N° 1593
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 juin 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI autorisant l’approbation de l’Accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du nord, signé le 14 octobre 2022
(Procédure accélérée)
PAR M. Aurélien TACHÉ
Député
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AVIS
AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
PAR M. Christophe BEX
Député
AVEC
LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Voir le numéro : 1520.
SOMMAIRE
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Pages
A. Une intégration semée d’embûches dans l’environnement européen
1. Une démocratie multiethnique fonctionnelle issue de l’éclatement de la Yougoslavie
B. Une relation bilatérale franco-macédonienne modeste mais prometteuse
1. Une coopération aux racines anciennes et en phase ascendante
2. Un partenariat de défense à consolider
II. Un accord de coopération de défense nécessaire, une portée encore limitée
A. Des garanties juridiques permettant d’accroître la coopération opérationnelle
1. Les bases d’un cadre pérenne de coopération
2. Les garanties applicables aux militaires et civils déployés entre les deux Nations
B. Un texte utile, une portée limitée
1. Un accord qui favorise la coopération de défense
2. Une coopération à construire sur la durée
Avis fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées
Travaux de la commission des affaires étrangères
Travaux de la commission de la défense nationale et des forces armées saisie pour avis
ANNEXE I : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR
Cet accord s’inscrit dans le cadre général de la stratégie française pour les Balkans occidentaux et traduit la volonté de renforcer la relation dans le domaine de la défense avec la Macédoine du Nord suite à son entrée dans l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), le 27 mars 2020.
Alors que la coopération franco-macédonienne dans le domaine de la défense est pour l’instant régie par un simple arrangement administratif signé à Skopje le 22 décembre 1996, l’accord de coopération visé par le projet de loi va doter les deux parties d’un cadre juridique solide et pérenne permettant à la coopération en matière de défense de se déployer pleinement et de faire bénéficier les personnels civils et militaires concernés de garanties protectrices.
L’accord permettra de couvrir plus largement tous les domaines et les formes de cette coopération, notamment la politique de défense et les enjeux politico-stratégiques, l’organisation et le fonctionnement des forces, la formation, l’armement et l’équipement des forces armées, ou encore la politique mémorielle.
Le rapporteur soutient ce premier pas vers un renforcement du partenariat stratégique mais considère qu’il doit s’inscrire dans une démarche plus large de soutien à la Macédoine du Nord pour surmonter les différends bilatéraux qui compliquent ses coopérations régionales et pour améliorer concrètement la situation d’un pays dont la population est, aujourd’hui, la plus pauvre de l’ensemble des Balkans.
L’Assemblée nationale est invitée à autoriser l’approbation de ce texte en adoptant le projet de loi à cet effet, qui sera ensuite transmis au Sénat. Si les autorités macédoniennes n’ont pas encore procédé à la ratification de l’accord, la ratification par la France sera de nature à l’inciter à progresser dans cette voie.
I. La Macédoine du Nord : un partenariat à forts enjeux, inscrit dans la stratégie française pour les balkans occidentaux
A. Une intégration semée d’embûches dans l’environnement européen
1. Une démocratie multiethnique fonctionnelle issue de l’éclatement de la Yougoslavie
● Enclavée au cœur des Balkans occidentaux, la Macédoine du Nord est un pays de 25 713 km2 qui a des frontières communes avec la Grèce, la Bulgarie, la Serbie, le Kosovo et l’Albanie.
Créé, dans ses frontières actuelles, au sein de l’ancienne Yougoslavie ([1]), le pays a proclamé son indépendance par référendum le 8 septembre 1991 dans le contexte de la désintégration du bloc communiste et l’éclatement de la fédération yougoslave.
La Macédoine du Nord compte aujourd’hui 1,8 million d’habitants dont la majorité vit dans la capitale Skopje. Le produit intérieur brut (PIB) s’élève à 12 milliards d’euros, soit un PIB par habitant de 7 639 euros, un des plus faibles de toute l’Europe.
Source : France Diplomatie
● Depuis son indépendance, la Macédoine du Nord a été marquée par des tensions entre la majorité slavo-macédonienne et la minorité albanaise qui compte pour environ 30 % de la population.
Dans le sillage du conflit au Kosovo en 1999, le pays a connu, début 2001, l’insurrection armée de la minorité albanaise dirigée par l’UCK-M (armée de libération nationale – prolongement en Macédoine du Nord de l’UCK au Kosovo). L’action de la France et de l’Union européenne a permis d’éviter que le pays ne bascule dans une guerre civile et a abouti à l’accord-cadre d’Ohrid signé à Skopje 13 août 2001 qui a établi une architecture constitutionnelle reconnaissant la minorité et la langue albanaises.
● La situation politique est désormais stable, avec une république parlementaire dominée par deux grands partis attirant l’essentiel des votes des populations slavo-macédoniennes : l’Union sociale-démocrate de Macédoine (SDSM) de centre-gauche et l’Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure - Parti démocratique pour l’unité nationale macédonienne (VMRO‑DPMNE), parti d’orientation chrétienne-démocrate et désormais plus nettement nationaliste.
Ces partis ne peuvent gouverner qu’au sein de coalitions garantissant la participation de partis albanais, ce qui érige la Macédoine du Nord, au sein des Balkans, en exemple de démocratie multiethnique fonctionnelle.
2. Une intégration progressive dans l’environnement régional, une candidature entravée à l’adhésion à l’Union européenne
● La Macédoine du Nord a demandé son adhésion à l’Union européenne le 22 mars 2004 et a obtenu le statut de pays candidat en décembre 2005, mais ce processus s’est trouvé contrarié par des différends identitaires et mémoriels avec ses voisins membres de l’Union.
● Il s’est agi en premier lieu de tensions avec la Grèce qui a refusé la dénomination de République de Macédoine, considérant que le terme « Macédoine » désignait la région grecque de Thessalonique et soupçonnant les autorités macédoniennes de velléités irrédentistes.
L’accord dit de Prespa ([2]), conclu le 17 juin 2018, malgré des résistances internes des deux côtés, a réglé la question de la dénomination de l’ « Ancienne République yougoslave de Macédoine », renommée « République de Macédoine du Nord », dont le drapeau a également été modifié. Cet accord a levé les oppositions grecques aux candidatures de la Macédoine du Nord d’une part à l’Union européenne, et d’autre part à l’OTAN dont elle est devenue, le 27 mars 2020, le 30e pays membre.
● En second lieu, un contentieux avec la Bulgarie, apparu de manière plus inattendue depuis quelques années, revêt désormais une dimension existentielle et identitaire, des courants nationalistes bulgares considérant que les Macédoniens seraient originellement des Bulgares et que l’identité macédonienne aurait été créée de toutes pièces par le maréchal Tito et le socialisme yougoslave… Ce contentieux s’alimente, en retour, d’une réactivation de la mémoire de la seconde guerre mondiale lorsque la Bulgarie, alliée de l’Allemagne nazie, avait occupé la Macédoine du Nord afin de l’annexer, et en avait livré au Reich la population juive.
Si un traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord a été signé le 1er août 2017, prévoyant notamment les travaux d’une commission historique mixte, le véto bulgare à l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’Union européenne n’a été levé, sous conditions, qu’en 2022, à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.
La tenue, le 19 juillet 2022, de la première conférence intergouvernementale, dite « conférence d’adhésion », entre la Macédoine du Nord et l’Union européenne a eu pour contrepartie l’exigence que la Macédoine du Nord modifie sa Constitution afin d’y reconnaître l’existence de la minorité bulgare. Les demandes de la Bulgarie en ce sens ont en effet été intégrées dans les conclusions du Conseil relatives à l’adhésion de la Macédoine du Nord, et l’Union européenne s’est portée garante de leur mise en œuvre.
Les négociations d’adhésion ont depuis lors donné lieu à des sessions d’examen de six groupes de chapitres de l’acquis de l’Union européenne, qui se sont achevées le 7 décembre 2023, et le pays pourra passer à la phase suivante des négociations une fois que les modifications constitutionnelles auront été adoptées.
Or la réforme constitutionnelle, initiée par les gouvernements issus d’une coalition dominée par le SDSM, avait été suspendue sine die, face à l’impossibilité de recueillir la majorité des deux-tiers du Parlement sans le soutien du parti nationaliste VMRO-DPMNE.
● Les élections générales du printemps 2024 ont depuis lors vu la nette victoire du VMRO-DPMNE : à l’élection présidentielle remportée à plus de 61 % des suffrages par sa candidate Gordana Siljanovska-Davkova, succédant ainsi à Stevo Pendarovski du SDSM ; lors des élections législatives, remportant plus de 43 % des suffrages et 58 députés sur 120, contre 18 sièges pour le SDSM, le président du VMRO-DPMNE, Hristijan Mickoski, devenant Premier ministre.
Cette victoire du parti nationaliste, qui insiste sur la question de l’honneur national et réactive les tensions en particulier avec la Bulgarie, a pu être vue comme une conséquence des limites de la politique européenne, qui offre une adhésion illusoire comme seule perspective aux États des Balkans. L’absence de résultats tangibles alors que la fin de l’année 2025 verra le vingtième anniversaire de la reconnaissance de la Macédoine du Nord comme État candidat, génère en effet un sentiment de frustration, avec la perception d’un double standard.
3. Les risques d’un conflit entre l’objectif stratégique européen et l’allégeance à l’Amérique de Donald Trump
● La Macédoine du Nord a, depuis plusieurs années, œuvré au renforcement de ses liens avec ses partenaires européens et euro-atlantiques. Dans une région des Balkans occidentaux marquée par des fragilités politiques et sécuritaires persistantes, elle s’est affirmée comme un acteur responsable, soucieux de contribuer à la stabilité collective par le biais d’initiatives de coopération régionale et multilatérale.
La Macédoine du Nord a cherché à promouvoir un modèle macédonien de coexistence pacifique entre les communautés en lançant par exemple, en juillet 2021, l’initiative du « Forum de Prespa », conçue comme une instance d’échange sur les problématiques régionales. Elle a également assuré, en 2023, la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
De même, dans le contexte de l’agression russe en Ukraine, la Macédoine du Nord a fait siennes les déclarations de l’Union européenne et a adopté toutes les mesures restrictives à l’encontre de la Russie, en dépit même de leurs retombées économiques négatives et de sa dépendance au gaz russe.
La Macédoine du Nord a contribué de manière substantielle à l’aide militaire à l’Ukraine, ne manquant pas de souligner qu’elle figure parmi les pays ayant le plus soutenu l’Ukraine en termes de PIB par habitant. D’après les éléments figurant dans les réponses du ministère des Armées au questionnaire du rapporteur, le pays a notamment fourni des chars T-72, des avions d’attaque SU-24 et des batteries de missiles antiaériennes SA-13 et SA-16. En 2023, une compagnie ukrainienne a été formée sur le camp macédonien de Krivolak.
● Cependant, le nouveau gouvernement de Macédoine du Nord a émis plusieurs signaux pouvant donner à penser qu’il mettrait l’objectif stratégique européen en balance avec la relation aux États-Unis de Donald Trump, sous l’effet d’une attirance envers la mouvance « Make America Great Again » (MAGA) et ses sous-jacents populistes et nationalistes.
Outre des liens personnels anciens avec la sphère MAGA, notamment via la diaspora macédonienne en Amérique du Nord, les autorités macédoniennes ont paru convaincues d’avoir beaucoup à gagner à se ranger ostensiblement derrière la nouvelle Amérique trumpienne. En janvier 2025, le Premier ministre Mickoski s’est ainsi déplacé à Washington à l’occasion de l’investiture de Donald Trump, mais on peut relever qu’il n’a pas été reçu par ce dernier.
Le 24 février 2025 la Macédoine du Nord a été le seul pays européen à s’abstenir lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies sur la résolution rédigée par l’Ukraine et parrainée par les 27 États membres de l’Union européenne, condamnant l’agression militaire de la Russie contre son pays voisin, exprimant son soutien à l’intégrité territoriale de l’Ukraine et exigeant le retrait immédiat des troupes russes. Cette résolution a reçu 93 voix pour, 65 abstentions et 18 contre. Tous les pays européens ont voté pour la résolution, même la Serbie. La Biélorussie a voté contre.
Le gouvernement macédonien a également initié un rapprochement avec la Hongrie, fort de la proximité de sensibilité politique avec le Fidesz de Viktor Orban. Les deux gouvernements se sont réunis à plusieurs reprises depuis un an et la Hongrie a accordé un prêt d’un milliard d’euros à la Macédoine du Nord, quasiment sans conditions, alors que l’Union européenne, dans le cadre du Plan de croissance pour les Balkans occidentaux ([3]) annonce 750 millions d’euros, avec des conditionnalités importantes.
● Auditionné par le rapporteur, M. Christophe Le Rigoleur, ambassadeur de France en Macédoine du Nord, a invité à ne pas surestimer le risque présenté par ces démarches, au caractère opportuniste, tant les forces de rappel pro-européennes paraissent importantes, la relation aux partenaires européens étant perçue comme un intérêt national de tout premier rang par une grande majorité des Macédoniens.
