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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 mai 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES,
DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE
DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI,
visant à lutter contre la pédocriminalité (n° 369)
PAR M. Christophe NAEGELEN
Député
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SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION............................................ 5
COMMENTAIRE DES ARTICLES DE LA PROPOSITION DE LOI
LISTE DES CONTRIBUTIONS REÇUES
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Mesdames, Messieurs,
La pédocriminalité en ligne est, malheureusement, un phénomène massif dans notre pays. Selon Mme Gabrielle Hazan, ancienne cheffe de l’Office mineurs (Ofmin), la France serait le quatrième pays du monde à héberger le plus de contenus pédophiles. En 2023, son office avait d’ailleurs reçu 318 000 signalements, soit une moyenne de 870 par jour. Cela représente une augmentation de 12 000 % sur les dix dernières années.
Le développement des réseaux sociaux, en particulier, a exposé les mineurs à de nouveaux types d’atteintes en ligne : la « sextorsion », ou chantage à la photo intime, a ainsi représenté 12 000 signalements transmis à l’Ofmin en 2023.
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La lutte contre les comportements pédophiles en ligne représente, de longue date, un défi pour les forces de l’ordre et les services judiciaires. D’un point de vue pénal, il s’agit d’un phénomène mouvant, parfois difficile à imputer à un auteur.
Traditionnellement, le code pénal prévoyait un délit de corruption de mineur qui permettait de réprimer, bien qu’imparfaitement, ces comportements. Il réprimait également la diffusion de contenu pédopornographique, en particulier quand ce contenu risquait d’être vu par un mineur.
Néanmoins, force était de constater que ces délits ne suffisaient pas à poursuivre et à punir, de façon appropriée et juridiquement sécurisée, les actes pédocriminels qui se sont développés avec la diffusion d’internet et des réseaux sociaux.
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Face à cette situation, le législateur a, d’abord, créé de nouvelles infractions réprimant les atteintes commises en ligne contre des mineurs. Conscient de l’existence d’un continuum entre comportements pédophiles en ligne et hors ligne, il a cherché à punir ces comportements le plus en amont possible de la commission des atteintes les plus graves.
Deux lois du 5 mars 2007 ont ainsi permis de punir la consultation habituelle de contenus pédopornographiques en ligne et les propositions sexuelles faites à un mineur de quinze ans « ou à une personne se présentant comme telle ». Le législateur, au moment de définir cette seconde infraction, avait fait le choix de préciser que l’infraction était constituée y compris lorsqu’elle était commise à l’encontre d’un majeur se faisant passer pour un mineur.
Plus récemment, la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste a créé deux nouveaux délits punissant, d’abord, l’incitation d’un mineur à commettre tout acte de nature sexuelle et, ensuite, la sollicitation auprès d’un mineur de la diffusion ou de la transmission de contenu pédopornographique dudit mineur.
L’arsenal législatif à la disposition des services répressifs s’est donc étoffé afin de s’adapter à la diversité des actes pédocriminels en ligne.
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En parallèle, de nouveaux moyens d’enquête ont été autorisés. La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a ainsi permis aux enquêteurs de mener des enquêtes sous pseudonyme. Cette technique a été étendue en 2019 à l’ensemble des procédures portant sur des crimes et des délits punis d’une peine d’emprisonnement.
Cette technique est très efficace pour repérer des auteurs d’actes pédocriminels en ligne. Elle souffre néanmoins de certaines limites, dès lors que plusieurs infractions réprimant les atteintes contre des mineurs ne peuvent être constituées lorsqu’elles sont commises contre des majeurs se faisant passer pour des mineurs.
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Aussi, sur le modèle de ce qui avait été proposé en 2007 lors de la création du délit de propositions sexuelles à un mineur de quinze ans, la présente proposition de loi propose d’étendre la définition des délits de corruption de mineurs, d’incitation de mineur à commettre tout acte de nature sexuelle et de sollicitation de contenu pédopornographique auprès d’un mineur. Ces trois délits seraient dorénavant constitués dès lors qu’ils sont commis à l’encontre d’une personne majeure se faisant passer pour un mineur.
Cette proposition est issue des échanges du rapporteur avec des enquêteurs de terrain, qui regrettaient de ne pas pouvoir faire aboutir certaines procédures sur la base de faits qu’ils avaient constatés lors des enquêtes menées sous pseudonyme. Il s’agit d’une réponse pragmatique qui permet d’harmoniser les définitions des infractions pénales réprimant les atteintes sur mineur.
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L’ambition de cette proposition de loi est modeste : il s’agit d’un pas vers une meilleure répression des actes pédocriminels en ligne. Elle aura atteint son but si les nouvelles poursuites judiciaires qu’elle autorisera permettent d’éviter que certains de ces actes se traduisent par des faits plus graves hors ligne.
COMMENTAIRE DES ARTICLES DE LA PROPOSITION DE LOI
Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article unique de la proposition de loi complète la définition de plusieurs infractions sexuelles sur mineur pour prévoir que celles-ci sont constituées dès lors qu’elles sont commises à l’encontre d’une personne se présentant comme mineure. Cet ajout doit permettre de sécuriser les enquêtes sous pseudonyme réalisées par certains services de police et de gendarmerie pour la constatation de ces infractions.
Dernières modifications législatives intervenues
La loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur a complété la liste des actes qu’il est possible de réaliser lors des enquêtes sous pseudonyme prévues par l’article 230-46 du code de procédure pénale.
Position de la Commission
La Commission a adopté deux amendements du rapporteur, le premier précisant le champ de l’extension proposée par l’article et le second assurant l’application outre-mer des dispositions de la proposition de loi.
Le code pénal réprime les infractions sexuelles commises contre les mineurs à ses articles 227-22 à 227-28-3.
● L’article 227-22 punit le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. La Cour de cassation a rappelé que ce délit, qui reprend les éléments constitutifs de l’ancien délit d’excitation de mineur à la débauche, « incrimine les agissements, qui par leur nature, traduisent, de la part de leur auteur, la volonté de pervertir la sexualité d’un mineur » ([1]).
La répression de ces faits est aggravée à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende dans les cas suivants :
– lorsque le mineur a été mis en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communications électroniques ;
– lorsque les faits sont commis dans les établissements d’enseignement ou d’éducation ou dans les locaux de l’administration, ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou du public ou dans un temps très voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux.
Les mêmes peines sont applicables au fait, pour un majeur, d’organiser des réunions comportant des exhibitions ou des relations sexuelles auxquelles un mineur assiste ou participe ou d’assister en connaissance de cause à de telles réunions.
Le dernier alinéa de l’article porte la répression de l’ensemble de ces infractions à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque les faits sont commis à l’encontre d’un mineur de quinze ans. Le montant de l’amende encourue atteint un million d’euros lorsque les faits sont commis en bande organisée.
● L’article 227-22-1 réprime le fait pour un majeur de faire des propositions sexuelles à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle, en utilisant un moyen de communication électronique. Les peines encourues sont fixées à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende ; elles sont aggravées à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsque les propositions ont été suivies d’une rencontre.
Ce délit a été défini par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Au sein des dispositions du code pénal réprimant les infractions sexuelles commises contre les mineurs, il s’agit du seul article aux termes duquel l’infraction est constituée dès lors qu’elle est commise non seulement à l’encontre d’un mineur mais également à l’encontre d’une personne « se présentant comme telle ».
● L’article 227-22-2 punit, quant à lui, le fait pour un majeur d’inciter un mineur, par un moyen de communication électronique, à commettre tout acte de nature sexuelle, soit sur lui-même, soit sur ou avec un tiers, y compris si cette incitation n’est pas suivie d’effet. Les peines prévues sont de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende.
Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque les faits ont été commis à l’encontre d’un mineur de quinze ans. Le montant de l’amende encourue atteint un million d’euros lorsque les faits sont commis en bande organisée.
Cette infraction a été introduite par la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste.
