N° 2122
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 novembre 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi d’urgence visant à exonérer les apprentis de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale,
Par Mme Marianne Maximi,
Députée.
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Voir le numéro : 1952.
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SOMMAIRE
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Pages
I. L’apprentissage est aujourd’hui un pilier de l’insertion professionnelle
A. Un dispositif Éducatif et Économique À part
1. Le contrat d’apprentissage est un contrat de travail particulier...
2. ... dont la finalité est éducative
3. Ce statut particulier justifie un régime social et fiscal dérogatoire
B. Une progression continue du nombre d’apprentis
1. Le nombre d’apprentis a fortement progressé, notamment dans l’enseignement supérieur
2. Le profil sociologique des apprentis a profondément évolué depuis 2018
3. L’apprentissage contribue de manière décisive à l’insertion professionnelle
II. DEPUIS LE 1er MARS 2025, LA RÉMUNÉRATION DES APPRENTIS EST ASSUJETTIE AUX CONTRIBUTIONS SOCIALES
B. UNE PERTE nette de RÉMUNÉRATION POUR LES APPRENTIS
C. UN GAIN MODESTE pour les finances publiques
III. CETTE RÉFORME RISQUE DE PRÉCARISER LES APPRENTIS ET DE FRAGILISER LES PLUS PETITES ENTREPRISES
A. Une pression malvenue sur le pouvoir d’achat des apprentis
B. Un risque accru de rupture et de dÉcrochage
C. Une attractivitÉ potentiellement rÉduite du dispositif
D. Une mesure en opposition avec la logique du dispositif d’apprentissage
ANNEXE : Liste des personnes ENTENDUEs par lA rapporteurE
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Le régime social applicable aux apprentis a longtemps reposé sur une logique dérogatoire, fondée sur la nature spécifique du contrat d’apprentissage : un dispositif de formation en alternance associant enseignement théorique et expérience professionnelle. Cette particularité fondait naturellement le principe d’une exonération totale des cotisations salariales et des contributions sociales.
Depuis le 1er mars 2025, cette spécificité a été partiellement remise en cause par l’assujettissement à la contribution sociale généralisée (CSG) et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) sur la part de rémunération dépassant 50 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic).
L’objectif annoncé de cette réforme est de rapprocher le statut social des apprentis de celui des salariés de droit commun et de renforcer la soutenabilité du financement de la protection sociale. Toutefois, cette mesure soulève plusieurs interrogations du fait de son impact réel sur le revenu des apprentis, de la cohérence du régime juridique et de ses effets socio-économiques pour une population jeune encore en formation.
Cette réforme n’est pas sans conséquence pour les apprentis eux-mêmes. Pour de nombreux jeunes gens, notamment les plus modestes ou issus des quartiers prioritaires, la rémunération de l’apprentissage constitue un levier indispensable pour poursuivre des études ou accéder à une première expérience professionnelle. La diminution du revenu net induite par l’assujettissement à la CSG-CRDS accentue leur fragilité économique, alors même que les indicateurs de pauvreté demeurent élevés pour cette population, en particulier parmi les étudiants dont le coût de la vie continue de progresser.
Ces évolutions interviennent par ailleurs dans un contexte où le nombre de contrats d’apprentissage semble marquer le pas en 2025, soulevant des interrogations quant à la soutenabilité du modèle actuel. Alors que le système bénéficie encore d’aides à l’embauche d’un montant élevé et d’allègements de cotisations patronales représentant plusieurs milliards d’euros par an, la question d’un rééquilibrage global de la politique d’apprentissage et, plus largement, des aides publiques aux entreprises apparaît désormais incontournable.
La présente proposition de loi s’inscrit dans cette perspective. L’article 1er abroge l’assujettissement aux contributions sociales au-delà de 50 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance. Cette abrogation est temporaire – jusqu’au 31 décembre 2027 – en conformité avec les contraintes juridiques du domaine exclusif des lois de financement de la sécurité sociale. L’article 2 constitue le gage habituel, permettant de sécuriser la recevabilité financière du texte.
I. L’apprentissage est aujourd’hui un pilier de l’insertion professionnelle
A. Un dispositif Éducatif et Économique À part
Aux termes de l’article L. 6211‑1 du code du travail, « l’apprentissage concourt aux objectifs éducatifs de la nation ». Le contrat d’apprentissage a pour objet de permettre une formation générale, théorique et pratique en vue de l’obtention d’une certification et d’une qualification professionnelle. Ce statut hybride fait de l’apprenti un salarié en formation : il bénéficie des droits du travail tout en poursuivant un objectif pédagogique.
1. Le contrat d’apprentissage est un contrat de travail particulier...
Le contrat d’apprentissage est un contrat de travail particulier conclu entre un apprenti ou son représentant légal et un employeur. Outre le versement d’un salaire, ce dernier est tenu de prodiguer une formation professionnelle complète, celle-ci étant dispensée pour partie en entreprise et pour partie dans un centre de formation d’apprentis (CFA) ou dans une section d’apprentissage d’un établissement d’enseignement.
Tout employeur du secteur public ([1]) et privé peut conclure un contrat d’apprentissage et ce, quel que soit le secteur d’activité ou la forme juridique de l’entreprise. Ce contrat présente des caractéristiques classiques du contrat de travail de droit privé.
Tout d’abord, il existe un lien de subordination juridique : l’apprenti exécute un travail sous l’autorité de l’employeur ou maître de stage. L’employeur dispose d’un pouvoir de direction et de sanction.
Comme tout salarié, l’apprenti est soumis à l’organisation, aux règles internes et à la discipline de l’entreprise. Les apprentis bénéficient ainsi de la plupart des règles de protection du salarié : la durée du travail, le repos hebdomadaire et les congés payés (articles L. 3162‑1 et L. 6222‑24 du code du travail). Les règles de santé et de sécurité au travail sont également applicables (article L. 6222‑32 du code du travail). L’apprenti dispose de droits syndicaux et participe aux élections professionnelles ([2]).
Comme un contrat classique, il y a une durée déterminée, une rémunération et un cadre légal de rupture. L’apprenti perçoit pour son travail une rémunération. Ce salaire mensuel est fixé par la loi selon un pourcentage du salaire minimum interprofessionnel de croissance ([3]). Le contrat peut être un contrat à durée déterminée (généralement de six à trente‑six mois) ou un contrat à durée indéterminée avec période d’apprentissage ([4]). Il comporte une période probatoire de quarante‑cinq jours pendant laquelle il peut être rompu librement par l’une ou l’autre partie (article L. 6222‑18 du code du travail). Après ce délai, la rupture obéit à des règles de procédure proches du droit commun : accord des parties, faute grave, force majeur, inaptitude.
L’employeur a les mêmes devoirs qu’envers un salarié classique.
2. ... dont la finalité est éducative
Si le droit du travail s’applique pleinement au contrat d’apprentissage, il existe cependant des adaptations protectrices qui en font un contrat de nature particulière à finalité éducative.
Sont éligibles au contrat d’apprentissage tous les jeunes gens de 16 ans au moins et 29 ans au plus au début de l’apprentissage ([5]). Par exception et sous certaines conditions strictement encadrées, les candidats âgés de 15 ans ou de plus de 29 ans et de moins de 35 ans peuvent conclure également un contrat d’apprentissage.
Le contrat doit être écrit, enregistré et déposé auprès d’un opérateur de compétence (Opco) dans les cinq jours ouvrables suivant le début de l’exécution ; à défaut, le dépôt peut être refusé si les conditions légales ne sont pas remplies (articles L. 6224‑1 et R. 6224‑1 du code du travail). Il doit mentionner la formation visée, la durée, le salaire et le nom du maître d’apprentissage.
L’employeur est donc tenu de désigner un maître d’apprentissage qualifié, chargé d’assurer l’accompagnement pédagogique et technique de l’apprenti. Cette figure n’existe dans aucun autre contrat de travail : elle matérialise la mission éducative de l’entreprise.
Le temps passé en centre de formation et d’apprentissage est considéré comme du temps de travail effectif (article L. 6222‑24 du code du travail). Ceci permet de sanctuariser les heures de formation théoriques dans le cadre légal du temps de travail hebdomadaire (35 heures par semaine) sans qu’il soit possible d’imposer une formation hors temps de travail (par exemple les week-ends ou le soir). L’apprenti est en outre rémunéré pendant sa formation au centre, ce qui constitue une protection de son droit à la formation.
La rémunération des apprentis est encadrée et adaptée à l’âge et à la progression dans la formation : contrairement à un salarié classique, cette dimension éducative est intégrée dans le montant de la rémunération versée par l’employeur. Cette rémunération est ainsi fixée selon un pourcentage du Smic (entre 27 % et 100 % selon l’âge et l’année du contrat). Cette modulation protège les apprentis tout en tenant compte de leur progression et de la capacité contributive de l’entreprise.
