N° 1431

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 mai 2025.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 975),
DE M. GUILLAUME BIGOT ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES,


relative à la suspension temporaire du Pacte vert européen,

 

 

PAR M. Guillaume BIGOT,

Député

 

 

 

 

 

 

 

  1.    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Laurent MAZAURY, Mmes Manon BOUQUIN, M. Thierry SOTHER, vice‑présidents ; MM. Benoît BITEAU, Maxime MICHELET, secrétaires ; MM. Henri ALFANDARI, Gabriel AMARD, Karim BENBRAHIM, Guillaume BIGOT, Nicolas BONNET, Mmes Céline CALVEZ, Colette CAPDEVIELLE, Éléonore CAROIT, M. François-Xavier CECCOLI, Mme Sophia CHIKIROU, M. Roger CHUDEAU, Mme Nathalie COLIN-OESTERLÉ, MM. Mickaël COSSON, Jocelyn DESSIGNY, Julien DIVE, Nicolas DRAGON, Mme Olga GIVERNET, M. Michel HERBILLON, Mme Mathilde HIGNET, M. Sébastien HUYGHE, Mmes Sylvie JOSSERAND, Marietta KARAMANLI, M. Bastien LACHAUD, Mmes Hélène LAPORTE, Constance LE GRIP, MM. Pascal LECAMP, Matthieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Éric MARTINEAU, Emmanuel MAUREL, Mmes Yaël MENACHÉ, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, Anna PIC, M. Pierre PRIBETICH, Mme Isabelle RAUCH, MM. Alexandre SABATOU, Charles SITZENSTUHL, Mmes Michèle TABAROT, Sophie TAILLÉ‑POLIAN, Liliana TANGUY, Estelle YOUSSOUFFA.

 


SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. LE PACTE VERT : une politique européenne ambitieuse mais irréaliste

A. le pacte vert vise à faire face au changement climatique et à différencier l’effort consenti par chaque état membre

1. Le Pacte vert a rehaussé l’objectif européen de réduction des gaz à effet de serre pour viser la neutralité carbone en 2050

a. Les objectifs de décarbonation

b. Les mesures découlant du Pacte vert

2. La répartition de l’effort entre les différents États membres est insatisfaisante

B. Des objectifs difficilement atteignables compte tenu des réalités industrielles, géopolitiques et climatiques

1. Le rythme de décarbonation imposé par le cadre européen est incompatible avec les réalités industrielles

a. Une méthode a priori, trop verticale et directive

b. Une industrie européenne sous pression : entre transition énergétique et concurrence mondiale

c. Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, censé protéger les industries européennes, présente des failles

2. Les limites structurelles de la réindustrialisation verte en Europe

3. La contribution de la France à l’ensemble des émissions mondiales est aujourd’hui marginale

C. des évaluations en cours indiquent que les objectifs du pacte vert ne seront probablement pas tenus

II. les marges de manœuvre des différents secteurs industriels semblent réduites pour tenir les objectifs fixés dans le cadre du pacte vert

A. le secteur énergétique

1. La stratégie énergétique pâtit de l’inconstance des décisions politiques

2. Le sous-investissement dans la filière nucléaire et les projections d’essor des renouvelables font peser le risque de payer deux fois pour la transition et de créer des « actifs climatiques échoués »

B. LE SECTEUR AUTOMOBILE

C. le secteur agricole

D. LE POUVOIR D’ACHAT DES EUROPÉENS

1. Hausse des coûts pour les ménages et creusement des inégalités

2. Fardeau croissant pour les entreprises

3. Effets récessifs et inflationnistes

E. L'INSOUTENABILITÉ DES DÉPENSES ET l’EXPLOSION DE LA DETTE

1. Le poids financier des mesures d’accompagnement des ménages et des entreprises

2. Des besoins d'investissement massifs à l'échelle européenne

3. Une pression insoutenable sur les finances publiques françaises

III. cette resolution porte l’idee d’une suspension temporaire destinee a recalibrer l’ambition climatique tout en allouant plus efficacement les fonds qui y sont destines

A. ralentir le rythme de la transition

B. renforcer le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et adopter des mesures d’urgence pour les secteurs agricoles et industriels européens

C. réallouer les financements destinés à la transition écologique

TRAVAUX DE LA COMMISSION

proposition de rÉsolution europÉenne Initiale

amendements examinés par la commission

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

Annexe  2 : LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

 


   introduction

 

En janvier dernier, l’observatoire européen Copernicus ([1]) publiait son rapport mondial sur le climat, faisant état de plusieurs faits préoccupants.

Pour la première fois depuis les relevés météorologiques, le seuil de +1,5 °C fixé par l’accord de Paris a été dépassé en température moyenne annuelle (+1,6 °C en 2024 par rapport à l’ère préindustrielle). Par ailleurs, l’Europe s’est déjà réchauffée de +2,4 °C depuis le début de l’ère industrielle, soit à un rythme deux fois plus rapide que les autres continents. Les océans ont également connu un record de chaleur avec une température moyenne annuelle de la surface de la mer à 20,87 °C, soit 0,51 °C de plus que la moyenne 1991-2020, chargeant l’atmosphère en vapeur d’eau, ce qui amplifie le potentiel de précipitations extrêmes.

Cette même année 2024 a constitué, d’après les données de l’Agence internationale de l’énergie, une année record de consommation des énergies fossiles – pétrole, gaz, charbon. Ainsi, alors même que le changement climatique nous affecte de plus en plus durement, certains pays poursuivent les investissements dans les énergies carbonées, à rebours des préconisations scientifiques. La Chine, par exemple, continue de construire des centrales à charbon ([2]) et, aux États-Unis, le président américain ne cache pas sa volonté de relancer les forages pétroliers sous le slogan « drill baby drill » ([3]).

Face au changement climatique qui nous touche et dont nous éprouvons d’ores et déjà les effets, cette résolution vise à un sursaut de pragmatisme et de vision : nous ne pouvons pas nous enferrer dans le respect d’objectifs européens intenables dont les bornes sont – malheureusement – déjà dépassées.

 


Il nous faut penser une écologie soutenable, accompagnant les industries au lieu de les sanctionner, autorisant des flexibilités et affichant clairement la volonté de produire en France et en Europe. Le rapport Draghi ([4]) a constitué, en septembre dernier, une nouvelle alarme quant au gouffre de compétitivité qui s’est creusé avec la Chine et les États-Unis. Si elle n’était pas écoutée, c’est l’avenir de nos industries européennes qui serait définitivement en péril.

Cette résolution est un appel à la raison visant à ce que les efforts consentis par la France et l’Union européenne à l’échelle mondiale soient mieux et plus justement proportionnés.

 

 


I.   LE PACTE VERT : une politique européenne ambitieuse mais irréaliste

A.   le pacte vert vise à faire face au changement climatique et à différencier l’effort consenti par chaque état membre

1.   Le Pacte vert a rehaussé l’objectif européen de réduction des gaz à effet de serre pour viser la neutralité carbone en 2050

Le Pacte vert pour l’Europe, présenté le 11 décembre 2019 ([5]) par la Commission européenne comme l’une de ses priorités, constitue un cadre d’action visant à atteindre la neutralité climatique de l’Union européenne d’ici 2050, tout en promouvant une économie compétitive et efficiente dans l’utilisation des ressources. Il trace une feuille de route pour faire de l’Europe le premier continent climatiquement neutre, en engageant des transformations dans des secteurs clés tels que l’énergie, l’agriculture, les transports, l’industrie et l’économie.

 

Source : graphique extrait de la communication 2019 (640) du 11 décembre 2019

 

 

Pour mettre en œuvre cette ambition, le Pacte vert repose sur un ensemble de mesures législatives, incluant l’adoption de nouvelles réglementations, la révision de textes existants et la mise en place de stratégies ciblées. Le règlement 2021/1119 du 30 juin 2021 également connu comme la « loi européenne sur le climat » ([6]), adopté en juin 2021, fixe juridiquement l’objectif de neutralité climatique d’ici 2050 et une réduction d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 1990.

Parmi les mesures adoptées figurent la fin de la vente de voitures thermiques neuves à partir de 2035, un vaste programme de rénovation énergétique des bâtiments, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, l’introduction d’un second marché du carbone pour les carburants et le chauffage (ETS2) en 2027, ainsi que la suppression progressive des subventions aux énergies fossiles.

Le Pacte vert s’applique à l’ensemble des États membres et mobilise de nombreux acteurs publics et privés : gouvernements, entreprises, industries et institutions. À cette fin, l’UE souhaite mobiliser un tiers du budget cumulé du cadre financier pluriannuel et du plan NextGenerationEU (respectivement 1274 et 724 milliards d’euros) pour financer le pacte vert pour l’Europe.

Enfin, l’annexe ([7]) de la communication du 11 décembre 2019 fixait déjà un calendrier indicatif pour plusieurs initiatives stratégiques aujourd’hui mises en œuvre mais encore incomplètes dans leur application globale, telles que la stratégie « De la ferme à la fourchette », la stratégie pour la biodiversité, la stratégie industrielle européenne et le plan d’action pour l’économie circulaire.

a.   Les objectifs de décarbonation

Les objectifs de décarbonation de la Commission européenne ont été caractérisés par une certaine hésitation, ce qui soulève des questions sur la solidité de la méthode employée. Dans la communication du 11 décembre 2019, l’objectif de réduction des gaz à effet de serre pour 2030 était encore incertain, variant entre -50 % et -55 %. Ce n'est qu'avec la communication du 17 septembre 2020 (2020/562) ([8]), que la Commission a définitivement fixé la cible de -55 % en s’appuyant sur l’étude d’impact (impact assessment report) en deux parties publiée le même jour ([9]).

Ensuite, cette cible, ainsi que celle visant la neutralité carbone d’ici 2050, ont été rendues juridiquement contraignantes par le règlement 2021/1119 du 30 juin 2021, la “Loi européenne sur le climat”. Ce règlement fait partie du paquet législatif « Fit for 55 », qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de l'UE d’au moins 55 % d’ici 2030 et à mettre l'UE sur la voie de la neutralité climatique d'ici 2050.

Ces nouveaux objectifs remplacent ceux décidés lors du Conseil européen d’octobre 2014 ([10]), qui étaient de -40 % en 2030 et de -80 % à -95 % en 2050.

Parallèlement, la conclusion de l’accord de Paris le 12 décembre 2015 a conduit la Commission à revoir son ambition à la hausse pour contenir l’augmentation des températures mondiales par rapport à l’ère préindustrielle sous 2°C et au plus près de 1,5 °C. 

La Commission s’est notamment appuyée sur le rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5°C ([11]) qui indiquent que : « Dans les trajectoires qui limitent le réchauffement planétaire à 1,5°C sans dépassement ou avec un dépassement minime, les émissions anthropiques mondiales nettes de CO₂ diminuent d’environ 45 % depuis les niveaux de 2010 jusqu’en 2030 (intervalle interquartile : 40-60 %), devenant égales à zéro vers 2050 (intervalle interquartile : 2045-2055). Pour limiter le réchauffement planétaire à moins de 2°C, les émissions de CO₂ devraient diminuer d’environ 25 % d’ici à 2030 dans la plupart des trajectoires (intervalle interquartile : 10-30 %) et devenir nulles vers 2070 (intervalle interquartile : 2065-2080). Dans les trajectoires qui limitent le réchauffement planétaire à 1,5°C, les émissions de gaz autres que le 2 font l’objet de fortes réductions, d’ampleurs équivalentes à celles figurant dans les trajectoires qui limitent le réchauffement à 2°C (degré de confiance élevé) ».

En outre, les progrès réalisés dans la transition énergétique et climatique ont renforcé la position de la Commission. Lors de son audition, le directeur général de la DG CLIMA remarque que « cette révision tient au fait qu’on a noté une accélération des technologies propres : le coût du solaire, notamment, a diminué fortement. Cette accélération a fait que les objectifs proposés pour 2030 méritaient d’être rehaussés. »

 

Source : Agence européenne de l’environnement, extrait de la première partie de l’étude d’impact précitée

 

Votre rapporteur considère que la révision à la hausse des objectifs climatiques a été effectuée sans études scientifiques, techniques de faisabilité, ni évaluation des impacts financiers, économiques ou sociaux, bien que les objectifs précédents fussent déjà parmi les plus ambitieux au niveau mondial.

Bien que le constat de l’aggravation du changement climatique, établi par les travaux du GIEC, soit indiscutable, la décision d'augmenter la cible de réduction des émissions de -40 % à -55 % a été prise unilatéralement par la Commission européenne. Cette décision n’a pas tenu compte du fait que l’Union européenne représente une part marginale des émissions mondiales, comme mentionné dans la partie I.B.3 du présent rapport.

b.   Les mesures découlant du Pacte vert

Le paquet « Fit for 55 » comprend un ensemble de propositions législatives et initiatives interdépendantes ([12]) concernant :

• la révision du système d’échange de quotas d’émission (SEQE) de l’UE, y compris son extension au transport maritime, la révision des règles relatives aux émissions de l’aviation et la mise en place d’un système distinct d’échange de quotas d’émission pour le transport routier et les bâtiments ;

la révision du règlement sur la répartition de l’effort en ce qui concerne les objectifs de réduction des États membres dans les secteurs ne relevant pas du SEQE de l’UE ;

la révision du règlement relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultant de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie (UTCATF) ;

la révision de la directive sur les énergies renouvelables ;

la refonte de la directive sur l’efficacité énergétique ;

la révision de la directive sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs;

la modification du règlement établissant des normes d’émission de CO2 pour les voitures et les camionnettes ;

• la révision de la directive sur la taxation de l’énergie ;

• le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ;

• l’initiative ReFuelEU Aviation pour l’utilisation de carburants durables dans l’aviation ;

• l’initiative FuelEU Maritime, pour un espace maritime européen vert ;

• le fonds social pour le climat.

De nouvelles propositions ont été présentées, le 15 décembre 2021, pour compléter ou renforcer les mesures contenues dans le paquet « Fit for 55 » :

• la révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments ;

• le nouveau cadre européen pour décarboner les marchés du gaz, promouvoir l’hydrogène et réduire les émissions de méthane.

2.   La répartition de l’effort entre les différents États membres est insatisfaisante

Les cibles de réduction des gaz à effet de serre font l’objet d’une déclinaison par pays sous la forme d’un règlement pour la répartition de l’effort.

Le règlement 2018/842  relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre ([13]) a été adopté le 19 juin 2018, avant d’être modifié en 2023. Il prévoyait que chaque État membre contribue de manière différenciée à la réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport aux niveaux d’émissions de 2005. Le détail des objectifs assignés à chaque pays était présenté dans l’annexe I.

Ce règlement 2018/842 avait fait l’objet d’une étude d’impact ([14]) qui, si elle ne donnait pas explicitement la méthode de calcul de la répartition de l’effort par pays, précisait tout de même que : « La pente de la fonction est plus forte pour les États membres dont le PIB/habitant est inférieur à la moyenne de l'UE, ce qui entraîne une diminution plus rapide de l'ambition pour les pays à faible niveaux de revenus. La pente pour les États membres à revenus plus élevés est moins forte et conduit donc à des augmentations moins rapides de l'ambition pour les États membres aux revenus les plus élevés, ce qui limite déjà en partie les impacts économiques et reconnaît des capacités différentes pour tous ces pays. Les objectifs de 2020 pour la Grèce, la Lettonie et la Slovénie ont été ajustés en fonction des préoccupations spécifiques des États membres. »

 

Source : Commission européenne.

 

En abscisse est renseigné le PIB/habitant et en ordonnée, la cible du taux d’effort associée au niveau de PIB/habitant. Ainsi, la méthode retenue par la Commission assigne aux États membres les plus pauvres des cibles plus faciles à atteindre, tandis que les États membres les plus riches se voient attribuer les cibles les plus ambitieuses, avec une relative indifférence quant à leurs spécificités nationales (aplatissement de la courbe).

La révision à la hausse des objectifs climatiques par la communication 2020 (562), puis par le règlement 2021/1119, a conduit la Commission à proposer une révision du règlement 2018/842 via le règlement 2023/857, adopté le 19 avril 2023 ([15]). De nouvelles cibles par pays sont définies, comme l’illustre l’infographie ci-dessous :

 

 

Effort Sharing Regulation

Source : Commission européenne

 

Cependant, votre rapporteur estime que la modalité de calcul de la répartition est à la fois insatisfaisante et inéquitable. En effet, les objectifs de réduction ne tiennent pas compte des seuils d’émission de départ. Les pays ultra émetteurs de CO2 se voient assignés les mêmes objectifs que les pays déjà très sobres en CO2.

La France et l’Allemagne se voient, par exemple, imposer des objectifs de réduction à l’horizon 2030 quasiment équivalents : -50 % pour l’Allemagne et - 47,5 % pour la France. Cet écart ne tient aucun compte de ce que notre pays émet moins de la moitié du CO2 par habitant que son voisin d’Outre-Rhin.

 

Source : SDES ; Banque mondiale, 2023

 

Cela est également vrai du ratio GES/PIB, témoignant du caractère exemplaire de la France à l’échelle mondiale en matière de décarbonation de son économie. Ainsi, l’intensité carbone du PIB français était la plus basse des grandes économies : à 142 tonnes CO2eq par million de dollars en 2022, contre 279 tonnes aux États-Unis et 601 tonnes en Chine.

 

 

Source SDES ; Banque mondiale, 2023

Votre rapporteur estime donc que la répartition de l’effort décidée dans le cadre du Paquet « Fit for 55 » ne tient pas suffisamment compte du caractère décarboné de l’économie française et conduit à imposer un effort disproportionné aux Français, d’autant plus que l’effort à fournir est croissant à mesure que les émissions sont basses (problématique des secteurs « hard-to-abate »).

