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N° 1445

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 mai 2025.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE,

 

 

relatif au transfert à l’État des personnels enseignants de
l’enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna,

 

 

Par M. Mikaele SEO,

 

 

Député.

——

 

 

 

 

Voir les numéros :

Sénat : 546, 617, 618 et T.A. 123 (2024-2025).

Assemblée nationale : 1440.


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

Commentaire des articles

Article 1er Habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures visant à intégrer dans la fonction publique les enseignants du premier degré de Wallis-et-Futuna et à leur permettre de choisir entre le régime de retraite de la fonction publique et celui de la caisse des prestations sociales locale

Article 2 Délai de dépôt du projet de loi de ratification de l’ordonnance

Travaux de la commission

ANNEXE I : Liste des personnes entendues par le rapporteur

ANNEXE II : Convention de concession 2020-2025

ANNEXE III : Protocole de fin de conflit du 20 juillet 2023

ANNEXE IV : Éléments relatifs aux rÉsultats scolaires des élÈves de Wallis-et-Futuna ()

 

 

 

 

 


–– 1 ––

   Avant-propos

Loin des yeux, loin du cœur : c’est le sentiment qu’ont trop souvent, hélas, nos compatriotes des îles Wallis et Futuna. Le présent projet de loi, dont l’objet est de rapprocher le statut des enseignants du premier degré exerçant dans l’archipel de celui de leurs collègues de métropole, est donc le bienvenu. Il s’agit avant tout d’une mesure d’égalité et de justice.

Le projet de loi, déposé au Sénat le 22 avril 2025 et adopté en première lecture le 19 mai en séance publique, vise à habiliter le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi qui permettront d’intégrer dans la fonction publique de l’État les enseignants du premier degré des îles Wallis et Futuna, lesquels relèvent pour l’heure de la mission catholique de ce territoire, dans le cadre d’un régime de concession établi depuis 1969 et renouvelé à travers des conventions dont la durée de validité est en général de cinq ans.

Le rapporteur se félicite d’autant plus du dépôt de ce texte que la mesure qu’il contient a tardé à venir et qu’il œuvre lui-même depuis des années à l’amélioration de la condition des maîtres d’école de Wallis-et-Futuna.

L’évolution statutaire qui est proposée fait suite à un mouvement social engagé par les enseignants de Wallis-et-Futuna en mai 2023. Après une grève de deux mois et demi, fut conclu, le 20 juillet 2023, un protocole de fin de conflit signé par l’ensemble des parties prenantes ([1]). Cet accord prévoyait explicitement une modification du statut des enseignants. Au-delà de cette cause immédiate, de nombreux conflits avaient émaillé l’histoire des relations entre les enseignants et la direction de l’enseignement catholique (DEC), rendant inéluctable, aux yeux de certains observateurs, une modification en profondeur de la gouvernance de l’enseignement primaire.

Le transfert à l’État des personnels enseignants du premier degré qui s’amorce aujourd’hui est donc l’aboutissement du dialogue social. Il convient, à cet égard, de souligner que la disposition proposée fait l’objet d’un très large consensus : les enseignants, qui sont les premiers concernés, approuvent en grande majorité le projet du Gouvernement, de même que les élus locaux et les autorités coutumières. Le rapporteur soutient donc lui aussi cette démarche.

Compte tenu des spécificités des règles juridiques en vigueur dans l’archipel et du statut particulier des enseignants concernés, une analyse précise de leurs conditions d’emploi et des conséquences du transfert envisagé était nécessaire. Le protocole d’accord prévoyait donc qu’une mission d’expertise serait diligentée pour effectuer ce travail. Le 3 octobre 2023, Gabriel Attal et Philippe Vigier, alors respectivement ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse et ministre délégué chargé des outre-mer, mandatèrent ainsi l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) et l’inspection générale de l’administration (IGA). Les trois inspecteurs désignés rendirent leurs conclusions en mars 2024 ([2]), dans un rapport rendu public. Après la présentation du rapport, les concertations ont repris au niveau local.

L’enchaînement des événements politiques depuis la dissolution du printemps 2024 n’a pas facilité l’émergence d’une décision ministérielle sur ce dossier, en dépit de l’insistance du rapporteur auprès des ministres de l’éducation nationale successifs. La nécessité de mener un travail interministériel pour élaborer une solution juridique satisfaisante explique aussi, en partie, le retard enregistré depuis lors. Désormais, le temps presse : dans quelques jours, la convention de concession actuelle arrivera à son terme. Signée le 4 juin 2020, enregistrée le lendemain par le représentant de l’État à Wallis-et-Futuna, elle était en effet conclue pour une durée de cinq années. Elle arrive donc à échéance le 5 juin 2025 ([3]). C’est l’une des raisons qui ont conduit le Gouvernement à présenter au Parlement un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnance, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution.

Tout en regrettant le temps perdu, car une plus grande diligence des gouvernements successifs aurait permis d’avoir un débat de fond sur le détail du mécanisme envisagé, le rapporteur soutient l’objectif poursuivi et invite donc la commission à approuver le principe de l’intégration dans la fonction publique de l’État des enseignants du premier degré de Wallis-et-Futuna.

Le rapporteur tient malgré tout à souligner que, compte tenu du champ de l’habilitation, certaines questions importantes ne seront pas tranchées par l’ordonnance et les décrets afférents, en particulier le statut des personnels non-enseignants des écoles. Au nombre de 49, ces agents ne bénéficieront pas de la protection qui découlerait d’une disposition législative similaire à celle concernant leurs collègues enseignants.

Par ailleurs, selon les informations dont dispose le rapporteur, le sort d’une dizaine d’enseignants est empreint d’incertitude : en raison d’un niveau de diplôme jugé insuffisant, ils devraient être exclus du bénéfice de la mesure, en dépit du caractère général qu’implique la rédaction du projet de loi d’habilitation. C’est pour se prémunir de ce risque que le Sénat a adopté un amendement visant à préciser le champ de l’habilitation. Compte tenu de l’urgence et du bien-fondé de la modification apportée par la Haute Assemblée, le rapporteur forme le souhait que la commission adopte le présent projet de loi dans la rédaction issue du Sénat, de manière que le transfert puisse être opéré sans délai.


Pour une bonne compréhension des enjeux du texte, quelques rappels concernant l’histoire du territoire, ses spécificités culturelles et l’évolution graduelle de sa relation vis-à-vis de la métropole s’imposent.

*

*     *

Les îles Wallis et Futuna, selon leur dénomination officielle, constituent un archipel constitué de trois îles principales : Wallis, Futuna et Alofi, auxquelles s’ajoutent quelques îlots. L’archipel est situé dans l’océan Pacifique, entre la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, mais ses voisins les plus proches sont les îles Fidji et Samoa. Si Futuna et Alofi sont très proches, Wallis est pour sa part distante de 230 kilomètres.

Carte de situation des îles Wallis et Futuna

Source : Chambre de commerce et d’industrie, des métiers et d’agriculture (CCIMA) de Wallis-et-Futuna.

Le territoire rassemble les trois royaumes coutumiers d’Uvea (Wallis), d’Alo et de Sigave (Futuna). La superficie de Wallis est de 77,9 kilomètres carrés ; celle de Futuna de 46,3 kilomètres carrés.

D’après les données du service territorial de la statistique et des études économiques (STSEE) de Wallis-et-Futuna, fondées sur un recensement effectué durant l’été 2023, 11 151 personnes vivent dans l’archipel – 8 088 personnes à Wallis et 3 063 à Futuna, l’île d’Alofi étant inhabitée ([4]). Il convient de préciser que, selon l’institut de la statistique et des études économiques (ISEE) de Nouvelle-Calédonie, 22 500 Wallisiens et Futuniens étaient installés en Nouvelle-Calédonie en 2019, dont ils représentaient 8,3 % de la population ([5]).

Évolution de la population de Wallis-et-Futuna
entre 1969 et 2023

Source : INSEE et ISEE.

Depuis le début du siècle, la population de l’archipel connaît une forte diminution : le territoire a perdu 25,4 % de ses habitants par rapport à l’année 2003, qui avait marqué un point haut historique. L’indice de fertilité est passé de 2,7 enfants par femme en 2003 à 1,7 vingt ans plus tard. La natalité en baisse se conjugue à une forte émigration, en particulier de la part des jeunes en âge de poursuivre des études universitaires ou de travailler.

La principale conséquence de ces phénomènes est un vieillissement de la population : depuis vingt ans, la part des moins de 20 ans a diminué de 13,5 points ; elle ne représentait plus que 30,6 % de la population en 2023. À l’inverse, près de deux habitants sur dix sont âgés de 60 ans ou plus ; la part de cette tranche d’âge a doublé durant la même période – 19,1 % en 2023, contre 8,9 % en 2003. L’âge médian est ainsi passé de 23 ans à 38 ans sur la période.


Un autre effet de ces évolutions est la diminution de la part des natifs dans la population de l’archipel : en 2023, huit habitants sur dix étaient nés à Wallis-et-Futuna, soit 80,7 %, contre 85,2 % en 2003. Un sur dix était né en Nouvelle-Calédonie – 10,1 %, contre 8,2 % en 2003 –, et les natifs de la métropole représentaient 6,3 % des habitants, contre 4,5 % en 2003.

La crise démographique est certes liée à une évolution des modes de vie et des aspirations des jeunes, mais aussi aux difficultés économiques et au manque d’infrastructures et de services publics dans le territoire. L’exiguïté du marché du travail local, en particulier, rend très difficile le retour des jeunes partis suivre des études supérieures en métropole ou en Nouvelle-Calédonie. Sur le territoire des îles de Wallis et Futuna, 21 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Tous les organismes officiels, nationaux et internationaux pointent la très grande pauvreté de très nombreuses familles sur le territoire : 710 familles n’ont aucun revenu, soit plus de 3 100 personnes. En 2023, le taux d’emploi de la population en âge de travailler était de 60,1 %, contre 73,6 % en France métropolitaine en 2022. À cet égard, il importe de noter que les personnes les plus diplômées sont plus souvent en emploi : 71,4 % des titulaires du baccalauréat ou d’un diplôme équivalent travaillent, contre 49,4 % de ceux ayant seulement un diplôme inférieur (BEPC, CAP ou BEP).

En l’absence de médecine libérale, l’offre de soins de santé repose entièrement sur une poignée de médecins exerçant dans deux hôpitaux – un dans chaque île – aux moyens limités et quatre dispensaires. Une large partie du budget de l’agence de santé est ainsi consacrée aux évacuations sanitaires vers la Nouvelle-Calédonie, l’Australie et la métropole ([6]).

Dans ce contexte, la question du maintien des « forces vives » dans le territoire se pose de manière aiguë, comme le rapporteur a eu l’occasion de le montrer dans un autre travail parlementaire effectué au sein de la délégation aux outre-mer et publié récemment ([7]).

Enfin, il convient d’indiquer que, dans tous les domaines, les difficultés de Futuna apparaissent plus marquées encore que celles de Wallis : le décrochage de l’île au sein de l’archipel s’accentue année après année.

*

*     *

Les premiers contacts des habitants de l’archipel avec des voyageurs occidentaux eurent lieu dès le XVIIe siècle, mais furent ponctuels. Les missionnaires catholiques de la Société de Marie furent parmi les premiers Français – et occidentaux – à s’installer réellement dans l’archipel, en 1837. Assez rapidement, l’ensemble de la population se convertit, mais en opérant une sorte de syncrétisme entre leurs croyances traditionnelles et la religion catholique. Il n’en demeure pas moins que, depuis cette époque, la religion catholique est étroitement liée à l’identité de Wallis-et-Futuna. Comme l’a souligné la vice-rectrice des îles Wallis et Futuna dans ses réponses écrites au rapporteur, « la religion fait partie du quotidien des Wallisiens et Futuniens. Intimement liée à la coutume, la religion fait partie intégrante de la société. La population est catholique à plus de 95 % et la place de l’église est prégnante dans la culture et la vie sociale, y compris des non-pratiquants. »

De la même manière, les habitants de l’archipel restent très attachés à leurs langues traditionnelles, le wallisien et le futunien, qui se rattachent à la famille des langues polynésiennes. Pour plus de 90 % des écoliers, ces langues sont celles qui sont pratiquées en famille – ce qui ne signifie pas que leurs parents ne leur apprennent pas en parallèle le français. Fondée sur les langues locales, la culture traditionnelle wallisienne et futunienne est tout aussi vivante : la danse, la musique, l’artisanat, la cérémonie du kava ([8]), ou encore le kataoga ([9]) jouent un rôle important dans la vie quotidienne des habitants de l’archipel.

Les Wallisiens et les Futuniens ont librement embrassé la République et ils n’ont jamais été colonisés par la France. Dès la fin du XIXe siècle (1887-1888), les rois coutumiers des deux îles avaient demandé à bénéficier du protectorat de la France, tout en conservant leur autorité traditionnelle sur les habitants, ce qui leur avait été accordé.

À l’occasion du référendum du 22 décembre 1959, la population a approuvé massivement son rattachement à la République : 94 % des habitants y avaient alors souscrit. Par la suite, la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer a réglé sur le plan juridique la situation du territoire vis-à-vis de la métropole. Depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, les îles Wallis et Futuna ont le statut de collectivité d’outre-mer relevant de l’article 74 de la Constitution. En l’absence de loi organique spécifique, la loi de 1961 continue à s’appliquer.

