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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 mars 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT
APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,
visant à sortir la France du piège du narcotrafic,
ET SUR LA PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT
APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,
fixant le statut du procureur de la République national
anti‑criminalité organisée,
PAR MM. Vincent CAURE, Éric PAUGET, Roger VICOT
Députés
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TOME II
COMPTES RENDUS
Voir les numéros :
Sénat : 735 rect. (2023-2024), 197, 253, 254, 255 et T.A. 45, 46 (2024-2025).
Assemblée nationale : 907, 908.
SOMMAIRE
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Pages
Réunion du mardi 4 mars 2025 à 16 heures 30
II. Examen des articles de la proposition de loi
Première réunion du mercredi 5 mars 2025 à 9 heures
Deuxième réunion du mercredi 5 mars 2025 à 15 heures
Troisième réunion du mercredi 5 mars 2025 à 21 heures
Première réunion du jeudi 6 mars 2025 à 11 heures
Deuxième réunion du jeudi 6 mars 2025 à 15 heures
Troisième réunion du jeudi 6 mars 2025 à 21 heures
Première réunion du vendredi 7 mars 2025 à 9 heures
Deuxième réunion du vendredi 7 mars 2025 à 14 heures
III. Examen de l’article unique de la proposition de loi organique
Suite de la deuxième réunion du vendredi 7 mars 2025 à 14 heures
I. Audition de M. Gérald Darmanin, garde des Sceaux, ministre de la Justice, et de M. Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, et discussion générale
Lors de sa réunion du mardi 4 mars 2025, la Commission auditionne M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la Justice, et M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’Intérieur, et procède à la discussion générale sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n° 907) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs) et sur la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, fixant le statut du procureur de la République national anti‑criminalité organisée (n° 908) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs).
Réunion du mardi 4 mars 2025 à 16 heures 30
Lien vidéo : https://assnat.fr/2bElGS
M. le président Florent Boudié. Messieurs les ministres d’État, nous avons le plaisir de vous accueillir à l’occasion de la discussion générale de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée, initialement déposées, dans une logique transpartisane, par nos collègues sénateurs Étienne Blanc et Jérôme Durain, à la suite des conclusions de la commission d’enquête menée conjointement. Leur adoption aura des conséquences très importantes sur le fonctionnement des services dont vous avez la charge et sur les juridictions judiciaires.
Vous interviendrez dans les débats lorsque vous le jugerez utile, notamment pour certains amendements du gouvernement dont la portée est particulièrement importante. Je pense en particulier à l’amendement CL471 après l’article 23 quater sur le régime de détention des détenus en matière de narcotrafic, que vous présenterez, monsieur le garde des Sceaux : je vous propose de l’examiner en priorité, après l’article 2. Il en va de même pour l’amendement CL576 présenté par M. Vincent Caure, sur le recours à la visioconférence durant la phase de l’information judiciaire. Notre commission s’intéresse à ces sujets, comme l’a montré le récent rapport d’information remis par nos collègues Antoine Léaument et Ludovic Mendes.
M. Vincent Caure, rapporteur. Ce texte nous concerne tous. Il part du constat dressé par nos collègues sénateurs dans le cadre de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France et des mesures à prendre pour y remédier. Nous ne sommes pas suffisamment armés ni préparés pour faire face aux enjeux de la délinquance et de la criminalité organisées liées au narcotrafic. Ce constat correspond à la réalité partagée par l’ensemble des personnes auditionnées : toutes ont unanimement salué l’arrivée d’un texte en la matière.
Ce texte vise à redonner à l’État et à ses acteurs une égalité de moyens dans la lutte contre les réseaux criminels de type narcotrafiquants. Il s’agit d’abord de repenser nos modes d’action, pour faire face aux organisations structurées qui dirigent les groupes criminels. Notre architecture judiciaire doit s’adapter, notamment grâce au futur parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), qui répond aux insuffisances constatées en matière de coordination judiciaire. Si, depuis vingt ans, les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) ont fait leurs preuves, il faut passer à un niveau supérieur en créant un procureur qui incarnera cette lutte et pourra coordonner la réponse judiciaire à l’échelle du territoire national.
Ensuite, nos outils juridiques et nos moyens d’investigation doivent être consolidés. Les stratégies criminelles adoptées par les réseaux sont toujours plus sophistiquées et les méthodes d’enquête traditionnelles de plus en plus inefficaces face à ces structures, qui disposent des ressources et des moyens technologiques pour déjouer les surveillances et empêcher les investigations. L’article 16, qui tend à créer un dossier distinct pour protéger certains éléments de mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête, est l’une des réponses apportées à cette problématique : dans des conditions très encadrées, certains éléments de l’enquête seront protégés. Je précise que la rédaction que je proposerai ne visera que les cas de nature à mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne, seul objectif de cette mesure.
Par ailleurs, le recours aux techniques traditionnelles et à la surveillance physique de ces réseaux met de plus en plus en danger la sécurité des enquêteurs et leur intégrité physique. En effet, ces groupes, structurés selon un mode mafieux, n’hésitent pas à recourir à la violence extrême et à l’intimidation, y compris contre les forces de l’ordre. Afin de mieux protéger les enquêteurs, les articles 15 et suivants prévoient des mécanismes bienvenus d’anonymisation des agents. Le renforcement des techniques spéciales d’enquête prévu par les articles 15 bis et suivants est quant à lui indispensable pour renforcer notre efficacité et contribuer à assurer la sécurité des personnels des services d’enquête, notamment en permettant l’activation à distance de certains appareils électroniques.
Je sais que certains exprimeront des inquiétudes sur la solidité juridique de ces nouveaux dispositifs. Nous y reviendrons dans la discussion en énumérant les nombreuses garanties qui entourent le recours à ces techniques d’enquête. Je veux ici souligner leur utilité opérationnelle et insister sur l’enjeu de préservation de la sécurité de nos enquêteurs. En tant que rapporteur, je serai très attentif aux garanties apportées en matière procédurale, que je vous proposerai de renforcer.
Nul n’est à l’abri de la corruption. En s’insinuant partout, en dévitalisant la bonne application de nos règles de droit, elle menace notre État de droit lui-même. C’est à ce fléau que répondent les articles 22 et 22 bis. J’ai évoqué le perfectionnement des stratégies criminelles : la montée en puissance de la corruption en est un exemple frappant, l’utilisation de la corruption faisant partie intégrante des modes d’action des narcotrafiquants.
Enfin, le dernier maillon de la chaîne répressive – le domaine post-sentenciel – ne doit pas être oublié. La prise en charge, en prison, des personnes condamnées en matière de criminalité organisée doit elle aussi être adaptée au profil particulier de ces détenus. Les articles 23 et suivants contiennent plusieurs dispositions visant à renforcer la sécurité pénitentiaire. À cet égard, j’ai une pensée pour l’ensemble des agents de l’administration pénitentiaire et des services d’enquêteurs, pour ceux qui ont œuvré récemment à l’arrestation de Mohamed Amra et à son retour en France, et, plus encore, pour les deux agents décédés lors de l’attaque du péage d’Incarville et leurs familles.
En matière pénitentiaire, plusieurs dispositions sont très attendues : l’équipement des véhicules des agents en charge des extractions et des transfèrements en caméras embarquées ; la possibilité de recourir aux caméras de drone, afin de sécuriser les abords des prisons et les opérations de maintien de l’ordre au sein du système carcéral ; la création d’une nouvelle infraction sur le domaine pénitentiaire, réclamée depuis plusieurs années par les personnels. S’il était jusqu’à présent puni de sortir sans autorisation d’une prison, tel n’était pas le cas pour le fait d’y entrer. Le domaine d’un établissement doit donc être mieux délimité juridiquement ; il faut pouvoir sanctionner toute personne qui le franchit sans motif légitime. Pour être complet, j’évoquerai enfin la création des quartiers de lutte contre la criminalité organisée, assortie d’un régime d’incarcération spécifique. Je me réjouis de cette double disposition présentée par M. le garde des Sceaux, essentielle pour mieux lutter contre les narcotrafiquants.
Enfin, le texte instaure un nouvel outil pré-sentenciel pour accroître la capacité d’action des préfets en vue de démanteler les points de deal. L’article 24 crée une interdiction administrative de paraître et élargit les possibilités d’expulsion, par décision judiciaire, des locataires qui se livrent à des activités de trafics de stupéfiants. Ces mesures, supportées et attendues par les maires de tous bords, visent à répondre aux agissements qui gâchent la vie de nos concitoyens : les points de deal envahissent certains quartiers, limitant parfois la liberté d’aller et venir des habitants ; dans certains immeubles, les réseaux de ces trafics privatisent des espaces collectifs pour organiser leurs exactions, privant ainsi les autres habitants de leur tranquillité et de leur droit de jouir de leur logement et de ses abords.
Nous devons agir plus fermement contre ces situations, contre cette criminalité du quotidien qui pourrit la vie de certains quartiers entiers. C’est ce que vous avez fait, monsieur le garde des Sceaux, avec les opérations Place nettes. C’est aussi l’objectif de l’article 24, et, plus largement, de l’ensemble de cette proposition de loi.
M. Éric Pauget, rapporteur. La proposition de loi vise à réarmer la France dans sa lutte contre le narcotrafic. Elle doit répondre à des besoins opérationnels. Les constats alarmants de la commission d’enquête du Sénat exigent que nous fassions évoluer notre législation pour la mettre au niveau, face à des organisations criminelles dont la capacité financière n’a pas de limite et qui n’ont aucun scrupule. Face à l’explosion de la cocaïne et des drogues de synthèse en France, nous devons passer d’une culture de la lutte contre les stupéfiants à celle de la guerre contre les narcotrafiquants.
La semaine dernière, nous avons entendu des services opérationnels au sujet de leurs attentes, de leurs besoins, mais aussi de leurs manques. J’ai été guidé, sur ce texte, par un principe simple : le pragmatisme, le souci du concret. Il n’est pas question d’être dogmatique : si quelque chose est inutile ou contre-productif, il ne faut pas le garder, et inversement.
Suivant ce principe, j’ai travaillé avec la Chancellerie à améliorer l’article 14, qui réforme le statut des repentis. Les dispositions visées sont largement sous-utilisées : 42 personnes sont concernées, alors que l’Italie gère plus de 1 000 repentis. Or, les auditions l’ont confirmé, pour démanteler efficacement des réseaux criminels, disposer de quelqu’un qui en connaît tous les ressorts est un réel atout. Comme l’a indiqué mon collègue, les techniques traditionnelles ont perdu en efficacité ; il est complexe de percer l’opacité des organisations criminelles. Les personnes qui y appartiennent sont les mieux placées pour en décortiquer tous les rouages.
J’ai déposé plusieurs amendements pour rendre le dispositif plus attractif. Néanmoins je suis en désaccord avec les sénateurs sur le point précis de l’immunité pour les crimes de sang. Le bon équilibre est, selon moi, de prévoir une réduction de peine pour ces crimes, en refusant l’immunité complète de poursuites pénales. À l’inverse, les personnes auditionnées ont indiqué ne pas avoir besoin du dispositif du gel judiciaire prévu à l’article 5 : je vous proposerai donc de le supprimer.
Le renforcement des mesures pour lutter contre le blanchiment va dans le même sens : il faut être efficace et frapper les criminels au portefeuille, en fermant administrativement les établissements qui leur servent à blanchir leurs fonds ou en prévoyant un gel administratif des avoirs criminels des personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants.
J’ai également en charge le titre IV, relatif au renforcement de la répression pénale du narcotrafic. Nous ne devons pas négliger le volet pénal. S’il ne constitue pas la solution à toutes les difficultés, face à la délinquance et la criminalité organisées, la répression doit être ferme et la plus complète possible. Nos collègues sénateurs ont proposé plusieurs évolutions à cette fin : deux d’entre elles sont particulièrement intéressantes.
D’une part, l’article 9 propose la création d’une nouvelle infraction, qui sanctionne l’appartenance à une organisation criminelle. Inspiré du droit italien, ce nouveau délit complète la participation à l’association de malfaiteurs, cette seule infraction étant insuffisante pour appréhender pleinement les agissements des narcotrafiquants. Nous devons donc adapter notre droit pénal en conséquence et élargir les possibilités de sanctionner ces individus – les têtes de réseau. D’un point de vue pragmatique, je pense que la rédaction proposée par le Sénat doit être améliorée et je vous proposerai deux amendements de réécriture, comprenant notamment la création d’une liste noire des organisations criminelles – outil éprouvé en matière de terrorisme –, qui permettra de lutter plus efficacement contre les narcotrafiquants.
La deuxième évolution innovante est celle de l’article 10 bis, qui crée une dérogation aux règles de prononcé des peines applicables aux infractions commises en concours et liées à la criminalité organisée. Il autorise aussi le cumul des peines, dans la limite d’un maximum légal fixé à trente ans de réclusion criminelle. Cette évolution est nécessaire pour faire face aux réalités des actes des narcotrafiquants. Elle est frappée au coin du bon sens : quand vous commettez plusieurs infractions, que vous continuez d’en commettre, vous devez être davantage puni.
J’évoquerai brièvement aussi les importantes dispositions de l’article 11, qui renforcent nos moyens de lutte contre les passeurs de produits stupéfiants, les « mules ». Au-delà de la dimension de la sécurité publique, l’importation de produits stupéfiants par passeurs soulève aussi des enjeux en termes de santé publique. Les mules risquent leur vie en ingérant des produits stupéfiants pour mieux les dissimuler en vue de leur importation. Nos outils juridiques doivent s’adapter pour mieux prendre en charge les passeurs de produits stupéfiants et lutter contre la récidive, fréquente dans ce genre de faits.
Enfin, pour répondre aux capacités de plus en plus importantes des organisations criminelles et des réseaux de trafiquants, la justice doit évoluer dans son organisation. L’article 13 répond à cette exigence en assurant la spécialisation de la chaîne pénale. Il crée une cour d’assises spéciale en matière de criminalité organisée et attribue aux juridictions de l’application des peines dépendant du nouveau Pnaco le suivi des mesures des condamnés pour ce type d’infraction. La spécialisation des acteurs en charge de la délinquance et de la criminalité organisée leur permettra de monter en compétence et de garantir une meilleure expertise judiciaire du phénomène.
Comme vous le constatez, cette proposition de loi est riche et contient de nombreuses dispositions, dont certaines très innovantes. La combinaison de l’ensemble de ces mesures d’ampleur offre, j’en suis certain, une réponse adaptée, ferme et efficace aux enjeux de la délinquance et de la criminalité organisées, tout en réarmant notre pays.
M. Roger Vicot, rapporteur. La proposition de loi que nous examinons fait suite à des travaux parlementaires d’une grande qualité – la commission d’enquête du Sénat des sénateurs Étienne Blanc et Jérôme Durain, la mission d’information de l’Assemblée nationale de MM. Antoine Léaument et Ludovic Mendes. Elle est riche, copieuse, voire complexe et hétéroclite. Les conséquences de certains articles, potentiellement très importantes, notamment en matière de renseignement, ont parfois été mal évaluées.
L’article 8 étend la technique du renseignement algorithmique à la prévention de la délinquance et de la criminalité organisées. Il repousse également de six mois l’expérimentation de l’utilisation de cette technique jusqu’au 31 décembre 2028. La technique de l’algorithme a été autorisée en 2015, pour la seule lutte contre le terrorisme, sous une forme expérimentale, avant d’être pérennisée en 2021. Elle a été étendue l’année dernière à la lutte contre les ingérences étrangères, sous la forme d’une expérimentation.
Le Conseil constitutionnel a autorisé le recours à cette technique en 2015, en posant notamment deux conditions : une utilisation limitée à la prévention du terrorisme et une restriction des données qui peuvent être soumises aux algorithmes. Or, depuis sa décision, la technique a non seulement été étendue à de nouvelles finalités mais elle concerne aussi de nouveaux types de données. S’il n’est pas illégitime d’envisager d’en étendre le champ à la criminalité organisée, la question de l’encadrement du champ d’application de l’article 8 se pose.
Quant à l’article 8 ter, il est probablement l’un des plus significatifs de la proposition de loi. Il transforme en profondeur les obligations pesant sur les opérateurs et plateformes de services en ligne pour la transmission des données aux services de renseignement et d’enquêtes judiciaires. Actuellement, la loi leur impose de fournir les données ainsi que, lorsqu’elles sont chiffrées, les clés de chiffrement afférentes.
Cette obligation n’est plus adaptée lorsque s’applique un chiffrement dit « de bout en bout » : dans ce cas, l’opérateur ou la plateforme ne disposent pas eux-mêmes des clés de chiffrement, qui sont décentralisées auprès de l’émetteur et du récepteur. Cela pose un problème opérationnel aux services de renseignement, qui n’ont plus accès à autant d’informations qu’auparavant, avec le développement très rapide des messageries et services chiffrés de bout en bout.
L’article 8 ter transforme l’obligation actuelle de moyens en une obligation de résultat : les opérateurs et les plateformes devront fournir le contenu directement déchiffré. J’insiste sur le fait que cette nouvelle obligation remettrait fondamentalement en cause la possibilité de proposer un tel chiffrement dans notre pays. Certains parlent de « porte dérobée », d’autres de « participants fantômes ». Il ressort de nos travaux qu’aucune technologie ne semble assez mûre pour être déployée à grande échelle, en préservant la sécurité de nos conversations et les contenus en ligne. Le risque est celui d’une dégradation de la sécurité des communications de l’ensemble de nos concitoyens, voire de l’État. En raison de sa complexité et des enjeux qu’il soulève, cet article mériterait un projet de loi dédié, avec une étude d’impact, un avis du Conseil d’État et une consultation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) et de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).
Les autres articles que je rapporte suscitent également quelques interrogations. L’opportunité de l’infiltration civile proposée à l’article 19 ne me semble pas évidente. Contrairement à l’infiltration par des agents de la police, de la gendarmerie ou des douanes, il s’agit d’infiltrer des tiers qui sont déjà, en toute logique, impliqués dans des activités criminelles ou délinquantes : les risques du recours à une telle technique sont élevés. Je proposerai donc la suppression des dispositions relatives à l’infiltration civile.
Par ailleurs, l’article 20 ter vise à étendre la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) aux crimes en matière de trafic de stupéfiants. Il s’agirait d’une évolution majeure, la CRPC étant aujourd’hui limitée au niveau délictuel. Ce texte ne me semble pas être le véhicule adapté pour une telle évolution.
Enfin, mon groupe et moi-même proposons la suppression de l’article 21 ter, qui étend de façon totalement disproportionnée les possibilités de recourir aux perquisitions et visites douanières de nuit.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des Sceaux, ministre de la justice. La République a grandement besoin de ce texte d’origine sénatoriale. La criminalité organisée constitue une menace et touche beaucoup de pays autour de nous – je pense à la Belgique et aux Pays-Bas, qui n’ont pas su se réveiller à temps. D’autres grandes démocraties sont concernées, comme les États-Unis, où le décès par overdose de fentanyl est la première cause de mortalité. Cette drogue de synthèse provient des organisations criminelles qui sévissent au Mexique et dans d’autres pays.
Modifié par la Chancellerie lors de la discussion au Sénat, ce texte vise à adapter notre système judiciaire en spécialisant l’intégralité de la chaîne pénale, comme cela a été fait pour la lutte contre le terrorisme, même si les problématiques étaient différentes. Par exemple, le nombre de morts dû à la criminalité organisée est beaucoup plus élevé. La proposition de loi crée un parquet spécialisé dans la lutte contre la criminalité organisée – antistupéfiants – et chargé du suivi des personnes en détention, des magistrats spécialisés pour l’instruction et pour l’application des peines, un régime de détention particulier, des techniques et des modes de fonctionnement nouveaux.
Si nous n’avons pas proposé la fusion du parquet national antiterroriste (Pnat) et du Pnaco, le parallèle avec le sujet du terrorisme mérite d’être souligné, le dispositif instauré en la matière ayant fait ses preuves depuis les attentats de 2015. De l’avis général, en effet, notre système policier et judiciaire est efficace, notamment contre les organisations criminelles extérieures. Ainsi, nous voulons sortir la criminalité organisée du droit commun pour la spécialiser, s’agissant notamment du statut du repenti, des techniques de renseignement ou de la détention.
La différence avec le terrorisme est certes importante puisque les prisons françaises comptent 17 000 détenus – en détention provisoire, dans l’attente d’être jugés, ou condamnés pour peine – pour criminalité organisée en lien avec le trafic de stupéfiants. Cela génère un gros contentieux, dont l’intégralité ne sera pas confiée au Pnaco et aux magistrats spécialisés. Notre objectif est de développer le renseignement criminel, comme l’ont fait d’autres pays, en particulier l’Italie, alors que des menaces, parfois extrêmement fortes, pèsent sur plusieurs corps de métier – agents pénitentiaires, greffiers, douaniers, agents publics ou concourant au service public, directeurs de prison, enquêteurs, avocats, magistrats, journalistes. En Belgique et aux Pays-Bas, elles ont été mises à exécution. Les criminels disposent d’une assise financière importante et utilisent des techniques de recherche et développement, en matière de production de drogue, de blanchiment ou d’organisation de leurs télécommunications.
Le Pnaco aura donc vocation à se concentrer sur le haut du spectre et à coordonner le travail des Jirs. S’il ne se substituera pas aux Jirs ni aux infra-Jirs, certains dossiers pourront être gérés avec les autres juridictions. Le Pnaco incarnera une doctrine de renseignement criminel, en lien avec les services de police et à l’international, et vis-à-vis de l’opinion publique, à l’instar du Pnat en matière antiterroriste. Clé de voûte de l’ensemble du changement judiciaire, le Pnaco s’appuie sur l’intégralité de la chaîne judiciaire.
Afin d’éclairer nos discussions j’ai sollicité le procureur de Fontainebleau, entouré d’une équipe de spécialistes du ministère de la justice, afin d’établir un premier rapport d’étape pour déterminer l’organisation du Pnaco – nombre de magistrats, pouvoir d’évocation, mode de fonctionnement, localisation, délai de création : bref, que pourra-t-il faire concrètement pour être utile à la République ? Ce rapport m’a été rendu ce matin et je vous l’ai immédiatement transmis. Il a vocation à éclairer nos débats, s’agissant notamment de la conception de l’article 2.
J’appelle votre attention sur un autre point : le régime de détention. Cette question a été évoquée lors de la discussion au Sénat. Je salue à cet égard le travail des sénateurs Durain et Blanc, et me réjouis du vote à l’unanimité. Les dispositions initialement prévues n’étaient sans doute pas à la hauteur des difficultés rencontrées dans les prisons, mises en exergue par l’affaire Amra. Connu de diverses Jirs – qui ne s’étaient pas concertées –, cet homme avait été mis en détention provisoire à la maison d’arrêt d’Évreux, qui, par définition, n’était pas des plus sécurisées puisque les prisons qui le sont le plus sont celles où l’on met les personnes définitivement condamnées.
Selon le rapport d’inspection commandé par mon prédécesseur, M. Dupond-Moretti, Mohamed Amra a réussi, après plusieurs tentatives, à s’évader lors d’une extraction pour comparution devant un juge d’instruction à Rouen, laquelle n’a duré que quelques minutes – j’y reviendrai. Cela a abouti au drame d’Incarville, où deux agents pénitentiaires ont été assassinés en pleine journée, de sang-froid, à la kalachnikov, trois autres ayant été grièvement blessés. Se sont ensuivis neuf mois de cavale, avant que les services enquêteurs et les magistrats ne remettent la main sur M. Amra et plusieurs dizaines de personnes qui l’auraient aidé à s’évader.
Cette affaire a mis en exergue la faiblesse de notre renseignement criminel : nous sommes incapables d’identifier les profils de l’intégralité des personnes détenues dans nos prisons, notamment en détention provisoire. Le Pnaco, aidé par les services du ministère de l’intérieur, devrait permettre d’y remédier et d’évaluer parfaitement la dangerosité des détenus. Aujourd’hui nous ne sommes pas en mesure de placer les personnes particulièrement dangereuses dans un régime de détention qui les empêche de menacer, de corrompre, de continuer à diriger leur point de deal, de commander des assassinats et de s’évader.
Des prisons de haute sécurité devraient permettre de ne pas les mélanger avec l’essentiel des autres détenus : sur les 82 000 détenus, 600 à 800 personnes sont concernées. L’objectif est de cesser de distinguer les détenus selon leur statut – détention provisoire, maison d’arrêt en attendant le procès, prison pour peine – et de préférer un critère de dangerosité – capacité à s’évader, à corrompre, à commander des assassinats.
Ce changement radical dans le fonctionnement de l’administration pénitentiaire ne relève pas du législateur : des prisons de haute sécurité peuvent être créées sans le Parlement, dont l’accord est toutefois nécessaire pour instaurer le régime de détention qui s’appliquera dans ces prisons ou leurs quartiers.
Je me suis inspiré de l’Italie, qui a inventé la mafia mais aussi des antidotes : un système de repentis qui compte un millier de personnes ; vingt-quatre quartiers pénitentiaires spécifiques où sont incarcérés quelque 900 détenus qui relèvent de la criminalité organisée mafieuse. Mon amendement propose le même régime de détention très strict, déclenché par une mesure administrative. C’est le garde des Sceaux qui, sur la base d’informations fournies par ses services et ceux du ministère de l’intérieur, prendra un arrêté visant à placer telle ou telle personne, quel que soit son statut, sous ce régime de détention strict pendant une durée – renouvelable – de quatre ans. L’arrêté sera public et attaquable devant le juge administratif.
Ce régime présente des particularités en matière d’accès au téléphone, de conditions de parloir et d’extraction. Actuellement, les détenus peuvent téléphoner vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis leur cellule avec téléphone fixe, les plus dangereux étant écoutés par le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP). Même avec le recours aux outils de l’intelligence artificielle, qui ne sont d’ailleurs pas à la main du ministère de la justice, cette mesure de surveillance est difficile à pratiquer puisque des milliers de détenus sont potentiellement concernés par la criminalité organisée ou le terrorisme. Nous proposons donc de réduire l’accès au téléphone fixe, comme en Italie, pour les détenus placés sous ce régime. Lors des parloirs, les fouilles systématiques et l’hygiaphone ont été abolis en application d’une directive européenne. Nous préconisons de les rétablir pour les quelques centaines de détenus les plus dangereux, comme en Italie.
Nous voulons aussi éviter les extractions judiciaires, qui posent de gros problèmes aux forces de l’ordre et aux agents pénitentiaires. Toutefois mon amendement va moins loin que le système italien où le détenu reste en prison pendant toute la procédure judiciaire, y compris lors du jugement et du prononcé de la peine. De notre côté, nous préconisons le recours à la visioconférence pour les actes préparatoires au procès, les échanges avec le juge d’instruction. Nous parlons ici de 600 à 800 détenus sur un total de 82 000, considérés comme les plus dangereux, sachant que les magistrats pourront s’opposer à l’usage de la visioconférence. Est-ce que ces mesures auraient empêché à coup sûr M. Amra de s’évader ? En tout cas, s’il n’était pas allé quelques minutes dans le bureau du juge d’instruction, s’il avait été incarcéré dans une prison pour peine et non à la maison d’arrêt d’Évreux et s’il avait été soumis à un régime de détention plus attentif à sa dangerosité, on peut penser que les événements ne se seraient pas déroulés de la même manière.
Ces deux amendements sur le régime de détention et l’utilisation de la visioconférence, qui concernent un nombre infime de détenus, vont faire l’objet de débats parlementaires nourris mais aussi d’un avis du Conseil d’État que j’ai décidé de saisir. J’ai eu un échange avec Thierry Tuot, président de la section de l’intérieur, au cours duquel je lui ai proposé de défendre le dossier en personne. Il m’a indiqué que le président de la commission des lois et les rapporteurs sont les bienvenus à la réunion qui se tiendra la semaine prochaine. Je rendrai public le rapport du Conseil d’État, et, si besoin est, nous modifierons le texte en séance. Que chacun comprenne que ce sujet peut nous rassembler. De telles dispositions, mises en place il y a longtemps par un gouvernement social-démocrate italien aux prises avec la mafia, ont d’ailleurs été validées par toutes les institutions européennes.
S’agissant du statut de repenti, nous partageons le point de vue du rapporteur Éric Pauget sur le texte du Sénat. En Italie, le statut ne donne pas droit à une immunité mais à un régime de détention différent de celui qui est appliqué à ceux qui ne parlent pas. C’est pour cette raison que les mesures sur la détention seront examinées avant l’article 14 qui réforme le statut des repentis. S’agissant de personnes qui encourent quinze ou vingt ans de prison, la dureté du régime peut être un argument dans la négociation de l’administration de la justice avec un éventuel repenti. On ne promet pas à la personne qu’elle n’ira pas en prison même si elle a commis un crime de sang, mais on peut lui faire valoir des conditions de détention plus clémentes et éventuellement une négociation sur la peine, comme en Italie où le système fonctionne très bien.
Enfin, j’en viens à un aspect du texte sur lequel reviendra le ministre de l’intérieur : la lutte contre le financement et le blanchiment du narcotrafic, qui nécessite des moyens de plus en plus sophistiqués sur le plan technologique. Le Pnaco, qui pourrait naître au début de l’année prochaine, permettra de recruter des magistrats spécialisés et de développer des compétences en matière de cybercriminalité car le blanchiment d’argent passera de plus en plus par les cryptoactifs, le dark web et autres technologies de ce type. De même que le Pnat est compétent en matière de terrorisme mais aussi de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, nous envisageons un Pnaco qui serait chargé de la lutte contre le narcotrafic et la cybercriminalité.
Il n’y aura pas d’autres amendements du gouvernement, sauf si Vincent Caure ne reprend pas l’intégralité des recommandations de la mission.
M. le président Florent Boudié. Saisir le Conseil d’État me semble être une bonne initiative.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur. Tout d’abord, j’aimerais vous donner une idée du déferlement du narcotrafic sur notre pays. Nos services, qui travaillent formidablement bien, ont intercepté 23 tonnes de cocaïne en 2023, et plus de 50 tonnes en 2024 – plus du double. Or le prix du gramme de cocaïne a eu tendance à baisser dans l’intervalle, ce qui signifie que, malgré les prélèvements que nous pouvons faire sur ces trafics, des quantités faramineuses de produits continuent à arriver, à 80 % par les ports, dont nous proposons d’améliorer la surveillance. Les drogues les plus dures sont disponibles tout le temps et partout, aussi bien dans les villes que les villages de campagne, dans l’Hexagone et en outre-mer. Souvent traversés par les routes de la drogue, les territoires d’outre-mer ont des fragilités – pauvreté et chômage – qui en font des proies du narcotrafic.
Cause racine de l’hyper violence que l’on voit partout en France, le narcotrafic est aussi devenu une menace existentielle pour nos institutions. C’est pourquoi, il y a plusieurs mois, nous avions établi un parallèle entre le combat contre le terrorisme et celui contre la criminalité organisée : ces deux causes, qui doivent être deux causes nationales, appellent des réponses similaires, bien que comparaison ne soit pas forcément raison. C’est un combat vital puisqu’il s’agit de sauver des vies. Je suis stupéfait de constater, semaine après semaine, le rajeunissement épouvantable des tués et des tueurs. Dans le narcotrafic, on trouve des enfants soldats et victimes, qui n’ont d’autre perspective qu’un chemin de larmes et un destin de sang. C’est aussi un combat vital pour les intérêts fondamentaux de notre nation. Si nous laissions s’enkyster de véritables narco-enclaves et prospérer des méthodes de corruption atteignant nos institutions, nous pourrions basculer dans une situation que connaissent d’autres États. C’est une alerte. Le moment est venu de reprendre le contrôle. Le combat nécessitera beaucoup de volonté et il ne réglera pas en quelques mois ni en quelques années un phénomène planétaire qui brasse des milliards d’euros.
Pour ce qui concerne le ministère de l’intérieur, il y a besoin d’un nouvel arsenal. Lorsque j’étais président du groupe Les Républicains au Sénat, nous avions créé une commission d’enquête sur le narcotrafic dans le cadre de notre droit de tirage. Nous avions déjà fait ce constat. La spécialisation de la chaîne judiciaire – du Pnaco jusqu’au juge de l’application des peines (JAP) en passant par la cour spéciale – appelle une nouvelle organisation au ministère de l’intérieur, assez proche de celle qui a été créée pour la lutte contre le terrorisme. Pourquoi avons-nous déjoué neuf attentats l’an dernier, trois fois plus qu’il y a trois ans ? Parce que nos services de renseignement et d’enquête se sont professionnalisés, mais surtout parce qu’une nouvelle organisation leur a permis de mieux échanger et se coordonner.
Le Sénat avait d’abord proposé de faire de l’Office français antistupéfiants (Ofast) la colonne vertébrale du système, mais la criminalité organisée inclut aussi le proxénétisme, le trafic d’êtres humains, d’armes, de cigarettes, etc. En lieu et place de l’article 1er, nous proposons donc une mesure d’ordre réglementaire : créer un état-major permanent, sur le modèle de celui qui existe en matière de lutte contre le terrorisme, qui pourrait être opérationnel en quelques semaines à Nanterre. La direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) en serait le chef de file naturel car elle traite déjà plus de 80 % des dossiers de criminalité organisée. Cet état-major réunirait tous les acteurs concernés : les services de renseignement et d’enquête du ministère de l’intérieur, le SNRP, Tracfin, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). La dimension interministérielle du dispositif serait très affirmée puisque les services de quatre ministères seraient impliqués dans cette plateforme située dans un seul lieu et fonctionnant sous l’égide d’un même chef de file, la DNPJ. Formule gagnante dans le combat contre le terrorisme, elle le sera aussi dans la lutte contre la criminalité organisée. Le nouvel arsenal contre le blanchiment et la corruption sera du ressort de Bercy.
Quoi qu’il en soit, on ne part pas de rien. Il existe déjà des outils tels que les 104 cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), un solide maillage territorial qui sera relié à l’état-major et ayant une double utilité : on ne protège bien que ce que l’on connaît bien ; plus on s’approche du terrain, plus on recueille du renseignement opérationnel. En matière de blanchiment, il existe les comités opérationnels départementaux antifraude (Codaf), coprésidés par les préfets et les procureurs de la République, qui rassemblent tous les services de l’État. Il est envisagé d’aller au-delà de certains pouvoirs de police spéciale, qui permettent par exemple à un préfet de fermer un débit de boissons, pour autoriser la fermeture d’autres commerces ou de locaux associatifs quand s’y déroulent des trafics. Un Codaf avait ainsi repéré une boucherie qui faisait 5 millions d’euros de chiffre d’affaires, un montant peu en rapport avec son activité visible. Si l’on veut casser l’écosystème du narcotrafic, tous les services de l’État – en matière fiscale, sociale, sanitaire ou de douane – doivent s’intéresser à de nombreux commerces qui fleurissent.
L’arsenal comprendra aussi des techniques spéciales d’enquête, qui ont fait couler beaucoup d’encre. Dans les articles 8 et suivants, vous aurez à examiner trois techniques : l’algorithme, les interceptions satellitaires et le chiffrement. Si le texte devait être adopté sans aucune de ces techniques nous permettant de lutter à armes égales dans ce domaine des nouvelles technologies, aucune enquête ne serait plus possible que ce soit en matière de terrorisme ou autre. Tout commence par le renseignement, je pourrais vous en donner maints exemples. C’est toujours la dialectique du glaive et du bouclier : ces organisations professionnelles disposent du nec plus ultra en nouvelles technologies. Si nos enquêteurs sont en retard dans ce domaine, alors nous ne lutterons pas à armes égales. Expérience à l’appui, les responsables de nos services vous l’ont dit mieux que moi lorsque vous les avez auditionnés, mais j’ai encore en mémoire des affaires récentes démontrant que l’on ne peut aboutir quand on est privé de renseignement.
Quant au procès-verbal distinct, il n’est pas totalement nouveau : nous avons déjà recours au témoignage anonyme et nos amis belges ont expérimenté un système similaire sur lequel la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a émis un avis positif au regard de l’article 6 de la Convention sur le droit à un procès équitable. Étant donné les organisations professionnelles que nous affrontons, il faut veiller à ne pas livrer des noms d’informateurs ou d’enquêteurs qui pourraient subir des menaces, y compris des menaces de mort. Nous avons déjà modifié la première version du Sénat concernant le procès-verbal distinct pour tenir compte d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel – il en existe désormais deux, dont l’une date de 2023. Le rapporteur veut encore en parfaire la rédaction pour que nous ayons un encadrement satisfaisant. À mon avis, cet encadrement sera d’autant plus satisfaisant que, du début à la fin, la procédure sera soumise à l’œil de magistrats : d’abord du procureur de la République ou du juge d’instruction qui créera ce dossier distinct, puis du juge des libertés et de la détention (JLD) dont la décision pourra être contestée en chambre de l’instruction.
Disons un mot de Pharos, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, pour rappeler que, si les drogues les plus dures sont disponibles partout et tout le temps, c’est parce qu’elles ne sont plus seulement vendues sur les points de deal, mais qu’elles sont aussi livrées au consommateur par « Uber Shit ». Vous pouvez saisir cette plateforme pour faire retirer des contenus à finalité terroriste ou pédocriminelle. La même procédure doit s’appliquer au trafic de drogue.
Le parallèle entre le terrorisme et la criminalité organisée vaut pour les techniques spéciales d’enquête que nous voulons inscrire dans le droit en fonction de leur finalité. Ce fut le cas en 2015 avec le texte fondateur sur le terrorisme et plus récemment avec celui sur les ingérences étrangères. Nous vous proposons ici de placer la criminalité organisée parmi les menaces existentielles, afin de lui appliquer les techniques spéciales d’enquête. Depuis les attentats perpétrés par Mohamed Merah à Toulouse en 2012, le terrorisme a fait un peu moins de 280 morts, ce qui est énorme. L’an dernier, la criminalité organisée a fait 110 morts. La menace est là et se traduit en nombre de victimes. Voilà ce que je voulais vous dire pour poser les termes du débat.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Depuis trente ans, les gouvernements ont échoué à juguler le fléau de la drogue. Au nom d’une doctrine faussement pragmatique, nos dirigeants ont préféré composer plutôt qu’agir, tolérer plutôt que combattre. Au nom d’un prétendu maintien de l’ordre dans les cités, on a fermé les yeux sur la gangrène du trafic. Résultat : des quartiers entiers, livrés aux dealers, sont devenus des zones de non-droit. En janvier dernier encore, un gendarme a été abattu dans le Nord lors d’une opération antidrogue. Nous ne faisons plus face à une délinquance ordinaire, mais à de véritables organisations criminelles qui n’ont plus peur de l’autorité républicaine. Voilà où nous mène le laxisme. Ouvrons les yeux : le poison des drogues s’est répandu jusque dans nos campagnes et aucun territoire n’est plus à l’abri de ce fléau. Qui aurait imaginé qu’une petite ville normande de 1 000 habitants devienne le théâtre d’un narcotrafic international, 800 kg de cocaïne ayant échoué sur ses plages ? Ce qui relevait de l’inimaginable est devenu notre réalité.
Alors que nous sommes arrivés à un point de bascule, qu’opposons-nous à ces nouvelles mafias ? Une stratégie morcelée, des plans inefficaces, sans cap clair ni moyens suffisants. En dépit d’un arsenal légal parmi les plus répressifs d’Europe, la drogue circule plus que jamais. Un point de deal démantelé renaît en quelques jours ailleurs ou, pire, au même endroit. Les saisies se multiplient mais ne représentent qu’une infime fraction des flux croissants qui inondent notre pays. Plus nous luttons avec nos armes désuètes, plus les trafics se renforcent.
Le Rassemblement national appelle à muscler d’urgence notre arsenal. Il s’agit de changer radicalement d’approche et de paradigme. Assez de mesurettes, nous devons frapper les trafiquants au cœur de leur système. Simplifions les procédures pénales pour rendre les enquêtes rapides et plus efficaces. Restreignons les moyens dilatoires qui permettent aux criminels d’échapper aux poursuites. Autorisons les perquisitions et les écoutes téléphoniques pour mieux infiltrer les réseaux. Inspirons-nous des modèles qui fonctionnent : en Italie, la lutte contre la mafia a connu un tournant décisif lorsque l’on a osé faire appel aux repentis pour éliminer les parrains du crime. Pourquoi serions-nous plus timorés ? Le cadre légal doit s’adapter à la réalité d’une criminalité hyper mobile, structurée et ultraviolente. Dotons nos forces de l’ordre des outils techniques du XXIe siècle. Nous demandons une réforme des moyens d’interception électronique, une lutte accrue contre le blanchiment et une augmentation significative des effectifs et équipements spécialisés. Donnons à notre justice les ressources nécessaires : plus de magistrats spécialisés ; plus de places de prison ; un régime de procédure pénale permettant d’agir avec rapidité et efficacité. Comment tolérer que des trafiquants multirécidivistes échappent à la prison pour vice de forme ou que des enquêtes piétinent quand les autorisations administratives n’arrivent pas à temps ? Il faut lever d’urgence les obstacles juridiques et administratifs.
Le Sénat a récemment montré la voie en adoptant à l’unanimité ce texte salué comme fondateur. Le groupe Rassemblement national soutiendra toute démarche qui va dans le sens d’une répression implacable du narcotrafic et d’une reconquête de nos territoires perdus. Nous serons néanmoins vigilants : plus question de demi-mesures ou de renoncements cachés derrière des effets d’annonce. Les Français n’en peuvent plus des promesses non tenues pendant que leur quartier se dégrade et que leurs enfants tombent dans la toxicomanie ou, pire, sont pris pour cible. Sécurité, ordre, justice : voilà ce qu’ils attendent de nous. Nous sommes face à une responsabilité historique. En adoptant des mesures fermes, en donnant réellement aux forces de l’ordre et aux magistrats les moyens d’éradiquer les trafics, nous pourrons enfin inverser la tendance et protéger nos concitoyens. Face au poison de la drogue, opposons l’antidote de la fermeté républicaine. Débarrassons la France du piège du narcotrafic.
M. Sébastien Huyghe (EPR). La France se trouve à un point de bascule, submergée par la cocaïne et gangrenée par les tueries et les violences. Depuis 2023, les opérations Place nette se sont multipliées, mais, si elles ont apporté de la tranquillité à nos concitoyens, elles semblent n’atteindre que les petites mains tant il est difficile de cibler les chefs de réseaux criminels et les agents du blanchiment d’argent de la drogue. L’intensification des trafics et leurs ramifications internationales nous imposent d’être à la fois fermes et lucides, afin de nous assurer que les politiques publiques répondent pleinement aux réalités de terrain et aux attentes de nos concitoyens.
Face à l’ampleur du phénomène, notre responsabilité de parlementaire consiste à mettre en œuvre ce sursaut national et à faire de la lutte contre le narcotrafic une priorité absolue. Un changement de paradigme est possible, mais aucune main ne doit trembler. Si les sujets régaliens font rarement consensus dans l’hémicycle, je suis persuadé que celui-ci est d’une telle gravité que nous pouvons trouver des terrains d’entente. Nos concitoyens comptent sur nous. J’espère ne pas me tromper en disant que nous partageons le constat suivant : face au narcotrafic, la réponse de l’État manque de moyens et souvent de cohérence. Nous devons traiter le sujet pour ce qu’il est : un véritable fléau économique et social qui finance la criminalité, affaiblit nos institutions et menace la cohésion nationale. Aucune zone ne doit être abandonnée aux trafiquants. Il nous faut restaurer l’autorité républicaine dans chaque quartier, en démantelant les réseaux et en reprenant le contrôle des territoires perdus.
Cette proposition de loi réformera l’architecture judiciaire avec la création du Pnaco sur le modèle du PNF et du Pnat. Il traitera les crimes les plus graves, constituera une incarnation de la lutte contre le narcotrafic et coordonnera les parquets spécialisés. La chaîne pénale sera dotée de magistrats et de JAP spécialisés. Les services d’enquête seront renforcés par la création d’un état-major dédié à la criminalité organisée. Le texte cible aussi le blanchiment, en instaurant un double mécanisme de gel judiciaire et administratif des avoirs et en permettant les fermetures administratives de commerces suspectés d’agir comme des blanchisseuses. Il est aussi prévu de créer une procédure d’injonction pour richesse inexpliquée, et une interdiction du recours aux mixeurs de cryptoactifs qui permettent de rendre l’origine des actifs numériques intraçables.
Côté renseignements, la proposition de loi facilitera le partage d’informations entre services et permettra l’expérimentation du renseignement algorithmique sur le modèle appliqué en matière de terrorisme. Le texte imposera aux messageries chiffrées de coopérer avec les autorités. Les préfets pourront prononcer des interdictions de paraître et un délit d’offre de recrutement sera créé. Enfin, le texte réforme le statut des repentis, le rendant plus attractif et l’élargissant aux crimes de sang. Il introduira un procès-verbal distinct, appelé le dossier coffre, destiné à stocker des preuves issues de techniques spéciales d’enquête, inaccessibles aux suspects et à leurs avocats sauf en cas d’intérêt exceptionnel.
Monsieur Darmanin, vous défendrez un amendement visant à créer un nouveau régime carcéral exceptionnel pour les détenus les plus dangereux. Pouvez-vous préciser sur quels critères de dangerosité reposera la décision de placer un détenu dans ce système ? L’affectation dans les prisons de haute sécurité sera prévue pour une durée de quatre ans renouvelable. Pouvez-vous nous préciser sur quel fondement reposera cette décision de renouvellement ? Monsieur Retailleau, ne faudrait-il pas envisager un volet sur le trafic d’armes ?
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Vous voulez sortir la France du piège du narcotrafic, objectif que nous partageons, mais vous n’y arriverez pas avec cette proposition de loi. Vous n’avez pas compris que lutter contre le trafic de stupéfiants, c’est lutter contre un marché ultracapitaliste qui fait rencontrer une offre et une demande. Cette proposition de loi ne réduira ni l’une ni l’autre.
Pendant un an et demi, j’ai été le corapporteur d’une mission d’information sur l’évaluation de l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants. Notre rapport souligne que la corruption est un enjeu central et insiste sur la question de la formation obligatoire pour comprendre les mécanismes corruptifs et s’en protéger. À cet égard, votre texte, qui ne dit presque rien de la formation, est inefficace.
S’agissant du blanchiment, vous êtes en dessous de la main. Vous proposez des saisies administratives de petits commerces, qui sont arbitraires et inefficaces pour lutter contre le haut du spectre. Sur ce sujet, mon déplacement au parquet de Paris était stupéfiant. J’y ai découvert que les personnes censées lutter contre le blanchiment n’ont même pas de logiciel pour le faire. Si vous voulez lutter contre les capitalistes de la drogue en les tapant au portefeuille, achetez des logiciels à ceux dont c’est le travail.
Vous jouez les gros bras sans jamais mettre les moyens où il faut. La création du Pnaco se faisant à moyens constants, elle n’est qu’un exercice de communication : vous allez prendre des moyens aux Jirs pour les confier à ce parquet. Or ces juridictions ont d’autres fonctions que la lutte contre le trafic de stupéfiants, notamment la lutte contre la fraude fiscale. Avec cette nouvelle organisation, vous allez donc affaiblir la lutte contre la fraude fiscale. Vous allez déshabiller Paul sans habiller Jacques. C’est plus qu’inefficace, c’est contre-productif.
Dans la justice comme dans la sûreté, vous voulez élargir les moyens techniques au mépris du respect des droits sans augmenter les moyens humains. C’est dans cette logique que vous voulez activer à distance les téléphones pour écouter ceux que vous suspectez d’être des criminels, peu vous importe que des individus sans rapport avec le trafic puissent être écoutés eux aussi. C’est dans cette logique, que vous voulez obliger les fournisseurs de messagerie à mettre des backdoors pour que les services de renseignements puissent accéder aux données. Peu vous importe que ce soit à la fois irrespectueux des libertés et d’un ridicule absolu : les dossiers EncroChat et Sky ECC ont précisément montré que les criminels utilisent des logiciels dont ils sont persuadés du caractère sécurisé et impénétrable. Bravo les champions : avec cette mesure vous allez donc indiquer aux criminels quel logiciel ne pas utiliser sous peine d’être écouté d’office ! Si vous voulez attraper de grands criminels, faites comme la gendarmerie avec EncroChat : enquêtez, déchiffrez, agissez et commencez par fournir à la police un logiciel de saisie des procédures pénales fonctionnel. Après huit ans d’efforts et un investissement de 15 millions d’euros, ce logiciel n’a toujours pas vu le jour. Le groupe LFI dépose aujourd’hui une résolution pour créer une commission d’enquête et faire la lumière sur ce fiasco.
La question des moyens et des renseignements humains est traitée dans les articles 17 et 18, qui concernent les infiltrés, et dans les articles 19 et 14, relatifs aux informateurs et aux repentis. Pour ces articles, vous trouverez notre appui.
Toutefois, vous n’avez pas compris que le trafic de stupéfiants est un marché ultracapitaliste dont les têtes de réseau ne pensent qu’à s’enrichir. Pour appauvrir les trafiquants, il y a une mesure dont vous refusez de débattre : la légalisation du cannabis. C’est pourtant le moyen de sortir une immense manne financière des mains des trafiquants, qui pourrait ensuite être utilisée pour la prévention.
La baisse des consommations devrait être votre objectif. Toutes les personnes que j’ai auditionnées parviennent à la même conclusion : sans baisse de la demande, on n’arrivera à rien. Or votre texte ne traite tout simplement pas de cette question. Sur ce sujet, vous êtes à la ramasse, préférant faire des clips avec des doudous enflammés plutôt que d’informer les consommateurs sur les risques sanitaires de leur consommation, ce qui serait cent fois plus efficace. La prévention est le nerf de la guerre. Prévenir l’entrée dans la consommation, faire diminuer les consommations, lutter contre les addictions : voilà le seul moyen réellement efficace de faire reculer le trafic de stupéfiants.
Cette proposition de loi ne résoudra rien. Si elle reste en l’état, nous voterons contre parce que son titre est un mensonge : loin de nous sortir du piège du narcotrafic, elle nous y enfermera.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le narcotrafic est un fléau qui gangrène toute la société. Les véritables victimes sont toujours les plus fragiles : quartiers défavorisés, familles victimes collatérales, petits dealers exploités par la mafia et, en bout de chaîne, consommateurs. Ce fléau a gagné les villes moyennes et les zones rurales.
La lutte contre le narcotrafic ne saurait être efficace sans une réelle coopération internationale. En effet, 80 % des stupéfiants transitent par les ports, ce qui signifie qu’ils proviennent de l’étranger. À l’échelle de l’Union européenne, hélas, la coopération reste limitée en raison de cadres juridiques nationaux totalement différents. Nous avons beaucoup de mal à harmoniser nos législations, souvent parce que nous n’avons pas la même vision, les mêmes méthodes, voire la même philosophie. Étant élue du Pays basque, à proximité des Pyrénées, je sais les problèmes que pose l’existence de deux législations de part et d’autre de la frontière : d’un côté du pont, la consommation est parfaitement légale et, de l’autre, elle est interdite.
La lutte nécessite une augmentation très significative des moyens matériels et humains, à commencer par les services d’enquête, dont le rôle est déterminant pour cibler les têtes de réseau et les faire tomber. C’est par les têtes qu’il faut commencer et non par le bas du spectre. Le parquet national anti-criminalité organisée est devenu indispensable mais il ne faut pas oublier les Jirs : elles ont démontré leur efficacité, accomplissant en peu d’années un travail extraordinaire grâce à des juges et à des greffiers ultraspécialisés.
Le groupe Socialistes et apparentés se veut à la fois réaliste, responsable et exigeant. Il faut se garder d’adopter des mesures d’affichage politique, qui ne seraient d’aucune utilité. Nous devons faciliter le travail des enquêteurs et des magistrats, sécuriser et simplifier les procédures tout en protégeant les libertés individuelles et les droits fondamentaux. Il faut ainsi veiller, s’agissant de la légalité des techniques spéciales d’enquête, à ce que le fameux procès-verbal distinct ne porte pas atteinte aux droits de la défense ni au principe du contradictoire.
Nous devons aussi faire attention aux risques d’atteinte à la vie privée et, plus grave, à la sécurité nationale posés par l’accès sans contrôle au contenu des messageries cryptées, véritable porte ouverte à l’activation à distance d’appareils et à l’introduction d’Imsi-catchers dans les lieux privés. De même, la prolongation jusqu’à cent vingt heures de la garde à vue pour les mules ou encore la généralisation de la CRPC en matière criminelle risquent de remettre en cause les droits fondamentaux, en particulier la présomption d’innocence. Le virage en matière d’atteintes aux libertés est inquiétant : il ne faudrait pas que cela masque un manque de moyens.
Enfin, la dimension sanitaire, préventive ou éducative fait défaut : il faudra s’y atteler de manière courageuse.
M. Olivier Marleix (DR). Le narcotrafic est l’un des plus graves fléaux qui gangrènent notre société, un poison pour les habitants de très nombreux quartiers et villages, un poison mortel pour tant de jeunes, souvent des adolescents, emportés dans la drogue et soumis à ses lois infernales. Je pense notamment à ces jeunes filles de 14 ou 15 ans qui, après avoir vidé le maigre compte en banque de leurs parents, sont entraînées par des dealers dans la prostitution comme moyen de paiement de leurs doses. J’ai reçu dans ma permanence, à Dreux, des mamans désemparées ; c’est, pour un député, un moment de souffrance et de honte, parce que notre société n’a pas su protéger ses enfants.
Avec un chiffre d’affaires estimé à 6 milliards d’euros par an, le trafic de stupéfiants finance des réseaux criminels de plus en plus puissants, violents et organisés. Ces phénomènes sont nouveaux ; ils ne sont pas la conséquence de trente ans de laisser-faire. Les chiffres – quatre-vingt-cinq morts en 2023, dont quarante-neuf à Marseille – illustrent la guerre que mènent les trafiquants dans notre pays. Il est temps de changer radicalement de braquet et de nous montrer à la hauteur du danger. Je salue l’initiative de l’ancien président Retailleau, qui a utilisé le droit de tirage de son groupe au Sénat pour créer une commission d’enquête à l’origine de cette proposition de loi, faisant naître un consensus sur le réveil de la nation face à la drogue.
Les saisies de cocaïne ont presque doublé en un an, atteignant 44 tonnes en septembre 2024. Cela montre l’ampleur du trafic et souligne la nécessité de renforcer les moyens de contrôle dans les ports et les aéroports. Pendant ce temps, les trafiquants s’adaptent, innovent, exploitent toutes les failles. Ils utilisent des messageries cryptées et ultrasécurisées, des drones pour surveiller les forces de l’ordre, des cryptomonnaies pour blanchir leurs profits.
Les forces de l’ordre et la justice luttent avec courage et détermination mais font face à un déséquilibre alarmant : seuls 3 % des profits du narcotrafic ont été saisis en 2023, soit seulement 117 millions d’euros sur un marché de plusieurs milliards. Pendant que nous confisquons quelques voitures et appartements, les cartels réinvestissent des fortunes dans leurs activités criminelles. Les chefs de réseaux opèrent depuis l’étranger, à l’abri d’États non coopératifs qui bloquent les enquêtes. Cela pose la question de la coopération internationale.
La création d’un parquet national anti-criminalité organisée est une avancée importante. Il serait intéressant, monsieur le garde des Sceaux, que vous nous précisiez comment vous imaginez l’articulation avec les parquets locaux et à quel stade le pouvoir d’évocation doit intervenir.
La sécurisation des prisons est un enjeu crucial car le trafic se poursuit derrière les barreaux. Certains détenus continuent de gérer leurs affaires, de donner des ordres, d’organiser leurs réseaux, comme on l’a vu avec Mohamed Amra dont l’évasion a coûté la vie à deux agents de l’administration pénitentiaire, Fabrice Moello et Arnaud Garcia. Nous saluons donc la création des quartiers réservés à la criminalité organisée dans les prisons. Pourriez-vous nous indiquer dans quel délai cela sera fait ? L’enjeu n’est pas la construction de places, que l’on risque d’attendre pendant des années, mais la transformation de places existantes.
Enfin, concernant la corruption, la commission d’enquête sénatoriale avait relevé des chiffres incroyables : 60 000 euros pour acheter la complicité d’un docker, 40 000 euros pour celle d’un douanier. Nous savons que cela concerne aussi des policiers, des magistrats, des élus locaux, qui peuvent être soumis à des tentations. Pourtant, depuis la loi Sapin 2 de 2016, il ne s’est rien passé ou presque dans notre pays en matière de lutte contre la corruption. Il n’y a toujours pas de plan national de lutte contre la corruption, attendu depuis plus d’un an. J’aimerais savoir quelles sont les mesures prises dans chacun de vos ministères en matière de cartographie des risques et des mesures de prévention.
En conclusion, nous voterons ce texte car il contient des avancées très importantes.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Il est temps que notre pays s’engage résolument et sans trembler contre les violences, les crimes et la corruption générés par les trafics de stupéfiants, d’armes et d’êtres humains : ils sont la marque du narcotrafic, dont l’ampleur et la structuration capitalistique ont été soulignées lors des auditions. Toutes les villes sont touchées par la grande criminalité organisée. Elles appellent de leurs vœux des moyens ambitieux pour démanteler les organisations criminelles qui pourrissent la vie de nombreux quartiers. Les trafics affaiblissent nos institutions, délégitiment la puissance publique, détruisent le contrat social et augmentent le risque de corruption.
Ces nouveaux défis, intimement liés à la cupidité d’un capitalisme débridé et à l’abandon par l’État de ses grandes ambitions, supposent une approche nouvelle. De ce point de vue, la spécialisation de la justice en matière de lutte contre le narcotrafic, à l’instar du parquet national financier créé par la gauche, apparaît comme une nécessité. Nous plaidons pour frapper ce qui constitue le cœur du pouvoir de ces nouveaux criminels : l’argent – l’argent salement gagné, qui corrompt et qui tue, et qui manque tant pour financer nos besoins. Nous aurions tant à faire pour doter les services publics – police, renseignement, justice, services sociaux – et pour en faire les premiers remparts contre ces économies parallèles.
En dépit de quelques mesures utiles, la proposition de loi issue du Sénat soulève des questions graves. En premier lieu, elle élargit le champ de la criminalité organisée, ce qui risque de faire perdre du temps d’enquête et de créer des injustices qui pourront demain viser des collectifs militants, comme cela a été le cas pour les gilets jaunes ou lors des mobilisations à Bure. Nous avons besoin de permettre aux enquêteurs de cibler des criminels de haut niveau, de leur donner des moyens de surveillance et de filature adaptés, modernes et puissants pour viser le haut du spectre et non, de façon indiscriminée, des citoyens, parfois victimes de cette grande délinquance organisée.
Vous semblez pris, messieurs les ministres, par une sorte de névrose orwellienne de contrôle, de surveillance et d’enfermement, dont il est démontré depuis Ronald Reagan qu’elle n’a en rien empêché le développement des multinationales du crime, parfois même avec la complicité de quelques États voyous. Pêle-mêle, vous proposez le déchiffrement de messages cryptés, mettant directement sous surveillance les conversations privées de centaines de milliers de personnes, dont le traitement s’avérera impossible ; l’abaissement des seuils de sécurité informatique, mettant ainsi en danger la souveraineté numérique nationale ; l’interception satellitaire ; la sonorisation et la captation vidéo des appareils fixes et mobiles ; l’utilisation d’algorithmes de surveillance – bref, des moyens déraisonnables alors qu’il s’agit d’aller à l’essentiel. D’autres mesures soulèvent également des interrogations telles que le dossier coffre, nouvelle procédure ubuesque et sinueuse qui crée un précédent inquiétant au regard des principes constitutionnels des droits de la défense et de la procédure.
Vous affirmez vouloir adapter le droit pénal contre le crime organisé en vous inspirant des lois contre le terrorisme. Or ces dernières sont exceptionnelles – ce sont même des lois d’exception. Si nous n’étions pas nombreux, en 2015, à nous y opposer, il y avait, à droite, des gens plus farouchement défenseurs des libertés, comme Mme Laure de La Raudière ou M. Claude Malhuret. Vous demandez à étendre les techniques de surveillance sans qu’aucune évaluation réelle et sérieuse n’ait été faite : c’est une façon cavalière de légiférer. Je vous mets donc en garde contre cette névrose sécuritaire qui nous fait passer à côté de la modernisation de la justice et de ses moyens, de ses équipements, et qui passe outre la prise en compte des populations, y compris dans les territoires ultramarins.
En l’état, le groupe Écologiste et social souhaite montrer que la bonne réponse à la grande délinquance est l’État de droit et non l’effacement de certains de ses principes constitutifs.
Mme Blandine Brocard (Dem). En 2024, 49 tonnes et 500 millions de doses de cocaïne ont été saisis en France, représentant plus de 3 milliards d’euros à la revente. C’est le double de 2023 : on pourrait s’en satisfaire mais, pour 1 gramme saisi, combien restent encore en circulation ? Les chiffres sont stratosphériques et les quantités faramineuses. Je tiens d’ailleurs à féliciter les douaniers, les policiers, les gendarmes et les services de renseignement pour leur travail formidable. Mais nous, législateurs, nous devons les aider à poursuivre et à intensifier la lutte contre ce fléau qui gangrène les quartiers, les villes et les campagnes, qui détruit des vies, sème l’ultraviolence et alimente un système criminel tentaculaire. Il nous faut traquer chaque euro, déposséder les trafiquants, détruire leur écosystème, nous attaquer à leurs réseaux de recrutement – notamment d’enfants – pour la vente et le blanchiment. C’est à tous ces sujets que répond le présent texte, que le groupe Démocrates soutiendra en proposant quelques mesures concrètes pour en renforcer l’efficacité.
N’en déplaise à certains, nous choisissons la fermeté pour lutter contre des criminels qui prospèrent sur la destruction de vies, sur la radicalisation de la violence et sur la terreur. Le texte apporte une réponse ambitieuse et déterminée en renforçant les moyens de la police et de la justice pour frapper les réseaux dans leur organisation et dans leur portefeuille. Il vise tout d’abord à consolider l’Ofast et à créer un parquet national spécialisé. Nous mettons ainsi fin au millefeuille administratif qui profite aux criminels – plus de coordination signifie plus d’efficacité. Il vise ensuite à s’attaquer au blanchiment d’argent afin de briser leur modèle économique car la drogue représente des flux financiers massifs, des voitures de luxe achetées en cash et des commerces de façade. Nous frappons leur train de vie avec l’injonction pour richesse inexpliquée et la confiscation des biens d’origine douteuse.
D’aucuns considèrent que ce texte est dur et répressif : tant mieux ! Face aux narcotrafiquants, aucun compromis n’est possible. La tolérance zéro ne doit pas être un slogan mais une réalité pour nos concitoyens et pour les familles qui n’en peuvent plus de voir leurs rues, leurs quartiers et leurs halls d’immeubles transformés en supermarchés de la drogue, et aussi pour les forces de l’ordre qui risquent leurs vies chaque jour pour protéger les nôtres.
Avec cette loi, nous envoyons un message simple mais inaltérable : la République ne cédera pas un centimètre aux trafiquants qui menacent nos vies et nos institutions. C’est un combat vital.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Les narcotrafics gagnent des territoires chaque année. À la lecture des chiffres, on peut parler de déferlement et même de fléau. En 2025, le narcotrafic est toujours présent dans ses emprises tristement historiques. Il s’est malheureusement étendu aux villes moyennes et aux zones rurales. Les outre-mer ne font pas exception, ces territoires faisant parfois office de lieux de transit. Les narcotrafics, qui rendent de trop nombreux quartiers invivables, portent une atteinte intolérable à la sécurité de nos concitoyens, qui ont le sentiment inacceptable d’être délaissés par l’État.
En parallèle, la violence liée à ces réseaux criminels s’est désinhibée : de plus en plus forte, elle touche non seulement les têtes de réseaux mais aussi les délinquants de moyenne envergure et les petites mains. Les trafiquants ont recours à des méthodes de vente toujours plus agressives pour garder ou gagner des parts de marché, et peu importe, pour eux, le nombre de victimes.
Toutefois, alors que les pratiques criminelles se renouvellent, s’organisent et que le trafic de stupéfiants continue son expansion, la France n’a pas connu de loi structurante en la matière depuis la loi Perben 2 du 9 mars 2004. Pour autant, l’État n’est pas resté impotent face à la hausse des trafics de stupéfiants. Le gouvernement d’Édouard Philippe avait fait usage de son pouvoir réglementaire dans le cadre du plan « stup » présenté en 2019, qui a permis d’engager des évolutions institutionnelles importantes. Nous nous réjouissons que le présent texte vise à renforcer les structures créées par ce plan.
Le moment est venu pour le législateur de s’emparer de ses prérogatives en matière pénale. Le groupe Horizons & indépendants salue le travail réalisé par les sénateurs dans le cadre de la commission d’enquête.
Notre contribution à cette proposition de loi s’articule autour de trois axes. Tout d’abord, nous souhaitons que les mesures adoptées soient robustes juridiquement, en particulier au regard de leur conformité à la Constitution. Fermement attaché au respect de l’État de droit, notre groupe proposera des amendements de suppression des articles manifestement inconstitutionnels. Il y va de la responsabilité du législateur et de la crédibilité des mesures que nous mettrons à disposition de l’ensemble des acteurs.
Dans le même esprit se pose la question du dossier coffre. Parce que nous sommes conscients des enjeux relatifs à la protection des techniques spéciales d’enquête et à celle des officiers de police judiciaire, nous serons une force de proposition constructive. Nous souhaitons que les avancées qui seront adoptées par notre assemblée nous permettent in fine de voter en faveur d’un dispositif protecteur, offrant une sécurité juridique garantie, en particulier au regard des droits de la défense.
Ensuite, nous défendrons un amendement visant à renforcer le statut des collaborateurs de justice afin d’en faire un dispositif efficace, mais également juste moralement et philosophiquement. L’inclusion des auteurs de crimes de sang ne correspond évidemment pas à l’idée que nous nous faisons d’un tel équilibre et nous nous y opposerons.
Enfin, le groupe Horizons & indépendants proposera un amendement visant à créer une infraction autonome en cas de trafic de stupéfiants commis avec une arme, punie de quinze ans de réclusion, ainsi qu’à instaurer une peine plancher de dix ans pour tout récidiviste condamné pour détention d’armes prohibées.
Alors que 80 % des trafics passent par les ports, l’élue d’un grand port que je suis sera très attentive aux mesures proposées. Nous défendrons des amendements pour que celles-ci soient renforcées et applicables. Pour répondre par avance à certains de nos collègues qui jugeront ce texte excessif, le groupe Horizons & indépendants tient à rappeler qu’il ne saurait y avoir de liberté sans règles. Si les règles ne sont pas respectées, l’État doit agir. Restaurer l’autorité républicaine, tel est l’objectif de cette proposition de loi. Le moment est venu d’agir et de réagir face à ce phénomène qui peut mettre en péril une partie de la nation.
M. Paul Molac (LIOT). Je vois ici une belle unanimité pour lutter contre le crime organisé et le narcotrafic. Même si des différences s’expriment, chacun a pris conscience qu’il s’agit d’un fléau et qu’il est nécessaire de trouver les moyens pour l’enrayer et le juguler. Le combat sera difficile car nous faisons face à une sorte d’hydre organisée au niveau mondial, qui génère des milliards de bénéfices et qui peut ainsi arroser toute une population. Même dans nos campagnes, le trafic de drogues se répand ; les bandes se rendent dans les petites villes et règlent désormais leurs comptes à la kalachnikov.
Ce texte nous paraît nécessaire pour mettre fin à la relative impunité de criminels qui utilisent nos enfants pour faire de l’argent. Il soulève plusieurs questions, notamment concernant l’articulation du parquet national anti-criminalité organisée avec les autres parquets. Les affaires seront beaucoup plus nombreuses que dans l’antiterrorisme et un choix devra être fait en fonction des têtes de réseaux, de leur importance et de la coordination en France et à l’international. Nous sommes dans un État de droit et il est important pour le respect des droits de la défense que le dispositif soit correctement mis en place.
Concernant le blanchiment, notre collègue Jean-Luc Warsmann avait déjà fait voter diverses mesures en commission des lois. Nous souhaitons aller plus loin, par exemple en autorisant la fermeture de commerces dont on voit bien qu’ils n’existent que pour faire du blanchiment.
En revanche, nous sommes plus réservés sur les algorithmes. La lutte contre le narcotrafic ne doit pas se faire au prix de nos libertés fondamentales. Nous sommes une démocratie et nous devons préserver un certain équilibre. L’article 8, qui autorise le recours à la technique algorithmique, et l’article 8 ter, qui permet d’accéder à des messageries cryptées, nous paraissent illégitimes et disproportionnés – la Cour européenne des droits de l’homme a déjà condamné une telle atteinte aux correspondances chiffrées. Comment justifiez-vous cette mesure, eu égard à cette jurisprudence ? Si cela contribue à créer des portes dérobées, quel sera le risque pour la vie privée des citoyens n’ayant aucun lien avec la criminalité organisée ?
Enfin se posera la question des moyens. Souvent, quand on crée quelque chose, on ne fait pas vraiment du neuf : on prend à Paul pour habiller Pierre. Or les moyens nécessaires sont particulièrement importants.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). La lutte contre le narcotrafic est un combat pour la souveraineté de l’État et pour la sécurité de nos concitoyens. Cette calamité ne se limite plus aux grandes métropoles : elle gangrène les territoires ruraux, crée des zones de non-droit et impose sa loi par la violence et l’intimidation. Le problème ne vient pas uniquement des grands cartels internationaux, difficiles à atteindre ; les trafics locaux dans les cités sont souvent l’épicentre du problème. Ils empoisonnent le quotidien des Français, alimentent une violence endémique et recrutent des dealers de plus en plus jeunes. Il faut donc briser ces réseaux en les démantelant et en renforçant la répression.
La création du crime de trafic de stupéfiants en bande organisée est une avancée nécessaire, qui devra s’accompagner d’une réponse judiciaire ferme pour éviter les trop nombreuses récidives. Les narcotrafiquants s’adaptent et exploitent des technologies sophistiquées : messageries cryptées, drones, cryptomonnaies. L’affaire Mohamed Amra l’illustre parfaitement : son cas démontre l’urgence d’une réponse adaptée. Il faut non seulement arrêter les trafiquants mais aussi neutraliser leurs outils criminels, même quand ils sont en prison ou en cavale. La proposition de loi prévoit que ces technologies seront utilisées pour lutter contre eux, mais avec quels moyens pour les forces de l’ordre ? Il s’agit d’adapter concrètement leur lutte à ces nouvelles pratiques de très haute technicité, qui demandent des compétences informatiques très poussées.
S’agissant de la corruption en milieu carcéral, il est inacceptable que les prisons deviennent des bases arrière du trafic. L’anonymisation des agents pénitentiaires affectés aux détenus les plus dangereux est une nécessité pour assurer leur protection.
La création d’un parquet national anti-criminalité organisée constitue une avancée essentielle. Il devra avoir la compétence sur les infractions commises en détention par des trafiquants déjà condamnés afin d’empêcher qu’ils ne continuent de diriger leurs réseaux derrière les barreaux. Nous proposons également que le Pnaco soit implanté à Marseille, dont le port est une plaque tournante du narcotrafic international. Ce choix offrirait une liaison efficace avec toutes les juridictions françaises et permettrait de renforcer la coopération avec les Jirs, qui restent un maillon essentiel du dispositif judiciaire. Cette implantation stratégique favoriserait une centralisation efficace des enquêtes et une action judiciaire plus rapide.
Quels moyens de financement concrets seront déployés pour permettre aux forces de l’ordre d’adapter leur lutte aux nouvelles technologies utilisées par les trafiquants ? Comment garantir l’anonymisation des surveillants pénitentiaires les plus exposés ? Soutenez-vous l’implantation du parquet national à Marseille ?
En conclusion, ce texte constitue indéniablement une réelle avancée. Toutefois, il présente de nombreux angles morts et je regrette que les deux amendements que j’ai déposés, l’un sur l’utilisation des produits de confiscation comme moyen de financement de la lutte contre les narcotrafiquants et l’autre sur le renforcement du statut de témoin protégé, aient été déclarés irrecevables.
M. Sacha Houlié (NI). Je veux tout d’abord rendre hommage au ministre Éric Dupond-Moretti, qui avait annoncé un texte similaire en avril 2024, et à François-Noël Buffet qui, en tant que président de la DPR – délégation parlementaire au renseignement –, avait commis, en 2022, un rapport dont les préconisations sont reprises dans le texte que nous examinons.
Il n’y a pas beaucoup de discussions sur l’objectif poursuivi par le texte, à savoir porter un coup grave et important au trafic de stupéfiants et à la criminalité organisée. En revanche, il y a quelques interrogations sur les moyens. Le PLF – projet de loi de finances – prévoit une baisse de 9 % des moyens de la police judiciaire, qui est pourtant chargée de poursuivre les criminels que nous visons dans cette proposition de loi. Je redoute donc que, au-delà des moyens législatifs que nous allons probablement voter, le reste ne suive pas.
Je suis aussi un peu interrogatif sur certaines dispositions. Si la création d’un parquet national spécialisé me paraît justifiée, tout comme celle de certaines des techniques spéciales d’enquête proposées, je me demande s’il est nécessaire de créer une présomption de revenus frauduleux pour les usagers cryptoactifs. Par ailleurs, je me demande si nous parviendrons à assurer la pleine effectivité du statut de collaborateur de justice pour le repenti et si l’activation à distance des appareils dans les lieux privés, qui ne fait l’objet d’aucune limitation, est bien judicieuse. Quant à l’article 16 bis sur les Imsi-catchers, qui ne prévoit aucune limite, il est appelé à une censure certaine du Conseil constitutionnel. Le rapporteur Vicot a dit ce qu’il fallait dire sur la CRPC en matière criminelle. Enfin, il y a peu de doute sur le sort que réservera le Conseil constitutionnel à l’article 2, qui élargit l’usage de la vidéosurveillance, compte tenu de sa jurisprudence sur la loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (LOPJ).
Monsieur le ministre de la justice, j’ai une question concernant l’amendement à l’article 9 que vous aviez déposé au Sénat afin de supprimer l’infraction d’appartenance à une organisation criminelle. Je vous rejoins sur le fait qu’elle fait doublon avec certaines autres infractions, voire qu’elle pourrait les annihiler. J’aimerais savoir si vous déposerez le même amendement devant cette commission.
Pour le reste, sous réserve d’un indispensable travail de réécriture, nous pouvons rendre cette proposition de loi utile, au moins pour les moyens législatifs. Reste, encore une fois, la question des moyens budgétaires.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Fini le « trafic de drogues » : ce phénomène a pris une telle ampleur que nous l’appelons désormais « narcotrafic ». Comme les mots ne suffisent pas, voilà notre commission saisie de deux textes dont le but est d’accentuer la lutte contre ce fléau et de doter les institutions de moyens à la hauteur des enjeux. Soyez rassurés : nous partageons ces objectifs.
La proposition de loi traduit en grande partie les préconisations du rapport d’enquête présenté au Sénat en mai 2024. Nous avons, sur les deux textes, un bon nombre d’interrogations, voire des inquiétudes. Nous saluons, avec la création du parquet national anti-criminalité organisée, la volonté de coordination des services mais nous redoutons l’hypercentralisation, qui a souvent tendance à se transformer en parisianisme exacerbé faute d’une coordination et de moyens suffisants sur le terrain. Or la lutte contre le narcotrafic implique une bonne connaissance du terrain. Il faudra donc que les moyens suivent.
Nous sommes également assez circonspects concernant le glissement opéré au Sénat du parquet national de lutte contre le narcotrafic vers un parquet national anti-criminalité organisée, dont la mission semble plus large. Cela soulève des interrogations sur son efficacité et sur sa spécialisation. La création de ce parquet ne pourra pas se faire à effectifs constants, sauf à créer une coquille vide dénuée d’efficacité. Quels moyens nouveaux seront affectés à ce parquet national ?
Concernant les outils de lutte et de procédure, nous saluons la volonté de viser le haut du spectre, de s’attaquer au blanchiment, de prononcer le gel des avoirs et la confiscation des biens issus du narcotrafic. Mais, là encore, pour être efficace, il faudra allouer des moyens significatifs aux forces d’enquête et accroître les moyens humains. Or le budget, que nous n’avons pas eu l’occasion de voter, ne semble pas en prendre le chemin.
D’autres sujets sont des sources d’inquiétude : le recul des libertés et des droits fondamentaux, la fragilisation de l’État de droit, l’institution du dossier coffre, les techniques algorithmiques, la réforme du régime des nullités qui signe une remise en cause du principe du contradictoire, une certaine banalisation des atteintes portées à la procédure pénale et aux libertés individuelles. D’une manière plus générale, on peut regretter que la vision du texte soit principalement répressive et qu’il n’y ait pas beaucoup de mesures, voire aucune, concernant la prévention.
Permettez-moi de manifester mon indignation concernant le chapitre II du titre IV qui, bien mal nommé « Lutte contre le narcotrafic dans les outre-mer », ne traite pas de cette question – à moins de prétendre que le phénomène des mules est endémique dans nos territoires, ce qui serait particulièrement faux et réducteur.
Certaines mesures nous semblent même inadaptées aux territoires d’outre-mer, comme la création d’une peine complémentaire d’interdiction de voyager à l’encontre des mules. Cela aboutirait à leur retenue sur le territoire de leur arrestation ; ramenée à nos territoires, ce serait une forme de rétablissement du bagne pour ceux, souvent celles, que vous appelez les mules et qui sont généralement victimes d’un véritable trafic d’êtres humains. Ce dont ont besoin les outre-mer, ce sont de moyens supplémentaires affectés à la justice et à l’intérieur, d’autant que ces territoires sont déjà largement sous-dotés comparativement à l’Hexagone. Puisque ce chapitre consacré aux outre-mer n’est manifestement pas fini, quelles mesures spécifiques comptez-vous réellement prendre ?
Nos interrogations sont nombreuses et nous comptons sur des débats nourris au sein de notre commission pour éclairer notre position. Nous porterons une attention particulière à l’équilibre indispensable entre la nécessité de lutter contre le trafic de stupéfiants et le respect de nos libertés fondamentales et de l’État de droit. Nous ne sommes pas prêts à tout brader pour lutter contre ce fléau, aussi dangereux soit-il.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Je note tout d’abord que les orateurs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe Écologiste et social viennent de critiquer vigoureusement le texte, pourtant largement voté par les membres de leur parti au Sénat. Ce constat ne nous empêche pas de chercher à l’améliorer afin qu’il recueille un soutien unanime. De fait, il ne mérite assurément pas les attaques que vous avez formulées : le soutien de vos collègues sénateurs le prouve.
Actuellement, l’administration pénitentiaire décide du lieu de détention d’une personne définitivement condamnée à plus de deux ans d’emprisonnement, alors que c’est le magistrat qui choisit le lieu de la détention provisoire pour que le prévenu puisse être à la disposition de l’instruction. Le dispositif, sur lequel le Conseil d’État se prononcera, conserve cette répartition, similaire au modèle italien. Après l’adoption du texte, le garde des Sceaux décidera du lieu de détention de la personne définitivement condamnée : cette décision se fondera sur la dangerosité de la personne, notion qu’il reste à définir juridiquement. S’agissant de la détention provisoire, le ministre de la justice pourra proposer de placer le prévenu dans la prison de haute sécurité sous le régime de la détention spécifique : le magistrat pourra s’y opposer, dans une décision qu’il devra motiver, par exemple pour une raison de proximité qu’il jugerait nécessaire à la conduite de l’enquête.
Les critères de dangerosité, identiques pour la prise de la mesure et pour son renouvellement, sont divers : surface financière de la personne, présence sur la liste de la DNPJ – liste équivalente à celle des personnes dangereuses et susceptibles de commettre des actes terroristes, établie par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) –, passé ou présent carcéral, existence d’autres procédures judiciaires. Des écoutes téléphoniques, des interceptions de téléphones portables, livrés parfois par drone dans les cellules, ou des tentatives de corruption des agents peuvent attester la dangerosité de certains prisonniers. Une partie de ces informations seront publiques puisqu’elles figureront, aux fins de motivation, dans l’arrêté que prendra le ministre de la justice pour placer un détenu dans la prison de haute sécurité sous le régime de détention spécifique que le Parlement va créer. L’acte du ministre sera attaquable devant le juge administratif. Le Conseil d’État pourrait proposer qu’une cour administrative d’appel spécialisée traite de ce contentieux, sa jurisprudence guidant l’administration dans son raisonnement.
La procédure est la même pour le renouvellement de la mesure, quoiqu’elle soit plus facile puisque le comportement du détenu et l’éloignement de son pacte corruptif ou de son organisation criminelle éclaireront le ministre. Les rapports entre le détenu et son organisation peuvent varier selon que la mafia existe encore ou a disparu sous les coups de l’excellent travail de la justice et de la police, ou que l’organisation est étrangère ou non – de nombreuses personnes en détention provisoire ou condamnées pour narcotrafic appartiennent à des groupes étrangers, situés par exemple en Europe de l’Est. Le ministre de la justice prendra des décisions motivées, sur le fondement de ces critères et de la proposition de ses services. Les avocats des personnes visées par les arrêtés pourront attaquer ces actes devant la justice.
Le Pnaco ciblera le haut du spectre, qu’il conviendra de définir. L’article 2 du texte actuel vise les affaires d’une « très grande complexité » et nous souhaitons élargir la catégorie aux affaires d’une « grande complexité ». Le rapport de préfiguration traduit la demande des magistrats de prévoir une cosaisine du Pnaco et des Jirs : les services doivent se nourrir entre eux, sans créer de circuits de remontée d’informations qui alourdiraient la procédure et qui contraindraient les magistrats à effectuer des démarches éloignées de leur tâche de lutte contre la criminalité organisée. Le procureur antimafia italien ne mène pas d’enquêtes, il élabore une doctrine judiciaire criminelle. La cosaisine illustrera le rôle du Pnaco, à savoir travailler avec les Jirs – et nullement les empêcher d’agir. Ils devront discuter entre eux du périmètre du pouvoir d’évocation de ce nouveau parquet national, mais celui-ci pourra se saisir à tout moment, comme le fait le Pnat. Après la discussion parlementaire je prendrai, avec la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), une circulaire explicative, sachant que le cadrage budgétaire commandera le nombre de magistrats que nous pourrons mettre à la disposition du Pnaco. La dimension internationale et les cibles que mettra en avant la DNPJ auront également leur importance. Le texte sénatorial exclut les règlements de comptes du périmètre du Pnaco, disposition que nous trouvons quelque peu absurde : nous proposerons que ces crimes ainsi que les actes de torture soient intégrés dans le champ de compétences du parquet national. Le Pnaco élaborera ses propres critères, mais il travaillera en lien avec les Jirs et l’ensemble des parquets.
Nous ne retirerons pas de moyens aux Jirs. Une partie de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) sera intégrée dans le Pnaco, la question d’y intégrer la section J3 sur le cyber restant en suspens. Aucun magistrat relevant d’un Jirs ne sera affecté au Pnaco. Nous créerons des postes supplémentaires de greffiers, d’assistants de justice et de magistrats pour alimenter le Pnaco. Outre les annonces à Annecy de l’un de mes prédécesseurs, Éric Dupond-Moretti, sur la création de 1 350 postes de magistrat – dont une partie travailleront sur la lutte contre la criminalité organisée –, 95 magistrats supplémentaires seront affectés aux Jirs et au Pnaco. Dès le mois d’avril, la Junalco accueillera cinq magistrats de plus, puis de nombreux autres en septembre lors de la sortie des élèves de l’École nationale de la magistrature (ENM). Petite différence avec le Sénat sur ce point : je souhaite que le Pnaco commence à travailler au plus tard le 1er janvier de l’année prochaine – votre rapporteur défend la date du 1er juillet – pour intégrer la question des moyens supplémentaires dans le débat budgétaire. Nous avons évalué le besoin total à 130 millions d’euros dans un premier temps pour les bâtiments, le renfort de la chambre de l’instruction pour le contentieux, les places en prison, l’embauche d’équipes régionales d’intervention et de sécurité (Eris), la formation des agents, la lutte contre la corruption, la sécurisation des communications, etc. Le débat parlementaire et la mission de préfiguration affineront le montant de cette enveloppe. Il ne s’agit pas de prendre des moyens aux Jirs pour nourrir le Pnaco, mais d’affecter des magistrats supplémentaires aux Jirs et des moyens nouveaux au Pnaco.
L’absence de dispositions sur la corruption tient à ce qu’elles relèvent du domaine réglementaire. En arrivant au ministère de la justice après quatre ans et demi au ministère de l’intérieur et trois ans et demi au ministère des comptes publics, tous deux rompus aux procédures d’habilitation au secret, je me suis aperçu qu’il n’y avait presque pas de notes classifiées et qu’aucun des agents luttant contre la criminalité organisée n’était habilité. Pourtant, nous savons que la corruption est alimentée par trois moteurs : au premier rang figure la frustration, qui conduit certains agents à trahir leur engagement pour le service public, puis viennent l’argent et les addictions, notamment aux stupéfiants et au sexe. La République se prémunit de la corruption des agents qui luttent contre les ingérences étrangères, le terrorisme et les sommes d’argent que font transiter ceux qui souhaitent échapper à tous les contrôles, au moyen d’habilitations, délivrées notamment par la DGSI. On vérifie par exemple que les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ne sont pas surendettés : nous placerions un agent surendetté dans une situation de risque s’il se trouvait en contact de prisonniers disposant d’une très large surface financière et pouvant proposer quelques dizaines de milliers d’euros pour faire entrer un téléphone portable dans une cellule. Si un agent de quelque service de sécurité que ce soit possède une fragilité ou ment à son administration lors de la procédure d’habilitation, le risque de corruption s’accroît. Les magistrats et les greffiers du Pnat sont bien entendu habilités au secret, mais la procédure est fixée par voie réglementaire. L’intégralité des agents qui travailleront sur la criminalité organisée seront habilités.
Le 31 juillet prochain, la première prison de haute sécurité entrera en service. Je tiendrai demain midi une dernière réunion avec les organisations syndicales, puis j’annoncerai, demain soir, les sites retenus pour les prisons qui ouvriront d’ici à 2027, notamment la première. Dès le mois de mars, nous transférerons les détenus de cette prison pour peine qui n’ont pas été condamnés pour des faits de criminalité organisée vers d’autres centres de détention, à l’exception des personnes emprisonnées pour radicalisation ou terrorisme islamiste qui resteront dans un quartier spécifique de la prison réservé aux détenus radicalisés. Nous lancerons des travaux dans cette prison, qui se retrouvera aux trois quarts vide et qui, pour l’heure, n’est d’ailleurs pas pleine : le coût oscillera entre 4 millions et 6 millions selon le site choisi et sera financé par une partie de l’augmentation du budget de mon ministère, seul département ayant la chance de voir ses moyens croître dans la loi de finances pour 2025. Au cours du mois et demi de travaux, nous formerons les agents pénitentiaires de cette prison dont l’activité tournera au ralenti. Nous renforcerons les moyens du centre hospitalier, de la cour d’appel et des forces de sécurité du ressort, ainsi que ceux du renseignement pénitentiaire local. À partir du mois de juin, les détenus que nous aurons sélectionnés seront placés dans cette prison de haute sécurité – d’ici là, j’espère que le Parlement aura adopté le régime de détention choisi. Au 31 juillet, la liste des cent narcotrafiquants les plus dangereux sera dressée. Dans les mois suivants, j’espère que plusieurs centaines de détenus de ce profil pourront entrer dans ce régime ; nous transformerons d’autres prisons, puisque nous ne construisons pas de nouveaux centres de détention. Il faudra sans doute bâtir à l’avenir des prisons de haute sécurité, mais il faut sept ans pour ouvrir une nouvelle prison : ce délai est beaucoup trop long. Plutôt que de faire une annonce qui ne se concrétiserait que dans sept ans, je préfère transformer des centres de détention existants pour que la première prison de haute sécurité ouvre le 31 juillet.
Nous étions loin d’être enthousiastes à la proposition du Sénat concernant l’appartenance à une organisation mafieuse : cette notion s’est avérée pertinente en Italie, mais le fonctionnement de la criminalité organisée dans le narcotrafic est différent en France. S’il existe des points communs, les membres des organisations criminelles se tatouent beaucoup moins le corps – notamment le logo du groupe – de notre côté des Alpes. Cette approche ne nous semble pas très efficace et pourrait même affaiblir la notion d’association de malfaiteurs. Les sénateurs tenaient à leur idée dont nous débattrons entre nous. Nous étudierons les propositions du rapporteur Éric Pauget sur la liste noire, même si le risque d’inconstitutionnalité est élevé.
Nous soutiendrons votre proposition, madame Ricourt Vaginay, sur l’anonymisation des agents pénitentiaires, même si nous devrons en discuter avec les syndicats de l’administration pénitentiaire. La mesure ne pourra pas couvrir toutes les prisons françaises et sera ciblée sur les surveillants en contact avec les détenus condamnés pour des faits de criminalité organisée. J’étais très favorable à la localisation du Pnaco à Marseille, mais la mission de préfiguration m’a fait changer d’avis : les services du ministère de l’intérieur étant à Nanterre, le ministre de l’intérieur et moi-même avons choisi d’implanter ce futur parquet national à Paris, pour des raisons de locaux, de moyens et de rapidité d’installation. Autour du Pnaco, il faut prévoir des salles d’audience, une chambre de l’instruction, une cour d’appel et installer un procureur général. Peut-être que dans trois, cinq ou dix ans nous déconcentrerons une partie des services à Marseille, mais, à court terme, l’efficacité commande de choisir Paris car personne ne comprendrait qu’il faille plus de deux ans pour installer le Pnaco. En outre, les lieux de détention de haute sécurité seront près de Paris et il est inenvisageable d’imposer de longs trajets à l’administration pénitentiaire pour transférer les détenus. Tout nous incite donc à choisir la capitale.
Il est possible de simplifier la procédure pénale des demandes de remise en liberté sans toucher aux droits de la défense. Les détenus, même extrêmement dangereux, peuvent déposer autant de demandes de remise en liberté qu’ils le souhaitent, même quand leur précédente demande n’a pas encore été étudiée. La demande de remise en liberté, examinée par un magistrat indépendant, est certes un droit, mais ce droit ne doit pas déboucher sur une multiplication des demandes qui empêcherait les magistrats d’étudier les dossiers dans les délais : ce serait inacceptable. Le 31 décembre dernier, dans le ressort de la cour d’appel de Versailles, quelques centaines de détenus se sont donné rendez-vous sur Snapchat puis ont adressé leur demande de remise en liberté le même jour, pensant profiter de la faible présence au travail à cette date. Les magistrats de la cour d’appel de Versailles se sont heureusement organisés pour répondre à toutes les demandes. Aucune n’a été accordée car elles étaient répétitives et infondées, mais des centaines de personnes, dont certaines extrêmement dangereuses, auraient pu être remises en liberté ce jour-là. Il n’est donc pas attentatoire aux droits de la défense de devoir attendre la réponse à une demande de remise en liberté pour pouvoir en formuler une nouvelle ; en outre, une telle mesure nous prémunit contre certaines complexités de procédure.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Il s’agit d’un texte fondateur, qui procède à un changement d’approche et qui établit une nouvelle organisation de l’État. Un état-major permanent sera installé à Nanterre et les 104 Cross, présentes dans tout le pays, deviendront les Crossco, pour tenir compte de leur nouvelle mission de lutte contre la criminalité organisée. Ces cellules s’appuieront sur les Codaf, structures qui détectent l’intégralité des écosystèmes, notamment locaux, pour les détruire. En outre, les groupes d’évaluation départementaux (GED), qui opèrent contre la radicalisation, pourront suivre des individus ciblés comme narcotrafiquants ou comme faisant partie d’une organisation criminelle.
Le trafic d’armes est l’une des composantes de la criminalité organisée, dont la colonne vertébrale est le narcotrafic. Il s’agit donc d’un aspect important.
Il y a beaucoup de progrès à accomplir dans le domaine des logiciels, afin d’alléger le travail quotidien des gendarmes et des policiers. Nous sommes en désaccord, monsieur Léaument, sur la légalisation du cannabis, qui en augmenterait la consommation. Et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a publié, à ce sujet, une étude très probante qui souligne qu’une consommation régulière de cannabis par des jeunes de moins de 18 ans augmente considérablement, de l’ordre de 30 %, les risques psychiatriques. La contrebande de cigarettes et les exemples californien et canadien montrent que la légalisation n’est pas la solution : chaque fois, un marché noir se développe parallèlement aux réseaux légalisés. En France, bien que la cigarette soit légalisée, la contrebande explose.
Je suis tout à fait d’accord avec vous sur la coopération internationale, madame Capdevielle. Nous avons lancé une alliance des grands ports de l’Union européenne, dans laquelle figure celui du Havre, qu’il conviendrait d’étendre, notamment à l’Amérique latine. Si 80 % de la drogue entre par les ports, les plus grands d’entre eux ne sont pas les seuls concernés : des ports secondaires et même de plaisance constituent des portes d’entrée de la drogue. L’article 22 vise à renforcer les enquêtes administratives destinées à lutter contre la corruption des agents permanents des ports ; elles seront même étendues aux agents temporaires. Les intervenants dans les ports sont soumis à de graves menaces : en 2020, un docker a perdu la vie au Havre et d’autres ont été séquestrés et enlevés. La vidéosurveillance des ports sera directement accessible aux forces de sécurité intérieure dans les commissariats ou les gendarmeries. Les ports font des progrès, par exemple en matière de scanners mobiles.
Nous essayons d’affecter des officiers de liaison dans nos ambassades situées dans les pays producteurs de drogue, afin de nourrir la coopération policière.
Les forces de sécurité intérieure utilisent régulièrement la notion, qui figure dans le code pénal, de présomption de blanchiment. Ce dispositif juridique inverse la charge de la preuve.
Certaines dispositions sur la corruption sont incluses dans le texte : Bercy et l’Agence française anticorruption (AFA), qui travaillent ensemble, ont élaboré un plan contre la corruption, lequel devra être enrichi des enseignements tirés de certaines enquêtes, notamment sur la persistance de certaines lacunes.
Madame Brocard, vous avez raison de féliciter les forces de l’ordre et les douaniers qui effectuent des saisies presque toutes les semaines. Nous médiatisons les plus grosses d’entre elles. Je vous remercie également de soutenir ce texte important.
Je souhaite revenir sur trois techniques spéciales : l’algorithme, l’interception satellitaire et le chiffrement. Si aucune d’entre elles ne figurait dans le texte, alors il serait vidé de son contenu et de son efficacité. Les enquêteurs nous disent que tout commence par le renseignement ; or ils ne luttent pas à armes égales avec les gangs criminels, lesquels utilisent les techniques les plus modernes. Il faut rehausser notre système de défense pour l’aligner sur les techniques que les organisations criminelles emploient.
Lorsque j’ai rencontré les enquêteurs de l’Ofast à Marseille, ils m’ont indiqué que le travail devenait surhumain car il fallait lire des pages et des pages d’interceptions. Pendant ce temps-là, les criminels courent. L’algorithme est une technique moderne qui permet de sélectionner un mot, « cocaïne » par exemple, et de disposer immédiatement de tous les passages liés à ce terme. Cette technique, déjà utilisée, n’est pas du tout intrusive. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) l’a validée pour l’ensemble des finalités qu’elle a eu à étudier – la criminalité organisée est la sixième finalité –, de même que le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. Sans la faculté d’utiliser cette technique spéciale, un coup fatal serait porté aux enquêtes des services de renseignement et les trafiquants de drogue pourraient sabrer le champagne.
La deuxième technique, objet de l’article 8 bis, est l’interception satellitaire. Les narcotrafiquants n’utilisent plus de téléphones non cryptés. Des constellations satellitaires sont déployées, y compris par des entreprises privées : des gens, honnêtes ou malhonnêtes, peuvent les employer pour leurs communications. Ceux qui ont des choses à cacher utilisent prioritairement le téléphone satellitaire. Le déploiement des constellations a supprimé les zones blanches, même au milieu des océans. Hier, on interceptait les communications sur le téléphone de grand-papa, donc il serait incompréhensible de ne pas faire aujourd’hui d’interceptions satellitaires. Le texte propose une expérimentation jusqu’au 31 décembre 2028 : il est déjà possible d’en mener une jusqu’à l’été de cette année, mais la tâche est complexe. Je serai transparent avec vous : nos services ne sont parvenus à élaborer un outil, encore imparfait, qu’il y a quelques mois. Cet instrument doit encore être amélioré, d’où la nécessité de prolonger la période pendant laquelle l’expérimentation est autorisée : nous avons besoin de temps. Nous refusons d’acheter des solutions déjà disponibles qui pourraient attenter à notre souveraineté, donc les services ont dû développer un produit « fait maison ».
Je ne me fais pas d’illusion sur le sort qui sera réservé à l’article 8 ter, beaucoup de groupes ayant déposé des amendements de suppression, mais un mot tout de même sur le chiffrement, car j’ai lu et entendu des choses inexactes.
Le chiffrement, c’est l’angle mort : ceux qui ont quelque chose à cacher passent d’abord par cette étape. La proposition n’accroîtrait pas la vulnérabilité des systèmes existants. Nous ne créons pas de backdoor, c’est-à-dire une faille par laquelle un service de renseignement pourrait à tout moment s’infiltrer ; nous faisons l’inverse, une front door. Prenons une plateforme qui est capable de chiffrer les communications entre un individu A et un individu B, de bout en bout. Nous ne nous introduisons pas au milieu de ces communications ; nous demandons à la plateforme de créer un autre flux, de A à C. Nous ne créons pas de faille, nous n’affaiblissons pas le chiffrement.
Vous voterez comme vous le souhaitez, mais je rétablis les faits tels que les services techniques les plus pointus nous les ont expliqués. Ce n’est pas non plus une mesure massive, à 360 degrés : elle ne viserait que des individus, et non pas la masse des communications. En matière de captation, introduire un mouchard dans un téléphone est d’ailleurs autrement plus intrusif, puisque vous avez alors accès à tout.
Enfin, c’est le déchiffrement généralisé qu’interdit la CEDH dans son arrêt du 13 février 2024. Si vous m’avez bien suivi et bien compris, l’amendement du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, Cédric Perrin, amendement auquel j’ai apporté mon soutien, tient compte de cette jurisprudence : il autorise des interceptions ciblées.
Ces techniques spéciales sont essentielles si nous voulons nous doter d’armes efficaces.
S’agissant des moyens, madame Ricourt Vaginay, nous allons notamment nous appuyer sur l’état-major. Ils seront globaux et mutualisés entre quatre ministères. Vous proposiez, dans un amendement déclaré irrecevable, d’utiliser les sommes issues de la confiscation des biens pour financer ces missions. Ce mécanisme existe : la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) reçoit le produit des ventes de voitures, par exemple, et le redistribue.
Monsieur Houlié, la baisse de 9 % que vous citez n’est qu’apparente : nous avons en réalité conforté les moyens de la police judiciaire, je l’ai démontré pendant la discussion du budget. Je souligne que, malgré la conjoncture budgétaire compliquée, la trajectoire prévue par la Lopmi a été respectée.
Madame K/Bidi, l’Ofast dispose d’une antenne ultramarine. Il y a une Jirs à Fort-de-France. L’article 22, qui porte notamment sur les ports, prend évidemment en considération la situation ultramarine.
M. Michaël Taverne (RN). Monsieur le ministre de l’intérieur, rien ne peut se faire sans une filière judiciaire forte, dotée d’un nombre important d’enquêteurs. Malheureusement, elle est aujourd’hui en crise, notamment au sein de la police nationale, et son attractivité baisse. Aucune des propositions que nous avions formulées pendant la discussion de la Lopmi n’a été retenue.
Nous étions hostiles au passage de la qualification d’officier de police judiciaire en école ; aujourd’hui, le taux de réussite est de 10 % et ce dispositif serait écarté. Pouvez-vous nous le confirmer ?
Les forces de sécurité intérieure en ont assez de l’amateurisme ; en particulier, les OPJ sont fatiguées de la faible qualité des logiciels de rédaction de procédure – logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) ou Scribe – qui fonctionnent très mal et n’aident pas les enquêteurs. Vous aviez annoncé que le projet XPN aboutirait dans les six mois ; on dit qu’il serait abandonné ! Ce sera encore plus de paperasse pour les enquêteurs. Quelles sont vos propositions sur ce sujet ?
M. Ludovic Mendes (EPR). Comme le rapport que j’ai rendu avec Antoine Léaument sur la lutte contre les trafics de stupéfiants l’a montré, nous manquons de moyens, par exemple pour acheter des scanners pour sécuriser tous nos ports mais aussi pour lutter contre la corruption et le blanchiment d’argent. Il n’y a rien de tel dans ce texte.
Cette proposition de loi ne dit rien des consommateurs, qu’il ne faut pas traiter comme des délinquants mais comme des personnes qui souffrent. Encore une fois, cet aspect est occulté, alors que la Fédération Addiction a pris position en ce sens. Il manque ici le ministre de la santé. Tant que nous n’assécherons pas le marché, nous ne pourrons rien faire contre le narcotrafic ; or ce ne sont pas les dispositions que vous proposez qui nous permettront d’y arriver.
Ce texte, c’est de la poudre de perlimpinpin contre nos narcotrafiquants, qui sont à Dubaï.
Mme Sandra Regol (EcoS). Tout le monde est d’accord pour lutter contre les réseaux de trafiquants. Mais la fin ne justifie pas les moyens.
Vous ne cessez de lier terrorisme et trafic de stupéfiants ; c’est étonnant puisque la commission d’enquête du Sénat a établi que ces liens restent « opportunistes, involontaires et fortuits ». Pourtant, vous nous proposez un élargissement au narcotrafic des méthodes du renseignement utilisées contre le terrorisme : c’est un peu léger, vous l’admettrez. En revanche, vous évoquez à peine le blanchiment, pourtant au cœur du rapport de cette même commission : le fameux follow the money qui devait être à la base de ce texte est presque inexistant.
Ce qui serait pragmatique, ce qui ne serait pas romantique, c’est de construire de vrais outils, car la politique française en matière de drogue est un échec complet. Suivons plutôt la piste de l’argent pour agir enfin contre ceux qui nous détruisent.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le ministre chargé de l’antenne du ministère de l’intérieur place Vendôme, je voudrais vous interroger sur les moyens.
Non, monsieur le ministre de l’intérieur, vous n’avez pas démontré que les moyens n’avaient pas diminué en 2025 – on parle de 5 000 agents en police judiciaire. Ces agents en plus, on les retrouve, en partie, dans deux autres missions : 2 300 sur l’ordre public, 2 500 sur la sécurité publique. Soit les chiffres sont tous complètement faux, soit vous n’avez toujours pas fourni les explications nécessaires. Et pour cause ! C’est la réforme de votre voisin qui vous met en difficulté pour lutter contre le narcotrafic. Ce que nous avions pressenti est en train d’arriver.
Ajoutons à cela l’état des logiciels comme Scribe et XPN : on se dit que vraiment, vraiment ce texte de loi n’est là que pour faire de la communication.
Nous aimerions donc une explication argumentée sur les moyens alloués à la police judiciaire dans notre pays.
Mme Marietta Karamanli (SOC). Je partage avec de nombreux députés de la commission des lois la volonté d’améliorer la lutte contre le narcotrafic.
Je suis préoccupée par la complexité des procédures de saisie et de confiscation des avoirs criminels. Employées en province à de plus petits niveaux, elles pourraient rapporter des sommes importantes.
J’aimerais que vous nous apportiez des éléments circonstanciés sur cette question des moyens.
En ce qui concerne l’article 8 ter, notre droit prévoit déjà la possibilité d’exiger le concours des prestataires de cryptographie. C’est ici la sécurité de toutes nos communications numériques qui risque d’être affaiblie.
Depuis l’adoption de l’amendement du Sénat, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), la Cnil, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ont-elles été saisies par le gouvernement ? Quelle a été leur réponse ?
Mme Marie-France Lorho (RN). L’article 8 ter de la proposition de loi, qui accorde aux services de renseignements un accès aux contenus des conversations tenues sur des applications comme Signal, Telegram ou WhatsApp, suscite des inquiétudes. L’installation de portes dérobées affaiblirait le chiffrement de bout en bout et pourrait ouvrir une brèche pour d’éventuels cybercriminels.
Un expert en sécurité informatique a souligné au cours des auditions la difficulté de sécuriser le système : sous prétexte de toucher les narcotrafiquants, nous risquerions de toucher tout le monde. Inversement, l’insertion de telles vulnérabilités dans les téléphones pourrait en outre encourager les narcotrafiquants à quitter ces systèmes au profit d’autres systèmes de communication. Selon certains intervenants, nous n’avons pas encore les capacités techniques pour surveiller ces conversations sans créer ces brèches.
Le gouvernement a donné un avis favorable à cet amendement sénatorial. Entendez-vous modifier cette position ? Entendez-vous encourager des dispositions alternatives permettant de ne pas contrevenir à la garantie du respect des principes fondamentaux de la sécurité informatique ?
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Nous avions eu les lois Avia, « sécurité globale », Silt – loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme –, terrorisme et renseignement –, « Jeux olympiques » ou encore la loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports… Nous discutons aujourd’hui de la trente-deuxième loi contenant des mesures attentatoires aux libertés fondamentales de l’ère Macron.
Au prétexte de lutter contre le narcotrafic, ce texte renforce inutilement le régime de la criminalité organisée, applicable dans des cas toujours plus larges, et de plus en plus utilisé afin de poursuivre des militants écologistes ou venant en aide aux personnes exilées. Il s’attaque à la protection des messageries chiffrées dont elle détruit la confidentialité. Il crée un « dossier coffre » qui rendra secrètes les pièces d’un dossier détaillant les modalités de l’utilisation des techniques de surveillance lors d’une enquête, empêchant les avocats et les personnes concernées d’en prendre connaissance et par conséquent de déceler de potentielles illégalités. Il recycle votre proposition, censurée il y a un an par le Conseil constitutionnel, qui autorisait la police à activer à distance les micros et caméras d’ordinateurs et téléphones pour espionner les personnes. Il élargit la surveillance de masse permise par les boîtes noires de la loi « renseignement » de 2015. Il porte atteinte au droit à la vie privée, à la liberté d’expression, aux droits de la défense et au principe du contradictoire.
Messieurs Darmanin et Retailleau, jusqu’où irez-vous ?
Mme Pascale Bordes (RN). Mènerez-vous une politique de fermeté ou de renoncement ? Certaines de vos annonces vont dans le bon sens, comme la création de prisons de haute sécurité, qui permettront d’isoler 600 des plus grands narcotrafiquants détenus en France. Mais vous affirmez aussi que notre pays compte 17 000 détenus liés au narcotrafic, dont une très grande partie seraient dangereux. Que fait-on d’eux, qui sont aujourd’hui dans des prisons passoires ? Nous serions en droit d’attendre la construction de prisons, mais vous avez récemment indiqué ne pas avoir l’intention de construire des prisons, mais de doubler la capacité de centres de semi-liberté comme de multiplier les libérations conditionnelles et les bracelets électroniques. Vous renoncez ainsi à une politique pénale vraiment ferme ; la situation de nos prisons va – c’est le cas depuis des années – continuer de dicter la politique pénale.
C’est dommage, et cela ne répond pas aux questions posées par le narcotrafic.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). L’entrée en trafic est bien connue, établie, documentée par une vaste littérature – les plus jeunes, essentiellement des garçons, entrent en dette vis-à-vis des dealers plus âgés, et sont ainsi introduits dans le système du trafic. Je regrette que vos propositions fassent l’impasse sur cet aspect : taper le haut suppose de réduire aussi le bas.
M. Philippe Schreck (RN). Monsieur le garde des Sceaux, dès votre prise de fonctions, vous avez découvert ce que tout le monde savait mais que vos prédécesseurs feignaient d’ignorer : nos prisons sont des zones de non-droit et des lieux d’organisation des trafics et des crimes. Vous avez donc imaginé ces lieux de très haute sécurité, pour les 100, puis les 600, et aujourd’hui les 800 narcotrafiquants les plus dangereux. Quid de toutes les autres places de prison qu’occupent des trafiquants et leurs complices ?
Il faut aussi que les dispositions déjà votées soient appliquées. Où en est le plan « 15 000 places de prison », que M. Dupond-Moretti a échoué à mettre en œuvre ? Complémentaire de ce texte, il semble être à l’arrêt à la suite des coups de rabot budgétaires : allez-vous l’appliquer ? Saurez-vous réaliser ces quartiers de très haute sécurité, quand vous n’arrivez pas à créer de simples prisons ?
M. Yoann Gillet (RN). Les réseaux criminels inondent de drogue les rues de nos villages comme de nos villes moyennes et grandes. La réponse pénale est bien molle et les délinquants ne la craignent plus ; les policiers manquent sur le terrain ; les frontières sont poreuses : toutes les conditions sont réunies pour que les trafics prospèrent. Ce fléau n’épargne personne et l’âge des victimes diminue : les dealers sont recrutés de plus en plus jeunes, les consommateurs aussi. Parmi les victimes, il faut aussi compter tous les habitants qui subissent la terreur imposée par le narcotrafic dans leur quartier. Je pense évidemment au petit Fayed, victime collatérale, tué dans le quartier de Pissevin, à Nîmes, dans ma circonscription.
Votre texte améliore certains points, mais il ne va pas assez loin, oubliant beaucoup de mesures concrètes qui seraient efficaces : augmentation considérable des effectifs de la police sur le terrain, arrêt de la submersion migratoire, renforcement de la réponse pénale notamment par le rétablissement des peines planches et par la dérogation à l’excuse de minorité pour les infractions les plus graves, expulsion systématique des délinquants étrangers, suppression des allocations aux parents des mineurs délinquants.
Il ne faut pas fermer les yeux sur la réalité.
M. Romain Baubry (RN). Que de temps perdu ! Dès septembre 2022, les députés du Rassemblement national demandaient des moyens supplémentaires pour assurer la sécurité de nos établissements pénitentiaires et des agents qui y exercent, mais aussi la classification des structures en fonction des profils des détenus. Dans un rapport rendu en novembre dernier, j’ai proposé des moyens pour sécuriser les établissements pénitentiaires et les rendre hermétiques. Vos parlementaires, macronistes comme membres du groupe Les Républicains, ont tout rejeté en s’alliant avec la gauche et l’extrême gauche : grâce à vous, nos prisons sont toujours des passoires. Des milliers de téléphones y circulent illégalement, les drogues y pénètrent sans difficulté, et l’emprise des réseaux criminels sur certains établissements est totale.
