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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 juin 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT,
visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées
pour des faits d’une particulière gravité
et présentant de forts risques de récidive
PAR M. Olivier MARLEIX
Député
——
Voir les numéros :
Sénat : 298, 429, 430 et T.A. 82 (2024-2025).
Assemblée nationale : 1148.
SOMMAIRE
___
Pages
INTRODUCTION............................................ 5
COMMENTAIRE DES ARTICLES DE LA PROPOSITION DE LOI
Article 7 Entrée en vigueur différée
L’éloignement des étrangers les plus dangereux se heurte à des difficultés spécifiques, leurs pays d’origine étant réticents à accepter le retour de personnes condamnées pour des infractions graves. Leur éloignement demande donc davantage de temps et des échanges plus approfondis avec les États dont ils sont ressortissants. Or, le régime de « droit commun » de la rétention administrative en France limite la durée de celle-ci à 90 jours maximum. Seuls les étrangers condamnés pour des faits de terrorisme peuvent être retenus jusqu’à 210 jours. Preuve de l’efficacité de cette procédure dérogatoire, plus de la moitié des éloignements effectués dans ce cadre en 2024 ont eu lieu après le quatre-vingt-dixième jour de rétention.
Par ailleurs, la procédure actuelle de renouvellement par le juge des périodes de prolongation de la rétention – en particulier les deux dernières périodes de quinze jours – entraîne des lourdeurs administratives, des contraintes excessives pour les services du ministère de l’Intérieur et une surcharge de travail pour les magistrats chargés de se prononcer à brèves échéances et à de multiples reprises sur le maintien en rétention des personnes qui leur sont présentées. Des erreurs de droit ont pu avoir des conséquences tragiques, comme dans le cas du meurtre de Philippine Le Noir de Carlan, dont l’assassin avait été remis en liberté du fait d’une mauvaise interprétation de l’article L. 742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), contredite depuis par la Cour de cassation ([1]), alors même que les autorités marocaines communiquaient à la France le laissez-passer consulaire du meurtrier quelques jours après sa remise en liberté.
C’est à ces enjeux que répond la proposition de loi déposée au Sénat par Jacqueline Eustache-Brinio et adoptée le 18 mars 2025. Le texte propose d’étendre le régime dérogatoire permettant une rétention administrative de 210 jours aux étrangers condamnés pour des crimes et délits graves ou à une peine d’interdiction du territoire français ou encore qui représentent une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public (art. 1er). Il propose également de simplifier et de rationaliser le séquençage des dernières prolongations de la rétention administrative (art. 3).
Ces évolutions indispensables s’inscrivent dans le plein respect d’un cadre européen et national garant de la liberté individuelle. La directive dite « retour » de 2008 ([2]) rappelle que le recours à la rétention administrative doit être « limité et subordonné au respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis » et qu’il n’est « [justifié] que pour préparer le retour ou procéder à l’éloignement et si l’application de mesures moins coercitives ne suffirait pas ».
La durée de rétention a fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour européenne des droits de l’homme qui souligne que la rétention administrative n’est autorisée qu’aussi longtemps que les démarches pour atteindre le but de celle-ci – l’éloignement – sont menées avec la diligence requise ([3]) . Le Conseil constitutionnel, quant à lui, rappelle « que le placement en rétention d'un étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire doit respecter le principe, résultant de l'article 66 de la Constitution, selon lequel la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire ; qu’il incombe au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l’ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle, ainsi que les exigences d'une bonne administration de la justice et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figure la liberté individuelle dont l'article 66 de la Constitution confie la protection à l'autorité judiciaire ; que les atteintes portées à l'exercice de ces libertés doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis » ([4]). À la lumière de cet équilibre et dans le respect de ce cadre protecteur, le Conseil constitutionnel s’est prononcé à plusieurs reprises sur l’allongement de la durée maximale de rétention administrative, validant en 2011 la durée de 180, voire 210 jours prévue pour les étrangers condamnés pour des activités terroristes ([5]) .
L’article 1er de la proposition de loi s’en tient à cette durée de 210 jours dont il faut souligner qu’elle est largement inférieure à la durée maximale que les législations nationales peuvent adopter en vertu du droit européen. L’article 15 de la directive « retour » permet, en effet, de prévoir une période de rétention de six mois pouvant être portée à dix-huit mois. De nombreux pays européens ont aujourd’hui des durées de rétention maximale très supérieures à celle de la France : douze mois pour la Suède, la Slovénie et la Hongrie ; dix-huit mois pour l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, Chypre, la Grèce, la Croatie, Malte, la Slovaquie, la République tchèque, la Lituanie, l’Estonie et la Pologne.
Le régime dérogatoire de 210 jours ne s’applique aujourd’hui qu’à un nombre extrêmement réduit de personnes : le ministère de l’Intérieur indique que huit étrangers ont été placés en rétention sur ce fondement en 2021, pour une durée moyenne de rétention de 108 jours ; dix-neuf en 2022 pour une durée moyenne de 93 jours ; quarante-et-un en 2023, pour une durée moyenne de 91 jours et trente-sept en 2024, pour une durée moyenne de 117 jours. Votre rapporteur est convaincu de la pertinence d’étendre ce régime dérogatoire à d’autres étrangers condamnés à une interdiction de territoire français, pour certaines infractions graves ou représentant une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
L’article 3 de la proposition de loi procède d’une logique similaire : sans modifier la durée de la rétention administrative prévue par le droit français, il apporte une simplification bienvenue du séquençage des prolongations, substituant à deux périodes de quinze jours une unique période de trente jours.
L’article 2 de la proposition de loi étend le caractère suspensif automatique de l’appel interjeté contre une ordonnance du juge des libertés et de la détention en cohérence avec le champ de l’article premier.
Les articles 4 et 5, qui ne figuraient pas dans le texte initial de la proposition de loi, apportent des évolutions en apparence plus modestes – qui sont pourtant essentielles. L’article 4 propose de décompter en heures plutôt qu’en jours certains délais relatifs au placement initial en rétention administrative et en zone d’attente. Cette modification de bon sens doit permettre d’éviter le décompte d’un jour entier de placement lorsque l’arrivée de l’étranger survient tardivement dans la journée. L’article 5 permet, quant à lui, de rétablir et de compléter conformément aux exigences du Conseil constitutionnel les mentions devant figurer au sein du procès-verbal de fin de retenue pour vérification du droit au séjour (RVDS). Cette modification doit permettre d’assurer le plein respect du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine dans le cadre de la RVDS.
Enfin, les articles 6 et 7 prévoient respectivement l’application des dispositions de la présente proposition de loi dans les collectivités à spécialité législative en matière de droit des étrangers et l’entrée en vigueur différée de certains articles.
COMMENTAIRE DES ARTICLES DE LA PROPOSITION DE LOI
Article 1er
(art. L. 742-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Extension du régime dérogatoire de rétention administrative prolongée aux étrangers condamnés pour certaines infractions graves
Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif initial et effets principaux
L’article 1er étend le régime dérogatoire en matière de durée maximale de rétention administrative prévu pour les étrangers condamnés pour terrorisme (210 jours contre 90 dans le régime de droit commun) aux étrangers condamnés pour certains crimes ou délits graves limitativement énumérés ([6]).
Dernières modifications législatives intervenues
Créé par l’article 56 de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. Pas de modification notable récente.
Modifications apportées par le Sénat
À l’initiative de sa rapporteure, la commission des lois du Sénat a modifié le champ de l’article 1er désormais également applicable aux étrangers
Le même amendement a élargi la définition des activités à caractère terroriste en y incluant la provocation directe à des actes de terrorisme ou leur apologie.
En séance publique, un amendement de M. Reichardt (apparenté Les Républicains) a élargi le dispositif initial aux étrangers condamnés pour terrorisme faisant l’objet d’une mesure d’éloignement et non plus uniquement d’une mesure d’expulsion.
Modifications apportées par la commission
La commission des lois a adopté un amendement CL54 de son rapporteur pour préciser le champ d’application de l’article 1er. Deux critères fixés par le Sénat sont retenus par la commission : la condamnation à une peine d’interdiction du territoire français (ITF) et le cas où l’étranger représente une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. En revanche, la commission a souhaité établir une liste d’infractions graves justifiant l’application du régime dérogatoire plutôt que le critère d’une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de cinq ans d’emprisonnement ou plus.
La rétention administrative constitue une mesure administrative et non une sanction. Mesure privative de liberté, elle est placée sous le contrôle du juge judiciaire qui seul peut en autoriser la prolongation. Elle permet à l’administration de maintenir contre leur gré, dans des locaux dont elle a la charge – dont notamment les centres de rétention administrative (CRA) – les étrangers faisant l’objet d’une décision d’éloignement du territoire français afin d’en permettre la mise en œuvre.
La rétention administrative n’est possible que lorsque la personne étrangère ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d’éloignement et qu’aucune autre mesure n’apparaît suffisante pour garantir efficacement l’exécution effective de cette décision (art. L. 741-1 du CESEDA). Elle est néanmoins de plein droit lorsqu’une peine d’interdiction du territoire français (ITF) est prononcée à titre de peine principale et assortie de l’exécution provisoire (art. L. 741-2). Le placement ou le maintien en rétention ne doit durer que le temps strictement nécessaire au départ de l’étranger et l’administration est tenue d’exercer toute diligence à cet effet (art. L. 741-3). Le procureur de la République est informé immédiatement de tout placement en rétention (art. L. 741-8). L’étranger ainsi placé en rétention doit être informé de ses droits (L. 741-9) et les mineurs ne peuvent faire l’objet d’un placement en détention (L. 741-5).
Le Conseil constitutionnel a souligné, en matière de rétention administrative, « qu’il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l'ordre public nécessaire à la sauvegarde de droits et principes de valeur constitutionnelle, ainsi que les exigences d'une bonne administration de la justice et, d’autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties (...). Les atteintes portées à l’exercice de ces libertés [doivent] être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis » (n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, cons. 66).
La durée de la rétention administrative fait l’objet d’un encadrement européen par l’article 15 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 (voir encadré ci-dessous).
L’encadrement européen des durées de rétention administrative
Aux termes de l’article 15 de la « directive retour », chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut excéder six mois. En cas de manque de coopération du ressortissant ou de retards subis pour obtenir du pays tiers les documents nécessaires, la période de rétention peut être prolongée de douze mois, portant celle-ci à dix-huit mois maximum.
La proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un système commun en matière de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans l’Union ([7]), actuellement en cours de discussion, (art. 32) dispose que les étrangers en situation irrégulière « de droit commun » puissent être retenus pour une période de douze mois, prolongée d’une durée supplémentaire de douze mois lorsqu’il est probable que la procédure de retour dure plus longtemps, en raison du manque de coopération du ressortissant de pays tiers concerné ou de retards subis pour obtenir les documents nécessaires auprès de pays tiers, soit un total de vingt-quatre mois. Aux termes de l’article 16, le placement en rétention est autorisé au seul motif de la menace à la sécurité et à l’ordre public, et pour une durée non limitée, qu’il appartient à l’autorité judiciaire de déterminer au regard des circonstances de fait et de droit. La rétention doit néanmoins faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectué au moins tous les trois mois.
De nombreux pays européens ont adopté des durées maximales de rétention de douze ou dix-huit mois (voir tableau ci-dessous).
Durées maximales de rétention ADMINISTRATIVE en Europe
Pays |
Durée maximale de rétention |
Espagne |
60 jours |
Portugal |
60 jours (loi 2007) |
France |
90 jours 210 jours pour les terroristes (modification loi 2018) |
Italie |
18 mois*** |
Norvège |
12 semaines pour un adulte (Possibilité de dépasser exceptionnellement si l’étranger ne coopère pas ou s’il y a des retards dans l’obtention d’un LPC) 72 heures pour un mineur (et exceptionnellement 10 jours) (modification loi pour les mineurs en 2018) |
Luxembourg |
6 mois* |
Autriche |
6 mois Cas spécifique : jusqu’à 18 mois (modification loi 2017) |
Lettonie |
6 mois Cas particulier : 18 mois (si le RPT ne coopère pas ou réception du document de voyage retardée) |
Irlande |
8 mois* |
Suède |
12 mois* |
Finlande |
18 mois** |
Slovénie |
12 mois* |
Hongrie |
12 mois |
Allemagne |
18 mois* |
Belgique |
18 mois* |
Pays-Bas |
18 mois (en 2017 / pas modifié en 2020) |
Chypre |
18 mois* La rétention peut aller au-delà pour les ressortissants de pays tiers condamnés pour infraction pénale |
Grèce |
18 mois* |
Croatie |
18 mois* |
Malte |
18 mois* |
Slovaquie |
18 mois* |
République tchèque |
18 mois |
Lituanie |
18 mois* |
Estonie |
18 mois |
Pologne |
18 mois (modification loi 2018, la durée maximale est passée de 12 à 18 mois) |
Tableau 1. Source : direction générale des étrangers en France (DGEF).
*Données communiquées à la DGEF en 2017
**Données 2025
***Données 2023
La durée maximale de rétention administrative en France est de 90 jours. Elle peut néanmoins atteindre 210 jours dans le cadre du régime dérogatoire créé en 2011 ([8]) pour les étrangers ayant fait l’objet d’une condamnation pénale pour des activités terroristes.
Le tableau ci-dessous récapitule le séquençage des prolongations de la rétention administrative en l’état actuel du droit.
séquençage de la durée de la rétention administrative
|
Placement en rétention initial par le préfet (article L. 741-1 (1)) |
Première prolongation par le JLD (article L. 742-1) |
Deuxième prolongation par le JLD (article L. 742-4) |
Troisième prolongation par le JLD (à titre exceptionnel, article L. 742-5) |
Régime de prolongation par le JLD pour la rétention liée à des activités à caractère terroriste, (article L. 742-6) |
Cas |
- L’étranger se trouve dans l’un des cas prévus à l’article L. 731-1 ;
- Et il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction (2) ;
- Et aucune autre mesure n’apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de la décision d’éloignement |
Cas prévus à l’article L. 742-4 :
1° urgence absolue ou menace pour l’ordre public
2° perte ou dissimulation des documents de voyage, dissimulation d’identité, obstruction à l’éloignement
3° défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat ou délivrance tardive ou absence de moyens de transport |
Cas prévus à l’article L. 742-5 (3) :
1° obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;
2° demande de protection contre l'éloignement au titre du 5° de l'article L. 631-3 ou demande d’asile présentées dans le seul but de faire échec à la décision d'éloignement ;
3° défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat mais devant intervenir à bref délai ;
4° urgence absolue ou de menace pour l'ordre public |
Cas prévus à l’article L. 742-6 :
- si l’étranger a été condamné à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal
- si l’étranger fait l'objet d'une décision d’expulsion édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées (5)
|
|
Durée |
Quatre jours (article L. 741-1) |
26 jours (article L. 742-3) |
30 jours (article L. 742-4)
|
Deux prolongations de 15 jours (4) (article L. 742-5)
|
Quatre prolongations de 30 jours (article L. 742-6)
= 180 jours
|
Durée totale |
30 jours |
60 jours |
90 jours |
À titre exceptionnel deux prolongations de 15 jours (article L. 742-7 renvoyant à l’article L. 742-5)
= 210 jours
|
(1) Il est fait référence aux articles du CESEDA.
(2) Le risque de fuite est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l’article L. 612-3 ou « au regard de la menace pour l’ordre public que l’étranger représente ».
(3) Dans les trois premiers cas : lorsque l’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours.
(4) La deuxième prolongation est possible si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° survient au cours de la prolongation exceptionnelle
(5) Dès lors que son éloignement demeure une perspective raisonnable et qu’aucune décision d’assignation à résidence ne permettrait un contrôle suffisant de cet étranger. Source : Assemblée nationale, commission des Lois.
L’allongement de la durée de la rétention administrative a été admis à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel, qui a notamment jugé que l’allongement à 90 jours de la durée maximale de la rétention, contre 45 auparavant, était « adapté, nécessaire et proportionné à l'objectif de prévention des atteintes à l'ordre public poursuivi par le législateur » (n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, cons. 76), en rappelant les garanties attachées à ce placement (voir supra). En revanche, il a censuré la prolongation portant à dix-huit mois de la durée totale de la rétention des étrangers condamnés à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou condamnés pour des activités de même nature, dans le cadre de la décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 (cons. 76), estimant « que la durée maximale de la rétention est, dans un premier temps, fixée à six mois ; qu'elle ne peut être renouvelée que s'il existe une perspective raisonnable d'exécution de la mesure d'éloignement et qu'aucune décision d'assignation à résidence ne permettrait un contrôle suffisant de cet étranger ; qu'en permettant de prolonger de douze mois la rétention administrative d'un étranger lorsque, malgré les diligences de l'administration, l'éloignement ne peut être exécuté en raison soit du manque de coopération de l'étranger, soit des retards subis pour obtenir du consulat dont il relève les documents de voyage nécessaires », ces dispositions apportent à la liberté individuelle une atteinte contraire à l’article 66 de la Constitution ».
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit qu’à une période initiale de quatre jours (art. L. 741-1), peuvent succéder, avec l’accord du magistrat du siège du tribunal judiciaire, quatre périodes de prolongation respectivement
Ces différentes prolongations doivent, pour être admises par le magistrat du siège, répondre à des critères d’une exigence croissante à mesure que la durée de la rétention est allongée (voir tableau supra et commentaire de l’article 3). Au total, dans le cadre de ce régime de droit commun, la rétention administrative ne peut excéder 90 jours.
L’article L. 742-6 du CESEDA, issu de l’article 56 de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, crée un régime dérogatoire permettant de prolonger à quatre reprises pour une période de trente jours la rétention de certains étrangers, portant à 180 jours la durée maximale de rétention.
Entrent dans le champ de l’article L. 742-6 les personnes étrangères condamnées à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ([9]) ou faisant l’objet d’une décision d’expulsion édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées.
Comme dans le cadre de la procédure de droit commun, la prolongation est conditionnée au caractère raisonnable de la perspective d’éloignement et ne peut être mise en œuvre que si une décision d’assignation à résidence apparaît inadaptée pour permettre un contrôle suffisant de l’étranger.
La rétention peut être portée à 210 jours en application de l’article L. 742-7 du CESEDA qui renvoie, pour les étrangers relevant du champ de l’article L. 742-6, à l’article L. 742-5 précité qui permet de prolonger pour une période de quinze jours renouvelable une fois la durée de la rétention (voir supra et commentaire de l’article 3).
Le régime dérogatoire de rétention administrative en chiffres
En 2021 huit étrangers ont été placés en rétention sur ce fondement, pour une durée moyenne de rétention de 108 jours ; en 2022, 19, pour une durée moyenne de 93 jours ; en 2023, 41, pour une durée moyenne de 91 jours ; en 2024, 37 pour une durée moyenne de 117 jours.
Source : Ministère de l’Intérieur
La proposition de loi, dans sa version initiale, prévoyait d’étendre ce régime dérogatoire aux étrangers condamnés à une peine d’interdiction du territoire français (ITF) et aux étrangers faisant l’objet d’une décision d’éloignement auteurs de certaines infractions graves (voir infra).
L’interdiction du territoire français
L’interdiction du territoire français (ITF) (art. 131-30 du code pénal) est une peine qui peut être prononcée à l’encontre de tout étranger coupable d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’au moins trois ans, à titre de peine complémentaire ou de peine principale, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus. Son exécution entraîne de plein droit la reconduite à la frontière de la personne condamnée.
L’article 35 de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l’intégration en a fait une peine générale, ne nécessitant pas d’être prévue par des dispositions spéciales. L’article 131-30 précise que la juridiction doit tenir compte de la durée de la présence de l’étranger sur le territoire français, ainsi que de la nature, de l’ancienneté et de l’intensité de ses liens avec la France – l’article 131-30-2 prévoyant des situations dans lesquelles le prononcé de la peine est exclu du fait des liens particulièrement forts entretenus par l’étranger avec le territoire français.
L’article 422-4 du code pénal fait de l’ITF une peine complémentaire obligatoire pour les infractions à caractère terroriste, que le tribunal ne peut écarter que par une décision spécialement motivée, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.
Le nombre d’ITF connaît une forte augmentation au cours des dernières années : 1 921 ITF ont été prononcées en 2015 (dont 29 à titre principal) contre 5 568 en 2023 (dont 65 à titre principal) ([10]) .
Nombre de peineS d’itf prononcées (2015-2023)
Année |
Total mesures ITF |
dont prononcées à titre de mesure principale |
dont prononcées à titre de mesure complémentaire |
2015 |
1 921 |
29 |
1 892 |
2016 |
2 042 |
16 |
2 026 |
2017 |
2 211 |
20 |
2 191 |
2018 |
2 886 |
19 |
2 867 |
2019 |
4 000 |
109 |
3 891 |
2020 |
3 670 |
40 |
3 630 |
2021 |
4 815 |
105 |
4 710 |
2022 |
5 424 |
93 |
5 331 |
2023* |
5 568 |
65 |
5 503 |
Source : SG-SSER tables statistiques du Casier judiciaire national (CJN), traitement DACG-BEPP
* données provisoires
Mesures d’interdiction du territoire prononcées à titre complémentaire selon la nature d’affaire principale de la condamnation et enregistrées au CJN ([11])
|
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023* |
Aide à l'entrée ou au séjour d'un étranger |
266 |
321 |
391 |
583 |
882 |
776 |
864 |
1 039 |
922 |
Détention de stupéfiants |
361 |
408 |
471 |
576 |
661 |
512 |
685 |
807 |
893 |
Infraction douanière |
359 |
411 |
431 |
500 |
664 |
464 |
507 |
581 |
694 |
Vol avec effraction ou escalade |
24 |
19 |
9 |
64 |
300 |
622 |
813 |
949 |
926 |
Infraction à expulsion, interdiction du territoire, reconduite à la frontière |
104 |
125 |
112 |
155 |
181 |
127 |
230 |
200 |
153 |
Association de malfaiteurs |
137 |
148 |
120 |
169 |
142 |
120 |
130 |
121 |
130 |
Proxénétisme |
186 |
106 |
150 |
150 |
129 |
87 |
93 |
107 |
79 |
Faux document d'identité ou administratif / Détention / Usage |
133 |
134 |
97 |
122 |
132 |
81 |
105 |
103 |
156 |
Autres vols avec violence |
20 |
15 |
17 |
27 |
75 |
114 |
151 |
186 |
181 |
Violences avec ITT supérieure à 8 jours |
< 5 |
< 5 |
< 5 |
11 |
33 |
77 |
140 |
135 |
155 |
Autres vols aggravés |
22 |
16 |
19 |
35 |
66 |
52 |
77 |
116 |
129 |
Agression sexuelle sur majeur |
|
< 5 |
6 |
9 |
41 |
64 |
83 |
119 |
129 |
Viol sur majeur |
33 |
42 |
38 |
30 |
49 |
47 |
77 |
61 |
63 |
Blanchiment de capitaux |
7 |
14 |
30 |
34 |
41 |
75 |
81 |
73 |
71 |
Cession ou offre de stupéfiants |
9 |
8 |
12 |
27 |
32 |
20 |
47 |
63 |
82 |
Homicide volontaire |
20 |
19 |
15 |
30 |
23 |
25 |
42 |
61 |
42 |
Recel de vol |
13 |
10 |
13 |
26 |
25 |
24 |
26 |
36 |
53 |
Violences par conjoint ou concubin |
5 |
< 5 |
|
< 5 |
10 |
20 |
36 |
53 |
76 |
Obtention ou fourniture indue de documents administratifs |
11 |
7 |
38 |
77 |
25 |
12 |
10 |
9 |
9 |
Extorsion |
< 5 |
< 5 |
11 |
13 |
10 |
26 |
42 |
33 |
43 |
Usurpation d'identité / Infractions à l'état civil |
|
< 5 |
< 5 |
9 |
68 |
43 |
18 |
15 |
13 |
Recel aggravé |
19 |
21 |
19 |
38 |
19 |
6 |
24 |
15 |
5 |
Violences sans ou avec ITT inférieure ou égale à 8 jours |
7 |
24 |
< 5 |
6 |
12 |
25 |
18 |
32 |
37 |
Destruction ou dégradation de biens privés ou menace |
< 5 |
< 5 |
< 5 |
< 5 |
28 |
24 |
23 |
27 |
40 |
Acquisition, port, détention et transport d'armes |
< 5 |
< 5 |
8 |
8 |
16 |
18 |
21 |
32 |
35 |
Agression sexuelle sur mineur |
|
|
|
< 5 |
7 |
23 |
26 |
36 |
40 |
Terrorisme |
15 |
16 |
18 |
8 |
7 |
15 |
16 |
22 |
15 |
Enlèvement, séquestration, prise d'otage |
8 |
< 5 |
< 5 |
9 |
6 |
15 |
31 |
30 |
27 |
Coups mortels ou atteintes volontaires à la personne ayant entraîné la mort |
5 |
10 |
20 |
5 |
12 |
14 |
21 |
17 |
16 |
Esclavage / Traite d'êtres humains |
7 |
20 |
13 |
< 5 |
25 |
< 5 |
24 |
8 |
6 |
Autres |
108 |
113 |
121 |
138 |
170 |
99 |
249 |
245 |
283 |
Source : SG-SSER tables statistiques du Casier judiciaire national, traitement DACG-BEPP
* données provisoires
Tableau 3 : Mesures d’interdiction du territoire prononcées selon le caractère définitif ou temporaire et enregistrées au CJN
Année |
Total mesures ITF |
dont définitives |
dont temporaires (avec un quantum précisé) |
Quantum moyen (en années) |
2015 |
1 921 |
535 |
1 386 |
5,5 |
2016 |
2 042 |
542 |
1 500 |
5,5 |
2017 |
2 211 |
609 |
1 602 |
5,4 |
2018 |
2 886 |
703 |
2 183 |
5,0 |
2019 |
4 000 |
869 |
3 131 |
4,7 |
2020 |
3 670 |
825 |
2 845 |
5,0 |
2021 |
4 815 |
1 133 |
3 682 |
5,0 |
2022 |
5 424 |
1 261 |
4 163 |
5,0 |
2023* |
5 568 |
1 131 |
4 437 |
5,2 |
Source : SG-SSER tables statistiques du Casier judiciaire national, traitement DACG-BEPP
* données provisoires
b. Les infractions visées à l’article 1er de la proposition de loi initiale
Outre le cas dans lequel la personne étrangère a été condamnée à une peine d’ITF, l’article 1er énumérait limitativement les infractions entrant dans son champ d’application lorsque l’étranger a fait l’objet d’une décision d’éloignement édictée pour un comportement pénalement constaté y correspondant. Il s’agissait, pour l’essentiel, de graves atteintes à la personne humaine et de crimes et délits s’inscrivant dans le cadre de la criminalité organisée. L’article initial mentionnait ainsi :
Les infractions donnant lieu à une inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, dit « FIJAISV » (art. 706-47 du code de procédure pénale) ;
celles relevant du régime procédural de la délinquance et de la criminalité organisées (art. 706-73 du même code) (voir encadré sur ces deux premiers points) ;
les crimes de meurtre ou d’assassinat (art. 221-1 à 221-4 du code pénal) ;
les crimes de tortures ou d’actes de barbarie (art. 222-1 à 222-6 du même code) ;
les délits et crimes de traite des êtres humains (art. 225-4-1 à 225-4-4 du même code) ;
les délits et crimes de proxénétisme (art. 225-7 du même code).