Cela engendre une concurrence déloyale entre les entreprises mondiales et européennes, ainsi qu’entre les entreprises françaises et les autres entreprises européennes.

Comme l’ont noté Philippe Charlez et Nicolas Meilhan ([16])  : « La règle des -55 % introduit également une injustice notoire entre nations européennes ignorant la croissance démographie et défavorisant de façon inacceptable les plus vertueux. Ainsi on demande au Français de réduire ses émissions territoriales individuelles 2030 à 3,6 TCO2/an alors que l’Allemand sera toujours autorisé à émettre 6,4 tCO2/an.

La règle des 55 % ne prend pas non plus en compte la soutenabilité financière du Pacte vert, tant pour les citoyens que pour les pouvoirs publics. En 2023, les dépenses bas carbone (bâtiment, mobilité, secteur énergétique) ont atteint 109 milliards d'euros (soit 3,8 % du PIB) en France, dont un tiers provient de subventions publiques. Depuis 2017, la France a investi près de 600 milliards d'euros dans la transition écologique. Le rapport Pisani-Ferry publié en 2023 par France Stratégie estimait qu'atteindre les objectifs du Pacte Vert nécessiterait d’augmenter cette somme à 170 milliards d'euros par an (+66 milliards d'euros). En 2024, le dernier rapport du SPAFTE a réévalué cette estimation à 200 milliards d'euros annuels, soit 6,8 % du PIB. »

Ces dépenses publiques massives ne tiennent pas compte de l’état d’endettement des États membres. Philippe Charlez et Nicolas Meilhan soulignent également qu'une étude de l’Institut de l'économie pour le climat avertit du coût insoutenable de ce pacte, estimant que la transition coûterait aux ménages français plus de 100 000 € sur dix ans, soit l’équivalent de 2,5 années de revenus d’un ménage dans le neuvième décile. Cette situation conduit à la conclusion que la transition énergétique est trop coûteuse pour les classes populaires et moyennes.

 

B.   Des objectifs difficilement atteignables compte tenu des réalités industrielles, géopolitiques et climatiques

1.   Le rythme de décarbonation imposé par le cadre européen est incompatible avec les réalités industrielles 

a.   Une méthode a priori, trop verticale et directive

Comme mentionné lors de l’audition du directeur général de la DG CLIMA, la Commission élabore sa politique climatique à travers une approche « finaliste ». En d’autres termes, elle part des objectifs qu’elle veut atteindre sans anticiper les moyens pour y parvenir : « Ce sont les objectifs que l’on se fixe qui entrainent les investissements dans la technologie. Les objectifs sont là pour assurer de la visibilité aux investisseurs. Depuis 2019, les investissements dans les énergies propres ont triplé : cela n’aurait pas été possible sans la politique de décarbonation. De fait, la diminution des investissements en 2024 a eu lieu précisément au moment où l’on a émis des doutes sur la politique climatique. 

De manière générale, les émissions augmentent désormais beaucoup moins vite que depuis les accords de Paris : on se dirigeait vers +4°C avant la COP 21, on est maintenant sur la voie de +3 °C à la fin du siècle. Sans les accords de Paris, l’augmentation aurait été beaucoup plus forte. » ([17])

Votre rapporteur estime que ces affirmations ne reposent sur aucune preuve scientifique et confondent corrélation et causalité. La réduction du rythme du réchauffement climatique observée récemment pourrait être davantage liée à des facteurs conjoncturels comme la hausse du prix des matières premières, la pandémie de COVID-19 ou encore le ralentissement économique, plutôt qu’à la mise en œuvre des accords de Paris.

Par ailleurs, l’année 2024 est une année record à l’échelle mondiale en matière d’émissions de gaz à effet de serre (41,6 milliards de tonnes par rapport à 40,5 milliards de tonnes en 2023), ce qui remet en question l’efficacité réelle des politiques climatiques strictes. Cette situation est d’autant plus préoccupante que l’Union européenne, bien qu’imposant des contraintes sévères à ses États membres, ne représente qu’un peu moins de 6 % des émissions mondiales. Cela invite à relativiser l’impact global de ses efforts sur le climat.

Le graphique ci-après, illustre bien l’approche de la Commission européenne, moins scientifique que politique.

 

Source : étude d’impact de la Commission européenne (première partie) ([18])

 

Ainsi, c’est bien la volonté politique de la Commission européenne d’atteindre la neutralité climatique en 2050 qui a conduit à réviser à la hausse l’objectif de -40 % d’émissions pour 2030 (à -55 %) et à adapter les différents outils de politique publique en fonction de ces nouvelles cibles.

Votre rapporteur estime qu’un dogmatisme rigide peut entraîner des coûts hors de proportion pour les industries et les ménages, qui pourraient être facilement évités en ralentissant le rythme de la transition pour laisser un temps d’adaptation aux acteurs économiques.

b.   Une industrie européenne sous pression : entre transition énergétique et concurrence mondiale 

Comme cela a été rappelé lors de l’audition de MM. Meilhan et Charlez, ainsi que celle de Mme Voy-Gillis, jusqu’ici, la décarbonation de l’industrie a largement été synonyme de désindustrialisation. « L’agenda 2019 du Pacte vert misait sur une baisse des émissions de 40 % (base 1990) et non de 55 % (introduit en 2021). Les 40 % étaient en ligne avec la réduction historique de 2 % depuis le début du siècle. Les 55 % sont inatteignables à l’horizon 2030. Il faut donc desserrer le rythme de décarbonation en revenant à l’objectif de 40 % qui paraît lui tout à fait atteignable ». ([19])

Dans son rapport paru en septembre dernier, Mario Draghi alerte sur la désindustrialisation en marche dans plusieurs segments des industries énergo‑intensives européennes, du fait de la concurrence internationale de plus en plus forte doublée d’une augmentation des coûts de l'énergie ([20]) et d’un renforcement des efforts de décarbonation.

La direction générale des entreprises estime ([21]) que plusieurs points sont bienvenus dans ce rapport, concernant :

(i) l’importance pour l’UE d’assurer un cadre de concurrence loyale au regard des pratiques de pays tiers

(ii) l’objectif de diminution des prix de l’énergie reposant sur une approche de neutralité technologique

(iii) la nécessité d’instaurer une préférence européenne dans la commande publique, tout en étudiant la possibilité de l’inscrire dans d’autres dispositifs (financements européens, mécanismes d’aide ou de soutien à la demande, etc.)

(iv) le besoin de renforcer le mécanisme carbone aux frontières (MACF) pour réduire les risques fuites de carbone et les risques de contournement,

Lors de son audition, le DG CLIMA a fait remarquer que : « La désindustrialisation a été beaucoup moins forte en Europe qu’aux USA. Au sein de l’UE, la balance commerciale est historiquement positive pour les biens manufacturés, à tel point que le président Trump veut diminuer le déficit de la balance commerciale avec l’UE par l’imposition de tarifs douaniers destinés à favoriser les produits américains. Pour autant, il est vrai que les industries énergivores souffrent de la transition énergétique dans l’UE. Cimenteries, aciéries, industries chimiques : ces secteurs doivent être accompagnés et soutenus pour électrifier leurs procédés industriels sans délocaliser hors-UE.

 

Le manque de compétitivité de ces secteurs industriels s'explique par des prix de l'énergie très élevés en Europe, significativement supérieurs à ceux de nos concurrents internationaux, dus à notre dépendance persistante aux énergies fossiles : 640 Mds d'euros payés en un an pour les énergies fossiles en 2024 si l'on agrège les achats de biens énergétiques de l'ensemble des États membres. » ([22])

Cette situation fragilise les industries européennes à forte intensité énergétique et favorise les délocalisations. 

En dépit des objectifs ambitieux du Pacte vert, une part significative de l’énergie consommée en Europe provient encore de sources fossiles, et les investissements massifs dans les énergies renouvelables ne suffisent pas à éliminer cette dépendance.

En 2024, environ 71 % de l’électricité produite dans l’Union européenne provenait de sources décarbonées : 47 % issues des énergies renouvelables et 24 % du nucléaire. Ces chiffres témoignent d’un réel progrès, mais ils ne doivent pas masquer les limites actuelles.

Ces limites sont techniques : l’électricité renouvelable reste par nature intermittente, et les solutions de stockage à grande échelle, telles que les batteries à flux ou l’hydrogène vert, demeurent encore à un stade de développement insuffisamment mature pour assurer une alimentation électrique stable et continue, notamment pour les secteurs industriels lourds. Or, ces industries requièrent une énergie fiable, disponible en permanence, ce qui reste difficile à garantir avec une part croissante d’énergies intermittentes dans le mix énergétique. Ce défi technologique majeur complique l’électrification complète de l’outil industriel et freine la transition énergétique dans les secteurs les plus exposés.

c.   Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, censé protéger les industries européennes, présente des failles

Une fuite de carbone se produit lorsqu'une entreprise ou une industrie délocalise sa production dans un pays ou une région où les réglementations environnementales sont moins strictes, notamment en matière d'émissions de gaz à effet de serre (GES). Cette délocalisation permet à l'entreprise d'éviter des coûts associés à des politiques climatiques plus rigoureuses, comme les systèmes de quotas d'émission ou les taxes sur le carbone.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), établi par le Règlement (UE) 2023/956 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 ([23]), constitue une des mesures du Pacte vert et du paquet « Fit for 55 ». L’objectif principal déclaré est de lutter contre les fuites de carbone et par conséquent réduire les émissions de gaz à effet de serre. La liste des produits et secteurs concernés par la MACF est détaillée à l’annexe I du règlement (ciment, fer et acier, aluminium, engrais, électricité et hydrogène).  Au niveau européen, le MACF fait l’objet de travaux de simplification et de renforcement, avant son entrée en vigueur au 1er janvier 2026.

Ainsi, le MACF actualise deux instruments mis en place pour limiter la fuite carbone: les quotas gratuits dans le cadre SEQE (Système d’Échange de Quotas d’Émission de l’Union européenne) et les aides financières pour compenser les coûts indirects liés au prix de l’électricité. Le Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) vise à remplacer ces outils en instaurant une tarification carbone équivalente pour les produits européens et importés. Il prévoit une mise en œuvre progressive, avec suppression graduelle des quotas gratuits pour les secteurs couverts par le MACF.

Lors de son audition, Anaïs Voy-Gillis a estimé que les faiblesses du MACF étaient de trois ordres : « D’abord, il présente une trop grande complexité de mise en œuvre, là où il aurait été plus simple d’imposer des quotas minimums sur l’ensemble des biens importés d’un pays donné dont on sait que les productions sont carbonées. Ensuite, il est mal calibré, en ceci qu’il cible uniquement les matières premières mais risque d’être inefficace pour éviter la concurrence des produits finis importés. Enfin, il est possible pour les pays tiers de le contourner en réservant certaines productions – les moins carbonées – au marché européen, tandis que les plus carbonées restent en Asie : on touche ici aux limites de l’influence européenne par le droit ».

Pour ces trois raisons, Anaïs Voy-Gillis recommande non pas d'abandonner le MACF, mais de le coupler avec des mesures de réciprocité sur les normes de fabrication dans les pays producteurs.

2.   Les limites structurelles de la réindustrialisation verte en Europe

La Commission européenne entend faire de la politique climatique un instrument de compétitivité économique. Ce changement d’approche, amorcé sous la mandature Von der Leyen II (2024–2029), s’inscrit dans une volonté de réconcilier transition écologique et renforcement industriel. Deux communications en témoignent : la Boussole de compétitivité (Competitiveness Compass), publiée le 29 janvier 2025 ([24]), et le Pacte pour une industrie propre (Clean Industrial Deal), présenté le 26 février 2025 ([25]).

La Boussole de compétitivité propose de traduire les recommandations du rapport Draghi en une stratégie opérationnelle, structurée autour de trois priorités : l’innovation, la décarbonation et la sécurité économique. Elle insiste sur la nécessité pour l’UE de rattraper son retard technologique, d’assurer un accès à une énergie propre et compétitive, et de réduire ses dépendances stratégiques, en particulier grâce à des partenariats destinés à sécuriser l’approvisionnement en matières premières critiques. Le document prévoit également des mesures transversales comme la simplification administrative, l’allègement des charges sur les entreprises, ainsi que la mise en place d’un outil européen de coordination des politiques industrielles.

Toutefois, malgré cette ambition affichée, la mise en œuvre concrète reste limitée.

Alors que la politique climatique devrait devenir un outil de compétitivité industrielle, à ce stade, une telle ambition relève du vœu pieux : elle demeure largement déclamatoire, sans traduction effective en mesures structurantes capables de renforcer réellement l’industrie européenne.

La réindustrialisation annoncée se traduit davantage par une prolifération de textes normatifs que par une relance tangible des capacités productives. D’où le risque de rogner sur le hard power industriel au nom du soft power climatique de l’Union européenne.

En outre, les équipements essentiels à la transition climatique risquent de faire passer les producteurs européens d’une dépendance stratégique (celle aux énergies fossiles) à une autre (celle aux terres rares). 

Lors de son audition, le DG CLIMA a souligné que, contrairement aux énergies fossiles, les terres rares, une fois importées en Europe, peuvent y être recyclées et réutilisées. Pour autant, il apparaît que la baisse des émissions industrielles constatée dans l’Union s’explique davantage par une délocalisation de la production que par une réelle transformation du tissu industriel, comme en témoigne l’augmentation parallèle des émissions importées.

Dans leur contribution écrite, MM. Meilhan et Charlez précisent : « le plan de décarbonation repose principalement sur l’installation accélérée d’équipements électriques - hormis la main d’œuvre liée à la rénovation du bâtiment – sachant que plus de 7 % des équipements verts (voitures électriques, pompes à chaleur, électrolyseurs, piles à combustible) seront importés principalement de Chine. Les investissements colossaux réclamés par le Pacte vert s'avèrent donc peu productifs et faiblement générateurs d’emploi. » ([26])

À ce stade, la décarbonation de l’industrie a été synonyme de désindustrialisation et d’augmentation des émissions importées. Ces dernières sont passées, en France, de 321 millions de tonnes de CO2éq en 1990 à 362 millions de tonnes en 2023, tandis que, dans le même temps, la part de l’industrie dans le PIB baissait de 20,9 % en 1990 à 14,9 % en 2023.

 

 

Source : Insee, Eurostat, Citepa, Douanes, OCDE ; traitements Insee-SDES 2024.

 

 

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La DGE précise : « La baisse de 20 % des émissions françaises de GES observée sur la période 1990-2022 a été soutenue par les fortes réductions des émissions de l’industrie manufacturière. Les émissions de l’industrie sont passées de 140 Mt CO₂éq en 1990 à 71 Mt CO₂éq en 2022. Le projet de SNBC 3, mis en consultation en 2024, prévoit de poursuivre cette trajectoire, avec un objectif de 45 Mt CO₂éq en 2030. Trois secteurs concentraient en 2022 près de 72 % des émissions industrielles : la métallurgie (16 Mt), la chimie (17 Mt) et les matériaux de construction (19 Mt). » ([27])

Si le Pacte vert ne peut être tenu directement responsable de ce déclin industriel, il serait tout aussi excessif de lui attribuer le mérite de la baisse des émissions nationales. En réalité, cette réduction est largement due à la délocalisation des activités industrielles vers des pays dont les mix énergétiques sont plus intensifs en combustibles fossiles (charbon, gaz, pétrole).

La volonté de l’Union européenne d’électrifier rapidement une large part de l’industrie se heurte à deux types de limites :

– des contraintes techniques, liées à l’immaturité de certaines technologies, notamment en matière de production électrique à grande échelle et de stockage d’énergie ;

– des contraintes économiques, amplifiées par le refus de l’UE d’adopter des mesures protectionnistes pour faire face à une concurrence internationale souvent faussée.

Dans ces conditions, une électrification massive des usages industriels, en particulier dans les secteurs très énergivores comme la chimie, la métallurgie ou les matériaux de construction, semble aujourd’hui hors de portée. À court terme, cela compromet toute stratégie de réindustrialisation alignée sur les objectifs de décarbonation, surtout si l'on souhaite enrayer la poursuite des délocalisations.

3.   La contribution de la France à l’ensemble des émissions mondiales est aujourd’hui marginale

L’accélération de la décarbonation européenne n’aura qu’une faible incidence sur la baisse des émissions mondiales : l’UE représente 6 % des émissions mondiales, 8 % en incluant les émissions importées ([28]) ; la France, moins de 1 %.

 

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Source des données : Energy Institute & EEA ([29])

 

Pire encore, les fuites de carbone liées aux délocalisations pourraient aggraver la situation climatique globale, en déplaçant la production vers des régions où les industries sont plus émettrices.

 

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Source : Indicateurs régionaux (2019) et comparaison des productions et consommations CO2 régionales (2018). GIEC, Sixième rapport d’évaluation, troisième volume

 

Source : Évolution historique cumulée des émissions d’équivalent CO2 d’origine anthropique (1850-2019). GIEC, Sixième rapport d’évaluation, troisième volume

Lors de son audition, le directeur général de la DG CLIMA a reconnu sans détour : « La politique climatique de décarbonation n’est plus une politique pour sauver la planète. »

À moins de considérer que l’UE doive continuer à agir par vertu et en position de pionnière, cette approche comporte un risque sérieux : celui d’un décrochage compétitif durable, alors que les industriels européens sont confrontés à des concurrents bénéficiant encore de sources d’énergie fossile bien moins coûteuses. 

