N° 1025

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 mars 2025

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires (n° 321)

PAR M. Jean-Paul MATTEI,

Député

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 Voir les numéros :

 Sénat : 519, 671, 672 (2023-2024) et T.A. 1 (2024-2025)

 Assemblée nationale : 321


SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS

I. Les fermetures abusives de comptes bancaires : un phÉnomÈne PEU documentÉ, mais auquel certaines catÉgories de clients semblent plus spÉcialement exposÉEs

A. SOUS RÉSERVE DU RESPECT D’UN PRÉAVIS DE DEUX MOIS, LA FERMETURE D’UN COMPTE BANCAIRE N’A PAS À ÊTRE MOTIVÉE

B. LES PROCÉDURES EXISTANTES N’ASSURENT PAS DE PROTECTION SUFFISANTE POUR LES CLIENTS LÉSÉS PAR UNE FERMETURE DE LEUR COMPTE

II. UNE CONCILIATION À OPÉRER ENTRE LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS, LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE ET LES EXIGENCES QUI PÈSENT SUR LES BANQUES

A. LA SOLUTION PROPOSÉE PAR LES SÉNATEURS : UNE MOTIVATION À LA DEMANDE DU CLIENT, L’EXCLUSION DE CERTAINS MOTIFS DE RÉSILIATION ET UN ALLONGEMENT DU PRÉAVIS POUR LES Français DE L’ÉTRANGER

B. UNE SOLUTION QUI SOULÈVE DES RISQUES JURIDIQUES ET NE GARANTIT PAS DE RECOURS POUR LE CONSOMMATEUR

C. LA SOLUTION PROPOSÉE PAR LE RAPPORTEUR : ENCADRER LA RÉSILIATION EN CONFÉRANT AU MÉDIATEUR UN POUVOIR DE CONTRÔLE SUR LA DÉCISION DE LA BANQUE ET UN DEVOIR D’INFORMATION DU CLIENT

travaux de la commission

discussion générale

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (nouveau) Étendre à quatre mois le préavis de résiliation pour les titulaires de comptes établis à l’étranger

Article 2 Imposer aux banques de motiver leurs décisions de clôture de comptes et proscrire certains motifs de résiliation

Article 3 Rapport annuel sur les motifs de résiliation, l’action des médiateurs et l’inclusion bancaire

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

 


   AVANT-PROPOS

La présente proposition de loi, déposée au Sénat le 8 avril 2024 par M. Philippe Folliot, a été adoptée à l’unanimité par la chambre haute le 9 octobre 2024. Le texte initial entendait rééquilibrer la relation entre les banques et leurs clients, considérant ces derniers comme la partie faible du contrat, en leur ouvrant un nouveau droit : celui d’obtenir de la banque communication des motifs ayant conduit à la clôture d’un compte bancaire.

Si une telle disposition paraît simple à mettre en œuvre pour les banques et bienvenue pour les consommateurs, il est apparu, lors des travaux préparatoires à son examen à la commission des finances du Sénat, que cette demande d’éclaircissement de la part du client pouvait exposer les établissements bancaires à des injonctions contradictoires. En effet, la résiliation d’une convention de compte peut résulter de la volonté d’une banque de mettre fin à une relation commerciale avec un client faisant l’objet de soupçons liés à des activités illicites. Les exigences en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) interdisent alors aux banques de divulguer en aucune manière le signalement qu’elles sont tenues de faire auprès de Tracfin, le service compétent du ministère de l’Économie et des finances.

Afin de renforcer les droits du consommateur sans porter atteinte à l’efficacité du renseignement financier, le texte adopté au Sénat s’inspire de l’obligation de motivation qui existe déjà pour les bénéficiaires du droit au compte, en aménageant une exception : les banques ne sont point tenues de motiver leur décision de résiliation, « lorsque cette motivation contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public ».

En outre, les sénateurs ont souhaité inscrire dans la loi trois motifs ne pouvant à eux seuls justifier une fermeture de compte : l’absence de rentabilité, le refus du client d’accepter une modification de la convention, les montants élevés de retraits. La « résiliation abusive » visée par le dispositif se trouve ainsi caractérisée.

Enfin, considérant que les désagréments liés à une résiliation unilatérale du compte bancaire sont plus marqués pour les Français établis hors de France, la proposition de loi adoptée par la chambre haute étend, au bénéfice de cette catégorie de titulaires de comptes, le préavis de résiliation à quatre mois.

Un triple niveau de protection du consommateur est donc poursuivi par la présente proposition de loi : premièrement, la faculté d’être utilement instruit du motif ayant conduit à la résiliation du compte bancaire ; deuxièmement, l’interdiction des résiliations abusives, pour certains motifs définis ; troisièmement, une durée de préavis adaptée selon la situation du client.

Le rapporteur souscrit pleinement à l’initiative sénatoriale visant à rééquilibrer les droits du consommateur confronté à la résiliation unilatérale de son compte bancaire. Bénéficier d’un compte bancaire est indispensable pour domicilier son salaire, payer un loyer, percevoir le remboursement de ses dépenses de santé. Il importe donc de ne pas ajouter un sentiment d’arbitraire à une situation susceptible de porter une atteinte grave à la poursuite de ses activités sociales et économiques.

Pour autant, le législateur doit veiller au maintien de la liberté de chacun des cocontractants dans le cadre d’une convention de compte, et notamment de la faculté pour un établissement de crédit d’adapter sa politique commerciale. L’encadrement des résiliations doit aussi concerner l’ensemble des prestataires de services financiers, et donc inclure les établissements de paiement au même titre que les établissements de crédit. Le législateur doit enfin se garder de créer des droits distincts selon les catégories de consommateur, pour privilégier des voies de recours permettant à chacun de se prémunir de situations abusives. Le monopole de fait dont bénéficient les banques dans la délivrance à nos concitoyens de nombreux services financiers indispensables à la vie quotidienne justifie une meilleure prise en compte de l’intérêt du consommateur.

I.   Les fermetures abusives de comptes bancaires : un phÉnomÈne PEU documentÉ, mais auquel certaines catÉgories de clients semblent plus spÉcialement exposÉEs

Avec 83 millions de comptes de dépôt, la couverture bancaire atteint un niveau très élevé en France, puisque 99 % des Français disposent d’au moins un compte en banque, contre 95 % dans la zone euro ([1]). Deux tiers des Français possèdent un compte dans une seule banque, ce qui rend indispensable le maintien d’une relation de confiance avec l’établissement de crédit. Selon une étude récente, 89 % des Français ont au demeurant une bonne image de leur banque ([2]). Celle-ci se fonde en particulier sur un lien de proximité. Le paysage concurrentiel est effectivement abondant, avec 326 banques et 34 298 agences, mais les réalités sont disparates selon les territoires ([3]). Dans les zones rurales, les fermetures de succursales se sont multipliées ces dernières années, tandis que la numérisation est privilégiée dans les relations bancaires.

Les banques sont également des partenaires essentiels à la vie des entreprises, que ce soit pour disposer d’un compte de dépôt afin de payer ses salariés (tout versement de salaire en espèces au-delà de 1 500 euros est interdit), d’honorer les factures de ses fournisseurs, ou pour obtenir, par un crédit, les financements nécessaires à son développement. L’existence d’un guichet de proximité constitue aussi pour l’entreprise la garantie d’un accompagnement adapté à la réalité économique du territoire.

À l’exception de la Banque postale, qui s’est vue confier une mission de service économique d’intérêt général d’accessibilité bancaire ([4]), les banques ne constituent pas pour autant un service public et obéissent, en tant qu’acteurs économiques, à des politiques commerciales et des stratégies de risque librement définies.

Les travaux récents de la commission des finances : vers un encadrement renforcé des activités bancaires

La présente proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires s’inscrit dans la continuité des travaux engagés par la commission des finances de l’Assemblée nationale pour mieux encadrer les pratiques commerciales des banques.

La proposition de loi visant à réduire les frais bancaires sur succession, déposée en janvier 2024, témoigne de la volonté du législateur de réguler le secteur bancaire et de protéger le consommateur. Le texte prévoit l’introduction d’un barème et d’un plafond pour les frais applicables aux successions, parmi les rares à ne pas faire l’objet d’un encadrement législatif. Adopté en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, le texte a été renvoyé au Sénat.

A.   SOUS RÉSERVE DU RESPECT D’UN PRÉAVIS DE DEUX MOIS, LA FERMETURE D’UN COMPTE BANCAIRE N’A PAS À ÊTRE MOTIVÉE

La relation qui lie le client, personne physique ou morale, à sa banque se matérialise par une convention de compte, contrat à durée indéterminée qui définit les obligations de chacune des parties. Le code civil proscrivant les engagements perpétuels, la convention de compte doit nécessairement pouvoir être résiliée ([5]). Cette faculté traduit la liberté contractuelle, qui, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, « découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » ([6]), et est ainsi l’une des conditions de la liberté d’entreprendre.

Dans le cadre d’une convention de compte, le client se trouve pourtant placé dans une asymétrie de fait vis-à-vis de l’établissement de crédit. En effet, alors que la fourniture des services bancaires constitue un support indispensable à l’exercice de nombreuses activités de la vie ordinaire, comme la domiciliation d’un salaire, l’usage de moyens de paiement adaptés ([7]) ou encore le versement d’un loyer, le client n’est pas en mesure de discuter les conditions contractuelles qui lui sont proposées. La convention de compte constitue un contrat d’adhésion, au sens de l’article L. 1 110 du code civil, et non un contrat de gré à gré dans lequel il lui serait loisible de négocier chacune des clauses.

La nature de la relation contractuelle apporte certes des garanties au client, lorsqu’il souhaite fermer son compte ou exercer son droit à la mobilité bancaire, au profit d’un établissement de crédit proposant des conditions mieux adaptées à sa situation. Le client n’est pas tenu de justifier sa décision de dénoncer la convention de compte et le banquier doit faire droit à sa demande sans délai, sauf stipulation contractuelle d’un préavis qui ne peut être supérieur à un mois ([8]).

Lorsque la résiliation résulte en revanche d’une décision unilatérale de la banque, le législateur a aménagé au profit du client un délai de prévenance de deux mois, garantissant au cocontractant un minimum de temps pour établir une relation commerciale avec un autre partenaire. La durée de ce préavis résulte de la transposition de l’article 45 de la directive européenne relative aux services de paiement ([9]). Si ce préavis constitue une garantie pour le client, la résiliation unilatérale par la banque de la convention de compte de dépôt n’est cependant assortie d’aucune obligation de motivation. Pour les clients les plus fragiles ou qui ne disposent que d’un seul compte, une telle décision, sans justification, ne peut manquer de susciter le désarroi, voire un véritable traumatisme, qui peut retarder leur capacité à réagir et à prendre des dispositions.

Le rapporteur déplore que le nombre de résiliations de comptes, à l’initiative des banques, et les motifs de fermeture, ne fasse l’objet d’aucun suivi permettant de disposer de données précises pour objectiver le phénomène et mesurer les conséquences pour le consommateur. En lien avec les médiateurs présents dans chaque établissement de crédit, il conviendrait que les banques organisent, sous le contrôle de l’Autorité de contrôle prudentielle et de résolution (ACPR) et de la Banque de France, une remontée d’informations afin d’évaluer l’impact de leurs pratiques commerciales et de mieux prendre en compte l’intérêt du consommateur.


B.    LES PROCÉDURES EXISTANTES N’ASSURENT PAS DE PROTECTION SUFFISANTE POUR LES CLIENTS LÉSÉS PAR UNE FERMETURE DE LEUR COMPTE

Tout d’abord, le préavis prévu à l’article L. 312-1-1 du code monétaire et financier peut s’avérer insuffisant pour gérer les conséquences de la fermeture du compte, ou pour s’adresser à une autre banque, lorsque le client réside dans une zone rurale où les agences sont éloignées de son domicile. Cela peut aussi être le cas pour les Français établis hors de France, et qui ont besoin d’un compte auprès d’une banque française pour percevoir des revenus français. La situation de ces clients, notamment si leurs différents revenus se trouvent majoritairement placés, pour des raisons de commodité, auprès d’une banque de leur pays de résidence, les rend en outre peu intéressants pour une banque française, le compte n’étant alors qu’un support pour effectuer des virements vers l’étranger, sans que des sommes importantes demeurent en dépôt.

