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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 octobre 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 1763),
DE M. EMMANUEL MAUREL ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES,
visant à rejeter le projet d’accord sur les droits de douane
et le commerce du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les États-Unis,
PAR M. Emmanuel MAUREL,
Député
La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; Mme Manon BOUQUIN, M. Laurent MAZAURY, Mme Nathalie OZIOL, M. Thierry SOTHER, vice-présidents ; MM. Henri ALFANDARI, Benoît BITEAU, Maxime MICHELET, Mme Liliana TANGUY secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, Philippe BALLARD, Karim BENBRAHIM, Guillaume BIGOT, Mmes Céline CALVEZ, Colette CAPDEVIELLE, M. François-Xavier CECCOLI, Mmes Sophia CHIKIROU, Nathalie COLIN-OESTERLÉ, MM. Arthur DELAPORTE, Jocelyn DESSIGNY, Julien DIVE, Nicolas DRAGON, Peio DUFAU, Mme Ayda HADIZADEH, M. Michel HERBILLON, Mme Mathilde HIGNET, M. Sébastien HUYGHE, Mme Sylvie JOSSERAND, M. Bastien LACHAUD, Mme Constance LE GRIP, MM. Pascal LECAMP, Matthieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Emmanuel MAUREL, Mmes Yaël MENACHÉ, Danièle OBONO, MM. Frédéric PETIT, Pierre PRIBETICH, Stéphane RAMBAUD, Mme Isabelle RAUCH, M. François RUFIN, Alexandre SABATOU, Charles SITZENSTUHL, Mmes Michèle TABAROT, Sophie TAILLÉ-POLIAN, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.
SOMMAIRE
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Pages
I. Un accord asymÉtrique, symptÔme d’une perte de puissance et de souverainetÉ europÉenne
A. Un accord conçu par Washington, pour Washington
3. …elle a pourtant conclu un accord politique caractérisé par une évidente asymétrie
4. Des décrets présidentiels, modifiant certains droits de douane, complètent ce projet d’accord
C. une Union europÉenne fragilisée sur les plans symbolique et politique
1. Les signes de l’affaiblissement européen
2. Les raisons d’une apparente capitulation
3. Un accord traduisant l’absence de vision géopolitique de la Commission ?
II. Des IntÉRÊts europÉens compromis, des rÉpercussions mondiales incertaines
3. Focus sur un secteur agricole déjà fragilisé par les accords de libre-échange
B. Le recul flagrant des engagements en matière environnementale
2. Le renoncement à la transition énergétique et aux ambitions portées par le Pacte vert
3. Le sabotage américain de l’industrie européenne des énergies renouvelables
C. Une reconfiguration mondiale aux contours incertains
1. L’économie américaine pourrait payer au prix fort ce nouveau protectionnisme
3. L’urgence de redéfinir la relation transatlantique
III. rejeter cet accord : CONDITION NECESSAIRE AU MAINTIEN DE LA CREDIBILITE EUROPÉENNE
A. UN accord non conforme au droit
2. Une opinion publique européenne rejetant massivement cet accord
B. Combattre cet accord sur le plan politique et juridique
2. Aucune concession supplémentaire ne devra être accordée, notamment sur le numérique
3. La mobilisation délicate des leviers juridiques
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE initiale
AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION
Proposition de resolution europeenne adoptee par la commission
ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR
Mesdames, Messieurs,
L’élection à la présidence américaine de Donald Trump marque un tournant résolument protectionniste dans les relations commerciales qu’entretiennent les États-Unis avec l’Union européenne et le reste du monde.
Sur le fondement de législations américaines conçues pour être activées en cas de menace « inhabituelle et extraordinaire » ou risquant de porter atteinte « à la sécurité nationale », tous les partenaires commerciaux des États-Unis ont vu leurs droits de douane brutalement augmenter, qu’ils aient été imposés unilatéralement et arbitrairement par la Maison Blanche ou négociés sous contrainte avec l’exécutif américain.
Dans sa quête de revanche contre des pays qui « profitent » des États-Unis, l’Union européenne, ouvertement méprisée par le président Donald Trump, n’a pas été épargnée, bien au contraire, par l’augmentation des droits de douane.
Quelques mois en effet après la proclamation du « jour de la libération », la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, concluait le 27 juillet 2025 un accord douanier, commercial et politique au nom des 27 avec le président américain.
Les principales lignes de cet accord ont été précisées dans la Déclaration Commune du 21 août 2025. Les communications à destination de la presse sur le site de la Commission européenne, de la Maison Blanche et du président Donald Trump étaient quant à elles contradictoires sur des sujets fondamentaux comme le respect de nos réglementations en matière de numérique par exemple.
En assumant une logique parfaitement asymétrique, la Commission européenne a ainsi accepté de réduire à 0 % ses droits de douane en contrepartie d’un relèvement tarifaire américain plafonné à 15 %, hors exemptions et tarifs sectoriels. Elle s’est par ailleurs engagée sur de nombreux aspects non tarifaires ne relevant pas de son champ de compétence et profondément attentatoires aux intérêts européens.
Au-delà du déséquilibre manifeste de l’accord et de ses fragilités juridiques, l’image de la Commission européenne, et à travers elle, celle de l’Europe, a été sérieusement écornée.
Deuxième exportateur mondial en 2024 (derrière la Chine et devant les États-Unis), l’Union européenne est également le deuxième importateur (devant les États-Unis et derrière la Chine). Tirant sa force de son marché intérieur, ses relations avec le partenaire transatlantique sont particulièrement riches, l'Union européenne et les États-Unis entretenant les relations économiques les plus intégrées au monde. En matière de commerce par exemple, ces relations se sont traduites en 2024 par un échange de biens et service équivalent à près de 1 680 Md€.
Avant l’ère Trump 2, le commerce entre ces deux partenaires était principalement régi par les règles de l'OMC, car le projet de Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, négocié entre 2013 et 2017, n'avait pas abouti en raison de la forte opposition de l’opinion publique européenne.
Alors que la déclaration commune va bien au-delà du défunt Partenariat au niveau des engagements souscrits par la Commission au nom de l’Union, la rapidité avec laquelle cet accord politique a été conclu n’a pas permis aux citoyens européens et à ses représentants de s’emparer de ce sujet qui revêt pourtant une importance fondamentale.
L’Union européenne, après avoir timidement actionné ses instruments de défense commerciale en riposte aux menaces du président Donald Trump, a précipitamment cédé face à la détermination du président américain.
Ce renoncement au rapport de force avec Washington a provoqué une onde de choc en Europe et fait naître un sentiment d’humiliation, partagé à 52 % par les opinions publiques européennes ([1]) . Ce sentiment a également traversé la classe politique européenne, notamment française. Sans doute car ce qui se joue aujourd’hui ne relève pas uniquement d’un défi commercial. C’est avant tout un test de souveraineté.
C’est la raison pour laquelle votre rapporteur a déposé, quelques jours après l’accord du 27 juillet, cette proposition de résolution européenne. Signée par plus de 80 parlementaires représentant 8 des 11 groupes politiques que compte l’Assemblée nationale, cette proposition se veut résolument transpartisane. Conçu dans un moment de stupéfaction face à l’annonce inattendue d’un accord politique n’ayant reçu aucun soutien populaire, ce texte a vocation à être enrichi par vos propositions d’amendements pour tenir compte des plus larges tendances de notre Assemblée.
C’est cette démarche qui a également conduit votre rapporteur à mener un cycle d’auditions représentatif des différentes opinions de la société. Si parmi les personnalités auditionnées des divergences existent sur l’opportunité de conclure ou non cet accord, les points de vue convergent sur ses aspects symboliques et politiques délétères. L’Union européenne est aujourd’hui menacée par un monde caractérisé par le retour des empires : la Russie et la Chine nous sont ouvertement hostiles, et désormais les États-Unis eux-mêmes deviennent de plus en plus inamicaux. L’Union européenne, dotée de nombreux atouts mais en perte de vitesse sur les plans stratégique, économique, industriel, scientifique et écologique, doit se redonner les moyens de sortir de la crise et se projeter vers l’avenir.
Le rejet de cet accord représente le premier jalon du chemin que nous devons parcourir pour réussir le pari de l’autonomie stratégique de notre Continent.
I. Un accord asymÉtrique, symptÔme d’une perte de puissance et de souverainetÉ europÉenne
A. Un accord conçu par Washington, pour Washington
1. Une politique commerciale américaine unilatérale et brutale depuis l’accession à la Maison Blanche de Donald Trump
En violation des règles du commerce international, le président américain annonçait le 2 avril dernier, à l’occasion du Liberation Day, l’instauration et l’entrée en vigueur de droits universels dits « réciproques » de + 10 % sur l’ensemble des importations américaines, afin de réduire un déficit commercial jugé « excessif » et « injuste ».
Ces droits universels ont été pris sur le fondement d’une loi de 1977, l'International Emergency Economic Powers Act (IEEPA), qui permet au président américain d’actionner un certain nombre de leviers économiques « pour faire face à toute menace inhabituelle et extraordinaire, dont l'origine se trouve en tout ou en grande partie en dehors des États-Unis, pour la sécurité nationale, la politique étrangère ou l'économie » ([2]).
« Le monde abuse des États-Unis depuis des années, ils nous imposent des droits de douane massifs alors que nous ne le faisons pas ([3]) », déclarait Donald Trump quelques semaines plus tôt.
À ce taux plancher de 10 % appliqué depuis le 5 avril à tous les partenaires commerciaux des États-Unis, s’ajoute un taux supplémentaire et différencié, lequel est soit négocié, soit déterminé arbitrairement par l’administration américaine en fonction de sa perception de l’équité des échanges commerciaux.
Les principaux droits de douane en vigueur le 7 août
Sources : « Droits de douane : les tarifs de Trump pays par pays, des victimes expiatoires aux miraculés », Les Échos, 1er août 2025
En parallèle de ces droits universels, des droits de douane additionnels sectoriels ont également été imposés unilatéralement sur le fondement de la section 232 du Trade Expansion Act de 1962, qui permet de limiter les importations susceptibles de mettre en cause la « sécurité nationale » du pays : + 25 % sur les importations de véhicules depuis le 3 avril 2025, + 50 % sur les importations d’acier, d’aluminium depuis le 4 juin 2025 etc. Des dérogations peuvent être prévues dans le cadre d’un accord commercial.
En ce qui concerne l’Union européenne, les droits universels devaient être initialement portés à + 20 % et entrer en vigueur le 9 avril. Toutefois, en raison de la vive réaction des marchés financiers américains, ce relèvement a été suspendu à deux reprises jusqu’au 1er août. Par ailleurs, le président Donald Trump a menacé l’UE de porter ce taux à + 30 % d’ici le 1er août si aucun accord n’était trouvé.
La justification par l’administration américaine de ces relèvements tarifaires repose sur l’existence de différentes barrières à l’entrée des biens et services américains sur les marchés tiers. Comme le précise l’économiste David Cayla, auditionné par votre rapporteur, le plus important d’entre eux est la taxe sur la valeur ajoutée qui n’existe pas aux États-Unis et qui s'applique à toutes nos importations, y compris celles en provenance des États-Unis. En Europe, le taux de TVA varie de 16 % (Luxembourg) à 27 % (Hongrie).
Parmi les barrières non tarifaires, l’administration américaine dénonce également les subventions et les dévaluations monétaires dont les exportateurs européens tireraient profit, ainsi que les barrières normatives européennes – particulièrement la législation en matière environnementale, sanitaire, sociale et numérique de l’Union.
Les droits douaniers sectoriels : focus sur l’acier et l’aluminium sous Trump I et II
Sous son premier mandat (2017-2021), le président Donald Trump a promulgué le 8 mars 2018, en application de la Section 232 du Trade Expansion Act de 1962, la Proclamation 9705 (acier) et la Proclamation 9704 (aluminium), imposant respectivement des droits de douane de 25 % sur l’acier et de 10 % sur l’aluminium. Ces mesures sont entrées en vigueur le 23 mars 2018, avec d’abord une exemption temporaire pour l’Union européenne jusqu’au 1ᵉʳ mai. À la levée de cette exemption, le 1ᵉʳ juin 2018, l’Union européenne a déposé une plainte auprès de l’OMC et mis en place des mesures de représailles ciblant notamment le bourbon, les motos, ainsi que certains produits textiles et agro-alimentaires, pour un montant de plusieurs milliards d’euros.
Lors du second mandat de Trump (depuis 2025), après une période d’apaisement sous la présidence de Biden - marqué par l’accord du 31 octobre 2021 entre les États-Unis et l’UE instaurant un système de tariff-rate quotas (TRQ), permettant l’entrée de volumes limités d’acier et d’aluminium européens sans droits de douane et la suspension des représailles européennes, Donald Trump rétablit pleinement la logique tarifaire de la Section 232. Le 10 février 2025, il impose à nouveau un droit de douane de 25 % sur l’acier et relève celui de l’aluminium de 10 % à 25 %, en l’appliquant aussi à des produits dérivés contenant ces métaux (comme des pièces automobiles ou aéronautiques). Le 3 juin 2025, l’administration annonce le doublement de ces droits à 50 %, avec effet au 4 juin, en les recentrant sur la teneur en acier et en aluminium des produits classés aux chapitres 73 et 76 du tarif douanier américain, le reste du produit demeurant soumis aux droits réciproques ordinaires. À compter du 23 juin, des appareils électroménagers intégrant de l’acier ou de l’aluminium sont également soumis à ce taux de 50 %.
2. Si l’Union européenne se présente comme une puissance commerciale mondiale dotée d’outils robustes permettant d’assurer la défense de ses intérêts
En complément des négociations menées avec l’administration Trump dès le mois d’avril, la Commission européenne, en charge de la politique commerciale de l’Union, a mobilisé ses outils de pression pour peser dans la conduite des négociations, précise le Représentant Permanent de la France auprès de l’Union européenne Philippe Léglise Costa.
Comptant parmi les trois principales économies mondiales, l’Union européenne s’est en effet dotée d’instruments dits de défense commerciale (IDC) pour lutter contre la concurrence déloyale des pays tiers et la déstabilisation des filières européennes de production. Ces IDC peuvent prendre la forme de mesures anti-dumping pour lutter contre les pratiques des entreprises de pays tiers exportant leurs marchandises vers l’Union européenne à un prix inférieur à leur valeur sur leur marché d’origine. Ils peuvent également consister en l’adoption de mesures anti-subvention visant à corriger le prix d’une marchandise exportée vers l’Union européenne anormalement compétitif du fait d’une subvention versée par un pays tiers à l’exportateur. Ils peuvent enfin prendre la forme de mesures de sauvegarde, lesquelles permettent à l’Union de restreindre temporairement les importations d’un produit si son industrie subit un grave préjudice ou est menacée par une vague d’importations massives.
L’Union européenne a par ailleurs réduit son assertivité en matière commerciale en adoptant en 2022 le règlement sur la réciprocité dans les marchés publics (IPI), lequel vise à garantir aux entreprises européennes un accès et des conditions de concurrence équitables au sein des marchés publics de pays tiers. Il a été activé pour la première fois en 2024 contre la Chine au regard des restrictions d’accès des entreprises européennes aux marchés publics chinois de dispositifs médicaux.
Toujours en 2022, l’Union se dotait du règlement relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur (FSR), qui permet à la Commission européenne d’adopter des mesures correctives vis-à-vis des filiales européennes d’entreprises étrangères opérant sur le marché intérieur lorsqu’elles ont bénéficié de subventions leur conférant un avantage déloyal. Les premières enquêtes ont été ouvertes en 2024 et concernaient, notamment, des filiales chinoises opérant dans les secteurs de l’éolien, des équipements de sécurité aéroportuaire, du ferroviaire et du photovoltaïque.
En réponse à la guerre commerciale initiée par Donald Trump, l’Union européenne a ainsi adopté le 24 juillet dernier, avec le soutien des États membres, une liste de contre-mesures visant à répondre aux surtaxes américaines qui ciblent les biens dont les États-Unis sont les plus dépendants des importations européennes, tout en tenant compte des vulnérabilités des chaînes de valeur européennes.
Si la Commission devait recourir à cette liste, cela impliquerait un rehaussement de droits de douane sur un montant de 93 Md€ d’exportations américaines vers l’Union européenne ([4]), ce qui représente environ 20 % des exportations totales américaines vers l’UE.
Cette liste est composée de deux ensembles. Le premier ensemble de lignes tarifaires, adopté par l’Union européenne le 9 avril en réaction à la taxation de l’acier et de l’aluminium, représente 21 Md€ d’exportations américaines. Son application avait été gelée pour laisser de l’espace aux négociations. Le second ensemble de lignes tarifaires, adopté en réaction à l’élargissement régulier de l’assiette des surtaxes américaines, représente 72 Md€ d’exportations américaines et comprend, notamment, des biens industriels et agroalimentaires.
Cette liste prévoit également des mesures de restriction des exportations européennes de certains biens dont les exportations sont stratégiques pour les
États-Unis (chutes d’acier et d’aluminium) à hauteur de 94 M€ ([5]) .
En complément, la Commission examinait l’opportunité de mettre en place des contre-mesures additionnelles, non-tarifaires, dans le domaine des services et des marchés publics. L’utilisation de l’instrument « anti-coercition » (ACI), dit « bazooka commercial », adopté en novembre 2023 mais jamais appliqué, a également été évoqué par le président Macron. Cette proposition a toutefois été écartée par Ursula von der Leyen : cet instrument « est conçu pour des circonstances exceptionnelles. Nous n'en sommes pas là encore ([6]) ». Adopté à la suite d’une mesure prise par Pékin contre la Lituanie, le Représentant Permanent de la France auprès de l’Union européenne Philippe Léglise Costa précise en outre que la Suède est à ce jour réfractaire à l’usage de ce dispositif contre les États-Unis.
La conclusion d’un accord de principe le 27 juillet avec les États-Unis a suspendu l’application de ces contre-mesures.
3. …elle a pourtant conclu un accord politique caractérisé par une évidente asymétrie
Malgré l’apparent bras de fer mené par la Commission européenne avec l’administration américaine et l’adoption de contre-mesures approuvées unanimement par les États membres le 24 juillet dernier, le président Donald Trump et la présidente de la Commission européenne ont conclu, trois jours plus tard, le « Turnberry deal ». La Maison Blanche et la Commission européenne ont communiqué leur version respective et partiellement contradictoire de cet accord dans la communication du 27 juillet 2025 de la Présidente von der Leyen « Explication de l’accord sur les droits de douane et le commerce avec les États‑Unis », et dans la fiche d’information publiée le 28 juillet 2025 par la Maison Blanche : « Les États‑Unis et l’Union européenne concluent un accord commercial massif ». Le 21 août 2025 une Déclaration conjointe clarifie les principales lignes.
Cette déclaration, présentée comme étant un « accord-cadre », est censée traduire l’engagement des parties « en faveur d'un commerce et d'investissements équitables, équilibrés et mutuellement avantageux ».
Rien de tel pourtant, comme en témoignent les termes de ce projet, élaboré au bénéfice principal des États-Unis. L’ampleur de ce camouflet se mesure en effet à la lumière des engagements pris par chacune des parties.
Ainsi, les États-Unis s’engagent à appliquer des droits de douane plafonnés à un taux unique et global de 15 % sur les marchandises originaires de l’UE (confirmé par un décret présidentiel adopté aux États-Unis le 31 juillet). Ce taux intègre le tarif imposé en vertu de l'article 232 de la loi de 1962 sur l'expansion du commerce et les droits dits « de la nation la plus favorisée » (NPF ou MFN), c’est-à-dire ceux que les États-Unis imposaient à l’ensemble de leurs partenaires commerciaux, conformément aux règles de l’OMC.
Votre rapporteur rappelle toutefois que l’impact de ces relèvements tarifaires doit être appréhendé en lien avec la dévaluation du dollar qui a perdu un peu plus de 10 % de sa valeur sur le premier semestre 2025.
Le projet d’accord prévoit que ces réductions tarifaires entreront en vigueur « le premier jour du mois au cours duquel » sont introduites les propositions législatives de l’Union européenne.
Dans l’intervalle, le taux de 15 %, se rajoute aux taux précédemment appliqués, rappelle Fabrice Le Saché, vice-président du MEDEF en charge de l’Europe, auditionné par votre rapporteur.
Le commissaire européen au Commerce, Maroš Šefčovič, s’est dit par ailleurs confiant dans le fait que les droits de douane seraient appliqués rétroactivement au 1er août ([7]) .
Certains secteurs sont toutefois exemptés du tarif plancher. Le projet d’accord prévoit en effet qu’à compter du 1er septembre seule la « clause de la nation la plus favorisée » serait appliquée aux exportations européennes de « ressources naturelles indisponibles (y compris le liège), toutes les pièces d’aéronefs et des aéronefs, les produits pharmaceutiques génériques et leurs ingrédients, ainsi que les précurseurs chimiques ».
En parallèle, l’Union européenne s’est engagée à lever un certain nombre de barrières tarifaires et non tarifaires.
En ce qui concerne les aspects tarifaires, l’UE a pris l’engagement d’éliminer les droits de douane sur les produits industriels originaires des
États-Unis et à fournir un accès préférentiel au marché européen à certains produits agricoles, dont les produits de la mer, les fruits à coque, les produits laitiers, les fruits et légumes frais et transformés, les aliments transformés, les céréales, ou encore la viande de porc et de bison.
En ce qui concerne les engagements non tarifaires, la liste donne le vertige.