Le DG CLIMA a néanmoins insisté sur l’importance de poursuivre les investissements dans la transformation de l’appareil productif, soulignant que : « La superpuissance verte actuelle dans le monde est la Chine. Plus de 60 % des nouvelles capacités en énergies renouvelables installées en 2024 l’ont été en Chine ».

L’UE doit donc, selon lui, continuer d’investir pour espérer rester compétitive dans un monde bas-carbone. Cependant, malgré ces intentions, les résultats concrets sur le terrain industriel restent décevants.

La Chine s’impose dans les technologies propres, notamment les panneaux solaires et les batteries, tandis que l’Europe peine à suivre.

Le DG CLIMA reconnaît que les délocalisations d’investissements industriels vers les États-Unis, stimulées notamment par des mesures comme l’Inflation Reduction Act, représentent un défi majeur pour l’industrie européenne. Toutefois, il nuance ce constat en s’appuyant sur un rapport de la Bundesbank : selon ce document, la politique climatique européenne ne serait pas la principale cause de cette fuite d’investissements ; la perte de compétitivité s’expliquerait plutôt par d’autres facteurs, comme des politiques commerciales peu efficaces et une situation de surcapacité mondiale, notamment dans le secteur de l’acier.

En définitive, bien que la politique climatique européenne ambitionne de renforcer la compétitivité industrielle, le diagnostic établi par le DG CLIMA révèle une industrie fragilisée, un recul dans des secteurs stratégiques tels que le solaire, et l’urgence de mobiliser des investissements massifs si l’Europe veut rester dans la course face aux États-Unis et à la Chine.

C.   des évaluations en cours indiquent que les objectifs du pacte vert ne seront probablement pas tenus

Le Centre commun de recherche de la Commission européenne (JRC) a publié, le 30 janvier 2025, un rapport d'étape sur la mise en œuvre du Pacte vert ([30]). Ce rapport repose sur une méthodologie de suivi intermédiaire consistant à dresser un état des lieux de l’avancement des objectifs, à partir de 154 cibles quantifiables issues de 44 textes stratégiques et législatifs adoptés entre 2019 et 2024. Chaque cible est évaluée selon un système de feux tricolores (1. en bonne voie, 2. à accélérer et 3. stagnation ou régression), sur la base des données publiques disponibles et d’indicateurs validés par les experts du JRC.


Cependant, cette méthodologie présente plusieurs limites importantes : elle ne permet pas d’évaluer l’efficacité réelle des politiques mises en œuvre, ni leur faisabilité industrielle, technologique ou financière. Il s’agit donc davantage d’un état d’avancement formel que d’une évaluation d’impact.

Selon ce rapport, sur les 154 cibles identifiées :

32 (21 %) sont en bonne voie d’être atteintes ;

64 (41 %) nécessitent une accélération ;

15 (10 %) stagnent ou sont en régression ;

43 (28 %) sont non-évaluables faute de données.

 

 

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Source : rapport du JRC – delivering the EU Green deal

 


Si l’on se concentre sur les 87 objectifs juridiquement contraignants pour les États membres :

-         seuls 13 (15 %) avancent au rythme requis ;

-         29 (33 %) doivent être accélérés ;

-         12 (14 %) sont en stagnation ou en recul ;

-         33 (38 %) ne sont pas évaluables.

En particulier, l’objectif de réduction de 55 % des émissions de GES d’ici 2030 – rendu légalement contraignant par la loi européenne sur le climat – semble déjà difficilement atteignable. Ce constat illustre les limites d’une approche trop rigide, qui ne tient pas suffisamment compte des réalités économiques et industrielles.

Or, cet objectif de 2030 ne représente qu’une étape intermédiaire avant des cibles encore plus ambitieuses fixées pour 2040 et 2050. Leur atteinte nécessitera une transformation en profondeur du système énergétique européen, fondée sur le déploiement massif de technologies neutres en carbone – dont certaines restent encore au stade expérimental ou ne sont pas matures à l’échelle industrielle.

Le rapport du JRC met en évidence ce décalage temporel entre les obligations climatiques inscrites dans la loi et les capacités technologiques actuelles. Il alerte sur le fait que, sans une accélération majeure des réductions d’émissions d’ici 2040, la trajectoire vers la neutralité carbone en 2050 pourrait ne pas être respectée. En somme, il existe un risque réel de ne pas tenir les engagements à long terme du Pacte vert.

Si le rapport du Centre commun de recherche préconise que les États membres accroissent encore leurs efforts en prenant de nouvelles mesures d’ici 2040, votre rapporteur est favorable à un rééchelonnement de l’objectif de -55 % pour laisser le temps de l’adaptation aux industries et aux ménages.

 

 

 


II.   les marges de manœuvre des différents secteurs industriels semblent réduites pour tenir les objectifs fixés dans le cadre du pacte vert

A.   le secteur énergétique

Alors que l’Union européenne prône une neutralité technologique dans l’atteinte des objectifs climatiques, les orientations choisies pour le mix énergétique français témoignent d’une grande inconstance et d’une méconnaissance de l’importance du nucléaire. Or, les contraintes imposées par le Pacte vert ont contribué à affaiblir une filière nucléaire française pourtant essentielle.

1.   La stratégie énergétique pâtit de l’inconstance des décisions politiques  

La politique climatique européenne a évolué significativement dans la reconnaissance du nucléaire. Depuis l’adoption du règlement Taxonomie verte en juin 2020 ([31]) , l’énergie nucléaire est officiellement classée comme activité « transitionnelle » contribuant à l’atténuation du changement climatique, sous conditions strictes (permis de construction délivrés avant 2045, utilisation de combustibles tolérants aux accidents d’ici 2025, etc.). Cette inclusion, validée par le Parlement européen en juillet 2022, marque un tournant après des années d’exclusion de l’énergie nucléaire comme énergie décarbonée.

Le Nuclear Illustrative Programme (PINC), mis à jour en 2024, prévoit des investissements de 45 à 50 milliards d’euros pour la prolongation des centrales existantes et 350 à 450 milliards d’euros pour de nouveaux réacteurs d’ici 2050. La Commission européenne reconnaît désormais explicitement le nucléaire comme pilier de la décarbonation, aux côtés des renouvelables dans sa stratégie « Clean Industrial Deal » (Pacte pour une industrie propre), présentée le 26 février 2025 par la Commission Européenne. 

Avant que l’Union européenne n’opère un revirement dans sa position à l’égard de l’énergie nucléaire, la France s’est engagée dans une stratégie coûteuse de développement des énergies renouvelables, au détriment de son parc électronucléaire. Cette orientation, conforme à l’esprit initial du Pacte vert, a conduit à une sous-utilisation significative des capacités nucléaires existantes, contribuant ainsi à une hausse artificielle des prix de l’électricité.

La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 2) illustrait cette logique : elle prévoyait la fermeture de 14 réacteurs nucléaires et une accélération du développement des énergies renouvelables intermittentes, non stockables, reposant sur des conditions météorologiques aléatoires. Une telle stratégie rendait inévitable, comme dans d’autres États membres, un recours accru aux énergies fossiles pour assurer la stabilité du réseau, compromettant par là même les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

La troisième planification pluriannuelle de l’énergie (PPE 3) marque une inflexion bienvenue. Prenant acte de l’engagement du Président de la République en faveur d’une relance du nucléaire, elle prévoit la construction de six réacteurs EPR, ainsi que le lancement de travaux préparatoires pour huit réacteurs supplémentaires. Elle soutient également le développement de réacteurs modulaires (SMR), destinés à compléter le mix énergétique avec des solutions plus flexibles et pouvant être déployées à moyen terme.

2.   Le sous-investissement dans la filière nucléaire et les projections d’essor des renouvelables font peser le risque de payer deux fois pour la transition et de créer des « actifs climatiques échoués »

La troisième planification pluriannuelle de l’énergie (PPE 3) présente des failles préoccupantes pour un document engageant l’avenir énergétique de la France. Ces failles ont été identifiées par l’Académie des Sciences, dans son avis paru en avril 2025 ([32]) :

« Le texte s’appuie sur des chiffres incohérents, tout comme sa version précédente, et ce malgré les observations précises formulées par l’Académie des sciences dans son avis de décembre 2024. Par exemple, en page 11 de cette version révisée de la PPE 3, la consommation d’énergie finale prévue est de 1 243 TWh en 2030 et de 1 100 TWh pour 2035. Or, quelques pages plus loin (page 15, Figure 1), ces valeurs sont respectivement de 1 410 et 1 302 TWh. Ce manque de rigueur engendre évidemment des incertitudes multiples, notamment lorsque l’on applique des pourcentages à des valeurs aussi différentes. Un exemple illustre cette incohérence : la même Figure 1 attribue une part de 39 % à la consommation électrique en 2035, soit une demande de 508 TWh, tandis que, en page 86, après analyse des différents scénarios possibles (Figure 24), il est indiqué que : « le scénario AMS final devrait se situer entre 580 et 600 TWh de consommation (électrique) intérieure en 2035 ». Parmi les valeurs de 429, 508 ou 600 TWh, quel est réellement le niveau de consommation visé pour 2035 ? »

Votre rapporteur estime que l’influence du Pacte vert sur une planification énergétique encore imprécise est manifeste. Le développement accéléré et parfois excessif des capacités renouvelables intermittentes répond avant tout à la volonté de respecter le calendrier des objectifs climatiques européens. Cette stratégie, menée dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, peut conduire à un double financement pour une même quantité d’énergie décarbonée, au détriment de l’optimisation du mix énergétique.

Ce risque de surdimensionnement a été souligné par le haut-commissaire à l’énergie atomique dans son avis publié en février 2025 ([33]) :

« La PPE 3 est construite à partir de l’objectif européen « fit for 55 ». (…) À cette échéance trop rapprochée pour permettre de déployer de nouvelles capacités nucléaires, la seule solution pour décarboner consiste à électrifier massivement tout en déployant des énergies renouvelables. Trop d’EnR conduiront cependant à un sous‐emploi du nucléaire et à des surcoûts pour le consommateur et pour l’industrie. Ces surcoûts pourraient même être aggravés en cas de surproduction, si jamais la demande en électricité ne s’avère pas aussi élevée que prévue. Les raisons pour craindre un tel scénario ne manquent pas.

Les objectifs, extrêmement ambitieux, de croissance des EnR intermittentes, spécialement le photovoltaïque, devraient donc être revus à la baisse dans la PPE. Les EnR devraient aussi s’effacer davantage en cas de surproduction, de manière à consolider une complémentarité équilibrée entre nucléaire et EnR. 

Il est à craindre que le « fit for 55 » ne soit pas atteint, aussi vertueuses soient les intentions initiales. Rien ne serait alors plus dommageable que de se retrouver enfermé dans une « Energiewende » à la française, avec des dépenses massives mais inutiles, si l’électrification des usages fossiles tarde à venir. »

 

 

Source : avis du HCEA. Production éolienne, solaire et besoin en production complémentaire (le « résiduel »), en GW, nécessaire pour fournir la demande, en janvier 2025

 


Comme le note le haut-commissaire, la PPE 3 prévoit une augmentation du photovoltaïque par un facteur 4 (93 TWh en 2035 – tableau page 28 de la PPE 3 contre 23,3 TWh produits en 2024), une augmentation de l’éolien d’un facteur 3,3 (150 TWh en 2035 dans le même tableau contre 45,8 TWh produits en 2024) et une augmentation de la demande de 22 % totale d’électricité (508 TWh en 2035 11 versus 417 TWh en 2024).

En faisant l’hypothèse d’une météo identique à celle de janvier 2025, il présente, à titre illustratif, un mois de janvier 2035 avec les puissances éoliennes et photovoltaïques multipliées par 3,3 et 4, respectivement, avec une demande totale augmentée de 22 %, comme le programme la PPE.

 

Source : avis du HCEA. Production éolienne, solaire et résiduel, en GW, nécessaire pour fournir la demande en janvier 2035, avec comme hypothèse une météo identique à 2025 et la réalisation de la PPE3 et une structure de demande inchangée.

 

Ainsi, le mix dessiné par la PPE 3 pourrait conduire à une situation de surproduction d'électricité dans laquelle, pour ne pas saturer le réseau, les producteurs pourraient être contraints d’arrêter des réacteurs et des panneaux solaires en plein jour.

Selon le haut-commissaire : « On observe des variations de besoins gigantesques, des suivis de charge quotidiens de l’ordre de 30 GW en moyenne, parfois davantage (ce qui confirme les prévisions de RTE de la figure 4). À certains moments le parc pilotable devrait être totalement éteint. L’électricité provenant des seules EnR serait même en situation de surproduction durant 7 à 9 jours sur ce seul mois de janvier 2035 : de l’électricité en surplus mais quand même payée au prix fort par les mécanismes de soutien et par l’amortissement du nucléaire, inchangé.

 

Les prix les plus négatifs se produisent bien sûr pendant la journée, lors le photovoltaïque fonctionne. Cette figure montre que lors des périodes anticycloniques (par exemple entre le 11 et le 22 janvier), le besoin de plus de 70 GW de pilotables est toujours là, avec parfois des pointes fréquentes au‐delà de 80 GW ».

Le haut-commissaire souligne également que lorsque les prix de l'électricité sont nuls, les producteurs ne peuvent se payer à ce moment-là et se rattrapent donc sur les autres moments de consommation. Le déploiement de capacités renouvelables au-delà des besoins correspond à ce que le haut‑commissaire considère comme des actifs verts échoués.

B.   LE SECTEUR AUTOMOBILE

L’objectif européen de mettre fin à la vente des véhicules thermiques d’ici 2035 apparaît de plus en plus difficile à atteindre, au regard de la dynamique actuelle du marché.

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Source: ACEA (2024)

En 2024, le marché automobile de l’Union européenne a enregistré une légère hausse globale des immatriculations (+0,8 %, soit 10,6 millions de véhicules), mais la progression des motorisations électriques marque un net coup d’arrêt. Pour la première fois depuis 2020, les immatriculations de voitures 100 % électriques (Battery Electric Vehicle – BEV) ont reculé de 5,9 %, passant de 1,5 à 1,4 million d’unités. Les hybrides rechargeables (Plug-In Hybrid Electric Vehicle – PHEV) ont connu une baisse plus marquée encore, de 6,8 %.

La part de marché des véhicules électriques a ainsi diminué pour la première fois, passant de 14,6 % en 2023 à 13,6 % en 2024. En parallèle, les véhicules hybrides non-rechargeables (Hybrid Electric Vehicle – HEV) ont connu une forte progression (+33,1 % en décembre), atteignant une part de marché annuelle de 30,9 %, juste derrière les motorisations essence (33,3 %). Le diesel poursuit son déclin, ne représentant plus que 11,9 % des ventes.

 

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Source : ACEA

La tendance française confirme cette inflexion. En 2024, les voitures 100 % électriques et hybrides rechargeables ont représenté 25,2 % des ventes, en légère baisse par rapport à 2023 (25,7 %). Le nombre de véhicules 100 % électriques immatriculés a reculé pour la première fois, avec 295 600 unités contre 303 900, l’année précédente. Leur part de marché reste stable à 16,8 %.

Dans le cadre du Pacte vert, l’Union européenne impose des normes CO₂ de plus en plus strictes. Le système CAFE (Corporate Average Fuel Economy), en vigueur depuis 2021, fixe un plafond moyen d’émissions de 81 gCO2/km d’ici 2025, puis 50 gCO₂/km à l’horizon 2030. Pour s’y conformer, les constructeurs devront vendre, en moyenne, un véhicule électrique pour quatre thermiques. Or, les modèles essence ou diesel actuels émettent en moyenne plus de 95 gCO2/km.

Les sanctions prévues sont dissuasives : 95 euros par gramme excédentaire, ou l’achat de crédits carbone auprès de constructeurs moins émetteurs. Ces contraintes, combinées à une demande insuffisante, compliquent l’amortissement des investissements massifs engagés par les industriels pour développer des modèles électriques.

La faiblesse de la demande en 2024, malgré les aides publiques et les investissements industriels, rend incertain le respect des objectifs climatiques. De nombreux constructeurs retardent le lancement de modèles électriques abordables à 2025, en attendant l’entrée en vigueur des nouvelles normes.

Face à cette situation, l’ACEA a demandé en septembre 2024 un report de deux ans de l’application des normes CAFE. L’organisation redoute que la baisse de la demande en véhicules électriques ne compromette à la fois les objectifs climatiques et la viabilité économique de l’industrie.

Luca de Meo, directeur général de Renault et président de l’ACEA, a résumé le dilemme de la sorte : « La seule façon d’atteindre les objectifs, si les ventes de voitures électriques ne repartent pas, sera de produire moins de voitures thermiques. Soit on vend 500 000 voitures électriques en plus, soit on produit 2,5 millions de voitures thermiques en moins. »

Le rapport du Centre commun de recherche (JRC) mentionné précédemment fixe pourtant un objectif ambitieux de 30 millions de voitures et 80 000 camions sans émissions d'ici à 2030. Cette cible figure également dans le tableau de bord d'Eurostat « Statistics for the European Green deal », qui suit le pourcentage de nouveaux véhicules à zéro émission immatriculés chaque année. Si la progression historique est impressionnante – la part des nouveaux véhicules électriques immatriculés est passée de 0,7 % en 2017 à 12,1 % en 2022, soit une augmentation de plus de 1 600 % – le chemin restant à parcourir demeure considérable. En 2022, les véhicules à zéro émission (électriques à batterie) ne représentaient que 1,2 % du parc de voitures particulières dans l'UE, soit environ 3 millions de véhicules.

En outre, le volontarisme de l’UE en matière d’acquisition de voitures électriques pourrait mettre en péril l’industrie européenne exposée à la concurrence redoutable des fabricants chinois dont la part de marché est passée de 1,9 % en 2020 à 14 % en 2024 et dont l’industrie est bien plus carbonée.

