N° 1993

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 octobre 2025.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 1010),
DE M. PEIO DUFAU ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES,


invitant le Gouvernement à se prononcer contre les « méga-camions » et à construire une politique de report modal vers le ferroviaire au niveau européen,

 

 

 

PAR M. Peio DUFAU,

Député

 

 

 

 

 

 

 

  1.    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; Mme Manon BOUQUIN, M. Laurent MAZAURY, Mme Nathalie OZIOL, M. Thierry SOTHER, vice-présidents ; MM.  Henri ALFANDARI, Maxime MICHELET, Mme Liliana TANGUY secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, Philippe BALLARD, Karim BENBRAHIM, Guillaume BIGOT, Nicolas BONNET, Mmes Céline CALVEZ, Colette CAPDEVIELLE, MM. François-Xavier CECCOLI, Bérenger CERNON, Mmes Sophia CHIKIROU, Nathalie COLIN-OESTERLÉ, MM. Jocelyn DESSIGNY, Julien DIVE, Nicolas DRAGON, Peio DUFAU, Jean-Marie FIÉVET, Michel HERBILLON, Sébastien HUYGHE, Jérémie IORDANOFF, Mmes Sylvie JOSSERAND, Marietta KARAMANLI, Constance LE GRIP, MM. Pascal LECAMP, Matthieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Emmanuel MAUREL, Laurent MAZAURY, Mmes Yaël MENACHÉ, Danièle OBONO, M. Frédéric PETIT, Mme Anna PIC, MM. Pierre PRIBETICH, Stéphane RAMBAUD, Mme Isabelle RAUCH, MM. François RUFIN, Alexandre SABATOU, Aurélien SAINTOUL, Charles SITZENSTUHL, Mmes Michèle TABAROT, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.


SOMMAIRE

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 Pages

introduction

I. la France est et demeure opposÉe À l’introduction des mÉgacamions sur son territoire national

A. Une position constante

1. Ce que prévoit la directive poids et dimensions

2. La position française

B. l’actualité des négociations autour de la directive poids et dimensions

1. État des lieux des négociations en cours

2. Un projet de compromis pourrait être trouvé au Conseil sous présidence danoise

II. Les raisons de cette OPPOSITION tiennent À une diversitÉ de risques associÉs aux mÉga-camions

A. Les mÉga-camions peuvent présenter des avantages pour certains pays europÉens aux caractÉristiques spÉcifiques

1. Les avantages avancés

a. Une diminution des émissions CO₂ par tonne transportée, qui serait conditionnée à une absence d’effet rebond

b. Une réduction des coûts de transport, qui serait probablement transformée en marge supplémentaire par les transporteurs et qui serait donc peu sensible pour les consommateurs finaux

2. La diversité des risques associés aux méga-camions explique la position française

a. Le report modal inversé risquerait de nuire au développement du fret ferroviaire et d’augmenter, in fine, le nombre de camions sur les routes

b. Les infrastructures ne sont pas adaptées et pourraient être exposées à une plus grande usure

i. L’usure de la chaussée

ii. Les ouvrages d’art

iii. La géométrie et l’aménagement actuel des routes

c. Les risques pour la sécurité routière et les problèmes de congestion

B. face À la solution court-termiste que représentent les méga-camions, cette proposition de résolution europÉenne entend appeler au renforcement du fret ferroviaire et à l’instauration d’une gouvernance juste et équilibrÉe du rÉseau concÉd

1. Le développement du fret ferroviaire

a. La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire

b. Au niveau européen

i. Les textes pertinents

ii. Les financements alloués aux transports – dont le rail – à l’échelle européenne

iii. La compatibilité des matériels roulants, des systèmes de communication et des infrastructures

2. L’avenir des concessions autoroutières

3. La modulation des péages pour les poids lourds

Travaux de la commission

PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPENNE

adoptée par la Commission

annexe  1: Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

ANNEXE 2 : CONTRIBUTIONS ECRITES

 


   introduction

Mesdames, Messieurs,

 

Cette proposition de résolution européenne vise à rappeler l’opposition de la France aux méga-camions, aussi appelés systèmes modulaires européens.

Elle s’inscrit dans les pas de la résolution européenne adoptée par cette même commission sous la précédente législature, le 29 mai 2024  ([1]), avant la dissolution décidée par le Président de la République le 9 juin 2024.

Alors que la présidence danoise du Conseil a affirmé vouloir parvenir à un accord de compromis sur le projet de directive poids et dimension proposé par la Commission en juillet 2023 et que le sujet devrait être à l’ordre du jour du prochain Conseil Transports le 4 ou 5 décembre prochain, il semble important de rappeler la position française, claire, stable et largement partagée : un État membre n’ayant pas autorisé la circulation des méga-camions sur son territoire, ne devrait pas être obligé d’autoriser les méga-camions étrangers à circuler en transit.

Cette position de refus de l’automaticité tient aux inconvénients des méga-camions rappelés dans ce rapport, alors même que l’avantage principal avancé – la baisse des émissions CO₂ par tonne transportée – risquerait d’aboutir à une augmentation du nombre de camions sur les routes, selon un effet rebond difficile à estimer ex ante, mais documenté dans de nombreux cas similaires par la littérature économique.

De fait, neuf États membres autorisent déjà les méga-camions sur leur territoire. La balance des avantages et des inconvénients est aussi fonction de la géographie du pays d’une part, et du développement du réseau ferré comme alternative au routier, d’autre part.

Les pays scandinaves sont caractérisés par des territoires peu denses, avec de grandes distances à parcourir et des infrastructures ferroviaires insuffisamment développées pour présenter une alternative crédible.

La France, en contrepoint, a fait le choix d’une stratégie de développement du fret ferroviaire ambitieuse. Outre l’effet signal négatif que constituerait une autorisation des méga-camions, le risque serait grand d’un report modal inversé à la défaveur du rail.

Plus largement, quelle est la valeur économique d’un paysage ?

Cette question serait à poser aux maires ruraux dans les communes desquels passeraient à intervalle régulier des véhicules de 60 tonnes et 25 mètres de long.

Le refus des méga-camions pour la France, dans le respect du droit européen et de l’exigence de non-discrimination des transporteurs étrangers par rapport aux transporteurs nationaux, pose plus largement la question du modèle vers lequel tendre.

Les méga-camions sont une réponse dans le sens d’une hyperflexibilité des chaînes logistiques, servant une société de consommation débridée où l’éphémère est roi.

Le fret ferroviaire sert un autre récit, celui du mode de transport de marchandises le plus décarboné, destiné à permettre des choix de consommation responsables.

 

 

 

 

 


I.   la France est et demeure opposÉe À l’introduction des mÉga‑camions sur son territoire national

A.   Une position constante

1.   Ce que prévoit la directive poids et dimensions

La Commission européenne a présenté le 11 juillet 2023 une stratégie sur l’écologisation du transport de marchandises ([2]), afin d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés par la loi européenne sur le climat à 55 % en 2030 par rapport à leurs niveaux de 1990.

Cette stratégie prévoit quatre propositions législatives :

-  la révision de la directive 96/53/CE fixant, pour certains véhicules routiers circulant dans la Communauté, les dimensions maximales autorisées en trafic national et international et les poids maximaux autorisés en trafic international dite directive « poids et dimensions » ([3]) ;

-         un projet de règlement sur l’utilisation des capacités de l’infrastructure ferroviaire dans l’espace ferroviaire européen ;

-         un projet de règlement portant établissement d’un cadre harmonisé pour la comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre des services de transport de marchandises et de voyageurs ;

-         la révision de la directive 92/106/CE sur les transports combinés.

La directive sur les poids et dimensions vise à améliorer le fonctionnement du marché intérieur de l’Union et à assurer la libre circulation des marchandises en fixant des limites maximales pour les poids lourds, les autobus et les autocars effectuant des transports internationaux au sein de l’UE.

La directive, modifiée en 2015 ([4]) et 2019 ([5]), s’applique aux dimensions des véhicules de transport de marchandises et de leurs remorques dépassant 3,5 tonnes et des véhicules affectés au transport de personnes transportant plus de neuf passagers.

La directive relative aux poids et mesures prône trois objectifs principaux : contribuer à la réduction des émissions du secteur routier, approfondir le marché intérieur en harmonisant les règles entre les différents États membres, et assurer un contrôle plus effectif de la législation.

