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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 mai 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 1170),
DE MM. VINCENT CAURE et DAMIEN GIRARD,
visant à soutenir le Danemark et le Groenland
et à œuvrer en faveur d’une plus grande coopération en matière de défense,
PAR MM. Vincent CAURE et Damien GIRARD,
Députés
La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Laurent MAZAURY, Mmes Manon BOUQUIN, M. Thierry SOTHER, vice‑présidents ; M. Maxime MICHELET, secrétaire ; MM. Henri ALFANDARI, Gabriel AMARD, Karim BENBRAHIM, Guillaume BIGOT, Mmes Céline CALVEZ, Colette CAPDEVIELLE, MM. Vincent CAURE, François-Xavier CECCOLI, Mme Sophia CHIKIROU, M. Roger CHUDEAU, Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, MM. Jocelyn DESSIGNY, Julien DIVE, Nicolas DRAGON, Damien GIRARD, Michel HERBILLON, Mmes Catherine HERVIEU, Mathilde HIGNET, M. Sébastien HUYGHE, Mmes Sylvie JOSSERAND, Marietta KARAMANLI, M. Bastien LACHAUD, Mme Hélène LAPORTE, M. Jean LAUSSUCQ, Mme Constance LE GRIP, MM. Pascal LECAMP, Matthieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Emmanuel MAUREL, Mmes Yaël MENACHÉ, Danièle OBONO, M. Frédéric PETIT, Mme Anna PIC, M. Pierre PRIBETICH, Mme Isabelle RAUCH, MM. Alexandre SABATOU, Aurélien SAINTOUL, Charles SITZENSTUHL, Mmes Michèle TABAROT, Sophie TAILLÉ‑POLIAN, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.
SOMMAIRE
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Pages
A. Un statut unique, fondé sur l’histoire et le droit international
1. Une souveraineté établie historiquement et juridiquement
2. Un statut d’autonomie interne encadré par le droit international
B. Les déclarations inquiétantes de Donald Trump sur le Groenland
C. Des ambitions affichées contraires au droit international et à la Charte de l’ONU
1. Une remise en cause des principes fondamentaux du droit international
2. Une négation du droit à l'autodétermination des populations groenlandaises
3. Une atteinte à l'égalité souveraine entre États alliés
II. Un territoire au centre des rivalités stratégiques et économiques entre grandes puissances
1. La fonte des glaces et l'ouverture de nouvelles routes maritimes
2. Les ressources naturelles et le sous-sol du Groenland
B. Une région marquée par des tensions et une coopération fragile
1. La militarisation croissante de l'Arctique
2. Le rôle ambigu de la Chine dans l’Arctique
3. Le délitement progressif des cadres de coopération
A. Soutenir diplomatiquement et militairement le Danemark et le Groenland
1. Un soutien diplomatique et politique à renforcer
2. Des soutiens militaires ciblés dans le respect du droit international
3. Une coopération directe renforcée avec le Groenland
B. Relancer la coopération régionale de défense entre alliés arctiques
1. Vers une coordination renforcée des États européens de l’Arctique
2. Consolider le rôle des enceintes parlementaires régionales
C. Actualiser la stratégie arctique de la France et de l’Europe
1. La France, moteur d'une stratégie arctique actualisée
2. Vers une stratégie européenne intégrant pleinement les enjeux de sécurité
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPEENNE INITIALE
AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION
PROPOSITION DE RÉ֤֤SOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION
Mesdames, Messieurs,
Le Groenland, vaste territoire arctique d’environ 2 millions de km² pour seulement 56 000 habitants, est devenu malgré lui l’objet d’une crise diplomatique inédite. Pour la première fois depuis la Guerre froide, un allié historique de l’Europe, les États-Unis, met frontalement en cause la souveraineté d’un État européen sur une partie de son territoire. Le président américain Donald Trump a ainsi fait état à plusieurs reprises de son intention « d’acquérir » le Groenland, tout en refusant d’exclure clairement la possibilité d’un recours à la force à cette fin. De telles menaces, inimaginables il y a peu, choquent par leur gravité : elles bafouent les principes fondamentaux du droit international, qui prohibent l’acquisition de territoires par la contrainte, et portent atteinte au droit à l’autodétermination du peuple groenlandais. Elles interviennent en outre dans un contexte arctique déjà sous tension, marqué par la course aux ressources naturelles, la fonte accélérée des glaces et la rivalité croissante des grandes puissances (Russie, Chine, États-Unis).
Face à cette situation extraordinaire, l’Union européenne et ses États membres sont appelés à réagir avec fermeté et lucidité, en affirmant leur attachement au respect du droit, à la souveraineté des États, et en renforçant leur autonomie stratégique dans une région clé pour l’avenir de la planète.
La présente proposition de résolution vise à réaffirmer la solidarité de la France à l’égard du Danemark et du Groenland, et à encourager une réaction européenne claire et cohérente face à cette situation. Ce soutien ne relève pas d’un réflexe diplomatique automatique, mais d’un choix politique fondé sur le droit, la lucidité et la responsabilité. Il s’agit d’abord de rappeler que la souveraineté du Danemark sur le Groenland repose sur une base juridique incontestable, établie de longue date et qui n’a jamais été remise en cause par la communauté internationale. Il s’agit ensuite de prendre en considération le contexte géopolitique de l’Arctique, marqué par la fonte des glaces, la compétition stratégique et les convoitises économiques, qui appelle une présence européenne plus résolue dans la région. Enfin, il s’agit d’affirmer que l’Union européenne, si elle veut préserver la stabilité, la paix et l’équilibre de son environnement proche, ne peut tolérer que des logiques de puissance viennent y dicter leur loi.
Le soutien au Danemark et au Groenland dépasse en effet le cadre d’un contentieux bilatéral. Ce qui est en jeu est notre vision de l’ordre international, fondé sur le droit et non sur la force, mais également l’avenir de l’Europe dans l’Arctique : sa capacité à défendre ses intérêts, ses partenaires, ses principes. C’est pourquoi la France doit non seulement exprimer sa solidarité, mais aussi proposer des initiatives concrètes pour renforcer la coopération entre Européens dans cette région et mettre à jour sa propre stratégie arctique ainsi que celle de l’Europe.
I. Réaffirmer, dans le respect du droit à l’autodétermination, la souveraineté du Danemark sur le Groenland contre les velléités IMPERIALISTES de l’administration Trump
A. Un statut unique, fondé sur l’histoire et le droit international
Le Groenland entretient avec le Danemark un lien politique et juridique ancien, reconnu de longue date par la communauté internationale.
Ancienne colonie danoise, l’île a été intégrée au Royaume du Danemark en 1953, perdant à cette date son statut colonial pour devenir un territoire à part entière du Danemark. Le Groenland a cependant acquis depuis cette date une large autonomie interne, avec un régime d’auto-gouvernance instauré en 1979, puis étendu en 2009, confiant aux autorités groenlandaises la gestion de la quasi-totalité des affaires domestiques (notamment l’éducation, la santé et la gestion des ressources). Les compétences régaliennes stratégiques sont quant à elles réservées au gouvernement de Copenhague, notamment la politique étrangère, la défense et la sécurité, la justice et la police, ainsi que la monnaie.
Ce partage des compétences, fruit d’une évolution pacifique et négociée, assure au Groenland une autonomie encadrée à même de garantir l’unité du Royaume du Danemark.
1. Une souveraineté établie historiquement et juridiquement
Sur le plan du droit international, la souveraineté danoise sur le Groenland ne fait l’objet d’aucune contestation légale sérieuse. Dès 1916, les États-Unis eux-mêmes ont reconnu formellement la souveraineté du Danemark sur le Groenland à l’occasion des négociations du Traité visant à la cession des Antilles danoises (les actuelles îles Vierges américaines, vendues aux États-Unis en 1917). Par la suite, lorsqu’un litige territorial a opposé le Danemark à la Norvège au sujet du Groenland oriental, la Cour permanente de Justice internationale (ancêtre de la Cour internationale de Justice) a tranché sans ambiguïté en faveur du Danemark en confirmant que ce dernier exerçait une autorité légitime sur l’ensemble du Groenland dans son arrêt du 5 septembre 1933 ([1]).
Ce jugement fait toujours autorité et entérine en droit la pleine appartenance du Groenland au Royaume danois. La situation juridique actuelle du Groenland, celle d’un territoire autonome sous souveraineté danoise est par conséquent fondée sur des titres historiques et juridiques solides, reconnus par les autres États depuis plus d’un siècle.
2. Un statut d’autonomie interne encadré par le droit international
Il convient également de rappeler la singularité du statut international du Groenland vis-à-vis de l’Union européenne. Ayant rejoint la Communauté européenne en même temps que le Danemark en 1973, le Groenland s’en est retiré en 1985 à la suite d’un référendum local (principalement en raison d’un désaccord avec la politique commune de la pêche).
Depuis, l’île bénéficie d’un statut de Pays et territoire d’outre-mer (PTOM) associé à l’UE. Concrètement, le Groenland ne fait plus partie du marché commun (ou marché intérieur) et ne participe plus aux institutions européennes. Toutefois ses habitants conservent la citoyenneté européenne (via leur citoyenneté danoise) et l’île reste éligible à des fonds européens de développement. Le traité de retrait du Groenland ([2]) de 1985 et la décision UE 2021/1764 du Conseil, du 5 octobre 2021 ([3]), encadrent ce partenariat spécifique, qui reconnaît à la fois l’autonomie du Groenland et son lien privilégié avec l’Europe.
Rien dans ce statut n’affecte toutefois la souveraineté : le Groenland demeure en droit international une partie intégrante du Danemark, jusqu’à ce que les Groenlandais décident éventuellement de l’indépendance. Les autorités de Copenhague et de Nuuk, la capitale groenlandaise, ont régulièrement rappelé qu’« il appartient au Groenland de décider lui-même de son indépendance », comme l’a affirmé la Première ministre danoise Mette Frederiksen ([4]), position de principe réitérée en janvier 2025 lors d’un échange officiel entre cette dernière et le président américain nouvellement élu. Le droit à l’autodétermination du peuple groenlandais est ainsi reconnu et le Danemark a indiqué qu’il en respecterait le résultat s’il venait à être exercé à travers un référendum.
Du point de vue juridique et historique, la situation du Groenland ne souffre donc aucune ambiguïté. Un siècle de reconnaissances explicites et de jurisprudence internationale confirme que le Groenland n’est pas terra nullius et n’appartient à aucun autre État que le Danemark. Ce consensus juridique international a perduré tout au long de la Guerre froide – période durant laquelle le Groenland, territoire occidental, revêtait déjà une importance stratégique majeure – et n’a jamais été remis en cause officiellement par aucun pays, pas même l’URSS pendant cette période. Il est donc particulièrement alarmant de voir aujourd’hui surgir une contestation politique de cette souveraineté, émanant de surcroît d’un État allié.
B. Les déclarations inquiétantes de Donald Trump sur le Groenland
Donald Trump a commencé à évoquer publiquement son intérêt pour l’acquisition du Groenland dès son premier mandat, en août 2019, affirmant que cela serait « stratégiquement intéressant » ([5]). Face au refus ferme de la Première ministre danoise, il a alors annulé une visite d’État à Copenhague. Peu avant sa deuxième entrée en fonction, en décembre 2024, Donald Trump a exprimé son souhait de renforcer le contrôle des États-Unis sur des territoires stratégiques tels que le canal de Panama, le Canada et le Groenland, dont l’acquisition était devenue selon lui « absolument nécessaire pour la sécurité nationale des États-Unis » ([6]), insistant sur leur intérêt stratégique et demeurant ambigu quant aux moyens envisageable pour atteindre cet objectif.
Peu après la visite au Groenland de son fils, Donald Trump Jr, le président Trump a franchi un nouveau seuil le 7 janvier 2025 en répondant de façon ambigüe à une question concernant un éventuel recours à la force vis-à-vis du Canada, du canal de Panama et du Groenland ([7]). Enfin, lors d’un discours prononcé à Dayton (Ohio) le 4 mars 2025, Donald Trump a réaffirmé son intérêt pour le Groenland en déclarant : « Je pense que nous allons l'obtenir, d'une manière ou d'une autre. Nous allons l'obtenir » ([8]).
De façon plus explicite, lors d’une conversation téléphonique tenue le 15 janvier 2025 avec la Première ministre danoise Mette Frederiksen, Donald Trump a insisté pour que le Danemark cède le Groenland aux États-Unis et menacé d'imposer des tarifs douaniers punitifs en cas de refus de la part du Danemark.
C. Des ambitions affichées contraires au droit international et à la Charte de l’ONU
1. Une remise en cause des principes fondamentaux du droit international
Ces menaces, qui n’ont jusqu’à présent été suivies d’aucune mesure concrète, n’en constituent pas moins une remise en cause frontale de la souveraineté danoise et une violation manifeste du droit international public. En demandant au Danemark de renoncer à ses droits sur le Groenland au profit des États-Unis, le président américain conteste la légitimité même de la souveraineté danoise, pourtant établie et reconnue depuis des décennies.
