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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 novembre 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, autorisant l’approbation de la résolution n° F/BG/2023/04 relative aux amendements à l’accord portant création du Fonds africain de développement
(Procédure accélérée)
PAR Mme Dieynaba DIOP
Députée
——
AVEC
LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Voir le numéro :
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Pages
C. Les ressources du fonds fluctuent au fil des reconstitutions
Annexe n° 1 : texte de la commission des affaires étrangères
Annexe N° 2 : liste des personnes auditionnées par la rapporteure
Créé en 1972, le Fonds africain de développement (FAD) est le guichet dit « concessionnel » de la Banque africaine de développement (BAD). Il verse des dons et des prêts à des conditions préférentielles aux pays africains les plus vulnérables du fait de la faiblesse de leurs revenus ou de leur insolvabilité.
Depuis le début de son activité en 1974, le FAD a financé près de 3 000 projets dans le domaine de l’énergie, de l’agriculture, des transports ou encore de l’industrie, pour un montant global de 58 milliards de dollars. La France, qui compte parmi ses membres fondateurs, en est le quatrième actionnaire. En cinquante ans, elle a versé près de 5 milliards d’euros au FAD, dont 560 millions d’euros pour la période 2023-2025.
Tandis que la dix-septième reconstitution du FAD – pour la période 2026-2028 – est en cours de négociation, le projet de loi soumis à l’Assemblée nationale vise à ratifier une résolution modifiant l’accord portant création du Fonds, en vue d’élargir ses sources de financement et ses modalités d’intervention. Cela répond aux difficultés budgétaires de nombreux pays contributeurs et à l’aggravation de l’endettement des pays bénéficiaires.
Cette résolution, adoptée le 23 mai 2023 par le conseil des gouverneurs, permettra au FAD d’emprunter directement sur les marchés de capitaux une partie des montants nécessaires au financement de ses projets, de recourir à de nouveaux outils financiers (garanties d’emprunts, émissions d’obligations, placements des fonds non utilisés) et de procéder, lorsque cela est pertinent, à de nouvelles formes de prêts dans des conditions plus proches de celles du marché.
Les évolutions des statuts du FAD portées par la résolution ont vocation à augmenter ses capacités d’investissement dans des projets plus ambitieux et plus structurants pour le continent. Cette réforme pourrait permettre l’attribution de 22 milliards d’euros supplémentaires en quinze ans.
I. Le Fonds africain de développement, dont la France est une contributrice active, est un guichet concessionnel dédié au financement des pays les plus pauvres du continent
A. Le fonds fournit des subventions et des prêts concessionnels pour soutenir Les pays les moins solvables et répondre aux enjeux globaux
Le FAD est devenu opérationnel en 1974 et rassemble désormais trente-quatre pays contributeurs du monde entier et trente-sept pays bénéficiaires sur le continent africain.
Il a été créé pour répondre aux difficultés rencontrées par certains pays pour obtenir les financements nécessaires à leurs projets de développement en raison de la situation de leurs finances publiques et de la faiblesse de leur croissance économique. Les capitaux disponibles pour ces pays sont rares et les conditions qui leurs sont imposées souvent trop contraignantes au regard de leur santé économique. Même les conditions de prêts ou les garanties offertes par la Banque africaine de développement ne sont pas suffisantes pour répondre aux besoins de pays parfois insolvables et dont les projets présentent une faible rentabilité à court et moyen termes.
Le FAD fournit à ces pays des dons ou des prêts dits « concessionnels », voire « hautement concessionnels », c’est-à-dire dans des conditions beaucoup plus favorables que celles proposées par le marché ([1]). Il ne poursuit donc pas exactement les mêmes objectifs de rentabilité ni ne recourt aux mêmes instruments que la BAD, dont le fonctionnement est beaucoup plus proche de celui d’une banque commerciale. D’autres banques de développement disposent d’un fonds dédié aux subventions : c’est le cas de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) pour des montants toutefois nettement inférieurs ([2]).
Outre le développement de ces pays, le FAD se donne pour mission de poursuivre des objectifs globaux comme la lutte contre le réchauffement climatique ou la santé mondiale. Dans le cadre des financements attribués entre 2022 et 2025 (FAD-16 ([3])), il s’est ainsi doté d’un guichet d’action climatique consacré à l’accompagnement des projets d’adaptation au climat.
Depuis sa création, le FAD a soutenu 2 968 projets dont 2 341 ont été achevés, 436 sont en cours, 117 ont été annulés et 74 sont en attente de lancement. Ils se répartissent (cf. carte et tableau ci-après) en cinq objectifs :
– éclairer l’Afrique et l’alimenter en énergie ;
– nourrir l’Afrique ;
– industrialiser l’Afrique ;
– intégrer l’Afrique ;
– améliorer la qualité de vie des populations africaines.
Répartition thématique des projets soutenus dans le cadre du FAD 16
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Objectifs |
Nombre de projets |
|
Eclairer l’Afrique et l’alimenter en énergie |
253 |
|
Nourrir l’Afrique |
834 |
|
Industrialiser l’Afrique |
112 |
|
Intégrer l’Afrique |
511 |
|
Améliorer la qualité de vie des populations africaines |
1 258 |
|
Total |
2 968 |
Source : https://mapafrica.afdb.org/fr
L’octroi des prêts et dons du FAD obéit à une distinction entre opérations souveraines et non souveraines : 90 % des financements sont alloués aux opérations souveraines, c’est-à-dire directement aux gouvernements, tandis que 10 % sont consacrés aux opérations non souveraines, qui impliquent notamment le secteur privé.
Les ressources du FAD sont réparties selon trois modalités principales :
– l’allocation à la performance (performance based allocation), qui représente environ 54 % des montants alloués. Ce mécanisme utilise une formule mathématique basée sur la performance des pays bénéficiaires (gestion des ressources, résultats obtenus, etc.) dont le résultat vient s’ajouter à une allocation minimale garantie ;
– l’enveloppe régionale (regional operations), qui représente environ 25 % des financements. Elle est affectée à des projets transnationaux, tels que les biens publics régionaux ou les infrastructures d’envergure continentale ;
– le soutien à la transition (transition support facility), qui représente les 21 % restants. Cette enveloppe est destinée à soutenir les pays considérés comme fragiles ou en situation de conflit. Elle n’est pas accessible à tous les pays mais constitue un supplément spécifique pour ceux qui en ont le plus besoin.
Répartition géographique et thématique des projets soutenus PAR LE FAD
Source : https://mapafrica.afdb.org/fr
B. La classification des pays bénéficiaires permet d’adapter les modalités d’intervention du fonds à leur situation
Le FAD soutient trente-sept pays du continent dont les faibles revenus les rendent inéligibles à un financement sur le marché des capitaux ou au guichet de la Banque africaine de développement. L’allocation des financements se fait en fonction de plusieurs critères, notamment la fragilité économique des pays et leur performance en matière de gestion des ressources et de résultats obtenus.
Pour qu’ils bénéficient d’une aide adaptée à leurs besoins et à leurs capacités, les pays éligibles aux financements du FAD sont classés en plusieurs catégories (cf. tableau ci-après) :
– les pays « uniquement FAD », qui ne sont pas solvables pour un financement non concessionnel, y compris en provenance de la BAD, et qui ne peuvent donc bénéficier que des ressources du FAD ;
– les pays « uniquement FAD à fort déficit », qui se caractérisent par un revenu par habitant plus élevé que la catégorie précédente mais que leur insolvabilité rend éligibles aux ressources concessionnelles à des conditions légèrement moins avantageuses pour refléter leur plus grande capacité de remboursement ;
– les pays « mixtes FAD-BAD », qui ont une solvabilité limitée mais qui peuvent accéder à une combinaison de ressources du FAD et de la BAD. Le Cameroun et la Zambie ont obtenu ce statut en 2014, le Kenya en 2016, le Sénégal en 2018 et la Côte d’Ivoire en 2019.
Les pays « uniquement BAD », quant à eux, ne sont pas éligibles au FAD. Le Nigeria est le dernier à avoir rejoint cette catégorie en 2019.
