé parental qui représenterait un pourcentage des revenus de chaque famille.

Cela vous heurte peut-être que j’envisage d’appliquer la présente réforme à budget constant, mais n’oublions pas que la France consacre une part importante de son produit intérieur brut (PIB) à la politique familiale, dont le budget s’élève à 60 milliards d’euros.

Madame Goulet, je vous rejoins sur la nécessité de simplifier la politique familiale et de la rendre plus lisible. Vous avez également évoqué le soutien renforcé aux familles monoparentales, qui représentent le quart de l’ensemble des familles et la moitié des familles avec un seul enfant.

Madame Colin-Oesterlé, je prends note de votre accord pour travailler sur le versement de l’allocation dès le premier enfant. Vous avez évoqué des pertes pour les familles. Pour le stock actuel, il n’y a pas de pertes. Il y aura des gagnants pour le premier enfant et il n’y aura pas de pertes pour le deuxième enfant. Pour le troisième enfant, nous pouvons travailler sur d’autres prestations redistributives, comme le complément familial.

Monsieur Monnet, si les allocations familiales vous semblent davantage fléchées vers un enfant plutôt que vers les familles, c’est que l’évolution des familles nous demande de réfléchir en ces termes. Même en l’absence d’étude d’impact, je peux vous dire que la proposition de loi n’entraîne pas de perte pour les familles de deux enfants de la tranche une.

Monsieur Fayssat, j’ai noté vos remarques, mais j’y ai déjà répondu.

Monsieur Di Filippo, cette proposition de loi est très modeste. Nous ne parlons pas réarmement démographique, car ce n’est pas son objet, mais nous devons bien sûr parler de natalité. En effet, notre système social dépend des actifs et repose sur la solidarité, entre les générations, entre les familles qui ont des enfants et celles qui n’en ont pas, et entre les familles aisées et les familles plus modestes. Je rappelle qu’un débat en séance publique sur le thème de la démographie et de la politique familiale aura lieu le 27 mars prochain.

Monsieur Guedj, je note votre point de divergence avec vos collègues.

Article 1er : Créer une allocation familiale forfaitaire unique versée dès le premier enfant

Amendement AS14 de M. Arnaud Simion

M. Arnaud Simion (SOC). Cet amendement d’appel vise à ne pas fixer à 70 euros le montant des allocations familiales par enfant quel que soit le niveau de revenus et ainsi à protéger les familles les plus modestes tout en conservant l’ouverture du droit aux allocations familiales dès le premier enfant. Une telle forfaitisation du calcul des allocations familiales risque en effet de réduire le montant versé aux plus modestes.

Par exemple, une famille composée de trois enfants de 14, 11 et 8 ans, dont chacun des parents a des revenus équivalents à un demi‑Smic, bénéficie en moyenne par mois de 324 euros d’allocations familiales, et de 71 euros de majoration pour âge, soit un total de 395 euros par mois. Si les enfants de cette famille naissaient après la promulgation de votre loi, elle ne bénéficierait que de 70 euros par enfant, soit 210 euros, donc la moitié de ce qu’elle percevrait aujourd’hui.

L’article 40 de la Constitution nous a empêchés de modifier le code de la sécurité sociale. Cet amendement n’a donc pas de portée juridique contraignante.

Mme la rapporteure. Mon avis sera défavorable, car cet amendement remet en cause la forfaitisation, qui est un des socles de la proposition de loi, et ne mentionne le versement d’allocations dès le premier enfant que comme un objectif futur. Il me semble pourtant que le versement d’allocations dès le premier enfant fait consensus au sein de notre commission. Pour y parvenir, nous devons remettre à plat notre politique d’allocations familiales pour les autres rangs.

La majoration pour les enfants de 14 ans n’est pas objectivée. Un économiste que nous avons auditionné et un rapport de la Drees le confirment. On peut en effet estimer qu’un enfant de moins de 3 ans coûte plus cher à une famille qu’un enfant de plus de 14 ans.