C.   le secteur agricole

En tant que consommateurs d’énergie fossile (et d’abord de GNR), les agriculteurs européens sont déjà contraints par le volet réduction des émissions de GES du Pacte vert. Cependant, d’autres mesures spécifiques s’imposent à eux. Les objectifs environnementaux, fixés par le Pacte vert, en matière agricole (qui sont respectivement contenues dans les stratégies « De la ferme à la fourchette » et « Biodiversité 2030 ») ne sont pas moins ambitieux, volontaristes et contraignants que ceux existant en matière énergétique ou industrielle.

Il s’agit notamment de réduire de 50 % d’ici 2030 l’utilisation des pesticides chimiques, de 50 % l’utilisation des antimicrobiens en élevage, de 50 % les pertes de nutriments, de 20 % l’usage des engrais, de convertir 25 % des terres agricoles à l’agriculture biologique. La mise en œuvre de ces mesures requiert des investissements importants pour trouver des alternatives aux intrants chimiques, s’adapter aux nouvelles réglementations et prévoir une réduction potentielle des rendements.

In fine, le volet agricole du Pacte vert entraîne une hausse notable des coûts de production et une dégradation de la profitabilité et du revenu des agriculteurs de l’Union, exposés à la concurrence de producteurs et d’éleveurs hors-UE qui échappent à ces contraintes.

À cet effet prix (baisse du revenu), il convient d’ajouter un effet volume et une tendance à la baisse de la production. Certains États membres (Pays-Bas, Belgique, Allemagne) ont commencé à limiter certaines productions pour respecter les normes environnementales (azote, nitrates, CO2). Le gouvernement néerlandais, par exemple, a initié un plan de réduction de 30 % du cheptel bovin et porcin afin de respecter les objectifs de réduction des émissions d’azote. Sans imposer directement une baisse de la production, la dégradation de la rentabilité entraînée par les contraintes du Pacte vert incitent à réduire la production ou à la rediriger vers des activités agricoles rendues plus rentables par la législation climatique européenne telles que la culture de plantes destinées à l’agro-carburant.

Lors de son audition, Véronique Le Floc’h, représentante de la Coordination rurale a d’ailleurs pointé le risque d’une décroissance de la production agricole européenne : « Il s’agit d’une politique qui ne peut mener qu’à la dé-production. Or, les rapports de l’OCDE soulignent déjà un déficit d’offre par rapport à la demande sur la viande bovine. Une étude de l’université de Wageningen aux PaysBas ([34]) conclut, par exemple, que la réalisation des objectifs des stratégies de la ferme à la fourchette et biodiversité « entraînera une diminution des volumes produits par culture dans l'ensemble de l'UE, de l'ordre de 10 à 20 % en moyenne (scénario 4). Le volume de production peut diminuer jusqu'à 30 % pour certaines cultures telles que les pommes, mais il existe également des cultures dont la production ne souffre guère de la stratégie européenne, telles que les betteraves sucrières. Le volume de production des cultures pérennes diminue davantage que celui des cultures annuelles. Les prix des produits tels que le vin, les olives et le houblon augmenteront. En conséquence, le commerce international changera de manière significative : les exportations de l'UE diminueront et les importations augmenteront (le volume des importations pourrait doubler). »

Véronique Le Floc’h a également souligné que la mise en œuvre du Pacte vert dégradait la compétitivité de l’agriculture française par rapport à ses concurrents européens et extra-européens : « La politique européenne impose des normes strictes aux producteurs français, tout en tolérant des niveaux de résidus de produits phytosanitaires jusqu’à cent fois supérieurs pour les produits importés, alors que seulement 3 à 7 % des produits importés sont contrôlés, selon les rapports de la DG SANTE. Ce manque de contrôle expose la France à une concurrence déloyale et compromet la sécurité alimentaire. »

Véronique Le Floc’h pointe également le caractère inéquitable des objectifs assignés par le Pacte vert à des États membres dont les situations de départ sont hétérogènes : 

 « La France est déjà un bon élève et se retrouve pénalisée par les objectifs de baisse d’utilisation de produits phyto : on parle de pourcentages sur des volumes déjà faibles, l’effort est donc plus fort que pour les agriculteurs néerlandais. Cela nous conduit vers un abandon de production. »

Comme l’a rappelé Véronique Le Floc’h : « La France n’est aujourd’hui autosuffisante qu’à 74 % seulement, selon un rapport parlementaire de mars 2024, et la production ne cesse de diminuer. Cette perte de souveraineté agricole s’accompagne d’une dépendance accrue aux importations, alors même que les contrôles aux frontières sont insuffisants et que les normes imposées aux produits importés sont bien moins strictes que celles imposées aux producteurs français. Cette situation accroît les risques sanitaires et économiques, comme l’ont montré les scandales des lasagnes au cheval ou du cartel du jambon. La question des fuites de carbone est également centrale. Les émissions de CO2 et d’ammoniac liées à la production agricole sont localisées, mais lorsque la production est délocalisée, l’agriculteur français continue de payer pour une pollution qu’il n’a pas générée, tandis que les importations augmentent l’empreinte carbone globale. »

En incitant à la délocalisation de la production agricole, la mise en œuvre du Pacte vert ne réduit pas les émissions mondiales mais les déplace voire les aggrave.

Comme dans le secteur automobile, un excès de rigidité réglementaire aboutit à saper le développement de l’agriculture européenne, incapable de s’adapter face à une concurrence déloyale de pays aux normes moins strictes dont nous serons contraints d’importer davantage de produits. Cette hausse des importations dégraderait notre balance commerciale, notre souveraineté agricole mais aussi la qualité de notre alimentation. 

D.   LE POUVOIR D’ACHAT DES EUROPÉENS

La mise en œuvre du Pacte vert européen fait peser une charge directe et croissante sur le pouvoir d’achat des européens, en particulier sur les classes moyennes et populaires. Plusieurs mécanismes, déjà en vigueur ou à venir, contribuent à cette pression.

1.   Hausse des coûts pour les ménages et creusement des inégalités

La rénovation énergétique obligatoire des logements, en particulier des « passoires thermiques » (classes G et F), impose des coûts parfois insurmontables aux propriétaires tout en dégradant la valeur de leur patrimoine. Dans notre pays, selon l'ADEME, la rénovation énergétique des logements représente des coûts moyens situés entre 200 et 450 euros par mètre carré. Pour un logement de taille moyenne, le coût total peut ainsi dépasser 30 000 euros, un montant considérable même avec les aides disponibles comme MaPrimeRénov'. L’interdiction progressive des chaudières à fioul et les contraintes croissantes sur les chaudières à gaz obligent de plus en plus de ménages à s’équiper de systèmes coûteux, tels que les pompes à chaleur, dont l’investissement initial reste hors de portée pour de nombreux foyers.

La précarité énergétique touche déjà 34 millions d’Européens, soit 7 % de la population, et 3,4 millions de ménages en France. À cela s’ajoute la précarité liée à la mobilité, qui concerne près de 13,3 millions de Français restreignant leurs déplacements en raison du coût des carburants ou de l’absence d’alternatives de transport. Les ménages les plus modestes, vivant dans des logements mal isolés et utilisant des véhicules anciens, sont les premiers exposés à la hausse des prix induite par le Pacte vert.

Les ménages ruraux ou périurbains, dépendants de la voiture pour leurs déplacements quotidiens (travail, soins, éducation), subissent ces restrictions, sans disposer des ressources leur permettant d’acquérir des véhicules neufs ou électriques. À l’inverse, les ménages aisés en milieu urbain bénéficient davantage des aides publiques (prime à la conversion, bonus écologique), des transports publics ou des mobilités douces et possèdent le capital nécessaire pour investir dans des logements performants ou des véhicules bas-carbone.

Le creusement des inégalités trouve une illustration frappante dans le projet d’instauration de Zones à Faibles Émissions (ZFE). Ces dispositifs, censés améliorer la qualité de l’air, se traduisent par un ostracisme sociologique en excluant des centres-villes les véhicules les plus anciens, généralement détenus par les classes moyennes et populaires.

L'extension prévue du marché carbone aux carburants et au chauffage (ETS  2) à partir de 2027 risque d'aggraver encore cette situation. Selon les analyses du think tank Bruegel, cette mesure pourrait substantiellement augmenter le prix de l'énergie pour les ménages équipés d'une chaudière au gaz ou au fioul. Cette augmentation pourrait même être supérieure à l'impact de la crise énergétique de 2022. Cette hausse potentielle, même partiellement compensée par le Fonds Social pour le Climat, constituerait un choc financier majeur pour de nombreux ménages, en particulier les plus modestes.

Cette dichotomie révèle un risque d’injustice climatique : les politiques environnementales, conçues pour et par les catégories socio-professionnelles supérieures, accroissent mécaniquement la vulnérabilité des territoires et des populations les moins favorisées. Ce phénomène alimente un ressentiment croissant, notamment dans les zones rurales et les petites villes, où 40 % des ménages déclarent déjà renoncer à des déplacements essentiels pour des raisons financières.

Certes, des économies à long terme sont attendues : un logement bien isolé et un véhicule électrique offre des coûts d’usage moindres, même si le prix d’achat demeure élevé. Toutefois, ces gains potentiels ne sont pas accessibles à toutes les bourses et laissent craindre un creusement des inégalités entre ménages bien équipés et ménages contraints de subir la transition sans moyens suffisants pour s’adapter.

Comme le rappelle Anaïs Voy-Gillis dans son audition, la viabilité économique de la transition repose sur la capacité à soutenir les ménages et à éviter une transition à deux vitesses, où seuls les plus aisés bénéficient des gains promis par la décarbonation. À défaut, la transition écologique risque de se traduire par une perte de compétitivité, une hausse des prix et un accroissement des inégalités sociales, sapant l’adhésion des citoyens au projet européen.

2.   Fardeau croissant pour les entreprises

En plus de l’alourdissement de leur facture énergétique liée à la mise en œuvre du Pacte vert, les entreprises européennes doivent absorber des coûts de mise en conformité réglementaire. La directive sur le reporting de durabilité (CSRD) impose des coûts variant de 100 000 à 320 000 € pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI), et jusqu’à 1 million d’euros pour les plus grandes entreprises.

Ces dépenses couvrent la mise en place de systèmes de collecte de données ESG (environnementales, sociales et de gouvernance), l’audit interne et l’adaptation des processus.

Ces coûts englobent aussi des coûts récurrents annuels estimés entre 67 000 € et 540 000 € pour les audits externes et la production des rapports, avec une moyenne de 320 000 € pour les entreprises précédemment soumises à la directive NFRD (Non Financial Reporting Directive).

Selon l’analyse d’impact de la Commission européenne (avril 2021), le coût total de la CSRD pour toutes les firmes européennes est évalué à 4,6 milliards d’euros, dont 1,2 milliard en coûts non récurrents et 3,6 milliards annuels pour le suivi. 

La Commission européenne reconnaît elle-même que la CSRD génère un « fardeau administratif », en particulier pour les PME exposées aux exigences indirectes des grandes entreprises. Malgré les promesses de simplification annoncées en 2025, les coûts restent une charge majeure pour l’industrie européenne.

3.   Effets récessifs et inflationnistes

La transition verte, telle qu’elle est conçue, pèse sur les coûts de production dans l’industrie, l’agriculture et les transports. Cette hausse des coûts se répercute sur les prix à la consommation, en particulier sur des biens essentiels comme l’alimentation, les matériaux ou la construction. Comme le relève Anaïs Voy-Gillis, la décarbonation rapide, sans infrastructures adaptées ni accompagnement suffisant, risque d’accroître la pression sur les prix et de fragiliser la compétitivité des filières industrielles et agricoles européennes. Cette situation est d’autant plus préoccupante que, selon les données officielles, l’électricité, le gaz et les carburants représentent déjà 8,6 % du budget des ménages européens en 2022, et 8,3 % en France. Si certains scénarios optimistes prévoient une baisse de cette part à 6,1 % en 2030 grâce à la transition écologique, cette perspective repose sur des hypothèses de massification des investissements et d’accompagnement social qui restent à concrétiser.

E.   L'INSOUTENABILITÉ DES DÉPENSES ET l’EXPLOSION DE LA DETTE 

La mise en œuvre du Pacte vert européen requiert à la fois des mesures compensatoires pour accompagner les entreprises et les ménages mais aussi des investissements considérables et donc engendre un emballement de la dépense publique. 

1.   Le poids financier des mesures d’accompagnement des ménages et des entreprises

La France a mis en place MaPrimeRénov’, un dispositif d’aide à destination des ménages dont le budget pour l’année 2025 atteint 3,4 milliards d’euros. L’éco-prêt à taux zéro et d’autres aides publiques viennent compléter ce mécanisme, mais ils ne suffisent pas à compenser l’ampleur des investissements exigés pour se conformer au cadre réglementaire. À l’échelle européenne, le Fonds social pour le climat qui vise à soutenir les ménages et les petites entreprises dans le financement de la transition écologique est doté de 86,7 milliards d’euros pour la période 2026‑2032 (dont 65 milliards financés par l’Union européenne et le solde par les États membres), est censé atténuer les effets de l’extension du marché carbone (ETS  2) aux secteurs du bâtiment et du transport. La France devrait bénéficier d’environ 10 milliards d’euros de ce fonds, dont 7 milliards d’origine européenne. 

En direction des entreprises, la Commission européenne a autorisé, en décembre 2024, un programme de « Grands projets industriels de décarbonation », permettant l’octroi de subventions directes pour accompagner la transformation des sites industriels les plus émetteurs. En France, ce dispositif représente une enveloppe de 1,55 milliard d’euros pour l’année 2025, ciblant les projets d’envergure supérieure à 20 millions d’euros et portant sur l’électrification, l’efficacité énergétique, l’hydrogène bas-carbone ou encore le captage et stockage du CO₂. Par ailleurs, le mécanisme de compensation des coûts indirects, inscrit dans la loi française depuis 2016, vise à atténuer l’impact des quotas carbone sur les prix de l’électricité pour les industries à forte intensité énergétique, afin de limiter les risques de fuite de carbone et de préserver la compétitivité des sites exposés à la concurrence internationale. Ces dispositifs sont complétés par les aides de l’ADEME, les appels à projets pour la décarbonation industrielle et les certificats d’économie d’énergie, qui permettent d’accompagner les PME et les filières industrielles dans leur adaptation aux nouvelles exigences réglementaires.

Au niveau européen, l’effort d’accompagnement s’appuie principalement sur le Fonds social pour le climat et sur le plan NextGenerationEU, doté de 750 milliards d’euros (en prix 2018), dont au moins un tiers doit être consacré à la transition verte. Tout en étant déjà considérables, ces montants restent inférieurs aux besoins d’investissement identifiés par le rapport Draghi. 

La charge financière, déjà considérable pour les finances publiques et pour les agents économiques, ne cesse de croître et pose la question de la soutenabilité à moyen et long terme de la trajectoire imposée par le Pacte vert. Le risque est grand de voir se multiplier les effets d’éviction sur d’autres priorités nationales, telles que l’éducation, la santé ou la sécurité, ou d’aggraver l’endettement public et privé, sans pour autant garantir l’atteinte des objectifs climatiques fixés.

2.   Des besoins d'investissement massifs à l'échelle européenne

Le rapport Draghi, remis à la Commission européenne en janvier 2024, évalue à 750 à 800 milliards d’euros par an le besoin minimal d’investissements supplémentaires pour permettre à l’Union européenne de réussir sa transition écologique, soit entre 4,4 % et 4,7 % du PIB de l’UE. Ce chiffrage est présenté comme une estimation basse et suppose un partage équilibré de l’effort entre investissements publics et privés. Mario Draghi insiste sur la nécessité d’un effet de levier, mobilisant à la fois l’investissement public (sur le modèle du plan Juncker) et l’investissement privé, tout en appelant à une relance de l’Union des marchés de capitaux pour canaliser l’épargne européenne vers ces besoins stratégiques.

Face à l’ampleur de ces besoins, l’Union européenne a mis en place plusieurs instruments financiers d’envergure. Le plan NextGenerationEU, adopté en 2020, pour répondre à la crise sanitaire, représente un effort d’endettement commun inédit de 750 milliards d’euros en prix 2018 (soit 806,9 milliards en prix courants). Ce plan, dont la pièce maîtresse est la Facilité pour la reprise et la résilience (723,8 milliards d’euros, dont 338 milliards de subventions et 385,8 milliards de prêts), impose que 30 % des fonds soient consacrés à la transition verte. La France, par exemple, bénéficie de 30,9 milliards d’euros au titre de ce plan, dont 75% ont déjà été versés à ce jour.

Au-delà de NextGenerationEU, la Commission européenne a annoncé en 2020 un objectif de mobilisation de 1 000 milliards d’euros sur dix ans pour financer le Pacte vert européen, soit environ 100 milliards d’euros par an. Ce montant agrège plusieurs sources : 503 milliards d’euros issus du budget européen (dont la France est le deuxième contributeur net), 279 milliards d’euros via le programme Invest EU (effet de levier attendu sur les investissements privés), et 100 milliards d’euros à travers le Fonds pour une transition juste, destiné à accompagner les territoires les plus exposés aux mutations industrielles et sociales de la transition. À ces montants s’ajoutent les recettes issues du marché carbone européen (SEQE-UE), qui ont généré 25 milliards d’euros en 2022 et 2023, et qui sont en partie réaffectées au financement de la transition.