Pays bénéficiaires du FAD et de la BAD
|
Pays uniquement FAD |
Pays uniquement FAD à fort déficit |
Pays mixte |
Pays uniquement BAD |
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Bénin Burkina Faso Burundi Centrafrique Érythrée Éthiopie Gambie Guinée Guinée-Bissau Libéria Madagascar Malawi Mali Mozambique Niger Ouganda Rwanda Sierra Leone Somalie Soudan du Sud Soudan Tchad Togo |
Comores Djibouti Ghana Lesotho Mauritanie Sao Tomé-et-Principe Zimbabwe |
Cameroun Côte d’Ivoire Kenya Sénégal Tanzanie Zambie
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Afrique du Sud Algérie Angola Botswana Cap-Vert République Démocratique du Congo Égypte Eswatini Guinée équatoriale Gabon Libye Maurice Maroc Namibie Nigéria Seychelles Tunisie |
Source : Site du FAD
Cette classification permet d’orienter les financements là où ils sont le plus nécessaires, tout en encourageant une gestion prudente de la dette et une transition vers le marché au fur et à mesure que les pays améliorent leur note de crédit.
C. Les ressources du fonds fluctuent au fil des reconstitutions
Le FAD ayant vocation à fournir des dons ou des prêts concessionnels, il ne peut, comme le font la plupart des banques de développement, dégager de ses activités un résultat lui permettant de préserver son capital.
Depuis 1974, ses ressources sont donc reconstituées sur une base triennale. Chaque reconstitution s’accompagne de l’établissement d’une stratégie pluriannuelle répondant à des priorités. Ces cycles garantissent un flux régulier et prévisible des ressources pour répondre à l’évolution des besoins des pays éligibles. La dix-septième reconstitution du Fonds (dit « FAD-17 »), qui couvrira la période 2026-2028, est actuellement en cours de négociation.
17e reconstitution des ressources du FAD
Les représentants internationaux des pays membres du FAD et la direction du groupe de la BAD se sont réunis à plusieurs reprises pour discuter de la dix-septième reconstitution des ressources du Fonds (FAD-17). L’annonce des contributions définitives aura lieu à Londres au mois de décembre 2025.
La répartition des fonds devrait s’opérer autour de deux piliers : d’une part, le financement des services essentiels comme l’énergie, l’agriculture, l’eau, la santé et l’assainissement (environ 90 % des financements) et, d’autre part, les enjeux de gouvernance comme le renforcement de la mobilisation des ressources nationales et de la gestion des finances publiques, y compris la transparence et la gestion de la dette (environ 10 % des financements).
À ces piliers s’ajouteront quatre priorités transversales : la fragilité, l’adaptation au changement climatique, l’égalité de genre et l’autonomisation des jeunes ainsi que le soutien au secteur privé.
évolution des ressources du FAD (1974-2022) en millons de dollars
Source : Site du FAD
Les ressources, comme le nombre de projets, évoluent d’une reconstitution à l’autre en fonction des engagements de chacun des donateurs. Au total, depuis sa création, le Fonds a investi environ 58 milliards de dollars sur l’ensemble du continent ([4]), dont environ 50 milliards sont directement issus des dons des pays contributeurs. En 2024, l’encours de prêts atteignait 25 milliards de dollars pour 1 175 prêts.
Nombre de projets soutenus par cycle de reconstitution du FAD (1974-2024) ([5])
Source : https://mapafrica.afdb.org/fr
D. La France participe activement au financement du fonds et à sa gouvernance mais sa contribution à la prochaine reconstitution sera significativement plus faible
La France est une importante contributrice du FAD avec une contribution cumulée d’environ 5 milliards de dollars depuis sa création. Elle a ainsi apporté 369,5 millions d’euros au titre du FAD-14 (2017-2019), 460 millions d’euros au titre du FAD-15 (2020-2022) et 546 millions d’euros au titre du FAD-16 (2023-2025). Cela en fait la quatrième contributrice après les États-Unis, le Royaume‑Uni et l’Allemagne ([6]).
Dans le cadre des négociations sur la dix-septième reconstitution du Fonds (2026-2028), la contribution française est programmée à hauteur de 275 millions d’euros sur trois ans ([7]), soit une baisse de moitié par rapport à la précédente contribution. La rapporteure le regrette et invite le gouvernement à être attentif à ce que cette diminution brutale n’affaiblisse la position privilégiée dont bénéficie la France au sein de cette institution.
En effet, la France possède ainsi 5,3 % des voix au sein des instances de direction, ce qui lui permet d’occuper l’un des sept sièges dévolus aux pays donateurs au sein du conseil d’administration. Elle est donc associée étroitement à la gouvernance du FAD. Le Fonds mène de nombreux projets associant l’Agence française de développement et les entreprises françaises sont les cinquièmes bénéficiaires et titulaires des contrats passés lors des appels d’offres internationaux du Fonds ([8]). Une baisse durable de la participation française risque de remettre en cause ces acquis.
L’accord portant création du FAD désigne le conseil des gouverneurs comme l’organe de décision ([9]). Chaque pays contributeur y est représenté par le même gouverneur que celui qu’il a désigné au conseil des gouverneurs de la BAD, généralement leur ministre de l’économie ou des finances. Ce conseil se réunit au moins une fois par an en vue de fixer les orientations du FAD et d’assurer le contrôle des opérations en approuvant le bilan et les comptes. Le président de la BAD préside d’office le FAD ([10]).
Le conseil des gouverneurs délègue certaines de ses fonctions au conseil d’administration ([11]). Suivant les directives du conseil des gouverneurs, le conseil d’administration conduit les opérations générales du FAD et veille à son bon fonctionnement. Il prépare également les travaux du conseil des gouverneurs et lui soumet les comptes en fin d’exercice. Il comprend sept administrateurs représentant les pays donateurs et sept administrateurs représentant la BAD. Les quatorze administrateurs du FAD sont également membres du conseil d’administration de la BAD, qui comptent six membres supplémentaires.
Contributions des pays donateurs du FAD et répartitions des voix
Source : Groupe Banque africaine de développement, Rapport financier 2024, mars 2025.
Lecture : Les montants sont exprimés en unités de compte (UC) ; 1 UC équivaut environ à 1,30 dollars ou 1,12 euros.
II. La résolution du 23 mai 2023 étend les ressources et les instruments financiers mis à disposition du FAD afin de renforcer ses capacités d’intervention dans un contexte budgétaire contraint
La résolution du 23 mai 2023 est l’aboutissement d’une réflexion engagée à l’occasion des négociations sur la reconstitution du FAD pour la période 2023-2025 (FAD-16). Un groupe de travail s’est réuni à trois reprises en 2022 pour étudier un élargissement des sources de financement du Fonds. En avril 2023, le conseil d’administration a soumis au conseil des gouverneurs un projet de résolution proposant plusieurs amendements à l’accord initial afin de permettre au FAD d’emprunter sur les marchés financiers et d’accroître l’effet de levier de ses financements en diversifiant ses modalités d’intervention.
En dix ans, le profil de dette des pays bénéficiaires du FAD s’est fortement dégradé en raison des chocs géopolitiques et climatiques et de la pandémie de Covid-19 (voir graphique ci-dessous). Cette situation rendait nécessaire une révision du modèle de financement du FAD pour assurer sa viabilité à long-terme.
Répartition des pays bénéficiaires du FAD par niveau de risque d’endettement (en %)
Source : Réponses du gouvernement au questionnaire de la rapporteure
L’objectif de la résolution est de substituer partiellement aux dons – qui représentent encore 37,5 % des financements ([12]) –des prêts très concessionnels et d’autoriser le Fonds à diversifier ses investissements en proposant des financements non-concessionnels ou modérément concessionnels.
La résolution permet également au FAD de mobiliser de nouvelles ressources financières en empruntant sur les marchés financiers et en recourant aux outils du marché pour lever des capitaux et augmenter l’effet de levier obtenu grâce aux contributions.
Cette réforme pourrait permettre d’augmenter les montants mis à disposition des pays bénéficiaires, sans solliciter les pays donateurs dans un contexte budgétaire contraint, et de financer des projets de plus grande ampleur, capables d’engager une dynamique économique positive dans les pays concernés.
Au total, l’étude d’impact du projet de loi prévoit la mobilisation de 22 milliards d’euros supplémentaires sur quinze ans, à contributions équivalentes. La résolution dont il est demandé au Parlement d’autoriser la ratification a été approuvée en mai 2023 à la majorité de 75 % des gouverneurs.
A. Diversifier les instruments d’intervention en permettant au fonds d’accorder des prêts non concessionnels
L’article 2 fixe les objectifs du FAD. Dans sa rédaction issue de l’accord initial, il est prévu que le FAD ne puisse procurer des moyens de financement qu’à « des conditions privilégiées », à savoir des subventions ou des prêts concessionnels. La résolution du 23 mai 2023 amende cet article pour permettre au FAD de fournir également des financements non-concessionnels, c’est-à-dire plus proches des conditions du marché.