L’article 3 de cette loi marque clairement le respect de la République envers les spécificités du territoire : « La République garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit. »

L’article 7 établit quant à lui la compétence de l’État en matière d’enseignement : « La République assure la défense du territoire des îles Wallis et Futuna, l’ordre et la sécurité publics, le respect des lois, des règlements et des décisions des tribunaux, les relations et communications extérieures, l’enseignement, la tenue de l’état civil, le fonctionnement du Trésor et de la douane, le contrôle administratif et financier, l’hygiène et la santé publique. […] La République assume la charge des dépenses de fonctionnement et d’équipement des services visés ci-dessus. » Si l’État assume bel et bien cette responsabilité pour le second degré, il n’en va pas de même pour les écoles maternelles et élémentaires. C’est d’ailleurs tout l’objet du présent projet de loi.

En vertu de l’article 1er de la loi de 1961, le territoire jouit d’une « autonomie administrative et financière ». Wallis-et-Futuna est ainsi doté d’une assemblée territoriale, régie par l’article 11 de la loi précitée et dont les compétences sont précisées à l’article 40 du décret n° 57-811 du 22 juillet 1957 relatif aux attributions de l’assemblée territoriale, du conseil territorial et de l’administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna, dans sa rédaction résultant de l’article 21 de la loi n° 2007-224 du 21 février 2007 ([10]).

Selon les termes de l’article 8 de la loi de 1961 précitée, les services de l’État sont placés sous l’autorité du préfet, « administrateur supérieur du territoire », « dépositaire des pouvoirs de la République », qui « représente chacun des membres du Gouvernement ».

En ce qui concerne la législation et la réglementation, le territoire est régi « par les lois de la République et par les décrets applicables, en raison de leur objet, à l’ensemble du territoire national et, dès leur promulgation dans le territoire, par les lois, décrets et arrêtés ministériels déclarés expressément applicables aux territoires d’outre-mer ou au territoire des îles Wallis et Futuna » ([11]). L’administrateur supérieur du territoire y exerce le pouvoir réglementaire : « Il prend, après avis du conseil territorial, tous actes réglementaires propres à assurer l’exécution des délibérations de l’assemblée territoriale et tous actes réglementaires qui relèvent de sa compétence de chef de territoire aux termes des lois, décrets et règlements. » ([12])

Ainsi, comme dans de nombreux territoires d’outre-mer, le droit national connaît à Wallis-et-Futuna des adaptations plus ou moins importantes. C’est le cas du code du travail, qui résulte dans l’archipel de la loi n° 52-1322 du 15 décembre 1952 modifiée instituant un code du travail dans les territoires d’outre-mer, rendue applicable, dans une version légèrement actualisée, par l’article 9 de l’ordonnance n° 2005-57 du 26 janvier 2005 portant actualisation et adaptation du droit du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle outre-mer.

En ce qui concerne les agents de l’État employés dans l’archipel, cohabitent plusieurs régimes distincts. D’une part, les fonctionnaires d’État et certains contractuels de la fonction publique bénéficient du droit commun, identique à la métropole. D’autre part, un texte ancien, l’arrêté n° 76 portant statut des agents permanents de l’administration du territoire du 23 septembre 1976, qui constitue un statut résiduel et obsolète, est toujours en vigueur. Comme le notaient les inspecteurs généraux dans leur rapport de 2024, « les dispositions de cet arrêté apparaissent très datées et n’ont pris en compte que très partiellement les évolutions du droit de la fonction publique intervenues ces dernières décennies ». En particulier, ce régime propose des rémunérations plus faibles et des droits moins importants en matière de congés et d’autorisations d’absence par rapport aux contractuels de l’État. Ce texte sert toujours de base à l’emploi de plusieurs dizaines d’agents non titulaires administratifs, techniques, ouvriers et de santé (ATOS) du vice-rectorat. Enfin, il convient de noter que le décret n° 2022-684 du 26 avril 2022 portant dispositions spécifiques applicables aux agents des circonscriptions territoriales de Wallis et Futuna a créé récemment un statut pour la fonction publique territoriale.

C’est dans ce contexte géographique, historique, culturel et juridique présentant des spécificités souvent méconnues en métropole qu’intervient l’évolution du statut des enseignants proposée à travers le présent projet de loi. Aux yeux du rapporteur, l’une des clés de la réussite du projet sera la capacité des différentes parties prenantes à construire l’avenir de l’enseignement primaire à Wallis-et-Futuna sur de nouvelles bases sans pour autant renier entièrement l’héritage du système de concession.

 


   Commentaire des articles

Article 1er
Habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures visant à intégrer dans la fonction publique les enseignants du premier degré de Wallis-et-Futuna et à leur permettre de choisir entre le régime de retraite de la fonction publique et celui de la caisse des prestations sociales locale

Adopté par la commission sans modification

Le présent article vise à habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la loi qui résultera de l’adoption du texte, pour définir les conditions et les modalités de l’intégration dans la fonction publique des enseignants du premier degré des îles Wallis et Futuna, qui relèvent pour l’heure d’une convention de concession liant l’État à la mission catholique locale et ont le statut de salariés de droit privé. Le texte aura également pour objectif de préciser les conditions dans lesquelles les enseignants pourront, en ce qui concerne leur retraite, choisir entre une affiliation au régime de retraite de la fonction publique et le maintien dans le régime géré par la caisse des prestations sociales des îles Wallis et Futuna.

Les sénateurs ont adopté en commission un amendement de précision visant à s’assurer que la disposition concernera l’ensemble des enseignants en poste, quel que soit leur niveau de diplôme.

  1.   L’état du droit
    1.   Un régime de concession par l’État de l’enseignement du premier degré à la mission catholique sur le territoire des îles Wallis et Futuna
      1.   La compétence de l’État en matière d’enseignement et la création du régime de concession

Comme indiqué précédemment, l’article 7 de la loi n° 61-814 de 1961 établit la compétence de l’État en matière d’enseignement : « La République assure […] l’enseignement » et « assume la charge des dépenses de fonctionnement et d’équipement » afférentes. Si l’État exerce cette responsabilité pour le second degré, il n’en va pas de même pour les écoles maternelles et élémentaires.

Cette situation s’explique par le monopole qu’exerçait l’Église en matière d’enseignement au moment du rattachement des îles Wallis et Futuna à la République. La prédominance de la mission catholique s’enracine profondément dans l’histoire de l’île : les premiers missionnaires européens – des pères maristes – étaient arrivés dans l’archipel en 1837, et ils avaient ouvert une première école locale dès 1843 ([13]). Par la suite, ils avaient développé le réseau scolaire sur les deux îles habitées et conservé la mainmise sur l’enseignement, même si, au départ, leur objectif était surtout d’évangéliser les habitants. À la suite de l’installation du protectorat, plusieurs administrateurs français tentèrent d’établir des établissements publics, mais ils se heurtèrent à la résistance de la mission. L’enseignant et chercheur Marc Soulé relate ainsi : « En 1933, constatant que seuls deux ou trois Wallisiens parlent le français, le résident Renaud ouvre une école publique. Il s’agit d’un cours de français comprenant quatre classes par semaine et dont les horaires diffèrent de ceux du catéchisme. Cependant, devant la pression de la mission, il doit fermer l’école. » ([14])

La loi de 1961 précitée ne modifia pas la situation s’agissant de l’enseignement primaire, et ce n’est qu’en 1969 que l’État, prenant acte de l’attachement des Wallisiens à la mission catholique, probablement aussi par commodité, décida de formaliser le monopole de l’Église tout en l’encadrant par un régime de concession. La première convention de concession fut ainsi signée en 1969. Depuis lors, le système a perduré. La convention en vigueur couvre la période 2020-2025. Comme indiqué précédemment, elle arrive à expiration le 5 juin 2025.

La mission catholique exerce la responsabilité de l’enseignement primaire à travers un établissement scolaire unique, dénommé « direction de l’enseignement catholique » (DEC). Selon les termes de la convention, la mission « s’engage à accueillir et éduquer […] tout enfant soumis à l’obligation scolaire fixée par la loi. Elle veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction » (article 2). La scolarité y est gratuite (article 6). L’État, « garant du bon fonctionnement du service public de l’éducation, prend à sa charge les dépenses supportées par la mission catholique au titre des responsabilités qui lui sont conférées par la présente convention. Il assure notamment le contrôle pédagogique des maîtres du 1er degré et celui des enseignements dispensés ». L’État attribue chaque année à la DEC « une dotation unique et forfaitaire » (article 17) destinée « à l’entretien et au fonctionnement des écoles et de l’internat dont elle a la charge, y compris la rémunération des personnels de droit privé non enseignants de la DEC affectés à leur entretien ; à l’acquisition d’outils et matériels pédagogiques ; au fonctionnement de la DEC au titre des missions exercées par elle » dans le cadre de la convention.

Les fonds correspondants sont versés chaque année en loi de finances dans le cadre du programme 139 Enseignement privé du premier et du second degrés de la mission Enseignement scolaire. La dotation relève plus précisément de l’action 09 Fonctionnement des établissements ; dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025, elle s’élevait à 1 895 312 euros ([15]).

À travers cette dotation, complétée par le contrat de convergence et de transformation, porté par le programme 123 Conditions de vie outre-mer de la mission Outre-mer, l’État assure la planification et la réalisation des travaux sur les bâtiments scolaires, les menues réparations incombant à la DEC.

Le « forfait » ne couvre pas, cependant, l’ensemble des dépenses connexes à la mission d’enseignement. Le rapport de la mission d’inspection précédemment cité notait ainsi : « L’assemblée territoriale participe activement aux dépenses “para-scolaires”. […] Elle participe également au financement de l’association qui gère la cantine des collèges et écoles à Futuna. Elle subventionne à Wallis l’entreprise de transport scolaire et à Futuna l’association qui s’en charge, afin d’assurer la gratuité de ce service. »

Du fait de l’organisation spécifique du territoire, précédemment décrite, les services de l’État sont placés sous l’autorité du préfet, administrateur supérieur du territoire. Il a directement autorité sur les services de l’éducation nationale, lesquels sont dirigés par un « vice-recteur », nommé par arrêté conjoint des ministres chargés de l’éducation nationale et des outre-mer. Le poste est occupé depuis juillet 2022 par Mme Régine Vigier.

À la dernière rentrée scolaire, la situation des écoles wallisiennes était la suivante : il y avait 10 établissements – 7 à Wallis et 3 à Futuna –, accueillant 1 406 élèves, dont 461 en maternelle et 933 en élémentaire. L’école de Malaetoli héberge également un internat. Actuellement, 138 enseignants sont en poste à la DEC.

Carte des écoles des îles Wallis et Futuna en 2025

Source : vice-rectorat de Wallis-et-Futuna.

Pour mémoire, les établissements du second degré, tous publics, comptent six collèges – quatre à Wallis et deux à Futuna – et un lycée polyvalent, situé à Wallis. Le premier collège de l’archipel fut ouvert en 1974 à Lano. L’ensemble scolarise environ 1 300 élèves et emploie 181 enseignants. En l’absence de collectivité territoriale de rattachement, les structures du second degré sont des établissements publics nationaux d’enseignement (EPNE). Il n’existe pas de structure d’enseignement supérieur ([16]).

  1.   Une situation juridique complexe, source d’ambiguïtés…

Lors de leur audition, le préfet, administrateur supérieur du territoire, et la vice-rectrice de Wallis-et-Futuna ont insisté sur le fait qu’à leurs yeux les enseignants étaient des salariés de droit privé employés par la direction de l’enseignement catholique. C’est effectivement ce qui ressort de l’article 20 de la convention, lequel dispose : « Les maîtres de l’enseignement du premier degré sont des agents de droit privé employés par la Direction de l’enseignement catholique. Leur sont, à ce titre, applicables les dispositions de droit commun relevant du droit du travail en vigueur dans le territoire des îles Wallis et Futuna » – sous réserve des aménagements prévus par l’annexe II de la convention.

Force est toutefois de constater que la réalité est plus complexe et que les pratiques qui se sont mises en place au fil du temps contribuent à rendre la situation des personnels enseignants du premier degré pour le moins équivoque.

Ainsi, c’est le vice-rectorat qui recrute les élèves maîtres du premier degré par un concours qu’il organise, même s’ils sont ensuite formellement employés par la DEC. L’État prend en charge la formation de trois ans qui leur est dispensée par l’institut de formation des maîtres de Nouvelle-Calédonie (IFMNC) dans le cadre du diplôme universitaire (DU) « enseigner dans le premier degré ».

Lorsqu’ils sont recrutés en qualité d’instituteurs, ils reçoivent une décision portant agrément, signée du préfet, faisant mention de « l’avis favorable formulé conjointement par le directeur de l’enseignement catholique et le vice-recteur », et indiquant à l’intéressé qu’il est « employé par la direction de l’enseignement catholique » et « pris en charge financièrement par le budget de l’éducation nationale ». C’est ce document qui vaut acte d’engagement. Dans ses réponses écrites au rapporteur, le vice-rectorat a confirmé cet état de fait : « La DEC ne délivre pas de contrat de travail aux maîtres du premier degré. »

De la même manière, pour « raccourcir le circuit financier », selon les mots de la vice-rectrice, c’est le vice-rectorat qui rémunère directement les enseignants du premier degré et leur délivre un bulletin de paye.

C’est le vice-rectorat, encore, qui gère les carrières (avancements d’échelon et de classe), sur la base de tableaux figurant à l’annexe II.I à la convention de concession.

Au moment de leur départ à la retraite, les instituteurs se voient adresser une décision émanant du service des ressources humaines du vice-rectorat, signée par le vice-recteur, indiquant qu’il est mis fin à leurs fonctions.