Les infractions relevant de l’article 706-47 du code de procédure pénale
1° Crimes de meurtre ou d'assassinat, lorsqu'ils sont commis sur un mineur ou en état de récidive légale ;
2° Crimes de tortures ou d'actes de barbarie et crimes de violences sur un mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ;
3° Crimes de viol ;
4° Délits d'agressions sexuelles ;
5° Délits et crimes de traite des êtres humains à l'égard d'un mineur ;
6° Délit et crime de proxénétisme à l'égard d'un mineur ;
7° Délits de recours à la prostitution ;
8° Délit de corruption de mineur ;
9° Délit de proposition sexuelle faite par un majeur à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique ;
10° Délits de captation, d'enregistrement, de transmission, d'offre, de mise à disposition, de diffusion, d'importation ou d'exportation, d'acquisition ou de détention d'image ou de représentation pornographique d'un mineur ainsi que le délit de consultation habituelle ou en contrepartie d'un paiement d'un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation ;
11° Délits de fabrication, de transport, de diffusion ou de commerce de message violent ou pornographique susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ;
12° Délit d'incitation d'un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle ou à commettre cette mutilation ;
13° Délits d'atteintes sexuelles et de tentatives d'atteinte sexuelle ;
14° Délit d'incitation à commettre un crime ou un délit à l'encontre d'un mineur ;
15° Délits et sévices graves ou d’acte de cruauté envers un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité.
Les infractions relevant de l’article 706-73 du même code
1° Crime de meurtre commis en bande organisée ;
1° bis Crime de meurtre commis en concours, au sens de l'article 132-2 du code pénal, avec un ou plusieurs autres meurtres ;
2° Crime de tortures et d'actes de barbarie commis en bande organisée ;
2° bis Crime de viol commis en concours, au sens de l'article 132-2 du code pénal, avec un ou plusieurs autres viols commis sur d'autres victimes ;
3° Crimes et délits de trafic de stupéfiants ;
4° Crimes et délits d'enlèvement et de séquestration commis en bande organisée ;
5° Crimes et délits aggravés de traite des êtres humains ;
6° Crimes et délits aggravés de proxénétisme ;
7° Crime de vol commis en bande organisée ;
8° Crimes aggravés d'extorsion ;
9° Crime de destruction, dégradation et détérioration d'un bien commis en bande organisée ;
10° Crimes en matière de fausse monnaie ;
11° Crimes et délits constituant des actes de terrorisme ;
11° bis Crimes portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation commis dans le but de servir les intérêts d'une puissance étrangère ou d'une entreprise ou d'une organisation étrangère ou sous contrôle étranger ;
12° Délits en matière d'armes et de produits explosifs ;
13° Crimes et délits d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger en France commis en bande ou d'organisation d'un groupement ayant pour objet la commission de ces infractions ;
14° Délits de blanchiment ou de recel ;
15° Délits d'association de malfaiteurs ;
16° Délit de non-justification de ressources correspondant au train de vie lorsqu'il est en relation avec certaines infractions ;
17° Crime de détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport commis en bande organisée ;
18° Crimes et délits punis de dix ans d'emprisonnement, contribuant à la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs ;
19° Délit d'exploitation d'une mine ou de disposition d'une substance concessible sans titre d'exploitation ou autorisation, accompagné d'atteintes à l'environnement, commis en bande organisée lorsqu'il est connexe avec certaines infractions ;
20° Délits d’abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse d’une personne vulnérable pour le conduire à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables ;
21° Délits douaniers et de contrebande lorsqu'ils sont commis en bande organisée.
Considérant que la liste des infractions établie à l’article 1er laissait de côté « plusieurs infractions graves, y compris criminelles » et que « d’autre part, les renvois à des dispositions du code de procédure pénale avaient pour conséquence de mêler des infractions de gravité inégale », la commission des lois du Sénat a décidé, à l’initiative de sa rapporteure ([12]) , de lui substituer trois critères non cumulatifs :
l’étranger a été condamné à une peine d’interdiction du territoire français ;
il fait l’objet d’une décision d’éloignement édictée au titre de faits ayant donné lieu à une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement ;
son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
Concernant ce dernier critère, la notion de « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public », plus restrictive que la simple « menace » ([13]) ou « menace grave » ([14]) pour l’ordre public, a été employée dans le passé notamment à l’article L. 742‑4 du CESEDA et à l’article 26 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 ([15]) en matière d’expulsion. La jurisprudence du Conseil d’État en définit le champ qui recouvre des étrangers entretenant des relations avec des groupes armés terroristes ou d’action violente ([16]), ayant commis des infractions graves (homicide volontaire, viol, agressions et trafics de stupéfiants) ([17]) ou répétées ([18]) .
L’amendement procède, par cohérence, à la modification de l’intitulé de la sous-section 2 de la section 2 du chapitre II du titre IV du livre VII du CESEDA dont il propose la rédaction suivante : « Dispositions spécifiques à l'étranger dont le comportement est lié à des activités à caractère terroriste, condamné pour des faits graves ou dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ».
En outre, le même amendement COM-3 modifie la définition des infractions à caractère terroriste justifiant la mise en œuvre du régime dérogatoire. La notion d’activités « pénalement constatées » est supprimée, au motif qu’elle n’avait pas « d’équivalent dans le code pénal » et que son sens était « incertain ».
L’amendement inclut, par ailleurs, les faits de provocation ou d’apologie du terrorisme ([19]) dans le champ des infractions permettant la mise en œuvre du régime dérogatoire.
Le Sénat a adopté en séance publique un amendement n° 7 rect. bis de M. Reichardt (apparenté Les Républicains) ([20]) , avec l’approbation de la commission et du Gouvernement, qui élargit le régime dérogatoire prévu pour les cas de terrorisme en y intégrant non plus seulement les étrangers condamnés pour des activités terroristes faisant l’objet d’une décision d’expulsion, mais également ceux condamnés pour les mêmes faits et faisant l’objet d’un autre type de mesure d’éloignement. Cette modification procède d’une logique de mise en cohérence du champ d’application du régime dérogatoire prévu pour les terroristes avec les dispositions adoptées par la commission des lois.
Les différentes mesures administratives d’éloignement
Un étranger peut faire l’objet de différentes mesures administratives d'éloignement, notamment en cas de séjour irrégulier ou de menace à l’ordre public.
Il peut s’agir :
– d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) prise par le préfet, notamment en cas de refus de délivrance de titre de séjour ou de séjour irrégulier en France. L’étranger concerné doit alors quitter la France par ses propres moyens dans un délai de 30 jours – voire, dans certains cas, sans délai. Une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) peut être prononcée par le préfet lorsqu’un étranger ayant fait l’objet d’une OQTF se maintient sur le territoire français au-delà de trente jours ;
– d’une expulsion, prononcée dans des situations graves, liées à la protection de l’ordre public ou en cas d'atteinte à la sûreté de l’État, par le préfet ou par le ministre de l'intérieur. L'étranger peut être alors être renvoyé de force dans son pays d'origine ou dans un autre pays ;
– d’une remise d’un ressortissant étranger, procédure possible en cas d'interpellation en situation irrégulière ou en cas de refus de séjour. ;
– d’une peine d’interdiction du territoire français (ITF) prononcée par le juge pénal contre un étranger qui réside en France et qui a commis un crime ou un délit. Elle peut intervenir comme peine principale ou comme peine complémentaire à une peine de prison ou une amende (voir encadré supra).
À l’initiative de votre rapporteur, la commission des lois a adopté un amendement ([21]) maintenant deux des critères définis par le Sénat pour l’application du régime dérogatoire : ainsi pourront être retenus pour une durée de 210 jours maximum les étrangers en situation irrégulière ayant fait l’objet d’une peine d’ITF et ceux représentant une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. En revanche, la commission n’a pas souhaité retenir le critère de condamnation définitive à une peine de cinq ans d’emprisonnement ou plus et lui a préféré l’établissement d’une liste d’infractions, reprenant ainsi la logique de la proposition de loi initiale.
Quatorze catégories d’infractions ont ainsi été retenues :
crimes contre l’humanité et contre l’espèce humaine ;
crimes de meurtre, d’assassinat ou d’empoisonnement ;
crimes de tortures ou d’actes de barbarie ;
crimes de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner ;
crimes et délits de violences ;
crimes et délits de viols et agressions sexuelles ;
crime et délit de trafic de stupéfiants ;
crimes de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite esclavage ;
crimes d’enlèvement et de séquestration ;
crime de traite des êtres humains ;
crime et délit de proxénétisme ;
crime et délit de vol avec violences aggravées ;
crime d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ;
crimes et délits d’association de malfaiteurs et de concours à une organisation criminelle.
Cette liste d’infractions reprend et complète celle qui était proposée par les amendements CL51 du Président Boudié, CL48 de M. Caure (Ensemble pour la République), CL49 de Mme Bergantz (Les Démocrates) et CL50 de Mme Firmin Le Bodo (Horizons) qui ont été, en conséquence, retirés par leurs auteurs au profit de l’amendement de compromis du rapporteur.
*
* *
Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif initial et effets principaux
L’article 2 étend le caractère suspensif automatique de l’appel interjeté contre une ordonnance du juge aux étrangers entrant dans le champ de l’article 1er. Cette disposition est, pour l’heure, réservée par dérogation aux seuls étrangers condamnés à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou faisant l’objet d’une mesure d'éloignement édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste.
Dernières modifications législatives intervenues
L’article 79 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, introduit par un amendement du Gouvernement, crée une dérogation au sein de l’article L. 743-22 pour prévoir que, dans le cadre du régime dérogatoire (voir art. 1er de la présence PPL), l’appel interjeté contre une décision est automatiquement suspensif.
Modifications apportées par le Sénat
Le Sénat, à l’initiative de la rapporteure en commission des lois, a mis en cohérence le champ d’application de l’article 2 et celui de l’article 1er tel qu’issu des travaux de la commission.
Modifications apportées par la commission
La commission des lois a adopté un amendement de rédaction globale de l’article 2 permettant de mettre en cohérence le champ d’application de cet article avec celui de l’article 1er.
L’article L. 743-21 du CESEDA prévoit que les différentes ordonnances du magistrat du tribunal judiciaire (décision de placement en rétention, requête sollicitant sa remise en liberté et prolongation de ce placement) sont susceptibles d'appel devant le premier président de la cour d’appel ou son délégué.
L’article L. 743-22 du même code dispose que « l’appel n’est pas suspensif ». Néanmoins, le deuxième alinéa de cet article permet au ministère public de demander que son recours soit déclaré suspensif « lorsqu’il lui apparaît que l'intéressé ne dispose pas de garanties de représentation effectives ou en cas de menace grave pour l’ordre public ». Le premier président de la cour d’appel apprécie si ces conditions sont satisfaites et, le cas échéant, donne un effet suspensif à l’appel du ministère public. Sa décision est prise sans délai et son ordonnance n’est pas susceptible de recours.
L’article 79 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l'intégration, introduit par un amendement du Gouvernement, crée une dérogation au sein de l’article L. 743-22 pour prévoir que lorsque l’étranger a été condamné à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou qu’il fait l'objet d’une mesure d'éloignement édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste, l’appel interjeté contre une décision est automatiquement suspensif. L’intéressé est maintenu à la disposition de la justice jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond.
Pour tenir compte de l’extension du champ d’application du régime dérogatoire prévu par l’article 1er de la proposition de loi, la rédaction initiale de l’article 2 renvoyait expressément aux différentes infractions mentionnées à l’article L. 742-6 ainsi qu’aux mesures d’éloignement édictée dans l’un des cas prévus par le même article.
La commission des lois du Sénat, à l’initiative de sa rapporteure ([22]), a adapté la rédaction de l’article 2 à la modification du champ de l’article 1er qu’elle a initiée. Le caractère suspensif de l’appel interjeté serait ainsi automatique lorsque l’intéressé fait l’objet d’une peine d’interdiction du territoire français, d’une décision d’éloignement édictée au titre de faits ayant donné lieu à une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement ou si son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
L’article 2 n’a pas été modifié en séance publique au Sénat.
À l’initiative de votre rapporteur, la commission des lois a adopté un amendement de rédaction globale de l’article 2 ([23]) permettant de mettre en cohérence le champ d’application de cet article avec celui de l’article 1er.
*
* *
Introduit par la Commission
Résumé du dispositif introduit par la Commission
À l’initiative de son rapporteur, la commission des lois a adopté un amendement portant article additionnel pour autoriser la prise d’empreintes digitales et de photographies de l’étranger sans son consentement dans le cadre de la rétention administrative. Cette possibilité est assortie de garanties (autorisation préalable du procureur de la République, présence de l’avocat de l’étranger) et doit constituer l’unique moyen d’identifier avec certitude l’intéressé.
En matière pénale, l’article 55-1 du code de procédure pénale dispose que « lorsque la prise d’empreintes digitales ou palmaires ou d’une photographie constitue l'unique moyen d'identifier une personne qui est entendue (…) pour un crime ou un délit puni d’au moins trois ans d'emprisonnement et qui refuse de justifier de son identité ou qui fournit des éléments d'identité manifestement inexacts, cette opération peut être effectuée sans le consentement de cette personne, sur autorisation écrite du procureur de la République saisi d'une demande motivée par l’officier de police judiciaire. L’officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, un agent de police judiciaire recourt à la contrainte dans la mesure strictement nécessaire et de manière proportionnée. Il tient compte, s’il y a lieu, de la vulnérabilité de la personne. Si la personne a demandé l’assistance d’un avocat au cours de la garde à vue, celui-ci est avisé par tout moyen de cette opération et peut y assister. Cette opération ne peut être effectuée en l’absence de l’avocat qu’après l’expiration d’un délai de deux heures à compter de l’avis qui lui a été adressé. Cette opération fait l’objet d’un procès-verbal, qui mentionne les raisons pour lesquelles elle constitue l'unique moyen d'identifier la personne ainsi que le jour et l'heure auxquels il y est procédé. Le procès-verbal est transmis au procureur de la République, copie en ayant été remise à l’intéressé ».
L’article 38 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration prévoyait un dispositif permettant la prise d’empreintes digitales et de photographies d’un étranger sans son consentement, lors de contrôles à l’occasion du franchissement d’une frontière extérieure ou dans le cadre de la procédure de retenue pour vérification du droit au séjour.
Dans sa décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024, le Conseil constitutionnel a censuré cet article, relevant que ces « opérations [n’étaient] ainsi ni soumises à l’autorisation de ce magistrat [le procureur de la République], saisi d’une demande motivée en ce sens, ni subordonnées à la démonstration qu’elles [constituaient] l’unique moyen d’identifier la personne [refusant] de s’y soumettre » et que « ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne [prévoyaient] que, lorsque la personne contrôlée ou retenue a demandé l’assistance d’un avocat, la prise d’empreintes digitales ou de photographie sans son consentement [devait] être effectuée en la présence de ce dernier ».
L’amendement CL52 du rapporteur ([24]) modifie l’article L. 741-6 du CESEDA pour autoriser la prise d’empreintes digitales et de photographies sans son consentement d’un étranger dans le cadre de son placement en rétention. Le dispositif est assorti de garanties conformes aux exigences de la jurisprudence constitutionnelle :
Cette opération doit constituer l’unique moyen d’identifier avec certitude la personne ;
Elle requiert une autorisation du procureur de la République préalablement saisi ;
Elle se déroule en présence de l’avocat de l’intéressé.
*
* *
Adopté par la Commission sans modification
Résumé du dispositif introduit par la commission des lois au Sénat
L’article 3, adopté par la commission des lois du Sénat à l’initiative de sa rapporteure ([25]), modifie le séquençage de la rétention administrative de droit commun prévue par l’article L. 742-5 du CESEDA, en fusionnant les deux dernières prolongations d’une durée de quinze jours chacune en une même prolongation de trente jours, dont les motifs sont alignés sur ceux de la deuxième prolongation de droit commun (art. L. 742-4 du même code).
Dernières modifications législatives intervenues
L’article 40 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l’intégration a modifié l’article L. 742-5 du CESEDA pour ajouter un nouveau motif pouvant conduire le juge à ordonner une troisième prolongation exceptionnelle de la rétention administrative « en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public » ([26]) . Aux termes du même article, une quatrième période de prolongation peut être mise en œuvre dans les mêmes conditions.
Modifications apportées par la commission
La commission des lois a adopté cet article sans modification.
Le graphique ci-dessous synthétise l’état du droit en matière de durée de la rétention administrative. Les développements qui suivent détaillent les conditions de mise en œuvre de chacune des prolongations dans le cadre du régime de droit commun (90 jours) et du régime dérogatoire prévu lorsque l’étranger a été condamné à une peine d'interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou fait l'objet d'une décision d'expulsion édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées (180, voire 210 jours) (voir aussi, sur le régime dérogatoire, le commentaire de l’article 1er).
régimes de rétention administrative prévue par le Ceseda (en jours)
Source : Sénat, dossier législatif de la proposition de loi, « l’essentiel »
En application de l’article L. 741-1, le placement en rétention, pour une durée de quatre jours, peut être décidé par l’autorité administrative lorsque l’étranger se trouve dans l’une des situations prévues par l’article L. 731-1 du CESEDA (voir encadré).
Les conditions permettant la mise en œuvre de l’assignation à domicile ou de la rétention administrative aux termes de l’article L. 731-1 du CESEDA
L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les huit cas suivants :
1° il fait l’objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ;
2° Il doit être éloigné en exécution d'une interdiction de retour sur le territoire français ;
3° Il doit être éloigné pour la mise en œuvre d'une décision prise par un autre État ;
4° Il doit être remis aux autorités d'un autre État ;
5° Il doit être éloigné en exécution d'une interdiction de circulation sur le territoire français ;
6° Il fait l'objet d'une décision d'expulsion ;
7° Il doit être éloigné en exécution d'une peine d'interdiction judiciaire du territoire ;
8° Il doit être éloigné en exécution d'une interdiction administrative du territoire français.
L’article L. 741-1 du même code prévoit que l’étranger se trouvant dans l’un de ces cas peut être placé en rétention par l’autorité administrative s’il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l’exécution de la décision d'éloignement et qu’aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l’exécution effective de cette décision. Ce risque est apprécié au regard d’une série de critères figurant à l’article L. 612-3 ou au regard de la menace pour l’ordre public que représente l’étranger.
L’article L. 741-3 du même code rappelle que l’étranger « ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ » et que « l’administration exerce toute diligence à cet effet ».
En application de l’article L. 742-3 du même code, une première prolongation de vingt-six jours peut être autorisée par le juge saisi par l’autorité administrative, portant ainsi à trente jours la durée de la rétention.
L’étranger est alors maintenu à disposition de la justice, dans des conditions fixées par le procureur de la République, pendant le temps strictement nécessaire à la tenue de l'audience et au prononcé de l’ordonnance dans les conditions prévues pour le placement initial à l’article L. 741-1.
Une deuxième prolongation, d’une durée maximale de trente jours peut être décidée par le magistrat du siège saisi par l’autorité administrative.
Cette prolongation ne peut être décidée que dans les cas limitativement énumérés à l’article L. 742-2 du CESEDA :
1° En cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public ;
2° Lorsque l’impossibilité d’exécuter la décision d’éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l’intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l’obstruction volontaire faite à son éloignement ;
3° Lorsque la décision d’éloignement n'a pu être exécutée en raison :
a) du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour procéder à l'exécution de la décision d'éloignement ;
b) de l’absence de moyens de transport.
Dans ce cadre, la durée maximale de la rétention n’excède pas soixante jours.
Dans le cadre de la procédure dérogatoire prévue pour les étrangers condamnés à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou ayant fait l’objet d’une décision d’expulsion édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées, l’article L. 742-6 du CESEDA prévoit une dérogation à l’article L. 742-4 pour permettre au juge, saisi par l’autorité administrative, de renouveler jusqu’à quatre fois la période de trente jours de prolongation, portant la durée totale de la rétention à 180 jours maximum (voir commentaire de l’article 1er).
Dans le cadre du régime de droit commun comme du régime dérogatoire, l’article L. 742-5 du CESEDA permet, « à titre exceptionnel », au juge de décider d’une nouvelle prolongation de la période de rétention de quinze jours maximum lorsque dans les quinze derniers jours de la précédente période de rétention est apparue l’une des situations suivantes :
1° L’étranger a fait obstruction à l'exécution d'office de la décision d'éloignement ;
2° Il a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d'éloignement :
a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l'article L. 631-3 ;
b) ou une demande d'asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;
3° La décision d’éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé et qu’il est établi par l'autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.
L’article 40 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration a, en outre, prévu que cette prolongation de quinze jours peut être mise en œuvre en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.
La durée de la rétention est ainsi portée à 75 jours maximum dans le cadre du régime de droit commun et à 195 jours dans le cadre du régime dérogatoire.
Dans le cadre du régime de droit commun comme du régime dérogatoire, l’article L. 742-5 du CESEDA prévoit la possibilité de renouveler la période de quinze jours de prolongation de la rétention.
Une ambiguïté dans la rédaction de l’article L. 742-5 récemment levée par la Cour de cassation
La rédaction de l’article L. 742-5 du CESEDA issue l’article 40 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration soulevait une difficulté d’interprétation.
L’article dispose, en effet, que « si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l'avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions ». Le septième alinéa ainsi mentionné étant celui qui prévoit la possibilité de prolonger la rétention en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public, le juge a pu être amené à interpréter ces dispositions comme exigeants que la menace soit survenue dans les quinze jours correspondant à la dernière période de prolongation autorisée. Le rapport du Sénat ([27]) relève ainsi que « contraire à la lettre des dispositions en cause comme à l’intention du législateur, cette interprétation n’est toutefois pas isolée, la jurisprudence en offrant plusieurs exemples ».
Ainsi, dans le cadre du refus du juge des libertés et de la détention (JLD) de prolonger pour une deuxième période de quinze jours la rétention de Taha O. qui devait se rendre coupable quelques jours plus tard du meurtre de Philippine Le Noir de Carlan, le juge indique que le risque de menace à l’ordre public ne peut être écarté : « Au vu de cette condamnation pénale, et de la situation pénale de l’intéressé qui ne justifie ni d’un logement, ni d’une insertion sociale ou professionnelle, et n’a aucun revenu, le risque de réitération de faits délictueux, et donc la menace à l’ordre public ne peut être exclue ». Il estime néanmoins que cette menace ne s’inscrit pas dans les délais prévus par l’article L. 742-5 : « Cependant, il n’est fait état d’aucun comportement de l’intéressé qui aurait constitué une menace ou un trouble à l’ordre public au cours de la période de la troisième prolongation, ainsi que l’exigent les dispositions de l’article L. 742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour autoriser une quatrième prolongation ».
Cette ambiguïté a néanmoins été levée par une décision récente de la Cour de cassation ([28]) qui confirme que « la troisième prolongation de la rétention n'est pas soumise, contrairement aux autres situations permettant la prolongation de celle-ci, à l'exigence que la menace à l’ordre public soit apparue dans les quinze derniers jours et que la quatrième prolongation n'est soumise qu’à la persistance de cette menace au regard notamment de faits antérieurs au placement en rétention et n’impose pas qu’un nouvel élément la caractérisant soit survenu au cours de la troisième prolongation ».
La durée maximale de la rétention ne peut ainsi excéder 90 jours dans le cadre du régime de droit commun et 210 jours dans le cadre du régime dérogatoire.
L’article 3 a été introduit en commission des lois au Sénat par la rapporteure ([29]). Il abroge l’article L. 742-5 qui encadre les deux dernières périodes de prolongation exceptionnelles de quinze jours pour compléter l’article L. 742-4 par la possibilité de renouveler, dans les mêmes conditions, la période de trente jours de rétention qu’il autorise. La rédaction proposée par le Sénat ne modifie pas la durée totale maximale de rétention dans le cadre des régimes de droit commun et dérogatoire (voir schéma ci-dessous) mais le séquençage des prolongations. Il supprime, par ailleurs, le caractère exceptionnel des deux dernières périodes de prolongation et les conditions particulières qui en justifiaient la mise en œuvre.
