N° 2116

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 novembre 2025.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 1785),
DE M. FRANÇOIS RUFFIN ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES,


visant à empêcher la ratification de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur
en demandant à l’État français la saisine de la Cour de justice de lUnion européenne
pour cause d’incompatibilité de l’accord avec les traités européens,

 

 

 

 

PAR M. François RUFFIN,

Député

 

 

 

  1.    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; Mme Manon BOUQUIN, M. Laurent MAZAURY, Mme Nathalie OZIOL, M. Thierry SOTHER, vice-présidents ; MM.  Henri ALFANDARI, Benoît BITEAU, Maxime MICHELET, Mme Liliana TANGUY secrétaires ; MM. Gabriel AMARD, Philippe BALLARD, Michel BARNIER, Karim BENBRAHIM, Guillaume BIGOT, Mmes Céline CALVEZ, Sophia CHIKIROU, Nathalie COGGIA, Nathalie COLIN-OESTERLÉ, MM. Jocelyn DESSIGNY, Julien DIVE, Nicolas DRAGON, Michel HERBILLON, Mme Mathilde HIGNET, M. Sébastien HUYGHE, Mmes Sylvie JOSSERAND, Marietta KARAMANLI, M. Bastien LACHAUD, Mmes Constance LE GRIP, Nicole LE PEIH, MM. Pascal LECAMP, Matthieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Emmanuel MAUREL, Mmes Yaël MENACHÉ, Danièle OBONO, M. Frédéric PETIT, Mmes Anna PIC, Marie POCHON, MM. Dominique POTIER, Stéphane RAMBAUD, Mme Isabelle RAUCH, MM. François RUFFIN, Alexandre SABATOU, Charles SITZENSTUHL, Mmes Michèle TABAROT, Sophie TAILLÉ-POLIAN, Sabine THILLAYE, Mélanie THOMIN, Estelle YOUSSOUFFA.


SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

I. Ue - mercosur : un accord de bloc À bloc opposant inÉgalement deux MODÈLES agricoles

A. de par son ampleur inÉdite, le Mercosur menace la survie d’un MODÈLE agricole vertueux au profit de l’agrobusiness

1. UE- Mercosur : l’accord de trop ?

2. L’inévitable déstabilisation des filières agricoles sensibles

3. En Europe comme en Amérique latine, une mise en concurrence déloyale assurant à terme la domination de l’agrobusiness au détriment de l’agriculture paysanne

a. Une concurrence frontale entre des produits agricoles issus de systèmes de production soumis à des normes différentes

b. Vers l’avènement d’une agriculture de firme en Europe comme en Amérique latine ?

4. Un cap clair pour l’agriculture : condition nécessaire à la survie de nos agriculteurs et à la préservation de notre souveraineté alimentaire

B. Des rÉponses conjucturelles à des problÈmes structurelS

1. Des clauses de sauvegarde renforcées : « temps mort sur le ring »

2. Un « filet de sécurité » à l’état de négociation : des prix pas des primes !

3. Le mécanisme de rééquilibrage : un frein au progrès ?

II. Un accord incompatible avec la protection de la santÉ et de l’environnement

A. Quand l’Europe sacrifie la santÉ des consommateurs sur l’autel du commerce

a. Des normes sanitaires à deux vitesses : l’UE face au Mercosur

b. Réciprocité absente, normes trompeuses : un jeu de dupes sanitaire

c. L’UE fait tomber ses défenses : un système de contrôle inadapté que l’accord prévoit encore d’alléger

B. Un accord qui piÉtine les promesses vertes de l’Union europÉenne

1. Des émissions de gaz à effet de serre en hausse

2. Une déforestation amplifiée par l‘accord

3. Des engagements non contraignants comme garde-fous à l’enjeu du siècle

III. absence de transparence, manœuvres procÉdurales, risques d’IncompatibilitÉs : saisiR de toute urgence la cour de justice

A. malgrÉ des oppositions massives, la Commission europÉenne dÉcide de contourner la dÉmocratie

1. Une opposition citoyenne continue, une position française qui s’efface

2. Museler la démocratie par un recours systématique aux accords intérimaires dont le caractère « provisoire » n’est qu’illusoire

3. Une dérive institutionnelle au service d’une politique commerciale obsolète et dangereuse pour l’avenir de nos sociétés

B. Pour lever les ambiguitÉs, la France doit solliciter l’avis de La cour de justice de l’Union

1. La Commission européenne a-t-elle respecté le mandat que lui a confié le Conseil de l’Union ?

2. Le recours à la majorité qualifiée pour adopter l’Accord de partenariat est-il légal ?

3. Ces différents choix procéduraux ne portent-ils pas atteinte aux principes d’équilibre institutionnel et de coopération loyale ?

4. Les engagements non contraignants et l’allègement des contrôles portent-ils atteinte à la recherche d’un niveau élevé de protection, notamment en matière environnementale, sanitaire et sociale ? au principe de précaution ?

5. Le mécanisme de rééquilibrage est-il compatible avec le droit de l’Union ? Ne porte-t-il pas atteinte à son autonomie réglementaire ?

EXAMEN EN COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPEENNE ADOPTEE PAR LA COMMISSION

ANNEXE n° 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

 


   Introduction

 

 

Mesdames, Messieurs,

« Quand les Français ont-ils voté pour la mondialisation ? »

« Il nous faut un nouveau contrat social entre les agriculteurs et la société. Qu’attend-on de nous ? Vous voulez la compétition, le modèle néo-zélandais ? On le fera. Une agriculture familiale, de proximité, qui intègre le bien-être animal ? On le fera. Vous voulez tout à la fois ? C’est aux Français, et à vous, les politiques, de fixer un cap. »

C’est Bruno Dufayet, alors Président de la Fédération Nationale Bovine, qui s’exprimait ainsi devant la Commission des affaires économiques de l’Assemblée durant des États généraux de l’Alimentation. Parce que oui, à nos agriculteurs, nous demandons de « monter en gamme », de réduire leur usage des pesticides, de planter des haies et d’entretenir les paysages… Mais si l’accord avec le Mercosur était signé, avec quelle agriculture instaurerait-on une concurrence ?

Avec des « latifundias » qui font plusieurs milliers d’hectares, parfois plusieurs dizaines de milliers. Avec des ouvriers payés entre 350 et 500 euros par mois. Avec le recours, autorisé là-bas, aux hormones de croissance, aux antibiotiques, aux farines animales. Avec 30 % des substances actives autorisées au Brésil qui ne sont pas autorisées dans l’Union européenne : le paraquat, par exemple, que l’Union européenne a prohibé (en 2007) parce qu’il entraîne la maladie de Parkinson ; le carbofuran, considéré comme « très dangereux » par l’Organisation mondiale de la Santé ; le mancozèbe, fongicide reconnu comme perturbateur endocrinien et cancérigène ; l’atrazine, qui vingt ans après son interdiction (2003) continue de polluer nos cours d’eau, produisant des cancers de la prostate et du sein, des malformations des nouveau-nés, etc.

Voilà avec quel modèle agricole l’Europe veut libérer les échanges, baisser les droits de douane de 91 %, importer 99 000 tonnes de viande bovine, 180 000 tonnes de volailles.

Alors oui, l’accord de libre-échange avec le Mercosur met en danger les agriculteurs français, et en particulier les éleveurs. Oui, ce texte menace nos normes sociales, sanitaires, environnementales, et va entraîner de la déforestation. Oui, nous qui avons vu partir les usines de Picardie, de France, vers une Chine devenue l’usine du monde, nous le redoutons : que l’Ukraine devienne la ferme-usine de l’Europe, le Brésil la ferme-usine du monde.

Mais le pire est peut-être ailleurs : la première victime de ce traité, c’est la démocratie.

« Ligoter la démocratie »

À trois reprises déjà, nous, députés français, nous avons voté des résolutions pour dire « non » à cet accord avec le Mercosur, et de même au Sénat. Tous les syndicats agricoles disent « non » à cet accord avec le Mercosur. Toutes les associations environnementales disent « non » à cet accord avec le Mercosur. 76 % des Français disent « non » à cet accord avec le Mercosur.

Et voilà pourtant que Madame von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a déjà dit « oui », et s’apprête à signer pleinement. Voilà qu’elle triche, qu’elle truque, qu’elle scinde l’accord, pour éviter les Parlements nationaux. Et voilà, enfin, que le Président de la République va laisser faire. On le sait, désormais, on le sent : lui qui se disait opposé à « l’accord en l’état », lui qui réclamait des « clauses miroirs », lui qui déclarait qu’« un accord n’est pas possible si ces pays ne respectent pas les mêmes contraintes environnementales et sanitaires qu’on impose à nos producteurs », lui qui maintenait encore l’an dernier que « l’accord n’est ni signé ni ratifié, le texte reste inacceptable en l’état », eh bien, aujourd’hui, il plie, il accepte, il consent. « Les choses vont dans le bon sens », estime-t-il le 7 novembre dernier. Il se dit « plutôt positif », bien que « vigilant ».

Qu’est-ce qui a changé, pourtant ?

Où sont les clauses-miroirs promises ?

Nulle part. Elles ne figurent nulle part, à aucun endroit, de l’accord. Ce sont des clauses-miroirs aux alouettes.

Elles sont remplacées par d’autres clauses, dites « de sauvegarde », mais qui n’ont rien à voir : si vraiment les prix brésiliens, argentins, sont trop bas, si vraiment leurs produits agricoles envahissent trop nos marchés, si vraiment nos agriculteurs périssent trop vite, alors, pour certains secteurs, à certaines conditions, pour certaines quantités, l’accord de libre-échange sera suspendu. Ce sont des clauses de sauvetage, comme on enfile un gilet dans un naufrage. Comme sur un ring un arbitre qui arrête le match, compte les dix secondes, lorsqu’un boxeur est K.O., avant qu’il ne se relève et se fasse frapper à nouveau.

En revanche, dans l’accord, c’est autre chose qui figure bel et bien : un « mécanisme de rééquilibrage ». Bien mal nommé : c’est en vérité un mécanisme de déséquilibre supplémentaire. De quoi s’agit-il ? Admettons que, à l’avenir, l’Union européenne interdise une molécule dans la culture des betteraves, ou renforce une norme sur l’élevage des porcins, ou avance sur la déforestation importée, bref, relève ses règles, et demande qu’il en soit de même sur les produits importés. Les États du Mercosur pourront alors se prévaloir d’un préjudice, réclamer un arbitrage, obtenir des compensations.

C’est l’exact contraire des clauses-miroirs qui est ainsi introduit : il ne s’agit plus de s’aligner par le haut, de pousser l’autre à relever ses normes, mais bien d’être empêché de le faire soi-même ! Déjà, le libre-échange est une machine à freiner le progrès social, fiscal, environnemental, voire à faire régresser, pour des raisons de « compétitivité ». C’est un fait économique, qui est ici doublé d’un verrou juridique.

Nous sonnons l’alerte sur ce vice caché, méconnu, ajouté sur le tard.

Et qui suscite de la surprise, de l’inquiétude chez tous nos interlocuteurs. Y compris au ministère de l’Agriculture :

François Blanc, conseiller chargé des affaires européennes : « C’est extrêmement préoccupant. Ce point a fait l’objet des plus grandes critiques, car cela empiète sur l’autonomie réglementaire de l’Union européenne. Cela crée un précédent pour d’autres accords à venir. Dans les négociations avec l’Inde, les Indiens commencent à demander ce mécanisme de non-régression commerciale. C’est un point très préoccupant, anormal, introduit à la dernière minute. C’est problématique. »

Le rapporteur : « Malheureusement, cela fait partie du texte. Dès lors, la France pourrait-elle ne pas se prononcer clairement contre ? ».

François Blanc : « C’est un élément très fort de rejet. Cela a été dit à la Commission européenne, que c’est une contre-régulation. Ce n’est pas seulement une question d’intérêt commercial, mais un principe fondamental de la construction européenne. »

C’est ainsi que l’accord avec le Mercosur ne contourne pas seulement la démocratie : il prétend la limiter, la ligoter, la phagocyter.

Mais au fond, c’est le cas de tous les traités de libre-échange. Et c’est sans doute même leur raison d’être.

« Le grand malaise »

Quand les Français ont-ils voté pour la mondialisation ? Jamais.

Quand ont-ils voté pour les accords de Marrakech qui, en 1994, ont fait entrer l’agriculture dans la grande machine à déménager le monde ? Jamais.

Quand ont-ils voté pour passer du Gatt à l’Organisation mondiale du commerce, avec la Chine à l’intérieur, avec le textile ravagé, avec mille à deux mille emplois dans ce secteur détruits chaque mois ? Jamais.

Quand ont-ils voté pour déléguer la compétence du commerce à l’Union européenne, comme s’il ne s’agissait pas de la clé de notre souveraineté, de notre politique agricole, de notre politique industrielle ? Jamais.

Quand ont-ils voté, même, sur le Ceta, l’accord avec le Canada, toujours pas validé par le Parlement français, et qui, en attendant, court depuis huit ans, et pour sans doute encore longtemps ? Jamais.

Quand ?

Si. Une fois. Une fois, les Français ont voté. Il y a vingt ans. Le dimanche 29 mai 2005. Et alors, les citoyens se sont exprimés avec clarté : à 55 %, à 80 % chez les ouvriers, ils ont rejeté « la concurrence libre et non faussée », ils ont refusé « la libre circulation des capitaux et des marchandises, y compris avec les pays tiers. »

Qui l’a voulue, alors, cette mondialisation, qui l’a construite ? À qui elle profite ?

« Le droit du travail et la protection de l’environnement sont devenus excessifs dans la plupart des pays développés. Le libre-échange va réprimer certains de ces excès en obligeant chacun à rester concurrentiel face aux importations des pays en voie de développement. »

C’est en 1993, dans Business Week, que le prix Nobel d’économie, l’influent Gary Becker, publie cette tribune. C’est-à-dire à un moment charnière, avec outre-Atlantique la naissance de l’Alena (Accord de libre-échange nord-américain), avec en Europe le traité de Maastricht et la préparation des élargissements, et avec dans le monde le Gatt qui finalise l’Uruguay Round. Les dirigeants dessinent alors l’architecture de la mondialisation.

Un peu plus tôt, Lawrence Summers, alors « Chief economist » à la Banque Mondiale, s’était interrogé : « Juste entre vous et moi, la Banque mondiale ne devrait-elle pas encourager davantage la migration des industries sales vers les pays moins développés ? La logique économique derrière le déchargement des déchets toxiques dans les pays aux salaires les plus bas est irréprochable et nous devons la regarder en face. » (Dans une note de service intitulée « Good environmental practices - Bonnes pratiques environnementales », datée du 12 décembre 1991).

Annie Krueger, directrice générale adjointe du FMI en tirait cette leçon, dix années plus tard : « Plus vite une économie est ouverte, mieux c’est. Parce que plus une économie est ouverte, plus il est difficile de revenir en arrière et de renverser les réformes. » (Conférence à l’Université de Nottingham, septembre 2004.)

« En France, le mot libéralisme était imprononçable, alors on en a trouvé un autre : Europe », énonçait le philosophe (pro-européen) Alain Touraine.

De quoi offrir un visage acceptable à la mondialisation.

Dans le livre d’entretien La Passion créative, Bernard Arnault s’en réjouit :

« Les entreprises, surtout internationales, ont des moyens de plus en plus vastes et elles ont acquis, en Europe, la capacité de jouer la concurrence entre les États. L’impact réel des hommes politiques sur la vie économique d’un pays est de plus en plus limité. » Et l’auteur de conclure : « Heureusement. » Du même, menaçant : « Nous évoluons dans un système beaucoup plus mobile qu’il y a une quinzaine d’années. Face à cela, que peuvent faire les États ? Il leur est pratiquement impossible de s’opposer à une mobilité des entreprises à travers l’Europe. »

Et d’avertir : « Toute velléité nationaliste est vouée à l’échec. À trop augmenter les charges sociales et imposer les 35 heures à des entreprises qui n’en ont pas les moyens, le gouvernement risque d’accélérer le processus de délocalisation d’un certain nombre d’usines. »

 

Son co-auteur, le journaliste économique Yves Messarovitch : « De la libération des prix à la flexibilité du marché du travail en passant par la fiscalité, c’est à notre engagement européen, et à lui seul, que nous devons autant de réformes successives que nous n’aurions pas su, ou pas pu mener nous-mêmes. » (Le Figaro Magazine, 26 février 2002).

 

Alain Madelin, ancien ministre libéral, voyait dans l’Europe « une assurance-vie contre le retour à une expérience socialiste » (Le Monde, 23 juin 1992).

C’est en fait une assurance-vie contre le retour à toute expérience.

Cette mondialisation, ils ne l’ont pas construite par souci de la paix, de la prospérité. Pas non plus par « naïveté », comme le dit désormais M. Stéphane Séjourné. Mais avant tout par intérêt. Un intérêt direct : c’est l’occasion, pour le grand capital, pour les multinationales, d’aller chercher, comme dans un supermarché mondial, les plus bas coûts du travail, les plus faibles normes environnementales, les places idéales pour l’évasion fiscale. Et par intérêt indirect, plus puissant encore : l’oligarchie est mise à l’abri de la démocratie. La souveraineté des nations est limitée, ligotée, phagocytée, placée sous contrôle, sous tutelle.

Voilà le malaise démocratique, qui grandit, qui grossit, comme un abcès. Voilà le désarroi de notre peuple, souverain, souverain depuis la Révolution, profondément politique, attaché à sa liberté. Voilà le malheur français : depuis des décennies, nos dirigeants entraînent le pays vers une direction où les citoyens refusent d’aller. Eux réclament d’être protégés. Quand les élites, elles, visent à mondialiser, à libéraliser. Cette tension nourrit un profond rejet des politiques, un ressentiment contre les élus, et qui met la République en danger.

« Vous êtes pour la mondialisation ! On y est, là !
- Sauvez nos emplois ! »

C’est le candidat Emmanuel Macron qui était interpelé ainsi, sur le parking des Whirlpool, au printemps 2017.

« Il faut arrêter la mondialisation !

-Je ne suis pas sur cette politique. Sortir de la mondialisation, ce n’est pas la solution… Mais je m’engage sur ce plan social, pour qu’il soit à la hauteur.
-On doit se protéger ! »

« Se protéger », voilà le souhait. Des protections douanières, des taxes aux frontières, des quotas d’importation, la régulation des échanges.

Mais Madame von der Leyen poursuit comme si de rien n’était, comme il y a trente ans, comme du temps de la mondialisation heureuse et de la fin de l’histoire. Elle veut faire de l’Union européenne « la championne du libre-échange au niveau mondial », elle négocie avec l’Inde, l’Indonésie, l’Australie, elle signe avec la Vietnam, la Nouvelle-Zélande, etc.

La France doit dire « non ».

La France doit lui dire « stop ».

Par tous les moyens.

Un pourvoi devant la Cour de Justice de l’Union européenne en est un.

« Un pourvoi juridique et politique »

Pour les juristes que nous avons consultés, notamment Nicolas de Sadeleer, professeur de droit à Bruxelles, il y a bien matière à pourvoi et à débat :

« Dès son origine, le traité avec le Mercosur a été conçu comme un « accord d’association », mixte, pas seulement commercial, qui devrait donc être à la fois conclu par l’Union, et ratifié par chacun des États membres. Mais dans la dernière ligne droite, la Commission a découpé l’accord en deux, en fait un accord commercial. Comment explique-t-elle son choix, son changement, la scission ? On comprend cette tactique, mais ça me trouble. Parce qu’il y a là pour moi une violation de son mandat, mais en plus, cela se fait sans motivation, sans justification. Cela pose bien deux problèmes, à mon sens : d’abord, le respect d’une coopération loyale. Ensuite, le souci d’un équilibre institutionnel. Il faut donc qu’il y ait un arbitre, la Cour de Justice de l’Union européenne peut remplir ce rôle. »

 

Et M. de Sadeleer précise, par ailleurs, qu’« il s’agit d’une démarche nonconflictuelle. C’est un ‘avis’ qui est demandé, un ‘avis contraignant’, un éclaircissement, mais pas un conflit ouvert, qui vaudrait un désaveu. »

Pourtant, le ministère de l’Agriculture, par la voix de ses émissaires, se montre très réticent à cette démarche :

Le rapporteur : « Je vous pose la question avec clarté : comptez-vous saisir la Cour de Justice de l’Union européenne pour dénoncer cet accord avec le Mercosur ? »

François Blanc : « C’est une énorme question, posée aux autorités françaises : voir progresser un accord aussi unanimement rejeté en France, alors que la Commission ne tient pas compte de nos positions… Mais devant la Cour, il faudra s’appuyer sur une étude juridique solide. Parce qu’aller devant la Cour et se faire désavouer, ce serait la pire des situations. Cela renforcerait les tendances centralisatrices de la Commission. »

Eux délèguent plutôt le pourvoi aux députés européens :

Eugénie Orio, adjointe au directeur des affaires juridiques au Ministère de l’Agriculture : « En revanche, une demande d’avis est en préparation par le Parlement européen. Le gouvernement français pourrait s’associer à cette demande d’avis. »

Notre conviction, au contraire, c’est que la France doit lancer ce pourvoi sans biais, sans déléguer.

D’abord, pour signifier aux Français, aux agriculteurs et aux autres, que leur rejet du Mercosur est pris à bras-le-corps, assumé avec clarté, que le combat est vraiment mené. Alors que, à Bruxelles, c’est une parole bien confuse qui est tenue, entretenue, avec des faux-semblants, rien de franc. Et le sentiment que les dés sont pipés, déjà jetés, que le Président nous a encore lâchés. Toute confiance est rompue : cette procédure en rétablirait un fil, ténu. Elle serait une agréable surprise.

Ensuite, pour le fonctionnement de l’Union européenne : les règles avec la Commission européenne doivent être clarifiées, des limites doivent être posées. Quant à la politique commerciale, que sa Présidente ne s’estime pas avoir les pleins-pouvoirs, sans validation par les États-membres, contournant les oppositions, avec des procédures sur mesure, avec des accords découpés à sa guise. Que cela vaille pour le traité avec le Mercosur, mais surtout pour les suivants.

Surtout, sur le fond, c’est un « non » que nous devons poser, opposer à cette concurrence libre et complètement faussée, du moins-disant, du toujours vers le bas, du « dumping » généralisé. À Bruxelles, la DG Commerce est en expansion, elle règne, peuplée – comme le racontait un agriculteur – des « petits soldats de Milton Friedman », jurant par les avantages comparatifs de David Ricardo. Mais avec quel bilan, depuis trente ans, dans la vraie vie, et non dans la théorie ? Ces choix ont mené la France à la désindustrialisation, avec à la clé la perte de millions d’emplois ouvriers, des familles brisées, des régions dévastées. Quelle sera la suite ? Une désagriculturisation ?

Enfin, la France n’est pas seule, au contraire. C’est vrai, elle est peut-être isolée dans les sommets, dans les salons conformistes et confortables, dans les cabinets d’affaires comme il faut, mais sur le continent, ce sont tous les syndicats agricoles européens, tous, ce sont toutes les associations environnementales européennes, toutes, qui refusent ce traité avec le Mercosur. Notre « non » résonnera avec fierté, avec des alliés, comme notre « non » a retenti le dimanche 29 mai 2005, comme notre « non » lors de la guerre en Irak, un « non » des gens, un « non » des peuples, qui rejettent cette voie, qui désirent autre chose. De justes échanges. Une coopération, plutôt que la mondialisation. Une solidarité, plutôt que la compétitivité. L’internationalisme, comme un lien entre les nations, entre les habitants, et non l’abolition des frontières pour les capitaux et les marchandises.

« Nous, paysans du Cerrado… »

« Regardez ce poulet, nous l’avons acheté dans une grande surface, il y a notre sang dessus. » À Paris, dans ce restau, nous recevions une délégation de paysans brésiliens du Cerrado.

« Les peuples autochtones, nous sommes les grands oubliés de la politique agro-industrielle du Brésil. On parle de l’Amazonie, que l’on veut protéger, mais pas de notre région… alors qu’on déforeste trois fois plus vite chez nous qu’en Amazonie. Chaque mois, chez nous, c’est la taille de Paris qui disparaît en forêts. Les pesticides empoisonnent notre sol, notre eau, et lorsqu’on proteste, ça se règle par des assassinats. Sous Bolsonaro, c’est par la terreur qu’on nous a chassés de nos villages. Pour avoir des exploitations gigantesques. Les fermiers traditionnels, eux, sont expulsés du territoire, ou alors on les embauche pour épandre les pesticides.

Or, le Mercosur ne protège pas les droits humains. Il n’y a aucun dialogue avec la société civile. Avec notre vulnérabilité, nous mettons beaucoup de pression pour qu'il ne soit pas signé. Nous avons besoin d’une position claire des parlementaires et du gouvernement français. C’est indispensable. »

Quelle agriculture veut-on, pour la planète, des deux côtés de l’océan ?

C’est aux Brésiliens de répondre pour le Brésil.

Mais c’est aux Français d’en décider pour la France.


I.   Ue - mercosur : un accord de bloc À bloc opposant inÉgalement deux MODÈLES agricoles

A.   de par son ampleur inÉdite, le Mercosur menace la survie d’un MODÈLE agricole vertueux au profit de l’agrobusiness

1.   UE- Mercosur : l’accord de trop ?

« Pourquoi le Mercosur nous inquiète autant par rapport à d'autres traités de libre-échange ? », s’interroge à voix haute la Coordination rurale lors de son audition par votre rapporteur. « Ce qui est différent avec cet accord, c’est que nous sommes sur des volumes d'importations de produits agricoles et des valeurs en milliards d'euros sans commune mesure par rapport aux traités précédents ». L’accord UE-Mercosur est en effet un accord de libre-échange (ALE) « pas comme les autres », confirme Hubert Bretheau, conseiller politique commerciale de la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne. Parce qu’il s’agit d’un accord de bloc à bloc, il revêt un caractère spécial et particulier.

Historiquement réticente aux accords bilatéraux, l’Union européenne a longtemps privilégié le multilatéralisme dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), rappelle Jean-Christophe Bureau, professeur d'économie à AgroParisTech et chercheur associé au CEPII. Sa position a toutefois considérablement évolué en raison de la panne du cadre multilatéral dans les années 2000 et sous la pression des milieux industriels. Elle a depuis conclu plus de 40 accords avec plus de 70 pays et régions ([1]). L’accord avec le Mercosur est le plus important d’entre eux. Comptant deux géants de la production agricole mondiale - le Brésil et l’Argentine - l’inquiétude du monde agricole européen, et français en particulier, est légitime.

Deux géants agricoles

Cinquième pays du monde par sa superficie, le Brésil est le plus grand pays d’Amérique du Sud. Avec ses 8,5 millions de kilomètres carrés, il représente plus de quinze fois la taille de la France et deux fois celle de l’Union européenne. Bien que le pays compte de petites exploitations, il se distingue par un secteur agro-industriel dont la taille des fermes – les fameuses latifundia – et celle des élevages – les feedlots ou parcs d’engraissement -, sont à l’image du territoire brésilien : gigantesques. En 2022, le Brésil est ainsi le premier producteur et exportateur mondial de sucre de canne, de café, de jus d’orange et de soja. C’est également le deuxième producteur et le premier exportateur de viande de bœuf et de viande de volaille.

L’Argentine, dont la surface agricole est cinq fois supérieure à celle de la France, est l’un des principaux producteurs mondiaux de soja, viande bovine et céréales.

 

Exclue des négociations commerciales jusqu’au début des années 1990, l’agriculture est en effet au cœur des enjeux commerciaux. Sous la pression des pays émergents, la politique agricole commune (PAC), accusée de protectionniste, a dû se réformer pour accompagner la libéralisation du secteur.

Alexandre Gohin, directeur de recherche à l'INRAE et chercheur associé au CEPII, explique que l’enjeu des négociations agricoles a également évolué. Dans le cadre multilatéral, trois volets de discussion étaient privilégiés : l’accès au marché, le soutien interne et les subventions à l’exportation. Avec les accords régionaux, l’accent est davantage mis sur la baisse des droits de douane, tandis que le soutien interne – souvent dénoncé par le Brésil – reste marginalement abordé. La libéralisation du secteur agricole s’est par ailleurs traduite par la suppression en 2013 des subventions à l’exportation et par une baisse continue des prix.

