N° 1482

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mai 2025.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 1258),
DE M. PIERRE CAZENEUVE, MME CAROLINE YADAN,
MME CONSTANCE LE GRIP, M. PIERRE-ALEXANDRE ANGLADE


appelant à la préservation des principes démocratiques, des libertés publiques
et de l’État de droit en Turquie,

 

 

 

PAR M. Pierre CAZENEUVE,

Député

 

 

 

 

 

 

 

  1.     La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Laurent MAZAURY, Mmes Manon BOUQUIN, M. Thierry SOTHER, vice‑présidents ; M. Maxime MICHELET, secrétaire ; MM. Henri ALFANDARI, Gabriel AMARD, David AMIEL, Philippe BALLARD, Karim BENBRAHIM, Guillaume BIGOT, Benoît BITEAU, Nicolas BONNET, Mme Colette CAPDEVIELLE, MM. Pierre CAZENEUVE, François-Xavier CECCOLI, Mmes Sophia CHIKIROU, Nathalie COLIN-OESTERLÉ, MM. Jocelyn DESSIGNY, Julien DIVE, Nicolas DRAGON, Michel HERBILLON, Mmes Mathilde HIGNET, Emmanuelle HOFFMAN, Sylvie JOSSERAND, Marietta KARAMANLI, M. Bastien LACHAUD, Mme Hélène LAPORTE, M. Jean LAUSSUCQ, Mme Constance LE GRIP, MM. Pascal LECAMP, Matthieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Emmanuel MAUREL, Mmes Yaël MENACHÉ, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, M. Frédéric PETIT, Mme Anna PIC, M. Pierre PRIBETICH, Mme Isabelle RAUCH, MM. Alexandre SABATOU, Charles SITZENSTUHL, Mmes Michèle TABAROT, Sophie TAILLÉ‑POLIAN, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 


SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. Un pouvoir fort, une société divisée : radiographie du paysage politique turc

A. La Turquie politique contemporaine : entre stabilité apparente et tensions profondes

1. La dualité politique turque : une structuration autour de l’AKP et du CHP

2. L’ancrage social et territorial des deux grandes forces politiques turques

a. Sociologie politique de l’AKP : un électorat conservateur, populaire et rural

b. Sociologie politique du CHP : un électorat urbain, laïc et socialement diversifié

3. L’émergence de sensibilités progressistes au sein de la jeunesse turque

B. De la réforme à l’autoritarisme compétitif : vingt ans de mutation politique sous l’AKP

1. Les grandes étapes de la transformation du paysage politique turc

2. Une démocratie sous contrôle : les rouages de la longévité politique d’Erdogan

a. La stratégie d’enracinement institutionnel de l’AKP depuis 2002

b. Un soutien populaire résilient face à l’usure du pouvoir

c. L’opposition municipale face à la centralisation présidentielle

3. Écarter un rival pour conserver le pouvoir : la logique derrière l’arrestation d’İmamoğlu

a. Un tournant dans la dérive autoritaire en Turquie

b. Les motivations à l’origine de l’arrestation d’İmamoğlu

c. L’instrumentalisation de la question kurde : un levier de fragmentation de l’opposition

II. L’arrestation d’Ekrem İmamoğlu : signe d’un autoritarisme croissant et d’un affaissement démocratique en turquie

A. Les origines profondes de la crise politique turque actuelle

1. Une crise économique persistante et socialement éprouvante

2. Un rejet croissant de l’hyper-concentration et de l’autoritarisme de l’AKP

3. Un renforcement de l’opposition politique

B. L’érosion de l’État de droit et des libertés publiques en Turquie

a. Une évolution des indicateurs internationaux inquiétante

i. Liberté d’expression

ii. Liberté de réunion

iii. Indépendance de la justice

iv. L’effondrement du pluralisme médiatique en Turquie

b. Un arsenal juridique au service de la répression politique

c. Le suffrage : une valeur démocratique profondément enracinée

III. Face à la crise politique actuelle en Turquie, une retenue diplomatique marquée

A. Silences diplomatiques et calculs géopolitiques

1. Des réactions internationales limitées face à la dérive autoritaire en Turquie

2. La Turquie à l’abri des critiques et des réactions : realpolitik et prudence des chancelleries occidentales

B. LA nécessaire mobilisation de tous pour la préservation de nos valeurs communes

1. Lucidité stratégique et fermeté démocratique : défendre nos principes face à Ankara

2. Des leviers à mobiliser pour défendre l’État de droit en Turquie

EXAmen en commission

proposition de résolution européenne initiale

amendements examinÉs par la commission

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

annexe Liste des personnes auditionnées par lE rapporteur

 

 

 


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   introduction

 

Mesdames, Messieurs,

Le 19 mars 2025, Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul démocratiquement élu en 2019 puis réélu en 2024, a été arrêté en même temps que plusieurs cadres de la municipalité. Cette vague d’arrestations a immédiatement suscité une réaction massive de la population[1] : à Istanbul comme dans plusieurs grandes villes du pays, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour dénoncer ce qu’elles perçoivent comme une tentative manifeste d’éliminer un opposant politique majeur. Face à cette mobilisation populaire sans précédent depuis plus d’une décennie, les autorités ont répondu par une répression brutale, assortie de restrictions aux libertés publiques et de nouvelles atteintes à la liberté de la presse. Poursuivi pour des chefs d’inculpation graves, Ekrem İmamoğlu apparaît, à travers cette affaire, comme la cible d’une stratégie délibérée d’élimination politique, inscrite dans une dynamique plus large de verrouillage du système institutionnel turc.

Cette séquence marque un tournant décisif dans la dérive autoritaire du pouvoir en place. Elle ne peut être comprise sans une lecture attentive du paysage politique turc actuel. La Turquie contemporaine est profondément polarisée : d’un côté, un pouvoir hypercentralisé autour du Parti de la justice et du développement (AKP – en turc : Adalet ve Kalkınma Partisi) solidement implanté dans les milieux conservateurs et ruraux ; de l’autre, une opposition portée principalement par le Parti républicain du peuple (CHP – en turc : Cumhuriyet Halk Partisi), fortement ancrée dans les grandes métropoles. À cette division s’ajoute une dynamique émergente : celle d’une jeunesse progressiste, de plus en plus en rupture avec les logiques autoritaires dominantes et en quête de nouveaux repères démocratiques.

Les travaux de ce rapport documentent la manière dont l’AKP, au pouvoir depuis plus de deux décennies, a transformé progressivement le régime parlementaire turc en un système présidentiel à forte concentration de pouvoirs, consolidant son autorité à travers l’usage des leviers judiciaires, médiatiques et administratifs. L’arrestation d’Ekrem İmamoğlu, figure montante et rival potentiel du président Erdoğan, illustre la volonté de neutraliser toute alternative crédible au pouvoir. Elle marque un tournant particulièrement grave dans l’évolution autoritaire du régime, franchissant un seuil inédit dans la répression des oppositions démocratiques.

Mais au‑delà du constat national, c’est le mutisme de la communauté internationale — et plus particulièrement le silence embarrassé de plusieurs capitales européennes — qui interpelle. Alors même que les principes fondamentaux de l’État de droit, de la séparation des pouvoirs et du pluralisme politique sont manifestement bafoués, la retenue diplomatique face à la dérive autoritaire d’un pays à la fois partenaire stratégique et toujours officiellement candidat à l’Union européenne devient difficilement justifiable. Ce silence est d’autant plus incompréhensible que le respect de ces principes constitue le socle même des critères de Copenhague ([2]), que tout État candidat s’engage à respecter dès l’ouverture des négociations d’adhésion. À travers cette absence de réaction, c’est la crédibilité même de l’Union européenne et de ses États membres à défendre leurs propres valeurs fondatrices qui vacille.

La présente proposition de résolution européenne pour la préservation des principes démocratiques, des libertés publiques et de l’état de droit en Turquie appelle à une réponse claire, lucide et ferme de la part des institutions européennes et de l’ensemble des partenaires démocratiques de la Turquie. Car si la communauté internationale continue d’ignorer les signaux d’alerte, la rupture entre la Turquie et les standards démocratiques auxquels elle prétend appartenir pourrait devenir irréversible.

 

 

 


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I.   Un pouvoir fort, une société divisée : radiographie du paysage politique turc

A.   La Turquie politique contemporaine : entre stabilité apparente et tensions profondes

1.   La dualité politique turque : une structuration autour de l’AKP et du CHP

La scène politique turque reste largement dominée par deux partis principaux. D’un côté, l’AKP, formation national‑conservatrice dirigée par le président Recep Tayyip Erdoğan, qui détient actuellement le pouvoir. L’AKP compte 272 sièges sur les 600 de la Grande Assemblée nationale de Turquie (GANT). L’AKP contrôle également 12 des 30 grandes municipalités, 12 provinces sur 51 et 373 des 973 districts que compte le pays.

Face à lui, le CHP, d’orientation kémaliste et principale force d’opposition, est dirigé par Özgür Özel. Il dispose de 134 députés à la GANT, administre 14 grandes villes, 21 provinces et 311 districts.

Le Parti de l’égalité et de la démocratie des peuples (DEM – en turc : Halkların Eşitlik ve Demokrasi Partisi), pro‑kurde, constitue la troisième force du pays. Il détient 56 sièges à la GANT. Il gouverne la métropole de Diyarbakır, 3 provinces et 50 districts.

Enfin, le Parti d’action nationaliste (MHP – en turc : Milliyetçi Hareket Partisi), classé à l’extrême droite sur l’échiquier politique turc, est allié à l’AKP. Il compte 47 députés, ne dirige aucune métropole, mais contrôle 8 provinces et 113 districts.

2.   L’ancrage social et territorial des deux grandes forces politiques turques

a.   Sociologie politique de l’AKP : un électorat conservateur, populaire et rural

L’électorat de l’AKP se compose majoritairement de classes populaires conservatrices, issues des milieux ruraux et des zones périphériques des grandes agglomérations, notamment dans les régions anatoliennes. Ce soutien s’explique en partie par la politique économique menée par le parti dans les années 2000, axée sur la croissance, l’investissement en infrastructures et l’encouragement à l’entrepreneuriat, qui a séduit une classe moyenne émergente en quête de mobilité sociale.

Sur le plan des valeurs, l’AKP attire un électorat sensible à son discours religieux conservateur. La promotion de l’islam dans la sphère publique, la défense de la famille traditionnelle et le projet de faire émerger une « génération pieuse » sont des marqueurs identitaires forts pour une partie significative de ses électeurs.

D’un point de vue générationnel, les données électorales récentes révèlent que le parti bénéficie d’un soutien majoritaire chez les plus de 55 ans, tandis que son influence diminue chez les 35-54 ans (environ 40 % de soutien) et est nettement plus faible chez les 18-34 ans (autour de 25 %). Cette érosion chez les jeunes traduit un possible essoufflement générationnel de l’adhésion à l’AKP.

Enfin, la répartition géographique du vote AKP reste forte dans les régions centrales et orientales de l’Anatolie, bien qu’il conserve des bastions dans certaines zones urbaines périphériques.

b.   Sociologie politique du CHP : un électorat urbain, laïc et socialement diversifié

Le CHP, principal parti d’opposition, s’appuie sur un électorat largement urbain, composé de classes moyennes et supérieures, de cadres, d’intellectuels et de fonctionnaires vivant principalement dans les grandes métropoles de l’ouest et du sud du pays. Cet électorat est fortement attaché aux valeurs républicaines, laïques et kémalistes, qui constituent l’ADN idéologique du parti.

Le soutien syndical et ouvrier joue également un rôle notable dans l’ancrage du CHP, notamment en raison de ses positions sociales, perçues comme plus favorables à la redistribution et à la justice sociale que celles de l’AKP.

Comme l’AKP, le CHP bénéficie d’un soutien important parmi les plus de 55 ans, souvent formés à l’école des principes républicains. Toutefois, contrairement au parti au pouvoir, le CHP réussit mieux à mobiliser les jeunes, notamment les étudiants et les jeunes diplômés urbains, attirés par un discours plus progressiste et une opposition marquée à l’autoritarisme du régime.

Géographiquement, l’électorat du CHP est concentré dans les provinces occidentales, la côte méditerranéenne, et les grandes villes comme Istanbul, Ankara, Izmir ou Antalya.

3.   L’émergence de sensibilités progressistes au sein de la jeunesse turque

À ce jour, la vie politique turque demeure largement enfermée dans un cadre nationaliste, partagé tant par l’AKP au pouvoir que par une partie significative de l’opposition incarnée par le CHP. Ce cadre repose sur le refus persistant de questionner certains fondements du modèle kémaliste, notamment en ce qui concerne l’histoire officielle — qu’il s’agisse du génocide arménien, du traitement réservé aux minorités kurdes ou alévies ([3]), ou plus largement de la place accordée à l’altérité dans la société turque.

Toutefois, lors des auditions menées par le rapporteur, il a été souligné que des évolutions sensibles sont à l’œuvre au sein de la jeunesse turque qui n’a connu que le pouvoir de l’AKP, et qui se montre de plus en plus attentive aux valeurs de dignité, d’égalité et de justice sociale. Cette sensibilité concerne également les droits des femmes et des personnes LGBT+, souvent marginalisés dans le débat politique traditionnel, mais désormais au cœur des mobilisations d’une partie de la jeunesse. Elle se manifeste notamment dans la mobilisation des lycéens, des étudiants et de leurs familles.

Au sein même du CHP, des courants plus progressistes ont émergé ces dernières années, portés par des figures comme Canan Kaftancıoğlu, cheville ouvrière de la victoire d’Ekrem İmamoğlu à la mairie d’Istanbul en 2019. Bien qu’aujourd’hui écartée de la vie politique par des poursuites judiciaires, elle demeure une figure emblématique d’un CHP en mutation, en prise avec les aspirations d’une partie de la jeunesse turque.