Monsieur le garde des Sceaux, nous vous écoutons et nous vous observons. Ce qu’attendent les Français, ce sont des actes. Vous êtes au gouvernement depuis huit ans, dont quatre comme ministre de l’intérieur : vous avez un bilan, et c’est un échec. Comment croire que vous allez réussir à mettre hors d’état de nuire les criminels dans nos prisons ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. S’agissant de l’efficacité du regroupement des détenus en fonction de leur dangerosité, je constate que les prises de position au sein du RN sont quelque peu contradictoires.
Je regrette les propos que vous avez tenus sur le travail de nos agents pénitentiaires. J’ai noté le champ lexical : laxisme, passoires, tout circule sans problème… Nos agents font un travail important, avec beaucoup de courage : c’est dommage de ne pas le souligner. Ils ont perdu deux de leurs camarades dans l’attaque d’Incarville, ce qui mériterait un peu plus d’union nationale – un mot que vous devriez normalement comprendre. Vous n’êtes pas au rendez-vous, alors que les sénateurs RN ont soutenu ce texte et en ont souligné l’importance.
Les agents pénitentiaires doivent être blessés de vos propos. J’espère que le débat que nous aurons ne sera pas aussi politicien que ce que nous venons d’entendre, mais que ce sera un débat pour les soutenir. Il ne suffit pas de leur apporter des chocolats pour le Nouvel An, comme je l’ai vu faire.
Monsieur Gillet, quand j’étais ministre de l’intérieur, j’ai écrit à tous les maires du Rassemblement national pour qu’ils nous proposent un terrain destiné à la construction de centres de rétention administrative. Eh bien, aucun ne m’a répondu positivement ; j’ai même reçu une lettre du maire de Fréjus m’expliquant qu’il n’en voulait pas dans sa commune.
S’agissant des places de prison, 6 500 ont été construites par mon prédécesseur et j’aurai l’occasion de dire le mois prochain que nous tiendrons nos objectifs. Pour que ce mouvement continue, il faut commencer par ne pas faire tomber les gouvernements, mais il faut aussi trouver des terrains. Nous avons écrit deux fois à M. le maire d’Hénin-Beaumont, mais je ne crois pas avoir eu de réponse positive. Si vous connaissez le maire de Fréjus, n’hésitez pas lui dire qu’on peut être à la fois croyant et pratiquant ! Bref, nous serons heureux que les maires du RN identifient des terrains sur lesquels nous pourrions construire de nouvelles prisons – une fois, au moins, peut-être.
Car vous parlez à Paris, mais vous n’agissez pas. Je m’étonne d’ailleurs que vous vouliez priver nos enquêteurs et nos magistrats de moyens de lire les messages cryptés. C’était la même chose dans les débats sur le séparatisme : vous demandiez une lutte contre l’islamisme radical, mais à la fin vous n’avez pas voté la loi. On verra bien qui votera quel texte pour protéger les Français.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Monsieur Taverne, je ferai des propositions concrètes au printemps afin de relancer la filière de l’investigation. Je ne nie pas les problèmes : je les affronte.
Madame Regol, si nous avons obtenu des résultats en matière de terrorisme, c’est parce que l’État a radicalement changé son organisation en renonçant au fonctionnement en silo : il y a un Pnat, il y aura un Pnaco ; il y a un état-major qui associe les services de renseignement et les services d’enquête. Vous verrez que nous obtiendrons des résultats. Bien sûr que comparaison n’est pas raison ! Mais quand les méthodes sont bonnes, quand on peut renforcer la coordination des services, cela change tout, je le vois en parlant à ceux qui travaillent sur ces dossiers. Nous n’inventons pas l’eau chaude, nous ne faisons que reprendre ce qui fonctionne déjà.
Monsieur Mendes, il faudrait évidemment davantage de scanners dans les ports. Mais Paris ne s’est pas fait en un jour ! On ne peut pas claquer des doigts et exiger que chaque port se dote de dizaines de scanners. Le port d’Anvers, sans doute celui d’Europe le plus en pointe sur cette question, pourra scanner la quasi-totalité des containers en 2028 seulement. Mais nous progressons. Et aux scanners, il faut associer la vidéosurveillance, la capacité des agents même non OPJ à mener des inspections visuelles, les enquêtes administratives pour lutter contre la corruption… C’est un ensemble de mesures qui nous permettront d’être plus efficaces.
Monsieur Bernalicis, avec la réforme, les effectifs de la police judiciaire sont passés de 5 700 à presque 23 000, puisque nous avons mutualisé les moyens.
Madame Lorho, je n’imaginais pas que le RN, qui s’est exprimé pour demander plus de moyens pour les techniques d’enquête spéciale, refuserait de doter nos agents de moyens d’investigation ! Je rappelle que nous parlons d’organisations criminelles qui enrôlent de jeunes adolescents. Je me souviens d’un adolescent qui, à Marseille, a été lardé de cinquante coups de couteau puis brûlé vif. Nous avons affaire à des ultraviolents, et nous devons nous donner les moyens de lutter à armes égales. Sinon nous serons inefficaces.
Je redis que l’article 8 ter ne vise ni à fragiliser le chiffrement, ni à massifier la surveillance, mais seulement, en présence d’indices, à permettre d’aller chercher dans les échanges des informations importantes. L’exemple d’EncroChat a montré que ces réseaux criminels utilisent, à l’échelle de la planète, des moyens qui sont aujourd’hui hors du champ d’une écoute normale. Grâce aux gendarmes qui ont réussi à craquer cette messagerie, il y a eu des milliers d’arrestations. On voit bien que ces organisations criminelles se réfugient derrière le chiffrement : tout le travail de nos services devra être d’intercepter leurs échanges.
Monsieur Gillet, les points que vous soulevez n’entrent pas dans le cadre de ce texte, mais ils retiennent toute notre attention.
Mme Marietta Karamanli (SOC). Vous ne m’avez pas répondu : la Cnil, l’Arcep et l’Anssi ont-elles été saisies au sujet de l’article 8 ter ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État. Nous coopérons avec l’Anssi, mais cette question ne relève pas de l’Arcep.
L’amendement concerné a été déposé par le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Il avait aussi fait l’objet d’un travail dans les services du ministère. Il a aussi été étudié par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
M. le président Florent Boudié. J’ajoute que l’amendement résulte aussi du travail de la délégation parlementaire au renseignement, dont les membres sont habilités à recevoir certaines informations sensibles, qui ont justifié aux yeux du sénateur Perrin la nécessité du dépôt de cet amendement.
Merci, messieurs les ministres d’État.
II. Examen des articles de la proposition de loi
Lors de ses réunions des mercredi 5, jeudi 6 et vendredi 7 mars 2025, la Commission examine les articles de la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n° 907) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs).
Première réunion du mercredi 5 mars 2025 à 9 heures
Lien vidéo : https://assnat.fr/R7d73o
M. le président Florent Boudié. Mes chers collègues, nous entamons l’examen des articles de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Hier, nous avons procédé à la discussion générale en présence de MM. Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, ministres d’État.
À l’issue de l’examen des deux premiers articles du texte, nous procéderons à l’examen, dont il a été décidé qu’il serait prioritaire en raison de leur importance, des amendements CL471 du gouvernement et CL576 du rapporteur Vincent Caure, portant article additionnel respectivement à l’article 23 et à l’article 23 quater, annoncés dans les médias par le garde des sceaux. Leur teneur a été dévoilée lors d’une rencontre à la Chancellerie à laquelle étaient conviés les membres de la commission, toutes sensibilités confondues.
TITRE Ier
ORGANISATION DE LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC
Article 1er (art. L. 121-1 [nouveau] et art. L. 822-3 du code de la sécurité intérieure) : Création d’un service chef de file en matière de lutte contre la criminalité organisée
Amendement CL94 de M. Jérémie Iordanoff
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). C’est un amendement d’appel. La commission des lois du Sénat a tenté une rédaction ambitieuse, bien qu’imparfaite, de l’article 1er, visant à donner à l’Office français antistupéfiants (Ofast) un rôle clé de coordination de la lutte antistupéfiants. En séance publique, le gouvernement a repris la main et confié au pouvoir réglementaire le soin de décider quel service sera chef de file.
Lors de l’examen du texte en séance publique, nous formulerons des propositions de rédaction de l’article 1er. Dans l’immédiat, nous souhaitons alerter sur deux points : la nécessité, pour le Parlement, de se saisir de cette question et de ne pas la renvoyer au pouvoir réglementaire sans encadrer strictement une telle délégation ; l’importance du rôle de l’Ofast, bien que son champ de compétence ne couvre pas toute la criminalité organisée.
M. Roger Vicot, rapporteur. Le périmètre que vous proposez est plus réduit que celui de la proposition de loi, qui vise la criminalité organisée. La mission de l’Ofast est strictement limitée à la lutte contre les stupéfiants. La proposition de loi vise à créer un état-major de la lutte contre la criminalité organisée. Je perçois la finalité de l’amendement, mais j’en suggère le retrait et émets à défaut un avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’amendement présente l’intérêt de nous ramener au cœur de la proposition de loi, annoncée comme visant à lutter contre le narcotrafic et ciblant finalement la criminalité organisée. En la matière, le chef de file est l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO). Dès lors, à quoi bon cette discussion ? Ne s’agit-il pas d’un plan de communication des ministres ?
Si l’idée est de traiter sérieusement le sujet, je rappelle qu’il est inutile de se concentrer sur la lutte contre les stupéfiants, les méthodes criminelles n’étant pas l’apanage des trafiquants de drogue, bien au contraire, surtout lorsqu’il s’agit de blanchir leurs gains. Ce volet de la lutte est confié à l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF). On a organisé la lutte de façon empirique en essayant de correspondre au plus près à l’organisation des criminels.
De plus, l’article 1er inscrit dans la loi des dispositions d’ordre réglementaire – dans d’autres circonstances, l’article 45 de la Constitution l’aurait empêché.
Les choses commencent mal : dès son premier article, la proposition de loi se révèle inefficace, voire dangereuse.
L’amendement est retiré.
Amendement CL268 de M. Paul Molac
M. Paul Molac (LIOT). Il vise à insérer, à l’alinéa 3, le mot « interministériel » après le mot « service ».
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable. Ce qui va sans dire va toujours mieux en le disant, dans le cas d’espèce en l’écrivant.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Inventons ensemble l’eau tiède en mélangeant un peu d’eau chaude et un peu d’eau froide ! Les offices centraux, notamment l’OCLCO, sont par nature interministériels. Affirmer que les choses fonctionnent comme elles fonctionnent, telle est la plus-value de l’article 1er !
Si leur fonctionnement interministériel n’est pas satisfaisant, il faut nous présenter les problèmes pour que nous nous penchions sur eux. Ceux qui l’ont fait savent que certains organes centraux émanent de la gendarmerie, d’autres de la police, d’autres encore des douanes, et que ces services y sont inégalement présents en conséquence. La dimension interministérielle n’y est donc pas aussi assurée qu’on le croit, car elle suppose de faire travailler les gens ensemble. Y remédier n’appelle aucune loi, mais de la volonté politique.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL399 de M. Pouria Amirshahi
M. Pouria Amirshahi (EcoS). L’article 1er vise à assurer la coordination opérationnelle de la lutte contre le narcotrafic en confiant son pilotage à un chef de file. C’est sans doute utile, sous réserve que chacun soit à sa place. Or l’alinéa 6 dispose, s’agissant de cet état-major : « Il organise les échanges d’informations utiles à l’accomplissement de leurs missions, y compris par l’accès à des traitements informatisés de données, dans des conditions garantissant notamment la confidentialité de leurs échanges. »
Quelles sont ces conditions ? Avec une telle rédaction, nous ignorons tout des garanties pourtant fondamentales et indispensables dans un tel texte de loi. Précaution valant sagesse, nous proposons de supprimer les mots « , y compris par l’accès à des traitements informatisés de données, dans des conditions garantissant notamment la confidentialité de leurs échanges ». Cette rédaction est trop vague. Il s’agit de cantonner l’état-major, comme il se doit et pour des raisons d’efficacité, à son rôle premier d’échange d’informations et de coordination.
M. Roger Vicot, rapporteur. Je partage les interrogations de M. Amirshahi, non sans lui rappeler que le gouvernement a indiqué travailler à une nouvelle rédaction de l’alinéa 6 en vue d’y insérer les garanties nécessaires. Demande de retrait ou avis défavorable.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je vous remercie de votre proposition et vous en fais une autre : adoptons l’amendement et étudions ensemble la proposition de rédaction du gouvernement d’ici l’examen du texte en séance publique. Ainsi, si elle ne nous satisfait pas, nous aurons une rédaction qui nous convient.
M. Michaël Taverne (RN). L’article 1er est purement d’ordre réglementaire. Pour en débattre, il faut distinguer la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) et la direction générale de la police judiciaire (DGPJ) prévue par la réforme de la police judiciaire. Dès lors que celle-ci introduit un cloisonnement départemental, faire d’un service de la DNPJ le chef de file de la lutte contre le narcotrafic ne servira strictement à rien : il n’y aura pas plus de policiers sur le terrain et les services relèveront de la direction interdépartementale de la police nationale (DIPN).
Il est plus que jamais nécessaire d’aller au-delà de la DNPJ pour créer une DGPJ, que le ministre a comparée à la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), arguant qu’il faut lutter contre le narcotrafic comme nous luttons contre le terrorisme. Le directeur de l’Ofast ne dit pas autre chose. Il faut créer une DGPJ coordonnant les services de police judiciaire par-delà le cloisonnement départemental. Nous aurons l’occasion d’aborder ce sujet en séance publique.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). La série « Inventons ce qui existe déjà » continue. Pour fonctionner, l’état-major envisagé devra collecter du renseignement sur le crime organisé, notamment auprès des services déconcentrés. Telle est la mission du service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco), rattaché à la DNPJ. Quant à l’accès aux systèmes de traitement informatisé, les policiers ont tout ce qu’il leur faut sous la main. Je me réjouis que nous passions du temps, à l’Assemblée nationale, à inventer un service créé en 2009.
M. Sébastien Huyghe (EPR). L’article 1er vise à encadrer la rédaction d’un décret en Conseil d’État, non à le rédiger en détail. L’amendement n’a aucun intérêt.
M. Roger Vicot, rapporteur. Sensible à la force de persuasion de M. Amirshahi, qui n’est plus à démontrer, j’émets un avis favorable à l’amendement.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL1 de M. Antoine Léaument
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il vise à affecter deux magistrats au sein du service qui assurera le chef de filat de la lutte contre la criminalité organisée. Il règne une certaine défiance entre l’autorité judiciaire et certains offices centraux ayant fait preuve de velléités d’émancipation. L’Ofast a notamment été créé parce que l’office central qu’il a remplacé avait pris des mesures qui n’étaient pas de nature judiciaire sans en avertir les magistrats.
Ce qui fait la force de l’Office national antifraude (Onaf) de Bercy et explique que ce service a toujours bien fonctionné, c’est la présence à sa tête d’un magistrat détaché, qui fait notamment le lien avec l’autorité judiciaire et s’assure que les techniques mises en œuvre, souvent exorbitantes du droit commun, s’inscrivent dans le cadre de la loi. L’amendement vise à s’inspirer de ce modèle, sans préjudice de l’amélioration de sa rédaction d’ici l’examen du texte en séance publique.
M. Roger Vicot, rapporteur. Le format envisagé pour le chef de file de la lutte contre la criminalité organisée est l’état-major placé auprès de la DNPJ. Il a été proposé de préciser sa vocation interministérielle. L’idée de lui associer des magistrats est tout à fait intéressante, à une réserve près, signalée par le Gouvernement : il n’est pas certain qu’il soit opportun de prévoir leur désignation par le président du tribunal judiciaire de Paris. Nous pourrons préciser ce point lors de l’examen du texte en séance publique. Avis favorable.
Mme Brigitte Barèges (UDR). Nous poursuivons le détricotage du texte en le compliquant. Nous manquons de policiers et de magistrats. C’est d’ailleurs le problème que posera cette loi : si clairs que soient les objectifs affichés, nous continuerons de manquer cruellement de moyens. L’idée générale est d’être plus rapide grâce à la création d’un guichet unique interministériel. Ajouter des éléments nuira à l’efficacité du texte lorsqu’il s’agira de l’appliquer.
M. le président Florent Boudié. Factuellement, la seule difficulté que soulève l’amendement ressortit à la désignation des magistrats. Leur présence, elle, est acquise.
Mme Colette Capdevielle (SOC). À rebours des propos de notre collègue Barèges, je félicite nos collègues qui ont travaillé sur ce texte issu du Sénat, ainsi que ses rapporteurs, pour nous permettre de l’améliorer. La commission des lois de l’Assemblée nationale n’est pas une chambre d’enregistrement. Nous faisons notre travail de législateurs, n’en déplaise à ceux qui voudraient que nous avancions plus rapidement.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je souscris à l’idée que la présence de deux magistrats renforcera la qualité du service. La question qui se pose est en effet de savoir qui les nommera. Toutefois, cette disposition, comme d’autres, soulève la question du caractère opérationnel de la proposition de loi, dans la mesure où elle sera appliquée à moyens constants. Je crains que les magistrats ainsi détachés ne soient soustraits à d’autres missions, faute de moyens supplémentaires.
M. le président Florent Boudié. Je ne pense pas que le texte sera appliqué à moyens constants.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). J’aurais aimé pouvoir décider des moyens, en votant le budget ou en le censurant, mais cela n’a hélas pas été possible. Par principe, les magistrats travaillent en étroite collaboration avec les offices centraux. La question est de savoir s’ils le feront depuis le palais de justice, où ils auront les informations que l’on voudra bien leur donner, ou sur place, assumant leur rôle. En matière judiciaire, l’autorité judiciaire prime sur le chef de la police. Ce n’est pas M. Retailleau qui décidera où aura lieu une descente de police parce qu’il aura vu un truc à la télé.
Par ailleurs, nous prévoyons deux magistrats pour assurer la continuité de leur action, si l’un d’entre eux est malade ou absent. L’idée est que tout soit fait sous le contrôle de l’autorité judiciaire, d’autant plus que nous nous situons dans le haut du spectre, particulièrement délicat à de nombreux titres.
Mme Elsa Faucillon (GDR). S’agissant des moyens, l’audition des ministres nous laisse sur notre faim. Or le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier fait état de la nécessité absolue d’abonder nos services publics face à la montée en puissance du narcotrafic. Les magistrats ne sont pas les seuls concernés : nous avons 16 000 douaniers, contre 48 000 en Allemagne.
La question des moyens est au cœur de l’affrontement que nous devons mener. Nous pouvons adopter tous les beaux amendements et articles que nous voulons – et, bien sûr, nous allons y travailler –, sans moyens significatifs, cela ne vaut pas mieux que baisser les bras.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL189 de Mme Estelle Mercier
Mme Estelle Mercier (SOC). Il vise à insérer un alinéa disposant que l’Ofast remet chaque année à la représentation nationale un rapport sur l’adéquation entre les moyens juridiques, matériels et humains qui lui ont été conférés et les missions dont il a la charge. Dans un rapport publié en novembre 2024, la Cour des comptes indique que l’Ofast travaille très bien mais manque cruellement de moyens et de personnel spécialisé. L’amendement a deux objectifs : assurer l’adéquation entre les moyens et les missions de l’Ofast, d’autant que la réforme de la police judiciaire n’a pas été totalement digérée ; renforcer la mission de contrôle des parlementaires s’agissant de la lutte contre le narcotrafic.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable, à cette réserve près qu’il faut confier la rédaction d’un tel rapport au nouvel état-major. Je suis très favorable à tout ce qui améliore notre information sur les moyens financiers, matériels et humains qui lui sont accordés, dans le cadre du bleu budgétaire ou dans un autre cadre.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Le texte tend à fixer des objectifs prioritaires à la justice, notamment par la création d’un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco). Or les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) ont d’autres missions que la lutte contre le trafic de stupéfiants. Elles sont spécialisées dans les affaires complexes, notamment la fraude fiscale. En 2021, le ministre de la justice a diffusé une circulaire visant à répartir les tâches, d’autant que certaines attributions du parquet national financier (PNF) et des Jirs se recoupaient.
Si vous dites aux Jirs de lutter prioritairement voire exclusivement contre le trafic de stupéfiants, désigné comme le grand danger, alors vous réduirez les moyens consacrés à la lutte contre la fraude fiscale, ce qui pose problème dans la mesure où son produit finance la justice et la police. Si on ne donne pas à la justice les moyens de faire ce qu’on lui demande de faire, on a des problèmes. Cela donne des textes assez mauvais, comme celui que nous examinons, qui ont pour effet de limiter les droits au motif que la justice manque de moyens et ne travaille pas assez vite. Si l’on ne met pas les moyens en face des priorités politiques, les droits en pâtissent, ce qui pose problème pour des gens qui les défendent.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Nous pouvons discuter à l’infini des moyens, ils n’en relèveront pas moins de la loi de finances. Hors de ce cadre, en parler est sans objet.
Quant aux rapports si souvent demandés par voie d’amendement, ils me semblent présenter moins d’intérêt qu’une mission d’information menée un an après l’entrée en vigueur de la loi.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous pouvons faire autant de plans Marshall que nous le souhaitons, si nous ne les dotons pas de moyens significatifs, à la hauteur des ambitions affichées par la communauté nationale tout entière, confrontée au danger majeur qu’est le narcotrafic, alors il ne s’agira que de coups de menton et d’opérations de communication sans vertu opérationnelle.
Par ailleurs, cette façon de fabriquer la loi – dont nous avons récemment fait l’expérience lors de l’examen de la proposition de loi visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents – consistant à débattre d’une transformation de notre organisation législative et des droits fondamentaux ou des moyens de certaines de nos institutions sans avoir préalablement obtenu un rapport sérieux pour éclairer de lourdes décisions, pose problème. Je recommande à notre collègue qui déplore que l’on demande des rapports de mettre un peu moins de désinvolture dans sa critique. Les rapports ne sont pas uniquement de la paperasse. Ils permettent d’éclairer des décisions importantes. Nous délibérons au nom du peuple français, guidés non seulement par nos convictions, mais aussi par la connaissance des faits.
Enfin, je considère comme nos trois rapporteurs qu’il faudra tôt ou tard vérifier l’adéquation entre une ambition politique sérieuse et les moyens qui lui sont alloués, faute de quoi nous désespérerons les services de justice et de police ainsi que les quartiers concernés par ces lourdes difficultés.
M. le président Florent Boudié. Nous parlons longuement d’un amendement qui se contente de demander à l’Ofast, ce qui est original, d’informer directement la représentation nationale, pas même sous forme d’un rapport, mais par une simple information.
Mme Marietta Karamanli (SOC). Je ne peux pas laisser dire que la question des moyens nous échappe. Il n’est pas normal que, législateur, nous soyons amenés à voter des lois sans les moyens qu’elles impliquent, qui plus est sous le regard de la population.
Hier, nous avons demandé aux ministres comment les assistants spécialisés en matière économique et financière seront affectés auprès des juridictions concernées. Nous n’avons pas eu de réponse. Nous les avons également interrogés sur la programmation des moyens nécessaires, sans en obtenir davantage, pas même les grandes lignes.
Dans ma circonscription de la Sarthe, au Mans, les forces de police sont en sous-effectif de trente personnes. Comment pourront-elles assurer de nouvelles missions sans moyens supplémentaires ? Il est normal que la représentation nationale demande à être éclairée pour prendre des décisions.
M. le président Florent Boudié. Je n’en disconviens pas. En l’espèce, c’est un peu comme si nous demandions à la DNPJ d’informer elle-même la représentation nationale : je maintiens qu’une telle demande est assez baroque. En revanche, un rapport émanant de l’État sur les moyens mis à disposition de l’Ofast aurait toute sa pertinence.
M. Michaël Taverne (RN). Il est effectivement cocasse de demander des rapports sur les moyens lorsque, comme nos collègues de gauche – écologistes notamment –, on ne vote ni la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), ni la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, ni même la loi de programmation militaire, alors que ces textes accordent des moyens supplémentaires ! (Protestations parmi les députés du groupe LFI-NFP.) Est-ce qu’on pourrait se respecter les uns les autres ? Ça changerait un peu de l’extrême gauche !
M. le président Florent Boudié. Mes chers collègues, seul M. Taverne a la parole. Nous allons passer beaucoup de temps ensemble cette semaine ; il serait préférable que ce soit dans le respect mutuel.
M. Michaël Taverne (RN). Il faut être cohérent. On peut demander des rapports sur la bonne affectation des crédits dans les services opérationnels mais, dans ce cas, la moindre des choses est de voter les budgets alloués à nos policiers, à nos gendarmes, à nos magistrats ou à nos militaires.
M. le président Florent Boudié. Je vous invite de nouveau, chers collègues, à faire preuve de courtoisie républicaine.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL507 de Mme Catherine Hervieu
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Cet amendement vise à garantir que les acteurs locaux – conseils départementaux, communes, intercommunalités et associations – seront informés de façon plus transparente s’agissant des politiques publiques de lutte contre le narcotrafic, notamment du déploiement des moyens alloués dans chaque territoire. La Cour des comptes a d’ailleurs souligné l’absence d’un tableau de bord montrant clairement ces éléments en ce qui concerne l’Ofast.
Contre l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendements identiques CL269 de M. Paul Molac et CL313 de Mme Elsa Faucillon (discussion commune)
M. Paul Molac (LIOT). La commission des lois du Sénat a voulu simplifier les transmissions de renseignements entre les services dits du premier et du second cercles ; elle a ainsi supprimé l’obligation d’obtenir une autorisation préalable du premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), lorsque la transmission se fait pour une finalité différente de celle qui avait justifié le recueil. L’article 1er fait ainsi disparaître une garantie procédurale essentielle.
Rappelons que lorsque la transmission de renseignements entre services a été étendue par la loi de 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) n’a validé le dispositif qu’en raison de fortes garanties procédurales prévues dans la loi.
Nous proposons donc de revenir sur la simplification prévue.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous proposons effectivement la suppression des alinéas 7 à 11, afin de ne pas affaiblir les garde-fous établis dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
M. Roger Vicot, rapporteur. Je fais une analyse différente du texte. L’allégement des procédures de contrôle ne remet pas en cause les procédures d’autorisation des techniques de renseignements en elles-mêmes. Avis défavorable.
Mme Sandra Regol (EcoS). L’argument de l’allégement et de la simplification a été largement utilisé au Sénat. Or l’existence de bornes est essentielle dans le renseignement, et gage de confiance. L’importance de l’autorisation du premier ministre a été rappelée dans nombre d’auditions, dont celle des services de renseignement. La supprimer, sous couvert de simplification, pourrait conduire à terme à se passer de l’avis systématique du premier ministre – en d’autres termes, à ajouter du flou au flou. Il me semble que ce n’est pas l’objectif du législateur. Il serait regrettable que de tels ajouts du Sénat, dont beaucoup sont problématiques et certains à la limite de la constitutionnalité, remettent en question la confiance accordée à un texte dont certains dispositifs, par ailleurs, sont nécessaires.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous parlons certes de la transmission de renseignements, et non de la première autorisation de mise en œuvre, mais des garde-fous successifs sont utiles s’agissant de techniques aussi intrusives. La presse a relaté des problèmes récents survenus au sein des services du premier ministre chargés de contrôler les autorisations préalables – et l’absence, parfois, d’un réel contrôle…
M. Roger Vicot, rapporteur. Ce qui est important, c’est ce qui encadre la mise en œuvre des techniques de renseignement : les autorisations initiales de mise en œuvre. Or celles-ci sont maintenues. Je reste donc défavorable à l’amendement.
M. Sacha Houlié (NI). L’inquiétude de nos collègues Molac et Faucillon peut sembler légitime. Rappelons toutefois que la procédure prévoit une autorisation par la CNCTR et, en cas de refus de celle-ci, un recours devant une chambre spéciale du Conseil d’État. Et précisons ce dont on parle : si un renseignement obtenu par la DGSI dans le cadre de la lutte contre le terrorisme permet d’établir que des réseaux de financement ont également financé le trafic de stupéfiants, il mérite d’être transmis aux douanes ou à Tracfin. Même si elles peuvent conduire les parlementaires, chargés de la garantie des libertés, à s’interroger, les mesures prévues par l’article 1er ont un caractère opérationnel et trouvent tout leur sens dans le texte.
M. Jocelyn Dessigny (RN). L’article 1er vise simplement à donner un cadre juridique à des transmissions d’information qui sont nécessaires pour que les services de renseignement puissent travailler et pour que les criminels, une fois arrêtés, puissent être poursuivis en justice. Il ne faut donc pas supprimer les alinéas 7 à 11. Ce dont il est question ici, ce ne sont pas les droits fondamentaux de chaque Français mais le recueil d’informations au sujet de criminels qui ne respectent pas la loi, qui tuent des enfants, qui mettent des femmes sur les trottoirs et qui commettent leurs méfaits partout en France !
La commission rejette les amendements.
Amendement CL270 de M. Paul Molac
M. Paul Molac (LIOT). Cet amendement de repli propose l’ajout d’une garantie : lorsque les transmissions de renseignements collectés ont une finalité différente de celle qui en a justifié le recueil, le premier ministre et la CNCTR en sont informés sans délai et par tout moyen. En outre, le premier ministre peut ordonner à tout moment qu’elles soient interrompues et que les renseignements collectés soient détruits par le service destinataire.
Contre l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement.
Amendements CL503 et CL506 de Mme Catherine Hervieu
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Nous demandons que le gouvernement fournisse à la représentation nationale et à nos concitoyens, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances, des éléments d’information permettant de suivre les politiques de lutte contre le narcotrafic. Le document de politique transversale (DPT) dédié à la politique de lutte contre les drogues et les conduites addictives doit détailler les étapes de mise en œuvre de la Lopmi, notamment la répartition des moyens prévus ou nouveaux, afin de rendre compte de l’application du volet répressif de la lutte contre le narcotrafic et de l’activité des structures qui le pilotent.
M. Roger Vicot, rapporteur. Une plus grande transparence de l’information me semble utile. Je suis donc favorable à l’amendement CL503 et vous invite à retirer le CL506, qui est moins précis.
L’amendement CL506 est retiré.
La commission rejette l’amendement CL503.
La commission adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Amendements CL123 et CL342 de M. Jérémie Iordanoff
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Le Parlement doit être informé des moyens de police judiciaire effectivement affectés à la lutte contre la criminalité organisée. Sans ces moyens, le renforcement de la procédure pénale et du droit pénal n’aura qu’un faible impact. Les services de police judiciaire rencontrent des difficultés que nous connaissons tous et la réforme des services territoriaux n’a pas eu l’effet escompté. En outre, la création d’un parquet national ne doit pas se traduire par une déperdition de moyens humains dans les territoires. Nous souhaitons donc une plus grande transparence. Trop souvent, quand les ministres promettent des moyens aux maires qui les demandent, on voit les renforts arriver mais, quelques années plus tard, on constate qu’en réalité les effectifs n’ont pas augmenté.
M. le président Florent Boudié. Un jour, il faudra un amendement sur la création d’un organisme central chargé de la coordination et de la rédaction des rapports que le gouvernement doit présenter au Parlement !
M. Roger Vicot, rapporteur. Je suis favorable à l’ensemble des amendements visant à renforcer la transparence concernant les moyens annoncés.
M. Hervé Saulignac (SOC). Nous pourrions aussi demander un rapport sur les rapports que nous avons votés mais qui ne sont jamais arrivés !
M. le président Florent Boudié. C’est ce que je voulais dire.
M. Hervé Saulignac (SOC). Sans doute devrions-nous cesser d’en demander, puisque nous ne les recevons pas…
Ces amendements ont le grand intérêt d’aborder l’affectation territoriale des moyens. J’ai une préférence pour le CL342, qui demande les effectifs par département plutôt que par territoire.
Chacun s’accorde à reconnaître que le narcotrafic est présent dans l’ensemble du territoire national, y compris en zone rurale. Cela suppose que les moyens ad hoc soient affectés aux bons endroits. Si l’on continue à les concentrer dans les agglomérations et les métropoles, on ne résoudra rien.
M. Michaël Taverne (RN). Chaque personne affectée à la lutte contre la criminalité organisée est au moins agent de police judiciaire. On peut à la rigueur vouloir faire la distinction entre les agents et les officiers, mais, pour cela, il suffit de contacter la direction des ressources humaines, des finances et des soutiens (DRHFS) du ministère de l’intérieur, ou bien d’interroger les directeurs interdépartementaux. Nul besoin d’un rapport !
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). La question du nombre d’officiers de police judiciaire (OPJ) dans les offices centraux se pose de plus en plus. Il n’y a pas si longtemps, il fallait avoir de l’expérience pour y postuler. Mais les vacances de postes ont conduit à y affecter des agents qui n’étaient pas OPJ, voire qui sortaient de l’école. Je ne dis pas que l’on n’est forcément mauvais quand on débute, mais il n’est pas plus mal d’avoir un peu d’expérience pour rejoindre un service d’élite. Pour avoir rédigé quelques rapports sur le sujet, je peux témoigner des difficultés à obtenir le nombre exact d’OPJ, ainsi que de postes d’encadrement et de commandement – ces corps étant en sous-effectif dans la filière judiciaire.
Nous ne devons donc pas lâcher à ce sujet. Une demande de rapport permet d’interpeller nos collègues et le gouvernement et de signaler que, depuis plusieurs années, nous nous faisons mener par le bout du nez.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Nous voterons contre toutes les demandes de rapport. La mission du Parlement étant de contrôler l’action du gouvernement, il sera plus intéressant de mener une mission de contrôle et d’évaluation de la loi un an après sa promulgation.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Je ne suis pas de ceux qui demandent des rapports à tout bout de champ. La transparence sur les effectifs de police, fondamentale, ne devrait même pas faire l’objet d’une demande de rapport. Les élus locaux qui se battent contre la criminalité ont besoin de savoir si les promesses du ministre de l’intérieur sont tenues. Ils doivent systématiquement être informés du nombre d’OPJ, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Il me semble d’ailleurs que M. Retailleau s’est engagé récemment à faire la transparence sur les moyens. Inscrivons celle-ci dans la loi et considérons le fond du sujet plutôt que de n’y voir qu’une demande de rapport supplémentaire.
M. Roger Vicot, rapporteur. Je partage l’avis de M. Saulignac : j’ai une préférence pour l’amendement CL342, qui est plus précis. J’invite donc M. Iordanoff à retirer le CL123.
Mme Naïma Moutchou (HOR). J’ai peur que cet amendement ne soit superfétatoire, tout comme les suivants. La rédaction d’un rapport va mobiliser des ressources administratives qui pourraient être employées à autre chose – par exemple, lutter contre la criminalité. Le nombre d’OPJ est une information d’intérêt limité : s’y intéresser sans parler ni de formation, ni d’équipement, ni de coopération internationale, c’est passer à côté du sujet, qui est plutôt l’adaptation de la stratégie à la lutte contre le narcotrafic.
L’amendement CL123 est retiré.
La commission rejette l’amendement CL342.
Amendement CL377 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’amendement CL377 vise à obtenir un rapport relatif à l’Office central de lutte contre le crime organisé, composé presque exclusivement de policiers, alors qu’il devrait bénéficier du concours de différents services. La loi ne l’empêche nullement : d’autres offices centraux ont une organisation beaucoup plus interministérielle – nous en avons parlé, c’est une question de volonté politique.
S’agissant des moyens, la situation est inacceptable : régulièrement, des postes sont vacants. J’ajoute que tous les agents des offices centraux ne sont pas officiers de police judiciaire. Sans parler des créations de postes d’assistant d’enquête promis lors de l’examen de la Lopmi et qui ne sont pas au rendez-vous – les députés qui votent pour les textes de cette nature mais ne vérifient pas les suites données devraient y trouver matière à réflexion.
Plus généralement, avant d’élaborer une proposition de loi comme celle qui nous occupe, il importe de s’assurer que la situation a été bien évaluée.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable. Je suis interloqué par la manière dont certains balaient les demandes de rapport comme si elles étaient excessives. La représentation nationale est chargée d’une mission de contrôle : elle peut légitimement demander des informations détaillées sur l’application de la loi.
M. Patrick Hetzel (DR). Il faut savoir raison garder. Nous devons contrôler l’action du gouvernement, mais les demandes de rapport créent un surcroît de travail pour les administrations, alors que nous-mêmes disposons de compétences. Les rapporteurs spéciaux, notamment, sont en droit d’effectuer des contrôles sur pièces et sur place. En réalité, l’obsession des rapports ne se justifie pas, surtout si l’on considère que ces derniers sont très peu consultés.
M. le président Florent Boudié. L’inflation de demandes de rapports est colossale, dans toutes les commissions. En la matière, la tradition veut que la commission des lois soit plus raisonnable que d’autres.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Certaines demandes sont intéressantes, il n’est pas question de s’y opposer par principe, mais celles que nous examinons sont inopportunes. L’amendement CL377 vise à obtenir six mois après la promulgation de la loi un rapport offrant une analyse détaillée : c’est irréaliste. Par ailleurs, l’exposé sommaire précise que la Cour des comptes a déjà publié un rapport dans ce domaine – n’en ajoutons pas.
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Je soutiens l’amendement. Étant une proposition de loi, le texte que nous examinons, sur un sujet d’importance, est dépourvu d’étude d’impact ; et on nous explique maintenant qu’une évaluation est superflue. Pourtant, les rapports cités soulèvent des questions qui mériteraient plus ample investigation.
Dans ce domaine comme ailleurs, nous sommes nombreux à lire les rapports ; c’est bien pourquoi nous trouvons problématique d’examiner ce texte en disposant de si peu de données relatives aux conséquences de la réforme pour les services. Les défenseurs de la proposition de loi suivent une stratégie politicienne : ils veulent se donner l’image d’acteurs de la lutte contre le narcotrafic, au détriment d’une politique efficace et du travail des agents qui mènent cette bataille avec sérieux.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Vous avez défendu une proposition de loi d’abrogation de la retraite à 64 ans dont l’adoption aurait coûté au bas mot 10 milliards d’euros. Où était l’étude d’impact ?
M. le président Florent Boudié. Si nous consacrons trop de temps à chaque demande de rapport, je déciderai souverainement de faire examiner les amendements correspondant à la fin de la discussion du texte.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL379 de M. Ugo Bernalicis
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Puisque nous parlons de rapports, je vous invite à lire celui que M. Ludovic Mendes et moi-même avons rédigé pour évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants.
L’amendement CL379 tend à obtenir du gouvernement un rapport relatif aux logiciels de la police nationale. Il y a huit ans, on nous a promis un nouveau logiciel de rédaction des procédures pénales, première brique du NS2I, le nouveau système d’information dédié à l’investigation. Il devait par exemple servir les enquêtes de la police judiciaire. Nous demandons l’évaluation des conséquences des défaillances de ce logiciel sur la lutte contre le trafic de stupéfiants. En effet, selon un article du Monde paru le 13 février, après huit ans de travail et malgré 16 à 20 millions de dépenses, ce logiciel n’existe toujours pas. En 2021, M. Darmanin, alors ministre de l’intérieur, promettait qu’il serait opérationnel en 2024. Monsieur le ministre, où en est-il ? Avez-vous des éléments susceptibles d’expliquer ce fiasco ? En juillet 2022, la Cour des comptes recommandait de repartir du logiciel de la gendarmerie nationale – libre, il fonctionne très bien.
L’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit que la société « a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Monsieur le ministre d’État, je vous demande des comptes.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable.
M. Michaël Taverne (RN). Pour une fois, nous sommes d’accord avec l’extrême gauche. Si l’on n’a pas compris qu’il y a un problème avec le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN), on n’a rien compris. Le LRPPN fonctionne très mal, tout comme le programme Scribe, désormais nommé XPN. Cela nuit à l’attractivité de l’investigation : il faut une totale transparence. Je suis entré dans les forces de sécurité intérieure il y a vingt-cinq ans, le LRP était déjà en service. Lors des vœux du syndicat Alliance, le ministre de l’intérieur a indiqué que XPN serait déployé dans six mois, mais nous avons connaissance d’éléments contraires, certains affirmant qu’il serait abandonné. Le LRPGN, le logiciel de la gendarmerie nationale, lui, fonctionne très bien.
Mme Sandra Regol (EcoS). Ce logiciel qui n’en finit pas de s’enliser empêche les forces de police de travailler correctement, tandis que les gendarmes s’amusent à souligner que le leur marche très bien. De plus, nous parlons de millions d’argent public. Tous ceux qui affirment vouloir améliorer les moyens de la police devraient voter cet amendement. Monsieur le ministre d’État, en tant que ministre de l’intérieur, vous étiez chargé de ce dossier. Que pouvez-vous dire sur ce fiasco ?
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Le problème est plus global : il concerne également les logiciels de la justice ainsi que l’interopérabilité. Il est nécessaire d’augmenter les moyens humains. Vous voulez faire gagner du temps au personnel en enlevant des droits aux citoyens pour alléger les procédures. Or les problèmes de logiciels font perdre du temps. La justice est obligée de réécrire des procédures qui ont déjà été rédigées par la police ou la gendarmerie. Tout le monde s’est déjà arraché les cheveux devant un écran bleu, à cause d’un travail perdu ou de la lenteur de l’outil informatique ; cela arrive en permanence aux personnels de la police et de la justice. Nous discutons de super-moyens pour lutter contre le narcotrafic, comme l’activation à distance des téléphones, mais nous ne sommes même pas fichus de fournir aux forces de police un logiciel de procédure pénale opérationnel. Pourtant, le logiciel, libre, de la gendarmerie fonctionne très bien.
Il est essentiel de sortir du technoféodalisme, de l’asservissement aux géants du numérique, notamment à Windows. Le passage aux logiciels libres a un coût, de formation notamment, mais il améliore l’autonomie et la souveraineté, et fait gagner de l’argent. Je ne comprends pas que les députés n’interpellent pas davantage le gouvernement en ce sens.
La commission adopte l’amendement. L’article 1er bis est ainsi rédigé.
M. le président Florent Boudié. Mes chers collègues, je vous informe que nous discuterons tous les autres amendements tendant à obtenir des rapports à la fin de l’examen du texte.
Article 2 (art. 19, 39-2, 52-1, 704-1, 705, 706-26-1 à 706-26-8 [nouveaux], 706-42, 706-74-1 à 706-74-6 [nouveaux], 706-75, 706-75-1 et 706-75-2 [abrogés], 706-77, 706-78, 706-78-1 et 706-78-2 [nouveaux], 706-79-3 [nouveau], 706-80-1, 706-106 du code de procédure pénale) : Création d’un parquet national anti-criminalité organisée
Amendements de suppression CL 85 de M. Ugo Bernalicis et CL 131 de Mme Eléonore Caroit
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). L’article 2 crée le parquet national anti-criminalité organisée, le Pnaco. D’après les auditions organisées dans le cadre de la mission d’information que j’ai menée avec M. Mendes, il serait plus logique d’élever la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) au rang de chef de file. Ainsi, la justice déciderait de manière indépendante des moyens d’agir, alors que l’existence d’un parquet spécialisé risque d’aller de pair avec l’émission de directives. Mieux vaudrait renforcer les juridictions interrégionales spécialisées et la Junalco.
Il faudrait également améliorer les moyens techniques. La Junalco a besoin de meilleurs logiciels pour lutter contre le blanchiment. Il serait plus utile d’acheter la licence du logiciel adapté que de dépenser les 130 millions d’euros que coûterait la création du Pnaco selon le ministre de la justice. Devant la commission d’enquête du Sénat, M. François Molins a affirmé qu’il fallait faire de la Junalco le chef de file de la lutte contre la criminalité organisée, sur le modèle du parquet national financier dans son domaine, plutôt que créer un parquet national.
Mme Eléonore Caroit (EPR). Merci de m’accueillir dans votre commission.
Je suis favorable à la plus grande fermeté dans la lutte contre le narcotrafic. Je suis députée des Français d’Amérique latine et des Caraïbes, où le narcotrafic n’est pas un « piège », mais une dure et triste réalité qui affecte jusqu’à nos concitoyens qui y vivent.
Je le dis avec tout le respect que m’inspire le travail des sénateurs et de nos rapporteurs : la Junalco et les Jirs ont prouvé leur efficacité et mériteraient d’être renforcées. Avec le travail de coordination des services d’enquête incombant à l’Ofast, elles sont plus utiles que ne le serait un nouvel instrument – le narcotrafic, présent dans tous les territoires, est protéiforme.
Pour ces raisons, je propose de supprimer l’article 2.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. L’article 2 est essentiel.
La Junalco a 4 ans. Nous constatons qu’il faut faire un pas de plus : le Pnaco incarnera la lutte contre la criminalité organisée et renforcera la coordination. Monsieur Léaument, vous soulignez dans votre rapport qu’il faut se concentrer sur le haut du spectre ; le Pnaco y pourvoira.
Mme Elsa Faucillon (GDR). La création du Pnaco se fera par voie réglementaire ; or le rapport de la mission de préfiguration soulève des questions auxquelles le débat parlementaire devra répondre. L’instauration du parquet national financier a suscité des interrogations comparables, mais le Pnaco sera saisi de dossiers bien plus nombreux. Nous devrons débattre des moyens dont il disposera, de sa coordination avec les Jirs, de son siège. Tant que ces questions fondamentales seront en suspens, nous émettrons des réserves quant à sa création, même si nous en soutenons le principe.
J’ajoute que nous soutiendrons un amendement visant à supprimer l’alinéa 18, relatif aux mineurs – sujet absent du périmètre de la mission de préfiguration.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Hier, M. le garde des sceaux laissait entendre que confier la coordination à un parquet national tout en gardant des liens avec les Jirs, qui sont plus anciennes et connaissent mieux le terrain, n’allait pas sans difficulté. Des cosaisines seraient donc possibles, alors même que l’objectif est de centraliser : cela ressemble à une usine à gaz.
La Junalco vient encore de prouver son efficacité avec la saisie de 10 tonnes de cocaïne à Dunkerque. Évidemment, pour le plan com’, il est moins efficace de mettre en avant une structure qui existe depuis 2019 et de la doter de moyens supplémentaires que d’annoncer la création d’un parquet national anti-criminalité organisée auquel sont alloués des moyens renforcés et concentrés.
De toute façon, l’enquête reposera sur les offices centraux, sur leurs antennes et sur celles de la DNPJ – s’il en reste. On en revient à la faiblesse des moyens : vous aurez beau tout concentrer dans un parquet national, ils resteront limités. Tous les procureurs chargés de dossiers de blanchiment le disent : ils manquent d’enquêteurs ; c’est leur principal problème. Je le sais bien puisque j’avais déjà rédigé un rapport relatif à la lutte contre la délinquance financière en 2019.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous sommes favorables à la création du Pnaco. Certes, elle mérite réflexion. Il ne faut pas remettre en cause la compétence générale de la justice. Toutefois, nonobstant la différence d’ampleur et de nature des affaires, l’instauration du PNF a montré qu’une spécialisation pouvait se révéler pertinente. Toutes les personnes auditionnées ont exprimé un intérêt manifeste pour la démarche.
Néanmoins, nous nous interrogeons sur les aspects pratiques de son déploiement, notamment sur les conditions de travail de ses agents et sur son champ de compétence. Il faut encourager la clarté : le Pnalco doit incarner la lutte contre le narcotrafic.
Je ne soutiens pas les amendements de suppression, mais Ugo Bernalicis a raison de souligner l’absence criante de moyens : ces derniers sont déterminants pour l’efficacité de la justice.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Je comprends les craintes que suscitent les risques d’une vraie centralisation et, surtout, de l’affaiblissement des juridictions interrégionales spécialisées – il suffit pour cela d’avoir connu l’avant et l’après-Jirs. Je regrette que leur action n’ait pas été évaluée. Elles rassemblent des personnels de justice ultraspécialisés qui traitent au fond les dossiers de stupéfiants et parviennent à faire remonter les enquêtes aussi haut que possible. Les juges d’instruction des petites juridictions, surchargés de dossiers, ne peuvent pas en faire autant.
Le problème principal, c’est la coordination entre les Jirs. Quelques affaires, dont une tristement célèbre survenue récemment, ont montré qu’une mauvaise coordination peut entraîner des drames. Nous devons y travailler.
Eu égard à la réalité du trafic, le Pnaco constitue un outil indispensable. Nous ne voterons donc pas ces amendements de suppression.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). La création du Pnaco ne remet nullement en cause le travail accompli par la Junalco et les Jirs. L’objectif est de nous adapter aux moyens que déploient les narcotrafiquants.
M. Olivier Marleix (DR). La création d’un parquet national satisfait des besoins essentiels. Les premiers sont techniques : la criminalité est puissante ; ce serait une blague d’affirmer que les parquets ou les Jirs sont suffisamment armés pour affronter les mafias internationalisées dont nous parlons. Ensuite, il faut prémunir la justice et la police judiciaire de toute influence. Le PNF a été créé dans cette intention ; or c’est encore plus important dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue, domaine où la corruption est très forte. Au ministère de l’intérieur comme au ministère de la justice, le risque est partout – je n’ai d’ailleurs pas obtenu de réponse précise à mes questions d’hier relatives à sa cartographie. Le Pnaco constitue le seul moyen de le limiter pour protéger les enquêtes.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Le procès en centralisation ne tient pas. Si on laisse les juridictions locales seules face à des trafics qui ont muté et qui ne connaissent aucune frontière, les organisations criminelles continueront à bénéficier des failles de notre système et à gagner du terrain.
Bien que les Jirs et la Junalco accomplissent un travail remarquable, leurs capacités atteignent leurs limites. La Junalco, entité placée sous l’autorité du parquet de Paris, n’a pas la compétence d’agir au niveau national tandis que les Jirs n’ont pas les moyens de lutter contre l’ensemble du trafic ; réformer ces organismes n’aurait donc pas de sens. Dans le même esprit que le PNF en matière financière et le Pnat en matière antiterroriste, il est indispensable de créer une entité unique pour répondre à des besoins spécifiques et éviter d’avoir deux trains de retard sur le narcotrafic, qui s’adapte aux nouvelles technologies.
M. Michaël Taverne (RN). Nous voterons contre les amendements de suppression. L’efficacité du Pnaco sera garantie par deux éléments essentiels : la coordination avec la direction générale de la police judiciaire – à l’instar du Pnat avec la DGSI – et la spécialisation. Je rappelle qu’en 2015, de nombreuses personnes étaient opposées à la création du Pnat, aujourd’hui indispensable.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Notre groupe votera contre ces amendements. Le Pnat et le PNF ont montré leur efficacité. Alors que les réseaux du trafic de drogue sont tentaculaires, le Pnaco interviendra dans de nombreux domaines de la criminalité et aura un rôle de coordination avec l’ensemble des juridictions.
M. Stéphane Mazars (EPR). Nous nous réjouissons du travail accompli par la Junalco et les Jirs. Les moyens qu’on leur a donnés leur ont permis de mener des opérations entièrement satisfaisantes. Cela étant, nous sommes submergés par des structures armées de mieux en mieux organisées et qui disposent de plus en plus de moyens. Nous devons donc trouver d’autres réponses. La proposition de loi ne remet pas en cause l’organisation actuelle ; elle l’améliorera.
La création de juridictions spécialisées en matière financière et pour lutter contre le terrorisme a porté ses fruits. La création d’un parquet spécialisé en matière de criminalité organisée pourrait ainsi améliorer le travail des Jirs, grâce à une meilleure coordination des acteurs.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice. L’article 2 est la clé de voûte de ce texte. La création du Pnaco soulève des questions, notamment relatives à la spécialisation de la justice, comme ce fut le cas lors de la création du Pnat et du PNF. En effet, si nous créions un parquet spécialisé pour chaque type de contentieux, nous porterions atteinte au fonctionnement de la justice pénale.
Néanmoins, le législateur et le ministère de la justice avaient déjà constaté qu’une coordination au niveau national était nécessaire face à la criminalité organisée : c’est la démarche qui a présidé à la création des Jirs et de la Junalco. On pourrait limiter de telles instances spécialisées à la criminalité complexe. En tout cas, la création du Pnaco permettrait d’aller au bout de cette démarche.
Je remercie Mme Capdevielle de soutenir la création du Pnaco. En 2004, le groupe socialiste s’était vivement opposé à la création des Jirs dans le cadre de la loi Perben 2, la qualifiant de « jour noir pour la justice » ; aujourd’hui, chacun reconnaît leur efficacité. De même, le groupe de l’Union pour un mouvement populaire, auquel j’appartenais, a eu du mal à accepter la création du PNF, dont je doute pourtant qu’il serait menacé en cas d’alternance. De même encore, si, à l’époque où une section du parquet de Paris est devenue le Pnat, certaines personnes s’opposaient au transfert de ces magistrats spécialisés dans le terrorisme, personne ne proposerait aujourd’hui – à moins de vouloir priver notre pays d’un moyen d’action contre le terrorisme – la suppression du Pnat, qui a lui aussi montré sa grande efficacité. Soyons donc prudents quant à nos prises de position en la matière.
Par ailleurs, bien que la Junalco ait obtenu des résultats, elle a montré ses limites. Cela étant, elle a disposé de moyens moins importants que prévu. Elle compte vingt magistrats, contre soixante personnes au Pnat et vingt magistrats au PNF – une vingtaine de magistrats spécialisés permet donc d’agir efficacement à condition de disposer d’enquêteurs et de moyens technologiques.
Par rapport à la Junalco, le Pnaco présentera l’avantage de coordonner l’action des Jirs, entre lesquelles l’échange d’informations n’est ni automatique ni partagé entre tous les acteurs ; d’élaborer une doctrine de renseignement criminel, à l’instar de tout grand parquet spécialisé ; d’incarner au niveau international le volet judiciaire de la lutte contre la criminalité organisée. En effet, la procureure de la République de Paris n’a pas le temps à la fois de gérer un parquet aussi important et d’aller sensibiliser, dans le cadre d’échanges internationaux, l’Asie du Sud-Est, l’Amérique du Sud, l’ensemble des pays européens, les pays du Maghreb, les pays du Moyen-Orient.
Du reste, la Junalco n’a pu empêcher l’affaire Amra. M. Amra, incarcéré à la maison d’arrêt d’Évreux, était connu de la Jirs locale pour être un criminel potentiel, mais on ignorait qu’il faisait l’objet de procédures dans trois autres Jirs. En l’absence de coordination entre les Jirs, sa dangerosité n’a pas été correctement évaluée ; l’administration pénitentiaire ne lui a donc pas octroyé le statut de DPS (détenu particulièrement signalé) ni ne l’a placé dans un établissement pour peine.
Je l’ai déjà annoncé, dès le mois d’avril, 5 magistrats supplémentaires renforceront les effectifs de la Junalco. Elle sera ensuite absorbée par le Pnaco et une partie de ses moyens seront transférés à ce dernier, dont le nombre de magistrats, de vingt à quarante environ, dépendra de ses compétences exactes. Les personnes chargées de la criminalité organisée qui ne lui auront pas été affectées travailleront auprès de la procureure de la République de Paris au sein d’une sorte d’énorme Jirs. Madame Caroit, les Jirs ne seront pas supprimées, mais renforcées : non seulement elles ne perdront pas de moyens au profit du Pnaco, mais 95 magistrats supplémentaires rejoindront les Jirs et les juridictions infra Jirs.
Le système sera organisé en trois étages : les parquets de chaque ressort, compétents en matière de droit commun ; les Jirs, qui traiteront les affaires, parfois importantes, qui ne relèvent pas de la compétence des procureurs ; demain, le Pnaco, qui se saisira de certaines affaires. Les parquets locaux resteront saisis de nombreux dossiers. Le Pnaco ne remplacera pas non plus les Jirs, puisqu’à la différence de ces dernières il sera doté d’une dimension internationale, d’une compétence cyber et chargé des affaires complexes ; surtout, il permettra une connaissance partagée des dossiers. Enfin, il intégrera des juges de l’application des peines et un régime de détention également spécialisés.
Le succès du Pnat tient à ses échanges quotidiens avec la DGSI. Les chefs de file de chaque organisme travaillent ensemble, se mettent d’accord sur le renseignement administratif et criminel, sur les objectifs à atteindre, sur la coopération internationale et parlent d’une même voix. Mais la DNPJ, qui traite 80 % des affaires, et les offices, comme dit M. Bernalicis, ont des centaines d’interlocuteurs – procureurs de la République, magistrats spécialisés –, ce qui affecte leur efficacité. Le même problème se posait auparavant dans les affaires de terrorisme.
Madame Faucillon, le principe d’une tutelle du Pnaco sur les Jirs, préconisé par Jean-François Ricard dans le rapport remis à mon prédécesseur, n’a pas été retenu. Le Pnaco se coordonnera avec les Jirs, notamment s’agissant des échanges d’information, et disposera d’un pouvoir d’évocation sans avoir de compétence exclusive en matière de criminalité organisée ; il se saisira des affaires qui relèvent du haut du spectre – à l’instar du Pnat. Reste à déterminer les critères sur lesquels il fondera sa saisine. Le Pnat envoie des observateurs sur une scène de meurtre afin de décider de son éventuelle saisine.
Outre ces éléments, le nombre d’affaires que traitera le Pnaco dépendra aussi de ce que voudront les parlementaires.
Ainsi, le rapport de préfiguration commandé aux magistrats, et que je rendrai public, préconise de doter le Pnaco d’une compétence en matière de règlements de comptes et d’actes de torture et de barbarie en bande organisée – par exemple, à Marseille, les « barbecues » consistant à enfermer une personne dans un coffre de voiture et à la brûler vive – mais le Sénat n’a pas introduit cette mesure en première lecture. Si, à l’Assemblée, la compétence du Pnaco est ainsi étendue, comme je le souhaite et comme votre rapporteur ou vous-mêmes le voudrez certainement aussi – il serait incroyable que les règlements de comptes de Marseille ne soient pas de son ressort –, le nombre d’affaires dont il se saisira sera d’autant plus élevé.
De même, il s’agit de déterminer s’il traitera toute la cybercriminalité, laquelle relève en grande partie de la criminalité organisée, mais pas entièrement. Actuellement, elle incombe à la section J3 de la Junalco. Le Pnaco ne sera pas non plus compétent pour toutes les infractions pénales économiques et financières.
Au bout du compte, le nombre d’affaires dont se saisira le Pnaco devrait s’élever à quelques centaines par an. Il dépendra aussi du nombre de magistrats et de greffiers spécialisés qui lui seront affectés.
À l’issue de l’examen de ce texte, je m’engage à consulter les parlementaires sur les critères de saisine des affaires par les magistrats, qui resteront libres de leur décision. Ils seront fixés dans une circulaire de la DACG (direction des affaires criminelles et des grâces) que je rendrai publique.
Les pays voisins ont instauré des parquets spécialisés qui ont mis fin à des systèmes mafieux. En Italie, le procureur national antimafia, fonction imaginée pour le juge Falcone, a incarné la politique nationale de la lutte antimafia et a coordonné l’action de tous les parquets d’Italie. Grâce à une spécialisation du régime de détention et de la justice, il a été mis fin à la série d’assassinats – une soixantaine – de magistrats, d’agents pénitentiaires, de préfets, de parlementaires, d’hommes politiques, de maires.
Le Pnaco dépendra de la procureure générale de Paris. Je suis donc favorable à l’amendement de M. Iordanoff qui prévoit la localisation du Pnaco à Paris.
En France, 17 000 personnes sont détenues pour trafic de stupéfiants. Les trafiquants du haut du spectre sont soit incarcérés, en attendant d’être jugés, soit hors de France – dans les pays du Maghreb, au Moyen-Orient, en Asie du Sud-Est – car ils fuient la justice. Le Pnaco, je le répète, aura des armes dont ne dispose pas la Junalco. Du reste, les résultats de cette dernière ne sont pas à la hauteur de ceux obtenus par les Italiens et les Belges.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL539 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il vise à supprimer l’alinéa relatif à la désignation de référents Jirs dans les parquets locaux, qui ne relève pas du domaine législatif – au demeurant, cette pratique existe déjà dans les juridictions.
La commission adopte l’amendement.
La commission adopte successivement les amendements de coordination CL540 et CL518 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL541 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il vise à supprimer l’obligation que l’ensemble des crimes relevant de la compétence du Pnaco soient jugés par des cours criminelles professionnelles, car elle contredit l’article 13. En effet, le champ de compétence du Pnaco ne recouvre pas complètement celui des cours criminelles professionnelles.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL95 de M. Jérémie Iordanoff et sous-amendement CL618 de M. Vincent Caure
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Il s’agit d’installer le Pnaco à Paris. Lors de l’examen de la proposition de loi au Sénat, certains sénateurs ont créé le doute en évoquant une domiciliation à Marseille. La création d’un nouveau parquet doit se faire de manière rationnelle : Paris rassemble l’essentiel des services et des compétences, elle est la seule ville facilement accessible depuis l’ensemble de l’Hexagone et elle n’est pas associée au narcotrafic comme Marseille.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis favorable sous réserve de l’adoption du sous-amendement, lequel vise à supprimer la référence à l’alinéa 35, en coordination avec l’amendement de suppression de l’alinéa 35 que j’ai déposé.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). La logique voudrait que l’on supprime d’abord l’alinéa 35.
M. Vincent Caure, rapporteur. Il s’agit d’une question de pure légistique : je propose de supprimer la référence à l’alinéa 35. Nous poursuivons la même fin.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.
Amendement CL472 de M. Sébastien Huyghe
M. Sébastien Huyghe (EPR). Il vise à étendre le champ de compétences du Pnaco aux infractions mentionnées à l’article 704 du code de procédure pénale, qui relèvent de la délinquance économique et financière, laquelle a beaucoup en commun avec la sphère de la criminalité organisée.
M. Vincent Caure, rapporteur. C’est l’une des recommandations de la mission de préfiguration. Néanmoins, le périmètre de l’article 704 est très vaste. Je vous invite à retirer l’amendement, en m’engageant à le retravailler avec vous en vue de la séance, afin de préciser le champ des infractions visées ; à défaut, avis défavorable.
L’amendement est retiré.
Amendements identiques CL542 de M. Vincent Caure, CL441 de Mme Naïma Moutchou et CL473 de M. Sébastien Huyghe
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement de coordination avec les travaux du Sénat vise à réintégrer dans le champ de compétence du Pnaco certains crimes qui, dans la rédaction actuelle, en sont exclus.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Cet amendement de cohérence est fondamental afin que le Pnaco puisse poursuivre ces infractions et que leurs auteurs soient jugés.
J’en profite pour répondre à M. Bernalicis qui, en aparté, m’a accusée de ne pas travailler et de dire n’importe quoi. Je le répète, la Junalco exerce sa mission sous l’autorité de la procureure de la République de Paris, son champ d’action est de ce fait limité et elle n’épuise pas l’ensemble de ses compétences bien qu’elle soit une juridiction nationale.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Mon amendement vise à ajouter au champ de compétences du Pnaco les crimes de meurtre en bande organisée et d’actes de tortures et de barbarie.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). La Junalco pourrait se voir confier le rôle de chef de filat, ainsi que nous l’avons préconisé avec Ludovic Mendes dans le rapport d’information visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants.
Certes, la Junalco n’a pas empêché l’affaire Amra. Néanmoins, elle a démontré son efficacité en arrêtant, en lien avec les services de l’OCLCO, M. Amra ainsi qu’une quinzaine de personnes sur le territoire de l’Union européenne.
Par ailleurs, alors que les crimes de meurtre en bande organisée relèvent de la compétence du Pnat, s’ils entrent dans le périmètre d’action du Pnaco, ces deux entités devront-elles partager cette compétence ou seront-elles en concurrence ? On ne peut modifier ainsi ce qui a été voté par le Sénat. Les crimes en bande organisée sont, en grande majorité, des crimes à caractère terroriste.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Les actes de torture et de barbarie sont déjà sanctionnés dans le code pénal. Il faut préciser explicitement que les infractions inscrites dans le texte, ainsi que celles que nos collègues souhaitent ajouter, doivent être directement liées à une affaire de narcotrafic ; sans cela, une confusion est possible, comme le souligne M. Léaument.
M. Patrick Hetzel (DR). Le narcotrafic est de plus en plus lié à la cybercriminalité. Ne faudrait-il pas intégrer l’ensemble de la section J3, chargée de la cybercriminalité, au sein du Pnaco ? La scinder en deux – une partie intégrée au Pnaco, l’autre restant indépendante – risque de l’affaiblir.
M. Vincent Caure, rapporteur. L’alinéa 14 dresse la liste des crimes et délits dont le Pnaco ne se saisit pas. Mon amendement vise à réintégrer dans son champ de compétence les actes de meurtre en bande organisée et les actes de torture et de barbarie en bande organisée, lesquels ont disparu de la liste à la faveur d’un sous-amendement adopté en séance publique au Sénat. C’est un amendement de coordination légistique.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Monsieur Hetzel, c’est effectivement une réflexion à mener en vue de la séance et j’ai annoncé hier que je rendrais public le rapport qui me sera rendu. Il y a évidemment des avantages à intégrer la section J3 au sein du Pnaco. Les affaires internationales complexes de blanchiment relèvent de plus en plus de la cybercriminalité ; nous ne devons pas être en retard d’un train. Toutefois, cette intégration présenterait aussi des inconvénients, car la cybercriminalité n’est pas nécessairement liée au trafic de stupéfiants. La création de deux pôles distincts poserait la question de leur attractivité auprès des magistrats spécialisés.
Monsieur Léaument, je comprends votre inquiétude, mais elle ne me paraît pas justifiée. Le terrorisme et la criminalité organisée ne sont pas la même chose. Le Pnaco se saisira des affaires importantes en fonction de plusieurs critères qu’il conviendra de préciser : leur complexité, une dimension internationale, la présence d’armes, leur retentissement, leur financement ou encore un lien avec les protagonistes d’autres affaires traitées par les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ; dans ce dernier cas, le Pnaco sera en co-saisine avec la JIRS. Comme pour le PNAT ou le PNF, une circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces explicitera ultérieurement les circonstances permettant au Pnaco de se saisir d’une affaire ; comme je l’ai fait dans le cadre de la Lopmi, cette circulaire, ainsi que tous les actes infralégislatifs, sera soumise à la commission des lois.
La raison pour laquelle nous avions initialement exclu les crimes économiques et financiers et les actes d’homicide, de torture ou de barbarie du champ de compétence du Pnaco tient au fait que le législateur avait d’abord imaginé un parquet national anti-stupéfiants. C’est le gouvernement qui a proposé un parquet national anti-criminalité organisée, considérant que les stupéfiants n’étaient qu’un produit pour ces organisations. Or, si l’on s’éloigne des simples saisies de stupéfiants pour traiter d’affaires complexes de blanchiment et de criminalité organisée, il faut donner au Pnaco la possibilité de se saisir des homicides commandités dans ce cadre. Bien sûr, les actes de torture et de barbarie ne relèvent pas toujours du trafic de stupéfiants, mais personne ne comprendrait que les crimes perpétrés dans la cité phocéenne ne relèvent pas du Pnaco. Les magistrats spécialisés du Pnaco, comme ceux du PNF ou du Pnat, ne se saisiront que des affaires les plus complexes.
La commission adopte les amendements identiques.
Amendements CL400 de Mme Sabrina Sebaihi et CL333 de Mme Elsa Faucillon (discussion commune)
Mme Sandra Regol (EcoS). L'amendement de ma collègue Sabrina Sebaihi vise à supprimer la compétence du Pnaco pour les mineurs. La justice des mineurs est un circuit particulier, avec des connaissances et un terrain de travail spécifiques, qu’il serait bon de conserver. Nous avons examiné de nombreux textes dans lesquels la justice des mineurs tendait à être noyée dans la justice commune. Il est peut-être évident pour le ministère de la justice que ce n’est pas le cas pour celui-ci, mais nous préférons être précis.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Mon amendement vise, lui aussi, à exclure la justice des mineurs dans le traitement des affaires prises en charge par le futur Pnaco. C’est pour nous une ligne rouge.
De nombreux mineurs impliqués dans des affaires de narcotrafic – ou, s’agissant des filles, prises dans des réseaux de prostitution –, y compris lorsqu’ils commettent des crimes, sont à la fois victimes et coupables. Ils doivent avant tout être protégés. Je m’inquiète d’autant plus de voir le Pnaco prendre en charge ces affaires que la proposition de loi de Gabriel Attal visant à restaurer l'autorité de la justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents a entaché le principe de l’ordonnance de 1945 selon lequel le juge des enfants est un juge spécialisé qui prévoit des mesures à la fois répressives et éducatives. Pour éviter la répétition des violences, il faut renforcer les principes de la justice des mineurs.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je partage votre attachement au principe de la spécificité de la justice des mineurs. Toutefois, il faut aussi tenir compte de la spécificité de la nouvelle juridiction qu’est le Pnaco. Je précise que le transfert de l’instruction n’aboutit qu’à un changement de lieu. Avis défavorable.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Il faut distinguer le parquet de la juridiction : il ne s’agit pas ici de revenir sur la spécialisation du jugement des mineurs, mais de transférer l’instruction à un parquet spécialisé. Heureusement que le Pnat s’occupe aussi des mineurs ! Le Pnaco n’a pas vocation à traiter les affaires du bas du spectre, comme le dépôt de canettes ou la présence sur les points de deal, mais celles du haut du spectre. L’auteur des exécutions commandées par une organisation criminelle à Marseille a 14 ans ; c’est le plus jeune tueur à gages de l’histoire française. Il n’est pas anormal que cet individu soit poursuivi par un parquet spécialisé, même s’il est en définitive jugé par un juge des enfants et non par un juge spécialiste de la criminalité organisée.
Mme Colette Capdevielle (SOC). En France, jusqu’à preuve du contraire et malgré un glissement dangereux ces dernières semaines, les mineurs ne sont pas des individus, mais des enfants. La justice des mineurs doit rester une justice spécialisée. En outre, l’articulation entre l’instruction par un parquet national situé à Paris et le jugement dans une juridiction de proximité risque d’être complexe.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous tenions à nous assurer que la spécialisation de la justice des mineurs ne serait pas remise en cause. M. le garde des sceaux nous répond que ce principe est garanti et que le jugement sera rendu par le tribunal idoine. Je prends acte de cet éclaircissement.
Néanmoins, la prise en charge du mineur lors de l’enquête doit être confiée à des professionnels formés pour éviter les erreurs. Il est évidemment nécessaire d’informer le Pnaco lorsque les intervenants de certaines affaires du haut du spectre sont mineurs, mais celui-ci doit se concentrer sur les commanditaires. Cela m’étonnerait qu’un gamin de 14 ans soit dans le haut du panier. Nous sommes donc favorables à une co-instruction ou à une co-saisine.
Mme Brigitte Barèges (UDR). Nous connaissons tous la différence entre le parquet et la juridiction. La réponse du garde des sceaux nous rassure : les mineurs seront bien jugés par le tribunal pour enfants.
J’ai dit tout à l’heure que nous manquions de magistrats et de policiers, ce qui a été mal compris. Il n’en demeure pas moins nécessaire de simplifier et d’accélérer les procédures. Pour la bonne instruction du dossier, le Pnaco ne peut pas faire le distinguo entre les mineurs et les majeurs et se dessaisir au profit du parquet de la juridiction dont relève le tribunal pour enfants ; il doit mener l’enquête dans son intégralité. Je n’y vois pas de danger dans la mesure où le mineur sera jugé par le juge des enfants.
M. Michaël Taverne (RN). De plus en plus d’organisations criminelles enrôlent des mineurs. Ils représentent ainsi 95 % des interpellés dans les quartiers sensibles – à Marseille, mais aussi à Rennes, Grenoble ou Roubaix. Il est donc absolument nécessaire de permettre au Pnaco de s’occuper des mineurs, puisque c’est par eux que l’on peut remonter les filières. Nous voterons contre ces amendements.
M. Ludovic Mendes (EPR). Le rapport que j’ai rendu avec M. Léaument démontre que les mineurs sont souvent enrôlés malgré eux par les réseaux criminels, y compris de force. Comment ce jeune tueur à gages de quatorze ans a-t-il été formé au maniement des armes ? Comment s’en est-il procuré ? Comment a-t-il choisi de tuer ? En réalité, les mineurs sont violentés. Les images qui tournent sur Snapchat et sur d’autres réseaux sociaux démontrent une volonté de faire peur à ces jeunes pour leur faire croire qu’ils n’ont pas d’autre choix que de suivre un courant qu’ils n’ont jamais choisi. Il faut donner la priorité à leur protection au lieu de les traiter comme les narcotrafiquants adultes, qui sont de vulgaires délinquants.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Je maintiens mon amendement. Le juge des enfants ne se contente pas de juger le mineur ; il assure également un suivi et veille à la non-récidive, autrement dit la désistance, par des mesures éducatives dont il évalue l’efficacité dans la durée. Il est donc important que l’enfant soit suivi dans son territoire par un magistrat unique.
Votre réponse, monsieur le garde des sceaux, ne suffit pas à apaiser nos craintes. Le texte parle bien d’une compétence concurrente à celle qui résulte de l’application du code de la justice pénale des mineurs. Par ailleurs, les lois que vous avez proposées dernièrement sont loin de nous rassurer sur votre attachement aux principes qui régissent la justice des mineurs.
Disant cela, je ne minimise absolument pas l’utilisation des mineurs dans le narcotrafic ; étant donné le territoire dans lequel je suis élue, je suis bien placée pour savoir que celui-ci s’organise pour embrigader les plus vulnérables. On peut dresser, à cet égard, un parallèle avec le système capitaliste.
Mme Naïma Moutchou (HOR). L’expérience du PNF et du Pnat, qui travaillent déjà avec d’autres juridictions spécialisées, devrait nous rassurer sur la capacité du Pnaco à travailler avec tous les acteurs de la justice des mineurs, y compris les éducateurs et les services sociaux. La logique institutionnelle exige de ne pas dissocier les matières. La justice des mineurs ne doit pas servir de bouclier aux narcotrafiquants. Je rappelle que nous parlons ici de jeunes de 14, 15 ou 16 ans, qui sont capables d’aller très loin.
Mme Sandra Regol (EcoS). Monsieur le garde des sceaux, je vois que vous êtes ouvert à une clarification. Je vous propose donc de supprimer l’alinéa 18 afin de travailler sur une rédaction plus rassurante en vue de la séance publique.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Comme vous l’avez dit, monsieur Amirshahi, il est nécessaire d’employer des procureurs spécialisés dans la justice des mineurs. Ils existent au sein du Pnat, sous l’appellation de référents mineurs, où ils traitent des affaires de terrorisme impliquant des mineurs – et ils sont nombreux. Nous ferons la même chose au Pnaco. Certes, il n’est pas écrit dans le texte que les mineurs seront poursuivis par des magistrats spécialisés, ni qu’ils seront jugés par le juge des enfants, mais ce n’était pas non plus écrit dans le texte qui a créé le Pnat.
Je suis prêt à vous recevoir, madame Regol, pour travailler à une nouvelle rédaction en vue de la séance publique. En attendant, je préfère conserver l’article dans sa version actuelle.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements identiques CL543 de M. Vincent Caure et CL96 de M. Jérémie Iordanoff, amendements identiques CL133 de Mme Eléonore Caroit, CL191 de Mme Colette Capdevielle, CL271 de Mme Froger et CL343 de M. Sacha Houlié (discussion commune)
M. Vincent Caure, rapporteur. Sans me prononcer au fond sur les amendements visant à supprimer l’usage de la visioconférence, je propose d’en supprimer la mention à l’article 2. Ces dispositions n’ont pas leur place dans les articles relatifs au Pnaco.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Ce n’est pas uniquement une affaire de place. Nous souhaitons supprimer la possibilité que les débats relatifs au placement et au maintien d’une personne en détention provisoire aient lieu par un moyen de télécommunication audiovisuel. D’une part, la constitutionnalité de cette proposition est douteuse au vu des réserves d'interprétation de la décision 2023-855 DC du 16 novembre 2023 du Conseil constitutionnel. D’autre part, le placement ou le maintien en détention provisoire est une décision lourde pour les personnes concernées ; le juge des libertés et de la détention doit apprécier l’intégralité du dossier avant de décider ou non d’y déférer. La création d’un parquet national dédié ne doit pas ouvrir la voie à la banalisation de cette décision par le recours à la télécommunication audiovisuelle. Un système de délégation à un juge des libertés et de la détention exerçant sur place serait plus approprié, tant pour le territoire hexagonal qu’en outre-mer.
Mme Eléonore Caroit (EPR). Je comprends la volonté de développer le recours à la visioconférence pour des questions de bonne administration de la justice et de protection du personnel pénitentiaire, mais celle-ci ne doit pas se généraliser. Pour l’avoir expérimenté à de nombreuses reprises durant la période du covid-19, je vous assure qu’assister à un procès en visioconférence est une expérience bien différente, a fortiori en matière pénale. Ce n’est pas la même chose que de comparaître devant un juge ou depuis sa cellule, derrière les barreaux. Cette possibilité doit être réservée aux cas exceptionnels pour des détenus jugés dangereux.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous devons veiller à ce que la visioconférence ne devienne pas le droit commun. Quand on l’a pratiquée, on sait combien la justice rendue de cette manière est déshumanisée. L’extension de la visioconférence est dangereuse et son utilisation doit être réservée à certains cas précis.
Un procès, c’est placer dans le même lieu un juge, un procureur, une personne mise en cause et sa défense. En audience, le corps parle et les expressions non-verbales sont essentielles. Ce face-à-face judiciaire est indispensable lorsqu’il s’agit de décider de priver de liberté une personne présumée innocente. La visioconférence nous prive de tout cela. Et que dire du conflit de loyauté dans lequel elle place les avocats, qui doivent choisir entre une présence devant le juge ou auprès de leur client ? Quand le mis en examen demande une audience publique, cela aboutit à un débat surréaliste durant lequel le concerné n’est pas présent.
Mme Martine Froger (LIOT). Nous souhaitons supprimer le recours à la visioconférence sans l’obtention du consentement de l’intéressé pour les décisions de placement ou de maintien en détention provisoire.
M. Sacha Houlié (NI). L’article 706-79-2 du code de procédure pénale, qui autorise le recours à la visioconférence, est une disposition que j’avais fait adopter dans la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. La Jirs de Fort-de-France réclamait la possibilité de réaliser par visioconférence les audiences visant à décider du placement en détention provisoire de personnes interpellées en Guyane dont le transport vers la Martinique aurait été compliqué. Cependant, le Conseil constitutionnel a estimé que, même dans ce cas, une audience physique devait se tenir dans les quatre mois suivant le placement en détention provisoire.
L’extension de la visioconférence à toutes les personnes concernées par la criminalité organisée dans l’ensemble des Jirs de France me semble disproportionnée au regard des considérants 74 à 80 de la décision mentionnée par M. Iordanoff. Il est nécessaire de supprimer cette disposition, sans quoi le Conseil constitutionnel s’en chargera à notre place.
Toutefois, mon amendement présentant un problème de rédaction, il serait préférable d’adopter ceux de MM. Caure et Iordanoff, bien que je sois en désaccord avec la volonté de réintroduire cette possibilité après l’article 23 exprimée par M. le rapporteur.
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous parlons ici des personnes qui constituent le haut du spectre de la criminalité organisée ; ce sont elles qui défraient la chronique et qui sont visées par le rapport Léaument-Mendes. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Pour l’heure, je vous demande de retirer les amendements CL133 et identiques. Je crois en l’usage de la visioconférence, mais celle-ci n’a pas sa place à l’article 2.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. J’entends les arguments constitutionnels de M. Houlié, mais je ne pense pas qu’ils tiennent. Le Conseil constitutionnel avait censuré l’utilisation de la visioconférence pour la totalité des détenus. Or nous proposons ici de l’employer uniquement pour ceux qui relèvent de l’article 706, voire d’un régime de détention spécialisé.
Néanmoins, puisqu’il y a débat, j’ai saisi le Conseil d’État, qui se réunira en section de l’intérieur le 11 mars prochain et en assemblée générale le 14 mars. Je rendrai public son avis et je me conformerai à ce qu’il décidera. Pour que la mesure soit constitutionnelle, nous imaginons à ce stade un régime de visioconférence associé au type de détention ou à certaines incriminations, avec une position de repli qui resserrerait le dispositif sur les 800 à 1 000 personnes les plus dangereuses. Il ne s’agit pas de l’appliquer aux 82 000 détenus ou aux 17 000 personnes actuellement en détention provisoire, ni de permettre la visioconférence lors du jugement. Je précise néanmoins que les juges européens ont validé le régime de détention italien, lequel permet de réaliser en visioconférence 100 % des audiences – y compris les jugements – pour les détenus qui relèvent de l’article 41 bis de la loi anti-mafia.
Les agents pénitentiaires doivent parfois procéder à des extractions pour une présentation devant le juge qui n’excède pas trois minutes. C’est ce qui s’est passé dans l’affaire Amra. Le détenu a demandé à voir le juge ; ils ont fait trois heures de route ; l’audience a duré deux minutes, puisque M. Amra a refusé de répondre aux questions du juge ; c’est sur le chemin du retour, au péage d’Incarville, que le drame s’est produit. Le 31 décembre dernier, un autre détenu s’est opposé à la visioconférence pour un acte de signature que même les notaires et les avocats réalisent de manière dématérialisée ; les agents pénitentiaires de Lyon ont fait six heures de route à l’aller jusqu’à Grasse et six heures au retour. S’il y avait eu ce jour-là un drame au péage, nous aurions été bien embêtés d’expliquer aux familles des agents pénitentiaires que leur détresse avait pour cause un acte aussi informel.
Enfin, je rappelle que le magistrat peut s’opposer à la visioconférence, notamment si l’avocat le réclame.
M. le président Florent Boudié. Il est rare que le gouvernement pousse la transparence en saisissant le Conseil d’État sur un amendement qu’il dépose et en associant les parlementaires à sa démarche.
Mme Émilie Bonnivard (DR). Sous la dernière législature, nous avions lancé une mission flash sur les extractions judiciaires qui n’est pas allée à son terme. Je remercie la commission des lois de l’avoir relancée. Nous ne pouvons pas nous placer uniquement du point de vue de la défense. Ce que nous faisons vivre aux surveillants pénitentiaires n’a aucun sens : il n’est pas acceptable de leur imposer des heures de circulation, dans des conditions de sécurité moyennes, quand on sait pertinemment que le prévenu ne parlera pas. Si certains actes nécessitent d’être réalisés en présentiel, d’autres peuvent avoir lieu en visioconférence. Celle-ci est largement pratiquée dans certaines juridictions, où elle a lieu dans de bonnes conditions.
Je voterai contre les amendements. Je n’ai aucun état d’âme à élargir le recours à la visioconférence pour les personnalités du haut du spectre. Toutefois, les juges et les agents pénitentiaires ont souligné qu’il était nécessaire de réaliser des travaux d’aménagement dans les prisons de haute sécurité pour que la visioconférence ait lieu dans de bonnes conditions.
M. le président Florent Boudié. Plusieurs autres orateurs ont demandé la parole. Je précise que nous aurons de nouveau ce débat sur l'amendement CL576, qui a été appelé en priorité.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le premier grand débat sur la visioconférence a eu lieu en 2019 lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, défendue par Nicole Belloubet. Nous nous y étions opposés. Le Conseil constitutionnel l’avait censuré en partie, mais pas en totalité. Depuis, une longue suite de textes vise à élargir l’emploi de la visioconférence dans de nombreux domaines de la justice
L’objectif final est que le détenu ne sorte pas de la prison. S’en prendra-t-on ensuite aux extractions médicales ? Cela arrive déjà : à Annœullin, où je me suis rendu, les services médicaux se voient opposer des refus d’extraction médicale au motif que l’administration pénitentiaire n’a pas de moyens suffisants pour emmener le détenu et en assurer la garde.
Si toutes les affaires sont à Marseille, pourquoi ne pas y installer le Pnaco ? Il serait ainsi plus simple d’amener les détenus devant le juge. En réalité, M. le garde des sceaux veut avoir un parquet sous la main en vue de faire de la communication politique. « Personne ne comprendrait que les affaires marseillaises ne soient pas traitées par le Pnaco », cela veut dire qu’il lui donnera clairement l’instruction de se saisir de ces affaires. Alors, puisque cela pose un problème du point de vue des extractions judiciaires, on propose le recours à la visioconférence.
M. Michaël Taverne (RN). Nous voterons pour l’amendement du rapporteur, les dispositions sur la visioconférence pour les délinquants du haut du spectre ayant plutôt leur place dans l’article 23.
En tout état de cause, nous nous opposerons aux autres amendements qui écartent la visioconférence d’un revers de la main. En effet, le Conseil constitutionnel n’a pas interdit de manière générale d’y recourir. Utiliser la visioconférence est une revendication de l’administration pénitentiaire, mais aussi de certains magistrats.
Je me souviens d’avoir participé à l’extraction judiciaire d’un détenu très craint. Il avait refusé de parler au juge et n’était resté dans son bureau que quinze secondes. Pourtant, l’opération avait mobilisé cinquante policiers pendant trois heures et demie. Nombre de services qui participent à ces extractions d’individus dangereux pourraient être mieux employés pour d’autres missions davantage prioritaires. Dans certains cas la visioconférence est une nécessité.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Je trouve gênante l’argumentation du rapporteur qui fait référence au profil des personnes concernées. Je rappelle qu’il s’agit en l’occurrence de recourir à la visioconférence pour décider du placement ou du maintien en détention provisoire. Les intéressés n’ont donc pas encore été jugés.
Le ministre a pour sa part évoqué un certain nombre de cas particuliers. Or si l’on vote la loi en se fondant sur des cas particuliers, on peut aussi aboutir à la suppression de l’ensemble des droits de la défense. Ce n’est donc pas la voie à suivre.
Je me félicite que le Conseil d’État ait été saisi. J’ignore quel sera son avis, mais je considère qu’il faut s’en tenir à un certain nombre de principes. Il est déjà possible de confier au JLD le soin de procéder à des auditions en prison. Restons-en là. La mesure proposée ne me semble pas justifiée – d’autant qu’il ne s’agit pas d’un acte anodin.
Mme Eléonore Caroit (EPR). Les droits de la défense sont essentiels et placer quelqu’un en détention ou le libérer n’est pas un acte anodin. J’ai déposé l’amendement CL133 car le texte ne fait pas de différence avec les actes purement administratifs. Pour ceux-ci, cela n’a en effet aucun sens d’organiser des extractions onéreuses qui, en outre, mettent en danger les agents de l’administration pénitentiaire. La loi doit être précise et garantir les droits de la défense.
Je salue la démarche du ministre consistant à saisir le Conseil d’État.
La visioconférence doit rester une exception et celui qui décide d’une mesure de privation de liberté doit le faire en ayant l’intéressé devant lui.
Les amendements CL133, CL191, CL271 et CL343 sont retirés.
La commission adopte les amendements CL543 et CL96.
En conséquence, l’amendement CL97 de M. Jérémie Iordanoff tombe.
Amendement CL544 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il s’agit de supprimer la remontée systématique d’informations des Jirs vers le Pnaco. Celle-ci serait contre-productive : elle noierait ce dernier alors qu’il a vocation à se concentrer sur les affaires du haut du spectre.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL545 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement propose d’harmoniser les dispositions relatives à la spécialisation des magistrats des Jirs et du Pnaco.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL401 de M. Emmanuel Duplessy
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’amendement propose de reprendre le mécanisme éprouvé de dessaisissement des juges d’instruction en faveur du parquet national antiterroriste.
Il est nécessaire d’assurer une meilleure coordination des procédures de saisine des juridictions d’instruction pour deux raisons.
D’une part, les juges d’instruction disposent d’une expertise de terrain sur les trafics dans le ressort de leur juridiction et sont capables de mener efficacement un certain nombre d’informations judiciaires.
D’autre part, les auditions ont montré que le Pnaco ne disposera pas des ressources humaines et matérielles suffisantes pour traiter l’ensemble des cas visés par le texte. Dans sa rédaction actuelle, ce dernier fait peser un risque de désorganisation en matière de répartition des dossiers et d’allongement des délais d’enquête – voire de diminution de leur qualité.
M. Vincent Caure, rapporteur. Demande de retrait au profit de mon amendement CL546, qui précise que le dessaisissement du juge d’instruction d’un tribunal se fait au bénéfice de la juridiction d’instruction de Paris, et non du procureur de la République national anti-criminalité organisée.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement CL546 de M. Vincent Caure.
Amendement CL547 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il s’agit de garantir la bonne articulation entre l’article 2 et l’article 13, qui prévoit des dispositions spécifiques sur la spécialisation des juges de l’application des peines.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL548 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. L’amendement prévoit que le procureur général près la cour d’appel anime et coordonne la conduite de la politique d’action publique, en concertation avec le procureur de la République national anti-criminalité – et non plus « en accord » avec ce dernier.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements CL272 de M. Paul Molac et CL466 de M. Sébastien Huyghe tombent.
Amendement CL549 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. L’amendement met en cohérence les obligations d’information du Pnaco s’agissant de l’utilisation des techniques spéciales d’enquête, notamment en faisant figurer au sein du même article son information sur la délivrance d’une autorisation en matière de livraison surveillée.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL550 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement permet au Pnaco de représenter l’accusation publique devant l’ensemble des juridictions du premier degré en matière de criminalité organisée.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Cette évolution remet-elle en cause la hiérarchie entre les procureurs ?
M. Vincent Caure, rapporteur. Non. Il s’agit d’une disposition équivalente à celle déjà prévue pour le Pnat.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL467 de M. Sébastien Huyghe
M. Sébastien Huyghe (EPR). Il s’agit de permettre la cosaisine entre plusieurs Jirs, ou entre une Jirs et le Pnaco, lorsque la complexité ou la gravité d’une affaire le justifie.
M. Vincent Caure, rapporteur. Demande de retrait. La rédaction mérite d’être retravaillée d’ici à la séance.
L’amendement est retiré.
Amendement CL551 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement vise à rétablir une disposition qui concerne les Jirs. Il permet qu’en cause d’appel une même cour d’assises, dont la compétence territoriale a été étendue au ressort d’une ou plusieurs cours d’appel pour le jugement d’infractions de criminalité organisée, soit à nouveau désignée autrement composée.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CL190 de Mme Estelle Mercier, CL474 de M. Sébastien Huyghe et CL552 de M. Vincent Caure (discussion commune)
Mme Estelle Mercier (SOC). La procédure de dessaisissement entre parquets prévue par cet article pose un certain nombre de difficultés en rendant notamment les choses plus complexes. Il reprend les dispositions qui concernent le PNAT, mais le nombre d’affaires concernées n’est absolument pas le même. Au lieu de fluidifier la procédure, on risque de l’emboliser.
Nous proposons donc de revenir aux procédures classiques, les parquets s’entendant de manière informelle sans qu’il soit besoin de faire intervenir la loi.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Afin de simplifier les procédures, mon amendement vise à supprimer les modalités alourdies de dessaisissement entre parquets.
M. Vincent Caure, rapporteur. Les auditions ont en effet montré que la procédure prévue par cet article serait inutilement lourde.
Demande de retrait au profit de mon amendement, dont la rédaction est plus précise.
Les amendements CL190 et CL474 sont retirés.
La commission adopte l’amendement CL552.
En conséquence, les amendements CL266 de Mme Estelle Mercier et CL98 et CL99 de M. Jérémie Iordanoff tombent.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL 553 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL554 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. L’amendement supprime la nécessité d’un avis préalable du Pnaco à toute décision d’un juge d’instruction autorisant un coup d’achat en matière d’armes, de munitions ou d’explosifs.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je ne comprends pas cet amendement. Si l’on crée le Pnaco, c’est bien pour qu’il joue un rôle de coordination et fasse avancer les enquêtes en centralisant un certain nombre de décisions.
Son avis sur les coups d’achat – auquel on a de plus en plus recours – peut être éclairant.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). En fait, le Pnaco n’a pas pour mission d’assurer une véritable coordination. Il est au service du gouvernement pour lui permettre de mener une communication politique à partir de certaines affaires et de montrer qu’il lutte contre le crime organisé de manière volontaire – même si ce volontarisme est seulement de façade.
Dans cette perspective, des dispositions sur la manière dont est menée l’action judiciaire sont considérées comme des lourdeurs. Voilà pourquoi le rapporteur propose de supprimer l’alinéa 72.
M. Vincent Caure, rapporteur. L’amendement propose de supprimer l’avis systématique du Pnaco sur les coups d’achat, car cela alourdit toutes les enquêtes. Mais il continuera à en donner dans le cadre des affaires dont il est saisi.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL555 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement prévoit que les dispositions relatives au Pnaco entreront en vigueur le 1er juillet 2026. Cela laissera à la Junalco le temps nécessaire pour se transformer en Pnaco dans les meilleures conditions.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’amendement de coordination CL556 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL101 de M. Jérémie Iordanoff
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Cet amendement vise à rappeler l’importance de la justice restaurative pour apaiser les personnes concernées par une infraction liée à la criminalité organisée.
Le taux de récidive est particulièrement élevé s’agissant de la criminalité dont traite ce texte. Si nous voulons que les personnes qui ont été poussées dans les réseaux de trafic de stupéfiants en sortent, il faut les accompagner. La logique punitive ne peut pas résoudre le problème à elle seule.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable.
Nous sommes tous attachés à la justice restaurative, mais j’ai du mal à comprendre comment elle s’intègrerait dans un texte qui concerne la criminalité organisée et le Pnaco.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). C’est précisément dans ces cas que la justice restaurative est la plus intéressante.
Nous allons bientôt examiner l’amendement du gouvernement sur les quartiers de lutte contre la criminalité organisée. Il contribue à instiller l’idée selon laquelle la justice et la détention ont pour seul objet de punir. On ne réfléchit plus à la manière de faire sortir les gens de la criminalité, alors que le code pénal prévoit aussi des mesures destinées à assurer leur réinsertion dans la société.
La justice restaurative permet précisément de réaliser un travail en profondeur destiné à faire comprendre aux criminels quelles ont été les conséquences dramatiques de leurs actes sur la vie des autres. Il est utile d’y recourir autant que possible.
Pour notre part, nous suivons une double logique : prévenir les infractions, d’une part, et punir tout en réinsérant, d’autre part. On ne règle pas les problèmes si on n’aide pas les gens à sortir de leur logique criminelle, ce qui est notamment possible grâce à la justice restaurative.
Mme Eléonore Caroit (EPR). La justice restaurative est adaptée à la criminalité dont nous discutons. En Colombie, c’est d’ailleurs dans le cadre de la lutte contre le narcotrafic et les FARC, les forces armées révolutionnaires de Colombie, que la Commission de la vérité a mis en place la justice restaurative – avec un succès relatif.
Cela étant, mentionner la justice restaurative dans un texte ne sera qu’un signe de bonne volonté. Si l’on n’en précise pas les contours si on n’y affecte pas les moyens indispensables, on n’obtiendra malheureusement pas de résultats. Un tel processus nécessite l’implication des avocats, des magistrats, des victimes et des auteurs des crimes et délits.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je soutiens cet amendement.
Nous avons tous conscience que la discussion de ce texte doit être l’occasion d’envoyer un signal de fermeté aux trafiquants. Tel est le but d’une série de dispositions pénales et de l’organisation particulière des services.
Mais souffrez à tout le moins que l’on cherche à ce que les gens s’améliorent. On ne peut pas se contenter d’une vision de la justice limitée à une punition éternelle. Or les méthodes de la justice restaurative permettent aux personnes de réfléchir à leur responsabilité et de changer, éventuellement en faisant face à leurs victimes – et ce y compris lorsqu’il s’agit d’affaires de trafic de drogue. Le nier reviendrait à croire que l’on reste toujours criminel si on l’a été une fois.
La justice des mineurs est d’ailleurs souvent une justice restaurative qui ne dit pas son nom. On demande à des jeunes de prendre conscience de la gravité de leurs actes. Il serait bon d’y confronter également les adultes. La peine qui leur a été infligée est sans doute justifiée, mais elle doit être complétée.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Ce n’est pas un problème de volonté, monsieur Amirshahi.
Lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, Cécile Untermaier et moi-même avions été les premières à déposer un amendement sur la justice restaurative. Nous avons posé les premières briques de cette justice et sa mise en place se poursuit – il est vrai assez lentement car elle reste très peu développée.
Mais dans le domaine dont nous discutons – très complexe, avec des réseaux et des auteurs multiples, lesquels refusent en général de parler ou d’avouer – il est éminemment difficile d’arriver à tisser un lien entre les criminels et leurs victimes. Il faut y aller par étapes. Même si nous sommes tous favorables au développement de la justice restaurative, je ne suis pas sûre que ses procédures soient adaptées à ce type d’infractions. On risque de seulement se faire plaisir en mentionnant la justice restaurative dans ce texte.
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous sommes tous partisans de la justice restaurative, déjà prévue par les textes, et convaincus de son utilité. Je donne désormais un avis favorable à l’amendement.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 23 quater (examen prioritaire de l’amendement CL 471)
Amendement CL471 du gouvernement et sous-amendements CL659 de M. Ugo Bernalicis, CL658 de M. Antoine Léaument, CL655 de M. Ugo Bernalicis, CL651 de M. Pouria Amirshahi, CL660 de M. Ugo Bernalicis, CL652 de Mme Sandra Regol, CL656 de M. Antoine Léaument, CL653 de Mme Sandra Regol, CL654 de M. Pouria Amirshahi, CL657 de M. Ugo Bernalicis et CL662 de M. Paul-André Colombani.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Il s’agit de créer un régime de détention spécial pour les personnes particulièrement dangereuses, qui présentent un risque d’atteinte très grave au bon ordre de l’établissement ou à la sécurité publique.
Ce nouveau régime de détention, directement inspiré par le régime italien antimafia dit de l’article 41 bis, représente une révolution puisque l’on se préoccupera désormais de la dangerosité des individus, sans distinguer s’ils sont en détention provisoire ou en train de purger leur peine. Les premiers sont, à de très rares exceptions près, détenus dans des maisons d’arrêt – au sein desquelles il est possible de prévoir des régimes d’isolement ou des quartiers disciplinaires.
Les personnes soumises à ce nouveau régime appartiennent à des organisations criminelles qui peuvent aussi vouloir mettre un terme à leur collaboration avec la justice – le rapporteur Éric Pauget présentera un amendement sur le statut du repenti. Les services de renseignement pénitentiaire estiment que 600 à 800 personnes sont considérées comme dangereuses. Leur nombre n’est pas très élevé, mais il est tout de même important et il faut pouvoir les surveiller étroitement car elles menacent des agents pénitentiaires, des magistrats, des enquêteurs, des journalistes, des avocats et, parfois, des responsables politiques. Ces détenus continuent à commander leur organisation criminelle, préparent des évasions et placent des contrats sur la tête des uns ou des autres. Tout cela fait écho à ce qui s’est passé le 14 mai dernier.
Le nouveau régime de détention, extrêmement spécifique, est donc inspiré par le dispositif italien qui a été validé par les cours européennes. Il prévoit que les communications téléphoniques à partir d’un poste fixe seront très encadrées.
Par ailleurs, les visites se dérouleront systématiquement dans un parloir avec dispositif de séparation. Les dispositions relatives aux unités de vie familiale et aux parloirs familiaux ne s’appliqueront pas au sein des quartiers de lutte contre la criminalité organisée. L’accès à un certain nombre d’activités proposées aux autres détenus sera limité.
Enfin, le recours à la visioconférence sera privilégié – mais nous reviendrons sur ce point.
La décision de placer une personne dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée sera prise par le garde des sceaux, sur proposition de ses services, des magistrats instructeurs, de l’administration pénitentiaire ou de services enquêteurs.
Le texte ne mentionne pas des prisons de haute sécurité. Il fait référence à des quartiers de lutte contre la criminalité organisée, lesquels pourront être mis en place dans différents établissements pénitentiaires sur décision du ministre de la justice.
La décision de placement dans un tel quartier sera un acte administratif motivé, susceptible d’un recours devant le juge administratif. La mesure sera prise pour une durée de quatre ans et sera renouvelable, comme c’est le cas en Italie.
Face aux questions soulevées par ce régime de détention, j’ai décidé de saisir le Conseil d’État. Je publierai son avis et, s’il proposait de modifier le dispositif, nous le ferions en séance publique.
Le Conseil constitutionnel ne s’est jamais prononcé sur un tel régime. Je souligne encore une fois que le dispositif italien a été validé par les juridictions européennes.
Il est très important de s’assurer de la sécurité juridique de ce régime de détention, sans avoir à en passer par une modification de la Constitution. J’ai souhaité le présenter dès l’examen en commission – quitte à le modifier en séance publique pour s’assurer de sa conformité à la Constitution.
Enfin, je souligne que cet amendement a un lien direct avec plusieurs articles de la proposition de loi qui portent sur des questions pénitentiaires. Il ne s’agit donc en aucun cas d’un cavalier.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’amendement du gouvernement participe d’un beau plan de communication. Mais l’essentiel des mesures dont feront l’objet les personnes concernées dans des maisons centrales ne figure pas dans cet amendement. J’en veux pour preuve que le statut de détenu particulièrement surveillé permet de prendre des mesures encore plus restrictives. Il s’agit donc seulement d’une volonté d’affichage.
Pourquoi le JLD ou le JAP (juge d’application des peines) ne sont-ils pas compétents pour décider du placement dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée ? Au nom de quoi une telle décision devrait-elle être confiée au ministre ? Avez-vous la science infuse ? Imaginez que vous commettiez une erreur en ne plaçant pas une personne dans un tel quartier et qu’elle commette ensuite l’irréparable. Vous en seriez directement responsable.
Une telle décision ne doit pas relever du ministre. C’est la raison pour laquelle le sous-amendement CL659 propose de la confier au JLD pour les prévenus ou au JAP pour les personnes condamnées.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Le sous-amendement CL658 prévoit que la présence de l’avocat soit obligatoire lors de la procédure contradictoire d’affectation.
Lorsque vous avez annoncé vouloir prendre des mesures contre le narcotrafic, vous avez dit que vous souhaitiez créer des prisons ultrasécurisées. J’étais assez critique car il me semblait que réunir les grands trafiquants au même endroit aboutirait à créer des cartels de la drogue. Je me réjouis que vous ayez abandonné cette mauvaise idée.
Le nouveau régime de détention que vous proposez n’est cependant pas meilleur. Vous concevez l’incarcération de trafiquants comme un isolement du reste de la société. Mais, sauf à rétablir la peine capitale, une telle mesure ne peut être que temporaire. Vous finirez par devoir faire sortir les gens de ces quartiers, mais sans avoir jamais procédé au travail permettant de prévenir la récidive. Cela signifie que vous estimez qu’ils resteront des trafiquants qui commanditent des assassinats et que, d’une certaine manière, on ne peut rien y faire.
Nous considérons, pour notre part, qu’il faut renforcer les moyens permettant de sortir les gens de la criminalité une fois qu’ils sont en prison.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le sous-amendement CL655 concerne la durée de la mesure de placement dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée.
Vous avez prévu une durée de quatre ans en vous inspirant de ce que font les Italiens. Vous auriez pu trouver un pays où cette durée est de dix ans. Ça aurait été encore plus simple… Ce sous-amendement de repli propose de fixer à un an la durée maximum de cette mesure de placement – sachant que nous voterons de toute manière contre votre amendement.
La durée de quatre ans que vous proposez pose clairement un problème. L’Observatoire international des prisons (OIP) nous alerte en effet sur les durées de placement à l’isolement et sur le fait que cette mesure doit faire l’objet d’un réexamen régulier.
Le comité européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe recommande, quant à lui, un réexamen complet de la mesure d’isolement en vue d’y mettre fin le plus rapidement possible dès lors qu’elle dépasse vingt-quatre heures, notamment au vu des effets extrêmement dommageables sur la santé mentale, somatique et sur le bien-être des personnes détenues qui y sont soumises.
Vous semblez penser – et j’imagine que c’est sincère – que la dureté du régime carcéral empêchera les gens de récidiver. Mais c’est méconnaître le fait que le taux de récidive de ceux qui sortent de prison est très élevé, y compris pour ceux qui ont participé à des activités criminelles organisées.
En revanche, on sait qu’un certain nombre d’actions, dont des activités ludiques, concourent à la prévention de la récidive car elles permettent aux personnes de considérer qu’elles font partie de la société et de sortir de la criminalité. Or, tout ce que vous faites va aggraver la situation.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je vais m’exprimer essentiellement sur la création des quartiers de lutte contre la criminalité organisée. J’y suis contraint par la procédure, qui permet au gouvernement de déposer un amendement très tardivement, de telle sorte que nous ne pouvons pas proposer la suppression de la disposition qu’il introduit. Cela nous amène à déposer des sous-amendements, lesquels sont par nature moins critiques.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué plusieurs arguments en faveur de la création de ces quartiers ou de prisons spéciales pour les narcotrafiquants.
Le premier est que les prisons ordinaires ne sont pas en mesure de faire face aux difficultés que ces personnes détenues représentent. Certes. Mais les établissements pénitentiaires sont surpeuplés. Il faudrait donc plutôt rompre avec une politique pénale qui distribue les peines de manière industrielle – a fortiori lorsque l’on compte 20 000 personnes en détention préventive sur 80 000 prisonniers. Ce n’est pas rien, d’autant que la détention préventive, qui concerne des gens qui n’ont pas encore été jugés, est censée être une exception. Nous sommes dans une situation exorbitante du droit commun et qui ne permet pas de s’attaquer aux problèmes fondamentaux.
Votre amendement indique que la décision d’affectation au sein d’un tel quartier ne porte pas atteinte à l’exercice des droits de toute personne détenue – y compris donc à leur dignité. C’est pourtant le cas en raison de l’isolement, du recours à la visioconférence qui conduit à une déshumanisation totale des procédures et de l’interdiction d’avoir des liens avec la famille. Tout cela pose de graves problèmes.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le sous-amendement CL660 propose que le recours juridictionnel contre la décision d’affectation dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée soit suspensif. Comme dans d’autres domaines, les gens doivent pouvoir faire valoir leurs droits. Et il est sans doute plus compliqué de se défendre lorsque l’on est placé à l’isolement. En outre, comme ce dernier a des effets très lourds sur la santé mentale, vous allez faire sortir des gens de prison encore pires ou plus abîmés que lorsqu’ils y sont entrés.
Vous dites que ces quartiers permettront de lutter contre la criminalité organisée et de prévenir la commission ou la répétition d’une infraction. Mais cela aura seulement pour effet d’isoler des détenus et d’augmenter le taux de récidive.
Si vous nous dites qu’actuellement les personnes concernées continuent de trafiquer depuis leur cellule, il faut alors s’interroger sur le fonctionnement interne des prisons. Comment arrivent-ils à le faire, alors qu’un certain nombre d’entre eux sont déjà à l’isolement ?
Peut-être pensez-vous que les magistrats ne sont pas compétents, et que vous seul disposez de la liste des cent personnes qu’il faudrait mettre ensemble à l’isolement – ce qui est un peu contradictoire, car comment peut-on croire que le régime de détention sera complètement hermétique ? J’espère en tout cas que des conditions particulièrement favorables seront prévues pour les surveillants qui seront affectés dans les prisons concernées, afin d’éviter qu’ils ne soient vulnérables à la corruption. En effet, il n’y a pas de trafic en prison sans qu’au moins des gens ferment les yeux. Telle est bien la cruelle réalité du fonctionnement actuel de l’administration pénitentiaire.
Mme Sandra Regol (EcoS). Le sous-amendement CL652 vise à supprimer une mention superflue. En effet, la jurisprudence reconnaît déjà que des impératifs de sécurité peuvent être invoqués pour limiter les droits de personnes détenues, ce que l’article L. 6 du code pénitentiaire prévoit d’ailleurs explicitement. Il n’est donc pas nécessaire d’en rajouter une couche, d’autant que l’amendement du gouvernement vise à rendre ces limitations de droits automatiques, alors que l’administration pénitentiaire n’y recourt actuellement que dans certaines situations spécifiques. Cette automaticité est contraire aux droits humains, comme l’atteste une jurisprudence fournie. Je ne dis pas que les personnes détenues méritent de se voir appliquer un régime favorable, mais que les droits humains doivent être un tant soit peu respectés. Alors que nous avons de nombreux outils à notre disposition, vos choix nous éloignent des valeurs du pays des droits humains et des principes que la Cour européenne des droits de l’homme nous rappelle incessamment.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Le sous-amendement CL656 vise à remettre en cause le caractère systématique du recours aux fouilles intégrales. Ces dernières peuvent déjà être décidées, au cas par cas et à tout moment, par le directeur de la prison.
Les quartiers de haute sécurité ont été supprimés, à la suite d’une mobilisation des détenus et parce que la République a eu la lucidité de considérer que ces conditions très particulières de détention créaient davantage de troubles qu’elles ne présentaient d’intérêts. La peine de prison n’obéissait pas à une logique de réparation, bien au contraire ! Du reste, ce régime d’incarcération n’était pas compatible avec les droits basiques dont doit jouir tout être humain.
Si un détenu est placé à l’isolement de manière permanente, cela signifie qu’il n’a pas accès au travail, à l’éducation ni à la culture – certains établissements disposent de bibliothèques. Ainsi, sous prétexte de protéger la société, on détient des personnes dans des conditions qui ne pourront que renforcer leur violence, et qui ne sont de toute façon pas acceptables dans un pays comme le nôtre.
Mme Sandra Regol (EcoS). Le sous-amendement CL653 porte également sur le recours aux fouilles systématiques.
L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme protège le droit au respect de la vie privée et de la dignité humaine, y compris en détention.
Il y a quelques mois à peine, notre assemblée, le gouvernement et l’État tout entier rendaient hommage à Robert Badinter, l’un des plus vibrants défenseurs des droits humains, y compris en détention, et y compris pour les personnes les plus mauvaises. Pour lui, ce combat reflétait la grandeur d’une nation et l’humanité des principes qui guident son action. Aujourd’hui, vous voulez mettre à terre tout cet héritage, que vous nous appeliez pourtant à respecter il y a encore quelques mois.
Il existe d’autres moyens de détection que la fouille au corps – interne, externe, à nu –, extrêmement humiliante. Je pense aux portiques détecteurs de métaux, aux scanners, aux fouilles de cellule et à de nombreux autres outils dont l’utilisation est encadrée par la loi.
Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme a statué plusieurs fois sur cette pratique. Dans des décisions de 2007, 2009 et 2011, pour ne citer que les trois plus importantes, elle a rappelé que ces fouilles devaient être proportionnées, qu’elles ne devaient pas engendrer un degré de souffrance ou d’humiliation excessif, et surtout qu’elles ne pouvaient en aucun cas être automatiques.
En somme, cet article additionnel, rédigé dans la précipitation, comporte beaucoup trop d’imprécisions et de dispositions susceptibles d’entraîner des condamnations répétées de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je vous invite à réfléchir à ce que je considère – pardon si l’expression vous heurte – comme une vision un peu sadique de la peine.