Dans ces conditions, il est compréhensible qu’aux yeux de nombreux enseignants, leur véritable employeur soit le vice-rectorat et non la DEC.

Plus généralement, les fondements juridiques du montage actuel apparaissent extrêmement fragiles. Comme l’indiquaient les inspecteurs généraux dans leur rapport de 2024, « la légalité de la convention est régulièrement remise en cause par les acteurs du territoire ». Si le régime de concession a longtemps constitué un moyen de préserver l’équilibre des pouvoirs entre les composantes de l’identité locale – les institutions républicaines, les chefferies coutumières et l’église catholique –, son « obsolescence est devenue manifeste ».

Les auditions ont mis en évidence le fait que la DEC répugne à assumer pleinement sa fonction d’employeur, avec les obligations attachées à ce statut. Le rapporteur a ainsi appris que, dans le cadre de procédures judiciaires opposant la DEC à plusieurs de ses employés en 2022, celle-ci avait argué, dans ses mémoires en défense, de l’absence de lien de subordination entre elle-même et les enseignants, et avait expliqué se trouver en situation de « compétence liée » à l’égard du vice-rectorat. La DEC avait par ailleurs souligné qu’elle était dépourvue de la personnalité juridique, seule l’association dénommée « conseil d’administration de la mission catholique des îles de Wallis et Futuna » en étant dotée. Le tribunal du travail de Mata’Utu a retenu cet argument, ce qui l’a conduit à débouter les requérants sans examiner le fond de leurs demandes.

Les représentants de l’Assemblée territoriale entendus par le rapporteur, tout en réaffirmant leur attachement envers la mission catholique et leurs bonnes relations avec elle, ont reconnu un certain « laisser-aller » dans la gestion des ressources humaines par la DEC. Il faut dire que la multiplication des conflits entre la DEC et ses employés au fil du temps a rompu la confiance et rendu la situation actuelle intenable.

  1.   … et de conflits sociaux à répétition, qui ont culminé avec le mouvement de 2023

La situation juridique à la fois incertaine et dérogatoire qui prévaut dans l’archipel s’agissant de l’enseignement primaire alimente l’insatisfaction des personnels enseignants, et en retour les concessions faites au fil du temps par l’État et la DEC – notamment dans l’annexe II de la convention – ont affaibli encore plus la sécurité juridique de l’ensemble, en raison de l’articulation incertaine entre cette annexe et le droit du travail applicable à Wallis-et-Futuna.

Les premières conventions de concession ne prévoyaient aucun statut pour les enseignants. Ces derniers ont dû lutter pied à pied pour arracher certains droits acquis depuis bien longtemps aux instituteurs de métropole, voire à l’ensemble des salariés métropolitains. Les évolutions du régime de concession sont le résultat direct des conflits successifs. Depuis le milieu des années 1980, une série de conflits a ainsi jalonné l’histoire de l’enseignement primaire à Wallis-et-Futuna – en 1987, 1990, 1994, 1997, 1999, 2016, 2018, 2019 et 2023 –, avec pour points communs la revendication de plus de justice et l’aspiration à l’égalité de traitement.

Le premier mouvement social, en 1987, était d’ordre presque symbolique, puisqu’il ne dura qu’une journée. Il s’agissait, pour les femmes institutrices, d’obtenir le droit au congé de maternité, dont bénéficiaient les femmes de métropole depuis le début du siècle.

Certaines des grèves suivantes furent beaucoup plus longues, à l’image de celle de 1999 : les enseignants wallisiens se battirent alors pendant 46 jours pour une hausse de leurs rémunérations et la création d’un cadre d’emploi pour les personnels administratifs, techniques, ouvriers et agents de service. Jusqu’à cette date, en effet, l’entretien et le nettoyage des locaux, par exemple, incombaient aux enseignants eux-mêmes, aidés par les élèves.

Le dernier conflit en date, qui eut lieu en 2023, est directement à l’origine du projet de loi dont le Parlement est saisi. Parmi les revendications de Force ouvrière enseignement (FOE), seule organisation représentative, figurait une évolution du statut des enseignants, position défendue de longue date par l’organisation. À ce stade, celle-ci demandait le passage des enseignants sous statut de contractuels de la fonction publique de l’État.

  1.   Une évolution du statut des maîtres qui doit intervenir dans le respect de toutes les parties, au bénéfice d’une amélioration du niveau scolaire des élèves
    1.   La mission d’inspection de 2023 et ses recommandations

Le protocole d’accord de fin de conflit, signé le 20 juillet 2023, a donné satisfaction à la demande des enseignants, tout en prévoyant l’organisation d’une mission d’inspection dont l’objet serait d’analyser précisément la situation juridique et d’élaborer des scénarios permettant d’atteindre l’objectif, à savoir intégrer l’enseignement du premier degré dans le droit commun de la fonction publique.

Les inspecteurs généraux, à l’issue d’un travail extrêmement rigoureux, ont effectivement dessiné plusieurs pistes d’évolution. Parmi les 13 recommandations de la mission figurait la fin du régime de concession « pour créer un service public de l’enseignement primaire ». La mission concluait, pour ce faire, à la nécessité d’intégrer les personnels enseignants dans les services de l’État, et détaillait à ce stade trois scénarios : une intégration en qualité d’agents contractuels de l’État, une intégration directe dans le corps des professeurs des écoles et une intégration dans deux corps distincts – un corps des instituteurs de Wallis-et-Futuna, qu’il aurait fallu créer de toutes pièces sur le modèle de celui existant en Nouvelle-Calédonie, et le corps national des professeurs des écoles, qui aurait été déployé parallèlement dans l’archipel.

La mission s’était prononcée en faveur de ce dernier scénario, avant de modifier son point de vue à la faveur de la restitution de ses conclusions dans l’archipel, qui a donné lieu à de nouveaux échanges. Ce nouveau déplacement a donné lieu à un « complément d’expertise » daté du 11 juin 2024, qui n’a pas été rendu public, dans lequel elle se prononçait en faveur d’une solution plus simple et de nature à garantir l’égalité entre les maîtres d’école de Wallis-et-Futuna et leurs collègues de métropole, à savoir l’intégration pure et simple dans le corps national des professeurs des écoles.

L’un des éléments ayant motivé ce changement de position est le projet du gouvernement de l’époque – repris par le gouvernement actuel – de recruter les professeurs des écoles à bac +3, soit au niveau licence, et non plus à bac +5, soit au niveau du master 2. En effet, cette nouvelle durée d’études requise pour devenir enseignant coïncide avec la durée de la formation dispensée aux élèves maîtres de Wallis-et-Futuna. En outre, cette option correspondait à l’aspiration profonde de ces enseignants à l’égalité de traitement. Il y va de leur dignité.

C’est précisément l’option qui a été retenue par le Gouvernement et qui fonde le présent projet de loi.

  1.   Au-delà du statut des enseignants, l’enjeu d’une amélioration des résultats scolaires des élèves

La vice-rectrice a insisté, lors de son audition, sur l’idée selon laquelle la pleine intégration des enseignants dans les services de l’État ne devait pas être conçue comme une fin en soi, mais comme un instrument au service d’une amélioration des performances scolaires des élèves du territoire.

En effet, plusieurs problèmes structurels apparaissent à cet égard. D’abord, pour 90 % des élèves, le wallisien-futunien est la langue maternelle. Même si de très nombreux parents apprennent aussi le français à leurs enfants à la maison, il y a là un obstacle à une acquisition rapide des savoirs fondamentaux en français à l’école.

En outre, comme l’ont souligné les inspecteurs généraux dans leurs réponses au rapporteur, bien que l’obligation de scolarisation dès trois ans soit rappelée dans les directives ministérielles, elle n’est pas acquise sur le territoire. Seulement les deux tiers des enfants sont admis à l’école maternelle dès cet âge. La direction de l’enseignement catholique a en effet défini une règle singulière d’inscription : à la rentrée de février 2023, les enfants scolarisés en petite section étaient ceux nés entre le 1er août 2019 et le 31 juillet 2020. Près d’un tiers des élèves sont scolarisés avec retard en petite section. Ce retard se retrouve ensuite à l’entrée en classe préparatoire (CP) puis en sixième et en seconde.

Ensuite, le niveau de maîtrise des savoirs fondamentaux apparaît nettement plus faible qu’au niveau national : en français, 40 % des élèves ont une maîtrise insuffisante ou fragile, contre 11 % au niveau national ; en mathématiques, 65 % des élèves de Wallis-et-Futuna sont dans cette situation, contre 28 % au niveau national. Les résultats des élèves apparaissent également moins favorables à Wallis-et-Futuna qu’en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Les taux cumulés de maîtrise satisfaisante et très satisfaisante en mathématiques se situent à 45 % en Polynésie française, à 42 % en Nouvelle-Calédonie et à 36 % à Wallis-et-Futuna. En français, ces taux sont respectivement de 69 % en Polynésie française, de 76 % en Nouvelle-Calédonie et de 61 % à Wallis et Futuna ([17]).

L’un des éléments d’explication tient à la formation des enseignants. À cet égard, l’un des reproches principaux adressés à la DEC est l’absence de pilotage pédagogique des enseignants et la faiblesse des démarches de formation continue qui leur sont destinées. La reprise en main par le vice-rectorat doit permettre le déploiement de certains dispositifs élaborés par l’État, à l’image du « plan français » et du « plan mathématiques », qui commencent à donner des résultats en métropole.

Par ailleurs, la responsabilité renforcée de l’État sur le premier degré doit permettre d’améliorer la qualité d’ensemble du parcours des élèves en tissant des liens entre le premier et le second degré. Pour l’heure, le passage dans le secondaire marque une césure importante dans la vie des élèves en raison de la différence de culture entre la DEC et l’État. Un rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale de 2013 constatait ainsi « la rupture entre le premier et le second degré, qui restent deux mondes différents malgré la bonne volonté des acteurs rencontrés : il y a à inventer, à construire de nouvelles modalités de coopération entre deux ordres d’enseignement et deux institutions que tout sépare » ([18]).

Toutefois, le rapporteur tient à souligner que le changement de statut du personnel enseignant ne suffira pas à lui seul à améliorer subitement les résultats des élèves. Durant son audition, le directeur de l’enseignement catholique a insisté sur le fait que, malgré des demandes réitérées de sa part, seuls deux projets d’établissement lui avaient été envoyés par les directeurs d’école. Le vice-rectorat devra résoudre des problèmes tels que celui-ci s’il entend modifier en profondeur le pilotage du système.

  1.   La réussite de la réforme suppose de respecter l’ensemble des parties prenantes

En dépit des défaillances de la DEC, le rapporteur tient à rendre hommage au travail qu’elle a effectué depuis 1969, dans le cadre d’une mission incombant à l’État. Celui-ci porte une grande part de responsabilité dans les difficultés rencontrées par l’enseignement primaire. De nombreux Wallisiens continuent à éprouver une grande reconnaissance à l’égard de la mission catholique, qui est étroitement liée à l’histoire de l’archipel et à sa culture.

L’évolution qui s’amorce doit donc être opérée dans le respect de chacun, y compris celui de la mission catholique. Durant les auditions, il est apparu que la DEC se sentait peu considérée par le vice-rectorat, alors même qu’elle est toujours responsable de l’enseignement primaire. Le rapporteur souligne que l’État et la mission catholique sont condamnés à s’entendre en raison des spécificités du territoire, en particulier celle qui touche à la propriété des terrains et des écoles qui y sont installées : sept écoles sont construites sur le domaine de la mission, et les trois dernières sur le domaine public communautaire, selon le droit coutumier qui définit l’usage foncier. Comme le soulignait en 2012 un rapport commun du secrétariat général à l’enseignement catholique et de l’inspection générale de l’éducation nationale, « il n’y a pas de propriété claire des terrains et pas de cadastre » à Wallis-et-Futuna. L’État continuera donc à dépendre largement de la mission pour l’utilisation des écoles. Du reste, le vice-rectorat lui-même a souligné, dans ses réponses écrites : « Il est prévu, en accord avec la mission catholique, que les écoles et les terrains sur lesquelles elles sont bâties seront mis sans contrepartie à la disposition du vice-rectorat afin d’y poursuivre la mission d’enseignement. Une convention de coopération liant l’évêché au vice-rectorat formalisera cette mise à disposition. » Le vicaire général a confirmé au rapporteur sa disponibilité pour établir une convention en ce sens avec l’État, en soulignant qu’il était important, à ses yeux, de maintenir une bonne entente entre les deux parties, dans l’intérêt des élèves.

Cela paraît d’autant plus important qu’il paraît peu probable qu’un basculement subit soit opéré au lendemain de l’expiration de la convention de concession. L’hypothèse la plus probable, selon le rapporteur, étant donné le retard pris, est que soit organisée une période de transition de quelques semaines ou de quelques mois rendant nécessaire la signature d’un avenant à la convention actuelle.