Le projet de « jeunesse pieuse » promu par Recep Tayyip Erdoğan semble aujourd’hui en net recul. Malgré les investissements massifs dans l’éducation religieuse et les discours valorisant une jeunesse conservatrice fidèle aux valeurs islamiques, les enquêtes récentes indiquent une baisse significative de la pratique religieuse chez les jeunes générations ([4]). Une partie croissante de la jeunesse turque se détourne de l’encadrement religieux institutionnel, exprime une distance critique vis-à-vis du discours officiel, et revendique davantage de liberté individuelle, marquant ainsi un échec tangible de ce projet de société porté par l’AKP.

B.   De la réforme à l’autoritarisme compétitif : vingt ans de mutation politique sous l’AKP

1.   Les grandes étapes de la transformation du paysage politique turc

Depuis son accession au pouvoir en 2002, l’AKP a profondément transformé le paysage politique turc. Cette évolution peut être décomposée en plusieurs séquences marquantes :

À ses débuts, l’AKP se présente comme un parti conservateur modéré, soucieux de rapprocher la Turquie de l’Union européenne. Ces premières années sont marquées par des réformes majeures sur les plans économique et démocratique.

La crise institutionnelle de 2007, provoquée par les tensions autour de l’élection présidentielle et des menaces de l’armée, se conclut par une large victoire électorale de l’AKP. Fort de ce succès, le parti mène une révision constitutionnelle en 2010, qui a fortement affaibli le pouvoir judiciaire et l’indépendance de l’armée.

Après avoir remporté les élections législatives de 2011 avec près de 50 % des voix, l’AKP adopte un style de gouvernance plus autoritaire. Cette période est marquée par une répression violente des protestations populaires, comme celles du parc Gezi ([5]) en 2013, et par la rupture avec la confrérie güleniste ([6]), autrefois alliée. S’ensuit une série de purges visant les partisans de Gülen dans les sphères judiciaire, militaire et policière.

La tentative de coup d’État ([7]) de 2016 marque un tournant dans le durcissement de la politique des autorités turques, qui lance une vaste purge touchant de nombreuses institutions, notamment l’armée, la diplomatie, la justice, la police et la gendarmerie. Dans le cadre de l’état d’urgence instauré pour deux ans, Recep Tayyip Erdoğan gouverne par décrets, période au cours de laquelle de nombreuses organisations de la société civile et médias sont fermés.

En 2017, un référendum constitutionnel controversé aboutit à une réforme affaiblissant le système parlementaire au profit d’un régime présidentiel renforcé. Le scrutin est entaché de vives contestations, notamment en raison de la décision du Conseil électoral suprême d’autoriser la prise en compte d’environ 1,5 million de bulletins non estampillés, jugée illégale par les opposants à la réforme. Cette décision suscite d’importantes mobilisations en protestation. Par la suite, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe critiquent toutes deux l’iniquité de la campagne référendaire et qualifie la décision du Conseil électoral suprême d’illégale.

Malgré une opposition de plus en plus coordonnée, l’AKP conserve le pouvoir, comme en témoignent les résultats des élections présidentielles de 2023. Bien que le processus électoral demeure globalement acceptable, l’AKP exerce une emprise grandissante sur les institutions publiques, les médias, l’appareil administratif et les espaces d’expression, réduisant de fait la vitalité du pluralisme démocratique en Turquie.

2.   Une démocratie sous contrôle : les rouages de la longévité politique d’Erdogan

Depuis 2002, l’AKP a mis en place un ensemble de stratégies visant à renforcer et pérenniser son implantation au sein des institutions politiques turques.

a.   La stratégie d’enracinement institutionnel de l’AKP depuis 2002

Le parti s’est présenté comme le représentant des populations conservatrices, religieuses et rurales, longtemps perçues comme négligées par les élites urbaines. Ce positionnement a été renforcé par les réelles performances économiques enregistrées dans les premières années du pouvoir de l’AKP, qui ont permis de crédibiliser son discours d’inclusion et de justice sociale.

À travers des réformes clés, comme celles de la justice en 2010 ou le passage à un régime présidentiel en 2017, l’AKP a peu à peu consolidé son contrôle sur les principales structures de l’État. Ces transformations ont été accompagnées de purges massives au sein de la fonction publique (notamment après 2013 et la tentative de coup d’État de 2016). À titre illustratif, entre juillet 2016 et décembre 2017, près de 142 000 fonctionnaires ont été limogés à la discrétion de Recep Tayyip Erdoğan via décret, tandis que 44 000 autres ont été incarcérés ([8]). Ces purges, qui ont surtout touché des fonctionnaires, des militaires et des universitaires, sont venues réduire drastiquement l’autonomie des contre‑pouvoirs institutionnels.

Aujourd’hui, environ 90 % des médias en Turquie sont sous le contrôle direct ou indirect du pouvoir. En particulier, les auditions menées par le rapporteur ont permis de mettre la lumière sur une stratégie d’ « assèchement » des médias d’opposition. Celle‑ci consiste à venir sanctionner économiquement les organismes portant un jugement critique à l’égard de la politique de Recep Tayyip Erdoğan. De cette façon, le manque de moyen financier doit contraindre le travail d’enquête journalistique de ces médias et mener, à terme, à leur faillite économique. Par parallélisme des formes, les autorités subventionnent massivement les médias progouvernementaux, à l’instar, entre autres, des quotidiens Sabah ou Yeni Safak. L’autorité de régulation de l’audiovisuel turque (Conseil supérieur de l’audiovisuel – en turc : Radyo ve Televizyon Üst Kurulu ou RTÜK) est, à ce titre, régulièrement décriée pour ses multiples atteintes à la liberté d’expression, semblant agir comme un outil politique du pouvoir qui n’hésite plus à demander la fermeture de chaînes de télévision émettant à partir de l’Europe ([9]). Par ailleurs, si les médias nationaux sont placés sous la tutelle des autorités turques, les réseaux sociaux sont également la cible de restrictions de la liberté d’expression. En février 2023, lors du tremblement de terre qui a frappé la Turquie, le réseau social Twitter (devenu X) est bloqué afin d’éliminer la montée des critiques face à la gestion de la catastrophe et de la crise humanitaire par les pouvoirs publics. S’ensuit, dès le mois de juillet 2023, la publication d’un communiqué du RTÜK criminalisant certains contenus diffusés sur internet, à l’instar des attaques dirigées « contre le président de la République ([10]) ». Plus encore, toute chaîne d’information ou de divertissement souhaitant s’implanter sur la plateforme YouTube doit se voir délivrer une licence par l’instance de régulation, tandis que certains contenus cinématographiques de la plateforme Netflix font l’objet d’une censure gouvernementale ([11]).

Enfin, l’élargissement des lois antiterroristes permet une répression ciblée des voix critiques, touchant particulièrement les journalistes, universitaires et militants des droits humains. De nombreuses restrictions ont également été imposées aux organisations de la société civile, en particulier depuis 2016.

L’éviction progressive de l’armée du champ politique et la répression du mouvement güleniste, ancien allié devenu rival, ont permis à l’AKP d’éliminer des pôles de pouvoir concurrents. En parallèle, son rapprochement depuis 2018 avec le Parti d’action nationaliste (MHP) lui a permis de conserver une majorité parlementaire. Le parti au pouvoir utilise également l’appareil judiciaire pour fragiliser l’opposition : poursuites pour « insultes » ou « terrorisme », et pressions institutionnelles sont des pratiques régulièrement employés. De surcroît, les autorités turques mènent une stratégie de révocation des maires élus dissidents, lesquels sont régulièrement incarcérés et remplacés par des administrateurs discrétionnairement placés à la tête des municipalités concernées. À ce titre, la résolution 2025/2546(RSP) du Parlement européen, en date du 13 février 2025, considère que « la pratique de la Turquie consistant à remplacer des maires démocratiquement élus par des administrateurs nommés par le gouvernement au lieu d’un conseiller municipal constitue une attaque flagrante contre les principes les plus fondamentaux de la démocratie locale ([12])». Tout particulièrement, et en sus du cas d’Ekrem İmamoğlu, la résolution du Parlement européen pointe la destitution de « huit maires prokurde DEM et deux maires du Parti républicain du peuple (CHP) (…) dont Mehmet Sıddık Akıthe (Hakkâri) et Abdullah Zeydan (Van), du parti DEM, [qui] ont été arrêtés ou condamnés sur la base d’allégations vagues et non étayées liées au terrorisme. »

L’une des clés de la stratégie de maintien au pouvoir du président Erdoğan semble résider dans la mise à l’écart systématique de ses principaux opposants, souvent par des moyens judiciaires ou sécuritaires. Selahattin Demirtaş, figure de l’opposition pro-kurde, est maintenu en détention depuis plusieurs années dans un silence croissant ([13]), tandis que l’ultranationaliste Ümit Özdağ a été arrêté en janvier dernier ([14]). Osman Kavala, intellectuel engagé et symbole de la société civile indépendante, reste lui aussi emprisonné malgré les injonctions répétées de la Cour européenne des droits de l’homme ([15]). Cette stratégie d’élimination politique par la contrainte judiciaire contribue à instaurer une véritable chape de plomb sur le débat public, réduisant au silence toute voix critique ou toute figure susceptible de faire de l’ombre au président Erdoğan.

Enfin, l’AKP a eu recours à des redécoupages de circonscriptions électorales, notamment au niveau des districts, dans le but de favoriser ses candidats et d’optimiser ses résultats aux scrutins locaux.

b.   Un soutien populaire résilient face à l’usure du pouvoir

Malgré une longévité politique inédite, le soutien à Recep Tayyip Erdoğan repose aujourd’hui sur une combinaison complexe entre adhésion idéologique, fidélité personnelle et mécanismes de contrôle. Une frange non négligeable de la population continue de lui accorder sa confiance, soit par conviction, soit par attachement à sa figure de leadership.

Cependant, les pratiques clientélistes, les pressions institutionnelles et l’emprise sur les médias et l’administration contribuent aussi à encadrer l’électorat, notamment dans certaines régions dépendantes du pouvoir central.

Selon des sondages réalisés en avril 2025, Recep Tayyip Erdoğan recueillerait encore environ 40 % des intentions de vote, en dépit d’un net recul face à une éventuelle candidature d’Ekrem İmamoğlu (46,7 %). Cela montre que l’adhésion persiste, mais qu’elle est désormais concurrencée par une offre politique alternative crédible.

c.   L’opposition municipale face à la centralisation présidentielle

Dans la nouvelle configuration institutionnelle turque, marquée par une centralisation accrue des pouvoirs autour de la présidence depuis la réforme constitutionnelle de 2017, l’espace de contestation démocratique tend à se déplacer vers l’échelon local. Alors que les institutions nationales sont en grande partie sous contrôle de l’exécutif, les municipalités, notamment celles dirigées par l’opposition, apparaissent désormais comme les principaux foyers d’opposition politique. Les grandes métropoles comme Istanbul, Ankara, Izmir ou encore Antalya, dirigées par des maires issus du CHP, sont devenues des bastions d’opposition visibles, tant par leur action publique que par leur poids symbolique. Dans ce contexte, le pouvoir local constitue l’un des derniers espaces où peut s’exprimer une alternative politique crédible, bien qu’il soit de plus en plus soumis à des pressions administratives, judiciaires ou financières de la part du pouvoir central.

3.   Écarter un rival pour conserver le pouvoir : la logique derrière l’arrestation d’İmamoğlu

a.   Un tournant dans la dérive autoritaire en Turquie

L’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem İmamoğlu, le 19 mars 2025 avec plusieurs cadres de la municipalité de la ville, suivie de sa mise en détention le 23 mars, constitue une atteinte d’une gravité exceptionnelle aux principes démocratiques. En ciblant l’un des principaux leaders de l’opposition, légitimement élu et considéré comme un rival politique sérieux du président Erdoğan, le pouvoir franchit un seuil préoccupant. Cet acte remet en cause les fondements mêmes de la démocratie en Turquie, en sapant les conditions d’une compétition politique libre et équitable.

Cette arrestation repose sur deux chefs d’inculpation initiaux : des accusations de corruption et des liens supposés avec des organisations terroristes — une qualification juridique particulièrement large et instrumentalisée dans le contexte turc. Sous la pression de l’opinion publique, les poursuites pour terrorisme ont été abandonnées, ne laissant subsister que celles pour corruption.

Par ailleurs, l’exécutif turc a envisagé, pendant un temps, la nomination d’un administrateur à la tête du CHP. Une telle mesure aurait constitué une intrusion sans précédent dans le fonctionnement d’un parti d’opposition.

Ces événements s’inscrivent dans une dérive autoritaire de long cours, méthodiquement mise en œuvre par le pouvoir depuis plusieurs années. Ce processus a franchi ces dernières semaines un nouveau seuil avec l’arrestation d’Ekrem İmamoğlu traduisant une volonté assumée de neutraliser durablement toute alternative politique crédible.

Cet événement a immédiatement suscité une vague d’indignation, donnant lieu à des manifestations d’ampleur dans de nombreuses villes du pays, rassemblant des dizaines de milliers de citoyens, en particulier des jeunes, qui dénoncent à la fois la dérive autoritaire du régime et la dégradation persistante de la situation économique et sociale.

Les universités turques ont joué un rôle moteur dans les premières mobilisations. Il a été précisé au cours des auditions du rapporteur que l’élan et l’audace exprimés par le CHP dans les jours suivant l’arrestation du maire d’Istanbul ne proviennent pas directement du parti lui-même, mais de la jeunesse turque mobilisée, qui a donné le ton. Ce rôle central des jeunes a été particulièrement visible le jour où des étudiants sont parvenus à franchir un cordon policier pour atteindre le parvis de la municipalité, marquant une rupture symbolique. Le premier slogan scandé ce jour‑là était un appel direct à la direction du CHP pour qu’elle adopte une position plus combative et se montre davantage à l’écoute de la population. Ce n’est qu’ensuite que le parti a pris publiquement position.