Cette évolution est précisée par la modification de l’article 16, qui prévoit désormais que le Fonds procure des moyens de financement à des conditions « jugées appropriées » et non plus seulement à des « conditions privilégiées ». Cette formulation ouvre la voie à des prêts partiellement concessionnels, voire non concessionnels, notamment en direction du secteur privé.
En cohérence, l’article 14 est également modifié pour que les financements du FAD soient « surtout » – et non plus exclusivement – réservés aux membres dont la situation exige des moyens de financement à des conditions privilégiées.
Enfin la rédaction de l’article 15 est ajustée pour préciser que les fonds attribués à des entités non-souveraines (secteur privé, organisations non gouvernementales…) doivent avant tout bénéficier à ces Etats et répondre aux objectifs du Fonds, y compris lorsque les financements accordés ne le sont pas à des conditions privilégiées.
Modifications apportées à l’accord portant création du FAD
Article 2
Le Fonds a pour objet d’aider la Banque à contribuer de façon de plus en plus effective au développement économique et social des membres de la Banque et à promouvoir la coopération (y compris la coopération régionale et sous-régionale) et le commerce international particulièrement entre ces membres. Le Fonds procure des moyens de financement à des conditions privilégiées ou non-concessionnelles pour la réalisation d’objectifs qui présentent une importance primordiale pour ce développement et le favorisent.
Article 14
1. Le Fonds fournit des moyens de financement pour les projets et programmes visant à promouvoir le développement économique et social sur le territoire des membres Il procure ces moyens de financement, surtout aux membres dont la situation et les perspectives économiques exigent des moyens de financement à des conditions privilégiées.
[…]
Article 15
[…]
2. b) En accordant des moyens de financement à des entités autres que des membres, le Fonds prend toutes les dispositions nécessaires pour que les avantages découlant des conditions privilégiées du financement qu’il octroie profitent uniquement aux membres ou autres entités qui, compte tenu de tous les faits pertinents, devraient bénéficier de l’ensemble ou d’une partie de ces avantages.
[…]
Article 16
[…]
2. a) Sous réserve des dispositions du paragraphe précédent, le Fonds procure des moyens de financement à des conditions privilégiées, selon les circonstances, jugées appropriées.
[…]
B. Diversifier les ressources en autorisant le fonds à emprunter à des conditions non privilégiées et émettre des obligations sur les marchés financiers
L’article 8 de l’accord encadre le recours du FAD à d’autres ressources. En l’état du droit, il prévoit la possibilité pour le Fonds de bénéficier de dons ou de prêts exclusivement à des conditions privilégiées et en dehors des marchés de capitaux. Il interdit au FAD de participer comme garant ou emprunteur à l’émission de titres ou d’obligations en reconnaissance des dettes qu’il aurait contractées.
L’amendement prévu par la résolution autorise le FAD à contracter des emprunts aux conditions du marché pour diversifier ses sources de financement. Ces emprunts pourraient être contractés soit sur les marchés de capitaux, soit sur une base bilatérale. Les ressources ainsi obtenues peuvent être reversées aux pays bénéficiaires et le manque à gagner est compensé par les donateurs. Les contributions des donateurs peuvent également servir à garantir les prêts pour obtenir des conditions avantageuses. Cette solution permet de renforcer l’effet de levier et d’augmenter les financements disponibles.
L’article 20 est modifié pour permettre au FAD de réaliser des activités sur les marchés financiers « nécessaires ou souhaitables accessoires à ses opérations qui lui permettent d’atteindre son but ». Il s’agit notamment d’acheter, vendre, garantir ou souscrire des titres qu’il aura émis ou dans lesquels il aura investi, mais aussi de placer des fonds non utilisés dans des obligations de son choix.
L’article 26 est modifié pour adapter les prérogatives du conseil d’administration aux nouveaux pouvoirs du FAD. Il devra notamment approuver les opérations d’emprunt.
Deux modifications complémentaires liées aux activités sur les marchés de capitaux ont été apportées. À l’article 31, il est précisé que le FAD ne peut pas prêter à la Banque africaine de développement mais qu’il peut investir dans les obligations émises par la Banque et inversement. Enfin, à l’article 43, il est indiqué que l’immunité de juridiction dont bénéficie le FAD ne s’appliquera pas à l’exercice de ses pouvoirs d’emprunt.
Modifications apportées à l’accord portant création du FAD
Article 8
[…]
5. Le Fonds peut contracter des emprunts dans les Etats membres de la Banque ou ailleurs, à des conditions privilégiées ou non-concessionnelles, selon ce qu’il juge approprié, et à cet égard peut fournir une sûreté ou autre garantie de son choix, sous réserve que :
a) avant toute cession de ses obligations sur les marchés de capitaux d’un membre, le Fonds ait obtenu l’assentiment dudit membre ;
b) lorsque ses obligations doivent être libellées dans la monnaie d’un membre, il ait obtenu l’assentiment dudit membre ; et
c) le Fonds ait obtenu, s’il y a lieu, l’assentiment des membres visés aux alinéas a et b du présent paragraphe afin que les fonds empruntés soient convertis en une autre monnaie sans aucune restriction.
Article 20
1. Outre les pouvoirs spécifiés dans d’autres articles du présent accord, le Fonds peut entreprendre toutes autres activités nécessaires ou souhaitables dans le cadre de accessoires à ses opérations qui lui permettent d’atteindre son but et qui sont conformes aux dispositions du présent accord, notamment :
a) acheter et vendre les titres qu’il a émis ou garantis ou dans lesquels il a investi, sous réserve d’obtenir l’assentiment de l’Etat membre sur le territoire duquel lesdits titres sont achetés ou vendus ;
b) garantir ou souscrire les titres dans lesquels il a investi pour en faciliter la vente ;
c) placer les fonds non nécessaires au financement de ses opérations dans les obligations de son choix, y compris dans des titres négociables ; et
d) entreprendre toute activité accessoire à ses opérations qui sert son but et entre dans le cadre de ses fonctions, telle que notamment la promotion de consortia de financement.
2. Il est clairement indiqué, sur tout titre garanti ou émis par le Fonds, qu’il n’est pas le titre d’un quelconque gouvernement, à moins qu’il ne soit effectivement le titre d’un gouvernement déterminé, auquel cas mention expresse en est portée sur ledit titre.
Article 26
[…]
2. Suivant les directives générales que lui donne le Conseil des gouverneurs, prend des décisions concernant les prêts individuels et autres moyens de financement que le Fonds doit accorder en vertu du présent accord, ainsi que sur les emprunts contractés par le Fonds en vertu du présent accord ;
[…]
Article 31
[…]
3. Le Fonds n’accorde pas de prêt à la Banque, sans que cela fasse obstacle à ce que le Fonds investisse les fonds non requis pour le financement de ses opérations dans des obligations émises par la Banque, ou à ce que la Banque investisse les fonds non requis pour le financement de ses opérations dans des obligations émises par le Fonds
[…]
Article 43
1. Le Fonds jouit de l’immunité de juridiction à l’égard de toute forme d’action judiciaire, sauf pour les litiges nés ou résultant de l’exercice de son pouvoir d’accepter les prêts conformément aux dispositions de l’article 8 ses pouvoirs d’emprunt, auquel cas il peut faire l’objet de poursuites devant un tribunal compétent sur le territoire d’un Etat où il a son siège ou un agent chargé de recevoir des assignations ou notifications, ou bien dans lequel il accepte d’être poursuivi il a émis ou garanti des titres.
[…]
*
* *
Au cours de sa réunion du mercredi 26 novembre 2025 à 9 heures 30, la commission a procédé à l’examen, ouvert à la presse, et au vote sur le projet de loi, projet de loi autorisant l’approbation de la résolution n° F/BG/2023/04 relative aux amendements à l’accord portant création du Fonds africain de développement (n° 1434).
Mme Constance Le Grip, présidente. Avant de commencer notre réunion, permettez-moi d’excuser l’absence du président Bruno Fuchs, qui accompagnait le chef de l’État dans sa visite officielle au Gabon.
Projet de loi autorisant l’approbation de la résolution n° F/BG/2023/04 relative aux amendements à l’accord portant création du Fonds africain de développement (n° 1434) (Mme Dieynaba Diop, rapporteure)
Mme Constance Le Grip, présidente. Créée en 1964, la Banque africaine de développement (BAD) comprend trois organismes permettant aux États africains d’emprunter, en fonction du revenu par habitant et du niveau de soutenabilité de leur dette : la banque à proprement parler, dont le siège est situé à Abidjan, en Côte d’Ivoire, le Fonds spécial du Nigeria, qui ne compte qu’un pays donateur, et le Fonds africain de développement (FAD), dont il est question aujourd’hui.