À cet égard, la participation, en mai 2025, du ministre des affaires étrangères macédonien au « Gymnich » ([4]) de Lviv et à la réunion du « core group » sur le tribunal pénal pour les crimes de guerre russes en Ukraine témoigne de la volonté de Skopje de maintenir son engagement en faveur de l’Ukraine, malgré le signal contradictoire du vote à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU).
Au-delà de la question des formes que prendra l’intégration de la Macédoine du Nord à un projet européen dont le rapporteur souligne que l’essoufflement actuel invite à le modifier en profondeur, l’enjeu paraît bel et bien de maintenir des perspectives concrètes, porteuses de progrès pour les peuples, par une présence active des Européens et de la France en Macédoine du Nord, faute de quoi ce vide sera comblé par d’autres.
L’enjeu paraît d’autant plus important que l’environnement régional de la Macédoine du Nord est soumis aux stratégies d’influence de plusieurs puissances aux velléités néo-impériales latentes ou nettement affirmées :
– la Russie, par l’intermédiaire de relais puissants en Serbie et au Monténégro ;
– la Turquie, qui y dispose d’importants réseaux d’affaires, y finance des lieux de culte ou procède à des dons de matériels d’armement ;
– la Chine très présente dans les secteurs de la construction des infrastructures et qui peut souhaiter faire du pays une plaque tournante de ses réseaux de distribution, au croisement des corridors paneuropéens VIII reliant les côtes albanaises à la mer Noire, et X reliant la Grèce à l’Europe centrale.
B. Une relation bilatérale franco-macédonienne modeste mais prometteuse
1. Une coopération aux racines anciennes et en phase ascendante
● Si la France est engagée de longue date dans les Balkans occidentaux – elle dispose d’ailleurs d’une ambassade dans chacun des pays – en promouvant notamment la stabilité régionale et son ancrage européen ([5]), elle démontre une volonté de s’y réengager depuis quelques années.
En témoigne la Stratégie française pour les Balkans occidentaux publiée en 2019 dans l’objectif de permettre à la France de « s’engage[r] davantage pour la stabilisation des six pays des Balkans occidentaux non-membres de l’Union européenne, pour leur développement économique et social et pour le renforcement de l’État de droit ». Cette stratégie a été actualisée en octobre 2023 pour prendre en compte trois évolutions : « la guerre d’agression russe en Ukraine et l’accentuation des difficultés économiques et sociales dans la région », « l’évolution de la politique d’élargissement de l’Union européenne » et « la persistance, voire l’aggravation des crises régionales requérant l’engagement de la France au plus haut niveau afin d’apporter des propositions de résolution des différends ». Depuis octobre 2023, un poste d’envoyé spécial pour la région a été créé ([6]).
● Dans ce cadre, les relations bilatérales entre la France et la Macédoine du Nord connaissent une dynamique ascendante. Le dialogue politique entre les deux pays s’est intensifié, en particulier depuis la rencontre, en juin 2021, entre le président de la République et le Premier ministre macédonien ou encore la visite à Skopje, les 17 et 18 juillet 2023, de la secrétaire d’État chargée de l’Europe, aux côtés de ses homologues allemand et polonais, dans le cadre du format dit de « Weimar élargi ». En dernier lieu, le 5 juin 2025, M. Timco Mucunski, nouveau ministre des affaires étrangères de Macédoine du Nord, s’est déplacé à Paris où il a rencontré le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, le ministre délégué aux affaires européennes puis le groupe d’amitié France-Balkans occidentaux du Sénat.
● La France dispose en Macédoine du Nord d’une bonne image, héritée des liens anciens noués à la création de la Yougoslavie après la première guerre mondiale, alors même qu’une part importante de ce conflit s’est précisément jouée sur le « front d’Orient » dont la Macédoine du Nord a été un des principaux théâtres d’opérations.
La France a joué un rôle décisif au moment de la crise de 2001 en appuyant le processus de négociation de l’accord-cadre d’Ohrid (voir supra) avec deux représentants spéciaux de l’Union européenne, François Léotard puis Alain Le Roy.
La France a par ailleurs été en 2003 la nation-cadre de l’opération militaire Concordia, première opération militaire de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), puis le plus gros contributeur de la mission de police Proxima, qui lui a succédé.
Robert Badinter a également laissé son empreinte : au début des années 1990, il présidait la Commission d’arbitrage près la Conférence pour la paix dans l’ex-Yougoslavie, qui a rendu un avis permettant de reconnaître l’indépendance du pays et, en 2001, il a conseillé les autorités macédoniennes sur la révision de la Constitution.
● Nos deux pays entretiennent des coopérations dans de nombreux domaines dont la sécurité intérieure, la formation professionnelle, le tourisme et l’action culturelle et linguistique, la France disposant d’un Institut français à Skopje, inauguré en 1974, relayé par deux Alliances françaises à Bitola et Tetevo. En outre, la Macédoine du Nord est, depuis 2006, membre de plein exercice de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
La relation économique bilatérale est modeste mais elle progresse. Depuis 2012, les échanges commerciaux entre la France et la Macédoine du Nord, bien que limités (264 millions d’euros en 2023), augmentent de façon continue.
Un accord intergouvernemental sur le déploiement des activités de l’Agence française de développement (AFD) a été signé en février 2021. Il a permis l’octroi d’un prêt de 50 millions d’euros au profit de la Banque macédonienne de développement en juin 2023, pour le soutien aux investissements verts et sociaux des petites et moyennes entreprises macédoniennes.
2. Un partenariat de défense à consolider
● L’armée de la république de Macédoine du Nord dispose d’environ 6 000 personnels avec un budget de défense de 329 millions d’euros en 2025, soit environ 2 % du PIB. Le gouvernement actuel a fixé l’objectif de porter cet effort à 955 millions d’euros en 2029.
Près de 30 % de ce budget est consacré à l’intégration des forces macédoniennes à l’OTAN, avec laquelle la Macédoine du Nord coopérait en tant qu’État tiers dès les années 2000, dans la perspective de son adhésion ultérieure. La réponse aux objectifs capacitaires de l’Alliance est ainsi le principal vecteur de modernisation et de standardisation de l’outil de défense du pays. Les déploiements de l’armée macédonienne s’effectuent d’ailleurs très majoritairement dans le cadre de l’OTAN avec par exemple 67 personnels à la Force pour le Kosovo (KFOR), ainsi que dans les opérations de réassurance sur le flanc est de l’Alliance : 12 en Lettonie (Enhanced Forward Presence), 35 en Roumanie et 36 en Bulgarie (Enhanced Vigilance Activity). En 2024, la Macédoine du Nord a contribué à la force de réaction de l’OTAN avec 42 militaires.
● La relation à l’OTAN se double d’un investissement au sein des opérations relevant de l’Union européenne, à l’exemple de la participation, depuis 2006, à l’EUFOR Althea en Bosnie-Herzégovine, où 33 militaires macédoniens sont aujourd’hui positionnés. La Facilité européenne pour la paix (FEP) créée en mars 2021, a fait bénéficier la Macédoine du Nord, entre 2023 et 2025, de trois mesures successives d’assistance pour un total de 37 millions d’euros pour acquérir des équipements et de la formation afin de renforcer les capacités opérationnelles des forces armées. En novembre 2024, cet engagement politique continu dans le domaine de la sécurité et de la défense a été formalisé par la signature d’un partenariat de sécurité et de défense avec l’Union européenne.
● La base industrielle et technologique de défense (BITD) macédonienne repose principalement sur l’entreprise ATS Group qui produit des équipements balistiques composites (casques, plaques de blindage, vestes, etc.) mais aussi des munitions de petit calibre selon les standards OTAN. Des investissements conjoints turcs et macédoniens devraient en outre permettre d’ouvrir prochainement, en Macédoine du Nord, une usine de production de poudre à canon.
● La coopération dans le domaine de la défense entre la France et la Macédoine du Nord est aujourd’hui régie par l’arrangement technique ([7]) entre le ministre de la défense de la République française et le ministre macédonien de la défense concernant une coopération bilatérale dans le domaine de la défense, signé à Skopje le 22 décembre 1996.
Cet arrangement technique prévoit diverses formes de coopération à l’instar des visites de délégations, l’accueil de stagiaires et des échanges d’expérience ainsi que la mise en place d’un groupe de travail franco-macédonien mais n’offre pas un cadre adapté au développement d’une coopération bilatérale de défense dense et pérenne.
En 2022, un contrat d’acquisition de systèmes de défense sol-air à très courte portée (Mistral) a été conclu entre Skopje et l’industriel français MBDA, témoignant d’un premier jalon capacitaire. Cette acquisition représentait pour l’année 2022 l’investissement le plus important du ministère de la défense macédonienne. La relation de défense franco-macédonienne s’est également illustrée par la participation conjointe des deux armées à l’exercice Swift Response 2022, organisé par la United States Army Europe and Africa à Krivolak.
À ces volets stratégiques et capacitaires s’ajoute une relation mémorielle fondée sur l’histoire partagée du Front d’Orient durant la première guerre mondiale. Elle s’est notamment concrétisée par l’inauguration, en 2018, pour le centenaire de l’armistice, d’un espace muséal au sein du cimetière militaire français de Bitola, qui abrite les sépultures identifiées de 6 134 militaires français et coloniaux, 128 sépultures non identifiées, et un ossuaire contenant les restes d’environ 7 000 soldats.
II. Un accord de coopération de défense nécessaire, une portée encore limitée
A. Des garanties juridiques permettant d’accroître la coopération opérationnelle
1. Les bases d’un cadre pérenne de coopération
● L’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord, signé à Paris le 14 octobre 2022 va se substituer à l’arrangement technique signé à Skopje le 22 décembre 1996 (voir supra) ce qui permettra de renforcer et de pérenniser le cadre juridique de la relation bilatérale de défense.
L’initiative de ce rapprochement revient à la Macédoine du Nord, qui a officiellement sollicité la France par courrier en date du 28 décembre 2020, adressé par la ministre macédonienne de la défense à son homologue français. En réponse à cette demande, le ministère des Armées a élaboré un projet d’accord intergouvernemental (AIG) en matière de coopération de défense, transmis aux autorités macédoniennes en juillet 2022. Après validation par la partie macédonienne, le texte a été accepté le 20 septembre 2022 puis signé à Paris le 14 octobre 2022.
● L’accord comporte quinze articles précédés d’un préambule rappelant le souhait des parties de contribuer à la paix en Europe et leur volonté « d’approfondir et d’élargir le cadre de leur coopération bilatérale dans le domaine de la défense ».
Après l’article 1er comportant, de manière classique, les termes les plus fréquemment employés au sein de l’accord et l’article 2 qui en établit les modalités principales et définit les compétences des ministres chargés de la défense, l’article 3 présente les domaines de coopération à travers une liste non exhaustive : la politique de défense et les enjeux politico-stratégiques, l’organisation et le fonctionnement des forces armées, l’armement et l’équipement des forces armées, les opérations internationales de maintien de la paix et humanitaires, les activités de formation ou encore la politique mémorielle.
Concernant le souvenir du Front d’Orient au cours de la première guerre mondiale, il a notamment été indiqué au rapporteur que, sur le fondement de l’accord de coopération de défense, un accord bilatéral pourra être négocié afin de préciser les modalités de gestion des cimetières militaires français en Macédoine du Nord ainsi que des lieux de mémoire utilisés pour les commémorations.
L’article 4 énumère les diverses formes de coopération en matière de défense au moyen, là encore, d’une liste non exhaustive : échanges d’expérience et visites, participation d’observateurs à des exercices militaires et des manœuvres, formation militaire ou échange d’officiers experts techniques…
L’article 5 prévoit l’organisation d’entretiens bilatéraux sur les sujets politico-stratégiques et militaires d’actualité ainsi que sur des questions de coopération bilatérale dans le domaine de la défense, et fixe les modalités d’organisation de ces rencontres.
2. Les garanties applicables aux militaires et civils déployés entre les deux Nations
De nombreuses stipulations de l’accord visent à fournir un cadre juridique consolidé pour les personnels appelés à participer à la coopération de défense.
● L’article 7 fixe les modalités du statut des forces et des personnes à la charge de la Partie d’origine sur le territoire de la Partie d’accueil.
Le 1. de cet article prévoit que, sous réserve des stipulations de l’accord, ce statut est régi par les stipulations du Traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces signée à Londres le 19 juin 1951 ([8]) (SOFA OTAN). Selon les éléments transmis au rapporteur, le renvoi au SOFA OTAN « permet de simplifier les négociations en renvoyant à un cadre déjà connu des Parties et des administrations qui seront chargées de la mise en œuvre de l’accord. » Le 2. de cet article prévoit par ailleurs le maintien de la domiciliation fiscale des membres du personnel et des personnes à charge dans l’État de la Partie d’origine afin d’éviter une double imposition.
● Toutefois, plusieurs clauses de l’accord prévoient des dérogations explicites au SOFA OTAN, ce que ne permettait pas le caractère infra-réglementaire d’un accord technique comme celui signé en 1996.
Ces dérogations permettent d’établir le principe de la non-implication des personnels d’une partie dans des opérations de maintien de la paix, de rétablissement de l’ordre public ou de la souveraineté nationale, voire à de véritables opérations de guerre ou assimilées menées par l’autre partie (article 6). Ces dérogations concernent également le soutien médical (article 8), le décès (article 9) ou encore la discipline (article 10). Ces dérogations permettent donc aux Parties de créer un cadre davantage adapté aux besoins et aux formes de leur coopération bilatérale.