Par ailleurs, à l’évidence, en refusant d’écarter explicitement un recours à la force, il menace de transgresser l’un des principes fondamentaux de l’ordre international contemporain, l’Article 2 § 4 de la Charte des Nations unies en application duquel « les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État », un principe que le président des États-Unis devrait rappeler comme une évidence lorsque l’occasion lui en est donnée. Menacer d’envahir ou d’annexer un territoire étranger contre la volonté de l’État qui y exerce sa souveraineté constitue précisément une menace de recours à la force, telle que prohibée par la Charte.
Les déclarations de Donald Trump sont par ailleurs difficilement conciliables avec le principe de l'inviolabilité des frontières, en particulier dans un contexte où d'autres remises en cause récentes de ce principe ont eu lieu, notamment l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et l'agression russe contre l'Ukraine depuis 2022. Comme l’a rappelé le Chancelier allemand Olaf Scholz en soutien au Danemark, « l’intangibilité des frontières est un principe fondamental du droit international, [qui] doit s’appliquer à tous » ([9]). Aucune grande puissance – fut-elle alliée – ne peut donc revendiquer une exception pour elle-même et s’arroger le droit de redessiner la carte au gré de ses intérêts stratégiques.
Les propos tenus par M. Trump ont provoqué des réactions vives au sein de l’UE. Dans un premier temps, la réaction de Bruxelles a été mesurée, la Commission adoptant une attitude prudente face à des déclarations jugées extravagantes, mais face à la répétition et à l’escalade du discours américain, le ton européen s’est durci fin janvier 2025. Le commissaire européen à la Défense, Andrius Kubilius, a ainsi déclaré que « nous sommes prêts à défendre notre État membre, le Danemark », tandis que la France a affirmé que si le Danemark demandait la solidarité de ses partenaires, « la France [serait] au rendez-vous ». Ces déclarations officielles rappellent clairement une évidence : l’Union européenne, ne tolérera pas qu’un de ses membres subisse une dépossession territoriale par la contrainte.
2. Une négation du droit à l'autodétermination des populations groenlandaises
Les menaces américaines sont d’autant moins défendables qu’elles nient également le droit à l’autodétermination des populations groenlandaises. Prétendre « acheter » le Groenland ou l’annexer aux États-Unis revient en effet à ignorer la volonté de sa population, laquelle semble massivement opposée à une telle perspective. Un sondage d’opinion réalisé fin janvier 2025 indique que 85 % des habitants du Groenland refusent de devenir américains ou de quitter le Royaume du Danemark. Seuls 6 % se déclarent favorables à un rattachement aux États-Unis ([10]). Près de la moitié des Groenlandais perçoivent même l’intérêt affiché par Donald Trump comme une menace, contre 43 % y voyant une éventuelle opportunité, ce qui témoigne avant tout de l’inquiétude suscitée par l’attitude américaine.
La réaction des autorités locales a ainsi été claire et immédiate : le gouvernement groenlandais et le Parlement de l’île (Inatsisartut) ont réaffirmé que le Groenland n’était pas à vendre et que l’avenir du territoire ne pouvait être décidé sans son peuple. L’attitude de Donald Trump va donc à l’encontre d’un troisième principe fondamental, celui du consentement des populations, le droit international reconnaissant aux peuples un rôle central dans le choix de leur destin politique, ce qui rendrait illégitime toute tentative d’annexion contre la volonté des habitants du Groenland.
3. Une atteinte à l'égalité souveraine entre États alliés
Au-delà de leur aspect juridique, il convient de souligner combien ces menaces constituent un affront direct à un allié démocratique des États-Unis. Le Danemark est membre de l’OTAN depuis la fondation de l’Alliance en 1949 et participe loyalement à la défense collective occidentale ([11]). Voir Washington envisager des mesures coercitives (le président américain évoquant même la possibilité de sanctions commerciales contre le Danemark si celui-ci refusait de céder le Groenland) plonge Copenhague dans une situation diplomatique intenable dans laquelle un pays européen pourrait se voir forcé de négocier sa propre intégrité territoriale sous la pression de son principal partenaire – et protecteur – militaire.
Une telle attitude heurte frontalement le principe de souveraine égalité des États inscrit à l’article 2 § 1 de la Charte de l’ONU. Le respect de la souveraineté du Danemark n’est pas négociable. Si l’Europe ne défendait pas fermement son partenaire danois dans cette épreuve, cela créerait un précédent dangereux par lequel la loi du plus fort primerait sur les traités et le droit. Chaque recul face à ce type de velléité expansionniste, quelle qu’en soit l’origine, ne ferait qu’entamer notre crédibilité et nous rendre davantage vulnérables, décuplant ainsi le prix à payer lorsque nous déciderions finalement, et tardivement, de ne plus céder.
La revendication américaine sur le Groenland est irrecevable juridiquement et inacceptable politiquement. Elle viole simultanément la Charte des Nations unies, la jurisprudence internationale, les principes de base de la coexistence pacifique et la volonté démocratique des peuples concernés. Y céder ou même l’acter tacitement reviendrait à saper l’ordre international fondé sur le droit, que la France et l’Union européenne s’attachent au contraire à promouvoir et défendre. La présente résolution vise donc avant tout à condamner ces propos et réaffirmer notre entière solidarité avec les autorités danoises et groenlandaises pour faire respecter le droit. Le soutien exprimé n’est pas seulement symbolique : il s’agit de montrer qu’aucune intimidation ne pourra faire plier un État souverain européen sur un sujet territorial. Cette posture de principe est le prélude nécessaire à toute action concrète de soutien.
II. Un territoire au centre des rivalités stratégiques et économiques entre grandes puissances
S’opposer aux récentes déclarations américaines ne suffit cependant pas. La querelle diplomatique dont fait l’objet le Groenland s’inscrit en effet dans des dynamiques géopolitiques profondes qui bouleversent l’ensemble de l’Arctique. La fonte accélérée de la banquise, la course aux ressources stratégiques et l’essor des ambitions militaires dans la région redéfinissent les équilibres internationaux. Dans ce contexte, le Groenland occupe une position géographique et stratégique essentielle, qui explique l'intérêt croissant des grandes puissances pour son contrôle L’Europe doit prendre conscience de ces enjeux et adapter ses politiques en conséquence.
A. Le Groenland, pivot stratégique arctique au cœur d’une région devenue un enjeu pour les grandes puisances
L’Arctique s’impose de plus en plus comme un théâtre majeur des relations internationales au XXIe siècle. Plusieurs facteurs expliquent cette montée en puissance. En premier lieu, le changement climatique y est plus rapide et visible qu’ailleurs : la température de l’air dans l’Arctique augmente près de quatre fois plus vite que la moyenne mondiale depuis la fin des années 1970 ([12]).
1. La fonte des glaces et l'ouverture de nouvelles routes maritimes
Le réchauffement accéléré entraîne une fonte dramatique de la banquise et des glaces terrestres. En été, l’étendue de la banquise arctique a diminué de près de 40 % en 40 ans, ouvrant progressivement des passages maritimes autrefois impraticables.
À moyen terme, c’est-à-dire dans quelques décennies, on anticipe des routes navigables saisonnières à travers l’océan Arctique : le passage du Nord-Ouest canadien et la route maritime du Nord longeant la Sibérie pourraient devenir praticables chaque été. Cette perspective aiguise les appétits commerciaux, car ces routes réduiraient considérablement les distances entre l’Europe, l’Asie et l’Amérique. La route polaire entre l’Asie et l’Europe est ainsi jusqu’à 40 % plus courte que le trajet via le canal de Suez.
2. Les ressources naturelles et le sous-sol du Groenland
En second lieu, la fonte des glaces ouvre l’accès à des ressources naturelles encore inexploitées. L’Arctique recèlerait environ 13 % des réserves mondiales non découvertes de pétrole et 30 % de celles de gaz naturel ([13]), selon les estimations de l’US Geological Survey. S’y ajoutent d’abondantes ressources minérales : minerais de fer, de zinc, uranium, et surtout les terres rares, ressources stratégiques indispensables aux technologies modernes. Le sous-sol groenlandais, en particulier, pourrait renfermer assez de terres rares pour couvrir au moins un quart de la demande mondiale future ([14]), dans un contexte où la transition énergétique et numérique accroît les besoins. Ces richesses latentes suscitent l’intérêt croissant des grandes puissances.
Le Groenland occupe une position centrale dans cette dynamique. Par sa superficie (quatre fois la France métropolitaine) et sa localisation, l’île commande l’accès à l’océan Arctique depuis l’Atlantique nord. Elle se situe à la frontière entre l’espace euro-atlantique et le grand nord polaire. Sa côte occidentale est bordée par la baie de Baffin et le détroit de Davis, qui mènent vers le passage du Nord-Ouest canadien. Sa côte orientale donne sur l’océan Arctique via le détroit de Danemark et la mer du Groenland, route vers l’archipel norvégien du Svalbard et la Russie arctique. En outre, le Groenland se trouve sur la trajectoire des routes aériennes polaires et abrite des installations cruciales pour le système de défense nord-américain. Durant la Guerre froide, les États-Unis y ont construit la base aérienne de Thulé (aujourd’hui base de Pituffik), qui demeure à ce jour un élément clef du dispositif de radar d’alerte avancée et de surveillance spatiale de l’US Air Force. Cette base, établie en 1951 en application d’un accord de défense bilatéral américano-danois, forme la première ligne de la défense aérienne de l’hémisphère nord. Elle héberge des radars de détection des missiles balistiques et fait désormais partie du réseau du Commandement spatial des États-Unis. Autrement dit, le Groenland occupe une position géostratégique de tout premier ordre pour la défense du continent nord-américain et pour le contrôle de l’Arctique.
L’intérêt américain pour le Groenland n’est donc pas nouveau. Dès 1946, les États-Unis avaient proposé d’acheter le Groenland au Danemark pour 100 millions de dollars – offre refusée par Copenhague. Pendant la Seconde guerre mondiale, les États-Unis ont temporairement occupé l’île pour prévenir une invasion allemande, et cette présence militaire s’est ensuite pérennisée dans le cadre de l’OTAN. Washington considère le Groenland comme vital pour sa sécurité nationale depuis plus d’un siècle. Dans la doctrine stratégique américaine, dominer le Groenland et l’ensemble de l’arc arctique nord-américain est indispensable pour contrer toute menace venant du pôle (autrefois les bombardiers soviétiques, aujourd’hui d’éventuels missiles russes ou chinois), et pour garantir la protection du monde libre, selon les termes employés par M. Trump lui-même. Le président américain a d’ailleurs qualifié l’acquisition du Groenland de « nécessité absolue pour la sécurité des États-Unis », en laissant entendre qu’un refus danois serait un acte « très inamical ».
Cette rhétorique de sécurité est renforcée par des intérêts économiques : l’administration Trump, comme d’autres avant elle, voit dans le Groenland un moyen d’accès aux ressources arctiques et ne souhaite pas laisser à la Chine (qui domine aujourd’hui le marché des terres rares) ou à la Russie le monopole de leur exploitation.
L’ouverture possible de nouvelles voies maritimes dans l’Arctique pourrait par ailleurs modifier les grands équilibres du commerce international au bénéfice des acteurs qui contrôleront les principaux passages stratégiques. À cet égard, le Groenland et l’archipel voisin des Îles Féroé (autre territoire autonome sous souveraineté danoise) constituent des étapes stratégiques entre l’Europe et l’Amérique du Nord dans le couloir maritime transatlantique et vers l’océan Arctique.
B. Une région marquée par des tensions et une coopération fragile
1. La militarisation croissante de l'Arctique
L’intérêt accru des grandes puissances se traduit par une militarisation progressive de l’Arctique. La Russie, qui possède près de la moitié du littoral arctique (de la mer de Barents au détroit de Béring), a entrepris depuis les années 2000 de renforcer considérablement sa présence militaire dans la région. Moscou a rouvert d’anciennes bases soviétiques au-delà du cercle polaire, en a construit de nouvelles (notamment sur l’archipel de Nouvelle-Zemble et autour de la péninsule de Taïmyr) et a déployé des systèmes de défense côtière et aérienne de pointe (missiles antinavires Bastion, batteries de défense aérienne S-400, etc.) tout au long de la « Route maritime du Nord ». La Flotte russe du Nord, basée à Severomorsk, a été dotée de brise-glace à propulsion nucléaire et de sous-marins modernisés capables d’opérer sous la banquise. Cette montée en puissance vise autant à sécuriser le flanc nord de la Russie qu’à asseoir ses ambitions sur les ressources (la Russie revendique l’extension de son plateau continental jusqu’au pôle Nord) et les routes maritimes arctiques qu’elle souhaite contrôler. La guerre en Ukraine depuis 2022 a encore accentué les tensions en interrompant la coopération avec la Russie dans l’Arctique. Symboliquement, le Conseil de l’Arctique – principal forum de concertation réunissant les huit États arctiques (Russie, États-Unis, Canada, Danemark, Norvège, Suède, Finlande, Islande) – a été fortement perturbé : en 2022-2023, les Occidentaux ont boycotté les réunions sous présidence russe, et la reprise des activités normales du Conseil reste incertaine tant que la situation géopolitique demeure dégradée.