M. François Ruffin (EcoS). Je vous invite à soutenir cet amendement, car il est l’occasion de manifester le consensus de notre commission sur le versement des allocations dès le premier enfant, ce qui représenterait une vraie avancée. Mettons-nous d’accord sur le principe avant de fournir la recette de son application comme vous le faites avec la forfaitisation.

Il faut remettre notre politique familiale à plat et ce n’est pas en une heure que nous réglerons cette affaire. Évitons de mêler une discussion de principe avec une discussion budgétaire dans laquelle nous pourrons notamment aborder la question de la baisse des versements en prestations monétaires au cours des quarante dernières années, qui ont été divisés par deux en part du PIB. Avançons plutôt ensemble sur le point qui fait l’objet d’un accord puisque vous êtes une femme de consensus.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je vois l’inquiétude des néolibéraux concernant la démographie. Je rappelle que, depuis 1974, l’indice conjoncturel de fécondité n’a jamais été supérieur à 2, avec une petite exception en 2010. De nombreux facteurs l’expliquent : logement, accueil de la petite enfance, organisation du temps de travail. Vous refusez pourtant les investissements publics nécessaires. C’est contradictoire.

Le problème de la baisse de la fécondité ne se réglera pas tout seul. Depuis le Néolithique, il connaît une baisse structurelle et l’ONU prévoit que la population mondiale atteindra un pic en 2080, avec 10,4 milliards d’habitants, avant de redescendre. Ce problème menace non seulement la protection sociale mais aussi la croissance économique et l’ensemble du système que vous défendez.

L’universalité est un principe indispensable. On ne peut pas imaginer par exemple que le remboursement des médicaments se fasse sur des critères de revenus, mais la forfaitisation que vous proposez pose problème, car elle fera des perdants.

Nous soutenons cet amendement, car nous sommes d’accord avec la réécriture de l’article qu’il propose, mais nous ne sommes pas d’accord avec l’appel lancé dans l’exposé sommaire.

M. Jérôme Guedj (SOC). Soyons lucides : cette proposition de loi a peu de chances d’être examiné dans l’hémicycle. Je rejoins François Ruffin et j’appelle également à ce que nous votions de la manière la plus large possible, pourquoi pas à l’unanimité, le principe du versement d’allocations familiales dès le premier enfant. L’adoption de cet amendement équivaudrait à donner un mandat à notre commission pour mener par exemple une mission d’information de façon transpartisane. Je réfléchis également à ce que la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale s’empare de ce sujet.

Je rappelle que, outre-mer, les allocations familiales sont ouvertes dès le premier enfant. Les montants sont certes dérisoires, aux alentours de 25 euros, mais nous pourrions partir de ce qui existe outre-mer pour l’étendre à l’Hexagone.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je remercie Mme la rapporteure de nous donner l’occasion d’un débat sur la politique familiale. La particularité de notre pacte social est qu’il est fondé sur la répartition et donc sur la démographie. Certes, les femmes ne sont pas faites seulement pour porter des enfants, mais si la démographie ne se rétablit pas, l’ensemble de notre système social sera mis à mal. Nous devons jouer sur plusieurs leviers, notamment celui de la politique de la garde d’enfants, pour faire en sorte que les couples ayant un désir d’enfant puissent le réaliser.

M. Fabien Di Filippo (DR). Il est évident que la politique familiale doit être universelle.

La baisse de l’indice de fécondité s’explique par plusieurs facteurs sociétaux. On peut par exemple penser à l’environnement individualiste dans lequel a grandi la dernière génération, mais l’organisation du temps de travail ne me semble pas entrer en ligne de compte : la natalité n’est pas repartie à la hausse après l’instauration des 35 heures. Quant aux investissements publics, beaucoup d’entre nous ont pu mesurer, dans l’exercice de leur mandat d’élu local, l’ampleur des investissements dans les crèches. Jamais autant d’investissements n’ont été réalisés alors que nous sommes passés de 850 000 naissances à 670 000 aujourd’hui. Je vous invite donc à remettre les pieds sur terre.

Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Le versement des allocations dès le premier enfant fait consensus. Mais il ne faut pas pénaliser les familles nombreuses. La proposition de Jérôme Guedj de mener un travail transpartisan sur la politique familiale dans son ensemble est la bienvenue.

M. François Ruffin (EcoS). Je demande une suspension de séance pour que nous puissions discuter et arriver à une position commune.

La réunion est suspendue de douze heures quinze à douze heures trente.

M. le président Frédéric Valletoux. Quand l’esprit de concorde pointe le bout de son nez, nous devons en profiter ! Durant l’interruption, des sous-amendements à l’amendement AS14 ont ainsi été déposés.

Sous-amendements AS31 de Mme Anne Bergantz et AS30 de Mme Justine Gruet

Mme la rapporteure. Avant de présenter mon sous-amendement, je voudrais souligner que la proposition de loi ne fera pas que des perdants, comme nous avons pu l’entendre. Certaines familles modestes toucheraient ainsi des allocations dès le premier enfant.

Cela étant, j’ai entendu votre appel pour que nous avancions vers le versement des allocations dès le premier enfant. J’ai donc déposé un sous-amendement visant à ajouter la phrase suivante : « La Nation réaffirme le caractère universel des allocations familiales. » S’il était adopté, je serai favorable à l’amendement AS14.

Mme Justine Gruet (DR). Le sous-amendement AS30 propose de rétablir l’universalité des allocations familiales. Il respecte l’esprit de votre proposition de loi, madame la rapporteure.

Mme la rapporteure. Je suis défavorable au sous-amendement AS30, car il repousse l’universalisation des allocations familiales à l’horizon 2027.

M. François Ruffin (EcoS). Je vous remercie d’avoir fait preuve d’ouverture. Par courtoisie, je voterai en faveur du sous-amendement de Mme la rapporteure.

J’insiste sur la nécessité de l’universalité des allocations familiales, qui doivent être versées à la famille de Bernard Arnault comme à celle d’un ouvrier. Elles doivent pouvoir bénéficier à tous les enfants du pays. C’est la fiscalité qui rétablit la justice sociale.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Je remercie à mon tour Mme la rapporteure pour ce débat. Nous soutiendrons votre sous-amendement. Nous ferons un pas énorme ce matin en matière de politique familiale. Au-delà, nous souhaitons qu’un groupe de travail soit mis en place au sein de notre commission pour parvenir à un texte consensuel et à une grande avancée sociale.

M. Arnaud Simion (SOC). Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je vous remercie très sincèrement pour votre ouverture d’esprit.

M. Jérôme Guedj (SOC). Merci pour cette démarche. J’attends avec impatience d’engager ce travail.

L’universalité peut être appréhendée de deux manières : celle de l’équité et celle de l’égalité. Aujourd’hui, les prestations familiales représentent environ 35 milliards d’euros, dont la moitié répond au principe d’égalité, puisque tous les bénéficiaires touchent le même montant, alors que l’autre moitié est versée sous conditions de ressources. Le versement sous conditions de ressources n’est pas contraire au principe d’universalité, mais il faut prendre garde à ce que cette logique de l’équité ne préside pas aux prestations de sécurité sociale, car elle conduirait à ne pas rembourser de la même manière une consultation médicale pour M. Arnault et pour un smicard.

Comme souvent, je suis d’accord avec François Ruffin : la contrepartie de l’universalité, c’est la progressivité du financement. Le cœur du problème tient dans le fait que le financement de la sécurité sociale n’obéit pas suffisamment à la logique de progressivité. Ainsi, le taux de contribution sociale généralisée est le même pour M. Arnault et pour un smicard. La progressivité du financement de la sécurité sociale doit donc être remise sur la table. Nous voyons bien que, quand on tire le fil, c’est tout le financement socio-fiscal qui doit être questionné.