De la même manière, les appels au boycott de marques et d’entreprises perçues comme proches du pouvoir sont venus des jeunes manifestants eux‑mêmes, ce qui constitue un phénomène relativement inédit dans le contexte turc récent. Le mouvement s’est ensuite étendu aux lycées, où il a rencontré une forte solidarité de la part des enseignants, certains d’entre eux allant jusqu’à encadrer les élèves dans le cadre de manifestations organisées.

Lors des auditions menées dans le cadre des travaux du rapporteur, des observateurs de la société turque ont fait part de leur vive surprise face à l’ampleur de la mobilisation populaire déclenchée par l’arrestation d’Ekrem İmamoğlu, soulignant que l’on n’avait pas assisté à de tels événements depuis les manifestations de Gezi en 2013. Ils ont, par ailleurs, précisé que la réponse des autorités a été marquée par une violence répressive d’une extrême intensité. Les forces de l’ordre ont, par exemple, eu recours à des balles en caoutchouc, au gaz lacrymogène, au gaz poivré, ainsi que probablement à d’autres agents chimiques irritants dont la nature n’a pas toujours pu être identifiée. Plusieurs témoignages font état d’une volonté délibérée de viser les parties sensibles du corps des manifestants (têtes, parties génitales). Ainsi, des manifestants, souvent très jeunes, ont été plaqués au sol, menacés, puis à nouveau exposés à des gaz alors qu’ils étaient déjà maîtrisés. En outre, des témoignages font état du non‑respect des droits fondamentaux des personnes interpellées après leur détention, notamment en ce qui concerne l’accès aux soins. À la différence du mouvement de Gezi en 2013, la répression actuelle n’a pas fait de morts, ce qui a pu contribuer à minimiser, auprès de l’opinion publique internationale, la perception de l’intensité des violences subies par les manifestants. Pourtant, les témoignages recueillis au cours des travaux du rapporteur font état de violences physiques et psychologiques d’une gravité particulière, notamment de cas d’humiliations et même d’agressions sexuelles délibérées à l’encontre de jeunes manifestantes lors de leur arrestation. La répression a ainsi pu être perçue comme une démonstration assumée de force destinée à envoyer un message de dissuasion clair auprès des jeunes manifestants et de leurs familles.

Parmi les méthodes de maintien de l’ordre observées, la stratégie de la nasse a été largement utilisée. Les forces de police ont ainsi pu former des cordons serrés autour des manifestants dans le but de les encercler et de les isoler. Une fois la nasse constituée, les policiers ont exigé que les manifestants retirent leur masque pour pouvoir en sortir, tout en filmant systématiquement l’ensemble des visages. Cette pratique était ouvertement assumée par les autorités comme un moyen de dissuasion. Dans plusieurs cas rapportés au rapporteur, des jeunes – parfois âgés de 18 ou 20 ans – ont ainsi été interpellés à leur domicile dès le lendemain des manifestations. Cette séquence témoigne d’une professionnalisation de la répression, mêlant surveillance, fichage, et pression judiciaire. La plupart de ces jeunes ont ensuite été libérés sous contrôle judiciaire, dans des conditions très restrictives. Ils restent ainsi sous la menace d’un procès qui vise clairement à dissuader toute participation ultérieure à des actions collectives. Cette évolution semble marquer une forme de nouveauté dans l’arsenal répressif déployé par les autorités turques. Moins systématique du côté des incarcérations immédiates, la stratégie actuelle consiste plutôt à étendre les dispositifs de surveillance et de contrainte dans la vie quotidienne. Il s’agit, par la multiplication des contrôles et des restrictions, d’étouffer la parole, d’installer la peur et d’encadrer durablement toute tentative d’expression ou de mobilisation.

Cette stratégie semble avoir eu l’effet recherché, le mouvement s’étant nettement essoufflé dans les jours qui ont suivi sous l’effet d’une répression ciblée, marquée par des violences policières et des pressions judiciaires dissuasives. Toutefois, l’opposition a tiré profit de cette séquence, en parvenant à mieux se structurer et à renforcer sa cohésion. Elle a toutefois perdu, au moins temporairement, la force mobilisatrice incarnée par le charisme d’Ekrem İmamoğlu.

À court terme, la société civile turque a démontré sa capacité de mobilisation, parfois dans des conditions particulièrement difficiles. Mais cette dynamique, aussi significative soit‑elle, ne semble pas aujourd’hui en mesure d’ébranler durablement le pouvoir en place. La dérive autoritaire du régime reste pleinement à l’œuvre, et le président Erdoğan apparaît en position de force pour maintenir son emprise jusqu’aux prochaines échéances électorales.

b.   Les motivations à l’origine de l’arrestation d’İmamoğlu

L’arrestation d’Ekrem İmamoğlu est intervenue dans un contexte politique particulièrement sensible, alors que l’opposition s’apprêtait à organiser une primaire interne destinée à désigner son futur candidat à l’élection présidentielle. Cette primaire, largement anticipée comme devant consacrer le maire d’Istanbul, a très probablement constitué un facteur déclencheur de son arrestation, dans le but de bloquer toute dynamique en sa faveur. Bien que la primaire ait tout de même eu lieu en dépit de son incarcération, et qu’İmamoğlu l’ait largement remportée, il semble désormais promis à une longue détention, qui pourrait paradoxalement contribuer à forger sa légende politique — à l’image, avec une certaine ironie historique, du parcours de Recep Tayyip Erdoğan lui-même, condamné à dix mois de prison, en 1997, avant d’accéder au pouvoir en 2003, pour avoir récité un poème de Ziya Gökalp[16].

À ce stade, les prochaines élections législatives et présidentielles sont prévues pour 2028, soit dans plus de trois ans. L’arrestation d’Ekrem İmamoğlu dès mars 2025, aussi tôt dans le cycle politique, a donc pu surprendre par son caractère prématuré, s’agissant de l’un des principaux rivaux potentiels du président Erdoğan. Toutefois, la perspective d’élections anticipées ne peut être écartée, d’autant plus que la question d’une nouvelle candidature de Recep Tayyip Erdoğan est aujourd’hui au cœur d’un débat juridique et politique. En l’état actuel du droit, le chef de l’État, réélu en 2023 pour un second mandat, ne peut théoriquement pas se représenter en 2028 en vertu de la Constitution (article 101). Pour pouvoir briguer un nouveau mandat, deux options s’offriraient à lui : soit engager une révision constitutionnelle afin de lever la limitation à deux mandats présidentiels, soit provoquer une élection anticipée en démissionnant avant l’échéance normale de son mandat. Cette seconde option pourrait, au motif qu’il n’aurait pas achevé son mandat en cours, ouvrir la voie à une nouvelle candidature. Cette interprétation reste un sujet de débats parmi les juristes.

Si Recep Tayyip Erdoğan, aujourd’hui âgé de 71 ans, n’a pas encore officialisé ses intentions, les derniers développements politiques laissent penser qu’une nouvelle candidature est loin d’être exclue — et que les manœuvres visant à affaiblir l’opposition s’inscrivent dans cette perspective.

c.   L’instrumentalisation de la question kurde : un levier de fragmentation de l’opposition

Lors des auditions menées par le rapporteur, plusieurs interlocuteurs ont souligné que la concomitance entre l’arrestation du principal opposant politique et les annonces relatives au processus de paix avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – dont les contreparties éventuelles accordées à la partie kurde restent particulièrement floues à ce stade – ne saurait être interprétée comme une simple coïncidence. Elle s’inscrirait au contraire dans une stratégie délibérée du pouvoir visant à affaiblir l’opposition en exploitant les lignes de fracture existantes.

Dans un premier temps, il semblait que les principales forces d’opposition – notamment le CHP et le parti pro‑kurde DEM – pourraient se rassembler en réaction à l’incarcération d’Ekrem İmamoğlu, perçue comme un symbole manifeste de la dérive autoritaire du régime. Toutefois, cette dynamique unitaire a été fragilisée par les initiatives parallèles engagées par les autorités vis-à-vis de la question kurde. Le processus de désescalade amorcé par un appel d’Abdullah Öcalan – chef historique et fondateur du PKK – a conduit à la dissolution de l’organisation le 27 février 2025, suivi d’un cessez-le-feu proclamé le 1er mars, puis à l’annonce officielle de sa dissolution le 12 mai. Ce contexte a mené une partie du mouvement kurde à prendre ses distances avec les mobilisations organisées par le CHP, et à limiter sa participation aux manifestations nationales, y compris à celle organisée le 10 mai à Van, pourtant située au cœur du sud‑est majoritairement kurde.

Dans le contexte actuel, Recep Tayyip Erdoğan apparaît affaibli sur le plan électoral, avec un soutien populaire en recul et une opposition qui, bien que fragmentée, progresse dans les urnes. Il dépend aujourd’hui étroitement de son alliance avec le MHP, le Parti d’action nationaliste dirigé par Devlet Bahçeli, formation d’extrême droite aux positions ultranationalistes. Pour espérer conserver le pouvoir, voire envisager une révision constitutionnelle lui permettant de briguer un nouveau mandat, Recep Tayyip Erdoğan doit fragmenter l’opposition, empêcher toute coalition durable entre le CHP et le DEM, et éventuellement rallier le soutien tactique de certains élus kurdes. Une révision de la Constitution exigerait en effet une majorité qualifiée au Parlement turc ([17]), seuil que l’alliance actuelle AKP-MHP ne peut atteindre seule. Dans cette perspective, la recomposition partielle du paysage politique kurde pourrait représenter un levier stratégique essentiel pour le pouvoir en place.

En outre, pour le président Erdoğan, cette annonce représente une victoire majeure qu’il n’hésite pas à présenter comme la conclusion de quarante années de conflit armé. Il se positionne ainsi comme le dirigeant ayant mis fin au « terrorisme séparatiste », renforçant son image d’homme fort capable de restaurer la sécurité nationale.

II.   L’arrestation d’Ekrem İmamoğlu : signe d’un autoritarisme croissant et d’un affaissement démocratique en turquie

A.   Les origines profondes de la crise politique turque actuelle

La crise politique que traverse actuellement la Turquie résulte de la convergence de plusieurs facteurs combinant un profond malaise économique, une contestation croissante du pouvoir exécutif et une consolidation progressive des forces d’opposition.

1.   Une crise économique persistante et socialement éprouvante

Sur le plan économique, la Turquie traverse actuellement une crise de grande ampleur marquée par une très forte inflation (37,86 % en avril 2025), des salaires et des retraites comparativement faibles par rapport aux prix et un taux de chômage qui reste élevé. Cette dégradation de la situation économique a pour effet d’alimenter une défiance populaire croissante à l’égard du gouvernement.

2.   Un rejet croissant de l’hyper-concentration et de l’autoritarisme de l’AKP

Sur le plan politique, le système mis en place depuis le passage au régime présidentiel en 2017 concentre l’essentiel des leviers de décision entre les mains de Recep Tayyip Erdoğan et de son parti, l’AKP. Cette centralisation extrême du pouvoir, perçue comme autoritaire, suscite un fort rejet dans une partie croissante de la population. Les atteintes répétées à la liberté d’expression, à l’indépendance de la justice et à l’autonomie des collectivités locales contribuent à entretenir un climat de défiance et à délégitimer les institutions aux yeux de nombreux citoyens.

3.   Un renforcement de l’opposition politique

Ces dernières années, l’opposition turque s’est significativement renforcée, tant sur le plan organisationnel que stratégique. Des personnalités telles qu’Ekrem İmamoğlu, maire d’Istanbul, et Mansur Yavaş, maire d’Ankara, incarnent aujourd’hui une alternative crédible au pouvoir en place. Leur popularité, consolidée depuis leur victoire en 2019, s’est confirmée lors des élections municipales de mars 2024, au cours desquelles l’opposition a remporté plusieurs grandes villes au détriment de l’AKP.

B.   L’érosion de l’État de droit et des libertés publiques en Turquie

a.   Une évolution des indicateurs internationaux inquiétante

i.   Liberté d’expression

S’agissant de la liberté d’expression en Turquie, selon des données de la plateforme internationale V-Dem (Varieties of Democracy) ([18]), celle‑ci a connu une dégradation rapide et constante au cours des deux dernières décennies. Mesurée sur une échelle de 0 à 1 (1 représentant le niveau le plus élevé de liberté), la Turquie affichait un score de 0,70 en 2002, année de l’arrivée au pouvoir de l’AKP. Ce score est tombé à 0,61 en 2008, 0,36 en 2014, 0,14 en 2018, pour atteindre 0,13 en 2024, soit un niveau historiquement bas. À titre de comparaison, ce score place désormais la Turquie au même rang que l’Égypte (0,13), le Venezuela (0,15), le Burundi (0,16) ou encore le Yémen (0,27), illustrant ainsi la perte accélérée des garanties fondamentales en matière de liberté d’expression.

ii.   Liberté de réunion

S’agissant de la liberté de réunion, selon des données de la même plateforme, celle‑ci a connu une évolution contrastée au cours des deux dernières décennies. Après une phase de progression entre 2002 (score de 0,69) et 2010 (0,75), l’indicateur a commencé à se détériorer à partir de 2013, coïncidant avec les premières grandes vagues de répression des mobilisations sociales (manifestations de Gezi). Cette dégradation s’est accentuée jusqu’en 2016, où le score tombe à 0,56, pour se stabiliser ensuite à un niveau bas : 0,55 en 2020, puis 0,56 en 2024. Ce niveau place désormais la Turquie au même rang que des pays tels que la République démocratique du Congo (0,53), le Pakistan (0,57) ou le Gabon (0,58), soulignant une restriction durable et profonde de la liberté de manifestation.