L’article 8 prévoit ainsi que chaque partie reste responsable du soutien médical qu’elle apporte aux membres de son personnel. Par exception, les actes médicaux présentant un caractère d’urgence ou de nécessité seront effectués à titre gratuit dans les mêmes conditions que pour les membres du personnel de la partie d’accueil. Les autres prestations sont effectuées à la charge de la partie d’origine.
L’article 9 est consacré aux dispositions applicables en cas de décès d’un des membres du personnel de la partie d’origine sur le territoire de la partie d’accueil notamment en ce qui concerne l’établissement du certificat de décès, en cas d’autopsie, et pour la remise du corps du défunt à la partie d’origine.
L’article 10 précise que les autorités de la partie d’origine disposent d’une compétence exclusive en matière de discipline sur les membres de leur personnel.
L’article 11 énonce les modalités de règlement des dommages causés par les membres du personnel. Il pose pour principe la renonciation à l’indemnisation des dommages causés aux personnes ou aux biens de l’autre partie, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle. Il définit les modalités de répartition entre les parties de la prise en charge des indemnités versées pour la réparation des dommages causés aux tiers, sauf décision contraire d’une instance judiciaire.
L’article 12 prévoit que chaque partie prend à sa charge les frais résultants de sa participation aux activités de coopération prévues dans le cadre de l’accord, à moins que les parties n’en conviennent autrement.
L’article 13 prévoit que les informations classifiées, échangées entre les Parties, sont protégées conformément à l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine relatif à l’échange et à la protection réciproque des informations classifiées, signé à Skopje le 5 juillet 2010. Les stipulations de cet accord sont usuelles et similaires à celles des accords du même type avec nos partenaires européens. Il a cependant été indiqué au rapporteur qu’elles n’ont toujours pas intégré la réforme du secret de la défense nationale ([9]), dont la classification a été ramenée de trois à deux niveaux de secret (niveaux « secret » et « très secret » définis à l’article R. 2311-2 du code de la défense). Des négociations en ce sens sont en cours entre les deux parties, menées, pour la France, par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.
Enfin, les dispositions finales prévoient, de façon classique, à l’article 14, les modalités de règlement des différends liés à l’interprétation ou à la mise en œuvre de l’accord et, à l’article 15, les modalités d’entrée en vigueur de l’accord, son application pour une durée indéterminée ainsi que ses modalités d’amendement ou de dénonciation.
B. Un texte utile, une portée limitée
1. Un accord qui favorise la coopération de défense
L’accord de coopération dans le domaine de la défense du 14 octobre 2022 permet aux forces armées des deux pays de disposer d’un cadre juridique plus complet pour leurs activités de coopération et apparaît donc comme une étape indispensable pour encourager cette coopération.
Il permet aux deux pays de se reconnaître comme partenaires stratégiques ce qui doit conduire à soutenir le développement de la coopération dans toutes ses dimensions, tout en fournissant les garanties nécessaires à la protection des personnels engagés dans les activités communes.
Le rapporteur appelle donc à approuver cet accord qui constitue une étape dans le développement d’une coopération de défense dont il souligne qu’elle a notamment souffert des ouvertures puis fermetures successives de la mission de défense française au sein de l’ambassade de France en Macédoine du Nord. Aujourd’hui, la France dispose en Macédoine du Nord d’un attaché de défense non‑résident basé en Albanie et dont la zone de compétences comprend également le Kosovo et le Monténégro.
2. Une coopération à construire sur la durée
Le rapporteur souligne que la coopération dans le domaine de la défense et de la sécurité ne doit pas viser seulement à aider la Macédoine du Nord à entrer dans le « moule OTAN » mais doit permettre d’ouvrir des perspectives de participation accrue à des opérations de maintien de la paix dans le cadre de l’ONU ou à des opérations de la politique européenne de sécurité et de défense commune.
L’intensification des échanges entre nos armées doit ainsi apporter à la Macédoine du Nord plus de souplesse stratégique et constituer un gage de liberté. Le rapporteur invite donc à accroître le soutien à l’enseignement du français dans le cadre de cette coopération, afin de permettre une participation régulière d’officiers macédoniens à nos formations de l’enseignement militaire supérieur et d’entretenir les relations entre les communautés d’officiers ayant partagé des formations communes.
Enfin, une coopération de défense pérenne ne saurait se concevoir sans une approche d’ensemble appuyant des projets mutuellement bénéfiques pour nos deux peuples. Le rapporteur invite donc à la plus grande vigilance quant aux moyens que la France va être en mesure de consacrer aux différents volets stratégiques de notre coopération en Macédoine du Nord et dans les Balkans occidentaux en particulier pour les projets d’appui juridique et technique dans la lutte contre la corruption et les réseaux criminels et pour financer les projets de l’AFD contribuant à un développement économique durable et inclusif et à sa décarbonation.
Avis fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées
La commission de la Défense nationale et des forces armées s’est saisie pour avis du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord, signé à Paris le 14 octobre 2022.
Cet accord a pour objet de renforcer et de pérenniser le cadre juridique de la relation bilatérale de défense entre la France et la République de Macédoine. Ainsi que le rappelle l’étude d’impact du projet de loi, « La coopération dans le domaine de la défense entre la France et la Macédoine du Nord est pour l’instant régie par l’arrangement entre le ministre de la Défense de la République française et le ministre macédonien de la Défense concernant une coopération bilatérale dans le domaine de la défense, signé à Skopje le 22 décembre 1996. Celui-ci n’offre pas un cadre suffisant pour répondre aux ambitions de développement de la coopération des Parties dans ce domaine. Cet accord viendra donc le remplacer. »
La Macédoine du Nord est un allié historique de la France dans les Balkans Occidentaux. Cet accord s’inscrit dans la stratégie française pour les Balkans occidentaux ([10]), lancée en 2019. Cette stratégie exprime la volonté de la France de renforcer son engagement vis-à-vis des pays de cette région, à laquelle elle est liée par l’Histoire, la géographie, mais aussi des intérêts communs.
Source : France Diplomatie
La stratégie française dans les Balkans occidentaux repose sur cinq piliers :
– développer les relations politiques (rencontres politiques de haut niveau et visites bilatérales, nomination d’un envoyé spécial pour les Balkans occidentaux en octobre 2023). Ainsi que le résume l’étude d’impact du projet de loi, « Les relations politiques entre nos deux pays sont bonnes et régulières, et dans une dynamique positive depuis la rencontre entre le Président de la République et le Premier ministre macédonien en juin 2021 avec une intensification des interactions au niveau politique depuis cette date. Le Président de la République s’est ainsi entretenu avec le Premier ministre macédonien par téléphone les 18 mai et 6 juin 2022. Par la suite, la secrétaire d’État chargée de l’Europe s’est rendue les 17 et 18 juillet 2023 à Skopje, accompagnée de ses homologues allemand et polonais (format Weimar). Enfin, un premier dialogue stratégique franco-macédonien s’est tenu à Skopje le 23 novembre 2022. »
– contribuer à la paix, à la sécurité et à la stabilité de la région ;
– renforcer l’État de droit ;
– développer notre coopération et nos relations économiques ;
– renforcer les liens humains et culturels entre nos sociétés.
Les convergences de vues entre la France et la Macédoine du Nord sur de nombreux sujets d’intérêt stratégique en Europe ainsi que sur le flanc sud (Afrique du Nord, Moyen-Orient, Sahel, etc.) font de ce pays un partenaire fiable de la France en matière de défense. En 2003, la France a par ailleurs exercé en Macédoine du Nord la responsabilité de nation-cadre de la première opération militaire de la politique de sécurité et défense commune de l’UE (Concordia ([11])) puis a été le plus gros contributeur de la mission de police de l’UE Proxima qui lui a succédé.
Depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de Russie, les deux pays sont particulièrement alignés, notamment concernant les sanctions européennes à l’encontre de la Fédération de Russie. La Macédoine du Nord a contribué de manière substantielle à l’aide militaire à l’Ukraine, ne manquant pas d’ailleurs de souligner qu’elle figure parmi les pays ayant le plus soutenu l’Ukraine en termes de PIB/habitant. D’après les éléments transmis à votre rapporteur pour avis, le pays a notamment fourni des chars T-72, des avions d’attaque SU-24 et des batteries de missiles antiaériennes SA-13 et SA-16. En 2023, une compagnie ukrainienne avait également été formée sur le camp macédonien de Krivolak.
Toutefois, une inflexion dans l’attitude vis-à-vis de la Russie semble s’être amorcée depuis l’arrivée au pouvoir du parti nationaliste VMRO au printemps 2024. Ainsi, en février 2025, la Macédoine du Nord a fait le choix de s’abstenir sur deux résolutions de l’ONU concernant l’Ukraine, ce qui a interpellé ses alliés européens. Néanmoins, la participation du ministre des affaires étrangères macédonien au « Gymnich » ([12]) de Lviv et à la réunion du « core group » sur le tribunal pénal pour les crimes de guerre russes en Ukraine témoigne de la volonté de Skopje de maintenir son engagement en faveur de l’Ukraine.
Bien que la perspective européenne semble rester l’un des piliers de la politique étrangère macédonienne, l’arrivée au pouvoir du parti nationaliste VMRO-DPMNE pourrait à terme menacer le partenariat avec la France. Le chef du Gouvernement de Macédoine du Nord Hristijan Mickoski s’est ainsi rendu à Washington pour la cérémonie d’investiture de Donald Trump et affiche une proximité idéologique assumée avec le président des États-Unis. Par ailleurs, la proximité politique entre le Fidesz du Premier ministre hongrois Viktor Orban et le VMRO est forte.
La Macédoine du Nord est située au cœur d’un environnement régional complexe à l’instabilité latente. Depuis son indépendance en 1991, la Nation est traversée par de nombreux conflits identitaires qui se traduisent en différends bilatéraux majeurs en matière de politique extérieure.
D’une part, le voisin grec a refusé la dénomination de République de Macédoine, considérant que le terme « Macédoine » désignait la région grecque de Thessalonique et accusant les autorités macédoniennes de velléités irrédentistes. En 2018, l’accord dit de « Prespa » semble avoir résolu la question de la dénomination de l’« Ancienne République yougoslave de Macédoine », renommée « République de Macédoine du Nord ». La conclusion de cet accord a levé les oppositions grecques aux candidatures de la Macédoine du Nord à l’Union européenne et à l’OTAN. Toutefois, l’arrivée au pouvoir du parti nationaliste VMRO aurait été marquée par un regain de tensions avec la Grèce au sujet du nom constitutionnel de la Macédoine du Nord.
D’autre part, les tensions entre la majorité slavo-macédonienne et la minorité albanaise ont impacté la stabilité du pays à la suite du conflit au Kosovo en 1999. En 2001, l’insurrection armée de la minorité albanaise dirigée par l’UCK- M. (armée de libération nationale – prolongement en Macédoine du Nord de l’UCK au Kosovo) aurait pu faire basculer le pays dans une guerre civile. L’action conjointe de la France et de l’Union européenne a permis d’éviter ce basculement, leurs efforts ayant permis la signature de l’accord-cadre d’Ohrid le 13 août 2001. Cet accord a mis en place une nouvelle architecture constitutionnelle dans laquelle la minorité et la langue albanaises bénéficient d’une reconnaissance beaucoup plus importante. Aujourd’hui, la vie politique macédonienne continue de se structurer autour de ces questions identitaires. Malgré l’apaisement favorisé par la conclusion de l’accord d’Ohrid, les relations entre la communauté macédonienne (slavophone/ majoritaire) et albanaise (minoritaire) demeurent complexes.
En outre, les relations avec la Bulgarie sont caractérisées par des épisodes de tensions puis de détente depuis l’indépendance de la Macédoine du Nord. Un traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération a été signé le 1er août 2017. Si la tenue le 19 juillet 2022 d’une première conférence intergouvernementale entre la Macédoine du Nord et l’Union européenne a permis de résoudre partiellement le différend avec la Bulgarie, la poursuite de la perspective européenne du pays candidat depuis 2005 est désormais conditionnée à la reconnaissance d’une minorité bulgare dans la Constitution.
Enfin, l’environnement régional de la Macédoine du Nord est soumis aux stratégies d’influence de plusieurs puissances régionales. Premièrement, la Russie est très présente dans la région. Par l’intermédiaire de relais puissants en Serbie et au Monténégro, elle exerce une influence certaine en Macédoine du Nord. Deuxièmement, la Turquie jouit d’une influence croissante en Macédoine du Nord, via les réseaux d’affaires, le financement de lieux de culte ou encore le don de matériels d’armement. En dernier lieu, la Chine est très présente dans le pays, notamment dans la construction des infrastructures permettant de transporter vers la Grèce les biens chinois transitant par la Macédoine du Nord.
Les effectifs de l’armée de la République de Macédoine du Nord sont modestes : cette dernière compterait près de 6 000 personnels et ne dispose pas de Marine. En outre, d’après les informations communiquées à vos rapporteurs, les capacités de l’armée de l’air seraient modestes et majoritairement composées d’un matériel vieillissant. Enfin, le budget de la défense macédonien pour l’année 2025 est estimé à 332M€ (dépassant les 2% du PIB et en légère augmentation par rapport à 2024 avec 324M€).