Rémunérations brutes mensuelles minimaleS de l’apprenti
|
Age de l’apprenti 1re année 2e année 3e année |
Avant 18 ans |
18 à 20 ans |
21-25 ans |
26 ans et plus |
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1re année |
27 % du Smic |
43 % du Smic |
53 % du Smic |
100 % du Smic |
|
Soit 486,49 € |
Soit 774,77 € |
Soit 954,95 € |
Soit 1801,80 € |
|
|
2e année |
39 % du Smic |
51 % du Smic |
61 % du Smic |
100 % du Smic |
|
Soit 702,70 € |
Soit 918,92 € |
Soit 1 099,10 € |
Soit 1 801,80 € |
|
|
3e année |
55 % du Smic |
67 % du Smic |
78 % du Smic |
100 % du Smic |
|
Soit 990,99 € |
Soit 1 207,21 € |
Soit 1 405,40 € |
Soit 1 801,80 € |
Source : commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur la base horaire de 35 heures au 1er novembre 2025, le Smic brut étant de 1 801,80 euros.
Il existe en outre des règles spécifiques du travail pour les mineurs : l’interdiction du travail de nuit ([6]) ou du travail les jours fériés ([7]), la durée minimum de temps de repos ([8]) ou l’interdiction par principe d’affectation à certaines catégories de travaux règlementés et susceptibles de les exposer à des risques pour leur santé, leur sécurité, leur moralité ou excédant leurs forces ([9]).
La tutelle administrative sur le contrat d’apprentissage est renforcée. Le contrat est contrôlé par les chambres consulaires ou les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités. L’État et les régions exercent un rôle de surveillance pédagogique et juridique sur le dispositif, ce qui confère à ce contrat une dimension de service public de formation professionnelle.
3. Ce statut particulier justifie un régime social et fiscal dérogatoire
La double finalité du contrat d’apprentissage explique la mise en place historique d’un régime social dérogatoire, notamment l’exonération de cotisations sociales de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale. L’État reconnaissait ainsi la spécificité d’un travail à visée formatrice, dont la contribution à la production reste secondaire par rapport à la finalité éducative.
Historiquement, plusieurs régimes dérogatoires ont réduit les cotisations salariales et patronales versées dans le cadre d’un contrat d’apprentissage.
Les entreprises bénéficient depuis le 1er janvier 2019 d’une réduction générale dégressive des cotisations patronales variable en fonction de leur taille et du salaire versé. Les cotisations patronales de sécurité sociale (maladie, vieillesse, allocations familiales, contributions au fonds national d’aide au logement) sont ainsi quasiment nulles jusqu’à 1,3 Smic. L’assujettissement à ce régime d’exonération dégressif a été introduit par la loi n°2018‑1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 ([10]). Avant le 1er janvier 2019, les entreprises étaient totalement exonérées de cotisations patronales sur les contrats d’apprentissage.
Les apprentis ont longtemps bénéficié également d’une exonération totale de cotisations salariales d’origine légale et conventionnelle. Depuis le 1er janvier 2019 ([11]), un seuil harmonisé a été fixé à 79 % du Smic ([12]), ensuite abaissé à 50 % du Smic par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 ([13]).
En contrepartie de ces allègements de cotisations, le niveau de garantie reste identique à celui d’un salarié de droit commun, l’État compensant les pertes de recettes aux régimes de sécurité sociale.
Sur le plan fiscal, un régime dérogatoire s’est également progressivement mis en place. Les apprentis bénéficient depuis 2005 d’une exonération d’impôt sur le revenu pour la part de leur rémunération inférieure au montant annuel du Smic ([14]). En pratique, cette exonération s’applique surtout lorsque l’apprenti est rattaché fiscalement au foyer de ses parents, la plupart des apprentis percevant une rémunération inférieure aux seuils d’exonération générale d’impôt sur le revenu.
Bien qu’elle soit constitutive de revenus d’activités, la rémunération des apprentis a été exclue dès l’origine de l’assiette de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) ([15]). Le coût de cette exonération est compensé à la sécurité sociale par des dotations de la mission Travail et emploi du budget général de l’État. Il s’agissait ainsi de préserver la neutralité financière de ce type de contrat.
B. Une progression continue du nombre d’apprentis
1. Le nombre d’apprentis a fortement progressé, notamment dans l’enseignement supérieur
L’apprentissage connaît une expansion sans précédent depuis 2018. En 2024, la France comptait 878 900 nouveaux contrats signés, portant le nombre total d’apprentis à 1,04 million au 31 décembre 2024.
Évolution du nombre de contrats d’apprentissage entre 2012 et 2024
Source : direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques – séries longues sur le contrat d’apprentissage.
La dynamique est particulièrement forte dans le supérieur, qui regroupe 657 900 des entrées en apprentissage en 2024, soit près de deux tiers du total. Trois apprentis sur cinq suivent une formation dans le supérieur dont un tiers au titre d’un brevet de technicien supérieur (BTS) et un cinquième suit une formation de niveau 3 principalement en certificat d’aptitude professionnelle (CAP). En 2023‑2024, les effectifs ont augmenté pour tous les niveaux de diplômes préparés mais à un rythme différent. Avec une progression de 10,3 % la croissance est plus marquée dans l’enseignement supérieur : + 8,7 % pour le niveau 5 ([16]) et + 11,3 % pour les formations de niveau 6 ([17]), 7 et 8 ([18]). Les formations du supérieur, autres que celle de brevet de technicien supérieur, se développent beaucoup depuis dix ans et de façon plus marquée ces cinq dernières années.
RÉpartition des apprentis par niveau de formation À l’entrÉe en apprentissage entre 2012 et 2024
Source : direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques – séries longues sur le contrat d’apprentissage.
Cette croissance reflète une transformation de la formation initiale : l’apprentissage n’est plus cantonné aux métiers manuels, mais constitue une voie d’insertion professionnelle pour l’ensemble des niveaux de qualification.
2. Le profil sociologique des apprentis a profondément évolué depuis 2018
En 2012, 64 % des apprentis avaient entre 15 et 20 ans. En 2024, la proportion s’est inversée et 58 % ont plus de 20 ans dont 33 % plus de 22 ans.
Évolution par tranche d’Âge À l’entrÉe en apprentissage entre 2012 et 2024
Source : direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques – séries longues sur le contrat d’apprentissage.
Il existe peu de données sur le profil sociologique précis des apprentis. Toutefois, la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) recense la part des apprentis résidant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Ce pourcentage n’a que peu évolué depuis 2016 : il représente environ 7 % des apprentis en 2024 (contre 6 % en 2012).
La géographie de l’apprentissage présente en outre de grandes disparités qui s’expliquent par l’environnement économique local, notamment la présence d’entreprises prêtes à accueillir des apprentis. Ainsi, de 2009 à 2023, les académies de Paris, Lyon et Versailles connaissent un fort développement de l’apprentissage. L’Île-de-France accueille un quart des apprentis fin 2023 et forme surtout 31 % des apprentis du supérieur ([19]).
Enfin les apprentis en situation de handicap représentent environ 15 700 contrats (+ 12 % en un an).
3. L’apprentissage contribue de manière décisive à l’insertion professionnelle
66 % des apprentis diplômés en 2023 étaient en emploi six mois après la fin de leur contrat, et près de 74 % deux ans plus tard (données issues de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques). Ces taux placent l’apprentissage comme l’un des dispositifs les plus performants en matière d’accès durable à l’emploi.
Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l’emploi occupé est un emploi à durée indéterminée (contrats à durée indéterminée ou fonctionnaires) dans 60 % des cas.
Le taux d’emploi salarié privé à six mois des apprentis sortis du système éducatif après une formation de niveau du certificat d’aptitude professionnelle (CAP) à celui du brevet de technicien supérieur (BTS) oscille entre 60 % et 65 % pour les générations sorties entre 2019 et 2022. Les taux d’insertion plus élevés des apprentis que ceux des lycéens professionnels après une formation de niveau certificat d’aptitude professionnelle, baccalauréat professionnel et brevet de technicien supérieur s’expliquent notamment par des profils initialement différents des jeunes issus de ces deux voies. Enfin, comme le souligne France Compétences dans son rapport sur l’usage des fonds de la formation professionnelle, « l’apprentissage limite les effets des inégalités sociales sur le déroulement des études et l’insertion professionnelle ». La rémunération fournie par ces contrats constitue en effet une source de financement des études sans laquelle celles-ci n’auraient pas pu être poursuivies.