Bien que les manifestations ayant suivi l’arrestation d’Ekrem İmamoğlu n’aient pas été réprimées avec la même intensité que celles du mouvement de Gezi en 2013, elles ont néanmoins donné lieu à une vague d’arrestations de grande ampleur. Selon les déclarations du ministre de l’Intérieur turc en date du 28 mars 2025, plus de 2 000 personnes, en grande majorité des jeunes manifestants, ont été interpellées et placées en détention. Plus récemment, à l’occasion des mobilisations du 1er mai, interdites en Turquie, plus de 500 arrestations supplémentaires ont été recensées.

iii.   Indépendance de la justice

Selon l’indice sur l’État de droit publié par le World Justice Project, la Turquie figure aujourd’hui parmi les pays où l’indépendance de la justice et le respect des principes de l’État de droit sont les plus fragiles ([19]). En 2024, elle se classe 117ᵉ sur 142 pays évalués, avec un score de 0,42 sur 1, 1 correspondant à un système pleinement respectueux de l’État de droit. À titre de comparaison, la Russie occupe la 113ᵉ position et la Biélorussie la 105ᵉ.

La tendance est clairement à la dégradation : entre 2015 et 2024, la Turquie est passée de la 80ᵉ à la 117ᵉ place, avec un score en recul de 0,46 à 0,42, traduisant un affaiblissement progressif et durable de l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Le rapport de la Commission européenne sur la Turquie ([20]), publié le 30 octobre 2024, dresse un constat préoccupant quant à l’indépendance de la justice et au respect du principe de séparation des pouvoirs. Il relève que, « le principe de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance judiciaire est inscrit dans la Constitution et d'autres dispositions législatives », mais constate une politisation croissante du pouvoir judiciaire. Le document souligne que « les déclarations de hauts fonctionnaires sur des affaires en cours, les attaques publiques contre les accusés et les pressions indues exercées sur les juges et les procureurs empêchent les membres du pouvoir judiciaire d'exercer leurs fonctions conformément aux normes de l’UE ». De plus, il est indiqué que « dans de nombreux cas, les juridictions inférieures ont ignoré ou retardé la mise en œuvre des décisions de la Cour constitutionnelle », ce qui remet en cause l’autorité des plus hautes instances judiciaires du pays.

La Commission pointe également l’opacité du fonctionnement institutionnel en matière de nominations judiciaires, notant que « le système de sélection, de recrutement et de promotion des juges et des procureurs n'est pas transparent ». Elle précise que « le ministère de la justice supervise les comités de sélection des nouveaux juges et procureurs », et rappelle que « l’évaluation annuelle des juges et des procureurs est effectuée par le HSK ([21]), dont aucun des membres n »est nommé par des juges pairs ». Aucune réforme n’a, à ce jour, été engagée « pour fournir des garanties efficaces contre la mutation des juges sans leur consentement ».

Enfin, le rapport exprime des inquiétudes persistantes concernant la formation des magistrats, en notant que « des inquiétudes subsistent quant à l’indépendance de l'Académie judiciaire, qui assure la formation initiale et continue des candidats juges et procureurs. Sa gestion est confiée à son président, qui est nommé par le président de la République ». Ce mode de désignation contribue, selon la Commission, à affaiblir davantage l’autonomie du système judiciaire turc.

iv.   L’effondrement du pluralisme médiatique en Turquie

Entre 2005 et 2025, la position de la Turquie dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF) s’est fortement dégradée, passant de la 98ᵉ à la 159ᵉ place sur 180 pays. RSF souligne en particulier que la quasi-totalité des médias nationaux — environ 90 % — est aujourd’hui placée sous le contrôle direct ou indirect du pouvoir en place, compromettant gravement le pluralisme de l’information.

Le rapport de la Commission européenne sur la Turquie ([22]), publié le 30 octobre 2024, met en lumière des atteintes graves et persistantes à la liberté d’expression et à l’indépendance des médias dans le pays.

Il souligne que « plusieurs articles de la législation pénale restreignent la liberté d’expression et des médias pour des raisons de sécurité nationale, d’ordre public et de protection de la morale publique et s’écartent des normes internationales et européennes. L’accès à l'information est souvent limité pour des raisons de sécurité nationale ». Un épisode emblématique est également relevé : « en août 2024, la Cour constitutionnelle a annulé le décret présidentiel confiant à la direction des communications la tâche de lutter contre la désinformation au motif qu’il interfère avec la liberté de la presse et la liberté d’expression telles qu'elles sont inscrites dans la Constitution. L’arrêt a été immédiatement retiré du site web de la Cour et la direction des communications continue de fonctionner comme avant l'arrêt ».

Le rapport pointe également le déséquilibre du traitement médiatique en période électorale. Il observe que « le radiodiffuseur public TRT n’a pas assuré l'égalité des chances pendant les élections [locales de mars 2024], en accordant une couverture déséquilibrée et préférentielle aux partis au pouvoir ». Il est aussi noté que « certains craignent que l’obligation d’obtenir une licence pour la distribution sur Internet ne vise à permettre la censure ».

Enfin, la Commission alerte sur la concentration des médias, précisant que « la loi sur la radiodiffusion n’empêche pas la concentration des médias, ce qui se traduit par une forte concentration de la propriété des médias entre les mains de quelques entreprises. Cela maintient un paysage médiatique biaisé. La distribution des médias imprimés, qui est utilisée pour allouer les fonds de publicité publique et livrer les journaux aux points de vente, est détenue par une seule entreprise ».

b.   Un arsenal juridique au service de la répression politique

Depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP en 2002, l’arsenal juridique turc s’est considérablement durci, consolidant les instruments de répression à l’encontre des opposants politiques, des journalistes, des militants ou des membres de la société civile. Si de nombreuses poursuites continuent de s’appuyer sur la loi antiterroriste de 1991, plusieurs textes adoptés ou amendés sous les gouvernements de l’AKP ont renforcé ce dispositif notamment :

c.   Le suffrage : une valeur démocratique profondément enracinée

Le suffrage conserve une place centrale dans la culture politique turque, et ce malgré l’érosion progressive des garanties démocratiques observée ces dernières années. Le vote est perçu par une large partie de la population comme un levier de légitimité et de changement, y compris par les électeurs critiques à l’égard du pouvoir en place. Le taux de participation, régulièrement élevé, y compris lors d’élections locales ou législatives, témoigne de cet attachement profond au processus électoral. Même dans un contexte de réduction des libertés publiques et de concentration du pouvoir, l’acte de voter reste une pratique investie symboliquement et politiquement, à la fois par les partisans du gouvernement et par ceux qui cherchent à lui opposer une alternative. Cette importance conférée au suffrage contribue à faire des élections, malgré leurs limites, un moment toujours décisif de la vie politique turque.

Dans les faits, le déroulement matériel des élections en Turquie reste globalement satisfaisant. Le scrutin en tant que tel se passe généralement sans incident majeur et l’opposition peut, en principe, faire campagne. Elle parvient même à remporter certaines échéances, notamment les élections locales, comme ce fut le cas au printemps 2024, avec un succès important des partis d’opposition.

Lors de l’élection présidentielle de 2023, Recep Tayyip Erdoğan a été confronté à une opposition plus structurée et unie qu’à l’accoutumée, incarnée notamment par Kemal Kılıçdaroğlu, candidat commun d’une large coalition. Le scrutin s’est joué dans un climat de forte polarisation, et pour la première fois depuis de nombreuses années, la possibilité d’une alternance a été sérieusement envisagée. Toutefois, malgré cette menace électorale réelle, Erdoğan est parvenu à l’emporter au second tour, confirmant sa capacité de mobilisation dans les urnes. Ce succès s’explique en partie par une adhésion persistante à sa personne dans une frange importante de l’électorat. Par ailleurs, le président sortant a bénéficié d’un avantage structurel majeur, notamment par le contrôle quasi-total des médias, l’utilisation extensive des ressources de l’État et un accès inégal à l’espace public, qui ont considérablement déséquilibré la campagne. À ce titre, l’arrestation d’Ekrem İmamoğlu semble constituer, aux yeux du rapporteur, un point de rupture dans ce qui apparaît comme une tradition électorale et démocratique bien établie. L’incarcération du maire d’Istanbul, démocratiquement élu depuis 2019 et réélu en 2024, et a fortiori celle du principal concurrent de Recep Tayyip Erdogan, dessine les contours d'une stratégie visant à affaiblir durablement toute alternative démocratique crédible. Ceci semble d’autant plus vrai que l’invalidation soudaine du diplôme universitaire d’Ekrem İmamoğlu est susceptible d’entraîner son inéligibilité légale à la prochaine élection présidentielle de 2028 ([23]).

III.   Face à la crise politique actuelle en Turquie, une retenue diplomatique marquée

A.   Silences diplomatiques et calculs géopolitiques

1.   Des réactions internationales limitées face à la dérive autoritaire en Turquie

Plusieurs États et organisations internationales ont officiellement réagi à la détention d’Ekrem İmamoğlu et de nombreux co-accusés. Toutefois, les réactions publiques ont globalement été peu nombreuses.

Parmi les États membres de l’Union européenne, la France et l’Allemagne se sont montrées les plus actives, en multipliant les prises de position publiques au niveau des chefs d’État et des ministères des affaires étrangères. Elles ont également présenté une déclaration conjointe au comité des ministres du Conseil de l’Europe, lue par la France le 16 avril et soutenue par 21 des 46 États membres du Conseil ([24]). L’Autriche, la Grèce, le Luxembourg et la République tchèque ont également réagi publiquement, mais de manière plus discrète.

Dans l’ensemble, les États membres de l’Union européenne constatent une détérioration persistante de l’État de droit et des libertés fondamentales en Turquie. Cette préoccupation se reflète dans les discussions menées par l’Union européenne au titre du point 4 de l’ordre du jour (« situations qui requièrent l’attention du Conseil ») lors des sessions de mars ([25]) et de septembre ([26]) du Conseil des droits de l’Homme.

En dehors de l’Union européenne, seule l’Islande s’est exprimée publiquement de façon active.

Du côté des institutions européennes, la Haute Représentante Kaja Kallas et la Commissaire à l’élargissement Martas Kos ont publié, le 19 mars, une déclaration conjointe appelant au respect des droits fondamentaux et de l’État de droit en Turquie ([27]). Le Comité européen des régions s’est également mobilisé à plusieurs reprises par le biais de déclarations publiques.

Le Conseil de l’Europe, par l’intermédiaire du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, a publié plusieurs déclarations fermes les 19 ([28]) et 23 ([29]) mars. Une délégation du Congrès s’est rendue en Turquie les 5 et 6 mai et a notamment rencontré Ekrem İmamoğlu.

Enfin, à l’initiative de la maire de Paris, Anne Hidalgo, 25 maires européens ainsi que l’Association internationale des maires francophones ont réagi publiquement à la détention d’Ekrem İmamoğlu le 21 mars ([30]). Les maires réunis au sein du Pact of Free Cities ([31]) ont également publié une déclaration ([32]) le 26 mars.

2.   La Turquie à l’abri des critiques et des réactions : realpolitik et prudence des chancelleries occidentales

Face à la répression politique en Turquie, de nombreux États occidentaux adoptent une posture de prudence, voire de retenue. L’Allemagne, en particulier, reste globalement mesurée dans ses critiques. Cette attitude s’explique en partie par des considérations de politique intérieure : avec une importante diaspora turque les débats sur la Turquie prennent souvent outre Rhin une dimension électorale sensible. Par ailleurs, Berlin est pleinement conscient du levier stratégique que représente la Turquie en matière migratoire, notamment dans le cadre de l’accord UE‑Turquie de 2016.

D’autres pays, comme l’Italie, adoptent une approche résolument pragmatique. Dans une logique de realpolitik, Rome maintient des relations stables et cordiales avec Ankara, fondées sur un respect mutuel et des intérêts économiques communs, notamment dans les domaines de l’énergie, de la défense et de la gestion migratoire. Pour ces États, la Turquie reste un partenaire stratégique incontournable, en Méditerranée orientale comme dans le voisinage moyen-oriental.

Les États-Unis, de leur côté, ont fait preuve d’une réserve notable à la suite de l’arrestation et la détention d’Ekrem İmamoğlu. Washington a évoqué la situation lors de briefings de presse, en rappelant la nécessité pour la Turquie de respecter ses engagements internationaux, sans toutefois publier de déclaration officielle. Cette discrétion semble s’expliquer en partie par la volonté de préserver la coopération stratégique avec Ankara, notamment au sein de l’OTAN, sur des dossiers sensibles comme la guerre en Ukraine, la présence américaine en Syrie ou encore la gestion de l’influence russe et iranienne dans la région.

Ainsi, beaucoup de capitales occidentales préfèrent éviter les confrontations directes sur les questions de dérive autoritaire ou de violations des droits fondamentaux en Turquie. Elles semblent juger préférable de ne pas compromettre leurs liens bilatéraux avec un acteur régional clé, au risque d’apparaître complaisantes.

B.   LA nécessaire mobilisation de tous pour la préservation de nos valeurs communes

1.   Lucidité stratégique et fermeté démocratique : défendre nos principes face à Ankara

À l’heure où la Turquie traverse une grave crise politique, marquée par un recul préoccupant des principes démocratiques, des libertés publiques et de l’État de droit, il est essentiel de réaffirmer la nécessité d’une mobilisation internationale en faveur de leur préservation, partout dans le monde. Cette exigence est d’autant plus pressante que la Turquie demeure un partenaire de premier plan pour l’Union européenne, avec laquelle elle entretient des liens historiques et juridiques solides. Ces relations reposent notamment sur l’accord d’association d’Ankara de 1963, le processus d’adhésion à l’Union européenne engagé en 1999, ainsi que sur l’union douanière en vigueur depuis 1995. Membre du Conseil de l’Europe depuis 1950 et de l’OTAN depuis 1952, la Turquie est également tenue de respecter les normes démocratiques fondamentales qu’elle a librement acceptées. La solidarité internationale et le rappel de ces engagements communs sont donc indispensables pour soutenir les forces démocratiques turques et défendre l’universalité des droits fondamentaux.