D’une part, l’accord matérialise des cibles d’achats de produits américains (750 Md$ de gaz naturel liquéfié, de pétrole et d’énergie nucléaire américains d’ici 2028, 40 Md$ de puces d’intelligence artificielle, l'acquisition d'équipements militaires et de défense auprès des États-Unis pour un montant non défini) ainsi que des intentions d’investissements des opérateurs européens aux États-Unis à hauteur de 600 Md$ d’ici 2028.
D’autre part, le projet d’accord prévoit une reconnaissance mutuelle des normes applicables au secteur automobile et la recherche d’un accord de reconnaissance mutuelle en matière de cyber sécurité. Il prévoit également l’assouplissement de normes européennes dans de nombreux domaines : rationalisation des exigences en matière de certificats sanitaires pour le porc et les produits laitiers, octroi de flexibilités supplémentaires dans la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) au profit des petites et moyennes entreprises américaines, allègement des contraintes administratives imposées par les directives CSRD et CS3D, allègement du règlement de l’UE sur la déforestation « en vue d’éviter toute incidence indue sur le commerce entre les États-Unis et l’UE ».
Le projet d’accord comprend également des engagements politiques additionnels : consultation des États-Unis et des négociants américains sur la numérisation des procédures commerciales et la mise en œuvre de la législation actuellement proposée sur la réforme douanière de l’UE, suppression des redevances européennes dans le domaine du commerce numérique.
Des coopérations communes à l’égard de pays tiers devraient également voir le jour afin de « lutter contre les pratiques non marchandes, la concurrence déloyale et le manque de réciprocité dans les marchés publics ». Les parties s’engagent également « à renforcer les possibilités de coopération technique entre les organismes d'élaboration de normes domiciliés dans l'UE et aux États-Unis dans le but d'identifier et d'élaborer des normes pour le marché transatlantique dans des secteurs clés d'intérêt mutuel ».
4. Des décrets présidentiels, modifiant certains droits de douane, complètent ce projet d’accord
La franchise de minimis permet l'importation, sans droits de douane, de colis inférieurs à une certaine valeur, déterminée à 800 $ en ce qui concerne les envois vers les États-Unis.
Cette franchise a toutefois été suspendue par un décret présidentiel du
30 juillet. Entrée en vigueur le 29 août, cette mesure concerne l’ensemble des partenaires commerciaux des États-Unis ([8]).
Ainsi, les colis non postaux d’une valeur inférieure ou égale à 800 $ seront à présent soumis à tous les droits applicables (droits sectoriels, droit dit réciproque, droit dit « de la nation la plus favorisée »). Les colis expédiés par la poste internationale seront quant à eux soumis à des droits ad-valorem ou forfaitaires selon une grille définie dans le décret.
Seuls les cadeaux entre particuliers de moins de 100 dollars demeurent exemptés ([9]).
D’autres décisions du président américain ne concernent que l’Union européenne.
Ainsi, la liste générale d’exemptions contenue dans la déclaration commune a été étendue à 39 marchandises par le décret présidentiel du 5 septembre. Sont notamment concernés les métaux précieux, certains minéraux critiques et produits pharmaceutiques ([10]). À l’inverse, le décret prévoit que certaines marchandises sont désormais soumises à des droits de douane réciproques.
Que s’est-il passé depuis la Déclaration Commune du 21 août 2025 ?
Le 28 août 2025, la Commission européenne a soumis au Conseil et au Parlement européen des propositions législatives relatives à l’élimination des droits de douane sur tous les biens industriels exportés par les États-Unis vers l’Europe, ainsi qu’à l’octroi d’un traitement préférentiel pour les exportations américaines d’une série de produits de la mer et de denrées agricoles. Leur adoption constituait une condition préalable à la mise en œuvre de certains engagements américains, notamment la réduction de 27,5 % à 15 % de la taxe actuellement applicable aux exportations européennes d’automobiles.
Le 25 septembre 2025, l’administration américaine entérine les modifications des droits de douane imposés à l’Union européenne, conformément aux engagements formalisés dans la déclaration commune. Les droits sur les voitures et pièces détachées européennes sont donc ramenés, rétroactivement à compter du 1ᵉʳ août, de 27,5 % à 15 %. Les exemptions totales de droits concernant divers secteurs, dont l’aéronautique, entrent rétroactivement en vigueur à compter du 1ᵉʳ septembre.
Le 26 septembre 2025, l’exécutif américain impose une surtaxe de 25 % sur les poids lourds et des droits de douanes de 100 % à compter du 1ᵉʳ octobre sur « tout produit pharmaceutique de marque ou breveté », « sauf si une entreprise CONSTRUIT son usine pharmaceutique en Amérique » déclarait le président Donald Trump sur son réseau social Truth Social. Même si la Commission européenne se veut rassurante, l’Association des constructeurs européens d’automobiles (Acea) et la Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques (Efpia) s’inquiètent de ces mesures dont le champ d’application territorial reste flou. Des discussions devaient avoir lieu dans les prochains jours entre négociateurs européens et américains.
C. une Union europÉenne fragilisée sur les plans symbolique et politique
1. Les signes de l’affaiblissement européen
Plusieurs éléments illustrent l’affaiblissement européen.
Sur le plan des symboles, tous les acteurs auditionnés par votre rapporteur, ont regretté la manière dont cet accord a été conclu. Si le MEDEF et la CPME considèrent que l’Union ne renvoie pas la meilleure image d’elle-même, l’AFEP estime que l’accord est le produit d’une négociation extorquée à l’Union européenne, contraire à la vision que les entreprises ont des règles du commerce international (égalité de traitement, symétrie, concessions réciproques). La CFDT se désole que l’Europe apparaisse comme le « maillon faible » de l’économie mondiale en renonçant à se battre pour faire respecter le principe de réciprocité. Pour reprendre les propos d’Arnaud Montebourg, cet « accord léonin », par lequel l’Europe « se fait manger » est « un racket ». C’est également le sentiment de la CGT qui craint que ce « faux accord unilatéral » ne nous ait fait entrer dans « une économie de guerre, sans guerre ».
Le fait que l’accord du 27 juillet ait été conclu, non pas dans un pays tiers, mais en Écosse, dans une des propriétés privées du président Donald Trump, est par ailleurs problématique pour la CFE-CGC. Reprenant une citation de Victor Hugo, elle souligne que « la forme c’est le fond qui remonte à la surface ». La conclusion d’un accord politique de cette importance sur l’un des terrains de golf du président américain reflète le mépris de ce dernier pour les Européens, qui apparaissent comme « vassalisés ». David Cayla évoque quant à lui l’idée de capitulation.
L’Europe donne en effet l’impression de s’abaisser aux demandes de Donald Trump selon Sylvie Matelly de l’Institut Jacques Delors, ce qui affaiblit sa position vis-à-vis du reste du monde. Elle rappelle par ailleurs que cet épisode pourrait avoir des conséquences sur les relations que l’Union européenne entretient avec certains pays ou blocs de pays, notamment la Chine, la Russie ou encore le Mercosur, avec lesquels l’Europe négocie depuis des années en vue d’obtenir des concessions commerciales. Pourquoi devraient-ils céder aux exigences européennes si l’Europe est si faible ?
Toujours sur le plan des symboles, David Cayla évoque les propos de Thierry Breton selon qui l’accord serait un échec si l’Union européenne obtenait des concessions moins favorables que le Royaume-Uni malgré la taille supérieure de son marché intérieur. En effet, depuis le traité de Maastricht, l’Union européenne a toujours avancé l’idée selon laquelle l’intérêt du marché européen, et de l’union douanière en particulier, est de pouvoir négocier dans une position de force. Or le Royaume-Uni a obtenu des États-Unis des droits de douane plafonnés à 10 % contre 15 % pour l’Union européenne. D’après David Cayla, cela décrédibilise le narratif qui sous-tend le projet d’intégration européenne fondé notamment sur la puissance commerciale. Selon lui, il est nécessaire de considérer les conséquences de cet accord sur l’opinion publique. C’est également le sentiment partagé par la CFDT pour qui cet accord renforce le discours eurosceptique. Arnaud Montebourg pour sa part estime qu’une part de rébellion contre l’Union, déjà amorcée par ceux qui ont souffert de l’austérité et par ceux qui s’opposent à l’immigration, se manifeste désormais chez ceux qui vont subir le coût économique d’un tel accord. Il affirme que Mme von der Leyen met donc en risque la survie de l’UE.
Par ailleurs, la déclaration conjointe par laquelle s’est engagée l’Union européenne « reflète la reconnaissance par l'Union européenne des préoccupations des États-Unis et notre détermination commune à résoudre nos déséquilibres commerciaux ». Par cette déclaration, l’Union européenne consent à adopter le narratif américain consistant à admettre l’existence d’une situation déséquilibrée au détriment des Américains et en faveur des Européens, ce que conteste le Représentant Permanent Philippe Léglise-Costa et réfutent les économistes auditionnés par votre rapporteur. Au vu des chiffres, Sylvie Matelly juge en effet très discutable cet exposé des faits, en particulier lorsqu’on y inclut les services et d’autres volets connexes, analyse partagée par Arnaud Montebourg. Ainsi, d’après les données de la Commission européenne, l'Union a exporté pour 822,5 milliards d'euros de biens et services vers les États-Unis en 2024 et importé pour 774,5 milliards d'euros de biens et services en provenance des États-Unis. La balance est favorable aux Européens à hauteur de 48 milliards. Toutefois, en distinguant les biens des services, l’Union est certes bénéficiaire côté biens (156,6 milliards), mais largement déficitaire côté services (-108,6 milliards). Pour David Cayla, c’est la balance courante, qui doit être appréhendée dans toutes ses composantes. À la balance des biens et des services, il faut ainsi ajouter la balance des revenus correspondant aux rapatriements des profits réalisés par les entreprises américaines en Europe, notamment les revenus réalisés (principalement en Irlande) par les géants du numérique tels que Apple ou Microsoft, comme le souligne Guillaume Duval.
Pour Arnaud Montebourg, la domination des « hyperscalers » numériques américains permet en effet aux États-Unis de capter la valeur créée en Europe vers les États-Unis. David Cayla remarque ainsi que depuis 2021, la balance des revenus est structurellement déséquilibrée en défaveur de l’UE, à hauteur de 40 à 76 milliards d’euros par an. En sommant la balance des biens, des services et des revenus, l’UE et les États-Unis sont quasiment à l’équilibre. Guillaume Duval, Sylvie Matelly et David Cayla réfutent ainsi l’idée d’un déséquilibre structurel. En endossant le narratif américain d’un déséquilibre fondé sur la seule balance des biens, David Cayla conclut donc que l’UE accepte de payer un « tribut numérique » aux États-Unis, reflété dans la balance des services et des revenus.
La CGT critique ainsi le choix de la Commission d’éviter l’escalade au prix d’une capitulation, alors que l’UE s’est dotée d’outils permettant de défendre ses intérêts commerciaux. Elle rappelle par ailleurs l’avis du Conseil national de l’industrie du 22 juillet 2025, par lequel les industriels ont souligné « qu’un accord déséquilibré créerait un précédent entre pays industrialisés et pourrait entraîner une nouvelle vague de désindustrialisation en France et en Europe ». Cet accord aurait donc également des conséquences avec la fermeture d’usines et une montée du chômage.
Pour la CPME, l’accord comporte un risque d’asymétrie durable puisque les États-Unis conservent plusieurs avantages structurels : un marché financier plus profond, une avance technologique et une capacité d’action rapide en matière de politique industrielle.
Il sera en effet difficile de revenir sur cet accord, même si la présidence américaine venait à changer. Le fait que le président Biden n’ait pas annulé les droits de douane sur l’acier et l’aluminium mis en place par Trump lors de son 1er mandat en dit long sur les intérêts américains à ne pas faire de concessions économiques aux Européens, souligne Sylvie Matelly. Il y a donc peu d’espoir qu’une future administration américaine revienne sur cet accord, sauf si l’économie américaine devait trop souffrir de ces droits de douane, ce qui ne serait pas non plus dans l’intérêt des Européens.
2. Les raisons d’une apparente capitulation
Des arguments politiques et économiques ont été exposés à votre rapporteur pour justifier la conclusion d’un accord « du moindre mal », pour reprendre les termes du Représentant Permanent Philippe Léglise-Costa.
Sur le plan politique, la question ukrainienne, à travers notamment la garantie du maintien des États-Unis dans cette guerre, représente le point central pour comprendre la position de la Commission européenne selon Guillaume Duval. En effet, l’appui américain reste irremplaçable, notamment en matière de renseignement. Cette dépendance européenne explique sans doute, selon Sylvie Matelly, la position de la Commission européenne.
Ayant récemment participé à l’Helsinki Security Forum, Sylvie Matelly souligne par ailleurs l’intensité du sentiment partagé par les dirigeants européens selon lequel les Ukrainiens comptent véritablement sur l’Europe et croient au courage ainsi qu’à la capacité des Européens à les soutenir durablement. Ce paramètre est, selon elle, essentiel pour comprendre l’état d’esprit des dirigeants européens, qui tentent de trouver le chemin pour mettre fin à la guerre tout en garantissant la sécurité européenne (notamment celle des pays limitrophes à la Russie). Par ailleurs, il apparaît que la Russie piétine en Ukraine et que son économie souffre des sanctions, ce qui pourrait augmenter la pression sur Vladimir Poutine pour accepter une négociation. Toujours d’après Sylvie Matelly, l’accord avec les États-Unis pourrait donc être un moyen de gagner du temps, quelques mois, afin d’obtenir enfin un cessez-le-feu.
Elle ajoute également que le contexte économique n’est pas à l’avantage des Européens. Les relations euro-chinoises restent notamment compliquées et la croissance du vieux continent tourne au ralenti, renforçant le décrochage significatif de l’Union par rapport aux États-Unis, amorcé dans les années 1990 et aggravé crise après crise (crise de 2008, crise de la zone euro en 2012). L’Europe doit donc composer avec une guerre sur son territoire, un besoin stratégique des Américains et des choix diplomatiques douloureux à court terme qui risquent, toutefois, de se transformer en pénalités lourdes à long terme.
En conclusion, Sylvie Matelly estime qu’après cette humiliation acceptée et assumée dans un certain contexte, il faut engager enfin l’Union européenne sur la voie d’une Europe politique et géopolitique, véritablement capable de peser, en particulier en renforçant sa défense, un chantier ouvert depuis trente ans.
Sur le plan économique, l’économie européenne dépend davantage du commerce extérieur que les autres grandes économies : son taux d’ouverture, c’est-à-dire le ratio de ses échanges internationaux par rapport à son PIB, se situe autour de 50 % (contre 37 % pour la Chine, et 25 % pour les États-Unis).
Comme l’explique la CFE-CGC, l’Union européenne s’est orientée vers une réponse asymétrique en raison des degrés d’expositions au commerce transatlantique de certains États membres. « Sur le commerce de biens, l’Allemagne et l’Italie sont excédentaires vis-à-vis des États-Unis (respectivement plus de
85 milliards d’euros et près de 42 milliards d’euros) et sont donc beaucoup plus exposés que la France en cas d’escalade commerciale. Par ailleurs, l’Union européenne a craint des difficultés en termes d’approvisionnement qui auraient pu perturber certaines chaînes de valeur de certains produits conçus en Europe. Ainsi, dans une analyse coût-bénéfice, et afin d’éviter une escalade commerciale, la Commission européenne a voulu s’inscrire dans une réponse de moindre ampleur afin d’obtenir certaines concessions sur des secteurs clés tels que l'aéronautique, les alcools et les produits cosmétiques ».
David Cayla note pour sa part que l’économie allemande, en récession depuis trois ans, rencontre de grandes difficultés. Avec une modèle économique fondé sur l’exportation, l’Allemagne enregistrait entre 2014 et 2017 un excédent commercial avec les États-Unis, son principal partenaire commercial, représentant 7 % de son PIB. Depuis 2021 toutefois, l’excédent allemand s’est effondré, atteignant 3 % du PIB en 2023. Alors que les usines allemandes sont au ralenti et que l’emploi industriel baisse, David Cayla estime que le principal facteur explicatif en faveur de cet accord repose sur la nécessité d’éviter que la récession allemande ne se prolonge. Une fois les propositions européennes mettant en œuvre les engagements tarifaires compris dans la Déclaration conjointe, les droits de douane sur le secteur de l’automobile, actuellement fixés à 27,5 %, devraient passer à 15 %.
Le MEDEF, l’AFEP et la CPME considèrent pour leur part qu’au regard du risque d’escalade dans les tensions commerciales entre l’Europe est les
États-Unis, les droits de douanes à 15 % sont peut-être un moindre mal pour les entreprises françaises qui ont besoin de stabilité, opinion partagée par Guillaume Duval.
Le Représentant Permanent Philippe Léglise-Costa estime par ailleurs que la détermination du président Donald Trump ne peut être sous-estimée pour comprendre la position de la Commission européenne, auprès de laquelle de nombreux acteurs, entreprises privées et États membres ont fait part de leur préférence pour une désescalade. Cette prudence était motivée à la fois par des raisons économiques (partagées par l’Allemagne, l’Irlande et l’Italie), idéologiques (Italie et Hongrie) ou géopolitiques (États d’Europe de l’Est).
3. Un accord traduisant l’absence de vision géopolitique de la Commission ?
Guillaume Duval souligne toutefois que ce renoncement rapide sur l’enjeu commercial a renforcé la conviction de Donald Trump qu’il peut ignorer l’Union européenne, comme en témoigne le dernier sommet d’Anchorage. Or l’arme commerciale est la principale arme de l’Union au regard de la part de son marché dans la consommation mondiale (20 %), et des difficultés rencontrées par les exportateurs américains. En outre, la puissance normative de l’Union, le « Brussels Effect », repose principalement sur le commerce, comme le reflète le renforcement des mesures coercitives lors de la précédente législature (cf. supra).
Pour la CFE-CGC, l’Union européenne aurait dû aborder les relations commerciales dans une logique de réciprocité et estime, qu’il eut été nécessaire, au nom des intérêts fondamentaux de l’Union, de mettre en place des mesures de représailles à l’échelle de l’UE.
David Cayla souligne par ailleurs l’impact du « friend shoring » dans la relation transatlantique, concept introduit par la secrétaire au Trésor Janet Yellen et théorisé sous l’administration Biden. Le « friend shoring » vise à réserver certains échanges commerciaux aux pays considérés comme « amis », mettant ainsi fin au principe de nation la plus favorisée. Alors que, depuis la guerre en Ukraine, le monde se retrouve de plus en plus divisé, l’accord s’inscrit dans cette logique, excluant explicitement certains pays du champ des « amis » commerciaux des
États-Unis. Cela lie à nouveau diplomatie et commerce, une séparation pourtant recherchée par l’OMC. Dans ce paysage, David Cayla estime que l’Union européenne n’est pas préparée à cette re-politisation de l’économie, laquelle persiste à croire qu’il est possible de maintenir une économie dépolitisée en œuvrant à la baisse des droits de douane, comme le prévoient les traités européens. Selon lui, il serait désormais essentiel que l’Europe adopte une vision géopolitique pour organiser ses flux commerciaux. Il ajoute que cet accord reflète l’absence de stratégie véritablement géopolitique de la Commission européenne, et rappelle que, bien qu’annoncée, cette orientation n’a pas encore trouvé de traduction concrète.
In fine, selon Guillaume Duval, la Commission aurait dû agir plus tôt, élaborer une stratégie de négociation davantage préparée politiquement et chercher des alliances plus solides avec les autres membres du G7 pour élaborer une riposte commune. L’Europe n’a pas suffisamment porté cette dynamique, ce qui affaiblit sa position.
Comme le soulignait Arnaud Montebourg, citant l’économiste Robert Kagan : les États-Unis sont « les enfants de Mars » (dieu de la guerre) tandis que les Européens sont « les enfants de Vénus » (déesse de l’amour), ajoutant que cette « servitude volontaire » devient une habitude pour l’Europe.
Le caractère irréalisable de certains engagements pris par la Commission rend par ailleurs cet accord « contreproductif » pour reprendre le terme employé par Guillaume Duval.
4. Certains engagements manifestement intenables compromettent déjà les objectifs affichés de « visibilité et de prévisibilité »
Sylvie Matelly observe, après la conclusion du « Turnberry deal », que les notes publiées à la mi-août par la Commission et la Maison Blanche ne présentent ni les mêmes contenus ni les mêmes engagements, ce qui laisse supposer que l’accord du 27 juillet n’était à l’origine qu’un « engagement oral entre deux personnes sur un terrain de golf ». Elle constate, après la Déclaration conjointe, que le mot « prévisibilité » revient à plusieurs reprises sur le site internet de la Commission pour justifier l’accord, ce qui, selon elle, sous-entend une forme de résignation, en acceptant un accord faute de mieux, au nom de la visibilité pour les acteurs économiques.
Or de nombreux engagements pris paraissent irréalisables, ce qui contrevient aux objectifs de visibilité et de prévisibilité énoncés dans la Déclaration conjointe et dont la non réalisation pourrait conduire Donald Trump à modifier unilatéralement les termes de cet accord déjà fortement déséquilibré.
S’agissant des promesses d’achat, on ne voit pas comment la Commission européenne pourrait forcer les investisseurs privés à investir 600 milliards de dollars aux États-Unis d’ici 2028. Cela est d’autant plus vrai que, comme le souligne Guillaume Duval, l’instabilité politique américaine représente un frein à tout investissement massif, et que, comme le souligne la CPME, la commission européenne n’a pas le pouvoir d’imposer aux entreprises européennes d’orienter leurs investissements aux États-Unis.