Par ailleurs, lorsque le client est lié à sa banque par d’autres relations contractuelles, par exemple un crédit ou des placements financiers, sa situation peut entraîner une charge administrative particulièrement lourde. En effet, la résiliation du compte de dépôt, à partir duquel le client pouvait par exemple ordonner le virement de ses mensualités de prêt, ne met nullement fin à ce dernier, qu’il doit continuer à honorer sans disposer de moyens de paiement adaptés.

● Du côté de la banque, la décision de résilier les comptes peut résulter de toutes sortes de raisons qu’elle juge valables. Elle peut être la conséquence d’un manquement du client, lorsque celui-ci ne transmet pas les informations que la banque est tenue de vérifier à échéances régulières ([10]) , ou d’un comportement qui rend intolérable la poursuite de la relation commerciale. Pour des clients économiquement fragiles, la multiplication des incidents de paiement peut être une cause de résiliation, même si, dans ce cas, la banque perçoit des frais qui la dédommagent de ses interventions. Certaines entreprises connaissant des difficultés fréquentes de trésorerie peuvent aussi être confrontées à des résiliations unilatérales.

Au-delà de ces considérations liées à la situation d’un client individuel, la banque peut aussi choisir de faire évoluer sa stratégie commerciale pour cibler une autre catégorie de clients, jugés plus rentables ou moins risqués. Il arrive que le conseiller bancaire informe son client des motifs de la résiliation, mais il n’est en aucun cas tenu de le faire. À moins de suspecter une discrimination à son égard, au sens des articles L. 225-1 et L. 225-2 du code pénal, le client n’est donc pas fondé à intenter un recours contre la décision de sa banque, ou à engager sa responsabilité pour les conséquences auxquelles la décision unilatérale de celle-ci l’exposerait. Il ne peut pas non plus saisir le médiateur de la consommation, institué au sein de chaque établissement de services financiers en application de l’article L. 316-1 du code monétaire et financier, dès lors que la liberté de résiliation de la banque n’est point bornée. Le sentiment d’arbitraire et d’impuissance est donc fort pour le client qui s’estime lésé.

● La bonne foi du client ne saurait toutefois être toujours invoquée. En effet, la résiliation peut aussi résulter de la constatation d’opérations financières douteuses ayant conduit la banque à opérer un signalement de son client auprès de Tracfin, la cellule de renseignement financier du ministère de l’Économie et des finances. Il est à noter que le signalement n’oblige pas nécessairement la banque à résilier le compte : l’intérêt de l’enquête financière peut justifier le maintien en activité du compte servant de support à des activités illégales. Quoi qu’il en soit, si la banque décide de résilier le compte suite à un tel signalement, il lui est interdit de faire connaître au client les soupçons qui pèsent sur lui, et donc de motiver sa décision.

Les obligations des organismes financiers dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT)

 

Le code monétaire et financier prévoit à son article L. 561-15 que les organismes financiers, lorsqu’ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner que des sommes ou opérations proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou participent au financement du terrorisme, sont tenus d’effectuer une déclaration au service de renseignement financier du ministère de l’économie et des finances, Tracfin. En 2023, les établissements de crédit ont été à l’origine de 53 % des déclarations de soupçons transmises à Tracfin (92 038 déclarations).

Une déclaration de soupçon doit être obligatoirement effectuée dès lors que lorsque l’organisme financier ne peut écarter le doute sur l’origine et la destination des sommes. Parallèlement, un organisme financier doit, au titre des dispositions de l’article L. 561-8 du code monétaire et financier, mettre un terme aux relations d’affaires avec un client pour lequel il ne disposerait pas de suffisamment d’informations (procédure dite KYC, Know your customer).

Suite à la déclaration de soupçon, l’organisme financier peut prendre la décision de rompre la relation d’affaires avec le titulaire du compte. Cette décision, qui ne peut se substituer à l’obligation de déclaration de soupçon, n’est pas obligatoire et relève de la responsabilité dudit organisme. Par ailleurs, un organisme financier doit, au titre des dispositions de l’article L. 561-8 du code monétaire et financier, refuser d’établir une relation d’affaires dans le cas où il ne disposerait pas d’informations suffisantes sur son client. L’organisme peut à cette occasion transmettre à Tracfin une déclaration de soupçon.

L’article L. 561-18 du même code dispose que l’information de l’existence, du contenu ou des suites données à une déclaration de soupçon doit en toute hypothèse être confidentielle et ne doit en aucun cas être portée à la connaissance du propriétaire des sommes ou de l’auteur de l’une des opérations litigieuses sous peine de sanction.

Par ailleurs, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) précise que si une décision de clôture consécutive à une déclaration de soupçon pour blanchiment ou liée au financement du terrorisme est prise, la notification du motif de la clôture au titulaire est de nature à contrevenir au maintien de l’ordre public, voire à la sécurité nationale dans le cas du financement du terrorisme.

En tout état de cause, pour limiter les risques d’exclusion sociale et de difficultés économiques résultant de l’exercice par les banques de leur liberté contractuelle, le législateur a institué, depuis 1984, une procédure spécifique de droit au compte, prévue à l’article L. 312-1 du code monétaire et financier ([11]) . Dans ce cadre, toute personne s’étant vu refuser l’ouverture d’un compte bancaire, par exemple suite à la résiliation de son ancien compte, peut demander à la Banque de France de désigner un établissement de crédit qui sera chargé de lui ouvrir un compte bancaire gratuit.

Le droit au compte (DAC)

Introduit par l’article 58 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, le droit au compte permet à toute personne physique ou morale qui se voit refuser l’ouverture d’un compte par un établissement de crédit, d’une part d’obtenir les motifs de ce refus et, d’autre part, d’obtenir de la Banque de France la désignation d’un établissement de crédit tenu de lui ouvrir un compte.

Sont éligibles à ce dispositif les personnes physiques ou morales domiciliées en France ou de nationalité française dans le cas des personnes physiques. La circonstance selon laquelle la personne ne dispose pas de compte bancaire propre et qu’elle s’est vue refuser l’ouverture d’un compte par un établissement de crédit est nécessaire à l’opposabilité du droit au compte. Dans ce cas, la personne, mise en possession d’une attestation de refus d’ouverture de compte, peut demander à la Banque de France de lui désigner un établissement de crédit à proximité de son domicile pour lui ouvrir un compte, ce que l’établissement ne peut refuser, même lorsque la personne fait l’objet d’un interdit bancaire, d’un surendettement ou d’une inscription au fichier des incidents de crédit aux particuliers (FICP). Depuis 2022, l’absence de réponse sous quinze jours de l’établissement de crédit sollicité vaut refus, et le demandeur se voit remettre l’attestation lui permettant de s’adresser à la Banque de France.

Le droit au compte répond à un besoin dès lors qu’il est indispensable de disposer d’un compte bancaire pour percevoir un salaire, des prestations sociales ou régler ses impôts. Toutefois, ce dispositif ne saurait constituer une alternative satisfaisante pour les bénéficiaires d’un compte ouvert dans le cadre d’une relation commerciale de droit commun, d’abord parce que l’établissement bancaire désigné par la Banque de France n’est tenu d’offrir au titulaire de compte que les services bancaires de base dont la définition, établie par un décret du 17 janvier 2001, intègre entre autres les opérations de retrait et d’encaissement d’espèces, les virements bancaires et la délivrance d’une carte de paiement, mais exclut notamment l’émission de chèques et le droit au crédit, soit au total une offre très réduite.

Ensuite, les banques désignées par la Banque de France sont souvent réticentes à l’ouverture d’un compte qui ne présente pour elles aucun avantage commercial. Le juge administratif a régulièrement à connaître de requêtes de banques désignées, faisant valoir la plus grande proximité d’un autre établissement de façon à se dessaisir du cas. La Cour des comptes a déploré, dans un rapport de 2021, les obstacles et les retards que rencontrent les consommateurs pour faire valoir leur droit au compte

Toutefois, cette procédure, initialement destinée aux publics économiquement fragiles et n’ayant jamais bénéficié d’une couverture bancaire, ne fournit pas de solution réellement satisfaisante dans la majorité des cas de résiliation de comptes, dès lors que seuls des services bancaires de base, listés par décret ([12]), sont offerts aux bénéficiaires. À titre d’exemple, la carte de paiement incluse dans cette offre restreinte est à autorisation systématique, ce qui signifie que les opérations sur celles-ci ne sont autorisées que si la provision sur le compte de dépôt ou le découvert autorisés sont suffisants. Certaines opérations qui nécessitent une pré-autorisation de paiement, d’un montant supérieur à la transaction réalisée, sont ainsi impossibles, par exemple pour faire le plein de carburant dans une station-service.

 

Source : données transmises au rapporteur par le ministère de l’Économie et des finances.

Cette offre bancaire dégradée emporte donc de nombreux obstacles à une activité économique normale, en particulier s’agissant de personnes morales comme des entreprises, des fondations, des partis politiques ou des associations. Si le droit au compte constitue une procédure utile, dont l’efficacité mérite d’être renforcée, il ne saurait être regardé comme une solution satisfaisante pour les personnes physiques ou morales confrontée à l’impossibilité de poursuivre une relation contractuelle de droit commun avec un établissement dont l’offre correspond à leurs besoins effectifs.

Il faut également souligner que la baisse du recours à la procédure de droit au compte, passée de 60 000 bénéficiaires en 2017 à seulement 30 000 aujourd’hui, fait l’objet d’analyses divergentes. Pour les acteurs du secteur bancaire, cette baisse montre que les fermetures intempestives de comptes bancaires constituent un phénomène marginal, en tout cas en régression. Le développement de nouvelles offres bancaires et comptes de paiement (à l’instar des comptes Nickel, Qonto, etc.) apporterait aussi une réponse aux consommateurs et limiterait donc la portée des résiliations unilatérales. Pour autant, dans son rapport précité de 2021 sur l’inclusion bancaire, la Cour des comptes établissait quant à elle un lien entre cette diminution du recours au droit au compte et les difficultés de la mise en œuvre de cette procédure, marquée par son formalisme et la multiplicité des échanges entre le demandeur, la Banque de France et l’établissement désigné. Un défaut d’implication des acteurs bancaires est aussi mis en évidence, ainsi qu’une formation insuffisante des personnels, qui peuvent aboutir à un refus de droit.

En conséquence, le rapporteur considère que l’intérêt qui s’attache à la préservation, autant que faire se peut, des relations contractuelles existantes entre les banques et leurs clients, et donc à la prévention des fermetures abusives, justifie un encadrement des pratiques commerciales.

II.   UNE CONCILIATION À OPÉRER ENTRE LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS, LA LIBERTÉ CONTRACTUELLE ET LES EXIGENCES QUI PÈSENT SUR LES BANQUES

Si le rapporteur soutient pleinement l’ambition portée par la proposition de loi adoptée par le Sénat, ses travaux l’ont conduit à identifier les risques juridiques qui rendent souhaitables une évolution de la rédaction du dispositif dans le sens qu’il a présenté en commission. Au-delà de la question de la motivation de la décision de la banque, il importe que le consommateur soit en mesure de vérifier que la résiliation qu’il subit intervient pour un motif légitime, et qu’il dispose d’une voie de recours s’il s’estime lésé. Ces évolutions propres à garantir une plus grande transparence dans les relations contractuelles seront de surcroît un vecteur de confiance renforcée dans le secteur bancaire, gage de bon fonctionnement de l’économie.

A.   LA SOLUTION PROPOSÉE PAR LES SÉNATEURS : UNE MOTIVATION À LA DEMANDE DU CLIENT, L’EXCLUSION DE CERTAINS MOTIFS DE RÉSILIATION ET UN ALLONGEMENT DU PRÉAVIS POUR LES Français DE L’ÉTRANGER

Le texte initialement déposé au Sénat ne comportait qu’un unique article, visant à imposer aux banques de motiver, sur demande expresse du client, les motifs de la fermeture du compte. Le secteur bancaire a fait valoir qu’il ne pouvait être tenu à une motivation systématique, en raison des devoirs de vigilance qui s’imposent aux établissements de crédit en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. En effet, la loi interdit aux banques, sous peine de sanction, de porter à la connaissance du propriétaire des sommes ou de l’auteur des opérations suspectes l’existence d’une déclaration de soupçon auprès du renseignement financier. Le rapporteur du texte à la chambre haute a entendu sécuriser le dispositif en aménageant une exception légale autorisant une banque à ne point motiver sa décision lorsque celle-ci « contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public ». La formulation est reprise du IV de l’article L. 312-1 du code monétaire et financier, tel qu’il résulte, depuis 2016, de la transposition d’une directive européenne ([13]).

