N° 2138

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIXSEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 novembre 2025

 

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d’évacuation à partir de la région du MoyenOrient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d’une situation de crise,

PAR M. Michel HERBILLON

Député

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AVIS

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

PAR Mme Anna PIC

Députée

 

 

AVEC

 

EN ANNEXE

LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

Voir les numéros :

 Assemblée nationale :  1615.

 Sénat  :  345, 727, 728 et T.A. 154 (2024 2025).


 


SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

I. Le contexte géopolitique et stratégique justifie un dispositif d’évacuation depuis Chypre

A. Chypre, un point d’ancrage géostratégique au cœur de la Méditerranée orientale

1. Une position géographique stratégique entre Europe et Moyen-Orient

2. La présence de deux bases souveraines britanniques reflète l’intérêt géostratégique du territoire

3. Le statut de la division du territoire : une situation politique particulière dont le risque conflictuel semble maîtrisé

B. Une île stable dans un environnement régional instable

1. Une proximité avec les zones de crise

2. Une politique chypriote tournée vers l’Europe et la défense de son territoire qui lui permet de rester à l’écart des crises qui frappent le Moyen-Orient

3. Des capacités d’accueil et des infrastructures adaptées aux opérations d’évacuation de ressortissants européens qui montent en puissance

II. Une coopération franco-chypriote dense au service de la défense et de la gestion des crises

A. Une base européenne garantissant un cadre politique et juridique commun

1. La politique de sécurité et de défense commune

2. La coopération structurée permanente et le Fonds européen de défense

3. Une approche européenne face aux défis de sécurité régionaux

B. Un partenariat stratégique renforcé par des échanges militaires et diplomatiques constants

1. Un dialogue politique bilatéral régulier et institutionnalisé

2. Une présence militaire française active dans la région

3. Des exercices communs réguliers et ciblés

C. Un rôle opérationnel de chypre dans la gestion des crises régionales

1. Un appui logistique déterminant pour les opérations françaises

2. Une coordination civile et militaire désormais intégrée et appelée à se renforcer

III. L’accord du 9 septembre 2022 : un cadre juridique et opérationnel structurant pour la coopération francochypriote en matière d’évacuation et de gestion de crise

A. Un instrument hybride, à la croisée du droit international humanitaire et de la coopération militaire

B. Les conditions de mise en œuvre : activation encadrée et obligations réciproques

1. Une activation encadrée et fondée sur la demande expresse de la France

2. Un accès aux infrastructures clairement défini

3. Une distinction précise entre services gratuits et services remboursables

4. Une coopération opérationnelle nécessitant une coordination renforcée

C. Un cadre de sécurité juridique et de responsabilité partagée

1. Un régime de juridiction conforme à la pratique internationale

2. Une renonciation mutuelle à indemnisation limitant les litiges et accélérant les opérations

3. Une couverture médicale précisée et articulée avec les dispositifs nationaux

4. Un mécanisme d’assistance mutuelle pour sécuriser les enquêtes et les responsabilités

5. Un équilibre entre souveraineté chypriote et garanties opérationnelles pour la France

D. Une portée politique et stratégique assumée

Avis fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées

Travaux de la commission des affaires étrangères

Travaux de la commission de la défense nationale et des forces armées

Annexe  1 : texte de la commission des affaires étrangères

Annexe  2 : liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 


Introduction

La Méditerranée orientale est redevenue, au cours de la dernière décennie, l’un des foyers les plus sensibles de l’arc de crises qui s’étend du Levant à la mer Rouge. Les tensions récurrentes au Liban, en Palestine, en Israël ou en Syrie, les rivalités énergétiques en mer ainsi que l’implication croissante de puissances régionales et extrarégionales, créent un environnement stratégique où la dégradation rapide de la situation demeure toujours possible. Dans ce contexte, la sécurité des ressortissants français et européens présents dans la région impose à la France de disposer de dispositifs d’évacuation fiables, réactifs et juridiquement sécurisés.

L’île de Chypre occupe, à cet égard, une place singulière. Membre de l’Union européenne situé au plus près des zones de crise du Levant, stable malgré la division persistante de son territoire, dotée d’infrastructures aériennes et portuaires de premier plan, elle constitue depuis plusieurs décennies un point d’appui naturel pour les opérations d’évacuation conduites par la France, comme l’ont illustré les crises de 2006, de 2023 et de 2024-2025. Cette coopération, longtemps fondée sur des mécanismes informels ou ad hoc, nécessitait d’être consolidée afin de garantir la prévisibilité des opérations et la protection des personnels civils et militaires engagés.

L’accord signé à Paris le 9 septembre 2022 entre la République française et la République de Chypre répond précisément à cet impératif. Instrument hybride, à la croisée du droit international humanitaire et de la coopération militaire, il fixe un cadre opérationnel et juridique clair pour l’utilisation du territoire chypriote lors des opérations d’évacuation depuis le Moyen-Orient. Il précise les conditions d’activation du dispositif, les obligations réciproques, l’accès aux infrastructures, le régime de juridiction applicable, les modalités de prise en charge médicale et les mécanismes d’indemnisation, offrant ainsi à la fois sécurité juridique et efficacité opérationnelle.

Sa portée dépasse cependant le seul champ technique. En structurant un partenariat fondé sur la solidarité en situation de crise, cet accord renforce de manière significative la relation bilatérale franco-chypriote et s’inscrit dans l’ambition européenne de mieux articuler défense, sécurité civile et gestion des crises. À l’approche de la présidence chypriote du Conseil de l’Union européenne en 2026, il constitue un jalon important pour la crédibilité de l’action européenne en Méditerranée orientale, région où se jouent des enjeux de souveraineté, de sécurité énergétique et de protection des populations.

Le présent rapport analyse le contexte stratégique qui justifie cet instrument, évalue la coopération déjà dense entre Paris et Nicosie et détaille les principales dispositions de l’accord, dont l’approbation législative est nécessaire en application de l’article 53 de la Constitution.


I.   Le contexte géopolitique et stratégique justifie un dispositif d’évacuation depuis Chypre

A.   Chypre, un point d’ancrage géostratégique au cœur de la Méditerranée orientale

1.   Une position géographique stratégique entre Europe et Moyen-Orient

Située au croisement de l’Europe, du Moyen‑Orient et de l’Afrique du Nord, l’île de Chypre occupe une position géographique singulière en Méditerranée orientale. Troisième plus grande île du bassin méditerranéen, elle se trouve à seulement 60 kilomètres des côtes turques et à une centaine de kilomètres de la Syrie et du Liban. Cette proximité immédiate avec le Levant lui confère depuis longtemps une valeur stratégique élevée : puissance coloniale jusqu’en 1960, le Royaume‑Uni y voyait déjà « la clé de l’Asie occidentale », en raison de son rôle de point d’appui sur la route des Indes.

L’intérêt géopolitique de l’île s’est encore accru au cours de la dernière décennie, à mesure que la Méditerranée orientale s’est imposée comme un espace de rivalités énergétiques et sécuritaires. La découverte de gisements d’hydrocarbures dans la zone économique exclusive (ZEE) chypriote a entraîné une intensification des tensions régionales, notamment avec la Turquie, qui conteste certaines délimitations maritimes.

Chypre est un État membre de l’Union européenne depuis 2004. En droit, l’ensemble de l’île fait partie de l’Union, bien que l’acquis communautaire soit suspendu dans la partie Nord, contrôlée par l’autoproclamée République turque de Chypre du Nord (RTCN), reconnue uniquement par Ankara (v. infra). Le Sud de l’île, sous l’autorité de la République de Chypre, fonctionne selon un régime présidentiel unicaméral. Cette division politique, héritée des événements de 1974, demeure un élément structurant de la situation stratégique de l’île.

Enfin, la localisation de Chypre face aux côtes du Levant en fait un point d’entrée potentiel pour des flux migratoires en provenance du Moyen‑Orient. Depuis 2023, l’île est confrontée à une augmentation des arrivées irrégulières, en particulier depuis le Liban, ce qui a conduit les autorités à suspendre temporairement l’examen des demandes d’asile de ressortissants syriens au printemps 2024. Le contrôle des voies maritimes entre le Liban et Chypre constitue ainsi un enjeu majeur pour les autorités chypriotes, qui cherchent à renforcer leur coopération opérationnelle avec Beyrouth pour contenir ces flux.

 

Carte du Proche-Orient avec les pays

Cartograf ; carte_proche_orient.jpg (3508×2480)

 

https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/jpg/chypre_cle457e4d.jpg

Carte MEAE ; chypre_cle457e4d.jpg (3508×2480)

2.   La présence de deux bases souveraines britanniques reflète l’intérêt géostratégique du territoire

Chypre abrite deux bases souveraines britanniques établies lors des accords de Zurich et de Londres de 1959‑1960, qui ont précédé l’indépendance de l’île : la base d’Akrotiri, située à l’Ouest de Limassol, et celle de Dhekelia, à l’Est. Ces territoires, qui s’étendent sur environ 250 km² – soit près de 3 % de la superficie de l’île – accueillent quelque 15 000 personnes, dont environ 3 500 militaires britanniques, leurs familles et plusieurs milliers de résidents chypriotes. Les installations militaires qu’elles abritent restent strictement interdites aux civils.

Ces bases constituent des points d’appui stratégiques de premier plan pour le Royaume‑Uni en Méditerranée orientale. La base d’Akrotiri, qui accueille la Royal Air Force, dispose d’infrastructures aériennes de grande capacité, permettant le stationnement d’avions de transport et la conduite d’opérations aériennes vers le Moyen‑Orient. La base de Dhekelia, tournée vers les activités terrestres et maritimes de la Royal Navy, sert quant à elle de centre logistique et de soutien au renseignement. À la suite du Brexit, un accord bilatéral a garanti la préservation du statut et des droits des résidents chypriotes vivant dans ces enclaves souveraines.

Les bases britanniques jouent un rôle opérationnel central dans la région. Elles servent de plateformes de projection pour les missions conduites au Levant et au Moyen‑Orient, qu’il s’agisse d’opérations de reconnaissance, de surveillance ou de frappe. Elles abritent également des capacités d’écoute et de surveillance électronique couvrant l’ensemble du théâtre proche‑oriental, et constituent des points de transit privilégiés pour les opérations humanitaires internationales, comme l’a illustré récemment l’acheminement d’aide vers Gaza depuis Akrotiri.

La présence de ces bases demeure toutefois un sujet sensible dans la société chypriote. Souvent perçues comme des vestiges de la période coloniale, elles font l’objet depuis plusieurs décennies de revendications appelant à leur retour sous souveraineté chypriote. En 2005, le Parlement chypriote a d’ailleurs adopté une résolution ne reconnaissant qu’une souveraineté britannique limitée au seul volet militaire, excluant les aspects administratifs et financiers. Le Royaume‑Uni a rejeté ces positions, rappelant que ces installations jouent un rôle stabilisateur régional et procurent également des bénéfices économiques et sécuritaires aux populations locales.

3.   Le statut de la division du territoire : une situation politique particulière dont le risque conflictuel semble maîtrisé

La situation politique de Chypre reste déterminée par la division de l’île depuis les événements de 1974. À la suite du coup d’État mené par la junte militaire grecque et de l’intervention turque qui s’ensuivit, l’île a été scindée en deux entités : au Sud, la République de Chypre, seule reconnue internationalement et membre de l’Union européenne ; au Nord, la zone placée sous contrôle de la Turquie, où a été proclamée en 1983 l’autoproclamée République turque de Chypre du Nord, reconnue uniquement par Ankara. Le Conseil de sécurité des Nations unies a jugé cette proclamation « nulle et non avenue » dans sa résolution 541 et a enjoint l’ensemble des États à s’abstenir de toute reconnaissance.