Ces éléments confirment que l’apprentissage est devenu un outil d’insertion professionnelle, bénéficiant à des jeunes issus de milieux variés et parfois modestes.
II. DEPUIS LE 1er MARS 2025, LA RÉMUNÉRATION DES APPRENTIS EST ASSUJETTIE AUX CONTRIBUTIONS SOCIALES
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 a substantiellement modifié le régime applicable aux cotisations salariales et à l’assujettissement aux contributions sociales des apprentis ([20]).
En premier lieu, elle a abaissé à 50 % du Smic le seuil de rémunération exonéré de l’ensemble des cotisations salariales contre 79 % auparavant. Au-delà de ce plafond, la fraction excédentaire de la rémunération est désormais assujettie à la contribution sociale généralisée (CSG) et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS).
Ces dispositions s’appliquent aux contrats d’apprentissage conclus à compter du 1er mars 2025. Les contrats antérieurs demeurent régis par les règles en vigueur à date de leur signature, afin de garantir la stabilité de la rémunération des apprentis déjà engagés dans leur parcours.
Le législateur a motivé ces évolutions par le caractère contributif des cotisations salariales et contributions sociales, dans la mesure où les apprentis acquièrent des droits sociaux au même titre que les autres salariés. Il importe, à cet égard, de rappeler que les périodes d’apprentissage sont prises en compte dans le calcul des droits à pension : depuis 2014, chaque trimestre accompli au titre de l’apprentissage ouvre automatiquement droit à un trimestre de durée d’assurance, l’État assumant le financement du complément de cotisations vieillesse nécessaire à cette validation.
Par ailleurs, les jeunes sortant d’un contrat d’apprentissage peuvent bénéficier d’une indemnisation au titre de l’assurance chômage, alors même qu’ils ne contribuaient pas au financement de ce régime avant 2025. De même, les apprentis bénéficient d’une couverture complète au titre de l’assurance maladie.
B. UNE PERTE nette de RÉMUNÉRATION POUR LES APPRENTIS
Les pertes nettes seraient significatives, et sont détaillées dans le tableau ci-après. Ces montants, modestes en valeur absolue, représentent toutefois une baisse proportionnellement significative du revenu net, pour une population disposant souvent d’un budget contraint.
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Profil de l’apprenti |
Salaire brut mensuel |
CSG-CRDS due |
Perte nette mensuelle estimée |
|
1re année, 21‑25 ans (53 % du Smic) |
955 € |
5 € |
- 0,5 % |
|
2e année, 21–25 ans (61 % du Smic) |
1 099 € |
19 € |
- 1,7 % |
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3e année, 21–25 ans (78 % Smic) |
1 406 € |
48 € |
- 3,4 % |
|
26 ans et plus (100 % du Smic) |
1 801 € |
86 € |
- 4,8 % |
Source : commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.
C. UN GAIN MODESTE pour les finances publiques
Selon les estimations issues des données de la direction de la sécurité sociale, le rendement budgétaire attendu de cette mesure a été évalué à 360 millions d’euros par an.
Ce chiffre reste marginal comparé aux 6,03 milliards d’euros consacrés en 2023 par l’État à l’apprentissage ([21]).
Les gains fiscaux générés par la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) sur les apprentis demeurent ainsi modestes à l’échelle nationale.
Parallèlement, la réforme a entraîné une complexification significative des traitements de paie pour les entreprises. Les services de ressources humaines doivent désormais intégrer un contrôle précis du seuil de 50 % du Smic, appliquer un abattement spécifique sur la fraction de rémunération concernée et opérer une distinction fine selon l’âge de l’apprenti, l’année de formation ainsi que la date de conclusion du contrat, les règles n’étant pas identiques pour les contrats antérieurs ou postérieurs au 1er mars 2025.
Cette superposition de paramètres nouveaux engendre des coûts administratifs supplémentaires pour les employeurs, liés tant aux mises à jour des logiciels de paie qu’à la formation des gestionnaires chargés de leur application. Elle alourdit également la charge des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf), tenues de procéder à des contrôles plus délicats et à un accompagnement accru des entreprises, notamment en cas d’erreurs de déclaration ou d’interprétation des nouvelles règles.
III. CETTE RÉFORME RISQUE DE PRÉCARISER LES APPRENTIS ET DE FRAGILISER LES PLUS PETITES ENTREPRISES
A. Une pression malvenue sur le pouvoir d’achat des apprentis
Les apprentis disposent d’un revenu modeste, compris entre 45 % et 100 % du salaire minimum selon l’âge et la progression dans la formation.
Une perte nette mensuelle de 5 à 85 euros par mois peut représenter, pour beaucoup, le budget hebdomadaire de courses ou de transport.
Ce prélèvement pèse particulièrement sur les apprentis majeurs de l’enseignement supérieur, souvent éloignés de leur domicile familial et qui doivent assumer le loyer, les charges, les repas, ainsi que des frais de transport importants lorsque le centre de formation est éloigné du lieu de travail. Il n’est pas rare que certains d’entre eux cumulent plusieurs logements lorsque le centre de formation et le lieu de travail sont distants de plusieurs centaines de kilomètres – une contrainte propre aux apprentis que ne connaissent ni les étudiants, ni les salariés de droit commun.
Dans le même temps, le Gouvernement prévoit de supprimer l’aide forfaitaire au permis de conduire de 500 euros pour les apprentis majeurs dans le projet de loi de finances pour 2026 ([22]). Or, cette aide est déjà loin d’être suffisante pour couvrir l’intégralité du financement du permis de conduire, estimée en moyenne à 1 800 euros pour la durée de formation minimale obligatoire de 20 heures ([23]).
L’effet psychologique de la mesure est également non négligeable : la perte de revenus est perçue comme une remise en cause du statut spécifique de l’apprenti, pourtant présenté comme un pilier des politiques de jeunesse.
B. Un risque accru de rupture et de dÉcrochage
Les statistiques de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques indiquent un taux moyen de rupture des contrats d’apprentissage de l’ordre de 21 % au cours des neuf premiers mois qui suivent la signature du contrat en 2022. Ce taux est plus élevé que ceux constatés les années précédentes, particulièrement dans les formations de l’enseignement supérieur. Le taux de rupture a ainsi doublé sur cinq ans pour les entreprises de plus de 250 salariés ([24]).
Parmi les facteurs de rupture, les difficultés financières figurent au premier rang, avant même les problèmes d’adéquation entre l’entreprise et la formation. Comme l’a souligné l’Association nationale des apprentis de France (Anaf) au cours de son audition, les publics concernés sont particulièrement sensibles à l’existence de débouchés pour les formations en apprentissage. Toute baisse de revenu et difficulté dans l’accès au recrutement, même modérée, est susceptible de fragiliser les candidats, notamment s’ils sont sans soutien familial.
L’association nationale des apprentis de France signale déjà une augmentation des demandes d’aides sur sa plateforme « SOS apprentis » depuis le printemps 2025.
C. Une attractivitÉ potentiellement rÉduite du dispositif
L’apprentissage repose sur un équilibre : une rémunération nette incitative pour le jeune, une aide financière compensatrice pour l’entreprise.
Or, la baisse du net perçu, conjuguée à la réduction progressive des aides à l’embauche, peut peser sur l’attractivité du dispositif, notamment dans les secteurs en tension ou pour les petites et moyennes entreprises à forte rotation. L’association nationale des apprentis de France observe notamment la multiplication des contrats courts – sur douze mois – ce qui correspond à la durée des aides à l’embauche et à des difficultés de recrutement sur des contrats plus longs. Elle souligne que les débouchés pour les apprentis se réduisent, les entreprises proposant dorénavant moins de contrats d’apprentissage que le nombre de candidats.
Un ralentissement des candidatures est observé dans certaines branches depuis la rentrée 2025, bien qu’il soit encore trop tôt pour mesurer un effet structurel : à fin août 2025, 246 200 contrats d’apprentissage ont commencé depuis le début de l’année, soit une baisse de 4,1 % sur un an (– 3,8 % pour les contrats du privé et – 19,6 % pour ceux du public) ([25]). Dans sa note de conjoncture de septembre 2025, l’Insee estime, pour sa part, que 65 000 contrats en alternance pourraient disparaître au second semestre 2025.
D. Une mesure en opposition avec la logique du dispositif d’apprentissage
L’assimilation de l’apprenti à un salarié de droit commun pour l’assiette de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) interroge sur la cohérence du cadre juridique. En effet, l’apprentissage repose sur un objectif de formation et de qualification, non sur la productivité immédiate. La rémunération perçue constitue un soutien à la formation, non un salaire intégralement corrélé au travail effectué.