● L’article 227-23-1 réprime le fait pour un majeur de solliciter auprès d’un mineur la diffusion ou la transmission d’images, de vidéos ou de représentations à caractère pornographique dudit mineur de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende.
Ces peines sont aggravées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque les faits sont commis à l’encontre d’un mineur de quinze ans. Le montant de l’amende encourue atteint un million d’euros lorsque les faits sont commis en bande organisée.
Cette infraction a été également été introduite par la loi du 21 avril 2021 citée supra.
Le code pénal réprime également les infractions sexuelles suivantes, lorsqu’elles sont commises contre les mineurs :
– la diffusion, la fixation, l’enregistrement ou la transmission de l’image ou de la représentation d’un mineur, lorsque cette image ou représentation présente un caractère pornographique (article 227-23, premier alinéa) ;
– la consultation habituelle ou en contrepartie d’un paiement d’un service de communication en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation et l’acquisition ou la détention de cette image ou représentation (article 227-23, quatrième alinéa) ;
– la fabrication, le transport et la diffusion d’un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, ou le commerce d’un tel message, lorsqu’il est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur (article 227-24) ;
– le fait de faire à un mineur des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques, ou d’user contre lui de pressions ou de contraintes de toute nature, afin qu’il se soumette à une mutilation sexuelle (article 227-24-1) ;
– l’atteinte sexuelle, lorsqu’elle est commise par un majeur, sur un mineur de quinze ans (article 227-25), l’atteinte sexuelle sur un mineur âgé de plus de quinze ans (article 227-27) et la tentative de ces délits (article 227-27-2) ;
– le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques afin qu’elle commette à l’encontre d’un mineur l’un des crimes ou délits de proxénétisme, de corruption de mineur, de production ou d’accès à des contenus pédopornographiques et d’atteintes sur mineur, lorsque ladite infraction n’a été ni commise ni tentée (article 227-28-3).
Il convient de noter que les personnes physiques reconnues coupables des infractions citées supra encourent, aux termes de l’article 227-29 du code pénal, les peines complémentaires suivantes :
– l’interdiction des droits civiques, civils ou de famille (1°) ;
– la suspension du permis de conduire (2°) ;
– l’annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis (3°) ;
– l’interdiction de quitter le territoire de la République (4°) ;
– la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit (5°) ;
– l’interdiction définitive ou temporaire d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs (6°). Le prononcé de cette peine complémentaire est rendu obligatoire, de façon définitive, par l’article 227-31-1 en cas de condamnation pour les infractions citées supra. La juridiction conserve néanmoins la possibilité de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur, ou de la prononcer pour une durée de dix ans au plus ;
– l’obligation d’accomplir un stage de responsabilité parentale (7°).
Par ailleurs, l’article 227-31 prévoit que les auteurs des infractions définies aux articles 227-22 à 227-27 peuvent également être condamnées à un suivi socio-judiciaire.
Enfin, l’article 227-33 prévoit que les personnes physiques coupables de corruption de mineur de moins de quinze ans et de tentative du délit prévu à l’article 227-23 relatif à la production, la diffusion ou l’accès habituel à des contenus pédopornographiques encourent également la peine complémentaire de confiscation de tout ou partie des biens leur appartenant ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont elles ont la libre disposition.
● La technique d’enquête sous pseudonyme, prévue par l’article 230-46 du code de procédure pénale, est autorisée aux seules fins de constater les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement commis par la voie de communications électroniques.
Ainsi, lorsque les nécessités d’une enquête ou d’une instruction le justifient, les officiers ou agents de police judiciaire agissant au cours de l’enquête ou sur commission rogatoire, s’ils sont affectés dans un service spécialisé et spécialement habilités à cette fin dans des conditions précisées par un arrêté des ministres de la justice et de l’intérieur, peuvent procéder sous pseudonyme à un certain nombre d’actes sans en être pénalement responsables.
Cette technique a été autorisée par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Auparavant limitée à certaines infractions, elle a été généralisée à tous les crimes et aux délits punis d’emprisonnement par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2002 et de réforme pour la justice ([2]).
● Le recours à l’enquête sous pseudonyme pour la constatation de certaines infractions a été validé par la jurisprudence constitutionnelle au regard des éléments suivants ([3]) :
– les actes pouvant être effectués sous pseudonyme sont des actes d’enquête et non des actes de procédure ;
– ces actes ne peuvent être accomplis que par des enquêteurs affectés dans des services spécialisés et spécialement habilités à cette fin ;
– certains des actes réalisés ([4]) (voir infra), doivent être autorisés par le procureur de la République ou le juge d’instruction et ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction.
● Les actes pouvant être autorisés dans le cadre d’une enquête sous pseudonyme sont les suivants :
– la participation à des échanges électroniques, y compris avec les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions (1°) ;
– l’extraction ou la conservation des données sur les personnes susceptibles d’être les auteurs de ces infractions et tout élément de preuve (2°) ;
– l’acquisition de tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service ou la transmission en réponse à une demande expresse, après autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction (3°). Le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) qui entendaient supprimer l’autorisation préalable par un magistrat lorsque l’objet de l’acquisition ou de la transmission est licite – tout en conservant cette autorisation lorsque cet objet est illicite –, considérant qu’une telle suppression privait de garanties légales le droit à un procès équitable ([5]) ;
– la mise à disposition des moyens juridiques ou financiers et des moyens de transport, de dépôt, d’hébergement, de conservation et de télécommunication en vue de l’acquisition, de la transmission ou de la vente par les personnes susceptibles d’être les auteurs des infractions visées de tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service, y compris illicite. Ces opérations doivent être autorisées, selon le cas de figure, par le procureur de la République ou le juge d’instruction (4°). Cette possibilité, ajoutée par la Lopmi, a été validée par le Conseil constitutionnel ([6]) au regard d’une triple condition : les actes d’enquête pouvant être effectués sous pseudonyme ne peuvent être accomplis que par des enquêteurs affectés dans des services spécialisés et spécialement habilités à cette fin ; ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction ; la mise à disposition des moyens juridiques, financiers ou matériels doit être autorisée par le procureur de la République ou le juge d’instruction.
L’avant-dernier alinéa de l’article 230-46 prévoit que l’autorisation prévue aux 3° et 4°, qui peut être donnée par tout moyen, est mentionnée ou versée au dossier de la procédure et rappelle que les actes autorisés ne peuvent constituer une incitation à commettre une infraction.
Le dernier alinéa de l’article rappelle, enfin, que les actes mentionnés aux 1° à 4° et rappelé supra s’effectuent sous le contrôle du procureur de la République ou du juge d’instruction.
En tout état de cause, les actes effectués dans le cadre d’une enquête sous pseudonyme ne peuvent constituer une provocation à commettre une infraction. L’interdiction d’une telle provocation découle du principe de loyauté de la preuve que la Cour de cassation déduit, en particulier, de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH).
L’appréciation de la provocation policière par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)
Selon sa position rappelée dans la décision du 15 janvier 2021 Akbay et autres c.Allemagne (requête n° 40495/15), la CEDH distingue la provocation policière de l’usage permissible de techniques spéciales d’investigation à l’aide d’un critère de fond et d’un critère procédural.
Pour l’appréciation du critère de fond, la Cour estime qu’il y a provocation policière lorsque les agents impliqués ne se limitent pas à examiner d’une manière purement passive l’activité délictueuse, mais exercent sur la personne qui fait l’objet d’une surveillance une influence de nature à l’inciter à commettre une infraction qu’elle n’aurait autrement pas perpétrée, pour en rendre possible la constatation, c’est-à-dire en apporter la preuve et la poursuivre.
Pour l’appréciation des garanties procédurales, la Cour examine la procédure suivie au sein des juridictions nationales, notamment au regard du respect du principe du contradictoire, afin de déterminer si celles-ci ont pris les mesures nécessaires pour faire la lumière sur les circonstances de l’enquête et que, le cas échéant, les conséquences en ont été tirées conformément à la Convention.