Depuis 1972, ce dernier octroie aux pays africains les plus pauvres des subventions et des financements concessionnels, accordés à des conditions plus favorables que celles du marché, c’est-à-dire avec un taux d’intérêt inférieur ou une maturité plus longue grâce à une période de grâce allongée. En cumulé, la France est le quatrième plus gros contributeur à ce fonds, dont trente-sept pays sont bénéficiaires.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. L’examen de ce texte intervient quelques semaines après notre débat sur le financement – ou plutôt le « définancement » – de l’aide publique au développement (APD) et quelques jours avant l’annonce, à Londres, des contributions des pays donateurs du Fonds africain de développement pour les années 2026 à 2028 ; un moment particulièrement bien choisi, donc.
Le projet de loi vise à ratifier la résolution du 23 mai 2023 modifiant l’accord portant création du Fonds africain de développement pour en élargir les sources de financement.
Guichet concessionnel de la Banque africaine de développement, le Fonds africain de développement en complète l’action en fournissant des subventions et des prêts très concessionnels, c’est-à-dire largement inférieurs au coût du marché. Cet instrument est principalement dédié à deux types de pays : d’une part, les vingt-quatre pays les plus pauvres du continent ; d’autre part, sept pays qui connaissent de lourdes difficultés de solvabilité et ne sont donc pas éligibles aux financements de la Banque africaine de développement. Six autres pays, dits mixtes, peuvent bénéficier à la fois du soutien du FAD et de la BAD, à l’instar du Cameroun, de la Côte d’Ivoire ou du Sénégal. L’objectif est alors de les aider à réussir leur transition vers un financement de marché classique. L’activité du FAD est cruciale car les pays les plus pauvres font face à des besoins de financement immenses pour mener des projets leur assurant un développement durable, dans le but de remplacer les solutions humanitaires.
Le FAD vise cinq grands objectifs : éclairer l’Afrique et l’alimenter en énergie, nourrir l’Afrique, industrialiser l’Afrique, intégrer l’Afrique et améliorer la qualité de vie des populations africaines.
Depuis sa création, en 1972, le FAD a financé 2 968 projets – dont 436 en cours –, pour un total de 58 milliards de dollars : 90 % des financements sont attribués directement aux gouvernements, les 10 % restants étant accordés à des acteurs du secteur privé ou de la société civile. Les dons représentent 37,5 % des financements mais leur part tend à diminuer au profit des prêts concessionnels, qui offrent un effet de levier plus important et, surtout, permettent d’accompagner les pays bénéficiaires vers l’autonomie financière.
Le FAD obéit à un fonctionnement distinct de celui de la Banque africaine de développement en ceci qu’il doit être régulièrement reconstitué. Les banques de développement s’inscrivent dans une démarche commerciale : leurs dépenses sont couvertes par une activité financière s’appuyant sur les fonds fournis par les pays ayant fait le choix de participer à leur capital. Les fonds concessionnels fonctionnent différemment : ils attribuent des financements sous forme de dons ou de prêts à des taux très faibles. Tous les trois ans, les pays contributeurs du FAD négocient pour reconstituer ses ressources et lui fixer de nouveaux objectifs.
Les financements sont attribués selon un processus très exigeant, qui dépend avant tout de la capacité des pays à mener à bien leurs projets, puisque 50 % des aides sont accordées aux pays sur la base de leurs performances dans le cadre des projets précédents ; 25 % sont alloués aux projets continentaux et 25 % servent à soutenir la transition des pays vers le financement de marché. Cette action multilatérale, qui finance des projets de grande ampleur alignés avec nos priorités – notamment en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de soutien aux pays les moins avancés – complète utilement notre action bilatérale.
Avec une contribution cumulée d’environ 5 milliards d’euros depuis la création du Fonds – 369,5 millions d’euros pour les années 2017 à 2019 au titre de la quatorzième reconstitution, 460 millions pour les années 2020 à 2022 au titre du FAD-15 et 546 millions pour les années 2023 à 2025 au titre du FAD-16 –, la France est la quatrième plus importante contributrice du FAD derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Cette position lui assure l’un des sept postes au sein du conseil d’administration, ce qui lui permet de peser dans les choix de financement du Fonds.
Sous l’effet de la contrainte budgétaire, le gouvernement a choisi de diviser par deux la contribution de la France à la dix-septième reconstitution, qui s’établirait à 275 millions d’euros pour les années 2026 à 2028. Si elle devait se concrétiser, une baisse aussi brutale fragiliserait notre influence dans cette institution : ce serait une grave erreur car ses objectifs sont presque complètement alignés avec ceux de la France – l’Agence française de développement (AFD) réalise d’ailleurs de nombreux projets grâce à des cofinancements du FAD. En outre, la France bénéficie directement des retombées de ses contributions, puisque les entreprises françaises sont les cinquièmes bénéficiaires et titulaires des contrats passés lors des appels d’offres internationaux.
Dans un contexte de réduction globale des contributions, la modification de l’accord intervient opportunément : elle permet d’offrir de nouvelles ressources au Fonds en diversifiant ses financements et ses instruments. À contributions constantes, elle devrait permettre de dégager 22 milliards d’euros de financements supplémentaires au cours des quinze prochaines années. Ces moyens sont essentiels car, depuis la pandémie de Covid, la solvabilité des pays les plus pauvres s’est beaucoup dégradée, tandis que les besoins en financement sont toujours plus importants. Or, le FAD est aujourd’hui limité dans son action par l’accord de 1974, qui ne l’autorise qu’à accorder des dons et prêts concessionnels : il ne peut ni emprunter sur les marchés financiers, ni garantir des prêts, ni émettre des titres et obligations.
La résolution du 23 mai 2023 apporte donc une série de modifications visant à assouplir les modalités d’intervention du Fonds, tout en préservant son mandat. Premièrement, elle lui permet d’attribuer des financements à des conditions moins privilégiées, tant qu’ils poursuivent in fine les objectifs visés par le traité ; je les ai rappelés. Deuxièmement, elle lui offre la possibilité d’emprunter aux conditions du marché, soit de manière bilatérale, soit sur les marchés de capitaux. Troisièmement, elle l’autorise à mener sur les marchés financiers des activités « nécessaires ou souhaitables, accessoires à ses opérations, qui lui permettent d’atteindre son but », c’est-à-dire notamment à acheter, vendre, garantir ou souscrire des titres qu’il aura émis ou dans lesquels il aura investi, ou encore de placer les fonds non utilisés dans les obligations de son choix.
Je ne peux donc que vous encourager à soutenir ce projet de loi, qui offrira davantage de financements pour le développement des pays les plus pauvres, sans nécessiter de contributions supplémentaires. Cela ne signifie pas pour autant que la France doive poursuivre son désengagement de l’aide publique au développement : elle y perdrait son influence dans des institutions comme le FAD, des outils formidables, et même primordiaux, pour mettre nos contributions multilatérales au service de nos priorités stratégiques. Alors que notre influence sur le continent africain est concurrencée, voire supplantée, par d’autres pays, nous avons plus que jamais besoin de réaffirmer notre présence partout.
Mme Constance Le Grip, présidente. Je vous remercie pour cette présentation très complète des enjeux géostratégiques et géopolitiques, qui illustre toute l’importance de permettre au Fonds africain de développement de continuer à agir utilement.
Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.
M. Stéphane Hablot (SOC). Ce projet de loi vise à renforcer le Fonds africain de développement, qui accorde des dons et prêts aux pays africains les plus vulnérables. Il a ainsi déjà financé près de 3 000 projets, pour un total de 58 milliards de dollars, dans des secteurs essentiels tels que l’énergie, l’agriculture, l’eau, la santé ou les transports. La France est le quatrième plus important des trente-quatre pays donateurs.
En dix ans, l’endettement des trente-sept pays bénéficiaires s’est brutalement dégradé. La résolution du 23 mai 2023 vise donc à élargir les ressources du Fonds. Si elle devrait permettre de dégager 22 milliards d’euros supplémentaires au cours des quinze prochaines années, elle diminue aussi la part des dons au profit des prêts, au risque évident d’accroître l’endettement de pays déjà en situation critique, alors que la création du Fonds visait précisément à les protéger. C’est contradictoire. Ces constats posent une question cruciale : au-delà des montants alloués, à quel point cette aide est-elle efficace pour les pays bénéficiaires ?
