N° 1274

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 avril 2025

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÖLE BUDGÉTAIRE EXERÇANT LES PRÉROGATIVES D’UNE COMMISSION D’ENQUËTE

afin d’étudier et de rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques
pour les années 2023 et 2024,

 

 

Président

M. Éric COQUEREL

 

Rapporteurs

MM. Éric CIOTTI et Mathieu LEFÈVRE

Députés

 

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TOME I

RAPPORT

 

 

 



SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos du prÉsident

Introduction

I. La surestimation des recettes est une erreur de politique

1. La politique économique menée depuis 2017 a été présentée comme un levier de l’amélioration des finances publiques

2. L’exécutif s’est illusionné sur la réussite de sa politique

a. La politique de l’offre n’a pas eu les résultats attendus

b. Parce que les gouvernements ont été aveugles aux véritables effets de leur politique

3. Une tendance collective à s’autopersuader que les recettes allaient suivre

II. La surestimation des recettes est une erreur politique

1. Les gouvernements successifs ont été alertés sur l’optimisme de leurs prévisions

2. Au lieu de remettre en cause la politique, les responsables se dédouanent

a. La rhétorique du gouvernement empêché

i. Le rôle de la conjoncture

ii. La composition du Parlement

iii. La faute des autres membres du gouvernement

b. Sous-traiter l’austérité aux collectivités territoriales : une solution de facilité irréaliste

c. La tentative de résumer les écarts à des erreurs techniques de l’administration

III. Les écarts aux prévisions ont été aggravés par l’application d’un mauvais remède : l’austérité

1. À force de mal baisser les impôts, les gouvernements ont renoncé à des ressources

a. Une aggravation du déficit liée à des pertes de recettes au profit des plus riches

b. Un refus ambivalent de recourir au levier fiscal

c. Des dépenses nouvelles et nécessaires dont le financement fait défaut en raison du refus d’augmenter les recettes

2. Bien que les anciens membres du gouvernement admettent que le problème est une baisse des recettes, la seule solution proposée est une baisse des dépenses

a. Un refus de réduire les dépenses fiscales

3. Sans majorité à l’Assemblée nationale, le gouvernement a occulté, atténué ou au moins retardé les mauvaises nouvelles pour favoriser l’adoption de son budget

a. Le refus d’un PLFR

b. Rendre le budget le plus acceptable possible

Conclusion : Il faut désormais adopter un regard lucide sur les résultats de la politique de l’offre et appliquer enfin les bons remèdes

recommandations du président éric coquerel

Contribution du rapporteur Éric Ciotti

Contribution du rapporteur Mathieu LefÈvre

Introduction

I. Les annÉes 2023 et 2024 ont donnÉ lieu À des Écarts significatifs entre les prÉvisions et l’exÉcution du solde public et des recettes publiques

A. Des Écarts qui rÉsultent principalement d’une hausse des recettes des prÉlÈvements obligatoires plus faible que prÉvu

1. Des moins-values en recettes des prélèvements obligatoires à hauteur de 20,7 milliards d’euros en 2023 et 40,1 milliards d’euros en 2024

a. Des recettes de TVA moins élevées qu’attendu en raison d’une décorrélation entre l’évolution de l’impôt et sa base taxable

b. L’impôt sur les sociétés : une incertitude intrinsèque à la nature et aux modalités de paiement de l’impôt doublée d’un décrochage du bénéfice fiscal de 2023

c. L’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux : les difficultés de prévision de l’évolution de la masse salariale

d. La contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité : une erreur de prévision majeure manifeste dès le début de l’année 2023

e. Les recettes des droits de mutation à titre onéreux continuellement revues à la baisse, dans un contexte de crise du marché immobilier

2. Des écarts aggravés par un creusement des dépenses publiques en dehors du périmètre des dépenses de l’État

a. Les dépenses de l’État : des dépenses pilotables à l’intérieur du périmètre des dépenses de l’État

b. Les dépenses des administrations publiques locales : des dépenses très dynamiques en l’absence de mécanisme contraignant de maîtrise des finances locales

c. Le dynamisme des dépenses des administrations de sécurité sociale

3. Des effets supplémentaires liés à des raisons comptables ainsi qu’à la révision des hypothèses macroéconomiques sous-jacentes

a. Le passage des comptes nationaux en base 2020 a induit un écart de 4 milliards d’euros en 2023

b. La révision des prévisions de croissance du PIB et d’élasticité entraîne une aggravation du déficit de 14 milliards d’euros en 2024

B. Des Écarts importants mais pas exceptionnels comparÉs aux pÉriodes antÉrieures et aux autres pays

1. Les écarts à la prévision observés en 2023 et 2024 ne sont pas inédits à l’échelle des quinze dernières années

a. Les écarts entre les prévisions et l’exécution du solde public se situent loin des valeurs maximales observées depuis 2008

b. Les écarts entre les prévisions et l’exécution des recettes de prélèvements obligatoires sont plus substantiels, surtout en 2024

2. D’autres pays ont connu au même moment des écarts à la prévision similaires

a. Le cas du Royaume-Uni : des recettes fiscales sous-estimées de plus de 20 milliards de livres sterling et des dépenses en hausse de 50 milliards de livres

b. Le cas de l’Allemagne : une surestimation considérable de la croissance qui a pesé sur les recettes fiscales

II. Une dégradation des comptes publics depuis la fin de l’année 2023, un effort en réponse portant majoritairement sur les dépenses de l'État

A. Des Écarts À la prÉvision qui s’expliquent en grande partie par des raisons techniques

1. Des prévisions perturbées par un contexte de crise énergétique et inflationniste

2. Des prévisions de finances publiques parfois trop volontaristes, notamment à moyen terme

a. Des prévisions officielles souvent plus optimistes que celles du consensus des économistes, mais un écart qui se réduit depuis la création du HCFP

b. L’existence d’un biais optimiste des prévisions macroéconomiques et de prélèvements obligatoires n’est pas démontrée pour la période récente

c. Toutefois, les prévisions de moyen terme présentées dans le cadre des programmes de stabilité ont été très volontaristes

3. Une élasticité des prélèvements obligatoires au produit intérieur brut difficile à estimer

4. Une coordination parfois insuffisante entre administrations et une certaine retenue face aux prévisions pessimistes

a. Une coordination insuffisante entre les administrations a pu participer à des remontées d’informations divergentes aux autorités politiques

b. Le suivi moins approfondi des recettes dans la sphère sociale a conduit à ignorer des informations disponibles sur les moins-values de cotisations et contributions sociales

c. Des facteurs psychologiques ont pu conduire les administrations à retarder l’annonce de prévisions exceptionnellement pessimistes

B. Un effort de plus de 30 milliards d’euros pour tenter de limiter une dégradation du déficit public sans précédent hors période de crise

1. Les premières alertes sous le Gouvernement de Mme Élisabeth Borne

a. À l’exception de la CRIM, des prévisions de finances publiques en ligne avec la LFI 2023 jusqu’à la présentation du PLF et du PLFSS pour 2024

b. Les premières alertes dans un contexte de dégradation soudaine et simultanée des remontées comptables des principaux impôts de l’État

c. Les premières réactions politiques avec un calendrier budgétaire contraint

2. Les mesures prises par le Gouvernement de M. Gabriel Attal

a. Une action pour limiter l’aggravation du déficit public

b. Le Gouvernement prend des mesures pour limiter l’ampleur du déficit en février 2024 et informe le Parlement sur une nouvelle cible de déficit en avril

c. L’absence de projet de loi de finances rectificative

3. L’action du Gouvernement démissionnaire et du Gouvernement de M. Michel Barnier

a. Malgré une nouvelle dégradation des comptes publics, un Gouvernement démissionnaire limité à l’expédition des affaires courantes

b. L’action du Gouvernement de M. Michel Barnier, sur fond de nouvelle dégradation des prévisions de recettes

III. La cohÉrence entre les prÉvisions de finances publiques et l’exÉcution pourrait Être confortÉe par une amÉlioration des mÉthodes de prÉvision, le renforcement de la transparence et des instances de contre-expertise et des efforts de pilotage infra-annuel soutenus

A. Pour AmÉliorer la crÉdibilitÉ des hypothÈses prÉsentÉes par le Gouvernement, faire Évoluer les mÉthodes de prÉvision et renforcer la coordination entre administrations

1. Un travail nécessaire sur l’optimisation des modèles de prévision de recettes des prélèvements obligatoires

a. Systématiser les retours d’expérience en cas d’écarts importants entre les prévisions et l’exécution

b. Accompagner la prévision technique d’un intervalle de confiance permettant d’en estimer le degré de réalisme

2. Améliorer les données à la disposition de l’administration dans le cadre de ses travaux de prévision des recettes de prélèvements obligatoires

a. Pour la prévision de recettes de l’impôt sur les sociétés, privilégier les solutions qui n’ajoutent pas de contraintes administratives aux entreprises

b. Pour la prévision de recettes de la TVA, mieux anticiper les demandes de remboursement et faire évoluer la méthode d’estimation de la base taxable

3. Améliorer la coopération entre administrations, en particulier dans les champs des administrations de sécurité sociale et des administrations publiques locales

4. Le besoin d’une trajectoire de moyen ou long terme à politique inchangée pour clarifier les débats sur les choix de finances publiques

B. AmÉliorer l’information et le contrÔle : Un dialogue approfondi autour des finances publiques pour une responsabilitÉ commune dans la construction des textes budgÉtaires

1. Le renforcement du HCFP est nécessaire pour que le Parlement puisse porter une appréciation éclairée sur les textes budgétaires

a. Le HCFP doit être doté des moyens, des informations et du temps nécessaire pour exercer un contrôle approfondi des textes budgétaires

b. Une extension du mandat et des prérogatives du HCFP permettrait de renforcer la responsabilité du Gouvernement

2. Le renforcement de l’information du Parlement est nécessaire pour lui permettre de participer pleinement à la définition de la trajectoire de finances publiques du Gouvernement

3. Le Parlement doit pouvoir s’appuyer sur un écosystème de prévisionnistes tiers ayant accès à des informations suffisantes pour pouvoir contrôler la cohérence et le réalisme des textes budgétaires

a. Le développement d’un écosystème de prévisionnistes tiers permettrait de contre-expertiser les prévisions du Gouvernement et d’éclairer le contrôle du Parlement et du HCFP

b. L’émergence de prévisionnistes tiers et la bonne information du Parlement supposent le développement de l’accès à certaines données de l’administration

c. Le dialogue entre l’administration, le monde académique et les organismes de conjecture doit être densifié, quitte à s’insérer dans une structure pérenne associée au calendrier budgétaire

C. Renforcer le pilotage infra-annuel des finances publiques

1. L’affectation d’éventuels surplus de recettes au désendettement, et non au financement de nouvelles dépenses

2. La régulation infra-annuelle doit reposer sur une maîtrise des dépenses partagée entre l’ensemble des sous-secteurs des administrations publiques

a. Face à une dégradation de la situation des finances publiques, le pilotage par la dépense doit demeurer l’option privilégiée

b. La maîtrise de la dépense doit reposer sur un effort partagé entre l’État, les collectivités territoriales et la sécurité sociale

3. L’instauration d’une « loi de finances de redressement des comptes publics » pourrait représenter un outil de discipline du Gouvernement et du Parlement

4. Des marges de manœuvre réglementaires élargies pourraient être accordées au Gouvernement, en contrepartie d’un devoir de transparence accru

Examen en commission

Liste des personnes auditionnÉes

Contribution du rapporteur général

Introduction

Recommandations du rapporteur général charles de courson

I. Un cadrage macroÉconomique dÉfectueux

A. Une Évaluation erronÉe des composantes du PIB et des contributions À sa croissance

1. Des moteurs de la croissance mal identifiés en 2023

2. Un scénario d’emblée frappé de caducité en 2024

B. L’insuffisante anticipation du maintien du taux d’épargne à un niveau élevé

II. L’imposition sur le revenu : un manque de fiabilitÉ des sousjacents macroÉconomiques utilisÉs

1. En 2023 et 2024, les prévisions de recettes de l’impôt sur le revenu (IR) ont été surestimées

2. Ces écarts s’expliquent principalement par un plus faible dynamisme économique, conduisant à surestimer la croissance des salaires

3. Une surévaluation des recettes d’IR qui risque de se reproduire en 2025

4. Une modification de la méthodologie utilisée pour calculer les sous-jacents macroéconomiques des revenus composant l’assiette de l’IR permettrait d’ajuster plus rapidement les prévisions de recettes correspondantes

III. les prÉvisions de recettes de l’impÔt sur les sociÉtÉs : des erreurs rÉcurrentes et de grande ampleur dÉcoulant de l’utilisation d’un indicateur inadaptÉ, l’excÉdent brut d’exploitation

1. L’incapacité à prévoir l’évolution du bénéfice fiscal des entreprises

2. Des erreurs qui découlent d’une méthode de prévision fragile et « horssol »

3. Des prévisions qui doivent être davantage fondées sur des informations provisoires transmises par les grandes entreprises au ministère de l’économie et des finances

4. Une prévision du produit de l’IS davantage crédible pour 2025

IV. les prÉvisions de recettes de TVA surestimées en raison de l’inadaptation du modÈle ÉconomÉtrique utilisÉ et d’un manque de concertation

A. des erreurs importantes

1. Les erreurs commises pour 2023 et 2024

2. Des erreurs qui pourraient se reproduire en 2025, malgré des corrections intervenues en cours d’examen du PLF pour 2025

B. des causes qui auraient pu être anticipÉes

1. Une prise en compte insuffisante des remontées mensuelles

2. Les limites d’un modèle économétrique anticipant à tort une diminution du taux d’épargne des ménages

3. Une compréhension insuffisante des déterminants des demandes de remboursements

4. Une mauvaise compréhension du rôle des composantes de la croissance

5. Un manque d’association des parties prenantes

6. Un manque de pluralisme dans l’élaboration des prévisions

V. les prÉvisions de recettes de l’accise sur les tabacs : des effets de comportement sous-estimÉs

A. des recettes surévaluées

B. Des surestimations qui ne tiennent pas compte de l’Évolution du comportement des consommateurs

VI. des prÉvisions erronÉes en matiÈre de finances locales tant en recettes qu’en dÉpenses

A. Des prÉvisions de recettes fiscales locales approximatives

1. Des recettes de taxe d’habitation sur les résidences secondaires qui croissent plus rapidement que prévu au titre de 2023

2. La sous-estimation chronique des recettes de taxe foncière sur les propriétés bâties ne tenant pas compte de l’augmentation des taux et des bases physiques

3. Une prévision des recettes de DMTO complètement déconnectée des remontées mensuelles

4. La hausse continue et forte de la TEOM paraît correctement prise en compte

5. Une hausse du versement mobilité quelque peu sous-évaluée

B. Les dÉpenses des collectivitÉs locales : Des prÉvisions alarmistes en 2024 qui font suite À une sous-estimation rÉcurrente en PLF pour 2023 et 2024

1. Une mise en accusation des collectivités territoriales fondée sur une extrapolation aventureuse et infondée

2. Une hausse des dépenses des collectivités territoriales finalement plus contenue mais toujours supérieure aux prévisions établies de façon normative au moment du PLF

3. Des prévisions de dépenses pour 2025 qui apparaissent déjà très irréalistes

VII. Les recettes de sécurité sociale : une surévaluation de plus de 1 %

1. Une surestimation des prévisions de recettes de la sécurité sociale de 1,1 % en 2023 et de 1,3 % en 2024 ()

2. Des écarts qui s’expliquent principalement par la moindre croissance de la masse salariale

3. Une meilleure coopération entre les services administratifs permettrait d’affiner les prévisions de recettes de sécurité sociale

Conclusion

Contributions DES GROUPES POLITIQuES

I. Contribution du groupe Rassemblement national

II. Contribution du groupe Ensemble pour la république

III. Contribution du groupe La France Insoumise  Nouveau Front populaire

IV. Contribution du groupe Droite républicaine

V. Contribution du groupe Les Démocrates

VI. Contribution du groupe gauche démocrate et républicaine

 


 

   Avant-propos du prÉsident

SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. La surestimation des recettes est une erreur de politique

1. La politique économique menée depuis 2017 a été présentée comme un levier de l’amélioration des finances publiques

2. L’exécutif s’est illusionné sur la réussite de sa politique

a. La politique de l’offre n’a pas eu les résultats attendus

b. Parce que les gouvernements ont été aveugles aux véritables effets de leur politique

3. Une tendance collective à s’autopersuader que les recettes allaient suivre

II. La surestimation des recettes est une erreur politique

1. Les gouvernements successifs ont été alertés sur l’optimisme de leurs prévisions

2. Au lieu de remettre en cause la politique, les responsables se dédouanent

a. La rhétorique du gouvernement empêché

i. Le rôle de la conjoncture

ii. La composition du Parlement

iii. La faute des autres membres du gouvernement

b. Sous-traiter l’austérité aux collectivités territoriales : une solution de facilité irréaliste

c. La tentative de résumer les écarts à des erreurs techniques de l’administration

III. Les écarts aux prévisions ont été aggravés par l’application d’un mauvais remède : l’austérité

1. À force de mal baisser les impôts, les gouvernements ont renoncé à des ressources

a. Une aggravation du déficit liée à des pertes de recettes au profit des plus riches

b. Un refus ambivalent de recourir au levier fiscal

c. Des dépenses nouvelles et nécessaires dont le financement fait défaut en raison du refus d’augmenter les recettes

2. Bien que les anciens membres du gouvernement admettent que le problème est une baisse des recettes, la seule solution proposée est une baisse des dépenses

a. Un refus de réduire les dépenses fiscales

3. Sans majorité à l’Assemblée nationale, le gouvernement a occulté, atténué ou au moins retardé les mauvaises nouvelles pour favoriser l’adoption de son budget

a. Le refus d’un PLFR

b. Rendre le budget le plus acceptable possible

Conclusion : Il faut désormais adopter un regard lucide sur les résultats de la politique de l’offre et appliquer enfin les bons remèdes

recommandations du président éric coquerel

 


   Introduction

Depuis la réélection du Président de la République en 2022, aucun budget n’a été voté par l’Assemblée nationale. Ses Premiers ministres successifs ont effectivement dû recourir à l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution pour qu’ils soient « considérés comme adoptés ». Aucun de ces budgets n’a ensuite été exécuté comme prévu.

Il faut attendre le début de l’année 2024 pour que la réalité de la situation budgétaire soit révélée. La chronologie est désormais bien connue.

En février, Bruno Le Maire révise à la baisse les prévisions de croissance pour 2024 et donne enfin raison à l’opposition. Dès l’examen du projet de loi de finances à l’automne 2023, il était évident que les perspectives de croissance étaient surévaluées. Le ministre avait ainsi été alerté par les parlementaires et les prévisions de Bercy avaient été jugées optimistes par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Afin de limiter les effets de cette révision sur le déficit, le Gouvernement décide en parallèle de ponctionner les budgets des ministères de plus de 10 milliards d’euros, comme Bruno Le Maire le proposait dès le 13 décembre 2023 dans une note pour la Première ministre. Deux mois après avoir été imposé à la représentation nationale, le budget est déjà caduc et remodelé sans débat au Parlement puisque le gouvernement refuse de déposer un projet de loi de finances rectificatif.

En mars, ce sont d’autres prévisions qui se révèlent erronées : la presse fait état d’un déficit pour 2023 susceptible d’atteindre 5,6 % du PIB, soit un niveau supérieur de 0,7 point de PIB à la prévision réitérée en décembre 2023 de 4,9 %. Comme nous l’avons appris dans les jours qui ont suivi, les services de Bercy mentionnaient pourtant dès la fin octobre 2023 une chute des recettes fiscales qui risquait de compromettre la prévision de déficit de 4,9 %. Ce risque s’est bien matérialisé puisque le déficit a atteint à 5,5 % du PIB et la moins-value en recettes fiscales plus de 20 milliards d’euros.

De nouveaux écarts aux prévisions, sur le déficit pour 2024 cette fois-ci, ont ensuite été annoncés : la prévision initiale de 4,4 % de PIB a été relevée successivement à 5,1 % en avril, à 5,6 % en juillet puis à 6,3 % en septembre. La dernière prévision s’est établie à 6,1 % en octobre pour un déficit de 5,8 % de PIB, soit un écart de 1,4 point de PIB à la cible initiale qui s’explique majoritairement par un niveau de recettes fiscales inférieur de plus de 40 milliards d’euros à la prévision.

Après deux exercices marqués par autant d’incertitudes, il m’a semblé nécessaire de comprendre les origines de ces écarts de prévisions budgétaires et fiscales. J’ai effectivement considéré qu’il était impossible pour la représentation nationale de prendre des décisions alors que les chiffres pouvaient évoluer si rapidement entre la présentation des informations et la prise de décision.

Il revenait donc à la commission des finances, étant chargée du suivi et du contrôle de l’exécution du budget, de faire la lumière sur les raisons de ces fluctuations. J’ai alors proposé de conférer à la commission des finances les prérogatives d’une commission d’enquête.

Bien sûr, les aléas sont inhérents à l’exercice de prévision. Mais pour les exercices 2023 et 2024, alors que de tels écarts à la prévision et de tels niveaux de déficit n’ont jamais été atteints hors période de crise, il était nécessaire de mettre en évidence les causes profondes des moins-values.

L’ensemble des documents que j’ai pu consulter au titre de mes prérogatives de président de la commission des finances ainsi que les 27 auditions menées dans le cadre de cette commission d’enquête m’ont permis de dresser un constat : les gouvernements successifs ont mal anticipé les conséquences de la politique de l’offre sur les recettes, aggravées par ailleurs par l’inflation et le ralentissement de l’activité mondiale.

Les deux années qui ont suivi le début de la crise sanitaire ont été exceptionnelles. Le point de départ était si bas en 2020 que le rebond a été fort et le niveau des recettes a étonné. Ces résultats ont alors entretenu une illusion sur les réussites de la politique de l’offre. Mais le mirage s’est rapidement dissipé avec la normalisation de l’économie.

D’aucuns aimeraient imputer les écarts à une erreur de l’administration afin d’exclure toute responsabilité des autorités politiques. Pourtant, l’Inspection générale des finances (IGF) nous indique qu’en 2023 presque 80 % de l’écart est extérieur à l’exercice de prévision des recettes fiscales. Alors rien ne sert de recommander l’externalisation de ces prévisions ou uniquement l’évolution des outils d’évaluation des recettes.

Ces écarts révèlent plutôt un aveuglement collectif créé par une vision nuisible de la politique économique et ont été aggravés par la volonté de retarder l’aveu de l’échec. Il est maintenant nécessaire de le reconnaître et de corriger les effets de 8 années de politique de l’offre.


I.   La surestimation des recettes est une erreur de politique

1.   La politique économique menée depuis 2017 a été présentée comme un levier de l’amélioration des finances publiques

Le Président de la République s’est fait élire en 2017 sur un programme présenté comme salvateur pour le pays : il devait moderniser l’économie et maîtriser les dépenses publiques. Cette ambition a été rappelée aux membres de la commission d’enquête lors de l’audition de Bruno Le Maire. Après plus de sept années à la tête de Bercy, il a eu le sentiment d’avoir œuvré à la transformation profonde de notre modèle économique et social. Pour lui, cette transformation était et demeure « la seule solution durable au problème des déficits et de la dette » ([1]) issus des « erreurs économiques des années passées » ([2]) . La politique économique menée depuis 2017, en stimulant l’activité, était donc censée permettre un rétablissement des comptes publics. Cette foi dans la politique de l’offre est également partagée par Gabriel Attal qui déclarait en 2022 que « si on est capable depuis 2020 de réduire chaque année nos déficits, c'est grâce à l'activité économique très forte liée à nos réformes, qui permet davantage de rentrées fiscales » ([3]).

S’il faut bien reconnaître qu’une transformation a été engagée depuis 2017, celle-ci n’a pas été menée dans un sens favorable à la justice sociale et à la bifurcation écologique. Pire, ces régressions n’ont pas permis de redresser les comptes. La logique et le bon sens commandent donc de conclure à un lien entre la situation des finances publiques et l’échec de la politique économique. Refuser ce constat relève de l’obstination idéologique.

Au cours des auditions, des anciens ministres ont tenté de nier la responsabilité de leur politique. Ils se sont notamment appuyés sur un rapport commandé par le gouvernement à l’Inspection générale des finances. Pourtant, ce rapport indique que l’écart en 2023 s’explique à 78 % par des facteurs externes à la prévision et à seulement 22 % par des facteurs internes. Cette dernière partie de l’écart aurait donc pu être évitée en améliorant techniquement la prévision. Mais les autres 78 % que l’IGF attribue « aux comportements, qui peuvent changer au cours du temps et ne peuvent pas être maîtrisés, ou encore aux données macroéconomiques, c'est-à-dire à des éléments extérieurs à l’exercice de prévision de finances publiques » ([4]) n’étaient pas pour autant inévitables.

Si cette part de l’écart ne peut s’expliquer par des éléments techniques, c’est qu’elle résulte dans une certaine mesure de la politique économique du gouvernement. C’est l’aveu même de Michel Barnier lorsqu’il déclare lors de son audition : « Il y a bien sûr un lien entre les politiques économiques et budgétaires et le niveau de déficit ». Si les résultats de la politique de l’offre avaient été mieux appréhendés, s’ils n’avaient pas été masqués par l’embellissement du bilan économique, les prévisions auraient été moins « optimistes » et plus proches de l’exécuté.

Au lieu de stimuler l’activité et de redresser les finances publiques, les résultats ont été inverses à ceux espérés. Cet échec a d’ailleurs été mentionné par l’économiste Laurent Bach lors de son audition : « Le sujet de l’effet budgétaire de toutes ces baisses d’impôts me concerne en premier lieu, parce que nous avons évalué le nombre de ces baisses. Nous sommes capables d’estimer l’effet budgétaire. Ce dernier, même en prenant en compte les réponses comportementales, est globalement assez négatif, parce que, par exemple, les réformes de la fiscalité du capital n’ont pas eu un impact très fort sur l’investissement. Elles ont eu des impacts plutôt faibles sur la création et sur l’exil fiscal. Il y a tout un ensemble de réponses qui peut-être étaient espérées et que nous n’avons pas trouvées » ([5]). Ce constat d’échec est aussi partagé par l’économiste Éric Heyer, pour qui « les baisses d’impôts, contrairement à l’idée ou au souhait du Président de la République, n’ont pas entrainé exactement ce que l’on souhaitait, c’est-à-dire une accélération du PIB telle que la dépense aurait aussi baissé en points de PIB et donc les déficits se seraient autofinancés » ([6]). Ce dernier conclue par ailleurs que la politique de l’offre menée ces dernières années « ne fonctionne pas beaucoup. Généralement une politique de l’offre a pour ambition de faire augmenter la croissance potentielle de l’économie, donc la productivité du travail. Voir la productivité proche de zéro après cinq ans de politique de l’offre indique que cette idée ne marche pas » ([7]).

Afin d’identifier les causes de déficits supérieurs à ceux initialement envisagés, il faut donc vérifier les résultats réels de la politique économique et donc s’intéresser aux arbitrages politiques qui sous-tendent les écarts aux prévisions.

2.   L’exécutif s’est illusionné sur la réussite de sa politique

a.   La politique de l’offre n’a pas eu les résultats attendus

Les ministres qui se sont succédé en auditions ont défendu un bilan qui s’apparente à une fable. L’exemple le plus marquant est Bruno Le Maire qui, au cours d’une introduction roborative, a décliné avec satisfaction ce qu’il estime être son bilan : « Nous avons réformé le marché du travail, créé 2,5 millions d’emplois ; nous avons fait venir des investisseurs ; nous avons ouvert des usines ; nous avons baissé les impôts ; nous avons valorisé le travail ; nous avons généré une croissance depuis 2017 supérieure en moyenne à celle des Allemands ou des Britanniques » ([8]). Cependant, ce tableau démontre un aveuglement sur ce que sont les véritables résultats de la politique de l’offre.

 L’activité du pays n’a pas été stimulée par la politique de l’offre. Malgré les centaines de milliards d’euros annuels de transferts de recettes publiques vers le secteur privé, la croissance reste faible et fragile. Il suffit de comparer les taux de croissance observés avant la crise de 2008 à ceux qui ont suivi. Alors que la croissance moyenne s’élève à 2,2 % entre 1996 et 2008, elle n’atteint plus que 1,4 % entre 2010 et 2024 (hors 2020-2021). Avec la succession et l’aggravation des budgets austéritaires, une inversion de cette tendance reste d’autant plus improbable.

 La réindustrialisation du pays n’est qu’un mythe. Un récent rapport de la Cour des comptes a effectivement montré que les progrès étaient très fragiles ([9]). Ainsi, malgré les plans de relance, la production manufacturière en janvier 2025 est inférieure de 3 % à son niveau de janvier 2021 à la sortie de la crise sanitaire ([10]). Cette destruction de l’industrie française se fait au profit du secteur tertiaire. La part de l’emploi industriel dans l’emploi salarié privé recule ainsi de 16,4 % en 2018 à 15,4 % en 2024 ([11]). Les emplois créés sont essentiellement peu qualifiés et à bas coûts pour les employeurs grâce à une succession de mesures d’exonérations de cotisations patronales.

 Le chômage n’appartient pas au passé contrairement à ce qu’aimerait faire croire Bruno Le Maire en mentionnant les deux millions et demi d’emplois créés depuis 2017. Une hausse a bien été mesurée par l’Insee, particulièrement nette à partir de 2021 avec la création de 650 000 emplois. Mais la quantité n’est pas un gage de réussite, en particulier lorsque ces emplois supplémentaires ne permettent pas de créer autant de richesses qu’espéré. Une large partie d’entre eux a été permise par le choix de socialiser les salaires. Parmi les emplois marchands créés depuis 2017, 38 % sont effectivement des emplois d’apprentis massivement subventionnés. Les créations d’emplois reposent également sur une précarisation du travail. Entre 2017 et 2022, le nombre d’auto-entrepreneurs a ainsi augmenté de 700 000 alors même que la catégorie des travailleurs indépendants est la plus précaire : 18,3 % d’entre eux sont des travailleurs pauvres, soit une proportion trois fois plus grande que pour les salariés ([12]). Affirmer en avoir fini avec le chômage alors que le travail ne permet pas à deux millions de travailleurs de dépasser le seuil de pauvreté n’est donc qu’une mystification.

 Il n’y a ni amélioration du pouvoir d’achat, ni lutte contre la pauvreté. Où sont les gains lorsque les salaires du secteur privé restent inférieurs à l’inflation de 0,8 % en 2023 alors qu’ils l’étaient déjà de 1 % en 2022 ? De même, en corrigeant de l’inflation le salaire mensuel de base, les données de la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) indiquent qu’il baisse de presque 3 % entre 2017 et fin 2024. Où est la lutte contre la pauvreté lorsque le taux de pauvreté diminue en Allemagne et en Espagne alors qu’il continue d’augmenter en France pour atteindre 15,4 % en 2023 contre 13,6 % en 2015 ?

Si le redressement des finances publiques était conditionné à la réussite de la politique économique, les déficits ne pouvaient donc que s’aggraver.

b.   Parce que les gouvernements ont été aveugles aux véritables effets de leur politique

Ce refus de reconnaître des résultats catastrophiques est aussi accentué par un aveuglement sur les véritables effets de la politique de l’offre en raison de croyances profondément enracinées sur le bien-fondé des baisses d’impôts.

 Notre économie souffrirait d’une fiscalité trop élevée. Diminuer les impôts permettrait alors de désentraver le potentiel économique du pays et d’augmenter les recettes. Cette idée a notamment été exprimée par Antoine Armand en évoquant le principe de la courbe de Laffer qu’il considère « peu contredit dans la littérature économique » ([13]) : « Nous sommes le pays qui taxe le plus au monde et, quand nous baissons les impôts durablement et efficacement, leur produit augmente, hors perturbation majeure ou erreur de prévision. Je maintiens donc ma position. La France est allée trop loin dans la taxation » ([14]). Pourtant, les niveaux d’imposition des revenus du travail et du capital restent dans la moyenne de ceux des pays comparables ([15]). Si le principe de la courbe de Laffer se vérifiait, la France ne ferait pas moins bien que ces pays.

 Baisser les impôts permettrait d’augmenter les recettes. Gabriel Attal en a ainsi donné un exemple lors de son audition : « Nous avons assumé la baisse de certains [impôts], car elle a eu pour résultat d’augmenter leur assiette. Nous avons ainsi baissé le taux de l’impôt sur les sociétés (IS) de 33 % à 25 %. Cette baisse [a permis aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI)] de développer leur activité, d’investir et d’embaucher et nous a permis ainsi de collecter davantage qu’avec un taux à 33 % ([16]) ».

Or, un tel raisonnement ne se vérifie pas sur l’IS puisqu’il n’y a pas eu de réelles augmentations des recettes. Elles ont certes été élevées après 2020 mais sont vite devenues décevantes : 62,1 milliards d’euros en 2022 contre 56,8 milliards d’euros en 2023 et 57,4 milliards d’euros en 2024. Et même ce montant de 62,1 milliards censé valider la politique économique est un trompe-l’œil. Outre les effets de la reprise de l’activité économique liée à la fin de la crise sanitaire, trois facteurs viennent relativiser l’augmentation : le remplacement en 2019 du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) par une baisse pérenne de cotisations patronales qui opère un transfert de recettes de la sécurité sociale vers l’État (le « retour d’IS » avait été estimé à 0,2 point de PIB, soit environ 6 milliards d’euros, lorsque le taux était encore de 33,3 % ([17]) et une évaluation plus récente le chiffre à 2,4 milliards d’euros ([18])), la réduction des impôts de production et l’inflation ([19]). Selon l’économiste Laurent Bach, « la seule combinaison de ces facteurs permet déjà d’expliquer l’ensemble de la hausse observée de l’IS dû par les entreprises entre 2016 et 2022 ». L’augmentation relative des recettes d’IS ne s’explique donc pas par la baisse de son taux. Il n’est par conséquence pas étonnant que le croire ait pu créer une confiance excessive dans la capacité des baisses d’impôts à augmenter les recettes.

 Leurs effets seraient massifs pour nos concitoyens. Cette idée a régulièrement été exprimée lors des auditions. Bruno Le Maire a ainsi avancé que « les baisses d’impôts profit[ai]ent à tout le monde ([20])  » en se référant à la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU). Gabriel Attal a également partagé cette opinion en indiquant que la taxe d’habitation « ne bénéfici[ait] (…) pas aux plus fortunés » ([21]).

Pourtant, les études menées sur le sujet arrivent à une tout autre conclusion. En faisant abstraction d’éventuels changements de comportement liés à une évolution du régime d’imposition, il en ressort que 90 % du bénéfice du PFU est concentré sur les 1 % des Français les plus riches, soit 300 000 ménages. Ces derniers retirent de ce mode d’imposition un gain total de 8 milliards d’euros, ce qui représente un gain fiscal de plus de 30 % du revenu déclaré par unité de consommation ([22]). Quant à la suppression de la taxe d’habitation, elle a surtout eu un effet anti-redistributif puisque le gain a été deux fois plus important pour les 20 % de foyers ayant les revenus les plus élevés ([23]). Croire que ces baisses d’impôts seraient massives pour les ménages et encourageraient la consommation et l’investissement mène ainsi à une surestimation des recettes attendues.

Cette politique en faveur des plus riches, conduisant à une concentration des richesses toujours plus forte, est d’ailleurs « sans doute l’élément central » ([24]) (Éric Heyer) qui explique l’augmentation du taux d’épargne et son maintien à un niveau élevé. Les prévisions de croissance de l’exécutif pour 2023 et 2024 ont intégré l’hypothèse d’une hausse de la consommation liée à une diminution de l’épargne des ménages. Sauf que cette hypothèse n’a pas tenu compte du changement de la structure des épargnants. La plus grande progression des hauts revenus serait en effet le facteur le plus important de la hausse de l’épargne ([25]). Les baisses d’impôts ayant profité aux plus riches, soit ceux qui concentrent la surépargne ([26]), elles ont permis d’augmenter le montant du revenu disponible épargné. Elles ont donc contribué à cette hausse pérenne de l’épargne que les gouvernements successifs n’ont pas été en mesure d’apprécier.

3.   Une tendance collective à s’autopersuader que les recettes allaient suivre

  1.   Les hypothèses du gouvernement ne se sont pas réalisées

Pour 2023, la prévision de croissance (1 %) s’est révélée proche du taux constaté (0,9 %). Pourtant, en comparaison avec les prévisions produites par d’autres organisations au même moment, celle du gouvernement paraissait élevée puisque l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) envisageait une croissance de 0,6 % et la Banque de France de 0,5 %. Rexecode était particulièrement pessimiste en prévoyant une croissance nulle.

Toutefois, il ne suffit pas de prévoir le bon chiffre de croissance, encore faut-il avoir ses bons déterminants. Dans le cas contraire, cette prévision perd sa valeur.

Une analyse de la direction générale du Trésor a montré que les moteurs de la croissance n’ont pas été ceux qui avaient été anticipés par le gouvernement, ce qui a eu une incidence sur le niveau des recettes fiscales ([27]). Il envisageait effectivement une croissance soutenue par la consommation des ménages, une hypothèse que ne partageait pas la Banque de France ([28]). À raison, puisque la croissance a finalement été portée par le commerce extérieur et la dépense publique. Les dépenses de consommation (+2,0 %) et d’investissement (+3,2 % après +7,1 % en 2023) des administrations ont en effet été bien plus dynamiques que les dépenses de consommation (+0,9 %) et d’investissement (-6,0 %) des ménages ou que les dépenses d’investissement des entreprises (-1,6 %) ([29]). Il est par ailleurs intéressant de noter que le gouvernement envisageait une diminution des dépenses locales (‑0,5 % en volume), qui constituent la majorité des dépenses publiques d’investissement, alors qu’elles lui ont permis en partie de tenir son objectif de croissance. Il est vrai que les prévisions de croissance des autres organismes se sont révélées inférieures au taux constaté. Mais si le gouvernement avait retenu leurs hypothèses, comme celles de la Banque de France sur un niveau de la consommation plus faible, l’écart aux prévisions aurait été moindre.

Pour 2024, la prévision du Gouvernement de 1,4 % s’est révélée cette fois‑ci supérieure au taux constaté de 1,1 %. Or, cette prévision était supérieure de 0,6 point de PIB à la prévision moyenne de 0,8 % qui faisait consensus chez les économistes. Les prévisions de l’ensemble des organisations internationales étaient de même largement inférieures au taux présenté au Parlement. Comme pour 2023, la croissance avait été surestimée en raison d’une mauvaise appréciation de ses composantes, une nouvelle fois soutenue par la demande publique et la demande étrangère.

  1.   Cette illusion sur la réussite de la politique de l’offre a conduit à une surestimation des recettes

L’aveuglement des ministres sur le bienfondé de leur théorie et sur leurs résultats a pu alors induire un manque de recul critique sur les prévisions.

Les résultats exceptionnels de 2022 et leurs conséquences sur les recettes publiques ont retardé la dissipation de l’illusion et ont même conforté les gouvernements successifs dans leurs erreurs. L’activité économique sortant de l’ordinaire a été perçue comme une validation de la politique menée. Ou pour le dire comme François Ecalle, « il est possible que les résultats de 2022 nous aient illusionnés » ([30]). Cette analyse est d’ailleurs partagée par certains anciens responsables : « Il faut reconnaître une tendance collective à s’autopersuader que les recettes supplémentaires constatées en 2021 et en 2022 relevaient d’une dynamique, et que le même phénomène allait se produire en 2023 » ([31]) (Jérôme Fournel).

Cette illusion sur la réussite a notamment été renforcée par le niveau trompeur de l’emploi. Comme l’a révélée l’audition de l’économiste Xavier Ragot qui « pense que l’optimisme sur les recettes fiscales 2023-2024 était peut-être lié à des surprises positives sur le marché de l’emploi. Les créations d’emplois étaient très dynamiques. Il y a pu y avoir l’illusion que cette dynamique du marché de l’emploi était le signe d’un dynamisme de l’économie sous-jacente qui pouvait générer des recettes fiscales. À l’OFCE, nous étions plus pessimistes sur la dynamique de l’emploi parce que nous pensions qu’elle était associée à l’apprentissage, à différents éléments de nature conjoncturelle plutôt que structurelle » ([32]).

Au moment où l’activité économique a retrouvé un rythme plus normal, la surestimation du rendement des impôts n’a plus été compensée par l’accélération de l’économie post-crise. Les exceptions conjoncturelles ont cessé de dissimuler les baisses structurelles de recettes.

II.   La surestimation des recettes est une erreur politique

1.   Les gouvernements successifs ont été alertés sur l’optimisme de leurs prévisions

Les anciens membres de l’exécutif ont nié le caractère optimiste de leurs prévisions de croissance. À la fois lors de l’examen des textes et des auditions, ils se sont appuyés sur les avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) pour démontrer leur bonne foi.

Bruno Le Maire a par exemple rappelé que « toutes les prévisions de croissance ont été validées par le HCFP, qui les jugeait plausibles. D’ailleurs, dans son avis de décembre 2023, le Conseil constitutionnel a rejeté le grief d’insincérité du budget, en particulier des prévisions de croissance » ([33]). Élisabeth Borne en a fait de même : « J’ai reçu l’avis du HCFP du 27 octobre 2023, qui estimait que la prévision du gouvernement d’un solde public pour 2023 de 4,9 points de PIB, « inchangée par rapport à l’estimation associée au PLF (projet de loi de finances) pour 2024, [était] plausible. » et que « les risques qui subsist[ai]ent pour la fin de l’année, tant sur la prévision des dépenses que sur celle des recettes, sembl[ai]ent relativement équilibrés » ([34]).

Il est vrai que le HCFP n’a pas considéré ces budgets insincères. Les conséquences constitutionnelles auraient été trop importantes. Comme l’a signalé Pierre Moscovici, mentionner l’insincérité « reviendrait en quelque sorte à utiliser l’arme nucléaire, c’est-à-dire à provoquer de facto l’inconstitutionnalité du PLF » ([35]). Mais il ne faut pas pour autant conclure que le choix d’une « sémantique délicate » ([36]) était une validation des prévisions du gouvernement, en particulier à partir de l’automne 2023.

Il s’agit au contraire d’alertes dont l’appréciation ne laisse guère de place au doute. L’avis du HCFP du 22 septembre 2023 sur le projet de loi de finances pour 2024 indiquait ainsi que « la prévision de déficit public pour 2024 (4,4 points de PIB) conjugue principalement des hypothèses favorables et paraît optimiste. La prévision de prélèvements obligatoires est en effet tirée vers le haut par la prévision de croissance élevée de l’activité et, au-delà, par des hypothèses favorables sur le rendement de certains impôts » ([37]).

Pierre Moscovici l’a largement rappelé lors de son audition : « Il est impossible – j’y insiste – de prétendre en toute conscience que personne ne connaissait la fragilité répétée des prévisions durant cette période. En effet, le HCFP a systématiquement appelé à la prudence, à partir de l’automne 2023, sur de nombreuses hypothèses relatives aux exercices 2023 et 2024 » ou encore « j’en profite d’ailleurs pour souligner que, contrairement à ce qui a été indiqué à plusieurs reprises devant votre commission, y compris par l’ancien ministre Bruno Le Maire, le HCFP n’a ni validé les prévisions de croissance du gouvernement pour 2024 ni, a fortiori, considéré qu’elles étaient plausibles dans son avis sur le PLF pour 2024. Il a même été plus loin, en donnant l’alerte quant à l’optimisme exagéré du gouvernement pour la totalité des postes de demande – consommation, investissement et exportations. Or la prévision de l’évolution de ces agrégats est cruciale pour prévoir les rentrées fiscales. Une prévision macroéconomique trop optimiste engendre mécaniquement des biais sur la prévision du déficit » ([38]).

Par ailleurs, la défense des ministres sur la supposée validation des prévisions par le HCFP est audacieuse. Malgré l’expertise et les compétences de ses membres, le Haut Conseil n’accèdent pas à toutes les informations qui lui permettraient d’évaluer le plus précisément possible les hypothèses macroéconomiques du gouvernement : « Le HCFP ne dispose pas de toutes les informations nécessaires pour contre-expertiser les prévisions du gouvernement et formuler des avis pleinement éclairés à leur sujet. La Lolf prévoit que le gouvernement répond aux demandes d’information que lui adresse le HCFP dans le cadre de la préparation de ses avis. Les directives européennes rappellent la nécessité d’assurer aux institutions budgétaires indépendantes un accès adéquat et en temps utile à l’information nécessaire pour leur permettre d’accomplir leurs missions. Je dois regretter devant vous que tel ne soit pas toujours le cas » ([39]). Ce qui pourrait expliquer certaines informations contradictoires entre les prévisions du gouvernement et les avis du HCFP. Il est effectivement étonnant de lire dans l’avis du HCFP relatif au Pstab de 2023 que le gouvernement envisageait une diminution du taux des prélèvements obligatoires en 2023 en raison d’un « net ralentissement de l’impôt sur les sociétés » ([40])  alors que le Gouvernement rehaussait au même moment sa prévision du rendement de l’IS de 12 milliards d’euros. Les auditions n’ont malheureusement pas permis d’expliquer les raisons de cette contradiction.

Outre les simples refus opposés au HCFP, les membres de la commission d’enquête ont également appris que les ministres pouvaient juger à la place du Haut Conseil la pertinence de lui transmettre certains documents : « [Le gouvernement] nous a cependant indiqué que les informations demandées ne permettraient pas au HCFP de rendre un avis éclairé sur la cohérence de l’article liminaire et sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses – ce qui revenait à nous dire « Circulez, il n’y a rien à voir » ; j’ai peu apprécié. J’ai donc écrit aux ministres Antoine Armand et Laurent Saint-Martin. En effet, ils avaient apprécié à la place du HCFP la pertinence des informations qu’il est susceptible d’utiliser pour ses avis, ce qui, à mes yeux, n’est pas acceptable » ([41]) (Pierre Moscovici).

Les alertes du HCFP permettaient donc d’envisager des écarts aux prévisions, même s’il faut reconnaître que leur ampleur ne pouvait pas être évaluée lors de leur publication. Mais les gouvernements n’ont pas été disposés à les prendre en compte.

À titre d’exemple, alors que l’évaluation de la croissance de la masse salariale avait été jugée « un peu élevée » dans l’avis du HCFP sur le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023, les prévisions d’évolution de certains prélèvements obligatoires dont l’assiette repose sur les revenus salariaux n’ont pas été révisées. De même, lorsque les écarts ont été révélés au grand jour au début de l’année 2024, le gouvernement ne pouvait nier sa tendance à l’optimisme et aurait pu faire preuve d’un peu plus de prudence. Pourtant, il a continué à afficher des prévisions excessivement surévaluées en avril 2024 lors de la présentation du programme de stabilité pour les années 2024 à 2027. Alors que ce document décrivait une trajectoire avec un retour du déficit public sous les 3 % de PIB à partir de 2027, « le Haut Conseil s’est un peu fâché » ([42]) en recourant à des termes inédits. Outre le manque de crédibilité, qui s’était déjà retrouvé dans ses avis, il a considéré cette fois-ci que la trajectoire manquait de cohérence puisqu’elle ne prenait pas en compte les effets de l’austérité sur la croissance économique.

  1.   L’hubris du politique

Certaines auditions ont permis de mettre à jour des fonctionnements qui peuvent expliquer cet optimisme induit par ce que Pierre Moscovici a qualifié d’hubris du politique : « L’indépendance des prévisions en France doit être mieux garantie. Il faut les libérer de tout volontarisme excessif du gouvernement – quel qu’il soit. J’espère que votre commission d’enquête aboutira aux mêmes conclusions. Il faut rendre à l’administration sa capacité à travailler de façon sereine et objective. Dans l’Union européenne, c’est le rôle des institutions budgétaires indépendantes, donc du HCFP en France, que de garantir la qualité des prévisions et de les tenir éloignées de l’hubris du politique » ([43]).

Contrairement à ce qui a pu parfois être avancé, il n’existe pas de barrière étanche entre l’évaluation des recettes et la décision politique, ce qui peut nuire à l’indépendance des prévisions. La prévision du niveau de croissance, après avoir été préparée par l’administration, est ainsi arbitrée par le gouvernement, après consultation de l’Élysée, alors qu’il s’agit d’une composante essentielle de la prévision de recettes. Lorsque le politique arbitre sur le taux de croissance, il arbitre sur le niveau des recettes. De même, déterminer les composantes de la croissance n’est pas un choix neutre. Estimer que les baisses d’impôts vont conduire à une augmentation de l’investissement des entreprises, que la consommation va être dynamique malgré la baisse des salaires réels ou encore que les mesures d’économies ne vont pas dégrader la croissance, tout cela est alimenté par la croyance que la politique économique fonctionne.

De même, la détermination du niveau de déficit revêt une dimension politique. Car afin de respecter les engagements européens, le déficit public peut être non seulement une conséquence de la prévision mais aussi une de ses composantes dans le cadre du pilotage par le déficit. Chaque année, l’exécutif présente ainsi des trajectoires optimistes dans le Pstab afin de convaincre les institutions européennes qu’il est possible d’atteindre sous quatre ou cinq ans l’objectif de 3 % de déficit public. Mais dans ces documents, plus les exercices sont éloignés dans le temps et moins les prévisions sont plausibles. À tel point que le HCFP a considéré que les prévisions de croissance et de déficit à moyen terme manquaient de cohérence et, comme l’a mentionné Pierre Moscovici pour 2027, que « les fonctionnaires étaient gênés de nous présenter de telles prévisions auxquelles ils ne pouvaient croire » ([44]).

Le niveau de déficit a également une incidence sur l’évaluation de la situation du pays par les agences de notation, donc sur une éventuelle sanction de la politique menée. Alors mieux vaut afficher le plus longtemps possible des objectifs ambitieux et raffermir ses illusions. Au printemps 2024, Bruno Le Maire a ainsi proposé au Président de la République de conserver une cible de -4,9 % alors que le Premier ministre, plus prudent, privilégiait « une cible à 5,0 % pour limiter les risques de déception en 2025 » après avoir indiqué qu’« un chiffre au-dessus des 5 % de déficit en 2024 serait immédiatement sanctionné par une dégradation de notre notation par les principales agences de notation » ([45]).

Le gouvernement se fixe ainsi une cible de déficit et intègre dans sa prévision des hypothèses de recettes et de dépenses censées permettre de l’atteindre, parfois parce qu’il s’illusionne naïvement sur les effets de sa politique, et d’autres fois parce qu’il cherche consciemment à afficher une intention. Des hypothèses optimistes, en d’autres termes des augmentations de recettes ou des diminutions de dépenses pour respecter une trajectoire de déficit, peuvent ainsi être délibérément intégrées. La lecture des notes des services de Bercy le révèle clairement. Dans le compte du 13 septembre 2023, on peut lire par exemple que des hypothèses sont prises pour « remonter le taux de PO comme arbitré » ou encore dans celui du 18 octobre 2023, que le Trésor proposait de « s’écarter du consensus inter directionnel sur les prévisions de recettes, en prenant en compte une augmentation des recettes de + 0,6 milliard d’euros de TVA dans le PLFG 2023, au regard d’une légère surprise positive en août qui semble relativement défendable vis-à-vis du HCFP ».

Les documents préparatoires au Pstab de 2024 qui ont été fournis aux rapporteurs de la commission d’enquête évoquent également l’intégration d’« hypothèses favorables » qui conduisent à rehausser le niveau attendu des prélèvements obligatoires ([46]).

Au cours des auditions, deux exemples ont particulièrement retenu l’attention de la commission.

Le premier est celui de la contribution sur la rente inframaginale (Crim), ou taxe sur les énergéticiens, sur laquelle Pierre Moscovici est revenu : « Un décalage très important a été constaté entre le chiffrage initial de la Crim et son rendement effectif. Il s’explique en partie par l’hypothèse de prix qui avait été retenue lors de l’élaboration du projet de loi de finances pour 2023, à savoir 517 euros par mégawattheure. Comme nous l’indiquons en page 74 de notre rapport sur la prévision des recettes fiscales de l’État entre 2014 et 2023, cette hypothèse correspondait « à une demande du cabinet du ministre chargé des finances publiques formulée le 8 novembre 2022 pour garantir la cohérence avec les autres chiffrages relatifs au PLF 2023 » – voilà ce à quoi je fais référence quand je parle de travail sous pression (…). Retenir une estimation de prix en début d’automne dans le cadre de l’élaboration du PLF était un exercice délicat. Il s’agissait en partie d’un choix politique, permettant d’afficher un niveau de soutien aux consommateurs et de taxation de la rente plus ou moins élevé » ([47]) .

Le deuxième exemple est celui du rendement prévisionnel de l’impôt sur les sociétés. La surestimation évoquée précédemment s’explique par un relèvement en mars 2023 de la prévision du bénéfice fiscal pour 2022 et 2023 qui « s’écarte de l’estimation considérée par la DGFIP comme centrale sur la base de l’analyse des données acomptes de fin d’année » ([48]). En conséquence, « mise à part la prévision d’impôt sur les sociétés pour cette raison, la prise en compte du scénario macroéconomique arbitré pour le Pstab (…) est globalement consensuelle » ([49]). Or, l’hypothèse de travail du Trésor de déduire une augmentation du bénéfice fiscal en se fondant sur le niveau de l’excédent brut d’exploitation (EBE) des entreprises ne s’est pas vérifiée puisque son augmentation était principalement due aux résultats d’EDF dont le bénéfice fiscal a été réduit par le report de ses déficits passés. Les auditions n’ont malheureusement pas permis d’éclaircir les raisons du choix d’intégrer une hypothèse non consensuelle qui a conduit à surévaluer sensiblement le rendement de l’IS.

Interrogé sur la possibilité que les interventions politiques aillent jusqu’à tordre des prévisions économiques, François Ecalle ne l’a pas exclu : « Oui. Mes souvenirs sont très anciens mais les choses n’ont pas dû beaucoup changer. Nous présentions nos prévisions techniques au cabinet du ministre, lequel nous faisait part – de façon très informelle – de son choix de chiffrage pour le taux de croissance ou le déficit public lorsque venait le moment de la prévision officielle. Il nous revenait alors de publier les comptes correspondants » ([50]). De même, l’Inspection générale des finances n’a pas pu exclure cette intervention, qu’elle soit directe ou indirecte : « Nous avons rencontré des difficultés à traiter cette question. De nombreux échanges sont informels et nous n’avons pas lu de comptes rendus de réunions dans lesquels figurent des demandes explicites des cabinets à l’administration pour faire évoluer les prévisions. La cible de déficit découle des prévisions, mais elle résulte également d’un choix politique et la maîtrise du déficit est un sujet débattu. Certaines hypothèses favorables figuraient dans la prévision technique de la direction générale du Trésor, preuve que l’exercice avait intériorisé la contrainte du déficit » ([51]). Les auditions ont effectivement révélé que cette influence des ministres pouvait être indirecte puisque l’administration intègre la contrainte : « Si l’administration se sent sous la pression d’un ministre optimiste ou exagérément volontariste, elle anticipera ses demandes » ([52]) (Pierre Moscovici). Cette pression est d’autant plus facilement ressentie que les directeurs d’administrations centrales sont eux-mêmes convaincus du bienfondé de la politique de l’offre, comme le montrent les responsabilités qui leur sont confiées par la suite au sein des cabinets du ministre chargé de l’économie ou du Premier ministre, voire à l’Élysée.

Dans tous les cas, la présentation de prévisions manquant de crédibilité ne semble pas poser de grandes difficultés à l’exécutif, comme le révèle une note de Bruno Le Maire au Président de la République : « Pour crédibiliser la présentation du Pstab, il est indispensable que certains de ces objets d’économies soient présentés simultanément. Sans quoi nous risquons de nous faire accuser de cacher notre copie et des économies douloureuses pour le lendemain des élections européennes » ([53]), et plus loin : « Il me semble donc impossible de présenter le Pstab sans annoncer une LFR. Faute de LFR, nous ouvrirons immédiatement un contentieux avec toutes les oppositions, qui feront bloc contre nous et nous accuserons d’insincérité » ([54]). L’effort demandé par Bruno Le Maire était certes plus important que celui finalement affiché dans le Pstab puisqu’il proposait au Président de la République de présenter une prévision de déficit de 4,9 % et non de 5,1 % comme retenu. Mais l’effort restait conséquent et le gouvernement n’ayant pas déposé de PLFR, il semble donc que l’exécutif ait accepté de présenter des prévisions sans les rendre crédibles.

2.   Au lieu de remettre en cause la politique, les responsables se dédouanent

Face au constat de recettes excessivement surévaluées, plusieurs justifications des écarts ont été avancées devant les membres de la commission d’enquête afin de démontrer que les prévisions n’étaient pas délibérément optimistes.

a.   La rhétorique du gouvernement empêché

i.   Le rôle de la conjoncture

La première de ces justifications est celle de l’accident économique : les prévisions auraient été percutées par le contexte international et la crise énergétique, des événements dont les répercussions n’étaient pas prévisibles.

Certes, en débutant son audition par la défense de son bilan comme indiqué précédemment, Bruno Le Maire reconnaît que l’importance du déficit s’explique par des raisons politiques. Mais il a tenté de se justifier en ces termes : « Les écarts résultent de la conjoncture, alors que l’impossibilité d’avoir des comptes publics à l’équilibre au cours des cinquante dernières années relève de la politique économique » ([55]). Le directeur général du Trésor a également invoqué cet argument : « Cette forte volatilité macroéconomique, conjuguée au fonctionnement complexe de certains impôts, a eu également un impact sur le comportement des agents qui a été rendu plus difficilement anticipable, ce qui explique la moins bonne prévisibilité des recettes fiscales » ([56]). Personne ne le nie. Mais la conjoncture ne suffit pas à expliquer l’écart. La dégradation du contexte économique a plutôt agi comme un révélateur des fragilités de l’économie française.

Pour éviter d’évoquer ces difficultés structurelles, les exemples de l’Allemagne et du Royaume-Uni ont pu être mobilisés par certains responsables auditionnés pour montrer que la France n’avait pas fait pire que ses voisins et que le contexte économique avait également entrainé des écarts aux prévisions importants : « Presque tous les pays sont dans le même cas que la France. Le déficit public britannique a été de 4,5 % en 2024, alors qu’il était estimé à 3,1 % en mars. L’Allemagne, pays très soucieux de ses finances publiques, affiche un écart de 0,8 point par rapport à son programme de stabilité, ce qui correspond à près de 30 milliards d’euros » ([57]) (Jérôme Fournel).

Cependant, les auditions des ministre-conseillers pour les affaires économiques et chefs des services économiques régional de Berlin et de Londres ont montré que les écarts résultaient plutôt de choix politiques. En Allemagne, le niveau de l’activité économique, qui s’explique par la structure de l’économie particulièrement exposée aux crises internationale et énergétique, a induit une moins-value de recettes en 2024 seulement. Les moindres rentrées fiscales en 2023 proviennent effectivement de l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu, intervenue fin 2022, qui n’avait pas été prise en compte dans les prévisions initiales ([58]), soit 20 milliards d’euros. Quant au Royaume-Uni, les écarts observés sont positifs : les rentrées fiscales ont été plus importantes qu’estimées initialement en raison, certes de prévisions plus pessimistes sur la TVA, mais surtout en raison du gel des seuils du barème de l’impôt sur le revenu et du relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés en avril 2023.

L’explication des écarts de prévision par des facteurs extérieurs n’est donc pas suffisante. Il apparaît bien qu’il faut inclure les choix politiques comme une variable de l’équation à part entière.

ii.   La composition du Parlement

La deuxième justification avancée, notamment lors de l’audition de Bruno Le Maire, est la responsabilité du Parlement et donc, incidemment, des députées et députés membres de la commission d’enquête à qui certains auditionnés ont voulu faire endosser la responsabilité des écarts : « Cette assemblée, à de si rares exceptions près, ne veut pas réduire les dépenses publiques ; cette assemblée ne veut pas réduire la dette ; cette assemblée ne veut pas de plan sérieux de rétablissement des comptes publics. Cette assemblée taxe, dépense, censure. Elle vote toutes les dépenses nouvelles – manière un peu baroque de redresser les comptes ; elle supprime toutes les économies – manière un peu surréaliste de maîtriser les déficits. Elle a depuis longtemps perdu le sens des réalités économiques et budgétaires » ([59]).

Mais Bruno Le Maire n’a pas semblé tenir compte des propositions de la représentation nationale. Lors des dialogues de Bercy organisés en 2023 ou des revues de dépenses, des propositions de réductions de dépenses fiscales avaient été proposées, tout comme des augmentations de recettes. Mais aucune de ces propositions n’a été reprise par le gouvernement. De même, l’Assemblée nationale, dans la configuration issue de la dissolution, a adopté au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2025 des dizaines de milliards d’euros de recettes supplémentaires par rapport au texte déposé par le gouvernement Barnier. Le Parlement était donc au contraire disposé à redresser les comptes publics.

iii.   La faute des autres membres du gouvernement

La solidarité gouvernementale, voire intergouvernementale, a parfois faibli et les ministres qui se sont succédé en audition ont finalement pointé le rôle de leurs prédécesseurs ou successeurs pour expliquer l’ampleur de la dégradation du déficit public. Le gouvernement Attal affirme ainsi avoir pris au cours de l’été toutes les dispositions nécessaires pour contenir le déficit à 5,6 %. Bruno Le Maire est même allé jusqu’à affirmer qu’un déficit de 6,1 % était le choix du gouvernement suivant. En d’autres termes, il a refusé de reconnaître une quelconque responsabilité, alors qu’à son départ le déficit était déjà supérieur de 1,2 point de PIB au chiffrage initial. Interrogé sur le réalisme des mesures proposées par l’équipe précédente, Michel Barnier a néanmoins refusé cette version : « Les efforts imaginés pour réduire ce déficit ne m’apparaissaient en effet pas réalistes ou, pour dire les choses autrement, pas tous possibles à mettre en œuvre » ([60]).

La séparation des compétences des ministres chargé de l’économie et des comptes publics, et le rattachement de ce dernier au Premier ministre, a également permis à Antoine Armand d’éviter de se prononcer sur le réalisme des mesures laissées par Gabriel Attal et Bruno Le Maire à leurs successeurs : « Cette question relève du ministre en charge des comptes publics qui, lui, est destinataire du suivi de la dépense et peut dire dans quelle mesure le déficit sera réduit au cours des deux mois et demi qui restent » ([61]). Appartenant au même groupe politique que les anciens ministres, il lui était sûrement plus difficile de répondre aussi directement qu’a pu le faire son ancien Premier ministre.

b.   Sous-traiter l’austérité aux collectivités territoriales : une solution de facilité irréaliste

Mais un des argumentaires les plus audacieux utilisés pour éviter d’endosser la responsabilité des écarts reste le prétendu « dérapage » des finances locales.

À la fin de l’été 2024, les ministres démissionnaires chargés de l’économie et des comptes publics sont effectivement venus informer les membres de la commission des finances que le niveau des dépenses locales pourrait dégrader les comptes 2024 de 16 milliards d’euros.

Notons d’abord que ce chiffre était largement exagéré. Comme l’a révélé la directrice générale des collectivités locales au cours de son audition, confirmant un courrier qu’elle avait adressé à la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation le 26 septembre 2024, ce montant de 16 milliards d’euros avait été estimé en extrapolant les dépenses locales à mi-année. Cependant, alors qu’il existe des écarts importants entre l’exécution à mi-année et l’exécution finale, les ministres ont omis de mentionner les réserves méthodologiques qui entouraient leur chiffrage. Pour cette raison, ce montant était largement surévalué. Selon des données non-définitives, il est actuellement évalué à 7,2 milliards d’euros.

Par ailleurs, ces 16 milliards correspondent aux dépenses supplémentaires des collectivités locales par rapport au montant de dépenses que le gouvernement avait intégré dans sa trajectoire de finances publiques. Or, il avait envisagé une diminution de la dépense locale de 0,5 % en volume alors que cette hypothèse n’était ni réaliste au regard de l’évolution de leurs charges ni souhaitable.

D’une part, elle était irréaliste parce que des dépenses ont été imposées aux élus locaux. Certaines d’entre elles résultent de mesures légitimes mais mises en œuvre par l’État sans compensation, comme la revalorisation d’aides sociales, la hausse de la valeur du point d’indice, les mesures pour les bas salaires, la prime de pouvoir d’achat ou la revalorisation de la garantie individuelle du pouvoir d’achat (GIPA). Dans le même temps, le coût des achats de biens et de services a augmenté en raison de l’inflation. Comme l’a rappelé André Laignel, « l’objectif n’était donc aucunement atteignable » ([62]).

D’autre part, cette hypothèse n’était pas souhaitable car, représentant 70 % de l’investissement public, l’activité économique aurait été largement ralentie, ce qui aurait encore augmenté les écarts aux prévisions. Il aurait par ailleurs été dommageable de se passer de dépenses d’investissement nécessaires à la bifurcation écologique. Telle est l’idée qu’a aussi lancée Michel Barnier en soulignant que leur niveau de dépenses « est même plutôt un bon signal qu’elles jouent leur rôle pour améliorer la vie des Français, dans le cadre de la décentralisation actuelle et future. Les besoins en équipements publics sont très importants et le resteront à l’avenir, notamment pour la prévention des risques. On ne peut pas leur reprocher ces investissements » ([63]).

La réduction des dépenses des collectivités ne relevait donc pas d’une prévision, comme peuvent l’être le niveau du rendement d’un impôt en fonction d’hypothèses macroéconomiques ou le niveau d’une dépense évaluée en fonction de critères démographiques par exemple. La diminution des dépenses locales relevait du vœu. Cette hypothèse s’appuyait ainsi sur des « économies non‑documentées », selon le terme consacré, et permettait au gouvernement de présenter une trajectoire avec un retour à un déficit public sous les 3 % de PIB sans prévoir de réelles mesures difficiles à assumer. Dès lors, indiquer que le niveau des dépenses des collectivités explique l’écart entre le déficit prévisionnel et exécuté s’avère fallacieux.

c.   La tentative de résumer les écarts à des erreurs techniques de l’administration

Enfin, cette stratégie de déresponsabilisation politique s’est appuyée sur l’argument péremptoire d’une suite d’erreurs techniques.

L’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB a régulièrement été invoquée à cette fin : « Je vous remercie d’avoir souligné que c’est bien la faible élasticité des recettes à la croissance anticipée qui explique la baisse des recettes constatée en 2023 et 2024 » (Gabriel Attal) ([64]). L’élasticité a été présentée comme une simple constante de l’équation, comme une donnée imposée dont l’administration doit tenir compte pour évaluer un niveau de recettes prévisionnel. Pourtant, « le Trésor ne fixe pas une élasticité a priori. Les prévisions de recettes sont déduites d’un premier scénario macroéconomique et confrontées à l’augmentation du PIB en valeur. La prévision d’élasticité est un output, pas un input » (Emmanuel Moulin) ([65]). Il s’agit donc d’une mesure qui révèle des mécanismes économiques sur lesquels la politique a des effets. Le niveau de l’élasticité importe donc peu : seules comptent les causes de ses variations.

Mais l’élasticité n’est pas indépendante des arbitrages du gouvernement et ses variations sont provoquées par la politique économique menée. L’élasticité étant unitaire en moyenne, le gouvernement a pu anticiper, après des valeurs supérieures à 1 en 2021 et 2022, un retour à la moyenne moins rapide que ce qui a finalement été observé. Pour autant, cela n’exclut pas son rôle dans l’origine de cette faible élasticité. Comme il a été mentionné supra, l’écart aux prévisions pour les recettes s’explique notamment par les composantes de la croissance. Si la dynamique des recettes n’a pas suivi celle de la croissance, c’est parce que ses composantes impliquaient moins de recettes (commerce extérieur, consommation de biens soumis à des taux de TVA réduits, etc.). Or, la politique économique explique en partie les moteurs de la croissance observée en 2023 et 2024. Il est par ailleurs frappant que ce lien n’ait pas été mentionné lorsque l’élasticité était inférieure à 1 alors que, lorsqu’elle était supérieure, son niveau a pu être considéré par le gouvernement comme une validation de sa politique : « Lorsque les recettes ont été plus importantes que ce qui était attendu en 2022, nous nous sommes dit que c’était grâce à la baisse des taux d’imposition » ([66]).

III.   Les écarts aux prévisions ont été aggravés par l’application d’un mauvais remède : l’austérité

1.   À force de mal baisser les impôts, les gouvernements ont renoncé à des ressources

a.   Une aggravation du déficit liée à des pertes de recettes au profit des plus riches

Depuis sept ans, les gouvernements se sont démenés pour réduire le niveau des prélèvements. Après avoir tari les sources de recettes, un dérapage des comptes publics était difficile à éviter. Alors que le niveau des dépenses reste stable depuis 2017, les recettes ont chuté. Pour cette raison, comme l’a souligné l’économiste Éric Heyer lors d’une audition en commission des finances, « le déficit d’aujourd’hui s’explique non pas par une explosion de la dépense publique » ([67]) , puisqu’elle reste stable depuis 2017, mais par les recettes publiques qui ont baissé : « elles sont passées de 54 points de PIB à 51,3 points de PIB » ([68]) . Un graphique produit par l’OFCE avec les données de l’Insee permet de visualiser le creusement de cet écart entre le niveau des dépenses et des recettes :

évolution des dépenses et des recettes publiques en France, en points de PIB

 

Source : OFCE d’après données Insee

La Cour des comptes arrive d’ailleurs à la même conclusion : « Le dérapage du déficit depuis deux ans (…) révèle le plein effet de la poursuite jusqu’en 2023 de baisses de prélèvements obligatoires non financées » ([69]). Ces baisses correspondent notamment à la suppression de l’impôt sur la solidarité financière, de la taxe d’habitation et de la contribution à l’audiovisuel public, à la limitation de la fiscalité sur le capital avec la création du PFU, à la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés de 33 % à 25 % ou encore à la suppression progressive de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Ce ne sont pas n’importe quels impôts qui ont été supprimés, mais ceux qui s’appliquent aux plus riches. Depuis 2017, ce sont ainsi chaque année 62 milliards de pertes qui ont réduit la part des recettes publiques. Selon un rapport de l’association ATTAC et du CADTM, les pertes cumulées s’élèvent à presque 310 milliards d’euros depuis 2018 ([70]).

Les effets des baisses d’impôts sur les finances publiques ne sont pas forcément négatifs. Si ces baisses améliorent la justice du système fiscal, elles doivent même être encouragées. Cependant, la politique menée ces années passées n’a pas poursuivi cet objectif. Comme cela a été rappelé plus haut, les baisses ont effectivement bénéficié aux plus riches, alors que le système fiscal français était déjà loin d’être le plus progressif de l’aveu même de ceux qui ont voté ces baisses, sans avoir pour autant attiré suffisamment de capitaux pour stimuler l’activité et créé un effet de ruissellement. Les gouvernements successifs ont donc mal baissé les impôts, avec les conséquences qui ont occupé la commission d’enquête. Dès lors, la solution la plus évidente ne serait-elle pas de revenir sur ces baisses et de faire contribuer ceux qui ont le devoir civique de payer un minimum d’impôt, si ce n’est leur juste part ?

b.   Un refus ambivalent de recourir au levier fiscal

L’examen du projet de loi de finances pour 2025 a montré que la composition de l’Assemblée nationale issue de la dissolution était prête à revenir sur les baisses d’impôts et à renforcer la justice fiscale. Mais cette position ne fait pas consensus et n’emporte notamment pas l’adhésion de Bruno Le Maire qui a fait de son audition par la commission d’enquête une plaidoirie de la politique de l’offre : « Au Nouveau Front populaire, on aime jouer avec le feu, donc on multiplie les taxes, les impôts, les prélèvements de toutes sortes, dans un pays qui détient déjà le triste record de la pression fiscale en Europe. On fait croire que seuls les riches seront taxés mais on prévoit une augmentation de 1 point des charges sur tous les salaires, même les plus modestes. On invente le travail qui paye moins, le travail qui ne paye plus » ([71]). Cette diatribe était étonnante puisque cette description erronée du programme du NFP décrit plutôt la politique des gouvernements dont il était membre. Non contents d’avoir asséché les recettes publiques, ils ont aussi augmenté fortement les cotisations sur les salaires en reculant de deux ans l’âge de départ à la retraite.

Il faut reconnaître que le levier fiscal est une solution qui a parfois été mise en œuvre ces deux dernières années mais, comme pour les baisses d’impôts, de manière injuste en prévoyant des hausses ou globales, ou temporaires.

Outre la réforme des retraites, les gouvernements successifs se sont notamment appuyés sur la fiscalité énergétique. Le relèvement de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité a ainsi induit un prélèvement de près de 6 milliards d’euros par an sur la population alors que, dans son ensemble, elle n’a pas profité des baisses d’impôts ayant conduit au dérapage. Le gouvernement de François Bayrou a également poursuivi cette logique de « pas de hausses d’impôts, mais uniquement pour les plus riches ». Même si le projet a été amoindri par les débats parlementaires, les factures d’énergies devraient encore augmenter d’au moins 3 milliards supplémentaires en 2025.

Et lorsqu’il est question d’imposer les plus riches et leurs profits exceptionnels, il ne s’agit que de mesures temporaires incapables de redresser les finances publiques. La Cour des comptes pointe d’ailleurs les limites importantes du caractère temporaire de ces hausses d’impôts : « De surcroît, près de la moitié des hausses de prélèvements inscrites en loi de finances pour 2025 est présentée comme temporaire, ce qui reporte sur les années suivantes l’effort structurel de redressement des finances publiques » ([72]).

Enfin et fort heureusement, certaines mesures ont été abandonnées avant qu’il ne soit trop tard. Non contents de demander du travail supplémentaire pour bénéficier du droit à la retraite, le gouvernement Bayrou est même allé jusqu’à évoquer des journées de travail gratuit. Après avoir inventé le travail qui paye moins, il proposait le travail qui ne paye plus du tout annoncé par Bruno Le Maire.

c.   Des dépenses nouvelles et nécessaires dont le financement fait défaut en raison du refus d’augmenter les recettes

L’audition du directeur de la sécurité sociale a été l’occasion d’évoquer un exemple qui illustre comment la politique de l’offre creuse le déficit.

En plein cœur de la crise sanitaire, il est apparu nécessaire de revaloriser la rémunération des soignants. Ce constat s’est traduit par le Ségur de la santé et plus de 10 milliards d’euros de hausses de salaires nécessaires. Cependant, cette augmentation pérenne des dépenses de l’Assurance maladie n’a pas été financée : « en septembre 2020 (…) ajouter une hausse de recettes aurait été politiquement très compliqué. En revanche, à partir de 2022, quand la trajectoire s’est stabilisée, j’ai souvent dit à la ministre qu’il fallait avoir en tête que nous avions décidé plus de 10 milliards de hausses de salaires non financées » ([73]) . À aucun moment les gouvernements successifs n’ont envisagé de financer cette mesure, acceptant de dégrader structurellement les comptes sociaux.

2.   Bien que les anciens membres du gouvernement admettent que le problème est une baisse des recettes, la seule solution proposée est une baisse des dépenses

  1.   La baisse des dépenses comme seule option proposée

À chaque annonce d’aggravation du déficit, la réponse a toujours été la même : toujours plus d’austérité. Au lieu de prescrire le traitement adapté, les gouvernements successifs ont choisi le mauvais remède. Pourtant, l’origine du mal est connue, même par les anciens ministres.

Comme l’ont rappelé Thomas Cazenave et Gabriel Attal, « il n’y a pas eu de dérapages des dépenses de l’État » ([74]) . Mais naturellement, les dépenses n’étant pas la cause du déficit, les gouvernements successifs n’ont pas été en mesure de redresser les comptes publics.

Lors de son audition, Gabriel Attal a ainsi pu lister l’ensemble des mesures envisagées pour compenser les pertes de recettes. Son gouvernement semble avoir pioché dans le musée des horreurs des coupes budgétaires : annuler 10 milliards de crédits dès février, identifier 10 milliards d’économies supplémentaires en y intégrant les collectivités locales et la sphère sociale, doubler les franchises sur les médicaments, réduire des droits à l’assurance chômage, rédiger des lettres plafonds prévoyant 15 milliards de baisses de dépenses, diminuer les financements des opérateurs et donc les moyens accordés à des missions de services publics essentielles, diminuer les indemnités des arrêts maladies, augmenter le nombre de jours de carence.

La chronologie des mesures a d’ailleurs été rappelée par l’ancien Premier ministre : « Je souhaite résumer la chronologie des économies décidées lors de mon passage à Matignon, car elles ont été un marqueur de mon action. J’ai eu le sentiment de consacrer l’essentiel de mon temps et de mon énergie à faire des économies : janvier, fin du bouclier tarifaire sur l’électricité, 6 milliards d’euros de recettes supplémentaires ; février, annulation de 10 milliards d’euros de crédits budgétaires ; mars, doublement des franchises médicales ; avril, lancement d’une mission pour identifier plus de 3 milliards d’euros de recettes nouvelles ; mai, annonce de la réforme de l’assurance chômage, 5 milliards d’euros ; juin, préparation de 10 milliards d’euros d’économies supplémentaires, principalement dans la sphère sociale ; juillet, surgel de 16 milliards d’euros de crédits avant leur annulation en fin d’année ; août, préparation du budget réversible avec 15 milliards d’euros d’économies nouvelles pour 2025 » ([75]).

Il est évident que revenir sur la politique de baisses d’impôts aurait été un aveu de l’échec de la politique de l’offre. Mais il apparaît contradictoire de répéter sans cesse que les dépenses de l’État n’ont pas dérapé tout en prévoyant, pour rétablir les comptes, 10 puis 16 puis 40 milliards d’euros d’économies.

De même, pourquoi est-il impossible d’admettre que la politique de l’offre est un échec lorsque les recettes ont tellement baissé qu’elles ne permettent même plus de couvrir des dépenses déjà réduites à leur strict minimum ? Tout simplement parce que l’austérité n’est pas imposée comme un palliatif à l’inefficacité de la politique de l’offre : elle lui est consubstantielle. En détruisant petit à petit l’État social, elle favorise d’autant plus la marchandisation de la société et accentue les inégalités de revenus. Comme l’a rappelé l’économiste Éric Heyer, « la dépense publique va plutôt vers les ménages des déciles du bas et les prélèvements obligatoires touchent plutôt les ménages des déciles du haut. Si vous faites peser le retour à l’équilibre via la dépense publique, vous avez une probabilité plus forte de faire payer un peu plus les ménages du décile du bas que du haut » ([76]).

a.   Un refus de réduire les dépenses fiscales

Le secteur privé, lui, échappe à l’austérité. Il en demeure même à bonne distance puisque des pans entiers de l’économie sont sous perfusion d’argent public au point de ne plus pouvoir s’en passer. Aurélien Rousseau l’a d’ailleurs rappelé en audition : « Mon sentiment est que les acteurs économiques, à commencer par les entreprises, ont fait de ces dépenses publiques des données de base pour la prévision de leur rentabilité. Dès lors, l’État et les autorités politiques ont été coincés : toute mesure de dégrafage de ces aides et exonérations serait perçue comme un signal de désamour » ([77]). Le message est clair : lorsqu’on commence à verser une aide publique ou qu’on octroie un avantage fiscal à une entreprise, la logique libérale commande de ne jamais y mettre un terme, fût-ce au prix des comptes publics.

Chaque année, ce sont plus de 200 milliards qui sont ainsi versés aux entreprises ([78]), sans conditions. Lorsque les gouvernements successifs ont consulté les parlementaires sur les projets de budget au cours des dialogues de Bercy ou revues des dépenses, des réductions des aides aux entreprises ont été proposées. Le 17 novembre 2023, j’avais ainsi proposé à Élisabeth Borne de supprimer progressivement les allégements de cotisations sociales issus de la transformation du CICE (10 milliards d’euros) ou encore de remodeler le crédit d’impôt recherche (1 milliard d’euros), dont le coût s’établit désormais à 7,7 milliards d’euros sans que son efficacité soit réellement démontrée. S’ajoutaient à ces mesures 14,3 milliards d’économies liées à la suppression de dépenses fiscales et sociales. Ce sont effectivement ces dizaines de milliards que l’État abandonne chaque année alors que les recettes publiques sont toujours plus maigres.

Même en cours d’année, une solution qui est d’usage courant était disponible : corriger le budget. Mais en refusant de présenter un projet de loi de finances rectificative, le gouvernement a fermé la porte à une révision à la baisse de ces aides, il a fermé la porte à davantage de recettes et il a ainsi accepté le dérapage budgétaire.

3.   Sans majorité à l’Assemblée nationale, le gouvernement a occulté, atténué ou au moins retardé les mauvaises nouvelles pour favoriser l’adoption de son budget

a.   Le refus d’un PLFR

Lorsque la dégradation des prévisions a été rendue publique au début de l’année 2024, le gouvernement de Gabriel Attal a souhaité combler le déficit en modifiant le budget imposé par Élisabeth Borne deux mois auparavant. Le montant inédit de l’annulation des crédits à hauteur de 10 milliards d’euros restait sous la limite d’environ 12 milliards d’euros prévue par la loi organique relative aux lois de finances. Mais le redressement des comptes était d’une telle ampleur que le Parlement aurait dû se prononcer sur les mesures à mettre en œuvre.

La question de la présentation d’un projet de loi de finances rectificative, que j’appelais de mes vœux, s’est posée au sein de l’exécutif. Il ressort des auditions que cette option a été écartée à l’issue d’un arbitrage dans lequel le Président de la République a joué un rôle. Pour Bruno Le Maire, le dépôt d’un nouveau texte était judicieux : « Oui, il était souhaitable de déposer un projet de loi de finances rectificative, et c’est l’option pour laquelle je me suis battu, oralement et par écrit  je tiens évidemment à la disposition de la commission des finances toutes les notes que j’ai rédigées en ce sens. Je continue de penser que ce texte était nécessaire, non pas tant pour augmenter les recettes de 2 ou 3 milliards, mais avant tout parce qu’il aurait eu l’immense mérite de remettre la question de l’équilibre des finances publiques, absolument fondamentale, au cœur du débat politique – c’est-à-dire, par définition, au cœur des travaux du Parlement » ([79]). C’est d’ailleurs la recommandation qu’il a adressée au Président de la République dans une note datée du 6 février 2024 transmise aux co-rapporteurs de la commission d’enquête. Mais d’autres recommandaient le recours à des outils réglementaires, option qui a finalement été retenue par le Président de la République et le Premier ministre comme l’a indiqué Gabriel Attal : « Le Président de la République et moi-même avons pris la décision ensemble » ([80]).

L’enjambement du Parlement a été justifié par différents arguments à la crédibilité variable : l’encombrement du calendrier législatif n’aurait pas permis l’examen d’un PLFR sans renoncer à d’autres textes importants, les parlementaires auraient voté une augmentation des dépenses publiques ou, pire pour le gouvernement, des hausses de recettes auraient été proposées. Mais il semble que la raison principale semble être celle du contexte. Directeur de cabinet du ministre chargé de l’économie et des finances lorsque cette décision a été prise, Jérôme Fournel a ainsi précisé : « Le gouvernement a finalement renoncé à un PLFR, considérant que le moment n’était pas idéal. Ensuite, à quelques semaines des élections européennes, le gouvernement n’avait pas spécialement envie de lancer un objet de cette nature, qui donne souvent lieu à des surenchères, notamment fiscales » ([81]) . L’ancien directeur de cabinet de Gabriel Attal, Emmanuel Moulin, est même allé un peu plus loin : « Les risques étaient que le PLFR ne soit pas voté, [que le Premier ministre] ait à engager la responsabilité de son gouvernement » ([82]). Comme l’a noté Michel Barnier, le contexte de ces élections ne facilitait effectivement pas la présentation d’un texte budgétaire : « Habituellement, c’est plutôt en juin qu’est adopté un PLFR et, si besoin, à l’automne. Je ne veux pas chercher d’excuses à M. Attal, mais le mois de juin a été une période particulière, avec les élections européennes… » ([83]). Effectivement, le risque de la censure du gouvernement était suffisamment important pour éviter de le prendre à quelques semaines des élections européennes. La note de Bruno Le Maire pour le Président de la République d’avril 2024 le confirme en creux : « Je mesure le risque de motion de censure qui s’attache à ce texte. Je comprends les interrogations manifestées par le Premier ministre. Je crois cependant que nous pouvons réduire largement ce risque et reprendre la main (1) en présentant la LFR au Conseil des ministres du 22 mai pour un examen en commission des finances à partir du 10 juin, après les élections européennes (2) en reprenant une grande partie des mesures d’économies proposées par les LR (3) en étant précis sur notre calendrier et nos intentions » ([84]).

Outre l’absence de temps suffisant pour se consacrer à l’exercice, l’examen d’un nouveau budget risquait donc d’acter l’échec de la politique menée depuis 2017, voire la chute du gouvernement au moment même où la population se rendait aux urnes.

b.   Rendre le budget le plus acceptable possible

En l’absence de majorité absolue, le vote du budget est un exercice délicat pour un gouvernement. Mieux vaut donc éviter l’examen d’un PLFR lorsque le risque de censure est important. Mais encore faut-il déjà résister à l’exercice obligatoire du vote du budget.

En 2024, différents arguments ont été avancés pour tenter d’empêcher la censure. L’examen du projet de loi de finances pour 2025 a été l’occasion de déclarations alarmistes afin de dissuader les oppositions de censurer : 18 millions de personnes devaient voir leur impôt sur le revenu augmenter, les fonctionnaires ne devaient plus être payés, les cartes Vitale devaient cesser de fonctionner et les retraites ne devaient plus être versées. La censure du gouvernement de Michel Barnier a cependant montré le caractère mensonger et calomnieux de ces menaces.

Les travaux de la commission d’enquête permettent aussi de s’interroger sur le rôle de l’optimisme des prévisions afin de favoriser l’adoption d’un texte. Pour parvenir à un projet de budget le moins inacceptable possible, il ne peut être exclu que des hypothèses volontaristes sont intégrées quitte à prévoir ensuite rapidement des mesures de régulation budgétaire. Le rendement réel de la Crim conduit effectivement à s’interroger quant aux intentions du gouvernement lorsqu’il a affiché une prévision de recettes aussi importante lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2024. Les rentrées fiscales (1,7 milliard d’euros) ont-elles été en deçà des prévisions (jusqu’à 12 milliards d’euros) parce que le prix de l’électricité a été bien moins élevé que ce qui pouvait être imaginé – l’exercice était certes difficile mais l’évaluation retenue correspondait au pic des prix enregistré à l’été 2022 – ou le gouvernement était-il réticent à augmenter véritablement la fiscalité des entreprises ? Pierre Moscovici a livré des indices en audition : « Retenir une estimation de prix en début d’automne dans le cadre de l’élaboration du PLF était un exercice délicat. Il s’agissait en partie d’un choix politique, permettant d’afficher un niveau de soutien aux consommateurs et de taxation de la rente plus ou moins élevé » ([85]). Par ailleurs, la moins-value ne s’explique pas uniquement par le retour rapide du prix de l’électricité à un niveau plus habituel. Le gouvernement a effectivement souhaité, comme la souligné la Cour des comptes ([86]) , qu’EDF échappe à cette contribution alors que l’entreprise devait être la principale contributrice.

Pour présenter un budget sous un jour le moins désavantageux possible, le gouvernement peut également sciemment manquer de réactivité pour communiquer sur les mauvaises nouvelles. Le graphique présenté dans ce rapport de la commission d’enquête permet de visualiser aisément ce décalage entre la dégradation de la prévision portée à la connaissance du gouvernement et la communication publique de cette dégradation. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le choix de rendre publiques des prévisions « entourées d’aléas » dépend du récit que les ministres veulent diffuser. Ils n’ont effectivement eu aucune difficulté à évoquer une supposée augmentation des dépenses des collectivités territoriales supérieure de 16 milliards d’euros à leur objectif irréaliste malgré les réserves méthodologiques soulignées par leur administration. En revanche, la représentation nationale a pris connaissance de la dégradation des déficits des exercices 2023 et 2024 des mois après les alertes des services de Bercy. Sans revenir dans le détail sur la chronologie des notes de l’administration, les premières alertes remontent au 12 juin 2023 ([87]) pour les moins-values sur les recettes et au 11 juillet 2023 ([88]) pour la dégradation du déficit à -5,2 % du PIB (contre une prévision de 4,9 %).

Le 7 décembre 2023 ([89]), le risque que le déficit atteigne -5,2 % s’était suffisamment précisé pour que les ministres de Bercy en informent la Première ministre. Ils lui ont ainsi indiqué que les recettes fiscales « devraient être inférieures à ce que nous avions prévu » ([90]) . Les ministres lui ont alors proposé – dès ce moment-là – de « se préparer à annuler, début 2024, tout ou partie des 10 milliards de crédits mis en réserve dans la loi de finances 2024, possiblement en parallèle de notre communication sur le déficit de l’État pour 2023 ».

Ces informations n’ont évidemment pas été partagées à la représentation nationale. Après avoir pris connaissance de cette note le 15 décembre 2023, la Première ministre a engagé sur le budget la responsabilité de son gouvernement dans des conditions pour le moins sélectives dans la mesure où elle n’évoquait à aucun moment la véritable situation des finances publiques dont elle avait pourtant parfaitement conscience. Les députés ont ainsi dû se prononcer sur un budget 2024 déjà caduc. Interrogée sur cette asymétrie d’informations, Élisabeth Borne a indiqué aux membres de la commission d’enquête estimer qu’il ne s’agissait pas d’informations nécessaires à la décision des parlementaires : « Je ne sais pas si le fait que le gouvernement puisse se préparer à annuler 10 milliards de crédits mis en réserve, c’est-à-dire non affectés à des dépenses, est une information que les députés auraient pu entendre au moment où, en tant que Première ministre, j’engage la responsabilité du gouvernement, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. Vous savez que ce ne sont pas des moments de débat entre le gouvernement et le Parlement » ([91]). Chacun pourra apprécier son point de vue. De même, sur les moins-values, alors que ses ministres lui recommandaient de communiquer sur le risque de dégradation des finances publiques, elle a décidé de ne pas tenir compte de leur avis : « On voit mal comment il aurait été possible de communiquer auprès du grand public concernant un risque sur les recettes sans pouvoir l’évaluer » ([92]). Pourtant, comme le montre ce rapport, les alertes des services de l’État ne portaient pas sur de simples hypothèses de moins-values mais bien sur des données chiffrées qui avaient conduit à des alertes successives. Le sens des responsabilités supposait de les prendre au sérieux, le bon sens démocratique commandait d’en rendre compte.

   Conclusion : Il faut désormais adopter un regard lucide sur les résultats de la politique de l’offre et appliquer enfin les bons remèdes

Invoquer la situation du Royaume-Uni et de l’Allemagne afin de relativiser l’ampleur des moins-values observées en France n’est pas valable. Toutefois, un enseignement peut en être tiré.

En Allemagne, les débats ne se concentrent pas sur les raisons techniques des écarts entre les recettes prévisionnelles et recouvrées mais « sur la réponse à apporter à cette situation conjoncturelle dégradée et aux problèmes structurels révélés par la crise ([93])  », soit un niveau largement insuffisant de l’investissement dans les infrastructures, dans la recherche et dans l’éducation, c’est-à-dire dans les prérequis d’une croissance solide.

Nos débats sur les raisons techniques de la dégradation de nos finances publiques ratent effectivement l’enjeu le plus important : il doit être mis fin à la politique de l’offre qui a fragilisé notre économie, menace la cohésion sociale et nous éloigne de la bifurcation écologique.

Voici la seule leçon à tirer de cette comparaison.


   recommandations du président éric coquerel

 

Recommandation n° 1 :

En finir avec la politique de l’offre qui ronge jusqu’à l’os nos services publics, épuise les recettes publiques, dégrade les conditions de vie de la population et nous éloigne toujours plus de la bifurcation écologique.

Recommandation n° 2 :

Supprimer la faculté du gouvernement de recourir à l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution lors de l’examen des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale.

Recommandation n° 3 :

Réduire à 0,5 % le montant cumulé des crédits pouvant être annulés par décret et conditionner la signature des décrets d’annulation à un avis conforme des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat rendu dans un délai de sept jours à compter de la notification qui leur a été faite du projet de décret.

Recommandation n° 4 :

Élargir l’exercice de prévision mené par la direction générale du Trésor à d’autres organismes afin d’étayer les informations prises en compte.

Recommandation n° 5 :

Accorder des moyens supplémentaires au Parlement pour contrôler l’exécution du budget, notamment en s’appuyant sur l’expertise d’organismes indépendants.

Recommandation n° 6 :

Transmettre aux commissions des finances les notes aux ministres relatives aux prévisions macroéconomiques et aux finances publiques par les administrations du ministère de l’économie et des finances.

 

 

 


   Contribution du rapporteur Éric Ciotti

Malgré des alertes nombreuses et précoces, les Gouvernements de Mme Élisabeth Borne, de M. Gabriel Attal et de M. Michel Barnier ont été constants dans l’irresponsabilité, en ne prenant aucune mesure d’ampleur pour corriger l’aggravation des déficits publics. Le Gouvernement de M. Attal, en particulier, qui en avait informé le Président de la République, a refusé de présenter un projet de loi de finances rectificatif au printemps, afin d’éviter l’adoption de dispositions impopulaires avant les élections européennes. Les six mois d’inaction gouvernementale conduiront le Président, face à la gravité d’une situation budgétaire qui se dégrade mois après mois, à la dissolution. Les tentatives de déresponsabilisation auxquelles se prêtent le socle minoritaire ne sont pas pertinentes : les alertes ont été données et c’est au niveau ministériel que l’inaction a prévalu.

 L’écart entre les prévisions et le déficit du solde public effectif en 2024 est principalement le résultat de renoncements politiques successifs qui ont contribué à précipiter la dissolution de l’Assemblée nationale.

Une première alerte précise dès le 7 décembre 2023 est gardée sous silence. Comme le rappelle le rapport, la première grande alerte conjointe de la direction générale du trésor et de la direction du budget parvient dès le 7 décembre 2023 auprès des ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, respectivement ministres de l’économie et des comptes publics ; dès le 13 décembre, la Première ministre est informée que « la moins-value de recettes fiscales prévue pour 2023 aura une répercussion sur 2024 également ».

Or, l’écart qui sera constaté finalement repose majoritairement sur de moindres recettes. Pourtant, comme l’indique le rapport, le « Gouvernement choisit de maintenir une communication limitant l’ampleur de la dégradation des finances publiques ». Ainsi, la réaction du Gouvernement de Mme Élisabeth Borne et plus encore celle de M. Gabriel Attal, à compter du 9 janvier 2024, se caractérise par une forme d’inertie et d’opacité.

 Des arbitrages politiques dès les prévisions auraient été possibles mais n’ont pas été mis en œuvre.

Ainsi que l’ont prouvé les nombreuses auditions, « les services font des propositions […] et c’est le ministre qui choisit », selon les termes mêmes d’Emmanuel Moulin, ancien directeur de cabinet du Premier ministre Gabriel Attal.

M. Jérôme Fournel, ancien directeur de cabinet de M. Bruno Le Maire, est même plus précis : « les cabinets reconnaissent la compétence technique des administrations, mais celles-ci acceptent de voir leurs choix remis en cause ».

 Une suite de dissimulations et de dénis a eu lieu toute la fin de l’hiver et au printemps 2023-2024, malgré les alertes répétées.

À compter de la première alerte de décembre 2023, une déresponsabilisation générale affecte la communication et l’action du Gouvernement pendant tout le premier semestre 2024.

Certes, le Premier ministre change d’Élisabeth Borne à Gabriel Attal le 9 janvier 2024, mais les deux ministres les plus informés et les plus à même de proposer des mesures correctives, à savoir les ministres de l’économie et des comptes publics, demeurent en poste et restent inactifs.

Malgré les constats des administrations, le Gouvernement se livre à un exercice de dissimulation vis-à-vis de la représentation nationale. Le 16 février 2024, il a connaissance de la gravité de la situation, une gravité étayée et quantifiée.