M. Jean-Philippe Nilor (LFI-NFP). Le montant des prestations doit dépendre non seulement des revenus, mais également du niveau des prix constatés dans un territoire. L’universalité inclut, je l’espère, ce que l’on appelle les outre-mer. Dès lors, comment expliquer que les prestations y soient minorées alors que les prix y sont supérieurs de 40 % à ceux de l’Hexagone ? Prenons garde à ne pas instaurer une universalité à géographie variable.

Mme Justine Gruet (DR). J’entends parler de fiscalité et de progressivité. Il me semble que, quand on bénéficie d’un système, il faut également y contribuer et que, par conséquent, tout le monde devrait payer une forme d’impôt.

Notre système de sécurité sociale date de 1945. Il est sans doute temps de le repenser pour prendre en compte les évolutions de notre société.

M. Christophe Bentz (RN). Nous nous apprêtions à voter contre l’amendement, mais les sous-amendements permettent d’affirmer le principe de l’universalité des allocations familiales – je vois que les socialistes, qui l’avaient supprimé sous Hollande, y reviennent. Nous voterons donc pour l’amendement si l’un des sous-amendements est adopté.

Nous regrettons toutefois que son adoption entraîne la chute des autres amendements à l’article, y compris les nôtres qui défendent la priorité nationale. Ce texte restera donc incomplet.

Mme la rapporteure. L’amendement est une déclaration d’intention. Nous devons donc rester vigilants et ambitieux sur le suivi du texte.

La commission adopte le sous-amendement AS31. En conséquence, le sousamendement AS30 tombe.

La commission adopte ensuite l’amendement AS14 ainsi sous-amendé.

En conséquence, l’article 1er est ainsi rédigé et l’amendement AS22 de M. Thibault Bazin, les amendements identiques AS 28 de Mme Anne Bergantz et AS18 de Mme Angélique Ranc ainsi que les amendements AS17 et AS15 de Mme Angélique Ranc tombent.

Après l’article 1er

Amendement AS10 de Mme Angélique Ranc

Mme Angélique Ranc (RN). L’amendement vise à lutter contre la fraude aux allocations familiales, évaluées à 400 millions d’euros en 2023. La simplification imposée par la proposition de loi n’empêcherait pas les fraudeurs qui bénéficient de multiples conditions d’attribution de contourner la loi et de passer à l’acte. Nous proposons donc de sanctionner les comportements frauduleux et de dissuader les fraudeurs.

Mme la rapporteure. Je rappelle d’une part que le Gouvernement a lancé un nouveau plan de lutte contre la fraude, dont les premiers résultats sont probants, et d’autre part que la commission des pénalités des caisses d’allocations familiales dispose déjà de pouvoir de sanction en cas de fraude.

Une nouvelle sanction ne me paraît donc pas prioritaire. Elle risquerait en outre d’empiéter sur le travail des acteurs sur le terrain.

Avis défavorable.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Je voudrais d’abord féliciter l’extrême droite, qui a changé quatre fois d’avis en vingt minutes, d’avoir voté pour l’universalité des aides et donc contre la préférence nationale.

Nous voterons contre l’amendement : les 400 millions d’euros de préjudice mentionné dans l’exposé des motifs ne concernent pas les allocations familiales mais le revenu de solidarité active (RSA), l’allocation aux adultes handicapés, les aides au logement et à la garde d’enfants ou l’allocation de rentrée scolaire. Je vous invite à lire le rapport que vous citez.

En outre, le code de la sécurité sociale prévoit une pénalité de 15 700 euros en plus des remboursements pour des versements indus ou frauduleux. Les demandes de réparation et de remboursement des prestations peuvent être faites dans un délai maximal de cinq ans.