Dans ce contexte, il est essentiel pour le rapporteur d’adopter une approche lucide vis-à-vis de la Turquie, en ayant pleinement conscience à la fois de ses forces et de ses fragilités. Ankara joue un rôle stratégique dans plusieurs dossiers régionaux — de la guerre en Ukraine à la Méditerranée orientale, en passant par la gestion des flux migratoires. Il ne faut ni sous-estimer son influence, ni la surestimer. Cette position exige une posture équilibrée : dialoguer sans complaisance, coopérer lorsque c’est nécessaire, mais rester fermes sur nos principes démocratiques, nos engagements en matière de droits fondamentaux et notre attachement à l’État de droit.

2.   Des leviers à mobiliser pour défendre l’État de droit en Turquie

Les leviers d’action permettant d’inciter la Turquie à respecter les principes démocratiques, les libertés publiques et l’état de droit existent, mais restent limités et politiquement sensibles.

L’hypothèse d’une adhésion à l’Union européenne, longtemps présentée comme un moteur de démocratisation, a aujourd’hui perdu toute crédibilité, tant du côté turc qu’européen. En revanche, Ankara continue de revendiquer la modernisation de l’union douanière avec l’Union européenne, ainsi que des facilités de visa, particulièrement prisées par les classes moyennes turques. Aux yeux du rapporteur, ces demandes constituent un levier d’influence que l’Union européenne pourrait mobiliser, à condition de les subordonner explicitement au respect de l’État de droit et des libertés fondamentales.

Par ailleurs, en tant que membre du Conseil de l’Europe, la Turquie est soumise à des obligations en matière de droits humains. Une procédure d’exclusion existe en cas de violations graves et persistantes, mais peu d’États membres semblent prêts à franchir un tel seuil. Après l’exclusion de la Russie en 2022, un départ turc risquerait de fragiliser profondément l’institution, voire d’en précipiter l’éclatement. Une telle issue serait non seulement dommageable pour la défense des droits en Europe, mais probablement contre-productive en coupant l’un des derniers canaux de dialogue entre la Turquie et le continent.

 

 

 


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   EXAmen en commission

La commission s’est réunie le mercredi 28 mai 2025, sous la présidence de M. Laurent Mazaury, vice-président, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.

M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. J’associe à ma démarche plusieurs députés qui ont coécrit cette proposition de résolution européenne à savoir Mmes Constance Le Grip et Caroline Yadan ainsi que le président Pieyre-Alexandre Anglade.

Cette proposition de résolution européenne fait suite à l’arrestation arbitraire d’Ekrem İmamoğlu, le maire d’Istanbul, le 19 mars dernier par le pouvoir et par le président de la République Recep Tayyip Erdoğan. Cette arrestation marque une rupture claire, nette dans une stratégie déjà longuement éprouvée d’autoritarisme par le pouvoir. Cela nécessite une réaction de notre Assemblée – tel est le sens de la proposition de résolution européenne que nous avons déposé – ainsi que des institutions européennes. Cette arrestation du maire d’Istanbul est conjointe à l’arrestation de plusieurs maires de districts et de journalistes. Elle a été suivie par des manifestations massives dans l’ensemble du pays qui ont malheureusement donné lieu à une répression massive elle aussi. Des dizaines et des dizaines d’étudiants ont été arrêtés et molestés dans des conditions extrêmement violentes qui ont été par ailleurs accompagnées par un mépris de l’autorité judiciaire et l’accès à un procès équitable. Cela a également été suivi par l’arrestation de l’avocat du maire d’Istanbul et de l’avocat de l’avocat du maire d’Istanbul.

Ces faits doivent nous interpeller en tant que députés et nous pousser à réagir et condamner sans appel cette arrestation arbitraire, cette dérive autocratique en Turquie et condamner le silence des chancelleries du monde. Hormis la France et l’Allemagne, peu de chancelleries se sont indignées et exprimées pour condamner cette arrestation arbitraire. Depuis plus de deux mois, le maire d’Istanbul est emprisonné dans une indifférence parfois coupable de la part de nombreux pays, ainsi que de nombreux médias et de l’opinion publique qui n’est parfois pas alerte sur ces sujets. C’est donc tout l’honneur de notre Assemblée que de se saisir de ce sujet et d’apporter un soutien au maire d’Istanbul et d’affirmer la nécessité de retrouver le chemin de l’État de droit en Turquie.

Nous avons mené plusieurs auditions qui ont été passionnantes. Je vous livre quelques points qui vont continuer à nourrir la réflexion contenue dans le projet de rapport qui vous a été envoyé. Le rapport permet de dresser un constat particulièrement édifiant de l’état de la démocratie en Turquie. Le premier point à relever est la dérive autocratique du régime turc qui n’a cependant pas commencer avec l’arrestation du maire d’Istanbul. Il s’agit d’un long processus qui a commencé avec les manifestations du Parc Gezi en 2013. Il s’est intensifié avec la tentative de coup d’État en 2016 qui a entraîné une modification de la constitution et entraîné une hyper-présidentialisation des institutions turques et une concentration des pouvoirs entre les mains du président Erdoğan. Cette dérive autocratique se manifeste notamment par une presse en grande partie contrôlée par le pouvoir, tandis que les voix les plus critiques sont marginalisées et réduites au silence. Le pouvoir du président Erdoğan porte atteinte à la démocratie de façon souvent subtile, notamment en exerçant une pression progressive sur les annonceurs des journaux afin d’asphyxier financièrement la presse critique et de l’empêcher de continuer à publier. Le pouvoir pratique également des arrestations ponctuelles de journalistes. Certaines fréquences sont bloquées ou gelées et la liberté de la presse n’est réellement plus garantie aujourd’hui en Turquie. Le maire d’Istanbul n’est pas la première personnalité à être arrêtée. Il y a eu pendant de très longues années de très nombreuses arrestations de maires affiliés au parti pro‑kurde DEM. Ces maires ont été destitués ou mis en prison. C’est aussi le cas pour plusieurs autres dirigeants politiques et philanthropes, comme Selahattin Demirtaş, leader kurde, qui est incarcéré depuis plus de six ans. Ces arrestations sont monnaie courante en Turquie aujourd’hui depuis plus d’une décennie.

Mais les auditions font apparaître qu’il s’agit d’un moment charnière, car la Turquie a toujours bénéficié jusque-là de véritables contre-pouvoirs, notamment grâce à des élections libres. Cela a permis à d’autres partis, comme le CHP d’Ekrem Imamoglu de remporter des élections locales, alors même que l’AKP du président Erdoğan détient le pouvoir à l’échelle nationale. Les Turcs affichent un attachement profond à la démocratie, illustré par leur taux de participation électorale, l’un des plus élevés au monde. C’est là un véritable rituel issu de la philosophie kémaliste et de la philosophie des lumières. Les Turcs sont viscéralement attachés aux élections et à la démocratie électorale et représentative sur laquelle se fonde la légitimité des personnes en place. Même s’il y a parfois eu des entorses, comme des ingérences politiques, des restrictions sur la liberté de la presse et des manifestations interdites. Cependant, pour la première fois, le principal adversaire de Recep Tayyip Erdoğan a été arrêté. Nous ne sommes plus du tout dans un espace de liberté quand vous arrêtez votre principal opposant. Le dernier lien qui rattachait la Turquie à un État démocratique a sauté. Je veux donc attirer votre attention chers collègues sur ce moment de bascule.

Un autre point important issu des auditions est que ces arrestations ne constituent pas un fait isolé, mais s’inscrivent dans une stratégie plus large du pouvoir en place. Cette stratégie, encore difficile à saisir, montre simultanément la dissolution du mouvement kurde PKK, manœuvre guidée non seulement par le président Erdoğan mais, plus surprenant encore, par le leader du parti d’extrême droite MHP, Devlet Bahçeli. Nous avons ainsi assisté à la manœuvre de l’AKP pour parvenir à la dissolution du PKK et tenter de briser l’alliance des oppositions qui avait permis l’élection d’Ekrem İmamoğlu aux municipales de 2024. Il y a également une tentative de briser le front pro‑kurde et notamment le parti DEM. Ces évènements sont concomitants.

Selon certains experts, cette arrestation précoce, qui a eu lieu en mars 2025, pourrait être un indice des ambitions du président Erdoğan de déclencher des élections anticipées pour pouvoir briguer à nouveau un mandat. L’autre hypothèse serait, grâce à ce revirement d’alliance, la potentielle création d’une autre coalition et d’une majorité qualifiée pour pouvoir changer la constitution entre le parti DEM, l’AKP et ses alliés. Il subsiste donc une incertitude sur l’avenir politique de la Turquie.

Quant au rôle de la diplomatie française, nous sommes, en tant que parlementaires, lucides des tourments démocratiques et des stratégies qui nous conduisent à entretenir des relations avec toutes les parties prenantes du monde. Il y a une dimension de realpolitik claire avec la Turquie, pays stratégique sur différents aspects et conflits, à commencer par celui entre la Russie et l’Ukraine.

D’un point de vue géographique, la Turquie contrôle la mer Noire. Cela illustre le retour de la puissance turque telle que voulue par le président Erdoğan, autrement dit une position non-alignée avec ses homologues. La Turquie a permis le contournement de sanctions russes mais aussi la fourniture de drones pour l’Ukraine. Il s’agit une position ambivalente mais neutre de la part de la Turquie qui se considère comme pièce maîtresse de la stabilité du conflit.

Par ailleurs, la Turquie est engagée sur les sujets syriens, le Moyen-Orient, les liens avec l’Iran. La realpolitik, qui apparaît essentielle au vu du rôle de la Turquie sur ces dossiers est entretenue par l’Union européenne et par la France. Néanmoins, nous n’avons pas de double discours. S’il faut maintenir les liens et le dialogue avec le pouvoir turc, il est aussi de notre devoir, en tant que grande nation démocratique, de dénoncer les dérives autoritaires de ce pays qui est toujours engagé dans un processus d’adhésion à l’Union européenne.

Avec cette proposition de résolution européenne, nous, députés de l’Assemblée nationale française, réaffirmons l’importance de préserver ces principes et de soutenir toutes les personnes qui luttent aujourd’hui pour la démocratie en Turquie, pour la libération du maire d’Istanbul et pour un avenir meilleur.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

Mme Constance Le Grip (EPR). Il est important que nous prenions position, en tant que membres de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale et élus de la Nation. Au nom de mon groupe, je souhaite vivement que ce vote soit favorable à la plus large majorité possible. Suite aux événements récents, il apparaît clairement que la Turquie ne peut plus être considérée comme une démocratie.

La dérive autoritaire et autocratique qui s’est progressivement accélérée depuis 2016 est maintenant manifeste, avec le bâillonnement, l’emprisonnement de toute forme d’opposition et la disqualification du maire d’Istanbul, principal opposant, privé de ses droits fondamentaux et de ses libertés, mais aussi les entraves à la liberté de la presse. Tout cela avait en réalité commencé par une première révision constitutionnelle, juste après l’arrivée au pouvoir du président Erdoğan, qui avait affaibli le pouvoir judiciaire.

Nous apportons notre condamnation ferme et résolue de ces atteintes et notre soutien à toutes les forces pro-démocratiques : avocats, militants, journalistes, citoyens, partis qui essayent de faire entendre une voix d’opposition au régime. Il faut enfin souligner le combat des femmes turques, des militantes d’associations féministes très engagées qui dénoncent le retour en arrière, vers un fondamentalisme islamiste qui prend pour cible les droits et libertés des femmes.

M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. La répression est en effet très violente, puisque les chiffres actuels évoquent déjà 1 400 personnes arrêtées. Les journalistes que nous avons rencontrés ont été particulièrement choqués par cette violence dans les manifestations, où ils ont constaté un usage complètement disproportionné de la force par l’usage de flash-ball, des humiliations, des sévices sexuels, en plus de l’emprisonnement de nombreux jeunes avec parfois pour seul motif la participation aux rassemblements.

Nous pouvons observer toute la dangerosité du pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan, qui a par ailleurs su retenir les leçons de 2013 à Gezi. Nous étions à cette époque face à des images qui ont traversé la planète, relatant d’une violence très forte, qui avait causé la mort. Il réussit désormais à étouffer de manière bien plus subtile ces manifestations, malgré leur violence inouïe.

Heureusement, le CHP a rapidement repris la main sur la contestation, et a déployé beaucoup d’efforts pour canaliser les franches les plus radicales, notamment les Loup gris. Ces derniers étaient parfois présents dans les manifestations, mais une tentative d’empêcher ces « black blocs » turcs d’aggraver la situation a pu être observée.

Ses avocats rappellent que le fondement de l’arrestation d’Ekrem İmamoğlu était double : des accusations de corruption, et dans le même temps des accusations encore plus insensées sur une participation à des actions terroristes, ou encore des liens indirects avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ces accusations sont bien évidemment infondées, mais elles s’inscrivent néanmoins dans une stratégie et une dérive autocratique manifeste. En 2016, à la suite du coup d’État, 120 000 fonctionnaires du système judiciaire turc avaient été arrêtés, ce qui avait mené à ce que presque un tiers des fonctionnaires du ministère de la justice soient remplacés par des proches de Recep Tayyip Erdoğan.

Mme. Anna Pic (SOC). Depuis 2003, et l’accession au pouvoir de Recep Tayyip Erdoğan en Turquie, le parti socialiste et son groupe parlementaire n’ont cessé de dénoncer la dérive autocratique et autoritaire du régime turc. Nous faisons le constat avec vous que ce régime a progressivement remis en cause l’héritage démocratique et de laïcité de la république de Turquie, pourtant plus que centenaire.

Au regard, et profitant du contexte socio-économique en déliquescence, le président turc a amplifié sa politique nationale islamiste conservatrice, tout comme il a intensifié sa répression à l’égard de ses opposants politiques.