En raison de cette politique, de nombreux paysans et paysannes peinent aujourd’hui à obtenir un revenu décent de leur production, alerte la Confédération paysanne, pour qui les accords de libre-échange sont en grande partie responsables du déclin de l’agriculture française. « Notre métier est en voie de disparition. Il y a encore dix ans, le métier comptait 1 million d’actifs contre 390 000 aujourd’hui, et 275 000 d’ici 2035 selon les chiffres communiqués par l’INRAE ([2]) ».

Afin de protéger le secteur, de nombreux acteurs militent de longue date pour la reconnaissance d’une exception agriculturelle, au même titre qu’il existe une exception culturelle depuis 1993. Pour la Coordination rurale, l’agriculture doit être sanctuarisée : « on ne peut pas sacrifier l'agriculture d'un côté, pour vendre des voitures allemandes de l'autre ».

L’agriculture est en effet, pour de nombreux acteurs, perçue comme la variable d’ajustement des accords internationaux. Si la FNSEA n’est pas fermée au commerce, encore faut-il s’accorder sur les mêmes règles pour jouer ensemble, précise-t-elle. C’est également la position des Jeunes agriculteurs, qui considèrent que l’agriculture sort rarement gagnante des négociations des accords commerciaux, même si, comme le souligne Alexandre Gohin, la filière laitière ainsi que les vins et spiritueux feront partie des gagnants de l’ouverture du marché sud-américain.

De son côté, la Coordination rurale estime que le Mercosur n’est pas l’unique problème. Elle pointe la responsabilité du cumul des ALE dans la fragilisation de secteur agricole. Ces ALE n’ont, en contraste, qu’un faible impact sur le PIB, notent les Jeunes agriculteurs. Sur ce point, c’est en effet ce qui ressort des analyses de la Commission à propos du Mercosur : « Dans le scénario prudent, le PIB de l’UE augmente de 10,9 milliards d’EUR (0,1 %) et celui du Mercosur de 7,4 milliards d’EUR (0,3 %) d’ici à 2032, par rapport au scénario de référence de modélisation sans accord de libre-échange. Dans le scénario ambitieux, le PIB de l’UE s’accroît de 15 milliards d’EUR et celui du Mercosur de 11,4 milliards d’EUR » ([3]).

Bien que le rapport au libre-échange diffère entre les États membres européens, Alexandre Gohin estime que celui de la France est singulier du fait d’une balance commerciale des biens déficitaires, et en fort déclin dans l’agroalimentaire. Longtemps pilier du commerce extérieur, l’agroalimentaire enregistre en effet un résultat très préoccupant. Les données publiées par Agreste en juillet 2025 ([4]) dressent ainsi un constat sans précédent : la France enregistre un déficit commercial agroalimentaire de - 432 millions d’euros en mai 2025, contre un léger excédent (11 M€) un an plus tôt, soit la pire performance depuis plus de 25 ans. Cette dégradation tient principalement à une hausse des importations de +10 % sur un an (+667 M€) tandis que les exportations n’ont progressé que de +3 % (+224 M€). Le solde des produits agricoles bruts s’effondre (-303 M€) sous l’effet d’une flambée des prix du café, du cacao et des oléagineux, tandis que celui des produits transformés redevient déficitaire (- 129 M€), pénalisé par la hausse des importations de chocolat, de produits laitiers et de viande bovine.

La publication souligne que la baisse de l’excédent découle surtout de la dégradation des échanges avec les pays tiers, dont le solde devient déficitaire pour la première fois depuis 2009. Les importations en provenance de ces pays ont bondi de 21 %, notamment celles de cacao ivoirien, de café brésilien et de colza canadien ou australien, tandis que les exportations reculent légèrement (-1 %) en raison de la contraction des ventes de spiritueux et d’orges vers l’Asie. Parallèlement, le déficit avec l’Union européenne, bien que moins marqué, demeure structurel : la France continue d’importer davantage de viandes, de fromages et de beurre qu’elle n’en exporte.

Ces tendances sont confirmées par le rapport d’Agridées (octobre 2025), qui décrit 2025 comme « l’année de bascule du commerce extérieur agroalimentaire français » ([5]). Selon ses calculs, le solde cumulé du commerce agroalimentaire sur les sept premiers mois de l’année s’établit à un niveau « quasi nul », avec seulement 8 millions d’euros d’excédent, contre une moyenne annuelle de 4 milliards d’euros entre 2015 et 2024. Ce renversement historique marque la fin d’un cycle : la France perd l’un de ses derniers postes structurellement excédentaires. Agridées évoque en cela une véritable « fracture historique ». La perte tendancielle et structurelle de la compétitivité des industries agroalimentaires françaises, les tensions commerciales avec des partenaires de premier rang et la multiplication des aléas climatiques fragilisent un secteur qui ne doit plus sa survie qu’aux vins et spiritueux.

Source : Service études économiques et prospective – Chambres d’agriculture France

Par ailleurs, l’escalade dans la guerre commerciale entre les grandes puissances mondiales devrait entraîner des conséquences bien plus concrètes dans les prochains mois.

 

Un afflux croissant de produits agricoles canadiens vers l’Europe, conséquence du CETA

Cette détérioration du commerce extérieur agricole français s’inscrit dans un contexte international marqué par une redirection des flux agroalimentaires mondiaux, notamment en provenance du Canada. Depuis la fermeture partielle du marché américain à certaines exportations canadiennes, les producteurs du pays ont cherché de nouveaux débouchés, trouvant dans l’Union européenne un marché alternatif attractif grâce à l’accord CETA.

Selon un rapport de Financement agricole Canada (FAC) ([6]), cette stratégie s’inscrit dans un véritable « virage commercial » visant à réduire la dépendance à un marché américain qui absorbe encore plus de 70 % des exportations agroalimentaires canadiennes, mais dont l’accès devient de plus en plus incertain. Le rapport estime ainsi qu’environ 9,4 milliards de dollars d’exportations d’aliments et de boissons actuellement destinées aux États-Unis devront être redirigés vers d’autres marchés, notamment les marchés de grande valeur en Europe et ceux en expansion rapide en Asie, dessinant une stratégie de réorientation structurelle du commerce agricole canadien.

Dans ce contexte, l’Union européenne apparaît comme une alternative stratégique, rendue possible par l’accord CETA, qui supprime la quasi-totalité des droits de douane sur les produits agricoles et facilite l’accès des denrées canadiennes aux marchés européens. Hors Royaume-Uni, les pays ciblés pour étendre les relations commerciales sont d’ailleurs la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Italie et les Pays-Bas.

Cette situation illustre la vulnérabilité croissante du marché européen, qui devient une zone de réallocation des excédents agricoles extérieurs, ce qui pourrait accentuer la pression sur ses propres producteurs et sur une balance commerciale agricole déjà affaiblie.

 

2.   L’inévitable déstabilisation des filières agricoles sensibles

Le faible niveau des importations agricoles prévues dans l’accord n’empêche pas la déstabilisation des filières, avertit la FNSEA. À titre d’exemple, l’importation d’éthanol négociée dans l’accord UE-Mercosur équivaut à la production française. La récente accélération des importations ukrainiennes de sucre présage de ce qui peut advenir de l’agriculture de l’Union à force d’ouvrir son marché à des producteurs structurellement plus compétitifs. « Les fermes ukrainiennes font entre 25 000 et 50 000 hectares. Elles sont gérées par des oligarques, et les fonds de pension américains y sont très présents. Elles ont une capacité de production, de développement et de repositionnement sur les marchés que nous n’avons pas », précise la FNSEA. Avant la guerre, 20 000 tonnes de sucre étaient exportées vers l’UE. Afin de soutenir Kiev, l’UE a instauré en 2022 une exemption de droits de douane sur des produits agricoles ukrainiens, dénoncée par les agriculteurs européens qui y voyaient une concurrence déloyale. « Si on n’avait pas réagi, les importations auraient atteint des niveaux records, autour de 700 000 tonnes par an. Un premier accord a limité les importations à 260 000 tonnes. Le dernier accord les a limitées à 100 000 tonnes ».

D’après le syndicat des betteraviers français, « ce volume de 100 000 tonnes est cinq fois supérieur au volume autorisé avant la guerre : c’est l’équivalent de la production d’une sucrerie de l’Union européenne. Or, la Commission européenne sait parfaitement que le marché communautaire est mature : toute ouverture aux imports se traduit par des besoins moindres en production domestique et entraîne une baisse des prix. On a déjà fermé 20 sucreries dans l’Union européenne depuis 6 ans, dont 6 en France ! La Commission doit donc s’attendre à ce que nous demandions des mesures compensatoires pour les planteurs  ([7])

Le prix de la tonne de sucre a en effet été divisé par deux, passant de 1 000 € la tonne à 500 € alors que le marché mondial n’a pas baissé, précise la FNSEA. Il suffit donc de peu de volume pour déstabiliser un marché. Les conséquences sont par ailleurs loin d’être négligeables à l’échelle d’un pays : baisse des prix et donc des revenus, disparition de la valeur ajoutée de territoires que l’on délaisse, perte d’emplois, restructuration à marche forcée. L’impact sur les installations n’est évidemment pas neutre. Les Jeunes agriculteurs craignent que les politiques commerciales actuelles, qui induisent une concurrence déloyale et donc une baisse de revenu, accentuent la tendance actuelle de non-remplacement, actuellement de 2 installations pour 3 départs en retraite ([8]). L’effectif des chefs d’exploitation nouvellement installés âgés de moins de 40 ans et éligibles au dispositif d’aides à l’installation a baissé en 2023 de 6,8 % en un an pour s’établir à 9 249 ([9]).

« Avec le Mercosur, la fin est écrite, les usines vont fermer. Ce modèle va détruire le nôtre. » (FNSEA).

Le secteur bovin, déjà fragilisé, risque de payer un lourd tribut. D’après les conclusions du Service études économiques et prospective des Chambres d’agriculture sur l’Accord UE-Mercosur : « D’une certaine manière, cet accord va amplifier une ouverture déjà ancienne des frontières commerciales de l’UE aux importations de viande bovine. Si cette dynamique n’a guère soulevé de questionnements durant toutes ces années, c’est en raison d’une production intérieure qui était suffisamment élevée pour répondre à la consommation domestique. À ce titre, la France était au premier rang dans la hiérarchie des États membres de l’UE de viande bovine. La donne a depuis beaucoup évolué et l’accroissement des importations de viande bovine s’est installé doit s’interpréter comme un mouvement compensant l’affaiblissement de la production intérieure de bovins pour la viande. La décapitalisation des cheptels bovins dans l’UE est une donnée désormais bien connue. La France en constitue l’une des facettes les plus saillantes. Moins d’animaux, c’est donc moins de disponibilités en viande bovine, d’autant plus que cela s’articule à une baisse du nombre d’abattoirs sur le territoire métropolitain. Dans l’UE, la production de bovins a reculé de 3 % en juillet 2025 par rapport à juillet 2024. Comme la consommation a progressé ou bien s’est maintenue dans certains États membres (Allemagne, Italie, France), le déséquilibre entre l’offre et la demande occasionne un surcroît d’importations. Toujours sur juillet 2025, selon Eurostat, les importations de viande bovine de l’UE en provenance des pays tiers ont augmenté de 50 %, essentiellement du Mercosur. 11 800 tonnes depuis le Brésil, soit une multiplication par plus de 2 comparativement à juillet 2024 ; 10 800 tonnes depuis l’Argentine (+47 %) ; et 10 400 tonnes en provenance d’Uruguay (+73 %). Le Mercosur a représenté ainsi près de 70 % des importations de l’UE, contre 57 % un an auparavant. Si l’on procède à un calcul du cumul des importations de viande bovine depuis le 1er janvier 2025, ce sont 133 000 tonnes de viande bovine importées du Mercosur qui ont été acheminées sur l’UE, sur un total de 219 000 ».

Enfin, une fois qu’un accord est scellé, il est difficile pour un gouvernement de protéger ses producteurs à postériori. Maxime Combes, économiste à l’association de solidarité internationale engagée pour la justice économique, sociale et écologique, illustre ce propos en prenant l’exemple de la Colombie, berceau originel de la production de pommes de terre, liée à l’Union européenne par un ALE - avec le Pérou - depuis douze ans. Face aux difficultés rencontrées par les producteurs de pommes de terre qui ne parvenaient plus à vivre de leur travail, le gouvernement colombien décide en 2017 d’ajouter un droit de douane de 7 % sur les importations européennes de frites surgelées. Le règlement des différends qui a suivi entre l’Union européenne et la Colombie a logiquement été rendu à la défaveur de l’État colombien. Conclusion, « les ALE favoriseront toujours de la frite surgelée transportée dans des cargos, plutôt que des pommes de terre produites localement ».

Agriculture : que prévoit l’accord ?

Selon la Commission européenne, l’accord UE-Mercosur ouvre un accès accru aux marchés sud-américains pour les exportations agroalimentaires européennes tout en maintenant, selon elle, des « protections » pour les secteurs agricoles sensibles de l’UE. Concrètement, l’accord prévoit la suppression progressive des droits de douane appliqués aujourd’hui par les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) sur des produits européens à haute valeur ajoutée : vins (jusqu’à 35 % de droits supprimés), spiritueux, chocolat (20 %), produits laitiers comme les fromages et préparations infantiles (droits actuels proches de 28 %, puis baisse progressive dans le cadre de contingents dédiés). L’objectif affiché est d’« ouvrir des débouchés » pour l’agroalimentaire européen sur un marché considéré « dynamique » et historiquement protégé. ([10])

En retour, l’UE accorde au Mercosur de nouveaux contingents tarifaires préférentiels pour des produits agricoles dits « sensibles » : 99 000 tonnes de viande bovine du Mercosur par an, à un droit réduit de 7,5 % (soit un accès préférentiel mais pas totalement libre de droits) ; 180 000 tonnes de viande de volaille importées en franchise de droits, étalées sur cinq ans ; des contingents pour le sucre, le miel, le riz et l’éthanol, ce dernier pouvant entrer pour partie en franchise (450 000 tonnes pour usage industriel) et pour partie à droit réduit (200 000 tonnes pour carburant). Ces quotas sont présentés par la Commission comme représentant une faible part de la production européenne totale (Ex : la Commission chiffre le quota bœuf à environ 1,5 % de la production bovine européenne) et affirme qu’ils seront plafonnés dans le temps.

Si la Commission présente cet accord comme « équilibré », les analyses économiques indépendantes convergent pour dire qu’il opère un arbitrage politique très clair : l’UE obtient surtout des gains dans l’industrie (machines, automobile, chimie), tandis que le Mercosur obtient surtout des gains dans l’agroalimentaire. Le Parlement européen estime que les bénéfices économiques attendus sont « modérés mais positifs » pour les deux blocs, mais asymétriques : l’industrie européenne est la grande gagnante côté UE, tandis que l’agriculture et l’agro-industrie d’exportation sont les grandes gagnantes côté Mercosur ([11]).

L’étude souligne en effet que les secteurs agricoles européens les plus exposés sont précisément ceux où les revenus des producteurs sont déjà les plus fragiles (élevage bovin allaitant, volaille, sucre/éthanol). Les importations de viande bovine sud-américaine, même si elles restent contingentées, portent directement sur les morceaux nobles (aloyau, rumsteck) qui font la valeur de la carcasse en Europe ; selon l’Institut de l’Élevage, cette pression sur le « cœur de valeur » du bovin européen représente une menace directe pour le revenu des éleveurs allaitants européens et pour le maintien des prairies permanentes. La reconnaissance par le Mercosur de 350 indications géographiques de l'UE, qui protègent les produits européens de haute qualité de la contrefaçon, ne modifie pas le constat.

Autrement dit, ce n’est pas seulement un jeu de volumes globaux, c’est un jeu de segments de marché à haute valeur. Du point de vue social, cela se traduit par un risque d’accélération des cessations d’activité dans les zones d’élevage extensif en Europe rurale, où l’élevage bovin structure l’emploi agricole local.

 

3.   En Europe comme en Amérique latine, une mise en concurrence déloyale assurant à terme la domination de l’agrobusiness au détriment de l’agriculture paysanne

a.   Une concurrence frontale entre des produits agricoles issus de systèmes de production soumis à des normes différentes

La déstabilisation des marchés précitée résulte de modèles de production radicalement différents. Le modèle agro-exportateur sud-américain est en effet structurellement plus compétitif, relève Maxime Combes.

Sur le plan sanitaire et environnemental, l’étude de l’Institut de l’Élevage documente plusieurs écarts majeurs entre l’UE et les pays du Mercosur ([12]) : usage massif de pesticides dont certains principes actifs sont interdits dans l’UE, usage d’antibiotiques comme promoteurs de croissance en élevage (encore admis dans certaines filières au Brésil et en Amérique du Sud, alors que l’UE l’interdit) ; traçabilité incomplète des filières bovines, notamment sur l’origine des animaux et la déforestation indirecte ; règles de bien-être animal et conditions d’abattage nettement moins strictes qu’en Europe, hors Uruguay qui fait figure d’exception partielle.

Toujours sur le plan sanitaire et environnemental, la Confédération paysanne souligne que sur 178 produits qui sont autorisés dans le Mercosur, 138 sont interdits en France. « L’utilisation de farine animale pour engraisser les bovins, qui a été bannie en Europe suite à l’épisode de la vache folle, doit par ailleurs nous interpeller ».

Les distorsions sur le plan social doivent également être soulignées. « Ce que l’on va importer ce sont des produits issus d’un élevage extensif, à l’image des latifundia - des fermes qui atteignent plusieurs dizaines de milliers d'hectares et qui sont la résultante de politiques d'accaparement du foncier en Amérique du Sud et dans lesquelles les travailleurs exploités touchent des salaires avoisinant les un euro de l’heure », indique la Confédération paysanne. « Notre seule arme de compétition consisterait à adapter les outils de l'agro-industrie, à savoir l'agrandissement des fermes, l'utilisation massive de pesticides pour rester compétitifs sur le marché international. Les politiques libérales conduisent inévitablement à des politiques d'abaissement des normes sociales et environnementales ».

« On a demandé aux agriculteurs de faire de l’excellence, et d’abandonner les entrées de gamme qui font aujourd’hui l’objet d’importations. Or nous avons les capacités et les surfaces pour faire ces entrées de gamme. Les pouvoirs publics nous ont enfermés dans des exclusivités » (Coordination rurale).

Ces écarts de normes ont un effet prix direct : produire de la viande bovine, du poulet ou du sucre-éthanol coûte moins cher dans le Mercosur. Alors que l’éleveur européen est juridiquement obligé d’intégrer des normes environnementales, sanitaires et de bien-être coûteuses, le produit importé, issu de normes moindres, accède paradoxalement au marché européen.

Selon Jean-Christophe Bureau, la distorsion de concurrence que l’accord entraînerait est particulièrement problématique du fait de l’impossibilité de mettre en œuvre des clauses miroirs.

Pour la Coordination rurale, « on prépare un agricide qui va entraîner des milliers de faillites car nous n’avons pas les moyens de concurrencer. Nos modèles de production sont différents ».

Pour la FNSEA et les Jeunes agriculteurs « on nous asphyxie, on sacrifie l’agriculture française ».

b.   Vers l’avènement d’une agriculture de firme en Europe comme en Amérique latine ?

Comme le souligne Valeria Rodriguez Ponce, directrice du pôle plaidoyer pour Max Havelaar, les ALE, qui favorisent, comme il vient d’être souligné, les grandes entreprises, sont également délétères pour la paysannerie et les cultures familiales.

L’étude menée pour le groupe des Verts/ALE ([13]) décrit ainsi l’accord UE-Mercosur comme un « accélérateur d’un modèle agro-exportateur intensif » : côté Mercosur, ce sont les grands groupes de viande bovine, de volaille, de sucre/éthanol et de soja qui captent l’essentiel du gain attendu. Ces filières sont largement intégrées verticalement, fortement capitalisées, et reposent sur des coûts de production bas, y compris via l’accès au foncier et l’usage d’intrants (pesticides, antibiotiques promoteurs de croissance, aliments importés) à des niveaux qui seraient illégaux dans l’UE.

En Europe, les exploitations familiales d’élevage bovin et avicole, déjà sous pression économique, sont donc particulièrement exposées, l’accord risquant d’accélérer la disparition progressive de ces systèmes d’élevage territorialisés, au profit d’une agro-industrie mondialisée qui organise les flux.

Le représentant de la Confédération paysanne note ainsi : « Je viens du limousin, donc une région d'élevage où l'élevage bovin allaitant va subir de plein fouet cet accord de libre-échange. Il faut savoir que l’élevage de bovins allaitant est en crise depuis longtemps, crise qui a entrainé une décapitalisation du cheptel bovin français. Beaucoup d'éleveurs arrêtent tout simplement : le prix du bovin a certes sursauté ces derniers mois mais ce prix ne va pas se maintenir, ce qui va avoir des conséquences dramatiques sur nos territoires et toucher particulièrement les petites fermes. Ce qui nous fait peur, ce sont les lois comme la loi Duplomb, avec le rehaussement des seuils ICPE qui semble marquer l’avènement d’une agriculture de firme. Ce qui nous fait peur, ce sont des projets comme celui qui existe en Haute-Vienne, le projet « Terres de Chavaignac » sur la commune de Périllac, porté par la SAS T’REHA qui détient de nombreuses boucheries et abattoirs et qui aimerait avoir la mainmise sur le volet production. Ce qui nous inquiète, ce sont ces immenses fermes qui vont utiliser la concentration du foncier et des aides publiques pour pouvoir être compétitives sur ce marché international ».

Internationaliste, la Confédération paysanne souligne par ailleurs que les ALE, auxquels le Mouvement des sans-terre ou la Via Campesina sont farouchement opposés, impactent directement les travailleurs des pays exportateurs.

Plus précisément, les filières de l’agrobusiness et de l’agro-importations européennes, favorisées par des accords comme celui du Mercosur, représentent un danger pour la survie de l’agriculture paysanne et familiale sud-américaine, précise Maxime Combes. Au Brésil par exemple, la filière laitière, détenue par de petites exploitations locales, familiales et paysannes, échappe à l’agrobusiness. Grâce à l’accord UE-Mercosur, une entreprise comme Lactalis peut envisager de créer une filiale au Brésil pour y construire une filière du lait – la filière laitière française étant l’une des gagnantes de cet accord. Cela aurait donc des impacts en France et en Europe (fermeture des points les moins rentables et les moins compétitifs en France), mais également au Brésil. C’est le sens de l’étude précitée menée pour le groupe des Verts/ALE ([14]) selon laquelle l’ouverture accrue aux produits laitiers européens à haute valeur ajoutée (fromages, préparations infantiles) risque d’affaiblir les petits et moyens producteurs laitiers brésiliens, qui représentent environ 80 % des éleveurs laitiers du pays mais ne sont pas intégrés dans les grandes chaînes exportatrices. Une grande entreprise française comme Lactalis peut ainsi tirer profit des ALE avec la Nouvelle-Zélande, le Canada, et demain avec le Mercosur, pour étendre ses filières dans les pays tiers en jouant sur les différentiels de rentabilité, souligne Maxime Combes.

Le renforcement d’un modèle économique qui induit des prix toujours plus bas a donc des répercussions directes dans les pays du sud, renchérit Valeria Rodriguez Ponce : non-respect des salaires, des mesures de santé, précarité de l’emploi, violations de droits humains (travail des enfants, travail forcé). Les tailles des exploitations sont toujours plus grandes mais emploient de moins en moins de personnes.

À titre d’illustration, sur la base d’une étude menée avec Max Havelaar et Greenpeace sur 13 filières agricoles, Mathilde Dupré, co-directrice de l’Institut Veblen, constate que les personnes travaillant dans la production de jus d’orange au Brésil ne gagnent que 57 % d’un revenu décent calculé selon des standards partagés par la recherche internationale. Or l’accord UE-Mercosur devrait accroître les pressions sur les travailleurs en massifiant la production.

Au Brésil, Clément Helary, chargé de campagne Forêts chez Greepeace, signale que le développement de la filière soja favorise l’accaparement des terres et de l’eau appartenant à des minorités indigènes ([15]), avec des conséquences graves pour les écosystèmes et les systèmes agricoles locaux  ([16]).  Les populations indigènes qui défendent leur droit à la terre sont par ailleurs violentées ou assassinées ([17]). Il souligne également l'impact de l'usage des pesticides sur la santé des populations locales du fait de la contamination des sources d’eau, des sols et de l’air et donc in fine des produits alimentaires ([18]), les manquements au droit du travail, le travail des enfants ([19]).

4.   Un cap clair pour l’agriculture : condition nécessaire à la survie de nos agriculteurs et à la préservation de notre souveraineté alimentaire

Aujourd’hui, les agriculteurs français sont soumis à deux injonctions contradictoires. D’un côté, on leur demande de monter en gamme, d’assurer le bien-être animal et d’avoir une agriculture vertueuse écologiquement. D’un autre côté, on les met en concurrence avec les « feedlots » brésiliens. Pour Jean-Christophe Bureau, la France reste « schizophrène » sur le sujet, écartelée entre le modèle des petites et celui des grandes exploitations. Il évoque par ailleurs la complexité croissante des réglementations et le poids des obligations liées aux paiements verts.

« On n’a pas le choix », disent les Jeunes agriculteurs. « Les normes nous imposent de suivre une alimentation vertueuse ».

« Le politique va devoir se prononcer », indique la FNSEA. « On est écartelé entre une concurrence internationale et intra-européenne. À ce titre, il est intéressant de noter comment la Pologne s’est développée (fruit et légumes, sucre), tandis que la France régresse, alors qu’elle est historiquement orientée vers l’exportation ». La FNSEA dénonce ainsi le manque de lisibilité des politiques publiques agricoles et le paradoxe entre des politiques très normatives et l’importation en parallèle de produits issus d’une agriculture « dont nous ne voulons pas et que l’on nous interdit de produire ». Elle ajoute que : « les agriculteurs sont des chefs d’entreprise dont la vocation n’est pas d’aller chasser des aides ou d’être assistés ».

C’est également la position de la Coordination rurale et de la Confédération paysanne : il est aujourd’hui nécessaire d’avoir un discours clair sur le libre-échange et d’arrêter de se fixer des objectifs contradictoires.

Alexandre Gohin observe également, qu’à l’échelle européenne, les évolutions depuis les années 1990 se limitent à un déplacement des aides vers l’adaptation environnementale, sans changement structurel majeur. En France, la stratégie de montée en gamme a échoué faute de moyens suffisants.

Jean-Christophe Bureau relève l’ambivalence du discours sur la souveraineté alimentaire : la libéralisation accrue s’accompagne selon lui d’un retour du productivisme, avec une dépendance croissante aux engrais phosphatés russes, biélorusses, et en provenance d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis pour l’urée ainsi qu’une remise en cause implicite des normes environnementales. Il souligne par ailleurs que l’ensemble des soutiens agricoles, européens et nationaux, s’élève à près de 16 milliards d’euros par an, soit environ 50 000 euros par exploitation, mais manque pour autant de cohérence.

Le risque d’une perte de souveraineté alimentaire ne peut être ignoré, celle-ci étant pensée par les autorités de l’Union à l’échelle du continent et non à l’échelle nationale. Souhaitons-nous réellement que l’Ukraine devienne la fermeusine de l’Europe et le Brésil celle du monde ?

B.   Des rÉponses conjucturelles à des problÈmes structurelS

1.   Des clauses de sauvegarde renforcées : « temps mort sur le ring »

Présenté comme une réponse aux critiques du monde agricole et de la société civile, ainsi qu’aux réserves émises par un certain nombre d’États membres au sein de l’Union, la Commission européenne a publié le 8 octobre 2025 un projet de règlement portant sur le renforcement des clauses de sauvegarde.

Comme le rappelle Maxime Combes, les clauses de sauvegarde sont prévues dans l’accord depuis 2019. Le chapitre IX de l’accord d’association, intitulé Bilateral Safeguard Measures, institue en effet un dispositif permettant à chacune des parties d’adopter des mesures de sauvegarde en cas de déséquilibre grave du marché. L’article 9.3 précise qu’ « une Partie peut, dans des circonstances exceptionnelles, […] appliquer des mesures de sauvegarde bilatérales […] si, après l’entrée en vigueur de l’accord, les importations en provenance de l’autre Partie augmentent en quantités telles qu’elles causent ou menacent de causer un préjudice grave (“serious injury”) à son industrie nationale » ([20]). Ce « préjudice grave » est défini à l’article 9.2 comme une « atteinte significative à la position d’une industrie domestique », tandis que la « menace de préjudice grave » correspond à un dommage « clairement imminent » ([21]).