La coopération bilatérale de défense entre la France et la Macédoine du Nord demeure encore modeste.
Traditionnellement, le pays voit dans les États-Unis le principal pourvoyeur de garanties de sécurité en Europe. L’attachement primordial au partenariat transatlantique est une constante qui résiste aux alternances politiques. Les Britanniques et les Turcs sont également des partenaires de défense historiques de la Macédoine du Nord. Les autorités macédoniennes privilégient des donations américaines et/ou des offres turques en raison de leur soutien traditionnel à ces deux pays. Ainsi, Skopje prévoit l’ouverture d’une nouvelle usine turque de production de poudre à canon en Macédoine du Nord avec des investissements conjoints des deux pays. Par ailleurs, l’Italie reste aussi un partenaire important, notamment à la suite de l’acquisition d’hélicoptères (AW169 et AW149) auprès de la firme italienne Leonardo.
La relation bilatérale de défense avec la France a notamment souffert des ouvertures puis fermetures successives de la mission de défense française au sein de l’Ambassade de France en Macédoine du Nord. Aujourd’hui, la France dispose en Macédoine du Nord d’un attaché de défense non-résident basé en Albanie et dont la zone de compétences comprend également le Kosovo et le Monténégro.
Il convient également de noter que les deux pays sont liés par un accord général de sécurité relatif à l’échange et à la protection réciproque des informations classifiées, signé à Skopje le 5 juillet 2010. Les dispositions de cet accord sont usuelles, ses dispositions étant similaires aux accords du même type conclus avec nos partenaires européens. À la suite de la réforme française du secret de la défense nationale, une proposition d’amendement à l’accord a été envoyée aux autorités macédoniennes par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale le 9 octobre 2021.
La levée du veto grec après la signature de l’accord de Prespa en 2018 a permis l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’OTAN le 27 mars 2020. Cette adhésion a eu pour principale conséquence militaire d’initier de la part de la Macédoine du Nord une politique de profonde modernisation et de standardisation de son outil de défense afin de répondre aux objectifs capacitaires de l’Alliance (constitution d’un Groupement tactique d’infanterie légère - bataillon d’infanterie assorti de ses appuis – génie et artillerie – et de ses soutiens logistiques – d’ici 2027).
La structure de commandement de l’OTAN a reçu les premiers militaires macédoniens en 2021. Aujourd’hui, l’armée macédonienne se déploie principalement dans le cadre OTAN, avec notamment 67 personnels à la KFOR, ainsi que dans les opérations de réassurance sur le flan est de l’Alliance : 12 en Lettonie (« enhanced Forward Presence »), 35 en Roumanie où la France est nation-cadre et 36 en Bulgarie (« enhanced Vigilance Activity »). En 2024, la Macédoine du Nord a contribué à la force de réaction de l’OTAN avec 42 militaires.
Une relation dans le domaine de l’armement a par ailleurs été initiée entre Paris et Skopje grâce à l’achat en 2022 de missiles MISTRAL de défense sol-air à très courte portée à l’industriel français MBDA. À cette occasion, la ministre de la défense macédonienne s’était entretenue à Paris avec le ministre des armées français Sébastien Lecornu et avait signé le présent accord.
Sur le plan de la coopération opérationnelle entre nos deux armées, ces dernières ont également toutes les deux participé à l’exercice « Swift Response » 2022, organisé par la « United States Army Europe and Africa » à Krivolak en Macédoine du Nord.
Votre rapporteur appelle toutefois de ses vœux un renforcement de la coopération bilatérale de défense entre nos deux pays, hors du seul cadre OTAN.
La coopération dans le domaine de la défense entre la France et la Macédoine du Nord est présentement régie par l’arrangement technique([13]) entre le ministre de la Défense de la République française et le ministre macédonien de la Défense concernant une coopération bilatérale dans le domaine de la défense, signé à Skopje le 22 décembre 1996. Ce dernier n’offre pas un cadre suffisant pour répondre aux souhaits de développement de la coopération bilatérale de défense. L’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord signé en 2022 viendra ainsi s’y substituer.
L’arrangement de 1996 prévoyait diverses formes de coopération à l’instar des visites de délégations, l’accueil de stagiaires et des échanges d’expérience ainsi que la mise en place d’un groupe de travail franco-macédonien. L’accord de 2022 devrait permettre de couvrir plus largement tous les domaines et les formes de la coopération dans le domaine de la défense avec la Macédoine du Nord, notamment la politique de défense et les enjeux politico-stratégiques, l’organisation et le fonctionnement des forces, la formation, l’armement et l’équipement des forces armées.
L’article 3 de l’accord présente les domaines de coopération en matière de défense à travers une liste non exhaustive (politique de défense et les enjeux politico-stratégiques, l’organisation et le fonctionnement des forces armées, l’armement et l’équipement des forces armées, le maintien de la paix et la formation). Concernant la politique d’armement, les autorités françaises espèrent que le contrat conclu avec MBDA sur la livraison de missiles MISTRAL servira de pivot afin de mieux structurer la coopération bilatérale. Cette acquisition représentait pour l’année 2022 l’investissement le plus important du ministère de la défense macédonien. La mise en œuvre de l’accord de coopération en matière de défense pourrait notamment permettre la conclusion d’un arrangement technique entre les deux partenaires sur la livraison des missiles Mistral.
Le deuxième paragraphe de l’article 3 précise que les Parties peuvent convenir de coopérer dans tout autre domaine qu’elles estimeraient nécessaire. À ce sujet, votre rapporteur pour avis suggère d’étendre le champ de la coopération à la lutte contre les menaces hybrides ou encore à la coopération en cas de survenue de catastrophe naturelle ou humanitaire. Il rappelle que la France, la Slovénie et le Monténégro ont créé le centre de développement des capacités cyber des Balkans occidentaux (C3BO), basé à Podgorica (Monténégro). Inauguré le 9 décembre 2024, il a pour mission la formation et le renforcement des capacités des pays des Balkans occidentaux en la matière.
L’article 4 de l’accord énumère les diverses formes de coopération en matière de défense au moyen là encore une liste non exhaustive (échanges d’expérience et visites, participation d’observateurs à des exercices militaires et des manœuvres, formation militaire ou échange d’officiers experts techniques).
L’article 7 fixe les modalités du statut des forces et des personnes à la charge de la Partie d’origine sur le territoire de la Partie d’accueil. Le premier paragraphe prévoit que, sous réserve des stipulations de l’accord, ce statut est régi par les stipulations du SOFA OTAN. Selon les éléments transmis à votre rapporteur, le renvoi au SOFA OTAN « permet de simplifier les négociations en renvoyant à un cadre déjà connu des Parties et des administrations qui seront chargées de la mise en œuvre de l’accord. »
Toutefois, plusieurs clauses de l’accord signé en 2022 prévoient des dérogations explicites au SOFA OTAN. Ces dérogations concernent notamment les clauses relatives à la non-implication de nos personnels dans des opérations de maintien de la paix, de rétablissement de l’ordre public ou de la souveraineté nationale, voire à de véritables opérations de guerre ou assimilées (article 6), le soutien médical (article 8), le décès (article 9) ou encore la discipline (article 10). Ces dérogations permettent aux Parties de créer un cadre davantage adapté aux besoins et aux formes de leur coopération bilatérale, ce que salue le rapporteur.
Le deuxième paragraphe, relatif aux impôts, prévoit le maintien de la domiciliation fiscale des membres du personnel et des personnes à charge dans l’État de la Partie d’origine afin d’éviter une double imposition.
L’article 8 indique que chaque Partie reste responsable du soutien médical qu’elle apporte aux membres de son personnel. Par exception, le deuxième paragraphe précise que les actes médicaux présentant un caractère d’urgence ou de nécessité seront effectués à titre gratuit dans les mêmes conditions que pour les membres du personnel de la Partie d’accueil. Les autres prestations sont effectuées à la charge de la Partie d’origine.
L’article 9 est consacré aux dispositions applicables en cas de décès d’un des membres du personnel de la Partie d’origine sur le territoire de la Partie d’accueil notamment en ce qui concerne l’établissement du certificat de décès, en cas d’autopsie, et pour la remise du corps du défunt à la Partie d’origine.
L’article 10 précise que les autorités de la Partie d’origine disposent d’une compétence exclusive en matière de discipline sur les membres de leur personnel.
L’article 11 énonce les modalités de règlement des dommages causés par les membres du personnel. Il pose pour principe la renonciation à l’indemnisation des dommages causés aux personnes ou aux biens de l’autre Partie, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle dont les définitions figurent dans le même article. Sauf décision contraire d’une instance judiciaire, la prise en charge par les Parties des indemnités versées pour la réparation des dommages causés aux tiers fait l’objet d’une réparation précisée au deuxième paragraphe.
Les armées des deux pays ont noué une relation mémorielle articulée autour du souvenir du Front d’Orient au cours de la première guerre mondiale. Cette coopération mémorielle pourrait très probablement bénéficier de cet accord. L’inauguration en 2018 d’un espace muséal situé dans l’enceinte du cimetière militaire français de Bitola (12 000 à 15 000 sépultures, ville du sud-ouest en Macédoine du Nord) ambitionnait de positionner la Macédoine du Nord au cœur des questions mémorielles héritées du Front d’Orient.
Il a été précisé à votre rapporteur que l’association des autorités macédoniennes aux commémorations organisées ne soulevait aucun problème même si restait là encore modeste compte tenu de l’ambiguïté historique de la Première mondiale pour l’identité macédonienne (les soldats macédoniens y ayant combattu dans deux camps opposés, serbe et bulgare).
Le présent accord pourrait notamment permettre de consolider le cadre juridique des cimetières militaires français en Macédoine du Nord, un accord bilatéral sur la gestion des cimetières et des lieux de mémoire utilisés pour les commémorations traditionnelles étant en cours de négociation entre les Parties.
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En définitive, la Macédoine du Nord est un partenaire important pour la France au cœur des Balkans Occidentaux, une région à l’instabilité latente.
Cet accord a vocation à sécuriser et renforcer la coopération bilatérale en matière de défense entre la France et la République de Macédoine du Nord. La France et la Macédoine du Nord doivent conjointement œuvrer pour la préservation de la paix et de la stabilité géopolitique dans cette région, et doivent s’engager à y garantir la protection des droits humains, le fonctionnement démocratique des institutions sur place ainsi que le renforcement d’autres types de coopération en dehors du domaine de la défense. La conclusion de cet accord peut y contribuer, même si le rapporteur pour avis l’aurait souhaité plus ambitieux dans certains domaines.
En conséquence, le rapporteur pour avis indique ne pas s’opposer à l’adoption du projet de loi autorisant l’approbation de cet accord.
Travaux de la commission des affaires étrangères
Le mardi 17 juin 2025, à 21 heures 30, la commission examine le projet de loi, autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord, signé à Paris le 14 octobre 2022.
M. le président Bruno Fuchs. Depuis son indépendance en 1991, la Macédoine du Nord a entrepris un rapprochement avec l’Union européenne et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). La levée du veto grec, après la signature de l’accord de Prespa en 2018, a permis son adhésion à l’OTAN le 27 mars 2020, ce qui a contribué de façon significative à la stabilisation de cet État. La France n’a cessé d’être aux côtés de ce pays des Balkans occidentaux lors des crises qu’il a affrontées, en contribuant notamment à forger les accords d’Ohrid, pierre angulaire de la réconciliation intercommunautaire depuis les affrontements interethniques de 2001.
La coopération dans le domaine de la défense entre la France et la Macédoine du Nord est pour l’instant régie par un arrangement ministériel signé à Skopje le 22 décembre 1996. Ce cadre s’avère insuffisant pour répondre aux ambitions de développement de la coopération des deux parties. L’accord du 14 octobre 2022 a vocation à le remplacer en étendant le champ de la coopération à la formation, à l’armement et à l’équipement des forces armées.
M. Aurélien Taché, rapporteur. L’accord de coopération dans le domaine de la défense entre la France et la Macédoine du Nord soumis à notre examen a été signé il y a seulement trois ans, le 14 octobre 2022 : saluons tout d’abord cette célérité, qui n’est pas toujours de mise.
Issue de l’éclatement de la Yougoslavie, située au cœur des Balkans occidentaux, la Macédoine du Nord a une surface équivalente à celle de trois ou quatre départements français, pour une population de 2 millions d’habitants. Elle est le deuxième pays le plus pauvre d’Europe après la Moldavie.
La coopération de défense avec la Macédoine du Nord est aujourd’hui régie par un arrangement technique entre ministres signé à Skopje en 1996, de portée infra-réglementaire, prévoyant diverses modalités – visites de délégations, accueil de stagiaires, échanges d’expériences –, qui n’est pas adapté au développement d’une coopération bilatérale de défense dense et pérenne. En particulier, il ne définit pas de cadre juridique protecteur pour les personnels militaires et civils concernés.
Or nos relations de coopération de défense avec la Macédoine du Nord, qui ont des racines anciennes, connaissent une phase ascendante. L’armée macédonienne dispose de 6 000 personnels et d’un budget de 329 millions d’euros en 2025, soit environ 2 % du produit intérieur brut (PIB) macédonien, ce qui représente un effort de défense comparable à celui de la France. La Macédoine du Nord a pour objectif de porter ce budget à 1 milliard d’euros en 2029 et d’en consacrer 30 % à l’intégration de ses forces à l’OTAN, dont elle est devenue le trentième pays membre en mars 2020.