  1.   Les dispositions du projet de loi dans sa version initiale
    1.   La nécessité de recourir à des mesures législatives

La mission de l’IGA et de l’IGESR avait conclu à la nécessité de prendre une mesure d’ordre législatif pour intégrer les maîtres d’école dans le corps des professeurs des écoles : « le code de la fonction publique fixe, dans son article L. 320-1, le principe selon lequel “les fonctionnaires sont recrutés par concours, sauf dérogation prévue par [le livre III du code de la fonction publique]”. Dans la mesure où aucune voie dérogatoire au concours n’est actuellement prévue par ce code pour le cas spécifique envisagé ici (intégration dans la fonction publique à l’occasion d’une reprise en régie d’un service public administratif), la loi devrait en “fixer les règles”, conformément à l’article 34 de la Constitution. Les dispositions législatives devraient prévoir le renvoi à un décret pour en préciser les modalités d’application. »

Le Gouvernement a suivi cette analyse jusque dans le renvoi à un décret. L’étude d’impact accompagnant le projet de loi justifie de la manière suivante la nécessité de passer par la loi pour opérer le transfert et organiser le droit d’option entre le régime de retraite de la fonction publique et celui de la caisse des prestations sociales de Wallis-et-Futuna : « Le cadre juridique de l’intervention proposée se justifie pleinement. En effet, la transformation statutaire envisagée touche à des domaines relevant de la loi au sens de l’article 34 de la Constitution (garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État, régimes de protection sociale, etc.), ce qui nécessite l’adoption de dispositions législatives spécifiques. » L’étude d’impact expose également que « le cadre juridique fixé par le code général de la fonction publique ne s’avère pas adapté à la situation des enseignants » concernés. « Les compétences acquises au titre du parcours de formation après sélection, la détention de compétences spécifiques répondant aux particularités du territoire et la nécessaire continuité du service d’enseignement du premier degré justifient qu’il soit dérogé aux dispositions législatives de droit commun régissant l’entrée dans la fonction publique de l’État, telles que prévues par le code général de la fonction publique. » Enfin, « les mesures envisagées concernant les modalités d’accès à la fonction à la fonction publique de l’État, et dérogeant notamment au principe de recrutement par concours pour l’accès à un corps de catégorie A de la fonction publique de l’État tel que défini par le législateur », une mesure législative s’avère nécessaire.

Le Conseil d’État, sollicité, comme il se doit, sur le projet d’habilitation, a confirmé la nécessité de légiférer ([19]).

  1.   Le choix d’une ordonnance est justifié par les délais très contraints

Plutôt qu’un projet de loi ordinaire, le Gouvernement a choisi de présenter un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnance, dans le cadre de la procédure prévue à l’article 38 de la Constitution.

Selon l’étude d’impact produite par le Gouvernement, « la procédure, adaptée à la complexité du chantier, permettra d’accélérer la mise en œuvre de la réforme ». En réalité, le projet d’ordonnance, dont le rapporteur a pu prendre connaissance, n’étaye pas vraiment l’argument de la « complexité » de la mesure. Pour sa part, le rapporteur retient surtout la nécessité d’adopter dans les meilleurs délais une première base juridique, en attendant la ratification par le Parlement, compte tenu des délais extrêmement contraints.

  1.   Le cadre de l’habilitation

Dans son avis sur le projet de loi, déjà cité, le Conseil d’État estime que « le domaine dans lequel l’ordonnance pourra intervenir » est défini « avec une précision suffisante ».

De fait, l’objet de l’habilitation est clairement délimité. Il est double : la définition, d’une part, des modalités d’intégration du personnel enseignant « dans les corps de la fonction publique de l’État » – en l’occurrence, il s’agira du corps des professeurs des écoles – et, d’autre part, de celles selon lesquelles ces agents pourront opter en faveur du maintien de leur affiliation, pour leur retraite, au régime de la caisse des prestations sociales des îles Wallis et Futuna (CPSWF), ou être affiliés au régime des agents de la fonction publique.

En ce qui concerne le second aspect, l’enjeu est important car il s’agit de créer pour les agents concernés une transition entre deux systèmes fondamentalement différents en s’assurant que les droits acquis au titre de leur carrière au sein de la DEC seront préservés. En effet, les maîtres d’école de Wallis-et-Futuna, en vertu du droit local, peuvent bénéficier d’une retraite à taux plein dès lors qu’ils ont cotisé pendant 35 ans, l’âge de départ légal étant en outre fixé à 60 ans. Pour bénéficier de ce régime de retraite, les salariés doivent avoir cotisé pendant 15 années au minimum. La liquidation de la pension peut intervenir dès l’âge de 57 ans, avec un taux de remplacement égal à 65 % de la rémunération moyenne des 15 meilleures années de la carrière. Toutefois, une délibération du conseil d’administration de la CPSWF du 26 octobre 2023 a prévu de rendre progressivement ces conditions moins favorables : à l’horizon de 2027, le taux de remplacement de 65 % ne pourra être atteint qu’à la condition d’avoir cotisé 37 annuités. La délibération prévoit également le décalage à 59 ans de l’âge de départ minimum et à 62 ans celui de l’âge de départ légal. Ces conditions n’en restent pas moins avantageuses par rapport à celles proposées aux fonctionnaires de l’État.

Le principe du droit d’option posé dans cet article faisait partie des préconisations formulées par la mission des inspecteurs généraux. Le rapporteur se félicite qu’elle ait été retenue par le Gouvernement.

Compte tenu du fait que le projet de loi ne permet au Parlement de se prononcer que sur le principe des mesures énoncées, par nature des incertitudes demeurent. Toutefois, les informations communiquées au rapporteur font apparaître certaines inquiétudes quant au contenu du texte.

  1.   Certaines inquiétudes se font sentir dans l’attente de la publication du projet d’ordonnance et des actes réglementaires
    1.   La possible exclusion de certains enseignants : une violence symbolique inacceptable

Selon les informations dont dispose le rapporteur, le texte du projet d’ordonnance ne tient pas l’ensemble des promesses contenues dans le projet de loi d’habilitation. Alors que la formulation de celui-ci est claire et comporte une mesure de portée générale pour les enseignants, l’ordonnance pourrait soumettre le transfert des personnels enseignants à une condition de diplôme, en l’occurrence la détention du baccalauréat ou d’un autre titre ou diplôme classé au moins au niveau 4 du répertoire national des certifications professionnelles.

Du fait de cette condition, une petite dizaine d’enseignants se verrait exclue du dispositif. Compte tenu de la fin de la concession, le DEC sera obligée de les licencier. Les services du ministère se sont engagés à ne pas laisser totalement sur le bord du chemin les personnes concernées : la solution envisagée serait de les engager en tant que contractuels de la fonction publique d’État, ce qui leur garantirait une rémunération équivalente à celle de leurs collègues. Cet enjeu n’est pas négligeable, il est vrai, car, grâce à ce statut, ils bénéficieraient, comme leurs collègues, du coefficient multiplicateur instauré par le décret n° 67-600 du 23 juillet 1967, qui est fixé, pour les îles Wallis et Futuna, à 2,05 – contre 1,7 actuellement pour les enseignants employés par la DEC ([20]). Par ailleurs, le vice-rectorat fait observer que le problème lié à la condition de diplôme ne concerne que des personnes âgées de plus de 55 ans admissibles à la retraite au plus tard dans les deux années à venir.

Même si la solution proposée constituerait un moindre mal pour les intéressés, le rapporteur appelle à ne pas sous-estimer la portée symbolique d’une telle exclusion. Cette décision serait extrêmement mal perçue par l’ensemble des enseignants. Lors de leur audition, les représentants du syndicat FOE ont souligné l’injustice insupportable qui serait ainsi faite à ces « anciens » qui ont participé à toutes les luttes depuis les années 1990 et se verraient refuser la reconnaissance de l’État pour les services rendus. Les inspecteurs généraux auteurs du rapport de 2024 ont, eux aussi, plaidé vigoureusement en faveur de l’intégration de ces quelques personnes : « Une telle mesure a de fortes chances d’être ressentie durement non seulement par les agents concernés mais aussi par leurs collègues. Le respect des plus anciens est une valeur forte au sein de la population wallisienne et futunienne et il ne serait pas compris que les plus anciens aient un traitement moins favorable que les plus jeunes. » Les inspecteurs ont appelé à mettre en place une procédure de validation des acquis de l’expérience (VAE) pour ces enseignants. Compte tenu de leur expérience, il ne fait pas de doute qu’ils se verraient ainsi reconnaître le niveau baccalauréat. Le rapporteur soutient cette proposition.

  1.   La question des modalités de reclassement dans le corps des professeurs des écoles

L’intégration des maîtres d’école dans le corps des professeurs des écoles suppose la publication d’un décret en Conseil d’État précisant les modalités de leur reclassement en tenant compte de leur ancienneté dans leurs précédentes fonctions. Compte tenu de la différence entre la grille des rémunérations de la DEC et celle du corps des professeurs des écoles, un reclassement à grade et échelon correspondants se traduirait par un gain mensuel très important. Les inspecteurs généraux, dans leur rapport, indiquent qu’il serait opportun d’éviter que l’écart de rémunération entre les enseignants du primaire de Wallis-et-Futuna et ceux de Nouvelle-Calédonie, qui existe déjà, ne s’accroisse dans des proportions trop importantes. Le rapporteur se rallie à cette analyse, tout en appelant le Gouvernement à veiller à ce que les enseignants conservent l’ensemble des avantages acquis durant leur carrière antérieure.

Dans leur complément d’expertise, les inspecteurs généraux ont estimé que, selon les modalités de reclassement choisies, le coût du salaire des enseignants du premier degré à Wallis-et-Futuna passerait de 10,2 millions d’euros à 11,7 millions d’euros (estimation basse) ou 12,8 millions d’euros (estimation haute).

  1.   Les modalités du droit d’option prévues par l’ordonnance

Selon l’avant-projet d’ordonnance qui a été communiqué au rapporteur, le texte prévoit un délai de six mois à partir de leur intégration dans le corps des professeurs des écoles pendant lequel les enseignants du premier degré pourront choisir de rester affiliés, pour leur retraite, à la caisse des prestations sociales des îles Wallis et Futuna. Une fois effectué, ce choix serait irrévocable. En cas de renoncement à ce droit ou à défaut d’option, ils seront affiliés au régime spécial de retraite des fonctionnaires de l’État.

Pour les enseignants qui seront affiliés à la caisse de retraite de la fonction publique, les services effectués antérieurement seront pris en compte selon les règles applicables dans le régime de la caisse de prestations sociales des îles Wallis et Futuna au 1er juillet 2025.

Selon l’évaluation menée par les inspecteurs généraux, le surcoût pour l’État de l’intégration des enseignants du premier degré au corps des professeurs des écoles serait compris entre 1,5 million d’euros si tous les maîtres de plus de 50 ans optent pour le maintien à la CPSWF et 2,6 millions d’euros si aucun d’entre eux n’opte pour cette solution.

  1.   Le personnnel non enseignant, grand oublié du projet de loi d’habilitation

Le rapporteur constate avec regret que les personnels non enseignants ont été exclus du champ de l’habilitation, créant ainsi entre les différentes catégories de personnel une différence de traitement qui lui paraît inopportune.

Au total, 49 personnes sont concernées, dont certaines ont des quotités de travail très faibles. Ainsi, la DEC emploie 16 agents d’entretien à Wallis et 11 à Futuna dont le temps de travail hebdomadaire est inférieur ou égal à 7 heures. Les effectifs des services techniques, quant à eux, se répartissent comme suit : 7 employés à Wallis et 2 à Futuna ; pour le secrétariat : 2 postes à Wallis, 1 à Futuna. À cela s’ajoutent les 8 membres du personnel de l’internat de Malaetoli, ainsi qu’un responsable du service des finances et un aide comptable.

Il est vrai que le protocole de fin de conflit de 2023 ne prévoyait pas de mesure concernant ces personnels, mais leur sort est inextricablement lié à celui des enseignants : le transfert de ces derniers provoquera la fin de la convention, ce qui aura pour conséquence inévitable le licenciement de l’ensemble des personnels administratifs, techniciens, cuisiniers et agents d’entretien. La mission des inspecteurs généraux avait donc abordé la question de leur devenir, en concluant que la meilleure solution était de les intégrer dans les services du vice-rectorat. Les inspecteurs estimaient que, pour ce faire, une mesure législative était également nécessaire. Dans la mesure où les parlementaires n’ont pas la possibilité d’étendre par voie d’amendement le périmètre d’une habilitation, seul le Gouvernement pourrait pallier ce manque.

Il est toutefois peu probable que cela se produise car le Gouvernement a délibérément repoussé l’hypothèse, comme en témoigne l’étude d’impact, qui aborde la question pour la trancher dans le sens d’un recrutement de ces personnels en qualité d’agents contractuels : « Le recrutement des personnels non enseignants relevant jusqu’ici de la direction de l’enseignement catholique interviendra selon le régime propre aux agents contractuels de l’État à Wallis et Futuna déjà prévu par la loi, ce qui ne nécessite en conséquence aucune disposition législative. »

L’État, si longtemps défaillant en matière de gestion du premier degré, devrait assumer sa responsabilité en endossant la charge de l’ensemble des personnels employés par la DEC, quel que soit leur statut. Dans un souci d’équité, d’apaisement social et de reconnaissance des services rendus, le Gouvernement aurait dû emprunter la voie d’une intégration immédiate de ces personnels par la voie législative. Lors de leur audition, les inspecteurs généraux ont réaffirmé leur position sur ce point et considéré que l’État allait inévitablement au-devant de nouveaux conflits sociaux.

Il ressort des auditions que les personnes en question seraient recrutées dans un premier temps dans le cadre de contrats fondés sur l’arrêté n° 76 du 23 septembre 1976 portant statut des agents permanents de l’administration du territoire de Wallis et Futuna. Ce régime juridique obsolète, par ailleurs en voie d’extinction, est beaucoup moins avantageux pour les personnes employées. En particulier, il bénéficie d’un coefficient multiplicateur de 1,5, contre 2,05 pour les autres contractuels de l’État. Selon les déclarations de la vice-rectrice, des concours réservés seraient organisés de manière échelonnée dans le temps pour les intégrer dans la fonction publique de l’État. Même si ce scénario n’est pas celui que le rapporteur privilégiait, c’est un moindre mal. Le surcoût pour l’État lié à l’intégration dans la fonction publique du personnel non enseignant a été estimé par les inspecteurs généraux à 166 000 euros par an.