Séquençage proposé dans le texte transmis par le sénat
Source : commission des lois du Sénat, « L’essentiel », dossier législatif de la proposition de loi consultable en ligne
Les conditions de mise en œuvre des prolongations de la rétention administrative prévues par les articles L. 742-4 et L. 742-5
Les conditions prévues par l’article L. 742-4 pour la deuxième période de prolongation de la rétention administrative par le juge judiciaire |
Les conditions prévues par l’article L. 742-5 pour les troisième et quatrième périodes de prolongation de la rétention administrative par le juge judiciaire |
– Urgence absolue ou menace pour l'ordre public ; – Impossibilité d’exécuter la décision d’éloignement du fait de la perte ou de la destruction des documents de voyage, d’une dissimulation d’identité ou d’une obstruction volontaire ; – Décision non exécutée du fait du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat ou délivrance tardive de ces documents ou absence de moyens de transport. |
– Urgence absolue ou menace pour l’ordre public ; À titre exceptionnel, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours : – obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ; – présentation, dans le seul but de faire échec à la décision d'éloignement : a) d’une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l'article L. 631-3 ; b) ou une demande d'asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ; – La décision d'éloignement non exécutée du fait du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat alors qu’il est établi par l'autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.
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L’article 3 modifie, par cohérence, l’article L. 742-7 du même code qui renvoyait, pour le régime dérogatoire, aux périodes de prolongation prévues par l’article L. 742-5.
Le Sénat n’a pas modifié cet article en séance publique.
La commission des lois a adopté cet article sans modification.
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Introduit par la Commission
Résumé du dispositif introduit par la commission
À l’initiative de son rapporteur, la commission des lois a adopté un amendement portant article additionnel pour prévoir des conditions de placement en rétention administrative des demandeurs d’asile qui soient conformes à la décision n° 2025-1140 QPC du 23 mai 2025 du Conseil constitutionnel
Dans sa décision n° 2025-1140 QPC du 23 mai 2025, le Conseil constitutionnel a censuré la possibilité de placer un demandeur d’asile en rétention en dehors de toute procédure d’éloignement.
L’article L. 523-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), dans sa rédaction issue de la loi « immigration » de 2024 ([30]) permettait à l’autorité administrative d’assigner à résidence ou, si cette mesure s’avérait insuffisante, de placer en rétention le demandeur d’asile dont le comportement constituait une menace à l’ordre public. Elle permettait également l’assignation à résidence ou, en cas de risque de fuite, le placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière qui présente une demande d’asile à une autorité administrative autre que celle compétente pour l’enregistrer.
Le Conseil constitutionnel a admis qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur avait poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et celui de lutte contre l’immigration irrégulière, qui participe de cet objectif. Il a toutefois estimé que cet objectif ne suffisait pas à justifier le placement en rétention d’un demandeur d’asile, alors même qu’il ne faisait pas l’objet d’une mesure d’éloignement, sur le fondement d’une simple menace à l’ordre public, sans autre condition tenant notamment à la gravité et à l’actualité de cette menace. Il a également estimé que le « risque de fuite » tel qu’il est défini par l’article L. 523-2 du CESEDA n’était pas suffisamment caractérisé pour justifier un placement en rétention.
La commission des lois a adopté un amendement CL37 de son rapporteur ([31]) pour permettre la rétention administrative d’un demandeur d’asile lorsque l’assignation à résidence apparaît insuffisante au regard de l’actualité et de la gravité de la menace qu’il représente. En outre, le risque de fuite est caractérisé par l’absence de garanties de représentation effectives suffisantes.
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Introduit par la Commission
Résumé du dispositif introduit par la commission
La commission des lois a adopté un amendement CL46 de M. Boucard (Droite Républicaine) permettant la surveillance électronique mobile d’un étranger assigné à résidence après avoir été maintenu en rétention administrative plus de 90 jours sans avoir pu être éloigné lorsque celui-ci représente un risque particulier de trouble à l’ordre public.
L’article L. 733-14 du CESEDA prévoit un dispositif de surveillance électronique mobile pouvant être mis en œuvre dans le cadre de l’assignation à résidence d’un étranger condamné à une peine d’interdiction du territoire français pour des actes de terrorisme ou faisant l’objet d'une décision d'expulsion prononcée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste.
Ce placement est prononcé par l'autorité administrative, après accord de l'étranger, pour une durée de trois mois. Cette durée initiale peut être prolongée pour une même durée sans que la durée totale du placement dépasse deux ans.
L’étranger est alors astreint au port d’un dispositif intégrant un émetteur permettant à tout moment de déterminer à distance sa localisation sur l'ensemble du territoire national.
La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance peut être confiée à une personne de droit privé habilitée dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État.
Pendant la durée du placement, l’autorité administrative peut, d’office ou à la demande de l'étranger, modifier ou compléter les obligations résultant dudit placement.
À l’initiative de M. Boucard (Droite Républicaine), la commission des lois a adopté un amendement CL46 ([32]) prévoyant la possibilité de placer sous surveillance électronique, pour une durée maximale de trois mois renouvelable une fois, l’étranger maintenu plus de 90 jours en rétention et n’ayant pu être éloigné, s’il représente un risque particulier de trouble à l’ordre public.
Cette surveillance est décidée par le juge saisi par le représentant de l’État dans le département. La mesure est prononcée « dans le respect des principes de nécessité, de proportionnalité et de subsidiarité ».
Le juge statue après avoir recueilli les observations de l’étranger, assisté le cas échéant d’un avocat et peut mettre fin à tout moment à la surveillance si les circonstances le justifient.
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Adopté par la Commission sans modification
Résumé du dispositif introduit en séance publique au Sénat
À l’initiative de Mme Di Folco (Les Républicains), le Sénat a adopté un article additionnel prévoyant le décompte du délai initial de placement en zone d’attente des étrangers, ainsi que du placement initial en rétention administrative en heures plutôt qu’en jours.
Dernières modifications législatives intervenues
Introduit par un amendement du Gouvernement ([33]), l’article 75 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration a fait passer de 48 heures à quatre jours la durée de la période initiale de rétention administrative.
Modifications apportées par la commission
La commission des lois a adopté cet article sans modification.
L’article L. 741-2 du CESEDA prévoit, sous certaines conditions, que le placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière peut être décidé pour une durée de quatre jours par l’autorité administrative (voir commentaires des articles précédents). Il en va de même pour un étranger condamné à une peine d’interdiction du territoire français (ITF) (art. L. 741-2).
L’article 75 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration avait allongé cette période de rétention initiale de 48 heures à quatre jours afin de permettre un traitement dans de meilleures conditions des procédures par les services et d’alléger la charge résultant des présentations au juge.
La contestation d’un placement en rétention auprès du magistrat du siège du tribunal judiciaire doit également s’effectuer dans un délai de quatre jours (art. L. 741-10). Les articles L. 742-1 et L. 742-3 font mention du délai de quatre jours du placement initial en rétention pour prévoir les délais et conditions de la première prolongation (voir commentaire des précédents articles).
L’article L. 751-9 dispose que les étrangers faisant l’objet d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge, en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, ou d'une décision de transfert en application de l'article L. 572-1 peuvent, sous conditions, faire l’objet d’un placement en rétention administrative d’une durée de quatre jours.
L’article L. 341-1 du CESEDA dispose que « l’étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui n’est pas autorisé à entrer sur le territoire français peut être placé dans une zone d’attente située dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international figurant sur une liste définie par voie réglementaire, dans un port ou à proximité du lieu de débarquement ou dans un aéroport, pendant le temps strictement nécessaire à son départ ». Aux termes de l’article L. 341-2 du même code, ce placement est prononcé pour une durée qui ne peut excéder quatre jours. L’article L. 342-1 du même code précise que le maintien en zone d’attente au-delà de ces quatre jours peut être autorisé par le magistrat du siège du tribunal judiciaire pour une durée ne pouvant excéder huit jours. L’article L. 343-10 fait référence au délai de quatre jours de la retenue initiale en zone d’attente pour fixer les règles relatives au transfert de l’étranger vers une autre zone d’attente, de même que l’article L. 352-7 pour le recours en annulation en cas de rejet du transfert depuis la zone d’attente.
Enfin, en application de l’article L. 342-4 du même code, à titre exceptionnel ou en cas de volonté délibérée de l'étranger de faire échec à son départ, un maintien en zone d’attente au-delà de douze jours peut être renouvelé par le magistrat du siège du tribunal judiciaire pour une durée ne pouvant excéder huit jours. Par exception, lorsque l’étranger dont l’entrée sur le territoire français a été refusée dépose une demande d’asile dans les six derniers jours de cette nouvelle période de maintien en zone d’attente, celle-ci est prorogée d’office de six jours à compter du jour de la demande.
articles du CESEDA modifié par l’article 4
L. 341-2 |
Placement en zone d’attente « Le placement en zone d'attente est prononcé pour une durée qui ne peut excéder quatre jours par une décision écrite et motivée d'un agent relevant d'une catégorie fixée par voie réglementaire. Cette décision est inscrite sur un registre mentionnant l'état civil de l'intéressé et la date et l'heure auxquelles la décision de placement lui a été notifiée. Elle est portée sans délai à la connaissance du procureur de la République ». |
L. 342-1 |
Maintien en zone d’attente
« Le maintien en zone d'attente au-delà de quatre jours à compter de la décision de placement initiale peut être autorisé, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire statuant sur l'exercice effectif des droits reconnus à l'étranger, pour une durée qui ne peut être supérieure à huit jours. » |
L. 343-10 |
Transfert de l’étranger vers une autre zone d’attente « Lorsque la décision de transfert prise en application de l'article L. 343-9 doit intervenir dans le délai de quatre jours à compter de la décision de placement en zone d'attente, elle est prise dans les conditions prévues à l'article L. 341‑2. « Lorsque le transfert est envisagé alors que le délai de quatre jours à compter de la décision de placement en zone d'attente est expiré, l'autorité administrative en informe le tribunal judiciaire au moment où elle le saisit dans les conditions prévues au chapitre II ». |
L. 352-7 |
Recours en annulation d’un étranger débouté du droit d’asile pendant la période de maintien en zone d’attente
« Lorsqu'un étranger dont l'entrée sur le territoire français au titre de l'asile a été refusée dépose un recours en annulation sur le fondement de l'article L. 352-4 dans les quatre derniers jours de la période de maintien en zone d'attente fixée par la dernière décision de maintien, celle-ci est prorogée d'office de quatre jours à compter du dépôt du recours. Cette décision est mentionnée sur le registre prévu au second alinéa l'article L. 341-2 et portée à la connaissance du procureur de la République dans les conditions prévues au même article. Le tribunal judiciaire est informé immédiatement de cette prorogation. Le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut y mettre un terme ». |
L. 741-1 |
Placement initial en rétention administrative « L'autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quatre jours, l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L. 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision. « Le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L. 612-3 ou au regard de la menace pour l'ordre public que l'étranger représente ». |
L. 741-2 |
Placement de plein droit en rétention administrative en cas de peine d’interdiction du territoire français « La peine d'interdiction du territoire français prononcée à titre de peine principale et assortie de l'exécution provisoire entraîne de plein droit le placement en rétention de l'étranger, pour une durée de quatre jours. Les dispositions des articles L. 741-8 et L. 741-9 ainsi que celles des chapitres II à IV sont alors applicables. « Prononcée à titre de peine complémentaire, l'interdiction du territoire peut donner lieu au placement en rétention de l'étranger, le cas échéant à l'expiration de sa peine d'emprisonnement, en application de l'article L. 741‑1 ». |
L. 741-10 |
Contestation d’une décision de placement en rétention administrative « L'étranger qui fait l'objet d'une décision de placement en rétention peut la contester devant le magistrat du siège du tribunal judiciaire, dans un délai de quatre jours à compter de sa notification. « Il est statué suivant la procédure prévue aux articles L. 743-3 à L. 743-18. »
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L. 742-1 |
Maintien en rétention au-delà de la période initiale de quatre jours
« Le maintien en rétention au-delà de quatre jours à compter de la notification de la décision de placement initiale peut être autorisé, dans les conditions prévues au présent titre, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire saisi à cette fin par l'autorité administrative ». |
L. 742-3 |
Maintien en rétention au-delà de la période initiale de quatre jours
« Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court pour une période de vingt-six jours à compter de l'expiration du délai de quatre jours mentionné à l'article L. 741-1 ». |
L. 751-9 |
Placement en rétention administrative, dans le cadre d’une demande d’asile, de l’étranger faisant l’objet d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge
« L’autorité administrative peut placer en rétention, pour une durée de quatre jours, l'étranger faisant l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge pour prévenir un risque non négligeable de fuite tel que défini à l'article L. 751-10, dans la mesure où le placement en rétention est proportionné et si les dispositions de l'article L. 751-2 ne peuvent être effectivement appliquées ». |
L. 342-4 |
Renouvellement de la période de maintien en zone d’attente
« (…) Toutefois, lorsque l'étranger dont l'entrée sur le territoire français a été refusée dépose une demande d'asile dans les six derniers jours de cette nouvelle période de maintien en zone d'attente, celle-ci est prorogée d'office de six jours à compter du jour de la demande. Cette décision est mentionnée sur le registre prévu au second alinéa de l'article L. 341-2 et portée à la connaissance du procureur de la République dans les conditions prévues au même article. Le magistrat du siège du tribunal judiciaire est informé immédiatement de cette prorogation. Il peut y mettre un terme ». |
L’amendement n° 9 de Mme Di Folco (Les Républicains) ([34]), adopté avec un avis favorable du Gouvernement et de l a commission, prévoit le décompte en heures plutôt qu’en jours des délais de placement initial en rétention et de maintien en zone d’attente (voir tableau ci-dessus).
L’auteure de l’amendement souligne dans son exposé sommaire les difficultés pratiques suscitées par le jugement de la Cour de cassation qui a estimé dans un avis du 7 janvier 2025 (n° 24-70.008, Bull.) que ce délai de quatre jours « [courrait] à compter de la notification de la décision initiale de placement, de sorte que le premier jour [devait] être décompté » et « [expirait] le dernier jour à minuit, sans prolongation en cas d’expiration un dimanche ou un jour férié ». La Cour illustre cette interprétation en indiquant que « pour un placement en rétention notifié le 1er janvier à quinze heures, le délai de quatre jours s'achèvera le 4 janvier à vingt-quatre heures » ([35]) .
Ainsi que le souligne Mme Di Folco dans l’exposé sommaire de son amendement, cette interprétation a pour conséquence de réduire les délais effectifs dont dispose l’administration : « dans le cas où la notification de la décision de placement et ce placement interviennent en fin de journée, le jour en question est décompté dans son intégralité ».
Cette règle de calcul est transposable aux placements en zone d’attente et au dispositif de prorogation du maintien en zone d’attente de six jours.
L’article propose ainsi de substituer au décompte en jours des délais mentionnés aux articles L. 341-2, L. 342-1, L. 343-10, L. 352-7, L. 741-1, L. 741-2, L. 741-10, L. 742-1, L. 742-3 et L. 751-9 un décompte en heures (96 heures plutôt que quatre jours). Dans la même logique, le délai de six jours mentionné à l’article L. 342-4 est remplacé par un délai de 144 heures.
La commission des lois a adopté cet article sans modification.
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Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif introduit en séance publique au Sénat
Introduit en séance publique au Sénat à l’initiative de Mme Dominique Vérien (Union centriste), l’article 5 complète les mentions devant obligatoirement figurer au procès-verbal de fin de retenue pour vérification du droit au séjour (RVDS) d’un étranger par les forces de l’ordre. Afin de tenir compte d’une décision du Conseil constitutionnel, cet article prévoit la mention obligatoire des heures auxquelles la personne retenue a pu s’alimenter.
Dernières modifications législatives intervenues
Les dispositions de l’article L. 813-13 du CESEDA relatives aux mentions devant figurer obligatoirement dans le procès-verbal de fin de RVDS ont été déclarées contraires à la Constitution et abrogées à compter du 1er juin 2025 par une décision n° 2024-1090 QPC du 28 mai 2024 du Conseil constitutionnel.
Modifications apportées par la commission
À l’initiative de votre rapporteur, la commission des lois a réécrit l’article 5 pour rétablir la phrase de l’article L. 813-13 abrogée et la compléter par l’obligation de mentionner dans le procès-verbal les heures auxquelles l’étranger retenu a eu accès à l’alimentation.
L’article L. 813-1 du code de l’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile dispose qu’un étranger peut être retenu dans un local de police ou de gendarmerie par un officier de police judiciaire aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français lorsqu’il n’a pas été en mesure de justifier de ce droit à l’occasion d’un contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des pièces ou documents l’autorisant à circuler ou séjourner en France.
En application des articles L. 813-13 et L. 813-16 du même code, l’officier de police judiciaire doit, au terme de cette retenue, dresser un procès-verbal comportant, à peine de nullité, certaines mentions. La deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 813-13 prévoyait ainsi que doivent y figurer
Depuis le 1er juin 2025, cette phrase a été abrogée par la décision n° 2024 1090 QPC du 28 mai 2024 du Conseil constitutionnel (voir infra). L’absence de base légale fait ainsi peser des risques juridiques sur les placements en rétention et pourrait conduire à des jurisprudences divergentes des juges.
À l’initiative de Mme Dominique Vérien (Union Centriste), le Sénat a adopté en séance publique, avec un avis favorable de la commission et du Gouvernement, un amendement n° 8 ([36]) complétant la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 813-13 du CESEDA afin de prévoir une obligation de mentionner au procès-verbal de fin de RVDS les heures auxquelles l’étranger a pu s’alimenter.
Cette modification devait permettre de tenir compte de la décision n° 2024‑1090 QPC du 28 mai 2024 du Conseil constitutionnel ([37]) qui avait déclaré contraire à la Constitution la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 813‑13 du CESEDA soulignant qu’ « alors que la retenue peut atteindre une durée de vingt-quatre heures, ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative n'imposent de faire figurer au procès-verbal de mention relative aux conditions dans lesquelles l'étranger a pu s'alimenter pendant cette mesure » et considérant qu’ « à défaut de prévoir une telle mention, les dispositions contestées ne permettent pas aux autorités judiciaires de s'assurer que la privation de liberté de l'étranger retenu s'est déroulée dans des conditions respectueuses de la dignité de la personne humaine ». Sur ce fondement, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions « [méconnaissaient] ainsi ce principe constitutionnel » et devaient être, par conséquent ,« déclarées contraires à la Constitution ».
Le Conseil constitutionnel a reporté cette abrogation au 1er juin 2025, estimant qu’une abrogation immédiate aurait « pour effet de supprimer l'obligation de faire figurer certaines mentions sur le procès-verbal de fin de retenue pour vérification du droit de circulation ou de séjour » et « entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives ».
Aucun texte législatif n’ayant modifié la disposition en cause, la deuxième phrase du premier alinéa a donc été abrogée dans l’intervalle de temps séparant l’adoption de la proposition de loi par le Sénat et son examen par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Votre rapporteur estime qu’il convient dès lors de modifier l’article 5 pour la rétablir dans son intégralité, en la complétant par la mention des heures auxquelles la personne retenue a pu s’alimenter.
À l’initiative de son rapporteur ([38]) , la commission des lois a réécrit l’article 5 pour rétablir la phrase de l’article L. 813-13 du CESEDA abrogée et la compléter par l’obligation de mentionner au procès-verbal de fin de retenue pour vérification du droit au séjour les heures auxquelles l’étranger retenu a eu accès à l’alimentation.
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Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif introduit en séance publique au Sénat
Introduit par le Gouvernement en séance publique au Sénat, cet article 6 prévoit l’application des dispositions de la proposition de loi dans les collectivités à spécialité législative en matière de droit des étrangers (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, îles Wallis et Futuna, Polynésie française et Nouvelle-Calédonie).
Modifications apportées par la commission
La commission des lois a adopté un amendement de son rapporteur pour prévoir l’application de l'article 4 de la proposition de loi dans les collectivités à spécialité législative en matière de droit des étrangers (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, îles Wallis et Futuna, Polynésie française et Nouvelle-Calédonie) et à Mayotte.
Les articles L. 742-4 à L. 742-7 du CESEDA s’appliquent dans leur rédaction issue de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, c’est-à-dire pour les articles L. 742-4 et L. 742-5 dans la version antérieure aux modifications apportées par les articles 37 et 40 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.
L’article L. 743-22 s’applique dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020.
En outre, le 10° de l’article L. 764-2 et le 12° des articles L. 765-2 et L. 766‑2 disposent que, respectivement pour les îles Wallis et Futuna, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, pour l’application de l’article L. 743-7 qui prévoit les conditions dans lesquelles se tiennent les audiences de l’étranger dans le cadre du contrôle de la rétention par l’autorité judiciaire, le « tribunal judiciaire » est remplacé par la notion de « tribunal de première instance », qui en est l’appellation dans les territoires concernés.
À l’initiative du Gouvernement ([39]), le Sénat a adopté en séance publique un amendement introduisant un article additionnel destiné à assurer l’application des articles L. 742-4 à L. 742-6 et L. 743-22 dans leur rédaction issue de la proposition de loi (art. 1er à 3) dans les collectivités à spécialité législative en matière de droit des étrangers que sont Saint-Barthélemy, Saint-Martin, les îles Wallis et Futuna, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie.
La commission a adopté un amendement de son rapporteur ([40]) pour prévoir l’application de l'article 4 de la proposition de loi à Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie, ainsi qu’à Mayotte.
S’agissant de Mayotte, il modifie l’article L. 761-8 du CESEDA pour prévoir que la durée du placement en rétention sera désormais calculée en heures, le délai de cinq jours étant converti en 120 heures.
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Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif introduit en séance publique au Sénat
À l’initiative de la rapporteure ([41]) et avec l’assentiment du Gouvernement, le Sénat a souhaité, en séance publique, reporter l’entrée en vigueur des dispositions relatives à la rétention administrative (art. 1er à 3 de la proposition de loi) à une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard trois mois après la publication de la loi, afin de permettre la publication des dispositions réglementaires nécessaires à leur application.
Modifications apportées par la commission
La commission a adopté un amendement de son rapporteur ([42]) pour prévoir l’application différée des articles 4 et 6.
Lors de sa réunion du mercredi 25 juin 2025, la Commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive (n° 1148) (M. Olivier Marleix, rapporteur).
M. le président Florent Boudié. La proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, inscrite à l’ordre du jour de la session extraordinaire, sera examinée en séance publique à partir du mardi 1er juillet. Elle a été déposée au Sénat le 3 février 2025 par plusieurs sénateurs, Mme Jacqueline Eustache-Brinio en étant première signataire, et adoptée le 18 mars.
M. Olivier Marleix, rapporteur. La proposition de loi que nous examinons est importante. À l’heure où il s’agit de lutter plus efficacement contre l’immigration illégale, elle contribuera à armer davantage l’administration pour éloigner les étrangers les plus dangereux. Il est particulièrement difficile d’éloigner les étrangers ayant commis des crimes ou des délits ou représentant une menace pour l’ordre public, car les États dont ils sont originaires sont souvent réticents à délivrer des laissez-passer consulaires pour ces profils problématiques.
Je rappelle une réalité que nous devons avoir à l’esprit : 61 % des personnes détenues en centre de rétention administrative (CRA), toutes dangereuses dans la mesure où l’on n’y place que des gens sortant de prison ou de garde à vue, ne sont pas éloignées au terme du délai de 90 jours et sont donc remises en liberté. C’est ce problème que nous devons résoudre.
Il faut avoir davantage de temps pour mener les échanges avec les pays concernés, identifier l’origine de ces personnes, qui parfois ont tout fait pour qu’on ne puisse pas la connaître, et donner davantage de chances à l’administration de les éloigner. Tel est l’objet de la proposition de loi déposée par la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio, adoptée par le Sénat le 18 mars dernier. Je salue le travail exigeant mené par nos collègues de la commission des lois du Sénat, notamment par Mme la rapporteure Lauriane Josende.
Le texte qui nous a été transmis est nécessaire à l’heure où la libération d’étrangers dangereux a eu des conséquences dramatiques dans notre pays – je pense en particulier au meurtre de la jeune Philippine Le Noir de Carlan et à sa famille. Il est également équilibré et proportionné. Je souhaite insister sur ce point dans la mesure où on perçoit parfois dans nos débats une représentation un peu exagérée des atteintes aux libertés individuelles, qui va un peu au-delà de ce qui est juridiquement possible.
L’article 1er n’allonge pas la durée maximale de détention en vigueur en France. Nous pouvons déjà maintenir en rétention pendant 210 jours des étrangers condamnés pour des faits de terrorisme. Ce régime dérogatoire au droit commun, qui prévoit un maximum de 90 jours de rétention, est mis en œuvre pour une petite quarantaine de personnes chaque année. Il s’agit, par la présente proposition de loi, d’en élargir le champ d’application aux étrangers en situation irrégulière ayant commis des crimes ou des délits graves, faisant l’objet de certaines mesures d’éloignement prises au motif de leur dangerosité ou constituant une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
Il importe de remettre en perspective ce que prévoit l’article 1er, très loin de la violation des droits fondamentaux que certains agitent parfois comme un chiffon rouge.
D’abord, que dit le droit européen ? La directive « retour » de 2008 permet aux États membres d’adopter des dispositions prévoyant une rétention administrative allant jusqu’à 18 mois, soit un peu plus de 540 jours. Il s’agit du droit commun applicable aux étrangers en situation irrégulière ne présentant aucune menace et n’ayant fait l’objet d’aucune condamnation. Nous sommes, en France, à 90 jours dans le cadre du droit commun et à 210 jours dans le cadre dérogatoire. Entre cela et ce que permettent d’ores et déjà les textes européens, il y a donc une marge assez considérable.