Les engagements d’achats militaires, dénoncés par le MEDEF comme ne relevant pas de la compétence de la Commission, paraissent tout autant « irréalistes et farfelus » pour reprendre les termes de la CPME.
En outre, l’achat de 750 milliards de dollars de produits énergétiques aux États-Unis en 3 ans représente, d’après Bastien Cuq (en charge des politiques énergétiques au sein du Réseau Action Climat, auditionné par votre rapporteur), 250 milliards d’importations par an, soit 60 % de l’ensemble des importations européennes d’énergies fossiles. En considérant que les prix restent constants, il n’est pas sûr que l’Europe ait les infrastructures nécessaires pour importer un tel volume de pétrole et de GNL.
250 milliards de produits énergétiques représentent également 80 % des exportations étasuniennes en la matière. Or personne ne souhaite être dépendant à 60 % ou 80 % d’un client ou d’un fournisseur.
Ces considérations interrogent Bastien Cuq quant aux intentions de la Commission européenne et des États-Unis. Si ces derniers augmentent de manière significative leur production d’énergie fossile en accord avec les engagements d’achat de la Commission, alors l’Europe se retrouverait dans une situation de dépendance inédite.
Si dans un futur proche, les États-Unis demandent des comptes à l’UE quant à ces promesses d’achats, le Conseil devra se prononcer sur une éventuelle rupture d’engagements tarifaires, prévient le Représentant Permanent Philippe Léglise- Costa. Il souligne que les investissements privés, auxquels la Commission s’est engagée, correspondent aux prévisions d’investissements et d’achats des entreprises européennes. Les négociations en Écosse ont toutefois conduit à une hausse significative des engagements initiaux d’achat en énergies. Initialement calibrés à 150 milliards par an, ils ont finalement été établis à 250 milliards, ce qui paraît infaisable, tant au regard des importations européennes que des exportations américaines, conclut le Représentant Permanent.
S’agissant des aspects normatifs, Caroline François-Marsal, en charge des politiques européennes au sein du Réseau Action Climat, également auditionnée par votre rapporteur, constate que la Commission a formulé des promesses qu’elle n’est pas en mesure de tenir en ce qui concerne l’omnibus sur le devoir de vigilance. La Commission est en effet partie du principe que son projet de loi Omnibus I, visant à modifier les directives CSRD et CS3D, répondait aux demandes de l’administration américaine. « En réalité, la loi Omnibus est une proposition de directive que le Parlement européen n'a pas encore adoptée. Donc l’UE ne s’est pas encore engagée à réaliser cette simplification, seuls la Commission et le Conseil de l'UE se sont positionnés. De plus, la loi Omnibus ne remet pas en cause les demandes qui sont faites aux entreprises non-européennes, ce qui est précisément demandé par l’administration Trump (…). Le respect de l’accord cadre impliquerait donc des dispositions supplémentaires à l’Omnibus présenté, en particulier vis-à-vis des entreprises non européennes ».
De façon plus générale, Guillaume Duval considère que ces promesses, contradictoires avec les politiques européennes (cf. infra), sont inconsidérées par leur contenu et leur nature. Il confirme par ailleurs que si l’Allemagne, plus dépendante des exportations vers les États-Unis, a exercé une pression significative sur la Commission, les élites économiques allemandes doutent toutefois de la stabilité apportée par cet accord. Le patronat allemand désapprouverait même l’accord, selon Arnaud Montebourg, tout comme le patronat Italien. Reprenant le président Macron, il déclare : « Nous sommes soit naïfs, soit faibles, soit les deux à la fois ».
Enfin, votre rapporteur considère que certains éléments actuellement absents de l’accord pourraient faire l’objet d’une pression forte du président américain pour forcer les Européens à renoncer à d’autres aspects de leur souveraineté normative, notamment en matière de régulation numérique. En effet, Donald Trump menaçait, le 25 août dernier, quelques jours après la Déclaration conjointe, d’imposer « des droits de douane substantiels » aux pays qui ne supprimeraient pas leurs réglementations sur les marchés numériques. Il visait ainsi implicitement le DMA et le DSA. « L’Amérique et les entreprises technologiques américaines ne sont plus ni la tirelire ni le paillasson du monde » ([11]) . Pour reprendre les propos du Représentant Permanent Philippe Léglise Costa, il est difficile de parler de prévisibilité avec une administration américaine fondée sur le principe d’incertitude. Votre rapporteur considère que certains éléments peuvent également nous alerter sur l’application de la directive SMA aux acteurs américains et la tentation des USA de remettre en cause l’exception culturelle qui protège nos industries culturelles.
La récente décision d’une cour d’appel fédérale américaine ([12]) , confirmant un jugement rendu en mai 2025 par la Cour du commerce international, en est l’illustration la plus éclairante. Par sept voix contre quatre, la Cour considère illégaux les droits de douane dits « réciproques » pris sur le fondement de l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) de 1977. Elle juge que si l’IEEPA confère au président Donald Trump une marge d’action en cas d’urgence déclarée, elle ne l’autorise pas à imposer des tarifs ou taxes sur les importations. Ces droits de douane sont censés rester en vigueur jusqu’à la date d’exécution du jugement fixée au 14 octobre, sauf appel devant la Cour suprême.
II. Des IntÉRÊts europÉens compromis, des rÉpercussions mondiales incertaines
A. Des consÉquences socio-Économiques diffÉRENCIÉes selon les secteurs d’activitÉ et l’ouverture des marchés europÉens au commerce transatlantique
1. La mise en œuvre partielle de cet accord pose d’ores et déjà des difficultés opérationnelles aux acteurs économiques
La politique tout azimut du président Donald Trump en matière commerciale rend complexe la mesure des impacts socio-économiques du « deal » et des politiques unilatérales américaines qui s’appliquent en parallèle. La grille d’évaluation permettant cette mesure implique de prendre en compte une série de paramètres.
D’une part, l’impact sera plus ou moins important selon que les biens et services sont soumis au taux dit « universel » de 15 %, à un taux sectoriel, au tarif de la nation la plus favorisée ou exemptés.
D’autre part, il est nécessaire de rappeler, comme l’a souligné le MEDEF à votre rapporteur, que les taux douaniers de 15 % sont déjà entrés en vigueur et qu’ils s’ajoutent aux taux précédemment appliqués.
En outre, les conséquences de la politique commerciale américaine sur les secteurs d’activité diffèrent en fonction de leur taux de marge, rappelle Sylvie Matelly. En effet, les industries du luxe, qui bénéficient de marges importantes, peuvent ajuster leurs prix pour absorber la hausse des droits de douane. En revanche, le secteur agricole, caractérisé par des marges faibles, risque d’être moins compétitif, notamment dans un contexte où le secteur est déjà fortement exposé par l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur, précise la CFE-CGC.
L’élasticité-prix de la demande est également un indicateur à prendre en compte, souligne Sylvie Matelly. Si l’on reprend l’exemple des biens de luxe, cette élasticité est faible (un acheteur de produits de luxe paiera quel que soit le prix), alors que d’autres produits, comme les produits agricoles ou les vins français, subissent une plus forte concurrence. Dans ce dernier cas toutefois, une différence doit être faite entre le haut de gamme et les gammes intermédiaires. À titre d’illustration, la demande pour les vins et spiritueux haut de gamme devrait moins diminuer que celle de leurs équivalents moins prestigieux. La baisse des marges reste néanmoins problématique même dans l’hypothèse de la préservation des parts de marché.
Le MEDEF pointe par ailleurs une difficulté supplémentaire liée à la nécessité, pour les entreprises européennes, de s’acquitter des droits de douane correspondants aux composants chinois utilisés dans la fabrication de produits européens exportés aux États-Unis et qu’il faut pouvoir isoler. La même difficulté surgit lorsqu’il s’agit d’isoler dans un produit sa composante d'acier et d'aluminium soumise au taux de 50 %.
Au regard de cette complexité, Arnaud Montebourg s’interroge sur la viabilité juridique et politique de l’accord. Il indique connaître de nombreuses entreprises de la métallurgie confrontées à des blocages, notamment dans le cas des engins de chantier Manitou. Les douaniers américains exigent en effet des preuves d’origine des aciers utilisés dans la fabrication de ces produits afin d’appliquer des taxes supplémentaires. Selon lui, près de la moitié des marchandises se retrouvent ainsi bloquées et « rackettées », dans un contexte de flou juridique marqué par l’absence de documents officiels précisant la procédure à suivre.
2. L’ampleur des chocs sectoriels dépend du tissu économique de chaque État membre et de sa dépendance au marché américain
Ce constat est partagé pour tous les partenaires sociaux auditionnés par votre rapporteur, qu’il s’agisse du patronat ou des organisations syndicales.
D’après la CFE-CGC, « Pour certains pays et secteurs très dépendants du marché nord-américain, dont notamment le secteur industriel allemand, les conséquences économiques peuvent être très lourdes, et entraîner notamment des pertes d’emplois. Pour la France, les relations sont plus équilibrées ». En effet, l’économie française n’est pas autant exposée au commerce transatlantique, confirme David Cayla.
S’appuyant sur les statistiques douanières pour le premier semestre de l’année 2025, le MEDEF note en effet que la baisse des exportations françaises aux États-Unis – environ -1 % par rapport au premier semestre 2024 – est moindre que pour le Royaume-Uni ou l’Allemagne dont les biens et services sont plus exposés. Si l’analyse de ce résultat nécessite une prise de recul qui aujourd’hui fait défaut, le MEDEF émet avec prudence des hypothèses pour expliquer cette baisse relative. Elle pourrait résulter de l’absorption des droits de douanes par les importateurs américains. Cette hypothèse a également été émise par le Représentant Permanent Philippe Léglise Costa. Par ailleurs, de nombreux pays exportant aux États-Unis, comme la Corée du Sud, sont également taxés à environ 15 %, ce qui a pour effet de lisser la concurrence.
Au niveau de la méthode, Sylvie Matelly note que le Royaume-Uni a négocié uniquement sur les secteurs qui l'intéressent, tandis que l’Union a négocié sur de plus larges secteurs afin de prendre en compte les intérêts de tous les EM. Elle ajoute que le commerce avec les États-Unis représente seulement 13 % du commerce européen, le reste se faisant en interne ou avec d’autres partenaires, pour lesquels l’Union négocie depuis 2008 des accords plutôt à son avantage grâce à l’attractivité de son marché. Cette diversification pourrait, d’après elle, compenser les désavantages liés à l’accord américain. Elle conclut qu’en définitive, il n’y a pas vraiment d’États membres clairement gagnants ou perdants, mais plutôt des impacts sectoriels nuancés.
La CFE-CGC précise en effet que les Français sont exposés sur les mêmes produits que leurs homologues européens « sur le plan industriel (notamment les produits de l’aéronautique et de l’automobile) avec toutefois une exposition plus marquée sur les produits agroalimentaires notamment sur les vins et les spiritueux ».
Pour ces raisons, comme le souligne la CPME, il paraît plus pertinent d’analyser l’impact de l’accord par secteur d’activité et non par État membre :
- Le secteur automobile : les droits de douane n’impactent pas uniformément l’ensemble du secteur automobile. D’après les données communiquées par la CPME, le secteur automobile connaît une baisse de ses exportations de 10 % à l’échelle européenne et varie entre État membre en fonction de sa dépendance au marché américain et de la localisation des sites de production. « Ainsi, les entreprises qui produisent majoritairement hors des États-Unis et qui y exportent leurs marchandises sont les plus impactées. C’est notamment le cas des entreprises allemandes (principalement BMW, Volkswagen et Mercedes), les États-Unis ayant représenté en 2024 le premier débouché des véhicules exportés (13,1 %) ». A contrario, « cette diminution impacte peu l’industrie automobile française, très peu exposée au marché américain. En effet, les exportations françaises ne représentent que 0,1 % des importations automobiles américaines (Trade Map en 2023) ». Par ailleurs, le secteur automobile français pourrait paradoxalement « profiter de la baisse de la production locale en Allemagne et en Italie pour gagner des parts de marché en Europe ».
- Le secteur du vin et des spiritueux : avec 25 % des exportations destinées aux États-Unis d’après les données communiquées à votre rapporteur par la CGT et confirmées par la CPME, ce secteur est le plus impacté par l’accord. Plusieurs dirigeants de fédérations du secteur viticole ont toutefois fait part à la CPME qu’il était préférable de signer cet accord afin de garantir une certaine stabilité. Les États-Unis sont le premier marché à l’export avec 2,4 milliards d’euros de vin et 1,5 milliard d’euros de spiritueux exportés en 2024. D’après la CPME, « avant 2025, ces produits étaient peu taxés – 3,5 % pour les vins, et une exonération pour les spiritueux… Les producteurs rencontrent de grandes difficultés à trouver des alternatives commerciales équivalentes, en raison de la situation économique tendue sur d’autres marchés potentiels, tels que le Japon ou la Chine. Les représentants du secteur du champagne ont précisé qu’il était difficile de « réorienter » ses flux vers d’autres régions du monde à court terme ». David Cayla estime pour sa part que le niveau de taxation aurait été similaire en l’absence d’un accord. Le Représentant Permanent Philippe Léglise Costa identifie ce sujet comme prioritaire pour la France et pour l’Union européenne, la Commission européenne s’efforçant de le faire entrer dans la liste des exemptions.
- Le secteur de l’imprimerie : la CPME souligne que ce secteur est indirectement touché par les droits de douane appliqués aux vins et spiritueux. « À titre d’illustration, la situation économique difficile de la maison de Cognac Camus (suppression de 30 % de ses effectifs en 2025) oblige l’entreprise chargée de l’impression des étiquettes des bouteilles de décaler les impressions en 2026, ce qui entraîne une perte de chiffres d’affaires (pas de données chiffrées) ».
- Le secteur du cosmétique : toujours d’après les données de la CPME, les États-Unis sont le premier débouché de ce secteur qui y a exporté pour 3 milliards d’euros de marchandises en 2024. « Le secteur estime que ses pertes potentielles sont de 300 millions d’euros et de la destruction de 5 000 emplois. Par ailleurs, l’accord manque de clarté sur les exemptions de droits de douane (prévues à l’Annexe II). Cela pose problème pour la filière cosmétique, car les États-Unis appliquent une taxe de 50 % sur l’aluminium et certains de ses dérivés, ce qui pourrait concerner des emballages comme les aérosols, opercules ou blisters, sans qu’il soit clairement établi lesquels sont visés ».
- Le secteur aéronautique : exempté de droits de douane depuis juillet (auparavant 15 %), le secteur connaît une hausse de 21 % de ses exportations vers les États-Unis en un an, d’après la CPME. Cet abaissement s’explique selon David Cayla en raison de la relation de double dépendance entre les États-Unis et l’Europe, Boeing nécessitant des moteurs et autres composants produits en Europe, et vice-versa.
- Le secteur de la pharmacie : il est également exempté de droits de douane. Cette exemption repose, pour David Cayla, sur la même logique que celle qui s’applique au secteur aéronautique. Le secteur de la pharmacie soulève toutefois, pour Sylvie Matelly, une question majeure. Au-delà de l’exemption des médicaments génériques prévue par l’accord, l’industrie pharmaceutique européenne reste menacée. Donald Trump l’accuse notamment d’être responsable de la hausse des prix des médicaments aux États-Unis, ce qui exclut une large part de la population du système de santé.
- Le secteur de l’acier et de l’aluminium : David Cayla estime que les conséquences de cet accord sur ce secteur sont incertaines. Il n’est en effet pas certain que les droits de douane, actuellement à 50 %, seront plafonnés à 15 %. Le Représentant Permament Philippe Léglise Costa identifie ce sujet comme prioritaire à l’échelle de l’Union.
3. Focus sur un secteur agricole déjà fragilisé par les accords de libre-échange
L’AFEP rappelle d’abord que le secteur agricole est l’une des principales contributions aux exportations et à l’excédent commercial de la France. Toutefois, cet excédent est tombé à son plus bas niveau depuis vingt-cinq ans alerte l’Association nationale des industries alimentaires (Ania). Si la Commission européenne décrit un commerce agroalimentaire européen encore « robuste », avec un excédent de 21,9 milliards d’euros au premier semestre 2025 ([13]), la France décroche nettement. Sur les sept premiers mois de l’année, son excédent alimentaire n’atteint que 361 millions d’euros, contre une moyenne de 4,6 milliards d’euros sur la période 2022-2024. Ce décrochage est le résultat, selon l’Ania, de plusieurs facteurs : une perte structurelle de compétitivité des industries agroalimentaires françaises, des tensions commerciales avec les États-Unis et la Chine, un euro fort et une mauvaise campagne céréalière.
Face à ce constat, le président de l’Ania, Jean-François Loiseau, appelle « le Premier ministre, et le futur gouvernement, à prendre acte, en urgence, de la situation catastrophique de l’agroalimentaire dans notre pays. Nous ne pouvons plus être à la fois la variable d’ajustement des accords internationaux et subir des décisions françaises qui font que désormais nos entreprises ne sont plus compétitives au sein même de l’Union européenne » ([14]) .
De nombreux acteurs s’inquiètent plus particulièrement des conséquences du « deal » commercial avec les États-Unis.
Le Représentant Permanent Philippe Léglise Costa rappelle que la Commission a maintenu des lignes rouges : certaines filières sensibles, telles que le bœuf, le poulet, le sucre ou l’éthanol, ont été exclues de l’accord. Selon lui, aucun secteur ne serait très fortement affecté à ce stade, dans la mesure où de nombreux produits agricoles exportés vers les États-Unis étaient déjà soumis à des droits de douane élevés. L’augmentation à 15 % ne serait donc pas rédhibitoire (par exemple pour les fromages déjà taxés à hauteur de près de 15 %). La Commission considère même que certains secteurs pourraient tirer avantage de cette situation en renforçant leur position concurrentielle face à des exportateurs venus d’autres régions du monde, notamment d’Asie, soumis à des droits plus élevés.
Cette position n’est toutefois pas partagée par certains interlocuteurs auditionnés par votre rapporteur.
La CGT redoute l’arrivée de porcs et de soja dont les productions ne sont pas soumises aux mêmes normes sanitaires et environnementales. Elle souligne aussi qu’il y aura davantage de concurrence sur le marché européen des fruits et légumes et considère que ce secteur va pâtir de cet accord. Sur ce dernier point, « Farm Europe », un think tank dédié aux politiques agricoles et alimentaires, tire les mêmes conclusions.
Pour David Cayla, le problème majeur de cet accord est la suppression des quotas d’importations dans le domaine de l’agriculture. Compte tenu de la densité de population plus faible aux États-Unis qu’en Europe, les agriculteurs américains bénéficient de plus grands espaces, leur permettant d’avoir une productivité du travail supérieure. La seule manière pour les agriculteurs européens de répondre à la compétition américaine est d’adopter des pratiques d’agriculture extensive, augmentant la productivité du travail mais réduisant le rendement de la terre. En effet, David Cayla remarque que la production agricole par unité de surface baisse en Europe. Si cela concerne principalement l’agriculture céréalière, les effets d’entraînement dans d’autres secteurs ne peuvent être ignorés. 50 % de la nourriture pour le bétail en France est aujourd’hui importée. Dans le cas d’un accord de libre-échange, avec la suppression des quotas sur l’importation, il deviendrait plus avantageux d’importer la viande directement des États-Unis.
Arnaud Montebourg attire également l’attention sur le secteur agricole : les agriculteurs américains utilisent des intrants et des méthodes anti-environnementales, créant une concurrence déloyale pour leurs homologues français. Leurs rendements sont trois fois supérieurs à ceux des Européens, ce qui a motivé le dépôt d’un mémorandum devant les autorités françaises pour faire reconnaître cette concurrence déloyale.
Enfin, David Cayla estime que cet accord pose une problématique d’ordre sociale, notamment en matière de souveraineté alimentaire. D’après lui, au fil d’accords sacrifiant la filière agricole au profit de l’industrie, nous avons pris pour acquis le fait d’importer une partie de notre alimentation. En effet, omettant les vins et spiritueux, il rappelle que la France a une balance agricole déficitaire.
Filières agricoles les plus touchées
Le secteur laitier : les exportations françaises vers les États-Unis représentent 284 millions d’euros en moyenne. Certaines entreprises sont rassurées par l’absence de droits de douane supplémentaires (15 % non cumulatifs).
Le secteur du beurre : l’exclusion du beurre et des protéines spécifiques constitue un point positif, mais les craintes sur les quotas d’importation demeurent fortes dans la filière.
Le secteur du grain : il faut être attentif aux effets domino. Par exemple, l’incapacité de la Chine à écouler ses produits vers les États-Unis pourrait faire craindre des reports de flux vers l’Europe (ex : amidon, malt…). Le Canada, 1er exportateur de protéines végétales avec le canola, pourrait reporter aussi ces flux vers l’Europe. Le marché des produits Boulangerie/Viennoiserie/Pâtisserie risquerait alors de se fermer.
Le secteur des fruits et légumes transformés : la proposition de la Commission européenne d’accorder unilatéralement un accès sans droits de douane à une série de produits américains (confitures, oignons séchés, légumes et fruits surgelés, conserves...) inquiète fortement la filière. Finalisée sans concertation avec les acteurs de la filière, cette décision fragilise la souveraineté alimentaire de l’UE et crée une situation de concurrence déloyale : certains droits de douane passent de 12,8 % à 0 % (oignons séchés) pour les importations américaines, alors que les producteurs européens restent fortement taxés à l’export. Le manque de réciprocité et l’absence de dialogue renforcent le déséquilibre de l’accord pour ce secteur déjà sous pression.