Enfin, il importe de mentionner la situation des quatre aumôniers actuellement rémunérés par l’État dans le cadre de la convention de concession. À l’issue d’une concertation avec les élus locaux, il a été décidé que leur rémunération serait prise en charge par l’Assemblée territoriale. Le vice-rectorat, en retour, engagerait le personnel exerçant en internat accueillant des élèves du second degré. Ces agents sont actuellement employés par la DEC et rémunérés à travers une subvention du territoire. Les internats seraient ainsi, comme les écoles, placés sous le pilotage du vice-rectorat, ce qui constitue une évolution positive.

Durant leur audition, le vicaire général du diocèse de Wallis-et-Futuna et le directeur de l’enseignement catholique ont rappelé leur attachement à la possibilité pour les aumôniers d’intervenir dans les établissements scolaires.

Il convient, à cet égard, de rappeler que, selon le régime actuel, les enseignants du primaire dispensent chaque semaine plusieurs heures de catéchèse, à raison de 30 minutes au début de chaque journée de classe. Cette organisation permet à ceux des parents qui ne souhaitent pas que leurs enfants reçoivent cet enseignement de faire en sorte que ces derniers n’arrivent en classe qu’après cette séquence. Pour l’heure, les cours de catéchisme entrent dans les 24 heures hebdomadaires d’enseignement. Dès lors qu’ils deviendront fonctionnaires de l’État, il ne sera plus possible pour les professeurs d’école de Wallis-et-Futuna d’enseigner le catéchisme dans le cadre de leur service d’enseignement. Toutefois, dans un souci de respect des coutumes locales, le vice-rectorat s’est engagé à ce que ceux des enseignants qui le souhaitent soient autorisés à dispenser la catéchèse en plus des 24 heures hebdomadaires, dans les locaux de l’école. Ces heures seraient décomptées de leurs 108 heures de service annuelles dues en plus des 24 heures hebdomadaires ([21]). Le rapporteur soutient cette mesure qui est de nature à adoucir la transition vers le nouveau régime statutaire.

Pour comprendre pleinement le contexte wallisien, il convient de rappeler, d’abord, que la loi du 9 décembre 1905 de séparation de l’Église et de l’État ne s’applique pas dans l’archipel. Outre le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, où le régime concordataire est toujours en vigueur, certains territoires d’outre-mer bénéficient d’un régime tenant compte des spécificités locales. C’est le cas de la Guyane et de Mayotte, mais aussi de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, qui sont encore régis par les décrets dits « Mandel » ([22]), qui ont, notamment, consacré le statut des missions religieuses.

Ensuite, s’agissant de Wallis-et-Futuna, l’article 3 de la loi n° 61-814 du 29 juillet 1961 précitée, qui continue à organiser les relations entre la collectivité et la métropole, dispose : « La République garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu'elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit ». Comme le rapporteur l’a déjà souligné, la religion reste profondément ancrée dans la vie quotidienne et dans la tradition des Wallisiens et des Futuniens.

Les services du ministère, sollicités sur ce point, ont étudié la possibilité d’organiser un service d’aumônerie en dehors des heures de classe mais à l’intérieur des écoles primaires du territoire. Selon eux, sur le plan juridique, rien ne s’y oppose. Outre l’article 3 susmentionné, auxquels ils se sont référés explicitement, l’article L. 165-1 du code de l’éducation écarte toute ambiguïté. Cet article rend en effet applicable à Wallis-et-Futuna le premier alinéa de l’article L. 141-3 du même code dans la rédaction suivante : « Dans les écoles maternelles et élémentaires participant au service public de l'éducation, l'enseignement est donné dans le respect de la liberté de conscience. L'organisation de la semaine scolaire ne doit pas faire obstacle à la possibilité pour les parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants l'instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires et en dehors des heures de classe. » Ces dispositions ont conduit le ministère à écarter l’idée d’inclure dans l’habilitation une mesure destinée à sécuriser davantage l’organisation de la catéchèse en dehors du temps scolaire.

S’agissant du respect de la culture locale, le rapporteur tient à souligner l’importance de préserver la place des Wallisiens et des Futuniens dans le personnel enseignant. À cet égard, les modalités envisagées par le vice-rectorat pour les recrutements futurs lui paraissent positifs : compte tenu du fait que les jeunes enfants, lors de leur entrée à l’école, maîtrisent surtout les langues vernaculaires, les candidats aux fonctions de professeur des écoles devront maîtriser celles-ci.

  1.   Les travaux du Sénat
    1.   En commission

La commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport du Sénat a examiné le projet de loi lors de sa réunion du mercredi 14 mai 2025.

Le principe du transfert du personnel enseignant du premier degré à l’État a été approuvé par les représentants de l’ensemble des groupes politiques.

Par ailleurs, les sénateurs ont exprimé le souhait qu’aucun des enseignants exerçant actuellement à Wallis-et-Futuna ne soit laissé de côté au moment de l’intégration de la fonction publique en raison d’un niveau de diplôme insuffisant. Sur l’initiative de la rapporteure, Mme Éveline Corbière Naminzo, sénatrice de La Réunion appartenant au groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste – Kanaky, la commission a ainsi adopté un amendement ayant pour objet de compléter le premier alinéa de l’article 1er par les mots : « quel que soit leur niveau de diplôme ». La disposition se lit donc désormais de la manière suivante : le Gouvernement est habilité à prendre toute mesure du domaine de la loi permettant d’intégrer dans la fonction publique les personnels enseignants du premier degré exerçant à Wallis-et-Futuna, et ce quel que soit leur niveau de diplôme.

Cette disposition a été présentée par son autrice, à juste titre, comme une manière de « préciser le périmètre d’habilitation » et non de l’étendre – ce qui, du reste, n’aurait pas été possible – en arguant du fait que « tant l’exposé des motifs que l’étude d’impact évoquent l’ensemble des enseignants du premier degré, sans distinction d’ancienneté ou de diplôme ».

Le texte, ainsi modifié, a été adopté à l’unanimité par la commission, ce qui montre que la Haute Assemblée a pleinement mesuré son importance.

Il convient par ailleurs de noter qu’un autre amendement avait été déposé par M. Mikaele Kulimoetoke, sénateur de Wallis-et-Futuna. Il visait à :

– étendre le champ de l’habilitation au personnel non enseignant ;

– préciser que l’ensemble des personnes concernées conserveraient leurs « droits spécifiques acquis au titre de leurs fonctions à Wallis-et-Futuna », lesquels sont liés aux particularités de l’exercice dans ce territoire, notamment le régime d’indexation applicable localement en cas d’évacuation sanitaire ou de congé d’accompagnement hors du territoire ;

– prévoir la création d’une circonscription d’enseignement du premier degré propre au territoire de Wallis-et-Futuna, disposition qui permettrait une gestion administrative adaptée aux spécificités institutionnelles et géographiques du territoire.

Compte tenu du fait que ces dispositions visaient à étendre le champ de l’habilitation, en méconnaissance des règles établies par la Constitution, l’amendement a été déclaré irrecevable. Il n’en demeure pas moins que le Gouvernement devra veiller à ce que le transfert des personnes enseignant se fasse dans le respect de leurs droits acquis. De même, comme le rapporteur l’a souligné précédemment, la situation des personnels non enseignants doit être réglée de toute urgence, et d’une manière qui préserve leurs droits et leur dignité. Enfin, le rapporteur considère que l’idée consistant à créer une circonscription scolaire pour les îles Wallis et Futuna constitue une piste intéressante qui mériterait d’être explorée par le vice-rectorat. En effet, cette modalité d’organisation rapprocherait encore plus l’enseignement primaire dispensé à Wallis-et-Futuna de celui de la métropole, où les circonscriptions du premier degré constituent un outil de pilotage pédagogique de proximité efficace.

  1.   En séance

Lors de la discussion en séance publique au Sénat, intervenue le lundi 19 mai 2025, le projet de loi a de nouveau recueilli l’unanimité. Il a été adopté dans des termes identiques à ceux du texte issu de l’examen au sein de la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport. La ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, s’est ralliée à la position de la rapporteure concernant l’intégration à la fonction publique d’État de l’ensemble des enseignants du premier degré, quel que soit leur niveau de diplôme.

  1.   la position du rapporteur

Compte tenu du faible nombre d’occasions pour le législateur de se pencher de manière approfondie sur la situation des îles Wallis et Futuna, le rapporteur réitère ses regrets que le Gouvernement ait opté pour un projet de loi d’habilitation.

Il tient également à rappeler que la consultation de l’Assemblée territoriale, obligatoire pour un texte de cette nature, n’a pas encore été engagée, faute d’un texte achevé. Néanmoins, il paraît probable que l’Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna approuvera le contenu du projet d’ordonnance, pour peu que celui-ci soit fidèle au protocole d’accord de 2023, dont son président et le président de la commission de l’enseignement étaient signataires.

Le rapporteur tient à marquer son regret que certaines conclusions importantes de la mission d’inspection de 2023, en particulier en ce qui concerne les personnels non enseignants, n’aient pas été suivies par le Gouvernement. Durant leur audition, les inspecteurs ont exprimé de nouveaux leurs craintes dans les termes suivants : « Si cette situation n’était pas réglée à l’occasion du projet de loi d’habilitation (en élargissant le périmètre de l’habilitation), ce serait une occasion manquée, avec un risque de futures grèves et de nouveaux conflits. Autant les éviter en apportant des réponses durables aux enjeux du transfert des personnels enseignants du primaire de Wallis et Futuna. »

En dépit de ces observations, le rapporteur est favorable à l’adoption de l’article 1er.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission a adopté l’article 1er sans modification.

*

*     *


Adopté par la commission sans modification

L’article 2 précise que le Gouvernement déposera dans un délai de six mois à compter de la publication de l’ordonnance prise en application de l’article 1er du projet de loi.

L’article 38 de la Constitution dispose que les ordonnances prises sur le fondement d’une loi d’habilitation « entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation ». L’objet de l’article 2 est précisément de déterminer le délai dans lequel le Gouvernement devra déposer le projet de loi d’habilitation. En l’occurrence, il a prévu d’effectuer cette démarche dans les six mois suivant la publication de l’ordonnance.

Tout en rappelant que l’adoption d’une loi ordinaire aurait permis à la fois de débattre du fond du dispositif et d’éviter un nouveau passage devant le Gouvernement pour la ratification de l’ordonnance, le rapporteur estime que le délai envisagé est raisonnable. Il insiste sur la nécessité d’établir aussi rapidement que possible un cadre juridique clair et stable pour les enseignants de Wallis-et-Futuna qui permettra d’améliorer l’enseignement dispensé aux élèves. Il rappelle également que la rédaction du projet d’ordonnance est quasiment achevée. Par ailleurs, compte tenu du fait que l’ordre du jour parlementaire est traditionnellement chargé à partir du dépôt des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, il souhaite que le Gouvernement dépose le projet de loi de ratification dès la rentrée de septembre. Sous réserve de ces observations, le rapporteur a appelé la commission à adopter sans modification l’article 2.

Le Sénat a adopté cet article sans modification.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission des affaires culturelles et de l’éducation a fait de même.


Au cours de sa réunion du mercredi 21 mai 2025, la commission procède à l’examen du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif au transfert à l’État des personnels enseignants de l’enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna (n° 1440) (M. Mikaele Seo, rapporteur) ([23]).

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous examinons ce court projet de loi dans des délais très contraints : il a été examiné lundi 19 mai en séance publique au Sénat et le sera en séance publique à l’Assemblée nationale lundi prochain.

Si le problème est ancien et si la décision d’y remédier date de 2023, le travail d’élaboration du projet de loi d’habilitation et de l’ordonnance a, semble-t-il, été complexe et long. Or la convention de concession entre l’État et la mission catholique de Wallis-et-Futuna expire le 5 juin.

M. Mikaele Seo, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir dans votre commission, où vous menez des travaux importants et utiles, notamment sur la protection des enfants en milieu scolaire. C’est un grand honneur pour moi de venir vous entretenir de Wallis-et-Futuna, collectivité d’outre-mer (COM) que j’ai le privilège de représenter au sein de l’Assemblée nationale.

Adhésion profonde à la France et attachement à leur culture et à leurs coutumes : voilà comment je qualifierai le sentiment des Wallisiens et des Futuniens à l’égard de la République. C’est tout l’enjeu du projet de loi d’habilitation que nous sommes appelés à examiner.

Ce texte vise à autoriser le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures de nature législative permettant d’intégrer dans la fonction publique d’État les enseignants du premier degré exerçant dans les îles Wallis et Futuna. Le texte a été déposé au Sénat le 22 avril. Nos collègues sénateurs l’ont adopté en commission la semaine dernière, puis en séance publique avant-hier à dix-sept heures. Il est attendu de nous que nous le votions conforme en séance publique lundi prochain.

Comme toujours, c’est avec circonspection que le Parlement voit arriver du gouvernement un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnance. Je ne voudrais pas que votre perception du texte et de ses enjeux pâtisse de la précipitation dans laquelle nous sommes contraints de l’examiner ni de la procédure de l’ordonnance choisie par l’exécutif.