Lors de son examen en séance, le texte a été notablement enrichi par un encadrement des motifs de résiliation unilatérale par la banque, afin de limiter la totale liberté d’appréciation dont celle-ci bénéficie pour décider de la poursuite des relations contractuelles. Ainsi, la résiliation ne peut résulter de considérations liées exclusivement à l’absence de rentabilité, au refus par le client d’accepter une modification de la convention ou aux montants des retraits effectués.

Enfin, pour prendre en compte la situation des Français établis hors de France, un nouvel article a été introduit en séance, afin d’aménager, au seul bénéfice de cette catégorie de clients, la durée du préavis, portée à quatre mois. Deux raisons ont été évoquées pour justifier cette distinction selon le lieu de résidence des titulaires de comptes. En premier lieu, le fait que les Français établis hors de France sont plus souvent confrontés à des résiliations unilatérales de leurs conventions de compte par les banques, qui du fait de l’éloignement ou de la situation du pays de résidence de leur client, sont tenues à des exigences de vigilance renforcées, notamment sur la provenance des sommes inscrites dans leurs livres. En second lieu, les Français établis hors de France sont exposés à des retards dans la notification de la résiliation, et doivent entamer des démarches à distance pour obtenir l’ouverture d’un compte dans un autre établissement.

B.   UNE SOLUTION QUI SOULÈVE DES RISQUES JURIDIQUES ET NE GARANTIT PAS DE RECOURS POUR LE CONSOMMATEUR

Le rapporteur considère que le texte adopté au Sénat suscite des difficultés sérieuses qui paraissent compromettre, au cas où il serait voté conforme à l’Assemblée nationale, son applicabilité.

● D’une part, il relève que la faculté pour le client d’obtenir de la banque les motifs de sa décision, sauf à ce que celle-ci fasse valoir son droit à garder le silence lorsque sont en cause des objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public, porte atteinte à l’efficacité de l’organisation du renseignement financier. Un client qui se heurterait au refus de motivation de la banque qui procède à la résiliation de son compte aurait ainsi toutes les raisons de croire que celle-ci a constaté des opérations douteuses et qu’elle a effectué un signalement à Tracfin. Les banques sont quant à elles soumises à des injonctions contradictoires entre leur devoir de transparence à l’égard du client et leur obligation à ne procéder en aucune manière à une forme de divulgation négative des soupçons. Les représentants du secteur bancaire, auditionnés par le rapporteur, lui ont indiqué que dans cette situation, ceux-ci n’auraient d’autre choix que de ne pas appliquer la loi, ou de donner des motifs stéréotypés à leurs clients. La volonté du législateur se trouverait alors privée de toute portée effective.

Le rapporteur relève certes que, dans la mesure où la rédaction proposée par le Sénat reprend celle figurant depuis 2016 dans la loi s’agissant de la motivation systématique en cas de résiliation d’une convention ouverte selon la procédure du droit au compte, ce risque de divulgation négative existe déjà, en l’état du droit. Citant la Banque de France, la Cour des comptes, dans son rapport public annuel de 2021, constate d’ailleurs « une réticence croissante des établissements de crédit à satisfaire à la procédure du DAC au nom de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme », tout en notant qu’à ce jour, il n’a pas été possible de trouver une articulation plus satisfaisante entre les deux dispositifs. En tout état de cause, les risques de divulgation de soupçons sont limités dans le cadre d’un dispositif qui ne concerne que 30 000 comptes. Ce ne serait pas le cas d’une disposition législative trouvant à s’appliquer aux quelques 80 millions de comptes bancaires ouverts selon les procédures contractuelles de droit commun. Ce grief doit donc être pris au sérieux, et impose de renoncer à faire peser directement sur les banques la motivation de leur décision, à moins de se résoudre à ce que les motifs communiqués aux clients ne soient que de pure forme.

● D’autre part, l’interdiction de résilier un compte bancaire pour les trois motifs définis dans la proposition de loi porte une atteinte excessive à la liberté contractuelle des banques et dénature la relation commerciale qui les lie à leurs clients. Le rapporteur note en particulier l’imprécision des motifs retenus. Il n’est par exemple nullement précisé si l’absence de rentabilité se rapporte au compte du client, considéré individuellement, ou à une catégorie de clients pour lesquels la banque serait fondée à adapter sa politique de risque. S’agissant du refus par le client d’accepter une modification de la convention, il ne saurait être imposé aux banques d’accorder des clauses particulières à chaque client : cela représenterait une contrainte de gestion incompatible avec le fonctionnement de la plupart des établissements, dont les systèmes informatiques sont conçus pour gérer des conventions standardisées. Enfin, la banque est naturellement fondée à prendre en considération les mouvements de crédits et des retraits élevés et fréquents, incompatibles avec le niveau de vie connu du client, doivent constituer un signal d’alerte qui peut conduire à un signalement au renseignement financier.

● Le rapporteur émet aussi un avis défavorable à l’extension, au-delà de deux mois, du préavis en faveur des seuls Français établis hors de France. Outre le fait que cette disposition introduirait une distorsion peu justifiable selon le lieu de résidence des consommateurs, cela constitue une surtransposition de la directive européenne sur les moyens de paiement. Celle-ci ne semble pas pouvoir être justifiée par un intérêt national, dans la mesure où l’offre bancaire est abondante dans notre pays, ou par la situation particulière des Français de l’étranger. Ceux-ci constituent bien souvent une catégorie de consommateurs plus accoutumés à l’usage de moyens électroniques et à la gestion en ligne de leur compte bancaire. Ils ne paraissent pas constituer le public le plus fragile et l’extension du délai pour eux seuls n’est pas appropriée. Le rapporteur souhaite proposer un encadrement des pratiques commerciales des banques au bénéfice de l’ensemble des consommateurs, sans créer de dispositions catégorielles.

C.   LA SOLUTION PROPOSÉE PAR LE RAPPORTEUR : ENCADRER LA RÉSILIATION EN CONFÉRANT AU MÉDIATEUR UN POUVOIR DE CONTRÔLE SUR LA DÉCISION DE LA BANQUE ET UN DEVOIR D’INFORMATION DU CLIENT

Le rapporteur a déposé un amendement de suppression de l’article 1er et un amendement de réécriture globale de l’article 2 afin de sécuriser le dispositif envisagé et d’étendre la protection des consommateurs. La seule information des motifs de la résiliation ne paraît pas constituer une mesure de protection efficace, en l’absence de possibilité pour le client d’en contester le caractère éventuellement abusif.

● Il convient en outre d’inclure les établissements de paiement, mentionnés à l’article L. 314-13 du code monétaire et financier, dans le dispositif prévu par la proposition de loi pour les établissements de crédit. Ces établissements, également connus sous le nom de « néobanques » (Nickel, Qonto…), doivent obtenir un agrément de l’ACPR et établissent avec leur client un contrat-cadre de service de paiement dont certaines stipulations sont prévues légalement, notamment concernant les obligations d’information du client. Ils sont soumis aux mêmes obligations que les banques traditionnelles en matière de lutte contre le blanchiment ou le financement du terrorisme. Le législateur doit étendre au bénéfice des clients de ces sociétés les protections prévues contre les éventuelles pratiques commerciales abusives.

● Afin de contrer le sentiment d’arbitraire et d’impuissance du client, le caractère unilatéral de la décision pourrait être amoindri en consacrant le rôle d’un tiers de confiance. Sans remettre en cause la liberté contractuelle, le dispositif proposé par le rapporteur imposerait aux banques, dès la notification à leur client de la résiliation de la convention de compte, de mentionner la possibilité pour celui-ci de saisir, à tout moment au cours du préavis, le médiateur de l’établissement, mis en place conformément à l’article L. 316-1 du code monétaire et financier, garant de la protection des droits du consommateur, sous le contrôle de l’ACPR. La saisine du médiateur, qui doit rendre sa décision dans un délai d’un mois, proroge ainsi le préavis de deux mois déjà prévu au V de l’article L. 312-1-1 du CMF.

● Le rôle du médiateur consisterait alors à s’assurer que la résiliation intervient pour un « motif légitime », sans qu’il soit tenu, eu égard aux exigences de confidentialité précédemment évoquées, d’en révéler le motif précis. Naturellement, il appartient au législateur de caractériser ce motif légitime, sans porter une atteinte excessive à la liberté contractuelle. Le rapporteur est porté à regarder comme « abusive » une résiliation dont le seul motif serait, soit l’absence de rentabilité liée aux caractéristiques individuelles du client, soit les lourdeurs administratives de la gestion de certains profils de clients, en particulier les Français de l’étranger et les personnes politiquement exposées (PPE) et leurs proches, pour lesquels les procédures de dues diligence peuvent être perçues par les banques comme excessivement contraignantes ([14]).

Le médiateur serait ainsi compétent pour contrôler le caractère légitime du motif invoqué par la banque, sans que celle-ci soit exposée à divulguer des informations confidentielles au client. Le médiateur prendrait en compte, dans son appréciation, les autres relations contractuelles susceptibles de se poursuivre avec la banque une fois que celle-ci a mis fin à la convention de compte de dépôt, comme le remboursement d’un contrat de prêt, afin de s’assurer que la résiliation n’emporte pas de conséquence excessive pour la situation globale du client.

Ce faisant, le rapporteur n’entend pas remettre en cause la liberté des banques de fixer leur propre politique commerciale et de cibler plus particulièrement tel segment de marché, au détriment d’autres types de clients. La rentabilité est légitimement prise en compte lors de l’entrée en relation. Cependant, l’intérêt général qui s’attache au maintien des relations contractuelles en faveur du consommateur justifie une vérification par un tiers indépendant, non pas systématique mais à la demande du client qui s’estime lésé, du respect par la banque de ses obligations de loyauté et de traitement équitable et non discriminatoire.

Un tel dispositif n’interdirait pas les résiliations unilatérales, mais conférerait au consommateur une forme de recours, d’une part pour disposer, via la saisine, d’un délai supplémentaire pour prendre ses dispositions (virements, règlements de factures, transferts de comptes, liquidation dans des conditions ménageant son intérêt de ses livrets, comptes titres ou plan d’épargne), d’autre part pour comprendre les raisons qui ont conduit la banque à vouloir mettre fin à la relation, et ainsi, si possible, éviter qu’une telle situation ne se reproduise à l’avenir. Du point de vue de la banque, cette possibilité d’intervention du médiateur, qui connaît les spécificités de l’établissement et sa politique commerciale, offre une garantie supplémentaire de la cohérence de sa mise en œuvre entre les différentes succursales et collaborateurs. En tout état de cause, la possibilité d’une saisine du médiateur inciterait la banque à mieux prendre en considération l’intérêt du client.


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   travaux de la commission

   discussion générale

La commission a procédé à l’examen des articles de la présente proposition de loi au cours de sa réunion du mercredi 5 mars 2025.

M. Éric Woerth (EPR). Un mot sur l’organisation de nos travaux. L’agenda de la commission des finances est entièrement occupé par les auditions organisées dans le cadre de son enquête sur les variations et les écarts des prévisions fiscales et budgétaires 2023-2024. L’objectif est probablement, in fine, de mettre en cause le pouvoir, mais force est de constater qu’on tourne en rond. Certes, notre commission examine, comme c’est son rôle, des textes de loi. Mais qu’en est-il de la préparation du projet de loi de finances pour 2026, des missions d’information sur les enjeux financiers considérables auxquels nous faisons face ou du Printemps de l’évaluation ?

M. le président Éric Coquerel. Le bureau qui se réunira mercredi prochain sera précisément consacré à la fixation de l’agenda de la commission, notamment celui du Printemps de l’évaluation et de certaines auditions.

Je rappelle tout de même que la discussion budgétaire – qui s’est étalée jusqu’au mois de février, ce qui n’est pas fréquent – a grandement perturbé l’agenda de notre commission. Quant à l’enquête que nous menons, même si vous estimez que nous y passons trop de temps, elle n’est pas inutile, puisque, hier, les réponses des ministres avaient un lien avec notre sujet.

Nous en venons à l’examen de la proposition de loi inscrite à notre ordre du jour.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. La proposition de loi vise d’une part à garantir une meilleure protection du consommateur, d’autre part à lutter contre le sentiment d’arbitraire et d’impuissance que ne peut manquer de susciter la notification par la banque de la résiliation unilatérale d’une convention de compte.