Le 16 février 2024, le ministre de l’économie a une connaissance complète des principaux facteurs de dégradation du solde public en 2024 et de leur ampleur. En effet, à partir de la présentation des budgets économiques d’hiver, le solde public est alors estimé à – 5,7 % du PIB en 2024 contre – 4,4 % prévus en LPFP (– 1,3 point de PIB).

Pourtant, le 18 février 2024, lorsque M. Bruno Le Maire intervient au journal de 20 heures de TF1, il n’annonce que la révision des prévisions de croissance pour 2024, en omettant les autres facteurs de dégradation du solde public pour 2024, surtout les effets attendus des moins-values en recettes 2023 sur l‘année suivante et maintient l’objectif de – 4,4 % de déficit en 2024.

Cette dissimulation est à nouveau à l’œuvre le 6 mars 2024, à l’occasion de son audition par la commission des finances de l’Assemblée nationale avec M. Thomas Cazenave : M. Bruno Le Maire n’évoque pas les faveurs de dégradation du solde public et, interrogé sur le niveau des recettes désormais prévu en 2024, il estime « qu’il est trop tôt pour évaluer les recettes de l’État en 2024 ».

La Cour des comptes se plaint également de ne pas avoir été destinataire de la note du 7 décembre : ainsi, Pierre Moscovici, s’exprimant à propos de la préparation du rapport annuel publié le 12 mars, affirme que « la réponse du ministre début mars évitait de donner des chiffres de déficit public en 2023 et en 2024. L’administration n’a pas été transparente avec la Cour sur la période allant de décembre 2023 à mars 2024 ».

Le 26 mars 2024, plus de trois mois après la première alerte du 7 décembre des directions du trésor et du budget et plus d’un mois après les premières estimations concernant le déficit pour 2024, le ministre Bruno Le Maire, interrogé par Public Sénat, affirme que la dégradation des recettes en 2023 est un « événement exceptionnel ».

Le 9 avril, c’est conjointement que le Premier ministre Gabriel Attal et le ministre des finances Bruno Le Maire, lors de la séance des questions au Gouvernement, ne se prononcent pas sur l’ampleur du déficit attendu en 2024.

Près de deux mois après avoir pris connaissance de la véritable trajectoire du déficit, le Gouvernement dissimule toujours une partie essentielle de l’information à la représentation nationale, à la Cour des comptes et aux citoyens.

Une légère mise à jour des données due à l’obligation de remise du programme de stabilité pour 2024 à la Commission européenne seulement le 10 avril 2024.

Ce n’est que le lendemain, le 10 avril, soit plus de quatre mois après l’alerte du 7 décembre 2023 et près de deux mois après avoir pris connaissance de la véritable trajectoire du déficit public, et contraint par l’obligation de la remise du programme de stabilité pour 2024 à la Commission européenne que le ministère de l’économie relève l’objectif de déficit public à 5,1 %.

Le Gouvernement a ainsi volontairement dissimulé les informations, connues des ministres partiellement à partir de décembre 2023 et complètement à partir de mi-février 2024, qui auraient permis au Parlement et à la Cour des comptes de prendre conscience de la gravité de la situation des comptes publics entre début décembre 2023 et la mi-avril 2024.

De nombreux indicateurs auraient dû pousser les membres du Gouvernement à agir ; aucun prétexte « d’urgence » n’aurait dû empêcher de donner l’alerte. Dès les premiers signaux d’alerte connus, il aurait fallu qu’il y ait eu un état des lieux de la dégradation des finances publiques.

 L’action du Gouvernement de M. Gabriel Attal entame une véritable fuite en avant qui a largement contribué à la dégradation supplémentaire des finances publiques en 2024. Il se limite à des mesures internes ; tardives et incapables de répondre à la gravité budgétaire, elles s’accompagnent à nouveau d’une dissimulation des informations vis-à-vis de la représentation nationale et des citoyens et de l’absence de budget modificatif.

Les mesures du Gouvernement de M. Attal se limitent aux actions sur lesquels il peut avoir une action directe, sans en référer à l’Assemblée, en l’occurrence au périmètre des dépenses de l’État et à la marge sur les dépenses de la Sécurité sociale et de l’assurance-chômage. Or, ces mesures sont à la fois limitées à cause du périmètre restreint, pour des raisons de plafond (1,5 % maximum des crédits ouverts) et l’impossibilité d’agir réellement sur les recettes.

Cette volonté de dissimulation du Gouvernement est directement liée au contexte politique du printemps 2024 : l’approche des élections européennes a incité le Gouvernement à temporiser, en repoussant tout débat sur la nécessité d’un éventuel projet de loi de finances rectificative (PLFR). Un PLFR aurait pourtant permis de porter les mesures d’économies nécessaires pour éviter le dérapage catastrophique des comptes publics en 2024.

Or, dès février 2024, la question d’un projet de loi rectificatif se pose ; M. Bruno Le Maire, interrogé rétrospectivement, juge que cela aurait été justifié. Dans une note pour le président de la République du 6 février 2024, il recommandait « l’annonce d’un PLFR afin de tenir l’objectif de déficit public de 4,4 % du PIB fixé pour 2024 ».

Le refus d’agir avant les élections européennes des 8 et 9 juin 2024 rend la situation budgétaire intenable, ce qui aboutit à la dissolution.

 La dissolution a constitué l’aboutissement de la fuite en avant du Gouvernement de M. Attal, en offrant l’excuse parfaite pour retarder l’adoption de mesures de redressement des comptes publics et la transparence vis-à-vis du Parlement sur la dégradation supplémentaire des finances publiques.

En ce sens, la suspension de la réforme de l’assurance chômage, pourtant prévue comme mesure d’économie pour l’année 2024, répondait à une logique purement électoraliste. Durant l’été, le long interrègne jusqu’à la nomination de M. Michel Barnier en septembre a favorisé la dérive des finances publiques, empêchant la mise en place de toute mesure.

Un refus de PLFR dont était informé le Président de la République ; le refus d’audition du secrétaire général de l’Élysée n’a pas permis à la commission de faire la lumière sur le cheminement qui a conduit à ce refus. Si la responsabilité de présenter un PLFR, au regard de la Constitution, incombe au Premier ministre, le cheminement de la prise de décision et le rôle du Président de la République aurait pu être déterminé par l’audition du secrétaire général de l’Élysée. Ce dernier a refusé de se faire auditionner.

Le refus de comparaître du secrétaire général de l’Élysée est regrettable.

La conséquence est donc l’absence de dépôt de PLFR devant le Parlement, à quelques semaines des élections européennes.

En définitive, entre le 7 décembre 2023, date de la première alerte de l’administration, et le 8 juin 2024, soit six mois, une déresponsabilisation générale frappe les gouvernements successifs, qui se traduit par l’absence de mesures correctives à la hauteur de l’enjeu.

Par refus d’assumer des décisions difficiles et impopulaires, à la veille des élections européennes, tous les ministres responsables ont maintenu une communication déficiente et une inaction dévastatrice pour les comptes publics, le Président de la République étant informé de cette situation.

 

Toutes les informations concernant l’aggravation du déficit public étaient donc largement connues en juin 2024 ; la dissolution décidée par le Président de la République peut dès lors s’expliquer par la volonté de l’exécutif d’avoir à présenter un PLF 2025 contenant des dispositions correctrices extrêmement impopulaires et politiquement inacceptables.

 Après la dissolution, le Gouvernement de M. Michel Barnier continue à ne pas prendre les mesures pourtant nécessaires.

Cette dérive continue après la dissolution : le Gouvernement de M. Michel Barnier aurait pu prendre des mesures énergiques et faire adopter un budget modificatif en urgence ; il n’en fait rien. En particulier, il ne reprend pas des mesures d’économies en dépenses en 2024 et en 2025, qui auraient permis d’amorcer le redressement des finances publiques. Ce Gouvernement a privilégié des hausses d’impôts, dans un pays exsangue en raison d’une pression fiscale asphyxiante.

De décembre 2023 à décembre 2024, une longue chaîne d’irresponsabilités successives a conduit à ne rien changer à la dérive, pourtant documentée et quantifiée, entre les prévisions de déficit public et le résultat effectif.

 Les reports de responsabilité du Gouvernement, notamment sur les collectivités territoriales, sont inacceptables.

Les collectivités territoriales, qui ont été désignées comme en partie responsables de l’aggravation du déficit public, votent leurs budgets en équilibre et qu’il est donc malhonnête intellectuellement de vouloir se décharger d’une partie de la responsabilité de la dérive des comptes publics sur ces dernières.

L'article L. 1612-4 du code général des collectivités territoriales prévoit que le budget d’une collectivité territoriale est voté en équilibre réel, ce qui introduit une triple obligation, pour tous les budgets (budget principal et budgets annexes) tout au long d’un exercice (budget primitif, budget supplémentaire et délibération modificative).

Il est donc faux de pointer du doigt les dépenses supplémentaires des collectivités locales. Se décharger sur un organisme indépendant revient à défausser le Gouvernement de sa responsabilité

 Il serait inutile de confier la prévision des recettes à un organisme indépendant. Quel que soit l’organisme en charge de cette mission – le Haut Conseil des finances publiques ou la Cour des comptes – il restera sous-informé sur l’état des comptes publics si les ministères pratiquent la rétention d’information, comme cela a été le cas en 2023-2024.

Ainsi, la Cour des comptes a alerté sur le manque d’informations transmises par les ministères sur la situation des comptes publics lors des auditions parlementaires du début d’année et ensuite par la publication du rapport annuel du 12 mars 2024 : M. Pierre Moscovici, à propos du déficit, regrette que « la réponse du ministre début mars (ait évité) de donner des chiffres de déficit public en 2023 et en 2024 ».

Le Premier président de la Cour des comptes ajoute même que « la désormais fameuse note datée du 7 décembre 2023 (n’a) pas été communiquée à cette occasion ». Or, cette note, rédigée par la Direction générale du Trésor et de la Direction du Budget, adressée aux ministres des finances et du budget, porte précisément sur les moins-values en recettes.

Par conséquent, non seulement il est absurde de proposer de confier au Haut Conseil des finances Publics la question de l’évaluation des recettes dès lors que la Cour des comptes, auquel il appartient et qui a le même président, ne reçoit pas elle-même les notes des directions relatives aux recettes

Mais, de plus, le blocage étant intervenu au niveau ministériel, cela démontre une nouvelle fois que l’erreur est politique.

 Les comparaisons avec des exemples étrangers ne sont pas pertinentes.

Il ne faut pas non plus prendre pour exemple les erreurs des gouvernements étrangers, puisque les alertes émanant des directions concernées ont bien été émises en temps et en heure. Prendre pour exemple le Royaume-Uni et l’Allemagne n’est qu’une autre tentative de déresponsabiliser les gouvernements français successifs.

● Afin d’améliorer les prévisions de finances publiques, de nouvelles règles budgétaires pourraient être adoptées :

– inscription d’une règle d’or budgétaire dans la Constitution, imposant que les déficits structurels de l’État restant inférieurs à 0,35 % du PIB ;

– toute nouvelle dette ne pourra être contractée que pour financer des dépenses d’investissement ou de défense nationale, excluant ainsi les dépenses courantes.

 

 


   Contribution du rapporteur Mathieu LefÈvre

Déficits publics 20232024 : un mauvais procès politique, une véritable défaillance technique

La dégradation des prévisions de finances publiques entre 2023 (déficit public de 4,4 % du PIB envisagé en loi de finances pour 2024 contre 5,8 % en exécution) est un événement technique qui a eu des incidences politiques majeures. Il est pleinement du rôle du Parlement de chercher à comprendre ces écarts afin que ceux‑ci ne se reproduisent plus ou, du moins, que l’on parvienne à en limiter l’ampleur. Celui-ci doit en revanche le faire dans une démarche qui n’est ni politique, ni politicienne. De ce point de vue, rien, dans les auditions qu’a menées la commission, ne conduit à lire dans cet écart soit une faute politique, soit une faute économique. Il est en revanche avéré que les gouvernements successifs ont dû faire face à une défaillance technique lourde qui les a conduits à prendre des mesures difficiles et contestées par les oppositions afin d’en limiter l’impact sur le déficit public.

● La détermination du Gouvernement à rétablir les finances publiques à la sortie de la crise du covid19 ne peut pas être remise en cause.

Le Gouvernement a, dès 2023 avec le Gouvernement d’Élisabeth Borne, pris les mesures nécessaires pour sortir des dispositifs exceptionnels de gestion de la crise du covid‑19. Le ministre chargé des finances Bruno Le Maire a en particulier alerté, dès août 2021, sur la nécessité de sortir de la politique du « quoi qu’il en coûte ». Les auditions ont ainsi mis en évidence que les mesures nécessaires ont été prises depuis cette date pour sortir des dispositifs exceptionnels – notamment le retrait des mesures en faveur des entreprises et la sortie progressive du bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité. Toutes ces mesures ont été contestées par les oppositions. Hier encore, l’augmentation de l’accise sur l’électricité pour revenir au niveau d’avant‑crise était un motif de censure pour le Rassemblement national.

Le projet de loi de finances pour 2024, présenté en octobre 2023, confirmait cette volonté en prévoyant la sortie définitive des dispositifs de crise. L’application rigoureuse de ces mesures et la réalisation des recettes fiscales attendues auraient permis d’atteindre les déficits publics attendus à 4,4 % en 2024 et à 3 % en 2027. Le ministre chargé des finances et le Gouvernement ont tenu une ligne constante de responsabilité sur les comptes. Ils ont pris les décisions difficiles qui s’imposaient pour tenir ces objectifs dans un contexte de recettes fortement dégradé et d’opposition au Parlement.

 L’erreur d’évaluation des recettes est imputable aux administrations centrales dans un contexte de perturbation des modèles de prévision et exige une refonte en profondeur du dispositif d’évaluation des recettes fiscales.

La commission a pu établir que les administrations centrales ont commis une erreur d’évaluation de plus de 50 milliards d’euros sur les recettes entre 2023 et 2024. Cette erreur n’est pas liée à un quelconque défaut de compétence de leur part, mais due à la perturbation des modèles macroéconomiques à la suite des chocs exogènes qu’a connus notre pays comme d’autres économies comparables (crises sanitaire et énergétique) ainsi qu’à la réponse publique massive qui y a été apportée (« quoi qu’il en coûte ») ([94]). Preuve en est, celle‑ci n’est ni inédite dans le temps (ampleur équivalente en 2008), ni dans l’espace (écarts similaires en Allemagne et au Royaume-Uni). Celle‑ci intervient par ailleurs après deux années où les recettes fiscales perçues ont été largement supérieures à la prévision et pour lesquelles aucun groupe parlementaire n’a, étrangement, réclamé de commission d’enquête.

Les auditions l’ont montré : l’évaluation des recettes est de la seule compétence des administrations. Elle ne fait l’objet d’aucun arbitrage politique, contrairement aux perspectives de croissance ou de déficit public. Le rapporteur général de la commission des finances est d’ailleurs parvenu à cette même conclusion à l’issue de ses propres auditions, indiquant que « les ministres n’ont pas mis les mains dans le cambouis » ou encore n’avoir trouvé « aucune influence des ministres sur les recettes fiscales » ([95]). Ce dernier indique également, comme le rapporteur, que « ces erreurs répétées sont liées au système d’évaluation » ([96]). Par conséquent, la responsabilité directe du Gouvernement ne saurait être engagée. Elle appelle, en revanche, une refonte en profondeur des mécanismes d’évaluation des recettes.

Notons, enfin, que ce dérapage a été accentué par les dépenses des collectivités territoriales, supérieures de 20 milliards d’euros à ce qui était prévu.

● Face à cet accident imprévu et majeur sur les recettes, le Gouvernement a pris en temps et en heure toutes les mesures de redressement nécessaires.

Face à ces difficultés techniques que personne – pas même le Haut Conseil des finances publiques – n’avait anticipées à un tel niveau, la commission a pu établir que, de décembre 2023 au printemps 2024, une série de mesures de redressement radical et sans précédent (près de 30 milliards d’euros) ont été prises par les Gouvernements successifs d’Élisabeth Borne et de Gabriel Attal (10 milliards d’euros d’annulations de crédits, 16 milliards d’euros de mises en réserve, sortie du bouclier tarifaire sur l’énergie et doublement des franchises médicales notamment). Toutes ces mesures, sans exception, ont été contestées par les oppositions parlementaires d’alors. Si leurs options politiques avaient été suivies, la dégradation du déficit public n’aurait pas été enrayée comme elle l’a été, elle aurait été constatée.

Le Gouvernement et la majorité d’alors assument que ces mesures aient porté essentiellement sur des réductions de dépenses : il eût été inconcevable et contre‑productif d’augmenter massivement les impôts des Français comme de leurs entreprises dans le pays qui a le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé au monde. Le Gouvernement assume également de n’avoir pas présenté de projet de loi de finances rectificative au printemps 2024, refusant là encore de faire payer la facture aux Français sous forme d’impôts nouveaux. Personne n’imagine en effet que les oppositions parlementaires eussent souhaité aller plus loin en matière de réduction de dépenses alors que celles‑ci venaient toutes de s’opposer au décret d’annulation de crédits inédit de 10 milliards d’euros.

Cette politique a fonctionné, puisque la dépense de l’État a été tenue (exécutée à un niveau inférieur de 7 milliards d’euros en‑dessous de la loi de finances initiale) tandis que le déficit de l’État s’est réduit de plus de 10 milliards d’euros en exécution par rapport à la prévision. L’État a ainsi moins dépensé d’une année sur l’autre entre 2023 et 2024 : c’est la première fois que cela se produit depuis 2011.

Après la dissolution de l’Assemblée nationale, faute de majorité parlementaire, il devenait impossible de maintenir les réformes structurelles prévues (augmentation de la franchise sur les consultations médicales, réforme des indemnités journalières sur les arrêts maladie de courte durée). Le rapporteur regrette toutefois que la réforme de l’assurance‑chômage n’ait pu être relancée dès 2024 dans sa version de juillet dernier, ce qui aurait permis de produire des effets financiers – certes mineurs en fin d’année, mais majeurs dès 2025.

En conclusion, le Gouvernement et sa majorité d’alors n’ont jamais dévié de leur ligne de rétablissement des comptes publics. Celui‑ci a pris les mesures nécessaires et contestées face à un accident technique majeur qui ne peut pas lui être directement imputé. La question est donc de savoir quel aurait été le niveau du déficit public en 2024 si l’on avait suivi les oppositions d’alors qui refusaient tout effort supplémentaire ?

Cet accident appelle une refonte complète des dispositifs d’évaluation des recettes fiscales en France sur le modèle des États-Unis ou du Royaume‑Uni. C’est la raison pour laquelle le rapporteur propose de renverser la charge de la preuve en confiant intégralement l’évaluation des recettes fiscales au Haut Conseil des finances publiques – organisme indépendant – tout en renforçant ses moyens à cette fin, comme cela existe au Royaume‑Uni.

La prévision est un art difficile dans le contexte macroéconomique de crises successives et plurielles que nous connaissons. Puisqu’il est contesté dans sa forme actuelle, confions‑le à un tiers indépendant.

 


   Introduction

Les exercices 2023 et 2024 ont été marqués par un niveau de déficit public nettement supérieur aux prévisions des lois de finances pour 2023 ([97]) et 2024 ([98]). Attendu à – 4,4 % du produit intérieur brut (PIB), le déficit public s’élève finalement à – 5,8 % en 2024, soit un écart de 1,4 point de PIB. Cette dégradation importante du solde public a remis en cause la trajectoire de maîtrise des finances publiques visant à limiter le déficit en-dessous de 3 % du PIB à moyen terme et à enrayer l’augmentation de la dette publique. Elle s’avère d’autant plus problématique qu’elle n’avait pas été anticipée par les administrations.

Face à cette crise des finances publiques, il était nécessaire que la commission des finances se dote des prérogatives d’une commission d’enquête, en application des articles 5 ter et 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ([99]). Cette initiative fait suite à la commission d’enquête visant à établir les raisons de la très forte croissance de la dette française depuis 2017, créée par l’Assemblée nationale en mai 2024 mais qui n’avait pu aboutir en raison de la dissolution.

Elle succède également aux travaux menés sur le même sujet par la mission d’information du Sénat sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, qui a rendu un rapport en juin 2024 ([100]), actualisé en novembre ([101]). La commission d’enquête a également pu s’appuyer sur les travaux de l’Inspection générale des finances ([102]), de la Cour des comptes ([103]), de la direction générale du trésor (DGT) et du comité scientifique mis en place en novembre 2024 pour contribuer à l’amélioration des prévisions fiscales et budgétaires ([104]).

Pendant six mois, la commission d’enquête a recherché et étudié les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires en 2023 et 2024, tant dans le champ des administrations publiques centrales (APUC) que des administrations publiques locales (APUL) et des administrations de sécurité sociale (ASSO). Les conclusions du présent rapport s’appuient sur les vingt-sept auditions menées par la commission des finances dans son format de commission d’enquête.

Les rapporteurs ont également fait usage de leurs pouvoirs spéciaux et se sont vu communiquer plusieurs centaines de documents rédigés par l’administration en 2023 et 2024 relatifs aux prévisions fiscales et budgétaires ainsi qu’à la préparation des projets de loi de finances (PLF), projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), projets de loi de finances de fin de gestion (PLFG) et programmes de stabilité (PSTAB) ou plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT).

Les années 2023 et 2024 ont donné lieu à des écarts significatifs entre les prévisions et l’exécution du solde public et des recettes publiques. La cohérence entre les prévisions de finances publiques et l’exécution pourrait être confortée par une amélioration des méthodes de prévision, le renforcement de la transparence et des instances de contre-expertise et des efforts de pilotage infra-annuel soutenus. Au terme de leur analyse, les rapporteurs proposent vingt-trois recommandations communes visant à éviter que des écarts à la prévision aussi importants que ceux de 2023 et 2024 ne se reproduisent à l’avenir.

La première évaluation des comptes nationaux des administrations publiques pour l’exercice 2024, publiée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) le 27 mars 2025, n’a pu être que partiellement intégrée au rapport, les chiffres actualisés n’ayant été rendus disponibles que quelques jours avant l’adoption du présent rapport.

 

 

 

 

 


I.   Les annÉes 2023 et 2024 ont donnÉ lieu À des Écarts significatifs entre les prÉvisions et l’exÉcution du solde public et des recettes publiques

La France connaît depuis la fin 2023 une crise de ses finances publiques, qui se matérialise par des écarts importants entre les prévisions du Gouvernement et l’exécution. L’aggravation du déficit public résulte principalement d’un niveau de recettes des prélèvements obligatoires inférieur à celui qui avait été anticipé, et qui justifiait naturellement que la commission des finances se dote des prérogatives d’une commission d’enquête. Si les écarts à la prévision sont significatifs, ils ne sont toutefois pas exceptionnels comparés aux périodes de crise antérieures. D’autres pays européens ont par ailleurs connu au même moment des difficultés similaires.

A.   Des Écarts qui rÉsultent principalement d’une hausse des recettes des prÉlÈvements obligatoires plus faible que prÉvu

En 2023, le déficit public s’est établi à  5,5 % du PIB, contre une prévision de – 5,0 % dans la loi de finances initiale (LFI) et – 4,9 % dans la loi de finances de fin de gestion (LFG), soit un écart de respectivement 0,5 et 0,6 point de PIB.

DÉcomposition de l’Écart entre la prÉvision
et l’exÉcution du DÉficit public en 2023

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les données de la direction générale du trésor.

L’écart résulte principalement d’un niveau de recettes des prélèvements obligatoires inférieur de 20,7 milliards d’euros à celui qui avait été anticipé. Il procède également, dans une moindre mesure, d’un niveau de dépenses supérieur à la prévision en ce qui concerne les collectivités territoriales (+ 4,3 milliards d’euros) et les administrations de sécurité sociale (+ 1,1 milliard d’euros) ainsi que d’une révision comptable liée à un changement de base des comptes nationaux par l’Insee (dont l’effet sur le solde d’élève à 4 milliards d’euros).

Ces facteurs d’aggravation du déficit public ont toutefois été partiellement compensés par de moindres dépenses des administrations publiques centrales, notamment sur le périmètre des dépenses de l’État (– 7,3 milliards d’euros) ainsi que par des recettes hors prélèvements obligatoires supérieures à la prévision (+ 4,6 milliards d’euros).

En 2024, le solde public s’est élevé à  5,8 % du PIB, contre une prévision initiale de – 4,4 % dans le PLF déposé en septembre 2024, révisée à – 5,1 % dans le PSTAB d’avril 2024 puis à – 6,1 % dans la LFG 2024. L’écart à l’exécution s’élève donc à respectivement – 1,4 point de PIB par rapport au PLF 2024, – 0,7 point par rapport au PSTAB 2024 et + 0,3 point par rapport à la LFG.

DÉcomposition de l’Écart entre la prÉvision
et l’exÉcution du dÉficit public en 2024

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les données de la direction générale du trésor.

Par rapport à la prévision initiale pour 2024 ([105]), la reprise en base de l’exécution 2023 et la prise en compte d’autres effets liés aux données passées entraînent une dégradation du solde de 31,6 milliards d’euros, aggravée par la révision à la baisse de la croissance du PIB en 2024 (7,2 milliards d’euros) et de l’hypothèse d’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB (6,8 milliards d’euros).

En outre, le creusement du déficit public résulte pour une part non négligeable de dépenses des collectivités territoriales nettement supérieures à la prévision initiale (– 13,4 milliards d’euros sur le solde). Le rapporteur Éric Ciotti souligne néanmoins que la prévision initiale était irréaliste (voir infra le b du 2 du A du I et le c du 2 du A du II du présent rapport). On observe également des dépenses supplémentaires dans le champ des administrations de sécurité sociale (– 3,5 milliards d’euros sur le solde).

Ces effets sont partiellement compensés par des recettes supplémentaires résultant de mesures nouvelles adoptées dans la loi de finances pour 2024 (+ 5,5 milliards d’euros sur le solde) ainsi que par de moindres dépenses des administrations publiques centrales, en particulier sur le périmètre des dépenses de l’État (+ 3,8 milliards d’euros sur le solde).

En définitive, les comptes nationaux des administrations publiques publiés par l’Insee le 27 mars 2025 qui retracent l’exécution définitive de l’année 2024, présentent un solde public de – 169,6 milliards d’euros, soit – 5,8 %, en amélioration de 9,5 milliards d’euros par rapport à la prévision de la loi de finances pour 2025. Les développements suivants s’appuient toutefois sur la dernière prévision associée à la LFI 2025.

1.   Des moins-values en recettes des prélèvements obligatoires à hauteur de 20,7 milliards d’euros en 2023 et 40,1 milliards d’euros en 2024

Les écarts entre les prévisions et l’exécution du solde public observés ces deux dernières années résultent principalement de recettes des prélèvements obligatoires inférieures au niveau attendu :

– en 2023, les moins-values en recettes ont atteint 20,7 milliards d’euros, soit 1,7 % du produit des prélèvements obligatoires estimé dans la LFI ;

– en 2024, selon les dernières prévisions, elles pourraient atteindre 40,1 milliards d’euros, dont 20,7 milliards d’euros liés à la reprise en base de l’exécution 2023, 10,9 milliards d’euros tenant à la prise en compte en 2024 d’autres données antérieures et 14 milliards d’euros liés à la révision des hypothèses macroéconomiques initialement prévues, ces effets étant partiellement compensés par 5,5 milliards d’euros de recettes tirées de mesures nouvelles.

La forte dégradation des recettes fiscales en 2023, par un effet de base,
a eu un fort impact sur l’année 2024

La forte dégradation des rentrées fiscales en 2023 a conduit à une baisse des recettes réalisées en 2024 par rapport aux prévisions initiales via deux canaux.

En premier lieu, la dégradation des recettes fiscales en 2023 tient à une croissance inférieure aux prévisions de la base taxable sur laquelle ces recettes sont assises. Par conséquent, en l’absence de rattrapage par une hausse du PIB ou d’une élasticité des recettes supérieures aux prévisions, cette base taxable est également moins large en 2024. Les 20,7 milliards d’euros de moins-values en 2023 ont donc mécaniquement réduit d’autant les recettes en 2024.

En second lieu, la dégradation des recettes fiscales en 2023 a joué de manière amplifiée en 2024 en raison des effets retardés de la mécanique de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés.

La direction générale du trésor analyse ainsi que « la forte révision de la croissance du BFI 2023 (+ 1 % de hausse contre + 14 % en PLF pour 2024) et la révision du BFI 2022 conduisent à réviser la prévision d’IS de 2024 de – 11,7 Md€ (– 3,6 Md€ sur le solde et – 8,0 Md€ sur les acomptes), soit nettement plus que la surprise de 2023 (– 4,4 Md€). De manière analogue, la prévision de l’IR a été révisée de – 5,7 Md€, après – 2,1 Md€ constatés en 2023 : les remontées fiscales constatées à l’été 2024 du solde de l’IR dû au titre de 2023 ont été décevantes, et la baisse du salaire réel moyen par tête en 2023 a conduit, en plus de son effet contemporain sur les prélèvements à la source, à des taux de prélèvement plus bas lors de leur mise à jour à l’été 2024 » ([106]).

La direction générale du trésor estime cet effet amplifié à 10,9 milliards d’euros, pour un total de – 31,6 milliards d’euros de moins-values en recette du fait des conséquences de la dégradation de 2023 sur 2024.

Ces moins-values en recettes ne signifient pas que le produit des prélèvements obligatoires est en baisse par rapport aux années précédentes. Les recettes publiques continuent d’augmenter, mais à un rythme inférieur à celui qui était prévu.

Évolution des recettes des prÉlÈvements obligatoires

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances, d’après les prévisions associées au projet de loi de finances pour 2025.

Les écarts à la prévision ont en particulier concerné la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l’impôt sur les sociétés (IS), l’impôt sur le revenu (IR), les cotisations sociales et les prélèvements sociaux, notamment la contribution sociale généralisée (CSG), la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (CRIM) et les droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

En 2023, les écarts les plus importants par rapport à la LFI se concentrent sur la CRIM (– 8 milliards d’euros en comptabilité nationale ([107])), la TVA (– 7,3 milliards d’euros) et les DMTO (– 2,7 milliards d’euros). Toutefois, on constate également des écarts substantiels par rapport à la loi de finances de fin de gestion (LFG), notamment pour les cotisations sociales (– 6,9 milliards d’euros) et l’IS (– 4,5 milliards d’euros).

Les principaux Écarts en recettes observÉs en 2023

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les données du ministère de l’économie et des finances.

En 2024, les plus grands écarts par rapport à la prévision initiale touchent l’IS (– 14,6 milliards d’euros), la TVA (– 13,7 milliards d’euros), les cotisations sociales (– 6,4 milliards d’euros) ainsi que l’IR (– 5,4 milliards d’euros).

Les principaux Écarts en recettes observÉs en 2024

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les données du ministère de l’économie et des finances.

 


a.   Des recettes de TVA moins élevées qu’attendu en raison d’une décorrélation entre l’évolution de l’impôt et sa base taxable

Les recettes de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ont été surestimées à la fois en 2023 et 2024. Même si, comme le rappelle la Cour des comptes, « [l]es écarts de prévision relatifs à la TVA sont d’une ampleur modeste au regard du montant total de l’impôt » ([108]), les écarts à la prévision sont néanmoins plus importants que les années précédentes. Ils sont d’autant plus surprenants que la TVA est normalement un impôt dont les recettes sont relativement simples à prévoir.

● En 2023, les recettes de la TVA totale nette, incluant la part reversée à l’État ainsi que les transferts aux administrations de sécurité sociale, aux collectivités territoriales et à l’audiovisuel public, se sont révélées inférieures aux prévisions de la LFI 2023 de 4,8 milliards d’euros en comptabilité budgétaire et de 7,3 milliards d’euros en comptabilité nationale. Même par rapport aux prévisions associées à la LFG 2023, pourtant promulguée le 30 novembre 2023, les écarts sont significatifs, avec une moins-value de 2,4 milliards d’euros en comptabilité budgétaire et de 4,3 milliards d’euros en comptabilité nationale.

Évolution des prÉvisions de recettes de la TVA en 2023

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les données du ministère de l’économie et des finances (en comptabilité budgétaire).

Si la prévision s’est améliorée entre la LFI et la LFG pour ce qui concerne la TVA totale nette et les transferts de TVA, elle s’est dégradée pour la TVA nette de l’État. Selon l’IGF, la prévision du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) « s’est appuyée sur les remontées comptables à fin août pour réviser à la hausse la prévision de TVA de 0,6 Md€ entre le PLF pour 2024 et le PLFG pour 2023. Ce choix, s’écartant du consensus inter-administrations d’août 2023, peut être qualifié d’hypothèse favorable » ([109]).

En 2024, l’écart entre les prévisions de recettes initiales et les dernières prévisions actualisées de TVA totale nette atteint 10 milliards d’euros en comptabilité budgétaire et, selon les données transmises aux rapporteurs par le ministère de l’économie et des finances, environ 13,7 milliards d’euros en comptabilité nationale.

Évolution des prÉvisions de recettes de la TVA en 2024

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les données du ministère de l’économie et des finances (en comptabilité budgétaire).

L’écart par rapport à la prévision initiale est particulièrement important. Il résulte non seulement d’une reprise en base du niveau de recettes de la TVA en 2023 (de l’ordre de 3,7 milliards d’euros) et des effets liés à la révision à la baisse de la prévision de croissance du PIB (1,2 milliard d’euros), mais aussi de révisions supplémentaires liées aux remontées comptables constatées au cours de l’année (6,9 milliards d’euros) ([110]).

● L’écart entre les prévisions et l’exécution des recettes de TVA peut tout d’abord s’expliquer par une erreur dans la prévision des emplois taxables à la TVA  qui repose sur des prévisions de consommation et d’investissement hors taxe sous-jacentes au scénario macroéconomique – lesquels ont sur la période considérée moins augmenté que prévu.

Cette moindre progression des emplois taxables à la TVA est elle-même la conséquence d’erreurs dans la prévision de croissance du PIB. La composition de la croissance a en effet été davantage portée par les exportations et la demande publique, et moins par les importations du fait d’une hausse modérée de la demande intérieure, ce qui n’était pas favorable à l’évolution des recettes fiscales. En outre, le ralentissement plus rapide qu’attendu de l’inflation, dont la prévision avait pourtant été qualifiée de « plausible » par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) ([111]), a également contribué à freiner les recettes de TVA.

Cette explication doit toutefois être nuancée. D’une part, elle vaut uniquement pour 2024. Ainsi, en 2023, les emplois taxables ont progressé de 5,8 % contre une prévision de 4,9 % – ce qui rend d’autant plus inattendue la moins-value sur les recettes de TVA. À l’inverse, pour 2024, on observe bien une évolution des emplois taxables abaissée à + 1,9 % contre + 3,8 % dans la prévision initiale. Le HCFP avait d’ailleurs qualifié d’hypothèse favorable la prévision d’une augmentation des recettes de la TVA supérieure à celle de leur base taxable annoncée par le Gouvernement (1).

Comparaison entre les prÉvisions et la rÉalisation des recettes de TVA

 

2023

2024

Prévision initiale

Réalisation

Écart

Prévision initiale

Réalisation

Écart

Évolution spontanée des recettes de la TVA

+ 5,3 %

+ 2,3 %

– 3,0

+ 4,8 %

+ 0,1 %

– 4,7

Évolution des emplois taxables à la TVA

+ 4,9 %

+ 5,8 %

+ 0,9

+ 3,8 %

+ 1,9 %

– 1,9

Source : commission des finances.

D’autre part, M. Laurent Bach, économiste à l’Institut des politiques publiques, estime que les erreurs dans la prévision de l’évolution des emplois taxables n’expliquent qu’une portion congrue de la moins-value en recettes : « [l]’erreur de prévision macroéconomique sur les emplois taxables à la TVA pour 2024 est de 1,9 point, soit moins de la moitié de l’erreur totale sur la TVA. […] [Elle] n’est pas exceptionnelle à l’échelle des 15 dernières années. Elle hérite des difficultés à prévoir l’évolution du PIB et de ses grandes composantes, difficultés amplement partagées par les nombreux autres organismes qui produisent des prévisions macroéconomiques pour la France » ([112]).

 Les écarts entre les prévisions et l’exécution des recettes de la TVA tiennent ensuite à une décorrélation entre l’évolution des emplois taxables et celle des recettes de TVA. Ainsi que l’explique M. Laurent Bach : « [t]out se passe comme si la conjoncture post-covid avait déréglé le modèle TVA, et cela explique plus de la moitié de l’erreur de prévision faite sur les recettes de cet impôt pour 2024 ».

Cette décorrélation pourrait résulter de ce que la direction générale du trésor nomme des « effets de structure », c’est-à-dire de déformations de la structure de la consommation des ménages entre les produits taxés au taux normal de TVA et ceux taxés aux taux réduits. Depuis 2020, l’assiette de la TVA se serait ainsi déformée en faveur d’achats en décroissance en 2023 et 2024, sans que ces déformations soient intégrées dans les modèles de prévision.

Comparaison des taux d’erreur de prÉvision sur la croissance spontanÉe des recettes de TVA et sur les emplois taxables À la TVA

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Source : M. Laurent Bach, « À la recherche de la TVA perdue », Institut des politiques publiques, janvier 2025.

Cette hypothèse, avancée devant la commission tant par les directeurs généraux du trésor successifs ([113]) que par la directrice générale des finances publiques ([114]), est également défendue par M. Laurent Bach : « [l]orsque la valeur relative des emplois de produits générant de la TVA et de ceux qui en génèrent peu ou pas est quelque peu modifiée, la répartition de l’assiette entre grands agrégats macroéconomiques estimée par le modèle TVA devient incorrecte. L’erreur de prévision ainsi générée peut être significative à la hausse comme à la baisse. Or la période 2020-2024 est riche de candidats potentiels à une mutation rapide de la valeur relative des emplois de produits : confinement, crise énergétique, hausse des prix du fret, etc. Il suffit pour dérégler le lien entre emplois taxables et recettes que la part de la consommation des ménages qui figure dans l’assiette TVA ait été plus exposée à ces chocs que la consommation exonérée de TVA (loyers, assurance, santé) » ([115]).

En outre, la décorrélation entre l’évolution des emplois taxables et celle des recettes de TVA s’explique par des remboursements de crédits de TVA plus dynamiques que prévu. Le comportement des entreprises en matière de demande de remboursement des crédits de TVA varie d’un exercice à l’autre et ses effets sur les recettes peuvent aussi être amplifiés par le rythme de traitement des demandes de remboursements par l’administration. Or, dans un contexte de remontée des taux d’intérêt et de hausse des charges d’intérêts, les entreprises peuvent être incitées à mobiliser davantage les leviers de trésorerie dont elles disposent, notamment les remboursements de crédits de TVA. Cet effet comportemental, lié à la conjoncture économique, n’était pas pris en compte dans les modèles de prévision.

Ce phénomène a été observé progressivement à compter de l’été 2023, mais il a tardé à se matérialiser dans les comptes budgétaires en raison des délais de traitement des demandes par l’administration. En définitive, le montant des remboursements a atteint 77,6 milliards d’euros (en comptabilité budgétaire) pour 2023, soit 6,4 milliards d’euros de plus que dans la prévision initiale. En 2024, les demandes de remboursements des entreprises se sont maintenues à un niveau élevé (79,6 milliards d’euros selon la dernière prévision disponible).

Cette interprétation avancée par la plupart des personnes auditionnées par la commission a été confirmée par M. Laurent Bach, dans un contexte de sortie de la crise liée à l’épidémie de covid : « [d]ans un premier temps, le rebond post-confinement de 2021 et l’inflation de 2022 ont généré une exceptionnelle croissance des recettes de TVA, menant à une accumulation rapide de créances TVA et des recettes de trésorerie proches du milliard d’euros en 2021 et 2022. Cela ne dure toutefois que tant que le rythme de croissance de l’impôt dû sous-jacent se maintient. Or depuis, la croissance de l’impôt dû s’est rapprochée de son étiage habituel ; il était donc naturel d’observer en 2023 des remboursements croissant bien plus vite que les paiements, donc des recettes de trésorerie plus faibles expliquant près d’un quart de l’erreur de prévision faite sur la TVA pour cette année-là. Pour 2024 la croissance des recettes totales a ralenti encore légèrement, donc les recettes de trésorerie risquent de diminuer encore un peu, même si les entreprises ne revendiquent pas plus vite leurs crédits de TVA » ([116]).

b.   L’impôt sur les sociétés : une incertitude intrinsèque à la nature et aux modalités de paiement de l’impôt doublée d’un décrochage du bénéfice fiscal de 2023

Le produit net de l’impôt sur les sociétés (IS) s’est élevé à 56,8 milliards d’euros en 2023, en baisse de – 4,5 milliards d’euros (– 7,3 %) par rapport à la prévision de la LFG pour 2023, et devrait s’établir à 57,4 milliards d’euros en 2024, soit une baisse de – 14,8 milliards d’euros (– 20,5 %) par rapport à la prévision de la LFI pour 2024. Alors que l’IS représente moins de 5 % des prélèvements obligatoires, les écarts de recettes d’IS par rapport aux prévisions en 2023 et 2024 représentent respectivement 20 % et 37 % des écarts constatés sur l’ensemble des prélèvements obligatoires.

L’importance des écarts à la prévision de recettes d’IS en 2023 et 2024 réside dans la volatilité de cet impôt, intrinsèque à son assiette, le bénéfice fiscal, les indicateurs macroéconomiques mobilisés pour estimer son rendement, et les modalités de versement de l’impôt. Plus particulièrement, la décorrélation non anticipée entre l’évolution du bénéfice fiscal des entreprises et de leur excédent brut d’exploitation (EBE) en 2023 a conduit à une dégradation marquée des recettes d’IS à la fin de l’année 2023 par rapport aux prévisions de la LFG pour 2023, qui s’est poursuivie et accentuée tout au long de l’année 2024.

  1.   L’impôt sur les sociétés, un impôt au rendement volatil estimé à travers des variables macroéconomiques

● L’IS présente un rendement volatil qui, après une période de baisse au début des années 2010 provoquée notamment par le poids du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), a tendu à remonter de 2018 à 2022 malgré la baisse de son taux mais stagne en 2023 et 2024.

Rendement de l’impÔt sur les sociÉtÉs net budgÉtaire

(en milliards d’euros)

* Rendement provisoire de l’IS net budgétaire pour 2024.

Source : commission des finances d’après les documents budgétaires et la Cour des comptes.

● La volatilité du rendement de l’IS découle de « la volatilité du bénéfice des entreprises sur lequel est assis l’IS » ([117]). En effet, le bénéfice fiscal, défini par l’article 38 du code général des impôts comme « le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif », au cours de chaque exercice d’imposition, est fortement corrélé à l’évolution du PIB en valeur et en volume, qui reflète le dynamisme de l’activité des entreprises.

La comparaison de l’évolution du PIB et du bénéfice fiscal entre 2014 et 2023 confirme la surréaction de ce dernier à l’évolution du PIB : en moyenne, l’évolution annuelle du bénéfice fiscal est 2,4 fois plus dynamique que celle du PIB en valeur, et 3,4 fois plus dynamique que celle du PIB en volume. Si, dans un contexte de forte inflation, l’évolution du bénéfice fiscal présente une élasticité faible par rapport à l’évolution du PIB en valeur dans les années 2022 et 2023 (de respectivement 0,3 et 0,12), son élasticité par rapport à l’évolution du PIB en volume demeure proche de l’unité (0,8 en 2022 et 0,9 en 2023). Ce même constat ressort de l’audition de M. Bertrand Dumont, actuel directeur général du trésor, qui a indiqué que « [l]’impôt sur les sociétés est l’impôt le plus difficile à modéliser. À cause des fortes variations du bénéfice fiscal net des entreprises, il est plus volatil que la croissance » ([118]).

Évolution du PIB en valeur et du bÉnÉfice fiscal entre 2014 et 2023

Source : commission des finances d’après Eurostat (PIB en valeur) et les documents budgétaires (bénéfice fiscal).

● Le bénéfice fiscal de l’exercice n ne peut être définitivement connu qu’après évaluation des liasses des comptes déposés par les entreprises, en mai de l’année n+1. Le bénéfice fiscal ne fait pas l’objet d’une prévision propre dans le cadre du scénario macroéconomique de la direction générale du trésor, mais est estimé à partir de la prévision d’excédent brut d’exploitation des entreprises. Cette grandeur, définie par l’Insee comme « le solde du compte d’exploitation, pour les unités de production », est « égal[e] à la valeur ajoutée, diminuée de la rémunération des salariés, des autres impôts sur la production et augmentée des subventions d’exploitation ».

Aussi, l’excédent brut d’exploitation exprime la capacité pour une entreprise de dégager des ressources de trésorerie tirées de son exploitation. Si, de ce fait, cette grandeur présente un lien avec le bénéfice fiscal de l’entreprise, il ne constitue pas le seul solde intermédiaire de gestion mesurant la capacité contributive des entreprises. En ce sens, M. Laurent Bach, économiste à l’Institut des politiques publiques, a souligné « la faible corrélation entre l’excédent brut d’exploitation et le bénéfice fiscal, sauf en période de crise majeure » ([119]).

Les mesures de la capacité contributive des entreprises et les soldes intermédiaires de gestion

Les différents soldes intermédiaires de gestion des entreprises sont les suivants :

– la valeur ajoutée (VA) permet de mesurer la richesse brute créée par une entreprise :

VA = marge commerciale + production de biens et services – consommations de l’exercice

– l’excédent brut d’exploitation (EBE) permet de déterminer le niveau de richesse dégagé par une entreprise grâce à son seul cycle d’exploitation :

EBE = VA + subventions d’exploitation – impôts, taxes et charges

– l’excédent net d’exploitation (ENE) est un indicateur de performance opérationnelle qui correspond, en comptabilité anglo-saxone, à l’EBITDA (earnings before interest, taxes, depreciation and amortization) :

ENE = EBE – dotations aux amortissements et aux provisions

– le résultat d’exploitation (RE) mesure la performance de l’activité de l’entreprise, sans tenir compte de sa politique financière :

RE = ENE + autres produits et charges d’exploitation

– le résultat comptable (RC) de l’entreprise mesure les ressources nettes de l’entreprise en fin d’exercice :

RC = RE + résultat financier et exceptionnel

– le résultat fiscal (RF) est enfin obtenu en appliquant les règles d’assiette applicables :

RF = RC + réintégrations extra-comptables - déductions extra-comptables

Source : MM. Éric Coquerel et Jean-René Cazeneuve, rapport d’information n° 1538 sur les différentiels de fiscalité entre entreprises, juillet 2023.

  1.   Une imprévisibilité du rendement de l’impôt sur les sociétés accrue par ses modalités de versement

Les modalités de paiement de l’IS, prévues à l’article 1668 du code général des impôts, contribuent à la volatilité et à l’imprévisibilité du rendement de l’impôt.

Calendrier de paiement et principaux alÉas d’estimation de l’IS budgÉtaire

Source : commission des finances.

● En effet, l’impôt dû au titre d’un exercice n est payé au moyen de quatre acomptes trimestriels versés au plus tard les 15 mars, 15 juin, 15 septembre et 15 décembre de l’année n. La liquidation de l’impôt dû au titre de l’exercice n donne lieu, lorsque le solde d’IS est positif, à un complément d’impôt acquitté au plus tard le 15 mai de l’année n+1. Lorsque ce solde est négatif, l’excédent d’impôt donne lieu à un remboursement dans les trente jours suivant le dépôt du relevé de solde. Les acomptes d’IS sont assis sur le dernier résultat connu, c’est-à-dire le résultat de l’exercice n2 pour l’acompte de mars, et le résultat de l’exercice n1 pour les acomptes de juin, septembre et décembre.

 Cependant, plusieurs aménagements aux modalités de paiement de l’IS conduisent à réduire la prévisibilité du rendement de cet impôt. Ces aménagements visent, comme l’a rappelé Mme Amélie Verdier, actuelle directrice générale des finances publiques, à « donner aux entreprises une grande latitude dans le versement d’acomptes à l’administration des finances publiques. […] Les entreprises peuvent souvent déterminer elles-mêmes l’exercice pendant lequel elles s’acquittent de l’IS » ([120]). D’une part, des dispositifs de report en arrière et en avant de l’IS permettent aux entreprises de ne pas se voir pénalisées par des résultats fiscaux volatiles :

– l’article 220 quinquies du code général des impôts permet aux entreprises qui subissent un résultat négatif de reporter ce déficit sur l’impôt dû au titre du bénéfice de l’exercice précédent (report en arrière ou carry-back), dans la limite du montant le plus faible entre le bénéfice déclaré au titre de l’exercice précédent et un montant d’un million d’euros. Ce report se traduit par une créance qui permet de payer l’IS dû au titre des exercices des cinq années suivantes, ou d’un remboursement au terme de ces cinq années ;

– l’article 209 du même code permet aux entreprises ayant un résultat négatif de reporter le déficit sur les exercices postérieurs (report en avant ou carryforward). Le résultat négatif constitue alors une charge de l’exercice suivant, étant déduit du bénéfice dans la limite d’un montant d’un million d’euros majoré de 50 % du bénéfice fiscal dépassant ce montant. Les résultats déficitaires peuvent être reportés sans limite de temps.

● D’autre part, les modalités de paiement de l’IS comportent deux éléments de contemporanéité entre l’exercice fiscal de l’année n et l’impôt effectivement payé durant l’année n. En ce sens, Mme Amélie Verdier a précisé que l’IS est « [l’impôt] qui réagit le plus à la conjoncture, ce qu’a démontré l’effondrement de ses recettes lors de la crise financière de 2008 ou, mais dans une moindre mesure, lors de la crise de la covid-19. Il a en fait été conçu pour servir d’amortisseur automatique des fluctuations cycliques et refléter les résultats économiques des entreprises » ([121]). Si ces dispositifs rendent l’ajustement de l’IS à la conjoncture macroéconomique plus rapide, ils fragilisent également la prévisibilité de l’impôt :

 les entreprises peuvent autolimiter le montant de leurs acomptes si elles estiment que leur IS dû au titre de l’exercice n est inférieur au montant des acomptes déjà versés en année n. Ce dispositif permet aux entreprises de lisser leurs paiements d’IS lorsqu’elles anticipent une dégradation de leur bénéfice fiscal de l’exercice n ;

– surtout, les entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires égal ou supérieur à 250 millions d’euros sont tenues de payer un « cinquième acompte » qui vise à rapprocher le montant total des acomptes versés en année n de l’impôt exigible au titre de l’exercice n. Ce cinquième acompte, introduit par la loi de finances rectificative (LFR) pour 2005 ([122]), est une composante du quatrième acompte, et à la différence des acomptes précédents, n’est pas assis sur le dernier résultat connu mais sur l’impôt dû au titre de l’exercice en cours et estimé par le redevable. Le cinquième acompte doit permettre que la somme des acomptes payés durant l’année n soit au moins égale à 95 % de l’impôt dû au titre de l’exercice de la même année pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires compris entre 250 millions d’euros et 1 milliard d’euros, et à 98 % de l’impôt dû pour les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 1 milliard d’euros.

Aussi, l’existence du cinquième acompte entraîne, selon les propos de M. Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques entre mai 2019 et janvier 2024, « une quasi-contemporanéité de l’information sur les recettes pour les très grandes entreprises » ([123]). Cette contemporanéité provoquée par l’existence du cinquième acompte, couplée aux possibilités pour les entreprises d’autolimiter leurs acomptes, soumet toutefois la prévision de recettes d’IS de l’année en cours à un aléa important dont l’ampleur n’est connue qu’au 15 décembre.

DerniÈre prÉvision et montant perçu du cinquiÈme acompte d’ImpÔt sur les sociÉtÉs net de l’autolimitation entre 2016 et 2023

Source : commission des finances d’après la direction générale des finances publiques.

L’écart entre la prévision du cinquième acompte effectuée lors de la présentation du PLF de l’année n+1 et de la LFG de l’année n et le montant effectivement perçu représente à lui seul 76 % de l’écart entre la dernière prévision d’IS pour l’année n et l’exécution. Cet écart, qui s’est accru depuis 2020, témoigne des difficultés à anticiper le bénéfice fiscal des entreprises qui se sont accentuées depuis les crises sanitaire et énergétique.

Moyenne des Écarts entre la derniÈre prÉvision
du cinquiÈme acompte d’IS de l’annÉe N et l’exÉcution de 2016 À 2023

(en milliards d’euros)

 

2016-2023

2016-2019

2020-2023

Écarts annuels moyens

+ 1,4

– 0,2

+ 2,9

Écart moyen à la moyenne des écarts (valeur absolue)

3,3

0,6

4,6

Écarts annuels moyens (valeur absolue)

3,2

0,7

5,6

Source : commission des finances d’après la direction générale des finances publiques.

Si la moyenne arithmétique des écarts entre la dernière prévision et l’exécution du cinquième acompte d’IS témoigne d’une absence de biais optimiste ou pessimiste quant au montant de cet acompte, avec une surestimation moyenne du cinquième acompte de 0,2 milliard d’euros entre 2016 et 2019, les écarts annuels moyens et la dispersion des écarts constatés depuis 2020 sont en forte augmentation : en valeur absolue, les écarts annuels entre la prévision du cinquième acompte d’IS de la LFG de l’année n et le montant effectivement perçu s’élèvent à 5,6 milliards d’euros entre 2020 et 2023, et la dispersion moyenne des écarts s’établit à 4,6 milliards d’euros sur la même période. En ce sens, le cinquième acompte de l’année 2023 se caractérise par une surestimation de 5,4 milliards d’euros du montant du cinquième acompte d’IS net de l’autolimitation.

  1.   Un décrochage du rendement de l’IS par rapport aux prévisions en 2023 et 2024 majoritairement provoqué par une décorrélation du bénéfice fiscal par rapport à l’excédent brut d’exploitation

Évolution de la prÉvision du rendement de l’IS net budgÉtaire en 2023

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les documents budgétaires.

● Si le rendement de l’IS net budgétaire en 2023, qui s’est élevé à 56,8 milliards d’euros est assez proche de l’estimation réalisée en LFI 2023 (+ 1,5 milliard d’euros), il se situe en net recul par rapport aux dernières estimations de la LFG pour 2023, et a fortiori par rapport à celles du PSTAB 2023‑2027. Cette dégradation du rendement de l’IS en fin d’année est due à une révision à la baisse du bénéfice fiscal de 2022, et de celui de 2023.

Évolution des indicateurs de prÉvision de l’IS relatifs À l’annÉe 2023

 

LFI 2023

BEH

février 2023

PSTAB

avril 2023

BEE

juillet 2023

LFI 2024 / LFG 2023

BEH

février 2024

Exécution 2023

Bénéfice fiscal 2022

– 3,0 %

+ 4,0 %

+ 7,0 %

+ 2,0 %

+ 2,0 %

+ 3,5 %

+ 3,5 %

EBE SNF 2023

+ 6,1 %

Non renseigné

+ 9,9 %

+ 10,5 %

+ 11,3 %

+ 10,8 %

+ 13,9 %

Bénéfice fiscal 2023

+ 8,0 %

+ 8,0 %

+ 11,0 %

+ 11,0 %

+ 14,0 %

+ 2,0 %

+ 1,0 %

IS budgétaire net 2023

55,3 Md€

63,3 Md€

67,4 Md€

61,2 Md€

61,3 Md€

56,8 Md€

56,8 Md€

Note : SNF : sociétés non financières ; BEH : budget économique d’hiver ; BEE : budget économique d’été.

Source : commission des finances d’après les documents budgétaires et la direction générale du trésor.

En effet, jusqu’à la présentation du PSTAB en avril 2023, les prévisions de rendement d’IS de l’année 2023 ont été fortement revues à la hausse de 12,1 milliards d’euros, sous une double impulsion :

– la prévision d’évolution du bénéfice fiscal en 2023 s’est révélée ab initio très supérieure à la dynamique effectivement observée, avec un bénéfice fiscal en hausse de 1 % contre une prévision en LFI 2023 de 8 %. Cette surévaluation du bénéfice fiscal de l’année n de 7 points en début d’exercice est plus importante que la moyenne sur la période 2019-2023 (surévaluation de 3,9 points), mais cet écart n’est toutefois pas supérieur à la moyenne des écarts en valeur absolue, à la hausse ou à la baisse, sur la même période (écart moyen de ± 9,7 points). Ces écarts importants sont dus aux aléas entourant la prévision réalisée en n–1, notamment les composantes et le dynamisme de la croissance de l’année n, ainsi que l’effet du bénéfice fiscal n–1, non connu au moment de la première estimation du bénéfice fiscal de l’année n, sur ce dernier.

Cependant, l’estimation d’évolution du bénéfice fiscal en 2023 a été revue à la hausse au moment du PSTAB 2023, de 8 % à 11 %, en raison notamment d’une réévaluation de la progression de l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières de 6,1 % à 9,9 %. Cette estimation a permis d’augmenter la prévision d’IS net d’environ un milliard d’euros ;

– surtout, la prévision du bénéfice fiscal de 2022 a été fortement révisée à la hausse lors du budget économique d’hiver (BEH) de février 2023 puis lors du PSTAB 2023. En effet, à la suite de l’encaissement du cinquième acompte d’IS de 2022, supérieur de 2 milliards d’euros à la prévision de la LFI 2023, la prévision d’évolution du bénéfice fiscal en 2022 a été réévaluée à + 4 % (soit + 7 points de pourcentage) par la DGFIP ([124]) et intégrée au scénario du BEH 2023, entraînant un surcroît de recettes d’IS de 3,6 milliards d’euros sur le solde d’IS de 2022 et de 3,7 milliards d’euros sur les acomptes d’IS de 2023, assis sur le bénéfice fiscal 2022.

Cependant, la prévision d’évolution du bénéfice fiscal de 2022 a de nouveau été réévaluée à + 7 % en vue du PSTAB d’avril 2023, procurant 3,6 milliards d’euros de recettes supplémentaires d’IS. La justification sous-tendant cette révision du bénéfice fiscal de 2022 entre le BEH 2023 et le PSTAB 2023 demeure inexpliquée. En effet, le rapport de l’IGF de juillet 2024 relatif aux prévisions de recettes des prélèvements obligatoires indique qu’« au PSTAB 2023-2027, le bénéfice fiscal a été révisé en hausse à + 7 % par la DG Trésor sans que cette hypothèse soit justifiée par des données macroéconomiques ou comptables. Cette prévision s’éloignait, par ailleurs, de la dernière estimation de la DGFIP qui prévoyait une hausse du bénéfice fiscal de 4 % » ([125]).

De même, la révision à la hausse du rendement de l’IS dans le PSTAB 2023 contraste avec l’avis du HCFP relatif au PSTAB, qui précise que « [l]a baisse du taux de prélèvements obligatoires [en 2023] traduit une évolution spontanée, c’est-à-dire à législation constante, très inférieure à celle du PIB en valeur […] que le Gouvernement justifie notamment par un net ralentissement de l’impôt sur les sociétés » ([126]). À la suite du dépôt des comptes des entreprises en mai 2023, la prévision d’évolution du bénéfice fiscal pour 2022 a été revue à la baisse à + 2 %. Elle s’établira définitivement à 3,5 %.

● L’écart entre la prévision d’IS retenue en LFG pour 2023 et le rendement effectif de l’impôt est dû à une décorrélation du bénéfice fiscal par rapport à l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières. En effet, la LFG pour 2023 a retenu une prévision de rendement d’IS de 61,3 milliards d’euros, en progression de 6 milliards d’euros par rapport à la prévision LFI 2023. Cette prévision s’est avérée supérieure de 4,5 milliards d’euros au rendement net de l’IS en 2023 : cet écart est entièrement expliqué par un montant du cinquième acompte net de l’autolimitation de – 2,4 milliards d’euros, soit une moins-value de – 5,4 milliards d’euros par rapport à la prévision. Dans son avis relatif au PLFG 2023, le HCFP a souligné, sans évoquer un éventuel caractère optimiste de la prévision d’IS, que « les aléas portant sur cette prévision sont importants, du fait du rendement, par nature incertain, du « cinquième acompte » versé en décembre » ([127]).

La surestimation du montant du cinquième acompte d’IS a été provoquée par un écart majeur entre la prévision de croissance du bénéfice fiscal pour 2023 en LFG 2023 de 14 % et la dynamique observée de 1 %. Cette évolution a été décrite par M. Jérôme Fournel comme n’étant « pas […] cohérente avec la macroéconomie : malgré une augmentation de 13 % des excédents bruts d’exploitation, les recettes de l’impôt sur les sociétés stagnent » ([128]) . En effet, l’estimation d’évolution du bénéfice fiscal de 2023 reposait sur un dynamisme de l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières estimé à 11,3 % au moment de l’adoption de la LFG 2023, et finalement établi à 13,9 %. Si entre 2019 et 2022 l’évolution du bénéfice fiscal a été fortement corrélée à celle de l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières, le bénéfice fiscal connaît un net décrochage en 2023 par rapport à l’excédent brut d’exploitation de ces sociétés.

Comparaison de l’Évolution de l’EBE des sociÉtÉs non financiÈres
et du bÉnÉfice fiscal entre 2010 et 2023

Source : commission des finances d’après l’Insee (EBE des SNF) et Tome 1 des Voies et moyens annexé au PLF.

Cette décorrélation entre le bénéfice fiscal et l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières en 2023 s’explique par la composition de l’évolution de l’excédent brut d’exploitation. M. Jean‑Luc Tavernier, directeur général de l’Insee, a souligné que « l’effet de surprise concernant l’IS perçu au titre de l’année 2023 n’est pas tant lié à l’évolution d’indicateurs macroéconomiques tels que l’EBE qu’au passage de l’EBE au bénéfice fiscal, où il peut se produire beaucoup de mouvements en termes de déficits reportables, de provisions, etc. » ([129]).

Le passage de l’excédent brut d’exploitation au bénéfice fiscal a notamment été perturbé par le poids de l’évolution de l’excédent brut d’exploitation de certains secteurs économiques. Le rapport de l’IGF précité souligne le poids du secteur énergétique et du secteur des services immobiliers dans la décorrélation entre l’excédent brut d’exploitation et le bénéfice fiscal en 2023 :

– d’une part, M. Paul‑Armand Veillon, co‑auteur du rapport, a indiqué que « la crise énergétique a entraîné une forte hausse de l’excédent brut d’exploitation d’EDF, laquelle explique la moitié de la hausse de l’EBE global en 2023. En 2022, à l’inverse, EDF avait connu un déficit très important. Le choc énergétique a donc été à l’origine de la difficulté de la prévision » ([130]).

En ce sens, le rapport de l’IGF précise que « la hausse de l’EBE de 84 milliards d’euros s’explique pour moitié par l’augmentation de l’EBE d’EDF de 45 milliards d’euros. Or, il était prévisible que l’impôt sur les sociétés associé à cette entreprise serait proche de zéro au regard du déficit enregistré en 2022 et des publications financières infra-annuelles » ([131]) ;

– d’autre part, ce rapport met en évidence que la hausse de l’excédent brut d’exploitation « s’explique également par une augmentation dans le secteur des services immobiliers de 29 milliards d’euros » ([132]). La neutralisation de ces effets porterait l’évolution de l’excédent brut d’exploitation en 2023 à 1 %.

Par ailleurs, le faible dynamisme du secteur financier, qui représente environ 15 % des sociétés déclarantes d’IS, a amplifié la surestimation du bénéfice fiscal de 2023. Ce faible dynamisme est lié au contexte de hausse des taux d’intérêt en 2023.

En ce sens, M. Emmanuel Moulin, directeur général du trésor jusqu’en janvier 2024, a précisé que « la situation du secteur financier s’est révélée lors du versement du cinquième acompte, et ce phénomène pouvait assez difficilement être anticipé. Ce secteur rapporte son EBE de manière globale, y compris celui résultant de ses nombreuses activités internationales. Mais la situation domestique du secteur financier a été affectée par une question de gestion de l’actif et du passif. Lorsque les taux d’intérêt augmentent, le coût de la ressource s’accroît mais, comme l’actif est composé essentiellement de prêts immobiliers à taux fixes, cela entraîne une dégradation des profits des établissements financiers. Nous n’avions pas perçu cette dernière lorsque nous avons fait les prévisions » ([133]). L’évolution de leur bénéfice fiscal en 2023 s’est établie à – 15 %.

● En 2024, les recettes nettes d’IS budgétaire devraient s’établir à 57,4 milliards d’euros, en moins-value de 14,6 milliards d’euros par rapport à la prévision de la LFI 2024, soit – 20,2 %.

Évolution de la prÉvision du rendement de l’IS net budgÉtaire en 2024

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les documents budgétaires et la Cour des comptes.

Cette moins-value a été majoritairement provoquée par les effets de la surévaluation de l’évolution du bénéfice fiscal de 2023, et dans une moindre mesure, par la dégradation des prévisions du bénéfice fiscal de 2024.

Évolution des indicateurs de prÉvision de l’IS relatifs À l’annÉe 2024

 

LFI 2024

BEH

février 2024

PSTAB avril 2024

BEE

juillet 2024

LFI 2025 /

LFG 2024

Bénéfice fiscal 2023

+ 14,0 %

+ 2,0 %

+ 2,0 %

+ 1,0 %

+ 1,0 %

EBE SNF 2024

+ 3,7 %

Non renseigné

+ 2,9 %

– 0,1 %

– 3,9 %

Bénéfice fiscal 2024

+ 4,0 %

+ 3,0 %

+ 3,0 %

– 1,0 %

– 1,9 %

IS budgétaire net 2024

72 Md€

60,9 Md€

60,9 Md€

58,1 Md€

57,4 Md€*

* La prévision correspond à l’exécution provisoire en février 2025.

Source : commission des finances d’après les documents budgétaires, la direction générale du trésor et la Cour des comptes.

Le net ralentissement du bénéfice fiscal en 2023 par rapport aux prévisions, identifié à partir du cinquième acompte de l’année et estimé à + 2 % à partir du budget économique d’hiver de 2024, entraîne une révision de la prévision de l’IS net fixée à 60,9 milliards d’euros, soit une baisse de 11,1 milliards d’euros, qui est retenue lors de la présentation du PSTAB 2024.

À la suite du dépôt des comptes des entreprises, en mai 2024, et suivant les remontées comptables de juin, la croissance du bénéfice fiscal en 2023 a été révisée à 1 %, entraînant des moindres recettes d’IS de – 1,4 milliard d’euros en 2024, réparties en parts égales entre l’effet sur le solde 2023 et l’effet sur les acomptes 2024 ([134]). Au total, l’écart à la prévision de croissance du bénéfice fiscal de 2023 a provoqué une moins-value de 12,5 milliards d’euros des recettes nettes d’IS en 2024.

La prévision d’évolution du bénéfice fiscal de 2024 explique le reste de l’écart de prévision des recettes d’IS en 2024. En effet, le budget économique d’été de juillet 2024 a retenu une croissance négative du bénéfice fiscal de – 1 % (contre un bénéfice fiscal en hausse de + 4 % dans le PSTAB 2024), expliquée par « une contraction significative du secteur financier français en raison des répercussions de la forte hausse des taux directeurs » ([135]), et entraînant des moindres recettes nettes d’IS de 1,4 milliard d’euros en 2024. La dynamique du bénéfice fiscal en 2024 a de nouveau été revue à la baisse à – 1,9 % lors de la présentation du PLF pour 2025, répondant à un ralentissement de l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières. Les recettes d’IS net en 2024, prévues à 57,7 milliards d’euros par la LFG pour 2024, s’établiraient finalement à 57,4 milliards d’euros selon la Cour des comptes ([136]).

c.   L’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux : les difficultés de prévision de l’évolution de la masse salariale

● L’impôt sur le revenu (IR) ainsi que les cotisations sociales et les prélèvements sociaux ont subi, en 2023 et 2024, des écarts négatifs aux prévisions liés au ralentissement de la masse salariale.

Évolution des recettes de l’impÔt sur le revenu, des cotisations sociales et des prÉlÈvements sociaux en 2023

(en milliards d’euros)

 

2023

 

Prévision LFI-LFSS

Prévision PSTAB

Prévision PLFG

Exécution

Écart à la prévision LFI-LFSS

Écart à la prévision PLFG

IR net

87,3

89,1

90

88,6

+ 1,3

– 1,4

Cotisations sociales

407,2

409,2

412,2

405,3

– 1,9

– 6,9

Prélèvements sociaux

Non renseigné

Non renseigné

172,9

172,2

-

– 0,7

dont CSG

144,9

Non renseigné

147,9

148,1

+ 3,1

+ 0,1

Source : commission des finances d’après les documents budgétaires, l’Inspection générale des finances et la Cour des comptes.

En 2023, si les recettes nettes d’impôt sur le revenu s’établissent en hausse de 1,3 milliard d’euros par rapport à la prévision de la LFI pour 2023, l’écart par rapport à la prévision du PLFG pour 2023 est négatif, atteignant  1,4 milliard d’euros, soit – 1,6 %. De même, les recettes de cotisations sociales se situent en deçà des prévisions du PLFG de 6,9 milliards d’euros (soit une baisse de – 1,7 %), dont 4,9 milliards d’euros hors effet de changement de base de l’Insee (voir infra), et les prélèvements sociaux ont connu une moins-value de – 0,7 milliard d’euros. Ces écarts marqués aux prévisions de la fin de l’année 2023 traduisent un ralentissement non anticipé de la masse salariale dans la seconde moitié de l’année 2023.

Le ralentissement de la masse salariale est aussi principalement à l’origine des écarts aux prévisions de l’année 2024 : la moins-value sur les recettes d’IR se situe à – 6,1 milliards d’euros par rapport à la prévision du PLF pour 2024, soit – 6,5 %, tandis que les cotisations sociales sont en recul de – 3,9 milliards d’euros, soit – 0,9 %, et les prélèvements sociaux de – 2,1 milliards d’euros, soit – 1,2 %.

Évolution des recettes de l’impÔt sur le revenu, des cotisations sociales et des prÉlÈvements sociaux en 2024

(en milliards d’euros)

 

2024

 

Prévision
PLF-PLFSS

Prévision PSTAB

Prévision LFI 2025

Écart à la prévision

PLF-PLFSS

IR net

94,1

90,7

88

– 6,1

Cotisations sociales

426,3

420

422,4

– 3,9

Prélèvements sociaux

180,6

Non renseigné

178,5

– 2,1

dont CSG

154,1

Non renseigné

153,0

 1,1

Source : commission des finances d’après les documents budgétaires, l’Inspection générale des finances et la Cour des comptes.

Aussi, les écarts entre les recettes d’IR, de cotisations sociales et de prélèvements sociaux de 2023 et 2024 et les prévisions du PLFG pour 2023 et du PLF pour 2024 sont les plus importants depuis 2014 hors crise sanitaire. Toutefois, si les écarts aux prévisions sur ces prélèvements représentent, du fait de leur poids au sein des prélèvements obligatoires (54,7 % des prélèvements obligatoires en 2023 et 55,1 % en 2024), 31 % des moins-values de recettes en 2023 et 30 % en 2024, ces prélèvements sont peu volatils, car leur principal déterminant, la masse salariale, est étroitement lié à l’évolution de la croissance en valeur.

● La construction de la prévision de recettes de l’impôt sur le revenu, des prélèvements sociaux et des cotisations sociales dépend des modalités de versement de ces prélèvements et des sous-jacents économiques à ceux-ci.

L’IR perçu au cours de l’année n dépend de versements d’origines diverses selon le type de revenu catégoriel, ce dernier étant estimé via des variables macroéconomiques.

Les modalités de versement de l’IR sont complétées par des régularisations de l’impôt dû à l’été de l’année n+1, pour les prélèvements non libératoires (prélèvement à la source et acomptes), qui donnent lieu à des remboursements au bénéfice des contribuables lorsque le prélèvement à la source excède l’impôt effectivement dû, ou en cas d’erreur. Les crédits d’impôt sur le revenu peuvent également donner lieu à des paiements et à des versements d’acomptes.

En outre, alors que l’assiette de l’IR est assise sur les revenus de l’année n, les taux d’IR dépendent des revenus de l’année n2 (jusqu’à l’été de l’année n) et de ceux de l’année n1 (à partir de la régularisation de l’été de l’année n). Par ailleurs, le barème de taux de l’IR est traditionnellement revalorisé suivant l’évolution de l’inflation, et non pas l’évolution de la masse salariale. Si ces variables peuvent entraîner des aléas dans la prévision de recettes d’IR, cette prévision est essentiellement déterminée par l’évolution de la masse salariale.

Sous-jacent macroÉconomique et modalitÉs de versement de l’impÔt
sur le revenu par revenu catÉgoriel

Revenu catégoriel

Sous-jacent macroéconomique

Modalités de versement

Traitements et salaires

Masse salariale totale hors primes exceptionnelles

Prélèvement à la source (tiers-collecteurs)

Pensions de retraite

Retraites privées et CAS Pensions

Allocations chômage

Nombre de chômeurs

Bénéfices industriels et commerciaux

Excédent brut d’exploitation des sociétés non financières et des entreprises individuelles

Acomptes

Bénéfices non commerciaux

Indice des prix à la consommation santé

Bénéfices agricoles

Produit intérieur brut en valeur

Revenus fonciers

Indice de référence des loyers

Acomptes

Revenus des capitaux mobiliers

Évolution des dividendes et des intérêts

Prélèvement forfaitaire unique (prélevé par les établissements financiers)

Plus-values mobilières

Évolution du CAC 40

Plus-values immobilières

Évolution du marché immobilier (prix/volume)

Imposition forfaitaire (prélevée par les notaires)

Source : communication de M. Charles de Courson, rapporteur général, à la commission des finances et Cour des comptes.

Ces constats ont été confirmés par Mme Amélie Verdier, actuelle directrice générale des finances publiques, qui a affirmé que « l’impôt sur le revenu possède une dynamique relativement proche de celle de la croissance nominale de l’année précédente, puisqu’il est assis sur les revenus perçus lors de celle-ci. Toutefois, de nombreux facteurs peuvent provoquer un écart à la tendance, qu’il soit positif ou négatif, ne serait-ce que parce que l’indexation des tranches du barème ne coïncide pas toujours avec l’inflation constatée ex post, que des remboursements et crédits d’impôt peuvent s’appliquer du fait de changements législatifs ou de changements de comportements – nous établissons d’ailleurs des prévisions de comportements – ou que l’impôt sur le revenu peut être conjugalisé. Pour toutes ces raisons, la prévision des recettes de l’impôt sur le revenu n’est fiable qu’à la toute fin de l’année en cours ; elle est affinée à partir de l’été, après les premières émissions, et des ajustements de taux de prélèvement peuvent avoir lieu en septembre. Nous observons alors l’effet des remboursements et crédits d’impôt déclarés par les contribuables : le plus souvent incitatifs ou rendus possibles par la situation du contribuable, ils ne sont pas liés à une dynamique macroéconomique » ([137]).

Les prévisions des recettes de cotisations sociales et de prélèvements sociaux sont également déterminées par l’évolution de la masse salariale, mais d’autres variables influent sur leur niveau :

– les prélèvements sociaux sont majoritairement assis sur les revenus d’activité et de remplacement (88 % du rendement de la CSG) mais reposent également sur les revenus du capital, et accessoirement sur d’autres assiettes (par exemple la CSG sur le produit des jeux) ;

– les cotisations sociales dépendent de l’évolution de la masse salariale, mais la décomposition de celle-ci peut fortement altérer l’évolution du rendement des cotisations. En effet, M. Franck von Lennep, directeur de la sécurité sociale jusqu’en avril 2024, a précisé que « si la masse salariale constitue l’assiette [des cotisations sociales], les recettes ne sont pas exactement proportionnelles à son évolution, car il y a d’autres paramètres à prendre en compte. Il faut estimer la répartition entre masse salariale plafonnée et masse salariale déplafonnée, car les cotisations de la sécurité sociale ne sont pas les mêmes au-dessus et en dessous du plafond. Et[…] il faut aussi bâtir des hypothèses sur l’évolution différenciée des salaires suivant leur niveau », les allègements de cotisations sociales étant déterminés par rapport au SMIC ([138]).

● Les écarts constatés entre les prévisions d’IR, de prélèvements sociaux et de cotisations sociales sont principalement dus à un ralentissement de la masse salariale plus rapide qu’anticipé en 2023.

Évolution de la masse salariale et du salaire moyen par tÊte
des branches marchandes non agricoles en 2023

(en %)

 

PLF 2023

LFI 2023

BEH février 2023

PSTAB avril 2023

BEE juillet 2023

PLFG 2023

Exécution 2023

Masse salariale BMNA

5

4,8

5,3

6,1

6,3

6,5

5,3

SMPT BMNA

4,2

Non renseigné

Non renseigné

Non renseigné

Non renseigné

5,3

4,1

Croissance PIB en valeur

4,6

4,6

5,9

6,5

6,3

6,8

6,5

BMNA : branches marchandes non agricoles ; SMPT : salaire moyen par tête.

Source : commission des finances d’après les documents budgétaires et la direction générale du trésor.

En effet, l’évolution de la masse salariale des branches marchandes non agricoles (BMNA), qui dépend de celle de l’emploi et du salaire moyen par tête (SMPT) des BMNA, est un facteur déterminant dans l’évolution du rendement de l’IR, des cotisations sociales et des prélèvements sociaux. Aussi, alors que les prévisions d’évolution de la masse salariale et du SMPT des BMNA en 2023 ont été fortement revues à la hausse, en lien avec une croissance du PIB en valeur plus importante liée à la persistance de l’inflation et un rattrapage des salaires par rapport à l’inflation subie depuis 2022, la décélération de la masse salariale à partir de la deuxième moitié de l’année n’a pas été anticipée, sa dynamique s’étant révélée – 1,2 point en deçà de l’estimation du PLFG pour 2023.

Ce ralentissement avait été identifié par le HCFP dans son avis relatif au PLFG pour 2023, où il jugeait la prévision de croissance de la masse salariale « un peu élevée » ([139]). Le Haut Conseil s’est appuyé sur les remontées mensuelles de l’Urssaf de juillet et août 2023, qui « témoign[aient] d’un net ralentissement » de la masse salariale et a émis l’hypothèse d’une croissance de 6 % de celle-ci (contre 6,5 % dans le PLFG pour 2023). Selon l’IGF, la non-exploitation de ces données aurait entraîné une surestimation de 2,1 milliards d’euros des cotisations et prélèvements sociaux assis sur l’activité lors du dépôt du PLFG pour 2023.

PrÉvisions et exÉcution des recettes d’impÔt sur le revenu net en 2023

(en milliards d’euros)

LFI 2023

BEH 2023

PSTAB 2023

BEE 2023

PLF 2024

LFG 2023

Exécution 2023

87,3

89,3

89,1

89,5

90,7

90

88,6

Source : commission des finances d’après les documents budgétaires.

Ainsi, alors que la prévision d’IR net avait été réévaluée de 87,3 milliards d’euros dans la LFI 2023 à 90 milliards d’euros dans la LFG 2023, le ralentissement de la masse salariale a provoqué une moins-value de – 1,4 milliard d’euros à la dernière prévision.

PrÉvision et exÉcution des recettes de Contribution sociale gÉnÉralisÉe et de cotisations sociales relevant du pÉrimÈtre des LFSS en 2023

(en milliards d’euros)

 

PLFSS 2023

PLFRSS janvier 2023

CCSS mai 2023

CCSS septembre

2023

PLFSS 2024

Exécution 2023

CSG brute

144,9

145,2

147,9

148,3

147,9

148,1

dont CSG revenus d’activité

102,7

102,7

104,6

105,1

105,0

104,7

Cotisations sociales LFSS (ROBSS + FSV)

290,2

290,1

291,5

295,3

295,3

293,3

CCSS : commission des comptes de la sécurité sociale.

Source : commission des finances d’après la direction de la sécurité sociale.

De même, si les prévisions de recettes de CSG et de cotisations sociales relevant du périmètre des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) ont été fortement revues à la hausse à l’occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024, du fait de l’actualisation de la prévision d’évolution de la masse salariale, les recettes effectivement perçues se sont révélées en deçà des prévisions de  2,2 milliards d’euros pour les cotisations relevant du périmètre des LFSS et de – 0,3 milliard d’euros pour la CSG assise sur les revenus d’activité. Ce dernier écart est toutefois compensé par le dynamisme de la CSG assise sur les revenus de remplacement et du capital.

Ces écarts témoignent des difficultés de prévoir l’effet de l’inflation sur la distribution de la masse salariale et sur la hausse relative des différents niveaux de salaire. En effet, M. Franck von Lennep, ancien directeur de la sécurité sociale, a affirmé que « l’inflation a évidemment eu en 2022 et 2023 des conséquences très directes sur notre capacité à évaluer précisément les recettes et les dépenses. […] Dans le cadre de nos prévisions concernant l’évolution des cotisations sociales, par exemple, nous avions des simulations et des hypothèses à faire au sujet du poids des allègements généraux de cotisations. Ils ne peuvent se calculer selon l’évolution moyenne de la masse salariale, mais en fonction de l’évolution de chaque niveau de salaire, les allègements généraux étant décroissants. La manière dont l’inflation touche l’évolution des salaires, bas et médians, a donc une traduction très directe sur le calcul des allègements généraux » ([140]).

M. von Lennep a ajouté que la moins-value sur les cotisations sociales connue en 2023 a été atténuée par une hypothèse d’évolution des allègements généraux supérieure à l’évolution effectivement constatée, expliquant que l’hypothèse relative aux allègements généraux « que nous avions retenue en septembre 2023 était d’ailleurs assez dynamique, car nous avions constaté que le niveau du smic était lui-même plus dynamique que le reste des salaires. Il s’est d’ailleurs avéré, lors de l’arrêté des comptes, que nous avions surévalué les allègements généraux, car nous avions surévalué la masse salariale. Celle-ci a finalement progressé de 5,7 %, au lieu de 6,3 %, mais il y a aussi eu moins d’allègements généraux que prévu ».

● En 2024, les recettes d’IR, de prélèvements sociaux et de cotisations sociales ont également pâti d’un moindre dynamisme de la masse salariale ainsi que de l’effet base de 2023.

Évolution de la masse salariale et du salaire moyen par tÊte
des branches marchandes non agricoles en 2024

(en %)

 

PLF 2024

BEH 2024

PSTAB 2024

BEE 2024

PLF 2025

Masse salariale BMNA 2024

3,6

3,1

2,9

3,2

2,9

SMPT 2024

3,1

Non renseigné

2,7

2,9

2,8

Source : commission des finances d’après les documents budgétaires et la direction générale du trésor.

L’impôt sur le revenu a connu une moins-value de – 6,1 milliards d’euros entre la prévision retenue au PLF pour 2024 et l’exécution.

PrÉvisions et exÉcution des recettes d’impÔt sur le revenu net en 2024

(en milliards d’euros)

PLF 2024

LFI 2024

BEH 2024

PSTAB 2024

BEE 2024

LFG 2024

Exécution 2024

94,1

93,4

92,1

90,7

90,1

88,1

88,0

Source : commission des finances d’après les documents budgétaires.

Cet écart est constitué à 2,1 milliards d’euros de l’effet base 2023, égal à la moins-value enregistrée par l’IR 2023 entre la prévision du PLF pour 2024 et l’exécution 2023. Les 4 milliards d’euros d’écart supplémentaires pour les recettes d’IR 2024 sont essentiellement dus à l’évolution des sous-jacents de l’IR en 2023. En ce sens, M. Charles de Courson, rapporteur général de la commission des finances, a indiqué que « [p]our l’exercice 2024, sur les 6 milliards d’euros de moins-value entre les prévisions de recettes d’IR inscrites en PLF pour 2024 et celles révisées en PLF pour 2025, 3,6 milliards d’euros s’expliquent par une réévaluation de la masse salariale compte tenu des remontées comptables. Plus précisément :

«  2,7 milliards d’euros sont imputables à une moindre croissance des revenus réels et des plus-values mobilières en 2023 ;

«  0,5 milliard d’euros résulte de la baisse des taux du barème du prélèvement à la source pour certains contribuables, ajustés en septembre 2024 sur le fondement de la déclaration des revenus 2023 ;

«  0,4 milliard d’euros provient de la hausse des recouvrements pour émissions antérieures, en lien avec les ajustements comptables » ([141]).

Évolution des prÉvisions de recettes de CSG et de cotisations sociales relevant du pÉrimÈtre des LFSS en 2024

(en milliards d’euros)

 

PLFSS 2024

CCSS mai 2024

PLFSS 2025

CSG brute

154,1

153,6

153

dont CSG revenus d’activité

109,0

108,2

107,9

Cotisations sociales LFSS (ROBSS + FSV)

306,4

303,7

305,4

Source : commission des finances d’après la direction de la sécurité sociale.

Les recettes de cotisations sociales, relevant du périmètre des LFSS, et de CSG connaissent également des écarts négatifs entre la prévision initiale et la prévision actualisée du PLFSS pour 2025, respectivement de – 1 milliard d’euros et de – 1,1 milliard d’euros.

Les moins-values sur les prélèvements assis sur les revenus d’activité s’expliquent en partie par la reprise en base des recettes 2023 et par le moindre dynamisme de la masse salariale.


d.   La contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité : une erreur de prévision majeure manifeste dès le début de l’année 2023

La contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (CRIM), impôt créé dans la loi de finances pour 2023 dont les recettes se sont révélées nettement inférieures aux prévisions, reflète toutes les difficultés liées à l’estimation des effets des mesures nouvelles introduites en cours de débat.

  1.   Un dispositif de taxation exceptionnelle de la rente des producteurs d’électricité

La CRIM est une taxation temporaire qui vise à réduire les potentielles marges exceptionnelles réalisées par les producteurs d’électricité bénéficiant de coûts marginaux de production stables dans un contexte d’augmentation des prix de l’électricité. Elle prend la forme d’une taxation à 90 % des marges excédant un seuil forfaitaire.

Une hausse du prix de l’électricité à l’origine de rentes pour les énergéticiens

Le marché de l’électricité se décompose en un marché de court terme (« spot ») et un marché de long terme. Le marché spot fixe les prix de l’électricité au jour le jour en fonction de l’offre et de la demande au niveau européen. Le prix spot est donc fixé en fonction du coût marginal de la dernière unité de production mobilisée, généralement une centrale à gaz. Les marchés à terme fixent les prix pour des échanges d’électricité sur des durées de plusieurs mois ou années. Ils demeurent cependant fortement influencés par les variations du prix spot.

Par conséquent, la forte hausse des prix du gaz consécutive à la sortie de crise sanitaire et aux conséquences de la guerre en Ukraine a conduit à une augmentation considérable des prix du marché de l’électricité en Europe. Or le marché français se caractérise par une forte proportion d’électricité décarbonée (nucléaire 69 %, hydraulique 12 %, éolien 7 %) dont les coûts de production sont décorrélés des prix du gaz. Les producteurs d’électricité français ont donc réalisé des marges importantes durant cette période.

Introduite par un amendement du Gouvernement au PLF pour 2023 ([142]), la CRIM met en œuvre les dispositions des articles 6 et 7 du règlement (UE) 2022/1854 du Conseil du 6 octobre 2022. Elle vise les producteurs d’électricité qui ont bénéficié de la hausse des prix de l’électricité entre le 1er juillet 2022 et le 31 décembre 2023 selon trois périodes de taxation :

– du 1er juillet 2022 au 30 novembre 2023 (P1) ;

– du 1er décembre 2022 au 30 juin 2023 (P2) ;

– du 1er juillet 2023 au 31 décembre 2023 (P3).

La CRIM a par la suite été prorogée par la LFI 2024 avec un taux de taxation de 50 % des rentes infra marginales et une revalorisation des seuils de prix de 5 % afin de prendre en compte les effets de l’inflation.

  1.   Une moins-value de – 86,2 % par rapport à la prévision de la LFI 2023

Les prévisions de recettes de la CRIM ont été formées par le Gouvernement à partir de deux sources principales :

– EDF a réalisé l’estimation initiale de sa propre contribution pour un montant de 5 milliards d’euros ;

– la Commission de régulation de l’énergie a réalisé l’estimation pour le périmètre des énergies renouvelables, hors « gros hydraulique », pour un montant de 8,8 milliards d’euros.

Le premier amendement du Gouvernement du 19 octobre 2022, réalisé à partir de ces prévisions, chiffrait les prévisions de recettes à 7 milliards d’euros. Lors du débat parlementaire, le 17 novembre 2022, le Gouvernement a rehaussé ce chiffre de 5,3 milliards d’euros compte tenu « de nouvelles informations disponibles à date, entrainant une hausse de la contribution » ([143]). Le chiffrage du rendement de la CRIM retenu dans le cadre de la LFI 2023 a donc finalement été de 12,3 milliards d’euros, un chiffre inférieur à la somme des estimations réalisées par EDF et la Commission de régulation de l’énergie.

Ce chiffrage a toutefois été revu à la baisse tout au long de l’année 2023. Le PSTAB 2023 envisage ainsi un rendement de 4,6 milliards d’euros dès février 2023. La prévision est abaissée à 3,7 milliards d’euros dans le PLF pour 2024 en octobre 2023 puis à 2,8 milliards d’euros dans le PLFG pour 2023 en novembre 2023. Le rendement finalement constaté en 2023 s’est élevé à 600 millions d’euros en comptabilité budgétaire.

Ce rendement ne prenant en compte que les paiements au titre de la période P1 et les acomptes pour les périodes P2 et P3, des recettes supplémentaires ont été perçues en juillet 2024 au titre de l’année 2023 portant le rendement total de la CRIM au titre des années 2022 et 2023 à 1,7 milliard d’euros. La moins-value constatée s’élève ainsi à 10,6 milliards d’euros (– 86,2 %) par rapport à la LFI 2023 et à 1,7 milliard d’euros par rapport à la LFG pour 2023 (– 50 %).

Estimations successives des recettes de la CRIM

Source : Cour des comptes, La prévision des recettes fiscales de l’État entre 2014 et 2023, décembre 2024, page 84.

La Cour des comptes ([144]) comme l’IGF ([145]) ont toutefois souligné que l’évolution des recettes de la part des énergies renouvelables suggérait des comportements de sous‑déclaration de la part de certains acteurs, notamment ceux ayant effectué des résiliations anticipées de contrats de soutien. La réalisation de contrôles de ces déclarations est donc susceptible de révéler des recettes supplémentaires.

Par ailleurs, comme l’a noté M. Jérôme Fournel, ancien directeur général des finances publiques, au cours de son audition « ces recettes [de la CRIM] sont inversement corrélées aux dépenses induites par les mesures de compensation prises par les États européens face à l’augmentation des prix de l’énergie ». Les conséquences de la moins-value en recettes de la CRIM ont donc pu être partiellement compensées par une baisse du coût des mesures de soutien aux ménages et aux entreprises avec la baisse des prix de l’énergie.

Évolution des prÉvisions de rendement de la CRIM au cours de l’annÉe 2023

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les documents budgétaires

  1.   Un chiffrage fondé sur des hypothèses maximalistes des prix de l’électricité

Comme le note la Cour des comptes ([146]), « [l]e chiffrage est intervenu à partir d’hypothèses de prix de l’électricité correspondant aux cotations de prix de gros sur les périodes de juillet-août 2022, périodes pendant lesquelles ceux-ci ont atteint leur maximum, soit 517  ». Ce prix de 517 euros correspond à une hypothèse imposée par le Gouvernement dans sa demande à la Commission de régulation de l’énergie. Celle-ci retenait toutefois dans son propre chiffrage une hypothèse proche d’environ 500 euros / mégawattheure (MWh) en moyenne sur l’année 2023, tout en indiquant « aux administrations que les chiffrages reposaient sur un certain nombre d’hypothèses et que l’estimation du rendement devrait être affinée au cours de l’exercice budgétaire ».

Évolution des hypothÈses de prix de l’ÉlectricitÉ
sur le marchÉ spot au cours de l’annÉe 2023

(en euros/MWh)

LFI 2023
(oct. 22)

PSTAB 2023
(fév. 23)

PLF 2024
(oct. 23)

LFG 2023
(nov. 23)

Constaté

517

169

115

106

97

Source : Commission des finances d’après Cour des comptes, La prévision des recettes fiscales de l’état entre 2014 et 2023, décembre 2024.

La moins-value de la CRIM s’explique donc essentiellement par la surestimation dans les prévisions initiales des prix de l’électricité envisagés en 2023. Celles-ci apparaissent cohérentes avec le niveau des prix observés sur le marché à terme, censé refléter les tendances du marché, qui atteignaient alors environ 700 euros en raison de la forte volatilité des prix et de la maintenance de nombreuses centrales nucléaires gérées par EDF ([147]).

  1.   Une modification des modalités de calcul et de paiement initiales ayant réduit le rendement de la contribution

Pour chaque période assujettie, la contribution correspond à la fraction des revenus de marché de l’exploitant excédant un seuil forfaitaire différent en fonction de la technologie de production après un abattement de 10 %. Les installations dont la production d’électricité fait l’objet de prix régulés indépendants de l’évolution du marché ne sont pas soumises à la taxation ([148]).

Ces modalités de calcul initiales ont toutefois été précisées par plusieurs évolutions législatives et règlementaires. La Cour des comptes ([149]) identifie trois ajustements des modalités de calcul de la CRIM par rapport aux prévisions qui ont eu pour conséquence de réduire son produit : l’introduction du foisonnement, le lissage de la contribution et l’évolution des modalités de calcul de l’acompte.

Le foisonnement a été introduit par un amendement du Gouvernement le 17 novembre 2022 durant l’examen du PLF au Sénat. Il modifie les modalités de calcul de la CRIM en permettant une compensation entre les pertes et les gains des différentes filières au sein d’une même personnalité morale. Ce faisant, il conduit logiquement à une minoration des recettes de la CRIM. La Cour des comptes estime donc que « l’absence d’ajustement des prévisions de rendement de la CRI après le vote de l’amendement introduisant le foisonnement a été en partie à l’origine de la moins-value constatée en exécution ».

Quant au lissage de la contribution et aux modalités d’acompte, ils résultent de deux modifications du dispositif initialement envisagé introduites par voie réglementaire ([150]) :

– la possibilité de reporter 80 % des pertes constatées lors de la période 1 sur les périodes 2 et 3. Quoiqu’anticipée pour EDF, cette disposition a conduit à un report des pertes de l’entreprise durant la période P1 sur les périodes suivantes. La contribution d’EDF a de ce fait été pratiquement nulle ;

– l’évolution des modalités de calcul de l’acompte finalement calculé sur la base de 80 % du produit réalisé par référence au prix spot. Les estimations de la Commission de régulation de l’énergie reposaient sur mix de ventes à terme et de ventes au prix spot. La Cour des comptes estime qu’« [i]l en est résulté une minoration possible des acomptes versés en 2023, avec un report de fait sur le solde acquitté en juillet 2024 » ([151]).

Il convient de noter qu’EDF, contrairement à la Commission de régulation de l’énergie, avait intégré une partie de ces ajustements à ses prévisions en prévoyant une règle de report de 85 % des pertes de la période 1 sur les périodes 2 et 3 et en appliquant un foisonnement. Toutefois, comme le note la Cour des comptes, la Commission de régulation de l’énergie avait pris la précaution d’informer les administrations par mail, le 6 décembre 2022, du « caractère très approximatif des hypothèses […] de [son] chiffrage » et notamment « de la taxation à la maille de l’installation et non de l’ensemble des installations d’un producteur relevant d’un même seuil (alors que des foisonnements seraient possibles en pratique) ».

e.   Les recettes des droits de mutation à titre onéreux continuellement revues à la baisse, dans un contexte de crise du marché immobilier

Les recettes des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) se sont révélées inférieures à la prévision initiale à la fois pour l’année 2023 ( 2,7 milliards d’euros en comptabilité nationale) et pour 2024 (– 2,4 milliards d’euros dans la dernière prévision associée à la loi des finances pour 2025).

Évolution des DMTO en ressources des collectivitÉs locales

Source : commission des finances d’après les données de l’Insee et du ministère de l’économie et des finances.

Les recettes des DMTO ont atteint un point haut en 2022 mais la seconde moitié de l’année 2022 laissait déjà présager une évolution négative du marché immobilier dans un contexte de remontée de l’inflation, d’accroissement des coûts de construction et d’augmentation des taux d’intérêt. Si le Gouvernement a bien anticipé la diminution du produit de ces taxes, il a néanmoins sous-estimé l’ampleur du retournement qui s’est produit en 2023 puis 2024.