La séparation physique entre les deux parties est matérialisée par une zone tampon contrôlée par les Nations unies, dite « ligne verte », que la Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP) surveille depuis 1964. Cette zone, qui s’étend sur près de 180 kilomètres, n’est franchissable que par quelques points de passage autorisés. La mission onusienne assure également des fonctions humanitaires et facilite les contacts entre les deux communautés dans le cadre du mandat de bons offices du secrétaire général.

Si le statu quo demeure globalement stable, il n’est pas exempt de tensions ponctuelles. Des incidents se sont produits ces dernières années, notamment à Pyla, localité située dans la zone tampon, où des affrontements ont visé des casques bleus. L’Organisation des Nations unies (ONU) a par ailleurs signalé une militarisation croissante de certaines zones limitrophes, tant du côté chypriote grec que du côté chypriote turc, alimentant un climat d’incidents potentiels malgré l’absence d’escalade majeure.

Depuis la fin des années 1980, plusieurs cycles de négociations interchypriotes ont été engagés sous l’égide des Nations unies pour parvenir à une solution fondée sur une fédération bicommunautaire et bizonale dotée d’une égalité politique, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité. Les tentatives les plus approfondies – plan Annan soumis à référendum en 2004, conférences du Mont Pèlerin et de Crans‑Montana en 2017 – n’ont pas permis de conclure un accord global. Toutefois, le contexte politique récent semble rouvrir certaines perspectives, notamment après l’élection en 2025 de Tufan Erhürman à la tête de la RTCN, qui s’est déclaré favorable à la reprise du dialogue tout en maintenant une coordination étroite avec Ankara.

La division de l’île continue par ailleurs de peser sur ses relations extérieures. La Turquie refuse de reconnaître la République de Chypre et maintient des restrictions, notamment en interdisant l’accès de ses ports et aéroports aux navires battant pavillon chypriote, en contradiction avec le protocole d’Ankara de 2005 visant à étendre l’union douanière aux nouveaux États membres de l’Union européenne. Ces positions prolongent les difficultés politiques et commerciales rencontrées par Nicosie dans plusieurs enceintes internationales.

Ainsi, si le risque d’un conflit ouvert demeure contenu, la division de l’île constitue un facteur structurel d’instabilité, auquel s’ajoutent des incidents ponctuels et des tensions persistantes avec la Turquie. Le maintien de la présence onusienne et la poursuite des efforts diplomatiques apparaissent indispensables pour préserver un statu quo fragile et créer les conditions d’une reprise du processus de règlement.

B.   Une île stable dans un environnement régional instable

1.   Une proximité avec les zones de crise

Située aux portes du Levant, Chypre se trouve en bordure directe d’un espace marqué depuis plusieurs décennies par des conflits récurrents et des crises politiques majeures. À quelques dizaines de kilomètres seulement de la Syrie, du Liban, d’Israël et de la Palestine, l’île est l’État membre de l’Union européenne le plus proche des principaux foyers d’instabilité du Moyen‑Orient.

Depuis la fin des mandats britanniques et français au milieu du XXᵉ siècle, la région connaît une succession de crises – guerres israélo‑arabes, conflits au Liban, guerre civile syrienne, interventions en Irak et en Afghanistan – qui ont profondément bouleversé son environnement immédiat. Cette instabilité chronique n’a pourtant pas débordé sur le territoire chypriote, qui demeure globalement à l’abri des dynamiques de violence qui affectent son voisinage.

Les tensions régionales récentes ont toutefois ravivé les inquiétudes quant aux risques de contagion. Après les attaques du 7 octobre 2023 en Israël et l’intensification des affrontements au Levant, des discours hostiles ont émergé à l’encontre de Chypre. En juin 2024, le secrétaire général du Hezbollah a publiquement accusé l’île de permettre l’utilisation de ses infrastructures pour des opérations militaires menées contre le Liban, assortissant ces accusations de menaces pour la première fois explicitement dirigées contre Nicosie.

Parallèlement, l’importance croissante des ressources énergétiques offshore en Méditerranée orientale contribue à renforcer les tensions. La découverte de gisements de gaz dans la ZEE chypriote a entraîné une multiplication d’actes de pression de la part de la Turquie, qui conteste certaines délimitations maritimes. Des manœuvres navales et des incursions autour des installations de prospection ont été observées, dans un contexte où plusieurs puissances extérieures – notamment américaines et russes – renforcent également leur présence dans la région.

Ainsi, si Chypre demeure un espace stable au cœur d’un environnement instable, la dégradation de la situation sécuritaire au Levant et la compétition autour des ressources énergétiques en Méditerranée orientale constituent des facteurs de risque qui appellent une vigilance constante des autorités chypriotes et européennes.

2.   Une politique chypriote tournée vers l’Europe et la défense de son territoire qui lui permet de rester à l’écart des crises qui frappent le Moyen-Orient

Alors qu’elle est située dans une zone marquée par des tensions et crises récurrentes, la République de Chypre parvient à rester à l’abri des conflits qui frappent ses voisins par une politique subtile qui lui évite de s’engager dans la région.

Tout d’abord sur le plan militaire, l’armée chypriote est principalement tournée vers la défense du territoire, et pas l’offensive ou l’intervention en zone de crise, ce qui la maintient à l’écart des conflits du Proche et Moyen‑Orient et lui procure une force de dissuasion efficace. La mission principale de l’armée chypriote est la protection du territoire face aux forces turques plus nombreuses, stationnées en RTCN. La défense du territoire, dont une partie est perçue comme occupée par la Turquie depuis plus de cinquante ans, s’est longtemps concentrée sur sa dimension terrestre, bien que sa composante maritime ait été récemment renforcée afin de protéger sa ZEE, riche en hydrocarbures, et dans laquelle la Turquie entreprend des forages pétroliers en violation directe des conventions internationales régissant le droit de la mer.

Le profond déséquilibre du rapport des forces turques et chypriotes en présence explique tant la posture très nettement défensive des forces chypriotes, que le souhait de Chypre de nouer des relations de coopération militaire avec des puissances européennes. Les autorités chypriotes ont donc fait le choix de rechercher la dissuasion par la diplomatie en concentrant leurs efforts sur le droit international et européen, ainsi que sur les structures qui l’incarnent (ONU, Union européenne, Conseil de l’Europe).

Le principal allié de Chypre en Europe reste la Grèce pour des raisons historiques. Aujourd’hui, Chypre est liée à la Grèce par une doctrine de défense commune conclue en 1994, qui inclut l’île dans un espace hellénique de défense. La Grèce et Chypre sont également liées par un accord de coopération économique signé le 16 mars 1996 et se retrouvent au sein de partenariats trilatéraux avec plusieurs pays du Proche‑Orient (Égypte, Israël, Liban, Émirats arabes unis).

Néanmoins, la France reste également un allié central dans la politique de défense chypriote, ce que la coopération militaire de longue date entre les deux États illustre. L’intérêt militaire que trouve la France dans ce partenariat tient moins à l’apport des forces chypriotes aux opérations françaises et européennes qu’à la position géographique très privilégiée de l’île dans une région où la France possède des intérêts.

Dans le contexte actuel de l’explosion des tensions au Proche‑Orient depuis 2023, et des nouvelles menaces turques visant les ressources maritimes chypriotes, Chypre a diversifié ses partenariats en Méditerranée, notamment en se rapprochant d’Israël sur les questions énergétiques. Les autorités chypriotes ont également renforcé leur relation avec les États‑Unis après le début de la guerre en Ukraine. La France reste cependant le partenaire de référence comme le montre la volonté chypriote de renforcer la coopération bilatérale en matière de défense.

3.   Des capacités d’accueil et des infrastructures adaptées aux opérations d’évacuation de ressortissants européens qui montent en puissance

Chypre dispose d’infrastructures qui en font un point de transit naturel pour les opérations d’évacuation en provenance du Moyen‑Orient. L’île compte deux aéroports internationaux, à Larnaca et à Paphos, dotés de capacités d’accueil permettant le traitement rapide de flux importants de passagers. L’aéroport d’Ercan, situé dans la partie Nord sous contrôle de la RTCN et desservi exclusivement depuis la Turquie, n’est pas reconnu par les autorités chypriotes et ne peut être intégré aux dispositifs officiels d’évacuation.

Les ports de Larnaca et de Limassol offrent des capacités d’accueil significatives, y compris pour des bâtiments militaires de grande taille. Toutefois, si ces infrastructures peuvent ponctuellement supporter des moyens navals lourds, leur usage principal demeure le transit et la logistique, en particulier dans le cadre d’opérations humanitaires ou d’évacuation de ressortissants.

En dehors des périodes de forte affluence touristique, l’île dispose de capacités de transport, d’hébergement et de soutien suffisantes pour accueillir temporairement des ressortissants européens évacués depuis des zones de crise. Dans le cadre habituel des dispositifs d’évacuation de ressortissants – ci‑après « RESEVAC » – Chypre peut ainsi héberger et prendre en charge des personnes en transit pour une durée brève, généralement inférieure à quarante‑huit heures, avant leur transfert vers leur pays de destination. Si une saturation ponctuelle demeure envisageable en cas d’afflux massif, les capacités chypriotes connaissent néanmoins une montée en puissance continue, portée à la fois par l’amélioration des infrastructures locales et par l’expérience accumulée lors des crises récentes.


II.   Une coopération franco-chypriote dense au service de la défense et de la gestion des crises

A.   Une base européenne garantissant un cadre politique et juridique commun

1.   La politique de sécurité et de défense commune

La Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) constitue le cadre dans lequel s’inscrit une part essentielle de la coopération entre la France et Chypre en matière de sécurité. Depuis l’adhésion de Chypre à l’Union européenne en 2004, la PSDC offre un socle politique et juridique permettant la conduite de missions militaires et civiles destinées à préserver la stabilité régionale, à lutter contre les trafics et à renforcer les capacités des États partenaires.

La position géographique de Chypre en Méditerranée orientale lui confère un rôle particulier dans les opérations menées au titre de la PSDC. L’île accueille régulièrement des moyens maritimes et aériens engagés dans les missions européennes de surveillance et de contrôle, notamment dans le cadre de l’opération EUNAVFOR Irini (v. infra), chargée de veiller au respect de l’embargo sur les armes à destination de la Libye, ainsi que dans des actions contribuant à la liberté de navigation et à la sécurité maritime dans la région.

La coopération entre la France et Chypre s’inscrit dans cette dynamique européenne. Les deux pays partagent une appréciation largement convergente des menaces en Méditerranée orientale et soutiennent les initiatives européennes visant à renforcer la présence de l’Union dans la région. Cette convergence stratégique est renforcée par la situation particulière de Chypre, État membre de l’UE mais non membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), ce qui la rend plus vulnérable aux pressions extérieures et l’incite à promouvoir activement le renforcement de l’Europe de la défense. Nicosie apporte ainsi son soutien à l’ensemble des initiatives destinées à accroître la résilience et les capacités opérationnelles européennes.

Le recours au cadre de la PSDC permet enfin d’assurer une coordination politique et une interopérabilité accrues entre la France, Chypre et les autres États membres, condition essentielle pour intervenir efficacement dans une région marquée par des crises récurrentes et des tensions géopolitiques persistantes.