L’exigence d’efficacité et de résultats mesurables en matière de réduction des inégalités et de résilience climatique doit être au cœur de la réforme. Donnons-nous les moyens d’évaluer les actions menées et rendons les bénéficiaires acteurs de leur propre développement, sans quoi le projet sera stérile et inefficace. Il faut sauver et sécuriser cet outil central pour le développement africain mais aussi lui donner des moyens nouveaux, et surtout durables. Le groupe Socialistes et apparentés soutient le projet, sous réserve que ce Fonds reste avant tout un instrument de solidarité, de dons et de prêts pour – et avec – les peuples du continent africain.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Je comprends votre préoccupation concernant les nouvelles modalités de fonctionnement du Fonds et le risque de surendettement. Le FAD a vocation à financer deux types de pays non solvables : les pays très pauvres et les pays très endettés, comme Djibouti. Dans 37 % des cas, l’aide prend la forme d’un don, et dans 63 %, celle d’un prêt à taux très concessionnel, justement pour éviter le surendettement. Il existe aussi un processus d’accompagnement progressif des pays fragiles vers le financement de marché. Le risque que vous pointez est donc bien pris en compte.
La réforme doit permettre au FAD de recourir à de nouveaux instruments pour équilibrer les financements à bas coût avec des financements plus proches du marché, par exemple lorsqu’il s’agit de financer le secteur privé qui intervient dans les pays bénéficiaires. Il me semble important d’accompagner autant que possible ces pays vers davantage d’autonomie, afin de limiter leur dépendance aux différents organismes de soutien. C’est d’ailleurs ce qu’ils réclament eux-mêmes.
Le FAD répond directement aux besoins des populations, puisqu’il est piloté à la fois par les pays donateurs et la Banque africaine de développement, qui dispose d’un maillage étroit sur le territoire africain et connaît très bien les enjeux économiques de la région. Les nombreux projets qu’il finance sont co-construits avec le continent africain, qui est représenté au conseil d’administration. Nous ne sommes pas dans une logique descendante : les problèmes et les besoins locaux sont bien pris en compte.
M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Le Fonds africain de développement est l’un des instruments du multilatéralisme les plus utiles. Il permet aux pays africains les plus vulnérables d’accéder à des dons ou des prêts concessionnels pour financer des projets de développement dans différents domaines – électricité, eau, infrastructures de base, santé, adaptation au changement climatique –, avec des résultats concrets : selon les estimations, 1 million de personnes ont été connectées à l’eau potable et plus de 500 000 raccordées à l’électricité en 2023. Mais ces succès sont menacés par la crise du multilatéralisme et les attaques portées à la solidarité internationale : les États-Unis, premier contributeur historique au FAD, ont annoncé le retrait intégral de leur contribution. Ce désengagement laisse un vide financier énorme et porte un coup à l’esprit même de la coopération internationale.
Le Fonds doit donc se réformer et élargir ses sources de financement : ce texte lui donne les moyens de le faire en l’autorisant à emprunter sur les marchés. Je voterai donc pour ce projet de loi, qui permettra de dégager plus de 20 milliards supplémentaires pour financer les pays africains en développement. Mais cette réforme ne suffira pas si les bailleurs ne jouent pas leur rôle. À la veille de la reconstitution du FAD, la France doit être au rendez-vous. Or notre contribution devrait être divisée par deux : c’est un très mauvais signal envoyé à l’Afrique et à la solidarité internationale. Défendre le multilatéralisme ne doit pas être une posture mais une responsabilité. D’autres pays européens l’ont bien compris, comme le Danemark, qui vient d’annoncer une augmentation de 40 % de sa contribution, affirmant par là une vision du monde bien différente de celle de Donald Trump.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Je souscris entièrement à votre analyse. Le FAD, je l’ai dit, est un outil essentiel dans lequel nous avons une place de choix, puisque notre siège au conseil d’administration nous permet d’influer sur les décisions en matière de financement. Réduire aussi drastiquement notre contribution revient à fragiliser notre position. Le Danemark, qui augmente sa contribution de 40 %, a bien compris l’importance du FAD comme levier de soft power sur le continent africain. Nous devons nous montrer à la hauteur de nos engagements, notamment en matière de solidarité internationale. Or, proportionnellement, c’est l’aide publique au développement qui a subi la coupe la plus importante dans les budgets successifs. Nous ne pouvons pas laisser passer cette opportunité d’être présents sur le continent africain et de soutenir activement et efficacement les populations les plus pauvres : ce serait manquer à nos engagements. Je continuerai à plaider pour le maintien du niveau de notre contribution. J’espère que nous serons entendus.
M. Frédéric Petit (Dem). Madame la rapporteure, la lecture de votre rapport sur ce sujet que vous maîtrisez bien, et depuis longtemps, a été très agréable.
Pour compléter votre réponse à notre collègue socialiste, je précise que les dons ne diminuent pas en valeur ; seulement, l’augmentation envisagée de la part des prêts non concessionnels entraînera mécaniquement la baisse de celle des dons.
Je voudrais inscrire notre débat de ce matin dans un contexte plus large : on en parle peu mais c’est à l’initiative de la France qu’a été lancée une grande réflexion sur la réforme du financement mondial du développement – j’en suis fier –, qui s’est poursuivie à la conférence de Séville. Cette dernière illustre bien l’esprit de la résolution dont nous parlons, même si elle lui est postérieure : puisque nous manquons d’argent public, cherchons à attirer les financements du privé vers des projets éthiques, plutôt que de s’y opposer par pure idéologie.
Cette coordination entre financements privés et publics présente trois effets bénéfiques, à commencer par un évident effet de levier. Au XXIe siècle, les politiques publiques ne seront plus l’apanage de l’État : les banques, les entreprises, tous ceux qui gagnent leur vie doivent y contribuer. Cette approche permet aussi de lutter contre le fractionnement de l’aide : nous sommes tous fatigués de voir des aides en silos, éparpillées dans tous les coins, gérées par des gens qui ne se parlent pas. Enfin, en offrant davantage de moyens de contrôle et une meilleure coordination, elle permet de lutter contre la fraude.
Madame la rapporteure, pouvez-vous nous indiquer la part de notre contribution apportée respectivement en capital et en dons ? Il me semble que nous avons apporté du capital au départ, ce qui n’est évidemment pas perdu.
Notre contribution au FAD dépend-elle bien du programme budgétaire n° 384 ? Le cas échéant, nous avons un peu de marge : non seulement l’existence d’un plancher le préserve d’une éventuelle réduction mais, en plus, la dotation de 1,8 milliard d’euros dont il sera doté ne sont pas encore affectés. Le cas échéant, il y aurait probablement quelque chose à faire après le budget.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Je connais votre expertise en la matière, et c’est agréable pour moi aussi d’échanger sur des éléments concrets avec des collègues qui maîtrisent bien le sujet.
Nous possédons bien des parts dans le capital de la BAD mais notre contribution au FAD prend la forme de contributions pluriannuelles, financées par le programme budgétaire n° 110.
En diversifiant les outils financiers à disposition du FAD, cette résolution permettra de dégager pas moins de 22 milliards d’euros supplémentaires en quinze ans malgré la baisse des contributions. C’est tout son intérêt.
M. Bertrand Bouyx (HOR). Depuis plus de cinquante ans, le FAD constitue l’instrument central de la Banque africaine de développement pour soutenir les pays africains les plus vulnérables à travers des dons et prêts hautement concessionnels. Or, malgré les efforts des pays donateurs, ces États continuent de faire face à des besoins massifs de financement, aggravés par les conséquences durables de la pandémie de Covid-19 et l’impact économique de la guerre en Ukraine. Le ratio d’endettement des pays africains atteint désormais près de 60 % du produit intérieur brut (PIB), contre 50 % avant la crise.
Face à cette situation, l’Union africaine a appelé à une réforme structurelle du FAD, afin d’élargir ses sources de financement. Les amendements proposés permettront à celui-ci d’emprunter sur les marchés de capitaux internationaux et de mobiliser des financements non concessionnels en s’appuyant sur l’effet de levier de ses fonds propres, afin de mobiliser jusqu’à 20 milliards d’unités de compte supplémentaires sur quinze ans. Ces nouvelles ressources seront mises à disposition des pays bénéficiaires sous forme de prêts dits « modérément concessionnels » et permettront, grâce à un mécanisme de subventions croisées, de maintenir et d’accroître les capacités du Fonds à octroyer des dons et des prêts très concessionnels aux États les plus fragiles. Ce dispositif encadré et sélectif ne concernera que des pays dont la dette demeure soutenable.