La Cour de cassation reconnaît, sur ce fondement, que « porte atteinte au principe de la loyauté de la preuve et au droit à un procès équitable, la provocation à la commission d’une infraction par un agent de l’autorité publique ou par son intermédiaire ; que la déloyauté d’un tel procédé rend irrecevables en justice les éléments de preuve ainsi obtenus » ([7]). En particulier, elle a établi que la provocation à la transmission d’images pédopornographiques constituait un procédé déloyal de recherche de preuve, qui était contraire, à ce titre, aux exigences conventionnelles ([8]).
Il convient de noter que ce principe de loyauté de la preuve ne s’applique pas aux parties privées. La Cour de cassation a ainsi reconnu « qu’aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; qu’il leur appartient seulement, en application de l’article 427 du code de procédure pénale, d’en apprécier la valeur probante » ([9]). La Cour reconnaît, dès lors, que la cour d’appel qui déclare irrecevable en preuve un document produit par la partie civile poursuivante parce qu’elle n’avait pu l’obtenir que de façon illicite méconnaît les dispositions de cet article 427 ([10]). Elle a également reconnu « qu’aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter des moyens de preuve remis par un particulier aux services d’enquête, au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale » ([11]). Les infractions commises peuvent, néanmoins, faire l’objet de poursuites de façon autonome.
L’article unique de la proposition de loi complète la définition des infractions réprimées aux articles 227-22, 227-22-2 et 227-23-1 pour prévoir que ces dernières sont constituées lorsqu’elles sont commises sur une personne se présentant comme un mineur. Il reprend, en ce sens, la solution introduite par l’article 227-22-1 du code pénal.
Cet ajout a vocation à sécuriser la conduite des enquêtes sous pseudonymes. Ainsi, l’extension de la formule retenue à l’article 227-22-1 du code pénal doit permettre d’inclure les cas où l’infraction sexuelle sur mineur n’est pas caractérisée en l’état du droit, en l’absence de victime effectivement mineure. Il s’agit, dans ce cas, d’un exemple d’infraction qualifiée de « putative » par la doctrine, dans la mesure où elle n’existe que dans l’esprit de son auteur, qui croit s’adresser à un mineur. L’élément matériel de l’infraction n’est, dès lors, pas caractérisé.
Les principes de légalité et d’interprétation stricte de la loi pénale s’opposent, en effet, à ce qu’une infraction réprimant certains faits lorsqu’ils sont commis à l’encontre d’un mineur puisse être caractérisée en présence d’un majeur se faisant passer pour un mineur.
En revanche, la proposition de loi ne modifie pas les dispositions relatives à l’enquête sous pseudonyme, qui restera soumise aux conditions actuelles. En particulier, l’interdiction de la provocation à la commission d’une infraction continuera à s’appliquer.
De fait, il ne s’agirait plus seulement de protéger les victimes mineures mais de sanctionner plus facilement certains agissements répréhensibles, en contribuant ainsi à prévenir la commission d’autres infractions. La préservation du cadre légal applicable à l’enquête sous pseudonyme doit assurer l’équilibre entre juste répression des comportements visés et interdiction de la provocation à l’infraction.
La Commission a adopté l’amendement CL5 du rapporteur pour préciser que cet article vise uniquement les comportements pédocriminels qui sont commis en ligne. L’amendement apporte également une modification rédactionnelle à l’article 227-22-1 du code pénal, dont la rédaction a inspiré les dispositions de la proposition de loi.
La Commission a également adopté l’amendement CL6 du rapporteur, qui assure l’application des dispositions de la proposition de loi en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna.
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Introduit par la Commission
Le présent article, issu de l’adoption de l’amendement CL2 de Mme Ozenne (EcoS), sollicite la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement dans un délai de six mois, sur les implications du développement de l’intelligence artificielle pour la lutte contre la pédocriminalité en ligne.
Il devra, à ce titre, comporter les éléments suivants :
– une évaluation des risques de l’usage de l’intelligence artificielle pour la génération, la diffusion ou l’utilisation de contenus pédopornograhiques ;
– une évaluation des moyens à mobiliser pour prévenir et réprimer le développement des infractions relevant de la pédocriminalité lié à l’usage de l’intelligence artificielle ;
– des propositions d’actions concrètes pour lutter contre ce phénomène, qu’il s’agisse des moyens techniques, juridiques et humains à mobiliser, de la coopération avec les plateformes numériques et du renforcement des services spécialisés de police, de gendarmerie et de justice.
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Lors de sa réunion du mercredi 7 mai 2025, la Commission examine, selon la procédure de législation en commission, la proposition de loi visant à lutter contre la pédocriminalité (n° 369) (M. Christophe Naegelen, rapporteur).
Lien vidéo : https://assnat.fr/RtKPSy
M. Christophe Naegelen, rapporteur. La pédocriminalité est malheureusement un phénomène particulièrement massif dans notre pays. L’ancienne cheffe de l’Office mineurs (Ofmin), Mme Gabrielle Hazan, que j’ai sollicitée dans le cadre de mes travaux, a relevé que la France était le quatrième plus grand hébergeur de contenus pédophiles au monde. En 2023, l’Office a d’ailleurs reçu 318 000 signalements pour des faits ou des contenus relevant de la pédocriminalité, soit 870 par jour en moyenne, ce qui représente une augmentation de 12 000 % en dix ans.
Nul besoin de le rappeler : la pédocriminalité en ligne est extrêmement grave. Lutter contre ce phénomène, c’est protéger, hors ligne, les mineurs d’atteintes potentiellement plus graves. De quelle manière agir ?
Le législateur a d’abord créé plusieurs infractions. Conscient du continuum existant entre pédocriminalité en ligne et hors ligne, il a cherché à punir les comportements le plus en amont possible. La loi réprime ainsi le délit de corruption de mineur qui, selon la Cour de cassation, correspond à la « volonté de pervertir la sexualité d’un mineur », les atteintes sexuelles sur mineur, ainsi que la production et la diffusion de contenus pédopornographiques, en particulier lorsque ceux-ci sont susceptibles d’être vus par un mineur.
Cependant, ces délits ne suffisent pas pour incriminer les comportements et les contenus pédocriminels, qui se sont massivement développés en ligne. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance punit ainsi le fait de consulter habituellement des contenus pédopornographiques en ligne. Quant à la loi, promulguée ce même 5 mars 2007, relative à la prévention de la délinquance, elle a créé un nouveau délit de proposition sexuelle faite à un mineur de 15 ans ou à une personne se présentant comme telle. C’est d’ailleurs cette dernière infraction qui a inspiré la présente proposition de loi – j’y reviendrai. Plus récemment, la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels de l’inceste a introduit les délits d’incitation d’un mineur à commettre tout acte de nature sexuelle, ainsi que de sollicitation auprès d’un mineur de la diffusion ou de la transmission de contenus à caractère pornographique dudit mineur, ce qui couvre notamment les cas de sextorsion.
L’arsenal législatif s’est donc étoffé afin de mieux lutter contre les différents comportements pédocriminels en ligne, mais il s’agit d’un phénomène mouvant, complexe aussi bien à constater qu’à imputer d’un point de vue légal. C’est dans cette optique que s’est développée l’enquête sous pseudonyme. Autorisée par la loi relative à la prévention de la délinquance, puis généralisée par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, elle peut s’appliquer aux crimes et aux délits punis d’emprisonnement. Dans ce cadre, les enquêteurs, spécialement habilités à cette fin, sont autorisés à réaliser certains actes en ligne. Ceux-ci ne doivent pas constituer une provocation à commettre une infraction et certains d’entre eux doivent être spécifiquement autorisés par le magistrat conduisant l’enquête. Très concrètement, afin de constater une infraction pédocriminelle, les policiers peuvent se faire passer pour des mineurs.