2.   La coopération structurée permanente et le Fonds européen de défense

La dynamique d’intégration européenne en matière de défense s’est renforcée à partir de 2017 avec la mise en œuvre de la coopération structurée permanente (CSP), à laquelle participent aujourd’hui vingt‑cinq États membres, dont la France et Chypre. Prévue au paragraphe 6 de l’article 42 du traité sur l’Union européenne (TUE), la CSP vise à rapprocher les États les plus engagés dans la construction d’une défense commune, en favorisant le développement conjoint de capacités et la planification concertée des investissements.

Pour un pays de la taille de Chypre, la CSP constitue un instrument de mutualisation particulièrement utile : elle permet de bénéficier de l’expertise et des moyens de partenaires européens plus expérimentés, tout en apportant une contribution ciblée à des projets structurants. Nicosie participe notamment à des programmes relatifs à la mobilité militaire, à la surveillance maritime intégrée, et à la cybersécurité, trois domaines jugés prioritaires pour la sécurité régionale et pleinement cohérents avec les intérêts français.

La France, moteur politique et opérationnel de la CSP, soutient la participation active de Chypre à ces initiatives. En Méditerranée orientale, la complémentarité entre les capacités françaises et les infrastructures chypriotes renforce la crédibilité de l’Union européenne comme acteur de sécurité. Elle offre également un cadre propice à la coopération industrielle et technologique, en lien avec le Fonds européen de défense (FEDef), instauré par la Commission européenne en 2019.

Le FEDef constitue le second pilier de cette montée en puissance européenne. Doté d’un budget de près de 8 milliards d’euros pour la période 2021‑2027, il vise à soutenir les projets collaboratifs de recherche et de développement de technologies de défense. L’objectif est double : réduire la fragmentation du marché européen de l’armement et stimuler l’innovation au sein de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE).

Pour la France et Chypre, le FEDef représente un levier de modernisation et d’interopérabilité. Il permet de financer des projets conjoints associant entreprises et centres de recherche européens, notamment dans les domaines de la surveillance maritime, des systèmes spatiaux, des drones ou de la communication sécurisée. Ces programmes contribuent à consolider un tissu industriel européen capable de répondre de manière autonome aux besoins stratégiques des États membres.

En conjuguant la CSP et le FEDef, l’Union européenne dispose désormais d’outils cohérents et complémentaires pour renforcer sa capacité d’action. Pour Chypre, ces instruments offrent une possibilité de s’inscrire pleinement dans la construction d’une défense européenne intégrée, tout en valorisant son rôle de plateforme logistique et d’avant‑poste géostratégique de l’Union. Pour la France, ils permettent d’ancrer durablement son partenariat bilatéral avec Nicosie dans un cadre européen structurant, garantissant la continuité entre ses engagements nationaux et les politiques communes de sécurité.

3.   Une approche européenne face aux défis de sécurité régionaux

Face à la dégradation continue de la situation sécuritaire au Levant et aux tensions croissantes en Méditerranée orientale, les États membres de l’Union européenne ont progressivement renforcé leur coordination dans la région. Chypre occupe dans ce dispositif une place singulière, en raison de sa position géographique, de ses infrastructures et de sa proximité immédiate avec plusieurs zones de crise.

La présence européenne en Méditerranée orientale repose sur un ensemble d’opérations et de formats de coopération auxquels Chypre contribue activement. L’île accueille régulièrement des moyens engagés dans l’opération EUNAVFOR Aspides, destinée à sécuriser la liberté de navigation en mer Rouge et en Méditerranée orientale, ainsi que dans l’opération Irini, centrée sur le contrôle de l’embargo sur les armes à destination de la Libye. Parallèlement, Chypre participe au format quadripartite QUAD MEDOR (France, Grèce, Italie, Chypre), qui comprend un pilier politico‑militaire assurant un dialogue régulier entre directeurs de la politique de défense, et un pilier opérationnel illustré par l’exercice annuel Eunomia, destiné à renforcer l’interopérabilité des marines concernées (v. infra).

Dans un scénario de crise majeure affectant la région, Chypre pourrait constituer un pivot logistique essentiel pour l’Union européenne. Les autorités françaises soulignent qu’en cas de conflit de haute intensité compromettant la liberté de circulation en Méditerranée, l’île pourrait devenir une base arrière pour les forces françaises et européennes, grâce à ses infrastructures aériennes et portuaires et à la proximité immédiate des zones de crise.

Cette perspective est renforcée par les efforts de l’Union visant à moderniser ses infrastructures stratégiques. Le programme ReArm Europe, ainsi que les investissements prévus pour la mobilité militaire – 17 milliards d’euros proposés dans le prochain cadre financier pluriannuel – visent à améliorer les capacités duales des infrastructures européennes, notamment aéroportuaires et portuaires. Chypre, du fait de sa localisation et de ses besoins spécifiques, pourrait bénéficier directement de ces financements, renforçant son rôle au sein du dispositif européen de gestion des crises.

Enfin, à l’approche de la présidence chypriote du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2026, la consolidation de ce rôle régional apparaît comme un enjeu politique majeur. Une coordination accrue entre États membres dans la gestion des risques en Méditerranée orientale, ainsi que la mise en place de mécanismes communs d’évacuation ou de soutien logistique, pourraient constituer des priorités diplomatiques pour Nicosie durant sa présidence.

B.   Un partenariat stratégique renforcé par des échanges militaires et diplomatiques constants

1.   Un dialogue politique bilatéral régulier et institutionnalisé

Au‑delà du cadre européen, la coopération entre la France et Chypre s’appuie sur un dialogue bilatéral particulièrement dense, ancien et structuré, nourri par une convergence durable d’intérêts stratégiques en Méditerranée orientale. Cette relation, marquée par une confiance politique solide, a été progressivement formalisée et renforcée au fil des dernières années.

Un Agenda stratégique bilatéral, signé le 25 octobre 2016 entre les ministres des affaires étrangères, constitue aujourd’hui la base politique de la relation. Il organise la coopération dans les domaines du dialogue politique, de la sécurité et de la défense, mais aussi de l’économie, de l’éducation et de la culture. Les consultations de haut niveau se sont intensifiées depuis, tant au plan diplomatique qu’entre autorités militaires : échanges réguliers entre ministres de la défense, rencontres entre chefs d’état‑major et dialogue suivi entre directions de la politique de sécurité.

Cette dynamique a été approfondie avec la signature, le 4 avril 2017, d’un accord de coopération en matière de défense, entré en vigueur le 1er août 2020, qui constitue désormais le cadre juridique de référence du partenariat militaire bilatéral. Cet accord prévoit des consultations régulières, des échanges d’expertise et des actions de formation, dont la participation de personnels chypriotes à des sessions de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et des formations spécialisées (fraude documentaire, recherche de personnes). Chypre a également apporté un soutien opérationnel concret à la France, notamment dans le cadre de l’opération Chammal contre l’organisation État islamique.

Les autorités françaises et chypriotes entretiennent un dialogue politique d’autant plus étroit qu’elles partagent une analyse très largement convergente des menaces dans la région. Chypre, vulnérable du fait de sa non‑appartenance à l’OTAN et confrontée à la présence militaire turque au Nord de l’île, soutient activement les initiatives de renforcement de l’Europe de la défense. La France, pour sa part, veille à ce que les préoccupations sécuritaires de Chypre – notamment en matière de souveraineté maritime – soient pleinement prises en compte dans les positions européennes.

Ce dialogue bilatéral est complété par une coordination dans des formats restreints, en particulier avec la Grèce et l’Italie. Le format quadrilatéral QUAD MEDOR, réunissant les directeurs de la politique de défense des quatre pays, illustre ce niveau d’intégration.

L’ensemble de ces dispositifs témoigne d’un alignement politique croissant entre Paris et Nicosie. Cette coopération s’inscrit par ailleurs dans la perspective d’un partenariat stratégique global en préparation pour 2026, destiné à élargir le champ de la relation bilatérale à de nouveaux domaines tels que l’innovation, la protection marine ou la transition numérique et climatique.

Ce dialogue structuré, complété par des exercices conjoints et des échanges réguliers d’informations, confère à la relation franco‑chypriote un caractère stratégique et pérenne, qui dépasse largement le cadre d’une simple coopération technique.

2.   Une présence militaire française active dans la région

La coopération franco‑chypriote s’appuie sur la présence opérationnelle constante des forces armées françaises en Méditerranée orientale, espace stratégique où la France exerce depuis plusieurs années une politique de présence et de vigilance renforcée. Cette présence traduit à la fois les engagements européens de la France, sa participation à la stabilité régionale et sa volonté d’appuyer ses partenaires, au premier rang desquels figure la République de Chypre.

Les forces françaises opèrent régulièrement dans la zone au titre des missions de la PSDC mais également dans le cadre de déploiements nationaux ou conjoints liés à la surveillance maritime, à la lutte contre le terrorisme et au contrôle des trafics. La marine nationale maintient une présence quasi permanente dans la région, notamment à travers la mission Corymbe et les bâtiments engagés dans l’opération Irini. Les bâtiments français font fréquemment escale dans les ports de Larnaca et Limassol, où ils bénéficient d’un accueil logistique et technique assuré par les autorités chypriotes.

Les coopérations navales se sont intensifiées au fil des ans, répondant à la montée des tensions en Méditerranée orientale et à la nécessité de sécuriser les routes énergétiques et commerciales. La France a notamment apporté son soutien à Chypre lors des épisodes de tension liés aux activités de forage illégales dans la zone économique exclusive chypriote, réaffirmant par la présence de ses bâtiments de surface sa solidarité envers un État membre de l’Union européenne confronté à des violations répétées de ses droits souverains.

Cette posture de présence s’accompagne d’une coopération technique de haut niveau. Les forces chypriotes bénéficient d’échanges d’expertise avec les armées françaises, en particulier dans les domaines de la sécurité maritime, de la guerre électronique et du renseignement opérationnel. Des officiers chypriotes sont accueillis chaque année dans les écoles militaires françaises, notamment à l’École de guerre et au Collège de défense de l’Union européenne, ce qui contribue à l’élévation du niveau de compétence des forces chypriotes et à la création de liens personnels durables entre cadres militaires.

La France soutient également la modernisation des capacités chypriotes, notamment en matière de surveillance côtière et de gestion des espaces aériens et maritimes. Des contacts étroits existent entre les états‑majors pour renforcer l’interopérabilité des moyens et préparer les déploiements conjoints lors d’exercices multilatéraux. Ces interactions sont coordonnées par la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère français de l’Europe et des affaires étrangères, en lien avec l’ambassade de France à Nicosie et l’état‑major des armées (EMA).

Enfin, la présence française en Méditerranée orientale contribue à la crédibilité de la politique de défense européenne, dont la France demeure le principal contributeur militaire. Elle permet de soutenir la posture de dissuasion et de stabilisation de l’Union dans une zone où convergent les intérêts de puissances régionales et extra‑régionales. Pour Chypre, la coopération avec la France renforce ses capacités de protection, sa visibilité diplomatique et sa contribution à la sécurité collective européenne.

Ainsi, la présence militaire française ne se limite pas à une expression symbolique de solidarité : elle constitue un élément structurant du partenariat stratégique entre Paris et Nicosie. En conjuguant proximité géographique, complémentarité opérationnelle et volonté politique, cette présence fait de Chypre un relais naturel de la projection française en Méditerranée orientale et un partenaire fiable dans la mise en œuvre de la sécurité européenne.

3.   Des exercices communs réguliers et ciblés

La coopération franco‑chypriote en matière de défense s’illustre de manière concrète à travers un programme d’exercices conjoints d’une ampleur croissante, reflet de la confiance opérationnelle entre les deux pays et de leur volonté commune de renforcer l’interopérabilité de leurs forces. Ces exercices, souvent conduits dans un cadre multilatéral restreint, constituent des moments clés de coordination militaire, de préparation de crise et de démonstration de solidarité européenne en Méditerranée orientale.