Les associations d’élus locaux, comme elles l’ont indiqué à la commission, ont alerté sur l’optimisme des prévisions associées aux projets de loi de finances pour 2023 et pour 2024. Ainsi, M. Jean‑Léonce Dupont, vice‑président délégué de l’association des Départements de France a affirmé que « [d]ès le second semestre 2022, nous savions que la courbe des recettes des DMTO s’inversait. Au cours d[‘une] réunion […] au premier semestre 2023, les services de Bercy évoquaient une baisse de ces recettes de 6 %. Nous avons indiqué qu’elle serait au moins de 15 %, mais il n’en a absolument pas été tenu compte. La baisse a finalement été encore plus marquée. » ([152]). Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales, a confirmé que « [l]’ensemble des départements avaient également prévu cette évolution, comme l’attestent leurs budgets primitifs, qui reposaient sur des prévisions très prudentes » ([153]).

Le Haut Conseil des finances publiques avait lui aussi qualifié d’hypothèse favorable les prévisions présentées par le Gouvernement. Dans son avis sur le PLF pour 2023, il estime que « la baisse prévue des DMTO (- 3,7 %) paraît justifiée par le ralentissement en cours des transactions immobilières et pourrait même être plus forte, en réponse au net durcissement attendu des conditions de financement » ([154]). Dans son avis sur le PLF pour 2024, il allait plus loin en indiquant que « la stabilité des recettes prévues de DMTO paraît optimiste compte tenu de la tendance actuelle de baisse des prix et des volumes de transactions immobilières » ([155]).

Évolution des prÉvisions de recettes des DMTO en 2023

Source : commission des finances d’après les données du ministère de l’économie et des finances.

Si l’on ne peut nier un certain volontarisme dans les prévisions de recettes des DMTO, il est en revanche inexact d’affirmer que le Gouvernement n’a pas réagi aux alertes qui lui étaient adressées. En 2023 comme en 2024, à l’exception notable du PSTAB 2023, les prévisions ont été continuellement révisées à la baisse, au fur et à mesure que les remontées comptables se révélaient inférieures aux anticipations.

Évolution des prÉvisions de recettes des DMTO en 2024

Source : commission des finances d’après les données du ministère de l’économie et des finances.

Le rapport de l’IGF confirme lui aussi la thèse d’une hypothèse favorable dans la prévision du produit des DMTO lors des budgets économiques d’été de 2024, évaluée à 1,1 milliard d’euros, « avec un scénario immobilier optimiste, s’écartant des prévisions des autres prévisionnistes ». Il ajoute cependant que « la prévision a été révisée conformément aux remontées pour le PLFG : la prévision était donc non-biaisée à cette échéance » ([156]).

 


2.   Des écarts aggravés par un creusement des dépenses publiques en dehors du périmètre des dépenses de l’État

Les dépenses publiques des sous-secteurs d’administration publique (administrations publiques centrales, administrations publiques locales et administrations de sécurité sociale) ont connu des évolutions contrastées en 2023 et 2024 : alors que la dépense de l’État reste maîtrisée, particulièrement à l’intérieur du périmètre des dépenses de l’État (PDE), la dépense locale et la dépense sociale sont dépourvues de moyens de pilotage infra-annuels.

Le rapporteur Éric Ciotti déplore le caractère lacunaire et indigent des réponses apportées par la direction générale du trésor au questionnaire des rapporteurs, qui empêche de mener une analyse détaillée de l’évolution des dépenses par sous‑secteurs d’administration publique.

a.   Les dépenses de l’État : des dépenses pilotables à l’intérieur du périmètre des dépenses de l’État

● Le périmètre des dépenses de l’État (PDE), agrégat qui regroupe les dépenses pilotables du budget de l’État, a été maîtrisé en 2023 et en 2024.

La définition du périmètre des dépenses de l’État

Le périmètre des dépenses de l’État constitue la norme de dépenses de l’État fixée par l’article 10 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Il est constitué des éléments suivants :

– Les crédits du budget général, hors dépenses de contribution au compte d’affectation spéciale (CAS) Pensions, hors mission Remboursements et dégrèvements, hors programme 117 Charge de la dette et trésorerie de l’État, hors programme 355 Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État et hors programme 369 Amortissement de la dette de l’État liée à la covid19 ;

– les taxes affectées aux tiers autres que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes de sécurité sociale faisant l’objet d’un plafond annuel en loi de finances ;

– les budgets annexes ;

– les CAS, hors programme 721 Contribution des cessions immobilières au désendettement de l’État du CAS Gestion du patrimoine immobilier de l’État, hors CAS Participations financières de l’État, hors programme 755 Désendettement de l’État du CAS Contrôle de la circulation et du stationnement routiers, et hors programme 743 Pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre et autres pensions du CAS Pensions ;

– les dépenses du compte de concours financiers Avances à l’audiovisuel public ;

– les prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne (PSR‑UE) et des collectivités territoriales (PSR‑CT) ;

– les retraitements de flux internes au budget de l’État.

En 2023, la prévision des dépenses du PDE du PLF 2023 a été fortement affectée par l’adoption, durant le débat budgétaire, de dispositifs de soutien aux ménages, aux entreprises et aux collectivités, se traduisant par une hausse des crédits budgétaires de 13,5 milliards d’euros et du PSR-CT de 1,9 milliard d’euros. Aussi, la prévision des dépenses du périmètre des dépenses de l’État s’est élevée à 496,1 milliards d’euros en LFI 2023.

PrÉvisions et exÉcution du pÉrimÈtre des dÉpenses de l’État en 2023

(en milliards d’euros)

 

PLF 2023

LFI 2023

PLFG 2023

Exécution 2023

PDE 2023

480

496,1

495,3

489,1

Crédits budgétaires

327,1

340,6

Non renseigné

335,8

Taxes affectées plafonnées

20,2

20,2

Non renseigné

20,5

Budgets annexes et comptes spéciaux sous norme

70,7

70,7

Non renseigné

70,7

PSR-CT

43,7

45,6

Non renseigné

44,3

PSR-UE

24,6

25

Non renseigné

23,9

Retraitements des flux internes à l’État

– 6

– 6

Non renseigné

– 6

Source : documents budgétaires.

L’exécution du PDE en 2023 s’est élevée à 489,1 milliards d’euros, soit une sous-exécution de 7 milliards d’euros par rapport à la prévision de la LFI 2023. La maîtrise du PDE a été permise en cours d’année par l’annulation de 5 milliards d’euros de crédits de paiement en septembre ([157]) et par des annulations supplémentaires de 5,2 milliards d’euros dans le PLFG 2023, compensant les ouvertures réalisées en cours d’année. Par ailleurs, le poids des reports entrants de 2022 vers 2023 sur le PDE s’élevant à 20,9 milliards d’euros a été atténué par des reports sortants de 2023 vers 2024 de 18,6 milliards d’euros. Le montant des reports vers 2024, supérieur de 4,2 milliards d’euros à la prévision du PLFG 2023, témoigne de la sous-exécution du PDE en fin d’année, après adoption de la LFG 2023, pour faire face à la dégradation des recettes en fin d’année 2023.

PrÉvisions du pÉrimÈtre des dÉpenses de l’État en 2024

(en milliards d’euros)

 

PLF 2024

LFI 2024

Février 2024

PSTAB 2024

BEE 2024

PLFG 2024

PDE 2024

490,8

491,9

489

481,9

488,3

486,1

Crédits budgétaires

334,3

335

Non renseigné

323,5

330,6

Non renseigné

Taxes affectées plafonnées

21,8

21,9

21,9

21,9

Budgets annexes et comptes spéciaux sous norme

74,3

74,3

74,5

74,6

PSR-CT

44,8

45,1

45,3

45,1

PSR-UE

21,6

21,6

22,7

22,3

Retraitements des flux internes à l’État

– 6

– 6

– 6

– 6

Source : documents budgétaires et direction générale du trésor.

En 2024, la tenue du PDE a été permise par l’annulation de 9,4 milliards d’euros de crédits de paiement dans le PDE en février 2024 ([158]), ainsi que par des annulations nettes des ouvertures de 1,9 milliard d’euros dans le PLFG 2024. Ces mouvements, ainsi que les reports sortants de 2024 vers 2025 s’établissant à 13,1 milliards d’euros, ont permis de compenser l’effet haussier sur le PDE des reports entrants de 2023 vers 2024, de 18,6 milliards d’euros. Pour la première fois depuis 2011, les dépenses du budget général ont été inférieures en valeur à celles de l’année précédente.

● En dehors du champ du PDE, la dépense de l’État demeure toutefois difficilement pilotable.

PrÉvisions et exÉcution des crÉdits du budget gÉnÉral de l’État en 2023

(en milliards d’euros, en crédits de paiement)

 

PLF 2023

LFI 2023

PLFG 2023

Exécution 2023

Crédits du budget général 2023

560,2

577

593,3

591,9

dont crédits du PDE

327,1

340,6

Non renseigné

335,8

dont charge de la dette

51,7

51,7

55,5

54,8

dont programme 369 Amortissement de la dette de l’État liée à la covid‑19

6,6

6,6

6,6

6,6

dont mission Remboursements et dégrèvements

128,3

131,6

144,1

142,4

Source : documents budgétaires.

En dehors du PDE, les autres dépenses de l’État ne sont pas pilotables et dépendent des variables macroéconomiques, telles que l’inflation ou le niveau des taux d’intérêt, qui influent sur le poids de la charge de la dette, mais aussi des mécanismes de paiement de l’impôt, qui déterminent le niveau des dépenses de la mission Remboursements et dégrèvements. Ainsi, les crédits du budget général en 2023 se sont élevés à 591,9 milliards d’euros contre une prévision de 577 milliards d’euros en LFI 2023, en raison de la hausse de la charge de la dette provoquée par l’accélération de l’inflation et de la hausse des demandes de remboursement des impôts d’État (voir supra).

PrÉvisions des crÉdits du budget gÉnÉral de l’État en 2024

(en milliards d’euros, en crédits de paiement)

 

PLF 2024

LFI 2024

PLFG 2024

Crédits du budget général 2024

581,1

582

587

dont crédits du PDE

334,3

335

Non renseigné

dont charge de la dette

52,2

52,2

51,7

dont programme 369 Amortissement de la dette de l’État liée à la covid‑19

6,5

6,5

6,5

dont mission Remboursements et dégrèvements

140,3

140,5

148,2

Source : documents budgétaires.

De même, en 2024, malgré la maîtrise du PDE, les dépenses du budget général de l’État seraient en hausse de 5 milliards d’euros par rapport aux crédits ouverts en LFI 2024, en raison du dynamisme des remboursements et dégrèvements d’impôt.

b.   Les dépenses des administrations publiques locales : des dépenses très dynamiques en l’absence de mécanisme contraignant de maîtrise des finances locales

● Alors que la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2023 à 2027 ([159]) présentait un objectif très ambitieux de maîtrise des dépenses réelles de fonctionnement (DRF) des collectivités territoriales, qui verraient leurs DRF diminuer annuellement de – 0,5 % en volume, l’absence de mécanisme contraignant de maîtrise de la dépense locale dans la LPFP a rendu cet objectif inatteignable.

Objectif d’Évolution annuelle des dÉpenses rÉelles de fonctionnement des collectivitÉs territoriales de l’articlE 17 de la LPFP 2023‑2027

(en %)

 

2023

2024

2025

2026

2027

Évolution en valeur

+ 4,8

+ 2

+ 1,5

+ 1,3

+ 1,3

Évolution en volume

– 0,5

– 0,5

– 0,5

– 0,5

– 0,5

Source : LPFP 2023‑2027.

En effet, l’article 17 de la LPFP 2023-2027 prévoit un objectif d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), à l’exception des dépenses liées à l’action sociale des départements (revenu de solidarité active, allocation personnalisée d’autonomie, prestation de compensation du handicap, aide sociale à l’enfance). L’objectif d’évolution annuelle de – 0,5 % en valeur des DRF des collectivités territoriales et des EPCI posé par la LPFP est particulièrement ambitieux, la LPFP 2018‑2022 s’étant contentée d’un objectif d’évolution annuelle des DRF de + 1,2 % en valeur, dans un contexte d’inflation faible. Cet objectif devait être assorti d’un mécanisme de contractualisation, prévu à l’article 23 du PLPFP 2023‑2027, mais ce dernier n’a pas été conservé dans le texte adopté par le Parlement. Aussi, dès l’adoption définitive du PLPFP 2023‑2027 par l’Assemblée nationale le 17 octobre 2023, l’objectif de maîtrise de la dépense locale paraissait difficilement atteignable.

● En l’absence de mécanisme contraignant de maîtrise des dépenses locales, les dépenses des administrations publiques locales (APUL) se sont caractérisées par leur dynamisme en 2023 et en 2024. Malgré ce dynamisme, les prévisions issues de la LPFP 2023-2027 ont été maintenues jusqu’à l’été 2024.

Évolution des prÉvisions des principaux indicateurs de solde
et de dÉpenses des APUL en 2023

 

LFI 2023

PSTAB 2023

BEE 2023

LPFP 2023-2027 et LFG 2023

Exécution 2023

Solde APUL

0 Md€

 1,7 Md€

 4,0 Md€

 8,0 Md€

 9,9 Md€

Dépenses APUL

305 Md€

306,9 Md€

310,5 Md€

312 Md€

315,6 Md€

Évolution en valeur

+ 3,6 %

+ 4,9 %

+ 6,1 %

+ 6,6 %

+ 7,9 %

Solde CT

+ 1,5 Md€

Non renseigné

+ 1,4 Md€

Non renseigné

 5,5 Md€

Dépenses CT

Non renseigné

Non renseigné

Non renseigné

282,8

286,7

DRF CT

Non renseigné

209,5 Md€

210,3 Md€

212,9 Md€

215 Md€

Évolution en valeur

+ 3,8 %

+ 4,0 %

+ 4,4 %

+ 4,8 %

+ 5,9 %

Évolution en volume

 0,5 %

 0,9 %

 0,5 %

 0,5 %

+ 1,0 %

Solde ODAL

 5,2 Md€

Non renseigné

 5,4 Md€

Non renseigné

 4,5 Md€

Source : commission des finances, d’après la Cour des comptes, la communication de M. Charles de Courson, rapporteur général, à la commission des finances, et la direction générale du trésor.

Au cours de l’année 2023, la hausse des prévisions d’inflation par rapport à la LFI 2023 a conduit à revoir progressivement à la hausse les prévisions des dépenses des APUL et des collectivités territoriales, sans remettre toutefois en cause l’objectif d’évolution annuelle de – 0,5 % en valeur des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités. Aussi, les dépenses des APUL se sont révélées supérieures de 3,6 milliards d’euros à la prévision de la LFG 2023, dégradant le solde des APUL de 1,9 milliard d’euros. Plus particulièrement, le dynamisme des dépenses de fonctionnement (+ 5,9 % contre une prévision de + 4,8 % en LFG 2023) et d’investissement (+ 10,9 % contre une prévision de + 8,3 %) a été sous-estimé.

Évolution des prÉvisions des principaux indicateurs de solde et de dÉpenses des APUL en 2024

 

LFI 2024

BEH 2024

PSTAB

2024

BEE 2024

Note DGT 11 septembre

LFG 2024

LFI 2025

Exécution 2024

Solde APUL

Non renseigné

 13,6 Md€

Non renseigné

 15,2 Md€

Non renseigné

Non renseigné

Non renseigné

Non renseigné

Dépenses APUL

322 Md€

323,8 Md€

Non renseigné

331,2 Md€

Non renseigné

337 Md€

334 Md€

329,7 Md€

Évolution en valeur

+ 3,2 %

+ 3,8 %

Non renseigné

+ 4,9 %

Non renseigné

+ 6,8 %

+ 5,8 %

+ 4,5 %

Dépenses CT

292,6 Md€

294,9 Md€

296,2 Md€

300,1 Md€

312,3 Md€

305,9 Md€

302,7 Md€

Non renseigné

Évolution en % (en valeur)

+ 3,4 %

+ 4,3 %

+ 3,3 %

+ 4,7 %

+ 9 %

+ 6,7 %

+ 5,6 %

Non renseigné

DRF CT

217,2 Md€

219,7 Md€

218,9 Md€

224,6 Md€

230,6 Md€

225,4 Md€

225,8 Md€

Non renseigné

Évolution en valeur

+ 2 %

+ 3 %

+ 1,8 %

+ 4,2 %

+ 7 %

+ 4,6 %

+ 5 %

Non renseigné

Évolution en volume

 0,5 %

+ 0,5 %

 0,5 %

+ 2,1 %

+ 5,2 %

+ 2,8 %

+ 3 %

Non renseigné

Note : les dépenses des APUL issues des lois de finances sont arrondies au milliard près.

Source : commission des finances d’après la Cour des comptes, la communication de M. Charles de Courson, rapporteur général, à la commission des finances, la direction générale du trésor et l’Insee.

En 2024, la prévision du niveau de dépenses des APUL a connu une réévaluation continue, reflétant le dynamisme des dépenses du secteur local et l’irréalisme de la prévision issue de la LPFP 2023-2027. En effet, la hausse de la prévision des dépenses des APUL de 322 milliards d’euros en LFI 2024 à 334 milliards d’euros en LFI 2025, découle majoritairement d’une révision à la hausse de 10,1 milliards d’euros de la prévision de dépenses des collectivités territoriales. Cette dernière est principalement portée par le dynamisme des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités : l’écart entre la prévision initiale pour 2024 et la prévision révisée de la LFI 2025 est de 8,6 milliards d’euros, et correspond à une hausse des dépenses réelles de fonctionnement de 5 % en valeur (contre 2 % dans la LFI 2024) et de 3 % en volume (contre – 0,5 % dans la LFI 2024).

En ce sens, le dynamisme présenté par les dépenses des collectivités dès la fin de l’année 2023 interroge sur le maintien, lors du PSTAB 2024 d’une prévision de baisse de 0,5 % en volume du niveau de DRF des collectivités, alors même qu’aucun mécanisme contraignant de maîtrise de la dépense locale n’existait à cette date. Le Haut conseil des finances publiques (HCFP), dans son avis sur le PSTAB 2024, indique qu’« en l’absence de mécanisme contraignant, [l’ajustement prévu sur les dépenses des collectivités territoriales] est loin d’être acquis » ([160]). Le maintien de cette prévision jusqu’à l’été semble lié à l’espérance d’un partage de l’effort entre administrations publiques sans outil de pilotage, comme témoigne Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales, qui a affirmé à la commission que « [l]es anticipations [de dépenses des collectivités] finalement retenues reposaient sur deux éléments : les prévisions, d’une part, et un choix politique à l’occasion de la LPFP, d’autre part. Ce dernier consistait à demander aux collectivités locales de faire progresser leurs dépenses au même rythme que celui de l’inflation en 2023, puis de les faire évoluer à 0,5 point en deçà de l’inflation lors des années suivantes. Ce n’était pas seulement une prévision. C’était aussi le choix d’un certain niveau de dépenses des collectivités territoriales. Le projet de LPFP comprenait d’ailleurs un article 23 qui prévoyait un mécanisme de correction destiné à s’assurer que les collectivités territoriales respecteraient l’objectif fixé. Cela montre bien que, pour les concepteurs de la LPFP, cet objectif ne serait pas atteint spontanément et qu’il fallait un dispositif de maîtrise des dépenses de fonctionnement pour y arriver » ([161]). En l’absence de mécanisme contraignant de maîtrise de la dépense locale, l’objectif affiché par la LPFP 2023‑2027 pouvait difficilement être atteint, sauf à considérer que les collectivités locales eussent fait le choix d’assumer d’elles-mêmes la documentation de cet effort.

Toutefois, le dynamisme des dépenses des collectivités territoriales en 2024 s’est avéré inférieur aux remontées comptables de la fin du mois de juillet retracées dans la note de la direction générale du trésor du 11 septembre 2024 ([162]) : ces dernières prévoyaient une hausse des dépenses des collectivités de 16,1 milliards d’euros par rapport au PSTAB, mais le ralentissement de la dépense locale en fin d’année devrait permettre de limiter leur hausse à 6,5 milliards d’euros par rapport à la prévision d’avril 2024. De même, la dépense totale des APUL s’élèverait finalement à 329,7 milliards d’euros en 2024 selon les comptes nationaux de l’Insee, soit une hausse de 7,7 milliards d’euros par rapport à la prévision de la LFI 2024, mais en recul de 4,3 milliards d’euros par rapport à la dernière prévision de la LFI 2025.

c.   Le dynamisme des dépenses des administrations de sécurité sociale

Les dépenses des administrations de sécurité sociale (ASSO) sont par nature peu pilotables, car constituées majoritairement de dépenses de guichet à enveloppe ouverte, telles que les prestations sociales. Aussi, tout dynamisme non anticipé des dépenses du champ des ASSO est difficilement maîtrisable en cours d’année. M. Franck von Lennep, directeur de la sécurité sociale jusqu’en avril 2024, a en effet indiqué à la commission que « [s]’il y a un peu de dépenses de guichet du côté de l’État où elles ne sont qu’une minorité, c’est le contraire pour ce qui concerne la sécurité sociale. Il existe quelques enveloppes fermées, mais la grande majorité des dépenses sont de guichet, avec la complexité en matière de prévision et surtout la difficulté de pilotage au niveau infra-annuel que cela implique » ([163]).

PrÉvisions et exÉcution de solde, recettes et dÉpenses des ASSO en 2023

(en milliards d’euros)

 

PLF 2023

PLF 2024

Exécution 2023

Écart exécution / PLF 2024

Solde ASSO

+ 21,1

+ 20,8

+ 11,5

 9,3

Recettes

742,6

750,9

749

 1,9

Dépenses

721,5

730,1

737,5

+ 7,4

Régime général + FSV

 7,3

 7,8

 10

 2,2

Recettes

501,2

508,7

505,5

 3,2

Dépenses

508,4

516,5

515,5

 1

Unédic

+ 4,8

+ 2,8

+ 1,7

 1,1

Recettes

45,7

43,7

44,1

+ 0,4

Dépenses

40,9

40,9

42,4

+ 1,5

Régimes complémentaires

+ 6,1

+ 8,2

+ 5,6

 2,6

Recettes

107,2

109,4

106,3

 3,1

Dépenses

101,1

101,2

100,8

 0,4

Cades

+ 16,4

+ 18,4

+ 18

 0,4

Recettes

20,8

21,4

21,1

 0,3

Dépenses

4,5

3,1

3,2

+ 0,1

FRR

 1,4

 1,6

 1,5

+ 0,1

Recettes

0,9

0,7

0,8

+ 0,1

Dépenses

2,3

2,3

2,3

0

ODASS

+ 0,4

+ 0,5

 1,5

 2

Recettes

120,2

122,7

126,8

+ 4,1

Dépenses

119,8

122,2

128,3

+ 6,1

FSV : Fonds de solidarité vieillesse ; Cades : Caisse d’amortissement de la dette sociale ; FRR : Fonds de réserve pour les retraites ; ODASS : organismes dépendant des assurances sociales.

Note : le total de recettes et de dépenses des ASSO est retraité des flux entre ses composantes.

Source : rapports du rapporteur général de la commission des finances sur les PLF 2023, 2024 et 2025.

 

En 2023, l’écart entre la prévision du solde des ASSO du PLF 2024 d’octobre 2023 et l’exécution résulte du dynamisme de la dépense (+ 7,4 milliards d’euros) face à des recettes en baisse (– 1,9 milliard d’euros). L’évolution du solde des organismes dépendant des assurances sociales (ODASS) témoigne du dynamisme des dépenses et des recettes des hôpitaux, affectés par la hausse des prix de l’électricité et des mesures d’attractivité sur les rémunérations des personnels hospitaliers (+ 1 milliard d’euros) et sur l’investissement des hôpitaux (+ 1 milliard d’euros). En dehors du solde des ODASS, les autres composantes des ASSO subissent principalement la dégradation des recettes intervenue en fin d’année 2023, en lien avec le ralentissement de la masse salariale et des remontées comptables de TVA (voir supra).

PrÉvisions et exÉcution de solde, recettes et dÉpenses
du pÉrimÈtre des LFSS en 2023

(en milliards d’euros)

 

LFSS 2023

LFSS 2024

LFSS 2025

Solde ROBSS + FSV

 7,1

 8,7

 10,8

Recettes

598,4

602,2

600

Dépenses

601,9

610,9

610,7

Maladie

 7,1

 9,4

 11,1

Recettes

231,2

234,2

232,8

Dépenses

238,3

243,7

243,9

AT-MP

+ 2,2

+ 1,9

+ 1,4

Recettes

17

17,2

16,8

Dépenses

14,8

15,3

15,4

Vieillesse

 3,6

 1,9

 2,6

Recettes

269,7

273,1

272,5

Dépenses

273,3

275

275,1

Famille

+ 1,3

+ 1

+ 1

Recettes

56,7

57

56,7

Dépenses

55,3

56

55,7

Autonomie

 1,2

 1,1

 0,6

Recettes

36,2

36,8

37

Dépenses

37,4

37,9

37,6

ONDAM

244,1

247,6

247,9

ROBSS : régimes obligatoires de base de la sécurité sociale ; AT-MP : accidents du travail-maladies professionnelles ; Ondam : objectif national de dépenses d’assurance maladie.

Source : commission des finances d’après les LFSS 2023, 2024 et 2025.

 

L’évolution du solde du périmètre des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) en 2023 témoigne du dynamisme des dépenses de la branche maladie et de la branche vieillesse. En effet, comme le souligne M. von Lennep, en dehors de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) voté annuellement en LFSS, et de certaines enveloppes fermées, les dépenses sociales ne sont pas pilotables. Il a précisé que « depuis 2010, 0,3 % du montant total de l’Ondam est mis en réserve en début d’année, soit entre 700 et 800 millions. Ces crédits mis en réserve concernent essentiellement l’hôpital, mais aussi le secteur médico-social et quelques enveloppes fermées. Ils ne portent quasiment pas sur la médecine de ville, car on ne peut pas décider en fin d’année de ne plus rembourser les soins prodigués par les médecins ou les médicaments prescrits. Les factures continuent à arriver à l’assurance maladie et on ne peut pas y faire grand-chose. Les leviers qui permettent de réguler la dépense sont, d’une part, les enveloppes fermées et, d’autre part, les montants mis en réserve en début d’année ». En 2023, l’Ondam a connu une hausse de 3,8 milliards d’euros, principalement due à des revalorisations et à d’autres charges induites par la hausse de l’inflation.

Au-delà de l’Ondam, les autres dépenses des branches de la sécurité sociale sont difficilement pilotables en cours d’année, comme l’a rappelé M. von Lennep : « Je distingue entre les dépenses de l’assurance maladie – donc l’Ondam – et les autres. En effet, je pense qu’il n’y a jamais eu de régulation infra-annuelle des dépenses de la branche vieillesse, des prestations familiales ou de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP). L’Ondam représente 250 milliards et il est suivi de très près. C’est dans ce domaine qu’on dispose de quelques leviers. Les autres dépenses sont des prestations et il n’est pas possible de les réguler, à moins de modifier les règles en cours d’année. Cela serait compliqué car, pour la plupart d’entre elles, il faudrait modifier la loi. Par ailleurs, cela serait évidemment politiquement délicat ».

Ces dépenses étant essentiellement des dépenses de guichet, ni des gels de crédits ni des mises en réserve ne sont possibles, et seules des réformes structurelles peuvent limiter leur dynamisme : aussi, M. von Lennep rappelle qu’« il est certes possible de piloter les dépenses de guichet, on le voit pour celles de l’assurance maladie, mais cela demande souvent des choix politiques qui ne peuvent se traduire par des décrets d’annulation mais par des mesures concrètes qu’il n’est pas toujours très facile de prendre ».

PrÉvisions de solde, recettes et dÉpenses des ASSO en 2024

(en milliards d’euros)

 

PLF 2024

BEH 2024

BEE 2024

PLF 2025

Écart PLF 2025 / PLF 2024

Exécution 2024

Solde ASSO

+ 17,3

+ 6

+ 6,4

 0,6

 17,9

+ 1,3

Recettes

778,6

Non renseigné

Non renseigné

775,7

 2,9

778,1

Dépenses

761,3

Non renseigné

Non renseigné

776,4

+ 15,1

776,8

Régime général + FSV

 8,7

 9,7

 11

 15,2

 6,5

Non renseigné

Recettes

530,7

Non renseigné

Non renseigné

530,0

 0,7

Dépenses

539,4

Non renseigné

Non renseigné

545,2

+ 5,8

Unédic

+ 3,7

+ 2,1

+ 2,2

+ 0,9

 2,8

Recettes

44,9

Non renseigné

Non renseigné

44,8

 0,1

Dépenses

41,2

Non renseigné

Non renseigné

43,9

+ 2,7

Régimes complémentaires

+ 7,4

+ 2,4

+ 2,6

+ 1,6

 5,8

Recettes

113,3

Non renseigné

Non renseigné

108,5

 4,8

Dépenses

105,9

Non renseigné

Non renseigné

106,9

+ 1,0

Cades

+ 16,3

+ 14,7

+ 14,5

+ 16,0

 0,3

Recettes

19,6

19,3

 0,3

Dépenses

3,3

3,3

0,0

FRR

 1,6

 1,5

+ 0,1

Recettes

0,7

Non renseigné

Non renseigné

0,8

+ 0,1

Dépenses

2,3

Non renseigné

Non renseigné

2,3

0,0

ODASS

+ 0,9

+ 0,2

 0,8

 1,0

 1,9

Recettes

126,4

Non renseigné

Non renseigné

131,0

+ 4,6

Dépenses

125,5

Non renseigné

Non renseigné

132,0

+ 6,5

Source : rapport du rapporteur général de la commission des finances sur les PLF et direction générale du trésor.

En 2024, la dégradation du solde des ASSO par rapport à la prévision du PLF 2024 (– 17,9 milliards d’euros entre le PLF 2024 et le PLF 2025 et – 16 milliards d’euros entre le PLF 2024 et l’exécution) est essentiellement due au dynamisme des dépenses (+ 15,1 milliards d’euros entre la prévision initiale et le PLF 2025, et + 15,5 milliards d’euros à l’exécution), notamment dans le champ du régime général et du FSV (+ 5,8 milliards d’euros). La dégradation du solde des régimes complémentaires, marqué par une forte baisse des recettes, serait liée au ralentissement de la masse salariale et au dynamisme des dépenses de l’Agirc-Arrco à la suite de l’accord national interprofessionnel d’octobre 2023. Par ailleurs, le dynamisme des dépenses de l’Unédic (+ 2,7 milliards d’euros entre la prévision pour 2024 du PLF 2024 et celle du PLF 2025) découle d’une prévision d’évolution du marché de l’emploi déconnectée des sous-jacents macroéconomiques, et reposant, selon les termes de la direction générale du trésor, sur « des hypothèses fortes avec un taux de chômage à 5,4 % à horizon 2027 » ([164]). L’absence de mise en œuvre de la réforme de l’assurance-chômage prévue en juillet 2024 a également eu un effet en ce sens.

PrÉvisions de solde, recettes et dÉpenses du pÉrimÈtre des LFSS en 2024

(en milliards d’euros)

 

LFSS 2024

LFSS 2025

Solde des comptes de la sécurité sociale,
mars 2025

Solde ROBSS + FSV

 10,5

 18,2

 15,3

Recettes

631,5

624,7

Non renseigné

Dépenses

642,0

642,9

Non renseigné

Maladie

 8,5

 15,3

 13,8

Recettes

243,4

238

Non renseigné

Dépenses

251,9

253,3

Non renseigné

AT-MP

+ 1,1

+ 0,6

+ 0,7

Recettes

17,1

16,7

Non renseigné

Dépenses

16,0

16,1

Non renseigné

Vieillesse

 5,8

 6,0

 5,6

Recettes

287,9

287,6

Non renseigné

Dépenses

293,7

293,6

Non renseigné

Famille

+ 0,8

+ 0,5

+ 1,1

Recettes

58,8

58,4

Non renseigné

Dépenses

58

57,9

Non renseigné

Autonomie

+ 1,2

+ 1,1

+ 1,3

Recettes

41,2

41,1

Non renseigné

Dépenses

40,0

39,9

Non renseigné

ONDAM

254,9

256,9

Non renseigné

Source : commission des finances d’après les LFSS 2024 et 2025 et la direction de la sécurité sociale.

Dans le périmètre des LFSS, la dégradation du solde en 2024 s’explique par des moins-values en recettes (voir supra), tandis que les dépenses demeureraient globalement conformes à la prévision initiale. M. Pierre Pribile, actuel directeur de la sécurité sociale, a expliqué les causes de la révision à la hausse de l’Ondam à hauteur de 2 milliards d’euros en 2024 : « Nous avons procédé, en deux temps, à une actualisation de l’[Ondam] pour 2024. Dans le cadre du PLFSS initial, le niveau de l’Ondam a été rehaussé de 1,2 milliard d’euros, essentiellement pour des dépenses de soins de ville ou liées au covid – tests, médicaments –, pour 300 millions d’euros. Le reste s’explique par une dynamique plus élevée que celle envisagée concernant les arrêts de travail – les indemnités journalières –, les dispositifs médicaux ou encore les consultations de spécialistes en ville. Nous connaissions pour partie ces éléments dès le mois de juillet. […] Pendant l’été, la dynamique des dépenses hospitalières s’est avérée être plus importante qu’escompté. […] [C]ela a contribué à aggraver le décalage, d’où la rectification d’1,2 milliard d’euros dès le dépôt du PLFSS pour 2025. Au cours de l’examen du texte, le poste des médicaments, que nous avons déjà évoqué, a également alourdi la facture. Au final, l’Ondam a dû être rectifié de 2 milliards d’euros – 800 millions [d’euros] après application de la clause de sauvegarde, plus 1,2 milliard [d’euros] » ([165]).

3.   Des effets supplémentaires liés à des raisons comptables ainsi qu’à la révision des hypothèses macroéconomiques sous-jacentes

Outre les moins-values en recettes et les dépenses supplémentaires, les écarts entre les prévisions et l’exécution du solde public en 2023 et 2024 s’expliquent aussi par des raisons diverses, notamment liées au retraitement des comptes de la Nation par l’Insee et aux divergences par rapport au scénario macroéconomique initialement envisagé.

a.   Le passage des comptes nationaux en base 2020 a induit un écart de 4 milliards d’euros en 2023

Une partie non négligeable de l’écart à la prévision observé en 2023 résulte du passage des comptes nationaux de la base 2014 à la base 2020, qui représente 0,14 point de PIB, soit environ 4 milliards d’euros. En neutralisant cette révision purement comptable, l’écart à la prévision est donc moindre qu’il n’y paraît.

Les changements de base sont effectués à intervalles réguliers par l’Insee, comme par ses homologues dans les autres pays européens. Ils consistent notamment en un passage en revue des sources et en l’actualisation des choix de méthodes, en liaison avec les recommandations d’Eurostat et la mise à jour des normes de comptabilité nationale. Ils ont notamment pour effet de modifier le périmètre des administrations publiques et les règles d’imputation de la dépense sur une année.

Plus de la moitié de l’effet dû au passage en base 2020 est due à la sortie de l’établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP) du périmètre des administrations publiques. En base 2014, l’ERAFP était classifié comme une administration de sécurité sociale. En base 2020, il est considéré comme un fonds de pension et donc catégorisé dans le sous-secteur des sociétés d’assurance et des fonds de pension. Or, en 2023, l’ERAFP était excédentaire de 2,6 milliards d’euros ; en phase de constitution de réserves, il reçoit davantage de cotisations qu’il ne verse de prestations. Son reclassement a donc dégradé d’autant le solde public.

Effet sur le solde public du passage des comptes nationaux de l’Insee
en base 2020

Capacité (+) / besoin (-) de financement estimé en base 2014 (Md€)

 149,9

En pourcentage du PIB

 5,3 %

Traitement de l’ERAFP

– 2,6

Estimation des consommations intermédiaires de l’État selon les droits constatés

– 1,1

Traitement des crédits d’impôt

– 1,0

Enregistrement d’abandons de créance des collectivités locales

– 0,5

Enregistrement des provisions pour risque des fonds de garantie FGAO et FGTI

+ 0,5

Traitement des versements aux banques multilatérales de développement

+ 0,5

Capacité (+) / besoin (-) de financement en base 2020 (Md€)

 154,0

 En pourcentage du PIB

 5,5 %

Source : réponses écrites de l’Insee aux rapporteurs de l’enquête.

Parmi les autres changements méthodologiques ayant contribué à la hausse du solde public, on peut aussi relever :

 l’enregistrement des consommations intermédiaires de l’État en comptabilité nationale, selon le principe des droits constatés, et non plus en comptabilité budgétaire, qui a entraîné un surcroît de dépenses de 1,1 milliard d’euros, notamment au titre de dépenses militaires payées en 2024 ;

– le décalage de la date d’enregistrement des crédits d’impôt, qui a entraîné un écart de 1 milliard d’euros. En base 2020 les crédits d’impôt sont enregistrés au moment où les opérations qui ouvrent le droit ont lieu, alors qu’en base 2014 ils étaient comptabilisés au moment de la liquidation de l’impôt donc l’année suivante ;

– l’enregistrement des abandons de créance des collectivités locales en dépense, et non plus en « autres changements de volume », qui a généré un surcroît de dépense d’environ 0,5 milliard d’euros.

À l’inverse, le passage de la base 2014 à la base 2020 a également induit des modifications ayant un effet positif sur le solde public, qui n’ont toutefois que partiellement compensé les effets haussiers. Il s’agit notamment de l’enregistrement sur une base pluriannuelle, et non plus annuelle, des provisions pour risque du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages et du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme ainsi que des versements aux banques multilatérales de développement, qui ont généré une diminution de la dépense d’environ 1 milliard d’euros.

b.   La révision des prévisions de croissance du PIB et d’élasticité entraîne une aggravation du déficit de 14 milliards d’euros en 2024

La prévision de croissance pour 2023 était fixée à + 1,0 %. Son niveau s’est révélé assez proche de l’exécution, qui s’est établie à + 0,9 %. Néanmoins, la composition de la croissance a été sensiblement différente de la prévision initiale.

● En effet, la croissance en 2023 a été plus que prévu portée par les exportations et la demande publique. Si la croissance des exportations n’a pas été aussi forte qu’initialement anticipée (+ 2,1 % au lieu de + 2,7 %), elle a contribué à la croissance à hauteur de 60 % (au lieu d’une contribution nulle). La demande publique a quant à elle progressé de + 1,2 % (au lieu de + 1 %) et contribué à la croissance deux fois plus que prévu (40 % au lieu de 20 %).

Composition de la croissance du PIB en 2023

 

PLF 2023

PSTAB 2023

PLFG 2023

Réalisé

PIB

1,0

1,0

1,0

0,9

Consommation privée

1,4

0,2

– 0,2

0,7

Consommation publique

1,0

1,3

0,7

1,2

Investissements

0,1

2,1

1,6

0,4

Exportations

2,7

3,5

2,1

2,1

Importations

2,5

3,1

0,3

0,3

Contributions (en point de PIB)

Demande intérieure privée hors stocks

0,8

0,5

0,2

0,3

Demande publique

0,2

0,4

0,4

0,4

Variation des stocks

0,0

0,1

– 0,1

– 0,4

Commerce extérieur

0,0

0,0

0,6

0,6

Source : données du ministère de l’économie et des finances.

À l’inverse, la croissance a été moins tirée par les importations que dans la prévision initiale, notamment du fait d’une hausse modérée de la demande intérieure (+ 0,7 % au lieu de + 1,4 % initialement envisagé) et du maintien du taux d’épargne à un niveau élevé. Si l’investissement des entreprises a mieux résisté qu’attendu, l’investissement des ménages a quant à lui diminué.

● En 2024, la prévision de croissance de + 1,4 % prévue dans la LFI a quant à elle dû être révisée. Abaissée à + 1 % dans le PSTAB d’avril 2024, elle a été rehaussée à + 1,1 % dans la prévision associée au PLF pour 2025. En parallèle, la prévision d’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB, initialement estimée à 1,1, a également été revue à 0,8 puis 0,7 (voir infra le 3 du A du II du présent rapport).

La révision de l’hypothèse de croissance du PIB a aggravé le déficit public pour 2024 à hauteur de 7,2 milliards d’euros, tandis que la révision de l’hypothèse d’élasticité a creusé le solde de 6,8 milliards d’euros supplémentaires, soit un effet total de la révision de l’hypothèse de croissance sur le déficit de 14 milliards d’euros.

Composition de la croissance du PIB en 2024

 

PLF 2024

PSTAB 2024

PLFG 2024

Réalisé

PIB

1,4

1,0

1,1

1,1

Consommation privée

1,8

1,5

0,7

0,9

Consommation publique

1,4

0,1

2,7

2,1

Investissements

0,3

-0,4

– 1,7

– 1,5

Exportations

3,5

2,1

2,1

1,1

Importations

3,1

0,8

– 1,1

– 1,4

Contributions (en point de PIB)

Demande intérieure privée hors stocks

1,0

0,8*

– 0,1

0,0

Demande publique

0,4

0,8

0,6

Variation des stocks

0,0

– 0,2

– 0,6

– 0,4

Commerce extérieur

0,1

0,4

1,1

0,9

* Demande intérieure privée hors stocks et demande publique.

Source : données du ministère de l’économie et des finances.

Outre le niveau de la croissance du PIB en 2024, la composition de la croissance s’est une nouvelle fois avérée différente de la prévision initiale. La consommation privée a augmenté deux fois moins rapidement que prévu (+ 0,9 % au lieu de + 1,8 % initialement anticipé) et sa contribution à la croissance s’est révélée négligeable. Les importations ont quant à elles reculé de 1,4 % (contre une croissance de 3,1 % envisagée dans le PLF pour 2024).

Si les exportations ont une nouvelle fois moins augmenté que dans la prévision (+ 1,1 % au lieu de + 3,5 %), elles ont contribué à la croissance du PIB à hauteur de 90 % (contre une prévision de 10 %). De même, le dynamisme de la consommation publique a soutenu la croissance à hauteur de 60 %.

 


B.   Des Écarts importants mais pas exceptionnels comparÉs aux pÉriodes antÉrieures et aux autres pays

Si les écarts entre les prévisions et l’exécution tant du solde public que des recettes des prélèvements obligatoires en 2023 et 2024 s’avèrent significatifs, l’analyse montre qu’ils ne sont pas sans précédent si on les compare aux difficultés de prévision rencontrées lors des exercices précédents ou dans des pays similaires.

1.   Les écarts à la prévision observés en 2023 et 2024 ne sont pas inédits à l’échelle des quinze dernières années

Les écarts de 2023 et 2024 entre les prévisions et l’exécution du solde public, en particulier en ce qui concerne les recettes des prélèvements obligatoires, ne sont pas inédits si on les réinscrit dans une longue période.

Ils reflètent l’incertitude inhérente à tout processus de prévision. Ainsi que l’ont expliqué les membres de l’IGF auditionnés par la commission, « [l]’écart est inhérent à tout exercice de prévision : par définition, une prévision ne tombe jamais juste. C’est d’ailleurs pourquoi nous préférons le terme « écart » au mot « erreur » – car l’erreur est évitable » ([166]). On peut noter qu’un récent rapport du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a également tenu bon de rappeler cet état de fait : « [c]ompte tenu de la difficulté à anticiper le comportement des ménages et des entreprises et des évènements inattendus pouvant se produire après qu’une prévision a été effectuée, des écarts entre les prévisions et leur réalisation sont inévitables » ([167]).

a.   Les écarts entre les prévisions et l’exécution du solde public se situent loin des valeurs maximales observées depuis 2008

Les écarts entre les prévisions et l’exécution du solde public en 2023 et 2024 ne sont pas sans précédent. Depuis 2008, on compte ainsi de nombreux cas où les écarts à la prévision ont été sensiblement importants, à la hausse comme à la baisse.

Il convient tout d’abord de souligner que, au sortir de la crise du covid, le solde public a été nettement meilleur que prévu. Ainsi, en 2021, le solde exécuté se situe deux points de PIB au-dessus de la prévision initiale (– 6,5 % du PIB au lieu de – 8,5 %). De même, en 2022, le solde présenté dans le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour 2022 s’affichait 0,3 point de PIB au-dessus de la prévision (– 4,7 % du PIB au lieu de – 5,0 %).

En comparant l’exécution à la prévision initiale sur une série plus longue, on constate que des écarts similaires à ceux de 2023 (0,5 point de PIB) et de 2024 (1,4 point) ont eu lieu pas moins de respectivement huit et trois fois sur les quinze années précédentes. Durant cette période, le déficit public a été supérieur à la prévision huit fois et inférieur à la prévision sept fois.

Écart entre la prÉvision initiale et l’ExÉcution du solde public

(en point de PIB)

Source : commission des finances d’après l’Insee, les lois de finances pour l’année n ainsi que les projets de loi et lois de règlement du budget et d’approbation des comptes pour l’année n.

Outre la prévision initiale, on peut également comparer l’exécution du solde public à la dernière prévision révisée. De ce point de vue, si l’écart entre la prévision de – 4,9 % du PIB proposée dans la LFG pour 2023, adoptée fin novembre, et les 5,5 % du PIB finalement réalisés apparaît comme particulièrement grand, cet écart doit néanmoins être relativisé : un écart à la baisse n’est pas inédit (cinq fois depuis 2008), et des écarts à la hausse ont parfois atteint des niveaux de plus de 0,6 point de PIB (quatre fois depuis 2008).

Écart entre la derniÈre prÉvision rÉvisÉe et l’ExÉcution du solde public

(en point de PIB)

Source : commission des finances d’après l’Insee, les lois de finances pour l’année n+1 ainsi que les projets de loi et lois de règlement du budget et d’approbation des comptes pour l’année n.

La dernière prévision révisée pour 2024 est quant à elle légèrement pessimiste (+ 0,3 point de PIB par rapport à l’exécution), se situant dans la moyenne des écarts depuis 2008.

b.   Les écarts entre les prévisions et l’exécution des recettes de prélèvements obligatoires sont plus substantiels, surtout en 2024

S’agissant du caractère inédit des écarts à la prévision des recettes des prélèvements obligatoires, le rapport de l’IGF de juillet 2024 conclut que « [l]’écart de prévision de recettes de 2023, replacé dans une série longue, apparaît substantiel [d’autant plus que la prévision est proche dans le temps de l’exécution] mais pas exceptionnel » ([168]).

Pour soutenir cette affirmation, ses auteurs indiquent que « [l]’écart de prévision sur l’année 2023 est substantiel car il faut remonter à la dernière crise économique d’ampleur (hors covid-19), 2008, pour avoir un écart du même ordre de grandeur et dans le même sens (- 1,31 pp d’écart de prévision du taux de croissance spontanée). En valeur absolue, l’écart pour 2023 est comparable à plusieurs autres années de la série : 2021, 2020, 2017, 2009, 2008. Hormis 2017, il s’agit d’années marquées par des crises : crise financière et économique en 2008 et 2009 ou encore crise économique et sanitaire liée à la covid-19 en 2020 et 2021. L’année 2023 peut être perçue comme une année de crise, mais moindre que celles précédemment citées, en raison de la forte inflation qui est réapparue en 2022 et 2023. En outre, la Commission européenne a maintenu la clause dérogatoire générale, qui suspend temporairement les règles du Pacte de stabilité et de croissance, jusqu’au 31 décembre 2023, ce qui illustre que, selon l’institution, la crise perdurait en 2023 ».

Évolution des Écarts de prÉvision des taux de croissance
effective et spontanÉe des PrÉlÈvements obligatoires

Source : Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

Le rapport précise cependant que « [l]’écart de prévision sur l’année 2023 se distingue par le sens de l’écart, à savoir négatif » mais rappelle qu’il « intervient après quatre ans d’écart positif sur le taux de croissance spontanée des prélèvements obligatoires, ce qui n’avait pas engendré le même traitement politique et médiatique que la moins-value réalisée en 2023 ».

Un certain nombre de personnes auditionnées par la commission se sont accordées pour dire que les écarts de 2023 et 2024 avaient suscité davantage de réactions en grande partie parce qu’ils étaient négatifs.

Ainsi, Mme Mélanie Joder, directrice du budget, a indiqué que les écarts de 2023 et 2024 font suite « à plusieurs années d’écart à la hausse, avec une plus-value à hauteur de 18 milliards [d’euros] en 2021 et de 7,5 milliards [d’euros] en 2022. Sur une période plus longue de dix ans, soit depuis 2014, l’écart constaté est un encaissement supplémentaire de recettes sauf pour deux années, l’année 2016 et l’année 2023, avec un écart moyen de 5,3 milliards [d’euros] en valeur absolue. C’est pourquoi plusieurs observateurs, notamment la Cour des comptes, ont observé qu’il n’y a pas de biais systématique dans l’exercice de prévision, mais beaucoup de sous-estimations et de sur-estimations, comme dans tout exercice de prévision. Le HCFP a d’ailleurs affirmé dans son avis d’octobre 2023 que la prévision en matière de prélèvements obligatoires était globalement plausible » ([169]).

M. Emmanuel Moulin, ancien directeur général du trésor, a également souligné qu’« on a souvent considéré que la direction générale du trésor était trop pessimiste sur l’évaluation des recettes fiscales » ([170]) (voir infra le c du 4 du A du II du présent rapport).

2.   D’autres pays ont connu au même moment des écarts à la prévision similaires

Au-delà de la France, d’autres pays européens ([171]) ont connu des variations et écarts significatifs entre les prévisions et l’exécution des dépenses et la perception de recettes en 2023 et en 2024. Si certaines causes, liées au contexte économique mondial, telles que les crises sanitaires et énergétiques, sont communes à tous les pays, d’autres sont propres à chaque pays. Par ailleurs, les mêmes causes n’ont pas eu des effets dans les mêmes proportions sur les prévisions pour chacun des pays, en raison de cadres institutionnels et de choix des gouvernements différents. Le Royaume-Uni et l’Allemagne fournissent deux exemples intéressants de grandes économies ayant connu des écarts à la prévision importants au cours des dernières années.

a.   Le cas du Royaume-Uni : des recettes fiscales sous-estimées de plus de 20 milliards de livres sterling et des dépenses en hausse de 50 milliards de livres

Au Royaume-Uni, du fait de prévisions de croissance moindres que celles finalement observées, les recettes fiscales ont été sous-estimées de 20 milliards de livres sterling pour l’exercice 2023-2024 (l’exercice budgétaire britannique court d’avril à mars). Concrètement, les produits de l’impôt sur le revenu ont été supérieurs aux prévisions, l’impôt sur les sociétés a généré 14,5 % de plus que prévu et la TVA a été sous-estimée de 4 %.

Croissance au Royaume-Uni en 2023 et 2024

(en % du PIB)

Année

Croissance

2023

0,4

2024

0,7

Source : direction générale du trésor, service économique régional de Londres, d’après les données de la Banque d’Angleterre.

Dans le même temps, les dépenses ont été plus élevées que prévu, notamment en raison de l’indexation des prestations sociales et des salaires des agents publics sur l’inflation et d’une hausse du coût de la dette publique en raison de taux d’intérêt plus élevés qu’anticipés. Le déficit public initialement anticipé à 5,5 % du PIB en novembre 2022 pour l’exercice 2023-2024 a donc baissé à 4,2 % en mars 2024 avant d’être réévalué à 4,8 % en décembre dernier.

Évolution de la prÉvision de dÉficit du Royaume-Uni
pour l’exercice budgÉtaire 2023-2024

(en % du PIB)

Date

Déficit annuel

Novembre 2022

5,5 %

Mars 2023

5,1 %

Octobre 2023

4,5 %

Mars 2024

4,2 %

Décembre 2024 (réalisé, d’après l’Office national des statistiques)

4,8 %

Source : direction générale du trésor, service économique régional de Londres, d’après l’OBR et l’Office national des statistiques.

Pour l’exercice 2024-2025, le déficit public estimé a été réévalué de − 3,1 % à − 4,5 % du PIB, soit une révision de 1,4 point ([172]). Cet écart s’explique par une hausse des dépenses de + 49,8 milliards de livres par rapport à la prévision initiale, tenant pour moitié aux dépenses nouvelles introduites à l’automne par le Gouvernement travailliste et pour une autre moitié à des écarts de prévisions par rapport à ce qui avait été affiché au budget de printemps. Le Gouvernement de M. Rishi Sunak n’avait en effet pas transmis à l’Office for Budget Responsibility (OBR) ([173]) l’information que des dépenses, pour un montant de 22 milliards de livres sterling (environ 26,2 milliards d’euros), avaient déjà été engagées. Ces dépenses sont toutefois partiellement compensées par une hausse des recettes fiscales de + 9,6 milliards d’euros.

Les écarts de prévisions tiennent donc pour une part importante à des décisions politiques nouvelles et à la rétention d’information par le précédent Gouvernement conservateur que l’OBR ne pouvait pas anticiper. Une part de l’écart s’explique également par les mauvaises anticipations d’évolution de la productivité par l’OBR. Comme l’a rappelé M. Pierre Chabrol, ministre-conseiller pour les affaires économiques et chef du service économique régional de Londres, au cours de son audition, « [a]lors que celle-ci progressait de 2 % par an avant la crise financière de 2008, son augmentation moyenne ne s’élève plus qu’à 0,5 %. Or l’OBR, depuis 2010, a systématiquement surestimé la croissance de la productivité du pays, atténuant assez considérablement sa capacité à apprécier l’ampleur du déficit » ([174]).

L’OBR a en outre identifié plusieurs facteurs, en partie communs avec la situation française, ayant contribué à perturber ses prévisions. En premier lieu, l’inflation dans un contexte de relance post-crise covid-19 a été particulièrement élevée et persistante. Elle a notamment atteint un pic à 11,1 % en octobre 2022. Si l’inflation a entraîné une augmentation des recettes du fait du gel des seuils des tranches d’imposition (effet dit de « fiscal drag »), la revalorisation des salaires du secteur public (mesure annoncée par le Gouvernement travailliste en juillet 2024) a entraîné une augmentation des dépenses de 13 milliards de livres sterling. Surtout, la charge de la dette a crû de 15,9 milliards de livres − soit environ 40 % de la hausse du déficit – en raison de la persistance de l’inflation et de l’absence consécutive de baisse des taux directeurs par la Banque d’Angleterre. En second lieu, la crise énergétique en 2022 et en 2023 et l’augmentation des prix de l’énergie découlant de celle‑ci ont contribué à compliquer les prévisions.

M. Pierre Chabrol, ministre-conseiller pour les affaires économiques et chef du service économique régional de Londres, a cependant souligné la spécificité du contexte au Royaume-Uni, qui a eu un impact réel sur l’élaboration des prévisions budgétaires : « [i]l est très incertain depuis une décennie, aussi bien en raison de décisions politiques internes que de chocs économiques externes, qu’il s’agisse du référendum sur le Brexit en juin 2016, de la sortie effective de l’Union européenne le 1er janvier 2020, de l’épisode du minibudget de Liz Truss en septembre 2022, ou encore des conséquences économiques de la pandémie et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie » ([175]).

Évolution de la prÉvision de dÉficit du Royaume-Uni
pour l’exercice budgÉtaire 2024-2025

(en % du PIB)

Date

Déficit annuel

Mars 2024 (avant les élections)

3,1 %

Octobre 2024 (après audit du nouveau Gouvernement)

4,5 %

Source : direction générale du trésor, service économique régional de Londres.

b.   Le cas de l’Allemagne : une surestimation considérable de la croissance qui a pesé sur les recettes fiscales

En Allemagne, les prévisions sont établies de façon collégiale entre le ministère de l’économie, le ministère des finances, des instituts de recherche économique, la Bundesbank, l’Office fédéral des statistiques et le Conseil des sages, les ministères des finances des Länder et l’Association des communes. Les prévisions fiscales sont établies en avril et octobre. Toutefois, les prévisions budgétaires finales intègrent souvent des estimations plus anciennes. En 2023 et en 2024, l’établissement des prévisions a connu des ajustements pour faire face aux incertitudes conjoncturelles.

En 2023, le déficit public allemand estimé initialement à  2 % du PIB dans la prévision du budget 2023 avait été réévalué à – 4,25 % dans le PSTAB 2023 avant de finalement s’établir à – 2,6 %. La prévision initiale de croissance réelle pour 2023 de 2,5 % du PIB s’était dans le même temps effondrée à – 0,3 %, plongeant le pays en récession.

PrÉvisions du Gouvernement allemand pour 2023
et comparaison À l’exÉcutÉ

 

PPB 2023

PSTAB 2023

PPB 2024

Exécuté

Date de publication

15/10/2022

28/04/2023

13/10/2023

-

Solde public ( % du PIB)

 2

 4,25

 2,5

 2,6

État fédéral

– 1,75

– 4,5

– 2,5

– 2,3

Länder

– 0,5

0

– 0,25

– 0,2

Communes

0

0,25

0,25

– 0,3

Comptes sociaux

– 0,25

0

0

0,2

Croissance réelle ( %)

2,5

0,2

0,4

 0,3

Inflation (IPC) ( %)

2,5

5,5

5,5

5,9

PPB : projet de plan budgétaire. Les prévisions de PPB allemands sont traditionnellement arrondies au quart de point.

Source : direction générale du trésor, service économique régional de Berlin.

En 2024, la prévision du PSTAB 2024 en avril estimait le déficit public à  1,75 % du PIB. La prévision de déficit public allemand avait ensuite été abaissée à – 2,5 % dans la prévision d’octobre 2024 du projet de budget pour 2025, soit un écart de 0,75 point de PIB. Cette actualisation ne tient toutefois pas compte de la révision à la baisse du scénario macroéconomique (– 0,3 % de croissance en 2024, au lieu de + 0,2 % anticipé), qui devrait conduire à dégrader la prévision de recettes (de 8,7 milliards d’euros soit 0,2 % du PIB, d’après la communication ministérielle) ([176]).

PrÉvisions du Gouvernement allemand pour 2024
et comparaison À l’exÉcutÉ

 

PPB 2024

PSTAB 2024

PPB 2025

Exécuté (provisoire)

Date de publication

13/10/2023

24/04/2024

15/10/2024

-

Solde public ( % du PIB)

 2

 1,75

 2,5

 2,6

État fédéral

– 1,75

– 1,25

– 2

– 1,4

Länder

– 0,25

– 0,25

– 0,25

– 0,6

Communes

0

– 0,25

– 0,25

– 0,4

Comptes sociaux

0

0

0

– 0,2

Croissance réelle ( %)

1,6

0,2

0,3

 0,2

Inflation (IPC) ( %)

2,2

2,8

2,5

2,2

PPB : projet de plan budgétaire. Les prévisions de PPB allemands sont traditionnellement arrondies au quart de point.

Exécuté : calcul SER sur la base des chiffres d’exécution provisoire publiés par Destatis le 15 janvier 2025.

Source : direction générale du trésor, service économique régional de Berlin.

L’erreur dans les prévisions de croissance du PIB a engendré de moindres recettes fiscales en matière d’impôt sur le revenu, d’impôt sur les sociétés et de TVA. L’élasticité des recettes fiscales s’est en outre révélée inférieure aux attentes, par contraste avec la période post-covid-19 où elle était plus forte. Cette dégradation a été amplifiée par certaines mesures fiscales. Alors que l’inflation avait atteint 8,7 % en 2022, le Gouvernement a attendu fin décembre 2023 pour procéder à l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu, générant une moins-value de 20 milliards d’euros par rapport aux prévisions.

Dans le même temps, le contexte économique et géopolitique a entraîné des dépenses plus élevées que prévu pour déployer des mesures de soutien aux ménages et aux entreprises, notamment afin de stabiliser les prix de l’énergie, pour financer le secteur militaire, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ainsi que des dispositifs sociaux liés à l’accueil d’un peu plus d’un million de réfugiés ukrainiens. L’inflation a par ailleurs entraîné la dégradation de la situation des communes et des Länder du fait d’une augmentation des coûts de fonctionnement des collectivités locales sans que celles-ci bénéficient de compensations financières.

Par ailleurs, comme le soulignait Mme Claire Thirriot-Kwant, ministre-conseillère pour les affaires économiques et cheffe du service économique régional de Berlin au cours de son audition, « les prévisions intermédiaires pendant ces deux années ont varié de manière inexpliquée, ce qui montre toute la difficulté de l’exercice de prévision en période d’incertitudes conjoncturelles » ([177]).

Comme dans le cas du Royaume-Uni et de la France, quoiqu’avec des variations très importantes dans les modalités, le contexte macroéconomique a donc participé à fortement perturber les modèles de prévision. Comme le notait M. Olivier Garnier, directeur des études économiques à la Banque de France, « il est clair que ce problème de prévision n’est pas spécifique à la France. Nous discutons avec les autres membres de l’Eurosystème, qui sont tous confrontés aux mêmes problèmes – prévisions macroéconomiques et des recettes, chiffrage de la consommation et de l’épargne. L’Allemagne a aussi connu des problèmes s’agissant de la TVA. Nous confrontons nos expériences. Ces problèmes se retrouvent partout, particulièrement dans la période que nous venons de traverser » ([178]).

 


II.   Une dégradation des comptes publics depuis la fin de l’année 2023, un effort en réponse portant majoritairement sur les dépenses de l'État

Face aux écarts à la prévision observés en 2023 et 2024, le Gouvernement a pris des mesures pour endiguer la dégradation des comptes publics.

A.   Des Écarts À la prÉvision qui s’expliquent en grande partie par des raisons techniques

Les auditions menées par la commission ont montré que les écarts entre les prévisions et l’exécution du solde public, et en particulier des prélèvements obligatoires, résultaient pour une part non négligeable d’un dérèglement des modèles dans un contexte de crises répétées, de biais dans l’établissement de certaines prévisions de moyen terme ainsi que, dans une moindre mesure, de raisons tenant aux comportements des administrations chargées de la prévision.

1.   Des prévisions perturbées par un contexte de crise énergétique et inflationniste

● L’ensemble des personnes entendues par la commission des finances dans le cadre de ses prérogatives de commission d’enquête se sont accordées pour dire que les écarts à la prévision résultaient en grande partie d’une conjoncture économique déréglée par les crises. La crise énergétique liée à l’agression de l’Ukraine par la Russie et la crise inflationniste sont venues s’ajouter à un environnement macroéconomique encore perturbé par les suites de la crise du covid-19, et ont eu des effets perturbateurs sur les prévisions de finances publiques. La forte volatilité des prix et la remontée des taux d’intérêt ont ainsi pesé sur le comportement des acteurs économiques, notamment sur leurs décisions de consommation et d’investissement, qui ont été plus difficiles à anticiper.

M. Emmanuel Moulin, directeur général du trésor entre novembre 2020 et janvier 2024, a tenu à insister sur le caractère exceptionnel des exercices 2022 et 2023 : « [e]n 2022 et en 2023, nous avons subi deux nouvelles crises, dont l’ampleur a été masquée par la violence de celle subie en 2020. De fait, les crises énergétiques de 2022 et inflationniste de 2023 étaient sans précédent depuis la fin des années 1970. En 2022, le prix du gaz a été multiplié par cinq, à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En 2023, nous avons connu un pic d’inflation à plus de 7 %, au plus haut depuis 1984. Nous avons traversé cette période dans un contexte macroéconomique très heurté et affecté par une très grande volatilité » ([179]).

M. Bertrand Dumont, actuel directeur général du trésor, a lui aussi rappelé que le cadre macroéconomique de 2023 était « inédit » : « [s]i les années 2021 et 2022 ont été marquées par la crise covid et par une très forte volatilité tant en matière d’exécution budgétaire que de produit intérieur brut, 2023 reste une année exceptionnelle, traitée comme telle par la Commission européenne, en raison de la crise géopolitique très grave que vous connaissez et d’une crise énergétique exceptionnelle. Celle-ci a été marquée par un problème de production en France dans les mois précédents et par un dérèglement des marchés mondiaux et européens de l’électricité et des hydrocarbures. Cela a déclenché une inflation à des niveaux inédits depuis une trentaine d’années. Cette forte volatilité macroéconomique, conjuguée au fonctionnement complexe de certains impôts, a eu également un impact sur le comportement des agents qui a été rendu plus difficilement anticipable, ce qui explique la moins bonne prévisibilité des recettes fiscales » ([180]).

Il a également insisté sur le fait que ce contexte de crise demeurait largement ignoré : « nous avons collectivement tendance à sous-estimer la dimension critique de l’année 2023. En effet, nous avons vécu une crise d’inflation qui s’est notamment traduite par une crise énergétique : cela a profondément modifié le comportement des agents. La direction générale du trésor et l’ensemble des observateurs ont sans doute sous-estimé à quel point le niveau d’inflation, inédit depuis plus de trente ans, pèserait sur leurs décisions de consommation et d’investissement. Cette année était donc hors norme sur le plan macroéconomique ; même si cela était moins immédiatement visible que lors du covid, l’incidence était comparable ».

Le rapport de l’IGF de juillet 2024 portait un constat similaire : l’écart à la prévision observé en 2023 « s’inscrit dans un contexte macroéconomique se caractérisant par une inflation élevée, en lien avec la crise énergétique inédite de 2022, et par un net ralentissement de la croissance de la masse salariale au dernier quadrimestre » ([181]). De la même manière, les deux notes d’analyse des prévisions économiques du Gouvernement pour 2023 et 2024 récemment publiées par la direction générale du trésor rendent compte des incertitudes liées aux « aléas majeurs » que constituaient les « conséquences de la guerre d’agression russe en Ukraine, notamment sur l’approvisionnement énergétique » et « l’effet du resserrement monétaire en réponse à la forte hausse de l’inflation » ([182]) ; les prévisions économiques et de finances publiques pour 2023 et 2024 ont ainsi « été réalisées dans un contexte incertain, marqué par la forte volatilité des prix de l’énergie, un niveau d’inflation particulièrement élevé et un resserrement historique de la politique monétaire » ([183]).

Les représentants du ministère de l’économie et des finances n’ont pas été les seuls à souligner ce contexte de crise. Ainsi, M. Olivier Garnier, directeur des études économiques à la Banque de France, a insisté sur le niveau inhabituel d’inflation observé depuis 2022 : « [l’inflation] a effectivement atteint un niveau inhabituel pendant la période. Cela n’a pas été aussi inhabituel que la pandémie l’a été en son temps, certes, mais nous n’avions pas connu un tel niveau d’inflation depuis les années 1980 » ([184]). M. Laurent Bach, économiste à l’Institut des politiques publiques, a quant à lui confirmé que « le gros de l’erreur vient de l’inadaptation des modèles de prévision de chaque impôt à la situation nouvelle, issue de la sortie des confinements, de la crise énergétique et du retournement des taux d’intérêt. Il faut bien dire que l’on n’avait encore jamais vu le bénéfice fiscal croître de plus de 40 points en un an, ni de taux de croissance de l’assiette de TVA à deux chiffres. Sont survenues de ce fait de nombreuses surprises de prévision, positives dans un premier temps, puis très négatives ces derniers temps » ([185]).

Le dérèglement des modèles lié à la conjoncture économique a en outre affecté l’ensemble des secteurs, y compris les administrations de sécurité sociale. Ainsi, selon M. Franck Von Lennep, directeur de la sécurité sociale entre juin 2020 et avril 2024, « [l]’année 2023 a encore été une année très particulière pour l’ensemble des prévisions, y compris du côté de la DSS. L’inflation a évidemment eu en 2022 et 2023 des conséquences très directes sur notre capacité à évaluer précisément les recettes et les dépenses. C’est vrai des dépenses dans le champ de l’Ondam, qui est une norme en valeur susceptible d’être affectée par l’inflation » ([186]). Il a notamment présenté les conséquences négatives que la crise liée au covid-19 a pu avoir sur le suivi des recettes tirées des cotisations de sécurité sociale : « [a]près la crise liée au covid, par exemple, beaucoup de travailleurs indépendants et d’entreprises ont mis en œuvre des plans d’apurement visant à rééchelonner le paiement des cotisations sur plusieurs mois, voire plusieurs années : les recettes rentrent mais on peut difficilement les modéliser, en particulier s’agissant des travailleurs indépendants. Beaucoup de cotisations suspendues en 2020 ont été payées avec retard. Ces dernières années, ce phénomène a brouillé le suivi des recettes en provoquant ce qu’on appelle du bruit statistique ».

Outre les personnes entendues par la commission, le contexte de crise et ses effets sur les prévisions macroéconomiques et de finances publiques ont également été mis en avant dans le rapport du comité scientifique mis en place en novembre 2024, qui, dès ses premières lignes, indique que « [l]a conjoncture depuis 2019 a été marquée par des chocs à la fois nouveaux et de très grande ampleur, ce qui est un défi pour tout instrument de prévision » ([187]).

● On peut relever au moins quatre cas dans lesquels le comportement des agents – privés comme publics – a été difficile à anticiper.

Il s’agit, premièrement, du maintien à un niveau élevé du taux d’épargne des ménages. Comme l’a expliqué M. Bertrand Dumont lors de son audition : « [n]ous nous attendions à un rebond de la consommation, soutenue par la baisse des taux d’intérêt qui favorise l’endettement des ménages et des entreprises pour mener de nouveaux projets. Nous avons au contraire constaté, malgré une progression du pouvoir d’achat en 2023 et 2024, le maintien d’un taux d’épargne historiquement élevé. Avant la crise du covid, il était de 14 % alors qu’il est aujourd’hui de 18 %. À la différence des ménages américains, qui ont massivement utilisé le surcroît d’épargne et de pouvoir d’achat dont ils ont bénéficié lors de la période du covid, les ménages français ont très fortement thésaurisé et continuent de le faire. Nous avions anticipé une évolution positive de la consommation au deuxième semestre 2024. Nous n’étions pas les seuls puisque l’Insee a procédé à une forte révision de la composante consommation dans les déterminants de la croissance entre juillet et octobre » ([188]).

Sur ce point, M. Olivier Garnier, directeur des études économiques à la Banque de France, a indiqué à la commission qu’« [i]l n’était pas aberrant d’imaginer que le surplus d’épargne accumulé par les ménages pendant la période du covid serait consommé. Cela s’est d’ailleurs vérifié aux États-Unis, mais pas en France, ni chez la plupart de nos grands partenaires européens. Ce phénomène était d’autant plus difficile à anticiper que le contexte, je le répète, était inédit : dans ma longue carrière d’économiste, je n’avais jamais vécu un arrêt total de l’économie et une consommation nulle comme nous l’avons vu pendant le covid. […] L’évolution du taux d’épargne a surpris tout le monde, moi le premier. Tout d’abord, comme je l’ai dit, on pouvait légitimement penser que le surplus d’épargne accumulé pendant le covid serait consommé, ou au moins que l’on reviendrait progressivement au niveau d’épargne pré-covid. Il y a bien eu une baisse du taux d’épargne après le covid, et Bercy a tablé sur le fait qu’elle se poursuivrait, mais en 2023 et 2024 le taux d’épargne est reparti à la hausse. Il atteint désormais 18 %, 3,5 points au-dessus de son niveau pré-covid » ([189]).

Deuxièmement, l’évolution des taux d’intérêt a modifié le comportement des ménages et des entreprises, selon des dynamiques qui n’étaient pas évidentes à prévoir ex ante. Ainsi que l’a exposé M. Bertrand Dumont : « nous sommes passés d’une politique monétaire très longue de taux zéro à une hausse très forte des taux en réponse à la poussée inflationniste, qui a profondément affecté le comportement des acteurs. Ce changement explique sans doute notre difficulté à complètement anticiper les comportements des ménages et des entreprises et les dynamiques économiques ».

Comme indiqué précédemment (voir supra le a du 1 A du II du présent rapport), la remontée des taux d’intérêt a notamment entraîné de la part des entreprises un comportement d’optimisation de leur trésorerie les incitant à accroître leurs demandes de remboursement des crédits de TVA. M. Emmanuel Moulin a ainsi indiqué à la commission que « lorsque les taux d’intérêt sont proches de 0 %, les acteurs économiques n’ont pas nécessairement intérêt à récupérer la TVA immédiatement ; il vaut mieux la laisser à l’État. Il peut donc y avoir une décorrélation des comportements. Nous l’avons constaté en 2023, avec le pic inflationniste et l’augmentation des taux : les entreprises ont été plus promptes à demander les remboursements » ([190]). M. Jérôme Fournel et Mme Amélie Verdier, l’ancien directeur général et l’actuelle directrice générale des finances publiques, ont également mis en avant ce phénomène ([191]).

Un troisième effet lié au contexte de crise a trait aux effets de la crise du covid sur les dépenses d’investissement des collectivités territoriales qui ont été décalées par rapport au cycle électoral observé habituellement. C’est notamment ce qu’a indiqué Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales : « [l]e cycle électoral a été marqué, en son début, par une très forte progression de l’investissement, à un niveau que l’on n’avait pas connu depuis les mandats communaux de la période 2002-2007. Elle a été nourrie par le décalage lié à l’arrêt des investissements en 2020. Ceux-ci ont connu une très forte reprise en 2021 et en 2022. On ne retrouve pas cette linéarité au cours des cycles précédents. Le fort soutien de l’État, par le biais du plan de relance, a fortement stimulé l’investissement local lors de la reprise de cycle, à la sortie du covid. La poursuite de ce soutien par la DSIL, la DETR et le fonds Vert a encouragé les élus à conserver ce niveau. En sortie de crise, en 2022 et en 2023, les collectivités présentaient un niveau d’épargne brute tout à fait satisfaisant qui leur a permis – c’est particulièrement le cas pour le bloc communal – de soutenir un fort niveau d’investissement local sans accroître la dette » ([192]).

Quatrièmement, la crise énergétique a rendu très peu prévisible l’évolution des prix de l’électricité, fragilisant ainsi les prévisions de certains prélèvements obligatoires, à commencer par la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (CRIM). Comme l’a indiqué M. Bertrand Dumont : « [n]ous avions en effet retenu à l’été 2023, dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2024, des hypothèses très supérieures aux prix finalement constatés. Certains experts jugeaient que les prix de l’électricité resteraient durablement à un niveau très élevé et il existait des doutes sur le bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz, avec, potentiellement, des effets macroéconomiques très importants » ([193]).

À cet égard, il convient de souligner que personne n’avait anticipé l’évolution des prix de l’électricité, comme l’a notamment rappelé M. Emmanuel Moulin : « la direction générale du trésor ne fait pas de prévisions relatives au prix de l’électricité, pas plus qu’elle n’en fait pour le prix du pétrole ou les taux d’intérêt. Nous estimons que la meilleure prévision est celle du marché. En l’espèce, nous avions logiquement retenu les taux forward, lesquels ne prévoyaient absolument pas un reflux du prix de l’électricité. En conséquence, les recettes issues de la Crim ont été bien moins importantes – tandis que le coût du bouclier a, lui aussi, été moins élevé. Au fond, avec ces instruments nouvellement créés, la position de l’État était ouverte sur les prix des matières premières, que nous ne maîtrisons absolument pas, ce qui rend les prévisions extrêmement compliquées » ([194]).

En tout état de cause, comme l’a indiqué le rapport de l’IGF ([195]), les modèles de prévision ont nécessairement plus de difficulté à prévoir les ruptures de tendance et les situations exceptionnelles. S’il y a bien eu des erreurs dans les prévisions macroéconomiques et de finances publiques pour 2023 et 2024, force est de constater, au regard du contexte de crise traversé, que celles-ci auraient pu être d’une tout autre ampleur.

2.   Des prévisions de finances publiques parfois trop volontaristes, notamment à moyen terme

Durant les auditions menées par la commission, les gouvernements qui se sont succédé depuis 2022 ont tous été accusés d’avoir présenté des prévisions volontaristes – voire irréalistes – ce qui aurait conduit aux écarts à la prévision observés en 2023 et 2024. On trouve derrière ces accusations l’idée selon laquelle le pouvoir politique en place aurait refusé de suivre les prévisions techniques présentées par son administration, en ne retenant pour certains paramètres que les hypothèses les plus favorables.

Il convient de souligner, à titre liminaire, que les auditions de la commission ont largement circonscrit le rôle du pouvoir politique dans la détermination des prévisions macroéconomique et de finances publiques.

Comme l’a expliqué M. Emmanuel Moulin, « il y a évidemment une interaction entre la décision politique et la prévision » : les prévisions « sont présentées au cabinet du ministre. Celui-ci pose bien entendu des questions sur la manière dont a été évalué le produit de tel ou tel impôt ». De telles discussions ont notamment lieu pour la prévision de croissance : « [l]es services font des propositions de taux de croissance et c’est le ministre qui choisit celui qui est retenu. Cela rétroagit sur l’ensemble des prévisions, en particulier sur celles qui concernent les recettes ». Néanmoins, ainsi qu’il l’a affirmé sous serment, « je n’ai jamais vu un ministre demander de changer un chiffre qui lui était présenté et je ne l’ai jamais fait en tant que directeur de cabinet » ([196]).

M. Bertrand Dumont a confirmé que les prévisions présentées dans le cadre des textes financiers soumis au Parlement étaient établies suivant une méthode rigoureuse : « vous m’interrogez sur les recettes, pour savoir si on nous demande parfois de faire de la rétro-ingénierie, si j’ose dire : on nous dirait qu’il faut obtenir tel rendement pour que nous construisions une hypothèse crédible en ce sens. Ma première réponse est non. Les choses ne se passent pas comme ça. Nous établissons une prévision macroéconomique, qui concerne les différents aspects de la croissance française, la consommation, les exports, la situation des entreprises ; nous en déduisons ensuite l’évolution des recettes. L’ensemble sert tout au long de l’année de fondement technique aux prévisions et aux notes transmises aux membres du Gouvernement. […] Nous n’avons jamais biaisé nos prévisions » ([197]).

Mme Amélie Verdier, directrice générale des finances publiques, a également expliqué qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’administration de se montrer trop optimiste ou trop pessimiste : « [n]otre rôle est de préparer des prévisions et il revient aux ministres de présenter leurs choix. Quitte à le dire trivialement, nous n’avons d’ailleurs pas intérêt à nous montrer trop optimistes : en effet, des observateurs se prononcent sur nos prévisions et nous devons rendre compte de l’exécution budgétaire. Tout au long de l’année 2024, les débats internes à la DGFIP ou menés entre administrations ont conclu à la nécessité de faire attention à deux risques, celui de se montrer trop optimistes au regard d’une conjoncture économique que nous n’appréhendions manifestement pas parfaitement – nous peinons à comprendre pourquoi, alors que la croissance se tient, les recettes de TVA sont moindres que prévu – et celui de noircir excessivement le tableau » ([198]).

S’agissant d’un biais systématiquement optimiste dans les prévisions du Gouvernement, si l’on ne peut nier que les prévisions officielles sont souvent plus volontaristes que celles du consensus des économistes, on ne trouve que peu de traces d’un optimisme démesuré dans les prévisions présentées ces dernières années, en dehors toutefois des prévisions de moyen terme qui font l’objet d’un processus de prévision particulier.

a.   Des prévisions officielles souvent plus optimistes que celles du consensus des économistes, mais un écart qui se réduit depuis la création du HCFP

Il convient de reconnaître que les prévisions macroéconomiques présentées par le Gouvernement sont souvent moins pessimistes que les prévisions présentées en parallèle par d’autres organismes de prévision, à commencer par la Banque de France, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et les institutions internationales.

● Les avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) pour les exercices 2023 et 2024 laissent ainsi entrevoir des hypothèses volontaristes retenues par le Gouvernement :

– dans son avis sur le PLF pour 2023 ([199]), le HCFP estime ainsi que la prévision de croissance du Gouvernement (+ 1,0 %) est « supérieure à celle de la majorité des prévisionnistes » et qu’elle s’avère « un peu élevée » du fait de plusieurs hypothèses fragiles (hausse de la consommation, baisse du taux d’épargne, stabilisation de l’investissement, dans un contexte d’incertitude élevée liée à la guerre en Ukraine). Il indique cependant que « les prévisions d’inflation (+ 4,2 %) et de masse salariale dans les branches marchandes (+ 5,0 %) sont quant à elles plausibles » ;

– plus encore, dans son avis sur le PLF pour 2024 ([200]), le HCFP « estime que la prévision de croissance (+ 1,4 %), supérieure à celles du consensus des économistes (+ 0,8 %) […] est élevée. Pour la totalité des postes de demande (consommation, investissement, exportations), le Gouvernement est plus optimiste que ces organismes ». Quant à la prévision d’inflation pour 2024 (+ 2,6 %), si elle est « plausible », elle s’avère toutefois « affectée d’un risque de dépassement » ;

– en définitive, la prévision de déficit public pour 2024 « conjugue principalement des hypothèses favorables et paraît optimiste. La prévision de prélèvements obligatoires est en effet tirée vers le haut par la prévision de croissance élevée de l’activité et, au-delà, par des hypothèses favorables sur le rendement de certains impôts (croissance de la TVA supérieure à celle de sa base taxable, arrêt de la baisse des DMTO). De plus, les dépenses risquent de s’avérer plus élevées que prévu, notamment s’agissant du coût des dispositifs énergétiques et des dépenses de santé (Ondam) ».

Lors de son audition par la commission, M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes et président du HCFP, a tenu à rappeler les alertes lancées par le Haut Conseil : « nous avons alerté ici même sur le caractère optimiste de la quasi-totalité des postes de prévisions du Gouvernement pour l’année 2024. À l’évidence, la prévision de croissance était nettement trop optimiste : elle s’établissait à 1,4 %, soit 0,6 point de plus – c’est considérable – que la prévision moyenne de 0,8 % qui faisait consensus chez les économistes. Tous les organismes de prévision et toutes les organisations internationales avaient alors établi des prévisions de croissance largement inférieures à celle du Gouvernement. […] Une prévision macroéconomique trop optimiste engendre mécaniquement des biais sur la prévision du déficit. Dès son avis du 22 septembre 2023 sur le PLF, le HCFP avait donc alerté sur l’optimisme de la prévision de déficit public pour 2024 en des termes on ne peut plus clairs » ([201]).

Il convient toutefois de noter, comme l’a indiqué M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee et membre du HCFP, que malgré ces remarques concernant l’optimisme des prévisions de prélèvements obligatoires, « aucun membre du Haut Conseil n’imaginait, à cette date, un écart de 50 milliards d’euros [en 2024] – en tout cas, cela ne se lit pas dans l’avis » ([202]).

En tout état de cause, le HCFP n’a jamais qualifié les prévisions du Gouvernement d’irréalistes, et encore moins d’insincères. Comme l’a indiqué M. Emmanuel Moulin, le HCFP « a noté que [la prévision] était peut-être dans la fourchette haute des prévisions sans être décalée » ([203]). M. Bertrand Dumont a quant à lui ajouté que le HCFP a toujours jugé les prévisions « optimistes » mais « vraisemblables » ([204]).

● Une analyse des services du HCFP ([205]), portant sur la période 2004-2023, abonde également dans le sens d’un biais légèrement optimiste du Gouvernement. Elle révèle que :

– les prévisions de croissance du Gouvernement « sont en moyenne un peu optimistes par rapport à celles du consensus des économistes » (+ 0,2 point de PIB en moyenne) et qu’elles le sont « encore davantage par rapport à leur réalisation » (+ 1,05 point en moyenne ou + 1,35 point en enlevant les années de crise 2009, 2020 et 2021), ce qui désigne un « biais optimiste » ;

– de la même manière, les prévisions de consommation des ménages et d’investissement des entreprises présentées lors du PLF « ont été, en moyenne, plus optimistes et moins précises au cours des vingt dernières années que celles de l’activité dans son ensemble », en particulier en ce qui concerne les prévisions de consommation des ménages et leur réalisation en 2022 et 2023 ;

– s’agissant de l’inflation, les prévisions du Gouvernement « se situent en moyenne légèrement inférieures à leur réalisation (– 0,1 point de pourcentage) » mais « en moyenne au niveau de leur réalisation » si l’on ne tient pas compte des années de crise 2009, 2020 et 2021.

L’étude fait néanmoins remarquer que, depuis la création du HCFP, en 2013, les prévisions du Gouvernement « ont été globalement un peu plus prudentes, en particulier avant le déclenchement de la crise sanitaire ».

b.   L’existence d’un biais optimiste des prévisions macroéconomiques et de prélèvements obligatoires n’est pas démontrée pour la période récente

● L’existence d’un biais optimiste dans les prévisions du Gouvernement pour la période récente est contestable, tout au moins pour la période 2021-2023.

Ainsi, pour les années 2021 et 2022, les prévisions présentées par le Gouvernement se sont avérées plus pessimistes que leur réalisation, avec un déficit public inférieur à la cible initiale (à hauteur de + 1,7 point de PIB en 2021 et + 0,3 point en 2022) et des recettes publiques largement supérieures au niveau attendu (compte tenu d’une élasticité des prélèvements obligatoires au PIB particulièrement élevée de 1,2 en 2021 et 1,5 en 2022).

En outre, pour l’année 2023, malgré la moins-value importante constatée en recettes, le taux de croissance exécuté (+ 0,9 %) est finalement assez proche de la prévision initiale (+ 1 %), initialement jugée « un peu élevée » par le HCFP. Il est vrai, comme indiqué précédemment, que la composition de la croissance est sensiblement différente de celle qui avait été anticipée (voir supra le b du 3 du A du I du présent rapport). Il est donc difficile d’affirmer que la prévision initiale était optimale ; le Gouvernement ne peut toutefois pas être accusé d’avoir été particulièrement volontariste.

Évolution des prÉvisions de croissance du consensus des Économistes

Source : direction générale du trésor, « Retour sur les prévisions économiques du Gouvernement pour 2023 et 2024 », Trésor‑Éco, n° 355, décembre 2024.

Quant à l’écart entre les prévisions du Gouvernement et celles du consensus des prévisionnistes, celui-ci s’est progressivement réduit, les secondes ayant convergé vers les premières.

S’agissant de la prévision d’inflation, le profil prévu dans la prévision associée au PLF pour 2023 s’est confirmé, avec un pic d’inflation en début d’année suivi d’un reflux progressif sur le reste de l’année, en raison notamment d’une diminution des prix de l’énergie puis de l’alimentation. En outre, si le taux d’inflation sur l’ensemble de l’année (+ 4,9 %) a été plus élevé que la prévision initiale (+ 4,2 %), cette dernière en était plus proche que celle du consensus (+ 3,6 %).

● Pour l’année 2024, la prévision de croissance du Gouvernement était en effet un peu plus volontariste.

Dans le PLF pour 2024, le Gouvernement présentait une prévision de croissance de + 1,4 % (révisée à la baisse par rapport à la prévision de + 1,6 % du PSTAB d’avril 2023). Le HCFP, dans son avis, l’avait jugée « élevée » ; elle était en effet supérieure de 0,6 point aux prévisions du consensus des économistes (+ 0,8 %). Toutefois, comme l’a fait remarquer M. Emmanuel Moulin, directeur général du trésor au moment de l’établissement des prévisions associées au PLF pour 2024, ce chiffre n’était pas très éloigné de ceux avancés par la Commission européenne et par l’OCDE à la même époque : « [l]a prévision pour le PLF 2024 se fait au cours de l’été 2023, vers la fin du mois d’août. Lors de l’élaboration du projet de loi de finances, la prévision de croissance est proche de celle des institutions internationales, qui nous servent, en quelque sorte, de benchmark. La Commission européenne et l’OCDE prévoient une croissance de 1,2 % et le Fonds monétaire international (FMI) de 1,3 %. Notre prévision n’est donc pas absolument hors des clous » ([206]).

Au demeurant, la prévision de croissance pour 2024 a été révisée dès le 13 février 2024, quelques jours seulement après la finalisation du budget économique d’hiver, à un niveau ne pouvant pas être qualifié de particulièrement optimiste, comme l’explique M. Emmanuel Moulin, entretemps devenu directeur de cabinet du Premier ministre : « nous avons révisé la prévision de croissance à 1 % – nous avons finalement été assez prudents, puisque l’acquis de croissance à la fin du troisième trimestre 2024 est d’ores et déjà de 1,1 % ».

En définitive, le taux de croissance du PIB en 2024 a été relevé à + 1,1 % dans la prévision associée au PLF pour 2025 et devrait atteindre ce niveau selon les dernières prévisions de l’Insee. Ce chiffre se situe donc à la moyenne des prévisions initiales du Gouvernement et de celles du consensus des économistes ; les premières se seront trompées de 0,3 point à la hausse, les secondes de 0,3 point à la baisse. Par rapport à la prévision initiale, la croissance aura été davantage portée par le commerce extérieur et la demande publique, et moins par la demande intérieure privée, ce qui aura logiquement pesé sur les recettes publiques.

Le taux d’inflation, quant à lui, aura été plus faible que prévu – s’élevant à + 2,0 % en 2024 d’après les dernières données de l’Insee –, ce qui aura eu un effet défavorable sur le niveau des recettes fiscales. Il convient toutefois de souligner que la prévision initiale du Gouvernement (+ 2,6 %) avait été jugée « plausible » par le HCFP. Selon la direction générale du trésor, ce sont « les prix alimentaires qui ont ralenti plus nettement que prévu ; les prix des services ont également été un peu moins dynamiques, en particulier en raison de la baisse des prix des télécommunications » ([207]).

c.   Toutefois, les prévisions de moyen terme présentées dans le cadre des programmes de stabilité ont été très volontaristes

Si l’existence d’un biais optimiste pour les prévisions macroéconomiques et de prélèvements obligatoires n’est pas démontrée, tel n’est pas le cas de certaines des prévisions de finances publiques à moyen terme (à un horizon de quatre ou cinq ans), présentées dans le cadre du programme de stabilité (PSTAB), désormais dans le plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT), ou dans les lois de programmation des finances publiques. Ces prévisions sont élaborées selon une procédure distincte de la prévision à court terme (pour l’année en cours ou la suivante) ; on dit d’elles qu’elles sont « normées » ou « stylisées ».

● Lors de son audition par la commission, M. François Ecalle a ainsi indiqué que « [l]e degré d’implication du pouvoir politique diffère toutefois selon l’horizon des prévisions. Les prévisions à moyen terme – les programmes de stabilité, les lois de programmation –, au-delà de l’année n+1, ont toujours été complètement normées, le but étant d’afficher un objectif de déficit public : jusqu’à il y a quelques années, il s’agissait de le ramener à zéro ; désormais, l’ambition est un peu moindre et vise un seuil juste un peu en dessous de 3 % du PIB. Le programme de stabilité et la loi de programmation sont ensuite construits pour y parvenir, ce qui est totalement politique. À l’approche de la fin de l’année en cours, alors que l’Insee va rendre son verdict au mois de mars de l’année suivante, l’intérêt politique à normer les prévisions est bien moindre – le politique intervient donc bien moins, alors qu’il le fait beaucoup s’agissant de l’année en cours » ([208]).

Les prévisions de moyen terme sont donc calibrées pour afficher une trajectoire permettant de ramener le solde public en dessous des 3 % du PIB à un horizon de trois à cinq ans : « [c]omment construit-on un programme de stabilité ou une loi de programmation des finances publiques ? Vous commencez par les recettes. Vous prenez une croissance potentielle un peu optimiste – mais pas trop, il ne faut pas que ce soit trop voyant ; une croissance du PIB en volume qui lui permet de rejoindre son potentiel ; une croissance des prix qui se stabilise au niveau cible de la Banque centrale européenne, c’est-à-dire un peu en dessous des 2 %. Vous obtenez ainsi une croissance du PIB en valeur. En appliquant une élasticité de 1, vous obtenez l’évolution des recettes. Ensuite, vous passez aux dépenses, dont vous calculez la croissance pour qu’elle vous permette d’atteindre votre objectif de déficit… Et si jamais le résultat est vraiment irréaliste, vous pouvez ajouter un soupçon de mesures fiscales nouvelles que vous ne documentez pas, et qui vous permettront de remonter un peu le taux des prélèvements obligatoires. Bref, il n’y a rien derrière, c’est purement normatif ! […] Cela donne une prévision de moyen terme qui n’a jamais été respectée, et qui est à mon sens purement politique ».

Aussi est-il peu étonnant que le HCFP, dans ses avis sur le PSTAB 2023 ([209]) et le PSMT 2024 ([210]), ait estimé que les prévisions du Gouvernement étaient « optimistes » tant s’agissant du scénario de croissance que des prévisions de finances publiques et critiqué les mesures de maîtrise des finances publiques « non documentées ».

Lors de son audition par la commission ([211]), M. Pierre Moscovici, président du HCFP, a rappelé que, dans son avis sur le PSTAB de 2024, le Haut Conseil « a utilisé des termes très forts, voire inédits pour lui, en soulignant que la nouvelle trajectoire du programme de stabilité « [manquait] de crédibilité », ce qu’il avait déjà dit, et de « cohérence » – ce qu’il n’avait jamais dit. De crédibilité, d’une part, car l’ajustement structurel présenté était « considérable sur deux ans », que « sa documentation [était] lacunaire ». Le HCFP a signalé de nouveau qu’« en l’absence de mécanisme contraignant », le montant de la contribution des collectivités à cet ajustement n’était pas réaliste. De cohérence, d’autre part, car la mise en œuvre de l’ajustement prévu aurait pesé au moins à court terme sur la croissance – en cas de prélèvement important sur la croissance, il est compliqué qu’elle augmente. Le RSPFP paru au mois de juillet faisait exactement le même constat. Les prévisions du Gouvernement en matière de croissance et de déficit en 2027 étaient inexactes – notre raisonnement était imparable et les fonctionnaires étaient gênés de nous présenter de telles prévisions auxquelles ils ne pouvaient croire ».

Il a également ajouté qu’« il n’est pas sérieux de transmettre à la Commission européenne des trajectoires pluriannuelles reposant sur des sous-jacents macroéconomiques optimistes et déjà caducs avant même le début de leur mise en œuvre. Il n’est pas sérieux de prendre des engagements sur la maîtrise des dépenses sans se donner les moyens de les tenir. La crédibilité de notre pays exige de revenir à une approche plus vertueuse, c’est-à-dire plus proche de la vérité ».

● Concernant les prévisions de prélèvements obligatoires, les PSTAB de 2023 et 2024 présentent certaines prévisions étonnantes, qui s’écartent sensiblement de la prévision initiale et qui sont contredites dès la prévision actualisée de fin d’année. C’est notamment le cas de la prévision des recettes de l’IS dans le PSTAB 2023, supérieure de 22 % à la prévision initiale et révisée à la baisse de plus de 6 milliards d’euros dès la LFG 2023. Les sous-jacents de la hausse de cette prévision dans le PSTAB 2023 demeurent inexpliqués par le rapport de l’IGF (voir supra le b du 1 A du I du présent rapport).

Les auditions n’ont guère permis d’éclaircir ce point. M. Emmanuel Moulin, directeur général du trésor au printemps 2023, a expliqué la hausse passagère des prévisions de recettes de l’IS prévue dans le PSTAB 2023 par un début d’exercice « assez dynamique » suivi d’un retournement de la conjoncture et la croissance « devenue quasiment atone au deuxième semestre » ([212]). M. Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques, a quant à lui indiqué que « dans le courant de l’année 2023, on tablait sur une hausse de 13 % de l’excédent brut d’exploitation, et, étant donné la manière dont les modèles sont construits, cette augmentation très significative de la richesse produite aurait dû se répercuter sur les recettes de l’IS. […] Il faut reconnaître une tendance collective à s’autopersuader que les recettes supplémentaires constatées en 2021 et en 2022 relevaient d’une dynamique, et que le même phénomène allait se produire en 2023. Or ce fut l’année du retournement » ([213]).

Évolution des prÉvisions de l’impÔt des sociÉtÉs en 2023

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les données du ministère de l’économie et des finances.

De la même manière, la prévision des recettes de la contribution sur les rentes inframarginales (CRIM) de la production d’énergie du PSTAB 2024 (2,1 milliards d’euros) s’écarte à la fois de la prévision associée à la LFI 2024 (0,5 milliard d’euros) et de celle de la LFG pour 2024 (0,1 milliard d’euros). Cela est d’autant plus étonnant que l’écart à la prévision avait été particulièrement important en 2023, ce qui aurait dû appeler le ministère de l’économie et des finances à davantage de prudence.