Le présent texte vise à remédier à plusieurs oublis, en étendant la possibilité de recourir à ce type d’enquête pour constater des infractions qui pourraient utilement être poursuivies lorsqu’elles sont commises à l’encontre d’un majeur se faisant passer pour un mineur : en l’occurrence, il s’agit des délits de corruption de mineur, d’incitation d’un mineur à commettre tout acte de nature sexuelle et de sollicitation de contenu pédopornographique auprès d’un mineur. Le but est de constater des faits répréhensibles par nature, commis à l’encontre d’une personne présumée mineure.
La proposition de loi est le fruit de nombreux échanges que j’ai eus avec des enquêteurs de terrain, qui regrettent que certaines infractions ne puissent être réprimées de façon autonome dans le cadre d’une enquête sous pseudonyme. Elle vise tout simplement à compléter notre arsenal judiciaire et à apporter des précisions pénales de nature à faciliter certaines enquêtes et à améliorer la détection des personnes se livrant à des actes pédocriminels en ligne.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Sandra Delannoy (RN). Avec l’explosion des usages numériques, la pédocriminalité connaît une recrudescence sans précédent. Comme l’ont rappelé M. le rapporteur ou encore Mme Véronique Béchu, cheffe du pôle stratégique de l’Office mineurs, les signalements ont bondi de 12 000 % en dix ans. En 2022, 88 millions d’images et de vidéos à caractère pédopornographique ont été signalées à travers le monde.
Face à cette réalité alarmante et en perpétuelle mutation, les enquêteurs ont dû adapter leurs méthodes. Depuis 2007, ils peuvent utiliser des techniques de cyberinfiltration, ce qui consiste à se faire passer pour un mineur sur les réseaux sociaux et plus largement sur internet afin d’identifier et d’interpeller des pédocriminels qui pensent s’adresser à des proies.
Or un vide juridique persiste. Si un adulte propose un acte sexuel à un enquêteur majeur se faisant passer pour un mineur, il n’encourt pas nécessairement de sanction. Ce décalage compromet la pleine efficacité de l’action des forces de l’ordre : un vide que la proposition de loi entend combler. L’urgence d’ajouter les mots « ou [d’]une personne se présentant comme telle » après le mot « mineur » au sein des articles 227-22, 227-22-2 et 227-23-1 du code pénal est donc évidente. Il y va de l’efficacité de la lutte contre les infractions que sont la corruption de mineur, l’incitation de mineur à commettre un acte sexuel et la sollicitation d’images pornographiques auprès d’un mineur. Ainsi, tout auteur d’actes pédocriminels convaincu de s’adresser à un mineur, même s’il s’agit en réalité d’un enquêteur adulte, pourra être poursuivi et sanctionné d’une même peine que s’il avait effectivement ciblé un mineur.
Une telle modification ne ferait que renforcer la cohérence et l’exhaustivité de notre arsenal législatif. Elle s’inspire de l’article 227-22-1 du code pénal, qui sanctionne toute proposition sexuelle faite à un mineur ou à une personne se présentant comme telle. En adoptant cette proposition de loi, nous affirmerions que ce qui compte est l’intention de l’auteur et sa dangerosité manifeste à l’égard du mineur. Nous donnerions aussi aux enquêteurs un levier juridique solide pour sécuriser les procédures et empêcher l’impunité.
Dans un monde où le contrôle parental sur internet n’est pas toujours effectif et dans lequel les parents mettent parfois eux-mêmes leurs enfants en danger en les surexposant sur les réseaux sociaux, il est de notre devoir de parlementaires d’anticiper et de prévenir la malveillance, ainsi que de punir les comportements déviants qui mettent nos enfants en danger. Le groupe Rassemblement national soutiendra donc ce texte. Protéger les enfants des prédateurs sexuels du quotidien et sur internet, et plus largement protéger l’enfance dans son ensemble, doit rester une priorité absolue pour notre République.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Cette proposition de loi porte sur un sujet de premier plan et d’une profonde gravité, la pédocriminalité : les affaires Bétharram et Le Scouarnec en témoignent.
Derrière la froideur des chiffres, il faut prendre la mesure de ce que rapporte la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) : 3,9 millions de femmes et 1,5 million d’hommes ont été confrontés à des violences sexuelles avant l’âge de 18 ans ; une femme sur dix commence sa vie sexuelle par un rapport contraint, c’est-à-dire un viol.
Ce ne sont pas à proprement parler contre ces violences que le texte entend agir, mais plutôt contre la grande nébuleuse de la corruption des mineurs sur internet qui les entoure. Les réseaux brassent, à l’échelle européenne, 88 millions d’images pédopornographiques, lesquelles génèrent, en France, 800 signalements par jour. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes : le défi est colossal.
Pardonnez-moi mais, pourtant, vous choisissez de vous y attaquer avec une petite cuillère. En reconnaissant comme victimes les adultes se faisant passer pour des mineurs, votre texte permettra peut-être – je dis bien peut-être – d’augmenter à la marge le nombre de poursuites, étant rappelé que la jurisprudence de la Cour de cassation penche en réalité déjà en ce sens. Ainsi, face à la montagne des infractions pédocriminelles, vous accouchez d’une souris, le texte n’apportant qu’un complément de rédaction au code pénal.
La souris est d’autant plus inoffensive que la mesure s’inscrit dans le double contexte de l’effondrement des moyens des services publics chargés de la lutte contre la pédocriminalité et des scandales, qui révèlent une omerta d’une ampleur nationale sur les actes pédocriminels commis dans les écoles privées catholiques, pourtant sous contrat avec l’État, chargé de les contrôler. Ce sont deux versants qui se réunissent autour d’un seul homme, François Bayrou, homme de l’austérité budgétaire ainsi que du silence, du mensonge et de l’inaction sur le scandale pédocriminel de Bétharram.
Que pourra votre texte alors que le gouvernement a encore rogné par décret 140 millions d’euros sur le budget de la justice il y a dix jours, après l’avoir déjà amputé l’an dernier par 49.3, et alors qu’il a supprimé cette année 5 000 postes au sein de la police judiciaire, qu’il manque des centaines de juges des enfants, d’éducateurs, de psychologues, et de places d’hébergement pour protéger les 160 000 enfants violentés sexuellement chaque année ? Que pourra votre texte alors que nous manquons tellement de places d’accueil que des enfants passent des castings pour obtenir un lit en foyer, comme nous l’apprend un juge des enfants du tribunal de Lille ? Nous regrettons que le texte n’y change rien.
J’en viens à l’autre versant de la montagne : les institutions qui couvrent les violences sexuelles sur mineur. Pourquoi n’évoquez-vous pas les différents scandales en cours, éléphants au milieu de la pièce ? Pourquoi, alors que vous êtes tout à coup très concernés par la pédocriminalité, n’appelez-vous pas à la démission d’un premier ministre qui a menti devant l’Assemblée nationale et qui persiste à couvrir ces institutions ? Les 200 plaintes, dont 90 pour violences sexuelles, liées à l’affaire Bétharram ont libéré la parole partout en France. Le silence se brise et des centaines de plaintes affluent contre des criminels sexuels couverts par l’Église, avec la bénédiction de M. Bayrou et de l’éducation nationale, qui n’a diligenté aucune enquête dans ce lycée pendant trente ans.
Nous devons prendre conscience de la gravité de ces affaires et de leur caractère systémique. Et si j’évoque ces violences pédocriminelles, c’est parce que je m’inquiète que le numérique fasse oublier celles commises physiquement et qu’en réduisant votre texte à la cybercriminalité, vous en oubliiez les systèmes qui couvrent les agressions. L’urgence doit-elle être d’adopter un texte marginal ou d’agir contre l’incroyable scandale du financement, par de l’argent public, d’institutions protégeant les violeurs et les agresseurs partout en France ?