J’en profite pour rappeler que la fraude fiscale s’élève à 15 milliards d’euros. Nous accueillerions avec un enthousiasme un grand plan visant à récupérer ces sommes.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS9 de Mme Angélique Ranc

Mme la rapporteure. L’intention est bonne – en règle générale, l’évaluation des politiques et des lois est très importante – mais il me semble compliqué de prévoir un rapport tous les ans.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS24 de M. Thibault Bazin

Mme Josiane Corneloup (DR). L’amendement demande au Gouvernement un rapport sur l’opportunité de fusionner l’ensemble des prestations familiales en une prestation unique afin de limiter les démarches administratives des familles, qui sont coûteuses en temps et en énergie. Cette fusion serait également un moyen pour lutter contre le non-recours.

Mme la rapporteure. Le groupe Les Démocrates avait déposé des amendements au PLFSS relatifs à l’allocation sociale unique.

Avis favorable

M. le président Frédéric Valletoux. J’ajoute que notre commission a voté la création d’une mission d’information sur le sujet conduite par Mme Colin-Oesterlé et Mme Sandrine Runel.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous voterons contre cet amendement.

Une proposition de loi du groupe Droite Républicaine allant en ce sens avait pour conséquence de diminuer le montant des prestations versées. J’ai ainsi le souvenir que les familles de plus de trois enfants perdaient de l’argent en cas de fusions du RSA et de l’aide au logement.

Vous avez voté contre la déconjugalisation – je vous renvoie à notre débat sur l’allocation de soutien familial et maintenant vous nous dites qu’il faut faciliter les recours alors que l’enjeu est d’élargir l’assiette de ceux qui pourraient recourir afin que personne ne soit contraint de rester en couple pour maintenir ses revenus.

Enfin, la prestation unique, avec un seul versement, expose les ménages à un risque beaucoup plus grand en cas de problème administratif ou technique.

M. François Ruffin (EcoS). Alors que nous nous sommes réunis sur le principe de l’ouverture de droits dès le premier enfant, il me semble inutile de polluer nos débats avec des sujets annexes qui nous divisent. En revanche, je serais favorable, madame la rapporteure, à un amendement visant à prévoir un rapport sur la mise en œuvre de l’ouverture des droits.

Mme Josiane Corneloup (DR). Vous dites, monsieur Clouet, que l’allocation unique ferait des perdants. En fait, cet amendement vise surtout à encourager le travail car les allocations ne sont pas un revenu du travail. Or celui qui travaille doit toujours bénéficier d’un revenu supérieur à celui qui perçoit des aides.

Je m’étonne par ailleurs que vous n’ayez pas évoqué le non-recours aux droits. De nombreuses familles ignorent en effet les droits auxquels elles peuvent prétendre. L’allocation unique permettrait de résoudre ce problème.

Mme Justine Gruet (DR). Nous avons à cœur que celui qui travaille gagne plus que celui qui ne travaille pas. Il est toujours gênant pour moi de parler de revenu lorsqu’il est question d’allocation : le revenu est le fruit du travail.

La commission rejette l’amendement.

Article 1er bis (nouveau) : Rapport détaillant les pistes de réforme des allocations familiales

Amendement AS3 de M. Louis Boyard

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Madame la rapporteure, je salue votre esprit de concorde et de consensus. J’espère donc que vous donnerez également un avis favorable sur notre demande de rapport, qui est davantage en lien avec le sujet abordé aujourd’hui.

Nous sommes favorables à l’universalité des allocations familiales mais le montant versé par enfant doit être suffisamment élevé pour éviter de faire des perdants. S’il est juste que les parents bénéficient des allocations familiales dès la naissance du premier enfant, il est injuste que ces allocations diminuent à la naissance du troisième enfant. Le rapport que nous demandons étudierait la proposition consensuelle que nous portons.

Mme la rapporteure. Durant toute la matinée, j’ai cherché à vous convaincre qu’il ne fallait pas raisonner en termes de perdants ou de gagnants. En 2015, l’abaissement du quotient familial a incontestablement fait des perdants parmi des familles, pas forcément aisées, qui payaient juste des impôts.

Avis défavorable.

La commission adopte l’amendement.