Évolution des prÉvisions de la CRIM en 2024

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après les données du ministère de l’économie et des finances.

On peut regretter que les prévisions de prélèvements obligatoires associées au PSTAB et désormais au PSMT ne soient pas détaillées impôt par impôt. La publication de chiffres globaux empêche en effet le HCFP, le Parlement et les organismes de prévision extérieurs au ministère de l’économie et des finances de contre-expertiser les annonces présentées par le Gouvernement.

● Plus encore, la prévision de dépenses des collectivités territoriales présentée dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 ([214]) et dans le PSTAB 2023, puis reprise dans la loi de finances pour 2024 et le PSTAB 2024, a assurément manqué de réalisme. Elle consistait en une diminution de 0,5 % par an en volume des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales, qui a donc été largement dépassée de l’ordre de 8 milliards d’euros en 2024.

Cet objectif était initialement associé à un mécanisme contraignant, qui imposait, en cas de dépassement de la cible, un dialogue entre les préfets et les collectivités responsables du dépassement devant aboutir à un accord de retour à la trajectoire assorti de reprises financières en cas de nouveau dépassement. Cette disposition a finalement été retirée du texte. Le rapporteur Mathieu Lefèvre considère qu’il s’agit là de l’un des éléments majeurs d’écart à la cible.

Il convient néanmoins de relever que le HCFP, dans ses avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques ([215]) ainsi que sur le PLF pour 2024 ([216]), avait souligné que les mesures d’économies attendues des administrations publiques locales n’étaient pas suffisamment précisées et que l’hypothèse d’un fort ralentissement de leurs dépenses de fonctionnement lui paraissait « fragile » en l’absence d’auto-saisine des collectivités locales de cet enjeu.

Lors de son audition par la commission, le président du HCFP a estimé qu’« en 2024 bien plus encore qu’en 2023, la dépense publique est apparue hors de contrôle. Ce n’est pas très surprenant : comme la Cour et le HCFP l’avaient signalé, les objectifs de maîtrise de la dépense n’étaient pas documentés – j’y insiste – et, pour les collectivités locales, ne faisaient l’objet d’aucun mécanisme contraignant de régulation. Lors des auditions qu’il avait menées, le HCFP avait demandé aux représentants du Gouvernement comment ils diminueraient la dépense publique de 0,5 point de PIB alors qu’aucune contrainte n’était prévue. Dans ces conditions, nous n’avons pas cru à ces chiffres » ([217]).

En outre, selon l’association des Départements de France, l’objectif paraissait « assez peu réaliste […], non pas au titre de l’absence de mécanisme de contrôle et de sanction, mais en raison de la dynamique spontanée des dépenses sociales (avant retraitement des dépenses d’allocations individuelles de solidarité et d’aide sociale à l’enfance prévu dans la loi) ainsi que de l’imposition de nouvelles dépenses décidées par l’État et pourtant prises en compte dans le périmètre d’évolution des dépenses. En d’autres termes, l’État nous demande de réduire nos dépenses tout en contribuant à leur augmentation » ([218]). Il est vrai que, les dépenses contraintes représentant près de 70 % des dépenses des départements, il était difficile d’envisager une diminution globale des dépenses pour cet échelon.

M. François Ecalle a lui aussi confirmé que les prévisions de dépenses des collectivités territoriales différaient à l’évidence des prévisions techniques : « [l]es années 2023 et 2024 sont clairement marquées par les dépenses des collectivités locales, pour lesquelles la prévision figurant dans le programme de stabilité d’avril 2024 ne correspondait pas à la prévision technique. Pour ces années, je ne suis pas capable d’établir la part qui relève du biais optimiste des ministres et celle qui correspond à des erreurs techniques, même si je pense que cette dernière – en ce qu’elle se rapproche du verdict – est beaucoup plus importante » ([219]).

M. Olivier Redoules, directeur des études de Rexecode, a affirmé que les cibles officielles relevaient davantage de l’intention que de la prévision : « [u]ne partie importante de la surprise vient du fait qu’une partie de la prévision relevait plus de l’intention que de la prévision, et était pour partie performative. Rien ne forçait les collectivités locales à faire les efforts anticipés par le Gouvernement. Elles ne les ont d’ailleurs pas faits. Il y a donc eu un mélange qui se voit davantage traditionnellement sur les programmations de moyen terme, notamment les programmes de stabilité ou des lois de programmation de finances publiques » ([220]).

Si le Gouvernement n’a pas tenu compte des alertes du HCFP et des associations d’élus locaux, ni lors de l’adoption de la loi de programmation des finances publiques ni lors de l’examen du PLF pour 2024, la direction générale du trésor, lors de son audition par la commission, a convenu que la prévision de dépenses des collectivités territoriales avait été « imprudente » ([221]).

3.   Une élasticité des prélèvements obligatoires au produit intérieur brut difficile à estimer

Ce ne sont donc pas fondamentalement les prévisions macroéconomiques présentées par le Gouvernement qui sont remises en cause – même si le rapporteur Éric Ciotti estime que ce constat ne vaut pas pour l’année 2024 –, mais la façon dont les finances publiques, et notamment les recettes publiques, ont réagi par rapport à l’activité économique.

Si le produit des prélèvements obligatoires (PO), hors mesures nouvelles, et le produit intérieur brut (PIB) peuvent évoluer de façon distincte d’une année à l’autre, ils évoluent de concert en moyenne sur plusieurs années. On dit que l’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB est unitaire (1 euro de PIB supplémentaire génère 1 euro de recettes supplémentaire).

Cette mécanique, simple en apparence, est toutefois difficile à prévoir précisément à court terme. Lorsque l’élasticité s’est écartée sur une année de sa moyenne unitaire, il n’est pas toujours évident d’affirmer sur quelle période un rééquilibrage en sens inverse doit s’opérer, ni avec quelle intensité ou rapidité. Par ailleurs, l’élasticité ne fait pas directement l’objet d’une prévision. Comme l’a indiqué M. Emmanuel Moulin à la commission : dans les modèles, l’élasticité est un « output », pas un « input ». Elle est calculée « comme la résultante des prévisions de PIB nominal d’une part et des prévisions de recettes de PO d’autre part, ces dernières étant réalisées impôt par impôt sur la base des déterminants et mécaniques propres à chaque impôt » ([222]).

Or, la crise du covid-19 suivie par la crise énergétique et la crise inflationniste ont affecté le profil de l’élasticité : elle a d’abord atteint un niveau plus élevé que celui qui était attendu, puis ce fut l’inverse. C’est ce qu’a rappelé M. Bertrand Dumont à la commission : « [d]e façon générale, sur une longue période, les recettes publiques évoluent en lien avec le PIB […] il y a une équivalence entre le rythme de progression de la richesse et celui des prélèvements obligatoires – ce point est bien documenté, notamment par le Haut Conseil des finances publiques. Cette mécanique bien huilée a été profondément remise en cause par la crise covid et par la crise inflationniste de l’année 2023. En 2022, les recettes ont progressé beaucoup plus vite que la richesse, avec une élasticité de 1,5 – 1 euro de richesse produite en plus permet de collecter 1,50 euro supplémentaire de taxes. Après ce moment de fort dynamisme, nous attendions un contrecoup en 2023 ; or celui-ci a été nettement plus important qu’anticipé. Alors que le projet de loi de finances prévoyait 0,6, il s’est établi à 0,4, ce qui est exceptionnel » ([223]).

Du point de vue de la prévision, il convient de souligner que, après deux années marquées par une élasticité historiquement élevée de 1,2 en 2021 puis 1,5 en 2022 – au cours desquelles l’administration avait pu être jugée trop pessimiste – le Gouvernement avait anticipé le retournement de l’élasticité en 2023, en la fixant à un niveau de 0,6. Comme le souligne la direction générale du trésor, « [l]a présentation d’une hypothèse d’élasticité infra-unitaire est notable car il est rare de déroger dès avant le début de l’année en question à l’hypothèse d’une élasticité proche de l’unité » ([224]). On peut également noter que le recul de l’élasticité en 2023 était en outre déjà anticipé à 0,5 dès le PSTAB de juillet 2022.

En définitive, l’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB a atteint 0,4 en 2023. L’ampleur de son recul a donc bien été sous-estimée ; mais il est difficile d’en faire reproche au Gouvernement ou à son administration. Sur ce point, M. Emmanuel Moulin a rejeté l’hypothèse d’une prévision trop optimiste : « [i]l se trouve que, cette année-là, le résultat a finalement été pire, puisque l’élasticité a été de 0,4. Je ne pense donc pas qu’on puisse dire que nous avons été excessivement optimistes en 2023. Il faut se rappeler que nous avions été très pessimistes en 2021 et en 2022. Nous avions expliqué au ministre que l’élasticité serait proche de l’unité mais, de façon un peu surprenante, elle a finalement été de 1,5. Nous avons donc retenu le chiffre de 0,6 en 2023 car il correspondait au point bas que nous étions en mesure de justifier » ([225]).

Le rapport de la mission d’information du Sénat reconnaît d’ailleurs que la normalisation de l’année 2023 était « sans doute difficile à apprécier précisément » ([226]). Il ajoute qu’« [il] serait […] excessif de dire que, en la matière, [le Gouvernement] a péché par imprudence, car la prévision initiale d’élasticité de 0,6 était déjà inférieure à toutes celles qui avaient été enregistrées depuis 2012, excepté en 2013. Il n’est toutefois pas exact d’indiquer que l’élasticité rencontrée en 2023 était inédite » ([227]).

Il convient de souligner que les modèles ont nécessairement plus de difficulté à prévoir les ruptures de tendance et les plus gros écarts à la moyenne. Le rapport de l’IGF confirme ainsi l’hypothèse selon laquelle « les élasticités des années 2022 et 2023 […] seraient extrêmes (respectivement forte et faible) et d’autant plus difficiles à prévoir [et qu’]il y aurait un effet de retour à la moyenne de l’élasticité prévue […] la prévision a tendance à être plus proche de l’élasticité unitaire que l’observation : on observe dans la prévision une « force de rappel » vers la moyenne […] Cet effet est mis en évidence pour l’exercice 2023 : l’élasticité prévue est de 0,59 et l’élasticité observée atteint 0,42, illustrant ainsi la tendance au retour à la moyenne dans la prévision et la difficulté à prévoir les épisodes extrêmes » tels que ceux de 2022 et 2023 ([228]).

Quant à l’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB pour l’année 2024, comme l’a expliqué M. Emmanuel Moulin : « nous avions prévu une élasticité de 1,1 en suivant le raisonnement selon lequel elle reviendrait vers sa norme, c’est-à-dire l’unité. Notre calcul, qui a consisté à prendre la moyenne des élasticités – très heurtées – de 2021 à 2024, donnait à peu près une élasticité unitaire pour 2024. Cette prévision s’est révélée effectivement un peu optimiste. Des éléments de contexte et de conjoncture font que l’on se retrouve avec une élasticité plus faible que prévu. Cette dernière a été révisée à 0,8 en avril ». Elle a été ramenée à 0,7 dans la prévision associée au PLF pour 2025, ce qui paraît désormais cohérent ([229]).

Les raisons qui expliquent pourquoi l’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB s’est révélée plus faible que prévu en 2023 et 2024 tiennent à divers facteurs, notamment une masse salariale révisée à la baisse en fin d’année et des remboursements de crédits de TVA plus dynamiques qu’attendu. Comme l’a exposé M. Bertrand Dumont : « le ralentissement des salaires, plus fort qu’anticipé à la fin de 2023, a eu des conséquences mécaniques sur les recettes fiscales qui en découlent – cotisations sociales, CSG, impôt sur le revenu – et sur l’inflation, qui a significativement reflué. C’est une bonne nouvelle pour l’économie française mais cela a néanmoins un impact négatif sur les recettes en valeur – quand l’inflation diminue, le PIB en valeur évolue moins vite et la collecte de TVA rapporte moins d’euros. Enfin, le comportement des agents joue un rôle important, avec une surprise à la baisse sur les recettes d’impôt sur les sociétés à la fin de l’année 2023 » ([230]).

4.   Une coordination parfois insuffisante entre administrations et une certaine retenue face aux prévisions pessimistes

Outre les effets liés aux crises ainsi qu’à d’éventuels biais du Gouvernement, les écarts à la prévision entre 2023 et 2024 peuvent également s’expliquer, dans une moindre mesure, par une coordination parfois insuffisante entre les administrations chargées de la prévision, ainsi que par une retenue des directions techniques dans l’annonce de prévisions négatives.

a.   Une coordination insuffisante entre les administrations a pu participer à des remontées d’informations divergentes aux autorités politiques

La coordination des administrations constitue l’une des causes identifiées par la mission de l’IGF ([231]) pour expliquer les écarts à la prévision internes, et donc potentiellement évitables, pour 2023.

De manière générale, la production des prévisions de recettes par les administrations est fondée sur la construction d’un consensus. Toutefois, l’insuffisance des échanges inter-administrations en dehors des grandes étapes du calendrier budgétaire a pu participer à une mauvaise perception de la situation des finances publiques.

L’organisation de la production des prévisions de recettes suit le calendrier des textes budgétaires. Elle se décompose selon un cycle de quatre réunions auxquelles participent la direction du budget (DB), la direction générale des finances publiques (DGFIP), la direction générale du trésor (DGT), et ponctuellement la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) et la direction de la législation fiscale (DLF) :

– en février ou mars de l’année n, des prévisions de recettes pour l’année n et les années suivantes sont établies en vue du PSTAB (ou désormais du PSMT ou du rapport annuel d’avancement relatif au PSMT) qui doit être adopté et présenté au Conseil européen avant le 30 avril ;

– en juin ou juillet, les prévisions de recettes en année n et n+1 sont actualisées dans le cadre de la préparation du PLF de l’année n+1 ;

– à la fin du mois d’août, les prévisions pour l’année n sont actualisées et celles pour le PLF de l’année n+1 sont arrêtées en vue de sa transmission au HCFP ;

– en octobre, les prévisions pour l’année n sont actualisées dans le cadre de la préparation du PLFG de l’année n.

La formation des prévisions de recettes :
un exercice de consensus

La participation des cabinets aux réunions inter-administrations préparant les prévisions a fortement évolué depuis 2017. Le rapport sur La prévision des recettes fiscales de l’état entre 2014 et 2023 relève ainsi qu’« [a]lors que la Cour des comptes avait souligné en 2013 que la procédure était marquée par la concurrence entre les directions, c’est aujourd’hui la recherche de consensus qui domine » ([232]). Les cabinets ministériels n’assistent par ailleurs plus à ces réunions techniques et n’interviennent que pour en challenger les conclusions au moment de la validation finale des prévisions.

Cette évolution des relations entre cabinets et administrations a pu être confirmée au cours des auditions, tant par d’anciens membres de cabinets que par les directeurs d’administration. M. Jérôme Fournel, ancien directeur général des finances publiques puis directeur de cabinet de MM. Bruno Le Maire et Gabriel Attal, expliquait ainsi devant la commission qu’« [i]l y a très longtemps, les membres des cabinets des ministres et ceux des directions de Bercy se réunissaient, puis on effectuait ce que les directions appelaient un « normage ». Tout cela a disparu depuis belle lurette. Les membres des cabinets s’appuient sur les prévisions, mais ils peuvent réfuter les analyses des administrations, ce qui est tout à fait légitime ». En revanche, une fois que le consensus inter-administrations remonte aux cabinets, ceux-ci peuvent contrôler la cohérence des prévisions de l’administration : « [i]l peut arriver que le cabinet démontre que certaines hypothèses de l’administration ne tiennent pas, ce qui conduit à corriger la première copie. Il s’agit d’une saine interaction : les cabinets reconnaissent la compétence technique des administrations, mais celles-ci acceptent de voir leurs choix remis en cause, étant donné que le montant des recettes et le taux de croissance ne sortent pas d’un programme informatique. Il est sain de questionner les choix et les présentations des administrations » ([233]).

Cette évolution des rapports entre cabinet et administration a été confirmée par les directeurs d’administration auditionnés. M. Franck Von Lennep, ancien directeur de la sécurité sociale, relevait ainsi que « s’il est arrivé que des membres des cabinets participent à de telles réunions d’arbitrage – j’ai moi-même présidé des réunions en leur présence –, ce n’est plus du tout le cas. Chaque direction, sur la base de son expérience et des données dont elle dispose, confronte ses prévisions à celles des autres, dans le but d’arrêter l’hypothèse la plus réaliste possible » ([234]).

Des réunions supplémentaires peuvent avoir lieu, notamment lorsque des lois de finances rectificatives sont présentées au Parlement ou en cours d’examen parlementaire du PLF, et des échanges techniques préparent chaque étape du cycle budgétaire. L’évolution des prévisions macroéconomiques de la DGT et des rentrées fiscales constatées par la DGFIP et la DGDDI sont analysées. La DB joue un rôle de synthèse dans les échanges, et transmet à leur issue une note aux cabinets des ministres. L’ensemble de ces réunions techniques doivent permettre un renforcement progressif de la fiabilité des prévisions de recettes au cours de l’année.

Ce calendrier est toutefois relativement récent, lié à la distension des relations entre les administrations depuis la crise sanitaire. Les membres de la mission de l’IGF soutenaient ainsi au cours de leur audition que « [l]’échange d’informations s’est quelque peu dégradé depuis la crise du covid : les directions tenaient auparavant des réunions mensuelles de suivi des prévisions, mais ces rencontres n’ont jamais repris après la crise sanitaire. Il n’y a désormais plus que quatre réunions annuelles, destinées à fonder, entre les administrations, le consensus que nous décrivons dans notre rapport » ([235]).

Il apparaît toutefois que la périodicité de ces réunions laisse des « creux » au cours de l’année, où la synthèse inter-administrations des informations disponibles n’est plus systématique. S’agissant des recettes de l’État, l’impôt sur le revenu a ainsi pu faire l’objet de remontées différentes aux ministres selon les administrations à l’automne 2023. Comme le relève la mission de l’IGF dans son rapport, « la note du 7 décembre commune DG Trésor et DB sur l’actualisation du déficit 2023 n’anticipe qu’une baisse de - 0,5 Md€ de l’IR alors que la DGFIP anticipe – 1 Md€ le 8 décembre » ([236]).

De là émerge le constat de la nécessité d’une remise en place des réunions de recettes mensuelles entre la DB, la DGFIP et la DGT afin de partager l’information sur les remontées comptables et les comparer aux profils de prévision. Cette recommandation est d’ailleurs partagée par l’administration comme ont pu le faire valoir les membres de la mission au cours de leur audition : « [l]es directions étaient arrivées d’elles-mêmes à la conclusion de la nécessité de réorganiser ces réunions – recommandation qui figurait dans notre rapport » ([237]).

b.   Le suivi moins approfondi des recettes dans la sphère sociale a conduit à ignorer des informations disponibles sur les moins-values de cotisations et contributions sociales

Le rapport de l’IGF ([238]) identifie environ 2 milliards d’euros de moins-values dans la sphère sociale qui n’ont pas été signalés par les administrations en novembre et décembre 2023. Sur les 21,1 milliards d’euros d’écarts à la prévision entre le PLFG 2023 et l’exécution, la mission estime que 7,8 milliards d’euros étaient identifiables au 20 novembre 2023 et 10,3 milliards d’euros au 12 décembre 2023. Cependant, seuls 3,7 milliards d’euros d’écarts avaient été identifiés par les administrations et remontés aux ministres au 20 novembre (sous-estimation de 4,1 milliards d’euros, et 6,6 milliards d’euros au 12 décembre (sous-estimation de 3,7 milliards d’euros). Ces sous-estimations tiennent à la non-exploitation d’informations pourtant disponibles sur l’IS (2 milliards d’euros) et les cotisations et contributions sociales (2,1 milliards d’euros en novembre et 1,7 milliard d’euros en décembre). C’est pour ces dernières qu’il apparaît qu’une coordination insuffisante entre les administrations a participé à un suivi lacunaire des données.

Dans son avis sur le PLFG pour 2023 ([239]), le HCFP, avait en effet émis une alerte sur les prévisions de cotisations et de prélèvements sociaux à partir des remontées de l’Urssaf : « [l]e Gouvernement maintient sa prévision d’une progression de la masse salariale des branches marchandes non agricoles de 6,5 % en 2023. Cette prévision apparaît désormais un peu élevée au vu des données mensuelles de l’Urssaf de juillet et d’août, qui témoignent d’un net ralentissement (+ 5,4 % en glissement annuel en juillet et août 2023, contre + 6,6 % au premier semestre). Si ce ralentissement se confirmait sur la fin de l’année, la progression de la masse salariale des branches marchandes non agricoles se situerait plutôt autour de 6,0 % en 2023 ». Ces données comptables n’ont pourtant pas été prises en compte dans les notes de la DGT.

Au cours de leur audition, les membres de l’IGF ont pu développer les causes de cette absence de prise en compte des alertes du HCFP : « nous formulons l’hypothèse que le moindre dynamisme de la masse salariale est intervenu à une période où il n’y avait pas de suivi particulier lié à l’établissement d’une prévision dans le champ de la sécurité sociale […]. Une première prévision est établie en septembre, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et une seconde en fin d’année. En l’occurrence, on se trouvait entre les deux » ([240]).

Le champ des administrations de sécurité sociale apparaît de manière plus générale comme faisant l’objet d’un suivi moins régulier que l’État. Ainsi que l’ont affirmé les membres de l’IGF : « nous avons constaté […] que le champ des administrations de sécurité sociale pourrait être mieux suivi. En effet, pour ce qui concerne l’État, on a trouvé beaucoup plus de données consolidées sur l’historique de l’écart de prévision et la décomposition des écarts. C’est moins le cas pour les administrations de sécurité sociale, dont le suivi est éclaté entre la direction de la sécurité sociale ».

INFORMATIONS CONNUES SUR LES MOINS-VALUES DES RECETTES
PAR RAPPORT AU PLFG 2023 EN NOVEMBRE ET DÉCEMBRE 2023

(en milliards d’euros)

Source : Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

c.   Des facteurs psychologiques ont pu conduire les administrations à retarder l’annonce de prévisions exceptionnellement pessimistes

À l’occasion des auditions conduites par la commission, plusieurs personnes auditionnées ont fait valoir qu’un certain nombre de facteurs psychologiques ont pu conduire les administrations à atténuer le pessimisme de leurs prévisions ou à retarder la recommandation de les publier.

Prenant pour exemple la dégradation du déficit des collectivités territoriales, M. François Ecalle relève ainsi que « si l’on en croit la prévision actuelle, nous allons constater pour 2024 un déficit des administrations publiques locales en points de PIB qui est inédit depuis trente ou quarante ans. Je redis que les prévisionnistes ont toujours un peu de mal à annoncer des nouvelles quand elles sont à la fois mauvaises et inédites. Si j’avais été en poste à la direction du trésor l’année dernière, j’aurais hésité à afficher un déficit des administrations publiques locales jamais atteint depuis trente ou quarante ans. Il y a une forme de retenue : l’intervention du politique n’est pas nécessaire pour que les prévisionnistes renoncent à afficher des chiffres qui sont la conclusion de leur raisonnement, mais qui paraissent extraordinaires » ([241]). Les notes adressées aux ministres recommandent ainsi jusqu’au 16 février 2024 ([242]) de ne pas communiquer de chiffre précis de déficit public pour 2023, jusqu’à ce que la remontée progressive des données permette de dissiper des aléas jugés trop significatifs.

Cet effet a pu jouer de manière plus marquée s’agissant de prévisions pour lesquelles l’administration avait au cours des années précédentes été relativement pessimiste et qui lui avaient valu des critiques. Tel est le cas notamment de l’élasticité des recettes. À cet égard, M. Emmanuel Moulin, directeur général du trésor jusqu’au 10 janvier 2024, fait valoir qu’« [i]l faut se rappeler que nous avions été très pessimistes en 2021 et en 2022. Nous avions expliqué au ministre que l’élasticité serait proche de l’unité mais, de façon un peu surprenante, elle a finalement été de 1,5. Nous avons donc retenu le chiffre de 0,6 en 2023 car il correspondait au point bas que nous étions en mesure de justifier ».

L’intériorisation par les services des besoins des autorités politiques, indépendamment de toute intervention politique, a également été évoquée par M. Pierre Moscovici comme un facteur susceptible d’atténuer le pessimisme des prévisions : « [l]a prévision de croissance est in fine arrêtée par le ministre après avoir été préparée par l’administration. Si l’administration se sent sous la pression d’un ministre optimiste ou exagérément volontariste, elle anticipera ses demandes. […] Ils travaillent sous la pression du temps et de la volonté politique, non de pressions comprises comme des démarches perverses ou simplement désagréables » ([243]).

Cette retenue de l’administration a également été constatée par l’IGF : « la mission a pu relever que des hypothèses favorables ont été intégrées dans les prévisions techniques (par exemple sur les DMTO au BEE 2024), afin de faciliter le respect des cibles de déficit. Dans les documents transmis aux cabinets ministériels, les prévisions centrées et les hypothèses favorables ne sont pas toujours clairement distinguées » ([244]).

 


B.   Un effort de plus de 30 milliards d’euros pour tenter de limiter une dégradation du déficit public sans précédent hors période de crise

Les premières alertes des administrations, jugées trop incertaines, ne donnent pas lieu à réaction avant janvier et février 2024. Le Gouvernement prend alors de premières mesures, essentiellement des mesures d’économies sur le périmètre de l’État, mais sans rendre les alertes publiques.

1.   Les premières alertes sous le Gouvernement de Mme Élisabeth Borne

Les premières alertes concernant une dégradation des principales recettes fiscales de l’État ont lieu dans les derniers mois de l’année 2023. Jusqu’à la présentation du PLF pour 2024, en septembre, les encaissements des principaux impôts étaient conformes aux prévisions, à l’exception de la contribution sur la rente inframarginale de production d’électricité (CRIM). À partir de cette date, une dégradation progressive des rentrées fiscales de l’impôt sur le revenu (IR), de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de l’impôt sur les sociétés (IS) ainsi qu’un ralentissement de la masse salariale ont donné lieu à des alertes des directions du ministère de l’économie et des finances et du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Dans un contexte de forte incertitude sur la fin de gestion de 2023, ces alertes – au terme desquelles il n’était pas recommandé ni d’agir, ni de communiquer – n’ont pas été suivies d’une rectification des principaux textes financiers en passe d’être adoptés définitivement.

a.   À l’exception de la CRIM, des prévisions de finances publiques en ligne avec la LFI 2023 jusqu’à la présentation du PLF et du PLFSS pour 2024

Jusqu’à l’automne 2023, les remontées de recettes fiscales s’avèrent plutôt rassurantes et ne donnent pas lieu à des alertes particulières de la part des administrations. Si le rendement prévu de la CRIM pour 2023 est divisé par trois entre le PLF 2023 et 2024 et si certains risques sur la croissance et l’IS sont identifiés à la fin de l’été, le solde public semble alors maîtrisé par un pilotage efficace en gestion.

  1.   Des prévisions de recettes de la CRIM manifestement erronées dès le PLF 2023

Le chiffrage de la CRIM s’est fondé sur les hypothèses de prix de gros de l’électricité sur les périodes de juillet et août 2022. C’est à cette période que les prix atteignent leur maximum, soit 517 €/mégawattheure (MWh), dans un contexte de forte volatilité des prix et d’inquiétude sur la capacité du système électrique français à passer l’hiver, aggravée par la maintenance de nombreuses centrales nucléaires gérées par EDF.

Si cette hypothèse n’apparaît pas incohérente au regard des prix constatés sur le marché à date, la Cour des comptes identifie un certain nombre de signes de baisses des cours de l’électricité à l’automne 2022, avant l’adoption de la LFI 2023. Le prix spot mensuel en octobre, au moment du dépôt du PLF 2023, était en effet alors passé sous les 200 €/MWh.

Évolution des prix de gros « pour le lendemain » (prix spot mensuel)

(en euros/MWh)

Source : Cour des comptes d’après la Commission de régulation de l’énergie.

De la même façon, le prix de vente à terme était inférieur près à 500 €/MWh en octobre, le marché anticipant une évolution à la baisse des prix.

Évolution du prix calendaire 2023 moyen mensuel

(en euros/MWh)

Source : Cour des comptes d’après la Commission de régulation de l’énergie.

L’absence de révision des prévisions de recettes de la CRIM a été justifiée par les administrations de deux manières à la Cour des comptes :

– tout d’abord, les prix ont connu une relative hausse à la fin du mois de novembre et au début du mois de décembre 2022 qui aurait rendu difficilement anticipable une baisse durable des prix de l’électricité ;

– ensuite, les hypothèses de prix de l’électricité ont également un impact sur la contribution au service public de l’électricité (CSPE) et les dépenses de soutien aux ménages et aux entreprises. Une révision de la CRIM aurait donc nécessité une révision de l’ensemble de ces recettes et dépenses, afin de maintenir la cohérence des prévisions ; les délais contraints de la discussion budgétaire au Parlement rendaient un tel exercice difficile. M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, a toutefois estimé au cours de son audition par la commission que cette révision des hypothèses avait en outre des conséquences en termes de communication politique qui auraient pu influencer la décision du Gouvernement de ne pas réviser les prévisions, précisant qu’« il s’agissait en partie d’un choix politique, permettant d’afficher un niveau de soutien aux consommateurs et de taxation de la rente plus ou moins élevé » ([245]). Selon le rapporteur Mathieu Lefèvre, ce constat ne saurait être étayé dans les faits.

  1.   Un scénario de croissance et de prélèvements obligatoires du PSTAB 2023 n’ayant pas donné lieu à des alertes, malgré le décrochage marqué du rendement de la CRIM

Alors que la prévision de croissance du PIB de 1 % en 2023 retenue dans le PSTAB d’avril 2023 s’éloignait sensiblement de celle du budget économique d’hiver (BEH) de la direction générale du trésor (DGT) du 17 février 2023 ([246]), qui affichait un taux de croissance de 0,6 %, la présentation du PSTAB n’a pas donné lieu à des alertes quant à la trajectoire de court terme des finances publiques.

En effet, dans son avis du 25 avril 2023, si le HCFP « estime que les prévisions de croissance du Gouvernement pour 2023 [1 %] et 2024 [1,6 %] du programme de stabilité […] ne sont pas hors d’atteinte, mais semblent optimistes » ([247]), la croissance en 2023 s’établit à 0,9 %, proche de la prévision du Gouvernement. Cependant, le HCFP n’a pas émis d’observations sur l’évolution des recettes fiscales, jugeant la prévision du taux de prélèvements obligatoires de 44,3 % pour 2023 « un peu basse » dans son ensemble mais n’avait pas accès au détail des prévisions impôt par impôt.

  1.   Des risques de dégradation du solde public identifiés à l’été 2023 et conjurés par le pilotage de la dépense

Dans le cadre du budget économique d’été (BEE) du 11 juillet 2023, la DGT a alerté du risque de dégradation du solde public à – 5,2 % en 2023, soit – 0,3 point par rapport à la prévision du PSTAB 2023 ([248]). Dans cette note, la DGT a souligné la « dégradation de l’environnement macroéconomique », révisant sa prévision de croissance du PIB en volume à + 0,8 % en 2023, et à « l’effet sur les recettes d’impôt sur les sociétés de la baisse de 5 points de l’estimation du bénéfice fiscal 2022 ». Ces évolutions et des aléas entourant la prévision auraient entraîné une moins-value de 8 milliards d’euros des prélèvements obligatoires en 2023.

Ces risques ne se sont pas entièrement matérialisés, et ont été conjurés par une maîtrise resserrée de la dépense à l’été 2023. En effet, d’une part, la prévision de croissance du PIB a été revue à la hausse à + 1,0 % par la DGT dans une note du 22 août 2023 ([249]), après la publication par l’Insee de la première estimation des comptes nationaux du deuxième trimestre 2023 témoignant d’une accélération de l’activité.

D’autre part, le décret du 18 septembre 2023 ([250]) a annulé 4,8 milliards d’euros d’autorisations d’engagement (AE) et 5 milliards d’euros de crédits de paiement (CP). Ces annulations ont été justifiées par la direction du budget (DB) comme étant « destinées à sécuriser la trajectoire budgétaire votée en loi de finances pour 2023 » ([251]).

  1.   Des hypothèses retenues dans le PLF et le PLFSS 2024 en ligne avec les remontées comptables des principaux impôts et validées par le HCFP

Dans son avis relatif au PLF et au PLFSS pour 2024 publié le 22 septembre 2023, le HCFP a validé la prévision de croissance du PIB de 1 % en 2023, la jugeant « plausible » et « proche des autres prévisions disponibles », tout en avertissant que la prévision de croissance de 1,4 % en 2024 demeurait « élevée » ([252]). Le HCFP a également jugé la prévision d’évolution de la masse salariale de + 6,5 % en 2023 « plausible », cette même appréciation ayant été émise à l’égard de la prévision de prélèvements obligatoires pour 2023.

Ces prévisions étaient confortées par des rentrées fiscales des principaux impôts d’État (TVA, IR, IS), conformes aux prévisions. M. Jérôme Fournel, directeur général des finances publiques entre mai 2019 et janvier 2024, a indiqué au cours de son audition par la commission que « jusqu’à l’été 2023, les données reçues par la DGFIP étaient en ligne avec les attentes de recettes. Fin août, les données d’encaissement pour la TVA [nette] de juillet indiquaient même une plus-value de 0,6 milliard d’euros [en comptabilité nationale et de 0,5 milliard d’euros en comptabilité budgétaire] par rapport aux prévisions révisées du projet de loi de finances pour 2024 » ([253]). En ce sens, la note de la DGFIP retraçant les remontées comptables de TVA au 31 août 2023 s’accompagnait d’une mention manuscrite de M. Jérôme Fournel soulignant « des nouvelles plutôt rassurantes sur la TVA » ([254]).

b.   Les premières alertes dans un contexte de dégradation soudaine et simultanée des remontées comptables des principaux impôts de l’État

Dès la fin du mois de septembre 2023, un certain nombre de faiblesses dans les prévisions de recettes pour la CRIM et dans la dynamique de la masse salariale étaient visibles. Les premières notes des administrations sur des moins-values significatives de recettes fiscales ne se matérialisent toutefois qu’à partir du mois d’octobre et se confirment sous la forme d’alertes formelles inter-administrations début décembre, après l’adoption de la LFG 2023. Les écarts signalés à la prévision demeurent toutefois largement en deçà de ceux qui seront identifiés quelques mois plus tard.

  1.   Une prévision de recettes de la CRIM encore fortement surestimée dans la loi de finances de fin de gestion pour 2023

Après l’évaluation initiale de 12,3 milliards d’euros en LFI 2023, la prévision de recettes budgétaires encaissées de la CRIM en 2023 a été revue à 4,6 milliards d’euros dans le PSTAB 2023 puis à 3,7 milliards d’euros dans le PLF 2024. Le PLFG pour 2023 déposé le 31 octobre 2023 à l’Assemblée nationale retient finalement une prévision de 2,8 milliards d’euros de recettes budgétaires pour 2023. Cette prévision ne prend en compte que les recettes qui devaient être encaissées en 2023, indépendamment du solde de 1,1 milliard d’euros supplémentaires qui sera versé par les entreprises en 2024 au titre de l’année précédente.

Comme le note la Cour des comptes, ces prévisions du PLFG 2023 apparaissent largement supérieures au rendement qui pouvait être anticipé pour la CRIM à cette date. Les versements des entreprises au titre de la période P1 étaient en effet déjà intervenus au plus tard le 25 juillet 2023 et leurs acomptes au titre des périodes P2 et P3 ([255]) devaient intervenir au plus tard le 25 octobre 2023.

Or, les encaissements de CRIM constatés s’élevaient à 557 millions d’euros à la fin du mois de septembre 2023. La Cour des comptes estime donc peu vraisemblable la prévision de 2,8 milliards d’euros retenue par le PLFG 2023, les incertitudes liées au versement des acomptes pour les périodes P2 et P3 s’inscrivant dans un contexte de prix de l’énergie très inférieurs aux prévisions initiales. À la fin du mois d’octobre, le montant recouvré ne s’élèvera encore qu’à 623 millions d’euros, soit un rendement proche du total de 626 millions d’euros perçus sur l’année 2023.

Encaissements totaux DE la CRIM au cours de l’annÉe 2023

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après la Cour des comptes.

Dès le 25 octobre, la prévision de 2,8 milliards d’euros apparaissait donc irréaliste. L’examen du PLFG 2023 s’achevant le 22 novembre, la prévision de 2,8 milliards d’euros aurait pu être revue à la baisse au cours du débat parlementaire.

L’IGF quantifie la part évitable de l’écart de l’exécution par rapport aux prévisions du fait des hypothèses favorables du Gouvernement à 2 milliards d’euros au niveau du PLFG 2023 ([256]). Toutefois, auditionné par la commission M. Hippolyte d’Albis, inspecteur général des finances, estime que « la prudence aurait recommandé de faire une évaluation un peu plus faible. Il se trouve que, compte tenu d’un décalage des paiements, le montant collecté a été un peu plus élevé que les 600 millions d’euros figurant dans le budget. Le biais d’optimisme est donc moindre que ce que l’on a écrit dans le rapport ».

  1.   Un ralentissement de la masse salariale en fin d’année mise en évidence par le HCFP

À l’occasion de la présentation du PLFG pour 2023, le HCFP a mis en évidence un « contexte conjoncturel qui […] s’assombrit », marqué notamment par un ralentissement de la masse salariale des branches marchandes non agricoles (BMNA) ([257]). En effet, alors que le PLFG 2023 prévoyait une croissance de la masse salariale des BMNA de 6,3 % en 2023, le HCFP s’est appuyé sur des remontées comptables de la Caisse nationale des Urssaf à la fin septembre 2023 ([258]) « qui témoignent d’un net ralentissement (+ 5,4 % en glissement annuel en juillet et août 2023, contre + 6,6 % au premier semestre) » de la masse salariale des BMNA. Aussi, le HCFP juge la prévision retenue par le PLFG 2023 « un peu élevée compte tenu de son ralentissement au cours de l’été », prévoyant une progression de celle-ci de + 6 % en cas de confirmation du ralentissement de la masse salariale en fin d’année.

Le HCFP a toutefois considéré la prévision de prélèvements obligatoires pour 2023 « globalement plausible », soulignant le caractère trop élevé de la prévision de recettes de cotisations sociales et de prélèvements sociaux, compensé par un rendement des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) sous-estimé. Le rapport de l’IGF sur les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires ([259]) chiffre la surestimation des recettes de cotisations sociales à 1,6 milliard d’euros et celle des recettes de prélèvements sociaux sur l’activité à 0,5 milliard d’euros à la date de présentation du PLFG 2023, le 31 octobre 2023. Aussi, à cette date, sur la base des informations rendues publiques, la prévision de prélèvements obligatoires aurait pu être révisée à la baisse de – 2,1 milliards d’euros, pouvant entraîner une dégradation de la prévision de solde public de – 0,1 point.

Par ailleurs, si une première note de la DGFIP sur les encaissements d’IR net à la fin septembre témoignait d’une moins‑value de 0,7 milliard d’euros par rapport à la prévision du PLF 2024 ([260]), celle-ci a été intégrée à la prévision du PLFG 2023 (la prévision passant de 90,7 milliards d’euros à 90 milliards d’euros), et n’a pas été contestée par le HCFP.

  1.   Les premières alertes des directions du ministère de l’économie et des finances motivées par une dégradation des encaissements des principaux impôts

● Les notes de suivi mensuel des encaissements des principales recettes fiscales de l’État (TVA, IR, IS) de la DGFIP, adressées au ministre chargé de l’économie et des finances et au ministre chargé des comptes publics, témoignent d’une dégradation simultanée et progressive des encaissements entourée d’importants aléas à partir du mois d’octobre 2023.

Tout d’abord, une note du 16 octobre 2023 d’analyse de l’acompte d’IS net de septembre fait état de moins-values de 0,7 milliard d’euros ([261]) par rapport à la prévision retenue dans le PLF 2024 et dans le PLFG 2023. La note précise toutefois que « le niveau de l’IS net dépendra fortement du rendement de l’acompte de décembre ».

Surtout, les remontées comptables de TVA nette présentent une tendance nettement plus dégradée. Les encaissements à la fin septembre 2023 présentent une dégradation de – 0,4 milliard d’euros par rapport à la prévision en comptabilité nationale, en raison d’une « dépense de TVA au sens de la comptabilité nationale [qui] excède légèrement la prévision » ([262]). Cette tendance est confirmée par les encaissements d’octobre 2023, avec une dégradation de – 1,1 milliard d’euros des encaissements en comptabilité budgétaire et de – 1,2 milliard d’euros en comptabilité nationale ([263]). Cette note s’accompagne d’une annotation manuscrite du directeur général des finances publiques, M. Jérôme Fournel, alertant les ministres que « [c]e n’est pas une bonne nouvelle… ». Cette note est transmise aux ministres le 27 novembre 2023, soit cinq jours après l’adoption définitive du PLFG 2023.

Enfin, les remontées comptables d’IR à la fin octobre 2023 présentent une moins‑value de – 0,3 milliard d’euros par rapport à la prévision du PLFG 2023 et sont accompagnées d’une mention manuscrite de M. Jérôme Fournel indiquant que « ce ralentissement se rajoute aux autres moinsvalues fiscales » ([264]). La note de suivi des encaissements d’IR n’est transmise aux ministres que le 8 décembre 2023, mais est identifiée par la DGFIP au moins dès le 1er décembre (voir infra).

Le caractère simultané et inédit de la dégradation des différentes rentrées fiscales est confirmé par les auditions menées par la commission. En ce sens, Mme Mélanie Joder, directrice du budget, a rappelé que « la dégradation des recettes fiscales n’a été vraiment constatée qu’en fin d’année. Le décaissement a été relativement soudain. Les tout premiers signaux se sont matérialisés à partir du mois d’octobre, mais ils se sont surtout confirmés en novembre et en décembre » ([265]).

 La concomitance des moins-values enregistrées sur les encaissements de l’IS, de la TVA, de l’IR et de la CRIM a motivé des alertes inter-administrations destinées aux ministres à partir du mois de décembre 2023. Plus particulièrement, une note conjointe de la DGFIP et de la DB, datée du 1er décembre 2023 et annotée « signalé », met en évidence des « données d’exécution à date conduis[ant] à envisager les résultats de certaines recettes avec une prudence accrue » par rapport à la prévision retenue en LFG 2023, ainsi qu’une dégradation du solde budgétaire de l’État ([266]). Cette note projette des moins-values sur la TVA nette (– 1,1 milliard d’euros toutes administrations publiques confondues en comptabilité budgétaire et – 1 milliard d’euros pour la part État), d’IR (– 0,3 milliard d’euros constatés et – 1 milliard d’euros projetés) et de CRIM (– 2 milliards d’euros), partiellement compensées par des plusvalues de + 1,1 milliard d’euros sur les DMTG et de + 0,6 milliard d’euros sur la taxe d’habitation sur les résidences secondaires. La note souligne également une « recette finale 2023 d’IS […] incertaine » en raison du cinquième acompte, payé le 15 décembre. Aussi, en incluant la moins-value des encaissements du troisième acompte d’IS, les recettes fiscales de l’État en comptabilité budgétaire sont en recul de – 3,6 milliards d’euros par rapport à la prévision retenue dans la LFG 2023.

Par ailleurs, la note est accompagnée d’une annotation manuscrite de M. Jérôme Fournel, précisant que « les premières remontées sur la TVA de novembre sont encore plus dégradées que pour la TVA d’octobre », et affirmant qu’« une moinsvalue significative est donc à attendre ». Cette annotation alerte que la poursuite de la dégradation des encaissements en novembre « n’augure pas bien pour la fin de l’année et sur l’IS en décembre ».

● Enfin, une note conjointe de la DGT et de la DB, datée du 7 décembre 2023, révise la prévision de déficit public pour 2023 à 5,2 %, soit une dégradation de 9,2 milliards d’euros du solde public par rapport à la prévision de la LFG 2023 ([267]). Cette note fait état d’une révision à la baisse de – 6,2 milliards d’euros du rendement des prélèvements obligatoires en comptabilité nationale, avec des moins‑values sur la CRIM (– 2,7 milliards d’euros), sur la TVA (– 1,9 milliard d’euros), sur la taxe sur les salaires (– 0,6 milliard d’euros), sur l’IR (– 0,5 milliard d’euros) et sur les DMTO (– 0,2 milliard d’euros), partiellement compensées par une plus-value de + 1,4 milliard d’euros sur les DMTG. En comptabilité budgétaire, la moins-value sur les recettes de l’État est estimée à – 3 milliards d’euros.

composantes de la rÉvision du solde public pour 2023 de la note DGT-DB du 7 dÉcembre 2023

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après la direction générale du trésor et la direction du budget.

Par ailleurs, cette note fait état aux ministres, pour la première fois, d’une révision à la hausse des dépenses à hauteur de + 3 milliards d’euros en 2023, composée d’une hausse des dépenses de l’État de 0,5 milliard d’euros et d’un dynamisme des dépenses de fonctionnement (+ 1,5 milliard d’euros) et d’investissement (+ 1 milliard d’euros) des administrations publiques locales (APUL).

Cette note appelle toutefois à la prudence, indiquant que « dans la mesure où la prévision 2023 est encore sujette à de nombreux aléas, il n’est pas recommandé de communiquer » sur la prévision de déficit public. En ce sens, M. Emmanuel Moulin, directeur général du trésor jusqu’en janvier 2024, a précisé que « [l]e 7 décembre, nous ne disposons pas de toutes les informations, loin de là – il manque notamment le cinquième acompte, l’exécution budgétaire, les collectivités locales, la sécurité sociale. Cela fait beaucoup d’incertitudes. J’ai énuméré dans l’annexe de cette note vingt et un aléas, ce qui est significatif » ([268]).

Écart entre la prÉvision du solde budgÉtaire de l’État de la LFG 2023
et les remontÉs comptables des administrations

(en milliards d’euros)

Source : commission des finances d’après la direction générale des finances publiques, la direction du budget et la direction générale du trésor.

Les premières notes consolidées des administrations alertant de moins‑values significatives sur les recettes de manière consolidée ne sont intervenues qu’en décembre 2023, soit après la promulgation de la LFG 2023 : ce phénomène s’explique par l’incertitude inhérente aux remontées comptables. En ce sens, M. Jérôme Fournel a expliqué, au sujet du ralentissement des encaissements de recettes de TVA en septembre 2023, que « cela n’a rien d’exceptionnel ; des variations de cette ampleur se produisent chaque année. Pour qu’un message d’alerte de la DGFIP se transforme en tendance, il faut que l’évolution soit très marquée ou se prolonge sur plusieurs mois » ([269]).

c.   Les premières réactions politiques avec un calendrier budgétaire contraint

Conscient à partir du 7 décembre 2023 d’un risque de moins-values fiscales de 8,5 milliards d’euros en 2023 et d’un effet de base sur l’année 2024, le Gouvernement choisit cependant de ne pas amender le PLF 2024 alors en discussion en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale. La représentation nationale n’est par ailleurs pas informée. Les aléas sont alors jugés trop importants, et les délais trop courts pour intégrer ces nouvelles informations dans de nouvelles prévisions de finances publiques.

  1.   Les premières réactions politiques en fin de gestion 2023 et pour 2024

● La note inter-administrations du 7 décembre 2023 a provoqué la première réaction de M. Bruno Le Maire, alors ministre chargé de l’économie et des finances. Ce dernier a en effet affirmé que « le 7 décembre, nous parvient la première alerte : la fameuse note du Trésor […] qui indique que les recettes de TVA pourraient être moindres que prévu, et que les dépenses des collectivités territoriales pourraient augmenter. Elle ne fait même pas mention de l’IS, qui a pourtant été l’une des causes principales de la chute des recettes. Elle demande explicitement de ne pas communiquer sur ce sujet, car trop d’incertitudes pèsent sur cette prévision. Je réagis immédiatement : le 12 décembre, avec le ministre des comptes publics, nous convoquons le directeur général du Trésor, le directeur général des finances publiques et la directrice du budget pour réfléchir aux mesures à prendre » ([270]).

Cette réunion est suivie, le 13 décembre 2023, d’une note de M. Bruno Le Maire et M. Thomas Cazenave, alors ministre chargé des comptes publics, à la Première ministre, Mme Élisabeth Borne ([271]). Cette note souligne que les recettes fiscales « devraient être inférieures à ce que nous avions prévu lors de l’adoption du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 », et énumère les principaux constats en recettes de la note du 7 décembre. Elle informe la Première ministre que « les informations actualisées montrent que [l]e déficit pourrait atteindre – 5,2 % du PIB », et propose plusieurs orientations :

– « [p]artager largement le caractère critique de notre situation budgétaire, à la fois au sein du Gouvernement, mais également dans l’opinion publique ». Cette recommandation ne sera pas immédiatement suivie d’effet ;

– l’adoption de mesures dès le PLF 2024, alors en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, notamment à travers « [l’augmentation de] la fiscalité de l’énergie au 1er janvier 2024, par une hausse de la TICGN déjà comptabilisée dans notre trajectoire de finances publiques et de la TICFE ». Cette proposition se traduit par deux amendements du Gouvernement au PLF 2024 déposés le 14 décembre ([272]). Ces amendements ne constituent toutefois pas des mesures supplémentaires de redressement des finances publiques, puisqu’ils reprennent en les modifiant des mesures déjà inscrites dans le PLF initial déposé par le Gouvernement ;

– le pilotage de l’exécution budgétaire de 2024, à travers la limitation du « montant de reports de crédits non consommés de 2023 vers 2024 », et l’annulation de « tout ou partie des 10 milliards d’euros de crédits mis en réserve » dans la LFI 2024. Cette dernière décision traduit la prise de conscience politique que la dégradation des recettes et du solde public à la fin de l’année 2023 entraînerait nécessairement un effet base qui se répercuterait sur l’exercice 2024.

● Les alertes des administrations ont également motivé la mise en place de mesures de maîtrise de la dépense de l’État en fin de gestion 2023. En effet, les dépenses nettes du budget général hors fonds de concours ont été sous-exécutées de 6,4 milliards d’euros par rapport à la LFG 2023. En ce sens, Mme Mélanie Joder a indiqué qu’« au moment où les alertes sur les recettes sont remontées, au début du mois de décembre 2023, vers le 7, les possibilités d’action sur l’année en cours étaient de fait extrêmement réduites. Nous étions à deux semaines, environ, de la date de la fin de gestion pour le budget de l’État : il était quasiment impossible d’intervenir pour freiner la dépense. Nous [avons] néanmoins essay[é] de le faire en pilotant un peu à la baisse certains crédits ministériels, mais nous n’avions plus vraiment de moyens de ralentir davantage la dépense » ([273]).

  1.   Le choix de ne pas informer le Parlement dans un contexte d’incertitude sur l’exécution 2023 et sur 2024

● La modification de l’équilibre de la LFG 2023 n’était pas envisageable. En effet, le rapport de l’IGF sur les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires ([274]) rappelle que « le dépôt d’un amendement gouvernemental au PLFG 2023 aurait nécessité de rouvrir les prévisions pour 2024 et de réviser le PLF, la LPFP et le PLFSS alors en cours d’examen ». Or, la première alerte inter-administrations relative à la dégradation des encaissements de recettes en 2023 n’est intervenue que le 1er décembre, alors que la LFG 2023 avait été promulguée la veille.

De plus, ce même rapport précise que « les écarts signalés par les administrations en novembre puis en décembre ne justifiaient pas le dépôt d’un amendement et la révision du scénario de finances publiques pour 2023 et 2024, notamment au regard des aléas entourant la prévision et de l’historique de l’écart de prévision qui est en moyenne supérieur à 0,2 point de PIB ».

Cependant, alors que la note précitée du 13 décembre des ministres chargés de l’économie et des finances et du budget invitait la Première ministre à « partager largement le caractère critique de notre situation budgétaire […] dans l’opinion publique », la dégradation du solde public à la fin de l’année 2023 n’a pas fait l’objet d’une communication au Parlement. Si de nombreux aléas demeuraient lors de la transmission de la note inter-administrations du 7 décembre, des notes de suivi des encaissements de TVA et du quatrième acompte d’IS du 21 décembre présentaient, à cette date, une moins‑value agrégée de 8,5 milliards d’euros en comptabilité budgétaire sur les recettes fiscales de l’État.

● Le choix de ne pas modifier les textes financiers de 2024 a été justifié par les incertitudes entourant l’effet du ralentissement des rentrées fiscales de 2023 sur celles de 2024. En effet, la révision du PLF et du PLFSS pour 2024 aurait nécessité, selon l’IGF, « de construire un nouveau scénario macroéconomique associé aux prévisions de finances publiques. De telles révisions nécessitent habituellement plusieurs semaines de travail au sein des administrations ».

Les personnes auditionnées par la commission ont rappelé la difficulté éprouvée fin 2023 pour quantifier l’effet base sur 2024 des moindres recettes fiscales de 2023. Plus particulièrement, Mme Mélanie Joder a indiqué que « [n]ous savions qu’une partie de ces [moindres] recettes se reporterait en base sur l’année 2024 sans en avoir encore le chiffrage précis. […] Nous ne disposions pas, au mois de décembre 2023, d’évaluations suffisamment robustes sur l’impact des moindres encaissements en 2024. C’est pour cette raison que le PLF n’a pas été amendé. Nous avions d’ailleurs recommandé au ministre de ne pas tenir compte de cette question à ce stade » ([275]). Elle a également souligné qu’« il était assez évident qu’il y aurait un impact sur 2024 mais, en vue de pouvoir déposer des amendements au PLF pour 2024, il aurait fallu être en mesure de quantifier précisément l’effet. On ne peut pas simplement dire à l’Assemblée ou au Sénat qu’il existe un risque et que l’environnement va évoluer ; encore faut-il être capable de l’évaluer, recette fiscale par recette fiscale. Ce travail sur l’année 2024 n’avait pas encore été conduit par les différentes directions de Bercy et c’est pourquoi le PLF n’a pas été amendé en décembre 2024 ».

Ces propos sont corroborés par ceux de M. Bruno Le Maire, qui a précisé que « selon mes interlocuteurs, il n’était pas possible de modifier le projet de loi de finances […]. La situation étant incertaine, corriger le budget aurait constitué une faute économique et politique, en plus d’être inefficace » ([276]). M. Bruno Le Maire a ainsi rappelé que « le 21 décembre 2023, le Conseil constitutionnel valide le projet de loi de finances pour 2024 et écarte le grief de défaut de sincérité ».

En outre, ces difficultés étaient accentuées par la contrainte du calendrier budgétaire, le PLFSS 2024 et le PLF 2024 ayant été définitivement adoptés à l’Assemblée nationale respectivement le 4 et le 21 décembre. Mme Élisabeth Borne, alors Première ministre, a rappelé qu’« à la mi-décembre 2023, le ministre de l’économie m’a alerté sur les interrogations des services concernant les recettes de 2023 sans que nous disposions encore d’une évaluation précise de l’ampleur du risque. Cette alerte est intervenue après la promulgation de la loi de finances de fin de gestion, le 30 novembre 2023, après le 49.3 pour la lecture définitive du PLFSS pour 2024 et quelques heures avant le déclenchement de l’article 49.3 sur la nouvelle lecture du projet de loi de finances » ([277]).

2.   Les mesures prises par le Gouvernement de M. Gabriel Attal

Constitué entre le 9 janvier et le 8 février 2024, le Gouvernement de M. Gabriel Attal, même après sa démission, continue à expédier les affaires courantes jusqu’au 5 septembre 2024. S’il est rapidement informé de la dégradation du solde public 2023 puis 2024, celle-ci n’est cependant pleinement rendue publique qu’en avril 2024. Il prend cependant des mesures en recettes et en dépenses pour limiter le déficit, tout en refusant de déposer un PLFR à l’Assemblée nationale.

a.   Une action pour limiter l’aggravation du déficit public

La dégradation du déficit public 2023 sera pleinement rendue publique le 26 mars 2024 à la suite d’une publication de l’Insee et celle du déficit 2024 le 10 avril 2024 avec la présentation du PSTAB 2024. Dans l’intervalle, le Gouvernement adopte une communication centrée sur la dégradation du solde de l’État – la mieux connue à ce stade de l’année – et des prévisions de croissance dont l’impact sur le solde public est limité.

  1.   L’ampleur de la dégradation du solde public 2023 établie depuis la mi‑février a été pleinement rendue publique au moment de la publication des comptes nationaux des administrations publiques de l’Insee

 Lorsque M. Gabriel Attal est nommé Premier ministre, le 9 janvier 2024 ([278]), la prévision de solde public pour 2023 s’établit à – 5,2 % du PIB, contre – 4,9 % anticipés par le PLFG 2023. Elle connaît ensuite une dégradation en deux temps :

– le 24 janvier 2024, le ministre de l’économie est alerté par une note de la DGT et de la DB sur une nouvelle dégradation de la prévision de solde public pour 2023. Elle passe à  5,3 % du PIB essentiellement en raison d’une baisse des prévisions sur les prélèvements obligatoires (– 9,9 milliards d’euros) et d’une dégradation du solde des APUL (– 2,5 milliards d’euros). Toutefois, comme dans la note du 7 décembre 2023 qui avait révisé la prévision de déficit à – 5,2 %, les administrations incitent à la prudence : « [d]ans la mesure où la prévision 2023 est encore sujette à de nombreux aléas, il n’est pas recommandé de communiquer sur un chiffre précis de déficit public » ([279]). Suivant la recommandation des administrations, et contre l’avis des ministres de l’économie et des comptes publics, la dégradation des recettes en 2023 n’est que partiellement signalée par le Gouvernement à l’occasion du Conseil des ministres du 24 janvier 2024 qui présente uniquement le solde budgétaire de l’État pour 2023 ([280]) :

– le 16 février 2024, le ministre de l’économie et le ministre des comptes publics sont avertis lors de la présentation des budgets économiques d’hiver (BEH) par la DGT d’une dégradation du solde 2023 à 5,6 % du PIB. Si « les aléas autour de l’estimation du solde 2023 restent significatifs » ([281]), l’administration ne recommande plus de ne pas rendre publics les chiffres et les principaux facteurs de la dégradation des finances publiques sont identifiés.

Le 6 mars 2024, MM. Bruno Le Maire et Thomas Cazenave sont auditionnés par la commission des finances de l’Assemblée nationale. M. Bruno Le Maire indique alors qu’« [e]n raison de la situation géopolitique et du ralentissement de la croissance début 2024, notre déficit public sera significativement supérieur à 4,9 % en 2023 ». M. Thomas Cazenave précise ensuite l’ampleur du déficit attendu : « [n]ous savons déjà que la cible de déficit à 4,9 % sera nettement dépassée. En 2023, nous avons encaissé 7 milliards d’euros d’impôts de moins que ce que nous avions prévu : 4,4 milliards de moins d’impôts sur les sociétés, 1,4 milliard de moins de TVA, 1,4 milliard de moins d’impôt sur le revenu. Si les recettes de l’État sont inférieures aux prévisions, les dépenses ont en revanche été contenues, avec 6 milliards de moins que ce qui était prévu » ([282]).

Ces chiffres reprennent le seul solde budgétaire de l’État pour 2023 tel qu’il est connu depuis le 19 janvier 2024 ([283]). Ils conduisent à une aggravation du déficit global des administrations publiques de seulement – 2 milliards d’euros, soit environ – 0,1 point de PIB. En effet, si les recettes de l’État supportent une moins-value de – 7,8 milliards d’euros, la sous-exécution des dépenses de 6,4 milliards d’euros limite les effets sur ce périmètre. Or, depuis la note du 24 janvier 2024, les moins-values en recettes sont estimées à – 9,9 milliards d’euros au total si l’on intègre les recettes perçues par l’ensemble des administrations publiques. Après les budgets économiques d’hiver présentés aux ministres le 16 février 2024 ces moins-values sont même estimées à – 0,5 point de PIB en recettes, soit – 13,5 milliards d’euros ([284]). Aggravé par le dérapage du déficit des APUL, l’écart à la prévision s’élève donc à 0,7 point de PIB lorsque les ministres sont auditionnés, et non 0,1 point de PIB.

● Les auditions conduites par la commission ont également montré que la Cour des comptes n’avait pas été informée de la dégradation des prévisions de déficit public pour 2023, et de ses effets attendus sur 2024, avant mars 2024.

M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, a ainsi détaillé les documents et informations dont la Cour n’a pas pu avoir connaissance durant cette période : « [n]ous n’avons pas disposé des informations dont nous aurions dû disposer. Comme chaque année, la Cour a instruit en fin d’année 2023 et les premiers jours de 2024 ce qui devait devenir le chapitre « Finances publiques » du rapport annuel publié le 12 mars 2024. La désormais fameuse note datée du 7 décembre 2023 n’a pas été communiquée à cette occasion, alors qu’elle annonçait que le déficit public pourrait s’établir à 5,2 % du PIB. Elle montre bien que, début décembre 2023, l’administration ne croyait pas à l’hypothèse de 4,9 % de déficit » ([285]).

Ces informations n’ont également pas été communiquées à l’occasion des auditions et questionnaires réalisés par la Cour fin décembre 2023 et début janvier 2024 : « [l]’instruction du chapitre « Finances publiques » du rapport annuel s’est terminée le 14 décembre 2023. Le rapport a été envoyé à la contradiction le 18 décembre. Parallèlement, un questionnaire d’actualisation a été envoyé le 19 décembre. Une audition avec la directrice du budget s’est tenue, sans réponse écrite, le 11 janvier. Puis une réponse écrite de la direction générale du trésor et de la direction du budget est parvenue à la Cour le 24 janvier, avec les éléments d’actualisation demandés. Cette réponse ne mentionnait pas la dégradation du déficit public mais n’affirmait pas non plus que celui-ci serait de 4,9 points, comme prévu par la loi de finances de fin de gestion. La réponse du ministre début mars évitait de donner des chiffres de déficit public en 2023 et en 2024. L’administration n’a pas été transparente avec la Cour sur la période allant de décembre 2023 à mars 2024 » ([286]).

Finalement, ce n’est que le 26 mars 2024 que le déficit 2023 est officiellement rendu public – comme il est de tradition – avec la publication des premiers résultats des comptes nationaux des administrations publiques par l’Insee qui établissent un déficit public à – 5,5 % du PIB. Cette annonce suit la révélation par le journal Les Échos d’un déficit public de – 5,6 % du PIB en 2023 qui constituait la première annonce publique d’un dérapage majeur des finances publiques. Elle conduit le rapporteur général de la commission des finances du Sénat à procéder à un contrôle sur pièces et sur place à Bercy pour obtenir les documents expliquant cette dégradation.

Évolution de la prÉvision de solde public pour l’annÉe 2023

(en % du PIB)

Source : commission des finances d’après les documents transmis par les administrations.

  1.   La publication tardive du solde 2023 a participé à reporter la communication de la dégradation des prévisions pour 2024 jusqu’au PSTAB en avril

● L’ampleur de la dégradation des finances publiques en 2024 a été communiquée par le Gouvernement au Parlement et à l’opinion publique le 26 mars 2024.

Dès le 7 décembre 2023, alors qu’ils sont alertés de la hausse du déficit pour 2023, M. Bruno Le Maire et M. Thomas Cazenave se voient indiquer par leurs services que l’année 2024 en sera affectée ([287]). Ils en informent d’ailleurs la Première ministre dans leur courrier du 13 décembre en lui indiquant que la moins-value de recettes fiscales prévue pour 2023 « aura une répercussion sur 2024 également » ([288]).

À partir de la présentation des budgets économiques d’hiver (BEH) le 16 février 2024, le ministre de l’économie a une connaissance complète des principaux facteurs de dégradation du solde public en 2024 et de leur ampleur. Le solde public est alors estimé à – 5,7 % du PIB en 2024 contre – 4,4 % prévus en LPFP (– 1,3 point de PIB).

Depuis le 19 janvier 2024, le ministre de l’économie a en effet été alerté par une note de la DGT sur la révision de la prévision de croissance du PIB à 0,9 % en 2024 (– 0,5 point) ([289]). Le 18 février 2024, M. Bruno Le Maire intervient au journal de 20 heures de TF1 où il annonce la révision des prévisions de croissance pour 2024 ; l’objectif de – 4,4 % de déficit en 2024 est donc, au moins implicitement, maintenu. Le rapporteur Éric Ciotti souligne que le ministre n’évoque pas les effets attendus des moins-values en recettes 2023 sur l’année suivante, qui devaient nécessairement conduire à une dégradation du déficit en 2024.

Le 6 mars 2024, à l’occasion de son audition par la commission des finances de l’Assemblée nationale avec M. Thomas Cazenave, M. Bruno Le Maire explique que « [p]lusieurs éléments concordants ont conduit à une dégradation de la conjoncture budgétaire au cours des premières semaines de l’année 2024 : une situation géopolitique plus tendue, un ralentissement de la croissance économique plus marqué en Chine comme en Allemagne ont eu un retentissement sur la croissance française, donc sur les rentrées fiscales ». Le rapporteur Éric Ciotti souligne que les autres facteurs de dégradation du solde public en 2024 ne sont pas évoqués ; interrogé sur le niveau des recettes désormais prévu en 2024, M. Bruno Le Maire estime qu’« [i]l est trop tôt pour évaluer les recettes de l’État en 2024 » ([290]).

À partir du 26 mars 2024, le déficit pour 2023 à – 5,5 % ayant été rendu public, des interrogations apparaissent sur la crédibilité du maintien de l’objectif de – 4,4 % en 2024. Interrogé par Public Sénat le même jour, M. Le Maire considère cependant la dégradation des recettes en 2023 comme un « évènement exceptionnel », son effet sur 2024 n’étant pas quantifié ni évoqué. La dégradation du scénario macroéconomique (– 0,2 point) et la hausse des dépenses locales de fonctionnement (– 0,1 point) ne devaient pourtant avoir qu’un impact limité sur le déficit public selon les prévisions existantes alors au regard de l’effet massif produit par les conséquences des moins-values de recettes de l’année 2023 sur 2024 du fait de l’effet de base et des mécaniques de l’IS et de l’IR (– 0,7 point) ([291]).

De la même façon, lorsqu’ils sont interrogés sur la situation des finances publiques à l’occasion des questions au Gouvernement du 9 avril 2024, M. Gabriel Attal et M. Bruno Le Maire rappellent les conséquences du ralentissement de la croissance au niveau européen et la « mauvaise surprise » ([292]) des moins-values de 2023 sans se prononcer sur l’ampleur du déficit attendu en 2024.

C’est le 10 avril 2024, à l’occasion de la présentation des grandes lignes du PSTAB 2024 que l’ampleur de la dégradation des prévisions de recettes est rendue publique. Le ministère de l’économie réévalue pour la première fois l’objectif de déficit public pour 2024 à 5,1 % contre 4,4 % prévus dans la LPFP. Le 17 avril 2024, ce nouvel objectif est officiellement intégré au PSTAB 2024.

Évolution de la prÉvision de solde public pour l’annÉe 2024

(en % du PIB)

Source : commission des finances d’après les documents transmis par les administrations.

L’information du Parlement et de la Cour des comptes entre décembre 2023
et avril 2024 : une transparence insuffisante dans un contexte incertain

Le rapporteur Éric Ciotti constate que le Gouvernement a tardé à communiquer et a volontairement dissimulé les informations qui auraient permis au Parlement et à la Cour des comptes de prendre conscience de la gravité de la situation des comptes publics entre début décembre 2023 et la mi-avril 2024. C’est seulement lorsque la remise du PSTAB 2024 à la Commission européenne l’y a contraint que le Gouvernement a rendu publics les éléments dont il disposait sur l’ampleur des déficits. Le Gouvernement a ainsi pu reporter de plusieurs mois le débat sur la nécessité d’un PLFR, réduisant ce faisant considérablement la capacité de la France à organiser un redressement des comptes publics.

Le rapporteur Mathieu Lefèvre estime au contraire qu’il ressort des auditions conduites par la commission que, si le Gouvernement a tardé à rendre publiques certaines informations, ce retard s’inscrit dans un contexte plus général d’incertitude sur l’ampleur d’aléas manifestement exceptionnels. Au contraire, les informations établies s’agissant du solde de l’État et de la révision de la prévision de croissance sont rapidement rendues publiques une fois l’ensemble des informations consolidées et confirmées. Les recommandations des administrations à ne pas communiquer sur un chiffre précis dans leurs notes aux ministres jusqu’à la mi-février révèlent en ce sens une forme de prudence quant au risque d’annoncer des prévisions aux effets de panique potentiellement récessifs. Ces informations étaient en effet susceptibles d’être contredites par la remontée progressive des données aux administrations, celles-ci ayant d’ailleurs fait évoluer les prévisions jusqu’à l’automne 2024. Il fait également valoir que l’essentiel, ce sont les mesures impopulaires et d’une ampleur inédite prises alors par le Gouvernement et contestées par l’ensemble des oppositions.

M. Bertrand Dumont, directeur général du trésor et ancien directeur de cabinet de M. Bruno Le Maire, a ainsi synthétisé les exigences qui s’imposent au Gouvernement dans la communication des informations dont il dispose : « [l]es ministres choisissent le tempo de leur communication politique et, en tant que directeur général, je ne leur recommanderais pas de faire état publiquement de toutes les informations nouvelles sur la macroéconomie ou les finances publiques. Cela créerait trop de brouillard sur la communication financière du Gouvernement. La préservation de la qualité de la signature française exige de la prudence et de la pondération dans l’expression publique, dont la fonction n’est pas d’enregistrer des oscillations mais de définir un cap politique » ([293]).

b.   Le Gouvernement prend des mesures pour limiter l’ampleur du déficit en février 2024 et informe le Parlement sur une nouvelle cible de déficit en avril

● Si le Gouvernement n’informe pas le Parlement avant la mi-avril de la caducité de la cible de 4,4 % du déficit, il prend toutefois rapidement des mesures pour limiter le déficit. Dès le 16 février 2024, le déficit attendu s’élève à 5,7 % du PIB en 2024 en excluant les hypothèses favorables de la LPFP. Un effort de 38 milliards d’euros est alors nécessaire pour atteindre cette cible, qui sera ramenée à 15,5 milliards d’euros avec la révision de la cible à 5,1 % de déficit.

Les premières mesures sont adoptées dès janvier avec le relèvement de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). L’arrêté du 25 janvier 2024 ([294]) pris en application des I et II de l’article 92 de la LFI 2024 fixe à 21 €/MWh le tarif normal de l’accise sur l’électricité consommée par les ménages et assimilés, et à 20,50 €/MWh pour les usages PME et haute puissance. Il dégage ainsi 5 milliards d’euros de recettes. Ces mesures ayant été annoncées au moment des débats budgétaires de l’automne 2023, leurs effets sont toutefois déjà intégrés aux prévisions de la note du 16 février 2024.

La majorité de l’effort du Gouvernement repose toutefois sur la maîtrise des dépenses publiques en exécution, essentiellement les dépenses de l’État sur lesquelles il dispose d’outils de pilotages plus directs. Le Gouvernement adopte ainsi le 21 février 2024, un décret d’annulation ([295]), comme l’y autorise l’article 14 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) ([296]), qui permet une réaction immédiate en annulant des crédits de paiement pour un montant de 10,2 milliards d’euros.

Adoptée dès le début de l’année, cette annulation d’une ampleur inédite a permis en outre d’envoyer un signal clair à l’administration pour la gestion des crédits sur l’ensemble de l’année, comme l’a relevé M. Jérôme Fournel au cours de son audition : « [l]e simple gel des crédits – comme on met des crédits en réserve lors de l’adoption du PLF – n’est pas la meilleure manière de faire comprendre aux ministères qu’il va falloir être très précautionneux dans l’usage des fonds. […] cela laisse espérer un dégel. Au contraire, leur donner dès le début de la gestion le signal qu’ils ne pourront pas compter sur ces crédits supplémentaires les responsabilise, y compris les gestionnaires. Croyez-en un vieux budgétaire, l’effet psychologique n’est pas du tout le même » ([297]).

● L’effort est également dirigé dans une moindre mesure sur les dépenses de la sécurité sociale. Des décrets du 16 février 2024 ([298]) prévoient ainsi le doublement des franchises médicales à compter du 31 mars 2024, pour une économie de 800 millions d’euros par an pour la sécurité sociale. Une réforme de l’assurance chômage est également annoncée le 22 avril 2024 pour un gain alors estimé à 5 milliards d’euros par an en 2025 par le Gouvernement, les nouvelles conditions d’octroi de l’indemnité chômage devant s’appliquer à compter 1er décembre 2024. À la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, la réforme sera toutefois suspendue par le Premier ministre.

Cette suspension a en effet été présentée par M. Gabriel Attal comme temporaire, un décret prolongeant le régime de l’assurance chômage ([299]) étant adopté afin de laisser le temps à l’Assemblée de se reformer et d’exercer son contrôle sur le texte : « le décret d’application de la réforme devait entrer en vigueur entre les deux tours de l’élection ; à ce moment-là, l’Assemblée ne pouvait pas exercer de contrôle sur l’activité gouvernementale ni évaluer les politiques publiques, puisqu’elle était dissoute. Les mêmes qui, aujourd’hui, disent que nous aurions dû prendre le décret m’auraient reproché d’avoir assumé par un texte réglementaire une réforme d’une telle ampleur sans que le Parlement ne soit en mesure d’exercer son activité de contrôle – à l’époque, rappelons-le, il n’y avait ni questions au Gouvernement, ni questions orales sans débat, ni questions écrites, ni aucune autre activité parlementaire. J’ai considéré que, d’un point de vue démocratique, cette réforme devait s’appliquer alors que l’Assemblée était en activité » ([300]).

La réforme de l’Assurance chômage : un projet d’économies pour 2025
suspendu à l’occasion de la dissolution

Le rapporteur Éric Ciotti estime que la suspension de la réforme avant les élections législatives anticipées répondait à un calcul électoral délétère dans un contexte de dégradation des comptes publics. La publication du décret aux dates initialement prévues aurait permis d’entamer l’effort nécessaire au redressement des comptes en 2025.

Le rapporteur Mathieu Lefèvre comprend les raisons démocratiques pour lesquelles le décret n’a pu être pris entre les deux tours des élections législatives. Il regrette toutefois que le Gouvernement de M. Michel Barnier n’ait pas repris cette réforme, laquelle aurait eu un impact certes mineur au titre de l’année 2024, mais plein et entier en 2025.

 Le 10 avril 2024, au vu de l’ampleur de l’écart à la prévision et de potentiels effets récessifs d’un effort budgétaire trop important, le ministère de l’économie réévalue sa cible de déficit public pour 2024 à 5,1 %.

Pour atteindre cet objectif, et dans la perspective du PLFG 2024 qui devait porter des mesures supplémentaires, un groupe de travail composé de députés de la majorité et conduit par le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, M. Jean René Cazeneuve, est chargé de préciser le projet de taxation des « rentes », inscrit dans le PSTAB 2024, et qui devait rapporter entre 2,5 et 3 milliards d’euros, en ciblant notamment les profits des énergéticiens et les rachats d’actions.

Les collectivités territoriales sont en outre appelées à maintenir leurs dépenses de fonctionnement à « 0,5 point en dessous de l’inflation », pour 2,5 milliards d’euros supplémentaires. Toutefois, en l’absence de mécanisme contraignant, il s’agit là d’un simple encouragement à respecter la trajectoire de fixée par la LPFP.

L’objectif de dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales : association légitime au redressement des comptes publics ou vœu pieux ?

L’objectif de maintien d’une croissance des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales inférieure de – 0,5 % à celle de l’inflation hors tabac par an (soit + 1,9 % en 2024) est une hypothèse fixée par la LPFP 2023-2027. Initialement, elle devait être garantie par le dispositif des « pactes de confiance » passé entre l’État et les plus grandes collectivités. Figurant à l’article 23 de la LPFP, ce dispositif a été supprimé à l’occasion de l’examen en première lecture au Sénat et n’a jamais été rétabli.

Le maintien de cette prévision malgré la suppression du mécanisme contraignant prévu par la LPFP a été justifié par le Gouvernement comme une preuve de confiance envers les élus locaux et un respect du texte programmatique adopté par le Parlement. M. Thomas Cazenave, ancien ministre des comptes publics, a ainsi fait valoir que « [c]oncernant les dépenses de fonctionnement, nous avons repris strictement l’objectif fixé dans la loi de programmation des finances publiques. Il s’agissait d’un objectif partagé non contraignant, assumé publiquement vis-à-vis des élus et discuté au sein du Haut Conseil des finances publiques locales. Ce choix étant inscrit dans la loi, il ne me semblait pas possible de retenir une hypothèse différente. Par ailleurs, nous n’avions pas de raison de penser a priori qu’en misant sur la confiance et non sur la coercition, conformément à une demande répétée des associations d’élus, nous n’atteindrions pas cet objectif qui traduisait la nécessité de partager les efforts après le quoi qu’il en coûte » ([301]).

Toutefois, cette hypothèse est critiquée par le HCFP dès avril 2024 dans son avis sur le PSTAB 2024, où il estime qu’« [e]n l’absence de mécanisme contraignant, cet ajustement est loin d’être acquis ». De fait, depuis la note du 16 février 2024, les administrations fournissent au ministre de l’économie des prévisions d’évolution des dépenses qui ne suivent plus cette hypothèse jugée peu réaliste.

Le rapporteur Éric Ciotti souscrit à l’analyse du HCFP qui soulignait clairement le caractère invocatoire de l’hypothèse reprise par le Gouvernement dans le PSTAB 2024. Rendu peu crédible dès décembre 2023 après la suppression des pactes de confiance au Sénat, son maintien malgré les premières alertes de l’administration répondait à un besoin du Gouvernement de maintenir une cible de déficit tolérable en l’absence de mesures d’économies significatives. Le rapporteur souhaite également rappeler que les budgets des collectivités territoriales sont votés à l’équilibre, comme le prévoit le code général des collectivités territoriales.

Le rapporteur Mathieu Lefèvre estime que cette interprétation doit être écartée au vu des auditions conduites par la commission. La substitution de rapports entre l’État et les collectivités fondés sur la contrainte à un dialogue de confiance était une demande constante des élus locaux après la fin des contrats de Cahors. La reprise de l’objectif de la LPFP constituait une tentative de répondre à ces demandes et au besoin d’un effort collectif en faveur du redressement des comptes publics.

c.   L’absence de projet de loi de finances rectificative

● Malgré les premières mesures prises par le Gouvernement, la question d’un éventuel PLFR a surgi dès le mois de février 2024 et a légitimement continué de se poser jusqu’à l’été. Les écarts à la prévision observés depuis la fin 2023 étaient sans doute de nature à remettre en cause les grandes lignes de l’équilibre budgétaire de la loi de finances pour 2024, ce qui, en application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ([302]), pouvait justifier le dépôt d’un PLFR.

Sur ce point, le ministre de l’économie Bruno Le Maire s’est publiquement et explicitement prononcé en faveur d’un PLFR. Il l’a d’ailleurs redit devant la commission : « [d]’un point de vue politique, le PLFR était justifié » ([303]). Dans une note pour le président de la République du 6 février 2024, il recommandait l’annonce d’un PLFR afin de tenir l’objectif de déficit public de 4,4 % du PIB fixé pour 2024. Ce PLFR aurait comporté quatre séries de mesures : l’annulation de 50 % des crédits gelés, 5 milliards d’euros d’économies supplémentaires, la traduction des mesures annoncées pour les agriculteurs concernant l’élevage et la transmission des exploitations ainsi que l’accord entre EDF et l’État sur la régulation des tarifs de l’électricité. Selon la note, ces mesures devaient permettre d’éviter une « dégradation de la note française par Standard & Poor’s le 31 mai 2024, à quelques semaines des élections européennes ».

Il ressort des auditions menées par la commission que la décision de ne pas présenter de PLFR a été prise par le Premier ministre Gabriel Attal, en accord avec le Président de la République. La Constitution du 4 octobre 1958 prévoit, en son article 39, que l’initiative des lois appartient concurremment au Premier ministre et aux membres du Parlement. C’est donc bien au Premier ministre qu’il appartenait d’arbitrer si un PLFR devait être déposé ou ne devait pas l’être.

Il n’en demeure pas moins que, préalablement à cet arbitrage du Premier ministre, et conformément à la pratique des institutions de la Ve République, des échanges ont eu lieu entre le Premier ministre et le Président de la République ainsi que leurs cabinets, comme l’ont confirmé l’ensemble des personnes auditionnées :

– l’ancien Premier ministre, M. Gabriel Attal, a ainsi affirmé : « [j]’assume cette décision car, en vertu de la Constitution, il appartient au seul Premier ministre de présenter un projet de loi devant le Parlement » ;

– M. Bruno Le Maire a rappelé que, « [c]onformément à la Constitution, il revient au [P]remier ministre de décider de la présentation d’un projet de loi de finances rectificative, après avoir rendu un arbitrage avec le président de la République » ;

– M. Emmanuel Moulin, alors directeur de cabinet du Premier ministre a indiqué que « [l]a Constitution prévoit que c’est le premier ministre qui dépose les projets de loi et qui décide. Mais il voit le président de la République toutes les semaines et il y a effectivement eu des réunions sur ce sujet avec ce dernier. C’est normal. […] Des discussions ont eu lieu entre le ministre de l’économie, le ministre délégué chargé des comptes publics et le premier ministre. Puis il y a eu des entretiens entre le président de la République, le premier ministre et ses ministres, ce qui est tout à fait normal. Le premier ministre rencontrait le président de la République à peu près toutes les semaines, en présence du secrétaire général de l’Élysée et de moi-même. Tous les sujets étaient évoqués lors de ces réunions. Le président de la République et le premier ministre étaient sur la même ligne. Cela étant, de la même manière que le premier ministre est celui qui, constitutionnellement, décide de déposer un projet de loi, il fut celui qui a décidé de ne pas déposer de PLFR » ;

 M. Jérôme Fournel, ancien directeur de cabinet du ministre de l’économie et des finances, a confirmé que « nous avons eu à plusieurs reprises des échanges de nature moins institutionnelle avec le directeur de cabinet du premier ministre et avec le secrétaire général de l’Élysée, notamment à propos du PLFR, notamment pour permettre à nos autorités respectives de trancher la question. […] L’arbitrage final a très clairement été rendu par Matignon, mais en ligne avec l’Élysée, considérant que ce n’était pas le bon timing pour un projet de loi de finances rectificative ».

Bien que la commission ait souhaité auditionner le secrétaire général de l’Élysée, M. Alexis Kohler, ce dernier a refusé.

Le rapporteur Éric Ciotti estime que le refus de comparaître du secrétaire général de l’Élysée est regrettable – et cela d’autant plus que son principe avait été, par deux fois, décidé par la commission des finances, à la majorité. L’audition de M. Alexis Kohler entrait tout à fait dans le champ d’investigation de la commission d’enquête. Les auditions de la commission ont montré que le secrétaire général de l’Élysée a participé à des réunions d’arbitrage au plus haut niveau et a procédé lui-même à des arbitrages budgétaires pour les exercices 2023 et 2024, ce qui est normal, mais justifiait d’autant plus une audition pour éclairer la représentation nationale. Elle n’était d’ailleurs interdite par aucun texte ; au contraire, on trouve de multiples précédents d’audition d’un membre du cabinet de la présidence de la République par une commission d’enquête ([304]). En conséquence, le rapporteur réaffirme son soutien à la décision du président de la commission des finances de saisir le procureur de la République à l’encontre de M. Alexis Kohler conformément aux prérogatives qui lui sont conférées par les articles 5 ter et 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Le rapporteur Mathieu Lefèvre considère à l’inverse que l’audition du secrétaire général de l’Élysée, dans le cadre d’une commission d’enquête chargée de contrôler l’action du Gouvernement et de l’administration en matière fiscale et budgétaire, aurait été contraire aux principes constitutionnels de la Ve République. En application de l’article 20 de la Constitution, c’est bien le Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la nation » et qui, pour cela, est seul « responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 » ; c’est d’ailleurs pourquoi tous les premiers ministres et ministres concernés, ainsi que leurs directeurs de cabinet, ont été auditionnés. À l’inverse, l’article 67 consacre le principe d’irresponsabilité du Président de la République pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions, à l’exception d’éventuels manquements à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat (article 68) ou de condamnation par la Cour pénale internationale (article 53-2). Or, comme l’a rappelé la Présidente de l’Assemblée nationale au Président Coquerel, « les travaux d’enquête doivent […] s’inscrire dans le cadre des normes de droit qui leur sont applicables » ([305]). Une audition de M. Alexis Kohler, envisagée comme un moyen d’atteindre le Président de la République, aurait donc été contraire à la Constitution. Il convient de ce point de vue de souligner que, si des collaborateurs du Président de la République ont pu témoigner par le passé devant une commission d’enquête, ceux-ci l’ont toujours fait soit au titre de fonctions antérieures, soit de façon volontaire et à l’exclusion de toute évocation des conditions de prise de décision du Président de la République.

 En tout état de cause, il convient d’examiner les raisons qui ont présidé à la décision de ne pas présenter de PLFR comme les avantages et les risques de son dépôt.

Comme l’ont souligné plusieurs des personnes auditionnées, si le décret d’annulation du 21 février 2024 était « le plus rapide et le moins risqué politiquement », un PLFR était à l’inverse une voie « aléatoire, lente et comportant un risque. […] Les risques étaient que le PLFR ne soit pas voté, qu’il ait à engager la responsabilité de son Gouvernement, qu’il y ait plus de dépenses après qu’avant ou encore que des augmentations d’impôts soient votées » ([306]).

L’adoption d’un PLFR aurait certes pu permettre d’aller plus loin dans la réduction des dépenses publiques. En effet, le montant des crédits annulés par décret en application des articles 13 et 14 de la LOLF ne pouvant dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances, le décret d’annulation du 21 février 2024, en annulant 10 milliards d’euros sur 12 milliards d’euros possibles, ne laissait guère de marge de manœuvre. Il aurait aussi permis d’engager une discussion sur la maîtrise des dépenses des collectivités territoriales.

Néanmoins, il convient de souligner que le dépôt d’un projet de loi ne préjugeait pas des votes au Parlement. Lors de son audition. M. Gabriel Attal n’a pas caché que cet état de fait avait joué dans sa prise de décision : « [b]eaucoup de responsables politiques affirment qu’il aurait fallu un PLFR mais, compte tenu de leurs déclarations d’alors, tout porte à croire qu’ils auraient saisi l’occasion pour voter, non des économies, mais de nombreuses dépenses supplémentaires ». De plus, le rapporteur Mathieu Lefèvre souligne que, le décret d’annulation de 10 milliards d’euros ayant d’ores et déjà fait l’objet de nombreuses contestations sur les bancs des oppositions parlementaires, il est fort à parier que des économies supplémentaires auraient été contestées.

S’agissant de la possibilité d’augmenter les recettes, le Gouvernement a également craint de déposer un texte « qui donne souvent lieu à des surenchères, notamment fiscales » ([307]). Sur ce point, il faut rappeler, d’une part, que les moins-values observées constituaient non pas une diminution mais une moindre augmentation des recettes par rapport aux années précédentes, et, d’autre part, qu’augmenter les impôts pour les ménages et les entreprises, y compris de façon rétroactive, n’avait rien d’évident et aurait pu avoir un effet récessif sur l’économie, dans un contexte où la France compte parmi les pays où le niveau des prélèvements obligatoires est le plus élevé ([308]).

Le Gouvernement a cependant bien envisagé des augmentations d’impôt ciblées, notamment à travers une taxation des rachats d’actions et, compte tenu du faible rendement de la CRIM, une taxation d’EDF portant sur la puissance installée. Ces deux mesures, inscrites dans le PSTAB d’avril 2024, devaient alors permettre de générer entre 2,5 et 3 milliards d’euros de recettes supplémentaires en 2024.

Ces mesures auraient pu être inscrites de façon rétroactive dans le PLFG pour 2024 ou le PLF pour 2025. C’est ce qu’a souligné M. Emmanuel Moulin : «  l’époque], nous pensions que nous étions là pour un petit moment et nous savions qu’il y aurait d’autres textes budgétaires dans l’année, avec un PLF pour 2025 et un PLFG. Nous aurions inscrit des dispositions fiscales dans ce PLF avec un petit effet rétroactif et cela aurait permis de suivre les préconisations du ministre de l’économie sans en passer par un PLFR » ([309]).

Le rapporteur Éric Ciotti regrette que le Gouvernement de M. Gabriel Attal n’ait pas suffisamment pris en compte les alertes qui lui étaient remontées et que ses réactions, timides et souvent tardives, n’aient pas pu freiner la dégradation pourtant prévisible de la situation des finances publiques. Il estime que cette dégradation et l’incapacité du Gouvernement à y faire face ont beaucoup joué dans la décision du Président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale.

Le rapporteur Mathieu Lefèvre considère que si la question du recours à un PLFR a beaucoup attiré l’attention au cours des auditions en raison de sa charge symbolique, celles-ci ont fait apparaître qu’un texte rectificatif ne représentait manifestement pas l’option la plus efficace pour juguler le déficit durant les premiers mois de l’année 2024. En l’absence de majorité, il aurait pu aboutir à une hausse des dépenses tandis que la série de mesures préparées avant la dissolution par la voie règlementaire et en s’appuyant sur le PLF 2025 et le PLFG 2024 a permis de générer plus de 15 milliards d’euros d’économies, et aurait permis de ramener le déficit à 5,1 % si elles avaient pu être pleinement mises en œuvre. Surtout, il est hostile à l’idée que l’ajustement budgétaire eut pu se faire par le biais de hausses d’impôts massives sur les Français et leurs entreprises dans le pays où le taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé au monde.

3.   L’action du Gouvernement démissionnaire et du Gouvernement de M. Michel Barnier

La période postérieure à la dissolution a donné lieu à une nouvelle dégradation des comptes publics à laquelle le Gouvernement de M. Gabriel Attal, démissionnaire, ne pouvait plus répondre. L’action de M. Michel Barnier, nommé tardivement Premier ministre et sans majorité à l’Assemblée nationale, n’a permis de limiter le déficit qu’à 5,8 % du PIB en 2024.

a.   Malgré une nouvelle dégradation des comptes publics, un Gouvernement démissionnaire limité à l’expédition des affaires courantes

Dans les notes transmises par les administrations aux ministres, on observe à l’été 2024 une nouvelle dégradation de la situation des finances publiques.

D’une part, comme en 2023, de façon aussi surprenante et inexpliquée sur le moment, les recettes publiques s’avèrent inférieures aux prévisions révisées du PSTAB 2024. Comme l’a indiqué M. Jérôme Fournel devant la commission : « [l]es événements de 2023 se sont reproduits en 2024. Dès le 17 juillet, la direction générale du trésor a estimé le déficit à 5,6 % et non plus à 5,1 % comme prévu pour 2024, et potentiellement à 6,2 % pour 2025. […] Cette hausse s’explique par les mêmes phénomènes que ceux observés l’année précédente : divergence entre la croissance bien évaluée à 1,1 %, et des recettes fiscales largement surestimées, avec une élasticité de 0,4 en 2023 et probablement de 0,7 en 2024 » ([310]).

D’autre part, les dépenses publiques, en dehors du périmètre des dépenses de l’État, sont à l’inverse supérieures aux prévisions.

● Une première alerte intervient la veille de la démission du Gouvernement. Une note de la direction du budget du 15 juillet 2024 relative à la prévision d’exécution sur le budget de l’État indique que la prévision d’exécution technique (à politique inchangée) est supérieure de 3,6 milliards d’euros à la prévision sur le périmètre des dépenses de l’État (495,5 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année, au lieu des 491,9 milliards d’euros prévus dans la loi de finances initiale).

Ce dépassement est attribué à la consommation de reports de 2023 sur 2024 : + 18,6 milliards d’euros en crédits de paiement, notamment sur les missions Défense, Plan de relance, Économie et Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales. Il résulte aussi de mesures nouvelles par définition non prévues dans la budgétisation initiale : sécurisation des jeux olympiques et paralympiques, situation en Nouvelle-Calédonie, soutien à l’Ukraine, coût des élections législatives (alors évalué à 100 millions d’euros). La note alerte également sur des aléas d’ampleur diverse pouvant générer des surcoûts supplémentaires à hauteur de 1,2 milliard d’euros.

En réaction, la note propose une prévision d’exécution redressée (488 milliards d’euros), intégrant 7,5 milliards d’euros d’économies, qui est conditionnée à la confirmation des annulations et reports de crédits proposés, au refus de toute mesure nouvelle ainsi qu’au maintien d’un pilotage de la dépense resserré sur la fin de l’année. Elle indique néanmoins qu’« aucun besoin urgent de trésorerie qui ne puisse attendre une loi de finances de fin de gestion n’est […] identifié ». Elle précise également que la prévision même redressée s’écarte, pour ce qui concerne le budget de l’État, de la trajectoire sous-jacente au PSTAB (+ 6,1 milliards d’euros).

● Deux jours plus tard, une note de la direction générale du trésor du 17 juillet 2024 présente des projections de finances publiques actualisées dans le cadre des budgets économiques d’été (BEE).

La prévision de solde public à politique inchangée est abaissée à – 5,6 % du PIB en 2024, contre – 5,1 % dans le PSTAB 2024. Cette dégradation de la prévision de solde public de 0,5 point (14,7 milliards d’euros) s’explique par plusieurs facteurs :

– le retrait des mesures d’économies sous-jacentes au PSTAB 2024, en l’absence de mise en œuvre effective au titre de l’année 2024, pour un total de 12,6 milliards d’euros (dont 3 milliards d’euros pour la taxation des rentes, 2 milliards d’euros d’économies envisagées pour les collectivités territoriales, 7 milliards d’euros pour les dépenses de l’État et 0,5 milliard d’euros liés à un dépassement de l’Ondam) ;

– la détérioration des prévisions macroéconomiques, avec une croissance inchangée par rapport au PSTAB (+ 1 %), mais une prévision d’inflation revue à la baisse à 2,1 % (– 0,3 point), qui entraîne une diminution des recettes tirées des prélèvements obligatoires de 2,6 milliards d’euros (notamment sur l’impôt sur les sociétés et la TVA) ;

– la dépense des collectivités locales serait plus élevée que prévu à hauteur de 3,4 milliards d’euros (sans compter la non-matérialisation des 2 milliards d’économies intégrées dans le PSTAB) ;

– la charge de la dette de l’État est légèrement révisée à la baisse (– 0,4 milliard d’euros).

La note précise que les prévisions sont soumises, au-delà des incertitudes sur l’environnement macroéconomique et l’environnement politique ainsi que ses conséquences sur la politique économique, à des aléas importants (arbitrages définitifs sur le budget de l’État, tenue de l’Ondam, rythme des demandes de remboursement par les entreprises de leurs crédits de TVA). Elle indique néanmoins que « des efforts supplémentaires en gestion, et via un PLFR si la situation politique le permet, seraient nécessaires pour enrayer la dérive des comptes en 2024 ».

Le rapporteur Éric Ciotti, souligne que, pour 2025, la note annonce que « compte tenu des hausses de dépenses anticipées (intérêts, retraites, santé, etc.), le respect a minima des nouvelles règles européennes imposera un effort de grande ampleur (plus de 30 milliards d’euros d’économies à documenter d’ici le dépôt du PLF/PLFSS), qui devra être poursuivi résolument les années suivantes (environ 100 milliards d’euros à horizon 2028) ».

● Malgré ces nouvelles alertes, les capacités de réaction du Gouvernement sont, de fait, assez limitées à compter du 7 juillet 2024, une fois l’Assemblée nationale dissoute. Tout au plus le Gouvernement peut-il, le 16 juillet 2024, jour de sa démission, décider d’un surgel de crédits budgétaires par la voix du ministre des comptes publics. Ce surgel atteint 10 milliards d’euros supplémentaires, portant ainsi le montant total des crédits mis en réserve à 16,5 milliards d’euros. En pratique, cela signifiait que les ministères gestionnaires ne pouvaient plus dépenser au-delà du plafond arbitré, les conduisant à revoir leur programmation. Ces gels devaient ensuite conduire à l’annulation de 9 milliards d’euros de crédits à l’occasion du PLFG 2024.