Vous avez parlé du fondateur du PKK, Abdullah Öcalan, qui est aujourd’hui toujours emprisonné, après 26 ans de détentions, et malgré les dernières évolutions, dont nous savons ce qu’elles peuvent recouvrer par ailleurs. Il reste emprisonné, et la sortie nous paraît bien difficile à voir arriver.

J’étais d’ailleurs ce week-end à Istanbul au côté du leader du parti d’Ekrem İmamoğlu, Özgür Özel, à qui j’ai, au nom de mon parti, réaffirmé notre soutien. Nous avons exprimé ce soutien en rejoignant les opposants qui déployaient des banderoles sur le Bosphore et dénonçaient la dérive autocratique du pouvoir turc actuel.

Le principal opposant a donc été arrêté, très certainement parce qu’il faisait de l’ombre à Recep Tayyip Erdoğan, qui est en perte de vitesse, comme il a pu être constaté au vu du résultat des dernières élections municipales. Au-delà de l’arrestation de Ekrem İmamoğlu, nous pouvons par ailleurs déplorer l’arrestation d’un grand nombre de maires de communes moins connues, mais elles aussi victimes de Recep Tayyip Erdoğan. Cela signifie qu’il ne s’attaque plus seulement à ses opposants au niveau politique, mais qu’il s’attaque aussi directement à la représentation démocratique des collectivités territoriales.

Nous faisons part de notre indéfectible soutien et solidarité envers ces prisonniers politiques. Nous reconnaissons à ce titre l’intérêt de cette proposition de résolution européenne (PPRE), qui permet enfin de mettre en lumière une dégradation que nous ne connaissons que trop peu. La France, en tant qu’amie et alliée de la Turquie, doit évidemment prendre ses responsabilités diplomatiques pour appeler à la libération immédiate des prisonniers d’opinions et en encourageant le retour à l’État de droit, et en défendant les droits humains et les libertés fondamentales. Enfin, elle doit aussi apporter tous le soutien qu’ils méritent à nos amis kurdes qui ont été à nos côtés en Syrie, notamment dans la lutte contre le terrorisme islamiste, et qui, parfois, ont l’impression d’être toujours ceux qui font l’Histoire, mais qui restent les oubliés de l’Histoire.

Nous voterons donc évidemment ce texte pour dénoncer cette dérive autocratique.

M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. Merci Madame Pic pour votre soutien à cette démarche, et pour votre implication. Effectivement, vous avez ce week-end, avec l’Internationale socialiste et le président du gouvernement espagnol Pedro Sánchez, apporté votre soutien à Ekrem İmamoğlu, et ces images sont importantes.

La question kurde sera très certainement abordée lors des discussions des amendements.

La destitution parfois systématique des maires kurdes, abordée dans mon propos introductif, a été monnaie courante depuis plus de dix ans dans le Sud-Est du pays, et s’est accélérée après 2013, avec l’arrestation conjointe d’Ekrem İmamoğlu et de plusieurs maires du district. Nous parlons beaucoup d’Ekrem İmamoğlu puisque c’est une figure extrêmement emblématique d’Istanbul, mais effectivement d’autres maires du district ont eux aussi été arrêtés en parallèle de son arrestation. Cette tentative de sape se déploie donc à tous les niveaux et sur l’ensemble du territoire, et pas seulement à l’égard de son principal opposant politique.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). La France Insoumise a toujours eu une position ferme contre la dérive autoritaire du régime d’Erdoğan. L’incarcération du maire d’Istanbul Ekrem İmamoğlu a marqué l’accélération, ou peut-être même une reprise, de la répression politique en Turquie, après ce qui a été vécu en 2017 avec les Kurdes. Nous combattons ces méthodes de lawfare qui permettent d’empêcher des personnalités politiques faisant concurrence de participer aux élections démocratiques, mais aussi d’enfermer des syndicalistes, des militants, et des universitaires. Nous saluons le courage du peuple turc, en particulier sa jeunesse qui fait face à une répression brutale, des centaines de manifestants ont encore été incarcérés récemment. À ce titre, la journaliste d’opposition turque Zehra Kurtay, réfugiée en France, a été arrêtée lundi dernier alors qu’elle se rendait à la préfecture pour renouveler sa demande d’asile. Elle est aujourd’hui menacée d’extradition vers la Turquie, et notre commission doit pouvoir se prononcer contre cette extradition, car elle risque d’y subir à nouveau la torture et l’emprisonnement.

Toute l’opposition de gauche et kurde est violemment réprimée en Turquie. Lors de la dernière session de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Mme Bedia Özgökçe Ertan, membre du parti DEM, expliquait qu’elle avait été démise de ses fonctions de maire alors qu’elle avait battu le candidat du parti du président Erdoğan. Elle risque aujourd’hui 30 ans de prison si elle venait à retourner en Turquie, et vit désormais en Allemagne.

Au minimum, il y a une dizaine de milliers de prisonniers politiques dans les prisons des autorités turques, et le récent geste du PKK, qui a choisi de s’autodissoudre pacifiquement suite à l’appel de Abdullah Öcalan, offre une opportunité de paix historique. Les autorités turques refusent de la saisir. Votre PPRE arrive à point nommé, et nous la soutiendrons.

Il est cependant important de dénoncer le double standard qui pourrait parfois caractériser notre Assemblée. Nous sommes prompts, et à juste titre, à dénoncer ce qui se passe en Turquie face à la dérive autoritaire du régime en place. Il est nécessaire d’avoir le même discours lors qu’Israël est concerné, et notamment le gouvernement israélien de Benyamin Netanyahou, qui a recours à la répression politique, mais aussi au génocide à Gaza. Il faut avoir la possibilité de condamner ceci de la même façon, chaque fois que se présente ce genre de situation dans un pays. Nous ne pouvons pas désigner l’un, et protéger l’autre.

M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. Merci pour votre propos extrêmement clair Mme la députée. Vous avez insisté à juste titre sur la mobilisation de la jeunesse, car c’est bien à partir d’elle que les mobilisations ont commencé. Les jeunes sont les premiers à avoir brisé le cordon pour se rendre devant la mairie d’Istanbul. Ce qui est plus rare à voir, c’est la mobilisation des lycéens, encadrés par les enseignants au sein d’actions pacifiques. Ils restent extrêmement mobilisés, avec un certain nombre d’étudiants refusant de participer à des examens.

Je reviendrai sur le sujet kurde, car c’est extrêmement important de poser le pour et le contre dans ce que l’on dit à son propos.

M. Pascal Lecamp (DEM). Nous soutenons la PPRE présentée aujourd’hui. Depuis plusieurs années, nous observons avec inquiétude une érosion progressive de l’État de droit en Turquie. La liberté de la presse, les arrestations arbitraires d’opposants politiques, les restrictions imposées à la société civile et aux minorités sont autant de signaux alarmants qui ne peuvent nous laisser indifférents.

En tant que membre de l’Union européenne, nous avons la responsabilité de défendre et de promouvoir les valeurs fondamentales qui nous unissent : la démocratie, les droits humains, et le respect de l’État de droit. Cette PPRE réaffirme notre engagement envers ces principes et envoie un message clair de solidarité à tous ceux qui, en Turquie, luttent pour les préserver. Ils sont en effet des millions à supporter Ekrem İmamoğlu et à vouloir rompre avec la Turquie que dessine un peu plus chaque jour le président Erdoğan. Il est essentiel que l’Union continue de dialoguer avec la Turquie, et nous devons aussi rester fermes sur le respect des droits fondamentaux.

Le groupe démocrate soutiendra cette PPRE : elle est une contribution modeste peut-être, mais dans un temps où la liberté d’expression est si menacée, faisons bon usage de la nôtre !

M. Pierre Cazeneuve (rapporteur). Merci pour votre soutien. Lorsque l’on dépose ce genre de proposition, on ne se réveille pas un matin en se disant que l’on allait faire plier le régime d’Erdoğan et que « Prenez garde, l’AKP, l’Assemblée nationale arrive ! ».

Évidemment, il est nécessaire d’être humble sur la portée réelle de ce que nous faisons. Après l’arrestation du maire d’Istanbul, il y a eu un silence assourdissant au sein des chancelleries du monde, à l’exception de la France et de l’Allemagne qui ont communiqué. De manière générale, l’Europe s’est peu exprimée sur le sujet. Ce sera regardé avec beaucoup d’intérêt par les partis d’opposition turcs, qui aujourd’hui se battent pour la liberté d’expression et le retour de la démocratie. La PPRE ne sera pas décisive, mais elle contribuera à soutenir des personnes se battant pour les droits humains.

M. Matthieu Vallet, député européen (Patriotes pour l’Europe) : Siégeant à la commission des droits de l’Homme du Parlement européen, ce n’est pas une surprise d’apprendre que la Turquie ignore les droits de l’Homme. L’arrestation du maire d’Istanbul n’est que la partie immergée de l’iceberg, puisqu’il s’agit d’une pratique habituelle du président Erdoğan, depuis trois mandats, de révoquer des maires n’appartenant pas à son obédience politique, sans aucune base juridique. Il y a également des purges dans l’armée, dans les médias et dans la justice.

Je rappelle également qu’en violation du droit international son pays occupe, depuis 1974, le nord de l’île de Chypre alors que ce pays est membre de l’Union européenne. Cette dernière aurait versé 31 milliards d’euros à la Turquie entre 1996 et 2000. Le chantage aux migrants, commencé en 2015, aurait coûté 9 milliards d’euros, dont 2 milliards d’euros pour la France. Il faut donc arrêter de payer pour un État qui applique le programme des Frères Musulmans. La Turquie n’est plus l’État démocratique qu’il revendiquait être mais un État islamiste. Pour rappel, l’accession de M. Ahmed Al-Charaa ainsi que des Islamistes en Syrie relève également de sa responsabilité.

Au Parlement européen, nous enchaînons les résolutions sans plus de succès : la solution consiste à stopper l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. M. Macron s’y oppose, M. Sarkozy était également contre, alors même qu’ils appartiennent à des obédiences politiques différentes. Arrêtons de payer pour un pays n’ayant ni nos valeurs, ni nos principes ni notre civilisation ! Votre PPRE ne va pas dans ce sens : sans taper du poing sur la table nous ne serons pas écoutés !

M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. J’entends des prises de position assez caricaturales. Concernant le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, toutes les négociations avec l’Europe ont été arrêtées en 2018. La réalité du maintien de la Turquie dans ce processus est un moyen pour l’Europe de maintenir un lien diplomatique. Les financements auxquels vous faites référence – j’ai interrogé la Commission européenne sur ce sujet – permettaient historiquement la formation des juges et des autorités administratives ! Vous vous doutez bien qu’ils ont été dorénavant stoppés !

Les 17 milliards d’euros attribués à la Turquie dans le cadre du processus d’adhésion ont non seulement été drastiquement limités mais également fléchés vers le soutien à des initiatives de la société civile et à des autorités indépendantes pour maintenir un lien nécessaire avec l’Europe et non pour financer les autorités politiques en place.

La Turquie étant candidate à l’adhésion, la Commission publie chaque année un rapport clair soulignant ses manquements, notamment en matière de droits de l’Homme. Cela permet de mettre en lumière les dérives du pouvoir d’Erdoğan et de montrer comment la Turquie s’est progressivement éloignée du processus initial d’adhésion.

Dernier point, la Turquie joue un rôle stratégique. Les plus de cinq millions de réfugiés syriens présents sur son territoire sont un moyen d’exercer un chantage à la pression migratoire sur l’Europe, en particulier sur l’Allemagne. Cela nécessite des contreparties financières. Les relations avec la France sont limitées ; avec l’Europe, elles se trouvent en sommeil. Le président Nicolas Sarkozy, comme le président actuel ne croient plus à la réalité d’une adhésion. L’objet de cette PPRE est donc de dénoncer la réalité de cette dérive autoritaire ainsi que les atteintes à l’état de droit.

M. le vice-président Laurent Mazaury. Nous en venons à l’examen des amendements.

Amendement n° 1 de M. Pierre Cazeneuve

M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. Cet amendement vise à compléter l’alinéa 16, suite aux auditions menées, afin d’être exhaustif concernant les différentes catégories de personnes arrêtées. Nous avons donc ajouté les avocats et les fonctionnaires.

L’amendement n° 1 est adopté.

Amendement n° 2 de M. Pierre Cazeneuve

M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. Lors du dépôt de cette PPRE les chefs d’accusation de terrorisme et d’atteinte à l’intégrité du pays, sous la pression populaire ont été retirés, mais remplacés par ceux de corruption. Pour être le plus juste, juridiquement parlant, cet amendement propose d’utiliser les termes de « chefs d’accusation abusifs liés à la corruption ou au terrorisme ».

L’amendement n° 2 est adopté.

Amendement n° 3 de Mme Sophia Chikirou.

Mme Sophia Chikirou (LFI). Cet amendement appelle à la libération immédiate des responsables politiques du PKK, leur détention arbitraire étant un obstacle au processus de paix. Le renoncement par le chef du PKK aux armes est le signal que le temps du processus de paix est venu. La question kurde qui concerne plusieurs pays doit trouver une voie pacifique. Nous avons une occasion historique, en Turquie, pour le faire. Notre rôle en tant que parlementaire, au regard de la solidarité internationale que nous souhaitons exprimer à travers cette PPRE, est de dénoncer une détention longue, arbitraire, inhumaine qui n’a même plus l’habillage du motif politique.

Mme Anna Pic (SOC). Je soutiens cet amendement. Je viens d’envoyer un courrier au président Macron pour insister sur la nécessité pour notre pays de faire pression sur la Turquie afin qu’elle libère le leader du PKK, qui a renoncé unilatéralement à la violence. Nous devons soutenir le retrait de cette organisation de la liste des organisations terroristes, pour pouvoir véritablement avancer sur ce sujet. Ils ont renoncé à la violence, ils ont déposé les armes : continuons dans cette direction et affirmons clairement que les membres du PKK ne doivent plus figurer parmi les membres d’une organisation terroriste.