Depuis 2020, la France participe activement à l’exercice Eunomia, organisé conjointement avec Chypre, la Grèce et l’Italie. Cette série d’exercices navals et aériens vise à améliorer la coordination entre les forces partenaires dans les domaines de la surveillance maritime, de la recherche et du sauvetage, de la lutte contre les trafics et des opérations interarmées en zone de tension. L’exercice Eunomia, mené sous l’égide des ministères de la défense des quatre pays, illustre la volonté de ces États de promouvoir la stabilité régionale face aux violations répétées du droit maritime international et aux risques d’incidents militaires dans les espaces contestés.

Parallèlement, la France et Chypre participent à l’exercice Argonaut, organisé chaque année par les autorités chypriotes. Cet exercice, à dominante civile et humanitaire, simule l’évacuation de ressortissants étrangers depuis une zone de crise vers Chypre, considérée comme plateforme d’accueil et de transit. Il mobilise à la fois les forces armées, la protection civile et les services diplomatiques, notamment le Centre de crise et de soutien (CDCS) du ministère français de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE). La participation française à Argonaut, qui associe également plusieurs États membres de l’Union européenne, permet de tester la coordination interinstitutionnelle et d’anticiper les besoins logistiques d’un dispositif d’évacuation réel.

D’autres exercices, tels que Nemesis, visent à renforcer la coopération interservices dans les domaines de la lutte contre le terrorisme, des secours en mer, de la sûreté aérienne et de la gestion des catastrophes naturelles. Ces entraînements, auxquels prennent part les marines et les garde‑côtes chypriotes, les forces françaises déployées en Méditerranée, ainsi que des partenaires régionaux, contribuent à la diffusion de standards opérationnels communs et à l’élaboration de protocoles de réponse coordonnée.

Ces manœuvres présentent un double intérêt. D’une part, elles permettent de vérifier la capacité des forces françaises à opérer à partir d’infrastructures chypriotes, en conditions réelles de déploiement. D’autre part, elles offrent aux autorités chypriotes la possibilité d’améliorer leurs capacités nationales de commandement, de communication et de soutien logistique, tout en s’inscrivant dans le cadre plus large de la politique européenne de gestion de crise.

Sur le plan diplomatique, la régularité de ces exercices envoie un signal politique fort : celui d’une solidarité concrète entre États membres de l’Union européenne confrontés à des défis sécuritaires communs. En renforçant la visibilité du dispositif de coopération et la complémentarité des moyens, ils contribuent à asseoir la crédibilité du partenariat franco‑chypriote et à consolider la présence européenne en Méditerranée orientale.

Ainsi, la conduite d’exercices conjoints, qu’ils soient à vocation militaire ou civile, traduit l’évolution d’une relation bilatérale vers une coopération opérationnelle intégrée. Elle conforte Chypre dans son rôle de partenaire stratégique de la France et de l’Union européenne dans une région où la maîtrise des crises demeure une priorité partagée.

C.   Un rôle opérationnel de chypre dans la gestion des crises régionales

1.   Un appui logistique déterminant pour les opérations françaises

La position géographique de Chypre, à la jonction du Levant, de l’Afrique du Nord et de la péninsule anatolienne, confère à l’île une importance stratégique majeure pour la projection et le soutien des forces françaises engagées en Méditerranée orientale. Sa proximité immédiate des zones de crise – Liban, Syrie, Israël, Palestine – en fait un point d’appui logistique de premier ordre pour les opérations menées par la France, qu’elles soient militaires, humanitaires ou d’évacuation.

Les autorités chypriotes mettent régulièrement à disposition des infrastructures portuaires et aéroportuaires pour faciliter le déploiement, le transit ou le soutien de moyens français opérant dans la région. Les ports de Larnaca et de Limassol sont fréquemment utilisés pour les escales techniques des bâtiments de la marine nationale, le ravitaillement en carburant, ou encore l’embarquement de matériels destinés aux contingents français stationnés au Liban dans le cadre de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Les aéroports de Larnaca et de Paphos constituent par ailleurs des plateformes de transit pour le transport de personnel civil et militaire entre la France, le Levant et la zone sahélo‑saharienne.

Surtout, Chypre constitue depuis plusieurs décennies un point d’appui central pour les RESEVAC conduites par la France et, plus largement, par l’Union européenne dans la région du Moyen‑Orient. Sa proximité avec les zones de crise du Levant et sa stabilité interne en font un espace de repli sûr, capable d’accueillir à très court terme des flux de population importants dans des conditions maîtrisées.

Les infrastructures de Larnaca et de Limassol ont été mobilisées à de nombreuses reprises : opérations Épaulard et Diodon (1982), crise du Liban (2006), puis opérations Sagittaire (2023) et Gaza‑Liban (2024‑2025). Ces précédents ont mis en évidence la disponibilité des autorités chypriotes et leur capacité à coopérer efficacement avec la chaîne française de gestion de crise, tant civile que militaire.

Ce dispositif repose sur la coordination étroite entre les structures françaises dédiées : le CDCS du MEAE, chargé du regroupement et de la protection des ressortissants, et l’EMA, via le centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), responsable des opérations d’exfiltration initiale. La complémentarité de ces deux acteurs, en liaison permanente avec l’ambassade de France à Nicosie, permet d’assurer une continuité entre la phase d’évacuation primaire depuis la zone de danger et la phase de transit sécurisée sur le territoire chypriote.

Les crises de 2023‑2025 ont confirmé la fiabilité du partenaire chypriote. Durant la guerre à Gaza puis les affrontements au Liban, l’île a accueilli plusieurs centaines de ressortissants européens évacués par mer et par air. La mise à disposition d’installations portuaires, de structures d’accueil et de capacités médicales a permis une prise en charge rapide et coordonnée, sous supervision du CDCS. L’opération Amalthéa, lancée en 2024 pour acheminer une aide humanitaire maritime vers Gaza, a également démontré la capacité de Chypre à gérer simultanément des flux civils et humanitaires d’ampleur, en lien avec les Nations unies et les institutions européennes.

Cette expérience a conduit à la formalisation d’un cadre juridique bilatéral. L’accord actuellement soumis à approbation fixe les conditions d’utilisation du territoire chypriote, le statut des personnels français, les modalités d’assistance médicale et financière, ainsi que les règles d’emploi de la force. Il autorise également, à titre humanitaire, l’évacuation de ressortissants d’États tiers, pratique déjà éprouvée lors des opérations de 2006 et 2023. Cette clause étend la portée du dispositif au‑delà de la protection consulaire, en en faisant un outil de solidarité internationale et un instrument concret de diplomatie humanitaire européenne.

À moyen terme, la signature d’un accord de statut des forces (SOFA), prévue en 2026, viendra compléter ce dispositif en simplifiant les autorisations de déploiement et en renforçant la sécurité juridique des personnels français présents à Chypre. L’île s’affirme ainsi comme le principal centre logistique européen pour les opérations d’évacuation depuis le Moyen‑Orient, au carrefour de la défense, de l’action humanitaire et de la diplomatie de crise.

2.   Une coordination civile et militaire désormais intégrée et appelée à se renforcer

La coopération entre la France et Chypre en matière d’évacuation et de gestion de crise s’appuie sur une expérience désormais solide, fondée sur la confiance et des procédures de coordination éprouvées. Les autorités chypriotes, civiles et militaires, sont aujourd’hui des partenaires pleinement intégrés à la planification des dispositifs français de réponse aux crises régionales.

Pour autant, les crises récentes ont mis en évidence certaines limites de ce mode de fonctionnement, encore largement fondé sur des mécanismes informels ou ad hoc. L’absence de cadre juridique permanent rend plus complexe la mobilisation rapide des moyens, la coordination inter-administrative et la protection des personnels impliqués.

Dans un contexte régional marqué par une instabilité chronique et des menaces multiples, il apparaît indispensable de consolider cette coopération par un instrument bilatéral formel. Celui‑ci devra garantir la continuité des dispositifs opérationnels, sécuriser les échanges d’informations sensibles et clarifier les responsabilités respectives des deux parties.

Au‑delà du cadre strictement franco‑chypriote, une telle évolution contribuerait à mieux articuler les efforts nationaux avec les mécanismes européens de gestion de crise, en particulier le Mécanisme de protection civile de l’Union et la Facilité européenne de paix. Elle répond à un double objectif : préserver la réactivité opérationnelle et inscrire la Méditerranée orientale dans une approche européenne intégrée de la sécurité et de la solidarité humanitaire.


III.   L’accord du 9 septembre 2022 : un cadre juridique et opérationnel structurant pour la coopération franco‑chypriote en matière d’évacuation et de gestion de crise

L’accord signé à Paris le 9 septembre 2022 entre la République française et la République de Chypre constitue un instrument bilatéral de coopération opérationnelle et juridique visant à encadrer les opérations d’évacuation conduites depuis le Moyen‑Orient via le territoire chypriote en cas de situation de crise. Sa portée excède la simple organisation logistique : il institue un cadre de droit international permettant à la France de mobiliser, de manière prévisible et conforme au principe de souveraineté, les capacités d’accueil d’un État membre de l’Union européenne situé au contact des zones de conflit.

A.   Un instrument hybride, à la croisée du droit international humanitaire et de la coopération militaire

 

À la différence d’un simple arrangement technique, l’accord relève d’une logique intergouvernementale formelle : il a été signé par les ministres des affaires étrangères des deux pays et entre en vigueur après accomplissement des procédures internes d’approbation. Il s’inscrit dans la continuité de l’accord de sécurité de 2010 sur l’échange et la protection réciproque des informations classifiées, ainsi que de l’accord de coopération en matière de défense de 2017.

 

Ces textes forment un socle normatif cohérent, autorisant désormais la planification et la conduite d’opérations RESEVAC selon des standards conformes au droit international et européen.

 

L’accord de 2022 s’inspire, dans son économie générale, d’un accord de statut des forces en ce qu’il détermine le statut du personnel, le partage de juridiction, les règles d’importation des matériels, la circulation des aéronefs et navires, ou encore la protection des informations classifiées.

 

À la différence d’un SOFA classique, il n’a pas pour objet la présence permanente de forces sur le territoire d’accueil. Il s’agit d’un accord d’intervention ponctuelle et humanitaire, déclenché exclusivement en cas de crise. Le texte opère donc une articulation subtile entre le droit des opérations extérieures et le droit des interventions humanitaires, en ménageant à la fois la liberté d’action de la France et la souveraineté de la République de Chypre.

Cette logique s’inscrit dans un continuum de pratiques internationales où l’appui logistique apporté par un État à un autre pour des opérations d’évacuation demeure largement encadré par le droit international humanitaire et le droit diplomatique, notamment au regard des obligations de protection consulaire et des règles relatives au traitement des personnes évacuées. L’accord fixe ainsi les conditions d’accueil, de triage, de prise en charge médicale ou logistique, ainsi que les mécanismes de sécurité indispensables à la fluidité des opérations. Il précise également que la durée maximale de transit sur le territoire chypriote est de quarante‑huit heures, sauf circonstances exceptionnelles dûment autorisées : une exigence conforme à la pratique RESEVAC et explicitée par les autorités lors de leur audition à l’Assemblée nationale.

Sur le plan militaire, l’accord emprunte certains éléments aux accords de coopération de défense, sans toutefois s’y substituer : il n’organise ni l’implantation de troupes ni la conduite d’opérations armées conjointes. À cet égard, il s’inscrit dans la continuité d’un précédent unique : l’accord conclu entre la France et la République du Congo en 2016, seul instrument comparable recensé par le ministère. Le dispositif franco‑chypriote s’inscrit donc dans une pratique émergente, encore peu répandue, consistant à formaliser des mécanismes d’appui RESEVAC dans des pays tiers proches de zones de crise.