Oui, du temps a été perdu. Le projet de transfert à l’État du personnel enseignant du premier degré exerçant à Wallis-et-Futuna découle d’un protocole de fin de conflit signé le 20 juillet 2023. Or la convention de concession liant l’État à la mission catholique expire le 5 juin. La complexité du dossier n’explique pas à elle seule le retard qui a été pris.

Toutefois, il convient de rappeler qu’une mission d’inspection devait être diligentée pour dresser un état des lieux et formuler des propositions et qu’un travail interministériel a été nécessaire. Ajoutons que l’enchaînement des événements politiques depuis la dissolution du printemps 2024 n’a pas facilité l’émergence d’une décision ministérielle sur ce dossier, en dépit de mon insistance auprès des ministres de l’éducation successifs. La ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mme Élisabeth Borne, a repris le dossier et a dû le faire aboutir dans des délais très serrés. Je tiens à la remercier de son écoute attentive.

Sur le fond, l’enjeu est d’une grande simplicité. Il s’agit d’une mesure d’égalité et de justice. L’archipel a fait le choix de l’intégration dans la République en 1959, à l’issue d’un référendum dont le résultat était sans appel – 94 % des habitants s’y étaient déclarés favorables. Dans le cadre de la loi du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer, qui régit toujours leur relation avec la métropole, il est clairement indiqué que l’enseignement est une compétence de l’État.

En pratique, l’enseignement secondaire est assuré par l’État dans un cadre très proche de celui de l’enseignement secondaire public en métropole, mais il n’en va pas de même de l’enseignement primaire. La situation s’explique avant tout par l’histoire. Depuis l’arrivée dans l’archipel des pères maristes en 1837, les écoles se sont développées sous l’impulsion de l’Église. Ce sont les missionnaires, souvent aidés par les parents d’élèves, qui ont construit les écoles sur des terrains donnés à la mission catholique par les autorités coutumières.

S’agissant de l’enseignement primaire, la loi du 29 juillet 1961 n’a rien changé au monopole de la mission catholique. En 1969, un système de concession a été instauré. La convention, renouvelée et mise à jour tous les cinq ans environ, règle les modalités selon lesquelles cette mission incombant à l’État est exercée par la mission catholique.

Ce système a perduré jusqu’à présent, pour plusieurs raisons. D’abord, c’était une manière pour la République de marquer son respect de la culture et des coutumes wallisiennes et futuniennes. L’article 3 de la loi du 29 juillet 1961 dispose : « La République garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit et aux dispositions de la présente loi. » Or la population de l’archipel reste très attachée à la religion catholique.

Ensuite, l’État y a vu un moyen de préserver un équilibre entre les trois pouvoirs locaux – les institutions de la République, les autorités coutumières et l’Église, dont l’influence était et reste considérable dans la population. Mais il y avait sans doute aussi dans l’acceptation de la situation un peu de facilité pour l’État, qui se repose sur un tiers pour l’exercice de l’une de ses prérogatives.

L’enseignement primaire à Wallis-et-Futuna est exercé par un établissement scolaire unique, émanant de la mission catholique, la direction de l’enseignement catholique (DEC). Sur le plan juridique, c’est elle qui emploie les enseignants et les autres catégories de personnel, gère au quotidien les établissements scolaires et opère le pilotage du système, sous le contrôle du vice-rectorat de Wallis-et-Futuna, lequel est directement rattaché au préfet, administrateur supérieur du territoire, en vertu de l’organisation des pouvoirs publics dans l’archipel.

En pratique, la situation actuelle n’est pas sans ambiguïtés. Le vice-rectorat recrute les élèves instituteurs dans le cadre d’un concours qu’il organise avant de les envoyer à Nouméa, où ils suivent leur formation. C’est lui qui les rémunère directement, gère leur avancement d’échelon et de classe et leur notifie leur admission à la retraite.

Il faut bien reconnaître que la situation devait évoluer. Au fil des années, les conflits entre les enseignants et la DEC se sont multipliés, le plus souvent au sujet de revendications sociales et salariales ayant en réalité une cause et une seule : la différence de traitement entre les instituteurs locaux, d’une part, et, d’autre part, leurs collègues exerçant en métropole et les agents de l’État en poste dans l’archipel.

C’est pourquoi l’intégration des maîtres d’école de Wallis-et-Futuna dans la fonction publique d’État, dont nous sommes appelés à valider le principe, est une mesure d’égalité et de justice. À cet égard, une précision s’impose. Le mouvement de grève de 2023 a abouti à un accord selon lequel les enseignants locaux devaient devenir des agents contractuels de l’État. À l’issue de la mission des inspecteurs généraux et de nouvelles négociations locales, la solution retenue est leur intégration dans le corps des professeurs des écoles. Cette mesure fait consensus. Elle est approuvée par une grande majorité des enseignants et par l’État ; les élus locaux la soutiennent. Je vous invite donc à approuver ce transfert. Afin de s’assurer que le personnel enseignant conserve ses acquis, un droit d’option leur sera ouvert en ce qui concerne le régime de retraite, dans la mesure où celui de l’archipel paraît mieux-disant par rapport à celui de la fonction publique d’État : il semble normal que les enseignants ayant déjà effectué une grande partie de leur carrière dans le cadre de ce système puissent s’y maintenir.

Dans le projet du gouvernement, deux points font l’objet d’une insatisfaction marquée. Le premier est la situation d’une poignée d’enseignants risquant d’être exclus du champ de l’ordonnance en raison d’un niveau de diplôme insuffisant. Parce qu’il s’agit d’une mesure de justice, voire de réparation, il n’était pas envisageable de laisser certains maîtres d’école de côté. C’est pourquoi Mme Evelyne Corbière Naminzo, rapporteure du texte au Sénat, et moi-même avons fait en sorte que le texte englobe tous les instituteurs. La Haute Assemblée a approuvé cette démarche et le gouvernement s’y est rallié.

Le second est la situation du personnel non enseignant. Je le dis clairement : je regrette que le gouvernement fasse deux poids, deux mesures et ait décidé d’écarter du champ de l’habilitation le personnel administratif et technique ainsi que les agents d’entretien des écoles employés par la DEC et rémunérés par l’État. L’analyse juridique du gouvernement l’a amené à considérer que le transfert de ces agents ne nécessite pas une mesure législative. L’engagement pris consiste à les engager tous, dans un premier temps comme contractuels de droit local, sous le régime de l’arrêté n° 76 du 23 septembre 1976, puis de les intégrer de manière échelonnée dans la fonction publique d’État dans le cadre de concours réservés. C’est un moindre mal.

En tout état de cause, nous n’avons pas la possibilité d’élargir par voie d’amendement le périmètre de l’habilitation. Compte tenu de l’enjeu crucial pour le personnel et pour les élèves ainsi que de l’engagement pris par le gouvernement, le plus sage est de nous rallier au texte.

Le transfert à l’État du personnel enseignant ne saurait être une fin en soi. L’enjeu est la réussite des élèves. Comme je l’indique dans mon rapport, les résultats des écoliers wallisiens et futuniens sont sensiblement inférieurs à ceux de la métropole mais aussi à ceux d’autres territoires d’outre-mer tels que la Nouvelle-Calédonie. Une amélioration du pilotage pédagogique et de la formation continue des enseignants doit absolument permettre d’améliorer la situation.

Compte tenu de l’importance de l’enjeu pour les îles Wallis et Futuna, des délais très contraints et de l’avancée réelle enregistrée au sein de la Haute Assemblée concernant l’universalité de la mesure proposée, je vous invite à adopter le projet de loi dans les mêmes termes que le Sénat.

Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Roger Chudeau (RN). Nous saluons l’initiative louable qu’est le projet de loi relatif au transfert à l’État des personnels enseignants de l’enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna. Nous considérons qu’il sanctionne un accord partenarial, un consensus obtenu sur place après de longues négociations et de nombreux conflits. Nous saluons ce consensus, qui n’a rien d’étonnant à mes yeux, parce que je connais un peu Wallis, où j’ai mené il y a dix ans une mission d’inspection générale dans le second degré. Je sais que les Wallisiens cherchent le consensus bien davantage que le conflit et sont capables de trouver des accords gagnant-gagnant.

Nous voterons le texte tel quel, sans chercher à le modifier. Nous saluons l’arrivée dans le corps des professeurs des écoles des personnels de la DEC. Nous souhaitons toutefois que nul ne soit oublié et que les personnels n’ayant pas les diplômes requis, qu’ils soient enseignants, personnels ouvriers et techniques ou personnels de service, ne soient pas maltraités, ce qui pourrait être la source d’un nouveau conflit à Wallis.

Le rapport, l’exposé des motifs du gouvernement et l’étude d’impact indiquent que cette forme de nationalisation du corps enseignant du premier degré devrait produire de meilleurs résultats en matière éducative. Nous nous étonnons des maigres performances, qui sont même lamentables, de l’enseignement du premier degré à Wallis, dont les élèves figurent tout en bas des classements nationaux.

Nous nous demandons comment le vice-rectorat, qui exerçait la tutelle sur l’enseignement catholique, a pu laisser la situation se dégrader à ce point. Il devait veiller à ce que l’enseignement du premier degré corresponde aux objectifs et aux méthodes nationaux. Il ne l’a pas fait, ce qui nous place dans une situation que l’on pourrait qualifier d’urgente. Nous considérons que la nationalisation n’entraîne pas automatiquement une amélioration des résultats. Mayotte et la Guyane démontrent qu’un service public d’enseignement ne produit pas nécessairement de bons résultats s’il n’est pas accompagné des moyens afférents.

Nous appelons de nos vœux un plan d’urgence éducative pour les îles Wallis et Futuna ; nous souhaitons qu’elles soient immédiatement placées en réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+) et que des moyens significatifs soient débloqués pour rehausser le niveau des professeurs et permettre aux élèves de recevoir les enseignements conformément aux textes réglementaires.

M. Bertrand Sorre (EPR). Nous vivons un moment que l’on peut qualifier d’historique pour l’enseignement primaire à Wallis-et-Futuna. Ce projet de loi arrive à point, et il doit être adopté conforme au texte voté au Sénat. Depuis 1969, une convention avec l’État confie à la mission catholique la gestion de cet enseignement. Très clairement, ce modèle unique en France ne fait plus l’unanimité.

Dès les années 1990, des mouvements de grève ont émergé sur le territoire. La dernière en date, survenue en mai 2023, a été la plus longue et la plus éprouvante qu’ont connue Wallis et Futuna, tous secteurs confondus, avec plus de deux mois et demi de mobilisation. Cette grève a mis en lumière les profondes limites du système de concession ainsi que la détérioration des relations entre la mission catholique et les enseignants. Ces derniers réclamaient à juste titre leur intégration dans la fonction publique, afin de bénéficier d’un statut et de conditions comparables à ceux de leurs homologues en métropole.

Face à cette situation, les acteurs locaux ont exprimé un consensus clair : mettre fin à ce régime dérogatoire. L’État s’est donc engagé en ce sens, par le biais d’un protocole d’accord signé le 20 juillet 2023, pour assurer l’intégration des enseignants dans la fonction publique. Ce texte, élaboré dans un calendrier particulièrement serré, a fait l’objet d’un travail de coconstruction avec le Sénat, afin de parvenir rapidement à un consensus respectueux des enseignants et des spécificités locales. Le champ de l’habilitation, après avoir été amendé par le Sénat, permettra d’intégrer dans des corps de la fonction publique de l’État les personnels enseignants du premier degré, employés par la DEC à ce jour, et de déterminer les conditions et modalités selon lesquelles ces personnels pourront opter en faveur du maintien de leur affiliation pour leur retraite.

Au-delà de l’évolution statutaire, cette réforme est également porteuse d’un espoir : améliorer durablement la réussite des élèves de Wallis-et-Futuna grâce à une prise de compétence pleine et entière de l’État dans l’organisation de l’enseignement primaire. En plus de sécuriser les attentes et le statut des enseignants, il doit permettre de renforcer le pilotage pédagogique, quasi inexistant à ce jour, et de renforcer la formation continue, avec une ambition très claire : la réussite des élèves, dont les résultats sont inférieurs à la moyenne nationale. Le projet de loi d’habilitation, qui prévoit la reprise en régie par l’État du service public de l’enseignement primaire à Wallis-et-Futuna, constitue un signal très fort adressé à nos compatriotes enseignants de ce territoire. Le groupe Ensemble pour la République le votera à l’unanimité.

M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). C’est au XIXe siècle que les îles Wallis et Futuna sont devenues une terre de mission catholique, puis un protectorat français. Un siècle et demi plus tard, ces îles, devenues une COM, sont toujours marquées par la présence de l’école catholique et de l’esprit missionnaire. Nous parlons à longueur de temps de laïcité, mais il existe au sein de la République des territoires comme Wallis-et-Futuna où il n’y a pas une seule école publique. Nous parlons si fort en ce moment des violences commises sur les enfants au sein d’établissements privés catholiques, mais il existe au sein de notre République des territoires comme Wallis-et-Futuna où il aura fallu attendre 2014 pour que soient interdits les châtiments corporels au sein des écoles. Ces exceptions françaises ne sont pas pour plaire aux républicains que nous sommes tous.

Nous soutiendrons le projet de loi, qui fera de nos enseignants de l’école primaire des fonctionnaires d’État, même s’il laisse la part belle aux ordonnances, qui nous semblent affaiblir notre régime démocratique. Passer par des ordonnances pour adopter des mesures d’ordre législatif montre à quel point notre Parlement est progressivement dessaisi de ses prérogatives au profit du gouvernement, notamment s’agissant de nos territoires ultramarins, ce qui dénote aussi une sorte de mépris institutionnel pour ces territoires.

