N° 1483

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mai 2025

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
 

tendant à la création d’une commission d’enquête sur les dysfonctionnements obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins

 

PAR M. Davy Rimane
Député

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Voir le numéro : 1050.


SOMMAIRE

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Pages

Introduction........................................................ 2

I. la proposition de rÉsolution semble satisfaire aux conditions de RECEVABILITÉ JURIDIQUE

A. La prÉcision des faits donnant lieu À enquÊte

B. L’absence de travaux d’enquête PORTANT SUR LE MÊME OBJET ET DATANT DE moins d’un an

C. L’absence de poursuites judiciaires en cours

II. L’opportunitÉ de crÉer la commission d’enquÊte paraÎt MANIFESTE

A. Des prÉoccupations lÉgitimes sur « l’État de GRANDE fragilitÉ » de la justice en outre-mer

B. La nÉcEssitÉ de dresser un État des lieux prÉcis et CIRCONSTANCIÉ POUR APPORTER DES REPONSES CONCRÊTES AUX difficultÉs des justiciables ultramarins

III. La position de la commission des LOIS : l’approbation de la création de la commission d’enquête proposée

Compte rendu des débats

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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MESDAMES, MESSIEURS,

Le 10 mars 2025, plusieurs députés, dont votre Rapporteur, membres de divers groupes politiques ([1]), ont déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête « sur les dysfonctionnements obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins ».

Cette initiative se fonde sur un constat indéniable et partagé par de nombreux acteurs institutionnels ([2]) : celui d’un service public de la justice dans les outre-mer en grande difficulté.

Pour un certain nombre, ces difficultés sont partagées sur l’ensemble du territoire national. Néanmoins, en raison de certaines réalités des territoires ultramarins, ces problématiques apparaissent particulièrement accentuées dans les outre-mer, à tel point qu’elles entravent gravement le fonctionnement normal de la justice dans ces territoires.

Ces dysfonctionnements ont notamment été mis en évidence par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans un avis du 22 juin 2017. Ils ont également, quoique trop brièvement, été évoqués dans un rapport plus récent du comité des États généraux de la justice, qui souligne « l’état de grande fragilité » de la justice ultramarine.

Ainsi, comme le déplore Maître Patrick Lingibé « si la justice est en grande difficulté dans l’hexagone, elle est parfois dans un état de coma avancé en Outre-mer » ([3]).

L’état de la justice ultramarine est en effet, et de longue date, préoccupant. L’effectivité des droits les plus élémentaires pour le justiciable, tels que l’accès au droit et l’accès au juge, n’y est pas garantie, alors même qu’ils sont indispensables à l’exercice d’une justice de qualité et sont au fondement du lien de confiance entre le citoyen et son juge.

Malgré le caractère objectif de ce constat, étayé par les rapports précédemment évoqués et mis en évidence par des travaux encore plus récents ([4]), les enjeux particuliers auxquels la justice en outre-mer est confrontée sont encore insuffisamment pris en compte dans le déploiement des politiques publiques affectant le service public de la justice.

En particulier, faute d’étude approfondie menée dans chaque territoire, de nature à mettre en évidence les particularités locales et les difficultés concrètes qui y sont éprouvées, les initiatives éparses, dont l’efficacité est trop peu souvent évaluée, peinent à s’inscrire au sein d’une stratégie globale au profit des justiciables ultramarins.

Pour sauver la justice de ces territoires, il est urgent que la représentation nationale mène ce travail d’ampleur et se dote des moyens pour évaluer l’action qui y est menée en faveur du service public de la justice dans les outre-mer.

En conséquence, la présente proposition de résolution tend à la création d’une commission d’enquête consacrée à l’évaluation des dysfonctionnements de la justice dans les outre-mer. La commission des Lois a approuvé cette proposition, tout en précisant l’objet de ses travaux.

Votre Rapporteur escompte que cette proposition de résolution sera adoptée par l’Assemblée pour qu’une commission d’enquête consacrée à la justice ultramarine soit créée et puisse formuler des propositions pour apporter, enfin, des réponses adaptées à la réalité de ces territoires et aux besoins de leurs justiciables.

En application de l’article 140 du Règlement de l’Assemblée nationale (RAN), une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête fait l’objet d’un examen par la commission permanente compétente, laquelle est chargée :

– de s’assurer de la recevabilité juridique de la proposition de résolution : cet examen sur la forme permet de vérifier que les conditions requises pour la création d’une commission d’enquête, détaillées ci-après, sont remplies ;

– et de se prononcer sur l’opportunité de la proposition : toutefois, lorsque la proposition résulte de la mise en œuvre du « droit de tirage » prévu au deuxième alinéa de l’article 141 du RAN, elle est dispensée d’examen sur l’opportunité.

Seront dès lors successivement abordées les questions de la recevabilité et de l’opportunité de la présente proposition de résolution.

I.   la proposition de rÉsolution semble satisfaire aux conditions de RECEVABILITÉ JURIDIQUE

Les conditions de recevabilité juridique d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont prévues au I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ([5]).

Pour être recevables sur le plan juridique, ces propositions doivent remplir trois conditions, définies par les articles 137 à 139 du RAN et détaillées ci-après :

– premièrement, l’objet de l’enquête doit être déterminé avec précision ;

– deuxièmement, la réitération d’une commission d’enquête est exclue pendant au moins un an à compter du terme des travaux de la précédente mission ou commission d’enquête ;

– troisièmement, la commission d’enquête ne peut porter sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires en cours.

A.   La prÉcision des faits donnant lieu À enquÊte

Aux termes du deuxième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, une commission d’enquête est formée « pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ».

L’article 137 du RAN prévoit ainsi, au titre de l’examen des conditions de recevabilité juridique d’une proposition de résolution, que celle-ci doit « déterminer avec précision […] les faits qui donnent lieu à enquête » ([6]).

En l’espèce, l’article unique de la présente proposition de résolution tend à créer une commission d’enquête « chargée d’étudier les dysfonctionnements, par le biais des angles précités, rendant difficile l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins, et entretenant une crise de confiance envers les institutions judiciaires ».

L’exposé des motifs de la proposition de résolution détaille avec précision les principaux axes des travaux de la commission d’enquête, qui sont reproduits ci-dessous.

Le détail des axes de travaux de la commission d’enquête tel qu’il figure dans l’exposé des motifs (extraits)

 

I. La mise en œuvre effective d’un accès à la justice pour tous en outre-mer […]

Cette commission d’enquête aura pour but de mettre en lumière les freins structurels à l’appropriation effective par les justiciables ultramarins de leurs droits, par le biais de trois angles spécifiques :

         L’angle de l’articulation entre règles coutumières et règles de droit commun :

[…]

Il reviendra à la commission d’enquête de déterminer l’ancrage de la coutume dans le règlement des conflits et dans quelle mesure la sécurisation de sa juridicité bénéficierait aux populations locales dans le cadre de la reconnaissance et de la défense de leurs droits.

         L’angle de la tradition orale et du multilinguisme :

[…]

[I]l reviendra à la commission d’enquête de se pencher sur la réelle prise en compte des publics allophones de nationalité française dans le processus judiciaire.

         L’angle de l’éloignement géographique du juge :

[…] La commission d’enquête sera notamment chargée de mettre au jour les principaux écueils affectant l’effectivité de ces audiences et les besoins réels des juridictions en la matière.

II - Le fonctionnement intrinsèquement défaillant de la justice outremer : établir un état des lieux transversal des moyens matériels, humains et financiers de l’organisation judiciaire

Afin de s’assurer d’une prise en compte accrue des contextes locaux, la commission d’enquête abordera le fonctionnement de la justice dans les outre‑mer sous les angles suivants :

         L’angle de la dématérialisation croissante :

[…]

La dynamique de dématérialisation croissante qui est à l’œuvre, notamment dans le domaine de la justice, porte en elle le risque d’affecter le mode de production de la vérité judiciaire et de contribuer à instaurer un contradictoire au rabais.