Vous avez déjà dit, monsieur le ministre d’État, qu’il fallait interdire tous les moments de loisir en prison, comme si c’était une partie de plaisir que d’être incarcéré. Vous alignez désormais toute une série de mesures qui ne sont pas du tout en phase avec notre préoccupation première, à savoir la définition d’une politique pénale ferme à l’encontre des narcotrafiquants, comme nous en avons discuté hier lors de la discussion générale et ce matin à l’occasion de l’examen des articles 1er et 2. Nous pourrions travailler ensemble en vue d’atteindre cet objectif, mais vous nous proposez ici tout autre chose : vous considérez que plus on porte atteinte à la dignité de la personne détenue, mieux on règle le problème.
Or, Mme Regol et M. Bernalicis l’ont expliqué, la prison est l’école de la récidive, notamment parce que les conditions d’exécution de la peine sont humiliantes. En empêchant de façon répétée et durable un détenu de voir sa famille, quel que soit le crime qu’il ait commis, vous en faites une « bête humaine », pour reprendre une expression littéraire. Vous considérez notamment qu’il faut, à un moment donné, interdire les rencontres familiales sans dispositif de séparation, de peur, sans doute, que circulent un certain nombre d’objets – sauf à considérer que c’est vraiment par sadisme que l’on veut absolument empêcher tout contact physique. D’autres solutions sont possibles, tels que les scanners, même si je ne suis pas forcément favorable à leur systématisation. Il faut éviter tout dispositif humiliant, qui commence par l’interdiction de rencontrer sa famille et qui finit par des fouilles dans des parties intimes.
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Nous souhaitons supprimer la troisième phrase de l’alinéa 18, et non la deuxième comme l’indique par erreur notre sous-amendement CL657 – la précipitation dans laquelle le gouvernement a déposé son amendement nous a fait faire une coquille. Il convient de garantir le respect du droit des personnes détenues à une vie familiale normale.
La détention ou la culpabilité d’une personne ne la prive pas de l’intégralité de ses droits fondamentaux, quel que soit le crime qu’elle ait commis, et sauf décision contraire du juge. Le droit à une vie familiale normale en fait partie. Nous nous interrogeons sur cette volonté de faire absolument souffrir ou de violenter des personnes qui sont déjà en train de purger une peine. Quel objectif visez-vous, alors même que vous prétendez vouloir prévenir la récidive ? En quoi le fait d’empêcher des détenus d’avoir un contact avec leur famille ou leurs proches, qui constituent leur premier cercle de sociabilité, va-t-il les aider à se réinsérer une fois sortis de prison ?
Ainsi, monsieur le ministre d’État, vous faites votre communication sur le dos des droits fondamentaux des personnes. C’est particulièrement lamentable.
M. Paul-André Colombani (LIOT). Le sous-amendement CL662 vise à exclure des quartiers de lutte contre la criminalité organisée les repentis ou « collaborateurs de justice », afin de garantir leur sécurité et l’attractivité de leur statut, à l’instar de ce qui se fait en Italie.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je donne un avis favorable à l’amendement du gouvernement. En permettant la création d’un régime carcéral qui empêche les détenus les plus dangereux de poursuivre depuis leur prison l’animation de leur réseau, ce dispositif répond à un problème réel et offre à l’État une arme supplémentaire dans la lutte contre le narcotrafic. Il est adapté à la dangerosité des personnes détenues concernées, au regard des infractions, délits ou crimes pour lesquels elles ont été condamnées.
Aux termes de l’amendement du gouvernement, l’affectation d’un détenu à un quartier spécialisé relève d’une décision du garde des sceaux. En effet, le placement dans un régime particulier de détention relève d’une décision de l’autorité administrative, ce qui n’enlève rien au caractère contradictoire de la procédure. Je donne donc au sous‑amendement CL659 un avis défavorable.
Alors que le sous-amendement CL658 vise à rendre obligatoire la présence d’un avocat lors de la procédure d’affectation, je propose, pour ma part, de nous en tenir aux dispositions actuelles du code pénitentiaire, qui évoque le fait d’être assisté par un avocat comme une possibilité. De toute manière, les détenus concernés y ont recours.
Je suis tout aussi défavorable aux sous-amendements CL655 et CL651, assez similaires, qui ramènent de quatre ans à trois ou quatre mois la durée de l’affectation dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée. Cela reviendrait à vider l’article additionnel de sa substance, car une durée aussi réduite ne permettrait pas d’atteindre les objectifs fixés.
Je donne également un avis défavorable au sous-amendement CL660, qui vise à conférer à tout recours juridictionnel contre la décision de placement un effet suspensif. Cette décision du garde des sceaux est en effet motivée, au regard d’éléments objectifs, tels que le quantum de peine, et subjectifs, tels que des informations transmises par le renseignement pénitentiaire. Elle fait également l’objet d’une procédure contradictoire.
Le sous-amendement CL652 consiste quasiment à supprimer l’article additionnel ; en tout cas, il le viderait de son sens. Le but de ces nouveaux quartiers sécurisés est justement de prévoir des conditions de détention dérogatoires qui garantissent une prise en charge plus adaptée de ces profils spécifiques.
Il convient d’empêcher les détenus liés à la très grande criminalité organisée de poursuivre, grâce à des objets introduits en prison, l’animation de leurs réseaux. On ne peut donc pas faire l’économie de dispositions spécifiques relatives aux fouilles, allant dans le sens d’un renforcement des mesures existantes. Vous avez cependant mis en avant des questions qui demeurent. Peut-être faut-il avancer sur ce sujet avec prudence. Tout en étant défavorable aux sous-amendements CL656 et CL653, je m’en remets donc à l’avis de M. le ministre d’État, qui précisera comment nous pourrons trouver le meilleur équilibre.
J’en viens au sous-amendement CL654, qui refuse l’utilisation d’hygiaphones et appelle au maintien des parloirs classiques. Là encore, si nous n’avons pas le même avis sur la philosophie générale de l’amendement du gouvernement, nous aurons du mal à nous retrouver sur ses déclinaisons opérationnelles. À mon sens, vous continuez à refuser de tenir compte de la dangerosité des profils évoqués ; or, il s’agit d’un élément spécifique qui permet d’appliquer à ces détenus un régime de détention particulier et de les affecter dans les quartiers de lutte contre la criminalité organisée. Encore une fois, mon avis est donc défavorable.
S’agissant du sous-amendement CL657, là encore, le fait pour un détenu de passer plusieurs heures sans surveillance avec des proches ou des membres de sa famille dans une unité de vie familiale (UVF) est incompatible avec l’objectif que nous visons. Avis défavorable, donc.
Enfin, je comprends l’intention des auteurs du sous-amendement CL662 relatif aux collaborateurs de justice, statut dont nous débattrons lors de l’examen de l’article 14. Il ne me semble pas de bon aloi d’intégrer une telle dérogation générale dans la loi, car les situations de ce genre ont vocation à être réglées au cas par cas. Mais M. le ministre d’État aura l’occasion de préciser cela.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Monsieur Amirshahi, je comprends très bien que vous évoquiez notre opposition politique, mais que vous fassiez croire que l’action d’un ministre serait mue par des sentiments sadiques est une autre chose… Pour ma part, je ne dis pas que, parce que vous refusez d’adopter ces dispositions, vous adorez que des criminels comme M. Amra passent à l’acte ! Je ne pense pas que vous souhaitez que les agents pénitentiaires continuent de se faire tirer dessus à la kalachnikov et que nous allions voir ensemble des veuves et des orphelins. Faites donc preuve d’un peu de retenue dans vos propos !
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Et sur les plateaux télé !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Ce n’est pas très drôle, monsieur Bernalicis. Vous n’êtes pas allé voir les veuves et les veufs d’Incarville.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je parlais de votre comportement, monsieur le ministre d’État ! Sur les plateaux télé, vous nous accusez des pires maux !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Oui, pour ce qui vous concerne, monsieur Bernalicis. Mais je parlais à un autre député, dont je respecte jusqu’à présent le discours et la pensée.
Je pense, monsieur Amirshahi, que vous devriez retirer vos propos. Il n’y a pas de sentiment sadique dans l’action que mène un homme ou une femme politique qui se respecte, qui aime son pays et la démocratie. Vous me connaissez depuis un certain temps : nous pouvons nous opposer politiquement sans nous jeter des anathèmes à la figure, faute de quoi la discussion d’un texte aussi difficile risque de nous amener assez loin en séance publique… Je ne pense pas que vous le souhaitiez, car d’autres formations politiques tireraient profit d’un tel débat. Retirez-vous donc vos propos ?
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Très franchement, mon objectif n’était pas de vous blesser, ni dans votre fonction, ni dans votre personne. Je relirai mes propos et j’y apporterai, le cas échéant, les corrections nécessaires, mais je ne crois pas avoir dit que vous étiez un sadique. Je ne le pense pas une seule seconde. C’est votre conception de la peine que j’ai qualifiée de sadique, ce qui n’est pas la même chose. Ce mot n’est pas une insulte. Du reste, je ne m’autoriserais pas à vous décrire comme un sadique, parce que nous nous connaissons et que je sais que cela ne correspond pas à votre intention. Vous avez une vision très répressive de la peine – c’est votre droit –, que je ne partage pas. C’est là que se situe notre désaccord.
Si d’aventure, en relisant mon intervention, j’y trouve une attaque ad hominem, je la retirerai, parce que ce genre de propos est toujours inadmissible. Cela étant, je le répète, ce n’est pas vous que je visais, mais seulement votre conception de la peine.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Je vous remercie pour ces précisions, monsieur Amirshahi. J’en viens maintenant aux sous-amendements.
Monsieur Léaument, vous n’avez pas dû suivre totalement les discussions que nous avons eues hier et ce matin. Vous avez dit que j’avais abandonné les prisons de haute sécurité. Je vous rassure : ce n’est pas le cas. Nous n’avons pas besoin d’une loi pour créer de tels établissements ; nous en avons besoin, en revanche, pour instaurer le régime de détention spécifique que nous souhaitons voir appliquer dans certains quartiers. Ce régime pourrait concerner tous les quartiers des prisons de haute sécurité, mais également des quartiers d’autres établissements pénitentiaires.
Imaginons que nous créions une, deux ou trois prisons de haute sécurité mais que, confronté à un événement exceptionnel, de très grande ampleur – cinq fois l’affaire Amra, par exemple –, le garde des sceaux n’ait plus assez de places dans ces établissements et doive créer, dans d’autres prisons, des quartiers où s’appliquerait un régime de détention spécifique. Déjà aujourd’hui, d’ailleurs, plusieurs régimes de détention différents – classique, disciplinaire, d’isolement – peuvent coexister au sein d’une même prison. Certains établissements accueillent à la fois des détenus condamnés pour terrorisme et d’autres pour narcotrafic : à Vendin-le-Vieil se trouvent M. Abdeslam et M. Faïd, qui n’ont pas été emprisonnés pour les mêmes raisons. Il convient donc de bien distinguer le régime et le lieu de détention.
Vous prétendez, monsieur Bernalicis, que ce nouveau régime de détention encouragerait la récidive. Cette accusation, qui concerne les détenus les plus dangereux, me laisse pantois. Il y a des gens qui ne peuvent pas être réinsérés, parce qu’ils ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité et ne sortiront sans doute jamais de prison.
L’administration pénitentiaire doit faire des distinctions entre les personnes incarcérées en fonction non seulement du risque de récidive – il s’agit d’un travail essentiel, qui concerne la quasi-totalité des détenus –, mais aussi de leur dangerosité, pour en empêcher certaines de sévir à l’extérieur. Du reste, le gouvernement ne propose pas d’appliquer le nouveau régime de détention à vie, mais seulement pendant les périodes où le détenu concerné est jugé particulièrement dangereux. Pour ce faire, nous devons faire confiance aux services spécialisés que sont le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) et les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), de même qu’aux agents pénitentiaires, aux magistrats instructeurs et, plus généralement, aux juges, qui sont indépendants et dont c’est le métier.
Au moment où je vous parle, il n’est pas évident que certains grands assassins, condamnés comme tels mais ayant désormais atteint un âge très avancé, soient encore dangereux : il n’y a donc aucune raison de leur appliquer ce régime de détention. En revanche, certains individus non condamnés, placés en détention provisoire, s’avèrent très dangereux. Or, puisqu’il a été question de sadisme – c’est peut-être ainsi que vous concevez le monde carcéral –, il n’est pas normal que les premiers soient encore soumis à des régimes d’isolement ou à des régimes très durs, alors que les seconds, placés en détention provisoire pour des faits supposés beaucoup moins graves mais capables de commanditer un assassinat ou une évasion – je pense à celle qu’aurait commanditée M. Amra à Incarville –, se voient appliquer le régime classique. Pour prendre d’autres exemples, je ne suis pas sûr que M. Carlos soit encore dangereux pour la société – ce qui n’atténue en rien la gravité des crimes qu’il a commis –, au contraire d’un individu incarcéré hier ou avant-hier dans une maison d’arrêt et soumis à un régime beaucoup moins strict.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). C’est un sophisme.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Non, c’est la réalité. Certains détenus sont à l’isolement, du fait de leur statut, alors qu’ils ne le méritent sans doute pas ; d’autres individus, en détention provisoire, échappent à ce régime, en dépit de leur grande dangerosité, parce que nous ne connaissons pas totalement leur profil et manquons de renseignements criminels – d’où l’utilité du Pnaco. Ce n’est pas toujours une question de mauvaise organisation de l’administration pénitentiaire ou d’insuffisance de la loi !
Je souhaite affecter les détenus dans tel ou tel régime non pas en fonction de ce qu’ils ont fait, ou de leur statut – condamnés ou placés en détention provisoire –, mais en fonction de leur dangerosité, c’est-à-dire de ce qu’ils pourraient encore faire à l’extérieur. Commandent-ils toujours des points de deal ? Commanditent-ils des assassinats ou des évasions ? Menacent-ils les agents pénitentiaires ? Je pense notamment à un individu placé en détention provisoire, que nous devons gérer quasiment tous les jours car il menace expressément une magistrate et un directeur de prison en précisant les horaires de sortie d’école ou de crèche de leurs enfants. Malgré son régime d’isolement, il obtient des renseignements qui lui permettent d’empêcher des magistrats indépendants ou des directeurs de prison d’accomplir correctement leur travail. M. Bernalicis a raison de dire qu’il peut y avoir, derrière tout cela, des menaces ou de la corruption d’agents pénitentiaires ; c’est une éventualité que je n’ai jamais négligée.
Mme Martin et Mme Obono ont prétendu que ce nouveau régime d’isolement priverait les détenus de tous leurs droits, qu’ils ne pourraient pas aller à la bibliothèque ni prendre des cours… C’est totalement faux ! Où avez-vous trouvé cela ?
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Je ne sais pas, cela n’est pas écrit.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Mais vous l’avez dit de façon affirmative. Ces détenus pourront évidemment accéder, comme ceux qui sont aujourd’hui placés à l’isolement, à une bibliothèque, à des cours et à un certain nombre d’activités éducatives et sportives.
Vous avez parlé d’activités ludiques, monsieur Bernalicis. Voulez-vous me faire dire que, dans une maison d’arrêt française, des détenus radicalisés n’ont pas à bénéficier de séances de massages ou de maquillage ? Je l’assume. En revanche, des femmes à quelques mois de la réinsertion doivent-elles réapprendre à se maquiller ? La réponse est oui. Ne caricaturez pas mes propos : ce ne sont pas des cours de français, des activités sportives ou des promenades que j’ai interdits, mais l’organisation, dans une maison d’arrêt, d’ateliers de massage – pour des hommes – et de maquillage destinés à des détenus radicalisés. Une grande partie de nos concitoyens, y compris des électeurs de La France insoumise, sont plutôt d’accord avec ce que je viens de dire.
S’agissant de la durée du nouveau régime de détention, j’aimerais savoir si le sous‑amendement défendu par le groupe Écologiste et social est un sous-amendement d’appel. Vous me dites que quatre ans, c’est trop ; je le comprends bien, d’autant qu’une partie des personnes concernées seraient en détention provisoire et non condamnées pour peine. Je pense cependant que quatre mois, ce n’est pas assez. Peut-être pourrions-nous travailler ensemble pour trouver une solution de compromis, une durée qui respecte les droits de la défense et corresponde à la dangerosité des détenus, car le narcobanditisme français n’est pas la mafia italienne. Peut-être pourrions-nous aussi distinguer le régime applicable à la détention provisoire de celui applicable aux condamnés pour peine. Attendons l’avis du Conseil d’État pour y réfléchir. Sur ces deux questions, je suis ouvert à un compromis. J’essaie de trouver un chemin qui nous permettrait de recueillir le plus grand nombre de voix sur un sujet aussi important. Quant à vous, vous ne pouvez pas méconnaître que seul un isolement strict permettra de couper les liens d’un certain nombre de personnes extrêmement dangereuses avec le narcobanditisme.
M. Léaument et M. Bernalicis ont caricaturé l’amendement du gouvernement en expliquant qu’il permettrait de mettre 100 personnes à l’isolement ensemble. C’est tout le contraire ! Allez visiter les prisons de Vendin-le-Vieil et de Condé-sur-Sarthe : sur le modèle des prisons italiennes, elles comportent huit à dix ailes de dix à douze détenus disposant chacune d’une cour de promenade spécifique, où peuvent sortir trois à quatre individus n’ayant évidemment aucun lien entre eux, ou, pendant une heure, une seule personne placée à l’isolement. On peut donc être dans la même prison sans jamais se croiser. L’idée selon laquelle l’isolement serait cassé par le regroupement de 100 personnes est donc un peu saugrenue. C’est mal connaître nos établissements pour peine !
Mme Elsa Faucillon (GDR). Mais il va falloir 200 agents pénitentiaires !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Oui, il faudra prévoir deux à trois agents pour chaque mouvement, et anonymiser leur travail – en Italie, ils changent de prison tous les six mois. Ce sujet n’est pas drôle, mais au contraire très important : certains agents sont tués, d’autres menacés…
Plus généralement, ce nouveau régime de détention nécessitera une réforme du fonctionnement de l’administration pénitentiaire. Ainsi, les maisons d’arrêt se caractérisent aujourd’hui par une mixité des détenus qui est effectivement indigne : des individus radicalisés, des condamnés pour narcobanditisme, des délinquants routiers, des auteurs de violences conjugales et des personnes coupables de délits financiers ne devraient pas se trouver dans la même cellule. Cette promiscuité favorise les mauvaises fréquentations et présente des risques de contamination pour les uns et les autres. La concentration des moyens sur les prisons de haute sécurité et les régimes de détention spécifiques permettra par ailleurs d’alléger les contraintes pesant sur les maisons d’arrêt classiques, la détention à domicile et le placement à l’extérieur, ainsi que d’envisager l’affectation d’individus condamnés à de courtes peines dans des petites maisons d’arrêt, par exemple.
Je donne donc un avis défavorable à tous les sous-amendements, sauf peut-être au sous-amendement CL662, car M. Colombani a raison de s’interroger sur l’opportunité d’appliquer aux repentis ce régime de détention spécifique : les personnes qui parlent et coopèrent avec la justice ne doivent pas être soumises au même régime que celles qui ne parlent pas. C’est, me semble-t-il, ce qui se fait en Italie. Je propose donc à M. Colombani de retravailler son sous-amendement, en lien avec le rapporteur, pour que nous puissions l’adopter en séance.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Le respect de la dignité humaine est une exigence cardinale pour le groupe GDR – pour les autres aussi, je l’espère. Ce principe à valeur constitutionnelle s’applique aussi à ceux qui ont bafoué la dignité des autres, et c’est ce qui fait l’honneur de notre société.
Pour que les personnes aujourd’hui incarcérées ne sortent pas de prison plus dangereuses qu’elles n’y sont entrées, il est indispensable de s’intéresser aux conditions de détention. Je m’étonne, monsieur le ministre, de vous entendre annoncer d’importants moyens pour des quartiers de haute sécurité alors que vous êtes si peu regardant vis-à-vis des conditions de détention actuelles, qui pourtant favorisent la récidive et entravent le travail des agents pénitentiaires, autorisant ainsi les criminels à continuer à agir pendant leur détention.
Qui peut croire à votre solution démagogique ? Non seulement elle est attentatoire à la dignité humaine, mais elle requiert des moyens colossaux pour empêcher toute interaction entre les détenus. Je n’ose penser aux agents pénitentiaires, qui sont parfois seuls pour s’occuper de soixante détenus, et qui entendent parler d’un ratio d’un pour cinq dans les quartiers de haute sécurité.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Des désaccords fondamentaux demeurent entre nous, monsieur le ministre, malgré votre ouverture sur la durée de détention préventive.
Pour le reste, vos réponses confirment l’analyse de Mme Faucillon. Il y a une confusion entre ce que doit être une politique pénale intraitable dans la lutte contre le narcotrafic et ce que doit être la peine elle-même.
Je suis opposé à l’amendement gouvernemental qui déroge de façon exorbitante aux principes fondamentaux de notre droit.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Votre amendement et vos propos sont dangereux, monsieur le ministre, parce qu’en rassemblant les narcotrafiquants dans des prisons spécialisées, vous créez un cartel ; vous concentrez en un même lieu des moyens de corruption car ces gens possèdent des sommes considérables. Or, puisque vous refusez de doter la Junalco (juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée) des logiciels appropriés, vous ne pourrez pas les frapper au portefeuille efficacement.
Vous avez intérêt à très bien payer les agents pénitentiaires, sinon vous allez au‑devant de problèmes : les narcotrafiquants communiqueront entre eux par le biais d’agents qu’ils auront réussi à corrompre grâce aux moyens financiers exceptionnels dont ils disposent.
Ce régime est dangereux ensuite car il contrevient à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et à l’article 66 de la Constitution.
M. Romain Baubry (RN). Enfin, les choses commencent à aller dans le bon sens !
Nous sommes bien sûr favorables à un régime carcéral particulier, nécessaire pour essayer de mettre hors d’état de nuire les narcotrafiquants, sous réserve que leurs conditions de détention soient extrêmement strictes.
Nos prisons ont besoin d’un rétablissement de l’ordre, toutes nos prisons, monsieur le ministre. Les personnels pénitentiaires réclament des moyens pour sécuriser les établissements et pour être protégés.
Nous voyons d’un bon œil le retour des fouilles. J’ai proposé deux amendements sur le sujet : l’un pour rétablir les fouilles après tout contact physique dans toutes les prisons, l’autre pour les seules prisons de haute sécurité. Je le rappelle, lorsque la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, elle n’était pas dotée d’une législation encadrant les fouilles. Ce n’est plus le cas désormais.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le choix, au détour d’un amendement déposé la veille, de recréer les quartiers de haute sécurité qui ont été supprimés en 1984 par Robert Badinter – il doit se retourner dans sa tombe – est vraiment détestable sur le fond et sur la forme.
Il aurait été judicieux d’attendre l’avis du Conseil d’État avant de présenter un amendement visant à créer un nouveau régime carcéral aussi attentatoire aux droits humains. Même en matière de terrorisme, personne n’a osé présenter de telles dispositions. Pourquoi n’avez-vous pas déposé cet amendement au Sénat ? Avez-vous recueilli l’avis de la Contrôleure générale des lieux privatifs de liberté (CGLPL) ?
L’isolement carcéral doit être évidemment le plus court possible pour être efficace.
Je me demande vraiment ce que vous cherchez, monsieur le garde des sceaux, si ce n’est, à la manière de Sarkozy, de l’affichage, toujours de l’affichage, comme vous savez si bien le faire.
Quant à la décision de la CEDH, elle ne se prononce pas sur la disposition légale.
M. Sacha Houlié (NI). D’abord, je partage la circonspection de mes collègues sur le régime et sur son principe : si les quartiers de haute sécurité avaient été efficaces, on le saurait depuis les années 1980. Or, François Besse et Jacques Mesrine ont réussi à s’en évader à plusieurs reprises ; si le régime que vous voulez instaurer était efficace, on le saurait puisqu’il est aujourd’hui appliqué à Rédoine Faïd ; s’il était efficace, on le saurait puisque la porosité que nous connaissons dans les quartiers radicalisés n’existerait pas.
Ensuite, plusieurs éléments de fond empêchent d’adopter l’amendement : la durée de détention, cela a été dit ; la décision de placement qui vous incombe sera une décision administrative, qui devra être contestée devant un tribunal administratif. Or, le juge des libertés et de la détention est un juge judiciaire. Voici quelques-unes des raisons pour lesquelles votre amendement ne peut être voté en l’état.
M. le président Florent Boudié. Le 11 mars à 16 heures, les trois rapporteurs et moi-même avons rendez-vous, en présence de M. le ministre, au Conseil d’État ; le 14 mars, celui-ci rendra son avis ; M. le ministre le rendra public immédiatement – ce n’est pas si commun. Nous en disposerons donc pour le début de l’examen en séance le 17 mars.
M. Stéphane Mazars (EPR). Je comprends que l’on déroge au droit commun pour certains criminels avec des profils très particuliers.
Le régime carcéral que propose l’amendement est dur – il faut le reconnaître –, très dur. La mise à l’isolement en est l’illustration.
La durée de quatre ans est beaucoup trop longue. Vous avez ouvert la porte à une discussion, je le salue.
Par ailleurs, je souhaite que la présence de l’avocat soit de droit tout au long de la procédure contradictoire préalable à l’affectation dans un quartier de lutte contre la criminalité organisée. Pour l’instant, il est écrit que la personne « peut être assistée de son avocat ».
Mme Eléonore Caroit (EPR). J’irai dans le même sens. Il s’agit, en effet, d’un régime très dur.
Comment les motifs indiqués dans le nouvel article L. 224-5 du code pénitentiaire – « à titre exceptionnel, afin de prévenir la commission ou la répétition d’une infraction d’une particulière gravité ou lorsqu’il apparaît qu’elles présentent un risque d’atteinte très grave au bon ordre de l’établissement ou à la sécurité publique » – seront-ils appréciés sachant qu’il s’agit d’une décision du garde de sceaux, donc administrative ? Il est important que les débats parlementaires apportent des précisions sur ce point, voire confient à un juge le soin de décider.
Par ailleurs, la durée de quatre ans est extrême longue, connaissant les conditions de détention et celles dans lesquelles la décision a été prise.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). La gauche a l’habitude de se préoccuper davantage des droits des coupables que de ceux des victimes.
Il n’est pas question ici de petits délinquants mais de têtes de réseaux criminels, qui réorganisent leur trafic depuis leurs cellules, donnent des ordres, orchestrent des règlements de compte, commanditent des crimes, autrement dit poursuivent leurs activités en toute impunité.
L’isolement carcéral n’est pas une punition arbitraire comme certains veulent nous le faire croire, mais un outil stratégique pour démanteler des réseaux de drogue, qui pourrissent la vie de nos concitoyens. L’objectif du texte est d’empêcher les criminels de continuer de nuire, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur des prisons.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Je rejoins M. le ministre sur le principe. Il est néanmoins possible d’en améliorer les modalités d’application.
Le régime carcéral est ferme, sévère même, mais cela ne l’empêche pas d’être juste dans le cas qui nous intéresse, celui des narcotrafiquants parmi les plus dangereux du pays. On parle d’individus qui sont capables aujourd’hui, depuis leur prison, de continuer à organiser leurs petits trafics, de transformer leur cellule en bureau pour contrôler des réseaux, intimider, menacer voire commanditer d’autres crimes.
L’idée d’un établissement pénitentiaire spécialisé est essentielle. Nous sommes plutôt d’accord au sein de la commission des lois pour estimer que les petites peines ne doivent pas côtoyer des longues peines et que les terroristes doivent être isolés. De la même manière, nous devons nous préoccuper des narcotrafiquants. Dans les prisons, on trouve des téléphones clandestins, des parloirs servent à relayer des menaces, on ne peut pas l’accepter.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État. Monsieur Mazars, je suis favorable à ce que soit précisée, dans le texte si nécessaire, la présence de l’avocat dès la première minute. Je suis ouvert à une révision de la durée de la détention.
Madame Capdevielle, votre référence au ministre Badinter me paraît un peu politicienne, d’autant que le narcobanditisme des années 2020 n’est pas celui des années 1980.
Si je n’avais pas présenté l’amendement en commission, vous m’auriez reproché de le faire en séance publique. En réalité, vous n’avez malheureusement pas envie de discuter du fond. Je le regrette car le sujet est très important.
Monsieur Houlié, le régime n’est pas efficace parce qu’il n’existe pas en France. Existe-t-il ailleurs ? Oui, en Italie. A-t-il fait la preuve de son efficacité ? Oui, demandez à nos amis italiens. Il a été instauré par un gouvernement socialiste parce qu’il était en phase avec les réalités.
Enfin, ce régime de détention est très important pour que le statut de repenti soit utilisé efficacement dans la lutte contre la criminalité organisée. C’est par la négociation, en faisant miroiter à certains la possibilité d’échapper à un tel régime, que l’on obtiendra d’eux qu’ils parlent et que l’on pourra mettre fin aux activités criminelles très nombreuses, comme en Italie.
Le sous-amendement CL662 est retiré.
La commission rejette successivement l’ensemble des autres sous-amendements.
Elle adopte l’amendement. L’article 23 quinquies est ainsi rédigé.
Deuxième réunion du mercredi 5 mars 2025 à 15 heures
Lien vidéo : https://assnat.fr/u8sFFt
M. le président Florent Boudié. Nous poursuivons l’examen des articles de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
Après l’article 23 (examen prioritaire de l’amendement CL 576)
Amendement CL576 de M. Vincent Caure, sous-amendement CL661 de M. Jérémie Iordanoff
M. Vincent Caure, rapporteur. L’amendement CL576 porte sur le recours à la visioconférence. Il vise non à en étendre les cas dans lesquels son usage est possible, mais à inverser la règle dans le domaine de l’instruction s’agissant des auditions et des interrogatoires des détenus relevant du crime organisé. La visioconférence deviendrait le principe, la présentation physique l’exception. L’objectif est de réduire le recours aux extractions et aux transfèrements judiciaires.
Comme l’a rappelé le garde des sceaux, nous nous inspirons de pratiques en usage à l’étranger, notamment en Italie, où le recours à la visioconférence est même autorisé, et systématique pour certains détenus, lors de la phase de jugement. Si l’usage de la visioconférence en matière de justice pénale fait l’objet d’avis divers, il n’en est pas moins prévu, durant la procédure comme durant le jugement, par plusieurs articles du code de procédure pénale. Il participe, si subsidiaire que certains considèrent ce point, à la bonne administration de la justice.
Le présent amendement vise les détenus relevant de la criminalité organisée du haut du spectre, dont le transfèrement peut être dangereux – plusieurs faits divers ont été évoqués ce matin. Il vise – soit dit pour anticiper les interrogations légitimes à l’aune des décisions du Conseil constitutionnel en la matière – un public circonscrit accusé de crimes et délits également circonscrits. Il ne s’agit pas d’une mesure d’ordre général. De surcroît, le juge peut bien sûr décider de déroger à cette nouvelle règle en matière d’instruction s’il estime qu’une audition en sa présence est nécessaire.
Mme Sandra Regol (EcoS). Nous sommes opposés à la systématisation des procédures par visioconférence. Nous considérons qu’elle altère la qualité du travail des enquêteurs et des magistrats, lesquels au demeurant vivent très mal le recours permanent à la visioconférence.
Afin de résoudre au moins partiellement le problème que poserait selon nous l’adoption de l’amendement CL576, nous proposons de compléter la première phrase de l’alinéa 2 par les mots « avec son consentement libre et éclairé ». Nous refusons de nous précipiter dans une justice qui, faute de moyens, est privée des contacts informels qui sont précieux pour progresser, obtenir des éléments supplémentaires, voire susciter des repentis. La disposition proposée nous fait passer largement à côté de ce qui est censé être l’objectif de la proposition de loi.
M. Vincent Caure, rapporteur. J’émets un avis défavorable au sous‑amendement. Nul ne conteste la nécessité dans certains cas, notamment pour encourager un détenu à se repentir, d’assurer la possibilité des contacts informels qu’exclut la visioconférence, mais rien n’empêchera le magistrat chargé de l’instruction d’opter, de façon exceptionnelle, pour une audition en sa présence. Compte tenu des publics visés, les choses étant ce qu’elles sont, il me semble préférable de privilégier le recours à la visioconférence lors de l’instruction.
Mme Sandra Regol (EcoS). Votre argumentation est incohérente. Ériger en règle une pratique dont il faut, pour s’en affranchir, maîtriser les tenants et les aboutissants et comprendre les enjeux d’une affaire, compromet son application. Je vous accorde qu’il n’est pas fréquent qu’un détenu souhaite spontanément donner plus d’éléments, mais ce qui est sûr, c’est qu’il ne peut pas le faire dans le cadre d’une visioconférence dans la mesure où cette démarche requiert une forme de discrétion. On obtient de meilleurs résultats si la visioconférence est l’exception et non la règle.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous avons toujours refusé l’usage de la visioconférence. Nous avons d’ailleurs obtenu, en saisissant le Conseil constitutionnel, quelques victoires, hélas partielles, en la matière. En tout cas, tout le monde, des experts aux parties civiles en passant par les mis en cause, le dit : la visioconférence modifie les rapports interpersonnels, d’autant qu’elle n’est pas exempte de problèmes techniques.
Sur le fond, il est hallucinant que le magistrat doive motiver la tenue d’une audition en sa présence. J’en déduis, monsieur le rapporteur, que vous considérez le magistrat comme un être perfide obligeant les individus à se déplacer en dépit du bon sens. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Je reconnais bien là la patte du ministre Darmanin, qui pense que le problème de la police, c’est la justice, et que le problème de l’administration pénitentiaire, c’est la magistrature. Nous voilà au cœur de cette conception lunaire. Par décence, vous devriez retirer spontanément l’amendement.
Quand bien même la décision appartient au magistrat, chacun sait qu’il est pris dans un rapport de force avec l’administration pénitentiaire. Combien de fois ai-je vu des magistrats demandant à voir un détenu s’entendre répondre en substance : « Vous devriez l’interroger en visioconférence, ce qui vous permettrait de le voir sans délai ; pour l’extraction, compte tenu des moyens dont nous disposons, il faudra attendre trois semaines, ou un mois, ou un mois et demi – bref, quand nous pourrons. » Le choix laissé au magistrat n’en est pas un, pas davantage que celui laissé au prévenu auquel on dit « Vous êtes libre de refuser la comparution immédiate, mais vous irez alors en détention provisoire ».
M. Sacha Houlié (NI). Monsieur le rapporteur, l’adoption de votre amendement CL543 a eu pour effet de supprimer les alinéas 20, 69 et 70 de l’article 2, relatifs au recours à la visioconférence. Vous avez excipé, à raison, des considérants de la décision du Conseil constitutionnel du 16 novembre 2023 sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027, citant notamment l’autorisation spécifiquement accordée à certaines juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) d’outre-mer de procéder à des auditions en visioconférence.
J’appelle votre attention sur le fait que, dans sa décision, le Conseil constitutionnel a précisé le caractère tout à fait exceptionnel de ces dispositions, dont il dit : « Elles doivent dès lors s’interpréter comme n’autorisant le recours à un tel moyen de communication que si est dûment caractérisée l’impossibilité de présenter physiquement la personne devant la juridiction spécialisée ». Il ajoute : « Dans le cas où il a été recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle pour l’interrogatoire de première comparution ou le débat relatif au placement en détention provisoire, la personne mise en examen devra de nouveau être entendue par le juge d’instruction, sans recours à de tels moyens, avant l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de son interrogatoire de première comparution ». Par conséquent, le dispositif général que vous proposez est assez faible juridiquement.
Surtout, il pose problème philosophiquement. Nous avons adopté un amendement du gouvernement portant article additionnel après l’article 23 quater – l’article lui-même ne recueille pas mon suffrage –, relatif au régime de la détention. À présent, nous définissons le régime de l’instruction sur la base de celui de la détention. Il faut faire le contraire. Des règles procédurales relatives au respect des droits de la défense et de l’État de droit doit découler le régime de détention. Vous prenez les choses à l’envers. Il est donc nécessaire de ne pas adopter le dispositif que vous proposez.
M. le président Florent Boudié. Nous aurons la réponse du Conseil d’État le 14 mars.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Soit après l’expiration du délai de dépôt des amendements !
M. le président Florent Boudié. Je me contente de rappeler un fait. Les rapporteurs et moi-même nous rendrons au Conseil d’État le 11 mars à 16 heures.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Cet amendement oublie deux choses essentielles : la présomption d’innocence au stade de l’instruction ; le fait que le juge d’instruction instruit à charge et à décharge – c’est ce que disent les textes. Que l’exception devienne le principe, dans la phase où le juge d’instruction cherche la manifestation de la vérité est hallucinant.
La présence de la personne mise en examen importe, ne serait-ce que pour la placer face à ses contradictions, par exemple entre ses déclarations lors de l’enquête de police et celles consignées dans le procès-verbal de l’interrogatoire de première comparution. Et quid de la confrontation de plusieurs personnes mises en examen ? Les réunira-t-on en visioconférence en rappelant à chacune ce qu’elle a préalablement déclaré ? En pareil cas, la présence de chacun dans le cabinet du juge d’instruction s’impose, d’autant qu’il s’agit d’un cas fréquent. Nous voterons contre l’amendement et pour le sous-amendement.
M. Stéphane Mazars (EPR). La visioconférence demeurera l’exception. Elle concernera des personnalités assez singulières dont il est acquis que l’extraction présente un danger. Le magistrat chargé de l’instruction n’en mènera pas moins celle-ci à charge et à décharge et n’en sera pas moins garant du respect des libertés individuelles.
Si le juge considère qu’il est de bonne administration de la justice et de bonne garantie des droits dont tout justiciable doit jouir de procéder à une audition ou à une confrontation en sa présence, rien n’y fera obstacle. J’ai moi aussi de fortes réserves sur la démarche consistant à faire de la visioconférence un principe et suis attaché à la possibilité d’y déroger.
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous attendons tous avec impatience l’avis du Conseil d’État sur ce point.
Qu’un magistrat doive motiver une décision n’a rien d’exceptionnel. Tel est par exemple le cas s’agissant des dérogations à l’application de peines complémentaires automatiques. L’amendement s’inscrit dans le cadre du principe général qui sous-tend le texte : adapter notre droit aux profils spécifiques de la criminalité organisée.
Personne ne taxe les magistrats de perfidie. Encore une fois, la mesure envisagée vise des individus relevant du crime organisé dont nous savons que le transfèrement et l’extraction font courir aux services de l’administration pénitentiaire et aux forces de l’ordre un réel danger.
Concernant les considérants de la décision du Conseil constitutionnel cités par notre collègue Houlié, nous n’en faisons pas la même lecture. Je suggère que nous en discutions d’ici à l’examen du texte en séance publique, car je pense que la nôtre est la bonne.
Mme Naïma Moutchou (HOR). J’ai toujours eu des doutes sur le recours à la visioconférence en matière judiciaire. Outre les problèmes techniques qui la grèvent dans certaines juridictions, elle doit rester une exception. La justice, notamment lorsqu’il s’agit d’affaires complexes ou graves, doit être rendue les yeux dans les yeux. Je ne demande pas mieux qu’être convaincue, mais, en tout état de cause, il faut encadrer l’usage de la visioconférence de garanties très strictes. Sur l’amendement, je m’abstiendrai.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Cette question mérite que nous y réfléchissions avec gravité. Nous n’acceptons pas le recours à la visioconférence, qui altère le caractère sacré des rites, qui ne sont pas uniquement républicains, de la justice. Il nous semble nécessaire de consacrer les droits de la défense, notamment le droit à un procès équitable, dans des conditions matérielles et humaines satisfaisantes, au même titre que nous assurons l’exercice du droit de vote, dont il ne va pas de soi qu’il soit exercé par voie électronique, tant aller à l’urne revêt un caractère sacré et constitue un signifiant profond du statut du citoyen. D’ailleurs, l’un et l’autre, en démocratie, sont indissociables : c’est en tant que citoyen que l’on est jugé.
La commission rejette le sous-amendement.
Elle adopte l’amendement. L’article 23 bis A est ainsi rédigé.
TITRE II
LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT
Article 3 (art. 324-6-2 [nouveau] du code pénal, L. 132-3-1 [nouveau], L. 132-5, L. 333-2 et L. 333-3 [nouveaux] du code de la sécurité intérieure, L. 3422-1 et L. 3422-2 du code de la santé publique [abrogés], L. 330-2 et L. 330-3 du code de la route, L. 112-6, L. 561-2, L. 561-23, L. 561-24, L. 561-25, L. 561-27-1 [nouveau], L. 561-35, L. 561-47 et L. 561-47-1 du code monétaire et financier, L. 135 ZC, L. 135 ZJ, L. 151 C [nouveau] du livre des procédures fiscales, 323 du code des douanes) : Renforcement de la lutte contre le blanchiment
Amendements CL344 de M. Sacha Houlié, CL230 de Mme Colette Capdevielle et CL3 de M. Antoine Léaument (discussion commune)
M. Sacha Houlié (NI). L’amendement CL344 vise à exclure l’information du maire sur les classements sans suite, les mesures alternatives aux poursuites, les poursuites engagées, les jugements définitifs ou les appels interjetés contre une décision s’agissant des infractions en matière de criminalité organisée. Même en matière de terrorisme, nous n’avons introduit aucune disposition prévoyant l’information des maires dans les cas précités. De surcroît, certains élus locaux peuvent être impliqués dans des affaires relevant du crime organisé, même s’ils sont ultérieurement mis hors de cause.
Il ne me semble pas judicieux de communiquer des informations propres aux procédures en cours et dont les exécutifs locaux n’ont pas à connaître, d’autant que rien de tel n’est prévu en matière de terrorisme – l’accès aux différents fichiers est un débat récurrent de la commission des lois. Nous pouvons nous abstenir d’adopter les alinéas 3 à 7 de l’article 3, d’autant que celui-ci porte sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le niveau d’information des maires est satisfaisant. Lorsque nous avons interrogé les procureurs sur la mesure prévue par les alinéas 4 à 6, ils ont indiqué que son application serait difficile dans des juridictions embolisées. Allons-nous recruter des greffiers supplémentaires ? Qui fera ce travail d’information – le bureau d’ordre civil (BOC), les services du parquet, l’audiencement ? Tient-on seulement compte des délais d’appel, qui, dans certaines cours, excèdent deux ans ? Cette mesure n’est qu’affichage. Elle ne sert à rien.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). L’amendement CL3 me semble susceptible de rallier des suffrages au-delà de nos rangs. Informer les maires de l’issue des procès ou des classements sans suite les expose à un risque de corruption, laquelle peut s’observer parmi les élus comme dans les administrations et fait courir un risque à la transmission de l’information. Par ailleurs, un maire informé est exposé à des pressions accrues, voire à des menaces. Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur les élus locaux, mais d’envisager tous les cas de figure et de les protéger.
Notre rédaction nous semble préférable à celles de nos collègues, dont nous reprenons les arguments, car elle conserve la possibilité offerte aux maires de participer à la lutte contre le blanchiment, à laquelle ils peuvent être très utiles, en saisissant Tracfin.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je souscris en partie à l’analyse de la rédaction adoptée par le Sénat faite par nos collègues. L’information systématique du maire, d’après les procureurs que nous avons auditionnés, constituera en effet une surcharge de travail administratif qui n’apportera rien, d’autant que le code de la sécurité intérieure prévoit d’ores et déjà une information du maire.
La rendre systématique mérite donc réflexion. J’émets un avis défavorable sur les trois amendements et invite nos collègues à adopter mon amendement CL627, qui maintient l’information du maire mais pas de façon systématique et procède à quelques ajustements, en supprimant notamment l’information de Tracfin d’ores et déjà prévue par les textes.
M. Yoann Gillet (RN). Les trois amendements présentés par la gauche me semblent surréalistes. Dans la lutte contre les stupéfiants, les maires ont leur rôle à jouer. Ils doivent donc être systématiquement informés des procédures judiciaires concernant leurs territoires. Ils devraient d’ailleurs être – il est regrettable qu’ils ne le soient pas – des partenaires de l’État dans la lutte contre les stupéfiants.
Par ailleurs, les polices municipales, sur lesquelles portaient certains de mes amendements dont je regrette qu’ils aient été déclarés irrecevables, ont aussi un rôle à jouer. Dans de nombreux territoires, elles sont en effet les seules ou presque à subsister, tant les effectifs de la police nationale se sont réduits comme peau de chagrin.
Enfin, les maires doivent être en mesure d’anticiper l’avenir, ce qui suppose de connaître leurs administrés, et de savoir quels méfaits sont commis sur leur territoire. Si la loi ne prévoit pas l’information obligatoire des élus locaux en la matière, les parquets, dont chacun sait qu’ils sont débordés, ne prendront pas la peine de les informer.
Mme Brigitte Barèges (UDR). En quatre mandats de maire au cours desquels j’ai créé une police municipale, j’ai toujours travaillé en étroite concertation avec M. le procureur et avec M. le préfet dans le cadre d’une convention de coordination entre les polices municipales et les forces de sécurité de l’État. Je plaide pour l’association la plus étroite possible des maires à l’action nationale.
Élus de terrain et de proximité, ils ont l’information. Par ailleurs, ils sont officiers de police judiciaire (OPJ) – soit dit à ceux qui les soupçonnent d’être d’affreux trafiquants ou des criminels en puissance – et ont prêté serment. Ils ont été élus et peuvent être amenés à rendre des comptes. Bref, ce sont des gens fiables.
De nombreux dispositifs, notamment les Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) et les cellules municipales d’échange sur la radicalisation (Cmer), associent d’ores et déjà les maires aux actions de l’État en matière de sécurité. Il serait dommage de ne pas les y associer pleinement.
On nous dit qu’il faudrait recruter des greffiers. Mais je vois souvent le procureur et le préfet et nous discutons aussi par téléphone. Le contraire serait anormal. Il m’est arrivé d’apprendre par voie de presse qu’un assassinat avait eu lieu dans ma commune, ce qui, pour un maire, est pire que tout.
Les maires sont impliqués dans la sécurité, qui est notre combat à tous, notamment dans les villes moyennes où le narcotrafic et l’insécurité progressent, et progresseraient bien davantage sans les moyens mis en œuvre par les élus locaux, au premier rang desquels les polices municipales et la vidéosurveillance, pour accompagner les services de l’État.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Comme l’indique le rapport d’information que j’ai rédigé avec Ludovic Mendes, il faut prendre conscience que la corruption peut être partout. Ce n’est pas jeter l’opprobre sur les maires, les élus locaux en général, les policiers ou les agents de l’administration pénitentiaire que de le dire.
Imaginez que les trafiquants sont capables d’offrir 100 000 euros à un docker pour son badge d’accès ! Leurs capacités financières sont gigantesques. Le mécanisme de la corruption s’enclenche par l’achat d’un service et s’entretient par la menace. Tel est le danger qui guette les maires. À Saint-Laurent-du-Maroni, nous avons été informés qu’un maire-adjoint a participé au trafic.
Mme Brigitte Barèges (UDR). Ce sont des exceptions.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Non. La corruption est partout. Que cherchent les trafiquants ? L’information. Il leur suffit d’identifier qui la détient. Je suis bien placé pour le savoir : j’ai travaillé sur ce sujet pendant un an et demi.
Mme Brigitte Barèges (UDR). Avez-vous exercé un mandat municipal ?
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Non. Je n’en essaie pas moins de protéger les élus de la corruption. L’article 3 les y expose.
Par ailleurs, si vous pensez régler les problèmes posés par le narcotrafic avec les polices municipales, vous êtes, chers collègues du Rassemblement national, à côté de la plaque.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Il ne s’agit pas de savoir si les maires ont un rôle à jouer dans la lutte contre le narcotrafic, ce qui est une évidence, ni s’ils doivent y être associés au motif qu’ils sont élus.
La question est la suivante : est-il pertinent, sage et possible de prévoir que les maires soient systématiquement informés des décisions judiciaires ? Il nous semble évident que la réponse est non, surtout en l’absence de poursuites. La rumeur court, surtout dans les petites communes. Ne jetons pas l’opprobre sur des citoyennes et des citoyens susceptibles d’être innocentés à l’issue d’une procédure judiciaire ! Par ailleurs, en cas de condamnation lourde, puisqu’il s’agit du haut du spectre, la loi prévoit d’ores et déjà l’information du maire.
Enfin, l’argument de notre collègue Léaument selon lequel il faut protéger les maires du risque de corruption doit être pris au sérieux. Compte tenu de la place centrale des maires dans la vie de nos communes, il ne faut pas – ils sont les premiers à s’en plaindre – en faire des cibles. De ce point de vue, la position du rapporteur nous semble raisonnable.
M. Hervé Saulignac (SOC). Nous ne pouvons pas en vouloir à nos collègues sénateurs de montrer qu’ils sont à l’écoute des maires, mais nous n’en devons pas moins corriger l’erreur qu’ils ont commise. J’étais d’abord perplexe sur les amendements, mais les réactions qu’ils suscitent dans les rangs du Rassemblement national m’ont définitivement convaincu qu’il faut en adopter un. Il faut sans délai écarter un danger : nos collègues du Rassemblement national viennent de dire que les maires doivent disposer des informations que le texte prévoit de mettre à leur disposition pour orienter l’action de leurs polices municipales. C’est terrifiant d’entendre des choses pareilles !
M. Sacha Houlié (NI). Le meilleur avocat des amendements est M. le rapporteur, qui a rappelé que les parquets manquaient de moyens pour appliquer les dispositions proposées, a fortiori au regard de l’application de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
Par ailleurs, nos collègues d’extrême-droite entretiennent savamment une confusion entre la police administrative et la police judiciaire. Le maire n’exerce que la première, pas la seconde. Il n’a donc pas à connaître des suites d’une affaire en matière de police judiciaire.
Monsieur le rapporteur, j’observe que, dans votre amendement CL627, vous vous raccrochez à son pouvoir de police administrative en subordonnant l’information du maire à un trouble à l’ordre public. Je considère que l’information du maire par le préfet au titre de ses pouvoirs de police administrative est suffisante.
Enfin, certains de nos collègues, notamment ceux d’extrême-droite, ont évoqué les difficultés de la police nationale à travailler dans certains quartiers. C’est assez faux à l’aune de ce que nous connaissons. Cela le serait encore davantage si le schéma d’emploi de la police nationale prévu par la loi de finances pour 2025 n’était pas nul, en infraction des dispositions que nous avons adoptées en 2022 dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi), qui prévoyait 8 500 recrutements dans les forces de police et de gendarmerie.
M. Stéphane Mazars (EPR). Je suis sensible à l’argument de M. Amirshahi : informer le maire d’un classement sans suite, cela aboutit uniquement à pointer quelqu’un du doigt ; ou alors, il faut fournir des informations supplémentaires sur les raisons de ce classement, ce qui n’a pas lieu d’être. En revanche, si l’infraction est liée à une atteinte à l’ordre public dans la commune, le maire doit en être informé. Mon groupe s’alignera sur la position de M. le rapporteur. J’estime que c’est un bon compromis.
M. Paul Molac (LIOT). J’ai l’impression qu’on mélange les choses. Dans ma circonscription, qui est loin d’être délaissée par l’État, la police municipale n’est présente que dans quelques villes ; c’est la gendarmerie qui s’occupe de tout, et ce n’est pas le juge qui discute avec le maire ou avec la police municipale, mais le commandant de compagnie. Je n’étais pas favorable à ces amendements. Finalement, je me demande si je ne vais pas les voter.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Tenir de tels propos, c’est méconnaître les fonctions du maire, qui a connaissance d’informations bien plus importantes que celles qui concernent le trafic de drogue. Il coopère quotidiennement avec la police municipale et, en zone rurale, avec la gendarmerie ; depuis 2017, il doit être informé des infractions commises sur sa commune. En tant qu’officier de police judiciaire, il est pénalement responsable des faits qu’il ne dénonce pas. Cette méfiance permanente est insupportable au vu des responsabilités qui sont les siennes. Bien sûr, il faut renforcer la coopération entre l’exécutif local et la police ou la gendarmerie. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans les faits, avec les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, qui fonctionnent parfaitement.
M. Éric Pauget, rapporteur. Les 36 000 maires des 36 000 communes de France n’ont pas tous la même position. Dans ma circonscription, certains maires, qui ont une ambition politique, veulent être proactifs dans le cadre des CLSPD, mais d’autres ne souhaitent pas endosser ces responsabilités ni recevoir ce type d’information. Il faut respecter la libre administration des collectivités territoriales.
Comme l’a dit M. Houlié, les textes prévoient déjà l’information du maire en cas de trouble à l’ordre public, qui constitue sa seule compétence en matière de sécurité. Nous devons nous raccrocher à cette notion. C’est pourquoi l'amendement que j’ai déposé après ceux-ci équilibre la position du Sénat en prévoyant l’information du maire en cas d’infraction générant un trouble à l’ordre public sur le territoire de sa commune.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL627 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Comme je viens de l’expliquer, il propose une réécriture d’équilibre du texte issu du Sénat, dont les auditions ont montré qu’il était allé trop loin.
Mme Sandra Regol (EcoS). Le souci tient au caractère systématique de l’information du maire. Je plaide coupable, puisque nos propres amendements ont omis de le supprimer. Notre discussion met en évidence non pas le refus de transmettre ces informations aux maires qui le souhaitent, mais celui de rendre la transmission quasi-obligatoire.
L’amendement propose d’étendre encore le champ des infractions concernées, ce qui demandera aux juridictions un travail impossible à réaliser sans plusieurs salariés supplémentaires, comme elles l’ont dit en audition. La solution serait, dans un premier temps, de ne pas l’adopter, et de supprimer ensuite le caractère systématique de l’information en vue de la séance publique.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Tout le monde se réjouit d’associer les maires à la lutte contre le blanchiment. Cependant, en supprimant l’alinéa 7, l'amendement ôte aux maires la possibilité d’alerter Tracfin. Il aurait été préférable d’adopter notre amendement CL3. Vous ne nous avez pas écoutés car vous considérez que tout ce que disent les Insoumis est nul et non avenu, et c’est dommage, car vous nous trouverez toujours sur le devant de la scène pour lutter contre le blanchiment, la fraude et le trafic. Je vous invite donc à ne pas voter cet amendement et, en séance, à revoir votre jugement sur le nôtre, qui contribuait à protéger les maires de la corruption et leur permettait de jouer un rôle actif dans la lutte contre le blanchiment au lieu d’être simplement informés des fermetures administratives.
M. Éric Pauget, rapporteur. Vous vous trompez, Monsieur Léaument. Les maires sont déjà informés, conformément à l’article L. 561-27 du code monétaire et financier. Les représentants de Tracfin et de l’AMF nous l’ont confirmé en audition. La proposition des sénateurs était donc redondante. Par ailleurs l’amendement propose de supprimer le caractère systématique de l’information du maire et de réduire le champ des infractions par rapport à la rédaction du Sénat, ce qui devrait satisfaire Mme Regol. Enfin, pour qu’il soit juridiquement solide, l'amendement est rattaché à la notion de trouble à l’ordre public. Il répond donc à toutes les préoccupations.
La commission adopte l'amendement.
En conséquence, les amendements CL402 à CL255 tombent, l'amendement CL194 ayant été retiré.
Amendement CL2 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). On pense qu’un commerce abrite un trafic ; on n’a pas les moyens de le prouver, mais il a l’air louche, alors on demande sa fermeture administrative à titre préventif. Voilà ce que propose le texte ! On sort complètement de l’État de droit pour basculer dans l’arbitraire. Sur quoi se base la décision ? M. Retailleau parlait hier de boucheries. Quel genre de boucherie ? Quel type de viande ? Il n’y a donc pas de problème avec les charcuteries ? Est-ce la tête du vendeur qui pose problème ?
S’agissant d’amendements précédents, plusieurs collègues ont dit : « Après avoir entendu l’extrême droite prendre position en faveur de cette mesure, je suis convaincu qu’elle n’est pas bonne. » J’ai hâte d’entendre le Rassemblement national défendre celle-ci. Ses arguments devraient convaincre nos collègues de ne pas la voter.
Vous nous obligez à défendre la liberté d’entreprendre ; c’est très pénible. Si, en plus, il faut défendre la propriété privée… Que chacun fasse sa part ! Pour l’arbitraire, ce sera sans nous.
M. Éric Pauget, rapporteur. L’amendement supprime un élément majeur de l’article 3 et un outil essentiel de lutte contre le blanchiment. Vous estimez que les critères de fermeture sont trop vagues mais, si vous avez examiné les amendements suivants, vous aurez constaté que j’ai proposé une réécriture plus robuste qui rattache la fermeture administrative à la notion d’atteinte à l’ordre public.
Lorsqu’un commerce est notoirement connu pour blanchir l’argent de la drogue, il faut donner au préfet la possibilité d’en prononcer la fermeture administrative. La décision n’est pas prise à la légère, mais à l’issue d’une enquête des services de police ou de gendarmerie ou après un signalement du maire de la commune. Avis défavorable.
M. Yoann Gillet (RN). Je ne sais pas dans quel pays vivent nos collègues. La fermeture administrative à titre préventif est évidemment une bonne mesure. Personne ne peut nier que certains commerces, dont les plus emblématiques sont les épiceries de nuit, participent au trafic de stupéfiants et à la vente illégale de tabac de contrebande. Il faudrait même aller plus loin en permettant aux maires de procéder à ces fermetures.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je partage l’interrogation de M. Bernalicis. La fermeture administrative à titre préventif présente un fort risque d’arbitraire. Quand on sait que la défense des droits des parties civiles est de plus en plus limitée dans les affaires de trafic, la moindre des choses serait d’être clair sur les critères qui justifient la décision.
J’entends votre argument, monsieur le rapporteur, et je souscris à l’idée que le préfet doit pouvoir prendre des dispositions en cas de trouble à l’ordre public. Il se trouve qu’il en a déjà la possibilité. Cependant, s’agissant de cette nouvelle mesure, la question est de savoir si les faits de trafic de drogue sont avérés. Si le trafic est avéré, c’est qu’il y a au moins une enquête en cours ; c’est donc au juge, et non pas au préfet, d’ordonner la fermeture administrative du commerce à l’issue de l’instruction. Ce que vous dites est grave, dans les deux sens du terme, et je suis contrarié par votre remarque sur un sujet aussi important.
Si, l’on veut restreindre aux risques de trouble à l’ordre public la possibilité donnée au préfet d’ordonner la fermeture administrative d’un commerce, il faut le préciser clairement. À défaut, je préfère la proposition de M. Bernalicis, qui offre une meilleure protection contre l’arbitraire.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Vous nous obligez à utiliser l’article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que nous n’aimons pas beaucoup citer : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Autrement dit, non seulement la fermeture administrative à titre préventif sera probablement jugée inconstitutionnelle, mais elle risque de mettre de petits commerçants en grande difficulté.
En effet, l’alinéa 14 indique : « Le fait, pour le propriétaire ou l’exploitant, de ne pas respecter un arrêté de fermeture pris sur le fondement de l'article L. 333-3 est puni de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende, de la peine complémentaire de confiscation des revenus générés pendant la période d’ouverture postérieure à la notification de la mesure et de la peine complémentaire d’interdiction de gérer un commerce pendant cinq ans. » Si la personne est effectivement coupable, elle sera indemnisée de sa perte par les trafiquants eux-mêmes ; en revanche, si elle est non coupable, l’État l’aura pénalisée en fermant administrativement son commerce. Cela pose la question du risque de corruption.
Comme lors de l’abaissement du seuil de perception de la TVA pour les autoentrepreneurs, nous nous trouvons forcés de défendre les petites entreprises contre vos lubies. Vous prétendez sortir la France du piège du narcotrafic. Pourtant, au lieu de lutter contre les grands trafiquants, vous proposez la fermeture préventive de commerces qui se situent en bas du spectre, dans l’hypothèse où ils seraient réellement impliqués dans le trafic de drogue.
M. Olivier Marleix (DR). Je ne peux qu’encourager la conversion touchante de nos collègues au libéralisme économique. Pour ma part, je vois bien de quels commerces il s’agit : il y a dans tous les quartiers, dans tous les villages, des commerces dont nos concitoyens savent qu’ils participent au blanchiment. Ils sont d’ailleurs souvent la cible de contrôles des comités opérationnels départementaux antifraude (Codaf).
Je souhaite néanmoins que nous adoptions un dispositif qui résiste à la censure du Conseil constitutionnel. Il y a un travail juridique à mener pour établir le faisceau d’indices qui permettra au préfet de prononcer la fermeture administrative, avec des critères plus sérieux que dans la version du Sénat, et j’ai un doute sur la robustesse de l’amendement de M. le rapporteur.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Si tout le monde sait et qu’il ne se passe rien, soit il n’y a effectivement rien, soit il faut allouer aux services d’enquête des moyens suffisants pour mener à bien leurs missions. Sinon, c’est le règne de la suspicion et de l’arbitraire. Le dispositif ne présentant aucun garde-fou, en l’absence d’enquête probante, le préfet risque de refuser de prononcer la fermeture administrative pour ne pas être accusé de prendre des mesures discriminatoires contre certains commerces, ou au contraire de décider de fermetures arbitraires. Le maire a déjà le pouvoir d’accepter ou non l’implantation de certains commerces dans sa commune et l’on constate des biais discriminatoires.
Quant à la notion de trouble à l’ordre public, en tant que militante et manifestante pacifiste, je m’en méfie beaucoup car son flou ouvre la porte à tout et n’importe quoi.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Pour une fois, je suis partiellement d’accord. Il semble cependant qu’il y ait une confusion sur cet article. Il s’agit, non pas de faire concurrence à l’enquête visant à établir la réalité du trafic de drogue, mais d’assouplir la possibilité de prononcer la fermeture administrative d’un commerce qui cause des troubles à l’ordre public dans une commune, comme l’incivisme, le tapage nocturne, les rassemblements, l’urine, etc.
M. Stéphane Mazars (EPR). Plutôt que « tout le monde sait », il faudrait dire « tout le monde pense ». On peut se faire des idées sur une situation et s’apercevoir ensuite que l’on a fait fausse route. C’est là toute la difficulté. Je suis d’accord avec notre collègue Marleix : il faut rédiger l’article de manière à éviter des décisions arbitraires, d’autant que, dans le cas d’une fermeture préventive, le trouble à l’ordre public n’est pas avéré.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je rappelle que toute décision préfectorale peut faire l’objet d’un recours. Le propriétaire du commerce visé pourra saisir le tribunal administratif en référé pour faire annuler la décision sous quarante-huit heures. Il n’y a donc pas d’atteinte aux droits.
Nous constatons tous que la rédaction du Sénat n’est pas assez robuste juridiquement. Néanmoins, le texte met à la disposition de la police administrative un outil important et réclamé par les services des ministères de l’intérieur et de la justice et par les préfets. Je vous propose donc d’adopter mes deux amendements, CL628 et CL629, pour renforcer la rédaction du Sénat. Rien n’empêche de la revoir avant la séance publique, en lien avec les ministères concernés, pour prévenir le risque constitutionnel.
Avis défavorable à l’amendement CL2 de M. Bernalicis.
La commission rejette l'amendement.
Amendements CL628 et CL629 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Il s’agit des amendements que je viens de présenter.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je ne partage par l’idée que les fermetures administratives sont efficaces. Par ailleurs, je répète que le dispositif est fragile sur le plan constitutionnel. L'amendement CL629 contient l’expression « aux fins de prévenir ou faire cesser les infractions ». Or, juridiquement, on ne peut pas prévenir une infraction qui n’est pas matériellement établie par une enquête ; toute infraction doit être constatée par une décision de justice. La seule infraction, ou presque, que l’on peut constater en même temps qu’on la sanctionne, c’est l’usage de stupéfiants. C’est pourquoi les policiers pratiquent autant de contrôles. Depuis l’instauration des amendes forfaitaires délictuelles (AFD), ils jouent même le rôle du juge en inscrivant le délit au casier judiciaire de la personne concernée.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous parlons ici de certains commerces dont il est suspecté ou avéré qu’il s’y exerce des activités illégales liées au trafic de drogue, comme le blanchiment. Ce phénomène existe. J’ai moi-même été interpellé par des riverains de ma circonscription au sujet de nuisances liées à la présence de points de vente de drogue, mais aussi à une mono-activité qui appauvrit la diversité de la clientèle des commerces existants. Un collectif d’associations s’est mobilisé, le maire a été informé et le préfet a imposé la fermeture des commerces à 20 heures. La décision était fondée sur l’existence de troubles à l’ordre public.
En revanche, si l’on veut prononcer la fermeture administrative d’un commerce au motif qu’il s’y exercerait une activité illégale liée au trafic de stupéfiants, c’est à la justice, et non au préfet, de prendre des mesures sur la base d’une enquête. Si le préfet constate lui-même des activités illégales, il doit immédiatement lancer une procédure judiciaire.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Il est question de « prévenir ou faire cesser » des infractions. La prévention, c’est, par exemple, une association qui milite contre la consommation de drogue ; fermer un commerce, ce n’est pas de la prévention, c’est de la suspicion. La fermeture préventive que vous proposez sera décidée sur la base de préjugés ou de faits qui n’ont pas été établis par une enquête – en tout cas, sur de l’arbitraire.
Je citerai pour ma part une autre situation réelle : quand les propriétaires d’un commerce subissent le trafic de stupéfiants aux abords et parfois à l’intérieur même de leur magasin, est-ce une fermeture administrative de six mois qui va leur venir en aide, ou va-t-elle au contraire les faire plonger ? Ces personnes sont victimes de la situation. Elles ont besoin d’une réelle prévention, c'est-à-dire d’un accompagnement.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Même si je comprends son intention, la rédaction proposée par M. le rapporteur ne me paraît pas plus juridiquement acceptable que celle du Sénat. Comme l’ont dit mes collègues, la mesure ne vise pas à faire cesser un trafic de drogue objectivement constaté, mais à le prévenir, c'est-à-dire à l’empêcher. Dans certains quartiers, cela reviendrait à fermer tous les commerces. Sur quels critères l’autorité administrative procédera-t-elle à ces fermetures ? Il n’est pas juridiquement acceptable de porter atteinte à la liberté du commerce au nom de la volonté, aussi louable soit-elle, de prévenir le trafic de drogue. C’est ouvrir la voie à l’arbitraire le plus total. On pourra fermer un commerce parce qu’il s’agit d’un kebab ou d’un barbier, parce que son prédécesseur s’était livré à un trafic ou parce que c’est connu dans le quartier. Nous sommes dans un État de droit et nous devons le rester.
Mme Brigitte Barèges (UDR). Notre position est aux antipodes de la vôtre. Vous vous placez en garants des libertés et des droits car vous pensez que, de l’autre côté, il n’y a que des gens autoritaires et fascistes. De grâce, faites confiance à l’administration ! Les préfets sont des gens raisonnables qui ne s’engagent jamais à la légère. Ils ne ferment pas un commerce sans avoir de garanties. De même, s’ils doivent cibler à l’avenir ce type d’établissement dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée, c’est parce qu’ils auront recueilli, grâce au nouveau parquet spécialisé, des informations qui les assurent de l’existence d’une nourrice.
J’ai connu dans ma commune plusieurs cas de restaurants et de coiffeurs qui abritaient des trafics. Nous les avons dénoncés au procureur et au préfet. Après l’enquête, qui a duré un certain temps, soit des mesures ont été prises, soit ces gens ont arrêté leur activité.
Tâchons d’analyser les choses de manière objective au lieu de verser dans la suspicion – contre les maires hier, contre les préfets aujourd'hui. Ils ont une éthique et des responsabilités. Notre approche de la sécurité est peut-être plus volontariste mais nous sommes, comme vous, attachés aux libertés publiques et au respect des droits des citoyens, de la liberté du commerce et de la propriété privée.
M. Éric Pauget, rapporteur. Il ne faut pas perdre de vue l’objectif final : lutter plus efficacement contre le trafic de stupéfiants et le blanchiment. Cette mesure est réclamée par le ministère de l’intérieur et par les préfets. C’est la raison pour laquelle les sénateurs l’ont intégrée dans la proposition de loi.
Nous avons néanmoins relevé une faiblesse juridique, d’où les amendements CL628 et CL629 que je présente. Ils ne régleront peut-être pas tout, mais ils contribuent à rendre le dispositif juridiquement plus robuste en se référant à la notion de trouble à l’ordre public. Je m’engage à examiner avec attention les propositions complémentaires de rédaction qui me seront envoyées d’ici à la séance.
Je rappelle que toute décision d’un préfet peut faire l’objet d’un recours administratif traité dans les quarante-huit heures. Si les faits avancés dans la décision administrative ne sont pas avérés, le tribunal administratif donnera raison au requérant.
Enfin, comme l’a souligné Mme Barèges, les préfets ne prennent pas une décision de fermeture administrative sur un coup de tête. Ils sont très précautionneux et s’appuient sur les informations fournies par les services de police ou de gendarmerie ainsi que par les maires. Je mesure combien ce type de décision de police administrative doit être juridiquement encadré, mais tous les préfets agissent de manière rigoureuse. Élu d’une ville balnéaire où beaucoup de commerces posent des problèmes, j’ai pu constater l’ampleur du travail mené par les préfets avec leurs services avant de signer un arrêté de fermeture administrative. Faisons-leur confiance.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’amendement CL629 de M. Éric Pauget, rapporteur.
En conséquence, l’amendement CL274 de M. Paul-André Colombani tombe.
Amendement CL172 de Mme Sandra Regol
Mme Sandra Regol (EcoS). On a déjà évoqué les risques de dérive vers une justice prédictive, un peu comme dans Minority Report. On devrait d’autant plus se méfier d’une absence d’encadrement objectif que l’on connaît les possibilités ouvertes par l’intelligence artificielle.
J’entends que vous souhaitez consolider la rédaction juridiquement imparfaite du Sénat, monsieur le rapporteur.
Les commerces dont une partie de l’activité n’est pas licite et que l’on envisage de fermer peuvent aussi faire l’objet d’investigations dans le cadre d’autres enquêtes. Il peut dans ce cas être nécessaire de les laisser ouverts quelque temps, afin de remonter les réseaux – l’objectif de cette proposition de loi étant bien de s’attaquer aux principaux trafiquants plutôt qu’aux consommateurs et aux petits vendeurs.
Cet amendement a pour objet de s’assurer que la décision de fermeture administrative prise en fonction d’une hypothétique infraction n’aboutit pas à ruiner des mois voire des années d’enquête sur un important réseau.
M. Éric Pauget, rapporteur. Vous souhaitez prévenir tout chevauchement entre le judiciaire et l’administratif, ce qui est un véritable sujet.
La coordination entre le préfet et l’autorité judiciaire s’effectue en général au sein du conseil local ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance, où sont représentés la justice, la préfecture et le maire. En tant que premier adjoint au maire, j’ai présidé pendant très longtemps une telle instance. Je peux vous dire que, chaque mois, le préfet et le procureur fournissaient des informations pour éviter le chevauchement que vous évoquez.
Il faut en effet éviter un tel risque, mais cela relève davantage du domaine réglementaire. Demande de retrait.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Pense-t-on que l’on va traiter le problème du haut du spectre de la criminalité organisée avec des mesures administratives ?
L’article 3 répond à cette question. C’est l’article « place nette » : il faut intervenir vite pour montrer que l’on règle un problème, sans organiser le travail de fond propre à une enquête judiciaire – et parfois même en mettant à mal une telle enquête. Les enquêteurs disposeraient d’ailleurs de meilleurs renseignements de terrain s’il existait une police de proximité.
Si les magistrats n’organisent pas d’enquêtes sur le blanchiment d’argent dans les petits commerces, c’est non seulement parce que cela ne relève pas de la police judiciaire ni d’un office central, mais aussi parce que les directions départementales de la police nationale n’ont pas suffisamment d’enquêteurs de premier niveau formés pour les conduire sérieusement.
Ce n’est pas avec cet article que l’on va régler le problème.
Quant au référé-liberté, on sait que le juge administratif n’annulera une décision du préfet que si elle est manifestement disproportionnée. Il faudra donc dans la plupart des cas s’en remettre à un recours au fond, qui ne sera traité qu’au bout d’un an et demi et permettra alors d’obtenir éventuellement une indemnisation parce que la décision administrative n’avait pas lieu d’être.
Que ce soit du point de vue judiciaire, de la défense des libertés ou des discriminations, ce n’est vraiment pas ce qu’il faut faire.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). À quoi servent ces fermetures et dans quelles conditions sont-elles décidées ?
Si l’on constate dans le cadre d’une enquête sur un trafic gigantesque qu’un certain nombre de petits commerces sont impliqués, il va de soi que le préfet ne peut pas décider tout seul de les fermer, car cela risquerait de réduire cette enquête à néant.
La rédaction même du texte pose problème car on s’en remet au discernement du préfet. Comme l’a souligné Mme Regol, on met en place quelque chose qui, en plus d’être inefficace, est glaçant. C’est une forme de justice prédictive dans lequel on estime qu’on peut fermer un établissement parce qu’on soupçonne qu’il servirait aux trafiquants. Il ne s’agit pas d’une affaire de trouble à l’ordre public, pour laquelle une solution légale existe déjà.
Cette mesure est une impasse opérationnelle. Prenons garde à ne pas fragiliser les investigations judiciaires en cours.
M. Michaël Taverne (RN). Tout cela relève en effet davantage du domaine réglementaire.
Certes, il existe des risques d’interférences entre la police administrative et la police judiciaire, mais ils sont écartés de manière naturelle à l’échelon local.
Par ailleurs, la construction de réseaux de grande ampleur peut précisément commencer par l’utilisation la plus discrète possible de petits commerces. Les services d’investigation locaux ne s’en désintéressent pas puisqu’ils enquêtent fréquemment sur ces derniers et passent ensuite le relais à la police judiciaire lorsque c’est nécessaire.
Cet amendement est donc inutile.
Mme Sandra Regol (EcoS). J’entends les arguments du rapporteur sur les instances de discussion existantes. Mais ce texte permettra d’utiliser des techniques spéciales d’enquête. En raison de leur sensibilité, il sera plus difficile d’en faire part ouvertement aux élus municipaux et aux différents services. Même si toutes les enquêtes ne seront pas concernées, il faut anticiper cette difficulté.
Certes, cela peut relever du réglementaire, mais si l’on ne précise pas le texte, le risque de choix « hasardeux » s’en trouvera accru. Cela peut aboutir à des erreurs, avec un double effet négatif : en fermant indûment un commerce, on met quelqu’un dans l’embarras tout en perdant les résultats d’un travail d’enquête.
Quant au débat sur le haut et le bas du spectre, voilà trente ans que l’on mène une politique de lutte contre les petits trafiquants en se disant que cela finira par affecter les gros. Face à son échec cuisant, on est obligé de déposer en catastrophe une proposition de loi pour tenter de pallier tous les manquements passés.
Enfin, le blanchiment d’argent est effectué dans de grandes boutiques : les chambres de compensation et les banques. Or ce texte n’en parle pas.
M. Xavier Albertini (HOR). Lors des réunions des CISPD, les conseils intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance, beaucoup d’éléments accessoires sont parfois transmis. En outre, la manière dont ces réunions sont organisées n’est pas harmonisée, ce qui conduit à des différences importantes en matière d’information et de coordination selon les territoires.
Cet amendement présente le mérite d’uniformiser le degré d’information dont chacun bénéficie et c’est la raison pour laquelle nous voterons pour son adoption.
M. Éric Pauget, rapporteur. Il est normal que tout ne soit pas prévu par la loi. Lorsqu’une enquête judiciaire complexe est en cours, le préfet et le procureur doivent pouvoir échanger de manière informelle avant de prendre une décision.
En l’occurrence, l’article traite de la fermeture par arrêté préfectoral d’un commerce susceptible de poser un problème. Encore une fois, le préfet prendra cette décision en se fondant sur des éléments d’enquête. Il ajustera sa décision en fonction de ses discussions permanentes avec le procureur. Si nous uniformisions le cadre de ces échanges, nous risquerions d’amoindrir l’efficacité de la lutte contre le blanchiment. À trop vouloir formaliser la procédure au sein des CISPD, on risque d’aboutir à des rétentions d’information.
Lorsque l’on suspecte qu’un commerce est utilisé par des trafiquants et que sa fermeture les affaiblirait sans pour autant interférer dans une enquête judiciaire, il ne faut pas se priver de le faire.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL256 de Mme Émeline K/Bidi
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Avec cet amendement de repli, nous réitérons nos réserves sur un dispositif qui relève plus de la justice prédictive que de la prévention. Les critères qui permettent de fermer un commerce ne sont pas suffisamment précis.
C’est la raison pour laquelle nous proposons que tout arrêté de fermeture fasse l’objet d’une validation par le juge administratif, dans un délai de quinze jours. Cela lui permettra de contrôler a posteriori la proportionnalité de la mesure au regard des libertés et des droits fondamentaux, tout en analysant la bonne foi de la personne qui subit cette fermeture. En effet, certains commerçants peuvent être victimes des trafiquants et ne sont pas en mesure de s’opposer aux trafics organisés à l’intérieur même de leurs locaux.
Compte tenu de l’ensemble des réserves suscitées par cet article, nous proposons d’instaurer un minimum de garanties.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable.
Comme je l’ai déjà exposé, ces mesures de fermeture administrative sont évidemment susceptibles de recours devant le juge administratif, lequel statue dans un délai de quarante-huit heures.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Il est possible de solliciter le juge dans le cadre d’un référé-liberté, mais ce n’est pas systématique. Afin d’assurer une plus grande protection, notre amendement propose que toutes les décisions de fermeture soient validées par le juge administratif. Le délai de quinze jours qui lui est donné pour statuer évitera d’engorger les juridictions.
La commission rejette l’amendement.
Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL257 de Mme Émeline K/Bidi.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL630 de M. Éric Pauget, rapporteur.
Amendement CL258 de Mme Émeline K/Bidi
M. Éric Pauget, rapporteur. Demande de retrait. La décision peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL631 de M. Éric Pauget, rapporteur.
Amendement CL275 de M. Paul Molac
M. Paul Molac (LIOT). Cet amendement vise à mieux encadrer le renouvellement d’une fermeture administrative d’un commerce soupçonné de blanchiment. Après une première mesure de six mois, la prolongation devra être proportionnée et ne pourra excéder six mois.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable.
Si le juge est saisi, il examinera bien entendu la proportionnalité de la décision.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Une réponse aussi lapidaire me dérange lorsqu’il s’agit d’un droit fondamental. Dire que l’on s’apercevra du problème s’il y en a un est assez léger.
Le référé-liberté permet de contrôler dans les quarante-huit heures qu’une décision administrative respecte les formes, mais il ne permettra pas de l’annuler dans certains cas où il sera pourtant prouvé ultérieurement qu’elle était infondée. La réparation du préjudice risque alors de prendre beaucoup trop longtemps, même s’il peut être très lourd.
Nous devrions suivre la sagesse de M. Molac et adopter son amendement.
M. Paul Molac (LIOT). Mon amendement permet de fermer un commerce pendant un an. C’est déjà beaucoup car il s’agit de la liberté fondamentale du commerce. Je n’ai pas le sentiment d’être particulièrement révolutionnaire en proposant cela.
M. Stéphane Mazars (EPR). Dans l’hypothèse où il serait manifestement porté atteinte aux droits d’une personne, il lui est toujours possible de demander au juge administratif de suspendre l’exécution de la mesure de fermeture dans le cadre d’un référé-suspension.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL430 de M. Emmanuel Duplessy
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Vous l’avez compris, nous nous opposons à ce système de fermeture préventive. En tout état de cause, il faut au moins mettre en place un minimum de garde-fous.
Cet amendement propose d’instaurer une procédure contradictoire préalable avant toute fermeture administrative. Cela permettra au commerçant de se défendre. Une telle mesure de fermeture porte en effet atteinte au principe de la liberté du commerce, mais elle risque aussi de priver des gens de leur seul moyen de subsistance. Ce n’est pas neutre.
Par ailleurs, ces commerçants sont souvent eux-mêmes victimes du trafic de stupéfiants, par exemple lorsque les dealers font de leur établissement leur point de vente. Je peux vous garantir que l’intéressé n’est pas d’accord, mais que peut-il faire pour s’y opposer lorsqu’on le menace de représailles sur son commerce ou sa famille ?
Il faut vraiment être très vigilant. Je déplore qu’il n’y ait aucun système de protection et d’indemnisation pour ces commerçants. La procédure contradictoire que je propose leur permettrait d’ailleurs d’exposer leur problème aux enquêteurs et de demander à être protégés par la police.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable.
Il s’agit de mesures préventives de police administrative. En cas de recours, la personne concernée pourra argumenter et le juge évaluera si la décision du préfet est proportionnée. Mais il n’est pas opportun de prévoir une nouvelle procédure particulière.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Certains collègues veulent faire pleurer dans les chaumières en faisant croire que l’on va fermer les commerces de pauvres gens qui sont eux aussi les victimes du trafic de drogue. Certes, il y en a. Personne ne le nie. Mais les fermetures administratives dont il est question ici feront suite à des enquêtes menées par les services de police et de gendarmerie et à la demande des préfets. Les établissements concernés par ce texte sont donc bien ciblés. Ce sont ceux dans lesquels on sait qu’agissent les trafiquants.
Vous pouvez continuer à défendre ces derniers, mais assumez-le clairement plutôt que de vous cacher derrière des faux-semblants.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Le juge administratif contrôle les mesures de police administrative. Il lui revient d’apprécier si celles-ci sont proportionnées et de contrôler si les faits avancés constituent un trouble à l’ordre public. La jurisprudence est bien établie et il n’y a pas de crainte à avoir.
M. Christophe Blanchet (Dem). J’ai été pendant vingt ans représentant du syndicat professionnel des débits de boissons. À ce titre, j’ai assisté de nombreux commerçants lors de procédures de fermeture administrative pour trouble à l’ordre public. Le secrétaire général de la préfecture convoquait l’intéressé, lequel avait ensuite quarante-huit heures pour réfuter les griefs qui lui avaient été adressés. Dans certains cas, les rapports de police ne coïncidaient pas du tout avec la réalité et la procédure contradictoire en amont a été très utile.
Il ne faut rien s’interdire car, dans la réalité, tout est possible – y compris des rapports qui ne reflètent pas correctement ce qui se passe dans des établissements. J’ai ainsi pu obtenir que des préfets du Calvados revoient leur copie.
Le rôle du contradictoire dans la procédure n’est pas négligeable, car il permet parfois de faire apparaître certaines vérités.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). M. Dessigny a indiqué que ces fermetures administratives de commerces font suite à une enquête particulière. Or le texte ne le précise pas. C’est bien le problème.
Lorsque Sandra Regol a présenté un amendement permettant de s’assurer qu’une telle fermeture ne perturberait pas une enquête de police judiciaire, vous avez voté contre.
Outre le fait qu’une décision de fermeture pourrait avoir des effets sur une enquête en cours, la rédaction actuelle présente un risque de décision arbitraire.
Et je ne parle même pas de l’amendement CL107 de votre groupe, que nous examinerons plus loin et qui propose de confier au maire la décision de fermer un commerce. On entrerait alors dans un régime d’arbitraire total. Vous nous expliquerez comment les maires sont au courant des enquêtes de la police judiciaire ou de l’Office français antistupéfiants (Ofast) sur des petits commerces censés faire du très grand blanchiment pour de très grands trafiquants.
Alors que l’objectif de cette proposition est de sortir la France du piège du narcotrafic, je répète qu’elle ne le permettra malheureusement pas.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je m’inquiète des confusions dans les interventions de certains de nos collègues.
On nous parle de fermetures administratives pour trouble à l’ordre public, mais ce cas est déjà régi de manière très précise par la loi et il n’a rien à voir avec la mesure qui est proposée dans ce texte.
Ce dernier concerne le trafic de stupéfiant par le haut du panier. Comme l’ont souligné Sandra Regol et Antoine Léaument, il faut veiller à ne pas mettre en danger les enquêtes en cours.
L’amendement d’Emmanuel Duplessy traite bien des commerçants qui sont victimes de mesures de fermetures. Vous avez déjà refusé des amendements qui permettaient d’éviter des dérives inquiétantes vers l’arbitraire. Ce qui vous est proposé en l’occurrence consiste à prévoir une procédure contradictoire – appelez-la « entretien obligatoire préalable » si vous préférez réserver le terme contradictoire aux procédures judiciaires. C’est une bonne mesure qui mérite d’être soutenue.
M. Sacha Houlié (NI). Je soutiens l’amendement de M. Duplessy, en mémoire des travaux réalisés avec Christophe Blanchet sur la loi relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique (loi « engagement et proximité »), limitant les pouvoirs de fermeture administrative en raison de l’arbitraire observé, et en hommage aussi aux travaux que nous avons conduits ensemble, monsieur le président, sur la loi confortant le respect des principes de la République (loi « séparatisme ») de 2021, par laquelle nous avons ajouté à l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure une procédure de fermeture administrative au titre de la police des cultes. Cet article dispose que la fermeture est « prononcée par arrêté motivé et précédée d'une procédure contradictoire ». La procédure contradictoire n’est donc pas réservée au domaine judiciaire et ce principe doit donc pouvoir s’appliquer ici en matière administrative comme il le fait pour la police des cultes. Le cas échéant, et si M. Duplessy m’y autorise, je déposerai le même amendement lors de l’examen du texte en séance publique, car il me semble très bon.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Une grande confusion règne dans nos débats – je ne reviendrai pas sur le fait que, pour défendre un régime de fermeture administrative préventive, on nous explique qu’il reposerait sur des éléments judiciaires. De fait, dans ce cas, il ne s’agirait plus d’une mesure administrative, mais judiciaire !
C’est d’ordinaire la gauche qui est taxée d’angélisme, mais c’est une gageure que de penser, monsieur le rapporteur, qu’une personne victime d’une erreur de droit porte systématiquement plainte devant les tribunaux judiciaires ou administratifs. Par ailleurs, compte tenu de la violence d’un dispositif qui permet, unilatéralement, sans information ni enquête judiciaire, de fermer un commerce, on peut légitimement se demander si la personne ayant fait l’objet de cette mesure aura comme premier réflexe, pour faire valoir ses droits, de se tourner vers l’administration même qui a procédé arbitrairement à cette fermeture. Nous vivons heureusement en état de droit, mais l’effectivité des droits est une réalité très hypothétique.
Mon amendement, très modéré, ne vise qu’à garantir que la personne concernée soit au moins auditionnée et puisse se défendre, ce qui ne ralentit pratiquement pas la fermeture. Nous ne prenons aucun risque en l’adoptant.
M. Éric Pauget, rapporteur. Les autres procédures de fermeture administrative qui existent déjà dans le code de la sécurité intérieure ne prévoient pas de procédure contradictoire spécifique et sont donc régies par la procédure générale prévue dans le code des relations entre le public et l’administration : les personnes concernées peuvent, avant la décision du préfet, formuler par écrit des observations, et leurs droits sont préservés. N’alourdissons pas les procédures. En effet, si une procédure contradictoire spécifique était créée, il faudrait le préciser aussi dans les autres domaines, ce qui reviendrait à créer des usines à gaz. Je maintiens donc mon avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL107 de Mme Marie-France Lorho et sous-amendement CL665 de M. Matthias Renault
Mme Marie-France Lorho (RN). L’amendement vise à redonner aux maires la place légitime qui leur revient dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Le maire est en effet le plus apte à connaître sa ville et il dispose de pouvoirs administratifs lui permettant de prononcer, dans certains cas, des fermetures administratives, notamment pour des raisons d’ordre sanitaire. Il s’agit donc de lui permettre de prononcer, pour une durée n’excédant pas un mois, la fermeture administrative d’établissements susceptibles de mener des opérations en lien avec le trafic de stupéfiants, le recel ou le blanchiment. À l’échelle locale, l’édile semble pouvoir observer plus rapidement que le représentant de l’État les agissements douteux de certains établissements. L’amendement permettrait donc de mener avec une plus grande célérité la lutte contre le narcotrafic.
Ces dispositions, complémentaires à l’action du représentant de l’État, permettraient d’ailleurs de prolonger les dispositifs de fermeture administrative pour des établissements sur lesquels pèsent des soupçons sérieux de participation à de telles activités en lien avec le trafic de stupéfiants.
M. Matthias Renault (RN). Le sous-amendement est à la fois de repli et de précision. Je soutiens évidemment l’amendement de Mme Lorho, car les maires sont ceux qui connaissent le mieux les commerces et l’immobilier de leur territoire, et donc les commerces susceptibles de faire l’objet d’activités suspectes. La compétence nouvelle qui leur serait donnée serait toutefois exorbitante et le sous-amendement tend donc à en restreindre le champ à la présomption de blanchiment. Nous apporterions ainsi un complément au débat juridique qui a eu lieu tout à l’heure : alors que la disposition initiale avait pour objet de permettre aux préfets de lutter contre les commerces pratiquant le blanchiment, la rédaction de l’amendement élargirait le champ à de très nombreuses infractions.
La présomption de blanchiment repose aujourd’hui, en matière de terrorisme, sur un faisceau d’indices, ce qui permet au moins d’objectiver les critères d’une fermeture administrative. Le sous-amendement propose certes d’appliquer ces dispositions aux maires, mais on pourrait réfléchir à l’élargissement de la mesure aux préfets.
M. Éric Pauget, rapporteur. Sur le principe, je ne suis pas favorable à ce que nous permettions aux maires de prendre de telles décisions. Ce n’est pas leur rendre service et, d’ailleurs, comme je l’ai constaté en consultant l’AMF, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité, ils ne le demandent pas.
En outre, l’opportunité de cette mesure dépend de la taille des communes et des moyens dont disposent les maires. De fait, les communes sont toutes différentes et, si le maire d’une commune importante disposant d’un service juridique et administratif peut rédiger un tel arrêté, cela mettrait au contraire dans une très grande difficulté juridique le maire d’un petit village de quelques centaines d’habitants. Mieux vaut donc laisser le préfet prendre ces arrêtés, sur la base de signalements fournis par le maire. Avis défavorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Donner aux maires un pouvoir de fermeture administrative des commerces suspectés d’avoir un lien avec le trafic de stupéfiants est une mesure exorbitante sur le plan du droit et du respect des libertés, notamment de la liberté du commerce. Je rappelle qu’il n’y a pas, en la matière, de procédure contradictoire, puisque vous avez refusé l’amendement de M. Duplessy, qui aurait dû s’appliquer ici.
Qui plus est, cet amendement et ce sous-amendement sont mal rédigés. En effet, monsieur Renault, alors que votre sous-amendement vise à limiter l’application de la mesure à la présomption de blanchiment, les articles que vous maintenez concernent très largement, non pas seulement le blanchiment, mais le trafic de stupéfiants lui-même, ce qui recouvre une quantité considérable d’autres infractions.
Sur le plan légistique, enfin, il aurait été plus pratique de modifier les articles existants. Vous ne pouvez pas reprocher sans cesse aux insoumis de complexifier le droit lorsque nous nous efforçons de le faire respecter, tout en rallongeant vous-mêmes interminablement le code de la sécurité intérieure et le code de procédure pénale. Sur ce dernier code et sur la complexification du droit, nous aurons d’ailleurs quelques questions à poser au ministre de la justice. Nous n’avons, en effet, plus de nouvelles de la modification par ordonnances du code de procédure pénale qui avait été engagée voilà quelque temps. Il y aura donc lieu de reparler de la simplification du code de procédure pénale et, pour ce qui nous concerne ici, du code de la sécurité intérieure.
M. Hervé Saulignac (SOC). On nous propose ici un « amendement shérif », qui veut conférer aux maires le pouvoir de fermer un établissement – et pourquoi pas aussi celui de confisquer un véhicule ou de placer en garde à vue dans les sous-sols de la mairie des personnes qui seraient soupçonnées de blanchiment ? C’est très préoccupant.
Monsieur le rapporteur, je souscris à la quasi-totalité de vos propos. Il est, notamment, tout à fait juste de dire que les maires ne demandent pas de tels pouvoirs – à l’exception peut-être de quelques maires du Rassemblement national. Et si même eux ne le demandent pas, pourquoi déposer de tels amendements ? Soyons sérieux ! Les maires ont des pouvoirs de police de plus en plus importants, et parfois très embarrassants, notamment pour ceux de petites villes ou de villes moyennes. N’ajoutons pas au poids qui pèse déjà sur leurs épaules des pouvoirs exorbitants qui doivent rester aux mains de la justice et de la police administrative.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Adopter cet amendement et ce sous-amendement serait faire aux maires un cadeau empoisonné, car cela risquerait de les placer sous la menace de certains réseaux, alors qu’il n’est pas certain que nous soyons en mesure d’assurer la protection de tous les maires qui subiraient cette menace s’ils devaient fermer certains établissements participant à des réseaux quasi mafieux. Laissons donc aux préfets cette décision qui, comme l’a dit très justement le rapporteur, peut être prise en lien entre le maire et le préfet si le besoin s’en fait sentir.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Les maires communiquent déjà les informations au préfet lorsque c’est nécessaire, mais les services de la préfecture sont très souvent submergés et il leur faut très longtemps pour prendre connaissance des dossiers, pour les traiter et pour répondre. Permettre aux maires de prononcer la fermeture administrative nous fera gagner un temps que nous retirerons aux trafiquants pour faire leur petit business dans la rue. Plus on laisse de temps à un point de deal pour s’installer, plus il est difficile ensuite de reconquérir le terrain. Les maires doivent donc pouvoir intervenir tout de suite. Quant aux pressions qui pourraient s’exercer sur eux, ils les subissent déjà au quotidien, car ils sont déjà en première ligne face aux trafiquants de drogue.
La question n’est pas de savoir quelle est l’étiquette politique des maires qui le demandent, mais il s’agit de leur donner, non pas une charge supplémentaire, mais une arme de plus pour lutter contre le trafic de drogue.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Les élus locaux connaissent très bien leur ville et les établissements qui peuvent poser problème. Plus qu’un pouvoir de fermeture, ils souhaiteraient une bonne coopération avec les services de l’État, en particulier pour organiser des Codaf, qui peuvent permettre la fermeture d’établissement posant problème. Ils n’ont pas besoin de plus.
M. Éric Pauget, rapporteur. Le problème tient, non pas à la couleur politique des mairies, mais à la taille et aux infrastructures administratives des communes. Une commune d’une certaine importance a les moyens administratifs et juridiques de rédiger et, en cas de recours, de défendre des arrêtés municipaux en la matière, alors que le maire d’un petit village devra, en pareil cas, prendre un avocat. Vous allez mettre les maires en difficulté plus que vous ne les aiderez. Mieux vaut travailler la liaison et la coordination avec le préfet, de telle sorte que le maire signale les problèmes au préfet et lui demande des comptes pour que la décision soit prise, plutôt que d’ajouter une charge et une responsabilité supplémentaires qu’un maire de grande commune pourra peut-être assumer, mais pas un maire de petite commune.
La commission rejette successivement le sous-amendement et l’amendement.
La réunion, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures vingt.
La commission adopte l’amendement de coordination CL632 de M. Éric Pauget, rapporteur.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement de cohérence CL403 de M. Emmanuel Duplessy
Amendement CL173 de Mme Sandra Regol
Mme Sandra Regol (EcoS). Il vise à recentraliser la gestion du système d’immatriculation des véhicules. En effet, depuis la transformation de ce système, en 2017, on observe de nombreuses imprécisions et difficultés, qui favorisent les pratiques frauduleuses ou les mauvaises immatriculations. L’amendement tend donc à rétablir un système qui fonctionnait un peu mieux. Voilà quelque temps, en effet, la presse a révélé les effets du dispositif actuel. Il est donc temps de rétablir des outils plus fonctionnels.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable. Il ne me semble pas bon de recentraliser un dispositif qui a été décentralisé. Il vaut mieux nous concentrer sur les critères d’habilitation des tiers de confiance et renforcer leur certification.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il n’est pas impossible de tout recentraliser, mais cela interdirait par exemple à un concessionnaire automobile de procéder directement, en qualité de tiers de confiance, à l’immatriculation des véhicules qu’il vend. On a cependant vu fleurir des entreprises de services qui proposent de faire à votre place vos démarches d’obtention de carte grise, compte tenu de la difficulté de ces démarches – même si cette difficulté est moindre que lorsque cette procédure a été dématérialisée.
Cela renvoie par ailleurs à d’autres débats que nous avons eus, à propos notamment de la nécessité d’un accueil physique – par un être humain – dans les services de la préfecture pour les personnes rencontrant des difficultés pour effectuer des démarches administratives. Il est regrettable, à cet égard, que la proposition de loi adoptée par notre assemblée à l’occasion de la niche parlementaire du groupe La France insoumise n’ait pas été encore été reprise par le Sénat.
La marchandisation et la libéralisation du service à la démarche administrative étaient aussi une stratégie de l’État : nous avons créé nous-mêmes des problèmes. J’ai ainsi constaté dans ma circonscription que certains commerces de ce type pouvaient faire partie de réseaux de blanchiment. C’est le combo gagnant de tous les ingrédients ! Je précise toutefois qu’une enquête judiciaire est en cours. Il y a là un vrai problème, sans aucune volonté de le régler. Nos collègues ont donc raison de proposer un amendement visant à la recentralisation de ces procédures.
Mme Sandra Regol (EcoS). Si une partie de ces fraudes évite de payer des contraventions, le problème central tient plutôt aux véhicules volés rendus impossibles à tracer, à la manipulation de l’immatriculation de véhicules destinés aux go fast pour le trafic de stupéfiants ou à l’importation de véhicules de luxe échappant à de nombreuses taxes. Ces opérations frauduleuses reposent sur une modification des informations au bénéfice des organisations criminelles. Ces dérives sont rendues possibles du seul fait qu’un certain flou a été introduit dans la gestion des immatriculations.
Nous sommes réunis pour trouver ensemble de bons outils. Si vous considérez que la centralisation pure et simple n’en est pas un, peut-être pourrions-nous nous engager à travailler sur un meilleur. Toujours est-il que nous ne pouvons pas laisser perdurer la situation actuelle tout en affirmant que nous voulons lutter contre les véhicules qui servent au trafic.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL341 de M. Yoann Gillet
M. Yoann Gillet (RN). La lutte contre les stupéfiants exige des moyens d’action concrets et efficaces. Or nos policiers municipaux, pourtant en première ligne, sont aujourd’hui entravés par un accès limité à certains fichiers pourtant essentiels à leurs missions. Dans nos communes, les trafiquants de drogue utilisent des véhicules volés, munis par exemple de plaques falsifiées, ou immatriculés sous des prête-noms, pour échapper aux forces de l’ordre, tandis que les policiers municipaux, bien qu’au contact direct de ces criminels et délinquants, n’ont pas accès aux informations permettant d’identifier ces véhicules suspects. En effet, lorsqu’un policier municipal souhaite vérifier si un véhicule est signalé comme volé ou impliqué dans un trafic, il doit passer par une procédure administrative en sollicitant la police nationale ou la gendarmerie, lesquelles d’ailleurs lui refusent parfois la consultation du fichier si elles n’ont pas de temps à y consacrer. Pendant ce temps, les trafiquants peuvent disparaître et vaquer à leurs occupations.
Dans un esprit constructif, il faut impliquer davantage les polices municipales et faire d’elles des partenaires des forces de l’ordre de l’État, en leur permettant de consulter certains fichiers. L’amendement vise un fichier spécifique, mais on pourrait aller bien au-delà en permettant aux polices municipales la consultation d’autres fichiers qui leur permettraient d’agir davantage au quotidien.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je travaille depuis deux ans déjà sur ce sujet dans le cadre du groupe d’études sur les polices municipales, dont plusieurs d’entre vous sont membres. Sur le fond, je suis favorable à cette mesure, mais elle n’est pas applicable juridiquement. Par deux fois, en effet, en 2011 et en 2021, le Conseil constitutionnel l’a censurée, parce que ces fichiers sont de nature judiciaire et que les agents de police municipale n’ont pas le statut d’officier de police judiciaire. Tout le travail réalisé au sein du groupe d’études et dans le cadre du Beauvau des polices municipales, relancé l’année dernière par le ministère, consiste à trouver l’articulation juridique permettant aux polices municipales de bénéficier, pour certaines missions et certains fichiers, d’une extension judiciaire sous le contrôle du procureur. Il faut toutefois que les maires acceptent cette mesure. Je vous demande de retirer cet amendement, car nous devrions avoir d’ici à l’été un texte répondant à ces besoins.
Mme Sandra Regol (EcoS). Il s’agit, une fois encore, d’aligner les compétences et les droits et devoirs des polices municipales sur ceux de la police nationale. Or ce sont là deux polices, complémentaires mais caractérisées par des formations et des missions différentes. Entretenir le flou n’aide aucune des deux et contribue, au contraire, à ce qu’il soit plus difficile pour la population de comprendre qui peut faire quoi et à qui s’adresser.
Il faut évidemment, monsieur le rapporteur, faire du lien, coordonner et assurer un soutien, mais l’amendement ajoute du flou au flou et rend encore plus difficile de faire avancer les procédures. Nous y sommes donc tout à fait opposés.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Les polices municipales sont des services municipaux placés sous la responsabilité directe des maires et des élus. C’est donc aux maires qu’il revient de dire ce qu’ils veulent faire ou ne pas faire avec leur police municipale. Les élus locaux ne sont pas dupes de ce qu’est le continuum de sécurité et chacun a bien compris le rapport instauré avec les services de l’État, en particulier avec la police nationale, dont la philosophie peut se résumer ainsi : « ce qui est à moi est à moi et tout ce qui est à toi est à moi aussi ». Ce mélange des genres pose problème, sans que les maires aient leur mot à dire. Or ils souhaiteraient plutôt une coopération avec les services de l’État, dont la police nationale, sur un réel pied d’équité, ce qui n’est pas tout à fait le cas actuellement.
Par ailleurs, il est faux de dire, comme on le lit dans l’exposé des motifs qui accompagne l’amendement, qu’ils ont « la responsabilité d’intervenir en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants », car cela ne figure pas dans leur cadre d’emploi, à moins de le modifier.
M. Yoann Gillet (RN). Même si elle n’a pas de rôle d’enquête, il incombe bien à la police municipale d’intervenir en cas de flagrant délit de trafic de stupéfiants. Je peux vous citer plusieurs exemples de communes dont les polices municipales sont très performantes – et je salue à cette occasion celle de la ville de Beaucaire, qui réalise 90 % des arrestations effectuées sur le territoire de la commune, la police nationale étant trop peu présente, faute d’effectifs suffisants.
Quant à l’accès aux fichiers, il s’agit aussi de protéger les agents de police municipale, car il est bon qu’ils connaissent le profil des personnes qu’ils contrôlent. De fait, savoir qu’un véhicule est volé fournit déjà un premier indicateur quant au fait que ses occupants sont potentiellement dangereux, y compris pour les policiers municipaux eux-mêmes. La gauche devrait arrêter de prendre les policiers municipaux pour des sous-policiers ! Dans de nombreux territoires, ils sont les primo-intervenants et sont exposés à une délinquance et à une criminalité très importantes. Sans eux, de nombreux territoires sombreraient. Nous aurions donc intérêt à marquer le coup et à approuver cet amendement.
Monsieur le rapporteur, certes, vous travaillez depuis deux ans sur ce sujet, mais il importe aussi d’expliquer au gouvernement qu’il faut aller vite. Les policiers municipaux méritent notre respect pour le travail qu’ils font. Je rappelle en outre qu’ils travaillent sous les ordres du maire, qui est officier de police judiciaire.
Mme Brigitte Barèges (UDR). J’ai déposé deux amendements qui ont été déclarés irrecevables, au motif qu’ils n’avaient aucun lien avec ce texte. Or, à l’issue de l’audition d’hier, j’ai rencontré par hasard M. Gérard Darmanin, ministre de la justice, à qui j’ai expliqué l’intérêt de ces deux propositions et qui s’y est dit tout à fait favorable.
Le premier de ces amendements visait à ce que, dans le cadre d’une convention de coordination avec la police nationale sous l’égide du préfet et du procureur, la police municipale puisse mettre à la disposition de la police nationale, qui manque de moyens, des chiens dressés pour détecter les stupéfiants.
Le second visait à étendre au narcotrafic la possibilité offerte aux policiers municipaux d’infliger des amendes forfaitaires délictuelles pour des délits tels que les outrages sexuels ou autres faits d’une certaine gravité. Cette mesure soulagerait les services de l’État – police de l’État ou gendarmerie – et contribuerait à la lutte contre le narcotrafic.
Je ne comprends pas en quoi ces amendements ont été considérés comme sans lien avec le sujet de la proposition de loi et je me permettrai donc de les redéposer lors de l’examen du texte dans l’hémicycle, avec la bénédiction du ministre de la justice, qui m’a dit d’en parler avec M. Retailleau, ministre de l’intérieur.
M. le président Florent Boudié. Madame Barèges, c’est moi, et non pas le garde des sceaux, qui décide de la recevabilité des amendements au titre de l’article 45 de la Constitution.
Après avoir pris divers avis, j’ai conservé l’amendement en discussion parce qu’il était habilement écrit et avait un lien indirect avec le texte. Ceux que vous venez de présenter n’existent pas, puisqu’ils ont été jugés irrecevables – et le seront sans doute également pour la séance publique.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Contrairement à ce que vient d’affirmer le Rassemblement national, la gauche a beaucoup de respect pour le travail de la police municipale, qui est celui, très utile, que faisait la police de proximité avant d’être supprimée. La police municipale est présente dans le centre des villes et dans les quartiers, elle rencontre la population, les associations et les commerçants et, contrairement à ce qui est affirmé, travaille en collaboration avec la police nationale, mais chacune dans son domaine de compétence prévu par la loi. Il n’est pas question que la police nationale devienne municipale, et réciproquement. Ces policiers sont formés et ont l’habitude de travailler ensemble. La police municipale joue souvent un rôle essentiel en matière d’arrestations et de prévention. Les policiers municipaux sont souvent les premiers à lancer l’alerte, prévenant leurs collègues de la police nationale. Ils sont toujours en appui et sont indispensables. Veillons donc à conserver à chacun son domaine de compétence et ne faisons pas de faux procès à la gauche à propos de la police municipale.
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques CL4 de M. Antoine Léaument et CL315 de Mme Elsa Faucillon
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Interdire de payer en liquide la location d’une voiture relève d’un abus de pouvoir manifeste. Certaines personnes arrivant de l’étranger ne peuvent pas payer avec une carte bancaire. Qui plus est, 5 % des Français n’ont pas de carte ; ils n’auront pas de solution alternative, alors que les narcotrafiquants, eux, si. En clair, vous tapez si large pour avoir l’air ferme que vous en perdez toute efficacité.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Cette disposition est totalement disproportionnée et d’autres lui sont assurément préférables : cibler un certain type de véhicules, par exemple. En revanche, fixer un montant maximal ne serait pas pertinent, puisqu’il ne serait pas possible de distinguer celui qui loue une grosse voiture pendant une journée pour faire un go fast de la famille qui loue un camping-car pendant quinze jours.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable. Toutes les directions du ministère de l’intérieur qui traitent les problèmes de stupéfiants nous ont dit que la location de voiture en espèces était un vrai problème, notamment dans le cas des go fast.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Alors que la loi limite à 1 500 euros le paiement en espèces entre particuliers et à 1 000 euros celui entre un particulier et un professionnel, les trafiquants n’en ont visiblement que faire. Ajouter une interdiction dont ils se passeront ne me semble pas opportun : elle ne fera que pénaliser des tas de gens qui, eux, respectent la loi.
Mme Pascale Bordes (RN). Replaçons l’église au milieu du village : les professionnels nous disent que le paiement en espèces dans les agences de location, qui empêche toute traçabilité, facilite grandement le trafic. Certes, on pénalisera peut-être les quelque 5 % de la population qui n’ont pas de carte bancaire, mais de qui s’agit-il ? De personnes âgées qui ne louent pas de véhicule ou de personnes aux revenus trop modestes pour en louer un. Entre lutter contre les narcotrafiquants et préserver tout le monde, il faut choisir ; nous voterons contre les amendements.
La commission rejette les amendements.
Amendements CL276 de M. Paul Molac, CL5 de M. Ugo Bernalicis et CL195 de Mme Océane Godard (discussion commune)
M. Paul Molac (LIOT). Nous proposons que la somme maximale pour régler en liquide la location d’un véhicule soit fixée par décret, afin de ne pas pénaliser ceux qui n’ont pas de carte bancaire tout en interdisant l’accès aux voitures dotées d’un moteur particulièrement puissant.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le site service-public.fr rappelle que : « Le paiement en espèces d’un particulier à un professionnel ou entre professionnels est autorisé jusqu’à 1 000 euros. » Cela me semble suffisant, d’autant que je pensais que le texte avait pour but de s’attaquer au haut du spectre. Il faudrait peut-être plutôt s’intéresser aux loueurs ; quant à celui qui loue, le problème n’est pas tant qu’il paie en liquide que ce qu’il veut faire du véhicule.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Madame Bordes, des retraités louent des voitures pour 60 euros par jour.
Nous souhaitons limiter l’interdiction des paiements en espèces aux locations de véhicule d’un montant supérieur à 500 euros. En réalité, ces véhicules servent assez peu aux narcotrafiquants – qui utilisent plutôt de grosses cylindrées volées ou maquillées – et il serait plus efficace d’exiger une pièce d’identité valide, parce qu’il est tout de même assez rare qu’un gros trafiquant loue une voiture à son nom.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Ce n’est pas parce que cette disposition fait suite à une demande des professionnels qu’elle sera efficace. Elle va entraver beaucoup de gens. Si ceux qui n’ont pas de carte bleue sont minoritaires, en revanche, le problème du plafond de dépenses par carte en concerne bien plus. Quand on en a pour 1 500 euros de location de voiture pour les vacances, sans compter les autres dépenses, il est fréquent de payer en liquide pour éviter un blocage de la carte. Les trafiquants, eux, contourneront aisément cette interdiction.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL221 de M. Emmanuel Duplessy
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Cet amendement vise à soumettre les loueurs ou vendeurs d’aéronefs privés au dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT), les jets privés faisant partie intégrante du circuit de blanchiment d’argent. Au moins, nous serons sûrs de taper sur le haut du panier !
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis favorable. Cela anticipe l’entrée en vigueur d’une prochaine réglementation européenne qui vise justement ces aéronefs.
La commission adopte l’amendement.
La commission adopte l’amendement de coordination CL633 de M. Éric Pauget.
Amendements identiques CL136 de Mme Éléonore Caroit et CL196 de Mme Colette Capdevielle, amendement CL277 de M. Paul Molac (discussion commune)
Mme Éléonore Caroit (EPR). Cet amendement vise à exclure les avocats du dispositif de certification des connaissances minimales de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il semble incongru de demander aux avocats de se soumettre à cette formation. C’est aussi contraire au principe d’indépendance de la profession et à son autorégulation. Si vous en vouliez la preuve, le Groupe d’action financière (Gafi), qui fait référence en la matière, indique que les avocats ont une bonne compréhension de ces enjeux. Enfin, les avocats ne sont pas des facilitateurs d’activités criminelles, comme certaines dispositions du texte semblent le suggérer ; au contraire, ils sont des auxiliaires de justice qui en garantissent l’indépendance et l’équité.