Face à la Russie, les pays occidentaux ont également revu leur posture. Les États-Unis ont publié en 2019 ([15]) puis 2022 ([16]) de nouvelles stratégies pour l’Arctique, insistant sur la compétition entre grandes puissances dans la région. L'OTAN, historiquement peu impliquée directement dans l'Arctique, par souci de limiter la militarisation de la région et de ménager les équilibres politiques sensibles entre alliés et vis-à-vis de la Russie. a commencé à accorder plus d’attention au Grand Nord. Des exercices militaires conjoints de grande envergure, tels que « Cold Response » en Norvège, ont eu lieu. En 2022, pour la première fois, un sommet de l’OTAN a mentionné l’importance de l’Arctique et la nécessité de protéger les routes transatlantiques nord. L’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN en 2023-2024 intègre désormais quasiment tout le flanc nord-européen dans l’Alliance, renforçant la coordination occidentale dans cette région. Le Danish Defence Agreement 2023-2024, équivalent danois de notre Livre blanc de la défense, prévoit un investissement de 14,6 milliards de couronnes danoises (environ 1,95 milliard d’euros) pour renforcer la présence militaire du Danemark dans l’Arctique, en particulier au Groenland et dans l’Atlantique Nord. De son côté, le Canada a annoncé des plans de modernisation de son système NORAD d’alerte arctique en coopération avec les États-Unis, et accru ses patrouilles dans l’Extrême-Arctique archipélagique canadien. En d’autres termes, l’Arctique est bel et bien en voie de remilitarisation, certes encore mesurée par rapport à d’autres régions, mais suffisante pour alimenter un climat de méfiance.
La récente crise autour du Groenland s’inscrit dans cette logique : le Danemark a ainsi poursuivi en 2025 la ratification d’un accord de défense bilatéral signé en 2023 avec les États-Unis (sous la présidence Biden) visant à permettre une présence militaire américaine élargie sur le sol danois, y compris au Groenland ([17]), accord aujourd’hui critiqué par une partie de l’opinion danoise mais défendu par Copenhague comme nécessaire face à la menace russe.
2. Le rôle ambigu de la Chine dans l’Arctique
La Chine entend également jouer un rôle en Arctique. Puissance « non arctique » par la géographie, la Chine s’est néanmoins autoproclamée « État proche de l’Arctique » (near-Arctic state) dès 2018 et a déployé une diplomatie active dans la région. La Chine a obtenu le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique, investi massivement dans des projets miniers en Arctique (notamment en partenariat avec la Russie en Sibérie pour le gaz naturel liquéfié du projet Yamal), et même tenté de financer des infrastructures au Groenland. En 2017, le gouvernement groenlandais, à la recherche de capitaux pour développer ses aéroports, s’était tourné vers une entreprise chinoise. Face à l’inquiétude de ses alliés, le Danemark est finalement intervenu en finançant lui-même les aéroports, écartant ainsi l’investisseur chinois. De même, un projet minier de terres rares dans le sud du Groenland impliquant une société australienne à capitaux chinois (mine de Kvanefjeld) a été suspendu après les élections groenlandaises de 2021 qui ont porté au pouvoir un gouvernement opposé à l’extraction d’uranium associée au projet. La présence chinoise en Arctique reste pour l’instant économique et scientifique (stations de recherche polaire, investissements), Pékin n’ayant pas de rôle militaire direct dans la région.
Mais son alliance stratégique renforcée avec Moscou peut la conduire à soutenir indirectement la position russe sur certaines questions arctiques (par exemple en s’abstenant de critiquer la militarisation russe). Pour les Occidentaux, l’irruption de la Chine ajoute un facteur de concurrence économique et technologique dans l’Arctique, et nourrit la crainte d’une remise en cause des équilibres actuels. L’Union européenne, notamment, est attentive à ne pas perdre l’accès aux ressources du Groenland qui pourraient diminuer sa dépendance vis-à-vis de la Chine sur les métaux rares.
Cette dimension économique stratégique se double d’une préoccupation normative : l’UE promeut un agenda environnemental strict en Arctique (elle prône par exemple l’interdiction de tout nouveau projet pétrolier ou gazier dans la région pour lutter contre le changement climatique), ce qui la met en décalage à la fois avec la Russie, les États-Unis de l’ère Trump, et les intérêts chinois.
Le Groenland se retrouve ainsi au croisement de multiples enjeux globaux : sécurité militaire, compétition économique et urgences environnementales planétaires.
3. Le délitement progressif des cadres de coopération
Malgré ces tensions, l’Arctique a longtemps été un espace de coopération pacifique. Le Conseil de l’Arctique, créé en 1996 par la Déclaration d’Ottawa, demeure un forum essentiel de dialogue sur les questions non militaires : protection de l’environnement, développement durable, coopération scientifique, implication des populations autochtones. Jusqu’en 2021, la coopération incluant la Russie au sein du Conseil était globalement fructueuse et a permis des avancées, par exemple l’accord de 2018 sur la prévention de la pêche non réglementée en haute mer arctique. Par ailleurs, des instances informelles existent pour la sécurité arctique, à l’image du Forum des chefs de forces armées arctiques (Arctic Security Forces Roundtable – ASFR), qui réunit depuis 2011 les officiers supérieurs de 8 pays (tous les arctiques sauf la Russie, plus des observateurs comme la France, l’Allemagne, les Pays-Bas). Ces canaux de communication ont vocation à réduire les risques d’incident et à bâtir une confiance mutuelle minimale.
Toutefois, depuis l’invasion russe en Ukraine, les mécanismes de coopération arctique incluant Moscou ont été interrompus. Le Conseil de l’Arctique reprendra ses travaux sous présidence du Danemark et du Groenland à partir de mai 2025, mais sans la Russie qui en était membre fondateur. L’ASFR, dont la France fait partie, pourrait devenir un lieu de dialogue alternatif entre Occidentaux et éventuellement avec la Chine, mais son format actuel exclut la Russie, ce qui restreint son utilité dès lors qu’une des principales menaces en Arctique vient précisément de la posture russe. On voit donc se dessiner un risque d’éclatement du régime arctique en deux blocs, comme on l’observe dans d’autres domaines (recherche scientifique ou gestion des routes maritimes.). C’est dans ce contexte déjà tendu que la crise du Groenland est venue ajouter un facteur de division inédit au sein même du camp occidental. Pour les Européens, la priorité est double : préserver la stabilité et la coopération dans l’Arctique autant que possible, tout en ne transigeant pas sur les principes de souveraineté et de droit. Cela implique une réponse mesurée mais résolue aux prétentions américaines sur le Groenland.
En somme, le Groenland concentre les ambitions de plusieurs grandes puissances et les défis globaux du siècle (changement climatique, course aux ressources, sécurité collective). La volonté américaine d’acquérir l’île, au-delà de son illégalité, témoigne de l’importance stratégique extrême conférée désormais à l’Arctique. Elle place le Danemark – État de 5,8 millions d’habitants – dans une situation critique, ne pouvant faire face seul à la fois à la pression militaire russe (indirecte mais réelle) et aux exigences de son allié américain. Cette situation est bien une épreuve de solidarité pour les Européens, qui doivent maintenant se montrer capables de s’unir pour épauler l’un des leurs lorsque ses intérêts vitaux sont menacés, même si l’adversaire est un allié traditionnel. Le cas du Groenland, aussi particulier soit-il, constitue un révélateur du degré de maturité de la politique européenne de sécurité et de défense. Dans cette optique, la France, qui affirme son engagement en faveur de l’autonomie stratégique européenne, a un rôle moteur à jouer pour entraîner une réponse coordonnée.
III. Un engagement européen accru en Arctique pour soutenir le Danemark et œuvreR EN FAVEUR DE l’autonomie stratégique de l’Union européenne
A. Soutenir diplomatiquement et militairement le Danemark et le Groenland
1. Un soutien diplomatique et politique à renforcer
La première urgence, face aux menaces américaines, est d’apporter un soutien sans ambiguïté au Danemark et au Groenland sur la scène internationale. Cela passe d’abord par des positions diplomatiques claires. La France et l’Union européenne doivent condamner fermement toute idée d’annexion du Groenland par la force. Au niveau européen, une déclaration commune des 27 États membres pourrait réaffirmer le principe du respect des frontières et du droit international en Arctique, envoyant un message politique fort à Washington.
Parallèlement, il convient de soutenir les démarches entreprises par Copenhague dans les enceintes multilatérales. Le Danemark a porté la question au Conseil de l’Atlantique Nord (instance politique de l’OTAN) afin de rappeler que l’article 5 et la solidarité alliée s’appliquent aussi à l’Arctique. Il l’a également évoquée de manière informelle au Conseil de sécurité de l’ONU via ses alliés y siégeant, soulignant que ce type de revendication créé une insécurité globale. La diplomatie française, en lien avec ses partenaires de l’UE, doit activement appuyer ces efforts et plaider le cas du Groenland à chaque occasion opportune. L’objectif est que la communauté internationale délégitime complètement la prétention américaine, la rangeant au même rang que d’autres actions répréhensibles (annexions, occupations illégales). Il y va de la défense d’un ordre mondial fondé sur des règles, celui que défend l’Europe.
2. Des soutiens militaires ciblés dans le respect du droit international
Sur le plan militaire, un soutien tangible au Danemark peut également être envisagé afin de renforcer la sécurité dans la région. Le gouvernement danois, bien que ne souhaitant pas envenimer la crise publiquement, bénéficierait à l’évidence d’un accompagnement concret de la part de ses partenaires européens. La France, en particulier, dispose de capacités et d’une expérience arctique précieuses qui pourraient être mises à contribution. Dans le cadre de l’OTAN, la France participe déjà à la mission de police du ciel dans les pays baltes (mission Lynx en Estonie) et à des exercices en Norvège. Sur le modèle de ces engagements, Paris pourrait proposer le déploiement ponctuel d’un détachement militaire au Groenland, si le Danemark le souhaite. Concrètement, cela pourrait prendre la forme d’un déploiement tournant de quelques dizaines de militaires (par exemple issus des troupes de montagne françaises, rompues aux milieux extrêmes) pour effectuer des entraînements conjoints avec les Danois et les Rangers groenlandais. Des manœuvres de présence dissuasive pourraient être organisées, soulignant l’engagement européen à défendre le territoire d’un État membre. Cette proposition, qui figure dans la présente proposition de résolution, aurait un double avantage : rassurer les populations locales et signaler aux États-Unis que l’Europe est présente. Naturellement, une telle présence devrait se faire en totale coordination avec le Danemark et le Groenland. On peut ainsi imaginer une participation accrue de forces françaises aux exercices annuels menés par le Commandement Arctique danois. La Marine nationale française prend déjà part depuis 2018 à l’exercice ARGUS de recherche et sauvetage en mer au large du Groenland aux côtés des Danois et des Américains ([18]). De même, l’armée française organise depuis plusieurs années l’exercice Uppik sur la calotte polaire groenlandaise pour entraîner ses commandos en milieu extrême. Cet engagement pourrait être amplifié et intégré dans un cadre européen plus large, par exemple en invitant d’autres pays de l’UE à se joindre aux entraînements sur le territoire groenlandais. Il convient de préciser qu’il ne s’agit pas ici de militariser davantage l’Arctique, mais bien de sécuriser la région par une présence alliée légitime et demandée par l’État souverain local.
Au-delà des déploiements ponctuels, la France pourrait aider le Danemark à combler certaines capacités manquantes. Par exemple, en matière de surveillance aérienne et maritime autour du Groenland, immense zone difficile à patrouiller, la France pourrait détacher périodiquement des avions de surveillance maritime (de type Falcon 50 ou Atlantique 2) ou des satellites d’observation pour appuyer la vigilance danoise. Le renseignement spatial et satellitaire européen (programme Copernicus, etc.) pourrait également être mis à contribution pour suivre l’évolution de la situation (mouvements aériens ou navals inhabituels, etc.). De plus, le Danemark n’ayant pas de chasseurs stationnés en permanence au Groenland, l’OTAN pourrait envisager une extension de sa mission de police du ciel dans l’Atlantique Nord : des avions britanniques, français ou norvégiens pourraient ponctuellement opérer des vols de souveraineté au-dessus du Groenland, pour montrer que l’espace aérien groenlandais (et donc danois) est bien défendu collectivement. Ce type de mesure a récemment été employé en Islande (qui n’a pas d’armée de l’air) où des alliés déploient régulièrement des chasseurs pour la défense aérienne islandaise. Un dispositif analogue – calibré selon les besoins définis par Copenhague – pourrait être proposé. L’important est d’inscrire toute aide militaire dans une logique de dissuasion défensive et non d’escalade. Il ne s’agit nullement de créer une confrontation avec les États-Unis, mais de faire bloc en tant qu’Européens pour dissuader toute tentation de passage à l’acte.