L’accord de coopération qui nous est soumis a été signé en octobre 2022, quelques mois après que Skopje a conclu avec l’industriel français MBDA un contrat d’acquisition du système de défense sol-air Mistral. Cette acquisition représentait l’investissement le plus important du ministère macédonien de la défense en 2022, signe de son intérêt à travailler avec la France et avec son industrie.
Même s’il est peu probable que la France devienne le premier partenaire militaire de la Macédoine du Nord, qui a principalement recours à la coopération américaine mais aussi italienne et turque, notre coopération bilatérale est appelée à s’accroître. Il est donc heureux que nous puissions travailler ensemble en dehors du strict cadre de l’OTAN, où nos armées coopèrent par ailleurs, comme lors de l’exercice Swift Response organisé à Krivolak en 2022 ou des opérations de réassurance de l’OTAN en Lettonie et en Roumanie.
Notre partenaire exprime une attente de coopération forte, ce dont nous pouvons nous féliciter. Le conseil des ministres a délibéré de ce projet de loi le 4 juin dernier ; le lendemain même, Timčo Mucunski, nouveau ministre des affaires étrangères de Macédoine du Nord, s’est déplacé à Paris, où il a rencontré Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, puis le groupe d’amitié France-Balkans occidentaux du Sénat.
L’accord de comporte trois parties.
Les articles 1er à 5 étendent le champ de la coopération à de nombreux domaines : politique de défense et enjeux politico-stratégiques, organisation et fonctionnement des forces armées, armement et équipement, opérations internationales de maintien de la paix et humanitaires, formation.
La politique mémorielle y est mentionnée, fondée sur l’histoire partagée du front d’Orient durant la première guerre mondiale, dont la Macédoine du Nord a été l’un des principaux théâtres d’opérations. En 2018, un espace muséal a été inauguré au sein du cimetière militaire français de Bitola, abritant les sépultures identifiées de 6 000 militaires français et coloniaux ainsi qu’un ossuaire comportant les restes de 7 000 soldats.
Les articles 6 à 11 définissent les garanties applicables aux militaires et civils déployés entre nos deux nations. Ils renvoient à l’accord de statut des forces à l’étranger, dit SOFA OTAN, qui fournit un cadre de travail familier aux deux parties, mais l’accord du 14 octobre 2022 prévoit également des dérogations. Il s’agit en effet d’un accord de coopération et non d’un traité de défense : il ne prévoit donc pas de clause de sécurité ni d’engagement de participation à la moindre opération de l’autre partie qui serait assimilable à une guerre. Nous restons cependant liés à la Macédoine du Nord par les engagements de sécurité réciproques qui résultent de notre participation conjointe à l’OTAN.
Enfin, les articles 12 à 15 définissent les conditions de prise en charge des frais des activités de coopération, les modalités d’échange des informations classifiées et les dispositions finales usuelles.
Au total, cet accord au contenu très classique permet aux deux pays de se reconnaître comme partenaires stratégiques et offre un cadre sécurisé pour nos coopérations à venir.
J’insiste sur le fait que cette coopération ne doit pas seulement viser à aider la Macédoine du Nord à entrer dans le « moule OTAN » mais doit lui offrir plus de souplesse stratégique. Elle pourra favoriser, par exemple, une participation accrue à des opérations de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies (ONU) ou à la politique européenne de sécurité et de défense.
Je recommande aussi que cette coopération comporte un volet linguistique et apporte un plus fort soutien à l’apprentissage du français, pour favoriser une participation régulière d’officiers macédoniens à notre enseignement militaire supérieur et pour entretenir les relations entre les communautés d’officiers ayant partagé des formations communes. N’oublions pas que la Macédoine du Nord est depuis 2006 un membre de plein droit de la francophonie et que nous pouvons compter sur un institut français à Skopje – il vient de fêter son cinquantième anniversaire – ainsi que sur deux alliances françaises à Bitola et Tetovo. Surtout, une coopération même modeste dans le domaine de la défense ne peut pas se concevoir sans une approche d’ensemble, pour favoriser des projets bénéfiques à nos deux peuples.
La Macédoine du Nord est assez exemplaire en tant que démocratie multi‑ethnique fonctionnelle dans les Balkans occidentaux, les autres États étant soit mono-ethniques, soit en situation de blocage politique.
Le pays connaît un relatif équilibre politique, avec l’alternance de coalitions rassemblant les partis slavo-macédoniens et albanais, sous l’effet de l’accord-cadre d’Ohrid de 2001 qui a mis fin aux tensions avec la minorité albanaise. La France avait contribué à cet accord avec deux représentants spéciaux de l’Union européenne, François Léotard puis Alain Le Roy et avec une contribution de Robert Badinter aux travaux de révision de la Constitution. Skopje a d’ailleurs cherché à promouvoir un modèle macédonien de coexistence pacifique entre les communautés en lançant, en 2021, l’initiative du Forum de Prespa, une instance d’échange sur les problématiques régionales.
Cependant, on constate aujourd’hui des difficultés politiques liées aux déconvenues subies par le pays sur le plan européen, qui illustrent les limites de nos approches actuelles centrées sur le « tout ou rien » de l’élargissement et de l’absorption dans l’Union européenne. Skopje a en effet obtenu le statut de candidat à l’Union européenne fin 2005, voici bientôt vingt ans, mais son adhésion a été bloquée par des différends identitaires et mémoriels avec ses voisins membres de l’Union, la Grèce et la Bulgarie. Les difficultés avec la Grèce ont été levées en 2018, lorsque Skopje a accepté de modifier la Constitution, le drapeau et le nom du pays, devenu République de Macédoine du Nord, pour mieux se distinguer de la région grecque de Thessalonique.
Depuis, en revanche, des tensions sont apparues avec la Bulgarie sur fond de querelles mémorielles et identitaires, certains courants nationalistes bulgares considérant que les Macédoniens seraient originellement des Bulgares et que l’identité macédonienne aurait été créée de toutes pièces par le maréchal Tito. Ce contentieux s’alimente, en retour, d’une réactivation de la mémoire de la seconde guerre mondiale, la Bulgarie, alliée de l’Allemagne nazie, ayant occupé la Macédoine du Nord afin de l’annexer.
La Bulgarie n’a accepté de lever son veto à l’adhésion de la Macédoine du Nord qu’à la suite d’un compromis assez bancal, négocié en 2022 pendant la présidence française de l’Union européenne, exigeant une nouvelle modification constitutionnelle, cette fois pour reconnaître l’existence d’une minorité bulgare. Cette révision constitutionnelle est actuellement bloquée et la situation a alimenté la dérive nationaliste du parti slavo-macédonien initialement de centre droit, le VMRO, qui a remporté les dernières élections en insistant sur la question de l’honneur national. Nous avons même assisté début 2025 à un très net rapprochement du gouvernement du Premier ministre Hristijan Mickoski avec la Hongrie de Viktor Orbán et à des velléités de ralliement à l’Amérique de Donald Trump. Le 24 février 2025, la Macédoine du Nord a même été le seul pays européen à s’abstenir lors du vote de l’Assemblée générale des Nations unies sur la résolution rédigée par l’Ukraine condamnant l’agression militaire de la Russie, alors que tous les pays européens ont voté pour la résolution, même la Serbie.
Ces alertes du début d’année ont cependant été contrebalancées par d’autres signaux, comme la participation de Skopje à une réunion du Core Group sur le tribunal pénal pour les crimes de guerre russes en Ukraine. La perspective d’un ralliement au mouvement MAGA – Make America Great Again – semble donc s’éloigner ; elle était sans doute illusoire. Cela montre toutefois que nous ne pouvons pas nous contenter d’offrir comme seule perspective à ce peuple une adhésion à l’Union européenne, perspective à laquelle, selon les sondages, une majorité des Macédoniens ne croient d’ailleurs plus vraiment. Nous devons agir de façon concrète en activant tous les leviers d’une présence réellement utile, par des coopérations de terrain. À défaut, ce vide sera comblé par d’autres : par les Russes, qui ont des relais en Serbie et au Monténégro ; par les Turcs, qui ont d’importants réseaux d’affaires ; et par les Chinois, qui pourraient faire du pays une plaque tournante de leurs réseaux de distribution au croisement des corridors paneuropéens reliant l’Albanie à la mer Noire ainsi que la Grèce à l’Europe centrale.
Il faudra donc veiller à ne pas affaiblir et même à intensifier nos autres volets de coopération, que ce soit dans le domaine de la justice, pour lutter contre la corruption et les réseaux criminels, ou par le biais des projets de l’Agence française de développement (AFD) dans les secteurs de l’énergie, du développement urbain et de l’agriculture.
Sous ces réserves, je vous invite à voter en faveur de ce projet de loi. La France a joué un rôle important pour la paix et la stabilité des Balkans et nous devons continuer à tenir notre rang – pour peu que cette expression veuille encore dire quelque chose – dans cette région si particulière de l’Europe. Montrons à nos amis macédoniens que nous sommes présents à leurs côtés et que les autres puissances que j’ai évoquées ne sont pas les seules à s’intéresser à leur pays.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.
Mme Marine Hamelet (RN). Le Rassemblement national tient à saluer la perspective d’approbation française de cet accord qui modernise et approfondit nos relations bilatérales avec la Macédoine du Nord dans le domaine de la défense. Nous saluons également le travail de nos diplomates et de nos militaires qui ont fait en sorte que cet accord voie le jour.
Nous réaffirmons cependant sans aucune réserve notre opposition à l’élargissement de l’Union européenne aux pays des Balkans occidentaux, comme à tout autre pays. Le renforcement de nos relations bilatérales est nécessaire dans cette région où la voix de la France reste écoutée. Cet accord est tout aussi nécessaire ; il répond même à une impérieuse nécessité, au regard des appétits stratégiques que suscite cette région et des velléités d’influence qui viennent de l’Est. Nous y voyons la concrétisation de relations bilatérales en matière de défense entre la France et la Macédoine du Nord mais nous rejetons sa dimension d’intégration à l’Union européenne.
Nous sommes opposés à une vision de l’Union européenne qui promet comme seul horizon un élargissement perpétuel sans aucune logique politique ni économique et qui condamne à l’impuissance. Ni l’Union européenne ni la France ne sortiront renforcées de la mise en concurrence avec des États dans lesquels le salaire moyen ne dépasse pas 600 euros mensuels, parmi les plus faibles de toute l’Europe. Vous le notez très justement à la page 6 de votre rapport. En outre, depuis quelques années, les Balkans occidentaux sont devenus une route de prédilection de migration illégale, alors que nous faisons déjà face à une submersion migratoire.
Ceci étant dit, une coopération bilatérale en matière de défense constitue un gage de sécurité, d’échanges d’informations facilités et d’interopérabilité renforcée par des exercices communs. Pour ces raisons et pour elles seules, le groupe Rassemblement national soutiendra le projet de loi autorisant l’approbation de cet accord.
M. Aurélien Taché, rapporteur. Je ne crois pas que cet accord doive être considéré comme un cheval de Troie en vue de l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’Union européenne. Nous avons toutes les raisons de coopérer avec ce pays en matière de défense.
Mme Constance Le Grip (EPR). Ce projet de loi est important. Depuis son adhésion à l’OTAN en 2020 et son rapprochement progressif avec l’Union européenne, la Macédoine du Nord est devenue un partenaire stratégique pour la France dans les Balkans occidentaux, région absolument essentielle à la stabilité de tout le continent européen, notamment face à l’agresseur russe.
L’accord que nous examinons modernise le cadre bilatéral établi entre nos deux pays depuis trente ans ; il pose les bases d’une coopération militaire structurée, durable, adaptée aux défis sécuritaires contemporains. Il permettra d’approfondir nos échanges dans de nombreux domaines : politique de défense, équipements, formation ou encore exercices conjoints.
Cet accord s’inscrit dans la stratégie française pour les Balkans occidentaux et témoigne de la volonté d’ancrer plus solidement la République de Macédoine du Nord dans les structures euro-atlantiques. Il précise les responsabilités de chacun, protège nos personnels tant militaires que civils, encadre leur statut fiscal et leurs droits en matière de santé, d’indemnisation, etc. C’est un texte équilibré et respectueux des souverainetés. Il n’engendre aucun coût nouveau pour les finances publiques françaises, puisque chaque État prendra en charge ses propres frais.
Dans un contexte géopolitique incertain, dangereux, menaçant – menaces hybrides, ingérences étrangères, instabilité régionale de manière générale –, les appétits et les convoitises de certaines puissances, parfois très agressives – je parle de la fédération de Russie – appellent des réponses concertées et responsables. Cet accord est un instrument concret de coopération et de crédibilité stratégique pour notre pays. Il renforce également notre lien avec un État membre de l’OTAN au cœur des Balkans occidentaux. Pour toutes ces excellentes raisons et pour celles que vous avez exposées, monsieur le rapporteur, le groupe Ensemble pour la République votera en faveur de ce projet de loi.