À Notre-Dame de Bétharram, il y avait des enfants : de jeunes garçons par centaines à qui les adultes jouèrent des tours de passe-passe dégueulasses. Parler, pour un garçon, comme c’est difficile… S’avouer victime de violences sexuelles, plutôt mourir, disent-ils parfois. En prenant leur courage à dix mains, alors qu’ils n’ont pas pu prendre leurs jambes à leur cou, ils ont parlé, dans l’espoir de se faire entendre. Pour reprendre la formule de Judith Godrèche, « tout le monde savait », et plus encore celui qui gouverne aujourd’hui le pays. Il savait et que dit-il ? Je vous invite à ne pas cesser d’y penser.
M. Pierre Cazeneuve (EPR). La pédocriminalité est un fléau qui a pris une ampleur particulière avec l’avènement d’internet et les nouvelles technologies. Comme le soulignent les travaux du rapporteur, l’Office mineurs indique que l’on peut trouver 88 millions de photos et vidéos à caractère pédopornographique en ligne et que 870 signalements de ces contenus ont lieu chaque jour en France auprès de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) – ce qui représente une hausse de 12 000 % en dix ans. Ces chiffres sont évidemment très préoccupants et par ailleurs probablement sous-estimés, sachant que les évolutions à venir, tel que le déploiement de l’intelligence artificielle, appellent une vigilance redoublée.
La protection des mineurs et la répression des prédateurs ne doivent souffrir d’aucun retard de la part des pouvoirs publics en ce qui concerne les nouvelles technologies et ses nouveaux usages. Pour faire face à la pédocriminalité en ligne, des enquêteurs peuvent recourir à l’infiltration sous pseudonyme, technique par laquelle ils se font passer pour des mineurs sur les réseaux sociaux, forums, chats ou jeux en ligne, afin de piéger des prédateurs, de les identifier, de récolter des preuves et même de procéder à des interpellations. Ces techniques sont explicitement permises par le code de procédure pénale et par la jurisprudence, tout en étant encadrées.
L’infiltration sous pseudonyme participe de la réussite de certaines opérations d’envergure, à l’instar de l’opération Horus, qui a permis l’interpellation de soixante-quatre personnes sur tout le territoire entre la fin novembre 2023 et la mi-février 2024. Cette technique est désormais indispensable pour traquer et punir ceux qui échangent des contenus pédopornographiques ; ceux qui ciblent des mineurs et profitent de leur vulnérabilité sur internet à des fins sexuelles.
Vos travaux, monsieur le rapporteur, ont mis en lumière un vide juridique qu’il convient de combler rapidement. Vous l’avez rappelé, des infractions comme la corruption de mineur, l’incitation d’un mineur à accomplir un acte de nature sexuelle et l’extorsion d’images pornographiques à un mineur ne sont caractérisées que lorsqu’elles sont effectivement commises sur un mineur. L’interprétation stricte du droit empêche les poursuites lorsque les faits sont commis sur un enquêteur participant à une cyberinfiltration. D’autres comportements infractionnels doivent ainsi être constatés afin de pouvoir poursuivre le pédocriminel concerné devant la justice pénale.
Il est de la responsabilité du législateur d’écarter tous les obstacles à la protection des mineurs en ligne et à la répression efficace de la pédocriminalité : c’est tout le sens de cette proposition de loi, qui permettra donc de traduire devant les tribunaux les prédateurs qui sollicitent des majeurs infiltrés en pensant s’attaquer à des mineurs. Le groupe Ensemble pour la République soutiendra donc ce texte, qui facilitera le travail de nos enquêteurs et de la justice.
Nous appelons également de nos vœux une réflexion plus large, dans un futur proche, sur certains enjeux connexes. Premièrement, outre les enquêteurs assermentés, dont c’est le métier, nous savons que des citoyens procèdent aussi à des infiltrations sous pseudonyme pour détecter les pédocriminels. Cette pratique doit être encadrée et éventuellement intégrée au présent dispositif. Deuxièmement, sous peine d’être dépassés par les nouveaux usages, nous devons progresser en matière de prévention, d’éducation à la vie affective et numérique, de protection contre les deepfakes, d’intelligence artificielle et de traitement algorithmique. Sanctionner plus sévèrement certains comportements ne doit plus être tabou.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Protéger les enfants des prédateurs sexuels est une priorité absolue. Un pays capable de voter des mesures dérogatoires pour lutter contre le narcotrafic doit avoir la même ambition et la même volonté pour protéger ses enfants.
Les chiffres de la pédocriminalité en ligne, vertigineux, reflètent l’ampleur du phénomène. En 2021, cela a été dit, 85 millions d’images et de vidéos pédocriminelles ont été découvertes dans le monde. En dix ans, le nombre de ces contenus a augmenté de 6 000 % dans le monde, tandis que l’Europe, ainsi que l’a dit le rapporteur, en est devenu le principal fournisseur : plus de 60 % d’entre eux y sont hébergés.
L’augmentation du temps passé devant les écrans, notamment depuis les confinements, a fait des enfants et des adolescents des cibles de choix pour les pédocriminels. Internet est devenu leur moyen privilégié d’assouvir leurs pulsions. C’est une porte dérobée sans verrou, qui leur donne directement accès aux enfants.
Selon Véronique Béchu, avec qui j’ai, moi aussi, échangé récemment, en 2024, 170 000 signalements – j’insiste sur ce chiffre – de contenus pédocriminels en ligne avaient été transmis à l’Office mineurs, ce qui signifie qu’environ 465 enquêtes devraient être ouvertes chaque jour en France. J’en profite pour saluer le travail exceptionnel, précis, engagé et minutieux de l’Ofmin, tout en rappelant qu’il ne compte que 18 personnels spécialisés, contre 52 aux Pays-Bas et 321 au Royaume-Uni. Le nombre d’enquêteurs est donc insuffisant.
C’est aussi un travail de prévention et de sensibilisation qui doit être mené. Les parents n’ont en effet aucune conscience de l’impact de leurs propres pratiques. Les photographies d’enfants partagées par leurs parents sur les réseaux sociaux sont utilisées et détournées grâce à l’intelligence artificielle pour créer des contenus pédocriminels. De même, nos enfants doivent être sensibilisés, dans le cadre des programmes scolaires, sur l’importance de protéger eux-mêmes leur image et sur les risques associés à l’intelligence artificielle. Enfin, notre législation doit s’adapter pour lutter efficacement contre la pédocriminalité en ligne. En 2007, le législateur a renforcé les prérogatives des officiers et agents de police judiciaire – les fameux cyberpatrouilleurs – en leur permettant de se faire passer pour des mineurs sur les réseaux sociaux ou sur les sites de discussion pour piéger les pédocriminels.
Cette possibilité n’existe que pour une seule infraction, définie à l’article 227-2-1 du code pénal et vous proposez fort opportunément de l’étendre à d’autres délits, ce qui permettrait d’enfin renforcer l’efficacité des enquêtes sous pseudonyme. Le groupe SOC votera donc évidemment cette proposition de loi.
Nous regrettons néanmoins qu’elle ne soit placée qu’en sixième position de votre niche parlementaire. Le texte ne souffre d’aucun débat et fait l’unanimité. Eu égard aux chiffres exposés, son utilité est évidente : la protection de nos enfants doit être une priorité nationale. La mobilisation collective et transpartisane devra donc, plusieurs collègues l’ont dit, se poursuivre, car les pédocriminels sont très rusés pour utiliser toutes les évolutions technologiques. Et n’oublions pas l’engagement de la France à l’échelle européenne pour contraindre les plateformes à détecter les contenus pédocriminels.
M. le président Florent Boudié. J’en profite pour indiquer que nous ferons le compte, à l’issue de la session parlementaire, de toutes les propositions de loi qui, inscrites dans le cadre des journées réservées aux groupes, n’auront pas été discutées en séance publique après leur examen complet en commission. Il va de soi que ni les rapporteurs, ni les textes ne sont en cause : c’est l’organisation de nos travaux qui pose problème.