Dans le scénario hautement improbable d’une action unilatérale de force, la clause d’assistance mutuelle de l’UE (article 42.7 du Traité sur l’Union européenne) jouerait : une agression armée contre le Danemark sur son territoire (le Groenland étant juridiquement le territoire danois) obligerait tous les États membres à lui porter secours. Rappeler dès maintenant cette réalité juridique peut contribuer à la dissuasion : à travers le Danemark, c’est toute l’UE qui devrait réagir en cas d’attaque, conformément à ses traités. Cette perspective a d’ailleurs été soulignée diplomatiquement : le chancelier Scholz, la Première ministre Frederiksen et le commissaire Kubilius ont, en janvier 2025, chacun à sa manière, signifié que l’Europe défendra le Groenland comme partie du Danemark. La France doit être prête à honorer cet engagement. En anticipant et en offrant un soutien dès la phase actuelle qui, espérons-le, en restera au stade verbal, elle contribue à éviter d’en arriver à un affrontement concret.
L’article 42.7 du Traité sur l’Union européenne
L'article 42.7 du Traité sur l'Union européenne trouve son origine dans le traité fondateur de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), le traité de Bruxelles de 1954, qui disposait que si un pays membre était attaqué en Europe, les autres membres devaient lui venir en aide par tous les moyens, y compris la force militaire.
Les compétences de l’UEO ayant été progressivement reprises par l’Union européenne à partir du Conseil européen de Cologne, en juin 1999, qui pose les bases d'une « Politique européenne de sécurité et de défense » (PESD), l’UEO a été dissoute le 30 juin 2011 et l’Union européenne a repris ce principe en 2009, à travers l'article 42.7 du traité de Lisbonne qui prévoit qu’« Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la Charte des Nations unies ».
Il convient de noter que cette garantie de sécurité ne vise que les agressions armées alors que les attaques peuvent prendre des formes hybrides qui semblent se situer en dehors du champ d’application de l’article 42.7 TUE.
Par ailleurs, en dépit d’une rédaction exigeante, les États sont en pratique libres du choix des moyens de leur assistance.
Au cas où un État membre est victime d’une agression armée, il lui revient d’en informer directement les autres États membres de l’UE et les institutions européennes (Conseil, Commission) et d’invoquer cette disposition des traités devant le Conseil Affaires étrangères (niveau ministériel) pour obtenir l’aide nécessaire, sans nécessité d’une décision formelle supplémentaire.
Chaque État décide alors librement de la nature concrète de son soutien. Le traité ne précise pas la forme que doit prendre cette assistance (elle peut être militaire, logistique, financière, ou autre) et le caractère national des choix en matière de sécurité et de défense est explicitement respecté (pas d’obligation d’action militaire).
Ce constat s’est confirmé lorsque l’article 42.7 TUE a été invoqué par la France, à la suite des attentats de 2015. Il a donné lieu à une assistance limitée et essentiellement indirecte (renforcement d’opérations militaires déjà en cours contre l’État islamique en Syrie et Irak). L’absence de structure européenne permanente conduit à ce que les réponses des États membres sont gérées au cas par cas, de manière bilatérale.
3. Une coopération directe renforcée avec le Groenland
Enfin, le soutien passe aussi par la coopération directe avec le Groenland. Même si ce dernier n’est pas indépendant, il dispose de son propre gouvernement et de ses propres intérêts. La présente résolution propose ainsi d’exprimer un « soutien indéfectible » aux autorités groenlandaises notamment dans le cadre de la prochaine présidence du Conseil de l’Arctique, que le Groenland assumera au nom du Danemark à partir de mai 2025. Concrètement, il convient d’impliquer davantage les populations groenlandaises dans les discussions régionales. L’Assemblée nationale pourrait par exemple inviter des représentants du Parlement groenlandais pour des échanges sur les sujets arctiques dans le cadre de la Conférence des parlementaires de la région arctique (CPAR). Sur le plan économique, la France peut renforcer son soutien au développement local groenlandais à travers la coopération dans la recherche climatique (la France a une station scientifique à Summit au Groenland), des bourses d’études pour les étudiants groenlandais, ou des partenariats culturels. Plus un lien fort unira l’Europe continentale et les habitants du Groenland, plus ces derniers se sentiront appuyés face aux pressions extérieures. Ce volet humain et économique est un complément essentiel au soutien diplomatique et militaire : il montre que l’Europe n’est pas seulement dans une logique de confrontation avec les puissances rivales, mais aussi dans une logique positive de partenariat avec les populations arctiques.
B. Relancer la coopération régionale de défense entre alliés arctiques
1. Vers une coordination renforcée des États européens de l’Arctique
Au-delà du cas spécifique du Groenland, la crise actuelle révèle la nécessité d’une coopération resserrée entre les pays alliés de la région arctique. En effet, face aux manœuvres de la Russie et aux incertitudes sur l’attitude américaine, les pays européens du Nord ont tout intérêt à coordonner leurs efforts de défense et de sécurité dans l’Arctique. La proposition de résolution invite ainsi la France à prendre l’initiative d’un « dialogue plus large avec six des huit membres du Conseil de l’Arctique » – à savoir le Canada, le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède en vue d’une coopération renforcée en matière de défense dans la région. Ce format aurait pour particularité d’exclure volontairement les deux puissances posant problème : la Russie (déjà mise à l’écart pour cause d’agression militaire en Europe) et les États-Unis (dont on cherche ici à se prémunir des velléités unilatérales). L’idée n’est pas de créer un nouveau traité contraignant, mais plutôt un groupe informel d’États partageant les mêmes préoccupations de respect du droit dans l’Arctique. Sur le modèle d’autres coopérations renforcées ad hoc – on peut penser à la Coopération structurée permanente (CSP/PESCO) de l’UE ou à des formats régionaux comme la Coopération de défense nordique (NORDEFCO) entre pays nordiques – cette initiative viserait à mieux coordonner les politiques arctiques des Européens et Canadiens. La France, bien que non riveraine de l’océan Arctique, a toute légitimité historique pour lancer un tel dialogue : elle est un État voisin de l’Arctique par ses territoires nord atlantiques (Saint-Pierre-et-Miquelon est en face de l’entrée du passage du Nord-Ouest), elle participe depuis longtemps aux débats arctiques (observateur au Conseil de l’Arctique depuis 2000), et elle a démontré son intérêt scientifique et stratégique pour le Grand Nord. Reconnue pour sa voix singulière dans le concert des nations, la France peut servir de courroie de transmission entre les préoccupations de l’Europe continentale et celles des pays nordiques et nord-américains modérés.
Concrètement, la relance de la coopération régionale pourrait prendre plusieurs formes. D’une part, multilatérale, en organisant une réunion exceptionnelle des ministres de la Défense ou des Affaires étrangères des six pays mentionnés et de la France, dédiée spécifiquement à la sécurité en Arctique. Ce mini-sommet permettrait de partager les analyses de la situation (menaces, besoins capacitaires, etc.) et d’élaborer une position commune sur des principes de base (comme la réaffirmation collective du respect du droit international en Arctique, ou le soutien aux PTOM européens). Il pourrait aboutir à une déclaration conjointe rappelant que ces pays s’opposent à toute remise en cause unilatérale des souverainetés dans la région. D’autre part, opérationnelle, en mettant en place des exercices militaires conjoints spécifiques entre Européens nordiques et Canada, auxquels la France pourrait être associée, par exemple sous la forme d’un exercice annuel de sauvetage ou de surveillance maritime combinée dans l’Atlantique nord et l’Arctique, au-delà des exercices OTAN existants, ou d’un partage de la surveillance des espaces aériens et maritimes, les pays nordiques plus proches (Norvège, Islande, Danemark/Groenland) renforçant la coordination entre leurs radars et leurs patrouilles, avec le soutien technique de partenaires comme la France ou le Canada.
2. Consolider le rôle des enceintes parlementaires régionales
Une approche plus diplomatique consisterait à fortifier le rôle de la Conférence des parlementaires de la région arctique (CPAR). La présente résolution propose ainsi de « participer plus étroitement aux travaux » de cette conférence afin de soutenir le respect des souverainetés dans la région. En pratique, la France pourrait y être plus active (elle y est observatrice) et encourager cette enceinte à adopter une résolution condamnant toute annexion forcée du Groenland. Même si la CPAR n’a pas de pouvoir contraignant, sa voix peut porter symboliquement en tant qu’expression des représentants des populations arctiques et voisines.
En somme, il s’agit de tisser un réseau de solidarité régionale centré sur les acteurs responsables et de confiance de l’Arctique. Le Canada a d’ores et déjà manifesté son soutien sans équivoque au Danemark dans l’affaire du Groenland, car Ottawa se sent également visé : si un précédent se créait, le Canada pourrait craindre pour son archipel arctique que les États-Unis ont également convoité dans le passé. Norvège, Finlande, Suède, Islande – tous non concernés directement par le Groenland – n’en restent pas moins attachés à la stabilité du Nord et se montrent réceptifs à une initiative européenne allant dans ce sens. Quant au Danemark, voir ses partenaires européens s’organiser pour la défense de l’Arctique serait pour ce pays un signal très positif, confortant son choix récent de rejoindre la politique de défense de l’UE (rappelons que 66,9 % des Danois ont voté en 2022 pour la fin de l’opt-out danois en matière de défense européenne). La coordination régionale est donc à la fois stratégique et politique : stratégique parce qu’elle optimise les moyens de dissuasion et de surveillance dans un espace immense, et politique parce qu’elle montre que l’Europe sait prendre son destin en main sur un dossier de sécurité la concernant au premier chef.
C. Actualiser la stratégie arctique de la France et de l’Europe
1. La France, moteur d'une stratégie arctique actualisée
Enfin, la crise actuelle révèle que nos stratégies nationales et européennes pour l’Arctique doivent être remises à jour à la lumière des développements récents. La dernière feuille de route nationale sur l’Arctique pour la France date de 2016 ([19]) – un temps où l’on ne pouvait imaginer un allié américain menaçant d’annexer un territoire européen en Arctique. De même, l’UE a publié une communication sur la politique arctique en 2021 ([20]), axée surtout sur le climat et les aspects civils. Ces documents stratégiques, bien que pertinents sur nombre de points, sont aujourd’hui partiels : ils ne prennent pas pleinement en compte la nouvelle donne sécuritaire et géopolitique. La présente proposition de résolution invite par conséquent le gouvernement français à actualiser sa feuille de route arctique de 2016 en intégrant le nouveau contexte géopolitique et les récents développements en matière de défense et de sécurité. Il est en effet crucial de réévaluer nos objectifs et moyens dans la région arctique pour les années à venir, en veillant à articuler entre eux les impératifs stratégiques (défense, autonomisation européenne) et les autres enjeux majeurs (lutte contre le changement climatique, protection de la biodiversité polaire, droits des populations autochtones, recherche scientifique, etc.).
Pour la France, actualiser la stratégie arctique signifierait probablement affirmer plus clairement certaines orientations : en premier lieu, reconnaître l’Arctique comme un espace d’intérêt stratégique pour notre sécurité nationale et européenne – à ce titre, proposer par exemple l’intégration de l’Arctique dans les réflexions de la prochaine Revue stratégique de défense française. En deuxième lieu, renforcer également la présence française en Arctique dans les domaines non militaires : science (consolider la coopération franco-groenlandaise sur l’étude du climat, par exemple via l’Institut polaire français Paul-Émile Victor), économie responsable (soutenir les entreprises françaises impliquées dans des projets durables en Arctique, par exemple dans les énergies renouvelables ou les infrastructures respectueuses de l’environnement), et diplomatie (poursuivre un dialogue direct avec le Groenland, qui avait reçu en 2019 la visite d’un ambassadeur français).
2. Vers une stratégie européenne intégrant pleinement les enjeux de sécurité
Au niveau de l’Union européenne, une mise à jour de la politique arctique s’impose également pour intégrer son aspect sécuritaire. L’UE n’a pas de compétence formelle en matière de défense sur le sol groenlandais, qui ne fait pas partie de l’Union, mais elle dispose d’outils comme la Coopération structurée permanente (CSP) ou le Fonds européen de défense qui pourraient favoriser certains projets pertinents pour la défense de la région. L’autonomie stratégique européenne trouve ici un terrain d’application concret : face aux intérêts divergents voire contraires des grandes puissances, l’Europe doit avoir sa propre voix et capacité d’action en Arctique.
Mobiliser la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) passe par un engagement accru de l’Union européenne dans l’Arctique. À moyen terme, il pourrait être envisagé de développer une présence européenne renforcée pour soutenir la surveillance maritime, la lutte contre les activités illicites et les opérations de secours dans la région, en lien étroit avec les États concernés (par exemple à travers une mission civile et militaire de l’UE). Une coopération approfondie avec le Canada, partenaire voisin, peut également être envisagée. Ces orientations pourraient être intégrées dans une future actualisation de la stratégie arctique de l’UE. Enfin, la présente résolution propose de soutenir l’adoption d’une déclaration sur la préservation des souverainetés et la prévention des conflits armés dans l’Arctique, dans le cadre du Forum des forces de sécurité arctiques.