Source : CMPE
4. Menaçant directement la compétitivité européenne et plus généralement l’autonomie stratégique de l’Union, cet accord ne fera que des perdants à l’échelle européenne
Pour la CFE-CGC, « cet accord n’est pas satisfaisant et illustre les difficultés de l’Union à défendre ses intérêts fondamentaux : cette hausse unilatérale des droits de douanes sur les importations européennes représente une menace réelle pour la compétitivité de nos entreprises, pour leurs volumes de ventes, et, par voie de conséquence, pour l’emploi. Or, nous ne pourrons espérer bâtir une Union européenne prospère sans une structure productive forte et donc sans une certaine protection vis-à-vis des pays extra-européens. Il convient en effet de rappeler que le projet originel de l’Union européenne était de créer une zone de concurrence saine et prospère au sein de pays relativement semblables, c’est-à-dire présentant les mêmes conditions de revenus et les mêmes conditions sociales, et de parallèlement, protéger cet espace d’une concurrence internationale déloyale via la mise en place de tarifs douaniers communs. Nous ne pouvons que constater et regretter que cette conception originelle en terme commercial est de moins en moins vraie ».
Pour David Cayla, ce « deal » commercial représente une défaite politique en ce qu’il va à l’encontre des objectifs politiques de la Commission européenne, tels qu’énoncés dans le discours de la présidente de la Commission tenu le 10 juillet 2024.
Premièrement, l’objectif de développer l’industrie de la défense de l’UE, par l’achat conjoint d’armes européennes, est mis à mal par les promesses d’achats militaires américains, contraires au principe de préférence européenne, précise Sylvie Matelly.
Le discours de juillet 2024 énonçait aussi l’objectif de mobiliser 300 milliards d’euros d’épargne privée afin de financer l’économie européenne. Or la promesse d’investissements privés à hauteur de 600 milliards d’euros aux
États-Unis d’ici 2028 va à l’encontre des besoins de financement en Europe, alors que le rapport Draghi recommandait 800 milliards d’investissements intra-européens, note la CFDT.
L’accord est également contraire à la stratégie européenne en matière de transition énergétique. David Cayla regrette que l’accord prévoit l’achat de gaz naturel liquéfié (GNL) pour 750 milliards d’euros au cours des trois prochaines années, alors même que l’UE devrait réduire de 90 % ses émissions d’ici 2040.
Plus généralement, Guillaume Duval souligne que l’ensemble de ces promesses vont à l’encontre des recommandations du Rapport Draghi, qu’il y a urgence de mettre en œuvre pour l’AFEP.
Enfin, la CFE-CGC rappelle que, « dans le cas plus spécifique de ses relations avec les États-Unis, l’enjeu pour l’Union européenne est de réussir à gagner en indépendance vis-à-vis des États-Unis que ce soit au niveau de ses exportations ou de ses importations. Car si la position de Donald Trump sur le commerce est plus offensive que celle de Joe Biden, elle n’est en réalité que la continuité d’une politique plus large des États-Unis de s’affranchir des règles du multilatéralisme et de s’inscrire dans une dimension plus unilatérale et protectionniste ».
B. Le recul flagrant des engagements en matière environnementale
1. La concrétisation de la promesse d’achat d’énergie fossile viendrait renforcer un modèle américain obsolète
Pour réduire sa dépendance au gaz russe, l’Union s’est tournée depuis 2021 vers le gaz naturel liquéfié (GNL), dont les importations en provenance des
États-Unis représentent aujourd’hui environ 50 %.
Dans le cadre du « deal », l’Union s’est engagée à acheter pour 750 milliards de dollars de gaz naturel liquéfié, de pétrole et d’énergie nucléaire américains d’ici 2028, ce qui impliquerait de tripler ses achats de GNL. Or, note Bastien Cuq, le gaz aux États-Unis provient en majorité du gaz de schiste, extrait par fracturation de roches en profondeur, porteur de risques systémiques, de pollutions à l’échelle locale et globale, ce qui explique son interdiction en France. Ce gaz doit par ailleurs être comprimé, liquéfié, puis décompressé. Chaque étape de la production engendre des pollutions. C’est donc le moins propre de tous les gaz fossiles conclut Bastion Cuq. En effet, précise-t-il, « le cabinet Carbone4 estime ainsi que le GNL américain est 20 % plus émetteur de CO2 que le gaz russe livré par gazoduc, ou 45 % plus émetteur que le GNL russe, avant sa combustion. Dépendre du GNL américain, mais plus généralement prévoir un maintien voire une augmentation de notre consommation de gaz est donc antithétique avec les objectifs de neutralité carbone en 2050 ou les jalons intermédiaires fixés par l’Europe et la France en 2030, 2035, 2040 ».
Par ailleurs, les terminaux européens d’importation de GNL sont aujourd’hui très peu utilisés – environ 42 % de leur capacité selon l’IEEFA (Institute for Energy Economics and Financial Analysis). Pourtant, de nouveaux terminaux sont en cours de construction. Selon Bastien Cuq, l’augmentation des importations de GNL pourrait relever d’une stratégie de rentabilisation de ces infrastructures, lesquelles devraient être paradoxalement de moins en moins utilisées à mesure que les objectifs liés la transition énergétique se réalisent. « Maximiser l’utilisation de ces terminaux se ferait au seul bénéfice de leur gestionnaire, au coût d’un impact climatique désastreux, et potentiellement de prix plus élevés pour les consommateurs ».
Par ailleurs, Bastien Cuq rappelle qu’il existe environ 60 milliards d’euros de déficit commercial annuel sur les énergies en France vis-à-vis des États-Unis. Alors que nous avons besoin de sortir de cette dépendance, l’accord va dans le sens inverse.
Pour la CGT, le gaz de schiste étant particulièrement onéreux au regard de l’avantage compétitif de la France en matière de production électrique, son achat porterait atteinte à la souveraineté énergétique européenne.
Caroline François-Marsal rappelle par ailleurs que dans le rapport de janvier 2024 sur le changement climatique et l’état de l’avancement du Green Deal, le Conseil européen préconise de doubler le rythme auquel nous réduisons notre consommation de combustible fossile d’ici 2030, de le tripler d’ici 2040 et d’atteindre 25 % de notre consommation de combustible fossile actuelle d’ici 2050.
Plus généralement, votre rapporteur souligne l’incohérence de cet engagement au regard des objectifs climatiques et environnementaux que s’est fixée l’Union européenne dans le cadre du Pacte vert.
2. Le renoncement à la transition énergétique et aux ambitions portées par le Pacte vert
En s’engageant à accorder aux producteurs et exportateurs américains un traitement différencié de manière à ce que le règlement sur la déforestation importée n’ait pas « d’incidence indue sur le commerce entre les États-Unis et l’UE », l’Union s’attaque à un pilier du green deal. Mais ce n’est malheureusement pas le seul. L’Union européenne a ainsi donné l’assurance à l’administration américaine que les directives CSRD et CS3D ne créeront pas des « restrictions indues » pour le commerce transatlantique. Elle a également prévu la création de flexibilités supplémentaires au bénéfice des petites et moyennes entreprises américaines dans l’application du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Elle s’est par ailleurs engagée à s’attaquer aux barrières non tarifaires affectant le commerce des produits alimentaires et agricoles, y compris la rationalisation des exigences en matière de certificats sanitaires pour la viande de porc et les produits laitiers. Les États-Unis estiment en effet que la réglementation européenne représente une barrière non-tarifaire, souligne le MEDEF, qui pourrait à terme couper l’Europe du reste du monde en raison de la dénonciation d’un « impérialisme vert ».
Les représentants des organisations syndicales (CGT, CFDT, CFE-CGC) et de Réseau Action climat auditionnés par votre rapporteur condamnent toutefois ces engagements qui contredisent directement les ambitions climatiques de l’Union. La CGT ajoute que ces engagements participent d’un sabotage climatique, remettant en question la crédibilité de l’Union en matière de transition environnementale.
La CPME rappelle par ailleurs que « la crédibilité de la politique climatique européenne ne repose pas uniquement sur les déclarations politiques, mais sur la cohérence entre les engagements pris et les mesures appliquées. Les PME, qui investissent déjà dans leur transition ont besoin de stabilité et de cohérence dans les politiques européennes ».
Si le Pacte vert n’occupe plus réellement une place centrale dans les préoccupations de l’UE, c’est en raison, selon Sylvie Matelly, des conséquences de la guerre en Ukraine, notamment la crise énergétique qui a suivi.
Pour Caroline François-Marsal, la seconde mandature de von der Leyen contraste avec les engagements environnementaux précédents. Elle insiste sur les chocs de simplification visés par les paquets omnibus, porteurs de dérégulation environnementale et élaborés dans le cadre d’une procédure peu démocratique. Pour la CGT, ces simplifications répondent à des attentes du capital financier qui souhaite un cadre plus lisible, et donc plus rentable.
En ce qui concerne plus spécifiquement la CSRD et la CS3D, si la CPME rappelle que ces réglementations ont été remises en cause par des entreprises françaises avant même la conclusion du « deal » commercial en raison de procédures jugées comme insupportables. La simplification recherchée pourrait néanmoins désavantager les entreprises ayant déjà commencé à les mettre en place, avertit la CFE-CGC.
Les représentants du Réseau Action climat insistent en effet sur le fait que les directives CSRD et CS3D ont vocation à s’appliquer aux entreprises non européennes œuvrant sur le marché européen au même titre que les entreprises européennes. « Ces normes sont donc un levier pour renforcer l’ambition environnementale (…) au niveau mondial, en incitant à un mimétisme des normes dans d’autres pays ». L'extraterritorialité est donc cruciale pour ne pas pénaliser les entreprises européennes face à la concurrence. « Ce principe a été appelé de leurs vœux par beaucoup d’acteurs lors des consultations publiques menées par la Commission européenne en amont de la publication de ces propositions ».
En ce qui concerne le MACF, M. Cuq rappelle que ce mécanisme est censé constituer un mécanisme destiné à garantir un level playing field, c’est-à-dire une concurrence non faussée entre les entreprises européennes et extérieures. Exonérer les PME américaines du MACF revient à rompre l’égalité avec les PME européennes. Par ailleurs, d’après une étude publiée le 24 septembre par le think tank Sandbag, le coût de la taxe carbone aux frontières sera négligeable pour les exportateurs américains. À volume d’échanges constant, et en prenant en compte la répercussion probable d’une partie du coût sur leurs clients, le montant net pour les exportateurs se chiffrerait aux alentours de 160 millions ([15]).
Surtout, on ne peut que s’étonner, avec Caroline François-Marsal, de la critique portant sur l’impact de certaines législations européennes sur la compétitivité des entreprises alors qu’elles ne sont pas encore entrées en vigueur (ex : pour la seconde fois, la Commission européenne vient de proposer le report du règlement anti-déforestation en raison de supposés problèmes informatiques) et que personne n’est donc en mesure d’évaluer à ce jour leurs effets.
3. Le sabotage américain de l’industrie européenne des énergies renouvelables
Les représentants du Réseau Action climat ont souhaité attirer l’attention de votre rapporteur sur les défis actuels posés à l’industrie des énergies renouvelables.
« D’une part, le quasi-monopole Chinois sur le photovoltaïque est contesté par les États-Unis et la France sur leurs marchés domestiques respectifs. D’autre part, et c’est un enjeu plus urgent, le secteur de l’éolien était historiquement dominé par des entreprises européennes s’appuyant sur les marchés européens et américains. Récemment, la Chine est parvenue à concurrencer technologiquement les firmes occidentales, et à créer des champions chinois dont les ventes sont essentiellement concentrées sur le marché domestique chinois, lequel a représenté en 2024 70 % des nouvelles capacités éoliennes. Face à eux, les champions Européens voient actuellement les installations de nouvelles éoliennes faiblir aux USA face aux politiques de Trump. En août, son administration annonçait par exemple qu’elle annulait deux projets d’éolien offshore pourtant construits à 80 %, ce qui a conduit à une dévaluation importante pour l’entreprise danoise Orsted. Ainsi, face à une administration Trump qui a fait de la défense des intérêts des producteurs américains d’hydrocarbures sa priorité, l’Europe doit plus que jamais répondre par la réduction de sa demande en énergie (sobriété et efficacité) et la défense des énergies renouvelables, qui bénéficient à son tissu industriel et lui permettent de s’émanciper des empires des énergies fossiles, autant Russes qu’États-Uniens ».
C. Une reconfiguration mondiale aux contours incertains
1. L’économie américaine pourrait payer au prix fort ce nouveau protectionnisme
Pour Arnaud Montebourg, nous assistons à une démondialisation qui se traduit à la fois sur le plan économique et politique. Selon lui, le phénomène de démondialisation a été initié par les États-Unis, qui comme la France, connaissent des déficits jumelés importants (déficit extérieur et déficit des finances publiques). La stratégie protectionniste mise en place vise à financer ces déficits.
Il rappelle que le phénomène a débuté avec la désindustrialisation du Midwest où les Républicains ont réussi à convaincre la classe ouvrière de soutenir un parti favorisant le protectionnisme (notamment pour freiner l’arrivée de la Chine sur le marché), plutôt que de privilégier un vote démocrate assimilé aux mondialistes.
Pour Arnaud Montebourg, les États-Unis décident aujourd’hui de régler leurs comptes avec la Chine et adoptent une stratégie similaire envers l’Europe : ils obligent les grands opérateurs industriels à rapatrier leurs activités sur le territoire américain, utilisent le droit extraterritorial, la politique des visas, le dollar et adoptent une approche souverainiste.
Il s’interroge toutefois sur la capacité des États-Unis à assumer ce recul de la mondialisation, compte tenu des effets récessifs possibles de cette stratégie, car les Américains vont devoir payer des impôts considérables sur les produits importés.
C’est également l’interrogation de Guillaume Duval et du Représentant Permanent Philippe Léglise Costa, pour lesquels les droits de douane pourraient avoir un effet inflationniste aux États-Unis, entraînant une perte de pouvoir d’achat des Américains, accentuée par la baisse simultanée du dollar.
Guillaume Duval estime par ailleurs que les États-Unis ne peuvent plus vivre au-dessus de leurs moyens. En raison des problèmes structurels de l’industrie américaine et de la fuite des cerveaux à l’œuvre outre atlantique, il semble peu probable que le niveau des exportations augmente. L’instabilité politique aux
États-Unis devrait en outre freiner les investissements étrangers.
Face à ces risques, l’Union européenne tente de sensibiliser certains milieux américains, précise le Représentant Permanent Philippe Léglise Costa.
La guerre commerciale mondiale menée par Donald Trump devrait en effet obérer la croissance étasunienne et mondiale. Plusieurs études menées cette année par l’OCDE, aboutissent à cette conclusion. Si les chiffres doivent être maniés avec précaution tant la situation évolue d’un jour à l’autre, l’OCDE anticipait, en juin 2025, un ralentissement de 0,2 et 0,1 point, respectivement en 2025 et en 2026, de la croissance mondiale qui devrait s’établir à 2,9 %, soit la plus faible progression annuelle depuis l’épisode de la Covid-19 ([16]).
Ce ralentissement devrait particulièrement toucher l’économie américaine d’après les récentes analyses de la Réserve fédérale (Fed), qui estime la croissance américaine à 1.6 % en 2025 contre 2.8 % en 2024 ([17]).
La zone euro ne devrait pas être épargnée. En septembre 2025, la Banque centrale européenne a en effet abaissé ses prévisions de croissance pour l'année 2026 de 0.1 point en raison des tensions commerciales mondiales, plus particulièrement du relèvement des droits de douane américains. Ces prévisions passeraient de de 1,1 % à 1,0 %.
2. Les conséquences sur les liens que l’Union européenne entretient avec ses autres partenaires commerciaux ne peuvent être ignorées
Dans la lignée du « deal », tous les partenaires commerciaux des États-Unis se sont vus appliquer, outre des droits sectoriels, un taux négocié ou défini unilatéralement par l’administration Trump, ce qui conduit nécessairement à reconfigurer les flux mondiaux et les rapports entre puissances.
D’une part, l’AFEP souligne le risque de report des produits chinois destinés aux États-Unis vers l’Europe sur le marché européen. Si la Commission a décidé de mettre en place un dispositif de suivi des pics d’importations pouvant conduire, après enquête, à l’activation de mesures de protection ciblées et proportionnées au préjudice identifié, les exportations chinoises ont augmenté de près de 10 % cet été d’après un article du Monde daté du 22 septembre 2025 ([18]). Avec des droits de douane sur les produits chinois entrant sur le sol américain fixés à 30 %, une consommation intérieure morose et des surcapacités de production à écouler, la Chine a besoin du vieux continent pour écouler ses biens, avec le risque pour l’Europe de voir son tissu industriel davantage fragilisé. Malgré ce constat alarmant, le MEDEF souligne que le « Dashboard » annoncé par la Commission n’a toujours pas été publié. Guillaume Duval évoque par ailleurs la dépendance de l’UE à la Chine, qui, pour compliquer ce panorama, est le principal soutien de la Russie dans la guerre en Ukraine.
D’autre part, le deuxième risque évoqué par l’AFEP repose que l’éventuelle demande d’extension, par les autres partenaires commerciaux de l’Union, des concessions accordées aux États-Unis.
La concurrence sur les marchés tiers représente le troisième risque évoqué par le MEDEF. Le fait que les États-Unis s’ouvrent des marchés à 0 % sur plusieurs régions du monde combiné à la baisse du dollar et au recul des règles de conformité ([19]) pourrait fortement désavantager les exportateurs français et européens.
De manière plus générale, Arnaud Montebourg souligne que l’accord Union européenne/États-Unis va à l’encontre du libre-échange indifférencié et illustre en cela le processus de démondialisation en cours. Pour David Cayla, il ne s’agirait pas tant d’un processus de démondialisation que de l’accélération d’un mouvement déjà amorcé. Il rappelle en effet que, dès le premier mandat de Donald Trump, puis sous l’administration Biden, les États-Unis ont rompu avec certains principes fondateurs du commerce international, comme en témoigne leur refus de nommer des juges à l’organe de règlement des différends de l’OMC. Cette situation a rendu l’organisation quasi inopérante, incapable d’imposer des sanctions contre des pratiques commerciales jugées illégales et susceptibles d’entraîner des mesures disproportionnées.
En allant à l’encontre des principes de l’OMC, l’accord acte la dimension non contraignante de tous les accords des organisations internationales comme le relate Sylvie Matelly. L’accord pose ainsi la question d’un système à deux poids deux mesures. D’un côté, l’Europe défend l’Ukraine au nom du droit international. D’un autre côté, elle conclut un accord qui s’appuie sur des entorses à de nombreuses règles et traités internationaux, ce qui envoie un signal particulièrement négatif au reste de ses partenaires commerciaux. Même l’Europe, souvent perçue comme l’une des dernières régions à défendre une vision globale du monde et des relations internationales, ne semble plus être en mesure d’assumer le rôle de garante.
3. L’urgence de redéfinir la relation transatlantique
Enfin, précise la CFE-CGC, « au-delà des considérations strictement économiques, il convient également de souligner la nécessité de préserver les principes fondamentaux européens dans les accords commerciaux. Il s’agit notamment de la défense des libertés individuelles, de la démocratie, de l’égalité ainsi que des droits humains, ce qui inclut la lutte contre toutes formes de discrimination fondées sur le sexe, la race, l’origine ethnique, la religion, les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. S’ajoutent à cela le respect du droit à la protection des données personnelles, l’accès à la justice et le maintien de l’état de droit, garantis par des traités et l’existence d’une justice autonome. La tendance des États-Unis à se retirer du multilatéralisme est manifeste. Ce mouvement s’illustre par leur départ de certaines agences onusiennes, par les reculs exigés à l’OIT en matière de lutte contre les discriminations, par l'abandon des exigences de responsabilité dans le cadre d'accords douaniers, ou encore par des directives demandant aux sociétés américaines de ne plus observer les normes européennes en matière de durabilité. Même au sein de l’OCDE, des reculs se font sentir, notamment par la volonté de supprimer la notion de durabilité dans les textes, des blocages sur le mandat et la présidence du comité consacré à la responsabilité sociale des entreprises, ainsi que l’exemption accordée aux multinationales américaines concernant l’impôt minimum mondial ».
Pour Sylvie Matelly, ce dossier commercial doit donc être inscrit, par la Commission européenne et par les États membres, comme un élément de redéfinition de la relation transatlantique avec les États-Unis dirigés par Donald Trump.
Elle insiste sur l’importance de ce moment clé dans la construction européenne, marqué par un paradoxe. D’un côté, la population européenne plébiscite largement la dimension communautaire comme la seule capable de répondre aux défis contemporains, y compris ceux liés à la reconfiguration des relations internationales. De l’autre persiste l’état d’esprit selon lequel « c’est la faute de l’Europe ».
III. rejeter cet accord : CONDITION NECESSAIRE AU MAINTIEN DE LA CREDIBILITE EUROPÉENNE
A. UN accord non conforme au droit
1. Le non-respect des objectifs, principes et procédures prévus dans les traités pose un problème de légitimité démocratique
L’écueil principal de cet accord résulte sans doute dans ses failles juridiques.
D’une part, alors que la déclaration conjointe n’est théoriquement pas contraignante, l’accord est déjà partiellement appliqué en raison de l’unilatéralisme de l’administration Trump (cf. supra) et du non-respect des règles de l’OMC.