Mme Colette Capdevielle (SOC). En effet, nous avons entendu une désagréable petite musique pendant les auditions. Les avocats méritent mieux que la caricature qui en est faite par certains, dont des policiers et des magistrats. L’expression d’avocat complice est inacceptable. Le rôle des avocats n’est pas d’entraver l’œuvre de justice mais de garantir, y compris dans les affaires de narcotrafic, que chacun puisse bénéficier de l’application de la loi, de la présomption d’innocence et d’un procès équitable. Si l’avocat était complice, il serait poursuivi.
M. Éric Pauget, rapporteur. Il ne s’agit pas de cibler les avocats mais bien l’ensemble des professionnels assujettis à la réglementation de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Les huissiers et les notaires sont aussi soumis à cette réglementation. Avis défavorable.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL634 de M. Éric Pauget et CL231 de M. Hervé Saulignac (discussion commune)
M. Éric Pauget, rapporteur. Mon amendement vise à préciser le mécanisme de radiation d’office du registre du commerce et des sociétés (RCS) des sociétés ayant mal ou jamais déclaré leurs bénéficiaires effectifs, en introduisant une étape de mise en demeure, pour qu’elles aient l’opportunité de régulariser leur situation. Il propose un mécanisme similaire dans le cas où une société ne défèrerait pas à une injonction du président du tribunal de commerce de déclarer ou de rectifier les données relatives à ses bénéficiaires effectifs et procède également à des coordinations pour l’outre-mer.
M. Hervé Saulignac (SOC). Nous proposons d’introduire un délai d’un mois entre la demande de régularisation et la radiation d’office, afin que les sociétés de bonne foi puissent régulariser leur situation ; on évitera ainsi de nombreux et inutiles contentieux.
M. Éric Pauget, rapporteur. Demande de retrait. Je vous suggère de vous rallier à mon amendement qui a été rédigé avec les services de la justice et qui prévoit justement une étape pour permettre à l’entreprise de régulariser sa situation.
L’amendement CL231 est retiré.
La commission adopte l’amendement CL634.
Amendement CL8 de M. Antoine Léaument
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’article ouvre à de nombreux agents l’accès à des fichiers bancaires ou d’assurance vie notamment. C’est une mesure utile que recommandaient déjà Antoine Léaument et Ludovic Mendes dans leur rapport. Mais selon nous, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) devrait pouvoir contrôler la conformité de ces opérations. Dans son rapport de 2023, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) explique qu’elle a « vu émerger depuis deux ans une augmentation des ventes de consultations de fichiers de police à des fins délictuelles sur les réseaux sociaux, en partie liée à la mobilité des moyens de consultation des fichiers », et que « le nombre d’enquêtes de police et de gendarmerie [sur la corruption d’agents] […] ont augmenté entre 2016 et 2021 de 48 % ». Ce n’est pas un phénomène négligeable, d’où notre demande d’encadrer l’accès aux fichiers.
M. Éric Pauget, rapporteur. Nous avons examiné la plupart des articles avec la Cnil, qui n’a pas identifié de problème particulier concernant l’article 3. Rien ne l’empêche, qui plus est, d’exercer des contrôles. Avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). S’il n’y a pas de problème pour la Cnil, pour nous, il y en a un – car nous conservons un esprit critique et nous ne sommes pas la courroie de transmission de telle institution, association ou syndicat. Je suis favorable à l’ouverture de cet accès aux fichiers mais il faut des garanties. Sans contrôle de la Cnil, les accès aux fichiers par l’administration se font parfois en dépit du bon sens. L’IGPN elle-même affirme qu’ils sont un élément de la corruption, notamment par la criminalité organisée qui obtient ainsi des données bancaires ou de domiciliation avant d’aller liquider des personnes chez elles. Quant aux autosaisines de la Cnil, vu ses moyens, si elle arrive à faire tout ce qu’elle est obligée de faire, ce ne sera déjà pas mal.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL461 de M. Christophe Blanchet
M. Christophe Blanchet (Dem). L’amendement vise à donner aux agents des douanes un accès aux données juridiques immobilières afin de leur permettre d’identifier de manière efficace les avoirs immobiliers et les biens des trafiquants dans le cadre de l’objectif de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
M. Éric Pauget, rapporteur. Votre amendement complète l’alinéa 60 de l’article 3, qui élargit déjà l’accès à cette base aux officiers des douanes. Par cohérence, avis favorable.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL635 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Cet amendement, rédigé avec les services des douanes, propose une nouvelle rédaction des alinéas relatifs à leur capacité à saisir une somme d’argent sur les comptes bancaires.
En premier lieu, il retire la mention des officiers de douane judiciaire : ceux-ci disposent des mêmes prérogatives que les officiers de police judiciaire lorsqu’ils agissent sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire d’un juge d’instruction. En deuxième lieu, pour des raisons de lisibilité, il inscrit dans le code des douanes la procédure de saisie, plutôt que d’opérer un renvoi au code de procédure pénale, cette procédure ne devant s’appliquer que dans le cadre d’enquêtes douanières.
Cette compétence des agents des douanes pour procéder, en cours d’enquête douanière, à la saisie d’une somme portée au crédit d’un compte bancaire est justifiée par l’extrême volatilité des fonds et la fugacité de la fraude douanière.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL197 de Mme Océane Godard
Mme Colette Capdevielle (SOC). Cet amendement vise à renforcer le pouvoir des greffiers des tribunaux de commerce dans le contrôle des pièces d’identité étrangères pour l’immatriculation au RCS.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.
Amendement CL636 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Il vise à reporter l’entrée en vigueur de l’assujettissement des agents de biens et des vendeurs et loueurs de véhicules et navires à une date fixée par décret, afin d’harmoniser le cadre national avec les nouvelles règles européennes relatives au blanchiment, qui doivent entrer en vigueur au plus tard le 10 juillet 2027.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 3 modifié.
Article 3 bis (nouveau) (art. 67 sexies du code des douanes) : Accès des douanes aux données des opérateurs de transport et de logistique
Amendement CL640 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Cet amendement vise à préciser le périmètre des opérateurs qui doivent permettre l’accès à leurs données aux douanes, pour y inclure expressément les entreprises des secteurs aérien, ferroviaire ainsi que maritime et fluvial.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CL641 de M. Éric Pauget et CL108 de M. Yoann Gillet (discussion commune)
M. Éric Pauget, rapporteur. L’amendement étend la durée de conservation des données à deux ans au lieu de six mois, en cohérence avec les besoins opérationnels des douanes, et prévoit une amende pour les opérateurs qui fourniraient des données inexploitables ou incomplètes.
L’amendement CL108 étant moins-disant, avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le délai d’accès en temps réel et l’amende sont disproportionnés. Imaginez tout de même : 50 000 euros parce qu’il manque des données à cause d’un bug informatique, par exemple ! Cela me rappelle l’article dit de la porte dérobée qui dispose que l’on ne peut pas opposer d’argument technique aux services sous peine d’avoir une amende. Vous vous trompez de cible.
Mme Sandra Regol (EcoS). Un tel délai de conservation des données est excessif et inédit. Comment se justifie-t-il ?
M. Éric Pauget, rapporteur. C’est une demande du service des douanes. Ils travaillent sur des dossiers compliqués, qui rendent nécessaire un tel historique. Si l’amende est lourde, c’est parce qu’ils ont beaucoup de difficultés de coopération avec ces organismes.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le champ de cette mesure, qui crée en réalité une nouvelle infraction douanière, est trop large et sa définition trop floue. Est-elle contestable ? Quelles sont les voies de recours ?
M. Olivier Marleix (DR). Je ne comprends pas les inquiétudes que suscite cet amendement. Ce n’est pas une nouvelle infraction mais une habilitation à accéder à des données relatives à l’identification et à la traçabilité des trafics internationaux de la logistique et du transport. La conversion à la défense de la liberté d’entreprise progresse à très grande vitesse chez Ugo Bernalicis. Le voilà même à défendre CMA CGM ! Nous savons qu’au moins 80 % de la drogue qui entre dans notre pays passe par les ports. Vous nous avez reproché toute la matinée de taper à côté de la plaque. Or, là, on est au cœur du système mafieux international des narcotrafiquants. Le phénomène est grave ; des jeunes et des enfants en sont victimes. Essayons donc au moins de nous accorder sur cette proposition.
M. Éric Pauget, rapporteur. Les douanes n’ont pas affaire à des particuliers. Encore une fois, je comprends qu’une amende de 50 000 euros puisse paraître lourde, mais elle s’appliquerait, en l’occurrence, à des grandes entreprises, dont certaines refusent clairement de coopérer, notamment dans le domaine de la logistique. Cette amende doit les inciter à fournir des informations précises dans le cadre d’enquêtes sur des faits de narcotrafic. Il ne s’agit pas de s’attaquer au commerçant du coin. Je maintiens donc mon amendement.
L’amendement CL108 est retiré.
La commission adopte l’amendement CL641.
Amendements identiques CL9 de M. Ugo Bernalicis et CL198 de M. Hervé Saulignac
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous proposons d’exiger un avis conforme de la Cnil sur le décret d’application de l’article. Je sais bien que les données dont il est question ici ne concernent pas des individus et ne sont pas, à strictement parler, des données personnelles, mais elles n’en constituent pas moins des éléments sensibles, particulièrement dans le monde d’aujourd'hui, où elles peuvent être piratées et utilisées à d’autres fins : en matière de circulation des données, je prône le principe de précaution. France Info a récemment montré comment il est possible de collecter les données GPS de parlementaires ou de ministres disponibles sur le marché privé, et ainsi de savoir quels lieux ils ont fréquenté et à quel moment.
Que la Cnil puisse encadrer la collecte de données par un avis détaillé serait donc bien le minimum, d’autant que, dans la rédaction que vous proposez, le simple fait d’oublier de cocher une case pourrait donner lieu à une amende de 50 000 euros – je caricature à peine, puisque vous ne prévoyez même pas la nécessité d’un élément intentionnel ni l’existence du moindre seuil.
M. Hervé Saulignac (SOC). Un avis n’a pas de sens s’il n’a aucune portée : ceux de la Cnil, qui fait son travail avec rigueur et sérieux depuis de nombreuses années, doivent être pris en compte. Il ne paraîtrait pas exorbitant, bien au contraire, de lui conférer un pouvoir de blocage en prévoyant qu’elle rende un avis conforme sur les traitements de données prévus à l’article 3 bis.
M. Éric Pauget, rapporteur. La Cnil sera saisie, comme il se doit, mais elle ne rend pas d’avis conforme. La question ne se pose donc pas en ces termes.
Mme Sandra Regol (EcoS). Nous venons d’adopter une série d’amendements étendant nettement la durée de conservation des données par les douanes – à la demande des services, j’entends bien. L’équilibre que nous souhaitons garantir avec ces amendements n’aurait pas pour effet d’édulcorer le dispositif, mais bien de le renforcer. Peut-être pouvez-vous envisager de revoir votre avis, en vue de rassembler le plus largement possible autour de votre position.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). En prévoyant que la Cnil rend un avis conforme, nous créerions effectivement un nouveau concept : c’est le principe même de l’élaboration de la loi. S’il n’est effectivement pas prévu que la Cnil puisse rendre des avis conformes, il ne lui est pas non plus interdit de le faire. Nous pouvons donc tout à fait en décider. Peut-être cette innovation aura-t-elle même vocation à s’étendre : nous donnerions ainsi un nouveau pouvoir à la Cnil, qui aurait réellement l’autorité de valider ou de proscrire certains dispositifs, ce qui permettrait de protéger un certain nombre de libertés fondamentales.
M. Éric Pauget, rapporteur. M. Bernalicis ayant indiqué ce matin qu’il voterait contre le texte indépendamment du sort des différents amendements et articles, je maintiens mon avis défavorable.
La commission rejette les amendements.
Elle adopte l’article 3 bis modifié.
Article 4 (art. 324-1-1 du code pénal, 17, 60-1-1 A [nouveau], art. 415 et 415-1 du code des douanes) : Procédure d’injonction pour richesse inexpliquée et présomption de blanchiment pour les « mixeurs » de cryptoactifs
Amendements CL346 de M. Sacha Houlié, CL382 de M. Ugo Bernalicis et CL311 de M. Aurélien Lopez-Liguori (discussion commune)
M. Sacha Houlié (NI). Le Sénat prévoyait initialement des enquêtes patrimoniales systématiques dans le cadre d’investigations relatives à des faits de trafic de stupéfiants. Cette option étant rapidement apparue impossible en raison du nombre insuffisant d’officiers de police judiciaire (OPJ), il a recentré le dispositif sur une procédure d’injonction pour richesse inexpliquée – puisqu’un enrichissement inexpliqué peut effectivement justifier l’ouverture d’une enquête.
En revanche, le Sénat a aussi adopté une série de mesures connexes qui fragilisent le dispositif. Parmi elles figure la présomption de culpabilité du fait de la détention de cryptoactifs ou de l’usage de services de mixage. C’est totalement injustifié : le simple fait de posséder ce type de capitaux ne devrait pas constituer une infraction. Cette technologie est utilisée largement et est d’ailleurs promue par de très nombreux pays comme système de paiement sécurisé.
À ce stade, les alinéas 1 à 3 et 10 à 16 sont donc non seulement déplacés mais aussi injustifiés juridiquement, raison pour laquelle je propose leur suppression.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). N’ayant pas inclus la suppression des alinéas 10 à 16 dans notre amendement, nous pourrions nous ranger à la version de M. Houlié, mais je maintiens mon amendement pour le cas où le sien ne serait pas adopté.
Mon intention de voter contre le texte ne m’empêchera pas de rappeler que la France est encore un État de droit, lequel se caractérise notamment par le respect de la présomption d’innocence. Ne commençons donc pas à créer des présomptions de culpabilité. En l’occurrence, cette procédure d’injonction pour richesse inexpliquée paraît disproportionnée et pourrait revêtir un caractère arbitraire.
Nous demandons donc la suppression des alinéas 1 à 3, qui n’ont pas lieu d’être. Je me souviens d’ailleurs que le groupe La République en marche avait, il y a quelques années, déposé une proposition de loi visant à favoriser les cryptoactifs, au motif que cette technologie méritait d’être encouragée – Pierre Person avait rédigé un rapport en ce sens. Vous ne pouvez tout de même pas dire tout et son contraire.
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Combattre le narcotrafic et le blanchiment est une nécessité absolue mais doit-on, pour y parvenir, sacrifier nos principes fondamentaux et affaiblir notre économie ? Non.
Avec l’alinéa 3 comme avec les deux premiers, nous tombons dans le piège d’une législation qui confond l’outil et le délit, la technologie et l’intention. Vous proposez d’instaurer une présomption de culpabilité pour toute transaction effectuée avec une cryptomonnaie en utilisant un procédé d’anonymisation – comme si l’anonymat était un délit, et la confidentialité une anomalie. Je rappelle que la blockchain est totalement traçable et ouverte : tout peut être consulté par un tiers, d’où la nécessité d’anonymiser les transactions, qui sont par nature publiques.
Nous proposons donc, par cet amendement d’appel, de supprimer cet alinéa, qui porterait une atteinte majeure à nos libertés, mais aussi à notre économie. En diabolisant ces technologies, que nous devrions au contraire maîtriser, nous nous couperions de l’innovation et enverrions un signal désastreux à ceux qui veulent entreprendre en France, alors même que les cryptomonnaies sont employées par de nombreux pays et que certains gouvernements, comme celui des États-Unis, constituent actuellement des réserves. Vous proposez en outre d’aller au-delà du règlement européen AMLR de lutte contre le blanchiment, ce qui fera fuir les start-up françaises de la crypto, qui se réfugieront chez nos voisins. Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ont consacré la transaction financière comme un droit fondamental.
Nous devons certes être fermes face aux trafiquants, mais criminaliser des outils légitimes et affaiblir notre souveraineté n’est pas une option.
M. Éric Pauget, rapporteur. Si les cryptomonnaies se développent et commencent effectivement à intégrer l’économie réelle, les mixeurs de cryptoactifs sont d’une autre nature. Ce sont en quelque sorte des centrifugeuses, dans lesquelles on introduit des transactions sans savoir ce qu’elles deviennent ensuite : tout est anonyme et les détenteurs des capitaux disparaissent complètement. Ils constituent désormais la technologie de pointe en matière de blanchiment.
Il ne s’agit pas de refuser les nouvelles technologies, mais d’être bien conscients que ces outils financiers seront bientôt un élément majeur du blanchiment d’argent. Nous devons donc trouver un équilibre. En l’occurrence, nous proposons d’instaurer une présomption simple de culpabilité, c'est-à-dire de renverser la charge de la preuve en demandant à la personne incriminée de justifier du caractère licite de ses capitaux. Si elle est capable de tracer ses capitaux, très bien ; si elle ne peut pas dire d’où ils viennent, c’est qu’il y a un problème. Il s’agit de commencer à prendre en compte ces technologies, qui sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important en matière de blanchiment dans les années à venir.
Je suis donc défavorable à ces amendements.
Mme Sandra Regol (EcoS). Une fois n’est pas coutume, je penche plutôt du côté du rapporteur.
Les cryptomonnaies ne sont pas utilisées par M. et Mme Tout-le-monde, mais principalement par des narcotrafiquants et par des chefs d’État peu attachés à la démocratie – qu’il s’agisse de détourner de l’argent public ou de contourner les sanctions européennes, comme le fait la Russie. Le recours accru à ces actifs n’est pas un signe de démocratisation : il existe, de fait, une suspicion quant à l’usage de ces monnaies quand leur emploi n’est pas justifié.
Je ne veux nullement incriminer toutes les cryptomonnaies, mais les mixeurs sont un peu aux cryptoactifs ce que sont aux banques les chambres de compensation qui blanchissent l'argent sale, les paradis fiscaux parfois installés chez nos voisins et les banques opaques qui refusent de donner accès à certaines données dans le cadre des enquêtes. Étant opposée à ces procédés dans le secteur bancaire, j’applique la même logique aux mixeurs de cryptomonnaies. Le problème, c’est que vous limitez votre démarche aux seuls cryptoactifs, et non à tout le reste.
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). En matière de cryptomonnaies, tout est public : les registres sont infalsifiables et les procédés de mixage sont utilisés par les consommateurs ordinaires pour anonymiser leurs transactions afin que tout le monde n’y ait pas accès. Des technologies très poussées, plutôt utilisées par les États, permettent d’ailleurs d’outrepasser les mixeurs.
L’article 4 dispose que la présomption de blanchiment « s’applique à toute opération effectuée, dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article ». Elle présente donc un caractère automatique et impératif. Or, en matière de terrorisme, par exemple, la présomption de blanchiment doit être fondée sur un faisceau d’indices. De la même façon, un barbier qui ouvre un salon ne fera pas l’objet d’une présomption de blanchiment, alors même qu’on sait que ces établissements sont largement utilisés pour blanchir de l’argent. Un raisonnement identique doit s’appliquer pour l’utilisation des mixeurs de cryptoactifs : c’est le faisceau d’indices qui doit créer la présomption, et non l’inverse.
M. Sacha Houlié (NI). M. Lopez-Liguori a raison de souligner qu’une transaction réalisée avec un cryptoactif, même si elle passe par un mixeur, est beaucoup plus traçable qu’un achat effectué en liquide, lequel s’évapore ensuite pour être blanchi dans les paradis fiscaux.
Le rapporteur souligne que l’article 4 ne vise à introduire qu’une présomption simple. Heureusement, car une présomption irréfragable serait à coup sûr inconstitutionnelle !
Enfin, nous aurions pu auditionner différents acteurs, comme l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan), qui mentionne des travaux de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) établissant que moins de 1 % des flux criminels mondiaux passent par des cryptoactifs : l’argent liquide reste le plus utilisé.
La disposition que vous proposez serait donc un handicap sérieux dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. C’est la raison pour laquelle nous devons adopter un des amendements qui vous ont été présentés – le mien, de préférence.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Ces alinéas posent deux problèmes. D’abord, l’utilisation d’une cryptomonnaie et d’une fonction permettant d’anonymiser les transactions ne saurait faire de qui que ce soit un coupable potentiel. Ensuite, toutes les manipulations effectuées laissent des traces. Mieux vaudrait donc doter les services qui en ont besoin des outils et des moyens humains nécessaires pour tracer les transactions de ceux dont l’activité pourrait suggérer des agissements illégaux, plutôt que de considérer tous les utilisateurs de ces outils comme des suspects. Là encore, vous tapez trop large.
La commission rejette successivement les amendements.
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Je crois que mon amendement a été adopté, monsieur le président. Pouvons-nous procéder à un nouveau décompte ?
M. le président Florent Boudié. Nous sommes plusieurs à avoir compté les voix. Je n’ai pas de doute quant au résultat du vote.
M. Yoann Gillet (RN). Dans ce cas, nous demanderons des scrutins publics sur les prochains amendements.
La commission adopte l’amendement de précision CL638 de M. Éric Pauget, rapporteur.
Amendements identiques CL639 de M. Éric Pauget et CL442 de Mme Naïma Moutchou
M. Éric Pauget, rapporteur. La procédure d’injonction pour richesse inexpliquée proposée par le Sénat fait partie des points qui posent le plus problème en matière de robustesse juridique et au vu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Nos réserves initiales quant à la fiabilité du dispositif ont été confirmées au cours des auditions. Les services et les juristes que nous avons consultés ont été unanimes : une telle procédure va trop loin et serait contraire à la présomption d'innocence. Elle ne tient pas.
En l’absence de garanties satisfaisantes, je propose donc de supprimer les alinéas tendant à créer ce dispositif.
M. Jean Moulliere (HOR). La procédure d’injonction pour richesse inexpliquée, qui conduirait à instaurer une présomption de culpabilité, présente un fort risque d’inconstitutionnalité. Nous proposons également de la supprimer, d’autant qu’il existe déjà un délit de non-justification de ressources, qui mériterait d’être davantage poursuivi.
Mme Eléonore Caroit (EPR). J’avais déposé un amendement de suppression de l’article 4, que je n’ai pas eu l’occasion de défendre, précisément pour cette raison : les dispositifs existants permettent déjà d’atteindre l’objectif des sénateurs. La procédure qu’ils proposent de créer instaurerait une présomption de culpabilité qui nous paraît dangereuse.
Mme Pascale Bordes (RN). J’entends les arguments relatifs à la présomption d’innocence et les renvois à la Déclaration universelle des droits de l’homme mais, à ma connaissance, rien de cela n’empêche, dans d’autres domaines du droit, une mise en examen ou une détention provisoire. Les alinéas critiqués prévoient qu’on demande à la personne suspectée des précisions sur la provenance de ses richesses. Ce n’est qu’en l’absence de justification ou en cas de justification insuffisante que le juge des libertés et de la détention (JLD) serait saisi. Il me semble que toutes les garanties nécessaires sont prévues. Notre groupe votera donc contre ces amendements.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). S’il s’agit de vérifier l’origine de richesses surprenantes, je ne suis pas contre demander à quelques archimillionnaires d’où vient une partie de leurs ressources, mais je ne suis pas sûr que cela fasse consensus. Pourtant, il faudrait le faire, car les narcotrafiquants bénéficient, en matière de blanchiment, de complicités objectives dans le haut du panier financier. La mesure mérite au moins une discussion.
La procédure d’injonction prévue est en outre dépourvue de réelles garanties judiciaires : à aucun moment le procureur de la République ou le juge d’instruction ne sont-ils amenés à demander explicitement la justification des ressources dites inexpliquées, ce qui pose évidemment problème. La même remarque valait d’ailleurs pour le dispositif de fermeture administrative que nous avons adopté tout à l’heure : le rapporteur invoque ici un argument qu’il rejetait alors.
Je me rallie néanmoins volontiers à sa proposition de suppression, d’autant que les situations seraient trop diverses pour ne pas laisser place à une pratique aléatoire, susceptible de varier en fonction de préjugés de nature à nous inquiéter, surtout dans la période actuelle.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous avions déposé des amendements pour tenter d’atténuer cette procédure et d’en limiter les dégâts. Nous sommes donc tout à fait favorables à sa suppression, d’autant qu’il est déjà possible, dans le cadre des enquêtes patrimoniales, de confisquer des biens sans avoir besoin d’établir de lien avec le produit de l’infraction. L’arsenal existant semble donc déjà robuste.
J’en reviens une nouvelle fois à ce que j’ai constaté au cours de mes différents travaux : nous avons des progrès substantiels à faire dans les moyens accordés à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), à la plateforme d’identification des avoirs criminels (Piac), à Tracfin et aux différents services qui conduisent ces enquêtes patrimoniales.
M. Olivier Marleix (DR). Le rapporteur a raison : les moyens juridiques proposés à ces alinéas paraissent totalement disproportionnés et seraient à l’évidence censurés par le Conseil constitutionnel.
Qui vise-t-on ? Pour le grand public, cette mesure ne paraît pas utile, les services fiscaux ayant déjà des moyens d’investigation très larges et pouvant être saisis par signalement. Si l’on pose en revanche la question des complicités par le moyen de la corruption, les cibles sont nombreuses : personnel des ports, police, services d’enquête, magistrature, etc. Or, ces fonctions ne faisant pas l’objet d’une obligation de déclaration de patrimoine à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), nous sommes assez démunis. Il n’existe d’ailleurs aucun plan de prévention des risques dans ces ministères, ni de plan national de lutte contre la corruption, ce qui paraît très dommageable.
Je souhaite donc que nous réfléchissions au renforcement des obligations faites à la puissance publique de cartographier les risques dans les secteurs potentiellement exposés à la corruption, comme le législateur a su le faire pour les entreprises. Peut-être pourrions-nous, d’ici à la séance, travailler à l’élaboration d’un dispositif en ce sens.
Mme Naïma Moutchou (HOR). La rédaction du Sénat va très loin. Elle est totalement disproportionnée, au point d’instaurer une présomption de culpabilité qui heurte de plein fouet la présomption d’innocence. En disant cela, nous ne tenons pas un double discours, puisque nous nous interrogions déjà, au cours de nos échanges relatifs à la liberté d’entreprise, sur la manière d’améliorer le dispositif.
Notre droit prévoit un délit de non-justification des ressources, qui s'applique précisément aux cas visés par cet article et qui a le mérite d’être correctement encadré et déjà pratiqué. Il est donc parfaitement inutile d’y ajouter une procédure qui, de toute façon, sera censurée à coup sûr.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je rejoins Mme Moutchou : avec la présomption de blanchiment, qui impose à la personne de prouver l’origine de ses fonds, et le délit de non-justification de ressources, qui est parfaitement équilibré et encadré, nous disposons déjà de deux outils suffisants. En tout cas, si nous proposons de supprimer la procédure d’injonction de richesse inexpliquée, c’est parce qu’elle ne fonctionnera pas.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, tous les amendements à l’article tombent.
La commission adopte l’article 4 modifié.
Article 4 bis A (nouveau) (art. 222-49 et 321-6 du code pénal) : Confiscation obligatoire des biens dont l’origine ne peut être justifiée ou dans le cadre d’une condamnation pour trafic de stupéfiants
Amendements de suppression CL138 de Mme Éléonore Caroit et CL443 de Mme Naïma Moutchou
Mme Eléonore Caroit (EPR). Nous voulons supprimer cet article pour deux raisons.
Il rend obligatoire, sauf décision spécialement motivée, la confiscation des biens dont le propriétaire ne peut justifier l’origine et qui, pour ce motif, a été condamné sur le fondement de l’article 131-21 du code pénal. Or l’article 222-49 du même code prévoit un dispositif analogue.
D’autre part, cet article introduit des dispositions rendant obligatoire la confiscation de biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, appartenant à une personne condamnée pour un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et lui ayant procuré un profit direct ou indirect. Nous estimons que toute peine complémentaire doit être conforme aux exigences du droit pénal, notamment aux principes de l’individualisation et de la motivation des peines.
Mme Naïma Moutchou (HOR). En effet, cet ajout du Sénat ne nous paraît pas utile dans la mesure où le code pénal prévoit une peine complémentaire confiscatoire.
M. Éric Pauget, rapporteur (DR). Avis défavorable. Je proposerai dans un instant des amendements qui réécrivent partiellement l’article en en conservant certains alinéas.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Pour notre part, nous sommes favorables à ces amendements de suppression. Il est déjà possible de confisquer des biens sans lien avec le produit de l’infraction, à condition toutefois qu’ils soient équivalents en valeur. Prenons le cas d’une personne qui posséderait quatre maisons et qui se serait enrichie d’un million d’euros sans que l’on puisse établir ce que cette somme a permis de financer : la loi permet de confisquer l’une des quatre maisons dont la valeur correspondrait au million en cause. Avec les dispositions introduites par le Sénat, il serait possible de confisquer deux maisons par principe, sauf décision motivée du magistrat, ce qui nous semble disproportionné au regard de ce qu’impose l’État de droit – même si, dans les faits, il s’agit d’un gros méchant. Le législateur a déjà poussé le curseur assez loin, restons-en aux dispositions en vigueur.
La commission rejette les amendements.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL279 de M. Paul-André Colombani.
Amendement CL558 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. La première partie de l’article rend obligatoire, en cas de condamnation pour des infractions liées au trafic de stupéfiants, « la confiscation des installations, matériels et de tout bien ayant servi, directement ou indirectement, à la commission de l’infraction ». Cette disposition me semble en partie redondante avec le quatrième alinéa de l’article 131-21 du code pénal qui rend déjà obligatoire la confiscation des biens ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre ainsi que de ceux qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction.
Même si elles se ressemblent, ces deux dispositions ne sont toutefois pas strictement identiques : la confiscation obligatoire, aux termes de l’article 131-21, porte sur les biens ayant été saisis au cours de la procédure tandis que, selon le nouvel article introduit par le Sénat, elle peut concerner tout bien. Les responsables des différents services m’ont alerté lors des auditions sur le fait que pour être opérationnelle, une confiscation obligatoire ne doit avoir pour objet que les biens saisis. Sensible à cet argument, je propose donc de supprimer les alinéas 2 et 3 du présent article.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Je reviens sur l’un de mes amendements déclarés irrecevables, que j’entends déposer à nouveau en vue de la séance. Il propose que les sommes issues des saisies de stupéfiants et des avoirs criminels liés au trafic soient directement affectées au financement des services de police, de gendarmerie et de justice spécialisés dans la lutte contre le narcotrafic alors qu’actuellement, aucune affectation prioritaire n’est possible.
M. le président Florent Boudié. Je vous précise que cet amendement a été déclaré irrecevable par le président de la commission des finances, au titre de l’article 40.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Les sénateurs ne semblent pas avoir été attentifs aux dispositions de la loi Warsmann, votée l’année dernière, qui a permis d’améliorer la procédure d’affectation des biens saisis, notamment en élargissant les bénéficiaires possibles à des structures œuvrant dans le domaine social. Beaucoup de parlementaires focalisés sur l’aspect répressif ont délaissé ce volet, qui paraissait obscur et technique, alors qu’il occupe une place centrale.
Dans le cadre d’une enquête pour blanchiment, si l’on établit qu’une personne ne peut expliquer d’où provient sa richesse, la confiscation des biens ne devrait intervenir que si la justice peut s’appuyer sur des éléments de preuve. Nous sommes dans un État de droit, quand même !
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement CL520 tombe.
Amendement CL557 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Cet amendement pragmatique vise à restreindre le caractère obligatoire de la confiscation aux biens déjà saisis au cours de la procédure. Pour assurer l’effectivité de la procédure, mieux vaut la limiter et la cadrer. Trop large, elle serait inopérante.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 4 bis A modifié.
Après l’article 4 bis A
Amendement CL470 de Mme Naïma Moutchou
Mme Naïma Moutchou (HOR). La confiscation des avoirs criminels est encadrée par des seuils minimaux, tenant compte de la jurisprudence, des directives européennes relatives au blanchiment d’argent ou encore des montants à partir desquels les infractions de blanchiment sont caractérisées – 100 000 euros pour le blanchiment aggravé. Autrement dit, même si la loi prévoit la possibilité de confisquer, les seuils en vigueur empêchent certaines saisies portant sur de plus petits montants. Ce n’est pas justifié. Nous proposons donc que la confiscation des avoirs liés au trafic de stupéfiants s’applique sans seuil minimal de valeur, quel que soit le montant des biens concernés.
M. Éric Pauget, rapporteur. J’ai du mal à cerner ce qui motive votre amendement : ni le code pénal ni le code de procédure pénale n’imposent de telles restrictions de montant. En outre, la rédaction retenue soulève quelques questions s’agissant de la prévisibilité et de la clarté de la loi pénale. La notion d’« avoirs liés au trafic de stupéfiants » n’est pas suffisamment définie. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Ces seuils ne sont pas définis dans la loi mais relèvent d’un cadre général. Ils renvoient à la pratique judiciaire : certains magistrats et enquêteurs ont tendance à donner la priorité aux grosses saisies. Des règlements européens et des recommandations du Groupe d’action financière vont aussi en ce sens. Citons encore les articles 324-1 et suivants du code pénal consacrés au blanchiment aggravé. Nous considérons que si la confiscation s’impose, elle doit pouvoir s’appliquer dès le premier euro.
M. Éric Pauget, rapporteur. Il faut laisser les enquêteurs et les magistrats libres de leur appréciation sur les biens à saisir.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Selon les enquêtes, selon les secteurs, en zones rurales ou en banlieue parisienne, les volumes diffèrent. Les trafics peuvent être tout aussi nuisibles quand ils portent sur des sommes moindres. Nous nous accordons avec Mme Moutchou sur la nécessité de ne pas appliquer de seuils dans les saisies.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). La législation ne prévoit pas de seuils, je viens de le vérifier. Toutefois, il est vrai que l’Agrasc, la Piac, les services enquêteurs et les magistrats se concentrent plutôt sur les grosses saisies, tendance pointée du doigt dans divers rapports d’évaluation. C’est l’une des raisons pour lesquelles des antennes délocalisées de l’Agrasc ont été ouvertes, notamment à Lille. Les enquêteurs ont commencé à organiser des saisies dans le milieu et le bas du spectre et depuis trois ou quatre ans, celles qui portent sur des montants de faible valeur se sont multipliées, avec un fort impact sur les petits délinquants. Cela dit, tout est question de moyens. Rien ne sert d’inscrire dans la loi une possibilité déjà ouverte.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL445 de Mme Naïma Moutchou
Mme Naïma Moutchou (HOR). Nous devons prendre en compte les nouveaux moyens auxquels recourent les narcotrafiquants pour rendre opaque le financement de leurs réseaux criminels. Cet amendement porte sur l’un d’eux : les cartes de paiement prépayées anonymes, pour lesquelles il n’est pas immédiatement nécessaire de fournir une pièce d’identité. Les sommes qui y sont chargées doivent pouvoir être confisquées.
M. Éric Pauget, rapporteur. L’article 131-21 du code pénal permet la confiscation de sommes en valeur sur tous les biens, sous réserve qu'ils appartiennent au condamné ou que celui-ci en ait la libre disposition. Par ailleurs, compte tenu du fait que la carte est anonyme, il sera difficile aux magistrats d’établir un lien avec son propriétaire. Avis défavorable.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Ce dernier argument me paraît pertinent. En outre, avec cet amendement, vous voulez tirer tous azimuts alors que cette proposition de loi concerne le haut du spectre du narcotrafic. Ces cartes prépayées, utilisées du reste par des personnes n’ayant rien à voir avec le trafic de stupéfiants, n’entrent pas dans le champ couvert.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Cet amendement est intéressant. Les cartes bancaires prépayées, qui offrent l’avantage de rendre les opérations intraçables, sont aussi utilisées dans le haut du spectre comme un moyen facile de blanchir de l’argent et, comme elles sont cessibles, elles servent aussi de récompenses.
M. Jocelyn Dessigny (RN). C’est en effet un outil sur mesure pour les trafiquants et les sommes qui y transitent arrivent toujours dans les poches de l’un d’eux, qu’il appartienne ou pas au haut du spectre. Il est bon de se doter de tous les moyens possibles de lutter contre le trafic de drogue : nous voterons pour cet amendement.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Soyons prudents : il n’est pas certain que le public concerné par ces cartes, proposées pour certaines par des établissements bancaires ayant pignon sur rue, soit forcément impliqué dans les réseaux. Beaucoup de jeunes et de personnes précaires y ont recours. Par ailleurs, on peut douter que les trafiquants qui les utilisent appartiennent au haut du panier. J’aimerais savoir, madame Moutchou, quelles pistes de réflexion vous ont menée à cet amendement.
Mme Naïma Moutchou (HOR). On ne peut considérer ces cartes comme accessoires. C’est une réalité : elles sont utilisées dans le narcotrafic, notamment pour être distribuées à des complices. En les multipliant, certains individus parviennent à y faire transiter de grosses sommes. Le texte raterait sa cible s’il ne les prenait pas en compte au même titre que les cryptomonnaies. Évitons d’être à la remorque des nouvelles pratiques. Quant aux magistrats, ils savent rassembler un faisceau d’indices. Faisons-leur confiance.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je ne nie pas le rôle que jouent les cartes prépayées dans la petite délinquance et le trafic de stupéfiants. Je dis seulement que les dispositions du fameux article 131-21 du code pénal répondent à votre préoccupation. La somme créditée sur une telle carte peut être saisie si on parvient à établir à qui elle appartient.
Mme Naïma Moutchou (HOR). J’entends bien que le code pénal peut s’appliquer quand la personne est identifiée mais rien n’est prévu pour les cartes prépayées anonymes, arme redoutable de financement du trafic, j’ai pu le constater à de nombreuses reprises dans des dossiers pénaux. Il faut les prendre en compte.
Mme Pascale Bordes (RN). Les narcotrafiquants ont deux guerres d’avance sur nous et nous voterons pour cet amendement, qui nous offre l’occasion de rattraper notre retard. Ne soyons pas à la remorque, une fois encore.
M. Éric Pauget, rapporteur. Le problème est réel. Je vais finalement donner un avis favorable à cet amendement. D’ici à la séance, nous le soumettrons à l’expertise des services de l’Assemblée et de la Chancellerie pour déterminer s’il est opérationnel.
La commission adopte l’amendement. L’article 4 bis B est ainsi rédigé.
Amendements identiques CL166 de M. François Ruffin, CL235 de Mme Colette Capdevielle et CL368 de M. Ugo Bernalicis
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’article 706‑160 du code de procédure pénale prévoit la possibilité pour l’Agrasc d’affecter les biens confisqués à des associations, des fondations reconnues d'utilité publique et des organismes œuvrant dans le domaine social. Par cet amendement, nous proposons de faire de cette simple possibilité une priorité. Nous nous inspirons du modèle italien qui a donné des résultats très positifs.
Mme Colette Capdevielle (SOC). En Italie, cette affectation a en effet permis de remettre dans le circuit légal des biens mal acquis au service du secteur de l’économie sociale et solidaire, du secteur coopératif, de fondations, d’écoles, d’associations, notamment sportives, et même de structures ecclésiastiques. Cette priorisation serait un grand pas dans la lutte contre le narcotrafic. Non seulement nous aiderions les acteurs locaux à faire régner la culture de la légalité sur l’ensemble du territoire national, mais nous garantirions aux collectivités et aux associations des moyens supplémentaires considérables. Je comprends que certains soient choqués par une telle mesure mais elle me paraît être une arme extrêmement efficace dans la lutte contre le narcotrafic.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Ces amendements identiques nous ont été suggérés par l’association Crim’halt. Je les avais déjà défendus lors de l’examen de la proposition de loi adoptée le 8 avril 2021, qui a contribué à étendre les missions de l’Agrasc. Cette priorité, qui n’a rien d’impératif, serait un signe de bonne volonté quand le choix doit se faire entre un service interne de l’État et une association ou une collectivité. Il me paraît important de valoriser cette affectation sociale. J’étais même allé jusqu’à proposer d’apposer une plaque sur les biens immobiliers saisis afin d’informer le public.
M. Éric Pauget, rapporteur. J’émettrai un avis défavorable sur ces amendements. Cette affectation sociale est déjà possible. Pourquoi vouloir la rendre prioritaire, au détriment de services du ministère de l’intérieur ou du ministère de la justice, et forcer les choix de l’Agrasc, qui fait un bon travail ?
Mme Elsa Faucillon (GDR). L’idée est bien de rendre cette affectation prioritaire. Au-delà de l’utilité évidente d’une telle mesure, il me semble bon d’acculturer la société à la lutte contre le narcotrafic. Elle est rendue plus visible si les biens mal acquis sont mis à disposition des associations plutôt que des services de l’État. Je soutiendrai ces amendements.
M. Olivier Marleix (DR). J’aime bien l’idée que les habitants d’un quartier, d’une commune voient les effets de cette politique publique, à laquelle ils doivent être associés. Toutefois, j’apprécie moins le caractère prioritaire donné à cette affectation – compte tenu de nos 3 200 milliards de dette, il ne serait pas inutile de voir ces sommes revenir aux finances publiques. Par ailleurs, je ne suis pas certain que cette solution soit réaliste. Que ferait une association d’une somptueuse villa à Antibes ou à Juan-les-Pins, compte tenu des frais d’entretien ? Et ne parlons pas d’un bien se situant à Paris : les impôts locaux mettraient l’association bénéficiaire dans une situation bien difficile ! Peut-être pourrions-nous travailler ensemble pour affiner ce dispositif.
M. Jocelyn Dessigny (RN). L’idée peut en effet être séduisante mais nous considérons que ce sont les forces de l’ordre qui devraient être prioritaires, notamment pour la mise à disposition de certains véhicules, qu’elles réclament.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Comme mon collègue Marleix, je me demande si la rédaction retenue est réaliste mais je suis favorable à cette idée, qui rejoint une proposition que j’avais émise à l’issue de ma mission parlementaire sur l’évolution du cadre de la philanthropie en France. Grâce à la proposition de loi de notre collègue Jean-Luc Warsmann, nous avons réussi à faire avancer cette affectation sociale. Que cet argent profite in fine à l’intérêt général, c’est la meilleure leçon que l’on puisse donner.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Monsieur Dessigny, si votre seule réticence porte sur l’affectation des voitures – qui pose certains problèmes, eu égard aux achats de pièces détachées –, sachez que cet amendement concerne les biens immobiliers. Il s’agit de les affecter en priorité à une collectivité ou une association avant d’envisager de les mettre à disposition de services de l’État ou de procéder à une revente en valeur, qui se fera de toute façon au profit de l’État, puisque les sommes concernées vont au budget général ou à des fonds de concours, en fonction du type d’infraction.
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu sur le vote de ces amendements une demande de scrutin de députés du groupe Rassemblement national représentant au moins 10 % de la commission en application de l’article 44, alinéa 2 du Règlement. Je constate que les députés demandeurs sont effectivement présents, je vais donc procéder à l’appel nominal des membres de la commission pour recueillir votre vote.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, M. Ugo Bernalicis, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Émeline K/Bidi, Mme Élisa Martin, M. Ludovic Mendes, Mme Estelle Mercier, Mme Sandra Regol, M. Hervé Saulignac et M. Roger Vicot.
Votent contre :
Mme Brigitte Barèges, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, M. Vincent Caure, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Christophe Marion, M. Olivier Marleix, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud et M. Michaël Taverne.
S’abstiennent :
Mme Blandine Brocard, M. Jean Moulliere et Mme Naïma Moutchou.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 37
Nombre de suffrages exprimés : 34
Majorité absolue : 18
Pour l’adoption : 14
Contre l’adoption : 20
Abstentions : 3
La commission rejette donc les amendements.
Amendements identiques CL167 de M. François Ruffin et CL236 de Mme Colette Capdevielle
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable sur ces amendements. Un grand nombre d’associations d’utilité publique et d’organismes sociaux pouvant bénéficier des biens confisqués, il n’est pas utile d’y ajouter les entreprises solidaires d’utilité sociale (Esus).
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous nous opposons à l’attribution des biens aux Esus car, par principe, nous souhaitons éviter que cette affectation soit réalisée au bénéfice du secteur marchand, même au sein de la sphère sociale.
Les amendements sont retirés.
Amendements identiques CL168 de M. François Ruffin et CL237 de Mme Colette Capdevielle
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis favorable.
M. le président Florent Boudié. Je suis saisi, toujours par des députés du groupe Rassemblement national, d’une nouvelle demande de scrutin sur le vote de cet amendement.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, M. Ugo Bernalicis, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Jocelyn Dessigny, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Camille Galliard-Minier, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, Mme Émeline K/Bidi, Mme Marie-France Lorho, M. Christophe Marion, M. Olivier Marleix, M. Ludovic Mendes, Mme Estelle Mercier, M. Jean Moulliere, Mme Naïma Moutchou, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Michaël Taverne et M. Roger Vicot.
Votent contre :
Mme Brigitte Barèges, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes et M. Florent Boudié.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 36
Nombre de suffrages exprimés : 36
Majorité absolue : 19
Pour l’adoption : 32
Contre l’adoption : 4
Abstention : 0
La commission adopte donc les amendements identiques.
Amendement CL497 de M. Pouria Amirshahi
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous proposons d’affecter tous les types de biens – véhicules, matériel informatique, équipements divers… – et non pas seulement les biens immobiliers. Je suis surpris que le texte ne le prévoie pas déjà. Les rapporteurs du Sénat ont souvent mis en avant le fait que les biens et les capitaux saisis seraient très utiles pour financer la lutte contre le narcotrafic. Il me semble que la mesure proposée s’articulerait de manière cohérente avec l’article précédent.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis favorable. Cette disposition constitue en effet le pendant de ce que nous avons voté à l’article 4 bis A.
La commission adopte l’amendement.
Avec l’adoption de ces trois amendements, l’article 4 bis C est ainsi rédigé.
Article 4 bis (nouveau) (art. L. 561-14-1 A [nouveau] du code monétaire et financier) : Interdiction des « mixeurs » de cryptoactifs
Amendement CL171 de Mme Sandra Regol
Mme Sandra Regol (EcoS). Il s’agit, par cet amendement, de renforcer la sanction pour non-respect de l’interdiction d’utilisation des mixeurs de cryptomonnaies.
M. Éric Pauget, rapporteur. Demande de retrait ou avis défavorable. Le respect des obligations relatives à la lutte contre le blanchiment est contrôlé. Les manquements à ces obligations sont sanctionnés par le code monétaire et financier, qui cite les autorités administratives chargées de ce contrôle.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’article 4 bis non modifié.
Article 5 (art. 706-33-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Gel judiciaire des avoirs des personnes soupçonnées de trafic de stupéfiants
Amendements de suppression CL642 de M. Éric Pauget et CL444 de Mme Naïma Moutchou
M. Éric Pauget, rapporteur. Je vous propose de supprimer cet article, car il s’agit du seul dispositif qui a fait l’unanimité contre lui au cours des auditions, tant de la part des services du ministère de l’intérieur et du ministère de la justice que des avocats, des magistrats et des représentants syndicaux de ces derniers. Le Sénat ayant introduit en séance l’article 5 bis, relatif au gel administratif des avoirs des personnes soupçonnées de trafic de stupéfiants, le gel judiciaire n’est plus pertinent. En outre, il compliquerait la procédure, en créant de nouveaux cas de nullités.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Cet article fait en effet l’objet d’une opposition unanime. Ses dispositions sont inutiles, puisque la procédure pénale offre déjà des possibilités de saisie, mais aussi inefficaces, dans la mesure où elles ne permettent pas d’aller jusqu’à la privation définitive de propriété. Mieux vaut privilégier le gel administratif.
M. le président Florent Boudié. Je suis saisi sur le vote de ces amendements d’une nouvelle demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
Mme Brigitte Barèges, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Jocelyn Dessigny, Mme Camille Galliard-Minier, M. Jonathan Gery, M. Sébastien Huyghe, Mme Marie-France Lorho, M. Christophe Marion, M. Olivier Marleix, Mme Estelle Mercier, M. Jean Moulliere, Mme Naïma Moutchou, M. Éric Pauget, Mme Sophie Ricourt Vaginay, M. Hervé Saulignac, M. Jean Terlier et M. Roger Vicot.
Vote contre :
Mme Elsa Faucillon.
S’abstiennent :
M. Pouria Amirshahi, Mme Sophie Blanc, M. Emmanuel Duplessy, M. Yoann Gillet, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud et M. Michaël Taverne.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 35
Nombre de suffrages exprimés : 25
Majorité absolue : 13
Pour l’adoption : 24
Contre l’adoption : 1
Abstentions : 10
Mise au point : Mme Elsa Faucillon a fait savoir qu'elle avait voulu s'abstenir.
La commission adopte donc les amendements.
En conséquence, l’article 5 est supprimé et les autres amendements tombent.
Article 5 bis (nouveau) (art. L. 562-1, L. 562-2-2 [nouveau], L. 562-5, L. 562-7, L. 562-8, L. 562-9, L. 562-11 du code monétaire et financier et art. L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration) : Gel administratif des avoirs des personnes soupçonnées de trafic de stupéfiants
Amendement de suppression CL18 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le droit actuel offrant déjà de nombreuses possibilités de saisie, il nous paraît inutile d’en rajouter, qu’il s’agisse du gel judiciaire ou du gel administratif des avoirs. Il est préférable, à nos yeux, de s’en tenir aux saisies et confiscations, qui nous paraissent plus robustes et plus efficaces. Nous proposons donc de supprimer l’article.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis totalement défavorable. Nous avons supprimé le gel judiciaire en raison de la création par le Sénat du gel administratif, qui constitue, aux yeux de tous les services auditionnés, le bon outil du point de vue de la réactivité et de l’efficacité.
La commission rejette l’amendement.
M. le président Florent Boudié. Je suis saisi sur le vote de l’article 5 bis d’une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, Mme Brigitte Barèges, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Jocelyn Dessigny, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, Mme Marie-France Lorho, M. Christophe Marion, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, Mme Estelle Mercier, Mme Naïma Moutchou, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne, M. Jean Terlier et M. Roger Vicot
Votent contre :
M. Ugo Bernalicis, M. Jean-François Coulomme et Mme Élisa Martin.
S’abstient :
M. Paul Christophle.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 34
Nombre de suffrages exprimés : 33
Majorité absolue : 17
Pour l’adoption : 30
Contre l’adoption : 3
Abstention : 1
La commission adopte donc l’article 5 bis non modifié.
TITRE III
RENFORCEMENT DU RENSEIGNEMENT ADMINISTRATIF EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC
Article 6 (art. 706-105-1 du code de procédure pénale) : Partage d’information entre les juridictions et les services de renseignement
Amendement de suppression CL22 de M. Antoine Léaument
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cet article confie au procureur le soin de fournir des informations aux services de renseignement ; c’est une inversion de l’ordre normal des choses. On se demande quelle est la nature des renseignements en question. Nous sommes fermement opposés, vous le savez, au dossier coffre. Or on parle ici d’informations qui ne seront pas versées au dossier mais que le procureur pourra transmettre aux services de renseignement. Il est étrange d’utiliser les enquêtes judiciaires pour obtenir du renseignement.
Le renseignement criminel nous paraît justifié, qui part d’enquêtes closes et repose sur la capacité des services à collecter des informations – notamment par le biais du service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) – en vue d’établir des notes de renseignement et d’orienter la politique pénale et l’action des procureurs. En revanche, la disposition proposée place la justice dans une position de soumission, pour ainsi dire, aux services de renseignement ; ce principe nous gêne.
M. Roger Vicot, rapporteur. On peut comprendre vos interrogations relatives à la transmission d’informations couvertes par le secret de l’instruction, question que j’ai évoquée dans l’état d’avancement des travaux. Cela étant, l’article 6 a été réécrit dans un sens beaucoup plus restrictif par le Sénat, qui a limité la transmission d’informations, d’une part au parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) et aux juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et, d’autre part, à certaines infractions relevant de la criminalité et de la délinquance organisées. Cette rédaction me semble présenter moins de risques constitutionnels que la proposition initiale. Elle nous permettra de rester sur le haut du spectre de la criminalité, pour lequel la transmission d’informations aux services de renseignement a un sens. Avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). On semble partir du principe qu’il est bon de diffuser des informations – qui sont, en l’occurrence, couvertes par le secret de l’enquête et de l’instruction – au plus grand nombre de personnes possible en interne. Certes, le périmètre de la mesure a été restreint, mais le problème de fond demeure. Il faut nous dire quelles informations donneront le Pnaco et les Jirs, à quels services de renseignement et dans quel but précis.
Mme Pascale Bordes (RN). Il me semble que la lutte contre le narcotrafic pèche par l’insuffisance du partage d’informations. Si l’information avait été diffusée, le drame d’Incarville n’aurait probablement pas eu lieu. Il faut savoir la société que l’on veut et les intérêts que l’on entend protéger. Le groupe Rassemblement national votera contre cet amendement.
M. Roger Vicot, rapporteur. Monsieur Bernalicis, l’article n’impose rien au procureur, qui jugera utile ou non de transmettre les informations en fonction de l’avancée de l’enquête et des éléments en sa possession.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL24 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cet amendement de repli vise à subordonner la communication d’informations à l’avis conforme de la chambre de l’instruction. Il s’agit de vérifier que l’on ne met pas l’enquête en péril. Il me paraît très étonnant que l’autorité judiciaire, qui est censée être indépendante, délivre des informations – même si c’est à son initiative – à des services de renseignement à la main de l’exécutif. Chacun doit demeurer dans son rôle.
M. Roger Vicot, rapporteur. Il est caricatural de laisser entendre que le partage d'informations se ferait sans encadrement et qu’il porterait atteinte à quiconque. De plus, confier une nouvelle tâche aux chambres de l'instruction, déjà surchargées, n'est pas judicieux.
Avis défavorable.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). L’objectif de l’amendement vise à garantir le contrôle d'un magistrat indépendant. Cela me semble utile, malgré la surcharge de travail que cela pourrait engendrer, mais il est important de ne pas adapter la justice au manque de moyens. Je suis donc favorable à cet amendement, quitte à l'améliorer ultérieurement.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Le dispositif du Sénat n'est pas clair et risque de créer une confusion entre la phase d'enquête et la phase de jugement. Permettre aux services de renseignement de recevoir des informations issues d'instructions judiciaires en cours pourrait entraîner des interférences entre la logique judiciaire, qui obéit à la contradiction pour l’établissement de la vérité, et la logique administrative, qui est préventive et discrétionnaire. Je voterai donc en faveur de l’amendement.
La commission rejette l’amendement.
M. le président Florent Boudié. Je suis saisi sur le vote de l’article 6 d’une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Jocelyn Dessigny, Mme Camille Galliard-Minier, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, Mme Marie-France Lorho, M. Christophe Marion, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, Mme Estelle Mercier, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne et M. Roger Vicot.
Votent contre :
M. Ugo Bernalicis, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy et Mme Élisa Martin.
S’abstiennent :
M. Pouria Amirshahi et Mme Naïma Moutchou.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 31
Nombre de suffrages exprimés : 29
Majorité absolue : 15
Pour l’adoption : 25
Contre l’adoption : 4
Abstentions : 2
La commission adopte donc l’article 6 non modifié.
Troisième réunion du mercredi 5 mars 2025 à 21 heures
Lien vidéo : https://assnat.fr/Vr0fu3
Article 7 (supprimé) (art. L. 856-1 et L. 856-2 [nouveaux] du code de la sécurité intérieure) : Dispositions relatives aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants
Amendement CL201 de M. Paul Christophle
M. Paul Christophle (SOC). L’article 7, supprimé par le Sénat, visait à donner un statut législatif aux cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross). Cet article était d’ailleurs le seul de la proposition de loi à consacrer cet écosystème d’acteurs engagés dans la lutte contre le narcotrafic. Nous proposons donc de le rétablir dans sa rédaction la plus complète, celle adoptée par la commission des lois du Sénat.
À l’instar de l’amendement CL383 de M. Bernalicis portant article additionnel après l’article 7, notre amendement prévoit la participation systématique des parquets à ces instances fondamentales pour la lutte contre le narcotrafic.
M. Roger Vicot, rapporteur. Je suis cosignataire de cet amendement. L’activité des Cross paraît contrastée : certaines sont très dynamiques, tandis que d’autres sont en sommeil. En consacrant leur organisation dans la loi, nous donnerons à ces cellules une nouvelle impulsion et favoriserons leur fonctionnement uniforme sur l’ensemble du territoire national.
M. Michaël Taverne (RN). De même que l’article 1er, les dispositions que vous voulez rétablir relèvent du domaine réglementaire : elles n’ont rien à faire dans la loi. Ces instances, qui fonctionnent depuis 2019, devront faire l’objet de décisions ministérielles. Du reste, le ministre de l’intérieur ne veut pas mettre en place des Cross, mais des Crossco, des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants et la criminalité organisée.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Une fois n’est pas coutume, nous sommes en désaccord avec nos collègues socialistes. Les Cross sont des structures souples, qui ont vocation à mobiliser un nombre d’acteurs plus ou moins grand en fonction des situations. Si nous fixons leur organisation dans la loi, elle sera gravée dans le marbre, s’agissant notamment de la liste des participants.
Par ailleurs, permettez-moi une petite plaisanterie : il serait plus efficace de créer des Croco, des cellules de renseignement opérationnel sur la criminalité organisée. De telles structures permettraient de réunir les acteurs qui ont le plus besoin de travailler ensemble pour obtenir du renseignement sur un sujet allant bien au-delà du trafic de stupéfiants.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je souscris entièrement à la remarque d’Antoine Léaument : cet amendement risque de figer dans la loi une liste d’acteurs qui devrait pouvoir évoluer. Mieux vaut garder de la souplesse. Il a néanmoins le mérite de garantir la participation systématique des parquets, dont je ne suis pourtant pas un défenseur inconditionnel.
L’amendement mériterait d’être réécrit, car il est difficile à accepter en l’état : il procède d’une bonne intention, et je reconnais son exhaustivité, mais son dispositif est tout de même très rigide, cadenassé. S’il est maintenu, je m’abstiendrai.
M. Ludovic Mendes (EPR). Je comprends la position de nos collègues socialistes : il est vrai que les Cross doivent intervenir davantage sur les territoires. Le renforcement de ces instances faisait d’ailleurs partie des propositions du rapport d’information que j’ai rédigé avec M. Léaument, visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants. Cependant, l’inscription de ces dispositions dans la loi empêcherait de les modifier facilement, alors que la police, la gendarmerie et la justice ont besoin de s’adapter aux évolutions de la criminalité organisée – bien au-delà du seul trafic de stupéfiants. Elle ne nous permettrait donc pas d’être véritablement opérationnels.
L’amendement est retiré.
La commission maintient la suppression de l’article 7.
Après l’article 7
Amendement CL88 de M. Olivier Falorni
M. Éric Martineau (Dem). Il convient d’imposer aux autorités portuaires de transmettre aux services compétents les données qu’elles recueillent lors de l’escale de navires de plaisance, comme cela se fait déjà dans le transport aérien dans le cadre du dispositif de Passenger Name Record (PNR).
Il s’agit d’un outil efficace pour lutter contre la criminalité organisée. En effet, le trafic maritime est un vecteur privilégié pour les réseaux criminels. Or, malgré une expérimentation prometteuse menée dans le port de La Rochelle, le renseignement sur les navires de plaisance en escale reste lacunaire, faute d’un cadre légal adapté.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable. Il est nécessaire d’adapter la lutte contre le narcotrafic aux évolutions des pratiques criminelles. Or nous savons parfaitement que le trafic de stupéfiants se développe également en milieu maritime – nous aurons peut-être l’occasion d’en reparler lors de l’examen de l’article 8 bis relatif aux interceptions satellitaires.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Cet amendement nous semble un peu superfétatoire, car la proposition de loi prévoit déjà la transmission de telles informations. Il va cependant dans le bon sens ; nous allons donc le voter quand même.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Le groupe EPR votera également cet amendement.
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, Mme Monique Griseti, M. Sébastien Huyghe, M. Roland Lescure, Mme Marie-France Lorho, M. Christophe Marion, M. Éric Martineau, M. Ludovic Mendes, Mme Estelle Mercier, M. Éric Pauget, Mme Sophie Ricourt Vaginay, M. Michaël Taverne et M. Roger Vicot
Votent contre :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, M. Jean‑François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Jérémie Iordanoff, M. Antoine Léaument, Mme Élisa Martin et Mme Sandra Regol
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 33
Nombre de suffrages exprimés : 33
Majorité absolue : 17
Pour l’adoption : 23
Contre l’adoption : 10
Abstentions : 0
La commission adopte l’amendement. L’article 7 bis est ainsi rédigé.
Amendement CL383 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le seul intérêt que nous voyions à l’article 7 était de préciser que le procureur de la République ou son représentant participe à titre permanent à la Cross de son ressort.
Cela rejoint notre conception du rôle du procureur de la République : il appartient à ce dernier de conduire la politique pénale dans son territoire, au nom du ministre de la justice, qui, lui-même, conduit la politique pénale au niveau national. Ce n’est en aucun cas le rôle de la police. Or, dans bien des cas, les Cross ou les services enquêteurs lancent des enquêtes dites d’initiative et n’en informent le procureur que lorsqu’ils en ont absolument besoin, par exemple à l’occasion d’une garde à vue. Ce n’est pas ainsi que les choses devraient se passer. Le procureur est censé discuter avec les différents services, puis demander à ces derniers de chercher dans telle ou telle direction et de revenir vers lui lorsqu’ils auront trouvé quelque chose afin de judiciariser l’affaire et d’ouvrir formellement une enquête. En réalité, cet enchaînement n’est jamais respecté, ou alors de manière très indirecte. Il est donc important que le procureur de la République participe à la Cross de son ressort.
Aux termes de l’article 66 de la Constitution, l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle. En matière de renseignement, il est donc de bon aloi que le procureur de la République garantisse que les services ne font pas n’importe quoi et que les enquêtes ne partent pas dans tous les sens.
Cela étant, puisque la suppression de l’article 7 a été confirmée, les Cross n’ont pas été inscrites dans la loi : l’adoption de notre amendement, qui évoque ces cellules dans le cadre d’un article additionnel, serait donc quelque peu baroque.
M. Roger Vicot, rapporteur. Effectivement, cet amendement n’a plus lieu d’être. Demande de retrait.
L’amendement est retiré.
Article 8 (art. L. 851-3 du code de la sécurité intérieure) : Recours au renseignement algorithmique en matière de criminalité organisée
Amendements de suppression CL27 de M. Antoine Léaument, CL202 de M. Paul Christophle, CL281 de M. Paul Molac et CL334 de Mme Elsa Faucillon et CL479 de M. Pouria Amirshahi
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Nous observons une utilisation croissante de techniques particulièrement intrusives et potentiellement attentatoires à la vie privée. Les services recourent massivement aux algorithmes pour traiter un volume important d’échanges ou de correspondances, en espérant trouver, au milieu de tout ce fatras, des éléments qui permettent de faire avancer les enquêtes ou de lancer des procédures. Ces pratiques, initialement limitées à la préservation de la sûreté de l’État, ont ensuite été étendues à la lutte contre le terrorisme ; il est maintenant question de les autoriser aussi dans le cadre de la lutte contre le crime organisé. Ce que nous craignions dès le début se produit malheureusement.
On s’enferme dans une illusion en considérant que la technologie pourrait prendre le pas sur le renseignement humain et s’avérer plus efficace que lui. Or un certain nombre de personnes ayant exercé des responsabilités dans le domaine du renseignement nous ont expliqué que, pour déjouer des attentats, le renseignement était absolument indispensable dans huit ou neuf cas sur dix – je dirais bien dans tous les cas, mais je ne veux pas exagérer.
Bien évidemment, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur ce sujet.
M. Paul Christophle (SOC). L’article 8 vise à étendre à la lutte contre la criminalité organisée l’utilisation des techniques algorithmiques, qui avait été autorisée en 2015, sous la forme d’une expérimentation, par la loi relative au renseignement, puis pérennisée en 2021 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, avant d’être élargie en 2024 à la prévention des ingérences étrangères.
Il est très difficile pour la représentation nationale de se prononcer sur ce sujet sans avoir connaissance du rapport d’évaluation que seule la délégation parlementaire au renseignement (DPR), qui n’est composée que de huit personnes sur les quelque 920 membres que compte le Parlement, a reçu. Nous proposons donc de supprimer cet article, même si je vous annonce d’ores et déjà que nous finirons par retirer notre amendement.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous avons également déposé un amendement de suppression de l’article 8, pour des raisons déjà évoquées. Depuis que ces boîtes noires ont été mises en place, en 2015, leur utilisation a été étendue sans qu’aucun bilan de leur efficacité ait été dressé. Cet argument s’ajoute à celui de l’atteinte aux libertés publiques. Pour le moment, les raisons que j’ai entendues ne m’ont convaincue ni de la proportionnalité de ces méthodes, ni de leur efficacité.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je déplore une certaine précipitation. J’ai parlé hier, lors de la discussion générale, de « névrose sécuritaire » : je maintiens mes propos. Il est très dangereux de s’engouffrer dans des méthodes de surveillance de masse, qui s’appuient sur des technologies dont personne ne peut garantir le contrôle réel et sérieux, d’autant que l’on a exclu l’application de dispositifs et de procédures, tels que l’intervention de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), censés garantir la conformité de ces pratiques à nos principes fondamentaux.
Je n’ai aucun plaisir à constater qu’à peu près toutes les craintes que nous avions formulées en 2015, lorsque cette disposition a été débattue pour la première fois à l’Assemblée nationale, puis lorsqu’elle a été étendue à la lutte contre le terrorisme, se sont finalement confirmées.
Plutôt que d’engager un débat idéologique sur le respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles, qui sont mis en cause dès lors que s’exerce ce type de surveillance, j’aimerais insister sur deux points concrets qui doivent éclairer le législateur. Comme vient de le dire Elsa Faucillon, ce dispositif liberticide n’a fait l’objet d’aucune évaluation réelle et sérieuse. C’est un problème que nous soyons amenés à discuter de la prolongation et de l’extension d’une telle pratique, qui se limitait au départ à la lutte contre le terrorisme, sans disposer d’un tel bilan. Les seules études sur lesquelles nous pouvons nous appuyer, qui concernent la vidéosurveillance classique, concluent que cette dernière n’a en rien montré son efficacité, que ce soit pour prévenir des infractions ou pour résoudre des affaires criminelles avérées.
M. Roger Vicot, rapporteur. Je donne un avis défavorable à ces amendements de suppression. J’aurai l’occasion d’expliquer clairement pourquoi dans quelques instants, lorsque je défendrai mon amendement CL668 visant à préciser le champ d’application de l’article 8.
M. Sacha Houlié (NI). Il me semble inutile de rappeler les conditions dans lesquelles les services accèdent aux données de connexion et aux URL. Nous avons souligné ce matin le rôle essentiel de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qui est saisie par le premier ministre et dont les avis négatifs ne peuvent être surmontés qu’en déposant un recours devant le Conseil d’État.
Nous avons décrit tout le processus d’autorisation des interceptions en matière de lutte contre le terrorisme, défini par une loi de 2015 et étendu en 2021 à la finalité 4 de l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure. Du reste, le recours à la technique de l’algorithme pour prévenir les actions terroristes apparaît aujourd’hui inutile, comme M. Léaument le mentionne à juste titre dans l’exposé sommaire de son amendement CL27, car la menace a évolué : les attaques projetées, systématisées, qui rendaient utile l’identification de comportements standards reproduits de façon cohérente, ont laissé place à une menace endogène et à des actions menées par des « loups solitaires ».
Le recours au renseignement algorithmique a également été étendu aux finalités 1 et 2, c’est-à-dire à la traque des ingérences étrangères. Cela s’est révélé tout à fait utile, car les services de renseignement étrangers ont des processus normés, stéréotypés, qui ont pu être documentés.
Les trafiquants de stupéfiants et les membres des réseaux de criminalité organisée suivent la même logique : ils respectent une certaine hygiène numérique, détruisent et renouvellent leurs téléphones, utilisent de nombreuses messageries cryptées et passent par des sites internet comme Leboncoin pour envoyer des messages à d’autres trafiquants par le biais de petites annonces.
Ainsi, le comportement numérique de ces individus justifie pleinement que l’on étende le recours aux techniques algorithmiques à cette nouvelle finalité. Nous n’avions pas voulu le faire dans la loi de 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, pour ne pas mélanger les sujets, mais nous en avions discuté à l’époque avec nos collègues sénateurs. L’article 8 a donc toute sa place dans la proposition de loi qui nous est présentée. Je souhaite qu’il soit adopté et appelle donc au rejet des amendements de suppression.
Mme Sandra Regol (EcoS). Je déplore que, depuis quelques mois, nous prenions l’habitude de considérer que le vote des députés ne doit jamais être éclairé par des éléments objectivés, scientifiques, permettant de prendre du recul sur les expérimentations réalisées. Que ce soit à l’article 8, à l’article 8 bis ou à l’article 8 ter, on nous dit que le rapport vient de sortir et que nous aurions déjà dû en assimiler le contenu, sans pouvoir nous appuyer sur des éléments fondés.
Il s’agit là d’un problème démocratique, d’autant plus grave que l’on ne cesse de vouloir étendre à la lutte contre le narcotrafic des techniques initialement réservées à la lutte contre le terrorisme ; pourtant, les organisations terroristes et les réseaux de narcotrafic n’ont ni la même organisation, ni le même fonctionnement, ni les mêmes objectifs, comme l’explique de façon détaillée le rapport du Sénat, lequel dénonce d’ailleurs l’obsession des ministres à vouloir établir un lien entre les deux. C’est assez amusant à lire ! Par ailleurs, on ne sait pas trop pourquoi on nous demande d’appliquer dans un autre cadre ces pratiques utilisées pour lutter contre le terrorisme, puisque les raisons ayant conduit à la pérennisation de ces dernières n’ont pas été objectivées.
Aux articles 8, 8 bis et 8 ter, on nous demande donc d’être des soldats, qui élargissent le recours à des technologies sur lesquelles nous n’avons pas de recul et pour lesquelles nous ne disposons pas d’évaluation. Je veux bien expérimenter, mais nous ne sommes plus à ce stade. À plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a affirmé très clairement qu’une expérimentation ne devait pas déborder de son cadre, et que sa prolongation était subordonnée à l’évaluation réalisée et à la bonne information du législateur. Nous en sommes loin !
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). L’article 8 suscite une autre inquiétude : alors qu’est en train de s’organiser une surveillance généralisée, en particulier par des dispositifs de vidéosurveillance algorithmique, il me paraît problématique d’en rajouter une petite louche !
J’appelle aussi votre attention sur le fait que l’utilisation de ces techniques est préalable à une enquête : on recueille des tas de données avant d’engager une action judiciaire qui viendra dans un second temps.
Je termine par une considération que vous jugerez peut-être un peu trop philosophique : en plus d’attenter à notre vie privée, le recours croissant à ces pratiques est en train de modifier notre rapport à l’autre, que nous voyons de plus en plus comme un danger ou un ennemi potentiel.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Je n’engagerai pas un débat philosophique avec ma collègue d’extrême gauche. Afin de lutter efficacement contre le narcotrafic, nous devons évidemment donner aux policiers et aux forces de l’ordre les moyens d’obtenir du renseignement. Cela paraît une évidence, mais tout dépend du camp dans lequel on se place et du combat que l’on choisit de mener… Nous voterons contre ces amendements de suppression, car l’expérimentation mérite d’être soutenue et prolongée.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Parmi les moyens nécessaires pour lutter efficacement contre les narcotrafiquants figurent, outre les moyens financiers, difficiles à mobiliser, et les compétences techniques des agents, qu’il va falloir former, les moyens techniques, notamment la surveillance algorithmique. Nous devons en effet donner à nos forces de l’ordre les outils dont ils ont besoin pour combattre le crime organisé à armes égales. Les priver du renseignement algorithmique reviendrait à leur demander de combattre le narcotrafic avec des machines à écrire et des minitels. Soyons sérieux !
M. Sébastien Huyghe (EPR). Lors de son audition, le ministre de l’intérieur a indiqué que les données que doivent exploiter les forces de l’ordre sont si nombreuses que le recours à la technologie est nécessaire, sachant, bien entendu, que ces données sont ensuite analysées par des enquêteurs.
Par ailleurs, c’est précisément parce que le dispositif n’a pas encore été évalué qu’il convient d’en prolonger l’expérimentation. Dès lors que les criminels recourent aux technologies les plus récentes, le législateur se doit d’offrir aux services chargés de lutter contre ces personnes la possibilité d’utiliser le renseignement algorithmique pour déjouer leurs actions. Nous sommes donc contre les amendements de suppression.
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, M. Jean‑François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Jérémie Iordanoff, Mme Émeline K/Bidi, M. Antoine Léaument, Mme Élisa Martin, M. Paul Molac et Mme Sandra Regol.
Votent contre :
M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Paul-André Colombani, M. Arthur Delaporte, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, M. Roland Lescure, Mme Marie-France Lorho, M. Christophe Marion, M. Éric Martineau, M. Ludovic Mendes, Mme Estelle Mercier, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne et M. Roger Vicot.
S’abstiennent :
M. Paul Christophle et M. Aurélien Lopez-Liguori.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 43
Nombre de suffrages exprimés : 41
Majorité absolue : 21
Pour l’adoption : 12
Contre l’adoption : 29
Abstentions : 2
Les amendements sont donc rejetés.
Amendement CL33 de M. Antoine Léaument
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Il s’agit de supprimer la possibilité d’utiliser la technique algorithmique, dont nous avons dit qu’elle était inefficace.
Je m’étonne de la position de Sacha Houlié car, en mai 2024, le président de la commission des lois qu’il était alors déclarait : « La technique de l’algorithme sur les données de connexion complètes n’a pas ou peu été utilisée par les services de renseignement depuis 2021. » Quant à M. Nicolas Lerner, alors directeur général de la sécurité intérieure, il affirmait en 2023 : « Répondre aux enjeux techniques, ce n’est pas nécessairement répondre par la technique. Il y a différentes manières d’y répondre, comme le renseignement humain. J’insiste, d’année en année et de mois en mois, auprès de mes services sur l’importance du renseignement humain et des sources humaines. » Un chiffre illustre son propos : sur soixante-trois attentats déjoués par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) depuis 2013, soixante et un ont fait intervenir à un moment donné une source humaine ou du renseignement humain.
Que ce soit en matière de renseignement ou de lutte contre le terrorisme, contre la criminalité organisée ou contre le narcotrafic, ce sont les moyens humains qui sont le plus efficaces et non les grandes techniques algorithmiques, qui font bien sur le papier mais qui, en réalité, rappellent un peu Orwell.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis défavorable : je défendrai dans un instant un amendement qui vise à encadrer l’utilisation des algorithmes.
M. Sacha Houlié (NI). Monsieur Léaument, vous avez raison de lire les bons auteurs, mais il faut les lire jusqu’au bout. Lors de l’examen de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, j’ai indiqué qu’aucune technique algorithmique n’avait été mise en œuvre pour poursuivre la finalité 4, c’est-à-dire la lutte contre le terrorisme, et ce en raison de la mutation de la menace terroriste qui, d’exogène et projetée, est devenue endogène et le fait de loups solitaires.
En revanche, pour lutter contre les ingérences étrangères, l’utilisation d’un algorithme est efficace. Elle permet en effet aux services de renseignement d’identifier un agent chinois ou russe, par exemple, car celui-ci a un comportement numérique défini, qui obéit à un protocole spécifique du fait de son appartenance aux services de son pays.
Or qu’est-ce que la criminalité organisée, sinon une organisation paraétatique mondialisée qui cherche à déstabiliser les États par la création d’une économie parallèle ? Les criminels recourent également à des protocoles précis – j’ai parlé de l’hygiène numérique des trafiquants de drogue, qui changent régulièrement de téléphone et recourent à des plateformes numériques pour dissimuler leur identité – qui justifient pleinement que l’utilisation de la technique algorithmique leur soit étendue. Dans ce cas, son effectivité fait peu de doutes, comme le dit Nicolas Lerner.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je suis stupéfait par l’argument de M. Huyghe selon lequel l’absence d’évaluation justifie la poursuite de l’expérimentation. C’est, au contraire, la raison pour laquelle il ne faut pas la prolonger. En effet, les questions que soulève l’utilisation de cet outil sont non seulement techniques, mais aussi éthiques, et touchent à nos principes fondamentaux. Au demeurant, ce dispositif n’améliore en rien l’efficacité des enquêtes.
Certes, le renseignement est nécessaire ; nous sommes les premiers à dire qu’il faut en renforcer les moyens humains afin de contrôler les activités suspectes des trafiquants et des criminels. Mais la surveillance algorithmique est inadaptée à la lutte contre la criminalité organisée, car le nombre des personnes concernées est si grand que nous ne disposerons pas de moyens humains suffisants pour analyser l’ensemble des données individuelles collectées, données qui se chiffrent en millions et seront mises en fichier. Cette pratique a d’ailleurs fait l’objet d’alertes de la Cnil et du Défenseur des droits, notamment.
Enfin, quel renseignement voulons-nous ? La surveillance algorithmique n’est qu’un outil dont ni l’efficacité ni le caractère éthique ne sont établis. Je rappelle que c’est la principale méthode de surveillance utilisée par le régime chinois ! C’est sur le recours à ce type de moyens que reposent les États policiers. Soyez attentifs à ne pas laisser de tels dispositifs hors de tout cadre réel et sérieux.
M. Jocelyn Dessigny (RN). La technique de l’algorithme fait l’objet d’une expérimentation ; un temps d’adaptation est donc nécessaire. Toutes les personnes que nous avons auditionnées estiment qu’elle fonctionne plutôt bien et que son expérimentation devrait être prolongée. Laissons aux forces de l’ordre et aux spécialistes le temps d’apprendre à les utiliser correctement, d’ici à 2028, et nous en tirerons les enseignements par la suite, éventuellement dans un rapport.
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, M. Jean‑François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, M. Jérémie Iordanoff, M. Antoine Léaument, Mme Élisa Martin et Mme Sandra Regol.
Votent contre :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Paul Christophle, M. Paul-André Colombani, M. Arthur Delaporte, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, M. Roland Lescure, Mme Marie‑France Lorho, M. Christophe Marion, M. Éric Martineau, M. Ludovic Mendes, Mme Estelle Mercier, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Michaël Taverne et M. Roger Vicot.
S’abstiennent :
Mme Elsa Faucillon, Mme Émeline K/Bidi et M. Paul Molac.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 44
Nombre de suffrages exprimés : 41
Majorité absolue : 21
Pour l’adoption : 9
Contre l’adoption : 32
Abstentions : 3
La commission rejette l’amendement.
L’amendement CL407 de M. Pouria Amirshahi est retiré.
Amendement CL480 de M. Pouria Amirshahi
M. Pouria Amirshahi (EcoS). L’article 8 est problématique en ce qu’il étend l’utilisation de la technique algorithmique, initialement réservée à la lutte contre le terrorisme et dont nous avons dit qu’elle porte atteinte de manière inouïe aux libertés fondamentales, à la criminalité et à la délinquance organisées. Aussi proposons-nous d’exclure de son champ d’application la délinquance organisée, à savoir le bas du panier. Ne faisons pas de ce qui doit être l’exception la règle commune.
M. Roger Vicot, rapporteur. Demande de retrait, car mon amendement CL668 tend à restreindre davantage encore l’utilisation des algorithmes.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je maintiens l’amendement, pour une raison fondamentale. Lorsque des lois d’exception entrent dans le droit commun, elles ouvrent une brèche. De fait, toutes les extensions temporaires ou limitées de ce type de méthodes exceptionnelles ont été, au bout du compte, inscrites dans le marbre. Or lorsqu’une mesure exceptionnelle inspire la loi commune, on entre dans une autre dimension de notre rapport à la loi.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Cet amendement présente l’intérêt d’attirer notre attention sur un glissement du vocabulaire, qui traduit, en fait, une évolution du code de procédure pénale : on parle désormais de délinquance organisée.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Si l’on exclut la délinquance organisée du champ d’application de la technique algorithmique, on prive les forces de l’ordre de la possibilité d’arrêter pour de simples faits de délinquance des personnes qui appartiennent à la criminalité organisée. Nous voterons donc contre cet amendement.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Le débat a fait évoluer ma position : je me rallie à l’amendement CL668.
L’amendement est retiré.
Amendement CL668 de M. Roger Vicot
M. Roger Vicot, rapporteur. Les articles 8, 8 bis et 8 ter font partie des dispositions qui sont au cœur de la proposition de loi, si bien qu’une petite moitié de nos auditions de la semaine dernière leur a été consacrée. Ils ont trait, en effet, à des enjeux non seulement techniques, mais aussi éthiques, puisqu’il y va de la protection des libertés fondamentales, notamment de la vie privée. Ils doivent donc être appréhendés d’une manière spécifique.
Tout d’abord, la technique algorithmique ne consiste pas, contrairement à ce qu’a indiqué M. Amirshahi, à mettre des millions de données en fichier : aucune donnée n’est conservée. L’algorithme mouline un certain nombre d’éléments et, à un moment, il « hite », comme disent les spécialistes, et attire l’attention sur des comportements prédéfinis caractéristiques de ce qui est recherché. Ensuite, il utilise les données de connexion et non les données de communication. Ainsi, si l’on cherche le mot « cocaïne » sur internet, on ne sera pas immédiatement identifié par l’algorithme : celui-ci ne détecte pas des contenus, mais des comportements informatiques.
Dès lors, il convenait de se faire préciser que l’algorithme lui-même est encadré ainsi que le niveau des informations qu’il recherche – les services de renseignement ne doivent pas avoir accès à tous les éléments – et que l’ensemble du dispositif est entouré de garanties sur le plan judiciaire.
Par l’amendement CL668, je vous propose de restreindre l’extension prévue à l’article 8 au haut du spectre, à savoir la seule criminalité organisée concernant le trafic de stupéfiants, le trafic d’armes et le blanchiment des produits qui en sont issus.
J’ajoute que cette extension ne remet nullement en cause le régime d’autorisation et d’encadrement des algorithmes. Leur utilisation est limitée à des menaces graves. Elle est autorisée par le premier ministre après avis de la CNCTR et, en cas d’avis négatif, la formation spécialisée du Conseil d’État est saisie. Leur mise en œuvre est centralisée au groupement interministériel de contrôle (GIC), service du premier ministre. Les services de renseignement n’ont pas accès aux données qui sont soumises aux algorithmes : ils ne peuvent demander une levée d’anonymat qu’en cas de déclenchement d’une alerte. Enfin, je le répète, les algorithmes ne portent que sur les données de connexion et non sur le contenu des communications. Ainsi, l’extension prévue ne viendrait pas modifier le champ des données soumises aux algorithmes.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Certes, le dispositif est encadré. Mais c’était déjà le cas en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, et nous y étions déjà opposés, pour des raisons de principe.
Quant à la collecte des données, il est vrai que l’algorithme relâche celles qui n’ont pas « matché », mais il conserve les autres pour analyse. Or le filet est assez étendu, car on ne peut pas se contenter d’un mot-clé, comme vous l’avez dit. J’ajoute qu’on ne peut pas programmer l’algorithme pour restreindre son utilisation au haut du panier, comme vous le proposez dans l’amendement. En effet, il ne distinguera pas ce qui est du domaine criminel et ce qui est du domaine délictuel : il vérifiera uniquement qu’il est question de stupéfiants. Quoi qu’il en soit, nous nous opposerons à l’article 8.
Encore une fois, au bout du compte, les enquêtes judiciaires qui aboutissent à l’arrestation de trafiquants sont menées dans le monde tangible. La drogue ne circule pas dans des e-mails : elle a une existence matérielle.
La technique algorithmique est disproportionnée et ne sera pas efficace.
Mme Sandra Regol (EcoS). Cet amendement a le mérite de réduire le champ du recours aux techniques de renseignement algorithmique : on prétendait attraper des sardines, mais on allait prendre aussi les maquereaux ; on se rapproche de l’objectif, c’est un progrès.
Toutefois, un algorithme ne fait que ce qu’on lui demande ; or, sur ce point, le texte est flou : il ne précise pas la nature de l’algorithme utilisé – apprenant ou récursif.
Ensuite, la simple recherche du mot « cocaïne » ne sera pas détectée par l’algorithme, et heureusement, car elle peut être effectuée pour un devoir de collège sur le trafic de drogue ; mais si une personne cherche à la fois « cocaïne », « grande fatigue » et « faire face au surmenage », l’algorithme permettra de repérer cette combinaison. Cette surveillance est donc intrusive, car elle touche à la vie privée des gens. La rédaction de l’article 8, même modifiée par cet amendement, permet d’analyser les URL consultées, le chemin emprunté pour rechercher une information, etc.
Enfin, vous dites que les données ne sont pas conservées ; mais ce n’est pas vrai de celles mises en cache, au sein desquelles les hackers peuvent identifier des données sensibles.
M. Sacha Houlié (NI). Ce n’est pas du tout comme ça que ça marche.
Je ne reviens pas sur les conditions dans lesquelles l’utilisation d’un algorithme est validée – l’avis de la CNCTR préalable à l’autorisation du premier ministre, l’intervention du Conseil d’État si cet avis est négatif, le rôle du groupement interministériel de contrôle.
Quant à la nature de l’algorithme qui peut être utilisé, il porte non sur le contenu, mais sur un certain type de comportement numérique – la connexion à de multiples plateformes telles que Snapchat, WhatsApp ou Signal, et ce sur des terminaux différents, typique d’une personne en haut du spectre de la criminalité organisée, d’un très gros bonnet. Par exemple, Mohamed Amra utilisait un nouveau téléphone tous les deux jours, et un appareil différent pour les appels reçus, émis ou personnels. Les données ne sont pas conservées puisque le but est d’identifier une personne. Ensuite, une fois cette identification faite, on utilise une autre méthode de surveillance ou de renseignement.
M. Roger Vicot, rapporteur. Je souhaite rassurer Mme Regol en répétant que plusieurs étapes doivent être franchies avant que le recours à l’algorithme soit autorisé et que l’algorithme a pour seul but de détecter certains comportements, non des contenus ; c’est une énorme garantie.
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, Mme Anne Bergantz, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Paul-André Colombani, M. Arthur Delaporte, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Sébastien Huyghe, M. Jérémie Iordanoff, Mme Émeline K/Bidi, Mme Marietta Karamanli, M. Roland Lescure, M. Christophe Marion, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, M. Stéphane Mazars, Mme Estelle Mercier, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, M. Éric Pauget, Mme Sandra Regol, M. Hervé Saulignac et M. Roger Vicot.
Votent contre :
Mme Léa Balage El Mariky, Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, Mme Monique Griseti, Mme Marie-France Lorho, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud et M. Michaël Taverne.
S’abstiennent :
M. Ugo Bernalicis, M. Jean-François Coulomme, M. Aurélien Lopez-Liguori et Mme Élisa Martin.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 45
Nombre de suffrages exprimés : 41
Majorité absolue : 21
Pour l’adoption : 27
Contre l’adoption : 14
Abstentions : 4
La commission adopte l’amendement.
L’amendement CL406 de M. Pouria Amirshahi est retiré.
Amendement CL174 de Mme Sandra Regol
Mme Sandra Regol (EcoS). Cet amendement de repli vise à réduire la durée de l’expérimentation. Du reste, le texte du Sénat, dans sa version initiale, ne prévoyait pas de la prolonger.
Alors que la nature des algorithmes sur lesquels nous devons nous prononcer n’a pas fait l’objet, faute de temps, d’analyses scientifiques, l’alinéa 10 prévoit que le gouvernement remettra au Parlement un rapport évaluant l’expérimentation de l’expérimentation afin que nous soyons en mesure de décider de son éventuelle poursuite. La plaisanterie est de mauvais goût : on s’assoit de manière systématique sur les conclusions de ces rapports dont on ne tient pas compte dans ce débat.
Nous ne disposons pas tous de la même connaissance de la technique des algorithmes, très précise et intrusive. Les algorithmes sont des séries mathématiques dont on perçoit mal les applications, pourtant très concrètes. Ainsi, il y a quelques jours, une nouvelle fonctionnalité de Google a été supprimée, car elle aspirait de nombreuses données personnelles. La question n’est pas seulement technique, mais démocratique : quelle valeur donnons-nous à nos droits ?
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable. L’amendement permet de poser le cadre pour débattre sereinement de la manière dont les algorithmes fonctionnent.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Alors que nous ne savons pas si les algorithmes sont un outil efficace pour lutter contre le terrorisme et les ingérences étrangères, nous nous apprêtons à étendre leur utilisation à la criminalité organisée. Si expérimentation il y a, elle doit être la plus courte possible. Surtout, dans ces différents domaines, nous devons pouvoir vérifier l’efficacité des algorithmes et, pour cela, il nous faut disposer de rapports chaque année, comme c’est déjà prévu en matière d’ingérences étrangères.
Lors des auditions, on nous a indiqué que cette efficacité n’était pas au rendez-vous, malgré les importants moyens financiers et humains alloués. Je crains que les trafiquants du haut du spectre adaptent leur comportement pour échapper à la surveillance algorithmique.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Nous devons pouvoir croire aux effets de notre propre délibération. Or, malgré notre vote en ce sens, aucun rapport relatif à l’interception des communications par satellite ne nous a été remis.
Comme la prohibition des stupéfiants ne fonctionne pas, nous ne cessons d’accumuler les technologies et les moyens de surveillance, mais cette stratégie nous conduira à la même aporie ; en outre, elle s’accompagnera d’une remise en cause de nos droits, notamment relatifs à la protection des données personnelles.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Lors de son audition, le ministre de l’intérieur a expliqué que si la technique algorithmique n’avait pas encore fait l’objet d’une évaluation, c’est parce qu’elle avait été mise en place tardivement en raison de sa complexité.
Réduire à un an la durée d’expérimentation du renseignement algorithmique en matière de criminalité organisée ne permettra pas de l’évaluer correctement. Nous voterons donc contre cet amendement.
Mme Sandra Regol (EcoS). Vous confondez plusieurs types de technique. Vous faites référence à l’expérimentation sur la vidéosurveillance algorithmique, expérimentée lors des Jeux olympiques, qui n’a rien à voir avec le renseignement algorithmique qui nous occupe.
Sans vouloir vous offenser, nous n’avons pas tous le même degré de connaissance de ce sujet d’une grande technicité – nous ne sommes pas tous des mathématiciens ou des experts en programmation. Le ministre de l’intérieur, qui, du reste, ne le maîtrise pas, nous a embrouillés avec des mots et des dates. En réalité, le comité d’évaluation, dont je suis membre, a publié un rapport sur l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique que seul notre collègue Philippe Latombe a lu. Avec notre collègue Stéphane Mazars, également membre du comité, nous avons eu le temps d’évaluer ce dispositif, en analysant notamment ses caractéristiques, sa modélisation mathématique, les difficultés rencontrées.
Ce sujet exige des connaissances techniques dont vous ne disposez pas, chers collègues. Vous ne pouvez voter de manière éclairée alors que vous êtes plongés dans l’obscurité ; ce n’est pas démocratique, c’est irrespectueux des personnes qui nous ont élus.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Malgré votre ton professoral, je maintiens mes propos.
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, Mme Colette Capdevielle, M. Paul-André Colombani, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Jérémie Iordanoff, Mme Émeline K/Bidi, Mme Marietta Karamanli, Mme Élisa Martin, Mme Estelle Mercier, M. Paul Molac, Mme Sandra Regol, M. Hervé Saulignac et M. Roger Vicot.
Votent contre :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, M. Vincent Caure, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, Mme Monique Griseti, M. Sébastien Huyghe, M. Roland Lescure, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie-France Lorho, M. Christophe Marion, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, M. Jean Moulliere, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud et M. Michaël Taverne.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 44
Nombre de suffrages exprimés : 44
Majorité absolue : 23
Pour l’adoption : 17
Contre l’adoption : 27
Abstentions : 0
La commission rejette l’amendement.
M. le président Florent Boudié. Je suis saisi sur le vote de l’article 8 d’une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, Mme Colette Capdevielle, M. Vincent Caure, M. Paul-André Colombani, M. Arthur Delaporte, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, Mme Monique Griseti, M. Sébastien Huyghe, Mme Marietta Karamanli, M. Roland Lescure, M. Christophe Marion, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, M. Stéphane Mazars, M. Ludovic Mendes, M. Jean Moulliere, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Hervé Saulignac, M. Michaël Taverne et M. Roger Vicot.
Votent contre :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, M. Jean‑François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Jérémie Iordanoff, Mme Émeline K/Bidi, Mme Élisa Martin et Mme Sandra Regol.
S’abstient :
M. Paul Molac.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 42
Nombre de suffrages exprimés : 41
Majorité absolue : 21
Pour l’adoption : 31
Contre l’adoption : 10
Abstentions : 1
La commission adopte l’article 8 modifié.
Après l’article 8
Amendement CL187 de M. Philippe Latombe
M. Éric Martineau (Dem). Pour davantage de rapidité et d’efficacité, il vise à renforcer l’arsenal légal dans la lutte contre le narcotrafic en simplifiant le cadre dans lequel seront effectuées par le Pnaco (parquet national anti-criminalité organisée) les réquisitions adressées en application du code de procédure pénale ou du code des douanes et transmises par l’intermédiaire de la Plateforme nationale des interceptions judiciaires, qui organise la centralisation de leur exécution.
M. Roger Vicot, rapporteur. Par cohérence avec la suppression de l’article 8 ter que je propose, avis défavorable.
Mme Sandra Regol (EcoS). Le deuxième alinéa de l’article 230‑45 du code de procédure pénale dispose que les réquisitions sont transmises « sauf impossibilité technique » ; l’amendement tend à remplacer ces mots par les termes « sauf nécessité motivée par le magistrat en charge de l’enquête ». Mais alors, comment fera-t-on en cas d’impossibilité technique ? On nous explique que les magistrats du Pnaco devront avoir accès à toutes les technologies possibles et nécessaires à l’accomplissement de leur mission, mais, dans les faits, cet amendement est inapplicable. Je m’étonne qu’il ait été déclaré recevable et je vous invite à le rejeter pour éviter de mettre en difficulté les magistrats.
L’amendement est retiré.
L’amendement CL30 de M. Ugo Bernalicis est retiré.
Article 8 bis (nouveau) (article L. 852-3 du code de la sécurité intérieure) : Prorogation et modification du régime des interceptions satellitaires
Amendements de suppression CL35 de M. Ugo Bernalicis, CL203 de M. Paul Christophle, CL336 de Mme Elsa Faucillon et CL481 de M. Pouria Amirshahi
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Cet article prévoit la possibilité d’intercepter des correspondances émises ou reçues par des constellations de satellites, qui se multiplient autour de la planète.
Cette technologie intrusive est encore plus complexe et moins fiable que celle dont nous avons précédemment parlé. Elle soulève des questions en matière de relations internationales, car les satellites ne restent pas statiques au-dessus de la France, mais sont mobiles, et que ce qui est collecté est incommensurablement plus vaste, même si nous avons bien compris que toutes les données n’étaient pas analysées. L’enjeu est le respect de nos droits.
M. Paul Christophle (SOC). L’expérimentation n’a pas été évaluée. Dans ces conditions, il est très difficile de soutenir l’extension du dispositif à la criminalité organisée.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). À l’origine, il s’agissait d’expérimenter ce dispositif pour lutter contre le terrorisme. Il est désormais question de prolonger cette expérimentation pour près de trois ans, alors qu’aucun bilan n’a été communiqué : ces interceptions satellitaires sont-elles couramment utilisées, et dans quels cas le sont-elles ? Les opérateurs de téléphonie sont-ils si souvent pris en défaut qu’il faille y recourir ? Les réponses à ces questions nous auraient permis de déterminer s’il est pertinent de prolonger une expérimentation d’une telle ampleur et d’en faire une disposition de droit commun. En leur absence, nous souhaitons supprimer cet article.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). L’article 8 bis prévoit plusieurs dispositions inquiétantes, parmi lesquelles les interceptions satellitaires. Ce dispositif est trop large, trop dangereux, trop massif et trop incertain, a fortiori en l’absence d’évaluation réelle et sérieuse. L’utilisation de cette technique est disproportionnée au regard de la menace.
Une autre disposition réduit l’accès du premier ministre à des documents dont il pourrait avoir besoin pour prendre des décisions éclairées. En 2015, j’étais moi-même sceptique quant à la nécessité de fournir autant d’éléments d’information au premier ministre ; désormais, il me semble préférable qu’ils soient entre les mains d’un ministre responsable devant le Parlement plutôt que de rester l’apanage des services de renseignement. En outre, ne lui transmettre qu’une partie des informations nécessaires à éclairer la décision publique est d’autant plus problématique qu’on ignore selon quels critères elles sont choisies.
M. Roger Vicot, rapporteur. Je suis cosignataire de l’un des amendements de suppression. Toutefois, des éléments d’évaluation ayant été transmis à la DPR, notre position pourrait évoluer d’ici à l’examen du texte en séance. Le gouvernement a en effet accepté de nous transmettre une version expurgée du rapport d’évaluation.
M. le président Florent Boudié. Je confirme que la DPR, dont je fais partie, a reçu des éléments d’évaluation qui doivent être expurgés.
Mme Sandra Regol (EcoS). L’article 8 bis soulève plusieurs problèmes. Tout d’abord, il est anecdotique, puisque très peu de personnes utilisent des téléphones satellitaires. Hier, j’ai écouté avec beaucoup d’amusement le ministre de l’intérieur expliquer qu’il s’agissait des téléphones du futur, alors que ce sont les téléphones des catastrophes naturelles, prenant le relais des infrastructures de télécommunication défaillantes, comme à Mayotte après le passage du cyclone Chido.
Ensuite, le dispositif d’interception satellitaire repose largement sur le réseau Starlink, propriété d’Elon Musk. Or il me semble problématique que la France place une partie de son renseignement entre les mains de quelqu’un qui exerce des responsabilités au sein d’un gouvernement étranger.
Je serais heureuse de prendre connaissance d’éléments objectifs issus du rapport d’évaluation de ce dispositif. En créant autant de risques d’ingérence alors que si peu de gens sont concernés, cet article semble avant tout faire œuvre de communication, sans fournir aucun outil concret.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je suis entièrement d’accord avec Sandra Regol.
Sous la XVe législature, le groupe de La France insoumise a défendu un projet de modification de la composition de la DPR, afin que chaque groupe parlementaire y soit représenté. Cette modification a été refusée ; pourtant, compte tenu de la teneur des discussions avec les services de police en général et de renseignement en particulier, il ne paraît pas absurde qu’ils y soient tous représentés si l’on considère que leur bonne information est importante. Prévoir davantage de membres au sein de la délégation serait d’autant plus logique que le nombre de groupes parlementaires a lui-même augmenté. J’espère qu’un amendement en ce sens réunira à l’avenir une majorité – peut-être serait-il recevable en vue de l’examen du texte en séance.
Il n’est pas souhaitable que nous soyons contraints de croire sur parole les quelques députés qui en sont membres pour voter certains amendements. Cela nous met dans une position inconfortable – sans pour autant modifier notre critique de la surveillance et des écoutes.
M. le président Florent Boudié. Je n’ai fait que confirmer que la DPR a été destinataire d’informations, sans prendre position sur cet amendement – ce n’est pas mon rôle.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Mme Regol a raison, très peu de personnes utilisent des téléphones satellitaires, mais la plupart sont des criminels, qui s’en servent pour passer sous les radars. Nos forces de l’ordre et nos services de renseignement doivent être en mesure d’intercepter les conversations qui leur permettent de gérer leurs trafics et de commanditer des crimes. C’est précisément pour cette raison que nous devons prolonger cette expérimentation.
Je suis surpris que la gauche et l’extrême gauche soient opposées à ce dispositif, puisqu’il permet lutter contre les criminels les plus riches : ne souhaitez-vous pas abattre le narcocapitalisme ?
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Jérémie Iordanoff, Mme Émeline K/Bidi, Mme Marietta Karamanli, M. Antoine Léaument, Mme Élisa Martin, Mme Estelle Mercier, Mme Sandra Regol, M. Hervé Saulignac et M. Roger Vicot.
Votent contre :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, M. Vincent Caure, M. Paul‑André Colombani, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, M. Olivier Marleix, M. Éric Martineau, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud et M. Michaël Taverne.
S’abstient :
Mme Marie-France Lorho.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 44
Nombre de suffrages exprimés : 43
Majorité absolue : 22
Pour l’adoption : 18
Contre l’adoption : 25
Abstentions : 1
Les amendements sont donc rejetés.
Amendement CL37 de M. Antoine Léaument
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Cet amendement vise à supprimer du code de la sécurité intérieure le recours aux techniques d’interception des communications satellitaires.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis défavorable, puisque nous attendons de prendre connaissance des informations expurgées du rapport d’évaluation.
Mme Sandra Regol (EcoS). Nous voterons pour cet amendement.
Si chaque amendement ne faisait pas l’objet d’un vote par scrutin, nous aurions pu avancer plus rapidement dans l’examen de ce texte plutôt que de perdre du temps et de l’énergie.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Nous voterons contre cet amendement d’obstruction au bon fonctionnement du dispositif d’interception des communications satellitaires.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). D’un côté, vous dites qu’intercepter les conversations satellitaires est très utile pour lutter contre la criminalité organisée et les narcotrafiquants, puisque cette pratique permet d’obtenir du renseignement de qualité. Nous pourrions souscrire à de telles méthodes si elles n’étaient pas attentatoires aux libertés publiques. Mais, n’étant pas membres de la DPR, n’étant donc pas habilités à recevoir des informations confidentielles, nous ne sommes pas en mesure de prendre position de manière certaine quant à l’utilité de ce dispositif ; c’est pourquoi nous préférons faire prévaloir les libertés publiques.
De l’autre côté, dans l’article 8 ter, vous prévoyez d’installer des portes dérobées – backdoors – dans tous les logiciels afin de consulter les conversations des narcotrafiquants. Mais si leurs outils de communication ne sont plus sécurisés, ces derniers cesseront de les utiliser et ce dispositif deviendra inutile.
Par ailleurs, je suis très surpris de la stratégie du groupe RN consistant à demander des votes par scrutin pour le moindre amendement. Peut-être est-ce sa manière de compenser le faible nombre d’amendements qu’il a déposés ? En tout état de cause, ce n’est guère utile.
Compte tenu des rapports de force révélés par le dernier vote par scrutin, je retire cet amendement qui n’a aucune chance d’être adopté.
L’amendement CL37 est retiré.
Amendements identiques CL42 de M. Ugo Bernalicis et CL204 de M. Paul Christophle, amendements CL175 de Mme Sandra Regol, CL41 de M. Antoine Léaument et CL39 de M. Ugo Bernalicis (discussion commune)
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’amendement CL42 vise à réduire de trois ans la prolongation de l’expérimentation de la technique d’interception des correspondances satellitaires, qui prendrait alors fin le 31 décembre 2025. Entre-temps, nous aurons peut-être la possibilité de faire adopter un amendement visant à modifier la composition de la DPR, nous permettant d’être mieux informés.
M. Paul Christophle (SOC). L’amendement CL204 vise également à fixer au 31 décembre 2025 la fin de la prolongation de l’expérimentation. Dans l’intervalle, la représentation nationale aura peut-être obtenu davantage d’informations sur l’évaluation de ce dispositif.
Mme Sandra Regol (EcoS). Compte tenu de l’insuffisance des données transmises, cet amendement de repli vise à limiter la durée de l’expérimentation.
Les services de renseignement français ne sont pas censés utiliser ces techniques d’interception en dehors du territoire. Or, en France, les utilisateurs des téléphones satellitaires sont particulièrement peu nombreux et ce ne sont pas des narcotrafiquants, mais des habitants de zones rurales reculées ou de zones dont les infrastructures ont été endommagées – à Mayotte, par exemple. En dehors de notre territoire, les narcotrafiquants vivent dans des villes très chères et bien connectées, dans lesquelles ils n’ont pas besoin d’utiliser de tels téléphones ; quand bien même ils en utiliseraient, leurs conversations ne relèvent pas du domaine d’application du renseignement français. L’article 8 bis est donc purement cosmétique.
En revanche, il risque de placer nos services de renseignement dans des mains étrangères, à commencer par celles des États-Unis.
Si l’on entend préserver les techniques et les moyens du renseignement et de la police, il faut œuvrer à l’amélioration des interconnexions entre nos institutions – la police, la gendarmerie, les douanes et la justice – et celles des autres pays.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Les amendements CL41 et CL39 visent à fixer la fin de la prolongation de l’expérimentation respectivement au 31 décembre 2026 et au 31 décembre 2027.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable aux amendements identiques.
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Émeline K/Bidi, Mme Marietta Karamanli, M. Antoine Léaument, Mme Élisa Martin, Mme Estelle Mercier, Mme Sandra Regol, M. Hervé Saulignac et M. Roger Vicot.
Votent contre :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, M. Vincent Caure, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, M. Éric Martineau, M. Jean Moulliere, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne et M. Jean Terlier.
S’abstient :
M. Paul Molac.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 41
Nombre de suffrages exprimés : 40
Majorité absolue : 21
Pour l’adoption : 17
Contre l’adoption : 23
Abstentions : 1
Les amendements sont donc rejetés.
Les amendements CL175, CL41 et CL39 sont retirés.
M. le président Florent Boudié. Nous avons, depuis cet après-midi, procédé à dix-sept votes par scrutin, ce qui, à raison de sept minutes par scrutin, représente cent dix-neuf minutes.
L’amendement CL483 de M. Pouria Amirshahi est retiré.
Amendement CL482 de M. Pouria Amirshahi
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Cet amendement vise à restreindre l’expérimentation à la seule criminalité organisée, excluant donc la délinquance organisée.
Les ministres et les rapporteurs ont expliqué que ce texte avait pour but de s’attaquer à la partie haute du spectre de la criminalité organisée. Or l’article 8 bis prévoit des systèmes très sophistiqués, mais qui ne toucheront que la partie basse du spectre, c’est-à-dire la délinquance organisée. Compte tenu de la complexité d’usage, d’interprétation et d’exploitation des données, non seulement ces systèmes représentent une perte de temps, mais ils sont inadaptés à la cible visée.
Par ailleurs, il est nécessaire de se mettre d’accord sur ce que l’on entend par délinquance organisée. Ainsi, pendant la crise des gilets jaunes, sur le chantier de Bure et à d’autres occasions, nous avons constaté des mises en cause pénales de militants. Nous risquons non seulement de manquer les vrais délinquants, mais aussi de commettre des injustices et des infractions aux libertés fondamentales, notamment celle de manifester.
M. Roger Vicot, rapporteur. J’ai déposé dans le même esprit un amendement de réécriture de l’article 8 visant à en restreindre le champ d’application autant que possible. Avis favorable.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Nous considérons qu’il s’agit d’un amendement d’obstruction.
Monsieur le président, à notre place, au milieu de la salle, nous ne pouvons pas décompter les votes à main levée aussi bien que nous le souhaiterions, ni aussi bien que vous, qui êtes placé en hauteur. Il nous a semblé que l’un de nos amendements avait été adopté, mais vous avez indiqué le contraire. Voilà pourquoi, afin d’être parfaitement certains du résultat de chaque vote, nous demandons des votes par scrutin, comme le règlement nous le permet.
M. le président Florent Boudié. C’est une très belle explication : chacun d’entre nous est à même de constater sa propre hauteur de vue.
M. Philippe Gosselin (DR). Au nom du groupe Droite républicaine, je tiens à dire que remettre ainsi en cause la présidence de la commission n’est pas acceptable. Depuis 18 heures, vous n’avez cessé de demander des votes par scrutin, qui n’apportent rien et font perdre du temps à tous.
M. le président Florent Boudié. Merci, monsieur Gosselin, je préfère que ce soit vous qui fassiez cette remarque plutôt que moi.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Monsieur le président, cette remise en cause de votre présidence est scandaleuse. Avec les administrateurs de la commission, vous procédez à des décomptes précis pour chaque vote.
Il n’est pas possible de revenir sur le vote d’un amendement, car les secondes délibérations sont impossibles en commission. Ces demandes de scrutin s’expliquent donc seulement par le désir de nuire et de nous empêcher d’avancer.
J’avais cru comprendre que les membres du Rassemblement national étaient plutôt favorables à la lutte contre la grande délinquance en bande organisée et le narcotrafic. Ce n’est manifestement pas le cas : ils veulent uniquement se faire mousser et exprimer leur mécontentement. C’est petit. Ils ne l’emporteront pas au paradis.
M. le président Florent Boudié. Je vous remercie. Ne cédons pas aux mouvements d’humeur.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je suis favorable à l’amendement en discussion.
Quant à l’obstruction des membres du groupe Rassemblement national, je pourrais la comprendre s’ils n’étaient pas d’accord avec le texte, mais ils soutiennent le projet du gouvernement ! C’est d’ailleurs pour cela qu’ils n’ont déposé quasiment aucun amendement et qu’ils s’opposent aux amendements défendus par les autres groupes.
Pourquoi tentez-vous d’empêcher l’examen de ce texte ? C’est mystérieux. Je commence à vous soupçonner d’être corrompus – on le sait, la corruption pèse sur l’ensemble du corps politique.
M. Yoann Gillet (RN). Ce ne sont pas des manœuvres d’obstruction. Nous aurons de toute manière le temps d’achever l’examen du texte. Puisqu’il ne s’agit pas d’une niche parlementaire, nous pourrions poursuivre nos travaux jusqu’à 6 heures du matin et continuer les jours suivants. Nous y sommes prêts.
Nous demandons des votes par scrutin parce que cet après-midi, estimant que l’un de nos amendements avait bien été adopté, nous avons demandé un recomptage des voix, mais le président de la commission nous l’a refusé – alors qu’il accepte de telles demandes quand elles sont issues de la gauche.
M. le président Florent Boudié. Je ne peux pas vous laisser m’accuser de privilégier certaines formations politiques. J’ai accordé des recomptages à toutes les formations, dès que cela me semblait justifié.
Je saisirai la conférence des présidents concernant votre comportement.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Il est permis d’user de la procédure, parce qu’elle est la sœur jumelle du droit et de la liberté. Mais vous, au Rassemblement national, vous en abusez – comme vous le disent les membres de tous les groupes, y compris ceux qui partagent vos convictions sur ce texte.
J’en viens à douter de la sincérité de votre désir d’examiner ce texte. Sur une question aussi grave que la création d’institutions efficaces contre le crime organisé, nous devons travailler de manière sérieuse, et non dans la fatigue d’une réunion qui s’achèverait à six heures du matin.