Quatrième contributeur du FAD en cumulé, la France, qui détient 5,3 % des voix au sein de son conseil d’administration, a un rôle stratégique à jouer dans l’entrée en vigueur de cette réforme. Le modèle retenu ayant vocation à être autonome, sans appel à contribution supplémentaire auprès des États donateurs, les risques financiers pour notre pays sont maîtrisés. Le groupe Horizons & indépendants soutient donc pleinement ce projet de loi, qui s’inscrit dans une vision responsable et ambitieuse de la solidarité internationale et du développement du continent africain.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Depuis la crise du Covid, de nombreux pays ont vu leur situation financière se dégrader et leurs besoins augmenter. C’est en effet l’Union africaine elle-même qui nous a demandé de faire évoluer les modalités d’action du Fonds africain de développement et de diversifier ses outils afin de répondre pleinement aux besoins des populations : toutes les décisions sont prises en coopération directe avec les pays bénéficiaires.
Surtout, l’objectif est d’accompagner les pays en difficulté vers l’autonomie en leur accordant des prêts concessionnels qui leur permettront de devenir progressivement solvables sur les marchés de capitaux plutôt que de rester dépendants des dons.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Pour bien comprendre comment s’exerce la solidarité à l’égard du continent africain, il me semble nécessaire d’élargir la focale. Au-delà du FAD, dont votre rapport très précis explique clairement le fonctionnement, de quelles aides multilatérales les pays africains bénéficient-ils ? On dit souvent que la Chine joue auprès d’eux le rôle d’une banque. Comment s’y prend-elle ? Ses financements passent-ils par le FAD, ou par d’autres biais ?
Plusieurs des orateurs qui se sont exprimés jusqu’à présent, dont vous-même, estiment que l’élargissement des modes de financement du Fonds est une bonne chose. Personnellement, je n’ai jamais rencontré d’acteurs privés généreux au point de prêter de l’argent de façon purement altruiste, sans intérêts ; n’hésitez pas à nous les présenter s’ils existent. Or le remboursement desdits intérêts est l’un des maux des pays africains. Nous avons souvent répété dans cette commission que, pour sortir les pays les plus pauvres de leur situation et les accompagner sur un autre chemin, il fallait renoncer aux prêts et privilégier les dons. Même si les taux pratiqués dans le cadre du FAD sont très bas, on change ici de logique : on renoue tranquillement, discrètement, sans apporter d’argent public, avec une logique de prêts qui impliqueront des remboursements.
Vous indiquez par ailleurs que les financements seront plus facilement accordés aux pays qui auront réalisé les projets précédents. J’imagine que cette notion inclut la capacité à rembourser l’emprunt. Ce critère risque ainsi de contribuer à enfoncer encore un peu plus ceux qui rencontrent les difficultés les plus fortes. Pouvez-vous nous éclairer sur cette pratique ?
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Le FAD n’est effectivement pas le seul levier de financement des pays africains. Il présente toutefois l’intérêt d’être construit et piloté avec eux. Ce sont d’ailleurs eux qui ont demandé les évolutions qui vous sont soumises.
Je comprends votre réticence à alourdir encore les intérêts dont ils doivent s’acquitter. Les dons aux pays les plus précaires seront toutefois maintenus : le risque de chaque opération est mesuré et, si un pays est susceptible d’être mis en difficulté par un prêt, celui-ci est abandonné au profit du don. Les pays bénéficiaires eux-mêmes demandent à élargir les outils disponibles, afin de bénéficier de montants beaucoup plus élevés pour conduire les projets dont leurs populations ont besoin dans le domaine des infrastructures – routes, éclairage – ou de la santé. Il est important de leur permettre d’emprunter comme n’importe quel autre pays, afin qu’ils ne dépendent plus de la solidarité internationale ou de dons dits « humanitaires » : pour émerger, ils doivent pouvoir se développer en étant totalement libres de leurs actions.
Vous avez cependant raison de souligner qu’il ne faut pas aggraver leur dette. Nous y serons particulièrement attentifs. C’est pourquoi il est prévu d’accorder des prêts concessionnels à des taux très bas. Une partie des dons accordés dans le cadre du FAD est d’ailleurs dévolue à l’annulation de la dette des pays concernés. Le fonctionnement est donc bien différent de celui d’une banque classique : l’objectif est d’aider ces pays à effacer leur dette et de les accompagner progressivement sur le marché pour qu’ils puissent emprunter dans des conditions correctes.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Vous n’avez pas complètement répondu à mon interrogation. Je souhaitais avoir des précisions sur les procédés alternatifs à celui retenu dans le cas d’espèce. Comment un pays très actif en matière d’APD comme la Chine, par exemple, procède-t-il ?
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. La Chine a déjà abondé le FAD à hauteur de 768 millions d’euros depuis sa création mais elle agit surtout à travers des prêts directs.
M. Guillaume Bigot (RN). Je m’étonne que votre rapport, par ailleurs éclairant, évoque si peu l’étude d’impact jointe au projet de loi. Cette dernière contient pourtant des informations cruciales pour le contribuable français, puisqu’elle révèle que, si le texte n’engendrera aucun coût budgétaire immédiat, il exposera indirectement la France à des risques souverains et financiers très graves.
La réforme du FAD devrait entraîner un besoin supplémentaire estimé à 27 millions d’unités de compte par cycle de reconstitution de trois ans, répartis entre les donateurs. Elle crée un système de garantie implicite : en cas de difficulté sur les marchés, la France devra recapitaliser le FAD pour que celui-ci préserve sa notation AAA, ce qui est un peu ironique dès lors qu’elle n’en dispose plus elle-même. L’étude d’impact pointe donc une augmentation du risque de surendettement des pays africains, qui crée les conditions de défauts en chaîne.
Un stress test en cas de crise obligataire ou de défauts massifs a-t-il été effectué ? L’impact d’une recapitalisation d’urgence sur notre propre trajectoire budgétaire a-t-il été évalué, alors que la France est déjà placée sous procédure pour déficit excessif ?
Je ne m’attarderai pas sur les réserves bien connues de notre groupe : nous estimons qu’il faut conditionner les aides multilatérales à une meilleure gestion des flux migratoires par les pays bénéficiaires et les assortir de clauses relatives aux appels d’offres pour éviter qu’elles ne bénéficient à des entreprises chinoises. J’appelle en revanche votre attention sur le fait que la liste des bénéficiaires du FAD inclut des gouvernements putschistes, notamment le Niger – auquel 165,5 millions de dollars seront attribués en 2025 –, le Mali et le Burkina Faso, alors que ces pays nous ont mis dehors et que nos ambassades y sont fermées.
Pour toutes ces raisons, il me paraît nécessaire et prudent de baisser notre contribution et de refuser l’engagement qui nous est proposé.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Je reconnais bien là vos habituelles lubies en matière d’aide publique au développement. Comme vous n’étiez pas là pour entendre mon propos liminaire – mais je suis certaine que vous l’avez suivi avec attention –, je me permets de répéter que le FAD fonctionne en co-construction avec le continent africain, que la répartition des engagements est très claire et que tous les risques sont parfaitement maîtrisés.
Les financements accordés au Sahel, en nette diminution, sont destinées à des projets qui profitent directement aux populations. Ce n’est pas parce que des gouvernements nous ont mis dehors à la suite d’un coup d’État que nous devons abandonner les populations à leur sort, au contraire. Le FAD nous permet de garder un lien avec ces pays, même si nous n’en entretenons plus avec leurs gouvernements. L’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) applique d’ailleurs la même logique. Il y a là une différence fondamentale entre nous : je ne crois pas qu’il faille punir les populations pour l’action de leurs gouvernants.
Les nouveaux instruments mis à disposition du FAD lui permettront de diversifier ses risques mais aussi de les réduire en accordant des prêts non concessionnels. S’agissant du risque soulevé dans l’étude d’impact, je fais confiance à nos services, qui le jugent mesuré. Je fournirai toutefois les chiffres relatifs à l’éventualité que vous évoquez même si, comme vous le savez, elle a très peu de chance de se réaliser.
M. Guillaume Bigot (RN). Il s’agit là d’un point de désaccord entre nous.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Voilà qui est plutôt rassurant.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Nous prenons des risques très mesurés pour conduire une action utile aux populations. À l’heure où notre place sur le continent est remise en cause par certains, nous avons tout intérêt à conserver un levier si important de diplomatie et d’influence.
M. Guillaume Bigot (RN). Nous avons effectivement là un véritable point de désaccord : après 58 morts français et des centaines de millions injectés dans ces pays, j’estime qu’on ne peut plus les aider, même indirectement. Il ne s’agit bien évidemment pas de prendre les populations en otage ni de les punir.