D’autre part, la nature juridique du futur accord est incertaine, ce dernier mêlant des aspects commerciaux (de la compétence exclusive de la Commission européenne) et des engagements politiques qui n’entrent pas dans le champ de compétence de la Commission, comme l’ont souligné tous les acteurs auditionnés par votre rapporteur, qu’il s’agisse des partenaires sociaux, des économistes, des protecteurs de l’environnement, des politiques ou de la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne.
Enfin, même en tenant compte des seuls aspects tarifaires de l’accord qui relèvent de la compétence de la Commission européenne, les prérogatives de cette dernière sont strictement encadrées par les traités.
Premièrement, l’Union européenne doit s’efforcer d’atteindre certains objectifs dans le cadre de son action extérieure. En vertu de l’article 21 paragraphe 2 du Traité sur l’Union européenne (TUE), « l'Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin : de sauvegarder ses valeurs, ses intérêts fondamentaux, sa sécurité, son indépendance et son intégrité, de consolider et de soutenir la démocratie, l'État de droit, les droits de l'homme et les principes du droit international (…), de contribuer à l'élaboration de mesures internationales pour préserver et améliorer la qualité de l'environnement et la gestion durable des ressources naturelles mondiales, afin d'assurer un développement durable (…), de promouvoir un système international fondé sur une coopération multilatérale renforcée et une bonne gouvernance mondiale. » L’article 11 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui fait lui aussi partie des dispositions d'application générale, dispose que « les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l'Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable » tandis qu’en vertu de l’article 206 du TFUE Article 206, « l'Union contribue, dans l'intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial ».
Deuxièmement, les institutions sont tenues de respecter certains principes, notamment le principe de coopération loyale. Ainsi, l’article 13 du TUE prévoit que « chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, conditions et fins prévues par ceux-ci. Les institutions pratiquent entre elles une coopération loyale ».
Troisièmement, la conclusion d’un accord suppose le respect de la procédure prévue à l’article 218 du TFUE, qu’il s’agisse d’un accord commercial ou d’un accord mixte. Ainsi, si la politique commerciale relève de la compétence exclusive de la Commission européenne, c’est le Conseil qui doit l’autoriser à ouvrir les négociations et qui peut lui adresser des directives de négociation. Or le dernier mandat portant sur la suppression des droits de douane avec les
États-Unis, daté du 15 avril 2019, exclut explicitement les produits agricoles de son champ d’application. Les directives de négociations précisent par ailleurs que l’élimination des droits de douanes sur les produits industriels, seuls visés et devant être conformes aux règles de l’OMC, seront réciproques. De plus, l’accord devra inclure une disposition permettant à l'Union européenne de suspendre unilatéralement l'application de concessions ou d'obligations substantiellement équivalentes si les États-Unis adoptent à l'encontre de l'Union européenne des mesures en vertu de l'article 232 de la loi sur l'expansion du commerce. Ces directives prévoient également qu’avant la conclusion des négociations, la Commission confirmera que les États-Unis ont levé toute mesure sur les exportations d'acier et d'aluminium originaires de l'Union européenne, conformément à l'article 232 de la loi sur l'expansion commerciale des États-Unis.
Rien de tout cela n’étant respecté dans la Déclaration conjointe, ce mandat n’a pu servir de base juridique, sauf à considérer que la Commission a outrepassé les compétences que lui confèrent les traités.
Si, comme le fait remarquer Sylvie Matelly, il paraît impensable que la Commission européenne se soit engagée dans de telles négociations sans l’aval des États membres les plus importants, le Représentant Permanent Philippe Léglise Costa confirme que la Commission a mené les négociations tarifaires avec une large marge de manœuvre (étant difficile de comprendre initialement la nature des négociations que Donald Trump voulait poursuivre) et que les discussions se sont ensuite progressivement étendues à des sujets non tarifaires et aux investissements, pour finalement aboutir à un document dépourvu de valeur juridique. Au regard des engagements souscrits, seules les parties tarifaires ont vocation à se transformer en décision. Elles ont d’ailleurs fait l’objet d’initiatives formelles devant le Conseil et le Parlement européen. Le 28 août dernier, la Commission européenne a en effet soumis au Conseil et au Parlement européen des propositions législatives relatives à l’élimination des droits de douane sur tous les biens industriels exportés par les États-Unis vers l’Europe, ainsi qu’à l’octroi d’un traitement préférentiel pour les exportations américaines d’une série de produits de la mer et de denrées agricoles.
Or, rappelons à nouveau qu’en vertu de l'article 5, paragraphe 2 du TUE « l'Union n'agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités pour atteindre les objectifs que ces traités établissent ». L’article 88-1 de la Constitution française énonce pour sa part que « la République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 ».
L’action de la Commission européenne en dehors de règles fixées par les traités, combinée au mécontentement nourri par la signature prochaine d’un accord liant les États européens aux États du Mercosur, ne peut qu’alimenter le mécontentement populaire, participant ainsi de la délégitimation de l’Union.
2. Une opinion publique européenne rejetant massivement cet accord
D’après le baromètre de l’opinion publique européenne réalisé par Cluster 17 pour le Grand Continent ([20]) réalisé sur un échantillon de 5 302 personnes dans
5 États clés de l’Union (France, Italie, Espagne, Allemagne et Pologne), 71 % des personnes interrogées déclarent avoir « entendu parler de l’accord » et savoir « de quoi il s’agit ». S’il est important de souligner qu’une majorité de 70 % des répondants déclare vouloir rester dans l’Union européenne, 52 % des personnes interrogées ont ressenti de l’humiliation en prenant connaissance de l’accord. Ce taux est particulièrement marqué en France (65 %), en Espagne (56 %), en Italie (51 %) et en Allemagne (51 %). Dans ce panorama, la Pologne, très atlantiste, se distingue (23 %).
Comme le souligne l’article du Grand Continent « Pour un sujet aussi technique que celui des tarifs douaniers, ces chiffres sont saisissants : ils montrent que l’accord a cristallisé une réaction politique et émotionnelle qui va bien au-delà de la dimension technique ».
Cette réaction est particulièrement vive à l’encontre d’Ursula von der Leyen, 75 % des sondés considérant qu’elle a mal défendu les intérêts européens et 77 % jugeant que l’accord profitera surtout à l’économie américaine.
Source : Sondage Cluster17 réalisé pour le Grand Continent - septembre 2025
Les Français sont les plus critiques, 65 % d’entre eux ayant déclaré avoir ressenti de l’humiliation, et ce, quel que soit leur bord politique ([21]).
Source : Sondage Cluster17 réalisé pour le Grand Continent du 30 août au 2 septembre 2025 sur un échantillon de 1 198 Français
Ce rejet est particulièrement massif au regard des engagements militaires.
Source : Sondage Cluster17 réalisé pour le Grand Continent du 30 août au 2 septembre 2025 sur un échantillon de 1 198 Français
B. Combattre cet accord sur le plan politique et juridique
1. Si l’Union européenne dispose de moyens de pression importants contre Washington, la position française est singulière au sein de l’Union
Le Représentant Permanent Philippe Léglise Costa rappelle que la France a adopté une posture plus ferme, étant relativement moins exposée sur le plan commercial (car moins dépendante du commerce transatlantique et bénéficiant d’une exemption sur l’aéronautique) et sur le plan militaire. Elle peut donc envisager une forme de non-alignement vis-à-vis de Washington, option plus difficile à concevoir pour d’autres pays membres pour lesquels le revirement stratégique vis-à-vis des États-Unis représente un véritable déchirement. Il rappelle toutefois qu’un changement peut être observé parmi certains pays nordiques et baltes dans leur rapport aux États-Unis. L’Allemagne, pour sa part, reste liée à ses enjeux commerciaux, tandis que l’Italie privilégie le maintien de la relation transatlantique pour des raisons idéologiques.
Pourtant, l’Union européenne dispose de leviers de pression identifiés et déjà prêts à être réactivés, les 93 milliards d’euros de contre-mesures ayant seulement été suspendus pour six mois. Les États-Unis dépendent en effet de l’Europe, en particulier dans l’industrie métallurgique ou dans la fourniture de machines destinées à la production de semi-conducteurs précise l’Ambassadeur.
À ce stade, la position de l’Union vise à sécuriser l’accord par le biais d’une clause de sauvegarde, démarche approuvée par le MEDEF. Une telle clause permet ainsi de suspendre totalement ou partiellement l’accord « lorsque les États-Unis ne mettent pas en œuvre la déclaration conjointe ou compromettent d’une autre manière les objectifs poursuivis par la déclaration conjointe, ou compromettent l’accès des opérateurs économiques de l’Union au marché des États-Unis, ou perturbent d’une autre manière les relations commerciales et en matière d’investissement entre l’Union et les États-Unis (…), lorsque l’ajustement des droits de douane (…) ou l’ouverture de contingents tarifaires (…) a pour conséquence qu’une marchandise originaire des États-Unis est importée en quantités tellement accrues ( …) et dans des conditions telles qu’un préjudice grave est causé ou menace d’être causé à l’industrie intérieure de l’Union ». Pour les représentant de la CPME, l’accord devrait également prévoir une clause de révision (pour s’adapter aux futurs besoins) et une clause d’extinction (réévaluation périodique obligatoire de certains engagements).
La CPME s’est également faite le relai des positions divergentes de ses membres, lesquels sont inégalement touchés par l’accord. « Certains appellent à une posture ferme face aux États-Unis, considérant qu’il faut envoyer un signal politique fort et ne pas céder face à une relation potentiellement déséquilibrée. D’autres acteurs insistent sur la nécessité de préserver la stabilité économique et commerciale. Ils estiment qu’il est préférable de signer l’accord, même imparfait, afin de garantir un environnement stable pour les entreprises (secteur viticole). D’autres enfin alertent sur le risque de distorsion massive de concurrence qui pourrait naître si l’accord n’était pas suffisamment encadré (secteur de la bijouterie et de l’horlogerie) ».
Les membres de la commission du commerce (INTA) du Parlement européen, saisis des deux propositions législatives, privilégient à ce stade l’inclusion d’une clause de suppression automatique (« sunset clause »).
Le Représentant Permanent Philippe Léglise Costa souligne par ailleurs que la pression est maximale pour faire figurer l’acier et l’aluminium ainsi que les vins et spiritueux sur la liste des exemptions. Il est essentiel, selon lui, de continuer à défendre ces dossiers non seulement au niveau politique, mais également auprès du Congrès et des exportateurs américains eux-mêmes.
Si la Commission européenne et le Parlement européen privilégient actuellement la phase de mise en œuvre de l’accord en tentant d’aménager le texte, le contexte d'incertitude sur les futures actions de l'administration Trump, le nécessaire respect de règles commerciales équitables telles que prévues dans le cadre de l’OMC et dont l’Union européenne se doit d’être garante, et la nécessité de rejeter le narratif de la maison Blanche sur le supposé déficit américain, conduisent votre rapporteur à privilégier, non pas des aménagements du texte, mais son pur rejet.
Par ailleurs, l’Union européenne ne devra pas hésiter à riposter contre les États-Unis le cas échéant, en déclenchant l'outil anti-coercition.
2. Aucune concession supplémentaire ne devra être accordée, notamment sur le numérique
Les règlements européens sur les services numériques (DSA) et les marchés numériques (DMA) sont clairement dans le viseur américain. Appliquées depuis 2023, ces deux textes visent à limiter la diffusion en ligne de contenus et produits illicites et la domination économique des grandes plateformes. Condamnant implicitement ces deux textes, le président Donald Trump déclarait quelques jours après la Déclaration conjointe entre son pays et l’Union européenne que « les taxes ou la législation sur les services numériques, et les réglementations sur les marchés numériques, sont toutes conçues pour discriminer ou nuire à la technologie américaine » ([22]). Le 18 septembre, le cabinet d’avocats King & Spalding publiait une étude commandée par le lobby de la tech américaine CCIA Europe portant sur les difficultés de mise en conformité avec le DMA et recommandant l’introduction d’une « présomption de conformité » ([23]). Ces mêmes lobbys dénoncent également la réglementation européenne sur l’intelligence artificielle, l'IA Act, dont une partie des dispositions s'applique depuis le 2 août 2025 ([24]).
Abandonner la régulation du numérique et la taxation des entreprises américaines opérant sur le marché européen serait suicidaire pour la CFDT, la régulation du numérique étant non seulement un enjeu économique mais aussi de souveraineté européenne.
Même s’ils déplorent l’absence d’acteurs européens dans ce secteur, Guillaume Duval et Arnaud Montebourg considèrent que les fleurons numériques américains, exclus des marchés russes et chinois, dépendent fortement du marché européen. L’Union détient donc un avantage dans ce domaine si elle choisit la confrontation, les deux marchés étant interdépendants.
Déplorant le manque d’investissement des Européens dans le secteur du numérique, Sylvie Matelly rappelle que si l’Union européenne devait céder sur le secteur du numérique, les citoyens européens ne comprendraient pas ce recul, tant sont mis en lumière dans leur vie quotidienne les ingérences étrangères ou les dangers liés au numérique, notamment pour les enfants (référençant les tragédies dans les écoles américaines et la série « Adolescence »). Le besoin de régulation est donc perçu comme crucial.
Lorsque le président Donald Trump a menacé d’imposer des droits de douane supplémentaires si l’Europe maintenait ses sanctions dans le numérique, la réaction de la Commission, et notamment de l’Allemagne, avait été très ferme, rappelle l’Ambassadeur Léglise Costa. Si l’Allemagne était réfractaire à l’utilisation de l’outil anti-coercition contre les États-Unis il y a encore peu, il est probable qu’elle envisage son utilisation après les récentes menaces américaines contre l’IA Act.
3. La mobilisation délicate des leviers juridiques
Les traités permettent la saisine de la Cour de Justice de l’Union européenne avant et après l’adoption d’un texte.
D’une part, la procédure mise en place à l'article 218, paragraphe 11 du TFUE vise à prévenir les complications qui pourraient surgir, tant au niveau international qu'au niveau de l'Union, si la décision de conclure un accord était jugée invalide. Elle permet la saisine « pour avis de la Cour de Justice sur la compatibilité d'un accord en envisagé avec les traités. En cas d'avis négatif de la Cour, l'accord envisagé ne peut entrer en vigueur, sauf modification de celui-ci ou révision des traités ». S’agissant d’un contrôle ex ante, cette possibilité ne présuppose donc pas un litige.
Toutefois, le TFUE limite la liste des requérants ayant un intérêt à agir, la Cour pouvant être saisie uniquement par un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission.
Dans ce contexte, la mobilisation de ce levier semble très incertaine.
D’autre part, parmi les recours a posteriori, l’article 263 du TFUE prévoit un recours en annulation contre les actes de l’Union qui enfreindraient les traités de l’Union ou violeraient les droits fondamentaux. Un tel recours ne peut être introduit que dans un délai de deux mois après la publication de l’acte.
Les moyens pouvant être soulevés sont au nombre de quatre : l’incompétence, la violation des formes substantielles, la violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application et le détournement de pouvoir.
En tant que requérants privilégiés, les États membres, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peuvent attaquer un acte de l’Union sans avoir à justifier d’un intérêt à agir. Au contraire, la Cour des comptes, la Banque centrale européenne et le Comité des régions sont autorisés à saisir la Cour uniquement pour assurer la sauvegarde de leurs prérogatives. Enfin, les particuliers et les personnes morales peuvent demander l’annulation des actes juridiques de l’Union qui les affectent directement et individuellement.
La commission s’est réunie le mercredi 15 octobre 2025, sous la présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, président, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. L’ordre du jour de notre réunion appelle l’examen de la proposition de résolution européenne visant à rejeter le projet d’accord sur les droits de douane et le commerce du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les États-Unis. Cet accord avait suscité, au début de l’été, de profondes interrogations qui sont toujours d’actualité. Je me réjouis donc que notre commission puisse en débattre – c’est là tout son rôle – et vous remercie, Monsieur le rapporteur, pour votre initiative.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Chers collègues, la proposition de résolution européenne que je vous présente peut être qualifiée de transpartisane : elle a été signée par quatre-vingt-cinq députés, issus de huit groupes parlementaires différents.
Cette proposition doit nous permettre de nous exprimer sur l’accord conclu par Mme von der Leyen et M. Trump à Turnberry, à la fin du mois de juillet, le « Turnberry deal », qui avait suscité, malgré la torpeur de l’été commençant, de la circonspection, voire de la colère. Alors même que l’Europe s’était engagée à mettre en place des mesures de rétorsion commerciale en réponse à l’augmentation des droits de douane annoncée par le président des États-Unis, Mme von der Leyen a finalement accepté, entre deux parties de golf, un accord profondément asymétrique et déséquilibré.
La première surprise a été de découvrir que Mme von der Leyen avait consenti à ce que les exportations européennes vers les États-Unis soient taxées à 15 % en contrepartie de l’élimination des droits de douane sur les biens industriels américains. C’est d’autant plus inquiétant que le Parlement européen avait bataillé sous son précédent mandat– j’y étais, ainsi que certains d’entre vous, et les élus français étaient largement unanimes sur ce point – pour que l’Union européenne puisse prendre des mesures de rétorsion commerciale face aux offensives de pays tiers, notamment la Chine ou les États-Unis.
Le deuxième point de l’accord qui nous a particulièrement déconcertés est l’engagement d’acheter 750 Md$ de gaz naturel liquéfié (GNL), de pétrole et d’énergie nucléaire américains d’ici 2028. Cela va directement à l’encontre du Pacte vert européen qui vise à faire de l’Union européenne un continent écologique grâce à l’abandon rapide des énergies fossiles.
Ce recul écologique se manifeste également dans le traitement différencié concédé aux producteurs et exportateurs américains dans l’application de plusieurs législations européennes. Sont notamment concernés le règlement européen du 31 mai 2023 sur la lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts, la directive du 14 décembre 2022 concernant la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), la directive du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises (CS3D), et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) qui vise à limiter les émissions importées en Europe – un dispositif particulièrement important, porté par la France.
La Commission a pris d’autres engagements qui vont à l’encontre de notre objectif d’autonomie stratégique, à commencer par la promesse d’acquérir des équipements militaires américains. Cela bat en brèche tous les efforts entrepris pour assurer notre autonomie en matière de défense dans un monde de plus en plus dangereux – je vous sais particulièrement sensible à cette question, Monsieur le président.
Plus de quatre-vingts parlementaires ont ainsi souhaité, par cette proposition de résolution, manifester leur mécontentement et alerter l’exécutif français sur les conséquences dangereuses qu’aurait un tel accord, malgré sa nature juridique ambigüe – nous pourrons y revenir. En tant que député français, je m’inquiète des graves effets qu’il aurait sur l’agriculture et sur l’industrie françaises, auxquelles je suis particulièrement attaché.
Nous avons réalisé un certain nombre d’auditions afin d’avoir le point de vue d’économistes, de syndicats, d’organisations patronales, et d’associations écologistes et environnementales sur ce projet d’accord. Une petite partie de nos interlocuteurs, notamment l’Association française des entreprises privées (Afep) qui représente les grandes entreprises, considèrent que « c’est mieux que si c’était pire ». Il leur semble préférable d’accepter des droits de douane de 15 % plutôt que de courir le risque qu’ils atteignent 30 %, d’autant plus que certains secteurs seront exemptés, comme l’aéronautique.
Les représentants des petites entreprises et les syndicats de salariés ont cependant souligné que tout le reste de l’économie demeurait gravement menacé, notamment l’industrie et l’agriculture. Même le secteur des vins et spiritueux, qui espérait bénéficier d’une exemption, sera finalement touché par l’augmentation des droits de douane – c’est particulièrement préoccupant pour la France. Ils ont tous exprimé une grande inquiétude et parfois de la colère, particulièrement à l’encontre de Mme von der Leyen, qui leur paraît s’être émancipée du Conseil et du Parlement européen pour prendre des décisions préjudiciables à l’Union européenne et à la France.
Le Parlement européen aura à débattre, dans les semaines qui viennent, de propositions législatives qui entérinent la suppression des droits de douane sur les biens industriels américains. Dans cette perspective, il nous a paru opportun que l’Assemblée nationale se prononce afin d’éclairer nos collègues européens. Quant à la mise en œuvre des engagements de Mme von der Leyen sur l’achat de 750 Md$ d’énergie fossile supplémentaire aux Américains ou les 600 Md$ d’investissements européens aux États-Unis, elle relève in fine des États membres. Je ne doute pas que la France ne pourra accepter un tel deal, qui scellerait la vassalisation de l’Europe. Tous les patriotes ici présents en seraient révoltés.
Je souhaite que cette proposition de résolution européenne soit signée par le plus grand nombre de parlementaires possible. Nous aborderions ainsi la discussion en séance avec toute la force d’une assemblée unie pour contester un projet incroyablement préjudiciable aux intérêts des salariés et des entreprises françaises et européennes.
M. Maxime Michelet (UDR). L’accord dont nous discutons à travers votre proposition de résolution a été conclu dans la plus grande opacité au cours de l’été. Il prévoit des droits de douane de 15 % sur les exportations européennes à destination des États-Unis, et ce sans aucune réciprocité. Il engage également l’Union européenne à réaliser des achats et des investissements aux États-Unis à hauteur de plusieurs centaines de milliards de dollars.
Un tel accord ne mérite qu’un seul nom, celui de capitulation. Une capitulation en rase campagne, qui sacrifie des secteurs entiers de l’économie européenne au profit d’intérêts particuliers. Ainsi, dans mon département de la Marne, la filière du vin de Champagne ne manquera pas de souffrir de ces droits de douane, qui s’ajoutent aux nombreux défis auxquels le secteur viticole est déjà confronté : déconsommation généralisée, réglementation déconnectée, discours hygiéniste, et menace sanitaire.