Certes, le Conseil constitutionnel a censuré en 2011 une disposition prévoyant la rétention des terroristes pendant 18 mois, mais cette décision n’était pas motivée par la durée de rétention ; elle l’était plutôt par les conditions de contrôle du juge, insuffisantes dans le texte législatif visé. Car, il convient de le rappeler, toute la procédure est placée sous le contrôle du juge judiciaire, qui autorise la prolongation de la rétention ou décide d’y mettre fin selon un séquençage exigeant, par périodes de 26 jours, 30 jours et 30 jours.
Nos voisins européens, pour la plupart, ont adopté des législations bien plus protectrices, ou attentatoires aux libertés individuelles, selon le point de vue. La durée de rétention est de 12 mois en Suède, en Slovénie et en Hongrie et de 18 mois en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, à Chypre, en Croatie, à Malte, en Slovaquie, en République tchèque, en Lituanie, en Estonie, en Pologne et en Grèce. Ceux qui s’émeuvent de la durée de 210 jours raisonnent, me semble-t-il, sans tenir compte de ces législations de pays pourtant démocratiques et respectueux des droits de l’homme, proches du nôtre et membres de l’Union européenne.
La proposition de règlement « retour » de la Commission européenne, qui est sur la table du Conseil, prévoit la possibilité de retenir 24 mois, soit 720 jours, un étranger relevant du régime de droit commun. Pour les gens dangereux, cette proposition de règlement ne fixe pas de durée maximale. C’est à l’aune de la durée de droit commun de 720 jours qu’il faut apprécier celle de 210 jours que nous proposons pour les étrangers les plus dangereux.
Je me permets d’insister sur ces éléments de contexte pour rappeler la conformité du texte que nous examinons avec le droit de l’Union européenne – au demeurant, certains pourraient nous reprocher de ne pas utiliser toutes les possibilités qui nous sont laissées.
Par ailleurs, ce texte équilibré, modéré, même, s’inscrit dans un cadre constitutionnel garantissant le respect de la liberté individuelle. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé à plusieurs reprises sur l’allongement de la durée de rétention et a, dans sa décision de 2011 précitée, confirmé que la durée de 210 jours est conforme à la Constitution. Au surplus, nous devons tous avoir à l’esprit que l’usage du régime dérogatoire a toujours été très modéré et raisonnable. La faculté de demander la rétention est offerte à l’administration ; le juge judiciaire décide.
En pratique, cette possibilité ne donne lieu à aucun abus. En 2023, les étrangers relevant du régime dérogatoire ont été retenus 91 jours en moyenne, soit à peine plus que le délai de 90 jours et bien moins que celui de 210 jours. En 2024, la durée moyenne de rétention dérogatoire a été de 117 jours en moyenne. On est donc très loin des possibilités ouvertes par le législateur sous le contrôle du juge.
La question que soulève l’article 1er, et qui fera l’objet de nos débats, est celle du champ d’application du régime dérogatoire. Compte tenu des éléments que je viens de présenter, il me semble que nous ferions une erreur en le restreignant trop fortement. Il faut donner toutes leurs chances aux services de procéder à l’éloignement des personnes dangereuses, ainsi qualifiées parce qu’elles ont été condamnées pour des faits graves, parce qu’elles font l’objet d’une interdiction du territoire français (ITF) décidée par le juge, d’une mesure d’expulsion ou d’une interdiction administrative de territoire (IAT), ou parce qu’elles présentent une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
Il me semble que limiter ce régime dérogatoire en établissant une liste d’infractions, comme le prévoit la rédaction initiale de la proposition de loi, soulève plusieurs difficultés. Cela posera nécessairement un problème d’exhaustivité et introduira une complexité qui pèsera au quotidien sur les magistrats, ainsi que sur les personnels des CRA et des préfectures chargés du suivi des étrangers dangereux. Si nous voulons être efficaces, nous devons proposer un dispositif simple et opérationnel. C’est pourquoi la commission des lois du Sénat, en sa sagesse, a réécrit l’article.
Par ailleurs, exclure les ITF du champ de l’article 1er me semble être une erreur. Le tableau transmis par le ministère de la justice et reproduit dans le rapport montre que ces peines sont prononcées notamment pour certaines infractions graves, relevant de l’activité de passeur ou du trafic de stupéfiants. Les amendements proposés à cette fin font l’impasse sur ce point.
L’article 2 est entièrement lié à l’article 1er. Il permet d’éviter de remettre en liberté un étranger représentant une menace grave pour la sécurité et pour l’ordre public le temps que le juge statue sur l’appel formé par le ministère public contre une ordonnance mettant fin à sa rétention. Le dispositif est fermement encadré. Le juge doit statuer dans les plus brefs délais.
L’article 3 vise à redéfinir le séquençage de la durée de rétention, sans l’allonger. Il s’agit de substituer aux deux dernières périodes de prolongation, de 15 jours chacune, une période unique de 30 jours, dans les mêmes conditions que la précédente prolongation. Ces deux périodes de 15 jours n’ont que peu de sens. Elles obligent à présenter fréquemment l’étranger au juge, alors même que sa situation n’a, dans la plupart des cas, pas changé. Chaque présentation au juge nécessite une escorte, comporte des risques d’évasion. Ainsi, nous mobilisons inutilement des personnels qui pourraient se consacrer à d’autres missions et nous augmentons la charge de travail des magistrats.
L’article 4 est de bon sens. Il prévoit de compter en heures les délais prévus en jour dans le cadre du placement initial en rétention administrative et en zone d’attente. La jurisprudence interprète les dispositions actuelles en considérant que le premier jour doit être décompté quelle que soit l’heure du début de placement. Ainsi, un étranger dont la rétention a commencé à 2 heures du matin sera remis en liberté au même moment qu’un étranger dont la rétention a commencé à 22 heures le même jour. Il est évident que, dans le second cas, l’administration et le juge n’auront pas les mêmes moyens pour traiter correctement le dossier.
L’article 5 permet de sécuriser juridiquement la procédure retenue pour vérification du droit au séjour. Celle-ci est régie par un article du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) dont le Conseil constitutionnel a abrogé récemment une phrase entière. Il faut donc, pour satisfaire aux exigences du Conseil, la rétablir en la complétant par une formule destinée à garantir le respect de la dignité humaine, comme je le propose dans l’un de mes amendements.
Les articles 6 et 7 prévoient l’application différée du texte en outre-mer.
Par ailleurs, je proposerai un amendement destiné à permettre la rétention administrative des demandeurs d’asile présentant une menace pour l’ordre public ou un risque de fuite. Une récente décision du Conseil constitutionnel, prise dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a remis en cause cette possibilité. Mon amendement permet d’encadrer la rétention de façon à la rendre conforme aux exigences énoncées par le Conseil constitutionnel. C’est une question de sécurité et d’efficacité.
La présente proposition de loi contribuera à améliorer l’efficacité de notre politique d’éloignement. Elle se concentre exclusivement sur les étrangers les plus dangereux, déjà condamnés ou représentant une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, selon une jurisprudence définissant clairement cette notion, donc sur ceux dont l’éloignement est véritablement une priorité. Elle doit s’inscrire dans le cadre plus large d’une augmentation des moyens des CRA et d’une rationalisation des procédures de lutte contre l’immigration illégale.
M. le président Florent Boudié. S’agissant du dramatique assassinat de la jeune Philippine, une disposition relevant de l’ambiguïté du droit positif avait permis au juge des libertés et de la détention (JLD) de libérer celui qui allait devenir son assassin. Dans la loi, nous avions mal rédigé une disposition prévoyant que la prolongation de la rétention dépend, si elle est demandée entre le quarante-cinquième et le quatre-vingt-dixième jour, de la constatation de comportements constitutifs d’une menace ou d’un trouble à l’ordre public dans les 15 jours qui la précèdent. Dans le cas d’espèce, la juge n’en a constaté aucun, alors même que l’individu avait été condamné pour un précédent viol et qu’il avait été en détention de 2019 à 2021. Il me semble nécessaire, en la matière, d’apporter une réponse concrète, opérationnelle. La redéfinition du séquençage évoquée par M. le rapporteur en est une.
S’agissant en revanche des éléments justifiant l’allongement de la durée de rétention au-delà de 90 jours – qui reste la durée de droit commun, dont l’extension est déjà possible pour les condamnations à une peine d’ITF pour activité terroriste ou à une décision d’expulsion pour un comportement lié à une activité terroriste –, je comprends tout à fait qu’ils intègrent la provocation au terrorisme ou l’apologie du terrorisme, mais je suis plus dubitatif sur le champ d’application retenu par le Sénat. J’ai déposé – comme plusieurs groupes – un amendement visant à le restreindre. Telle qu’elle est rédigée, la proposition de loi du Sénat permet de prolonger la rétention jusqu’à 210 jours pour des infractions de moindre gravité, telles que le recel, l’abus, la collecte frauduleuse de données et, s’agissant des ITF, la fausse déclaration et toute infraction sanctionnée par un quantum de peine de 3 ans.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Michaël Taverne (RN). La proposition de loi va dans le bon sens, même si elle ne changera pas structurellement le problème d’immigration massive et incontrôlée que connaît notre pays. Faite à la suite de l’assassinat de la jeune Philippine par un Marocain sous OQTF – cet exemple n’est malheureusement pas le seul –, elle est révélatrice d’un État français qui ne maîtrise plus rien, qui est incapable d’anticiper, notamment à cause de la succession de gouvernements laxistes, incompétents, bien-pensants, qui ont toléré l’intolérable et longtemps considéré que l’immigration est systématiquement une chance pour la France.
Pourtant, « les chiffres sont ce qu’ils sont », comme l’a admis le préfet de police de Paris en février dernier. Dans l’agglomération parisienne, par exemple, 36 % des mis en cause sont étrangers – 50 % dans les cambriolages, 40 % dans les violences sexuelles et de 80 % à 90 % dans les vols à la tire.
Ce phénomène est observé dans toutes les grandes métropoles françaises. Incontestablement, il y a un lien entre immigration et insécurité. Ne pas le reconnaître serait irresponsable. D’après un sondage récent, 74 % des Français considèrent que ce lien existe. Je rappelle également qu’en France 25 % des détenus sont étrangers.
La durée de rétention administrative prévue par la directive « retour » de 2008 peut atteindre 18 mois, chaque État membre disposant d’une latitude d’interprétation. Elle est de 18 mois en Allemagne, de 8 mois en Belgique, de 90 jours en Italie – mais peut y être étendue si des obstacles administratifs subsistent. En Suède et au Danemark, elle est illimitée.
En France, elle ne peut dépasser 90 jours, sauf en cas d’activité terroriste. Il s’agit d’un choix purement français – c’est la magie de la transposition du droit européen en droit français ! Comme disait le président Pompidou, il faut arrêter d’emmerder les Français, notamment les agriculteurs : pour eux, les transpositions sont sans pitié ; pour assurer la sécurité des Français et expulser les étrangers en situation irrégulière, c’est une autre histoire !
Pourquoi d’autres pays ne réagissent-ils pas de la même façon ? Sûrement parce qu’ils sont beaucoup plus connectés à la réalité et ne sont pas dans la démagogie perpétuelle. Regardez la gauche au Danemark et au Royaume-Uni, qui veut plus de fermeté ! En France, la gauche veut libérer les détenus, réserve sa compassion aux voyous, ne vote pas les budgets supplémentaires alloués à nos policiers, à nos gendarmes, à nos pompiers et à nos magistrats, mais s’oppose sans problème au texte récemment débattu visant à lutter contre le narcotrafic. C’est lunaire !
Aucune politique migratoire véritablement ambitieuse n’a été menée en France, par pure idéologie, contrairement à ce qui a prévalu chez beaucoup de nos voisins européens. L’Allemagne a rétabli le contrôle aux frontières. Le Royaume-Uni a réinstauré les visas. Le Danemark, gouverné par la gauche, mène une politique drastique et est intraitable avec l’immigration clandestine. Hors d’Europe, 95 % des pays du monde contrôlent leurs frontières.
Avec Marine Le Pen, nous proposons depuis longtemps un référendum aux Français, qui n’ont jamais été consultés sur cette question. Notre texte est prêt. Le ministre de l’intérieur, qui copie notre programme chaque jour, ferait bien de s’en inspirer.
Pendant la campagne des élections européennes, Jordan Bardella parlait de double frontière – l’une à l’extérieur de l’Europe, l’autre à l’intérieur. Beaucoup disaient que c’était n’importe quoi, qu’ils ne comprenaient pas. C’est pourtant extrêmement simple. D’ailleurs, les Allemands, après les attaques de Solingen et de Mannheim, ont évoqué cette double frontière – une fois encore, le Rassemblement national avait raison avant les autres.
De plus, les extra-Européens ne devraient pas bénéficier de l’espace Schengen et devraient rester dans le pays de délivrance de leur titre de séjour. Supprimer les pompes aspirantes des aides sociales en France permettrait également de lutter contre l’immigration incontrôlée. Avant d’être généreux avec la terre entière, le gouvernement macroniste ferait mieux de s’occuper en priorité des Français, puis des étrangers en situation régulière qui respectent nos lois, nos traditions et notre identité.
Quant aux CRA, ils sont un gouffre pour les finances publiques. La Cour des comptes évalue à 602 euros par jour le coût d’une personne retenue. À l’heure où on demande aux Français de se serrer la ceinture, il serait temps de faire des économies sur l’immigration, dont une récente étude démontre qu’elle coûte 3,4 % du PIB. Seul le Rassemblement national propose, dans son contre-budget, des économies sur l’immigration.
Nous voterons la proposition de loi, qui vise à protéger un peu plus les Français mais ne changera fondamentalement pas grand-chose.
M. Vincent Caure (EPR). Ce texte d’initiative sénatoriale, qui avait pour objet d’allonger la durée maximale de rétention à 180 jours, voire à 210 jours pour les étrangers visés par une expulsion liée à une condamnation pour infraction sexuelle ou violente grave assortie d’une ITF, a été durci au Sénat pour embrasser un champ infractionnel plus large.
Je rappelle que le premier objectif de la rétention administrative, pour les étrangers sous mesure d’éloignement ou d’expulsion, est d’éviter que la personne puisse se soustraire à la mesure d’éloignement. Il ne s’agit pas d’une peine principale ni complémentaire.
L’histoire de la rétention en France au cours des quarante dernières années est celle d’un allongement des délais. Nous avons retardé la première intervention du juge judiciaire, qui confirme une décision administrative pour faciliter la rétention, et allongé la durée globale de cette dernière, la durée d’enfermement maximale prévue par la loi n’ayant cessé d’augmenter. Elle était de 7 jours en 1981 ; les gouvernements successifs, nullement laxistes, soucieux de traiter des situations bien réelles, l’ont progressivement rendue plus longue, jusqu’à la porter à 90 jours par la loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite loi Collomb.
Le droit européen autorise une durée de 18 mois, que certains de nos voisins ont adoptée, en prenant toutefois des mesures d’expulsion en moindre proportion que nous. Plusieurs modifications ont été adoptées depuis 2017, notamment l’impossibilité de placer en rétention un étranger mineur, introduite par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.
Le présent texte s’appuie sur des données, notamment le taux de récidive, qui était en 2023 de 17,5 % pour les délits sexuels et de près de 40 % pour les violences volontaires, un niveau dont chacun conviendra qu’il est préoccupant pour l’ordre public. Nous sommes convaincus de l’utilité de la prolongation de la durée de rétention pour certaines personnes dangereuses. Toutefois, la véritable difficulté n’est pas tant intérieure qu’internationale. La bonne exécution des mesures d’éloignement que nous prenons dépend de l’obtention de laissez-passer consulaires, qui, s’agissant de certains pays, est de plus en plus difficile. Dans ce domaine, il est difficile de légiférer.
Sachant que le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français OQTF) est meilleur en rétention qu’ailleurs – il est de 40 % –, il est justifié d’envisager, pour les étrangers les plus dangereux, sous le contrôle du juge garant des libertés individuelles, d’allonger la durée de leur rétention. Cela permettrait de donner une marge supplémentaire aux administrations pour l’obtention des laissez-passer consulaires nécessaires à la mise en œuvre des procédures d’éloignement et de faire en sorte que les individus les plus dangereux soient effectivement reconduits à la frontière.
Néanmoins – sur ce point, nous avons une divergence de vues, monsieur le rapporteur –, nous pensons qu’il faut restreindre le champ infractionnel visé par le texte, élargi par le Sénat lors de l’examen du texte en commission. Nous proposons, comme d’autres groupes, une réécriture de l’article 1er visant à le rendre plus proportionné à nos yeux et, indépendamment de la vision du droit propre à chaque groupe, cohérent avec le nombre de places disponibles en CRA, dont il faut par ailleurs rappeler la vocation nationale – chaque centre peut accueillir des étrangers quel que soit l’endroit où se trouve l’autorité administrative ayant pris la décision de les placer en rétention.
Le groupe Ensemble pour la République propose ainsi de réserver la possibilité de prolonger la rétention administrative au-delà de la durée de 90 jours à un nombre réduit de cas correspondant à des crimes et délits particulièrement graves, notamment les homicides, les actes de torture et de barbarie et certains crimes et délits de violence, de viols et d’agressions sexuelles, notamment à l’encontre des mineurs.
Le groupe Ensemble pour la République votera le texte sous réserve d’une telle réécriture de l’article 1er.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Ce texte propose l’élargissement du régime dérogatoire de rétention administrative réservé jusqu’à présent aux personnes poursuivies pour des faits liés au terrorisme pénalement constatés. Il s’agit d’une modification massive, qui vise à inclure toutes les personnes étrangères visées par une ITF et faisant l’objet d’une décision d’éloignement assortie d’une condamnation pour des crimes et délits punis d’au moins 5 ans d’emprisonnement ou dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
Il supprime la condition selon laquelle les comportements liés à des activités à caractère terroriste peuvent donner lieu au maintien en rétention sous réserve d’être pénalement constatés. Cela signifie que le magistrat pourra prolonger le maintien en rétention d’un étranger dont la dangerosité des comportements n’est que suspectée, au motif d’éléments uniquement fournis par l’autorité administrative, ce qui est inacceptable dans un État de droit.
En premier lieu, la rédaction du texte est dangereuse. Ses contours flous et imprécis, rédigés en termes généraux, peuvent entraîner une grande insécurité juridique et un risque d’abus du pouvoir discrétionnaire. En permettant l’extension du régime dérogatoire aux étrangers dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, il emporte un risque manifeste de donner lieu à des décisions arbitraires. De plus, ce recours obsessionnel à l’exception au nom d’une menace pour l’ordre public et son usage débridé renvoient à l’image de l’étranger fauteur de troubles, indésirable en somme.
En second lieu, l’introduction dans le champ des infractions relevant du régime dérogatoire du délit d’apologie du terrorisme – sans même que ce dernier doive être pénalement constaté pour donner lieu à une extension de la durée de rétention – apparaît dangereuse sur le plan des libertés publiques. En 2015, par exemple, un enfant de 8 ans a été entendu par la police pour des faits d’apologie du terrorisme et, en 2020, quatre enfants de 10 ans ont été interpellés à Albertville pour le même délit. Depuis le 7 octobre 2023, l’instrumentalisation de cette notion d’apologie du terrorisme s’est perfectionnée et les ministres de l’intérieur, Gérald Darmanin puis Bruno Retailleau, ont usé et abusé de cette infraction pour criminaliser des opposants politiques, des syndicalistes ou des associations qui portent la voix de la paix.
Cette mesure de surenchère xénophobe est pourtant parfaitement inutile. L’Observatoire de l’enfermement des étrangers affirme que les données compilées année après année par les différentes associations qui interviennent dans les CRA montrent clairement l’absence de corrélation entre la durée de rétention et le nombre d’expulsions. Alors même que la durée maximale de rétention a été portée à 90 jours en 2018, il n’existe aucune analyse de ses effets permettant de justifier un allongement de la durée d’enfermement des personnes étrangères au seul motif de leur situation administrative. Cette mesure apparaît donc inefficace et relève de la pure démagogie sécuritaire.
Enfin, ces dispositions auront pour seul effet d’aggraver la violence institutionnelle et la maltraitance des personnes retenues. Les associations ne cessent d’alerter sur les conditions indignes de rétention et les effets délétères de l’enfermement sur la santé physique et mentale des personnes concernées. Les conséquences de la rétention sur la santé et la dignité des personnes ne sont plus à prouver : suicides, tentatives de suicide, traumatismes, violations du droit à une vie privée et familiale, violations du droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants, atteinte à la dignité des personnes, violences policières, etc.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) rappelait dans son avis sur le projet de loi « asile et immigration » – lequel proposait déjà d’étendre les délais de rétention – « le caractère exceptionnel que doit revêtir la rétention administrative et la nécessité dès lors qu’elle soit la plus réduite possible ».
Mme Céline Hervieu (SOC). Je suis navrée de l’affirmer d’emblée, mais le texte que nous examinons ne sert à rien ! Les conditions de rétention administrative des étrangers en attente d’éloignement, prévues par notre droit, sont suffisantes. Le rapporteur l’a reconnu lui-même – c’est édifiant – lorsqu’il a évoqué une durée moyenne de rétention de 91 jours. De plus, il est déjà possible de prolonger cette durée dans certaines circonstances. Par conséquent, étendre le champ des infractions relevant du régime dérogatoire n’est d’aucune utilité et constitue une dérive importante.
La prolongation de la durée de rétention en CRA n’a jamais été particulièrement efficace pour nous permettre d’expulser les individus dangereux. Je ne comprends donc pas très bien pourquoi elle le deviendrait tout à coup, comme par magie. Cela fait 15 ans que l’on augmente la durée maximale de rétention administrative : au-delà des 30 jours, elle peut ainsi être prolongée jusqu’à 90 jours pour des motifs fondés sur l’ordre public ou en cas d’impossibilité d’exécuter la décision d’éloignement ; en 2011, elle a été étendue à 180 jours et, depuis 2018, elle peut atteindre 210 jours pour un étranger condamné à une peine d’interdiction du territoire prononcée pour des actes de terrorisme.
Ce régime dérogatoire a été créé pour les étrangers ayant commis des crimes à caractère terroriste et non pas pour des délits de droit commun. Or le drame qui est à l’origine de la présente proposition de loi n’a rien à voir avec des faits de terrorisme ni avec la durée de rétention : dû à un individu qui est d’abord un violeur avant d’être un étranger frappé d’OQTF ou un Marocain, il a pu se produire parce que la procédure d’éloignement a été engagée trop tardivement. La vraie question est donc la suivante : pourquoi la demande de laissez-passer consulaire a-t-elle été effectuée 2 jours seulement avant sa sortie du territoire, alors qu’il était emprisonné depuis 5 ans ? Si les circonstances du drame sont de nature à soulever des questions légitimes de droit, il ne s’agit pas de celle du délai de rétention : c’est bien la non-exécution de la procédure d’éloignement qui est en cause. Or la proposition de loi n’apporte aucune réponse sur ce point.
Dans sa rédaction actuelle, le texte permet d’étendre le régime dérogatoire permettant une rétention administrative de 210 jours à tout étranger visé par une mesure d’éloignement, y compris lorsque l’infraction commise est relativement légère : je pense aux vols commis dans les transports en commun ou encore aux vols à l’étalage – la mère d’un enfant français pourrait ainsi être expulsée pour ce motif sans même que les circonstances et les raisons de l’infraction aient été prises en considération. Rendez-vous compte de la fuite en avant qui se joue et de l’absence totale de proportionnalité – contrairement à ce que j’ai entendu dans votre propos liminaire, monsieur le rapporteur.
Ce texte ne fera donc pas reculer le sentiment d’insécurité de nos concitoyens. Dans la mesure où l’État est impuissant à faire appliquer les OQTF des personnes condamnées pour des faits graves et emprisonnées pendant des mois, voire des années, augmenter la durée de rétention dans les CRA ne réglera rien.
De plus, la présente proposition de loi porte gravement atteinte aux libertés publiques. Non seulement elle ne sert à rien, mais elle peut avoir des conséquences délétères, puisque les centres de rétention administrative ne sont pas adaptés comme le sont les prisons au maintien des personnes sur place pendant des mois. Augmenter la durée de rétention et surcharger les centres, c’est aggraver les conditions de vie des personnes retenues, dégrader les conditions de travail des agents concernés et amoindrir la sécurité de ces lieux de rétention. Plutôt que de tirer les leçons des défaillances du système, vous reconduisez des mesures qui ont déjà prouvé leur inefficacité.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Le texte que nous examinons est le fruit d’une récupération politique. Si l’on se fie à l’exposé des motifs, il procède bien de la logique « un fait divers, une loi » – quand bien même il vise à répondre à un meurtre odieux –, sans données d’ensemble ni étude d’impact. Il s’agit d’une proposition de loi de pur affichage, qui ne réglera en rien la question du retour des personnes retenues dans les CRA.
Pourtant, les conséquences de cette loi seraient majeures sur les conditions de vie des personnes retenues, sur l’organisation des services administratifs comme sur les conditions de travail des fonctionnaires concernés.
Je le répète, nous ne disposons d’aucune étude d’impact sur ce texte, comme c’était déjà le cas en 2018, lorsque la durée maximale de rétention a été portée à 90 jours. Si légiférer au doigt mouillé est problématique de manière générale, nous devrions d’autant plus nous en abstenir lorsqu’il s’agit de nos libertés fondamentales.
La rétention administrative est une privation de liberté prévue dans le cadre d’une procédure d’éloignement. Elle n’a donc pas de but répressif ni punitif et ne doit pas être assimilée à l’incarcération – Vincent Caure l’a rappelé ; je suis étonné qu’il n’en tire aucune conclusion pour le vote du texte.
Dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel précise régulièrement qu’un étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. Or l’étude des données montre que l’immense majorité des expulsions a lieu dans les premiers jours de détention. De plus, la Cimade a constaté que, depuis 8 ans, la durée moyenne de rétention a augmenté de 256 %, tandis que le pourcentage de personnes expulsées dans l’Hexagone stagne autour de 39 % environ, ce qui concorde avec le chiffre de 38 % pour l’année 2024 énoncé par la directrice de la direction nationale de la police aux frontières lors de son audition.
Allonger le temps de rétention n’aura donc pas d’impact sur le nombre d’expulsions, mais contribuera à la détérioration des conditions de vie des personnes retenues et aura des effets délétères sur leur état physique et mental. La possibilité de longues périodes d’enfermement sans éloignement effectif pourrait conduire à une utilisation abusive de la rétention administrative, la transformant en un outil de gestion de la politique sécuritaire au lieu d’un moyen de garantir l’exécution des mesures d’éloignement.
D’autres aspects de la proposition de loi sont particulièrement inquiétants. En uniformisant la chronologie de la rétention, elle amoindrit la fréquence du contrôle juridictionnel en supprimant un contrôle judiciaire dans la période des 90 jours. Il y a également lieu de s’alarmer de la rédaction de l’article 1er, qui élargit le champ d’application de la rétention administrative aux personnes étrangères dont le comportement représenterait une menace d’une particulière gravité à l’ordre public : une telle terminologie, trop vague et trop large, est susceptible de conduire à des interprétations subjectives et abusives. Enfin, non seulement ce texte n’aura aucun impact sur le nombre d’expulsions, mais il alimentera, une fois encore, l’amalgame entre étrangers et délinquance. Ce n’est pas en jouant avec les peurs que l’on résout les problèmes.
Vous l’aurez compris, le groupe Écologiste votera résolument contre ce texte. Permettez-moi, pour terminer, de revenir sur les propos du rapporteur. Il n’y a pas de relation logique entre l’introduction et la conclusion : vous faites le constat que nous n’arrivons pas à éloigner les personnes, mais les solutions que vous proposez ne résolvent en rien ce problème.
Mme Anne Bergantz (Dem). Il nous semble essentiel de garantir l’éloignement des personnes en situation irrégulière, en particulier lorsqu’elles représentent une menace pour la société. Tel est le cas des étrangers placés au sein des centres de rétention administrative : près de 90 % des étrangers retenus présentent un fort risque de trouble à l’ordre public ou ont déjà été emprisonnés pour des faits graves. Et 40 % de ces étrangers seront effectivement éloignés pendant leur séjour en CRA, d’où l’importance de ce passage en centre fermé, qui permet l’éloignement.
Concrètement, la privation de liberté en CRA constitue un moyen de prévenir le risque de fuite d’un étranger en situation irrégulière, le temps qu’un faisceau d’indices sur son identité soit réuni et qu’un laissez-passer consulaire soit délivré par son pays d’origine. À cet égard, les services d’enquête nous appellent régulièrement à renforcer les outils mobilisables pour faciliter cette identification – je pense notamment à la fouille du contenu du téléphone, dans lequel la personne conserve souvent la copie de documents d’identité qu’elle dit pourtant ne pas avoir.
Il faut du temps pour réunir les conditions permettant l’éloignement. C’est pourquoi le processus d’éloignement peut, et même doit, débuter dès la détention : plus vite on s’attelle à la recherche d’identité et de nationalité et à la demande d’un laissez-passer consulaire, plus on réduit ensuite la durée de rétention – voire on facilite l’éloignement dès la sortie de prison –, sans emboliser les CRA. Au vu du nombre limité de places dans les centres, ce travail en amont me semble donc fondamental. Néanmoins, lorsque ce n’est pas possible, la durée maximale de rétention, fixée actuellement à 90 jours, s’avère parfois insuffisante. Il est donc nécessaire, pour les profils les plus dangereux, de faire converger ce délai vers les 210 jours de rétention actuellement prévus pour les actes de terrorisme.
Au nom du groupe Les Démocrates, je tiens cependant à rappeler un principe de réalisme : en raison de la saturation des CRA, cette prolongation ne pourra être généralisée, mais devra être réservée à des profils minutieusement sélectionnés en fonction du degré de dangerosité. C’est pourquoi nous proposerons de préciser le champ des infractions qui ouvrent accès à la rétention prolongée.
Enfin, le nouveau séquençage de la rétention administrative proposé nous semble bienvenu et n’enlève aucun droit aux étrangers retenus qui pourront toujours saisir, à tout moment, le juge des libertés et de la détention (JLD). C’est une mesure de simplification utile.
Le groupe Les Démocrates soutiendra ce texte.
M. Xavier Albertini (HOR). Des faits graves sont commis sur notre territoire par des étrangers en situation irrégulière qui font pourtant l’objet d’une OQTF ou d’un arrêté d’expulsion. Que faire pour empêcher que de tels drames se reproduisent ? La seule manière d’y réagir sur le long terme est d’accroître le taux d’exécution des mesures d’expulsion, bien que celui-ci dépende en grande partie des États desquels sont issues les personnes concernées.
Le taux d’exécution des OQTF a été divisé par trois en 10 ans : de 22,3 % en 2012, il est tombé à 7 % à peine en 2022. Si la hausse du nombre d’OQTF prononcées explique en partie cette baisse, il n’en demeure pas moins que le refus des pays d’origine de délivrer un laissez-passer consulaire joue un rôle majeur dans notre difficulté à exécuter les expulsions.
Il revient donc au législateur de prévoir le cadre légal qui permettra d’éloigner du territoire national de manière effective les personnes qui doivent l’être. C’est sous cet angle, mais sous celui-ci seulement, que se pose la question de la rétention administrative. En effet, elle est non pas une sanction mais une mesure administrative qui vise uniquement à permettre l’exécution de l’éloignement des personnes concernées. La jurisprudence du Conseil constitutionnel en témoigne.
C’est dans ce contexte que la présente proposition de loi vise à permettre aux magistrats du siège de prolonger le maintien en rétention d’étrangers condamnés pour des faits d’une particulière gravité et, ainsi, de favoriser leur éloignement. Convaincu que l’allongement de la durée de rétention permettra de favoriser l’éloignement des personnes sous OQTF, le groupe Horizons & indépendants soutient ce texte. Toutefois, comme plusieurs collègues l’ont rappelé, nous souhaitons la réécriture de l’article 1er afin de limiter le champ des infractions visées. Notre groupe note, par ailleurs, la conformité de ces dispositions au droit de l’Union européenne, en l’espèce à la directive européenne du 16 décembre 2008, dite directive retour, qui prévoit que le placement initial en rétention peut être prolongé de 12 mois en cas de retard dans l’obtention des documents nécessaires de la part des autorités étrangères.
Mme Martine Froger (LIOT). Cette proposition de loi nous est soumise après que plusieurs drames impliquant des personnes faisant l’objet d’une OQTF ont choqué l’opinion publique. Elle vise à étendre le régime dérogatoire de rétention administrative, actuellement réservé aux cas de terrorisme, à tous les étrangers condamnés pour des infractions graves ou représentant une menace sérieuse pour l’ordre public.
Si nous comprenons l’objectif de protéger les Français, nous nous interrogeons quant aux solutions proposées. Disons-le d’emblée : les dysfonctionnements résultent non pas des juges, comme certains aimeraient le faire croire, mais de l’État lui-même. Derrière le discours d’autorité, le bilan concret du ministère de l’intérieur est significatif : à l’heure actuelle, une OQTF sur dix seulement est réellement appliquée.
La rétention n’est pas une solution miracle. Les CRA sont déjà saturés et les conditions indignes de rétention ont des conséquences désastreuses pour les personnes concernées. La France ne compte que 26 centres, alors que les besoins sont toujours croissants. Dans ce contexte, étendre encore la durée de rétention à 210 jours, c’est risquer de bloquer tout le système, même s’il s’agit de se concentrer sur les délits les plus graves.
De surcroît, la possibilité de prolonger la rétention n’est pas utilisée en pratique : en 2024, seules trente-sept personnes retenues ont été concernées, pour une durée moyenne de rétention de 117 jours. L’État n’utilisant pas les outils dont il dispose déjà, pourquoi faudrait-il généraliser une procédure qui n’est pas pleinement appliquée ?
N’oublions pas non plus un point essentiel : c’est le juge qui décide de lever la rétention si les conditions légales ne sont plus réunies. Et la principale condition, c’est que l’éloignement reste une perspective raisonnable ; autrement dit, il revient à l’État de faire en sorte que l’expulsion soit réellement possible. Or là est le cœur du problème. Le vrai blocage résulte de la difficulté à obtenir les laissez-passer consulaires dans les délais impartis : un tiers seulement de ces documents sont délivrés à temps. Pourtant, rien dans ce texte ne traite de cet enjeu fondamental.
Au bout du compte, nous avons le sentiment de devoir légiférer, encore une fois, dans l’urgence, sous l’effet de l’émotion. On alimente l’illusion d’une réponse ferme, alors que les vraies solutions sont ailleurs : elles sont diplomatiques, administratives et opérationnelles.
C’est pourquoi, tout en partageant l’exigence de sécurité, nous ne pouvons que nous interroger sur l’efficacité réelle de la proposition de loi.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Dans votre étude comparée de droit européen, je suis étonnée que vous n’ayez pas mentionné, monsieur le rapporteur, le nombre d’obligations de quitter le territoire dont la France est à elle seule responsable : un tiers des OQTF délivrées au niveau européen. Votre proposition de loi ne changera rien au taux d’expulsion des personnes retenues dans les centres de rétention – vous l’avez vous-même reconnu à demi-mot. Je présume donc que l’objectif de ce texte, comme de bien d’autres, est plutôt de faire un lien entre étrangers et délinquance, voire entre étrangers et terrorisme.
Vous proposez d’allonger la durée de rétention administrative à 210 jours, pour beaucoup de monde. D’ailleurs, étant donné la rédaction actuelle du texte, cette mesure est non seulement inefficace mais également attentatoire aux droits humains et constitue un dévoiement de l’objet central de la rétention administrative.
Des études l’ont démontré : l’allongement de la durée maximale de rétention ne permet pas d’éloigner davantage et ne fait qu’augmenter la durée moyenne d’enfermement, qui atteint près de 33 jours en 2024, soit 2,5 fois plus qu’il y a 7 ans. L’absence de vols vers les pays à risque, l’absence de reconnaissance consulaire ou des relations diplomatiques perturbées sont autant de raisons pour lesquelles les individus ne peuvent faire l’objet d’un éloignement. Ajouter des jours de rétention n’agira aucunement sur ce plan.
Par ailleurs, la proposition de loi dévoie l’objet légal des centres de rétention. L’article L. 740-1 du Ceseda dispose que « l’autorité administrative peut, dans les conditions prévues au présent titre, placer en rétention un étranger pour l’exécution de la décision d’éloignement dont il fait l’objet ». Un centre de rétention n’est pas une prison. Les personnes n’y sont pas enfermées pour avoir commis des crimes ou des délits, mais pour la simple raison qu’elles se trouvent sur le territoire en situation irrégulière et que l’administration souhaite procéder à leur expulsion. La notion de « perspective raisonnable » d’éloignement est l’élément central permettant le maintien en rétention. Pourtant, les lois successives sur l’immigration et l’article 1er de la proposition de loi conditionnent davantage la rétention à la menace pour l’ordre public que représenterait la personne selon l’administration qu’aux perspectives de son éloignement à bref délai.
Ce détournement du but légal des CRA est non seulement inopérant, mais contraire au droit européen : selon la directive « retour », la rétention administrative est un moyen coercitif exceptionnel, en vue de l’éloignement de la personne étrangère placée sous le coup d’une mesure d’éloignement.
En utilisant cette notion vague de « menaces à l’ordre public » – dont certains députés ou militants voient bien à quoi elle peut renvoyer, de manière très large –, ce texte cherche à transformer les CRA en outil de gestion de la politique sécuritaire, en lieu et place d’un moyen de garantir l’exécution des mesures d’éloignement. Cette volonté s’accompagne d’une série d’articles qui renforcent la logique de rétention de longue durée en la rendant plus aisée à appliquer pour l’administration, au prix d’un affaiblissement des garanties procédurales.
Enfin, l’allongement de la durée de rétention a des effets délétères non seulement sur les personnes enfermées, en particulier celles pour lesquelles il n’existe aucune perspective d’éloignement, mais également sur les agents qui exercent dans ces centres. Après m’être rendue, la semaine dernière, au CRA de Vincennes avec ma collègue Léa Balage El Mariky, je peux dire que la mesure créera des difficultés très importantes pour les agents et revient parfois à organiser la folie des personnes retenues.
Mme Brigitte Barèges (UDR). Au nom du groupe UDR, je tiens à exprimer notre plein accord avec la proposition de loi. Comme l’ont souligné nos collègues sénateurs, les conditions de rétention administrative des étrangers en attente d’éloignement sont insuffisantes et le prolongement au-delà de 90 jours est souhaitable dans certains cas.
Pour rappel, la rétention administrative consiste à retenir, dans l’attente de leur renvoi dans leur pays en fonction des accords passés, les étrangers frappés d’une mesure d’éloignement en raison de leur séjour irrégulier ou de la menace qu’ils représentent pour l’ordre public. Cette mesure peut consister en une obligation de quitter le territoire français, en un arrêté d’expulsion pour les étrangers les plus dangereux ou en une peine d’interdiction du territoire français, prononcée par le juge judiciaire, en complément notamment d’une peine de prison.
À ce jour, la durée initiale de la rétention administrative est limitée à 4 jours, mais elle peut être prolongée plusieurs fois, jusqu’à atteindre une durée maximale de 60 jours, voire de 90 jours pour des cas exceptionnels. En 2011, un texte a porté cette durée à 180 jours pour les personnes ayant commis des actes de terrorisme. D’ailleurs, une proposition de loi, adoptée par le Sénat, instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes – notamment ceux qui sortent de prison – a été renvoyée à la commission des lois le 23 juillet 2024 : nous attendons de l’examiner depuis près d’un an !
La proposition de loi dont nous débattons vise à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité – ne perdons pas de vue cette précision – et présentant de forts risques de récidive – il est important de le rappeler après ce que nous venons d’entendre. La vraie question est celle-ci : serions-nous prêts à exposer la population française à des gens dangereux au motif qu’ils seraient malheureux en centre de rétention ?
Ce texte nous semble une bonne chose, même s’il ne résout pas l’essentiel du problème, c’est-à-dire le nombre très élevé de personnes en situation irrégulière sur notre territoire qui font l’objet d’une OQTF et présentent de forts risques pour la sécurité. Par manque de places et en raison des délais trop courts de rétention en CRA, l’administration est obligée, conformément au droit, de relâcher dans la nature des criminels dangereux, qui risquent de se retrouver en contact avec la population et de commettre de nouveaux crimes et délits. Ce texte cache donc une autre réalité : la non-exécution des OQTF régulièrement prononcées, notre pays ayant du mal à renvoyer les personnes concernées dans leur pays d’origine.
Permettez-moi de citer un chiffre, qui ne correspond pas à ce que j’ai entendu : en 2024, près de 130 000 obligations de quitter le territoire français ont été prononcées, dont seulement 10 % ont été exécutées, soit près de 15 000 – c’est très insuffisant. Je pense souvent à un crime commis il y a quelques années, dans ma ville de Montauban, par un Algérien frappé d’OQTF, qui faisait de surcroît l’objet d’un contrôle judiciaire à la suite d’une condamnation pour viol. Il a commis un nouveau crime en violant une personne âgée ; ce n’est que grâce à l’intervention des secours que la femme a évité une strangulation. Cet individu, qui était dans la nature, aurait dû être en centre de rétention. Certes, vous me répondrez qu’il s’agit d’un cas isolé ; néanmoins, il existe de nombreux cas similaires. C’est pourquoi nous voterons en faveur de ce texte, même s’il reste insuffisant.
M. Olivier Marleix, rapporteur. Je fais partie, monsieur Taverne, de ceux qui souhaiteraient que la politique en matière d’immigration soit tranchée par le peuple français, au moyen d’un référendum. Malheureusement, en l’état, le droit constitutionnel ne le permet pas, et je le regrette, puisque le champ du référendum est limité à la politique économique, sociale et environnementale.
Vous avez évoqué, madame Hervieu, le meurtre de la jeune Philippine ; je vous confirme que ce drame n’a rien à voir avec le terrorisme. Vous avez raison également de souligner la responsabilité du préfet qui a tardé à demander le laissez-passer consulaire alors que la procédure aurait pu être davantage anticipée. Malheureusement, c’est également lié aux contraintes qui sont imposées aux autorités administratives : il est compliqué de faire diligence dans un délai de 90 jours seulement. Nos propositions ne constituent donc pas une fuite en avant, comme vous le dites, mais restent proportionnées. En 2024, la durée moyenne de rétention maximale – pour les cas où il était possible de demander au juge la prolongation à 180 jours ou à 210 jours – a été de 117 jours. Il n’y a donc aucun abus. Cependant, nous avons besoin d’un peu plus de temps, puisque la moitié des laissez-passer consulaires sont délivrés après 90 jours dans le cadre du régime dérogatoire. Nous n’y pouvons rien : cela dépend surtout de la célérité avec laquelle les États d’origine délivrent des laissez-passer – même s’il peut y avoir parfois un retard au démarrage, comme dans le drame du meurtre de Philippine ; de plus, c’était l’été et le consulat a besoin aussi d’un certain délai.
Cela répond également à la question de M. Iordanoff : oui, ces jours supplémentaires présentent un intérêt ; ils permettent de se donner davantage de chances d’obtenir les laissez-passer consulaires. Une fois encore, cet aspect ne dépend pas de l’administration française, mais des autorités consulaires des pays étrangers, qui ne veulent pas récupérer les profils les plus dangereux.
Madame Faucillon, vous nous reprochez de faire un amalgame entre les étrangers et la délinquance. Ce n’est pas du tout le cas : le texte concerne spécifiquement les délinquants étrangers. Par ailleurs, il faudrait que tout le monde ait bien à l’esprit que, depuis une circulaire du 3 août 2022, on ne place plus en CRA que des étrangers présentant un caractère de dangerosité parce qu’ils sortent de prison ou de garde à vue. On ne trouve donc plus d’étrangers lambda dans les CRA, mais des délinquants, voire des criminels. Je rappelle également que c’est le juge qui décide si une prolongation de la rétention est justifiée. Notre système est des plus protecteurs en matière de libertés individuelles, puisque la personne doit être présentée au juge tous les 30 jours.
Madame Bergantz, monsieur Caure et monsieur Albertini, j’ai bien entendu vos réflexions concernant le périmètre de l’article 1er. Je me suis également interrogé : il faut éviter une censure du texte. Le juge constitutionnel appréciera sa nécessité et sa proportionnalité en prenant en considération, d’une part, les difficultés à obtenir des laissez-passer consulaires pour certaines expulsions et, d’autre part, le respect des libertés individuelles. Je propose une brève suspension pour essayer de trouver une rédaction qui pourrait faire consensus tout en maintenant un élargissement du champ actuel.
M. le président Florent Boudié. Je vous accorde une rapide suspension.
La réunion est suspendue de dix heures à dix heures quinze.
Article 1er (art. L. 742-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Extension du régime dérogatoire de rétention administrative prolongée aux étrangers condamnés pour certaines infractions graves
Amendements de suppression CL11 de Mme Céline Hervieu, CL16 de Mme Elsa Faucillon, CL22 de M. Ugo Bernalicis et CL29 de M. Jérémie Iordanoff
Mme Elsa Faucillon (GDR). En ne cessant d’allonger la durée de rétention bien que cela n’ait pas de conséquence sur l’effectivité des expulsions, vous détournez les centres de rétention administrative de leur objet légal. Chaque fois que j’ai demandé, en visitant ces centres, quel était le délai moyen d’expulsion, j’ai vu que celui-ci ne bougeait pas. Même s’il n’existe pas d’étude d’impact, je pense que vous avez les chiffres : seules augmentent la durée de rétention et les difficultés dans lesquelles sont plongés les personnes retenues et les agents des centres de rétention. Le bloc central croit s’en tirer à bon compte en expliquant qu’il ne s’agit d’allonger la durée de détention que pour les très méchants, mais c’est bien un détournement de la rétention administrative que la proposition de loi organise en réalité. Vous avez constaté que les lois successivement adoptées pour allonger la durée de rétention ne permettaient pas de lever les blocages en matière d’expulsion. Pourquoi donc continuez-vous sur cette lancée ? Vous savez que ce texte ne produira pas les effets que vous souhaitez.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Oui, pourquoi proposez-vous d’augmenter la durée de rétention alors que vous savez pertinemment, études à l’appui, que cela n’a aucun impact sur le nombre d’expulsions, dont la hausse est l’objectif affiché ? Première hypothèse : la démagogie ; même si la mesure est inefficace, on la propose pour flatter une partie de l’électorat en montrant qu’on ne veut pas des étrangers, pour donner raison à M. Retailleau, qui dit que l’immigration n’est pas une chance. Deuxième hypothèse : vous aimez faire souffrir les autres. Les centres de rétention administrative n’ont pas été conçus pour qu’on y passe 210 jours. Une durée de 30 jours est déjà traumatisante, y compris pour ceux qui visitent les lieux de privation de liberté – centres de rétention administrative ou prisons. Ces structures sont souvent comparées, à juste titre, mais les centres de rétention administrative n’offrent pas la même qualité de service, si je puis dire, par exemple pour cantiner ou travailler. Une personne condamnée à une courte peine de prison peut avoir accès à un travail, à une scolarité et à des rendez-vous avec des représentants d’institutions. Rien de tout cela n’existe en centre de rétention : on y attend interminablement un hypothétique renvoi dans un autre pays.
Par ailleurs, la définition des troubles à l’ordre public est extrêmement large, en particulier dans la tête de M. Retailleau – un étranger, pour lui, constitue en soi un trouble à l’ordre public, l’immigration n’étant pas une chance à ses yeux, mais un problème dans l’absolu. Ce texte pourrait donc nous mener très loin. Il est même précisé, peut-être un peu sournoisement, que l’apologie du terrorisme fait partie des troubles à l’ordre public. Vu le climat international, on voit bien quel est votre objectif : enfermer dans des centres de rétention des gens qui vous dérangent.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Beaucoup d’arguments ont déjà été développés, et la première hypothèse de notre collègue Bernalicis me paraît convaincante. J’ajoute qu’il est question de maintenir en rétention, jusqu’à 210 jours, des personnes qui peuvent n’avoir été condamnées par aucune juridiction pénale, ce qui semble absurde, notamment quand on sait ce qu’est un centre de rétention administrative. Par ailleurs, la privation de liberté ne peut pas être un instrument de précaution. Sinon, il faudrait enfermer beaucoup de personnes d’une manière indéfinie. Pourquoi s’arrêter à 210 jours ? Ce n’est pas logique. Prévoyez donc deux, trois, quatre ou cinq ans de rétention, voire une durée allant jusqu’à l’expulsion ou l’obtention de la nationalité !
Le dispositif que vous proposez constitue une grave dérive, alors même que la démonstration n’a pas été faite qu’il permettrait de réaliser plus de reconduites par la délivrance de laissez-passer consulaires plus nombreux : c’est de l’affichage. Donnez-nous des chiffres sur ce que le texte permettrait concrètement de faire. Combien de laissez-passer consulaires de plus seraient délivrés ? Avez-vous seulement une étude chiffrée à ce sujet ?
Mme Céline Hervieu (SOC). Cette proposition de loi, je l’ai dit, tape au mauvais endroit. Plutôt que de tirer les leçons de la défaillance du système pour améliorer l’effectivité des éloignements dans le cadre d’une réflexion sur les laissez-passer consulaires, comme nous l’avons proposé, ses auteurs ont choisi la voie d’un enfermement prolongé, présenté comme une solution en soi. Je souscris tout à fait à ce qui a été dit précédemment : augmenter la durée de rétention ne constitue en rien une solution aux difficultés rencontrées pour éloigner de manière effective les individus dangereux.
M. Olivier Marleix, rapporteur. Madame Faucillon, les éloignements se heurtent à des obstacles, nous sommes d’accord sur ce point. Mais si la situation ne s’améliore pas, c’est que, alors même que la durée maximale de rétention est passée de 45 à 90 jours en 2018, on n’enferme plus dans les CRA n’importe quel étranger en situation irrégulière, mais uniquement ceux dont les profils présentent un caractère de dangerosité et qui ont fait l’objet d’une condamnation pénale : des gens qui sortent de prison, notamment ; or il est plus compliqué de les expulser.
M. Bernalicis a dit que la rétention était interminable, mais pourquoi en arrive-t-on là ? C’est interminable quand des personnes font obstacle à leur expulsion en détruisant leurs papiers d’identité pour qu’on ne puisse pas les identifier et savoir vers quel pays les renvoyer. Un laissez-passer consulaire n’est nécessaire qu’en l’absence de certitude sur la nationalité des gens. Quand on a leurs papiers et qu’on est certain de leur nationalité, le pays concerné est obligé de les réadmettre, la plupart du temps sans discuter. Je ne sais pas si la procédure est vraiment aussi interminable que l’affirme M. Bernalicis, mais elle est en tout cas la conséquence d’une démarche choisie pour faire obstacle à une expulsion. Par ailleurs, je redis que depuis la circulaire de Gérald Darmanin du 3 août 2022, on ne place plus en rétention que des gens dangereux.