Le Fonds InvestEU, doté d’un budget de 10,5 milliards d’euros, permet de fournir une garantie de 26,2 milliards d’euros et vise à générer, par effet de levier, un investissement total d’au moins 372 milliards d’euros sur la période 2021-2027. Le Fonds pour une transition juste (FTJ), quant à lui, est doté de 19,2 milliards d’euros pour la période 2021-2027, dont 10,9 milliards d’euros issus de NextGenerationEU et 8,3 milliards du budget pluriannuel de l’UE. Il cible prioritairement les régions à forte intensité carbone, afin d’atténuer les effets sociaux de la transition et de financer la reconversion des travailleurs, la diversification économique et la réhabilitation des sites industriels.

En dépit de ces dispositifs, l’écart entre les besoins identifiés par le rapport Draghi et les moyens mobilisés demeure conséquent. Le plan NextGenerationEU, bien que massif, ne couvre qu’une année d’investissement supplémentaire selon le rythme préconisé par le rapport Draghi. La mutualisation de la dette européenne, si elle devait être renouvelée pour financer durablement les objectifs du Pacte vert, soulèverait d’importantes questions de soutenabilité financière et de solidarité budgétaire entre États membres. Par ailleurs, la contribution de la France au budget européen, qui s’élève à environ 27 milliards d’euros par an, pourrait être conduite à augmenter pour répondre à ces nouveaux besoins, renforçant la pression sur les finances publiques nationales.

En définitive, la stratégie de financement du Pacte vert repose sur un empilement de dispositifs européens, nationaux et privés, dont l’efficacité dépendra de la capacité à mobiliser l’épargne, à garantir un effet de levier réel et à assurer une répartition équitable de la charge financière entre les différents États membres. À ce stade, le décalage persistant entre les ambitions climatiques et les ressources mobilisées interroge la faisabilité et la soutenabilité du calendrier fixé par la Commission européenne.

3.   Une pression insoutenable sur les finances publiques françaises

En France, les dépenses favorables à l'environnement inscrites au budget 2023 s'élevaient à 33,9 milliards d'euros, en hausse de 4,5 milliards par rapport à 2022. Toutefois, ces montants restent très insuffisants au regard des besoins estimés pour atteindre les objectifs du Pacte vert. Selon les projections du rapport Pisani-Ferry cité dans le rapport de la Commission, la France devrait mobiliser environ 200 milliards d'euros annuels (soit 6,8 % du PIB) pour satisfaire ces objectifs, soit près de six fois les dépenses actuellement engagées.

Cette situation est d'autant plus préoccupante que les finances publiques françaises sont déjà fortement dégradées. En 2023, le déficit public s'établissait à 5,5 % du PIB, en hausse par rapport aux 4,7 % de 2022. Quant à la dette publique, elle atteignait 109,9 % du PIB fin 2023, plaçant la France parmi les pays les plus endettés de l'Union européenne, loin derrière l'Allemagne (63,6 %) et au-dessus de la moyenne de la zone euro (88,7 %).

Entre fin 2019 et fin 2023, la dette publique française s'est accrue de 12,7 points de PIB, contre seulement 4,5 points en moyenne dans la zone euro. Cette divergence illustre la fragilité particulière des finances publiques françaises et leur vulnérabilité face aux exigences d'investissement du Pacte vert.

Votre rapporteur souhaite souligner, ici, un paradoxe qui revêt presque la forme d’injonctions contradictoires imposées par l’UE à ses États membres. Le Pacte vert tend à diminuer la production et à réduire le revenu des Européens (donc à réduire leur solvabilité) alors qu’il les incite à investir et à emprunter. D’un côté, les traités prêchent l’équilibre budgétaire et font interdiction à la BCE de refinancer les titres de dettes des États et de l’autre, le Pacte vert pousse à l’accélération des dépenses publiques.

III.   cette resolution porte l’idee d’une suspension temporaire destinee a recalibrer l’ambition climatique tout en allouant plus efficacement les fonds qui y sont destines

A.   ralentir le rythme de la transition

Le relèvement de l’objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre à -55 % d’ici 2030, imposé par la loi européenne sur le climat sous couvert du Pacte vert, illustre une ambition déconnectée des réalités industrielles et sociales. Les évaluations intermédiaires du Centre commun de recherche (JRC) de la Commission européenne révèlent l’ampleur du décalage : seuls 13 des 87 objectifs juridiquement contraignants progressent au rythme requis, tandis que 64 nécessitent une accélération drastique et 12 stagnent ou régressent. Ce constat accablant confirme que le rythme actuel de la transition, calé sur des technologies immatures et des financements insuffisants, menace directement la compétitivité de l’industrie européenne.

L’analyse sectorielle des filières stratégiques – énergie, automobile, agriculture – met en lumière l’impasse structurelle du Pacte vert. Comme le souligne MM. Charlez et Meilhan dans leur contribution, « l’objectif de -55 % implique une contraction annuelle de 5 % des émissions, équivalente au choc de la crise Covid, dans un contexte de réindustrialisation urgente ». Cette exigence irréaliste se heurte à une double contrainte.

En premier lieu, elle se confronte à une accélération de la désindustrialisation. Les délocalisations vers des zones moins contraignantes (États‑Unis, Asie) s’accélèrent, attirées par des coûts énergétiques jusqu’à quatre fois inférieurs, comme cela a été rappelé dans le rapport Draghi.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), censé protéger l’industrie européenne, échoue à contrer le « resource shuffling » (détournement des productions bas-carbone vers l’UE sans réelle décarbonation des pays tiers), comme le dénonce Anaïs Voy-Gillis.

En second lieu, le fardeau financier est insoutenable : Les dépenses bas‑carbone atteignent déjà 6,8% du PIB français (SPAFTE 2024), avec un coût estimé à 100 000 € par ménage sur dix ans – soit 2,5 années de revenus pour le neuvième décile. Cette charge creuse les inégalités et alimente un rejet social croissant, tout en fragilisant les finances publiques (+25 % de dette prévue d’ici 2040).

Le secteur énergétique incarne les contradictions du Pacte vert. Alors que l’UE impose une transition accélérée vers les renouvelables intermittentes, le prix de l’électricité reste indexé sur celui du gaz (mécanisme « pay-as-clear »), pénalisant les pays comme la France dotés d’un mix décarboné. Comme le note Madame Vu lors de son audition, « décorréler le prix du gaz de celui de l’électricité est une priorité pour restaurer la compétitivité ». Par ailleurs, la PPE3 française, en octroyant une dimension exagérée au solaire et éolien au détriment du nucléaire, risque de créer des « actifs climatiques échoués » et des surcoûts de 30 à 50 €/MWh, selon le Haut-Commissaire à l’énergie atomique.

Le Pacte vert, dans sa forme actuelle, sacrifie la souveraineté industrielle et la cohésion sociale sur l’autel d’un dogmatisme climaticide. Seule une révision courageuse, ancrée dans le réalisme technologique et géopolitique, permettra à l’Europe d’éviter le piège d’une transition à deux vitesses – où seuls les plus aisés bénéficieraient des promesses vertes, tandis que les classes populaires subiraient délocalisations et inflation structurelle.

B.   renforcer le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et adopter des mesures d’urgence pour les secteurs agricoles et industriels européens

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), pierre angulaire du Pacte vert censée protéger nos industries contre les fuites de carbone, demeure à ce jour largement insuffisant pour répondre aux défis auxquels sont confrontés les secteurs industriels et agricoles européens. Prévu pour entrer en vigueur le 1er janvier 2026, ce dispositif souffre de faiblesses structurelles majeures qui limitent son efficacité et risquent, en l’état, d’aggraver la perte de compétitivité de l’industrie européenne.

Comme le souligne Anaïs Voy-Gillis, le MACF présente trois défauts principaux : une grande complexité administrative, un calibrage inadapté et une vulnérabilité aux stratégies de contournement. Sur le plan administratif, la lourdeur des procédures et la multiplication des normes créent un environnement réglementaire difficilement lisible pour les entreprises, alors même que la simplification devrait être la règle. Il serait plus efficace, comme elle le suggère, de procéder à une revue systématique des normes afin de ne conserver que celles qui sont réellement appliquées à l’ensemble des acteurs, européens comme extra-européens. Une norme n’a de sens que si elle s’applique avec réciprocité : exiger des standards élevés uniquement aux producteurs européens revient à instaurer une concurrence déloyale et à fragiliser notre tissu industriel.

Le calibrage du MACF, qui se limite aujourd’hui aux matières premières (acier, ciment, aluminium, engrais azotés, hydrogène), laisse de côté les produits finis, ouvrant la porte à des distorsions majeures. Ainsi, l’acier chinois est concerné, mais pas les véhicules ou les batteries importés, ce qui désavantage lourdement nos filières aval. Anaïs Voy-Gillis rappelle que cette approche partielle rend le dispositif inefficace pour préserver la chaîne de valeur industrielle européenne, et recommande d’intégrer rapidement les produits transformés au périmètre du MACF.

La vulnérabilité du MACF face au « resource shuffling » – la redirection artificielle de productions bas carbone vers le marché européen sans décarbonation réelle du producteur – constitue une autre faille majeure. La France propose, à juste titre, de recourir plus systématiquement à des valeurs par défaut d’émissions par couple pays/produit, en particulier dans l’acier, afin de simplifier le mécanisme et de limiter les risques de contournement. Le maintien partiel de quotas gratuits pour l’export, compatible avec les règles de l’OMC, permettrait également de limiter les fuites de carbone à l’exportation des secteurs couverts par le MACF. Enfin, il est indispensable d’élargir le mécanisme aux produits des secteurs « aval » afin de prévenir les stratégies de contournement et de garantir une protection effective de l’ensemble de la chaîne industrielle.

Au-delà des aspects techniques, la question de la réciprocité est centrale. Comme le souligne Voy-Gillis, il est impératif que les normes environnementales européennes soient exigées des producteurs étrangers, notamment dans les pays où les contrôles sont inexistants et où les pratiques industrielles sont bien moins respectueuses de l’environnement. L’exemple des principes actifs produits en Inde, rejetés dans les rivières sans contrôle, illustre l’absurdité d’un système qui impose des contraintes aux seuls industriels européens tout en fermant les yeux sur les pratiques de nos concurrents.

Sur le plan industriel, la situation est alarmante. Les industries énergo‑intensives – chimie, métallurgie, construction – subissent une pression concurrentielle internationale croissante, aggravée par l’augmentation des coûts de l’énergie. Comme l’a rappelé Anaïs Voy-Gillis, la compétitivité et la visibilité de long terme font aujourd’hui défaut. La disparition prochaine du tarif ARENH, qui garantissait un prix compétitif de l’électricité pour les industriels français, expose ces derniers à des tarifs plus élevés et à une plus grande volatilité, alors même que la transition vers l’électrification des procédés industriels n’est pas suffisamment mature pour soutenir une transition accélérée. Les investissements nécessaires sont massifs, et la viabilité économique des solutions bas carbone dépend de la capacité à atteindre une échelle suffisante et à engager l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur dans cette direction.

Dans le secteur agricole, les contraintes imposées par le Pacte vert – notamment sur les intrants et les objectifs de réduction des phytosanitaires – engendrent une augmentation insoutenable des coûts de production, qui favorise les importations hors Union européenne non soumises aux mêmes exigences. L’étude de l’université de Wageningen confirme que la réalisation des stratégies « de la ferme à la fourchette » et « biodiversité » entraînera une diminution de 10 à 20 % des volumes produits dans l’UE, pouvant atteindre 30 % pour certaines cultures, et un doublement potentiel des importations, compromettant gravement notre souveraineté alimentaire.

Face à ces constats, votre rapporteur estime qu’il est urgent que l’Union européenne adopte une approche plus pragmatique de la transition écologique, qui préserve les intérêts économiques et la souveraineté industrielle du continent. Le Pacte vert ne pourra devenir un levier de compétitivité qu’à la condition d’appliquer des mécanismes de réciprocité stricts, de renforcer la cohérence des normes, de simplifier les dispositifs existants et d’accompagner réellement les filières industrielles et agricoles dans leur adaptation. Il se n’agit non pas d’abandonner l’ambition climatique, mais de la rendre compatible avec les réalités industrielles, économiques et sociales de l’Europe, afin d’éviter que la transition ne se traduise par une désindustrialisation accélérée et une perte durable de souveraineté.

C.   réallouer les financements destinés à la transition écologique

Si le coût de l'action climatique est inférieur au coût de l'inaction à long terme, la réalité budgétaire immédiate impose des arbitrages complexes dans un contexte de crise des finances publiques. La question n'est pas de renoncer à la transition écologique, mais d'optimiser l'allocation des ressources disponibles afin de maximiser l'efficacité environnementale tout en préservant la soutenabilité de nos équilibres budgétaires.

Le projet de loi de finances 2025 prévoit 42,6 milliards d'euros de dépenses favorables à l'environnement, contre 40,5 milliards en LFI 2024 et 33,6 milliards exécutés en 2023. 

Le périmètre global de la planification écologique, incluant les dépenses favorables et mixtes, atteint 47,3 milliards d'euros pour 2025, contre 45,6 milliards en 2024. Une fois de plus, ces montants très significatifs restent insuffisants pour atteindre les objectifs ambitieux fixés par le Pacte vert dans les délais impartis.

Parallèlement, le fonds vert, destiné à soutenir la transition écologique des collectivités territoriales, a vu son enveloppe réduite à 1,15 milliard d'euros en 2025, contre 2,5 milliards initialement prévus dans la loi de finances 2024, soit une diminution de 1,35 milliard d'euros. Cette réduction significative affecte les projets de rénovation énergétique, qui représentaient 38 % de l'enveloppe en 2023 (764 millions d'euros). Si cette proportion était maintenue en 2025, seuls 437 millions d'euros seraient disponibles pour ce type de projet, soit 57 % des financements alloués en 2023. 

De même, la Dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) voit son budget passer de 570 millions d'euros en 2024 à 425 millions d'euros en 2025, soit une baisse de 145 millions d'euros. Cette évolution s'inscrit dans un contexte budgétaire où une partie des crédits a été réaffectée à la Dotation globale de fonctionnement.

Dans ce contexte de resserrement budgétaire, il convient de s'interroger sur l'efficience des dépenses publiques consacrées à la transition écologique. Selon le rapport Pisani-Ferry cité dans nos travaux, la France devrait injecter 170 milliards d'euros annuels pour satisfaire les objectifs du Pacte vert, montant revu à la hausse en 2024 par le dernier SPAFTE à 200 milliards d'euros annuels (soit 6,8 % du PIB). Ces estimations, confrontées aux 47,3 milliards actuellement mobilisés, révèlent un écart considérable entre les ambitions affichées et les moyens réellement déployés.

L'Institut de l'économie pour le climat alerte par ailleurs sur le coût insoutenable de cette transition pour les ménages français, estimé à plus de 100 000 euros sur dix ans, soit 2,5 années de revenus d'un ménage situé dans le neuvième décile. Ce constat souligne l'impératif d'une réallocation plus judicieuse des ressources, privilégiant les investissements à fort impact environnemental et à coût économique et social acceptable.

Face à ces contraintes, trois principes devraient guider la réallocation des financements d’après votre rapporteur.

Il faut en premier lieu prioriser les investissements selon leur rapport coût-efficacité environnementale, en ciblant d'abord les secteurs où les réductions d'émissions sont les moins coûteuses par tonne de CO₂ évitée.

Puis, il est nécessaire d’étaler dans le temps certains investissements particulièrement onéreux, en réévaluant le calendrier de mise en œuvre pour atteindre la neutralité carbone en 2055 ou 2060 plutôt qu'en 2050, permettant ainsi de libérer des ressources pour d'autres priorités nationales (éducation, santé, sécurité, justice).

Enfin, comme précédemment évoqué, il convient de renforcer les mécanismes de protection de notre économie face à la concurrence déloyale, notamment par l'amélioration du MACF, afin que les efforts financiers consentis ne se traduisent pas par une simple délocalisation des émissions.

Cette approche pragmatique permettrait de concilier ambition environnementale et réalisme économique, en préservant notre souveraineté industrielle et notre cohésion sociale, tout en contribuant efficacement à la lutte contre le changement climatique à l'échelle mondiale.


   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 14 mai 2025, sous la présidence de M. Pieyre- Alexandre Anglade, Président, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution européenne relative à la suspension temporaire du Pacte vert européen. Je donne la parole à Guillaume Bigot, auteur et rapporteur de ce texte.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. Entré en vigueur en juin 2021, le Pacte vert européen prévoit plus de 50 textes législatifs. Certains concernent la fin des véhicules thermiques, d’autres la rénovation des bâtiments, d’autres encore l’ajustement carbone aux frontières, la mise en œuvre d’un second marché carbone pour les carburants, la suppression progressive des subventions aux énergies fossiles, ou encore la stratégie agricole « de la ferme à la fourchette ». C’est magmatique.

Ce Pacte vert européen a un but : faire de l’Union européenne la première zone climatiquement neutre d’ici 2050. Cet objectif est totalement louable. Le problème est que sa mise en œuvre souffre d’un défaut fondamental : elle ignore les réalités industrielles, économiques, scientifiques et sociales.

Ainsi, ce rapport plaide pour la suspension temporaire du Pacte vert, non pour renoncer à l’action climatique, mais pour réorienter cette politique avant qu’elle ne devienne fatale à notre économie et à notre cohésion sociale. Ce rapport ne vise pas à nier l’urgence climatique indiscutable, mais il pose une question simple : est-ce que la voie indiquée, ou plutôt imposée, par le Pacte vert est la bonne pour y faire face ? La réponse est clairement non.

Dans son état actuel, le Pacte vert ressemble à un pacte des quatre « I » : irréaliste dans ses objectifs, injuste dans la répartition des efforts, insoutenable pour notre économie et inefficace pour le climat mondial.