La nouveauté du règlement réside dans la mise en œuvre renforcée de ces clauses, précise Maxime Combes. Le projet facilite notamment son activation pour 23 produits agricoles sensibles dont le bœuf, la volaille, le sucre et l’éthanol. François Blanc, conseiller chargé des affaires européennes, étrangères et de la politique agricole commune auprès du ministère de l’Agriculture, souligne que la France n’a pas accepté la version initiale prévue dans le traité et a obtenu cette clause renforcée, inspirée du mécanisme mis en place face aux importations ukrainiennes. Selon lui, cette nouvelle clause vise à créer un dispositif plus automatique et rapide. Hubert Bretheau juge que l’accélération des enquêtes de sauvegarde est une chose positive.

Concrètement, la Commission a rappelé en octobre 2025 que ces clauses constituaient « le principal filet de sécurité prévu par l’accord », permettant de suspendre temporairement les préférences tarifaires « en cas de hausse imprévue et dommageable des importations du Mercosur ou de baisse excessive des prix pour les producteurs européens » ([22]). Il repose sur une évaluation semestrielle de l’évolution des flux et de leur impact sur le marché de l'UE, que la Commission devra remettre au Parlement européen et au Conseil. Les États membres et les représentants agroindustriels de l'Union pourront par ailleurs alerter la Commission « lorsqu'il existe des éléments de preuve suffisants à première vue d'un préjudice grave ou d'une menace de préjudice grave pour l'industrie de l'Union ([23]) ». Dans le cas des produits dits sensibles, Frédéric Lambert, chef du service Europe et International du ministère de l’Agriculture, indique que la Commission devra systématiquement enquêter si deux conditions sont remplies. Il faudra d’une part que les prix des importations soient au moins 10 % plus bas que les prix des produits européens équivalents. Il sera d’autre part nécessaire que les prix des biens importés du Mercosur aient baissé de 10 % par rapport à l’année précédente ou qu’une hausse des importations de plus de 10 % soit observée sur un produit. Si, après examen, la Commission conclut qu’une mesure est nécessaire, elle pourra retirer les préférences tarifaires sur les produits concernés, et ce pour une période de deux ans, renouvelable une fois. Frédéric Lambert précise que cette clause permet ainsi de protéger les produits soumis à contingent. Il rappelle également qu’une mesure miroir importante entre en vigueur en 2026, interdisant l’importation d’animaux traités avec des antibiotiques utilisés comme activateurs de croissance, afin de lutter contre l’antibiorésistance.

La simple existence de ce mécanisme révèle toutefois en creux la fragilité du compromis conclu : en reconnaissant la possibilité de dommages graves pour certaines productions, l’Union acte implicitement que cet accord expose son secteur agricole à des risques majeurs. Les clauses de sauvegarde apparaissent moins comme une garantie protectrice que comme le symptôme du sacrifice consenti par l’agriculture européenne au nom de l’ouverture commerciale. Pour reprendre les propos de Maxime Combes, c’est le « temps mort sur le ring », le différentiel de compétitivité étant trop important pour résoudre les problèmes structurels de l’agriculture française. C’est également l’avis partagé par les organisations syndicales auditionnées par votre rapporteur. Elles estiment que ces dispositions ne suffisent pas à compenser les déséquilibres que pourrait entraîner l’ouverture du marché à des produits issus de systèmes de production moins contraignants.

L’analyse du Cabinet Baldon ([24]), représenté par Nikos Braoudakis, avocat à la Cour, va dans le même sens, les clauses de sauvegarde ne répondant qu’imparfaitement aux préoccupations du secteur agricole. Le Cabinet analyse que si la mise en œuvre par la Commission des clauses de sauvegarde peut favoriser une réponse rapide, ces clauses demeurent d’une utilité limitée. En effet, les seuils quantitatifs prévus ne servent qu’à déclencher des enquêtes et des mesures de sauvegarde provisoires, sans constituer un fondement concluant pour l’imposition de mesures de sauvegarde définitives. Ces clauses ne lieraient en aucune façon les partenaires du Mercosur (ces seuils n’étant pas inclus dans l’accord d’association), et leur mesure et leur mise en œuvre pourraient se heurter à des difficultés pratiques. Temporaires (2 ans maximum, renouvelables 2 ans), les mesures ne peuvent être appliquées que pendant une période transitoire de 12 ans. Elles n’offrent donc qu’une protection partielle.

La proposition devrait être soumise au vote du Parlement européen fin novembre. Elle a toutefois fait l'objet d'un débat le 3 novembre en commission du commerce international (INTA) et devrait être amendée, le mécanisme restant complexe à activer ([25]). Décrivant une réglementation « Frankenstein », selon les mots du chef de la division Amériques de la DG Trade, Paolo Garzotti, qui reconnaît que l’Union européenne « a peu d’expérience sur les clauses de sauvegarde, puisqu’elle n’en a jamais appliqué » ([26]).

Les nombreuses interrogations suscitées par la clause de sauvegarde

Extrait des conclusions du Service études économiques et prospective des Chambres d’agriculture

« Comment qualifier un produit de « sensible » ? Quelle sera la mesure du degré de « sensibilité ? ». La Commission évoque ensuite l’hypothèse d’un « préjudice grave ». Quel sens accorder à cette idée de gravité ? Quel en serait l’indicateur économique à partir duquel la clause pourrait être déclenchée ? Car considérer qu’au-delà de +10 % d’importations en plus ou de – 10 % de baisse sur les prix, n’indique rien sur l’indicateur économique qui devra être retenu pour mesure la gravité du préjudice. (…) Le coût de production (toujours différent d’un élevage bovin à un autre, selon qu’il est en zone de montagne, en système herbager, ou en plaine et dépendant de l’aliment pour le bétail ? Pour peu que l’indicateur soit déterminé, encore faudra-t-il qu’il fasse l’objet d’un consensus à l’échelle des 27. Le revenu courant avant impôt (RCAI) ? Dans le même ordre d’idée, la suspension des importations devra-t-elle être assortie de mesures compensatoires dans le cadre de la PAC (enveloppe de crise), ou bien de mesures fiscales dans le cadre des États membres (…).

Il est par ailleurs indiqué que la clause de sauvegarde pourrait être rapidement appliquée. Que faut-il entendre par « rapide » (semaines, mois, année) ? La suspension des importations reposera-t-elle sur des données européennes ou bien sur des données Mercosur à l’exportation ? (…)  Est-ce que cette évaluation sera réalisée y compris lors des périodes où les importations n’auront pas franchi les + 10% et où les prix n’auront pas diminué de – 10 % ? Manifestement, le texte de la Commission indique que la clause de sauvegarde ne pourra être étendue au-delà du « temps nécessaire pour prévenir ou réparer le préjudice grave », c’est-à-dire deux ans ? Qu’est-il prévu lorsque le préjudice s’étale dans le temps, et que, par définition, tout redressement économique nécessite parfois plus de deux années ?

Si la possibilité d’une alerte est inscrite dans les intentions de la Commission, mais qu’elle peut également provenir d’un État membre, la décision d’application de la clause de sauvegarde peut-elle être bloquée par un autre État membre considérant que ses exportateurs courent le risque de se heurter à des mesures de rétorsions de la part du Mercosur ?

Enfin, rien n’est dit sur la vision du Mercosur quant à cette clause de sauvegarde. Conviendra-t-il de recueillir auprès des pays membres de ce marché commun un accord préalable, et ce dernier contiendra-t-il des compensations au titre du préjudice subi par le Mercosur, au prorata des exportations par exemple de viande bovine ?

Au regard de l’enjeu qu’incarne l’accord Mercosur, le texte visant à déclencher une clause de sauvegarde reste encore entaché de flou. »

 


2.   Un « filet de sécurité » à l’état de négociation : des prix pas des primes !

L’annonce d’un accord politique fin 2024 avait suscité une telle indignation que la Commission européenne, se remémore la FNSEA, avait annoncé la création d’un fonds de compensation d’un milliard d’euros. Cette annonce, ressentie comme un aveu des conséquences dramatiques attendues selon la Confédération paysanne, avait elle-même provoqué un tollé. La Commission a donc fait marche arrière et proposé, précise la FNSEA, un mécanisme actuellement débattu dans le cadre de la révision du cadre financier pluriannuel de l’Union européenne pour la période 2028-2034. La Commission a ainsi proposé la création d’un « Unity Safety Net », c’est-à-dire un mécanisme de stabilisation doté de 6,3 milliards d’euros destiné à renforcer la résilience du secteur agricole européen. Ce dispositif, qui serait intégré au plan de partenariats nationaux et régionaux, vise à stabiliser les marchés agricoles en cas de « perturbations de marché » importantes et à doubler la réserve agricole actuelle, qui ne s’élevait qu’à 450 millions d’euros par an sur la période 2023-2027 ([27]). Il ne concerne donc pas seulement le Mercosur, souligne la FNSEA.

Selon le document officiel de la Commission, ce filet de sécurité doit permettre de réagir à des situations de crise tout en maintenant le soutien au revenu des agriculteurs à hauteur de 293,7 milliards d’euros dans la même enveloppe budgétaire ([28]). Ce mécanisme, qui représente une évolution de la Politique agricole commune (PAC), répond à une logique de protection conjoncturelle, visant à amortir les crises plutôt qu’à corriger les déséquilibres structurels de la production agricole européenne.

Cette approche s’inscrit par ailleurs dans une dynamique d’ouverture commerciale accrue, où les outils de stabilisation ne compensent que partiellement les effets d’accords comme celui conclu avec le Mercosur ([29]). En d’autres termes, le renforcement du filet de sécurité ne vise pas à protéger durablement les filières européennes, mais à leur offrir une assistance financière temporaire une fois le préjudice subi. En ce sens, ce mécanisme apparaît davantage comme un instrument d’ajustement budgétaire que comme une véritable politique de protection : il intervient à postériori, sans remettre en question les logiques de libéralisation des échanges agricoles.

« Pourquoi débloquer des fonds pour réparer les pots cassés ? C’est incompréhensible de notre part. On préfère gagner notre vie grâce à notre travail et au revenu qu’il génère » (FNSEA).

« N’est-il pas préférable de manger mieux et de payer plus plutôt que de manger mal et abonder un fonds d’urgence ? Le principe d’un fonds de compensation visant à réparer les préjudices causés par des produits importés qu'on n’a pas le droit de produire en France est aberrant » (Coordination rurale).

« Cela montre bien c'est que la clause de sauvegarde ne sera pas suffisante » (Confédération paysanne).

« On va être assistés par des aides publiques qui vont compenser les distorsions de concurrence et notre absence de compétitivité. On n’a pas notre mot à dire. L’agriculture devrait être un bien à part dans les négociations commerciales » (Jeunes agriculteurs).

 

Crise des revenus, crise de l’endettement : à quand la fin du cycle ?

La situation économique du monde agricole européen, et particulièrement français, illustre une crise sociale profonde.

Le rapport du CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, 2022) ([30]) confirme cette tendance de long terme : le revenu net de la branche agricole (RNBA) a baissé de près de 40 % en trente ans en euros constants, tandis que le nombre d’exploitations chutait de 60 %. Si le revenu moyen par actif non salarié a légèrement progressé en raison de la contraction démographique, cette amélioration apparente masque une grande hétérogénéité selon les types d’exploitation.

Selon la Direction générale du Trésor ([31]), les disparités de revenus agricoles demeurent considérables : le premier décile des ménages ayant au moins un exploitant agricole perçoit 10 900 € par an, soit 4,1 fois moins que le dixième décile ; à titre de comparaison, cet écart n’est que de 3,4 dans l’ensemble de la population. En 2020, le taux de pauvreté des ménages agricoles atteignait 16 %, culminant à 25 % chez les maraîchers et à 22 % dans l’élevage bovin, contre 14 % pour la moyenne nationale. Ces écarts traduisent une forte précarisation des petites exploitations, particulièrement dans les filières animales et de polyculture-élevage.

Les agriculteurs français présentent par ailleurs un niveau de vie médian (22 800 € en 2020) proche de celui de l’ensemble des actifs (22 400 €), mais au prix d’une charge de travail hebdomadaire bien plus élevée : 52,5 heures contre 37,1 heures pour la moyenne nationale. Autrement dit, ils travaillent davantage pour un revenu équivalent, voire inférieur, ce qui contribue à une fatigue structurelle et à un sentiment d’injustice récurrent. De plus, la volatilité accrue des prix agricoles et la multiplication des aléas climatiques amplifient les variations conjoncturelles de revenus, fragilisant la trésorerie des exploitations.


Cette fragilité économique s’accompagne d’une dépendance élevée à la subvention publique. Les aides de la PAC représentaient en moyenne 36 300 € par exploitation en 2022, soit 82 % du total des subventions perçues ; sans elles, 18 % des exploitations auraient affiché un excédent brut d’exploitation négatif, contre 3 % seulement après intégration des aides. Ce constat souligne la dépendance vitale du revenu agricole aux soutiens publics européens, et la faiblesse des marges dégagées par le seul marché.

Parallèlement, les niveaux d’endettement continuent de croître : selon Agreste ([32]), l’endettement moyen des exploitations atteignait 225 580 € en 2022, en hausse de +3,4 % par rapport à 2021. Cet endettement moyen s’élevait à 50 000 euros en 1980 ([33]), et atteignant déjà 163 700 euros en 2011. ([34]) Cette dette, contractée en grande partie pour financer l’investissement productif, pèse sur la rentabilité à long terme et accentue la vulnérabilité des exploitants face aux fluctuations des taux d’intérêt et des prix agricoles. Les plus petites exploitations, moins capitalisées et plus exposées aux variations climatiques, sont les plus menacées.

Ainsi, le modèle économique agricole français repose sur un équilibre instable, associant travail intensif, endettement structurel et dépendance aux subventions. Ces conditions économiques dégradées participent directement à la souffrance psychologique du monde agricole, documentée par la MSA : « les bénéficiaires de soins du régime agricole de 15 à 64 ans présentent un risque de mortalité par suicide supérieur de 43,2 % à celui des assurés tous régimes » ([35]), avec des taux encore plus élevés dans les communes d’élevage bovin laitier.

3.   Le mécanisme de rééquilibrage : un frein au progrès ?

Introduit dans le chapitre dédié au règlement des différends à la demande des pays du Mercosur, le « mécanisme de rééquilibrage » est sans doute l’un des aspects de l’Accord qui suscite les plus vives inquiétudes. Ce mécanisme, qualifié d’« anormal » par François Blanc, permet en effet à une partie contractante de demander une compensation, si une mesure prise par l’autre partie « affecte défavorablement le commerce ». Le mécanisme vise non seulement les mesures adoptées après la conclusion ou l’entrée en vigueur de l’accord, mais également toutes les mesures qui n’ont pas encore été « pleinement mises en œuvre » à la fin des négociations, soit le 6 décembre 2024, relate Mathilde Dupré.

Ainsi, si l’Union européenne décidait, au titre de sa législation, d’interdire l’importation de produits agricoles traités avec un pesticide donné, les États du Mercosur pourraient obtenir une compensation si le préjudice commercial de cette mesure était avéré. La nature de la compensation n’étant pas définie, elle ferait l’objet d’une négociation, soulignent la FNSEA et les Jeunes agriculteurs. Elle pourrait donc être tarifaire (baisse des droits de douane) ou non tarifaire (hausse des quotas), ce qui inquiète la Coordination rurale.

Plus généralement, ce mécanisme est problématique à plusieurs égards.

D’abord, il rend impossible l’instauration de clauses miroirs, qui, dans leur principe, visent à conditionner l’accès de produits au marché européen au respect de normes sociales, sanitaires ou environnementales. En admettant leur effectivité, leur mise en œuvre pourrait réduire les exportations du pays du Mercosur, et ces derniers seraient donc fondés à demander des mesures correctives pour compenser la perte des bénéfices engendrée.

François Blanc s’interroge plus largement sur les conséquences de ce mécanisme sur l’autonomie réglementaire européenne. Dans le cadre d’un événement organisé le 2 octobre par Climate Action Network Europe et des eurodéputés Verts/ALE, Christina Eckes, professeure de droit européen à l’université d’Amsterdam, expliquait en effet que ce mécanisme pourrait englober des textes phares du pacte vert comme le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'UE (CBAM/MACF) ainsi que d’autres règlementations européennes protectrices de l’environnement comme le règlement sur la déforestation, adopté en 2022.

Le mécanisme de rééquilibrage représente à cet égard une réelle menace pour la mise en œuvre de règlementations européennes qui n’étaient pas « pleinement entrées en vigueur » au moment de l’adoption de l’accord UE-Mercosur. Plus largement, il pourrait dissuader les régulateurs européens d’adopter des règlementations renforçant les normes environnementales, sanitaires ou sociales, lesquelles risqueraient de se traduire en mesures compensatoires en faveur des pays du Mercosur.

Par ailleurs, François Blanc craint que ce mécanisme ne constitue un précédent pour les futures négociations commerciales, notamment avec l’Inde. C’est également l’inquiétude soulevée par Antoine Oger, directeur de l’Institut pour la politique environnementale européenne ([36]), qui ne voit pas « comment d’autres négociateurs ne s’empareront pas de ce mécanisme » et qui se demande « comment l’UE résistera à cette pression ». « On ouvre une boîte de Pandore, avec un effet cumulé significatif ».

Le mécanisme de rééquilibrage s’apparente ainsi à un véritable cheval de Troie pour préserver les efforts écologiques européens et plus largement son autonomie réglementaire.


II.   Un accord incompatible avec la protection de la santÉ et de l’environnement

A.   Quand l’Europe sacrifie la santÉ des consommateurs sur l’autel du commerce

a.   Des normes sanitaires à deux vitesses : l’UE face au Mercosur

Tant en matière de pesticides que de produits vétérinaires, les normes sanitaires appliquées dans les pays du Mercosur sont notoirement inférieures à celles en vigueur dans l’Union. L’étude d’impact durable, publiée en 2020 par LSE Consulting, souligne que « l’intensité moyenne de pesticides (kg par hectare) des pays du Mercosur est supérieure à celle des pays ayant un niveau de revenu similaire et à celle de l’UE » ([37]). De surcroit, l’emploi de pesticides présentant un danger demeure important dans l’ensemble des pays de la région ([38]).

Le Brésil, principal partenaire commercial de cet accord, offre un exemple particulièrement préoccupant des différences avec l’UE en matière de normes sanitaires rappel Mathilde Dupré. Avec un système de production destiné à l’exportation de produits agricoles et alimentaires, le Brésil était en 2023 le principal consommateur de pesticides au niveau mondial ([39]), et le deuxième importateur de pesticides fabriqués en Europe mais interdits d’utilisation dans l’Union européenne ([40]). Entre 2016 et 2019, près de 1 200 nouveaux produits ont été approuvés, dont 193 contenant des substances interdites en Union européenne ([41]). C’est notamment le cas de l’amicarbazone - jamais autorisé au sein de l’UE -, et du novaluron - interdit depuis 2006 ([42]). In fine, 30 % des substances actives autorisées au Brésil ne sont pas homologuées dans l’UE en raison des risques sanitaires et environnementaux qu’elles représentent ([43]). Les conséquences dramatiques sur la santé des producteurs et riverains, ainsi que sur la dégradation de l’environnement et de la biodiversité, sont en effet largement documentées ([44]). Clément Helary insiste également sur le rôle des pesticides dans la contamination de l’eau, et donc la santé des populations. Selon son analyse, « on accepte les impacts que les pesticides peuvent avoir sur des territoires éloignés de l’hexagone en sachant la dangerosité de leur utilisation pour les populations locales ».

L’utilisation des pesticides ne concerne pas uniquement le Brésil. La Coordination rurale rappelle, à titre d’exemple, l’utilisation en Argentine du paraquat, un herbicide interdit dans l'Union Européenne depuis 2007, en raison de sa toxicité et de son lien avec le développement de la maladie de Parkinson.

Citant une étude de l’Observatoire européen de la fiscalité, Mathilde Dupré relève par ailleurs que les pays du Mercosur représentent 6 % de la consommation européenne de céréales et d’oléagineux, mais 25 % de notre empreinte pesticide. Elle dénonce ainsi une forme d’hypocrisie européenne, l’utilisation des pesticides étant délocalisée.

Les pratiques d’élevage en Amérique du Sud posent des problèmes tout aussi graves. Le Brésil, principal exportateur de viande bovine, autorise notamment l’utilisation de monensin – un antibiotique permettant d’accélérer la croissance des bovins mais proscrit au sein de l’UE depuis 2006 ([45]). Les normes de production au Brésil et dans l’UE diffèrent aussi quant à l’identification et le suivi des bovins. Alors que l’Union européenne impose, pour des raisons sanitaires, une traçabilité des bovins tout au long de leur vie, le suivi des animaux au Brésil ne couvre qu’une période de 40 jours avant l’abattage ([46]).

b.   Réciprocité absente, normes trompeuses : un jeu de dupes sanitaire

Compte tenu des fortes disparités entre les normes de production appliquées dans l’Union européenne et celles en vigueur dans les pays du Mercosur, les garanties sanitaires prévues par l’accord sont insuffisantes. Les normes sanitaires et phytosanitaires européennes s’appliquent principalement aux produits finis importés, notamment à travers des limites maximales de résidus (LMR) de pesticides fixées par l’UE. Toutefois, cela ne signifie pas que les conditions de production entre l’Union européenne et les pays du Mercosur sont équivalentes. La Commission européenne reconnaît ainsi la possibilité que des produits « traités avec des substances non autorisées dans l’Union européenne […] soient importés tout de même »  ([47]).

Surtout, Mathilde Dupré note que l’Union joue avec les LMR pour fluidifier les échanges, en admettant des tolérances à l’importation. Les différences de LMR entre les pays de l’UE et les pays tiers permettent à l’Union d’acheter des produits dont la production est interdite sur son territoire. Ainsi, sur le soja, la limite sur le glyphosate est 200 fois plus élevée que sur la plupart des autres cultures. Sur le végétal, note la FNSEA, les LMR sont tellement élevées que les molécules interdites ne sont pas détectées. Or des industriels et les pays tiers plaident régulièrement auprès des autorités de l’Union pour modifier les LMR dans un sens qui leur est favorable.

En matière d’importation bovine, les normes sanitaires présentent aussi de nombreuses lacunes. En effet, la directive de 1981 interdisant l’importation de viande dont la croissance a été stimulée par des hormones de croissance ([48]) – texte brandi par la Commission face aux oppositions – dissimule une réalité réglementaire bien plus ambiguë. Par le truchement du règlement UE 2019/6, l’Union européenne a interdit aux opérateurs des pays exportant des animaux ou produits d’origine animale vers l’UE d’utiliser des antibiotiques promoteurs de croissances. Néanmoins précise Mathilde Dupré, ce texte concerne seulement les antibiotiques utilisés à des fins médicales, ce qui exclut ceux employés comme additifs dans l’alimentation animale – couvrant ainsi une part marginale des pratiques des producteurs exportant de la viande vers l’UE ([49]). Par ailleurs, cette mesure n’est toujours pas appliquée, le premier acte d’exécution devant rentrer en vigueur seulement à compter du 3 septembre 2026 ([50]).

En l’absence de normes sanitaires portant sur les méthodes productions, de nombreux acteurs, notamment la FNSEA, ont demandé l’introduction de clauses miroirs dans l’accord UE-Mercosur. Selon le principe de réciprocité, ces clauses permettraient que les obligations auxquelles doivent se soumettre les producteurs européens soient aussi respectées par les producteurs de pays tiers exportant au sein de l’UE. Si elles n’ont pu être mises en place, beaucoup doutent de leur faisabilité, à l’instar de la Coordination rurale et de Jean-Christophe Bureau. Par ailleurs, le mécanisme de rééquilibrage représente aujourd’hui clairement un frein à leur adoption (cf. supra).

Pour certains toutefois, la Commission aurait pu s’inspirer de l’accord commercial conclu en 2022 avec la Nouvelle-Zélande, qui conditionne le contingent d’exportation de viande bovine au respect de certaines normes de production ([51]). Valeria Rodriguez Ponce estime que, pour le Mercosur, cela aurait pu se traduire par l’application de préférences tarifaires uniquement aux viandes provenant de bovins élevés exclusivement au pâturage, excluant de facto les viandes issues d’animaux engraissés industriellement en feedlots.

 

c.   L’UE fait tomber ses défenses : un système de contrôle inadapté que l’accord prévoit encore d’alléger

À cette asymétrie réglementaire s’ajoute l’inefficacité des dispositifs de contrôle aux frontières – que l’accord risque d’aggraver. En effet, des études ont démontré que de nombreux produits importés depuis l’Amérique du Sud ne répondent pas aux obligations sanitaires imposées aux produits européens. En matière de pesticides, les prélèvements réalisés par le Pesticide Action Network sont sans appel. Sur 770 fruits, céréales et légumes importés depuis le Brésil en 2018, 97 échantillons contenaient des pesticides interdits au sein de l’UE – bien au-delà des résidus trouvés dans les produits européens ([52]). Selon la European Food and Safety Association (EFSA), les produits importés depuis des pays tiers présentent un taux de non‑conformité – et de dépassement de résidus –près de quatre fois supérieur à celui des produits cultivés dans l’UE ([53]).

Quant à l’importation de produits d’origine animale, Mathilde Dupré, la FNSEA et Jean-Christophe Bureau rappellent les résultats du rapport d’audit de la Direction générale de la Santé publié en 2024. Ce rapport indique que les dispositions en vigueur pour empêcher l’exportation vers l’Union européenne de viande bovine provenant d’animaux traités au 17-ß-œstradiol, à des fins zootechniques ou thérapeutiques, sont insuffisantes  ([54]). Cette situation a conduit à la suspension des importations de viande bovine femelle en provenance du Brésil. Mathilde Dupré précise que c’est le Brésil, qui de sa propre initiative, a décidé cette suspension. Le rapport Ambec, portant sur les conséquences potentielles de l’accord UE-Mercosur, en conclut que ces lacunes compromettent la fiabilité de la certification effectuée par les autorités brésiliennes, en particulier pour la filière dite « sans hormone » ([55]).

Il est donc légitime de nourrir de sérieux doutes quant à la capacité de l’Union européenne à garantir que les produits importés des pays du Mercosur respectent ses propres normes sanitaires. Pire encore souligne Mathilde Dupré, l’accord UE-Mercosur aggrave cette vulnérabilité : il prévoit une simplification des procédures, un allègement des contrôles, et exclut les inspections physiques des établissements individuels dans les pays concernés ([56]). Or, l’intensification des échanges prévue par cet accord ne fera que rendre les contrôles aux frontières encore plus difficiles. Alors que les scandales sanitaires récents exigent un renforcement des dispositifs de surveillance, l’Union européenne choisit au contraire de baisser la garde – au détriment de la sécurité sanitaire des consommateurs européens.

 L’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur semble donc incompatible avec les obligations juridiques de l’Union en vertu des articles 168 et 169 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui imposent un haut niveau de protection en matière de santé publique et de santé des consommateurs.

B.   Un accord qui piÉtine les promesses vertes de l’Union europÉenne

1.   Des émissions de gaz à effet de serre en hausse

Depuis le traité de Lisbonne, la politique commerciale de l’Union doit être alignée avec les objectifs généraux de son action extérieure. L’article 21 du Traité sur l’Union européenne (TUE) dispose que l’Union doit promouvoir un développement durable de la planète, notamment par la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique.

Alors même, que l’UE se veut à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité, elle s’apprête à ratifier un accord qui encouragera le développement d’un modèle économique climaticide. En effet, il convient de souligner que les accords commerciaux jouent un rôle majeur dans l’expansion du système alimentaire industriel, lequel est responsable de 37 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre ([57]).

L’accord UE-Mercosur n’échappe pas aux impacts climatiques associés aux accords de libre-échange et pourrait même s’avérer plus préjudiciable que les précédents.

D’après l’ONG Grain ([58]), l’augmentation prévue des échanges dans huit secteurs agricoles clés entraînerait une hausse d’environ 34 % des émissions, soit près de neuf millions de tonnes de gaz à effet de serre supplémentaires chaque année. Les exportations de viande bovine du Mercosur vers l’Union européenne représenteraient à elles seules plus de quatre cinquièmes de ce total. Par ailleurs, l’empreinte climatique de l’UE associée à ses exportations alimentaires vers le Mercosur pourrait être multipliée par cinq ([59]), révélant un modèle commercial profondément incompatible avec les objectifs climatiques européens.