L’absence de motivation donnée par les banques et, surtout, l’impossibilité pour le client lésé de réclamer des explications constituent une asymétrie de fait de la relation bancaire. Le législateur est donc fondé à intervenir pour rééquilibrer celle-ci au bénéfice de la partie au contrat la plus faible : celle qui se voit imposer un contrat d’adhésion sans pouvoir en négocier distinctement les clauses et qui, surtout, se trouve dans une situation de dépendance absolue à l’égard de l’établissement bancaire pour exercer des opérations de la vie courante.

La situation à laquelle la proposition de loi entend remédier concerne, et c’est heureux, un nombre très restreint de consommateurs. Combien exactement ? Il est malheureusement impossible de le déterminer : ni la Banque de France, ni l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), ni l’administration de Bercy, ni même les associations de consommateurs n’ont été en mesure de me fournir des données précises.

Je n’ai pas besoin de vous exposer plus longuement les enjeux de protection des droits du consommateur qui s’attachent à une telle proposition de loi. Je dois cependant vous faire part des limites et des risques que mes travaux m’ont permis d’identifier, et qui me conduiront à défendre une réécriture du dispositif sans perdre de vue l’objectif légitime que nous partageons tous.

Tel qu’il a été amendé au Sénat, le texte fait peser des injonctions contradictoires sur les banques et porte atteinte à l’efficacité de leur coopération avec Tracfin dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. En motivant la décision de résiliation dans tous les cas où celle-ci ne contrevient pas aux objectifs de sécurité nationale et de maintien de l’ordre public, les banques s’exposent, dans ce dernier cas, à une forme de divulgation négative des soupçons portés sur leurs clients. En outre, l’interdiction de résilier un compte pour des motifs prédéfinis porterait une atteinte excessive à la liberté contractuelle alors qu’en matière commerciale, l’une des parties n’a pas à se justifier si elle ne trouve plus convenance à poursuivre la relation.

Ces griefs sont sérieux. Je crois cependant qu’une voie peut être trouvée pour rééquilibrer la relation contractuelle au bénéfice du consommateur sans exposer le texte que vous voterez à une censure pour inconstitutionnalité.

Le dispositif que je proposerai établit un triple niveau de protection pour les clients des banques et apporte donc des garanties bien plus substantielles que la seule information des motifs de la résiliation, qui était, je le rappelle, l’unique objet de la proposition de loi initiale.

D’une part, il encadre les conditions dans lesquelles une banque est fondée à résilier une convention de compte, en excluant les considérations liées à la seule absence de rentabilité individuelle du client ou à la lourdeur administrative de la gestion de certains profils de clients, en particulier les personnes politiquement exposées. D’autre part, il impose aux banques, dès la notification de la résiliation à leur client, de mentionner la possibilité pour ce dernier de saisir le médiateur de l’établissement pour vérifier que la résiliation intervient bien pour un motif légitime et pour recevoir des explications sur les motifs de la résiliation. Enfin, en ayant pour effet de proroger automatiquement le préavis de deux mois, la saisine du médiateur permet au client lésé de bénéficier d’un délai supplémentaire pour faire face aux conséquences de la résiliation.

La proposition de loi porte sur des enjeux importants, mais elle risque d’être inapplicable si l’Assemblée nationale ne veille pas à renforcer la sécurité juridique de son dispositif. La réécriture que je propose, par le rôle donné au médiateur et au dialogue qui s’établit avec le client, permettra également, et ce n’est pas accessoire, de réhumaniser la relation bancaire et de lutter ainsi efficacement contre le sentiment d’arbitraire tout en instituant une véritable voie de recours à même d’inciter les banques à renforcer les bonnes pratiques et à toujours prendre en compte l’intérêt du client.

M. Charles de Courson, rapporteur général. La fermeture unilatérale d’un compte bancaire peut avoir des conséquences lourdes pour les personnes concernées ; il est anormal qu’une banque puisse mettre fin à une relation bancaire sans explication.

La proposition de loi introduit davantage de transparence et d’équilibre dans la relation entre les banques et leurs clients en imposant aux établissements de motiver toute décision de fermeture de compte dans un délai de quinze jours ouvrés. Elle permet ainsi aux usagers de mieux comprendre les raisons de leur exclusion et de prendre les mesures nécessaires pour y remédier, voire de saisir la justice ou le médiateur.

Le texte vise en outre à limiter les fermetures de compte en interdisant les motifs liés à l’absence de rentabilité, au refus d’une modification de convention bancaire ou à des retraits jugés trop importants. Il tend par ailleurs à allonger le délai de préavis pour les Français de l’étranger afin de leur donner le temps de trouver une solution alternative, mais ce régime dérogatoire ne me semble pas justifié.

Nos inquiétudes concernent la liberté contractuelle, l’augmentation des contentieux et l’articulation du dispositif avec les moyens de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Notons que le texte n’empêche pas les banques de résilier un contrat lorsqu’elles l’estiment nécessaire. Une information claire pourrait réduire les contestations de la clientèle. Il appartient aux autorités compétentes de veiller à ce que le dispositif ne mette pas en péril nos moyens de protection contre les réseaux dangereux.

La proposition de loi va dans le bon sens et s’inscrit dans la droite ligne de l’action de notre commission en matière de lutte contre l’exclusion bancaire et de plafonnement des frais bancaires. Le groupe LIOT lui apportera son soutien, sous réserve du sort que connaîtront les amendements de M. le rapporteur.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Bruno Clavet (RN). Sans compte en banque, il est impossible de percevoir un salaire, de payer un loyer, de régler ses factures ou de faire fonctionner une entreprise ou une association. Pourtant, une banque peut fermer un compte unilatéralement, sans justification ni recours possible. Cette décision brutale peut frapper un particulier ou une entreprise, mais aussi des élus locaux, voire des militants, et leurs conjoints, dont certains sont véritablement persécutés par les banques. En cela, cette pratique constitue une entrave grave à l’exercice de la démocratie. Aucune autre entité privée ou publique ne bénéficie d’un tel pouvoir !

Parce que la proposition de loi est un premier pas dans la lutte contre la fermeture abusive de comptes bancaires, le groupe Rassemblement national soutient les mesures de transparence qu’elle comporte. Toutefois, le texte pourrait aller plus loin, par exemple en sanctionnant financièrement les banques qui fermeraient de manière unilatérale et abusive un compte bancaire ou en imposant une contribution des banques privées au financement de la mission d’accessibilité bancaire de la Banque postale.

Au-delà des fermetures arbitraires de comptes, le rapport de force entre les banques et leurs clients est profondément déséquilibré. Ainsi, les frais bancaires, qui explosent, n’ont parfois aucune justification. Socialistes et macronistes nous promettent depuis 2013 de s’y attaquer, mais ils n’ont pas eu le courage d’aller jusqu’au bout. Les découverts sont toujours surfacturés alors que les établissements bancaires bénéficient d’une rentabilité record. En 2023, les frais liés aux incidents bancaires ont produit un revenu d’environ 7 milliards d’euros pour les banques françaises.

Le Rassemblement national souhaite mettre fin à ces pratiques abusives en instaurant des plafonds clairs, encadrés par la Banque de France, qui prennent en compte l’inflation et la réalité économique des Français. Nous voulons établir un équilibre entre les banques et leurs clients pour que le système bancaire soit un outil au service de l’économie réelle.

M. David Amiel (EPR). Nous souscrivons, bien entendu, à l’objectif de la proposition de loi. Toutefois, il ne faudrait pas que le dispositif visant à protéger les consommateurs ait pour effet d’informer ceux d’entre eux qui sont soupçonnés de blanchiment ou de financement du terrorisme des procédures judiciaires dont ils font l’objet. Or c’est le risque que comporte l’article 2, puisqu’il vise à imposer aux banques de justifier la fermeture d’un compte sauf dans ces deux hypothèses. C’est pourquoi les amendements déposés par le rapporteur nous semblent essentiels.

Quant à l’article 1er, je me range aux arguments du rapporteur et du rapporteur général : la dérogation prévue pour ceux de nos concitoyens qui vivent à l’étranger ne nous paraît ni justifiée ni conforme à la réglementation européenne.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Il est temps de mettre fin au régime des banquiers. Certes, la proposition de loi ne suffira pas à supprimer tous les abus des banques, qui sélectionnent leurs clients de manière discrétionnaire, s’engraissent sur le dos des plus pauvres, fraudent le fisc ou multiplient les investissements polluants. Mais c’est mieux que rien.

Avoir accès à un service bancaire est un droit. Pourtant, de trop nombreuses banques ferment des comptes bancaires sans avoir à se justifier. Les pauvres, dehors ! Pardon, il faut dire que « le profil du client est trop à risque » – comprenez : il ne rapporte pas suffisamment d’argent. C’est le régime du fric et de l’arbitraire !

Or, comment est-il possible de vivre, ne serait-ce que quelques jours, sans compte bancaire ? Pas de salaire, pas de pension de retraite, pas de remboursement des frais médicaux, pas de possibilité de payer son loyer…

Si seulement cet abus était le seul ! Mais les frais bancaires ont augmenté de 14 % en cinq ans et seront, cette année encore, en hausse de 5 %. Dans un pays où les gens galèrent pour manger, la possibilité qu’ont les banques de lever cette espèce d’impôt privé est un pur scandale. Les frais d’intervention ou de prélèvement qui frappent les Français les plus précaires ne sont rien d’autre que du racket. Ainsi, chaque année, 6,5 milliards d’euros sont pris à 8 millions de Français. Est-il nécessaire de rappeler qu’en 2024 les cinq plus grands groupes bancaires français ont réalisé 32,2 milliards de profits ?

Nous voterons probablement pour la proposition de loi pour qu’à tout le moins, les banques rendent des comptes à leurs clients et que cessent les fermetures abusives. Toutefois, il est urgent d’encadrer davantage les pratiques bancaires.

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). La proposition de loi est une pierre supplémentaire dans l’édifice d’un meilleur encadrement des pratiques des groupes bancaires. À ce propos, nous nous réjouissons que des textes tels que ceux visant à mettre fin à la fraude dite du CumCum, pratiquée par les banques, ou à encadrer les frais bancaires prélevés sur les successions aient fait l’unanimité, même si le premier, sur lequel le Conseil constitutionnel doit encore se prononcer, reste à la merci des pressions exercées par les lobbys sur le gouvernement et que le second n’est pas encore inscrit à l’ordre du jour du Sénat.

Les banques se rémunèrent deux fois grâce à nos dépôts : en prélevant des frais sur nos comptes et en utilisant notre argent comme ressource pour leurs opérations financières. Dès lors, si, pour protéger les plus précaires, nous encadrons très légèrement et les clôtures de compte et les frais bancaires, nous n’affecterons qu’une toute petite partie de leurs revenus.

S’agissant de la proposition de loi, le groupe Socialistes et apparentés sera attentif à trois éléments. Premièrement, le texte doit être conçu pour protéger d’abord nos concitoyens les plus vulnérables et non uniquement les personnes politiquement exposées. Deuxièmement, il ne doit pas être détricoté au prétexte de la concurrence à laquelle sont soumises les banques françaises, car le risque que leurs clients fuient à l’étranger est faible, voire nul. Enfin, nous formons le vœu que les complexités techniques liées à des cas exceptionnels – notamment dans le cadre des signalements à Tracfin – soient appréhendées avec rigueur mais sans remettre en cause l’objectif du texte, qui est de protéger les plus vulnérables contre les abus de certains groupes bancaires.

M. Philippe Juvin (DR). Si l’objet de la proposition de loi est louable, celle-ci suscite des interrogations : quelle est l’ampleur du phénomène ? Notre droit ne comporte-t-il pas déjà des protections ? Par ailleurs, sur le fond, le texte ne semble pas opérant. C’est pourquoi nous sommes très intéressés par les amendements déposés par le rapporteur, dont nous attendons des éclaircissements.

Cela étant dit, pendant que nous passons des heures à débattre de textes relatifs à la vie quotidienne et à peaufiner des détails qui sont quasiment d’ordre réglementaire, l’histoire s’accélère. Lutte contre le frelon asiatique, accès au travail des demandeurs d’asile, fermeture des comptes en banque… : ce n’est pas en réglant au millimètre chaque norme du quotidien que nous protégerons nos concitoyens. Compte tenu des événements mondiaux auxquels nous assistons, la commission des finances ne devrait-elle pas plutôt s’interroger sur les conditions de la sauvegarde du pays ? La première condition du réarmement, sur la nécessité duquel tout le monde s’accorde, est la baisse de la dépense publique et de la dette en vue d’une réallocation des ressources.