Il est permis d’exprimer des désaccords avec le président concernant l’organisation du débat, mais votre accusation est d’autant plus choquante qu’elle cible également les fonctionnaires participant au décompte des voix. Ils travaillent à notre service à tous et méritent eux aussi le respect.
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, Mme Elsa Faucillon, Mme Émeline K/Bidi, Mme Marietta Karamanli, M. Antoine Léaument, Mme Élisa Martin, Mme Estelle Mercier, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, Mme Sandra Regol, M. Hervé Saulignac et M. Roger Vicot.
Votent contre :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, M. Vincent Caure, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie‑France Lorho, M. Éric Martineau, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne et M. Jean Terlier.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 42
Nombre de suffrages exprimés : 42
Majorité absolue : 22
Pour l’adoption : 18
Contre l’adoption : 24
Abstentions : 0
La commission rejette l’amendement.
M. le président Florent Boudié. Je suis saisi sur le vote de l’article 8 bis d’une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, M. Vincent Caure, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Marie‑France Lorho, M. Éric Martineau, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne et M. Jean Terlier.
Votent contre :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, Mme Elsa Faucillon, Mme Émeline K/Bidi, Mme Marietta Karamanli, M. Antoine Léaument, Mme Élisa Martin, Mme Estelle Mercier, Mme Sandra Regol, M. Hervé Saulignac et M. Roger Vicot.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 42
Nombre de suffrages exprimés : 42
Majorité absolue : 22
Pour l’adoption : 26
Contre l’adoption : 16
Abstentions : 0
La commission adopte l’article 8 bis non modifié.
Article 8 ter (nouveau) (art. L. 871-1, L. 871-3, L. 871-4, L. 871-5, L. 871-6, L. 871-7, L. 881-1, L. 881-2 du code de la sécurité intérieure, art. L. 33-1 et L. 34-18 à L. 34-22 [nouveaux] du code des postes et des télécommunications électroniques) : Obligation de déchiffrement des communications sécurisées par les opérateurs
Amendements de suppression CL44 de M. Antoine Léaument, CL176 de Mme Sandra Regol, CL205 de M. Arthur Delaporte, CL282 de M. Paul Molac, CL312 de M. Aurélien Lopez-Liguori et CL335 de Mme Elsa Faucillon
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Les services de renseignement demandent la création d’une porte dérobée leur donnant accès aux conversations cryptées de bout en bout. Or, par définition, les administrateurs des messageries ainsi cryptées ne disposent pas de clés de chiffrement ! La proposition, reprise à cet article, est donc lunaire. D’ailleurs, lors des auditions, le responsable de Meta indiquait que même l’Italie de Giorgia Meloni et la Hongrie de Viktor Orbán ne réclamaient pas ce type de mesure intrusive.
En ce qui concerne l’amendement CL311, le fameux amendement à propos duquel le Rassemblement national pense avoir remporté un vote cet après-midi et qui tendait à supprimer – de manière assez peu pertinente – l’alinéa 3 de l’article 4, ils en sont persuadés parce qu’ils croient que nous avons voté pour. Mais ce n’est pas le cas.
Ils n’ont pas voulu voter pour le CL346 de M. Houlié, de suppression du même alinéa ainsi que des deux précédents ; ni pour notre amendement CL382, qui avait le même objet, et qui a donc été rejeté.
C’est simple, vous n’avez pas remporté le vote car vous n’aviez pas la majorité. Si l’épreuve avait été douteuse, j’aurais été le premier à râler – je n’hésite pas à le faire dans cette commission.
Mme Sandra Regol (EcoS). Avec le chiffrement de bout en bout, seuls l’émetteur et le destinataire ont accès aux clés de chiffrement des communications. Les services de renseignement demandent de créer un troisième accès au contenu des communications, ce qui, par définition, fragiliserait le chiffrement, même s’ils le nient. Cela n’a aucun sens.
Nos concitoyens utilisent massivement les messageries chiffrées de bout en bout, pour travailler, échanger en famille. Même si elle vise à créer une sorte de correspondance fantôme à destination des enquêteurs plutôt qu’une porte dérobée, la proposition crée une porte, dont on ne sait pas qui l’ouvrira, et qui met en danger tout le système de communication. Huit groupes parlementaires demandent donc la suppression de cet article.
M. Arthur Delaporte (SOC). Selon les représentants des plateformes et la communauté du numérique, cette mesure est absurde : en plus d’induire des complexités techniques, elle créerait des vulnérabilités, menaçant la sécurité de nos communications et de celles de tous nos concitoyens sur les messageries cryptées. Au nom des libertés publiques, il faut la rejeter.
M. Paul Molac (LIOT). La CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) a condamné la Russie pour avoir créé un dispositif similaire à celui proposé ici. En outre, ce dispositif pose des difficultés techniques puisque, comme nous l’avons vu hier soir, les administrateurs des messageries eux-mêmes n’ont pas forcément accès aux clés de chiffrement. La mesure serait à la fois très intrusive et peu efficace. Elle ne mérite pas que nous mettions en danger les libertés publiques.
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Par cet article, le gouvernement souhaite imposer aux plateformes de communications cryptées de permettre aux services de renseignement d’accéder au contenu des échanges. Or tous les professionnels du secteur expliquent que c’est techniquement impossible, à moins de créer des vulnérabilités pour les communications de tous les utilisateurs. Les débats de tout à l’heure concernant les cryptomonnaies et l’anonymat, comme ceux sur le projet de loi Sren (visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique), le montrent : le gouvernement est composé d’idéologues qui ne maîtrisent pas les enjeux du numérique.
Soyons pédagogues : avec le chiffrement de bout en bout, les clés de chiffrement se trouvent dans les terminaux de l’émetteur et du récepteur et non dans l’application. Vous prévoyez d’ajouter un destinataire, alors que c’est impossible dans ce cas, car cela implique de centraliser la clé de chiffrement. La technologie ghost (fantôme) défendue par M. Retailleau hier n’y changera rien. Le gouvernement mettra en danger toute la chaîne de chiffrement, causera le départ de Signal et forcera Olvid, un fleuron français de la communication chiffrée, à mettre la clé sous la porte. Apple désactivera le chiffrement des données pour tous ses utilisateurs en France, comme il le fait déjà au Royaume-Uni.
La portée de cet article dépasse donc largement la lutte contre le narcotrafic. Il remet en cause les libertés les plus fondamentales, à commencer par le droit à la vie privée et au secret des communications, et il met en danger le modèle économique de la plupart des fleurons français de la cybersécurité. Il faut le supprimer.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Outre que la mesure serait inefficace pour la lutte contre le narcotrafic, elle affaiblirait dangereusement la protection des communications. Personne n’y a intérêt. Le droit au chiffrement est un droit fondamental, dans le prolongement du droit à la vie privée.
Ce ne sont pas seulement les experts du numérique qui s’opposent à cette mesure. L’opposition à celle-ci prend une ampleur inattendue, comme le montrent les réactions dans cette commission.
La tribune d’un collectif de cent vingt signataires publiée le 14 juin 2023 dans le journal Le Monde rappelait : « Dans le monde entier, le chiffrement est utilisé pour enquêter sur la corruption, s’organiser contre des régimes autoritaires ou participer à des transformations sociales historiques. » Quand on sait quel monde se prépare, il faut supprimer cet article.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable à ces amendements de suppression. Cet article emporterait de profondes conséquences pour la sécurité nationale, parce que la dégradation du chiffrement, les backdoors et les ghosts sont autant de portes ouvertes à tous les ennemis possibles, y compris de notre pays. Le plus inquiétant est qu’il a été introduit par un amendement gouvernemental déposé en séance publique au Sénat, alors que la question mériterait un texte de loi propre.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Cette mesure fragiliserait les réseaux de communication et menacerait les libertés individuelles, sans pour autant faciliter les enquêtes. Par cet article, vous avertissez les narcotrafiquants des filatures et des écoutes que vous comptez mener. Ce n’est pas très malin, car si les plus petits trafiquants dépendent des grandes applications de messagerie chiffrée, les plus grands groupes de narcotrafiquants disposent, eux, d’une puissance financière suffisante pour créer leur propre réseau sécurisé.
Il y a un an, une messagerie privée intitulée Matrix, créée spécifiquement par des criminels pour le blanchiment et les trafics, a été démantelée par le recours au renseignement humain, sans qu’il soit nécessaire de mettre en danger nos libertés et la sécurité numérique nationale. Voilà l’approche la plus pertinente.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je ne comprends même pas que quelqu’un ait pu juger que le système de backdoor était une bonne idée. Rien ne va. Le système est problématique sur le plan technique et empêche le chiffrement de bout en bout. Il menace les libertés, car il revient à permettre à un tiers d’ouvrir tous les courriers. Il permettrait l’ingérence de puissances étrangères en leur donnant accès à l’intégralité des communications qui ont lieu en France, notamment celles des parlementaires – alors qu’on nous alerte sur le risque majeur que représente la Russie. Le système ne serait même pas efficace dans la lutte contre le narcotrafic.
Comme l’ont montré les opérations montées sur les applications de messagerie cryptée EncroChat, Sky ECC, Matrix ou Anom, il est plus efficace de laisser les narcotrafiquants échanger sur des plateformes qu’ils croient sécurisées avant de les piéger – Anom a même été créée par les services de renseignement dans ce but. Quand les services de gendarmerie parviennent à décrypter les clés de chiffrement – ils savent très bien le faire –, ils récupèrent d’un seul coup des millions de messages. Je les félicite d’ailleurs pour le piratage d’EncroChat, qui a permis de grands progrès dans la lutte contre le narcotrafic.
M. Jean Moulliere (HOR). Une tribune cosignée par des entrepreneurs du numérique et des parlementaires, parue ce jour dans Le Monde, alerte sur les dangers de cette disposition. Celle-ci créerait des failles de sécurité qui menaceraient tous les usagers et non les seuls narcotrafiquants.
C’est une question de bon sens : n’affaiblissons pas la confiance de nos concitoyens et des organisations dans le numérique alors que les entreprises françaises du secteur travaillent depuis des années à la conforter en garantissant la sécurité de leurs applications.
M. Philippe Gosselin (DR). Je ne vous cache pas qu’à titre personnel je suis gêné par cet article. Parce qu’il a été introduit par voie d’amendement en séance publique, il a échappé à toute évaluation – rappelons que cette proposition de loi elle-même n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact.
Le dispositif pourra être contourné par les narcotrafiquants. Il n’est donc pas bon. En outre, tel qu’il est rédigé, l’article ne prévoit pas de garanties suffisantes. Je voterai pour ces amendements de suppression.
M. le président Florent Boudié. Aveu pour aveu, je partage votre avis. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, Mme Sophie Blanc, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Arthur Delaporte, M. Jocelyn Dessigny, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, Mme Monique Griseti, M. Jordan Guitton, Mme Émeline K/Bidi, Mme Marietta Karamanli, M. Antoine Léaument, M. Aurélien Lopez‑Liguori, Mme Marie-France Lorho, Mme Élisa Martin, Mme Estelle Mercier, M. Paul Molac, M. Jean Moulliere, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne et M. Roger Vicot.
S’abstiennent :
Mme Brigitte Barèges, Mme Anne Bergantz, Mme Blandine Brocard, M. Vincent Caure, M. Sébastien Huyghe, M. Éric Martineau, M. Éric Pauget, Mme Sophie Ricourt Vaginay et M. Jean Terlier.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 42
Nombre de suffrages exprimés : 33
Majorité absolue : 17
Pour l’adoption : 33
Contre l’adoption : 0
Abstentions : 9
Les amendements sont donc adoptés.
En conséquence, l’article 8 ter est supprimé et les amendements CL485 et CL486 de M. Pouria Amirshahi tombent.
TITRE IV
RENFORCEMENT DE LA RÉPRESSION PÉNALE DU NARCOTRAFIC
Chapitre Ier
Mesures de droit pénal
Article 9 (art. 131‑26‑2, 450‑1, 450‑1‑1 [nouveau], 450‑2, 450-3, 450-4, 450-5 et 321-6 du code pénal, art. 28-1, 689-5, 706-34, 706-73, 706-73-1, 706-74 et 706-167 du code de procédure pénale) : Criminalisation de la participation à une association de malfaiteurs lorsqu’elle est commise en vue de préparer un crime et élargissement de la définition de cette infraction
Amendements de suppression CL47 de M. Ugo Bernalicis, CL206 de Mme Colette Capdevielle et CL228 de M. Paul Molac
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Au nom de l’efficacité, cet article vise à créer une incrimination d’appartenance à une organisation criminelle, sur le modèle de la législation italienne antimafia, et à criminaliser l’infraction de participation à une association de malfaiteurs pour certains crimes.
Pourtant, la législation actuelle est suffisante et la nouvelle incrimination serait redondante par rapport à l’infraction d’association de malfaiteurs et à la circonstance aggravante de bande organisée en vigueur – nous sommes d’ailleurs très critiques envers celles-ci, car elles ont été détournées de leur finalité initiale. Cet article est un nouveau témoignage de la surenchère pénale.
Je note que ces amendements de suppression font l’objet d’une nouvelle demande de scrutin du groupe Rassemblement national. Ces demandes sont d’autant plus incompréhensibles que le vote au cœur de l’affaire portait sur un amendement qui, à l’origine, n’était même pas soutenu par l’ensemble de ce groupe.
Mme Colette Capdevielle (SOC). L’infraction d’association de malfaiteurs et la circonstance aggravante de bande organisée sont très utilisées dans nos tribunaux. Il serait inutile de créer une nouvelle infraction.
M. Paul Molac (LIOT). La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) elle-même considère que l’infraction d’appartenance à une organisation criminelle serait inutile et poserait problème, car, faute d’être suffisamment ciblée, elle conduirait à incriminer des personnes qui n’ont commis aucun acte illégal. Par exemple, les tenanciers – voire le serveur ou la femme de ménage – d’un débit de boissons où s’organiseraient des trafics pourraient être incriminés, même s’ils n’ont trempé dans aucun trafic.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je partage en partie vos positions. La rédaction issue des travaux du Sénat pose problème, comme l’ont montré les auditions. Toutefois, j’émets un avis défavorable à vos amendements, car je privilégie mon amendement de réécriture de l’article, qui vise à rendre la notion d’organisation criminelle plus robuste du point de vue juridique.
De fait, la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France a révélé que l’infraction de participation à une association de malfaiteurs était insuffisante, notamment pour appréhender les narcotrafiquants du haut du spectre, ceux qui sont à la tête des réseaux. Après examen, il apparaît qu’il n’y a pas beaucoup d’autres solutions que la création d’une nouvelle infraction.
Nous devons nous inspirer du modèle italien en introduisant le terme d’organisation criminelle dans le code pénal, en visant l’appartenance à des organisations criminelles, plutôt que la seule participation, et en créant une liste répertoriant l’ensemble des organisations criminelles, qui serait mise à disposition des enquêteurs et des magistrats – une telle liste a permis à l’Italie d’endiguer les problèmes posés par la mafia au cours des vingt dernières années.
Mme Pascale Bordes (RN). Je partage totalement le point de vue de M. le rapporteur s’agissant de la nouvelle rédaction proposée. En revanche, nous discutons ici d’amendements de suppression : leurs auteurs ne mettent donc pas uniquement en avant un problème de rédaction, ils sont résolus à faire disparaître cette disposition. C’est d’ailleurs le cas depuis le début de cette discussion : les députés siégeant à la gauche de notre hémicycle, et même un peu au-delà, proposent sans cesse de supprimer des articles, sous divers prétextes… Vous voudriez détricoter complètement ce texte que vous ne vous y prendriez pas autrement ! Vous prétendez partager l’objectif de cette proposition de loi, mais vous faites tout pour supprimer ce qui va dans le bon sens. Dites-le donc une fois pour toutes : vous ne voulez pas lutter contre le narcotrafic.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je ne peux pas lutter contre l’obstruction à laquelle vous vous livrez, mais votre comportement de ce soir, et même de cet après-midi, est ridicule : nous sommes en train de perdre un temps fou alors que nous pourrions débattre du fond et, pour notre part, expliquer pourquoi nous nous opposons à ce texte.
Oui, madame Bordes, nous sommes opposés à ce texte – c’est un scoop – et nous allons voter contre. Nous sommes défavorables à de nombreux articles : il est donc normal que nous ayons déposé des amendements de suppression. Nous essayons d’être logiques, comme nous l’avons été depuis plusieurs années et comme j’espère que nous continuerons de l’être encore longtemps.
Oui, nous souhaitons détricoter ce texte. Quelques dispositions intéressantes pourraient être à garder, concernant le statut des repentis ainsi que les mesures relatives aux informateurs et aux infiltrations. S’il ne restait, à la fin, que ces dispositions, avec lesquelles nous sommes d’accord, alors nous voterions le texte.
Nous pensons que l’efficacité de la lutte contre le narcotrafic, et plus largement la criminalité organisée, passe essentiellement, pour ne pas dire quasi exclusivement, par l’attribution de moyens supplémentaires aux services enquêteurs et aux magistrats chargés de ces questions.
Par ailleurs, ce texte fait l’impasse sur un sujet central, à savoir la politique de prévention visant à faire diminuer la consommation de stupéfiants.
Nous avons déjà dit tout cela lors de la discussion générale, mais cela ne vous intéressait sans doute pas, madame Bordes – vous étiez peut-être déjà concentrée sur vos futures demandes de scrutin. Je vois que vous êtes en train d’en déposer d’autres : c’est assez malheureux.
Monsieur le rapporteur, je n’ai pas compris quels cas de figure concrets n’étaient pas couverts par la définition actuelle des notions d’association de malfaiteurs et de bande organisée.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Pour ma part, je n’ai pas du tout été convaincue par les explications de M. le rapporteur.
Madame Bordes, nous ne sommes pas sur CNews, mais à la commission des lois : nous écrivons le code pénal et le code de procédure pénale. Or le droit pénal est d’interprétation stricte. Même la DACG a estimé, lors de son audition, que l’article 9 présentait un risque d’inconstitutionnalité : excusez du peu !
L’amendement CL522 de M. le rapporteur, qui vise à réécrire les alinéas 15 et 16, dispose que « constitue une organisation criminelle toute association de malfaiteurs composée de plus de deux personnes » – on enfonce des portes ouvertes – et ce « depuis un certain temps ». Avez-vous idée de la jurisprudence que susciteront ces quatre derniers mots ? « Depuis un certain temps », cela signifie-t-il « depuis hier », « depuis une heure », « depuis six mois » ? C’est du Fernand Raynaud ! Le même amendement évoque, un peu plus loin, « le fait de se revendiquer publiquement d’une organisation criminelle » : c’est ce que pourrait faire un gamin qui raconte des histoires ! On ne peut pas accepter une telle rédaction.
Arrêtons de compiler des textes et de compliquer le code pénal ! Les magistrats ne cessent de nous le dire, les outils dont nous disposons actuellement sont largement suffisants. Il n’est pas nécessaire de tenter d’écrire autre chose, et encore moins pour modifier les peines encourues. Cela ne fera que compliquer notre droit positif, de même que le travail des enquêteurs, qui auront plus de mal à qualifier l’infraction, et celui des magistrats. Nous n’y voyons plus rien ! Nous ne voterons donc pas votre amendement de réécriture, monsieur le rapporteur.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Voilà où nous mène la névrose sécuritaire, la fascination pour les outils de surveillance, l’obsession de rendre le droit toujours plus répressif rien qu’en définissant de nouvelles qualifications pénales alors que cela ne sert strictement à rien puisqu’il en existe déjà. En l’espèce, l’infraction d’association de malfaiteurs et la circonstance aggravante de bande organisée existent dans notre droit. Or, mesdames et messieurs du groupe Rassemblement national, l’esprit des lois, cela compte, surtout quand on siège à la commission des lois et qu’on est confronté, comme Mme Capdevielle vient de l’expliquer, à un risque d’inconstitutionnalité manifeste !
J’ajoute qu’un des éléments de notre construction juridictionnelle est la jurisprudence. Heureusement que les magistrats mènent des instructions et peuvent être amenés à requalifier les infractions en fonction de l’évolution des enquêtes, avant de prononcer les sanctions appropriées. Le problème, ce n’est pas qu’il leur manque une disposition pénale ou qu’ils interprètent la loi trop librement, mais plutôt qu’ils manquent des moyens concrets pour conduire des enquêtes et procéder à des interpellations.
M. Éric Pauget, rapporteur. Vous avez raison, la DACG a pointé le risque constitutionnel que comporte l’article 9 dans sa rédaction issue du Sénat. Nous en avons conscience. Mais le rapport sénatorial souligne la nécessité de définir une nouvelle infraction en complément de celle de participation à une association de malfaiteurs : c’est un outil dont nous avons besoin. Dès lors, nous souhaitons préserver, à l’article 9, cette infraction, tout en proposant une écriture permettant de parer une éventuelle censure du Conseil constitutionnel. À mon sens, la rédaction que je vous proposerai, et que nous avons soumise aux services de la Chancellerie, est plus robuste que celle votée par le Sénat.
M. Philippe Gosselin (DR). Je tiens à rappeler qu’il est toujours loisible de retirer des demandes de scrutin.
M. le président Florent Boudié. Vous avez raison, monsieur Gosselin, mais de nouvelles demandes viennent d’être déposées au nom du groupe Rassemblement national.
M. Yoann Gillet (RN). Et nous continuerons tant que le président ne dira pas clairement qu’il recomptera les voix lorsqu’il y a un doute !
M. le président Florent Boudié. Quel comique ! C’est la commedia dell’arte – et je reste élégant.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous sommes contraints de siéger à une heure tardive en raison de l’obstruction pratiquée par nos collègues du groupe Rassemblement national, qui, au lieu de déposer des amendements, se contentent de demander des scrutins pour faire perdre du temps à tout le monde.
Ils nous ont accusés de défendre des amendements de suppression qui ne feraient pas avancer la lutte contre le narcotrafic. Or, excepté quelques articles sur le blanchiment, les repentis, les informateurs et un petit nombre d’autres éléments que nous avons cités hier, cette proposition de loi ne comporte pas de disposition permettant de sortir du piège du narcotrafic.
Toutes les personnes que nous avons auditionnées, avec mon corapporteur Ludovic Mendes, nous ont dit que la seule solution pour faire reculer le narcotrafic était de lutter contre la consommation de stupéfiants, ce qui passe par de la prévention. Or, le texte ne prévoit rien en la matière. Il ne prévoit rien non plus en matière de pénalisation des consommateurs, ce qui correspondrait pourtant davantage à votre logique.
Pour notre part, nous avions déposé de nombreux amendements visant notamment à légaliser le cannabis. Cette solution permettrait de faire sortir des mains des trafiquants une grande partie de la manne financière qui leur revient actuellement. Vous voulez briser le narcotrafic ? Légalisez le cannabis ! Cela permettra d’appauvrir considérablement les trafiquants : au Québec, plus de 90 % du marché a ainsi échappé à la mainmise de ces derniers. Vous voulez briser les reins des trafiquants ? Légalisez le cannabis ! Il ne viendrait à l’idée de personne de faire autrement concernant l’alcool. Ceux qui ont pénalisé l’alcool aux États-Unis sont revenus sur leur décision, parce qu’ils se sont heurtés à une augmentation de la mortalité et de l’emprise des trafiquants.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Non, cher collègue Léaument, la légalisation du cannabis ne réglera pas le problème du narcotrafic, vous êtes à côté de la plaque ! Si le cannabis est légalisé, les trafiquants se tourneront vers d’autres substances, notamment les drogues de synthèse, qui sont beaucoup plus dangereuses. Il est utopiste de croire qu’ils laisseront partir leur clientèle vers les marchands légaux de cannabis.
Là où je vous rejoins, c’est que nous faisons face à un problème d’offre et de demande. On est là en plein narcocapitalisme, celui que vous voulez combattre, mais sans vous en donner les moyens. C’est vrai, la prévention et les soins, qui sont primordiaux pour lutter efficacement contre ces trafics, sont absents de ce texte. Néanmoins celui-ci permettra de frapper les trafiquants au portefeuille et de perturber leur logistique et leurs méthodes. Tant qu’on empêchera leurs trafics de proliférer, on réduira leur champ d’action, et cela va dans le bon sens.
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Elsa Faucillon, Mme Émeline K/Bidi, Mme Marietta Karamanli, M. Antoine Léaument, Mme Élisa Martin, Mme Estelle Mercier, M. Paul Molac, Mme Sandra Regol et M. Roger Vicot.
Votent contre :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Anne Bergantz, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, Mme Blandine Brocard, M. Vincent Caure, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Jordan Guitton, M. Sébastien Huyghe, M. Aurélien Lopez-Liguori, M. Éric Martineau, M. Jean Moulliere, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne et M. Jean Terlier.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 39
Nombre de suffrages exprimés : 39
Majorité absolue : 20
Pour l’adoption : 16
Contre l’adoption : 23
Abstentions : 0
La commission rejette les amendements.
Amendement CL408 de M. Pouria Amirshahi
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). La créativité de cette assemblée continue de m’étonner. Il nous est ici proposé de créer un nouveau délit d’appartenance à une organisation criminelle, mais qui recouvre celui d’association de malfaiteurs, voire la circonstance aggravante de bande organisée. Nous proposons donc de le supprimer. Si des évolutions sont nécessaires, il est possible de modifier la définition de l’association de malfaiteurs.
Monsieur le rapporteur, je ne suis pas convaincu que vos amendements précisent bien ce nouveau délit et le distinguent davantage de ceux qui existent. Peut-être pourriez-vous éclairer nos débats en citant au moins un cas d’espèce où l’association de malfaiteurs ne serait pas suffisante pour qualifier certains faits délictuels.
Je tiens à dire à nos collègues du Rassemblement national que la lutte contre le narcotrafic est une préoccupation partagée sur l’ensemble des bancs. Ce n’est pas parce que nous ne recherchons pas des effets de com’ en créant des délits inopérants qui ne règlent aucun problème que nous sommes pour le narcotrafic. Nous cherchons des solutions de fond à des problèmes concrets, ce qui ne correspond manifestement pas à votre démarche au vu des textes pénaux complètement inutiles que vous déposez chaque semaine.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons qu’exposé précédemment.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Au cours de mes travaux sur la lutte contre le narcotrafic, j’en suis venu à m’interroger sur la question de l’alcool. L’hypocrisie est totale à ce sujet : cette drogue tout à fait légale est disponible à la buvette de l’Assemblée nationale ! Or, pour faire baisser la consommation d’alcool, on a décidé non pas de le prohiber – on a constaté que c’était inefficace –, mais de mener des politiques de prévention. Il en va de même pour le tabac. D’une manière générale, en matière de drogue, c’est la prévention qui est efficace.
Vous ne parviendrez donc pas à lutter contre le trafic de drogue par les méthodes prévues dans la proposition de loi : elles sont inefficaces. Si, comme moi, vous voulez véritablement lutter contre les narcotrafiquants, il faut mener des politiques de prévention pour que la consommation diminue, et légaliser le cannabis pour ôter une partie des stupéfiants des mains des trafiquants.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Les propos de M. Léaument m’ont choquée, car il s’agit d’une question de santé publique. Il ignore sans doute qu’une consommation excessive de cannabis altère les capacités ou augmente le risque de développer une schizophrénie. Il faut trois jours au corps humain pour éliminer ces substances. Nos enfants peuvent être complètement détruits par une consommation trop régulière et précoce de cannabis, les psychiatres des hôpitaux vous l’expliqueront. Le cannabis n’est pas une substance comparable au tabac ou à l’alcool. Il faut dire aux jeunes qu’une consommation excessive de cannabis peut altérer le cerveau !
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Émeline K/Bidi, Mme Marietta Karamanli, M. Antoine Léaument, Mme Élisa Martin, Mme Estelle Mercier, Mme Sandra Regol et M. Roger Vicot.
Votent contre :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, M. Vincent Caure, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Sébastien Huyghe, M. Aurélien Lopez-Liguori, M. Jean Moulliere, M. Éric Pauget, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne et M. Jean Terlier.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 32
Nombre de suffrages exprimés : 32
Majorité absolue : 17
Pour l’adoption : 14
Contre l’adoption : 18
Abstentions : 0
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL521 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Il est rédactionnel.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Comprenez bien qu’à l’heure actuelle, les personnes qui veulent du cannabis doivent contacter des dealers, qui en profitent pour leur proposer d’autres drogues – cocaïne, MDMA – à un tarif attractif.
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, M. Vincent Caure, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Sébastien Huyghe, M. Aurélien Lopez-Liguori, M. Jean Moulliere, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne et M. Jean Terlier.
Votent contre :
M. Jean-François Coulomme, Mme Marietta Karamanli et M. Antoine Léaument.
S’abstiennent :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, M. Emmanuel Duplessy, Mme Émeline K/Bidi, Mme Élisa Martin, Mme Estelle Mercier, Mme Sandra Regol et M. Roger Vicot.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 33
Nombre de suffrages exprimés : 22
Majorité absolue : 12
Pour l’adoption : 19
Contre l’adoption : 3
Abstentions : 11
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL259 de Mme Émeline K/Bidi
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 15 créant l’infraction autonome d’appartenance à une organisation criminelle, puisque l’infraction d’association de malfaiteurs et la circonstance aggravante de bande organisée existent déjà.
La Cour de cassation a précisé que la première suppose une organisation structurée entre ses membres et que la seconde implique la préméditation des infractions. De plus, sa chambre criminelle a considéré en 2022 qu’elles pouvaient être cumulées.
La création d’une nouvelle infraction autonome est donc inutile et risque de compliquer le droit, ce que fait déjà suffisamment ce texte, au lieu de prévoir de nouveaux moyens pour embaucher des magistrats et des greffiers.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Vous refusez de légaliser l’usage du cannabis et d’instaurer des politiques de prévention : voter ce texte en l’état n’endiguera pas la consommation ni le trafic de stupéfiants, et ne fera pas baisser le nombre de morts victimes de l’un ou de l’autre.
L’alinéa 15 de l’article 9 vise à créer l’infraction suivante : « Constitue une organisation criminelle tout groupement ou toute entente prenant la forme d’une structure existant depuis un certain temps et formée en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, un ou plusieurs crimes et, le cas échéant, un ou plusieurs délits. »
En élargissant un peu le raisonnement, nous pourrions considérer que le groupe Rassemblement national est un groupement ou une entente prenant la forme d’une structure existant depuis un certain temps ; que voter le présent texte en l’état constitue un fait matériel ; et que la persistance des idées de membres de ce groupe en la matière constitue l’intentionnalité. Par conséquent, avec cet article, si j’étais garde des sceaux, je serais en mesure de prendre une circulaire de politique pénale pour les envoyer en prison !
M. Yoann Gillet (RN). Il est assez pénible d’entendre M. Bernalicis dire n’importe quoi à longueur de temps. Il oppose prévention et répression mais, la gauche mise à part, nous sommes tous d’accord pour dire que la drogue, c’est de la merde et que la prévention est nécessaire, en particulier auprès des jeunes. Toutefois, la lutte contre le trafic de stupéfiants repose aussi sur la répression.
Certes, la présente proposition de loi ne changera pas grand-chose, puisqu’elle ne vise que le haut du spectre au lieu de traiter le problème dans son ensemble. Il manque à ce texte des dispositions relatives à la délinquance des étrangers et des mineurs, puisque la proposition de loi de M. Attal visant à restaurer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents n’aura pas d’effet notable. Il lui faudrait également des mesures réformant les aides sociales, notamment pour supprimer les allocations familiales aux parents des mineurs délinquants, ou encore renforçant l’arsenal pénal et rétablissant les peines planchers.
Mais, bien que ce texte soit nettement insuffisant, le groupe Rassemblement national soutient les quelques bonnes mesures qu’il prévoit, qui permettront d’accomplir de légers progrès dans la lutte contre le narcotrafic.
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Pouria Amirshahi, Mme Léa Balage El Mariky, M. Ugo Bernalicis, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Emmanuel Duplessy, Mme Émeline K/Bidi, Mme Marietta Karamanli, M. Antoine Léaument, Mme Élisa Martin, Mme Estelle Mercier, Mme Sandra Regol et M. Roger Vicot.
Votent contre :
Mme Brigitte Barèges, M. Romain Baubry, Mme Pascale Bordes, M. Florent Boudié, M. Vincent Caure, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, M. Philippe Gosselin, M. Guillaume Gouffier Valente, M. Sébastien Huyghe, M. Aurélien Lopez-Liguori, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule, Mme Sophie Ricourt Vaginay, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne et M. Jean Terlier.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 32
Nombre de suffrages exprimés : 32
Majorité absolue : 17
Pour l’adoption : 14
Contre l’adoption : 18
Abstentions : 0
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL522 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Voici la nouvelle rédaction que je propose pour l’infraction d’appartenance à une organisation criminelle. Elle permet de clarifier son articulation avec celle d’association de malfaiteurs. Elle limite en outre cette nouvelle infraction au champ de celles relevant de la criminalité, de la délinquance organisée et des crimes, mentionnées à l’article 706-73 du code de procédure pénale.
L’infraction d’appartenance à une organisation criminelle permettra de sanctionner différents faits : le fait de se revendiquer publiquement d’une organisation criminelle ou d’en faire l’apologie ; le fait de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie tout en étant en relation habituelle avec une ou plusieurs organisations criminelles ; enfin, le fait de concourir sciemment et de façon fréquente ou importante à l’organisation ou à la direction d’une organisation criminelle. Les auditions ont montré que les magistrats ont besoin de ces nouveaux outils.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). C’est un cas typique de fuite en avant. Cette nouvelle infraction reste très vague, malgré vos tentatives de préciser son contenu. Pensez-vous qu’elle permette à la France de « sortir du piège du narcotrafic » ? Bien sûr que non.
Certains commencent à comprendre que pour lutter contre la consommation de drogue, la prévention est nécessaire – même s’ils continuent de privilégier la répression, alors que celle-ci a montré son inefficacité. De fait, en France, la consommation de drogue est massive : une personne sur deux a déjà consommé du cannabis, 10 % de la population a déjà consommé de la cocaïne et autant a déjà consommé de la MDMA. Il y a de quoi s’interroger sur l’efficacité des politiques menées.
Le Portugal a instauré une politique de dépénalisation des usages et de prévention. Résultat : une basse de la consommation de drogue. Ainsi, ce pays, qui est l’un de ceux où la politique est la moins répressive, est également l’un de ceux où la consommation de cocaïne, de cannabis et de MDMA est la plus faible.
Au bout d’un an et demi d’auditions, j’ai conclu que le temps, l’énergie et les moyens considérables consacrés par la police et la justice à lutter contre les consommateurs de drogue étaient gaspillés, car la consommation de drogue est un problème de santé publique qui devrait relever du ministère de la santé. Une telle réorganisation permettrait en outre de libérer les moyens de police et de justice pour lutter contre les trafiquants du haut du spectre. Voilà une solution efficace pour sortir du piège du narcotrafic, contrairement à la vôtre.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Nous ne voterons pas pour cet amendement, car il est tout aussi mal rédigé que les alinéas qu’il veut réécrire. La caractérisation de l’infraction n’est pas suffisamment concrète pour que cet outil serve aux magistrats.
Monsieur Léaument, vous avez pris un mauvais exemple : au Portugal, la consommation de cannabis a augmenté depuis la dépénalisation. Vérifiez vos chiffres.
Vous enfoncez des portes ouvertes : bien sûr que la prévention est nécessaire, qu’il faut soigner les dépendances et empêcher les jeunes de tomber dans la drogue ! Je vous félicite d’être arrivé à cette conclusion après avoir travaillé sur ces questions depuis un an et demi ; pour notre part, cela fait trente ans que nous alertons sur les dangers du narcotrafic.
M. Éric Pauget, rapporteur. Les travaux du Sénat ont bien montré qu’il fallait créer une nouvelle infraction pour mieux lutter contre les trafiquants. Toutefois, dans sa rédaction actuelle, l’article 9 présente des fragilités juridiques. Il est même clairement inconstitutionnel. Je ne prétends pas que ma rédaction soit parfaite, mais elle est meilleure et nous permettra d’incriminer des faits qui ne sont pas couverts actuellement – par exemple, le fait de se revendiquer publiquement d’une organisation criminelle ou d’en faire publiquement l’apologie à travers des tatouages. À Marseille, nous pourrons ainsi viser la DZ Mafia, ou le clan Yoda, qui présentent des éléments constitutifs d’une organisation criminelle.
Chers collègues du Rassemblement national, si vous souhaitez proposer une meilleure version en séance publique, je serai preneur. En attendant, adoptons la mienne, ne serait-ce que pour parer le risque d’inconstitutionnalité.
M. Philippe Gosselin (DR). Dans leur rédaction actuelle, les alinéas 15 et 16 ne sont pas satisfaisants et doivent être corrigés, comme le propose le rapporteur. Nous pourrons peut-être trouver une formule encore meilleure d’ici à la séance.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Si je comprends bien, vous comptez punir de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait d’être tatoué des mots « mafia calabraise », par exemple ?
M. Éric Pauget, rapporteur. Les auditions ont montré que l’on avait de plus en plus affaire à des trafiquants revendiquant publiquement leur appartenance à une organisation criminelle, ce que l’on ne sait pas comment traiter. J’ai pris l’exemple du tatouage parce qu’il revient régulièrement dans les discussions et qu’une organisation criminelle active notamment dans le territoire marseillais utilise ce type de signe. Nous voulons donner aux magistrats un moyen de sanctionner ces faits.
Et je vous rassure, monsieur Gillet, l’expression « un certain temps » est déjà utilisée dans le code pénal, pour définir un guet-apens. Elle ne présente donc pas de fragilité juridique.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Voyez la faiblesse de votre amendement ! Quand je vous demande quels comportements délictuels précis vous visez, vous restez dans les généralités. Le simple port d’un tatouage est-il un moyen de « se revendiquer publiquement d’une organisation criminelle ou de faire publiquement l’apologie d’une organisation criminelle », pour reprendre les termes de votre amendement ? Répondez-moi précisément ! Je reprends cet exemple pour montrer l’absurdité de votre rédaction alors que certains textes existent déjà pour ce genre de choses.
M. Éric Pauget, rapporteur. Lorsqu’un individu se revendique publiquement d’une organisation terroriste ou en fait l’apologie, on se sert de ce genre d’éléments de caractérisation pour pouvoir pénaliser son comportement. Nous avons repris cette idée pour lutter contre les organisations criminelles. Cela n’a rien de novateur : les Italiens le font depuis plus de vingt ans pour lutter contre les mafias. Le rapport sénatorial s’est inspiré de cet exemple.
M. le président Florent Boudié. J’ai reçu une demande de scrutin de la part de députés du groupe Rassemblement national.
Votent pour :
M. Philippe Gosselin, M. Sébastien Huyghe, M. Éric Pauget et M. Jean Terlier.
Votent contre :
Mme Léa Balage El Mariky, M. Romain Baubry, M. Ugo Bernalicis, Mme Pascale Bordes, Mme Colette Capdevielle, M. Paul Christophle, M. Jean-François Coulomme, M. Jocelyn Dessigny, M. Jonathan Gery, M. Yoann Gillet, Mme Marietta Karamanli, M. Antoine Léaument, M. Aurélien Lopez-Liguori, Mme Élisa Martin, Mme Estelle Mercier, M. Julien Rancoule, Mme Sandra Regol, Mme Béatrice Roullaud, M. Michaël Taverne et M. Roger Vicot.
S’abstiennent :
M. Florent Boudié, M. Vincent Caure, M. Emmanuel Duplessy et Mme Émeline K/Bidi.
Les résultats du scrutin sont donc les suivants :
Nombre de votants : 28
Nombre de suffrages exprimés : 24
Majorité absolue : 13
Pour l’adoption : 4
Contre l’adoption : 20
Abstentions : 4
La commission rejette l’amendement.
Première réunion du jeudi 6 mars 2025 à 11 heures
Lien vidéo : https://assnat.fr/DScc0E
Article 9 (suite) (art. 131‑26‑2, 450‑1, 450‑1‑1 [nouveau], 450‑2, 450-3, 450-4, 450-5 et 321-6 du code pénal, art. 28-1, 689-5, 706-34, 706-73, 706-73-1, 706-74 et 706-167 du code de procédure pénale) : Criminalisation de la participation à une association de malfaiteurs lorsqu’elle est commise en vue de préparer un crime et élargissement de la définition de cette infraction
Amendement CL109 de M. Yoann Gillet
M. Yoann Gillet (RN). L’article 9 conditionne la sanction du concours à une organisation criminelle à une participation « fréquente ou importante ». Nous proposons de supprimer ces mots car contribuer à un réseau criminel, c’est être complice de ses activités, quelle que soit la fréquence ou l’ampleur de cette contribution. Ceux qui fournissent des véhicules, des locaux, des faux papiers, des armes ou qui facilitent des transactions illicites ne devraient pas pouvoir échapper à la justice sous prétexte que leur implication n’est pas jugée suffisamment intense.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je comprends votre intention mais la suppression proposée risquerait de déséquilibrer le dispositif. Or, notre objectif étant de sanctionner la simple appartenance, nous devons, d’un point de vue pénal, définir clairement ce que nous entendons par là.
L’article 9 issu des travaux du Sénat n’est pas solide juridiquement. La nouvelle rédaction que j’ai proposée hier soir n’ayant pas été acceptée, nous continuons à travailler sur des bases friables. Notre principal objectif en vue de la séance doit être de trouver une définition juridique robuste de l’organisation criminelle.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je partage l’avis du rapporteur. Une personne qui achète des stupéfiants participerait de fait à l’organisation criminelle puisqu’elle verse une rémunération à l’un de ses membres. La suppression proposée signifie qu’une seule action suffit à caractériser la participation. Elle soulève en outre la question de l’entrée dans le trafic, qui passe souvent par des mécanismes corruptifs faibles. Cela consiste à demander à quelqu’un de rendre un service pour une rémunération extrêmement forte par rapport au service rendu – « Va m’acheter une canette de coca, je te file 50 euros » –, en échange de quoi les personnes entrent dans le trafic. C’est là qu’il faudrait agir de manière forte, notamment par de la formation.
M. Yoann Gillet (RN). Je félicite M. Léaument : il a bien compris le sens de l’amendement proposé par le Rassemblement national, qui vise à durcir la répression.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Votre amendement confond l’objectif de la loi avec vos propres intentions, pour ne pas dire obsessions. Vous vous attaquez de façon indifférenciée à tout ce qui contribue à un trafic, qu’il s’agisse des gens qui, en bas de l’échelle, se font entraîner dans des comportements délictueux, parfois même sans le savoir, ou bien de la chefferie des gangs organisés. Notre objectif est de viser le haut du spectre, les donneurs d’ordres qui, même de façon informelle, ont une responsabilité dans les actes qui sont commis. La disposition que vous proposez aurait pour conséquence de faire perdre du temps d’enquête aux magistrats et aux officiers de police judiciaire.
M. le président Florent Boudié. J’avais reçu une demande de scrutin sur cet amendement. Est-elle maintenue ?
M. Jocelyn Dessigny (RN). Toutes nos demandes de scrutin sont retirées, pour l’instant...
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL523 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. S’inspirant du droit italien et de ce qui se pratique en matière de terrorisme, il vise à établir une liste noire des organisations criminelles. Un tel outil est déjà utilisé en France en matière de lutte contre la fraude au travail dissimulé. Cette liste, révisée chaque année, serait fixée par le ministère de la justice après avis du ministère de l’intérieur.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Nous ne voterons pas cet amendement car les alinéas 15 et 16 ont besoin d’être réécrits en totalité.
Monsieur Amirshahi, le haut et le bas du spectre sont intimement liés : on ne peut pas lutter contre l’un sans s’en prendre à l’autre. Si vous ne faites pas le nécessaire sur le terrain, le haut du spectre sera toujours alimenté financièrement et continuera à étendre ses réseaux.
M. Sacha Houlié (NI). J’ai du mal à comprendre pourquoi cette disposition a été conservée. Le gouvernement lui-même avait envisagé de la supprimer en séance publique au Sénat en raison de la confusion qu’elle entretient avec les dispositions concernant l’association de malfaiteurs. Quant à votre amendement, je peine à distinguer quel usage serait fait du fichier que vous voulez créer. Il serait utile d’en préciser la finalité.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’article 9 pose un problème de fond car la nouvelle incrimination proposée fait doublon avec les qualifications existantes d’association de malfaiteurs et de bande organisée.
Dans les faits, les magistrats et les policiers sont obligés de limiter leurs enquêtes faute de moyens pour aller plus loin. Plus le nombre de personnes sur lesquelles ils enquêtent est important, plus cela accroît la nécessité de recueillir des éléments de preuve, allongeant d’autant le délai d’examen du dossier. Les enquêtes incidentes qui auraient pu être ouvertes ne le sont pas parce que les moyens manquent.
Cette nouvelle disposition risque de renforcer l’arbitraire : mieux vaut en rester à la situation actuelle. Cela nous renvoie toujours à la même discussion : pour être plus efficace en matière de répression, il faut augmenter les moyens. C’est une réalité concrète, opérationnelle, de terrain. Le premier facteur limitant – et peut-être même le seul –, ce sont les moyens d’investigation et en magistrats. Cette mesure ne réglera donc rien.
Par ailleurs, la logique consistant à taper sur le bas du spectre – les consommateurs, les guetteurs, ce qui relève de la faible intensité – a démontré son échec. La politique de répression est contradictoire par bien des aspects avec la prévention, laquelle serait pourtant de nature à résoudre bien des problèmes du bas du spectre.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Il est évidemment nécessaire d’identifier les organisations criminelles et leurs chefferies ; c’est d’ailleurs à cela que servent les enquêtes. Mais cet amendement pose plusieurs problèmes.
Tout d’abord, inscrire une organisation sur une liste officielle revient à la qualifier de criminelle alors qu’aucun jugement n’a été prononcé. Une telle présomption de culpabilité soulève un problème d’ordre juridique, la qualification relevant d’abord de la compétence d’un magistrat. De plus, la liste n’étant pas communiquée, il n’y a pas de recours possible. La rédaction de cette disposition est à retravailler.
Ensuite, vous indiquez vous être inspiré du droit italien. Il serait souhaitable de nous communiquer votre source car nous avons besoin de nous documenter.
Enfin, concernant la chaîne de responsabilité des acteurs intervenant dans des circuits délictueux, il y a en effet un haut et un bas du spectre, ainsi que toute une série d’acteurs intermédiaires. Toutefois, l’objet du présent texte n’est pas de continuer ce que l’on fait depuis des années, à savoir mettre du « bleu » sur le terrain de façon visible, mais au contraire de s’attaquer au commandement.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL524, CL525 et CL526 de M. Éric Pauget.
La commission adopte l’article 9 modifié.
Après l’article 9
Amendement CL339 de Mme Sophie Ricourt Vaginay
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Le cadre juridique actuel repose sur l’articulation entre l’association de malfaiteurs et le trafic de stupéfiants avec la circonstance aggravante de bande organisée. Cela nous semble insuffisant pour répondre à l’ampleur du problème.
La notion d’association de malfaiteurs, souvent utilisée par la justice pour appréhender les organisations criminelles, est trop large et trop abstraite. Il ne s’agit que d’une infraction préparatoire, qui n’est pas adaptée pour réprimer efficacement une criminalité reposant sur des réseaux structurés et perpétuels. De plus, elle ne fait pas la distinction entre un projet criminel et un trafic en cours, ce qui pose des difficultés aux enquêteurs pour qualifier les faits. Enfin, elle englobe tout à la fois des infractions mineures et des crimes d’ampleur internationale.
Nous proposons donc la création d’une infraction autonome : le crime de trafic de stupéfiants en bande organisée. Cette définition unique serait parfaitement adaptée à la réalité d’un trafic protéiforme et permettrait de traiter les petits trafics comme le haut du spectre.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je reviens brièvement sur l’article 9, que nous venons d’adopter alors qu’il repose sur des bases juridiques friables. Je le répète solennellement : il faudra trouver une nouvelle rédaction en séance car nous ne pouvons pas faire n’importe quoi.
Quant à l’amendement, il propose une infraction beaucoup trop large. En prévoyant une peine de trente ans de réclusion criminelle pour l’intégralité des délits relatifs au trafic de stupéfiants, vous supprimez toute gradation et toute proportionnalité : cela ne tient pas juridiquement. Avis défavorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je partage l’avis du rapporteur : l’article 9 est friable sur le plan juridique. C’est la raison pour laquelle les députés du Nouveau Front populaire, qui essaient de travailler sérieusement sur le sujet du narcotrafic, ont voté contre. Vous auriez dû en faire autant et proposer une nouvelle rédaction pour la séance mais vous avez préféré maintenir un mauvais article, ce qui fragilise la loi. Pour ma part, quand un article est mauvais, je vote contre – nous devrions tous appliquer cette méthode.
Par ailleurs, l’article additionnel qui nous est proposé est tout aussi mal rédigé. Il prévoit une peine de trente ans de réclusion et de 2 millions d’euros d’amende pour toute participation directe ou indirecte à un réseau criminel organisé en vue de la cession de stupéfiants. Ainsi, une personne qui céderait des stupéfiants, même de manière gratuite, à une autre personne au cours d’une soirée pourrait encourir une telle sanction : vous êtes dans une logique de terreur !
Mme Sandra Regol (EcoS). Il est dommage que nous n’ayons pas collectivement décidé de rejeter les articles juridiquement fragiles, qui nous font perdre du temps et sont ensuite à l’origine de nombreuses nullités – les magistrats et les avocats que nous avons auditionnés nous ont tous mis en garde. Nous devrions travailler de façon transpartisane à la rédaction d’un nouvel article avant la séance et consacrer le peu de temps dont nous disposons au reste du texte.
L’amendement CL339 est une catastrophe parce qu’il est inapplicable. En remettant en cause la proportionnalité des peines, il s’assoit sur le droit et rend le travail de la justice encore plus complexe. Nous y sommes fondamentalement opposés.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Personne ici n’est Robespierre, et cette époque est heureusement révolue, monsieur Léaument ! Vous n’ignorez pas qu’en vertu du principe d’individualisation des peines, ce sont bien les magistrats qui décident de la peine à prononcer : faisons-leur confiance. Nous soutiendrons l’amendement.
Par ailleurs, je déplore moi aussi que nous ayons perdu tant de temps hier à examiner tous les amendements d’obstruction que vous avez déposés.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Tout imparfait qu’il soit – il faudra peut‑être le retravailler –, mon amendement a le mérite de proposer un cadre juridique couvrant l’intégralité du spectre du trafic de stupéfiants. On ne peut pas s’en tenir à la gradation des peines : un tel niveau d’amendes est stupide et illustre un manque de confiance dans la justice. À nos yeux, créer une infraction autonome est la meilleure solution pour garantir la bonne application de la loi.
La commission rejette l’amendement.
Article 10 (art. 227-18-1 et 227-18-2 [nouveau] du code pénal) : Élargissement de la répression de la provocation de mineurs à commettre des infractions en lien avec le trafic de stupéfiants
Amendement de suppression CL50 de M. Antoine Léaument
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’élargissement prévu à l’article 10 est déjà satisfait par les infractions existantes – association de malfaiteurs, bande organisée, complicité –, qui, dans bien des cas, ne font pas l’objet d’investigations faute de moyens. En complexifiant inutilement le code pénal, vous empêchez simplement les magistrats et enquêteurs de faire leur travail avec discernement. Restons-en à des infractions éprouvées et déjà problématiques car elles sont graves.
Cet article ne prévoit aucune stratégie de répression efficace, ce n’est que de l’affichage, de la com, en réaction à des reportages de faits divers comme on en voit sur BFM TV – comment se fait-il que Machin, qui a loué au narcotrafiquant le logement où il a dormi quatre nuits avant son go fast, ne soit pas en prison ?
M. Éric Pauget, rapporteur. Au contraire, il est important d’adapter les infractions existantes au monde numérique, pour prendre en compte la réalité des problèmes rencontrés par nos jeunes. Avis défavorable.
Mme Pascale Bordes (RN). Dans l’exposé sommaire de cet amendement, vous dénoncez une « surenchère pénale aveugle aux problèmes économiques et sociaux qui sous‑tendent les trafics de petite échelle ». Ces termes sont particulièrement inappropriés, car on en est loin. Permettez-moi de vous rappeler que c’est pour lutter contre cette prétendue surenchère pénale et la surpopulation carcérale qu’elle entraîne que l’une de vos égéries, Christiane Taubira, a décidé en 2014 de faire de la peine de prison une exception. Voyez le résultat ! Cela n’a fait qu’aggraver les problèmes.
Le Rassemblement national votera contre cet amendement.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Nous voulons tous protéger les mineurs mais nous sommes contre la stratégie que vous proposez : une sorte de populisme carcéral à la fois inutile et très problématique.
Puisque nous en connaissons les mécanismes – la contraction d’une dette, notamment –, pourquoi ne pas développer davantage de mesures éducatives et sociales pour prévenir l’entrée dans le trafic ? À cet égard, la démarche « Trafic-Acteurs-Territoires » déployée à Marseille, qui s’inscrit dans une logique bien différente de la répression, a produit des résultats et mériterait d’être analysée, voire généralisée.
Augmenter le quantum de peines est une solution de facilité, peu chère mais inefficace. Nous partageons les préoccupations qui sous-tendent le texte, mais pas les réponses que vous y apportez.
M. Sacha Houlié (NI). Une fois n’est pas coutume, j’abonde dans le sens de nos collègues Insoumis. Comme Éric Dupond-Moretti avait coutume de le dire, on ne commet pas un délit ou un crime le code pénal à la main : partant, l’accroissement des peines auquel nous nous livrons très régulièrement est peu productif.
Il s’agit toutefois ici d’aggraver les peines non pas des mineurs mais des majeurs qui les incitent à commettre des délits ou des crimes : cela n’existe pas encore et l’article 10 a donc tout son sens.
Madame Bordes, nous ne pouvons pas raconter n’importe quoi dans cette commission : je vous rappelle que c’est la loi de programmation et de réforme pour la justice de 2019, défendue par Nicole Belloubet, qui a prévu l’aménagement automatique des peines d’emprisonnement de moins d’un an. Et cela fonctionne plutôt très bien – d’anciens présidents de la République qui en bénéficient semblent ravis de cette disposition…
Mme Colette Capdevielle (SOC). Christiane Taubira n’a pas supprimé les peines de prison : elle a créé la contrainte pénale, une sorte de sursis renforcé assorti d’obligations très strictes. Ce dispositif bien plus dur qu’une peine de prison, en vigueur dans nombre de pays, comme le Canada, fonctionne très bien.
Nous partageons tous la volonté de lutter contre la récidive. Les sanctions pénales devraient être dissuasives, mais, compte tenu de la surpopulation carcérale, la privation de liberté se révèle criminogène. Le discours tenu par le RN est donc à la fois contreproductif et totalement irréaliste.
La contrainte carcérale fonctionnait bien, en particulier pour les consommateurs-dealers, qui faisaient alors l’objet d’un suivi médical, psychologique, social et professionnel, mais notre pays ne s’est pas donné les moyens humains et financiers de continuer. On a préféré à cette procédure pénale des lois d’affichage qui ont conduit à l’embolie et aux conditions carcérales insupportables que l’on connaît.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL527 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. C’est un amendement de précision.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Il mérite davantage qu’une explication aussi lapidaire. Introduire la notion de complicité de crime pour des mineurs pose une question de principe car, dans leur grande majorité, ils ne s’impliquent pas réellement volontairement dans le trafic. Sans être inconscients de ce qu’ils font, ils restent juridiquement des mineurs et à ce titre sont soumis à une justice pénale adaptée.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Je suis surpris par cette levée de boucliers de la gauche et de l’extrême gauche. Cet article vise à protéger les mineurs des stratégies élaborées par les narcotrafiquants pour les inciter à rejoindre le réseau et à consommer de la drogue : n’est-ce pas là une mesure de prévention comme celles auxquelles vous appelez depuis deux jours, messieurs Léaument et Bernalicis ?
Tout à l’heure, vous avez jugé disproportionné de sanctionner d’une amende de 2 millions d’euros une personne qui cédait une dose de drogue ; peut-être, mais la lutte contre la drogue commence par là : empêcher les narcotrafiquants de donner la première dose pour recruter nos jeunes.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Mais le droit punit déjà la complicité, pour peu qu’il y ait des éléments de preuve – ce qui n’est même plus nécessaire avec la rédaction proposée.
Si on ne commet pas d’infraction le code pénal à la main, c’est notamment parce qu’il est très gros – et pour cause : vous ajoutez des nouveaux articles à tire-larigot ! L’inflation pénale est telle qu’on ne sait plus ce qu’il y a dans le code pénal. Les magistrats eux-mêmes se trompent parfois d’infraction, ce qui crée du contentieux. Et, à chaque nouvelle incrimination, il faut modifier le logiciel de rédaction de procédure, ce qui le fait planter, mettant en difficulté les enquêteurs. Et tout ça alors qu’on a déjà tout ce qu’il faut !
Rien ne protège réellement les mineurs dans ce texte d’affichage, qui se contente de mesures répressives. Avec cet article, on fait encore fausse route.
M. Éric Pauget, rapporteur. Monsieur Bernalicis, cet article ne vise pas les mineurs, mais bien les narcotrafiquants qui les incitent à commettre une infraction de provocation en lien avec le trafic de stupéfiants.
La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) nous a indiqué que la rédaction retenue par le Sénat correspondait au concept juridique de complicité, qui existe déjà dans le code pénal – d’où mon amendement et le sentiment que cela relevait d’une simple précision.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement CL53 de M. Ugo Bernalicis tombe.
Amendement CL435 de M. Romain Baubry
M. Romain Baubry (RN). Les réseaux sociaux, qui permettent aux mineurs d’accéder facilement à des contenus incitant à la consommation de drogue, voire d’acheter des substances illicites, sont devenus un important vecteur de promotion, de recrutement et de distribution pour les trafiquants. Ce grave détournement de l’espace numérique met en péril notre jeunesse et fragilise nos efforts de lutte contre le trafic de drogue. Notre droit doit s’adapter aux nouvelles méthodes des trafiquants : pour agir plus efficacement, cet amendement vise à engager explicitement la responsabilité des auteurs de ces publications sur les réseaux sociaux.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je souscris à votre analyse, et c’est tout l’objet de cet article. Avis favorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Le code pénal est même tellement gros qu’on pourrait en faire une arme par destination si on décidait de le jeter sur autrui !
Alors que les structures de sûreté dénoncent déjà une complexification permanente du code pénal, vous proposez d’y ajouter tout un paragraphe uniquement pour préciser que les sanctions qu’il prévoit s’appliquent aux infractions commises en ligne : cette surenchère est ridicule, car cela ne change rien. En outre, les publications en ligne ne visent pas spécifiquement les mineurs mais sont accessibles à tous.
Encore une fois, ce texte de pur affichage ne permettra pas de sortir la France du piège du narcotrafic. Je travaille sur ce sujet depuis un an et demi, je vous ai donné un exemple d’entrée dans le trafic : un jeune emprunte un scooter, on lui reproche de l’avoir rayé, et on lui propose d’entrer dans le trafic pour rembourser sa dette. Voilà ce contre quoi il faut lutter si vous voulez concrètement et efficacement protéger les mineurs ! Vous ne pouvez pas balayer d’un revers de main des solutions qui fonctionnent.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Hier, vous nous avez dit avec beaucoup d’émotion – et je vous crois sincère – que si on n’agissait pas concrètement contre le narcotrafic aujourd’hui, des gosses continueraient d’en mourir demain.
Mais l’amendement contre lequel vous vous insurgez vise justement à sanctionner ceux qui entraînent les mineurs dans le trafic de drogue. Aujourd’hui, les enfants sont continuellement connectés aux réseaux sociaux : le contenu en ligne est évidemment dangereux. J’en veux pour preuve le trafic de drogue qui s’est développé dans la petite ville de Villers-Cotterêts, 10 000 habitants : un groupe de rappeurs qui s’est allié à des trafiquants locaux fait la promotion du métier de dealer dans une vidéo vantant les liasses de billets, la coupe de la cocaïne et les balades armées dans la ville. Une gamine de 12 ans a été envoyée de Survilliers, à une cinquantaine de kilomètres de là, pour faire la chouf toute la journée et les prévenir si la police arrive : voilà les mineurs en danger qu’il faut aider. C’est tout le sens de cet article. Peut-être est-ce insuffisant, et il sera nécessaire de développer davantage la prévention, mais c’est un premier pas et je ne comprends pas que vous vous y opposiez.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Notre groupe est plutôt satisfait que le texte reconnaisse la responsabilité pénale des majeurs qui incitent les mineurs à commettre des crimes graves et s’en servent comme bouclier pénal pour ne pas être mis en cause. Face à ceux qui manipulent des jeunes fragiles, parfois entraînés dans le trafic sous la menace, nous devons être intraitables, mais l’accumulation des peines ne règlera rien. Au reste, l’amendement est déjà satisfait par le droit existant.
Enfin, considérant que l’amendement CL527 est trop ambigu, nous nous abstiendrons sur cet article.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’article 10 modifié.
Après l’article 10
Amendement CL464 de Mme Edwige Diaz
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Le Rassemblement national propose d’interdire systématiquement de territoire français tout étranger se rendant coupable de trafic de stupéfiants.
Les étrangers représentent 8 % de la population totale du pays et, selon le ministère de l’intérieur, plus de 20 % des mis en cause pour trafic de stupéfiants. Même Le Monde reconnaît que les clandestins sont une main-d’œuvre colossale pour les trafiquants de drogue – sans parler des mineurs isolés. Pire, le trafic de drogue est alimenté par celui de migrants en situation irrégulière et les juges voient défiler à la barre des mineurs non accompagnés, des étrangers sans titre de séjour ou sous le coup d’une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Dans le quartier de l’Île de Thau, à Sète, tout une économie s’est créée autour de ces trafics : des centaines de sans-papiers sont connectés sur des groupes Telegram où circulent des propositions d’emploi. C’est le LinkedIn de la drogue !
Notre droit doit s’adapter à cette situation : les Français n’en peuvent plus de voir leurs villes polluées par l’alliance entre les réseaux criminels et l’idéologie immigrationniste. Par principe et par bon sens, il faut donc expulser tout étranger coupable de trafic de stupéfiants, même si cela ne plaît pas à l’extrême gauche.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je vous invite à retirer l’amendement afin de le retravailler en vue de la séance. À titre personnel, je ne suis pas opposé au principe mais la rédaction n’est pas assez ciblée.
M. Sacha Houlié (NI). L’exposé des motifs mentionne parmi les sources d’inspiration de l’amendement l’Institut pour la justice, qui raconte n’importe quoi en matière de justice.
Les élus du Rassemblement national semblent avoir voté par le passé des dispositions qu’ils ne comprenaient pas. Ainsi, la loi immigration, qu’ils ont approuvée, instaurait la double peine dans certains cas avec le retrait des titres de séjour des personnes condamnées pour des infractions punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Votre amendement, en plus d’être farfelu, est totalement inutile puisqu’il est satisfait par la loi que vous avez votée en décembre 2023, contrairement à moi.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Je rejoins les propos de mon collègue. L’Institut pour la justice est l’émanation de la droite la plus extrême.
Monsieur le rapporteur, si j’ai bien compris, vous êtes d’accord sur le principe. Vous estimez donc qu’une peine d’interdiction du territoire peut s’appliquer automatiquement à une personne de nationalité étrangère, quelles que soient la durée de son séjour en France et sa situation pénale. Nous sommes en désaccord total parce que cette mesure est complètement discriminatoire. En outre, les peines encourues pour les infractions à la législation sur les stupéfiants font l’objet de toute une graduation. Toute peine automatique serait non seulement dangereuse pour les libertés publiques mais absurde.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous voterons évidemment contre cet amendement de l’extrême droite.
Je suis heurtée par la position du rapporteur. Il dit partager le constat mais pas la solution, comme le fait de plus en plus souvent tout un pan de l’échiquier politique. C’est ainsi que les thèses de l’extrême droite se trouvent peu à peu validées et incorporées dans les programmes politiques, ce qui contribue à les faire monter dans la société.
L’amendement, qui tend à instaurer une double peine, est discriminatoire.
Par ailleurs, quand il est question de délinquance, l’extrême droite ne manque jamais une occasion d’établir, chiffres à l’appui, une corrélation entre délinquance et immigration dont toutes les études démentent pourtant l’existence. En revanche, c’est fou, elle omet toujours de dire que les hommes représentent 98 % des personnes impliquées dans la délinquance et la criminalité organisées. Elle ne fait jamais de corrélation entre l’éducation viriliste, le patriarcat et la délinquance. C’est pourtant une piste intéressante pour lutter contre la délinquance chez les majeurs comme chez les mineurs.
M. Ludovic Mendes (EPR). La loi immigration, qu’ont votée le Rassemblement national et le rapporteur, prévoit déjà la possibilité d’expulser une personne qui a été condamnée pour un délit. L’amendement viendrait donc en contradiction de la loi.
Ensuite, je ne comprends pas le point de vue du rapporteur, qui ne peut de surcroît être personnel puisqu’il est rapporteur de la commission des lois. La réécriture demandée n’est pas possible puisque l’amendement est satisfait par la loi.
Enfin, l’amendement introduit une rupture d’égalité, qui menace sa constitutionnalité.
Compte tenu de ces éléments, maintenez-vous votre position, monsieur le rapporteur ?
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Les députés du RN font une nouvelle fois la démonstration qu’ils n’ont pas bien compris ce que signifie être Français.
Aux termes de l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » On ne peut donc pas faire de différence en raison de la nationalité ou du statut migratoire.
Des exceptions sont néanmoins déjà prévues par la loi : il est ainsi possible d’interdire le territoire français à des personnes qui encourent une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à trois ans. Or en matière de stupéfiants les peines sont bien plus lourdes. Non contents de proposer quelque chose qui existe déjà et qui est scandaleux, vous introduisez une exception porteuse de conséquences manifestement disproportionnées sur la situation personnelle et familiale de l’étranger.
Quant à l’idéologie immigrationniste que vous nous imputez, c’est vous qui défendez le capitalisme ; vous défendez M. Bolloré, celui qui a exploité en Guinée et ailleurs pendant des années la population et provoqué l’exil et la souffrance qui l’accompagne. Vous ne pouvez pas à la fois moquer l’idéologie immigrationniste et défendre votre ami M. Bolloré, même si vous êtes invités en permanence sur ses chaînes de télévision pour dire du mal des personnes qui malheureusement ont fui leur pays de tristesse.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Mes collègues de gauche – et non pas d’extrême gauche – ont déjà souligné la logique xénophobe et d’extrême droite qui sous-tend cet amendement.
J’en profite pour m’indigner de la position du rapporteur sur le précédent amendement de M. Baubry. En tant que rapporteur de la commission des lois, on ne peut pas donner un avis favorable à des amendements du Rassemblement national. : ce devrait être un principe. La République et les principes humanistes doivent être défendus. La nation tout entière doit s’inquiéter de la porosité entre l’extrême droite et les Républicains, qui participent au gouvernement, je le rappelle, et s’indigner d’une telle dérive.
Mme Edwige Diaz (RN). L’Institut pour la justice est une association loi de 1901 qui réunit des citoyens, des victimes et des experts du monde judiciaire. À ce titre, il est fondé à nous proposer des amendements.
Créer un régime dérogatoire dans lequel une peine systématique d’interdiction du territoire français est prononcée à l’égard des personnes étrangères coupables de trafic de stupéfiants : c’est exactement ce que les Français attendent de nous.
Dans mon département, la Gironde, près de 5 000 personnes ont été mises en cause l’année dernière pour usage ou trafic de stupéfiants. Il est donc absolument nécessaire d’adopter l’amendement.
Je ne m’étonne plus des outrances de l’extrême gauche, qui a toujours les mêmes mots à la bouche et qui ne cesse de nous taxer de xénophobes. Une fois de plus, elle fait la démonstration de son attachement à la pensée unique : dès que l’on ne pense pas comme elle, on est d’extrême droite.
Je voudrais aussi souligner la soumission de la macronie au terrorisme intellectuel de l’extrême gauche. Monsieur le rapporteur, vous qui appartenez à la Droite républicaine, faites preuve de courage : donnez un avis favorable à notre amendement.
M. Éric Pauget, rapporteur. Monsieur Mendès, je vous rassure : en séance, je ferai part de l’avis de la commission des lois et non du mien. C’est la règle mais elle ne m’empêche pas d’avoir un avis personnel.
À la différence de l’amendement, la loi immigration ne prévoit pas l’automaticité de la peine.
La proposition de nos collègues du RN est insuffisamment graduée et beaucoup trop large pour viser ce que l’on cherche à atteindre, à savoir le haut du spectre. C’est la raison pour laquelle je les invite à le réécrire.
Enfin, je respecte tout le monde dans l’hémicycle, que l’on soit d’extrême gauche comme d’extrême droite. Je n’installe de cordon sanitaire ni avec l’une ni avec l’autre. Lorsque des suggestions, d’où qu’elles viennent, me semblent pragmatiques et utiles aux Français, j’émets des avis favorables sans états d’âme.
Le fait de prévoir une peine complémentaire automatique d’interdiction du territoire n’est pas inconstitutionnel dès lors que le dispositif est gradué et vise le haut du spectre. Cela bouleverse d’autant moins les fondamentaux de la République que cela existe déjà par ailleurs.
Je répète donc ma demande de retrait de l’amendement en vue de le retravailler, à défaut, mon avis sera défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL87 de Mme Pascale Bordes
Mme Pascale Bordes (RN). Il s’agit d’instaurer des peines socles, des peines minimales pour tous les crimes et délits ayant trait au trafic de stupéfiants, dont nous sommes à peu près tous d’accord pour dire qu’il prospère chaque jour un peu plus sur l’ensemble de notre territoire sans que rien ne vienne enrayer cette expansion criminelle mortifère. La menace est telle que l’on détecte des risques de déstabilisation de l’État de droit, de notre modèle économique mais également de nos entreprises, parfois stratégiques. Les organisations criminelles n’ont aucune limite, qu’il s’agisse de moyens financiers, de frontières ou de champ d’action.
C’est la raison pour laquelle la réponse pénale doit être la plus ferme possible : à défaut, on vide la peine de son sens et on renvoie l’image d’un État faible. Cesare Beccaria ne disait pas autre chose en 1764 lorsqu’il affirmait : « ce n’est pas la rigueur du supplice et qui prévient le plus sûrement des crimes, c’est la certitude du châtiment ». L’ouvrage dont est tirée cette phrase a fait l’objet de plusieurs rééditions, la dernière ayant été préfacée par Robert Badinter.
Depuis longtemps la certitude de la peine n’est plus une réalité pour les délinquants. Si nous voulons lutter efficacement contre le narcotrafic et punir certains crimes et délits parmi les plus graves, qui menacent notre société de disparition, il nous faut adopter des peines minimales. La République est fondée sur un socle de valeurs qui protègent notamment l’intégrité des personnes et de l’État et dont la sauvegarde oblige ce dernier à prendre des mesures. Il a en la matière une obligation de résultat – les juristes sauront de quoi je parle.
Nous sommes à la croisée des chemins. Si nous voulons réellement sortir du piège du narcotrafic, il faut changer de logiciel.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je suis favorable sur le principe aux peines planchers – nous sommes plusieurs, appartenant à différents groupes, dans ce cas – mais on ne peut pas aborder ce sujet au détour d’un amendement. Il mérite une réflexion globale. Mon avis sera donc défavorable.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). En effet, les peines planchers mériteraient une réflexion au sein de la commission. De notre côté, c’est tout entendu, nous y sommes tout à fait opposés pour deux raisons au moins : nous avons confiance en nos magistrats et cette mesure est contraire au principe d’individualisation des peines.
La France possède la législation en matière de stupéfiants la plus sévère d’Europe puisqu’elle va jusqu’à la perpétuité. Mais, preuve de l’inefficacité de cette stratégie, la consommation ne cesse de croître. Personne ne se trimbale avec un code pénal pour savoir ce qu’il risque, cela n’a aucun sens.
Mme Sandra Regol (EcoS). L’objectif du législateur est ici de cibler le haut du spectre. L’obsession pour le bas du spectre, qui caractérise nos politiques depuis trente ans, se solde par un échec total. La France possède à la fois la législation la plus répressive et le record du nombre consommateurs : bravo ! Pourtant vous proposez de continuer dans la même voie, de ne rien faire contre le trafic de drogue en général. En ciblant les étrangers, qui sont enrôlés de force dans les trafics, vous visez le bas du spectre.
Quant à l’automatisation des peines, le Conseil constitutionnel s’y est opposé à plusieurs reprises. Elle contrevient à toute la logique de notre droit, à tous nos fondamentaux parmi lesquels l’individualisation des peines. Ce principe doit être notre boussole, toutes les juridictions qui ont été saisies du sujet l’ont rappelé.
Enfin, la politique du tout-répressif produit toujours les mêmes effets : plus de consommateurs, moins de moyens pour lutter contre la drogue.
Puisque nous sommes ici pour élaborer la loi, nous nous devons d’abord de la respecter. S’agissant de l’emploi des termes d’extrême gauche ou d’extrême droite, le Conseil d’État a déjà statué : l’extrême droite est représentée par le Rassemblement national mais aucun des partis qui composent le Nouveau Front populaire ne représente l’extrême gauche. Libres à vous de continuer à enfreindre la loi ou de déposer un recours devant le Conseil d’État, mais vous vous ridiculiserez une nouvelle fois.
L’Institut pour la justice passe son temps à se moquer de la justice, à la traiter de laxiste et à voir ses recours rejetés par les tribunaux. En fait, son action est politique ; elle consiste à soutenir Zemmour et toutes les extrêmes droites, les décisions de justice en attestent, mais la réalité vous gêne.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Fidèle à son obsession, le RN revient sur les peines planchers alors qu’il y a quelques semaines, nous avons rejeté la proposition de loi de Mme Bordes sur le sujet.
Monsieur le rapporteur, je crois comprendre que vous êtes favorable aux peines planchers et je m’en étonne car nous avons récemment démontré combien elles sont inutiles et dangereuses.
D’abord, elles portent atteinte au principe de personnalisation des peines. C’est une règle intangible du droit français que d’appliquer une peine en tenant compte de tous les éléments de personnalité du prévenu.
Ensuite, et c’est sûrement là le plus grave de la part du RN, les peines planchers sont une marque de défiance totale et insupportable à l’égard de l’ensemble de la magistrature. Vous dites aux juges : « on ne vous fait pas confiance ; avec les peines planchers, on est sûr qu’au moins vous condamnerez. » Vous les traitez d’irresponsables. Nous avons supprimé les peines planchers notamment pour manifester notre confiance à l’ensemble des personnes qui composent la magistrature française.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Je suis favorable au rétablissement des peines planchers. Elles ne sont absolument pas contraires à l’individualisation de la peine puisque le magistrat conserve la possibilité de déroger au plancher en motivant sa décision.
En revanche, ce rétablissement doit faire l’objet d’un texte à part entière qui concerne toutes les infractions, il ne peut pas être acté au détour d’un amendement.
M. le président Florent Boudié. Nous aurons l’occasion d’examiner prochainement une proposition de loi sur les peines planchers déposée par le groupe Horizons.
Mme Pascale Bordes (RN). À la gauche et l’extrême gauche bien-pensante, je répondrais d’abord qu’il faudrait prêter attention aux décisions du Conseil constitutionnel. En résumé, celui-ci considère que si la sanction doit être en partie adaptée au profil du condamné, ce que nous ne contestons pas, elle ne doit pas l’être au point de rendre le système imprévisible, voire arbitraire. Voilà pour ce qui est de la personnalisation de la peine.
Quant à la prétendue inefficacité des peines planchers, une fois encore, vous êtes dans l’incantation. Aucune étude n’a été publiée par le ministère de la justice mais l’Institut des politiques publiques, très proche de Sciences Po Paris qu’on ne peut pas accuser d’être à droite de l’échiquier politique, a publié une note en mars 2024. Elle précise qu’à moyen terme, l’application des peines planchers a induit une forte hausse des peines de prison pour les récidivistes et une baisse de la récidive de 11 %. Il semble bien que les personnes visées par des peines plancher aient appris de la loi. J’aimerais que ceux qui clament en permanence qu’elles sont inutiles nous expliquent pourquoi. Mais je comprends que cela vous gêne de regarder en face le bilan de l’ère Taubira et d’assumer votre part de responsabilité dans la situation actuelle.
Si nous voulons aller au fond des choses et lutter contre le narcotrafic – vous le revendiquez, mais vous ne faites rien pour cela –, il faut changer de paradigme et adopter des peines planchers. La défiance à l’égard de la magistrature n’a rien à voir.
La commission rejette l’amendement.
Article 10 bis (nouveau) (art. 132-6-1 [nouveau] du code pénal) : Dérogations aux règles de plafonnement et de confusion des peines en cas de concours d’infractions liées à la criminalité organisée
Amendements de suppression CL56 de M. Antoine Léaument, CL114 de M. Jérémie Iordanoff et CL260 de Mme Émeline K/Bidi
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Il s’agit une fois encore de s’opposer à la surenchère pénale : il est question ici d’autoriser le cumul des peines pour s’assurer que les gens passent un maximum de temps en prison.
D’abord, vous voulez envoyer les gens en prison, mais est-ce bien efficace ? Cela se discute. Ensuite, une fois qu’ils sont en prison, M. Darmanin nous l’a dit, ils ne doivent pas s’amuser parce que « c’est pas le Club Med », comme on l’entend souvent dans le débat public.
Un propos du ministre m’est d’ailleurs resté sur le cœur : selon lui, les personnes radicalisées n’avaient pas à bénéficier de cours de maquillage. Moi j’ai plutôt l’impression qu’une personne qui prend un cours de maquillage est dans une forme de déradicalisation…
Si vous voulez que les gens restent en prison ad vitam aeternam, il faut voter l’article 10 bis. Si vous pensez que la prison doit servir à la réhabilitation et à en finir avec le crime, il faut voter notre amendement de suppression.
La réunion est suspendue de douze heures trente à douze heures quarante.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). L’amendement CL114 vise à supprimer l’article 10 bis, inséré par le Sénat en séance publique, qui vise à créer une dérogation au plafonnement des peines applicables aux infractions en concours liées à la criminalité organisée. En l’absence étude d’impact, il n’est pas opportun de modifier les règles de plafonnement des peines. Au demeurant, nous ignorons la fonction précise de cet article au sein du texte et souhaitons obtenir des précisions.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Cet article touche à un principe important de notre droit pénal sans que nous puissions en mesurer l’impact. Je crains qu’il n’ouvre une brèche. Comment justifier à l’avenir que des infractions meurtrissant l’opinion publique tels que les crimes commis sur des enfants ou à caractère sexuel échappent au cumul des peines appliqué au narcotrafic ? La dérogation ne tarderait pas à devenir le principe.
M. Éric Pauget, rapporteur. L’article 10 bis, introduit par les sénateurs avec l’avis favorable de la commission des lois, appartient au titre IV intitulé « Renforcement de la répression pénale du narcotrafic ». Il vise à créer un cas de dérogation aux règles de plafonnement des peines applicables aux infractions en concours liées à la criminalité organisée.
Il me semble qu’il va dans le bon sens : non seulement les trafiquants bénéficient d’un effet d’aubaine, mais il n’y a pas de raison, du point de vue philosophique, de ne pas déroger aux règles de plafonnement des peines en cas de récidive. Avis défavorable.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Au fond, c’est Mme Bordes qui a le mieux résumé l’esprit de cet article : pour ses défenseurs, la peine est un châtiment. Sur ce point, nous avons une divergence profonde. Pour nous, de façon fondamentale, l’être humain n’est pas réductible à ses fautes, quand bien même elles l’envoient en prison.
La peine, notamment l’incarcération, n’est pas, à nos yeux comme à ceux du législateur républicain, ainsi conçue. On est censé sortir de la prison meilleur que lorsque l’on y est entré. Ce principe est suffisamment clair pour me dispenser d’en faire l’exégèse.
Par ailleurs, la dérogation prévue à l’article 10 bis d’une part aggravera les risques de récidive compte tenu des conditions d’exécution des peines, d’autre part s’inscrit dans une logique de cumul des peines très états-unienne, qui aboutit à des peines d’incarcération de plus de cent ans qui sont délirantes, hors de proportion humaine et de notre propre entendement. La raison républicaine conçoit la peine comme une possibilité de se rendre à nouveau utile à la société et à soi-même, ce qui amène à en plafonner la durée.
La dérogation prévue à l’article 10 bis en appellera d’autres. L’inspiration générale du texte, nonobstant deux ou trois articles intéressants, est d’abord de généraliser l’exception pour en faire la source d’inspiration du droit commun.
Mme Pascale Bordes (RN). Certains de nos collègues semblent avoir perdu de vue que nous étudions un texte visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Manifestement, certains de nos collègues n’ont pas lu le rapport d’information du Sénat selon lequel notre société court un extrême danger et atteindra un point de non-retour si nous continuons à appliquer la doxa gauchiste des quarante dernières années en matière de politique pénale. On a privilégié le délinquant, au point de sortir la victime du procès pénal. Il ne fallait plus envoyer les gens en prison. On voit le résultat : les chiffres de la délinquance augmentent de façon exponentielle. C’est peut-être un beau succès pour vous, chers collègues de gauche, mais pas pour la société.
Si l’on prétend lutter contre le piège du narcotrafic, il faut s’en donner les moyens. Dans quelle société voulez-vous vivre ? J’en ai une petite idée, qui ne me fait pas envie. En ce qui me concerne, je veux que ceux qui vivent hors ou en marge de la société et refusent de s’y intégrer, ceux qui vivent dans une société parallèle où l’on arme et tue des enfants, soient effectivement condamnés. Je me moque éperdument du sort qui leur est réservé. Ce qui m’importe, c’est le sort des victimes et celui de la société. À un tel degré de perte de conscience de l’état du pays, il faut un sursaut. Ce n’est pas vous qui provoquerez le sursaut de la République et de notre politique pénale !
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). J’ai écouté Mme Bordes, égérie – ou plutôt et j’ai ri… En dépit des quanta de peines appliqués et des lois successivement adoptées en matière de trafic de stupéfiants, on constate, ne lui en déplaise, un accroissement de la durée moyenne des peines. Les gens sont condamnés pour de plus longues périodes qu’auparavant. Par ailleurs, les ministres Darmanin et Retailleau affirment que le trafic perdure. Vous devriez au moins admettre, collègues du Rassemblement national, qu’il n’y a pas de corrélation entre la durée de la peine et son impact sur le trafic de stupéfiants.
Ce n’est pas une analyse, c’est un fait. Vous dites que la délinquance augmente. Notre collègue Léaument tient à votre disposition la dernière publication du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (Interstats), qui réunit l’Insee et le ministère de l’intérieur. Certains indicateurs progressent, d’autres baissent, mais aucune augmentation globale significative n’apparaît.
Par ailleurs, plusieurs pays ont entamé des processus de déflation pénale, parfois depuis longtemps. Les chiffres de la criminalité et des passages à l’acte y ont-ils explosé ? Non, au contraire. Pour les républicains, le postulat philosophique est le suivant : la peine ne doit pas emporter une fonction doloriste ou vengeresse. Le vôtre est de se moquer du sort réservé aux condamnés et de se préoccuper uniquement de celui de la société, vous venez de le dire. Ce en quoi vous vous méprenez, c’est que les condamnés font partie de la société. Vous devriez donc vous y intéresser, si vous voulez prévenir la récidive.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Il y a sans doute longtemps que Mme Bordes n’a pas mis les pieds dans un tribunal correctionnel, sinon elle saurait que les peines sont de plus en plus lourdes et les quanta de peine de plus en plus élevés, même s’il s’agit d’un peu de résine de cannabis. Élue dans une circonscription frontalière, je constate que les condamnations à de la prison ferme sont de plus en plus lourdes. Le trafic n’en continue pas moins. Comme l’a rappelé le ministre Bruno Retailleau, 80 % des produits stupéfiants écoulés en France y entrent par les ports, où le volume des saisies ne cesse d’augmenter. Rien de tout cela ne freine le trafic.
J’invite nos collègues du Rassemblement national à consulter les chiffres de la Chancellerie s’agissant des condamnations en première instance et en appel. Nous nous livrons à une surenchère répressive inefficace en matière de prévention. Les neuf premiers articles du texte visant à renforcer les moyens de lutte contre le narcotrafic, le Rassemblement national n’a pas cherché à les enrichir. Sa réponse, inefficace, est exclusivement répressive et sécuritaire. Comme toujours, il ne cherche pas l’efficacité mais l’affichage politique.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Après les décennies de gauchisme identifiées par Mme Bordes, nous comptons 80 000 détenus, soit un taux d’incarcération qui, en Europe, nous place juste devant la Hongrie. Si les instances internationales et supranationales ont condamné la France en matière de conditions de détention, elles, notamment le Comité de prévention de la torture, évoquent pour la Hongrie des cas de torture blanche.
Toutes les études, celles du ministère de la justice comprises, montrent que les taux d’incarcération et de délinquance ne sont pas corrélés. Dès lors, à quoi bon cette inflation pénale à laquelle nous, législateurs, cédons depuis tant d’années ? De quoi est-elle le nom ?
Elle résulte d’une petite phrase récurrente – « Il faut dissuader » – accolée à la parole des victimes. Avez-vous seulement rencontré des associations de victimes ? Avez-vous vu des gens assoiffés de vengeance ? Ce qu’elles demandent, c’est d’être respectées et mieux informées lors des procédures, et de bénéficier de procès qui leur donnent leur place dans l’élaboration de la justice.
Ceux qui ont subi un décès dans leur entourage à la suite d’un crime veulent évidemment qu’une peine soit appliquée, mais ils veulent surtout que la personne, à sa sortie de prison, ne commette pas le même crime. Elles y sont très attachées. Ce qui devrait nous animer en permanence, c’est prévoir des peines utiles pour la personne et la société en pendant aux victimes, au lieu de leur faire dire ce qu’elles ne disent pas.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL240 de M. Michaël Taverne
M. Michaël Taverne (RN). Que l’amendement CL435 défendu par notre collègue Romain Baubry ait été rejeté démontre bel et bien votre déconnexion. Les membres de la police judiciaire spécialisés en cyber que nous rencontrons nous disent que le hameçonnage des mineurs par les réseaux criminels est un danger. Or, notre amendement a été rejeté, qui plus est au motif qu’il prévoit une mesure d’extrême-droite ! C’est à la limite de la psychiatrie !
Monsieur le rapporteur, vous vous êtes personnellement opposé à cet amendement, alors même que le texte vise à lutter efficacement contre les narcotrafics. Vous avez déposé des amendements pour améliorer ce texte ; heureusement que les membres du Rassemblement national étaient là pour les faire adopter, parce que je ne sais pas où sont vos petits copains.
Deux tiers des Français veulent un durcissement des peines. L’article 10 bis crée un cas de dérogation aux règles de plafonnement de peines. L’amendement CL240 vise à prendre en considération les agissements des réseaux criminels, l’association de malfaiteurs et les crimes et délits liés à la criminalité organisée, au bénéfice d’une sévérité accrue.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je précise que j’ai émis un avis favorable à l’amendement CL435.
Concernant l’amendement CL240, j’émets un avis défavorable. Nous ne pouvons pas, au détour d’un amendement, étendre une dérogation à tous les crimes et délits. L’article 10 bis cible la criminalité organisée impliquée dans le trafic de stupéfiants. La disposition prévue par l’amendement n’est pas proportionnée.
Mme Sandra Regol (EcoS). L’amendement vise à élargir encore le mécanisme de cumul des peines, qui se suffit à lui-même pour ouvrir la voie au cumul des peines pour tous les crimes et délits. En somme, il aurait pour effet, en élargissant l’application du cumul des peines de façon disproportionnée, d’abîmer encore davantage l’applicabilité du droit.
Surtout, nous parlons de peines de prison. Madame Bordes, les gens qui ont vraiment lu le rapport de la commission d’enquête du Sénat ont lu que la prison fait partie des « risques du métier », et qu’elle est « un lieu de recrutement » ainsi qu’un « lieu de guerre » pour les narcotrafiquants. Si plusieurs propositions du rapport ont été reprises par le gouvernement sous forme d’amendement, ce qui les rassemble est la nécessité de rendre son sens à l’incarcération. Pour le savoir, madame Bordes, il faut lire le texte au lieu de se contenter des titres pour donner des leçons à vos collègues.
Rendre du sens à l’incarcération, comme le proposait déjà Robert Badinter, c’est faire en sorte qu’elle soit non un châtiment mais un lieu qui protège la société et qui répare, pour que chaque citoyenne et chaque citoyen puisse avancer en sécurité. Ce que vous proposez, c’est un lieu de châtiment pour mettre la poussière sur le tapis. Vous proposez non pas d’avancer contre les crimes qui abîment notre société mais de vivre avec, tant il est vrai qu’au fond ils ne vous gênent pas. C’est pourquoi, hier après-midi et hier soir, votre groupe a pratiqué l’obstruction. Il est clair que vous mentez. Vous repoussez, non sans hypocrisie, les vrais outils de lutte contre le narcotrafic.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Au Rassemblement national, on répète à tout va que le nombre de crimes et de délits augmente. J’ai sous les yeux une publication d’Interstats qui présente les chiffres de 2018 à 2024. Vols avec armes : en baisse. Vols violents sans arme : en baisse. Vols sans violence contre des personnes : en baisse. Cambriolages de logements : en baisse. Vols de véhicules : stable. Destructions et dégradations volontaires : en baisse.
Usage de stupéfiants : en hausse – sans doute en raison de la création, en 2020, des amendes forfaitaires délictuelles (AFD), qui a un effet davantage statistique que concret sur la consommation de stupéfiants, comme l’indique le rapport d’information que Ludovic Mendes et moi-même avons rédigé. La courbe du trafic de stupéfiants est originale : à chaque opération « Place nette », elle augmente, puis elle diminue, sans doute parce que tous les gens disponibles ont été arrêtés. Escroqueries et fraudes aux moyens de paiement : en hausse – là une proposition de loi serait utile !
J’en viens aux coups et blessures volontaires, qui vous intéressent moins. Leur nombre est en hausse. Pour le comprendre, il faut aller dans le détail : ces chiffres incluent les violences intrafamiliales, dont vous ne parlez jamais. S’ils augmentent, c’est en raison d’une amélioration du taux de déclaration, ce qui est heureux. Le nombre de violences sexuelles, violences intrafamiliales incluses, est en hausse pour la même raison.
Quand on parle de chiffres, il faut le faire sérieusement.
M. Michaël Taverne (RN). Telle est la philosophie de la gauche et de l’extrême-gauche : vous avez beaucoup plus de compassion pour les voyous que pour les victimes. Je ne parle pas de vos chiffres, monsieur Léaument, mais de mon amendement. Je n’essaie pas de contourner le problème. Sans doute n’avez-vous jamais vu des familles de victimes de règlements de compte.
Notre collègue prétend que les familles de victimes pensent plus à la réinsertion de l’individu et à la protection de la société qu’à l’être cher qu’elles ont perdu : mais dans quel monde vivez-vous ? Je doute que quiconque ici ait vécu, comme moi, l’expérience de voir deux gamins tués dans une 206 à la kalachnikov. Quand vous vous retrouvez face aux familles, vous ne pensez à la réinsertion des meurtriers ! Vous ne pensez qu’à écarter ces individus de la société.
Les Français ne sont pas dupes. Tous les sondages montrent qu’ils font bien plus confiance au Rassemblement national qu’à la gauche, qui est au fond du trou, voire dans les abysses. Vous êtes le laxisme généralisé, vous êtes sur une autre planète – tout le monde le dit.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL528 de M. Éric Pauget.
Elle adopte l’article 10 bis modifié.
Deuxième réunion du jeudi 6 mars 2025 à 15 heures
Lien vidéo : https://assnat.fr/77eDh5
Après l’article 10 bis
Amendements CL264 et CL265 de M. Michaël Taverne
M. Michaël Taverne (RN). Les amendements CL264 et CL265 visent à traduire la volonté des Français d’accroître la sévérité en matière pénale. Le Rassemblement national souhaite davantage de fermeté dans la répression du haut du spectre de la criminalité organisée et des criminels qui se livrent au trafic d’armes et de stupéfiants. Ce matin, la gauche et l’extrême gauche ont affirmé que la première préoccupation des familles de victimes était la réinsertion des coupables. Or ces familles veulent avant tout écarter ces individus de la société, afin de la protéger. Un fossé nous sépare de l’extrême gauche, il s’appelle la vraie vie.
Monsieur le rapporteur, vous avez émis ce matin un avis favorable à l’amendement CL435 de notre collègue Romain Baubry, qui visait à protéger les mineurs du hameçonnage des organisations criminelles sur les réseaux sociaux : la gauche a considéré, de manière pour le moins étrange, qu’il s’agissait d’une mesure d’extrême droite. Heureusement que les députés du Rassemblement national sont là pour améliorer le texte, car les membres du groupe macroniste sont absents.
L’amendement CL264 vise à rendre automatique la révocation du sursis en cas de nouvelle infraction lorsque la condamnation initiale a été prononcée pour trafic de stupéfiants ou association de malfaiteurs. L’amendement CL265 entend exclure des dispositifs de réduction de peine les personnes condamnées pour trafic de stupéfiants ou association de malfaiteurs. Ces amendements répondent au souhait d’une très grande majorité de Français d’accroître la sévérité pénale. À nos collègues macronistes, je rappelle qu’à l’occasion de sa prise de fonction, le garde des sceaux nous avait collectivement invités à nous réveiller : faites-le, car la situation est grave.
M. Éric Pauget, rapporteur. Le juge peut déjà révoquer le sursis. Vous souhaitez rendre automatique cette révocation, mais nous ne pouvons pas débattre d’automaticité des peines à chaque amendement.
Votre amendement CL265 présente un problème de cohérence juridique. Des réductions de peine peuvent être accordées à des détenus condamnés pour terrorisme : on ne peut pas supprimer totalement cette possibilité pour le narcotrafic alors qu’elle existe pour des crimes encore plus graves à mes yeux.
Je peux partager le fond de vos amendements, mais nous devons assurer la cohérence de notre droit. L’avis est donc défavorable sur les deux amendements.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Vous manquez de cohérence, monsieur Taverne. Vous professez en effet une grande sévérité dans les peines infligées aux criminels, mais la première proposition de loi que vous avez déposée visait à instaurer une présomption de légitime défense pour les policiers, absolvant ceux-ci de toute peine en cas d’usage non autorisé par la loi de leur arme. Vous refusez l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. » Nous sommes bien plus cohérents que vous, puisque nous défendons le principe selon lequel la loi est la même pour tous et tout le monde doit être puni en cas d’infraction. Notre logique repose à la fois sur la punition et sur la réinsertion. De votre côté, vous opérez des distinctions entre les gens, fondées sur le port de l’uniforme, la religion, la couleur de peau ou la nationalité. La loi doit être la même pour tous, elle doit protéger mais aussi punir ceux qui l’enfreignent.
M. Yoann Gillet (RN). Mon collègue Michaël Taverne a défendu des amendements de bon sens : pour qu’elle soit efficace et acceptée par les Français, la justice doit être ferme, voilà pourquoi il faut mettre un terme au laxisme judiciaire. La révocation du sursis et l’interdiction des réductions de peine sont des évidences que plébiscitent les Français, à l’instar du rétablissement des peines planchers. Nos concitoyens considèrent à juste titre que la justice est trop laxiste : pour qu’ils retrouvent confiance en elle, celle-ci doit se montrer plus ferme.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). En matière de justice, les règles sont codifiées, elles ne relèvent pas d’un imaginaire mystique ou littéraire. Les principes sont faits pour être respectés et appliqués, non pour être interprétés en fonction d’une quelconque idéologie. La loi doit être appliquée de la même façon à tout le monde. Vous pensez que la justice doit être ferme, mais il ne s’agit que d’une opinion. La justice doit être juste, efficace et utile. Il ne faut pas sacrifier les principes fondamentaux de nature constitutionnelle comme les remises de peine. Il est important qu’un condamné pour des faits graves mais qui a fait preuve d’un comportement méritant une remise de peine puisse avoir accès à cette mesure. La peine doit être utile et efficace.
L’aggravation des peines que vous proposez ne changerait rien au trafic de stupéfiants. Celui-ci s’organise de plus en plus à l’échelle mondiale par des gens très riches : voilà l’objet de la loi. Vos amendements sont totalement hors sujet.
M. Michaël Taverne (RN). Oui, la justice doit être utile, mais cela signifie qu’elle doit extraire les individus dangereux de la société. Les narcotrafiquants ne trafiquent pas que des stupéfiants, ils font également commerce d’armes, ils séquestrent des personnes, en assassinent d’autres. Si vous considérez qu’il faut remettre ces individus en liberté et privilégier leur réinsertion, c’est que vous n’avez pas idée de leur dangerosité.
Monsieur Léaument, je vous remercie de faire la publicité de notre proposition de loi sur la présomption de légitime défense des policiers. Contrairement à vous, je n’ai à aucun moment évoqué l’origine sociale, ethnique, religieuse ou nationale des individus. En 2015, j’ai connu la tuerie de Charlie Hebdo et il se trouve qu’Ahmed Merabet était l’un de mes très bons amis : s’il avait bénéficié de la présomption de légitime défense, il serait peut-être en vie. Je dis bien « peut-être », car je n’oublie pas qu’avec des « si », on refait le monde. La présomption de légitime défense existe déjà dans notre droit : elle figure dans l’article 122-6 du code pénal, que vous n’avez jamais remis en cause. Notre proposition de loi est animée par le bon sens.
La commission rejette les amendements.
Article 10 ter (nouveau) (article 222-37 du code pénal, articles L. 325-1-1 et L. 325-1-2 du code de la route) : Précisions relatives aux peines complémentaires de suspension du permis de conduire et de confiscation du véhicule, ainsi qu’à l’immobilisation et à la mise en fourrière des véhicules par les officiers et agents de police judiciaire
Amendement de suppression CL59 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous souhaitons supprimer cet article comme la plupart de ceux ajoutés par le Sénat, qui n’ont d’autre but que celui de l’affichage. Soit ils visent à créer des infractions déjà prévues dans le code pénal, soit ils aggravent des peines dans un but de dissuasion alors que de telles mesures n’ont aucun impact sur la criminalité organisée.
Les députés du groupe Rassemblement national citent régulièrement l’humaniste Beccaria, mais ils n’extraient qu’une phrase de son œuvre. Cela ne suffit pas pour traduire la pensée d’un auteur : je vous recommande de lire l’ensemble de son livre. La certitude de la peine est de plus en plus assurée, puisque la durée moyenne des peines augmente en France, au moins depuis 2019 et la réforme pénale promue par l’ancienne garde des sceaux, Nicole Belloubet. Mais le plus important, dans l’ouvrage de Beccaria, c’est sa conclusion : le meilleur moyen d’endiguer le crime est l’éducation. Or où est l’éducation dans cette proposition de loi ? Nulle part ! La surenchère pénale ne sert à rien, les mesures utiles portent sur la prévention, mais vous ne défendez absolument pas cette position, vous dites même que la prévention s’apparente au laxisme et à la culture de l’excuse. Arrêtez donc de citer Beccaria sans l’avoir lu jusqu’au bout ! Je suis sûr que vous trouverez dans votre littérature fasciste de nombreuses références appuyant votre ligne politique.
Vous défendez un amendement visant à confisquer un véhicule comme si cela n’était actuellement pas possible, alors que cette disposition existe déjà bien entendu.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je suis défavorable à la suppression de l’article : je ne comprends pas votre opposition à des peines complémentaires qui sont utiles au juge. Par ailleurs, des véhicules, immatriculés en France ou à l’étranger, pourront être immobilisés. Tous les services que nous avons rencontrés nous ont affirmé que cet outil opérationnel renforcerait l’efficacité de leur action.
En revanche, je soutiens la suppression des alinéas 1 à 4 de l’article, car les mesures qu’ils contiennent existent déjà dans le code pénal : je vous invite à adopter mon amendement CL529 qui vise à les retirer du texte.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Nous nous opposerons bien entendu à l’amendement de suppression de l’article. Il faut en effet travailler sur la réinsertion des personnes incarcérées, mais le taux de récidive des condamnés pour trafic de stupéfiants est le plus élevé : il atteint 46 % ! Un trafiquant de drogue commence son activité avant la prison, mais il la poursuit en cellule puis après sa libération. Monsieur Léaument, vous l’avez dit vous-même plus tôt dans nos débats, la prison ne constitue qu’une étape dans une carrière de trafiquant, qui leur permet notamment de recruter.
Voulez-vous réduire les peines comme au Portugal ? Nous avons vu les résultats de cette politique : ils ne sont pas bons ! Le nombre de détenus a bien chuté, mais la consommation de drogues a augmenté.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). M. Léaument vous donnera les chiffres portugais qu’il a étudiés pour son rapport d’information visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants.
Vous nous expliquez que les peines doivent être alourdies pour que le trafic de stupéfiants s’arrête tout en nous disant que le taux de récidive est très élevé. Depuis les années 1970, la France a la législation la plus répressive d’Europe et elle n’a cessé d’augmenter l’échelle des peines, pourtant le taux de récidive demeure très fort.
Un trafiquant convoie de la drogue par go fast : croyez-vous qu’un retrait de permis le dissuadera de récidiver ? Non, il continuera de conduire, mais sans permis. Croire le contraire est d’une naïveté confondante. Quant au véhicule, on peut déjà le confisquer, donc on ne va pas réinventer l’eau tiède à chaque article, le temps des parlementaires est précieux.
Nous pourrions élaborer des mesures utiles, notamment sur la prévention car il n’y en a aucune dans le texte. Le droit actuel permet déjà de déployer de très nombreuses mesures répressives, donc concentrons-nous sur les problèmes réels. Le premier d’entre eux est le manque de moyens, lequel empêche d’appliquer ce que le droit prévoit. Le second a trait à la prévention, celle-ci reculant partout dans le pays. Le président du conseil départemental du Nord, un homme de droite, Christian Poiret, veut supprimer 25 % des crédits de la prévention spécialisée, c’est-à-dire réduire l’action de ceux qui interviennent en première ligne pour empêcher les individus de basculer dans la drogue ou dans le trafic. Ce sont ces gens utiles qu’il faut aider !
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques CL529 de M. Éric Pauget et CL409 de M. Pouria Amirshahi
M. Éric Pauget, rapporteur. Je rejoins M. Bernalicis sur son appréciation des alinéas 1 à 4, qui sont largement satisfaits par le droit actuel. L’amendement vise donc à les supprimer.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Les alinéas 1 à 4 sont effectivement redondants avec la législation existante.
Le débat commence à être pénible : nous devons examiner un texte sur le narcotrafic et tout le monde s’accorde sur la nécessité de lutter contre le crime organisé, le haut du panier, les nouvelles techniques, la structuration des réseaux, l’enrichissement et le blanchiment, mais nous finissons par devoir discuter de toutes les obsessions de l’extrême droite, notamment le durcissement de l’ensemble de la chaîne pénale. Pourtant, nous savons tous qu’une telle politique ne fonctionne pas. Vous dites que la justice est laxiste alors qu’elle n’a jamais autant emprisonné d’individus et que les prisons sont saturées.
Vous vous plaignez de la réinsertion, mais le passage en prison, surtout pour la commission de petits délits, marginalise les individus et les entraîne dans une spirale de délinquance criminelle. Vous vous trompez de diagnostic, donc les solutions que vous proposez sont mauvaises. Il conviendrait de revenir au cœur du texte, à savoir la lutte contre le trafic organisé.
Vous évoquez une augmentation de la petite délinquance, mais posez-vous la question de la progression de la pauvreté, car il y a une corrélation entre les deux phénomènes. Depuis dix ans, la répression pénale n’a cessé d’augmenter, pourtant le crime perdure. Vous fantasmez des corrélations qui n’ont aucun fondement et refusez de voir celles qui existent.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Les données du rapport de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) sur le Portugal s’arrêtent à 2017 et font état d’une augmentation de l’usage du cannabis. Dans mon rapport du mois dernier, vous trouverez des chiffres actualisés : la prévalence de la consommation de cannabis dans la population générale se trouve en 2022 à un niveau inférieur à 2001 et nettement inférieur à la moyenne européenne. Selon l’Agence de l’Union européenne sur les drogues, 2,8 % des personnes âgées à de 15 à 64 ans avaient consommé du cannabis en 2022 contre 3,3 % en 2001, la moyenne européenne se situant à 8 %. En France, le taux se situe à 10 %, il est donc bien plus élevé que celui du Portugal. Nous proposons de légaliser le cannabis pour que l’argent alimente les caisses de l’État et non celles des narcotrafiquants ; nous souhaitons utiliser cette manne financière pour développer la prévention et renforcer les moyens de la police et de la justice pour lutter contre le narcotrafic. La consommation de cocaïne et de MDMA au Portugal est passée respectivement de 1,2 % de la population en 2001 à 0,5 % en 2022 et de 0,9 % à 0,3 %. La réforme portugaise s’est donc révélée efficace.
Je n’étais pas résolument favorable à la dépénalisation avant le lancement de la mission d’information que j’ai conduite avec Ludovic Mendes, mais notre travail m’a convaincu de m’y rallier et de suivre le modèle portugais, d’ailleurs élaboré par la droite.
M. Michaël Taverne (RN). J’ai lu votre rapport, monsieur Léaument. Lorsque vous l’avez présenté devant la commission, je vous ai même posé une question à laquelle je n’ai pas obtenu de réponse. Vous mettez en avant le cas portugais, mais que dire des autres exemples que vous étudiez ? En Uruguay et dans certains États des États-Unis, non seulement la consommation n’a pas baissé, mais elle a augmenté chez les jeunes ; en outre, le marché illégal n’a pas reculé. D’autres études montrent que la consommation de cannabis est un tremplin vers celle de drogues plus dures, notamment de synthèse.
S’agissant des peines complémentaires de retrait du permis de conduire et de confiscation du véhicule, vous arrive-t-il de rencontrer des membres d’associations de sécurité routière ? Ils vous parlent de conducteurs qui provoquent des accidents sous l’emprise de la drogue, comme un chauffeur de bus récemment. On croit rêver quand on vous entend défendre la dépénalisation de la cocaïne et qu’on confronte vos idées à la vie réelle ! Nous avons développé la prévention pendant des années sans faire la moindre répression : il est temps de changer.
M. Arthur Delaporte (SOC). Les rapports parlementaires se fondent sur des études scientifiques, sur les propos de médecins et d’addictologues, et sur des exemples étrangers factuels. Vous n’avez aucune étude sérieuse à opposer à ces rapports, voilà pourquoi vous restez dans le registre des fantasmes.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, les amendements CL62 de M. Antoine Léaument et CL208 de Mme Colette Capdevielle tombent.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL519 de M. Éric Pauget, rapporteur.
Elle rejette l’article 10 ter.
Après l’article 10 ter
Amendement CL448 de Mme Naïma Moutchou
Mme Naïma Moutchou (HOR). Depuis quelques années, les récidivistes du narcotrafic armé ont franchi un cap dans la violence. Ils ne se contentent plus de vendre des produits stupéfiants : ils tuent. Nombre de faits divers l’attestent. Un trafiquant récidiviste qui utilise des armes de guerre est plus qu’un simple dealer : c’est un criminel de guerre.
Face à ce fléau, la réponse pénale doit être forte. J’entends que la justice doit être juste ; la justice pénale doit aussi être dissuasive, ou alors elle sera totalement inefficace.
Nous proposons qu’une peine plancher de dix ans punisse la récidive de trafic commis en possession d’armes de catégorie A ou B, c’est-à-dire des armes de guerre.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je suis souvent favorable à vos propositions, et sur le fond je le suis à celle-ci. Toutefois, sur ce sujet des peines planchers que nous avons déjà abordé, ma réponse sera la même que ce matin : on ne peut pas traiter un tel sujet au détour d’un amendement, d’autant que vous défendrez bientôt une proposition de loi spécifique. Avis défavorable.
Mme Pascale Bordes (RN). À vous entendre, ce n’est jamais le bon moment ! J’entends qu’un texte arrive, mais pourquoi remettre à demain ce que nous pouvons faire aujourd’hui ? J’avais cru comprendre qu’il était urgent de trouver des solutions rapides et efficaces : en voici une.
Nous voterons cet amendement, bien sûr, mais il est minimaliste. Nous estimons que la gravité des infractions que vous visez justifierait une application de la peine socle – terme que je préfère à celui de « plancher » – dès la première infraction. Cette peine socle devrait aussi être étendue à d’autres infractions, mais c’est un autre débat.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Ce n’est pas trop mal que nous parlions enfin de trafic d’armes ! Ce sont bien les armes qui tuent les gens.
La méthode de Mme Moutchou ne nous semble pas efficace. Nous sommes opposés aux peines planchers, car nous estimons que c’est à la justice qu’il revient, dans le cadre défini par le code pénal, de décider de la peine.
Mais si les gens ont des armes quand ils commettent des infractions, c’est bien qu’ils s’en sont procuré : il faut donc lutter contre ceux qui fournissent les armes – ceux qui en ont fourni aux frères Kouachi étaient assez proches de l’extrême droite, si l’on veut bien s’en souvenir. Pour lutter contre ce trafic, il faut du renseignement humain. Il faut aussi récupérer les armes déjà en circulation ; la police et la gendarmerie ont lancé des opérations en ce sens.
Dans mon rapport, que M. Taverne n’a de toute évidence pas bien lu, j’écris que l’Uruguay est un mauvais modèle : l’offre n’était pas suffisante pour répondre à la demande, ce qui a conduit à enrichir les trafiquants. Je l’avais dit lors de ma présentation : il n’est pas facile de réussir la légalisation – apparemment cette partie-là ne vous a pas intéressé.
Vous dites aussi que les consommateurs passent ensuite à des drogues plus dures. Mais ce sont les dealers qui provoquent ce phénomène, parce qu’ils ont intérêt à ce que vous vous mettiez à consommer une autre drogue, plus chère et plus addictive. L’État, à l’inverse, lutte contre la dépendance ou l’entrée dans la consommation d’autres drogues. Mais, encore une fois, il s’agit là de prévention et non de sanction.
M. Sacha Houlié (NI). Si j’étais favorable aux peines planchers, j’aurais indiqué que la demande de Mme Moutchou est partiellement satisfaite par l’article 10 bis, qui prévoit une dérogation aux règles de plafonnement des peines en cas de concours d’infractions liées à la criminalité organisée.
Mais je n’y suis pas favorable. C’est un débat récurrent dans notre assemblée. Vous mentionnez dans votre amendement une « décision spécialement motivée » pour ne pas appliquer la peine plancher, et c’est nécessaire pour que la décision soit constitutionnelle : c’est ce que font systématiquement les magistrats. On sait depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy, ce dispositif est totalement inefficace. Éric Dupond-Moretti le disait : le criminel ne commet pas un acte de délinquance le code pénal à la main ; il ne se renseigne pas sur les peines encourues, peut-être ne les connaît-il même pas, sans doute s’en fiche-t-il même complètement.