2.   Une déforestation amplifiée par l‘accord

De surcroît, l’accord UE-Mercosur soulève une problématique environnementale majeure, celle de la déforestation liée à 80-90 % à l’agriculture et à l’élevage, précise Klervi Le Guenic, chargée de campagne forêts tropicales chez Canopée.

Les pays du Mercosur détiennent 27 % de la couverture forestière mondiale et abritent 60 % de la biodiversité terrestre, une responsabilité cruciale pour la planète ([60]). Cependant, sous le mandat de l’ex-président brésilien, Jair Bolsonaro (2019-2022), la déforestation au Brésil a connu une augmentation spectaculaire de 59,5 %, avec environ 11 568 km² de forêt détruite entre août 2021 et juillet 2022. Même si les premiers indicateurs sous la présidence de Lula révèlent une diminution de la déforestation en Amazonie ([61]), comme rappelle Clément Helary, l’augmentation de la demande en biens agricoles risquerait de compromettre cette tendance positive. Clément Helary précise par ailleurs que certains écosystèmes ne sont pas qualifiés de forêts – exemple, les savanes – alors même qu’ils sont essentiels pour le climat.

En 2024, le Brésil représente 42 % de la perte totale de forêts primaires ([62]). Cette déforestation est en partie légale. La loi brésilienne autorise en effet de défricher 20 % d'une propriété en Amazonie et 80 % au Cerrado. Dès lors, un tiers de la déforestation en Amazonie et au Cerrado est légal (9 % en Amazonie et 49 % au Cerrado), ce qui représente près de 550 000 hectares par an ([63]).

Si, selon Klervi Le Guenic, le rapport Ambec de 2020 analysait que la ratification de l’accord provoquerait - rien que par l’augmentation de la production de viande bovine résultante - une hausse annuelle de la déforestation comprise entre 5 % et 25 % au cours des six premières années suivant sa mise en œuvre ([64]), elle considère que ce chiffre est en réalité minimisé. D’une part, elle ne prend pas en compte les surfaces supplémentaires nécessaires pour cultiver les aliments destinés à nourrir le bétail ([65]), d’autre part le modèle est pensé de manière statique, ignorant le phénomène de surpâturage.

Par ailleurs, Klervi Le Guenic rappelle que le Règlement européen contre la déforestation et la dégradation des forêts devrait entrer en vigueur le 31 décembre 2025. Ce texte vise à supprimer du marché européen les produits élaborés avec des matières premières issues de zones déforestées (cela s’applique notamment au soja, au beauf et au bois). Ce règlement devrait permettre d’éviter 70 000 hectares de déforestation supplémentaire. Ses effets pourraient toutefois être annulés en cas d’application du mécanisme de rééquilibrage. Une partie de la déforestation qui aurait pu être empêchée, ne le serait finalement pas.

La Commission européenne se targue néanmoins d’empêcher, grâce à ses garde-fous, une déforestation plus importante. Pour Maxime Combes, l’ambiguïté du discours vient du fait que la Commission européenne raisonne en tendance et non en volume. Si on devrait effectivement noter un ralentissement de la déforestation, le phénomène se poursuivra néanmoins. Le risque, c’est que la plus grande forêt tropicale du monde atteigne le point de bascule, à partir duquel elle pourrait se transformer en savane. Les conséquences seraient mondiales avertit Clément Helary.

3.   Des engagements non contraignants comme garde-fous à l’enjeu du siècle

La Commission européenne vante quelques concessions environnementales obtenues du Mercosur. Pourtant, même si plusieurs dispositions ont été imposées à la demande de la France, leur portée réelle sur la protection écologique demeure théorique.

En premier lieu, les dispositions contenues dans l’Annexe sur le développement durable rajoutée fin 2024 ne comportent que des déclarations de principes, rappelant l’attachement des parties à la protection de l’environnement. Il n’est toutefois pas exigé que les parties adoptent des politiques environnementales ambitieuses, note Maxime Combes. Rien ne les empêche même d’avoir des approches climato-sceptiques. Le retrait de la délégation argentine de la COP 29, décidé par son président Javier Milei seulement trois jours après le début de la conférence en novembre 2024 ([66]), constitue un exemple saisissant en la matière. Au final, aucun élément ne peut être invoqué devant le système bilatéral de règlement des différends qui existe dans le cadre de l’accord.

Seul l’Accord de Paris comme clause essentielle de l’accord revêt une valeur contraignante, une suspension totale ou partielle de l’accord étant possible si l’une des parties « se retire de l’accord de Paris ou cesse d’être partie de bonne foi ([67]) ». Il est toutefois peu crédible que l’Union européenne ose un jour suspendre cet accord pour des raisons environnementales. Jamais cela ne s’est produit, constate Mathilde Dupré. Comme le souligne le rapport Ambec, l’efficacité des clauses de conditionnalité dans les ALE a été limitée par la préférence de l’UE pour les « incitations en lieu et place de la menace de sanction ». Le dialogue politique et les démarches déclaratives prennent alors le pas sur la défense des droits humains ou la protection de notre planète ([68]). Dans le cas spécifique du Mercosur, suspendre l’accord serait un casse-tête politique et technique considérable, la nature même du bloc régional rendant improbable une suspension totale, tandis qu’une suspension partielle limitée à un seul pays serait quasiment impossible à mettre en œuvre ([69]). Dès lors, la clause essentielle relative à l’accord de Paris n’est qu’un vernis, qui ne fera guère avancer la cause écologique chez nos partenaires sud-américains.

En second lieu, un second engagement environnemental brandi par la Commission européenne est l’objectif de mettre fin à la déforestation illégale d’ici 2030. Pourtant, plusieurs points appellent à la vigilance. D’abord, l’annexe précise que l’Union européenne s’engage à s’appuyer sur les informations fournies par les autorités nationales du Mercosur pour contrôler le respect des exigences, malgré les défaillances flagrantes en matière de traçabilité du bétail évoquées précédemment. Ensuite, cet engagement demeure non contraignant ([70]). Comme pour l’ensemble des mesures du chapitre sur le développement durable, aucun mécanisme de sanction n’existe pour pénaliser les manquements concernant les droits sociaux, la biodiversité ou la déforestation. Alors que l’Union européenne a déjà procédé l’entrée en vigueur complète de la régulation contre la déforestation, la protection de l’environnement ne semble plus être au cœur de ses priorités.

Maxime Combes et Mathilde Dupré soulignent le « deux poids deux mesures » qui existe entre les règles contraignantes applicables en matière de dérégulation, libéralisation, et réorganisation du commerce mondial et le droit mou censé assurer la protection de l’environnement.


III.   absence de transparence, manœuvres procÉdurales, risques d’IncompatibilitÉs : saisiR de toute urgence la cour de justice

A.   malgrÉ des oppositions massives, la Commission europÉenne dÉcide de contourner la dÉmocratie

1.   Une opposition citoyenne continue, une position française qui s’efface

Depuis l’annonce en juin 2019 du premier accord politique entre la Commission européenne et les pays du Mercosur, la colère du monde agricole et de la société civile ne s’est pas tue. Cette colère ancienne et pan-européenne s’exprime en effet avec constance et détermination, à travers des journées de mobilisations, des rencontres politiques, des lettres ouvertes…

Une accélération se manifeste toutefois depuis la finalisation des négociations en décembre 2024. Des mobilisations ont ainsi eu lieu en Espagne en 2024 ([71]) puis en 2025 ([72]), en Pologne ([73]) et en Italie ([74]) en 2024, en République tchèque en 2025  ([75]), ou encore en France en 2024 et 2025 où l’exaspération est particulièrement forte. En effet, d’après un sondage du Cevipof et d'Agro Toulouse réalisé entre avril et juin 2025 auprès de 1 082 exploitants, plus de 80 % des agriculteurs considèrent que l'accord de libre-échange UE-Mercosur « représente une menace pour l’agriculture française ([76]) ».

Si tous les syndicats auditionnés par votre rapporteur, qu’il s’agisse de la FNSEA, des Jeunes Agriculteurs, de la Coordination rurale ou de la Confédération paysanne, sont vent debout contre cet accord, il en est de même à l’échelle européenne où le Copa-Cogeca, le Conseil européen des jeunes agriculteurs (CEJA), la Fédération européenne des syndicats de l'alimentation, de l'agriculture et du tourisme (EFFAT) et le Geopa (le groupe d'employeurs du Copa) sont alignés sur la position des syndicats français ([77]). Les chambres agricoles et alimentaires de Slovaquie, République tchèque, Hongrie et Pologne ont également rejeté l’accord UE-Mercosur en décembre 2024 ([78]).

Du côté des parlements nationaux, certains d’entre eux ont fait part de leur réticence. Le 2 juin 2020, le parlement néerlandais a voté une motion demandant au gouvernement d'informer Bruxelles qu'il retirait son soutien à l'accord, critiqué pour ses éventuelles conséquences sur l'environnement et les agriculteurs ([79]). En 2019 et 2021, le parlement autrichien a manifesté son opposition, s’inquiétant par ailleurs d’éventuelles manœuvres visant à accélérer l’adoption du texte ([80]). Notre chambre a dénoncé trois fois cet accord, le 13 juin 2023, le 26 novembre 2024 et le 30 janvier 2025. Le Sénat s’est également prononcé dans le même sens ([81]). Dans une lettre du 6 novembre 2024 adressée à la présidente de la Commission, 622 parlementaires français du Sénat, de l’Assemblée nationale et du Parlement européen réitèrent leur opposition à l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur ([82]). En 2024 toujours, c’est au tour du Parlement wallon d’approuver une motion de rejet de l’accord ([83])

Du côté du Parlement européen, 59 élus des groupes Verts/ALE, La Gauche, PPE et S&D ont annoncé qu'ils déposeraient prochainement une proposition de résolution questionnant la compatibilité de l'accord UE/Mercosur avec les traités européens ([84]).

Si certains gouvernements ont exprimé des réserves, l’opposition de la France semblait ferme jusqu’à il y a peu.

Depuis la volte-face spectaculaire du Président Macron en 2019, à la suite des incendies ravageant l’Amazonie, la position officielle de la France a consisté à refuser l’accord « en l’état », tant qu'il ne remplissait pas trois conditions : « ne pas augmenter la déforestation importée dans l'Union européenne, mettre l'accord en conformité avec l'accord de Paris, instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale » ([85]).

Face aux rumeurs d’une possible scission de l’accord visant à accélérer la mise en œuvre de son volet commercial (cf. infra), François Blanc comme Hubert Bretheau indiquent que la France a tenté de construire une minorité de blocage au Conseil, entre décembre 2024 et juillet 2025, en sondant les positions de la Pologne, de la Belgique, de l’Italie, des Pays-Bas, de l’Irlande et de l’Italie en cas de passage en force du texte au Conseil. Toutefois, sans assurance d’obtenir cette minorité de blocage, François Blanc précise qu’en parallèle, les autorités françaises se sont mobilisées pour faire valoir auprès de la Commission la prise en compte des lignes rouges à ne pas franchir - qu’elles n’ont pourtant jamais cherché à inscrire dans le mandat donné à la Commission, remarque Maxime Combes - et obtenir des ajustements de l’accord.

En réponse aux exigences de la France, la Commission européenne a proposé en octobre 2025 à la signature du Conseil un règlement visant à renforcer les mesures miroirs (cf. supra) dont la valeur juridique serait identique à celle de l’accord mais qui s’appliquerait parallèlement à l’accord, faute d’avoir fait l’objet d’un addenda, précise François Blanc.

Si la FNSEA a eu le sentiment que la ministre de l’agriculture s’est réellement démenée dans le cours du premier semestre pour trouver des alliances auprès des autres États-membres, elle s’inquiète des récentes déclarations du Président qui, en affirmant que les ajustements présentés par la Commission européenne allaient « dans le bon sens » ([86]), semble avoir revu sa position, ce que démentent François Blanc et Hubert Bretheau. « On pensait que la France réussirait à construire une minorité de blocage avec l’Italie, l’Autriche et la Pologne. Alors que le Président Macron s’était opposé fermement et publiquement à l’accord, on a l’impression que la France tente de trouver une porte de sortie avec la clause de sauvegarde, sans s’attacher à imposer la réciprocité des normes, ce qui est inacceptable », souligne la FNSEA pour qui « ce n’est pas un bon accord ».

La position des autres syndicats agricoles auditionnés est tout aussi sévère. Pour la Confédération paysanne, la clause de sauvegarde semble être une excuse pour accepter l’accord.

Pour reprendre les mots de la Coordination rurale : « on a l’impression que le politique a baissé les bras ces derniers mois. On nous tente de nous rassurer en nous disant « on va faire notre possible ». Mais on ne se sent ni soutenu ni défendu. »

« La France doit rejeter fermement l’accord et sortir de l’ambiguïté » concluent les Jeunes agriculteurs.

C’est également le sens d’une tribune parue le 28 octobre dernier, signée par 44 organisations - dont certaines des organisations auditionnées par votre rapporteur - appelant le Président Macron à tout mettre en œuvre pour bloquer l’accord  ([87]). « Par ce courrier, nous, organisations de la société civile soussignées, exprimons nos plus vives inquiétudes et notre totale incompréhension devant les réactions complaisantes provenant de l’Élysée et de plusieurs ministères suite à la décision de la Commission européenne de transmettre l’accord de libre-échange UE-Mercosur au Conseil des 27 États-membres de l’Union européenne pour une ratification expresse et sans consultation démocratique des Parlements des États membres sur la partie commerciale de l’accord  ([88] . » Selon ces organisations « rien ne saurait justifier ce brusque changement de position ». « Ni la clause de sauvegarde ni l’annexe sur le développement durable ne permettent de satisfaire les lignes rouges que la France avait fixées en 2020 ».

2.   Museler la démocratie par un recours systématique aux accords intérimaires dont le caractère « provisoire » n’est qu’illusoire

En dépit de ces fortes oppositions, la Commission européenne a en effet lancé le 3 septembre 2025 le processus de validation de l’accord sous la forme de deux instruments juridiques : l’accord de partenariat UE-Mercosur (comprenant le pilier « questions politiques et de coopération » et le pilier « commerce et investissements ») et l’accord intérimaire sur le commerce, portant sur la libéralisation des échanges et des investissements. Ce dernier instrument juridique devrait expirer au moment de la ratification, par toutes les parties, de l’accord de partenariat.

Cette décision de scission, que l’on redoutait mais qui malheureusement n’est guère surprenante, n’est pas neutre au regard de ces implications sur le processus de validation de l’accord. Elle vise tout simplement à contourner les règles constitutionnelles des différents États membres.

En effet, l’accord d’association UE-Mercosur est qualifié d’accord mixte parce qu’il couvre non seulement des domaines relevant de la compétence exclusive de l’Union – notamment la politique commerciale, dans les limites et sous les réserves précisées par la Cour de justice de l’Union dans sa jurisprudence dite « Singapour »  ([89]), – mais également des compétences partagées entre l’Union et les États membres.

« Basés sur un triptyque (dialogue politique, coopération et commerce), les accords d'association visent à établir des liens étroits et durables entre l'UE et les États tiers » précise Nicolas de Sadeleer, professeur de droit, auditionné par votre rapporteur. Il ajoute que « bien que les traités fondateurs n'aient jamais précisé avec exactitude leur champ d'application matériel, les domaines fréquemment couverts par ces accords comprennent le développement de la coopération politique, commerciale, sociale, culturelle et en matière de sécurité. Ils ont donc un caractère global ».

En tant qu’accord d’association, sa conclusion est soumise à une procédure d’adoption stricte : un vote à l’unanimité du Conseil - conférant ainsi un droit de véto à chaque État membre -, une approbation du Parlement européen, et une ratification de tous les États membres conformément à leurs règles constitutionnelles. En France, cette dernière exigence implique une validation parlementaire. En Belgique, comme le souligne Nicolas de Sadeleer, les accords commerciaux doivent être ratifiés par les parlements flamand et wallon avant ratification par l'État fédéral.

Cette procédure peut ainsi s’avérer très longue. À titre d’illustration, il aura fallu onze ans pour que l’accord de coopération et d’union douanière entre la Communauté européenne et ses États membres et la République de Saint-Marin ([90])  soit ratifié, à une époque où l’ancienne Communauté ne comptait que douze membres. Avec une Union européenne comptant aujourd’hui 27 membres, les risques de blocages internes se multiplient, comme ce fut le cas lors de la ratification de l’accord CETA, empêché par le vote du parlement Wallon.

Pour autant, l’accord du CETA s’applique bel et bien aujourd’hui, la Commission européenne ayant développé, pour contourner les oppositions, la technique du « splitting ». Le principe consiste à scinder l’accord en deux volets : un volet dont les matières relèvent de la compétence exclusive de l’Union, un volet relevant de compétences partagées.

C’est en partie cette option que la Commission a choisie pour faire passer en force l’accord du Mercosur, en isolant de l’accord de partenariat son volet commercial (accord dit « intérimaire »). Cette manœuvre simplifie considérablement la procédure de validation. Si l’approbation du Parlement européen est toujours nécessaire, l’unanimité n’est plus requise au Conseil. Un vote à la majorité qualifiée suffit (15 États membres représentant 65 % de la population européenne), sauf constitution d’une minorité de blocage qui, comme vu précédemment, n’est pas nécessairement acquise. Surtout, la ratification des États membres est à ce stade écartée.

Une fois l’accord intérimaire adopté, il a vocation à s’appliquer provisoirement, dans l’attente de l’achèvement des procédures nécessaires à la complète entrée en vigueur de l’accord de partenariat.

Votre rapporteur s’étonne que les gouvernements des différents États membres s’accordent à respecter les prescriptions d’un accord intérimaire au mépris de leurs procédures internes respectives et aux marges du droit de l’Union.

D’autant plus que la pratique du splitting n’a pas seulement été adoptée, hier dans le cadre du CETA, et aujourd’hui dans le cadre du Mercosur, mais tend au contraire à devenir systématique. Ce modus operandi, qui modifie le processus de validation démocratique d’un accord, permet ainsi à la Commission européenne d’imposer de force des accords commerciaux de plus en plus contestés par les citoyens. La Commission a ainsi choisi d’opérer de cette matière dans les récents accords avec Singapour, le Vietnam ou encore pour l’accord avec le Chili ([91]).

Le cynisme de cette technique est d’autant plus manifeste que la conclusion de l’accord de partenariat UE-Mercosur, qui, en tant qu’accord d’association, requiert l’unanimité du Conseil en vertu de l’article 218 § 8 du TFUE (cf. infra), devrait, au cas d’espèce, s’effectuer sur la base de la majorité qualifiée, conformément à la proposition de la Commission européenne fondée sur des bases juridiques contestables (cf. infra). Il devrait aussi être approuvé par le Parlement européen et par les États membres ([92]).

Les règles applicables à la pratique du splitting sont donc évolutives et circonstancielles, variant selon les accords en jeu.

 

Quand le provisoire s’éternise : l’exemple du CETA

L’Accord Économique et Commercial Global (CETA) est un accord de libre-échange, de nature mixte, entre le Canada et l’Union européenne. Cet accord a fait l’objet d’une scission afin que le volet commercial puisse s’appliquer de manière provisoire, jusqu’à la ratification de l’accord dans sa globalité par toutes les parties. L’accord commercial est entré en application le 21 septembre 2017. Sur les 27 États-Membres, dix ne l’ont pas encore ratifié (France, Belgique, Italie, Pologne, Irlande, Bulgarie, Chypre, Slovénie, Grèce, Hongrie).

En France, bien que l’Assemblée nationale ait adopté le projet de loi de ratification en juillet 2019, ce projet a fait l’objet d’un rejet au Sénat le 21 mars 2024. L’accord provisoire est en vigueur depuis déjà huit ans.

3.   Une dérive institutionnelle au service d’une politique commerciale obsolète et dangereuse pour l’avenir de nos sociétés

Dans une conférence prononcée en 1955, intitulée « L’avenir de la civilisation européenne », Albert Camus avait eu ces mots plus que jamais d’actualité : « nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison ».

La Commission européenne semble en effet viscéralement attachée au credo libéral qui dominait en 1999, lorsque les négociations ont débuté avec les pays du marché commun. Si l’époque était marquée par la frénésie libre-échangiste et la multiplication consécutive des accords bilatéraux pour faire face au blocage de l’OMC, nous n’avons pas assisté, comme certains ont pu le penser à cette époque, à la « fin de l’histoire ». Loin d’une mondialisation heureuse, le développement sans entraves des flux de produits et de services n’est plus un horizon indépassable, bien au contraire. Les accords de libre-échange transforment les sociétés en organisant un grand déménagement du monde et une dépendance accrue à des produits sensibles comme l’a clairement fait apparaître la crise de la covid-19. L’ouverture indistincte des marchés peut ainsi mettre en péril des secteurs entiers d’une économie, comme le secteur agricole, souvent sacrifié au profit des secteurs industriel et tertiaire. L’absence de prise en compte de l’impact climatique ou de l’autonomie alimentaire paraît aujourd’hui incompréhensible alors qu’une bifurcation écologique semble inévitable pour assurer la survie de nos sociétés.

Le monde a changé mais la présidente Von der Leyen est aveugle et sourde aux alertes citoyennes. Pire encore, elle met tout en œuvre pour imposer des accords commerciaux, qui dans la période actuelle, sont négociés tous azimuts.

La politique commerciale, telle qu’appréhendée par la Commission européenne et permise par les traités, semble d’un autre temps, celui de David Ricardo et sa spécialisation du monde, celui de l’inconscience. L’accord UE-Mercosur est l’archétype de cette obsolescence. Négocié depuis 1999, il a fallu attendre 2019, soit vingt ans, pour que soient débattues entre les parties, et seulement en raison des fortes contestations sociales, des volets de développement durable ou de transition écologique, qui au final ont pris la forme d’engagements non contraignants. François Blanc reconnaît lui-même que l’accord Mercosur appartient à une autre époque et qu’il faut changer de paradigme : la sortie d’une approche naïve du libre-échange vers une politique commerciale plus exigeante et protectrice.

Cette volonté d’imposer des traités, même sans approbation citoyenne, se traduit par ailleurs par une conduite opaque des négociations. Lorsque votre rapporteur interrogeait les syndicats agricoles ou bien les associations environnementales qui ont accepté de participer au cycle des auditions, sur ce sujet, le constat du déficit démocratique de la procédure a été unanimement partagé.

« Honnêtement, on ne nous tient au courant de rien. On est obligé d’aller chercher l’information ou bien on la découvre, comme tout le monde, dans les journaux. On n’a pas non plus sollicité notre avis », commentent ainsi la FNSEA et Jeunes agriculteurs.

« Il n’y a jamais eu de volonté pour nous impliquer. Le flou est savamment entretenu, sur le contenu, sur l’agenda. Alors que l’immense majorité des Français est contre cet accord, la Commission passe en force. Il y a un énorme problème de transparence », selon la Confédération paysanne.

« Le déni de démocratie semble évident. L’omerta semble volontaire », s’inquiète la Coordination rurale.

Malgré une opposition massive aux traités de libre-échange en général, et à l’accord UE-Mercosur en particulier, la Commission européenne joue avec la démocratie en usant de procédures contestées et contestables.

B.   Pour lever les ambiguitÉs, la France doit solliciter l’avis de La cour de justice de l’Union

Cette procédure, prévue à l'article 218 § 11 du TFUE permet la saisine, par un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission, de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour recueillir son avis « sur la compatibilité d'un accord envisagé avec les traités. En cas d'avis négatif de la Cour, l'accord envisagé ne peut entrer en vigueur, sauf modification de celui-ci ou révision des traités ».

1.   La Commission européenne a-t-elle respecté le mandat que lui a confié le Conseil de l’Union ?

Si la Commission européenne représente l’Union européenne auprès des partenaires internationaux, elle ne peut agir que sur autorisation du Conseil pour négocier tant les accords commerciaux (Art. 207 § 3 du TFUE  ([93])) que les accords d’association (Art. 218 § 2 du TFUE  ([94])). Dans les deux cas, le Conseil autorise l’ouverture des négociations et arrête les directives de négociation.

Dès l’origine toutefois, rappelle Nicolas de Sadeleer, l’accord UE-Mercosur a été pensé comme un accord d’association fondé sur l’article 217 du TFUE en vertu duquel : « l'Union peut conclure avec un ou plusieurs pays tiers ou organisations internationales des accords créant une association caractérisée par des droits et obligations réciproques, des actions en commun et des procédures particulières ».

C’est ce qui ressort des directives de négociation autorisant, en 1999, la Commission européenne à ouvrir les négociations. Ces directives précisent par ailleurs qu’« il est envisagé que les dispositions de l’accord d’association qui relèvent de la compétence de la CE fassent l’objet d’un accord intérimaire conclu par la CE et le Mercosur (et, au besoin, les États qui y sont parties). L’accord intérimaire restera en vigueur jusqu’au moment de l’entrée en vigueur de l’accord d’association. » Si l’option d’un accord intérimaire était envisagée (et non pas décidée) en 1999, le Conseil précise en 2018 qu’il lui appartient « de décider, au cas par cas, de la scission des accords commerciaux. En fonction de leur contenu, les accords d’association devraient être mixtes. Ceux qui sont actuellement en cours de négociation, comme avec le Mexique, le Mercosur et le Chili, resteront des accords mixtes.([95]) ».

L’accord avec le Mercosur, devrait donc, conformément au Titre I des directives de 1999 relatif à « la nature et la portée de l’accord », constituer « un engagement unique », aucune décision du Conseil n’étant intervenue postérieurement à 2018 pour modifier sa position et valider une éventuelle scission de l’accord.

Dans une réponse écrite publiée le 19 septembre 2023 ([96]) le ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, affirme d’ailleurs que : « tel que négocié, il apparaît que cet accord contient à la fois des stipulations relevant de la compétence exclusive de l'UE - en particulier le volet commercial - et des stipulations relevant de compétences que l'Union partage avec les États membres. La France estime donc qu'il s'agit d'un accord mixte, qui devra être à la fois conclu par l'Union et ratifié par chacun des États membres, selon ses procédures constitutionnelles. Comme pour tout accord commercial de l'UE, l'accord sera par ailleurs soumis à l'approbation du Parlement européen. Au regard de la dimension de cet accord et de la résolution adoptée par l'Assemblée nationale le 13 juin 2023, le Gouvernement a indiqué à plusieurs reprises à la Commission européenne sa volonté de maintenir un accord mixte, sous la forme d'un accord d'association, conformément au mandat confié par le Conseil de l'UE à la Commission. Il a donc exprimé son opposition à une scission, pour permettre aux Parlements nationaux de participer pleinement à son processus de ratification ».

Le mandat initial étant régi par l'article 218 du TFUE, Nicolas de Sadeleer, dont l’analyse est partagée par Nikos Braoudakis, avocat à la Cour, également auditionné par votre rapporteur, juge pertinent d’interroger la Cour sur la décision de scission de la commission.

D’autres juristes, s’exprimant à travers diverses tribunes, ont également des interrogations similaires ([97]).

2.   Le recours à la majorité qualifiée pour adopter l’Accord de partenariat est-il légal ?

L’accord de partenariat UE-Mercosur étant un accord d’association, sa conclusion nécessite conformément à l’article 218 § 8 du TFUE ([98]) l’unanimité du Conseil.

Toutefois, la Commission européenne propose tant pour la signature de l’accord de partenariat que pour sa conclusion une validation du Conseil, non pas à l’unanimité, mais à la majorité qualifiée.

Les justifications de la Commission européenne ne sont guère convaincantes. La proposition de décision portant sur la validation de l’accord de partenariat du 3 septembre 2025 énonce en effet qu’: « étant donné que les composantes prépondérantes de l’accord sont la politique commerciale, les transports, la coopération au développement et la coopération économique, financière et technique avec les pays tiers, la règle de vote pour ce cas particulier est donc la majorité qualifiée ». Au lieu de se fonder sur l’article 218 § 8 comme base juridique unique pour la conclusion d'un accord d’association, la Commission européenne propose de conclure l’accord de partenariat sur le fondement de cinq bases juridiques distinctes du TFUE : les articles 91 et 100 relatifs aux transports, l’article 207 (relatif à la politique commerciale), l’article 209 (relatif à politique de coopération au développement) et l’article 212 (relatif à la coopération économique, financière et technique).

Or, Nicolas de Sadeleer souligne que « le choix entre une base juridique qui requiert l'unanimité au sein du Conseil et une base qui ne requiert qu'une majorité qualifiée est fondamental ». Par ailleurs, l'article 296, paragraphe 2, du TFUE et l'article 41, paragraphe 2 de la Charte de l’Union européenne, qui présente la même valeur juridique que les traités depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, « exigent que les institutions de l'Union européenne motivent tout acte produisant des effets juridiques, quelle que soit sa dénomination ».