Une fois démissionnaire, le Gouvernement s’est trouvé limité à la seule expédition des affaires courantes, c’est-à-dire à la gestion des affaires ordinaires, qui « ne nécessitent pas d’appréciation politique et qui relèvent de l’activité quotidienne et continue de l’administration », ainsi qu’à celle des affaires urgentes, « pour lesquelles l’urgence justifie une intervention d’un Gouvernement démissionnaire qui, en temps normal, aurait dû s’abstenir » ([311]). Ce régime rendant impossible toute décision discrétionnaire en matière de finances publiques, que ce soit en recettes ou en dépenses, le Gouvernement ne disposait donc d’aucun moyen d’action pour limiter la poursuite de la dégradation des comptes publics.

En conséquence, à compter du 17 juillet 2024, le Gouvernement a dû se contenter de préparer les décisions du Gouvernement qui serait in fine amené à lui succéder. Ainsi, dans les limites des prérogatives d’un Gouvernement démissionnaire, M. Gabriel Attal a préparé les lettres plafond servant de base à la construction du PLF pour 2025, sur la base d’un gel en valeur des dépenses du budget général, soit une économie de l’ordre de 15 milliards d’euros par rapport à la tendance. Cette maquette a servi de base au projet présenté par M. Michel Barnier le 10 octobre en Conseil des ministres.

C’est ce qu’a rappelé M. Emmanuel Moulin devant la commission : « malgré la dissolution, nous avons souhaité préparer un PLF et des éléments d’un PLFSS, pour que le Gouvernement qui succéderait à celui de Gabriel Attal dispose d’une base de travail. C’est ce que nous avons appelé un « budget réversible ». Sur le PLF, nous avons préparé des lettres plafonds que le premier ministre a signées le 20 août pour un budget « zéro valeur » représentant des économies d’à peu près 15 milliards d’euros par rapport au tendanciel. Ces plafonds ont d’ailleurs été repris par le Gouvernement, qui en a assoupli certains. Sur le PLFSS, les revues de dépenses que nous avons faites nous ont permis de préparer de nombreuses économies, dont certaines ont été également reprises par le Gouvernement, notamment en ce qui concerne les indemnités journalières. Sur les collectivités locales, [m]alheureusement, nous sommes désarmés pour en maîtriser l’évolution […], ce qui a beaucoup pesé sur l’évaluation du déficit pour 2024 » ([312]).

La maîtrise du déficit en cours d’année : un pilotage difficile

L’exécutif dispose de marges de manœuvre limitées en cours d’année pour éviter une aggravation imprévue du déficit. D’une part, il ne dispose pas de levier efficace pour contrôler les dépenses des APUL, en raison du principe d’autonomie des collectivités territoriales, et des ASSO, la plupart des dépenses étant de guichet donc non pilotables. D’autre part, les réformes structurelles nécessaires à la réduction des dépenses ne peuvent que difficilement être préparées dans l’urgence pour répondre à un déficit inattendu en cours d’année, au risque de produire des effets récessifs imprévus.

Cette difficulté a été soulevée par M. Bertrand Dumont au cours de son audition par la commission : « [j]’ajoute qu’il est possible de faire un peu de pilotage du solde ou de prendre des mesures complémentaires, mais il est difficile, en cours d’année, de prendre des mesures massives, de nature à changer la trajectoire budgétaire. La direction générale du trésor ne le recommande pas d’un point de vue macroéconomique. Nous recommandons des mesures d’ajustement, mais la prudence est nécessaire. Pour utiliser une métaphore un peu facile, un paquebot ne peut être gouverné par des coups de barre à droite et à gauche en fonction des informations reçues » ([313]).

Le Gouvernement a donc essentiellement agi en cherchant à réduire les dépenses publiques qui pouvaient faire l’objet d’un pilotage en gestion. L’effet des annulations a toutefois été en pratique atténué pour deux raisons :

– des dépenses nouvelles non budgétisées ont dû être décidées par l’État en cours d’année pour répondre à une succession de crises et surcoûts inattendus. Le surcoût des jeux olympiques est estimé à 1 milliard d’euros, le coût des mesures consécutives à la crise en Nouvelle-Calédonie à 620 millions d’euros, auxquels s’ajoutent les réponses à la crise agricole et au surcoût opérationnel de la guerre en Ukraine qui se confondent partiellement avec les reports et l’organisation des élections législatives anticipées ;

– entre le 25 janvier et le 14 mars 2024, près de 19 milliards d’euros de crédits de paiement de 2023 ont été reportés à 2024 sur le périmètre des dépenses de l’État. MM. Bruno Le Maire et Thomas Cazenave sont d’ailleurs avertis par la DB début avril qui estime alors que ces reports risquent de conduire à un dépassement de + 4,7 milliards d’euros en exécution sur le périmètre des dépenses de l’État (PDE) ([314]).

Grâce aux mesures prises par le Gouvernement, les dépenses de l’État ont finalement pu être minorées de – 4 milliards d’euros par rapport à la LFI 2024, montant porté à – 6 milliards d’euros dans la LFG pour 2024.

Le rapporteur Mathieu Lefèvre estime que les mesures à l’ampleur inédite prises par le Gouvernement ont permis d’atténuer autant qu’il était possible les chocs budgétaires qu’ont subi les finances publiques en 2023 et 2024. Le rapporteur relève le caractère inévitable des reports, tant en raison du besoin de vision à long terme des administrations que d’une pratique de systématisation des reports depuis 2021 en raison des crises sanitaire et énergétique à laquelle le Gouvernement a tenté de progressivement mettre fin ([315]).

Par ailleurs, si ces reports nécessaires de crédits et les dépenses exceptionnelles de crise ont contribué à atténuer cet effort, il n’en demeure pas moins que le Gouvernement n’a pas hésité à adopter des mesures fortement impopulaires dans le contexte électoral des élections européennes et législatives pour redresser les comptes publics. Les mesures préparées par le Gouvernement représentaient un effort cumulé de 27,5 milliards d’euros sur l’année 2024, dont 20 milliards d’euros en dépense.

Cette position a d’ailleurs été confirmée par M. Jérôme Fournel au cours de son audition par la commission : « il me semble que nous sommes allés aux limites de ce qui était raisonnablement faisable pour répondre aux priorités du pays et aux besoins de financement. Je le répète, la gestion en cours d’année n’assure pas les dépenses de réformes structurelles : il s’agit d’un pilotage fin de la dépense. On peut toujours réduire un volume de crédits pour l’aide publique au développement ou d’autres missions mais, compte tenu de l’ensemble des engagements passés, les marges ne sont pas infinies » ([316]).

MESURES DE REDRESSEMENT DES COMPTES PUBLICS ADOPTÉES
OU PRÉPARÉES PAR LE GOUVERNEMENT DE M. GABRIEL ATTAL POUR 2024

(en millions d’euros)

Source : commission des finances d’après les documents transmis par les administrations.

Le rapporteur Éric Ciotti relève néanmoins qu’in fine aucune mesure concrète n’est prise par le Gouvernement jusqu’au résultat des élections législatives anticipées pour permettre un redressement des comptes publics au-delà de la compensation des reports réalisés en début d’année et des dépenses exceptionnelles.

Loin d’être indispensable, le niveau considérable des reports relève simplement d’une pratique instituée sous la présidence de M. Emmanuel Macron afin d’éviter un débat au Parlement sur une partie considérable des crédits. En 2024, cette stratégie a permis au Gouvernement de dissimuler pendant plusieurs mois une part du déficit de 2023 en le reportant sur l’année 2024.

En définitive, les renvois successifs des mesures nécessaires à une date ultérieure, d’abord du fait de l’absence d’information du Parlement quant à l’ampleur réelle du déficit, puis du fait de l’attente des résultats des élections législatives, ont constitué un pari délétère qui a conduit le Gouvernement de M. Michel Barnier à devoir supporter l’ensemble de l’effort de redressement des comptes.


b.   L’action du Gouvernement de M. Michel Barnier, sur fond de nouvelle dégradation des prévisions de recettes

La nomination de M. Michel Barnier comme Premier ministre a été concomitante d’une dégradation supplémentaire des prévisions de solde public, rendant les objectifs du PSTAB 2024 inatteignables. L’action de ce Gouvernement, qui a privilégié le recours à un PLFG plutôt qu’à un PLFR, s’est traduite par un déficit public atteignant 5,8 % du PIB en 2024.

  1.   Des perspectives de finances publiques de nouveau dégradées lors de la nomination de M. Michel Barnier

La nomination de M. Michel Barnier, intervenue le 5 septembre 2024, a été suivie d’une nouvelle dégradation des prévisions de finances publiques rendant caduque la prévision de l’été de la DGT, rendue publique trois jours plus tôt par M. Bruno Le Maire, et qui anticipait un déficit public de – 5,6 % du PIB.

En effet, dans une note du 11 septembre 2024, la DGT prévoit une dégradation du déficit public en 2024 à 6,3 %, soit 22,6 milliards d’euros supplémentaires ([317]). Cette dégradation serait portée en partie par de moindres recettes de prélèvements obligatoires à hauteur de 8,9 milliards d’euros, dont 4,6 milliards d’euros de TVA et 3,2 milliards d’euros d’IR et de prélèvements sociaux, mais serait surtout due à des dépenses des collectivités territoriales en hausse de 12,2 milliards d’euros (dont 6 milliards d’euros en fonctionnement et 6,2 milliards d’euros en investissement) par rapport à la trajectoire du BEE de juillet, qui prévoyait déjà une accélération des dépenses des collectivités territoriales de 3,4 milliards d’euros par rapport au PSTAB 2024. La note précise que « les dépenses de fonctionnement des collectivités locales progresseraient de + 7,0 % en valeur » et que « l’investissement local progresserait de + 14,9 % ». Cette nette dégradation des finances locales s’appuie sur les remontées comptables du mois de juillet, présentant « une dynamique […] nettement supérieure aux prévisions des budgets primitifs votés par les collectivités ».

Dès le mois de septembre, le Gouvernement a fait le choix de la transparence sur les perspectives des finances publiques. Ainsi, le 9 septembre 2024, soit deux jours avant la parution de la note de la DGT, MM. Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, ministres démissionnaires, ont indiqué à la commission des finances que « l’actualisation du niveau total des dépenses des collectivités fin juillet a montré un écart supérieur à 16 milliards d’euros par rapport à la trajectoire initiale, ce qui affectera mécaniquement le déficit des collectivités territoriales et le déficit public total » ([318]). Cependant, cette prévision à date a été remise en question par la direction générale des collectivités locales qui, dans une note du 26 septembre 2024, a jugé la tendance issue de l’extrapolation des remontées comptables de juillet « fragile », notamment en raison « des incertitudes pesant sur les recettes globales et les dépenses d’investissement » ([319]). Aussi, en lien avec des remontées comptables au mois d’août en net ralentissement, l’écart sur les dépenses des collectivités a été revu, au moment du dépôt du PLF 2025, à + 9,7 milliards d’euros par rapport à la prévision du PSTAB 2024.

Finalement, selon M. Charles de Courson, rapporteur général de la commission des finances, les remontées comptables des collectivités sur l’ensemble de l’année 2024 présentent des dépenses de fonctionnement en hausse de 4,8 % sur l’année (contre 7 % envisagé en juillet) et des dépenses d’investissement en hausse de 8 % (contre 14,9 % envisagé en juillet), l’écart des dépenses à la prévision du PSTAB 2024 se situant à + 6,6 milliards d’euros. Cette dégradation moins importante que prévu des dépenses des collectivités territoriales témoigne des limites du choix de la transparence et de la communication immédiate sur les prévisions de finances publiques issues de notes internes à l’administration, lorsque des aléas importants en fin de gestion demeurent.

  1.   Des marges de manœuvre limitées en fin d’année ayant conduit à écarter un PLFR

● Dans la continuité des débats ayant eu lieu au printemps, à la suite des surgels décidés en juillet et alors que la note de la DGT du 11 septembre 2024 anticipe une dégradation supplémentaire des finances publiques, la question du recours à un PLFR et à des mesures supplémentaires en dépenses et en recettes se pose avec acuité dès la formation du nouveau Gouvernement.

En ce sens, à la suite de la nomination du Gouvernement, M. Michel Barnier organise le 26 septembre 2024 une réunion avec les ministres chargés de l’économie et des finances et des comptes publics, au cours de laquelle il écarte l’option d’un PLFR, pouvant notamment intégrer des mesures fiscales rétroactives, au profit d’un PLFG ne pouvant contenir que des mesures en dépenses. Durant son audition par la commission, Michel Barnier a justifié ce choix par la situation d’instabilité politique inhérente à la XVIIe législature : « [l]a question se pose alors de savoir s’il est opportun de présenter un projet de loi de finances rectificative. Nous avons envisagé la possibilité de prendre en urgence des mesures de frein de la dépense au second semestre. Nous y avons renoncé en raison du contexte politique très particulier de l’Assemblée nationale et faute de temps avant la fin de l’année pour réaliser un effort inédit mais nécessaire de réduction, à tout le moins de moindre accroissement, de la dépense publique, en plus des deux textes budgétaires qu’il fallait présenter, sur lesquels nous préférons nous concentrer » ([320]).

Ces propos ont été corroborés par M. Antoine Armand, alors ministre chargé de l’économie, qui a précisé que « [l]e 26 septembre, lorsque je l’ai vu avec Laurent Saint-Martin, le premier ministre a décidé qu’il n’y aurait pas de PLFR, considérant que la configuration politique rendait difficile l’adoption de la partie recettes d’un tel texte » ([321]). Les mesures de fiscalité rétroactive envisagées au printemps auraient par ailleurs pu être adoptées dans le PLF pour 2025.

● Plus largement, lors de la nomination du Gouvernement Barnier se pose la question de la reprise de certaines mesures envisagées par M. Gabriel Attal visant à freiner la dégradation des finances publiques. M. Gabriel Attal a détaillé à la commission les mesures que son Gouvernement avait envisagées et dont l’« application aurait permis de réaliser des économies supplémentaires d’au moins 10 milliards d’euros – et probablement un peu plus – en 2024 » ([322]) :

– des annulations des crédits à hauteur de 9 milliards d’euros, à la suite des surgels annoncés en juillet : « on comptait, in fine, en annuler près de 9 milliards, ce qui aurait supposé qu’on adresse une notification dès septembre aux ministères. Ces notifications étant arrivées plus tard, à l’automne, seuls 6 milliards – sur les 16 – ont été annulés » ;

– des mesures supplémentaires de freinage de la dépense sociale : « nous avions prévu des économies supplémentaires, de l’ordre de 3 milliards d’euros, dans la sphère sociale, notamment grâce au paquet réglementaire sur lequel nous avions travaillé. […] Il s’agissait de réduire le plafond des indemnités journalières en cas d’arrêt maladie – ces dépenses ayant explosé –, de diminuer un certain nombre d’autres remboursements – voire, pour les tests covid hors prescription médicale, d’y mettre fin –, de réformer l’assurance chômage – même si les bénéfices de cette mesure étaient surtout attendus à partir de 2025 » ;

– des mesures fiscales rétroactives dans le PLF 2025, dans le but « d’obtenir quelque 3 milliards d’euros de recettes supplémentaires sur les rachats d’actions et les superprofits des énergéticiens » suivant les travaux commencés par en avril 2024 dans le cadre du groupe de travail conduit par le rapporteur général de la commission des finances, M. Jean René Cazeneuve.

Ces mesures font toutefois dès septembre l’objet d’un arbitrage défavorable de la part de M. Michel Barnier. Ce dernier a avancé deux arguments à la commission pour rejeter les propositions du Gouvernement précédent :

– d’une part, certains crédits ayant fait l’objet de surgels n’auraient pas pu être annulés. En ce sens, M. Michel Barnier a affirmé que « [c]omme toujours lorsque des annulations substantielles ont déjà eu lieu, seule une partie de ces crédits peut réellement être annulée. Au moment où j’ai pris mes fonctions, c’est-à-dire à l’automne, certains gels portaient sur des lignes de crédits n’offrant pas de véritables marges de manœuvre ». Les rapporteurs estiment pour autant qu’il eût été possible d’annuler davantage de crédits sans porter préjudice à l’action publique en cette fin d’année ;

– d’autre part, les mesures de maîtrise de la dépense sociale n’auraient eu qu’un effet limité en 2024 : « [d]es économies portant sur la sécurité sociale avaient été envisagées avant l’été 2024 par le Gouvernement précédent sans avoir toutefois fait l’objet d’arbitrages définitifs. Il s’agissait d’augmenter le ticket modérateur sur les consultations médicales, de modifier les règles relatives à l’apprentissage et d’abaisser le plafond des indemnités journalières prises en charge par l’assurance maladie. Mon prédécesseur a peut-être une opinion différente sur ce point mais compte tenu du fonctionnement normal de l’État, dont j’ai pu faire l’expérience d’encore plus près lorsque j’étais à Matignon, les délais de mise en œuvre n’auraient pas permis que ces mesures aient des effets en 2024 en étant décidées à l’automne ». Les rapporteurs estiment néanmoins que les effets budgétaires de ces mesures auraient été pleins sur l’année 2025 ainsi que sur les années ultérieures.

Par ailleurs, la proposition de réforme de l’assurance chômage a été écartée par M. Michel Barnier pour privilégier une solution accordée par les partenaires sociaux : « je peux parler de l’assurance chômage. Quand je suis arrivé, [Gabriel Attal] m’a dit que tout était prêt et qu’il n’y avait plus qu’à signer le décret. Après lui avoir demandé pourquoi il ne l’avait pas fait lui-même, je lui ai indiqué que cela appelait des discussions avec les partenaires sociaux. Je crois au dialogue social et la ministre du travail a fait un très bon travail. Bien sûr, cette voie n’engendre pas les mêmes économies mais un dialogue social de qualité a un coût positif, si je puis dire ».

  1.   Dans un contexte de nouvelles moins-values en recettes à la fin de l’année, le PLFG 2024 a permis d’atteindre un déficit public de 5,8 % en 2024

 Le PLF pour 2025, déposé le 10 octobre 2024, présente une situation des finances publiques en 2024 moins dégradée que la note de la DGT du 11 septembre 2024, le solde public prévu s’élevant à – 6,1 %, soit – 179,1 milliards d’euros, contre – 184,6 milliards d’euros dans la note de la DGT. Cet écart est essentiellement dû au ralentissement des dépenses des collectivités territoriales dans le second semestre de l’année. L’avis du HCFP relatif aux PLF et PLFSS pour 2025 juge l’ensemble des hypothèses pour l’année 2024 réalistes et cohérentes avec les remontées comptables, bien qu’affectées « d’une incertitude non négligeable » ([323]).

 Le PLFG 2024, déposé le 6 novembre 2024, maintient la cible de déficit public de 6,1 %, soit 178,2 milliards d’euros. Le HCFP considère la prévision de croissance du PIB de 1,1 % « réaliste », la prévision d’inflation de 2,1 % « réaliste, quoiqu’un peu élevée » et la croissance de la masse salariale « cohérente » avec les remontées comptables ([324]). La prévision de prélèvements obligatoires, s’élevant à 1 250,7 milliards d’euros, soit une baisse de 41,5 milliards d’euros par rapport à la prévision du PLF 2024, est jugée « cohérente avec les remontées comptables à fin septembre », tandis que celle des dépenses, en hausse de 15 milliards d’euros par rapport au PLF 2024 et inférieure de 0,3 milliard d’euros à la prévision pour 2024 du PLF 2025, est « plausible » mais entourée d’aléas concernant la dépense locale. Aussi, le déficit budgétaire de l’État prévu par le PLFG 2024 s’élève à 163,2 milliards d’euros, en hausse de 16,7 milliards d’euros par rapport à la LFI 2024.

Le PLFG 2024 vise à limiter la dépense tout en répondant à des besoins de financement de fin d’année. En effet, une note de la direction du budget du 22 septembre 2024 alerte que « des ouvertures de crédits apparaissent nécessaires d’ici la fin de l’année, pour éviter des impasses sur certains programmes (élections législatives, mesures d’urgence pour la Nouvelle-Calédonie, primes accordées aux agents publics mobilisés de manière exceptionnelle dans le cadre des JO, etc.) » ([325]). Ainsi, depuis la promulgation de la LFI 2024, et tenant compte des reports entrants et sortants et du décret d’annulation du 21 février 2024, les crédits relevant du périmètre des dépenses de l’État (PDE) seraient en baisse de 5,5 milliards d’euros, s’établissant à 486,4 milliards d’euros.

SchÉma de fin de gestion en 2024 en crÉdits de paiement
sur le pÉRIMÈtre des dÉpenses de l’État

(en milliards d’euros)

C:\Users\jurtiaga\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\3B8E8B14.tmp

Source : rapport de M. Charles de Courson, rapporteur général de la commission des finances, sur le PLFG 2024.

Dans le champ des missions du budget général relevant du PDE, les annulations nettes de crédits proposées par le PLFG 2024 s’établissent à 1,9 milliard d’euros, et sont composées d’annulations de crédits s’élevant à 5,6 milliards d’euros et d’ouvertures de crédits à hauteur de 3,7 milliards d’euros. Cependant, en dehors du seul champ du PDE, les missions du budget général affichent une hausse des crédits par rapport à la LFI 2024 de 5 milliards d’euros. Cette hausse est principalement due aux ouvertures supplémentaires de crédits de la mission Remboursements et dégrèvements à hauteur de 7,7 milliards d’euros, liées à des remboursements d’IS et d’IR plus importants et des remboursements de TVA plus faibles.

● Tout au long de la procédure budgétaire, le Gouvernement réagit aux dernières remontées comptables faisant état d’une potentielle dégradation des finances publiques pour l’année 2024 en tenant le Parlement largement informé :

– d’une part, M. Laurent Saint-Martin, alors ministre chargé des comptes publics, a témoigné devant la commission que « lorsque je suis informé, le 14 novembre 2024, du dérapage de 1,2 milliard d’euros de nos dépenses de sécurité sociale, je prends sur-le-champ attache avec les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat pour signaler cet écart. Afin de prendre immédiatement des mesures correctives, le Gouvernement actualise en conséquence les trajectoires des finances publiques dans le PLFSS et le PLF en cours d’examen. De plus, il prend des mesures pour limiter l’impact sur les finances publiques en 2024 et 2025, notamment la modification de la clause de sauvegarde » ([326]) ;

– d’autre part, le 28 novembre 2024, une note de la DGFIP fait état d’encaissements de TVA inférieurs de – 1,4 milliard d’euros en comptabilité budgétaire et de – 1 milliard d’euros en comptabilité nationale par rapport à la prévision du PLFG 2024 ([327]). En réponse à cette note, M. Laurent Saint-Martin a « tenu à ce que les textes financiers soient actualisés en cours d’examen jusqu’au dernier moment, à partir des informations disponibles ». Ainsi, « l’article d’équilibre du PLFG adopté au Sénat a été mis à jour postérieurement à la commission mixte paritaire (CMP) du 3 décembre 2024. Cette actualisation visait notamment à tenir compte d’une nouvelle information sur les recettes de TVA pour 2024, accusant une baisse de 1,4 milliard d’euros ».

● Enfin, le déficit public de l’année 2024 se situe à 5,8 %, soit une dégradation de 1,4 point par rapport à la LFI 2024. Cette baisse par rapport au déficit prévu en LFG 2024 s’explique principalement par trois facteurs :

– des dépenses des administrations publiques centrales (APUC) en recul de 3 milliards d’euros. Ce recul est dû à une sous-exécution du budget de l’État par rapport à la LFG ;

– des dépenses des APUL en baisse de 7,3 milliards d’euros, les dépenses des collectivités territoriales s’étant révélées inférieures de 3,1 milliards d’euros aux prévisions du PLF 2025 ;

– un solde des ASSO en amélioration de 1,9 milliard d’euros, porté par des recettes supérieures à la prévision de fin d’année.

 

 


III.   La cohÉrence entre les prÉvisions de finances publiques et l’exÉcution pourrait Être confortÉe par une amÉlioration des mÉthodes de prÉvision, le renforcement de la transparence et des instances de contre-expertise et des efforts de pilotage infra-annuel soutenus

Dans la continuité du rapport de la mission d’information du Sénat relative à la dégradation des finances publiques ([328]) et du rapport de l’IGF de juillet 2024 ([329]), qui formulait de premières recommandations pour améliorer les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires, le Gouvernement de M. Michel Barnier a confié à un comité scientifique, composé de neuf économistes et experts des finances publiques, le soin d’analyser les difficultés de prévision rencontrées en 2023 et 2024 et d’envisager des pistes de progrès. Le comité scientifique, mis en place au mois de novembre 2024, a rendu de premières conclusions qui ont été publiées par le Gouvernement en février 2025 ([330]).

Par ailleurs, le Gouvernement de M. François Bayrou a présenté, le 3 mars 2025, un plan d’action pour améliorer le pilotage des finances publiques, qui ne reprend qu’une partie des recommandations formulées par le Sénat, l’IGF et le comité scientifique. Les rapporteurs estiment que des améliorations supplémentaires sont possibles, tant du point de vue de l’évolution des modèles de prévision et de la coordination entre les administrations que du renforcement de l’information et du contrôle des prévisions présentées par le Gouvernement.

A.   Pour AmÉliorer la crÉdibilitÉ des hypothÈses prÉsentÉes par le Gouvernement, faire Évoluer les mÉthodes de prÉvision et renforcer la coordination entre administrations

La question de l’amélioration des méthodes et outils de prévision se pose, en particulier en ce qui concerne la prévision des recettes de prélèvements obligatoires. Selon l’IGF, cela passe notamment par « une amélioration du fonctionnement entre les directions concernées […], notamment dans le suivi des remontées comptables par rapport à la prévision, à l’échelle de l’ensemble des PO ».

1.   Un travail nécessaire sur l’optimisation des modèles de prévision de recettes des prélèvements obligatoires

Les auditions menées par la commission ont mis en évidence l’importance des retours d’expérience en cas d’écarts à la prévision significatifs et permis de débattre de l’utilité d’accompagner les prévisions techniques de l’administration d’intervalles de confiance permettant de mieux apprécier les arbitrages rendus.

a.   Systématiser les retours d’expérience en cas d’écarts importants entre les prévisions et l’exécution

Pour améliorer les méthodes et outils des prévisions de recettes des prélèvements obligatoires, le rapport de l’IGF de juillet 2024 recommande de systématiser les retours d’expérience sur les écarts entre les prévisions et l’exécution, en insistant sur la nécessité d’une « information publique » ainsi que sur « l’adoption d’une méthode permanente et d’une classification des sources d’écart ».

Les rapporteurs approuvent cette proposition : les retours d’expérience de l’administration gagneraient à être systématiquement réalisés et publiés, surtout en cas d’écarts importants, de façon à informer à la fois le Parlement et les organismes de prévision extérieurs au ministère de l’économie et des finances sur les difficultés rencontrées.

Dans la mesure où, comme les évolutions infra-annuelles évoquées dans le présent rapport l’ont fait apparaître, les écarts peuvent parfois s’accentuer ou à l’inverse se résorber en cours d’année, une telle publication n’aurait de sens qu’une fois l’exécution pleinement constatée, c’est-à-dire lors du dépôt du projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année.

Recommandation n° 1 : publier systématiquement, lors du dépôt du projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année, une analyse des écarts entre les prévisions et l’exécution du solde public et des prélèvements obligatoires en cas d’écart supérieur à 0,2 point de PIB.

Il convient de noter que la direction générale du trésor a réalisé ce retour d’expérience pour 2023 et 2024 en publiant, en décembre ([331]) puis janvier ([332]), des notes Trésor-Éco revenant sur les écarts entre réalisation et prévisions. En outre, le plan d’action pour améliorer le pilotage des finances publiques présenté par le Gouvernement le 3 mars 2025 prévoit qu’un retour d’expérience sur les écarts aux prévisions avec l’année précédente sera systématiquement présenté en parallèle du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes. Le rapporteur Mathieu Lefèvre salue cette avancée. Les rapporteurs seront attentifs à la qualité des éléments ainsi présentés par le Gouvernement.

b.   Accompagner la prévision technique d’un intervalle de confiance permettant d’en estimer le degré de réalisme

Le rapport de l’IGF propose aussi l’utilisation d’intervalles de confiance pour juger du degré de réalisme des prévisions. Un outil de ce type peut être tout d’abord utilisé par l’administration vis-à-vis du Gouvernement : « à partir de la production d’une prévision technique centrée, identifiée comme la plus probable au sein d’un intervalle de confiance, les autorités ministérielles pourraient choisir de se positionner au sein de l’intervalle pour retenir la prévision publique ». Selon les membres de l’IGF auditionnés, « [u]n tel mécanisme dispenserait la direction générale du trésor d’intérioriser la contrainte et clarifierait les rôles entre le technicien et le politique, celui-ci pouvant croire en sa politique et retenir des hypothèses plus risquées » ([333]).

L’utilisation d’intervalles de confiance supposerait que le ministère de l’économie et des finances se dote d’outils adaptés. Il s’agirait notamment de « faire évoluer les outils de modélisation, avec pour objectif de générer et d’afficher de l’incertitude », comme cela existe dans les prévisions macroéconomiques d’autres acteurs (Insee, FMI, Banque de France) ou dans certaines prévisions de finances publiques réalisées par d’autres organismes à l’étranger. L’IGF invite ainsi à « conduire un travail méthodologique pour aboutir à la génération d’incertitudes associées à la prévision, dans un premier temps les incertitudes dues à la macroéconomie et dans un second temps les incertitudes dues au modèle de prévision ».

Recommandation n° 2 : dans le cadre des notes adressées par l’administration au Gouvernement préalablement au dépôt des textes financiers, privilégier une prévision technique centrée avec un intervalle de confiance permettant au Gouvernement d’arbitrer la prévision publique.

Les intervalles de confiance peuvent ensuite être utilisés par le Gouvernement vis-à-vis du Parlement pour accompagner la présentation de ses prévisions macroéconomiques et de finances publiques. Le plan d’action présenté par le Gouvernement a fait un pas en ce sens en prévoyant l’ajout systématique, dans le rapport économique, social et financier (RESF), annexé chaque année au PLF, d’un « focus » sur les incertitudes entourant les prévisions de déficit.

Si la définition d’intervalles de confiance dans les rapports entre l’administration et le Gouvernement apparait nécessaire, les rapporteurs sont plus réservés sur la portée qu’aura leur utilisation dans les documents budgétaires. S’ils permettront de mieux informer le Parlement sur ce qui relève de la prévision technique et ce qui relève de l’opportunité politique, les comparaisons internationales montrent que les intervalles de confiance ont peu d’effet dans le débat public. M. Olivier Garnier, directeur des études économiques de la Banque de France, constatait ainsi que « l’expérience commune montre que, du point de vue de la communication, cela ne fonctionne pas. Pour ses prévisions d’inflation, la Banque d’Angleterre a l’habitude de produire des fan charts – des graphiques indiquant les probabilités avec un dégradé de couleur : personne n’y fait attention, ni les analystes, ni la presse ! Tous ne retiennent que l’hypothèse centrale » ([334]). Par ailleurs, la publication d’un intervalle de confiance ne sera que d’une utilité toute relative en cas de crise exceptionnelle, par définition difficile à anticiper.

2.   Améliorer les données à la disposition de l’administration dans le cadre de ses travaux de prévision des recettes de prélèvements obligatoires

Les travaux conduits par la commission ont mis en évidence que les écarts à la prévision avaient été sous-estimés par rapport aux informations disponibles ou qu’il aurait été possible d’obtenir à l’automne 2023. Plusieurs pistes d’amélioration ont été identifiées à partir de ces constats pour les principaux impôts concernés et dans la coordination générale des administrations.

a.   Pour la prévision de recettes de l’impôt sur les sociétés, privilégier les solutions qui n’ajoutent pas de contraintes administratives aux entreprises

● S’agissant des recettes de l’IS, le rapport de l’IGF a mis en évidence le poids de certains secteurs, en particulier le secteur énergétique et les services immobiliers, dans la décorrélation entre l’excédent brut d’exploitation et le bénéfice fiscal en 2023. En conséquence, il recommande de « procéder à des analyses par branche et des principales entreprises contributrices en amont de l’estimation du bénéfice fiscal pour l’année en cours, pour corriger l’indicateur de l’excédent brut d’exploitation d’éventuelles déformations dues à un secteur économique ou une entreprise en particulier ».

Lors de leur audition, les membres de l’IGF ont confirmé que « [la direction générale du trésor] s’appuie d’ordinaire assez peu sur les données sectorielles : [elle] privilégie des modèles de microsimulation ou des méthodes économétriques, qui, au reste, sont habituellement plus fiables qu’une approche par entreprise, dans la mesure où il est assez rare qu’un seul acteur pèse si lourdement dans l’évolution de l’excédent brut d’exploitation global. C’est donc plutôt l’habitude et la nature des modèles utilisés qui peut expliquer que [la hausse de l’excédent brut d’exploitation d’EDF en 2023] n’ait pas été prise en compte. Nous n’avons en tout cas pas démontré que cette information aurait été portée à la connaissance des prévisionnistes et volontairement exclue des calculs » ([335]).

Sur ce point, le rapport du comité scientifique recommande d’« identifier quelques entreprises importantes, soit parce que contribuant beaucoup à l’IS, soit car représentatives, afin de suivre plus précisément les origines des variations d’acompte d’IS », en cherchant notamment à « mieux tenir compte des non-linéarités les plus aisément prévisibles comme les déficits reportables ».

Les rapporteurs approuvent naturellement cette proposition. Un recours plus systématique aux informations sur l’évolution de l’excédent brut d’exploitation par secteur détaillées dans les comptes trimestriels de l’Insee est susceptible d’améliorer les prévisions de recettes de l’impôt sur les sociétés et d’éviter que des difficultés de même nature se reproduisent. Ils notent que, selon les auteurs du rapport de l’IGF auditionnés, « [l]a direction générale du trésor a intégré [cette] suggestion de procéder à des analyses par branche pour l’évaluation de l’IS. La prévision du produit de l’IS pour l’année suivante prendra en compte les informations relatives aux branches ».

Recommandation n° 3 : dans le cadre de la prévision des recettes de l’impôt sur les sociétés, procéder à une analyse des principales entreprises contributrices pour corriger l’estimation du bénéfice fiscal d’éventuelles déformations dues à un secteur économique.

● S’agissant de la possibilité de ne pas tenir compte du cinquième acompte net de l’autolimitation dans les prévisions de recettes de l’IS, proposée par le Sénat, les rapporteurs notent que la plupart des personnes auditionnées se sont montrées réservées. M. Bertrand Dumont a qualifié une telle hypothèse d’« exagérément conservatrice » ([336]). M. Jérôme Fournel et Mme Amélie Verdier ont quant à eux insisté sur un risque d’insincérité de la prévision : « il me semble que le cadre juridique nous interdit une telle liberté, car nous sommes contraints d’élaborer des prévisions sincères » ([337]) ; « je ne crois pas qu’il faille ne pas tenir compte d’une recette de manière systématique. Cela introduirait un biais d’insincérité. On peut en revanche faire en sorte qu’une prévision de croissance soit toujours très prudente par rapport au consensus des économistes » ([338]).

Mme Mélanie Joder a quant à elle évoqué une éventuelle évolution de la législation visant à réduire la fragilité de la prévision inhérente au cinquième acompte : « [t]ant que la législation restera inchangée, l’incertitude sur l’impact du cinquième acompte sera très forte jusqu’au début de l’année suivante. C’est inhérent à la mécanique de cet impôt. Faut-il le faire évoluer ? La décision ne m’appartient pas, mais c’est effectivement une option. Il serait également possible, sans le faire évoluer, de renforcer les obligations déclaratives des entreprises suffisamment en amont. D’un autre côté, cela créerait des contraintes supplémentaires. Il faudrait vraiment peser les avantages et les inconvénients » ([339]).

● Plusieurs des personnes entendues par la commission ont par ailleurs évoqué la possibilité de faire remonter de nouvelles informations permettant d’améliorer la prévision des recettes de l’IS. Il s’agit aussi d’une des propositions du comité scientifique, qui consisterait à « demander, pour un sous-ensemble d’entreprises, une prévision de leur bénéfice fiscal en France (pas leur bénéfice mondial consolidé) avec les deux derniers acomptes (septembre et décembre) en leur faisant comprendre que cette prévision ne les engage en rien du point de vue fiscal pour ce qui est de l’acompte de septembre ».

Lors de son audition, M. François Ecalle a expliqué que « nous nous sommes demandé, au sein du comité d’experts, s’il ne faudrait pas demander aux entreprises de communiquer, chaque été, au moment de la préparation du projet de loi de finances, des informations sur ce qu’elles pensent que sera leur bénéfice fiscal pour l’année en cours. Mais, ce faisant, nous leur imposerions une obligation supplémentaire. Or on considère souvent que les entreprises sont déjà très réglementées et ont beaucoup d’informations à fournir » ([340]).

La Cour des comptes a formulé une proposition similaire qui vise à conduire une étude rétrospective, sans doute à l’aide d’un échantillon d’entreprises, afin de comprendre leur comportement d’ajustement de leurs acomptes d’impôt sur les sociétés et de mieux les anticiper dans les prochaines prévisions ([341]).

Les rapporteurs soulignent qu’instaurer des remontées d’informations obligatoires et systématiques reviendrait à créer des contraintes administratives supplémentaires pour les entreprises concernées. Dès lors, il convient de peser les avantages et les inconvénients des différentes solutions envisageables, notamment au regard de la capacité prédictive des informations in fine recueillies.

Recommandation n° 4 : s’agissant de l’amélioration de la prévision des recettes de l’impôt sur les sociétés, privilégier les solutions qui n’ajoutent pas de contraintes administratives supplémentaires pour les entreprises concernées.

Dans le cadre de son plan d’action du 3 mars 2025, le Gouvernement a finalement annoncé le lancement d’une concertation auprès des grandes entreprises soumises au cinquième acompte de l’IS afin d’améliorer la prévisibilité du bénéfice fiscal de l’année en cours, par exemple au moment du versement des acomptes de septembre et décembre, notamment en vue de l’examen du PLF par le Parlement.

b.   Pour la prévision de recettes de la TVA, mieux anticiper les demandes de remboursement et faire évoluer la méthode d’estimation de la base taxable

De la même manière, il semble possible et souhaitable d’enrichir le modèle de prévision des recettes de TVA par des informations supplémentaires.

● Les écarts à la prévision observés en 2023 et 2024 ont tout d’abord mis en évidence la nécessité de mieux suivre les demandes de remboursement de crédits de TVA, notamment pour comprendre comment le stock varie en fonction de l’évolution des taux d’intérêt réels. Sur ce point, le rapport du comité d’expert propose de « [s]uivre régulièrement, à partir des déclarations CA3 et CA3G, le stock agrégé de créances TVA exigibles par les entreprises et l’évolution du taux de remboursement de ces créances ».

Dans son article sur les recettes de la TVA, M. Laurent Bach, économiste à l’Institut des politiques publiques, revient sur les détails de cette proposition : « [d]ans la plupart des cas, l’état de ces créances est fourni mensuellement à la direction générale des finances publiques (DGFIP) par chaque entreprise dans le formulaire CA3. Depuis cette année, la DGFIP prête attention à cette information dans ses publications statistiques sur le sujet et construit une mesure agrégée du stock agrégé de créances TVA en fin d’année. Pour identifier un effet fiscal de ces remboursements, il faut toutefois aller plus loin et mesurer ces créances de manière régulière, ce qui permettrait de mieux prévoir les vagues de remboursements à venir. Cet exercice pourrait enfin se faire à une échelle individuelle pour savoir quelles sont les entreprises qui contribuent le plus à ces dynamiques de remboursement volatiles : s’agit-il de seulement quelques entreprises ou au contraire d’un très grand nombre ? Les entreprises en question ont-elles une solidité financière suffisante pour se voir imposer des conditions de remboursement moins souples qu’aujourd’hui ? » ([342]).

Les rapporteurs notent que, dans le cadre de la présentation de son plan d’action pour améliorer le pilotage des finances publiques, le Gouvernement a annoncé le lancement d’une mission d’audit visant à mieux expliquer le comportement des entreprises dans le dépôt de leurs demandes de remboursement de crédits de TVA. Ils recommandent au Gouvernement de s’appuyer sur cet audit pour préciser les moyens de renforcer – de façon régulière et pérenne – le suivi des demandes de remboursement de crédits de TVA, afin de mieux prévoir les volumes de remboursements à venir.

Recommandation n° 5 : renforcer de façon régulière et pérenne le suivi des demandes de remboursement de crédits de TVA, afin de mieux prévoir les volumes de remboursements futurs.

● Par ailleurs, le comité d’expert recommande d’« [i]ntégrer dans le modèle de TVA théorique de la DGT un rôle pour la valeur des importations, qui font déjà l’objet de prévisions macro par ailleurs et qui contribuent fortement à la variation des assiettes taxables en cas d’inflation/désinflation importée ». Selon M. Laurent Bach, il faudrait pour cela « estimer le contenu en importations des différents emplois de produits (consommations finale et intermédiaire, investissement) suivant qu’ils sont ou non taxables à la TVA. Cela permettrait ensuite d’introduire spécifiquement dans la formule d’emplois taxables du Trésor un terme additionnel de prévision des importations. À plus long terme, on pourrait envisager d’estimer le modèle TVA à partir d’informations plus riches sur les liens entre branches et produits que le tableau entrées-sorties fourni par l’Insee. La mise en place prochaine de la facturation électronique pour les transactions entre entreprises pourrait en fournir l’occasion » ([343]).

Lors de son audition par la commission, M. François Ecalle s’est accordé sur la possibilité d’améliorer les emplois taxables à la TVA : « [p]our prévoir les recettes, on utilise […] un agrégat tiré de la comptabilité nationale, les « emplois taxables », dans lesquels on trouve grosso modo 60 % de consommation des ménages, 20 % d’investissement en logement, les derniers 20 % correspondant aux rémanences de TVA. Ce que montre Laurent Bach, c’est que la croissance des emplois taxables ne colle plus bien, ces trois ou quatre dernières années, avec celle de la TVA. Il faudrait donc réexaminer la corrélation entre cet agrégat et la TVA. Il faut peut-être changer la formule des emplois taxables – pour passer à 65 % de consommation des ménages, par exemple » ([344]). Il s’est toutefois montré plus réservé quant à la question de savoir si d’autres agrégats sont mieux corrélés avec la TVA, notamment les importations.

Les rapporteurs invitent à élargir le champ de la mission d’audit sur les recettes de la TVA annoncée par le Gouvernement à une étude sur l’opportunité de faire évoluer la formule de calcul des emplois taxables à la TVA, si nécessaire en y intégrant un terme additionnel relatif à la prévision des importations.

Recommandation n° 6 : dans le cadre de la prévision des recettes de TVA, étudier l’opportunité de faire évoluer la formule de calcul des emplois taxables à la TVA, si nécessaire en y intégrant un terme additionnel relatif à la prévision des importations.

3.   Améliorer la coopération entre administrations, en particulier dans les champs des administrations de sécurité sociale et des administrations publiques locales

Le rapport de l’IGF a mis en évidence l’absence de prise en compte dans les prévisions de certaines informations pourtant disponibles en raison d’un manque de coordination entre les différentes administrations et souligné les marges de manœuvre existantes dans le suivi des recettes et des dépenses relevant du champ des ASSO et des APUL.

● En conséquence, le rapport de l’Inspection recommande de remettre en place des réunions de recettes mensuelles concernant le périmètre de l’État (DGT, DB, DGFIP) afin de favoriser le partage et la comparaison des informations sur les remontées comptables.

L’Inspection propose également d’étendre ce modèle à des réunions mensuelles inter-administrations pour les administrations de sécurité sociale, en incluant la DSS : « [p]our ce qui concerne l’État, on a trouvé beaucoup plus de données consolidées sur l’historique de l’écart de prévision et la décomposition des écarts. C’est moins le cas pour les administrations de sécurité sociale, dont le suivi est éclaté entre la direction de la sécurité sociale (DSS) et la direction générale du trésor. Nous recommandons un meilleur suivi de la part de ces administrations et l’établissement de profils de prévision infra-annuels, lesquels n’existent pas pour les cotisations sociales. L’écart de prévision est très faible par rapport au volume des cotisations sociales, mais il se chiffre tout de même en milliards d’euros, que l’on retrouve dans les écarts de prévision de recettes et du déficit. Cette question doit être mieux suivie, par exemple par la tenue de réunions mensuelles entre les équipes, afin de suivre les variables macroéconomiques et d’anticiper leur impact sur l’atterrissage de fin d’année » ([345]).

Cela rejoint l’une des propositions du comité scientifique qui estime, concernant les cotisations de sécurité sociale, qu’« [u]ne meilleure coordination entre la DGT, la DSS et l’ACOSS permettrait d’obtenir une estimation plus rapide dans l’année de la prévision de salaires et des cotisations sociales, prenant en considération l’effet des allègements de charges ». Cela permettrait notamment de mieux tenir compte des informations disponibles sur l’évolution de la masse salariale et des remontées comptables mensuelles publiées par la Caisse nationale des Urssaf et d’établir des profils de prévision infra-annuels qui n’existent pas aujourd’hui.

Les rapporteurs soutiennent ces propositions visant à renforcer la coordination entre administrations et les partages d’informations. Ils notent que ces préoccupations sont partagées par la direction générale du trésor, ainsi que l’a indiqué M. Bertrand Dumont : « [u]ne des recommandations du rapport de l’IGF est une meilleure coordination des directions de Bercy. Nous la partageons pleinement et des travaux ont déjà été engagés » ([346]).

Recommandation n° 7 : renforcer la coordination entre les administrations chargées des prévisions macroéconomiques et de finances publiques, y compris en réinstaurant des réunions mensuelles entre la DGT, la DB et la DGFIP afin de partager l’information sur les remontées comptables et les comparer aux profils de prévision.

Recommandation n° 8 : renforcer la coordination entre les administrations chargées des prévisions relatives aux administrations de sécurité sociale, d’une part, et aux administrations publiques locales, d’autre part, afin de suivre les variables macroéconomiques et d’anticiper leur impact sur l’atterrissage de fin d’année.

Concernant le champ des administrations de sécurité sociale, il convient de noter, en outre, que le plan d’action du Gouvernement inclut un travail pour mieux exploiter et valoriser les données budgétaires et comptables des établissements de santé, visant à améliorer le suivi infra-annuel de l’exécution de la dépense hospitalière. Le rapporteur Mathieu Lefèvre salue cette avancée.

En outre, le rapporteur Mathieu Lefèvre souhaite tirer toutes les conséquences du besoin d’une meilleure articulation entre les administrations chargées du suivi des dépenses de l’État et des organismes de sécurité sociale en privilégiant une fusion de la direction du budget et de la direction de la sécurité sociale. En effet, une telle fusion, au sein d’une future direction générale des comptes publics, favoriserait une vision consolidée sur le suivi de l’exécution des recettes et des dépenses sur le périmètre de l’État et de la sécurité sociale. Celleci serait mieux en mesure d’anticiper un écart aux prévisions de recettes ou de dépenses et de proposer des mesures de correction en gestion.

● S’agissant plus spécifiquement des collectivités territoriales, les auditions de la commission ont mis en évidence le besoin d’améliorer les prévisions de dépenses des collectivités territoriales. Comme l’a indiqué M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques : « [t]ant qu’on demandera aux collectivités locales de faire des efforts sans en avoir débattu avec elles et sans qu’ils soient adaptés à leurs possibilités, on continuera d’afficher des chiffres qui ne veulent pas dire grand-chose » ([347]).

Selon la directrice générale des collectivités locales, Mme Cécile Raquin, « [u]ne voie d’amélioration […] – qui avait commencé à être suivie, sous l’impulsion des ministres, en 2023 et 2024 – consisterait à mieux expliquer les sous-jacents de la prévision, à partager avec les collectivités locales les motivations de la prévision et à s’accorder avec les représentants des collectivités, dans toute la mesure du possible, sur la bonne trajectoire » ([348]). M. François Ecalle a quant à lui invité à « chercher, avec des méthodes statistiques, les principaux déterminants du produit des impôts locaux et des dépenses des collectivités locales, et examiner plus souvent les méthodes utilisées dans les autres pays » ([349]).

Sur ce point, le comité scientifique recommande d’« améliorer la prévision des dépenses inscrite dans le RESF pour l’année n+1 en tenant compte du niveau de trésorerie accumulée et des recettes fiscales locales, en prêtant plus d’attention à l’analyse des budgets et en interrogeant un échantillon de collectivités », de « réviser l’estimation des dépenses et/ou recettes APUL entre le RESF à l’automne et le PSMT au printemps, lorsque des informations tangibles suggèrent de le faire » et d’« actualiser la prévision de dépenses à partir des remontées comptables des premiers mois de l’année ».

Les rapporteurs soutiennent ces mesures et proposent également que les prévisions de recettes et de dépenses des collectivités territoriales soient détaillées pour chaque strate de collectivités (régions, départements, bloc communal) afin de clarifier les objectifs et les efforts à réaliser dans le cadre de la nécessaire maîtrise des finances publiques.

Recommandation n° 9 : intégrer les axes d’amélioration identifiés par le comité scientifique aux prévisions des collectivités territoriales et décliner les prévisions de recettes et de dépenses des collectivités territoriales par strate afin de clarifier les objectifs et les efforts à réaliser dans le cadre de la nécessaire maîtrise des finances publiques.

Le plan d’action du Gouvernement annonce une meilleure exploitation des remontées comptables des dépenses des collectivités territoriales, en fonctionnement comme en investissement, pour améliorer le suivi de l’exécution en cours d’année, détecter des écarts en recettes et dépenses et ajuster en temps utile la prévision. Le rapporteur Mathieu Lefèvre salue cette évolution.

● Outre le renforcement de la coopération entre administrations, les rapporteurs recommandent également d’engager une réflexion visant à mieux articuler les calendriers administratifs et parlementaires, afin que les partages d’information n’aient pas uniquement lieu entre administrations mais aussi avec les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Recommandation n° 10 : engager une réflexion visant à mieux articuler les calendriers administratifs et parlementaires afin de renforcer la transparence sur la situation des finances publiques.

4.   Le besoin d’une trajectoire de moyen ou long terme à politique inchangée pour clarifier les débats sur les choix de finances publiques

Prenant l’exemple de la CRIM, le rapport de l’IGF met en évidence les difficultés de prévision spécifiques aux mesures nouvelles, en préconisant de renforcer l’information sur le chiffrage initial proposé : « la mesure a été ajoutée par amendement au cours du débat parlementaire et n’a donc pas fait l’objet d’une évaluation chiffrée dans les documents annexés au PLF 2023. Cependant, la mission estime que dans un contexte de nouvel impôt devant rapporter une dizaine de milliards d’euros, il est souhaitable de produire une information publique sur le détail du chiffrage initial de la mesure et son mode de calcul, ce qui permet en outre de faciliter a posteriori l’explication de l’écart de prévision » ([350]).

Le comité scientifique formule également des recommandations en ce sens. Son rapport appelle ainsi à clarifier la définition de la notion de mesure nouvelle et à améliorer la qualité des études d’impact portant sur des mesures nouvelles, notamment en y intégrant des travaux d’évaluation établis en lien avec le monde académique.

En outre, afin de mieux distinguer les prévisions portant sur des mesures nouvelles et les prévisions à mesures inchangées, le rapport du comité scientifique recommande, d’une part, de « [g]arantir la publication par l’administration d’informations dans le PSMT sur la trajectoire pluriannuelle de dépenses et recettes, en distinguant bien les trajectoires spontanées et avec mesures nouvelles de ces dernières » et, d’autre part, de « publier une trajectoire spontanée des finances publiques au-delà de l’horizon du PSMT – de 5 à 30 ans, voire plus – [qui] permettrait d’ancrer les ajustements nécessaires, au-delà des fluctuations conjoncturelles ».

Ces recommandations rejoignent un certain nombre de propositions émises lors des auditions menées par la commission. M. François Ecalle a recommandé que soient à nouveau publiées les prévisions de moyen terme à politique inchangée, c’est-à-dire ne tenant compte que des mesures déjà votées, réalisées par la direction générale du trésor et la direction du budget. Leur diffusion ne poserait pas de difficultés particulières, ces prévisions étant d’ailleurs publiques jusqu’au début des années 1990. Leur publication aiderait à remettre en perspective les prévisions de moyen terme officielles inscrites dans les lois de programmation ou le PSMT. Toutefois, afin de minimiser la tentation pour le Gouvernement d’appliquer un quelconque « normage » à cette prévision à politique inchangée, sa publication pourrait, selon M. François Ecalle, se faire sous le contrôle d’un tiers de confiance, qui pourrait être le HCFP. Cela supposerait de donner au HCFP accès à de plus amples informations que celles qu’il peut aujourd’hui consulter.

Lors de son audition, M. Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), a également insisté sur le besoin d’une prévision de long terme : « [j]e pense qu’il y a un autre horizon crucial pour comprendre la dynamique des prévisions, à 10 ans, à 20 ans, de la projection des finances publiques à législation inchangée. Aux États-Unis, le Congressional Budget Office (CBO) fait une prévision de la dette à 10-20 ans et donne un cadrage autour duquel il est possible d’apprécier les divergences de court terme, afin de savoir si l’on parle de fluctuations autour d’une tendance ou si une nouvelle tendance se dessine. Je trouve qu’en France, dans la prévision des finances publiques, on manque de cet horizon très long, qui doit être élaboré par un institut, qui cadre les fluctuations de court terme. Cet horizon long est fractionné dans différentes projections de notre système fiscal (les retraites, la démographie, l’éducation). C’est un biais singulier par rapport aux autres pays » ([351]). Selon lui, une telle mission devrait moins incomber au HCFP, qui « a déjà bien à faire pour analyser les prévisions de court terme du Gouvernement », qu’à France Stratégie, organisme placé auprès du Premier ministre chargé de concourir à la détermination des grandes orientations pour l’avenir de la nation à moyen et long terme.

M. Olivier Redoules, directeur des études de Rexecode, a quant à lui insisté sur la nécessité de distinguer les mesures déjà votées et les mesures nouvelles, surtout lorsque ces dernières sont « non documentées » : « quand l’on dit qu’une mesure est « non documentée », cela veut dire que c’est un pari ou une intention. Certes, on peut considérer que le Gouvernement est de bonne foi et qu’il souhaite vraiment le faire, mais cela ne garantit pas que cela soit fait. Par conséquent, il serait important, pour les futures prévisions, d’essayer de distinguer ce qui relève de l’intention du Gouvernement, exprimée dans le cadre d’une vision stratégique, et ce qui relève d’une prévision, qui permet d’évaluer ce qui est vraisemblable, réaliste » ([352]). Selon lui, « [s]’il fallait définir une bonne prévision, nous pourrions avoir quelques bases. Un premier point serait d’éviter tout volontarisme. […] Enfin, un dernier point est d’éviter tout ce qui relève de l’intention, du non documenté ».

Les rapporteurs considèrent que la publication de prévisions à moyen terme de recettes et de dépenses à politique inchangée serait de nature à clarifier les débats sur les finances publiques. De telles publications contribueraient notamment à mettre en évidence l’ampleur des éventuels efforts reposant sur des mesures nouvelles, même lorsque le Gouvernement n’a pas encore précisé ces dernières.

Recommandation n° 11 : pour mettre en perspective les prévisions présentées chaque année par le Gouvernement, publier en parallèle des prévisions à moyen terme de recettes et de dépenses à politique inchangée.

Il convient de souligner que ces propositions n’ont été que partiellement intégrées au plan d’action pour améliorer le pilotage des finances publiques présenté le 3 mars 2025 :

– d’une part, le Gouvernement a annoncé son intention de détailler et préciser la méthodologie utilisée pour définir l’évolution tendancielle des dépenses et des recettes publiques. Il s’agit d’éviter des divergences d’appréciation similaires à celles du PLF 2025, le Gouvernement ayant communiqué sur un effort à hauteur de deux tiers en moindres dépenses et d’un tiers en recettes fiscales supplémentaires, le HCFP ayant à l’inverse affirmé que 70 % des mesures consistaient en des hausses de prélèvements obligatoires ;

– d’autre part, le Gouvernement a fait savoir qu’il souhaitait créer une mission associant la Cour des comptes et France Stratégie chargée de travailler sur les perspectives à long terme des finances publiques, afin d’anticiper les défis structurels auxquels la France doit faire face dans les vingt-cinq prochaines années (vieillissement de la population, baisse de la productivité, transition écologique, effets de l’intelligence artificielle, besoins dans la défense, etc.).

Selon les rapporteurs, la convergence méthodologique entre le Gouvernement et le HCFP sur la définition de l’évolution tendancielle des recettes et des dépenses est en effet souhaitable. Néanmoins, il convient de rappeler que, pour la bonne information du Parlement, la présentation du PLF ne doit pas uniquement se faire par rapport à une évolution tendancielle, nécessairement soumise à des débats méthodologiques, mais aussi par rapport au niveau des recettes et des dépenses des années précédentes.

Recommandation n° 12 : dans le cadre des textes financiers, et notamment du projet de loi de finances, présenter l’évolution des recettes et des dépenses publiques non seulement par rapport à une évolution tendancielle, définie sur des bases méthodologiques claires, mais aussi par rapport à leur niveau des exercices précédents.

Enfin, il convient d’améliorer le chiffrage des mesures nouvelles, surtout lorsque leur rendement peut être affecté par des arbitrages de niveau réglementaire. En conséquence, les rapporteurs proposent que lorsque le Gouvernement introduit une nouvelle mesure fiscale par amendement à un texte, les textes réglementaires permettant de mettre en œuvre cette mesure soient transmis aux commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat avant leur publication, et assortis de justifications sur les conséquences de ces mesures d’application, en particulier sur le rendement de l’imposition.

Recommandation n° 13 : en cas d’introduction d’une nouvelle mesure fiscale par amendement à un texte, transmettre aux commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat les projets de textes réglementaires permettant de mettre en œuvre cette mesure ainsi qu’une évaluation de leurs conséquences sur le rendement de cette dernière.

B.   AmÉliorer l’information et le contrÔle : Un dialogue approfondi autour des finances publiques pour une responsabilitÉ commune dans la construction des textes budgÉtaires

L’analyse des causes des écarts de prévision pour 2023 et 2024 a permis de faire apparaître un certain nombre d’insuffisances dans les pouvoirs et les moyens attribués au HCFP et au Parlement qui fragilisent le contrôle exercé sur les prévisions budgétaires et financières. Le Haut Conseil comme les assemblées devraient en outre pouvoir s’appuyer sur une contre-expertise solide en matière fiscale, ce qui nécessite de faire émerger un écosystème de prévisionnistes tiers ayant accès à des informations suffisantes pour pouvoir contrôler la cohérence et le réalisme des textes budgétaires.

1.   Le renforcement du HCFP est nécessaire pour que le Parlement puisse porter une appréciation éclairée sur les textes budgétaires

Les rapporteurs estiment tout d’abord nécessaire de renforcer les moyens de contre-expertise et les informations dont dispose le HCFP pour contrôler les textes budgétaires qui lui sont soumis.

a.   Le HCFP doit être doté des moyens, des informations et du temps nécessaire pour exercer un contrôle approfondi des textes budgétaires

Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), organisme indépendant du Gouvernement et du Parlement, a été créé précisément pour contrôler les prévisions macroéconomiques et de finances publiques présentées dans le cadre des projets de loi de finances et projets de loi de programmation des finances publiques. Toutefois, la plupart des personnes auditionnées par la commission, en particulier les membres ou anciens membres du HCFP, ont déploré les contraintes pesant sur l’institution dans l’exercice de ses missions de contrôle.

● En premier lieu, les délais dans lesquels s’exerce le contrôle du HCFP sont insuffisants pour permettre le traitement de l’information économique et financière qui lui est transmise.

M. Jean-Luc Tavernier, directeur de l’Insee, expliquait ainsi devant la commission : « [j]’observe que notre mandat a été élargi mais que les délais de saisine sont vraiment très courts. En outre, il est difficile d’anticiper quand interviendra une saisine. Je ne saurais vous dire quand nous serons saisis de la révision des hypothèses de croissance du PLF pour 2025. Il est donc difficile de s’organiser. On n’est pas toujours disponible et il est de ce fait difficile de travailler de manière véritablement collégiale au sein du HCFP. Nous avons seulement cinq jours pour répondre et nous ne pouvons pas les programmer à l’avance. C’est une véritable difficulté » ([353]). M. Pierre Moscovici a également évoqué au cours de son audition le caractère insuffisant de ces délais ([354]), de même que le comité scientifique chargé par le Gouvernement de contribuer à l’amélioration des prévisions budgétaires qui défend que : « sa fonction doit être consolidée par un délai suffisant pour répondre à la saisine » ([355]). Cette situation est rendue plus problématique encore par les moyens humains limités dont dispose le HCFP, soit huit emplois à temps plein pour le secrétariat permanent ([356]).

Ces délais contraints tiennent en partie à la dépendance du HCFP vis-à-vis de la saisine du Gouvernement, qui intervient à l’occasion du dépôt d’un texte budgétaire. Elle lui interdit de fait de préparer en amont l’analyse des textes budgétaires. L’introduction d’un pouvoir d’instruction autonome permettrait au HCFP de préparer les saisines.

Cette possibilité fait partie des recommandations formulées par le comité scientifique. Elle a en outre été fortement appuyée par M. Pierre Moscovici au cours de son audition : « Il est indispensable […] que le Gouvernement réponde à ses demandes d’information même en l’absence de saisine. Il faut supprimer l’interdiction d’autosaisine du HCFP » ([357]). M. François Ecalle ([358]), président de Fipeco, et M. Olivier Redoules, directeur des études de Rexecode, ont de la même façon soutenu que le HCFP « pourrait s’autosaisir, ce qui n’est pas le cas, et ce qui semble une exception française » ([359]).

Cette option n’a pas été reprise par le Gouvernement qui s’est simplement engagé à ce que le HCFP soit systématiquement saisi, à la fois sur les prévisions macroéconomiques et sur celles relatives aux finances publiques, dans le cadre du rapport d’avancement annuel résultant du suivi de la trajectoire du plan budgétaire et structurel de moyen terme (PSMT).

Cet engagement mériterait toutefois d’être consacré dans la loi organique et étendu afin de permettre au HCFP de contrôler la cohérence des prévisions du Gouvernement y compris en l’absence de dépôt d’un texte budgétaire.

Recommandation n° 14 : permettre au HCFP d’anticiper la transmission des textes budgétaires en lui conférant la capacité de demander même en l’absence de saisine des informations aux administrations

Les rapporteurs notent également que la mission d’information du Sénat sur la dégradation des finances publiques ([360]) propose, compte tenu de l’écart temporel existant entre l’élaboration du budget (fin août) et la promulgation de la loi de finances (fin décembre), que le HCFP rende un second avis sur le PLF et le PLFSS au cours du mois de novembre, qui s’appuierait sur la présentation par le Gouvernement d’un document actualisant les hypothèses macroéconomiques pour l’année en cours et celle à venir. Ils estiment cette proposition pertinente, même si elle alourdirait la charge de travail des directions chargées des prévisions.

● En second lieu, le HCFP n’a qu’un accès limité à l’information économique et budgétaire produite par l’administration.

L’article 61 de la LOLF dispose en principe que « [l]e Gouvernement répond aux demandes d’information que lui adresse le Haut Conseil dans le cadre de la préparation de ses avis ». Néanmoins, en 2024, le HCFP n’a pas toujours été en mesure de se prononcer sur les prévisions présentées, notamment lors du PSTAB d’avril 2024. Il avait alors qualifié la documentation de « lacunaire » ([361]) et les informations transmises d’« insuffisantes » ([362]), notamment en ce qui concerne les efforts de maîtrise de la dépense publique envisagés.

Cette difficulté n’est toutefois pas propre au PSTAB 2024, le HCFP ayant longuement déploré l’insuffisance des informations transmises par le Gouvernement de M. Michel Barnier après sa saisine pour le PSMT 2025-2029 : « [l]e Haut Conseil regrette toutefois que les informations transmises dans ce cadre soient insuffisantes pour lui permettre d’apprécier le réalisme de la trajectoire pluriannuelle inscrite dans ce PSMT. En particulier, le Gouvernement n’a pas détaillé la composition de la croissance au-delà de 2025 ni ses hypothèses sur le revenu des ménages et des entreprises. Il n’a pas non plus communiqué au Haut Conseil les réformes et investissements que la France s’engagerait à mettre en œuvre pour bénéficier d’une extension de 4 à 7 ans de la période d’ajustement budgétaire, ni indiqué la manière dont la France entend réduire son déficit public à l’horizon du plan. Ces éléments sont pourtant indispensables au Haut Conseil pour apprécier le réalisme de la trajectoire. Dans ces conditions, il est difficile pour le Haut Conseil de remplir pleinement sa mission d’information auprès du Parlement et des citoyens sur les prévisions macroéconomiques et de finances publiques du Gouvernement » ([363]).

M. Pierre Moscovici a précisé au cours de son audition que ces insuffisances dans la transmission des informations étaient intervenues malgré les relances du HCFP : « [le Gouvernement avait] indiqué que les informations demandées ne permettraient pas au HCFP de rendre un avis éclairé sur la cohérence de l’article liminaire et sur le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses – ce qui revenait à nous dire « Circulez, il n’y a rien à voir » ; j’ai peu apprécié. J’ai donc écrit aux ministres Antoine Armand et Laurent Saint-Martin. En effet, ils avaient apprécié à la place du HCFP la pertinence des informations qu’il est susceptible d’utiliser pour ses avis, ce qui, à mes yeux, n’est pas acceptable. Dans notre avis, nous avons indiqué ne pas avoir eu les informations nécessaires pour apprécier une grande partie des prévisions du PSMT » ([364]). La LOLF prévoit pourtant que le Gouvernement est tenu de répondre aux demandes d’information que lui adresse le Haut Conseil dans la préparation de ses avis ([365]).

Afin de prévenir ces difficultés, une transmission systématique au HCFP des notes des services chargés des prévisions et de leur actualisation aux ministres paraît s’imposer. Elle permettrait à la fois un contrôle plus approfondi des hypothèses sous-jacentes aux textes budgétaires et un renforcement de la crédibilité des textes une fois ceux-ci adoptés. Cette recommandation est de fait largement consensuelle parmi les personnes auditionnées par la commission. Elle est également soutenue par la mission d’information du Sénat et par le comité scientifique.

Recommandation n° 15 : transmettre systématiquement au HCFP les notes aux ministres relatives aux résultats des exercices de prévision menés en cours d’année et à la décomposition des agrégats budgétaires ainsi que les notes mensuelles et trimestrielles relatives aux recettes fiscales et aux prévisions macroéconomiques et de déficit public produites par les administrations du ministère de l’économie et des finances.

b.   Une extension du mandat et des prérogatives du HCFP permettrait de renforcer la responsabilité du Gouvernement

● La capacité du HCFP à exercer un contrôle effectif sur les textes budgétaires est limitée par une insuffisante gradation de ses prérogatives qu’il conviendrait d’étendre.

S’agissant des prévisions en matière financière, la LOLF donne pour fonction essentielle au HCFP de produire des avis sur les principaux textes budgétaires. C’est via ceux-ci que le HCFP peut jouer un rôle important dans le cadre du contrôle de constitutionnalité de la sincérité des textes financiers. En effet, pour apprécier celle-ci, le Conseil constitutionnel effectue son contrôle « notamment en prenant en compte cet avis » ([366]), ce qui permet au HCFP, au moins en théorie, d’influer significativement sur la censure d’un texte.

La sincérité des textes financiers fait toutefois l’objet d’une définition restrictive par le Conseil constitutionnel. Elle « se caractérise par l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre déterminé par la loi de finances » et « s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler » ([367]). De surcroît, qualifier un texte financier d’insincère aurait pour effet la censure de ce texte, ce qui aurait pour conséquence de priver temporairement le pays d’un budget. Par conséquent, bien qu’elle soit théoriquement envisageable pour le Conseil constitutionnel et le HCFP, M. Pierre Moscovici fait remarquer que « l’arme de l’insincérité […], comme la vraie arme atomique, est faite pour ne pas qu’on s’en serve afin d’éviter toute conséquence dramatique » ([368]).

En dehors de cette participation indirecte au contrôle de la sincérité budgétaire, la capacité du HCFP à sanctionner des textes budgétaires manquant de cohérence ou trop optimistes est limitée. Le président du HCFP résume ainsi les options disponibles au HCFP pour signaler de telles insuffisances : « [n]ous n’avons que deux solutions sur lesquelles vous m’avez interrogé de manière récurrente. Soit nous qualifions le budget d’insincère, ce qui reviendrait en quelque sorte à utiliser l’arme nucléaire, c’est-à-dire à provoquer de facto l’inconstitutionnalité du PLF ; soit nous recourons à l’utilisation qualitative d’une sémantique délicate que vous connaissez bien, sous la forme d’une gradation d’adjectifs – « crédibles », « réalistes », « plausibles », « atteignables », « optimistes », « élevés » jusqu’à « irréalistes » et, pourquoi pas, « incohérents ». Mais une fois cela écrit, il ne se passe pas grand-chose. En clair, entre le nucléaire et la sémantique, il faut trouver une troisième voie » ([369]).

● Plusieurs options ont été portées à l’attention des membres de la commission au cours des auditions pour élargir les prérogatives du HCFP et ainsi ouvrir une telle « troisième voie ».

La première hypothèse, minimaliste, serait d’étendre le mandat du HCFP pour le doter d’un pouvoir d’approbation conditionnel des prévisions qui lui sont soumises. Un Gouvernement qui présenterait des prévisions techniquement incohérentes ou excessivement optimistes, sans être insincères, pourrait soit modifier ses prévisions pour tenir compte de l’avis du HCFP soit les conserver à condition dans ce cas de fournir les explications nécessaires pour justifier les biais évoqués par le HCFP. On parlerait ici d’une procédure de comply or explain, comme cela existe au Royaume-Uni.

La seconde hypothèse serait de rendre contraignants les avis du HCFP sur les prévisions qui lui sont soumises. En cas de scénario macroéconomique ou financier techniquement incohérent ou excessivement optimiste, le Gouvernement serait ainsi contraint de revoir ses prévisions. Ce système existe notamment au Portugal.

Ce système d’avis conforme pose toutefois des difficultés similaires à la censure de l’insincérité, comme l’a relevé M. François Ecalle à l’occasion de son audition par la commission : « [d]emander au HCFP d’approuver ou de ne pas approuver soulève les mêmes questions qu’en 2013 : que se passera-t-il s’il n’approuve pas ? En effet, s’il ne conclura pas à l’insincérité, synonyme de volonté de tromperie, il pourrait ne pas approuver les prévisions pour des raisons purement techniques. Dès lors, que fera le Conseil constitutionnel ? Sans doute considérerat‑il qu’il ne lui revient pas de valider les prévisions réalisées par le Gouvernement et approuvées par le Parlement lors du vote de la loi de finances » ([370]).

Une troisième hypothèse, plus ambitieuse, serait d’externaliser les prévisions de recettes publiques auprès d’un organisme indépendant du Gouvernement, comme cela existe par exemple au Royaume-Uni avec l’Office for budget responsibility (voir infra le 2 du B du I du présent rapport). Dans le cas français, l’élaboration des prévisions serait logiquement confiée au HCFP qui verrait ses moyens humains et matériels accrus pour assurer ces nouvelles missions.

Le rapporteur Mathieu Lefèvre estime que l’externalisation des prévisions de recettes publiques permettrait de prévenir les soupçons de biais, optimistes ou pessimistes, qui tendent à apparaître en présence d’aléas inattendus. Les prévisions de recettes seraient ainsi inattaquables politiquement, recentrant le débat public sur les enjeux structurels de finances publiques et sur l’amélioration des modèles de prévisions en période de crise.

L’externalisation permettrait en outre de prévenir un certain nombre d’effets délétères pesant sur l’activité des administrations qui ont été identifiés par la commission d’enquête au cours de ses travaux. Lorsqu’elles sont soumises à des suspicions de biais à chaque annonce majeure, les administrations confrontées à des situations statistiquement anormales tendent à faire preuve d’une prudence excessive dans l’information des autorités politiques. A contrario, l’autonomie du HCFP le préserve de pareils facteurs psychologiques. Il serait donc en situation d’informer le Gouvernement et le Parlement d’un éventuel écart à la prévision dès qu’il lui apparaîtrait que les données sont suffisamment consolidées. L’externalisation résoudrait en outre les difficultés du HCFP à gérer les délais qui lui sont donnés pour l’examen des textes financiers et renforcerait la crédibilité des prévisions françaises vis-à-vis des autorités européennes.

Dans cette hypothèse, le rapporteur Lefèvre estime que le dispositif du comply or explain pourrait n’être mis en place que s’agissant des prévisions macroéconomiques produites par le gouvernement. Le HCFP en contrôlerait ainsi la cohérence, avant de produire les prévisions de recettes fiscales associées qui constitueraient la base des textes financiers dans une logique d’échange transparent avec le Parlement.

Le rapporteur Éric Ciotti estime au contraire que les auditions ont fait ressortir l’absence de pertinence d’une externalisation des prévisions, qu’elles soient macroéconomiques ou fiscales.

Les prévisions ne sont pas en effet nécessairement meilleures dans les pays où elles sont externalisées auprès d’un organisme indépendant. M. François Ecalle l’a souligné au cours de son audition : « [p]roduire – comme le fait, au Royaume-Uni, l’Office for budget responsibility (OBR) – est plus compliqué qu’on ne le pense ; les résultats ne sont pas forcément meilleurs » ([371]).

En effet, les organismes indépendants peuvent avoir des difficultés pour accéder à certaines informations à la disposition de l’administration, ce qui affaiblit la qualité de leurs productions. C’est ce qu’a indiqué M. Laurent Bach : « l’externalisation britannique à l’Office for budget responsibility (OBR) […] n’a pas véritablement augmenté la qualité des prévisions. De plus, l’externalisation suppose un accès plus compliqué aux données fiscales. Par exemple, l’OBR n’a pas le droit d’utiliser de données individuelles fiscales, parce que le secret fiscal britannique lui interdit. Par conséquent, cet organisme doit réaliser des prévisions sans données individuelles, alors qu’en France, évidemment, le Trésor a accès à certaines données individuelles, ce qui lui permet d’être plus précis, notamment pour la mesure de l’impact des mesures nouvelles » ([372]).

Le rapporteur Éric Ciotti tient en outre à souligner que toutes les personnes interrogées sur le sujet ont mis en garde contre une éventuelle dispersion des ressources et des compétences du ministère de l’économie et des finances :

– M. Emmanuel Moulin, ancien directeur général du trésor, a insisté sur le risque de doublons : « il me semble dangereux d’externaliser une partie de la prévision pour l’exercice des missions du ministre parce qu’il a lui-même besoin d’avoir une prévision auprès de lui. De toute façon, cela n’exempterait pas le Trésor de faire des prévisions économiques ; il y aurait donc un risque de doublon, alors que vous cherchez plutôt à réduire le nombre d’institutions publiques » ([373]) ;

 selon M. François Ecalle, « [c]e serait une mauvaise idée que d’éclater l’écosystème des prévisionnistes du ministère des finances – direction du trésor, direction du budget, DSS, DGFIP. […] Si [le] partage d’informations [entre administrations] n’a jamais été parfait, il serait sans doute pire si les prévisions de finances publiques étaient réalisées par un organisme tiers – je ne le conseillerai donc pas. […] Les équipes chargées des prévisions sont très professionnelles et il ne serait pas facile de les remplacer ou de les transférer à l’extérieur du ministère » ([374]) ;

– ce point de vue était partagé par M. Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques : « [j]e pense qu’il est difficile d’envisager de fractionner les compétences de prévision de la direction générale du trésor. L’idée d’enlever des compétences à la direction générale du trésor pour les mettre dans un autre institut, afin de renforcer l’analyse, ne me semble pas une très bonne idée » ([375]) ;

– enfin, le rapport du comité scientifique affirme qu’« [i]l ne faut pas réduire les compétences en prévision des administrations qui en ont aujourd’hui la charge ; le fractionnement des compétences en différentes institutions, à ressources constantes, ne permet pas d’augmenter la qualité des prévisions ».

2.   Le renforcement de l’information du Parlement est nécessaire pour lui permettre de participer pleinement à la définition de la trajectoire de finances publiques du Gouvernement

● L’analyse des notes techniques des administrations relatives aux prévisions macroéconomiques et de finances publiques entre décembre 2023 et avril 2024 a permis aux rapporteurs d’identifier un certain nombre d’informations qui auraient dû être portées à la connaissance du Parlement de façon plus précoce. En conséquence, les rapporteurs recommandent que les notes d’alerte rédigées par les services à l’attention des ministres soient transmises aux commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Néanmoins, ces notes présentant une sensibilité plus importante que les données pour lesquelles la commission recommande une publicité plus large, une attention particulière doit être portée à ce qu’elles ne soient pas détournées de leur vocation d’éclairage technique au profit d’une instrumentalisation politique. Dans le cas contraire, M. François Ecalle soulignait que « [s]i l’on obligeait l’administration à fournir ces prévisions techniques, elle vous dirait qu’elles n’existent pas ; elle vous remettrait des prévisions qui ressemblent étrangement aux prévisions officielles. Les prévisions techniques figureraient sur des notes sans en-tête, non signées, que l’on appelle des notes blanches, lesquelles constituent des documents de travail dépourvus de toute signification » ([376]). Les rapporteurs proposent donc que les notes ne soient transmises qu’au président et au rapporteur général de la commission des finances de chacune de deux assemblées, qui pourraient en user sans les divulguer dans le cadre de leurs prérogatives de contrôle.

Lors de son audition par la commission, M. Bruno Le Maire s’est montré favorable à cette position, également défendue par le Sénat : « [o]n pourrait imaginer que les présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances du Sénat et de l’Assemblée nationale soient destinataires de ces notes. J’y suis favorable, mais cela implique que chacun prenne ses responsabilités et sache utiliser à bon escient les informations transmises : si, chaque fois qu’une note alerte sur le fait qu’on n’est peut-être pas en ligne avec les prévisions et que la situation peut déraper, le pilote panique et exige une correction du budget, nous irons droit dans le mur. Néanmoins, un tel système aurait le mérite de partager l’information et de permettre un dialogue plus approfondi entre le Gouvernement et les parlementaires sur le pilotage des finances publiques » ([377]).

Le plan d’action du Gouvernement prévoit quant à lui la mise en place d’un comité d’alerte des finances publiques. Composé de membres du Gouvernement, de représentants des commissions des finances et des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat, du Premier président de la Cour des comptes, de représentants des associations d’élus locaux ou encore des directeurs des caisses de la sécurité sociale, il se réunirait trois fois par an – en avril, juin et octobre – pour examiner les risques d’écart aux prévisions des dépenses et recettes publiques sous-jacentes aux prévisions initiales du PLF et du PLFSS ainsi que les éventuelles mesures correctives à envisager.

Les rapporteurs saluent cette avancée qui va dans le sens d’une approche transversale des trois grands champs de la dépense publique (État, sécurité sociale, collectivités territoriales). La transmission des notes techniques des administrations relatives aux prévisions macroéconomiques et de finances publiques n’en demeure pas moins nécessaire et complémentaire. Les dérapages de 2023 et 2024 révèlent que c’est notamment dans les « creux » du calendrier budgétaire que le risque de réaction trop tardive est le plus important, soit entre octobre et avril où le comité d’alerte ne se réunirait pas.

Recommandation n° 16 : systématiser la transmission des notes sur les prévisions macroéconomiques et de finances publiques rédigées par les administrations à l’attention des ministres aux président et rapporteur général des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat.

3.   Le Parlement doit pouvoir s’appuyer sur un écosystème de prévisionnistes tiers ayant accès à des informations suffisantes pour pouvoir contrôler la cohérence et le réalisme des textes budgétaires

Le HCFP et le Parlement bénéficieraient grandement du développement de tout l’écosystème des prévisionnistes dont les productions sont nécessaires pour permettre au débat public de s’appuyer sur des contre-expertises solides.

a.   Le développement d’un écosystème de prévisionnistes tiers permettrait de contre-expertiser les prévisions du Gouvernement et d’éclairer le contrôle du Parlement et du HCFP

Les auditions conduites ont permis de faire apparaître l’utilité d’un écosystème de prévisionnistes tiers aux administrations avec lequel celles-ci pourraient confronter leurs prévisions, et sur lequel le HCFP et le Parlement pourraient s’appuyer pour juger des prévisions du Gouvernement.

De tels organismes existent déjà très largement s’agissant des prévisions économiques. Le HCFP, qui ne dispose pas de capacité de prévision propre, peut ainsi s’appuyer dans la préparation de ses avis sur les prévisions établies par l’OCDE, la Commission européenne, le FMI, l’Insee, l’OFCE, la Banque de France, Rexecode et le consensus des économistes (« consensus forecasts »).

Tel n’est pas le cas s’agissant des prévisions de recettes. M. Olivier Garnier, directeur des études économiques à la Banque de France, soulignait ainsi qu’« il n’existe pas véritablement de communauté d’experts en matière de prévisions fiscales – en particulier parce que peu de gens disposent des compétences et des données pour les établir. Il manque quelque chose qui soit capable de remettre en question les projections du ministère de l’économie et des finances en matière de recettes » ([378]). Si la qualité des travaux produits par les administrations a été unanimement reconnue par les intervenants, l’insuffisance des contre-expertises proposées pénalise la capacité du HCFP à analyser les textes budgétaires qui lui sont soumis. M. Jean Luc Tavernier, directeur de l’Insee, estimait qu’« il faudrait sans doute que certains laboratoires académiques ou certaines organisations soient incités – éventuellement en les finançant – à travailler sur les prévisions de finances publiques. On peut étendre le rôle du HCFP, mais cela sera sans effet s’il ne peut pas comparer les prévisions faites par les services du Trésor avec celles d’autres intervenants » ([379]).

M. Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques, a quant à lui insisté sur le besoin de renforcer l’écosystème des prévisionnistes : « je pense qu’il faut envisager un écosystème des prévisionnistes. Le Haut Conseil des finances publiques ne va pas faire de prévision. Il prend les analyses des prévisionnistes et les compare. Il faut donc se demander comment renforcer le travail des prévisionnistes qui interviennent en dehors du HCFP » ([380]).

Le développement d’un tel écosystème suppose toutefois la mise à disposition des organismes de prévisions des données existantes, un dialogue et une coordination entre ces organismes et l’administration pour orienter leurs travaux ainsi qu’un financement pérenne.

b.   L’émergence de prévisionnistes tiers et la bonne information du Parlement supposent le développement de l’accès à certaines données de l’administration

Outre la nécessaire transmission de certaines données plus sensibles sous des formes sécurisées au Parlement et au HCFP, les rapporteurs estiment que certaines données produites par l’administration pourraient être rendues publiques, afin de renforcer l’écosystème de prévisionnistes extérieurs au ministère de l’économie et des finances.

● S’il existe déjà un certain nombre d’organismes qui produisent des prévisions macroéconomiques concurrentes des prévisions du Gouvernement, tel n’est pas le cas des prévisions de finances publiques, et notamment de recettes des prélèvements obligatoires. Ainsi que l’a souligné M. Laurent Bach, économiste à l’Institut des politiques publiques, la « diversité des estimations existe déjà s’agissant des prévisions macroéconomiques […]. Cependant, ce n’est pas encore le cas s’agissant de la prévision des dépenses et recettes à macroéconomie donnée, pour laquelle l’administration est seule, tant il faut maîtriser la mécanique des recettes fiscales et les données attenantes. Les méthodes à utiliser pour la macroéconomie d’un côté et les finances publiques de l’autre sont en effet bien différentes » ([381]).

Or, selon lui, le développement d’organismes pouvant réaliser des prévisions de recettes publiques n’est possible que si des personnes extérieures au ministère de l’économie et des finances sont en mesure de savoir comment fonctionnent les modèles de prévision et sur quels agrégats macroéconomiques ils reposent : « [l]e problème, de mon point de vue, est surtout qu’il reste difficile de comprendre, à partir des seuls documents budgétaires, comment ces prévisions de recettes sont faites, et comment les méthodes et les sources utilisées s’ajustent d’une année sur l’autre. Je pense que pour comprendre à temps, il aurait fallu scruter plus d’informations comptables des entreprises, dont beaucoup sont rapidement livrées à l’administration fiscale. […] C’est pour cette raison qu’il faudrait, à l’avenir, que l’administration ne soit pas seule à travailler sur ces sujets et que des équipes de chercheurs puissent fournir une prévision alternative des éléments du budget les plus incertains, à scénario macroéconomique donné ». De la même manière, M. Olivier Redoules, directeur des études de Rexecode, relevait qu’« [o]n peut aussi accroître l’implication des organismes extérieurs pour apporter une expertise. Cela demande deux choses : un accès aux données et des moyens » ([382]).

La mise à disposition par l’administration de certaines des données dont elle dispose est donc une condition indispensable au renforcement de l’écosystème des prévisionnistes : « [e]n réalité, notamment du point de vue des recettes ou même de certaines dépenses, nous pourrions faire une prévision alternative de certains éléments que, pour l’instant, seul le Gouvernement produit et sur lesquels les incertitudes sont nombreuses, comme l’évolution du bénéfice fiscal, l’évolution de l’assiette de la TVA ou les comportements de remboursement. À l’IPP, nous avons une vue très concrète, mais jusque-là, nous ne l’avons pas fait, car nous n’avions pas de contrat. Nous avons des contrats sur certaines évaluations très ponctuelles qui nous permettent d’accéder aux données du Trésor, mais qui ne suffisent pas pour nous mobiliser, pour utiliser ces données à l’effet de produire une prévision simultanée de certains éléments particulièrement incertains du budget » ([383]).

La direction du budget s’est montrée favorable à une telle évolution en faveur d’une transparence accrue afin de favoriser le développement des travaux universitaire en la matière : « [n]ous serons aussi très attentifs à toutes les propositions qui permettront d’améliorer la transparence et la contestabilité de nos prévisions. Il faut accepter de rendre publiques nos données, ou en tout cas certaines d’entre elles, afin que le monde universitaire, le monde de la recherche, notamment, puisse travailler sur elles et qu’un dialogue soit possible avec ces acteurs – pour l’instant, il n’est objectivement pas très fourni. Des améliorations sont possibles dans ce domaine » ([384]).

● Le champ des données devant être publiées par les administrations reste toutefois à délimiter. Certains documents présentant par exemple aux ministres différents scénarios associés à des options politiques, l’exécutif pourrait légitimement vouloir conserver la maîtrise de la temporalité de ses annonces. Plusieurs séries de données et documents actuellement non publiés et ne posant pas ces difficultés sont toutefois apparues au cours des auditions comme susceptibles de renforcer les contre-expertises indépendantes.

Sur ce point, M. François Ecalle, lors de son audition par la commission, a relevé que « nous n’avons aucune série de croissance des impôts à législation constante […]. C’est là un problème sur lequel il faudrait se pencher ». Il a ainsi recommandé de « construire des séries longues de recettes à législation constante pour les principaux prélèvements obligatoires [permettant de] chercher quels agrégats macroéconomiques sont les mieux corrélés avec ces recettes » ([385]).

Cette position rejoint l’une des propositions du comité d’expert chargé par le Gouvernement de contribuer à l’amélioration des prévisions budgétaires, consistant à « [p]ublier des séries longues de recettes à législation constante […] permettant aux chercheurs et à l’administration de voir avec quels agrégats macroéconomiques elles sont les mieux corrélées et quelles sont les élasticités de chacun de ces impôts à ces agrégats représentatifs de leur assiette ».

Dans le cadre de son plan d’action pour améliorer le pilotage des finances publiques présenté le 3 mars 2025, le Gouvernement a annoncé la mise en place d’une base de données en série longue sur les prévisions de finances publiques, constituée à partir des prévisions sous-jacentes aux PLF. Les situations mensuelles budgétaires et les situations mensuelles de recettes passées seraient également rendues disponibles en libre accès.

Le rapport du comité scientifique fournit une liste détaillée d’informations supplémentaires qui permettraient au Parlement ainsi qu’aux organismes tiers de mieux apprécier la cohérence des documents annexés aux textes financiers : « [f]ournir suffisamment d’éléments chiffrés dans les documents budgétaires pour permettre la réalisation de tests de cohérence sur les grandes masses et la reproduction de certains éléments bien précis de la prévision. Cela implique notamment la diffusion des éléments de prévision suivants : croissance du bénéfice fiscal SNF versus SF, évolution des emplois taxables repartis entre grands agrégats de comptabilité nationale, propension à autolimiter [les] paiements [d’]IS et accélérer [les] remboursements [de] TVA, prévisions impôt par impôt en comptabilité nationale, clés de passage entre comptabilité budgétaire et comptabilité nationale, transferts de recettes de l’État (type TVA) aux autres secteurs en comptabilités nationale et budgétaire ».

Les rapporteurs estiment que la publication de telles données pourrait en effet permettre à des organismes de prévision extérieurs à l’administration d’étudier les écarts de prévision sur de longues périodes et de réaliser un contrôle de cohérence des prévisions présentées par le Gouvernement.

Recommandation n° 17 : publier des données en série longue sur les prévisions de finances publiques à partir des prévisions sous-jacentes aux PLF et PLFSS ainsi que les situations mensuelles budgétaires et les situations mensuelles de recettes ; renforcer la documentation budgétaire de manière à permettre la réalisation de tests de cohérence et la reproduction partielle de la prévision par des organismes tiers.

● Les rapporteurs estiment qu’il conviendrait également de rationaliser la publication des prévisions de recettes des principaux prélèvements obligatoires. À titre d’exemple, si les documents annexés au PLF permettent de connaître les prévisions et l’exécution des recettes de TVA en comptabilité budgétaire, ces mêmes informations en comptabilité nationale ne sont pas publiées. De la même manière, les documents publics comprennent le plus souvent les chiffres associés au PLF initial, mais ne tiennent pas compte des modifications intervenues au cours des débats parlementaires. Sur ce dernier point, il paraît nécessaire de rendre publique une version actualisée des estimations des recettes figurant dans le tome 1 de l’annexe Voies et moyens associée au PLF après l’adoption définitive de la loi de finances.

Cette recommandation, également formulée par la Cour des comptes ([386]), a été approuvée par Mme Mélanie Joder, directrice du budget, au cours de son audition : « [n]ous pensons que ces travaux doivent se poursuivre, notamment pour enrichir la partie méthodologique de l’annexe Voies et moyens et, le cas échéant, l’actualiser lors de la publication de la loi de finances initiale s’il y a eu des mouvements importants au cours du débat parlementaire. Par ailleurs, nous pouvons continuer de progresser s’agissant de la mise en ligne de nos données – nous en publions beaucoup en source ouverte – afin de favoriser les travaux des chercheurs, donc la possibilité de contester nos prévisions » ([387]).

Recommandation n° 18 : rendre publique une version actualisée des estimations des recettes figurant dans le tome 1 de l’annexe Voies et moyens associée au PLF après l’adoption de la loi de finances initiale.

Compte tenu des nombreux débats portant sur la qualité des prévisions à moyen terme, les rapporteurs recommandent également une publication des hypothèses sous-jacentes au PSMT concernant les prévisions de recettes fiscales, impôt par impôt, ainsi que celles des recettes non fiscales. En outre, les documents fournis à l’occasion de la présentation du PSMT au Parlement pourraient détailler toutes les évolutions de prévisions pour l’année en cours par rapport aux chiffres retenus dans la dernière loi de finances adoptée. Cette recommandation a également été formulée par la mission d’information du Sénat et par le comité scientifique, qui conseille d’« augmenter l’information publiée dans le RESF et le PSMT […] à commencer par les prévisions de recettes impôt par impôt en comptabilité nationale » ([388]).

Recommandation n° 19 : dans le cadre des documents annuels relatifs au plan budgétaire et structurel à moyen terme (PSMT), publier les hypothèses sous-jacentes aux prévisions de recettes fiscales, impôt par impôt, aux prévisions de recettes non fiscales et aux dépenses.

c.   Le dialogue entre l’administration, le monde académique et les organismes de conjecture doit être densifié, quitte à s’insérer dans une structure pérenne associée au calendrier budgétaire

Le principe d’une association plus étroite entre l’administration, le monde académique et les organismes de conjecture apparaît comme une nécessité.

Le comité scientifique chargé par le Gouvernement de contribuer à l’amélioration des prévisions budgétaires recommande ainsi d’approfondir le dialogue entre les administrations et les chercheurs. Il relève que « ces derniers ne savent pas bien ce qui aide la DGT pour ses prévisions. À titre d’exemple, le Trésor britannique publie une liste des questions de recherche qu’il suit avec particulièrement d’attention. Par ailleurs, des rendez-vous réguliers pourraient avoir lieu avec d’autres administrations que la DGT qui contribuent à la prévision » ([389]).

Un modèle plus ambitieux a également été évoqué par M. Xavier Ragot, président de l’OFCE, qui a proposé la tenue de réunions trimestrielles d’information sur la dynamique des recettes fiscales permettant aux prévisionnistes un suivi régulier : « Bercy pourrait faire un point avec tous les conjoncturistes de la place pour réactualiser la dynamique des recettes publiques, les dépenses des collectivités locales, les recettes de TVA, les recettes d’IS et la dynamique des cotisations en lien avec la direction de la sécurité sociale, pour que tous les acteurs disposent de l’information, de manière transparente, au moins en juillet. J’évoque le mois de juillet afin que ce point ait lieu avant le PLF et avant la réunion cruciale de septembre, où est arrêté le cadrage « macroéconomique » qui servira de base au débat parlementaire. Il est crucial que des informations soient transmises au mois de juillet » ([390]). Outre l’amélioration de la qualité des prévisions, il s’agit également de décharger l’administration d’une partie de la pression qui pèse sur elle, et peut l’inciter à la prudence face à des situations statistiquement exceptionnelles ou en cas de fort volontarisme politique. M. Jean-Luc Tavernier, de même que M. Pierre Moscovici, ont estimé qu’« [u]ne telle évolution serait salutaire y compris pour Bercy, car il n’est pas bon d’être seul et de supporter seul la responsabilité des erreurs » ([391]).

Le Gouvernement a à cet égard formulé une piste intéressante au travers de son plan d’action pour améliorer le pilotage des finances publiques. Un cercle des prévisionnistes des finances publiques (membres académiques et institutionnels du comité scientifique et leurs institutions de rattachement – IPP, OFCE, Banque de France, Insee, OCDE, Rexecode – le secrétaire général de la commission des comptes de la sécurité sociale ainsi qu’un représentant du secrétariat permanent du HCFP) doit être créé sur le modèle de l’Observatoire français des comptes nationaux (OFCN) qui existe déjà pour les prévisions macroéconomiques ([392]). Il se réunira au printemps pour revenir sur l’exécution et à l’été pour discuter des hypothèses de prévision mobilisées en vue du PLF.

Les rapporteurs notent que l’OFCN est avant tout un lieu d’échange et de discussion, dont les publications annuelles, au calendrier décalé (celle correspondant à la rencontre de fin novembre 2024 est effective le 12 mars 2025), connaissent une audience très limitée dans le débat public. L’Observatoire n’a d’ailleurs pas été évoqué par les intervenants au cours des auditions. Par conséquent, si le principe de telles rencontres n’est pas inintéressant, les rapporteurs estiment toutefois nécessaire de garantir que les échanges aient une régularité et une densité suffisantes pour aboutir à une publication significative. Le cercle des prévisionnistes doit être le pivot autour duquel se forme une solide contre-expertise de la part d’organismes tiers sur lequel le Parlement pourra s’appuyer dans son contrôle.

Recommandation n° 20 : associer les instituts indépendants et le monde académique aux travaux de prévisions de Bercy en instaurant des échanges centrés sur les champs de recherche les plus utiles à l’administration et en mettant en place des réunions trimestrielles d’information sur la dynamique des recettes publiques.

Une telle collaboration suppose en outre une réflexion sur les financements destinés aux organismes tiers pour leur permettre d’assurer ces missions. Le rapport Tavernier-Véron de 2023 constatait que l’État était « le seul acteur financier significatif » ([393]) dans l’écosystème de l’évaluation des politiques publiques. La réorientation d’une part de l’activité des organismes indépendants vers les prévisions de recettes fiscales suppose donc un effort de financement pérenne de sa part.