         L’angle de l’attractivité des juridictions ultramarines :

Il reviendra à la commission d’enquête d’identifier l’impact réel de [l’]expérimentation [des de brigades de soutien à Cayenne et à Mamoudzou visant à renforcer ces juridictions] et ses éventuels écueils.

[…]

Cette commission d’enquête se penchera sur l’impact de l’absence de formation adaptée des personnels judiciaires sur la continuité du service public, sur le bon fonctionnement des juridictions et sur la confiance du justiciable en l’institution judiciaire. Elle aura notamment à étudier la déclinaison dans ces territoires des obligations des magistrats en

matière de mobilité.

         L’angle des frais de déplacement des avocats :

[…]

Des conditions matérielles dégradées pouvant porter atteinte à l’effectivité de la défense, au principe contradictoire et à l’équité, il reviendra à la commission d’enquête d’établir si la mise en place d’un tel dispositif ne ferait pas obstacle au respect des garanties fondamentales inhérentes au droit du requérant à un recours effectif, notamment au regard de la fracture numérique toujours très présente dans certains territoires dits d’outre‑mer et d’une alimentation en électricité parfois fluctuante.

[…] Cette commission d’enquête aura pour but de formuler des propositions intégrant les contraintes et particularités de chacun des territoires ultramarins pour réconcilier les citoyens‑justiciables ultramarins avec la République dont l’un des principes vise à leur assurer une égalité réelle en matière d’accès au Droit et à la Justice.

         L’angle de la confiance dans la justice :

[…] Force est constater qu’il prévaut auprès des justiciables ultramarins, au mieux, le sentiment d’une justice mal rendue, au pire celui d’un déni de justice.

[…]

En renvoyant, dans son intitulé, à ces différents « angles » de travail, l’article unique détermine avec suffisamment de précision le périmètre de la commission d’enquête.

L’exposé des motifs permet, s’il l’était nécessaire, de lever toute ambiguïté sur l’objet de l’enquête, en détaillant les « dysfonctionnements » de la justice dans les outre-mer auxquels il est fait référence et en les étayant par des exemples précis.

En s’appuyant notamment sur l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) du 22 juin 2017 sur l’accès au droit et à la justice dans les outre-mer, essentiellement en Guyane et à Mayotte ([7]), l’exposé des motifs met en évidence les difficultés rencontrées par le service public de la justice dans ces territoires ultramarins, en particulier dans les domaines suivants :

– Un accès à la connaissance du droit défectueux :

Comme il l’est développé dans l’exposé des motifs « dans les territoires dits d’outremer, les difficultés à accéder à la connaissance du droit et de l’institution judiciaire sont multiples et entraînent mécaniquement, ainsi que cela a été mentionné précédemment, un recours au juge plus rare que dans l’hexagone ».

Ces difficultés sont également relevées par la CNCDH qui met en exergue les entraves à la connaissance du droit et de la justice dans les outre-mer liées tant aux spécificités historique, géographique, culturelle et linguistique de ces territoires qu’à l’insuffisance du maillage territorial des structures d’accès au droit ([8]) .

– Des obstacles dans l’accès à la justice :

L’exposé des motifs relève le recours accru aux « audiences foraines » pour palier l’éloignement géographique des tribunaux, en soulignant les difficultés résultant de cette organisation précaire de la justice.

L’avis de la CNCDH met également en évidence l’éloignement des structures judicaires, l’inégale répartition des juridictions, et les écueils dans l’organisation de ces « audiences foraines » tenues en dehors des tribunaux ([9]).

– De mauvaises conditions matérielles d’accueil des justiciables et des professionnels du droit :

Ces difficultés, mises en exergue dans l’avis de la CNCDH ([10]), se traduisent par des moyens immobiliers insuffisants ou inadaptés, mais aussi par un recours accru à la visioconférence, relevé également dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution.

– L’insuffisance des moyens humains, nécessitant d’adapter la politique de ressources humaines en faveur du personnel judiciaire :

Comme il l’est détaillé dans l’exposé des motifs, mais également relevé par la CNCDH ([11]), les juridictions ultra-marines souffrent d’un manque d’attractivité qui entraîne une pénurie de candidats pour certains postes.

– Des défaillances dans l’aide juridictionnelle :

La CNCDH ([12]) a relevé la difficulté pour le justiciable de bénéficier de l’aide juridictionnelle et pointe, à l’instar des développements dans l’exposé des motifs, les frais conséquents engagés par les avocats dans les outre-mer en raison des particularités géographiques de ces territoires.

Les précisions apportées par l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution sont ainsi de nature à éclairer l’objet de l’enquête, ce qui permet de remplir la première condition de recevabilité.

Au demeurant, l’emploi du terme « dysfonctionnement » au sein de l’article 1er n’est pas inédit et ne peut être considéré comme ambigu. L’on se référera, par exemple, à l’objet de la commission d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, créée par une proposition de résolution adoptée par la commission des Lois ([13]).

B.   L’absence de travaux d’enquête PORTANT SUR LE MÊME OBJET ET DATANT DE moins d’un an

Conformément au cinquième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, une commission d’enquête ne peut être reconstituée avec le même objet avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la fin de sa mission.

Ainsi, l’article 138 du RAN prévoit l’irrecevabilité de la proposition de résolution « tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 1451 [du RAN] ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou l’autre ».

L’article 145‑1 du RAN vise l’hypothèse dans laquelle les prérogatives d’une commission d’enquête ont été conférées à une commission permanente ou spéciale pour une mission déterminée, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée.

Il n’est donc pas relatif aux missions d’information constituées par ces commissions, dès lors qu’elles n’ont pas demandé à bénéficier de telles prérogatives.

En l’espèce, seuls les récents travaux de la mission d’information sur l’avenir institutionnel des outre-mer de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale ([14]) sont susceptibles d’être rapprochés de l’objet de la commission d’enquête dont il est proposé la création.

S’il convient de souligner que le périmètre de ces travaux dépassait largement celui des difficultés d’accès au droit et à la justice rencontrées dans les outre-mer, le rapport rendu par cette mission d’information le 15 janvier 2025 aborde néanmoins ces problématiques ([15]).

Les travaux de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur l’action de l’État outre-mer peuvent également être rapprochés de l’objet de présente proposition de création d’une commission d’enquête. Le rapport d’information met ainsi en évidence un service public de la justice « à la peine » dans les outre-mer ([16]) en relevant un accès au droit et à la justice inégal ([17]).

Ces exemples de travaux récents mettent en exergue l’intérêt de se pencher plus précisément sur les enjeux attachés au fonctionnement de la justice dans les outre-mer, comme il le sera détaillé plus loin dans le cadre de l’examen de l’opportunité de la présente proposition de résolution ([18]).

Toutefois, l’objet des travaux menés dans ce cadre dépasse largement l’étude des défaillances du système judiciaire dans les territoires ultramarins, si bien qu’ils ne font qu’effleurer ce sujet sans l’approfondir ni permettre d’en rechercher les causes et d’y apporter des réponses adaptées.

Par ailleurs, et comme il l’a déjà été souligné, l’existence de travaux similaires ne fait pas obstacle, juridiquement, à la création de la commission d’enquête ici proposée. En effet, l’existence de missions d’informations antérieures dont le périmètre des travaux recoupe, pour partie, l’objet de la commission d’enquête envisagée ne constitue pas une cause d’irrecevabilité au titre de de l’article 138 du RAN, qui ne vise que les missions d’information dans le cadre desquelles il est fait usage des prérogatives conférées en application de l’article 5 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée.

La prise en compte de l’existence de ces missions d’information relève, tout au plus, de l’appréciation de l’opportunité de la proposition de résolution, qu’elle ne remet pas en cause comme il le sera établi plus loin (cf. infra, II, B), mais ne saurait remettre en question sa recevabilité.

Dès lors, le deuxième critère de recevabilité juridique de la présente proposition de résolution apparaît, lui aussi, satisfait.

C.   L’absence de poursuites judiciaires en cours

Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 précitée interdit la création d’une commission d’enquête sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires et impose la fin des travaux d’une commission d’enquête si les faits sur lesquels elle porte font l’objet, après sa création, d’une information judiciaire.