En l’état, la directive poids et dimensions autorise la circulation transfrontalière de poids lourds jusqu’à 40 tonnes. Par exception, les poids lourds jusqu’à 44 tonnes sont également autorisés à effectuer des trajets transfrontaliers entre les États membres dans la mesure où ils sont inclus dans un transport intermodal, complémentaire du fret ferroviaire par exemple.

La proposition de directive de la Commission ([6]) en cours de négociation prévoit :

-         d’accorder des majorations aux véhicules zéro émission en matière de poids total, avec une bonification forfaitaire de 4 tonnes proposée par la Commission pour prendre en compte le poids des batteries électriques. Des majorations seraient également accordées en matière de poids à l’essieu, à 11,5 tonnes au lieu de 12,5 tonnes,

-         la suppression de la limitation de 40 tonnes pour le transport transfrontalier de poids lourds. Aux termes de cette proposition de directive, chaque État membre devrait harmoniser les conditions de circulation des poids lourds effectuant un trajet transnational avec les conditions de circulation applicables aux poids lourds effectuant un trajet national. Ainsi, un État membre qui autoriserait pour le transport national le recours aux systèmes modulaires européens (SME), serait contraint d’autoriser la circulation sur son territoire de poids lourds du même type.

La France, qui autorise le recours aux poids lourds de 44 tonnes pour le transport national, devra ainsi autoriser le transport international effectué par ces véhicules de 44 tonnes. En revanche, la France n’autorise pas le recours aux SME pour le transport national : aucun de ces véhicules ne pourra donc circuler sur les routes françaises tant que le Gouvernement maintient leur interdiction pour le transport national.

 

Les systèmes modulaires européens

Selon la définition de la Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR) auditionnée par votre rapporteur, les systèmes modulaires européens (SME), également nommés éco-combis ou méga-camions, sont une combinaison de plusieurs véhicules de taille standardisée, répondant aux poids et dimensions autorisés à la circulation en Europe, dans le but d’obtenir des ensembles plus longs avec une plus grande capacité de chargement.

Alors que les dimensions maximales admises pour le transport transfrontalier dans l’Union européenne pour un camion standard sont de 18,75 mètres et 40 tonnes, un SME permet d’atteindre une longueur et un poids supérieurs, de 25,25 mètres et 60 tonnes.

Les configurations possibles d’un SME de 25,25 mètres sont les suivantes :

Une image contenant texte, capture d’écran, logiciel, Icône d’ordinateur

Description générée automatiquement

Source : FNTR

 

Les SME peuvent également atteindre jusqu’à 31,75 mètres :

 

 

2.   La position française

Lors du Conseil des ministres des Transports de l’Union européenne du 5 juin dernier, le ministre français, Philippe Tabarot, a réitéré l’opposition de la France à toute ouverture d’évolution de la réglementation européenne au-delà de 44 tonnes.

B.   l’actualité des négociations autour de la directive poids et dimensions

1.   État des lieux des négociations en cours

La révision de la directive 96/53/CE a été proposée par la Commission européenne en juillet 2023 ([7]).

Par la suite, le Parlement européen s’est prononcé à son tour le 12 mars 2024, apportant quelques modifications mineures à la proposition de la Commission ([8]) et adoptant la proposition de directive ainsi modifiée par 330 députés contre 207 contre, avec 74 abstentions. À noter que la très grande majorité des eurodéputés français s’est opposée au texte, témoignant de l’unité sur ce sujet, au-delà des clivages partisans.

À présent, le Conseil doit adopter sa position pour engager la phase de trilogue (négociations interinstitutionnelles informelles entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil pour aboutir à un projet de texte final qui sera ensuite soumis définitivement au Parlement et au Conseil pour adoption en des termes identiques).

Le Conseil n’est pas encore parvenu à l’adoption d’une orientation générale, compte tenu des divergences entre États membres notamment sur la circulation des poids lourds de 44 tonnes et plus en trafic international. Face aux divergences entre États membres, la présidence danoise du Conseil a annoncé vouloir aboutir à un accord d’ici à la fin de son mandat au 31 décembre 2025.

2.   Un projet de compromis pourrait être trouvé au Conseil sous présidence danoise

La position française a été rappelée par la DGITM lors de son audition. Elle tient à dire que tant qu’un État membre n’a pas autorisé la circulation des méga-camions sur son territoire, il ne peut pas être obligé d’autoriser les méga-camions étrangers à circuler en transit. Cette position est respectueuse des règles européennes interdisant toute forme de discrimination directe ou indirecte entre entreprises d’États membres différents, puisqu’elle applique les mêmes règles aux transporteurs nationaux et étrangers.

À ce stade, cette absence d’automaticité serait respectée dans le projet de compromis danois ce qui permettrait aux États membres désireux de le faire d’autoriser les méga-camions et aux États membres comme la France d’en rester à l’état actuel.

Selon toute probabilité, ce projet de compromis devrait être à l’ordre du jour du prochain Conseil transports qui réunira les ministres des transports des 27 États membres le 4 ou le 5 décembre prochain.

II.   Les raisons de cette OPPOSITION tiennent À une diversitÉ de risques associÉs aux mÉga-camions

A.   Les mÉga-camions peuvent présenter des avantages pour certains pays europÉens aux caractÉristiques spÉcifiques

1.   Les avantages avancés

Selon la Commission européenne et les partisans de la révision de la directive, le recours facilité aux SME permettrait de réduire le nombre de camions sur les routes en raison d’une plus grande capacité de chargement : 2 SME seraient ainsi en capacité de remplacer 3 camions classiques.

Cette réduction induirait de fait une diminution des émissions de gaz à effet de serre, ainsi qu’un moindre besoin de chauffeurs alors que la profession peine à recruter dans de nombreux États membres.

a.   Une diminution des émissions CO₂ par tonne transportée, qui serait conditionnée à une absence d’effet rebond

Un effet serait à attendre sur la diminution des émissions CO₂ par tonne transportée.

L’étude d’impact de la Commission européenne  ([9]) indique une possible réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 20 % du taux de CO₂ émis par une tonne de marchandise transportée en raison du recours aux SME, avec une diminution des émissions de CO₂ de 27,8 millions de tonnes sur la période 2025-2050, soit de 1,2 % des émissions totales de CO₂ du transport de marchandises. L’étude d’impact se fonde notamment sur les réductions d’émissions constatées de 15 à 25 % dans les États membres où les SME sont expérimentés. Ces chiffres sont toutefois difficiles à objectiver, votre rapporteur ayant recueilli au cours des auditions une fourchette d’estimation de diminution des émissions de gaz à effet de serre de 10 à 25 %.

Cependant, lors de son audition, l’autorité de régulation des transports a rappelé que les faibles émissions CO₂ rapportées aux tonnes transportées sont l’avantage des modes de transport massifiés – le ferroviaire et le fluvial. Ramené à la tonne, un méga-camion continuerait d’émettre six à dix fois plus de CO₂ que les modes massifiés.

De fait, les méga-camions peuvent présenter un choix de politique publique rationnel pour certains pays présentant de grandes étendues à traverser, des territoires peu denses, de bonnes infrastructures routières et une absence d’alternative ferroviaire. Ces conditions sont réunies en Scandinavie, par exemple, mais elles ne répondent pas à la situation française.

b.   Une réduction des coûts de transport, qui serait probablement transformée en marge supplémentaire par les transporteurs et qui serait donc peu sensible pour les consommateurs finaux

Un effet serait possible quant aux coûts du transport de marchandises.

L’économiste François Combes estime que les méga-camions permettraient une baisse des coûts unitaires du transport routier de marchandise de 10 à 20 %. Étant entendu que les coûts liés aux transports représentent aujourd’hui une part faible de la valeur finale d’un produit, les gains de productivité à en attendre sont qualifiés de « faibles ». Ces gains auraient, en outre, peu de chances de se répercuter sur le prix final des biens : ils seraient le plus probablement transformés en marge supplémentaire des transporteurs.

2.   La diversité des risques associés aux méga-camions explique la position française

a.   Le report modal inversé risquerait de nuire au développement du fret ferroviaire et d’augmenter, in fine, le nombre de camions sur les routes

L’autorisation de circulation des SME dans l’Union européenne et en France renforcerait la compétitivité du secteur routier par rapport au fret ferroviaire et fluvial.

Ainsi, une partie du fret acheminé par le train ou bateau pourrait se reporter sur la route. Dès le début des travaux sur la révision de la directive au Conseil de l’Union européenne, la France a soulevé les lacunes de l’étude d’impact de la Commission sur les risques de report modal inversé.