Enfin, le laxisme judiciaire est une idée fausse, démentie à la fois par le nombre de condamnations et par leur taux d’exécution, qui s’élève à 93 %. En outre, depuis 2000, les peines se sont en moyenne beaucoup aggravées, de quatre à six mois en matière délictuelle et de quatorze à seize ans en matière criminelle.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Toute peine de prison prononcée doit être spécialement motivée : c’est le principe d’individualisation des peines. Votre amendement porte atteinte à ce principe cardinal. La justice est humaine, elle est rendue par des hommes pour des hommes et la peine doit être adaptée aux circonstances.
Lorsque les peines planchers ont été mises en place par Nicolas Sarkozy, elles ont encombré les juridictions : deux fois sur trois, les magistrats, qui ont la culture de l’individualisation de la peine, rejetaient le principe de l’application des peines planchers. Ils devaient donc rédiger une décision spécialement motivée. Vous leur compliquez la tâche. Or vous connaissez l’état de nos juridictions, de nos cours d’appel.
Vous ne cessez de proposer ce type de dispositions : ce n’est que de l’affichage. Vos propositions nient le travail des magistrats. Vous n’avez pas confiance dans la justice de notre pays.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Les peines planchers n’ont jamais évité la moindre récidive, et les récidivistes sont déjà condamnés plus fermement que les primo-délinquants. Nous sommes donc devant un amendement d’affichage, qui plus est très mal rédigé et à coup sûr inconstitutionnel : il doit viser à satisfaire quelques réacs en circonscription – le seul soutien qui s’est exprimé est d’ailleurs celui du RN, ce qui prouve son caractère délirant.
Entre 2008 et 2011, lorsque les peines planchers s’appliquaient, 4 000 années de prison supplémentaires ont été prononcées chaque année par les tribunaux, même si les juges utilisaient largement leur pouvoir de dérogation. Aucun syndicat de magistrats n’a jamais soutenu ce type de mesure complètement inutile.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Ce dernier chiffre me paraît au contraire montrer l’efficacité des peines planchers ! Il n’y a pas que les groupes Horizons et RN qui y soient favorables. Je le suis moi aussi.
Mais, je le disais tout à l’heure, j’estime qu’il faut une loi spécifique.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Ces interventions présagent de débats intéressants sur le texte qui arrive !
Madame Cathala, je suis évidemment d’extrême droite, puisque je ne pense pas comme vous ! C’est toujours le même argument, censé mettre fin au débat. Ce n’est pas la première fois que je l’entends. J’aimerais plutôt répondre sur le fond.
Vous avez dit que les récidivistes sont davantage punis que les primo-délinquants : encore heureux ! J’espère qu’il y a encore un peu de cohérence dans le droit et dans la justice pénale.
Monsieur Houlié, 93 % des peines sont exécutées, mais 12 % à 15 % seulement des procédures sont jugées, c’est-à-dire rien – la moyenne européenne est de 38 %. Il faut donc relativiser les chiffres que vous donnez.
Nous avons moins de places de prison que la moyenne européenne : c’est aussi pour cela qu’il y a une surpopulation carcérale. Ce sont les chiffres du Conseil de l’Europe.
Certains de nos collègues parlent de l’individualisation des peines comme d’un principe cardinal. Mais ce ne sont que des mots : M. Houlié a déposé un texte, avec Mme Bergé, qui visait à étendre la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité aux personnes condamnées pour violences aggravées ; quant aux socialistes, ils ont déposé un texte qui automatisait le retrait de l’autorité parentale à un parent qui n’était même pas condamné ! Je pourrais citer des exemples à l’envi. Y a-t-il des peines automatiques à deux vitesses ? Certains sujets sont-ils plus intéressants que d’autres ?
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL447 de Mme Naïma Moutchou
Mme Naïma Moutchou (HOR). Nous sommes en tout cas tout d’accord pour estimer que le trafic d’armes est un sujet grave, qui doit être traité.
Nous proposons une peine de quinze ans de prison pour ceux qui cumulent trafic de stupéfiants et détention illégale d’armes lourdes.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis favorable.
Nous réfléchissons de notre côté, en vue de la séance, à créer, en complément, une circonstance aggravante plutôt qu’une infraction autonome comme vous le faites ici.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Vouloir durcir les peines devient une habitude. Or cela revient à durcir aussi les conditions d’incarcération, sans rien régler au problème des trafics. Cela a été dit, on ne commet pas un crime le code pénal à la main, en choisissant son infraction en fonction du quantum possible ; on commet un crime parce qu’on y a un intérêt financier, matériel. C’est d’abord à cela qu’il faut s’attaquer.
Ces amendements ont sans doute été très travaillés, mais ils me semblent hors sujet. Notre débat devrait surtout porter sur l’efficacité des procédures d’instruction et d’enquête qui permettront de dissoudre les groupes de narcotrafic qui pourrissent l’État et les quartiers.
Il faudrait réfléchir – plutôt qu’à une peine dure qui n’offre aucune garantie de réparation, ni pour la société ni pour la personne qui a commis une faute et s’est par là même abîmée – à une peine juste, à même d’empêcher la récidive.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je m’interroge une nouvelle fois sur la rédaction de cet amendement d’affichage : il me semble que l’un des principes de notre code pénal, inscrit à l’article 131‑1, prévoit qu’au-delà de dix ans, on parle de réclusion criminelle. Ici, il est question d’emprisonnement. Peut-on enfermer des gens pendant quinze ans pour un délit ? Voilà qui paraît nouveau ! (Vives exclamations.)
M. Jiovanny William (SOC). La rédaction de cet amendement me semble poser problème. Il est question de concomitance, donc de circonstance aggravante, mais ce n’est pas clairement indiqué.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Je m’étonne de ce que la gauche, ou l’extrême gauche, s’offusque de la volonté d’alourdir le quantum des peines possibles quand l’infraction est commise par des gens armés, alors qu’elle vient de nous dire longuement qu’il fallait faire confiance au magistrat : or c’est bien celui-ci qui détermine le quantum de la peine. Offrons-lui toute une palette de peines possibles et faisons-lui confiance pour infliger des peines à la mesure des crimes commis.
M. Jonathan Gery (RN). J’entendais dire que la peine n’était pas une réparation. Bien sûr que si ! C’est une réparation pour la société.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Notre discussion est tellement décousue qu’elle perd son sens. Nous parlons ici de justice pénale. Ce texte est répressif, c’est vrai, et nous estimons que la lutte contre le narcotrafic exige une réponse de la chaîne pénale, et des peines d’emprisonnement. Vous évoquez la prévention : c’est autre chose. Je veux bien y travailler, mais alors il faut embrasser l’ensemble du sujet : pas seulement les associations et les éducateurs, mais aussi la famille ou l’école. Je ne suis pas sûre que nous serions d’accord sur ces questions.
Je suis basique : la justice pénale ne peut pas être permissive. On ne peut pas trouver d’excuses. On voit de plus en plus de narcotrafic avec usage de kalachnikovs, nous devons traiter le sujet ! On peut considérer que ces amendements ont été mal travaillés, mais on ne peut pas me reprocher de ne pas avoir travaillé.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL449 de Mme Naïma Moutchou
Mme Naïma Moutchou (HOR). Il est impensable qu’un trafiquant condamné puisse racheter des armes. Il existe un fichier national des interdits d’acquisition et de détention d’armes. La mesure que je propose, certes symbolique – on imagine mal qu’un délinquant aille s’inscrire sur un fichier –, consiste à ce que les trafiquants condamnés y soient automatiquement inscrits. Sinon, nous laissons une brèche qui ne s’explique pas.
M. Éric Pauget (DR). L’amendement est satisfait. L’article L. 312‑3 du code de la sécurité intérieure interdit à toute personne condamnée pour trafic de stupéfiant d’acquérir des armes ou des munitions. Et, en application de l’article L. 312‑16, sont inscrites au fichier national automatisé nominatif toutes les personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes.
L’amendement est retiré.
Chapitre II
Lutte contre le narcotrafic dans les outre-mer
Avant l’article 11
Amendement CL385 de M. Ugo Bernalicis
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je reviens rapidement sur la discussion précédente pour donner un autre argument. Madame Moutchou, vous vouliez punir davantage les personnes qui possèdent une arme et participent au trafic que celles qui organisent le trafic. Cela ne me paraît pas logique : un chef de réseau qui ordonnerait à quelqu’un de s’armer afin de pouvoir tuer serait moins puni que celui qui reçoit l’ordre. Je considère pour ma part qu’il faut punir davantage les têtes de réseau – d’autant qu’il peut y avoir des personnes auxquelles on fait porter des armes, de très jeunes gens ainsi transformés en meurtriers, qui sont exploités par ces chefs de réseau.
Nous abordons avec cet amendement le sujet des personnes que l’on appelle des « mules » : il faut empêcher que des personnes vulnérables soient exploitées. Ludovic Mendes et moi-même nous sommes rendus en Guyane pour travailler spécifiquement sur ce vaste sujet. Nous y reviendrons.
M. Éric Pauget, rapporteur. Le titre que vous proposez dans cet amendement ne correspond pas à la réalité des dispositions contenues dans le chapitre. Avis défavorable.
M. Jocelyn Dessigny (RN). C’est extraordinaire, ce que dit M. Léaument : à part la tête de réseau – et encore –, tous les autres, le porte-flingue, le dealer, le chouf, la mule et ainsi de suite, ne sont que des victimes ! C’est vraiment le monde des Bisounours, avec un seul grand méchant capitaliste, tous les autres étant exploités. Vous avez fait un rapport, mais vous l’avez certainement fait au bureau : de temps en temps, il faudrait descendre un peu sur le terrain.
M. Jiovanny William (SOC). Le titre de ce chapitre, « Lutte contre le narcotrafic dans les outre-mer », me pose problème : les outre-mer font-ils partie du territoire national ? Pourquoi sont-ils spécifiquement visés ? C’est incompréhensible. Le trafic de stupéfiants a lieu partout. Oui, nos territoires rencontrent de grandes difficultés, mais je m’étonne qu’on leur consacre un chapitre spécifique, surtout quand nous, députés des territoires ultramarins, devons systématiquement insister pour que les dispositions spécifiques aux outre-mer ne soient pas renvoyées à des ordonnances.
Merci pour cet amendement qui modifie le titre du chapitre.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). En effet, le titre du chapitre II laisse penser que le phénomène des mules n’existe que dans les outre-mer, ce qui est faux. Nous proposons de l’intituler « Lutte contre le narcotrafic par des mesures relatives aux personnes vulnérables exploitées par un réseau criminel », pour ne pas stigmatiser nos compatriotes d’outre-mer.
Le droit pénal est logique, monsieur Dessigny : plus on est haut placé dans une organisation criminelle et un trafic, plus on est puni, car ceux qui donnent les ordres ont une plus grande responsabilité que ceux qui les exécutent. Nous ne disons pas que tous ceux qui participent à un réseau criminel sont des victimes, mais, certains le sont, parce qu’ils sont exploités. C’est le cas des jeunes gens qui se font manipuler pour entrer dans un trafic et qui y sont maintenus par la terreur, la torture et la brutalité. Des gamins se font tirer dans les jambes ! Je ne comprends pas qu’on s’écarte de cette philosophie du droit et qu’on veuille punir davantage les petits que les gros.
M. Sébastien Huyghe (EPR). On ne peut pas à la fois se plaindre que rien ne soit prévu pour lutter contre le narcotrafic dans les outre-mer, et se plaindre que l’outre-mer soit spécifiquement visé dans la proposition de loi.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Le problème est que le texte se contente de mentionner les outre-mer dans un titre de chapitre sans prévoir de mesures spécifiques aux territoires ultramarins. Ce chapitre se concentre sur les mules, comme si l’on n’en trouvait qu’en outre-mer. Or les mules sont partout puisqu’elles transportent la drogue ! Celles qui entrent à La Réunion viennent de l’Hexagone ou d’ailleurs. Le problème n’est pas spécifiquement ultramarin, et l’intitulé du chapitre frôle le mépris. Le texte devrait accorder des moyens supplémentaires aux outre-mer car ils ont moins de magistrats, de douaniers, de gendarmes et de policiers que l’Hexagone. Mais comme ce n’est pas la ligne du gouvernement et des forces qui dirigent le pays, on a choisi d’en faire un chapitre vide.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je vous invite à revoir le titre du chapitre, monsieur le rapporteur, car il est blessant. Éclairés par le rapport des sénateurs et par vos auditions, nous aurions pu traiter le problème des transits qui passent par les ports ultramarins ; nous aurions pu nous demander pourquoi le « 100 % contrôle » n’est pas organisé dans tous les aéroports. Aucune disposition particulière n’est prévue pour les outre-mer. Vous espérez vous en tirer à bon compte grâce au titre et vous ne traitez que des mules ; comprenez que cela puisse être mal interprété, et acceptez cette modification de forme.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Des mules entrent en France depuis l’Espagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique ou autres, en avion comme en bateau, en train, en voiture ou en camion. Considérer que le phénomène est propre aux outre-mer est stigmatisant. Je propose donc d’intituler le chapitre II « Mesures de procédure pénale » ou d’inclure ses dispositions dans un chapitre Ier rebaptisé « Mesures de droit pénal et de procédure pénale ».
M. Éric Pauget, rapporteur. Je reconnais que le titre est mal choisi et que les dispositions du chapitre n’ont pas de lien spécifique avec les outre-mer. Pour rappel, ce texte provient du Sénat, et nous nous sommes davantage préoccupés du fond que de la forme. Je propose que nous trouvions un autre titre en vue de la séance.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous pourrions prendre quelques minutes pour y procéder dès maintenant. Cela éviterait d’avoir à examiner vingt propositions différentes dans l’hémicycle.
M. le président Florent Boudié. Je vous propose de réserver le vote sur le présent amendement et sur un nouvel amendement du rapporteur qui irait en ce sens après l’examen de l’article 11.
Article 11 (articles 706-88-2 du code de procédure pénale et 222-44-2 [nouveau] du code pénal) : Mesures de lutte contre le trafic de stupéfiants par passeurs : allongement de la durée de la garde à vue et peine complémentaire d’interdiction de vol
Amendements de suppression CL65 de M. Ugo Bernalicis, CL262 de Mme Émeline K/Bidi et CL488 de M. Pouria Amirshahi
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). La possibilité de prolonger de 96 heures la garde à vue des personnes qui ont des produits stupéfiants dans le corps nous préoccupe. La définition même de ces produits et de leur forme n’est pas très claire. Le rôle du médecin ne l’est pas davantage : s’agit-il de protéger la personne qui court un danger en transportant des produits stupéfiants dans son corps, ou simplement de constater la présence de ces derniers ? Pourquoi l’avocat ne peut-il pas intervenir dès la première heure ? Nous ne voyons pas non plus pourquoi la personne incriminée aurait l’interdiction de prendre l’avion et de paraître dans les aéroports. Cet article, qui s’inspire des mesures antiterroristes, est disproportionné ; il ne permettra en rien de lutter contre le phénomène qualifié péjorativement de « mule ».
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Cet article, qui calque le dispositif de lutte contre le terrorisme à la lutte contre les stupéfiants, provoque nos plus vives inquiétudes. Alors que le texte entend s’attaquer au haut du spectre, il introduit une mesure très grave pour les mules qui sont tout en bas de l’organisation, généralement des femmes en grande précarité, souvent même des mineures – on peut d’ailleurs se demander quel droit s’appliquera à ces dernières.
La peine complémentaire d’interdiction de voyager est tout aussi inquiétante. Que se passera-t-il quand une mule arrêtée en outre-mer aura purgé sa peine ? Devra-t-elle rester sur place, même si elle est mineure, sans pouvoir rejoindre sa famille ? Devra-t-elle purger toute sa peine sur place, alors que nos territoires souffrent d’une surpopulation carcérale exacerbée ? Les conséquences de cet article n’ont manifestement pas été envisagées.
Mme Sandra Regol (EcoS). L’article 11 s’acharne sur des personnes fragiles et souvent contraintes. Il prévoit des mesures fortes et stigmatisantes pour un trafic qui ne représente que quelques kilos de drogue, tandis que des dizaines de tonnes transitent par la mer. La disproportion est flagrante.
On nous explique que la garde à vue doit être prolongée quand la personne n’a pas évacué naturellement la totalité des substances. L’argument est spécieux, même s’il a le mérite de s’intéresser à la santé des individus – préoccupation qu’on ne trouve nulle part ailleurs dans le texte. Que prévoyez-vous pour sortir les personnes de la drogue, des addictions, de la précarité ? Ces questions devraient être au cœur d’un projet de loi qui entend lutter contre la drogue. Il faut traiter les deux bouts de la chaîne, en étant conscient que les maillons du haut recrutent des personnes en grande fragilité économique ou psychologique. Cet article ne s’attaque pas au haut du spectre mais perpétue des politiques qui prouvent leur échec depuis des dizaines d’années. Il faut le supprimer.
M. Éric Pauget, rapporteur. L’article 11 comporte plusieurs mesures visant à améliorer le dispositif de lutte contre le phénomène des passeurs de produits stupéfiants, communément appelés mules.
D’une part, il prévoit de porter la durée maximale de la garde à vue à 120 heures pour les passeurs in corpore de produits stupéfiants. Cette possibilité est rigoureusement encadrée par la loi. Elle ne s’applique qu’aux mules ayant ingéré des produits stupéfiants pour participer à un trafic, mettant ainsi leur santé, voire leur vie en danger. Elle est par ailleurs conditionnée à l’établissement d’un certificat médical se prononçant sur la présence ou l’absence de produits stupéfiants dans le corps de la personne et sur la compatibilité de cette mesure avec son état de santé. La prolongation de la garde à vue ne peut être ordonnée que par le juge des libertés et de la détention (JLD), à titre exceptionnel, et la personne peut pleinement exercer ses droits : s’entretenir avec un avocat, demander un nouvel examen médical et prévenir un proche. Je rappelle que la prolongation de la garde à vue est sollicitée par les magistrats et les médecins eux-mêmes en vue d’améliorer la prise en charge judiciaire des mules.
D’autre part, l’article crée deux nouvelles peines complémentaires, l’interdiction de vol et d’embarcation maritime et l’interdiction de paraître au sein d’un aéroport ou d’un port. Elles sont indispensables pour prévenir la réitération des faits et assurer une réponse pénale efficace. Elles ont aussi vocation à dissuader les organisations criminelles de faire appel à ces passeurs et de les exploiter.
Ces mesures nous paraissent essentielles pour adapter nos outils juridiques au phénomène des mules. Je suis donc défavorable à la suppression de l’article 11.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). J’aimerais vous convaincre de la nécessité de supprimer cet article – je m’adresse particulièrement aux collègues susceptibles de faire basculer le vote, notamment ceux du Modem et de la majorité – ou ce qui en tient lieu. L’article 11 ne vise pas à lutter contre le narcotrafic dans les outre-mer mais à empêcher des personnes provenant notamment de Guyane, de Martinique et de Guadeloupe de traverser l’Atlantique pour entrer dans l’Hexagone. Il lutte en réalité contre la présence d’un peu plus de cocaïne dans l’Hexagone. Certaines de ses mesures sont très problématiques au regard du respect des libertés et présentent une fragilité juridique, comme le « 100 % contrôle » à l’aéroport de Cayenne.
Ludovic Mendes et moi-même nous sommes rendus à l’unité de médecine légale (UML) de Cayenne. Nous avons aussi interrogé la direction générale de la police judiciaire (DGPN), qui n’est pas favorable à la prolongation de la garde à vue. Notre rapport fait deux recommandations : dessaisir l’Office français antistupéfiants (Ofast) de l’obligation de s’occuper des mules – il a autre chose à faire –, et créer des unités médicales dans les aéroports pour prévenir les dangers qui pèsent sur ces personnes. Les individus que l’on qualifie de mules – je n’aime pas ce terme – sont exploités et en grande précarité financière. Il faut lutter contre les narcotrafiquants qui en abusent.
M. Michaël Taverne (RN). Il y a quelques années, tout le monde s’est opposé à l’idée de prolonger la garde à vue pour terrorisme jusqu’à 144 heures ; aujourd’hui, plus personne ne veut revenir dessus. En l’occurrence, la prolongation a un motif sanitaire : il s’agit de prendre en charge la personne lors de l’expulsion naturelle des substances, qui présente des risques. S’y ajoute un motif judiciaire, car si certains de ces passeurs sont exploités, ils ne le sont pas tous ; des réseaux emploient aussi des volontaires pour ingérer des ovules de drogue. Je reconnais qu’il faut prévoir des dispositifs spécifiques tels que des cellules médicales pour éviter que les policiers soient accaparés par les mules, mais c’est aussi par l’intermédiaire de ces dernières qu’ils peuvent remonter les filières. J’ajoute que la prolongation de la garde à vue est demandée par l’officier de police judiciaire mais toujours décidée par le magistrat. Laissez cette possibilité aux enquêteurs pour mieux lutter contre les réseaux.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Les personnes qui transportent de la drogue en ingurgitant des sachets n’en font ni un métier ni une vocation. Pour échapper à des conditions sociales terribles et subvenir à leurs besoins, elles sont contraintes d’accepter tout et n’importe quoi au péril de leur vie ; elles sont parfois même menacées. Nous avons parlé des mineurs qui étaient embrigadés dans certains quartiers, sous la contrainte d’adultes, et qui n’agissaient pas par seule fascination pour des grandes figures du narcobanditisme. C’est sous le même angle qu’il faut aborder les mules, celui des victimes. Je comprends qu’elles puissent être des sources d’information, mais je n’ai entendu personne ou presque, pendant les auditions, demander que leur garde à vue soit prolongée afin d’obtenir des informations supplémentaires : neuf fois sur dix, elles n’en donnent pas car elles n’en disposent pas – les chefs du narcobanditisme ne les contactent évidemment pas directement. Les officiers de police font surtout part d’enjeux de santé graves qui imposent d’adapter le temps de la garde à vue : il faut certes mener des interrogatoires en cas d’acte délictueux, mais surtout répondre à l’urgence sanitaire et assurer une prise en charge médicale. Les unités médicales légales doivent donc être préférées aux gardes à vue prolongées.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Cet article pose un véritable problème de constitutionnalité, qui a été pointé lors des auditions. Dans notre droit, la garde à vue peut atteindre une durée maximale de 144 heures en cas de risque d’action terroriste ; cette prolongation est justifiée par des raisons de sécurité évidentes. En revanche, il est disproportionné d’appliquer ce principe aux mules. En cas de suspicion d’ingestion de produits stupéfiants, il ne faut pas attendre 120 heures mais agir au plus vite pour éviter un drame. Comment peut-on justifier de garder une personne à vue le temps qu’elle se libère aux toilettes ? C’est complètement fou ! Une partie des services de police veut probablement se donner du confort.
J’ajoute que la prolongation d’une garde à vue est onéreuse – elle demande du personnel, des médecins, des avocats – mais également dangereuse : si elle n’est pas justifiée, la procédure encourt un risque d’annulation. La privation de liberté que constitue la garde à vue doit être proportionnelle à la gravité des faits et aux besoins de l’enquête. Nous voterons donc ces amendements de suppression.
M. Éric Pauget, rapporteur. La garde à vue peut durer jusqu’à 144 heures en cas de terrorisme. C’est la durée que prévoyait le texte initial du Sénat pour les mules, mais elle a été ramenée à 120 heures par souci de proportionnalité et pour éviter l’inconstitutionnalité.
Les services de police que nous avons auditionnés sont très précautionneux et vigilants à l’égard de cette mesure, car elle nécessite des moyens lourds. Je précise que ce sont les services de justice – et non de police – qui ont demandé l’extension de la garde à vue pour gagner en efficacité. Ne perdons pas de vue la finalité du texte, qui est de lutter plus efficacement contre le narcotrafic. Prolonger la garde à vue des mules permet de recueillir des éléments de preuve qui contribuent à l’enquête.
Enfin, toutes les garanties permettant de préserver les droits de la personne gardée à vue sont préservées – consulter un avocat, contacter un proche… –, et la mesure se déroule au sein d’une unité médicale légale.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 11 est supprimé et les autres amendements tombent.
Avant l’article 11 (amendements précédemment réservés)
M. le président Florent Boudié. Chers collègues, l’article 11 vient d’être supprimé, mais la modification du titre du chapitre auquel il appartient demeure en suspens.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je propose l’intitulé suivant : « Lutte contre le narcotrafic par des passeurs ». De cette manière, les outre-mer ne seraient plus évoqués et nous serions cohérents avec les autres titres du titre IV.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Je suggère une brève suspension.
Le terme « mules » ne nous convenait pas, mais il est compris de tous. Celui de « passeurs », lui, me semble davantage renvoyer aux questions migratoires qu’au trafic de drogue.
M. le président Florent Boudié. J’ai vérifié, le mot « passeurs » ne figure pas dans le droit des étrangers, mais il est vrai qu’il est entré dans le langage courant.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Le mot « passeurs » correspond aussi au travail social, à la prévention, à la culture. Je ne suis donc pas certaine qu’il soit approprié ici.
M. Yoann Gillet (RN). Comme Mme Faucillon, je propose une courte suspension.
La réunion est suspendue de seize heures trente à seize heures quarante-cinq.
Amendement CL674 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Dans la mesure où l’article 11 a été supprimé et où le chapitre II du titre IV n’en contient pas d’autre, je vous propose de le supprimer également ; afin de ne pas perdre de temps à trouver un nom à quelque chose qui n’existe plus.
La commission adopte l’amendement CL674.
En conséquence, l’amendement CL385 tombe.
Après l’article 11
M. le président Florent Boudié. Les amendements portant article additionnel après l’article 11 sont réservés.
Chapitre III
Lutte contre le trafic en ligne
Article 12 (art. 6-1, 6-2, 6-2-1, 6-2-2 [abrogé] de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, art. 323-3-2 du code pénal et art. 5 de la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique) : Renforcement de la lutte contre le trafic de stupéfiants en ligne
Amendement de suppression CL68 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cet article est une énième tentative – la première ayant été la proposition de loi de Laetitia Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet – d’introduction d’un dispositif de retrait de contenus en ligne dans un délai très restreint. Or une telle mesure n’est pas nécessaire et reviendrait à vider la mer à la petite cuillère. Alors qu’il est déjà difficile de déréférencer des sites, des forums ou des contenus, il n’est pas utile de prévoir des délais, sachant que nous préférons conserver des règles protectrices et équilibrées concernant les libertés fondamentales. Si la nature de certains contenus est évidente, ce n’est pas le cas de tous. En la circonstance, nous estimons que la liberté d’expression doit prévaloir.
J’ajoute que les sous-produits de synthèse du CBD (cannabidiol) et d’autres substances sont un jour légaux, le lendemain considérés comme des stupéfiants, ce qui est source de confusion.
Il nous semble donc plus raisonnable de supprimer cet article et de nous concentrer sur le haut du spectre, comme le texte est censé le faire.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable. L’essentiel des trafics contre lesquels nous voulons lutter s’organisent sur les réseaux sociaux. Il nous faut donc aussi lutter contre le narcotrafic sur l’espace numérique. Je précise que les contenus visés par ces dispositions sont ceux qui sont manifestement illicites et qui incitent à la consommation de stupéfiants. Pharos – la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements – et le ministère de l’intérieur nous demandent cet outil supplémentaire.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Ce n’est pas parce que le ministre ou le ministère de l’intérieur fait cette demande qu’elle est pertinente. En l’occurrence, je crains qu’elle ne revienne à frapper trop largement. Vous avez utilisé le mot « manifestement », ce qui indique que ce qu’on cherche à caractériser n’est pas si clair que cela. Il convient de privilégier la recherche et le renseignement humains plutôt qu’imaginer que des technologies résoudront nos problèmes d’une manière automatique et systématique.
De plus, je crains toujours que l’introduction de telles dispositions, fragiles et vagues, ne laisse croire que la question, en l’espèce de la lutte contre la consommation, serait épuisée, alors que ce ne serait pas le cas.
Enfin, si on peut souhaiter supprimer les contenus favorisant le trafic – même si notre méthode serait différente –, je ne crois pas que cela empêcherait la consommation. Je ne suis pas certaine que de nombreux internautes décident d’acheter et d’essayer de la drogue après avoir vu un contenu publié par une personne X ou Y.
Mme Sandra Regol (EcoS). L’article 12 vise à élargir significativement le champ d’action de Pharos, outil très utile contre la haine en ligne et certaines autres infractions, dont nous envisageons d’ailleurs souvent l’accroissement des prérogatives – quoique sans jamais prévoir l’augmentation de ses moyens. L’utiliser pour limiter la vente ou l’incitation à la consommation sur internet pourrait être intéressant, mais le spectre des contenus potentiellement concernés est si large que des inquiétudes demeurent, s’agissant notamment des contenus culturels. La musique, le cinéma, les séries foisonnent de provocations qui font partie de la culture, et qui pourraient être concernées par cet article tel qu’il est actuellement rédigé. Le cas échéant, Pharos entrerait dans le domaine de la censure, ce qui n’est absolument pas sa vocation. J’aimerais vous entendre sur ce point, monsieur le rapporteur.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je partage vos inquiétudes, madame Regol. La rédaction de l’article 12 issue de l’examen du texte par la commission des lois du Sénat était plus restreinte, mais elle a été amendée par le gouvernement. Plutôt que de supprimer l’article, je vous propose de revenir à cette version antérieure, en adoptant l’amendement suivant de Mme Capdevielle. De cette manière, seuls les contenus participant directement au trafic de stupéfiants seront soumis à l’appréciation de Pharos.
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Ce que j’entends au sujet de Pharos me semble assez stupéfiant, si j’ose dire. Peut-être faut-il réécrire l’article pour une meilleure coordination légistique, mais eu égard au nombre de contenus dédiés à la vente de drogue en ligne, sur des réseaux comme Snapchat ou Facebook Marketplace, il serait très regrettable de ne pas utiliser ce magnifique outil qu’est Pharos, déjà opérationnel s’agissant de la pédocriminalité, de la haine en ligne et du terrorisme.
Nous en reparlerons certainement lors de l’examen du budget pour 2026 : la question des moyens alloués à Pharos devra être abordée, car cette plateforme ne dispose que de moins de 30 équivalents temps plein (ETP) pour supprimer les contenus illicites – c’est délirant ! Alors que la loi de 2024 visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (loi Sren) a accru ses compétences et que nous allons peut-être le faire de nouveau avec le présent texte, la plateforme nécessitera des moyens financiers et humains autrement plus importants.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Même avec un champ d’action restreint, des glissements peuvent avoir lieu, Pharos ayant interdit des contenus sans lien direct avec le terrorisme ou la pédocriminalité. Il s’agissait parfois de contenus politiques ou militants qui n’avaient rien à voir avec ces infractions et nous avons constaté qu’il était difficile de les réintroduire ensuite. Ainsi, même si nous adoptions l’amendement de Mme Capdevielle, ne pourrions-nous pas assister à de pareils glissements en ce qui concerne les contenus culturels ? Je pense en particulier à la musique et à des morceaux comme Sister Morphine des Rolling Stones ou Heroin chantée notamment par Lou Reed – le rap n’étant évidemment pas le seul style concerné –, dont je ne voudrais qu’on se prive.
M. Sébastien Huyghe (EPR). On ne peut à la fois réclamer davantage de prévention et trouver inacceptable de fermer des sites internet qui proposent des stupéfiants à la vente, qui incitent à consommer, ou qui donnent un mode d’emploi pour le faire. Pour ma part, je suis entièrement favorable à cet article, même s’il convient, comme l’a indiqué le rapporteur, de correctement l’encadrer.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL211 de Mme Colette Capdevielle et CL71 de M. Antoine Léaument (discussion commune)
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le rapporteur l’a indiqué : l’amendement CL211 vise à revenir à la rédaction de l’article 12 issue de la commission des lois du Sénat. Il faut être prudent et ne pas retenir les dispositions souhaitées par le gouvernement, qui vont trop loin. Il s’agit ici de lutter contre l’ubérisation du narcotrafic.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Par l’amendement CL71, qui vise également à réécrire l’article, nous souhaitons obtenir un rapport sur l’impact concret de ce type de mesure. Cela a été dit, le texte n’est pas assorti d’une étude d’impact et le nombre de contenus que Pharos aurait à traiter serait très important, sachant que la plateforme peine déjà à examiner tous les signalements qui lui reviennent. Outre que la proposition de loi est censée s’attaquer au haut du spectre et que cet article pose question en matière de respect des libertés fondamentales, de telles dispositions ne semblent tout simplement pas opérationnelles. Voulons-nous réellement accroître les responsabilités de Pharos, qui est utile pour le traitement de certains contenus, alors que son impact serait minime ?
M. Éric Pauget, rapporteur. Je confirme que je suis favorable à l’amendement CL211, mais défavorable au CL71. Pour répondre à Mme Faucillon, la version issue de la commission des lois du Sénat, à laquelle Mme Capdevielle propose de revenir, exclut la provocation à la consommation de stupéfiants, notion subtile qui posait problème, pour ne retenir que la cession ou l’offre de stupéfiants.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). L’intérêt de l’article 12 est de répondre à la vente de drogue en ligne en se concentrant sur l’ubérisation du trafic, qui est un élément nouveau, saillant et de plus en plus structuré. Cela étant, intégrer cet aspect dans la législation pose différents problèmes. Le premier est le nouveau renforcement des peines que cela suppose : je ne reviens sur cette question dont nous avons beaucoup discuté. Et le second est effectivement que le champ retenu est très large, si bien que l’article ne cible pas spécifiquement le haut du spectre. L’amendement de Mme Capdevielle permet de revenir à l’intention initiale, aussi le voterons-nous.
M. Michaël Taverne (RN). J’ai l’impression que vous sous-estimez les organisations criminelles, qui utilisent largement les réseaux. Derrière Pharos, il y a des policiers et des gendarmes qui ont à traiter quelque 3 000 signalements par semaine, ce qui est considérable. À cet égard, la plateforme souffre d’un manque de moyens indéniable.
La commission adopte l’amendement CL211 et l’article 12 est ainsi rédigé.
En conséquence, l’amendement CL71 ainsi que les autres amendements tombent.
Après l’article 11 (amendements précédemment réservés)
Amendements CL165, CL164, CL162 et CL163 de M. Christophe Blanchet
M. Christophe Blanchet (Dem). Avant de présenter ces quatre amendements, je tenais à faire part d’un regret : celui de ne pas voir la contrefaçon et la contrebande incluses dans le texte. En effet, les deux rapports que j’ai établis sur l’évaluation de la lutte contre la contrefaçon, le premier avec Pierre-Yves Bournazel et le second avec Kévin Mauvieux, ont prouvé l’implication des réseaux de narcotrafic dans ces domaines, et plus particulièrement dans le trafic de cigarettes, qui représente 4 milliards d’euros – soit presque autant que le narcotrafic lui-même. La contrefaçon et la contrebande de cigarettes demandent moins d’investissements, entraînent des peines de prison moins importantes et sont moins contrôlées par les douanes. Je déplore donc que la proposition de loi ne s’attaque pas à cet enjeu, à propos duquel nous devrons tôt ou tard agir. Et je rappelle, car leurs noms ont été cités plus tôt, que les frères Kouachi avaient financé leurs exactions terroristes grâce à la contrefaçon et à la contrebande de baskets et de cigarettes.
S’agissant des présents amendements, ils portent sur le recrutement des mules, qui entre dans le champ du trafic des êtres humains. Ces personnes sont certes responsables de ce qu’elles font, mais elles sont nombreuses à agir sous la contrainte et l’intimidation. J’estime donc que les donneurs d’ordre doivent faire l’objet de peines aggravées au titre du trafic des êtres humains.
M. Éric Pauget, rapporteur. Ces quatre amendements visent à tenir compte de la vulnérabilité de certains passeurs, dont les réseaux de trafiquants profitent. Si je partage pleinement cet objectif sur le fond, j’ai toutefois des réserves d’ordre technique et juridique sur la modification des éléments constitutifs de l’infraction de traite des êtres humains que ces amendements contiennent. En revanche, il me semblerait tout à fait opportun, et suffisamment robuste juridiquement, de prévoir une circonstance aggravante applicable au trafic de stupéfiants lorsque cette infraction est commise en ayant recours à une personne vulnérable ; c’est en tout cas ce qui ressort des auditions que nous avons menées.
J’émets donc un avis favorable sur l’amendement CL162 et demande le retrait des trois autres.
M. Christophe Blanchet (Dem). J’accepte de ne maintenir que le CL162, qui permettra de protéger les personnes vulnérables et d’accentuer la peine encourue par ceux qui profitent d’elles.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Pour avoir moi-même cherché à aborder la question de la traite des êtres humains, je tiens à remercier M. Blanchet pour ces amendements. Il est important que les mules, qui sont essentiellement des femmes, soient considérées comme des victimes de traite et non comme des coupables de trafic de stupéfiants. Ce renversement est intéressant.
Cependant, je crains toujours que nous participions démesurément à l’inflation pénale ; en l’occurrence, les peines encourues me semblent disproportionnées. Les personnes qui recrutent les mules n’appartiennent pas nécessairement au haut du spectre et peuvent d’ailleurs être elles-mêmes victimes de traite des êtres humains. Je m’abstiendrai donc sur cet amendement, car le quantum de peine ne me semble pas adapté et parce qu’il ne résout pas la question de l’identification des véritables responsables de la traite.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Comme Mme Faucillon, il me semble que la peine prévue par l’amendement CL162 est totalement disproportionnée. L’infraction est grave, mais quinze ans de réclusion criminelle, c’est la condamnation que le code pénal prévoit pour les viols ou encore les tortures et actes de barbarie. Il y a une grande différence entre ces crimes.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Comme mes collègues, je trouve cet amendement intéressant, dans la mesure où il lie trafic de drogue et trafic des êtres humains et où il aborde la question de l’exploitation des mules et des sanctions qui devraient s’appliquer aux organisations criminelles pour cela. À mon tour, je remercie donc M. Blanchet pour ses propositions qui s’inscrivent pleinement dans la philosophie du texte, ce qui n’a pas été le cas de tous les amendements jusqu’à présent. Cela étant, le groupe EcoS s’interroge également sur la hiérarchie des peines et l’identification des véritables responsables du recrutement des mules ; nous nous abstiendrons donc.
Les amendements CL165, CL164 et CL163 sont retirés.
La commission adopte l’amendement CL162. L’article 11 bis est ainsi rédigé.
Article 12 bis (nouveau) (art. L. 34-1-1 et L. 39-8-1 [nouveau] du code des postes et des communications électroniques) : Renforcement des obligations des opérateurs de communications électroniques vendant des téléphones mobiles comportant des cartes SIM prépayées
Amendement de suppression CL20 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cet article vise à ficher toutes les personnes qui achètent un téléphone prépayé, dans l’espoir d’obtenir quelques informations sur les narcotrafiquants. Une nouvelle fois, la disproportion de la mesure est flagrante. Vous allez déployer un filet très large pour toucher seulement quelques personnes, sachant que les opérateurs collectent déjà l’identité des utilisateurs, y compris de téléphones prépayés.
Rappelons également qu’aux termes de cet article, une amende de 15 000 euros est prévue si le vendeur, c’est-à-dire le buraliste, omet de prendre l’identité du client. J’insiste donc sur la disproportion et l’inadaptation de ce dispositif qui, par surcroît, n’inquiétera pas le haut du spectre.
M. Éric Pauget, rapporteur. Les dispositions de l’article 12 bis sont sans doute parmi les plus demandées par les directions et services que nous avons auditionnés. Elles renforcent les obligations auxquelles sont soumis les opérateurs de communication électroniques en matière de conservation des données d’identification de leurs utilisateurs. En cela, nous n’innovons pas car de telles obligations sont déjà posées dans le code des postes et des communications électroniques. Précisons par ailleurs que les données concernées ne sont pas les plus sensibles : il s’agit des données d’identification de la personne et non des données de connexion.
Actuellement, l’opérateur se contente de consigner les données que l’utilisateur a bien voulu lui communiquer. Or, l’identité déclarée par l’utilisateur est parfois totalement fantaisiste. Dans la lutte contre le narcotrafic, au cœur de ce texte, ce nouvel outil permettra aux enquêteurs et aux magistrats d’être plus efficaces.
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Nous comprenons cette volonté de se doter d’un nouvel outil mais on sent bien qu’avec leur côté hors d’âge, ces mesures viennent du Sénat : cette vision du trafic de drogue semble inspirée par un film des années 1990. Nous ne sommes plus dans le même monde que The Wire, les trafiquants ont recours à de nouvelles technologies : en utilisant un réseau privé virtuel (VPN), ils peuvent acheter sur une application une carte SIM numérique, une eSIM, qui leur attribue un numéro de téléphone supprimé au bout d’une heure et demie.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Les données collectées porteront essentiellement sur les touristes, que vous dissuaderez, et les personnes pauvres, qui cherchent à adapter leur budget en limitant leurs opérations aux appels entrants. Ce sera une usine à gaz : vous devrez mobiliser des moyens non seulement pour créer les fichiers mais aussi pour les sécuriser. Les sénateurs ne semblent pas avoir pris la mesure des effets de bord induits par cet article. Vous ne cessez d’insister sur les moyens technologiques de pointe des narcotrafiquants et vous ciblez les téléphones prépayés ! Ce n’est vraiment pas à la hauteur des enjeux.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL537 de M. Éric Pauget.
M. Éric Pauget, rapporteur. Il s’agit de préciser qu’il sera demandé à la personne faisant l’acquisition d’un téléphone prépayé un document officiel d’identité comportant sa photographie.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Pourquoi pas un passeport biométrique ? Les individus ne voulant pas être identifiés demanderont à une personne sans-abri se trouvant à proximité du bureau de tabac de leur acheter un téléphone avec ses propres documents d’identité, contre 50 euros. Que fera la police quand elle le découvrira ? C’est une perte de temps considérable.
La commission adopte l’amendement.
Amendements CL25 de M. Antoine Léaument et CL410 de M. Pouria Amirshahi (discussion commune)
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Par l’amendement de repli CL25, nous proposons de faire passer à six mois la durée de conservation des données relatives aux acheteurs de téléphones prépayés. Le délai retenu dans cet article est de cinq ans : comme si les narcotrafiquants allaient garder leur téléphone prépayé aussi longtemps, si tant est qu’ils s’en procurent un. Tout cema me semble tellement loin de la réalité !
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je partage le scepticisme de nos collègues Bernalicis et Léaument. En plus d’être désuet, ce mode de surveillance mobilisera des ressources qui seraient bien plus utiles ailleurs pour s’attaquer à l’essentiel du trafic. En outre, on peut se demander quels seront les publics visés. Je ne suis pas convaincu que ce seront en majorité des touristes. Il s’agira plutôt de personnes en situation précaire et de personnes souhaitant pour des raisons intimes ne pas être identifiées. Ces fichiers ne seront ni utiles ni efficaces et leur constitution comportera des dangers. Une telle remarque de ma part ne vous étonnera pas : j’ai toujours par principe eu des réticences face à la constitution de fichiers car on ne sait jamais qui les consulte, qui les contrôle, pas plus que dans quelles mains ils peuvent finir.
De manière plus générale, il paraît étonnant que les services d’investigation qui se consacrent au narcotrafic n’aient pas demandé plus tôt à élargir leurs outils au-delà des lignes de portables classiques, pour lesquelles l’identité du titulaire est clairement établie.
Pour finir, j’indique que je retire mon amendement, qui visait à limiter la durée de conservation à deux ans, au profit de l’amendement CL25.
L’amendement CL410 est retiré.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable sur l’amendement CL25. Cette durée de conservation de cinq ans répond aux besoins des enquêtes, qu’ont exprimés les services que nous avons auditionnés. En outre, elle est en cohérence avec la durée retenue dans le code des postes et des communications électroniques pour la conservation de ce type de données.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Nous nous posons la question de savoir si, avec ce dispositif de fichage, le téléphone utilisé par Nicolas Sarkozy aurait été enregistré sous son vrai nom ou sous celui de Paul Bismuth. Le mystère reste entier.
Il y a un certain ridicule à voir autant de dispositions consacrées au durcissement du contrôle des téléphones portables. Il ne viendrait à l’esprit d’aucun narcotrafiquant d’en faire usage. Leurs communications orales passent par internet, grâce à des dispositifs de voix sur IP (VOIP), habilement chiffrés par des clefs d’une longueur de 256 bits, dont le décryptage nécessiterait des années et mobiliserait de multiples serveurs. Chose ahurissante, ces mesures ne serviront qu’à ficher des personnes n’ayant rien à cacher.
Mme Colette Capdevielle (SOC). En l’absence d’étude d’impact, nous aimerions savoir combien de téléphones seront concernés chaque année par ce dispositif très lourd. Avez-vous interrogé les opérateurs à ce sujet ?
M. Éric Pauget, rapporteur. Nous n’avons pas interrogé les personnes que nous avons auditionnées mais nous ne manquerons pas de nous renseigner. Si nous obtenons une réponse, nous vous la communiquerons d’ici à la séance.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Une remarque en guise de note pour plus tard. Je constate que nous sommes prêts à embêter des millions de personnes à des fins d’identification de quelques trafiquants, chose qui ne permettra peut-être même pas de faire aboutir les enquêtes, et j’espère que nous pourrons retrouver la même unanimité lors de l’examen de textes portant sur l’écologie. En matière de lutte contre le réchauffement climatique, j’entends souvent des collègues nous reprocher le caractère punitif de nos mesures alors que, loin de ne concerner que quelques individus, elles ont pour but de nous sauver toutes et tous.
La commission rejette l’amendement CL25.
Amendement CL538 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Cet amendement fixe une date butoir d'entrée en vigueur des dispositions de l'article 12 bis relatives à l'identification des acquéreurs de cartes SIM prépayées au plus tard un an après l'entrée en vigueur de la loi.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 12 bis modifié.
TITRE V
MESURES DE PROCÉDURE PÉNALE ET FACILITATION DE L’UTILISATION DES TECHNIQUES SPÉCIALES D’ENQUÊTE
Avant l’article 13
Amendement CL388 de M. Ugo Bernalicis et sous-amendement CL675 de Mme Sandra Regol
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). En abordant l’affectation sociale des biens confisqués, nous avons insisté sur la nécessaire implication de la société dans la lutte contre la criminalité. Un des meilleurs moyens pour y parvenir serait d’ouvrir la possibilité aux associations luttant contre la criminalité organisée et la mafia de se constituer partie civile, comme c’est le cas pour de nombreuses associations dans d’autres domaines.
Mme Sandra Regol (EcoS). Le sous-amendement vise à préciser le cadre dans lequel les associations pourront agir en justice.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable sur l’amendement et le sous-amendement dont les rédactions ouvrent un champ trop large. Cette possibilité est déjà offerte par le code de procédure pénale : l’article 2-16 la prévoit pour l'assistance des victimes de trafic de stupéfiants ; l’article 2-23 pour la corruption.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Dans le droit en vigueur, le périmètre est restreint et tout l’objet de mon amendement est de l’élargir pour que les associations puissent se constituer partie civile dans les grands procès mafieux. Vous ne vous êtes pas réellement prononcé sur le sous-amendement de Sandra Regol, qui pourrait constituer une bonne solution de compromis puisqu’il vient préciser que seules l’association de malfaiteurs et la criminalité organisée seraient concernées.
M. Éric Pauget, rapporteur. Le sous-amendement renvoie aux articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale qui couvrent un large champ d’infractions. Nous réitérons notre souhait d’en rester au trafic de stupéfiants, objet du présent texte, et à certaines infractions ciblées de délinquance et de criminalité organisées.
M. Jocelyn Dessigny (RN). J’aimerais savoir exactement quelles associations vous visez. Se porteront-elles partie civile pour défendre des narcotrafiquants ? J’ai toujours des doutes avec vous car on ne sait plus vraiment si vous défendez les victimes ou les malfrats.
Mme Sandra Regol (EcoS). Quand nous proposons de telles avancées, il serait bon que certains se refrènent d’aller à contresens pour le simple plaisir d’asséner une nouvelle fois leurs propos dogmatiques. Gagnons donc un peu de hauteur.
Monsieur le rapporteur, les possibilités d’agir contre le trafic de stupéfiants en particulier et le trafic en bande organisée en général doivent être données non seulement à la police, aux services de renseignement et à la justice mais aussi aux citoyens. Il importe de disposer d’une large gamme de leviers d’action pour dénoncer des actes délictueux qui portent atteinte au pacte républicain et qui mettent en danger notre démocratie, notre système économique, notre droit à vivre ensemble en sécurité. Nous voulons accorder aux citoyens des moyens de participer à cette lutte, quand d’autres voies ont déjà été suivies, et vous nous dites que nous visons trop large.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je dis seulement qu’une association souhaitant se constituer partie civile dans ce type de procès peut déjà le faire pour de nombreuses infractions entrant dans le champ de la délinquance et de la criminalité organisées.
La commission rejette le sous-amendement CL675.
Puis elle rejette l’amendement CL388.
Article 13 (art. 242-1 [nouveau], 706-26, 706-73, 706-75-5 [nouveau] 706-76-7 [nouveau] et 712-2 du code de procédure pénale) : Extension de la procédure dérogatoire en matière de trafic de stupéfiants aux infractions connexes et spécialisation des juridictions de l’application des peines en matière de criminalité et délinquance organisées
Amendement de suppression CL29 de M. Ugo Bernalicis.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous nous opposons à toute professionnalisation et spécialisation de la justice. La justice est rendue au nom du peuple français et nous défendons le maintien des jurys populaires, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler, à titre individuel, dans le cadre de la mission d’information visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants que j’ai menée avec Ludovic Mendes.
M. Éric Pauget, rapporteur. Nous avons une divergence de fond sur ce point. En matière de lutte contre le narcotrafic, je suis favorable à la spécialisation des juridictions, gage d’efficacité et de cohérence avec le Pnaco. Les magistrats que nous avons auditionnés nous ont indiqué qu’une telle spécialisation leur permettrait d’être plus performants, à l’instar de ce qu’on observe dans la lutte contre le terrorisme.
M. Jordan Guitton (RN). Nous voterons contre ces amendements de suppression de la gauche et de l’extrême gauche tout simplement parce que nous sommes favorables à des jurys d’assises exclusivement composés de magistrats. Les magistrats eux-mêmes nous disent que cela renforcera l’efficacité de la réponse pénale. Au Rassemblement national, nous tenons à la cohérence entre nos actes et nos paroles et nous voulons faire en sorte que notre système de justice soit le plus performant possible. Des parquets spécialisés existent déjà et nous estimons qu’une telle évolution est essentielle dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic.
Ce débat renvoie à la question des moyens dévolus à la justice. Notre pays ne lui consacre que 0,2 % de sa richesse nationale et il y a seulement 11,2 juges pour 1 000 habitants. Avec Marine Le Pen, nous avons proposé en 2022 comme en 2017 un quasi-doublement du nombre de nos magistrats pour arriver à environ 20 000. Je comprends mal la position des auteurs de cet amendement de suppression qui, dans l’exposé sommaire, se plaignent de la « clochardisation » de la justice, alors que leur groupe n’a pas voté le dernier projet de loi de programmation pour la justice.
Le Rassemblement national est dans une position de construction tandis que la gauche s’en tient à l’opposition et à la destruction. Il est clair que nous ne voulons pas la même chose. Nous voterons toujours pour ce qui va dans le bon sens pour les Français. Nous sommes donc favorables à tout ce qui renforce notre système de justice. En 2027, quand nous serons majoritaires, nous préférerons récupérer un pays qui sera dans les meilleures conditions possible pour lutter contre le narcotrafic et apporter une réponse pénale plus forte. Certes, les parquets et les juridictions spécialisés peuvent susciter des débats mais nous voterons pour l’article 13.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés est plutôt favorable à une justice rendue par le peuple. Avec l’article 13, nous voyons à l’œuvre une volonté de spécialiser les juridictions et de les centraliser à Paris, ce qui pose question. En matière de terrorisme, cette centralisation se justifie pour des raisons évidentes d’efficacité et de protection mais, pour le domaine qui nous occupe, j’ai des doutes. L’accès à la justice sera rendu très compliqué. Les cours criminelles départementales sont dans une situation catastrophique, avec des délais pour les audiences allant jusqu’à deux ans. Éloigner ces affaires me paraît poser problème car juger sur le territoire a du sens. Les juridictions interrégionales spécialisées ont montré leur efficacité. Il faudra retravailler ces dispositions.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). La justice est rendue « au nom du peuple français » : c’est le principe de base, et la raison pour laquelle les révolutionnaires ont mis en place, en matière criminelle, des jurys populaires. En 1986, on a créé une première exception pour les crimes de terrorisme – j’aurais sans doute voté contre –, au motif que l’on n’arrivait pas à protéger les jurés et que l’on doutait de la capacité de ceux qui étaient menacés à juger librement. C’est le principal argument que l’on avançait alors, et je m’étonne, monsieur le rapporteur, que vous ne l’ayez pas vous-même employé, d’autant qu’il a aussi été utilisé pour étendre cette exception au jugement des crimes commis en matière de trafic de stupéfiants. Quel aveu d’échec ! On ne sait donc pas protéger des jurés, dans le cadre d’un procès, au point de renoncer à la justice populaire… Si nous nous y résignons, on fera appel à des magistrats professionnels dans de nombreux autres domaines.
Lors du procès du Rassemblement national, les magistrats ont été menacés de mort. Ils peuvent aussi être corrompus : le problème est alors le même qu’avec un jury populaire. Le recours à des jurés me paraît même préférable, car ces derniers changent et se voient donc exposés à un risque corruptif plus faible que les magistrats professionnels, qui restent toujours au même endroit, surtout si l’on a affaire à une juridiction centralisée comme le sera le parquet national anti-criminalité organisée. Une magistrate amie d’Éric Dupond-Moretti a été récemment mise en cause pour avoir renseigné une partie de la mafia corse sur des enquêtes en cours. Les magistrats peuvent donc être autant corrompus que des jurés ! Il conviendrait plutôt de prendre des mesures de protection à même de garantir, dans les cours d’assises, la présence de jurys populaires, dont nous avons besoin.
Je conclurai par un argument d’autorité : M. Retailleau lui-même n’a-t-il pas dit que la lutte contre le trafic de stupéfiants était l’affaire de tous ?
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’association des citoyens à la prise des décisions judiciaires est effectivement une question fondamentale. Il y a aussi un enjeu d’éducation populaire : nos débats montrent combien le droit pénal et la procédure pénale sont compliqués et qu’il est parfois difficile de se représenter les conséquences concrètes de l’application de certains principes, pour les coupables comme pour les victimes. Aussi la participation du plus grand nombre de citoyens à des jurys de cour d’assises me paraît-elle nécessaire, ne serait-ce que pour améliorer leur compréhension du système judiciaire. Au sein même de notre commission, certains de nos collègues seraient peut-être plus modestes dans leurs analyses s’ils avaient eu à juger.
M. Éric Pauget, rapporteur. M. Bernalicis a raison : pour regrettable qu’elle soit, l’impossibilité de garantir la protection des jurés dans ce type d’affaires est un problème factuel majeur, qui a été évoqué notamment lors des auditions. Cet enjeu de sécurité est peut-être même la raison principale du recours à des magistrats professionnels.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL644 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Le Sénat a prévu que ce dispositif ne serait pas applicable aux mineurs de plus de 16 ans si la cour d’assises décide d’écarter l’excuse de minorité. Nous nous heurtons là à une difficulté procédurale, car cette hypothèse est juridiquement impossible, une telle décision étant prise par la cour d’assises au moment où elle se prononce sur la culpabilité et la condamnation éventuelle de l’accusé. En d’autres termes, la composition de la cour d’assises ne peut pas dépendre d’une décision qu’elle prendra après avoir jugé l’affaire au fond. Mon amendement de cohérence vise à régler ce problème.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je comprends que le rapporteur ait déposé cet amendement, qui est cohérent avec l’article qu’il soutient. Je tiens toutefois à rappeler que l’excuse de minorité n’existe pas dans notre droit : cette expression, utilisée par l’extrême droite, renvoie en réalité à l’atténuation de la responsabilité des mineurs prévue par l’ordonnance de 1945, dont elle est d’ailleurs l’un des principes fondateurs. Elle a été mise à mal par le code de justice pénale des mineurs et différentes propositions de loi dont nous avons récemment discuté – je pense notamment au texte défendu par M. Attal.
Le Rassemblement national nous a accusés de nous être constamment opposés à la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, qui prévoyait davantage de moyens. Je ferai d’abord remarquer que ce texte n’était pas contraignant ; la preuve en est qu’il n’a même pas été respecté dans le budget de la justice qui nous a été imposé cette année par 49.3, et qui comprend 250 millions d’euros de moins que prévu. Par ailleurs, vous vous êtes vous-mêmes opposés à la série d’amendements que nous avions défendus afin de garantir un respect minimal de cette trajectoire et de créer davantage de postes de magistrats, de greffiers et d’assistants de justice. Enfin, nous avons voté contre cette loi parce qu’elle prévoyait une extension du recours à la visioconférence, qui porte atteinte aux droits de la défense, et la possibilité d’activer à distance des téléphones portables, dont nous reparlerons dans quelques instants. Nous avions d’ailleurs bien fait de nous y opposer, puisque ces dispositions ont été finalement censurées par le Conseil constitutionnel.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL646 et CL647 de M. Éric Pauget, rapporteur.
Amendements CL84 de M. Ugo Bernalicis et CL431 de M. Pouria Amirshahi (discussion commune)
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le but inavoué de la centralisation des juges à Paris est évidemment de remettre en cause l’indépendance des magistrats du siège dans leur formation de jugement. On n’attend pas d’eux qu’ils jugent en toute tranquillité, mais qu’ils participent à la communication politique du gouvernement en rendant des jugements sévères pour « taper dur », comme dirait M. Darmanin. Sur le fond, certains peuvent souscrire à cet objectif, mais ce n’est pas le sujet : la justice de notre pays doit être indépendante et rendre ses décisions sans tenir compte des pressions exercées par l’exécutif.
Cela rejoint notre opposition à la spécialisation de la justice et à la création du Pnaco, qui sera un outil à la main du politique ; or le politique a déjà trop d’emprise sur la justice de notre pays. Ce n’est d’ailleurs pas le sens de l’histoire. Nous demandons à tout le moins que l’on ne crée pas une cour d’assises spéciale centralisée. Je comprends bien le côté pratique d’une telle disposition, mais telle n’est pas notre préoccupation : pour notre part, nous voulons faire respecter des principes.
M. Éric Pauget, rapporteur. Avis défavorable. Nous devons rester cohérents avec la création du Pnaco et favoriser le développement des compétences des magistrats par la spécialisation.
M. Jiovanny William (SOC). Je souscris aux propos de M. Bernalicis : la centralisation des affaires à Paris éloignera de la justice non seulement les justiciables, mais aussi une grande partie des auxiliaires de justice. Il faudra être parisien pour gérer ses dossiers !
M. Jordan Guitton (RN). Nous voterons contre ces amendements. On ne parle pas ici des délinquants de quartier, si j’ose dire, qui doivent sans doute être jugés dans un cadre régional et décentralisé, mais des bandes organisées de narcotrafic, qui sont tout de même des acteurs bien spécifiques !
Nous voulons bien vous faire confiance, monsieur le rapporteur. Sur la forme, le dispositif paraît intéressant, à condition toutefois qu’il y ait assez de magistrats – se pose toujours la question du financement et des moyens humains nécessaires au bon fonctionnement de la justice. Qu’est-ce qui nous garantit que la centralisation à Paris des juges d’application des peines permettra de renforcer l’efficacité de la justice ? Avons-nous l’assurance de disposer demain d’un nombre suffisant de magistrats ? Qu’en pensent les syndicats ?
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Si la centralisation est pratique pour la juridiction, elle ne l’est pas pour les avocats, chargés de faire valoir les droits de leurs clients, ni pour les personnes condamnées, qui doivent pouvoir avoir accès à n’importe quel juge d’application des peines.
De quoi suspecte-t-on les juges d’application des peines qui ne sont pas à Paris, et que l’exécutif n’a pas sous la main ? D’être laxistes ? De faire davantage valoir les droits des justiciables ? De ne pas suivre les consignes gouvernementales, alors que ce sont des magistrats du siège ? Voilà la question implicitement posée ! J’ai rendu un rapport sur ce sujet et présidé une commission d’enquête qui nous a permis d’observer les mécanismes à l’œuvre pour que l’exécutif puisse exercer une pression sur les magistrats, y compris du siège. Pour ma part, je considère que les juges d’application des peines sont compétents, où qu’ils se trouvent sur le territoire, et qu’il faut les laisser faire leur travail pour que chacun ait la possibilité de faire valoir ses droits. Nous sommes encore dans un État de droit !
M. Éric Pauget, rapporteur. Il faudra évidemment évaluer ce dispositif, qui n’a pas encore été déployé. Cependant, l’organisation mise en place en matière de lutte contre le terrorisme a démontré, au bout de plusieurs années, qu’un modèle centralisé fonctionnait. Il est clair que nous nous appuyons sur cet exemple très probant.
Vous avez raison de poser la question des moyens. Le sujet a déjà été évoqué à plusieurs reprises ; la semaine prochaine, vous pourrez demander au ministre quelles garanties il nous apportera en la matière.
La commission rejette l’amendement CL84, l’amendement CL431 étant retiré.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL650, CL648 et CL645 de M. Éric Pauget, rapporteur.
Elle adopte l’article 13 modifié.
Article 14 (art. 132-78, 132-78-1 [nouveau], 221-5-3, 222-6-2, 222-43, 222-43-1, 222-67-1 [nouveau], 450-2 du code pénal ; art. 706-63-1 A à 706-63-1 D [nouveaux], 706-63-1, 706-63-2 du code de procédure pénale) : Réforme du dispositif des repentis
Amendement CL102 de Mme Marie-France Lorho
Mme Pascale Bordes (RN). Nous proposons de rétablir la rédaction initiale de l’article 14 afin de retirer le bénéfice d’une immunité de poursuite aux repentis qui auraient commis des crimes de sang. Accorder l’immunité à d’anciens meurtriers nous paraît éthiquement contestable. Cette position est d’ailleurs partagée par le président de la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR). Nous préférerions instaurer un système de réduction des peines, qui permettrait par exemple aux repentis de transformer une réclusion à perpétuité en une peine de vingt ans d’emprisonnement.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je partage votre souhait de ne pas accorder l’immunité à des meurtriers. Je défendrai dans quelques instants deux amendements, dont l’un vise à réécrire complètement la partie procédurale de l’article 14, et je proposerai effectivement de supprimer l’immunité pour les personnes coupables de crimes de sang.
Je donne à votre amendement un avis défavorable, car ceux que je soutiendrai sont beaucoup plus larges : ils traitent, entre autres, du sujet de l’identité d’emprunt et prévoient l’intervention de la chambre de l’instruction.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL510 de M. Éric Pauget et sous-amendement CL673 de M. Paul-André Colombani
M. Éric Pauget, rapporteur. Je défendrai en même temps mes amendements CL510 et CL512, car ils se complètent pour réécrire l’article 14.
Le statut actuel de repenti a été créé par la loi Perben de 2004, mais il a fallu attendre dix ans pour qu’il soit effectivement mis en place, à partir de 2014. En 2024, selon les chiffres qui m’ont été communiqués, seuls quarante-deux repentis étaient gérés dans notre pays, ce qui est très peu. Pendant la même période, l’Italie a accordé ce statut à quelque 6 500 personnes, et elle en gère encore 1 000 actuellement. Notre dispositif souffre manifestement d’un manque d’attractivité : tous les services engagés dans la lutte contre le narcotrafic nous disent qu’il convient de créer un outil beaucoup plus efficace et attractif. Ce constat, également dressé dans le rapport sénatorial, est à l’origine de l’adoption, par le Sénat, d’un texte qui pose cependant un certain nombre de problèmes majeurs.
Tout d’abord, les sénateurs ont ouvert ce statut aux personnes condamnées pour des crimes de sang, allant même jusqu’à leur accorder, en séance, une immunité totale. Autrement dit, ils ont poussé le curseur le plus loin possible en matière d’attractivité. Du point de vue technique, juridique, cette mesure fonctionne ; il n’empêche qu’elle pose un problème d’ordre politique et moral. Je l’ai dit, à titre personnel, je n’y suis pas favorable, et la plupart des auditions que j’ai menées me confortent dans cette idée. Je propose donc de maintenir la possibilité d’accorder le statut de repenti aux individus condamnés pour des crimes de sang, sans pour autant leur offrir une immunité totale. Mieux vaudrait leur accorder des réductions ou des remises de peine, ou bien leur permettre, en contrepartie des informations qu’ils auront bien voulu nous donner, de ne pas être soumis au nouveau régime de détention très dur que le garde des sceaux a proposé d’instaurer hier matin. C’est d’ailleurs ce que font les Italiens.
Le deuxième problème majeur posé par le texte adopté par le Sénat est que l’identité d’emprunt du collaborateur de justice apparaît dans les procédures, ce qui ne permet évidemment pas de garantir sa sécurité. Mes amendements visent aussi à corriger ce défaut.
La troisième question importante était de déterminer à qui il revient d’attribuer le statut de repenti. Dans le texte du Sénat, le Service interministériel d’assistance technique (Siat) instruit la demande, la CNPR – généralement qualifiée de « commission des repentis » – donne un avis et un procureur – ou un juge d’instruction - prend une décision. Il nous semble préférable que ce dernier rôle revienne à la chambre de l’instruction, comme le prévoit donc notre amendement CL512.
Enfin, dans le dispositif adopté par le Sénat, la convention paraît beaucoup trop précise et contraignante, ce qui emporterait des conséquences pour la gestion future du repenti, comme les services nous l’ont clairement expliqué. Nous proposons donc que la convention soit moins précise dans ses aspects techniques, afin de ne pas imposer trop de contraintes au Siat, qui sera ensuite chargé de gérer le repenti.
La nouvelle rédaction que je vous propose a été élaborée en lien avec les services de la Chancellerie ; elle s’appuie sur les éléments qui nous ont été remontés au cours des auditions. Notre objectif est de créer un véritable statut du repenti, attractif, qui permette d’aller plus loin dans les enquêtes et de faire tomber des narcotrafiquants.
M. le président Florent Boudié. Je confirme que le statut de repenti créé par la loi Perben manque singulièrement d’attractivité.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Nous ne voterons pas cet amendement, qui bat en brèche la logique suivie par le Sénat. Je relève d’ailleurs une contradiction dans votre argumentation, monsieur le rapporteur : alors que l’on constate que le dispositif actuel ne fonctionne pas, vous voulez revenir sur une mesure visant à favoriser son attractivité.
Nous devons passer outre la moralité – ou l’apparence de moralité – du dispositif et regarder plutôt son efficacité pour démanteler les réseaux et faire cesser les trafics. Si nous voulons avancer sur cette question, nous devons aller au bout de la logique ; sinon, ne faisons rien du tout !
M. le président Florent Boudié. C’est plutôt une question d’équilibre, si je peux me permettre.
M. Paul-André Colombani (LIOT). S’il est essentiel d’ouvrir le dispositif aux crimes de sang, il convient de modérer les dispositions adoptées par le Sénat : nous nous opposons nous aussi à ce que les coupables de tels crimes bénéficient d’une immunité totale.
Mon sous-amendement CL673 vise à compléter l’amendement du rapporteur afin que le dispositif s’applique non seulement aux auteurs de meurtre et d’assassinat, mais aussi aux condamnés pour meurtre en bande organisée. C’est ainsi que nous pourrons lutter efficacement contre la criminalité organisée.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je suis favorable à ce sous-amendement. Le repentir en cas de meurtre en bande organisée est effectivement un élément majeur du dispositif que nous devons mettre en place.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Vous constaterez, à la manière dont nous abordons cet article, que la question des repentis nous intéresse. Ces personnes nous permettent en effet d’obtenir des informations utiles pour lutter contre le trafic de stupéfiants. Plus elles ont été intégrées dans une organisation criminelle, plus elles ont commis des infractions pénalement répréhensibles, plus les informations qu’elles nous livrent ont de valeur et sont susceptibles de nous permettre de faire tomber l’ensemble du réseau d’un seul coup. Pour rendre le dispositif attractif, il faut donc, par la force des choses, étendre le repentir aux auteurs de crimes très graves. Ainsi, toute proposition visant à limiter ce dispositif nous pose problème.
Nous nous inspirons en grande partie du dispositif mis en place en Italie pour lutter contre la mafia, qui a montré toute son efficacité.
Comme nous l’expliquons dans le rapport d’information que j’ai corédigé avec M. Mendes, la protection des repentis relève d’un bureau rattaché au Siat. Selon les chiffres communiqués par ce dernier, au 1er janvier 2024, seules quarante-deux personnes étaient protégées dans le cadre de ce dispositif. Il faut donc aussi avoir en tête la question des moyens : si nous parvenons à augmenter le nombre de repentis, nous devrons accroître les moyens du Siat.
Ce dispositif nous paraît donc très utile. Nous nous sommes contentés de déposer un amendement de précision à la fin de l’article.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Une interrogation m’est venue en lisant les différents amendements. Si quelqu’un décide de dénoncer son réseau mais que sa peine n’est remise que de moitié, alors il sera quand même incarcéré. En s’apercevant qu’il ne purge qu’une moitié de peine, ses codétenus vont comprendre qu’il a parlé. Dès lors, comment sera-t-il protégé durant sa détention ? Ce point délicat ne risque-t-il pas de dissuader des personnes de dénoncer leur réseau ?
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je partage la préoccupation de M. Iordanoff. M. Darmanin expliquait que si les gens allaient parler, c’est parce que cela leur éviterait d’être soumis à un régime de détention horrible. En réalité, ce n’est pas la raison principale : celui qui accepte de parler veut avant tout être protégé, en détention comme à l’extérieur, de même que sa famille et ses proches. On a d’ailleurs bien vu qu’il ne servait à rien de déplacer des mineurs pour les extraire d’un réseau de trafiquants si l’on ne protégeait pas leur famille et leurs proches des pressions qu’ils pourraient subir ; sans cela, ils retombent dans le piège du narcotrafic.
Nous attendions de prendre connaissance des amendements du rapporteur pour mener une réflexion plus approfondie sur ce sujet et défendre des amendements en séance. Par principe, nous pensons que le dispositif doit être le plus large possible. Il faut faire confiance aux magistrats pour conclure des transactions en fonction des situations ; ce qui compte est que le dispositif soit efficace.
Vous considérez, monsieur le rapporteur, que les dispositions relatives à la convention ne doivent pas être trop précises, et vous nous proposez de revenir en arrière lorsque vous jugez que les sénateurs sont allés trop loin. L’article adopté par le Sénat comporte certes une longue énumération, mais aucune disposition obligatoire s’agissant du contenu des conventions. Il faut pourtant que le repenti soit certain d’être protégé, faute de quoi nous risquons de tomber à côté. Si nous décidons d’aller dans cette direction, nous devons y aller à fond, jusqu’au bout ! Si nous examinons les choses du point de vue de la moralité, personne ne votera cet article, car les crimes de sang sont inacceptables, mais c’est à l’efficacité de la lutte contre le narcotrafic que nous devons penser ici.
M. Michaël Taverne (RN). La question des repentis, ou des « collaborateurs de justice », est ô combien sensible, car elle comporte une dimension morale. Il y a quelques années, j’ai évoqué ce sujet avec des carabiniers italiens : ils me disaient que ce dispositif existait depuis quarante ans dans leur pays, tandis que nous commençons seulement à y réfléchir en France, la tentative réalisée dans le cadre de la loi Perben n’ayant pas vraiment fonctionné. Il faut aussi se demander si la société française est capable d’accepter cela. Le système devra nécessairement être très encadré, notamment pour les auteurs de crimes de sang.
Il y a d’ailleurs une chose assez cocasse, avec l’extrême gauche : elle nous dit du matin au soir que les policiers sont des assassins – celui qui a tiré sur Nahel n’est même pas encore condamné que vous êtes déjà en train de lui marcher dessus –, mais pour les auteurs de crimes de sang, ça passe crème…
Je disais donc que le sujet était très sérieux, très sensible, et que le dispositif devrait être encadré. Il faudra faire preuve de proportionnalité, et sans doute prévoir des aménagements ainsi qu’une protection des collaborateurs de justice.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je précise que l’amendement CL510 comporte une batterie de mesures qui visent à harmoniser les conditions d’octroi des réductions et des exemptions de peine.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.
En conséquence, les amendements CL505 de M. Xavier Lacombe et CL119 de M. Jérémie Iordanoff tombent.
Amendement CL450 de Mme Naïma Moutchou
Mme Naïma Moutchou (HOR). Le statut de collaborateur de justice, qui doit être encadré avec rigueur, ne saurait justifier tous les compromis. Ainsi, il ne serait pas de bonne justice qu’un assassin ou un terroriste puisse en bénéficier. Ce serait une faute majeure à l’égard des victimes, que nous devons toujours avoir présentes à l’esprit lorsque nous évoquons ces questions.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je comprends vos préoccupations ; nous nous sommes posé les mêmes questions. Toutefois, nos longs échanges avec le Siat et le président de la CNPR nous ont convaincus que, pour être attractif, le dispositif devait inclure les crimes de sang. En revanche, il me paraît problématique que l’auteur de tels crimes puisse bénéficier d’une immunité, comme en a décidé le Sénat.
Je vous proposerai donc de maintenir les crimes de sang dans le dispositif mais de supprimer la possibilité d’octroyer l’immunité totale à leurs auteurs, en lui substituant des remises de peine. Avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Si le dispositif Perben n’a pas fonctionné, ce n’est pas pour des raisons liées à l’acceptabilité sociale mais parce que son périmètre était si restreint et les contreparties tellement imprévisibles qu’il n’a intéressé personne. Si l’on veut éviter cet écueil, il faut donc étendre son périmètre. C’est d’autant plus nécessaire que le niveau des informations détenues par le potentiel repenti est corrélé à la gravité des crimes qu’il a commis.
Sur le plan de la morale, personne ne peut approuver une mesure de ce type. Mais si l’on veut prendre des mesures efficaces pour démanteler la criminalité organisée, on peut l’envisager. Je ne suis pas certain que les sénateurs soient des êtres immoraux. S’ils sont allés jusqu’à proposer l’immunité aux auteurs de crimes de sang, c’est sans doute parce que certains criminels détiennent des informations tellement cruciales qu’il faut envisager cette hypothèse. Toutefois, je comprends que le rapporteur préfère d’autres mesures à l’immunité ; peut-être pourrons-nous nous ranger à ses arguments. Mais le dispositif doit inclure tous les cas de figure.
M. Éric Pauget, rapporteur. L’Italie s’est doté d’un dispositif qui a montré son efficacité au cours des vingt dernières années – il a concerné 6 500 repentis, dont 1 000 sont actuellement traités – et lui a permis d’obtenir des résultats dans sa lutte contre les organisations mafieuses. Or ce dispositif inclut les crimes de sang sans accorder pour autant l’immunité à leurs auteurs.
Par ailleurs, il est vrai que si le Siat, qui s’occupe actuellement de quarante-deux repentis, doit en gérer à l’avenir trois ou quatre fois plus, il aura besoin de moyens importants. Or les ministères de la justice et de l’intérieur ont la volonté de se donner les moyens d’utiliser le statut de repenti dans la lutte contre le narcotrafic, notamment en assurant la sécurité du repenti et de sa famille par des procédés sophistiqués, dignes d’une série de Netflix.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL512 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Cet amendement, dont j’ai présenté les grandes lignes, est le fruit de notre travail avec la chancellerie et les instances que nous avons auditionnées. Il tend notamment à renforcer l’attractivité du dispositif Perben en restreignant encore les conditions dans lesquelles la juridiction de jugement peut ne pas accorder la réduction ou l’exemption de peine, c’est-à-dire seulement quand des éléments nouveaux ont fait apparaître le caractère mensonger ou volontairement incomplet des déclarations.
Se pose en effet la question de la fiabilité de la confession du repenti. Les Italiens nous ont indiqué que certaines des informations qu’ils ont recueillies auprès de repentis au cours des vingt dernières années n’étaient pas fiables et, pis, que d’autres leur avaient été livrées pour faire tomber le clan adverse. Ce sont des éléments qu’il faut prendre en compte.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). C’est en effet un point crucial : il faut s’assurer que les informations obtenues sont de qualité.
Mme Sandra Regol (EcoS). L’adoption de cet amendement en fera tomber plusieurs autres, notamment mon amendement CL177, qui a trait à la protection des repentis. J’insiste donc sur le fait que ceux-ci ne doivent pas purger leur peine dans le même établissement que des personnes qu’ils auraient contribué à faire condamner ou qui ont participé à la même structure criminelle qu’eux. Or, actuellement, cet élément n’est pas toujours pris en compte par l’administration pénitentiaire.
Mme Elsa Faucillon (GDR). La présence de l’avocat est-elle bien prévue lors du recueil des informations ?
M. Éric Pauget, rapporteur. Madame Regol, tout ne peut pas, pour des raisons compréhensibles, être inscrit dans la loi. Je pense au lieu et au régime d’incarcération ou aux différentes modalités de la nouvelle vie du repenti. Ces questions relèvent du Siat – qui est d’ailleurs allé jusqu’à évoquer la possibilité que l’incarcération ait lieu à l’étranger. Dans ce domaine, nous sommes obligés de faire confiance aux services et de nous en remettre éventuellement à nos moyens de contrôle. Du reste, je propose, dans mon amendement CL512, qu’un rapport d’évaluation soit remis au Parlement dans un délai de cinq ans à compter de la promulgation de la loi.
Par ailleurs, la présence de l’avocat est, bien entendu, prévue.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements suivants tombent.
La commission adopte l’article 14 modifié.
Article 14 bis (nouveau) (art. 706-59, 706-61, 706-62-1, 706-62-2 du code de procédure pénale) : Renforcement de la protection des témoins
Amendement CL637 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Il s’agit de procéder à une réécriture des peines prévues pour la révélation de l’identité d’un témoin, qui n’est pas réprimée par la rédaction actuelle de l’article.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cela rejoint la question de la protection des jurés populaires, que j’ai évoquée tout à l’heure. Faute d’une réelle volonté politique et de moyens suffisants, les services de l’État ont des difficultés à assurer cette protection. Cet amendement va donc dans la bonne direction.
Par ailleurs, il faudra que nous nous penchions sur le cas des mineurs qui participent aux trafics et qui, compte tenu de leur rôle marginal dans l’organisation, ne pourront sans doute pas accéder au statut de repenti. Je rappelle, en outre, qu’en tant que mineurs, ils sont considérés davantage comme des victimes que comme des délinquants. Il faudra donc aller plus loin dans ce domaine. Des auteurs d’infraction peuvent également être témoins et contribuer à l’enquête.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Le service de protection nationale est un élément central du dispositif italien. Or il intervient dès le début de la procédure, bien avant la sortie de prison. Certes, nous ne pouvons pas tout écrire dans la loi. Mais, si nous voulons éviter des drames, nous devons nous assurer à tout le moins que l’homologue français de ce service interviendra tout au long de la procédure.
M. Éric Pauget, rapporteur. Je suis d’accord avec Mme Faucillon. Le Siat, dont j’ai rencontré des membres à plusieurs reprises, m’apparaît comme un service efficace qui connaît bien son sujet. Mais il est évident que, si nous voulons nous doter d’un véritable statut de repenti, ce service devra être doté de moyens et intervenir dès le début de la procédure, comme c’est le cas en Italie.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements CL38 de M. Antoine Léaument et CL40 de M. Ugo Bernalicis tombent.
Amendement CL511 de M. Éric Pauget
M. Éric Pauget, rapporteur. Il s’agit, d’une part, d’étendre aux victimes, pour l’ensemble des infractions relatives à la délinquance et à la criminalité organisées, les mesures de protection, comme la possibilité de se domicilier au commissariat ou de faire usage d’une identité d’emprunt, d’autre part, d’étendre aux victimes et aux témoins protégés les mesures de réinsertion que peut mettre en œuvre le Siat pour les repentis et les possibilités de comparaître anonymement prévues pour les repentis.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 14 bis modifié.
Article 15 (art. 230-10, 706-74-1 [nouveau], 706-80 A [nouveau], 706-80-1 [nouveau] du code de procédure pénale, 3 bis [nouveau], 3-1 [nouveau] de la loi n° 94-589 du 15 juillet 1994 relative à l’exercice par l’État de ses pouvoirs de police en mer pour la lutte contre certaines infractions relevant de conventions internationales et 55 bis du code des douanes) : Anonymisation des services enquêteurs dans les procédures de criminalité organisée
Amendements identiques CL593 de M. Vincent Caure et CL493 de M. Pouria Amirshahi
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous proposons de supprimer la présomption d’habilitation des enquêteurs à accéder aux informations figurant dans les fichiers d’antécédents judiciaires. Une telle disposition ne paraît pas nécessaire, dès lors que l’article 15-5 du code de procédure pénale prévoit déjà que « l’absence de la mention de cette habilitation sur les différentes pièces de procédure résultant de la consultation [de traitements au cours de l’enquête] n’emporte pas, par elle-même, nullité de la procédure. »
M. Pouria Amirshahi (EcoS). En matière d’accès aux fichiers, il faut se prémunir de tout excès. Je ne prête de mauvaises intentions à personne, mais les préconisations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) n’étant souvent pas respectées, je me méfie des extensions inutiles de l’accès aux fichiers.
La commission adopte les amendements.
Amendement CL594 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il s’agit de supprimer les dispositions spéciales permettant d’occulter l’identité des services judiciaires dans les décisions susceptibles d’être rendues publiques, car une telle procédure est déjà prévue à l’article L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire. Qui plus est, le droit positif est d’application plus large que ces dispositions, qui ne couvrent que le domaine de la délinquance et de la criminalité organisées.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements CL494 de M. Pouria Amirshahi et CL178 de Mme Sandra Regol tombent.
Amendement CL43 de M. Antoine Léaument
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous proposons de supprimer l’alinéa 7, qui prévoit l’anonymisation automatique des policiers ou des gendarmes affectés dans un service spécialisé dans la lutte contre la délinquance et la criminalité organisées. Nous sommes favorables à l’anonymisation, car, nous le savons, la connaissance de l’identité des agents permet de faire pression sur eux, voire de les mettre en danger, ainsi que les membres de leur famille, par des menaces d’assassinat. En revanche, nous nous interrogeons sur la constitutionnalité de son automaticité, qui remet en cause l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui proclame que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
M. Vincent Caure, rapporteur. Je précise tout d’abord que l’anonymisation est prévue pour les actes de procédure dans le cadre desquels les agents interviennent.
Par ailleurs, le code de procédure pénale prévoit déjà deux procédures similaires : celle de l’article 15-4, qui s’applique aux agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale, quel que soit leur service d’affectation, et celle de l’article 706-24, qui concerne les agents affectés dans les services de lutte contre le terrorisme et dont s’inspire l’anonymisation prévue à l’article 15.
En outre, j’insiste sur les garanties qui entourent ce dispositif. Celui-ci n’est applicable qu’aux agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale affectés dans un service spécialisé de lutte contre la criminalité organisée et l’agent ne peut pas se prévaloir de l’anonymat lorsqu’il est mis en cause en raison d’un acte commis dans l’exercice de ses fonctions. Enfin, il est prévu une voie de recours spécifique qui permet aux parties à la procédure de demander la révélation de l’identité de l’agent, notamment pour l’exercice des droits de la défense.
Avis défavorable.
Mme Edwige Diaz (RN). Je rappelle à nos collègues de La France insoumise qu’en moyenne, entre janvier et juillet 2024, vingt-trois membres des forces de l’ordre ont été agressés chaque jour, soit une augmentation de 88 % en dix ans. Aucun département n’est épargné. Partout, il existe des immeubles où le nom de policiers, voire de membres de leurs familles, a été affiché, jeté en pâture. Leur anonymisation permettrait de les protéger. C’est pourquoi nous voterons contre cet amendement.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Les arguments du rapporteur sont assez convaincants, mais des questions demeurent. Certes, le code de procédure pénale permet déjà l’anonymisation des agents de police. Bien entendu, nous devons protéger ces derniers lorsqu’eux ou leur entourage sont en danger de mort. Mais il est problématique que la défense d’un justiciable ne puisse pas identifier l’agent qui a pris telle décision. Il faudrait qu’à tout le moins, chaque décision prise par un agent dont l’anonymat est garanti soit signée par un supérieur hiérarchique identifié – le ministre, par exemple – de façon qu’elle puisse faire l’objet d’un recours.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). J’ai le sentiment que le Rassemblement national n’a pas suffisamment travaillé sur le texte. La question qui se pose n’est pas celle des agressions de policiers, lesquelles sont évidemment condamnables, comme le sont celles commises par des personnes portant l’uniforme, notamment – je ne fais que citer un rapport de l’Organisation des nations unies (ONU) – dans le cadre de contrôles d’identité au faciès.
Encore une fois, je me réfère à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont plusieurs articles concernent la police. Je pense à son article 9 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. » Je pense également à son article 7, qui concerne, cette fois, les personnes interpellées : « […] tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance. »
Le problème, et c’est en cela que le Rassemblement national va à l’encontre de l’identité nationale française, au sens républicain du terme – le drapeau tricolore, La Marseillaise, la devise Liberté, Égalité, Fraternité –, c’est qu’il estime que l’arbitraire est roi, quoi qu’il arrive. Ils sont donc d’une certaine manière, du côté de Louis XVI plutôt que de celui des révolutionnaires.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Toutes les personnes intervenant dans une chaîne de décision, quel que soit le domaine d’intervention, doivent être protégées – les élus, les policiers, les magistrats.
La décision prise de manière anonyme sera différente de celle qui sera signée ; son auteur sera davantage susceptible de la prendre à la légère dans la mesure où il ne l’assumera pas. Cette anonymisation pourrait conduire à une forme de déshumanisation. Pour cette raison, nous voterons pour cet amendement.
M. Vincent Caure, rapporteur. Des voies de recours existent déjà dans le dispositif proposé. L’alinéa 16 de cet article prévoit ainsi une voie de recours qui permet aux parties de contester la décision. En fin de procédure, il sera possible de demander à l’agent les raisons qui ont motivé sa décision.
Par ailleurs, vous avez évoqué les décideurs alors que l’article 8 concerne les enquêteurs.
Enfin, l’anonymisation est un moyen de réduire les risques de corruption car le nom des agents n’apparaît pas dans les documents auxquels les parties ont accès dans le cadre de la procédure.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL595 et CL596 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL597 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Amendement rédactionnel.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Monsieur le rapporteur, vous n’avez pas répondu à ma question. Les autorités responsables de la décision prise par un agent sous couvert d’anonymat seront-elles identifiées ?
La commission adopte l’amendement.
Amendements CL45 de M. Ugo Bernalicis et CL48 de M. Antoine Léaument (discussion commune)
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Personne ne commet d’infraction avec un code pénal à la main : aggraver les peines en cas de divulgation de l’identité de la personne, ne sera pas efficace. Du reste, seuls les magistrats et les policiers sont en mesure de révéler l’identité de l’agent.
Lorsque des narcotrafiquants seront inculpés, un procès aura lieu auquel le supérieur hiérarchique des policiers assistera pour expliquer l’enquête ; il sera donc connu. L’anonymisation n’est pas la solution magique : on ne pourra pas faire l’économie de mesures de protection des agents et de prévention des risques de corruption.
Je rappelle que dans le renseignement, l’anonymisation est la règle pour les notes blanches versées aux dossiers, que les magistrats prennent pour argent comptant. Mais nombre d’avocats contestent le procédé.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable sur ces amendements qui ne sont pas opportuns. Nous mesurons tous, en effet, les risques qui pèsent sur les agents des forces de sécurité intérieure affectés dans des services dédiés à la lutte contre la criminalité organisée.
Vos amendements sont incohérents par rapport à l’échelle des peines en vigueur pour les infractions relevant de ce domaine. Le quantum des peines est rigoureusement identique à celui prévu pour des infractions similaires, telles que l’infraction de révélation de l’identité d’un agent anonymisé ou infiltré. L’amendement CL45 introduirait donc une incohérence dans l’échelle des peines.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). L’aggravation des peines ne dissuadera pas les têtes de réseau de commettre des crimes, souvent d’ailleurs par l’intermédiaire d’autres personnes.
En outre, vu les conditions de détention actuelles, la prison est davantage l’école de la récidive pour n’importe quel délinquant. Je soutiendrai donc ces amendements qui soulèvent la question de l’incarcération et de la nature de la peine.
Je comprends la nécessité d’anonymiser. Néanmoins, la responsabilité de la décision doit être assumée par quelqu’un. Lorsqu’on prend une décision de manière anonyme, on s’octroie davantage de libertés que lorsqu’on doit la signer. Au sein de l’administration, il existe un système simple, la décision sous couvert du supérieur hiérarchique, qui permet d’identifier l’autorité qui l’a prise. C’est une question de principe : l’autorité responsable d’un acte portant atteinte à une liberté doit être identifiée.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Il y a systématiquement une levée de boucliers de la part de la gauche et de l’extrême gauche contre les mesures visant à protéger les policiers et les gendarmes.
À chaque fois que nous tentons d’améliorer la protection des forces de l’ordre contre les voyous qui affichent, eux, leurs prénoms sur les murs de nos quartiers, vous faites en sorte, même lorsque vous dites être d’accord, de minorer les dispositions qui leur permettraient de faire correctement leur travail et de les protéger, eux et leur famille. C’est désolant.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Plutôt que d’augmenter le quantum des peines, ce qui ne protégera pas davantage les agents car personne ne commet d’infraction avec un code pénal à la main, il conviendrait de prendre d’autres mesures essentielles. Il faut commencer par protéger les logiciels au sein desquels est enregistré le matricule de l’agent. Je rappelle au passage que seuls les policiers et les magistrats sont en mesure de commettre ces infractions de divulgation. Le rapport annuel de l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) pour 2023 pointe l’augmentation des infractions relatives à la consultation illégale de fichiers et à leur divulgation.
Enfin, l’intérêt d’harmoniser les peines m’avait échappé : les peines relatives au trafic de stupéfiants ne font précisément pas l’objet d’une telle harmonisation.
La commission rejette successivement les amendements.
Elle adopte l’article 15 modifié.
Après l’article 15
Amendement CL413 de Mme Sandra Regol
Mme Sandra Regol (EcoS). Nous proposons de renforcer l’encadrement de la consultation des fichiers, qui est une question sensible, afin d’augmenter la confiance dans les agents habilités à accéder à ces informations et d’éviter au maximum leur divulgation.
Ce nouveau cadre s’articule autour de cinq axes majeurs : la nécessité d’un examen personnalisé de l’habilitation ; une formation régulière des agents habilités ; un réexamen de la pertinence de maintenir l’habilitation tous les trois ans ; l’inscription préalable des motifs de consultation avant l’accès aux données contenues ; la transmission d’un rapport annuel au procureur de la République.
M. Vincent Caure, rapporteur. Cette question est en effet sensible. Cela étant, l’article 15-5 du code de procédure pénale prévoit déjà qu’une habilitation est nécessaire.
Par ailleurs, des dispositions réglementaires garantissent la traçabilité des opérations de consultation et encadrent l’accès à chacun de ces fichiers.
Enfin, élaborer un rapport annuel ne me semble pas pertinent.
Ainsi, votre amendement est en grande partie satisfait. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. Michaël Taverne (RN). Nous voterons contre cet amendement car les dispositions en vigueur garantissant la traçabilité des opérations sont suffisantes. Il y a quelques années, des consultations de fichiers ont en effet conduit à des drames au sein des forces de l’ordre.
Outre qu’il relève du réglementaire, l’encadrement proposé conduirait à une surveillance accrue des policiers qui les dissuaderait de demander une habilitation.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Le cadre juridique relatif à la traçabilité est insuffisant, contrairement à celui relatif à l’habilitation puisqu’il n’y aura pas d’automaticité.
La traçabilité des logiciels évoqués par M. Taverne n’a pas été mise en œuvre lors du déploiement de ces outils précisément parce que les dispositions qui la prévoyaient étaient d’ordre réglementaire. L’inscrire dans la loi c’est se donner la garantie que l’État sera rigoureux avec lui-même. Au regard du nombre de logiciels développés et d’accès aux différents fichiers, il serait bon de vérifier qu’ils font tous l’objet d’une traçabilité.
Il ne s’agit pas de surveiller les données personnelles des agents. En contrepartie de l’accès à des données sensibles, la traçabilité des opérations doit être garantie par la loi.
Mme Sandra Regol (EcoS). Aucune formation n’est prévue, ce qui est préjudiciable aux agents et au fonctionnement des services.
Selon le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, la divulgation d’information fait l’objet de problèmes récurrents. Il préconise d’instaurer des procédures plus encadrées pour éviter que les services de renseignement et de police soient accusés d’en être responsables. Cet amendement reprend les propositions de ce rapport.
La commission rejette l’amendement.
Article 15 bis A (nouveau) (article 706-105-2 [nouveau] du code de procédure pénale) : Anonymisation des interprètes intervenant à l’occasion d’une procédure en matière de criminalité organisée
Amendement CL598 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il vise à préciser le champ d’application de la nouvelle procédure d’anonymisation des interprètes, sur le modèle de l’article 706-24-2 du code de procédure pénale, afin d’assurer leur protection pour l’ensemble de leurs missions d’assistance.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL179 de Mme Sandra Regol
Mme Sandra Regol (EcoS). La question des interprètes est sensible, tant ces personnels nécessaires dans le cadre de la lutte internationale contre le narcotrafic sont précaires. Ils se sont regroupés dans un collectif afin d’obtenir le règlement intégral de leurs honoraires, qui est rarement effectué.
Cet amendement vise à prévoir des sanctions pénales en cas de révélation de leur identité lorsqu’ils ont bénéficié d’une anonymisation. Bien qu’il existe des dispositifs en la matière, il s’agit de renforcer la sécurité des interprètes afin d’éviter que leur vie ne soit mise en danger.
M. Vincent Caure, rapporteur. De telles sanctions sont prévues en cas de révélation de l’identité de l’agent anonymisé d’un service d’enquête. Il est donc cohérent de prévoir des infractions identiques pour renforcer la protection des interprètes anonymisés. Avis favorable.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Le Nouveau Front populaire se soucie de l’anonymat des interprètes, mais pas de celui des policiers, ce qui relève de la discrimination. Et quelle incohérence !
Vous reprochez à tout le monde de mal rédiger les amendements ou de manquer de sérieux : mais c’est vous qui manquez de sérieux. Ce matin, au Beauvau des polices municipales à Meaux, tous les représentants des policiers ont insisté sur la nécessité de bénéficier de l’anonymat. Vous devriez plutôt vous rendre sur le terrain pour recueillir les témoignages des policiers victimes des refus d’obtempérer.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous avons participé à des dizaines d’auditions avec le plus grand sérieux pour préparer l’examen de ce texte. Nous avons rencontré tous les corps professionnels concernés, notamment des policiers appartenant à différents grades et services.
En plus d’être régulièrement sur le terrain dans nos circonscriptions, auprès des agents des services publics, nous confrontons la réalité de ce que vivent nos concitoyens avec ce que disent les experts. Du reste, telle est la finalité de la politique : mettre en adéquation des idées avec le monde réel. C’est sur cette base que nous rédigeons nos amendements et nos interventions. J’accepte que vous soyez en désaccord avec nos opinions, mais au nom de la sincérité des débats, je ne peux vous laisser dire que nous avons voté contre l’anonymisation des policiers en danger ; c’est un mensonge. Nous avons même voté pour l’article 15 sur lequel nous avions déposé des amendements ! Cette attitude ne vous mènera nulle part, à moins qu’il ne s’agisse de vous mettre en scène sur les réseaux sociaux. Nous n’admettons pas ce travestissement des faits.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 15 bis A modifié.
Après l’article 15 bis A
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette l’amendement CL415 de Mme Sabrina Sebaihi.
Article 15 bis (nouveau) (article 230-46 du code de procédure pénale, 67 bis, 67 bis-1 A et 67 bis-1 du code des douanes) : Possibilité d’utiliser des procédés de transformation de la voix et de l’apparence dans le cadre de l’enquête sous pseudonyme
La commission adopte l’article 15 bis non modifié.
Article 15 ter (nouveau) (article 706-96 du code de procédure pénale) : Activation à distance d’un appareil électronique fixe aux fins d’enregistrement de l’image et du son
Amendements de suppression CL52 de M. Ugo Bernalicis, CL213 de Mme Colette Capdevielle, CL317 de Mme Émeline K/Bidi, CL349 de M. Sacha Houlié et CL495 de M. Pouria Amirshahi
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’article 15 ter entend contourner la censure par le Conseil constitutionnel du dispositif de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice, dont nous avions déjà souligné le caractère disproportionné. Ces amendements visent donc à le supprimer. Certes, activer à distance des appareils électroniques fixes aux fins d’enregistrement des images et du son est plus facile que de poser des micros. Néanmoins, l’ensemble des associations de défense des droits et libertés fondamentaux considèrent que le périmètre de la mesure est disproportionné et porte atteinte aux libertés.
Cette mesure, ajoutée à celle relative au dossier coffre, dont la définition est large et le cadre juridique flou, permettra de disposer d’informations sensibles qui ne seront même pas versées aux dossiers.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Cet article, qui porte une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles, est inconstitutionnel au regard de la décision du Conseil constitutionnel du 16 novembre 2023.
Il n’existe aucune garantie que les échanges des personnes dépourvues de tout lien avec le narcotrafic ne soient pas enregistrés. Qui plus est, l’enregistrement des échanges entre la personne soupçonnée et son avocat violerait l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Ce dispositif, qui vise à contourner la censure du Conseil constitutionnel, a déjà fait l’objet de longs débats parlementaires qui avaient éclairé sa décision.
Des échanges relevant de la vie privée étrangers à l’enquête pourront être enregistrés, ce qui porte atteinte aux libertés. Cette mesure n’est ni proportionnée ni nécessaire. En notre qualité de commissaires aux lois, il est de notre devoir de la supprimer.
M. Sacha Houlié (NI). En examinant les amendements déposés au Sénat, qui ont donné lieu à la création d’articles, je me suis souvenu d’un texte auquel avaient été ajoutées de nombreuses dispositions sans lien direct ou indirect avec le texte. Les articles 15 bis A, 15 bis, 15 ter, 15 quater et 16 bis, s’ils étaient adoptés, relèveraient très certainement de la jurisprudence relative à l’article 45 de la Constitution portant sur les cavaliers législatifs. Il sera intéressant d’étudier le résultat des recours constitutionnels les concernant, le cas échéant.
Les techniques spéciales d’enquête, notamment l’activation à distance de certains logiciels, ont déjà fait l’objet d’une censure. À cet égard, il est utile de lire le considérant 68 de la décision n° 2023-855 DC du Conseil constitutionnel sur l’activation à distance des téléphones mobiles : le problème ne réside pas tant dans la création de la mesure que dans son application à toutes les infractions, notamment celles relatives à la délinquance et à la criminalité organisées. Il est donc impossible d’étendre ces techniques à l’intégralité des infractions ni de les appliquer à toutes les infractions relevant de la criminalité organisée.
Tel qu’il est rédigé, l’article 15 ter est attentatoire à toutes les libertés publiques, aux conventions internationales et à la Constitution ; il le restera même si nous adoptons l’amendement CL600 du rapporteur, qui est trop imprécis.
Si nous n’adoptons pas ces amendements de suppression, le Conseil constitutionnel nous fera passer pour des amateurs, ce qu’aucun d’entre nous, en tant que législateur, n’appréciera.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Les dispositions techniques prévues dans cet article vont manifestement à l’encontre de la protection de nos libertés individuelles essentielles. La nécessité d’activer ces systèmes de captation à distance pour enquêter sur des activités illicites n’a pas été démontrée. Les appareils qui pourraient ainsi être activés ne concernent pas directement les criminels : ce sont des appareils domotiques, utilisés par d’autres membres de leur famille.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a pris une décision claire et générale à ce sujet, comme vient de le rappeler notre collègue Sacha Houlié.
Ces raisons justifient à elles seules l’adoption de ces amendements de suppression. Mais si nos arguments relatifs à la protection des libertés n’étaient pas suffisants et si le Conseil constitutionnel acceptait le principe de cet article, il nous faudrait garder à l’esprit que l’activation à distance des appareils domotiques est considérée comme une arme de guerre. Nous devons donc envisager ce genre de dispositions avec une main tremblante.
M. Vincent Caure, rapporteur. À défaut de convaincre, je vais m’efforcer d’expliquer la logique qui sous-tend l’article 15 ter. Celui-ci prévoit la possibilité d’activer à distance un appareil électronique fixe pour procéder à une captation d’images et de sons, c'est-à-dire une nouvelle modalité d’utilisation d’une technique existante. Pour les services d’enquête, un tel dispositif présente un double intérêt opérationnel : une efficacité accrue et le renforcement de la sécurité des enquêteurs.
La captation d’images et de sons est une technique spéciale d’enquête déjà existante, qui est encadrée par des garanties applicables en procédure pénale : une autorisation judiciaire, délivrée par le juge des libertés ou le juge d’instruction, est nécessaire, et cette pratique est exclue dans certains lieux protégés, pour éviter toute atteinte au secret professionnel de certains métiers.
En outre, ces dispositions ne sont pas applicables aux appareils électroniques fixes, attachés à un lieu particulier et sont circonscrites aux personnes pénétrant dans un lieu déterminé, limitant ainsi le risque que les paroles ou l’image d’un tiers à la procédure soient captées. Enfin, un tel dispositif doit être entouré de garanties juridiques solides ; je n’ignore pas les décisions passées du Conseil constitutionnel, qui ont censuré de précédentes dispositions autorisant l’activation à distance d’appareils électroniques, mais qui n’ont pas interdit le recours à de tels procédés. Ainsi, le Conseil constitutionnel a validé l’activation à distance des appareils électroniques aux fins de géolocalisation.
L’activation à distance est donc juridiquement possible, dès lors qu’elle s’accompagne de garanties renforcées. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement visant à assurer la robustesse juridique de ces dispositions en limitant leur périmètre d’application aux infractions les plus graves.
Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à la suppression de cet article.
M. Michaël Taverne (RN). Tous ces propos sont affligeants ! Les avocats des criminels doivent se frotter les mains en écoutants nos débats.
Comment voulez-vous que les enquêteurs s’attaquent au haut du spectre ? Faites-leur confiance, d’autant qu’ils agissent sous la responsabilité d’un magistrat et d’un juge des libertés.
Vous parlez de proportionnalité et de nécessité, vous vous opposez à la possibilité de suivre un chef de gang grâce à une balise à distance, permettant de l’interpeller et de faire tomber son réseau criminel : dans quel monde vivez-vous ? Il n’est pas étonnant que nous soyons à la ramasse en la matière ! Les Italiens sont plus intelligents : depuis trente ans qu’ils s’attaquent à la criminalité organisée, ils ont obtenu des résultats, alors que nous en sommes à tergiverser au sujet des droits fondamentaux. Le ministre de l’intérieur a raison : réveillez-vous !
Vous dites que la technologie d’activation à distance est une arme de guerre, mais les masques à gaz sont aussi classifiés comme du matériel de guerre ! Soyons sérieux et donnons les moyens aux policiers de faire leur travail. La filière investigation est confrontée à un problème d’attractivité, ce qui n’est pas étonnant lorsqu’on vous écoute ! Pensez-vous sincèrement que ce texte donnera envie aux policiers de démanteler les réseaux criminels ? Il leur donnera plutôt envie de tout laisser tomber et de nous laisser nous débrouiller.
Mme Sandra Regol (EcoS). Pour lutter contre le narcotrafic et frapper le haut du spectre, il faudrait doter la police et la justice d’outils de suivi des flux financiers ; c’est ce que prévoyait le rapport du Sénat et c’est ce qui devait présider à nos travaux. Au lieu de cela, cet article prévoit la possibilité d’écouter les proches de personnes ciblées et d’exploiter des failles de sécurité de matériels fixes.
Les dernières affaires impliquant ce type de matériel ont montré que des robots ménagers, fabriqués en série, étaient munis d’équipements de commande vocale et d’enregistrement, permettant à des hackeurs d’écouter les conversations de leurs propriétaires. En toute logique, nous devons condamner de telles pratiques. D’autres affaires concernaient des robots hackés pour proférer des propos racistes à leur propriétaire – cela plaira peut-être à certains.
À chaque fois que la sécurité de ces matériels est fragilisée, leurs propriétaires sont mis en danger ; or c’est précisément ce que prévoit l’article 15 ter en donnant la possibilité d’activer à distance les écoutes sur des matériels fixes.
En tout état de cause, le Conseil constitutionnel retoquera de nouveau ces dispositions : les garanties que vous proposez, monsieur le rapporteur, ne sont pas suffisantes.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Je souscris aux différents propos de mes collègues du NFP.
Ce n’est pas parce que des garanties sont prétendument apportées que les dispositions sont acceptables. La même logique a prévalu pour la loi sur la sécurité globale : les drones ont été censurés, puis des garanties – qui n’en étaient pas – ont rendu le dispositif acceptable. Quelles que soient les garanties apportées, elles ne le seront que du point de vue rédactionnel et ne s’appliqueront pas.
Comme l’ont souligné de nombreuses associations, parmi lesquelles La Quadrature du net, il est inacceptable de légaliser, même indirectement, l’utilisation de logiciels espions comme ceux de NSO ou Parangon, ainsi que le permettrait l’article 15 ter.
J’invite tous nos collègues qui n’ont pas saisi le Conseil constitutionnel en 2023 à relire sa décision. Il serait dommage, pour une commission qui a souligné il y a deux semaines à peine l’amateurisme de M. Richard Ferrand, de lui offrir l’opportunité de se présenter comme le défenseur des libertés fondamentales, alors même que nous devrions le mettre en difficulté s’agissant d’autres dispositions.
Par ailleurs, le rapport du Sénat estime que « le renseignement humain demeure[ant] la clé de voûte des investigations ». La discussion que nous avons eue au sujet des repentis montre que le renseignement humain est le plus utile et décrédibilise tous les autres dispositifs de surveillance prévus dans ce texte. Mis à part violer la vie privée et la liberté d’expression, on ne voit pas ce que l’adoption de cet article apporterait à la lutte contre le narcotrafic.
Enfin, il est inacceptable que la qualification d’association de malfaiteurs s’applique aux militants écologistes.
M. Sacha Houlié (NI). Je considère les ajouts sénatoriaux comme des cavaliers législatifs ; leur inconstitutionnalité pourrait être constatée à ce seul titre, ou à tout le moins relevée d’office en cas de déferrement au Conseil constitutionnel du texte voté.
Par ailleurs, l’article 15 quater prévoit des limites qu’aucun d’entre nous n'a trouvé utile d’ajouter à l’article 15 ter, ce qui signifie que les conversations des personnes protégées par le secret professionnel – avocats, médecins, magistrats – pourraient être écoutées et retranscrites sans aucune autre forme de protection.
Le considérant 68 de la décision du Conseil constitutionnel que j’ai déjà évoqué critiquait, dans le précédent dispositif qui est reproduit à l’article 15 quater, l’énumération de très nombreuses infractions. Or l’amendement CL600 du rapporteur, qui tente de blanchir – si je puis dire – la disposition prévue, reprend plus de la moitié des infractions visées à l’article 706-73 du code de procédure pénale. Le nombre d’infractions qui seraient concernées par la technique spéciale d’enquête est donc largement disproportionné et s’expose à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Monsieur Taverne, il est inutile de vociférer : les officiers de police judiciaire connaissent l’État de droit et le défendent, souvent mieux que vous. La France n’est pas à la ramasse, comme nous l’avons prouvé hier. Il serait préférable de vous abstenir de donner des leçons plutôt que de dire autant d’âneries sur les techniques spéciales de renseignement ou sur le traitement algorithmique des données. Heureusement, nous n’avons pas attendu que vous votiez les projets de loi de finances pour donner des moyens à la police et au renseignement, car nous attendrions encore !
M. Vincent Caure, rapporteur. Les techniques spéciales d’enquête ont précisément pour but de compléter les moyens humains, afin que les policiers puissent mener des enquêtes sur des réseaux particulièrement violents et dans un cadre très complexe.
Par ailleurs, l’article 706-96-1 du code de procédure pénale détaille les professions et les lieux qui sont protégés de toute écoute – le domicile d’un journaliste, le cabinet d’un médecin, d’un notaire ou d’un huissier, les locaux d’une juridiction.
Nous sommes tous attachés à la conformité constitutionnelle. La réécriture que je vous propose avec l’amendement CL600 restreint le champ des infractions concernées aux infractions les plus graves relevant de la délinquance et de la criminalité organisées, conformément à la décision du Conseil constitutionnel censurant l’activation à distance aux fins de captation de sons et d’images en raison d’un champ infractionnel trop large.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 15 ter est supprimé et l’amendement CL600 de M. Vincent Caure tombe.
Article 15 quater (nouveau) (articles 706-99 et 706-100 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Activation à distance d’un appareil électronique mobile aux fins d’enregistrement de l’image et du son
Amendements identiques de suppression CL54 de M. Antoine Léaument, CL188 de Mme Sandra Regol, CL214 de Mme Colette Capdevielle et CL318 de Mme Elsa Faucillon.
Mme Sandra Regol (EcoS). De nombreux arguments précédemment évoqués peuvent être à nouveau convoqués pour justifier la suppression de cet article, qui concerne les appareils mobiles – tels que des dispositifs médicaux ou des appareils auditifs.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Par une heureuse cohérence, mon amendement vise également à supprimer cet article.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable, pour les mêmes raisons qu’à l’article précédent. L’article 15 quater concerne les appareils mobiles, dans un cadre juridique renforcé et plus protecteur : la durée d’application des dispositifs est limitée ; l’utilisation de ce procédé est subsidiaire, c’est-à-dire qu’il ne peut être mobilisé en premier recours ; l’exigence de motivation est renforcée.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 15 quater est supprimé et les amendements CL601 de M. Vincent Caure, CL241 de M. Michaël Taverne et CL599 de M. Vincent Caure tombent.
Article 16 (articles 194, 230-33, 706-95, 706-102-3, 706-104 et 706-104-1 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Possibilité de recourir à un procès-verbal distinct
Amendements identiques de suppression CL57 de M. Ugo Bernalicis, CL120 de M. Jérémie Iordanoff, CL215 de Mme Colette Capdevielle, CL319 de Mme Émeline K/Bidi et CL469 de Mme Naïma Moutchou.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). L’article 16 tend à créer un dossier coffre, dans lequel seraient rassemblés les procès-verbaux relatifs à certaines techniques d’enquête dites spéciales, ayant permis d’obtenir des informations.