M. le président Éric Coquerel. Je n’ai pas le moyen de contrôler les propositions de loi examinées par notre commission, et je ne le revendique pas, du reste.

M. Tristan Lahais (EcoS). Je suis d’accord à la fois avec la dernière remarque de M. Juvin et avec l’explication de M. le président.

En permettant de corriger une asymétrie qui profite aux banques et d’instaurer des règles de transparence, la proposition de loi marque une première avancée. La fermeture discrétionnaire des comptes permet surtout aux banques de se défaire, sans avoir à se justifier, de comptes fragiles ou qui n’offrent qu’une rentabilité faible. Ce faisant, elles plongent les clients concernés dans une situation de détresse et alourdissent la tâche des établissements chargés d’une mission de service public auprès des clients exclus du système bancaire, en particulier la Banque postale.

Dans sa version initiale, le texte ne prévoyait qu’un simple droit à l’information. Grâce au travail des groupes de gauche du Sénat, il nous arrive enrichi de dispositions qui permettront de lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires. Nous regrettons néanmoins que la proposition de loi ne s’inscrive pas dans une démarche plus large de régulation du secteur bancaire. Il est en effet indispensable de lutter contre la cherté des services financiers, la France étant un des pays d’Europe où les frais bancaires sont le plus élevés.

Nous soutiendrons la proposition de loi ainsi que l’ensemble des amendements qui vont dans le sens d’une meilleure régulation et d’une plus grande inclusion.

Mme Marina Ferrari (Dem). Une banque peut décider unilatéralement de fermer le compte d’un client à tout moment, en respectant un préavis de deux mois. Elle n’est pas tenue de justifier sa décision, ce qui expose le client à une forme d’arbitraire et peut susciter son incompréhension. Les associations de consommateurs confirment du reste que les fermetures de compte sont souvent mal comprises et peuvent, dans certains cas, donner lieu à des abus. Hélas, nous ne disposons pas de données chiffrées dans ce domaine.

Nos collègues sénateurs ont construit un dispositif à deux étages, qui est au cœur de l’article 2. Il s’agit, d’une part, d’obliger les banques à fournir de manière automatique le motif de la résiliation, sauf si cela contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public, d’autre part, d’introduire trois motifs d’interdiction de résiliation.

Bien que louable, ce texte présente des risques sérieux d’insécurité juridique sans remplir parfaitement son objectif initial. En effet, l’obligation de justification pourrait conduire à une forme de divulgation négative de leur situation aux clients qui ont fait l’objet d’une déclaration de soupçons auprès de Tracfin. Par ailleurs, en interdisant la résiliation si elle résulte du refus par le client d’une modification de la convention, on porterait une atteinte excessive à la liberté contractuelle.

Face à ces difficultés, le rapporteur nous propose une solution équilibrée, que nous soutiendrons. Elle consiste à qualifier précisément ce qui constitue une fermeture de compte abusive tout en offrant la possibilité au client qui pense subir une décision arbitraire de saisir le médiateur de l’établissement bancaire pour vérifier que son compte n’a pas été fermé de manière illégitime. Si ces amendements sont adoptés, nous soutiendrons le texte.

Mme Félicie Gérard (HOR). S’il est intéressant et légitime de vouloir renforcer la transparence et l’information des clients en cas de résiliation d’un compte par une banque, la proposition de loi comporte de nombreuses limites.

Tout d’abord, elle aurait des conséquences sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les banques jouent un rôle crucial dans ce combat et leur capacité à fermer un compte suspect sans en révéler la raison est une pierre angulaire de notre dispositif de renseignement financier.

Avant d’agir, il est indispensable d’objectiver la situation. Les résiliations de comptes de dépôt par les banques ne sont pas encore documentées, de sorte qu’il n’est pas possible de distinguer ce qui relève de la politique de gestion du risque ou de la politique commerciale ni d’apprécier l’ampleur du phénomène.

Nous appelons donc à la prudence. L’amélioration de l’information des clients est un enjeu essentiel, mais elle ne doit pas se faire au détriment des principes de droit ou de l’efficacité de nos dispositifs de lutte contre la fraude et le terrorisme. Les députés Horizons et indépendants détermineront donc leur vote en fonction de l’issue de nos débats. J’ajoute que je souscris aux propos de Philippe Juvin.

M. Nicolas Sansu (GDR). La lutte contre les fermetures abusives de comptes bancaires est un enjeu majeur pour la protection de nos concitoyens les plus fragiles. La proposition de loi a été grandement améliorée par le Sénat, qui a décidé que c’est à la banque qu’incombe l’initiative de motiver la décision de fermer le compte, dispensant ainsi le titulaire du compte de demander à celle-ci des explications. Si nous revenions sur cette mesure, le texte serait largement privé de son efficacité.

Puisque certains invoquent l’efficacité de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, je souhaiterais savoir quelle est la part des fermetures de comptes qui obéissent à ces motifs. Au demeurant, les clients concernés pourraient, en tout état de cause, saisir le médiateur, lequel ne pourrait pas non plus les informer des raisons de la fermeture de leur compte. Le résultat serait donc le même.

Si nous restons le plus près possible du texte du Sénat, le groupe GDR votera la proposition de loi avec enthousiasme.

M. le président Éric Coquerel. Je souhaite réagir à la remarque de M. Juvin sur l'absence de débat sur les grandes questions telles que la dette. Nous pourrions les aborder plus facilement si nous votions le budget et allions au bout du processus d’examen des amendements. Malheureusement, pour les raisons que nous connaissons, nous sommes privés de ce débat depuis 2022.

Je suis convaincu que vous connaissez tous le sujet de la fermeture abusive de comptes bancaires, ne serait-ce qu'en tant que personne politiquement exposée (PPE). Vos enfants, petits-enfants ou associés peuvent être touchés par des fermetures injustifiées. C'est un problème quotidien pour des millions de citoyens et d'entreprises. J'en ai moi-même fait l'expérience en entreprise et je sais que les conséquences peuvent être lourdes.

Je salue donc cette proposition de loi et partage ses objectifs. Je ferai cependant les mêmes remarques que M. Amiel. Il faut bien sûr rester vigilant sur les risques liés à des opérations illicites pouvant être surveillées par Tracfin. La Banque de France nous a d’ailleurs alertés à ce sujet. Il nous faut toutefois prendre garde à ne pas laisser les banques fermer des comptes sans justification ni risque.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Nous ne disposons pas de statistiques sur les fermetures, notamment celles qui ont un lien avec Tracfin. Par ailleurs, monsieur Juvin, nous sommes lucides et distinguons bien l’essentiel de l’accessoire.

Je suis convaincu que ce texte, qui s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de nos travaux, est utile et nécessaire. Pour autant il n’est pas parfait et c’est afin qu’il soit efficace que je propose de réécrire l’article 2.

À l’heure de l’intelligence artificielle, nous souhaitons introduire une dimension humaine dans le processus en impliquant un médiateur et éviter les réponses automatiques, d’autant que bien souvent, lors de l’ouverture du compte, les contrats d'adhésion sont signés sans que toutes les clauses en aient été consultées.

Le texte a été enrichi au Sénat, notamment par le groupe Écologiste, le groupe Communiste ayant posé des bornes. Pour ma part, je propose que le médiateur vérifie que la fermeture n'est pas liée à la qualité du client, qu'il soit peu rentable ou politiquement exposé – cela nous concerne directement mais il ne s’agit évidemment pas de rédiger un texte sur mesure. Je propose aussi que le médiateur examine les effets collatéraux de la fermeture sur d'autres relations contractuelles du client avec la banque.

S’il n'y a pas lieu de modifier les délais en fonction de la situation géographique, raison pour laquelle je m’opposerai aux amendements à ce propos, la saisine du médiateur porterait le délai de deux à trois mois, ce qui laisserait plus de temps aux clients pour se retourner.

Si je comprends le souhait d’un vote conforme, il me semble néanmoins nécessaire de le réécrire afin de sécuriser le dispositif.

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*     *


   EXAMEN DES ARTICLES

Le présent article étend à quatre mois le préavis qui s’impose aux banques en cas de résiliation unilatérale de la convention de compte d’un titulaire résidant hors de France, doublant la durée du préavis de deux mois prévu par le droit commun.

  1.   LE DROIT EN VIGUEUR : LA RÉSILIATION PAR LA BANQUE EST CONDITIONNÉE AU RESPECT D’UN PRÉAVIS DE DEUX MOIS

Les conditions de résiliation d’une convention de compte sont fixées au V de l’article L. 312-1-1 du code monétaire et financier. Tandis que le client est libre de résilier son compte à tout moment, sauf à respecter un préavis contractuel qui ne peut être supérieur à trente jours ([15]) , la banque est toujours tenue de respecter un préavis de deux mois ([16]). Il est également précisé que la notification de la résiliation doit se faire « sur support papier ou sur un autre support durable ».

La mention d’un préavis de deux mois résulte de la transposition de l’article 55 de la seconde directive européenne sur les services de paiement dans le marché intérieur ([17]), établissant un cadre juridique commun pour l’ensemble des acteurs financiers dans l’Union européenne.

En l’état actuel du droit, le client confronté à une résiliation unilatérale de son compte bancaire ne dispose d’une voie de recours que dans le seul cas où il peut démontrer que la banque n’a pas respecté ce préavis de deux mois, ou que les conditions de sa notification n’ont pas été conformes aux dispositions légales. Il peut alors saisir, soit le médiateur de la consommation, institué auprès de chaque établissement de service financier, conformément à l’article L. 316-1 du même code, qui peut intervenir à tout moment de la relation contractuelle, soit le juge du contrat, pour engager la responsabilité de la banque.

  1.   LE DROIT PROPOSÉ : UN ALLONGEMENT À QUATRE MOIS DE LA DURÉE DU PRÉAVIS AU BÉNÉFICE DES SEULS Français DE L’ÉTRANGER

Lors de l’examen en séance, les sénateurs ont proposé de modifier le troisième alinéa du V l’article L. 312-1-1 afin de porter à quatre mois le délai de prévenance au terme duquel la banque peut procéder à la résiliation de la convention de compte, pour le seul cas d’un titulaire établi hors de France. Cette disposition permet d’apporter aux Français de l’étranger une protection supplémentaire. Cette catégorie de titulaires de compte se trouve en effet dans une situation plus contrainte lorsqu’il s’agit de trouver une nouvelle banque.

  1.   LA POSITION DE LA COMMISSION

La commission a supprimé l’article 1er .

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*     *

Amendement de suppression CF24 de M. Jean-Paul Mattei

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. En cohérence avec mon amendement de réécriture de l’article 2 et toujours dans un souci d’efficacité, je propose de supprimer cet article qui a été ajouté par le Sénat et qui présente un risque d'incompatibilité avec les règles européennes, qui fixent un délai de deux mois.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Nous luttons tous contre les surtranspositions, en voici un excellent exemple.

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Je partage l'objectif de M. Mattei de ne pas créer de distinction entre les clients selon leur lieu de résidence. Je préférerais toutefois porter le délai à quatre mois pour tous. Protéger le consommateur est une forme de surtransposition positive.

M. Tristan Lahais (EcoS). Les règles doivent effectivement être les mêmes pour tous les Français, quel que soit leur lieu de résidence. Nous voterons contre l’amendement de suppression et soutiendrons les amendements identiques qui suivent.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Les règles européennes prévoient un délai de deux mois et non de quatre et il faut prendre garde au risque de surtransposition. Je suis conscient que l’adoption de l’amendement ferait tomber ceux qui prévoient d’allonger le délai pour tous, mais je rappelle que mon amendement de réécriture de l’article 2 permettrait qu’il aille jusqu’à trois mois.

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF22 de M. Tristan Lahais

M. Tristan Lahais (EcoS). Il propose d’étendre le délai de deux à quatre mois pour les personnes résidant à l'étranger, mais je le retire au profit des amendements identiques suivants.

L’amendement est retiré.