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Nous ne sommes pas hostiles, bien entendu, au renforcement des liens de coopération avec la Macédoine du Nord. Nous nous étonnons cependant que cette relation de coopération prenne d’emblée la forme d’un accord portant sur la défense et les affaires militaires et stratégiques. Il est d’usage de développer d’abord la coopération dans d’autres domaines, scientifiques ou culturels notamment, avant d’en venir à la question si centrale aujourd’hui de la guerre et de la paix. Nous ne méconnaissons pas le rôle historique de la France dans les Balkans et nous attachons à établir et à préserver des relations de coopération intense avec l’ensemble des pays qui les composent. Dans ce cas précis, nous tenons toutefois à préciser qu’un tel accord ne saurait être à nos yeux le prélude à une intégration au sein de l’Union européenne, qui ne serait bénéfique à aucune des parties.
Précisons la nature des dynamiques dans lesquelles cet accord s’inscrit. La Macédoine du Nord a adhéré en 2020 à l’OTAN. En 2022, ce sont des contrats d’armement qui sont venus matérialiser ces relations entre nos deux pays. Si nous sommes favorables au renforcement de nos liens de coopération, nous avons quelques réserves quant à l’inscription ferme de ce partenariat dans la logique stratégique de l’OTAN. Alors que l’escalade guerrière menace de toute évidence l’alliance dirigée par les États-Unis d’Amérique, gouvernés par un courant suprémaciste particulièrement dangereux, nous réaffirmons notre attachement à l’autonomie stratégique, dont cet accord permet de réaffirmer le principe.
En effet, il paraît aujourd’hui évident, même aux plus sceptiques, que la marche à la guerre est un risque considérable et que ni les États-Unis ni l’OTAN ne travaillent à la résolution diplomatique des conflits en cours. Il faudrait pour cela commencer par faire cesser le génocide à Gaza, en prenant les sanctions qui s’imposent contre le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou. Je souligne d’ailleurs que nous sommes particulièrement préoccupés par le revirement brutal de doctrine du gouvernement, qui avalise désormais le principe de la légitime défense préventive, dans les pas des pires néoconservateurs de l’ère Bush junior. Nous nous abstiendrons donc sur ce texte.
M. le président Bruno Fuchs. Il me semble important de souligner que les coopérations avec la Macédoine du Nord sont régulières et nombreuses, en matière éducative ou scolaire. Il y a un institut français, 10 000 jeunes qui apprennent le français, des programmes Erasmus. L’AFD y est également présente.
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Je parlais de coopérations dans le cadre d’accords formalisés en l’occurrence.
M. le président Bruno Fuchs. Certes. Je tenais cependant à préciser que nous ne sommes pas seulement liés par des accords de défense mais que nous coopérons déjà dans d’autres domaines.
M. Aurélien Taché, rapporteur. Je souscris très largement à l’analyse de Pierre-Yves Cadalen. Commencer par un accord plus formel en matière de coopération scientifique et culturelle aurait donné une autre tonalité. L’Agence française de développement intervient effectivement en Macédoine du Nord, pour un montant de quelque 50 millions d’euros. C’est vrai aussi que le pays est membre de l’Organisation internationale de la francophonie. L’ambassadeur, lors de son audition, nous a d’ailleurs appris que le nombre de classes de français semblait destiné à progresser.
Pour être honnête, si je n’avais pas été rapporteur, peut-être aurais-je pu, pour les raisons évoquées par l’orateur du groupe LFI-NFP, m’abstenir également. Néanmoins, mon rôle est de donner une direction. Étant donné que la France doit rester une voix particulière de l’Europe dans cette région et que les questions de défense importent dans un pays qui pourrait se rapprocher du mouvement MAGA ou de la Hongrie de Viktor Orbán, qui lui a accordé environ 1 milliard d’euros de prêt quasiment sans conditions, je pense qu’il est préférable d’autoriser l’approbation de l’accord.
M. le président Bruno Fuchs. Vous êtes un excellent diplomate, monsieur le rapporteur, pour réussir à combiner toutes ces positions !
M. Pierre Pribetich (SOC). Monsieur le rapporteur, comme vous l’avez souligné, la coopération franco-macédonienne dans le domaine de la défense repose actuellement sur un simple arrangement signé à Skopje le 22 décembre 1996. Or celui-ci ne définit pas un cadre juridique suffisant pour répondre solidement aux ambitions de développement de la coopération.
S’agissant de la stratégie française pour les Balkans occidentaux, je rappelle que les négociations ont été lancées à l’initiative de la Macédoine du Nord en 2020. La nécessité géopolitique d’un ancrage des Balkans occidentaux à l’Europe a été renforcée après le début de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine en 2022, d’autant que la région est exposée à de nombreuses influences extérieures. Il n’échappe à personne que la Russie y est très présente par l’intermédiaire de la Serbie et du Monténégro. La Turquie, qui rêve de l’empire ottoman, exerce également une forte influence et espère être puissante en Macédoine du Nord, par l’intermédiaire notamment de l’investissement, des réseaux d’affaires, du financement de cultes ou de dons de matériel d’armement, tels les drones. La Chine y est aussi présente : dans le cadre des nouvelles routes de la soie, elle construit des infrastructures permettant de transporter ses biens vers la Grèce.
L’accord a été signé le 14 octobre 2022. Son entrée en vigueur devrait permettre de renforcer le cadre juridique pour offrir des garanties plus protectrices à l’ensemble des personnels des deux pays. Le groupe Socialistes et apparentés est naturellement favorable à son approbation.
Je rappelle que les conflits mémoriels datent de très longtemps, notamment de la division de la Macédoine en 1913. La partie Nord-Est avait été affectée à la Bulgarie, la partie Sud, autour de Thessalonique, à la Grèce et la Macédoine du Vardar à la Serbie. Les diplomates de l’époque auraient été mieux inspirés de proposer un partage différent mais c’est une autre histoire, bien loin de ce projet de loi… Permettez-moi enfin une pensée pour Alexandre le Grand, il y a quelque 2 300 années.
M. le président Bruno Fuchs. S’agissant des différends avec la Bulgarie, je sais, pour l’avoir rencontré, que le président de l’Assemblée nationale de Macédoine du Nord serait tout à fait disposé à recevoir une délégation de députés français pour échanger et voir dans quelle mesure nous pouvons essayer de trouver des points de passage et d’appui avec nos amis bulgares.
M. Aurélien Taché, rapporteur. Je profite de votre remarque, monsieur le président, pour saluer votre activisme dans la diplomatie parlementaire avec tous les pays.
J’apprécie, monsieur Pribetich, votre rappel des enjeux mémoriels. Ils sont mentionnés dans cet accord, ce qui n’est pas neutre, quand on sait que, pendant la première guerre mondiale, la Macédoine du Nord a été l’un des pays qui a été le plus frappé et que l’on connaît le nombre de soldats français enterrés là-bas.
M. Frédéric Petit (Dem). La Macédoine du Nord est l’un des pays de ma circonscription et je le connais bien. La première grande coopération franco‑macédonienne est plutôt l’ancêtre de l’AFD, puisque c’est la banque qui a lié historiquement la France à cette région, à la fin du XIXᵉ siècle. C’est pour cela que nous avons été alliés, en quelque sorte, sur le front d’Orient. Le musée de Bitola a été inauguré en 2018, à l’occasion de la célébration du centenaire de la fin de la guerre. Ce front a été extrêmement important et demeure présent dans les mémoires, notamment familiales.
Tout ne commence donc pas aujourd’hui par un accord militaire. L’accord signé avec Expertise France a au moins trente-cinq ans : des experts français avaient rejoint sous contrat un shadow cabinet en Macédoine. Du partenariat de cette époque, il reste encore, je crois, trois ou quatre experts, en plus de l’AFD. Il y a aussi des Français sur place qui font un travail extraordinaire. Il y a des expériences de journalisme, de think tanks français assez exemplaires de ce que l’on peut faire en coopération bilatérale. Je suis donc un peu surpris que vous fassiez tout commencer avec le militaire.
Je suis également un peu surpris que vous disiez que la Macédoine du Nord est la seule démocratie de la région. D’autres expériences multi-ethniques voisines fonctionnent aussi : une minorité albanaise est très engagée en politique au Monténégro ; une minorité de musulmans est très intégrée au sandjak de Novi Pazar, en Serbie ; il y a également une minorité hongroise en Serbie. Heureusement que ce n’est pas le seul exemple dans la région.
Enfin, vous n’avez pas cité l’École française internationale de Skopje, une très belle expérience en plein développement.
Le groupe Les Démocrates votera pour ce texte, bien entendu.
M. Aurélien Taché, rapporteur. Je n’ai aucun doute sur le fait que vous soyez très attentif à ce qui se passe en Macédoine, votre présence ce soir le prouve. Je ne voulais pas dire que c’était la seule démocratie multi-ethnique de la région mais il est vrai que, dans les autres, on observe un peu plus de blocages politiques. Tant mieux si cela fonctionne bien aussi chez les voisins !
Des traités qui formaliseraient notre coopération culturelle et qui engageraient davantage nos deux pays dans des domaines autres que la défense, au-delà de l’excellent travail de nos agences, seraient tout de même bienvenus.
M. Bertrand Bouyx (HOR). La Macédoine du Nord est un partenaire fiable de la France et un allié solide dans la région des Balkans occidentaux. Depuis son indépendance en 1991, elle fait le choix clair de l’ancrage euro-atlantique. Son adhésion à l’OTAN en 2020 a été un tournant décisif pour la stabilité de la région. La France, il faut le rappeler, a joué un rôle clé dans ce cheminement, notamment en soutenant les accords d’Ohrid en 2001. Aujourd’hui, alors que l’Europe est confrontée à de nouvelles menaces, particulièrement depuis l’invasion russe de l’Ukraine, il est essentiel de renforcer nos alliances.
C’est précisément le sens de cet accord de coopération qui permet de moderniser le cadre juridique de notre coopération militaire. Il remplace un arrangement daté et incomplet par un accord intergouvernemental solide et ambitieux. Il couvre un large éventail de domaines : échange de personnels, formation, exercices conjoints, transfert de compétences et coopération en matière d’équipements. Ce n’est pas un accord abstrait. Il s’appuie sur des expériences concrètes : la vente de systèmes sol-air de MBDA à Skopje en 2022 ou l’exercice Swift Response mené conjointement par nos armées la même année.
L’accord prévoit aussi un encadrement juridique clair pour nos militaires, notamment par le biais de la convention de l’OTAN sur le statut des forces, et évite toute double imposition. Il garantit ainsi un partenariat équilibré, respectueux de la souveraineté de chacun.
En renforçant ce lien, nous contribuons à la stabilité des Balkans, à la défense de l’Europe et à la construction d’une véritable Europe de la défense. C’est un partenariat utile, cohérent avec notre stratégie et qui ne représente pas un coût excessif. Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera en faveur du projet de loi.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à présent aux interventions et questions exprimées à titre individuel.
M. Alain David (SOC). Comme l’a dit Pierre Pribetich, nous soutenons bien sûr ce nouvel accord. Cependant, j’ai quelques interrogations à propos de la victoire électorale, en 2024, du parti national conservateur, qui semble marquer un infléchissement de la politique étrangère de la Macédoine du Nord : rapprochement notable avec la Hongrie et dans une moindre mesure avec la Russie ; durcissement du discours vis-à-vis de la Grèce ; et critiques de plus en plus fréquentes sur les conditions d’adhésion proposées par l’Union européenne et l’OTAN.
Dans un contexte compliqué politiquement, quelles garanties pouvons-nous avoir quant à la viabilité et à la cohérence d’une coopération bilatérale en matière de défense avec la Macédoine du Nord, notamment au sein du cadre euro-atlantique, si, à terme, les orientations stratégiques du gouvernement macédonien s’éloignent petit à petit des positions européennes communes en matière de sécurité ?
M. Aurélien Taché, rapporteur. Vos questions sont parfaitement légitimes ; j’ai du reste eu les mêmes. Lors de son audition, notre ambassadeur nous a plutôt rassurés à cet égard. La proximité du nouveau président du gouvernement avec M. Trump est ainsi toute relative, puisque les contacts n’avaient été pris que quelques jours avant l’audition, soit des mois après l’arrivée du locataire de la Maison Blanche. En réalité, l’ancrage euro-atlantique semble assez solide. Certes, l’idée que les États-Unis d’Amérique ont joué un rôle majeur dans l’arrêt de la guerre des années 1990 est largement partagée en Macédoine du Nord. Certes, le pays s’est abstenu de voter une résolution de l’ONU sur le conflit en Ukraine. Mais la Macédoine du Nord a quand même très envie de se rapprocher de l’Europe.
Je pense que l’on peut conclure des accords comme celui-ci et se rapprocher d’une autre manière que par l’adhésion à l’Union européenne. Il n’en reste pas moins que la coopération avec les États-Unis d’Amérique va de soi pour la plupart des Macédoniens. Alors que M. Orbán regarde la Macédoine du Nord de près, notre accord peut être une manière de dire qu’un autre chemin est possible en matière de coopération.
*
Article unique (autorisation de l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord, signé à Paris le 14 octobre 2022)
La commission adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
Travaux de la commission de la défense nationale et des forces armées saisie pour avis
Le mardi 10 juin 2025, à 16 heures 30, la commission examine pour avis le projet de loi, autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord, signé à Paris le 14 octobre 2022.