Avec mon corapporteur Ludovic Mendes, nous avons étudié cette proposition avec attention et il nous est apparu qu’elle allait trop loin, puisqu’elle remet en cause l’article préliminaire du code de procédure pénale : « La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l’équilibre des droits des parties. […] Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie. »
La défense a le droit de connaître les éléments ayant conduit à une mise en accusation. Si une partie de ces éléments a été produite de manière frauduleuse, il doit en avoir connaissance pour faire annuler une partie des actes d’accusation. C’est pourquoi cet amendement vise à supprimer l’article 16.
M. le président Florent Boudié. Je vous propose de lever la séance maintenant, ce qui nous permettra d’aller voter dans l’hémicycle.
Troisième réunion du jeudi 6 mars 2025 à 21 heures
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Article 16 (suite) (art 194, 230-33, 706-95, 706-102-3, 706-104 et 706-104-1 [nouveaux] du code de procédure pénale) : Possibilité de recourir à un procès-verbal distinct
Amendements de suppression CL57 de M. Ugo Bernalicis, CL120 de M. Jérémie Iordanoff, CL215 de Mme Colette Capdevielle, CL319 de Mme Émeline K/Bidi et CL469 de Mme Naïma Moutchou
M. le président Florent Boudié. L’amendement CL57 a été défendu cet après-midi.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Nous souhaitons la suppression de cet article qui introduit le dossier coffre, rebaptisé procès-verbal distinct. Le législateur ne s’honorerait pas de priver, pour certaines informations, la défense de ses droits liés au principe du contradictoire. Ce dernier est au cœur de notre système judiciaire, déjà déséquilibré au profit de l’État contre le mis en cause, et il n’est pas nécessaire, pour lutter contre des crimes et délits certes graves, de revenir sur les grands principes de notre justice. La rédaction issue de la séance au Sénat ouvre la voie à une trop grande facilité d’incrimination sur la base du procès-verbal distinct.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Avec le dossier coffre, sont exclues du dossier de la procédure les informations relatives aux méthodes d’utilisation et au fonctionnement de certaines techniques spéciales d’enquête (TSE) dont la divulgation compromettrait à l’avenir l’efficacité opérationnelle, ainsi que les informations permettant d’identifier une personne ayant aidé à leur mise en place afin d’éviter tout risque pour son intégrité physique ou sa vie. Il en résulte un déséquilibre prononcé entre l’accusation et la défense. Les éléments dissimulés sont soustraits au principe du contradictoire et la défense ne peut effectuer aucun contrôle sur les techniques mises en œuvre, au détriment de ses droits et libertés. Le Conseil national des barreaux, organe représentatif de la profession d’avocat, s’est élevé contre le dossier coffre, dont nous doutons par ailleurs de la conventionnalité.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Alors que certaines organisations d’extrême droite désignent les avocats comme les complices de leurs clients narcotrafiquants, l’article 16 avalise cette théorie en rendant le dossier coffre inaccessible non seulement aux parties mais aussi à leurs avocats. Et tandis que nous cherchons à rétablir la confiance en la justice, vous créez un dossier caché qui éveille la suspicion sur la régularité de la procédure et sur les méthodes utilisées. De surcroît, les techniques spéciales d’enquête pouvant être utilisées sont parfaitement connues des malfaiteurs puisqu’elles sont prévues par la loi.
La création du dossier coffre représente un profond recul pour les droits de la défense, que nous ne pouvons pas tolérer. Les magistrats comme les avocats demandent d’ailleurs la suppression de l’article 16.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). L’amendement de suppression déposé par ma collègue Naïma Moutchou est un amendement d’appel : nous ne sommes pas contre le dossier coffre mais estimons que l’article doit être retravaillé.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je signale d’emblée que j’ai déposé un amendement visant à réécrire une partie de l’article, dont j’espère qu’il répondra en partie aux craintes et aux doutes exprimés.
Le procès-verbal distinct est le fruit des travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic mais aussi des auditions d’enquêteurs et de magistrats que mes corapporteurs et moi-même avons menées. Il a pour objectif d’empêcher les narcotrafiquants et leurs réseaux de lire certaines informations tirées des comptes rendus ou procès-verbaux et qui peuvent mettre en danger les enquêteurs. Toujours sur décision du juge des libertés, il permet pendant l’enquête – à la demande du procureur – et pendant l’instruction – à la demande du juge d’instruction – de verser certains éléments dans un dossier soustrait au contradictoire.
Cela ne concerne bien sûr que le champ de la criminalité organisée, et uniquement des informations relatives aux techniques spéciales d’enquête qui sont déjà très encadrées : la date, l’heure et le lieu de la mise en place du dispositif, ainsi que les informations permettant d’identifier l’enquêteur, le policier ou le gendarme qui a participé à l’installation. Ce que l’on cherche à protéger, ce n’est pas la nature des techniques, lesquelles sont bien sûr connues des malfaiteurs, mais les modalités selon lesquelles elles sont utilisées.
Les auditions et les rapports attestent des capacités d’adaptation des réseaux de narcotrafiquants et de l’évolution de leur rapport à la violence. C’est pour en protéger les services d’enquête que nous souhaitons mettre le dossier coffre à disposition de l’État.
Je ne perds pas de vue l’équilibre entre les droits de la défense et l’efficacité du dispositif. Je vous proposerai donc une réécriture de certains alinéas visant à le restreindre et à le simplifier : la finalité sera limitée aux informations relatives à la mise en œuvre d’une TSE de nature à mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique de celui qui la pose, ou de ses proches. Je vous proposerai de modifier également la procédure d’autorisation de versement en procédure des éléments obtenus, avec l’insertion dans le code de procédure pénale d’un nouvel article 706-104-2. Je vous rappelle aussi qu’à tout moment de l’enquête et de l’instruction, le dossier distinct sera accessible au procureur, au juge d’instruction, au juge des libertés et au président de la chambre de l’instruction.
La question de la conventionnalité du dispositif a été soulevée. Je ne peux présager de la décision future d’une cour internationale, mais je peux lire celles qui ont été rendues par le passé, comme celle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) – dont on sait qu’elle porte une attention particulière aux voies et garanties de recours – au sujet d’une disposition similaire en droit belge.
La rédaction finale de l’article que je vous propose prévoit bien des garanties : au-delà de la contestation du recours aux techniques spéciales d’enquête, prévue depuis l’introduction de celles-ci avec la loi Perben II, je propose que puisse être contesté devant la chambre de l’instruction le recours au dossier coffre.
Ces raisons de fond et de forme me conduisent à donner un avis défavorable à ces amendements de suppression, et à vous inviter à voter l’amendement ultérieur de réécriture.
M. Jocelyn Dessigny (RN). On voudrait mettre une cible dans le dos des policiers, on ne s’y prendrait pas autrement qu’en supprimant cet article ! Vous vous plaignez depuis deux jours, collègues, que l’on ne s’en prenne pas suffisamment aux gros bonnets, au haut du spectre. Avec cet amendement, vous leur donnez accès à toutes les techniques et les méthodes utilisées contre eux ! Que cherchez-vous exactement à faire ? Vous leur donnez toutes les cartes ! Les services que nous avons auditionnés ont besoin de garder confidentielles leurs techniques de travail. Ils ont tous souligné que cet article était crucial pour eux. Si vous le supprimez, cette proposition de loi ne servira plus à rien.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Notre objet est d’empêcher non pas le recours à des techniques spéciales d’enquête, mais la dissimulation de certains éléments. D’abord, cela constitue une entorse à la procédure et au principe du procès équitable. Ensuite, aucun magistrat ne nous a fait part de problèmes de procédure avec les techniques spéciales d’enquête.
Outre l’absence de contrôle, le simple fait de mettre de côté des éléments dits techniques de l’enquête risque de fragiliser celle-ci : parce que certains contenus auraient été recueillis selon une procédure non conforme, l’ensemble des éléments de l’enquête pourraient être mis en cause.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). J’ajoute que les modalités d’utilisation des TSE – l’heure d’installation d’une balise, par exemple – peuvent constituer pour le mis en cause des éléments à décharge qu’il ne pourra pas mobiliser parce qu’il n’en aura pas connaissance.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Vous ne pouvez contester, collègues du RN, que le contradictoire et les droits de la défense sont deux principes de l’État de droit. Ce que vous ne comprenez pas, c’est qu’il importe de pouvoir vérifier la légalité des méthodes employées, et que cette vérification sécurise la procédure elle-même. Les dispositions de l’article 16 sont très mauvaises pour la police, car elles sont de nature à poser des difficultés. Je ne comprends vraiment pas vos arguments.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Cet article constitue le cœur du dispositif de protection des enquêteurs, mais aussi des repentis. Supprimer le dossier coffre, c’est mettre en péril l’ensemble de ceux qui auront permis d’arrêter des trafiquants de haut vol – répétons que c’est le haut du spectre qui est visé.
M. Vincent Caure, rapporteur. Encore une fois, je conviens que la rédaction de l’article issue des travaux du Sénat est perfectible, mais je crois à l’intérêt opérationnel du dossier coffre.
S’agissant du droit à un procès équitable, c’est justement à l’aune du premier paragraphe de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme que s’est prononcée la CEDH au sujet du dispositif belge. Les questions portaient sur la proportionnalité de la mesure en matière procédurale et sur les voies de recours. Or je vous ai rappelé que celles-ci existaient tant pour l’utilisation des TSE que, dans la réécriture que je vous propose, pour le recours au dossier coffre.
L’information concernant l’ouverture d’un dossier coffre étant versée au dossier accessible à l’ensemble des parties, les malfaiteurs sont bien sûr au courant du recours à une TSE. Mais ce que nous cherchons à préserver, encore une fois, ce sont les modalités concrètes de mises en œuvre de cette technique, dans le but de protéger les enquêteurs.
Je le répète : la rédaction que je proposerai resserre le dispositif en évacuant l’une des finalités prévues par le Sénat.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Au lieu du rapport sénatorial, vous pourriez vous référer à celui que j’ai rédigé avec Ludovic Mendes, ici à l’Assemblée, dont les conclusions sont opposées ! Il y figure notamment un schéma illustrant la procédure d’autorisation du procès-verbal distinct, qui montre toute la complexité du dispositif : elle est telle qu’il risque d’être peu souvent utilisé.
Ce dispositif pose problème sur le plan du droit, sur celui des libertés fondamentales, et quant à sa mise en application. Nous avons aussi des doutes sur sa constitutionnalité, et nous engagerons d’ailleurs un recours devant le Conseil constitutionnel. Bref, c’est une mauvaise idée.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Je ne suis pas non plus convaincu par les arguments du rapporteur. L’alinéa 16 dispose que les informations recueillies à l’occasion de la mise en œuvre d’une technique spéciale d’enquête – et non pas seulement les données relatives au jour ou à l’heure d’installation – sont placées dans le procès-verbal distinct et ainsi soustraites au principe du contradictoire. C’est un vrai problème.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je plaide coupable, effectivement, de n’avoir pas lu votre rapport d’information dans son intégralité, monsieur Léaument. Mais, comme vous l’avez déjà souligné, le législateur ne doit pas être la courroie de transmission des personnes auditionnées ou qui ont des choses à demander. Il doit user de son libre arbitre, en l’occurrence pour déterminer les moyens à donner aux enquêteurs dans le respect des principes de droit. Je vous ai répété, à cet égard, que la rédaction issue du Sénat ne me convenait pas. La réécriture que je vous proposerai resserre à la fois la motivation du recours au dossier coffre et les modalités concernées, pour répondre aux exigences conventionnelles et constitutionnelles. Tirant, je l’espère, des leçons des jurisprudences passées, elle rend le dispositif robuste.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 16 est supprimé et les autres amendements tombent.
Article 16 bis (nouveau) (art. 706-95-20 du code de procédure pénale) : Autoriser l’introduction dans des lieux privés pour la mise en place d’un dispositif d’IMSI-catcher
Amendements de suppression CL60 de M. Antoine Léaument, CL183 de Mme Sandra Regol, CL216 de Mme Colette Capdevielle et CL320 de Mme Émeline K/Bidi
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cet article, ajouté par le Sénat, rend possible l’intrusion nocturne dans un domicile. Pourtant, l’inviolabilité du domicile est un principe constitutionnel très fort. Nous ne souhaitons pas qu’une possibilité aujourd’hui offerte aux magistrats à titre exceptionnel devienne la règle par défaut : ce serait une entorse disproportionnée à nos principes fondamentaux.
Mme Sandra Regol (EcoS). Très intrusifs, les Imsi-catchers captent les sons non pas seulement à l’endroit ciblé mais aussi aux alentours. Ils sont en outre volumineux, ce qui rend impossible leur installation en toute discrétion. Voilà deux bonnes raisons de supprimer cet article.
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet article ne crée pas une technique spéciale d’enquête : il ne porte que sur une modalité d’utilisation d’un dispositif existant. La disposition qu’il contient, loin d’être novatrice, est même classique : la faculté de s’introduire, sur autorisation judiciaire, dans un lieu privé est par exemple prévue pour faciliter l’installation et la désinstallation des dispositifs de sonorisation et de captation d’images. Elle a simplement été dupliquée pour faciliter la pose et la dépose d’Imsi-catcher, qui servent à la captation de données des communications mobiles. C’est une modalité utile à nos services d’enquêtes, qui respecte les équilibres de notre procédure pénale. Avis défavorable.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Nos collègues de gauche et d’extrême gauche nous font toucher le fond. Vous trouvez très drôle d’empêcher les forces de l’ordre d’être en mesure de faire leur travail, vous vous félicitez de les priver d’outils. C’est indécent. Tant que vous y êtes, supprimez-leur armes et uniformes et demandez-leur de rester à la maison ! Vos gentils petits narcotrafiquants pourront alors continuer leurs méfaits dans la rue. Vous disiez vouloir lutter contre le haut du spectre des trafiquants, mais vous retirez toutes les armes dont pourraient disposer nos forces de l’ordre pour le faire. C’est scandaleux.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Monsieur Dessigny, votre groupe a trouvé très drôle hier soir de demander un scrutin nominal à chaque vote, faisant perdre beaucoup de temps à la commission. Il faut dire qu’il s’agissait de sujets sur lesquels il n’avait déposé aucun amendement… Il y a juste eu un petit moment de dissipation ce soir, qui peut s’expliquer par la tension accumulée après de longues journées de débats.
Nous ne voudrions pas donner des armes aux policiers ? Ceux qui ont demandé une commission d’enquête pour savoir ce qu’il est advenu du logiciel de rédaction des procédures pénales, ce sont les députés de la France insoumise, pas ceux du Rassemblement national. Ceux qui ont saisi le ministre de la justice de la question des logiciels qui permettent de lutter contre le blanchiment, ce sont les députés de France insoumise, pas ceux du Rassemblement national. Ceux qui veulent donner à la justice, à la police et à la gendarmerie des moyens pour lutter contre le narcotrafic, notamment grâce à des logiciels qui fonctionnent – cela commence par là – ce sont les députés de la France insoumise, pas ceux du Rassemblement national.
Vous avez beau jeu de prendre la parole sur nos amendements pour dire que vous y êtes favorables. Nous, nous travaillons, nous déposons des amendements, nous demandons la suppression de dispositions avec lesquelles nous sommes en désaccord et nous essayons d’en promouvoir d’autres. Si le texte fait désormais mention du logiciel de la police, c’est grâce à la France insoumise, pas au Rassemblement national.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Monsieur Dessigny, calmons-nous. C’est une discussion contradictoire : vous avez votre point de vue, nous avons le nôtre. Toute la grandeur d’un débat sur un sujet aussi grave est de se servir de différentes approches pour enrichir un texte. Certaines positions ont évolué : j’ai été amené à retirer certains de mes amendements et à voter pour ceux des rapporteurs ou de Mme Moutchou, auxquels j’étais initialement opposé. Nous avançons, les uns et les autres, en essayant de remplir au mieux notre devoir de législateur.
Il est nécessaire de doter nos magistrats et nos officiers de police judiciaire (OPJ) de moyens qui leur permettent d’établir la vérité dans ces affaires très graves, sans perdre de vue les principes qui servent aussi à protéger nos juridictions de mauvaises pratiques qui nuiraient à l’enquête et fragiliseraient les procédures. Nous avons essayé de justifier nos positions, sans vous convaincre. Qu’à cela ne tienne, c’est votre droit. Nous ne pensons pas qu’il suffit de s’en prendre aux petits délinquants pour taper le haut du panier, ou qu’il faut enfermer les gens pendant trente ans pour régler le problème du trafic. En tout cas, nous avons essayé de vous donner des arguments pour étayer nos positions. Vous avez le droit de ne pas être d’accord, mais, de grâce, ne vouez pas aux gémonies toute position différente de la vôtre. La démocratie n’en sortira pas renforcée.
La commission rejette les amendements.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL649 de M. Vincent Caure, rapporteur.
La commission adopte l’article 16 bis modifié.
Article 17 (art. 203-46, 706-32, 706-80-2, 706-81 et 706-106 du code de procédure pénale, art. 67 bis-1 A, 67 bis, 67 bis-1 et 67 bis-4 du code des douanes) : Précisions relatives à la notion d’incitation à la commission d’une infraction dans le cadre des actes autorisés au cours des enquêtes
Amendement CL514 de M. Roger Vicot
M. Roger Vicot, rapporteur. C’est un amendement rédactionnel.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 17 modifié.
Article 17 bis (nouveau) (art. 706-81 du code de procédure pénale, art. 67 bis du code des douanes) : Extension des rôles susceptibles d’être joués par les officiers ou agents de police judiciaire au cours d’une infiltration
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL515 et CL516 de M. Roger Vicot, rapporteur.
Elle adopte l’article 17 bis modifié.
Article 18 (art. 706-32 du code de procédure pénale et art. 67 bis du code des douanes) : Modalités des opérations de « coups d’achat »
Amendement CL517 de M. Roger Vicot
M. Roger Vicot, rapporteur. Il supprime la possibilité pour les enquêteurs de procéder, dans le cadre d’une opération dite de coup d’achat, à des opérations de surveillance. Nos collègues sénateurs ont voulu faciliter la vie des enquêteurs, mais la disposition conduit à créer une confusion entre différents types d’opérations inscrites dans notre droit : les coups d’achat, prévus par l’article 706-32 du code de procédure pénale, et les opérations de surveillance, régies par les articles 706-80 à 706-80-2 du même code. En cas de besoin, il est possible de recourir à ces deux types d’opération de manière articulée, mais il convient de ne pas mélanger les deux. D’un point de vue opérationnel, le coup d’achat est une procédure simple et souple, destinée à lutter contre le trafic de stupéfiants de petite envergure – elle n’a pas vocation à démanteler un important trafic ou un réseau entier de blanchiment. Pour les enquêteurs eux-mêmes, le cadre des différentes techniques d’enquête doit être le plus clair possible.
M. Michaël Taverne (RN). Je reviens des services de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris, où j’ai rencontré des policiers et des magistrats qui suivent nos débats. Ils sont sur le cul, si vous me permettez l’expression. En voyant nos discussions, de nombreux policiers n’ont qu’une envie, remettre leur habilitation d’OPJ au procureur de la République.
Ce qu’ils me disent, c’est que, face à des réseaux criminels très organisés, il leur est très difficile de remonter les filières et de démanteler les réseaux avec leurs techniques actuelles. Or, au lieu de leur faciliter la tâche, les politiciens – c’est ainsi que nous sommes qualifiés – leur mettent des bâtons dans les roues. Et certains magistrats sont très étonnés qu’il y ait un doute sur la constitutionnalité de l’article 15, compte tenu du caractère restreint de son périmètre d’application. Les réseaux criminels ont de beaux jours devant eux, concluent-ils.
Ce qui se passe ici est dramatique. Selon certains policiers, les meilleurs avocats des narcocriminels sont à l’Assemblée nationale : voilà l’image que nous donnons ! Oui, comme disait le garde des sceaux, il faut se réveiller pour lutter contre les réseaux criminels. Malheureusement, avec l’extrême gauche, nous allons continuer à dormir. C’est une très mauvaise soirée pour les Français.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Ce qui apparaît ce soir, c’est le manque de travail du Rassemblement national sur ce dossier, qui conduit ses membres à ne faire qu’insulter leurs collègues. Ceux qui sont en désaccord avec eux seraient des gens qui mettent en danger la population et n’auraient rien à faire de la lutte contre le narcotrafic, voire qui voudraient que tout le monde se drogue et que les trafiquants mettent beaucoup d’argent de côté.
S’il y a bien des gens qui sont en train de prendre des risques ce soir, en défendant par exemple la légalisation du cannabis, c’est nous. Les narcotrafiquants ne sont pas d’accord avec la légalisation du cannabis. Ceux qui permettent aux narcotrafiquants de faire du profit sont ceux qui prohibent : les narcotrafiquants font de l’argent parce que leur activité est illégale, sinon ils seraient chefs d’entreprise. C’est l’illégalité qui leur permet de faire du profit.
Quand nous proposons la légalisation du cannabis, c’est pour taper les narcotrafiquants au portefeuille et faire sortir une partie du trafic de leurs mains. Vous, au contraire, vous faites rentrer de l’argent dans leurs poches. Quand on promeut la prévention et la baisse de la consommation, on veut faire perdre de l’argent aux narcotrafiquants. Quand on prône une politique de sortie du piège du narcotrafic, on parle de prévention, de lutte contre la consommation et la dépendance. Sur ces sujets, vous n’avez rien à dire. Votre seule idée est de mettre les gens en prison. Mais vous pourrez mettre autant de gens en prison que vous voulez : tant qu’il y aura une demande, vous n’aurez rien réglé ; tant qu’il y aura des gens qui produisent et sont capables de transbahuter leurs produits d’un bout à l’autre de la planète, il y aura du trafic de drogue et vous ferez gagner de l’argent aux trafiquants.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Monsieur Taverne, si vous aviez été présent parmi nous il y a quelques minutes, vous auriez pu entendre mes propos sur le caractère naturellement contradictoire de notre débat. Ce n’est pas le premier procès que vous nous faites. Passons sur les termes et le ton, et disons que nous sommes tous fatigués.
Dans ce débat sur la politique pénale à mener en matière de lutte contre les têtes de réseau du narcotrafic, nous avons mis toute notre énergie et nos arguments à défendre l’instauration d’un chef de file. Nous avons voté pour cette mesure. Nous avons fait de notre mieux pour border, sécuriser et clarifier les missions d’un nouveau parquet spécialisé, le parquet national anti-criminalité organisée. Nous avons pris part à tous les échanges sur la manière de garantir aux juges d’instruction et aux OPJ de travailler dans de bonnes conditions, ce qui a donné lieu à des avancées dont je ne vais pas vous dresser la liste. Avant que vous ne reveniez très contrarié d’une visite à certains professionnels qui semblent l’être tout autant, nous discutions des possibilités d’infiltration et de l’usage de fausses identités par les policiers. Ce que d’aucuns appellent la taqiya est autorisé pour les policiers eux-mêmes, ce qui est très bien puisqu’ils vont pouvoir dissimuler leurs actions et être davantage protégés. Nous venons aussi de faciliter les coups d’achat. Vous devriez vous réjouir du fait que nous donnons à nos enquêteurs les moyens d’agir.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Ce n’est pas la première fois que notre collègue Taverne intervient avec beaucoup d’imprécision. Cela a déjà été le cas par exemple sur la question des balises. Mais nous sommes en train de faire la loi : nous ne pouvons pas laisser dire que les droits fondamentaux sont quelque chose de négligeable, et que nous faisons n’importe quoi. Nous étudions le texte, nous échangeons des arguments de fond. Faites preuve d’un peu de sérieux, concentrez-vous sur le fond et cessez de nous caricaturer, cela ne convainc personne d’autre que vous-mêmes.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL513 de M. Roger Vicot
M. Roger Vicot, rapporteur. C’est un amendement quasi rédactionnel : il tend à supprimer de l’article 18, portant sur les coups d’achat, les modifications des dispositions au sein du code des douanes qui concernent les opérations d’infiltration.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Il devient un peu fatigant d’entendre sans cesse MM. Léaument et Bernalicis décerner des appréciations sur le travail fourni par tel ou tel collègue. Monsieur Léaument, vous avez travaillé pendant un an et demi sur votre rapport d’information. Félicitations, nous sommes contents pour vous. Pour notre part, cela fait quarante ans que nous alertons sur les dangers du narcotrafic et la nécessité de le combattre. Une fois de plus, vous avez démontré aujourd’hui que vous vouliez donner toutes les armes aux narcotrafiquants pour qu’ils puissent poursuivre librement leurs méfaits. Si vous vouliez défendre les citoyens et faire cesser le narcotrafic, vous auriez voté pour le dossier coffre qui protège les méthodes des enquêteurs.
Vous avez raison sur un point : il faut faire de la prévention et soigner les personnes malades, car tant qu’il y aura de la demande, il y aura de l’offre. Mais vous enfoncez des portes ouvertes sans apporter aucune solution. La légalisation du cannabis est un échec : tous les gouvernements qui l’ont mise en place nous ont dissuadés de suivre cette voie – cela ne revient qu’à créer une autoroute de la drogue où les autres substances se trouvent diluées. Une fois de plus, vous n’avez rien compris.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Monsieur Dessigny, pourriez-vous nous donner la liste des gouvernements qui vous ont dit que la légalisation du cannabis revenait à créer des autoroutes de la drogue ? Aucun des pays qui ont légalisé le cannabis n’étant revenu sur cette option, vos propos m’étonnent. Ces pays sont-ils sur la planète Terre ou sur Mars ?
En réalité, tous ceux qui pratiquent la légalisation constatent qu’au moins une partie du trafic quitte le marché noir. C’est vrai, certaines expériences sont moins réussies que d’autres : la part du trafic sortie du marché noir est moindre, la consommation ne baisse pas mais stagne, voire augmente. Mais que se passe-t-il quand la vente de cannabis n’est pas légalisée ? Les gens vont acheter du cannabis à des dealers qui vendent aussi de la cocaïne et de la MDMA. Si vous légalisez le cannabis, ils vont dans des boutiques qui ne vendent rien d’autre.
M. Roland Lescure (EPR). Pour sortir des caricatures, je suggère, monsieur le président, que vous conduisiez une mission constituée des députés qui souhaitent travailler sur le sujet. La légalisation du cannabis n’est pas une formule magique : certains pays qui la pratiquent ont échoué et d’autres ont réussi. La semaine dernière, je suis allé rendre visite à la Société québécoise du cannabis, entreprise d’État qui vend du cannabis à 60 % du marché. Depuis la légalisation, la consommation a légèrement baissé, les teneurs en cannabis se sont améliorées et l’État a gagné des milliards de dollars de recettes fiscales. Ce n’est pas la panacée : il y a des endroits où cela ne fonctionne pas. En tant que membres de la commission des lois, nous pouvons aborder le débat en évitant la caricature et en fondant notre réflexion sur des faits, afin de progresser ensemble pour traiter ce problème compliqué.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 18 modifié.
Article 19 (art. 15-6, art. 230-54 [nouveau] et art. 706-87-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Encadrement du recours aux informateurs
Amendements de suppression CL250 de Mme Émeline K/Bidi et CL457 de Mme Naïma Moutchou
M. Roger Vicot, rapporteur. Monsieur Taverne, personne ne nie votre expérience dans la police nationale. Cette expérience avérée ne justifie pas cependant que vous nous expliquiez en permanence que nous, nous ne connaissons pas le terrain ni les policiers. Surtout, elle ne vous autorise pas à considérer que vous comprenez mieux que tout autre les amendements en débat.
J’en viens à ceux qui sont proposés sur cet article 19. Je demande le retrait des deux amendements de suppression pure et simple de l’article et je vous propose de retenir le mien, qui tend à supprimer les seules dispositions concernant l’infiltration de civils. Vous allez sûrement me reprocher de chercher, une fois de plus, à couper les pattes des policiers en les privant d’une source d’infiltration utile. Or cette suppression nous est demandée par le ministère de l’intérieur lui-même : ces infiltrés ne seraient pas des professionnels – policiers, gendarmes ou douaniers –, mais des informateurs déjà impliqués dans des réseaux criminels, qui seraient de fait autorisés à commettre des actes de délinquance dans un cadre procédural. Cela pose un problème moral et éthique, même si le but est de permettre aux services d’enquêtes de la police, de la gendarmerie ou des douanes de démanteler des réseaux.
Les amendements sont retirés.
Amendement CL605 de M. Roger Vicot
M. Roger Vicot, rapporteur. Je viens de le défendre.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Cet amendement permet de sécuriser le renseignement humain, comme nous le souhaitions.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Monsieur le rapporteur, votre amendement ne permet pas une meilleure rédaction de cet article et il supprime les dispositions relatives à l’infiltration civile, c’est-à-dire un moyen qui pourrait être utile aux enquêteurs.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Sur le sujet, notre cœur balance. Nous avions décidé d’attendre l’avis de M. le rapporteur avant de nous positionner. Nous voyons les points faibles des infiltrations de civils, qui n’apportent pas les mêmes garanties que les fonctionnaires. Néanmoins, l’article permettrait aux services de renseignement extérieurs de recruter des civils et de les former avant de les envoyer sur le terrain ; de ce fait, ils deviendraient non pas des informateurs civils, mais des informateurs tout court, c’est-à-dire des agents publics. Vous me direz que j’ai trop regardé Le Bureau des légendes, mais je ne veux pas que nous nous fermions cette piste.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Nous serons favorables à l’amendement de M. le rapporteur pour les raisons qu’il a évoquées lui-même.
M. Olivier Marleix (DR). J’avoue mal connaître les mécanismes en vigueur. Il existait traditionnellement au ministère de l'intérieur une enveloppe d’environ 10 millions d'euros destinée à couvrir les frais d’enquête, régie par un vieux décret pas très clair de 1920, qui servait à rémunérer les indicateurs ; une polémique était née lorsqu’on s’était aperçu qu’elle était devenue une source de rétribution annexe pour les fonctionnaires de police détachés en cabinet. Comment la police rémunère-t-elle aujourd'hui ses indicateurs ? Ne faudrait-il pas réfléchir à un statut plus solide ?
M. Roger Vicot, rapporteur. Il existe toujours des informateurs, identifiés et rémunérés de manière traçable. Ils se trouvent non pas au sein des réseaux de trafiquants, mais à leur périphérie immédiate ; il faut les distinguer des infiltrés de la gendarmerie, de la police nationale et des douanes qui travaillent sous couverture.
Vous nous accusez de retrancher des moyens aux forces de police, mais la suppression des infiltrés civils répond à une demande de ministère de l’intérieur.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte l’article 19 modifié.
Article 20 (art. 115, 171, 173, 198, 206, 385 et 591 du code de procédure pénale) : Modification du régime des nullités
Amendement de suppression CL251 de Mme Émeline K/Bidi
Mme Émeline K/Bidi (GDR). L’article 20 instaure une présomption de complicité, voire de culpabilité, à l’encontre des avocats. En revoyant le régime des nullités, il semble considérer que le respect de la procédure pénale n’est pas important. Nous avons été alertés sur le sujet par le Conseil national des barreaux, qui demande la suppression de l’article.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis défavorable. Le Sénat a adopté une rédaction plus ciblée qui vise à rationaliser les étapes de la procédure, en imposant l’information du juge d’instruction en cas de saisine de la chambre de l’instruction, ou la récapitulation des moyens de nullité dans le dernier mémoire présenté par la chambre de l’instruction.
La commission rejette l'amendement.
Amendements CL496 de M. Pouria Amirshahi et CL217 de Mme Colette Capdevielle (discussion commune)
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Ce qui nous inquiète, c’est que l’article interdit aux personnes mises en cause pour des faits de criminalité, c'est-à-dire pas encore jugées, de désigner leur avocat ou l’avocat chef de file par courrier recommandé. Lorsqu’elles sont interpellées dans la ville où se trouve le tribunal compétent, elles peuvent facilement se saisir de leur conseil, mais sinon, on ne peut pas leur infliger un déplacement long pour cela. L'amendement vise à ce qu’elles puissent choisir leur avocat ou leur avocat chef de file par un courrier recommandé avec accusé de réception adressé au greffier, pour des questions évidentes d’égalité de traitement entre les justiciables.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous demandons la suppression de l’alinéa 2. Supprimer la possibilité de désigner l’avocat par lettre recommandée avec accusé de réception impose au mis en examen libre ou placé sous contrôle judiciaire de parcourir le cas échéant des centaines de kilomètres pour informer le magistrat du choix d’un nouveau conseil. Du point de vue du bilan carbone, ce n’est pas fameux ! À une époque où l’on demande de plus en plus aux personnes si elles acceptent d’être prévenues par voie électronique, c’est contraire à toutes les règles du bon sens. Cette mesure incohérente et dérogatoire, que nous n’avions d’ailleurs pas adoptée pour le terrorisme, ne vise de toute évidence qu’à gêner la défense.
M. Roger Vicot, rapporteur. Je suis très séduit par les arguments de Mme Capdevielle et je demande à M. Amirshahi de retirer son amendement au profit du sien.
L’amendement CL496 étant retiré, la commission adopte l'amendement CL217.
En conséquence, les amendements identiques CL609 de M. Roger Vicot et CL243 de M. Michaël Taverne tombent.
Amendement CL465 de M. Sébastien Huyghe
M. Sébastien Huyghe (EPR). Mon amendement vise à permettre la transmission par voie dématérialisée de la copie adressée au juge d’instruction.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis défavorable. L'amendement rend obligatoire la voie dématérialisée, à l’exclusion de tout autre moyen. Je vous invite à le réécrire en vue de la séance publique.
M. Sébastien Huyghe (EPR). En effet, la voie dématérialisée doit seulement être une option.
L'amendement est retiré.
Amendement CL91 de Mme Pascale Bordes
Mme Pascale Bordes (RN). Il vise à ramener à trois mois le délai pour déposer une requête en nullité au cours de l’information judiciaire. Les travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic ont permis de repérer les failles juridiques utilisées par les narcotrafiquants, parmi lesquelles l’utilisation dolosive d’une partie des règles du code de procédure pénale. Le fait d’attendre le dernier jour pour déposer une requête en nullité concernant un acte d’information fait tomber de nombreuses procédures et retarde l’issue de l’information judiciaire en cours. Ce n’est pas admissible. Pour déposer une requête en nullité, point n’est besoin d’attendre six mois. L’avocat peut le faire dès la réception du dossier. Il est inutile d’allonger le délai.
M. Roger Vicot, rapporteur. Sauf que cela peut être utile dans certains cas. L’article 20 propose déjà plusieurs aménagements au régime de nullité. Vous proposez d’aller plus loin en ramenant le délai de six à trois mois, ce qui risque de porter une atteinte significative aux droits de la défense. Avis défavorable.
Mme Pascale Bordes (RN). Est-ce dans l’intérêt des narcotrafiquants, ou dans l’intérêt de la société et des éventuelles victimes ?
La commission rejette l'amendement.
Amendement CL238 de Mme Colette Capdevielle
Mme Colette Capdevielle (SOC). J’indique à Mme Bordes que la possibilité de faire constater la nullité d’une procédure est déjà très encadrée. Je me souviens d’une époque où il était possible de soulever ce moyen jusqu’à l’audience.
L'amendement vise à corriger les dispositions de l’article 385 du code de procédure pénale relatives à la compétence du tribunal correctionnel de constater la nullité des procédures qui lui sont soumises. Dans l’urgence, après une question prioritaire de constitutionnalité, nous avons adopté le 26 novembre 2024 la loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités, selon laquelle le constat doit être effectué « avant la clôture de l’instruction ou avant l’expiration des délais d’un mois ou de trois mois prévus à l’article 175 ». Cette formule est redondante, car le terme « clôture de l’instruction » couvre le délai d’un ou trois mois.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis extrêmement favorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous attendions les débats en commission avant de fixer notre position sur cet article. Il faut trouver un équilibre entre l’efficacité du dispositif et le respect des droits et des libertés.
Madame Bordes, vous donnez l’impression que, si l’on n’est pas d’accord avec vous, on est pour le narcotrafic. Je ne vous accuse pas de cela, moi. Je pense que votre logique est mauvaise, mais je ne remets pas en cause votre volonté de lutter contre le narcotrafic. Vous n’admettez pas les avis différents. Vos électeurs devraient être très inquiets de la manière dont vous traiteriez les oppositions si jamais vous arriviez au pouvoir.
Les chiffres concernant la rémunération des informateurs demandés par M. Marleix figurent dans notre rapport d’information. Pour l’année 2021, au total 2,48 millions d'euros ont permis de procéder à 4 619 interpellations et de saisir 40,5 tonnes de cannabis, 2 tonnes de cocaïne et 283 kilogrammes d’héroïne. Le Rassemblement national s’est positionné contre ce dispositif pourtant efficace.
M. Michaël Taverne (RN). Je vous remercie pour l’hommage que vous m’avez rendu, monsieur le rapporteur. Il y a vingt-cinq ans, j’ai commencé ma carrière chez vous, à Lomme, à la brigade anticriminalité. Je répondrai à nos collègues d’extrême gauche que M. le rapporteur et moi-même avons travaillé le texte, contrairement à eux, puisque nous avons remarqué une erreur – les sénateurs s’étaient trompés d’article.
Il faut se mettre à la place des agents de la police judiciaire qui traitent le haut du spectre : ce sont des passionnés qui ont trente ans d’expérience et qui travaillent soixante-dix heures par semaine, et ils nous voient déposer des amendements complètement farfelus qui risquent de leur poser problème. Je me fais leur porte-parole, mais aussi celui des magistrats, puisque tout est centralisé au Bastion – si vous ne connaissez pas, je vous invite à vous y rendre pour un stage d’immersion qui sera très instructif.
Les magistrats ont bien indiqué que le régime des nullités était une faille largement utilisée par les organisations criminelles. Ils proposent un compromis qui fixe le délai à trois mois. C’est une très mauvaise soirée pour les Français et une très bonne soirée pour les organisations criminelles.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous sommes favorables à l'amendement de Mme Capdevielle.
La commission adopte l'amendement.
Elle adopte l’article 20 modifié.
Article 20 bis (nouveau) (art. 324-1 du code pénal) : Caractère nécessairement occulte de l’infraction de blanchiment
Amendements de suppression CL64 de M. Ugo Bernalicis et CL458 de Mme Naïma Moutchou
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’article vise à rendre occulte par nature l’infraction de blanchiment afin de reporter le point de départ du délai de prescription au jour où l’infraction est découverte. Cette ambition est déjà satisfaite par la jurisprudence.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis très favorable.
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 20 bis est supprimé.
Article 20 ter (nouveau) (art. 495-7 du code de procédure pénale) : Extension de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité aux crimes prévus en matière de trafic de stupéfiants
Amendements de suppression CL70 de M. Ugo Bernalicis, CL121 de M. Jérémie Iordanoff, CL218 de Mme Colette Capdevielle, CL252 de Mme Émeline K/Bidi et CL459 de Mme Naïma Moutchou
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cet article, introduit au Sénat, prévoit d’étendre la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) aux crimes liés au trafic de drogue. Autant nous sommes favorables au statut des repentis, autant nous sommes opposés par principe à la CRPC. Depuis 2017, nous déposons régulièrement des amendements visant à la supprimer, d’une part parce qu’elle ne répond pas aux exigences qu’on devrait avoir pour une procédure pénale, d’autre part car la victime y tient une place annexe. Dans une CRPC, on invite la personne mise en cause à reconnaître les faits, même si tous les éléments ne sont pas réunis, en partant de l’idée qu’elle sera forcément condamnée plus lourdement à l’audience. Mais comment pourrait-on connaître par avance l’issue du débat judiciaire, a fortiori en matière criminelle ?
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Nous voulons supprimer la possibilité que la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité soit applicable à des crimes. En application de l’article 495-7 du code de procédure pénale, lorsqu’une personne poursuivie pour certains délits reconnaît les faits qui lui sont reprochés, le procureur de la République peut, d’office ou à la demande de l'intéressé, recourir à la procédure de CRPC. Si la personne accepte la peine que le procureur de la République lui propose, le président du tribunal judiciaire, ou le juge délégué par lui, est saisi d’une requête en homologation et lorsqu’il décide d’homologuer la peine, l’ordonnance d’homologation a les effets d’un jugement de condamnation et la personne condamnée peut interjeter appel.
Cette procédure n'est pas adaptée aux crimes. En la matière, on ne peut chercher à alléger les audiences et à diminuer les délais de jugement – justification qui avait été avancée pour la CRPC classique. Ce serait une grave dérive, alors que la soustraction de certaines infractions au jury populaire au profit de la cour criminelle départementale fait déjà débat. Les crimes doivent être jugés par une cour d'assises. Cela doit rester un principe. En aucun cas le parquet ne peut avoir d’autre compétence que celle de mettre en mouvement l’action publique et de requérir une peine à l’audience.
Mme Colette Capdevielle (SOC). J’ai dû relire le texte à plusieurs reprises. Comment l’idée a-t-elle bien pu venir aux sénateurs d’étendre la CRPC en matière criminelle ? Premièrement, c’est très irrespectueux vis-à-vis des victimes, dont les droits sont réduits ; d’ailleurs, souvent, on oublie qu’il y a des victimes. Deuxièmement, la CRPC est souvent une justice cachée pour les personnes importantes qui auraient commis des infractions pas trop graves en matière correctionnelle, comme la conduite en état d’ivresse. Si notre commission se penchait sur le sujet, elle aurait de sacrées surprises : dans certaines juridictions, en fonction de votre patronyme et de votre statut social, soit vous comparaissez lors d’une audience publique, soit vous négociez tranquillement une CRPC avec le parquet. Je l’ai vu moi-même. Proposer la même chose en matière criminelle, c’est délirant ! Plus l’infraction est grave, plus il faut garantir un débat contradictoire et le respect des droits de la défense.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Nous sommes très surpris par l’idée qui est sortie de la tête des sénateurs. Plus la matière est compliquée et plus les faits sont graves, plus il faut renforcer le contradictoire. Nous avons voté ce matin la création d’une mission d’information sur l’évaluation des cours criminelles départementales, auxquelles on transfère des dossiers venant des cours d’assises, pour savoir si cela fonctionne bien. Et l’on voudrait maintenant aller chercher des affaires jugées en cour criminelle départementale pour les faire passer en CRPC ? C’est fou. Par ailleurs, je rappelle que les audiences accordent une place de qualité aux victimes et leur garantissent une bonne information.
M. Roger Vicot, rapporteur. M. Iordanoff a tout résumé en une phrase : un crime doit être jugé aux assises. Il n’y a aucune raison valable, dans le haut du spectre dont nous parlons, pour négocier une peine à la baisse sans que les victimes soient prises en compte. Je suis très favorable à la suppression de l’article.
Mme Pascale Bordes (RN). Nous sommes d’accord avec ces amendements de suppression. La CRPC a été créée pour désengorger le tribunal correctionnel ; le gros des troupes est formé par les conduites en état d’ivresse ou sous l’emprise de produits stupéfiants. Il n’est pas question que les crimes et délits liés au trafic de stupéfiants du haut du spectre, qui relèvent de la cour d’assises ou de la cour criminelle départementale, passent en CRPC. Je n’ose penser à quoi est due l’idée qui a traversé l’esprit des sénateurs. Autant dépénaliser la drogue, cela ira plus vite ! Et les juridictions correctionnelles et les cours d’assises n’auront plus une grande activité…
La commission adopte les amendements.
En conséquence, l’article 20 ter est supprimé et les amendements CL73 de M. Antoine Léaument et CL122 de M. Jérémie Iordanoff tombent.
Article 21 (art. 689-11 du code de procédure pénale) : Compétence des juridictions françaises en haute mer pour la lutte contre le narcotrafic
Amendement de suppression CL612 de M. Roger Vicot
M. Roger Vicot, rapporteur. L’article 21, dans sa version initiale, permettait à un navire français d’arraisonner un navire suspecté de se livrer au trafic de stupéfiants, pour répondre à des difficultés opérationnelles identifiées par la commission d’enquête. Le Sénat a supprimé cette possibilité qui paraissait incompatible avec les conventions internationales régissant le droit de la mer. Dès lors, il semble que l’article 21 soit dénué d’intérêt pratique.
M. Michaël Taverne (RN). C’était une demande des policiers de l’Office français antistupéfiants. La plupart des pays du monde adaptent leur cadre juridique pour arraisonner les navires étrangers suspects. J’ai lu attentivement le rapport de MM. Léaument et Mendes, qui préconisent eux aussi une évolution du cadre juridique. Les organisations criminelles utilisent nos failles, et les aéroports secondaires et les voies maritimes sont des filières de passage importantes. Il est dommage de supprimer cette disposition plutôt que de la corriger.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous voterons contre cet amendement de suppression, même si l’article 21 présente une difficulté puisqu’il donne au droit français un caractère extraterritorial.
On sait que les États-Unis vont parfois assez loin en matière d’extraterritorialité : après tout, nous pourrions nous en inspirer pour affirmer notre souveraineté. Néanmoins, Ludovic Mendes et moi-même avions plutôt recommandé dans notre rapport d’information de renégocier le cadre juridique international applicable aux opérations d’arraisonnement des navires suspects étrangers. C’est la méthode la plus efficace pour obtenir des résultats rapides.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Il me semblait que l’objet principal de l’article était d’arraisonner un navire sans prévenir l’État du pavillon. J’étais plutôt favorable à la réécriture effectuée par le Sénat, mais le rapporteur pourrait-il expliquer le rapport avec la notion d’exterritorialité ?
M. Olivier Marleix (DR). La loi Sapin 2 a déjà un aspect extraterritorial puisque les actes de corruption sont punissables en France si la personne est de nationalité française, si elle réside régulièrement en France ou si elle exerce une partie même infime de son activité sur le territoire national. N’y a-t-il pas un mécanisme à trouver qui permette d’arraisonner les navires, plutôt que de dire que les conventions internationales nous interdisent tout ?
M. Roger Vicot, rapporteur. Le droit international de la mer ne permet pas d’arraisonner un navire étranger sans demander l’autorisation à l’État du pavillon. Je maintiens donc mon amendement de suppression. Comme l’a dit M. Léaument, la meilleure solution consistera, dans un deuxième temps, à renégocier le droit de la mer.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article 21 est supprimé et l’amendement CL76 de M. Antoine Léaument tombe.
Article 21 bis (nouveau) (art. 230-22 du code pénal) : Extension de la durée de conservation des données relatives à la criminalité et la délinquance organisées dans les logiciels de rapprochement judiciaire
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL614 de M. Roger Vicot, rapporteur.
Amendement CL78 de M. Ugo Bernalicis
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Cet amendement propose que la conservation des données collectées soit limitée à neuf ans : cela laisse le temps nécessaire aux enquêtes, en gardant le principe d’une limite.
M. Roger Vicot, rapporteur. Certaines enquêtes particulièrement complexes peuvent nécessiter que les données soient conservées pendant plus de neuf ans. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement de coordination CL617 de M. Roger Vicot, rapporteur.
La commission adopte l’article 21 bis modifié.
Article 21 ter (nouveau) (art. 706-90 du code de procédure pénale, art. 64, 64 bis [nouveau] et 64 ter [nouveau] du code des douanes) : Extension des perquisitions et des visites douanières de nuit
Amendements de suppression CL80 de M. Antoine Léaument, CL239 de Mme Colette Capdevielle et CL419 de M. Pouria Amirshahi
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous proposons de supprimer l’extension des cas dans lesquels la perquisition de nuit au sein d’une habitation est autorisée lors d’une enquête préliminaire.
La seule fois où il m’a été dit lors d’auditions que les perquisitions de nuit pouvaient être utiles, c’était à propos de la Guyane : cette dernière étant située sur l’Équateur, à 6 heures tout le monde est déjà réveillé et les perquisitions sont peu efficaces.
Avec Ludovic Mendes, nous avions alors réfléchi au sujet mais nous avions conclu qu’élargir le champ des perquisitions de nuit irait trop loin par rapport au respect des droits et des libertés. Quand on organise une perquisition dans un logement la nuit, les enfants vont en être les victimes alors qu’ils n’ont rien à voir avec le trafic.
Mme Pascale Bordes (RN). Ils sont déjà victimes de leurs parents.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). J’espère que vos électeurs n’entendent pas le genre de propos que vous tenez. Vous considérez que les enfants ont d’une certaine manière une part de responsabilité dans le trafic de stupéfiants. Vous allez vraiment très loin. Je ne sais pas jusqu’à quel point exactement, mais je suis très inquiet de ce que vous feriez si d’aventure vous arriviez au pouvoir.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Les perquisitions de nuit sont déjà possibles en cas de flagrance ou dans le cadre d’une information judiciaire, sur autorisation du juge d’instruction.
Cet article permet d’y recourir dans le cadre d’une enquête préliminaire. Cela risque de fragiliser le cadre procédural en rapprochant l’enquête préliminaire et l’instruction ; or cette dernière permet l’exercice du contradictoire. Il faut limiter les exceptions au principe d’interdiction des perquisitions de nuit. Nous sommes donc opposés à cet article.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable.
Mme Edwige Diaz (RN). L’article que vous voulez supprimer étend les possibilités de procéder de nuit à des perquisitions, des visites domiciliaires et des saisies de pièces à conviction. Je précise que cette extension est prévue en cas d’urgence, notamment quand il s’agit d’un crime ou d’un délit flagrant, ou qu’il existe un risque immédiat de disparition des preuves.
Nous avons plusieurs raisons pour voter contre cet amendement. D’abord, il est très mal écrit. Il est indiqué dans l’exposé sommaire de l’amendement CL80 que « la nuit bénéficie d’une protection juridique renforcée ». Nous parlons de permettre aux policiers de pénétrer dans des lieux qui abritent potentiellement des délinquants ou des criminels ; la France insoumise, elle, parle de la nécessité de protéger la nuit – et les Français, eux, veulent simplement la paix.
Ensuite, cet amendement semble rédigé par le lobby des trafiquants. Je ne vois aucune trace de l’intérêt général, aucune volonté d’aider les enquêteurs. Ce qui est flagrant en revanche, c’est l’obsession de La France insoumise de laisser les suspects dormir paisiblement.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Nous, nous sommes du côté de l’État de droit, et c’est tout à notre honneur. Nous ne nous inscrivons pas dans la logique du « œil pour œil, dent pour dent ». On ne peut pas considérer, a fortiori en tant que législateur, que parce qu’on a affaire à de mauvaises personnes – ce qui est sans doute le cas –, il faudrait adopter leur conduite. C’est ainsi, et ça l’est depuis le début de l’histoire des gendarmes et des voleurs. Sinon, on aboutirait à quelque chose qui n’est plus l’État de droit auquel nous sommes attachés.
M. Roger Vicot, rapporteur. Mme Diaz a parlé du lobby des trafiquants. Pourrait-elle préciser qui le représente ? Comment ce lobby agit-il ? Sous quelle forme, avec quelles méthodes ?
Mme Edwige Diaz (RN). Depuis le début de l’examen de ce texte, on voit qui travaille au service des trafiquants.
M. Roger Vicot, rapporteur. Répondez de manière précise !
Mme Edwige Diaz (RN). Je suis en train de le faire mais vous semblez très embêté par ma réponse. Les Français se feront leur avis, monsieur le rapporteur. Nous, nous sommes du côté des forces de l’ordre alors que des députés de cette commission sont vraisemblablement d’un autre côté.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL420 de M. Pouria Amirshahi
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Cet amendement de repli propose de supprimer les cinq premiers alinéas de l’article.
Il est important de défendre les libertés publiques et le principe de proportionnalité. Si l’on suivait l’argumentation de Mme Diaz, il faudrait complètement supprimer la notion de vie privée et permettre les perquisitions à tout moment. Or je rappelle que nous parlons en l’occurrence d’enquêtes préliminaires.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable.
Mme Colette Capdevielle (SOC). À en croire les députés du RN, nous serions de grands laxistes. Nous souhaitons simplement rester dans un État de droit, ce qui signifie que ces perquisitions doivent rester encadrées.
Car ces perquisitions de nuit existent déjà. Elles sont prévues par l’article 706-89 du code de procédure pénale et se font sur demande d’un procureur de la République et sur autorisation d’un juge d’instruction, dans le cadre d’une information judiciaire ou en cas de flagrance. Dès lors, expliquez-nous en quoi cet article serait utile ?
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Nous continuons à défendre le principe de l’interdiction des perquisitions de nuit, quand bien même des exceptions existent dans notre droit.
Les députés du RN semblent outrés que l’on puisse reconnaître des droits à des gens qui ont commis des infractions, y compris lorsqu’elles sont extrêmement graves. C’est que, contrairement aux narcotrafiquants, nous respectons la dignité humaine – y compris la leur. Ne jamais céder sur ce point est un acquis fondamental des républicains et des humanistes. Si nous le faisions, nous ne vaudrions pas mieux que les criminels.
L’État ne doit pas se comporter comme un voyou, jamais. C’est l’essence même de l’État de droit et de la République. Nous défendrons toujours cette position, sans quoi nous serions dans un autre régime politique.
M. Yoann Gillet (RN). Depuis que nous avons commencé l’examen de ce texte, vous utilisez le prétexte des droits de la défense pour mettre un maximum de bâtons dans les roues des enquêteurs. Pour notre part, nous défendons la justice, les forces de l’ordre et les victimes.
Vous montrez votre vrai visage, et les Français commencent à le connaître. Vous êtes tout simplement du côté du mal et des forces obscures. Vous faites tout pour empêcher les enquêteurs, les forces de l’ordre, la justice d’agir pour le bien commun. Vous prétendez privilégier les droits de la défense, mais en réalité vous vous préoccupez du bien-être des délinquants et des criminels.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL244 de M. Michaël Taverne
M. Michaël Taverne (RN). Nos amendements résultent de notre travail sur ce texte. Les vôtres ne visent qu’à supprimer à tour de bras. Vous avez bien dit que votre stratégie était de dénaturer ce texte, qui vise tout de même à sortir du narcotrafic, et ensuite de voter contre. Cela vous amuse, et les Français le voient.
Vous n’allez pas nous apprendre le droit : nous savons très bien que les perquisitions de nuit sont possibles. Croyez-vous que les policiers et les gendarmes décident d’en faire une pour le plaisir ? Ils y procèdent bien entendu sous l’autorité d’un magistrat. Arrêtez donc de raconter n’importe quoi sur l’État de droit. D’ailleurs, cet article répond aussi à une demande des magistrats. Il faut les écouter.
Par ailleurs, on voit que vous n’avez jamais effectué une perquisition : pour ma part, je ne vois guère de différence entre 4 heures et 6 heures du matin.
Cet amendement propose d’étendre les perquisitions à l’ensemble des crimes et délits commis en bande organisée, ainsi qu’aux délits d’association de malfaiteurs les plus graves. Cela permettra aux forces de l’ordre de saisir de la drogue et des armes dès qu’elles ont une information et l’autorisation du juge.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis défavorable, pour les raisons que j’ai déjà évoquées.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je connais les perquisitions, j’en ai subi une dans le cadre de l’enquête sur les assistants parlementaires de La France insoumise, monsieur Taverne ! Les policiers sont arrivés à 7 h 30. Comme ils ne savaient pas exactement où j’habitais, ils ont toqué aux portes de tous mes voisins. Si vous effectuez des perquisitions à 3 heures du matin, vous allez embêter tous les gens alentour… À ce propos, j’attends toujours la suite de cette affaire : cela fait maintenant huit ans, et l’on ne sait pas où elle en est.
Essayons d’en venir au fond. Qu’est-ce qui provoque le trafic ? C’est la rencontre d’une offre et d’une demande. Vous vous focalisez sur l’offre – et encore traitez-vous le sujet d’une manière déplorable, car non, ce texte ne fera pas sortir la France du narcotrafic. Vous en restez au titre mensonger choisi par les sénateurs, alors que tout à l’heure, Mme Bordes est allée pratiquement jusqu’à les accuser de participer au trafic !
Je considère pour ma part que certaines dispositions sont utiles, notamment celles qui concernent les infiltrations – que vous n’avez pas votées. Se doter de moyens pour obtenir des informations et cibler le haut du spectre, cela, vous le refusez. Mais les peines de prison, les perquisitions de nuit et toutes ces choses qui ne servent à rien, vous vous précipitez pour les voter : cela vous permet de vous faire plaisir à peu de frais ! C’est lamentable.
M. Yoann Gillet (RN). Il faut quand même rappeler quelques vérités à l’extrême gauche. Qui a voté contre les lois de programmation en faveur de la justice et de l’intérieur ? C’est bien la gauche. Elles n’étaient pas parfaites, mais elles accordaient malgré tout des moyens supplémentaires.
Pourquoi faut-il assouplir les règles s’agissant des perquisitions ? Parce que tous ceux qui ont des choses à se reprocher en matière de stupéfiants les connaissent pertinemment. Dès lors, que se passe-t-il dans les quartiers totalement gangrenés par les trafics ? À partir de 5 heures et demie, les mêmes choufs qui officient en journée pour signaler l’arrivée de la police aux points de deal sont à pied d’œuvre pour donner l’alerte. Si vous allez sur le terrain, les membres des forces de l’ordre vous montreront à quel point les trafiquants sont organisés pour se prémunir des perquisitions.
Il faut faire confiance aux magistrats et aux policiers et leur donner les moyens de faire leur travail, qui consiste à éradiquer le trafic de stupéfiants.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL310 de M. Jocelyn Dessigny
M. Jocelyn Dessigny (RN). Il y a ceux qui travaillent pour ce texte qui veut lutter contre le narcotrafic, et ceux qui travaillent contre. Chacun pourra tirer ses propres conclusions.
Il y a des manques dans ce texte, notamment s’agissant de la lutte contre la consommation, de la prévention et des aspects médicaux. Il ne permettra donc pas de régler le problème de la demande, mais il contribuera quand même à traiter en partie celui de l’offre.
Pour notre part, à chaque fois que nous pourrons mettre des bâtons dans les roues des narcotrafiquants, nous le ferons. Nous donnerons à nos forces de l’ordre les moyens d’agir et d’entraver au maximum ce trafic. Vous, vous dites que vous voulez lutter contre la demande, mais que proposez-vous en pratique ? Où sont vos amendements sur le sujet ? Vous vous contentez de vociférer avec vos collègues de La France insoumise, monsieur Léaument.
Vous nous avez longuement parlé de votre rapport d’information, sur lequel vous avez travaillé pendant un an. Très bien. Nous, cela fait quarante ans que nous mettons en garde contre les dangers du narcotrafic. Et maintenant que nous y sommes, non seulement vous ne suggérez toujours rien, mais vous vous opposez au peu qui est proposé, même incomplet.
Mon amendement prévoit que l’autorisation de procéder de nuit à des perquisitions peut être donnée par le procureur de la République lorsque le juge des libertés et de la détention n’est pas immédiatement disponible. Car non, les trafiquants n’attendent pas six heures du matin pour supprimer des preuves : il faut parfois pouvoir agir vite.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis défavorable. La confusion entre les rôles des magistrats du siège et du parquet fait peser un risque évident d’inconstitutionnalité.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Il faut dire à nos collègues du Rassemblement national qu’il y a toujours un magistrat du parquet ou un magistrat instructeur de permanence. Ils sont donc à tout moment en mesure de donner des autorisations de perquisition.
Ensuite, vous qui faites comme si une perquisition était un acte anodin qui n’a pas de caractère intrusif, demandez donc à Mme Le Pen ce qu’elle en pense depuis qu’elle a subi une perquisition – de jour – en 2016. Au lieu de respecter la loi, elle a défié les policiers et les a filmés. Quand ils s’en sont rendu compte et qu’ils lui ont demandé son téléphone, elle l’a placé dans son soutien-gorge. Cela n’a pas l’air très anodin.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Mme Capdevielle rappelle un épisode assez lamentable : si mes souvenirs sont bons, Mme Le Pen avait effectivement caché son téléphone dans un endroit qui rendait difficile de le lui subtiliser. Pour ma part, n’ayant rien à cacher, j’avais laissé les policiers prendre tout ce qu’ils voulaient – et j’attends toujours de leurs nouvelles. Il y avait tout de même une difficulté, c’est qu’on nous empêchait de constater ce qui se passait durant la perquisition, ce qui pose problème s’agissant d’un groupe politique d’opposition.
Monsieur Dessigny, les amendements déposés par mon collègue Bernalicis et moi-même portant sur la prévention spécialisée, sur les éducateurs spécialisés et sur la légalisation du cannabis, ainsi que sur la création d’une plateforme nationale de signalement de la corruption, ont malheureusement tous été jugés irrecevables. Sinon, nous les aurions défendus. Respectueux des règles de la République, nous nous en remettons à la sagesse du président de cette commission, mais nous tenterons à nouveau notre chance pour la séance publique, en espérant que la présidente de l’Assemblée nationale manifestera plus de mansuétude.
M. le président Florent Boudié. Ce n’est pas certain.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Monsieur Léaument, si vos multiples amendements n’ont pas été jugés recevables, interrogez-vous sur leur rédaction. Vous critiquez tout le monde, mais votre propre travail n’est visiblement pas très bon non plus. Quant aux attaques personnelles visant Mme Le Pen je n’y répondrai pas. Je constate seulement que c’est lorsqu’on ne parvient pas à attaquer sur le fond que l’on procède ainsi.
Madame Capdevielle, pour ce qui concerne les permanences des magistrats, je ne prendrai que l’exemple de ma circonscription : le parquet de Soissons, qui devrait normalement être composé de cinq magistrats, n’en compte plus que trois, ou plutôt deux en tenant compte du manque de procureur. On comprend donc qu’il faille chercher des solutions pour que les enquêtes soient menées et que la police puisse faire son travail. Enfin, c’est au Conseil constitutionnel, et pas à vous, qu’il revient de juger de la constitutionnalité de mon amendement.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 21 ter non modifié.
Première réunion du vendredi 7 mars 2025 à 9 heures
Lien vidéo : https://assnat.fr/9jPRLx
Article 21 quater (nouveau) (art. 344‑5 [nouveau] du code des douanes) : Réquisition des agents des douanes par commission rogatoire
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL620 de M. Roger Vicot, rapporteur.
Elle adopte l’article 21 quater modifié.
Article 21 quinquies (nouveau) (art. 28‑1 du code de procédure pénale et art. 67 bis‑6 et 67 bis‑7 [nouveaux] du code des douanes) : Utilisation des techniques spéciales d’enquêtes par les agents des douanes
Amendements de suppression CL621 de M. Roger Vicot et CL74 de M. Ugo Bernalicis
M. Roger Vicot, rapporteur. Nous proposons de supprimer cet article qui étend aux agents des douanes la possibilité d’avoir recours aux techniques spéciales d’enquête et au procès-verbal distinct. Cela serait cohérent avec les votes intervenus hier.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cette extension à des agents qui n’ont pas de qualification judiciaire n’est pas nécessaire ; elle amoindrirait les garanties liées à la qualité d’officier de police judiciaire (OPJ). Restons-en au périmètre actuel.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Il paraît important de conserver un minimum de pouvoir à nos forces de l’ordre et à nos douaniers. Nous voterons contre ces amendements.
La commission rejette les amendements.
Amendements identiques CL77 de M. Antoine Léaument et CL418 de M. Jérémie Iordanoff
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). C’est un amendement de repli, qui ne supprime que l’alinéa 7, qui porte sur le procès-verbal distinct. Nous avons supprimé le dossier coffre hier : continuons sur cette lancée.
Mme Sandra Regol (EcoS). Adopter cet amendement serait cohérent avec nos votes d’hier.
M. Roger Vicot, rapporteur. Avis favorable.
La commission rejette les amendements.
Elle adopte l’article 21 quinquies non modifié.
TITRE VI
LUTTE CONTRE LA CORRUPTION LIÉE AU NARCOTRAFIC ET CONTRE LA POURSUITE DES TRAFICS EN PRISON
Article 22 (art. L. 114-1, L. 114-3 [nouveau] et L. 263-1 du code de la sécurité intérieure, art. L. 5241-4-5, L. 5312-7, L. 5312-9, L. 5313-8, L. 5332-1, L. 5332-7, L. 5332-10, L. 5332-11, L. 5332-14, L. 5332-15, L. 5332-16 [nouveau], L. 5332-17 [nouveau], L. 5332-18 [nouveau], L. 5332-19 [nouveau], L. 5343-24, L. 5343-25, L. 6321-3-1, L. 6321-3-2, L. 6341-5 du code des transports, 17 et 17-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, 11-2-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Diverses dispositions renforçant la lutte contre la corruption
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL602 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL606 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement supprime la procédure de signalement par l’intermédiaire d’un point de contact unique, qui apparaît redondante avec les dispositions relatives aux lanceurs d’alerte.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements CL82 de M. Ugo Bernalicis, CL81 de M. Antoine Léaument, CL79 de M. Ugo Bernalicis, CL72 de M. Antoine Léaument, CL69 de M. Antoine Léaument et CL67 de M. Antoine Léaument tombent.
Elle adopte les amendements rédactionnels CL603 et CL604 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL607 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il s’agit d’assurer l’application des dispositions de l’article 22 intégrées au code de la sécurité intérieure en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à Wallis-et-Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’amendement de coordination CL608 et les amendements rédactionnels CL610 et CL611, tous de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL61 de M. Antoine Léaument
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Il s’agit de supprimer les dispositions permettant à l’autorité administrative d’exiger, par voie de convention, la mise à disposition des images captées par les systèmes de vidéosurveillance des ports. Pour respecter les libertés publiques, le recours à la vidéosurveillance doit se faire sous le contrôle du juge.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. La situation actuelle est sinon anarchique, à tout le moins très hétérogène, avec une grande liberté de pratique laissée aux opérateurs portuaires. L’encadrement prévu ici est bien plus respectueux du droit au respect à la vie privée et des libertés individuelles.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Une fois de plus, on essaye d’entraver l’action de nos forces de l’ordre, qui doivent parfois intervenir rapidement et activer micros et caméras. Nous voterons contre cet amendement.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Puisque, à l’heure actuelle, l’État fait à peu près ce qu’il veut, inscrivons la pratique dans la loi : voilà votre argument, monsieur le rapporteur. Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons d’un cadre d’usage proportionné d’outils qui portent évidemment atteinte à la vie privée, puisqu’ils vous filment et vous enregistrent. S’il faut faire une enquête, il suffit de demander l’accord du juge.
Aujourd’hui, on envoie les accès à la vidéosurveillance de manière déportée un peu partout, dans tous les centres de commandement des hôtels de police. On a des caméras partout, la délinquance a-t-elle diminué ? Selon le Rassemblement national, non ! On pourrait en conclure qu’il n’y a toujours pas de corrélation entre le nombre de caméras installées et le niveau de délinquance. Cela n’améliore pas non plus l’efficacité des enquêtes : si la vidéosurveillance aide parfois à la résolution d’un cas, elle n’est jamais l’élément déterminant. La vidéosurveillance ne remplace pas les êtres humains.
L’idée qu’il faille en permanence pouvoir accéder à des images, par principe, est une lubie disproportionnée.
Mme Sandra Regol (EcoS). Il est déjà possible de demander à l’accès à certaines images. Cet article légitime certaines pratiques existantes : arrêtez de faire croire qu’en votant cet amendement, nous voterions contre des moyens d’action, car ils existent déjà en grande partie.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte les amendements rédactionnels CL613 et CL615 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL58 de M. Ugo Bernalicis
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous refusons d’attribuer davantage de pouvoirs de contrôle à des agents qui ne sont pas supervisés par un officier de police judiciaire ou un agent des douanes dans les ports.
Les ports constituent une zone de particulière fragilité en matière de trafic de stupéfiants. Mais il y a des moyens de lutte contre ce phénomène plus efficaces que ceux qui sont prévus ici. Le rapport que j’ai rédigé avec M. Mendes recommande ainsi la mise en place de scanners.
Nous avions également proposé d’instaurer une plateforme nationale de signalement de la corruption. Malheureusement, ces amendements ont été jugés irrecevables, alors même que des signalements par installation sont mis en place. Or je considère que les signalements locaux sont dangereux : les criminels sauront ainsi qui il faut corrompre pour obtenir des informations… Je m’inquiète de la mise en danger des personnes concernées.
M. le président Florent Boudié. Ces amendements ont été jugés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution : je dois vous renvoyer vers le président de la commission des finances.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. Ces dispositions amélioreront les opérations de contrôle. Elles s’inspirent d’ailleurs de ce qui existe déjà pour les agents privés de sécurité.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Prenons les choses dans l’autre sens : si cela n’apporte rien, à quoi bon former des agents à la qualification judiciaire ?
On le voit depuis 2017 au moins : pour simplifier, on veut autoriser un maximum de personnes à faire un maximum de choses. Mais la qualification judiciaire garantit aux citoyennes et aux citoyens le respect du principe de sûreté, inscrit à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les agents formés chercheront l’équilibre, se demanderont si une atteinte aux libertés est disproportionnée ou pas. Le Conseil constitutionnel a déjà censuré des dispositifs qui donnaient des outils nouveaux à des agents qui ne disposaient pas de cette qualification : c’est là une garantie qui n’est pas superfétatoire.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL616 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement précise les installations portuaires dans lesquelles l’accès est soumis à autorisation en supprimant la référence au parc à conteneurs, qui apparaît inopportune dès lors que celui-ci constitue une partie intégrante du terminal de conteneurs.
Par ailleurs, il est en pratique très difficile de délimiter les parcs à conteneurs et de contrôler leur accès.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement CL437 de Mme Agnès Firmin Le Bodo tombe.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Mon amendement CL437 était dans le même esprit, mais je m’interroge sur la nécessité de maintenir la notion de conteneurs « commerciaux ». Ne le sont-ils pas tous ? Quel est l’intérêt de cette précision ?
Amendement CL619 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Le présent amendement précise la rédaction des dispositions renforçant l’habilitation des agents accédant aux systèmes d’information des ports. Il prévoit que cet accès, pour lequel une habilitation est prévue, se fait sous la responsabilité des autorités portuaires ou des exploitants des installations portuaires.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL622 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement supprime le principe de la réalisation systématique des enquêtes administratives de sécurité pour les personnes accédant de manière temporaire aux zones à accès restreint des ports et prévoit la possibilité, pour l’autorité administrative compétente, de demander la réalisation de telles enquêtes sur les personnes accédant de manière temporaire à ces zones eu égard aux circonstances locales.
Il est en effet apparu au cours des auditions qu’une telle obligation entraînerait des contraintes importantes et parfois non nécessaires, notamment parce que de nombreuses personnes accèdent à ces installations pour moins de vingt-quatre heures.
Mme Sandra Regol (EcoS). Jusqu’à maintenant, vous vouliez renforcer tous les contrôles ; ici, vous voulez laisser un accès sans contrôle à des ports dont on sait qu’ils servent à importer des dizaines de tonnes de drogue.
Et nous venons d’offrir un argument formidable à tous les avocats qui voudront faire voler en éclats des procédures avec la distinction entre conteneurs commerciaux et non commerciaux.
Je ne comprends pas bien la succession des amendements.
M. Vincent Caure, rapporteur. Le contrôle demeure ; il relève de l’autorité portuaire. En revanche, la nécessité d’une autorisation précédée d’une enquête complète est laissée à l’appréciation de l’autorité portuaire. Un grand nombre de personnes accèdent à ces zones pour des durées très courtes : un contrôle systématique provoquerait une embolie de l’autorité chargée de diligenter ces enquêtes administratives.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL440 de Mme Agnès Firmin Le Bodo
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Il est dans le même esprit que celui du rapporteur – je suis même surprise que l’adoption du précédent ne l’ait pas fait tomber.
Il s’agit de renforcer les contrôles, mais aussi de rendre nos règles opérationnelles.
M. Vincent Caure, rapporteur. L’amendement CL616 me paraît suffisant. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL438 de Mme Agnès Firmin Le Bodo
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). M. Lecoq avait déposé un amendement similaire : on voit combien la sécurité des ports est importante.
Les règles de la procédure contradictoire figurant dans le code des transports doivent être comparables à celles du droit commun.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable, pas par principe, mais parce que la procédure d’agrément ou de retrait de l’agrément me paraît relever du règlement : la procédure est actuellement fixée à l’article R. 5332‑47 du code des transports.
Par ailleurs, la possibilité de citer des témoins me semble superflue.
Les agréments et habilitations doivent demeurer à la main de l’administration.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Vous dites, monsieur le rapporteur, que vous seriez d’accord sur le plan des principes, mais vous nous renvoyez quand même au règlement : vous savez que nous défendons toujours, nous, les principes – qui ont d’ailleurs une efficacité propre.
L’amendement CL326, qui n’a malheureusement pas pu être défendu par nos collègues communistes, a été déposé par M. Lecoq, député du Havre, ville dont le maire est Édouard Philippe. Deux groupes politiques assez opposés ont donc déposé des amendements similaires : c’est inhabituel. La raison en est que ces amendements protègent les travailleurs des installations portuaires. On admet qu’une habilitation puisse être remise en cause – en raison d’un soupçon, d’un doute – mais, sans procédure contradictoire, le risque d’arbitraire est grand. Un travailleur qui perd son habilitation risque de perdre son emploi. Il doit pouvoir se défendre.
J’invite donc nos collègues de tous les bancs à adopter cet amendement finalement transpartisan.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Mais oui, ce constat est partagé par plusieurs parlementaires.
Beaucoup d’habilitations devront être délivrées. Il faut protéger les travailleurs du port, mais aussi les employeurs. Ils seraient tous rassurés par l’adoption de cet amendement.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL623 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il s’agit d’assurer l’application des dispositions de l’article 22 insérées dans le code des transports en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL225 de M. Emmanuel Duplessy
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). La commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier a mis en lumière un phénomène grandissant et encore mal documenté : celui de la corruption des agents privés et publics. Il importe que les risques auxquels les agents sont exposés soient étudiés avec sérieux.
Cet amendement vise donc à compléter les missions de l’Agence française anticorruption (AFA) pour qu’elle réalise chaque année une cartographie nationale des risques, afin de mieux identifier les facteurs qui expliquent la vulnérabilité de certains agents ainsi que les méthodes utilisées pour faire passer les marchandises dans les ports et les aéroports.
M. Vincent Caure, rapporteur. C’est une forme de demande de rapport déguisé !
L’objectif de l’amendement me semble largement atteint. Dans le cadre de son rapport d’activité annuel, l’Agence établit déjà un état des lieux du risque corruptif général ; dans le cadre de leurs obligations de conformité prévues par la loi Sapin 2, les acteurs vulnérables au risque de corruption établissent d’ores et déjà une cartographie actualisée de ces risques.
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). M. Mendes et moi avons constaté qu’aucun milieu n’est protégé de la corruption. Les trafiquants ont des objectifs concrets – faire passer des conteneurs, obtenir des badges d’accès… – et ils utilisent pour les atteindre les méthodes les plus efficaces, notamment celles du renseignement humain. Ils sont puissants : pour passer un badge, ils peuvent payer jusqu’à 100 000 euros. Mais si cette corruption commence par des transactions financières, elle devient souvent plus brutale par la suite : des familles sont menacées.
C’est pourquoi nous avions proposé une plateforme nationale de signalements des faits de corruption, qui permettrait de porter à la connaissance des autorités des phénomènes que l’on constate autour de soi, mais aussi des phénomènes dont on est soi-même victime. Des personnes qui le souhaiteraient pourraient ainsi sortir de la corruption et se protéger.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL224 de M. Emmanuel Duplessy
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Cet amendement vise à étendre les obligations de l’article 17 de la loi Sapin 2 aux collectivités territoriales de plus de 100 000 habitants et aux services de l’administration exposés, qui seraient ainsi tenus d’élaborer un plan de prévention de la corruption. Malgré leur vulnérabilité face à la criminalité organisée, les collectivités territoriales et les administrations publiques n’ont en effet pas de cadre suffisamment protecteur pour se prémunir des atteintes à la probité. Le présent amendement tient compte des constats dressés par l’AFA et les associations de lutte contre la corruption, mais aussi de l’existence d’une relation avérée entre risques de corruption et développement du narcotrafic.
Pour garantir que cette nouvelle exigence soit adaptée aux réalités de terrain, cet article instaure des seuils pour les collectivités territoriales et renvoie à un décret pris en Conseil d’État le soin de définir le spectre des secteurs ciblés pour les administrations concernées.
S’agissant du sort réservé à l’amendement précédent, je m’étonne qu’à l’heure où l’intelligence n’est pas loin d’être la première valeur économique dans le monde, vous refusiez de manière un peu dogmatique des cartographies, des rapports… qui permettraient d’accumuler de la connaissance.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. L’AFA est d’ores et déjà chargée d’élaborer et de diffuser des recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public à prévenir et à détecter ces faits.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je profite de cette occasion pour revenir sur une autre des recommandations du rapport que j’ai rendu avec M. Mendes, et qui porte sur la formation.
Ces mécanismes corruptifs sont parfois peu maîtrisés par les agents eux-mêmes. On peut mettre le doigt dans l’engrenage sans toujours en avoir conscience. J’estime, contrairement à M. Mendes, que cette formation devrait être obligatoire : tout le monde apprendrait à déceler ces mécanismes, et donc à s’en prémunir.
La commission rejette l’amendement.
Amendements identiques CL624 de M. Vincent Caure et CL55 de M. Antoine Léaument
M. Vincent Caure, rapporteur. Cet amendement supprime la faculté pour le procureur de la République d’informer une administration des soupçons qui pèsent sur l’agent qu’elle emploie. Cela paraît excessif.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je me réjouis d’avoir déposé le même amendement que le rapporteur : cela montre qu’il est d’intérêt général !
Je souligne qu’il y a un autre problème dans le traitement judiciaire de la corruption : c’est précisément qu’il n’est pas traité. Il est difficile de démontrer un fait ou un mécanisme corruptif ; dès lors, les juridictions préfèrent user d’autres qualifications judiciaires. On a donc du mal à évaluer l’ampleur de la corruption dans notre pays.
M. Mendes et moi-même recommandions donc qu’une circulaire incite les procureurs à rechercher systématiquement les mécanismes corruptifs. Nous pourrions ainsi disposer de statistiques plus solides.
La commission adopte les amendements.
Amendement CL625 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. L’amendement tend à reporter l’entrée en vigueur de certaines des dispositions de l’article 22 au 1er janvier 2026.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL51 de M. Ugo Bernalicis
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Les agents, notamment ceux chargés de la sûreté portuaire et aéroportuaire, méconnaissant les mécanismes corruptifs, ils pourraient entrer dans un système de corruption sans en avoir conscience. Afin de les en protéger et de limiter la corruption, cet amendement tend à rendre obligatoire leur formation contre la corruption. Il y va de notre responsabilité de les former : si d’aventure ils se laissaient corrompre malgré tout, il faudrait alors les sanctionner.
Contre l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.
Amendement CL439 de Mme Agnès Firmin Le Bodo
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Cet amendement précise les modalités d’entrée en vigueur des dispositifs relatifs aux autorisations, agréments et habilitations prévus à l’article 22, sans retarder l’entrée en vigueur des autres dispositions.
M. Vincent Caure, rapporteur. L’application de l’exigence de renouvellement annuel des autorisations, agréments et habilitations emporte des contraintes opérationnelles fondamentales pour l’ensemble des acteurs de la chaîne portuaire. Je ne suis pas sûr qu’il soit nécessaire d’aller plus loin que ce qui est prévu dans l’amendement CL625, que nous venons d’adopter, mais j’émets un avis favorable à votre amendement, et nous regarderons ensemble d’ici à la séance s’il est nécessaire d’affiner davantage les choses.
M. Michaël Taverne (RN). Nous soutiendrons cet amendement.
Permettez-moi de rebondir sur le précédent : la formation des agents contre la corruption est effectivement nécessaire, ils la réclament d’ailleurs eux-mêmes. Conscient de la réalité du terrain, le Rassemblement national a donc soutenu l’amendement CL51 de M. Léaument – preuve que nous ne sommes pas sectaires, simplement responsables. Et je ne suis pas si surpris que les macronistes n’en aient pas fait autant, eux qui ont détruit la formation des forces de sécurité intérieure.
La commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 22 modifié.
Article 22 bis (nouveau) (art. 706-1-1 et 706-13 du code de procédure pénale, 445-2-2 [nouveau] du code pénal) : Renforcement des infractions de corruption
Amendement de suppression CL36 de M. Antoine Léaument
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). La corruption est évidemment un problème, mais notre droit prévoit déjà des sanctions. L’aggravation constante des peines, en toute matière et en tout temps, ne les rend pas plus efficaces, et en l’espèce, cela ne diminuera ni le nombre de personnes corrompues, ni le potentiel corruptif de ceux prêts à s’engager dans cette voie. De plus, la corruption implique généralement la constitution en bande organisée, infraction punie par d’autres articles du code pénal bien plus répressifs que ce que prévoit cet article.
En revanche, s’il a été question à l’article 22 d’une plateforme de signalement des agents corrompus ou soupçonnés de l’être, il n’existe aucun mécanisme permettant à des agents corrompus de se signaler : pour aller au bout de la logique, peut-être faudrait-il prévoir un statut similaire à celui du repenti, afin d’offrir à ces agents une issue et d’assurer leur protection ? Nous y travaillerons d’ici à la séance.
M. Vincent Caure, rapporteur. C’est justement parce que tous les agents, publics comme privés, sont exposés à la corruption, que nous ne pouvons pas nous priver du recours à des techniques spéciales d’enquête et qu’il est nécessaire d’aligner les régimes applicables aux agents publics et privés en matière de corruption. Je suis donc défavorable à la suppression de l’article.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). J’y ai beaucoup réfléchi. Effectivement, la qualification de corruption en bande organisée n’existe pas pour les agents privés, empêchant le recours aux fameuses techniques spéciales d’enquête.
Mais avec cet article, on prend la question à l’envers. En réalité, s’il existe des mécanismes spécifiques aux agents publics, c’est parce qu’ils endossent une responsabilité supérieure aux agents privés – l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose d’ailleurs que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Le niveau de protection des agents et dépositaires de l’autorité publique est à la hauteur des exigences et responsabilités qui leur incombent, et des sanctions encourues : les policiers, par exemple, sont davantage protégés par la loi, mais aussi plus durement sanctionnés en cas d’infraction.
Plutôt que d’étendre aux agents privés les règles applicables aux agents publics, peut-être faudrait-il confier à nouveau au public des fonctions qui ont été privatisées à tort. Et vous pourrez alors avoir recours aux techniques spéciales d’enquête.
La commission rejette l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL626 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Elle adopte l’article 22 bis modifié.
Article 23 (art. 145-1, 145-1-1 [nouveau], 145-2, 148, 148-1-1, 148-2, 148-4, 148-6, 179, 187-3, 706-71, 706‑73‑1 et 706‑105‑2 [nouveau] du code de procédure pénale, art. L. 113-2 et art. L. 223-21, L. 223-22, L. 223‑23, L. 223-24 et L. 223-25 [nouveaux] du code pénitentiaire) : Dispositions relatives à l’incarcération des narcotrafiquants, à la détention provisoire et à la procédure applicables aux demandes de mise en liberté
Amendements de suppression CL34 de M. Ugo Bernalicis et CL327 de Mme Elsa Faucillon
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’article 23 pose plusieurs problèmes – à commencer par sa longueur : il aurait mieux valu le scinder, pour que l’on puisse examiner correctement toutes les dispositions qu’il prévoit.
Le problème le plus grave concerne peut-être l’allongement de la durée de la détention provisoire, une dérogation au droit commun susceptible de remettre en cause l’équilibre de ce régime. Je rappelle qu’une personne en détention provisoire n’a pas encore été jugée, et est donc présumée innocente – même s’il s’agit d’un grand méchant. Le principe, c’est la liberté, l’enfermement doit rester l’exception – a fortiori quand on n’a pas encore été condamné. Cela explique que les délais de détention provisoire doivent être très courts. J’alerte en outre sur le fait que plus de 20 000 personnes détenues dans les prisons sont en réalité des prévenus, qui participent donc largement de la surpopulation carcérale et de tous les problèmes qu’elle entraîne.
Cet article prévoit également la surveillance par drone et l’extension du recours à la visioconférence pour les audiences : faisons œuvre utile et supprimons-le.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Extension de la visioconférence, allongement des délais de détention provisoire, recours aux drones : cet article rogne sur les droits de la défense pour gérer la pénurie de moyens de la justice et sacrifie nos principes sur l’autel de l’efficacité. Nous proposons donc de le supprimer.
M. Vincent Caure, rapporteur. La modification des modalités de gestion de la détention et des dispositions liées à la détention provisoire prévues par l’article participent d’un même objectif : renforcer nos outils techniques et juridiques et nos armes procédurales pour faire face aux nouvelles menaces sécuritaires.
Sur un tel sujet, on ne peut pas se contenter de grands principes : il faut les concilier avec les réalités de la délinquance et des réseaux de narcotrafiquants. Cet article ne se contente donc pas de gérer la pénurie, mais offre un réarmement de nos capacités. S’il peut être amélioré – j’ai déposé plusieurs amendements pour préciser ou limiter le périmètre de certains dispositifs –, cet article s’inscrit dans la bonne logique.
Mme Pascale Bordes (RN). Nous voterons contre ces amendements de suppression.
Monsieur Bernalicis, l’alignement des délais de détention provisoire pour les faits de délinquance en bande organisée sur ceux applicables en matière criminelle est tout à fait justifié au regard de la gravité des infractions et de leurs conséquences – on vise le haut du spectre !
En outre, même si on ne peut que déplorer la surpopulation carcérale, due pour partie aux détentions provisoire, celle-ci ne saurait guider notre politique pénale, car cela reviendrait à renoncer d’avance.
Enfin, le recours à un avocat inscrit au barreau du ressort du tribunal judiciaire pour les demandes de mise en liberté – la postulation – existe déjà en matière civile : le texte ne vise qu’à l’étendre au pénal. Rassurez-vous, les délinquants et criminels auront toujours affaire à leur avocat ; seulement, celui-ci recourra aux services d’un postulant pour rédiger les demandes de mise en liberté.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Cet article est un véritable fourre-tout : pour assurer un débat de qualité sur chacune des dispositions, mieux vaudrait le supprimer, et le réintroduire par voie d’amendement, morceau par morceau, en séance publique.
S’agissant des demandes de mise en liberté, le rapport que j’ai produit avec M. Mendes propose le déploiement d’un logiciel spécifique, voire d’agents spécialement dédiés à la rédaction de ces demandes dans les lieux de détention, ce qui améliorerait leur formalisme et garantirait le respect des droits des personnes présumées innocentes – j’y suis très attaché, et c’est donc une proposition que j’ajoute à titre personnel.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). C’est une proposition pragmatique, car le caractère fourre-tout de cet article nous empêche d’avoir un débat éclairé et de travailler avec finesse. Or, une partie de l’Assemblée pourrait décider d’adopter certaines dispositions de l’article, à défaut de l’ensemble, puisque, en l’état, d’autres attentent à des libertés essentielles fondamentales.
Madame Bordes, à partir du moment où les conditions de détention obèrent l’efficacité des peines, favorisent la récidive et compromettent la sécurité, il me semble qu’elles doivent quand même, dans une certaine mesure, guider notre politique pénale. Au-delà de ce sujet qui devrait nous préoccuper, la détention préventive – donc avant tout jugement – est une atteinte grave aux libertés individuelles, et généraliser cette entorse à un droit fondamental est particulièrement inquiétant dans un état de droit.
En réalité, l’existence de surveillance sans contrôle de l’autorité judiciaire, inadmissible, justifie à elle seule la suppression de l’article.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés souscrit à cette demande de suppression. Au motif de s’adapter à l’état catastrophique de nos juridictions, l’article 23 ne contient que des dispositions portant atteinte aux droits de la défense.
Huit points en particulier me semblent poser problème.
Premièrement, allonger les délais de détention provisoire pour les délits revient à l’apparenter à une détention criminelle, ce qui pose un problème de constitutionnalité.
Deuxièmement, allonger les délais durant lesquels les juridictions doivent statuer sur les demandes de mise en liberté compromet la célérité à laquelle les personnes en détention provisoire devraient avoir droit,
Il en va de même pour la suspension du délai de détention provisoire jusqu’à ce que la chambre de l’instruction ait statué sur une requête pendante, qui engendre des conséquences importantes sur le bon déroulé de la justice et contrevient à l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit à un recours effectif. Cette mesure remet en cause l’état de droit, le rôle de l’avocat et la défense.
Quatrièmement, offrir à la chambre de l’instruction la possibilité de statuer sur une détention alors même qu’une remise en liberté d’office du fait d’un non-respect de délai devrait être prononcée est inconstitutionnel. Cela reviendrait à laisser la possibilité aux magistrats de ne pas respecter les dispositions légales résultant du code de procédure pénale, au détriment des droits de la personne détenue. C’est une difficulté importante.
Je développerai la suite de mon argumentaire en défendant mon amendement.
M. Vincent Caure, rapporteur. S’il figurait bien dans la rédaction initiale du texte, l’alignement des délais de détention provisoire en matière délictuelle sur ceux applicables en matière criminelle a ensuite été supprimé en séance. Reste que, comme vous, je considère que la rédaction issue des travaux du Sénat sur certaines des dispositions relatives à la détention provisoire n’est pas satisfaisante, et je vous proposerai donc plusieurs amendements pour l’améliorer et limiter le nombre de dispositions.
Nous sommes en revanche en désaccord s’agissant de l’extension du recours à la visioconférence en matière de détention provisoire, qui me semble justifiée au regard du profil des personnes concernées et de la matière infractionnelle. J’ai d’ailleurs défendu un amendement en ce sens, appelé en priorité.
Plutôt que de supprimer sauvagement la totalité de l’article ou de le saucissonner, discutons patiemment de chacune des mesures pour recentrer le texte sur les plus pertinentes – il y en a, je suis sûr que vous en conviendrez – et assurer un dispositif à la fois compréhensible et robuste sur le plan juridique.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL104 de Mme Marie-France Lohro
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous avons déjà pleinement les moyens de discuter avec l’administration pénitentiaire de ces sujets. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL219 de Mme Colette Capdevielle, CL32 de M. Antoine Léaument et CL 421 de M. Pouria Amirshahi (discussion commune)
Mme Colette Capdevielle (SOC). Cet amendement vise à supprimer les alinéas 4 à 50. Au-delà des raisons déjà exposées, j’ajoute qu’allonger de quatre à huit heures le délai durant lequel un référé détention peut être exercé par le Procureur de la République rend difficilement soutenable l’attente de la personne détenue avant de savoir si elle pourra être libérée ou non.
Ensuite, imposer à la personne détenue de communiquer les pièces au soutien de sa demande de mise en liberté au moins cinq jours avant la date d’audience est difficilement tenable en l’absence d’avocat. Il s’agit donc d’une atteinte aux droits de la défense, d’autant qu’aucun délai ne s’impose au ministère public s’agissant des réquisitions écrites.
En outre, imposer le recours à un avocat inscrit au barreau du ressort du tribunal judiciaire complexifie les demandes de mise en liberté.
Pour terminer, cet article permet de contourner le refus d’une personne de recourir à la visioconférence dans le cadre de la détention provisoire. C’est insupportable au regard du principe de liberté, et représente un dilemme pour l’avocat, qui doit alors choisir entre être aux côtés de son client ou près du juge.
Et tout ça pour pallier un manque de moyens humains et matériels : c’est très grave !
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Les délais de détention provisoire en matière criminelle sont déjà allongés par rapport à la matière délictuelle au nom de la gravité des peines encourues et de la durée des enquêtes : c’est donc une dérogation à la dérogation. Et on cherche à l’étendre encore pour se laisser davantage de temps ! Je le rappelle, tant qu’une personne n’a pas été jugée, elle est présumée innocente. Au reste, ce n’est pas parce qu’elle n’est pas en prison qu’elle peut disparaître dans la nature, si c’est ce qui vous inquiète : il existe d’autres mécanismes judiciaires pour l’éviter, comme le contrôle judiciaire, fondé sur des obligations. L’allongement des délais de la détention provisoire ne vise qu’à pallier un manque de moyens et l’allongement des durées d’enquête qui, bien souvent, est lui-même le fait d’un manque de moyens.
Madame Bordes, vous ne pouvez pas balayer d’un revers de main le problème de la surpopulation carcérale : source de tensions dans les lieux de détention, cette situation augmente le risque de violences sur les agents pénitentiaires. Nous sommes plusieurs à défendre l’idée d’un mécanisme de régulation carcérale, et beaucoup estiment qu’il ne faudrait pas prendre en compte la détention provisoire.
Quoi qu’il en soit, on ne peut pas garder aussi longtemps en détention une personne présumée innocente.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Pour renforcer réellement le contrôle et la surveillance des personnes suspectées d’être dangereuses ou jugées comme telles, donnons-nous-en les moyens !
Commençons par améliorer le ratio entre personnel pénitentiaire et nombre de détenus et arrêtons d’incarcérer à tout va, ce qui provoque un engorgement des prisons et entraîne des conditions de détention épouvantable Ce texte prévoit des mesures de privation de liberté très graves pour les détenus, comme l’interdiction des visites familiales. N’oubliez pas qu’au moment du covid, ce genre de dispositions avait déclenché des émeutes dans plusieurs prisons.
Au-delà des nombreux problèmes présentés par Mme Capdevielle, cet article allonge le délai accordé au juge pour motiver l’allongement de la durée de détention provisoire. C’est particulièrement gênant.
M. le président Florent Boudié. Monsieur Amirshahi, pendant le covid, le gouvernement a pratiqué une politique offensive de régulation carcérale, et ça s’est très bien passé.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. Les dispositions sont limitées aux personnes mises en cause pour des infractions en lien avec la délinquance et la criminalité organisée, deux domaines dans lesquels il nous faut concilier nos principes et la réalité. Il faut du temps pour réunir l’ensemble des éléments nécessaires dans des affaires aussi complexes, d’où l’extension des délais de détention provisoire en matière délictuelle.
Par ailleurs, j’ai déposé des amendements visant à supprimer certaines dispositions, qui devraient répondre aux autres inquiétudes qui se sont exprimées.
M. Jordan Guitton (RN). Nous voterons contre ces amendements en discussion commune. Il nous semble nécessaire de créer des dispositifs juridiques spécifiques pour le narcotrafic, à l’image de ce qui a été fait il y a quelques années pour le terrorisme. En l’espèce, nous sommes favorables à l’allongement des délais de détention provisoire.
Allonger de huit à douze mois le délai dans lequel le juge est tenu de motiver l’allongement de la détention provisoire nous paraît également de nature à améliorer la fluidité du système juridique, qui souffre d’un manque de moyens humains pour faire face à des enquêtes complexes.
Je rappelle à nos collègues de gauche – en particulier aux socialistes –, qui étaient au pouvoir il n’y a pas si longtemps, qu’ils sont aussi responsables de l’état de notre système judiciaire. En abaissant largement ses moyens, vous avez empêché de recruter suffisamment de magistrats et de greffiers dans les tribunaux, avec les conséquences que l’on sait et que vous déplorez aujourd’hui.
Face à des bandes organisées, qui ont recours aux nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, il faut laisser le temps à la justice de s’organiser et de mener l’instruction. À cet égard, allonger de quatre à six mois la durée de la détention provisoire nous semble nécessaire, à condition que cela reste limité à la gestion des affaires de narcotrafic.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Certes, pendant le covid, on a fait sortir des détenus plus rapidement – ce qui est un des mécanismes de la régulation carcérale – et il y a eu moins d’entrants puisque les tribunaux fonctionnaient au ralenti – ce que, dans notre jargon politique, nous qualifierions de déflation pénale.
Mais pendant cette période, la durée de la détention provisoire a, elle, été prolongée, par ordonnance – que le Parlement n’a d’ailleurs jamais ratifiée –, alors qu’au titre de l’article 66 de la Constitution, seule l’autorité judiciaire, en la personne du juge, a le pouvoir de restreindre la liberté d’un individu ou de l’en priver. Autant vous dire que la Cour de cassation était « en PLS » (position latérale de sécurité » ! Je n’idéaliserais donc pas la période covid, monsieur le président.
M. le président Florent Boudié. J’ai simplement rappelé une réalité !
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). En revanche, les conditions de détention étaient effectivement moins pénibles, parce qu’il y avait moins de détenus. Or, ajouté à l’allongement de la durée moyenne des peines, celui de la durée de la détention provisoire participe de la surpopulation carcérale : il faut donc supprimer cette disposition, d’autant qu’il n’est pas besoin de la justifier – peut-être n’est-ce même pas constitutionnel, d’ailleurs.
La visioconférence pose aussi des difficultés : de quel côté de l’écran l’avocat doit-il être ? Avec le juge ? Avec son client ? J’ajoute que ce sera plus difficile encore de se déplacer dans les deux futures « narcoprisons », qui accueilleront aussi, sans nul doute, de simples prévenus.
Encore une fois, toutes ces entraves à la liberté ne servent qu’à pallier un manque de moyens : ce n’est pas acceptable.
Mme Sandra Regol (EcoS). Cette procédure tend une nouvelle fois à faire de l’exception une règle. Or, quand cela a lieu hors de toute justification et de tout cadre, on fragilise la règle. En quoi réduire le contrôle exercé par un juge sur la détention peut-il aider à lutter contre le narcotrafic ? En outre, c’est sans doute anticonstitutionnel.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Je vous invite, chers collègues, à lire la tribune parue cette nuit dans Le Monde, signée par la plupart des hauts magistrats du Conseil d’État et de la Cour de cassation et intitulée : « Il ne faudrait pas découvrir la valeur de l’État de droit une fois perdu », en réponse notamment aux déclarations du ministre de l’intérieur, qui s’était permis de dire : « L’État de droit, ça n’est pas intangible ni sacré. » Ces hauts magistrats rappellent que tout le monde est concerné. La tribune est signée par le procureur général près la Cour de cassation, qui a 61 ans, par le vice-président du Conseil d’État, par le président de la section du contentieux du Conseil d’État, Christophe Chantepy, par un juge élu au sein de la Cour européenne des droits de l’homme et par le premier président de la Cour de cassation, Christophe Soulard, âgé de 67 ans. Elle tombe à point nommé pour rappeler à la commission des lois que l’on ne joue pas avec les principes du droit, avec les droits de la défense, les délais, la liberté et la présomption d’innocence. On se trumpise !
La commission rejette successivement les amendements.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL559 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendements CL422 de M. Pouria Amirshahi et CL560 de M. Vincent Caure (discussion commune)
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous nourrissons les plus grandes préventions contre l’article 23. Permettez-moi de revenir sur la question de la surpopulation carcérale pendant la crise du covid. Certains mécanismes avaient permis d’organiser une sortie massive, sauf pour les personnes en détention provisoire. La restriction des droits familiaux des personnes détenues avait conduit à des mutineries lourdes à Maubeuge, à Béziers, à Uzerche, à Draguignan, à Longuenesse et à Écrouves. Aggraver les conditions d’exécution de la peine ne permet en rien de s’attaquer au haut du panier et fait courir un risque à la sécurité des prisons. Au-delà de la nécessité de protéger nos droits fondamentaux, comme le disait très justement Colette Capdevielle, se pose aussi la question de l’efficacité.
M. le président Florent Boudié. Monsieur le député, vous signaliez que les mesures de régulation carcérales avaient été prises après un certain nombre d’émeutes, alors qu’elles l’avaient été avant.
M. Vincent Caure, rapporteur. Comme vous, monsieur Amirshahi, je considère que les alinéas 11 et 15 sont problématiques et peu clairs, de sorte que je proposerai de les supprimer. S’agissant de l’alinéa 19, je proposerai simplement une suppression des dispositions de nature réglementaire qui y figurent. En revanche, nos avis divergent sur l’alinéa 18 : l’allongement du délai me semble nécessaire.
Mme Pascale Bordes (RN). Les alinéas dont vous demandez la suppression sont pourtant très utiles aux magistrats, qui les attendent depuis de longues années – je parle de ceux qui ne sont pas membres du syndicat de la magistrature, car il en existe heureusement, même si la gauche les invisibilise. En effet, les délinquants et les criminels en matière de trafic de stupéfiants ont des cabinets d’avocats qui utilisent tous les artifices possibles pour emboliser les procédures.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous sommes, pour notre part, favorables à une suppression des alinéas 11 à 18. J’ai envie que la justice soit efficace et que tous les magistrats sans exception puissent faire sereinement leur travail. En réalité, pourquoi les détenus peuvent se servir des demandes de mise en liberté pour entraver la justice ? Parce que la justice n’a tellement pas de moyens que ces manœuvres dilatoires l’embolisent. Si nous avions les moyens de traiter correctement ces demandes, ils ne s’en serviraient pas. On ne peut pas supprimer des droits faute de moyens ! Une fois que vous aurez réglé la question des demandes de mise en liberté grâce à des procédures expéditives, les personnes en détention trouveront un autre moyen d’emboliser la justice et vous serez obligés de réduire de nouveau les droits…
La commission rejette l’amendement CL422.
Elle adopte l’amendement CL560.
Amendement CL561 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Je propose de supprimer l’alinéa 15.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Vous essayez de compliquer la demande de mise en liberté, avec des arguments que nous entendons. Bien sûr qu’il ne faut pas pouvoir formuler une nouvelle demande de mise en liberté si la précédente n’a pas été examinée. Mais c’est parce qu’il n’existe pas d’outil pour les recenser qu’une telle accumulation est rendue possible. Au‑delà des moyens humains nécessaires pour les traiter, le problème pourrait être résolu grâce à une plateforme ou à un logiciel, sans affaiblir les droits.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte les amendements rédactionnels CL562 et CL563, ainsi que l’amendement de coordination CL564 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendements identiques CL565 de M. Vincent Caure et CL423 de M. Pouria Amirshahi
M. Vincent Caure, rapporteur. Je propose de supprimer les alinéas 20 et 28.
La commission adopte les amendements.
Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL424 de M. Pouria Amirshahi.
Amendements CL566 de M. Vincent Caure et CL425 de M. Pouria Amirshahi (discussion commune)
M. Vincent Caure, rapporteur. Je propose de supprimer les alinéas 26 et 27, qui font courir certains délais de traitement des demandes de mise en liberté à compter de leur enregistrement.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Malheureusement, cet article fourre-tout ne permet pas de débattre sujet par sujet. Il aurait été mieux de le supprimer et de le redéposer en séance.
Concernant les demandes de mise en liberté, on ne peut pas s’en prendre systématiquement à l’État de droit parce que l’on n’a pas mis les moyens suffisants dans la justice. C’est un peu comme si l’on disait que l’on n’a pas le droit d’être protégé contre les vols parce qu’il n’y a pas assez de policiers ou d’être protégé contre les agressions pour la même raison. Cela conduit à diminuer les droits petit à petit en l’absence des moyens nécessaires.
S’agissant de la justice, au prétexte que ces personnes n’ont pas respecté la loi ou qu’elles sont soupçonnées de ne pas l’avoir fait, on limite de plus en plus leurs droits. Selon John Rawls, on doit écrire la loi sous un voile d’ignorance, en se mettant à la place de celui qui pourrait être dans la situation dont on débat, sauf que l’on se met bien trop peu à la place des personnes prévenues, détenues ou jugées. Or cela nous permettrait d’éviter de limiter leurs droits.
Mme Naïma Moutchou (HOR). La densité de cet article est problématique. Il aborde beaucoup de sujets. Je suis mal à l’aise avec l’idée que les demandes de mise en liberté relèveraient de stratagèmes, notamment de la part des avocats. Il y a des critères. Il n’est pas dit qu’un juge fasse droit à une demande de mise en liberté. Les statistiques montreraient assurément que les refus sont majoritaires.
En vérité, cela révèle qu’il y a des failles dans l’arsenal judiciaire et législatif. Le problème est non pas celui des demandes de mise en liberté mais des moyens dont disposent notamment les magistrats et leurs équipes. Nous sommes plutôt favorables à un durcissement de certaines peines ou à une réflexion sur d’autres stratégies. On voit bien le discours, qui me déplaît, derrière ces attaques contre les demandes de mise en liberté.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Monsieur Léaument, je suis assez d’accord avec vous sur le principe que ce n’est pas parce que l’on manque de moyens qu’il faut changer la loi. Toutefois, quand vos collègues nous expliquent qu’il ne faut pas mettre les gens en prison par manque de place, peut-être faut-il construire un peu plus de prisons pour éviter une justice à deux niveaux : certaines personnes seraient condamnées à des peines moindres quand les prisons sont pleines et d’autres à des peines normales quand il y a de la place, ce qui est un vrai scandale.
La commission adopte l’amendement CL566.
En conséquence, l’amendement CL425 tombe.
Amendement CL426 de M. Pouria Amirshahi
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Nous proposons de supprimer l’alinéa 35.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. Cet alinéa est déjà un compromis.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je ne vois pas en quoi c’est un compromis. Ces rédactions sont de véritables chausse-trappes, comme cela se pratique beaucoup dans la procédure civile et dont les avocats se plaignent d’ailleurs.
L’argument de la surpopulation carcérale n’est qu’un argument supplémentaire. Même sans cela, je suis contre le principe de l’allongement des délais de détention provisoire. Par ailleurs, l’argument du coût des prisons ne sera jamais mon argument numéro 1 : dans certains domaines, je pense qu’il est important de dépenser de l’argent – moi pour défendre des droits, vous pour les restreindre. L’objectif de cette loi est de lutter contre le narcotrafic ; or la surpopulation fait augmenter le risque corruptif pesant sur les agents.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Je ne rejoins pas mon collègue sur l’argument de la surpopulation. En vérité, on incarcère de moins en moins mais de plus en plus longuement et de plus en plus tard. D’ailleurs, au sein de notre groupe, nous sommes favorables au retour des courtes peines, que nous défendrons dans notre niche.
Est-ce qu’on lutte contre le narcotrafic en supprimant la possibilité pour un avocat de faire une demande de mise en liberté par lettre recommandée ? Je n’en suis pas sûre. Je me demande ce que cachent ces dispositifs. Il me semble que le problème est pris à l’envers.
Mme Pascale Bordes (RN). En matière civile, il n’y a quasiment plus d’actes que les avocats fassent par courrier recommandé. Tout est dématérialisé. Je ne pense donc pas qu’il y ait d’arrière-pensée : il s’agit seulement d’uniformiser les procédures. Cela répond aussi à une demande des magistrats. Certains cabinets d’avocats, qui conseillent des trafiquants du haut du spectre, ont tendance à envoyer ces demandes en rafale, pas forcément aux bonnes adresses, ce qui crée des difficultés, du contentieux et participe à l’embolisation des juridictions. Qu’un avocat aille à La Poste pour adresser un courrier recommandé ou fasse une démarche au greffe pour faire enregistrer sa demande, cela ne va pas bouleverser les procédures tout en permettant de désengorger les juridictions.
Mme Sandra Regol (EcoS). Je ne comprends pas en quoi ces dispositifs aideront à lutter contre le trafic de stupéfiants et les bandes organisées. Le problème de la démultiplication des demandes de mise en liberté a été soulevé plusieurs fois au cours des auditions. Mais pourquoi supprimer un usage même désuet, alors qu’il existe tant de dispositifs désuets qui servent encore ? Je ne vois pas non plus en quoi cet alinéa est un compromis. Il ne fait que poursuivre la logique à l’œuvre.
Mme Colette Capdevielle (SOC). À l’heure où toutes les formalités passent par la voie électronique, notamment dans les cours d’appel et les juridictions de premier degré, on va complexifier la procédure. En réalité, c’est une nouvelle atteinte aux droits de la défense, notamment quand les personnes détenues n’ont pas d’avocat et qu’elles doivent faire elles-mêmes leur demande de mise en liberté. Le plus simple, pour éviter des déplacements à La Poste ou aux greffes, c’est la voie électronique. Dès lors qu’une demande serait déposée, toute autre deviendrait irrecevable, tant que la juridiction n’aurait pas tranché. L’appel est fait par le RPVA (réseau privé virtuel des avocats). De la même façon, les demandes de mise en liberté pourraient être déposées depuis n’importe quel lieu. La Chancellerie a, je pense, les moyens de mettre à disposition un logiciel pour recenser ces demandes. Votre dispositif ne rend pas service aux magistrats et encore moins aux greffiers.
M. Vincent Caure, rapporteur. Ce n’est pas à cause de sa désuétude que nous voulons supprimer cette disposition mais parce que, dans certains cas, elle fait partie de stratagèmes pour former des demandes de remise en liberté anticipée. J’entends vos arguments mais aussi ceux des magistrats avec lesquels nous avons discuté. C’est un compromis dans la mesure où la rédaction initiale imposait que l’avocat requérant soit inscrit à l’ordre des avocats du ressort du tribunal judiciaire compétent.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL427 de M. Pouria Amirshahi, CL390 et CL391 de M. Ugo Bernalicis (discussion commune)
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Supprimer une précision hallucinante ne fait pas de cet alinéa un compromis ! Vous supprimez la lettre recommandée parce que, une fois, dans un tribunal, quelqu’un n’est pas allé chercher le courrier. Or la même erreur peut se produire par voie dématérialisée : il peut arriver de ne pas lire un message non plus. Avec vous, c’est la punition collective.
Quant à l’amendement CL391, il vise à permettre à une personne détenue provisoirement de former une demande de mise en liberté par voie dématérialisée, accompagnée par un personnel du greffe. J’espère en effet qu’il sera toujours possible de ne pas passer par un avocat – je vois bien la tentation à l’œuvre. À titre expérimental, des tablettes sont d’ailleurs mises à disposition en cellule pour accomplir certains actes du quotidien ou de justice.
M. Vincent Caure, rapporteur. Une telle évolution présenterait de nombreux avantages, non seulement pour les personnes détenues, en facilitant leur démarche puis le suivi de leur demande, mais également pour les services judiciaires. Ce sujet a été évoqué lors de nos auditions. Cela se fait déjà parfois, grâce à des conventions locales conclues entre parquets et ordres des avocats. Toutefois, il semble difficile de précipiter une généralisation pour toutes les demandes de mise en liberté, au regard des implications techniques, notamment en matière d’authentification et de sécurisation des éléments reçus. Il sera intéressant d’avoir ce débat en présence du ministre, dans la mesure où cette question relève aussi de l’organisation du ministère et des moyens alloués à ce sujet. Demande de retrait.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je remercie Mme Moutchou d’avoir posé le débat dans les bons termes. C’est une question de droits humains à laquelle il ne faut répondre qu’avec précaution. Emprisonner des gens est tout de même très spécifique, surtout quand ils sont simplement soupçonnés et pas encore jugés. Nous proposons seulement que ces demandes de mise en liberté puissent être faites par les avocats sur le logiciel qu’ils utilisent déjà, sans l’imposer. Pour quelle raison ne voteriez-vous pas un tel amendement ?