La capitulation douanière est un dernier coup de massue, en plus d’être un aveu d’échec pour la politique commerciale de l’Europe. Les États-Unis étant le premier marché mondial de consommation de vin, le relèvement des droits de douane à 15 % fait légitimement craindre aux vignerons français et européens un important recul de leurs exportations. La production viticole ne devrait pourtant pas être prise à partie dans la guerre commerciale, puisqu’elle est par nature impossible à délocaliser sur le sol américain. Si le président Trump peut espérer que les taxes sur les voitures allemandes bénéficient aux voitures américaines, les taxes sur le champagne français n’inciteront pas à produire davantage de champagne américain, pour la simple et bonne raison que le champagne américain n’existe pas.
Hélas, les négociateurs européens semblent avoir consenti au sacrifice cynique et intéressé du secteur des vins et spiritueux, transformé en victime expiatoire d’une négociation inconséquente, commencée par des menaces insensées sur des spiritueux américains et conclue, de la pire des manières, par un accord encore plus insensé. Le secteur des vins et spiritueux ne sera malheureusement pas le seul touché, et ce sont les intérêts français qui semblent sacrifiés au profit d’autres intérêts particuliers.
C’est pourquoi, Monsieur le rapporteur, le groupe Union des droites pour la République partage votre volonté d’inviter le gouvernement à s’opposer à cet accord, à poursuivre les négociations et à associer réellement les parlements nationaux à un accord commercial équilibré. Nous voterons donc en faveur de votre proposition de résolution.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Vous soulignez à juste titre l’importance de la réciprocité. Cela fait dix ans que les eurodéputés français, presque tous partis confondus, s’efforcent de défendre à Bruxelles l’application de ce concept en matière commerciale – nous sommes plusieurs dans cette salle à avoir pris part à ce combat. Hélas, l’Union européenne a une compétence exclusive sur la politique commerciale depuis le traité de Lisbonne.
Nous défendions l’idée que nous ne pouvions pas rester les idiots du village planétaire et que, lorsque les autres continents se protégeaient, l’Union européenne se devait d’en faire autant. Nous y étions presque parvenus : au cours de son précédent mandat, le Parlement européen a adopté une batterie de règlements et de directives qui permettent d’instaurer une réciprocité. Mais, avec le projet d’accord de Mme von der Leyen, tout est désormais compromis.
S’agissant des vins et spiritueux, la France a essayé de négocier pour qu’ils bénéficient d’une exemption, comme nous l’a appris lors de son audition M. Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne. Les vins et spiritueux ont une importance particulière dans la balance commerciale française puisque, chacun le sait, c’est un secteur dans lequel nous sommes fortement exportateurs. Les exportations représentent une large part du chiffre d’affaires des producteurs – vous avez évoqué le champagne, mais c’est également le cas du cognac, avec 97 % à l’export. Ce sont donc des filières entières, représentant beaucoup d’entreprises et de salariés, qui se trouveraient menacées si un tel accord était entériné.
Mme Manon Bouquin (RN). Je ne peux, avec mes collègues du groupe Rassemblement national, que me réjouir de votre souhait de dénoncer et d’empêcher la reddition commerciale et douanière de l’Union européenne face aux États-Unis. Je m’étonne cependant de la surprise que vous exprimez : qu’a de surprenant la trahison de Mme von der Leyen et d’une Commission qui, depuis des années, n’a cessé de sacrifier les intérêts de la France au profit des intérêts industriels de l’Allemagne ?
Nous n’avons cessé de mettre en garde, sur les enjeux aussi bien commerciaux, qu’énergétiques ou budgétaires. Mais la Commission mène toujours plus loin l’usurpation de compétences qui ne lui reviennent pas, toujours à notre détriment. Il n’y a donc rien de véritablement étonnant à ce que ce mauvais coup s’ajoute, au même moment et de la même main, au Mercosur, au renforcement de l’inféodation aux armements américains, à la diminution annoncée des crédits de la politique agricole commune (PAC), ou encore à l’exigence d’un tribut toujours plus faramineux de la France à l’Union européenne.
Que votre choc soit donc un réveil. L’Union européenne n’est plus un espace d’intégration, mais de concurrence. Le monde est ainsi fait : les nations défendent leurs propres intérêts et ne coopèrent que lorsqu’elles en tirent un bénéfice mutuel. Voici le paradigme fondamental que vous devez, à votre tour, intégrer.
Je m’inquiète, à la lecture du rapport qui accompagne cette proposition de résolution, de l’incapacité de certains à comprendre cette réalité. Je m’inquiète de la croyance arrogante qui en transpire selon laquelle une certaine supériorité morale européenne suffirait à lier des peuples et leurs partenaires extérieurs. Je m’inquiète de la cécité sur les pratiques prédatrices des États-Unis, volontiers attribuées au seul Donald Trump quand elles ne sont en réalité que la continuation d’une politique nationale américaine dont nous dénoncions déjà les méfaits sous Barack Obama. Je m’inquiète de l’absence totale de compréhension de la véritable rupture en cours, celle de la démondialisation et de la dédollarisation.
Face à ces réalités, la France doit, de toute urgence, revoir son positionnement au sein de l’Union européenne pour faire enfin de cette appartenance un atout. C’est possible, pourvu qu’un gouvernement courageux soit prêt à y imposer notre intérêt national, un gouvernement qu’une dissolution et des élections sincères permettraient peut-être de faire advenir. Pour que la France sorte de sa position de servilité conciliante et retrouve une liberté exigeante, il faudrait qu’elle dispose de représentants qui en aient la volonté. Je forme l’espoir que cette résolution soit un premier pas dans une telle direction. C’est pourquoi nous la soutiendrons.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Je vous remercie de vous inquiéter de notre prise de conscience, mais, en ce qui me concerne, elle ne date pas d’hier. Je me souviens d’ailleurs avoir été profondément ému lorsque Mme von der Leyen avait tenté, un 24 décembre, de faire adopter un accord d’investissement avec la Chine, sans que la plupart des États membres, notamment la France, en aient été préalablement informés.
De la même manière que vous, et comme beaucoup de nos collègues, je condamne fermement l’accord avec le Mercosur. M. Ruffin, ici présent, a d’ailleurs déposé un texte important pour exprimer la colère des élus français face à la volonté de la Commission de faire adopter en catimini cet accord en dépit de la vive contestation qu’il suscite, notamment dans le monde agricole.
Nous avons également de nombreux motifs d’inquiétude concernant les crédits de la PAC. Pour la première fois depuis plusieurs décennies, la balance commerciale agricole et agroalimentaire de la France sera en déficit – une situation inédite et particulièrement alarmante pour notre pays. Il est donc impératif de sauver l’agriculture et l’agroalimentaire français. Ce doit être, à mon sens, un sujet de mobilisation nationale.
Puisque vous évoquez la dédollarisation, je me permets une précision : le projet d’accord prévoit 15 % de droits de douane mais, le dollar étant largement déprécié par rapport à l’euro – de l’ordre de 12 à 13 % aujourd’hui –, cela revient en réalité à une taxe effective proche de 20 % pour les entreprises françaises. C’est d’ailleurs ce que nous ont signalé toutes les organisations patronales, qu’il s’agisse du Medef, de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) ou encore des artisans.
Mme Constance Le Grip (EPR). Le texte que nous examinons traduit des inquiétudes réelles quant aux tenants et aboutissants de l’accord commercial conclu le 27 juillet dernier par l’Union européenne et les États-Unis. Nous partageons pleinement les objectifs de réciprocité, de transparence et de souveraineté économique européenne. La position du groupe Ensemble pour la République a toujours été constante : nous sommes contre la guerre commerciale, qui n’est dans l’intérêt de personne, et en faveur d’un accord qui permette d’en finir avec l’incertitude. Face aux effets délétères de l’incertitude, notre responsabilité est d’apporter aux acteurs économiques de la stabilité, fût-elle temporaire.
L’accord conclu entre l’Union européenne et les États-Unis met fin à plusieurs mois de tensions commerciales majeures et permet d’éviter une guerre commerciale dont les conséquences auraient été absolument terribles pour nos économies. Cet accord a tout au moins le mérite d’exister. Il était en effet important pour notre pays qu’un compromis puisse être trouvé : la France exporte près de 50 Md€ vers les États-Unis, dans des secteurs stratégiques tels que l’aéronautique, les produits pharmaceutiques ou la chimie, ou dans des domaines emblématiques de l’excellence française comme les cosmétiques ou les vins et spiritueux. Or, l’accord exempte un certain nombre de secteurs clés de notre économie des hausses de droits de douane, même s’il exclut toute concession pour certaines de nos filières agricoles sensibles. Il préserve également l’essentiel de la réglementation européenne, notamment en matière numérique et sanitaire.
Cela étant posé, nous restons lucides. L’accord obtenu ne saurait être considéré comme un point d’arrivée ; il s’agit seulement d’un point de départ. Il demeure déséquilibré à bien des égards et ne peut constituer une solution durable. Nous souhaitons donc que notre pays et l’Union européenne poursuivent leurs efforts pour obtenir des résultats tangibles.
Adopter une proposition de résolution « visant à rejeter le projet d’accord sur les droits de douane et le commerce entre l’Union européenne et les États-Unis » enverrait le signal que nous ne souhaitons plus poursuivre les négociations, fussent-elles exigeantes et lucides, avec notre partenaire américain. Cela ne nous paraît ni réaliste ni raisonnable.
C’est pourquoi nous voterons contre cette proposition de résolution européenne.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Le principe de transparence dans les négociations commerciales, que vous évoquez, constitue précisément un point d’achoppement. Nous pouvons en effet nous interroger sur la légitimité de la Commission européenne à conduire ces discussions en l’absence de mandat du Conseil l’y autorisant.
Lorsque nous avons demandé à M. Léglise-Costa dans quel cadre juridique cette négociation avait été engagée, lui-même a semblé embarrassé. Le seul mandat de négociation existant date du 15 avril 2019 – vous le savez bien puisque vous étiez alors députée européenne. Depuis, rien n’a été formellement acté. Nous dénonçons donc une absence totale de transparence.
Je ne partage pas votre interprétation de la portée de cette résolution. Cette dernière vise avant tout à alerter les autorités françaises sur un projet d’accord qui ne nous satisfait pas. Cela ne signifie nullement que nous souhaitons interrompre le dialogue transatlantique, ce qui n’aurait d’ailleurs aucun sens. Si les échanges commerciaux entre l’Union européenne et les États-Unis vont, bien entendu, se poursuivre, la question est de savoir dans quelles conditions. Les conditions actuelles nous paraissent inacceptables.
Enfin, permettez-moi un dernier argument, auquel vous serez sans doute sensible : sur le plan symbolique et politique, cet accord est une véritable catastrophe pour l’Union européenne. Les sondages sont d’ailleurs parlants : 53 % des Européens le jugent navrant, et cette part atteint 67 % en France. Le déséquilibre et l’asymétrie qu’il entérine donnent l’image déplorable d’une vassalisation du continent.
M. Arnaud Le Gall (LFI-NFP). Cette proposition de résolution, que nous voterons bien évidemment, a le mérite de dénoncer l’inacceptable deal conclu entre le président Trump et Mme von der Leyen – deal car, juridiquement, cet accord n’en est même pas un. Il a été conclu en plein été, dans une propriété écossaise de M. Trump, entre deux parties de golf, et sans que Mme von der Leyen ne dispose d’aucun mandat. Ce n’est pas un accord formalisé entre deux contractants légitimes et égaux, mais une entente asymétrique entre un vassal et son souverain. Avec ce deal, nous assistons à une nouvelle manifestation de l’autoritarisme croissant de la Commission européenne et de sa présidente autocratique. À ce stade, nous ne savons même pas précisément quelle sera sa traduction juridique, ni sous quelle forme il sera soumis au Parlement européen.
Cette capitulation s’inscrit dans un processus plus large : celui de la fragmentation de la mondialisation néolibérale. Les grandes puissances qui ont perdu leur hégémonie, au premier rang desquelles les États-Unis, recourent désormais à la contrainte pour capter des ressources, des capitaux et des marchés. Dans ce grand jeu, l’Union européenne, véritable ectoplasme géopolitique, est devenue une simple variable d’ajustement. Être un grand marché ne suffit pas à être une puissance. Donald Trump traite l’Union européenne comme un satellite, à l’image de ses prédécesseurs. Mme von der Leyen s’y soumet, portée par le soutien d’oligarchies soucieuses de préserver leurs intérêts aux États-Unis, comme l’a illustré la réaction de M. Bernard Arnault, qui a prétendu que ce deal serait bénéfique – peut-être l’est-il pour ses actions, mais certainement pas pour l’économie française.
Sur le fond, il s’agit d’une capitulation pure et simple : des droits de douane de 15 % imposés sur la plupart des produits européens, dont les effets seront encore aggravés par la dépréciation du dollar ; une promesse de 600 Md$ d’investissements européens aux États-Unis, au moment où il faudrait au contraire relancer massivement l’investissement productif en France et en Europe ; 750 Md$ pour l’achat de produits énergétiques américains, ce qui ne fait qu’accroître la dépendance énergétique du continent ; plusieurs dizaines de milliards d’euros d’achats de semi-conducteurs américains, créant une nouvelle dépendance dans un domaine stratégique ; enfin, un démantèlement des régulations écologiques, sanitaires et sécuritaires.
Tout cela intervient quelques semaines à peine après que nous avons accepté, au sommet de l’OTAN, de consacrer 5 % du PIB à la dépense militaire, un véritable tribut dont l’immense majorité ira gaver l’industrie d’armement américaine. En échange de ces abandons, Mme von der Leyen n’a rien obtenu. C’est une reddition sans condition. Les macronistes ont versé des larmes de crocodile pendant l’été, mais ils n’ont rien fait. Comme leur oratrice le confirme aujourd’hui, ils approuvent en réalité ce deal. Ils n’ont pas voté la motion de censure que nous avions déposée au Parlement européen contre Mme von der Leyen – pas plus, d’ailleurs, que M. Glucksmann et les socialistes européens.
Pour notre part, nous continuerons à nous opposer, par tous les moyens possibles, à ce deal inacceptable qui vassalise un peu plus notre continent, tout comme nous nous opposons à l’accord avec le Mercosur.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. La question de la traduction juridique de ce deal se pose en effet. La Commission européenne a fait savoir au Parlement européen le 28 août dernier qu’il ne serait consulté, ainsi que le Conseil, que sur les tarifs douaniers. En somme, les députés européens devront répondre à la question suivante : « Êtes-vous d’accord pour que nous soyons taxés à 15 % et les États-Unis à 0 % ? ». Je souhaite bien du courage à ceux qui tenteront de défendre un tel accord.
La communication de la Commission autour de cet accord reprend, peu ou prou, les arguments exposés par Mme Le Grip : cet accord aurait le mérite d’exister, ce serait mieux que rien, et surtout il offrirait aux entreprises européennes de la stabilité et de la prévisibilité.
Il faut être naïf pour croire à la prévisibilité d’un deal conclu avec M. Trump. Lui-même a déclaré cet été que si les Européens ne respectaient pas leurs engagements en matière d’achats d’hydrocarbures et d’armements américains, il reviendrait sur le deal douanier, c’est-à-dire qu’il rétablirait des droits de douane à 30 % sur l’ensemble des produits européens. Vous voyez bien qu’il n’existe aucune garantie.
Cette proposition de résolution européenne émane justement du constat qu’avec M. Trump, nous n’avons d’autre choix que d’engager un véritable rapport de force. C’étaient d’ailleurs les intentions initiales de la Commission et du Conseil, au début du mois de juillet. Mais ce deal a tout fait tomber.
Je vous rejoins enfin, Monsieur Le Gall, sur le fait que cet accord va totalement à l’encontre de l’autonomie stratégique européenne que certains se targuaient de promouvoir en matière de défense.
M. Karim Benbrahim (SOC). Monsieur le rapporteur, je tiens tout d’abord à vous remercier pour le dépôt de cette proposition de résolution, qui offre à notre assemblée l’occasion de dire clairement son opposition à un accord mettant en danger notre économie, nos objectifs climatiques et notre souveraineté.
Je commencerai par rappeler que la relation économique entre les États-Unis et l’Europe est utile à nos deux économies. Mais un partenariat n’est pas une soumission : il suppose un équilibre, et non une dépendance. Il doit servir nos intérêts communs, et non se construire au détriment de nos objectifs stratégiques. Or cet accord marque un renoncement dangereux à la puissance et à l’indépendance européennes. C’est une véritable capitulation économique. Il prévoit, comme vous l’avez rappelé : une hausse des droits de douane sur les produits européens ; un accès préférentiel au marché européen pour une large gamme de produits agricoles américains ; 600 Md$ d’investissements aux États-Unis d’ici 2028, au détriment de notre capacité à investir sur notre propre continent ; des achats massifs d’énergie fossile américaine ; et une augmentation des importations d’équipements militaires américains.
Il faut donc l’affirmer clairement : ces dispositions sont incompatibles avec les ambitions que l’Union européenne s’est fixées. Elles affaiblissent la transition énergétique et écologique, compromettent notre autonomie stratégique et fragilisent la réindustrialisation, pourtant indispensable à notre souveraineté et à la réussite de notre transition écologique.
Encore le 10 septembre dernier, dans son discours sur l’état de l’Union, Mme von der Leyen appelait l’Europe à prendre son indépendance. Cet accord propose pourtant exactement l’inverse. Avec la hausse des droits de douane, ce sont nos intérêts commerciaux qui sont sacrifiés. Avec les achats massifs d’équipements militaires américains, nous allons à l’encontre du plan « Réarmer l’Europe ». Avec l’importation massive de produits énergétiques américains, essentiellement du pétrole et du gaz naturel liquéfié, l’Union européenne renoncerait à son ambition climatique et basculerait de la dépendance au gaz russe à la dépendance au gaz américain. Avec l’engagement d’investir 600 Md$ outre-Atlantique, nous sacrifions également notre objectif de réindustrialisation. Si nous voulons rester une puissance, nous devons relocaliser afin de produire en Europe. Le rapport Draghi l’a rappelé : nous avons besoin de cet effort d’investissement pour renforcer notre souveraineté et réussir notre transition écologique.
L’Europe doit mettre en cohérence ses discours et ses actes. C’est pourquoi nous voterons en faveur de cette proposition de résolution.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Vous avez raison de mentionner le rapport Draghi : je suis loin de souscrire à l’ensemble de ses conclusions, mais je conviens que l’Union européenne ne pourra s’en sortir qu’en investissant massivement au cours des prochaines années – Mario Draghi évalue ces investissements à 800 Md€ supplémentaires par an, couverts par des fonds aussi bien publics que privés. Je suis donc surpris par l’argument selon lequel cet accord aurait le mérite d’exister : il va à l’encontre de tout ce que nous avons demandé, exigé et, pour la plupart d’entre nous, voté au cours des cinq dernières années.
M. Laurent Mazaury (LIOT). Nous ne pouvons qu’être inquiets des répercussions de ce prétendu accord – quasiment imposé par le président américain – qui paraît profondément déséquilibré et injuste pour de nombreux secteurs économiques européens. Si la Commission européenne se félicite d’avoir trouvé un moyen de rétablir la prévisibilité du commerce et des investissements entre l’Union européenne et les États‑Unis, le prix à payer, à court, moyen et long terme, risque d’être élevé pour notre pays comme pour nos partenaires européens.
Par ailleurs, cet accord est incompatible avec plusieurs décisions déjà entérinées, qui visaient à renforcer notre souveraineté. Dans le domaine de la défense notamment, il n’y a que quelques mois qu’a été dévoilé le projet « Réarmer l’Europe », qui prévoyait de mobiliser 800 Md€ pour construire une véritable Europe de la défense alors que la guerre perdure sur notre continent. Le programme Security for action for Europe (SAFE) en particulier doit permettre de financer l’achat d’équipements militaires comportant au moins 65 % de composants fabriqués au sein de l’Union européenne. L’accord annoncé en juillet dernier va totalement à l’encontre de ce plan lorsqu’il spécifie que l’Union européenne devra augmenter significativement ses achats militaires auprès des États‑Unis.
Cet accord est donc inacceptable en l’état. Le contexte européen et international actuel exige que nous poursuivions nos efforts en faveur d’une souveraineté européenne en matière de défense. Il est à ce titre essentiel de soutenir notre industrie de défense, particulièrement présente dans ma circonscription des Yvelines. J’ai déposé des amendements pour mettre en lumière la profonde contradiction entre les positions défendues par la Commission en mars et en juillet sur le sujet.
Monsieur le rapporteur, votre proposition de résolution européenne traduit des inquiétudes légitimes et dénonce un accord qui va à l’encontre des objectifs et des intérêts européens. C’est pourquoi, au‑delà de nos différences politiques sur d’autres sujets, je voterai ce texte.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Vous soulignez à juste titre la contradiction manifeste entre cet accord et les engagements pris au cours des derniers mois. J’ajoute que les Européens n’ont obtenu aucune garantie sur la question du numérique, alors même que les grandes entreprises américaines du secteur refusent de se conformer à la législation européenne – le règlement sur les services numériques du 19 octobre 2022 (Digital Service Ac – DSAt) et le règlement sur les marchés numériques du 14 septembre 2022 (Digital Markets Act – DMA). Le président Trump a d’ailleurs déclaré explicitement, en septembre dernier, que l’Europe ne saurait imposer un tel cadre de régulation aux grandes entreprises américaines du numérique. Les États-Unis sont également vent debout lorsque certains États membres, dont la France, proposent de mettre en place une taxe sur les services numériques pour éviter que les Gafam continuent d’échapper à l’impôt sur les bénéfices. Cela illustre combien cet accord est asymétrique, pour ne pas dire incroyablement déséquilibré.