Pour vérifier la satisfaction de cette condition, l’article 139 du RAN prévoit la notification, par le Président de l’Assemblée nationale, au garde des Sceaux, ministre de la Justice, du dépôt de toute proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête. Le cas échéant, le garde des Sceaux doit faire connaître l’existence de poursuites judiciaires en cours sur les faits qui font l’objet de la commission d’enquête.

Interrogé par la Présidente de l’Assemblée en application de cet article 139, M. Gérald Darmanin, garde des Sceaux, a indiqué dans un courrier du 5 mai 2025 que le périmètre de la commission d’enquête dont la création est demandée « [n’]apparaît pas susceptible de recouvrir des procédures diligentées à la suite de la commission d’infractions pénales ».

Il en résulte que la création de la commission d’enquête demandée ne porte pas sur des faits susceptibles de donner lieu à des poursuites judiciaires. Dès lors, le troisième critère de recevabilité de la présente proposition de résolution est satisfait.

En conclusion, à l’issue de cette analyse, il apparaît que la création de la commission d’enquête envisagée est juridiquement recevable.

II.   L’opportunitÉ de crÉer la commission d’enquÊte paraÎt MANIFESTE

En application du premier alinéa de l’article 140 du RAN, au-delà de l’examen de la recevabilité juridique, la commission des Lois doit se prononcer sur l’opportunité de la présente proposition de résolution, cette dernière n’ayant pas été déposée dans le cadre d’un « droit de tirage ».

En l’espèce, la présente proposition de résolution apparaît manifestement opportune.

A.   Des prÉoccupations lÉgitimes sur « l’État de GRANDE fragilitÉ » de la justice en outre-mer

Rendu par le comité des Etats généraux de la justice, présidé par M. Jean-Marc Sauvé, le rapport « Rendre justice aux citoyens » consacre des développements spécifiques sur « l’état de grande fragilité » de la justice ultramarine ([19]).

Les difficultés auxquelles le service public de la justice est confronté se trouvent exacerbées dans les départements, régions et collectivités d’outre-mer, en raison des particularités inhérentes à ces territoires.

Ainsi que le rapport le met en évidence, ces territoires présentent « des caractéristiques qui les distinguent [de l’hexagone] et pèsent sur l’activité des juridictions » ([20]). Ces particularités tiennent notamment à leur positionnement géographique, ainsi qu’à la situation démographique et socio-économique de ces territoires ([21]).

C’est ainsi que dès 2017, la CNCDH rendait un avis préoccupant sur la situation de la justice ultramarine. Depuis lors, et à en croire le rapport rendu par le comité des États généraux de la justice, ainsi que les deux récents rapports d’information précédemment évoqués, ayant eux aussi abordé ce sujet à l’occasion de leurs travaux ([22]), l’état de la justice dans les outre-mer ne semble guère s’être amélioré.

En effet, ces différents travaux mettent en exergue les difficultés saillantes qui traversent ces territoires et qui singularisent la situation de la justice ultramarine.

– En premier lieu, il existe de grandes difficultés d’accès au droit dans les outre-mer.

La CNCDH met en exergue dans son avis les « nombreuses difficultés limit[ant] l’effectivité de [l’accès au droit] pour tous dans les outre-mer » en identifiant certaines des causes pouvant expliquer ces entraves, et notamment celles liées à l’histoire, la géographie et la langue, ainsi que celles liées au maillage territorial disparate et insuffisant des structures d’accès au droit ([23]).

Dans un article datant de janvier 2023 ([24]), Maître Patrick Lingibé cite également une étude datant de 2021 révélant que 58 % des justiciables ultramarins affirment qu’il est difficile de faire valoir leurs droits, contre 37 % de l’ensemble des Français ([25]).

Le rapport rendu par le comité des États généraux de la justice relève, lui aussi, la précarité de l’accès au droit dans les outre-mer, bien souvent accentuée par un contexte de pauvreté et de fracture numérique « largement supérieures à ce qui est observé sur le territoire européen de la France » ([26]).

Les récents rapports d’information des délégations parlementaires aux outre-mer précédemment mentionnés dressent un constat identique : celui d’un accès au droit inégal et confrontés à des difficultés particulières liées notamment à « un état du droit difficilement lisible » ([27]), « l’éloignement [,] l’insularité, […] l’illettrisme (qui va du double au quadruple par rapport au niveau hexagonal) » ([28]), un accès problématique à l’avocat ou à l’aide juridictionnelle ([29]).

– En deuxième lieu, l’accès à la justice est particulièrement complexe dans les outre-mer.

Le recours au juge est plus rare qu’en hexagone, la CNCDH ayant mis en évidence les obstacles à l’accès à la justice, résultant notamment de la défaillance de l’aide juridictionnelle et d’une organisation judiciaire parfois inadaptée aux territoires ([30]).

Ces difficultés sont également mises en exergue dans les rapports d’information des délégations parlementaires aux outre-mer susmentionnées.

Il y est souligné « l’éloignement de la justice [qui] nourrit également le sentiment d’abandon face à l’explosion de l’insécurité quotidienne ». La dispersion des tribunaux sur plusieurs sites ou dans des locaux banalisés parfois inadaptés ou insuffisamment insécurisés contribue également à abîmer « l’image et l’incarnation de la justice dans les outre-mer » ([31]).

À titre d’exemple, à Mayotte, le conseil départemental sollicite la création d’une cour d’appel judiciaire de plein exercice à Mamoudzou ou encore la construction d’une cité judiciaire ([32]). En Guadeloupe, il est souligné le manque d’efficacité des tribunaux et un maillage territorial inadapté. À Saint-Martin, il faudrait également créer un véritable tribunal judiciaire au lieu de l’actuel tribunal de proximité ([33]).

– En dernier lieu, le bon fonctionnement des juridictions dans les outre-mer est entravé par d’importantes contraintes matérielles et humaines.

Dans son avis, la CNCDH qualifie même le fonctionnement du service public de la justice dans les outre-mer de défectueux, de nature à empêcher l’accès à une véritable justice de qualité, et soulignant « des conditions matérielles d’accueil des justiciables et des professionnels du droit souvent déplorables » ([34]).

Le comité des États généraux de la justice a également mis en évidence des problématiques liées au taux d’absentéisme dans les services judiciaires ainsi qu’au taux de rotation particulièrement élevé des personnels ([35]).

Aux difficultés de recrutement du personnel judiciaire mises en évidence, et tenant pour partie à des conditions matérielles d’accueil insuffisantes accentuant le manque d’attractivité pour les juridictions ultramarines ([36]), s’ajoutent une insuffisance dans la formation des magistrats, notamment eu égard à l’absence d’enseignement sur les dimensions culturelles et les particularités sociales propres à certains territoires ([37]).

Selon le rapport d’information de la délégation sénatoriale aux outre-mer, les juridictions ultramarines comptent 4,8 % des effectifs de magistrats pour traiter des affaires judiciaires, mais il est difficile de trouver des candidats pour certains territoires, à l’instar de la Guyane ou de Mayotte, tandis que dans d’autres, comme la Polynésie, la mobilité est insuffisante ([38]).

La justice en outre-mer est ainsi confrontée à des enjeux particuliers, qui méritent un examen à part entière.

Comme le souligne un rapport de l’inspection générale de la justice « par leur ampleur et leurs spécificités, les enjeux ultra-marins nécessitent de bâtir un plan stratégique d’actions à la fois communes et propres à chaque territoire, ce qui suppose de développer pour ces territoires une fonction prospective jusqu’à présent peu investie par l’administration centrale » ([39]).

Pourtant, à ce jour, un tel plan portant une vision stratégique globale pour la justice ultramarine n’a, semble-t-il, toujours pas été bâti.

La feuille de route pour les outre-mer présentée le 26 mars 2024 par le ministre de la justice constitue une avancée mais ne s’inscrit pas dans cette stratégie globale, qui seule permettrait de prendre en compte les spécificités de la justice ultramarine et d’y apporter des réponses adaptées.