La réintroduction partielle de contributions sociales brouille cette distinction et affaiblit le principe d’un statut protecteur, essentiel pour l’autonomie des jeunes gens en formation initiale.
Depuis 2018, l’État a massivement investi dans l’apprentissage pour en faire une voie d’excellence et réduire le chômage des jeunes. L’introduction d’une charge supplémentaire, même limitée, apparaît contradictoire avec cet objectif : elle réduit la lisibilité et l’attractivité du dispositif, alors que les effectifs commencent à se stabiliser après plusieurs années de forte croissance.
L’assujettissement touche principalement les apprentis majeurs de 21 ans et plus, c’est-à-dire ceux qui ont le plus besoin d’autonomie financière. Les mineurs et les apprentis en première année souvent rémunérés à moins de 50 % du Smic restent, eux, exemptés.
Cette différenciation crée une inégalité de traitement entre les apprentis selon leur âge et leur niveau de formation, alors même que tous sont en phase d’apprentissage et d’insertion.
– 1 –
Adopté sans modification par la commission
Le présent article supprime pour trois ans l’assujettissement à la contribution sociale généralisée et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale de la rémunération des apprentis au-delà de 50 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance.
L’article L. 136‑1 du code de la sécurité sociale institue une contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus d’activité. Conformément aux dispositions du 2° du I de l’article L. 136‑2 du même code, cette contribution est assise sur le montant brut des revenus d’activité, après application d’un abattement forfaitaire pour frais professionnels de 1,75 %.
La contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) a été instituée par l’ordonnance n° 96‑50 du 24 janvier 1996. Son article 14, en cohérence avec l’article L. 136‑1‑1 du code de la sécurité sociale, l’établit sur la même assiette et selon les mêmes règles d’assujettissement que la contribution sociale généralisée.
Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, les apprentis bénéficiaient d’une exonération totale de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale sur l’intégralité de leur rémunération. Cette exonération, justifiée par la nature spécifique du contrat d’apprentissage, faisait obstacle à tout prélèvement social sur les revenus perçus.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 a toutefois modifié ce régime afin d’aligner partiellement les apprentis sur les autres actifs. Elle a prévu que seule la part de la rémunération excédant 50 % du salaire minimum de croissance (Smic) serait désormais assujettie à la contribution sociale généralisée et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale. Cette mesure s’applique uniquement aux contrats d’apprentissage conclus à compter du 1er mars 2025, afin de ne pas remettre en cause les conditions de rémunération fixées lors de la signature des contrats antérieurs.
En conséquence, le 7° de l’article L. 136‑1‑1du code de la sécurité sociale précise désormais que la rémunération des apprentis entre dans l’assiette de la contribution sociale généralisée « pour la part excédant 50 % du salaire minimum de croissance ». Les apprentis ne constituent pas la seule catégorie de personnes en formation bénéficiant d’un régime dérogatoire d’assujettissement aux contributions sociales. Dans la même logique de protection des publics en formation initiale, le législateur a prévu des règles spécifiques pour les stagiaires ainsi que pour les lycéens et étudiants en voie professionnelle. Ces publics, dont la rémunération ou la gratification revêt un caractère avant tout pédagogique, sont soumis à des régimes d’exonération largement dérogatoires, destinés à ne pas faire obstacle à l’accès à la formation, ni à alourdir le coût de l’accueil en entreprise.
|
Statut |
Type de revenu |
Assujettissement à la CSG |
Conditions et plafonds 2025 |
Article de référence du code de la sécurité sociale |
Taux CSG applicable |
|
Apprentis |
Rémunération ≤ 50 % du Smic mensuel brut (=883,50 €) |
Non |
Exonération de CSG, CRDS |
L. 136‑1‑1‑7 |
CSG : 0 % CRDS : 0 % |
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Rémunération > à 50 % du Smic mensuel brut |
Oui |
Seule la fraction > 50% du Smic mensuel brut est soumise à CSG et CRDS |
Même références |
CSG : 9,2 % CRDS : 0,5 % |
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Stagiaires (hors lycéens de la voie professionnelle et formation professionnelle) |
Gratification ≤ 15 % du plafond horaire de la Sécurité sociale (4,53 €/ h) |
Non |
Exonération de CSG et CRDS |
L. 136‑1‑1‑III 1 b° |
CSG : 0 % CRDS : 0 % |
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Gratification > 4,53 €/h |
Oui (sur l’excédent) |
Seule la fraction supérieure à 15 % du plafond horaire de la sécurité sociale est assujettie à la CSG/CRDS |
Mêmes références |
CSG : 9,2 % CRDS : 0,5 % |
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Lycéens de la voie professionnelle |
Allocation de stage perçue au titre de la période de formation en milieu professionnel |
Non |
Exonération de CSG et CRDS |
L. 136‑1‑1 III 1°f |
CSG : 0 % CRDS : 0 % |
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Stagiaires de la formation professionnelle agréée |
Gratification |
Non |
Exonération de CSG et CRDS |
L. 136-1-1 III 1° c |
CSG : 0 % CRDS : 0 % |
Source : commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.
L’article 1er prévoit le rétablissement d’une exonération intégrale de la contribution sociale généralisée et de la contribution au remboursement de la dette sociale sur les rémunérations des apprentis, et ce quel que soit le niveau de rémunération. Cette exonération s’appliquerait pour une période strictement délimitée, allant du 1er décembre 2025 au 31 décembre 2027, instaurant ainsi un régime dérogatoire temporaire au code de la sécurité sociale.
Contrairement aux dispositifs antérieurs, cette mesure présenterait un caractère général et immédiat en couvrant l’ensemble des contrats d’apprentissage, qu’ils soient en cours d’exécution ou conclus postérieurement à l’entrée en vigueur du dispositif. Ainsi, aucune distinction ne serait opérée selon la date de signature du contrat, l’année de formation ou le niveau de rémunération de l’apprenti. Cette uniformisation des règles simplifierait le traitement juridique et déclaratif applicable aux employeurs, en supprimant notamment les mécanismes de contrôle de seuils qui s’étaient révélés sources de complexité administrative.
Sur le plan juridique, cette disposition conduit à neutraliser temporairement l’application des règles d’assujettissement prévues à l’article L. 136‑1‑1 du code de la sécurité sociale et à l’article 14 de l’ordonnance n° 96‑50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, considérant les rémunérations versées aux apprentis comme totalement exonérées de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale.
Cette disposition devrait en principe figurer dans la loi de financement de la sécurité sociale. car il s’agit d’une imposition de toute nature affectée à un organisme de sécurité sociale. Toutefois dès lors qu’elle est bornée dans le temps pour une durée inférieure à trois ans, la mesure peut figurer dans une loi ordinaire ; en effet aux termes du 2° du I de l’article L.O. 111‑3‑16 du code de la sécurité sociale, seules les lois de financement de la sécurité sociale peuvent créer ou modifier des mesures de réduction ou d’exonération de cotisations ou de contributions de sécurité sociale affectées aux régimes obligatoires de base de la sécurité sociales, ou à la caisse d’amortissement de la dette sociale dès lors que ces mesures sont « établies pour une durée égale ou supérieure à trois ans ». En application de cette règle, « une loi ordinaire peut toujours instituer ou modifier des allègements sociaux, sous réserve de prévoir une durée d’application inférieure à trois ans à compter de son entrée en vigueur » ([26]).
Les dispositions en cours de discussion dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 prévoyait, dans sa version initiale, de soumettre l’ensemble de la rémunération des apprentis aux cotisations salariales légales et conventionnelles, ainsi qu’à la contribution sociale généralisée et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale.
Lors de la séance publique du 7 novembre 2025, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture plusieurs amendements identiques visant à maintenir le droit en vigueur, selon lequel seules les rémunérations dépassant 50 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance sont assujetties.
Adopté sans modification par la commission
Le présent article prévoit la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs afin d’assurer la recevabilité financière de la présente proposition de loi.
La présente proposition de loi est de nature à accroître les charges publiques supportées par les organismes de sécurité sociale car elle prévoit une perte de recette pour ces organismes du fait de la suppression de l’assujettissement à la contribution sociale généralisée et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale des revenus excédant 50 % du salaire minimum pour les apprentis.
L’article 2 de la présente proposition de loi compense ces charges pour les organismes de sécurité sociale et, le cas échéant, pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
– 1 –
Lors de sa réunion du mercredi 19 novembre 2025 à 9h30 ([27]), la commission procède à l’examen de la proposition de loi visant à exonérer les apprentis de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (n° 1952) (Mme Marianne Maximi, rapporteure)
Mme Marianne Maximi, rapporteure. Nous sommes réunis pour débattre d’une proposition d’urgence sociale : préserver le revenu des apprentis. Dans notre pays, la jeunesse s’appauvrit. Un jeune sur deux déclare connaître des difficultés liées à son niveau de vie en 2025, contre un jeune sur trois il y a quinze ans. Depuis quelques années, nous avons vu s’allonger les files d’attente devant les distributions d’aide alimentaire. Dans la septième puissance mondiale, des jeunes font la queue dans le froid pour se nourrir. La moitié des personnes accueillies aux Restos du Cœur, notamment, ont désormais moins de 25 ans.