Mme Émilie Bonnivard (DR). Depuis une dizaine d’années, internet et les réseaux sociaux sont devenus les principaux vecteurs d’approche des mineurs par les prédateurs sexuels. C’est un fléau qui touche notre société. Les chiffres de l’Office mineurs sont alarmants : des signalements en hausse de 12 000 % en dix ans, 88 millions de contenus pédopornographiques signalés dans le monde en 2022. Les criminels s’adaptent et utilisent le numérique comme outil pour assouvir leurs pulsions. Leurs techniques sont sophistiquées : manipulations émotionnelles, sextorsion, utilisation de forums cryptés ou du dark web.
La protection des plus vulnérables, à commencer par nos enfants, étant évidemment notre mission première, je remercie le groupe LIOT et le rapporteur d’avoir déposé cette proposition de loi, dont l’objectif principal est de combler un vide juridique et de mettre notre code pénal en cohérence, afin de pouvoir poursuivre pénalement et efficacement les individus qui sollicitent sexuellement des mineurs, ou des forces de l’ordre se présentant comme telles dans le cadre de cyberinfiltrations. Il s’agit de sécuriser le travail des enquêteurs ainsi que les procédures judiciaires.
Depuis 2007, les cyberinfiltrations sont légales pour certains crimes graves, parmi lesquels les infractions sexuelles contre les mineurs. Cependant la jurisprudence opère une stricte interprétation du terme « mineur », le réservant à une personne réelle. Autrement dit, les enquêteurs se faisant passer pour des mineurs afin de traquer et de piéger les prédateurs – ce qui est une technique efficace – ne sont pas reconnus comme des victimes, ce qui fragilise évidemment tout l’édifice juridique.
J’y insiste : le numérique a modifié la criminalité et il est impératif que notre droit évolue au même rythme. En comblant un vide juridique, nous soutenons concrètement les forces de l’ordre dans leurs cyberinfiltrations. Nous leur donnons les moyens de mieux protéger nos enfants face aux prédateurs en ligne.
Au-delà de ce texte, qui ne porte que sur un seul aspect, il convient, autant que possible, de réaffirmer l’autorité de l’État dans la sphère numérique, qui est une zone de non-droit. C’est un défi considérable face auquel nous peinons à avancer concrètement et efficacement. Nous devons nous adapter aux nouvelles pratiques en étendant notre législation. C’est d’autant plus essentiel s’agissant de l’exploitation de nos enfants à des fins pédopornographiques, d’images de cette nature et de pédophilie en ligne. Évidemment, le groupe Droite républicaine votera ce texte.
Mme Sandra Regol (EcoS). Cela a été répété, le nombre de signalements de contenus pédopornographiques en ligne auprès de Pharos a explosé, tandis que la France est le cinquième hébergeur de contenus pédocriminels en Europe et le neuvième dans le monde. Tout ceci devrait nous effrayer. On estime à 750 000 le nombre de pédocriminels actifs sur internet chaque jour dans le monde. Or 52 % des consommateurs de ce type de contenus estiment que cet usage pourrait aboutir à l’agression d’un enfant. À cet égard, ce sont 160 000 enfants qui sont victimes de violences sexuelles chaque année dans notre pays, soit un toutes les trois minutes.
Internet et les réseaux sociaux sont devenus un espace de traque pour les prédateurs sexuels. Les affaires qui bousculent la France, qu’elles soient liées à la télévision, au cinéma, ou encore aux écoles privées, à l’image de l’affaire Bétharram, qui permet enfin aux victimes d’être entendues, nous rappellent cruellement combien l’inaction est criminelle en ce domaine. Face à l’intensification de ce fléau dans l’espace numérique, nous ne pouvons donc pas attendre.
La proposition de loi tend à clarifier le droit, en consacrant dans la loi la jurisprudence selon laquelle il est possible de poursuivre des personnes qui pensent s’adresser à des mineurs, même si cela signifie qu’il n’y a pas de victime réelle. Ce faisant, nous préviendrions tout revirement jurisprudentiel et renforcerions la sécurité juridique des enquêtes menées dans le cadre de cyberinfiltrations.
Cependant, la lutte contre la pédocriminalité ne saurait se cantonner à une légère modification de notre arsenal législatif. Elle doit devenir une priorité nationale et ne pas se limiter à une réponse pénale.
Comme je l’ai dit à Stéphane Viry, rapporteur du précédent texte examiné par notre commission, j’ai bien conscience que les journées d’initiative parlementaire ne nous permettent pas de travailler sur des textes d’envergure. Il s’agit néanmoins d’un outil pour appeler au développement d’actions de prévention auprès des mineurs pour leur permettre de repérer les comportements pédocriminels, qu’ils aient lieu dans la réalité ou en ligne. L’éducation à la vie affective et sexuelle, qui permet aux enfants de comprendre quand un adulte joue avec eux pour tenter d’abuser d’eux, peut nous y aider, tout comme la formation à une utilisation responsable des outils numériques. Bref, nous devons outiller les mineurs pour qu’ils puissent se protéger, alerter et qu’ils se sentent légitimes à exprimer leur refus, leurs doutes, leur non-consentement.
Ces formations sont prévues dans le code de l’éducation, mais ne sont que trop rarement dispensées dans les établissements, faute de moyens essentiellement. Nous serions d’ailleurs enclins à soutenir, au sein d’une loi-cadre contre les violences sexuelles, les préconisations des associations en faveur d’un entretien individuel annuel pour tous les enfants, afin de repérer les violences le plus tôt possible. Une fois de plus, nous ne disposons pas des moyens afférents, alors qu’il s’agirait d’un outil majeur.
Nous encourageons enfin la sensibilisation à la ligne d’écoute Stop – service téléphonique d’orientation et de prévention –, ainsi que le développement de la justice restaurative pour prévenir les passages à l’acte et les récidives.
Le groupe Écologiste et social votera cette proposition de loi, tout en appelant de ses vœux une politique bien plus ambitieuse de lutte contre la pédocriminalité – mais je ne doute pas que c’est aussi votre cas, monsieur le rapporteur.
M. Éric Martineau (Dem). Cette proposition de loi vise à renforcer l’arsenal pénal pour lutter contre la pédocriminalité. Elle part du constat que le développement des technologies de l’information et de la communication s’accompagne d’une forte recrudescence des images et vidéos à caractère pédopornographique. Sur des sites et des plateformes, des majeurs entrent en contact avec des mineurs pour la diffusion ou la transmission d’images à caractère pornographique, voire les incitent à commettre un acte de nature sexuelle. Alors que les signalements auprès de l’Office mineurs ont augmenté de 12 000 % en dix ans, nous devons redoubler d’efforts pour lutter contre ce fléau qu’est la pédopornographie.
La procédure pénale et les techniques d’enquête se sont déjà beaucoup adaptées. La police et la gendarmerie sont désormais capables de rechercher des preuves numériques sur internet, grâce à des cyberinfiltrations. Cette technique d’enquête, de plus en plus utilisée pour appréhender les pédocriminels qui sévissent en ligne, permet d’enquêter sous pseudonyme, en se faisant passer pour un mineur, afin de donner rendez-vous au pédocriminel. Mais, face à l’ampleur de la menace, nous ne devons pas nous arrêter là.
Notre devoir de législateur est de garantir aux enfants la meilleure protection contre la pédopornographie en nous assurant que, dans le cadre d’une cyberinfiltration, les pédocriminels pourront être condamnés même s’ils s’adressent à une personne majeure, si leur intention était bien de s’adresser à un mineur. Actuellement, seul l’article du code pénal relatif au grooming – ou pédopiégeage, soit le fait, pour un adulte, de proposer, par le biais des technologies de la communication et de l’information, une rencontre à un mineur dans le but de commettre une infraction sexuelle – couvre le cas d’un pédocriminel sollicitant un enquêteur adulte se faisant passer pour un mineur.