Monsieur Iordanoff, je vous invite à lire mon projet de rapport. Il comporte quelques chiffres assez intéressants – tout cela est parfaitement documenté. Il est vrai que nous n’avons pas d’étude d’impact sur ce que deviendrait la délivrance des laissez-passer consulaires, ni sur la manière de l’améliorer, mais cela ne dépend pas de nous, et si malheureusement la moitié ne sont pas délivrés dans le délai de 90 jours, ce n’est pas la faute de l’administration française, à quelques exceptions près, peut-être. Nous avons besoin d’un délai plus long car 61 % des étrangers dangereux qui sont placés en CRA sont remis en liberté : ils sortent avant qu’on obtienne un laissez-passer consulaire, ce qui expose nos concitoyens à un risque avéré.
Enfin, ayons tous en tête que c’est le juge qui décidera, y compris pour le caractère suspensif de l’appel formé par le ministère public, dont nous allons discuter – c’est le premier président de la cour d’appel qui se prononcera en la matière. La prolongation de la rétention, par périodes de 30 jours, ne relèvera pas d’une décision arbitraire du préfet, ni de lettres de cachet de M. Retailleau.
Par conséquent, avis défavorable à ces amendements de suppression.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Monsieur le rapporteur, vous avez dit qu’il n’y avait pas d’étude d’impact sur ce que pourrait être l’évolution de la délivrance des laissez-passer consulaires. C’est pourtant un élément central : quand on place quelqu’un en centre de rétention, la motivation première, avant même la question du risque que peut poser la personne, c’est qu’il existe une perspective raisonnable d’éloignement. Vous dites que vous ne savez pas si on pourra mieux expulser demain, mais qu’il faut quand même allonger la durée de rétention.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Quand je regarde cette proposition d’allonger la durée du placement en centre de rétention administrative, qui est possible sans la moindre décision de justice, je me demande si, au fond, vous aimez la France. Notre drapeau tricolore est né d’une révolution qui a commencé par la prise de la Bastille, où le roi pouvait placer des gens par lettre de cachet. Une simple décision administrative permettait ainsi de mettre des gens en prison, sans aucune raison. Vous en avez trouvé une : il faut que la personne soit étrangère. Cela s’appelle de la xénophobie.
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle-même issue de la Révolution, dit dès son article 1er que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » et que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Vous y ajoutez « sauf les étrangers », qu’on peut mettre en prison pour un oui ou pour un non, pour faire plaisir au préfet, aux policiers, à n’importe qui, sauf à ceux qui tiennent au respect du droit et de la justice.
Vous construisez un monde dans lequel les étrangers sont dangereux. Mais combien d’entre nous ont des parents, des grands-parents ou des arrière-grands-parents immigrés ? C’est mon cas, et je ne sais pas si mes arrière-grands-parents sont arrivés légalement sur le sol de la République. Quand sont venus les républicains espagnols, qui n’étaient pas dangereux – ils fuyaient simplement des fascistes –, ils ont été placés dans un immense camp de concentration à Argelès-sur-Mer. Vous l’avez oublié, mais chaque fois qu’on déshumanise des personnes en raison de leur statut migratoire, au bout du compte, comme l’a très bien dit Aimé Césaire, de graves dangers peuvent planer sur les principes républicains.
M. le président Florent Boudié. Si je peux me permettre d’apporter une précision, lorsqu’il est question de prolonger la durée de rétention au-delà de 90 jours, cela ne concerne en aucune manière des étrangers qui seraient simplement en situation irrégulière sur le territoire national. Il s’agit, notamment lorsque le texte évoque une menace d’une particulière gravité, d’individus qui présentent un danger pour l’ordre public. Par ailleurs, certains amendements que nous sommes plusieurs à avoir déposés ne parlent pas du tout des catégories d’individus que vous citez.
Mme Anne Bergantz (Dem). Étendre à 210 jours la durée de rétention de personnes d’une particulière dangerosité ne signifie pas que ces étrangers seront obligatoirement retenus pendant une telle durée. Cela permet simplement de se donner, parfois, les quelques jours qui manquent avant une expulsion. Par ailleurs, il s’agit de personnes qui ont commis des actes très graves, pas seulement qui sont en situation irrégulière. Il ne me semble pas illégitime de maximiser les possibilités d’éloignement pour de tels profils. Ce ne sera sans doute pas l’alpha et l’oméga de l’éloignement, mais plutôt une possibilité supplémentaire. Le groupe des Démocrates s’opposera à la suppression de cette mesure.
M. Ludovic Mendes (EPR). Il s’agit d’un sujet un peu compliqué et notre collègue Léaument, que j’apprécie et avec qui j’adore travailler, a malheureusement tout mélangé. Il est ici question de décisions prises par le juge des libertés et de la détention, jusqu’à huit fois de suite, appels compris, et qui concernent majoritairement des personnes sortant de prison, en situation irrégulière et correspondant, si vous votez nos amendements, au haut du spectre en matière de danger public. Nous proposons de réécrire l’article 1er – nous comprenons qu’il puisse poser un problème du point de vue politique – et non de le supprimer.
Nous avons allongé en 2018 et 2023 les durées de rétention de personnes dangereuses pour la société qui n’obtiennent pas de laissez-passer consulaires. Le message que nous souhaitons faire passer n’est pas qu’il faut aller jusqu’à 18 mois de rétention, ainsi que le permet la directive « retour » de l’Union européenne et comme le font l’Allemagne et d’autres pays proches, comme le Danemark. Il s’agit plutôt de s’adapter : on sait qu’on peut obtenir des laissez-passer consulaires grâce à la pression exercée en maintenant les personnes dans des centres de rétention administrative.
Il est tout à notre honneur de nous demander s’il faut mélanger, en les traitant de la même façon, l’ensemble des personnes en situation irrégulière qui font l’objet d’une OQTF. La réponse est négative : nous avons retiré des CRA les familles, et les personnes qui ne sont pas dangereuses sont accompagnées par les préfets. Celles qui sont dangereuses, qui peuvent commettre des crimes ou être liées à des violences et à des troubles importants à l’ordre public, relèvent en revanche d’une logique de sécurité publique, une sécurité que les centres de rétention administrative peuvent apporter jusqu’à l’obtention des laissez-passer consulaires. Nous vous demandons donc de ne pas soutenir les amendements de suppression, mais ceux de réécriture qui suivent.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Vous nous dites, s’agissant de personnes qui ont commis certains actes et sont très méchantes, sans être des terroristes – eux, ce sont les très très méchants –, que nous ne pouvons pas nous opposer à l’idée qu’il faudrait les garder plus longtemps en rétention administrative, jusqu’à leur expulsion. Mais si on n’a pas réussi à les expulser en 90 jours, on ne le fera pas en 210 jours. Vous avez fait usage d’un sophisme, monsieur le rapporteur, mais je ne vous en veux pas – nous sommes un certain nombre à faire de même. La réalité des chiffres, ce n’est pas que 50 % des laissez-passer consulaires ne sont pas délivrés faute de temps, mais que 50 % des laissez-passer consulaires sont obtenus dans le délai actuel. Vous faites semblant de penser qu’un allongement des délais permettrait d’aller au-delà de 50 %, ce qui a conduit mon collègue Jérémie Iordanoff à vous suggérer, de façon piquante, de ne pas prévoir de délai mais de permettre d’attendre jusqu’à l’obtention d’un laissez-passer consulaire.
On déroge ici largement au principe selon lequel un être humain est avant tout libre, l’enfermement n’étant qu’une exception encadrée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Vous dites qu’un juge se prononcera. On peut espérer qu’il ne décidera pas d’aller au-delà de 90 jours si la personne n’a pas encore été expulsée dans ce délai. Mais, dans ce cas, le dispositif que vous proposez sera inopérant. Et si le juge se prononce dans l’autre sens, alors les problèmes qui ont été évoqués précédemment se poseront. Par ailleurs, la décision initiale de placer une personne en centre de rétention et la demande de l’y maintenir sont des actes administratifs, qui n’ont rien à voir avec une enquête de police judiciaire ou un procès équitable, reposant sur des éléments de preuve et le droit de la défense. Vous êtes en train de semer la confusion dans l’esprit des gens en partant du principe qu’un étranger constitue en soi un trouble à l’ordre public.
M. Ian Boucard (DR). Des propos insupportables sont tenus : depuis tout à l’heure, l’extrême gauche fait un amalgame horrible entre les étrangers et les délinquants. Je vous livrerai, à mon tour, une hypothèse. Certains n’ont probablement pas lu la proposition de loi, ni l’amendement du rapporteur. Ils laissent en effet penser que n’importe quel étranger sous le coup d’une OQTF entrerait dans le champ du texte, alors que ce n’est pas du tout le cas. Il est question d’étrangers dangereux, faisant l’objet d’une interdiction de se trouver sur le territoire français parce qu’ils ont commis des actes très graves, pour lesquels ils ont été condamnés à plus de 5 ans de prison. Vous laissez entendre que tous les étrangers sont visés. Or nous ne faisons pas de confusion – je tiens à le dire au nom de mon groupe et de la majeure partie des collègues ici présents – entre un étranger qui n’aurait pas le droit de se trouver sur notre sol et un étranger qui mettrait en péril la sécurité de la France et des Français. Nous parlons de délinquants et de criminels, de personnes dangereuses à l’encontre desquelles a été prononcée une obligation de quitter le territoire français.
M. Bernalicis a déclaré qu’il vaudrait mieux, à ce compte-là, ne pas prévoir de limite avant l’obtention du laissez-passer consulaire. Je suis d’accord avec notre collègue. S’il avait déposé un tel amendement, je l’aurais voté avec plaisir, parce que je n’ai pas de pudeurs de gazelle, comme on dit chez vous, quand il est question de personnes dangereuses : je préfère les savoir enfermées qu’en train de traîner dans la rue et de menacer la sécurité de la France et des Français.
Une collègue a dit en aparté : « nous, on aime tout le monde ». Je suis désolé, mais quand une personne qui n’a pas le droit d’être sur notre territoire est dangereuse, constitue une menace pour la sécurité des citoyens français, j’estime que notre rôle en tant que législateur n’est pas de l’aimer, mais de protéger la France et les Français. J’invite tout le monde à aimer d’abord ceux que nous représentons.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Le raisonnement selon lequel il faut faire une distinction entre les gens en fonction de leur degré de dangerosité ne s’applique qu’aux personnes étrangères. Si vous étiez parfaitement cohérents, vous iriez jusqu’au bout : vous diriez que toute personne dangereuse doit être placée dans un centre de rétention sur la base d’une décision administrative. Le problème est que vous considérez qu’il est possible, parce qu’une personne est étrangère, d’adopter à son égard un comportement antirépublicain. Je suis républicain jusqu’au fond du cœur : je considère qu’un étranger qui ne respecte pas la loi doit être puni par la justice de notre pays. Si jamais cet étranger a enfreint la loi d’une manière qui conduit à l’envoyer en prison ou à lui faire payer une amende, je ne dis pas, comme vous, qu’il faut lui payer un billet d’avion pour l’envoyer je ne sais où. Je suis pour que cette personne paie son amende ou aille en prison, si l’on considère que c’est un moyen efficace d’éviter la récidive.
Vous avez dit, monsieur le président, que vous faisiez une différence en fonction du degré de dangerosité, mais qui décide de la dangerosité ? L’autorité administrative. Je suis pour que cette décision relève de la justice, conformément à la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, qui est au cœur de la République française.
M. le président Florent Boudié. Si une personne a été condamnée pour viol aggravé et que le préfet, sur cette base, la place en rétention, c’est bien d’une décision de justice qu’il est question à l’origine.
M. Olivier Marleix, rapporteur. Comme je suis un incorrigible optimiste, je ne désespère pas que M. Léaument et M. Bernalicis entendent raison. L’autorité administrative qui décidera d’un placement en rétention le fera sur la base d’une décision de justice – la personne a fait l’objet d’une condamnation –, pour une durée de seulement 4 jours. Au-delà, c’est un juge qui décidera. Nous respectons parfaitement le principe de séparation des pouvoirs.
La commission rejette les amendements.
Amendements identiques CL51 de M. Florent Boudié, CL48 de M. Vincent Caure, CL49 de Mme Anne Bergantz et CL50 de Mme Agnès Firmin Le Bodo, amendement CL54 de M. Olivier Marleix (discussion commune)
M. le président Florent Boudié. Je retire mon amendement au profit de celui de M. le rapporteur.
M. Vincent Caure (EPR). L’amendement CL48 est également retiré.
Mme Anne Bergantz (Dem). Ainsi que l’amendement CL49.
M. Xavier Albertini (HOR). Et l’amendement CL50.
M. Olivier Marleix, rapporteur. À la suite de la discussion générale, je propose une rédaction, inspirée du texte initial de la proposition de loi, selon laquelle l’article concerne trois catégories de personnes : celles ayant fait l’objet d’une peine d’interdiction du territoire français ; celles ayant fait l’objet d’une décision d’éloignement et d’une condamnation définitive pour certains crimes et délits, suivant la liste qui figure dans les amendements déposés par le président de notre commission et un certain nombre de groupes, à laquelle sont ajoutés les crimes contre l’humanité et contre l’espèce humaine, les crimes et délits de trafic de stupéfiants, le crime de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage, le crime d’enlèvement et de séquestration, le crime de traite des êtres humains, les crimes d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ainsi que les crimes et délits d’association de malfaiteurs et de concours à une organisation criminelle ; les étrangers présentant une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). D’une manière générale, notre logique n’est pas de négocier le poids des chaînes : quand des mesures sont mauvaises, nous nous opposons à toute modification visant à simplement les atténuer puisque nous en sommes en désaccord avec elles sur le fond.
J’aimerais néanmoins savoir quelle serait la position des groupes EPR et Modem si l’amendement du rapporteur n’était pas adopté. Voteriez-vous pour ou contre l’article 1er dans sa rédaction actuelle ? Notre vote en dépendra : cela vous amènera peut-être à voir que le fond même de cet article est mauvais. Vous êtes en train de négocier des dispositions un peu moins graves, mais peut-être pourriez-vous vous rendre compte, si vous étiez placés face à vos responsabilités, que vous avez en réalité à choisir entre des mesures qui ne respectent pas les valeurs de la République et une position qui les respecte, le rejet de ce texte.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). La rédaction proposée est moins grave que la version initiale. Elle me pose néanmoins un problème, dans la mesure où la contradiction avec la fonction normale d’un CRA demeure. Le critère est celui de la dangerosité des personnes – le dernier alinéa donne d’ailleurs une définition très large des personnes pouvant être retenues plus longtemps en CRA –, ce qui reste très problématique. De plus, vous n’avez pas démontré que ce dispositif permettra d’éloigner les personnes en obtenant des laissez-passer consulaires. Même ainsi amendé, le texte aggraverait la situation actuelle. Notre groupe s’abstiendra.
Mme Céline Hervieu (SOC). Le groupe Socialistes et apparentés a beaucoup réfléchi, sans dogmatisme ni naïveté – la démagogie dont parlait M. Taverne est clairement du côté du Rassemblement national. Vous essayez d’atténuer la liste des délits, mais, je le redis, vous ne répondez pas sur le fond. N’utiliserait-on pas la durée de détention, d’emprisonnement, pour, au niveau diplomatique, travailler à obtenir les laissez-passer consulaires ? Certaines personnes sont emprisonnées pendant des mois, des années ; les garder pendant 40 jours de plus dans un centre de rétention administrative ne changera rien. Plus que la question de la dangerosité, il faut poser – le drame du meurtre de Philippine l’a montré – celle de l’effectivité. Évidemment, nous nous abstiendrons. Je regrette que les auteurs du texte aient fait alliance avec les macronistes, qui, étant attachés au bon sens, au pragmatisme et à l’effectivité de ce qu’ils votent, devraient s’opposer à une démarche aussi inefficace.
M. le président Florent Boudié. Un mot sur les expulsions postérieures aux détentions. Nous avons ce débat depuis plusieurs années. La procédure a été rendue à ce point plus opérationnelle qu’au premier trimestre 2025, 30 % de détenus de nationalité étrangère supplémentaires – 450 individus – ont pu être expulsés. Même si ce n’est pas facile, les efforts nécessaires sont faits. Dans certaines situations, c’est la rétention qui permet la négociation, la discussion, voire le rapport de force, avec les autorités consulaires.
M. Ludovic Mendes (EPR). Ne confondons pas détention et rétention. Les personnes qui sortent de détention sont plus facilement expulsables, grâce d’ailleurs aux précédentes lois, que vous avez contestées. Par ces réformes, nous voulions justement éviter d’avoir ce genre de débat ; malheureusement, cela ne suffit pas. Comment peut-on être contre un amendement qui encadre la rétention administrative de personnes d’une dangerosité telle qu’elle nourrit les faits divers qui font élire le Rassemblement national ?
Vincent Caure l’a dit, nous sommes contre l’article 1er ; c’est la raison pour laquelle nous demandons à le réécrire. La proposition fait référence au crime organisé, aux crimes contre l’humanité, à la traite humaine, aux personnes qui n’ont pas vocation à être sur le territoire national : comment pouvez-vous vous y opposer ? Devons-nous laisser dans la nature des personnes qui n’ont rien à faire sur le territoire national parce qu’elles font l’objet d’une obligation de quitter le territoire français et qu’en plus elles sont dangereuses et peuvent créer des troubles graves à l’ordre public ? La réponse est non. Tout le monde, me semble-t-il, est d’accord sur ce point. Le centre de rétention est fait pour cela. Depuis 2017, nous avons pris des mesures que même les socialistes n’avaient pas adoptées : nous avons retiré les familles et les mineurs des centres de rétention et nous y avons placé les personnes qui doivent quitter le territoire national en raison de leur dangerosité ou parce qu’elles se sont vues notifier plusieurs OQTF. Il y a un trou dans la raquette : certains pays – l’Algérie ou d’autres – profitent d’un délai de rétention insuffisant pour mettre la pression sur la France. Nous avons besoin de moyens complémentaires. Nous parlons d’une minorité de personnes, mais qui est en train de faire basculer la majorité des Français. Il faut apporter des réponses et voter pour cet amendement.
M. Michaël Taverne (RN). Nous avons été mis en cause par le groupe socialiste, qui parle de démagogie. En Europe, je le rappelle, des gouvernements de gauche ont une politique bien plus drastique en termes d’immigration : ils sont beaucoup plus connectés à la réalité que vous. Au Danemark, sous un gouvernement de gauche, la rétention est à durée illimitée ; il existe un contrôle les frontières et les pompes aspirantes que sont les aides sociales sont supprimées. Il s’agit d’une véritable politique de gauche. Nous n’avons donc pas leçon à recevoir.
Les faits divers seraient le réacteur du Rassemblement national ? Je rappelle que 85 % des Français sont pour l’expulsion des délinquants étrangers. M. Mendes, lui, veut dépénaliser et légaliser la cocaïne !
M. Ludovic Mendes (EPR). Mensonge !
M. Michaël Taverne (RN). Jusqu’à trois grammes ; c’est dans le fameux rapport que vous avez rédigé avec M. Léaument.
En matière de politique migratoire, nous sommes beaucoup plus réalistes que vous et, surtout, beaucoup plus connectés à ce que veulent les Français.
Les amendements CL51, CL48, CL49 et CL50 sont retirés.
La commission adopte l’amendement CL54.
En conséquence, l’amendement CL2 de M. Michaël Taverne tombe.
La commission adopte l’article 1er modifié.
Article 2 (art. L. 743-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) : Caractère suspensif de l’appel interjeté contre une décision mettant fin à la rétention administrative
Amendements de suppression CL12 de Mme Céline Hervieu, CL17 de Mme Elsa Faucillon, CL23 de M. Ugo Bernalicis et CL34 de M. Jérémie Iordanoff
Mme Céline Hervieu (SOC). L’article 2 étend l’effet suspensif en cas d’appel interjeté par le préfet contre une décision du juge des libertés et de la détention. Cet effet suspensif s’oppose à la décision – pourtant motivée – du juge. Nous sommes donc opposés à cet article.
Mme Elsa Faucillon (GDR). L’extension des pouvoirs du préfet pourrait conduire à une utilisation abusive de la rétention administrative, transformant celle-ci en un outil de gestion de la politique sécuritaire au lieu d’un moyen de garantir l’exécution des mesures d’éloignement.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Monsieur le président, vous avez parlé de la décision du magistrat, mais sur quoi se prononce-t-il ? On a voulu nous faire croire que seuls les gens déjà condamnés pour des crimes graves étaient concernés. Or ce cas de figure est déjà couvert par les lois existantes – Ludovic Mendes vient de se vanter d’avoir modifié le cadre en vigueur, même si le précédent permettait déjà de procéder à ce genre d’expulsion. La nouveauté est donc l’élargissement du périmètre au trouble à l’ordre public. Or, compte tenu du délai imparti, le juge ne vérifiera pas celui-ci sur le fond mais se fiera à ce que lui communique l’autorité administrative et appliquera la loi. Si l’autorité administrative lui signale l’existence d’un trouble à l’ordre public, même si les éléments qui l’étayent sont faibles, la personne sera maintenue en rétention sur la base de cette décision administrative. En plus, un pouvoir supplémentaire lui est donné par le fait que l’appel ne sera pas suspensif de la décision : la personne sera maintenue en rétention.
À ce rythme, vous allez bientôt aussi nous expliquer qu’au bout de 210 jours, ces gens coûteront cher à la société et qu’il faudrait les faire contribuer à leur mise en rétention. On vous voit venir ! Il est insupportable de confier une nouvelle fois autant de pouvoir à l’autorité administrative. Même s’il y aura un contrôle du juge judiciaire, avec ce texte, il sera hyper-restreint ; le juge ne pourra pas jouer son rôle de garant des libertés individuelles, mais servira de faire-valoir d’une décision administrative. On pourrait même dire que c’est du blanchiment judiciaire de procédure administrative.
M. le président Florent Boudié. Le simple trouble à l’ordre public ne permet pas la prolongation de la rétention au-delà de 90 jours, c’est absolument faux. À l’heure actuelle, pour la deuxième prolongation, les simples menaces à l’ordre public suffisent. Pour la prolongation que nous venons d’évoquer – au-delà de 90 jours –, il s’agira des menaces d’une particulière gravité. Un exemple : la cour d’appel de Paris a estimé il y a quelques semaines que le fait d’avoir été condamné pour usage illégal de la licence de taxi, avec infraction routière associée, ne justifie pas la prolongation au-delà de 90 jours. La menace d’une particulière gravité à l’ordre public est une notion très précise, définie notamment par le juge administratif. C’est de cela qu’il s’agit dans ce que nous venons de voter, non de simple trouble à l’ordre public.
Amendement CL34 de M. Jérémie Iordanoff
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Comme mon collègue Bernalicis, je pense que cette affaire va finir par nous coûter cher – mais cet argument est aussi avancé par le Rassemblement national. Je reviens sur votre comparaison avec d’autres pays européens s’agissant du temps de rétention. Vous n’allez pas au bout de cette comparaison, la France ayant prononcé 128 250 OQTF en 2024, contre seulement 57 075 pour l’Allemagne. Peut-être faut-il prononcer moins d’OQTF et enfermer moins dans les centres de rétention administrative, où l’on ne mettrait que les personnes dont on sait qu’elles pourront être éloignées.
Lors de l’examen de l’article 1er vous vous êtes à maintes reprises référé à la décision du juge : respectez-la, plutôt que de faire prévaloir une décision administrative sur une décision judiciaire ! N’y a-t-il pas là une atteinte à la séparation des pouvoirs ? Je trouve problématique de revenir sur la décision du juge par un acte administratif. Compte tenu de la rédaction de l’article 2, le nombre de personnes concernées sera très supérieur à ce qu’il est aujourd’hui : il n’est absolument pas raisonnable que cela soit entre les mains du pouvoir exécutif, de l’administration, du préfet. La liberté individuelle, ce n’est pas un petit sujet.
M. Olivier Marleix, rapporteur. Avis défavorable. L’article 2 permet d’éviter de remettre en liberté un étranger qui représente une menace grave pour la sécurité et l’ordre publics, le temps qu’il soit statué sur l’appel formé par le ministère public contre l’ordonnance mettant fin à sa rétention. Le juge doit se prononcer dans un délai maximum de soixante-douze heures. Le dispositif est donc relativement équilibré et proportionné.
Comme le président l’a très justement fait observer, plutôt que de « trouble à l’ordre public », il faut parler, comme cela est parfaitement défini par la jurisprudence, de « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » ; je n’y reviens pas.
Monsieur Iordanoff, je vous invite à regarder de près ce que font les Allemands en matière d’expulsion. Depuis l’affaire des agressions sexuelles du nouvel an 2016, ils ont totalement réécrit leur législation sur l’expulsion des étrangers. Désormais, ils retirent le titre de séjour et expulsent directement ; les recours se font depuis l’étranger. Nous avons donc un système infiniment plus protecteur.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous sommes au cœur du sujet que j’évoquais : une décision administrative ne saurait avoir valeur de décision de justice. Là, c’est encore pire : une décision de justice intervient, mais vous considérez que l’autorité administrative – l’exécutif – est supérieure au pouvoir judiciaire. Il s’agit d’une violation totale du principe de la séparation des pouvoirs – cela me semble d’ailleurs être inconstitutionnel.
Dans le jardin des Quatre-Colonnes, un gars – Montesquieu – est là pour nous rappeler justement que, nous, pouvoir législatif, sommes là pour contester le pouvoir exécutif. Ce qui tient le mur derrière la présidence de l’Assemblée nationale, c’est une œuvre représentant le moment du 23 juin 1789, où les députés affrontent le pouvoir monarchique : « Nous sommes ici par la volonté du peuple et n’en sortirons que par la puissance des baïonnettes. » Vous, députés, vous apprêtez à voter que le pouvoir exécutif est supérieur au pouvoir judiciaire, dont vous êtes censés assurer l’indépendance. Ce qui est en train de se passer est littéralement honteux.