Les jeunes sont pris en étau. D’abord, ils ne peuvent plus étudier. Quand vous et votre famille n’avez plus de quoi subvenir à vos besoins, comment voulez-vous payer vos études ? Étudier n’est pas gratuit en France, et les bourses ne sont pas indexées sur l’inflation. Alors que la précarité augmente, le nombre d’étudiants boursiers diminue du simple fait de la non‑indexation des bourses. Par ailleurs, la bourse la plus élevée que peut percevoir un étudiant est deux fois inférieure au seuil de pauvreté. Il est impossible d’étudier dignement dans ces conditions.
Ensuite, les jeunes ne peuvent pas non plus travailler. Le chômage de cette classe d’âge est trois à quatre fois plus important que celui du reste de la population. Ils sont en fait les premières victimes d’une politique menée depuis des décennies : celle qui détruit méthodiquement le code du travail, qui favorise le recours aux contrats courts, qui met en concurrence les travailleurs et qui ne crée pas d’emplois pérennes. Parmi les freins à l’emploi des jeunes, on trouve aussi le manque de formation.
Face à ces difficultés croissantes, Emmanuel Macron est arrivé avec une solution : l’apprentissage. Celui-ci devait permettre de financer ses études tout en travaillant, et constituer une garantie d’insertion sur le marché du travail. Pour intéresser les entreprises à l’apprentissage, la recette classique a été appliquée, celle des aides sans contrepartie. La réforme de l’apprentissage de 2018 a créé des aides massives aux entreprises sans distinction de leurs besoins – j’insiste sur ce point – afin qu’elles embauchent des apprentis. Ces aides, pouvant aller jusqu’à 6 000 euros voire 8 000 euros pendant la crise du covid, ont créé un gigantesque effet d’aubaine pour les entreprises comme pour les organismes de financement privé. L’effet sur l’apprentissage a été phénoménal, le nombre de contrats étant multiplié par trois en sept ans.
Cette explosion du nombre de contrats d’apprentissages a créé un double effet trompe-l’œil : d’un côté, elle a offert des solutions temporaires à des jeunes privés de la possibilité d’accéder au marché du travail ; de l’autre, elle a masqué l’échec de la politique d’emploi. En effet, 40 % des contrats signés depuis 2018 sont des contrats d’apprentissage. Ces emplois ne sont donc pas pérennes et pas nécessairement gages d’une meilleure insertion par la suite, comme le démontre l’Observatoire français des conjonctures économiques.
La politique d’Emmanuel Macron en faveur de l’apprentissage a finalement créé une sorte de bulle pour les entreprises, notamment les plus grandes, qui ont usé et abusé du système, créant une demande massive pour les aides à l’embauche d’apprentis. Aujourd’hui, cette bulle explose. La réforme de 2018 finançait un nombre fixe de contrats, qui a très rapidement été dépassé. L’État a dû rallonger encore et encore le budget pour suivre la demande, et le coût de l’apprentissage est devenu très important, autour de 17 milliards d’euros selon la Cour des comptes.
Pour rembourser, le Gouvernement se tourne vers les apprentis. Face à un déséquilibre qu’il a lui-même creusé, il décide de les mettre à contribution en leur faisant payer la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) sur les rémunérations supérieures à 50 % du Smic depuis mars dernier, puis sur toutes les rémunérations à partir du 1er janvier prochain. Si cette mesure est appliquée, sa montée en charge permettra au Gouvernement, avec la signature de nouveaux contrats d’ici à 2027, de gagner 1,2 milliard d’euros sur le dos des apprentis.
Cette mesure n’est pas un simple ajustement technique pour rapprocher les apprentis des autres salariés. Les apprentis, en effet, ne sont pas des salariés de droit commun : ce sont des salariés en formation, sur lesquels pèsent des contraintes spécifiques liées à ce statut – par exemple, des frais de déplacement entre leur logement, leur lieu d’études et leur lieu de travail, voire la nécessité d’avoir deux logements. Mais les apprentis sont surtout des travailleurs pauvres : 75 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, la plupart ne gagnent même pas le Smic, loin de là, et leur assujettissement à la CSG et à la CRDS va nettement réduire leur revenu. Concrètement, avec cette réforme, un jeune en troisième année d’études, âgé de 21 à 25 ans, pourra perdre jusqu’à 86 euros par mois. L’Association des apprentis de France (Anaf) estime que cette perte pourrait même atteindre 187 euros par mois. Quand on gagne 50 % ou 60 % du Smic, on vit évidemment – j’espère que vous vous en doutez – à quelques dizaines d’euros, voire à quelques euros près. Or c’est ce dont le Gouvernement veut aujourd’hui priver les apprentis.
Il est tout simplement inacceptable de prélever davantage sur les jeunes précarisés : c’est en effet réduire encore les maigres marges de manœuvre qui leur permettaient d’étudier, de se nourrir correctement, de se loger décemment et de se déplacer.
Nous pouvons protéger les apprentis : c’est tout le sens de cette proposition de loi d’urgence. L’article 1er abroge purement et simplement l’assujettissement à la CSG et à la CRDS au-delà de 50 % du Smic. Cette abrogation est temporaire – elle est prévue jusqu’au 31 décembre 2027 –, du fait des contraintes juridiques liées au domaine exclusif des lois de financement de la sécurité sociale, mais notre engagement est clair : nous souhaitons son abrogation définitive dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Des amendements ont d’ailleurs été adoptés le 7 novembre dernier, dans l’hémicycle, pour éviter l’assujettissement complet des apprentis et assurer le maintien du statu quo. La présente proposition de loi va plus loin, en rétablissant l’exonération complète qui prévalait avant mars 2025.
L’article 2 prévoit le gage habituel permettant de sécuriser la recevabilité financière du texte.
Aujourd’hui, nous avons un premier pas à franchir pour redonner aux apprentis ce que l’État leur a retiré, pour protéger leurs revenus, pour préserver leur autonomie et pour défendre leur avenir. Mais le débat dépasse aussi largement la seule question de la CSG et de la CRDS. L’usage excessif de l’argent public, injecté sans conditions dans les entreprises, doit être remis en question, et une politique visant à augmenter les salaires des apprentis doit être mise en œuvre ; cela nécessitera de modifier leur grille de rémunération, dont le niveau est beaucoup trop faible. Nous proposons par ailleurs la gratuité des places d’internat pour les apprentis mineurs et pour ceux qui sont les plus éloignés de leur lieu d’apprentissage. Ces questions sont au cœur de l’accession des jeunes, en particulier de ceux issus des classes populaires, aux études, à la formation et à un travail correctement rémunéré.
Une société qui hypothèque sa jeunesse n’a pas d’avenir. Une société dans laquelle les nouvelles générations ne peuvent plus apprendre dans de bonnes conditions, ni trouver un métier utile et choisi, est condamnée au déclin. Je vous invite donc à soutenir et à voter cette proposition de loi, en guise de premier pas en direction de la jeunesse.
M. Gaëtan Dussausaye (RN). Notre groupe soutiendra cette proposition de loi, qui est la bienvenue, d’autant plus depuis les discussions que nous avons eues sur le PLFSS.
J’aimerais rappeler ce dont on parle lorsqu’on évoque une augmentation des cotisations sociales sur le dos des apprentis. Les chiffres peuvent sembler insignifiants, mais cela représente en réalité, d’après l’Anaf, entre 55 et 102 euros par mois, soit 660 à 1 224 euros par an. Ainsi, avec cette mesure, le Gouvernement macroniste retire à un jeune apprenti l’équivalent d’un à trois loyers.
L’objectif d’Emmanuel Macron était purement quantitatif : il voulait à tout prix son million d’apprentis. Il en a obtenu 1,04 million en 2024, mais il n’avait pas anticipé les effets d’aubaine. Les grandes entreprises de plus de 250 salariés, en particulier, ont préféré obtenir des subventions, des aides et des exonérations en embauchant des apprentis plutôt que des « vrais » salariés. Je rappelle en effet qu’un apprenti n’est pas un salarié comme un autre, dans la mesure où son contrat a d’abord une finalité de formation et non productive. De surcroît, on n’a pas voulu se concentrer sur les niveaux allant jusqu’à bac + 3, c’est-à-dire sur des formations beaucoup plus professionnalisantes, manuelles et technologiques, en particulier dans des secteurs correspondant à l’intérêt stratégique du pays.