Tout d’abord, les objectifs du Pacte vert sont irréalistes. Le rehaussement de l’objectif de réduction des gaz à effet de serre d’ici 2030 de moins 40 % à moins 55 % a été décidé sans étude d’impact crédible. Cet objectif est contraignant depuis l’adoption de la loi européenne sur le climat de 2021. Il suppose une transformation de fond en comble de toute notre économie, le tout en cinq ans.

La mise en œuvre du Pacte vert exige également de passer d’un rythme moyen de réduction des émissions de gaz à effet de serre, en particulier de CO₂, de 2 % par an à un rythme beaucoup plus soutenu de 5 % par an jusqu’en 2030. Je vous invite à mesurer l’ampleur d’une telle accélération. La seule et dernière fois où les émissions de gaz à effet de serre se sont contractées de 5 % par an, c’était pendant la pandémie de Covid-19. Il nous est donc demandé un effort équivalent à un confinement économique total pendant cinq années de suite. Qui peut sérieusement croire à la possibilité d’atteindre un tel objectif ?

Ensuite, le Pacte vert est injuste dans la répartition des efforts qu’il exige des États membres. Avec son électricité largement décarbonée grâce au nucléaire, la France émet moitié moins de CO₂ par habitant que son voisin d’outre-Rhin. Malgré cela, le Pacte vert impose des contraintes de réduction de CO₂ pratiquement identiques à celles de l’Allemagne. Un Français devra donc réduire ses émissions d’ici 2030 à 3,6 tonnes de CO₂ par an et par habitant, contre 6,4 tonnes de CO₂ pour un Allemand.

Par ailleurs, le Pacte vert est économiquement, socialement et financièrement insoutenable. Par exemple, dans le secteur automobile, la fin programmée des moteurs thermiques d’ici 2035 se heurte à la réalité du marché. En 2024, pour la première fois depuis 2020, les immatriculations de véhicules électriques ont reculé de 5,9 % en France. Comment atteindre l’objectif de 30 millions de véhicules à zéro émission d’ici 2030 - ce qu’il faudrait pour respecter les objectifs fixés par le Pacte vert - alors qu’aujourd’hui, il y a moins de 10 millions de véhicules électriques sur le continent ? Pendant ce temps, les constructeurs chinois se frottent les mains.

Dans le domaine agricole, l’étude de l’université de Wageningen, aux Pays-Bas, estime que la stratégie « de la ferme à la fourchette », incluse dans le Pacte vert, entraînera une diminution de 10 % à 20 % des volumes de production agricole dans l’Union. En conséquence, les prix des produits agricoles vont augmenter, et les importations pourraient doubler.

S’agissant de nos finances publiques, il y a également un sujet d’insoutenabilité. Le coût de cette précipitation est insoutenable. Le rapport Draghi évalue entre 750 et 800 milliards d’euros par an les besoins d’investissement supplémentaires pour réaliser la transition écologique, soit 4,4 % à 4,7 % du produit intérieur brut de l’Union européenne. C’est massif.

Pour la France seule, la dernière programmation pluriannuelle de l’énergie estime à 200 milliards d’euros annuels, soit 6,8 % du PIB et deux fois le budget du ministère de l’Éducation nationale, le coût de la mise en conformité avec le Pacte vert. Nous dépensons actuellement 47,3 milliards d’euros pour cette politique. D’après l’Institut de l’économie pour le climat, avec plus de 100 000 euros sur 10 ans, ce coût est littéralement insoutenable pour les ménages français.

Enfin, le point le plus important : le Pacte vert est inefficace. Même si nous atteignons la neutralité carbone demain, l’impact sur le climat mondial serait nul. L’Union européenne ne représente en effet que 6 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et 8 % si l’on inclut les émissions importées.

J’ai auditionné le directeur général Climat de la Commission européenne. Il a lui-même déclaré que la politique climatique de décarbonation de l’Union européenne n’est plus une politique pour sauver la planète mais une politique industrielle. Ces efforts titanesques et ruineux sont donc accomplis pour rien. Surtout, les fuites de carbone liées aux délocalisations industrielles aggravent les émissions de gaz à effet de serre. Le paradis vert que nous promet la Commission européenne n’est assurément pas une bonne nouvelle pour les émissions et pour la planète.

Le Centre commun de recherche de la Commission européenne a publié en janvier 2025 un rapport édifiant : sur les 87 objectifs juridiquement contraignants du Pacte vert, seuls 13 progressent au rythme nécessaire. C’est donc un échec programmé. Face à ces constats, nous proposons trois recommandations principales dans cette proposition de résolution européenne.

Nous proposons, premièrement, de ralentir le rythme de la transition en revenant à un objectif de -40 % d’émissions d’ici 2030. Cela est bien plus réaliste que les -55 % actuels. Cela permettrait de viser la neutralité carbone pour 2055 ou 2060, plutôt que 2050, car nous n’y arriverons pas.

Deuxièmement, nous proposons de renforcer le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Ce mécanisme, que la Commission a beaucoup vanté, entrera en vigueur en 2026. Avant cette date, il faut impérativement élargir le champ d’application de ce qui est prévu. Ce mécanisme n’est pas une mauvaise idée en soi, mais il faut l’étendre aux produits finis. Il faut absolument simplifier sa mise en œuvre pour protéger nos industries. Actuellement, le mécanisme cible uniquement les matières premières, il est trop complexe et trop vulnérable aux stratégies de contournement.

Troisièmement, il faut réallouer plus efficacement les financements, en priorisant les investissements selon leur rapport coût-efficacité environnementale, et en étalant dans le temps les plus onéreux.

Suspendre temporairement le Pacte vert n’est pas reculer, mais avancer autrement, vers une écologie de l’efficacité, et rompre avec une écologie ruineuse de l’illusion. Notre pays, qui a su construire un mix énergétique décarboné grâce à son parc nucléaire, souffre injustement de cette course effrénée vers une transition mal pensée, mal conçue, impossible à mettre en œuvre. Nos agriculteurs, nos industriels, nos finances publiques et nos concitoyens méritent mieux que ce saut dans l’inconnu, qui fragilise notre économie sans bénéfice pour le climat.

Je vous invite donc à voter cette résolution sans esprit partisan, non contre l’écologie, mais pour une écologie réaliste, souveraine et juste.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

M. Maxime Michelet (UDR). Le Pacte vert européen avait été pensé par ses promoteurs comme un outil de progrès environnemental. Il s’est avéré n’être qu’un puissant outil de déclin économique et de désindustrialisation massive qui a précipité la fermeture de nos usines et la perte de nos savoir-faire industriels, au moment même où, conscientes que l’industrie est un facteur déterminant d’autonomie stratégique, de grandes puissances tels que la Chine et les États-Unis, se lancent dans d’ambitieuses politiques industriels.

A contrario, armée de ses bonnes intentions et de son inénarrables machines à réglementer, l’Union européenne a fait le choix de la décroissance et du déclin, le choix de l’enlisement dans une inflation normative étouffante. Étouffante au point qu’elle doit désormais porter elle-même un omnibus législatif pour se libérer des normes qu’elle s’est elle-même infligées. Étouffante au point que Friedrich Merz, le nouveau chancelier allemand, a déclaré qu’il ne suffirait pas de reporter l’application, de la directive CS3D - une des innombrables mesures du Pacte – mais qu’il faudrait procéder à sa suppression pure et simple.

A la frénésie réglementaire du Pacte vert, s’ajoute également un fardeau budgéter exorbitant. Celui d’un plan européen de 1000 milliards d’euros sur 10 ans, auquel on peut ajouter la facilité pour la reprise et la résilience, principale pilier du plan de relance « Next Generation EU », qui mobilise 723 milliards d’euros, et pour laquelle les États sont contraints de consacrer 37 % de fonds à la poursuite d’objectifs climatiques qui recoupent ceux du Pacte.

À l’origine de ces milliards, ni miracle, ni manne providentielle, mais les contributions nationales, c’est-à-dire l’impôt et, derrière lui, les contribuables, notamment les contribuables français – car notre pays, contributeur net, ne bénéficie d’aucun mécanisme de correction forfaitaire.

À la contribution au budget européen de notre Nation, s’ajoutent les dépenses induites par les objectifs auxquels la France a consenti à travers le Pacte vert, et qui, selon le rapport remis par Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry, exige de notre pays qu’il engage environ 200 milliards d’euros annuel, soit six fois les dépenses environnementales consenties en 2023. Cette trajectoire est insoutenable, irréaliste et irresponsable.

L’Union des droites pour la République soutiendra donc cette proposition de résolution européenne qui invite le gouvernement – comme d’autres gouvernements européens ont déjà pu le faire – à demander une suspension temporaire du Pacte vert. Ce Pacte n’a en effet d’autre impact, dans le contexte international particulièrement concurrentiel, que de désarmer l’économie européenne en plombant notre croissance à nos frais. Il s’agit d’une hérésie dont seule l’Europe a le secret et qui la condamne sans sauver le climat.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. Ces paroles sont frappées au point du bon sens. Je pense, sans esprit partisan, que l’on peut partager l’inquiétude concernant la situation des finances publiques.

Je n’ai jamais soutenu, en tant que citoyen, le mécanisme de la Banque centrale européenne qui interdit de refinancer la dette publique via les banques centrales. Je pense que c’est une hérésie, c’est d’ailleurs une exception sur la planète. Ce mécanisme explique que l’on doive se refinancer en permanence sur les marchés à des prix exorbitants.

L’Union européenne, qui a mis en place un système dans lequel il faut veiller à ce que l’endettement ne déraille sauf à devoir se refinancer sur les marchés, impose maintenant à travers le Pacte vert un dérapage complet des finances publiques.

C’est une contradiction majeure. Je pense, sans esprit partisan, que l’on peut s’accorder sur ce point.

M. Nicolas Dragon (RN). Le Pacte vert européen adopté en 2021 est devenu la consécration infernale d’une lutte contre notre souveraineté agricole et industrielle.

A l’heure où les États-Unis et la Chine défendent ardemment leurs intérêts économiques, l’Union européenne s’impose un carcan de normes au nom d’une idéologie écologiste relevant de l’auto-flagellation. Ces normes déconnectées de réalité conduisent à une désindustrialisation accélérée, entraînant des délocalisations et aboutissant à l’appauvrissement des populations européennes.

Nous assistons à une véritable saignée de notre avenir industriel et agricole, car pendant que nos usines ferment, que nos agriculteurs ploient sous le poids des normes, l’Union européenne, continue d’ouvrir largement son espace à des produits prêts à inonder notre marché commun provenant d’États non-membres aux couts de production très faibles, qui ne respectent pas nos propres contraintes.

Ensuite, il faut également dénoncer le scandale démocratique que constitue le financement, par la Commission, avec l’argent des contribuables, d’ONG militantes, chargées de faire pression sur les députés européens pour adopter le Pacte vert.

Quant aux objectifs irréalistes de réduction de CO2 d’ici 2030, ils semblent inatteignables. Ce Pacte vert représente une guerre sociale déguisée, car ce sont bien les citoyens humbles et modestes, dont l’avenir ne semble plus compter pour nos élites éloignées des réalités, qui subissent de plein fouet la flambée des prix de l’énergie, la pression règlementaire, et qui vont payer la note de ces extravagances idéologiques.

Le groupe Rassemblement national demande que la France suive l’exemple de la Pologne afin d’exiger la suspension du Pacte vert, sa renégociation et la protection de ses frontières. L’Union européenne doit cesser d’être le laboratoire d’idées de l’idéologie verte pour redevenir un continent de nations puissantes, productives et libres.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. Il y a un aspect que vous soulignez dans votre intervention qui est très juste : celui du creusement des inégalités. Le Pacte vert est un bloc magmatique, énorme, avec beaucoup de ramifications – j’ai parlé des cinquante textes législatifs à l’échelle européenne mais il faut aussi compter avec leur transposition dans les États membres.

Les prix des véhicules électriques sont une illustration parfaite de ce creusement des inégalités. Si vous n’avez pas de problème de ressources et de moyens, vous pouvez facilement acheter un véhicule électrique et bénéficier des avantages que cela présente. Seulement, tout le monde ne peut pas et c’est la même chose pour l’élévation de la facture énergétique en Europe pour toutes les énergies et en particulier pour l’électricité : elle est multifactorielle.

S’il serait vraiment simpliste d’incriminer uniquement le Pacte vert, ce dernier joue un rôle clé.

Le haut-commissaire à l’énergie atomique a affirmé, dans son avis sur la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie, que la croissance des énergies renouvelables – qui d’ailleurs creuse le déficit commercial puisque c’est principalement du matériel chinois qui est importé, comme pour les panneaux solaires par exemple – permet certes de produire de l’électricité bas-carbone mais est redondante et inefficace dans le cas de la France. En effet, nous avons déjà une électricité bas-carbone grâce au nucléaire. En réalité, la politique de développement des énergies renouvelables ne conduit qu’à un sous-emploi du parc nucléaire.

On arrive ainsi à des prix négatifs de l’électricité. Financer le développement des énergies renouvelables signifie une aggravation de la facture des ménages français, ce qui conduit à un creusement des inégalités. Il n’est, à mon sens, pas possible d’être de gauche et aveugle à ces effets.

Les zones à faibles émissions (ZFE), par exemple, écartées dans le projet de loi simplification, sont tout à fait caractéristiques de l’idéologie consistant à faire payer les ménages les moins favorisés, les « manants » du CO2.

Mme Eléonore Caroit (EPR). Au nom du groupe Ensemble pour la République, je vous invite à vous opposer à cette proposition de résolution européenne (PPRE) profondément démagogique et dangereuse. Démagogique, car elle laisse croire que l’inaction climatique serait une réponse aux difficultés économiques. Dangereuse car elle ignore les conséquences économiques de l’inaction.

Dans un contexte géopolitique instable, l’urgence environnementale qui devrait régir nos choix et nous rassembler au-delà des clivages partisans est trop souvent reléguée au second plan. Nous aurions tort de penser qu’après des décennies de recherche et l’obtention d’un consensus de la communauté scientifique sur l’urgence climatique et la nécessité de transformer en profondeur nos modèles de société, ces acquis seraient irréversibles. Cette PPRE en est un parfait exemple.

En demandant une suspension temporaire du Pacte vert européen, le Rassemblement national remet en cause ce cadre collectif au moment même où nous devrions, au contraire, le renforcer.

Le Pacte vert européen, signé en 2019, représente un tournant historique dans la lutte contre le changement climatique, ainsi que dans la construction d’un modèle économique durable, résilient et porteur de prospérité à long terme. Il s’agit d’un outil indispensable pour répondre aux défis de notre époque que représente l’adaptation au changement climatique.

Cette PPRE s’inscrit dans une lignée de discours populistes, protectionnistes et climato-septiques que l’on retrouve d’ailleurs dans beaucoup d’autres pays, comme aux États-Unis par exemple.

Revenir sur le Pacte vert ne répond en rien aux défis actuels. Pire, cela nous ferait perdre l’avance – certes faible, mais stratégique – que nous avons acquise en étant les premiers au monde à placer la transition écologique au cœur de notre projet économique et politique européen. Construire une économie résiliente et compétitive nécessite une vision de long terme, des objectifs clairs et une stabilité dans nos engagements publics. Nous n’avons aucun intérêt à anéantir six années de planification écologique d’investissements et de mobilisation dans l’ensemble des secteurs économiques.

Cette proposition de résolution européenne ne protège ni l’industrie ni les citoyens européens. Elle nous fait reculer écologiquement, socialement, économiquement. Elle est un faux remède à de vrais défis et c’est la raison pour laquelle le groupe Ensemble pour la République votera contre. J’appelle les autres groupes à en faire de même, pour l’Europe, pour la France et pour notre avenir commun.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. Je vous renvoie aux projections, réalisées par des instituts scientifiques reconnus, qui figurent dans le rapport. Elles démontrent clairement à quel point il est démagogique de faire croire à l’opinion publique que nous pourrions réduire les émissions en mettant à l’encan notre industrie et en alourdissant le fardeau réglementaire et budgétaire. Malgré la mise en place de nombreuses mesures, l’année 2024 a atteint de nouveaux records en termes d’émissions de CO2 à l’échelle mondiale. Plus il y aura de contraintes en Europe, plus les industries seront délocalisées, plus nous importerons de biens qui seront produits dans des conditions bien plus polluantes dans d’autres régions du monde.

Il est démagogique d’employer des mots clés tels qu’« Europe », « écologie » ou « vert » pour rendre ces mesures acceptables, en espérant que les gens n’y verront que du feu. Nos concitoyens sont capables de réfléchir par eux-mêmes. Il faut espérer que les bacs +15 viennent au secours des Français modestes qui sont écrasés par ces mesures, alors que les bacs +5 se révèlent incapables de comprendre les mécanismes scientifiques, industriels et technologiques.

Personne ne conteste l’existence d’un phénomène de fuite de carbone – pas même la Commission européenne et ses instituts de recherche. Si vous grevez la production industrielle ou agricole de nouvelles contraintes, vous ne supprimerez pas les émissions de CO2 mais ne ferez que les déplacer. Pire, vous les aggraverez, car la production est plus intensive en CO2 dans les autres zones géographiques.

Enfin, n’est-il pas démagogique de vouloir, comme la Commission, baisser les émissions de CO2 de 5 % par an pendant les cinq prochaines années ? Cela nous ramènerait au niveau d’émissions observé pendant la pandémie, lors du confinement intégral de la population.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Cette proposition de résolution européenne rejoint la position du gouvernement de François Bayrou et celle des groupes libéraux de droite et d’extrême droite du Parlement européen. Tous entreprennent en effet de supprimer le Pacte vert européen.