M. François Ruffin (EcoS). L’accord entre les États‑Unis et l’Union européenne a été conclu par Mme von der Leyen dans la torpeur de l’été, au milieu des vacances. Vous avez pourtant aussitôt réagi, Monsieur le rapporteur, en déposant cette proposition de résolution– je vous en remercie. Les grandes envolées sur l’« Europe puissance », la souveraineté et l’indépendance des six derniers mois ont finalement abouti à une véritable soumission. Sans même évoquer le déséquilibre douanier, avec des taxes de 15 % d’un côté et de 0 % de l’autre, ce sont les trois engagements pris par la Commission qui me semblent les plus graves.
Le premier concerne les garanties d’approvisionnement en matériel militaire américain, alors que cela nous coûtera plus cher, comme l’a reconnu le secrétaire au Trésor américain, et retardera le développement de notre industrie de défense. La Commission européenne s’est également engagée à des achats massifs d’énergie américaine, issue du gaz de schiste et du sable bitumineux, pour un coût là encore faramineux, sacrifiant notre agenda écologique pour obtenir un répit provisoire. Enfin, la Commission a accepté de ne pas toucher aux services numériques, autrement dit aux Gafam, en dépit des conséquences fiscales – ils continuent d’échapper à l’impôt –, politiques – ils constituent une puissance d’influence qui introduit de la conflictualité dans nos sociétés –, sanitaires – ils mettent en danger les plus jeunes – et en matière de souveraineté, y compris militaire.
L’Europe choisit donc la vassalisation. Elle se soumet précisément au moment où s’ouvrent devant elle des chemins de liberté, aussi terribles que magnifiques. Alors que les États-Unis délaissent l’Europe pour se tourner vers l’Asie – une politique entamée par Barack Obama, accentuée sous Joe Biden et plus que jamais revendiquée par Donald Trump –, nous choisissons de demeurer dans leur orbite. Ursula von der Leyen offre le parfait symbole d’une Union européenne qui aime ses chaînes.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Je partage les propos de M. Ruffin. Le bilan de Mme von der Leyen marquera sans doute négativement l’histoire, comme celui de M. Barroso avant elle. Lors de la première élection de Donald Trump, tous les partisans de l’intégration européenne affirmaient qu’il s’agissait d’une occasion unique de s’émanciper de la tutelle américaine. Le mandat de Joe Biden nous a offert un bref moment de répit. Mais après le retour au pouvoir de Donald Trump, nous aurions pu espérer que, dans le prolongement des déclarations de nombreux chefs d’État européens sur l’indépendance et la souveraineté – à commencer par celui de la France –, l’Union européenne prenne conscience que son imprévisible partenaire américain défendait avant tout ses propres intérêts, et qu’elle choisisse d’en faire de même.
Or, Mme von der Leyen fait exactement le contraire. Peut-être considère-t-elle le lien transatlantique comme existentiel. Je pense, pour ma part, que l’Europe ne pourra pas survivre si elle ne s’imagine pas d’autre destin que celui de la vassalisation.
M. Pascal Lecamp (Dem). L’accord conclu cet été entre l’Union européenne et les États‑Unis sur les droits de douane est présenté comme un pas vers la stabilité économique et la relance du dialogue transatlantique. Derrière ce bénéfice apparent, se cache un déséquilibre profond qui interroge notre capacité, en tant qu’Européens, à défendre nos propres intérêts. À mes yeux, cet accord n’est pas une victoire européenne. Bien au contraire, il marque un recul de notre autonomie stratégique à l’issue de négociations conduites sous pression, dans l’urgence et sans mandat.
L’Europe s’est engagée à accroître ses achats dans les secteurs de l’énergie, du matériel militaire et de la haute technologie. Ces engagements sont‑ils réalistes ? Je ne le pense pas. Quelles seront les conséquences pour notre balance commerciale et pour nos entreprises ? Nous parlons de 750 Md€ d’achats énergétiques, ce qui nécessiterait de presque doubler nos importations actuelles. L’accord prévoit également 600 Md€ d’investissements supplémentaires d’ici 2029.
De façon plus générale, comme renforcer notre résilience face à la fragilisation des règles commerciales communes ? Si le groupe Les Démocrates demeure attaché à la relation transatlantique, il croit aussi profondément à la force du projet européen, à une Europe première puissance économique mondiale, forte de son marché unique de 450 millions d’habitants.
C’est précisément au nom de cette conviction européenne que nous soutenons la proposition de résolution présentée par M. Maurel. L’Europe ne doit pas se contenter de réagir, mais se mettre en position d’agir, affirmer sa vision et défendre ses filières. En cédant au chantage commercial américain, l’Union européenne a accepté un compromis qui affecte sa crédibilité et accentue la dépendance de nos industries stratégiques. Ce projet d’accord n’est donc pas à la hauteur des ambitions économiques et politiques que l’Europe doit porter.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Lors du débat qui se tiendra en séance publique sur cette proposition, je souhaite que nous soyons aussi nombreux que possible à dire au gouvernement que notre pays ne saurait se reconnaître dans un tel accord. Ce dernier constitue un recul non seulement pour tous ceux qui croient à l’intégration européenne, mais aussi pour les intérêts économiques français.
M. Guillaume Bigot (RN). L’accord commercial conclu le 27 juillet 2025 entre la Commission européenne et les États‑Unis constitue une violation manifeste des traités. La Commission a promis 750 Md$ d’achats énergétiques et 600 Md$ d’investissements européens aux États‑Unis, sans la moindre consultation préalable du Conseil, ni des chefs d’État et de gouvernement. Ces engagements n’entrent pas dans le champ de la politique commerciale commune, telle que définie à l’article 207 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Ces accords, conclus en dehors de tout mandat, sont donc illégaux et illégitimes. Il convient de ne pas les appliquer et d’en exiger la suspension immédiate.
Monsieur le rapporteur, vous nous appelez à dénoncer tous ensemble les abus de pouvoir de Mme von der Leyen et à défendre, en patriotes et en républicains, les intérêts de la France. Je pourrais me féliciter de cette belle unanimité. Je veux, au contraire, saisir l’occasion pour dénoncer la duplicité de votre formation politique, le Parti socialiste, qui, par votre voix, prétend défendre les intérêts français à Paris, alors même qu’il les brade à Strasbourg. Les sociaux‑démocrates, votre parti frère, refusent au Parlement européen de censurer Mme von der Leyen. Le refus de censure, n’est‑ce pas finalement votre marque de fabrique ? C’est ce double langage que nos compatriotes ne peuvent plus supporter.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Il faudrait mettre vos fiches à jour. J’ai quitté le Parti socialiste après en avoir été membre pendant vingt‑cinq ans – je n’ai absolument pas honte de cette appartenance, bien au contraire. L’une des raisons de mon départ tenait précisément aux questions européennes. J’ai été un fervent militant du « non » au Traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2005. J’ai combattu pendant dix ans au Parlement européen, d’abord au sein de la social‑démocratie puis en dehors, afin que nous soyons plus vigilants et plus critiques à l’égard de la construction européenne telle qu’elle se déployait.
Donald Trump tente d’imposer le narratif d’une relation commerciale déséquilibrée au profit de l’Union européenne qui exporterait plus vers les États-Unis qu’elle n’importerait. C’est totalement faux : le véritable déséquilibre réside dans les revenus générés par les entreprises américaines du numérique. L’Europe ne fait pas suffisamment pour remédier à cette situation.
Amendement n° 1 de M. Laurent Mazaury
M. Laurent Mazaury (LIOT). Dans la droite ligne de mon intervention, cet amendement vise à insérer, après l’alinéa 13, une référence au plan « Réarmer l’Europe », présenté en mars 2025 par la Commission européenne, qui conditionne certains financements à ce que 65 % des composants soient produits en Europe.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Ce point est factuel. L’accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis va à l’encontre des objectifs fixés par le plan « Réarmer l’Europe ».
L’amendement est adopté.
Amendement n° 3 de M. Karim Benbrahim
M. Karim Benbrahim (SOC). Cet amendement vise à rappeler que la procédure de conclusion des accords de commerce ne laisse pas une totalité liberté à la Commission européenne. L’ouverture des négociations, l’élaboration de directives encadrant ces négociations et la conclusion d’un accord relèvent du Conseil. La Commission doit faire régulièrement rapport au Conseil et au Parlement européen sur l’état d’avancement des négociations. Or, s’agissant de cet accord, la confidentialité et l’opacité ont prévalu sur toute autre considération.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Je suis favorable à cet amendement.
L’amendement est adopté.
Amendements n° 4, n° 5 et n° 6 de M. Karim Benbrahim
M. Karim Benbrahim (SOC). Ces trois amendements concernent l’engagement pris par l’Union européenne d’importer 750 Md$ de produits énergétiques américains au cours des trois prochaines années.
L’amendement n° 4 souligne le caractère irréaliste de cet engagement. Si ces mesures étaient mises en œuvre, les entreprises américaines devraient immédiatement rediriger la quasi-totalité de leurs exportations d’énergie fossile vers l’Europe, ce qui semble peu probable. Cet objectif soulève également des interrogations quant à la capacité des infrastructures américaines et européennes à supporter ces échanges.
L’amendement n° 5 vise à rappeler l’incompatibilité de cet engagement avec les objectifs de transition énergétique et écologique fixés par l’Union européenne pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
L’amendement n° 6 met en avant la contradiction avec les objectifs européens en matière d’autonomie stratégique. Si nous achetions 250 Md$ d’énergie américaine par an, les États-Unis fourniraient à eux seuls 60 % des importations de produits énergétiques de l’Union européenne. Une telle situation serait dangereuse, au regard de la dépendance qu’elle créerait vis-à-vis de l’énergie fossile américaine.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Si l’importation de 750 Md$ de produits énergétiques américains est certes irréaliste, elle est avant tout non souhaitable. La formulation de l’amendement n° 4, qui fait seulement référence au caractère irréaliste, me paraît ainsi trop lapidaire pour contester un objectif qui va à l’encontre des objectifs de développement durable fixés par l’Union européenne. Je donnerai un avis de sagesse.
En revanche, je suis favorable aux amendements n° 5 et n° 6.
M. Karim Benbrahim (SOC). Les amendements n° 5 et n° 6 soulignent le caractère non-souhaitable de cet objectif tandis que l’amendement n° 4 en souligne le caractère irréaliste. Les deux éléments sont donc bien présents.
Les amendements sont successivement adoptés.
Amendements n° 7 et n° 8 de M. Karim Benbrahim
M. Karim Benbrahim (SOC). Ces amendements portent sur l’engagement d’investir 600 Md$ supplémentaires dans des secteurs stratégiques aux États-Unis d’ici 2028.
L’amendement n° 7 souligne l’incompatibilité de cet objectif avec l’ambition de réindustrialiser l’Europe. Les rapports rendus par Mario Draghi et Enrico Letta en 2024 rappellent l’importance d’investir au sein de l’Union européenne pour relocaliser des usines sur notre sol, restaurer notre souveraineté économique et revitaliser l’activité des territoires.
L’amendement n° 8 dénonce l’incompatibilité de cet engagement avec les objectifs en matière de transition énergétique de l’Union européenne. Le règlement du 13 juin 2024 pour une industrie « zéro net » vise à renforcer les capacités de production européenne de onze technologies vertes, en relocalisant notamment des sites de fabrication sur le sol européen. Si ces capitaux sont dirigés vers les États-Unis, il sera difficile de réaliser les investissements nécessaires à notre transition écologique et énergétique.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. J’émets un avis favorable sur ces deux amendements.
Les amendements sont successivement adoptés.
Amendements n° 9 et n° 2 de M. Karim Benbrahim
M. Karim Benbrahim (SOC). L’amendement vise à rappeler que l’accord sur les droits de douane entre l’Union européenne et les États-Unis, entre en contradiction avec les récentes annonces européennes dans le domaine de la défense, qu’il s’agit du Livre blanc pour une défense européenne ou encore du plan « Réarmer l’Europe ». Il ne serait pas acceptable que les instruments récemment mis en place, tels que le programme budgétaire SAFE, puissent être utilisés prioritairement pour l’acquisition d’équipements militaires américains, au détriment de l’industrie de défense européenne.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. J’émets un avis favorable.
Les amendements sont successivement adoptés.
Amendement n° 10 de M. Karim Benbrahim
M. Karim Benbrahim (SOC). L’amendement n° 10 vise à dénoncer les conditions dans lesquelles cet accord a été négocié. Accepter de ratifier cet accord reviendrait à valider la méthode brutale de M. Donald Trump, qui consiste à porter des exigences excessives afin d’obtenir des concessions. Comme l’a souligné le rapporteur, il y a un récit biaisé d’un déséquilibre sur la balance commerciale, notamment la dépendance de l’Union européenne dans le domaine du numérique et des services. Ces mesures apparaissent unilatérales et asymétriques, sans offrir aucune garantie que l’administration américaine respectera l’accord dans la durée.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Ne peut-on pas considérer que l’ensemble de la proposition de résolution vise précisément à dénoncer le fait que la Commission européenne ait accepté la méthode de M. Donald Trump ? Je partage votre position, cher collègue, mais l’amendement me semble redondant au regard de ce qu’exprime déjà la proposition de résolution.
L’amendement n’est pas adopté.
L’article unique est adopté.
La proposition de résolution européenne ainsi modifiée est adoptée.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Je vous remercie. Il est important que nous soyons nombreux à nous exprimer de manière résolue et déterminée en ce moment crucial pour l’Europe et pour les intérêts français.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE initiale
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu l’article 5 du Traité sur l’Union européenne,
Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 2, 3, 4, 7, 11, 12, 13, 206, 207 et 218,
Vu l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994,
Vu l’avis 2/15 de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 mai 2017,
Vu l’Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 et ratifié le 5 octobre 2016,
Vu le règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n° 995/2010,
Vu l’avis 2/15 rendu le 16 mai 2017 par la Cour de justice de l’Union européenne sur l’accord de libre‑échange avec Singapour,
Vu les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 16 octobre 2020 approuvant la stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, dans un document intitulé « L’urgence d’agir », 11829/20,
Vu la Déclaration du 27 juillet 2025 de la Présidente von der Leyen à propos de l’accord sur les droits de douane et le commerce avec les États‑Unis,
Vu la fiche d’information publiée le 28 juillet 2025 par la Maison Blanche : « Les États‑Unis et l’Union européenne concluent un accord commercial massif »,
Considérant que la Constitution, dans son préambule et dans son article 3, consacre les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ; qu’elle précise, à son article 1er, que la France est une République « démocratique et sociale » ;
Considérant que les négociations menées en vue d’un accord économique et commercial avec les États‑Unis ont été menées sans respect réel des principes d’ouverture et de transparence posés à l’article 15 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et, par voie de conséquence, sans qu’ait pu être assuré un contrôle démocratique national et européen digne de l’État de droit ;
Considérant qu’en vertu des articles 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et 21 du traité sur l’Union européenne, la politique commerciale commune doit être menée dans le respect des objectifs de l’action extérieure de l’Union européenne et donc promouvoir un ordre multilatéral respectueux de la démocratie et de l’État de droit ;
Considérant qu’aux termes de l’article 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, « un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peut recueillir l’avis de la Cour de justice sur la compatibilité d’un accord envisagé avec les traités » ;
Considérant que le projet accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis comprend des dispositions relatives aux investissements étrangers, lesquelles relèvent du champ de compétences partagées entre l’Union européenne et les États membres et doivent donc donner lieu à une approbation par le Parlement national ;
Considérant que le projet accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis est susceptible de porter préjudice à la politique économique, environnementale, agricole ou encore sociale de notre pays, altérant ainsi durablement le périmètre de la souveraineté nationale garantie par l’article 3 de la Constitution ;
Considérant que l’engagement d’une augmentation massive des importations de produits agricoles américains exposera les agriculteurs français à une concurrence internationale déloyale résultant de la prévalence de normes environnementales et sociales moins strictes hors de l’Union européenne ;
Considérant que le projet d’accord entre l’Union européenne et les États‑Unis a pour objet l’augmentation des flux internationaux de marchandises et que l’augmentation des émissions de gaz à effets de serre et pollutions environnementales associées n’est pas conforme aux engagements de l’Union européenne et de la France pris lors de la COP21 pour lutter efficacement contre le changement climatique ;
Invite le Gouvernement :
1. À signifier à la Commission européenne son opposition au projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis ;
2. À s’opposer à ce projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis lors des prochaines réunions du Conseil ;
3. À se rapprocher de la Commission européenne afin de faire valoir le caractère mixte de l’éventuel accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis ;
4. À demander à la Commission européenne de soumettre le projet d’accord à un vote à l’unanimité des États membres au Conseil, puis à un vote au Parlement européen et à une ratification par l’ensemble des Parlements des États membres ;
5. À refuser toute mise en œuvre d’un accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis sans approbation préalable des parlements nationaux ;
6. À solliciter l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité de ce projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis avec les Traités européens sur la base de l’article 218 (11) du Traité de fonctionnement de l’Union européenne pour éviter qu’un accord incompatible avec les Traités européens soit conclu et de ne pas procéder à la ratification de cet accord tant que la Cour de justice de l’Union européenne ne s’est pas prononcée.
AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
15 OCTOBRE 2025
proposition de résolution européenne visant à rejeter le projet d'accord sur les droits de douane et le commerce
du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les ֤États-Unis (n° 1763),
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AMENDEMENT |
No 1 |
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présenté par |
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M. Laurent Mazaury |
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ARTICLE UNIQUE
Après l’alinéa 13, insérer l’alinéa suivant :
« Vu le plan « Réarmer l’Europe », présenté en mars 2025 par la Commission européenne et en particulier son programme SAFE visant à financer l’achat d’équipements militaires dont 65 % des composants devront être fabriqués au sein de l’Union européenne ; »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Le présent amendement vise à rappeler qu’à peine quelques mois avant l’accord entre le Président américain et la Présidente de la Commission européenne, cette dernière a présenté un projet ambitieux de réarmement et de défense de l’Union européenne, visant notamment à s’assurer une meilleure indépendance vis-à-vis du matériel militaire extra-européen.
Ce plan de 800 milliards d’euros comprend le programme dit « SAFE », représentant 150 milliards d’euros, visant à financer des projets de défense via des prêts communs. Ce programme n’est toutefois accessible aux États membres qu’à la condition qu’ils financent l’achat d’équipements militaires comportant au moins 65 % de composants fabriqués en UE. Il s’agit d’une mesure fondamentale visant à soutenir notre industrie de défense tout en garantissant notre autonomie.
Néanmoins, l’accord du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les États-Unis prévoit, comme le rappelle la déclaration conjointe du 21 août 2025, que l’Union européenne augmente significativement ses achats d’équipements militaires auprès des États-Unis, rentrant en contradiction avec les ambitions précédemment dévoilées.
Investir dans l’armement américain aura un impact significatif sur notre soutien à notre industrie de défense, qui a pourtant besoin de commandes et de visibilité sur le long terme pour répondre aux besoins contemporains tout en garantissant ses possibilités d’investir dans la recherche et le développement de matériels militaires innovants pouvant répondre aux menaces de demain.
Dans ce contexte, le présent amendement vise à ajouter la référence au programme « Rearm Europe » dans la proposition de résolution européenne.
Cet amendement a été adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
15 OCTOBRE 2025
proposition de résolution européenne visant à rejeter le projet d'accord sur les droits de douane et le commerce
du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les ֤États-Unis (n° 1763),
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AMENDEMENT |
No 3 |
|
présenté par |
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Karim Benbrahim, Marietta Karamanli, Colette Capdevielle, Anna Pic, Pierre Pribetich, Thierry Sother |
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ARTICLE UNIQUE
Après l’alinéa 16, insérer l’alinéa suivant :
« Considérant qu’aux termes des articles 207 et 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’ouverture des négociations, les directives de négociation et la conclusion d’un accord de commerce relève du Conseil, qu’il appartient à la Commission européenne de faire régulièrement rapport au Conseil et au Parlement européen sur l’état d’avancement des négociations, et que s’agissant de l’accord de Turnberry, la confidentialité et l’opacité l’ont emporté sur toute autre considération ; »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à rappeler que la procédure de conclusion des accords de commerce, décrite aux articles 207 et 218 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ne laisse pas une totale liberté à la Commission européenne en la matière.
En effet :
Or, s’agissant de l’accord de Turnberry, la confidentialité et l’opacité l’ont emporté sur toute autre considération.
Cet amendement a été adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
15 OCTOBRE 2025
proposition de résolution européenne visant à rejeter le projet d'accord sur les droits de douane et le commerce
du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les ֤États-Unis (n° 1763),
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AMENDEMENT |
No 4 |
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présenté par |
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Karim Benbrahim, Marietta Karamanli, Colette Capdevielle, Anna Pic, Pierre Pribetich, Thierry Sother |
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ARTICLE UNIQUE
Après l’alinéa 19, insérer l’alinéa suivant :
« Considérant que l’engagement à importer un montant de 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains est irréaliste ; »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Cet amendement du groupe Socialistes & apparentés vise à rappeler que les engagements pris par la présidente de la Commission européenne dans le cadre de l’accord de Turnberry sont irréalistes. Irréalistes, car pour atteindre le montant de 750 milliards de dollars, les entreprises américaines devraient immédiatement rediriger toutes leurs exportations d’énergies fossiles vers l’Europe – un scénario improbable, qui soulève également des interrogations s’agissant de la capacité des infrastructures américaines et européennes.