M. Christophe Mongardien (EPR). Nous examinons une proposition de loi présentée comme une mesure d’urgence, visant à rétablir l’exonération de CSG et de CRDS sur la rémunération des apprentis.
Chacun le sait : grâce à l’impulsion du Président de la République et de notre groupe, l’apprentissage est devenu un pilier essentiel de l’insertion professionnelle des jeunes. Avec près de 880 000 apprentis en 2024, il a connu une progression historique, signe d’un véritable élan national pour la formation en alternance.
Le texte qui nous est soumis est une réaction à une mesure contenue dans la LFSS 2025, prévoyant l’assujettissement à la CSG et à la CRDS des salaires des apprentis dépassant 50 % du Smic. Ses auteurs rappellent qu’un apprenti pourrait perdre jusqu’à 49 euros net par mois, ce qui n’est pas négligeable pour un jeune dont la rémunération reste souvent proche du seuil de pauvreté.
Nous partageons l’objectif consistant à soutenir les jeunes et à préserver l’attractivité de l’apprentissage. Personne ici ne souhaite fragiliser celles et ceux qui ont choisi cette voie exigeante, parfois dans le cadre d’études supérieures ou dans des secteurs en tension, et nous entendons le message exprimé aujourd’hui.
Un contrat d’apprentissage est un contrat établi entre un employé – l’apprenti – et un employeur ; l’un n’existe pas sans l’autre. Le fait de chercher à les opposer systématiquement relève du dogmatisme politique plus qu’il ne témoigne d’une connaissance des réalités économiques et sociétales. Apprenti et employeur trouvent tous deux un gain au contrat d’apprentissage, ce qui explique le succès indéniable de celui-ci. Pour l’apprenti, c’est un revenu financier sans lequel il n’aurait pas forcément pu accéder à une formation ; c’est aussi une formation plus pratique et une entrée progressive dans le monde du travail, conduisant facilement à un emploi pérenne. Pour l’employeur, c’est la possibilité, en échange d’un devoir d’accompagnement et de formation, de disposer à un coût raisonnable d’un employé souvent doté de compétences nouvelles, au développement prometteur, qu’il choisira bien souvent de recruter à l’issue du contrat.
La présente proposition de loi soulève toutefois des questions de méthode et de cohérence. D’abord parce que ce type de disposition relève théoriquement d’une loi de financement de la sécurité sociale (LFSS), ce qui fragilise le texte sur le plan juridique, même s’il n’est pas applicable au-delà de 2027. Ensuite parce qu’il nous revient collectivement d’assurer l’équilibre de notre modèle social. Exonérer signifie financer autrement. Nous avions choisi, dans la LFSS 2025, d’assujettir les revenus des apprentis à la CSG et à la CRDS au-delà de 50 % du Smic.
M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Cette proposition de loi vise simplement à rendre 50 euros par mois aux apprentis. L’ensemble du groupe La France insoumise est révolté par le sort que cette assemblée leur inflige depuis deux ans. Rappelons que nous avons voté à quatre reprises contre des prélèvements sur leurs salaires. L’an dernier, nous avons rejeté le projet visant à les assujettir à la CSG et à la CRDS, qu’ils ne payaient pas auparavant. Mais le Gouvernement est passé en force, et s’il l’a fait, c’est parce qu’il n’a pas été censuré. Les collègues qui n’ont pas voté la censure sont comptables de ce qui se passe aujourd’hui.
On voit déjà les effets de ces mesures : des centaines de milliers d’apprentis renoncent à se soigner, sautent des repas ou manquent d’argent pour faire le plein d’essence. Voilà ce que signifient concrètement pour eux ces impôts nouveaux.
Pourquoi cette obsession de les faire payer ? Pourquoi prendre pour cible des jeunes salariés qui démarrent avec même pas 500 euros et qui, tout en faisant parfois le même boulot que leur voisin de poste, doivent attendre des années pour obtenir le Smic ? Parce que vous avez jeté de l’argent par les fenêtres en distribuant à tout-va des chèques aux patrons qui embauchent des apprentis – non pas seulement aux petits commerçants, mais aussi aux grands groupes bancaires et financiers ! Maintenant, vous voulez récupérer les sommes dilapidées, et pour cela, vous faites payer les salariés eux-mêmes, notamment les moins bien payés, à savoir les apprentis. Concrètement, vous leur demandez de faire des chèques à la place de leurs employeurs !
Aujourd’hui, un grand patron peut embaucher un apprenti pour un quart de Smic, recevoir une aide publique et faire payer cette aide à l’apprenti lui-même ! Notre proposition de loi permet d’abroger cette mesure scandaleuse et de rendre aux apprentis les 50 euros qui leur sont volés.
Mme Martine Froger (SOC). La LFSS 2025 a introduit une mesure profondément injuste : l’assujettissement à la CSG et à la CRDS des rémunérations des apprentis au-delà de 50 % du Smic. Sous couvert d’austérité budgétaire, le Gouvernement a cherché à récupérer 360 millions d’euros sur le dos des jeunes, alors que ceux-ci comptent parmi les catégories les plus exposées à la pauvreté. En 2022, 20,4 % des moins de 18 ans et 16,2 % des 18-29 ans vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 14,4 % de la population générale. Ce sont précisément ces jeunes que la mesure a frappés. Pour un apprenti en troisième année, âgé de 21 à 25 ans, cela représente une perte de 49 euros par mois, soit 588 euros par an – une somme considérable lorsqu’on vit avec un budget déjà extrêmement contraint.
Notre groupe a toujours dit qu’il était nécessaire de réguler le coût de l’apprentissage, qui atteint près de 20 milliards d’euros par an, mais certainement pas en fragilisant davantage les jeunes. Le Gouvernement a choisi de faire porter l’effort sur les plus fragiles, alors qu’il existait d’autres pistes : la réduction des aides forfaitaires versées aux grandes entreprises qui recrutent des apprentis à bac + 2, par exemple, aurait été une solution plus juste.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui revient sur cette erreur en rétablissant l’exonération totale de CSG et de CRDS sur les rémunérations des apprentis, quel qu’en soit le montant. C’est une mesure de justice sociale simple, lisible et nécessaire pour protéger le pouvoir d’achat des jeunes en formation. Nous le redisons avec force : faire des économies sur le dos des jeunes n’est pas une politique sociale, c’est un renoncement. Nous nous sommes opposés à cette mesure lors de l’examen des PLFSS 2025 et 2026 ; c’est donc en toute cohérence que nous voterons pour cette proposition de loi, qui remet les apprentis au centre de nos priorités et corrige une décision injuste.
Mme Josiane Corneloup (DR). L’apprentissage est une chance pour nos jeunes, pour nos entreprises et pour notre économie. Une dynamique certaine s’est installée dans notre pays depuis 2017, puisque nous sommes passés de 300 000 à 1 million d’apprentis.
Depuis le 1er mars 2025, les revenus de ceux-ci sont assujettis à la CSG et à la CRDS sur la part de rémunération dépassant 50 % du Smic. L’objectif de cette mesure était de rapprocher le statut social des apprentis de celui des salariés de droit commun et de renforcer la soutenabilité du financement de la protection sociale. Il faut rappeler le caractère contributif des cotisations sociales, dans la mesure où les apprentis acquièrent des droits sociaux au même titre que les autres salariés. Depuis 2014, les périodes d’apprentissage sont prises en compte dans le calcul des droits à pension : chaque trimestre accompli dans le cadre de l’apprentissage ouvre automatiquement droit à un trimestre de durée d’assurance, l’État assumant le financement du complément de cotisation vieillesse nécessaire à la validation. De surcroît, les jeunes sortant d’un contrat d’apprentissage peuvent bénéficier d’une indemnisation au titre de l’assurance chômage, alors qu’ils ne contribuaient pas au financement de ce régime avant 2025. De même, les apprentis bénéficient d’une couverture complète au titre de l’assurance maladie.
L’article 1er de la proposition de loi abroge l’assujettissement aux contributions sociales au-delà de 50 % du Smic de façon temporaire, jusqu’au 31 décembre 2027. Si le groupe Droite Républicaine soutient les initiatives visant à favoriser l’apprentissage et défend le maintien des budgets dédiés aux aides aux entreprises pour l’embauche d’apprentis, il rappelle néanmoins qu’il existe actuellement une injustice : du fait de la différence de statut social, les salariés de droit commun perçoivent parfois moins qu’un apprenti. Nous défendons donc un alignement des statuts, dans la mesure où les contrats d’apprentissage sont pris en compte pour les droits à la retraite et à l’assurance chômage – il est parfaitement légitime qu’un droit soit ouvert par une cotisation.