Une étude d’un cabinet indépendant commandée par plusieurs fédérations du rail ([10]) estime que l’augmentation du poids brut autorisé et l’autorisation des SME entraîneraient un transfert modal inverse de 21 % en moyenne pour tous les segments ferroviaires et de 16 % pour le transport combiné. Selon cette étude, il en résulterait jusqu’à 13,3 millions de trajets supplémentaires pour les camions et 6,6 millions de tonnes d’émissions de CO2 supplémentaires.

La DGITM identifie également ce risque. Le report modal vers les modes massifiés dépend directement de la compétitivité de la route qui représente, aujourd’hui, pour les chargeurs le principal étalon.

Toute amélioration de sa productivité notamment par l’augmentation des charges utiles (44 t international, EMS) accentue le différentiel de compétitivité et génère un risque de report modal inversé, ces améliorations modifiant l’équilibre concurrentiel entre les modes de transport. Ainsi, il a été estimé que pour compenser les effets de l’autorisation du poids lourd 44 t pour des échanges internationaux, les aides à l’exploitation des services ferroviaires devraient être augmentées de 150 M€ par an pour éviter un report modal inversé par rapport à la situation actuelle et de 300 M€ pour atteindre l’objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire. 

D’après l’ONG France Nature Environnement ([11]), la généralisation des méga-camions pourrait nuire au fret ferroviaire pour trois raisons.

D’abord, les gabarits des méga-camions sont incompatibles avec le transport combiné rail-route. De nombreuses semi-remorques allongées sont incompatibles avec les poches P400 ([12]) , alors même que seulement environ 50 % des semi-remorques « standards » sont compatibles avec un transport combiné et que seulement environ 10 % sont préhensibles au grappin. Les EMS complexifient l’exploitation terminale et les standards (gabarits/hauteurs/masse).

Ensuite, la capacité des terminaux n’est pas toujours adaptée. Une terminalisation supérieure à 40–45 tonnes dépasse les capacités de nombreux équipements et les accès routiers aux terminaux ne sont pas adaptés pour ces surpoids.

Enfin, d’un point de vue économique, la baisse du coût du transport routier dégraderait la densité du réseau de l’offre ferroviaire (perte de volumes sur wagons isolés et effets en chaîne sur la productivité réseau), à rebours des objectifs du Pacte vert européen.

In fine, les gains de compétitivité du routier sur le rail et le fluvial pourraient aboutir à une hausse du nombre de camions sur les routes, selon un effet rebond qui, s’il est difficile à estimer en amont, est largement documenté par la littérature économique dans d’autres cas ([13]).

b.   Les infrastructures ne sont pas adaptées et pourraient être exposées à une plus grande usure

Lors de son audition, le Cerema a noté que le volet infrastructures pouvait s’analyser sous trois angles.

i.   L’usure de la chaussée

Le modèle de Burmister énonce que l’usure de la chaussée est puissance cinquième du poids à l’essieu. Cela explique qu’un seul poids lourd actuel cause une usure équivalente à celle d’environ 100 000 voitures.

Le nombre d’essieux étant plus important sur les SME, il en résulterait une charge individuelle à l’essieu en diminution par rapport aux poids lourds de 40 tonnes, et donc une moindre dégradation des routes.

Le Cerema note que : « l’agressivité à la tonne transportée d’un poids lourd sur une chaussée est directement liée à la charge à l’essieu. Une augmentation du nombre d’essieux à charge constante réduit ainsi cette agressivité et donc, la dégradation des infrastructures » ([14]).

Les SME n’ont pas une agressivité sur la structure d’une route plus importante qu’un 44 tonnes classique, voire un 40 tonnes suivant la configuration, dans la limite des hypothèses du choix des silhouettes des PL (les trois silhouettes ci-dessus sont celles que l’on retrouve le plus couramment dans les pays autorisant déjà les SME) et de la répartition de la charge par essieu. En effet, en multipliant les essieux et en combinant les remorques et semi-remorques, la charge à l’essieu reste en-deçà des charges classiques et n’a pas d’incidence sur la structure en profondeur d’une route.

En revanche, les efforts de démarrage, d’accélération et de freinage de tels convois entraînent des contraintes supplémentaires sur la chaussée (cisaillement) qui n’ont pas été étudiées à ce jour, et qui pourraient constituer des facteurs importants de dégradation, en surface notamment.

De plus, le contrôle effectif de cette charge à l’essieu apparaît complexe compte tenu des effectifs limités.

ii.   Les ouvrages d’art

S’agissant des ouvrages d’art, la dégradation est moins liée à la charge à l’essieu qu’à la charge ponctuelle du véhicule dans son ensemble. Le risque est donc réel pour des ouvrages d’art anciens et les mégas-camions pourraient être contraints à des itinéraires spécifiques, étant donné que sur les axes principaux, les ouvrages d’art sont déjà conçus pour supporter le transport exceptionnel ou militaire à parfois plus de 100 tonnes.

Cependant, le Cerema a souligné que : « la multiplication de véhicules très lourds créera de la « fatigue » et conduira à une potentielle hausse des dépenses d’entretien ».

iii.   La géométrie et l’aménagement actuel des routes

La troisième difficulté, plus importante, concerne la nécessité d’adapter les infrastructures à la circulation des SME : au regard de leur volume, la capacité de ces camions à emprunter les ronds-points, les bretelles d’autoroute voire les virages serrés dans les premiers et derniers kilomètres de leurs trajets n’est pas garantie. Cette obligation d’adaptation des infrastructures concerne également les stationnements sur les aires d’autoroutes, les bretelles d’insertion sur les voies rapides, les dispositifs de retenue pour sortie de route – notamment sur les ponts – et les dispositifs d’arrêt d’urgence en cas de défaut de freinage.

Si les SME devaient être autorisés sur le sol français et au niveau européen, des travaux d’adaptation seraient ainsi nécessaires, à la charge du contribuable. Par ailleurs, la France étant un pays de transit de marchandises au sein de l’Union, le contribuable français ne serait pas le premier bénéficiaire de ces investissements d’aménagement.

c.   Les risques pour la sécurité routière et les problèmes de congestion

La libéralisation de la circulation des SME sur les routes européennes et françaises pose également une série de questions relatives à la sécurité routière.

Les études diffèrent également sur ce point. La fédération nationale du transport routier (FNTR) fait valoir que les SME disposent d’un meilleur système de freinage en raison d’un plus grand nombre d’essieux et d’une charge à l’essieu mieux répartie. Toutefois, selon l’observatoire national interministériel de la sécurité routière en 2021, les accidents impliquant les poids lourds sont mortels dans 14 % des cas, contre 5 % pour les accidents sans poids lourd. Par ailleurs, 89 % des personnes tuées dans les accidents impliquant un poids lourd ne sont pas usagers de poids lourds. Enfin, le dépassement des SME de 25,25 mètres sera nécessairement plus long que le dépassement des poids lourds de 16,5 mètres, accroissant de ce fait le risque d’accidents.

S’agissant de la congestion des routes, l’organisation des transporteurs routiers européens (OTRE) fait valoir que le nombre de poids lourds sur les routes diminuerait avec l’introduction des méga-camions. Toutefois, dans la mesure où le report modal inversé pourrait conduire à une diminution du recours au fret ferroviaire en faveur du routier, il pourrait en résulter une augmentation du nombre total de camions sur les routes (effet rebond).

B.   face À la solution court-termiste que représentent les méga-camions, cette proposition de résolution europÉenne entend appeler au renforcement du fret ferroviaire et à l’instauration d’une gouvernance juste et équilibrÉe du rÉseau concÉd

1.   Le développement du fret ferroviaire

a.   La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire

La stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire ([15])  (SNDFF), prévue par l’article 178 de la loi d’orientation des mobilités (LOM) a été validée par le décret n° 2018-399 du 18 mars 2022. Elle comprend 72 mesures concrètes et constitue le cadre mis en place pour atteindre l’objectif de doublement de la part modale d’ici 2030 (de 9 % à 18 % puis 25 % en 2050) prévue par la loi climat et résilience d’août 2021.

Quatre enjeux majeurs sont identifiés :

- la restauration de la viabilité des modèles économiques des opérateurs de fret ferroviaire à travers des aides à l’exploitation (aides aux péages, transport combiné, wagon isolé) avec 335 M€ d’aides versés en 2024. Ces aides, substantiellement renforcées par rapport à 2019, représentent entre 20 et 30 % des coûts d’exploitation selon les segments de marché ;

- l’amélioration de la qualité de service de SNCF-Réseau à travers notamment les travaux des plateformes services et infrastructures ;

- l’investissement sur les infrastructures de fret ferroviaire ainsi que la réalisation concertée d’une priorisation des investissements (triage, capillaire, terminaux…) pour le fret ferroviaire 2023‑2032 avec des effets attendus à moyen et long terme (programme Ulysse ([16])) ;

- l’accentuation de la coordination entre les modes ferroviaires et fluviaux.