M. le président Jean-Michel Jacques. Avant d’entamer notre ordre du jour, je vous propose d’observer une minute de silence pour exprimer notre respect et notre solidarité à la famille de l’adjudant de gendarmerie Stéphane Plunian, âgé de 41 ans, technicien en investigation criminelle décédé en service à Rouvray le 6 juin 2025 au cours d’une opération de police judiciaire.
(Mmes et MM. les membres de la commission se lèvent et observent une minute de silence.)
M. Christophe Bex, rapporteur pour avis. La Macédoine du Nord est un partenaire stratégique de la France dans les Balkans occidentaux – l’accord de défense que nous examinons en est la traduction concrète. Je me réjouis que nous traitions de la politique de défense française dans cette région relativement méconnue, dont les fractures ethniques, identitaires et confessionnelles ont été la cause de nombreuses déflagrations à l’échelle du continent européen. Il importe que la France ait une diplomatie active dans cette région autrefois qualifiée de poudrière et dont la stabilité reste fragile.
La stratégie française dans les Balkans occidentaux repose sur cinq piliers : développer les relations politiques, contribuer à la paix, à la sécurité et à la stabilité de la région, renforcer l’État de droit, développer nos relations économiques, renforcer les liens humains et culturels entre nos sociétés.
La France doit contribuer à la préservation de la paix et de la stabilité de cette région qui reste sujette à des menaces d’instabilité persistantes. Vous savez combien ces principes de paix et de stabilité sont cardinaux pour notre groupe parlementaire. Je constate d’ailleurs avec satisfaction que le renvoi aux objectifs et aux principes de la Charte des Nations unies figure en bonne place dans le préambule du présent accord.
Les convergences entre nos deux pays sur de nombreux sujets d’intérêt stratégique, en Europe ainsi que sur le flanc sud – Afrique du Nord, Moyen-Orient, Sahel, etc. – font de la Macédoine du Nord un partenaire plutôt fiable de la France en matière de défense. Depuis l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Fédération de Russie, nous sommes particulièrement alignés, notamment au sujet des sanctions européennes à l’encontre de la Russie. La Macédoine du Nord a contribué de manière substantielle à l’aide militaire à l’Ukraine – elle ne manque pas de rappeler qu’elle figure parmi les pays l’ayant le plus soutenue en termes de PIB par habitant. Toutefois, une inflexion dans l’attitude vis-à-vis de la Russie semble s’être amorcée depuis l’arrivée au pouvoir du parti nationaliste et conservateur, le VMRO, au printemps 2024. En février 2025, la Macédoine du Nord a fait le choix de s’abstenir sur deux résolutions de l’ONU concernant l’Ukraine, ce qui a interpellé nos alliés européens.
Plus largement, l’arrivée au pouvoir du parti nationaliste VMRO-DPMNE pourrait, à terme, menacer le partenariat de la Macédoine du Nord avec la France. Le chef du gouvernement macédonien, Hristijan Mickoski, s’est ainsi rendu à Washington pour la cérémonie d’investiture de Donald Trump et affiche une proximité idéologique assumée avec le président des États-Unis d’Amérique. Par ailleurs, la proximité politique entre le Premier ministre de la Macédoine du Nord, son homologue hongrois Viktor Orbán et le VMRO est forte. L’accord de défense sur lequel nous devons nous prononcer a été conclu en 2022, sous la précédente majorité. L’arrivée au pouvoir, au printemps 2024, du parti nationaliste et conservateur constitue une alerte qui pourrait menacer la stabilité du pays et de la région. Plus que jamais, la France doit y être présente afin de garantir la paix, l’État de droit et un fonctionnement démocratique des institutions.
La Macédoine du Nord est située au cœur d’un environnement régional complexe. Depuis son indépendance en 1991, cette nation est traversée par de nombreux conflits identitaires qui se traduisent en différends bilatéraux majeurs en matière de politique extérieure, avec la Grèce et la Bulgarie notamment. Par ailleurs, les tensions entre la majorité slavo-macédonienne et la minorité albanaise ont affecté la stabilité du pays à la suite du conflit au Kosovo en 1999. En 2001, l’insurrection armée de la minorité albanaise aurait pu faire basculer le pays dans une guerre civile. L’action conjointe de la France et de l’Union européenne a évité ce basculement, leurs efforts ayant permis la signature de l’accord-cadre d’Ohrid le 13 août 2001.
Enfin, l’environnement régional de la Macédoine du Nord est soumis aux stratégies d’influence de plusieurs puissances régionales. La Russie est très présente dans la région. Par l’intermédiaire de relais puissants en Serbie et au Monténégro, elle exerce une influence certaine en Macédoine du Nord. La Turquie y jouit d’une influence croissante à travers les réseaux d’affaires, le financement de lieux de culte et le don de matériels d’armement. La présence de la Chine y est très marquée, notamment grâce à la construction d’infrastructures permettant de transporter vers la Grèce les biens chinois transitant par la Macédoine du Nord.
La coopération militaire bilatérale entre la France et la Macédoine du Nord est encore très modeste. L’armée macédonienne a certes des effectifs limités – 6 000 personnes environ –, mais elle a engagé un important effort de densification et de modernisation après l’adhésion du pays à l’Otan en 2020. Traditionnellement, à tort ou à raison, la Macédoine du Nord voit dans les États-Unis d’Amérique le principal pourvoyeur de sécurité en Europe
– l’attachement primordial au partenariat transatlantique est une constante qui résiste aux alternances politiques. Nous nous accorderons certainement à considérer que c’est une chimère. Les récents atermoiements de Donald Trump ainsi que la posture des États-Unis sur la scène internationale montrent à quel point l’administration américaine ne recherche pas la paix et la stabilité dans le monde et en Europe. Nous espérons sincèrement que les personnes et les pays qui continuent d’y croire se remettront rapidement en question et que la Macédoine du Nord y sera sensible.
L’adhésion de cette dernière à l’Otan a contribué à accentuer notre coopération bilatérale en matière de défense, mais cette coopération ne saurait être réduite au cadre de l’Alliance atlantique. La coopération strictement bilatérale en dehors de l’Otan, suivant les principes onusiens, doit être recherchée en priorité. Si le statut des forces prévu dans le présent accord offre des garanties mutuelles plus protectrices à nos forces déployées, nous déplorons qu’il renvoie automatiquement aux clauses standards de l’accord de statut des forces à l’étranger de l’Otan, qualifié de « SOFA » OTAN. Nous nous réjouissons que plusieurs clauses prévoient des dérogations explicites à ce dernier, concernant : la non-implication de nos personnels dans des opérations de maintien de la paix, de rétablissement de l’ordre public ou de la souveraineté nationale, voire dans de véritables opérations de guerre ou assimilées – article 6 ; le soutien médical – article 8 ; le décès de membres du personnel – article 9 ; ou encore la discipline – article 10. Ces dérogations permettent aux parties de créer un cadre plus adapté aux besoins de la coopération bilatérale, ce que je salue. La réciprocité des exceptions juridiques permet d’éviter la critique selon laquelle le « SOFA » est une forme renouvelée d’extraterritorialité accordée aux militaires des anciennes colonies, puisque le même régime s’applique aux Nord-Macédoniens en France et aux Français en Macédoine du Nord.
Cet accord permettra d’étendre de façon assez importante le champ de notre coopération dans le domaine de la défense. J’appelle à étendre cette coopération à la lutte contre les menaces hybrides ou aux interventions liées à des catastrophes naturelles ou humanitaires. Je trouve aussi dommage que la question environnementale soit absente de l’accord. La coopération de défense entre nos deux pays ne doit pas se réduire au domaine de l’armement – rappelons que Skopje a passé commande en 2022 de missiles Mistral de défense sol-air à très courte portée à l’industriel français MBDA. Nous appelons également à renforcer la coopération mémorielle en matière de défense entre nos deux nations, relation aujourd’hui articulée autour du souvenir du front d’Orient de la première guerre mondiale. L’inauguration, en 2018, d’un espace muséal dans l’enceinte du cimetière militaire français de Bitola visait à placer la Macédoine du Nord au cœur des questions mémorielles héritées du front d’Orient. Il m’a été rapporté, lors des auditions, que l’association des autorités macédoniennes aux commémorations organisées par les autorités françaises ne soulevait aucun problème, même si elle restait encore très modeste compte tenu de l’ambiguïté historique que constitue la première guerre mondiale pour l’identité macédonienne, des soldats macédoniens ayant combattu dans deux camps opposés, celui des Serbes d’un côté et celui des Bulgares de l’autre.
En définitive, cet accord a vocation à pérenniser et à renforcer la coopération bilatérale en matière de défense entre la France et la Macédoine du Nord, puisqu’il tend à garantir un cadre juridique stable et identifié pour les personnels français. Nous ne nous opposerons pas à l’adoption du projet de loi autorisant son approbation. Je salue les efforts et le travail diplomatique des services de l’administration française, au sein du ministère des armées et du Parlement. Nous saluons donc la conclusion d’un accord que nous aurions cependant espéré plus ambitieux, tourné vers la garantie de la paix et de la démocratie dans la région des Balkans et plus largement en Europe.
Je formulerai pour finir quelques réserves plus larges concernant le contrôle parlementaire de la politique de défense. Le groupe La France insoumise demande que la mise en œuvre des accords de défense fasse l’objet d’un contrôle parlementaire renforcé : en effet, nous en sommes automatiquement saisis mais nous n’en entendons ensuite plus guère parler. Nous souhaitons qu’un bilan de l’accord de coopération militaire entre la France et la Macédoine du Nord soit effectué dans quelques années – l’accord étant conclu pour une durée indéterminée, le sujet ne risque pas de revenir prochainement devant notre commission. Les accords de défense que nous concluons nous obligent vis-à-vis des parties avec lesquelles nous contractons. La mise en œuvre du présent accord doit être la plus ambitieuse et réaliste possible, afin, notamment, de garantir la crédibilité de notre pays sur la scène internationale. Notre commission doit y veiller.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Michèle Martinez (RN). L’accord que nous examinons marque une avancée significative dans notre coopération bilatérale de défense avec la république de Macédoine du Nord. Cette coopération s’exerçait jusque-là dans le cadre d’une convention signée en 1996 à Skopje. Depuis, le contexte géopolitique a évolué, avec l’intégration de la Macédoine du Nord à l’Otan en 2020 et la perspective de son adhésion à l’Union européenne. Il était temps de redéfinir notre coopération militaire. Pour cette raison, le groupe Rassemblement national salue le travail mené par nos diplomates et nos militaires pour qu’un accord de défense voie le jour et votera en faveur du projet de loi. En tant que premier parti d’opposition, nous gardons la même ligne en matière de politique étrangère et de défense : nous dénonçons ce qui va mal – c’est le cas en Afrique sahélienne, où la politique étrangère macroniste est un échec aussi indéniable que grave –, et nous saluons les réussites quand il y en a – c’est le cas avec la Macédoine du Nord.
La France a un rôle à jouer dans les Balkans, où sa voix reste écoutée. Cet accord de défense s’inscrit dans un cadre plus large, celui de la stratégie française pour les Balkans occidentaux, qui vise à renforcer la sécurité dans la région et à garantir un règlement pacifique des différends qui restent nombreux au sein de l’ex-Yougoslavie. Tout ce qui permet de renforcer cette stratégie va dans le bon sens. C’est même une impérieuse nécessité, vu les appétits stratégiques que suscite cette région. À terme, les États balkaniques ont vocation à rejoindre l’Union européenne. Or les atermoiements et les orientations idéologiques de Bruxelles sont parfois déroutants et suscitent bien des frustrations sur place. Je me fais ici l’écho des préoccupations que le ministre hongrois des affaires étrangères a exprimées la semaine dernière au sein de cette assemblée, alors qu’il était reçu par Marine Le Pen : attention à ne pas perdre les Balkans. Les coopérations solides ne se construisent pas sur des mots mais sur des actes concrets. Une coopération en matière de défense est un gage de sécurité, d’échanges d’informations facilités entre services et d’interopérabilité, soutenus par des exercices communs. C’est ce que prévoit cet accord. Le groupe Rassemblement national est honoré de permettre son approbation.
Mme Liliana Tanguy (EPR). Le projet de loi vise à autoriser l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre la France et la république de Macédoine du Nord signé en octobre 2022 à Paris.
En tant qu’ancienne présidente du groupe d’amitié parlementaire France‑Macédoine du Nord et vice-présidente de la sous-commission pour les Balkans occidentaux à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, je constate les avancées significatives réalisées par la Macédoine du Nord dans son processus de rapprochement avec l’Union européenne. Certes, des difficultés subsistent et la Macédoine du Nord doit poursuivre ses efforts pour consolider ces progrès et continuer sur la voie de l’intégration.