Amendements identiques CF13 de Mme Christine Pirès Beaune et CF15 de M. Nicolas Sansu et sous-amendement CF26 de M. Tristan Lahais

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Tous les titulaires d’un compte bancaire doivent être traités de la même manière, quel que soit leur lieu de résidence. Il faut un délai de préavis de quatre mois pour tous, car deux mois sont insuffisants pour les personnes vulnérables celles qui m’intéressent le plus, même si, initialement, le texte concernait les personnes politiquement exposées et faisait suite au problème rencontré par Philippe Folliot.

Je déplore le manque d'informations sur les comptes clôturés, notamment en lien avec le blanchiment, ce qui nous oblige à légiférer à l'aveugle.

M. Tristan Lahais (EcoS). Le sous-amendement propose d’introduire la possibilité de prolonger le délai par arrêté du ministre de l’économie.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. L’allongement des délais constituerait une surtransposition de la directive européenne sur les services de paiement, qui prévoit un délai minimal de deux mois. Cette extension n'est pas justifiée. De plus, en cas de dysfonctionnement lié à des comportements suspects, permettre à un compte de fonctionner deux mois de plus présenterait un risque important en termes de réactivité et de prévention.

La réécriture de l’article 2 laisse le temps, notamment aux personnes vulnérables, de comprendre, avec l’aide du médiateur, pourquoi le compte a été fermé.

Avis défavorable aux amendements identiques et au sous-amendement.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Je souligne que le manque d'informations est dû au lobby bancaire, qui cherche à préserver ce privilège exorbitant contre lequel nous devons fermement lutter.

Nous soutenons les amendements et le sous-amendement. En effet, compte tenu des difficultés rencontrées pour transférer un compte, y compris pour les personnes disposant de moyens et même lorsque la Banque de France intervient pour faire valoir le droit au compte bancaire, un délai de quatre mois est un minimum pour que les choses se passent dans de bonnes conditions et que le client ne subisse pas les conditions exigées par la banque vers laquelle le compte est transféré.

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Si nous n'adoptons pas ces amendements, nous maintiendrons une discrimination totalement illégitime selon le lieu de résidence.

Mme Marina Ferrari (Dem). Ces amendements fragilisent le texte par rapport à la réglementation européenne : une surtransposition positive reste une surtransposition.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Je comprends l'argument de l'allongement du délai, mais je crains que cela ne crée une insécurité juridique. L'échange avec un médiateur me semble plus efficace et il pourrait porter le délai jusqu’à cinq mois.

J'espère que nous parviendrons à une rédaction plus stable lors du débat en séance publique.

La commission adopte le sous-amendement et rejette les amendements identiques.

Elle rejette l’article 1er.

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Le présent article impose aux établissements de crédit de faire droit à la demande de motivation adressée par les titulaires de comptes bancaires s’étant vu notifier une résiliation unilatérale de leur convention, par écrit et dans un délai de quinze jours, sauf à ce que cette motivation contrevienne aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public. En outre, la résiliation unilatérale de la convention de compte par l’établissement de crédit ne peut résulter de considérations liées exclusivement à l’absence de rentabilité, au refus par le client d’accepter une modification de la convention, ou à des montants de retraits jugés trop importants par l’établissement de crédit. Ces dispositions s’appliquent également en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.

  1.   LE DROIT EN VIGUEUR : UNE OBLIGATION DE MOTIVATION POUR LES SEULS BÉNÉFICIAIRES DU DROIT AU COMPTE

L’article L. 312-1-1 du code monétaire et financier ne prévoit aucune obligation de motivation de la décision de résiliation. La notification de la décision mentionne l’existence d’un préavis de deux mois, mais ne délivre aucune information au client sur les raisons qui ont poussé l’établissement de crédit à mettre fin à la convention de compte.

En revanche, les clients dont la convention de compte a été établie dans le cadre de la procédure du droit au compte prévue à l’article L. 312-1 du même code, bénéficient d’une protection plus forte afin de préserver leur inclusion bancaire. La banque ne peut alors résilier le compte que pour des motifs strictement définis par le législateur au IV dudit article. Ces motifs concernent, soit le comportement du client (incivilités répétées rendant intolérable la poursuite de la relation contractuelle, opérations pouvant faire suspecter des activités illégales), soit l’évolution de sa situation depuis l’entrée en relation (le client ne répond plus aux conditions ayant justifié l’ouverture de son compte, ou a obtenu entretemps l’ouverture d’un autre compte bancaire dans le cadre de la procédure de droit commun). La banque est alors tenue d’informer le client, par écrit et gratuitement, des motifs de la résiliation, sauf, depuis 2016, à ce que cette motivation contrevienne « aux objectifs de sécurité nationale et de maintien de l’ordre public ».

  1.   LE DROIT PROPOSÉ : UN ENCADREMENT DES CONDITIONS DE LA RÉSILIATION PAR LA BANQUE AFIN DE PROTÉGER LE CONSOMMATEUR
    1.   Le consommateur peut solliciter la banque pour connaître les motifs de la résiliation

La proposition de loi modifie le troisième alinéa du V de l’article L. 312-1-1 du code monétaire et financier afin de préciser les conditions dans lesquelles le client peut demander à la banque la motivation de sa décision. La rédaction proposée fait référence à une demande du client, qui marque le point de départ du délai de quinze jours ouvrés laissé à la banque pour motiver sa décision. Cette motivation est adressée gratuitement et par écrit au client.

  1.   La banque peut garder le silence si la résiliation résulte d’un signalement auprès du renseignement financier

Par parallélisme avec la procédure de droit au compte, la proposition de loi aménage une exception à l’obligation de motivation de leur décision, dès lors que le client en fait la demande. Afin de ne pas exposer les banques à une forme de divulgation négative des soupçons portés sur leur client en matière de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, le législateur précise que la banque n’est pas tenue de répondre à la demande du client, « lorsque cette motivation contrevient aux objectifs de sécurité nationale et de maintien de l’ordre public ».

  1.   La caractérisation par la loi et l’interdiction des fermetures abusives de comptes bancaires

Alors que la proposition de loi ne visait initialement qu’une obligation de transparence des motifs à l’égard du client qui en fait la demande expresse, le texte adopté au Sénat procède à un encadrement de la procédure de résiliation unilatérale d’une convention de compte en définissant, à l’article L. 312-1-1 du code monétaire et financier, trois motifs qui ne peuvent, à eux seuls, justifier une telle décision. Ces trois motifs sont : l’absence de rentabilité du compte, le refus par le client d’accepter une modification de la convention et des montants de retraits jugés trop importants.

 

Il est en outre précisé que les conditions d’application de ces dispositions sont déterminées par un décret pris après avis du Comité consultatif du secteur financier (CCSF), institué par la loi n° 2003‑706 du 1er août 2003 de sécurité financière, et dont les missions, définies à l’article L. 614-1 du code monétaire et financier, sont liées aux relations entre les professionnels du secteur financier et leur clientèle.

  1.   LA POSITION DE LA COMMISSION : UNE MOTIVATION SYSTÉMATIQUE ET UNE GARANTIE SPÉCIFIQUE POUR LES ÉLUS DE LA RÉPUBLIQUE

● La commission a adopté l’amendement CF1, présenté par M. Le Coq et plusieurs de ses collègues du groupe La France insoumise – Nouveau Front Populaire, visant à préciser la rédaction proposée du troisième alinéa du V de l’article L. 312-1-1, afin que la motivation de la résiliation soit systématiquement donnée par la banque, sans que le client ait à faire une demande en ce sens. La banque dispose toutefois d’un délai de quinze jours ouvrés, à compter de sa décision, pour éclairer le client sur les motifs de celle-ci.

● La commission a également adopté l’amendement CF5, présenté par M. Allegret-Pilot et plusieurs de ses collègues du groupe UDR, visant à garantir que la qualité d’élu de la République ne puisse constituer un motif de résiliation exclusif d’une convention de compte. Ainsi modifié, l’article 2 de la présente proposition de loi a été adopté par la commission des finances.

 

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Amendement de suppression CF9 de M. Daniel Labaronne

M. Daniel Labaronne (EPR). L'article 2 contient une disposition curieuse puisqu’il prévoit que les banques doivent justifier la fermeture d'un compte auprès de tous les clients, sauf les terroristes et les blanchisseurs d’argent à qui cela revient à envoyer un message très clair : « On ne vous informe pas, car vous avez été repérés. »

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Je vous invite à examiner ma proposition de réécriture, qui prend en compte ces imperfections et propose un dispositif plus équilibré, avec un médiateur qui pourra donner des explications.

Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.

M. David Guiraud (LFI-NFP). Un terroriste dont le compte est fermé se doutera qu'il est soupçonné, avec ou sans cette loi.

M. Daniel Labaronne (EPR). Je maintiens ma position. La rédaction actuelle de l'article 2 affaiblit l'action contre le blanchiment et le financement du terrorisme

La commission rejette l’amendement.

Amendement CF23 de M. Jean-Paul Mattei

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Tel qu’il a été adopté au Sénat, l’article 2 présente des risques sérieux d’insécurité juridique et ne répond pas totalement au souci de concilier la motivation systématique par la banque qui procède à la résiliation et les obligations qui lui incombent au titre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

En effet, la motivation systématique, sauf si celle-ci « contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public », conduira à une forme de divulgation passive de la part des banques des soupçons qui pèsent sur leur client, lorsque celui-ci ne se voit notifier aucun motif de résiliation.

D’autre part, les amendements adoptés par la chambre haute, en interdisant strictement certains motifs de résiliation, portent une atteinte excessive à la liberté contractuelle. La convention de compte est un contrat intuitu personae, le cocontractant doit toujours pouvoir mettre fin à la relation s’il n’y a plus convenance.

Je propose donc de réécrire le dispositif afin d’imposer aux établissements de crédit, dès la notification à leur client de la résiliation de la convention de compte, de mentionner la possibilité pour ce dernier de saisir le médiateur de l’établissement, mis en place conformément à l’article L. 316‑1 du code monétaire et financier et agissant sous le contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dans l’intérêt du consommateur. La saisine du médiateur, qui doit rendre sa décision sous un mois, proroge le préavis de deux mois déjà prévu. Le rôle du médiateur consisterait alors à s’assurer que la résiliation intervient pour un « motif légitime », sans qu’il soit tenu, eu égard aux exigences de confidentialité précédemment évoquées, d’en révéler le motif précis.

Naturellement, il appartient au législateur de caractériser ce motif légitime et je propose de regarder comme abusive une résiliation dont le seul motif serait soit l’absence de rentabilité du compte, soit les lourdeurs administratives de la gestion de certains profils de clients, en particulier les Français de l’étranger et les personnes politiquement exposées et leurs proches, pour lesquels les procédures de due diligence peuvent être perçues par les banques comme excessivement contraignantes.

Ma proposition étend également le dispositif aux établissements de paiement.

M. Daniel Labaronne (EPR). Comment apprécier le caractère abusif au motif de l’absence de rentabilité liée aux caractéristiques individuelles du client alors qu’un grand nombre d’établissements, comme La Banque postale, ne prennent pas en compte cette rentabilité dans la gestion des comptes ?

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous voterons contre cet amendement car il fait dans la demi-mesure et ajoute des procédures et des embêtements. Cette pratique bancaire est illégitime et exorbitante du droit commun ; elle doit cesser. Les banques doivent arrêter de demander toujours plus de privilèges et de considérer qu’elles n’ont pas à se comporter comme des entreprises commerciales normales. Il faut protéger les consommateurs, les entreprises, les associations et les élus. Les banques n’ont qu’à faire leur travail plutôt que de dépenser un temps précieux en lobbying. Je m’étonne que, pour une loi prétendument anecdotique et sans incidence, tout le monde ait l’air à cran, s’excite, demande le recomptage des votes et mette en cause notre administration !

M. Charles de Courson, rapporteur général. Nul ne sait vraiment ce qu’est la rentabilité d’un compte – ceux qui, comme moi, se sont intéressés à la comptabilité analytique bancaire le reconnaissent, de même que les banquiers. Un client ne se résume pas à son compte ; il peut avoir souscrit des prêts ou des placements qui font gagner beaucoup d’argent à la banque. La rentabilité doit être appréciée de façon globale, selon qu’elle est immédiate, différée, etc.