Dans ce cadre, le recours à la majorité qualifiée pour l’adoption de l’Accord de partenariat est-il légal ? Les bases juridiques qui fondent ce choix ne sont-elles pas contestables ?

3.   Ces différents choix procéduraux ne portent-ils pas atteinte aux principes d’équilibre institutionnel et de coopération loyale ?

L’obligation de motivation précitée « constitue une exigence procédurale essentielle » qui « se justifie au regard du principe de répartition des compétences, du devoir de préserver les prérogatives des institutions de l'Union, de l'obligation de motivation et de l'exigence de sécurité juridique, précise Nicolas de Sadeleer.  « Le choix erroné de la base juridique pourrait entraîner la nullité de l'acte. »

C’est en effet la position de la Cour de justice qui, dans les avis dits « GATS et TRIPS ([99]) » - lesquels ont permis de dégager la notion d’accords mixtes - considère que le choix de la base juridique appropriée revêt une importance de nature constitutionnelle, l’Union ne disposant que de compétences d’attribution. Le recours à une base juridique erronée – comme le fait de choisir pour la conclusion d’un acte une base juridique différente de celle que prévoient les traités ([100]), constitue un moyen d’invalidation.

Au regard de ces considérations, l’équilibre institutionnel consacré par les traités semble rompu. L'article 13 § 2 du TUE dispose en effet que « chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, conditions et fins prévues par ceux-ci ». C’est pourquoi, souligne Nicolas de Sadeleer, « les institutions de l'Union ne sont pas libres de choisir certains aspects des procédures prévues par les traités, tout en en ignorant d'autres ».

Par ailleurs, l'article 4, § 3, du TUE consacre un principe de coopération loyale en vertu duquel « l'Union et les États membres se respectent et s'assistent mutuellement dans l'accomplissement des missions découlant des traités. ». Dans l’arrêt MOX Plan ([101]), la Cour précise « que les États membres et les institutions communautaires sont tenus à une obligation de coopération étroite dans l’exécution des engagements qu’ils ont assumés en vertu d’une compétence partagée pour conclure un accord mixte ».

« En mettant le Conseil devant le fait accompli en négociant un autre type d'accord dont la signature et la conclusion prévoient d'autres modalités de vote, la Commission européenne s'est-elle écartée du principe de coopération loyale », s’interroge Nicolas de Sadeleer ? Par ailleurs, l’équilibre institutionnel est-il respecté ?

4.   Les engagements non contraignants et l’allègement des contrôles portent-ils atteinte à la recherche d’un niveau élevé de protection, notamment en matière environnementale, sanitaire et sociale ? au principe de précaution ?

Le droit de l'Union européenne se caractérise par de nombreuses dispositions qui obligent dans plusieurs matières les institutions européennes à atteindre un niveau élevé de protection.

En matière d’environnement, l’article 11 du TFUE dispose que : « les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l'Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable ». En vertu de l'article 37 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, « un niveau élevé de protection de l'environnement et l'amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l'Union et assurés conformément au principe du développement durable ».

En matière de santé et de protection des consommateurs, l'article 168 du TFUE précise qu’: « un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l'Union ». L’article 169 du TFUE ajoute que « l'Union contribue à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu'à la promotion de leur droit à l'information, à l'éducation et à s'organiser afin de préserver leurs intérêts ».

En matière sociale, l'article 9 du TFUE oblige les institutions de l'UE à « tenir compte des exigences liées à la promotion d'un niveau d'emploi élevé, à la garantie d'une protection sociale adéquate, à la lutte contre l'exclusion sociale, ainsi qu'à un niveau élevé d'éducation, de formation et de protection de la santé humaine ». Nicolas de Sadeleer précise que l'obligation d'atteindre un « niveau élevé de protection » impose des obligations positives spécifiques aux institutions de l'Union. Les articles 35, 37 et 38 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE consacrent des obligations similaires.

En parallèle, l’accord de partenariat UE-Mercosur comprend « un vaste chapitre sur le commerce et le développement durable, qui vise à faire en sorte que le commerce soutienne la protection de l’environnement et le développement social (…) Dans ce chapitre, les parties s’engagent aussi expressément à mettre effectivement en œuvre l’accord de Paris sur le changement climatique, qui constitue un élément essentiel de l’accord de partenariat UE-Mercosur et de l’accord commercial intérimaire, ce qui signifie qu’il sera possible de suspendre ce dernier si une partie se retire de l’accord de Paris ou cesse d’être partie de bonne foi ([102]) ».

L’exclusion de ce chapitre du champ d’application du règlement des différends prévu dans l’accord est particulièrement préoccupante et paraît contraire à la nouvelle approche « Commerce et développement durable ([103])» annoncée en juin 2022 par la Commission européenne, visant à inclure dans les futurs accords commerciaux un mécanisme de sanction rendant opposables les chapitres sur les normes sociales et environnementales. Par ailleurs, la possible suspension de l’accord UE-Mercosur, conditionnée au seul retrait par l’une des parties de l’Accord de Paris, semble illusoire.

En outre, l’accord envisage l’allègement des contrôles. D’après les données communiquées par Mathilde Dupré, le chapitre « Douane et Facilitation des Échanges » va plus loin que l’accord de l’OMC de 2017 sur la facilitation des échanges ». L’esprit de l’accord consiste à limiter les mesures de contrôle de manière qu’elles soient aussi peu restrictives pour le commerce que possible. Ainsi, l’article 8 du Chapitre prévoit la mise en place de « programmes de partenariat facilitant les échanges » au bénéfice d’opérateurs économiques agréés qui devront remplir des critères prédéfinis par chacune des Parties. Or, une fois agréés, ces opérateurs économiques pourront bénéficier de plusieurs avantages pouvant notamment inclure de « faibles taux d’inspections physiques et d’examens » et de « faibles exigences en matière de documentation ». Ce même chapitre prévoit que les Parties doivent « concentrer les contrôles en douane sur les cargaisons présentant des risques élevés et accélérer l’admission des cargaisons présentant un risque faible » (article 12) et que les Parties ne doivent pas imposer « le recours obligatoire à des inspections avant expédition ou à toute autre activité d'inspection effectuée à destination, avant le dédouanement, par des sociétés privées » (article. 15). Le chapitre « Sanitary and phytosanitary measures » (« SPS ») de l’Accord contient également un article spécifique « Mesures de facilitation des échanges » prévoyant que la Partie importatrice ne peut demander à approuver les établissements exportateurs de l’autre Partie que dans le cas de l’exportation de produits d’origine animale et précise que cette approbation doit se faire sans inspection préalable des établissements individuels, seul le système de contrôle officiel de l’autre Partie pouvant faire l’objet d’une validation et d’un audit. Enfin, ce même article prévoit que si des contrôles révèlent le non-respect d’une règle SPS « les mesures prises par la partie importatrice doivent être justifiées sur la base du non-respect constaté et ne pas être plus restrictives pour le commerce que nécessaire pour atteindre le niveau approprié de protection sanitaire ou phytosanitaire ».

Enfin, au regard du principe de précaution - considéré comme l'un des fondements du niveau élevé de protection de l'environnement dans l'Union ([104]), rappelle Nicolas de Sadeleer - la CJUE considère qu’en « cas d'incertitude quant à l'existence ou à l'ampleur des risques pour la santé humaine, des mesures de protection peuvent être prises sans attendre que la réalité et la gravité de ces risques apparaissent pleinement » ([105]).

Dès lors, peut-on considérer que les dispositions non contraignantes de l’accord et l’allègement des contrôles répondent à l’objectif de « niveau élevé de protection » tel que défini par les traités ainsi qu’aux exigences imposées par le principe de précaution ?

5.   Le mécanisme de rééquilibrage est-il compatible avec le droit de l’Union ? Ne porte-t-il pas atteinte à son autonomie réglementaire ?

Ce haut niveau de protection juridique consacré tant par les traités que par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en matière de normes sanitaires, sociales et environnementales (cf. supra) pourrait être remis en cause par le mécanisme de rééquilibrage. Ce mécanisme représente en effet un véritable cheval de Troie pour la préservation de l’ordre juridique européen.

Si d’après Jean-Christophe Bureau et Hubert Bretheau la Commission européenne considère que ce mécanisme est conforme aux principes du GATT, c’est seulement la seconde fois qu’un dispositif de cette nature est inséré dans un accord bilatéral, le premier étant l’Accord de commerce et de coopération avec le Royaume-Uni de 2021. Les deux mécanismes ne sont toutefois pas comparables. Outre le fait que les normes environnementales britanniques sont plus proches des normes européennes, Nikos Braoudakis souligne que le champ d’application du mécanisme, imposé dans la dernière ligne droite des négociations par les pays Mercosur, est beaucoup plus large.

D’un style nouveau, ce mécanisme permet, rappelons-le, de compenser l’impact économique de la législation ou des pratiques d’une partie signataire, y compris dans les cas où les mesures ne violent pas l’accord.

Incluant toutes les mesures qui n’étaient pas encore « pleinement mises en œuvre » au terme des négociations de décembre 2024, il pourrait être mobilisé pour empêcher la mise en œuvre de réglementations qui ne sont pas encore entrées en vigueur, comme le règlement (UE) 2023/1115 sur la déforestation dont la mise en œuvre a été reportée au 31 décembre 2025.

Le mécanisme pourrait également freiner ou empêcher la mise en œuvre de réglementations déjà adoptées mais nécessitant des actes d’exécution pour être pleinement effectives.

Il pourrait enfin dissuader le législateur européen d’adopter des réglementations protectrices des citoyens européens, en toutes matières, dès lors qu’elles seraient susceptibles d’avoir un impact négatif sur les exportations des pays du Mercosur. Dès lors, la recherche de davantage de réciprocité dans les échanges – via notamment l’instauration de clauses miroirs – apparaît tout simplement impossible.

Par ailleurs, le gouvernement brésilien a opposé une interprétation différente de celle de l’UE quant à la portée du mécanisme de rééquilibrage ([106]) et considère que toutes les législations depuis 2019 sont concernées. Pour l’UE au contraire, le mécanisme ne concerne que les effets commerciaux des mesures auxquelles le plaignant ne pouvait pas s’attendre au moment de la conclusion de l’accord. Ces divergences d’interprétation rendent plus incertaine encore la portée réelle du mécanisme.

Précédent dangereux pour les futures négociations commerciales, le mécanisme de rééquilibrage introduit dans l’accord UE - Mercosur apparaît davantage comme un « mécanisme de déséquilibrage », tirant les normes vers le moins-disant, freinant ou empêchant l’action du législateur européen, et partant, fragilisant un peu plus la démocratie européenne.

En ce sens, il apparaît urgent de saisir la Cour de justice :

Le mécanisme de rééquilibrage peut-il avoir un effet dissuasif qui remettrait en cause le principe de précaution ainsi que les principes de protection élevée consacrés par le droit primaire et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ?

Ce mécanisme ne représente-t-il pas un danger pour l’autonomie réglementaire de l’Union ?

***

Le 14 novembre prochain, des députés européens s’apprêtent à déposer une résolution visant à saisir la Cour de justice de l’Union européenne. Cette résolution fera probablement l’objet d’un vote en séance plénière à la fin du mois.

Pour votre rapporteur, la France doit aussi s’engager dans cette démarche. Lors des auditions menées avec les représentants du ministère de l’Agriculture, de l’Agro-alimentaire et de la Souveraineté alimentaire et ceux de la Représentation permanente de France auprès de l’Union européenne, l’hypothèse a provoqué un certain malaise.

Ponctuées de silences gênés, les réponses laissaient entendre que la France ne comptait pas se saisir des outils juridiques que lui offrent les traités pour remonter auprès de la Cour les nombreuses et légitimes interrogations que soulève l’accord UE-Mercosur. Cette démarche pourrait - semble-t-il - être interprétée comme une offensive lancée contre la Commission.

L’objectif de la saisine ne consiste toutefois pas à intenter un procès contre l’exécutif européen mais vise à relayer la parole citoyenne auprès des juges européens. Par ailleurs, la France ne peut se cacher derrière une éventuelle sollicitation du Parlement européen - à considérer que la résolution soit adoptée – pour justifier son inaction. Elle dispose d’un droit de saisine dont elle doit faire usage à un double titre :

Juridiquement, il s’agit d’exercer une action préventive visant à demander à la Cour de justice d’analyser la compatibilité de l’accord UE-Mercosur avant son éventuelle adoption.

Politiquement, il s’agit d’entendre et de porter une demande citoyenne forte, sous peine de priver de recours l’expression souveraine.

De nombreux acteurs souhaitent que la France clarifie sa position. Cette proposition de résolution européenne invite le Gouvernement français à clairement se positionner en sollicitant, dans les meilleurs délais, l’avis de la Cour de justice.

 


   EXAMEN EN COMMISSION

La Commission s’est réunie le 18 novembre 2025, sous la présidence de M. PieyreAlexandre Anglade, Président, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, président. En préambule, je voudrais rappeler que, lorsque l’accord a été conclu entre l’Union européenne et le Mercosur, l’Assemblée nationale a affirmé, avec beaucoup de clarté et à plusieurs reprises, que cet accord n’était pas acceptable en l’état. Il contrevenait en effet aux intérêts de la France, en particulier dans le secteur agricole, car il ne garantissait ni le respect de nos normes et standards, ni une concurrence loyale et équitable.

La France - souvent seule - résiste depuis lors. Elle s'est battue pour obtenir des clauses miroirs qui permettent de refléter exactement nos règles et nos contraintes, et des clauses de sauvegarde qui, quand certains marchés sont déstabilisés, permettent des mesures d'urgence.

Les choses bougent – pas assez rapidement – mais une discussion s'est amorcée. La Commission européenne commence à entendre, même si nous sommes encore loin du compte.

Nous devons continuer de nous battre sur au moins trois aspects. Le premier est une clause de sauvegarde agricole robuste, effective et activable rapidement. Le second est la nécessité d’une concurrence équitable, via des mesures miroirs - notamment sur les pesticides et l'alimentation animale - pour s'assurer que nous imposons à nos producteurs les mêmes règles qu’à ceux dont nous importerions les produits. Le troisième aspect est le renforcement des contrôles sanitaires. Nous devons obtenir ces trois garanties, en plus des mesures de soutien à l'élevage. Nous n'avons, pour l’instant, aucune assurance sur ces mesures, ce qui ne permet pas, en l'état et au moment où nous avons cette réunion, d'accepter l'accord.

C'est pourquoi, nous demandons de la clarté et de la lisibilité pour nos producteurs et nos consommateurs. Les premiers ne doivent pas se retrouver en situation de concurrence déloyale et les seconds doivent bénéficier des mêmes garanties de sécurité alimentaire, que les produits soient importés ou produits chez nous.

M. François Ruffin, rapporteur. J'ai vu ma région, la Picardie, se vider de ses usines, vers une Chine devenue l'usine du monde. Je ne veux pas voir mon pays se vider de ses fermes vers une Ukraine qui deviendrait la ferme-usine de l'Europe ou vers le Brésil qui deviendrait celle du monde.

Or, le traité avec le Mercosur souligne le fossé existant entre deux modèles agricoles.

À nos agriculteurs, nous demandons de monter en gamme, de réduire leur usage des pesticides, de planter des haies, d'entretenir les paysages. Mais si l'accord était signé, quelle serait la concurrence qu'ils auraient à affronter ? Celle des latifundia qui s’étendent sur des milliers, voire des dizaines de milliers d'hectares, celle d’un élevage qui recourt aux hormones de croissance, aux antibiotiques et aux farines animales ?

Au Brésil, 138 molécules autorisées sont interdites dans l’Union européenne. J'en cite une : le paraquat, prohibé ici depuis 2007 parce qu'il entraîne la maladie de Parkinson ; le mancozèbe, un fongicile reconnu comme perturbateur endocrinien et cancérigène ; l'atrazine, qui, vingt ans après son interdiction en Europe, continue de polluer nos cours d'eau et de provoquer des malformations chez les nouveau-nés. Voilà avec quel modèle agricole l'Europe veut libérer les échanges, abaisser les droits de douane de 91 %, importer 99 000 tonnes de viande bovine ou 180 000 tonnes de volaille.

Cela soulève des problèmes évidents pour notre agriculture, pour la santé et pour l'environnement. Mais le pire est peut-être ailleurs. La première victime de ce traité, c'est la démocratie.

À trois reprises déjà, nous avons voté des résolutions pour dire non à cet accord avec le Mercosur. À deux reprises, le Sénat a dit non à cet accord. Tous les syndicats agricoles disent non à cet accord. Toutes les associations environnementales disent non à cet accord. Et 76 % des Français disent non à cet accord.

Et voilà pourtant que Madame von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a déjà dit oui et s’apprête à signer. Voilà qu’elle triche, qu’elle truque, qu'elle scinde l'accord pour éviter les parlements nationaux !

Et voilà que, désormais, le Président de la République risque de laisser faire. Il se disait opposé à l’accord en l’état, il réclamait des clauses miroirs. « Un accord n'est possible - disait-il - si ces pays ne respectent pas les mêmes contraintes environnementales et sanitaires qu'on impose à nos producteurs. » Puis sa position s’est infléchie : « Les choses vont dans le bon sens, c’est plutôt positif ». Avant de faire machine arrière devant les agriculteurs et de promettre un non très ferme de la France. Et il faut un non très ferme de la France.

Parce que, qu’est-ce qui a changé ? Où sont les clauses miroirs promises ? Nulle part : ce ne sont, pour l’instant, que des clauses miroirs… aux alouettes. Elles ont été remplacées par des clauses de sauvegarde. Mais ce n’est pas du tout la même chose. Elles prévoient que si les prix brésiliens ou argentins deviennent vraiment trop bas, si leurs produits envahissent vraiment nos marchés, si nos agriculteurs sont trop durement touchés, alors, pour certains secteurs, à certaines conditions et pour certaines quantités, l’accord de libre-échange pourra être suspendu.

Ce sont des clauses de sauvetage, comme on enfile un gilet dans un naufrage que nous aurions nous-même provoqué. L’un de nos interlocuteurs le résumait ainsi : « c’est comme un arbitre qui, sur un ring, interrompt un combat complètement inégal pendant dix secondes mais qui, ensuite, va permettre que le combat reprenne. »

Surtout - et c’est là-dessus que je voudrais lancer l’alerte - cet accord comporte un mécanisme de rééquilibrage, ajouté à la dernière minute, qui est en réalité un mécanisme de déséquilibre supplémentaire.

De quoi s’agit-il ? Dans l’hypothèse où l’Union européenne décide de relever ses normes sanitaires ou environnementales, les États du Mercosur pourront invoquer un préjudice, demander un arbitrage et obtenir des compensations. Autrement dit, c’est exactement l’inverse des clauses miroirs, censées favoriser un alignement vers le haut. Car ce que propose ce mécanisme de rééquilibrage, c’est d’empêcher l’Union européenne de relever ses propres normes de peur d’avoir à subir un procès.

Je tiens à souligner à quel point ce mécanisme de rééquilibrage suscite de l’inquiétude chez nos interlocuteurs, y compris les interlocuteurs officiels. Je cite ici François Blanc, conseiller chargé des affaires européennes au ministère de l’Agriculture : « c’est une contre-régulation. C’est très préoccupant. C’est problématique. Cela suscite les plus vives critiques et crée un précédent pour d’autres accords. D’ailleurs, dans les négociations avec l’Inde, les Indiens commencent déjà à demander ce mécanisme de non-régression commerciale. » Et il rajoute : « ce n’est pas seulement une question d’intérêt commercial, mais un principe fondamental de la construction européenne. »

Ce mécanisme pourrait ainsi nous empêcher d’améliorer nos normes environnementales, sanitaires et sociales. Ce qui se joue, ce n’est pas seulement que la démocratie soit contournée, mais aussi qu’elle soit limitée, ligotée, phagocytée.

Dans ce rapport à la démocratie, je voudrais poser une question : quand les Français ont-ils voté pour la mondialisation ? Quand ont-ils voté pour les accords de Marrakech qui, en 1994, ont fait entrer l’agriculture dans la grande machine à déménager le monde ? Jamais.

Quand ont-ils voté pour le passage du GATT à l’Organisation mondiale du commerce, avec la Chine intégrée et la destruction, dans notre pays, de 1 000 à 2 000 emplois textiles par mois ? Jamais.

Quand ont-ils voté pour déléguer la compétence commerciale à l’Union européenne ? Jamais.

Quand ont-ils voté, même sur le CETA - l’accord avec le Canada - toujours pas ratifié par le Parlement français, refusé par le Sénat, qui court depuis déjà 8 ans et pour sans doute longtemps encore ? Jamais.

Quand ont-ils voté ? Ils ont voté une seule fois, c’était il y a vingt ans, le 29 mai 2005. Les citoyens se sont alors exprimés avec clarté : à 55 %, les Français ont dit non, dont 80 % chez les ouvriers. Ils ont rejeté la concurrence libre et non faussée, ils ont refusé la libre circulation des capitaux et des marchandises, y compris avec les pays tiers.

Le plus grave avec l’accord du Mercosur, est qu’il nourrit un malaise démocratique qui ne cesse de grandir, tel un abcès. Le malheur français est que, depuis des décennies, nos dirigeants orientent le pays vers une voie que les citoyens refusent. Ces derniers réclament d’être protégés, tandis que les dirigeants privilégient la mondialisation et la libéralisation. Cette tension provoque un rejet profond de la classe politique et un ressentiment vis-à-vis des élus, mettant la République en danger.

Malgré le « non » clairement exprimé par la société française, Madame Ursula von der Leyen continue de vouloir faire de l’Union européenne la championne mondiale du libre-échange, en négociant avec l’Inde, l’Indonésie, l’Australie et en concluant des accords avec le Vietnam, la Nouvelle-Zélande, et d’autres encore.

La France doit dire « non » par tous les moyens, y compris en engageant un pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne. Nous avons consulté des juristes à ce sujet, notamment Nicolas de Sadeleer, professeur de droit à Bruxelles. Ils considèrent que ce pourvoi est justifié et mérite débat. Selon Monsieur de Sadeleer : « Dans la dernière phase, la Commission a divisé l’accord en deux pour en faire un accord commercial. Comment explique-t-elle son choix de scission ? Nous comprenons cette tactique, mais elle nous trouble car elle constitue une violation du mandat de la Commission. Qui plus est, cela a été fait sans aucune motivation ni justification. Cette démarche soulève deux problèmes : d’une part le respect d’une coopération loyale, et d’autre part le maintien d’un équilibre institutionnel. L’intervention d’un arbitre, tel que la Cour de justice de l’Union européenne, est donc nécessaire ». Monsieur de Sadeleer précise qu’il s’agirait d’une démarche non conflictuelle pour obtenir un éclaircissement et un avis contraignant, pas un conflit ouvert qui pourrait mener à un désaveu.

Je souligne ce point car les émissaires du ministère de l’Agriculture ont exprimé une forte réticence à cette initiative, préférant déléguer ce pourvoi aux députés européens. Ils indiquaient : « Une demande d’avis est en cours d’élaboration au Parlement européen, et le Gouvernement français pourrait s’y associer. »

Nous pensons que la France doit initier ce pourvoi sans délai, pour trois raisons.

D’abord, cette démarche montrerait aux Français - et en particulier aux agriculteurs - que le rejet du Mercosur est pris à bras-le-corps et que le combat est mené avec détermination.

Ensuite, il est nécessaire de clarifier les pouvoirs de la Commission et poser des limites. Actuellement, la présidente semble disposer des pleins pouvoirs, sans validation des États membres, contournant les oppositions au moyen de procédures particulières et d’accords découpés selon sa volonté. Il est essentiel de rétablir des règles claires pour le fonctionnement des accords commerciaux, notamment pour le traité UE-Mercosur et ceux à venir.

Enfin, nous devons nous opposer à cette concurrence libre et faussée, avec un nivellement par le bas et un dumping généralisé. La théorie des avantages comparatifs de Ricardo, qui fait autorité à la Commission européenne, a déjà causé de lourds dégâts dans notre industrie. Alors que nous avons subi une désindustrialisation massive, nous ne devons pas, avec la même politique, accepter la désagriculturisation.

Pour conclure, la France n’est pas seule. Elle peut sembler isolée au sommet, mais la majorité des syndicats agricoles et des associations environnementales européennes refusent cet accord avec les pays du Mercosur. Je suis convaincu que notre nom résonnera avec fierté, comme lors du référendum du 29 mai 2025 ou pendant la guerre en Irak. D’autres peuples rejettent cette voie et souhaitent une alternative. Cette-ci serait fondée sur le juste échange plutôt que le libre-échange, sur la coopération plutôt que la mondialisation, sur la solidarité plutôt que la compétitivité. L’internationalisme doit être un lien entre nations et habitants, non l’abolition des frontières pour les capitaux et les marchandises.

Par le biais d’une proposition de pourvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne, nous vous invitons à encourager le Gouvernement français et le Président de la République à porter un « non » clair et sans ambiguïté à cet accord avec le Mercosur.

M. Emmanuel Maurel (GDR). Je partage pleinement l’exposé de Monsieur Ruffin. Au Parlement européen, nous qualifions informellement l’accord UE-Mercosur de « viande contre bagnole ». Nous multiplions les concessions agricoles, notamment en matière d’élevage, dans l’espoir d’exporter davantage de voitures, principalement allemandes. Cet accord menace un secteur stratégique, l’agriculture française, en déstabilisant son marché.

Le principal argument avancé pour soutenir l’accord concerne les contingents d’importation limités, censés protéger le marché européen et français. Or, au regard des nombreux accords de libre-échange conclus au cours des quinze dernières années et de la vingtaine d’accords actuellement en négociation, la multiplication des contingents constitue une forte déstabilisation du marché agricole.

L’avis majoritaire en France, y compris parmi les parlementaires, est que la France s’honorerait en s’opposant à cet accord. Malgré des clauses miroirs et de sauvegarde, il sera impossible de faire face à des exploitations parfois cent fois plus grandes que les nôtres et des salaires cinq fois inférieurs au SMIC. L’idée d’un rééquilibrage des échanges n’est pas crédible.

Je suis favorable à la saisine de la CJUE sur la conformité de l’accord aux traités européens. Je salue aussi l’initiative de 146 eurodéputés, issus de 21 nationalités et cinq groupes parlementaires, qui ont déposé une résolution visant à saisir la CJUE sur deux points : la scission de l’accord décidée par la présidente de la Commission pour contourner le froit de véto des États membres et le mécanisme de rééquilibrage. Ce dernier prévoit que les politiques environnementales, sanitaires et phytosanitaires de l’Union puissent faire l’objet de compensations financières auprès des pays du Mercosur - alors que ces derniers ne respectent pas cette réglementation. C’est une innovation juridico-environnementale choquante : nous récompensons les comportements défaillants. Mon groupe et moi-même voterons en faveur de cette proposition de résolution européenne.

M. François Ruffin, rapporteur. Je suis en plein accord avec vos propos. Au fil de nos auditions, nous avons entendu que l’on échange notre agriculture, variable d’ajustement, au profit de l’industrie, en particulier allemande. Il y a une demande forte pour protéger les intérêts français, notamment ceux de nos agriculteurs.

Le contingent de 99 000 tonnes de bœuf prévu par l’accord est nettement supérieur à ceux négociés dans les accords précédents, qu’il s’agisse de celui avec le Canada ou la Nouvelle-Zélande.

Quant au mécanisme de rééquilibrage que vous mentionnez, Monsieur Maurel, il a été ajouté en dernière minute et est passé relativement inaperçu. Il faut travailler à le mettre en lumière et à le chasser de ce traité.

Mme Sylvie Josserand (RN). Le Rassemblement National tient à rappeler une réalité factuelle. Notre opposition au Mercosur ne souffre aucune variation, aucune ambiguïté, aucune manœuvre de circonstance. Notre opposition est constante parce qu'elle repose sur une analyse juridique solide. Cet accord porte atteinte à la souveraineté commerciale des États membres, organise une concurrence déloyale structurelle et contourne par sa scission les procédures de ratification prévues par le droit primaire de l'Union.

La PPRE que nous examinons aujourd'hui relève, pour une part, d'une position d'opportunité de ses auteurs. J'emploie ce terme de manière pesée. Une position d'opportunité, c'est lorsqu'un groupe prend une position différente de celle qu'il avait quelques mois avant.