Le projet de loi répond aux demandes des professeurs du premier degré de cette collectivité. Ils vont enfin intégrer la fonction publique, ce qui leur assurera un vrai statut, une meilleure rémunération, une moins forte précarité d’emploi et une carrière plus stable. C’est sans doute aussi une façon pour nous de leur dire que la République compte sur eux et que l’exception wallisienne et futunienne ne peut se faire à leurs dépens, et peut-être d’accélérer le processus permettant de sortir les écoles primaires de la mission catholique pour les faire entrer dans notre système d’éducation publique 100 % laïque.

Nous défendrons un amendement visant non à détricoter le projet de loi mais à assurer que cette entrée des enseignants dans une sorte de nationalisation n’induise aucune perte de salaire, dont on sait que c’est un sport olympique au ministère de l’éducation nationale.

M. Christophe Proença (SOC). J’exprime mon soutien plein et entier au projet de loi relatif au transfert à l’État des personnels enseignants de l’enseignement du premier degré dans les îles de Wallis et Futuna. Depuis plus de cinquante ans, l’enseignement primaire à Wallis-et-Futuna est confié à la mission catholique, dans le cadre d’une convention signée en 1969 entre l’État et l’Église. Ce modèle est le fruit d’une histoire singulière, marquée par l’arrivée des missionnaires au XIXe siècle. La conversion massive des populations locales au catholicisme a permis à l’Église de jouer un rôle central dans la vie de l’archipel.

Depuis 2023, nous attendions la concrétisation de cette réforme majeure. Il est regrettable qu’elle ait lieu dans la précipitation, sans l’anticipation ni la préparation qu’un tel sujet aurait méritées. Nous nous désolons que le gouvernement légifère par ordonnance sur une question aussi fondamentale pour l’avenir de Wallis-et-Futuna. Il aurait été hautement souhaitable que le Parlement puisse pleinement s’en saisir, débattre et enrichir le texte, notamment pour ne pas oublier une partie du personnel qui travaille dans les écoles.

Il est temps d’ouvrir une nouvelle page. Le projet de loi permettra aux enseignants du premier degré de devenir pleinement fonctionnaires de l’État, bénéficiant ainsi de tous les droits et garanties attachés à ce statut. Cette évolution est une avancée essentielle pour assurer l’égalité entre tous les territoires de la République et reconnaître pleinement le travail accompli par ces personnels. Ce transfert respecte l’identité locale et la tradition, tout en garantissant à chaque enfant de Wallis-et-Futuna un accès à un service public d’éducation équivalent à celui de la métropole.

Par ailleurs, il est fondamental de rappeler que le passage sous la responsabilité directe de l’État implique le strict respect du principe de neutralité des fonctionnaires. Ainsi, il ne pourra être exigé des futurs enseignants recrutés d’assurer un enseignement religieux. Cette garantie est indispensable pour préserver la laïcité de l’école publique et assurer un enseignement respectueux des convictions de tous les élèves. Le groupe Socialistes et apparentés votera le texte, convaincu qu’il constitue un progrès pour Wallis-et-Futuna et pour l’idéal républicain d’égalité.

M. Alexandre Portier (DR). Le sujet n’est pas seulement technique et administratif. Il s’agit, pour Wallis-et-Futuna, d’un moment charnière de la structuration de son modèle d’enseignement. Le groupe Droite républicaine votera le projet de loi. Le système de concession de l’enseignement primaire ne se justifie plus. Aligner le statut des enseignants dans les îles Wallis et Futuna sur le droit commun répond à des impératifs de sécurité juridique et d’égalité républicaine.

Mettre un terme au système de concession doit permettre d’apaiser les tensions locales et de revenir sur une exception qui n’avait plus de raison d’être. Rien ne justifie que les enseignants de Wallis-et-Futuna ne bénéficient ni de la même sécurité juridique, ni des mêmes droits que leurs collègues partout ailleurs en France.

Il faut bien dire que la précipitation dans laquelle le texte est examiné empêche un examen serein et approfondi des propositions par la représentation nationale. Nous tenons à rappeler que le gouvernement doit proposer un agenda législatif permettant aux députés d’exercer leurs prérogatives législatives. La commission des affaires culturelles aurait dû pouvoir examiner par elle-même la fin du système de concession et tout ce qui en résulte sur le fond, sans déléguer cette mission à l’administration ou au gouvernement, lequel devra redoubler de prudence en légiférant par ordonnance.

Le futur régime ne doit pas être déconnecté des réalités locales. Le montant des rémunérations devra être corrélé aux rémunérations pratiquées en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. Le contenu et le format des enseignements devront être adaptés à la culture et aux pratiques locales, héritées des années de concession. À défaut, au lieu d’apporter des solutions, la présente réforme ne ferait qu’aggraver les conflits.

Surtout, la législation par ordonnance doit créer les conditions d’une amélioration de la réussite scolaire. La fin de la concession doit signifier une plus grande implication de l’État dans le destin des enfants des îles Wallis et Futuna, et non une simple reprise en main administrative.

M. Steevy Gustave (EcoS). J’aimerais, dans un premier temps, exprimer mon profond regret qu’une fois de plus, concernant l’outre-mer, le gouvernement ait fait le choix d’une ordonnance, en demandant au Parlement de se dessaisir de sa compétence au motif de la technicité du sujet. Or, sur ce sujet, l’enseignement, les débats devraient précisément avoir lieu dans l’hémicycle et non ailleurs. Néanmoins, le groupe Écologiste et social soutient ce projet de loi visant à intégrer les enseignants du primaire dans les corps de la fonction publique d’État.

Le texte met fin à une inégalité, héritée d’une histoire singulière, du système éducatif à Wallis-et-Futuna. Pour respecter les équilibres locaux entre Église, État et chefferies, l’État avait concédé en 1969 l’organisation de l’enseignement primaire à la mission catholique. Ainsi, les enseignants du primaire étaient soumis au droit privé. Cette spécificité a entraîné avec le temps d’importantes grèves de maîtres et de maîtresses d’école afin de bénéficier des mêmes droits que leurs homologues fonctionnaires. La grève de 2023 marque le paroxysme de leurs revendications. Après cette grève, la plus longue qu’ait connue l’île, l’État s’est engagé à mettre fin à la convention de concession de l’enseignement du premier degré à l’enseignement catholique.

Le projet de loi fait consensus parmi les acteurs et répond en grande partie aux attentes des enseignants en sécurisant leur statut. Il met fin à une situation inégalitaire, génératrice de tensions sociales. Le système éducatif est à bout de souffle. Il nous semble impératif que les agents de droit privé exerçant les mêmes missions que les fonctionnaires de l’éducation nationale jouissent des mêmes avantages.

Bien que nous soyons favorables au texte, nous déplorons son dépôt tardif, à la mi-avril 2025, nous contraignant à légiférer dans l’urgence avant la fin de la concession, le 5 juin prochain, alors même que le protocole de fin de conflit date de juillet 2023 et la mission d’inspection dans la fonction publique, de mars 2024. Conscients de l’unanimité sur un texte qui représente un premier pas nécessaire, nous défendons une adoption conforme à celle du Sénat, afin d’empêcher tout retour en arrière et d’engager pleinement la mise en œuvre d’une école publique et de la République à Wallis-et-Futuna.

Mme Géraldine Bannier (Dem). Le projet de loi d’habilitation vise à ce que soient prises, par voie d’ordonnance, les mesures permettant de transférer à l’État les personnels de l’enseignement du premier degré de Wallis-et-Futuna. En effet, depuis 1969, l’État y concède l’exercice de la compétence de l’enseignement du premier degré à la mission catholique par le biais d’une convention renouvelable tous les cinq ans. Or, lors d’un énième mouvement social, au printemps 2023, les enseignants ont revendiqué leur intégration à l’État. C’est autour de ce consensus que ce dernier s’y est engagé dans le protocole d’accord de fin de conflit du 20 juillet 2023.

Le projet de loi poursuit deux objectifs principaux auxquels le groupe Les Démocrates souscrit. Le premier, d’ordre pédagogique, est d’améliorer la qualité du service public de l’enseignement primaire dispensé aux jeunes Wallisiens et Futuniens, au bénéfice de leur réussite scolaire. Si les résultats sont en progression, les évaluations de ces élèves en français et en mathématiques à l’entrée en sixième montrent encore un écart important avec la métropole : 40 % n’atteignent pas un niveau de maîtrise satisfaisant, contre 11 % au niveau national.

L’objectif est également statutaire, puisqu’il s’agit de répondre à des demandes qui sont au cœur des revendications des enseignants de la collectivité depuis plusieurs décennies : harmonisation de leurs conditions d’exercice avec celles du reste du territoire ; uniformisation de leurs droits et obligations ; revalorisation salariale qui tienne compte de leur ancienneté avec un gain mensuel substantiel compris entre 988 et 1 773 euros selon la mission IGA (Inspection générale de l’administration)-IGESR (Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche). Le coût annuel est évalué à 3 millions d’euros pour l’État.

Ce projet de loi vise à construire les outils juridiques à même de permettre toutes ces transformations et de déterminer les conditions et modalités selon lesquelles les enseignants pourront choisir de conserver leur affiliation à la Caisse des prestations sociales des îles Wallis et Futuna pour leur régime de retraite ou être affiliés au régime spécial dont relève leur corps d’intégration.

Pour toutes ces raisons, le groupe Les Démocrates votera ce projet de loi, pour une fois consensuel et très positif.

Mme Isabelle Rauch (HOR). Je souhaite à mon tour souligner l’importance du projet de loi relatif au transfert à l’État des personnels enseignants du premier degré à Wallis-et-Futuna ; il répond, par le fait, à une situation unique et ancienne qui ne correspond plus aux réalités actuelles. En effet, depuis 1969, l’enseignement primaire y est concédé à la mission catholique locale dans le cadre d’une convention qui arrive à son terme le 5 juin 2025. Les enseignants exercent donc comme agents de droit privé dans un cadre devenu source de tensions récurrentes, avec notamment une grève de plus de deux mois en 2023.

Cette crise ayant mis en lumière la nécessité d’une réforme en profondeur, un consensus s’est dégagé pour intégrer les enseignants dans la fonction publique d’État. Le projet de loi habilite le gouvernement à fixer par ordonnance les modalités de leur intégration, leur offrant une reconnaissance légitime, de meilleures perspectives de carrière et une revalorisation salariale. Ce transfert permettra à l’État de réaffirmer pleinement sa responsabilité en matière d’éducation, dans un esprit de continuité partenariale avec la mission catholique et en liaison étroite avec les autorités locales. Cette réforme constitue également un levier d’émancipation en ce qu’elle améliore l’accès à une éducation fondée sur les principes de neutralité et d’égalité républicaines. Elle contribuera aussi à moderniser l’organisation de l’enseignement primaire.

Cependant, certains points restent à clarifier, notamment le statut des personnels non enseignants, qui n’est pas encore tranché. De plus, une dizaine d’enseignants pourraient être exclus, leurs qualifications ne répondant pas aux critères requis. Un amendement a été déposé au Sénat pour prévenir ce risque mais il a été jugé irrecevable. Il demeure néanmoins essentiel que le gouvernement veille à ce que le transfert de ces personnels enseignants respecte pleinement leurs droits acquis.

Le groupe Horizons & indépendants est ainsi très favorable à ce texte qui répond à une demande légitime, en apportant des solutions concrètes à un conflit ancien et en offrant au personnel enseignant du premier degré de Wallis-et-Futuna la reconnaissance qu’il mérite.

Mme Soumya Bourouaha (GDR). Le projet de loi que nous examinons vise à revenir sur la gestion de l’enseignement du premier degré par la direction de l’enseignement catholique sur les îles Wallis et Futuna. Depuis les années 1960, les enseignants sont des agents de droit privé et leurs conditions de rémunération sont définies par une convention de concession signée avec l’État. Une grève de plus de deux mois a remis en cause ce régime à l’été 2023. Les enseignants grévistes demandaient l’application du coefficient multiplicateur d’éloignement fixé à 2,05 pour les fonctionnaires travaillant à Wallis-et-Futuna, ainsi que l’accès à la grille indiciaire des professeurs de la fonction publique.

À la suite de cette mobilisation, un protocole d’accord avait été signé en 2023, dans lequel l’État et les parties prenantes s’engageaient à mettre un terme au régime de concession à la mission catholique locale. C’est en réponse à cet accord que nous examinons enfin ce projet de loi, deux ans après et alors que la convention en cours prendra fin le 5 juin prochain, nous forçant à un examen à la hâte.

En plus de répondre aux enjeux salariaux et statutaires, ce texte vise également, selon le gouvernement, à améliorer la qualité du service public d’enseignement primaire. Si nous sommes favorables à ce transfert qui fait consensus au niveau local, nous pouvons tout de même regretter que le Parlement soit à nouveau dessaisi des sujets relatifs aux outre-mer. L’essentiel des conditions et des modalités selon lesquelles le personnel enseignant qui relève de la concession de l’enseignement du premier degré sera incorporé à la fonction publique seront prises par ordonnance.

Ce transfert soulève aussi des questions du point de vue de la laïcité. Les enseignants, désormais professeurs des écoles, continueront à enseigner le catéchisme, alors même que le préambule de la Constitution de 1946 dispose que « l’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ». Nous sommes attachés à la laïcité et nous sommes donc défavorables à la poursuite de cet enseignement. Toutefois, dans l’attente de la transmission du projet de loi de ratification, notre groupe votera ce texte.