Si elle a permis d’initier des actions utiles, à l’instar d’une augmentation des effectifs du service judiciaire, de la création dans certains territoires d’un conseil de l’accès au droit, ou de l’inauguration des brigades de soutien en renfort aux juridictions, ces initiatives n’ont fait l’objet d’aucune évaluation si bien que l’on peine à en saisir la portée réelle et l’efficacité sur le moyen comme le long terme.

Ainsi, force est de constater que la multiplication des rapports n’a pas permis d’inverser la tendance observée : les constats dressés sont partagés par la CNCDH, les États généraux de la justice, ainsi que les délégations parlementaires aux outre-mer et pointent des difficultés désormais connues ; les solutions qui y sont apportées restent éparses, manquent d’ambition et de vision globale.

C’est la raison pour laquelle la présente proposition de résolution prévoit la création d’une commission d’enquête spécifique, qui disposera des moyens permettant d’approfondir les enjeux soulevés par l’adaptation du service public de la justice aux territoires ultramarins.

B.   La nÉcEssitÉ de dresser un État des lieux prÉcis et CIRCONSTANCIÉ POUR APPORTER DES REPONSES CONCRÊTES AUX difficultÉs des justiciables ultramarins

Comme il l’a été souligné, plusieurs travaux, y compris des missions d’information parlementaires, ont abordé les difficultés rencontrées par la justice dans les outre-mer.

Pour autant, l’existence de ces travaux antérieurs ne saurait remettre en cause la nécessité d’y consacrer une commission d’enquête spécifique, comme il l’est ici proposé.

En effet, seul l’avis de la CNCDH, qu’il conviendrait au demeurant d’actualiser, aborde en profondeur les problématiques spécifiques de la justice dans les outre-mer.

Les autres rapports évoqués ci-dessus ne consacrent que quelques pages à ce sujet qui, pourtant, est riche et complexe, comme le laisse présager la présentation qui a été faite de ses principaux enjeux.

Lors d’une audition devant la délégation sénatoriale aux outre-mer, il a par ailleurs été relevé que le rapport du comité des États généraux de la justice ne consacre que deux pages et demie aux territoires ultramarins sur un total de 250, sans qu’aucune piste concrète de solution n’y soit formulée, illustrant ainsi une prise en compte encore marginale de leurs spécificités ([40]).

Ces travaux intéressants ont permis de mettre en évidence les difficultés propres à la justice ultramarine, mais ne s’y penchent qu’au détour d’un examen du paysage institutionnel en outre-mer trop large pour être véritablement porteur de solutions adaptées et approfondies.

En effet, leur sujet d’étude est plus vaste que l’objet de la commission d’enquête dont il est proposé la création. Or, seule une commission d’enquête spécifique permettra de dresser un état des lieux précis de l’état de la justice dans les départements, régions et collectivités d’outre-mer.

Un tel état des lieux est indispensable pour affiner ce constat global, en déterminant les difficultés propres à chacun de ces territoires, et évaluer l’efficacité des quelques initiatives mises en œuvre au profit de certains.

Les dysfonctionnements du service public de la justice dans les outre-mer sont patents, mais l’évaluation des réponses à y apporter nécessite une analyse fine. Comme le relève Maître Patrick Lingibé, «  l’outre-mer pluriel exige des solutions audacieuses et adaptées, souvent disruptives, pour répondre aux singularités et aux problématiques posées par la collectivité d’outre-mer concernée et son bassin de vie » ([41]).

La commission d’enquête dont il est proposé la création permettra d’approfondir ce sujet en mettant en exergue les causes multifactorielles des difficultés rencontrées par la justice en outre-mer. Grâce aux prérogatives propres aux commissions d’enquête, ce travail parlementaire pourra être conduit avec toute la latitude permise, en y consacrant six mois de travail effectif, afin de proposer, enfin, des solutions concrètes aux difficultés éprouvées par les justiciables ultramarins.

III.   La position de la commission des LOIS : l’approbation de la création de la commission d’enquête proposée

Lors de sa seconde réunion du 28 mai 2025, la commission des Lois a adopté la présente proposition de résolution, après avoir précisé, à l’initiative de votre Rapporteur, son champ d’application.

Outre des aménagements d’ordre rédactionnel ([42]), l’article unique de la proposition de résolution a ainsi été modifié pour clarifier les enjeux de la commission d’enquête en détaillant au sein de celui-ci les principaux axes de ses travaux, qui figuraient initialement dans l’exposé des motifs ([43]).

Il a ainsi été précisé que la commission d’enquête serait chargée d’examiner les dysfonctionnements de la justice dans les outre-mer en s’attachant notamment à examiner les différents aspects suivants :

– l’articulation entre règles coutumières et règles de droit commun ;

– la tradition orale et le multilinguisme ;

– l’éloignement géographique du juge ;

– la dématérialisation croissante ;

– l’attractivité des juridictions ultramarines ;

– les frais de déplacement des avocats ;

– la crise de confiance dans la justice.

En faisant ainsi figurer ces axes de travaux dans le corps de l’article unique plutôt que dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, le périmètre de la commission d’enquête apparaît mieux circonscrit.


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   Compte rendu des débats

Lors de sa deuxième réunion du mercredi 28 mai 2025, la Commission examine la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d'enquête sur les dysfonctionnements obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins (n° 1050) (M. Davy Rimane, rapporteur).

Lien vidéo : https://assnat.fr/vjtxP1

M. le président Florent Boudié. Cette proposition de résolution a été inscrite à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe GDR du 5 juin prochain. Pour que la commission d’enquête soit créée, le présent texte doit être adopté par l’Assemblée nationale. En effet, nous ne sommes pas dans le cadre du droit de tirage, lequel a déjà été utilisé par le groupe GDR pour cette session. Si nous votons en faveur de la proposition de résolution, cette commission d’enquête viendra s’ajouter à celles créées par le droit de tirage, à celles créées en séance publique ainsi qu’aux commissions permanentes qui se sont dotées de pouvoirs d’une commission d’enquête. Cela fait beaucoup de commissions d’enquête, mais leur création relève évidemment de la liberté des députés.

M. Davy Rimane, rapporteur. Je me tiens aujourd’hui devant vous pour défendre une proposition de résolution qui ne vise rien d’autre qu’un principe fondamental de notre République : l’égalité devant la loi et devant la justice, quelle que soit la latitude à laquelle se trouve le justiciable et quelle que soit son origine ou sa langue. En 2025, pour des millions de concitoyens ultramarins, l’accès à une justice de qualité reste inégal, souvent défaillant, parfois même illusoire.

Les constats sont connus. Ils ont été établis par des rapports successifs de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), par des associations et par les acteurs du monde judiciaire ultramarin. Pourtant, rien n’a changé durablement. Faute d’avocats disponibles, d’une aide juridictionnelle efficace ou d’un simple transport vers le tribunal, les justiciables se retrouvent privés de leurs droits. Un aller-retour de Saint-Laurent-du-Maroni à Cayenne peut coûter jusqu’à 150 euros, soit près d’un quart du revenu médian local. À Mayotte, l’absence d’un cadastre fonctionnel rend parfois impossible la simple remise d’une convocation. Il s’agit pourtant de territoires français et, jusqu’à preuve du contraire, de citoyens français. À ces inégalités structurelles s’ajoutent des réalités culturelles ignorées : fort taux d’illettrisme, tradition orale, multilinguisme, statut coutumier et faible accès au numérique.

La réponse de l’État reste uniforme, trop souvent calquée sur les besoins de l’Hexagone, et les moyens sont notoirement insuffisants. Dans plusieurs territoires ultramarins, des juridictions fonctionnent avec des effectifs en deçà des seuils critiques, parfois sans magistrat spécialisé comme le juge des enfants ou avec des greffes largement sous-dotées. À Mayotte, par exemple, une simple chambre détachée de la cour d’appel tente de gérer un contentieux exponentiel alors que de nombreux acteurs alertent depuis plus de dix ans sur la nécessité d’y implanter une cour d’appel à part entière. En Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie, les délais d’audiencement peuvent excéder deux ans dans certaines matières.