La nature hybride de l’accord en fait un instrument juridique à part entière : suffisamment robuste pour encadrer des opérations sensibles impliquant des moyens civils et militaires, tout en demeurant limité à un objet précis, circonscrit aux seules opérations d’évacuation. Cette architecture lui confère une utilité opérationnelle immédiate et un caractère stratégique marqué, particulièrement pertinent dans une région exposée à des risques de dégradation rapide de la situation sécuritaire.

B.   Les conditions de mise en œuvre : activation encadrée et obligations réciproques

L’accord franco‑chypriote définit avec précision les conditions dans lesquelles une opération d’évacuation peut être engagée et les obligations incombant à chacune des parties. Ce cadre procédural vise à garantir la lisibilité de la chaîne décisionnelle, la fluidité du déploiement des moyens et la sécurité des personnes évacuées, tout en respectant la souveraineté chypriote.

1.   Une activation encadrée et fondée sur la demande expresse de la France

L’activation du dispositif repose sur un mécanisme simple : la France sollicite officiellement l’appui de la République de Chypre lorsqu’une crise dans la région nécessite l’évacuation rapide de ressortissants. Cette demande, transmise par voie diplomatique, déclenche la mobilisation des autorités chypriotes compétentes, en particulier des ministères chargés de la défense, des affaires étrangères et de l’intérieur, ainsi que du Joint Rescue Coordination Center (JRCC).

Ce mode d’activation exclut toute automaticité : Chypre conserve l’entière maîtrise de son territoire et des conditions d’accès à ses infrastructures. Les opérations ne peuvent se dérouler qu’avec son accord explicite, conformément au principe de souveraineté territoriale. Cette articulation diplomatique a été confirmée par les autorités lors de leur audition par le rapporteur de la commission des affaires étrangères.

2.   Un accès aux infrastructures clairement défini

L’accord précise le cadre d’utilisation des infrastructures chypriotes par les moyens français. Chypre met à disposition, à titre gratuit, les installations nécessaires à l’opération : ports, aéroports, zones de stationnement ou d’accueil temporaire, ainsi que les moyens du JRCC pour la coordination des flux.

L’accès est toutefois strictement limité à ce qui est indispensable à la conduite de l’évacuation. Les autorités chypriotes conservent en permanence le contrôle des installations et peuvent fixer des conditions d’utilisation si des impératifs de sécurité nationale ou de gestion interne le justifient. La durée maximale de séjour des personnes évacuées est fixée à quarante-huit heures, sauf accord exceptionnel écrit de Chypre – un point qui a également été clarifié oralement par les services des ministères auditionnés.

Cette architecture prévient toute dérive ou interprétation extensive : elle garantit un usage ponctuel, encadré et temporaire du territoire chypriote.

3.   Une distinction précise entre services gratuits et services remboursables

L’article 7 de l’accord introduit une distinction essentielle entre :

 d’une part, les infrastructures mises à disposition gratuitement (accès, zones d’accueil, appui administratif minimal),

 d’autre part, les services d’assistance soumis à remboursement, notamment les :

● frais d’escale (carburant, assistance portuaire et aéroportuaire),

● services d’intendance,

● forfaits journaliers pour l’utilisation de quais civils,

● prestations spécifiques mobilisant des moyens militaires ou civils non prévus par le volet gratuit.

Les auditions menées par le rapporteur ont confirmé qu’aucune évaluation financière ex ante n’a été menée par le ministère, ces coûts étant par nature variables selon l’ampleur et la durée des opérations.

Cette distinction permet d’éviter que Chypre ne supporte une charge financière indue, tout en assurant à la France la prévisibilité opérationnelle nécessaire à la conduite d’une évacuation de grande ampleur.

4.   Une coopération opérationnelle nécessitant une coordination renforcée

La mise en œuvre pratique du dispositif repose sur une coordination étroite entre les autorités françaises (MEAE, CDCS, EMA, CPCO) et les autorités civiles et militaires chypriotes. Les exercices annuels ont permis d’en tester les mécanismes mais les événements réels de juin 2025 ont mis en évidence certaines lacunes : difficultés de partage d’information, articulation complexe entre chaînes civiles et militaires, et hétérogénéité des procédures selon les services impliqués.

Ces enseignements ont conduit les deux parties à renforcer la préparation des opérations, notamment par une meilleure anticipation des flux, une clarification des responsabilités et un travail accru de familiarisation mutuelle entre centres de décision. L’accord fournit le cadre nécessaire pour structurer ces efforts mais son efficacité dépend de l’exercice régulier des procédures qu’il prévoit.

C.   Un cadre de sécurité juridique et de responsabilité partagée

L’accord franco‑chypriote institue un dispositif juridique précis destiné à garantir la sécurité des opérations, la protection des personnels et la répartition claire des responsabilités civiles, pénales et financières. Ce cadre, inspiré du modèle des SOFA, est toutefois adapté à la nature strictement ponctuelle et non permanente des opérations.

1.   Un régime de juridiction conforme à la pratique internationale

L’article 12 établit un partage de juridiction inspiré des clauses classiques du SOFA OTAN. Il pose trois principes :

– la compétence exclusive de la France pour les infractions punissables selon le droit français mais non selon le droit chypriote ;

– la compétence exclusive de Chypre pour les infractions punissables selon le droit chypriote mais non selon le droit français ;

– la compétence prioritaire de la France pour les infractions commises par son personnel « en service » ou contre des intérêts français (personnel, biens, sécurité), Chypre exerçant sa compétence prioritaire dans les autres situations.

Chaque partie peut renoncer à sa priorité de juridiction au profit de l’autre. Ce mécanisme, conforme à la pratique française des accords de défense, garantit à la fois le respect de la souveraineté chypriote et la protection juridique du personnel français engagé dans des opérations sensibles. Les services du MEAE ont pu souligner à l’occasion de leur audition que ce régime est pleinement compatible avec les engagements européens des deux États.

2.   Une renonciation mutuelle à indemnisation limitant les litiges et accélérant les opérations

L’article 13 introduit une renonciation mutuelle à indemnisation pour les dommages causés « en service ou à l’occasion du service » aux biens ou personnels de l’autre partie. Cette disposition, courante dans les accords bilatéraux de coopération militaire, vise à éviter des contentieux susceptibles de ralentir les opérations. Elle comporte toutefois deux garde‑fous : elle ne s’applique pas en cas de négligence grave ou de malveillance et la détermination de ces situations se fait par voie de consultation, assurant une appréciation conjointe.

Ce mécanisme permet de sécuriser juridiquement les opérations d’évacuation, où la rapidité et la fluidité priment sur la logique indemnitaire.

3.   Une couverture médicale précisée et articulée avec les dispositifs nationaux

L’article 9 prévoit la possibilité de recourir à des soins médicaux de niveau supérieur lorsque les capacités françaises présentes sur place sont insuffisantes.

Selon les précisions fournies par le MEAE :

– les soins spécialisés peuvent être dispensés dans les hôpitaux publics et privés de Larnaca, Nicosie ou Limassol,

– aucune convention spécifique n’est nécessaire, ces infrastructures disposant des capacités requises,

– la prise en charge financière repose sur des mécanismes existants, c’est‑à‑dire la carte européenne d’assurance maladie lorsque cela s’applique, la caisse nationale militaire de sécurité sociale (CNMSS) pour les affections imputables au service et un règlement direct par le détachement militaire ou la section administrative de l’ambassade pour les cas non couverts.

Ce dispositif garantit une continuité de soins tout en préservant la lisibilité des responsabilités financières.

4.   Un mécanisme d’assistance mutuelle pour sécuriser les enquêtes et les responsabilités

L’accord prévoit une assistance mutuelle entre autorités françaises et chypriotes pour la conduite des enquêtes, la recherche de preuves et l’exécution de certaines décisions. Ce mécanisme facilite l’établissement des responsabilités en cas d’incident et permet une coopération transparente entre les deux systèmes juridiques. Il s’inscrit dans le cadre plus large de la confiance bilatérale, consolidée par l’accord de 2017 et les échanges réguliers entre directions juridiques.

5.   Un équilibre entre souveraineté chypriote et garanties opérationnelles pour la France

Ce cadre juridique complexe vise à répondre à une double exigence :

– d’une part, respect intégral de la souveraineté chypriote, par le maintien d’une compétence nationale prioritaire et par le contrôle permanent des infrastructures ;

– d’autre part, la protection du personnel et des moyens français, via un régime clair de responsabilité et de juridiction, évitant toute zone d’incertitude en situation d’urgence.

L’accord offre ainsi un environnement juridique stable et équilibré pour conduire des opérations d’évacuation particulièrement sensibles, où la coordination entre systèmes juridiques est essentielle au succès de la mission.

D.   Une portée politique et stratégique assumée

Au‑delà de sa dimension technique, l’accord franco‑chypriote du 9 septembre 2022 revêt une portée politique et stratégique majeure, tant pour la relation bilatérale que pour la posture européenne en Méditerranée orientale. En formalisant un cadre d’appui aux évacuations de ressortissants, il consacre la confiance réciproque entre Paris et Nicosie et traduit la volonté de structurer un partenariat fondé sur la solidarité en situation de crise. Pour Chypre, État membre de l’Union européenne situé en première ligne face aux tensions régionales, la signature de cet accord constitue un marqueur fort de son rôle comme acteur de stabilité et comme partenaire fiable des États européens.

L’accord s’inscrit également dans une dynamique plus large de consolidation des capacités européennes de gestion de crise. La Méditerranée orientale demeure un espace stratégique où évoluent régulièrement des situations complexes, susceptibles de nécessiter un appui ponctuel aux opérations d’évacuation. Dans cette perspective, plusieurs États européens travaillent à structurer des mécanismes logistiques à proximité des zones sensibles. Le dispositif établi avec Chypre offre ainsi un cadre opérationnel clair, susceptible d’inspirer d’autres accords bilatéraux de type RESEVAC, fondés sur une base juridique solide, une activation maîtrisée et une coopération civilo-militaire cohérente.

L’accord trouve en outre une résonance particulière dans le développement des politiques européennes de défense. Les travaux engagés autour de ReArm Europe, les investissements prévus dans la mobilité militaire et la priorité accordée aux infrastructures duales renforcent la pertinence des capacités chypriotes. L’île, située au carrefour des crises du Levant, pourrait devenir l’un des points d’appui logistiques de l’Union européenne en cas d’évacuation d’ampleur ou de dégradation majeure de la liberté de circulation en Méditerranée orientale. L’accord de 2022 contribue ainsi à préparer un futur cadre européen où la mutualisation des capacités et la solidarité opérationnelle joueront un rôle accru.

La portée politique de l’accord doit également être appréciée à la lumière des équilibres régionaux. Chypre, confrontée à une situation sécuritaire complexe et à la présence de forces turques au Nord de l’île, trouve dans cet accord une confirmation du soutien européen à sa stabilité et à sa souveraineté. Pour la France, il s’agit d’un signal clair de son engagement dans la région, en cohérence avec sa présence navale régulière, ses coopérations opérationnelles et sa vision d’une Méditerranée orientale où l’Union européenne doit jouer un rôle de puissance stabilisatrice.