M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. Nous entrons là dans toute la complexité du sujet, et je vais prendre quelques minutes pour partager avec vous, de manière modeste, ce que j’ai pu apprendre lors des auditions et les convictions que j’ai pu me forger.

Tout d’abord, l’auto-dissolution du PKK est une initiative qui vient d’Erdoğan. C’est une démarche du pouvoir en place, portée par l’AKP, dans une stratégie visant à diviser l’opposition unie. Ainsi, en décembre dernier, nous avons assisté à une poignée de main et à une rencontre entre Devlet Bahçeli, président du MHP, le mouvement d’extrême droite nationaliste allié d’Erdoğan, et Abdullah Öcalan. Cela montre bien que la dynamique actuelle autour de la dissolution du PKK est impulsée par le pouvoir en place.

Ensuite, dans votre amendement, Madame Chikirou, vous mentionnez Abdullah Öcalan, fondateur du PKK qui est une organisation aujourd’hui encore considérée comme terroriste par l’Union européenne et par la France. En tant que parlementaire, je ne me vois pas appeler à la libération du fondateur d’un mouvement considéré comme terroriste.

Vous mélangez par ailleurs plusieurs figures : Abdullah Öcalan, mais aussi Selahattin Demirtaş, qui est un parlementaire, chef du parti DEM, un parti pro‑kurde qui ne partage absolument pas les mêmes modes d’action que le PKK. Le DEM n’est pas un mouvement terroriste ; c’est un parti historiquement ancré à gauche, très engagé sur les questions d’écologie, de droits des femmes, etc. Il ne faut surtout pas confondre ni amalgamer le PKK et le parti DEM, même si la cause kurde est commune aux deux.

Enfin, vous mentionnez Osman Kavala, un philanthrope qui n’a rien à voir avec la cause kurde. Il a été arrêté parce qu’il dérangeait le pouvoir en place à travers les actions qu’il finançait et les médias qu’il soutenait. Ces trois personnes ont été arrêtées pour des raisons très différentes ; elles n’appartiennent pas à la même mouvance.

Dès lors, cet amendement ne me semble pas pouvoir être soutenu tel quel. Nous n’allons pas nous accorder sur la question du PKK, mais je peux vous proposer que la proposition de résolution européenne formule un appel plus général à la libération de toutes les personnes arrêtées pour des raisons politiques.

M. Pascal Lecamp (DEM). Ayant été diplomate en poste en Turquie, je souhaiterais apporter ma modeste contribution au débat. Nous ne pouvons pas, dans le cadre de cette commission, compromettre l’action diplomatique de la France. Nommer des individus aussi précisément ne relève pas de notre rôle. Je soutiens l’idée d’appeler à la libération de tous les prisonniers politiques en Turquie. Chacun y retrouverait ou y projetterait ce qu’il souhaite.

Je rappelle qu’un quart de la population turque est kurde, soit environ 20 millions de personnes sur une population totale de 80 millions. Il serait donc malvenu de stigmatiser, à travers une formulation aussi ciblée que celle que vous proposez, une part aussi importante de la population turque. C’est avec cette dernière que nous devons être en mesure de dialoguer afin de préserver le rôle diplomatique de la France et de l’Europe dans la relation avec la Turquie. Cette dernière doit rester, à terme, un partenaire, pour son peuple, pour les Kurdes et pour les autres peuples.

Je soutiendrai donc la proposition du rapporteur.

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Laisser entendre qu’il existerait aujourd’hui une forme d’entente entre le PKK et le président Erdoğan est une erreur et une faute d’analyse politique. Le fait que le PKK ait décidé de s’auto-dissoudre et de renoncer à la lutte armée pour obtenir l’autodétermination du peuple kurde ne constitue en rien un renoncement à la cause kurde qui demeure pleinement d’actualité. La population kurde doit disposer d’un droit à l’autodétermination.

Ce que je défends, et ce que défend également le parti DEM, qui siège à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe au sein du groupe GUE auquel La France insoumise est affiliée, c’est un processus démocratique de reconnaissance, d’intégration et de respect de l’ensemble des droits du peuple kurde, y compris ses droits identitaires.

J’insiste fortement sur ce point : nous ne pouvons pas laisser croire qu’un accord aurait été conclu entre les Kurdes et M. Erdoğan. La cause kurde est bien vivante, et il est de notre responsabilité de continuer à nous tenir aux côtés de ce peuple.

Par ailleurs, je ne suis pas du tout opposée à l’idée de modifier l’amendement. J’insiste toutefois pour maintenir un appel clair à la libération immédiate de l’ensemble des prisonniers politiques en Turquie, ainsi que de toutes les personnes détenues pour des motifs politiques.

Mme Constance Le Grip (EPR). En l’état actuel de sa rédaction, nous n’aurions pas voté en faveur de l’amendement n° 3 présenté par La France insoumise, et ce pour toute une série de raisons que le rapporteur a parfaitement exposées.

Je souhaite rappeler que cette proposition de résolution européenne a pour objet principal, essentiel et déjà suffisamment dense, la dénonciation des atteintes aux libertés fondamentales, aux droits fondamentaux et à l’État de droit en Turquie, telles qu’elles sont aujourd’hui perpétrées par le régime de M. Erdoğan.

Le sujet douloureux, complexe et sensible de la question kurde relève à mon sens d’un autre texte. Il devrait être intégré dans une approche diplomatique plus large et paraît ici quelque peu décalé par rapport à l’objet central de cette résolution.

En revanche, je pourrais me rallier à un amendement qui appellerait à la libération immédiate de l’ensemble des prisonniers politiques et de toutes les autres personnes détenues pour des motifs politiques.

M. le vice-président Laurent Mazaury. Est-ce que vous acceptez de modifier votre amendement, en introduisant la phrase : « appelle à la libération immédiate de tous les prisonniers politiques en Turquie, et de toutes les autres personnes détenues pour des motifs politiques » ?

Mme Sophia Chikirou (LFI-NFP). Je l’accepte.

M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. Je suis très satisfait de cette réécriture. Les cinq ou six plus grands chercheurs sur la question turque que nous avons rencontrés ont insisté lors de ces auditions, sur les conditions choquantes du revirement de M. Recep Tayyip Erdoğan qui est un redoutable animal politique. S’il considère que la menace du CHP est plus importante que la menace kurde, il est capable de tout faire afin de briser le front d’opposition.

L’amendement n° 3 rect. est adopté.

Amendement n° 4 de Mme. Sophia Chikirou.

Mme. Sophia Chikirou (LFI-NFP). Il s’agit d’un amendement qui vise à affirmer le droit légitime du peuple kurde à l’autodétermination. Le peuple kurde est la plus grande nation du monde sans État, et la mise en œuvre d’un processus de paix durable en Turquie est indispensable.

Nous pensons qu’il faut rappeler l’importance du respect des droits des Kurdes, notamment dans le contexte de répression politique massive dénoncé dans ce texte. Cette répression vise non seulement les Kurdes pour ce qu’ils sont – un quart de la population turque – mais aussi pour ce qu’ils pensent, car les Kurdes portent un projet de société souvent fondé sur des bases socialistes, d’autogestion, et de féminisme. Il est important de souligner qu’ils sont victimes de répression politique et identitaire, et de réaffirmer que leur autodétermination est fondamentale.

M. Pierre Cazeneuve, rapporteur. J’ai deux objections sur ce point-là.

Tout d’abord, il est important de ne pas dévier de l’objet de la résolution européenne qui est d’appeler à la libération d’Ekrem İmamoğlu et à la préservation des principes démocratiques. La question kurde, vous l’avez rappelé, est une question très large qui ouvre un champ très dense de débats et de questions juridiques, politiques et géopolitiques.

Sur le fond, le concept d’autodétermination est un concept fort qui manque de précision. Il laisse entendre que l’objectif serait d’avoir un État autonome kurde en Turquie alors qu’il existe déjà un certain nombre de dispositions assez claires dans la Constitution sur la reconnaissance de l’identité kurde ainsi que sur des possibilités d’autonomie. Par ailleurs, le sujet dépasse la Turquie puisqu’il concerne aussi la Syrie et l’Irak. Il conviendrait plutôt d’engager un travail de réflexion au sein du groupe d’études sur la question kurde et d’envisager la rédaction d’une proposition de résolution européenne spécifique sur le sujet.

L’amendement n° 4 est rejeté.

L’article unique de la proposition de résolution européenne est adopté.

La proposition de résolution européenne ainsi modifiée est par conséquent adoptée.

 

 

 

 

 


–  1  –

 

   proposition de résolution européenne initiale

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le Préambule de la Charte des Nations Unies, et en particulier son article 2,

Vu les articles 11, 19 et 20 de la déclaration universelle des droits de l’Homme,

Vu les articles 9 et 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté à New‑York le 16 décembre 1966,

Vu les articles 5, 6, 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, adoptée à Rome le 4 novembre 1950,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée le 7 décembre 2000,

Vu les conclusions du Conseil européen des 10 et 11 décembre 1999 à Helsinki, relatifs à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne,

Vu les conclusions du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2004, relatifs à l’ouverture des négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne,

Vu la décision 2008/157/CE du Conseil du 18 février 2008 relative aux principes, aux priorités et aux conditions du partenariat pour l’adhésion de la République de Turquie,

Vu la résolution 2025/2546 du Parlement européen du 13 février 2025 sur les récents cas de maires turcs démis de leurs fonctions et arrêtés,

Vu la résolution 2022/2205 du 7 juin 2022 sur le rapport de la Commission concernant la Turquie ainsi que la résolution du Parlement européen 2024/2856 du 10 octobre 2024 sur le cas de Bülent Mumay,

Vu le règlement (UE) 2021/1529 instituant l’instrument d’aide de préadhésion dont la Turquie est bénéficiaire et visant à renforcer l’État de droit.

Considérant que les libertés de réunion et de manifestation sont garanties par la Constitution turque aux articles 33 et 34 ;

Considérant les arrestations survenues à partir du 19 mars 2025, visant notamment le maire d’Istanbul, M. Ekrem İmamoğlu, démocratiquement élu, ainsi que plusieurs responsables politiques de l’opposition, des journalistes, des étudiants et des manifestants, dans des conditions susceptibles de constituer une atteinte au droit à la liberté et à la sûreté, tel que garanti par le droit international ;

Constatant le risque de déstabilisation majeure au Moyen‑Orient et en Europe que fait actuellement courir cette politique ;

Considérant que la Turquie, en tant qu’État partie à la Convention européenne des droits de l’homme et signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi qu’en qualité de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne, est tenue de respecter les principes fondamentaux de l’État de droit, la séparation des pouvoirs, et les droits et libertés garantis par les critères de Copenhague ; que le processus d’adhésion est dans l’impasse depuis 2018 en raison de la détérioration continue de la démocratie, du respect des droits de l’homme et de l’état de droit ;

Déplore la dégradation persistante de la situation des droits fondamentaux en Turquie, notamment à travers la multiplication des atteintes aux libertés civiles et politiques, qui contribue à un affaiblissement préoccupant du cadre démocratique et de l’État de droit ;

Exprime sa vive préoccupation face à une gouvernance marquée par une instrumentalisation récurrente de l’appareil judiciaire, notamment par l’usage extensif de chefs d’inculpation liés à la corruption ou au terrorisme, ainsi que par des ingérences politiques susceptibles de compromettre l’indépendance de la justice et de restreindre l’espace démocratique ;

Regrette les mesures arbitraires et excessives prises à l’encontre des professionnels de l’information, telles que la censure, les restrictions à la diffusion et l’arrestation de journalistes, qui portent gravement atteinte à la liberté d’expression et à l’indépendance de la presse ;

Regrette la détention du maire d’Istanbul, M. Ekrem İmamoğlu, élu au suffrage universel, ainsi que les mesures de détention prises à l’encontre de responsables politiques de l’opposition et de journalistes, en dehors des garanties procédurales qui devraient encadrer toute privation de liberté ;

Rappelle l’obligation faite aux autorités turques de respecter les garanties fondamentales d’un procès équitable, telles que la présomption d’innocence, le droit à une défense effective, l’accès à un conseil indépendant et la transparence des procédures. Conformément aux instruments internationaux auxquels elle a souscrit, et en particulier au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Turquie doit veiller à ce que nul ne soit arbitrairement poursuivi ou sanctionné pour ses opinions, son expression publique ou son engagement démocratique ;

Invite les institutions européennes, et en particulier la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à exprimer publiquement leur préoccupation face à la situation actuelle en Turquie, et à rappeler l’exigence de conformité aux valeurs fondamentales de l’Union, en particulier en matière de démocratie, d’État de droit et de droits fondamentaux ;

Appelle la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne à se positionner de manière claire sur les récents développements politiques et judiciaires en Turquie, en réaffirmant leur attachement indéfectible aux principes démocratiques, au pluralisme et au respect des engagements internationaux en matière de droits humains ; et les invite à suivre de près la situation et à prendre les mesures diplomatiques nécessaires ;

Invite la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne ainsi que les États membres, et en particulier le Gouvernement français, à prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir la population kurde, assurer la protection des civils et contribuer activement à la restauration de la stabilité démocratique en Turquie.

 

 

 

 


–  1  –

 

   amendements examinÉs par la commission

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 MAI 2025


préservation des principes démocratiques, des libertés publiques et de l’État de droit en Turquie (1258),

 

AMENDEMENT

No 1

 

présenté par

M. Pierre CAZENEUVE

----------

ARTICLE UNIQUE

 

A l’alinéa 16, après les mots : « des journalistes »,

Insérer les mots : « des avocats, des fonctionnaires ainsi que »

 

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Pour mieux rendre compte de l’ampleur de la répression exercée par les autorités turques, il est proposé de compléter l’alinéa concerné en y ajoutant une mention explicite des arrestations visant des fonctionnaires – notamment des policiers – ainsi que des avocats engagés dans la défense d’Ekrem İmamoğlu.