M. Vincent Ledoux (EPR). Nous ne pouvons pas nous désintéresser du continent africain, où se joue notre stabilité politique, la sécurité de la région, la transition énergétique, la sécurité alimentaire, ou encore la croissance démographique de demain : son avenir conditionne d’une certaine façon celui de la France et de l’Europe. Aider l’Afrique n’est pas une option mais un impératif stratégique : chaque euro investi là-bas est un investissement dans notre stabilité. Je salue d’ailleurs tous les Français qui, dans les pays du Sahel, entretiennent le lien avec les populations civiles. Ces dernières ont besoin de notre soutien : indépendamment des choix de leurs dirigeants, dont elles sont trop souvent les victimes, nous ne devons pas les abandonner.
Le FAD, qui est l’un des rares outils capables de financer les pays les plus fragiles à travers des dons et des prêts très concessionnels, joue un rôle central dans cet effort. Il a financé près de 3 000 projets dans trente-sept pays. La France, qui lui a versé 5 milliards d’euros au total et y dispose de 5 % des voix, y exerce une influence déterminante.
Votre travail montre clairement l’intérêt de la réforme qui nous est proposée. En autorisant le FAD à accéder aux marchés de capitaux et à accorder des prêts modérément concessionnels, elle permettrait de mobiliser 20 à 22 milliards d’euros supplémentaires sur quinze ans, sans charge immédiate pour la France. Alors que la dette moyenne des pays bénéficiaires a bondi de 50 % à 60 % du PIB entre 2019 et 2023, une telle évolution est indispensable.
Vous soulignez néanmoins deux risques : le surendettement des États les plus fragiles et le coût croissant du mécanisme de compensation des dons.
Quels nouveaux outils de suivi permettront de mesurer l’impact réel des prêts modérément concessionnels ? Vos auditions ont-elles permis d’identifier des mécanismes de nature à garantir qu’ils remplacent bien la dette privée, plus coûteuse ?
Quels engagements ont été pris pour garantir la complète transparence opérationnelle des nouvelles activités du FAD sur les marchés, ainsi qu’une information régulière et lisible des donateurs ?
Nous ne devons pas réduire notre aide aux populations mais continuer à soutenir activement le développement de nos deux continents. Nous soutenons donc ce texte.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. La BAD est dotée d’un département de l’évaluation indépendante du développement – l’Idev –, qui effectue des évaluations sur le terrain, auprès des populations aidées et produit un rapport annuel traitant de l’ensemble des projets conduits. C’est sur cette base que les attributions de financements tiennent compte pour 50 % de la capacité des bénéficiaires à mener à bien les projets précédents. Cet outil interne de suivi permet également d’apporter un soutien technique en cas de difficultés.
Dans un rapport de 2023, la direction générale du Trésor souligne que « le FAD apparaît convergent avec les priorités françaises et complémentaires d’autres instruments mobilisés par la France sur le continent africain. De surcroît, la contribution française permet d’influer sur le fonctionnement interne du Fonds et ses orientations stratégiques. ». Ainsi, non seulement l’impact des projets financés est évalué précisément mais ceux-ci sont pleinement alignés avec nos objectifs et profitent à notre économie, puisque les entreprises françaises sont les cinquièmes bénéficiaires et titulaires des contrats conclus dans le cadre d’appels d’offres internationaux.
Le processus est donc gagnant-gagnant : les projets sont conduits au plus proche des populations et construits soit avec les gouvernements concernés soit avec des acteurs de terrain – organisations non gouvernementales ou acteurs privés – afin de répondre aux besoins dans les secteurs de la santé ou de la lutte contre les effets du changement climatique.
Je vous transmettrai les références de ces documents.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP). Les amendements à l’accord qui nous sont soumis visent à permettre au FAD de lever de nouvelles ressources sur les marchés. Chacun comprend l’idée : de nouvelles capacités de financement sont nécessaires pour répondre à des besoins toujours plus grands.
Nous devrions cependant nous demander pourquoi les États concernés formulent une telle demande. Sans doute est-elle liée au fait que l’aide internationale souffre du très fort désengagement de nombreux pays, au premier rang desquels les États-Unis : l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) ne finance quasiment plus rien et la Croix-Rouge a annoncé la suppression de 3 000 postes et une réduction de 20 % de son budget pour 2026. Nous ne nous opposerons pas au texte mais je crains qu’il ne contribue à accentuer la tendance. Les États-Unis ont d’ailleurs annoncé leur intention de supprimer leur contribution de 550 millions de dollars au FAD.
Je suis profondément convaincu que les États n’ont pas tant besoin de nouveaux outils financiers que de dettes moins élevées. Or les mesures proposées ne vont pas en ce sens. Joseph Stiglitz, désormais rejoint par Thomas Piketty, le dit depuis au moins vingt ans : aucun pays ne peut se développer en étant si lourdement endetté. Le Sénégal en est une bonne illustration : alors qu’une dette de 7 milliards de dollars y a été dissimulée pendant des années par l’ancien président Macky Sall, le pays se trouve au bord de la faillite et 30 % des ressources de l’État devront être consacrées au service de la dette, au détriment de la santé, de l’éducation et de tous les besoins vitaux du pays. Cet exemple est loin d’être unique ; certains États se trouvent même dans une situation encore plus précaire.
Nous avions proposé, lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF), de créer un programme à travers lequel les Français, dans ce contexte d’attrition de la solidarité internationale, auraient montré l’exemple en enclenchant une dynamique d’annulation ou de réduction des dettes publiques qui étranglent les pays africains. La financiarisation accrue de la solidarité internationale et le recours systématique aux marchés risquent d’accentuer le problème. Nous nous abstiendrons donc sur ce texte.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. J’entends vos réserves, que je partage en partie. J’insiste cependant sur le fait qu’une partie des dons affectés au FAD sera toujours utilisée pour annuler la dette des pays les plus en difficulté.
Au-delà de la gestion de leur endettement par chaque pays – qu’il ne m’appartient pas, en tant que députée française, de commenter –, il n’est nullement question de renoncer aux dons ni aux annulations de dette. Il s’agit simplement de diversifier les outils à disposition des bénéficiaires et de leur permettre d’entrer sur le marché à moindre risque, avec le soutien du FAD et de ses prêts très concessionnels, pour qu’ils puissent répondre aux besoins croissants de leurs populations en matière de santé ou d’énergie.
Je vous rejoins sur un point : moins les pays seront endettés, mieux nous nous porterons tous. Il ne faut absolument pas aggraver la dette de pays déjà en difficulté. La réalité nous impose cependant de les accompagner au mieux, tout en maintenant notre influence sur le continent africain. Si nous ne voulons pas laisser la place à des acteurs beaucoup moins scrupuleux, comme la Chine, nous ne devons pas diminuer notre contribution. Nous aurions même dû prendre exemple sur le Danemark et l’augmenter.
Mme Constance Le Grip, présidente. Nous en venons à présent aux questions ou interventions formulées à titre individuel.
M. Michel Guiniot (RN). L’article 14(1) de l’accord porte sur l’utilisation des ressources du Fonds africain de développement. Il est proposé de l’amender pour préciser que le Fonds peut fournir des moyens de financement à tous les membres de la BAD, particulièrement à ceux dont la situation et les perspectives économiques exigent un tel financement à des conditions privilégiées.
D’après l’étude d’impact, la France est le troisième contributeur du Fonds en cumulé. Elle a contribué pour 560 millions d’euros à la dernière levée de fonds, somme à laquelle s’est ajoutée une compensation de dons évaluée à 22,6 millions. Le ratio de dette sur PIB des pays africains atteint par ailleurs 60 % en 2023, signe d’une capacité budgétaire réduite et d’une moindre viabilité de leur dette. Pourtant, si le Congo, le Gabon et le Togo sont considérés comme étant en difficulté avec respectivement 95,4 %, 73 % et 69 % d’endettement, que penser de la France, qui affiche un taux de 106 % ? Les pays bénéficiaires du FAD sont, selon le graphique qui figure en page 15 de votre rapport, dans une situation de plus en plus catastrophique : alors que seuls 5 % d’entre eux étaient surendettés en 2015, cette proportion atteint désormais 24 %.
Quel risque pèse sur les prêts consentis par le FAD ?
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Le FAD limite son exposition par pays et tient compte du niveau d’endettement de chaque emprunteur pour éviter le scénario catastrophe que vous et Guillaume Bigot avez évoqué. Il s’appuie sur les analyses approfondies du Fonds monétaire international (FMI) quant à la capacité de chaque pays à rembourser ses dettes. Les risques sont donc très faibles.