Ces déséquilibres nuisent à l’efficacité du service public de la justice, mais aussi à sa crédibilité. Comment croire en une justice équitable quand elle n’a ni les moyens humains ni les moyens matériels pour être rendue correctement dans nos territoires ? Certes, certains dispositifs innovants, comme le Justibus en Martinique, les pirogues du droit en Guyane ou le diplôme universitaire « Valeurs de la République et religions » à Mayotte existent et méritent d’être salués. Ils restent toutefois marginaux, trop dépendants de la bonne volonté de quelques personnes et ne sont pas intégrés à une politique cohérente et pérenne. Quant aux professionnels de la justice – magistrats, greffiers, experts ou avocats –, ils sont souvent isolés, mal formés aux réalités locales et soumis à une rotation trop rapide. Certains experts ne sont même pas payés pour leur mission.

Comment, dans ces conditions, garantir une justice digne de ce nom ? La commission d’enquête que nous proposons aurait pour but de dresser un état des lieux exhaustif, territoire par territoire, et de formuler des recommandations concrètes, soutenues par une véritable évaluation budgétaire et stratégique. Elle serait l’occasion d’un travail collectif et approfondi à la hauteur des enjeux humains, sociaux et matériels que soulève cette question.

L’égalité devant la justice ne peut rester un idéal abstrait, car une justice maltraitée ne peut être que maltraitante. Elle suppose une adaptation sincère de nos institutions aux réalités ultramarines et une volonté politique forte, capable de dépasser l’habitude, l’oubli et les réponses ponctuelles.

En votant cette proposition de résolution, vous ne faites pas un geste symbolique : vous engagez un acte de justice au sens le plus fort du terme. Je vous invite à le faire avec responsabilité et conviction.

Mme Pascale Bordes (RN). Cette proposition de résolution est nécessaire. Elle est même urgente : cela fait des décennies que les gouvernements successifs de toutes les sensibilités politiques ferment les yeux sur la situation dramatique de la justice ultramarine. Depuis plus de trente ans, rien n’a été fait de structurel pour corriger les déséquilibres criants et, lorsqu’on agit, c’est toujours dans l’urgence, jamais dans la stratégie. Ce n’est plus un angle mort, mais une zone de relégation institutionnelle. À titre d’exemple, sur les 250 pages du rapport issu des états généraux de la justice, seulement deux sont consacrées à la justice ultramarine. Leur lecture est édifiante puisqu’y est évoquée « une justice ultramarine en état de grande fragilité ».

Il ne s’agit pas là d’un incident ponctuel ou d’un simple retard d’investissement, mais d’une crise systémique. Les juridictions ultramarines sont confrontées à une accumulation de difficultés structurelles avec des infrastructures vétustes, voire indignes, et à tout le moins inadaptées aux besoins locaux. Des postes de magistrats et de greffiers ne sont pas pourvus, faute d’attractivité ou tout simplement de volonté politique de résorber les inégalités. Les délais de traitement des dossiers sont encore plus longs qu’en métropole, ce qui heurte les principes fondamentaux du droit et alimente un sentiment d’injustice et d’abandon profond parmi les citoyens. Enfin, la fracture numérique aggrave encore l’éloignement entre les justiciables et leurs institutions.

Le rapport évoque aussi une défiance envers la justice dans les outre-mer. Qui peut s’en étonner ? Comment faire confiance à une institution qui, dans certains territoires, rend la justice dans des bâtiments insalubres, avec des effectifs réduits et dans des délais qui découragent à jamais toute démarche judiciaire ? Cette situation n’est pas un accident, c’est la conséquence directe d’un désintérêt coupable, nourri par une méconnaissance des réalités locales et, trop souvent, par une vision purement jacobine de la République.

Les Ultramarins n’ont jamais demandé une justice d’exception. Ils demandent simplement une justice à hauteur d’homme, à la fois respectueuse des principes de la République et, surtout, adaptée aux réalités sociales, culturelles et géographiques du terrain. Nous devons la vérité à nos compatriotes ultramarins. Nous devons dresser un état précis, entendre celles et ceux qui, chaque jour, font tourner ces juridictions dans des conditions que beaucoup de nos concitoyens de métropole n’imaginent même pas. Nous devons aussi interroger l’inaction de l’État, l’inefficacité des plans précédents, le défaut de programmation budgétaire et l’absence chronique de moyens. Oui, il faut dénoncer et nous interroger sur le double visage d’un discours républicain qui proclame l’égalité, mais laisse s’installer sur place une justice à deux, voire à trois vitesses. Oui, il faut briser cette mécanique du sous-investissement chronique. Enfin, il faut une réponse politique forte, à la hauteur des enjeux et des attentes des Ultramarins.

L’égalité des droits sur l’ensemble de nos territoires est l’un des socles de notre République et la justice est le fondement même du pacte social. Platon disait, il y a bien longtemps déjà, que là où il n’y a pas de justice, il n’y a pas d’État. Espérons que cette commission d’enquête sera un acte de confiance dans notre capacité collective à enfin réformer pour mieux faire. C’est pourquoi le groupe Rassemblement national votera en faveur de cette proposition de résolution.

M. Guillaume Gouffier Valente (EPR). Monsieur le rapporteur, nous ne pouvons que partager le constat que vous avez dressé. Ces dysfonctionnements avaient déjà été soulignés dans un avis rendu par la Commission nationale consultative des droits de l’homme en 2017. Un sondage révèle par ailleurs que 58 % des Ultramarins affirment éprouver des difficultés à faire valoir leurs droits. Cette situation n’est pas acceptable et il nous faut avancer sur ce sujet.

Le président l’a souligné : vous proposez la création d’une commission d’enquête, qui viendrait s’ajouter à celle que votre groupe a créée grâce à son droit de tirage, alors que ces organes ont tendance à se multiplier. Une mission d’information commune avec la délégation aux outre-mer ou la création d’une mission parlementaire par le gouvernement me semble plus appropriée. C’est pourquoi, bien que nous partagions avec vous l’objectif de garantir l’égal accès de nos concitoyens d’outre-mer à la justice, nous rejetterons votre proposition de résolution.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP). Comment nos compatriotes ultramarins peuvent-ils avoir confiance dans notre justice ? Comment peuvent-ils avoir confiance lorsque des prisonniers politiques kanaks sont détenus, ou plutôt déportés, à 17 000 kilomètres de chez eux ? J’ai une pensée pour Christian Tein, figure de la mobilisation indépendantiste en Kanaky Nouvelle-Calédonie et président du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), qui devrait être immédiatement libéré pour retrouver ses proches mais aussi pour pouvoir participer aux négociations en cours, comme l’ensemble des prisonniers politiques kanaks actuellement détenus. Comment nos compatriotes ultramarins peuvent-ils avoir confiance dans la justice lorsque, en Kanaky Nouvelle-Calédonie, les juges sont originaires de l’Hexagone et le plus souvent de passage ? Une seule magistrate est d’origine kanak et exerce en ce moment à titre temporaire sur le territoire. Comment peuvent-ils avoir confiance lorsque le barreau de Nouméa ne compte que deux avocats kanaks ? Comment peuvent-ils avoir confiance lorsque plus de 90 % des personnes détenues au centre pénitentiaire du Camp Est sont kanaks alors que ceux-ci ne forment que 41 % de la population – une surexposition encore plus marquée qu’il y a vingt ans, surtout après les dernières révoltes populaires.

Comment peuvent-ils avoir confiance lorsque perdure la logique coloniale, qui conduit un garde des sceaux à annoncer, sans même consulter les élus ou nos compatriotes guyanais, la construction d’une prison de haute sécurité à Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane, connu pour son bagne ? Les territoires ultramarins seraient donc des terres de relégation ? Comment peuvent-ils avoir confiance lorsqu’à Mayotte, territoire le plus pauvre de France et récemment dévasté par le cyclone Chido, l’État consacre 292 millions à la construction d’un deuxième centre pénitentiaire alors que la construction d’un second hôpital coûterait 163 millions, soit presque deux fois moins ? L’État préfère donc investir dans l’immobilier pénitentiaire plutôt que de mettre en place un mécanisme de régulation carcérale, lutter contre les inégalités sociales, consacrer des moyens pour plus de magistrats et de greffiers pour améliorer l’accès au droit.