Le rapport du comité scientifique chargé par le Gouvernement de contribuer à l’amélioration des prévisions budgétaires va aussi dans ce sens : « [l]’accroissement des efforts de prévision à déployer doit se faire en intéressant les laboratoires et organismes (comme IPP, OFCE et autres) à travailler la prévision sur des éléments difficiles à prévoir : TVA, IS, dépenses des collectivités locales, comme mentionné par le rapport Tavernier-Véron, qui propose des évolutions des financements associés » ([394]).

Le rapport Tavernier-Véron propose l’instauration d’un financement socle et pluriannuel, sur les modèles allemand et britannique, qui pourrait être complété par des appels à projets spécifiques. Associé à un cahier des charges précis, et à une évaluation régulière, le rapport estime qu’entre deux et quatre millions d’euros suffiraient à assurer le financement d’au moins trois établissements ou fédérations d’établissements universitaires.

Recommandation n° 21 : mettre en place un dispositif de financement socle et pluriannuel en faveur des organismes de conjecture et des établissements universitaires afin de permettre l’émergence d’un écosystème de prévisionnistes en matière fiscale.

C.   Renforcer le pilotage infra-annuel des finances publiques

Malgré les difficultés liées à la prévision de recettes des prélèvements obligatoires, les rapporteurs rappellent que, compte tenu du niveau des dépenses publiques, le pilotage par la dépense doit demeurer l’option privilégiée pour redresser les finances publiques, en veillant toutefois à répartir les efforts de manière plus équilibrée entre l’État, les administrations de sécurité sociale et les collectivités territoriales. Pour cela, ils proposent de doter le Gouvernement d’outils supplémentaires.

1.   L’affectation d’éventuels surplus de recettes au désendettement, et non au financement de nouvelles dépenses

Si les exercices 2023 et 2024 ont été marqués par un niveau de recettes publiques nettement inférieur à la prévision, les années 2021 et 2022 ont montré qu’à l’inverse les recettes publiques pouvaient parfois se révéler supérieures au niveau anticipé.

Or la maîtrise des comptes publics se joue tout aussi bien dans la première situation que dans la seconde. Lorsque les recettes publiques sont supérieures à la prévision, les surplus de recettes doivent être, dans leur totalité, utilisés pour la réduction du déficit budgétaire, et non pour le financement de nouvelles dépenses. Il n’y a pas de « cagnotte », et toutes les largesses consenties à court terme créent des dépenses qui tendent à devenir pérennes et, ce faisant, accroissent les futurs efforts de redressement des comptes publics.

En cohérence avec l’article 34 de la LOLF – qui prévoit que la première partie du PLF « arrête les modalités selon lesquelles sont utilisés les éventuels surplus, par rapport aux évaluations de la loi de finances de l’année, du produit des impositions de toutes natures établies au profit de l’État » –, les rapporteurs estiment que, tant que le déficit public demeure supérieur à un niveau qui, à terme, est susceptible de menacer la soutenabilité de la dette publique, la loi de finances doit prévoir que les éventuels surplus de recettes fiscales par rapport aux prévisions de la loi de finances seront utilisés pour la réduction du déficit. Toutefois, la commission n’a pas souhaité soutenir cette proposition des rapporteurs.

2.   La régulation infra-annuelle doit reposer sur une maîtrise des dépenses partagée entre l’ensemble des sous-secteurs des administrations publiques

En réponse à une dégradation de la conjoncture macroéconomique ou de la situation des finances publiques, seule la maîtrise de la dépense peut permettre un redressement pérenne des finances publiques sur le long terme. Celle-ci ne doit pas uniquement reposer sur les dépenses pilotables de l’État, mais doit être partagée avec les collectivités territoriales et le secteur social afin de garantir son efficacité.

a.   Face à une dégradation de la situation des finances publiques, le pilotage par la dépense doit demeurer l’option privilégiée

En 2023 et 2024, le pilotage resserré de la dépense de l’État a permis de limiter la dégradation des comptes publics. Mme Mélanie Joder, directrice du budget, a rappelé que les « mesures prises en gestion depuis deux ans ont permis d’intervenir de façon assez rapide et efficace pour freiner la dépense sur le champ de l’État » ([395]). La souplesse dans la gestion du budget de l’État est notamment permise par la possibilité d’annuler des crédits par voie réglementaire dans la limite de 1,5 % des crédits ouverts par la loi de finances ([396]), et par la mise en réserve de crédits dès le début de l’exécution budgétaire.

Lorsqu’un risque de dégradation importante de l’environnement macroéconomique et des finances publiques se matérialise, à l’image de la trajectoire de l’année 2024, des annulations supplémentaires de crédits, au-delà de la limite de 1,5 % des crédits ouverts, ou des mesures en recettes peuvent être décidées par une loi de finances rectificative. Cependant, les rapporteurs estiment que les mesures de freinage supplémentaire des dépenses se révèlent à la fois plus efficaces et plus souhaitables pour garantir une maîtrise pérenne des finances publiques que les mesures en recettes, pour deux raisons :

– d’une part, les mesures en recettes adoptées en cours d’année face à une dégradation de la trajectoire des finances publiques se veulent exceptionnelles, comme le montre l’exemple du projet de taxation des rentes à hauteur de 3 milliards d’euros envisagé au moment de la publication du PSTAB 2024 par le Gouvernement de M. Gabriel Attal. Ces mesures, par leur caractère exceptionnel, ne permettent pas un redressement de long terme des finances publiques, puisque le besoin de financement couvert par la recette nouvelle n’est en réalité que reporté à l’année suivante ;

– d’autre part, les mesures de limitation des dépenses permettent, lors de l’élaboration de la loi de finances de l’année suivante, d’utiliser pour base un montant plus faible de crédits. Le freinage de la dépense entraîne ainsi un effet base positif sur la dépense sur le long terme, renforçant la soutenabilité du redressement des finances publiques.

En tout état de cause, la France étant le pays où le niveau des prélèvements obligatoires est le plus élevé de l’Union européenne ([397]), les marges de manœuvre en recettes sont nécessairement limitées, et une augmentation massive des recettes publiques serait non seulement irréaliste mais en aucun cas souhaitable. Elle pourrait avoir des effets récessifs majeurs sur l’économie. Il est donc impératif de réaliser un effort sur certaines dépenses, sauf à reporter encore davantage nos factures sur les générations suivantes, lesquelles auront en outre à faire face aux conséquences du changement climatique et au renforcement des tensions géopolitiques.

En conséquence, les rapporteurs plaident pour privilégier, en cas de dégradation de la conjoncture macroéconomique, du dynamisme de la dépense ou des remontées comptables des recettes en cours d’année, des mesures de maîtrise de la dépense, plus à même de répondre efficacement au besoin de redressement des comptes publics. Toutefois, la commission n’a pas souhaité soutenir cette proposition des rapporteurs.

b.   La maîtrise de la dépense doit reposer sur un effort partagé entre l’État, les collectivités territoriales et la sécurité sociale

En 2023 et 2024, l’essentiel de l’effort de maîtrise de la dépense a été réalisé par l’État pour essayer de limiter la dégradation des comptes publics. Or, comme l’a souligné M. Bertrand Dumont, directeur général du trésor, « [s]i nous voulons engager un effort véritable de maîtrise de nos finances publiques, plus particulièrement de notre endettement, les trois composantes de la dépense publique [  État, collectivités territoriales, sécurité sociale  ] devront y contribuer » ([398]). C’est également ce qu’a affirmé M. François Ecalle : « l’État ne contrôle pas certaines dépenses, notamment celles des collectivités locales. Si ce risque en termes de prévisions pourrait être compensé par des efforts plus importants de l’État, ceux-ci risqueraient d’être excessifs. L’État doit donc inciter plus fortement les collectivités locales à contribuer au redressement des comptes publics » ([399]).

Cette contribution passe en priorité par l’association des collectivités territoriales à la maîtrise de la dépense. Les prévisions d’évolution de la dépense locale ne peuvent pas se fonder sur des objectifs volontaristes dépourvus de moyens de contrainte. Comme l’a précisé M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, « [l]e problème vient de ce que l’on a donné aux collectivités locales des impératifs très ambitieux, voire irréalistes, en l’absence de tout mécanisme de contrainte ou de régulation. Or il faut soit leur fixer des normes qu’elles peuvent tenir, soit construire avec elles un dialogue permettant de réduire effectivement la dépense locale. Dans le cas contraire, les chiffres qui vous seront transmis seront toujours créatifs, voire déclamatoires, et ne seront que difficilement suivis d’effets » ([400]).

M. Bruno Le Maire, ministre chargé de l’économie et des finances jusqu’en septembre 2024, a privilégié la démarche partenariale avec les collectivités territoriales pour les faire contribuer au redressement des finances publiques : « [p]lutôt que de choisir la voie de la coercition des collectivités, j’ai instauré un Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL), dont je pense qu’il est extrêmement utile pour travailler en bonne intelligence avec les collectivités sur leurs dépenses et leurs recettes. Je souhaite qu’il soit le plus actif possible ».

Les rapporteurs soulignent la nécessité de construire, à partir de discussions avec les élus locaux, un mécanisme assurant une participation effective des collectivités territoriales à la réduction du déficit public. Ce mécanisme pourrait également intégrer des clauses infra-annuelles de régulation de la dépense locale en réponse à une dégradation soudaine des recettes ou de la conjoncture macroéconomique. Toutefois, la commission n’a pas souhaité soutenir cette proposition des rapporteurs.

En ce qui concerne la sphère sociale, si la majorité des dépenses sont des dépenses de guichet à enveloppe ouverte, des améliorations pourraient être proposées afin de garantir une meilleure anticipation des risques pesant sur la dépense des administrations de sécurité sociale (ASSO). D’une part, des instances inspirées du comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie pourraient être instituées dans le champ des autres composantes du secteur social afin d’anticiper et de rendre publics les risques de dépassement des prévisions des dépenses. D’autre part, dès le début de l’année, les instances de gouvernance des différents champs des ASSO pourraient présenter des mesures pouvant être adoptées durant l’année dans le cas où des risques pesant sur le dynamisme des dépenses sociales se matérialiseraient.

Recommandation n° 22 : généraliser les comités d’alerte pouvant informer sur les risques de dépassement des prévisions des dépenses sociales en cours d’année, et anticiper des mesures pouvant être décidées en cours d’année dans le cas où le dynamisme des dépenses s’avérerait excessif.

La démarche de pilotage des dépenses des différents sous-secteurs des administrations publiques ne peut pas faire abstraction des nécessaires économies structurelles réinterrogeant l’efficacité et l’efficience de la dépense publique. En ce sens, l’outil des revues de dépenses mérite d’être renforcé et pérennisé. M. Pierre Moscovici a souligné que « les revues de dépenses doivent devenir un exercice récurrent et véritablement utile pour faire des économies structurelles en dépenses […], les économies indispensables à la réduction du déficit public doivent être prioritairement obtenues par des réformes structurelles des politiques publiques, ciblant les dépenses peu efficaces et peu efficientes » ([401]).

Mme Mélanie Joder a quant à elle confirmé que cette approche, lancée en 2023, est privilégiée dans l’administration : « [n]ous sommes persuadés, à la direction du budget, que ce n’est qu’en réalisant des économies structurelles que nous arriverons à limiter durablement le niveau de la dépense. C’est pourquoi nous sommes très favorables aux revues de dépenses, relancées en 2023 par le Gouvernement. Elles permettent d’analyser et de réinterroger finement des couches un peu plus anciennes de la dépense pour remettre en cause des éléments qui ne sont plus nécessairement aussi utiles qu’ils pouvaient l’être par le passé » ([402]).

Les rapporteurs ne peuvent que souscrire à cette démarche, qui gagnerait à être pérennisée et déclinée spécifiquement à chaque sous‑secteur des administrations publiques, en particulier les administrations publiques locales, en associant toutes les parties prenantes via des instances de dialogue comme le HCFPL.

Recommandation n° 23 : pérenniser et décliner les revues de dépenses à tous les sous-secteurs des administrations publiques, en particulier en organisant un programme annuel spécifique de revues de dépenses locales en coordination avec les acteurs locaux.

3.   L’instauration d’une « loi de finances de redressement des comptes publics » pourrait représenter un outil de discipline du Gouvernement et du Parlement

Les mesures de pilotage infra-annuel les plus conséquentes devraient continuer à faire l’objet d’une autorisation parlementaire. À cette fin, le rapporteur Mathieu Lefèvre propose la création d’un nouveau type de loi de finances, appelée par exemple « loi de finances de redressement des comptes publics », qui pourrait constituer un signal fort. Cette nouvelle loi de finances pourrait être adoptée en cours d’année, en réponse à une dégradation sévère de la trajectoire des finances publiques, et aurait pour seul objectif le rétablissement des finances publiques, avec des mesures en recettes et en dépenses au-delà des limites réglementaires fixées par la LOLF. Aussi, elle se différencierait des lois de finances rectificatives (LFR) sur deux points :

– aucune mesure tendant à diminuer les ressources publiques, même gagée, ne pourrait être contenue dans une loi de finances de redressement des comptes publics ;

– aucune mesure tendant à augmenter des crédits budgétaires, même compensée par la baisse des crédits d’un autre programme de la même mission budgétaire, ne pourrait être contenue dans une telle loi.

L’absence de mesures tendant à diminuer les ressources publiques ou à augmenter les crédits budgétaires garantirait un examen rapide aux projets de loi de finances de redressement des comptes publics, soulignant l’urgence associée à un tel texte législatif. Surtout, une telle loi disciplinerait à la fois le Gouvernement et le Parlement, garantissant un travail de concert de l’exécutif et du législatif en faveur d’un rétablissement d’une trajectoire de finances publiques soutenable.

4.   Des marges de manœuvre réglementaires élargies pourraient être accordées au Gouvernement, en contrepartie d’un devoir de transparence accru

L’article 14 de la LOLF permet l’annulation de crédits par décret dans la limite de 1,5 % des crédits ouverts par la loi de finances de l’année. Toute annulation de crédits supérieure à ce plafond nécessite ainsi une autorisation parlementaire, sous la forme d’une loi de finances rectificative ou d’une loi de finances de fin de gestion.

Cependant, selon le rapporteur Mathieu Lefèvre, la spécificité d’une dégradation soudaine de la situation des finances publiques, comme celle vécue à partir de la fin de l’année 2023, pourrait justifier l’accroissement des marges de manœuvre réglementaires du Gouvernement lui permettant d’annuler des crédits au-delà de la limite de 1,5 % des crédits ouverts par la loi de finances initiale. Cet assouplissement du cadre organique devrait toutefois être assorti de garanties sur la sincérité des mouvements réglementaires, qui pourraient se traduire par une double condition :

– l’annulation de crédits dépassant la limite de 1,5 % des crédits ouverts ne pourrait être décidée que si le niveau de recettes fiscales nettes de l’État prévues pour l’année était inférieur d’un certain seuil, par exemple 2 %, à la prévision de la loi de finances. Le franchissement de ce seuil devrait être notifié au HCFP, qui disposerait d’un avis conforme sur la sincérité des prévisions sous-tendant la demande d’annulation de crédits ;

– l’annulation de crédits devrait faire l’objet d’une justification détaillée devant les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, précisant notamment les politiques publiques spécifiques concernées par les annulations de crédits. Ces annulations seraient dans tous les cas limitées à 3 % des crédits ouverts en loi de finances initiale.


   Examen en commission

La commission examine le rapport en conclusion des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958) (MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, rapporteurs)

M. le président Éric Coquerel. Nous examinons, à huis clos, le projet de rapport de MM. Éric Ciotti et Mathieu Lefèvre, qui conclut les travaux pour lesquels notre commission s’est vue octroyer les prérogatives d’une commission d’enquête pour une durée de six mois. Cette période s’achève le lundi 21 avril. Le projet de rapport a été ouvert à la consultation des membres de la commission depuis vendredi dernier 4 avril au matin.

J’ai souhaité rédiger une contribution, en ma qualité de président de la commission ; M. le rapporteur général Charles de Courson a fait de même – sa contribution reprend les conclusions qu’il nous a présentées le 26 mars. Chacun des groupes peut encore annexer des contributions écrites, pour peu qu’elles n’excèdent pas une dizaine de pages par groupe et qu’elles soient adressées au secrétariat de la commission d’ici la fin de la semaine.

Afin de dissiper d’emblée toute ambiguïté, je précise que, conformément à l’usage en matière de commissions d’enquête, nous n’allons ni discuter ni voter sur ces différentes annexes au rapport de la commission d’enquête. Notre débat ne porte que sur le projet de rapport stricto sensu.

Nous voterons pour autoriser, ou pas, la publication du projet de rapport. Aux termes de l’article 144‑2 du règlement, si jamais notre commission refusait la publication, l’ensemble des documents relatifs à ce travail serait remis par mes soins à la présidente de l’Assemblée et il ne serait possible ni de les publier ni d’en débattre.

Merci, messieurs les rapporteurs. Je me réjouis du fait que vous ayez réussi à mener un travail commun.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Cette commission d’enquête est le fruit de deux volontés qui se sont rencontrées : celle de mon groupe et celle de la commission des finances elle-même. C’était une commission à trois voix, celles des deux rapporteurs auxquelles j’ajoute la vôtre, monsieur le président. L’exercice n’était pas aisé, mais nous nous sommes efforcés d’établir les faits de façon objective avant de tirer des conclusions, dont vous verrez qu’elles divergent largement.

Nous nous sommes trouvés face à une forme d’irresponsabilité collective, qui est d’abord celle des Gouvernements Borne et Attal. Nous n’avons pas entendu beaucoup de modestie face à l’ampleur considérable du dérapage, qui s’élève à plus de 50 milliards d’euros – rappelons qu’en 2024, le déficit public s’est élevé à 5,8 % du PIB alors que la prévision en loi de finances initiale était de 4,4 %. Dans notre histoire récente, nous n’avions connu de tels écarts que lors de crises exceptionnelles, que ce soit celle de 2009 ou celle du covid.

Les ministres ont refusé d’endosser la responsabilité des prévisions réalisées par leurs administrations. C’est pourtant le rôle même d’un membre de l’exécutif : challenger les prévisions des administrations, arbitrer, mais aussi assumer ces décisions. L’article 20 de la Constitution est clair : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de l’administration. »

Les personnes auditionnées par la commission ont été claires sur ce point : M. Emmanuel Moulin, ancien directeur général du Trésor et ancien directeur de cabinet de M. Gabriel Attal, a ainsi affirmé que « les services font des propositions […] et c’est le ministre qui choisit ». De même, M. Jérôme Fournel, ancien directeur de cabinet de M. Bruno Le Maire puis de M. Michel Barnier, a précisé que « les cabinets reconnaissent la compétence technique des administrations, mais celles-ci acceptent de voir leurs choix remis en cause ».

Je voudrais aussi insister sur l’ampleur de la dissimulation que les travaux de notre commission ont fait apparaître. Malgré les alertes des administrations émises dès le 7 décembre 2023 dans une note conjointe du directeur général du trésor et du directeur général du budget, les Gouvernements Borne et Attal ont sciemment refusé de communiquer à la représentation nationale la réalité dramatique de la situation budgétaire.

Le 13 décembre 2023, la Première ministre est informée du fait que « la moins-value de recettes fiscales prévue pour 2023 aura une répercussion sur 2024 ». Pourtant, les parlementaires sont laissés dans l’ignorance. Le 16 février 2024, les ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave connaissent l’ampleur de la dégradation du solde public en 2023, et savent ce qu’il pourrait en être en 2024 : les déficits sont alors évalués à 5,6 % et 5,7 % respectivement. Deux jours plus tard, le ministre de l’économie annonce au « 20 heures » de TF1 maintenir un objectif de déficit de 4,4 %, alors qu’il ne peut ignorer le caractère totalement irréaliste de ce chiffre. Le 6 mars 2024, les mêmes ministres dissimulent devant la commission des finances de l’Assemblée nationale la situation réelle des finances publiques, en indiquant « qu’il est trop tôt pour évaluer les recettes de l’État en 2024 ». Les parlementaires ne connaîtront l’étendue du déficit public de 2023 que le 26 mars 2024, soit plus de trois mois après les premières alertes. L’information du Parlement sur le déficit public de 2024 n’interviendra que le 10 avril 2024, parce qu’il est alors nécessaire de remettre le programme de stabilité 2024-2027 à la Commission européenne. À cette date, l’objectif de déficit public est relevé à 5,1 %, loin des estimations de la direction générale du Trésor de 5,7 % et de l’exécution de 5,8 %.

Je considère que le Gouvernement de l’époque a volontairement dissimulé des informations connues des ministres, partiellement à partir de décembre 2023 et complètement à partir de la mi-février 2024.

Je veux souligner l’inaction des Gouvernements successifs. Au premier semestre 2024, il aurait fallu pour réagir un projet de loi de finances rectificative (PLFR) : son absence montre l’inaction et l’irresponsabilité, grave et coûteuse, du Gouvernement. M. Le Maire a évoqué cette piste dès le mois de février 2024 ; elle a été proposée au Président de la République ; mais elle a été écartée, pour des raisons de calendrier électoral, puisque les élections européennes approchaient. M. Le Maire a clairement indiqué que M. Attal avait rejeté cette option, et j’ai la conviction personnelle qu’un arbitrage a été fait au plus haut sommet de l’État. Je regrette que le refus de se présenter devant nous du secrétaire général de l’Élysée n’ait pas permis à la commission de faire la lumière sur le cheminement complet qui a conduit à cette inaction. On a laissé sciemment la situation se dégrader.

L’irresponsabilité du Gouvernement s’est accentuée avec la dissolution, qui a constitué l’excuse parfaite pour ne pas assumer la paternité de la dégradation des finances publiques, et pour faire porter à une potentielle nouvelle majorité la responsabilité de défendre un projet de loi de finances pour 2025 qui aurait dû comporter des mesures particulièrement impopulaires.

Je souligne aussi le caractère dépassé de la tentative permanente de faire porter la responsabilité de ces dérapages aux collectivités locales. On a essayé de les habiller en bouc émissaire parfait alors qu’elles ont l’obligation légale de voter un budget en équilibre réel.

Au total, le dérapage des finances publiques en 2024 représente près de 50 milliards d’euros, qui sont venus accroître le montant déjà gigantesque de la dette. Au taux actuel des obligations assimilables du Trésor à dix ans, cela représente un coût supérieur à 1 milliard d’euros annuel supplémentaire.

J’éprouve une certaine amertume vis-à-vis des réponses convenues et très largement concertées que nous avons entendues. Elles traduisent, je le redis, une irresponsabilité collective. Celle-ci doit être dénoncée et devra nous servir de leçon pour éviter la réitération de dérives aussi graves.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Je commencerai par vous adresser des remerciements, monsieur le président : le sujet méritait que la commission des finances se constitue en commission d’enquête, et je salue la façon dont vous avez mené ses travaux. Je salue également mon collègue rapporteur : si nos analyses divergent, nous partageons le constat, comme le montre le projet de rapport.

Il y a trois façons de voir les choses : un procès économique de la politique menée par la précédente majorité ; un procès politique en dissimulation, que rien ne corrobore à mon sens dans les auditions que nous avons menées ; une volonté de mettre les choses à plat, à froid, sans illusion rétrospective, avec le souci de trouver des solutions pour l’avenir.

Dans le fond, les premiers perdants de cette situation, ce sont nous, les parlementaires, et à travers nous les Français. Il nous a été difficile de suivre la situation des finances publiques.

Le Gouvernement a vu augmenter des dépenses qu’il ne peut pas piloter en cours d’année – dépenses des administrations de sécurité sociale et des administrations locales. Il a pu agir, en revanche, sur les dépenses de l’État : celles-ci sont d’ailleurs inférieures en valeur en 2024 à ce qu’elles étaient en 2023, pour la première fois depuis onze ans.

Il y a eu un accident en matière de recettes : elles ont été inférieures de 60 milliards d’euros à ce qui était envisagé. J’ai écouté avec attention le rapporteur général, qui est une voix neutre dans cette commission : il nous a dit que les ministres n’avaient pas mis les mains dans le cambouis. Il le déplore, je le constate, mais cela implique que l’erreur de prévision ne peut être imputée au Gouvernement.

Il ne s’agit nullement de mettre en cause les administrations de notre pays, qui mènent un travail remarquable. Mais dans un monde où l’inflation monte à 6 % puis décélère brutalement, dans un monde où les modèles économiques ont été bouleversés par les chocs exogènes, il devenait beaucoup plus difficile d’effectuer des prévisions de recettes. Je pense – cette recommandation n’est pas partagée par mon corapporteur – qu’il faut confier la prévision de recettes à un organisme indépendant, ou à tout le moins s’engager dans la procédure comply or explain : le Gouvernement devrait s’expliquer sur les divergences qu’il aurait avec le Haut Conseil des finances publiques (HCFP).

Si nous reprenons le fil de ces deux dernières années, on verra que le Gouvernement a engagé la sortie progressive des dispositifs exceptionnels mis en place pour gérer la crise sanitaire et énergétique. Ces mesures ont toutes été contestées par les oppositions ; hier encore, le relèvement de l’accise sur l’électricité constituait pour le Rassemblement national un motif de censure. Sans la dégradation des recettes, elles auraient pourtant permis d’atteindre les 4,4 % de déficit en 2025 et 3 % en 2027.

L’accident en matière de recettes n’est inédit ni dans le temps – nous avons notamment connu la même chose en 2008 –, ni dans l’espace – le Royaume-Uni et l’Allemagne ont aussi vu manquer des points de PIB.

Enfin, la dépense des collectivités locales a effectivement été supérieure en 2023 et 2024 aux prévisions initiales du Gouvernement. Je ne parle pas de dérapage et je ne dis pas que ces dépenses étaient inutiles, mais elles ont bel et bien existé.

Face à cet accident technique, le Gouvernement a pris des mesures qu’aucune des notes que nous avons reçues ne qualifie de tardives. La première alerte consolidée intervient le 7 décembre 2023, au moment où les textes budgétaires sont quasiment terminés, et elle n’est pas conclusive. Les Gouvernements d’Élisabeth Borne et de Gabriel Attal ont pris des mesures pour limiter les dépenses, pour 30 milliards d’euros environ : annulation de crédits ; mises en réserve ; sortie du bouclier tarifaire sur l’énergie ; doublement des franchises médicales. Elles ont toutes été contestées par les oppositions.

Le Gouvernement d’alors et notre majorité ont assumé de faire porter l’effort majoritairement sur les dépenses. C’est là qu’est notre plus grande divergence politique, notamment avec vous, monsieur le président. Nous n’avons en effet pas souhaité augmenter massivement les impôts payés par les Français et par leurs entreprises. Cela n’a pas empêché que soient prises des mesures impopulaires à la veille d’échéances électorales majeures : celles que j’ai citées l’étaient.

Le débat sur la présentation ou non d’un projet de loi de finances rectificative est moins important que ce que certains voudraient croire. Qu’aurait-il permis, sinon une augmentation de la fiscalité ? Il n’aurait pas servi à aller plus loin sur l’effort en dépenses. Hormis l’ancienne majorité, tous les groupes avaient critiqué le décret d’annulation ; il y a fort à parier que le Parlement n’aurait pas souhaité aller plus loin.

Peut-être aurions-nous pu envisager une fiscalité rétroactive en matière de rachat d’actions ou de contribution sur les rentes inframarginales, mais cela n’aurait rapporté qu’environ 3 milliards d’euros.

J’observe que la politique du Gouvernement a fonctionné, puisque la dépense de l’État a été tenue : elle a été exécutée à un niveau inférieur de 7 milliards d’euros à la loi de finances initiale, et le déficit s’est réduit de plus de 10 milliards d’euros en exécution par rapport à la loi de finances initiale. J’observe également qu’après la dissolution, faute de majorité parlementaire, il devenait impossible de maintenir les réformes structurelles prévues. Je regrette que la réforme de l’assurance chômage ait été suspendue : son impact aurait été minime en 2024, mais pas en 2025.

Si le Gouvernement n’avait pas agi, y compris, je le redis, en prenant des mesures impopulaires alors que nous étions à la veille d’élections importantes, le déficit aurait été supérieur de plus de 1 point de PIB à ce qu’il est aujourd’hui.

Nous pourrons détailler tout à l’heure ce qui s’est passé impôt par impôt, car il me semble que c’est l’échelle à laquelle on comprend ce qui s’est passé.

J’en viens aux préconisations. Au-delà de l’externalisation que je citais tout à l’heure, je propose l’instauration d’une loi de finances de redressement des comptes publics, qui n’aurait pour finalité que de procéder au redressement des comptes publics en cas de dérapage majeur. Je propose également que les annulations de crédits par le Gouvernement soient facilitées, le Parlement exerçant en contrepartie un rôle de contrôle accru. Le Gouvernement pourrait ainsi plus rapidement annuler des crédits en cours d’année. Je propose également l’affectation d’éventuels surplus de recettes au désendettement : en 2021 et en 2022, personne n’a demandé de commission d’enquête sur les bonnes nouvelles en matière de finances publiques.

Il me paraît enfin nécessaire de procéder à des ajustements dans la machinerie budgétaire : la fusion, à terme, de la direction du budget et de la direction de la sécurité sociale permettrait ainsi une unification du pilotage des comptes publics. Ce que nous avons observé quant au suivi de la masse salariale plaide en ce sens.

M. le président Éric Coquerel. Nous avons parfois éprouvé une certaine déception vis-à-vis de ces auditions, mais elles ont eu un véritable effet hors de ces murs, et nous pouvons nous en féliciter. Entendre en quelques mois à la fois l’administration, les responsables politiques et des institutions extérieures est assez inédit, et nos travaux ont suscité un véritable intérêt. Or il me semble important de faire la pédagogie de notre travail.

Nous avons abordé ces auditions depuis des perspectives différentes ; j’en vois trois principales, qui ne sont d’ailleurs pas exclusives les uns des autres. Certains considèrent que le problème est avant tout technique et conjoncturel, et qu’il faut réformer la tuyauterie. D’autres mettent l’accent sur la dissimulation d’informations par le Gouvernement. On peut enfin, et c’est mon cas, adopter une analyse politique – ce n’est en rien un procès, monsieur Lefèvre. La note de l’Inspection générale des finances (IGF) indique qu’en 2023, plus de 70 % de l’écart résultait de facteurs externes à l’exercice de prévision des recettes fiscales : si on la suit, on ne peut pas penser que l’écart serait explicable très principalement par les erreurs des prévisions.

C’est donc autre chose qu’il faut interroger. Je crois surtout qu’il y a eu un aveuglement sur les effets de la politique économique menée, notamment en matière de recettes. M. Jérôme Fournel le dit très bien : « [i]l faut reconnaître une tendance collective à s’autopersuader que les recettes supplémentaires constatées en 2021 et en 2022 relevaient d’une dynamique, et que le même phénomène allait se produire en 2023 ». L’interprétation du rebond post-covid comme le résultat d’une politique économique qui baissait les impôts pour produire des recettes a influé sur les prévisions établies tant en 2023 qu’en 2024. La politique de l’offre devait, selon M. Bruno Le Maire, réindustrialiser, faire disparaître le chômage et augmenter le pouvoir d’achat : rien de tout cela ne résiste à l’analyse.

L’audition de M. Gabriel Attal a été symptomatique. Il a dit, ce qui me semble vrai, que le creusement des déficits vient moins de la hausse des dépenses publiques – qui n’augmentent pas depuis 2017 par rapport au PIB – que de la baisse des recettes. Celle-ci s’élève en effet à 3 points de PIB depuis 2017.

Mais sa réaction a consisté à chercher sans relâche les moyens de baisser les dépenses publiques. Cela revient à proposer à un malade qui consulte pour un mal de ventre un traitement pour sa jambe. Par ailleurs, la baisse des dépenses publiques accroît l’effet récessif en matière de croissance.

La deuxième explication tient à la responsabilité des politiques. Selon M. Pierre Moscovici, l’hubris du politique influe sur le travail des services. On ne saurait mieux dire.

Je fais remarquer aux contempteurs des services l’écart considérable entre ce que ceux‑ci produisent et ce que disent les politiques. Les graphiques présentés aux pages 124 et 126 du rapport montrent que les déclarations publiques du Gouvernement ne reflètent absolument pas les notes du Trésor qui font état d’une dégradation du solde public, en 2023 et en 2024.

Ce phénomène est, de mon point de vue, lié à la situation politique particulière et à la difficulté à faire adopter un budget sans majorité. Ces paramètres ont conduit le Gouvernement, d’une part, à retenir l’hypothèse mieux-disante des analyses des services – une note du Trésor indique ainsi que l’on s’est écarté de l’estimation considérée par la DGFIP comme centrale sur la base de l’analyse des données relatives aux acomptes de fin d’année, « on » désignant les politiques – ; d’autre part, à ne pas tirer les conséquences devant l’Assemblée des évolutions dont il commençait à être informé, autrement dit à présenter un budget erroné. Cela pose un problème démocratique. Je fais ici référence à la fameuse note que Mme Élisabeth Borne reçoit de M. Bruno Le Maire le 13 décembre 2023, note reprenant celle du Trésor et dans laquelle sont annoncées des moins-values de recettes qui se chiffrent en milliards et la nécessité d’annuler 10 milliards d’euros de crédits dès le début de l’année 2024. Mme Élisabeth Borne affirme qu’elle ne regarde pas la note ce jour-là – je veux bien la croire, elle le déclare sous serment. Elle engage la responsabilité du Gouvernement le 14 décembre et la motion de censure est discutée le 16 décembre. Dans son discours ce jour-là, on ne trouve nul indice des évolutions qui contredisent le budget en passe d’être adopté. Nous n’avons été informés du décalage qu’à partir du moment où M. le rapporteur général Jean-François Husson, lors d’un contrôle sur place à Bercy, a pris connaissance de la note du Trésor, qui révèle les informations dont le Gouvernement disposait.

Le troisième point que je voulais évoquer est ce que j’appellerai le « mystère des collectivités territoriales ».

À la fin de l’été 2024, pour expliquer le déficit, qui est estimé alors à 6,1 %, le Gouvernement met en avant 16 milliards d’euros de dépenses imputables aux collectivités territoriales. Or la directrice générale des collectivités territoriales (DGCL) nous a dit qu’elle avait souligné les limites de la méthodologie et mis en garde contre toute extrapolation des données à mi-année.

On nous a expliqué que la note de décembre 2023 n’avait pas été rendue publique car elle restait une hypothèse. Dès lors, pourquoi la note de septembre 2024 est-elle présentée comme une vérité pour justifier le déficit, d’autant que sa méthodologie est jugée problématique par la DGCL ? Le déficit sera finalement ramené de 6,1 % à 5,8 % car les 16 milliards n’étaient qu’un prétexte.

Ce procédé m’interroge car il inaugure une phase de dramatisation des déficits annoncés pour justifier des mesures de redressement lors du changement de Gouvernement. Pourtant, MM. Bruno Le Maire et Thomas Cazenave indiquent qu’il était encore possible d’annuler purement et simplement les 16 milliards d’euros de crédits qui avaient été gelés pour ralentir le déficit. M. Michel Barnier a répondu que tout cela était irréaliste. Pourquoi décide-t-on à un moment donné d’aggraver les prévisions ?

En ce qui concerne les recommandations, je demanderai un vote dissocié sur les recommandations nos 22, 23 et 24, qui impliquent toutes une baisse des dépenses publiques.

Pour ma part, je recommande d’en finir avec la politique de l’offre. Ensuite, je défends, de manière un peu provocatrice, je l’admets, l’interdiction du recours au 49.3 sur le budget pour redonner du poids à l’Assemblée nationale. Je suis favorable à un abaissement de 1,5 % à 0,5 % du seuil en deçà duquel les annulations de crédit peuvent être décidées sans PLFR ainsi qu’à un avis conforme des commissions des finances sur les décrets d’annulation. Je suis opposé à l’externalisation des prévisions budgétaires. Le politique doit assumer les prévisions sur lesquelles sont fondés les projets de loi de finances. En revanche, je plaide pour un renforcement des moyens d’expertise. D’autres organismes pourraient être sollicités pour concurrencer les services de Bercy et aider le Parlement à contrôler l’exécution du budget. Enfin, je suis favorable à la transmission aux commissions des finances des notes aux ministres relatives aux prévisions macroéconomiques et aux finances publiques par les services de Bercy.

M. Charles de Courson, rapporteur général. Les travaux de notre commission devaient à répondre à quatre questions. Le rapport ne le fait que partiellement.

En premier lieu, comment sont élaborées les prévisions de recettes ? Je vous renvoie à ma contribution, qui je l’espère, vous éclairera. Les prévisions techniques montrent, s’agissant de la TVA, une erreur complète d’analyse économique. Certes, le taux de croissance en 2023 et 2024 est assez proche des prévisions. En revanche, la composition de la croissance a été complètement différente, notamment la consommation des ménages. On constate des écarts de 1 % à 2 % entre les prévisions et l’exécution, et cela continue en 2025, si ce n’est que le Gouvernement a déposé un amendement pour réduire de 10 milliards d’euros les recettes de TVA escomptées, ce qui montre, qu’il était parfaitement possible en décembre 2023 d’ajuster les recettes dans l’article d’équilibre.

Ma contribution examine les erreurs tant sur la TVA que sur l’impôt sur les sociétés – le fait de l’indexer sur l’excédent brut d’exploitation (EBE) est un non-sens économique – ou sur l’impôt sur le revenu – pourquoi ne pas s’appuyer davantage sur les remontées mensuelles des Urssaf ? Je préconise de changer les méthodes de prévision.

En deuxième lieu, qui est responsable du dérapage des recettes et du solde ? Les collectivités locales, non ; je le démontre dans ma contribution. M. Cazenave a prétendu que les collectivités locales étaient à l’origine de 16 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, extrapolant, contre l’avis des services, les chiffres de juillet 2024. Le dérapage, qui sera finalement entre 6 et 7 milliards d’euros, est calculé par rapport à des prévisions complètement farfelues puisque les Gouvernements successifs, quels qu’ils soient, n’ont pas prise sur les dépenses des collectivités locales ; ils peuvent éventuellement réduire leurs recettes dès lors qu’une part croissante d’entre elles provient de dotations de l’État.

Ensuite, la faute a été imputée aux services. En tant qu’ancien magistrat de la Cour des comptes, ayant passé quelques années à la direction du budget et été membre d’un cabinet ministériel, je vous l’assure, on ne peut pas dire une chose pareille !

Un ministre est venu nous expliquer qu’il n’avait pas à mettre les mains dans le cambouis. Mais quand vous êtes ministre, vous êtes responsable de vos services. Vous n’êtes pas obligés de suivre leurs préconisations sinon vous n’êtes qu’un porte-flingue et c’en est fini de la démocratie. Cela accrédite la théorie de l’« État profond » selon laquelle les ministres sont des pantins entre les mains des services – c’est hélas parfois exact. En démocratie, c’est le ministre, voire le Premier ministre qui est responsable du dérapage des recettes.

En troisième lieu, quels sont les outils de régulation ? Un Gouvernement peut présenter un projet de loi de finances rectificative pour augmenter les recettes ou les diminuer selon les situations. Cette option a été écartée. Il s’agissait d’une décision politique. Une loi de finances rectificative aurait obligé à réévaluer les recettes, donc à avouer, avant les élections européennes, l’existence d’un dérapage.

Le Gouvernement a donc joué sur les dépenses. La réduction des dépenses a été de l’ordre de 20 à 25 milliards d’euros pour les dépenses de l’État, mais elle a été marginale pour les dépenses de la sécurité sociale et nulle pour celles des collectivités locales, faute d’outils en la matière. Le rapport aurait pu développer davantage ce constat essentiel selon lequel le principal levier dont on dispose aujourd’hui concerne les dépenses de l’État.

Enfin, y a-t-il eu dissimulation ou plus précisément révélation différée de la vérité sur les comptes de l’État au Parlement ? C’est incontestable.

À partir de novembre 2023, puis tout au long de 2024, toutes les preuves figurent dans le rapport de ce que les services informent les ministres, le Premier ministre et même le Président de la République de la situation. Pourtant la révélation est différée. Mais les faits ont la tête dure.

En ce qui concerne les recommandations, le rôle de la direction générale du Trésor est central. J’ai reçu de l’ancienne directrice du budget, Mme Isabelle Bouillot, une très intéressante lettre dans laquelle elle met en cause le monopole de la direction générale du Trésor. À l’époque où elle exerçait ses fonctions, la direction de la prévision, la direction générale du Trésor, la direction du budget et la direction de la sécurité sociale discutaient des prévisions. Aujourd’hui, la direction générale du Trésor a un monopole et, on le sait, tout monopole est dangereux.

Quelles sont les solutions pour en sortir ? Je ne crois guère à l’externalisation, proposée par notre collègue Lefèvre, parce qu’elle suppose de transférer d’importants moyens et de faire appel à plusieurs prévisionnistes. Je plaide pour une plus grande implication du HCFP par le biais d’un mécanisme comply or explain, qui imposerait au Gouvernement de rectifier ses prévisions jugées trop optimistes par le HCFP ou, à défaut, d’expliquer pourquoi il refuse de le faire.

Il faut mettre fin au monopole du Trésor et reprendre les conférences réunissant la direction du budget, la direction générale du trésor et la direction de la sécurité sociale, qui ont été supprimées à partir de la crise du covid.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. J’entends le procès en dissimulation, mais c’est un faux procès puisqu’aucun document parmi ceux qui nous ont été transmis ne recommande aux ministres de s’exprimer immédiatement sur une dégradation établie et évidente du déficit.

Monsieur le rapporteur général, selon vous, le Gouvernement n’a pas présenté de PLFR pour ne pas avoir à révéler les chiffres des recettes. Mais les chiffres sur le déficit public ont été actualisés, avec le concours de l’Insee, en mars 2024. Si PLFR il devait y avoir, il aurait été ultérieur.

Le débat sur la manière de résoudre la crise ou de ne pas le faire – on aurait pu imaginer de laisser dériver les finances publiques – est légitime. Mais qu’aurait apporté un PLFR ? Il n’aurait manifestement pas permis d’aller plus loin en matière de dépenses. S’agissant des recettes, le Gouvernement et la majorité ont assumé de ne pas faire peser sur les Français ni sur les entreprises l’ajustement budgétaire. C’était un choix politique.

En ce qui concerne les collectivités, je ne qualifie pas les 20 milliards d’euros d’écart à la prévision de dérapage. Je ne dis pas que les collectivités ont fait n’importe quoi qu’elles sont irresponsables. Les chiffres sont les suivants : dans l’écart à la prévision, 60 milliards d’euros de recettes manquent à l’appel et les dépenses des collectivités territoriales ont augmenté de 20 milliards d’euros en cumulé.

Quant au pilotage, monsieur le rapporteur général, vous avez raison, certains ministres ne mettent pas les mains dans le cambouis, vous le déplorez, moi je le constate.

Vos recommandations sont évidemment les bienvenues. Vous soulignez, à juste titre, les problèmes dans la composition de la croissance et la transposition du scénario macroéconomique aux recettes. Vos remarques sur l’EBE ainsi que sur les comportements des ménages et des entreprises figurent dans le rapport. Nous devons, en effet, mieux les appréhender mais ne faisons pas croire aux Français ni à la représentation nationale que les ministres seraient venus dans un bureau de la direction de la législation fiscale pour dire : « je veux tant de recettes pour combler mon déficit public ». Cela ne fonctionne pas comme cela.

M. Éric Ciotti, rapporteur. Je partage nombre d’analyses du rapporteur général.

Le diagnostic sur le pseudo-dérapage des dépenses des collectivités locales est totalement erroné. Ce dérapage n’a pas été constaté par rapport à un chiffre établi mais par rapport à une prévision totalement irréaliste, voire fantaisiste, qui n’a fait l’objet d’aucune concertation avec les associations représentatives des élus – ni l’AMF, ni l’ADF, ni l’ARF. Ces dernières l’ont toutes souligné, elles ont eu la surprise de découvrir une trajectoire de baisse des dépenses de 0,5 %, qui était totalement irréaliste. Ce dérapage a été inventé.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Claire Marais-Beuil (RN). Je serai très brève.

Pour ce qui est des collectivités locales, ce que vous appelez un dérapage est tout simplement de la bonne gestion. Il ne leur aura été donné aucune consigne. On ne peut pas reprocher à une collectivité d’équilibrer ses recettes et ses dépenses.

J’espère que toutes les recommandations pourront être appliquées car il est à craindre que le scénario que nous avons vécu ne se reproduise compte tenu de la conjoncture économique internationale. Il est indispensable que nous disposions de toutes les données, avec précision et rapidité, pour pouvoir décider de réviser ou non le budget de l’État.

M. David Amiel (EPR). Je tiens à saluer la qualité du travail des rapporteurs et des auditions. Cette commission d’enquête était indispensable, le rapport le montre.

Le premier mérite de ce travail transpartisan est de montrer que le dérapage des finances publiques par rapport aux prévisions a été technique. Le redressement qui s’est ensuivi a quant à lui été politique. Les mesures d’ajustement peuvent prêter à discussion et il est logique, monsieur le président, que vous privilégiez les mesures touchant aux recettes. C’est dans le droit fil du débat de politique économique qui nous oppose régulièrement ici.

Le rapport établit très clairement que les causes du dérapage étaient techniques. Les ministres n’ont pas choisi les paramètres, notamment ceux relatifs à l’élasticité, qui expliquent, pour une large part, l’écart aux prévisions – les auditions en attestent. Le dérapage n’est pas lié à une surestimation des effets de la politique de l’offre puisque, si cela avait été le cas, les prévisions de croissance auraient également été erronées. La question de savoir si la politique de l’offre stimule la croissance ou pas reste posée mais ce n’est pas celle qui nous occupe ici.

Le rapport démontre que le problème tient à l’élasticité à croissance donnée. La composition de la croissance a le paradoxe d’avoir été plutôt défavorable aux finances publiques mais d’être plutôt une bonne nouvelle en elle-même : c’est le commerce extérieur, donc la compétitivité retrouvée qui a tiré la croissance ces derniers mois.

Je suis frappé que les divergences portent plutôt sur le calendrier de la communication. Qu’elle intervienne en décembre ou en février n’aurait rien changé à l’état des finances publiques puisque les mesures de redressement ont été prises par le Gouvernement dès le début de l’année 2024, et elles ont été d’une ampleur conséquente. Le PLFR n’aurait pas apporté de plus-value, si ce n’est des mesures fiscales supplémentaires, que le rapporteur Ciotti n’appelle pas de ses vœux.

Des mesures de redressement supplémentaires auraient pu être prises tout au long de l’année 2024, notamment à l’automne. Dans le débat qui a eu lieu sur le projet de loi de finances pour 2025, nous avons milité pour la mise en œuvre rétroactive de plusieurs mesures fiscales telles que la taxe sur le rachat d’actions ainsi que pour l’adoption de mesures d’économies supplémentaires par voie réglementaire, qui auraient eu des effets dès l’année 2024 et auraient sans doute facilité la marche pour 2025. Le débat se poursuivra certainement dans les prochains mois.

Nous voterons évidemment en faveur de la publication du rapport. Nous approuvons l’immense majorité des recommandations, qui sont logiquement techniques, en écho aux causes identifiées de l’écart de prévision.

La principale leçon est la nécessité d’ouvrir la boîte noire de la prévision, de la confronter à des regards extérieurs parce que personne, ni à la direction générale du Trésor, ni dans les organismes extérieurs, ni au HCFP n’a le monopole de la bonne méthode.

M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP). Je serai bref puisqu’il n’est pas utile de reprendre tous les débats qui ont animé la commission d’enquête.

Nous avons été frappés de constater à quel point celles et ceux qui étaient en fonction à ce moment-là ont refusé de prendre acte de leurs responsabilités et ont tenté de s’en défausser, prétextant qu’ils n’étaient pas au courant ou pas suffisamment, que c’était trop tard, ou que la politique du Gouvernement n’avait rien à y voir.

Quoi qu’en dise M. Amiel, quand bien même le problème aurait été technique, rien n’empêchait qu’il fasse l’objet d’un débat démocratique. Un PLFR aurait dû être déposé pour que le Parlement soit saisi de ce sujet d’importance. Nous sommes censés vivre dans une démocratie.

Cela a été dit, le dérapage est lié aux recettes. Vous estimez qu’il est dû à une erreur technique de prévision. Nous considérons que le problème est politique puisque vous refusez de chercher de nouvelles recettes.

Alors que tout le monde s’accorde pour incriminer les recettes, plusieurs recommandations concernent les dépenses, le président Coquerel les a citées : la recommandation n° 24 qui impose aux collectivités territoriales de contribuer au redressement des finances publiques ; la recommandation n° 23 qui préconise de favoriser les mesures de freinage de la dépense ; la recommandation n° 22 qui prescrit d’affecter tout surplus de recettes fiscales à la réduction du déficit et non au financement de nouvelles dépenses. J’ajoute la recommandation n° 25, qui propose de créer un comité d’alerte sur les risques de dépassement des prévisions de dépenses sociales.

Puisque le problème tient aux recettes, on aurait pu imaginer la création d’un comité d’alerte lorsque les dépenses fiscales liées aux crédits d’impôt s’envolent, ce qui nous éviterait les projets de loi de finances de fin de gestion comme celui de l’année dernière, dans lequel l’un des seuls postes qui augmente de manière très importante est celui des remboursements et dégrèvements, qui sont des cadeaux fiscaux faits aux entreprises.

M. Nicolas Ray (DR). Ce travail était important et les recommandations qui en résultent le sont tout autant pour éviter que le scénario que nous avons vécu ne se reproduise.

Oui, le politique ne doit pas se défausser sur les services, sur l’administration. Cela ne correspond pas à l’esprit de nos institutions. Le politique peut corriger les choses, il doit le faire et assumer les décisions, comme le font les élus locaux vis-à-vis de leur administration locale.

En ce qui concerne les causes du dérapage, les dépenses des collectivités locales ont été sous-évaluées par le Gouvernement. Il fallait prendre en compte le fait qu’en milieu de mandat municipal, les dépenses des collectivités allaient inéluctablement augmenter. Les collectivités sont globalement bien gérées, il n’y a pas de dérapage des finances locales compte tenu des règles sévères auxquelles elles sont soumises pour établir leur budget et emprunter.

Les prévisions en matière de recettes en 2023 et 2024 étaient surréalistes. Les hausses espérées pour l’impôt sur les sociétés et la TVA étaient bien trop optimistes. Nous l’avons payé par la suite.

Les efforts en matière de redressement ont été à la fois tardifs et insuffisants pour corriger la trajectoire. Pour résumer, un PLFR aurait été plus utile qu’une dissolution pour redresser les comptes du pays.

Quant aux recommandations, nombre d’entre elles sont intéressantes, notamment pour améliorer nos méthodes de prévision et revoir les sous-jacents. En tant que commissaires aux finances, nous devons pouvoir obtenir des précisions sur les prévisions de croissance et de recettes fiscales. Les informations données par les ministres doivent être beaucoup plus détaillées.

Bien sûr, il faut sortir du monopole de la direction générale du Trésor et confronter ses prévisions avec celles d’autres organismes. Il faut enfin renforcer le pilotage infra-annuel pour pouvoir enrayer des dérapages avant la fin de l’année.

Je note la proposition de M. Mathieu Lefèvre d’une loi de redressement. Mme Amélie de Montchalin l’a dit, ce qui dissuade de présenter un PLFR, c’est la crainte d’entrer dans un nouveau tunnel très long, avec des amendements qui partent dans tous les sens, sur les crédits comme sur les recettes. Un nouvel outil à la main du Parlement pour redresser nos comptes publics pourrait être intéressant.

Mme Christine Arrighi (EcoS). Notre commission d’enquête a permis de mettre en lumière non seulement des dysfonctionnements techniques et des choix politiques, assumés ou tus, mais aussi l’incapacité structurelle d’intégrer pleinement l’incertitude dans notre fabrique budgétaire.

Les erreurs de prévision ne sont pas toujours des fautes techniques ; elles ne sont pas non plus uniquement la conséquence de modèles imparfaits ou d’une conjoncture volatile. Elles peuvent être également le fruit d’un usage politique de la prévision, c’est-à-dire de la volonté de présenter des trajectoires optimistes au détriment de la sincérité, de la transparence et du débat démocratique.

La sous-estimation chronique de certaines dépenses et les surestimations répétées de certaines recettes – je pense à celles de l’impôt sur les sociétés et, plus encore, aux cadeaux fiscaux dont a pâti le produit de la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité – ne relèvent pas du hasard. Elles soulèvent la question de savoir qui assume la responsabilité politique de ces choix, car ceux-ci ont un coût, lequel pèse sur celles et ceux qui n’ont d’autres richesses que celle de la solidarité nationale et les services publics.

N’oublions pas, en effet, que ces écarts ont des conséquences très concrètes – gel de crédits, dégradation du service public, pression accrue sur les collectivités locales, perte de confiance démocratique – tandis que les décisions fiscales favorables aux grandes entreprises et aux plus riches sont rarement remises en question. Il faut mettre fin à cette asymétrie de la rigueur !

Il ne suffit plus d’ajuster les modèles ; il faut restaurer la sincérité budgétaire, garantir l’information du Parlement et des citoyens, et veiller à ce que la gestion des comptes publics ne sacrifie ni la justice sociale ni les engagements écologiques.

Oui, nos prévisions doivent être améliorées, et elles peuvent l’être grâce à différentes recommandations contenues dans le rapport, qu’il s’agisse du renforcement de la transparence et du dialogue avec le monde universitaire, de l’accroissement du soutien aux instituts de conjoncture, de l’amélioration de la remontée infra-annuelle des données ou de la révision des outils.

Toutefois, l’amélioration technique ne peut se limiter à des ajustements internes. C’est pourquoi le groupe EcoS défend une recommandation complémentaire, à savoir la réalisation par la commission des finances d’un benchmark international des pratiques de prévision. En effet, de nombreux pays – Allemagne, Canada, Pays-Bas – ont opté pour des dispositifs plus transparents ou plus collaboratifs. Le benchmark que nous appelons de nos vœux permettrait de situer objectivement la France dans les standards internationaux, d’identifier des innovations utiles et de nourrir une modernisation concertée de nos méthodes.

L’erreur est inhérente à l’exercice de la prévision. Mais nos auditions ont montré que cette dernière est parfois utilisée comme un moyen de s’assurer un confort politique. Ainsi, une prévision de croissance légèrement surévaluée permet de maintenir artificiellement un solde, quitte à le réviser brutalement une fois les échéances passées. C’est cette culture du volontarisme institutionnalisé que nous devons remettre en question, non pas pour dépolitiser la prévision – ce serait une illusion technocratique –, mais pour mieux la protéger des usages démagogiques et la replacer dans un cadre démocratique et responsable.

Le rapport ouvre une réflexion indispensable sur l’articulation entre expertise, incertitude et responsabilité démocratique. Il nous revient de tirer les leçons des écarts observés ces deux dernières années et de bâtir une culture budgétaire plus humble et, surtout, plus démocratique. Ne soyons pas naïfs s’agissant de la technique et soyons encore plus exigeants quant à la sincérité !

Mme Marina Ferrari (Dem). Notre commission d’enquête nous a permis de « mettre les mains dans le meccano » et d’identifier plusieurs difficultés.

Premièrement, nos processus sont trop rigides : nos modèles de prévision ne sont plus adaptés. Deuxièmement, la temporalité est mauvaise : depuis la crise du covid-19, les réunions mensuelles ne sont plus automatiques alors que l’instabilité actuelle exige que nous suivions au plus près l’activité économique. Enfin, le manque criant de coordination entre les différentes administrations nuit à la pertinence des échanges d’informations.

Aussi est-il nécessaire de supprimer le cloisonnement entre l’administration et l’économie réelle, afin de mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre ; entre les dépenses sociales, dont on peine à appréhender l’évolution, et les autres types de dépenses ; enfin, entre le Gouvernement et le Parlement, qui doit exercer davantage son pouvoir de contrôle.

Parmi les pistes intéressantes que trace le rapport, je relève la recommandation de créer un financement socle qui nous permette d’entretenir, à terme, un pôle de recherche.

Il s’agit désormais de se demander comment faire face à l’imprévisibilité, d’autant que les chocs économiques que nous subissons se succèdent toujours plus rapidement et nous obligent à adapter nos modèles afin d’être davantage réactifs. À cet égard, notre rapporteur général a fait plusieurs propositions intéressantes ; je pense notamment à celle qui consiste à associer la grande et la moyenne distributions.

Le groupe Démocrate se prononcera donc en faveur de l’adoption du rapport, y compris de ses recommandations nos 22, 23 et 24.

M. le président Éric Coquerel. Nous en venons aux interventions des autres députés.

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). La création de cette commission d’enquête était une bonne idée : le Parlement ne doit jamais s’excuser de remplir sa mission constitutionnelle de contrôle du pouvoir exécutif.

Le rapport rétablit les faits – je dirais même : la vérité. Les difficultés que nos finances publiques ont connues en 2023 et en 2024 sont le fait, d’abord, de fortes perturbations macroéconomiques mondiales, ensuite, de problèmes majeurs d’évaluation par l’administration des recettes fiscales liées notamment à l’impôt sur le revenu, à l’impôt sur les sociétés et à la TVA, comme notre rapporteur général – dont on ne peut pas dire qu’il est un franc soutien des majorités qui se sont succédé depuis 2017 – l’a d’ailleurs relevé dans sa contribution.

Le rapport et notre rapporteur général l’attestent, les ministres ne sont, en aucune manière, intervenus dans les évaluations fiscales. Cela contredit donc la fable, colportée par les oppositions, d’un tripatouillage, d’une dissimulation ou d’une insincérité budgétaire. J’ajoute – même si je sais le peu de considération que certains d’entre nous ont pour cette instance – que le Conseil constitutionnel a validé les lois de finances pour 2023 et 2024, lesquelles sont donc exemptes de toute insincérité budgétaire.

Je m’étonne que la tonalité de l’intervention de M. Ciotti ait été différente de celle du rapport. Mais peut-être s’est-il senti obligé d’en rajouter à l’oral, après avoir constaté qu’il n’y avait au fond rien de répréhensible à reprocher à Mme Borne ni à MM. Attal, Le Maire et Cazenave. Ils ont fait leur travail du mieux qu’ils pouvaient, dans un contexte compliqué et sur le fondement de données défectueuses.

En conclusion, je souhaite donc la publication du rapport, qui rétablit les faits.

M. Emmanuel Mandon (Dem). Je me réjouis d’avoir entendu des interventions très intéressantes. Même si elles ont souvent vocation à affirmer des divergences et à renforcer l’originalité de certaines positions, nous en tirerons globalement des éléments positifs. J’espère que nous profiterons de ces travaux et que se prolongera, d’une manière ou d’une autre, une réflexion transpartisane productive.

M. Jean-Pierre Bataille (LIOT). Je n’avais pas prévu d’intervenir car, appartenant au même groupe que Charles de Courson, je suis forcément influencé par ses analyses très pertinentes. Mais j’ai été sensible à la diversité des points de vue ; j’apprécie beaucoup ce type d’échanges. Sans doute la vérité se situe-t-elle entre les visions respectives de nos deux rapporteurs.

En tant qu’ardent défenseur des collectivités territoriales, je n’ai guère apprécié le procès d’intention qui leur a été fait. Cependant, il me manque des précisions sur un point. Quelle est la part de l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement liée aux décisions prises dans les lois de finances pour 2023 et 2024 – je pense notamment à l’augmentation du point d’indice ? Si la prévision n’a pas tenu compte, pour la fixation des objectifs de dépenses de fonctionnement des collectivités, de cette charge supplémentaire qui leur a été imposée, on ne peut que juger une telle imprévoyance insupportable.

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Madame Marais-Beuil, vous avez indiqué que le prochain budget devrait être modifié en cas de retournement de la conjoncture. C’est bien la preuve que, lorsque de telles modifications résultent d’événements extérieurs, elles sont dénuées d’intention politique.

Monsieur Amiel, je suis en parfait accord avec vous : le plan élaboré par Mme Amélie de Montchalin pour ouvrir la boîte noire des finances publiques contribue parfaitement à l’information du Parlement.

Monsieur Le Coq, il est faux de dire qu’aucune recommandation ne concerne les recettes. En effet, nous proposons que, les bonnes années, les excédents de recettes soient gelés.

Mme Marianne Maximi (LFI-NFP). Vous nous faites rire !

M. Mathieu Lefèvre, rapporteur. Vous pouvez en rire, mais, en 2021 et 2022, cette mesure aurait peut-être permis d’atténuer la dégradation des déficits publics au cours des années ultérieures.

Monsieur Ray, je vous remercie d’apporter votre soutien à ma proposition d’instaurer une loi de redressement des comptes, laquelle suppose la création d’une nouvelle catégorie de lois de finances, en loi organique. J’ai bon espoir que notre commission la soutiendra.

Madame Arrighi, notre rapport comporte des éléments de comparaison internationale ; ils auraient pu, c’est vrai, être plus fournis. Néanmoins, on peut en conclure que l’externalisation complète de la prévision, comme c’est le cas en Grande-Bretagne, n’exclut pas les erreurs et les fautes. Elle n’est pas un gage de certitude dans un monde aussi volatil que le nôtre.

Madame Ferrari, le décloisonnement me paraît en effet indispensable. Je crois beaucoup en ma proposition de n’avoir qu’une seule direction de pilotage des comptes publics : c’est un outil indispensable au ministre du budget.

Enfin, monsieur Bataille, certaines dépenses sont, c’est vrai, imposées aux collectivités. Toutefois, ces dernières années, toutes les augmentations de dépenses qui ont excédé les prévisions n’étaient pas dues au Gouvernement. Mais peut-être aurions-nous dû aller plus loin dans cet effort de partage.

M. Éric Ciotti, rapporteur. On ne peut pas conclure de ce rapport que nous sommes face à de simples erreurs techniques liées à la dégradation de la conjoncture.

Si M. Sitzenstuhl estime qu’en laissant un tel déficit, les ministres ont fait au mieux, nous n’avons pas la même conception du bien commun et de l’intérêt du pays. Je considère, pour ma part, que ce résultat est très grave et porteur de périls majeurs pour le présent et les générations futures, qui auront à rembourser une dette colossale, qu’il a contribué à accroître de 1 200 milliards d’euros depuis 2017. Il est facile de s’abriter derrière des considérations techniques.

Dès lors que Mathieu Lefèvre et moi ne tirions pas les mêmes conclusions de cette enquête, nous pouvions, soit nous ne pas publier de rapport, soit, et c’est ce que nous avons fait, rédiger deux contributions différentes. En tout cas, je ne partage en rien l’approche de MM. Sitzenstuhl et Amiel. Je comprends qu’ils veuillent minorer les responsabilités des ministres qu’ils soutiennent et dont ils se font en quelque sorte les porte-parole. Mais, d’abord, ce ne sont pas uniquement des problèmes techniques qui sont à l’origine des dérapages constatés. Ensuite, je considère que certains éléments ont été dissimulés au Parlement, notamment à notre commission. Enfin, j’estime que le calendrier politique est à la fois la cause et la conséquence de ces dissimulations, que ce soit pour éviter des décisions douloureuses à la veille des élections européennes ou pour légitimer la dissolution.

M. le président Éric Coquerel. J’en viens à la procédure d’adoption du rapport.

Je vous rappelle que les recommandations figurant dans le rapport d’une commission d’enquête n’engagent pas que le ou les rapporteurs : elles sont formulées au nom de la commission d’enquête.

Je constate qu’il n’y a pas d’autres demandes de vote disjoint que celle que j’ai annoncée sur les propositions de recommandation nos 22, 23 et 24.

Je vais donc mettre aux voix ces propositions de recommandation.

La commission rejette successivement les propositions de recommandation nos 22, 23 et 24.

Puis elle adopte le projet de rapport ainsi modifié et autorise sa publication.

M. le président Éric Coquerel. Vous devez remettre aux agents l’exemplaire du rapport dont vous avez disposé pendant le temps de la réunion. En effet, il convient de respecter un délai de cinq jours francs pendant lesquels l’Assemblée nationale pourrait être saisie par des députés d’une opposition à sa publication, laquelle serait débattue en séance publique, conformément à ce que prévoit l’article 144-2 du règlement de notre assemblée. Ce n’est qu’à l’issue de ce délai, c’est-à-dire le 15 avril, en l’absence d’opposition, que le rapport sera publié et inclura en annexe l’ensemble des contributions qui auront été communiquées au secrétariat de la commission d’ici à la fin de la semaine.

J’appelle votre attention sur le fait que, mardi, nous entendrons le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ainsi que la ministre chargée des comptes publics précisément sur le plan d’action pour améliorer le suivi et la transparence des prévisions de finances publiques. Nous pourrons à cette occasion évoquer le contenu du rapport afin d’avoir une discussion intéressante.

 

 


   Liste des personnes auditionnÉes

(par ordre chronologique)

 

– Mme Mélanie Joder, directrice du budget ;

– M. Jérôme Fournel, ancien directeur général des finances publiques ;

– M. Franck Von Lennep, ancien directeur de la sécurité sociale ;

– M. Bertrand Dumont, directeur général du trésor ;

– M. Pierre Pribile, directeur de la sécurité sociale ;

– M. Emmanuel Moulin, ancien directeur général du trésor ;

– Mme Amélie Verdier, directrice générale des finances publiques ;

– M. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ;

– Mme Cécile Raquin, directrice générale des collectivités locales ;

– M. Thomas Cazenave, ancien ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics ;

– M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee ;

 M. Hippolyte d’Albis, Mme Émilie Maysonnave et M. Paul-Armand Veillon, auteurs du rapport de l’Inspection générale des finances sur les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires de juillet 2024 ;

– M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques ;

– M. Olivier Garnier, directeur des études économiques à la Banque de France ;

– M. François Écalle, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes et président de Fipeco ;

– M. Laurent Bach, économiste à l’Institut des politiques publiques, M. Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques et M. Olivier Redoules, directeur des études de Rexecode ;

– M. Gabriel Attal, ancien Premier ministre ;

– M. Michel Barnier, ancien Premier ministre ;

– M. Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet de Mme Élisabeth Borne, ancienne Première ministre ;

– M. Pierre Chabrol, ministre-conseiller pour les affaires économiques et chef du service économique régional de Londres ;

– M. Antoine Armand, ancien ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ;

– M. Laurent Saint-Martin, ancien ministre chargé du budget et des comptes publics ;

– Mme Claire Thirriot–Kwant, ministre-conseillère pour les affaires économiques et cheffe du service économique régional de Berlin ;

– Mme Élisabeth Borne, ancienne Première ministre ;

– M. André Laignel, premier vice-président délégué de l’Association des maires de France et présidents d’intercommunalité ;

– M. François Sauvadet, président de l’association des Départements de France, M. Jean Léonce Dupont, vice-président délégué, M. Jean Luc Chenut, président du département d’Ille-et-Vilaine, et M. Nicolas Fricotaux, président du département de l’Aisne ;

– M. Michel Neugnot, premier vice-président de la Région Bourgogne-Franche-Comté, représentant de l’association des Régions de France


   Contribution du rapporteur général

 

SOMMAIRE

___

Pages

Introduction

Recommandations du rapporteur général charles de courson

I. Un cadrage macroÉconomique dÉfectueux

A. Une Évaluation erronÉe des composantes du PIB et des contributions À sa croissance

1. Des moteurs de la croissance mal identifiés en 2023

2. Un scénario d’emblée frappé de caducité en 2024

B. L’insuffisante anticipation du maintien du taux d’épargne à un niveau élevé

II. L’imposition sur le revenu : un manque de fiabilitÉ des sous‑jacents macroÉconomiques utilisÉs

1. En 2023 et 2024, les prévisions de recettes de l’impôt sur le revenu (IR) ont été surestimées

2. Ces écarts s’expliquent principalement par un plus faible dynamisme économique, conduisant à surestimer la croissance des salaires

3. Une surévaluation des recettes d’IR qui risque de se reproduire en 2025

4. Une modification de la méthodologie utilisée pour calculer les sous-jacents macroéconomiques des revenus composant l’assiette de l’IR permettrait d’ajuster plus rapidement les prévisions de recettes correspondantes

III. les prÉvisions de recettes de l’impÔt sur les sociÉtÉs : des erreurs rÉcurrentes et de grande ampleur dÉcoulant de l’utilisation d’un indicateur inadaptÉ, l’excÉdent brut d’exploitation

1. L’incapacité à prévoir l’évolution du bénéfice fiscal des entreprises

2. Des erreurs qui découlent d’une méthode de prévision fragile et « hors‑sol »

3. Des prévisions qui doivent être davantage fondées sur des informations provisoires transmises par les grandes entreprises au ministère de l’économie et des finances

4. Une prévision du produit de l’IS davantage crédible pour 2025

IV. les prÉvisions de recettes de TVA surestimées en raison de l’inadaptation du modÈle ÉconomÉtrique utilisÉ et d’un manque de concertation

A. des erreurs importantes

1. Les erreurs commises pour 2023 et 2024

2. Des erreurs qui pourraient se reproduire en 2025, malgré des corrections intervenues en cours d’examen du PLF pour 2025

B. des causes qui auraient pu être anticipÉes

1. Une prise en compte insuffisante des remontées mensuelles

2. Les limites d’un modèle économétrique anticipant à tort une diminution du taux d’épargne des ménages

3. Une compréhension insuffisante des déterminants des demandes de remboursements

4. Une mauvaise compréhension du rôle des composantes de la croissance

5. Un manque d’association des parties prenantes

6. Un manque de pluralisme dans l’élaboration des prévisions

V. les prÉvisions de recettes de l’accise sur les tabacs : des effets de comportement sous-estimÉs

A. des recettes surévaluées

B. Des surestimations qui ne tiennent pas compte de l’Évolution du comportement des consommateurs

VI. des prÉvisions erronÉes en matiÈre de finances locales tant en recettes qu’en dÉpenses

A. Des prÉvisions de recettes fiscales locales approximatives

1. Des recettes de taxe d’habitation sur les résidences secondaires qui croissent plus rapidement que prévu au titre de 2023

2. La sous-estimation chronique des recettes de taxe foncière sur les propriétés bâties ne tenant pas compte de l’augmentation des taux et des bases physiques

3. Une prévision des recettes de DMTO complètement déconnectée des remontées mensuelles

4. La hausse continue et forte de la TEOM paraît correctement prise en compte

5. Une hausse du versement mobilité quelque peu sous-évaluée

B. Les dÉpenses des collectivitÉs locales : Des prÉvisions alarmistes en 2024 qui font suite À une sous-estimation rÉcurrente en PLF pour 2023 et 2024

1. Une mise en accusation des collectivités territoriales fondée sur une extrapolation aventureuse et infondée

2. Une hausse des dépenses des collectivités territoriales finalement plus contenue mais toujours supérieure aux prévisions établies de façon normative au moment du PLF

3. Des prévisions de dépenses pour 2025 qui apparaissent déjà très irréalistes

VII. Les recettes de sécurité sociale : une surévaluation de plus de 1 %

1. Une surestimation des prévisions de recettes de la sécurité sociale de 1,1 % en 2023 et de 1,3 % en 2024 ()

2. Des écarts qui s’expliquent principalement par la moindre croissance de la masse salariale

3. Une meilleure coopération entre les services administratifs permettrait d’affiner les prévisions de recettes de sécurité sociale

Conclusion

 

 

 


   Introduction

Usant des pouvoirs de contrôle que lui confère l’article 57 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) ([403]), le rapporteur général a pu prendre connaissance des prévisions de recettes des années 2023, 2024 et 2025. Il s’est rendu à la direction générale du Trésor le 9 décembre 2024 avant d’adresser des questionnaires complémentaires à cette même direction.

Années noires pour les finances publiques, les exercices 2023 et 2024 se sont caractérisés par des recettes fiscales très inférieures aux prévisions des lois de finances. Le rapporteur général craint que l’exercice 2025 ne donne matière à constater des écarts significatifs.

En 2023, les recettes fiscales nettes du budget général, d’un montant de 322,9 milliards d’euros, ont été inférieures de 2,2 % à leur niveau de l’année 2022 (330,3 milliards d’euros). Elles se sont révélées être en retrait de 5,3 milliards d’euros, soit 1,6 %, par rapport à la prévision de la loi de finances initiale (328,2 milliards d’euros). L’écart est plus important encore par rapport aux prévisions de la loi de finances de fin de gestion (330,6 milliards d’euros), puisqu’il atteint 7,7 milliards d’euros, soit 2,3 %.

En 2024, les mêmes recettes devraient atteindre 325,7 milliards d’euros ([404]), soit une hausse de 0,9 % par rapport aux recettes fiscales effectives de l’exercice précédent. Quoiqu’il excède de 2,4 milliards d’euros, soit 0,7 %, la prévision de la loi de finances de fin de gestion, ce montant se situe en retrait de 22,8 milliards d’euros, soit 6,5 %, par rapport à la prévision initiale (348,5 milliards d’euros).

Faisant peser un risque sur la crédibilité de notre pays et compromettant la possibilité même du pilotage de nos finances publiques, la défaillance de la prévision procède de difficultés inhérentes à la méthodologie spécifique retenue pour chaque prélèvement obligatoire. Force est cependant de relever que la qualité des prévisions relatives aux différentes recettes se trouve d’emblée compromise par les défaillances de la prévision macroéconomique. Celles-ci seront donc analysées préalablement aux limites des prévisions des principaux prélèvements obligatoires.

Le rapporteur général n’a pas analysé les écarts en matière de dépenses publiques de l’État et de la sécurité sociale mais a élargi ses recherches aux dépenses publiques locales.


   Recommandations du rapporteur général
charles de courson

Recommandation n° 1 :

Ouvrir l’exercice de la prévision macroéconomique à des chercheurs extérieurs à la direction générale du Trésor et soumettre chaque année les hypothèses et les méthodes à un large débat académique.

Recommandation n° 2 :

Associer le Haut Conseil des finances publiques à la prévision macroéconomique, soit en l’impliquant dans l’élaboration des hypothèses retenues par le Gouvernement, par exemple par la production ou la validation de certaines, soit en instaurant un mécanisme du type comply or explain, qui imposerait au Gouvernement de rectifier les prévisions jugées optimistes par le HCFP ou, à défaut, d’expliquer pourquoi il ne les modifie pas.

Recommandation n° 3 :

Modifier les sous-jacents macroéconomiques utilisés pour calculer les prévisions des BIC, des BNC et des bénéfices agricoles, s’agissant de l’impôt sur le revenu.

Recommandation n° 4 :

S’appuyer sur les recettes de cotisations sociales collectées chaque mois par les URSSAF afin de calculer l’évolution de la masse salariale, pour les prévisions d’impôt sur le revenu.

Recommandation n° 5 :

Adapter la méthode de prévision du produit de l’impôt sur les sociétés en collectant les résultats trimestriels nationaux des grandes entreprises et leurs anticipations s’agissant de l’évolution de leurs bénéfices.

Recommandation n° 6 :

Tenir compte, dès leur réception, des remontées mensuelles de recettes de TVA dans l’élaboration des prévisions annuelles.

Recommandation n° 7 :

Anticiper les conséquences sur les recettes fiscales, en particulier la TVA, des changements structurels de comportement des acteurs économiques en modifiant les paramètres du modèle Opale.

Recommandation n° 8 :

Assurer un suivi régulier du stock de créances de TVA.

Recommandation n° 9 :

Mieux associer les acteurs de la grande et de la moyenne distribution à l’élaboration des prévisions de consommation des ménages et de TVA.


Recommandation n° 10 :

Associer les prévisionnistes des secteurs publics et privés aux prévisions relatives aux agrégats macroéconomiques et aux recettes fiscales, en particulier de TVA.

Recommandation n° 11 :

Enrichir le rapport sur la situation des finances publiques locales annexé au projet de loi de finances de prévisions portant sur les recettes de fiscalité locale pour l’exercice à venir et pour chaque impôt.

Recommandation n° 12 :

Produire des prévisions mensuelles de recettes de DMTO en s’appuyant sur les données des chambres départementales des notaires et rendre publiques ces prévisions.

Recommandation n° 13 :

Communiquer mensuellement aux commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat les remontées des dépenses de fonctionnement et des dépenses d’investissement des collectivités territoriales ainsi que des organismes divers d’administration locale.

Recommandation n° 14 :

Favoriser le partage d’informations entre la DGT et la DSS s’agissant des prévisions de recettes de la sécurité sociale.

 

 

 


I.   Un cadrage macroÉconomique dÉfectueux

Un biais optimiste a présidé à la détermination des hypothèses retenues, pour l’année 2023, au titre de certaines composantes du produit intérieur brut (PIB) et de leurs contributions respectives à une croissance, qui aura finalement plus procédé du commerce extérieur que d’une reprise de la consommation. Dès lors, le fait que le niveau global de la croissance finalement constatée du PIB ait pu se révéler proche de la prévision initiale ne saurait attester de la fiabilité de la prévision macroéconomique. En 2024, les erreurs commises quant aux contributions à la croissance se sont doublées d’une substantielle révision à la baisse du niveau global de celle-ci (A). Les défaillances de la prévision semblent notamment tenir à une insuffisante anticipation du maintien de l’épargne à un niveau élevé (B).

A.   Une Évaluation erronÉe des composantes du PIB et des contributions À sa croissance

C’est au prix de plusieurs erreurs relatives aux composantes du PIB et de leur contribution à la croissance de celui-ci, erreurs dont les effets respectifs s’annulent en partie, que le niveau global de cette croissance, atteignant 0,9 % ([405]) s’est révélé proche de la prévision initiale de 1 %. Dès lors, il serait excessif de prétendre, à la suite de l’inspection générale de finances, que « le scénario macroéconomique prévu par le gouvernement pour 2023 est proche de l’exécution » ([406]).

1.   Des moteurs de la croissance mal identifiés en 2023

Selon les hypothèses sous-jacentes au projet de loi de finances pour 2023, la consommation privée devait croître de 1,4 % ; celle-ci aura connu une progression moitié moindre de 0,7 %. L’atonie de la demande aura en outre conduit à une hausse des importations de 0,3 %, très inférieure à la prévision initiale de 2,5 %. L’écart entre les exportations réalisées et leur prévision étant bien moindre, puisqu’elles auront crû de 2,1 % au lieu de 2,7 %, c’est le commerce extérieur qui se trouve avoir pris le relais de la demande intérieure et de la consommation comme moteur de la croissance du PIB. Sa contribution à celle-ci s’élève à 0,6 point, alors qu’elle devait être nulle aux termes des prévisions sous-jacentes au projet de loi de finances pour 2023.

À l’inverse, alors que, selon le scénario macroéconomique sous-jacent au projet de loi de finances pour 2023, la demande intérieure privée, hors stocks, et la demande publique devaient expliquer en totalité la croissance, elles n’y auront contribué qu’à hauteur de 0,7 point, et même de 0,3 point si l’on tient compte de la variation des stocks, qui apporte pour sa part une contribution négative de 0,4 point.

L’évolution spontanée des recettes de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) étant tributaire de l’évolution de la consommation intérieure et de l’investissement, que le commerce extérieur se révèle finalement, à rebours de la prévision initiale, le principal moteur de la croissance du PIB ne pouvait que fragiliser d’emblée toute prévision des recettes de TVA. De fait, les recettes totales nettes de TVA se sont élevées à 205 milliards d’euros en 2023 en comptabilité nationale, soit une moins-value de 4,3 milliards d’euros par rapport à la dernière prévision publique présentée dans le cadre du projet de loi de finances de fin de gestion pour l’année 2023 et de 7,3 milliards d’euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2023.

Évolution en 2023 des composantes du pib et contributions À la croissance
De la prévision à la réalisation

(en %, par rapport à 2022)
(en points de PIB)

 

PLF 2023 (1)

Programme de stabilité avril 2023 (2)

PLFG 2023 (3)

Réalisé (4)

Écart (4)-(1)

PIB

1,0

1,0

1,0

0,9

– 0,1

Consommation privée

1,4

0,2

-0,2

0,7

– 0,7

Consommation publique

1,0

1,3

0,7

1,2

+ 0,2

Investissement

0,1

2,1

1,6

0,4

+ 0,3

Exportations

2,7

3,5

2,1

2,1

– 0,6

Importations

2,5

3,1

0,3

0,3

– 2,2

Contributions à la croissance (en points de PIB)

Demande intérieure privée hors stocks

0,8

0,5

0,2

0,3

– 0,5

Demande publique

0,2

0,4

0,4

0,4

+ 0,2

Variation des stocks

0,0

0,1

-0,1

-0,4

– 0,4

Commerce extérieur

0,0

0,0

0,6

0,6

+ 0,6

Source : direction générale du Trésor.

2.   Un scénario d’emblée frappé de caducité en 2024

Les prévisions macroéconomiques du Gouvernement relatives à l’année 2024 se singularisent par leur révision précoce et substantielle, qui impliquait l’impossibilité que se vérifient les prévisions de recettes du projet de loi de finances. En effet, dès le mois de février 2024, l’hypothèse d’une croissance de 1,4 % a été révisée de 0,4 point à la baisse, avant d’être rehaussée de 0,1 point lors du dépôt du projet de loi de finances pour 2024, pour s’établir à 1,1 %, la croissance effective se révélant conforme à cette dernière hypothèse. Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, « la contribution du commerce extérieur à la croissance du PIB (0,9 point) aura encore été supérieure à celle de la demande finale hors stocks (0,7 point), la variation des stocks apportant une contribution négative à hauteur de 0,5 point de PIB » ([407]).

Une nouvelle fois, le scénario initial présentait, en ce qui concerne un certain nombre d’agrégats, un biais optimiste que n’avait pas manqué de relever le Haut Conseil des finances publiques. Auditionné par la commission des finances de l’Assemblée nationale dans le cadre de la présente commission d’enquête le 21 janvier dernier, le président du Haut Conseil des finances publiques l’a rappelé :

« J’en profite d’ailleurs pour souligner que, contrairement à ce qui a été indiqué à plusieurs reprises devant votre commission, y compris par l’ancien ministre Bruno Le Maire, le HCFP n’a ni validé les prévisions de croissance du gouvernement pour 2024 ni, a fortiori, considéré qu’elles étaient plausibles dans son avis sur le PLF pour 2024. Il a même été plus loin, en donnant l’alerte quant à l’optimisme exagéré du Gouvernement pour la totalité des postes de demande  consommation, investissement et exportations. Or la prévision de l’évolution de ces agrégats est cruciale pour prévoir les rentrées fiscales. » ([408])

Le HCFP indiquait effectivement, dès le mois de septembre 2023 ([409]) que les prévisions de recettes du Gouvernement pour 2024 « sembl[aient] un peu surestimées », notamment car elles étaient « tirées vers le haut par la prévision de croissance élevée de l’activité », « supérieure à celle du consensus des économistes (+ 0,8 %) et des organismes qu’il a[vait] auditionnés ». Le Gouvernement était notamment plus optimiste que ces organismes « pour la totalité des postes de demande ».

De même le président du HCFP a-t-il relevé que la révision à la baisse de la croissance par rapport à la prévision initiale optimiste avait contribué pour 0,2 point à la révision à la hausse de la prévision de déficit public de l’année 2024.

Évolution en 2024 des composantes du pib et contributions À la croissance
De la prévision à la réalisation

(en %, par rapport à 2023)
(en points de PIB)

 

PLF 2024 (1)

Programme de stabilité avril 2024 (2)

PLFG 2024 (3)

Réalisé (4)

Écart (4)-(1)

PIB

1,4

1,0

1,1

1,1

– 0,3

Consommation privée

1,8

1,6

0,7

0,9

– 0,9

Consommation publique

1,4

0,1

2,7

2,1

0,7

Investissement

0,3

- 0,4

- 1,7

– 1,5

– 1,8

Exportations

3,5

2,1

2,1

1,1

– 2,4

Importations

3,1

0,8

- 1,1

– 1,4

– 4,5

Contributions à la croissance (en points de PIB)

Demande intérieure privée hors stocks

1,0

0,7

– 0,1

0,6

– 0,8

Demande publique

0,4

0,1

0,8

Variation des stocks

0,0

– 0,2

– 0,6

– 0,4

– 0,4

Commerce extérieur

0,1

0,4

1,1

0,9

0,8

Source : commission des finances d’après les avis du Haut Conseil des finances publiques et l’Insee (publication du 28 février 2025).

Recommandation n° 1 : ouvrir l’exercice de la prévision macroéconomique à des chercheurs extérieurs à la direction générale du Trésor et soumettre chaque année les hypothèses et les méthodes à un large débat académique.

Recommandation n° 2 : associer le Haut Conseil des finances publiques à la prévision macroéconomique, soit en l’impliquant dans l’élaboration des hypothèses retenues par le Gouvernement, par exemple par la production ou la validation de certaines, soit en instaurant un mécanisme du type comply or explain, qui imposerait au Gouvernement de rectifier les prévisions jugées optimistes par le HCFP ou, à défaut, d’expliquer pourquoi il ne les modifie pas.

Il convient de noter que, rapportant l’évolution spontanée des recettes à celle du PIB nominal, l’élasticité n’est pas un instrument pertinent pour la prévision. Elle n’est pas une hypothèse préalable ni un paramètre permettant le calcul d’une estimation de recettes ; au contraire, calculée a posteriori, elle résulte des prévisions détaillées par impôt. L’écart entre l’élasticité observée et l’élasticité anticipée confirme d’ailleurs qu’il ne serait pas pertinent d’arrêter une hypothèse de rendement en appliquant une élasticité prédéfinie, fût-elle conforme à une moyenne historique, au rendement de l’année antérieure. Le tableau ci-après retrace, à titre d’exemple, les évolutions de l’élasticité de la TVA.

élasticité de la Taxe sur la valeur ajoutée

 

Année

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Élasticité anticipée (PLF N)

1,0

1,1

1,1

1,1

1,1

1,2

Élasticité anticipée (PLF N+1)

1,1

1,1

1,7

1,9

0,6

0,3

Élasticité observée

1,1

1,5

1,8

1,4

0,5

0,0*

* : Les données affichées ici correspondent aux prévisions pour 2024 sous-jacentes à la loi de finances pour 2025. Elles ne constituent pas des données d’exécution. Les données observées en comptabilité nationale en droits constatés seront connues une fois le compte des administrations publiques publié par l’Insee.

Source : direction générale du Trésor.

B.   L’insuffisante anticipation du maintien du taux d’épargne à un niveau élevé

La surestimation des postes de demande par les prévisions du Gouvernement témoigne d’une insuffisante anticipation du maintien de l’épargne à un niveau élevé. Or le même phénomène est pourtant constaté dans l’ensemble de la zone euro – quoiqu’il soit plus prononcé en France –, ce qui suggère fortement qu’il présente un caractère structurel.

évolution du Taux d’Épargne des mÉnages
en France et dans la zone euro

(en % du revenu disponible brut)

Source : commission des finances, d’après l’INSEE

Alors que le taux d’épargne des ménages s’établissait en moyenne, au cours de la décennie précédant la pandémie de covid-19, légèrement en deçà de 15 % (14,7 %), il a connu une forte augmentation pendant la crise sanitaire. En 2023, il demeurait à 16,9 % du revenu disponible brut des ménages, niveau certes inférieur à celui de l’année 2020 (20,4 %) mais supérieur de 0,1 point à celui de l’année 2022 (16,8 %). En 2024, il s’établirait, selon les prévisions gouvernementales sous‑jacentes au projet de loi de finances pour 2025 à 18,2 %.

Par ailleurs, des indicateurs et certaines sources semblent insuffisamment exploités par la direction générale du Trésor. Ainsi, une meilleure exploitation des informations dont dispose le secteur de la grande distribution, au plus près du consommateur, aurait sans doute permis de mieux anticiper l’atonie de la demande. De même, les résultats, depuis 2020, de l’enquête mensuelle de conjoncture de l’INSEE auprès des ménages semblent révéler clairement une modification structurelle des comportements d’épargne qui contrevient à l’hypothèse d’un reflux progressif du taux d’épargne aux alentours du niveau antérieur à la crise sanitaire, soit environ 15 %. En effet, non seulement le solde d’opinions favorables des ménages interrogés sur l’opportunité d’épargner est positif sans interruption depuis 2019, mais il se situe depuis l’été 2020 au-dessus de sa moyenne de long terme (2019-2025), qui est de 19 points. Au mois d’octobre 2024, le Haut Conseil des finances publiques avait ainsi noté :

« La prévision du Gouvernement suppose, au motif d’une baisse de l’inflation perçue par les ménages, un repli de leur taux d’épargne, favorable aux dépenses de consommation en 2025 : ce repli du taux d’épargne, déjà attendu par le Gouvernement pour 2024, est possible en 2025, mais les indicateurs avancés, comme la part des ménages estimant qu’il est opportun d’épargner à son plus haut niveau historique en septembre, ne l’annoncent pas. » ([410])

L’indicateur précité établit même au mois de février 2025 un nouveau record historique en atteignant 43 points.

L’opportunitÉ d’Épargner selon les mÉnages français

Source : INSEE

Dès lors, l’hypothèse du Gouvernement, maintenue lors de l’actualisation au mois de janvier dernier du scénario macroéconomique sous-jacent au projet de loi de finances pour 2025, selon laquelle la consommation des ménages serait le principal moteur de la croissance mérite d’être considérée avec circonspection. Le Gouvernement paraît en revanche fondé à faire l’hypothèse d’un maintien du taux d’épargne au niveau historiquement élevé de 18 %, alors qu’il anticipait un reflux à 17,6 % à l’automne.

 

 


II.   L’imposition sur le revenu : un manque de fiabilitÉ des sous‑jacents macroÉconomiques utilisÉs

1.   En 2023 et 2024, les prévisions de recettes de l’impôt sur le revenu (IR) ont été surestimées

Alors que le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 estimait à 90,7 milliards d’euros les recettes d’IR pour l’année 2023, le PLF pour 2025 fait état de recettes effectives de 88,6 milliards d’euros, représentant une surévaluation de 2,1 milliards d’euros.

Pour l’exercice 2024, le PLF pour 2024 prévoyait des recettes d’IR de 94,1 milliards d’euros, marquant une hausse de 7,2 milliards d’euros par rapport aux prévisions de recettes de 2023 inscrites dans le PLF pour 2023 (+ 7,7 %) ; une hausse particulièrement importante alors que les premiers signes d’un moindre dynamisme économique et d’une plus faible inflation étaient déjà perceptibles ([411]). Cette prévision s’est également révélée surestimée, conduisant à un réajustement en PLF pour 2025 à 88,1 milliards d’euros, soit une révision à la baisse de 6 milliards d’euros. Au total, les recettes d’IR en 2024 devraient être inférieures à celles perçues en 2023 (88,6 milliards d’euros).

Évolution des prÉvisions du produit de l’IR

(en milliards d’euros)

 

PLF 2024

PLF 2025

Écart

 

Prévision actualisée 2023

Prévision initiale 2024

Exécution 2023

Prévision actualisée 2024

2023

2024

Prévision de recettes de l’IR

90,7

94,1

88,6

88,1

-2,1

-6

Source : projets de loi de finances pour 2024 et 2025.

2.   Ces écarts s’expliquent principalement par un plus faible dynamisme économique, conduisant à surestimer la croissance des salaires

Les écarts observés dans les prévisions de recettes de l’IR en 2023 et 2024 résultent principalement d’une révision des sous-jacents macroéconomiques et des remontées comptables liés aux revenus perçus l’année précédant l’imposition.

Ainsi, l’évolution moins rapide que prévu de la masse salariale a eu un effet majeur sur les recettes d’IR en 2023 et en 2024. Un écart d’un point sur l’évolution des salaires brut conduit mécaniquement à un écart d’un milliard d’euros au titre du prélèvement à la source de l’IR ([412]). Pour l’exercice 2024, sur les 6 milliards d’euros de moins‑value entre les prévisions de recettes d’IR inscrites en PLF pour 2024 et celles révisées en PLF pour 2025, 3,6 milliards d’euros s’expliquent par une réévaluation de la masse salariale compte tenu des remontées comptables. Plus précisément :

– 2,7 milliards d’euros sont imputables à une moindre croissance des revenus réels et des plus-values mobilières en 2023 ;

– 0,5 milliard d’euros résulte de la baisse des taux du barème du prélèvement à la source pour certains contribuables, ajustés en septembre 2024 sur le fondement de la déclaration des revenus 2023 ;

– 0,4 milliard d’euros provient de la hausse des recouvrements pour émissions antérieures, en lien avec les ajustements comptables.

Enfin, la prévision erronée des recettes d’IR 2023 conduit mécaniquement à un ajustement plus important des prévisions pour celles de l’exercice 2024. Ainsi, une moins-value de 2,1 milliards d’euros en 2024 résulte directement de la reprise en base négative de la surévaluation observée entre les PLF pour 2024 et 2025.

Ainsi, la révision des prévisions de recettes d’IR n’intervient que tardivement, une fois les revenus effectivement perçus connus et le niveau définitif de recettes de l’exercice précédent établi.

3.   Une surévaluation des recettes d’IR qui risque de se reproduire en 2025

Les recettes d’IR 2025 prévues par le PLF pour 2025 déposé en octobre dernier apparaissent une nouvelle fois élevées au regard du faible dynamisme économique. Elles sont estimées à 93,8 milliards d’euros, soit une hausse de 5,7 milliards d’euros par rapport aux recettes prévues pour 2024 (+ 6,5 %). De surcroît, à la différence de l’IS et de la TVA, dont les prévisions ont été revues à la baisse lors de l’examen du PLF pour 2025, celles de l’IR ont, au contraire, été rehaussées à 94,5 milliards d’euros par un amendement du Gouvernement à l’article d’équilibre lors de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le PLF pour 2025 ([413]), portant ainsi l’écart avec 2024 à 6,4 milliards d’euros (+ 7,3 %).

Ces prévisions peuvent soulever un certain scepticisme au regard des surestimations constatées les deux années précédentes. La même mécanique semble engagée, cette progression étant censée résulter notamment d’une hausse de 5,1 milliards d’euros de la masse salariale en 2025 ([414]). Or, cette hypothèse apparaît fragilisée par une inflation faible, une hausse du nombre de demandeurs d’emploi et une consommation des ménages encore fragile. De plus, le réajustement des recettes d’IR en 2024 devrait entraîner une reprise en base négative, sur le modèle de celle effectuée dans le PLF pour 2025 pour l’exercice 2024.

4.   Une modification de la méthodologie utilisée pour calculer les sous-jacents macroéconomiques des revenus composant l’assiette de l’IR permettrait d’ajuster plus rapidement les prévisions de recettes correspondantes

La prévision de recettes d’IR repose sur une estimation des différents types de revenus, chacun étant associé à un sous-jacent macroéconomique spécifique.

Sous-jacents macroÉconomiques utilisÉs par revenus catÉgoriels

Revenu catégoriel

Sous-jacent macroéconomique

Traitements et salaires

Masse salariale totale hors primes exceptionnelles

Pensions de retraite

Retraites privées et CAS pensions

Allocations chômage

Nombre de chômeurs

Bénéfices industriels et commerciaux

Excédent brut d’exploitation des sociétés non financières et des entreprises individuelles

Bénéfices non commerciaux

Indice des prix à la consommation santé

Bénéfices agricoles

Produit intérieur brut en valeur

Revenus fonciers

Indice de référence des loyers

Revenus des capitaux mobiliers

Évolution des dividendes et des intérêts

Plus-values mobilières

Évolution du CAC 40

Plus-values immobilières

Évolution du marché immobilier (prix/volume)

Source : direction générale du Trésor.