Cet amendement a été adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
15 OCTOBRE 2025
proposition de résolution européenne visant à rejeter le projet d'accord sur les droits de douane et le commerce
du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les ֤États-Unis (n° 1763),
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AMENDEMENT |
No 5 |
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présenté par |
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Karim Benbrahim, Marietta Karamanli, Colette Capdevielle, Anna Pic, Pierre Pribetich, Thierry Sother |
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ARTICLE UNIQUE
Après l’alinéa 19, insérer l’alinéa suivant :
« Considérant que l’importation de 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains (principalement du gaz naturel liquéfié, GNL) va à l’encontre des objectifs européens en matière de transition écologique et énergétique, l’Union européenne s’étant engagée dans le cadre du Pacte Vert à atteindre la neutralité carbone en 2050 ; »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise relever l’incompatibilité entre les dispositions de l’accord concernant l’importation de 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains (principalement GNL) et les objectifs de transitions énergétique et écologique poursuivis par l’Union européenne.
En effet, l’Union européenne développe depuis plusieurs années une trajectoire énergétique visant à décarboner le mix énergétique. L’accord actuel reviendrait donc à brader notre objectif d’atteindre la neutralité climatique en 2050.
Cet amendement a été adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
15 OCTOBRE 2025
proposition de résolution européenne visant à rejeter le projet d'accord sur les droits de douane et le commerce
du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les ֤États-Unis (n° 1763),
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AMENDEMENT |
No 6 |
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présenté par |
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Karim Benbrahim, Marietta Karamanli, Colette Capdevielle, Anna Pic, Pierre Pribetich, Thierry Sother |
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ARTICLE UNIQUE
Après l’alinéa 19, insérer l’alinéa suivant :
« Considérant que l’importation de 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains reviendrait à placer l’Union européenne dans une situation de dépendance inédite vis-à-vis de l’énergie fossile américaine, contredisant les objectifs européens en matière d’autonomie stratégique ; »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à souligner l’incompatibilité entre les dispositions de l’accord concernant l’importation de 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains (principalement GNL) et les objectifs européens en matière d’autonomie stratégique.
En effet, l’importation de 250 milliards de dollars par an équivaut à 60 % de l’ensemble des produits énergétiques importés par l’Europe par an ; faisant des États-Unis le fournisseur de plus de la moitié des produits énergétiques importés en Europe. Comme l’indique le rapporteur, « personne ne souhaite être dépendant à 60 % ou 80 % d’un client ou d’un fournisseur » (p. 23).
L’importation de 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains en trois ans reviendrait ainsi à placer l’Union européenne dans une situation de dépendance inédite vis-à-vis de l’énergie fossile américaine.
Cet amendement a été adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
15 OCTOBRE 2025
proposition de résolution européenne visant à rejeter le projet d'accord sur les droits de douane et le commerce
du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les ֤États-Unis (n° 1763),
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AMENDEMENT |
No 7 |
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présenté par |
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Karim Benbrahim, Marietta Karamanli, Colette Capdevielle, Anna Pic, Pierre Pribetich, Thierry Sother |
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ARTICLE UNIQUE
Après l’alinéa 19, insérer l’alinéa suivant :
« Considérant que les intentions d’investissements aux États-Unis à hauteur de 600 milliards de dollars d’ici 2028 sont incompatibles avec l’ambition de réindustrialiser l’Europe ; »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à souligner l’incompatibilité entre les dispositions de l’accord concernant les intentions d’investissements aux États-Unis à hauteur de 600 milliards de dollars d’ici 2028, avec l’ambition de réindustrialiser l’Europe. Avec une enveloppe colossale de subventions encourageant l’implantation de sites de production liés aux technologies de demain sur le sol américain, l’inflation reducation Act (IRA) accentuait déjà la pression sur les industries européennes, qui souffrent d’un manque d’investissements dans les secteurs stratégiques. Comme le soulignent les rapports de Mario Draghi et d’Enrico Letta, l’Union européenne ne peut pas, dans ce contexte, se passer de 600 milliards de dollars d’investissement d’ici 2028 lorsqu’elle doit justement relocaliser des usines sur son sol, afin de restaurer sa souveraineté économique et de revitaliser ses territoires.
Cet amendement est adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
15 OCTOBRE 2025
proposition de résolution européenne visant à rejeter le projet d'accord sur les droits de douane et le commerce
du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les ֤États-Unis (n° 1763),
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AMENDEMENT |
No 8 |
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présenté par |
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Karim Benbrahim, Marietta Karamanli, Colette Capdevielle, Anna Pic, Pierre Pribetich, Thierry Sother |
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ARTICLE UNIQUE
Après l’alinéa 19, insérer l’alinéa suivant :
« Considérant que les intentions d’investissements aux États-Unis à hauteur de 600 milliards de dollars d’ici 2028 sont incompatibles avec les objectifs européens en matière de transition énergétique ; »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à souligner l’incompatibilité entre les dispositions de l’accord concernant les intentions d’investissements aux États-Unis à hauteur de 600 milliards de dollars d’ici 2028, avec les objectifs européens en matière de transition énergétique. Dans ce domaine, le règlement Industrie « zéro émission nette » vise justement à renforcer les capacités de production européennes de onze technologies vertes, en relocalisant notamment des sites de fabrication sur le sol européen pour ces nouvelles technologies dites zéro net. Alors que ce règlement nous rapproche de la réindustrialisation décarbonée de l’UE, il semble inconcevable de se priver de 600 milliards de dollars d’investissement d’ici 2028.
Cet amendement a été adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
15 OCTOBRE 2025
proposition de résolution européenne visant à rejeter le projet d'accord sur les droits de douane et le commerce
du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les ֤États-Unis (n° 1763),
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AMENDEMENT |
No 9 |
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présenté par |
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Karim Benbrahim, Marietta Karamanli, Colette Capdevielle, Anna Pic, Pierre Pribetich, Thierry Sother |
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ARTICLE UNIQUE
Après l’alinéa 19, insérer l’alinéa suivant :
« Considérant que l’engagement à accroître l’acquisition d’équipements militaires et de défense auprès des États-Unis contredirait les récentes annonces européennes dans ce domaine, qui visent à soutenir la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) ; »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à rappeler que l’accord de Turnberry contredit les récentes annonces européennes dans le domaine de la défense, qu’il s’agisse du Livre blanc pour une défense européenne ou encore du plan ReArmEurope. Ces derniers partagent l’objectif de combler les lacunes en matière capacités de défense des États membres tout en soutenant la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). À cet égard, le groupe Socialistes et apparentés ne peut accepter que les fonds des instruments mis en place récemment, tels que l’instrument de prêt Agir pour la sécurité de l’Europe (SAFE), puissent être utilisés prioritairement pour l’acquisition d’équipements militaires et de défense américains, au détriment de l’industrie de défense européenne. Par ailleurs, les achats militaires ne relèvent pas de la Commission européenne mais des États membres.
Cet amendement a été adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
15 OCTOBRE 2025
proposition de résolution européenne visant à rejeter le projet d'accord sur les droits de douane et le commerce
du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les ֤États-Unis (n° 1763),
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AMENDEMENT |
No 10 |
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présenté par |
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Karim Benbrahim, Marietta Karamanli, Colette Capdevielle, Anna Pic, Pierre Pribetich, Thierry Sother |
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ARTICLE UNIQUE
Après l’alinéa 19, insérer l’alinéa suivant :
« Considérant qu’en acceptant cet accord, la Commission européenne a avalisé la « méthode Trump » ; »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à dénoncer la méthode par laquelle cet accord a été conclu.
En effet, l’accord politique sur les droits de douane et le commerce a été trouvé le 27 juillet 2025, sur un terrain de golf en Écosse entre la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président américain Donald Trump, reflétant des conditions de négociations largement imposées par le président américain.
En acceptant cet accord, la Commission européenne a renoncé au bras de fer et a avalisé la « méthode Trump », c’est-à-dire :
La Présidente de la Commission européenne a ainsi bradé les intérêts européens dans différents domaines, pour un avantage sécuritaire incertain, considérant que ce mauvais accord commercial serait le prix à payer pour conserver l’engagement militaire américain en Europe.
Cet amendement n’a pas été adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
15 OCTOBRE 2025
proposition de résolution européenne visant À rejeter le projet d'accord sur les droits de douane et le commerce
du 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les ֤États-Unis (n° 1763),
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AMENDEMENT |
No 2 |
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présenté par |
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M. Laurent Mazaury |
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ARTICLE UNIQUE
Après l’alinéa 21, insérer l’alinéa suivant :
« Considérant que cet accord entre en contradiction avec le développement du plan « Réarmer l’Europe » dévoilé en mars 2025, et qu’il pourrait porter préjudice aux objectifs européens de souveraineté en matière de défense. »
EXPOSÉ SOMMAIRE
Le présent amendement vise à rappeler que l’accord du 27 juillet 2025 rentre en contradiction avec le plan « Réarmer l’Europe » présenté par la Commission européenne en mars dernier, qui vise notamment à garantir une meilleure autonomie de l’UE en matière de défense, et qu’il pourrait même avoir des impacts négatifs sur nos objectifs et nos industries de défense.
En effet, la déclaration commune entre l’UE et les États-Unis publiée en août 2025 indique bien que l’UE prévoit d’accroître considérablement ses achats d’équipements militaires et de défense auprès des États-Unis, quand le programme SAFE du plan « Réarmer l’Europe » vise au contraire à garantir plus de composants européens dans le matériel militaire européen.
Cet amendement a été adopté.
Proposition de resolution europeenne
adoptee par la commission
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu l’article 5 du Traité sur l’Union européenne,
Vu le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, notamment ses articles 2, 3, 4, 7, 11, 12, 13, 206, 207 et 218,
Vu l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994,
Vu l’avis 2/15 de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 mai 2017,
Vu l’Accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 et ratifié le 5 octobre 2016,
Vu le règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation à partir de l’Union de certains produits de base et produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n° 995/2010,
Vu l’avis 2/15 rendu le 16 mai 2017 par la Cour de justice de l’Union européenne sur l’accord de libre‑échange avec Singapour,
Vu les conclusions du Conseil de l’Union européenne du 16 octobre 2020 approuvant la stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, dans un document intitulé « L’urgence d’agir », 11829/20,
Vu la Déclaration du 27 juillet 2025 de la Présidente von der Leyen à propos de l’accord sur les droits de douane et le commerce avec les États‑Unis,
Vu la fiche d’information publiée le 28 juillet 2025 par la Maison Blanche : « Les États‑Unis et l’Union européenne concluent un accord commercial massif »,
Vu le plan « Réarmer l’Europe », présenté en mars 2025 par la Commission européenne et en particulier son programme SAFE visant à financer l’achat d’équipements militaires dont 65 % des composants devront être fabriqués au sein de l’Union européenne,
Considérant que la Constitution, dans son préambule et dans son article 3, consacre les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie ; qu’elle précise, à son article 1er, que la France est une République « démocratique et sociale » ;
Considérant que les négociations menées en vue d’un accord économique et commercial avec les États‑Unis ont été menées sans respect réel des principes d’ouverture et de transparence posés à l’article 15 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et, par voie de conséquence, sans qu’ait pu être assuré un contrôle démocratique national et européen digne de l’État de droit ;
Considérant qu’en vertu des articles 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et 21 du traité sur l’Union européenne, la politique commerciale commune doit être menée dans le respect des objectifs de l’action extérieure de l’Union européenne et donc promouvoir un ordre multilatéral respectueux de la démocratie et de l’État de droit ;
Considérant qu’aux termes des articles 207 et 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’ouverture des négociations, les directives de négociation et la conclusion d’un accord de commerce relève du Conseil, qu’il appartient à la Commission européenne de faire régulièrement rapport au Conseil et au Parlement européen sur l’état d’avancement des négociations, et que s’agissant de l’accord de Turnberry, la confidentialité et l’opacité l’ont emporté sur toute autre considération ;
Considérant qu’aux termes de l’article 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, « un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peut recueillir l’avis de la Cour de justice sur la compatibilité d’un accord envisagé avec les traités » ;
Considérant que le projet accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis comprend des dispositions relatives aux investissements étrangers, lesquelles relèvent du champ de compétences partagées entre l’Union européenne et les États membres et doivent donc donner lieu à une approbation par le Parlement national ;
Considérant que le projet accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis est susceptible de porter préjudice à la politique économique, environnementale, agricole ou encore sociale de notre pays, altérant ainsi durablement le périmètre de la souveraineté nationale garantie par l’article 3 de la Constitution ;
Considérant que l’engagement à importer un montant de 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains est irréaliste ;
Considérant que l’importation de 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains (principalement du gaz naturel liquéfié, GNL) va à l’encontre des objectifs européens en matière de transition écologique et énergétique, l’Union européenne s’étant engagée dans le cadre du Pacte Vert à atteindre la neutralité carbone en 2050 ;
Considérant que l’importation de 750 milliards de dollars de produits énergétiques américains reviendrait à placer l’Union européenne dans une situation de dépendance inédite vis-à-vis de l’énergie fossile américaine, contredisant les objectifs européens en matière d’autonomie stratégique ;
Considérant que les intentions d’investissements aux États-Unis à hauteur de 600 milliards de dollars d’ici 2028 sont incompatibles avec l’ambition de réindustrialiser l’Europe ;
Considérant que les intentions d’investissements aux États-Unis à hauteur de 600 milliards de dollars d’ici 2028 sont incompatibles avec les objectifs européens en matière de transition énergétique ;
Considérant que l’engagement à accroître l’acquisition d’équipements militaires et de défense auprès des États-Unis contredirait les récentes annonces européennes dans ce domaine, qui visent à soutenir la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) ;
Considérant que l’engagement d’une augmentation massive des importations de produits agricoles américains exposera les agriculteurs français à une concurrence internationale déloyale résultant de la prévalence de normes environnementales et sociales moins strictes hors de l’Union européenne ;
Considérant que cet accord entre en contradiction avec le développement du plan « Réarmer l’Europe » dévoilé en mars 2025, et qu’il pourrait porter préjudice aux objectifs européens de souveraineté en matière de défense.
Considérant que le projet d’accord entre l’Union européenne et les États‑Unis a pour objet l’augmentation des flux internationaux de marchandises et que l’augmentation des émissions de gaz à effets de serre et pollutions environnementales associées n’est pas conforme aux engagements de l’Union européenne et de la France pris lors de la COP21 pour lutter efficacement contre le changement climatique ;
Invite le Gouvernement :
1. À signifier à la Commission européenne son opposition au projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis ;
2. À s’opposer à ce projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis lors des prochaines réunions du Conseil ;
3. À se rapprocher de la Commission européenne afin de faire valoir le caractère mixte de l’éventuel accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis ;
4. À demander à la Commission européenne de soumettre le projet d’accord à un vote à l’unanimité des États membres au Conseil, puis à un vote au Parlement européen et à une ratification par l’ensemble des Parlements des États membres ;
5. À refuser toute mise en œuvre d’un accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis sans approbation préalable des parlements nationaux ;
6. À solliciter l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité de ce projet d’accord économique et commercial entre l’Union européenne et les États‑Unis avec les Traités européens sur la base de l’article 218 (11) du Traité de fonctionnement de l’Union européenne pour éviter qu’un accord incompatible avec les Traités européens soit conclu et de ne pas procéder à la ratification de cet accord tant que la Cour de justice de l’Union européenne ne s’est pas prononcée.
ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR
- M. Philippe Léglise-Costa, Représentant Permanent de la France auprès de l’Union européenne
- M. Arnaud Montebourg, ancien Ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique
- Sylvie Matelly, directrice de l’Institut Jacques Delors
- M. David Cayla, Économiste, Enseignant chercheur à l’université d’Angers, Vice-Doyen, Essayiste
- M. Guillaume Duval, ancien speechwriter du HR/VP Josep Borrell, ancien rédacteur en chef d'Alternatives Économiques et conseiller auprès de l'Institut Jacques Delors
- Réseau Action Climat : M. Bastien Cuq (en charge des politiques énergétiques) et Mme Caroline François-Marsal (en charge des politiques européennes)
- Association française des entreprises privées (AFEP)
o Marc Poulain, directeur des négociations commerciales internationales à Paris et Bruxelles
o Amina Tarmil, responsable des affaires parlementaires
- Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) :
o Nicolas Blanc, secrétaire national en charge du secteur Transition économique
o Anne-Catherine Cudennec, secrétaire national en charge de l’Europe, l’international et les droits humains
o Louis Delbos, chargé d’étude au sein du secteur Économie et Protection sociale
- Confédération Générale du Travail (CGT) :
o Virginie Neumayer, membre de la direction confédérale de la CGT
o Olivier Balzer, secrétaire national
- Confédération française démocratique du travail (CFDT) :
o Béatrice Lestic, secrétaire nationale responsable de la politique internationale
o Hélène Deborde, secrétaire confédérale chargée de l’Europe
- Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) :
o Olivier Ducatillion, membre du comité exécutif en charge du Made in France
o Béatrice Brisson, directrice des affaires européennes et internationales
- Mouvement des entreprises de France (MEDEF)
o Fabrice Le Saché, vice-président du MEDEF en charge de l’Europe
o Dorothée Pineau, directrice adjointe du cabinet et Conseillère spéciale du Président en charge des affaires internationales et européennes
o Alec Buisson, chargé de mission senior au pôle International
o Charlotte Dronneau, directrice de mission au pôle Affaires publiques
([1]) Trump et les Européens après l’été de « l’humiliation » : 10 points sur le nouvel Eurobazooka, Le Grand Continent, 9 septembre 2025
([2]) The International Emergency Economic Powers Act (IEEPA), the National Emergencies Act (NEA), and Tariffs: Historical Background and Key Issues, Congress.Gov, 4 juillet 2025
([3]) Augmentation des droits de douane voulue par Donald Trump : "L'Union européenne se fera respecter", prévient Benjamin Haddad, France Info, 13 février 2025
([4]) Bruxelles brandit 93 milliards d'euros de contre-mesures contre les États-Unis, ZoneBourse, 25 juillet 2025
([5]) Droits de douane américains et réponse européenne : informations pour les entreprises, Direction générale du Trésor
([6]) Droits de douane : face à Trump, les Européens prêts à des représailles à 93 milliards d'euros, Les Échos, 15 juillet 2025
([7]) Droits de douane : l’UE et les États-Unis officialisent leur accord, les voitures et médicaments européens frappés par des taxes de 15 %, comme le vin, Toute l’Europe, 21 août 2025
([8]) Droits de douane américains et réponse européenne : informations pour les entreprises, Direction générale du Trésor
([9]) Droits de douane américains et réponse européenne, Le portail de la direction générale des douanes et droits indirects, 9 septembre 2025
([10]) Droits de douane américains et réponse européenne, Le portail de la direction générale des douanes et droits indirects, 9 septembre 2025
([11]) Trump menace de nouveaux droits de douane les pays qui «discriminent» la tech américaine, l’UE revendique un «droit souverain», Libération, 26 août 2025
([12]) Que va-t-il se passer après que les droits de douane imposés par Trump ont été jugés illégaux ? BBC News Afrique, 30 août 2025
([13]) Commerce agroalimentaire : l’inflation pèse sur l’excédent de l’UE sur le début 2025, AGRA Europe, 25 septembre 2025
([14]) L’Ania alerte sur le décrochage historique de la balance commerciale, la revue de l’industrie agroalimentaire, 24 septembre 2025
([15]) Le coût de la taxe carbone aux frontières sera négligeable pour les exportateurs américains, estime le think tank Sandbag, Contexte, 24 septembre 2025
([16]) « La guerre commerciale de Donald Trump va fragiliser la croissance mondiale, avertit l’OCDE », Euractiv, 4 juin 2025
([17]) « La Réserve fédérale américaine abaisse ses taux directeurs d'un quart de point », RTS, 18 septembre 2025
([18]) Droits de douane : l’Europe impuissante face à la déferlante des exportations industrielles chinoises, Le Monde, 22 septembre 2025
([19]) Exemple : la suspension du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) le 10 février 2025 pour une période de 180 jours
([20]) Trump et les Européens après l’été de « l’humiliation » : 10 points sur le nouvel Eurobazooka, Le Grand Continent, 9 septembre 2025
([21]) Les Français face à Trump : 10 points sur notre dernier sondage d’opinion exclusif, le Grand Continent, 26 septembre 2025
([22]) Numérique : Donald Trump menace de sanctions les pays qui "discriminent" la tech américaine, Toute l’Europe, 26 aout 2025
([23]) La tech américaine veut introduire une « présomption de conformité » dans le DMA, Contexte, 19 septembre 2025
([24]) Réguler l’IA : une bataille transatlantique, Alternatives économiques, 24 septembre 2025
([25]) En 2023, l’UE a exporté aux États-Unis un volume de biens d’un montant de 503 milliards d’euros, et a importé pour un montant de 347 milliards d’euros (soit des échanges de 851 milliards en tout), donnant un surplus au profit de l’UE de 157 milliards d’euros.
([26]) Pour les services dont le volume d’échange global a été en 2023 de 746 milliards d’euros, la situation est inversée : l’UE a enregistré en 2023 un déficit de 109 milliards d’euros. Elle a exporté vers les États-Unis pour 319 milliards et a importé pour 427 milliards d’euros.