Si le service public de la justice est déjà clochardisé dans l’Hexagone, il l’est encore plus en outre-mer. Ce n’est un secret pour personne. Plusieurs rapports le démontrent : celui de la Défenseure des droits, ceux de la Commission nationale consultative des droits de l’homme et le rapport des états généraux de la justice, qui observe que « l’accès au droit y est particulièrement précaire dans un contexte de pauvreté et de fracture numérique largement supérieures à ce qui est observé sur le territoire européen de la France ». Une enquête réalisée par le cabinet Odoxa en 2021 pour le Conseil national des barreaux (CNB) indique que 58 % des Ultramarins éprouvent des difficultés à faire valoir leurs droits. Enfin, les chiffres de l’Insee et d’autres institutions montrent que les inégalités quotidiennes subies par les citoyens vivant dans les outre-mer contribuent aux difficultés d’accès au droit : la grande pauvreté y est cinq à quinze fois plus fréquente qu’en Hexagone, le taux de chômage y varie entre 13,5 % et 37 %, l’illettrisme est trois plus important aux Antilles et à La Réunion qu’en Hexagone. M. Patrick Lingibé, membre du Conseil national de l’aide juridique (Cnaj) note que « l’accès au droit demeure un luxe pour des gens qui ne peuvent pas notamment se nourrir correctement ».

Pour répondre à ces problèmes, il faudrait prendre des mesures budgétaires à la hauteur, mais les propositions que nous avions faites en ce sens, avec des députés d’autres groupes, n’ont pas été retenues à cause du 49.3. Il faut aussi éviter les propositions aux relents coloniaux – et l’on ne peut évidemment compter, pour cela, sur MM. Darmanin et Retailleau. En attendant un nouveau gouvernement, nous voterons en faveur de cette proposition de résolution.

Mme Marie-José Allemand (SOC). En l’absence de M. Jiovanny William, il me revient de représenter le groupe Socialistes et apparentés. L’accès au droit et à la justice pour nos concitoyens d’outre-mer est un sujet qui nous est particulièrement cher. Il renvoie à l’exigence fondamentale de garantir une égalité réelle entre tous les citoyens de la République, quelle que soit leur origine sociale ou géographique. Je tiens donc à saluer l’initiative du groupe GDR, qui s’inscrit dans une démarche rigoureuse et profondément ancrée dans la réalité vécue par nos concitoyens.

Cette proposition de résolution ne se limite pas à un simple constat de la réalité de ces territoires, puisqu’elle est animée par la volonté d’établir des pistes d’amélioration. Ainsi, l’une des missions notables de la commission d’enquête sera de proposer des correctifs afin de renforcer l’efficacité juridictionnelle dans les territoires d’outre-mer, de formuler des propositions en vue d’améliorer l’aide juridictionnelle pour assurer une égalité réelle en matière d’accès à la justice pour les citoyens ultramarins, d’améliorer les rapports de confiance envers la justice ultramarine grâce à la formation des personnels judiciaires et au renforcement de l’attractivité des juridictions ultramarines pour les magistrats.

Les travaux de cette commission d’enquête pourraient permettre de rétablir le dialogue social avec les citoyens ultramarins. En effet, la pluralité des thématiques abordées témoigne d’une volonté de ne pas traiter les outre-mer à travers une approche unique, calquée sur celle de l’Hexagone et qui a pour conséquence de stigmatiser ses citoyens en ne leur fournissant pas une législation appropriée. Il est nécessaire de prendre en compte les spécificités de chaque territoire. Il faut donc reconnaître les normes coutumières et prendre en compte le multilinguisme ainsi que les effets de l’éloignement géographique, de la dématérialisation, de la formation des magistrats et de l’attractivité des postes en outre-mer sur le service public de la justice. L’article 6 de la Déclaration des droits de 1789, qui consacre le principe suivant lequel la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », ne saurait justifier notre inertie en tant que législateur.

La Défenseure des droits, l’Insee, la CNCDH ont tous souligné, à des moments différents, le traitement inégal dont sont victimes nos compatriotes ultramarins : un taux de pauvreté jusqu’à dix fois supérieur, un taux de chômage pouvant aller jusqu’à 38 % et une aide juridictionnelle insuffisante. Comment garantir à nos citoyens le droit à un recours effectif dans de telles conditions ? Cette réalité a déjà été dénoncée à de maintes reprises, ce qui n’a que rarement été suivi d’effets. Afin d’éviter que cette commission d’enquête vienne s’ajouter à la liste d’autres initiatives sans impact pratique, il nous appartiendra de nous pencher sur ce sujet de manière urgente.

M. Steevy Gustave (EcoS). On dit souvent que l’outre-mer, c’est la carte postale qu’on envoie, mais jamais la lettre qu’on lit. Cette formule résume tristement une réalité que de nombreux acteurs du droit dénoncent depuis des années. Parmi eux, l’avocat guyanais Patrick Lingibé, spécialiste reconnu des droits fondamentaux dans les outre-mer, qui n’a eu de cesse d’alerter sur ces inégalités structurelles, sur cette justice à deux vitesses, sur cette République qui oublie trop souvent ses propres principes lorsqu’il s’agit de ses territoires ultramarins.

Derrière les images de lagons, de plages ou de volcans, il y a une autre réalité moins photogénique, celle d’un accès à la justice profondément inégal. L’accès à la justice n’est pas un privilège, c’est un droit fondamental, le socle même de l’État de droit : là où ces droits reculent, c’est la République qui vacille. Bien que l’égalité soit le deuxième principe de notre devise nationale, les populations ultramarines continuent de faire face à des inégalités criantes dans l’accès au droit et à la justice. Dès 2017, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a alerté sur la non-effectivité de ce droit dans les outre-mer en pointant du doigt un manque criant de moyens humains – magistrats, greffiers, avocats, interprètes – et matériels. À cela s’ajoutaient, et s’ajoutent toujours, des structures judiciaires inadaptées, l’éloignement géographique, l’isolement de certaines populations et des délais de traitement deux à trois fois plus longs qu’en métropole.

Ces carences, qui sont systématiques, sont documentées et régulièrement dénoncées. En 2023, la Défenseure des droits publiait un rapport sur l’accès aux services publics dans les Antilles. En décembre 2024, le baromètre de l’accès aux droits montrait que 33 % des sondés dans les départements et régions d’outre-mer (Drom) et les collectivités d’outre-mer (Com) déclaraient ne pas avoir facilement accès aux tribunaux, contre 21 % en moyenne en Hexagone. Cet écart de douze points est inacceptable.

Aux limites structurelles s’ajoutent des barrières culturelles, sociales et économiques. Il ne s’agit pas uniquement de moyens, il s’agit aussi d’un modèle de justice trop centralisé, calqué sur l’Hexagone et donc mal adapté aux réalités locales : une justice qui ne prend pas en compte des spécificités linguistiques, culturelles, géographiques et une justice qui, parfois, ne parle pas la langue des justiciables. Ces droits à géométrie variable représentent une rupture d’égalité, qui mine la confiance dans nos institutions. Elle alimente ce sentiment de relégation et parfois d’abandon et participe aux crises comme à Mayotte ou en Nouvelle-Calédonie. Elle est révélatrice du coût du silence de l’État.

Il est donc urgent de repenser l’organisation judiciaire dans les outre-mer. Il ne s’agit pas de créer un régime d’exception, mais d’adapter la justice aux réalités et aux défis de chaque territoire pour garantir une justice vraiment accessible, équitable et efficace.

Le groupe Écologiste votera en faveur de cette commission d’enquête parce que ce travail de vérité est indispensable et parce qu’on ne peut pas construire la confiance avec des dispositifs défaillants, avec une justice absente ou déconnectée. Laisser des citoyens français sans accès réel à la justice, c’est d’abord les oublier ; et l’oubli, ainsi que le rappelle Patrick Chamoiseau, est la première forme de violence.