Après l’article 1er

Amendement AS26 de Mme Justine Gruet

Mme Justine Gruet (DR). Depuis une quinzaine d’années, la politique familiale française ne permet plus de relever les défis du XXIe siècle.

Ce constat inquiétant fait l’objet de plusieurs rapports et les dispositions adoptées ne semblent pas en adéquation avec les réels besoins de la société. En cause, notamment, les mesures prises sous la présidence de François Hollande, tels la fin de l’universalité des allocations familiales ou l’abaissement du plafond du quotient familial. Il s’en est suivi une diminution continue du taux de natalité.

Bien que la politique familiale ne repose pas exclusivement sur les allocations familiales allouées, les familles prennent en considération cet élément. Or les dépenses publiques liées à la politique familiale continuent d’augmenter malgré une chute réelle de la natalité. Dans le contexte budgétaire actuel, la politique familiale française doit donc faire l’objet d’une évaluation.

Aussi, je demande un rapport sur l’opportunité d’un rétablissement de l’universalité des allocations familiales du conditionnement de leur versement à un revenu minimum à partir du troisième enfant. Il s’agit pour moi d’accompagner toutes les familles accueillant un enfant mais aussi de faire en sorte que la société ne supporte pas intégralement la prise en charge financière. C’est pourquoi je souhaite que soient accompagnés celles et ceux qui travaillent et qui ont les revenus minimaux nécessaires à l’éducation des enfants dans toutes les étapes de la vie.

Par ailleurs, cette mesure permettrait de dégager une marge de manœuvre pour mener une réflexion relative à un vrai financement du congé maternité et du congé parental. La famille est le creuset de la construction d’un enfant : elle doit donc être bien accompagnée.

Mme la rapporteure. Nous disposons déjà de données en la matière qui figurent d’ailleurs, pour certaines, dans le prérapport que nous vous avons transmis.

Avis défavorable bien que je partage votre intérêt pour évaluer les avantages des deux systèmes.

Mme Justine Gruet (DR). Nous ne disposons pas de données relatives au conditionnement du versement des allocations familiales à un revenu minimum à partir du troisième enfant.

M. Louis Boyard (LFI-NFP). Vous êtes dans le déni en ce qui concerne la natalité. Vous souhaitez la relancer, ce qui se respecte, sans pour autant faire de propositions structurelles qui permettraient d’inverser la tendance mondiale – la France affiche d’ailleurs un taux de natalité qui est un des plus élevés de l’Union européenne. L’ONU prévoit en effet qu’en 2080 la population mondiale atteindra un pic à 10,4 milliards d’habitants avant de diminuer à 10,2 milliards. Vous n’étudiez même pas l’hypothèse qu’il soit impossible d’inverser la courbe.

Or, si tel était le cas, c’est tout le système économique qui serait menacé et pas seulement le système de protection sociale. La croissance économique est-elle possible en cas de récession démographique ?

Enfin, conditionner le versement des allocations familiales à un revenu minimum à partir du troisième enfant est injuste. Les familles qui ont trois enfants sont parmi les plus riches ou les plus pauvres. Pour ces dernières, la perte d’une centaine d’euros de revenu serait cataclysmique, et ce sont les enfants qui seraient pénalisés. Or peut-on punir les enfants pour les choix faits par leurs parents ?

Alors que la France manque d’emplois stables et que tant d’autres facteurs interviennent, les parents ne peuvent être tenus pour responsables. Au bout du compte, c’est le capital qui est responsable, mais c’est un autre débat. En tout cas, nous nous opposerons à cet amendement.

Mme la rapporteure. J’avais lu rapidement l’exposé sommaire de votre amendement. Sagesse.

La commission rejette l’amendement.

Article 2 : Gage financier

La commission adopte l’article non modifié.

Mme la rapporteure. Je vous remercie pour ces débats passionnants. Je savais qu’un consensus se dégagerait sur le versement des allocations familiales dès la naissance du premier enfant. Je me réjouis que nous ayons avancé sur cette question. Le travail ne fait que commencer.