Pour d’autres infractions sexuelles commises contre les mineurs – notamment celles de corruption de mineur, d’incitation d’un mineur à commettre un acte sexuel et de sollicitation auprès d’un mineur de la diffusion ou de la transmission d’images et de vidéos à caractère pornographique –, le code pénal ne couvre pas les faits, s’ils concernent un policier ou un gendarme se faisant passer pour un mineur. Le présent texte doit nous permettre de combler ce vide juridique et de nous assurer que les pédocriminels seront condamnés pour leurs actes. Le groupe Les Démocrates votera en faveur de ce texte, qui apporte des précisions utiles pour la lutte contre la pédocriminalité.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Les infractions sexuelles commises contre les mineurs sont désormais réprimées par le code pénal comme elles doivent l’être, à la hauteur de ce que ces actes représentent pour les victimes : des atteintes inacceptables à l’intimité de leur corps et, plus largement, à leur dignité. Les sanctions relatives aux actes de pédocriminalité ont en effet été renforcées au fil des années, tandis que de nouvelles infractions ont été créées par le législateur, par exemple dans la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs et délits sexuels et de l’inceste, à l’origine de l’article 227-23-1 du code pénal qui sanctionne « le fait pour un majeur de solliciter auprès d’un mineur la diffusion ou la transmission d’images, vidéos ou représentations à caractère pornographique dudit mineur » de « sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende ».
Les chiffres de la pédocriminalité connaissent toutefois depuis dix ans une inquiétante tendance à la hausse, parallèlement à un courageux mouvement de libération de la parole des victimes, notamment d’inceste. Les nouvelles technologies et les réseaux sociaux ont contribué à cette explosion des chiffres. Ainsi, alors que l’Office mineurs avait reçu en 2013 3 200 signalements de contenus pédocriminels échangés en ligne, ce service de police judiciaire chargé de lutter contre les infractions les plus graves commises à l’encontre des mineurs en a reçu 318 000 en 2022, soit une haute du nombre de signalements de 12 000 %. Ce chiffre et toutes les douleurs individuelles, familiales et collectives qu’il représente doivent nous appeler à un sursaut de mobilisation. Dans ce contexte grave, toutes les initiatives visant à renforcer les sanctions de ces comportements intolérables ne peuvent être que les bienvenues.
C’est pourquoi la présente proposition, inscrite à l’ordre du jour par le groupe LIOT dans le cadre de sa journée d’initiative parlementaire, est la bienvenue. Elle vise à étendre les infractions de pédocriminalité aux actes visant une personne « se présentant comme » mineure, comblant le vide juridique auquel font face les enquêteurs qui ne peuvent faire avancer certains dossiers. Alors que les cyberinfiltrations sont autorisées depuis 2007, elles ne peuvent conduire à des condamnations effectives, puisqu’actuellement, les auteurs des actes sont punis par la loi s’ils s’adressent à un mineur mais non s’ils s’adressent à un majeur se faisant passer pour un mineur. Une évolution du droit pénal semble dès lors nécessaire. Le groupe Horizons & indépendants votera donc en faveur de cette proposition de loi.
M. Paul Molac (LIOT). La sphère du numérique est devenue un terrain de chasse pour les prédateurs sexuels. La cyberpédocriminalité s’intensifie, en passant par toutes les voies de communication électronique – réseaux sociaux, messageries cryptées, plateformes en ligne, darknet. Les chiffres qui révèlent l’ampleur de ce phénomène sont glaçants. En 2023, l’Office mineurs faisait état de près de 320 000 signalements contre 3 200 il y a dix ans. Cela représente 870 signalements par jour. Derrière ces chiffres, il y a des millions de victimes. En France, chaque année, on estime que 160 000 enfants subiraient des violences sexuelles. Nous avons amélioré notre arsenal juridique, en permettant la cyberinfiltration et ses vastes coups de filet. Nous sanctionnons les actes de grooming, grâce à des enquêteurs se faisant passer pour des mineurs. Toutefois, il reste des trous dans la raquette : les actes visant des enquêteurs se faisant passer pour des mineurs ne sont pas couverts pour d’autres infractions. Les policiers déplorent cette lacune.
Cette proposition de loi, comme toutes celles présentées dans le cadre des journées d’initiative parlementaire, a par définition un objet limité. Elle ne réglera donc pas tout le problème. Toutefois, elle répondra à une demande des professionnels réprimant la pédocriminalité.
Le champ des infractions de corruption de mineur en ligne, d’incitation en ligne d’un mineur à commettre un acte sexuel, mais aussi de sollicitation en ligne d’un mineur pour obtenir des images ou vidéos à caractère pédopornographique sera ainsi étendu. Cette avancée permettra de redonner toute leur efficacité aux enquêtes en ligne des policiers et de garantir que les enquêteurs obtiendront des condamnations à la hauteur des infractions. Nous remercions le rapporteur pour son implication en faveur de ce texte que nous voterons.
Mme Émeline K/Bidi (GDR). Selon une étude de l’association e-Enfance sur les premiers pas des enfants sur internet, 46 % des enfants sont équipés d’un smartphone avant leurs 10 ans et, en moyenne, les enfants commencent à utiliser internet avant l’âge de 6 ans. Puisque nous ne pouvons pas empêcher les enfants d’aller sur internet, il faut déplacer les dispositifs de protection sur internet. Protéger les enfants d’internet implique de s’attaquer aux pédocriminels en ligne – ce que vous faites avec cette proposition de loi, qui n’est pas simplement un texte de coordination.
Les chiffres font froid dans le dos : 870 signalements de contenu pédocriminel ont été transmis chaque jour en 2023. La France est le quatrième pays au monde pour la quantité de contenus pédocriminels hébergés, juste derrière les États-Unis, la Russie et les Pays-Bas. En dix ans, les signalements ont augmenté de 12 000 %.
Pour s’attaquer à ce fléau, nous multiplions les enquêtes sur internet, notamment avec la technique d’infiltration sous pseudonyme. Le droit en vigueur permet aux enquêteurs, non pas d’inciter à la commission d’infraction, mais de se faire passer pour des mineurs, dans le cadre d’enquêtes judiciaires, notamment en matière de cyberpédocriminalité. Toutefois, à cause du manque de moyens des ministères de la justice et de l’intérieur, les autorités peinent à traiter la masse croissante des signalements. Elles se heurtent en outre à quelques lacunes législatives.
Votre proposition de loi permettra de combler certaines d’entre elles, en étendant le nombre d’infractions pour lesquelles il est possible à recourir à des enquêtes sous pseudonyme, qu’elles soient menées par des professionnels ou par des citoyens engagés. De fait, des collectifs se constituent pour aider les enquêteurs à faire face à ce fléau – par exemple, la Team Moore, créée à La Réunion en 2019, qui compte plus de cinquante membres, actifs dans cinq pays, dont la France, a permis 75 interpellations et 36 condamnations de prédateurs sexuels en trois ans. Le travail de ces citoyens engagé doit être salué, même si les enquêtes sur la pédocriminalité sont dangereuses et ne doivent pas être prises à la légère.
Nous voterons cette proposition de loi sans réserve et nous saluons le travail accompli.
Mme Sophie Ricourt Vaginay (UDR). Notre groupe soutiendra sans réserve cette proposition de loi. Bien que brève, celle-ci comblera une brèche insupportable dans notre édifice pénal. Un adulte cherchant à piéger un enfant peut encore échapper à toute poursuite sous prétexte que le mineur auquel il croyait s’adresser était un policier infiltré, dissimulé derrière un écran et une fausse identité. Ce vide juridique revenait à confondre l’apparence et le réel, à ignorer l’intention criminelle, à laisser impunis des actes d’une extrême gravité.
Ce texte corrige l’absurde. Il affirme que l’intention de corrompre un mineur doit être jugée indépendamment du fait que la personne visée soit effectivement mineure. Il étend le champ de plusieurs infractions pour couvrir les sollicitations adressées à des majeurs se présentant comme mineurs et renforce ainsi la cohérence de notre droit, dans la lignée de l’article 227-22-1 du code pénal.