J'ai sous les yeux l'analyse du scrutin 689 en date du 25 janvier 2025 de cette commission, sur un amendement présenté par mon groupe, le Rassemblement National. Cet amendement est le copier-coller de la proposition de résolution examinée aujourd’hui par notre commission. Il s'agissait d'une demande d'avis préalable à la Cour de justice de l'Union européenne formulée sur le fondement de l'article 218 du traité de fonctionnement de l'Union européenne. Et quel a été le résultat de ce scrutin ? Le Rassemblement National a voté en faveur de cet amendement, la France insoumise a voté contre (25 voix), les socialistes apparentés ont voté contre (7 voix) tout comme les écologistes (5 voix).

Autrement dit, nous avons affaire à une PPRE qui est présentée aujourd'hui par des auteurs qui adoptent une position d'opportunité. Sur le fond donc, notre position reste inchangée. Nous avons très tôt identifié les manœuvres de la Commission européenne, à savoir la scission de l'accord en violation du mandat qui avait été confié. Nous avions proposé, sur le fondement de cet article 218, la saisine de la Cour de justice de l'Union sur la base de cet article pour avis. Nous avions également proposé – ce sera l’objet de l'amendement que je développerai plus tard - une saisine de la Cour de justice sur le fondement d'un recours en annulation au titre de l'article 263.

Nous voterons en faveur de cette proposition de résolution européenne, comme nous l'avons toujours fait, dans l'intérêt des Français, et non pas dans un esprit partisan et sectaire.

M. François Ruffin, rapporteur. Je trouve presque ironique d’être qualifié d’opportuniste, lorsque l’on connaît mon engagement contre cette mondialisation depuis près de trente ans. Bien avant les questions agricoles, déjà sur les questions industrielles, j’exprimais une opposition aux élargissements européens, une opposition au traité constitutionnel européen, ainsi qu’à l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce.

Il existe donc une constance dans mes prises de position. Elle passe à travers la publication de livres portant sur la question du protectionnisme — un mot qui ne me fait pas peur — et sur l’ardente nécessité, qui est la nôtre aujourd’hui comme depuis vingt ans, de nous protéger. Cette position n’a pas toujours été celle du Rassemblement national, ou auparavant celle du Front national, qui, au moment de l’Acte unique européen, se montrait très favorable à l’ouverture des frontières.

Je tiens ainsi à réaffirmer la constance de mon refus de cette mondialisation, et même de cette européanisation, fondée uniquement sur le principe de la concurrence libre et non faussée, y compris avec les pays tiers.

Mme Nicole Le Peih (EPR). La proposition de résolution européenne porte sur un point à la fois technique et essentiel : soutenir la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne. La position de mon groupe est constante. En l'état, nous ne voulons pas de l’accord UE-Mercosur, même si par principe nous ne sommes pas hostiles aux accords commerciaux.

L'accord UE-Mercosur revet une dimension stratégique réelle. Il doit toutefois être profondément rééquilibré pour être compatible avec nos exigences économiques, climatiques et sanitaires. Notre boussole reste simple : nous voulons des accords équilibrés, réciproques et conditionnés à trois garanties.

Premièrement, les clauses environnementales et sanitaires doivent être équivalentes. Ce que nous demandons à nos agriculteurs en matière de pesticides, de traçabilité, de sécurité alimentaire ou de bien-être animal ne doit pas être contourné par des importations non conformes. Pour que la concurrence ne soit pas faussée, des clauses miroirs sont donc nécessaires.

Deuxièmement, les mécanismes de sauvegarde doivent être efficaces. Les filières sensibles, tels que les bovins, les volailles, le sucre, ne peuvent être exposées à des chocs d'importation sans filet de sécurité. Nous avons besoin de dispositifs d'urgence automatique avec des seuils clairs pour éviter la déstabilisation des territoires déjà fragilisés.

Troisièmement, la transparence doit être à la hauteur des enjeux. Un accord de cette portée doit être lisible et suivi par l'ensemble des acteurs - agriculteurs, entreprises, parlements. Une information claire conditionne l'efficacité des engagements. Toutefois, je ne souhaite pas que l'on laisse entendre que la Commission européenne cherche à contourner les règles ou à affaiblir notre démocratie.

Nous sommes face à une divergence d'interprétation purement juridique. Le rapporteur a une lecture stricte du droit de l'Union, tandis que la Commission a une interprétation plus souple, partagée par ailleurs par une bonne partie de la doctrine. C'est précisément pour cela que la saisine de la Cour de justice de l'Union européenne est utile, pour garantir l'unité du droit européen et arbitrer les divergences d'interprétation.

Soutenir cette saisine, ce n'est pas renoncer à tout accord. C'est mettre le texte à l'épreuve du droit, sécuriser notre capacité à relever nos standards et, si nécessaire, rouvrir la négociation sur des bases plus équilibrées et plus cohérentes avec nos objectifs climatiques. Alors, au nom du groupe, je donnerai un avis favorable à cette résolution pour une concurrence saine, loyale et équitable.

M. François Ruffin, rapporteur. J’exprime un scepticisme de fond quant à l’idée que des clauses miroirs permettraient d’interdire au Brésil, en Argentine ou ailleurs l’utilisation des 138 molécules précédemment évoquées. Je suis plus que sceptique sur la possibilité que de telles clauses figurent réellement dans l’accord. À mes yeux, poser cette exigence reviendrait à s’opposer à tout accord avec le Mercosur.

Je vous rejoins toutefois sur la nécessité qu’un arbitre intervienne dans l’interprétation du droit, afin de trancher sur la conformité de l’accord avec les traités européens en matière d’environnement, de santé, de consommation et de fonctionnement institutionnel. Est-il normal d’opérer une telle scission de l’accord dans la dernière ligne droite, et de devoir remettre cette question entre les mains d’un arbitre ? L’État français doit pouvoir en faire la demande.

Enfin, je souhaiterais entendre les groupes sur le mécanisme de rééquilibrage, qui selon moi, est l’un des aspects les plus problématiques de cet accord.

Mme Nathalie Oziol (LFI-NFP). Cette proposition de résolution européenne s’inscrit dans la lignée du combat que la France insoumise mène depuis plusieurs années contre l'accord entre l'Union européenne et le Mercosur. Je rappelle que nous, les insoumis, appartenons au seul groupe à s'être opposé à tous les accords de libre-échange au Parlement européen.

L'accord UE-Mercosur constituerait le plus important accord de libre-échange jamais conclu par l'Union européenne. Rappelons-en le contenu : la suppression des droits de douane sur l'importation de 45 000 tonnes de miel, 60 000 tonnes de riz, 190 000 tonnes de sucre, un quota de 99 000 tonnes de viande de bœuf taxée à 7,5 %, auxquelles s'ajoutent 60 000 tonnes d'un autre type de viande bovine et 180 000 tonnes de volailles.

Un tel accord ne profitera qu'aux multinationales sud-américaines, au détriment de la masse des paysans et de la souveraineté alimentaire des pays concernés. Il favorise un modèle agricole intensif, voué à l'exportation. L'impact écologique sera colossal, notamment sur la forêt amazonienne. Il en sera de même en Europe. Les agriculteurs français et européens dénoncent depuis des années – et à juste titre - une concurrence déloyale. On ne pourra jamais rivaliser avec des fermes de la taille de celle de Rocandor au Brésil, qui s’étend sur 100 000 hectares.

Outre cette concurrence déloyale, cet accord pose également des risques sanitaires majeurs. Par exemple, l'UE a découvert en 2024 que du bœuf brésilien importé contenait de l'œstradiol, une hormone cancérogène, interdite en Europe et dont la traçabilité n'est actuellement pas garantie.

Je tiens par ailleurs à souligner que les récentes déclarations d'Emmanuel Macron, qui accepte la signature du Mercosur - en marge du sommet des chefs d'État précédant la COP 30 à Belem - ne sont pas un revirement, mais l'aboutissement logique de son double discours. La position française est profondément hypocrite. Demander des clauses miroirs est, dans les faits, impossible. On ne peut pas surveiller la production dans toute l'Amérique latine. La seule solution, c'est de rejeter cet accord.

Alors je rappelle que mon groupe, la France insoumise, a redéposé, dans le cadre de sa niche parlementaire du 27 novembre, sa proposition de résolution visant à s'opposer à l'adoption de l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et les pays du Mercosur. Pour rejeter l'accord avec le Mercosur, rendez-vous le 27 novembre.

M. François Ruffin, rapporteur. Je suis en accord avec votre propos et je tiens à rappeler que l’une des originalités de cet accord repose sur sa nature : il ne s’agit pas d’un accord entre États, il s’agit d’un accord entre deux blocs, dont l’un deux est une puissance agricole reposant sur l’agrobusiness. L’accord UE-Mercosur nous invite à faire un choix en ce qui concerne notre modèle agricole. En miroir, ce choix s’impose également au pays du Mercosur.

À ce titre, certains d’entre vous ont eu l’occasion de rencontrer les paysans du Cerrado lors de leur venue à Paris qui nous ont alertés sur le fait qu’ils étaient, eux aussi, chassés de leurs terres et privés de leurs droits en raison de la domination du modèle de l’agrobusiness. Les Brésiliens devrons choisir le modèle agricole pour le Brésil, les Français pour la France.

M. Dominique Potier (SOC). Un grand merci à notre collègue François Ruffin qui a relevé le drapeau de ce combat contre le Mercosur – qui n’est pas terminé. Nous vivons une sorte de « novembre noir », en considérant les trois faits que j’ai rappelés dans les questions au Gouvernement la semaine passée ; d’abord, ce feu vert en demi-teinte donné par le Président de la République au Mercosur ; ensuite, la baisse de l’aide publique au développement - qui est un instrument puissant de co-développement et notamment de lutte contre le dérèglement climatique - réduite de moitié dans le budget que nous essayons d’examiner en ce moment ; enfin, l’alliance de la droite et de l’extrême droite au Parlement européen qui, mercredi dernier, a balayé les directives CSRD et CS3D, portant respectivement sur le devoir de vigilance et sur le reporting extra-financier. Ces textes - adoptés il y a à peine un an et pour lesquels la France a joué un rôle pionnier - étaient l’aboutissement d’une longue mobilisation de la société civile. C’est donc un véritable « novembre noir » que nous vivons.

Le procès du Mercosur a déjà eu lieu dans notre Assemblée - je le dis aux collègues de LFI qui présenteront une proposition de résolution dans leur niche la semaine prochaine : c’était le 30 janvier. Les socialistes ont fait alors adopter à l’unanimité une résolution qui, tout en faisant des propositions, condamnait clairement l’accord entre l’Union et le Mercosur. Nous pourrons le faire à nouveau, et je salue le fait qu’à travers la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne, nous ayons l’occasion d’y revenir. D’ailleurs, c’était le sens de l’initiative que j’avais prise avec Marie Pochon et 67 autres collègues, dans une tribune parue à l’occasion de la visite du président Lula visant à « explorer la voie juridique ». Nous l’avions discuté avec des ONG et des syndicats agricoles, et nous avions proposé de le faire. François Ruffin le fait, nous nous en réjouissons et nous lui apportons notre total soutien.

Dès 2020, le rapport Ambec pointait les failles et la faillite que représentait ce traité UE-Mercosur pour le CO₂, la biodiversité, la santé et la sécurité alimentaire. Lorsque nous détruisons à la fois l’Amazonie et nos prairies, nous ne sommes pas au rendez-vous de la sécurité alimentaire mondiale. Nous aurons des propositions pour dénoncer les mesures et les clauses miroirs « aux alouettes », mais également les clauses de sauvegarde sur lesquelles les chambres d’agriculture ont publié une note technique sans appel : elles sont inapplicables, elles ne sont qu’une illusion de plus.

À travers notre proposition de résolution européenne, nous redirons quelques propositions visant- au-delà des nouveaux flux provenant des pays du Mercosur - à définir des régulations portant sur le stock, comme par exemple les 200 000 tonnes de viande bovine qui circulent déjà entre le continent sud-américain et l’Europe. Afin de faire appliquer ce qui vous paraît inaccessible, François Ruffin, j’espère vous montrer qu’il existe une voie pour y parvenir.

M. François Ruffin, rapporteur. Quand vous mentionnez la baisse de l’aide publique au développement, cela dit quelque chose sur le modèle de solidarité que l’on souhaite : considère-t-on que celle-ci doit se faire uniquement par le marché et par la libéralisation des échanges, ou bien par des mécanismes de coopération ? Aujourd’hui, ce qui nous est présenté comme un modèle de solidarité passe strictement par le marché et élimine les mécanismes de coopération.

Ensuite, lorsque vous mentionnez le fait que l’on met à mal le devoir de vigilance, cela révèle autre chose : lorsque l’on parle de libre-échange et de choix commerciaux, il ne s’agit pas seulement d’un affrontement entre des nations ou blocs de pays, mais également d’un affrontement au sein des nations et des blocs, entre des intérêts contradictoires. En réalité, ceux qui ont voulu cette mondialisation ne sont pas la Chine, les pays du Sud ou autres ; ce sont les firmes des pays du Nord, et notamment les firmes françaises.

Il y a une citation que j’apprécie beaucoup de Gary Becker, économiste ultralibéral américain et prix Nobel d’économie, qui déclarait en 1993 : « Le droit du travail et la protection de l’environnement sont devenus excessifs dans la plupart des pays développés. Le libre-échange va réprimer certains de ces excès en obligeant chacun à rester concurrentiel face aux importations des pays en voie de développement. » Autrement dit, les dirigeants économiques de l’époque étaient parfaitement conscients de l’intérêt du libre-échange qui permet simultanément de réprimer l’élévation des droits sociaux et environnementaux.

Mme Marie Pochon (EcoS). Je voudrais d’abord remercier François Ruffin pour cette proposition de résolution européenne, dont je suis fière d’être cosignataire. Cette résolution traduit la volonté de reconnaître, par la voie juridique, l’incompatibilité de l’accord UE-Mercosur avec plusieurs principes inscrits dans les traités européens.

Cette résolution marque le refus des manœuvres en cours visant à scinder l’accord en deux parties afin de modifier le processus de validation démocratique. Elle marque le refus du contournement des parlements nationaux et des peuples européens, le refus du passage en force. Cette résolution défend donc la démocratie, alors que celle-ci s’effrite partout et que la confiance dans la politique n’a sans doute jamais été aussi basse. Sans doute parce que trop de responsables politiques jouent avec la confiance de leurs concitoyens, en affirmant un jour « c’est un mauvais texte et nous ferons tout pour qu’il ne suive pas son chemin », et le lendemain « tout cela va dans le bon sens » - et oui, je cite le chef de l’État.

Cette résolution défend les promesses faites et les paroles dites, afin qu’on cesse de négocier dans les couloirs l’avenir de milliers d’agriculteurs contre des berlines allemandes, tout en se prétendant alliés de la paysannerie. Cette résolution rappelle que l’urgence face aux crises qui s’annoncent n’est pas de brader davantage notre ferme France sur l’hôtel de la concurrence libre et non faussée. En outre, il y aura toujours des pays qui produisent pour moins cher, utilisent des produits dangereux, maltraitent les animaux, font travailler des enfants et font payer moins de taxes. En Amérique du Sud, on autorise des pesticides dangereux pour la santé et l’environnement, et certaines fermes dépassent 100 000 hectares.

Plutôt que de contraindre nos agriculteurs à s’aligner sur ces pratiques - les prix, les immenses surfaces, les salaires, les normes sanitaires et environnementales - l’urgence ne serait-elle pas de les protéger face à la concurrence déloyale, de leur donner les moyens de mener la transition écologique et de décider souverainement des choix pour notre agriculture ? Cette résolution incarne la justice. Celle qui vise à ce que notre agriculture et notre alimentation ne mettent pas en péril les forêts amazoniennes, les systèmes alimentaires de nos compagnons d’humanité outre-Atlantique, les paysans d’ici et de là-bas : c’est, Mesdames et Messieurs, la définition de la souveraineté alimentaire.

Alors cette proposition de résolution européenne demande que la France se saisisse de cet accord de libre-échange, contraire à nos objectifs climatiques, et dénonce les manœuvres indignes de la Commission, ainsi que la doctrine ultralibérale qui menace tout ce que nous faisons de mieux dans notre pays et sur l’ensemble du vieux continent – en se pourvoyant devant la Cour de justice de l’Union européenne. Nous, écologistes, la soutiendrons pleinement.

M. François Ruffin, rapporteur. Poser la question de la souveraineté alimentaire c’est se demander quel objectif nous fixons à notre agriculture. Un propos qui m’avait marqué lors de mon premier mandat de député, en commission des Affaires économiques, au moment des États généraux de l’alimentation, est celui de Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine. Il nous avait demandés : « Que voulez-vous que nous fassions ? C’est à vous, responsables politiques, de nous le dire. Voulez-vous que nous devenions concurrentiels avec l’agriculture néo-zélandaise ? Dites-le nous et nous le ferons. Voulez-vous que nous maintenions une agriculture familiale, respectueuse du bien-être animal ? Dites-le nous et nous le ferons. »

Aujourd’hui, le principal problème est que l’on demande aux agriculteurs de faire les deux en même temps : monter en gamme, réduire les pesticides, et simultanément être compétitifs face aux 100 000 hectares des latifundia brésiliennes. Il faut choisir. Il faut fixer un cap à l’agriculture française. Je pense – pour moi comme pour vous – que ce cap est clair : produire d’abord, produire ici, produire pour nourrir les Français et les Européens, avant d’exporter ou d’importer à l’autre bout du monde.

M. Pascal Lecamp (EPR). Je tiens à rappeler que cette Commission est familière du sujet de l'accord UE-Mercosur. Dès juin 2023, alors que j'étais tout juste député, nous avions adopté de manière transpartisane une résolution qui posait trois exigences très claires : l’introduction d’une clause suspensive liée au respect de l'accord de Paris ; le refus de toute scission de l'accord entre un volet commercial et un volet politique ; l'intégration de mesures miroirs, prévues dans les accords commerciaux européens. Ces exigences n'étaient ni idéologiques ni franco-françaises. Elles visaient à ce que nos choix démocratiques, nos normes environnementales et sanitaires, ainsi que nos agriculteurs ne soient pas considérés comme une variable d'ajustement du commerce extérieur.

Les députés du groupe Les Démocrates, engagés depuis toujours en faveur de la construction européenne, soutiennent des accords commerciaux équilibrés et respectueux. Le marché unique constitue à cet égard le plus bel exemple d’accord de libre-échange au monde. D'un point de vue pragmatique, considérant notre excédent commercial agroalimentaire fragile, ces échanges soutiennent une partie de nos productions.

Néanmoins, ce commerce doit s’inscrire dans le respect d'un cadre et de règles collectivement fixés. Les relations commerciales ne doivent ni mettre en danger nos producteurs, déjà confrontés à des défis d'ampleur, ni ralentir la transition écologique, qui sont des enjeux essentiels pour notre présent et notre avenir. Depuis 2023, je plaide d'ailleurs pour un nouveau pacte de confiance pour le libre-échange.

Sur le fond, la clause de sauvegarde additionnelle ne garantit pas une protection suffisante pour nos agriculteurs, en particulier pour nos éleveurs. De plus, les contrôles douaniers restent notoirement insuffisants sous l’initiative de la Commission européenne, tandis que l’harmonisation et l’échange de cahiers des charges vétérinaires, dans le cadre de la production animale, sont totalement inexistants.

Enfin, au-delà des considérations de fond, cette situation relève d’une question de droit. La Commission a choisi une voie juridique contestable afin d’éviter la consultation des parlements nationaux. Une telle démarche constitue un contournement dangereux pour l'équilibre institutionnel européen. Il y a deux ans, nous craignons et dénoncions ce risque, aux côtés de Monsieur le rapporteur, dont le combat sur le sujet demeure également constant. Malgré nos divergences politiques, notamment sur les accords de libre-échange, le groupe Les Démocrates, demeure cohérent avec ses engagements et considère, comme nombreux d’entre nous, qu’il est nécessaire de saisir la Cour de justice de l’Union européenne. Cette démarche permettra de clarifier la légalité de cette manœuvre, élément indispensable pour la démocratie européenne, pour nos agriculteurs et pour la cohérence de notre droit commercial.

Le débat d'aujourd'hui constitue une étape importante et essentielle, pour notre démocratie, pour nos concitoyens, pour nos producteurs et pour nos agriculteurs. Monsieur le rapporteur, je vous remercie d’avoir amené ce débat par cette proposition de résolution.

M. François Ruffin, rapporteur. Je vous remercie de soutenir cette proposition de résolution européenne, votre position n’allant pas de soi, puisque vous êtes un soutien de la politique menée par le Président de la République. Je considère qu’il est positif que des groupes soutenant le gouvernement se positionnent en faveur de la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne. Effectivement, les conditions que vous avez posées au départ, et que j’avais co-signées, ne sont pas aujourd’hui remplies. Par exemple, en ce qui concerne les clauses miroirs, nos conditions ne figurent pas dans l’accord avec le Mercosur.

Nous avons nos divergences habituelles. À titre d’exemple vous considérez le marché unique comme le plus bel exemple d’accord commercial au monde. Pour ma part, au regard des conséquences du marché unique observées dans ma circonscription, il apparaît que celui-ci a produit des dégâts, ce qui ne me permet pas de partager votre vision angélique.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, président. Nous en venons aux prises de paroles individuelles des autres députés.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Lorsque l’on s’oppose à l’accord UE-Mercosur, une question revient sans cesse : est-il déjà trop tard ? La signature de l’accord est-elle une fatalité ? La non-action ou résignation du gouvernement français est-elle la seule option, malgré une position unanime du Parlement français contre cet accord, malgré la mobilisation sur le terrain du monde agricole qui nous appelle à résister ?

Monsieur le rapporteur, la saisine de la Cour de justice aux côtés des 147 parlementaires européens, que vous avez engagée, constitue une première voie, que nous allons soutenir, puisque le gouvernement ne le fait pas.

Mais, d'autres options sont envisageables pour le gouvernement français, comme celle de trouver une minorité de blocage au sein du Conseil de l’Union européenne. Est-ce encore possible ? De plus, est-il possible de construire une majorité au sein du Parlement européen pour s'opposer à l’accord ? Quelle est l’influence du Président de la République et du Gouvernement pour travailler à la construction de cette majorité d'opposition parlementaire ?

Alors que le Conseil de l'Union européenne se prépare à autoriser cet accord lors d’un vote prévu en décembre, est-il déjà trop tard ou existe-t-il encore d’autres options ?

Mme Marietta Karamanli (SOC). Je ne veux pas rappeler la position constante que nous défendons depuis longtemps sur cet accord UE-Mercosur. Je souhaite relever, un fait qui n’a pas été suffisamment souligné : certaines dispositions, notamment celles relatives aux investissements et à la coopération réglementaire, nécessitent une ratification par les États membres.

De plus, le non-respect des objectifs des traités de l'Union, en particulier de l’article 3 du TUE relatif à la promotion du développement durable et à la protection de l’environnement, ou encore de l’article 11 du TFUE, qui impose l’intégration des exigences environnementales dans l’ensemble des politiques de l’Union, constitue vraisemblablement une non-conformité aux engagements climatiques et au principe de précaution.

Au-delà de la question de la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne, Monsieur le rapporteur : est-ce que l’hypothèse d’une modification du texte de l’accord, vous semble en l’état encore possible ? Un autre point important, qui a déjà été rappelé, est celui des clauses miroirs. Qu’en pensez-vous ?

M. François Ruffin, rapporteur. Madame Karamanli, il apparaît aujourd’hui difficile d’envisager des modifications notables de l’accord, et notamment je reste sceptique sur la possibilité d’y ajouter la question des clauses miroirs.

Par ailleurs, je souhaite vous alerter sur le mécanisme de rééquilibrage qu’il convient de supprimer de l’accord. Ce mécanisme représente en réalité un mécanisme de déséquilibre supplémentaire, dont le principe est de nous empêcher de relever notre propre droit sanitaire et environnemental sur les importations, sous peine d’exposer l’Union à des procédures engagées par les pays du Mercosur. Un tel dispositif est un véritable frein à tout progrès sanitaire et environnemental. Nos interlocuteurs du ministère de l’Agriculture, eux-mêmes, étaient très inquiet que cette disposition puisse servir de jurisprudence pour de futurs accords commerciaux.

En outre, même si des modifications venaient à être intégrées, le souci démocratique demeure. Un tel accord ne peut être adopté sans les peuples, voire contre les peuples, au risque de nourrir le pire. C’est pourtant ce qui est actuellement en train de se produire dans notre pays et dans les pays de l'Union européenne.

Il y a 20 ans déjà, nous nous sommes opposés à cet accord. Pourtant les dirigeants nous ont ignorés, ce qui crée un gouffre, entre là où les Français veulent aller et là où les dirigeants les conduisent. Ainsi, même si des modifications venaient à être intégrées, il apparaît indispensable que l’accord soit soumis a minima, à l’approbation du Parlement national, c’est-à-dire de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Madame Thomin, il n’est pas trop tard pour agir. Il n'est pas trop tard pour que le gouvernement saisisse la Cour de justice européenne. Il n'est pas trop tard pour que le Parlement européen saisisse la Cour de justice européenne. Enfin, il n'est pas trop tard pour que le Président de la République française exprime une position de refus claire.

Malgré la perte d’influence de la France au niveau européen, un refus explicite, conforme à nos intérêts et à la volonté souveraine et populaire, constituerait un acte politique fort, dont nous serions fiers.

Aujourd'hui, alors que l’Union européenne avance dans une direction où la France peine à s’opposer, se pose la question de la fierté. Il est nécessaire d’encourager le Président de la République et le gouvernement à adopter une position de refus claire.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, président. Nous en venons à l’examen de la proposition de résolution européenne et des amendements qui ont été déposés.

Amendements n° 2, 3, 4 et 1 de M. Potier (discussion commune)

M. Dominique Potier (SOC). Je défendrai ces amendements avec Mme Mélanie Thomin. Il s’agit, tout d’abord, d’insérer un visa mentionnant le « Pacte vert », même si ce programme législatif de l’Union européenne reste en deçà des ambitions que l’on serait en droit d’attendre, notamment pour moi. À l’échelle de la planète, ce pacte marque, toutefois, l’ambition d’un continent engagé vers davantage d’écologie, de respect des droits humains ainsi que vers une meilleure régulation du commerce mondial. Aujourd’hui, le Pacte vert est férocement attaqué. Il n’est plus question, notamment, de présenter le projet de règlement relatif au travail des enfants visant à interdire l’importation de produits qui en sont issus. Quant au règlement sur la déforestation, il est entièrement passé aux oubliettes !

Deux directives majeures, parce que transversales et structurantes, celles sur le reporting extra-financier, une nouvelle comptabilité pour les grandes entreprises au XXIième siècle, ainsi que celle sur le devoir de vigilance, impliquant le respect de normes universelles, ont été rejetées par le Parlement européen et font l’objet d’un règlement de simplification « omnibus » féroce, fruit d’une alliance entre la droite et l’extrême droite faisant craindre le pire.

Le projet dont nous débattons, l’Accord avec le Mercosur, n’est pas un acte isolé, mais fait partie d’un tout, d’un socle commun, d’une politique européenne ambitieuse que nous devons consolider et à laquelle nous ne pouvons pas renoncer. Je fais ici référence, en particulier, à la directive relative au devoir de vigilance des entreprises. François Ruffin, vous l’avez merveilleusement rappelé, ne sont pas en jeu uniquement des débats entre les nations mais également vis-à-vis de grandes entreprises, parfois plus puissantes que les nations auxquelles elles dictent leurs règles.

Réguler les entreprises, leur imposer des limites au nom de la dignité humaine et de notre maison commune se trouve aujourd’hui bafoué à l’échelle européenne. Cette législation est née, en France, entre 2012 et 2017, avant d’essaimer en Europe et d’inspirer le reste du monde. Y renoncer, c'est renoncer à une partie de l’âme qui fonde l'Union européenne.

Je tiens aussi à rappeler qu’un rapport, publié par la Commission européenne, en 2022, faisant écho au rapport « Ambec », remis au Premier ministre, le 18 septembre 2020, critiquait sans ambages l’Accord économique et commercial global (CETA) et celui sur le Mercosur. Or, la Commission européenne fait justement l’inverse !