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/A3R7Gt

–Texte comparatif : https://assnat.fr/k2OUiU

 


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   ANNEXE N° 1 :
LISTE DES PERSONNES entendues PAR LA RAPPORTEURE

(Par ordre chronologique)

       Table ronde réunissant les administrations publiques

 Direction de la sécurité sociale (DSS)  Mme Maroussia Perehinec, adjointe à la sous‑directrice de l’accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail, et M. Vincent Malapert, chef du bureau des prestations familiales et aides au logement.

 Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)  M. Pierre Stecker, directeur de projet Développement des politiques de soutien à la parentalité et des 1000 premiers jours

       Table ronde réunissant des associations familiales

– Fédération nationale des familles de France  M. Fouzi El Mazzouz, chargé de mission Éducation, et Mme Émilie Souplet, présidente du pôle Éducation

 Union des familles laïques (Ufal) *– M. Jean-Louis Haurie, délégué à la politique familiale, président de l’Union départementale des associations familiales (Udaf) de la Gironde

       Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA)  Mme Hélène Périvier, présidente

       Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf)  M. Nicolas Grivel, directeur général

       M. Benjamin Ferras, inspecteur général des affaires sociales, enseignant en questions sociales à Sciences Po Paris et à Paris II-Assas

       Union nationale des associations familiales (Unaf) – Mme Guillemette Leneveu, directrice générale, M. Jean-Philippe Vallat, directeur des politiques familiales et services aux familles, et Mme Claire Ménard, chargée des relations parlementaires

       Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes (2012-2017)

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


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   ANNEXE N° 2 :
liste des Contributions reçues par lA rapporteurE

     Fédération syndicale des familles monoparentales

 


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   ANNEXE N° 3 :
TABLEAU DU MONTANT DES ALLOCATIONS FAMILIALES

Source : site internet allocations familiales https://www.caf.fr/allocataires/aides-et-demarches/droits-et-prestations/vie-personnelle/les-allocations-familiales-af

 


([1]) Source : Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, juin 2015.

([2]) Idem.

([3]) Source : Direction générale du Trésor, 2011.

([4]) Décret-loi du 12 novembre 1938 relatif aux allocations familiales.

([5]) Julien Damon, « Les batailles de la natalité : quel réarmement démographique ? », page 72, Éditions de l’Aube, 2024.

([6]) Il s’agissait alors d’intégrer les revenus d’allocations familiales dans l’assiette de revenus assujettie à l’impôt sur le revenu.

([7]) Loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015, article 85.

([8]) Source : Insee, « France, portrait social », 2016.

([9]) Les allocations familiales en outre-mer sont dues dès le premier enfant sans modulation de revenus.

([10]) Source : Insee, « Les familles en 2020 », 13 septembre 2021.

([11]) Source : Chantal Blayo, « La constitution de la famille en France depuis 1946 », pp. 721-747, 1986.

([12]) Source : Insee, « Les naissances en 2023 et en série longue », 2024.

([13]) Préambule de la Constitution de 1946, alinéa 10.

([14]) Après une pleine montée en charge du dispositif.

([15]) Drees, « Comment mieux prendre en compte la diversité des familles dans les échelles d’équivalence ? », enquête budget des familles, 2017.

([16]) France Stratégie, « Évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté : Les 35 mesures suivi et évaluation », p. 36, juillet 2022.

([17]) Observatoire national de la petite enfance, « L’accueil des jeunes enfants », 2023.

([18]) Décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française.

([19]) Loi n° 46-1335 du 22 août 1946 fixant le régime des prestations familiales.

([20]) Remplir les conditions de droit au séjour pour les citoyens de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou de la Suisse et, pour les étrangers (y compris Britanniques), fournir un titre de séjour en cours de validité. Enfin, pour les enfants nés à l’étranger une justification de leur entrée régulière sur le territoire national est nécessaire.

([21]) Article D. 521-3 du code de la sécurité sociale.