Cet accord de défense s’inscrit dans une relation bilatérale en constante évolution, soutenue par des liens politiques, stratégiques, humains – et même historiques, puisque la France et la Macédoine ont combattu côte à côte lors de la première guerre mondiale – de plus en plus étroits. Il actualise et approfondit le cadre de coopération existant dans un esprit de solidarité euro-atlantique. Il répond également aux objectifs de notre stratégie pour les Balkans occidentaux, qui consiste à appuyer la stabilité, à accompagner les réformes démocratiques et à renforcer les capacités de défense de nos partenaires dans cette région encore marquée par des fragilités géopolitiques. Membre de l’Otan depuis 2020, la Macédoine du Nord est un partenaire fiable et engagé. C’est la raison pour laquelle le groupe EPR soutient pleinement ce projet de loi qui contribue à consolider une coopération stratégique essentielle pour la sécurité européenne.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Les discussions en commission ont le mérite de nous apprendre les positions des autres groupes politiques : la semaine dernière, on découvrait que le Rassemblement national n’était plus favorable à la fin de la taxe au tonnage et qu’il se pliait aux demandes de CMA-CGM ; aujourd’hui, on apprend qu’il est pour l’Europe et l’intégration de la Macédoine au sein de l’Union européenne.
Notre groupe ne s’opposera pas à l’adoption de ce texte qui sanctionne l’apaisement et la normalisation des relations de la Macédoine du Nord avec ses voisins. En tant que pays étroitement lié d’amitié avec la Grèce notamment, nous ne pouvons que nous en féliciter. En revanche, comme l’a dit M. le rapporteur, nous regrettons que l’accord de partenariat ne comprenne pas un volet civil. Si nous voulons rétablir ou normaliser nos relations avec un État, la meilleure des choses à faire n’est pas de se présenter comme un prestataire de services de défense et de sécurité. Il faut plutôt engager une coopération dans tous les domaines, à commencer par les domaines culturels, universitaire, scientifique et économique. La défense vient en second. Or, dans la logique otanienne, la défense est souvent considérée comme un préalable au détriment des relations de partenariat et d’amitié qui devraient constituer le fond de toute politique étrangère.
M. Thierry Sother (SOC). Le groupe socialiste tient à saluer ce projet de loi visant à approuver l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre la France et la République de la Macédoine du Nord. Cet accord constitue un jalon important dans la consolidation de notre relation bilatérale avec un partenaire fidèle et engagé sur la voie euro-atlantique, bien que je partage les préoccupations exprimées par M. le rapporteur dans son propos sur l’évolution de la situation politique récente.
Cet accord permet de structurer juridiquement une coopération déjà ancienne mais jusqu’ici encadrée par un accord technique signé en 1996. Il élargit significativement les champs de collaboration de la politique de défense en y incluant les enjeux politico-stratégiques, en passant par la formation, l’organisation des forces ou encore la coopération mémorielle. Mais cet accord revêt surtout une portée diplomatique et stratégique : il s’inscrit dans notre stratégie pour les Balkans occidentaux, lancée dès 2019, qui vise à renforcer la stabilité, la sécurité et l’ancrage européen de cette région exposée à de multiples ingérences.
En signant cet accord, nous envoyons un signal clair : la France choisit de renforcer ses liens avec les États qui partagent nos valeurs démocratiques et notre attachement à l’ordre international fondé sur le droit. La Macédoine du Nord, malgré les obstacles sur son chemin européen, s’est résolument alignée sur la politique étrangère de l’Union. Elle a su prendre des décisions courageuses, notamment à travers l’accord avec la Grèce, pour lever les blocages diplomatiques. Elle a également démontré sa solidarité en rejoignant l’Otan et en soutenant les sanctions contre la Russie à la suite de l’agression de l’Ukraine. Cet engagement mérite reconnaissance. Il appelle un soutien renforcé de la part de la France et de ses partenaires européens, en particulier dans ce moment d’incertitude géopolitique.
Je souhaite que nous exercions une vigilance particulière sur les risques d’ingérence et d’influence possibles évoqués par M. le rapporteur.
Le groupe socialiste votera en faveur du projet de loi, avec la conviction qu’il constitue une étape utile au service de notre diplomatie de défense, de la stabilité régionale et de l’avenir européen de la Macédoine du Nord.
M. Christophe Blanchet (Dem). Je tiens à remercier M. le rapporteur pour sa pédagogie claire autour de ce texte. Notre groupe souscrit à ses remarques concernant l’évolution politique du pays. J’ai particulièrement aimé l’emploi du mot « chimère » : en effet, si l’actualité appelle la Macédoine du Nord à faire confiance à nos alliés américains, la vérité est qu’il faudra un jour compter réellement sur ceux qui sont dans l’Europe, et sur la France en particulier.
Cet accord de coopération est essentiel car il met la lumière sur un pays qu’on méconnaît, qui est l’un des premiers à s’être engagé aux côtés des Ukrainiens en leur livrant du matériel et qui exprime une vraie demande de sécurité, parce qu’il sait historiquement ce que c’est que de se trouver à côté de la Russie. Cela fera du bien à la population française.
Le groupe démocrate le soutiendra d’autant plus qu’il prévoit les modalités concrètes de la coopération en matière de défense : les enjeux politico-stratégiques, l’organisation et le fonctionnement des forces armées, l’armement et l’équipement militaire, le maintien de la paix, les exercices et les entraînements militaires, la formation, la géographie militaire et la politique mémorielle. Cette coopération prendra la forme de visites, de stages et de séjours, d’échanges d’expériences et de données d’intérêt commun, de participation d’observateurs à des exercices militaires et à des manœuvres, de formation militaire, d’échanges d’officiers experts techniques. C’est un début. Certes, on peut regretter l’absence de volet culturel, mais je reprendrai la phrase du général de Gaulle : « La défense ! C’est la première raison d’être de l’État. Il n’y saurait manquer sans se détruire lui-même. » La défense est une première étape qui permettra, demain, d’autres formes de coopération.
Mme Lise Magnier (HOR). Comme l’a rappelé M. le rapporteur, l’accord est le prolongement actualisé de la relation bilatérale que nous entretenons avec ce partenaire stratégique des Balkans occidentaux qu’est la Macédoine du Nord. Il répond à un double impératif : sécuriser juridiquement et renforcer opérationnellement notre coopération.
La Macédoine du Nord est un allié fiable de la France dans une région où persistent des tensions identitaires et des influences extérieures fortes. L’adhésion du pays à l’Otan, ses engagements dans les opérations de maintien de la paix ainsi que sa contribution significative au soutien de l’Ukraine témoignent de la convergence de nos intérêts stratégiques. Cet accord permettra d’élargir le champ de notre coopération, notamment dans la formation, l’équipement et le soutien logistique, tout en intégrant un volet mémoriel important autour du cimetière militaire français de Bitola.
Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera en faveur du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre la France et la Macédoine du Nord.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous en venons aux questions individuelles des députés.
M. Romain Tonussi (RN). Je suis surpris que M. le rapporteur considère la présence du Premier ministre macédonien à l’investiture de Donald Trump comme une menace ; Georgia Meloni y était également présente et je ne crois pas que cela menace notre coopération avec l’Italie. Par ailleurs, le VMRO est l’équivalent macédonien de LR, qui n’est pas un parti particulièrement dangereux – la preuve, vous passez des alliances électorales avec lui.
L’accord prévoit la poursuite de la coopération en matière d’échange d’informations classifiées entre la France et la République de Macédoine du Nord, dans le prolongement de l’accord de 2010. Depuis, le contexte a évolué : la Macédoine du Nord a rejoint l’Otan en 2020 et les enjeux de cybersécurité sont désormais majeurs dans une région où les infrastructures numériques sont régulièrement visées. Il est vrai que le pays a réalisé de réels efforts en adoptant une stratégie nationale et en prenant part aux exercices conjoints du centre d’excellence de l’Otan, mais ses capacités restent limitées et, ces dernières années, plusieurs pays des Balkans ont été victimes de cyberattaques qui ont démontré la vulnérabilité de leurs réseaux institutionnels. Quelles garanties l’accord prévoit-il quant à la sécurisation des données échangées ? Quelles coopérations sont envisagées pour permettre à la Macédoine du Nord d’atteindre un niveau de protection compatible avec les standards français ?
M. Christophe Bex, rapporteur pour avis. L’accord de 2022 renouvelle celui de 1996 en le modernisant et en le renforçant afin de répondre aux nouvelles menaces, dont les cyberattaques. Il faut voir quelles suites lui seront données d’ici deux à trois ans. Comme je l’ai dit en ouverture, sans suivi, tous les accords du monde ne serviront à rien.
Vous n’êtes pas sans savoir qu’un changement de gouvernement est intervenu l’année dernière. Nous devons rester vigilants. Il est normal que le vote d’abstention sur l’Ukraine de la Macédoine du Nord à l’Organisation des Nations unies nous interpelle, de même que son rapprochement avec d’autres gouvernements. Le parti au pouvoir a une histoire : cela fait longtemps que le VMRO, nationaliste et conservateur, existe. Il faudra suivre l’évolution des relations entre le pays et ses voisins, en prenant garde à ne pas réveiller de vieilles plaies : l’année dernière, la présidente de l’Assemblée nationale, nouvellement élue, avait parlé de la Macédoine, et non de la Macédoine du Nord. Soyons attentifs aux connotations.
Je suis heureux d’être rapporteur sur cette partie de l’Europe qui se reconstruit, comme la Macédoine du Nord le fait avec l’Albanie, la Bulgarie et la Grèce, et dont l’histoire est méconnue. C’est pourquoi la partie mémorielle de l’accord me tient particulièrement à cœur. J’ai un temps habité rue des poilus d’Orient, nommée ainsi en hommage à ces 50 000 soldats français qui sont morts sur le front oriental lors de la première guerre mondiale ; après la victoire, ils ont été évacués de l’histoire au profit d’un récit selon lequel la France avait gagné sur son terrain – c’est Verdun, c’est la bataille de la Somme. Il faut à tout prix parler de ce qui s’est passé dans les Balkans. L’offensive orientale de 1918 a été la seule offensive victorieuse de la guerre, dont elle a fait basculer le cours ; elle a abouti à la signature de l’armistice avec la Bulgarie, puis avec l’empire austro-hongrois.
Comme l’a dit M. Blanchet, l’accord est l’occasion de parler des Balkans, que nous connaissons très mal. Il faut éviter que l’histoire ne se répète dans ce coin de l’Europe.
La commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.
ANNEXE I :
TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Est autorisée l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Macédoine du Nord, signé à Paris le 14 octobre 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi.
ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
PAR LE RAPPORTEUR
Ministère de l’Europe et des affaires étrangères
– S.E.M. Christophe Le Rigoleur, ambassadeur de France en Macédoine du Nord ;
– M. Florent Cheval, adjoint à la sous-directrice de l’Europe balkanique, direction de l’Europe continentale ;
– Mme Gabrielle Jouve, rédactrice Macédoine du Nord ;
– M. Pierre Dousset, conseiller juridique à la mission des accords et traités, direction des affaires juridiques.
Ministère des Armées et des anciens combattants
– M. Yann Rabaud, chef du bureau du droit international public général à la direction des affaires juridiques ;
– M. Jean Mazel, conseiller juridique au bureau du droit international public général.
([1]) Les frontières de la Macédoine du Nord recouvrent celles de la république socialiste de Macédoine au sein de la république fédérative socialiste de Yougoslavie de 1945 à 1991. Au sein de l’ancien royaume de Yougoslavie, ce territoire avait correspondu à la plus grande partie de la province de Vardar telle que délimitée en 1929.
([2]) Accord définitif entre le Gouvernement de la République hellénique et le Gouvernement de l’ancienne‑République yougoslave de Macédoine pour le règlement des différends comme décrit dans les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies 817 (1993) et 845 (1993), la résiliation de l’Accord intérimaire de 1995, et la mise en place d’un partenariat stratégique entre les Parties, signé à Prespa le 17 juin 2018.
([3]) Ces financements seront accordés sur le fondement du règlement (UE) 2024/1449 du Parlement européen et du Conseil du 14 mai 2024 établissant une facilité pour les réformes et la croissance en faveur des Balkans occidentaux (lien).
([4]) Rencontre informelle des ministres des affaires étrangères.
([5]) La position officielle de la France est le soutien à la perspective d’adhésion de ces États à l’Union européenne, tout en rappelant les critères d’adhésion, notamment en matière d’État de droit et de lutte contre la corruption.
([6]) Ce poste est actuellement occupé par M. René Troccaz.
([7]) Les arrangements techniques sont des engagements internationaux qui n’interviennent qu’au niveau ministériel : signés par le ministre, ils ne peuvent engager la France que dans la limite de ses attributions.
(1) Texte de la Convention entre les États parties au Traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces du 19 juin 1951. Décret n° 52-1170 du 11 octobre 1952 portant publication de la convention entre les États parties au traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, signée à Londres le 19 juin 1951.
([9]) Décret n° 2010-678 du 21 juin 2010 relatif à la protection du secret de la défense nationale.
([11]) L’opération EUFOR Concordia a pris la relève d’une opération de l’OTAN et visait à garantir la sécurité nécessaire à la mise en œuvre de l’accord d’Orhid pour construire un pays stable et démocratique. Cette opération a pris fin le 15 décembre 2003.
([12]) Rencontre informelle des ministres des affaires étrangères.
([13]) Les arrangements techniques (AT) comme celui signé en 1996 sont des engagements internationaux qui n’interviennent qu’au niveau ministériel. En ce sens, ils sont signés par le ministre et ne peuvent engager la France que dans la limite de ses attributions.