M. François Ruffin, rapporteur. La logique qui me guidera concernant l’examen des amendements est simple. Je donnerai un avis favorable tant que la question de l’accord sur le Mercosur restera centrale afin d’éviter toute généralisation excessive risquant d’affaiblir la portée de cette résolution. En l’occurrence, ces amendements sont précis : référence au Pacte vert, au devoir de vigilance des entreprises ainsi qu’à la question des normes sociales. Notre proposition de résolution - je la considère nôtre, puisque vous vous êtes engagés à la voter - demande une saisine de la CJUE, tant sur la forme de l’accord (la scission, le respect des règles de fonctionnement de l'U) que sur le fond, à savoir la remise en cause par cet accord du chemin de progrès environnemental et sanitaire dans lequel l’Union s’est engagée. Avis favorable.

Mme Mélanie Thomin (SOC). Nous souhaitons, par ce dernier amendement, rappeler l’adoption, le 30 janvier dernier, de la résolution portée par le groupe Socialiste et apparentés pour s’opposer à l’accord UE-Mercosur et redéfinir un juste échange garant de la souveraineté agricole et alimentaire de la France. Par cette résolution, nous nous sommes opposés à cet accord, en l'absence, d’application de mesures miroirs sur notre marché européen. Nous nous sommes également opposés à toute forme de scission de l’accord permettant de s'affranchir du vote des parlements.

Concernant les mesures miroirs, nous avons souhaité consolider la position française face aux traités de libre-échange concernant l’application de mesures miroirs au sein du marché européen par une proposition phare : inverser la charge de la preuve par la certification, par un organisme indépendant agréé par l'UE, des modes de production dans les pays tiers. Il s’agissait également de mettre en place une limite résiduelle égale à zéro pour les pesticides interdits, d’harmoniser les règles sanitaires et environnementales entre États membres de l'UE, et enfin d'étendre les dispositions concernant l'indication du pays d'origine, c'est-à-dire l’application du règlement INCO, pour lutter contre les concurrences déloyales.

L’amendement n° 2 est adopté.

L’amendement n° 3 est adopté.

L’amendement n° 4 est adopté.

L’amendement n° 1 est adopté.

Amendements n° 8 de Mme Manon Bouquin et n° 10 du rapporteur

Mme Manon Bouquin (RN). Cet amendement vise à replacer l'agriculteur au cœur de la mobilisation contre l’accord sur le Mercosur. Si l’on comprend bien l’enjeu juridique du texte, la PPRE ne mentionne pas les agriculteurs alors qu'ils sont les premiers opposants à cet accord. À ce titre, ils doivent les premiers mentionnés en premier avant d’évoquer technique juridique et application du traité. L’accord sur le Mercosur n’est pas le seul accord pénalisant les agriculteurs, aussi cette résolution pourrait-elle également s’appliquer à d'autres accords de libre-échange.

M. François Ruffin, rapporteur. Je vous demanderai de le retirer car j’ai déposé un amendement similaire concernant les traités ayant fait l’objet d’aucun vote au parlement français et qui emporte toutefois des conséquences négatives pour les agriculteurs.

L’amendement n° 8 est retiré

L’amendement n° 10 est adopté

Amendement n° 9 de Mme Manon Bouquin

Mme Manon Bouquin (RN). Cet amendement vise à rendre obligatoire une évaluation annuelle après l’application d’un accord de libre-échange. Cette évaluation postérieure à l’entrée en vigueur d’un accord de libre-échange permettrait d’en mesurer l’impact réel, notamment en termes de compétitivité et de distorsion de concurrence. Cela garantirait la transparence des décisions politiques en identifiant les conséquences concrètes de ces accords sur les agriculteurs afin d’évaluer les impacts de la mondialisation sur leurs activités et leurs revenus.

M. François Ruffin, rapporteur. Avis défavorable. Il faut sortir de cette commission avec un message clair adressé au Gouvernement français ainsi qu’au Président de la République : saisir la CJUE sur le fondement que l’accord avec le Mercosur est contraire à un certain nombre de dispositions du TFUE.

À mon sens, ajouter des dispositions comme des demandes de rapports ou des clauses supplémentaires concernant l’ensemble des traités de libre-échange contribuerait à dissoudre le message clair adressé au Président de la République et au Gouvernement français : « nous vous demandons de saisir la Cour de justice de l'Union européenne » ! Retrait ou avis défavorable.

L’amendement n° 9 est rejeté

Amendement n° 5 de M. Dominique Potier

M. Dominique Potier (SOC). Je profite de la défense de cet amendement pour reprendre notre plaidoyer concernant la mise en œuvre d’authentiques mesures miroirs. Il ne faut pas confondre les clauses miroirs, qui figurent dans les accords commerciaux avec les mesures miroirs, qui, elles, sont des mesures spécifiques s’appliquant à des produits ou à des filières. Sur ce point, je me différencie de François Ruffin, mais je tiens à expliquer pour quelles raisons le groupe Socialiste et apparentés est attaché à ce plaidoyer découlant des travaux de la commission d’enquête sur les pesticides dont j’ai été le rapporteur.

Lors des débats, alors que nous nous essayions à défendre une position européenne ambitieuse en matière de sobriété dans l’utilisation des intrants chimiques, l’un de nos collègues du Rassemblement national arguait du différentiel de concurrence que cela impliquerait au regard des produits importés notamment dans le cadre des accords de libre-échange.

Il a alors fallu apporter une réponse innovante car nous savons que le contrôle aux frontières ne fonctionne pas, du fait de sa faiblesse, un produit sur mille est contrôlé, ou de l’existence de produits masquant ou de trafics. Nos systèmes de contrôle aux frontières ne peuvent pas, en tout état de cause, être infaillibles.

Il fallait donc trouver un système plus performant, en partant d'une expérience humble, celle du paysan en agriculture biologique que j'ai été avant de siéger en tant que député. Ce sont des organismes tiers qui certifient les produits. Un camion de lait, un camion de bétail ou un convoi de blé ne sont pas systématiquement contrôlés à leur sortie de la ferme. En revanche, la ferme, elle, est contrôlée. La garantie de la sécurité de la filière biologique, comme de tous les signes de qualité, repose sur ce contrôle in situ, fait de manière aléatoire, qui peut s'apparenter à un contrôle de police sur pièces et sur place.

Les produits sont donc garantis par un tiers, lui-même certifié par la puissance publique. À condition que le mode de production européen ne s’apparente pas à une forme de folklore que l’on imposerait aux Sud-Américains ou aux Africains, mais repose sur des valeurs universelles telles que le respect de la santé, du climat, ou de la biodiversité, ce type de contrôle pourrait être exigé. Faire établir un certificat de production in situ par un organisme tiers, reconnu internationalement par la Commission européenne, serait la garantie d’une absence de concurrence déloyale.

M. François Ruffin, rapporteur.  Je donne un avis de sagesse sur votre amendement. Je suis partagé sur la question des mesures miroirs parce que, d'un côté, je trouve que dans un monde idéal ça serait formidable, mais de l’autre, se pose, dans les faits, la question des tailles des exploitations et des salaires minimums. Je considère que les accords commerciaux sont de toute façon des accords asymétriques et qu'on ne peut pas en attendre une symétrie parfaite.

Je crains par ailleurs que les mesures miroirs ne servent de leurre et n’aient pas d’efficacité véritable. L’ordre du monde me semble trop loin des conditions devant être remplies pour que ces mesures aient une réelle efficacité.

M. Pascal Lecamp (Les démocrates). Je soutiens l’amendement de M. Potier et je voudrais vous dire, M. le rapporteur, que, pour l'avoir vécu dans ma vie professionnelle, les mesures miroirs, ça peut marcher. Au début des années 90, entre le Canada et la France, parce que les services des ministères de l'agriculture se sont parlés, on a recommencé à exporter des plans de vigne alors qu’il n’y en avait plus au Canada, et ce dans le cadre d’un accord très équilibré.

Il y a quelques années, j'étais en poste en Turquie, pays qui était censé mettre un terme aux exportations de bovins. Les services vétérinaires – plutôt que les organismes privés extérieurs que vous évoquez M. Potier – ont défini des cahiers des charges communs dans les abattoirs.

Dire qu'on ne peut pas faire évoluer le commerce international et le libre-échange avec ces mesures, c’est faux. Mais j’en conviens, ça peut prendre plusieurs dizaines d’années, le temps que les pratiques convergent.

Il faut donc absolument que les services vétérinaires, que les ministères de l’agriculture des pays souhaitant commercer se parlent, aillent sur place, d'un côté comme de l'autre, et se mettent d’accord sur les modalités d’ouverture des frontières, une fois que les mêmes conditions et les mêmes normes de production auront été établies.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Il faut aussi se poser des questions quant à notre propre production nationale et européenne. Il en va de notre crédibilité : nous ne pouvons pas demander aux autres d’être vertueux si, nous-mêmes, nous ne montrons pas l’exemple.

M. Dominique Potier (SOC). M. Ruffin, pour que nos désaccords et nos accords soient précis, j’aimerais revenir sur un point : il ne s'agit pas d'imposer des normes européennes au reste du monde, il s'agit de dire que nous nous sommes mis d'accord, à l'échelle mondiale, sur des pratiques en matière de climat, de biodiversité, de santé humaine, sous l’égide des institutions internationales – l’OMS, la FAO – et que, au nom de ce référentiel commun, non, une multinationale ne peut pas exploiter des paysans ni polluer des paysages.

Il y a un exemple qui existe, il est privé : c’est le commerce équitable. Dans ce cadre, les normes sociales et environnementales ont donné lieu à une forme de commerce qui respecte la dignité des travailleurs de chaque côté de l'Atlantique.

M. Emmanuel Maurel (GDR). Ce débat est celui sur le juste échange. Mais le problème des mesures miroirs, c’est qu’elles ne sont rien d’autre que des standards européens d’importation. Quand on négocie un accord de libre-échange avec des partenaires, ils invoquent toujours le fait qu’elles constituent des barrières non-tarifaires au sens de l’OMC. C’est pour cela que, dans les faits, ces mesures sont très difficiles à adopter.

Ce débat est intéressant d'un point de vue intellectuel, mais il ne règle pas le problème du déséquilibre entre producteurs parce que, de toute façon, les agriculteurs français ne peuvent pas lutter face à des exploitations qui sont dix, cent, mille fois plus grandes que les leurs avec des salaires qui sont un, deux, trois, cinq fois inférieurs.

La concurrence est, de toute façon, incroyablement déloyale. Et le seul débat sur les clauses miroirs ne réglera pas le problème de l'absence de réciprocité commerciale.

L’amendement n° 5 est adopté.

Amendement n° 6 de M. Dominique Potier

 M. Dominique Potier (SOC). Il y a déjà 200 000 tonnes de bovins et d'autres produits qui circulent entre l’Amérique du Sud et l’Union européenne. L’accord UE-Mercosur n’est qu’une extension de ce volume. Or, la proposition que nous faisions précédemment vise à encadrer les stocks d'échange qui préexistent. Il y a donc une dimension allant au-delà du Mercosur.

Cet amendement vise à défendre auprès des institutions européennes  une révision des accords commerciaux pour qu'ils soient fondés sur le respect des grands traités internationaux et des principes du commerce équitable garantissant aux acteurs de la chaîne de valeur un revenu digne. Il ne s'agit pas de condamner uniquement les traités actuels. Il s'agit de dessiner les bases de ce que pourrait être un juste échange respectueux des limites planétaires.

M. François Ruffin, rapporteur. Ça sera une demande de retrait, M. Potier. Je partage vos intentions, elles sont louables, mais je souhaite qu'un message clair sorte de cette commission : demander au gouvernement français de saisir la Cour de justice de l'Union européenne. Or, votre amendement élargit le propos à tous les accords de libre-échange.

L’amendement n° 6 est retiré.

Amendement n° 7 de Mme Sylvie Josserand.

Mme Sylvie Josserand (RN). Cet amendement vise à compléter la proposition de résolution européenne afin que, dans le cas où l’accord serait conclu, la Cour de justice soit saisie d’un recours en annulation. L’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne lui donne en effet compétence pour se prononcer sur les recours « pour violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application » contre les actes du Conseil et de la Commission – une décision de 1971 a confirmé qu’il pouvait être formé contre la conclusion d’un accord international. En l’espèce, la violation consiste en la scission de l’accord Mercosur pour éviter la règle de l’unanimité.

Les États membres ont l’avantage de pouvoir saisir la Cour sans avoir à démontrer un intérêt à agir, à la différence des personnes physiques qui ne peuvent attaquer un acte que s’il les concerne directement et individuellement. Nous souhaitons donc que la France forme un recours en annulation si l’accord venait à être signé, ou qu’elle accompagne les agriculteurs, qui ont un intérêt à agir contre l’accord avec le Mercosur, dans leur action devant la Cour de justice.

M. François Ruffin, rapporteur. Je vais vous demander de retirer votre amendement, sinon j’émettrai un avis défavorable. Vous proposez de porter une démarche différente, quoique complémentaire, de celle de la proposition de résolution. Je préfère que nous restions dans une approche préventive, puisque nous intervenons en amont de la signature de l’accord pour demander au gouvernement français de ne pas l’accepter avant que la Cour de justice de l’Union européenne rende son avis. Si ça ne suffit pas et que l’accord est conclu, il sera alors temps de faire du curatif.

Mme Sylvie Josserand (RN). Je retire mon amendement, en émettant le vœu que vous soutiendrez la proposition de résolution européenne que je présenterai si jamais l’accord était signé.

L’amendement est retiré.

La commission adopte à l’unanimité l’article unique modifié.

L’ensemble de la proposition de résolution européenne est ainsi adopté.

M. François Ruffin, rapporteur. Nous demandons à l’unanimité au gouvernement français et au Président de la République de saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour établir la non-conformité de l’accord avec le Mercosur avec les traités européens. Je remercie tous les groupes politiques qui ont voté ce texte, et notamment les groupes qui soutiennent le gouvernement. Nous sentons bien que l’histoire du libre-échange s’essouffle et que nous aspirons aujourd’hui à autre chose qu’à des accords qui mettent les hommes et les territoires en concurrence. Il faut défendre avec clarté dans le débat public la possibilité d’emprunter un autre chemin.

 

 

 

 

 

 


   PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 11, 168, 169, 171, 191, 205, 207 et 218 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu les articles 3, 4, 10, 13 et 21 du Traité sur l’Union européenne,

Vu les articles 35, 37 et 38 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu le règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires,

Vu l’avis 1/17 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 30 avril 2019 concernant l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne et l’avis 2/15 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 16 mai 2017 concernant l’accord de libre‑échange entre la République de Singapour et l’Union européenne,

Vu l’Accord de Paris du 12 décembre 2015 sur le climat et la Convention‑cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, en vigueur depuis 1994,

Vu l’avis consultatif rendu par la Cour internationale de Justice le 23 juillet 2025 sur les obligations des États en matière de changement climatique,

Vu le règlement (UE) 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation hors de l’Union de certains produits de base et de produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n° 995/2010 (RDUE),

Vu le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre nécessaire pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999,

Vu le 9° du II de l’article L110‑1 du code de l’environnement concernant le principe de non‑régression pour la protection de l’environnement,

Vu la proposition de la Commission européenne concernant la décision du Conseil relative à la conclusion par l’Union européenne d’un accord de partenariat avec les quatre membres fondateurs du Marché commun du Sud (Mercosur),

Vu le mandat de négociation pour l’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur et les directives de négociation de 1999,

Vu les conclusions du Conseil sur la négociation et la conclusion des accords de commerce de l’UE adoptées le 22 mai 2018,

Considérant que cet accord a dès le départ et toujours été conçu comme un accord d’association comprenant à la fois un volet politique et un volet commercial (directives de négociation de 1999 et conclusions du Conseil de 2018) ;

Considérant qu’en 2019, la Commission européenne a publié l’accord de principe résumant « les résultats des négociations sur le volet commercial de l’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur » ;

Considérant qu’en décembre 2024, la Commission européenne a annoncé avoir finalisé les négociations relatives à l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur ;

Considérant que le 3 septembre 2025, la Commission européenne a présenté l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur sous la forme de deux textes juridiques parallèles, à savoir l’accord de partenariat entre l’Union européenne et le Mercosur et un accord commercial intérimaire, et a soumis au Conseil ses propositions en vue de la signature et de la conclusion de l’accord de partenariat ;

Considérant que l’accord de partenariat entre l’Union européenne et le Mercosur est un accord‑cadre mixte, qui nécessite l’approbation à l’unanimité du Conseil, l’approbation du Parlement européen et la ratification des 27 États membres avant de pouvoir entrer pleinement en vigueur, et que l’accord commercial intérimaire ne couvre que les dispositions relevant de la compétence exclusive de l’UE et ne nécessite qu’une majorité qualifiée au Conseil et l’approbation du Parlement européen pour entrer en vigueur ;

Considérant que cette décision soulève des préoccupations justifiées quant à la légitimité démocratique de la validation de cet accord et à sa compatibilité avec le principe de répartition des compétences, le principe d’équilibre entre les institutions et le principe de coopération loyale consacrés au troisième paragraphe de l’article 4 et au deuxième paragraphe de l’article 13 du Traité sur l’Union européenne ;

Considérant qu’en tant qu’accord mixte, il doit par conséquent être soumis à l’approbation du Parlement européen et des parlements nationaux, et à une adoption à l’unanimité par le Conseil ;

Considérant la décision de la médiatrice européenne du 17 mars 2021 (affaire 1026/2020/MAS) indiquant que la « Commission européenne n’a pas assuré la finalisation de l’analyse d’impact sur le développement durable en temps utile, notamment avant la conclusion des négociations commerciales entre l’Union européenne et le Mercosur » ;

Considérant qu’il existe un certain nombre d’incertitudes concernant la compatibilité de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur avec les traités européens et les engagements climatiques de l’Union européenne ;

Considérant qu’il existe un certain nombre d’incertitudes concernant la compatibilité de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur avec les traités européens et les engagements en matière de protection de l’environnement, des consommateurs et de santé publique de l’Union européenne ;

Considérant que le mécanisme de rééquilibrage proposé va bien au‑delà des mécanismes de rééquilibrage existants dans les accords d’association ;

Considérant que ce dernier peut remettre en cause l’ordre juridique de l’Union européenne et faire pression sur l’Union européenne pour qu’elle ne promulgue ni n’applique aucune législation ou autre mesure relative à la sécurité alimentaire ou à la protection de l’environnement ;

Invite le gouvernement de la République française :

 

 


   AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

18 NOVEMBRE 2025


proposition de rÉsolution europÉenne visant À empÊcher la ratification de l’accord entre l'Union europÉenne et le Mercosur en demandant
à l’État français la saisine de la Cour de justice de l’Union europÉenne pour cause d’incompatibilitÉ de l’accord avec les traitÉs europÉens (n° 1785),

 

AMENDEMENT

No 1

 

présenté par

M. Dominique POTIER, Mmes Marietta KARAMANLI, Mélanie THOMIN, M. Karim BENBRAHIM, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Thierry SOTHER, Mme Anna PIC, M. Pierre PRIBETICH

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ARTICLE UNIQUE

Après l’alinéa 14, ajouter l’alinéa suivant :

« Vu la résolution, adoptée par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2025, contre l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur et pour un juste échange garant de la souveraineté agricole et alimentaire ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement vise à rappeler l’adoption, le 30 janvier 2025, de la résolution portée par le groupe Socialistes & apparentés, contre l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur et pour un juste échange garant de la souveraineté agricole et alimentaire. Celui-ci s’inscrit dans la revendication portée par le parti socialiste, depuis le début des années 2000, d’une « exception agriculturelle » afin que les biens agricoles ne soient pas considérés comme des biens marchands comme les autres.

La résolution susmentionnée vise notamment à :

• S’opposer à l’adoption de l’accord entre l’UE et le Mercosur en l’absence d’un accès au marché européen conditionné à l’application de mesures miroirs ;

• S’opposer à toute scission de l’accord, qui permettrait de s’affranchir du vote des parlements nationaux ;

• Inverser la charge de la preuve par la certification des modes de production dans les pays tiers, par un organisme indépendant agréé par l’UE ;

• Mettre en place une limite résiduelle égale à 0 pour les pesticides interdits, dans les produits importés ;

• Harmoniser les règles sanitaires et environnementales entre les États membres de l’UE ;

• Étendre les dispositions concernant l’indication du pays d’origine ou du lieu de provenance sur les denrées alimentaires consommées dans l’UE (règlement INCO).

 

 

 

Cet amendement a été adopté.

 

 


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

18 NOVEMBRE 2025


proposition de rÉsolution europÉenne visant À empÊcher la ratification de l’accord entre l'Union europÉenne et le Mercosur en demandant
à l’État français la saisine de la Cour de justice de l’Union europÉenne pour cause d’incompatibilitÉ de l’accord avec les traitÉs europÉens (n° 1785),

 

AMENDEMENT

No 2

 

présenté par

M. Dominique POTIER, Mmes Marietta KARAMANLI, Mélanie THOMIN, M. Karim BENBRAHIM, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Thierry SOTHER, Mme Anna PIC, M. Pierre PRIBETICH

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ARTICLE UNIQUE

Après l’alinéa 12, ajouter l’alinéa suivant :

« Vu le pacte vert de l’Union européenne (COM (2019) 640 final) et la stratégie « de la ferme à la table » pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement du 20 mai 2020 (COM (2020) 381 final) ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à ajouter dans les visas le Pacte vert présentée par la Commission européenne en 2019. Cette feuille de route environnementale a un objectif fondamental : faire de l'Europe le premier continent à atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Plus largement, le Pacte vert recouvre un ensemble de mesures transversales – avec près de 80 textes adoptés entre 2019 et 2024 - qui touchent aux différentes politiques de l'UE (biodiversité, alimentation, énergie, etc.).

À rebours des engagements pris dans le cadre du Pacte vert, l’accord avec le Mercosur présente des risques élevés pour l’environnement : risque porté par le mécanisme de rééquilibrage d’une limitation de la capacité de l’Europe à émettre de nouvelles règles environnementales ou sanitaires et menace pour la mise en œuvre du règlement européen sur la déforestation importée (RDUE) ; risque de ne pas instaurer de mesures miroirs ; hausse plausible des émissions de gaz à effet de serre ; ou encore accélération de la circulation des pesticides entre les deux blocs.

 

 

Cet amendement a été adopté.

 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

18 NOVEMBRE 2025


proposition de rÉsolution europÉenne visant À empÊcher la ratification de l’accord entre l'Union europÉenne et le Mercosur en demandant
à l’État français la saisine de la Cour de justice de l’Union europÉenne pour cause d’incompatibilitÉ de l’accord avec les traitÉs europÉens (n° 1785),

 

AMENDEMENT

No 3

 

présenté par

M. Dominique POTIER, Mmes Marietta KARAMANLI, Mélanie THOMIN, M. Karim BENBRAHIM, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Thierry SOTHER, Mme Anna PIC, M. Pierre PRIBETICH

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ARTICLE UNIQUE

Après l’alinéa 12, ajouter l’alinéa suivant :

« Vu la Directive (UE) 2024/1760 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 et le règlement (UE) 2023/2859 (JO L, 2024/1760, 5.7.2024) ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement du groupe Socialistes & apparentés vise à ajouter dans les visas la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D). Cette directive oblige les sociétés à prévenir les violations de droits humains et les dommages environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur.

À rebours des engagements pris dans le cadre de la directive CS3D, l’accord avec le Mercosur présente des risques élevés à la fois pour l’environnement et pour les droits humains ; comme nous l’a rappelé dans le domaine de l’extraction minière la rupture du barrage de Brumadinho (Brésil) en 2019.

Par cet amendement, notre groupe rappelle à la fois sa ferme opposition au détricotage et au sabotage des textes européens sur la durabilité et le devoir de vigilance des entreprises qui rendent les multinationales responsables des crimes et violations commises sur leurs chaînes de valeurs, ainsi que son combat pour la justice sociale et la dignité humaine à travers le monde.

 

Cet amendement a été adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

18 NOVEMBRE 2025


proposition de rÉsolution europÉenne visant À empÊcher la ratification de l’accord entre l'Union europÉenne et le Mercosur en demandant
à l’État français la saisine de la Cour de justice de l’Union europÉenne pour cause d’incompatibilitÉ de l’accord avec les traitÉs europÉens (n° 1785),

 

AMENDEMENT

No 4

 

présenté par

M. Dominique POTIER, Mmes Marietta KARAMANLI, Mélanie THOMIN, M. Karim BENBRAHIM, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Thierry SOTHER, Mme Anna PIC, M. Pierre PRIBETICH

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ARTICLE UNIQUE

Après l’alinéa 12, ajouter l’alinéa suivant :

« Vu le rapport publié par la Commission européenne le 3 juin 2022 sur l’application des standards européens environnementaux et de santé aux produits agricoles et alimentaires importés (COM (2022) 226 final) ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement du groupe Socialistes & apparentés vise à ajouter dans les visas le rapport publié par la Commission européenne le 3 juin 2022 sur l’application des standards européens environnementaux et de santé aux produits agricoles et alimentaires importés (COM (2022) 226 final). Ce rapport réaffirme :

 

Cet amendement a été adopté.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

18 NOVEMBRE 2025


proposition de rÉsolution europÉenne visant À empÊcher la ratification de l’accord entre l'Union europÉenne et le Mercosur en demandant
à l’État français la saisine de la Cour de justice de l’Union europÉenne pour cause d’incompatibilitÉ de l’accord avec les traitÉs europÉens (n° 1785),

 

AMENDEMENT

No 5

 

présenté par

M. Dominique POTIER, Mmes Marietta KARAMANLI, Mélanie THOMIN, M. Karim BENBRAHIM, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Thierry SOTHER, Mme Anna PIC, M. Pierre PRIBETICH

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ARTICLE UNIQUE

Après l’alinéa 32, ajouter l’alinéa suivant :

« À demander à la Commission européenne d’étudier la mise en place de mesures miroirs, fondées sur l’inversion de la charge de la preuve, comme condition des échanges commerciaux ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement du groupe Socialistes & apparentés vise à demander à la Commission européenne d’étudier la mise en place de mesures miroirs, fondées sur l’inversion de la charge de la preuve, comme condition des échanges commerciaux.

En effet, le cadre commercial actuel génère des distorsions de concurrence entre producteurs européens et extra-européens. Face à ce désordre, la mise en œuvre de mesures miroirs effectives et d’exigences de réciprocité en matière environnementale, sanitaire et sociale est une voie de justice économique. Ce « juste échange » doit notamment s’appuyer sur l’imposition aux exportateurs de pays tiers des exigences équivalentes à celles intégrées par les producteurs européens, ainsi que sur une inversion de la charge de la preuve du respect des principes sanitaires, environnementaux et sociaux dont la portée est universellement admise.

Cette certification serait délivrée par un organisme indépendant et agrée par l’UE. Il permettrait d’assurer la conformité des produits avant leur importation et d’éviter que le contrôle ne repose exclusivement sur les autorités nationales. Cette mesure permettrait aussi d’alléger les contrôles a posteriori, de renforcer la confiance des consommateurs et de garantir une concurrence loyale entre producteurs européens et extra-européens.

Ces principes sont au cœur de la résolution européenne contre l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur et pour un juste échange garant de la souveraineté agricole et alimentaire, portée par le député socialiste Dominique Potier et le groupe Socialistes & apparentés, et adoptée par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2025.

Cet amendement a été adopté.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

18 NOVEMBRE 2025


proposition de rÉsolution europÉenne visant À empÊcher la ratification de l’accord entre l'Union europÉenne et le Mercosur en demandant à l’État français la saisine de la Cour de justice de l’Union europÉenne pour cause d’incompatibilitÉ de l’accord avec les traitÉs europÉens (n° 1785),

 

AMENDEMENT

No 6

 

présenté par

M. Dominique POTIER, Mmes Marietta KARAMANLI, Mélanie THOMIN, M. Karim BENBRAHIM, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. Thierry SOTHER, Mme Anna PIC, M. Pierre PRIBETICH

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ARTICLE UNIQUE

Après l’alinéa 32, ajouter l’alinéa suivant :

« À défendre auprès des institutions européennes une révision des accords commerciaux pour qu’ils soient fondés sur le respect des grands traités internationaux et des principes du commerce équitable garantissant aux acteurs de la chaîne de valeur un revenu digne ; »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement du groupe Socialistes & apparentés appelle le gouvernement français à défendre auprès des institutions européennes une révision des accords commerciaux de l’Union européenne, afin qu’ils soient désormais fondés sur les principes du commerce équitable et qu’ils garantissent un revenu digne pour tous les acteurs de la chaîne de production.