Actualiser les stratégies arctiques, c’est faire en sorte que l’ensemble des enjeux – sécurité, souveraineté, climat, ressources, populations locales – soient appréhendés de manière cohérente. La France et l’Europe doivent donc adopter une approche globale. La stratégie mise à jour devra affirmer la vocation de l’Arctique à demeurer une région de paix et de coopération, où le droit international prévaut sur la loi du plus fort, où la souveraineté des États riverains (aussi bien le Danemark que le Canada ou la Norvège) est respectée par tous, et où les défis globaux (réchauffement, développement durable) sont relevés en commun plutôt qu’instrumentalisés. Formuler clairement ces objectifs et les moyens d’y parvenir donnera un cap et une légitimité accrus à l’action diplomatique de la France et de l’UE dans les mois et années à venir.
La situation créée par les déclarations du président Trump sur le Groenland constitue un tournant pour la politique arctique de la France et de l’Union européenne. En l’espace de quelques mois, les Européens ont dû faire face à l’inconcevable : la remise en cause explicite de la souveraineté d’un État membre par notre plus ancien allié. Cette crise atypique – un conflit latent entre alliés occidentaux, sur fond de rivalités arctiques – est riche d’enseignements. Elle nous rappelle d’abord que le respect du droit international et des frontières ne doit jamais être tenu pour acquis, même entre nations amies : il exige vigilance et fermeté.
Elle souligne ensuite l’urgence pour l’Europe de développer une véritable autonomie stratégique : lorsque la politique d’une superpuissance devient déconcertante et peu lisible, l’Union et ses États doivent pouvoir défendre leurs principes et leurs membres sans dépendre d’autrui.
Elle illustre enfin l’importance croissante de l’Arctique dans le jeu mondial : jadis périphérique, le Grand Nord est désormais au cœur des enjeux de sécurité, d’économie et d’environnement qui façonneront notre avenir.
Face à ces défis, la France et l’Union européenne ont choisi la voie de la fermeté sereine. Fermeté, en condamnant clairement toute atteinte à la souveraineté danoise et en affichant une solidarité sans faille avec Copenhague et Nuuk – car céder sur nos valeurs ouvrirait la porte à toutes les dérives. Sereine, car notre objectif n’est pas d’envenimer les tensions, mais au contraire de réaffirmer les règles communes et de prévenir l’escalade. De la même manière que l’Union européenne et l’OTAN ont su affirmer leur solidarité avec les pays baltes face aux pressions russes, la France et ses partenaires doivent aujourd’hui manifester une vigilance comparable dans le Grand Nord, pour défendre la souveraineté de l’un de leurs propres membres.
Les recommandations formulées ici tracent les contours d’une réponse globale. Sur le plan politique et diplomatique, affirmer haut et fort nos lignes rouges et rallier nos partenaires autour de la défense du droit. Sur le plan militaire, être présents là où il le faut (y compris au Groenland si nécessaire), pour dissuader toute aventure et rassurer nos alliés, tout en évitant toute provocation inutile. Sur le plan régional, fédérer les pays de bonne volonté, du Canada à la Scandinavie et aux pays baltes, pour renforcer la coopération et montrer que l’Arctique ne sera pas le lieu d’une course à la puissance incontrôlée. Sur le plan stratégique, mettre à jour nos doctrines afin de ne plus jamais être surpris : anticiper les crises plutôt que de les subir. Sur le plan environnemental et économique, continuer à promouvoir un développement durable du Grand Nord, au bénéfice d’abord de ses habitants, et ne pas laisser la ruée vers les ressources l’emporter sur la protection de cet écosystème fragile.
L’Assemblée nationale, en adoptant la présente résolution, enverra un message fort : la France se tient aux côtés du Danemark et du Groenland, inconditionnellement, conformément à notre tradition diplomatique comme à notre vision de l’Europe : une Union soudée, capable de peser face aux défis globaux en parlant d’une seule voix. Dans un monde où les tentations impériales refont surface, l’Europe doit redevenir un pôle de stabilité et de respect du droit. Notre engagement en Arctique aux côtés du Danemark sera le témoignage concret que l’autonomie stratégique européenne n’est pas un vain mot, mais une réalité qui se construit pas à pas, par les actes plutôt que par les postures.
En définitive, cette crise aura peut-être été salutaire si elle permet à l’Europe de se construire comme une puissance politique plus autonome. Le Groenland restera au cœur de nombreuses convoitises : il nous appartient de faire en sorte que ces intérêts se conjuguent pacifiquement plutôt que dans la confrontation. La France est prête à y contribuer activement. Soutenir le Danemark et le Groenland, c’est réaffirmer qu’aucune nation, fut-elle la plus puissante, n’est au-dessus des lois communes. C’est rappeler que la souveraineté est le fondement de l’ordre international et non une marchandise que l’on négocie. C’est enfin montrer que l’Union européenne, forte de ses valeurs, saura protéger ses membres et ses intérêts, du Sahara jusqu’à l’Arctique.
La commission s’est réunie le mercredi 7 mai 2025, sous la présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, président, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.
M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade : Nous examinons ce jour la proposition de résolution européenne de MM. Vincent Caure et Damien Girard et plusieurs de leurs collègues visant à soutenir le Danemark et le Groenland et œuvrer en faveur d’une plus grande coopération en matière de défense.
Cette proposition de résolution survient au moment opportun, alors que nous nous apprêtons à célébrer le quatre-vingtième anniversaire de la victoire commune des alliés sur l’Allemagne nazie. Elle nous invite à nous rappeler la profondeur des liens historiques entre les Européens et les États-Unis d’Amérique. Nous avons partagé ensemble des combats importants pour la démocratie, la liberté et la paix. L’unité transatlantique a été un pilier de nos relations ces dernières décennies. Aujourd’hui cette relation privilégiée est brutalement remise en cause par le président américain. Les déclarations répétées de Donald Trump visant sans détour à revendiquer l’acquisition du Groenland, territoire constitutif du Royaume du Danemark, pays membre de l’Union européenne, sont un tournant important et une rupture profonde. Ce ne sont là pas simplement des provocations comme Donald Trump a pu nous y habituer pendant son premier mandat. C’est un basculement dans une nouvelle ère géopolitique où l’unilatéralisme, la remise en cause du droit international et la tentation du coup de force permanent prennent le pas sur le respect mutuel. En s’attaquant à l’indépendance du Danemark et au droit à l’autodétermination des Groenlandais, le Président des États-Unis ne menace pas seulement un partenaire européen. Il met à l’épreuve la solidarité, la cohésion et la capacité de l’Europe à défendre ses principes fondamentaux. Il met en péril l’architecture de sécurité que nous avons patiemment construite avec nos alliés au profit d’une logique de confrontation et de rapport de force. Face à cette nouvelle donne, votre proposition de résolution tombe à point nommé car elle réaffirme avec force notre solidarité avec le Danemark et le Groenland et il faut rappeler que la souveraineté d’un État européen, et même de n’importe quel État, n’est pas négociable. Mes chers collègues, votre proposition de résolution européenne est un acte fort.
M. Damien Girard, co-rapporteur. Nous avions, mon collègue et moi, déposé des propositions de texte similaires. Il nous a donc semblé opportun de déposer une proposition de texte commune de manière transpartisane.
La proposition de résolution européenne que nous vous présentons vise à affirmer la solidarité de la France et de l’Union européenne vis-à-vis du Danemark et du Groenland. Elle appelle à un engagement européen accru pour la stabilité et la sécurité dans l’Arctique. Elle part d’une idée simple. ce qui se joue aujourd’hui autour du Groenland dépasse largement les frontières du Royaume du Danemark, puisque c’est la souveraineté d’un État membre de l’Union européenne qui est publiquement contestée. L’intangibilité des frontières – principe fondamental du droit international – est directement remise en cause. C’est aussi une remise en question de la crédibilité de l’Europe dans sa capacité à défendre ses intérêts, ses valeurs et ses partenaires à laquelle nous devons répondre.
Depuis le mois de janvier, le président des États-Unis, Donald Trump, multiplie les déclarations hostiles sur le Groenland. Il a ainsi affirmé que les États-Unis avaient besoin de ce territoire pour leur sécurité nationale. Il a refusé d’exclure le recours à la force. Il a déclaré devant le Congrès américain que les États-Unis obtiendraient ce territoire « d’une manière ou d’une autre ». Son fils s’est rendu sur place pour y distribuer des casquettes « Make America Great Again », tandis que des proches à lui distribuaient des billets de banque à des enfants. Ces gestes ont été perçus comme des actes d’intimidation et ont suscité une vive réaction de la part des autorités groenlandaises, qui ont rappelé que le Groenland n’était pas à vendre, et que seul son peuple pouvait décider de son avenir.
Le Groenland est un territoire autonome au sein du Royaume du Danemark qui bénéficie d’un large degré d’autonomie, mais sa souveraineté relève de l’État danois. Ce statut, conforme au droit international, a été validé par la Cour permanente de justice internationale en 1933. Il est reconnu par les Nations unies, par l’Union européenne, et, faut-il le rappeler, par les États-Unis eux-mêmes depuis plus d’un siècle. Le cadre actuel garantit le droit du peuple groenlandais à l’autodétermination, un droit que le gouvernement danois s’est engagé à respecter. Autrement dit, tant que le Groenland ne choisit pas l’indépendance, il fait partie intégrante du territoire d’un État membre de l’Union européenne, et tout projet visant à l’en détacher contre sa volonté constituerait une violation grave du droit international.
Les propos du président Trump ne sont donc pas anodins mais s’inscrivent dans une logique d’impérialisme assumé, ils font écho à d’autres remises en cause de la souveraineté des États dans l’ordre international. Quand un dirigeant d’une grande puissance évoque implicitement la possibilité d’obtenir par la force un territoire qui ne lui appartient pas, ce n’est pas une provocation : c’est une menace. Une menace contre le Danemark, contre le Groenland, mais aussi, plus largement, contre la stabilité de l’Arctique, et contre l’ensemble des principes qui fondent la coexistence pacifique entre les États.
Car le Groenland n’est pas un territoire comme les autres. Il occupe une position stratégique dans l’Arctique et se trouve au croisement de routes maritimes nouvellement rendues accessibles par la fonte des glaces, il possède un sous-sol riche en ressources convoitées et abrite une base militaire américaine majeure, qui joue un rôle dans le système de défense balistique et spatial des États-Unis. Et ce n’est pas le seul fait des États-Unis : d’autres grandes puissances, comme la Chine et la Russie, manifestent un intérêt croissant pour la région, l’Arctique devient alors un théâtre de tensions.
Dans cette situation, l’Europe ne doit pas reculer. Cette situation appelle une réponse ferme qui démontre notre détermination à protéger nos alliés européens. Voilà pourquoi cette proposition de résolution propose d’affirmer une solidarité sans faille avec le Danemark et propose de solutions concrètes appuyées notamment sur une plus grande coopération de défense.
M. Vincent Caure, co-rapporteur. Je m’associe aux mots de mon co-rapporteur avec lequel j’ai pu travailler en bonne intelligence, et j’espère que c’est l’esprit qui présidera à nos échanges.
Le texte que nous invitons à examiner appelle sans équivoque la France et l’Union européenne à condamner les propos, que vous rappeliez à l’instant, du président Trump qui menacent la souveraineté du Danemark. Il s’agit pour nous de rappeler que la menace ne peut jamais constituer le fondement d’une discussion sur les frontières d’un État au risque d’un double manquement à l’égalité de volonté des sujets de droit international et au principe du droit les peuples à disposer d’eux-mêmes, qui s’applique ici au peuple groenlandais. A fortiori, il s’agit ici d’une menace faite à un État membre de l’Union européenne.
Nous savons qu’il ne s’agit pas seulement pour nous d’exprimer une position politique. Il faut l’assortir d’un soutien que nous avons voulu le plus concret possible. Ce soutien a d’abord un aspect diplomatique. La proposition de résolution formule ainsi le vœu de renforcer le cadre multilatéral dans le cadre d’une coopération régionale renforcée au niveau de l’Arctique. La coopération existe depuis longtemps dans cette région, elle date de la déclaration d’Ottawa de 1996. La France détient par ailleurs le statut d’observateur au sein du Conseil de l’Arctique depuis l’an 2000.
La coopération régionale est depuis quelques années grippée et entravée depuis l’agression russe en Ukraine, et le risque est que l’absence d’avancée en matière de coopération dans la région ne profite à d’autres. Aussi, notre proposition de résolution propose d’initier un dialogue dans la région entre Danemark, Groenland, Islande, Norvège, Finlande et Suède, pays avec lesquels nous partageons beaucoup en termes de valeurs et de vision du monde. Nous proposons également d’élargir ce dialogue et d’y associer le Canada pour coordonner les politiques de sécurité, de surveillance et de coopération civile dans l’Arctique. Ce format, qui exclurait à ce stade la Russie et les États-Unis, permettrait de poser les bases d’une approche résolument européenne et autonome dans la région, fondée sur le droit, la stabilité et la concertation. Il s’agirait d’agir en pleine confiance et en pleine loyauté, fondements de toute alliance.