 

 

Cet amendement a été adopté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 MAI 2025


préservation des principes démocratiques, des libertés publiques et de l’État de droit en Turquie (1258),

 

AMENDEMENT

No 2

 

présenté par

M. Pierre CAZENEUVE

----------

ARTICLE UNIQUE

 

A l’alinéa 20, remplacer les mots  : « l’usage extensif » par les mots : « un usage abusif »

 

EXPOSÉ SOMMAIRE

Le présent amendement vise à rappeler que les autorités turques font un usage fréquent et abusif des chefs d’inculpation liés au terrorisme et à la corruption, qualifications juridiques particulièrement larges dans le contexte turc, susceptibles d’être instrumentalisées à des fins de répression politique.

 

 

 

 

Cet amendement a été adopté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 MAI 2025


préservation des principes démocratiques, des libertés publiques
et de l’état de droit en turquie (n° 1258)

 

AMENDEMENT

 

No 3 rect.

 

présenté par

Mme Sophia CHIKIROU

----------

ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 23, insérer un nouvel alinéa ainsi rédigé :

« Appelle à la libération immédiate de tous les prisonniers politiques en Turquie et toutes les autres personnes détenues pour des motifs politiques. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Des milliers de citoyens turcs restent emprisonnés pour leurs opinions politiques, en violation flagrante des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme. La détention prolongée de personnalités telles que Selahattin Demirtaş, Osman Kavala, leaders politiques kurdes, symbolise la nature répressive du régime actuel et constitue un obstacle majeur à la réconciliation politique en Turquie, pourtant souhaitée par le PKK, qui vient de s’auto dissoudre pour ouvrir la voie à une résolution pacifique du conflit.

 

 

 

 

 

Cet amendement a été rejeté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

28 MAI 2025


préservation des principes démocratiques, des libertés publiques
et de l’état de droit en turquie (n° 1258)

 

AMENDEMENT

 

No 4

 

présenté par

Mme Sophia CHIKIROU

----------

ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 26, insérer un nouvel alinéa ainsi rédigé :

« Affirme le droit légitime du peuple kurde à l’autodétermination, conformément aux principes reconnus par la Charte des Nations unies, et appelle les autorités turques à ouvrir un dialogue politique inclusif avec toutes les composantes du mouvement kurde, notamment celles aujourd'hui emprisonnées. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

 

Le récent processus de dissolution pacifique du PKK est un geste fort qui représente une opportunité sans précédent de paix. Cependant, sans une reconnaissance explicite du droit fondamental du peuple kurde à l'autodétermination, conforme au droit international et aux principes de la Charte des Nations unies, aucune solution politique durable ne pourra être atteinte. L'inclusion de ce droit est essentielle pour encourager les autorités turques à s'engager dans un processus de paix sincère et durable avec les Kurdes, plus grande nation du monde sans État.

 

 

 

Cet amendement a été rejeté.

 

 

 


– 1 –

   PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le Préambule de la Charte des Nations Unies, et en particulier son article 2,

Vu les articles 11, 19 et 20 de la déclaration universelle des droits de l’Homme,

Vu les articles 9 et 14 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté à New‑York le 16 décembre 1966,

Vu les articles 5, 6, 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, adoptée à Rome le 4 novembre 1950,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne adoptée le 7 décembre 2000,

Vu les conclusions du Conseil européen des 10 et 11 décembre 1999 à Helsinki, relatifs à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne,

Vu les conclusions du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2004, relatifs à l’ouverture des négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne,

Vu la décision 2008/157/CE du Conseil du 18 février 2008 relative aux principes, aux priorités et aux conditions du partenariat pour l’adhésion de la République de Turquie,

Vu la résolution 2025/2546 du Parlement européen du 13 février 2025 sur les récents cas de maires turcs démis de leurs fonctions et arrêtés,

Vu la résolution 2022/2205 du 7 juin 2022 sur le rapport de la Commission concernant la Turquie ainsi que la résolution du Parlement européen 2024/2856 du 10 octobre 2024 sur le cas de Bülent Mumay,

Vu le règlement (UE) 2021/1529 instituant l’instrument d’aide de préadhésion dont la Turquie est bénéficiaire et visant à renforcer l’État de droit.

Considérant que les libertés de réunion et de manifestation sont garanties par la Constitution turque aux articles 33 et 34 ;

Considérant les arrestations survenues à partir du 19 mars 2025, visant notamment le maire d’Istanbul, M. Ekrem İmamoğlu, démocratiquement élu, ainsi que plusieurs responsables politiques de l’opposition, des journalistes, des avocats, des fonctionnaires ainsi que des étudiants et des manifestants dans des conditions susceptibles de constituer une atteinte au droit à la liberté et à la sûreté, tel que garanti par le droit international ;

Constatant le risque de déstabilisation majeure au Moyen‑Orient et en Europe que fait actuellement courir cette politique ;

Considérant que la Turquie, en tant qu’État partie à la Convention européenne des droits de l’homme et signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi qu’en qualité de pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne, est tenue de respecter les principes fondamentaux de l’État de droit, la séparation des pouvoirs, et les droits et libertés garantis par les critères de Copenhague ; que le processus d’adhésion est dans l’impasse depuis 2018 en raison de la détérioration continue de la démocratie, du respect des droits de l’homme et de l’état de droit ;

Déplore la dégradation persistante de la situation des droits fondamentaux en Turquie, notamment à travers la multiplication des atteintes aux libertés civiles et politiques, qui contribue à un affaiblissement préoccupant du cadre démocratique et de l’État de droit ;

Exprime sa vive préoccupation face à une gouvernance marquée par une instrumentalisation récurrente de l’appareil judiciaire, notamment par un usage abusif de chefs d’inculpation liés à la corruption ou au terrorisme, ainsi que par des ingérences politiques susceptibles de compromettre l’indépendance de la justice et de restreindre l’espace démocratique ;

Regrette les mesures arbitraires et excessives prises à l’encontre des professionnels de l’information, telles que la censure, les restrictions à la diffusion et l’arrestation de journalistes, qui portent gravement atteinte à la liberté d’expression et à l’indépendance de la presse ;

Regrette la détention du maire d’Istanbul, M. Ekrem İmamoğlu, élu au suffrage universel, ainsi que les mesures de détention prises à l’encontre de responsables politiques de l’opposition et de journalistes, en dehors des garanties procédurales qui devraient encadrer toute privation de liberté ;

Rappelle l’obligation faite aux autorités turques de respecter les garanties fondamentales d’un procès équitable, telles que la présomption d’innocence, le droit à une défense effective, l’accès à un conseil indépendant et la transparence des procédures. Conformément aux instruments internationaux auxquels elle a souscrit, et en particulier au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Turquie doit veiller à ce que nul ne soit arbitrairement poursuivi ou sanctionné pour ses opinions, son expression publique ou son engagement démocratique ;

Appelle à la libération immédiate de tous les prisonniers politiques en Turquie et toutes les autres personnes détenues pour des motifs politiques.

Invite les institutions européennes, et en particulier la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à exprimer publiquement leur préoccupation face à la situation actuelle en Turquie, et à rappeler l’exigence de conformité aux valeurs fondamentales de l’Union, en particulier en matière de démocratie, d’État de droit et de droits fondamentaux ;

Appelle la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne à se positionner de manière claire sur les récents développements politiques et judiciaires en Turquie, en réaffirmant leur attachement indéfectible aux principes démocratiques, au pluralisme et au respect des engagements internationaux en matière de droits humains ; et les invite à suivre de près la situation et à prendre les mesures diplomatiques nécessaires ;

Invite la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne ainsi que les États membres, et en particulier le Gouvernement français, à prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir la population kurde, assurer la protection des civils et contribuer activement à la restauration de la stabilité démocratique en Turquie.

 

 

 

 

 


– 1 –

   annexe
Liste des personnes auditionnées par lE rapporteur

 

– M. Thomas Guibert, sous-directeur Europe 2

– M. Alexandre Bachelet, rédacteur Turquie

– Mme Baiba Tavaresa, cheffe de division au Service européen pour l’action extérieure (SEAE)

– Mme Hélène Bourdieu, commission européenne, direction générale ENEST

– M. Didier Billon, directeur adjoint de l’IRIS ; spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient

– M. Hamit Bozarslan, docteur en histoire et en sciences politiques, directeur d’études à l’EHESS ; spécialiste du Moyen-Orient, de la Turquie et de la question kurde

– Mme Élise Massicard, directrice de recherche au CNRS et membre du Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po spécialiste de la sociologie politique de la Turquie contemporaine, des mouvements sociaux et des relations entre l’État et la société

– Mme Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie/Moyen‑Orient à l’IFRI ; spécialiste de la politique étrangère de la Turquie et des liens entre dynamiques intérieures et diplomatie

– Mme Marie Jégo, journaliste et ancienne correspondante du journal Le Monde en Turquie 

– Mme Delphine Minoui, grand reporter au Figaro, spécialiste du Moyen-Orient

 

 

 


([1]) À Istanbul, la mobilisation s’amplifie en soutien au maire, Ekrem Imamoglu, qui dénonce des accusations « sans fondement  », Le Monde avec AFP, 23 mars 2025.

([2]) Conclusions du Conseil européen de Copenhague : extrait sur les critères d’adhésion à l’Union européenne (21-22 juin 1993)

([3]) Les Alévis sont une communauté religieuse importante en Turquie (environ 10 à 20 % de la population), qui pratique une forme de l’islam chiite hétérodoxe, distincte du sunnisme majoritaire dans le pays.

([4]) En Turquie, une jeunesse moins pratiquante, Marie Jégo, Le Monde, 4 mars 2019.

([5]) Gezi Parki, un lieu symbolique de la liberté, Vincent Duclert, Le Monde, 6 juin 2013.

([6]) La confrérie Gülen est un mouvement religieux, social et éducatif turc fondé autour des idées de Fethullah Gülen, un prédicateur musulman sunnite.

([7]) Ce que l’on sait de la tentative de coup d’État en Turquie, Le Monde, 16 juillet 2016.

([8]) En Turquie, la purge sans fin, Le Monde, 26 décembre 2017.

([9]) Erdogan continue à imposer sa loi à des médias installés en Europe, l’Humanité, 12 octobre 2016.

([10]) Turquie : les critiques en ligne à l’encontre du président Erdogan pourront être sanctionnées, Anne Andlauer, Radio France Internationale, 4 juillet 2023.

([11]) En Turquie, médias et réseaux sociaux sous surveillance de plus en plus étroite du pouvoir, Marie-Pierre Vérot, 28 septembre 2024.

([12]) Résolution du Parlement européen du 13 février 2025 sur les récents cas de maires turcs démis de leurs fonctions et arrêtés

([13]) Turquie : le chef de file kurde Selahattin Demirtas condamné à quarante-deux ans de prison, Le Monde, 16 mai 2024.

([14]) Vague d'arrestations en Turquie : Erdogan accentue la répression de l'opposition, Les Échos, 30 janvier 2025.

([15]) Arrêt de la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire Kavala c. Turquie (requête n° 28749/18), du 11 juillet 2022

([16]) Le maire d’Istanbul a été condamné à dix mois de prison, Nicole Pope, le Monde, 23 avril 1998.

([17]) La réforme constitutionnelle en Turquie : la démocratie à la dérive, Alain Bockel, Revue française de droit constitutionnel, septembre 2019.

([18]) La plateforme Varieties of Democracy (V-DEM) est une plateforme de collecte et d’analyse de données financée par de nombreuses institutions et universités, dont la Commission européenne et la Banque mondiale.

([19]) World Justice Project, Rule of Law Index 2024 – Profil de la Turquie

([20]) Commission européenne, Rapport 2024 sur la Turquie

([21]) Conseils des juges et des procureurs (Hakimler ve Savcilar Kurulu, HSK).

([22]) Commission européenne, Rapport 2024 sur la Turquie

([23]) Nouvel obstacle pour une candidature à la présidence du maire d’opposition d'Istanbul, France 24 avec AFP,18 mars 2025.

([24]) Allemagne (co-porteur), Andorre, Autriche, Belgique, Chypre, Danemark, Finlande, France (co-porteur), Grèce, Irlande, Islande, Liechtenstein, Luxembourg, Monaco, Malte, Norvège, Pays Bas, Saint-Marin, République tchèque, Slovénie, Suisse. Parmi les États membres de l’Union européenne, la Bulgarie, la Croatie, l’Espagne, l’Estonie, la Hongrie, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Slovaquie et la Suède ne se sont pas associés à cette initiative.

([25]) Haut‑Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, 58ᵉ session ordinaire du Conseil des droits de l’homme, Genève, du 24 février au 4 avril 2025.

([26]) Haut‑Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, 57ᵉ session ordinaire du Conseil des droits de l’homme, tenue à Genève du 9 septembre au 11 octobre 2024.

([27]) Déclaration conjointe de la Haute Représentante Kaja Kallas et de la Commissaire Stefanía Marta Kós, sur les événements récents concernant le maire d’Istanbul Ekrem İmamoğlu, Bruxelles, 2 mars 2025.

([28]) Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, déclaration du 23 mars 2025

([29]) https://www.coe.int/fr/web/congress/-/council-of-europe-congress-mayor-imamo%C4%9Flu-s-detention-is-an-assault-on-democracy-he-must-be-released

([30]) Mayors voice support for Ekrem İmamoğlu, déclaration du 21 mars 2025

([31]) Amsterdam, Barcelone, Berlin, Bratislava, Bruxelles, Budapest, Florence, Gdansk, Hambourg, Kiev, Lisbonne, Londres, Milan, Munich, Paris, Prague, Rome, Sofia, Timisoara, Vilnius, Varsovie, Zagreb.

([32]) Démocratie en péril : les maires européens se mobilisent pour Ekrem Imamoglu