Enfin, cet accord s’inscrit dans la perspective de la présidence chypriote du Conseil de l’Union européenne au premier semestre 2026, qui placera Nicosie au centre des débats européens sur la sécurité et la gestion des crises. L’existence d’un dispositif opérationnel éprouvé avec un État membre qui sera prochainement en position de conduire les priorités de l’Union confère à l’accord une dimension politique supplémentaire. Il illustre l’ambition partagée par Paris et Nicosie de promouvoir une approche européenne plus intégrée de la gestion des risques et de la protection des ressortissants.

En réunissant ces différents éléments, l’accord de 2022 dépasse la seule logique d’assistance technique. Il constitue un instrument stratégique, qui renforce la posture européenne en Méditerranée orientale, consolide un lien bilatéral de confiance et prépare les conditions d’une réponse coordonnée aux crises futures.

 


   Avis
fait au nom de la commission de la défense nationale
et des forces armées

La commission de la Défense nationale et des forces armées s’est saisie pour avis du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d’évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d’une situation de crise, signé à Paris le 9 septembre 2022.

Selon l’exposé des motifs de ce projet de loi, l’accord susvisé « permettra aux forces armées françaises de bénéficier d’un cadre juridique solide lors d’une situation de crise et du déploiement d’une opération d’évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre ».

Cet accord, initié par la France en 2013, a mis près de dix ans à être finalisé. Un projet d’arrangement technique relatif à l’utilisation, par les forces françaises, d’équipements et services chypriotes avait été élaboré en 2013. Il a ensuite été orienté vers le soutien apporté lors d’opérations d’évacuation ou de transits passant par Chypre. En 2014, les autorités chypriotes ont introduit dans leur contreproposition des stipulations qui excédaient le champ de compétence du ministère des Armées et des anciens combattants (MINARM). Les autorités françaises ont alors choisi de transformer le projet d’arrangement technique en un accord intergouvernemental en bonne et due forme. Les délais pour sa négociation ont pu être allongés en raison de la nécessité de concilier des systèmes juridiques de traditions différentes, romano-germanique ou civiliste pour la France et common law pour Chypre, sans que cette différence ne cause in fine de difficulté majeure. En outre, la non-réciprocité de l’accord a fait l’objet de discussions, la Partie chypriote ayant initialement souhaité que le texte soit réciproque. L’accord a finalement été signé à Paris le 9 septembre 2022.

Le projet autorisant son approbation a été déposé une première fois au Sénat en 2023, puis retiré. Interrogées sur les raisons ayant préludé à ce retrait, les personnes auditionnées par la rapporteure pour avis ont indiqué que celui-ci avait été demandé « par les services du Premier ministre, qui ont estimé que, dans le contexte particulièrement sensible des attaques [terroristes] perpétrées le 7 octobre 2023 par le Hamas à l’encontre d’Israël et de la guerre à Gaza, l’examen de cet accord aurait pu être interprété comme un signal que la France s’apprêtait à organiser des évacuations ». Le projet de loi a été redéposé sur le bureau de la chambre Haute le 13 février 2025, examiné par sa commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées le 11 juin 2025 et adopté en séance publique le 23 juin 2025, date à laquelle il a été transmis à l’Assemblée nationale.

La rapporteure pour avis a organisé ses réflexions et ses auditions autour de trois interrogations :

1/ quel est le besoin d’un tel accord, alors que la République de Chypre sert, depuis longtemps, de base arrière ponctuelle pour des opérations d’évacuation menées par les forces françaises au Moyen-Orient ?

2/ Pourquoi le choix de Chypre s’impose-t-il plus que celui d’un autre pays ?

3/ Si cet accord est nécessaire, peut-il servir de modèle pour d’autres zones que le Moyen-Orient ?

À ces trois interrogations, la rapporteure pour avis a obtenu des réponses satisfaisantes qu’elle a développées dans son avis.


  1.   Chypre, un membre de l’Union européenne, avec lequel
    la France a développé une coopération approfondie
    1.   Chypre, un acteur régional non membre de l’OTAN,
      qui pratique la « dissuasion par la diplomatie »
      1.   Un environnement géostratégique caractérisé par une dynamique structurante : la partition de fait de l’île

Positionné en Méditerranée orientale, à une centaine de kilomètres des côtes syriennes, Chypre est, depuis l’Antiquité, un carrefour entre l’Europe, par le biais de la Grèce continentale, le Levant, qui lui fait face, et une partie de l’Afrique, notamment l’Égypte et la Libye.

Territoire ottoman, administré à partir de la Convention de Chypre du 4 juin 1878, par le Royaume-Uni, puis intégré à l’Empire britannique à partir de 1914, la République de Chypre a obtenu son indépendance de manière relativement récente, en 1960. Le Royaume-Uni, la Grèce et la Turquie ont signé, le jour de l’indépendance, le 16 août 1960, à Nicosie, un traité de garantie, actant la renonciation à toute revendication territoriale – à l’exception des deux bases militaires britanniques d’Akrotiri et de Dhekelia ([1]) –, prohibant la partition ou le rattachement de l’île à un autre État et faisant d’eux les garants du respect de la Constitution, elle-même protectrice des deux communautés de l’île, les Chypriotes grecs et les Chypriotes turcs.

Après avoir été marqué par des heurts communautaires dès les années 1964, à l’issue d’une tentative de révision de la Constitution, Chypre a été le théâtre, en 1974, d’une tentative de coup d’État menée par la Garde nationale chypriote contre le Président de Chypre, l’archevêque Makarios III, à l’instigation de la junte militaire grecque (« le régime des colonels »). L’échec du coup d’État n’a pas empêché la Turquie d’intervenir militairement, en tant que « garante de l’ordre constitutionnel », et d’occuper le nord de l’île, aujourd’hui toujours divisée en deux parties, séparées par une ligne de démarcation démilitarisée, la « ligne verte », où stationne une force d’interposition des Nations unies, la FNUCHYP ([2]).

La République de Chypre, seul gouvernement reconnu au niveau international, n’exerce un contrôle effectif que sur la partie sud de l’île, soit les deux-tiers. La partie nord, qui recouvre 3 500 km2 (36 % du territoire), occupée par la Turquie, s’est autoproclamée indépendante le 15 novembre 1983 en tant que « République turque de Chypre du nord » (RTCN). Elle n’est reconnue que par la Turquie.

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En 2024, selon Eurostat, Chypre compte un peu plus de 930 000 ressortissants. Plus des deux tiers, y compris les réfugiés du nord, vivent dans la partie sud.

Malgré de nombreuses initiatives en faveur d’un règlement du conflit (en particulier, les plans des Secrétaires généraux des Nations unies, de Boutros Boutros-Ghali en 1992, puis de Kofi Annan en 2002-2004), celui-ci reste pour l’heure gelé.

Aujourd’hui, l’armée turque stationne plus de 35 000 soldats possédant des capacités de reconnaissance et de combat dans la partie nord ([3]) et peut disposer rapidement de renforts venant de Turquie. Face à elle, la Garde nationale chypriote ne compte que 14 000 hommes et 60 000 réservistes et apparaît numériquement inférieure en personnel et en capacités dans tous les domaines.

Malgré des mesures de confiance, notamment l’ouverture de points de passage entre les deux parties de l’île, la tension reste prégnante. La FNUCHYP joue un rôle crucial en la maîtrisant, sans pouvoir empêcher un processus de militarisation de la ligne verte, qu’elle dénonce régulièrement dans ses rapports au Secrétaire général des Nations unies ([4]), ou des incidents potentiellement porteurs d’escalade, comme l’entrée de la police chypriote turque dans la zone tampon de la ligne verte, sur le plateau de Pyla/Pile à l’été 2023.

Les tensions entre la République de Chypre et la Turquie ne concernent pas que la présence militaire de cette dernière dans la partie nord et la partition de fait de l’île. Elles sont également liées aux velléités turques de remise en cause des délimitations maritimes en Méditerranée orientale et participent d’une logique de compétition régionale pour l’accès aux ressources énergétiques. Face à l’activisme turc, Chypre s’est rapproché d’Israël pour promouvoir un partenariat Grèce-Chypre-Israël, fondé sur des coopérations sécuritaires et énergétiques. L’exploitation des gisements de gaz en Méditerranée orientale et leur acheminement vers le continent, ainsi que le projet d’interconnexion électrique entre Israël, Chypre et la Grèce, baptisé « Great Sea interconnector », structurent ce partenariat et s’inscrivent dans un projet de sécurisation des approvisionnements énergétiques de l’Europe. Isolée sur la scène régionale face à l’axe Tel Aviv – Nicosie – Athènes auquel s’était associé Le Caire, Ankara a lancé un processus d’apaisement de ses relations de voisinage depuis 2022, qui s’est traduit par une normalisation avec Israël (abandonnée depuis le 7 octobre 2023), l’Égypte et la Grèce. Cependant, ce processus n’a pas inclus Chypre, en raison du soutien inconditionnel d’Ankara à la « République turque de Chypre du nord », qui bloque toute perspective de rapprochement.

L’exploitation d’hydrocarbures par Chypre en Méditerranée orientale

Depuis la découverte de gisements gaziers en 2011 au sud de Chypre (Aphrodite), Nicosie ambitionne de devenir un acteur énergétique important de la région. Le ministre de l’énergie a indiqué en février 2024 que Chypre pourrait commencer sa production dès 2026.

Dans le cadre de sa diplomatie énergétique, Chypre a approfondi ses relations avec son voisinage méditerranéen. En janvier 2019, les gouvernements chypriote, égyptien, grec, israélien, italien, jordanien et palestinien ont ainsi constitué un « Forum du gaz en Méditerranée orientale » que la France a rejoint en mars 2021, et dont Chypre a assuré la présidence en 2024.

La Turquie revendique le droit d’exercer sa souveraineté sur les eaux du sud-ouest de Chypre au titre de son plateau continental et s’érige également en défenseur des droits des Chypriotes turcs sur les ressources énergétiques présentes dans la zone. À partir du printemps 2019, Ankara a lancé des activités de forages non autorisées dans la ZEE chypriote, y compris dans des blocs attribués à Total et à ENI par Nicosie. En réaction, le Conseil (Affaires étrangères) de l’UE a adopté en novembre 2019 un régime de sanctions contre les personnes physiques et/ou morales responsables ou impliquées dans ces activités, ayant abouti en février 2020 à la désignation de deux cadres de la société nationale pétrolière turque TPAO dans le cadre de ce régime. La Turquie a retiré le dernier navire de recherche sismique, le Barbaros, présent en ZEE chypriote le 13 janvier 2021. À ce jour, aucun navire de forage turc ne se trouve dans la ZEE chypriote.

Le 19 octobre 2025, le candidat du CTP (Parti républicain turc), parti frère de la formation kémaliste CHP de Turquie, M. Tufan Erhürman, a été élu avec 63 % des voix président de la RTCN. Favorable à la réunification de l’île, il a immédiatement déclaré qu’il exercerait « ses responsabilités, notamment en matière de politique étrangère, en concertation avec la République de Turquie. Que personne ne s’inquiète » ([5]). Les déclarations qui ont suivi illustrent assez bien l’état d’esprit, d’une part des dirigeants turcs et d’autres part des responsables chypriotes grecs. Le 3 novembre 2025, le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, a affirmé, lors de la cérémonie d’ouverture de la 41e session du Comité permanent pour la coopération économique et commerciale de l’Organisation de la coopération islamique que « l’île de Chypre cherche à être ajoutée au menu du nouveau jeu impérialiste qui se met en place dans notre région » et a notamment souligné que « les Chypriotes turcs sont une entité politique dotée d’un droit souverain ». Le président de Chypre, Nikos Christodoulides, lui a répondu que « le seul qui se comporte de manière impérialiste dans la région en essayant de mettre en œuvre une approche néo-ottomane, c’est la Turquie » ([6]).