Alors que le Pacte vert doit permettre à l’Union européenne de respecter ses engagements internationaux en parvenant à la neutralité carbone à l’horizon 2050, votre résolution veut l’en exonérer et prétend même que ce sont ces engagements qui seraient à l’origine de la crise agricole et industrielle en Europe. Cela fait trente ans que l’économie est livrée à la main invisible du marché, que les délocalisations se multiplient, que des milliards de subventions sont versés aux entreprises – dont l’essentiel directement dans la poche des actionnaires –, et que vous refusez toute forme de protectionnisme, y compris fiscal, social ou écologique. Et vous prétendez que la désindustrialisation serait due au Pacte vert, qui n’a été lancé qu’en 2021 et dont l’ensemble des mesures ne sont pas encore entrées en vigueur ?

S’agissant de l’agriculture, vous êtes encore plus incohérent. L’emploi des pesticides a des conséquences criminelles sur la santé. Tous les médecins alertent sur l’explosion des cancers du pancréas chez les personnes entre 40 et 50 ans. Les cancers colorectaux sont également en augmentation, sous l’effet d’une exposition accrue aux nitrites et aux nitrates.

Au lieu de défendre la santé des Français en luttant contre ces pratiques, vous proposez de supprimer les normes qui protègent l’environnement. Vous voulez remettre en cause la directive CSRD, qui oblige les entreprises à publier des informations en matière de durabilité, ou encore la directive sur le devoir de vigilance, que notre commission avait soutenue à l’unanimité par l’adoption d’un avis politique le 28 juin 2023.

Monsieur le rapporteur, vous vous trompez si vous croyez que c’est la déréglementation qui nous rendra compétitifs et sauvera notre industrie. Je pense au contraire que nos normes environnementales et sociales représentent un avantage compétitif face à la Chine et aux États-Unis. Non seulement elles protègent les travailleurs, les consommateurs, et les écosystèmes, mais elles permettent d’anticiper les risques et d’orienter les investissements vers les secteurs de la transition écologique.

Il sera certes nécessaire de planifier et d’organiser la production pour répondre aux besoins, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent. Il faudrait un vaste plan de formation et de reconversion des travailleurs. Il faudrait, enfin, responsabiliser les donneurs d’ordre sur toute la chaîne de valeur.

Il est temps de répondre à l’urgence environnementale et à la désindustrialisation en privilégiant les industries propres. C’est pourquoi nous voterons contre votre proposition de résolution européenne. J’ai par ailleurs moi-même déposé une proposition de résolution qui lui est diamétralement opposée.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. Je ne vois pas bien pourquoi vous citez le Premier ministre, si ce n’est pour vos réseaux sociaux. Au risque de vous surprendre, je vous rejoins sur les conséquences de la mondialisation et de la libéralisation des mouvements de capitaux. Mais le Pacte vert est précisément un moyen de ne pas remettre en cause la libre circulation des capitaux, des marchandises et des personnes : nous prétendons agir sans nous attaquer aux véritables causes du problème.

Or, les actions que le Pacte vert tend à mettre en place sont à la fois coûteuses et inefficaces. Il faut en effet confronter l’idéologie à la réalité, et en particulier à ce fait massif : l’énergie en Europe est deux à trois fois plus chère qu’aux États-Unis ou en Chine. Dès lors, il ne pourra en résulter que ce que les économistes appellent une destruction de revenus ou un détournement de trafic : nous produisons moins ici et plus ailleurs, et les revenus de nos acteurs économiques diminueront.

Vous dénoncez avec raison les produits dangereux pour la santé, mais il n’est absolument pas question de pesticides dans mon rapport – je vous invite donc à le lire.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Face à l’urgence climatique, le Parlement européen a approuvé, le 15 janvier 2020, à une large majorité de 482 eurodéputés, une résolution qui soutient le Pacte vert pour l’Europe. Celui-ci représente la plus ambitieuse politique de réduction des gaz à effet de serre au monde, visant à faire de l’Union européenne un modèle en la matière. Il définit une feuille de route transversale, qui englobe l’énergie, les transports, l’agriculture, le bâtiment et l’industrie. Le Pacte vert se décline sur les territoires en une série de projets labellisés par l’Union européenne, ce qui en fait un puissant levier d’action au niveau local.

Cela répond aux attentes de l’opinion publique. En France, il apparaît que le changement climatique est l’une des questions qui préoccupent le plus nos concitoyens – soit 48 % d’entre eux –, juste derrière le coût de la vie. J’en profite pour vous signaler une récente étude scientifique publiée dans la revue Nature Climate Change, qui montre que les 10 % des individus les plus fortunés sont responsables des deux tiers du réchauffement climatique depuis 1990.

La présente proposition de résolution vise à suspendre immédiatement le Pacte vert pour l’Europe dans l’objectif de préserver la compétitivité économique et la souveraineté de l’Union européenne.

La Commission a, de fait, l’intention de détricoter certaines réglementations environnementales au nom d’une conception restrictive de la compétitivité. Pourtant, plus de 400 entreprises françaises, dont certaines parmi les plus grandes et les plus compétitives, ont appelé la Commission à ne pas revenir sur la directive CSRD, la directive sur le devoir de vigilance ou la taxonomie environnementale. Elles font notamment valoir la nécessité de garantir la stabilité de l’environnement juridique pour permettre leur bon fonctionnement.

Concernant la souveraineté, le Pacte vert pour l’Europe nous permettra de renforcer notre autonomie énergétique et de moins dépendre de pays concurrents pour nos importations d’énergies fossiles.

Cette proposition de résolution s’inscrit dans une perspective réactionnaire, en ce qu’elle tend à imposer un retour en arrière. Nous avons, au contraire, besoin d’avancer vers la transition écologique. C’est pourquoi les députés du groupe Socialistes s’opposeront de façon claire à ce texte.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. Il n’est pas question de remettre en cause l’urgence climatique ou la parole scientifique. La décarbonation est une bonne chose en tant que telle, et notre continent a fait des avancées notables sur certains points. Le problème réside en l’absence d’analyse technique et scientifique qui soit réaliste et sérieuse, pour se donner les moyens d’atteindre les objectifs. Fixer un objectif sans avoir les moyens de l’atteindre est contre-productif. Au mieux les émissions seront stables, mais le risque est significatif qu’elles augmentent. Je ne vous laisserai pas entraîner la discussion vers un débat idéologique sur l’existence ou non du réchauffement climatique, ça n’aurait aucun sens puisque le réchauffement climatique s’impose à tous. Il n’est pas question d’être pour ou contre la décarbonation, évidemment nous sommes pour. Le sujet est de comment y arriver.

François Mitterrand en 1983 avait constaté le déploiement des fusées SS-20 en Allemagne de l’Est. Il s’était rendu en Allemagne de l’Ouest et avait dit : « les pacifistes sont à l’Ouest, les missiles sont à l’Est ». C’est exactement la même situation s’agissant des émissions de CO2 et de l’urgence climatique. La décarbonation se déroule en Europe précisément du fait de la désindustrialisation de notre continent.

M. Benoît Biteau (EcoS). Vous enchaînez les termes plus anxiogènes les uns que les autres - « urgence », « inquiétude », « inconnues », « déclin » - en prédicateur d’apocalypse, comme si c’était ce que représentait ce Pacte vert pour l’Europe. Le paradoxe réside dans le fait que vous parlez d’une approche globale, alors que c’est exactement cela qui est nécessaire : une approche globale et systémique. Le Rassemblement national parle beaucoup de souveraineté alimentaire et d’agriculture, en s’inquiétant du revenu des agriculteurs. Mais c’est précisément en renonçant au Pacte vert pour l’Europe, qu’on met en péril la souveraineté alimentaire et le revenu des agriculteurs !

La menace, c’est le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité. L’agriculture qui est capable de relever ce défi, ce n’est pas celle qui émet des gaz à effets de serre, mais celle capable de les séquestrer. L’exemple de la fertilisation azotée est aux antipodes de ce que vous proposez. Aujourd’hui, pour faire 1 kilo d’azote de synthèse, il faut 1,5 litre de pétrole, ce qui signifie que pour la culture d’un hectare de blé, de colza ou de maïs, on a créé une dépendance de 300 à 400 litres de pétrole.

Tant qu’on se reposera sur cette agriculture qui accélère le dérèglement climatique et amplifie l’effondrement de la biodiversité, on s’éloignera de la souveraineté alimentaire. Renoncer au Pacte vert pour l’Europe, même temporairement, c’est continuer de clouer au pilori les plus démunis et vulnérables, notamment les agriculteurs, qui en seront les premières victimes. Nous ne pouvons pas différer plus longtemps le moment où nous allons vraiment agir. Il y a urgence à accélérer le Pacte vert pour l’Europe, plutôt que de le ralentir. Cela nous permettra de sortir les agriculteurs de la crise et d’atteindre la souveraineté alimentaire.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. Sur le procès en « apocalyptisme », je ne peux pas vous suivre. Je ne vais pas vous inclure dans ces actions spectaculaires qui visent à se coller les mains à des œuvres d’art. Mais en réalité, l’écologie au sens large est marquée par cette idée qu’il y a une urgence absolue, que la planète est en train de brûler et que la catastrophe est pour demain.

Je vous rejoins sur le fait qu’utiliser des énergies fossiles pour produire des engrais, ce n’est bon ni pour le climat, ni pour la santé, ni pour le revenu des agriculteurs. Je crains cependant qu’en défendant ce Pacte vert pour l’Europe, vous ne frappiez avec beaucoup d’énergie à côté de la cible, puisque le fond du sujet c’est la mondialisation.

Si vous preniez des mesures pour empêcher la production d’azote avec des énergies fossiles, nous pourrions vous suivre. Mais il faudrait commencer par mettre en place une protection aux frontières, ce que les règles de l’Union européenne nous interdisent de faire. La question n’est pas celle de la finalité, mais de la méthode pour y parvenir.

Je reviens sur cette audition édifiante du directeur général Climat de la Commission européenne, qui m’a assuré qu’ils avaient revu les objectifs et le rythme de décarbonation à la hausse parce que les technologies en matière de décarbonation, notamment solaires, sont plus abondantes. Or, 70 % des matériaux qui sont utilisés pour la décarbonation sont importés, et 80 % de cette importation vient de Chine, étant produite à base de charbon ultra-polluant.

M. Éric Martineau (Dem). En 2018, le GIEC nous lançait une alerte claire : si nous ne limitons pas le réchauffement à 1,5 degré, nous nous exposons à une multiplication dramatique des catastrophes naturelles et des événements climatiques extrêmes. Face à cette urgence, l’Union européenne a fait le choix de la responsabilité et de l’ambition, en adoptant en 2019 le Pacte vert pour l’Europe. Ce pacte est notre boussole pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Il repose sur une vision globale : la réduction des émissions de gaz carboniques, la transition vers les énergies renouvelables, la préservation de la biodiversité, le soutien aux territoires en mutation industrielle, et l’amélioration de notre qualité de vie. Il s’agit non seulement de protéger notre planète, mais aussi de garantir notre avenir économique, dans un monde qui change.

Aujourd’hui, le Rassemblement national propose de suspendre ce pacte, de réévaluer nos objectifs climatiques, d’arrêter le financement des ONG écologistes, ou encore de revoir les mécanismes de régulation comme l’ajustement carbone aux frontières. Soyons clairs : derrière cette approche soi-disant pragmatique, c’est un abandon pur et simple de notre ambition climatique qui est proposé. Ce serait une erreur historique. Revenir en arrière, c’est non seulement nier la réalité scientifique, mais aussi affaiblir notre souveraineté énergétique et industrielle, tout en laissant à d’autres le soin d’inventer le monde de demain.

« Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ». Ces propos tenus par le Président Chirac ont déjà 23 ans. Ce n’est pas parce qu’il y a le feu dans la maison, que nous ne devons rien faire. La transition écologique n’est pas l’ennemi de l’économie, mais en est la condition pour tendre vers une économie durable et pourvoyeuse d’emplois locaux.

Le groupe Les Démocrates votera donc contre cette résolution.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. Ce texte ne nie pas l’urgence climatique et ne renonce pas aux objectifs de décarbonation. Il s’agit d’une suspension temporaire, pas d’un renoncement. La proposition est de revenir à un sentier qui avait été envisagé par la Commission européenne elle-même, c’est-à-dire -40 % d’émissions d’ici 2030.

Vous faites appel à la science, mais il n’y a pas un mot qui va contre la parole scientifique dans cette proposition de résolution. L’Académie des sciences a en revanche beaucoup de choses à dire sur la programmation annuelle de l’énergie, qui n’est ni faite, ni à faire, avec des aléas de 10 à 15 % dans les projections exposées.

La montée en puissance des énergies renouvelables d’ici 2030 est complètement insensée. Elle est décidée par pur dogmatisme. Nous arrivons toujours à la même conclusion : le paradis vert est pavé de bonnes intentions, mais il aboutit à un enfer.

M. Charles Sitzenstuhl (EPR). J’ai écouté attentivement et lu votre proposition de résolution européenne. Comme beaucoup de collègues l’ont dit, c’est un tissu de mensonges. Beaucoup de propos excessifs sont utilisés pour inquiéter inutilement les Français et je souhaite insister sur deux points.

Le premier concerne l’électrique. En vous écoutant, je pense que de nombreux pays sont en train d’applaudir : l’Algérie, le Nigéria, l’Arabie saoudite, le Kazakhstan, la Norvège, les États-Unis. Nous sommes dépendants à 99 % des importations d’hydrocarbures et de gaz. Avec votre résolution, nous resterons structurellement dépendants pour la totalité de notre énergie de ces pays.

Le deuxième point concerne l’agriculture, il s’agit du paragraphe 18 de votre proposition de résolution. Là aussi, vous affolez les gens inutilement. Notre souveraineté alimentaire n’est pas compromise, Monsieur le rapporteur. L’Union européenne est exportatrice à plus de 60 milliards d’euros sur sa balance agroalimentaire.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. « Un tissu de mensonges », dites-vous ? Je vais donc essayer de ne pas imiter l’esprit de finesse qui vous caractérise. Je crois sincèrement que vous ne mesurez pas à quel point l’électrification extrêmement rapide ne tient pas compte des coûts supportés par nos industries et nos entreprises dans un contexte d’économie ouverte. Le rythme actuel est insoutenable.

D’abord, parce que les technologies ne sont pas nécessairement disponibles. L’électrification à travers l’hydrogène pour l’industrie lourde n’est pas encore mature. Ensuite parce que les énergies renouvelables ne sont pas stockables et sont intermittentes. Enfin, parce que les énergies renouvelables nous font passer d’une dépendance à une autre. On passe de la dépendance aux énergies fossiles, que vous avez raison de ne pas trouver souhaitable, à une dépendance aux terres rares, et cette dernière, dans la situation géopolitique actuelle, est extrêmement préoccupante.

Présidence de M. Laurent Mazaury, vice-président

M. Benoit Biteau (EcoS). Une fois n’est pas coutume, je rejoins mon collègue Charles Sitzenstuhl. Je souhaite réagir, Monsieur le rapporteur, à votre solution de protection aux frontières. Elle n’aurait pour conséquence, si l’on reprend cet exemple, que perpétuer le recours aux engrais – alors que ces derniers sont un dérivé d’hydrocarbures émetteurs de gaz à effet de serre. Ce que propose le Pacte vert est de progresser vers une autonomie basée sur l’agroécologie, de manière à s’affranchir de cette dépendance aux engrais de synthèse, et donc de ces émissions, avec une agriculture qui, en plus, séquestrera des gaz à effet de serre dans les sols. Il faut s’attaquer aux causes, plutôt qu’aux conséquences comme vous le faîtes.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. Tant que nous sommes en économie ouverte avec des entreprises qui vont produire sur d’autres continents en émettant énormément de gaz à effet de serre et, surtout, des prix absolument imbattables, vous ne pourrez pas déployer les solutions que vous préconisez. Même si nous sommes d’accord avec ces solutions, elles ne peuvent pas être déployées sans protection économique. En outre, avec une énergie deux à trois fois plus chère, nous ne gagnerons pas en compétitivité.

Amendements n° 1 de Mme Éléonore Caroit et n° 13 de M. Nicolas Bonnet de suppression de l’article unique de la proposition de résolution européenne

Mme Éléonore Caroit (EPR). Comme j'ai eu l'occasion de le dire dans mon propos liminaire, cette proposition repose sur une remise en cause idéologique des engagements climatiques de l'Union européenne sous couvert de préoccupations économiques de court terme. Elle ignore délibérément les bénéfices à long terme du Pacte vert, tant sur le plan environnemental qu'économique en matière de création d'emplois, de souveraineté énergétique, de compétitivité industrielle ou d'innovation technologique.

La suspension du Pacte vert reviendrait à affaiblir la position stratégique de l'Europe face aux grandes puissances industrielles engagées dans la transition écologique, que ce soit la Chine ou les États-Unis. Cela reviendrait à ralentir les investissements nécessaires à la modernisation de notre économie, c’est-à-dire la résilience de nos territoires face aux chocs climatiques qui sont déjà à l'œuvre.

Par ailleurs, l'appel à former une coalition d'États membres contre le Pacte vert constitue une attaque directe à la cohésion européenne, au mépris du processus démocratique qui a conduit à l'adoption de ces objectifs par le Conseil et le Parlement européen.

L'Union européenne a besoin d'unité, de constance pour relever le défi climatique et non pas de divisions opportunistes alimentées par des calculs politiques des partis d'extrême droite.