Le groupe DR votera contre cette proposition de loi. Il ne paraît pas opportun d’aller plus loin que le cadre existant.
M. Jean-Claude Raux (EcoS). En 2025, la majorité – peut-on encore dire présidentielle ? – a fait le choix de ponctionner les apprentis en supprimant l’exonération de CSG et de CRDS sur la part de leur rémunération supérieure à 50 % du Smic. Cela a représenté une perte nette pour des jeunes déjà faiblement rémunérés, souvent issus des classes populaires. Précédemment, le puits sans fond des aides à l’apprentissage décrétées par Emmanuel Macron avait généré de véritables dérives : des primes versées sans distinction, y compris à des entreprises qui n’en avaient vraiment pas besoin ; le recours à des apprentis comme main‑d’œuvre à bas coût sans que l’objectif premier soit la formation ; des écoles supérieures privées qui transforment cette voie en manne de croissance économique. C’est là que se situe le problème, et non dans les poches déjà vides des apprentis.
Lorsque le Gouvernement cherche à faire des économies après avoir distribué des aides dont le montant atteint 90 milliards d’euros entre 2018 et 2024, il préfère taxer la maigre rémunération d’un apprenti – pour rappel, 486 euros la première année de certificat d’aptitude professionnelle (CAP), 702 euros la seconde.
Le choix politique du Gouvernement – demander à la jeunesse de compenser un déficit qu’elle n’a en rien créé – relève de l’indécence. Comme si cela ne suffisait pas, il persiste et signe et veut revenir totalement sur l’exonération de cotisations sociales salariales pour les apprentis. Je salue donc cette proposition de loi d’urgence, qui apporte une réponse concrète et immédiate à l’aggravation de la précarité des jeunes. Le groupe Écologiste et social votera en faveur du texte et réaffirme la nécessité d’une réforme profonde de l’apprentissage pour mettre fin aux dérives. Si certains ont profité, abusé des milliards d’aides et spéculé sur l’apprentissage, il convient maintenant de redonner la priorité aux centres de formation d’apprentis et aux petites entreprises – surtout pas de sacrifier une partie de la jeunesse pour remettre les pendules à l’heure.
M. Nicolas Turquois (Dem). Notre collègue Clouet s’est dit révolté. Ce qui me révolte, quant à moi, c’est ce que j’ai entendu. L’apprentissage est un moyen puissant pour résoudre le problème de l’insertion professionnelle des jeunes. Passer de 300 000 apprentis à 1 million, c’est un élément de réponse important, tout comme le fait de revaloriser leurs rémunérations ou de leur ouvrir des droits au chômage et à la retraite. Or dans le monde du travail, ces droits impliquent des cotisations. Sachant que les apprentis perçoivent parfois des salaires comparables aux personnes employées à temps partiel dans les mêmes entreprises, il me semble légitime qu’ils cotisent pour leurs droits sur leur part de rémunération dépassant 50 % du Smic – de même qu’il est légitime de financer le développement important de l’apprentissage.
Tout en soutenant les apprentis et en rappelant que l’apprentissage est l’un des outils d’insertion les plus puissants, notre groupe s’opposera totalement à cette proposition de loi.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Depuis 2017, l’apprentissage a été massivement soutenu, et les choix qui ont été faits ont porté leurs fruits : le nombre d’apprentis a doublé en six ans, et la voie de l’alternance est devenue un levier majeur d’accès à l’emploi pour les jeunes. La LFSS 2025 a abaissé le seuil d’exonération de CSG et CRDS à 50 % du smic, et le PLFSS 2026 avait pour objectif d’aller plus loin en supprimant totalement l’exonération.
Notre groupe estime que le meilleur levier pour soutenir l’apprentissage consiste à allouer les moyens aux aides à l’embauche, à l’accompagnement, à la qualité des formations et à l’insertion durable dans l’emploi. Il soutient pleinement l’apprentissage comme outil d’émancipation et d’insertion professionnelle, mais il considère que la solidarité doit être assurée de façon équitable par tous les acteurs, sachant que les stagiaires et les salariés, eux, y contribuent dès le premier euro. Le rétablissement d’une exonération totale pour les apprentis créerait une rupture d’égalité qui n’est pas justifiée ; des petites et moyennes entreprises (PME) nous alertent d’ailleurs sur les difficultés que les dispositifs actuels d’exonération engendrent, en matière de cohésion, au sein de leurs équipes.
La protection sociale a un coût. Ce que les apprentis ne paieraient plus devrait être compensé par les autres assurés et, dans le contexte budgétaire actuel, il n’est pas responsable de réduire les recettes sans contrepartie crédible. Plutôt qu’une exonération uniforme, notre groupe privilégie une approche plus ciblée et plus juste : renforcer les aides aux apprentis les plus modestes, améliorer les dispositifs de bourses, d’aides au logement ou à la mobilité, et accompagner davantage les jeunes issus des quartiers prioritaires ou préparant des diplômes de niveau CAP.
En conséquence, dans un esprit de responsabilité budgétaire, notre groupe ne soutiendra pas cette proposition de loi en l’état.
Mme Karine Lebon (GDR). Depuis deux ans, les apprentis sont devenus la variable d’ajustement budgétaire du Gouvernement. Celui-ci leur demande de financer l’équilibre de la sécurité sociale, alors qu’ils gagnent parfois à peine 500 ou 700 euros par mois. Tout cela est d’une incohérence absolue : d’un côté, on parle d’attractivité de l’apprentissage, de formation d’excellence et d’insertion, mais de l’autre, on ponctionne les rémunérations de celles et ceux qui sont encore en train d’apprendre leur métier.
Cette proposition de loi contribue à rétablir la justice. L’exonération de CSG et de CRDS pour les apprentis est une mesure encadrée et indispensable. Un apprenti n’est pas un salarié comme un autre : c’est un jeune en formation, dont le revenu modeste ne lui permet pas d’assumer ses frais de transport, de logement ou d’équipement professionnel.
Dans les outre-mer en général, et à La Réunion en particulier, ces difficultés sont encore plus importantes : le coût de la vie est plus élevé, les transports pèsent lourd dans les dépenses des apprentis, alors que l’offre n’est pas toujours à la hauteur des besoins, et la spéculation immobilière les empêche d’accéder à un logement. Les familles, souvent modestes, n’ont pas les moyens d’absorber une hausse des charges.
En réalité, taxer ces jeunes, c’est les pousser à renoncer. Or nous avons également besoin d’eux pour prendre la relève dans la filière du bâtiment et des travaux publics et les secteurs du tourisme, de l’agroalimentaire et de la santé. Nous avons besoin d’eux pour assurer l’avenir du territoire.
Le problème financier ne vient pas des apprentis, mais d’un système d’aides devenues incontrôlées, bénéficiant parfois plus aux grandes entreprises qu’aux jeunes éloignés de l’emploi. Plutôt que de ponctionner le portefeuille des apprentis, corrigeons ces effets d’aubaine !
Avec cette proposition de loi, nous affirmons que l’apprentissage doit rester un levier d’émancipation et non devenir un facteur de pauvreté. Protégeons ces jeunes, accompagnons-les et donnons-leur les moyens de réussir !
Par souci de justice, par cohérence et par respect pour celles et ceux qui construisent l’avenir des territoires, les députés du groupe GDR voteront pour cette proposition de loi.
M. Olivier Fayssat (UDR). Le groupe UDR ne partage pas la critique de principe concernant les prétendues aides que le Gouvernement verserait aux entreprises. Ce texte traduit une critique politique : le Gouvernement ne devrait pas faire peser l’effort sur les apprentis, mais sur les entreprises.
Le contrat d’apprentissage est un formidable outil de transmission du savoir-faire. Ce système a du succès, car il est gagnant-gagnant. Nous devons donc le maintenir.
Cependant, au-delà de la défiance habituelle de La France insoumise envers le monde de l’entreprise, cette proposition de loi protège les revenus et le statut de l’apprenti. C’est pourquoi le groupe UDR, qui défend le contrat d’apprentissage, votera en sa faveur.
M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des autres députés.
M. Louis Boyard (LFI-NFP). Vous faites preuve d’hypocrisie : ce ne sont pas les apprentis qui ont choisi de travailler 35 heures pour gagner moins d’un Smic. Ce ne sont pas eux non plus qui ont choisi de payer une taxe qui leur coûte entre 50 et 100 euros, alors que leurs revenus sont compris entre 500 et 1 000 euros. Imaginez ce que représente une telle somme pour eux !