Cela me met hors de moi que nous soyons autant éloignés des principes que nous sommes censés défendre ! Ils devraient pourtant nous rassembler tous, à part le Rassemblement national, qui ne défend pas ces valeurs. Le cadre républicain implique que l’on s’oppose à ce que vous êtes en train de faire. Vous devez voter avec nous ces amendements de suppression, si toutefois les mots prononcés avec véhémence – la République, liberté, égalité, fraternité – ont un tant soit peu de sens pour vous, de même que le nom – Les Républicains – de votre parti politique.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL36 rectifié de M. Olivier Marleix
M. Olivier Marleix, rapporteur. Cet amendement de coordination vise à faire coïncider les dispositions de l’article 2 avec la nouvelle rédaction de l’article 1er.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Même reformulé, l’article 2 fait référence à une « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Vous nous avez éclairés, monsieur le président, sur la notion de « particulière gravité », qui va au-delà d’un simple trouble à l’ordre public, considérant que mes propos concernant le périmètre potentiel étaient abusifs.
M. le président Florent Boudié. Vous avez parlé de sophisme.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). C’était à un autre moment, mais j’aime beaucoup ces discussions argumentées : vous donnez, monsieur le président, de l’eau à mon moulin. Vous m’avez indiqué qu’une personne ayant pratiqué la profession de chauffeur de taxi sans en avoir le droit, qui n’a pas été considérée comme une menace d’une particulière gravité, a néanmoins été enfermée par l’autorité administrative : un contentieux en a découlé. Dans l’intervalle de cette belle discussion juridique, ce qui a primé n’est pas la liberté, mais l’enfermement. Ce texte incite à aller dans ce sens.
En l’absence de liste énumérant les cas possibles, un préfet un peu zélé pourra, demain, mettre quelqu’un en rétention : on verra bien ce que la justice décidera ! Le fait que des préfets fassent volontairement usage de leurs prérogatives, en sachant pertinemment que leur décision sera finalement cassée par la juridiction administrative ou judiciaire n’est d’ailleurs pas qu’une hypothèse. Combien de manifestations en soutien à la Palestine ont-elles été interdites, dans un département dont je ne donnerai pas le nom, pour être ensuite systématiquement cassées par le tribunal administratif ? Cela n’a jamais empêché le préfet de reposer la même interdiction la semaine suivante. Il y a donc bien une différence, y compris de nature, selon que l’initiative est celle de l’exécutif ou du pouvoir judiciaire.
Sont en cause la liberté et des êtres humains, quelle que soit leur nationalité. C’est pourquoi nous devons prendre toutes ces précautions, consubstantielles à notre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – le fondement de notre République, qui fait notre grandeur à travers le monde, en tant que Françaises et Français. Je persiste à le dire, on donne des prérogatives élargies à l’autorité administrative pour enfermer des gens.
La commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’article est ainsi rédigé et l’amendement CL3 de M. Michaël Taverne tombe.
Après l’article 2
Amendement CL52 de M. Olivier Marleix
M. Olivier Marleix, rapporteur. L’objectif est de répondre à ceux qui nous demandent d’être plus efficaces, de façon que les gens ne s’éternisent pas en CRA. Le principal obstacle à la reconduite à la frontière est lié aux gens qui empêchent leur identification, en détruisant eux-mêmes leurs papiers d’identité ou en refusant leur prise d’empreintes. Ainsi, ils ont parfois séjourné dans plusieurs centres de rétention administrative, sous de fausses identités, avec des noms différents. Ils peuvent actuellement refuser de se soumettre au relevé de leurs empreintes.
Avec cet amendement je propose donc que la prise d’empreintes puisse se faire sans leur consentement. Cette proposition est conforme aux exigences du Conseil constitutionnel, qui avait censuré des dispositions similaires dans la loi « immigration » de 2024. Il prévoit la présence de l’avocat de l’étranger et l’autorisation du procureur de la République ; cette prise d’empreintes ne peut avoir lieu que si cette opération constitue l’unique moyen permettant l’identification de l’étranger. Il permettra de faciliter les éloignements.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je ne sais pas comment faire pour vous alerter sur un point, et plus généralement sur une pente prise par notre société. Cette pente, c’est celle de la déshumanisation. La mise en place de mesures toujours plus autoritaires et plus dures implique, au préalable, un processus de déshumanisation, qui touche aujourd’hui des étrangers, pour le seul motif qu’ils sont étrangers, mais aussi des Français. En témoigne l’opération mise place par M. Retailleau – une rafle, il n’y a pas d’autre mot –, qui a pour objectif d’essayer d’attraper des personnes étrangères dans les gares. Sur quelle base ?
M. Philippe Gosselin (DR). Vous banalisez le terme de « rafle » !
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). C’est vous qui, peu à peu, banalisez la déshumanisation. Quelle est la réalité ? On demande leurs papiers à des personnes en raison de leur couleur de peau. Une étude est encore parue hier sur ce point. Peut-être savons-nous cela parce que nous sommes plus en lien avec les habitants des quartiers populaires. Dans ma circonscription, ils me font ce genre de retour. Il m’arrive de voir le parent d’un enfant en couple avec une personne étrangère s’être fait arrêter. C’est l’amour qui est mis en cause – on en parlera sans doute sur la question des mariages, que vous voulez, encore une fois, empêcher. Je vous alerte fortement sur la pente qui est prise – celle d’une déshumanisation d’une partie des gens –, par des décisions successives, avec des médias qui vous y invitent sans arrêt.
Mme Céline Hervieu (SOC). Je m’étonne que cet amendement ait été déclaré recevable, contrairement à d’autres que j’ai déposés, sur la fragilité psychique des personnes qui sont en centre de rétention, proposant que l’on puisse aussi bénéficier – puisqu’il y a déjà un droit à demander l’assistance d’un médecin – d’une consultation avec un psychologue. Lorsqu’une personne est en centre de rétention, exilée, dans des conditions difficiles, que la durée de sa rétention est prolongée, cela a des conséquences sur sa situation psychologique.
Je ne comprends pas comment on peut proposer un amendement qui vise à prendre une empreinte de force – il faut imaginer la scène : on va forcer quelqu’un qui refuse –, alors que nous parlons de personnes déjà en situation de fragilité. Peu importe que l’avocat soit présent ou pas, c’est une violence inouïe pour la personne qui le subira. De plus, des agents vont être contraints d’y procéder : c’est une violence pour eux aussi.
Je ne comprends vraiment pas comment des amendements contraires à nos principes constitutionnels sont jugés recevables, alors que tel n’est pas le cas de ceux qui permettent de garantir un soutien psychologique. Un exilé sur cinq a des troubles psychiques très graves. Il s’agit souvent de personnes polytraumatisées : on ne leur permet même pas d’être accompagnées par un psychologue.
M. le président Florent Boudié. Vous remettez en cause mes décisions concernant l’article 45 de la Constitution. Au titre de cet article, je n’ai pas à juger de la constitutionnalité des amendements – sinon, toute saisine du Conseil constitutionnel par soixante députés ou sénateurs serait superfétatoire. Je dois m’attacher à ce que les amendements aient un lien, au moins indirect, avec le texte. Or, même si vous avez raison d’en souligner l’importance, la santé psychologique, la fragilité psychologique ou la vulnérabilité des personnes en rétention – sujet sur lequel le législateur est intervenu à plusieurs reprises, en 2018 ou en 2024, s’agissant de la rétention – ne présentent pas de lien avec la catégorie des personnes visées par la proposition de loi : les personnes dangereuses. C’est la raison pour laquelle les dispositions de l’article 45 ont été appliquées, à vos amendements comme à d’autres. Je ne me prononce pas sur le fond de l’amendement CL52 – même si j’ai évidemment mon petit avis –, je dis seulement qu’il présente bien un lien – direct – avec la question du placement en rétention. Si vous souhaitez que j’explicite mes décisions prises au titre de l’article 45, je suis prêt à le faire, y compris par écrit.
M. Patrick Hetzel (DR). Je suis un peu étonné par certains arguments développés contre cet amendement. Tout d’abord, faire en sorte que l’on puisse respecter les droits d’une personne suppose de s’assurer de son identité. Si cela n’est pas possible, comment garantir ses droits ? Vous êtes pris dans vos propres contradictions, monsieur Léaument ! Dans un État de droit, il faut évidemment être sûr de disposer de la bonne identité.
Deuxièmement, vous n’avez manifestement pas lu l’amendement. Il dispose que « le recours à la contrainte est strictement proportionné et tient compte de la vulnérabilité de la personne ». Il y a donc des garanties pour l’État de droit. Arrêtez de pousser des cris d’orfraie : tout cela se fait dans le strict respect des principes des droits de l’homme et des valeurs de la République.
La commission adopte l’amendement. L’article 2 bis est ainsi rédigé.
Article 3 (nouveau) (art. L. 742-4, L. 742-5 et L. 742-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) Modification du séquençage des troisièmes et quatrièmes prolongations de la durée de la rétention administrative
Amendements de suppression CL13 de Mme Céline Hervieu, CL18 de Mme Elsa Faucillon, CL24 de M. Ugo Bernalicis et CL30 de M. Jérémie Iordanoff
Mme Céline Hervieu (SOC). La durée de rétention, c’est-à-dire de privation de la liberté d’aller et venir, a un impact direct sur la santé psychique et psychologique. Je ne comprends donc pas votre précédente intervention.
L’article 3 est destiné à faciliter la vie de l’administration, mais nous parlons ici de celle de personnes qui pourront être enfermées 210 jours dans un centre de rétention qui n’est pas adapté à des durées aussi longues. Pour les mêmes raisons que précédemment, nous demandons donc la suppression de cet article.
Nous avions aussi déposé un amendement visant à garantir l’accès des associations et l’accompagnement assuré par celles-ci, d’autant plus nécessaire que la durée de rétention s’allonge. Je ne comprends pas pourquoi on a considéré que ces amendements n’étaient pas recevables.
M. le président Florent Boudié. C’est moi qui ai pris cette décision parce qu’ils n’ont pas de lien avec le placement en rétention, qui fait l’objet de l’article, mais seulement avec les conséquences de cette rétention. Nous serons saisis, hélas – et le plus tard possible, j’espère –, d’une proposition de loi relative à l’éviction des structures associatives des centres de rétention administrative, adoptée par le Sénat voilà quelques instants. Le 23 septembre, nous organiserons, avec toutes les structures associatives concernées, que j’ai rencontrées la semaine dernière, une table ronde, probablement salle Colbert, pour reparler du travail très important qu’elles réalisent et qui ne me semble pas pouvoir être délégué à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) – mais ce n’est pas le sujet de cette proposition de loi.
Mme Elsa Faucillon (GDR). Mon amendement CL18 vise également à la suppression de cet article qui entend réorganiser la chronologie des prolongations possibles de la rétention pour les rendre de plus en plus dérogatoires. En tant que commissaires aux lois, nous avons tous à cœur d’assurer la solidité de nos grands principes et de l’application de nos droits et libertés fondamentaux. Or je constate que, dès que ces principes s’appliquent à des personnes que, pour des raisons diverses, nous pourrions être tentés d’en exclure, nous procédons par dérogations, en expliquant que ces personnes sont vraiment dangereuses, qu’elles ont commis des actions très graves et qu’elles ne devraient pas être là. En procédant ainsi, on ne touche pas seulement à ces personnes, mais on fragilise aussi nos grands principes.
En tant que législateur et que membres de la commission des lois, au-delà des affects xénophobes ou des aversions envers certains crimes ou délits, il ne s’agit pas de tenir une discussion de café pour juger si tel ou tel est dangereux et si sa place est ici ou là, mais de garantir la solidité de nos grands principes.
Mme Danièle Obono (LFI-NFP). La succession des régimes dérogatoires, qui deviennent la règle en matière de rétention, constitue un renversement complet de la philosophie politique de l’État de droit. D’abord fixée à dix jours en 1993, la durée de cette rétention a été portée, à titre exceptionnel, à 90 jours par la loi de 2018 puis à 210 jours, soit sept mois environ, en matière terroriste.
Avec l’article 3, il s’agit d’étendre cette durée exceptionnelle de 210 jours aux étrangers ayant formulé une demande de protection ou d’asile, ou dont les documents de voyage n’ont pas été délivrés par le consulat, situation à laquelle les personnes retenues ne peuvent rien. Outre la formulation inquisitrice de la condition d’application de ce délai, selon laquelle la personne retenue ferait une demande de protection contre l’éloignement ou une demande d'asile « dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement », nous déplorons tout allongement de la durée de la rétention, et plus encore lorsque le simple fait, pour une personne retenue, de demander l’asile est associé aux mêmes mesures privatives de liberté que pour des activités à caractère terroriste.
Vos amendements, qui s’affranchissent de toute proportionnalité, ne se limitent pas à une catégorie de personnes qui seraient très dangereuses et très méchantes : ils sont profondément xénophobes. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes, depuis le début, battus contre l’extension de ces mesures de rétention – dont le principe même pourrait d’ailleurs être mis en question. Chaque fois, en effet, ce qui est présenté comme exceptionnel et visant une partie du public concerné pour des motifs prétendument d’intérêt général, devient la règle et vise tout le monde.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). À l’article 1er, on a allongé sans raison objective la durée de rétention. À l’article 2, on a permis à une décision administrative de prévaloir sur une décision judiciaire – bravo, très belle avancée ! Avec l’article 3, on va réduire le contrôle exercé par le juge des libertés et de la détention. La pente est dangereuse et il conviendrait de supprimer cet article, que rien ne justifie.
M. Olivier Marleix, rapporteur. Il s’agit ici de porter la durée de rétention de 180 à 210 jours, et nous parlons donc de la toute dernière période. Par comparaison, la directive européenne « retour » autorise, pour des gens non dangereux, une durée de rétention de 540 jours : cela relativise la question.
En deuxième lieu, cette extension de 180 à 210 jours intervient après sept présentations devant le juge des libertés : aucun autre pays de l’Union européenne n’a de telles exigences en la matière, avec des reconductions de la rétention par périodes de 26 à 30 jours, sur présentation devant le juge.
Enfin, cette précaution, qui avait conduit à diviser la durée par période de 15 jours, perd de sa pertinence avec la dernière décision de la Cour de cassation, qui considère notamment que, de manière dérogatoire, dans cette dernière période, la menace doit être appréciée, par le juge sur le fond, au regard de sa continuité et non parce qu’elle aurait été constatée dans une période de 15 jours.
On peut donc, dans cette enveloppe de 210 jours, simplifier la vie des magistrats et des personnels du ministère de l’intérieur mobilisés pour procéder à ces présentations devant le juge. Faites confiance à la justice ! Un juge des libertés qui prolonge sept fois une mesure de rétention ne le fait que pour des gens dont le caractère dangereux est totalement avéré et ne suscite pas de débat.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Cette disposition qui permet de détenir des gens pendant 210 jours est très contraire à l’idée que nous nous faisons de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Vous le justifiez par deux arguments : il s’agit d’étrangers et ils sont particulièrement dangereux. Suivant ce raisonnement, ce régime ne pourrait pas s’appliquer à des Français particulièrement dangereux : il existe donc une différence, fondée sur la xénophobie, c’est-à-dire sur la peur des étrangers, et cette différence est donc contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon laquelle « les hommes » – et non pas : « les Français » – « naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Monsieur Hetzel, ce n’est donc pas moi qui suis en contradiction avec les grands principes, mais vous.
Vous nous dites aussi, comme si c’était une tare, qu’aucun autre pays de l’Union européenne ne permet sept passages devant le juge. Mais c’est une fierté, bon sang ! Cela signifie que la France est plus respectueuse que les autres des droits de l’homme et du citoyen. Encore heureux, puisque c’est nous qui les avons inventés ! Tant mieux, donc, si nous entretenons depuis maintenant un peu plus de 230 ans l’onde de choc de la Révolution française et faisons respecter encore un peu de ces principes, toutefois déjà bien diminués, notamment par la colonisation.
Enfin, vous ne voudriez assurément pas appliquer à vos enfants ou à vos proches tout ce que vous décidez en la matière. Si vous ne le voulez pas pour vous-même ou pour ceux que vous aimez, alors même que vous considéreriez qu’ils pourraient être dangereux pour le reste de la société, vous êtes sur la pente qui mène à la déshumanisation. Or cette pente porte un nom : c’est la xénophobie.
La commission rejette les amendements.
Amendement CL47 de M. Ian Boucard
M. Olivier Marleix, rapporteur. Il convient de retirer cet amendement qui n’est en rien contraignant – on peut en effet espérer que les consulats feront diligence.
L’amendement est retiré.
La commission adopte l’article 3 non modifié.
Après l’article 3
Amendement CL37 de M. Olivier Marleix
M. Olivier Marleix, rapporteur. Cet amendement, dont la rédaction est conforme à la Constitution, vise à réintroduire dans la loi la possibilité, supprimée tout récemment par la décision n° 2025-1140 QPC du 23 mai 2025 du Conseil constitutionnel, de placer en rétention un demandeur d’asile dont le comportement constitue une menace à l'ordre public, n'est pas compatible avec l'assignation à résidence ou présente un risque de fuite.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP). Lorsque vous évoquez un risque de fuite, craignez-vous donc qu’un étranger que vous voulez expulser s’enfuie du pays ? Si cette mesure a été supprimée par le Conseil constitutionnel, c’est parce qu’elle est attentatoire à la constitutionnalité. Une personne ayant formulé une demande d’asile est particulièrement protégée et on ne peut pas, au seul motif d’un trouble à l’ordre public, la placer en centre de rétention. Vous argumentez en affirmant que vous allez préciser les cas de figure et insistez sur le fait que l’appréciation se fera au cas par cas, pour bien montrer que cela ne concernera pas tout le monde. Vous ajoutez des éléments mais, même si le Conseil constitutionnel, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, s’est bien prononcé sur un cas d’espèce, c’est le principe même qui a été censuré et il n’est pas nécessaire de revenir à la charge. De fait, cela aboutira de toute façon à un contentieux car, comme je le disais tout à l’heure, cette personne devra se défendre en démontrant qu’elle ne représente pas une menace actuelle et particulièrement grave mais, dans l’intervalle, elle aura été placée a priori en centre de rétention, ce qui contrevient à nos principes fondamentaux, rappelés par le Conseil constitutionnel dans sa décision sur le cas d’espèce.
La commission adopte l’amendement. L’article 3 bis est ainsi rédigé.
Amendement CL46 de M. Ian Boucard
M. Olivier Marleix, rapporteur. L'article L. 733-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers prévoit déjà cette possibilité de surveillance électronique pour les étrangers condamnés pour des faits de terrorisme. Élargir ce dispositif à d'autres étrangers dangereux me paraît une bonne chose, d'autant que vous l'assortissez de garanties qui me semblent de nature à assurer le respect de la liberté individuelle. Il sera peut-être utile de prévoir en séance quelques ajustements pour préciser la durée totale que peut atteindre cette mesure. Pour l'heure, avis favorable.
La commission adopte l’amendement. L’article 3 ter est ainsi rédigé.
Article 4 (nouveau) (art. L. 341-2, L. 342-1, L. 343-10, L. 352-7, L. 741-1, L. 741-2, L. 741-10, L. 742-1, L. 742-3 et L. 751-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) Décompte des délais de placement initial en rétention administrative et de placement initial en zone d’attente en heures plutôt qu’en jours
Amendements de suppression CL14 de Mme Céline Hervieu, CL19 de Mme Elsa Faucillon, CL25 de M. Ugo Bernalicis et CL31 de M. Jérémie Iordanoff
Mme Céline Hervieu (SOC). L’amendement CL14 vise à supprimer l’article 4, ajouté en séance publique au Sénat pour modifier les règles de computation des délais dans une logique d’allongement de la durée de rétention.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). L’article 4 vise encore à aggraver les mesures pesant sur les personnes étrangères. La seule manière que je vois pour vous amener à revenir sur vos décisions est de faire naître en vous un minimum d’empathie. Toutes les décisions prises dans ce texte reposent sur le fait qu’il existerait, selon vous, une différence fondamentale entre les étrangers et les autres. Diriez-vous que l’on peut appliquer légalement les mêmes mesures administratives à des personnes possédant la citoyenneté française ? Si ce n’est pas le cas, cela signifie que vous considérez que la citoyenneté donne, à elle seule, des droits supérieurs en matière d’humanité. Or, pour nous, il existe une humanité une et universelle, à l’intérieur de laquelle ce qui nous fonde comme Français est notre accès à la citoyenneté, c’est-à-dire le pouvoir de voter et de décider des institutions de notre pays. C’est l’unique différence qui existe si nous sommes des Français cohérents, c’est-à-dire républicains.
Les mesures que vous prenez étant en totale contradiction avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, il nous est impossible de les voter. D’où ce nouvel amendement de suppression.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). L’article 4 remet en cause une interprétation protectrice de la Cour de cassation dans son arrêt du 7 janvier 2025. Ce n’est peut-être pas le pire article de cette proposition de loi mais il va, une fois encore, dans le mauvais sens. Nous ne disposons d’aucune donnée chiffrée sur les améliorations concrètes que pourrait induire cette disposition.
M. Olivier Marleix, rapporteur. L’article vise simplement à préciser la volonté du législateur. Une durée inscrite dans la loi en jours peut se convertir en heures. Il s’agit ici de répondre à une jurisprudence de la Cour de cassation précisant que quatre jours représentent quatre-vingt-seize heures.
La commission rejette les amendements.
Elle adopte l’article 4 non modifié.
Article 5 (nouveau) (art. L. 813-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) Mention obligatoire au procès-verbal de fin de retenue pour vérification du droit au séjour (RVDS) des heures auxquelles la personne a pu s’alimenter
Amendement CL38 de M. Olivier Marleix et sous-amendement CL53 de M. Jérémie Iordanoff
M. Olivier Marleix, rapporteur. L’amendement tend à rétablir et à compléter les dispositions relatives aux mentions obligatoires dans le procès-verbal (PV) de fin de retenue pour vérification du droit au séjour pour y inclure la mention des heures auxquelles l'étranger a pu s'alimenter. Il vise ainsi à rétablir dans son ensemble une phrase abrogée, parallèlement à l’examen du texte au Sénat, par la décision du Conseil constitutionnel n° 2024-1090 QPC du 28 mai 2024.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Le sous-amendement est de précision.
M. Olivier Marleix, rapporteur. Dans son commentaire de sa décision du 28 mai, le Conseil constitutionnel écrit : « D’ailleurs, en fixant le régime applicable à d’autres mesures privatives de liberté comparables, le législateur a non seulement rappelé expressément le droit de la personne privée de liberté de s’alimenter, mais aussi imposé de mentionner les heures auxquelles elle a pu s’alimenter dans un registre spécial (dans le cas du défèrement) ou un procès-verbal (dans le cas de la garde à vue). » Il paraît donc cohérent de prévoir les mêmes obligations dans le cadre de la rétention. Même si la décision du Conseil constitutionnel mentionne « les conditions dans lesquelles l'étranger a pu s’alimenter », la notion de « conditions » que le sous-amendement tend à introduire est floue et serait source à la fois d’insécurité juridique et de difficultés pour les agents chargés d’établir les procès-verbaux.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Je ferai une lecture inverse. Le Conseil constitutionnel visant expressément la notion de « conditions » dans lesquelles l’étranger a pu s’alimenter, mieux vaut, afin de sécuriser ce dispositif, ajouter ce terme. On pourrait aussi écrire : « les conditions et les heures ».
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Il est ici question de garantir que les personnes étrangères placées dans les centres de rétention administrative puissent s’alimenter ! Comme je ne cesse de vous le dire, la question posée est celle de la dignité humaine et de la déshumanisation des personnes placées dans ces centres de rétention administrative. Vous savez que j’aime beaucoup Maximilien Robespierre, mais je ne vous ai pas encore parlé de Louis Antoine Saint-Just, qui disait que le seul adversaire sérieux qu’ait un peuple est son gouvernement – je continue à le penser et nous allons d’ailleurs essayer de faire tomber le gouvernement la semaine prochaine. Il est une autre personne que je ne cite pas souvent, mais que j’aime beaucoup aussi : Karl Marx, qui était assez critique envers notre pays, lui reprochant d’avoir garanti une égalité en droit, avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais pas une égalité en fait, pourtant prévue par ce texte – et, il est vrai, plus encore par la Constitution de 1793, pour laquelle le peuple a droit à l’insurrection lorsque le gouvernement ne respecte pas ses droits, ce qui était une bonne garantie. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit toutefois le droit de résistance à l’oppression.
Pour Marx, on aura beau écrire sur du papier tous les droits que l’on voudra, ils n’existent pas tant qu’ils ne sont pas garantis matériellement – les règles que vous instaurez démontrent d’ailleurs que l’accès à l’alimentation même n’était garanti ni en fait ni en droit. Rendez-vous compte de ce que vous êtes en train de faire ! Je pose à nouveau la question : voudriez-vous cela pour vos enfants, vos frères, vos sœurs ou vos parents ? Ceux qui sont placés dans des centres de rétention administrative sur la base de décisions administratives, et non pas judiciaires, sont des êtres humains.
Mme Béatrice Roullaud (RN). Il ne sert à rien de tenir des propos excessifs et caricaturaux. Les procès-verbaux de garde à vue indiquent les heures auxquelles les personnes concernées ont pu s’alimenter. Pourquoi faudrait-il des droits plus importants que ceux dont disposent les personnes gardées à vue ?
M. Vincent Caure (EPR). Nous soutenons le sous-amendement comme l’amendement, car certaines choses vont parfois mieux en les écrivant.