Enfin, la proposition entretient une rhétorique populiste en visant les ONG écologistes. Le financement de la société civile, quand il est régulé et transparent, ne peut être assimilé à une forme d'atteinte à l'intérêt général. Pour toutes ces raisons, plutôt que de suspendre le Pacte vert, il convient au contraire de l'adapter en continu aux réalités économiques, sociales et géopolitiques dans le cadre démocratique prévu par les institutions européennes.

Le texte qui nous est proposé cet après-midi ne propose aucune alternative crédible et vise surtout à ralentir la dynamique de transformation qui est pourtant essentielle dans l'Union européenne. Je vous invite donc à voter cet amendement de suppression.

M. Nicolas Bonnet (EcoS). Je vais essayer de vous donner raison sur certains points. Dans l'exposé des motifs, vous évoquez des manquements aux règles d’éthique par les ONG. Toutefois, vous ne faites mention d’aucun fait avéré, comme par exemple des détournements de fonds publics.

On ne peut pas vous donner tort lorsque vous estimez que des normes plus exigeantes peuvent créer des distorsions de concurrence. Toutefois, si on met en place de telles normes, c'est parce qu'il y a un enjeu fort au niveau de la santé des populations, des enjeux climatiques et nous, Européens, pouvons être fiers d'avoir décidé de nous emparer de ces problématiques afin de les traiter.

Ces distorsions de concurrence peuvent être résorbées avec des mesures miroirs ou des mesures de protection afin de faire en sorte que ceux qui veulent exporter des produits vers l’Europe en respectent les principes. Il ne s'agit donc pas de reculer en abandonnant le Pacte vert européen dont les objectifs peuvent être atteints, contrairement à ce que vous dites. En réalité, nous n’avons pas le choix : c'est une question de responsabilité envers les générations futures. Je conclurai en vous disant que ceux qui pensent que c'est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essaient. Je vous inviterai donc à gagner du temps et à adopter cet amendement de suppression.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. Vous partez du principe qu'il s'agit de balayer d'un revers de la main tout effort de décarbonation. Ce n’est pas l’objet de cette résolution. La suspension du Pacte s’inscrit dans une logique de réalisme : revenir à l’objectif atteignable de -40 % et à une baisse des émissions de CO2 de 2 % an. Sans cela, le Pacte aura des effets de bord catastrophiques pour le climat. Ensuite, il s'agit de réallouer des financements de manière plus juste. Il me semble important de porter à la connaissance de nos concitoyens que le Pacte vert va demander à la France le même effort de décarbonation que l'Allemagne, dont la production de CO2 par habitant est deux fois plus élevée qu’en France, du fait de son renoncement à l’énergie nucléaire.

Concernant le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières qui entrera prochainement en vigueur, selon tous les spécialistes, il ne fonctionnera pas.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). La France insoumise est favorable à ces deux amendements de suppression et à la suppression de l’article unique pour les raisons que j'ai évoquées précédemment. La France insoumise est attachée au Pacte vert, en dépit de ses imperfections, notamment sur le volet de l’investissement. Nous sommes favorables à une planification écologique, c’est-à-dire à une orientation claire des financements vers la transition écologique, notamment dans les secteurs les plus compétitifs au niveau mondial.

La France se distingue par sa capacité d’entraînement et de proposition. Dans le domaine des infrastructures par exemple, les entreprises savent garantir le respect des normes environnementales et sociales. Et ne croyez pas qu’en Ouganda, ils ne sont pas sensibles à cette question. La mobilisation contre le projet EACOP dure depuis des années.

De nombreux autres pays, comme l’Indonésie, connaissent des mobilisations d’ampleur rassemblant des riverains, des habitants, des consommateurs, des associations, des ONG, qui s’opposent à ce que l’on fasse n'importe quoi chez eux.

C’est un avantage compétitif pour les entreprises européennes, et surtout françaises. La Chine par exemple, sur laquelle je mène actuellement une mission d’information, fait d’énormes progrès en matière de transition écologique. La Chine, qui contrairement aux États-Unis, n’est pas sortie des accords de Paris, va bientôt nous dépasser dans ce domaine.

Vous avez le choix, soit de continuer dans le sens des accords de Paris, en participant à leur amélioration, soit de suivre la voie mortifère des États-Unis d'Amérique et d’en sortir. C’est notre capacité à honorer des accords internationaux qui est en jeu. Bien que le Pacte vert soit imparfait - sur ce point je suis d’accord avec vous - nous nous devons de respecter nos engagements.

Pour ma part, je suis très attachée au devoir de vigilance qui garantit, sur toute la chaîne de valeur, une vigilance sur les questions environnementales et sociales. À titre d’exemple, de nombreux pesticides, interdits en Europe, sont autorisés dans des pays comme le Brésil. Le devoir de vigilance nous protège contre l'importation de produits dont la fabrication ne respecterait pas nos normes environnementales et nos normes en matière de santé publique.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. La planification en matière économique n’a pas toujours donné des résultats très probants. Néanmoins je vous rejoins sur la nécessité de planifier la transition énergétique. Le problème tient au fait que cette planification ne s’est pas appuyée sur des données suffisamment robustes et des études suffisamment sérieuses.

Un tiers des investissements requis en France pour se conformer au Pacte vert sont des investissements publics. Je ne suis pas hostile au principe de l’investissement public même si la situation de l'endettement est extrêmement préoccupante. Mais mobiliser de l'argent public pour acheter des véhicules chinois, des panneaux photovoltaïques chinois, des éoliennes chinoises ou mobiliser de l'argent public pour construire des giga factory de batteries, alors que notre énergie est deux à trois fois plus chère qu'ailleurs, est une très mauvaise idée pour l'économie, pour le pouvoir d'achat de nos compatriotes et évidemment pour la planète.

M. Benoît Biteau (EcoS). Le Pacte vert nécessitera des programmes d'accompagnement et de soutien financier. Cet argent public existe et cela me permet de pointer l'angle mort de votre raisonnement. Aujourd’hui, l’argent public est mobilisé pour réparer les dégâts d’un type d’économie ou d’agriculture dont vous ne voulez pas vous départir. Si on avait l'audace et le courage de réallouer cet argent public en le sortant des logiques curatives pour l’engager dans des logiques d’anticipation et de prévention, il n’y aurait plus d’obstacle à l’efficacité du Pacte vert. On serait tous gagnants et on protégerait également les personnes les plus vulnérables.

M. Guillaume Bigot, rapporteur. Nous sommes favorables à ce qu’il y ait des limitations d'importation ou des protections qui seraient non tarifaires – potentiellement contraires au droit de l’OMC – pour faire fonctionner le système.

Les amendements n° 1 et n° 13 de suppression de l’article unique de la proposition de résolution sont adoptés.

L’article unique de la proposition de résolution étant supprimé, la proposition de résolution européenne est donc rejetée.

M. Laurent Mazaury, Président. La proposition de résolution européenne étant rejetée, la commission permanente compétente au fond sera saisie de la proposition de résolution dans sa version initiale, conformément à l'article 151-5 du règlement.

 

 

 


   proposition de rÉsolution europÉenne Initiale

 

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu le Pacte vert pour l’Europe présenté par la Commission européenne le 11 décembre 2019,

Vu l’article 291 du Traité de Fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la communication de la Commission européenne du 14 juillet 2021 intitulée « Ajustement à l’objectif 55 »,

Vu le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique,

Vu le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières adopté par le Parlement européen le 18 avril 2023,

Vu les conclusions de l’Agence européenne pour l’environnement sur l’impossibilité d’atteindre les objectifs fixés pour 2030,

Vu les révélations de la presse néerlandaise concernant le financement d’organisations non gouvernementales écologistes par la Commission européenne,

Vu les multiples mouvements de protestation des agriculteurs européens contre les contraintes environnementales excessives,

Vu la position du Premier ministre polonais Donald Tusk en faveur d’une suspension temporaire du Pacte vert,

Vu l’impact économique et social considérable des mesures du Pacte vert sur la compétitivité des entreprises européennes et le pouvoir d’achat des citoyens,

Considérant que la mise en œuvre du Pacte vert menace directement la souveraineté industrielle européenne en favorisant la délocalisation de nos industries vers des pays tiers ;

Considérant que les objectifs de décarbonation imposés sont économiquement insoutenables et menacent de provoquer une contraction significative du PIB européen ;

Considérant que le Pacte vert aggrave les inégalités sociales et la précarité énergétique, touchant particulièrement les ménages les plus vulnérables ;

Considérant que les contraintes réglementaires imposées à l’agriculture européenne compromettent notre souveraineté alimentaire et la viabilité économique de nos exploitations ;

Considérant que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières risque de déclencher des mesures de rétorsion commerciale préjudiciables à notre économie ;

Considérant que l’Union européenne ne dispose pas des moyens technologiques et financiers suffisants pour atteindre les objectifs fixés dans les délais impartis ;

Considérant que la transition écologique précipitée menace directement des millions d’emplois dans les secteurs industriels traditionnels ;

Considérant que la compétitivité internationale de l’Union européenne est gravement compromise par des contraintes environnementales disproportionnées ;

Demande la suspension immédiate du Pacte vert européen afin de préserver la compétitivité et la souveraineté économique de l’Union ;

Demande une réévaluation complète et transparente des objectifs climatiques au regard des réalités économiques et sociales ;

Demande l’arrêt immédiat du financement d’organisations non gouvernementales écologistes par la Commission européenne ;

Demande la mise en place d’une étude d’impact indépendante sur les conséquences économiques et sociales des mesures du Pacte vert ;

Invite le gouvernement français à porter cette position auprès des institutions européennes et à construire une coalition d’États membres favorable à cette suspension ;

Demande la révision du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pour protéger efficacement nos industries ;

Sollicite l’adoption de mesures d’urgence pour soutenir les secteurs industriels et agricoles européens menacés par les contraintes environnementales excessives ;

Encourage l’Union européenne à adopter une approche pragmatique de la transition écologique qui préserve les intérêts économiques et la souveraineté industrielle du continent.

 

 


   amendements examinés par la commission

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

14 mai 2025


Suspension temporaire du Pacte vert européen (n° 975)

 

AMENDEMENT

No 1

présenté par

Eléonore CAROIT

----------

ARTICLE UNIQUE

Supprimer l’article unique.

 

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Cet amendement vise à supprimer l'article unique de la proposition de résolution européenne relative à la suspension du Pacte vert européen.

En effet, cette proposition repose sur une remise en cause idéologique des engagements climatiques de l'Union européenne, sous couvert de préoccupations économiques de court terme. Elle ignore délibérément les bénéfices à long terme du Pacte vert, tant sur le plan environnemental qu’économique, en matière de création d’emplois, souveraineté énergétique, compétitivité industrielle, et innovation technologique.

La suspension du Pacte vert, comme le propose le texte, reviendrait à affaiblir la position stratégique de l’Europe face aux grandes puissances industrielles engagées dans la transition écologique, comme la Chine ou les États-Unis. Cela reviendrait également à ralentir les investissements nécessaires à la modernisation de notre économie, fragilisant la résilience de nos territoires face aux chocs climatiques déjà à l'œuvre.

Par ailleurs, l’appel à former une coalition d’États membres contre le Pacte vert constitue une attaque directe contre la cohésion européenne, au mépris du processus démocratique qui a conduit à l’adoption de ces objectifs par le Conseil et le Parlement européens. L’Union a besoin d’unité et de constance pour relever le défi climatique, non de divisions opportunistes alimentées par des calculs politiques internes.

Enfin, la proposition entretient une rhétorique populiste en visant les ONG écologistes, pourtant acteurs légitimes de la démocratie participative européenne. Le financement de la société civile, régulé et transparent, ne peut être assimilé à une forme d’atteinte à l’intérêt général.

Plutôt que de suspendre le Pacte vert, il convient au contraire de l’adapter en continu aux réalités économiques, sociales et géopolitiques, dans le cadre démocratique prévu par les institutions européennes. Le texte ici visé ne propose aucune alternative crédible et cherche avant tout à ralentir une dynamique de transformation essentielle pour l’avenir de l’Europe.

 

 

 

 

Cet amendement a été adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

14 MAI 2025

Rectangle

Suspension temporaire du Pacte vert européen (n° 975)

 

AMENDEMENT

No 13

 

présenté par

 

Nicolas BONNET

 

ARTICLE UNIQUE

Supprimer l’article unique.

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Supprimer Cet amendement propose de supprimer l’article unique de cette proposition de résolution européenne. En effet, celle-ci constitue une nouvelle attaque contre les règles environnementales au niveau européen et participe à la désignation de l’écologie comme bouc émissaire de tous les problèmes. Par ailleurs, en demandant la “suspension immédiate du Pacte vert européen”, elle ne précise pas les règlements ou directives visées de manière précise, ne permettant pas de garantir un débat sérieux sur ce sujet.

 

 

 

 

 

Cet amendement a été adopté.

 


   annexe  1 :
Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 

 

 

 

 


   Annexe  2 :
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

 

 


([1]) https://www.agenda-2030.fr/IMG/pdf/rapport_climat_2024_copernicus-pdf-1.pdf;

([2])  https://energyandcleanair.org/wp/wp-content/uploads/2024/11/Report_-CREA_Chinas-Climate-Transition-Outlook-2024_EN-1.pdf;

([3]) Discours d’investiture prononcé le 20 janvier 2025 (https://www.state.gov/translations/french/extraits-du-discours-dinvestiture-du-president-donald-trump-relatifs-a-la-politique-etrangere/) :

« L’Amérique redeviendra un pays manufacturier, et nous possédons quelque chose qu’aucun autre pays manufacturier n’aura jamais – la plus grande quantité de pétrole et de gaz de tous les pays du monde – et nous allons nous en servir. Nous allons nous en servir. Nous allons faire baisser les prix, remplir à nouveau nos réserves stratégiques jusqu’au sommet et exporter l’énergie américaine dans le monde entier. »

([4]) https://commission.europa.eu/document/download/97e481fd-2dc3-412d-be4c-f152a8232961_en?filename=The%20future%20of%20European%20competitiveness%20_%20A%20competitiveness%20strategy%20for%20Europe.pdf.

([5])https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:b828d165-1c22-11ea-8c1f-01aa75ed71a1.0022.02/DOC_1&format=PDF.

([6]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32021R1119.

([7]) https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:b828d165-1c22-11ea-8c1f-01aa75ed71a1.0022.02/DOC_2&format=PDF.

([8]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0562.

([9]) Partie 1/2 :

https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:749e04bb-f8c5-11ea-991b-01aa75ed71a1.0001.02/DOC_1&format=PDF.

Partie 2/2 :

https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:749e04bb-f8c5-11ea-991b-01aa75ed71a1.0001.02/DOC_2&format=PDF.

([10]) https://www.consilium.europa.eu/media/24561/145397.pdf.

([11]) https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/SR15_Summary_Volume_french.pdf.

([12]) Nous reprenons cette présentation de l’exposé des motifs de la résolution européenne du Sénat sur le Paquet « Fit for 55 », adoptée le 5 avril 2022.

([13]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32018R0842&from=fr.

([14]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:52016SC0247.

([15]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32023R0857.

([16]) Contribution écrite.

([17]) Audition du DG CLIMA.

([18]) op.cit.

([19]) Contribution écrite de MM. Charlez et Meilhan.

([20]) Les prix de détail et de gros du gaz sont actuellement trois à cinq fois plus élevés en UE qu'aux États-Unis, alors qu'historiquement, les prix étaient plutôt deux à trois fois plus élevés qu'aux États-Unis. Les prix de détail de l'électricité - en particulier pour les secteurs industriels - sont actuellement deux à trois fois plus élevés qu'aux États-Unis et en Chine ; ils étaient historiquement 80% plus élevés dans l’UE qu’aux États-Unis, tout en restant à peu près au même niveau qu'en Chine.

([21]) Contribution écrite.

([22]) Audition du DG CLIMA

([23]) https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/documents/DGEC_reglement-MACF-texte-final.pdf  

([24]) https://commission.europa.eu/document/download/10017eb1-4722-4333-add2-e0ed18105a34_en.

([25]) https://commission.europa.eu/document/download/9db1c5c8-9e82-467b-ab6a-905feeb4b6b0_en?filename=Communication%20-%20Clean%20Industrial%20Deal_en.pdf&prefLang=fr.

([26]) Contribution écrite de MM. Meilhan et Charlez

([27]) Contribution écrite.

([28]) Indicateurs régionaux (2019) et comparaison des productions et consommations CO₂ régionales (2018). GIEC, Sixième rapport d’évaluation, troisième volume.

([29]) Graphique transmis par MM. Meilhan et Charlez.

([30]) European Commission: Joint Research Centre, Marelli, L., Trane, M., Barbero Vignola, G., Gastaldi, C., Guerreiro Miguel, M., Delgado Callicó, L., Borchardt, S., Mancini, L., Sanye Mengual, E., Gourdon, T., Maroni, M., Georgakaki, A., Seigneur, I., M'Barek, R., Acs, S., Listorti, G., et al., Delivering the EU Green Deal - Progress towards targets, Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2025, https://data.europa.eu/doi/10.2760/3105205

 

([31]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32020R0852&from=F.

([32]) https://www.academie-sciences.fr/sites/default/files/2025-04/Avis%20Acad%C3%A9mie-sciences%20PPE-3%20r%C3%A9vis%C3%A9e_1.pdf.

([33]) https://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/14__avis_du_hcea_version_finale.pdf.

([34]) Johan Bremmer, Ana Gonzalez-Martinez, Roel Jongeneel, Hilfred Huiting, Rob Stokkers, Marc Ruijs, Impact Assessment of EC 2030 Green Deal Targets for Sustainable Crop Production. https://edepot.wur.nl/558517.