Vous considérez que les apprentis doivent s’acquitter de cette taxe au même titre que les autres salariés. Je suis d’accord avec vous, à condition toutefois que les apprentis soient payés au minimum au smic, comme les autres salariés.
Vous invoquez la nécessité de remplir les caisses. Or ce ne sont pas les apprentis qui les ont vidées ; c’est vous. Cette taxe rapporte 360 millions d’euros à la sécurité sociale, tandis que les exonérations de cotisations sociales représentent 75 milliards d’euros et ne donnent aucun résultat.
Il y a quelques semaines, nous vous avons proposé de supprimer les exonérations de cotisations sociales sur les salaires supérieurs à 4 000, voire à 8 000 euros ; vous vous y êtes opposés. Aujourd’hui, vous vous opposez à l’exonération de cotisations sociales pour les jeunes qui travaillent 35 heures par semaine pour moins d’un Smic.
J’aimerais enfin souligner l’hypocrisie du Rassemblement national, grâce auquel a été adoptée la réduction des exonérations de CSG et de CRDS pour les apprentis, prévue dans le PLFSS de François Bayrou. Je relève également celle des macronistes : alors qu’ils avaient également voté cette mesure, ils se sont ensuite opposés à celle visant à supprimer la prise en charge par l’État des cotisations salariales, prévue dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2026, soi‑disant pour soutenir les apprentis et l’apprentissage.
Dans un souci de cohérence, vous devez voter cette proposition de loi. Les apprentis suivent nos débats ; nous leur dirons quels ont été les votes de chacun.
Mme la rapporteure. Je n’ai pas compris la position du groupe EPR.
Les arguments des représentants des groupes qui vont voter contre ce texte m’ont interpellée. Alors qu’ils prônent une répartition de l’effort de solidarité entre tous, ils ont précisément refusé, lors de l’examen de tous les PLF et PLFSS, de faire contribuer plus ceux qui ont plus et moins ceux qui ont moins.
Les revenus des apprentis seraient réduits d’un montant compris entre 50 et 180 euros. Pouvez-vous concevoir ce que cela représente pour des personnes qui sont à l’euro près ? Lors de mon déplacement à l’Institut des métiers de Clermont-Ferrand, j’ai rencontré des formateurs, la direction et des apprentis de différents âges et exerçant dans différentes filières. Tous redoutent que la suppression des exonérations entraîne des ruptures de parcours – une inquiétude partagée par l’Anaf. Vous dites vouloir encourager l’apprentissage ; or le vote de cette mesure risque de décourager des apprentis en cours de formation.
Ce paradoxe, qui est grave, est propre au macronisme. La politique en matière d’apprentissage rappelle celle que vous menez à l’égard des autoentrepreneurs : alors que les gouvernements successifs avaient instauré des dispositifs favorables, vous avez brutalement changé de politique, au point de mettre leurs bénéficiaires en difficulté. De la même manière, l’apprentissage a d’abord été soutenu, grâce à de l’argent public versé sans conditions, avant que cette politique soit remise en cause.
Je vous invite à comprendre ce qui se joue pour cette jeunesse. Soit on considère les apprentis comme des salariés ; dans ce cas, on les paie comme tels et ils contribueront comme tels. Soit on les considère comme des jeunes en formation ; dès lors, ils ne doivent pas être assujettis à la CSG et à la CRDS.
Allez rencontrer des responsables de très petites entreprises (TPE) et PME qui accueillent des apprentis : ils trouvent insupportable que de grands groupes captent ces aides de manière facile – ce qui renvoie au débat sur les aides versées sans contreparties. Pour ma part, je défends l’accompagnement des TPE, des boulangers et des artisans qui forment et accompagnent des apprentis. En revanche, il n’est pas acceptable que les grands groupes bénéficient d’une exonération de cotisations salariales pour les apprentis, alors même qu’ils n’en ont pas besoin.
Nous défendons ici une loi d’urgence, qui vise à redonner un pouvoir de vivre aux apprentis afin qu’ils puissent poursuivre leur formation, qu’ils obtiennent leur diplôme et qu’ils s’insèrent dans le marché du travail.
M. Nicolas Turquois (Dem). Si ce texte était aussi important, il aurait bénéficié d’une meilleure position dans l’ordre de passage en séance afin de pouvoir être examiné.
Vous êtes totalement déconnectés de la réalité. D’après M. Clouet, il faudrait des années aux apprentis pour rattraper le salaire de leurs collègues. Or un apprenti ne peut rester que deux ans en apprentissage. Selon M. Boyard, les apprentis travailleraient 35 heures pour 1 000 euros, alors qu’en réalité, la moitié du temps est consacrée à la formation et l’autre moitié au travail. Je suis allergique à ces discours éloignés du monde du travail.
Mme la rapporteure. L’ordre de passage est provisoire : il peut tout à fait être modifié lors de la Conférence des présidents précédant l’examen en séance. Je vous invite à revenir sur vos propos, car tous les textes déposés par l’ensemble des groupes parlementaires dans le cadre des niches sont importants. Il est assez minable de jouer sur cet argument pour laisser entendre que ce texte ne le serait pas.
Article 1er : Supprimer l’assujettissement à la contribution sociale généralisée et à la contribution pour le remboursement de la dette sociale de la rémunération des apprentis
La commission adopte l’article 1er non modifié.
Article 2 : Gage financier
La commission adopte l’article 2 non modifié.
Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi non modifiée.
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En conséquence la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
‑ Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/mGpCQa
– 1 –
ANNEXE :
Liste des personnes ENTENDUEs par lA rapporteurE
(par ordre chronologique)
Table ronde : entreprises du stationnement :
– M. Bruno Coquet, président du Cabinet UNO Études & Conseil et auteur du Policy Brief – OFCE – « Apprentissage : un bilan des années folles » de juin 2023
Table ronde : enseignement privé
– Galileo Global Education – M. Antoine Prodo, directeur général
– IONIS Education Group – M. Fabrice Bardèche, vice-président exécutif
([1]) Aux termes de l’article L. 6227‑1 du code du travail, « les personnes morales de droit public dont le personnel ne relève pas du droit privé peuvent conclure des contrats d’apprentissage ».
([2]) Aux termes des articles L. 2314‑18 et suivants du code du travail, il peut participer aux élections professionnelles s’il remplit les conditions d’âge en matière de droit de vote et d’éligibilité.
([3]) Article D. 6222‑26 et suivants du code du travail.
([4]) Article L. 6222‑7‑1 du code du travail.
([5]) Article L. 6222‑1 du code du travail.
([6]) Articles L. 3163‑1 et L. 6222‑26 du code du travail.
([7]) Article L. 3164‑6 du code du travail.
([8]) Article L. 3164‑1 du code du travail.
([9]) Art. L. 4153‑8 du code du travail.
([10]) 9° du I de l’article 8 de la loi n° 2018‑1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 modifiant l’article L. 241‑13 du code de la sécurité sociale.
([11]) 5° du VI de l’article 8 de la loi n° 2018‑1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019 modifiant l’article L. 6243‑2 du code du travail.
([12]) Ce taux a été fixé par le décret n° 2018‑1357 du 28 décembre 2018 relatif aux modalités d’application de certains dispositifs d’exonérations ciblées de cotisations sociales.
([13]) Article 22 de la loi n° 2025‑199 du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025 modifiant l’article L. 136-1-1 du code de la sécurité sociale.
([14]) Article L. 81 bis du code général des impôts modifié par la loi n° 2005‑32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale.
([15]) a du 1° du I de l’article L. 136‑1‑1 du code de la sécurité sociale.
([16]) Niveau 5 : équivalent niveau Bac+2.
([17]) Niveau 6 : équivalent niveau Bac+3.
([18]) Niveaux 7 et 8 : équivalent niveau Bac+5 et plus.
([19]) Source : Repères et références statistiques (RERS) – 2025.
([20]) I de l’article 23 de la loi n°2025-199 du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025 et décret n°2025‑290 du 28 mars 2025 relatif à l’abaissement du seuil d’exonération des cotisations salariales des apprentis.
([21]) Montant net des annulations de crédits ; source France compétences, rapport sur l’usage des fonds pour l’année 2023.
([22]) Article 80 du projet de loi de finances pour 2026 (n° 1906), déposé le 14 octobre 2025.
([23]) Estimation de l’association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir de juillet 2025.
([24]) Source : France compétences, Rapport sur l’usage des fonds sur l’année 2023.
([25]) Source : PoEM – portail des politiques de l’emploi du ministère du travail (étude d’octobre 2025).
([26]) Extrait du rapport d’information n° 1891 de M. Éric Coquerel, déposé le 30 septembre 2025 en application de l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, relatif à la recevabilité financière des initiatives parlementaires et la recevabilité organique des amendements à l’Assemblée nationale.