Monsieur Léaument, il y a beaucoup d’ironie à citer Louis Antoine de Saint-Just alors que nous sommes en train de préciser des modalités de la rétention administrative car, durant la Révolution française et sous le régime de la loi des suspects, les modalités de détention n’étaient pas entourées de garanties très solides.
M. Olivier Marleix, rapporteur. Il n’est pas besoin d’inscrire les choses dans la loi pour que l’administration remplisse ses devoirs humains les plus élémentaires. Le seul enjeu est ici que les indications prévues figurent dans un procès-verbal.
Les heures auxquelles les gens s’alimentent sont une donnée objective, mais je ne vois pas quelles autres conditions vous voudriez inscrire dans la loi à cet égard – si les gens mangent debout ou assis, peut-être ? Le terme de « conditions » me semble trop flou et propre à devenir un nid à contentieux. Je reste ouvert à la discussion d’ici à l’examen du texte en séance mais, à ce stade, mon avis reste défavorable sur le sous-amendement.
Mme Naïma Moutchou (HOR). On ne peut envisager de détailler dans un procès-verbal, qui est un document juridique précis, la nature et la qualité des repas, qui sont des éléments subjectifs, ouvrant la porte à des contentieux infinis. Ce n’est plus du droit, mais du juridisme ou du commentaire, et cela n’a pas de sens. Nous pourrons en débattre en séance publique, monsieur le rapporteur, mais nous serons totalement opposés à un dispositif qui mettrait en difficulté ceux qui rédigent ces procès-verbaux. Ce qui importe, c’est de nous assurer que la dignité des conditions de détention est respectée et que les personnes concernées ont pu avoir accès à l’alimentation.
Successivement, la commission rejette le sous-amendement et adopte l’amendement.
En conséquence, l’article est ainsi rédigé et les amendements CL26 de M. Ugo Bernalicis, CL1 de Mme Céline Hervieu et CL32 de M. Jérémie Iordanoff tombent.
Article 6 (nouveau) (art. L. 762-1, L. 763-1, L. 764-1, L. 765-1, L. 766-1) : Extension de l’application des dispositions de la proposition de loi dans les collectivités à spécialité législative en matière de droit des étrangers
Amendements de suppression CL20 de Mme Elsa Faucillon et CL27 de M. Ugo Bernalicis
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Cet article accentue encore la remise en cause des principes en matière de rétention des étrangers.
Permettez-moi de répondre à certains collègues, qui devraient relire leurs livres d’histoire : je ne suis pas spécialement favorable à la loi des suspects. Je vous invite à lire les travaux des historiens sur la Terreur, notamment le très beau livre de Jean-Clément Martin intitulé Robespierre, la fabrication d’un monstre. Vous y constaterez que vous utilisez à notre encontre exactement le même mécanisme que celui qui a été actionné contre Robespierre : la privation de parole.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission rejette les amendements.
Amendement CL40 de M. Olivier Marleix
M. Olivier Marleix, rapporteur. Cet amendement rédactionnel vise à prendre en compte les dispositions votées par le Sénat en séance publique afin de permettre leur application outre-mer, notamment dans les collectivités à spécialité législative en matière de droit des étrangers – Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis-et-Futuna, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie.
Il tend également à ajuster l’article L. 761-8 du Ceseda applicable à Mayotte, pour prévoir que la durée du placement en rétention sera désormais calculée en heures plutôt qu’en jours, soit 120 heures plutôt que cinq jours.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 6 modifié.
Article 7 (nouveau) : Entrée en vigueur différée
Amendement de suppression CL21 de Mme Elsa Faucillon
Mme Elsa Faucillon (GDR). La suppression de cet article permettrait de ne pas autoriser le placement en rétention d’étrangers condamnés pour des infractions de nature délictuelle jusqu’à 210 jours. Comme une étude d’impact aurait pu le montrer, cela ne fera qu’aggraver leurs conditions de rétention.
Vous vous en doutez, ce n’est pas pour favoriser l’allongement de la durée de rétention que je souhaite l’amélioration des CRA. Force est de constater qu’ils sont très mal adaptés à de longues privations de liberté et que les conditions de rétention y sont très dégradées : les cours sont sous-dimensionnées, en particulier celle du centre de Vincennes ; des avions en phase de décollage passent toutes les trois minutes au-dessus de celui du Mesnil-Amelot.
Peut-être n’en avez-vous que faire, parce que vous considérez que les très méchants doivent subir les pires peines, mais il reste un petit corpus de lois régissant nos droits et nos libertés, que nous devons respecter.
Monsieur le rapporteur, je suppose que vous avez visité des centres de rétention : que pensez-vous des conditions actuelles de détention ? De quelle manière cette proposition de loi pourrait-elle s’y appliquer ?
M. Olivier Marleix, rapporteur. Avis défavorable. La suppression de cet article entraînerait une application immédiate du texte outre-mer, qui serait trop contraignante.
Nous devons dégager les moyens nécessaires pour répondre aux obligations législatives que nous créons : il n’est pas question de mettre le ministre de l’intérieur dans l’incapacité d’appliquer les mesures prévues dans ce texte. Sur le territoire métropolitain, on dénombre 1 900 places en CRA, auxquelles s’ajoutent 200 places outre-mer. Un plan vise à atteindre 3 000 places au total d’ici à 2029, grâce à la construction de nouveaux centres.
Il est également question de les faire évoluer, notamment en y créant des salles d’audience. Le droit de visite des associations est également un enjeu central ; un amendement de Mme Céline Hervieu, qui visait à créer un droit d’entretien avec une association, a malheureusement été considéré comme irrecevable. Mais est-ce encore utile à partir du moment où les CRA n’abritent plus que des individus aux profils dangereux et plus aucune famille ? À l’occasion de la visite d’un CRA, j’ai ainsi vu une petite bénévole de la Cimade, seule au milieu d’individus dangereux dont le passé pénal est parfois très lourd ; cela m’a semblé assez imprudent.
Nous devons trouver des solutions mieux adaptées que les conditions matérielles actuelles. En tout état de cause, le gouvernement a l’ambition de créer davantage de places en CRA et de répondre aux objectifs du présent texte.
Mme Elsa Faucillon (GDR). À ma remarque portant sur les conditions dans lesquelles sont enfermées ces personnes, vous répondez en annonçant l’ouverture de places supplémentaires ; nul doute qu’elles seront très vite remplies, comme les places de prison. Non seulement cette solution ne résout en rien le problème de personnes actuellement placées en CRA, mais elle risque au contraire de les aggraver.
Par ailleurs, vous sous-entendez que si cette « petite bénévole de la Cimade » se retrouve dans une situation dangereuse, il serait plus prudent d’interdire la présence de représentants d’associations dans ces centres. Lors de ma dernière visite dans un CRA, j’ai interrogé la représentante de l’Ofii – Office français de l’immigration et de l’intégration – pour savoir si elle serait en mesure de reprendre le travail effectué par des associations telles que la Cimade, mais ses missions portent sur l’aide au retour, ce qui est totalement différent.
Vous évoquez la présence de profils dangereux dans les CRA, mais c’est vous qui faites le choix de les carcéraliser ! En prison, contrairement aux CRA, il y a des intervenants extérieurs, des formations, des visites de représentants de l’OIP – Observatoire international des prisons – et auparavant, du Genepi. Rien de tout cela n’existe en centre de rétention, parce qu’ils n’ont pas été prévus pour qu’on y passe 210 jours !
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Après le meurtre de Philippine, je suis allé au centre de rétention administrative de Vincennes, pour constater par moi-même les conditions dans lesquelles étaient placés les gens que vous considérez comme très dangereux et que vous déshumanisez pour justifier leur placement dans ces centres. Les journalistes de l’émission Quotidien, que j’avais fait venir, y ont fait un bon reportage.
Le problème, ce n’est pas l’étranger : c’est le viol et le meurtre. C’est contre ces crimes qu’il faut lutter et mener des actions de prévention ; c’est cela qu’il faut punir.
Vous m’avez accusé, à tort, de défendre la loi des suspects, mais vous-mêmes défendez la loi du soupçon permanent : en plaçant des gens dans les CRA, vous créez des troubles psychologiques et des difficultés matérielles qui les déshumanisent – je vous invite à aller les rencontrer. Certains s’y retrouvent sans même savoir pourquoi : j’y ai rencontré un homme, dont les filles étaient médecin et avocate, qui ne savait pas ce qu’il faisait là ! Personne ne le lui avait dit. Tout cela nous entraîne sur une pente très dangereuse.
Je reviendrai ultérieurement sur la présence des associations dans les CRA.
M. le président Florent Boudié. La présence des associations dans les CRA n’est pas le sujet du présent texte, mais celui d’une proposition de loi adoptée par le Sénat, que nous examinerons, je l’espère, le plus tard possible.
Mme Céline Hervieu (SOC). L’article 45 de la Constitution dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Mes deux amendements relatifs à la prise en charge psychologique et à la présence des associations dans les CRA avaient bien un lien indirect avec ce dont nous parlons depuis deux heures.
Je suis interprète bénévole dans les CRA, notamment celui de Créteil. La présence des associations dans les CRA, dont vous aurez l’occasion de débattre lors de l’examen de la proposition de loi évoquée par le président, est indispensable pour faire respecter les droits de ceux qui y sont placés. Nombre d’entre eux ne parlent pas le français : les associations sont présentes pour leur garantir l’accès à leurs droits, qu’ils ne connaissent pas, et la compréhension de nos procédures juridiques et administratives, qui sont complexes.
Notre responsabilité nous impose de ne pas céder aux sirènes de la pression médiatique et de ne pas légiférer sous le coup de l’émotion. Rien n’est pire que de brandir de fausses solutions, surtout lorsqu’il est question de faits aussi graves que des violences sexistes et sexuelles. Ne manipulons pas les faits divers pour justifier une vision de la politique migratoire.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’amendement CL41 de M. Olivier Marleix, rapporteur.
Amendement CL28 de M. Ugo Bernalicis
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Vous proposez que ce texte entre en vigueur outre-mer dans trois mois ; nous proposons qu’il n’entre en vigueur que dans dix ans. D’ici là, nous serons au pouvoir et nous pourrons supprimer cette loi xénophobe avant même son entrée en application – par le biais de votes à l’Assemblée nationale puisque nous sommes démocrates.
Je voudrais répondre à Mme Roullaud, qui m’a interpellé en ces termes : « Allez dire ça aux proches de telle personne, tuée par quelqu’un sous OQTF ! » Je suis contre le meurtre, quel que soit le meurtrier ; lorsque quelqu’un est tué, la justice doit s’appliquer et c’est à un tribunal de décider de la peine, conformément à la séparation des pouvoirs. Je ne suis pas favorable au placement en CRA d’un criminel en attendant son expulsion ; ce n’est pas comme ça que cela fonctionne !
Il ne faut pas traiter différemment un criminel selon qu’il est étranger ou Français : si c’est un meurtrier, il doit être puni selon les lois de la République française, point. Contrairement à vous, madame Roullaud, qui faites des distinctions systématiques, nous ne faisons pas de différence entre les gens !
En m’interpellant ainsi, vous invisibilisez la brutalité du patriarcat et les violences commises contre les femmes par des hommes, quelle que soit leur nationalité. C’est précisément la raison pour laquelle votre politique est dangereuse : elle ne prévoit pas de lutter contre le patriarcat, ce qui est indispensable pour lutter efficacement contre les violences sexistes et sexuelles.
M. Ian Boucard (DR). Je tiens à rassurer M. Léaument : moi aussi, je suis contre le meurtre. Je n’avais pas entendu de phrase aussi puissante depuis la dernière élection de Miss France !
Plus sérieusement, je partage son opinion : un meurtrier étranger en France doit d’abord aller en prison, avant d’être expulsé. S’il est emprisonné en France, nous avons la certitude qu’il accomplira sa peine. La différence, c’est que contrairement à moi, M. Léaument estime qu’une fois sorti de prison, le meurtrier étranger peut rester en France.
Mme Naïma Moutchou (HOR). Au cas où il y aurait un doute, je tiens à préciser que je suis moi aussi défavorable au meurtre et favorable à l’application de la justice ! Rappelons toutefois que celle-ci est une autorité, non un pouvoir, et que ce sont les législateurs qui font collectivement la loi.
Ce qui me choque, c’est que plus rien ne vous choque ! Vous ne faites plus la différence entre immigration légale et illégale. Dans votre bouche, l’immigration illégale constituerait presque un atout, y compris les profils dangereux qui en sont issus ! Vous préférez libérer des personnes susceptibles de créer des troubles majeurs, voire de passer à l’acte, plutôt que d’envisager la prolongation de la durée de rétention. Vous êtes opposés à toute forme d’éloignement et pour le maintien sur le territoire de ces personnes, quel que soit leur profil. A contrario, nous sommes favorables à l’éloignement des profils dangereux dans le respect de nos grands principes, puisque les mesures figurant dans ce texte sont de nature à passer le filtre du Conseil constitutionnel.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Le groupe Écologiste et social, préférant que ce texte ne soit jamais appliqué, votera cet amendement.
Permettez-moi de revenir sur les propos de Mme Moutchou : un centre de rétention administrative ne sert pas à maintenir toutes les personnes potentiellement dangereuses sur le territoire. Plutôt que de parler à tort et à travers, il est nécessaire que nous soyons d’accord sur les termes du débat : il faut rappeler la différence entre détention et rétention, entre une prison et un centre de rétention administrative.
Nous ne sommes pas contre la prison, mais un CRA ne doit pas servir à nous protéger des personnes dangereuses : il sert à maintenir en rétention des personnes le temps qu’elles soient éloignées du territoire. Ce texte ne fait pas la démonstration qu’il serait plus efficace, en matière d’éloignement, de détenir ces personnes plus longtemps.
Ne caricaturez pas nos positions : nous défendons le droit.
M. Olivier Marleix, rapporteur. Je suis défavorable à cet amendement ; envisagé comme une sympathique provocation, il permet néanmoins de souligner l’urgence de l’application de ces mesures.
La directive « retour » permet un placement en rétention pour une période de dix-huit mois, soit 540 jours, pour tous, y compris les étrangers en situation irrégulière relevant du droit commun. Le nouveau projet de règlement européen, validé par la Commission européenne, prévoit de porter ce délai à vingt-quatre mois, soit 720 jours ; un délai illimité concernera les personnes les plus dangereuses.
Les mesures figurant dans ce texte sont proportionnées et demeurent soumises au contrôle des juges, qui font preuve de pondération et de modération, les durées de rétention prononcées n’étant jamais maximales. Elles apporteront la souplesse nécessaire compte tenu du profil des personnes dangereuses que certains pays rechignent à réadmettre sur leur territoire.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Monsieur le rapporteur, vous nous expliquez que l’Union européenne prévoit des mesures encore pires que celles que nous envisageons, ce qui ferait de nous un pays plus respectueux des droits de l’homme. Précisément, la France est – ou plutôt, était – connue à l’étranger comme étant le pays des droits de l’homme et du citoyen. Ces droits constituent le socle de son rayonnement à l’étranger, auquel la longue tradition de la droite républicaine est normalement attachée – si elle existe encore !
Par ailleurs, en reprenant à votre compte mes propos, vous êtes tous tombés dans mon piège : sans le savoir, vous êtes robespierristes ! Moi aussi, comme le disait Maximilien Robespierre, « je suis né pour combattre le crime, non pour le gouverner ». A contrario, ce texte vise à gouverner le crime, sur la base des droits des étrangers – de leurs non-droits, devrais-je dire. En ne traitant pas les causes profondes du crime, vous permettez qu’il advienne ; on ne traite pas ces causes en punissant ou en prenant des décisions administratives, mais en faisant en sorte que les crimes n’adviennent pas. Or vous ne parlez jamais de prévention, et quand nous l’évoquons, vous nous traitez de gauchistes ! C’est vous qui permettez que le crime perdure.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article 7 modifié.
Après l’article 7
Amendements CL6, CL7 (discussion commune) et CL8 de Mme Céline Hervieu
Mme Céline Hervieu (SOC). Il s’agit de trois demandes de rapport, visant à éclairer des sujets de fond débordant le périmètre du présent texte – dont j’ai déjà évoqué l’inutilité.
Le premier rapport vise à dresser un état des lieux des moyens dont dispose réellement l’administration pour organiser l’éloignement des personnes condamnées par la justice pour des faits d’une particulière gravité.
Le deuxième rapport porte sur les raisons pouvant expliquer les défaillances récurrentes de l’administration en matière d’éloignement des personnes condamnées par la justice pour des faits d’une particulière gravité. Il présenterait notamment les dysfonctionnements qui conduisent l’administration à prolonger la durée de la rétention des personnes condamnées pour crimes sexuels et ayant purgé une longue peine de détention. L’administration pourrait anticiper leur expulsion potentielle puisqu’elle connaît leur date de sortie de prison.
Le troisième rapport vise à mettre en lumière les conséquences que peuvent avoir les allongements successifs de la durée de rétention sur les personnels affectés dans les CRA, dont les conditions de travail sont difficiles. Le présent texte, s’il était adopté, renforcerait l’insécurité qui règne dans ces centres et aggraverait encore ces conditions de travail.
Cette proposition de loi remplit tous les critères du mauvais texte : elle instrumentalise l’émotion légitime suscitée par un crime dramatique ; elle mobilise des fantasmes xénophobes en associant insécurité et immigration ; et elle abîme notre état de droit. De plus, elle manque son objectif et échoue à résoudre les véritables problèmes. En définitive, elle est laxiste, tant sur le plan intellectuel que politique.
M. Olivier Marleix, rapporteur. Je ne peux que me conformer à la tradition de notre commission, qui rejette par principe les demandes de rapport.
Il existe déjà des rapports consacrés à la politique migratoire et à ses moyens, ainsi qu’un rapport annuel remis au Parlement sur les orientations de la politique d’asile, d’immigration et d’intégration, rendu obligatoire par l’article L. 123-1 du Ceseda. De plus, le ministère de l’intérieur publie deux fois par an, en janvier et en juin, des statistiques sur l’immigration.
Vous posez des questions légitimes, auxquelles le ministre de l’intérieur pourra répondre lors de l’examen du texte en séance publique. Dans l’affaire du meurtre de Philippine, les conditions de la saisine des autorités consulaires pour obtenir le laissez-passer de Taha O., quelques jours avant sa libération, sont choquantes et ont révélé un dysfonctionnement manifeste – je n’ai pas eu connaissance du rapport de l’inspection générale. Il sera donc utile d’interroger le ministre pour qu’il apporte des précisions sur les instructions données à ses services pour éviter toute perte de temps.
En tout état de cause, l’allongement de la durée de rétention dans les CRA ne constitue évidemment pas une façon de compenser un quelconque manquement de l’administration.
M. Fabien Di Filippo (DR). Ce texte vise à allonger la durée de rétention administrative de personnes présentes illégalement en France, qui ont violé les lois de notre pays, commis des crimes, et qui présentent un fort risque de récidive avéré. Il est insupportable d’entendre dire qu’il serait inutile ou qu’il affaiblirait notre État de droit.
Le monde politique est divisé en deux camps : d’un côté, ceux qui veulent assurer la sécurité de nos concitoyens, de l’autre, ceux qui pensent que les droits de l’homme, invoqués par M. Léaument, consistent à faire primer les droits des criminels clandestins sur la sécurité de nos concitoyens. Vous le savez – et les statistiques le montrent –, les délais d’obtention des laissez-passer consulaires ne dépendent pas uniquement de l’administration française. Dans d’autres pays, les choses se passent bien différemment.
Une personne dangereuse et susceptible de récidiver – un violeur, un meurtrier – ne devrait pas rester en liberté. Nous essayons seulement de rétablir l’ordre face à des situations devenues hors de contrôle à cause de la pression migratoire. S’y opposer, ce n’est pas défendre les droits de l’homme et l’État de droit, c’est au contraire contribuer à leur destruction définitive.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Votre intervention illustre la faiblesse de votre raisonnement, monsieur Di Filippo. Vous prétendez que le texte vise des personnes présentes illégalement sur le territoire, mais il est possible de faire l’objet d’une OQTF juste parce que la demande de titre de séjour est restée sans réponse. Parfois même, des OQTF résultent des délais d’instruction de l’administration : des personnes légalement présentes sur le territoire sont alors punies par la faute de l’État.
Vous ajoutez que le texte vise les personnes qui présentent un risque de récidive « avéré ». Mais qui en juge ? L’administration ? Comment savoir qu’une personne va récidiver ?
M. Ian Boucard (DR). Elle a déjà commis ce crime !
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Nous y voilà ! Mais une personne qui a commis un crime est censée aller en prison – ou payer une amende, en fonction du crime –, pas en centre de rétention administrative. Mme Le Pen, par exemple, risque jusqu’à dix ans de prison, même s’il existe des aménagements et qu’il est possible de purger sa peine sous bracelet électronique. Dix ans, c’est déjà beaucoup, ce genre de peine est normalement réservé à des troubles très graves à l’ordre public.
Or, si une personne déjà condamnée à de la prison commet à nouveau un crime, quel problème cela pose-t-il ?
M. Ian Boucard (DR). La réinsertion ?
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Pas seulement : cela pose aussi la question de la récidive. Faute de traiter cette question, tout ce que vous faites ne servira à rien. Poussons votre raisonnement jusqu’au bout – ce que certains font, notamment au Rassemblement national : si on ne peut pas expulser des gens que l’on sait susceptibles de récidiver, on en vient à rétablir la peine de mort. Voilà pourquoi nous nous opposons à ce texte.
La commission rejette successivement les amendements.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive (n° 1148) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
Ministère de l’Intérieur
M. Cyriaque Bayle, sous-directeur de la lutte contre l'immigration irrégulière
Mme Marine Grandjean, adjointe au chef de Bureau des affaires juridiques et de la coopération internationale
Mme Valérie Minne, directrice nationale de la police aux frontières
contribution écrite
([1]) 9 avril 2025, Cour de cassation, pourvoi n° 24-50.023. Voir aussi le commentaire de l’article 1er.
([2]) Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier
([3]) Cour, A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, 19 février 2009, par. 164 ; Auad c. Bulgarie, n° 46390/10, 11 octobre 2011, par. 128 ; et CJUE, Said Shamilovich Kadzoev (Huchbarov),
C-357/09 PPU, 30 novembre 2009, par. 60.
([4]) Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, cons. 66
([5]) Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, cons. 76. Dans la même décision, en revanche, le Conseil constitutionnel censure une prolongation de douze mois consécutive à cette rétention dérogatoire qui aurait porté à dix-huit mois la durée totale de la rétention
([6]) Crimes et délits donnant lieu à une inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) (art. 706-47 du code de procédure pénale), relevant de la criminalité organisée ou du trafic de stupéfiants (art. 706-73 du même code), de meurtres et d’assassinats (art. 221-1 à 221-4 du code pénal), de crimes de tortures ou d’actes de barbarie (art. 222-1 à 222-6 du même code) ; de délits et crimes de traite des êtres humains (art. 225-4-1 à 225-4-4 du même code) et de délits et de crimes de proxénétisme (art. 225-7 du même code).
([7]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un système commun en matière de retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans l’Union, et abrogeant la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, la directive 2001/40/CE du Conseil et la décision 2004/191/CE du Conseil, consultable en ligne
([8]) Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité
([9]) Titre II du livre IV du code pénal
([10]) Source : DACG (réponses aux questions écrites du rapporteur)
([11]) En raison de l’application du principe du secret statistique imposé par la loi (07/06/1951) selon lequel toutes données strictement inférieures à 5 et non nulles ne peuvent être communiquées (secret primaire), de même lorsque du résultat, peuvent être reconstituées par somme ou par différence les données masquées par le secret primaire (secret secondaire), il n’est pas possible d’identifier par infraction les cas où une ITF est prononcée. Aussi, est-il proposé dans le tableau transmis par la DACG à votre rapporteur, les principales natures d’affaires (NATAFF). La table NATAFF est la nomenclature alphanumérique à 3 niveaux de regroupement des affaires selon leur nature. Elle couvre l’intégralité du droit pénal général et spécial en adoptant pour partie le découpage par intérêts protégés du « nouveau » code pénal et pour partie, une présentation par domaine de contentieux spécialisés.
([13]) Mentionnée, par exemple, à l’article L. 742-5 du CESEDA (voir commentaire de l’article 3)
([14]) La notion de « menace grave pour l’ordre public » est, par exemple, employée à l’article L. 631-1 du CESEDA et justifie une mesure d’expulsion de l’étranger prononcée par l’autorité administrative.
([15]) Ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France
([16]) CE, 8 juillet 1991, n° 108810, Rec., CE, 12 mai 1989, n° 97145
([17]) CE, 20 juillet 1990, n° 109996 ; CE, 26 septembre 1990, n° 106604 ; CE, 13 avril 1992, n° 105828
([18]) CE, 17 mai 1993, n° 121969
([19]) Article 421-2-5 du code pénal
([26]) Voir notamment le commentaire de l’article 12 dans le rapport en première lecture en commission à l’Assemblée nationale, consultable en ligne.
([27]) Rapport de Mme la sénatrice Lauriane Josende sur la proposition de loi de Mme Jacqueline Eustache-Brinio visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d'une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive (298), n° 429, déposé le mercredi 12 mars 2025, consultable en ligne.
([28]) 9 avril 2025, Cour de cassation, Pourvoi n° 24-50.023, consultable en ligne.
([29]) L’amendement COM-5 de Mme Lauriane Josende est consultable en ligne.
([30]) Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.
([33]) L’amendement n° 593 du Gouvernement adopté en séance au Sénat sur la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration est consultable en ligne.
([34]) L’amendement n° 9 de Mme Di Folco est consultable en ligne.
([38]) L’amendement CL38 de M. Marleix est consultable en ligne : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/amendements/1148/CION_LOIS/CL38.pdf