Je préfère que ces pays empruntent auprès du FAD plutôt qu’auprès de la Chine ou d’autres États qui en profiteraient pour s’installer chez eux et leur proposeraient des conditions beaucoup moins intéressantes, susceptibles de les fragiliser sur les marchés.
Le rapport auquel j’ai fait référence détaille les conséquences de tous les prêts consentis par le FAD.
M. Frédéric Petit (Dem). N’assimilons pas, chers collègues, l’entrée au capital d’une institution financière à une dépense. Les actifs de la France sont cinq fois supérieurs à sa dette.
Pour répondre à Jean-Paul Lecoq, il me semble qu’environ la moitié de l’aide publique au développement française, soit peu ou prou 7 milliards d’euros, est consacrée à l’Afrique : la solidarité envers l’Afrique est donc loin de se limiter au FAD.
Enfin, gardons à l’esprit qu’il existe dans le monde de très nombreux acteurs qui cherchent à investir leur argent, pour des montants sans doute cent fois supérieurs à ceux qui sont évoqués ici. Notre but est de les orienter vers des financements tels que ceux offerts par le FAD. Quant à la Chine, selon l’adage, elle ne se fait pas rembourser en argent mais en abandon de pouvoir, de terres ou de minerais.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. C’est vrai. La Chine n’investit pas au hasard et, le plus souvent, elle se rembourse au travers de concessions de pêche, de terres agricoles ou de minerais. Le fait que nous aidions des pays à ne pas dépendre de ce type de financements ne pourra être que bénéfique à tout le monde, en premier lieu aux populations elles-mêmes.
M. Guillaume Bigot (RN). Ne trouvez-vous pas surprenant que la France emprunte pour financer des fonds qui servent à désendetter des pays moins endettés qu’elle comme le Mali, le Niger ou le Burkina Faso ? Ces pays, en plus, achètent ensuite auprès de nos rivaux que sont la Russie et la Chine.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Je reconnais là votre penchant pour le sophisme et votre capacité à faire des raccourcis.
M. Guillaume Bigot (RN). Ce sont des faits !
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Ce que vous dites n’a pas de sens car, s’ils sont moins endettés, ces pays ne disposent ni de la même capacité de remboursement ni des mêmes actifs que nous. Vous comparez des choux et des carottes, avec des allégations superfétatoires qui ne servent que votre idéologie. Nous aidons ces pays parce que nous en avons la capacité et pour respecter nos engagements en matière de solidarité internationale. Nos investissements sont sains et moraux ; ils aident les populations qui en ont le plus besoin.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Les propos de l’extrême droite m’incitent à réagir. Nous restons l’un des pays les plus riches du monde, en dépit de la baisse du pouvoir d’achat et de nos difficultés économiques et budgétaires. Il est important que nous soyons solidaires des populations les plus pauvres. Les conditions de vie dans la campagne africaine sont loin d’être celles que nous connaissons. J’ai du mal à comprendre que l’on salue les investissements des Américains en France ou ceux des Canadiens dans des mines à l’étranger mais que l’on trouve scandaleux ceux des Chinois dans les minerais africains !
M. Vincent Ledoux (EPR). Cessons d’imaginer l’Afrique comme un continent totalement sous-développé. Il faut soutenir les régions qui en ont besoin, comme nous le faisons et comme le font très bien les collectivités territoriales, mais aussi accompagner la partie du continent qui est en plein décollage économique.
M. Guillaume Bigot (RN). C’est tout à fait vrai.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Je partage cet avis. Les pays émergents doivent être accompagnés, ce que le FAD fera très bien. Ceux qui sont en très grande difficulté ont besoin de la solidarité internationale à laquelle nous nous sommes engagés : je rappelle que nous avons voté à l’unanimité l’objectif de consacrer 0,7 % de notre revenu national brut à l’aide publique au développement. On en est loin, avec des coupes drastiques de plus de 3 milliards d’euros. Cela doit nous interroger sur le respect de nos engagements.
Je vous le répète, monsieur Bigot : il est nécessaire que nous continuions à agir sur le continent africain – y compris pour nous-mêmes, car cela nous permet d’y conserver une position prépondérante.
M. Guillaume Bigot (RN). On ne dit pas le contraire mais pas avec n’importe qui et pas n’importe comment.
M. Alain David (SOC). À l’heure où Bamako s’apprête vraisemblablement à tomber aux mains des terroristes, il serait regrettable que nous cessions d’aider les populations ; ce ne sont pas les gouvernements en place qu’il s’agit d’aider. Il ne faudrait pas que certains habitants soient tentés, pour une somme modique, de venir grossir les rangs terroristes. Nous devrions même accroître notre aide.
Mme Dieynaba Diop, rapporteure. Certains de nos collègues viennent de réagir à vos propos en disant, au sujet des populations, « Encore faut-il qu’elles en soient bénéficiaires ». Je les invite à lire le rapport annuel de la Banque africaine de développement sur la performance et les résultats du FAD : les gouvernements et les acteurs de terrain sont autour de la table ; les projets profitent directement aux populations et la plupart d’entre eux, menés à l’échelle continentale ou régionale, n’auraient pas pu bénéficier d’autres financements.
Je reconnais qu’il faut peut-être réinterroger les modalités de notre aide publique au développement ; j’ai d’ailleurs des propositions à faire sur le sujet. Mais je vous demande de cesser de faire des raccourcis. Vous laissez entendre que nous agissons d’abord pour servir des causes qui ne seraient pas justes ou pour soutenir des terroristes et que notre aide ne bénéficierait pas directement aux populations. Or nous avons la preuve que c’est d’abord à elles que bénéficie le Fonds africain de développement.
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Article unique (autorisation de l’approbation de la résolution n° F/BG/2023/04 relative aux amendements à l’accord portant création du Fonds africain de développement, adoptée par le Conseil des gouverneurs du Fonds africain de développement à Charm el-Cheikh le 23 mai 2023)
La commission adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
Annexe n° 1 :
texte de la commission des affaires étrangères
Article unique
Est autorisée l’approbation de la résolution n° F/BG/2023/04 relative aux amendements à l’accord portant création du Fonds africain de développement, adoptée par le Conseil des gouverneurs du Fonds africain de développement à Charm el-Cheikh le 23 mai 2023, et dont le texte est annexé à la présente loi ([13]).
Annexe N° 2 :
liste des personnes auditionnées
par la rapporteure
Ministère de l’Europe et des affaires étrangères :
– M. Gilles Morellato, chef du pôle aide publique au développement, sous-direction du développement et de l’investissement solidaire et durable, direction du pilotage et de la stratégie, direction générale de la mondialisation ;
– Mme Maëlle Imbert, rédactrice, pôle aide publique au développement, sous-direction du développement et de l’investissement solidaire et durable, direction du pilotage et de la stratégie, direction générale de la mondialisation ;
– Mme Mathilde Tuffery, mission des accords et traités, direction des affaires juridiques.
Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique :
– M. Tanguy Bernon, adjoint au chef du bureau du financement multilatéral du développement et du climat, en charge du suivi de la Banque africaine de développement, direction générale du Trésor.
([1]) On parle d’ « élément don » pour mesurer la dimension concessionnelle d’un prêt, c’est-à-dire l’écart entre le coût du marché et le coût du prêt fourni par le FAD.
([2]) La BERD procède à des dons qui s’élevaient à un montant de 671 millions d’euros en 2023 (environ 5 % de ses investissements), par l’intermédiaire d’un fonds alimenté par les résultats de la Banque et par les contributions de certains membres.
([3]) Le FAD réalisant des subventions et des prêts concessionnels, il ne peut se contenter de vivre du remboursement des prêts qu’il accorde comme le font la plupart des banques de développement. Depuis 1972, son capital est donc régulièrement reconstitué tous les trois ans. Le FAD-16 correspond au fonds reconstitué pour la période 2022-2025.
([4]) Site du FAD.
([5]) Le FAD-16 (2023-2025) est encore en cours.
([6]) Groupe Banque africaine de développement, Rapport financier 2024, mars 2025.
([7]) Programme annuel de performance « Aide publique au développement », projet de loi de finances pour 2026.
([8]) Réponses écrites du gouvernement au questionnaire de la rapporteure.
([9]) Articles 23 à 25 de l’accord portant création du FAD.
([10]) Article 30 de l’accord portant création du FAD.
([11]) Articles 26 à 28 de l’accord portant création du FAD.
([12]) Réponses du gouvernement au questionnaire de la rapporteure.
([13]) Le texte figure en annexe du projet de loi n° 1434.