La mise en œuvre de cette stratégie était de 59 % à l’occasion du dernier comité de pilotage du 31 janvier 2024. Le gouvernement a également annoncé en 2023 un programme d’investissement de 4 milliards d’euros en faveur du fret ferroviaire, ainsi que la pérennisation du renforcement des aides à l’exploitation des services jusqu’en 2030.

En parallèle de ces actions, des soutiens complémentaires au report modal sont possibles via les Certificats d’Économie d’Énergie pour l’acquisition de caisses mobiles par exemple ou encore pour le transfert modal.

Il a été rappelé lors de l’audition de l’ART que les débouchés naturels des marchandises acheminées par les ports français sont encore trop systématiquement la route et que les connexions ferroviaires sont trop peu nombreuses au niveau des plateformes portuaires. Les financements devraient donc être en priorité concentrés sur les solutions de report modal sur le rail et le fleuve depuis les ports.

b.   Au niveau européen

i.   Les textes pertinents

La Commission européenne a proposé une série de textes législatifs, publiés ou en cours de négociation, de manière à favoriser le recours au fret ferroviaire et à l’intermodalité :

-         la révision du règlement RTE-T ([17]), concernant essentiellement les questions d’infrastructures, a pour objectif d’aboutir à une plus grande interopérabilité entre les différents réseaux européens, notamment ferrés. Les services de fret ferroviaire sont essentiellement concernés par les questions d’harmonisation de longueur des trains, gabarit, masses maximales à l’essieu et caractéristiques des terminaux de fret ;

-         les propositions législatives de la stratégie relative à l’écologisation du transport de marchandises, présentées le même jour que la révision de la directive relative au poids et aux dimensions :

o       la proposition de règlement sur l’utilisation des capacités de l’infrastructure ferroviaire dans l’espace ferroviaire européen ([18]), présentée dans le cadre de la stratégie relative à l’écologisation du transport de marchandises. Ce texte a pour objectif d’établir des règles générales permettant une optimisation de l’utilisation des capacités de l’infrastructure ferroviaire et du trafic ferroviaire de manière à attirer davantage d’entreprises de fret vers le rail et d’améliorer la qualité des services ferroviaires ;

o       la proposition de révision de la directive concernant le transport combiné  ([19]) par laquelle la Commission se donne pour objectif de rendre le transport de marchandises plus durable en améliorant la compétitivité du fret intermodal par rapport au transport routier. Votre rapporteur souligne toutefois que cette directive ne doit pas fixer des exigences trop importantes relatives au transport combiné : la priorité va au développement du secteur, et à la levée des barrières administratives ;

o       la proposition de règlement sur la comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre des services de transport ([20]). Ce texte, sur lequel les trilogues débuteront à l’automne, doit permettre d’établir une méthode harmonisée de comptabilisation des émissions, de façon à éviter le greenwashing et les allégations environnementales.

ii.   Les financements alloués aux transports – dont le rail – à l’échelle européenne

Outre ces différents textes, votre rapporteur souligne également l’importance du mécanisme d’interconnexion pour l’Europe afin de favoriser le développement du fret ferroviaire et de l’intermodalité.

Ce programme permet de soutenir des infrastructures pour les mobilités décarbonées, notamment les réseaux transeuropéens de transports. En outre, la Commission autorise les aides d’États pour aider le fret ferroviaire : par exemple, le terminal ferroviaire à Miramas a fait l’objet d’aides françaises, acceptées par la Commission européenne.

L’article 4 de la proposition de cadre financier pluriannuel actuellement en discussion prévoit une enveloppe indicative de 81 milliards d’euros en prix courants pour la période 2028-2034 pour le mécanisme d’interconnexion pour l’Europe, dont 51 milliards pour la partie « transports » et 29 milliards pour la partie « énergie ».

Cela représente un doublement notable du montant alloué au RTE-T par rapport à la période budgétaire précédente, qui devrait permettre de remédier au moins partiellement au sous-dimensionnement de l’enveloppe qui était largement dénoncée.

 

 

Enveloppe allouée pour le secteur des transports

Enveloppe totale du MIE

2014-2020

26,2 Mds

33,2 Mds

2021-2027

25,8 Mds

33,7 Mds

2028-2034

51,5 Mds

81,4 Mds

 

Votre rapporteur indique que ces financements doivent bénéficier à l’intermodalité, avec la construction nécessaire de plateformes multimodales de meilleure qualité permettant un maillage fin sur le territoire français.

iii.   La compatibilité des matériels roulants, des systèmes de communication et des infrastructures

L’une des entraves actuelles au développement d’un fret ferroviaire européen tient à des divergences opérationnelles entre États membres.

Des progrès ont été faits avec l’adoption d’un écartement standard de rail, d’une signalisation européenne commune (ERTMS) et d’une meilleure coordination des gestionnaires d’infrastructures.

Mais ces progrès sont encore insuffisants pour éviter les ruptures de charge à la frontière, qui grèvent la compétitivité du fret ferroviaire européen. La frontière franco-espagnole représente un exemple de point de rupture de charge méritant une attention particulière.

2.   L’avenir des concessions autoroutières

Comme cela a été présenté dans le cadre de la conférence de financement des mobilités, à ce jour, 9 200 km d’autoroutes sont concédés principalement à trois groupes : Vinci (4 300 km), Eiffage (2 060 km) et Abertis (1 800 km), qui réalisent 91,5 % du chiffre d’affaires global.

L’expiration des principales concessions autoroutières entre la fin de l’année 2031 et la fin de l’année 2036 concerne les trois principaux groupes.

Les taux de retour sur investissement « projet » sont légèrement supérieurs à ceux qui avaient été envisagés par l’agence des participations de l’État au moment des privatisations en 2005-2006. Alors que ceux-ci étaient attendus autour de 6,3 %, l’ART projette des TRI prévisionnels de 7,7 % et le rapport IGF/IGEDD de février 2021 les estime autour de 8 %. Les TRI « actionnaires » sont, eux, nettement supérieurs à ceux anticipés : autour de 12 % contre 7,7 % envisagés.

Ceci est lié à la stratégie d’endettement mise en place par les concessionnaires dans un contexte de baisse des taux d’intérêt au cours de la période 2012-2020 (de 5-6 % à 2 %) qui a permis aux concessionnaires de refinancer leur dette dans des conditions plus intéressantes que celles envisagées au moment des privatisations.

La conférence de financement des mobilités a abouti à la publication d’un rapport en juillet 2025. Celui-ci note que l’arrivée à expiration des principales concessions autoroutières entre le 31 décembre 2031 et le 30 septembre 2036 constitue l’occasion de dégager des recettes supplémentaires pour financer les transports. En effet, la majeure partie du réseau ayant été construite, le maintien d’un niveau de péage proche de l’actuel permettrait de dégager un excédent de recettes. À l’inverse, la suppression totale des péages, sur le modèle des décisions prises en Espagne ces dernières années, conduirait à une perte pour les finances publiques d’environ 10 Md€ par an, alors même que les besoins d’investissement dans les infrastructures n’ont jamais été aussi élevés.

Le surplus annuel pouvant être dégagé de manière réaliste à l’expiration de toutes les concessions historiques, c’est-à-dire en année pleine à partir de 2037, s’élève à environ 2,5 Md€/an (euros 2025). La conférence envisage que ces recettes supplémentaires puissent financer en priorité la régénération et la modernisation des réseaux routiers nationaux non concédés, ferroviaires et fluviaux.

Plusieurs options sont possibles à l’issue des contrats de concession historiques : un raccourcissement de la durée des futurs contrats de concession, la prévision d’un partage de la rentabilité des concessionnaires en cas de hausse de leur chiffre d’affaires au-dessus d’un certain seuil, le partage des gains en cas de refinancement du concessionnaire ou encore l’évolution de la composition de l’actionnariat des sociétés concessionnaires pour privilégier des formes public/privé ou un actionnariat 100 % public (État et collectivités).