La fermeture d’un compte peut avoir de nombreuses conséquences ; elle n’entraîne pas la résiliation du prêt immobilier détenu par le même client, entre autres exemples.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Pour expliquer que les banques sont incapables d’estimer la rentabilité des clients, M. Labaronne cite l’exemple de La Banque postale, qui a pour mission de service public d’ouvrir un compte à tout demandeur. Par définition, elle n’a pas une logique de rentabilité ! À côté de cela, certaines banques ou institutions financières, qui n’ont pas nécessairement pignon sur rue, n’acceptent des clients qu’à partir d’un certain niveau de revenus ou de patrimoine. Ne me dites pas qu’elles ne savent pas calculer leur rentabilité ! C’est évidemment faux et cela crée un risque de discrimination, d’où cette proposition de loi.

M. David Amiel (EPR). Il faut certes protéger les consommateurs et les entreprises en exigeant que les fermetures de comptes soient justifiées, mais il faut aussi préserver la capacité de Tracfin de lutter contre le financement du terrorisme et le blanchiment. L’amendement du rapporteur vise à concilier ces deux objectifs ; je vois mal comment on peut s’y opposer.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. La rédaction que je vous soumets me paraît la seule qui n’encoure pas la censure du Conseil constitutionnel et qui offre un dispositif efficace à tous nos concitoyens. Dans la mesure où les banques exercent une forme de monopole – et donc une mission de service public –, elles doivent être encadrées. Un décret en Conseil d’État précisera les modalités selon lesquelles le médiateur vérifiera qu’un conseiller n’a pas fermé un compte de manière discrétionnaire pour sa trop faible rentabilité.

La liberté contractuelle existe bel et bien, monsieur Tanguy, mais nous l’encadrons. Le médiateur prendra plus largement connaissance des pratiques commerciales de la banque ; je proposerai dans mon amendement CF25 que la Banque de France dresse un bilan des litiges afin d’identifier les établissements qui ne remplissent pas leur mission de service public.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CF10 de M. Daniel Labaronne

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Compte tenu du dernier vote, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée. La mesure proposée a une faible portée ; elle n’ouvre aucun droit pour le client et le laisse en proie au sentiment d’arbitraire.

M. Daniel Labaronne (EPR). J’ai du mal à comprendre et j’avoue mon désarroi intellectuel. Avez-vous bien lu la proposition de loi issue du Sénat ? Elle a pour conséquence explicite qu’une personne qui blanchit de l’argent saura immédiatement qu’elle est repérée. Je ne fais là aucune interprétation : c’est dans le texte. Le législateur ne peut que s’en étonner.

Le médiateur était une solution de compromis qui permettait d’éviter ce travers, mais vous ne l’avez même pas votée. Puisque je n’ai pas réussi à vous convaincre, j’aborderai le sujet sous un autre angle : la théorie des contrats. Toutes nos relations économiques reposent sur la contractualisation, qu’elle soit privée ou publique. Adopter les dispositions du Sénat, ce serait aller à l’encontre de toutes les règles qui régissent l’économie des contrats. J’en conclus que vous êtes contre cette forme d’économie de marché qui repose sur la notion de contrat.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Ce n’est pas parce qu’on n’est pas d’accord avec vous qu’on n’a pas compris vos arguments, qu’on n’a pas lu le texte et qu’on est intellectuellement incompétent.

Votre argument des contrats ne tient pas. Le lobby bancaire se comporte en oligarque : ils s’entendent entre eux, ont les mêmes conventions, les mêmes produits, les mêmes comportements. Si ce n’était pas le cas, nous n’aurions pas besoin du service public de La Banque postale, et les contribuables n’auraient pas à le financer à hauteur de centaines de millions d’euros !

Si vous voulez être cohérent, supprimez le service public de La Banque postale et obligez les banques à adopter un comportement juste. Quand vous êtes au RSA et que la Société générale vous vire, vous n’êtes pas à égalité contractuelle avec elle ! C’est à la tête du client. Un épicier n’a pas le droit de refuser de vendre une bouteille d’eau à quelqu’un qui lui paraît louche. Les banques, elles, ont le droit de virer un client dont la tête ne leur revient pas : voilà la réalité du droit bancaire. C’est inacceptable, et cela n’a rien à voir avec le droit des contrats. Le lobby bancaire considère qu’il n’a pas les mêmes droits et devoirs que les autres ; cela le dérange visiblement de devoir respecter les Français quels que soient leur niveau de revenus et leur statut.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Lorsque j’étais trésorier d’un parti, j’ai reçu une lettre, un beau matin, m’informant sans autre explication que notre compte était fermé. J’ai dû appeler le président de la banque pour apprendre qu’il ne voulait plus de parti politique parmi ses clients. Ce n’est pas normal. Qu’une banque soit obligée de justifier la résiliation d’un compte, c’est le minimum, ne serait-ce que pour que le client puisse se défendre – la théorie des contrats prévoit bien que quand votre contrat est rompu unilatéralement, vous avez le droit de vous défendre. On ne va tout de même pas demander à la justice d’obtenir une explication ! Exiger que les décisions soient motivées, ce n’est pas défendre une théorie anticontractuelle, c’est tout simplement normal.

M. Gérault Verny (UDR). Toute relation commerciale doit être équilibrée. Avec les banques toutefois, la relation est profondément déséquilibrée – sauf quand le client s’appelle LVMH ou TotalEnergies. La capacité des banques à fermer le compte d’un simple usager sans justification pose un problème de liberté et contrevient au droit d’avoir un compte bancaire. Il n’est pas si contraignant pour une banque de se justifier ; notez aussi qu’en général, il n’y a aucune voie de recours.

J’ajoute que les banques n’ont pas à faire la police en fermant des comptes pour suspicion de blanchiment ou de financement du terrorisme. C’est le rôle de la justice. La loi a un côté quelque peu totalitaire quand elle permet aux banques de résilier n’importe quel compte en se réfugiant derrière cet argument fallacieux.

M. le président Éric Coquerel. Le problème est d’autant plus grave qu’il est obligatoire d’avoir un compte en banque. Quand vous brandissez l’argument de Tracfin, j’ai l’impression que vous tuez une mouche sur une vitre avec un marteau : vous n’en mesurez pas les conséquences. Chacun d’entre nous a eu connaissance, de près ou de loin, de fermetures de comptes qui mettaient en danger la vie privée ou celle d’une entreprise. Le problème est massif, et nous ne devons pas l’entretenir au nom de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ces arguments ne sauraient justifier le comportement insupportable des banques. Si quelqu’un est recherché pour terrorisme, la législation permet de fermer son compte sans pénaliser tous les autres.

M. Daniel Labaronne (EPR). Il n’y a pas d’arbitraire, et tout est bien encadré par le code civil : je vous renvoie aux articles 1102 sur la liberté contractuelle de la banque, 1 210 sur la prohibition des engagements perpétuels et 1 211 sur les délais de préavis.

La lutte contre le financement du terrorisme est elle aussi encadrée par la loi en vigueur, mais le dispositif proposé introduirait de la dérégulation. Votre argument vaut dans le dispositif existant, monsieur le président, mais il ne vaudra plus dans celui qui pourrait être voté.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendements CF1 de M. Aurélien Le Coq et CF12 de Mme Christine Pirès Beaune (discussion commune)

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Nous voulons imposer aux banques de motiver automatiquement les fermetures unilatérales de comptes, sans que les clients aient à le demander. Le droit de solliciter une explication ne suffit pas, car nombre de nos concitoyens ne l’exerceront pas – il n’y a qu’à voir combien le non-recours aux droits est important dans notre pays. De plus, les procédures de demande de justification seront très probablement dématérialisées, ce qui exclura près d’un cinquième de notre population touchée par l’illectronisme.

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). Nous demandons aussi que les résiliations de comptes soient systématiquement motivées. Si nous sommes opposés au recours au médiateur, c’est parce qu’une infime minorité de clients lésés s’en saisiront. Nous savons bien que notre pays a un problème de non-recours aux droits ; en l’occurrence, c’est le pot de fer contre le pot de terre, car les victimes sont généralement vulnérables.

Enfin, un terroriste dont le compte est fermé n’a pas besoin d’explications : il sait parfaitement pourquoi. Qu’il reçoive ou non un courrier de motivation, cela ne changera rien.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. La banque se contentera le plus souvent d’un courrier électronique standard de justification. Cette réponse lapidaire n’offrira aucune protection au consommateur ; c’est pourquoi j’y suis opposé. Je regrette que vous n’ayez pas adopté l’amendement relatif au médiateur, qui ouvrait la voie au recours et au dialogue avec une personne physique tenue à des obligations légales. Cela aurait réintroduit de l’humain dans la relation entre le client et la banque. Je vous invite à y réfléchir avant l’examen en séance.

M. Gérault Verny (UDR). Ceux qui s’opposent à ce texte n’ont probablement pas subi de fermeture de compte. Le 14 janvier, j’ai reçu un courrier m’informant que mes trois comptes seraient clôturés sous un mois : « Nous vous prions d’accepter, monsieur Verny, nos sincères salutations », point barre. Est-ce parce que j’étais à découvert ? Absolument pas. Est-ce à cause de mon engagement politique ? Peut-être. Je ne pense pas non plus financer le terrorisme. Mes demandes d’explication n’ont reçu aucune réponse. C’est parfaitement arbitraire. J’ai les moyens d’ouvrir d’autres comptes, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Il y a une distorsion énorme dans la relation ; c’est le pot de fer contre le pot de terre. Quand une banque résilie un compte, c’est pour une bonne raison ; la moindre des choses est qu’elle le justifie. C’est du bon sens.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Au-delà de la justification de celui qui a fermé le compte, il me paraît utile qu’un tiers de confiance vérifie si le chef d’agence n’a pas fait d’excès de zèle et si le processus de décision a été encadré et respecté – cela vous aurait permis d’obtenir des explications, monsieur Verny. Cette solution offre une garantie au consommateur, sans compter qu’elle est plus sécurisée juridiquement.

M. Daniel Labaronne (EPR). Admettons que la banque vous réponde que vous ne faites pas suffisamment de transactions. Qu’est-ce que cela change ? Quelle est votre voie de recours ?

M. Gérault Verny (UDR). Je peux le contester devant un tribunal.

M. Daniel Labaronne (EPR). La voie du médiateur est plus facile et plus rapide.

La commission adopte l’amendements CF1

En conséquence l’amendement CF12 tombe

 

Amendement CL5 de M. Alexandre Allegret-Pilot

M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). Il s’agit d’ajouter la qualité d’élu de la République aux motifs qui ne peuvent pas justifier la fermeture d’un compte bancaire. J’en ai fait les frais il y a quelques semaines, comme M. Verny, et l’on m’a répondu qu’aucun motif n’avait à m’être communiqué.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Je suis toujours gêné par les amendements qui ne concernent que les élus de la République. Je ne vois pas pourquoi nous serions plus protégés que les autres. Avis défavorable.

M. Gérault Verny (UDR). Les personnes politiquement exposées – comme les banques nous appellent – ont des obligations très lourdes : on nous demande une transparence totale, de publier notre patrimoine, de déclarer nos intérêts… On se met à poil devant les Français, ce que je trouve parfaitement choquant ; en contrepartie, le droit bancaire devrait corriger un petit peu cette distorsion. Nous sommes tout de même plus surveillés que le commun des mortels.

M. Philippe Juvin (DR). Cet amendement de bon sens ne vise pas à conférer un privilège aux élus de la République mais simplement à leur garantir une égalité de traitement. Je le voterai.

Cependant, je suis réservé sur l’emploi de l’expression « élus de la République » ? Faut-il comprendre que les conseillers prud’hommes ou les conseillers des Français de l’étranger sont concernés ?

M. Jean-René Cazeneuve (EPR). L’amendement laisse sous-entendre qu’un éventuel comportement délictuel en matière bancaire de la part d’un élu pourrait être toléré. Sous prétexte qu’il est élu, il pourrait bénéficier d’un compte à vie. Je suis totalement opposé à un tel traitement particulier.

M. le président Éric Coquerel. J’entends des propos très éloignés de la réalité. Ce ne sont pas seulement les élus mais aussi leurs parents, leurs enfants ou leurs associés qui voient leurs comptes fermés sans explication. Cette pratique pose problème, indépendamment des exigences de transparence auxquelles les élus sont légitimement soumis.

Mme Christine Pirès Beaune (SOC). J’en conviens, le fait d’être une personnalité politique peut vous exposer à certains risques.