M. Frantz Gumbs (Dem). Je suis profondément attaché à la qualité et à l’égalité d’accès aux services publics d’une manière générale dans les outre-mer et je remercie mon groupe de me permettre de m’exprimer devant votre commission. La proposition de résolution que nous examinons vise à créer une commission d’enquête chargée d’étudier les défaillances entravant l’accès au droit et à la justice des citoyens ultramarins et de formuler des solutions concrètes, adaptées et en cohérence avec les contraintes et les réalités multiformes de chaque territoire, afin de restaurer la confiance dans la justice et d’assurer à nos citoyens justiciables, éloignés de l’Hexagone, une égalité réelle d’accès au droit et à la justice. Cette démarche est pleinement justifiée.

De nombreux avis, rapports, enquêtes et témoignages ont mis en avant les dysfonctionnements et les difficultés d’accès au droit et à la justice des Ultramarins. Parmi leurs causes, on évoque souvent les réalités socio-économiques et géographiques des territoires ultramarins : taux de pauvreté plus important, chômage plus élevé, illettrisme rampant, langue usuelle souvent différente du français et importance de la fracture numérique. La diversité des statuts juridiques régissant les outre-mer – onze territoires répondant à trois catégories juridiques différentes – est de nature à accroître ces dysfonctionnements.

La commission d’enquête s’attardera particulièrement sur l’analyse des freins structurels à l’accès au droit et à la justice, sous trois angles spécifiques. Le premier est l’ancrage de la coutume et son articulation avec les règles de droit commun. Dans certains territoires, le manque d’acculturation à ce rapport entre les différentes normes peut engendrer de la frustration, de l’incompréhension et un sentiment d’injustice. Le deuxième angle est la tradition orale et le multilinguisme. Je rappelle que cinquante-quatre des soixante-quinze langues reconnues comme langue de France sont issues de ces territoires. Il semble par conséquent pertinent d’analyser concrètement comment ces publics allophones sont réellement pris en compte dans le processus judiciaire. À Saint-Martin, par exemple, où, pour des raisons historiques et culturelles, la langue véhiculaire est un anglais local, cette situation est-elle correctement considérée en matière d’accès au droit et à la justice ? Le troisième angle est l’éloignement géographique du juge qui nécessite, comme à Saint-Barthélemy ou en Polynésie, la tenue d’audiences foraines, qui sont difficiles à mettre en œuvre et souvent insuffisantes en raison de leur coût et de leur complexité logistique. Parallèlement à ces causes profondes des dysfonctionnements, la commission d’enquête devra s’assurer de la prise en compte des contextes locaux en abordant la question de la dématérialisation croissante, du manque d’attractivité des juridictions ultramarines et des frais de déplacement des avocats.

Il est de notre responsabilité de législateur de garantir à tous les citoyens, où qu’ils se trouvent sur le territoire de la République, un accès effectif à la connaissance de la norme juridique, aux droits qu’ils possèdent et aux moyens de les faire valoir. Le groupe Dem soutiendra cette proposition de résolution.

Mme Elsa Faucillon (GDR). Nos collègues ultramarins nous alertent très régulièrement sur les grandes difficultés d’accès à de nombreux droits fondamentaux dans les territoires d’outre-mer en raison des difficultés économiques à se nourrir, à se déplacer et à se loger. Les mobilisations qui ont eu lieu dans plusieurs territoires d’outre-mer ont trop souvent été réprimées plutôt qu’écoutées. La question de l’accès à la justice est moins souvent évoquée et la commission d’enquête proposée par Davy Rimane nous amènera, je l’espère, à nous en emparer.

En outre-mer, comme dans l’Hexagone, le manque de moyens est un obstacle parmi d’autres à l’accès à la justice. Je souhaite m’arrêter plus particulièrement sur un de ces obstacles : le manque d’adaptation de nos services publics aux réalités des outre-mer.

Les langues des pays dits d’outre-mer, cinquante-quatre sur les soixante-quinze langues régionales dénombrées en France, ne sont pas prises en compte. L’article 2 de la Constitution fait du français la langue de la République, mais comment répondre à l’impérieuse nécessité de faire société et comment construire la République si on ne fait pas l’effort de s’adapter à nos concitoyens ? Il n’est pas question d’abandonner l’usage du français dans nos administrations, mais de comprendre nos concitoyens, leur langue, leur culture, leur vécu et, tout simplement, de les écouter, ce qui demande des adaptations. Prendre en compte le multilinguisme, c’est faire preuve de justice sociale pour des populations plus fortement exposées à l’incompréhension du français et davantage touchées par l’illettrisme et de justice tout court qui exige, pour être équitablement rendue, que toutes les parties puissent s’exprimer, se défendre et, si besoin, contester une décision. La dématérialisation à marche forcée imposée par l’État, qui concerne aussi l’Hexagone, ajoute un rempart supplémentaire en outre-mer : et l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) indique, dans son rapport de septembre 2024, que 25 % de la population des outre-mer se trouve en grande difficulté face à la numérisation de la société.

Une justice adaptée à nos outre-mer ne peut être une justice à visée uniquement sécuritaire. Les outre-mer ne sont pas le bagne de la République ou le lieu d’un exil fantasmé par des néocolonialistes qui prennent le prétexte de la sécurité pour administrer ces territoires sans les aménager et les développer.

Nous sommes sans doute tous d’accord sur le constat, mais je ne suis pas sûre que nous ayons la totalité du constat. Il nous reviendra de creuser pour bien définir les différentes entraves à l’accès à la justice. Nous voterons bien entendu en faveur de la création de cette commission d’enquête, que nous proposons avec fierté.

M. Davy Rimane, rapporteur. Je remercie celles et ceux qui nous encouragent par leur soutien à cette proposition de résolution. Avant de la déposer, j’ai longuement discuté avec des magistrats, des membres des barreaux et des bâtonniers de différents territoires et j’ai pu constater combien cette commission d’enquête était attendue. Jamais, dans notre assemblée, il n’y a eu de commission d’enquête ou de mission d’information d’ampleur prenant en compte toutes les réalités auxquelles sont confrontés, s’agissant du fonctionnement de la justice, nos concitoyens d’outre-mer mais aussi les hommes et les femmes qui la font vivre. Je pense en particulier aux avocats et aux magistrats qui ont dû faire grève pour obtenir un peu de moyens pour ce service public délabré.

Monsieur Gouffier Valente, même si vous partagez le constat que nous dressons, vous avez indiqué que le groupe EPR ne voterait pas en faveur de notre PPR car, dites-vous, il y a déjà trop de commissions d’enquête. Mais de telles commissions font partie des attributions des parlementaires, qui ne disposent pas de 36 000 moyens dans un système où l’exécutif garde la main sur de nombreux domaines. Vous nous avez invités à nous rapprocher de la délégation aux outre-mer et de la commission des lois pour créer une mission d’information : j’essaie de comprendre.

Je rappellerai qu’à l’occasion des débats sur deux textes majeurs, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) et la loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ), les amendements que nous avons déposés pour améliorer ne serait-ce qu’un peu le fonctionnement de la justice dans nos territoires ont été refusés par les ministres sans qu’ils nous donnent d’explications. Ma démarche n’est pas idéologique mais pragmatique. Les faits sont têtus : il y a urgence. Une commission parlementaire permettrait de lever le lièvre et d’aboutir à des propositions concrètes qui, nous l’espérons, seraient reprises par l’exécutif.

Si nous demandons la création d’une telle commission d’enquête, ce n’est donc pas pour nous faire plaisir mais pour répondre à la nécessité absolue d’apporter des améliorations à des hommes et des femmes qui en ont besoin.

M. le président Florent Boudié. Monsieur le rapporteur, il est normal que des amendements concernant l’autorité judiciaire n’aient pas reçu d’avis favorable dans le cadre de la Lopmi.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Cette proposition de résolution poursuit un but louable mais elle soulève plusieurs interrogations. Certes, nos territoires d’outre-mer sont confrontés à des enjeux spécifiques – éloignement géographique du juge, attractivité des juridictions ultramarines, frais de déplacement des avocats – mais les séparer des enjeux concernant le reste de notre pays pose problème au regard de l’unité et de la continuité du service public de la justice ainsi que de l’indivisibilité de la République.