Le scénario de gouvernance qui a la préférence de la conférence de financement est celui consistant à améliorer le système actuel de concessions, en prévoyant des concessions de tailles plus petites que les plus grandes concessions actuelles, en révisant la durée des contrats pour renforcer la prévisibilité sur les bénéfices et en incluant des mécanismes de partage des résultats en cas de rentabilité plus forte qu’anticipée – ce qui a été la principale critique faite aux concessions historiques.

Ce scénario tiendrait compte de besoins d’investissement dans les autoroutes, qui restent réels mais largement inférieurs aux besoins d’investissement au moment de leur construction. Les recettes supplémentaires issues des autoroutes seraient prélevées sous forme de fiscalité affectée à la nouvelle AFITF, afin de financer en priorité la régénération et la modernisation des réseaux routiers nationaux non concédés, ferroviaires et fluviaux.

Votre rapporteur serait favorable à un modèle de gestion des infrastructures routière qui soit public et décentralisé, à même de prendre le relais des contrats actuels de concession. En effet, votre rapporteur souligne les risques inhérents au système de concessions actuel, qui limite par exemple les marges de manœuvre de l’État pour instaurer des mécanismes de contribution pour les poids lourds. Les expériences récentes appellent à la prudence : les entreprises privées ont démontré qu’elles étaient équipées pour obtenir des contrats aux conditions très favorables, potentiellement au détriment des autorités.

Cette option pourrait prendre deux formes, évoquées par la conférence de financement des mobilités :

-         la mise en place d’un établissement public en charge de la gestion directe des infrastructures ;

-         l’instauration de nouvelles concessions mais allouées à des sociétés à capitaux 100 % publics, détenus par l’État et les collectivités territoriales. Auditionnée, la DGITM a toutefois observé que les capitaux nécessaires à la mise en œuvre de cette option ne sont pas budgétés en l’état et représenteraient un coût de plusieurs milliards d’euros pour les finances publiques.

3.   La modulation des péages pour les poids lourds

Votre rapporteur est favorable à ce que les péages soient maintenus à un niveau au moins équivalent et soient mieux modulés pour prendre en compte des niveaux d’émission et des externalités des différents types de véhicules sur les routes.

L’ART estime que cette modulation devrait se faire à iso-recettes, c’est-à-dire qu’elle consisterait en une nouvelle ventilation des recettes de péages par catégories de véhicules.

À ce jour, les poids lourds s’acquittent de droits de péage 3 fois plus élevés que ceux des véhicules légers, contre 5 fois plus pour la moyenne européenne. Votre rapporteur serait donc favorable à une réévaluation des droits de péages pour mieux prendre en compte les externalités négatives causées par les poids lourds.

De la même manière, votre rapporteur souligne la nécessité d’explorer les différentes possibilités pour faire contribuer le transport routier de marchandises au financement des mobilités, notamment via des éco-contributions locales ou des contributions de la part des chargeurs.


   Travaux de la commission

Au cours de sa réunion en date du 22 octobre 2025, la commission des affaires européennes a examiné, dans le cadre d’une discussion générale commune, le rapport d’information de Mme Marietta Karamanli sur la décarbonation du secteur européen des transports et la présente proposition de résolution européenne sur le rapport de M. Peio Dufau.

Après présentation par Mme Marietta Karamanli de son rapport d’information :

M. Peio Dufau, rapporteur. La proposition de résolution européenne que je porte aujourd’hui devant vous vise à rappeler l’opposition de la France aux méga-camions, aussi appelés systèmes modulaires européens. Elle s’inscrit dans les pas de la résolution européenne de Jean-Marc Zulesi, invitant le Gouvernement à se prononcer contre les méga-camions et à bâtir une politique de report modal vers le ferroviaire au niveau européen, adoptée par cette même commission sous la précédente législature, le 29 mai 2024, avant la dissolution décidée par le Président de la République.

La présidence danoise du Conseil de l’Union européenne a affirmé vouloir parvenir à un accord de compromis sur la proposition de directive modifiant la directive du Conseil fixant les dimensions maximales autorisées en trafic national et international et les poids maximaux autorisés en trafic international, dites « directive poids et dimension », proposé par la Commission en juillet 2023. Le sujet devrait être à l’ordre du jour du Conseil transports le 4 et 5 décembre prochain. Il semble alors important de rappeler la position française : un État membre n’ayant pas autorisé la circulation des méga-camions sur son territoire, ne devrait pas être obligé d’autoriser les méga-camions étrangers à circuler en transit.

Cette position de refus de l’automaticité tient aux inconvénients des méga-camions documentés dans ce rapport, alors même que l’avantage principal avancé par leurs défenseurs – la baisse des émissions CO₂ par tonne transportée – risquerait d’aboutir à une augmentation du nombre de camions sur les routes, selon un effet rebond difficile à estimer en amont, mais documenté dans de nombreux cas similaires par la littérature économique.

De fait, neuf États membres autorisent déjà les méga-camions sur leur territoire. Il ne s’agit pas de les obliger à s’en détourner mais de ne pas faire que ce modèle devienne obligatoire. La balance des avantages et des inconvénients est fonction de la géographie du pays d’une part, et du développement du réseau ferré comme alternative au routier, d’autre part. Ainsi, les pays scandinaves sont caractérisés par des territoires peu denses, avec de grandes distances à parcourir et des infrastructures ferroviaires insuffisamment développées pour présenter une alternative crédible.

Pour la France, le constat formulé au cours des auditions est sans ambiguïté. Les coûts liés aux méga camions, qu’il s’agisse de l’adaptation de nos infrastructures routières ou des risques d’accidentologie, sont considérables. Mises en regard de notre capacité de fret ferroviaire et fluvial, ces charges rendraient la décision de leur autorisation irrationnelle.

En effet, le poids des méga camions exerce une contrainte supplémentaire sur les ouvrages d’art. Les coûts d’entretien ou d’aménagements nécessaires, notamment au niveau des angles de giration et dispositifs de sécurité, impacteraient de manière excessive les finances des collectivités gestionnaires des routes – déjà confrontées à un manque de moyens pour entretenir le réseau routier.

C’est la raison pour laquelle cette proposition de résolution européenne ne se contente pas de réaffirmer l’opposition de la France aux méga-camions mais appelle plus largement à un changement de modèle en faveur du rail.

L’histoire du fret français est celle d’un abandon.

Entre 1988 et aujourd’hui, la part du fret ferroviaire est passée de 41 % à 9 %. La part modale du fret ferroviaire est aujourd’hui inférieure en France à celle de la moyenne européenne, qui est de 17 %. Le grand gagnant de l’histoire a été le fret routier, grappillant peu à peu des parts de marché et augmentant son nombre de tonnes-kilomètres.

Alors que nous visons un doublement de la part modale, de 9 % aujourd’hui à 18 % d’ici 2030, avec un objectif de 25 % en 2050, autoriser les méga camions reviendrait à renforcer la compétitivité du transport routier au détriment du rail, créant ainsi un report modal inversé – un non-sens.

Plus largement se pose la question du modèle vers lequel nous voulons tendre. Les méga-camions sont une réponse dans le sens d’une hyper-flexibilisation des chaînes logistiques, servant une société de consommation débridée où l’éphémère est roi, où la fast fashion justifie un trajet Shanghai-Le Havre, où des kiwis néo-zélandais passent trente jours dans des conteneurs réfrigérés avant d’être acheminés par camion sur nos étals.

Le fret ferroviaire, tout comme le fret fluvial, sert un autre récit : celui d’un fret décarboné, destiné à permettre des choix de consommation responsables, permettant l’aménagement des territoires et conciliant cohésion sociale et respect de l’environnement.

J’ajoute que la qualité de vie des habitants des territoires doit être notre boussole. Quelle est la valeur économique d’un paysage ? Cette question serait à poser au maire et à la population des communes dans lesquelles passeraient, à intervalle régulier, des camions de 60 tonnes et 25 mètres de long.

Enfin, cette proposition de résolution européenne entend moduler les péages dont doivent s’acquitter les poids lourds, notamment selon leurs niveaux d’émissions de gaz à effet de serre. Cette piste est en accord avec le cadre général que nous défendons : elle vise à faire payer au fret routier une juste part, à l’obliger à compenser les externalités négatives dont il est la cause. Outre les émissions de CO₂, mentionnons la pollution locale, les nuisances sonores, la congestion, l’usure des chaussées et les risques d’accidents.

Par ailleurs, les États-Unis, qui avaient initialement autorisé les méga-camions, sont revenus sur leur décision à cause des enjeux de sécurité routière. En effet, dépasser un camion de 25 mètres de long sur une route à deux voies représente un véritable défi.