Toutefois, l’amendement me semble satisfait par l’adoption du précédent, qui impose aux banques de motiver leur décision. La fermeture d’un compte au motif que son titulaire est un élu constituerait une discrimination répréhensible.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Le code monétaire et financier comporte des dispositions spécifiques pour la personne « qui est exposée à des risques particuliers en raison des fonctions politiques […] qu’elle exerce […] ». Cette notion pourrait être substituée à celle d’élu de la République. Je propose un sous-amendement en ce sens.

L’amendement n’empêche pas la fermeture du compte mais le motif ne pourrait être la qualité de personne politiquement exposée.

M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). J’accepte le sous-amendement. L’intention n’est pas de créer une catégorie spécifique mais de rétablir une égalité de traitement.

M. le président Éric Coquerel. Je vous invite à présenter le sous-amendement en séance.

M. Jean-Didier Berger (DR). La catégorie des personnes politiquement exposées est à la fois inutile et discriminatoire. Il conviendrait de la supprimer. Les élus apportent des garanties de transparence bien supérieures à n’importe quel autre citoyen. Il n’est pas acceptable que celles-ci soient utilisées contre les élus – à leur détriment ou à celui de leur famille.

On peut d’ailleurs s’interroger, compte tenu de la réglementation sur la protection des données personnelles, sur les conditions dans lesquelles les banques ont connaissance des liens de parenté de leurs clients.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. L’amendement, en tendant à interdire à l’établissement bancaire de résilier une convention de compte de dépôt signée avec une personne exposée politiquement, va trop loin. Ce n’est pas l’esprit de la proposition de loi.

La commission adopte l’amendement.

 

L’amendement CF18 de M. Christian Girard est retiré.

 

Amendement CF21 de M. Tristan Lahais

M. Tristan Lahais (EcoS). Il s’agit de demander un rapport sur les effets économiques et sociaux du texte que nous adopterons ; de l’article 21 de la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat sur l’inclusion bancaire et les frais restés à charge des usagers des services bancaires ; de l’adoption ou non des mesures proposées dans le Manifeste pour une inclusion financière universelle, publié en octobre 2022.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Je vous invite à retirer votre amendement au profit de celui que je présente après l’article 2 – CF25 – et qui a pour objet d’organiser le suivi des données sur les fermetures de comptes, les motifs invoqués par les banques et les litiges dont sont saisis les médiateurs.

Par ailleurs, les rapports annuels de la Banque de France et de l’Observatoire de l’inclusion bancaire fournissent de nombreuses informations sur les dispositifs de protection du consommateur et des publics vulnérables.

L’amendement est retiré.

 

La commission adopte l’article 2 modifié.

 

 

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*    *

 

Le présent article permet au législateur de disposer de données fiables et précises sur les fermetures de comptes bancaires. À partir des informations transmises par les médiateurs saisis de litiges et ayant à connaître les motifs de résiliation, le gouverneur de la Banque de France remet chaque année un rapport au Parlement sur l’inclusion bancaire des Français, les motifs de résiliation et la mise en œuvre du droit au compte.

  1.   ALORS QUE LE LÉGISLATEUR ENTEND LUTTER CONTRE LES FERMETURES ABUSIVES DE COMPTES BANCAIRES, LA QUANTIFICATION DE CE PHÉNOMÈNE RESTE DIFFICILE

La loi n° 2001-1 168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (MURCEF) a contraint les banques à instituer une fonction de médiateur de la consommation. Celui-ci peut être saisi par tout client qui s’estime lésé, aux termes de l’article L. 316-1 du code monétaire et financier, « en vue de la résolution d’un litige qui l’oppose à un établissement de crédit ». Le médiateur n’est saisi qu’en dernier recours dans les cas où les autres moyens internes proposés par la banque n’ont pas abouti. En 2023, la Fédération Bancaire Française (FBF) a recensé plus de 20 000 demandes de médiation.

Le second alinéa de l’article L. 316-1 du même code dispose en outre qu’un « rapport annuel d’activité établi par chaque médiateur est transmis au président de la commission d'évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation mentionnée à l'article L. 615-1 du code de la consommation, au gouverneur de la Banque de France, ainsi qu'au président du comité consultatif du secteur financier ».

Toutefois, le rapport annuel d’activité susmentionné n’apporte aucune information en ce qui concerne les motifs de fermeture, dès lors que la banque n’est pas tenue d’en partager la teneur, ni avec le médiateur ni avec le client. L’objet de la présente proposition de loi étant de lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires, ce manque d’information conduit à légiférer sans données objectives permettant de mesurer l’ampleur du phénomène des résiliations abusives.

  1.   LE DISPOSITIF PROPOSÉ : UN SUIVI DES DONNÉES CONCERNANT LES FERMETURES DE COMPTES PAR LES MÉDIATEURS ET PAR LA BANQUE DE France

Le présent article modifie l’article L. 316-1 du code monétaire et financier relatif au rôle du médiateur et au rapport annuel d’activité établi par ce dernier.

L’alinéa 2 prévoit que le rapport annuel d’activité établi par les médiateurs bancaires mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 316-1 fait mention de l’ensemble des litiges et des réponses apportées aux consommateurs qui les ont saisis, dans le cadre des procédures prévues aux articles L. 312-1-1 et L. 314-13, ainsi que des motifs de résiliation unilatérale présentés par les établissements concernés. Ce rapport, transmis au gouverneur de la Banque de France ainsi qu’au président du comité consultatif du secteur financier et au président de la commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation, comprendra donc des éléments objectivés ayant trait au phénomène de fermetures unilatérales de comptes bancaires.

Cet alinéa pose toutefois une difficulté dès lors que les procédures prévues aux articles L. 312-1-1 et L. 314-13 susmentionnées n’intègrent pas le médiateur dans la vérification du motif de la fermeture du compte, faute d’adoption par la commission de la réécriture globale présentée par le rapporteur de l’article 2 de la présente proposition de loi. L’alinéa 2 du présent article reste toutefois opérant dans la mesure où, indépendamment des procédures prévues aux articles susmentionnés, le médiateur transmet à l’occasion de son rapport les motifs de résiliation unilatérale présentés par les établissements concernés.

L’alinéa 4 prévoit quant à lui la transmission par le gouverneur de la Banque de France d’un rapport annuel au Parlement sur les motifs de fermetures de comptes, les litiges portés devant les médiateurs et la mise en œuvre du droit au compte prévu à l’article L. 312-1 du code monétaire et financier. Ce rapport est établi sur la base des informations transmises par les médiateurs conformément au deuxième alinéa du présent article. Ainsi, le Parlement disposera d’une meilleure information concernant les pratiques commerciales des banques, et en particulier les motifs conduisant à une résiliation unilatérale.             

  1.   LA POSITION DE LA COMMISSION

La commission a adopté sans modification l’amendement CF25 présenté par le rapporteur portant création d’un article additionnel afin d’organiser le suivi des données concernant les fermetures de comptes bancaires.

 

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Après l’article 2

 

Amendement CF16 de M. Jean-Philippe Tanguy

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Nous proposons tout simplement d’interdire aux banques de choisir leurs clients.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Avis défavorable. Le droit à un compte bancaire tel que vous le concevez porte atteinte à la liberté contractuelle et méconnaît le fait qu’une convention de compte demeure un contrat intuitu personae.

L’article L. 312-1 du code monétaire et financier consacre déjà le droit au compte même si, je le reconnais, ses conditions d’exercice sont parfois dégradées.

M. Jean-Philippe Tanguy (RN). Votre réponse illustre le problème récurrent auquel la commission et l’Assemblée sont confrontées : à force de ne pas avoir le courage d’énoncer des principes simples, nous sommes obligés d’imaginer des dispositifs très compliqués.

Dans n’importe quel autre commerce, vous êtes obligés de servir le client même si sa tête ne vous revient pas. Pourquoi les banques bénéficieraient-elles d’une exemption ? L’application du principe simple du droit au compte serait moins coûteuse, moins énergivore et moins problématique pour les gens.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CF20 de M. Jean-Philippe Tanguy

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. L’amendement est satisfait. Le droit au compte bénéficie à tout personne physique ou morale, ce qui inclut les associations, les partis et les fondations.

La commission rejette l’amendement.

 

Amendement CF11 de M. Alexandre Allegret-Pilot

M. Alexandre Allegret-Pilot (UDR). Il s’agit d’instaurer une sanction en cas de fermeture de compte d’un parlementaire au motif de cette seule qualité.

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Le débat a eu lieu précédemment. Défavorable.

La commission rejette l’amendement.

 

Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette successivement les amendements CF6 et CF7 de M. Alexandre Allegret-Pilot ainsi que l’amendement CF19 de M. Christian Girard.

 

Amendement CF25 de M. Jean-Paul Mattei

M. Jean-Paul Mattei, rapporteur. Les données, issues des comptes rendus des médiateurs – j’espère que leur intervention sera acceptée en séance –, seront transmises au gouverneur de la Banque de France pour nourrir un rapport annuel au Parlement sur l’inclusion bancaire des Français, les motifs de résiliation et la mise en œuvre du droit au compte.

La commission adopte l’amendement.

 

 

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

 


LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

 

– M. Philippe Folliot, sénateur

 

Fédération bancaire française*

– M. Jérôme Pardigon, directeur des relations institutionnelles

 

Banque de France / Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)

 Mme Véronique Bensaid-Cohen, conseillère parlementaire auprès du Gouverneur de la Banque de France

 M. Grégoire Vuarlot, directeur du contrôle des pratiques commerciales

 

Cabinet du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique

 Mme Charlotte Ast, conseillère financement de l’économie

 Mme Muy-Lan Nguyen, conseillère parlementaire

 

Direction générale du Trésor (DGT)

 M. Pierre Allégret, sous-directeur des sanctions et de la lutte contre la criminalité financière

 M. Guillaume Lesquoy, adjoint au chef du bureau sanctions et lutte contre la criminalité financière

 M. Anselme Mialon, chef du bureau services bancaires et moyens de paiement

 

UFC – Que Choisir

 Mme Juliette Woods, chargée de mission Banque et Assurance

 M. Benjamin Recher, chargé de mission Relations institutionnelles

 

France Conso Banque

– M. Michel Guillaud, président

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.


([1]) Rapport public annuel de la Cour des comptes, 2021, tome II : Les politiques publiques en faveur de l’inclusion bancaire.

([2]) D’après une enquête de l’IFOP commandée par la Fédération bancaire française, février 2024.

([3]) D’après des chiffres de l’ACPR, repris dans une communication de la Fédération bancaire française, février 2024.

([4]) Articles L. 221-2 et L. 518-25 du code monétaire et financier.

([5]) Article 1210 du Code civil : « Les engagements perpétuels sont prohibés. Chaque contractant peut y mettre fin dans les conditions prévues pour le contrat à durée indéterminée. »

([6]) Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000.

([7]) Un particulier ne peut effectuer auprès d’un professionnel un paiement en espèces d’un montant supérieur à 1 000 euros (article D. 112-3 du code monétaire et financier) : il est donc nécessaire de disposer d’un chèque, d’une carte bancaire ou d’effectuer un virement pour s’acquitter d’une facture.

([8]) Article L. 312-1-1 du code monétaire et financier.

([9]) Directive 2015/2 366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur.

([10]) En application de l’article L. 561-8 du code monétaire et financier.

([11]) Résultant de l’article 58 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit.

([12]) Ces « services bancaires de base » sont listés à l’article D. 312-5 du code monétaire et financier, et comprennent notamment, l’ouverture, la tenue et la clôture du compte, la délivrance à la demande de relevés d’identité bancaire, deux formules de chèques de banque par mois, ou encore, s’agissant des moyens de paiement, une carte à autorisation systématique.

([13]) La directive n° 2014/92/UE du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base a été transposée par l’ordonnance n° 2016-1 808 du 22 décembre 2016 relative à l’accès à un compte de paiement assorti de prestations de base.

([14]) Pour l’ACPR, « les personnes politiquement exposées (PPE) sont considérées, au niveau international, comme exposées à des risques plus élevés de blanchiment de capitaux et d’infractions sous-jacentes, notamment la corruption. Ce risque accru justifie l’application par les organismes financiers de mesures préventives supplémentaires en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (LBC-FT) afin de détecter au mieux d’éventuelles opérations liées à des faits de corruption. »

([15]) Premier alinéa du V de l’article L. 312-1-1 du code monétaire et financier.

([16]) Troisième alinéa du V du même article.

([17]) Directive (UE) 2015/2 366 du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, transposée par l’ordonnance n° 2017-1 252 du 9 août 2017.