Ce soutien a ensuite un aspect militaire si, et seulement si, les autorités danoises le souhaitent. Le texte évoque la possibilité d’une présence militaire conjointe au Groenland dans une logique de coopération et de dissuasion. Il ne s’agit évidemment pas de dissuasion nucléaire mais de dissuader par la présence de forces militaires tout État étranger qui aurait des velléités agressives vis-à-vis du Danemark et du Groenland. Il ne s’agit donc pas pour nous d’escalade mais bien au contraire de solidarité européenne. La France, pour sa part, pourrait contribuer à des missions de surveillance, à des exercices conjoints ou à des actions de formation. Elle pourrait ainsi faire bénéficier le Danemark et le Groenland de son expérience en matière de surveillance côtière dans les eaux arctiques. Une telle présence serait légitime, proportionnée et pleinement conforme au droit international, triptyque selon nous indispensable.
Enfin, le texte de notre proposition de résolution invite la France et l’Union européenne à mettre à jour leur stratégie arctique, la dernière feuille de route datant de 2002. Nous vous proposons, via deux propositions d’amendements, d’en tenir compte et de tenir également compte de la dernière communication conjointe du Haut Représentant de la Commission européenne sur l’Arctique qui date de 2021. Le contexte a changé, les tensions géopolitiques, comme l’a rappelé mon collègue Damien Girard, ont augmenté. Les enjeux climatiques se sont bien entendu renforcés et sont désormais présents à chaque instant. La compétition pour les ressources s’est intensifiée. Il est temps d’actualiser nos orientations et d’y intégrer les enjeux de souveraineté, de sécurité mais aussi les impératifs de coopération scientifique, climatique et de développement durable dans le respect des populations locales.
Cette proposition de résolution européenne nous semble donc être pleinement d’actualité puisque le président Trump a appelé dans une interview à NBC ne pas exclure le recours à la force pour se saisir du Groenland. Ce texte est donc pour nous à la fois une alerte, une prise de position et une feuille de route qui permettrait à la France et à l’Union européenne de déployer un soutien renouvelé. Elle vise à faire entendre une voix européenne claire fondée sur le droit international, sur la solidarité entre les États membres, qui est au fondement même de l’Union européenne, et sur la volonté de préserver la paix dans l’Arctique, région menacée à de multiples titres par la hausse des tensions. Ce qui se joue au Groenland n’est pas une affaire locale mais bien un enjeu pour nous, Français et Européens, et une occasion dont il faut se saisir pour renforcer notre coopération et notre capacité à agir.
M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Merci pour la prise de position forte qui est la vôtre. Je salue le travail transpartisan que vous avez mené et qui doit nous inspirer le plus possible notre Assemblée.
L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.
Mme Sabine Thillay (Dem). Depuis janvier 2025, Donal Trump a exprimé son intérêt pour le Groenland, allant jusqu’à évoquer publiquement, aggravant ainsi cette simple déclaration, un éventuel recours à la force. Une telle déclaration, même isolée, questionne la souveraineté du Danemark, État membre de l’Union européenne, allié au sein de l’OTAN et aussi partenaire de confiance.
Cela interpelle également sur le plan de la stabilité internationale et la capacité de l’Europe et de l’Union à se protéger face aux remises en cause extérieures. Pour le groupe Démocrate, le Groenland n’est pas un territoire négociable et ne l’a jamais été.
Dans ce contexte, les prises de position du président Trump sont en rupture avec le droit international et le respect des peuples. Cette situation souligne un enjeu bien plus large : la nécessité pour l’Union européenne et pour l’Europe dans son ensemble de renforcer sa capacité de défendre ses intérêts fondamentaux. Il ne s’agit pas simplement de diplomatie, il s'agit aussi de souveraineté, de sécurité et de dissuasion.
Une défense européenne devient un pilier indispensable pour protéger nos territoires, nos partenaires et nos valeurs. Cela implique concrètement qu’on investisse de manière beaucoup plus coordonnée dans la défense, que nous mutualisions nos capacités stratégiques, renforcions notre présence dans des zones telles que l’Arctique et accroissions notre coopération entre les États membres, et surtout que nous fassions en sorte de réduire les fragmentations de notre base industrielle et technologique de défense qui manque aujourd’hui de capacité et d’interopérabilité.
L’Union devrait sans doute renouer avec le mot « puissance » sans en avoir honte. Face à ces défis, nous devons parler d’une seule voix. Soutenir le Danemark et le peuple groenlandais, c’est affirmer notre solidarité.
M. Laurent Mazaury (LIOT). Cette proposition de résolution européenne (PPRE) dénonce malheureusement, parmi tant d’autres, l’idéologie unilatérale et contraire au droit international de M. Trump. Pour ce dernier, peut-être qu’après la Côte d’Azur en Palestine, le Groenland pourrait devenir les Pyrénées des États-Unis.
Plus sérieusement, cette proposition est nécessaire, voir indispensable car il convient de rappeler l’attachement de la France au respect de la souveraineté de ses voisins et alliés européens et donc, par extension, à la souveraineté européenne dans son ensemble.
Alors que selon le New York Times Donald Trump voudrait verser 10 000 dollars à chaque habitant du Groenland, et ce chaque année, pour convaincre la population locale d’accepter l’annexion de leur territoire, il s’agit également de rappeler au président américain qu’il a changé à nouveau de fonction en janvier 2025 et qu’il n’est plus businessman mais Président, ce qui implique des responsabilités nationales et internationales. Il s’agit également de rappeler que les territoires européens ne sont pas des marchandises et ne sont donc pas à vendre.
Par ailleurs, je soutiens particulièrement l’alinéa qui « souligne que l’Union doit se saisir de cette crise pour renforcer la coopération entre ses États membres et construire une véritable autonomie stratégique européenne ». Je rajouterai « tout en respectant la souveraineté de chacun des États membres ».
Le premier mandat de Donald Trump, mais également les nombreuses crises qu’il engendre durant son deuxième mandat, auraient déjà dû nous pousser à mieux définir ou à redéfinir notre stratégie européenne. Signataires de votre PPRE, mais également très attachés au droit international, nous ne pouvons que soutenir les dispositions que vous proposez et défendez.
M. Vincent Caure, co-rapporteur. Au-delà des intentions et des déclarations, il y a des actes inquiétants, même s’il ne s’agit pas d’actes agressifs au sens étatique du terme. Il faut en effet rappeler que le fils du président américain ainsi que d’autres personnalités de l’entourage ou de l’Administration Trump se sont rendus au Danemark, bénéficiant de l’emprise militaire grâce à la base militaire dont ils disposent dans le cadre de l’accord de sécurité depuis 1951.
Il convient de rappeler l’importance du droit international et du rôle qu’il doit continuer à jouer dans une région arctique qui a été marquée par des tensions internationales pendant la Guerre froide, mais qui au cours des dernières décennies avait pu sembler plus préservée que d’autres de leur retour.
Notre volonté est aussi de préserver cette zone hautement fragile sur le plan environnemental, surtout au regard des ressources qu’elle pourrait abriter et des convoitises qu’elle fait naître chez certains businessmen, malgré le fait qu’il soit devenu Président entre-temps, dans le respect du droit international.
De plus, nous ne savons pas ce qui surviendra aux États-Unis après Donald Trump, mais nous ne voulons pas que les bouleversements induits par de telles opérations entre alliés puissent durer et continuer à créer de l’équivoque entre nations alliées dans le Grand Nord.
M. Matthieu Marchio (RN). Le groupe Rassemblement national salue cette PPRE qui réaffirme avec force le soutien de la France au Danemark et au Groenland face aux déclarations inacceptables du Président des États-Unis. Il est inconcevable qu’un chef d’État d’un pays allié évoque l’achat d’un territoire autonome rattaché à un État membre de l’Union. Le Groenland n’est pas à vendre et il est de notre devoir de le rappeler clairement.
Ce texte réaffirme à juste titre la souveraineté du Danemark, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ainsi que l’importance stratégique de la région Arctique. Sur ces principes, notre groupe est pleinement solidaire.
Cependant, nous ne pouvons soutenir sans réserves l’ensemble de cette proposition, en particulier l’alinéa suggérant la mise en place d’une véritable autonomie stratégique européenne. Soyons clairs : nous sommes favorables à une coopération entre nations européennes, notamment sur le plan diplomatique, scientifique ou économique, mais nous refusons toute dérive vers une structure militaire européenne centralisée qui s’inscrirait dans une logique de défense commune contraire à la souveraineté nationale et aux intérêts stratégiques de la France.
Ce type d’approche ouvre la voie à une Europe de la défense fédéraliste, que nous refusons fermement. La politique militaire ne saurait devenir un levier d’intégration supranationale, à plus forte raison dans une région aussi géopolitiquement sensible que l’Arctique. À quoi répondrait une telle présence militaire européenne ? Sous quelles autorités ? En appliquant quelle stratégie ? Le texte ne le précise pas. C’est bien cette imprécision qui nous inquiète, traduisant un projet aux contours flous, potentiellement déstabilisateur et dépassant largement le cadre du soutien diplomatique ou logistique. Nous demandons donc la suppression de cet alinéa.
Le soutien au Danemark et au Groenland peut et doit s’exprimer avec fermeté mais par des moyens adaptés : dialogue diplomatique, partenariat scientifique, coopération économique. Nous sommes favorables à la coopération entre les nations libres et souveraines, mais pas à une Europe de la défense fédéraliste.
M. Vincent Caure, co-rapporteur. Nous avons là des visions différentes de ce qu’est l’Union européenne et de l’ambition que nous devons porter pour l’Europe et pour la coopération européenne. Sans oublier ce qu’ont été les débuts de la coopération européenne dans les années 1950 et les projets de communauté européenne de défense, je pense que l’Union européenne doit, en tant qu’espace qui partage des valeurs, comme la démocratie ou le respect du droit international, savoir se saisir des moments de crise pour renforcer sa coopération.
Notre volonté n’est pas de tout mélanger : permettre, avec l’accord du Danemark et dans le cadre de l’Union européenne, une telle présence militaire et une telle coopération, n’emporte pas immédiatement, pour nous, une défense européenne. Dans le cadre des traités européens, il y existe déjà des possibilités de coopération et de coordination des moyens. Il s’agit, entre alliés, entre États membres de l’Union européenne, de se donner des réassurances, par nos forces existantes, pour rappeler que jamais un chef d’État d’un pays étranger, hors de l’Union européenne, par ses propos ou par sa volonté, ne saurait, sans que nous réagissions, vouloir porter atteinte à l’intégrité de nos États.
M. Damien Girard, co-rapporteur. Dans le texte, nous évoquons le fait de pouvoir déployer, avec l’accord du Danemark, une présence française dans le cadre d’une coopération à l’échelle européenne. Il ne s’agit pas d’une défense européenne. Sur cette base, ne pas voter le texte revient à se tromper sur le fondement même de ce que nous proposons, c’est-à-dire un texte qui offre la possibilité d’un déploiement, en seconde mesure, de forces françaises.
Mme Liliana Tanguy (EPR). Dans un moment comme celui-ci, nous pourrions nous contenter de formules convenues mais ce que nous avons à dire compte vraiment. Ce n’est pas seulement une résolution diplomatique, c’est aussi un acte politique fort. Nous réaffirmons notre attachement au droit international et à la souveraineté des peuples, ainsi qu’à l’ambition d’une Europe maîtresse de son destin. Je voudrais saluer le travail transpartisan de nos deux rapporteurs qui ont su faire entendre une voix claire, ferme et européenne.
Les déclarations du président des États-Unis, qui suggèrent ouvertement l’annexion du Groenland, ne relèvent pas d’une provocation passagère. Elles traduisent une vision du monde selon laquelle la force primerait sur le droit et où les territoires arctiques deviendraient des pions sur un échiquier stratégique. Ce discours menaçant bafoue la souveraineté du Danemark, ignore le droit à l’autodétermination des Groenlandais et méprise les règles du multilatéralisme. Le Groenland n’est pas à vendre ! C’est un territoire autonome, écologique et stratégique, profondément européen, de par son histoire et ses liens, ainsi que par son statut de pays et territoire d’outre-mer associé à l’Union européenne.
Nous condamnons ces velléités expansionnistes et nous exprimons notre solidarité totale envers les autorités danoises et groenlandaises. Nous rappelons aussi qu’une action doit être menée en faveur d’une mise à jour de la feuille de route française pour l’Arctique. Au-delà du cas spécifique du Groenland, c’est notre conception de l’Europe que nous défendons, une Europe qui ne recule pas, qui protège ses partenaires, une Europe stratège, capable de répondre aux ambitions des puissances autoritaires par la solidarité et la puissance du droit international. Soutenir cette proposition de résolution, c’est protéger nos valeurs et refuser de rester spectateurs face à un monde qui se durcit. Je vous invite avec détermination à voter en faveur de celle-ci.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). L’affaire est entendue entre nous. Donald Trump agit comme un voyou et nous sommes au moins d’accord pour dire qu’il faut, ensemble, condamner toutes ces velléités de violation du droit international. Elles ne concernent pas que le Groenland. En revanche, il me semble que ce texte se fait un peu plaisir et ne soulève pas les contradictions qui existent dans les positions officielles de la France depuis plusieurs années., notamment à l’égard des États-Unis.