Dans l’amendement suivant, nous proposons une expérimentation pour faire accompagner les personnes mises sous main de justice dans leur demande de mise en liberté. Si vous voulez être de gauche une fois dans votre vie, c’est le moment !
Mme Colette Capdevielle (SOC). Pourquoi nul ne peut disconvenir qu’il s’agit d’un progrès ? La voie électronique permet de vérifier la recevabilité de la demande et d’informer sans délai non seulement le juge d’instruction, mais aussi les victimes, qui ne le sont pas par l’envoi d’une lettre recommandée, pas davantage que l’avocat. Or, dans certaines affaires, la victime a son mot à dire sur une demande de remise en liberté.
Il s’agit d’un procédé de notre temps, simple d’utilisation, évitant tout déplacement, au bilan carbone nul et permettant à toutes les parties – greffe, parquet, parties civiles, avocats, juge d’instruction – d’être informées sans délai. Je n’en vois pas de meilleur, d’autant que le logiciel peut être bloqué tant qu’une décision n’a pas été rendue. Il s’agirait d’un grand pas en avant, sur lequel nous devrions échanger avec la Chancellerie.
M. Vincent Caure, rapporteur. Tout cela est exact, à ceci près que, dixit les services, l’authentification de la demande n’est pas complètement sécurisée. Toutefois, inscrire le principe du recours à une transmission dématérialisée dans la loi pourrait permettre une démarche d’« aller vers », ce qui m’amène à émettre un avis favorable à l’amendement CL427.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je consens à retirer l’amendement CL390, similaire à l’amendement CL427. Je maintiens l’amendement CL391, qui est mieux-disant tout en se contentant de prévoir une expérimentation entièrement à la main du gouvernement.
M. Vincent Caure, rapporteur. L’adoption de l’amendement CL427, en inscrivant le principe du recours à la transmission dématérialisée dans la loi, induira la mise en œuvre d’une expérimentation, ce qui satisfait l’amendement CL391.
L’amendement CL390 est retiré.
La commission adopte l’amendement CL427.
En conséquence, l’amendement CL391 tombe.
Amendements identiques CL567 de M. Vincent Caure et CL428 de M. Pouria Amirshahi
M. Vincent Caure, rapporteur. Les alinéas 39 et 40 de l’article 23 posent problème, dans la mesure où ils peuvent induire une durée illimitée de détention provisoire. J’en propose la suppression.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Ces alinéas introduisent une incertitude majeure sur la durée effective de la privation de liberté. Comme d’autres dispositions que nous déplorons, ils consistent à restreindre, au nom de l’efficacité mais surtout en raison du manque de moyens de la justice, les droits pourtant fondamentaux de la défense. Il serait dangereux qu’une personne puisse être détenue pour une durée illimitée au seul motif qu’elle exerce son droit de contester la régularité de sa détention.
La commission adopte les amendements.
Amendements identiques CL31 de M. Ugo Bernalicis et CL429 de M. Pouria Amirshahi
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Il s’agit de s’opposer au recours à la visioconférence lors des audiences, lequel devient de plus en plus la norme en matière de criminalité organisée. La présence de la personne est nécessaire. Tout le monde ici est en mesure de le comprendre. On peut ignorer certaines données techniques ou ne pas avoir l’expérience de telle ou telle situation, mais la visioconférence, depuis la crise du covid, nous en avons tous l’expérience.
Selon que l’on est en visioconférence ou en présence, la discussion, a fortiori la défense d’un prévenu, n’est pas la même. Mettez-vous à la place des personnes qui passent en audience ! Demandez-vous si vous souhaiteriez vous défendre de vive voix ou en visioconférence ! Cela devrait vous inciter à adopter nos amendements.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Les dispositions prévues aux alinéas 44 à 47 sont graves. Comme l’ont rappelé nos collègues Léaument et Capdevielle, la rencontre avec un juge en sa présence dit des choses, langage corporel inclus. Le moment est particulier, non seulement grave et solennel, mais aussi chargé de tension et d’émotion. Le droit ne se réduit pas à la froideur implacable de la loi, il comporte aussi une dimension sensible.
Il y va de choix essentiels, sur l’enfermement ou la remise en liberté des gens. La rencontre avec le juge en sa présence est sacrée, dans la mesure où en avoir la possibilité ressortit aux fondamentaux de l’État de droit, au même titre que se déplacer pour déposer un bulletin de vote dans l’urne. Le sacré, en République, rassemble les droits essentiels.
De surcroît, l’alinéa 45 prévoit le recours à la visioconférence sans le consentement du prévenu. Il faut se rendre compte de ce que cela représente, en sus du problème que pose intrinsèquement le recours à la visioconférence. Il faut donc adopter nos amendements, quitte à rédiger cette disposition autrement en séance publique. Telle qu’elle est rédigée, elle est gravement attentatoire aux droits fondamentaux de la défense.
M. Vincent Caure, rapporteur. Ayant présenté au début de nos travaux un amendement portant article additionnel après l’article 23 visant à étendre le recours à la visioconférence, j’émets un avis défavorable aux amendements.
Les dispositions visées portent sur le placement en détention provisoire ou sa prolongation, non sur les audiences de jugement, comme l’ont affirmé certains orateurs. Dans ce cadre, le recours à la visioconférence est d’ores et déjà en vigueur. Il s’agit d’en faire la règle pour les profils dont l’extraction judiciaire présente un danger élevé. S’agissant du consentement du prévenu, il est n’est pas toujours nécessaire en l’état actuel du droit.
M. Michaël Taverne (RN). Une fois de plus, l’extrême-gauche apporte la preuve que sa philosophie consiste à faire preuve de toujours plus de compassion pour les auteurs d’infraction sans trop se soucier des victimes. J’ai à l’esprit les surveillants pénitentiaires abattus pour une minute et demie d’audition dans le bureau d’un juge. En Italie, le recours à la visioconférence est généralisé et fonctionne très bien.
Par ailleurs, les dispositions des alinéas 44 à 47 sont limitées au placement en détention provisoire ou la prolongation en détention provisoire. On ne peut pas mettre en péril des agents de l’administration pénitentiaire ou des policiers pour une minute dans le bureau du juge exigeant une extraction judiciaire de trois heures. Une fois encore, vous démontrez votre volonté de mettre en difficulté ceux qui assurent la sécurité dans ce pays.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Monsieur Taverne, si vous aviez demandé le placement en détention provisoire du policier qui a tué Nahel par respect pour la famille de la victime, vos propos auraient quelque crédibilité. Hélas, ils varient selon que la personne porte ou non l’uniforme.
Dans le salon Casimir-Perier qui jouxte la salle des séances, deux bas-reliefs se font face : au-dessus du bronze de Dalou représentant Mirabeau à la séance des États généraux du 23 juin 1789, la loi protectrice ; côté cour, la loi vengeresse, entourée de gens brandissant des épées d’où émane une violence immense. L’une et l’autre surplombent la rencontre du juge et du prévenu : le juge a en face de lui la personne dont il doit décider de la prolongation ou de la suspension de la détention provisoire ; le prévenu se demande quel aspect de la loi l’emportera.
On nous accuse d’être des gauchistes, des laxistes d’extrême-gauche. Or c’est de la loi qui punit que nous parlons. Nous refusons qu’elle s’applique en visioconférence, comme une simple formalité.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Mesdames et messieurs du Rassemblement national, vous avez tort de refuser ce qu’est un procès. Un procès, c’est un moment unique ; c’est une rencontre, une confrontation. Un homme ou une femme se trouve placé face à ses juges, face à sa victime ou à ses victimes évoquant la souffrance endurée et le préjudice subi, et face au procureur qui lui rappelle la loi. Cela suscite des moments uniques, notamment en raison de l’émotion qui affleure, inexistants en visioconférence. Qui imagine les débats de cette commission se tenir en visioconférence ?
Je vous invite à vous rendre dans les juridictions et dans les tribunaux pour voir ce qui se passe souvent à l’audience. Le prévenu, placé face à la réalité des faits, peut finir par les reconnaître et par prendre sa victime en considération ; celle-ci peut trouver une forme d’apaisement ; le juge, au moment de rendre sa décision, peut faire preuve d’une forme d’humanité dans la sanction qu’il prend et dans la façon dont il explique la décision du tribunal.
De tels moments ne s’observent qu’en présence des parties, lorsque les femmes et les hommes sont ensemble, dans la même pièce, d’autant que les salles d’audience des palais de justice présentent en règle générale une forme de solennité qui impose un respect du juge et de la justice. Supprimer tout cela déshumaniserait la justice, ce qui serait très grave.
M. Vincent Caure, rapporteur. Les alinéas 44 à 47 ne visent pas les audiences de jugement, mais le placement en détention provisoire ou la prolongation en détention provisoire.
La commission rejette les amendements.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL568 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL245 de M. Michaël Taverne
M. Michaël Taverne (RN). Heureusement que les députés du Rassemblement national sont là pour éviter que l’extrême gauche ne dénature le texte ! Le ministre de la justice a raison. Réveillez-vous, chers collègues macronistes ! Lutter contre les narcotrafics suppose d’être présent en commission pour éviter que le texte ne soit déstructuré. Vous pouvez remercier les députés du Rassemblement national, qui travaillent dans l’intérêt des Français.
Nous sommes en 2025 : il est temps de débattre de la visioconférence. Sans doute nos collègues d’extrême gauche, qui veulent nous ramener à l’âge de pierre, déposeront-ils un amendement visant à rétablir l’usage de la machine à écrire…
L’amendement CL245 vise à étendre le recours à la visioconférence à tous les crimes et délits commis en bande organisée. La visioconférence fonctionne très bien et offre, d’après les magistrats que nous avons interrogés, une sécurité, s’agissant non de petits voleurs de brioche, mais de membres du crime organisé parfaitement capables de mettre en œuvre des stratégies d’évasion de certains détenus.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. La systématisation du recours à la visioconférence dans le cadre de la détention provisoire vise à éviter les transfèrements et les extractions judiciaires jugés dangereux. L’élargissement proposé est excessif. Il me semble préférable de s’en tenir aux infractions relevant de la criminalité organisée visée par l’article L. 706-73 du code de procédure pénale.
Mme Sandra Regol (EcoS). Plusieurs amendements de M. Taverne visent à étendre considérablement les dispositions de l’article, alors même que nous avons dû procéder à un toilettage significatif du texte adopté par le Sénat, qui comporte de nombreuses dispositions à la constitutionnalité incertaine ou susceptibles d’entraver l’action de la justice et de la police.
Monsieur Taverne, vous êtes prompts à affirmer que vous faites avancer nos travaux sur le texte ; vous les faites surtout avancer vers davantage d’inconstitutionnalité et une moindre capacité des forces de police et de justice à travailler contre le banditisme, notamment celui qui agit en bande organisée, en visant les têtes de réseau. Le camp républicain s’évertue, sous vos insultes, à faire tout le contraire pour assurer la sécurité des Françaises et des Français.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Je m’adresserai à notre collègue Taverne, ayant voté contre ses précédents amendements – j’ignore si cela fait de moi un membre de l’extrême gauche, d’autant qu’on me rangeait hier à l’extrême droite.
Je défends depuis toujours l’idée que la visioconférence n’est pas une bonne solution. Pour avoir mené des auditions à distance et en présence des prévenus, je puis dire que la visioconférence prive le magistrat de nombreux éléments. La justice doit être certes ferme, mais aussi efficace.
S’il est exact que la visioconférence permet de pallier certaines carences dues au manque de moyens et d’éviter de procéder à une extraction si elle met en danger des personnels du ministère de la justice – et non du ministère de l’intérieur, ce qui est en soi un sujet –, nous ne pouvons pas aller toujours plus loin dans son usage. Il faut taper du poing sur la table, comme le font nos collègues d’extrême gauche. La visioconférence n’est pas la panacée, d’autant qu’elle n’est pas parfaitement au point techniquement.
Il faut donc veiller à maintenir son usage dans un cadre très strictement encadré. Tel qu’il est rédigé, l’article 23 n’est clairement pas constitutionnel. Nous pouvons toujours le voter, mais il ne passera pas la barre du contrôle de constitutionnalité.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je remercie la présidente Moutchou de ses propos – sauf ceux consistant à dire que nous sommes d’extrême gauche : nous sommes une version de la gauche qui était au pouvoir il y a une quarantaine d’années, décidant par exemple d’abaisser l’âge de la retraite à 60 ans et de procéder à des nationalisations.
La vision de la justice de nos collègues du Rassemblement national est la suivante : si vous êtes accusé, vous êtes coupable. Tenir un procès, demander une remise en liberté, discuter avec un juge en face-à-face : rien de tout cela n’est nécessaire. Si quelqu’un vous a attrapé, c’est que vous avez quelque chose à vous reprocher. On vous a jeté dans un lieu de détention, quelqu’un doit vous juger quelque part, éventuellement en visioconférence, et vous voilà en prison à vie, coupé de la société – plus rien ne bouge. Vous avez pété une vitre en tombant ? Votre procès a lieu en visioconférence et le son ne passe pas ? Rien de grave, puisque vous êtes en prison !
Si Mme Moutchou a une position si critique sur le recours à la visioconférence, c’est parce qu’elle l’a vécu comme praticienne du droit. Comme praticien de la visioconférence, je vous exhorte à ne pas l’utiliser pour les procès.
M. Sébastien Huyghe (EPR). Monsieur Taverne, les députés du socle commun sont présents en commission. Faute de majorité absolue, le sort des amendements dépend des effectifs lors de leur mise aux voix. Vous étiez sept tout à l’heure, vous êtes huit maintenant ; nous sommes douze. Le débat sur chaque amendement a lieu. Chacun contribue effectivement au sort du texte.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL569 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL417 de Mme Sabrina Sebaihi
Mme Sandra Regol (EcoS). Il s’agit de se conformer aux dispositions en vigueur applicables à la détention des mineurs.
M. Vincent Caure, rapporteur. J’avais la même préoccupation, mais tel est déjà le cas : les mineurs sont exclus du champ de ces établissements. Selon l’avis que rendra le Conseil d’État, nous pourrons introduire une disposition, non pas à l’article 23 mais à l’article additionnel après l’article 23 quater résultant de l’adoption de l’amendement CL471 du gouvernement adopté au début de nos travaux. Demande de retrait ou avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, permettez-moi de vous poser la question soulevée par l’amendement : le ministre Darmanin ayant apparemment très envie de communiquer à ce sujet, comme il l’a fait hier au « 20 h », envisage-t-il de créer des quartiers spécifiques, au sein des établissements pénitentiaires pour mineurs, pour les auteurs d’infractions à la législation sur les stupéfiants ?
M. Vincent Caure, rapporteur. Rien ne me permet de le penser.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte les amendements rédactionnels CL570 et CL571 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendements identiques CL28 de M. Antoine Léaument et CL180 de Mme Sandra Regol
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Nous assistons à un recours accru à certaines technologies, dont la limite absolue et essentielle est le respect de la vie privée. Le développement de la technopolice soulève des problèmes de respect des libertés fondamentales, notamment celles d’aller et venir et d’expression. Des drones circulent déjà au-dessus et autour des prisons, sans que cela apporte de solution.
Notre difficulté est toujours la même : trouver le bon équilibre entre la protection des prisons et le respect des droits. Petit à petit, nous franchissons des seuils à effet de cliquet. Il nous semble nettement préférable de réfléchir à une embauche massive de personnels de l’administration pénitentiaire, adossée à une solide armature de formation, d’autant que la question se posera pour les super-prisons prévues pour les super-méchants.
Mme Sandra Regol (EcoS). Dans les établissements pénitentiaires, les caméras sont nombreuses, mais souvent hors d’usage, surtout à l’intérieur des locaux. La solution consiste à les protéger, ce qui suppose des budgets. Or des budgets, il y en a, l’acquisition de drones n’étant pas financièrement indolore.
Un drone, contrairement à une caméra, peut permettre de regarder à l’intérieur des cellules et des sanitaires. Quelle est l’utilité d’ajouter à la privation de liberté inhérente à ces établissements une privation d’intimité qui n’est prévue ni par la peine ni par les textes français et internationaux en vigueur ? En matière de prévention, l’utilité des drones est nulle. Il est plus utile, et plus conforme au droit, d’investir dans la protection des caméras de surveillance.
M. Vincent Caure, rapporteur. À l’heure actuelle, les drones que l’on voit circuler aux abords des prisons procèdent à des livraisons au bénéfice des personnes détenues. Renverser la perspective pour mettre les drones au service de l’administration pénitentiaire est sain et justifié.
Les caméras de surveillance sont fixes et, dans les établissements anciens, non exemptes d’angles morts. La technologie des drones peut efficacement concourir à l’action de l’administration pénitentiaire.
Leur usage est précisément encadré par l’article pour prévenir toute dérive vers une technopolice. Il vise notamment à la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et à l’appui des interventions de maintien de l’ordre au sein des prisons. Il exclut la captation d’images à l’intérieur des cellules et prévoit, si elle a lieu, la suppression des images enregistrées dans un délai de quarante-huit heures. Le dispositif est robuste. Avis défavorable.
M. Michaël Taverne (RN). Je ne vois pas de quels drones parle Mme Martin, sinon de ceux utilisés par les voyous pour déposer au mieux des produits stupéfiants et au pire des armes, ce qui ne vous pose aucun problème, chers collègues d’extrême gauche, qui démontrez une fois encore que vous préférez protéger les voyous plutôt que ceux qui essaient d’assurer la sécurité de nos établissements pénitentiaires.
Lors de nombreuses évasions qui ne vous ont peut-être pas choqués, notamment celle de Redoine Faïd à Sequedin et celle d’Antonio Ferrara à Fresnes, il aurait été souhaitable que nous puissions utiliser les mêmes techniques que celles mises en œuvre par nos voisins européens, qui ne sont pas des dictatures fascistes mais de grandes démocraties, où la sécurité des abords des établissements pénitentiaires est assurée par des drones depuis plusieurs années. Cela permet de prévenir des évasions et des attaques à main armée.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Je me suis suffisamment opposé à l’usage des drones tous azimuts prévu dans les lois précédemment examinées, notamment la loi « sécurité globale », pour savoir que, en l’état actuel du droit, la police peut d’ores et déjà faire voler un drone à proximité d’un établissement pénitentiaire pour prévenir la commission d’une infraction, à condition d’obtenir une décision écrite et motivée du préfet. Certains préféreraient qu’elle puisse en faire voler à sa guise.
Du point de vue pratique, à moins d’utiliser un drone entièrement automatisé, ce qui au demeurant ne va pas de soi, s’agit-il d’affecter un agent au pilotage d’un drone, voire de plusieurs, vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? La fatigue guette, d’autant qu’il faut recharger la batterie du drone à intervalles réguliers ! La mise en œuvre pratique des dispositions de l’article est donc compliquée.
Les caméras fixes ont leurs avantages. Il est illusoire de croire que l’on mettra un terme définitif aux projections d’objets et à la corruption des agents pénitentiaires, sans laquelle aucun trafic n’est possible dans les établissements, et que des affaires judiciaires toujours plus nombreuses mettent en lumière.
L’usage de drones est disproportionné, dans la mesure où il porte atteinte à la vie privée des personnes détenues et à leur intimité, à laquelle elles ont droit. La porte de chaque cellule est équipée d’un œilleton permettant de regarder à l’intérieur. Il n’est pas utile d’en rajouter. Être privé de liberté ne prive pas de ses autres droits, à moins de s’affranchir de l’État de droit et de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – nous la soutenons, vous non : tel est le problème fondamental de votre antirépublicanisme.
Mme Sandra Regol (EcoS). Monsieur Taverne, vous justifiez le recours à des drones par la possible survenue d’évasions. Or ces dernières concernent, par définition, l’extérieur de la prison, où il est déjà possible d’activer des drones – il est vrai que ces appareils peuvent aider à suivre la progression d’éventuels fugitifs, mais on aura plutôt besoin de personnes pour les appréhender.
L’article 23 concerne l’intérieur de la prison, qui est déjà censé être équipé de caméras. Vous avez indiqué, monsieur le rapporteur, que les drones permettraient de remédier aux angles morts. Ce n’est pas du tout ce qu’on nous a dit lors des auditions : on nous a expliqué que les détenus pouvaient neutraliser le matériel de surveillance existant et que l’utilisation d’un drone était plus pratique en cas d’émeute, parce que cela évitait d’envoyer des personnes. Sur quoi votre argument repose-t-il ?
La commission rejette les amendements.
Amendement CL110 de M. Yoann Gillet
M. Yoann Gillet (RN). Les établissements pénitentiaires sont de véritables terrains d’action pour les réseaux criminels. Les trafics, violences et menaces pèsent quotidiennement sur le travail des surveillants et l’État de droit. Rien qu’en 2022, plus de 18 000 saisies de stupéfiants – principalement du cannabis – ont été effectuées en prison, ce qui révèle l’ampleur des trafics qui sévissent derrière les barreaux. La circulation de ces substances s’accompagne de violences, d’intimidations et de règlements de comptes orchestrés depuis l’intérieur même des cellules. Les prisons ne sont plus seulement des lieux de détention : elles sont devenues des bases arrière du crime organisé. On peut s’étonner de la facilité avec laquelle ces substances circulent derrière les barreaux, alimentant des trafics internes et exacerbant les tensions. Les téléphones portables, omniprésents en prison, permettent aux détenus de poursuivre leurs activités criminelles depuis leurs cellules. Par ailleurs, les assassinats commandités depuis l’intérieur même des prisons témoignent de l’emprise des réseaux criminels sur le milieu carcéral.
Face à cette situation alarmante, il est impératif de renforcer les dispositifs de surveillance ; or l’article 23 limite l’utilisation de caméras embarquées sur des aéronefs aux établissements pénitentiaires jugés particulièrement exposés aux risques. Cette restriction paraît inadaptée à la réalité, alors que chaque prison est un foyer de violences et de trafics ou peut le devenir. Aussi proposons-nous de supprimer, à l’alinéa 56, le mot « particulièrement » afin d’étendre le champ d’application des mesures de surveillance à l’ensemble des établissements pénitentiaires.
M. Vincent Caure, rapporteur. J’invoquerai une nouvelle fois un enjeu d’équilibre. En supprimant ce mot, nous diminuerions en réalité les garanties offertes par l’article 23. Avis défavorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Cette proposition de loi vise à « sortir la France du piège du narcotrafic ». Or l’essentiel des amendements déposés par les députés du groupe Rassemblement national l’ont été sur ce fameux article 23, qui est un peu l’article fourre-tout du texte et qui concerne principalement les personnes déjà incarcérées, qu’elles soient placées en détention provisoire ou déjà condamnées. Je ne comprends pas la logique : pour combattre le narcotrafic, nous devrions nous préoccuper bien davantage des trafiquants en liberté que de ceux qui se trouvent en prison.
Personne ne nie le fait qu’un certain nombre de ces détenus continuent de faire du narcotrafic ou commanditent des assassinats depuis leur cellule. C’est un problème qui nécessite que nous combattions aussi les mécanismes corruptifs au sein même des prisons. En effet, une partie de l’information obtenue par les détenus passe nécessairement par la corruption d’agents pénitentiaires ou par des manœuvres visant à tromper la vigilance de ces derniers.
Mais, dans cet article, vous agissez un peu en bout de course. Le texte manque donc de corps, y compris si l’on suit votre logique de durcissement : nous aurions pu nous opposer à des mesures en ce sens, mais vous ne les proposez même pas.
Pour notre part, nous avons essayé de déposer des amendements sur l’ensemble du texte afin de défendre les moyens qui nous paraissaient les plus efficaces pour lutter contre le narcotrafic. Encore une fois, si vous voulez empêcher l’introduction de produits stupéfiants en prison, faites de la prévention ! Essayez de faire sortir les consommateurs de la dépendance : ils ne voudront alors plus de drogue, ce qui sera tout de même plus efficace !
M. Yoann Gillet (RN). J’ai du mal à comprendre les arguments de M. Léaument. Tout à l’heure, pour lutter contre le trafic de drogue, il nous a appelés à légaliser celle-ci, ce qui ferait disparaître le problème. Après tout, on pourrait aussi légaliser les vols, les viols et les crimes afin qu’il n’y ait plus de problèmes en France… Cela n’a pas de sens !
Vous ne pouvez pas nier la présence de stupéfiants dans l’ensemble des établissements pénitentiaires français. Il faut tout mettre en œuvre pour permettre aux surveillants pénitentiaires de mieux lutter contre ce fléau. Allez à la rencontre de ces personnels : ils réclament, à juste titre, des moyens supplémentaires, une revalorisation de leur traitement et une meilleure considération de leur travail, qui est très difficile mais qu’ils accomplissent de manière remarquable.
Le problème est d’ailleurs bien plus large que le trafic de stupéfiants. Il est très facile de faire entrer tout et n’importe quoi en prison – même des armes, qui mettent en danger les détenus, mais aussi et surtout les surveillants. Certains quartiers de prison sont indéniablement devenus des zones de non-droit. Il faut se donner les moyens d’agir !
Encore une fois, au risque de me répéter, vous êtes du côté des délinquants, et non de ceux qui font respecter la loi. C’est aberrant !
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL572, CL573 et CL574 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL181 de Mme Sandra Regol
M. Vincent Caure, rapporteur. Par rapport au texte de la proposition de loi, cet amendement me semble mieux-disant sur un aspect mais moins-disant sur un autre. Je propose donc à ses auteurs de le retirer pour le retravailler en vue de la séance.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’amendement rédactionnel CL575 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL23 de M. Antoine Léaument
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Les avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) ne doivent pas être que des papiers qui serviraient à faire joli. Nous souhaitons que ceux relatifs à la surveillance par caméras installées sur des aéronefs soient des avis conformes, ce qui garantirait leur respect.
Je ne résiste pas à l’envie de répondre à nos collègues du Rassemblement national, qui répètent sans cesse que nous serions du côté des narcotrafiquants, des délinquants, et que nous n’aimerions pas les victimes. Vous me faites penser à un nazi bien connu qui s’appelait Joseph Goebbels et qui a dit un jour : « Un mensonge répété 10 fois reste un mensonge. Répété 10 000 fois, il devient une vérité. » C’est ce que vous faites en permanence. Pour ma part, je ne vous accuse pas de ne pas vouloir lutter contre le narcotrafic, mais de proposer pour ce faire de mauvaises méthodes. Voilà toute la différence entre vous et nous : alors que nous défendons des principes et des règles de droit qui s’inscrivent dans le cadre de la République, vous sortez de ce cadre et utilisez donc des arguments non républicains en accusant vos adversaires d’être du côté du crime.
Non, nous ne sommes pas du côté du crime, mais de ceux qui luttent contre le crime. C’est précisément pour rendre cette lutte contre les bandes organisées plus efficace que nous voulons accroître les moyens accordés aux services enquêteurs et à la justice, ainsi que renforcer la prévention afin de faire diminuer la consommation de stupéfiants et de tarir ainsi la source des profits des narcotrafiquants. Nous proposons des méthodes que nous estimons efficaces ; nous jugeons les vôtres inefficaces, sans toutefois remettre en cause votre volonté de lutter contre le crime, car, contrairement à vous, nous ne sommes pas dans une logique de mensonge.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. L’avis de la Cnil est pris en compte lors de l’élaboration du décret en Conseil d’État : il ne me semble pas nécessaire de le rendre conforme.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Monsieur Léaument, j’ai fait de votre stratégie une description factuelle. Vous n’avez pas besoin d’aller chercher des références que vous connaissez visiblement beaucoup mieux que nous – peut-être lisez-vous cet auteur plus régulièrement…
Vous déplorez, depuis trois jours, une insuffisance de moyens, mais vous ne votez pas les budgets quand ils sont présentés ; vous ne voulez donc pas que la justice et les forces de l’ordre aient les moyens de travailler correctement et de lutter efficacement contre le narcotrafic.
Vous parlez de prévention, de santé, et vous dites que vous avez déposé des amendements. Vous les avez visiblement mal rédigés, puisqu’ils ont tous été déclarés irrecevables ! Qu’avez-vous fait d’autre ? Vous avez rendu un rapport sur lequel vous avez travaillé un an et demi : c’est très bien, mais quelles conclusions en avez-vous tirées ? Où sont vos propositions de loi visant à lutter contre le narcotrafic ? La seule réponse que vous nous donnez, c’est qu’il faut légaliser. C’est facile : si on légalise tous les crimes, alors il n’y a plus de criminels !
Il faut savoir ce que vous voulez réellement. Quand on met les gens en prison, vous dites qu’il ne faut pas toucher à leurs petites libertés ; or, s’ils se trouvent dans un établissement justement qualifié de « lieu de privation de liberté », c’est parce qu’ils ont commis des crimes ou des délits. Il faut que leur peine serve à quelque chose : ils doivent rester en prison suffisamment longtemps pour que leur soit passée l’envie de recommencer. Si vous autorisez tout en prison, pourquoi n’y retourneraient-ils pas ? Pour de nombreux détenus, un séjour en prison ne sert qu’à avoir un galon de plus sur l’épaulette : quand ils en sortent, ils sont des petits caïds, et ils deviennent avec le temps des narcotrafiquants puissants, que vous protégez, puisque vous ne faites rien pour lutter contre ce phénomène.
M. le président Florent Boudié. Dans le cadre du contrôle de recevabilité des amendements au titre de l’article 45 de la Constitution, les présidents de commission et la présidente de l’Assemblée nationale ne sont pas chargés de valider la qualité rédactionnelle de ces amendements, mais de vérifier qu’ils ont bien un lien direct ou indirect avec le texte déposé.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Merci, monsieur le président, d’avoir apporté cette précision : nos amendements peuvent être excellemment rédigés mais tomber sous le coup de l’article 45. Si la proposition est de mieux rédiger nos amendements de sorte qu’ils n’abordent plus le sujet souhaité, alors cela ne sert à rien !
Dans le passé, la Cnil a rendu des avis conformes, mais on lui a peu à peu retiré cette possibilité, de peur de donner à cette autorité administrative indépendante un vrai pouvoir en lui permettant de s’opposer à des projets de fichage ou de surveillance. Pour notre part, nous sommes favorables à ce qu’il y ait des avis conformes en la matière, car cela garantirait la protection des libertés individuelles.
Monsieur Dessigny, vous avez dû oublier que nous avons déposé des propositions de résolution tendant à la création de commissions d’enquête sur le suicide au sein des structures de la gendarmerie et de la police nationales et, plus récemment, sur l’échec de Scribe-XPN, le logiciel de rédaction des procédures pénales pour la police. Je me suis moi-même intéressé, dès 2018, à la lutte contre la délinquance économique et financière, et j’ai même rendu en 2019 un rapport d’information sur ce sujet, comportant tout un tas de propositions. J’ai ainsi pu étudier les circuits de blanchiment utilisés par les narcotrafiquants. En 2021, nous avons déposé une proposition de loi relative à la légalisation de la production, de la vente et de la consommation du cannabis sous le contrôle de l’État ; ce texte a été examiné dans le cadre de la niche parlementaire de notre groupe, ce qui a donné lieu à un débat sur la consommation de drogue, la prévention et même la répression, puisque nous avions aussi intégré cet aspect dans notre proposition de loi. Je pourrais vous exposer tout ce que nous avons fait, mais cela ne vous intéresse visiblement pas.
Quant à nous, nous nous intéressons à l’avancée du fascisme : c’est pourquoi nous examinons attentivement ce qu’a dit M. Goebbels à l’époque et ce que vous dites vous-mêmes aujourd’hui, et nous observons d’étranges convergences – certes, M. Retailleau fait aussi bien le travail…
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 23 modifié.
Article 23 bis (nouveau) (art. 434-35-1 et 711-1 du code pénal) : Création d’une infraction d’intrusion sur le domaine affecté à un établissement pénitentiaire
Amendements de suppression CL21 de M. Ugo Bernalicis et CL321 de Mme Elsa Faucillon
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il existe déjà des dispositions sanctionnant les intrusions dans les établissements pénitentiaires. L’article 23 bis entend aggraver la peine encourue, mais, comme toujours, cela ne dissuadera en rien les individus désireux de s’introduire ou d’introduire des substances en prison.
La solution la plus efficace serait d’installer des systèmes de sécurité périmétrique, mais on ne le fait pas car, là encore, cela nécessiterait des moyens. Par ailleurs, si l’on modifiait certains aspects du fonctionnement des établissements pénitentiaires, les problèmes liés à ces tentatives d’intrusion se poseraient peut-être moins.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. Le droit pénal comporte déjà des dispositions permettant de sanctionner les intrusions dans les prisons, mais nous avons du mal à lutter contre les projections d’objets. C’est pourquoi l’article 23 bis vise à sanctionner le simple fait de s’introduire sur le domaine pénitentiaire.
M. Jordan Guitton (RN). Encore une fois, la gauche et l’extrême gauche refusent de sanctionner les personnes qui tentent de s’introduire sur le domaine pénitentiaire. Malgré les failles que comporte la législation à ce sujet, vous ne voulez pas alourdir les peines, arguant que cela ne servirait à rien. Qu’en savez-vous ? L’aggravation des peines encourues pourrait bien dissuader certaines personnes de s’introduire dans une prison, de même que le développement de la vidéoprotection et l’augmentation des moyens accordés aux surveillants et aux forces de l’ordre dissuadent parfois certains individus de commettre des crimes ou des délits. La dissuasion ne peut être mesurée par les statistiques du ministère de l’intérieur : il est par exemple impossible de connaître l’effet dissuasif d’une augmentation des moyens budgétaires ou technologiques accordée aux agents qui portent un uniforme et sécurisent notre pays.
Par ailleurs, il convient de protéger davantage les surveillants pénitentiaires, dont certains voient chaque jour leur vie menacée dans l’exercice de leur travail.
Permettez-moi enfin de souligner votre incohérence totale : vous prétendez qu’alourdir les peines ne sert à rien dans le domaine régalien ou sécuritaire, mais quand il est question d’écologie, vous trouvez visiblement que cela sert à quelque chose et vous ne vous privez pas d’augmenter toutes les peines pour embêter les Français ! Soyez donc un peu cohérents et arrêtez de trouver toujours des excuses pour ne pas protéger nos concitoyens ou le personnel pénitentiaire.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Les projections d’objets constituent déjà une infraction ; parce que nous sommes dans un État de droit, il est cependant nécessaire de prouver l’intention de commettre un délit. Vous voulez maintenant que la simple présence d’un individu à un endroit suffise à l’incriminer. Or, tous les jours, des gens entrent et sortent du domaine pénitentiaire sans avoir, à première vue, de motif légitime pour le faire. Je pense par exemple à de nouveaux intervenants extérieurs, qui doivent marcher jusqu’à l’accueil pour expliquer la raison de leur présence. Voudriez-vous les interpeller en chemin ? L’article 23 bis ne prévoit pas d’exception si la personne passe par la porte d’entrée ! Imaginez qu’un parlementaire fasse usage de son droit de visite et qu’il ait une tête suspecte aux yeux des forces de l’ordre. Va-t-il se faire interpeller pour être là sans motif légitime ? Quand il sortira sa carte de député, il risquera d’être accusé d’outrage – j’ai moi-même vécu cette situation.
Je le répète : les auteurs de projections d’objets peuvent déjà être poursuivis. Il est certes parfois compliqué de rassembler des éléments de preuve, mais nous sommes dans un État de droit.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). J’écoute d’une oreille distraite ces discussions qui me semblent un peu compliquées.
J’aimerais dire à nos collègues du Rassemblement national qu’ils devraient mieux choisir leur argumentation. M. Guitton expliquait tout à l’heure qu’on ne connaissait pas l’effet produit par une augmentation des peines. En réalité, on le sait très bien, car il existe des rapports sur cette question : les peines ne sont dissuasives que jusqu’à un certain niveau. Si nous admettons que les peines servent à dissuader les justiciables de violer la loi – nous ne disons pas qu’elles sont inutiles –, nous rappelons cependant que les infractions doivent être prouvées et que l’inflation pénale ne peut à elle seule résoudre tous les problèmes. Sinon, pourquoi ne pas rendre un vol à l’étalage passible de la peine de mort ?
Ne dites pas que l’on ne sait pas : lisez les rapports publiés à ce sujet. Au-delà d’un certain seuil, l’alourdissement des peines n’a plus aucune utilité. Arrêtez donc de promouvoir l’inflation pénale ! C’est de l’affichage : vous vous faites plaisir, mais vous ne résoudrez en rien les problèmes de délinquance.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Tout à l’heure, j’ai porté une accusation très grave contre les députés du Rassemblement national. Je les ai accusés d’utiliser les mêmes méthodes de propagande que Joseph Goebbels, et je maintiens mes propos : ils répètent 10 000 fois un mensonge pour en faire une vérité.
Vous en avez fait de nouveau la démonstration en répétant que nous ne souhaitions pas lutter contre les intrusions dans les prisons. C’est un mensonge. Nous disons, en revanche, que les intrusions et projections d’objets sont déjà punies, et qu’interpeller toute personne s’approchant d’une prison sans motif légitime sortirait du cadre du droit. Cela ne signifie pas que nous ne voulons pas protéger les prisons, mais que nous entendons préserver les libertés individuelles, par exemple le droit de nos concitoyens à rendre visite à un détenu. En effet, l’article 23 bis est mal écrit : sa rédaction est tellement large que toute personne s’approchant d’une prison pourrait être considérée comme suspecte du seul fait de se diriger vers la porte d’entrée.
Méfiez-vous : vous répétez à l’envi des accusations mensongères, mais vos électeurs sont aussi capables d’entendre notre défense et nos arguments. Je pense donc qu’ils vous sanctionneront aux prochaines élections.
M. Vincent Caure, rapporteur. Contrairement à ce que vous dites, cette nouvelle infraction ne concerne pas les visites, dès lors qu’elles sont justifiées par un motif légitime, comme le sont celles rendues par un avocat ou un membre de la famille d’un détenu. Il s’agit de sanctionner les personnes entrant sur le domaine pénitentiaire sans motif légitime, notamment pour projeter des objets à l’intérieur de l’établissement. C’est un phénomène qui existe et contre lequel nous avons du mal à lutter.
Par ailleurs, puisque vous avez évoqué le quantum des peines, je précise que celles déjà applicables pour sanctionner le fait de pénétrer dans un établissement pénitentiaire ou d'en escalader l'enceinte sans y être habilité sont plus élevées que celles prévues par le présent article.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL577 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Il convient de compléter la définition de la nouvelle infraction en précisant que le domaine affecté à un établissement pénitentiaire doit être « matériellement délimité ».
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 23 bis modifié.
La réunion est suspendue de onze heures quarante-cinq à douze heures cinq.
Après l’article 23 bis
Amendement CL246 de M. Michaël Taverne
M. Michaël Taverne (RN). Cet amendement vise à durcir la peine prévue en cas d’introduction de matériel au sein des prisons. Les objets auxquels je pense peuvent être très divers, des stupéfiants aux armes dans le pire des cas.
Il y a quelques années, le délit de parloir sauvage était puni d’une peine d’emprisonnement, remplacée depuis par une peine d’amende. La sanction prévue n’a dissuadé personne : aux dires des agents pénitentiaires, le phénomène prend de plus en plus d’ampleur, car les individus interpellés savent très bien qu’ils ne risquent quasiment rien. Pour les dissuader de commettre cette infraction, nous devons faire preuve d’une fermeté beaucoup plus grande, donc augmenter les peines encourues.
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous partageons l’objectif d’empêcher la transmission de sommes d’argent, de correspondances, d’objets ou de substances de manière illicite. En revanche, nous sommes en désaccord s’agissant de la proportionnalité des peines encourues. Vous voulez faire passer celles prévues à l’article 434-35 du code pénal d’un à trois ans d’emprisonnement à l’alinéa 1, et de trois à six ans d’emprisonnement à l’alinéa 3. C’est trop ! Avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Effectivement, le code pénal réprime déjà ce comportement ; c’est pourquoi nous nous sommes opposés tout à l’heure à la création d’un nouveau délit, qui nous semblait potentiellement discriminatoire et disproportionné.
Je précise par ailleurs à M. Taverne que ce qu’il qualifie de parloir sauvage est aussi réprimé, puisque l’alinéa 2 de l’article 434-35 du code pénal dispose : « Est puni des mêmes peines le fait, pour une personne se trouvant à l’extérieur d’un établissement pénitentiaire ou d’un établissement de santé habilité à recevoir des détenus, de communiquer avec une personne détenue à l’intérieur de l’un de ces établissements, y compris par la voie des communications électroniques, hors les cas où cette communication est autorisée […]. » Du reste, ces parloirs sauvages ne sont possibles que dans certaines circonstances : la prison doit être une petite maison d’arrêt, située en milieu urbain, où l’on peut communiquer depuis la rue. Dans les maisons centrales et les centres de détention où sont susceptibles d’être détenus de gros narcotrafiquants, un parloir sauvage paraît bien difficile à organiser.
Je me réjouis que le rapporteur soit attaché à la cohérence et à la proportionnalité des peines – il l’avait déjà dit hier – et qu’il admette que l’alourdissement de ces dernières n’est pas forcément efficace. Je l’invite donc à faire mieux pour les autres amendements ou articles allant dans la même direction.
M. Michaël Taverne (RN). Je n’ai pas dit que la peine encourue en cas de parloir sauvage et de projection de matériel n’existait plus, mais qu’elle n’était pas dissuasive. C’est pourquoi il convient de l’augmenter.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL125 et CL124 de M. Olivier Falorni
Mme Blandine Brocard (Dem). Il y a un peu moins d’un an, l’affaire d’Incarville a tragiquement montré que des criminels endurcis pouvaient, bien qu’emprisonnés, continuer de diriger leurs trafics et même organiser leur évasion depuis leur cellule grâce à des communications illicites.
En l’état du droit, seule la personne extérieure à l’établissement pénitentiaire est sanctionnée en cas de communication illégale avec un détenu. L’amendement CL125 vise à combler cette lacune en sanctionnant également le détenu qui communique de manière illicite avec l’extérieur ou avec une autre personne incarcérée. Il s’agit d’une mesure de bon sens, qui permettra de renforcer la sécurité en prison et de lutter contre la prolifération des téléphones portables et des objets dangereux en détention.
L’amendement CL124 crée un délit spécifique de détention d’objet introduit frauduleusement en prison, ce qui permettra de sanctionner plus efficacement les détenus en possession d’un téléphone, d’argent ou de substances interdites. Il réprime par ailleurs l’introduction illicite de tels objets, y compris lorsque leur remise directe à un détenu n’est pas établie – je pense notamment aux parachutages et aux retours de détenus après une permission de sortie.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je comprends la logique de l’amendement CL125, qui s’inscrit clairement dans la lutte contre la criminalité organisée en ayant pour but d’empêcher les détenus de communiquer avec l’extérieur. Vous avez d’ailleurs rappelé les faits divers qui ont alimenté certaines de nos réflexions. Si votre amendement permet effectivement de réprimer les échanges avec l’extérieur, sa rédaction pose cependant un problème s’agissant des conversations entre détenus. Je vous demande donc de le retirer afin de le retravailler en vue de la séance.
J’en viens à l’amendement CL124. D’une part, le fait, pour toute personne, d’introduire des sommes d’argent, correspondances, objets ou substances quelconques au sein d’un établissement pénitentiaire est déjà en grande partie réprimé par le droit ; je ne suis donc pas certain que cette nouvelle disposition soit justifiée. D’autre part, le fait, pour un détenu, de dissimuler, détenir ou posséder ces mêmes éléments tout en sachant que ceux-ci ont été introduits frauduleusement dans l’établissement pénitentiaire peut déjà être sanctionné dans un certain nombre de situations. On peut réfléchir à un élargissement du droit, mais il me semble nécessaire de préciser la disposition que vous proposez pour nous assurer que nous savons de quoi nous parlons et pour la rendre plus robuste juridiquement.
Mme Blandine Brocard (Dem). Si je vous ai bien compris, vous considérez qu’il faut limiter le champ de l’amendement CL125 aux communications illicites d’un détenu avec l’extérieur, et qu’il faut en exclure les échanges entre détenus.
M. Vincent Caure, rapporteur. Absolument.
Mme Blandine Brocard (Dem). Je vais donc retirer cet amendement pour le réécrire dans ce sens en vue de la séance. Je maintiens en revanche l’amendement CL124, que vous jugez partiellement satisfait.
M. Michaël Taverne (RN). Nous voterons pour cet amendement, car les communications entre les détenus et l’extérieur posent problème – les exposés sommaires mentionnent à juste titre le drame d’Incarville.
Par cohérence, je vous inviterai à voter aussi pour notre amendement CL247, qui vise à intensifier les fouilles de certains profils de détenus, sans pour autant les rendre systématiques – elles seraient autorisées par les chefs d’établissement. Une telle mesure irait dans le même sens que l’amendement CL124, puisqu’elle empêcherait que des téléphones portables soient introduits en cellule pour permettre aux détenus de communiquer avec l’extérieur.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je réitère ma demande de retrait de l’amendement CL124, qui mériterait d’être retravaillé en vue de la séance. Je comprends l’intention, mais il vise un champ de produits trop large – les denrées alimentaires, par exemple, pourraient être concernées – et instaure un quantum de peine trop élevé.
La commission rejette l’amendement CL124, l’amendement CL125 ayant été retiré.
Amendement CL247 de M. Michaël Taverne
M. Michaël Taverne (RN). Répondant à une demande des agents pénitentiaires, l’amendement vise à rétablir les fouilles, sous réserve qu’elles soient approuvées par le chef d’établissement.
On sait que des choses aussi diverses que des téléphones portables, de la drogue ou des armes sont introduites dans les prisons. La plupart des pays européens pratiquent des fouilles systématiques pour prévenir les troubles à l’ordre public. La France fait figure d’exception. Pourquoi les Belges, les Espagnols, les Italiens le font-ils, malgré la jurisprudence européenne, et pas nous ?
Les masques vont tomber. Si l’on tient à garantir la sécurité des agents pénitentiaires, il faut voter l’amendement, qui est proportionné.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. La systématisation des fouilles pose problème. Le garde des sceaux l’a indiqué, elle peut être envisagée dans le cadre du régime carcéral, inspiré du modèle italien, qui s’appliquera au très haut du spectre dans les quartiers de lutte contre la criminalité organisée.
Sur un tel sujet, il me semble raisonnable d’attendre l’avis du Conseil d’État. Par principe, je suis plutôt enclin à restreindre les fouilles qu’à les généraliser.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). La CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) s’est déjà prononcée sur les fouilles systématiques sur les détenus. La France a été condamnée pour en avoir pratiqué, en dépit de la loi qui les encadre. Dans la mesure où l’amendement du ministre Darmanin sur les fameuses prisons prévoit des fouilles, le Conseil constitutionnel aura à se prononcer sur ce point.
Par ailleurs, il ne faut pas ignorer le recours à des mules dans les prisons – des détenus plus fragiles qui sont chargés d’y faire entrer des objets. Ce sont eux qui subiront des fouilles, il faut le dire, humiliantes et dégradantes – nous pouvons tous nous accorder au moins sur ce point ; j’invite les uns et les autres à les expérimenter, dans un autre cadre, mais pas à les faire subir aux autres…
Comprenez-le bien, cette pratique est carrément inhumaine. La proportionnalité doit donc être de rigueur dans son usage. Il n’est pas question de ne jamais faire de fouilles, mais de là à en faire tout le temps… Dans ce cas, un détenu, même s’il n’a aucune intention illicite, sera réticent à accepter un parloir sachant qu’il devra ensuite se soumettre à une fouille – soyons clairs : qu’on lui demandera de se mettre à quatre pattes et de tousser.
Il faut raison garder. Les prévenus restent des êtres humains. On ne peut pas se comporter comme des voyous à leur égard.
M. Michaël Taverne (RN). Êtes-vous sûrs d’avoir bien lu l’amendement ? Il n’y est pas écrit que les fouilles sont systématisées. La décision de procéder à une fouille doit être motivée.
Monsieur le rapporteur, le texte vise le haut du spectre, dites-vous, mais faut-il pour autant tolérer le trafic de stupéfiants et les téléphones portables dans les autres prisons ? Soyons cohérents. Pour l’instant, il n’est prévu que deux prisons de haute sécurité ; n’oubliez pas les autres établissements pénitentiaires.
Je le répète, l’amendement ne systématise pas les fouilles. Il est possible d’y déroger avec l’accord du chef d’établissement et selon le profil des détenus.
La commission rejette l’amendement.
Article 23 ter (nouveau) (art. L. 34-9-1 du code des postes et des communications électroniques) : Information de l’administration pénitentiaire en cas de construction ou de modification substantielle d’une installation radioélectrique à proximité d’un établissement pénitentiaire
La commission adopte l’article 23 ter non modifié.
Article 23 quater (nouveau) (art. L. 223-26, L. 223-27, L. 223-28, L. 223-29, L. 223-30 et L. 223-31 [nouveaux] du code pénitentiaire) : Autorisation de l’usage de caméras embarquées lors des missions de transfèrement et d’extraction conduites par les personnels pénitentiaires
Amendement de suppression CL19 de M. Antoine Léaument
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). L’amendement vise à supprimer l’usage des caméras embarquées par les personnels pénitentiaires, qui non seulement ne changera rien, mais risque même d’accroître les tensions.
Ces caméras ont vocation à être utilisés a posteriori pour établir un dysfonctionnement. Elles ne sont pas efficaces pour sécuriser les déplacements de détenus et protéger les agents, ce qui est pourtant le but affiché.
Le recours aux caméras pour constater un problème est un aveu d’échec. Notre logique est inverse : nous croyons encore à la prévention.
Les collègues du Rassemblement national nous reprochent de refuser de protéger les agents, mais les caméras ne les protègent pas. Vous vous donnez simplement bonne conscience en prévoyant d’en installer. Nous, nous voulons des moyens pour que les agents soient vraiment protégés.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je suis défavorable à l’amendement.
Ce sont les agents pénitentiaires qui demandent l’équipement des véhicules avec des caméras, et jusqu’à preuve du contraire, ils sont les mieux placés pour savoir ce dont ils ont besoin pour être protégés. Certes, nous n’avons pas vocation à être une simple courroie de transmission des demandes et à faire droit à toutes, mais celle-ci est utile, en matière de prévention comme d’enquête.
M. Michaël Taverne (RN). Le groupe Rassemblement national s’opposera à l’amendement car la sécurité des agents est en jeu. Les caméras protégeront les convois.
Je rappelle ce qu’il s’est passé au péage d’Incarville : les fourgons ont été pris en étau. Les agents pénitentiaires ne pouvaient voir ce qui se passait dans leur dos. S’il y avait eu une caméra – on ne refait pas le monde avec des « si » et les agents ne sont malheureusement plus là pour le dire –, ils auraient peut-être pu voir qu’il y avait un problème à l’arrière et les techniques qu’ils apprennent leur auraient peut-être permis de limiter la casse.
Il faut en finir avec cette vision qui fait primer les libertés. Les policiers et les agents pénitentiaires utilisent les caméras d’abord pour leur sécurité ; ensuite, en cas de procédure judiciaire, les vidéos peuvent servir de preuve.
L’article permet simplement de positionner des caméras pour surveiller l’environnement et adapter la stratégie en cas d’attaque d’un convoi. Il faut arrêter de polémiquer pour rien.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il est fréquent de partir d’un cas d’espèce – en l’occurrence, l’attaque d’Incarville – pour légiférer. Je rappelle que le péage où a eu lieu l’attaque était équipé de caméras. Les assaillants étaient bien organisés et cagoulés, la présence de caméras dans les fourgons n’aurait rien changé. Ce sont d’autres techniques qui ont permis ensuite de suivre leurs traces.
Pourquoi les agents ont-ils été pris en étau ? Parce que le niveau d’escorte demandé pour M. Amra n’était pas le bon. L’escorte aurait dû être composée de services de police spécialisés, à l’instar du Raid, qui dispose de caméras embarquées et applique une autre doctrine en pareille situation.
Vous proposez un pis-aller plutôt que de remettre en cause les décisions de l’administration pénitentiaire. Il faut assumer le fait que les erreurs humaines existent et qu’on aurait pu mieux faire. Il y a eu une erreur dans l’appréciation de la dangerosité de cet individu pour déterminer le niveau de l’escorte. Personne, ni à La France insoumise, ni ailleurs à gauche, n’a contesté la nécessité d’un niveau d’escorte élevé pour les détenus les plus dangereux et du concours de services de police spécialisés pour garantir aussi la protection des agents.
À partir de ce drame, vous décidez d’installer des caméras embarquées, qui vont coûter de l’argent sans produire les effets escomptés, faute de remédier au problème posé.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL578, CL579, CL580 et CL581 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Elle adopte l’article 23 quater modifié.
Après l’article 23 quater
Amendement CL433 de M. Romain Baubry
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il s’agit de fouilles systématiques qui ne disent pas leur nom. L’amendement vise « toutes personnes extérieures à l’établissement pénitentiaire ». Elles sont tellement nombreuses – enseignants, représentants d’associations ou d’entreprises – que cela s’apparente à des fouilles systématiques.
Assumez de cautionner des pratiques inhumaines et attentatoires à la dignité humaine. Vous êtes favorables à ce que les détenus soient humiliés en permanence. Vous défendez à demi-mot une vision doloriste de la peine : vous voulez faire souffrir les gens. Vous pensez que la justice doit venger. Nous sommes en opposition totale sur ce point. Vous ne l’assumez pas, d’ailleurs, car vos électeurs se sentiraient peut-être dupés ; ils ne sont pas tous prompts à la vengeance et ils ont sans doute envie d’une autre société.
M. Jordan Guitton (RN). L’amendement est l’occasion d’ouvrir un débat intéressant, et jusqu’à présent escamoté, sur les fouilles intégrales.
On connaît les failles de notre système pénitentiaire, qui ne permettent pas d’empêcher la circulation d’objets dans les prisons, ni d’assurer la sécurité des détenus, dont la gauche parle souvent, et, surtout, celle des surveillants pénitentiaires.
Il faudrait autoriser les fouilles ou, au moins, augmenter les moyens pour empêcher des objets de toutes sortes d’entrer dans les prisons. Ce sujet doit absolument être mis sur la table.
La lutte contre le narcotrafic, puisque tel est l’objet de la proposition de loi, commence par le fait d’empêcher les prisons de devenir des passoires et certaines personnes d’y faire ce qu’elles veulent.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Qui sont les personnes susceptibles d’entrer, hormis les membres de l’administration pénitentiaire ? Les enseignants, qui, compte tenu de la difficulté de l’exercice, ne sont pas très nombreux à être volontaires ; le personnel médical. Vous proposez qu’ils subissent des fouilles. Il faut réfléchir non seulement à la proportionnalité d’une telle mesure, mais aussi à l’effet repoussoir qu’elle aura sur des personnes dont la présence en prison est absolument nécessaire. La méthode est à revoir.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL434 de M. Romain Baubry
M. Michaël Taverne (RN). Il s’agit d’un amendement de repli qui concerne les seules prisons de haute sécurité.
On sait que les portiques ne sont pas infaillibles – ils laissent passer des couteaux en céramique, notamment. Dans les prisons de haute sécurité, qui abritent des gens extrêmement dangereux, nous devons essayer de tendre vers le risque zéro. Pour la sécurité des agents pénitentiaires et des détenus, des fouilles intégrales y sont donc indispensables – c’est ce que font les Italiens.
M. Vincent Caure, rapporteur. Demande de retrait, sinon avis défavorable. L’amendement gouvernemental sur les quartiers de lutte contre la criminalité organisée permet déjà cette possibilité.
M. Yoann Gillet (RN). Le sujet mérite d’être abordé sérieusement, sans user d’arguments saugrenus.
Oui, il est impératif de vérifier que des personnes extérieures n’introduisent pas dans l’établissement des choses interdites. Évidemment, des fouilles doivent être pratiquées sur les familles qui viennent rendre visite à un détenu, mais il n’est pas choquant qu’elles concernent aussi, sous une autre forme, des intervenants extérieurs. Chers collègues, quand vous allez à un concert, un agent de sécurité vérifie que vous n’avez rien de dangereux dans votre sac ou votre pantalon. C’est du bon sens.
En ce qui concerne les prisons de haute sécurité, le ministre souhaite qu’elles soient équipées de scanners à ondes millimétriques. C’est une bonne chose, mais ces appareils ne détectent pas tout. Certes, a priori, les contacts directs entre le visiteur et le détenu au parloir ne seront pas autorisés. Des exceptions seront néanmoins prévues pour les enfants de moins de 10 ans ; il y a donc un risque que le petit qui vient voir son papa soit utilisé pour faire passer des choses interdites.
Les surveillants pénitentiaires se plaignent suffisamment, avec raison, que tout et n’importe quoi entre en prison, ce qui les met en danger, pour que nous nous décidions à agir.
La commission rejette l’amendement.
Article 24 (art. L. 22-11-1, L. 22-11-2, L. 213-3 et L. 213-4 [nouveaux] du code de la sécurité intérieure, art. 4 et 7 de la loi n° 89‑462 du 6 juillet 1989, art. L. 442-4-1 et L. 442-4-3 [nouveau] du code de la construction et de l’habitation) : Interdiction administrative de paraître sur les points de deal
Amendements de suppression CL17 de M. Ugo Bernalicis, CL153 de Mme Cyrielle Chatelain et CL323 de Mme Elsa Faucillon
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). L’article 24 institue un régime d’arbitraire, totalement disproportionné.
Il donne au préfet la possibilité d’édicter un arrêté d’interdiction de paraître sur une portion du territoire pour une durée d’un mois, visant une personne soupçonnée d’être impliquée dans un trafic de stupéfiants.
L’idée est d’interdire à des gens de paraître à un point de deal pendant un mois, plutôt que de prouver leur implication, en espérant que ledit point de deal disparaîtra comme par magie. C’est absurde.
Cette mesure est non seulement désastreuse sur le plan des libertés publiques – elles subissent une limitation considérable sans que la preuve ait été apportée d’une quelconque infraction –, mais aussi inefficace contre le trafic de stupéfiants. J’en reviens toujours à mon rapport d’information : tant que la drogue arrive sur une zone et tant que les trafiquants ont les moyens de renouveler leur personnel, vous pouvez prendre toutes les interdictions de paraître que vous voulez, il y aura toujours des gens pour tenir le point de deal. Sachez que les grands trafiquants sont capables de changer une ou deux fois par jour de personnel. Vous allez prendre des arrêtés d’interdiction de paraître à tour de bras et cela aura pour seul effet d’engorger l’administration.
Mme Sandra Regol (EcoS). Les raisons de s’interroger sur cet article sont nombreuses. D’abord, les contours de la rédaction sont particulièrement flous. Ensuite, on punit toute une famille pour les fautes de l’un de ses membres ; le deuxième parent et les enfants devront ainsi quitter le logement, ce qui n’est pas conforme à notre cadre constitutionnel ni aux conventions internationales qui régissent les droits des enfants.
Par ailleurs, la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs offre déjà énormément d’outils pour résoudre les problèmes réels posés par l’occupation par des trafiquants de drogue. Pourquoi en ajouter de nouveaux, de surcroît en pérennisant des dispositions qui avaient été conçues comme une réponse exceptionnelle aux révoltes urbaines ?
Monsieur le rapporteur, cet article ne passera pas le barrage constitutionnel en cas de recours.
Mme Elsa Faucillon (GDR). L’article ne vise clairement pas le haut du spectre. Il pérennise les suites données aux révoltes urbaines de 2023, ce qui en fait probablement un cavalier.
L’article met en danger les droits de l’ensemble des locataires, du parc social comme privé. Par ses contours flous, il confère au préfet un pouvoir discrétionnaire excessif, dont risquent de pâtir des personnes qui ne sont pas directement responsables des faits reprochés.
Dans les grandes métropoles, la crise est telle que nombre de personnes n’y ont pas accès au logement ou ne peuvent être relogées, même en cas de violences. Vous allez mettre à la rue des familles qui n’ont aucune responsabilité dans les points de deal.
Cet article n’a rien à faire dans le texte. En outre, les maires qui veulent vraiment expulser quelqu’un du parc social y arrivent.
M. Vincent Caure, rapporteur. L’article 24 introduit, dans le code de la sécurité intérieure, la possibilité pour le préfet de décider d’une interdiction de paraître en lien avec la lutte contre le trafic de stupéfiants. Il modifie, en outre, les obligations des locataires pour prendre en compte des agissements nuisibles aux abords du logement et, permet, le cas échéant, de saisir l’autorité judiciaire aux fins de résiliation du bail.
Il s’agit de deux mesures différentes, la première étant une mesure de police administrative, l’autre concernant les locataires.
Il est vrai que le texte vise le haut du spectre et l’immense majorité des articles correspondent à cet objectif. Il n’est toutefois pas illégitime de s’attaquer au bas du spectre.
La décision du préfet a pour objet de faire cesser un trouble à l’ordre public, ce qui est habituel en matière de police administrative, et elle s’appuie sur des éléments réunis par les services de police et les enquêteurs. Quelles que soient la typologie de la ville, sa taille ou sa topographie, il faut prendre en considération les conséquences quotidiennes de la présence d’un point de deal pour les habitants et les aider à retrouver une vie plus tranquille.
En ce qui concerne la possibilité de résiliation du bail, la loi de 1989 comporte déjà des dispositions autorisant une rupture du bail unilatérale en cas de non-respect de certaines obligations par le locataire à l’intérieur de son domicile. Il est ici proposé d’étendre cette possibilité aux obligations liées aux abords du logement – vous pouvez disposer d’un logement et participer à du trafic de drogue, par conséquent à un trouble à l’ordre public, à proximité de ce logement.
L’article vient donc compléter le dispositif qui existe depuis 1989 et confie la décision à l’autorité judiciaire. Compte tenu des enjeux de la lutte contre la délinquance liée au narcotrafic, ce dispositif me paraît justifié et proportionné.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Monsieur le rapporteur, on peut être d’accord sur la finalité de la mesure de police administrative : faire cesser les troubles à l’ordre public. Mais n’oublions pas que cette mesure peut être prise « à l’encontre de toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser qu’elle participe à cette occupation ou à ces activités ».
D’abord, qu’est-ce qu’une raison sérieuse ? Ensuite, cette disposition n’a absolument rien à voir avec l’objet de la proposition de loi – le haut du spectre. Non seulement elle laisse place à l’arbitraire, mais elle est à côté de la cible. Le Conseil constitutionnel y trouvera certainement à redire, n’en déplaise à nos collègues du Rassemblement national. On ne peut pas empêcher de manière arbitraire des personnes de paraître devant chez elles ! Cela peut mener à de graves dérives.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Dans ma circonscription, il existe plusieurs endroits, qui ne sont pas des points de deal, où des jeunes se regroupent, dehors, parce qu’on a supprimé une partie des salles qui étaient à leur disposition ou des installations qui leur permettaient d’avoir des activités après les cours. Ils s’en sont d’ailleurs plaints auprès de moi lors de la campagne des législatives de 2022. En tant que député, je n’ai guère de moyens concrets d’agir dans ce domaine, mais je leur avais promis d’organiser, chaque année, au milieu du quartier, précisément là où ils se rassemblent – autour d’une table de ping-pong, au seul endroit où il est possible de s’asseoir –, la fête du 14 Juillet, laquelle, depuis, rencontre un vrai succès populaire.
La présence des jeunes dans l’espace public dérange : on les soupçonne toujours de préparer un mauvais coup. Les policiers font ainsi régulièrement des descentes, qui ne donnent rien. Eh bien, voyez-vous, je n’ai pas envie de donner aux préfets le pouvoir de prendre des mesures d’interdiction de paraître, car je sais qui en seront les victimes : les jeunes des quartiers populaires.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Félicitations pour votre initiative, monsieur Léaument ! Mais ce n’est pas de ces jeunes que nous parlons. À la campagne, comme on n’a pas bénéficié des millions d’euros de la politique de la ville, on fait avec ce qu’on a : les jeunes se retrouvent sur un terrain de foot ou, là aussi, autour d’une table de ping-pong, et cela ne pose aucun problème. Les personnes visées par cet article sont celles qui participent à des trafics de drogue.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Ça se voit, peut-être ?
M. Jocelyn Dessigny (RN). Oui : les clients s’arrêtent, les choufs sont présents pour avertir de l’arrivée de la police…
Dès lors qu’un lieu est identifié comme un point de deal par les forces de l’ordre, le préfet doit pouvoir en évacuer les personnes qui y stationnent et nuisent à la tranquillité et à la sécurité des habitants. Ces derniers en ont marre : ils ont le sentiment que la police ne sert à rien. De fait, elle n’a pas le pouvoir d’empêcher quelqu’un d’être sur la voie publique. Pour rétablir l’autorité sur le territoire, des mesures de ce type sont donc nécessaires, et on peut faire confiance aux préfets pour qu’elles ne visent pas n’importe qui.
M. Jean Terlier (EPR). L’interdiction de paraître ne vise pas le petit jeune qui joue au ping-pong ou au foot, mais celui qui est soupçonné de participer à un trafic de stupéfiants. Ce type de mesures existe depuis très longtemps dans notre droit.
J’ajoute, madame Regol, que le préfet doit, bien entendu, tenir compte de la vie familiale et professionnelle de la personne concernée. Ainsi est-il précisé que « le périmètre géographique de la mesure ne peut comprendre [le] domicile principal [de la personne concernée] ». Les garde-fous existent. J’invite donc nos collègues à retirer leurs amendements de suppression.
M. Vincent Caure, rapporteur. La police administrative a une dimension arbitraire intrinsèque. C’est pourquoi il faut être attentif à la définition de la mesure, aux modalités de son application et aux voies de recours. En outre, contre une mesure arbitraire, il sera possible de déposer un référé devant le tribunal administratif, et c’est normal : nous sommes dans un État de droit. Quant à l’existence d’un trafic de stupéfiants, elle peut être déduite d’un faisceau d’indices relevés par les policiers ou les gendarmes et transmis au préfet. J’ajoute qu’il existe déjà des interdictions de paraître ; je pense aux interdictions de stade, par exemple. Cette mesure n’est donc ni inédite ni contraire à l’État de droit.
La commission rejette les amendements.
Amendements identiques CL15 de M. Antoine Léaument et CL154 de Mme Cyrielle Chatelain
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Il s’agit d’un amendement de repli. Le risque d’arbitraire est réel dès lors que la mesure d’interdiction de paraître peut être prise sur le fondement non pas de preuves établies, mais de simples « raisons sérieuses de penser ». Certes, un recours est possible, mais il est tout de même problématique de ne pas rédiger la loi de manière à réduire le risque d’arbitraire.
De surcroît, ceux qui organisent le trafic de stupéfiants et qui sont donc visés par la proposition de loi – puisque celle-ci tend à s’attaquer au haut du spectre – habitent rarement à proximité des points de deal et ne seront donc pas concernés par cette disposition. Seront essentiellement visés les jeunes gens. Encore une fois, on va vider la mer avec les mains : le jeune qui sera frappé d’une interdiction de paraître sera remplacé par un autre.
Enfin, je suis toujours inquiète de la manière dont ces mesures pourraient être appliquées dès lors que le gouvernement est très tenté de recourir à la reconnaissance faciale et que nous assistons au développement préoccupant de la technopolice.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Que n’entend-on pas ! La police administrative dispose déjà largement des moyens de faire cesser les attroupements et les rassemblements qui troubleraient l’ordre public ou entraveraient la circulation. En outre, le dispositif proposé n’est pas cadré. Or nous ne vivons pas dans un monde idéal où l’État respecte toujours la loi : il est de plus en plus souvent condamné. De même que notre commission a tendance à proposer tout et parfois n’importe quoi quitte à s’en remettre ensuite au Conseil constitutionnel, de même vous nous proposez de laisser l’administration faire tout et parfois n’importe quoi et de compter sur la justice administrative pour, dans les cas les pires, rétablir le droit. C’est un très mauvais système ! La justice, si elle est bien administrée, ne doit avoir à trancher que des cas délicats et non ceux dans lesquels l’illégalité est manifeste.
Le risque d’arbitraire est, de fait, très important. Or les détournements de ce type de mesures ont été documentés. Je pense, par exemple, à des assignations à domicile arbitraires de manifestants ou de militants écologistes qui, dans la très grande majorité des cas, ont été annulées par la justice. Cette logique dénote une vision dangereuse de l’État de droit.
M. Vincent Caure, rapporteur. D’abord, s’attaquer au haut du spectre n’empêche pas de se préoccuper du bas du spectre : ils sont liés. De fait, on ne vit pas dans un monde idéal : demandez aux gens qui vivent à proximité de points de deal et qui sont gênés par les troubles à l’ordre public provoqués par les personnes qui se livrent au trafic de drogue sur la voie publique.
Quant aux « raisons sérieuses » de penser qu’une personne participe à un trafic de stupéfiants, ne méconnaissons pas la capacité des services de police de réunir des éléments qui permettront à l’autorité préfectorale de fonder sa décision.
M. Jordan Guitton (RN). La gauche et l’extrême gauche prétendent défendre la République mais ne font manifestement pas confiance à ses serviteurs, en l’espèce les policiers, les gendarmes et les préfets. Il arrive que les forces de l’ordre arrêtent à plusieurs reprises un individu sur lequel pèsent des soupçons graves mais qui ne sera pas incarcéré faute de preuves suffisantes. Ici, il s’agit non pas d’incarcérer, mais uniquement d’empêcher des personnes de se rendre à l’endroit où les soupçonne de se livrer au trafic de drogue, sachant que le périmètre où il leur sera interdit de paraître exclut leur domicile et leur lieu de travail.
Il n’y a là aucun arbitraire. J’ai confiance en ceux qui servent la République, notamment dans les préfets – même si certains, à l’extrême gauche, veulent supprimer ce corps. L’objectif du texte est de lutter contre le narcotrafic, ce qui suppose de s’attaquer au haut mais aussi au bas du spectre. Dès qu’il s’agit d’offrir aux forces de l’ordre le moindre moyen technique de protéger nos compatriotes dont la vie est pourrie par le trafic de drogue, la gauche n’est pas au rendez-vous !
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Ces derniers temps, notamment à l’occasion de manifestations, les préfets ont pris nombre de décisions manifestement illégales, qu’ils ont réitérées après chaque annulation par le tribunal administratif. Le recours contre l’interdiction de paraître n’est même pas suspensif ! La personne pourra faire, si tant est qu’elle en ait les moyens, un référé-liberté, mais c’est une démarche complexe et les tribunaux risquent d’être embouteillés.
Vous avez dit vous-même, monsieur le rapporteur, que les mesures de police administrative comportaient intrinsèquement une dose d’arbitraire. Ce n’est pas ainsi que les choses doivent fonctionner !
Enfin, je reviens sur les contrôles d’identité, notamment au faciès, que les policiers pratiquent par millions, selon une estimation de la Cour des comptes. Une étude scientifique révèle l’existence d’une corrélation entre les contrôles qui visent les jeunes des quartiers et une surconsommation de stupéfiants et d’alcool : plus on est contrôlé par la police dans sa jeunesse, plus on a une propension à consommer des stupéfiants par la suite. Pourquoi ? Parce que les jeunes qui se font injustement contrôler se défient de l’autorité et sont, de ce fait, en conflit avec la loi en général. Voilà ce que ne comprend pas le Rassemblement national : la sûreté et la préservation de l’État de droit garantissent la paix sociale.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). On peut comprendre que l’on prenne des mesures coercitives pour lutter efficacement contre la délinquance ou prévenir les troubles graves à l’ordre public. Mais une liberté aussi fondamentale que celle d’aller et venir, consacrée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ne peut être restreinte que de manière exceptionnelle et après un contrôle préalable du juge. C’est bien le moins ! Or la mesure de l’article 24 ne satisfait pas à ces critères ; elle est donc exorbitante du droit commun.
Par ailleurs, en quoi cette disposition s’attaque-t-elle au haut du panier, c’est-à-dire aux têtes de réseau ? Je rappelle que l’on a tout de même déclaré irrecevables des amendements de M. Léaument au motif qu’ils avaient trait à la prévention.
La commission rejette les amendements.
Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CL582 et CL583 du rapporteur.
Deuxième réunion du vendredi 7 mars 2025 à 14 heures
Lien vidéo : https://assnat.fr/MWqLLM
Article 24 (suite) (art. L. 22-11-1, L. 22-11-2, L. 213-3 et L. 213-4 [nouveaux] du code de la sécurité intérieure, art. 4 et 7 de la loi n° 89‑462 du 6 juillet 1989, art. L. 442-4-1 et L. 442-4-3 [nouveau] du code de la construction et de l’habitation) : Interdiction administrative de paraître sur les points de deal
Amendement CL103 de Mme Marie-France Lorho
M. Michaël Taverne (RN). Cet amendement vise à informer le maire qu’une interdiction de paraître a été prononcée dans sa commune.
M. Vincent Caure, rapporteur. L’échange d’informations entre l’autorité administrative et l’autorité municipale est toujours bénéfique. Cependant, cette disposition risquerait de créer une usine à gaz. Les sénateurs sont à l’écoute des maires : ils ont auditionné leurs organisations représentatives, en particulier l’AMF (Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité), mais une telle demande ne semble pas avoir été formulée. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL309 de M. Jocelyn Dessigny
M. Jocelyn Dessigny (RN). Il s’agit de supprimer des restrictions susceptibles de limiter la portée des interdictions de paraître.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. Le texte qui résulterait de l’adoption de cet amendement contournerait les dispositions du code des relations entre le public et l’administration.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL585 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Suivant l’avis du rapporteur, elle rejette l’amendement CL453 de M. Jordan Guitton.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CL586 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendements CL13 de M. Ugo Bernalicis et CL155 de Mme Cyrielle Chatelain (discussion commune)
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Les alinéas 8 à 16 permettent de résilier le contrat de location de personnes soupçonnées d’avoir participé au trafic de stupéfiants. Les dispositions du texte sont si sévères qu’elles sont susceptibles de pénaliser une famille entière en raison des agissements d’un seul de ses membres. C’est scandaleux, car cela pourrait conduire à sanctionner des gens qui n’ont aucun lien avec le trafic de stupéfiants.
Mme Sandra Regol (EcoS). Les alinéas 8 à 13 sont satisfaits à droit constant. Les adopter ajouterait une couche à un millefeuille législatif déjà difficilement applicable et ne ferait que multiplier des causes de nullité susceptibles d’empêcher des condamnations. L’amendement CL155 tend donc à supprimer ces alinéas.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable à ces deux amendements. Des dispositions existent en effet, notamment dans la loi du 6 juillet 1989. Néanmoins, les auditions ont montré que les compléter pourrait aider à prendre en considération certaines réalités. Il est vrai que l’article mérite des aménagements : je défendrai dans un instant un amendement de réécriture des alinéas 8 à 13, relatif notamment aux intérêts des bailleurs, certains éléments n’ayant pas leur place dans cet article.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Il s’agit ici d’exclure d’un immeuble social les personnes qui perturbent la tranquillité et le quotidien des habitants par leur participation au trafic de drogue. Il est très difficile de se loger : nous accueillons tous dans nos permanences des victimes de violences intrafamiliales ou des personnes en situation de handicap qui ont besoin d’un logement décent. Expulser des hors-la-loi au profit d’autres personnes participerait à l’édification d’une République protectrice. Nous nous opposons à ces amendements, qui protègent non les victimes mais les délinquants et les criminels.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). On exige des locataires sociaux une jouissance paisible de leur logement, ce qui est légitime. Le texte ajoute qu’ils ne doivent pas susciter de troubles dans l’espace public, lequel n’appartient pas au bailleur. Outre sa dimension subjective, cette disposition aurait pour conséquence d’expulser de leur logement, avec le concours de la force publique, des familles qui en jouissent paisiblement, en respectant les règles. Des gens se retrouveraient alors d’autant plus en difficulté qu’aucune obligation de relogement n’est prévue. Ces familles seront à la rue, alors qu’une action préventive, à même d’empêcher les plus jeunes d’entrer dans des trafics, nous permettrait d’éviter certaines situations.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL592 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Le présent amendement réécrit les alinéas 8 à 13 et tend, notamment, à supprimer la notion d’atteinte aux intérêts du bailleur.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Plusieurs problèmes se posent. M. Dessigny dit qu’il veut punir ceux qui ne respectent pas la loi, mais il n’est pas question de cela. Voici ce qui est en cause : « Lorsque [le préfet] constate que les agissements ou les activités de l’occupant habituel d’un logement troublent l’ordre public de manière grave ou répétée et que ces agissements ou ces activités, en lien avec des activités de trafics de stupéfiants, méconnaissent les obligations », etc. Comment démontre-t-on le lien avec un trafic de stupéfiants ? Seuls une enquête et un procès peuvent l’établir. Sinon, c’est l’arbitraire. Le préfet pourrait se contenter d’affirmer qu’il a vu un trafic de stupéfiants. Or on ne peut démontrer l’existence d’un trafic par des « on-dit » : il faut le matérialiser. Ces dispositions sont donc attentatoires aux principes du droit.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, la trêve hivernale sera-t-elle respectée ? Cela signifierait qu’on ne lutte contre le trafic de stupéfiants que l’été – en admettant que la mesure soit efficace.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Le rapport auquel vous avez travaillé, monsieur Léaument, ne vous a peut-être pas donné l’occasion de vous rendre à un point de deal pour observer comment les choses se passent. Il y en a un à côté de ma permanence – il a été identifié par de multiples interventions de la police, notamment. On n’éradique pas un tel problème du jour au lendemain : on a beau couper les têtes du réseau et arrêter les dealers, d’autres prennent leur place. Le site dont je vous parle est connu pour être un point de deal et les personnes qui s’y trouvent ont déjà été interpellées : on sait qu’elles vendent des stupéfiants – et le mot « stupéfiants » est bien présent dans ces dispositions. Le dispositif est parfaitement encadré. Il est placé sous l’autorité du préfet, dont l’action sera cohérente avec les rapports de police et de gendarmerie. On confère des pouvoirs aux forces de l’ordre pour qu’elles nous protègent et elles sont assermentées. Il faut leur faire confiance. Nous avons besoin d’elles et elles ont besoin de notre confiance.
Mme Sandra Regol (EcoS). Nous sommes certainement nombreux à avoir un point de deal à proximité de notre permanence. On peut rester inactif et laisser faire – c’est apparemment votre choix – ou agir, en discutant avec les habitants, les représentants de la préfecture, les forces de police et les membres de la municipalité.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, les amendements CL156 et CL157 de Mme Cyrielle Chatelain tombent.
Amendement CL158 de Mme Cyrielle Chatelain
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. Les alinéas 14 à 16, que le présent amendement tend à supprimer, prévoient d’autoriser le préfet à saisir le juge, si le bailleur ne le fait pas, en vue de résilier le bail d’un locataire qui ne respecte pas l’obligation de faire un usage paisible de son logement et de ses abords.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). Ces dispositions ne concernent pas l’usage paisible du logement lui-même. D’ailleurs, si les bailleurs ne recourent pas aux expulsions que vous souhaitez, c’est que la loi ne le leur permet pas. Le texte oblige la famille à garantir la tranquillité de l’espace public. Il est ainsi question des « abords du logement », mais ce terme n’est pas défini : jusqu’où l’obligation ira-t-elle ? On ne peut adopter une telle évolution juridique sans savoir précisément comment s’appliquera le dispositif. Une telle mesure ne sert à rien et elle est injuste ; en outre, elle ouvre une brèche dont on ne peut admettre l’existence lorsqu’on fabrique la loi. L’USH (Union sociale pour l’habitat), qui fédère tous les bailleurs, a-t-elle été consultée sur ce sujet précis ?
Mme Sandra Regol (EcoS). Vous avez dit, monsieur le rapporteur, que l’amendement CL592 permettrait de retravailler sur la question de l’intérêt des bailleurs. Pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous avons auditionné l’USH, qui s’est déclarée favorable à la mesure. L’amendement CL592 permet de supprimer la mention de l’atteinte aux intérêts du bailleur.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL308 de M. Jocelyn Dessigny
M. Jocelyn Dessigny (RN). Merci, madame Regol, d’avoir œuvré pour les habitants de votre circonscription, mais votre action n’a manifestement pas suffi et je vous invite donc à continuer vos efforts. Si vous voulez lutter contre le trafic de drogue, commencez par voter les dispositions du texte qui vont dans ce sens, ainsi que l’amendement CL308. Il tend à préciser que les agissements visés sont liés au trafic de stupéfiants « ou [relèvent] de la délinquance ou de la criminalité organisée » – on touchera ainsi non seulement le bas, mais aussi le milieu du spectre, voire le haut.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). La rédaction pose un problème : toute activité de délinquance offrirait un motif suffisant pour expulser quelqu’un de son logement. C’est liberticide.
Vous dites, monsieur Dessigny, que ni les fréquentes interventions de la police ni la décapitation des têtes de réseau n’ont suffi à supprimer le point de deal à côté de votre permanence. Avez-vous la certitude que les têtes de réseau ont été coupées et que l’approvisionnement en drogue a été empêché ?
Vous soulignez que les personnes dépositaires de l’autorité publiques sont assermentées, c’est-à-dire qu’elles ont prêté serment. J’éprouve du respect pour elles en général, mais je suis obligé de constater que certaines mentent et sont corrompues – un procès a lieu en ce moment même pour juger des policiers qui avaient participé à un trafic de stupéfiants en lien avec la Guyane. On peut toujours rompre un serment. Ceux qui s’adonnent à ces pratiques salissent l’uniforme – ce n’est pas faire insulte aux policiers que de le dire. Je condamne de telles actions et je suis bien content que, policiers ou non, ceux qui ne respectent pas la loi soient jugés.
Mme Sandra Regol (EcoS). Pour s’assurer que la police n’aura plus du tout les moyens de fonctionner, on peut voter cet amendement. Si on applique la mesure à tous les auteurs de délinquance, par exemple ceux qui tiennent des propos racistes ou homophobes, on saturera les services de police et de justice. Il ne sera plus possible de traiter les dossiers dans l’ordre, en distinguant les têtes de réseau des petits délinquants, ni d’assurer la sécurité des personnes.
La commission rejette l’amendement.
Amendement rédactionnel CL587 de M. Vincent Caure
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Cet amendement prévoit de mentionner « le représentant de l’État dans le département » à l’alinéa 15, alors que l’alinéa 5 évoque « le représentant de l’État dans le département et, à Paris, le préfet de police ». Quid de Paris ?
M. Vincent Caure, rapporteur. C’est juste. Je redéposerai l’amendement en veillant à une harmonisation.
L’amendement est retiré.
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL588, CL589, CL590 et CL591 de M. Vincent Caure, rapporteur.
Amendement CL159 de Mme Cyrielle Chatelain
Mme Sandra Regol (EcoS). Cet amendement, de repli, tend à éviter que des personnes se retrouvent à la rue à l’issue de la procédure. Il est question de familles, d’enfants qui n’ont probablement rien à voir avec les délits reprochés à la personne poursuivie. La mesure que nous proposons est nécessaire.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. Le code de la construction et de l’habitation prévoit déjà une possibilité de relogement. Nous voulons élargir l’obligation d’usage paisible aux abords du logement, mais le reste de la procédure restera inchangé.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Le préfet décide seul de virer une famille de son logement et on résilie le bail : ai-je bien compris ou une procédure contradictoire est-elle prévue ? S’il en existe une, un recours sera-t-il suspensif ? Une expulsion peut fragiliser la famille concernée, en particulier les enfants. Admettons qu’un membre d’une fratrie ait participé à un trafic de stupéfiants, ce qui n’est pas bien, toute sa famille sera expulsée, y compris son frère de 5 ans, scolarisé. Vous ajouterez de nouvelles difficultés éducatives, lesquelles précisément favorisent l’entrée dans le trafic de stupéfiants. Nous votons un peu vite ces dispositions.
M. Jocelyn Dessigny (RN). Nous sommes en train d’examiner le dernier amendement, à l’exception de ceux tendant à obtenir des rapports. Encore une fois, vous proposez de supprimer une partie du dispositif. Nous constatons que tout au long de l’examen de ce texte la gauche et l’extrême gauche ont tenté de le détricoter, de manière à ne donner aucun nouveau moyen aux forces de l’ordre pour lutter contre le narcotrafic, voire à leur en retirer. De même, vous n’avez de cesse de dénoncer le manque de moyens, mais vous ne votez pas les budgets. Vous ne faites rien pour lutter contre le trafic de drogue. Vous avez travaillé un an et demi sur le sujet mais vous n’en avez rien tiré pour améliorer le texte. Vos amendements servent au contraire à le détruire. Certes, il est insuffisant : il ne contient pas de mesures préventives, médicales ni sociales, et aucune augmentation budgétaire n’est prévue – il faudrait voter un PLFR (projet de loi de finances rectificative) pour financer l’application de la loi.
Une fois de plus, vous vous êtes fait les défenseurs des narcotrafiquants et de tous ceux qui enfreignent la loi. Ils doivent vous remercier sincèrement d’avoir réussi à supprimer une partie du dispositif : ils pourront ce soir dormir sur leurs deux oreilles, tandis que les victimes continueront à subir le trafic de drogue et ses conséquences.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 24 modifié.
Après l’article 24
Amendements CL126 et CL226 de M. Yoann Gillet (discussion commune)
M. Yoann Gillet (RN). Les bourses, financées par la solidarité nationale, servent à ceux qui ont besoin d’une aide pour réussir leurs études et bâtir leur avenir. Elles incarnent un engagement fort de la nation envers la jeunesse ; en aucun cas, elles ne doivent être détournées au profit de ceux qui choisissent de bafouer la loi. Le trafic de drogue en milieu étudiant est une réalité préoccupante – on peut même être étudiant-dealer, devenir chroniqueur télé puis être élu député. Derrière chaque vente, des addictions se développent, des parcours se brisent et l’insécurité gangrène les campus.
L’amendement CL126 vise à préciser que les individus condamnés définitivement pour trafic de stupéfiants ne pourront plus bénéficier de bourses nationales délivrées sur critères sociaux. Il s’agit d’être dissuasif, d’affirmer fermement que l’État ne peut pas d’un côté lutter contre le trafic de drogue et de l’autre financer ses auteurs, que s’engager dans des activités criminelles entraîne des conséquences. Ceux qui font le choix du trafic ne peuvent prétendre aux mêmes droits que les autres.
Par ailleurs, l’implication de mineurs dans le trafic de stupéfiants est dramatique : elle gangrène les quartiers et détruit des vies. Les trafiquants enrôlent des enfants toujours plus jeunes pour les envoyer en première ligne, tandis que les criminels restent dans l’ombre. Si certains parents sont en détresse et appellent à l’aide, d’autres laissent faire et profitent de l’argent ainsi rapporté. L’amendement CL226 tend donc à suspendre le versement des allocations familiales aux parents dont les enfants ont été déclarés coupables de trafic de stupéfiants. Les Français souhaitent largement l’adoption de cette mesure.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Ces amendements ne sont pas très malins. Vous demandez de supprimer les bourses pour les étudiants qui ont été condamnés pour trafic de stupéfiants alors qu’il serait plus utile pour le pays que ces jeunes puissent suivre par la suite, grâce à une bourse, des études et devenir, par exemple, médecins, notamment dans les zones où il en manque. De plus, supprimer les allocations familiales pour les parents est absurde, car cela inciterait à continuer le trafic pour subvenir aux besoins de la famille. Bref, ces mesures sont ridicules et inefficaces.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL92 de Mme Pascale Bordes
M. Jocelyn Dessigny (RN). Cet amendement demande un rapport sur l’effectivité de la future loi, qui, je le rappelle, nécessitera des moyens financiers supplémentaires.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avec ces nombreux amendements de demande de rapport, nous ouvrons déjà le Printemps de l’évaluation ! J’émettrai des avis défavorables. Nous pourrons toujours mener une mission d’information une fois ces mesures mises en place.
La commission rejette l’amendement.
Amendements CL192 et CL193 de Mme Estelle Mercier, CL373 et CL374 de M. Ugo Bernalicis (discussion commune)
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). En l’absence d’étude d’impact, nous légiférons à l’aveugle. Les amendements CL373 et CL374 proposent un rapport sur les moyens des juridictions pénales spécialisées et l’opportunité d’en créer de nouvelles.
Je rappelle que les magistrats et les magistrates de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) et du parquet de Paris ont pointé devant la commission d’enquête du Sénat leur manque de moyens humains et informatiques. Ils ont relevé notamment qu’il n’y avait qu’un assistant spécialisé pour neuf cabinets d’instruction et que certains experts ne voulaient plus travailler avec la Junalco en raison des retards de paiement.
On peut améliorer sans inflation pénale le travail des agents du service public qui sont déjà à pied d’œuvre pour lutter contre la criminalité organisée. Un rapport permettrait d’établir plus précisément les besoins.
M. Vincent Caure, rapporteur. Nous ne légiférons pas à l’aveugle puisque nous avons tenu compte des retours de la mission de préfiguration, qui rendra bientôt ses conclusions définitives, notamment sur la coordination entre le Pnaco (parquet national anti-criminalité organisée) et les Jirs (juridictions interrégionales spécialisées) – cela nous permettra d’affiner le dispositif en séance.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). J’ai proposé avec M. Mendes d’augmenter les moyens des Jirs – nous étions d’accord, ce qui pourrait inciter les députés EPR à voter ces amendements. Il faudrait peut-être même démultiplier ces structures. Quelques exemples : la Jirs compétente pour la Guyane ne se trouve pas sur ce territoire et le tribunal de Cayenne est dans des locaux d’Air France, ce qui est un peu ridicule compte tenu de la situation. Il serait également utile de renforcer les moyens de la Junalco, qui doit notamment faire face à des problèmes avec les logiciels utilisés dans le cadre de la lutte contre le blanchiment.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL232 et CL233 de M. Pierrick Courbon, CL375 de M. Ugo Bernalicis et CL248 de M. Michaël Taverne (discussion commune)
M. Roger Vicot (SOC). L’amendement CL232 demande que le gouvernement remette au Parlement un rapport sur les possibilités offertes par les sites de paris en ligne dans le cadre du blanchiment d’argent issu de la criminalité organisée.
L’amendement CL233 propose, quant à lui, un rapport permettant de voir les effets de la future loi sur la lutte contre le narcotrafic réalisé dans des locaux associatifs.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). On peut créer des dispositifs très sévères, mais si on n’a pas les moyens de lutter contre le crime organisé et le blanchiment, cela ne sert à rien. Nous souhaitons donc un rapport sur les moyens alloués à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc).
Il faut, par ailleurs, veiller à attribuer les moyens là où ils sont nécessaires. C’est une des raisons pour lesquelles nous ne votons pas certains budgets. Il est inutile de créer 15 000 places de prison qui seront aussitôt remplies faute de réel changement de stratégie en matière de lutte contre la criminalité.
M. Michaël Taverne (RN). Les enquêteurs de la brigade financière ne sont pas suffisamment formés aux cryptomonnaies, qui sont utilisées par les réseaux criminels à des fins de blanchiment. Ils doivent donc systématiquement solliciter l’Office anti-cybercriminalité (Ofac), qui doit déjà gérer des tonnes de dossiers.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). J’ai soutenu le texte qui a renforcé les moyens de l’Agrasc et je ne comprends pas – à moins d’imaginer qu’il n’y ait pas de volonté politique de lutter contre la délinquance économique et financière – qu’on ne les renforce pas encore davantage, avec ceux du parquet national financier (PNF), car ce sont des fonctionnaires qui rapportent beaucoup d’argent. L’Agrasc agit d’ailleurs contre la délinquance de haute comme de moyenne et basse intensité.
Très peu de policiers sont formés à la lutte contre la délinquance économique et financière et très peu en font la demande. Je plaide depuis des années pour que le ministère de l’intérieur sorte du dogmatisme du concours unique afin de procéder à des recrutements dédiés de personnes intéressées par ces missions.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendements CL129 de M. Yoann Gillet, CL369 et CL387 de M. Ugo Bernalicis (discussion commune)
M. Yoann Gillet (RN). La liaison aérienne Paris-Cayenne est une des principales routes d’acheminement de la cocaïne vers l’Europe. Chaque vol commercial compte des passeurs – des « mules » – qui transportent des stupéfiants dissimulés dans leurs bagages ou, plus grave encore, dans leur corps. Face au fléau que représente ce trafic, qui alimente la criminalité, finance les réseaux mafieux et gangrène nos territoires, des mesures ont été prises, notamment la mise en place du dispositif « 100 % contrôle » à l’aéroport de Cayenne, qui a pour objectifs, par un filtrage intégral des voyageurs, de dissuader les trafiquants, d’intercepter les passeurs et de perturber les circuits logistiques des cartels. J’ai pu constater son efficacité, lors d’une mission parlementaire, mais les trafiquants n’ont de cesse d’adapter leurs méthodes. C’est pourquoi nous demandons un rapport d’évaluation de ce dispositif, portant sur l’ampleur des efforts réalisés, leur efficacité sur le long terme et les effectifs.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je laisserai Mme Obono détailler l’amendement CL369, relatif à l’exploitation des mineurs par la criminalité organisée.
L’amendement CL387 demande un rapport d’évaluation sur le phénomène des mules. Outre des problèmes juridiques, le dispositif « 100 % contrôle » n’est pas un outil de lutte contre le trafic de stupéfiants en Guyane puisque sa fonction est seulement d’empêcher le transfert de drogue de la Guyane vers l’Hexagone. Par ailleurs, les mules interceptées à l’aéroport d’Orly doivent d’abord être transférées à l’Institut médico-légal, escortées de douaniers, qui ensuite doivent parfois attendre toute la nuit avant l’ouverture des bureaux de l’Ofast (Office français antistupéfiants). Nous proposons qu’un rapport évalue notamment l’opportunité de créer des unités médico-légales au sein des aéroports.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable.
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). Je m’étonne que le rapporteur se contente de donner un avis négatif sans explication alors qu’un des amendements demande un rapport d’évaluation sur l’exploitation des mineurs par la criminalité organisée. L’Unicef a pointé l’absence de mesures en la matière dans la proposition de loi et, plus généralement, la contribution involontaire des politiques gouvernementales de guerre contre la drogue à la perpétuation de l’exploitation des mineurs.
M. Yoann Gillet (RN). Dans les premiers jours qui ont suivi le lancement du dispositif « 100 % contrôle » à Cayenne, 80 % des places réservées dans les avions étaient vides au décollage, parce que les passagers ne se présentaient pas à l’aéroport. L’État avait mené une importante opération de communication. Quelques mois plus tard, les avions étaient à moitié vides. Je rappelle que ces vols offrent chaque jour entre 300 et 400 places : cela donne une idée de l’ampleur du phénomène. Par ailleurs, il est vrai que l’opération « 100 % contrôle » empêche des entrées de cocaïne en Europe, mais pas le trafic en Guyane.
La commission rejette successivement les amendements.
Amendement CL83 de M. Ugo Bernalicis
Mme Élisa Martin (LFI-NFP). S’agissant des repentis ou collaborateurs de justice, nous trouvons que des évolutions positives ont lieu. C’est un dispositif qui ne nous paraît pas relever d’une répression tous azimuts, mais nous demandons un rapport pour évaluer l’impact de la loi en la matière. Il faudrait notamment regarder, à la suite de nos débats, quelles peines sont prononcées et comment elles se déroulent, ainsi que la façon dont se passent les exfiltrations qui seraient nécessaires.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable. Votre demande est déjà satisfaite compte tenu de la réécriture de l’article 14.
L’amendement est retiré.
Amendements CL436 de M. Michaël Taverne, CL376 de M. Ugo Bernalicis et CL105 de Mme Marie-France Lorho (discussion commune)
M. Michaël Taverne (RN). Mon amendement concerne l’évolution du cadre d’emploi des drones. Cela fait plus de dix ans que nous demandons leur utilisation en matière de renseignement ou de troubles à l’ordre public, à l’image de ce que font la plupart des pays.
Par ailleurs, cela fait plus de quinze ans que nous soutenons la spécialisation du recrutement des policiers. Monsieur Bernalicis, l’amendement que vous nous avez proposé en la matière était très bon.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je retire l’amendement CL376 puisque la commission a adopté un de nos amendements qui rend obligatoire la formation en matière de lutte contre la corruption – c’était l’objet de la demande de rapport.
Mme Béatrice Roullaud (RN). L’amendement CL105 demande un rapport sur l’incidence des téléphones portables – qui entrent avec une grande facilité dans les prisons – sur l’organisation du trafic de stupéfiants.
Nous avons malheureusement rejeté plusieurs amendements visant à renforcer les fouilles après les parloirs. Avant que Mme Rachida Dati, alors ministre de la justice, n’interdise les fouilles intégrales dans ce cadre, elles étaient courantes. Elles sont indéniablement dégradantes, mais il faut savoir ce que nous voulons.
Ce texte vise à lutter contre les narcotrafiquants, des individus capables de bloquer une autoroute, de porter des armes de guerre et de tuer des gens, y compris des personnes complètement innocentes et des agents pénitentiaires. À Marseille, des jeunes filles qui étudient tranquillement dans leur chambre sont victimes de balles perdues. Comment peut-on remettre en question les fouilles corporelles après les parloirs au nom de la dignité ? Le premier des droits de l’homme est la sécurité.
M. Vincent Caure, rapporteur. Défavorable.
Mme Sandra Regol (EcoS). J’ai du mal à comprendre la logique du dernier amendement. Si votre objectif est d’évaluer l’incidence des téléphones portables sur le pilotage des actions criminelles en détention, cela implique d’accepter qu’ils entrent dans les prisons et d’abandonner tout ce qui concerne le « dossier coffre », puisqu’on ne chercherait plus à protéger quoi que ce soit, voire de détricoter une grande partie du texte. Je m’interroge d’autant plus que votre groupe a déposé de nombreux amendements allant exactement en sens inverse.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Il est essentiel de respecter le principe de dignité de la personne humaine, qui s’applique également aux détenus incarcérés pour des faits très graves, moralement scandaleux et juridiquement réprimés. Ils sortiront un jour de prison. Or quand on maltraite un être humain, il finit lui-même par adopter un comportement violent. En tant qu’humanistes, nous croyons que s’il existe une infime chance que la personne s’améliore et ne récidive pas, il faut la saisir.
La fouille intégrale n’est pas seulement humiliante pour les détenus : certains agents pénitentiaires détestent cette pratique. Les principes de dignité de la personne humaine et de respect des droits fondamentaux emportent des effets qui doivent s’appliquer à tous sans exception.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Ce rapport est inutile : la circulation des téléphones dans les prisons, qui permet aux narcotrafiquants de piloter leur réseau depuis la prison, est un secret de polichinelle. C’est une des raisons pour lesquelles le garde des sceaux, que j’ai interrogé, comme ses prédécesseurs, sur les moyens de lutter contre ce fléau, a décidé de placer les détenus dans des prisons de haute sécurité.
M. Vincent Caure, rapporteur. La circulation des téléphones en prison est déjà bien connue, et a été approfondie dans le rapport de commission d’enquête du Sénat. Quant à l’usage des drones, compte tenu des dispositions que nous avons introduites, il faudra bien sûr une évaluation, mais une mission d’information de notre commission me paraît préférable à un rapport. Défavorable.
L’amendement CL376 étant retiré, la commission rejette successivement les autres amendements.
Amendement CL75 de M. Ugo Bernalicis
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Puisqu’il s’agit du dernier amendement sur ce texte, je vous remercie pour tout ce débat. Nous voterons contre cette proposition de loi qui ne parviendra pas à sortir la France du piège du narcotrafic.
Cet amendement vise à demander un rapport évaluant les atteintes au droit à un procès équitable. Le rôle du législateur est de toujours trouver un équilibre entre la liberté et l’ordre public – qui sont représentés par deux statues se trouvant de part et d’autre du perchoir dans l’hémicycle. La liberté sans l’ordre public, c’est l’anarchie ; l’ordre public sans la liberté, c’est la dictature. Avec M. Bernalicis et les collègues du Nouveau Front populaire, nous nous sommes constamment efforcés de trouver cet équilibre.
Je suis très inquiet qu’avec ce texte s’ouvre en France une ère dans laquelle la primauté est donnée à la restriction des libertés publiques, à l’heure où, dans le monde entier, le respect des libertés publiques de tous les citoyens est menacé.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je ne suis pas opposé par principe au mécanisme de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), et nous avons refusé son extension à la criminalité organisée. Avis défavorable.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Grâce à l’alliance de divers groupes parlementaires, notre commission a réussi, à plusieurs reprises, à protéger les libertés fondamentales et à supprimer des dispositifs attentatoires aux libertés individuelles et aux droits de la défense. Même si beaucoup de choses restent perfectibles, elle a fait un beau travail, par exemple en refusant l’extension de la procédure de CRPC à la criminalité organisée.
Le groupe GDR avait abordé l’examen de ce texte avec de nombreuses réserves et craintes qui, pour partie, se sont dissipées. C’est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons en commission, tout en restant vigilants pour que les mesures supprimées ne soient pas réintroduites en séance.
Mme Sandra Regol (EcoS). Cette demande de rapport a le mérite de mettre l’accent sur la question que soulève l’intégralité du texte : alors que les mesures exceptionnelles s’appliquant seulement au terrorisme deviennent la norme en matière de criminalité organisée, qu’en est-il du respect des droits de la défense, et des droits en général ? On peut craindre une dérive, car il suffirait d’élargir la notion de criminalité organisée pour que l’application de ces dispositifs soit généralisée.
Nous pouvons nous réjouir de l’évolution du texte, dont certaines des pires mesures, tels les dispositifs d’écoute, ont été supprimées grâce à une union transpartisane. Néanmoins, d’autres perdurent, dont les prisons de haute sécurité si chères au garde des sceaux ou des dispositions qui pourraient donner lieu à une jurisprudence.
Nous aurons un véritable défi à relever en séance : ce texte restera-t-il un travail transpartisan, ou s’achemine-t-on vers un passage au bulldozer pour éliminer les acquis obtenus en commission ?
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cette question de l’extension de la CRPC à la criminalité organisée nous permet d’aborder l’équilibre d’ensemble du texte. Celui-ci comprend de nombreuses mesures cosmétiques : l’Office central de lutte contre le crime organisé remplit déjà une fonction de chef de filât, la Junalco et les Jirs, que le ministre s’est engagé à renforcer, accomplissent déjà le travail de lutte contre le narcotrafic du futur Pnaco… Toutes les autres mesures portent atteinte aux droits fondamentaux.
Les sénateurs n’ayant introduit aucune disposition de prévention, par exemple sur la consommation de stupéfiants, on fait croire que les mesures de répression ciblant le haut du spectre suffiront à régler le problème. Je pense qu’elles ne régleront rien du tout. C’est pourquoi notre opposition reste pleine et entière, bien que nous soyons très favorables à quelques mesures concernant par exemple le statut de repenti ou l’infiltration. Sur ce dernier point d’ailleurs, les modifications que nous avons adoptées sont intéressantes, mais loin d’être majeures ; ce qui compte, c’est surtout les moyens qu’on y consacre.
Nous avons cruellement besoin de mesures efficaces. C’est pourquoi nous ne souhaitons pas participer à la campagne de communication de MM. Darmanin et Retailleau.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je salue la qualité de nos débats, malgré quelques moments de tension bien compréhensibles. Nos trois rapporteurs ont été ouverts à la discussion et ont permis des évolutions substantielles du texte, dont la suppression de dispositions dérogatoires aux droits fondamentaux.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic (n° 907) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
III. Examen de l’article unique de la proposition de loi organique
Lors de sa deuxième réunion du vendredi 7 mars 2025, la Commission examine l’article unique de la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, fixant le statut du procureur de la République national anti‑criminalité organisée (n° 908) (MM. Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot, rapporteurs).
Suite de la deuxième réunion du vendredi 7 mars 2025 à 14 heures
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Avant l’article unique
Amendement CL3 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. Tirant les conséquences de la création d’un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), le présent amendement vise à exclure l’emploi de premier vice-procureur de la République anti-criminalité organisée des priorités d’affectation dont bénéficient les magistrats placés à l’issue de deux années d'exercice dans leurs fonctions.
La commission adopte l’amendement. L’article 1er est ainsi rédigé.
Amendement de suppression CL1 de M. Ugo Bernalicis
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Cet amendement de suppression est en cohérence avec notre opposition à la création du Pnaco, motivée par des raisons que je vais tenter de résumer.
Cette création se justifie-t-elle par l’absence de juridictions compétentes ? La réponse est non : nous pouvons déjà compter sur la Junalco, le parquet de Paris et les Jirs. Sont-elles défaillantes ? Non : nous savons que le principal problème qu’elles rencontrent, c’est le manque de moyens et la pénurie d’enquêteurs, notamment en matière économique et financière.
Quelle plus-value apporterait donc un parquet national anti-criminalité organisée ? Il est marqué par une prédominance de magistrats du parquet par rapport à ceux du siège ; or, en matière criminelle, l’inverse paraît préférable. Le parquet est déjà partie prenante dans la Junalco. Les Jirs et le parquet de Paris peuvent également suivre ces affaires.
Les principaux bénéfices résident donc dans l'affichage. Pour des raisons de communication, vous voulez focaliser l’attention médiatique sur le fait que les moyens seront centralisés autour d’un même parquet national, que les juges d’application des peines s’y montreront sévères avec les narcotrafiquants et qu’on les mettra dans les bonnes prisons – mais là, pardon, on est dans le domaine du garde des sceaux et pas dans celui des magistrats. Vous voudriez en outre faciliter les remontées d'informations relatives aux enquêtes vers le ministre, grâce à une chaîne plus directe que lorsqu’il faut aller les chercher au fin fond d’une Jirs – car les magistrats du siège, faut-il le rappeler, n’ont pas à faire remonter toutes les informations sur toutes les enquêtes, même en matière criminelle, depuis la circulaire Taubira.
Non seulement, nous n’avons pas l’intention de participer aux opérations de communication du ministère de l'intérieur, mais nous redoutons que cette nouvelle juridiction ne conduise à dévoyer les enquêtes, en les faisant aller dans telle direction plutôt que dans telle autre.
M. Vincent Caure, rapporteur. Je comprends bien que vous êtes opposés à la création du Pnaco. Avis défavorable.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). J’aimerais également vous alerter sur la désorganisation de la lutte contre la fraude fiscale que risque de provoquer la création du Pnaco. Dans la circulaire du 4 octobre 2021 relative à la lutte contre la fraude fiscale, le ministre de la justice indiquait en effet : « Dans les champs de compétence concurrente du PNF et de la Junalco, la compétence de la Junalco pourra être privilégiée dans les dossiers portant sur des agissements résultant de l’action planifiée et concertée d’une organisation ou d’un groupe criminel structuré ».
Nous savons que le parquet national financier est confronté à une embolie, compte tenu du nombre des dossiers à sa charge. Or il ressort des auditions que nous avons menées avec Ludovic Mendes dans le cadre de notre mission d’information que les acteurs participant au blanchiment pouvaient être les mêmes que ceux qui étaient impliqués dans la fraude fiscale – y compris au profit de gens du 16e arrondissement, nous a-t-on dit ! Dans ces circonstances, la création du Pnaco peut susciter des doutes.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement de coordination CL4 de M. Vincent Caure, rapporteur.
La commission adopte l’article unique modifié, qui devient l’article 2.
Après l’article unique
Amendement CL2 de M. Pouria Amirshahi
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Cet amendement porte sur un enjeu mineur : l’indépendance de la justice. Nous ne sommes pas opposés au Pnaco, mais il nous semble nécessaire de soumettre la nomination du futur procureur à un avis conforme de la commission compétente du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Il importe de s’assurer qu’elle n’est pas soumise aux aléas de l’exécutif et qu’elle répond aux objectifs d’efficacité de la lutte contre la criminalité organisée.
M. Vincent Caure, rapporteur. Avis défavorable : cette rédaction est contraire à l’article 65 de la Constitution.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). L’avis conforme du CSM n’est effectivement pas requis pour la nomination des magistrats du parquet. Il faudrait une réforme constitutionnelle pour qu’il le soit : c’était au menu de la révision de 2018, qui a été interrompue pour une raison bien connue. Bref, tout cela est encore la faute d’Alexandre Benalla !
Toujours est-il que non, en France, le parquet n’est pas indépendant. La justification en est que le ministre de la justice doit pouvoir rendre compte de la politique pénale devant l’Assemblée nationale : cela signifie bien que le parquet est à sa main. Mais est-ce bien le rôle du politique d’être autant impliqué dans le parquet national financier, le parquet national anti-terroriste et maintenant le Pnaco ? La lutte que mènent ces juridictions doit se faire, à mon sens, sur le temps long, avec des magistrats mis en confiance. Il faut laisser la justice faire son travail en lui donnant toutes les garanties d’indépendance pour qu’il n’y ait aucune suspicion possible. Le risque, sinon, et qu’on finisse par ne confier au Pnaco que les affaires médiatiques, et tant pis pour les autres, même si elles sont importantes.
Bref, je pense que cet amendement n’est pas conforme à la Constitution mais je promets aux collègues du groupe Écologiste que s’il est adopté, il ne sera pas dans le champ de la saisine que nous adresserons au Conseil constitutionnel !
Mme Naïma Moutchou (HOR). Cet amendement pose une très bonne question, et l’indépendance de la justice est un débat récurrent. La réforme constitutionnelle de 2013 qui abordait ce sujet n’a pas pu aller à son terme. Il suffirait de réunir les deux chambres en Congrès pour la valider mais il est peu probable que la configuration actuelle le permette. Ce serait pourtant une belle avancée, même si elle n’aurait qu’un caractère symbolique puisque les avis du CSM sont suivis par l’exécutif, du moins jusqu’ici.
M. le président Florent Boudié. Je crois avoir entendu le garde des sceaux indiquer qu’il était prêt à reprendre le projet de loi constitutionnelle défendu par l’ancien président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL5 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, rapporteur. L’entrée en vigueur des dispositions créant le Pnaco ayant été différée, le présent amendement modifie la date d’entrée en vigueur des dispositions fixant le statut du procureur de la République anti-criminalité organisée.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). La date a été reportée au 1er juillet 2026 car on s’est rendu compte qu’il faudrait du temps pour mettre en place le Pnaco. Tout le monde doit être bien conscient du fait que son installation sera précédée d’une période de désorganisation, que nous espérons la plus courte possible. Le temps que les gens prennent leurs marques, que les nominations et les mutations soient faites, que les équipes soient constituées, la lutte contre le trafic et la criminalité organisée connaîtra un certain flottement. C’est tout le problème lorsque l’on crée une nouvelle structure alors que les structures existantes fonctionnent, en l’occurrence les Jirs et la Junalco. La création du Pnaco n’est pas motivée par l’échec de ces juridictions, installées depuis 2019 seulement : elle obéit purement et simplement à des objectifs de communication, comme tout le monde aura fini par le comprendre.
La commission adopte l’amendement. L’article 3 est ainsi rédigé.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi organique modifiée.
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi organique, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, fixant le statut du procureur de la République national anti‑criminalité organisée (n° 908) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.