● Certains revenus, comme ceux issus de l’immobilier ou du capital, sont relativement stables dans le temps, fondés sur des sous-jacents macroéconomiques pertinents, tel que l’indice de référence des loyers s’agissant des revenus fonciers. Toutefois, les sous-jacents macroéconomiques de certaines autres catégories de revenus apparaissent inadaptés, pouvant conduire à des prévisions erronées, tels que :

– les bénéfices industriels et commerciaux (BIC), dont le sous-jacent économique est l’excédent brut d’exploitation (EBE) des sociétés non financières et des entreprises individuelles, un indicateur qui pose les mêmes difficultés que celles rencontrées pour les prévisions de recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) ([415]). L’abandon de ce sous-jacent au profit d’une nouvelle méthode de calcul s’avère donc nécessaire. Une réflexion pourrait être menée autour de l’utilisation du résultat brut d’exploitation par secteurs d’activités ou des recettes déclarées aux organismes fiscaux et sociaux ajustées selon les données macroéconomiques disponibles ;

– les bénéfices non commerciaux (BNC), qui sont évalués sur le fondement de l’indice des prix à la consommation (IPC) appliqué au secteur de la santé, interrogent quant à la fiabilité de leur prévision. En effet, les BNC ne recouvrent pas seulement les professions médicales en activité libérale, mais aussi les titulaires de charges (avocats, notaires, huissiers, greffiers des tribunaux de commerce), les particuliers bénéficiant de droits d’auteur ainsi que les gérants de société soumis à l’IR. Un élargissement du sous-jacent macroéconomique utilisé apparaît donc nécessaire. Il pourrait ainsi s’agir d’utiliser l’indice du chiffre d’affaires des professions libérales publié chaque année par l’INSEE ou de s’appuyer sur les déclarations fiscales des indépendants des années précédentes pondérées en fonction des tendances macroéconomiques récemment observées ;

– les bénéfices agricoles, qui sont calculés sur le fondement du produit intérieur brut (PIB) en valeur, un choix questionnant la justesse des prévisions de ce revenu. Les indicateurs dont dispose le ministère de l’Agriculture sur l’évolution du revenu agricole apparaissent davantage pertinents.

Recommandation n° 3 : modifier les sous-jacents macroéconomiques utilisés pour calculer les prévisions des BIC, des BNC et des bénéfices agricoles.

● Il reste que ces revenus ne constituent qu’une part limitée du produit total de l’IR, la majorité provenant des traitements et salaires ([416]) dont l’évolution est estimée à partir de la masse salariale totale hors primes exceptionnelles. Dès lors, une surestimation de cette dernière entraîne des écarts significatifs dans les prévisions de recettes, comme ce fut le cas en 2023 et plus encore en 2024.

Il apparaît donc souhaitable d’adapter plus rapidement les prévisions de masse salariale en s’appuyant sur les premières remontées d’informations disponibles.

Une approche plus réactive pourrait consister à ajuster les prévisions d’évolution de la masse salariale en fonction des recettes de cotisations sociales collectées chaque mois par les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) ([417]). Une concertation avec les URSSAF, en coordination avec la direction de la sécurité sociale (DSS) permettrait de définir une méthodologie transposant ces données à l’assiette de l’IR afin d’actualiser les prévisions de recettes mensuellement.

Concernant les travailleurs indépendants, il pourrait être envisagé un ajustement trimestriel basé sur l’évolution de leurs cotisations retraites, en lien avec les caisses de retraite.

Recommandation n° 4 : s’appuyer sur les recettes de cotisations sociales collectées chaque mois par les URSSAF afin de calculer l’évolution de la masse salariale.


III.   les prÉvisions de recettes de l’impÔt sur les sociÉtÉs : des erreurs rÉcurrentes et de grande ampleur dÉcoulant de l’utilisation d’un indicateur inadaptÉ, l’excÉdent brut d’exploitation

1.   L’incapacité à prévoir l’évolution du bénéfice fiscal des entreprises

Les recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) ont été fortement surestimées à plusieurs reprises :

– une première fois au cours de l’exercice 2023, où le produit de l’IS s’est établi à un niveau inférieur de 4,5 milliards d’euros par rapport à la prévision figurant dans le PLF pour 2024 (soit un écart de 7,3 % par rapport à cette même prévision) ;

– une seconde fois au cours de l’exercice 2024, lors duquel l’écart entre la prévision initiale du PLF pour 2024 et la prévision actualisée figurant dans le PLF pour 2025 a atteint un niveau inédit de 14,5 milliards d’euros (ce qui correspond à un écart de 20,1 %).

Évolution des prÉvisions du produit de l’IS

(en milliards d’euros)

 

PLF 2024

PLF 2025

Écart

 

Prévision actualisée 2023

Prévision initiale 2024

Exécution 2023

Prévision actualisée 2024

2023

2024

Prévision de recettes de l’IS

61,3

72,2

56,8

57,7

- 4,5

- 14,5

Source : Direction générale du Trésor.

Ces écarts trouvent leur origine dans les grandes difficultés rencontrées pour estimer l’évolution du bénéfice fiscal (BFI) des sociétés pour les années 2022 (BFI 2022), 2023 (BFI 2023) et 2024 (BFI 2024).

Le BFI 2022, initialement estimé à + 4 % par rapport au BFI 2021 par la direction générale du Trésor (DGT) dans le cadre des budgets économiques d’hiver (BEH) 2023, a été révisé à la hausse dès le PSTAB 2023 pour être porté à + 7 %. Il a été revu à la baisse à l’été 2023 (+ 2 %) avant de finalement s’établir à + 3,5 %, selon les données retenues dans le cadre du PLF pour 2024 et des budgets économiques d’hiver (BEH) 2024.

Le BFI 2023 avait été initialement estimé à + 8 % lors du PLF pour 2023 avant d’être porté à + 14 % lors de l’examen PLF pour 2024. L’estimation du BFI 2023 a ensuite été ramenée à + 2 % lors des BEH 2024, avant d’être encore une fois minorée de manière définitive à + 1 % à l’été 2024, à la suite de la réception du solde de l’impôt sur les sociétés.

Le BFI 2024 était estimé à + 4 % lors de l’examen du PLF pour 2024 : cette estimation a ensuite été progressivement minorée pour atteindre – 2 % lors de l’examen du PLF pour 2025.

Évolution des estimations du bÉnÉfice fiscal des sociÉtÉs


Source : Rapporteur général, d’après les données de la direction générale du Trésor.

La mauvaise estimation du BFI 2023 explique la majorité de l’erreur de prévision du produit de l’IS en 2023. C’est en effet lors de la perception du 5ème acompte en décembre 2023 – versé en fonction des anticipations que font les entreprises de leurs bénéfices pour l’année en cours ([418]) – que les recettes d’IS se sont révélées bien inférieures à la prévision.

Pour l’année 2024, la mauvaise estimation du BFI 2023 explique également plus de 85 % des écarts par rapport à la prévision initiale.

Ventilation de la rÉvision de prÉvision du produit de l’iS pour l’annÉe 2024

Origine

Montant de l’écart par rapport à la prévision

BFI 2022

+ 0,9 Md €

BFI 2023

- 12,5 Md €

BFI 2024

- 2 Md €

Autres

- 0,7 Md €

Total

- 14,3 Md €

Source : Rapporteur général, d’après les données de la direction générale du Trésor.

2.   Des erreurs qui découlent d’une méthode de prévision fragile et « hors‑sol »

La volatilité et l’imprécision des prévisions portant sur l’assiette de l’IS résultent de deux types de difficultés.

● La première, qui concerne principalement l’année 2023, a trait à l’insuffisante justification des hypothèses macroéconomiques retenues pour bâtir les prévisions figurant dans le PSTAB. Ce fut particulièrement le cas pour les prévisions du produit de l’IS figurant dans le PSTAB 2023, qui ont été majorées de 12,1 milliards d’euros par rapport aux hypothèses de la loi de finances pour 2023. Cette majoration s’explique, selon la DGT, par une révision du BFI 2022 et du BFI 2023 de + 3 points par rapport aux estimations qui avaient été réalisées seulement deux mois plus tôt dans le cadre des BEH 2023.

Interrogée par le rapporteur général sur les raisons qui avaient conduit à réaliser cet ajustement, la DGT n’a pas fourni d’explication satisfaisante, se contentant d’affirmer que le BFI avait été révisé à la hausse « notamment en raison de l’augmentation de l’excédent brut d’exploitation des sociétés non financières (0 % à 1,5 %) ».

Alors que la LFI pour 2023 proposait une estimation qui s’est finalement révélée proche de l’exécution, l’optimisme du Gouvernement à l’occasion de la publication du PSTAB 2023 explique en grande partie la « mauvaise surprise » portant sur les recettes d’IS plus faibles qu’attendu en fin d’année 2023.

Évolution des prÉvisions d’IS pour l’annÉe 2023 et exÉcution

Source : documents budgétaires.

 La seconde difficulté revêt un caractère plus structurel et découle d’importantes faiblesses méthodologiques.

L’évolution du bénéfice fiscal et la projection des encaissements d’IS sont déterminées, selon la DGT, « en fonction d’indicateurs macroéconomiques ». En réalité, ces prévisions sont réalisées en partant de manière quasi exclusive des hypothèses d’évolution, d’une part, de l’excédent brut d’exploitation (EBE) des sociétés financières et, d’autre part, de l’EBE des sociétés non financières.

Les soldes intermédiaires de gestion

Les différents soldes intermédiaires de gestion des entreprises sont les suivants :

– la valeur ajoutée permet de mesurer la richesse brute créée par une entreprise :

VA = marge commerciale + production de biens et services – consommations de l’exercice

– l’excédent brut d’exploitation (EBE) permet de déterminer le niveau de richesse dégagé par une entreprise grâce à son seul cycle d’exploitation :

EBE = VA + subventions d’exploitation – impôts, taxes et charges

– le résultat d’exploitation mesure la performance de l’activité de l’entreprise, sans tenir compte de sa politique financière :

RE = EBE + autres produits d’exploitation – dotations aux amortissements et provisions – autres charges d’exploitation

– le résultat comptable de l’entreprise mesure les ressources nettes de l’entreprise en fin d’exercice :

RC = RE + résultat financier et exceptionnel

– le résultat fiscal est enfin obtenu en appliquant les règles d’assiette applicables :

RF = RC + réintégrations extra-comptables - déductions extra-comptables

Les banques utilisent toutefois une comptabilité un peu différente. Leurs résultats sont retracés en partant du produit net bancaire (PNB), qui reflète les produits et les charges issus des activités d’intermédiation sur dépôts et crédits, de prestations de service à la clientèle ainsi que des activités de marché et d’investissement.

Les banques calculent ensuite leur résultat brut d’exploitation en soustrayant au PNB les frais généraux, composés des charges de personnel et des dotations aux amortissements et aux dépréciations des immobilisations ([419]) .

Le résultat avant impôt est ensuite calculé en retranchant le coût du risque (c’est-à-dire les provisions sur créances irrécupérables) et en ajoutant les gains ou pertes sur actifs immobilisés.

Pour 2024, la DGT a indiqué au rapporteur qu’une part importante des erreurs de prévision était imputable à la situation fiscale d’EDF et de CMA CGM. Les bons résultats de ces deux entreprises en 2023 ont en effet tiré vers le haut l’EBE des sociétés non financières ; leurs profits ont toutefois été relativement peu taxés pour deux raisons distinctes :

– EDF, qui avait enregistré un déficit de plus de 30 milliards d’euros en 2022, dispose d’importantes capacités de reports lui permettant de diminuer son assiette imposable ([420]). En 2023 et malgré un profit atteignant près de 10 milliards d’euros, 1,79 milliard d’euros ont ainsi pu être déduits de son bénéfice fiscal ([421]) (ce qui, toutes choses égales par ailleurs, représente un montant d’IS dû inférieur d’environ 550 millions d’euros au montant qui aurait été exigible en l’absence de déficits reportables) ;

– CMA CGM bénéficie du régime d’imposition dérogatoire de la taxe au tonnage ([422]), lui permettant de déterminer de manière forfaitaire une partie de son résultat en fonction du tonnage net de sa flotte de navires armés au commerce. Ainsi, en dépit d’un résultat avant impôt de plus de 4 milliards d’euros au titre de l’année 2023, CMA CGM ne s’est acquitté que d’environ 100 millions d’euros d’impôt sur les bénéfices ([423]).

S’il est regrettable que ces deux cas particuliers n’aient pas été pris en compte pour ajuster les prévisions d’évolution du bénéfice fiscal, ils ne permettent pas d’expliquer à eux seuls le « dérapage » des recettes d’IS en 2024. L’application du régime de taxation au tonnage et les reports de déficit d’EDF sont tout au plus à l’origine d’1,5 milliard d’euros de moindres recettes en 2024 par rapport aux prévisions du PLF pour 2024.

Le rapporteur général considère que la surestimation des recettes de l’impôt sur les sociétés n’est pas un accident ponctuel qui résulterait de la mauvaise appréciation de la situation individuelle de quelques entreprises. Cette erreur traduit plutôt un défaut structurel du modèle de prévision de la DGT, qui repose sur un indicateur insuffisamment précis pour anticiper l’évolution du bénéfice fiscal des entreprises.

En effet, l’EBE est un solde qui est du point de vue comptable relativement éloigné du bénéfice fiscal. Pour passer de l’EBE au bénéfice fiscal, il faut tenir compte du résultat financier, puis du résultat exceptionnel et enfin des divers retraitements extracomptables (déductions et réintégrations fiscales) prévus par le code général des impôts.

Sur le plan empirique, ce lien distendu s’observe aisément en comparant l’évolution de l’EBE (reconstitué à partir des liasses fiscales ou issues des comptes nationaux) et celle du bénéfice des sociétés non financières. Le BFI est ainsi beaucoup plus volatil que l’EBE calculé par l’Insee. Il n’est de surcroît pas rare que ces deux soldes n’évoluent pas dans le même sens (notamment en 2016 et surtout en 2023, année au cours de laquelle la croissance de l’EBE a accéléré tandis que la croissance du BFI a continué à ralentir).

Chronique de l’évolution du BFI issu des liasses, de l’EBE de l’Insee
et d’un ebe reconstruit à partir des liasses fiscales entre 2010 et 2023

Source : Direction générale du Trésor.

L’EBE est en outre un indicateur qui ne permet pas de bien saisir la situation des sociétés financières, car l’activité des banques s’analyse, du point de vue comptable, sous l’angle du produit net bancaire ou du résultat brut d’exploitation (cf. supra), tandis que celle des sociétés d’assurance est retracée dans plusieurs comptes permettant de distinguer leurs activités d’assurance vie et d’assurance non vie.

Les prévisions du BFI 2023 pour les sociétés financières ont ainsi été largement révisées entre le PLF pour 2024 (+ 6 %) et le PLF pour 2025 (-15 %), en raison d’une mauvaise anticipation des effets produits par la remontée des taux d’intérêt sur le résultat des banques au niveau national.

3.   Des prévisions qui doivent être davantage fondées sur des informations provisoires transmises par les grandes entreprises au ministère de l’économie et des finances

Pour tirer les leçons des difficultés rencontrées en 2024, la DGT a indiqué au rapporteur général qu’elle conduira davantage d’analyses branche par branche lors de ses exercices de prévision ultérieurs. Le rapporteur considère qu’il est nécessaire de procéder à un ajustement méthodologique plus significatif et de se détacher davantage de l’EBE afin de réduire les marges d’erreurs des prévisionnistes.

Il serait ainsi tout à fait envisageable d’exiger des grandes entreprises ([424]) – qui représentent environ un tiers du produit de l’IS – de transmettre au ministère de l’économie une information périodique sur leurs résultats au niveau national ainsi que leurs anticipations concernant l’évolution de leur bénéfice. Ces éléments seraient de nature à compléter les analyses macroéconomiques réalisées par la DGT et à fiabiliser les projections servant à estimer le produit de l’IS ([425]).

La transmission de telles données – qui n’auraient pas vocation à être rendues publiques – ne poserait a priori pas de grandes difficultés dans la mesure où la plupart des grandes entreprises publient déjà de leur propre initiative leurs résultats trimestriels consolidés au niveau mondial. En outre, les sociétés cotées ont quant à elles l’obligation de transmettre à l’Autorité des marchés financiers un rapport semestriel sur leurs comptes consolidés ([426]).

Le comité scientifique installé le 14 novembre 2024 par le Gouvernement a d’ailleurs formulé des recommandations qui rejoignent celle du rapporteur général : ce comité préconise ainsi d’identifier quelques entreprises importantes pour suivre plus précisément les variations d’acomptes d’IS et, pour un sous‑ensemble d’entreprises, de demander une prévision de leur bénéfice fiscal en France avec les deux derniers acomptes.

Recommandation n° 5 : adapter la méthode de prévision du produit de l’IS en collectant les résultats trimestriels nationaux des grandes entreprises et leurs anticipations s’agissant de l’évolution de leurs bénéfices.

4.   Une prévision du produit de l’IS davantage crédible pour 2025

Les prévisions du produit de l’IS pour l’exercice 2025 ont dès la publication du PLF pour 2025 semblé plus raisonnables que celles pour les deux années précédentes figurant dans le PLF pour 2024. Le Gouvernement semble avoir pris acte de la stagnation voire de la légère baisse du bénéfice fiscal en estimant que les recettes d’IS s’élèveraient à 56,2 milliards d’euros ([427]), soit un niveau proche des dernières prévisions pour 2024 (57,7 milliards d’euros) ou de l’exécution 2023 (56,8 milliards d’euros) – ce chiffre de 56,2 milliards d’euros n’incluant pas par ailleurs le produit de la surtaxe d’IS instaurée par le PLF pour 2025, qui est estimé à 8 milliards d’euros.

Ces prévisions ont été révisées lors de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire au début du mois de février 2025, pour tenir compte de l’évolution des hypothèses macroéconomiques retenues, notamment la baisse de la prévision de croissance. L’amendement déposé par le Gouvernement à l’article d’équilibre ([428]) a ainsi minoré les recettes d’IS de 3,2 milliards d’euros, pour ramener le produit prévisionnel de l’IS pour 2025 à 53 milliards d’euros ([429]). Le rapporteur général considère que cette prévision est très prudente et cohérente avec la tendance à l’œuvre depuis le début de l’année 2023.


IV.   les prÉvisions de recettes de TVA surestimées en raison de l’inadaptation du modÈle ÉconomÉtrique utilisÉ et d’un manque de concertation

S’agissant des évaluations de recettes fiscales, des erreurs très importantes ont été commises sur la prévision de TVA, et ce de manière répétée. Pourtant, il s’agit d’une recette qui se caractérise traditionnellement par « son dynamisme et sa bonne prévisibilité » ([430]) : son taux d’exécution par rapport aux prévisions de loi de finances initiale a été, chaque année, supérieur à 98 % entre 2015 et 2019.

A.   des erreurs importantes

1.   Les erreurs commises pour 2023 et 2024

Le tableau ci-dessous reprend les prévisions de recettes de TVA nettes réalisées dans le cadre des PLF pour 2024 et 2025, en comptabilité nationale, concernant les années 2023 et 2024.

Évolution des prÉvisions du produit de la TVA

(en milliards d’euros)

 

PLF 2024

PLF 2025

Écart

 

2023

2024

2023

(exécution)

2024

2023

2024

Prévision de recettes de TVA (toutes APU)

208,7

218,9

205,0

207,6

- 3,7

- 11,3

Source : direction générale du Trésor.

Les erreurs commises ont été importantes et se sont répétées :

– pour 2023, le produit prévu pour la TVA nette était de 212,3 milliards d’euros en LFI pour 2023, révisé à 208,7 milliards d’euros en PLF pour 2024, puis à 205 milliards d’euros en PLF pour 2025. Cela représente, entre la LFI pour 2023 et le PLF pour 2025, un écart de plus de 7 milliards d’euros, soit 3,4 % ;

– pour 2024, l’erreur a été plus importante, et sur une durée moindre : le montant de 218,9 milliards d’euros prévu en PLF pour 2024 a été abaissé à 207,6 milliards d’euros en PLF pour 2025, soit un écart de 11,3 milliards d’euros, c’est-à-dire plus de 5 %.

2.   Des erreurs qui pourraient se reproduire en 2025, malgré des corrections intervenues en cours d’examen du PLF pour 2025

De plus, il est à craindre que l’administration n’ait, à nouveau, péché par excès d’optimisme dans ses prévisions figurant en PLF pour 2025.

En effet, s’agissant de la TVA nette revenant à l’État, celui-ci indiquait qu’elle devrait passer de 96,1 milliards en 2024 à 106,2 milliards d’euros en 2025 ([431]), c’est-à-dire une hausse de plus de 10 milliards d’euros, soit de 10,5 %, qui ne semble pas réaliste.

Il faut rappeler que la prévision des recettes totales de la TVA nette était, en comptabilité budgétaire, de 216,2 milliards d’euros en PLF pour 2025, soit une hausse de 2,9 % par rapport à 2024 ; dans la mesure où les contributions à la sécurité sociale – de 57,5 milliards d’euros – et aux collectivités territoriales – de 52,5 milliards d’euros – sont gelées en 2025, la totalité de la hausse de ces recettes devait revenir à l’État.

Au demeurant, l’amendement ([432]) du Gouvernement à l’article d’équilibre adopté par le Sénat en première lecture du PLF pour 2025 a ensuite intégré une actualisation des prévisions de TVA, entraînant une diminution des recettes de 1,2 milliard d’euros, en raison de la reprise en base de calcul pour 2025 des remontées comptables constatées à fin septembre 2024.

Puis, lors de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le PLF pour 2025 le 3 février dernier, la prévision de recettes de TVA nette revenant à l’État pour l’année 2025 a été à nouveau revue à la baisse par un amendement du Gouvernement ([433]) ; elle a ainsi été ramenée à 101,4 milliards d’euros, soit 4,8 milliards d’euros de moins que la prévision figurant dans le PLF pour 2025 déposé en octobre, mais 5,3 milliards d’euros de plus qu’en 2024, correspondant à une hausse de 2,2 % de la TVA totale. Or la forte décélération de l’inflation et la faible propension à consommer pourraient entraîner une croissance encore plus faible de la TVA.

B.   des causes qui auraient pu être anticipÉes

Plusieurs éléments auraient dû conduire l’administration à anticiper ces évolutions.

1.   Une prise en compte insuffisante des remontées mensuelles

Tout d’abord, l’administration dispose de remontées très régulières sur le produit de la TVA au fil de l’année :

– des données hebdomadaires sont élaborées au sein du ministère ;

– des données mensuelles sont publiées dans le cadre de la situation mensuelle de l’État, disponible sur internet ([434]).

Le graphique suivant indique l’évolution mensuelle de la part des recettes nettes de TVA revenant à l’État en 2022, 2023 et 2024.

Cumul mensuel de la part État des recettes nettes de TVA de 2022 À 2024

(en millions d’euros)

Source : Rapporteur général, d’après les données de la direction générale des finances publiques.

L’examen de ces données met en évidence que les résultats décevants de la TVA auraient pu être anticipés, en 2023 comme en 2024, dès le mois de juin.

Recommandation n° 6 : tenir compte, dès leur réception, des remontées mensuelles de recettes de TVA dans l’élaboration des prévisions annuelles.

2.   Les limites d’un modèle économétrique anticipant à tort une diminution du taux d’épargne des ménages

Toutefois, ces erreurs trouvent leur source principale dans le modèle économétrique utilisé par la direction générale du Trésor pour élaborer ses prévisions. Ce modèle, dénommé « Opale », est un modèle keynésien, fondé sur l’hypothèse d’une stabilité des comportements économiques.

Or les économistes ont relevé que la consommation des ménages n’avait pas autant rebondi que ce que l’on aurait pu attendre au vu notamment de l’évolution du pouvoir d’achat après la crise du Covid. Il semble, en particulier, que la hausse de l’inflation à partir de 2022 a entraîné un changement du comportement des ménages, qui ont conservé une propension à l’épargne supérieure aux anticipations, entraînant une relative stagnation de la consommation.

Aussi, contrairement aux prévisions du modèle utilisé par la direction générale du Trésor, l’épargne des ménages est demeurée à un niveau élevé, entre 17 % et 18 %, contre 14,5 % en 2019 : pour l’année 2023, alors que le PLF pour 2023 anticipait une baisse de cette épargne de 0,4 %, elle a finalement augmenté de 0,1 % ([435]). En 2024, le taux d’épargne des ménages a encore augmenté, atteignant 18,0 % du revenu brut disponible au deuxième trimestre 2024, alors qu’il était de 16,9 % au deuxième trimestre 2023 ([436]).

À l’inverse, la consommation privée a été bien moins dynamique qu’attendu :

– en 2023, elle a augmenté de 0,7 % en volume, alors que le PLF pour 2023 avait prévu une hausse de 1,4 % ;

– en 2024, alors que le PLF pour 2024 avait prévu une hausse de la consommation privée de 1,8 % en 2024, celle-ci a été révisée à 0,7 % en PLF pour 2025.

Ce changement de comportement par rapport aux tendances antérieures n’a pas été anticipé ni, en conséquence, modélisé.

Pourtant, cela aurait été possible, puisque les versions du modèle antérieures à 2017 incluaient bien une corrélation entre l’inflation et l’épargne des ménages ; mais cette corrélation a ensuite été jugée non pertinente. Un document intitulé « La maquette de prévision Opale 2017 » le démontre, puisqu’il précise : « la variable d’inflation ne joue plus sur le niveau du taux d’épargne de long terme, contrairement à la spécification retenue dans la précédente version du modèle Opale. Les effets d’encaisse réelle, par lesquels, toutes choses égales par ailleurs, les ménages épargnaient davantage pour compenser une hausse de l’inflation, n’apparaissent plus pertinents. Il est en effet possible que le comportement des ménages ait effectivement évolué sur ce point par rapport aux années 1980, qui ne figurent plus dans la période d’estimation, étant donné les évolutions majeures de la politique monétaire et des anticipations d’inflation depuis cette époque » ([437]).

On ne peut que déplorer que le retour massif de l’inflation en 2022 n’ait pas conduit à réintégrer cette corrélation dans le modèle.

Recommandation n° 7 : anticiper les conséquences sur les recettes fiscales, en particulier la TVA, des changements structurels de comportement des acteurs économiques en modifiant les paramètres du modèle Opale.

À ce sujet, le rapporteur général relève que la méthode utilisée pour établir les recettes prévisionnelles de TVA présente probablement une complexité excessive. En effet, selon les informations qui lui ont été communiquées, la direction générale du Trésor procède de la manière suivante :

– elle réalise, en premier lieu, à une ventilation de l’assiette de la TVA par emploi (consommation des ménages, consommation intermédiaire, investissement) et par secteur institutionnel (ménages, entreprises, administrations publiques) et identifie les contributions respectives de chacun aux recettes de TVA ;

– ensuite, elle estime la croissance des emplois taxables et identifie d’éventuelles déformations de la composition de la consommation des ménages, en particulier entre des biens et des services assujettis à des taux de TVA différents ;

– enfin, elle tient compte des recouvrements et des dépôts de demandes de remboursement effectuées afin d’affiner sa prévision.

Le rapporteur général souligne que cette méthode, complexe, présente de nombreuses étapes, ce qui multiplie les approximations et les risques d’erreur. S’appuyer sur l’évolution de la seule consommation des ménages s’avérerait certainement une méthode moins risquée.

3.   Une compréhension insuffisante des déterminants des demandes de remboursements

Un autre facteur d’erreurs dans les prévisions de recettes de TVA provient de la mauvaise compréhension des déterminants des demandes de remboursements. En effet, les entreprises soumises à la TVA déclarent l’impôt qu’elles perçoivent sur leurs clients et peuvent, en contrepartie, déduire de la TVA qu’elles ont collectée celle qu’elles ont payée sur les achats réalisés pour les besoins de leur activité. Lorsque le montant de la TVA à déduire est supérieur au montant de la TVA collectée, l’entreprise bénéficie d’un crédit de TVA, qu’elle peut choisir de reporter ou de se faire rembourser par l’administration fiscale.

Depuis 2015, et en particulier avec la crise sanitaire, beaucoup d’entreprises ont, en effet, accumulé une trésorerie confortable, ce qui a peut-être entraîné une hausse du stock de crédits de TVA et une lenteur dans la mobilisation de ceux-ci.

stock des crÉdits de TVA reportÉs

(moyenne mobile sur trois mois, en milliards d’euros)

Source : direction générale des finances publiques.

Sur ce sujet, il conviendrait de réviser une hypothèse utilisée par l’administration, qui établit un lien entre les demandes de remboursement et le niveau des taux d’intérêt, la hausse des taux d’intérêt augmentant le coût d’opportunité, pour les entreprises, de différer la mobilisation de leurs créances de TVA. En effet, cette hypothèse n’a pas été vérifiée en 2024, année durant laquelle les dépôts de demandes de remboursement sont restés stables alors que les taux d’intérêt diminuaient.

Le 3 mars dernier, le ministre de l’Économie et la ministre des comptes publics ont annoncé le lancement d’une mission d’audit pour mieux comprendre le comportement des entreprises dans le dépôt des demandes de remboursement de TVA. Cette mission devra étudier sérieusement les facteurs influençant le dépôt de ces demandes et déterminer le poids exact du niveau des taux d’intérêt.

De plus, il conviendrait que le ministère reprenne à son compte la recommandation formulée par le comité scientifique installé le 14 novembre 2024, qui soulignait la nécessité de suivre régulièrement, à partir des déclarations de TVA, le stock agrégé de créances de TVA exigibles par les entreprises et l’évolution de leur taux de remboursement.

Recommandation n° 8 : assurer un suivi régulier du stock de créances de TVA.

4.   Une mauvaise compréhension du rôle des composantes de la croissance

Afin d’expliquer les écarts entre les prévisions de recettes de TVA et les recettes effectives, la direction générale du Trésor a invoqué un effet lié à la composition de la croissance. Selon elle, ces écarts s’expliqueraient, en partie, par la hausse des exportations.

Pourtant, s’il est vrai que les exportations sont bien exonérées de TVA, il n’existe aucune relation entre la hausse des exportations et la baisse de la consommation des ménages : ce n’est pas parce que l’on exporte plus, que l’on consomme moins.

5.   Un manque d’association des parties prenantes

De plus, pour mieux anticiper les recettes de TVA, le Gouvernement devrait se rapprocher des réseaux commerciaux de distribution, qui peuvent fournir des aperçus essentiels sur l’évolution de la consommation, et des organismes spécialisés dans la consommation des ménages, comme Nielsen. Afin d’obtenir une prévision aussi exacte que possible, ces évaluations pourraient être fournies par la grande distribution mais aussi par les réseaux de moyenne distribution.

Recommandation n° 9 : mieux associer les acteurs de la grande et de la moyenne distribution à l’élaboration des prévisions de consommation des ménages et de TVA.

6.   Un manque de pluralisme dans l’élaboration des prévisions

De manière générale, il faut favoriser un réel pluralisme dans les prévisions de recettes, en associant des prévisionnistes du secteur public et du secteur privé. Dans le secteur public, cela concerne les estimations réalisées par les autres directions concernées – en particulier la direction générale des finances publiques et la direction de la sécurité sociale –, mais aussi l’INSEE et France Stratégie. Dans le secteur privé, des échanges devraient être prévus avec les organisations patronales, la grande distribution, le secteur bancaire, qui peuvent fournir des éléments de tendance, mais aussi des organismes tels que Coe Rexecode et l’OFCE.

Recommandation n° 10 : associer les prévisionnistes des secteurs publics et privés aux prévisions relatives aux agrégats macroéconomiques et aux recettes fiscales, en particulier de TVA.


V.   les prÉvisions de recettes de l’accise sur les tabacs : des effets de comportement sous-estimÉs

A.   des recettes surévaluées

Le produit de l’accise sur le tabac est systématiquement surestimé, année après année. L’évolution des estimations réalisées en PLFSS pour 2024 et en PLFSS pour 2025 pour les années 2023 et 2024, reproduite dans le tableau ci-dessous, en donne une illustration.

Évolution des prévisions du produit de l’accise sur les tabacs

(en milliards d’euros)

 

PLFSS 2023

PLFSS 2024

PLFSS 2025

Écart

 

2023

2023

2024

2023

(exécution)

2024

2023

2024

Prévision de recettes de l’accise sur les tabacs

14,4

13,7

13,9

13,6

13,2

- 0,8

- 0,7

Source : documents annexés aux PLFSS

Pour 2023, la prévision de 14,4 milliards d’euros inscrite en PLFSS pour 2023 a été révisée à 13,7 milliards d’euros en PLFSS pour 2024 puis 13,6 milliards d’euros en PLFSS pour 2025, soit une surestimation de 800 millions d’euros (5,6 %), entre le PLFSS pour 2023 et le PLFSS pour 2025.

Pour 2024, la prévision de 13,9 milliards d’euros inscrite en PLFSS pour 2024 a été abaissée à 13,2 milliards d’euros en PLFSS pour 2025, soit une erreur de 700 millions d’euros, c’est-à-dire 5,0 % du produit anticipé.

Ces baisses de recettes interviennent alors même que l’accise sur les tabacs a été alourdie à deux reprises, à savoir le 1er mars 2023 et le 1er janvier 2024, conformément aux dispositions votées en loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 ([438]).

Pour 2025, le PLFSS pour 2025 a prévu des recettes de 13,1 milliards d’euros, soit une baisse très légère de 0,8 %. Au vu de la tendance observée les deux années précédentes, il est très probable que cette prévision devra être revue à la baisse.

B.   Des surestimations qui ne tiennent pas compte de l’Évolution du comportement des consommateurs

Tout d’abord, les évaluations de recettes sont réalisées à consommation constante, ce qui n’est déjà pas pertinent puisque les hausses régulières de l’accise sont censées faire baisser la consommation.

De plus, ce que l’on constate n’est pas une baisse de la consommation. Après une baisse entre 2014 et 2019, la prévalence du tabagisme s’est stabilisée en 2020. Si une nouvelle baisse est intervenue entre 2021 et 2022, elle ne s’est pas prolongée en 2023 ([439]).

En revanche, on constate une baisse de la consommation légale. La hausse des taxes entraîne en fait un déplacement de la consommation du marché légal vers le marché parallèle. Une étude d’Ernst&Young de novembre 2024, commandée par Philip Morris International et Japan Tobacco International, indiquait ainsi que la part du marché parallèle était passée de 23 % à 38 % entre 2019 et 2023.

La politique menée est donc inefficace sur le plan de la santé publique et négative pour les finances publiques.


VI.   des prÉvisions erronÉes en matiÈre de finances locales tant en recettes qu’en dÉpenses

A.   Des prÉvisions de recettes fiscales locales approximatives

Le rapporteur a pu prendre connaissance des prévisions de fiscalité locale établies par la direction générale du Trésor (DGT) pour les années 2023, 2024 et 2025 à l’occasion des projets de loi de finances de chacun de ces exercices. Celles‑ci sont retracées dans le tableau ci-après.

prÉvisions de recettes de fiscalitÉ locale Établies À l’occasion des projets de loi de finances pour 2023, 2024 et 2025 (*)

(en milliards d’euros)

 

2023

2024

2025

 

PLF 2023

PLF 2024

PLF 2025

PLF 2024

PLF 2025

PLF 2025

Taxe d’habitation (TH)

3,4

3,8

4,2

4,0

3,9

4,0

Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB)

39,5

40,1

41,8

42,4

44,0

45,7

Taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB)

1,3

1,3

1,3

1,3

1,4

1,4

Cotisation foncière des entreprises (CFE)

7,8

7,9

8,1

8,3

8,7

9,1

Droits de mutation à titre onéreux (DMTO)

18,8

18,0

16,9

18,0

14,8

15,8

Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM)

8,4

8,6

8,6

9,1

9,1

9,5

Taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM)

0,9

0,9

0,9

1,0

1,0

1,1

Imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER)

1,9

1,9

2,0

2,0

2,1

2,1

Versement mobilité (VM)

10,9

11,5

11,3

12,0

12,2

12,6

Taxe spéciale sur les conventions d’assurance (TSCA)

8,8

9,0

9,2

9,3

9,9

10,2

TVA transférée aux collectivités territoriales

52,7

52,6

52,1

55,0

52,5

52,5

Fraction d’accise sur les produits énergétiques (ex-TICPE)

11,4

11,2

11,1

11,2

12,1

12,0

(*) Données présentées en comptabilité nationale à l’exception de la TEOM.

Source : Réponse au questionnaire de la direction générale du Trésor.

Le rapporteur général regrette que ces prévisions de recettes ne soient pas annexées aux projets de loi de finances à l’instar des prévisions de recettes de l’État qui font l’objet d’un rapport dédié ([440]).

Ce suivi permettrait un meilleur contrôle des finances locales par les parlementaires sans que cela ne nécessite un travail approfondi de la part des administrations puisque, selon la DGT, « toutes les recettes de fiscalité locale font l’objet d’une prévision individuelle ».

Ces informations pourraient, le cas échéant, figurer dans le rapport sur la situation des finances publiques locales annexé au projet de loi de finances de l’année, prévu par l’article 52 de la LOLF.

Recommandation n° 11 : enrichir le rapport sur la situation des finances publiques locales annexé au projet de loi de finances de prévisions portant sur les recettes de fiscalité locale pour l’exercice à venir et pour chaque impôt.

Si l’on prend dans leur totalité les prévisions de recettes des impôts locaux figurant dans le tableau précédent (hors TVA transférée) au titre des années 2023 et 2024, celles-ci s’avèrent proches des réalisations faites au moment du PLF pour 2025.

Ainsi, au titre de 2023, la somme des recettes fiscales de ce tableau prévues au moment du PLF pour 2023 équivalait à 113,1 milliards d’euros et celle anticipée au PLF pour 2025 s’établissait à 115,4 milliards d’euros, soit une différence d’environ 2 %.

De même, au titre de 2024, la somme des recettes fiscales prévues au moment du PLF pour 2024 équivalait à 118,6 milliards d’euros et celle anticipée au PLF pour 2025 s’établissait à 119,2 milliards d’euros, soit une différence de seulement 0,5 %.

L’apparente justesse de ces prévisions globales résulte en réalité d’une compensation des sous-estimations de certaines recettes fiscales par des surestimations du produit d’autres impôts locaux.

1.   Des recettes de taxe d’habitation sur les résidences secondaires qui croissent plus rapidement que prévu au titre de 2023

Alors que la DGT anticipait des recettes de taxe d’habitation (TH) de 3,4 milliards d’euros environ au moment du PLF pour 2023, cette estimation a été revue à la hausse au moment du PLF pour 2025 à 4,2 milliards d’euros, soit une hausse non négligeable de 23,5 %.

L’essentiel des recettes de cet impôt résulte de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires (THRS, 96 % des recettes de TH perçues par les collectivités territoriales ([441])), le reste relevant de la taxe d’habitation sur les logements vacants (THLV).

Le différentiel très important constaté au titre de la seule année 2023 s’explique vraisemblablement par les erreurs massives de liquidation de ces deux impôts liées aux dysfonctionnements dans la mise en œuvre du logiciel Gérer mes biens immobiliers (GMBI) destiné à moderniser le recouvrement de certains impôts locaux. Les dégrèvements consentis par l’État au titre de l’année 2023 se sont ainsi élevés au 4 octobre 2024 à 1,05 milliard d’euros pour la THRS et la THLV ([442]). Le coût a été entièrement supporté par l’État et les collectivités territoriales ont pu bénéficier des recettes supplémentaires imprévues.

2.   La sous-estimation chronique des recettes de taxe foncière sur les propriétés bâties ne tenant pas compte de l’augmentation des taux et des bases physiques

Le tableau précédent fait état de prévisions de recettes de taxe foncière sous‑évaluées en 2023 comme en 2024. En effet, les recettes de TFPB anticipées par la DGT pour les années 2023 et 2024 s’élevaient respectivement à 39,5 milliards d’euros dans le PLF pour 2023 et à 42,4 milliards d’euros dans le PLF pour 2024. Les recettes effectives s’établiraient finalement à des montants respectifs de 41,8 milliards d’euros et 44 milliards d’euros selon les estimations formulées à l’occasion du PLF pour 2025.

Dès lors, selon les chiffres de la DGT, l’écart de recettes de TFPB aux prévisions s’élève à 2,3 milliards d’euros pour la taxe foncière 2023 et à 1,6 milliard d’euros pour la taxe foncière 2024, soit une différence de l’ordre de 5,8 % pour l’exercice 2023 et de 3,8 % pour l’exercice 2024.

L’importance de ces écarts ne peut que surprendre tant l’évolution des recettes de TFPB repose sur des éléments facilement identifiables :

– la revalorisation annuelle des valeurs locatives (VL) ;

– l’évolution des taux d’imposition ;

– l’évolution du nombre de locaux.

Selon la direction générale des finances publiques (DGFiP) ([443]), la hausse des recettes de TFPB en 2023 était ainsi due à la revalorisation des VL pour 60 % de cette hausse, à l’évolution des taux pour 30 % et à celle du nombre de locaux pour 10 %.

Chacun de ces facteurs d’évolution repose sur des données bien identifiées dont il est anormal qu’elles produisent des prévisions aussi éloignées du produit effectif.

Ainsi, la revalorisation annuelle des valeurs locatives s’opère sur la base de l’évolution de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) de l’année N‑1 en ce qui concerne les locaux d’habitation et les locaux industriels ([444]) et sur des grilles tarifaires pour les locaux professionnels.

De même, si l’évolution des taux de TFPB demeure de la compétence des exécutifs locaux – dans la limite des règles de liaison des taux de la fiscalité locale –, celle-ci s’opère dans des proportions semblables d’une année à l’autre. À titre d’exemple, 82 % des communes ont reconduit leurs taux communaux de TFPB en 2024, une proportion similaire aux années précédentes : 84,7 % en 2023, 83 % en 2022, 84,6 % en 2021 ([445]). Cette régularité s’observe également pour les taux intercommunaux de TFPB.

Enfin, la construction de locaux est un facteur d’évolution facilement prévisible qui peut s’appuyer sur la délivrance des autorisations d’urbanisme.

Les prévisions de recettes de TFPB de la DGT pour 2025 apparaissent en revanche plus réalistes, en s’inscrivant en hausse de près de 4 % par rapport à 2024.

3.   Une prévision des recettes de DMTO complètement déconnectée des remontées mensuelles

À la différence du produit de TFPB, les recettes de DMTO font, elles, l’objet de sous-estimations, qui s’avèrent difficilement compréhensibles.

Les recettes de DMTO anticipées par la DGT pour les années 2023 et 2024 s’élevaient respectivement à 18,8 milliards d’euros dans le PLF pour 2023 et à 18 milliards d’euros dans le PLF pour 2024. Les recettes effectives s’établiraient finalement à des montants respectifs de 16,9 milliards d’euros et 14,8 milliards d’euros selon les estimations formulées à l’occasion du PLF pour 2025.

Selon les chiffres de la DGT, l’écart de recettes de DMTO aux prévisions s’élève donc à 1,9 milliard d’euros pour 2023 et à 3,2 milliards d’euros pour 2024, soit une différence de l’ordre de 10 % pour l’exercice 2023 et de 18 % pour l’exercice 2024.

Alors que les acteurs du secteur du logement et que les élus locaux alertaient dès le premier semestre 2023 sur la baisse constatée des recettes de DMTO, il apparaît difficilement compréhensible que les prévisions liées au PLF pour 2024 aient anticipé une stagnation du montant des DMTO entre 2023 et 2024 à 18 milliards d’euros.

Surtout, les départements et les chambres des notaires effectuent des relevés mensuels des montants de DMTO perçus dans chaque département qu’il suffit d’agréger. L’existence de données collectées régulièrement sur le terrain rend particulièrement incompréhensible l’existence de telles erreurs de prévisions en matière de recettes de DMTO.

Il convient dès lors de renforcer les prévisions de recettes de DMTO en s’appuyant sur les données mensuelles produites par les chambres départementales des notaires.

Recommandation n° 12 : produire des prévisions mensuelles de recettes de DMTO en s’appuyant sur les données des chambres départementales des notaires et rendre publiques ces prévisions.

La prévision pour 2025 d’une hausse des recettes de DMTO de l’ordre de 7 % n’apparaît en revanche pas déraisonnable compte tenu des mesures figurant dans la loi de finances pour 2025 en faveur de la construction ([446]) ainsi que la possibilité offerte aux départements d’augmenter leur taux de DMTO de 0,5 point ([447]). Cependant, l’interruption de la baisse des taux d’intérêt pourrait limiter cette reprise

4.   La hausse continue et forte de la TEOM paraît correctement prise en compte

Les données transmises par la DGT illustrent avec acuité la hausse continue des recettes de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) dont le produit s’établirait à 8,6 milliards d’euros en 2023, puis 9,1 milliards d’euros en 2024 et 9,5 milliards d’euros en 2025, soit une hausse de 10,5 % en deux ans.

En la matière, les prévisions de la DGT sont cohérentes avec l’exécution. Ce dynamisme s’explique notamment par l’indexation des bases, car l’assiette de la TEOM est celle du foncier bâti, c’est-à-dire le revenu net égal à la moitié de la valeur locative cadastrale de la propriété.

Toutefois, bien que le montant de la TEOM ne dépende pas du service rendu à chaque contribuable, le taux de TEOM doit être fixé de telle manière qu’il ne procure pas des recettes disproportionnées par rapport au montant des dépenses exposées par la collectivité locale pour assurer le service public de collecte et de traitement des déchets. Le Conseil d’État a rappelé ces exigences dans plusieurs décisions ([448]), la jurisprudence ayant ainsi établi une autorisation de disproportion de 15 % entre les recettes de TEOM et les dépenses éligibles.

5.   Une hausse du versement mobilité quelque peu sous-évaluée

Les prévisions de recettes de la DGT tendent à sous-estimer légèrement les recettes du versement mobilité (VM) qui s’avèrent particulièrement dynamiques (+ 8 % environ en 2024).

Ainsi, les prévisions de recettes de VM de la DGT au titre de l’année 2023 se sont révélées supérieures de 3,7 % au moment du PLF pour 2025 par rapport aux prévisions du PLF pour 2023.

Cette différence de prévisions s’est établie à 1,7 % pour les recettes de VM au titre de l’année 2024.

B.   Les dÉpenses des collectivitÉs locales : Des prÉvisions alarmistes en 2024 qui font suite À une sous-estimation rÉcurrente en PLF pour 2023 et 2024

1.   Une mise en accusation des collectivités territoriales fondée sur une extrapolation aventureuse et infondée

Dans leur lettre en date du 2 septembre 2024, MM. Le Maire et Cazenave, alors respectivement ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et ministre délégué chargé des comptes publics, ont anticipé une dégradation des dépenses de fonctionnement et d’investissement des collectivités de 16 milliards d’euros en 2024 par rapport à la trajectoire du Programme de Stabilité (PSTAB) 2024-2027 présenté en avril 2024.

En effet, le cabinet du ministre des comptes publics indiquait en septembre 2024 que « dans les remontées comptables à fin juillet [2024], les dépenses de fonctionnement [des collectivités territoriales] croissent de + 7,0 %, ce qui représente 11 milliards d’euros d’écart (sous l’hypothèse que le taux de croissance annuel ne s’écarte pas des observations à date de fin juillet, qui en constituent une bonne prévision mais restent entourées d’aléas) ».

Ces mêmes remontées comptables de fin juillet 2024 auraient indiqué un accroissement des dépenses d’investissement des collectivités de 14,9 %, soit 5 milliards d’euros de plus que la trajectoire établie par le PSTAB.

Se fondant sur ces données à mi-année, les ministres ont extrapolé les tendances de juillet et les ont appliquées à l’ensemble de l’année 2024. Les prévisions de dépenses des collectivités territoriales en 2024 ont donc été fondées sur le postulat inexact d’une dynamique constante des dépenses de fonctionnement et d’investissement sur le reste de l’année. Dans chacun des bulletins mensuels que publie la Direction générale des finances publiques (DGFiP) relatif à la situation mensuelle comptable des collectivités locales (SMCL), il est pourtant indiqué explicitement que la SMCL « est, comme toute situation provisoire en cours d'année, fortement marquée par des rythmes d’enregistrements en comptabilité qui peuvent varier d’une année sur l’autre et en fonction des pratiques locales ». Ces bulletins invitent ainsi à interpréter les résultats en cours d’année « avec prudence » en attendant que la situation soit « définitivement stabilisée » avec des données ultérieures ([449]).

S’affranchissant de ces règles de prudence, le cabinet ministériel est ainsi parvenu au tableau ci-après :

HypothÈse d’Évolution des dÉpenses des collectivitÉs territoriales en 2024

(en milliards d’euros et en pourcentages)

 

Montants en 2023 (comptabilité nationale)

Trajectoire PSTAB 2024

Évolution 2024/2023 (hypothèse : taux de croissance annuel en ligne avec données à fin juillet)

Écart à la trajectoire du PSTAB

Dépenses réelles de fonctionnement (DRF) des collectivités territoriales (CT)

216

1,8 %

7,0 %

5,2 %

11

Dépenses réelles d’investissement (DRI) des CT

71

7,8 %

14,9 %

7,1 %

5

Dépenses totales des CT (y compris remboursements d’emprunt)

287

3,3 %

8,7 %

5,4 %

16

Source : Communication du cabinet du ministre des comptes publics de septembre 2024.

C’est ainsi que MM. les ministres ont pu aboutir au chiffre de 16 milliards d’euros de dépenses supplémentaires largement repris par la suite.

Il convient par ailleurs de noter que ce « dérapage » de 16 milliards d’euros correspond à un écart par rapport à la prévision du PSTAB qui se fonde elle-même sur une trajectoire totalement irréaliste des dépenses de fonctionnement de – 0,5 % en volume prévue par l’article 17 de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2023-2027 ([450]).

Cet objectif d’évolution des dépenses de fonctionnement de – 0,5 % en volume ne se base sur aucune hypothèse économique fondée et apparaît, de ce point de vue, avoir été fixé de façon tout à fait arbitraire. Par ailleurs, il n’est assorti d’aucun mécanisme contraignant, rendant vaines les tentatives gouvernementales d’orienter les dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales.

2.   Une hausse des dépenses des collectivités territoriales finalement plus contenue mais toujours supérieure aux prévisions établies de façon normative au moment du PLF

Sur sa demande, la DGT a pu fournir au rapporteur l’évolution des dépenses des collectivités territoriales sur le fondement des remontées mensuelles dont elle dispose.

Évolution des prÉvisions des dÉpenses des collectivitÉs territoriales en 2024 sur la base des remontÉes mensuelles

(en pourcentages)

 

2023
(Mds €)

PLF 2024

PSTAB 2024

BEE (budgets primitifs)

Remontées fin juillet

Rem. fin août

PLF 2025

Rem. fin septembre

Rem. fin octobre

Rem. fin novembre

Rem. fin décembre

DRF ([451]) des CT

215,5

2,0 %

1,8 %

4,2 %

7,0 %

6,0 %

4,6 %

5,6 %

5,9 %

5,0 %

4,8 %

DRI ([452]) des CT

71,2

7,5 %

7,8 %

6,1 %

14,9 %

13,2 %

13,2 %

11,9 %

12,2 %

8,5 %

8,0 %

Dépenses totales des CT (*)

286,7

3,4 %

3,3 %

4,7 %

9,0 %

7,8 %

6,7 %

7,2 %

7,5 %

5,9 %

5,6%

Écart à la prévision du PSTAB
(en Mds€)

 

+ 4,0

+ 16,3

+ 12,9

+ 9,7

+ 11,1

+ 12,0

+ 7,5

+6,6

(*) Hors remboursements d’emprunt.

Source : Réponse de la direction générale du Trésor au questionnaire.

Ce tableau met ainsi en évidence que la communication des prévisions des dépenses des collectivités territoriales a eu lieu au moment même où les remontées mensuelles marquaient l’écart le plus important aux prévisions du PSTAB. Ainsi, les remontées de fin décembre font apparaître une différence de près de 10 milliards d’euros par rapport aux prévisions de fin juillet, le « dérapage » constaté ne s’établissant pas à 16 milliards d’euros mais plutôt à 6,6 milliards d’euros selon les remontées de fin décembre.

À l’aune de ces constats, le rapporteur général déplore l’absence de prise en compte de l’évolution infra-annuelle des dépenses des collectivités territoriales dans les prévisions et souligne l’importance de la communication des remontées mensuelles des dépenses des collectivités territoriales comme des organismes divers d’administration locale (ODAL) ([453]).

Recommandation n° 13 : communiquer mensuellement aux commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat les remontées des dépenses de fonctionnement et des dépenses d’investissement des collectivités territoriales ainsi que des organismes divers d’administration locale.

L’affirmation d’une prévision de « dérapage » de 16 milliards d’euros des dépenses des collectivités territoriales pour 2024 sur la base des remontées de fin juillet semble traduire une situation de navigation à vue des prévisions en matière de dépenses locales.

Cette impression est d’ailleurs confirmée par l’écart des prévisions des dépenses locales au titre de l’année 2023 comparé à l’exécution.

Évolution des prÉvisions des dÉpenses des collectivitÉs territoriales entre 2022 et 2023

(en pourcentages par rapport à 2022)

 

PLF 2023

(septembre 2022)

PSTAB 2023

(avril 2023)

BEE 2023

(juillet 2023)

PLF 2024

(septembre 2023)

Exécution (*)

(mars 2024)

DRF des CT

3,8 %

4,0 %

4,3 %

4,8 %

6,1 %

DRI des CT

4,1 %

6,3 %

7,0 %

8,3 %

10,2 %

Dépenses totales des CT

3,9 %

4,6 %

5,0 %

5,7 %

7,1 %

(*) Provisoire Insee.

Source : Réponse au questionnaire de la direction générale du Trésor.

Les prévisions de dépenses des collectivités territoriales figurant dans le PLF pour 2023 apparaissent nettement sous-évaluées par rapport à l’exécution, tant au niveau des dépenses de fonctionnement (+ 5 milliards d’euros environ) que des dépenses d’investissement (+ 4 milliards d’euros environ). Ainsi l’écart total s’est élevé à environ 9 milliards d’euros.

De même, si la communication des remontées de juillet 2024 sur les dépenses locales de 2024 était particulièrement pessimiste, les prévisions antérieures au moment du PLF pour 2024 se sont avérées aussi optimistes que pour l’exercice 2023. Les remontées de fin décembre 2024 affichent ainsi un écart de près de 6,3 milliards d’euros de la dépense locale par rapport aux prévisions de la DGT au moment du PLF pour 2024.

Ces sous-estimations chroniques des dépenses des collectivités locales au moment de l’élaboration du PLF conduisent à penser que la dépense locale est utilisée comme « variable d’ajustement » du solde public afin que ce dernier apparaisse artificiellement amélioré.

3.   Des prévisions de dépenses pour 2025 qui apparaissent déjà très irréalistes

Alors que les prévisions de dépenses des collectivités territoriales pour les années 2023 et 2024 étaient particulièrement optimistes au moment de l’élaboration des PLF pour 2023 et 2024, celles concernant l’exercice 2025 apparaissent déjà tout autant irréalistes.

En effet, la DGT anticipait au moment de l’élaboration du PLF pour 2025 une évolution des dépenses des collectivités territoriales de 2,5 % pour 2025, portée par une hausse de 1,0 % des dépenses de fonctionnement en valeur – soit une baisse en volume – et une augmentation de 6,9 % des dépenses d’investissement.

Cette très faible augmentation des dépenses de fonctionnement tenait compte des mesures figurant dans le texte du PLF pour 2025 déposé par le Gouvernement. Ainsi, sont prises en compte des mesures finalement non adoptées comme la baisse du taux de compensation du fonds de compensation de la TVA (FCTVA) évaluée à 800 millions d’euros ou le fonds de réserve (FDR) de 3 milliards d’euros transformé en un dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (« Dilico ») dont le montant s’élève à 1 milliard d’euros.

La DGT n’a pas fourni de prévisions actualisées des dépenses des collectivités territoriales pour 2025 qui tiennent compte de la loi de finances initiale pour 2025. Dès lors, il est possible d’affirmer que les prévisions de dépenses des collectivités locales pour l’exercice 2025 actuellement en vigueur sont déjà largement sous-estimées.

Une hausse modérée de 3 à 4 % des dépenses de fonctionnement paraîtrait déjà très optimiste. Quant aux dépenses d’investissement, une augmentation autour de 6 à 7 % tenant compte de la fin du cycle électoral du bloc communal n’est pas déraisonnable. Ainsi, l’aggravation des dépenses des collectivités territoriales par rapport aux prévisions gouvernementales irréalistes serait, au maximum, de 6 milliards d’euros pour les dépenses de fonctionnement et nulle pour les dépenses d’investissement.


VII.   Les recettes de sécurité sociale : une surévaluation de plus de 1 %

1.   Une surestimation des prévisions de recettes de la sécurité sociale de 1,1 % en 2023 et de 1,3 % en 2024 ([454])

En 2023, les prévisions de recettes de cotisations des administrations de sécurité sociale (ASSO) hors sinistralité ([455]) ont été réévaluées à la baisse. Alors que le PLF pour 2024 estimait ces recettes à 410,2 milliards d’euros, le PLF pour 2025 les ramène à 405,3 milliards d’euros, soit une moins-value de 4,8 milliards d’euros. Cette surestimation concerne également les prélèvements sociaux sur les revenus d’activité et de remplacement ([456]) ainsi que ceux sur les revenus du capital ([457]), dont les prévisions ont été revues à la baisse de respectivement 1,4 milliard et 0,4 milliard d’euros.

Des écarts similaires se retrouvent en 2024. Les cotisations sociales ASSO hors sinistralité, initialement prévues à 426,3 milliards d’euros en PLF pour 2024, sont réajustées à 421,4 milliards d’euros en PLF pour 2025, marquant une diminution de 4,9 milliards d’euros. De même, les prélèvements sociaux sur les revenus d’activité et de remplacement ainsi que ceux sur le capital affichent des moins-values respectives de 1,5 milliard et 1,2 milliard d’euros.

Évolution des prÉvisions des recettes de la sÉcurité sociale

(en milliards d’euros)

 

PLF 2024

PLF 2025

Écart

 

Prévision actualisée 2023

Prévision initiale 2024

Exécution 2023

Prévision actualisée 2024

2023

2024

Cotisations des administrations de sécurité sociale (ASSO) hors sinistralité

410,2

426,3

405,3

421,4

- 4,8

- 4,9

Prélèvements sociaux sur les revenus d’activité et de remplacement

140,8

146,4

139,4

144,9

- 1,4

- 1,5

Prélèvement sur les revenus du capital

32,1

34,2

31,7

33,1

- 0,4

- 1,2

Total

583,1

606,9

576,4

599,4

- 6,6

- 7,6

Source : direction générale du Trésor.

2.   Des écarts qui s’expliquent principalement par la moindre croissance de la masse salariale

En 2023, la révision à la baisse des prévisions de croissance de la masse salariale explique 3,9 milliards d’euros de la moins-value totale de 4,8 milliards d’euros de recettes de cotisations ASSO hors sinistralité. Plus précisément, la révision de la masse salariale des branches marchandes non agricoles conduit à une baisse de 3 milliards d’euros, tandis que celle du secteur public justifie une diminution de 0,9 milliard d’euros. Ce phénomène se reproduit en 2024, avec l’effet cumulé de la reprise en base des corrections effectuées pour les recettes 2023 et d’un nouvel affaiblissement de la croissance de la masse salariale cette année-là.

L’évolution de la masse salariale affecte également les écarts de prévisions des prélèvements sociaux sur les revenus d’activité et de remplacement. Par exemple, en 2023, la révision à la baisse de 1,4 milliard d’euros s’explique à hauteur de 1,1 milliard d’euros par une croissance moindre de la masse salariale et à hauteur de 0,3 milliard d’euros par une activité baissière des travailleurs indépendants.

Enfin, la diminution des recettes des prélèvements sociaux sur le capital trouve principalement son origine dans la contraction du marché immobilier en 2023 et 2024.

3.   Une meilleure coopération entre les services administratifs permettrait d’affiner les prévisions de recettes de sécurité sociale

Des écarts notables peuvent être observés entre les prévisions effectuées par la direction de la sécurité sociale (DSS) à l’annexe 3 des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et celles précitées de la direction générale du Trésor (DGT). Ainsi, pour l’exercice 2024, l’écart entre les PLFSS 2024 et 2025 s’élève à – 0,4 milliard d’euros pour la cotisation sociale généralisée (CSG) sur les revenus du capital et celle sur les jeux, tandis que la DGT évalue à 1,2 milliard d’euros la baisse des prélèvements sociaux sur le capital.

Ces divergences résultent principalement d’une différence de périmètre : les prévisions de la DSS se limitent aux régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (ROBSS) et au Fonds de solidarité vieillesse (FSV), tandis que celles de la DGT couvrent l’ensemble des ASSO.

Néanmoins, un meilleur partage d’informations entre ces services permettrait d’affiner les prévisions. Par exemple, la DGT dispose de données plus précises sur certaines cotisations, notamment celles de l’Agirc-Arrco, dont les moindres recettes en 2024 contribuent à hauteur de 0,8 milliard d’euros à la révision des cotisations ASSO hors sinistralité. En mettant ces informations à disposition de la DSS, les prévisions de recettes de cotisations sociales au sous-jacent macroéconomique similaire pourraient être ajustées plus rapidement et avec une meilleure fiabilité.

Recommandation n° 14 : favoriser le partage d’informations entre la DGT et la DSS s’agissant des prévisions de recettes de la sécurité sociale.

   Conclusion

Les sous-évaluations considérables des recettes de l’État en 2023 et 2024 s’expliquent par le recours à des méthodes d’estimation peu adaptées aux changements de comportements des acteurs économiques. Une modification des outils d’évaluation et une plus grande diversité dans les sources chargées de ces estimations amélioreraient la qualité de ces prévisions.

Les sous-estimations bien plus modestes des prévisions sur les recettes des ASSO, à l’exception des recettes liées au tabac, pourraient être réduites par une meilleure association des administrations en charge de la protection sociale.

Enfin, en matière de collectivités territoriales, on constate une sous‑estimation systématique de la croissance des dépenses de fonctionnement dans les prévisions gouvernementales sans véritable concertation avec les représentants de ces collectivités, et l’absence de prise en compte des coûts supplémentaires des décisions prises par l’État. Pour les prévisions de recettes fiscales de chaque impôt local, des sous‑estimations compensent partiellement les surestimations, pour aboutir globalement à une sous-évaluation : s’ajoutant à des prévisions totalement irréalistes de dépenses et à la surestimation de ces dernières en cours d’année, cela a abouti à faire croire à un niveau de dérapage des finances locales plus de trois fois supérieur à la réalité en 2024.

Le début de l’exercice 2025 laisse craindre de nouvelles déconvenues. D’une part, le scénario macroéconomique sur lequel reposait le projet de loi de finances a été révisé dès le mois de janvier par le Gouvernement, celui-ci retenant finalement l’hypothèse d’une stabilité du taux d’épargne et une prévision de croissance du PIB limitée à 0,9 %. Or, si le Gouvernement ne fait ainsi que se rallier aux anticipations qui étaient celles de la Banque de France au moment du dépôt du projet de loi de finances, force est de relever que celle-ci a elle-même abaissé à 0,7 % sa propre prévision. Plus concrètement, la direction générale du Trésor elle-même estimait dès le mois de février qu’un aléa d’un montant de 5 milliards d’euros pesait déjà sur les recettes fiscales. Parvenir à des prévisions macroéconomiques et de finances publiques fiables, reposant sur des hypothèses dont le volontarisme est tempéré par la rigueur méthodologique, paraît plus nécessaire que jamais.


   Contributions DES GROUPES POLITIQuES

I.   Contribution du groupe Rassemblement national

INTRODUCTION

La France connaît un déficit public systématique depuis 50 années, qui s’est très fortement aggravé dernièrement, engendrant une dette devenue massive et structurelle. Le Rassemblement National est le seul parti français qui n’est pas responsable d’un centime de cette gigantesque dette publique accumulée par la France du fait de la mauvaise gestion des gouvernements successifs.

Emmanuel Macron a davantage fait augmenter la dette publique française sous son premier quinquennat que François Hollande et Nicolas Sarkozy réunis. La situation a même empiré depuis le début du second quinquennat.

Depuis juin 2022 et pour la première fois, le Rassemblement National dispose d’un groupe politique à l’Assemblée nationale lui ayant permis d’être présent en commission des finances et d’y assurer les pouvoirs d’un groupe d’opposition. De ce fait, depuis le premier examen du budget rectificatif de 2022, le groupe RN a alerté sur la situation réelle des finances publiques, et en particulier en pointant le décalage entre les prétentions des résultats de la politique économique menée par François Hollande et Emmanuel Macron depuis 2012, et ses effets sur les comptes publics.

Si la baisse du chômage, la réindustrialisation et la santé économique de manière générale étaient au niveau annoncé par le Gouvernement, les caisses de l’État, des collectivités et de la Sécurité sociale seraient pleines. Or, force est de constater que ce n’est pas le cas et que ça ne l’a jamais été.

Les écarts, d’une part entre les recettes et les dépenses, et d’autre part entre les prévisions et la réalisation, sont devenus tout simplement insoutenables pour les budgets 2024 et 2025, s’apparentant désormais un véritable mensonge d’État. En conséquence, une motion de censure avait été déposée par le groupe RN sous la 16ème législature, le 31 mai 2025. Aucun groupe, en particulier la droite, ne l’avait votée.

D’abord, cette motion de censure alerte sur le risque de dérapage budgétaire : « Les prévisions de déficit pour l’année 2024 (5,1 % du PIB) apparaissent insincères, comptetenu de la faiblesse des rentrées fiscales constatées en début d’année 2024. Or, d’une part, le déficit en 2023 est apparu volontairement sous-évalué (prévision à 4,9 % du PIB pour une exécution à 5,5 %), et, d’autre part, les prévisions de croissance pour 2024, selon le Haut Conseil des Finances Publiques, sont optimistes. ».

Ensuite, cette motion de censure montre également l’inquiétude du groupe RN au sujet de l’explosion des dépenses publiques et de la dette publique : « Ajouter à ces éléments, la dette publique (3 100 milliards € fin 2023) a atteint un seuil d’alerte nécessitant une réaction du Gouvernement. Or, il n’apparaît pas responsable d’attendre, comme le fait le Gouvernement, soit une hypothétique accélération de la croissance sans tenir compte du niveau global de dépenses publiques, soit de miser sur des annonces d’augmentation de la fiscalité voire d’austérité après les élections européennes. »

Lors de la campagne des législatives anticipées de juillet 2024, le RN a indiqué aux Français qu’il fallait présenter un plan d’économies budgétaires de plusieurs milliards d’euros pour entamer ne serait-ce qu’un redressement des finances publiques. Jordan Bardella, sous les quolibets de nos adversaires politiques – pourtant responsables de la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons – et leurs relais médiatiques complaisants, avait proposé un grand audit capable de faire la lumière sur tant de mensonges.

Aucun autre parti politique n’a parlé de la situation des finances publiques pendant cette campagne des législatives. Aussi, le RN a accueilli avec beaucoup d’enthousiasme la proposition d’Éric Ciotti, président du groupe UDR, d’utiliser leur droit de tirage pour constituer une commission d’enquête pour faire la lumière sur les raisons des dérapages budgétaires des gouvernements précédents. Hélas, terrifiés à l’idée que l’opposition nationale puisse librement enquêter sur leur bilan catastrophique, leurs manipulations et leurs mensonges, les députés macronistes, la droite ralliée à Emmanuel Macron, et les gauches, se sont unies pour confisquer cette commission d’enquête en la confiant à l’ensemble de la commission des finances.

Afin de sceller cette lamentable alliance, les gauches ont de toute évidence dû accepter que l’intitulé de la commission d’enquête soit formulé de telle sorte qu’elle puisse servir de prétexte aux responsables politiques, et surtout aux hauts fonctionnaires, pour ne répondre que partiellement aux questions les plus sensibles visant à établir la vérité.

Le groupe Rassemblement National a souligné que l’intitulé de la commission d’enquête était trop restrictif, et n’avait pas permis de faire toute la lumière sur le dérapage des finances publiques.

Jean-Philippe Tanguy avait alerté à l’occasion des discussions préalables à l’ouverture de la commission d’enquête (Compte-rendu de commission du 16 octobre 2024), aussi bien concernant le titre de la commission d’enquête : « nous craignons qu’elle n’érige des limites conceptuelles extrêmement dommageables à la qualité de l’enquête. Les personnes interrogées pourront multiplier les circonvolutions. Quand on demande l’avis des gens responsables de la catastrophe, on imagine bien qu’ils chercheront à limiter la portée de l’investigation ! Plus la solution sera simple et ouverte, plus les travaux pourront aller loin. » ; qu’à propos des bornes chronologiques, que nous avons jugées trop restrictives : « Pour notre part, nous ne souhaitons pas circonscrire cette commission d’enquête, dans la mesure où les années antérieures sont forcément susceptibles d’apporter des explications. Pour avoir participé à plusieurs commissions d’enquête, j’ai constaté que toute restriction de leur objet permettait aux personnes auditionnées de ne pas répondre et de prétendre qu’une partie de la vérité relève d’une autre période, entretenant ainsi la confusion. Plus le champ de nos investigations sera large, plus nous approcherons la vérité. Il reviendra au président et aux rapporteurs de cadrer les travaux pour que le champ de la commission reste raisonnable. Mais trop restreindre ce champ serait créer volontairement une porte de sortie pour les personnes auditionnées. ».

Force est de constater que l’ensemble des responsables politiques et des hauts fonctionnaires ont bel et bien utilisé l’argument de l’intitulé de la commission d’enquête pour ne pas répondre aux questions posées par les députés, et ainsi ne pas éclairer la représentation nationale sur les raisons de l’explosion des dépenses publiques.

D’une manière générale, le groupe RN déplore que le président de la commission d’enquête, à l’instar de la quasi-totalité des présidents de commissions permanentes, spéciales ou d’enquête, laissent les personnes auditionnées sous serment ne pas répondre aux questions, ou du moins, ne déploient pas toute l’autorité nécessaire pour les forcer à répondre y compris, si l’audition devait durer le temps qu’elle doit durer. Entre autres manœuvres, il est inacceptable que d’anciens ministres, des responsables d’administrations centrales, ou tout autre personnalité devant rendre des comptes à la représentation nationale, jouent la montre ou utilisent des artifices misérables pour ne pas répondre à des questions oubliant visiblement que ces moments sont filmés, et peuvent être visionnés par la population entière qui ne manque pas de constater cette irresponsabilité organisée.

Au terme de cette commission, et malgré les efforts remarquables d’Éric Ciotti, co-rapporteur, les gauches d’une part, et les macronistes et les LR ralliés à Macron d’autre part, n’ont eu de cesse de manipuler les travaux de la commission, pour les premiers, afin de nourrir leurs thèses idéologiques, et pour les autres, afin de se déresponsabiliser de leur bilan.

Grâce aux résultats des travaux, il est pourtant factuellement évident que le dérapage des finances publiques est dû à une absence totale de maîtrise de la hausse des dépenses publiques, puis une véritable explosion en dehors de toute crise ou justification extérieure. Cet état de fait est attesté par l’ensemble des rapports de la Cour des comptes entre 2017 et 2025.

Les commentaires sur l’irrationnelle baisse des recettes en faveur de la clientèle oligarchique d’Emmanuel Macron, sont tout à fait justifiés, mais ces cadeaux fiscaux s’ajoutent à l’absence de contrôle des dépenses, ils n’en sont pas la cause. L’inversion, par les forces de gauche, de cet état de fait sert un agenda idéologique très éloigné de l’établissement de la vérité sur nos comptes publics.

En revanche, les biais, les manœuvres, et les questions de toute évidence téléphonées du rapporteur Mathieu Lefèvre, ainsi que des rares députés du socle commun à avoir osé participer à cette mascarade, visaient évidemment à poursuivre de la manière la plus condamnable qui soit le mensonge d’État organisé par Emmanuel Macron, pour maquiller sa responsabilité dans l’effondrement des comptes publics.

Le fait que la macronie accuse l’administration française d’être à l’origine de ce dérapage budgétaire est insupportable car profondément irresponsable et hypocrite. Si les forces politiques au pouvoir estiment que les hauts fonctionnaires français ont fauté, où sont donc les procédures disciplinaires à la hauteur de milliards d’argent public concernés ? Si ces fonctionnaires avaient pu fauter, ce qui n’est pas le cas, à quoi servent les ministres, les secrétaires d’État, et leurs cabinets ?

En arrivant à la conclusion qu’ils ne sont responsables de rien, les macronistes confessent par lâcheté, soit leur totale incompétence, soit la plus coûteuse des inutilités de la Vème République ; l’honnêteté impose de dire que l’un n’empêche pas l’autre.

Au regard du processus budgétaire, des élections européennes puis des élections législatives anticipées, il est évident que le Gouvernement et ses soutiens parlementaires ont volontairement dissimulé la vérité des comptes publics pour ne pas assumer leur bilan et ses conséquences devant les électeurs.

Nous partageons également les analyses du co-rapporteur Éric Ciotti, qui explique qu’une des causes essentielles de la dissolution brutale d’Emmanuel Macron consistait à ne pas devoir assumer avec sa majorité parlementaire une censure budgétaire consécutive à ses mensonges à l’automne 2024. De fait, une dissolution imposée par une telle censure aurait conduit à une véritable déroute électorale, et à la victoire du Rassemblement National.

  1.   Les dépenses publiques françaises sont complètement à la dérive
    1.   Une hausse incontrôlée des dépenses publiques de longue date, aggravée depuis la crise Covid, mais qui repose en grande partie sur des choix discrétionnaires

Les dépenses publiques en France ont atteint des niveaux dangereusement élevés, dans toutes les composantes de la dépense publique (État, collectivités locales et Sécurité sociale).

Depuis 2020, la hausse des dépenses publiques en France est incontrôlée, augmentant de 280 Mds € entre 2019 et 2023, soit 16,2 % de l’ensemble.

Source : Données Insee retraitées par le groupe RN

 

*Donnée provisoire calculée à partir de la croissance des dépenses publiques Insee ([458])

Interrogé par Jean-Philippe Tanguy, Gabriel Attal, en audition dans le cadre de la commission d’enquête le 4 février 2025, a refusé de répondre à propos de la dérive des finances locales et sociales, ne se sentant responsable que des comptes de l’État. Jean-Philippe Tanguy a indiqué à Gabriel Attal, qui persistait à ne répondre qu’à propos des dépenses de l’État, et refusait d’assumer ses décisions ou ses absences de décisions sur les autres dépenses : « Vous reconnaissez qu’en tant que Premier ministre de la France, vous n’avez pas autorité sur toutes les dépenses. ».

En outre, la situation s’est récemment aggravée. La Cour des comptes note dans son rapport de février 2025 « En 2024, les dépenses publiques atteindraient 1 652 Md€, en hausse en valeur de 3,8 %, soit une progression identique à celle enregistrée en 2023 (+3,8 %) mais dans un contexte de repli marqué de l’inflation. ». En effet, les dépenses de 2024 augmentent, en volume, de 1,7 % par rapport à 2023.

Cette forte hausse des dépenses publiques est due en particulier :

● (1) À la hausse des dépenses des collectivités locales, qui atteindrait, selon la Cour des comptes, 327 Mds € en 2024, en progression de 5,8 % en valeur (après 7,3 % en 2023) et de 3,6 % en volume ;

● (2) À la très forte hausse des dépenses sociales, qui atteindraient 756 Mds € en 2024 soit une progression de 5,3 % en valeur (après 4,8 % en 2023) et de 3,1 % en volume par rapport à 2023, soit un rythme très supérieur à celui du PIB, et contribueraient donc significativement au creusement du déficit public en 2024.

  1.   Les dépenses publiques d’administration centrales

 

Source : Données Insee retraitées par le groupe RN

Après une légère diminution entre 2017 et 2019, les dépenses de l’administration publique centrale, qui incluent à la fois les dépenses de l’État et des organismes divers d'administration centrale (ODAC - regroupant des organismes auxquels l'État a donné une compétence fonctionnelle spécialisée au niveau national), ont augmenté depuis 2017 de 118,3 Mds €.

Depuis 2021, ces dépenses continuent de croître mais n’accélèrent plus.

  1.   Les dépenses publiques d’administration locales

Source : Données Insee retraitées par le groupe RN

Les dépenses des collectivités territoriales ont été contenues, en valeur, entre 2013 et 2017 puis ont très fortement augmenté depuis (+ 47 Mds € en 2017 et 2023).

Les dépenses des collectivités territoriales ont proportionnellement augmenté davantage que les dépenses des administrations centrales. En effet, les dépenses locales représentaient 17,7 % des dépenses publiques en 2017, et 18,4 % en 2023.

L’augmentation incontrôlée des dépenses des collectivités locales est due à deux facteurs. D’une part, une politique de décentralisation mal réfléchie a artificiellement augmenté les responsabilités des collectivités territoriales, en créant des doublons entre l’État central, l’État déconcentré, des organismes indépendants et les différents échelons de collectivités territoriales.

Cette politique a fortement pesé sur les dépenses de fonctionnement des collectivités, qui ont augmenté de 21 % depuis la loi NOTRe de 2015. Cette hausse incontrôlée des dépenses des collectivités locales est notamment visible dans les embauches de la fonction publique territoriale.

D’autre part, au cours des auditions menées en commission des finances, les intervenants responsables de collectivités territoriales, ont indiqué ne plus pouvoir maîtriser leurs dépenses d’intervention, et en particulier les dépenses sociales.

Par exemple, le RSA a été revalorisé de 1,7 % le 1er avril 2025. Cette revalorisation est décidée au niveau national mais pèse directement sur les dépenses des conseils départementaux : +158 m € de dépenses en 2025, après une hausse de plus de 500 m € en 2024. En réaction, 72 conseils départementaux ont menacé de ne pas appliquer la hausse.

L’équilibre des finances locales a été complètement déstructuré par la politique d’Emmanuel Macron. En effet, ce dernier a choisi de limiter la responsabilité fiscale et donc budgétaire des collectivités territoriales en supprimant la taxe d’habitation. D’une part, Emmanuel Macron a privé les communes et les EPCI d’une source majeure de financement, non compensée par une baisse de dépenses. La suppression de la taxe d’habitation a donc été financée par une aggravation du déficit de l’État. D’autre part, cette suppression a été faite au mépris du principe d’autonomie financière des collectivités territoriales, inscrit à l’article 72-2 de la Constitution.

  1.   Les dépenses d’administration de sécurité sociale

 

Source : Données Insee retraitées par le groupe RN

Les dépenses d’administration de sécurité sociale ont augmenté sans discontinuer depuis 2017. En valeur, l’augmentation est de 114 Mds € entre 2017 et 2023. Leur part dans les dépenses publiques est restée stable, entre 42,3 % et 42,9 %.

  1.   Comparaisons européennes

La France se distingue en Europe à la fois par un niveau de dépenses publiques et de déficit public particulièrement élevés.

En 2022, les dépenses publiques en France s’élevaient à 58,3 % du PIB, contre une moyenne de 49,6 % dans l’Union européenne, ce qui place la France nettement au-dessus de ses partenaires européens.

Dans presque toutes les grandes fonctions de l’action publique, la part des dépenses rapportée au PIB est plus élevée en France qu’au sein de l’Union européenne, à l’exception notable des secteurs des transports, de la sécurité intérieure et de la justice.

La France souffre de certains postes de dépenses particulièrement importants mais impossibles à contenir car ils constituent de véritables tabous dans le débat public que seul le Rassemblement National parvient à briser, comme l’immigration, thème sur lequel nous reviendrons par la suite.

  1.   L’augmentation des dépenses publiques en France depuis 2020 est d’autant plus grave, qu’elle ne résulte que partiellement des réponses aux crises, et que celles-ci devraient s’estomper d’elles-mêmes

Une partie de l’augmentation des dépenses publiques depuis 2020 s’explique par la réponse aux crises (sanitaire et énergétique).

Néanmoins, les crédits dédiés à la réponse aux crises n’expliquent qu’une partie de la hausse des dépenses publiques. Le reste dépend donc de choix discrétionnaires non liés aux crises. Par exemple, en 2022, seul un quart de l’augmentation de la dépense publique par rapport à 2019 s’explique par des dépenses d’urgence : 55,3 Mds € sont dédiés aux réponses aux crises, sur un total d’augmentation des dépenses publiques par rapport au niveau d’avant crise (2019) de 220,9 Mds €.

Une analyse de l'OFCE ([459]) indique que, sur les 12,6 points de PIB d'augmentation de la dette publique en France entre 2016 et 2023, environ 6 points de PIB sont attribuables à des mesures budgétaires structurelles non liées aux crises sanitaire et énergétique.

En outre, il convient également de rappeler que les dépenses de réponse aux crises sanitaire et énergétique auraient dû s’éteindre d’elles-mêmes.

À cet égard, la Cour des comptes note : « Le contexte était favorable en 2024 à une modération automatique des dépenses publiques compte tenu de l’extinction des mesures exceptionnelles. En effet, les dépenses d’urgence et de soutien face aux crises sanitaire et inflationniste ont été ramenées à 9,9 Md€ en 2024, essentiellement constituées des dépenses résiduelles de relance, qui ont ralenti après les points hauts de 2021-2022. »

 

Chaque année depuis 2021, les dépenses publiques devraient baisser automatiquement d’environ 1 point de PIB. De ce fait, il est très préoccupant que les gouvernements successifs depuis 2021 ne parviennent pas à réduire les dépenses publiques.

Enfin, l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir a marqué une forte augmentation des dépenses structurelles et en particulier des dépenses de personnel.

Entre l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée et la fin de l’année 2022, les effectifs de la fonction publique ont connu une augmentation nette de 178 000 agents, portant le total à 5,7 millions de fonctionnaires. Dans le détail, cette progression se répartit comme suit :

● 96 000 agents supplémentaires pour la fonction publique d’État ;

● 45 000 pour la fonction publique territoriale ;

● 38 000 pour la fonction publique hospitalière.

Si le recrutement de fonctionnaires dans certains pans de la fonction publique (police, hôpital, éducation nationale, etc) est nécessaire, la croissance des effectifs de la fonction publique doit se ressentir sur la qualité du service public. Or, nos concitoyens constatent tous les jours que le service public français est de moins en moins performant, malgré ces recrutements massifs. Ce paradoxe s’explique par le fait que les recrutements sont réalisés pour partie sur des postes qui ne sont pas au contact des usagers. Pour être tenable, le recrutement de fonctionnaires assurant un service public de qualité doit être compensé par une baisse de la bureaucratie.

Lorsqu’ils sont interrogés sur ce bilan, les ministres d’Emmanuel Macron refusent de répondre, et utilisent des inversions accusatoires pour se dédouaner. Ils tentent de mettre les parlementaires, pourtant garants du contrôle de l’exécution budgétaire, devant le fait accompli, expliquant que cette politique est la seule possible. Ce comportement est inacceptable, et mène nécessairement à une dérive des finances publiques, et à la dégradation de la qualité des services publics.

De surcroît, cette évolution marque un contraste frappant avec les engagements initiaux du chef de l’État. Lors de sa campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron avait en effet promis une réduction de 120 000 postes dans la fonction publique, dont 50 000 au sein de l’État. Ces objectifs n’ont non seulement pas été atteints, mais c’est un mouvement inverse qui s’est opéré, témoignant d’une perte totale de contrôle de la situation.

  1.   L’explosion du montant des reports de crédits

Aux dépenses très élevées prévues en loi de finances initiale s’ajoutent en cours d’année des reports de crédits non consommés de l’exercice précédent.

Limitée à une moyenne de 2,3 Mds € entre 2010 et 2020, la pratique des reports de crédits est soudainement devenue hors de contrôle à partir de 2021, avec 36,7 Mds €.

Si cette situation pouvait s’expliquer par les événements du Covid, elle s’est en réalité durablement installée avec encore 16,1 Mds € de report de crédits en 2024, sans la moindre justification autre que le maquillage des comptes.

De facto, les crédits reportés ont graduellement diminué depuis 2021, mais demeurent à un niveau très supérieur aux niveaux d’avant-crise (18,8 Mds € en 2023, et 16,1 Mds € en 2024).

 

  1.   Au-delà des choix discrétionnaires d’augmentation des dépenses publiques, les gouvernements et les administrations successifs n’avaient pas anticipé la hausse des taux, menant nécessairement à une explosion de la charge d’intérêt

Entre 2006 et 2012 (début de la politique d’assouplissement quantitatif de la Banque centrale européenne), la charge des intérêts payés par les administrations publiques françaises était comprise entre 50 et 60 Mds €.

La politique de la BCE a permis de faire très fortement chuter les taux d’intérêt souverains, permettant de diminuer la charge d’intérêt alors même que la dette augmentait, jusqu’à atteindre le point bas de 29,7 Mds € en 2020.

Cette politique était anormale, et a priori contraires aux traités européens – elle est d’ailleurs désignée comme une politique « non conventionnelle ». Elle était, par essence, temporaire, exorbitante et exceptionnelle. Dès lors, les conséquences économiques, fiscales et budgétaires d’une telle politique auraient dû faire l’objet d’une planification et d’un pilotage de la part des politiques et des administrations à la hauteur de l’enjeu, à savoir plusieurs dizaines de milliards d’euros chaque année.

Exemple parmi tant d’autres pendant les auditions, l’incapacité des responsables politiques et administratifs à quantifier l’effet budgétaire de la politique de la BCE prouve à elle seule le degré d’impréparation, d’irresponsabilité et d’inconséquence de nos responsables politiques sur ce dossier vital. Comment est-il possible qu’une situation aussi exceptionnelle ait pu être traitée avec autant d’inconséquence et d’incompétence pendant plusieurs années ?

Pire, les auditions ont révélé que les personnes interrogées ne comprenaient pas les enjeux liés à la hausse des taux d’intérêt, et ne mesuraient pas le séisme que cet évènement constituait pour nos finances publiques.

C’est notamment le cas de l’ancien directeur de cabinet d’Élisabeth Borne, Aurélien Rousseau, interrogé le 6 février 2025 dans le cadre de la présente commission d’enquête, qui s’est perdu dans des circonvolutions sur les taux variables et les taux fixes, avouant en creux qu’il n’avait pas de doctrine sur l’évolution des taux souverains. Alors qu’il était interrogé sur la préparation du Gouvernement Borne à la hausse des taux souverains, Aurélien Rousseau a conclu son intervention par « Est-ce que c’est un truc où il y a marqué plan, avec un tampon marqué plan, j’en sais rien, je ne crois pas. ».

Pour comprendre le niveau d’inconséquence de cette déclaration, rappelons que sous le Gouvernement d’Élisabeth Borne, dont il était directeur de cabinet, la charge d’intérêt est passée de 50,9 à 58,8 Mds €, soit une augmentation de 8 Mds €, presque autant que le budget de la mission Justice (8,8 Mds € en 2022). Trouverait-on normal que le directeur de cabinet de la Première ministre traite avec autant d’indifférence le budget de la Justice ?

Source : Données Insee retraitées par le groupe RN

La politique d’assouplissement quantitatif de la BCE a permis d’économiser entre 2013 et 2022, plus de 216 Mds €, soit en moyenne, 21,6 Mds € chaque année.

Détails du calcul :

● La moyenne annuelle de la charge totale d’intérêts de la dette des administrations publiques entre 2007 et 2012 est de 53,8 Mds €. En comparant la charge d’intérêts réellement payée par la France à une charge hypothétique correspondant à cette moyenne augmentée de 3 % annuels (effet inflation + augmentation de la dette), nous trouvons l’écart de 216 Mds € sur 10 ans.

L’effet de la politique monétaire européenne aurait dû permettre à François Hollande puis Emmanuel Macron de faire des réformes structurelles pour contenir la dépense publique, de désendetter la France et de réaliser des investissements d’avenir, par exemple dans les infrastructures, la défense ou l’outil productif.

Or, les gouvernements français n’ont pas su tirer profit de ces conditions de financement exceptionnelles. La France n’a donc pas été préparée au choc que constitue la hausse des taux. À l’occasion des auditions dans le cadre de la commission d’enquête sur le dérapage budgétaire, les différents intervenants interrogés par les députés du groupe Rassemblement National ont indiqué qu’aucun plan n’avait été préparé pour faire face à la hausse des taux.

Le sujet de la fin de la politique d’assouplissement quantitatif de la BCE n’a fait l’objet que de questions du groupe RN. Rappelons pourtant que la charge d’intérêt de l’État était en 2012 le 2ème budget de l’État (hors remboursements et dégrèvements), et aurait dû devenir en 2018 le 1er budget de l’État sans l’intervention de la BCE. Ce poste a vocation à redevenir le 1er budget de l’État à horizon 2029.

La hausse des taux est déjà massive.

 

Plus grave pour l’avenir, la hausse des taux pourrait perdurer et faire de la charge d’intérêts de la dette le premier poste de dépenses publiques.

Le Sénat indique, dans un rapport annexé au PLF 2025 : « D'ici la fin de la décennie, la charge de la dette de l'État pourrait ainsi représenter 2,7 % du PIB, contre 1,4 % en 2023. Quant à la charge de la dette de l'ensemble des administrations publiques, celle-ci atteindrait 3,1 % du PIB, contre 1,9 % en 2023. »

  1.   La réduction des dépenses publiques est rendue impossible du fait d’un manque de courage politique, mais aussi de la persistance de deux tabous : l’UE et l’immigration
    1.   Les dépenses publiques dédiées à l’Union européenne

En 2025, le montant des prélèvements sur recettes accordés par la France au profit de l’Union européenne dans la loi de finances initiale est de 23,1 Mds €. Le montant versé par la France représente 18,5 % des contributions des États membres. La France est ainsi le deuxième contributeur au budget de l’UE derrière l’Allemagne (23,6 % des contributions nationales) et devant l’Italie (12,8 %).

La contribution de la France au budget de l’UE a fortement augmenté (+23,6 % entre 2017 et 2025), et constitue désormais un budget à part entière de l’État, deux fois plus élevé que les crédits accordés à la mission « Justice ».

Or, ces dépenses constituent un véritable tabou. Le groupe RN à l’Assemblée nationale est parvenu à faire voter, en première lecture, durant l’examen du PLF 2025, un rabot sur cette contribution – dont la France est le seul grand pays contributeur net à ne pas bénéficier. Ce rabot n’a pas été retenu dans la version finale du texte.

Le groupe Rassemblement National alerte une nouvelle fois sur le caractère certain des prochains dérapages de la contribution de la France à l’Union européenne. L’argent du remboursement des centaines de milliards dépensés dans le plan de relance n’a pas été provisionné. Pour la France, les prélèvements sur recettes au profit de l’Union européenne devraient augmenter de 6 milliards d’euros l’an prochain, et de 8 milliards d’euros l’année suivante.

  1.   Le coût de l’immigration

Le coût total de l’immigration est difficile à estimer. Il faut en étudier précisément les sous-composantes concernant les différentes administrations (État, collectivités territoriales et sécurité sociale), et en fonction des différents dispositifs.

Concernant par exemple l’aide médicale aux clandestins. Le rapport Louwagie de 2023 estime que le coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière s’élève, au minimum, à 1,7 Md € en 2022.

L’IFRAP a estimé dans un rapport de janvier 2025 le coût de l’immigration du fait de la précarité et de la pauvreté des personnes immigrées. Les immigrés directs et indirects (descendant d’immigrés de 1ère génération) sont plus touchés par la précarité et le chômage que le reste de la population, entraînant un surcoût évalué à 19,4 Mds €, dont 3,2 Mds liés aux allocations chômage et 16,2 Mds € aux autres prestations sociales. Par ailleurs, les immigrés pauvres sont nettement surreprésentés parmi les personnes en situation de pauvreté, représentant 4 millions des 9,5 millions de pauvres recensés en France, soit 42 % du total ([460]).

En raison de cette précarisation accrue, leur recours plus important aux aides sociales, aux soins et aux prestations diverses génère un surcoût direct estimé à 10,8 Mds € pour les finances publiques, par rapport à une situation où leur niveau de vie serait équivalent à celui du reste de la population.

La politique migratoire est un tabou très coûteux pour les finances publiques. Tous les amendements proposés par le RN pour réduire le coût de l’immigration pour les finances publiques (PLF et PLFSS) ont été rejetés par la gauche et la majorité macroniste et LR.

  1.   Le coût gigantesque des énergies intermittentes

Les subventions aux énergies renouvelables sont des dépenses structurelles dans la mesure où l’État s’est engagé contractuellement auprès des exploitants d’énergies intermittentes à garantir un niveau de prix de l’électricité.

Actuellement, grâce à un effet conjoncturel de hausse des prix de l’électricité sur le marché européen, les subventions publiques aux énergies intermittentes prévues dans le budget diminuent temporairement. Néanmoins, les administrations en charge de la conception du budget savent que, soit les dépenses budgétaires dédiées à ces énergies vont augmenter mécaniquement avec la baisse des prix de l’électricité, soit que ces prix vont s’installer durablement à un prix très élevé, ce qui aurait des conséquences économiques, fiscales et budgétaires considérables, qui n’ont pas davantage été prévues.

L’évolution des crédits du programme 174 est la suivante :

● En 2023 (LFI 2023), 7,8 Mds € d’autorisations d’engagement (AE) ;

● En 2024 (LFI 2024), 5,8 Mds € d’AE ;

● En 2025 (PLF 2025), 2,4 Mds € d’AE.

L’évolution récente de ces crédits aurait donc dû permettre aux gouvernements Borne et Attal de faire des économies budgétaires notables en 2023 et 2024, événement dont ils n’ont pas su tirer profit.

Lors de l’audition du 6 février 2025, réalisée dans le cadre de la présente commission d’enquête, Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet d’Élisabeth Borne lorsqu’elle était Première ministre, a confondu les crédits budgétaires exceptionnels dédiés au bouclier tarifaire, avec ceux, structurels, dédiés à la garantie des prix de l’électricité pour les énergies intermittentes. Il est très grave qu’un responsable politico-administratif comme Monsieur Rousseau ait une compréhension très insuffisante de crédits représentant plusieurs milliards d’euros d’argent public.

La présente contribution ne tient pas à accabler en particulier Monsieur Rousseau. Au moins avait-il l’honnêteté de répondre directement aux questions des parlementaires, alors que Gabriel Attal, Élisabeth Borne, Michel Barnier, et pire, l’ensemble des hauts fonctionnaires auditionnés n’a fait preuve que de circonvolutions et de mauvaise foi pour ne pas répondre aux questions. Pire encore, Bruno Le Maire a mis en place une stratégie tout au long de son audition consistant à reprocher aux oppositions la politique de la majorité.

  1.   À cette masse de dépenses publiques s’ajoute le coût pour l’économie, publique comme privée, des normes
    1.   La croissance exponentielle des normes en France

 

Ce graphique illustre le fait que le nombre de mots par code a explosé depuis 2002, et donc que les administrations, les entreprises et les ménages français font face à une inflation normative très importante.

Dans une étude de 2022, la Fondation iFRAP estime le coût de la charge administrative due au poids des normes à 75 à 87 Mds € pour les entreprises, et 12 à 25 Mds € pour les collectivités, les services publics et les particuliers.

  1.   Le coût de certains dispositifs pour l’économie est très important

Par exemple, le dispositif français des CEE (certificats d’économie d’énergie) est très coûteux pour les ménages et les entreprises, et inefficace d’un point de vue environnemental. La Cour des comptes indique dans un rapport de 2024 dédié aux CEE, et réalisé à la demande du RN : « Au vu des défauts et anomalies relevés par la Cour, la suppression du dispositif des CEE pourrait être envisagée. », et estime le coût des CEE pour l’économie française à 6 Mds € par an.

  1.   La situation de nos finances publiques est tellement mensongère et hors de contrôle, qu’il est nécessaire d’effectuer sans cesse des corrections

Le groupe Rassemblement National partage également les analyses du co‑rapporteur Éric Ciotti, qui explique qu’une des causes essentielles de la dissolution brutale décidée par Emmanuel Macron consistait à ne pas devoir assumer avec sa majorité parlementaire une censure budgétaire consécutive à ses mensonges à l’automne 2024.

  1.   Ex ante, pour faire face à ces dépenses, il a été nécessaire de corriger les anticipations de recettes

Pour faire face à des dépenses publiques trop élevées inscrites dans les textes financiers, il a été nécessaire de surévaluer artificiellement les recettes issues des prélèvements obligatoires pour ne pas trop dégrader le déficit public.

Les Gouvernements qui n’ont pas eu le courage de mettre en œuvre les réformes nécessaires à la réduction des dépenses publiques, ont donc surévalué les recettes afin de faire croire qu’il n’y a pas d’aggravation du déficit public.