Par ailleurs, le choix du groupe GDR d’inscrire un tel texte à l’ordre du jour de sa journée d’initiative parlementaire risque de contribuer à la multiplication des commissions d’enquête. Il aurait semblé plus adapté et, disons-le, préférable qu’il utilise son droit de tirage.

Enfin, sans nier les difficultés auxquelles est encore confrontée la justice de notre pays, notamment dans les territoires ultramarins, le groupe Horizons & Indépendants tient à souligner que des efforts budgétaires inédits ont été consacrés depuis 2017 à ce service public fondamental pour l’ordre public, la confiance dans l’État et la cohésion sociale.

M. le président Florent Boudié. Du fait de l’ordre du jour en séance, notre commission est en sous-effectif. Il suffit qu’un de ses membres arrive dans cette salle pour que le rapport de force soit modifié au moment du vote, ce qui me gêne. Je vais donc suspendre la réunion.

La réunion est suspendue de seize heures vingt à seize heures quarante.

Article unique

La commission adopte l’amendement rédactionnel CL2 de M. Davy Rimane, rapporteur.

Amendement CL1 de M. Davy Rimane

M. Davy Rimane, rapporteur. Cet amendement précise le périmètre de la commission d’enquête en incluant les principaux axes de ses travaux dans la définition de son objet.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’article unique modifié.

L’ensemble de la proposition de résolution est ainsi adoptée.

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d'enquête sur les dysfonctionnements obstruant l’accès à une justice adaptée aux besoins des justiciables ultramarins (n° 1050) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

 


([1]) À savoir des députés membres des groupes Gauche démocratique et républicaine, Écologiste et social, Socialistes et apparentés, Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires, et La France insoumise.

([2]) Comme il le sera mis en évidence dans le présent rapport.

([3]) « Une justice ultramarine en état de grande fragilité : que faire après le rapport Sauvé ? », Patrick Lingibé, Actu-juridiques, publication en trois parties du 24 au 26 janvier 2023.

([4]) Notamment les rapports évoqués infra : rapport d’information sur l’avenir institutionnel des outre-mer  774, par MM. Philippe Gosselin et Davy Rimane, fait au nom de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, 15 janvier 2025 ; rapport d’information sur l’action de l’État outre-mer : pour un choc régalien  264, par MM. Philippe Bas et Victorin Lurel, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, 23 janvier 2025.

([5]) Ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

([6]) Ou, le cas échéant, « les services ou entreprises publics, si la commission d’enquête porte sur la gestion de services publics ou d’entreprises nationales ».

([7]) « Avis sur l’accès au droit et à la justice dans les outre-mer, essentiellement en Guyane et à Mayotte », CNCDH, 22 juin 2017, JOFR du 6 juillet 2017.

([8]) Ibid., en particulier pages 12 à 29.

([9]) Ibid., pages 38 à 42.

([10]) Ibid., pages 53 à 57.

([11]) Ibid., pages 58 à 60.

([12]) Ibid., pages 49 à 51.

([13])  Proposition de résolution de MM. Jean-Louis Debré et Philippe Houillon tendant à la création d'une commission d'enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l'affaire dite d'Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, n° 2722, déposée le 5 décembre 2005.

([14]) Rapport d’information sur l’avenir institutionnel des outre-mer  774, par MM. Philippe Gosselin et Davy Rimane, fait au nom de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, 15 janvier 2025.

([15])  Notamment les importantes difficultés d’accès au droit (voir les pages 319 à 321 du rapport précité) et à la justice (voir les pages 104 à 105 et 213 à 215) dans ces territoires.

([16])  Rapport d’information de MM. Philippe Bas et Victorin Lurel sur l’action de l’État outre-mer : pour un choc régalien, 23 janvier 2025, notamment pages 52 à 61.

([17]) Ibid., voir notamment les pages 117 à 120.

([18]) Voir le B du II du présent rapport.

([19]) « Rendre justice aux citoyens », rapport du comité des États généraux de la justice (octobre 2021 – avril 2022), pages 65 à 67.

([20]) Ibid., page 65.

([21])  Ainsi, à titre d’exemple, selon le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) du 10 octobre 2023 intitulé « Dix préconisations pour le pouvoir d’achat en outre-mer », 900 000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté dans les outre-mer (page 22).

([22])  Rapport d’information sur l’avenir institutionnel des outre-mer  774, par MM. Philippe Gosselin et Davy Rimane, fait au nom de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, 15 janvier 2025 ; Rapport d’information sur l’action de l’État outre-mer : pour un choc régalien  264, par MM. Philippe Bas et Victorin Lurel, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, 23 janvier 2025.

([23]) « Avis sur l’accès au droit et à la justice dans les outre-mer, essentiellement en Guyane et à Mayotte », CNCDH, 22 juin 2017, JOFR du 6 juillet 2017, pages 12 à 29

([24]) « Une justice ultramarine en état de grande fragilité : que faire après le rapport Sauvé ? », Patrick Lingibé, Actu-juridiques, publication en trois parties du 24 au 26 janvier 2023.

([25]) Étude également évoquée en page 117 du rapport d’information sur l’action de l’État outre-mer : pour un choc régalien  264, par MM. Philippe Bas et Victorin Lurel, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, 23 janvier 2025.

([26]) « Rendre justice aux citoyens », rapport du comité des États généraux de la justice (octobre 2021 – avril 2022), page 66.

([27]) Rapport d’information sur l’avenir institutionnel des outre-mer  774, par MM. Philippe Gosselin et Davy Rimane, fait au nom de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, 15 janvier 2025, page 319.

([28]) Rapport d’information sur l’action de l’État outre-mer : pour un choc régalien  264, par MM. Philippe Bas et Victorin Lurel, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, 23 janvier 2025, page 53.

([29]) Ibid., page  60.

([30]) « Avis sur l’accès au droit et à la justice dans les outre-mer, essentiellement en Guyane et à Mayotte » de la CNCDH, précédemment cité, pages 38 à 52.

([31]) Rapport d’information sur l’action de l’État outre-mer : pour un choc régalien  264, par MM. Philippe Bas et Victorin Lurel, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, précédemment cité, pages 117.

([32]) Rapport d’information sur l’avenir institutionnel des outre-mer  774, par MM. Philippe Gosselin et Davy Rimane, fait au nom de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, précédemment cité, page 104.

([33]) Ibid., page 214.

([34]) « Avis sur l’accès au droit et à la justice dans les outre-mer, essentiellement en Guyane et à Mayotte » de la CNCDH, précédemment cité, pages 53 à 58.

([35]) « Rendre justice aux citoyens », rapport du comité des États généraux de la justice, précédemment cité, page 66.

([36]) Ibid.

([37]) « Avis sur l’accès au droit et à la justice dans les outre-mer, essentiellement en Guyane et à Mayotte » de la CNCDH, précédemment cité, page 59.

([38]) Rapport d’information sur l’action de l’État outre-mer : pour un choc régalien  264, par MM. Philippe Bas et Victorin Lurel, fait au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer, précédemment cité, page 57.

([39])  « Mission d’appui relative à l’organisation de l’action du secrétariat général du ministère de la justice dans les outre-mer », rapport de l’inspection générale de la justice (octobre 2020), cité dans le rapport du comité des États généraux de la justice précédemment mentionné, page 67.

([40]) Lors d’une audition du jeudi 8 février 2024, Maître Patrick Ligié relevait que « sur [l]es 250 pages [du rapport], 2 pages et demi sont réservées à l’outre-mer, sans solution ! », propos cités en page 52 du rapport d’information sur l’action de l’État outre-mer : pour un choc régalien  264, par MM. Philippe Bas et Victorin Lurel, précédemment cité.

([41]) « Une justice ultramarine en état de grande fragilité : que faire après le rapport Sauvé ? », précédemment cité.

([42]) Amendement CL 2 de M. Davy Rimane, rapporteur.

([43]) Amendement CL 1 de M. Davy Rimane, rapporteur.