  1.   Non membre de l’OTAN, Chypre constitue la pointe avancée de l’Union européenne en Méditerranée orientale

Le net déséquilibre des forces entre Chypre et la Turquie, que ne sauraient contrebalancés ni une augmentation des dépenses militaires, ni un renforcement de la base industrielle et technologique de défense (BITD) couplé au fait que Chypre a, pendant la Guerre froide, adopté une posture de neutralité et n’est pas membre de l’Organisation de l’Atlantique Nord, ont conduit ce pays à rechercher ce qu’il est habituel de qualifier « la dissuasion par la diplomatie ».

Ainsi, Chypre est traditionnellement attaché au respect du droit international et est actif dans les enceintes internationales (ONU, Conseil de l’Europe…) qui le promeuvent.

Membre de l’Union européenne depuis 2004, il est en faveur d’un renforcement d’abord de la politique de sécurité commune (PESC) et aujourd’hui de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). À ce titre, l’article 42 paragraphe 7 du Traité sur l’Union européenne (TUE), qui prévoit une assistance des États membres à celui d’entre eux qui ferait l’objet d’une agression armée ([7]), revêt pour ce pays une importance non négligeable. Il constitue en effet le seul mécanisme multilatéral de défense proche de celui pouvant être activé dans le cadre de l’article 5 du Traité de l’Atlantique nord.

La dissuasion par la diplomatie, à laquelle, la rapporteure pour avis en a bien conscience, l’accord RESEVAC participe, a également été déclinée par Chypre, dans le cadre de ses relations de voisinage. Ainsi, alors qu’il a reconnu l’État de Palestine en 1988, il entretient de bonnes relations avec Israël dans les domaines militaire, économique et de sécurité. Il en va de même avec les autorités libanaises et avec l’Égypte.

Un effort militaire limité et une BITD adaptée à sa taille

En 2025, le budget de la défense chypriote s’élève à 588,4 millions d’euros, soit près de 1,5 % du Produit intérieur brut (PIB), en hausse de 3,9 millions d’euros par rapport à 2024. Non membre de l’OTAN, Chypre n’entend pas porter ses dépenses militaires à 5 % de son PIB. Cependant, le ministère de la défense chypriote souhaite atteindre 2 % du PIB d’ici 2028.

L’industrie de défense chypriote est constituée d’une cinquantaine d’entreprises employant plus de 500 personnes. Les entreprises les plus emblématiques sont spécialisées dans les domaines tels que l’ingénierie, les véhicules spécialisés, l’électronique, le logiciel, le traitement du signal et les communications, les drones/la lutte anti-drones, ou encore la cyber-sécurité.

Le gouvernement chypriote a récemment pris des mesures pour renforcer ce secteur émergent.

Si la partition de fait de l’île et l’activisme du voisin turc constituent une donnée fondamentale de l’environnement géostratégique de Chypre, trois dynamiques, plus récentes et de nature très différentes, se sont faites jour.

La première concerne la question migratoire. Du fait de sa position géographique et de la situation au Proche-Orient, Chypre fait face à une importante pression en la matière. En avril 2024, à la suite d’une hausse des flux migratoires irréguliers depuis le Liban, qualifiée d’« état de crise grave » par le président Nikos Christodoulides, les autorités chypriotes ont suspendu l’examen des demandes d’asile pour les ressortissants syriens. Les départs de migrants depuis les côtes libanaises ont, par ailleurs, été stoppés depuis la mi-avril 2024 du fait d’une coordination étroite entre les autorités chypriotes et libanaises. Chypre encourage désormais les retours volontaires vers la Syrie en raison de la chute du régime de Bachar el-Assad. De nouvelles arrivées par voie maritime depuis la Syrie, à partir de mars 2025, inquiètent les autorités chypriotes qui craignent une nouvelle vague migratoire. À cet égard, Chypre serait en première ligne en cas de crise au Liban et de départs massifs des ressortissants du pays du Cèdre.

La deuxième a trait aux risques d’importation des conflits régionaux à Chypre. Il est croissant depuis les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël. En juin 2024, le Secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait pour la première fois menacé l’île, l’accusant de soutenir Israël en permettant l’utilisation de ses bases et aéroports pour des opérations militaires contre le Liban (les bases souveraines britanniques étaient également ciblées). Cette allocution télévisée ([8]), destinée au premier chef à dissuader Israël, était intervenue dans un contexte de tensions croissantes entre Israël et le Hezbollah, mais aussi dans un contexte général de développement du partenariat stratégique entre Chypre, Israël et les États-Unis. Depuis l’intervention d’Israël au Liban et le décès d’Hassan Nasrallah dans un bombardement en septembre 2024, ce risque semble moindre.

La dernière concerne le basculement diplomatique opéré par Chypre à la suite de l’agression russe de l’Ukraine. Culturellement et économiquement proches jusqu’alors de la Russie, Chypre a aligné sa position sur celle de ses partenaires européens et occidentaux, notamment en matière de sanctions et de refus des escales navales dans ses ports. Cet alignement a eu pour effet de donner une impulsion nouvelle au rapprochement que Chypre avait amorcé avec les États-Unis en signant, en novembre 2019, une déclaration d’intention pour renforcer et développer « les relations bilatérales, la sécurité en mer et aux frontières, ainsi que la promotion de la stabilité régionale ». Le 16 septembre 2022, le département d’État a annoncé la levée de l’embargo sur les armes létales à Chypre en vigueur depuis 1987, décision directement liée à la condition remplie fin février 2022 de mettre un terme aux escales navales russes dans ses ports. Le 17 juin 2024, Chypre et les États-Unis ont officiellement institué un dialogue stratégique (défense, sécurité, énergie, gestion de crise, lutte contre le terrorisme), qui s’est tenu pour la première fois le 23 octobre, une semaine avant que Nikos Christodoulides ne soit accueilli par Joe Biden à la Maison Blanche, une première pour un président chypriote depuis 1996.

Depuis, la présence américaine à Chypre s’est nettement accrue. La coopération bilatérale de défense entre les États-Unis et Chypre s’est concrétisée par la signature d’un accord de type ACSA (Acquisition and Cross Services Agreement) le 19 septembre 2022, deux jours après la levée de l’embargo sur la vente d’armes à Chypre. Permettant un appui logistique aux forces armées des États-Unis dans la région, cet accord est doublement précieux pour Washington : il lui permet de s’implanter dans le paysage méditerranéen oriental tout en facilitant la présence de moyens militaires sur l’île. Le partenariat s’étend également au domaine sécuritaire entre agences, avec l’ouverture à Larnaca en 2022 du centre CYCLOPS (Cyprus Center for Land, Open-seas and Port Security), entièrement financé par les États-Unis, et proposant plusieurs formations couvrant les domaines de la sécurité aux frontières, la sûreté maritime et la cyber sécurité.

Cette relation s’est consolidée par la signature, le 3 janvier 2023, du premier plan de coopération bilatéral américano-chypriote et par le doublement du nombre d’exercices militaires entre les deux pays. Un nouveau palier a ensuite été franchi par l’adhésion, le 21 juillet 2023, de Chypre au State Partnership Program américain et le jumelage de la Garde nationale chypriote avec la Garde Nationale du New Jersey. Les escales des bâtiments de la marine américaine se sont considérablement accrues, atteignant les 50 escales pour la seule année 2024. Cette présence navale s’est notamment renforcée à l’aune des crises à Gaza et au Liban qui ont engendré un sursaut d’activité dans les ports de Larnaca et Limassol. Le déploiement régulier de groupes amphibies et de navires américains dans le cadre du plan Amalthéa (corridor maritime entre Larnaca et Gaza avec 8 000 tonnes d’aide humanitaire transportée) a définitivement ancré les États-Unis dans le paysage naval de Chypre.

Certains aspects de ce rapprochement restent néanmoins en discussion. Une mission américaine d’évaluation militaire examine actuellement les infrastructures chypriotes, notamment sur la base aérienne de Paphos, pour des usages potentiels tels que des opérations d’évacuation ou des exercices.

  1.   Chypre, un partenaire fiable de la France
    1.   Une coopération bilatérale dans le domaine de la défense qui ne cesse de prendre de l’ampleur

Les personnes auditionnées par la rapporteure pour avis ont confirmé que les relations bilatérales avec Chypre, sont, de manière générale, excellentes. Elles ont, par ailleurs, gagné en profondeur depuis les années 2010, notamment dans le domaine de la défense.

La France a soutenu, de manière constante, l’intégrité territoriale de Chypre dès 1974. En outre, à la différence du Royaume-Uni, sa relation bilatérale n’est marquée ni par un siècle d’administration directe, ni par le refus d’intervention lors de l’invasion turque du nord de l’île.

Cette bonne relation explique que, depuis les années quatre-vingt, plusieurs interventions françaises au Moyen-Orient ont pu être menées grâce à l’utilisation ponctuelle des infrastructures chypriotes, sans cadre juridique formalisé. Il est en allé ainsi des opérations Épaulard (21 août – 13 septembre 1982) ou Diodon (septembre 1982 – septembre 1983) qui se sont déroulées au Liban. Tel a également été le cas, lors d’opérations spécifiquement de RESEVAC, en 2006, de nouveau au Liban, et, plus récemment, en 2023, en Israël.

En matière de défense, la relation bilatérale revêt principalement quatre dimensions.

Un premier accord relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure a été signé à Nicosie le 4 mars 2005. Il porte sur une dizaine de domaines tels la lutte contre la criminalité organisée, la lutte contre le terrorisme ou la sûreté des moyens de transport aériens, maritimes et terrestres. Cet accord a été prolongé par l’Agenda stratégique signé le 15 octobre 2016 en matière de sécurité et de défense. Celui-ci constitue une feuille de route pour le renforcement du dialogue politique, de sécurité et défense, économique, ainsi que le dialogue éducatif et culturel. En matière de sécurité et de défense, il vise à mettre en place des consultations régulières entre les ministères et les administrations concernées (armée, police, gendarmerie, services de renseignement, justice, immigration, douanes) des deux pays, aux niveaux politique et opérationnel en vue de contribuer à l’élaboration et la mise en œuvre, à titre bilatéral et/ou au niveau européen, de stratégies communes.

Par le dialogue politico-militaire, l’agenda stratégique vise à renforcer l’interopérabilité des forces armées des deux pays, soutenir l’organisation d’exercices navals conjoints, appuyer la participation chypriote aux opérations et initiatives soutenues par la France dans le cadre de la PSDC, ainsi que la coopération dans le domaine de l’action de l’État en mer. Le renforcement de la coopération de la France et de Chypre en matière de protection civile est également un objectif de l’agenda stratégique.

Un nouveau document visant à renouveler le cadre bilatéral de coopération est en projet.

L’accord de coopération en matière de défense, signé le 4 avril 2017 et entré en vigueur le 1er août 2020, est, actuellement, le cadre principal des relations militaires franco-chypriotes. Il a permis plusieurs avancées notables. Chypre a ainsi fourni un soutien opérationnel à la France, notamment lors de l’opération Chammal ([9]) contre l’État islamique. La position géographique stratégique de l’île en fait un point d’appui essentiel pour des escales aériennes et maritimes régulières des bâtiments militaires français.

La relation militaire franco-chypriote se traduit par un plan de coopération bilatéral, réactualisé chaque année à l’automne. La coopération maritime est particulièrement développée. Elle comprend des échanges réguliers entre le Commandant en chef pour la Méditerranée et la marine chypriote, ainsi que des exercices bilatéraux et multilatéraux. L’exercice EUNOMIA (voir 2., ci-après), impliquant la France, Chypre, la Grèce et l’Italie, est l’un des plus importants.