Un seul chiffre suffit pour illustrer l’anomalie : à ce jour, les poids lourds français ou circulant en France s’acquittent de droits de péage trois fois plus élevés que ceux des véhicules légers, alors que le passage d’un camion dégrade autant la route que le passage de 100 000 voitures. Certains acteurs que nous avons auditionnés évoquaient même un équivalent de 1 million de voitures.

Lors des auditions, les représentants des entreprises de transport routier ont demandé à interdire l’entrée des méga-camions en France, afin d’éviter une concurrence faussée au détriment des entreprises de transport nationales – déjà menacées par le dumping social en Europe.

Ce chapitre des débats pourra être utilement ouvert dans le projet de loi-cadre annoncé par le ministre des transports M. Philippe Tabarot comme suite à la conférence de financement des mobilités.

Plus largement, c’est l’avenir du modèle des concessions autoroutières qui devra être discuté. Les entreprises privées ont montré qu’elles étaient capables de négocier des contrats aux conditions très favorables, au détriment des autorités et de la population. Notre cap doit être une maîtrise publique et décentralisée des infrastructures routières afin de ne pas être otage de contrats qui nous priveraient d’outils fiscaux utiles à notre politique de mobilité.

M. Stéphane Rambaud (RN). Le Parlement européen a autorisé en mars dernier la circulation des méga-camions de 60 tonnes et 25 mètres de long. La France, fait suffisamment rare pour être souligné, a parlé d’une seule voix. Toutes les délégations françaises, de droite comme de gauche, se sont opposées à ce texte. Le ministre des transports a exprimé que la France refusait une libéralisation des méga-camions : notre priorité est le report modal, en particulier vers le ferroviaire.

Bien que nous partagions pleinement cette position, il est nécessaire de rappeler la vétusté de notre réseau ferré, sur lequel ne pourra se reporter suffisamment le transport routier. Si l’objet de la présente proposition de résolution européenne est d’affirmer clairement le refus français des méga-camions et d’appeler à la construction d’une véritable politique de report modal vers le ferroviaire et le fluvial, il faut que ces ambitions puissent être mises en œuvre.

En 2023, le transport routier représentait 89 % du transport de fret en France et le train seulement 9 %, sans compter le fluvial qui ne représente que 2 %. Dès lors, les réalités géographiques, du réseau et de son état doivent être prises en compte afin de ne pas se retrouver à implorer des politiques publiques irréalistes. Ainsi, s’il est pertinent de soutenir les initiatives de report modal et d’éviter que les méga-camions étrangers traversent notre pays de part en part, nous ne devons pas pour autant nous priver d’une réflexion nationale et locale, afin de trouver des solutions circonstancielles où cela est nécessaire.

Bien que nous soutenions votre proposition de résolution, monsieur le rapporteur, nous souhaitons vous poser la question du poids réel de celle-ci dans les discussions européennes. Au-delà des bonnes intentions, la voix de la France peut-elle encore porter quand elle se perd dans le brouhaha du « en même temps » macroniste ?

Mme Marietta Karamanli, rapporteure d’information. Je vous remercie pour cet accord concernant le travail conduit. Il ne faut jamais sous-estimer ce que nous pouvons porter collectivement. Lorsqu'un texte est adopté à l’unanimité par la Commission des affaires européennes, il convient de rappeler qu’il peut devenir la position définitive de l’Assemblée nationale : tel est le sens de notre travail de parlementaire.

 Je crois qu’une proposition de résolution européenne peut contribuer à porter les préoccupations de nos citoyens. Nous croyons au projet européen et souhaitons l’améliorer, notamment en matière de décarbonation, de transports, de mobilité et d’accessibilité pour tous.

C'est notre rôle, aujourd'hui comme demain, de porter cette position au sein de la commission permanente, si elle décide de se saisir du texte. Dans le cas contraire, cette position deviendra celle de l’Assemblée nationale. Il nous faudra poursuivre ce travail et rester exigeants et exigeantes chaque fois que le gouvernement aura à défendre ces positions, afin d’atteindre pleinement nos objectifs.

M. Peio Dufau, rapporteur. La présidence danoise semble encline à prendre en compte la position française, laquelle permettrait de refuser le transit de méga-camions venus de l'étranger, à condition que la France n’autorise pas non plus la circulation de méga-camions français. Si cette orientation se confirmait, elle répondrait à la demande des transporteurs routiers, dont la priorité est d’empêcher la circulation en transit de méga-camions étrangers, tout en respectant la position française sur le sujet. Nous espérons que les discussions prévues au mois de décembre permettront de dégager une position française respectée et entendue par l’ensemble des parties.

M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Alors que le Parlement européen s'est récemment positionné en faveur de la circulation transfrontalière des méga-camions, il est essentiel que la France s'y oppose et qu’elle agisse auprès de la Commission européenne afin d’accélérer la mise en place d'une politique cohérente de développement du fret ferroviaire.

Il faut avoir pleinement conscience, que les questions des méga-camions et du fret ferroviaire sont étroitement liées. Nous ne pouvons tolérer la circulation des camions aux dimensions extravagantes sur nos routes qui viennent concurrencer, de fait, le fret ferroviaire et contreviennent aux objectifs climatiques européens. En Europe, près de 95 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports proviennent des camions. Alors que la tonne du fret transportée par le rail émet neuf fois moins de CO₂ que par la route, la part modale du fret ferroviaire intérieur en France ne cesse de diminuer depuis les années 1970. En 1975, près de 50 % des marchandises étaient transportées par le train ; elles ne représentaient plus que 9 % en 2019. La France se situe aujourd’hui à peine à la moitié de la moyenne européenne.

Il s’agit également d’évoquer l'accidentologie liée au poids lourd, puisque la gravité des accidents accroît lorsque des camions sont impliqués. En Europe, un décès sur sept sur la route implique un camion.

Pour ces raisons et celles développées par les rapporteurs et afin que nous soyons en cohérence avec nos engagements climatiques européens, j’invite chacune et chacun d’entre vous à adopter ces propositions de résolution, qui, je le crois, devraient faire consensus.

M. Jean-Marie Fiévet (EPR). Nous le savons, le secteur des transports est l'un des plus polluants. Atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 impose une voie unique : celle d'une accélération sans précédent de la transformation de l'ensemble de la chaîne logistique - aérien, maritime, ferroviaire et routier. Cette transformation ne peut se faire ni dans la précipitation ni dans la stigmatisation d'un seul mode de transport. Pour réussir, il s’agit d’activer l’ensemble des leviers, notamment par l’innovation et les investissements massifs dans les infrastructures décarbonées. Sur ce point, le groupe Ensemble pour la République salue les deux propositions de résolution européenne et partage l'objectif d'un report modal ambitieux vers le ferroviaire et le fluvial, modes intrinsèquement plus sobres en carbone.

Toutefois, le groupe Ensemble pour la République ne votera pas en faveur des deux textes. Bien que l'objectif global soit partagé, ces résolutions contiennent des dispositions pour le moins invraisemblables et contre-productives. Appeler à « cesser le développement d'infrastructures entraînant une hausse du trafic routier » ou porter atteinte à l'électrification du parc véhicule est irréaliste. De même, instaurer une pression fiscale et tarifaire supplémentaire sur le transport routier, avant que les alternatives zéro émission ne soient pleinement matures et disponibles, reviendrait à fragiliser une filière essentielle et à alourdir les coûts logistiques pour les entreprises, et en conséquence pour les citoyens.

La transition écologique doit être juste, lucide et cohérente. Je souhaite ajouter à la position de mon groupe ma position personnelle sur le sujet des méga-camions. Ces textes s'inscrivent dans un réflexe de rejet national, alors que nos voisins européens les ont déjà adoptés ou expérimentés. Refuser le débat sur les méga-camions est une erreur stratégique. Les systèmes modulaires ne constituent pas une régression : intégrés dans une stratégie d’ensemble, ils représentent un outil immédiat de décarbonation et de productivité. Il convient d’envisager l’utilisation de ces véhicules, notamment des méga-camions à zéro émission, sur des axes clairement définis, conformément aux orientations européennes.

L'urgence climatique exige que nous utilisions tous les leviers disponibles. La France ne doit pas se priver de cet outil.

En somme, le groupe Ensemble pour la République ne peut soutenir ces résolutions qui, d'une part, fragiliseraient le secteur routier par une fiscalité prématurée et, d'autre part, écarteraient de manière dogmatique une solution reconnue chez plusieurs de nos partenaires dans la réduction des émissions.