M. Mikaele Seo, rapporteur. Je vous remercie tous de votre soutien pour faire adopter ce texte le plus rapidement possible. Je partage vos inquiétudes concernant l’absence de contrôle du vice-rectorat sur le niveau des élèves, tout en soulignant que d’anciens élèves sont devenus médecins, docteurs, etc. Cela dit, si l’on change de statut, c’est précisément pour améliorer le niveau et les conditions d’enseignement.

Monsieur Arenas, la loi de 1905 ne s’applique pas à Wallis-et-Futuna. Par ailleurs, vous avez parlé des violences dans les écoles wallisiennes. Je vous rassure : il n’en y a pas. S’agissant d’une éventuelle différence de rémunération après le transfert, il n’y a pas non plus de problème. Nous avons été très vigilants avec les syndicats.

Comme vous tous, j’aurais préféré un projet de loi que nous aurions pu, comme à l’ordinaire, discuter et améliorer. Mais je suis obligé de suivre la décision qui, prise par le personnel et surtout par les syndicats ainsi que par le gouvernement, est liée au manque de temps, la dissolution et l’absence de gouvernement ayant fait prendre du retard au dossier.

Madame Bourouaha, la catéchèse aura lieu hors du temps scolaire.

Article 1er : Habilitation du gouvernement à prendre par ordonnance les mesures visant à intégrer dans la fonction publique les enseignants du premier degré de Wallis-et-Futuna et à leur permettre de choisir entre le régime de retraite de la fonction publique et celui de la caisse des prestations sociales locale

Amendement AC1 de M. Rodrigo Arenas

M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, je n’ai pas de préjugé sur le traitement des enfants à Wallis-et-Futuna ni d’ailleurs dans aucun établissement. Je voulais seulement dire qu’il aura fallu attendre 2014 pour que s’y applique une loi qui prévalait depuis le début du XIXe siècle dans ce qu’on a d’abord appelé la métropole puis l’Hexagone – les mots varient en fonction de la vision que nous avons de notre pays. Je souhaitais faire remarquer le décalage qu’il y avait dans l’application des lois de la République. Nous considérons, dans mon groupe, que les citoyens et les citoyennes doivent être tous traités sur un pied d’égalité.

Nous avons déposé cet amendement pour éviter toute règle d’exception dans l’ordonnance. Les grilles statutaires sont une chose ; leur application en est une autre. C’est aussi une façon de tenir compte du coût de la vie, qui diffère selon les territoires. Nous savons qu’à Wallis-et-Futuna – les statistiques sont têtues – le coût de la vie est beaucoup plus élevé que dans d’autres territoires. Si nous avons cette exigence pour Wallis-et-Futuna, nous l’avons aussi pour le territoire hexagonal ou métropolitain, parce qu’il n’est pas acceptable que les enseignants, à quelque échelon qu’ils soient, gagnent moins en moyenne que leurs collègues des pays de l’OCDE. Peut-être pourrions-nous ainsi faire un exemple afin d’adapter les niveaux de rémunération au coût de la vie et mettre fin aux territoires d’exception, parce que nos enseignants méritent d’être soutenus partout, y compris chez vous.

Toutefois, si l’adoption de cet amendement devait retarder l’application de la loi et pénaliser, de ce fait, les enseignants, je le retirerais.

M. Mikaele Seo, rapporteur. Non seulement je comprends votre préoccupation mais je la partage. Cela fait des années que je me bats aux côtés des enseignants wallisiens et futuniens pour améliorer leur sort. Je ne suis pas inquiet : par construction, il n’y a aucun risque pour eux de voir leur rémunération diminuer. En tant que fonctionnaires de l’État, ils se verront appliquer le coefficient de majoration de 2,05, conformément à leurs revendications, contre 1,7 actuellement.

Quant aux modalités de leur reclassement dans le corps des professeurs des écoles, les scénarios envisagés par le ministère, fondés sur le travail de la mission d’inspection, permettent d’affirmer qu’ils ne perdront rien, au contraire. La préoccupation est seulement de s’assurer que les hausses de rémunération dont ils bénéficieront ne créeront pas un déséquilibre trop important par rapport à la situation des instituteurs d’autres territoires d’outre-mer, notamment de Nouvelle-Calédonie.

J’aurais été prêt à vous suivre et à intégrer la précision que vous demandez, ne serait-ce que pour vous rassurer complètement. Toutefois, comme je l’ai expliqué, le temps presse. Nous ne pouvons plus nous permettre de poursuivre la navette entre les deux chambres. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement.

M. Rodrigo Arenas (LFI-NFP). Je vais suivre votre recommandation, monsieur le rapporteur.

Dans certains départements, les enseignants bénéficient de primes, du fait de situations particulières. Il me semble que, eu égard à la situation que vous avez décrite, votre territoire mériterait d’en bénéficier également. Il ne s’agit pas de remettre en question le statut de Wallis-et-Futuna mais d’affirmer que les enseignants, dès lors qu’ils ont une mission de service public et la responsabilité d’éduquer nos enfants, doivent être traités sur un pied d’égalité, en tenant compte de leurs difficultés. La discrimination qui existe dans d’autres départements doit nous faire porter une attention particulière à votre territoire. Ce biais d’égalité doit devenir un biais d’inégalité dès lors qu’il va dans le sens des enseignants et, in fine, dans celui des enfants.

L’amendement est retiré.

La commission adopte l’article 1er non modifié.

Article 2 : Délai de dépôt du projet de loi de ratification de l’ordonnance

La commission adopte l’article 2 non modifié.

Elle adopte l’ensemble du projet de loi non modifié.

M. Mikaele Seo, rapporteur. Je vous remercie tous pour votre soutien.

*

*     *

En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter le présent projet de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/eYWrUy


ANNEXE I :
Liste des personnes entendues par le rapporteur

(Par ordre chronologique)

     M. Thierry Siuli, secrétaire général de Force ouvrière enseignement à Wallis‑et‑Futuna, et M. Otepe Fiahau, secrétaire général adjoint

     Audition commune :

 Direction générale des ressources humaines du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche  M. Laurent Belleguic, sous-directeur des personnels enseignants, d’éducation et des psychologues de l’éducation nationale, et M. François Giquel, responsable du département des affaires juridiques, statutaires et indemnitaires

 Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR)  Mme Frédérique Weixler, inspectrice générale

 Inspection générale de l’administration (IGA)  M. Paul-Emmanuel Grimonprez, inspecteur général

     Mme Évelyne Corbière Naminzo, sénatrice de La Réunion, rapporteure du projet de loi au Sénat

     M. Emeni Simete, directeur de l’enseignement catholique de Wallis‑et‑Futuna, et M. Safoka Manuohalalo, premier adjoint, chargé des ressources humaines

     M. Blaise Gourtay, préfet, administrateur supérieur de Wallis‑et‑Futuna, et Mme Régine Vigier, vice-rectrice

     M. Munipoese Muliakaaka, président de l’Assemblée territoriale de Wallis‑et‑Futuna, et M. Rony Tauhavili, président de la commission de l’enseignement

     M. Kapeliele Katoa, vicaire général du diocèse de Wallis‑et‑Futuna


ANNEXE II :
Convention de concession 2020-2025

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


ANNEXE III :
Protocole de fin de conflit du 20 juillet 2023

 


ANNEXE IV :
Éléments relatifs aux rÉsultats scolaires des élÈves de Wallis-et-Futuna (
[24])

Proportion d’élèves ayant une maîtrise satisfaisante ou très satisfaisante à l’entrée en sixième en français et en mathématiques dans plusieurs territoires d’outre-mer et au niveau national

 

Français

Mathématiques

Wallis-et-Futuna

61 %

36 %

Polynésie française

69 %

45 %

Nouvelle-Calédonie

76 %

42 %

Martinique

81 %

54 %

Guadeloupe

78 %

49 %

National

89 %

72 %

Source : dossier élaboré par le vice-rectorat de Nouvelle-Calédonie dans le cadre du dialogue de gestion pour 2023.

Les résultats à l’entrée en sixième sont moins bons que dans les autres territoires d’outre-mer, ainsi que par rapport au niveau national moyen.

Évaluation à l’entrée en sixième en français – comparaison entre les résultats des élèves de l’académie de Wallis-et-Futuna
et les résultats des établissements classés dans les réseaux d’éducation prioritaire (REP) et REP +

Source : Vice-rectorat de Wallis et Futuna.

Les résultats à l’entrée en sixième sont moins bons à Wallis-et-Futuna par rapport aux établissements de métropole en réseau d’éducation prioritaire.

Évaluation à l’entrée en sixième en français – comparaison entre les résultats des élèves de l’académie de Wallis-et-Futuna
et les résultats nationaux aux « tests spécifiques »

Source : Vice-rectorat de Wallis-et-Futuna.

Les résultats aux « tests spécifiques » sont moins bons à Wallis-et-Futuna par rapport au niveau moyen national.

 

Évaluation à l’entrée en sixième en français – comparaison entre les résultats des différents collèges de Wallis-et-Futuna

Source : Vice-rectorat de Wallis-et-Futuna.

Les résultats à l’entrée en sixième varient selon les collèges mais sont dans l’ensemble inférieurs à la moyenne nationale. Le collège de Vaimoana se démarque cependant par des scores des élèves proches de la moyenne nationale en français.


Évaluation à l’entrée en sixième en français – comparaison entre les résultats des différents collèges de Wallis-et-Futuna

Source : Vice-rectorat de Wallis et Futuna.

 

Répartition des élèves des collèges de Wallis-et-Futuna selon l’indicateur de position sociale (IPS) des parents

Source : Vice-rectorat de Wallis et Futuna.

L’analyse de l’IPS révèle la part importante de la population défavorisée parmi les collégiens. Les élèves issus de milieux défavorisés représentent 38 % des collégiens.

Diplôme le plus élevé détenu par la population de plus de 14 ans
à Wallis‑et‑Futuna

Source : vice-rectorat de Wallis-et-Futuna

Le niveau d’éducation de l’ensemble de la population progresse mais reste globalement inférieur au niveau national.


([1]) Voir annexe III.

([2]) Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, inspection générale de l’administration, « Évolution du statut des enseignants du premier degré à Wallis et Futuna », mars 2024.

([3]) Voir annexe II.

([4]) STSEE, recensement 2023.

([5]) INSEE-ISEE, recensement 2019.

([6]) https://www.wallis-et-futuna.gouv.fr/Actions-de-l-Etat/Sante

([7]) Élie Califer, Mikaele Seo et Jiovanny William, rapport d’information de la délégation aux outre-mer sur la situation démographique des outre-mer et le maintien des forces vives dans ces territoires, n° 848 (XVIIe législature).

([8]) Le kava, boisson fabriquée à partir de la racine et des branches d’une plante de la famille du poivrier, servait traditionnellement à honorer les dieux et à demander leur faveur. Le kava continue à présider aux moments importants de la vie locale. La boisson est préparée par un officiant puis est présentée aux participants selon un ordre protocolaire très rigoureux qui marque le rang et le statut social de la personne.

([9]) Le terme katoaga désigne un rassemblement des habitants autour de leurs chefs à l’occasion d’une fête, d’un deuil ou d’un autre évènement important de la vie de la communauté. Le katoaga comporte plusieurs phases : la préparation de la racine de kava et des vivres, puis la cérémonie du kava, ainsi la présentation des danses et des chants préparés par les gens des villages. Enfin, l’ensemble des vivres préparés sont distribués aux participants. À Wallis comme à Futuna, les fêtes patronales de district ou de village sont pour la population l’occasion d’organiser annuellement un katoaga.

([10]) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000704617

([11]) Loi n° 61-814 du 29 juillet 1961, article 4.

([12]) Ibid., article 9.

([13]) Rapport IGESR-IGA.

([14]) Marc Soulé, « Relations coutume, État, Église à Wallis et Futuna. 1837-1961 », Outre-mers, tome 92, nos 348‑349, deuxième semestre 2005.

([15]) Projet annuel de performances, annexe au projet de loi de finances pour 2025, mission Enseignement scolaire : https://www2.assemblee-nationale.fr/static/17/Annexes-DL/PLF-2025/Enseignement_scolaire.pdf

([16]) Selon les données communiquées par le vice-rectorat.

([17]) Pour des éléments plus complets, voir annexe IV.

([18]) Cité par le rapport IGESR-IGA de 2024.

([19]) Conseil d’État, avis sur un projet de loi d’habilitation à prendre par voie d’ordonnance les mesures permettant de transférer à l’État les personnels de l’enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna, 15 avril 2025.

([20]) Ce coefficient multiplicateur s’applique au traitement indiciaire brut ainsi qu’à l’indemnité de résidence et au supplément familial. Le niveau de ce coefficient est fixé pour chaque territoire d’outre-mer en fonction des conditions de vie. L’accès au coefficient de 2,05 est une revendication de longue date du personnel enseignant du premier degré de Wallis-et-Futuna.

([21]) Voir la circulaire n° 2013-019 du 4 février 2013 relative aux obligations de service des personnels enseignants du premier degré.

([22]) Décret du 16 janvier 1939 instituant outre-mer des conseils d'administration des missions religieuses, modifié par le décret du 6 décembre 1939.

([23]) https://assnat.fr/PaVAt9

([24])  Source : rapport IGA-IGESR de mars 2024 et vice-rectorat de Wallis-et-Futuna.