Cette surestimation a permis de présenter un équilibre budgétaire plus soutenable en théorie, en masquant temporairement l’écart croissant entre dépenses et ressources réelles. Le PLF 2024 prévoyait ainsi des recettes de prélèvements obligatoires à hauteur de 1 290,2 Mds €, un chiffre manifestement optimiste au regard des PO en 2023, et de l’élasticité des PO au PIB.

Or, en cours d’exécution budgétaire, la réalité économique a rapidement contredit ces prévisions. La croissance en valeur s’est révélée plus faible que prévu (3,2 % au lieu de 4,0 %), et l’élasticité des prélèvements a été revue à la baisse (0,7 contre 1,1).

Par exemple, les recettes d’impôt sur les sociétés ont été en-dessous des prévisions de 10,2 Mds €, et celles de TVA de 9,8 Mds €, illustrant à quel point les prévisions initiales reposaient sur des hypothèses économiques fragiles, que le Haut Conseil des finances publiques avait pourtant déjà jugées trop optimistes.

Ce désajustement a directement contribué à la dérive du déficit public.

En réalité, c’est donc un enchaînement de trois erreurs politiques qui explique ce dérapage : d’abord (i) la décision de fixer le niveau des dépenses publiques à un niveau manifestement excessif et difficilement soutenable ; ensuite (ii), la construction de recettes exagérées pour équilibrer les comptes ; enfin (iii), le réajustement brutal de ces recettes à la baisse, une fois confrontées aux données économiques réelles.

Cet enchaînement, fondé sur une illusion budgétaire, a conduit à aggraver le déficit au lieu de le résorber, en fragilisant un peu plus la crédibilité des finances publiques.

  1.   Ex post, la nécessité de corriger les dépenses en cours d’année

Pour contenir en cours d’année l’explosion du déficit public, il a été nécessaire en 2023 et 2024 de geler, puis d’annuler des crédits par voie réglementaire :

 Décret n° 2023-883 du 18 septembre 2023 qui annule 4,8 Mds € d’autorisations d’engagement et 5 Mds € de crédits de paiement pour l’exercice 2023 ;

 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 qui annule 10 Mds € d’autorisations d’engagement et 10,2 Mds € de crédits de paiement pour l’exercice 2024.

Ces méthodes ne sont cependant pas efficaces pour lutter contre la dérive des finances publiques dans la mesure où elles ne peuvent concerner que le périmètre des dépenses de l’État, et non les dépenses des collectivités territoriales ou de sécurité sociale, qui sont celles qui augmentent le plus.

Le choix d’utiliser la voie réglementaire pour tenter de contenir en cours d’année l’explosion des finances publiques pose un problème démocratique. En effet, il est la conséquence du refus de Gabriel Attal de déposer un nouveau projet de loi de finances rectificatif, ce qui aurait contribué à révéler la situation budgétaire catastrophique dans laquelle il a laissé la France.

  1.   Cette situation est aggravée par les mensonges des gouvernements d’Emmanuel Macron, qui ont choisi de masquer le véritable état de nos finances publiques

Les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron depuis 2017 n’ont pas pris la mesure de l’état de nos finances publiques, et ont régulièrement menti quant à une hypothétique réussite de la trajectoire de baisse des dépenses publiques.

● Bruno Le Maire :

– Déclaration sur Europe 1 le 12/09/2018 :

« Quand vous regardez d’où nous venons, le quinquennat d’Emmanuel Macron marque une vraie rupture dans la gestion des finances publiques. Il met fin à 10 années de dérive de nos finances publiques. »

– Déclaration en hémicycle le 15/10/2018 :

« Il n’y a pas de croissance durable sans finances publiques bien tenues. On ne peut pas bâtir la prospérité sur toujours plus de dépenses et d'impôts. Nous devons construire une prospérité fondée sur le succès de nos entreprises, la compétitivité et l’innovation. »

– Publication sur X du 27/09/2022 :

« Nous savons exactement où nous voulons aller avec le #PLF2023.

Nous avons présenté un budget qui tient l'équilibre entre la protection de nos compatriotes et des entreprises, et le rétablissement des finances publiques. »

● Élisabeth Borne :

– En hémicycle le 19/10/2022 :

« Engager la responsabilité de mon Gouvernement, c'est nous assurer d’avoir un budget, un budget cohérent et fidèle à nos engagements : ni hausse d’impôts, ni hausse de déficit. »

– Publication sur X le 16/11/2023 :

« Réduire notre déficit et investir dans l’avenir : voilà ce que prévoit la loi de programmation des finances publiques définitivement adoptée hier soir. Avec ce texte, nous nous dotons d’une trajectoire budgétaire cohérente et nécessaire, sans hausse d’impôts pour les Français. »

● Gabriel Attal :

– Déclaration après le Conseil des ministres du 30/03/2022 :

« Hier, l’INSEE a une nouvelle fois revu à la baisse le déficit public pour 2021. Preuve de l’efficacité de notre réponse à la crise économique, et confirmation que nous sommes sur la bonne voie pour le redressement de nos comptes publics. »

– Sur France 5 le 28/09/2022 :

« Nous réduisons le déficit : il est passé de 8,9 % en 2020, à 6,5 % en 2021, puis 5 % cette année. Plutôt qu’une austérité brutale qui plomberait notre pays, nous assumons de dépenser de manière maîtrisée : la part de nos dépenses dans la richesse nationale diminue. »

De même, si la politique économique d’Emmanuel Macron et de son ancien ministre de l’Économie Bruno Le Maire produisait réellement les résultats qu’ils vantent à l’envie — baisse historique du chômage, créations d’emplois record, réindustrialisation en marche — alors les caisses de l’État, et plus encore celles de la Sécurité sociale, devraient logiquement se remplir. Car le plein emploi, s’il était véritablement atteint ou même approché, signifierait mécaniquement plus de cotisations sociales, plus d’impôts prélevés sur les revenus du travail, et donc une amélioration sensible des finances publiques.

Or, c’est tout le contraire que l’on observe : les déficits publics explosent et les comptes sociaux sont dramatiquement dans le rouge, justifiant la casse de notre modèle social. Ce paradoxe criant dévoile une réalité que le gouvernement s’acharne à maquiller : ces chiffres prétendument triomphants sont des artifices, des constructions statistiques qui masquent la précarisation de l’emploi, l’explosion des contrats courts et des contrats d’apprentissage, et la poursuite d’un phénomène massif de désindustrialisation menant à des fermetures d’usines et des destructions d’emplois à forte valeur ajoutée. Derrière la communication, il n’y a pas de réindustrialisation d’ampleur, mais des effets d’annonce, des relocalisations marginales, souvent subventionnées à coups de milliards sans retour sur investissement pour les contribuables.

Ce sont ces mensonges d’État qui expliquent pourquoi, malgré les fanfaronnades des ministres, nos finances publiques sont dans un état calamiteux.

  1.   Des réformes structurelles d’ampleur, nécessaires de longue date mais jamais mises en place, doivent être déployées
    1.   La Cour des comptes s’inquiète systématiquement dans ses rapports de l’absence de réforme structurelle, et alerte sur la nécessité absolue de réaliser de telles réformes

Rapport public annuel de 2017 ([461])

● La Cour des comptes indique « Ramener le solde public près de l’équilibre projeté en 2020 est conditionné par un effort inédit sur les dépenses » ;

● « La charge d’intérêts risquant de ne plus constituer, comme dans le passé, un facteur d’allègement du poids de la dépense publique, l’effort à mener pour atteindre l’objectif de réduction du déficit public inscrit dans la trajectoire de finances publiques devra donc porter sur les dépenses hors charges d’intérêts : celles-ci ne devront plus croître en volume, voire devront baisser, alors qu’elles ont encore crû de plus de 1 % depuis 2010, malgré un infléchissement sensible par rapport aux années 2000. »

● « Or, le projet de loi de finances pour 2017 n’est porteur d’aucune économie structurelle. Au contraire, les seules mesures prises ayant un impact audelà de 2017 devraient accroître les dépenses. »

Rapport public annuel de 2018 ([462])

● « Des déficits effectif et structurel plus élevés que dans la quasi-totalité des autres pays européens »

● « En 2018, le Gouvernement prévoit une amélioration très faible du solde public. Même si on corrige de l’impact des dépenses ponctuelles que constituent les remboursements de la taxe à 3 % sur les dividendes, l’amélioration prévue reste modeste (0,3 point de PIB) et pour une large part conjoncturelle. »

Rapport public annuel de 2019 ([463])

● « La dette publique rapportée au PIB progresserait encore légèrement, à la différence des autres pays européens »

● « En 2019, un déficit effectif supérieur à 3 points de PIB, des prévisions de finances publiques particulièrement fragiles. »

● « Une nette dégradation du solde et de la dette publics qui met en évidence la fragilité du redressement de nos finances publiques. »

● « Dans ces conditions, la Cour estime indispensable que le Gouvernement présente, dès que possible, des projets de lois financières rectificatives, pour l’État et la sécurité sociale, intégrant de manière exhaustive et sincère l’ensemble des mesures annoncées ainsi que les conséquences de l’évolution de la situation macroéconomique. Au-delà, il devra actualiser la trajectoire de finances publiques présentée dans la loi de programmation de janvier 2018. Cette trajectoire devrait servir de base à un redressement en profondeur de nos finances publiques, plus que jamais nécessaire, les événements récents ayant démontré l’insuffisance et la grande fragilité du redressement opéré jusqu’à présent. Une réduction soutenue des déficits effectif et structurel est impérative de manière à amorcer enfin la décrue du ratio de dette publique au PIB et à retrouver des marges de manœuvre budgétaires permettant, notamment, de faire face à un retournement conjoncturel ou à une situation de crise. Compte tenu du niveau élevé des prélèvements obligatoires, un tel assainissement, a fortiori si on veut l’accompagner d’une baisse de prélèvements obligatoires, passe nécessairement par une maîtrise accrue des dépenses publiques. »

Rapport public annuel de 2020 ([464])

● « Une position de la France qui s’est dégradée relativement à ses partenaires. »

● « Un ajustement structurel interrompu et une dette qui ne reflue pas. »

● « Un redressement des finances publiques retardé, une stratégie de moyen terme à redéfinir »

● « La hausse de la dépense publique est restée globalement modérée en 2019, après avoir été bien contenue en 2018. Mais ce résultat a été facilité par la forte diminution des charges d’intérêts, dont le Gouvernement n’a pas la maîtrise directe. En 2020, des risques existent sur la tenue des objectifs. Au-delà de l’année 2020, les leviers que le Gouvernement entend mobiliser pour maîtriser la dépense et financer les baisses d’impôts déjà annoncées, tout en réduisant le déficit, ne sont pas identifiés. »

Rapport public annuel de 2021

● Rapport public très différent du fait de la crise Covid.

Rapport public annuel de 2022 ([465])

● « Le niveau des mesures de soutien et de relance résiduelles en 2022 (1,1 point de PIB) n’expliquerait ainsi qu’en partie la hausse de près de deux points de PIB de la dépense publique entre 2019 et 2022. »

● « Hors dépenses de soutien et de relance, la dépense publique (hors crédits d’impôt) progresserait, en volume, de manière soutenue en 2021 et 2022 (+ 2,2 % et + 1,1 %) selon la LFR 2 pour 2021 et le PLF révisé pour 2022. »

● « Comme l’a souligné la Cour dans son rapport de juin 2021 intitulé Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise, il sera essentiel de faire preuve de sélectivité dans le choix des dépenses, d’engager des réformes ambitieuses dans certains secteurs clés pour infléchir durablement le rythme de la dépense et de faire du renforcement de l’efficience de la dépense publique une priorité de premier rang. »

Rapport public annuel de 2023 ([466])

● « Il est donc indispensable de mettre en place une stratégie qui combine redressement résolu des finances publiques et préservation du potentiel de croissance à moyen terme, conformément aux deux objectifs que se donne la réforme attendue de la gouvernance macroéconomique européenne. L’aboutissement rapide en 2023 de cette réforme est crucial pour qu’elle puisse s’appliquer une fois la clause de sauvegarde levée, ce qui est prévu à ce stade au 1er janvier 2024. »

● « La situation actuelle des finances publiques ne permet plus de repousser à nouveau le nécessaire retour à une trajectoire de finances publiques soutenable et durable. Il sera donc essentiel à l’avenir de faire preuve de sélectivité dans les dépenses comme dans les baisses discrétionnaires de prélèvements obligatoires, d’engager des réformes ambitieuses dans certains secteurs clés pour infléchir durablement le rythme de la dépense, sans repousser les efforts à la fin de la période de programmation, et de faire du renforcement de son efficience une priorité de premier rang. »

Rapport public annuel de 2024 ([467])

● « La trajectoire de dépense affichée par le Gouvernement implique ainsi sur les trois dernières années de la période de programmation un très net infléchissement, qui n’a pas d’exemple dans l’histoire récente et supposerait d’engager de l’ordre de 50 Md€ d’économies entre 2025 et 2027, s’ajoutant aux 10 Md€ de réduction des dépenses de l’État annoncée en février 2024. Un tel effort est d’autant plus difficile à mettre en œuvre que la hausse des charges d’intérêts et de nombreuses lois de programmation sectorielle (Défense, Justice, Intérieur, Recherche) orientent déjà la dépense publique à la hausse, et que la transition écologique devrait mobiliser un volume croissant de financements, privés comme publics. »

● « La situation des finances publiques de la France restera ainsi en 2024, comme en 2023, parmi les plus dégradées de la zone euro et risque d’exposer la France à des discussions difficiles avec la Commission et ses partenaires européens, que ce soit dans le cadre des règles budgétaires actuelles ou des nouvelles règles en cours de discussion. »

● « Il est essentiel de faire preuve de sélectivité dans les dépenses et de compenser tout surcroît de dépense ou toute baisse d’impôt par des économies ou des hausses de recettes. Il sera aussi crucial d’engager des réformes ambitieuses dans certains secteurs clés pour infléchir durablement le rythme de la dépense et de faire du renforcement de la qualité de la dépense une priorité de premier rang. »

Rapport public thématique dédié à « La situation des finances publiques début 2025 » ([468])

● « La séquence 2023-2024 est particulièrement préoccupante. Alors que la France n’a pas été en récession, alors que sa croissance économique n’a pas connu d’accident majeur, alors que les cicatrices des années 2020-2022 se sont résorbées et que le reflux des dépenses de crise augurait d’un repli mécanique de sa dépense publique, alors qu’elle était à l’aube d’une trajectoire pluriannuelle ayant valeur d’engagement national, alors que tous ses grands partenaires européens parvenaient à réduire leurs déficits et la dette héritée des années covid, la France, seule en Europe, a encore dégradé ses finances publiques. »

● « Il est à ce titre particulièrement inquiétant de constater qu’en 2024, la dépense publique « ordinaire » a augmenté plus rapidement que n’ont reflué ces mesures de soutien. »

● « L’effort de réduction du déficit public de 6,0 à 5,4 points en 2025, soit -0,5 point 34, repose exclusivement sur des hausses importantes de prélèvements obligatoires, alors que la progression du cœur de la dépense publique (hors charges d’intérêts et mesures exceptionnelles) resterait proche de sa tendance d’avant-crise. »

● « Ensuite, cette trajectoire de finances publiques suppose des ajustements très importants, qui n’ont jamais été accomplis avec une pareille constance dans le passé. Or, ces efforts sont très peu documentés. En particulier, aucune hypothèse de répartition entre maîtrise de la dépense publique et hausses de prélèvements obligatoires n’est précisée. L’impact conjoncturel de ces ajustements sur la croissance n’est pas non plus renseigné. En supposant que l’intégralité de l’effort porte sur la dépense publique à partir de 2026, la trajectoire du PSMT implique que la dépense primaire hors mesures exceptionnelles diminuerait en moyenne de 0,4 % par an en volume sur la période 2026-2031. »

  1.   Des réformes structurelles doivent donc être mises en œuvre de toute urgence

Face à l’aggravation du déficit public, la nécessité de réaliser des économies importantes, et donc des réformes structurelles urgentes, s’impose.

Une note interne de la DG Trésor, révélée en mars 2025 par L’Opinion, souligne l’urgence de trouver 5 Mds € d’économies, en particulier dans les budgets des opérateurs d’administration centrale et locale, afin de maintenir le déficit public à 5,4 % du PIB cette année. La même note alerte sur l’effort colossal à venir : revenir à un déficit de 3 % en 2029 impliquerait de générer chaque année 100 Mds € d’économies à cet horizon.

Dans ce contexte, le Gouvernement a annoncé, le 19 mars, un gel de crédits d’un montant total de 9,1 Mds € afin de limiter tout nouveau dérapage budgétaire. Ce gel se décompose en 8 Mds € pour les crédits de l’État, demandés à l’ensemble des ministères, et en 1,1 Md € pour l’Assurance maladie.

Par ailleurs, les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent les données macroéconomiques de 2025 apparaissent fragiles. Le Gouvernement table sur une croissance de 0,9 % et une inflation de 1,4 %, des estimations que la Banque de France révise à la baisse, respectivement à 0,7 % et 1,3 %. Selon François Ecalle, expert en finances publiques (Fipeco), une croissance inférieure de seulement 0,2 point se traduirait par une dégradation du déficit de 0,1 point de PIB, soit environ 3 Mds € supplémentaires à compenser.

Malgré l’ampleur des ajustements nécessaires, les annonces gouvernementales sont inexistantes en matière de pistes d’économies réelles. Parmi les orientations évoquées par Amélie de Montchalin et Éric Lombard, figure notamment la volonté d’aplanir certaines niches fiscales, en supprimant celles qui bénéficient à un nombre restreint de ménages.

Comme l’indique avec constance la Cour des comptes dans tous ses rapports annuels, des réformes structurelles courageuses concernant les trois pans de la dépense publique doivent être impérativement mises en œuvre à très brève échéance pour diminuer les dépenses publiques et entamer la trajectoire de retour à l’équilibre budgétaire.

 

 

 

 

 

 

 


II.   Contribution du groupe Ensemble pour la république

  1.   Contribution du groupe

Les commissaires aux finances du groupe « Ensemble pour la République » saluent les travaux de cette commission d’enquête, dont ils avaient soutenu la constitution. Elle avait pour objectif, légitime, d’étudier et de rechercher les causes des variations et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024.

La vérité éclate et retourne les procès politiques contre ses instigateurs. Bien sûr, il continuera à y avoir des personnes pour prétendre que les écarts à la prévision relèvent de choix du Gouvernement, de son « idéologie », mais toute personne de bonne foi pourra constater que tous les éléments relevés dans cette commission d’enquête, transpartisane, démontrent le contraire.

  1.   Les causes des écarts à la prévision ont été identifiées de manière nette et ce rapport, transpartisan, est un cruel désaveu pour ceux qui espéraient y trouver une faute politique

Après plusieurs mois de travaux, d’auditions, réalisés avec toute la profondeur que donnent les prérogatives d’une commission d’enquête, le rapport démontre que les écarts « résultent principalement d’une hausse des recettes des prélèvements obligatoires plus faible que prévu ». On observe également des dépenses des collectivités locales supérieures de 20 milliards d’euros à ce qui était prévu. En revanche, le Gouvernement a procédé, en cours d’année, lui, à des économies supplémentaires, permettant en 2024 une exécution des dépenses de l’État inférieure de 7 milliards d’euros à ce qui était prévu en loi de finances initiale.

En outre, ces écarts à la prévision « s’expliquent en grande partie par des raisons techniques ». Il n’y a pas eu d’une intervention des Ministres, les évaluations de recettes ne faisant pas l’objet d’un arbitrage au niveau politique. Le rapporteur général de la commission des finances, dans la conférence de presse donnée le 26 mars 2025, affirme également qu’il n’a trouvé « aucune influence des ministres (…) sur ces estimations de recettes fiscales ».

On ne peut guère enfin y voir un biais « idéologique » des administrations qui aurait conduit à surestimer les effets de la politique économique puisque, si cela avait été le cas, cela aurait pesé sur les estimations de la croissance, et non de l’élasticité, qui lie les recettes fiscales à un niveau de croissance donné : or, c’est bien ce dernier paramètre qui a été le problème essentiel.

L’écart de prévision provient d’un dérèglement du fonctionnement des modèles habituels, perturbés par un contexte macroéconomique inédit.

  1.   Si les écarts ont procédé d’une défaillance technique, les mesures correctives ont procédé d’une volonté politique

Le rapport relève également nettement que pour « limiter une dégradation du déficit public sans précédent hors période de crise », les Gouvernements d’Élisabeth Borne et Gabriel Attal ont engagé un effort de plus de 30 milliards d’euros, d’une ampleur inédite, annoncé en amont des élections européennes. Sans ces économies, le déficit aurait été bien plus élevé – elles ont pourtant été sévèrement combattues par les oppositions.

Des mesures supplémentaires, soutenues par notre groupe politique, à l’instar de la réforme de l’assurance-chômage, n’ont pu être mises en œuvre avec le changement de Gouvernement et de composition de l’Assemblée, consécutif à la dissolution. Elles auraient permis d’engranger un rendement supplémentaire dès 2024 et plus nettement encore en 2025.

  1.   Le groupe « Ensemble pour la République » appuie la démarche de modernisation et de transparence dans les méthodes de prévision budgétaire

Il ne s’agit nullement d’incriminer ainsi le travail des administrations centrales. Toutes les institutions qui réalisent des prévisions sont amenées à commettre des erreurs, a fortiori quand celles-ci portent sur un contexte inédit, marqué par la sortie de la crise sanitaire, la crise énergétique et inflationniste. La refonte des dispositifs de prévision budgétaire, pour permettre un « audit » annuel des modèles utilisés par Bercy et les confronter à ceux utilisés par des acteurs extérieurs, apparaît indispensable.

Disposer d’une pluralité de regards permettra de mieux éclairer les analyses de l’administration, ainsi que les décisions du Gouvernement et du Parlement, et ainsi mieux prévenir de potentiels écarts budgétaires.

 

 


  1.   Contribution de M. Charles Sitzenstuhl, député du Bas‑Rhin

L’Assemblée nationale a eu raison de convoquer une commission d’enquête pour comprendre les problèmes budgétaires connus par notre pays en 2023 et 2024. La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration (DDHC, art. 15).

S’il était bien légitime d’identifier les mécanismes ayant conduit à des révisions inattendues des déficits et à des erreurs de prévisions fiscales, on peut déplorer que certaines oppositions aient voulu se livrer à une « chasse aux sorcières » à l’encontre des gouvernements Borne et Attal. L’honneur des ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave a été abusivement mis en cause pour de basses considérations politiciennes. Des accusations très graves leur ont été portées durant des mois (« falsifications », « dissimulations », « insincérité budgétaire », etc.). Or celles-ci se sont révélées infondées.

Il convient de rappeler que les lois de finances pour 2023 et 2024 ont été validées par le Conseil constitutionnel. Ce dernier a toujours écarté le grief du défaut de sincérité (décisions n° 2022-847 DC du 29 décembre 2022 et n° 2023-862 DC du 28 décembre 2023). Contrairement aux fables colportées par certains députés et sénateurs d’opposition, les lois de finances pour 2023 et 2024 ont respecté le principe de sincérité budgétaire.

Par ailleurs, le rapport établi par cette commission d’enquête confirme que les écarts entre les prévisions et l’exécution du solde et des recettes publics sont principalement le fait :

‑ de rentrées fiscales inférieures à celles anticipées ;

‑ d’un creusement des dépenses publiques hors périmètre de l’État (i.e. la sphère sociale et les collectivités territoriales).

Contrairement aux accusations de « tripatouillage » portées à l’endroit des ministres, le rapport établit que les écarts de prévision résultent en grande partie de problèmes techniques au sein des administrations. La contribution additionnelle du rapporteur général du budget Charles de Courson – pourtant opposant farouche aux gouvernements incriminés – confirme des erreurs massives dans les prévisions fiscales et l’obsolescence des modèles utilisés par les services, et ce sans aucune pression ou intervention ministérielle. La vérité est enfin établie !

Pour l’avenir, il en ressort un impératif d’amélioration des modèles de prévision économique utilisés au sein de l’État. Il appartiendra au Parlement de veiller à ce que ce travail soit effectué.

 

 


III.   Contribution du groupe La France Insoumise ‑ Nouveau Front populaire

Le dérapage du déficit budgétaire des années 2023 et 2024, sous les gouvernements Borne puis Attal, est désormais établi et bien connu. En 2023, un dérapage important du déficit a eu lieu : 5,5 % du PIB au lieu des 4,9 % prévus par le gouvernement Borne. Pour l’année 2024, alors que la loi de finances prévoyait un déficit de 4,4 % du PIB, il sera révisé en cours d’année, d’abord à 5,1 % en avril, puis à 6,3 % en septembre, pour finalement atteindre 5,8 %, en raison d’une moindre consommation des collectivités territoriales en fin d’année 2024.

La responsabilité de l’exécutif dans ces dérapages successifs est manifeste. Au cours des huit années écoulées, la totalité des orientations budgétaires définies par Emmanuel Macron ont été réalisées. Depuis 2022, ces orientations budgétaires ont été imposées au pays sans que l’Assemblée nationale ne puisse se prononcer. Au cours du peu de débats qui avaient pu se tenir sur ces projets de loi, de nombreux instituts, et notamment le Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP), avaient alerté sur les hypothèses particulièrement optimistes retenues par le Gouvernement, tant en termes de croissance que de recettes, considérablement dégradées par les gouvernements macronistes successifs. Alors que les oppositions pointaient, à juste titre, l’incohérence des chiffres avancés compte tenu de l’effet récessif des coupes budgétaires annoncées, ces dernières ont été muselées par un exécutif plus soucieux de passer en force par recours à l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution que de permettre au pays de disposer d’un budget assis sur des hypothèses macroéconomiques rigoureuses.

Comme nous avons pu l’établir au cours de cette commission d’enquête, la principale cause de la mauvaise estimation des déficits budgétaires est une certitude absolue, de la part d’un exécutif ivre de son propre pouvoir, dans sa réussite économique. Au cours de l’examen du projet de loi de finances pour l’année 2024, Bruno Le Maire et Élisabeth Borne avaient connaissance de la baisse attendue des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Ils avaient été alertés par les services de Bercy sur un déficit budgétaire d’au moins 5,2 % pour 2023, bien supérieur aux 4,9 % annoncés. Ces derniers ont toutefois fait le choix de retenir ce dernier taux dans la loi de finances initiale. Une telle pratique ne peut avoir que deux raisons, mutuellement non exclusives : d’une part, la remise en cause de l’expertise et le mépris de leurs équipes ministérielles, d’autre part, le choix délibéré de mentir aux citoyens et à la représentation nationale.

Car si les estimations initiales réalisées par l’exécutif ont été trop optimistes, des erreurs aussi grossières auraient dû être corrigées dans les meilleurs délais. C’est précisément l’inverse qui s’est passé : alors que Bruno Le Maire est alerté le 16 février 2024 d’un déficit prévu à 5,7 % pour 2024, soit un montant très proche des 5,8 % désormais actés, l’ancien ministre de l’économie a ouvertement menti aux citoyens en annonçant le 18 février sur une grande chaîne de télévision que le déficit budgétaire de 4,4 % pour 2024 serait bien tenu. Interrogé à ce sujet lors de la commission d’enquête, Bruno Le Maire a avancé deux éléments : l’absence de validation de l’Élysée pour communiquer ces éléments, et la peur de perdre la confiance des marchés financiers. Dans les deux cas, ce choix politique relève d’une fuite en avant malhonnête et malsaine : c’est précisément en annonçant, puis en maintenant des chiffres manifestement faux, et soumis à l’arbitraire d’un homme, qu’il soit locataire de Bercy ou de l’Élysée, que la parole publique est dévoyée et n’inspire plus que de la défiance auprès des marchés financiers, auprès des autres formations politiques, et, beaucoup plus grave, auprès des citoyennes et des citoyens de ce pays.

Le problème est donc double. D’une part, nous sommes face à un exécutif qui, persuadé du bien‑fondé de sa politique budgétaire, surestime ses résultats, et en particulier les recettes fiscales qu’il a considérablement réduites au cours des huit dernières années. D’autre part, cet exécutif est atteint d’un tel sentiment d’impunité que confronté à ses erreurs, ses dissimulations et ses mensonges, il refuse obstinément de corriger ses affirmations, de présenter ses excuses, et préfère défausser sa responsabilité en jetant le discrédit sur des administrations publiques qui ont, elles, parfaitement réalisé leur mission. La source de ces problèmes est, elle, unique : la démesure d’un exécutif, ivre de son propre pouvoir, et refusant de rendre des comptes à qui que ce soit. La démonstration finale de cet hubris a été le refus d’Alexis Kohler, alors secrétaire général de l’Élysée, de se présenter devant notre commission d’enquête, au prétexte fallacieux de la séparation des pouvoirs. Si cette impunité est débridée depuis 2017 et l’élection d’Emmanuel Macron, ce sont les structures mêmes d’une Ve République qui la façonnent, en concentrant les pouvoirs dans les mains du président de la République.

Il est plus que temps de rompre avec ces pratiques qui asphyxient la démocratie française aussi sûrement que l’austérité asphyxie l’économie. Alors qu’un projet de loi de finances rectificative aurait dû être déposé face au dérapage, les propos tenus sous serment lors de cette commission d’enquête ont permis d’établir que l’Élysée est directement intervenu pour prévenir toute initiative en la matière, faute de majorité à l’Assemblée. Le Parlement, considéré depuis 2022 par Emmanuel Macron comme un obstacle à sa politique économique, n'est pas le problème, il est la solution. Il doit être doté d’un meilleur pouvoir de contrôle dans l’exécution des budgets, et être véritablement associé à la construction des projets de loi de finances. À ces deux titres, le Parlement doit pouvoir disposer des notes macro‑économiques transmises par les administrations centrales aux ministres. Enfin, le pouvoir exécutif doit être pleinement comptable de ses affirmations. Mentir au peuple, c’est faillir à sa mission. Afin de mettre un terme au dévoiement de la parole publique, tout mensonge avéré d’un membre de l’exécutif doit avoir pour conséquence directe la démission, la censure, ou la destitution.

 


IV.   Contribution du groupe Droite républicaine

Le groupe de la Droite Républicaine salue les travaux menés par la commission des finances dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête, qui s’inscrivent dans la prérogative parlementaire de contrôle de l’action du gouvernement prévu à l’article 24 de notre Constitution.

Un tel exercice était indispensable au regard du dérapage historique des finances publiques en 2024 avec un déficit public atteignant 5,8 % du PIB. Un écart de 1,4 point de PIB avec la prévision inscrite en loi de finances initiale, ce qui représente plus de 40 milliards d’euros.

Si ce dérapage est inédit hors de temps de crise, force est de constater qu’il s’inscrit dans une longue dérive de nos finances publiques dont les gouvernements successifs depuis plus de dix ans portent la responsabilité. À ce titre, notre groupe a tiré la sonnette d’alarme à de nombreuses reprises, comme en témoigne la constitution à notre initiative d’une commission d’enquête en mai 2024, visant à établir les raisons de la très forte croissance de la dette française depuis l’élection présidentielle de 2017. Nous regrettons que la dissolution de l’Assemblée nationale ait conduit à l’interruption des travaux de cette commission.

Le constat est en effet implacable : la France est le pays européen qui s’est le plus endetté depuis dix ans avec 1 200 milliards d’euros de dette supplémentaire. Il est devenu le troisième pays le plus endetté d’Europe, après la Grèce et l’Italie, mais devant l’Espagne et le Portugal. À la fin du mandat de Nicolas Sarkozy, en 2012, la dette publique française était inférieure à la moyenne de la zone euro. En 2024, elle est supérieure de 25 points de PIB à la moyenne de la zone euro. Rappelons enfin, qu’en fin d’année dernière, la France a emprunté pour la première fois de son histoire à des taux supérieurs à ceux de la Grèce pour les obligations émises à 10 ans.

Alors que notre dette atteint 3 300 milliards d’euros en 2024 et qu’en 2025 la charge de la dette devrait représenter 55 milliards d’euros, soit le deuxième poste de dépenses de l’État, nous avons le devoir d’amorcer une trajectoire de redressement de nos finances publiques. À ce titre, les conclusions des travaux menés ces derniers mois pour comprendre les causes du dérapage budgétaire doivent nous conduire à tirer les enseignements des échecs passés. Tel est le sens des observations que nous formulons au sein de cette contribution.

  1.   Des prévisions irréalistes tant en recettes qu’en dépenses

L’exécution budgétaire des exercices 2023 et 2024 a révélé le caractère irréaliste des prévisions présentées par le gouvernement au parlement, sur lesquelles ont été bâtis les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale.

En recettes : lors des auditions réalisées par la commission, les ministres successifs ayant la responsabilité des comptes publics de la nation ont justifié les écarts constatés par une erreur des services dans la prévision des recettes. Elle est manifeste et le présent rapport en fournit le détail précis par impôts. Cependant, notre groupe tient à souligner le caractère inexplicable des estimations fournies, particulièrement pour l’année 2024 alors que le constat d’un écart significatif entre la prévision et l’exécution était déjà dressé au cours de l’année 2023. Concernant par exemple la TVA, il était établi au courant de l’année 2023 que son rendement serait substantiellement inférieur à celui escompté. Aussi, il est incompréhensible que le budget 2024 ait été bâti sur la prévision d’une hausse de 10 milliards des recettes de TVA pour l’exercice à venir. Le constat d’une moindre rentrée des recettes de TVA en 2023 de 3,7 milliards aurait dû inciter le gouvernement à la prévoyance. Pour autant, tel ne fut pas le cas comme en témoigne la présentation du programme de stabilité en avril 2024. Ce dernier anticipait pour 2024 une croissance portée par la consommation et une baisse du taux d’épargne, alors même que nous traversions un contexte international des plus incertains, propice à la prudence des ménages. Une prudence confirmée par les faits : en 2024, le taux d’épargne s’élève à un niveau jamais atteint depuis les années 2020 et 2021 lors de la crise sanitaire. Le constat est similaire pour les recettes d’impôt sur les sociétés. La loi de finances pour 2024 prévoyait une hausse des recettes d’IS de 10,9 milliards par rapport à 2023, qui ne s’est pas réalisée.

En dépenses : si des prévisions de recettes erronées ont conduit à dégrader le déficit public, nous tenons à rappeler que la première cause de l’endettement chronique de la France réside dans l’excès de dépenses. À ce titre, le contenu du rapport publié en février 2025 par la Cour des comptes est éloquent. Elle affirme que le dérapage du déficit en 2024 par rapport à la prévision initiale ne s’explique qu’« en partie par l’ombre portée de la très mauvaise année 2023 », marquée les moindres recettes de prélèvements obligatoires. Elle pointe en revanche « le rôle prépondérant d’une dérive du cœur de la dépense publique ». Allant jusqu’à évoquer une dépense publique « en roue libre », la Cour des comptes souligne notamment le dépassement de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie. Comme en matière de recettes, l’estimation de l’ONDAM présenté dans le PLFSS 2024 était manifestement irréaliste. Pour mémoire, le net ralentissement des dépenses d’assurance maladie prévu par le gouvernement avait été jugé « optimiste » par le Haut Conseil des Finances Publiques dans son avis relatif aux PLF et PLFSS pour 2024. Par ailleurs, notre groupe regrette l’accusation portée par les ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave à l’encontre des collectivités territoriales pour expliquer et justifier le dérapage des comptes publics dont ils avaient la responsabilité. D’une part, la hausse constatée sur 2024 s’est révélée inférieure à celle avancée par les ministres. De surcroît, les dépenses locales ont été sous-estimées par le gouvernement, eu égard au volume d’investissement plus élevé sur les dernières années de mandat des communes. Les collectivités territoriales ne sont en rien responsables des choix d’affichage budgétaire décidés par les ministres. Sans oublier qu’elles sont astreintes à des règles de gestion strictes que l’État ne s’impose pas à lui-même.

Qu’il s’agisse des recettes ou des dépenses, le groupe de la Droite Républicaine tient à rappeler que la responsabilité du gouvernement devant le Parlement, et plus largement devant les Français, incombe aux ministres. Aucune erreur de modèles de prévision ou des services de Bercy ne saurait exonérer les membres du gouvernement de leur responsabilité dans le dérapage historique des finances publiques en 2023 et 2024.

  1.   Des mesures de redressement insuffisantes

Dès le début de l’exercice budgétaire, les prévisions inscrites dans les textes financiers pour l’année 2024 se sont révélées caduques. Ce constat aurait dû conduire le gouvernement à prendre les mesures de redressement qui s’imposaient très rapidement. Si le décret d’annulation de 10 milliards d’euros de crédits dès février 2024 était nécessaire, il s’est avéré largement insuffisant. Comme nous l’avons réclamé à de multiples reprises, la situation exigeait le dépôt d’un projet de loi de finances rectificative. Le gouvernement a choisi de ne pas présenter de PLFR et le Premier ministre Gabriel Attal a assumé cette décision lors de son audition devant la commission des finances, en affirmant que les outils réglementaires à sa disposition étaient suffisants. Au moins deux raisons nous conduisent à maintenir que la voie législative était indispensable. La première est que face à un tel dérapage – nécessitant une annulation de 10 milliards d’euros de crédits dès février – l’effort de redressement à réaliser supposait une remise à plat complète du budget que ne permettait pas la voie réglementaire. La seconde raison est que les informations et prévisions présentées par le gouvernement quelques semaines plus tôt étant manifestement erronées, l’exigence démocratique de transparence ne pouvait être satisfaite que par un vote du Parlement. La France avait davantage besoin d’un PLFR que d’une dissolution. Cette décision a contribué à aggraver encore davantage la trajectoire budgétaire pour l’année 2024. L’annonce de la dissolution s’est traduite immédiatement par une hausse des taux d’intérêt payés par la France. L’instabilité politique qu’elle a engendrée et la difficulté de composer un nouveau gouvernement, ont tout à la fois empêché la prise de mesures de redressement des finances publiques durant plus de trois mois et retardé la préparation des textes financiers à venir, qu’il s’agisse de la fin de gestion ou du prochain exercice budgétaire. Sans oublier que la campagne législative a conduit le gouvernement à renoncer à certaines mesures d’économies prévues par voie réglementaire, telles que la réforme de l’assurance-chômage.

Aussi, si les choix et erreurs du gouvernement en 2023 comme en 2024 ont contribué à aggraver le dérapage des comptes publics, les mesures nécessaires à son redressement n’ont pas été prises en raison de l’absence de projet de loi de finances rectificatives et de la décision, lourde de conséquences, de dissoudre l’Assemblée nationale.

*

*        *

À l’issue des travaux de la commission des finances dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête, de multiples recommandations ont été formulées par les commissaires et notamment les rapporteurs. Le groupe de la Droite Républicaine souscrit à l’esprit général des propositions visant à améliorer les outils et modèles de prévision.

Cependant, nous tenons, en ouverture aux conclusions de ces travaux destinés à comprendre les causes du dérapage des finances publiques, à rappeler une évidence : la France, qui détient le record de prélèvements obligatoires de l’OCDE, n’a pas un problème de moindres recettes mais de dépenses excessives. Nous continuerons dans les semaines et mois à venir, notamment à l’approche de la préparation des prochains textes financiers pour 2026, à défendre la nécessité de réaliser des économies.

Comme lors des précédents débats budgétaires, nous en proposerons autour de trois axes. La lutte contre la bureaucratie administrative, avec la réduction du train de vie des opérateurs de l’État – responsable de 25 % de l’augmentation de l’ensemble des dépenses publiques entre 2022 et 2023 selon un rapport de l’IGF – et la suppression des normes qui pèsent sur l’ensemble de l’activité économique et freinent la croissance. La fin des abus de notre système social afin de garantir que les revenus du travail soient toujours supérieurs à ceux de l’assistanat, avec notamment la création d’une aide sociale unique plafonnée par rapport au SMIC. Un meilleur contrôle de nos dispositifs liés à l’immigration et financés par le fruit de la solidarité nationale, à commencer par la réforme indispensable de l’AME.

Dans le pays qui dépense le plus en Europe par rapport à son PIB, réaliser des économies structurelles est la seule solution pour réduire durablement notre déficit et sortir de cet endettement chronique qui obère l’avenir des générations futures.

 

 

 

 


V.   Contribution du groupe Les Démocrates

Quand la demande de transformation de la commission des finances en commission d’enquête a été examinée, les commissaires aux finances du groupe Les Démocrates ont pleinement soutenu cette initiative tant sur le fond que sur la forme avec la volonté de s’y investir activement.

Sur le fond, un travail d’enquête approfondi se devait d’être engagé par la représentation nationale afin que les écarts de prévisions fiscales et budgétaires constatés pour les années 2023 et 2024 ne se reproduisent plus dans les mois et les années à venir.

Il est en effet fondamental de pouvoir continuer à se baser sur des prévisions transparentes et sincères, même dans un environnement économique où l’incertitude a pris une place grandissante.

Ces conditions sont essentielles afin d’assurer un redressement efficace de nos finances publiques et, surtout, l’adhésion des citoyens aux efforts difficiles mais nécessaires pour y parvenir.

Sur la forme, la mobilisation de moyens et de prérogatives propres à une commission d’enquête a permis de recueillir avec diligence toutes les informations utiles pour poser un diagnostic et mieux comprendre les causes des écarts successifs de prévisions fiscales et budgétaires qui ont pu être constatés sur les deux exercices de 2023 et 2024. Cet instrument était donc le bon vecteur pour pouvoir rapidement améliorer la qualité des prévisions et le suivi des comptes.

Concernant les travaux et le fonctionnement de la commission d’enquête :

De nombreuses auditions ont été menées pour recueillir les témoignages d’un large éventail d’acteurs : responsables politiques et administratifs impliqués dans la réalisation des prévisions, experts en finances publiques et économistes.

Un certain nombre d’entre elles ont permis d’apporter des réponses claires tandis que d’autres ont a contrario pu revêtir un caractère décevant du fait de certaines réponses des personnes auditionnées et de certaines questions leur étant adressées qui se sont largement écartées du fond du travail de la commission d’enquête.

Par ailleurs, compte tenu de ses prises de position antérieures qui ne laissaient pas de place au doute sur son refus et les motifs qu’il articulerait pour le justifier, il aurait sans doute été préférable que l’on s’épargnât un débat long et en définitive, stérile autour de l’hypothétique audition du secrétaire général de la présidence de la République.

La trentaine d’auditions a permis de confirmer le diagnostic d’une erreur majeure dans les prévisions des recettes fiscales de l’ordre de 60 milliards d’euros en deux ans : principalement sur le rendement de la TVA, de la taxe sur les superprofits des énergéticiens, et de l’impôt sur les sociétés.

Ce sont bien les prévisions relatives aux recettes fiscales qui ont fait défaut. Quant à la polémique déplacée sur la dynamique des dépenses des collectivités territoriales, nous observons qu’elle nécessiterait un autre niveau de débat et qu’à tout le moins, la maîtrise des dépenses publiques nécessitera des efforts collectifs consentis et répartis de manière juste.

Sous le bénéfice de ces diverses observations, le groupe Les Démocrates constate que les travaux de la commission ont permis d’aboutir à d’utiles conclusions.

Concernant les voies d’amélioration :

Les travaux ont confirmé le besoin de réformer les outils et méthodes de prévision gouvernementales ainsi que la gestion budgétaire dans un monde marqué par une recrudescence des crises : sanitaires, économiques, géopolitiques, énergétiques et inflationnistes.

Par exemple, la prévision de recettes d’impôt sur sociétés pourrait largement être améliorée en collectant de manière plus ponctuelle des données auprès des entreprises notamment au moment du versement du cinquième acompte.

Les travaux de la commission d’enquête ont également démontré la nécessité d’associer des contributeurs venant de plusieurs horizons à la construction du scénario macroéconomique et des prévisions budgétaires et fiscales associées.

Aux yeux du groupe Les Démocrates l’externalisation de la tâche d’élaboration de ce scénario et des prévisions associées ne serait pas nécessairement un gage d’amélioration de la qualité des prévisions. En revanche, la mise en place d’une plateforme de dialogue libre et récurrente entre le Gouvernement, les instituts de recherche économique, le Haut Conseil des Finances Publiques et le Parlement pour revenir sur l’exécution et confronter les différentes hypothèses économiques en vue du projet de loi de finances pourrait permettre d’améliorer durablement la fiabilité des prévisions.

Enfin, le groupe Les Démocrates insiste sur la nécessité d’associer de manière plus étroite les parlementaires au suivi de l’exécution budgétaire et à la préparation des lois de finances afin de respecter pleinement l’esprit de la LOLF en matière d’information du Parlement. Dans ce sens, il conviendrait notamment que les travaux issus de la procédure bi annuelle des budgets économiques soient systématiquement communiqués à tous les membres des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Concernant les propositions faites par les rapporteurs et contributeurs :

Toutes les propositions faites dans le rapport qui vont dans le sens d’une meilleure coordination des administrations, d’une association plus importante des milieux économiques, des organismes de prévision et des établissements universitaires dans la construction des prévisions sont bienvenues. Tout comme les propositions concernant la nécessaire réduction des dépenses publiques que le groupe Les Démocrates soutient.

À l’occasion de son examen en commission des finances, le groupe Les Démocrates a approuvé la publication du présent rapport.


VI.   Contribution du groupe gauche démocrate et républicaine

La commission d’enquête menée par la commission des finances sur les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024, permet de mieux appréhender l’enchaînement des événements et des silences qui ont mené à cette situation inédite d’une « erreur de prévision » qui a atteint plus de 40 milliards d’euros pour 2024, essentiellement du fait d’une surestimation des recettes.

Les députés du groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine tiennent d’abord à réaffirmer la responsabilité du pouvoir politique - et d’abord des Ministres de l’économie et des finances, et des comptes publics - sur les prévisions et la transparence des recettes et dépenses, ainsi que sur les hypothèses macroéconomiques présidant à ces prévisions.

Dans le rapport qui nous est présenté, la tentative maladroite et partisane de la part d’un des co-rapporteurs, de mettre en cause les services de Bercy pour exonérer de toute responsabilité les décideurs politiques, est battue en brèche par les éléments factuels.

Dès le mois de juillet 2023, les services de Bercy avaient perçu les premiers signaux d’une dégradation des recettes fiscales et en avaient averti les ministres compétents. Cela a été confirmé par le directeur de cabinet du ministre des Finances de l’époque lors des auditions. Il était encore largement possible, à l’été 2023, d’en tenir compte pour l’élaboration de la loi de finances pour 2024, en retenant des hypothèses de conjoncture économique et de rentrées fiscales moins optimistes. Il est à noter que dès cette période, le Haut Conseil aux Finances Publiques avait noté ce caractère trop « optimiste » des prévisions de croissance et de recettes.

Puis, à partir de décembre 2023, la Direction Générale du Trésor et la Direction du Budget, par le biais d’une note du 7 décembre 2023, avaient alerté leurs ministres sur le dérapage, qui aurait pu être intégré à la trajectoire budgétaire dès le PLFG 2023, via de premières mesures de correction. Mais cette information a été dissimulée par le Gouvernement pendant près de 4 mois, jusqu’au moment où la presse et l’INSEE (20 et 26 mars 2024) ont annoncé l’ampleur de la dégradation du déficit public, devenu hors de contrôle. Le Parlement n’a donc pas été renseigné en temps et en heure pour pouvoir exercer sa mission de contrôle du pouvoir exécutif. 

La recherche de responsabilité et de transparence exige que le Parlement soit toujours saisi de ces questions. C’est notre première exigence.

Force est de constater que l’absence au premier semestre 2024 de Projet de Loi de Finances Rectificative a été dommageable pour contenir la dégradation de nos finances publiques. Or, sans PLFR, les seules mesures d’ajustement ne pouvaient que consister en une diminution des dépenses. Les mesures d’annulations et de gels des crédits de paiement illustrent cette volonté.

Les causes du dérapage du déficit sont pourtant connues. Elles proviennent d’un certain nombre de réductions d’impôts sous le premier quinquennat du Président Macron (60 milliards d’euros) essentiellement concentrées sur les ménages les plus fortunés et sur les grandes entreprises, ou mises en œuvre sans considération de la trajectoire macroéconomique (notamment la poursuite de la suppression de la CVAE, concomitante avec de très fortes dépenses liées au bouclier énergétique) et d’une projection de recettes d’impôt sur les sociétés erronée à la suite de la crise Covid, particulièrement en 2023. Le Haut Conseil aux Finances Publiques avait pourtant alerté à plusieurs reprises sur la poursuite d’une baisse des prélèvements obligatoires à marche forcée, en indiquant que la France « ne pouvait plus se le permettre ».

Les conclusions de cette commission d’enquête nous incitent à renforcer l’exigence de transparence, par une saisine immédiate du HCFP, des Présidents et rapporteurs généraux des commissions des finances des deux chambres, dès qu’une note est mise à disposition du gouvernement par les services du Ministère de l’Économie et des Finances et du ministère des comptes publics.

Cela permettra, pour les semaines qui viennent, où il sera notamment question du financement d’un effort de défense supplémentaire et dans un contexte d’escalade de la guerre commerciale qui pourrait avoir un impact négatif de 0,2 à 0,4 point de PIB et de plusieurs centaines de milliers de suppressions d’emplois, d’exiger la discussion d’un PLFR qui s’avérera indispensable dès le mois de mai prochain.

Dans ces conditions, et eu égard au retrait des recommandations qui visaient non à comprendre l’origine des dérapages, mais à vouloir appliquer des règles nouvelles d’austérité budgétaire à rebours des efforts nécessaires pour soutenir la conjoncture, financer les services publics et les investissements d’avenir, le groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine approuve le rapport de la commission d’enquête.


([1]) Audition de M. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle.

([2]) Ibid.

([3]) Beaumont, O., Le Parisien, « Gabriel Attal : « Nous sommes passés du quoi qu’il en coûte au combien ça coûte », 09/07/2022.

([4]) Audition de M. Hyppolyte d’Albis, inspecteur général des finances, et de Mme Émilie Maysonnave et M. Paul‑Armand Veillon, inspecteurs des finances, auteurs du rapport de l’Inspection générale des finances sur les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires.

([5]) Audition de M. Laurent Bach, économiste et co-responsable du pôle Entreprises de l’Institut des politiques publiques.

([6]) Audition de M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, par la commission des finances le 2 avril 2025.

([7]) Ibid.

([8]) Audition de M. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle.

([9]) Cour des comptes, « 10 ans de politiques en faveur de l’industrie : des résultats encore fragiles », novembre 2024.

([10]) Insee, « En janvier 2025, la production manufacturière baisse de 0,7 % », mars 2025.

([11]) Insee, « Emploi salarié par secteur. Données trimestrielles du T1-2024 au T4-2024 », février 2025.

([12]) Insee, « L’essentiel sur… la pauvreté », octobre 2024.

([13]) Audition de M. Antoine Armand, ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle.

([14]) Ibid.

([15]) Conseil des prélèvements obligatoires, « La comparaison internationale des systèmes d’imposition sur le revenu des personnes physiques », octobre 2024.

([16]) Audition de M. Gabriel Attal, ancien Premier ministre.

([17]) Ducoudre, B., « Évaluation du remplacement du CICE par une baisse des cotisations sociales patronales », OFCE Policy Brief, 2017, 20, pp. 1 – 12.

([18]) ATTAC et CADTM, La dette de l’injustice fiscale. Comment la diminution des recettes publiques et les cadeaux fiscaux ont creusé la dette ?, mars 2025.

([19]) Bach, L., « L’impôt sur les sociétés fait-il recette ? », Note de blog de l’Institut des politiques publiques, https://blog.ipp.eu/2024/10/09/limpot-sur-les-societes-fait-il-recette/.

([20]) Audition de M. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle.

([21]) Audition de M. Gabriel Attal, ancien Premier ministre.

([22]) Conseil des prélèvements obligatoires, « La progressivité de l’imposition des revenus des personnes physiques », mai 2024.

([23]) Cour des comptes, « L’évolution de la répartition des impôts locaux entre ménages et entreprises et de la (dé)territorialisation de l’impôt », janvier 2025.

([24]) Audition de M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, par la commission des finances le 2 avril 2025.

([25]) Williatte, B. et A. Saumtally, « Les enseignements de la 7e édition de l’Observatoire français des comptes de la nation. Retour sur les prévisions pour 2025 réalisées en 2024 », mars 2025.

([26]) Audition de M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, par la commission des finances le 2 avril 2025.

([27]) Chouteau L., Y. Messaoui, G. Pécresse, « Retour sur les prévisions économiques du Gouvernement pour 2023 et 2024 », Trésor-Éco, n° 355, décembre 2024.

([28]) Audition de M. Olivier Garnier, directeur des études économiques à la Banque de France.

([29]) Ces données ont été présentées lors d’une audition de M. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee, lors de son audition par la commission des finances le 2 avril 2025

([30]) Audition de M. François Ecalle, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes et président de Fipeco.

([31]) Audition de M. Jérôme Fournel, ancien directeur général des finances publiques, ancien directeur de cabinet de M. Bruno Le Maire et de M. Michel Barnier.

([32]) Audition de M. Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques.

([33]) Audition de M. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle.

([34]) Audition de Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre.

([35]) Audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques.

([36]) Ibid.

([37]) Haut conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2023-8 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2024, septembre 2023.

([38]) Audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques.

([39]) Ibid.

([40]) Haut conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2023-6 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au Programme de stabilité pour les années 2023 à 2027, avril 2023.

([41]) Audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques.

([42]) Ibid.

([43]) Ibid.

([44]) Ibid.

([45]) Note de M. Bruno Le Maire pour le Président de la République du 6 avril 2024 « Réaction à la dégradation des finances publiques »

([46]) Comme l’indiquait par exemple la note de la direction générale du Trésor présentant le compte du 29 mars 2024 en vue du programme de stabilité d’avril 2024.

([47]) Audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques.

([48]) Note du Trésor ayant pour objet « Compte du 28 mars 2023 en vue du programme de stabilité 2023 ».

([49]) Ibid.

([50]) Audition de M. François Ecalle, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes et président de Fipeco.

([51]) Audition de M. Hyppolyte d’Albis, inspecteur général des finances, et de Mme Émilie Maysonnave et M. Paul‑Armand Veillon, inspecteurs des finances, auteurs du rapport de l’Inspection générale des finances sur les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires.

([52]) Audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques.

([53]) Note de M. Bruno Le Maire pour le Président de la République du 6 avril 2024 « Réaction à la dégradation des finances publiques ».

([54]) Ibid.

([55]) Audition de M. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle.

([56]) Audition de M. Bertrand Dumont, directeur général du Trésor.

([57]) Audition de M. Jérôme Fournel, ancien directeur général des finances publiques, ancien directeur de cabinet de M. Bruno Le Maire et de M. Michel Barnier.

([58]) Audition de Mme Claire Thirriot-Kwant, ministre-conseillère pour les affaires économiques et cheffe du service économique régional de Berlin.

([59]) Audition de M. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle.

([60]) Audition de M. Michel Barnier, ancien Premier ministre.

([61]) Audition de M. Antoine Armand, ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle.

([62]) Audition de M. André Laignel, premier vice-président délégué de l’Association des maires de France et présidents d’intercommunalité.

([63]) Audition de M. Michel Barnier, ancien Premier ministre.

([64]) Audition de M. Gabriel Attal, ancien Premier ministre.

([65]) Audition de M. Emmanuel Moulin, ancien directeur général du Trésor, ancien directeur de cabinet de MM. Bruno Le Maire et Gabriel Attal.

([66]) Audition de Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre.

([67]) Audition de M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, par la commission des finances le 2 avril 2025.

([68]) Ibid.

([69]) Cour de comptes, La situation des finances publiques début 2025, février 2025.

([70]) ATTAC et CADTM, La dette de l’injustice fiscale. Comment la diminution des recettes publiques et les cadeaux fiscaux ont creusé la dette ?, mars 2025.

([71]) Audition de M. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle.

([72]) Cour de comptes, La situation des finances publiques début 2025, février 2025.

([73]) Audition de M. Franck Von Lennep, ancien directeur de la sécurité sociale.

([74]) Audition de M. Thomas Cazenave, ancien ministre délégué auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics.

([75]) Audition de M. Gabriel Attal, ancien Premier ministre.

([76]) Audition de M. Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision de l’OFCE, par la commission des finances le 2 avril 2025.

([77]) Audition de M. Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet de Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre.

([78]) « Les politiques industrielles en France. Évolutions et comparaisons internationales », France Stratégie, novembre 2020.

([79]) Audition de M. Bruno Le Maire, ancien ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle.

([80]) Audition de M. Gabriel Attal, ancien Premier ministre.

([81]) Audition de M. Jérôme Fournel, ancien directeur général des finances publiques, ancien directeur de cabinet de M. Bruno Le Maire et de M. Michel Barnier.

([82]) Audition de M. Emmanuel Moulin, ancien directeur général du Trésor, ancien directeur de cabinet de MM. Bruno Le Maire et Gabriel Attal.

([83]) Audition de M. Michel Barnier, ancien Premier ministre.

([84]) Note de M. Bruno Le Maire pour le Président de la République du 6 avril 2024 « Réaction à la dégradation des finances publiques ».

([85]) Audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques.

([86]) Cour des comptes, « La prévision des recettes fiscales de l’État entre 2014 et 2023 », décembre 2024.

([87]) La note pour les ministres de la DGFIP du 12 juin 2023 ayant pour objet « Analyse du solde de l’impôt sur les sociétés au titre de l’exercice 2022 » fait déjà état d’un risque d’une « croissance du bénéfice fiscal des entreprises moins prononcée qu’elle n’avait été anticipée au programme de stabilité (Pstab) (…). Cette nouvelle estimation induirait, toutes choses égales par ailleurs, une révision du niveau de recettes attendu en 2023 d’environ -6 Md€ ». Cette note se concluait par un ajout manuscrit du directeur général des finances publiques : « Ces premiers éléments sont encore incertains dans l’ampleur exacte des moins-values par rapport au Pstab. Mais la probabilité d’un ajustement négatif significatif sur l’IS encaissé en 2023 par rapport à la prévision est désormais élevée ».

([88]) Note du Trésor pour le ministre référencée 2023-004667 du 11 juillet 2023 ayant pour objet « Actualisation de la prévision de déficit pour 2023 et 2024 ».

([89]) Note de la DGFIP et de la DB pour le ministre référencée 2023-008466 du 7 décembre 2023 ayant pour objet « Actualisation de la prévision de déficit pour 2023 ».

([90]) Note de MM. Bruno Le Maire et Thomas Cazenave à Madame la Première ministre du 13 décembre 2023 ayant pour objet « Enjeux de finances publiques pour les années 2023 et 2024 ».

([91]) Audition de Mme Élisabeth Borne, ancienne première ministre.

([92]) Ibid.

([93]) Audition de Mme Claire Thirriot-Kwant, ministre-conseillère pour les affaires économiques et cheffe du service économique régional de Berlin.

([94]) Le rapporteur général de la commission des finances partage d’ailleurs cette analyse, aux termes de sa contribution : « [l]es sous-évaluations considérables des recettes de l'État en 2023 et 2024 s'expliquent par le recours à des méthodes d'estimation peu adaptées aux changements de comportements des acteurs économiques » (page 53).

([95]) Conférence de presse du rapporteur général de la commission des finances, 26 mars 2025.

([96]) Communiqué de presse du rapporteur général de la commission des finances, 26 mars 2025.

([97]) Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

([98]) Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

([99]) Ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Voir notamment l’article 5 ter : « Les commissions permanentes […] peuvent demander à l’assemblée à laquelle elles appartiennent, pour une mission déterminée et une durée n’excédant pas six mois, de leur conférer, dans les conditions et limites prévues par cet article, les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête par l’article 6 ».

([100]) Sénat, rapport d’information n° 685 (2023-2024) fait par M. Jean-François Husson, au nom de la commission des finances, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l’administration et le Gouvernement et les modalités d’information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France, enregistré à la présidence le 12 juin 2024.

([101]) Sénat, « L’essentiel sur la mission d’information sur la dégradation des finances publiques : octobre 2023 – septembre 2024, une irresponsabilité budgétaire assumée, un Parlement ignoré », 19 novembre 2024.

([102]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([103]) Cour des comptes, « La prévision des recettes fiscales de l’État entre 2014 et 2023 », décembre 2024.

([104]) Analyses et recommandations du comité scientifique, 14 novembre 2024.

([105]) La commission d’enquête n’a pas pu obtenir la décomposition de l’écart de solde public entre la prévision initiale et les comptes nationaux des administrations publiques publiés par l’Insee le 27 mars 2025. Les chiffres présentés sont donc ceux de la dernière prévision associée à la loi de finances pour 2025.

([106]) Direction générale du trésor, « Retour sur les prévisions de finances publiques du Gouvernement pour 2023 et 2024 », Trésor-Éco, n° 356, janvier 2025.

([107]) La comptabilité budgétaire enregistre les recettes et dépenses au moment où elles sont encaissées ou décaissées alors que la comptabilité nationale les enregistre, en principe, au moment où les droits, créances ou dettes, sont créés par un fait générateur. Les prélèvements obligatoires comme l’IR faisant l’objet de paiements sur une année N (prélèvement à la source) et N+1 (déclaration fiscale puis régularisation) conduisent donc à des exécutions différentes en comptabilité nationale, la créance étant née au titre de l’année N. et budgétaire, les paiements étant encaissés sur deux ans en N et N+1.

([108]) Cour des comptes, « La prévision des recettes fiscales de l’État entre 2014 et 2023 », décembre 2024.

([109]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([110]) Direction générale du trésor, « Retour sur les prévisions de finances publiques du Gouvernement pour 2023 et 2024 », Trésor-Éco, n° 356, janvier 2025.

([111]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2023-8 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2024, 22 septembre 2023.

([112]) M. Laurent Bach, « À la recherche de la TVA perdue », Institut des politiques publiques, janvier 2025.

([113]) Comptes rendus de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024 et n° 62 du 11 décembre 2024.

([114]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 63 du 11 décembre 2024.

([115]) M. Laurent Bach, « À la recherche de la TVA perdue », Institut des politiques publiques, janvier 2025.

([116]) M. Laurent Bach, « À la recherche de la TVA perdue », Institut des politiques publiques, janvier 2025.

([117]) Insee, « Élasticités des recettes fiscales au cycle économique. Étude de trois impôts sur la période 1979-2013 en France », mai 2015.

([118]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([119]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([120]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 63 du 11 décembre 2024.

([121]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 63 du 11 décembre 2024.

([122]) Loi n° 2005‑1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificative pour 2005, article 1er.

([123]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 57 du 5 décembre 2024.

([124]) Direction générale des finances publiques, « Analyse de l’impôt sur les sociétés 2022 », note pour les ministres n° 2023/01/2275 du 18 janvier 2023.

([125]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([126]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP‑2023‑6 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2023 à 2027.

([127]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP‑2023‑9 relatif au projet de loi de finances de fin de gestion pour l’année 2023.

([128]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 57 du 5 décembre 2024.

([129]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 70 du 15 janvier 2025.

([130]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 71 du 16 janvier 2025.

([131]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([132]) Ibid.

([133]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([134]) Direction générale des finances publiques, « Suivi budgétaire de l’impôt sur les sociétés – situation à fin juin 2024 », note pour les ministres n° 2024/07/3195 du 29 juillet 2024.

([135]) Direction générale du trésor, « Actualisation de la prévision de déficit public pour 2023 et 2024 », note pour le ministre n° 2023‑004647 du 11 juillet 2023.

([136]) Cour des comptes, « La situation des finances publiques début 2025 », rapport public thématique, février 2025.

([137]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 63 du 11 décembre 2024.

([138]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 58 du 5 décembre 2024.

([139]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP‑2023‑9 relatif au projet de loi de finances de fin de gestion pour l’année 2023.

([140]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 58 du 5 décembre 2024.

([141]) Communication de M. Charles de Courson, rapporteur général, à la commission des finances.

([142]) Amendement n° I-2895 du Gouvernement déposé lors de l’examen en première lecture par l’Assemblée nationale du projet de loi de finances pour 2023, devenu l’article 54 dans le texte définitif.

([143]) Amendement n° I-1662 du Gouvernement déposé lors de l’examen en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale du projet de loi de finances pour 2023.

([144]) Cour des comptes, « La prévision des recettes fiscales de l’État entre 2014 et 2023 », décembre 2024.

([145]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([146]) Cour des comptes, « La prévision des recettes fiscales de l’État entre 2014 et 2023 », décembre 2024.

([147]) En novembre 2022, 30 réacteurs étaient opérationnels sur un parc de 56. Début 2023, 45 réacteurs étaient opérationnels.

([148]) Il s’agit notamment d’une part du parc nucléaire français avec l’ARENH (accès régulé au nucléaire historique) et des exploitations d’électricité renouvelable bénéficiant de tarif d’achat garanti ou de compléments de rémunération.

([149]) Cour des comptes, « La prévision des recettes fiscales de l’État entre 2014 et 2023 », décembre 2024.

([150]) Décret n° 2023-522 du 28 juin 2023 relatif aux modalités de déclaration et de paiement de la contribution sur la rente infra marginale de la production d’électricité.

([151]) Cour des comptes, « La prévision des recettes fiscales de l’État entre 2014 et 2023 », décembre 2024.

([152]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 89 du 11 mars 2025.

([153]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 67 du 17 décembre 2024.

([154]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2022-4 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2023, 21 septembre 2022.

([155]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2023-8 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2024, 22 septembre 2023.

([156]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([157]) Décret n° 2023-883 du 18 septembre 2023 portant annulation de crédits.

([158]) Décret n° 2024‑124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

([159]) Loi n° 2023‑1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

([160]) Avis n° HCFP‑2024‑2 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2024 à 2027, 16 avril 2024.

([161]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 67 du 17 décembre 2024.

([162]) Direction générale du trésor, note pour les ministres n° 2024-011082, « Actualisation de la prévision de solde public à fin août 2024 », 11 septembre 2024.

([163]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 58 du 5 décembre 2024.

([164]) Direction générale du trésor, Budgets économiques d’hiver 2024, février 2024.

([165]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 60 du 11 décembre 2024.

([166]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 71 du 16 janvier 2025.

([167]) Haut Conseil des finances publiques, « Les prévisions macroéconomiques et de finances publiques du Gouvernement et leur réalisation », note d’étude n° 2024-2, septembre 2024.

([168]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([169]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 56 du 3 décembre 2024.

([170]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([171]) En 2024, le solde public devrait être plus dégradé que prévu dans sept autres États membres de l’Union : Allemagne, Autriche, Finlande, Pologne, Roumanie, Suède, République Tchèque. Le risque d’un solde public 2024 moins bon que prévu existe mais n’est pas encore avéré dans deux États membres (Estonie, Hongrie).

([172]) Direction générale du trésor, « Comment sont réalisées les prévisions de finances publiques et quelles sont les incertitudes qui les entourent ? », document de travail, mars 2025.

([173]) L’OBR est un organisme indépendant chargé de produire les prévisions macroéconomiques et les prévisions de finances publiques pour le Royaume-Uni. L’Office a quatre missions principales : la préparation des prévisions économiques et budgétaires, l’évaluation du respect des règles budgétaires par le Gouvernement ex ante, l’évaluation a posteriori de sa propre prévision et l’analyse des risques pesant sur la soutenabilité des finances publiques à plus long terme. Pour produire un scénario de prévisions économiques et budgétaires, l’OBR se fonde, d’une part, sur les données macroéconomiques les plus récentes et, d’autre part, sur des prévisions de flux de recettes et de dépenses transmises par les administrations.

([174]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 81 du 11 février 2025.

([175]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 81 du 11 février 2025.

([176]) Direction générale du trésor, « Comment sont réalisées les prévisions de finances publiques et quelles sont les incertitudes qui les entourent ? », document de travail, mars 2025.

([177]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 86 du 19 février 2025.

([178]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 74 du 22 janvier 2025.

([179]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([180]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([181]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([182]) Direction générale du trésor, « Retour sur les prévisions de finances publiques du Gouvernement pour 2023 et 2024 », Trésor-Éco, n° 356, janvier 2025.

([183]) Direction générale du trésor, « Retour sur les prévisions économiques du Gouvernement pour 2023 et 2024 », Trésor-Éco, n° 355, décembre 2024.

([184]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 74 du 22 janvier 2025.

([185]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([186]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 58 du 5 décembre 2024.

([187]) « Analyses et recommandations du comité scientifique », 14 novembre 2024.

([188]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([189]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 74 du 22 janvier 2025.

([190]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([191]) Comptes rendus de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 63 du 11 décembre 2024 et n° 57 du 5 décembre 2024.

([192]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([193]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 67 du 17 décembre 2024.

([194]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([195]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([196]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([197]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([198]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 63 du 11 décembre 2024.

([199]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2022-4 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2023, 21 septembre 2022.

([200]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2023-8 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2024, 22 septembre 2023.

([201]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([202]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 70 du 15 janvier 2025.

([203]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([204]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([205]) Haut Conseil des finances publiques, « Les prévisions macroéconomiques et de finances publiques du Gouvernement et leur réalisation », note d’étude n° 2024-2, septembre 2024.

([206]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([207]) Direction générale du trésor, « Retour sur les prévisions économiques du Gouvernement pour 2023 et 2024 », Trésor-Éco, n° 355, décembre 2024.

([208]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 23 janvier 2025.

([209]) HCFP, avis n° HCFP-2023-6 du 25 avril 2023 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2023 à 2027.

([210]) HCFP, avis n° HCFP-2024-4 du 9 octobre 2024 relatif au plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2028.

([211]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([212]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([213]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 57 du 5 décembre 2024.

([214]) Loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027.

([215]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2022-5 relatif au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, 21 septembre 2022.

([216]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2024-3 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2025, 8 octobre 2024.

([217]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([218]) Réponses écrites de l’association des Départements de France au questionnaire des rapporteurs.

([219]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 23 janvier 2025.

([220]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([221]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([222]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([223]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([224]) Ibid.

([225]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([226]) Sénat, rapport d’information n° 685 (2023-2024) de M. Jean-François Husson, fait au nom de la commission des finances par la mission d’information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l’administration et le Gouvernement et les modalités d’information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France, enregistré à la présidence le 12 juin 2024.

([227]) Sénat, ibid.

([228]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([229]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([230]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([231]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([232]) Cour des comptes, « La prévision des recettes fiscales de l’État entre 2014 et 2023 », décembre 2024.

([233]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 57 du 5 décembre 2024.

([234]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 58 du 5 décembre 2024.

([235]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 71 du 16 janvier 2025.

([236]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([237]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 71 du 16 janvier 2025.

([238]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([239]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2023-9 relatif au projet de loi de finances de fin de gestion pour l’année 2023, 27 octobre 2023.

([240]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 71 du 16 janvier 2025.

([241]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 23 janvier 2025.

([242]) Note pour les ministres, Actualisation de la prévision de déficit public pour 2023, direction générale du trésor et direction du budget, 7 décembre 2023 et Note pour le ministre, Actualisation de la prévision de déficit pour 2023 (janvier 2024), 24 janvier 2024.

([243]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([244]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([245]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([246]) Note pour le ministre n° 2023‑000979, Prévision de déficit public pour les années 2022, 2023 et 2024, direction générale du trésor, 17 février 2023.

([247]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP‑2023‑6 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2023 à 2027, 25 avril 2023.

([248]) Note pour le ministre n° 2023‑004647, Actualisation de la prévision de déficit public pour 2023 et 2024, direction générale du trésor, 11 juillet 2023.

([249]) Note pour le ministre n° 2023‑005556, Actualisation des prévisions économiques en vue du PLF pour 2024, direction générale du trésor, 22 août 2023.

([250]) Décret n° 2023‑883 du 18 septembre 2023 portant annulation de crédits.

([251]) Note pour les ministres n° 1BE‑23‑4197, Décret portant annulation de crédits, direction du budget, 30 août 2023.

([252]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP‑2023‑8 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2024, 22 septembre 2023.

([253]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 57 du 5 décembre 2024.

([254]) Direction générale des finances publiques, note pour les ministres n° 2023‑09‑3010, « Suivi budgétaire de TVA – Situation au 31 août 2023 », 9 octobre 2023.

([255]) La CRIM vise les producteurs d’électricité qui ont bénéficié de la hausse des prix de l’électricité entre le 1er juillet 2022 et le 31 décembre 2023 selon trois périodes de taxation : du 1er juillet 2022 au 30 novembre 2022 (P1), du 1er décembre 2022 au 30 juin 2023 (P2) et du 1er juillet 2023 au 31 décembre 2023 (P3).

([256]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([257]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP‑2023‑9 relatif au projet de loi de finances de fin de gestion pour l’année 2023, 27 octobre 2023.

([258]) Baromètre économique n° 157, Principaux indicateurs mensuels Urssaf à fin septembre 2023, Urssaf Caisse nationale, 20 octobre 2023.

([259]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([260]) Direction générale des finances publiques, note pour les ministres n° 2023‑10‑3688, Suivi mensuel de l’impôt sur le revenu à fin septembre 2023, 30 octobre 2023.

([261]) Direction générale des finances publiques, note pour les ministres n° 2023‑10‑709, Suivi budgétaire de l’impôt sur les sociétés – Situation à fin septembre 2023 à l’issue du 3e acompte, 16 octobre 2023.

([262]) Direction générale des finances publiques, note pour les ministres n° 2023‑10‑3579, « Suivi budgétaire de TVA – Situation au 30 septembre 2023 », 30 octobre 2023.

([263]) Direction générale des finances publiques, note pour les ministres n° 2023‑11‑2880, « Suivi budgétaire de TVA – Situation au 31 octobre 2023 », 27 novembre 2023.

([264]) Direction générale des finances publiques, note pour les ministres n° 2023‑11‑3080, « Suivi mensuel de l’impôt sur le revenu à fin octobre 2023 », 8 décembre 2023.

([265]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 56 du 3 décembre 2024.

([266]) Direction générale des finances publiques et direction du budget, note pour les ministres, « Solde budgétaire État 2023 », 1er décembre 2023.

([267]) Note pour les ministres, Actualisation de la prévision de déficit public pour 2023, direction générale du trésor et direction du budget, 7 décembre 2023.

([268]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([269]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 57 du 5 décembre 2024.

([270]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 64 du 12 décembre 2024.

([271]) Note à de MM. Bruno Le Maire et Thomas Cazenave à la Première ministre, « Enjeux de finances publiques pour les années 2023 et 2024 », 13 décembre 2023.

([272]) Amendements  717 et  718 du Gouvernement déposés lors de l’examen en nouvelle lecture du PLF à l’Assemblée nationale, 14 décembre 2023.

([273]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 56 du 3 décembre 2024.

([274]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([275]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 56 du 3 décembre 2024.

([276]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 64 du 12 décembre 2024.

([277]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 87 du 20 février 2025.

([278]) Le Gouvernement de M. Gabriel Attal n’est toutefois entièrement constitué que le 8 février 2024.

([279]) Note pour le ministre, Actualisation de la prévision de déficit pour 2023 (janvier 2024), 24 janvier 2024.

([280]) Dès le 13 décembre 2023, le ministre de l’économie et le ministre des comptes publics recommandaient à la Première ministre de « partager largement le caractère critique de notre situation budgétaire » (). La recommandation de l’administration était donc discutée au sein du Gouvernement.

([281]) Note pour les ministres, Prévisions de déficit public pour les années 2023 à 2027, direction générale du trésor, 16 février 2024.

([282]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 52 du 6 mars 2024.

([283]) Note pour le ministre, Actualisation des prévisions économiques pour la France en vue du programme de stabilité, direction générale du trésor, 19 janvier 2024

([284]) Note pour les ministres, Prévisions de déficit public pour les années 2023 à 2027, direction générale du trésor, 16 février 2024.

([285]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([286]) Ibid.

([287]) Direction générale du trésor et direction du budget, note pour les ministres, « Actualisation de la prévision de déficit public pour 2023 », 7 décembre 2023.

([288]) M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, et M. Thomas Cazenave, ministre des comptes publics, note à la Première ministre Élisabeth Borne, « Enjeux de finances publiques pour les années 2023 et 2024 », 13 décembre 2023.

([289]) Note pour le ministre, Actualisation des prévisions économiques pour la France en vue du programme de stabilité, direction générale du trésor, 19 janvier 2024.

([290]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 52 du 6 mars 2024.

([291]) Note pour les ministres, Prévisions de déficit public pour les années 2023 à 2027, direction générale du trésor, 16 février 2024.

([292]) Compte rendu de la première séance du mardi 9 avril 2024, session ordinaire de 2023-2024, XVIe législature, Assemblée nationale.

([293]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([294]) Arrêté du 25 janvier 2024 pris en application des I et II de l’article 92 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

([295]) Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.

([296]) Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

([297]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 57 du 5 décembre 2024.

([298]) Décret n° 2024-113 du 16 février 2024 relatif à la participation forfaitaire des assurés sociaux aux frais de santé en application du II de l’article L. 160-13 du code de la sécurité sociale et décret n° 2024-114 du 16 février 2024 relatif à la participation des assurés aux frais de santé en application des II et III de l’article L. 160-13 du code de la sécurité sociale.

([299]) Décret n° 2024-648 du 30 juin 2024 relatif au régime d’assurance chômage.

([300]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 78 du 4 février 2025.

([301]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 68 du 18 décembre 2024.

([302]) Conseil constitutionnel, décision n° 2023-862 DC du 28 décembre 2023 relative à la loi de finances pour 2024 : « s’il apparaissait en cours d’année que l’évolution des charges ou des ressources était telle qu’elle modifierait les grandes lignes de l’équilibre budgétaire, il appartiendrait au Gouvernement de soumettre au Parlement un projet de loi de finances rectificative ».

([303]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 64 du 12 décembre 2024.

([304]) M. Patrick Strzoda, directeur de cabinet du Président de la République, avait précédemment été entendu le 1er août 2018 par la commission des lois exerçant les prérogatives d’une commission d’enquête visant à faire la lumière sur les évènements survenus à l’occasion de la manifestation parisienne du 1er mai 2018. De même, M. Alain Zabulon, directeur adjoint du cabinet du Président de la République, avait été auditionné le 18 juin 2013 par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale relative aux éventuels dysfonctionnements dans l’action du Gouvernement et des services de l’État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d’une affaire qui a conduit à la démission d’un membre du Gouvernement. Auparavant, le 13 décembre 2008, M. Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, était auditionné par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens.

([305]) Courrier de Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, à M. Éric Coquerel, président de la commission des finances, 4 février 2025 ; voir le compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 85 du 19 février 2025.

([306]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([307]) Propos tenu par M. Jérôme Fournel à l’occasion de son audition par la commission d’enquête. Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 57 du 5 décembre 2024.

([308]) Le taux de prélèvements obligatoires (rapport entre le total des prélèvements fiscaux et sociaux et le produit intérieur brut) de la France est le plus élevé de l’Union européenne. En 2022, il s’élevait à 48 %, contre une moyenne de 41,1 %. Voir les données de l’Insee et d’Eurostat.

([309]) En définitive, l’imposition des rachats d’actions a bien été inscrite dans le PLF pour 2025, mais uniquement pour l’avenir, tandis que la taxation des rentes des énergéticiens a été abandonnée au profit d’un versement de dividendes d’EDF à l’État, « qui avait l’avantage de produire les mêmes effets de rendement en évitant la mécanique fiscale et l’augmentation du taux de prélèvements obligatoires, et en apportant de la souplesse » Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 57 du 5 décembre 2024.

([310]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 57 du 5 décembre 2024.

([311]) Assemblée nationale, rapport d’information n° 712 de Mme Léa Balage El Mariky et M. Stéphane Mazars, déposé en application de l’article 145 du Règlement par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, en conclusion des travaux d’une mission d’information flash sur le régime des actes administratifs pris par un Gouvernement démissionnaire, enregistré à la présidence le 11 décembre 2024.

([312]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([313]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([314]) Note pour les ministres, Prévisions d’exécution de mars 2024 sur le budget de l’État, direction du budget, 2 avril 2024.

([315]) Alors qu’ils s’élevaient à 2,2 milliards d’euros en moyenne par an sur le budget général entre 2013 et 2020, les reports se sont élevés à 36,7 milliards d’euros en 2021, 22,1 milliards d’euros en 2022, 18,8 milliards d’euros en 2023 et 16,1 milliards d’euros en 2024. Théoriquement limités à 3 % des crédits ouverts en loi de finance initiale par programme par l’article 15 de la LOLF, le Gouvernement peut écarter cette règle en majorant le plafond de ces reports en loi de finances.

([316]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 57 du 5 décembre 2024.

([317]) Note pour les ministres n° 2024-011082, Actualisation de la prévision de solde public à fin août 2024, direction générale du trésor, 11 septembre 2024.

([318]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 03 du 9 septembre 2024.

([319]) Note à la ministre, Poids des collectivités dans la dégradation du solde public en 2024 et contribution des collectivités au redressement de la trajectoire des finances publiques, direction générale des collectivités locales, 26 septembre 2024.

([320]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 79 du 5 février 2025.

([321]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 83 du 12 février 2025.

([322]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 78 du 4 février 2025.

([323]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP‑2024‑3 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2025.

([324]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP‑2024‑5 relatif au projet de loi de finances de fin de gestion pour l’année 2024.

([325]) Note au ministre, Organisation de la procédure d’élaboration du projet de loi de finances (PLF) pour 2025 et tenue de la gestion 2024, direction du budget, 22 septembre 2024.

([326]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 84 du 13 février 2025.

([327]) Direction générale des finances publiques, note pour les ministres n° 2024‑11‑2387, « Suivi budgétaire de TVA – Situation à fin octobre 2024 », 28 novembre 2024.

([328]) Sénat, rapport d’information n° 685 (2023-2024) fait par M. Jean-François Husson, au nom de la commission des finances, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l’administration et le Gouvernement et les modalités d’information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France, enregistré à la présidence le 12 juin 2024.

([329]) Inspection générale des finances, « Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires », juillet 2024.

([330]) « Analyses et recommandations du comité scientifique », documenté daté du 14 novembre 2024.

([331]) Direction générale du trésor, « Retour sur les prévisions économiques du Gouvernement pour 2023 et 2024 », Trésor-Éco, n° 355, décembre 2024.

([332]) Direction générale du trésor, « Retour sur les prévisions de finances publiques du Gouvernement pour 2023 et 2024 », Trésor-Éco, n° 356, janvier 2025.

([333]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 71 du 16 janvier 2025.

([334]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 74 du 22 janvier 2025.

([335]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 71 du 16 janvier 2025.

([336]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([337]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 63 du 11 décembre 2024.

([338]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 57 du 5 décembre 2024.

([339]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 56 du 3 décembre 2024.

([340]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 23 janvier 2025.

([341]) Cour des comptes, « La prévision des recettes fiscales de l’État entre 2014 et 2023 », décembre 2024.

([342]) M. Laurent Bach, « À la recherche de la TVA perdue », Institut des politiques publiques, janvier 2025.

([343]) M. Laurent Bach, « À la recherche de la TVA perdue », Institut des politiques publiques, janvier 2025.

([344]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 23 janvier 2025.

([345]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 71 du 16 janvier 2025.

([346]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([347]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([348]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 67 du 17 décembre 2024.

([349]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 23 janvier 2025.

([350]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 71 du 16 janvier 2025.

([351]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([352]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([353]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 70 du 15 janvier 2025.

([354]) « Pour que cela marche, il faut que nous ayons plus d’informations et un peu plus de temps – cinq ou sept jours, c’est beaucoup trop court. ». Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([355]) Analyses et recommandations du comité scientifique, 14 novembre 2024.

([356]) Projet annuel de performance du programme 164, Cour des comptes et autres juridictions financières,

([357]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([358]) « Je pense par exemple aux mesures suivantes : […] fournir plus d’informations – comme les prévisions mensuelles de recettes – au Haut Conseil des finances publiques (HCFP), lui donner plus de temps pour travailler et lui permettre de s’autosaisir. ». Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 27 janvier 2025.

([359]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([360]) Sénat, rapport d’information n° 685 (2023-2024) fait par M. Jean-François Husson, au nom de la commission des finances, en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l’administration et le Gouvernement et les modalités d’information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France, enregistré à la présidence le 12 juin 2024.

([361]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2024-2 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité pour les années 2024 à 2027, 16 avril 2024.

([362]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2024-4 relatif au plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-202, 9 octobre 2024.

([363]) Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2024-4 relatif au plan budgétaire et structurel à moyen terme 2025-2029, 9 octobre 2024.

([364]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([365]) Voir le IX de l’article 61 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

([366]) Conseil constitutionnel, décision n° 93-320 DC du 21 juin 1993, Loi de finances rectificative pour 1993, puis inscrit à l’article 32 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

([367]) Décision n° 2001-448 DC, du 25 juillet 2001, Loi organique relative aux lois de finances, § 60 et suivants.

([368]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([369]) Idem.

([370]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 27 janvier 2025.

([371]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 23 janvier 2025.

([372]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([373]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 62 du 11 décembre 2024.

([374]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 23 janvier 2025.

([375]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([376]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 27 janvier 2025.

([377]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 64 du 12 décembre 2024.

([378]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 74 du 22 janvier 2025.

([379]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 70 du 15 janvier 2025.

([380]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([381]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([382]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([383]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([384]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 56 du 3 décembre 2024.

([385]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 23 janvier 2025.

([386]) Cour des comptes, « La prévision des recettes fiscales de l’État entre 2014 et 2023 », décembre 2024.

([387]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 56 du 3 décembre 2024.

([388]) Analyses et recommandations du comité scientifique, 14 novembre 2024.

([389]) Analyses et recommandations du comité scientifique, 14 novembre 2024.

([390]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 76 du 28 janvier 2025.

([391]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 70 du 15 janvier 2025.

([392]) L’OFCN est un évènement qui réunit chaque année à la fin de l’automne les différents instituts de prévisions (INSEE, direction générale du trésor, Banque de France, Rexecode, OFCE), auxquels s’ajoutent des acteurs privés. Il donne lieu à une courte publication synthétisant leurs discussions au premier trimestre de l’année suivante.

([393]) Rapport à la Première ministre de MM. Jean-Luc Tavernier et Nicolas Véron, « Analyse économique et évaluation des politiques publiques », novembre 2023

([394]) Analyses et recommandations du comité scientifique, 14 novembre 2024.

([395]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 56 du 3 décembre 2024.

([396]) Article 14 de la loi organique n° 2001‑692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

([397]) Le taux de prélèvements obligatoires (rapport entre le total des prélèvements fiscaux et sociaux et le produit intérieur brut) de la France s’élevait à 48 % en 2022, contre une moyenne de 41,1 %. Voir les données de l’Insee et d’Eurostat.

([398]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 59 du 10 décembre 2024.

([399]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 75 du 27 janvier 2025.

([400]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([401]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 72 du 21 janvier 2025.

([402]) Compte rendu de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire n° 56 du 3 décembre 2024.

([403]) L’article 57 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances dispose que « les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances suivent et contrôlent l'exécution des lois de finances et procèdent à l'évaluation de toute question relative aux finances publiques. Cette mission est confiée à leur président [et] à leur rapporteur général […]. À cet effet, ils procèdent à toutes investigations sur pièces et sur place, et à toutes auditions qu'ils jugent utiles. »

([404]) Direction générale des finances publiques, Situation mensuelle de l’État : Décembre 2024.

([405]) La croissance brute du PIB aura été de 0,9 %. Corrigée des jours ouvrables, elle s’établit à 1,1 %.

([406]) Inspection générale des finances, Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires, p. 19.

([407]) Insee, Informations rapides, n° 24, 30 janvier 2025.

([408]) Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, compte rendu de l’audition, le 21 janvier 2025, de M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, président du Haut Conseil des finances publiques, dans le cadre des travaux menés pour étudier et rechercher les causes de la variation et des écarts des prévisions fiscales et budgétaires des administrations publiques pour les années 2023 et 2024 (article 5 ter de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958).

([409]) Haut Conseil des finances publiques, Avis n° HCFP-2023-8 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2024, 22 septembre 2023.

([410]) HCFP, Avis n° HCFP-2024-3 relatif aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour l’année 2025, 8 octobre 2024.

([411]) Voir le point de conjoncture de l’INSEE du 9 septembre 2024.

([412]) IGF, Les prévisions de recettes des prélèvements obligatoires, juillet 2024, p. 20.

([413]) Notamment afin de tenir compte de la baisse du taux d’indexation du barème de l’impôt sur le revenu, passé de 2 % dans le projet de loi initial à 1,8 % dans le texte adopté, compte tenu de la révision à la baisse de l’inflation en 2024.

([414]) Rapport de M. Charles de Courson au nom de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2025, tome I, exposé général, 19 octobre 2024, p. 96.

([415]) Voir infra.

([416]) En 2022, les traitements et salaires composaient 61,7 % des revenus déclarés, tandis que les pensions et rentes représentaient 25,7 %, contre 2,9 % pour les BNC, 1,4 % pour les BIC et 0,5 % pour les bénéfices agricoles ; les revenus de capitaux immobiliers représentaient quant à eux 3,5 % des revenus déclarés, et les revenus fonciers 2,1 % (DGFIP Statistiques, L’impôt sur les revenus perçus en 2022, n° 22, avril 2024).

([417]) Dans cette perspective, il serait également nécessaire d’associer les caisses générales de sécurité sociale (CGSS) pour les cotisations sociales perçues dans les départements d’outre-mer.

([418]) En application de l’article 1668 du code général des impôts, les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à un milliard d’euros doivent calculer le dernier acompte d’impôt sur les sociétés en fonction du montant d’impôt sur les sociétés estimé pour l’exercice en cours.

([419]) À la différence de l’EBE, qui ne tient pas compte des dotations aux amortissements et des dépréciations des immobilisations.

([420]) En application de l’article 209 du code général des impôts, le déficit constaté au titre d’un exercice peut être considéré comme une charge de l’exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice, dans la limite d’un million d’euros majoré de 50 % du montant du bénéfice imposable de ce même exercice.

([421]) EDF, comptes sociaux 2023 et document d’enregistrement universel.

([422]) Ce régime est prévu à l’article 209-0 B du code général des impôts.

([423]) Comptes sociaux de CMA CGM 2023.

([424]) Les grandes entreprises sont celles qui comptent au moins 5 000 salariés ou qui enregistrent un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 milliard d’euros et qui présentent un bilan excédant 2 milliards d’euros.

([425]) Pour le secteur bancaire, particulièrement concentré en France, la transmission en cours d’année de ces informations permettrait même d’offrir un panorama presque exhaustif de l’évolution de l’activité d’une partie des sociétés financières.

([426]) Article L. 451-1-2 du code monétaire et financier.

([427]) Ce chiffre tient compte des 500 millions d’euros qui rapporterait la contribution exceptionnelle sur le résultat d’exploitation des entreprises de transport maritime prévu à l’article 12 du PLF (article 50 de la loi n° 2025‑127 du 14 février 2025 de finances pour 2025). Le produit de l’IS se rapprocherait donc davantage de 55,7 milliards d’euros.

([428]) Amendement n° 23.

([429]) Cette prévision intègre également le montant de la contribution exceptionnelle sur les entreprises de transport maritime précitée, dont le montant s’élèverait à 500 millions d’euros en 2025.

([430]) Dans son rapport « La TVA, une taxe à recentrer sur son objectif de rendement pour les finances publiques » publié en février 2023, le Conseil supérieur des prélèvements obligatoires relevait que « [le] taux d’exécution [de la TVA] par rapport aux prévisions de loi de finances initiale a été, chaque année, supérieur à 98 % entre 2015 et 2019 ».

([431]) Tome 1 du rapport sur les Voies et moyens annexé au PLF pour 2025, p. 30.

([432]) Amendement n° I-2295.

([433]) Amendement n° I-12.

([434]) Ces données sont disponibles ici.

([435]) Lettre Trésor-Éco n° 355, décembre 2024.

([436]) Source : « Épargne : focus sur le phénomène récent de « sur-épargne » des ménages », Caisse des dépôts, novembre 2024 : https://www.caissedesdepots.fr/blog/article/focus-sur-la-sur-epargne-des-francais.

([437]) Document de travail de la DG Trésor n° 2017/06 intitulé « La maquette de prévision Opale 2017 », p. 11.

([438]) Article 15 de la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023.

([439]) Rapport de Santé publique France sur « La Prévalence du tabagisme en France hexagonale en 2023 parmi les 18-75 ans », novembre 2024.

([440]) Tome I consacré aux recettes de l’évaluation des voies et moyens.

([441]) Rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales, Les finances des collectivités locales, 2024.

([442]) Cour des comptes, « Gérer mes biens immobiliers » : Une campagne 2023 chaotique aux très lourdes conséquences financières pour l’État, janvier 2025.

([443]) DGFiP Statistiques, Les taxes foncières en 2023, n° 24, mai 2024.

([444]) Article 1518 bis du code général des impôts. L’IPCH utilisé porte plus précisément sur la période allant de novembre N-2 à novembre N-1.

([445]) Données issues des différents rapports sur la situation des finances publiques locales annexés aux projets de loi de finances.

([446]) Figurent notamment parmi celles-ci l’extension du dispositif de prêt à taux zéro (article 90) ou l’exonération fiscale sur les donations en faveur de l’acquisition ou de la construction d’une résidence principale (article 71).

([447]) Article 116 de la loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025.

([448]) Conseil d’État, 31 mars 2014, Lille Métropole contre Auchan, n° 368111 ou Conseil d’État, 19 mars 2018, SAS Cora, n° 402946.

([449]) DGFiP, Situation mensuelle comptable des collectivités locales, Situation 2024 au 31 janvier 2025, février 2025.

([450]) Loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. La LPFP 2023-2027 ne prévoit pas d’objectif d’évolution des dépenses réelles d’investissement des collectivités territoriales.

([451]) Dépenses réelles de fonctionnement.

([452]) Dépenses réelles d’investissement.

([453]) Les administrations publiques locales (APUL) regroupent les collectivités territoriales et leurs groupements (les communes et leurs groupements à fiscalité propre, certains syndicats, les départements et les régions) ainsi que des organismes divers d’administration locale (ODAL) qui se composent notamment d’établissements publics locaux (centres communaux d’action sociale - CCAS, services départementaux d’incendie et de secours - SDIS…), d’établissements publics locaux d’enseignement (collèges, lycées), d’associations financées majoritairement par les collectivités territoriales et des chambres consulaires.

([454]) Trésor-Éco, Retour sur les prévisions de finances publiques pour les années 2023 et 2024, n° 356, janvier 2025.

([455]) Soit toutes les cotisations sociales à la charge des employeurs, des salariés et des indépendants.

([456]) Soit la CSG acquittée par les salariés et les non-salariés, par les titulaires de pensions de retraite, d’allocations chômage et autres revenus de remplacement ; la CRDS acquittée sur les salaires, retraites, allocations chômage et autres revenus de remplacement ; ainsi que la CASA acquittée sur les retraites.

([457]) Soit la CSG acquittée sur les revenus du patrimoine, des placements et des jeux ; la CRDS acquittée sur le patrimoine, les placements, les jeux, les bijoux et les métaux précieux ; ainsi que le prélèvement de solidarité.

([458]https://www.insee.fr/fr/statistiques/8540375#:~:text=Il%20reste%20soutenu%20dans%20les,8%20Md%E2%82%AC%20en%202024.

([459]) https://www.ofce.sciences-po.fr/blog2024/fr/2024/20240524_RSMPXR/?utm_source=chatgpt.com.

([460]) https://www.ifrap.org/budget-et-fiscalite/precarite-pauvrete-et-immigration-un-surcout-plus-de-10-milliards-deuros-par?utm_source=chatgpt.com.

([461]) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/01-situation-ensemble-finances-publiques-Tome-1.pdf.

([462]) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-01/01-situation-ensemble-finances-publiques-Tome-1.pdf.

([463]) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/01-situation-ensemble-finances-publiques-Tome-1.pdf.

([464]) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20200225-01-TomeI-situation-ensemble-finances-publiques_0.pdf.

([465]) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20220216-rapport-RPA-2022.pdf.

([466]) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20230310-RPA-2023-situation-finances-publiques.pdf.

([467]) https://www.ccomptes.fr/fr/documents/68842.

([468]) https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-02/20250213-synthese-Situation-des-finances-publiques-debut-2025.pdf.