M. Peio Dufau, rapporteur. Je suis surpris de votre position, puisque c’est l’un de vos collègues qui avait porté une proposition de résolution européenne similaire sous la précédente législature.

Je souhaite revenir à l’essentiel. Aujourd’hui, faire circuler des méga-camions sur nos axes impliquerait des investissements considérables sur les infrastructures existantes, de l’ordre de plusieurs millions, voire milliards d’euros, alors même que l’entretien du réseau routier actuel rencontre déjà des difficultés. Une telle position semble être un non-sens.

J’ai présidé une mission d’information sur le ferroviaire, au sein de laquelle un consensus s’est dégagé sur la nécessité de mobiliser des moyens financiers importants afin de moderniser les voies ferrées existantes. Ainsi, si des investissements doivent être réalisés, ils devraient prioritairement concerner le réseau ferroviaire plutôt que de permettre la mise en circulation des méga camions sur nos routes, bien que l’entretien de ce dernier demeure indispensable. L’avenir réside dans le développement du ferroviaire.

Cette position ne remet pas en cause la décarbonation du transport routier et des camions. Je ne partage pas votre constat : aujourd’hui, la décarbonation des camions est déjà engagée. Les émissions de ces véhicules ont diminué et un parc de véhicules électriques commence à émerger, même s’il n’est pas encore en mesure de répondre, aux besoins du transport longue distance et encore moins à ceux des méga-camions. Les infrastructures et les innovations nécessaires ne sont pas encore au niveau requis.

En revanche, le fret ferroviaire est déjà opérationnel. Votre propre groupe politique Ensemble pour la République affirme vouloir doubler la part modale du rail d’ici 2030, et la position que vous défendez aujourd’hui apparaît en contradiction avec cet objectif. J’entends votre argumentation, mais je regrette votre position.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure d’information. Sur la question du développement des infrastructures qui pourrait entraîner une hausse du trafic routier, il est précisé dans notre PPRE : « dont le bénéfice social et économique est inférieur au coût environnemental. » Nous ne sommes pas contre tout développement d'infrastructures. Il faut mesurer le bénéfice social et économique au regard du coût environnemental que les nouvelles infrastructures engendrent.

M. Bérenger Cernon (LFI-NFP) : Nous partageons votre constat : la décarbonation des transports est un impératif. Cependant, certaines recommandations du rapport ayant amené à votre proposition de résolution européenne laissent perplexe. La recommandation 19, qui appelle à un réseau ferroviaire léger et autonome, paraît éloignée des réalités. Un réseau léger, c'est la fin du fret de ferroviaire. Les installations ne seraient plus adaptées aux convois de marchandises et un réseau autonome avec une maintenance prédictive qui se fait à flux tendu, cela ne fonctionne pas.

Quant à l'idée d'un Airbus du ferroviaire, elle semble prématurée. Avant de rêver d'un grand champion industriel européen, harmonisons déjà nos cahiers des charges. Les trains de la Renfe ne roulent pas, Alstom et CAF accumulent les retards et les trains de nuit peinent à renaître. Réglons nos problèmes avant de vouloir fusionner nos faiblesses.

Le rapport oublie un levier essentiel : l'embranchement des ports au réseau ferroviaire. Relier les ports au rail est la base d'une logistique décarbonée et cohérente à l'échelle européenne.

Nous saluons deux points particulièrement : l'interdiction des vols lorsqu'une alternative ferroviaire de moins de 4 heures existe et la différenciation de la fiscalité maritime selon la performance environnementale des navires.

Mais ce rapport reste trop timide. La transition écologique des transports ne peut se réduire à des ajustements techniques. Elle doit reposer sur une planification publique ambitieuse au service du fret de ferroviaire, du transport collectif et de l'aménagement du territoire. La place du transport routier y est bien trop importante. Il faut construire un autre imaginaire et la publicité y participe. Il faut que la petite voiture électrique soit accessible.

En lien direct avec ce rapport, la possible arrivée de méga-camions sur nos routes serait un signal catastrophique. Ces monstres de la route freineraient l'essor des motorisations électriques, exigerait des travaux massifs sur les ponts, tunnels et aires de service pour un coût faramineux. Tout cela pour une minorité d'acteurs. Ils aggraveraient les risques d'insécurité routière, la congestion et les émissions, tout en provoquant un report modal inversé vers la route alors que nos axes sont déjà saturés.

Et n'oublions pas que le transport routier français subit déjà une concurrence féroce en Europe. L'arrivée de ces camions géants l'affaiblirait encore.

C'est pourquoi nous votons pour ces propositions de résolution afin de défendre un modèle de transport sûr, écologique et au service de l'intérêt général.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure d’information. Sur la double question de l'embranchement entre port et ferroviaire et sur les droits de port, nous disposions de l'ensemble des éléments mais nous ne les avons pas détaillés dans chaque partie. Je prends note et dans les travaux à venir, nous retravaillerons ces deux points.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Vos deux travaux sont distincts, mais complémentaires sur un même enjeu : la décarbonation du transport européen. Votre rapport d'information, Mme Karamanli, est le fruit d'un travail très important de près d’un an. Il dresse un état des lieux précis du secteur des transports européens. Face à l'enjeu de la décarbonation, il formule des recommandations très ambitieuses pour engager la transition, en particulier dans le transport routier qui fait l'objet de votre proposition de résolution européenne.

C'est aussi le sujet porté par notre collègue Peio Dufau qui s'inscrit dans cette démarche en attirant l'attention sur un point précis et crucial : la nécessité de refuser le développement des méga-camions, véritable non-sens écologique et danger majeur sur les routes.

Le secteur des transports présente à lui seul plus d'un quart des émissions de gaz à effet de serre dans l'Union européenne. Je ne comprends pas la position de nos collègues du groupe EPR.

Contrairement à tous les autres secteurs, il n'a toujours pas amorcé sa décrue depuis 1990. L'avenir du transport routier européen ne peut se voir sans révolution technique : celle de l'électromobilité qui détient les meilleurs résultats en termes de bilan de gaz à effet de serre et de qualité de l'air. Cette transition ne réussira que si nous la conjuguons avec une évolution très profonde de nos usages : réduction des trafics, réaffectation des routes et surtout un report massif vers le rail et le fluvial – les deux pouvant être combinés.

Il faut rappeler la stabilité des règles qui est un facteur clé pour assurer la prévisibilité à laquelle les industries sont très attachées. Elle est mise à mal par certains choix européens récents. La révision de la directive sur les poids et les dimensions permet désormais la circulation des méga-camions et envoie un signal totalement contradictoire.

Autoriser des véhicules de 60 tonnes et de plus de 25 mètres, c'est conforter la route au détriment du rail, accentuer la dépendance au diesel et renoncer de fait à tous nos objectifs climatiques. C'est aussi porter atteinte à la qualité de vie des habitants de nos territoires affectés par l'apparition de ces géants des routes.

Dans le couloir routier du Pays basque, actuellement et en moyenne, 8 500 camions traversent tous les jours le poste frontière de Biriatou : une véritable catastrophe écologique.

Les études sont claires, cette orientation va entraîner des millions de trajets supplémentaires et jusqu'à 6 millions de tonnes de CO₂ émis en plus chaque année. Donnons au contraire toute sa place aux frets ferroviaires et fluviales et comme vous l'avez dit, modernisons nos infrastructures. Nécessité de développer les trains de nuit aussi, alternative à l'échelle européenne.

En définitive, ces deux propositions de résolution ne font qu'une seule et même proposition : celle d'une Europe cohérente, ambitieuse, prévisible, qui enfin assume ses engagements climatiques.

M. Jean-Marie Fiévet (EPR). Concernant les méga-camions, leur longueur est de 25 mètres et leur poids de 50 à 60 tonnes. Mais il faut savoir qu’en Espagne, c’est 72 tonnes.

Cependant, je tiens à rappeler qu'en France, tous les jours, vous croisez des camions qui roulent à 57 tonnes. Ils s'appellent les grumiers et transportent du bois rond. Ils sont à 57 tonnes depuis très longtemps et ça ne dérange personne. Il faut voir les choses comme elles sont : si vous considérez que 60 tonnes c’est trop, alors il faut aussi interdire les transporteurs de grumes, arrêter leurs camions et les limiter à 44 tonnes. Ils roulent aussi sur des routes communales, départementales ou nationales pour aller chercher les grumes dans les forêts.