Il y a deux ans, lors de notre débat sur la loi de programmation militaire, le rapport annexé indiquait que l’Europe était mise au défi par des « puissances révisionnistes ». Je conteste la pertinence de ce vocable. Parmi ces puissances révisionnistes ne figuraient pas les États-Unis. Ni dans le Livre blanc européen, ni dans la loi de programmation militaire n’avait été évoquée l’idée que les États-Unis puissent être une menace, ce qu’ils étaient pourtant déjà. L’impérialisme américain n’est pas né avec Donald Trump.
Nous nous retrouvons avec des orientations qui sont incompatibles avec ce que vous avez jusqu’à présent approuvé, si ce n’est en expliquant qu’il y avait un pilier européen de l’OTAN. On aboutit ainsi à cette proposition, quelque peu baroque, d’installation de moyens militaires européens pour décourager la puissance majeure de l’OTAN que sont les États-Unis. Ces dernières semaines, nous avons assisté à autant de contorsions qu’il était possible d’en imaginer. Le 22 janvier dernier, j’interrogeais le ministre Thani Mohamed-Soilihi sur l’attitude à tenir à l’égard des États-Unis. Il me répondit que le pire n’était pas toujours à envisager, que les États-Unis étaient le premier partenaire de la France. Deux jours plus tard, Jean-Noël Barrot montrait les muscles et envisageait d’envoyer des troupes au Groenland.
Ce qui nous pose problème, c’est de nous situer sur le terrain de l’épreuve de force face à un État avec lequel, vraisemblablement, il est impossible d’entrer en guerre. Nous sommes d’accord pour dire tout le mal que nous pensons de l’attitude de Donald Trump à l’égard des Européens mais il ne faudrait pas perdre de vue que, jusqu’à présent, nous sommes bien seuls à vouloir lui tenir tête, les Danois eux-mêmes ayant décidé de racheter des F-35.
M. Vincent Caure, co-rapporteur. C’est l’essence même de la situation internationale d’être évolutive. S’agissant des déclarations faites par le passé par le président américain actuel sous son premier mandat ou depuis lors, nous les prenons en compte au moment où nous étudions ici des textes et en essayant d’envisager l’avenir.
Si nous considérons les intérêts de l’Union européenne en tant qu’ensemble géostratégique et démocratique, il y a, à notre sens, une rupture fondamentale dans les déclarations du président Trump. Il peut y avoir une concurrence entre puissances démocratiques tant que les principes sont respectés. Mais pour la première fois, nous faisons face aux déclarations d’un président en exercice à Washington qui porte atteinte à l’intégrité territoriale d’un État allié. Le Danemark, qui a maintenu une position historiquement atlantiste pour garantir sa sécurité depuis l’accord de défense américano-danois de 1951 sur le Groenland, n’a pas la place de la France sur l’échelle internationale ni la même autonomie stratégique, ne serait-ce qu’en matière de dissuasion nucléaire.
Or, c’est un président démocratiquement élu, de la principale puissance alliée, censée garantir la sécurité de ce pays qui, soudainement, changeant de pied dans l’espace public médiatique international, indique vouloir se saisir d’une partie du Royaume du Danemark. Il y a là une rupture fondamentale qui appelle une prise de position politique de la part de notre Assemblée. Une absence de réaction reviendrait à ouvrir la possibilité à d’autres États, dans le champ international, de se déchaîner, demain contre le Groenland, après-demain contre d’autres États, je pense notamment aux pays baltes ou à la Roumanie.
Mme Anna Pic (SOC). Depuis novembre dernier et le retour de Donald Trump à la présidence des États-Unis, nous assistons collectivement à une véritable salve de déclarations parfois inconséquentes, souvent hasardeuses, toujours alarmantes et consternantes. Comme pour ne jamais déroger à une règle qu’il s’est lui-même fixée, le Président des États-Unis cumule les provocations, au risque de mettre en péril les équilibres géopolitiques déjà très fragilisés des 80 dernières années.
La proposition de résolution répond à cette réalité. Indéniablement, le groupe socialiste et apparentés condamne avec la plus grande fermeté l’attitude de prédation du président américain à l’égard du Groenland et de ses ressources. Il apporte son soutien plein et entier aux autorités danoises et groenlandaises. En menaçant d’annexion ce territoire danois autonome, ce sont les composantes les plus essentielles du droit international qui sont ici remises en cause : la souveraineté des États et le droit à l’autodétermination des peuples. Or, dans le cas d’espèce, le droit international doit primer, quelles que soient les circonstances. Dès lors, tout recours à la force émanant des autorités américaines engendrerait un risque d’escalade délétère pour l’ensemble des parties prenantes.
S’agissant plus précisément du dispositif de résolution, notre principale interrogation porte sur la référence à une éventuelle présence militaire européenne au Groenland. Si nous avons bien noté l’usage du conditionnel et si nous ne sommes pas opposés à cette disposition, notre question porte sur la forme que pourrait prendre cette présence militaire. Cette dernière ne pouvant se faire sous l’égide de l’OTAN, pouvez-vous nous dire sur quel fondement juridique envisagez-vous cette intervention alors que l’article 42.7 TUnion n’est pas mentionné dans la proposition de résolution ? Malgré cette réserve, nous voterons pour ce texte à la symbolique très importante.
M. Vincent Caure, co-rapporteur. L’article 42.7 TUnion vise explicitement les cas d’agression armée. Il est important de considérer les coopérations bilatérales en matière de défense. Cela n’emporte pas une coopération à l’échelon européen, mais la France à une expertise en matière de surveillance côtière et en matière de navigation en eau froide et de lutte anti-sous-marine. Elle participe à plusieurs exercices multilatéraux, certains dans le cadre de l’OTAN où elle a acquis une expertise dont il est possible de faire bénéficier les Danois ou toute autre puissance avec laquelle la France coopère dans le Grand Nord. On peut donc envisager a minima la coopération bilatérale et pourquoi pas une coopération ad hoc au niveau européen avec les États intéressés.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). Cette proposition de proposition transpartisane vise à démontrer le soutien de la France et de l’Union au Danemark et au Groenland face aux intimidations et menaces du Président des États-Unis. Les États-Unis disposent déjà d’une base militaire sur le territoire du Groenland, pensé historiquement comme leur premier rideau de défense dans l’Atlantique nord. Cette présence militaire américaine a débuté durant la Seconde guerre mondiale. Elle est à l’origine de dommages importants causés à l’environnement du Groenland et de déplacements forcés de populations autochtones. Ces dégâts constituent une dette environnementale susceptible d’être réparée par les Américains. La France est engagée en faveur de la sécurité régionale dans la zone arctique, tout en cherchant à préserver une approche multilatérale et coopérative. Cet enjeu de sécurité est même devenu un enjeu de sécurité internationale tant les acteurs tels que les États-Unis, la Russie, la Chine et les acteurs non arctiques veulent s’y impliquer, avec des visées économiques, voire de prédation.
Nous considérons donc cette région comme réellement stratégique pour toutes ces raisons, mais aussi du fait des enjeux environnementaux. La compétition s’accélère pour la conquête de terres rares et de gisement d’hydrocarbures. La dimension environnementale de l’Arctique est forte car la région subit les conséquences du réchauffement climatique dont les répercussions sur la sécurité sont importantes.
Le changement climatique ouvre de nouvelles routes maritimes susceptibles de modifier durablement les flux commerciaux mondiaux. La France participe à des exercices de défense conjoints en collaboration avec la défense collective de l’OTAN. Nous sommes également impliqués dans des opérations de surveillance de la région, en particulier dans le domaine de la sécurité maritime, et dans des opérations de contrôle aérien. Les tensions dans la zone ne datent pas d’aujourd’hui, mais sont revenues sur le devant de la scène du fait des déclarations répétées du président américain. L’existence d’un cadre de gouvernance stable et coopératif est cruciale pour la région. Dans un contexte de volonté expansionniste et de retour des impérialismes, la France se doit de défendre le respect du droit international et du multilatéralisme. Nous soutenons cette PPRE qui est un marqueur important de solidarité envers le Danemark et le Groenland.
M. Pieyre-Alexandre Anglade, président. Nous allons maintenant examiner les amendements qui ont été déposés.
Amendement n° 1 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, co-rapporteur. C’est un amendement de précision technique et juridique, qui vise à remplacer la mention « territoires d’outre-mer de l’Union » par « pays et territoires d’outre-mer associés à l’Union en application de la décision d’association de 1985 ».
L’amendement n° 1 est adopté.
Amendement n° 4 de M. Matthieu Marchio
M. Matthieu Marchio (RN). Par cet amendement, nous proposons de supprimer les mots : « et construire une véritable autonomie stratégique européenne » car cette formule engage politiquement la France vers une défense commune européenne à laquelle nous sommes opposés. Le soutien au Danemark ne doit pas servir de prétexte à une véritable avancée fédéraliste masquée, la défense nationale relevant de la souveraineté des États et non des institutions européennes. Nous refusons que ce texte, sous couvert de solidarité, ouvre la voie à une Europe de la défense qui dépossèderait la France de ses moyens et de ses choix stratégiques.
M. Damien Girard, co-rapporteur. Face aux intimidations de la première puissance mondiale, quelle serait la solidarité européenne si nos actes n’étaient pas conformes à nos paroles ? Vous parlez de construction fédérale mais ce mot n'apparaît nulle part dans la PPRE : nous parlons seulement de la nécessité de garantir la paix de notre union avec nos outils modestes, voire symboliques. On pourrait s’étonner qu’un parti si prompt à appeler aux actes et aux mesures chocs en matière de sécurité intérieure soit aussi frileux et défaitiste en matière de sécurité extérieure. Avis défavorable sur cet amendement.
Mme Liliana Tanguy (EPR). Nous souhaitons intervenir contre cet amendement, car l’arctique est un espace aussi stratégique où les ambitions des puissances extra‑européennes, notamment la Russie, la Chine et à présent les États-Unis, s'affirment. Une Europe divisée est une Europe vulnérable, et le maintien de la paix, la protection de l'environnement, la sécurité énergétique et de navigation nécessitent une présence coordonnée, crédible et maîtrisée des Européens, et cela passe par une autonomie stratégique commune.
M. Matthieu Marchio (RN). Pour rebondir sur votre propos Monsieur le co-rapporteur nous souhaitons retirer cette formule car elle promeut une défense fédéraliste européenne. Nous sommes au contraire en faveur de plus de coopération entre les nations européennes, pas du fédéralisme.
L’amendement n° 4 est rejeté.
Amendement n° 3 de M. Damien Girard
M. Damien Girard, co-rapporteur. Cet amendement vise à tenir compte du délai entre le moment du dépôt de la résolution et sa lecture dans cette commission. Entre-temps, une réunion du forum a eu lieu. Cette rédaction vise à actualiser le texte afin qu’il en tienne compte et à rappeler qu’il est nécessaire de se saisir d’un cadre de discussion pour offrir au Groenland et au Danemark des garanties de sécurité.
L’amendement n° 3 est adopté
Amendement n° 2 de M. Vincent Caure
M. Vincent Caure, co-rapporteur. Cet amendement vise à actualiser la référence au cadre stratégique par rapport aux rédactions initiales, en ne mentionnant plus la Feuille de route arctique de 2016 mais la Stratégie polaire de 2022.
L’amendement n° 2 est adopté.
L’article unique de la proposition de résolution européenne est adopté.