([22]) Le revenu net catégoriel correspond au revenu net des charges et des abattements fiscaux.

([23]) Article D. 521-4 du code de la sécurité sociale.

([24]) Site internet allocations familiales, annexe n° 3, consulté le 14 février 2024, lien URL : https://www.caf.fr/allocataires/aides-et-demarches/droits-et-prestations/vie-personnelle/les-allocations-familiales-af.

([25]) Articles L. 755-11 et L. 755-12 du code de la sécurité sociale.

([26]) Frédéric Marinacce et Jean-Marc Bedon, « Les prestations sociales et familiales dans les outre-mer », dans Constructif, juillet 2023.

([27]) Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), édition 2023, décembre 2023.

([28])  Direction de la sécurité sociale, Dossier statistique des prestations familiales, édition 2023, décembre 2023.

([29]) Idem.

([30]) Idem.

([31]) Cour des comptes, « Rapport d’application de la loi de financement de la sécurité sociale (RALFSS) », p. 89, prévisionnel 2025, octobre 2024.

([32]) Hélène Périvier, « Réforme des allocations familiales : un rendez-vous manqué » dans Travail, genre et sociétés n° 35, 2016.

([33]) Rapport n° 3168 de M. Stéphane Viry, président, et Mme Nathalie Elimas, rapporteure, fait en conclusion des travaux de la mission d’information de la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale sur l’adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle (1er juillet 2020).

([34]) Dont abaissement du plafond du quotient familial et suppression de la tranche marginale d’imposition à 5,5 %.

([35]) Dont modulation des allocations familiales, revalorisation de l’allocation de soutien familial et majoration du complément familial.

([36]) Insee, « Portrait social : Les réformes des prestations et prélèvements intervenues en 2015 opèrent une légère redistribution des 30 % les plus aisés vers le reste de la population », 22 novembre 2016.

([37]) Part des prélèvements obligatoires dans le produit intérieur brut (PIB), Insee, août 2024.

([38]) Le montant du RSA est calculé sur la base de la différence entre le montant forfaitaire, variable suivant la situation du foyer, et l’ensemble des ressources perçues au cours des trois derniers mois (dont allocations familiales).

([39]) Le montant de la PA correspond à la somme d’un montant forfaitaire – majoré selon les situations – d’une fraction des revenus professionnels du foyer (61 % à date) et de bonifications individuelles, retranchées des ressources prises en compte par le foyer (dont les allocations familiales).

([40]) Cet effet d’équivalence de « 1 pour 1 » a été constaté par la direction de la sécurité sociale.

([41]) Article L. 136–2 du CSS.

([42]) Cour des comptes, Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, Chapitre XIII : « Les aides aux familles nombreuses : des dépenses stabilisées, une cohérence à améliorer », p. 429, mai 2024.

([43]) Idem.

([44]) Direction de la sécurité sociale, réponses au questionnaire adressé par la rapporteure, février 2025.

([45]) Cour des comptes, La politique de l’accueil du jeune enfant, Synthèse, p. 6, décembre 2024.

([46]) Loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, articles 10 et 11.

([47]) Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958.

([48]) Préambule de la Constitution de 1946, alinéa 10.

([49]) Décret n° 2022-1694 du 28 décembre 2022 relatif à la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés.

([50]) Audition de M. Nicolas Grivel, directeur général de la Cnaf, 11 février 2025.

([51]) Simulations menées par la direction du contrôle et de l’évaluation de l’Assemblée nationale.

([52]) Julien Damon, « Les batailles de la natalité : quel réarmement démographique ? », p. 72, Éditions de l’Aube, 2024.

([53]) Insee, « Enquête sur les revenus fiscaux et sociaux », 2022.

([54]) Insee, « Les revenus et le patrimoine des ménages », 2024.

([55]) Simulations menées par la direction du contrôle et de l’évaluation de l’Assemblée nationale.

([56]) Loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013, article 4 ; loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, article 3.

([57]) https://assnat.fr/SOYlac