M. Peio Dufau, rapporteur. J'ai derrière moi 17 ans de fret ferroviaire, et dans ce cadre, nous avons transporté aussi des grumes. Je connais cette problématique. Mais laisser continuer les grumiers à rouler, ce n’est pas autoriser les méga-camions étrangers à rentrer en France. D’ailleurs le contrôle du poids des camions de grumes est très compliqué.

De plus, l’enjeu est différent, car aujourd’hui, il est impossible de faire rentrer les rails dans les forêts. Le report modal n’est donc pas une solution. Vous prêchez un convaincu, bien que je regrette que les grumes ne soient pas transportées par d’autres moyens.

M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Le transport des grumes constitue un très bon contre-exemple. Cela abîme les routes et pèse sur les départements qui doivent les entretenir. Si l’on devait généraliser ce type de tonnage de camions, le coût pour la collectivité serait exorbitant.

Mme Colette Capdevielle (SOC). Ce sont les camions qui représentent le risque le plus élevé d’accidents de la circulation, et qui provoquent les plus lourds dommages pour les victimes. Je m’étonne donc de la position de nos collègues, je pensais que la sécurité routière faisait partie de leurs priorités.

M. le Vice-président Laurent Mazaury. Je souhaiterais rappeler, à titre personnel, qu’en 2019, les véhicules électriques représentaient 19 % des annonces publicitaires du secteur automobile, et qu’elles atteignent maintenant plus de 50 %. L’interdiction totale de communication publicitaire pour les véhicules carbonés me semble donc un peu extrême.

La commission adopte l’article unique.

La proposition de résolution européenne est ainsi adoptée.

 

 

 


   PROPOSITION DE RESOLUTION EUROPENNE

   adoptée par la Commission

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le Traité sur l’Union européenne et le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la directive 2023/0265 (COD) modifiant la directive 96/53/CE du Conseil fixant, pour certains véhicules routiers circulant dans la Communauté, les dimensions maximales autorisées en trafic national et international et les poids maximaux autorisés en trafic international,

Vu la directive (UE) 2012/34 établissant un espace ferroviaire unique européen,

Vu la directive (UE) 2016/797 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative à l’interopérabilité du système ferroviaire au sein de l’Union européenne,

Vu le règlement (UE) 2021/1153 du parlement européen et du conseil du 7 juillet 2021 établissant le mécanisme pour l’interconnexion en Europe et abrogeant les règlements (UE) n° 1316/2013 et (UE) n° 283/2014,

Vu le règlement d’exécution (UE) 2023/1693 de la commission du 10 août 2023 modifiant le règlement d’exécution (UE) 2019/773 concernant la spécification technique d’interopérabilité relative au sous‑système « Exploitation et gestion du trafic » du système ferroviaire au sein de l’Union européenne,

Vu la stratégie nationale bas carbone française,

Vu la loi n° 2019‑1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités,

Vu la loi n° 2021‑1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets,

Considérant les objectifs du Pacte vert européen de réduction des émissions de gaz à effets de serre de 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux des années 1990 et de la fin des émissions nettes de gaz à effets de serre d’ici à 2050 ;

Considérant la stratégie de mobilité durable et intelligente visant une augmentation du fret ferroviaire de 50 % d’ici à 2030 et de 100 % d’ici à 2050 ainsi que le doublement du trafic de voyageurs sur le réseau à grande vitesse d’ici à 2030 et son triplement d’ici à 2050 ;

Considérant l’objectif de doubler la part du fret ferroviaire en France ;

Considérant que le report de 10 % de la part modale de fret et voyageurs de la route au rail remplirait 22 % à 33 % de l’objectif de décarbonation des transports de la France ;

Considérant les enjeux d’interopérabilité ferroviaire à l’échelle européenne du transport de marchandises ;

Considérant que seulement 30 % des poids lourds, selon les scénarios volontaristes, seraient électrifiés d’ici 2035 ;

Considérant l’impact des camions de 60 tonnes sur les infrastructures routières et la circulation ;

Considérant la nécessité de décarboner durablement les mobilités de transports de marchandises ;

Invite le gouvernement de la République française à s’opposer à la directive 2023/0265 (COD) modifiant la directive 96/53/CE du Conseil fixant, pour certains véhicules routiers circulant dans la Communauté, les dimensions maximales autorisées en trafic national et international et les poids maximaux autorisés en trafic international ;

Invite le gouvernement de la République française à prendre la tête d’une coalition de pays de l’Union européenne afin d’accélérer la mise en place d’une politique européenne globale de développement et de pérennisation du fret ferroviaire ;

Invite le gouvernement de la République française à prendre la tête d’une coalition de pays de l’Union européenne dont le système routier est basé sur le système des concessions afin d’accélérer la mise en place de la modulation des péages en fonction de la classe des émissions de dioxyde de carbone pour les poids lourds ainsi que de redevances pour coûts externes liées à la pollution atmosphérique due au trafic, et de réfléchir à des modèles de taxation du transport routier de marchandises et de gestion des infrastructures routières publics et décentralisés à même de prendre le relais à l’échéance des contrats actuels de concession et de favoriser le report modal de la route vers le transport ferré ou fluvial.

 


   annexe  1: Liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 

 


   ANNEXE 2 : CONTRIBUTIONS ECRITES

 

 

 

 


([1]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/due/l16b2695_rapport-fond#_Toc256000019

([2]) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions relative à l’écologisation du transport de marchandises, COM(2023) 440 final.

([3])  Directive 96/53/CE du Conseil du 25 juillet 1996 fixant, pour certains véhicules routiers circulant dans la Communauté, les dimensions maximales autorisées en trafic national et international et les poids maximaux autorisés en trafic international.

([4]) La directive (UE) 2015/719 permet une augmentation de poids de 1 tonne pour les camions et les autobus à trois essieux alimentés au carburant alternatif afin de tenir compte du poids requis pour la technologie du carburant alternatif.

([5]) Le règlement (UE) 2019/1242 a modifié la directive pour autoriser 1 tonne supplémentaire pour les camions et les autobus articulés à trois essieux à zéro émission. Il augmente également de 1,5 tonne le poids maximal des autobus à deux essieux pour tenir compte de l’évolution du transport collectif de passagers, comme l’augmentation du poids moyen des passagers et de leurs bagages, et des nouveaux équipements exigés par les règles de sécurité.

([6])  Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/53/CE du Conseil fixant, pour certains véhicules routiers circulant dans la Communauté, les dimensions maximales autorisées en trafic national et international et les poids maximaux autorisés en trafic international, COM(2023) 445 final.

([7]) https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:c8ee5926-209a-11ee-94cb-01aa75ed71a1.0017.02/DOC_1&format=PDF

([8]) https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2024-0126_FR.html#title1

([9]) Étude d’impact accompagnant la proposition de directive modifiant la directive 96/53/CE, SWD(2023) 445 final.

([10]) Étude du cabinet d-fine du 11 janvier 2024 relative à l’impact de la proposition modifiant la directive poids et dimensions sur le transport combiné et le fret ferroviaire.

([11]) Contribution écrite.

([12]) La référence P400 est la norme de mesure utilisée pour les semi-remorques chargées sur un wagon-poche – un wagon de fret utilisé dans le transport routier et dans le transport combiné. Cette nomenclature indique que la hauteur maximale à laquelle une semi-remorque peut-être transportée par rail est limitée à 4 mètres.

([13]) Mentionnons par exemple les économies d’émission des véhicules thermiques pris individuellement, qui n’ont pas empêché la hausse globale du trafic et la taille moyenne des véhicules.

([14]) Contribution écrite.

([15])https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/documents/210909_Strategie_developpement_fret_ferroviaire.pdf  

([16])  https://www.sncf-reseau.com/fr/le-reseau-de-demain/doubler-le-fret-ferroviaire

([17]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les orientations de l’Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport, modifiant le règlement (UE) 2021/1153 et le règlement (UE) n° 913/2010 et abrogeant le règlement (UE) n° 1315/2013.

([18]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur l’utilisation des capacités de l’infrastructure ferroviaire dans l’espace ferroviaire unique européen, modifiant la directive 2012/34/UE et abrogeant le règlement (UE) n° 913/2010, COM(2023) 443 final.

([19]) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 92/106/CEE du Conseil en ce qui concerne un cadre de soutien pour le transport intermodal de marchandises et le règlement (UE) 2020/1056 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne le calcul des économies de coûts externes et la production de données agrégées, COM(2023) 702 final.

([20]) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre des services de transport, COM(2023) 441 final.