La proposition de résolution ainsi modifiée est par conséquent adoptée.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPEENNE INITIALE
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu l’article 2 de la Charte des Nations unies,
Vu la déclaration d’Ottawa du 19 septembre 1996,
Vu la déclaration conjointe de Bruxelles du 19 mars 2015,
Vus les articles 4 et 198 à 204 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu l’article 3 du traité modifiant les traités instituant les communautés européennes en ce qui concerne le Groenland,
Vu les articles 51 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
Vu les articles 11 et 12 de la loi sur l’autonomie du Groenland,
Vu la décision d’association 2021/1764 du 5 octobre 2021,
Considérant les propos répétés du président des États‑Unis concernant le Danemark et le Groenland ;
Considérant que la Première ministre danoise a affirmé lors d’un entretien téléphonique avec le président des États‑Unis le 15 janvier 2025 qu’il appartenait au Groenland de décider lui‑même de son indépendance ;
Considérant la demande de soutien demandée explicitement par les autorités danoises à ses partenaires européens ;
Considérant la volonté constante des autorités groenlandaises de faire respecter le droit à l’autodétermination des groenlandais ;
Considérant que les autorités groenlandaises et les groenlandais s’opposent très majoritairement à l’idée de faire partie des États‑Unis ;
Considérant que le Groenland est un territoire d’outre‑mer de l’Union européenne ;
Condamne fermement les propos du président des États‑Unis qui remettent en cause la souveraineté danoise sur le Groenland et n’excluent pas le recours à la force afin d’intégrer ce territoire à son pays. Ceux‑ci contreviennent aux règles du droit international, au respect de la souveraineté des États et des peuples. Ils sont aussi une menace pour un territoire écologique sensible et doté en ressources fossiles et en minerais ;
Exprime son entière solidarité aux autorités danoises et groenlandaises pour la défense du droit international et de leur souveraineté face à des propos constituant une menace directe à leur encontre ;
Exprime son souhait de participer plus étroitement aux travaux de la Conférence des parlementaires de la région arctique en soutien aux menaces sur le droit international au respect des souverainetés de la région ;
Exprime son soutien indéfectible aux autorités groenlandaises dans le cadre de la présidence tournante du Conseil de l’Arctique, l’organe diplomatique régional et multilatéral de référence, assurée par le gouvernement du Groenland, pour le compte de l’ensemble du Royaume du Danemark, à partir de mai 2025 pour une durée de deux ans ;
Réaffirme que la sécurité collective de l’Union européenne et des Pays et Territoires d’Outre‑mer associés à l’Union européenne doit être respectée ainsi que l’engagement entier de la France auprès du Danemark et du Groenland pour le respect de leurs droits ;
Souligne que l’Union européenne doit se saisir de cette crise pour renforcer la coopération entre ses États membres et construire une véritable autonomie stratégique européenne ;
Invite le gouvernement français à entamer un dialogue avec les autorités danoises et groenlandaises afin d’identifier l’aide qu’il pourrait leur apporter afin de garantir la sécurité dans la région, conformément à leurs besoins et leurs souhaits. Il peut être envisagé que le gouvernement français exprime officiellement sa disponibilité pour la mise en place d’une présence militaire européenne au Groenland en totale coopération avec le Danemark et le Groenland ;
Invite le gouvernement français à exprimer officiellement son souhait qu’une déclaration sur la préservation des souverainetés, du droit international et de l’évitement de tout conflit armé entre pays membres du Forum des forces de sécurité de l’Arctique, dont la France est membre à part entière, soit mise en débat et adoptée lors de la prochaine réunion du Forum ;
Invite le gouvernement français à actualiser sa feuille de route sur l’Arctique datant de 2016, en tenant compte du nouveau contexte géopolitique et des récents développements en matière de défense et de sécurité, de coopérations économiques et scientifiques et de protection de l’environnement.
AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
6 MAI 2025
soutenir le Danemark et le Groenland et œuvrer en faveur d’une plus grande coopération en matière de défense (n° 1170)
|
AMENDEMENT |
No 1 |
présenté par |
Vincent CAURE et Damien GIRARD, co-rapporteurs |
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ARTICLE UNIQUE
A l’alinéa 17, substituer aux mots :
« territoire d’outre-mer de l’Union européenne »
les mots :
« Pays et territoire d’Outre-mer (PTOM) associé à l’Union européenne en application de la décision d’association de 1985 renouvelée à plusieurs reprises. »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Précision technique.
Cet amendement a été adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
6 MAI 2025
soutenir le Danemark et le Groenland et œuvrer en faveur d’une plus grande coopération en matière de défense (n° 1170)
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AMENDEMENT |
No 4 |
présenté par |
Matthieu Marchio |
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ARTICLE UNIQUE
À l’alinéa 23, après le mot : « membres », supprimer les mots : « et construire une véritable autonomie stratégique européenne ».
EXPOSÉ SOMMAIRE
Le principe de solidarité entre nations européennes n’est pas remis en cause mais nous nous opposons à l’idée d’une présence militaire européenne structurée, qui s’inscrit dans un projet de défense commune auquel nous ne souscrivons pas.
Ce type de formulation ouvre la voie à une Europe de la défense centralisée, que nous considérons contraire à notre souveraineté nationale. La politique militaire ne doit pas devenir un instrument de construction fédérale, encore moins dans une zone aussi sensible et stratégique que l’Arctique, où les équilibres géopolitiques sont particulièrement fragiles.
Cet amendement a été rejeté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
6 MAI 2025
soutenir le Danemark et le Groenland et œuvrer en faveur d’une plus grande coopération en matière de défense (n° 1170)
|
AMENDEMENT |
No 3 |
présenté par |
Vincent CAURE et Damien GIRARD, co-rapporteurs, |
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ARTICLE UNIQUE
Rédiger ainsi l’alinéa 25 :
Invite le gouvernement français, dans le prolongement de la réunion du Forum des Forces de Sécurité de l'Arctique de 2025, à exprimer officiellement son souhait qu’une déclaration de l'ensemble des 11 pays pour la préservation des souverainetés, du droit international et l’évitement de tout conflit armé entre pays membres de l'ASFR soit mise en débat et adoptée lors de la prochaine réunion du Forum.
EXPOSÉ SOMMAIRE
Cet amendement actualise la référence à la réunion de 2025 du Forum des forces de sécurité de l’Arctique et précise l’objectif d’une déclaration conjointe des 11 pays membres. Il vise à inscrire cette initiative dans une dynamique collective et à renforcer l’engagement diplomatique autour des principes de souveraineté, de respect du droit international et de prévention des conflits.
Cet amendement a été adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
6 MAI 2025
soutenir le Danemark et le Groenland et œuvrer en faveur d’une plus grande coopération en matière de défense (n° 1170)
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AMENDEMENT |
No 2 |
présenté par |
Vincent CAURE et Damien GIRARD, co-rapporteurs |
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ARTICLE UNIQUE
Rédiger ainsi l’alinéa 26 :
« Invite le gouvernement français à actualiser la Stratégie Polaire Nationale de 2022 en tenant compte du nouveau contexte géopolitique, des nouvelles menaces visant le Groenland et des récents développements en matière de défense et de sécurité, de coopérations économiques et scientifiques et de protection de l’environnement en l'articulant par une approche globale avec le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon. »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Le présent amendement vise à actualiser la référence au cadre stratégique pertinent en matière polaire, en remplaçant la feuille de route arctique de 2016, désormais dépassée, par la Stratégie polaire nationale adoptée en 2022. Il prend également en compte l’évolution du contexte géopolitique, notamment autour du Groenland, et souligne l’intérêt d’une approche intégrée incluant Saint-Pierre-et-Miquelon, en raison de sa position stratégique dans l’Atlantique Nord.
Cet amendement a été adopté.
PROPOSITION DE RÉ֤֤SOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu l’article 2 de la Charte des Nations unies,
Vu la déclaration d’Ottawa du 19 septembre 1996,
Vu la déclaration conjointe de Bruxelles du 19 mars 2015,
Vus les articles 4 et 198 à 204 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu l’article 3 du traité modifiant les traités instituant les communautés européennes en ce qui concerne le Groenland,
Vu les articles 51 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
Vu les articles 11 et 12 de la loi sur l’autonomie du Groenland,
Vu la décision d’association 2021/1764 du 5 octobre 2021,
Considérant les propos répétés du président des États‑Unis concernant le Danemark et le Groenland ;
Considérant que la Première ministre danoise a affirmé lors d’un entretien téléphonique avec le président des États‑Unis le 15 janvier 2025 qu’il appartenait au Groenland de décider lui‑même de son indépendance ;
Considérant la demande de soutien demandée explicitement par les autorités danoises à ses partenaires européens ;
Considérant la volonté constante des autorités groenlandaises de faire respecter le droit à l’autodétermination des groenlandais ;
Considérant que les autorités groenlandaises et les groenlandais s’opposent très majoritairement à l’idée de faire partie des États‑Unis ;
Considérant que le Groenland est un Pays et territoire d’Outre-mer (PTOM) associé à l’Union européenne en application de la décision d’association de 1985 renouvelée à plusieurs reprises ;
Condamne fermement les propos du président des États‑Unis qui remettent en cause la souveraineté danoise sur le Groenland et n’excluent pas le recours à la force afin d’intégrer ce territoire à son pays. Ceux‑ci contreviennent aux règles du droit international, au respect de la souveraineté des États et des peuples. Ils sont aussi une menace pour un territoire écologique sensible et doté en ressources fossiles et en minerais ;
Exprime son entière solidarité aux autorités danoises et groenlandaises pour la défense du droit international et de leur souveraineté face à des propos constituant une menace directe à leur encontre ;
Exprime son souhait de participer plus étroitement aux travaux de la Conférence des parlementaires de la région arctique en soutien aux menaces sur le droit international au respect des souverainetés de la région ;
Exprime son soutien indéfectible aux autorités groenlandaises dans le cadre de la présidence tournante du Conseil de l’Arctique, l’organe diplomatique régional et multilatéral de référence, assurée par le gouvernement du Groenland, pour le compte de l’ensemble du Royaume du Danemark, à partir de mai 2025 pour une durée de deux ans ;
Réaffirme que la sécurité collective de l’Union européenne et des Pays et Territoires d’Outre‑mer associés à l’Union européenne doit être respectée ainsi que l’engagement entier de la France auprès du Danemark et du Groenland pour le respect de leurs droits ;
Souligne que l’Union européenne doit se saisir de cette crise pour renforcer la coopération entre ses États membres et construire une véritable autonomie stratégique européenne ;
Invite le gouvernement français à entamer un dialogue avec les autorités danoises et groenlandaises afin d’identifier l’aide qu’il pourrait leur apporter afin de garantir la sécurité dans la région, conformément à leurs besoins et leurs souhaits. Il peut être envisagé que le gouvernement français exprime officiellement sa disponibilité pour la mise en place d’une présence militaire européenne au Groenland en totale coopération avec le Danemark et le Groenland ;
Invite le gouvernement français, dans le prolongement de la réunion du Forum des Forces de Sécurité de l'Arctique de 2025, à exprimer officiellement son souhait qu’une déclaration de l'ensemble des 11 pays pour la préservation des souverainetés, du droit international et l’évitement de tout conflit armé entre pays membres de l'ASFR soit mise en débat et adoptée lors de la prochaine réunion du Forum ;
Invite le gouvernement français à actualiser la Stratégie Polaire Nationale de 2022 en tenant compte du nouveau contexte géopolitique, des nouvelles menaces visant le Groenland et des récents développements en matière de défense et de sécurité, de coopérations économiques et scientifiques et de protection de l’environnement en l'articulant par une approche globale avec le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon.
([1]) Cour permanente de justice internationale, Affaire juridique relative au Groenland oriental (Danemark c. Norvège), arrêt du 5 avril 1933, Recueil des décisions, série A/B n° 53.
([2]) Traité amendant, en ce qui concerne le Groenland, le traité instituant la Communauté économique européenne, signé à Bruxelles le 13 mars 1984, entré en vigueur le 1er février 1985.
([3]) Décision (UE) 2021/1764 du Conseil du 5 octobre 2021 relative à l’association des pays et territoires d’outre-mer à l’Union européenne, y compris les relations entre l’Union européenne d’une part, le Groenland et le Royaume du Danemark d’autre part.
([4] Propos rapporté par The Guardian, 21 août 2019.
([5]) Propos rapportés par The Guardian, 21 août 2019.
([6]) Cité par Euronews, 28 janvier 2025.
([7]) Transcript de la conférence de presse donnée à Mar-a-Lago le 7 janvier 2025, https://transcripts.cnn.com/show/cnr/date/2025-01-07/segment/28?utm_source=chatgpt.com.
([8]) The Guardian, « Trump vows to take Greenland "one way or the other" in Ohio rally speech », 5 mars 2025.
([9]) Euronews, « Ready to defend : EU hardens line on Greenland as Trump doubles down threat », 28 janvier 2025.
([10]) Reuters, « Greenlanders overwhelmingly oppose becoming part of the United States, poll shows », 29 janvier 2025.
([11]) Le Danemark a en outre participé, aux côtés des États-Unis, aux opérations militaires en Afghanistan dès 2001 dans le cadre d’Enduring Freedom et de la FIAS, et a engagé des troupes en Irak à partir de 2003 aux côtés de la coalition menée par les États-Unis, avant de retirer son contingent principal en 2007.
([12]) Science Feedback, « En Arctique, la banquise est affectée par le changement climatique, réduisant la navigabilité du passage du Nord-Ouest », 16 septembre 2024.
([13]) U.S. Energy Information Administration, « Arctic oil and natural gas resources », 23 juillet 2008.
([14]) Mine Magazine, « Arctic mining : Could Greenland become a rare earths superpower ? », février 2025.
([15]) Département de la Défense des États-Unis, Report to Congress : Department of Defense Arctic Strategy, juin 2019.
([16]) Maison Blanche, National Strategy for the Arctic Region, octobre 2022.
([17]) Reuters, « Denmark inches towards ratifying US defence deal despite Greenland dispute », 11 avril 2025.
([18]) High North News, « French and Danish Navies Hold Joint SAR Exercises in Greenland’s Waters », 6 septembre 2019.
([19]) Ministère des Affaires étrangères et du Développement international, Feuille de route nationale pour l’Arctique, avril 2016.
([20]) Commission européenne et Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Une politique renforcée de l’UE pour l’Arctique, communication conjointe JOIN(2021) 27 final, 13 octobre 2021.