Surtout, ce texte donnera aux enquêteurs les moyens d’agir, de prévenir, d’infiltrer les réseaux, les forums, les plateformes où rodent les prédateurs. Dans un monde où les criminels se déplacent à la vitesse d’un clic, notre droit ne peut rester figé. Ce texte constitue un sursaut de lucidité face aux dangers du numérique, et un sursaut de responsabilité envers les plus vulnérables, nos enfants. En attendant d’aller plus loin, le groupe UDR le votera avec détermination.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons à une intervention à titre individuel.
M. Olivier Marleix (DR). Profitons de l’examen de cette proposition de loi – que nous ne pouvons que soutenir – pour revenir sur la question des messageries chiffrées, abordée lors de la discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Certains ici ont défendu ces messageries envers et contre tout, refusant le bras de fer avec leurs gestionnaires prévu par la proposition de loi. Pourtant, les messageries chiffrées sont le refuge des pédocriminels, des terroristes et des gros trafiquants de drogue.
Les mineurs sont souvent piégés en amont sur des réseaux ouverts, avant que les données ne soient partagées sur des réseaux cryptés. Ce combat doit encore être mené. Je me réjouis que notre commission ait l’ambition d’avancer à ce sujet.
M. le président Florent Boudié. Dans quelques instants, dans le cadre de la réunion du bureau de la commission, j’évoquerai la création, à très court terme, d’un groupe de travail informel sur le déchiffrement des messageries chiffrées, auquel chacun des groupes qui le souhaite pourra être associé. Nous verrons si des conclusions communes sont possibles à court terme.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Oui, madame Capdevielle, le présent texte est placé en sixième position de l’ordre du jour en séance publique le 15 mai, mais nous comptons ajuster cet ordre du jour au cours des débats pour nous assurer de son adoption – de fait, grâce à la procédure de législation en commission (Plec), l’examen du présent texte ne devrait pas excéder une dizaine de minutes.
C’est vrai, Madame K/Bidi, cette proposition de loi est plus qu’un texte de coordination, même si elle en est aussi un, car elle permet de coordonner des articles du code pénal. Pour nous assurer de l’adoption du texte pendant notre niche, nous avons renoncé à aller plus loin.
Madame Cathala, dans un tel cadre, il ne serait pas possible de défendre un texte de cinquante articles traitant de manière complète la pédocriminalité. La loi a déjà beaucoup évolué. Actuellement, ce sont surtout les moyens qui manquent pour l’appliquer.
Selon vous, avec le présent texte, nous nous attaquerions au problème « avec une petite cuillère ». De fait, ce texte ne vise à combler qu’un trou dans la raquette. Il y en a sans doute d’autres. S’il permet toutefois à des enquêteurs d’empêcher certains prédateurs de faire des victimes, j’en serai satisfait.
Article unique (art. 227-22, 227-22-2 et 227-23-1 du code pénal) : Répression des infractions sexuelles sur mineur lorsque celles-ci sont commises à l’encontre d’une personne se présentant comme un mineur dans le cadre d’une enquête sous pseudonyme
Amendement CL5 de M. Christophe Naegelen
M. Christophe Naegelen, rapporteur. À la suite de mes échanges avec le ministère de la justice, je propose ici des aménagements rédactionnels pour sécuriser juridiquement l’extension de la définition des infractions de la pédocriminalité en ligne.
M. Pierre Cazeneuve (EPR). Vous avez mentionné les nombreux citoyens engagés à titre bénévole dans la traque de pédocriminels. Ils utilisent également les techniques d’enquête sous pseudonyme, en lien ou non avec le ComCyberGend – commandement de la gendarmerie dans le cyberespace –, l’Anssi – Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information – ou autres.
À l’époque où nous ne disposions pas d’enquêteurs spécialisés en matière de pédocriminalité, certains mouvements étaient déjà très impliqués dans ces questions. Pouvez-vous nous assurer que cette proposition de loi protégera les enquêteurs citoyens, même s’ils n’ont pas les mêmes prérogatives que les enquêteurs professionnels ? Les infractions qu’ils constateront seront-elles couvertes grâce à ce texte ?
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Comme toute modification du code pénal, l’extension prévue des infractions bénéficiera indirectement à ces enquêteurs.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CL1 de Mme Julie Ozenne
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). L’article 227-28-3 du code pénal réprime « le fait de faire à une personne des offres ou des promesses ou de lui proposer des dons, présents ou avantages quelconques » afin qu’elle commette certains crimes et délits de proxénétisme ou de corruption de mineurs, de pédopornographie ou d’atteinte sexuelle à des mineurs. Il vise ainsi des infractions qui entrent dans le périmètre de cette proposition de loi, et dont le champ devrait également être étendu.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. L’extension que vous proposez n’est pas adaptée. En effet, l’article 227-28-3 du code pénal ne vise pas spécifiquement les actes en ligne, qui sont l’objet du présent texte.
En outre, l’article 227-28-3 permet déjà de réprimer le fait, pour un individu, d’inciter une personne à commettre un délit ou un crime contre un mineur, même lorsque cette incitation n’a conduit ni à la commission de l’infraction, ni à une tentative de la commettre. Il permet donc de couvrir les incitations qui seraient adressées à un enquêteur majeur se présentant comme mineur. Ainsi, la précision demandée créerait simplement de la confusion. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL6 de M. Christophe Naegelen
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination avec les outre-mer, usuel en matière pénale.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article unique modifié.
Après l’article unique
Amendement CL2 de Mme Julie Ozenne
Mme Sandra Regol (EcoS). Un rapport sur les risques de l’intelligence artificielle (IA) en matière de pédocriminalité en ligne serait utile.
M. Christophe Naegelen, rapporteur. Avis favorable. La question est intéressante au vu du développement de l’IA, même si je n’aime pas beaucoup les demandes de rapport – il faudrait comparer le nombre de rapports produits et le nombre de ceux qui sont lus.
Mme Sandra Regol (EcoS). De nouveaux outils permettent de réaliser des images truquées de haute qualité, qui associent aux visages d’adultes ou d’enfants des corps dénudés. Puisque ces questions sont d’une haute technicité, nous avons besoin d’outils supplémentaires.
Mme Colette Capdevielle (SOC). Nous voterons en faveur de cet amendement, en espérant qu’il aura une vertu pédagogique. Il faut alerter les parents qui ne voient pas de mal à la diffusion massive des images de leurs enfants sur les réseaux sociaux. Or ces photos de famille sont sexualisées par l’intelligence artificielle puis diffusées dans le monde entier et, une fois que les pédocriminels ont été interpellés, les images – qui concernent des mineurs de plus en plus jeunes, parfois des enfants de moins de 3 ans, des bébés – restent en ligne.
Cet amendement permettra un travail transpartisan sur un phénomène effroyable dont nous mesurons aujourd’hui l’ampleur. En tant que parlementaires, nous devons exercer un rôle de sensibilisation de nos concitoyens en la matière.
La commission adopte l’amendement. L’article 2 est ainsi rédigé.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi, visant à lutter contre la pédocriminalité (n° 369) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
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LISTE DES CONTRIBUTIONS REÇUES
● Direction des affaires criminelles et des grâces
● Office mineurs
([1]) Cour de cassation, chambre criminelle, 20 février 2013, décision n° 12-90-074.
([2]) Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.
([3]) Conseil constitutionnel, décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019.
([4]) En l’espèce, il s’agissait de l’acquisition ou la transmission d’un contenu, produit, substance, prélèvement ou service, le cas échéant illicite.
([5]) Conseil constitutionnel, décision n° 2022-846 DC du 19 janvier 2023.
([6]) Ibid.
([7]) Cour de cassation, chambre criminelle, 11 mai 2006, n° 05-84.837.
([8]) Ibid.
([9]) Cour de cassation, chambre criminelle, 15 juin 1993, n° 92-82.509.
([10]) Ibid.
([11]) Cour de cassation, chambre criminelle, 27 janvier 2010, n° 09-83.395.