L’accord UE-Mercosur incarne une logique de libre-échange déconnectée des réalités agricoles, sociales et environnementales de notre pays. En aggravant les distorsions de concurrence existantes par l’ouverture du marché européen à des denrées produites selon des standards largement inférieurs à ceux qui s’imposent aux producteurs européens et français, il aurait également des conséquences sur le revenu des agriculteurs et le niveau d’emploi dans les secteurs agricole et agroalimentaire, particulièrement dans les filières les plus à risque (maïs, viande bovine, volaille, betterave et sucre). L’introduction de mesures miroirs est un des leviers pour accroître le revenu agricole, en entraînant une hausse des prix bénéficiant aux exploitants et producteurs européens. En outre, comme le souligne le rapport de la commission des affaires économiques sur la résolution européennes relative à l’adoption et à la mise en œuvre d’exigences à l’importation pour le respect de normes de production équivalentes aux normes de production essentielles, en matière de santé, d’environnement, de biodiversité et de bien-être animal applicables dans l’Union européenne (n° 533) : « l’effet macroéconomique des mesures miroirs est positif dès lors que celles-ci s’intègrent dans un « système miroir », c’est-à-dire dans un ensemble cohérent de mesures en matière sociale, sanitaire et environnementale, fondées sur un consensus scientifique, contrôlables et à la hauteur des exigences auxquelles se conforment d’ores et déjà les agriculteurs européens. ».

Aussi, le groupe Socialistes & apparentés appelle à une révision des accords commerciaux conclus par l’Union européenne, afin de les faire reposer sur ces grands principes.

Cet amendement a été retiré.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

18 NOVEMBRE 2025


proposition de rÉsolution europÉenne visant À empÊcher la ratification de l’accord entre l'Union europÉenne et le Mercosur en demandant à l’État français la saisine de la Cour de justice de l’Union europÉenne pour cause d’incompatibilitÉ de l’accord avec les traitÉs europÉens (n° 1785),

 

AMENDEMENT

No 7

 

présenté par

Mme Sylvie JOSSERAND et les députés du Groupe Rassemblement National

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ARTICLE UNIQUE

 

Après l’alinéa 32, ajouter l’alinéa suivant :

« À introduire un recours en annulation prévu par l’article 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dans le cas où l’accord est adopté. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement vise à engager un recours en annulation par l’État contre le nouveau mandat de la Commission prévoyant la scission. Le recours en annulation est prévu par l’article 263 TFUE. En tant que requérant privilégié, l’État n’aurait pas à démontrer son intérêt à agir. Le recours devrait être formé dans les deux mois.

Cet amendement a été retiré.


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

18 NOVEMBRE 2025


proposition de résolution européenne visant à empêcher la ratification de l’accord entre l'Union européenne et le Mercosur en demandant
à l’État français la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne pour cause d’incompatibilité de l’accord avec les traités européens (n° 1785),

 

AMENDEMENT

No 8

 

présenté par

Mme Manon BOUQUIN, MM. Philippe BALLARD, Guillaume BIGOT, Jocelyn DESSIGNY, Nicolas DRAGON, Mme Sylvie JOSSERAND, MM. Matthieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Mme Yaël MENACHÉ, MM. Stéphane RAMBAUD, Alexandre SABATOU.

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ARTICLE UNIQUE

Après l’alinéa 16,

Ajouter un alinéa ainsi rédigé :

« Considérant que les agriculteurs subissent déjà une intensification de la concurrence liée à la ratification d’autres accords de libre-échange, et que l’accord entre l'Union européenne et le Mercosur n'est qu’un des nombreux traités agricoles actuellement en négociation. » ;

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement rappelle que l’accord UE-Mercosur intervient dans un contexte où les agriculteurs subissent déjà les effets cumulés de plusieurs accords de libre-échange.

L’ouverture du marché européen aux produits de Nouvelle-Zélande ou du Japon fragilise des filières déjà sous tensions, sans qu’une équivalence stricte des normes imposées aux producteurs français et européens soit garantie.

Le CETA a également entraîné une ouverture de nos marchés à des produits canadiens qui ne respectent pas non plus les normes de production européennes.

L’accord UE-Mercosur n’est donc pas isolé. Ses conséquences ne se limitent pas à des considérations techniques ou juridiques : elles touchent les exploitations, les revenus agricoles et l’avenir de nos territoires.

Cet amendement vise à appuyer ce point d’entrée et replacer l’agriculteur au cœur de la mobilisation contre l’accord UE-Mercosur.

Cet amendement a été retiré.

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

18 NOVEMBRE 2025


proposition de résolution européenne visant à empêcher la ratification de l’accord entre l'Union européenne et le Mercosur en demandant
à l’État français la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne pour cause d’incompatibilité de l’accord avec les traités européens (n° 1785),

 

AMENDEMENT

No 9

 

présenté par

Mme Manon BOUQUIN, MM. Philippe BALLARD, Guillaume BIGOT, Jocelyn DESSIGNY, Nicolas DRAGON, Mme Sylvie JOSSERAND, MM. Matthieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Mme Yaël MÉNACHÉ, MM. Stéphane RAMBAUD, Alexandre SABATOU.

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ARTICLE UNIQUE

Après l’alinéa 32,

Ajouter un alinéa ainsi rédigé :

« 4. À demander à la Commission européenne de réaliser chaque année une évaluation de l’impact des accords de libre-échanges ratifiés sur la situation économique et sociale des agriculteurs français et européens. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement propose que la Commission européenne rende compte chaque année des effets concrets des accords de libre-échange déjà conclus sur l’agriculture française et européenne. Les impacts ne correspondent pas toujours aux prévisions et certaines filières n’en mesurent les conséquences qu’une fois les dispositions appliquées.

Cette analyse permettrait de mieux appréhender les évolutions économiques et sociales des exploitations sur les plans de la compétitivité et des distorsions de concurrence. Elle permettra également d’assurer un suivi transparent des politiques commerciales de l’Union européenne et d’adapter les dispositifs de soutien ou de protection nécessaires.

Cet amendement n’a pas été adopté.

 


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

18 NOVEMBRE 2025


proposition de rÉsolution europÉenne visant À empÊcher la ratification de l’accord entre l'Union europÉenne et le Mercosur en demandant
à l’État français la saisine de la Cour de justice de l’Union europÉenne pour cause d’incompatibilitÉ de l’accord avec les traitÉs europÉens (n° 1785),

 

AMENDEMENT

No 10

 

présenté par

M. François RUFFIN

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ARTICLE UNIQUE

Après l’alinéa 16, ajouter l’alinéa suivant :

« Considérant que l’accord UE-Mercosur s’ajouterait à la liste des nombreux accords de libre-échange validés par l’Union européenne, à l’instar de l’accord avec le Canada (CETA) ou de l’accord avec la Nouvelle-Zélande, qui impactent déjà négativement nos agriculteurs et qui n’ont pas été approuvés par le Parlement français ; »

 

 

 

Cet amendement a été adopté.

 

 

 

 


   PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPEENNE ADOPTEE PAR LA COMMISSION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 11, 168, 169, 171, 191, 205, 207 et 218 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu les articles 3, 4, 10, 13 et 21 du traité sur l’Union européenne,

Vu les articles 35, 37 et 38 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu le règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires,

Vu l’avis 1/17 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 30 avril 2019 concernant l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne et l’avis 2/15 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 16 mai 2017 concernant l’accord de libre‑échange entre la République de Singapour et l’Union européenne,

Vu l’accord de Paris du 12 décembre 2015 sur le climat et la Convention‑cadre des Nations Unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992, entrée en vigueur en mars 1994,

Vu l’avis consultatif rendu par la Cour internationale de Justice le 23 juillet 2025 sur les obligations des États en matière de changement climatique,

Vu le règlement (UE) n° 2023/1115 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 relatif à la mise à disposition sur le marché de l’Union et à l’exportation hors de l’Union de certains produits de base et de produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts, et abrogeant le règlement (UE) n° 995/2010,

Vu le règlement (UE) n° 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre nécessaire pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) n° 2018/1999,

Vu le pacte vert de l’Union européenne du 11 décembre 2019 (COM (2019) 640 final) et la stratégie « de la ferme à la table » pour un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement du 20 mai 2020 (COM (2020) 381 final),

Vu la directive (UE) n° 2024/1760 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) n° 2019/1937 et le règlement (UE) n° 2023/2859,

Vu le rapport publié par la Commission européenne le 3 juin 2022 sur l’application des standards européens environnementaux et de santé aux produits agricoles et alimentaires importés (COM (2022) 226 final),

Vu le 9° du II de l’article L110‑1 du code de l’environnement concernant le principe de non‑régression pour la protection de l’environnement,

Vu la proposition de la Commission européenne concernant la décision du Conseil relative à la conclusion par l’Union européenne d’un accord de partenariat avec les quatre membres fondateurs du Marché commun du Sud (Mercosur) (COM (2025) 357 final),

Vu la résolution européenne, adoptée par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2025, invitant le Gouvernement de la République française à refuser la ratification de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur et pour un juste échange garant de la souveraineté agricole et alimentaire (T.A. n° 40),

Vu le mandat de négociation pour la conclusion d’un accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur et les directives de négociation de 1999,

Vu les conclusions du Conseil du 22 mai 2018 sur la négociation et la conclusion des accords de commerce de l’UE,

Considérant que l’accord UE-Mercosur s’ajouterait à la liste des nombreux accords de libre-échange validés par l’Union européenne, à l’instar de l’accord avec le Canada (CETA) ou de l’accord avec la Nouvelle-Zélande, qui impactent déjà négativement nos agriculteurs et qui n’ont pas été approuvés par le Parlement français,

Considérant que cet accord a, dès le départ, toujours été conçu comme un accord d’association comprenant à la fois un volet politique et un volet commercial (directives de négociation de 1999 et conclusions du Conseil de 2018) ;

Considérant qu’en 2019, la Commission européenne a publié l’accord de principe résumant « les résultats des négociations sur le volet commercial de l’accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur » ;

Considérant qu’en décembre 2024, la Commission européenne a annoncé avoir finalisé les négociations relatives à l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur ;

Considérant que le 3 septembre 2025, la Commission européenne a présenté le projet d’accord entre l’Union européenne et le Mercosur sous la forme de deux textes juridiques parallèles, à savoir l’accord de partenariat entre l’Union européenne et le Mercosur et un accord commercial intérimaire, et a soumis au Conseil ses propositions en vue de la signature et de la conclusion de l’accord de partenariat ;

Considérant que le projet d’accord de partenariat entre l’Union européenne et le Mercosur est un accord‑cadre mixte, qui nécessite l’approbation à l’unanimité du Conseil, l’approbation du Parlement européen et la ratification des vingt-sept États membres avant de pouvoir entrer pleinement en vigueur, et que le projet d’accord commercial intérimaire ne couvre que les dispositions relevant de la compétence exclusive de l’UE et ne nécessite qu’une majorité qualifiée au Conseil et l’approbation du Parlement européen pour entrer en vigueur ;

Considérant que cette décision soulève des préoccupations justifiées quant à la légitimité démocratique de la validation de ce projet d’accord et à sa compatibilité avec le principe de répartition des compétences, le principe d’équilibre entre les institutions et le principe de coopération loyale consacrés au troisième paragraphe de l’article 4 et au deuxième paragraphe de l’article 13 du traité sur l’Union européenne ;

Considérant qu’en tant qu’accord mixte, il doit par conséquent être soumis à l’approbation du Parlement européen et des parlements nationaux, et à une adoption à l’unanimité par le Conseil ;

Considérant la décision de la médiatrice européenne du 17 mars 2021 (affaire 1026/2020/MAS) indiquant que la « Commission européenne n’a pas assuré la finalisation de l’analyse d’impact sur le développement durable en temps utile, notamment avant la conclusion des négociations commerciales entre l’Union européenne et le Mercosur » ;

Considérant qu’il existe un certain nombre d’incertitudes concernant la compatibilité du projet d’accord entre l’Union européenne et le Mercosur avec les traités européens et les engagements climatiques de l’Union européenne ;

Considérant qu’il existe un certain nombre d’incertitudes concernant la compatibilité du projet d’accord entre l’Union européenne et le Mercosur avec les traités européens et les engagements en matière de protection de l’environnement, des consommateurs et de santé publique de l’Union européenne ;

Considérant que le mécanisme de rééquilibrage proposé va bien au‑delà des mécanismes de rééquilibrage existants dans les accords d’association ;

Considérant que ce dernier peut remettre en cause l’ordre juridique de l’Union européenne et faire pression sur l’Union européenne pour qu’elle ne promulgue ni n’applique aucune législation ou autre mesure relative à la sécurité alimentaire ou à la protection de l’environnement ;

Invite le Gouvernement de la République française :

1. à s’opposer au sein du Conseil de l’Union européenne à l’adoption des propositions de décisions relatives à la signature, l’application provisoire et la conclusion du projet d’accord de partenariat entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, ainsi qu’aux propositions de décisions relatives à la signature et à la conclusion de l’accord intérimaire sur le commerce entre l’Union européenne et le Mercosur ;

2. à solliciter l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité avec les traités européens du projet d’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur ;

3. à ne pas procéder à la ratification de ce projet d’accord tant que la Cour de justice de l’Union européenne ne se sera pas prononcée,

4. à demander à la Commission européenne d’étudier la mise en place de mesures miroirs, fondées sur l’inversion de la charge de la preuve, comme condition des échanges commerciaux.

 

 

 

 

 


   ANNEXE n° 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 


([1]) https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/trade-agreements/

([2]) https://www.inrae.fr/actualites/demographie-exploitations-agricoles-quelles-perspectives-horizon-2035  

([3]) Proposition de décision du Conseil du 3 septembre 2025 relative à l’application provisoire de l’accord de partenariat.

([4]) Agreste – Infos rapides, Commerce extérieur n° 92, juillet 2025.

([5]) Agridées, 2025, année de bascule du commerce extérieur agroalimentaire français ?, Note d’analyse Agridées, 3 octobre 2025

([6]) Financement agricole Canada (FAC), Virage commercial : diversification des exportations d’aliments canadiens, 2025, https://www.fcc-fac.ca/fr/savoir/services-economiques/virage-commercial-diversification-exportations-aliments.

([7]) CGB, communiqué de presse : Contingent d’importation de sucre ukrainien pour la campagne en cours : 100 000 tonnes, c’est trop ! 8 juillet 2025. 

([8])  https://www.inrae.fr/dossiers/quels-agriculteurs-quelles-agricultures-demain/renouveler-generations

([9])  https://statistiques.msa.fr/wp-content/uploads/2025/03/Info-Stat-installations-Edition-2025.pdf

([10]) Commission européenne, « EU-Mercosur Partnership Agreement – Opening opportunities for European farmers », Factsheet Agriculture, Office des publications de l’UE, 2025 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/fs_24_6266

([11]) Parlement européen, « An update on the economic, sustainability and regulatory effects of the trade part of the EU-Mercosur Partnership Agreement », juin 2025. https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/STUD/2025/754476/EXPO_STU%282025%29754476_EN.pdf

([12]) Institut de l’Élevage, 2023.

([13]) Institut de l’Élevage pour le groupe des Verts/ALE, « The EU-Mercosur Free Trade Agreement, its impacts on Agriculture », mai 2023. https://extranet.greens-efa.eu/public/media/file/1/8401

([14]) Institut de l’Élevage pour le groupe des Verts/ALE, « The EU-Mercosur Free Trade Agreement, its impacts on Agriculture », mai 2023. https://extranet.greens-efa.eu/public/media/file/1/8401

([15]) The Guardian, « Leading Grain Traders ‘Sourcing Soy Beans from Brazilian Farm Linked to Abuse’ », 20 septembre 2022 et EarthSight, « Revealed : US Agribusiness Giants’ Soy Linked to Stolen Indigenous Land and Murder in Brazil », 19 août 2022

([16]) ClientEarth, « German Authorities Urged to Investigate Top Three Meat Companies over Human Rights Risks in Brazil », 30 octobre 2024 ; Lea Rekow, « Socio-Ecological Implications of Soy in the Brazilian Cerrado », Challenges in Sustainability 7, no 1 (3 mai 2019)

([17])  EarthSight, « Revealed : US Agribusiness Giants’ Soy Linked to Stolen Indigenous Land and Murder in Brazil 

([18]) Rekow, « Socio-Ecological Implications of Soy in the Brazilian Cerrado 

([19]) U.S. Department of Labor, « 2020 Findings on the Worst Forms of Child Labor : Brazil », 2021

([20]) Accord d’association UE-Mercosur, chapitre IX – Bilateral Safeguard Measures, art. 9.3, p. 155. https://circabc.europa.eu/ui/group/09242a36-a438-40fd-a7af-fe32e36cbd0e/library/4e07ca51-add6-4482-834a-e96ab41f5c69/details?download=true

([21]) Ibid., art. 9.2, e-f, p. 154.

([22]) Commission européenne, Commission proposes safeguards to strengthen protections for EU farmers in EU-Mercosur deal, communiqué de presse, Bruxelles, 8 octobre 2025, p. 1-2.

([23]) Agence Europe : La Commission européenne propose une clause de sauvegarde accélérée pour les produits agricoles sensibles dans l’accord UE/Mercosur, 8 octobre 2025

([24]) Analysis of the bilateral safeguard mechanism in the EU-Mercosur Partnership Agreement, 10 octobre 2025

([25]) Agence Europe : Les eurodéputés ne sont pas tout à fait convaincus de la proposition de mécanisme de sauvegarde dans l'accord UE/Mercosur, 3 novembre 2025.

([26]) Contexte, Les eurodéputés maintiennent la pression sur la Commission concernant le Mercosur, 4 novembre 2025.

([27]) Commission européenne, Europe’s budget – For a resilient, competitive and sustainable EU agriculture, Bruxelles, septembre 2025. https://commission.europa.eu/document/download/ad322c15-f867-4989-b39b-697607fb7b10_en?filename=MFF_Factsheet-Agri-16-07-2025_0.pdf

([28]) Ibid.  

([29]) Toute l’Europe, op. cit.

([30]) Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER). Évolution du revenu agricole en France depuis 30 ans, facteurs d’évolution d’ici 2030 et leçons à en tirer pour les politiques publiques. Rapport n° 21040, établi par É. Mercier et D. Tremblay, avril 2022, p. 6. https://agriculture.gouv.fr/evolution-du-revenu-agricole-en-france-depuis-30-ans-facteurs-devolution-dici-2030-et-lecons-en

([31]) Direction générale du Trésor, Trésor-Éco n° 350 : Disparités des revenus agricoles, octobre 2024. https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/db02ff6c-d3b7-4cf1-8997-1c36105e3ebe/files/e335f7f5-96fe-4de9-94d4-0a37f5834254

([32]) Agreste, Résultats des exploitations agricoles – GraphAgri 2024, chapitre V.3 : Endettement des exploitations agricoles, 2024. p. 8-9 sur 11.

https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/GraFra2024Chap5.3/GraphAgri2024_resultats-des-exploitations.pdf

([33]) Solidarité Paysans, « Une autre finance pour une autre agriculture — Chapitre 3 : Dans l’engrenage de l’endettement », avril 2022. https://solidaritepaysans.org/images/imagesCK/files/zoom_sur/extraitsp-une-autre-finance-pour-une-autre-agriculture-220413.pdf

([34]) Agreste, Rica 2011, Commission des comptes de l’agriculture de la Nation, session du 12/12/2012.

([35]) Mutualité sociale agricole (MSA), « La mortalité par suicide au régime agricole dans le Système national des données de santé (SNDS) – résultats 2016-2017 », octobre 2022, p. 12, https://statistiques.msa.fr/wp-content/uploads/2022/10/Etude-mortalite-par-suicide_ok.pdf

([36]) Le Monde : L’accord de libre-échange entre l’Europe et l‘Amérique du Sud présente des risques pour l’environnement, 15 octobre 2025.

([37]) Final Report: Sustainability Impact Assessment in Support of the Association Agreement Negotiations between the EU and Mercosur

([38]) Idem

([39]) Pesticide consumption worldwide 2023| Statista

([40]) Pesticides interdits: l’hypocrisie toxique de l’Union européenne

([41]) Brazil pesticide approvals soar as Jair Bolsonaro moves to weaken rules - Unearthed

([42]) Pourquoi ne faut-il pas ratifier l’accord UE-MERCOSUR en l’état ? - Fondation pour la Nature et l'Homme

([43]) Rapport du rapporteur spécial sur les substances toxiques et les droits de l’homme, A/HRC/45/12/ Add.2, 17 septembre 2020, p. 7

([44]) Articulação para a Preservação da Integridade dos Seres e da Biodiversidade (APISBio) (Mai28).

([45]) Rapport DG Santé 2018-6349-MR

([46]) ue-mercosur-dangers-ratification-en-letat-mars2023.pdf

([47]) Accord commercial UE - Mercosur : distinguer le vrai du faux - Représentation en France

([48]) Idem

([49]) A quand la fin des importations de viandes issues d’animaux dopés aux (…) - Institut Veblen / Veblen Institute

([50]) Idem

([51]) ue-mercosur-dangers-ratification-en-letat-mars2023.pdf

([52]) PAN Europe, Technical Report, Residues of Banned Pesticides in the EU Food, A state of play. Septembre 2020.

([53]) The 2022 European Union report on pesticide residues in food | EFSA

([54]) Extrait du rapport d’un audit concernant le Brésil effectué par la DG santé et sécurité alimentaire.

([55]) Rapport Ambec…

([56]) ue-mercosur-dangers-ratification-en-letat-mars2023.pdf

([57]) Edited-SPM_Approved_Microsite_FINAL.pdf

([58]) GRAIN | L’accord commercial UE-Mercosur va intensifier la crise climatique due à l’agriculture

([59]) Idem

([60]) Pourquoi ne faut-il pas ratifier l’accord UE-MERCOSUR en l’état ? - Fondation pour la Nature et l'Homme

([61]) Brazil, Nationally Determined Contribution, Nationally Determined Contributions Registry.

([62]) https://gfr.wri.org/latest-analysis-deforestation-trends  

([63]) https://www.icv.org.br/wp-content/uploads/2025/02/info-icv-legalidadedesm-a0.pdf  

([64]) Rapport Ambec

([65]) Pourquoi ne faut-il pas ratifier l’accord UE-MERCOSUR en l’état ? - Fondation pour la Nature et l'Homme

([66]) Geopolitics overshadow COP29 talks on climate cash, as Argentina walks away | Euractiv

([67]) Proposition de DÉCISION DU CONSEIL relative à la signature de l’application provisoire de l’accord de partenariat, 3 septembre 2025.

([68]) Rapport Ambec

([69]) Key Insights into the Final EU-Mercosur Agreement - Institut Veblen / Veblen Institute

([70]) Ibid.

([71]) Euractiv : À Madrid, des milliers d’agriculteurs venus de toute l'Espagne protestent contre l’accord UE-Mercosur, 17 décembre 2024.

([72]) FranceInfo : En Espagne, le traité avec le Mercosur réactive la colère des agriculteurs, 22 février 2025.

([73]) Libération : Mobilisation Colère agricole : en Pologne, des manifestants bloquent un passage frontalier avec l’Ukraine, 23 novembre 2024.

([74]) Le Figaro : De l'Italie à la Pologne, les agriculteurs européens opposés à un accord UE-Mercosur, 18 novembre 2024.

([75]) Agra : Manifestations : les agriculteurs tchèques dans la rue contre les importations agricoles, 6 mars 2025.

([76]) https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/actualites/nouveau-barometre-vox-agri-perceptions-et-attentes-des-agriculteurs-francais-en-2025/   

([77]) https://wordpress.ceja.eu/wp-content/uploads/2024/11/Joint-Press-Release-European-Agro-Food-Workers-Unions-and-Farming-Sector-Strongly-Reject-the-Conclusion-of-the-Mercosur-Trade-Agreement.pdf  

([78]) ENR : Les représentants des chambres agroalimentaires V4 rejettent l’accord UE-Mercosur, 13 décembre 2024.

([79]) Pleinchamp : L'UE embarrassée après un vote aux Pays-Bas contre l'accord avec le Mercosur, 4 juin 2020.

([80]) Euractiv : UE-Mercosur : l’Autriche met en garde contre "toute manœuvre" pour faire adopter l’accord, 8 mai 2021.

([81]) https://www.publicsenat.fr/actualites/international/accord-ue-mercosur-le-senat-rejette-largement-le-traite-de-libre-echange  

([82]) Le Monde : L’appel de plus de 600 parlementaires français à Ursula von der Leyen : « Les conditions pour l’adoption d’un accord avec le Mercosur ne sont pas réunies », 12 novembre 2024.

([83]) RtbF : "Garantir les intérêts du monde agricole" : le parlement de Wallonie approuve la motion de rejet de l’accord commercial entre l’UE et le Mercosur, 6 novembre 2024.

([84]) Agence Europe : Les eurodéputés ne sont pas tout à fait convaincus de la proposition de mécanisme de sauvegarde dans l'accord UE/Mercosur, 3 novembre 2025.

([85]) France Culture : COP 29 : dernière station avant la fin du monde ? / Faut-il démondialiser notre alimentation, 17 novembre 2024.

([86]) Banque des territoires : Agriculture : Sébastien Lecornu défend une "concurrence équitable" en pleine finalisation de l'accord avec le Mercosur, 29 octobre 2025.

([87]) France info : Accord UE-Mercosur : 44 organisations appellent Emmanuel Macron à "clarifier" la position de la France et œuvrer au blocage du texte, 28 octobre 2025.

([88]) https://www.collectifstoptafta.org/IMG/pdf/lettre_ouverte_macron_v__fin.pdf  

([89]) https://www.icj-cij.org/fr/node/105629  

([90]) https://www.lemoci.com/actualites-reglementaires/4-0730-accord-dunion-douaniere-ce-saint-marin-bases-reglementaires-et-principes/  

([91]) https://www.collectifstoptafta.org/IMG/pdf/vfin_note_splitting.pdf  

([92]) https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_25_1644  

([93]) Article 207 § 3 du TFUE : « La Commission présente des recommandations au Conseil, qui l'autorise à ouvrir les négociations nécessaires. Il appartient au Conseil et à la Commission de veiller à ce que les accords négociés soient compatibles avec les politiques et règles internes de l'Union. ».

([94]) Article 218 § 2 du TFUE : « Le Conseil autorise l'ouverture des négociations, arrête les directives de négociation, autorise la signature et conclut les accords ».

([95]) Council of the EU, Draft Council conclusions on the negotiation and conclusion of EU Trade agreements - Adoption, Bruxelles 8 mai 2018 - 8622/18.

([96]) https://questions.assemblee-nationale.fr/q16/16-9190QE.htm  

([97]) https://www.cncd.be/Scinder-l-accord-UE-Mercosur-ou  

([98]) Le Conseil « statue à l'unanimité lorsque l'accord porte sur un domaine pour lequel l'unanimité est requise pour l'adoption d'un acte de l'Union ainsi que pour les accords d'association ».

([99]) Avis n° 1/94 de la Cour, 15 nov. 1994. « Compétence de la Communauté pour conclure des accords internationaux en matière de services et de protection de la propriété intellectuelle – Procédure de l’article 228, paragraphe 6, du traité CE ».

([100]) Avis n° 2/00, 6 déc. 2001, pt 5.

([101]) CJCE, aff. 459/03, MOX Plant, ECLI : EU : C : 2006 : 345, cons. 175.

([102]) Proposition de DÉCISION DU CONSEIL relative à la signature de l’application provisoire de l’accord de partenariat, 3 septembre 2025.

([103]) https://france.representation.ec.europa.eu/informations/la-commission-presente-une-nouvelle-approche-des-accords-commerciaux-favorisant-une-croissance-verte-2022-06-22_fr  

([104]) Case C-127/02 Waddenzee [2004] ECR I-7405, para 44 ; Case T-125/17, BASF Grenzach GmbH [2019] T : 2019:638, para 272.

([105]) See Case C-157/96 NFU [1998] ECR I-2211, para 63 ; Case C-180/96 UK v Commission [1998] ECR I-2265, para 99. This interpretation of the PP has become settled case law : Case C-236/01 Monsanto Agricoltura Italia [2003] ECR I-8105, para 111 ; Case C-77/09 Gowan [2010] C : 2010:803, para 73 ; Case C-333/08 Commission v France [2010] ECR I-757, para 91 ; Case C-343/09 Afton [2010] C : 2010:419, para 62. See also Case T-13/99 Pfizer [2002] ECR II-3305, para 139.

([106]) Key Insights into the Final EU-Mercosur Agreement - Institut Veblen / Veblen Institute