L’accord comprend la participation de personnels chypriotes à des sessions françaises à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), des cours de français pour les forces armées chypriotes, ainsi que des missions de formation dans des domaines spécialisés comme la fraude documentaire et la recherche de personnes. Enfin, l’accord prévoit la fourniture d’armement à la Garde nationale chypriote, renforçant ainsi la coopération technique et opérationnelle par l’emploi de matériels communs.

Dans son rapport sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord avec Chypre, le sénateur Cambon note qu’en 2024, « la marine nationale française a fait 36 escales de navires à Chypre, sans compter les exercices et les vols réalisés sur le territoire. Ce qui en fait la première destination de visite de nos forces dans la région [en Méditerranée orientale] » ([10]).

Les efforts actuellement déployés par les deux partenaires en matière de formation des personnels ou d’exercices communs visent, comme le prévoit l’Agenda stratégique, à favoriser le plus possible l’interopérabilité de leurs forces armées, en prenant en compte le fait que, Chypre n’étant pas membre de l’OTAN, les référentiels tant stratégiques que logistiques ne sont pas les mêmes.

Lors des auditions qu’elle a menées, il a été indiqué à la rapporteure pour avis qu’en 2026, le programme de coopération actualisé devrait s’inscrire dans la continuité des précédents tout en intégrant les évolutions stratégiques de la Méditerranée orientale. Il lui a ainsi été confirmé que :

- les exercices conjoints, notamment maritimes, seraient amplifiés, avec une attention portée aux opérations de RESEVAC et à la gestion de crises régionales ;

- la formation serait également renforcée avec un accent mis sur l’accès aux écoles françaises d’application, à l’École de Guerre et à l’IHEDN, ainsi que sur les formations linguistiques en français qui semblent être très demandées ;

- la coopération capacitaire serait aussi accrue, notamment grâce aux initiatives européennes comme l’instrument SAFE ([11]), permettant une utilisation commune des matériels.

La coopération en matière de défense est donc active. Le MEAE a cependant appelé l’attention de la rapporteure pour avis sur le fait que certains aspects peuvent limiter les effets des ambitions portées par l’accord : « les difficultés budgétaires, telles que l’impossibilité de débloquer des fonds attribués ou les retards dans la planification, ainsi que la visibilité médiatique et les réactions turques, peuvent entraver les ambitions de coopération ».

Cette coopération devrait connaître un nouveau saut qualitatif avec la négociation, déjà entreprise, d’un accord sur le Statut des forces ou SOFA (Status of Forces Agreement). Sa signature faciliterait l’accès des forces françaises aux ports et aéroports chypriotes, offrant ainsi de nouvelles opportunités d’entraînement. Ce SOFA se substituerait à l’accord de 2017.

Dans le domaine de l’armement, les personnes auditionnées ont indiqué à la rapporteure pour avis que la France, depuis les accords Giraud – Eliades ([12]) de 1987, est devenue et reste encore à ce jour l’un des principaux fournisseurs d’armement de Chypre, aux côtés, ces dernières années, de l’Allemagne et d’Israël. Chypre dispose de nombreux matériels d’origine française en dotation. Les dernières acquisitions de 2024 ont essentiellement porté sur des systèmes de missiles et leurs porteurs.

Le rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France (2025) précise que les prises de commande ont représenté 27,7 millions d’euros en 2024 avec trois licences délivrées (ML3, ML4 et ML11) ([13]). De 2014 à 2024, le montant cumulé des exportations d’armement françaises vers Chypre s’est élevé à 337,3 millions d’euros.

Dans le domaine du renseignement, un accord relatif à l’échange et la protection réciproque des informations classifiées a été signé à Nicosie le 22 janvier 2010. Selon les personnes auditionnées, Chypre semble très bien informé de la situation au Levant. Dans le domaine de la défense, la coopération franco-chypriote reste modeste, mais « les perspectives locales pourraient offrir une palette d’options dans l’ensemble de la région ».

  1.   Une coopération multilatérale importante, dont témoigne l’opération EUNOMIA

La coopération franco-chypriote dans le domaine multilatéral est considérée par le MEAE comme « excellente ». Dans le cadre de l’Union européenne, les intérêts chypriotes et français sont souvent alignés, en particulier en matière de PSDC. Le renforcement de l’autonomie stratégique de l’Europe fait partie des thèmes défendus par le président de Chypre.

Dans le domaine de la sécurité, les rivalités en Méditerranée orientale se sont exacerbées entre 2019 et 2021, menaçant l’équilibre de la région. En réaction, la France a lancé une initiative lors de la réunion informelle des ministres de la défense de l’Union européenne à Zagreb, le 4 mars 2020. La ministre française des Armées de l’époque, Mme Françoise Parly, a convenu, avec ses homologues chypriote, italien et grec, de la pertinence d’une présence maritime régulière en Méditerranée orientale. La mise en place de ce format quadripartite, baptisé QUAD MEDOR, a pour objectif d’affirmer l’attachement de ses membres au respect du droit international et à la liberté de navigation, de renforcer l’appréciation aéromaritime française dans la zone et d’améliorer l’interopérabilité avec la marine chypriote.

Le QUAD MEDOR s’articule autour de deux piliers : un pilier politico-militaire instaurant un dialogue régulier, le plus souvent au niveau des directeurs de la politique de la défense, et un pilier opérationnel matérialisé par la tenue annuelle, au sud de Chypre, de l’exercice EUNOMIA.

La cinquième et, à ce jour, dernière édition de celui-ci s’est tenue du 14 au 18 septembre 2025. La frégate multi-missions (FREMM) Languedoc y a participé. Les bâtiments français, italien, grec et chypriote ont conduit des opérations aéromaritimes, d’interdiction maritime, de recherche et de sauvetage, de lutte asymétrique, un exercice d’évacuation de ressortissants (RESEVAC) et de lutte cyber. Les résultats de cette cinquième édition ont été jugés satisfaisants.

La coopération française avec Chypre sur le plan multilatéral se déploie dans le cadre de format ad hoc, dont celui du QUAD MEDOR est le plus emblématique.

 


  1.   La doctrine française du MINARM en matière de RESEVAC appliquée au cas de Chypre et du Moyen-Orient

Compte tenu de la nature de l’accord signé avec Chypre, il a paru utile à la rapporteure pour avis de rappeler de manière synthétique la doctrine française en matière de RESEVAC, telle qu’elle est appliquée au niveau ministériel.

  1.   La France dispose d’une doctrine RESEVAC bien établie et jouit d’une expertise reconnue dans ce domaine
    1.   La doctrine du MINARM en matière de RESEVAC : des opérations conduites par le MEAE dont le volet militaire relève de l’État-major des armées

Le document du MINARM qui précise cette doctrine, définit une opération de RESEVAC comme « une opération hors du territoire national, à dominante de sécurisation, mobilisant des capacités militaires dans l’objectif de protéger des bénéficiaires identifiés par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères résidant ou demeurant ponctuellement à l’étranger en les évacuant d’une zone présentant une menace imminente et sérieuse risquant d’affecter leur sécurité » ([14]).

Cette doctrine vise les opérations d’évacuation des ressortissants par moyens militaires dans un environnement « permissif » et « incertain » (2. voir ci-après). Elle exclut donc les opérations suivantes :

– la participation à une évacuation organisée par le MEAE limitée à une mise à disposition de moyens de soutien (exemple : évacuation de Wuhan en 2020) ;

– la protection sur place des ressortissants sans envisager d’évacuation ;

– et l’extraction d’une communauté lorsque les acteurs locaux s’opposent fermement à l’évacuation de ressortissants.

Une opération d’évacuation s’inscrit dans une logique principalement de sécurisation car elle vise à maintenir un environnement suffisamment sûr pour permettre l’action d’unités militaires non combattantes et des organisations, au profit des populations civiles en danger. Les règles opérationnelles d’engagement en tiennent compte.

Les opérations de RESEVAC s’inscrivent dans un cadre spécifique où le MEAE et le MINARM ont des rôles clairement définis.

Le MEAE est responsable de la sécurité des ressortissants français à l’étranger. En cas de menace imminente ou sérieuse de nature à affecter cette dernière, il peut recourir à différentes mesures, telles l’incitation au départ volontaire du territoire concerné ou l’assistance à retour volontaire avec ou sans prise en charge du financement des moyens de transport. L’opération RESEVAC fait partie de l’éventail de ces mesures et, bien qu’elle corresponde à l’hypothèse haute d’une réponse graduée, elle peut parfois constituer le moyen immédiatement le plus pertinent pour garantir la sécurité des ressortissants français.

La responsabilité du MEAE explique qu’il lui appartienne de proposer une opération de RESEVAC et, globalement de la conduire. Sur le plan institutionnel, une telle opération est décidée par le président de la République et sa conduite relève du Centre de crise et de soutien (CDCS) du MEAE.

Le Centre de crise et de soutien (CDCS) du MEAE ([15])

Il suit l’évolution des crises internationales 7 jours/7, 365 jours par an et assure la continuité des missions du ministère.

Ses deux missions principales consistent en :

– la protection des ressortissants français à l’étranger, en étroite coordination avec le réseau diplomatique et consulaire ;

– le pilotage de la réponse humanitaire de la France aux crises, catastrophes naturelles, conflits, épidémies à l’étranger, directement ou par l’intermédiaire d’organisations non gouvernementales.

Directement placé sous l’autorité du Ministre et de son cabinet, il regroupe une centaine d’agents qui forment une équipe pluridisciplinaire. Il est organisé en trois centres :

– un centre de situation, chargé de recueillir et de tenir à jour les éléments d’information nécessaires à une veille permanente, à l’analyse et à la planification. Il actualise notamment les fiches conseils aux voyageurs ;

– un centre des opérations d’urgence chargé de la planification des opérations d’urgence, de l’envoi et de la coordination des renforts vers les postes. Il est également chargé des salles de crise du Quai d’Orsay et de la préparation du réseau diplomatique à la gestion de crise ;

– et un centre des opérations humanitaires et de stabilisation, point d’entrée gouvernemental des organisations non gouvernementales.

En 2024, trois cellules de crise ont été mises en place pour suivre l’évolution de la situation sécuritaire en Haïti, au Liban, et au Vanuatu et répondre aux besoins de protection des ressortissants français. Le CDCS menait déjà une action humanitaire depuis plusieurs années dans ces trois pays, action qui s’est poursuivie, voire renforcée depuis.


En ce qui concerne la chaîne d’évacuation proprement dite, celle-ci comporte trois phases distinctes ([16]) :

1. Le regroupement : placée sous la responsabilité du MEAE, la phase de regroupement consiste à rassembler, selon les plans de sécurité du poste diplomatique, les ressortissants.

2. L’évacuation primaire : placée sous la responsabilité du MINARM, l’évacuation primaire est mise en œuvre entre le(s) point(s) de regroupement(s) (PR) et les points d’évacuation (point d’évacuation primaire PEP puis point d’évacuation secondaire PES).

3. L’évacuation secondaire : placée sous la responsabilité du MEAE, l’évacuation secondaire a lieu entre le point d’évacuation secondaire (PES), localisé en zone sûre, qui peut être un Centre de regroupement et d’évacuation des ressortissants (CRER), et la destination finale, en principe l’État d’origine.

Le MINARM n’a donc compétence que pour la phase 2, les autres étant du ressort du MEAE. Il ne procède à l’évacuation que des personnes figurant sur les listes établies par ce dernier. De même, les opérations de tri des personnes se trouvant sur les points de regroupement ou escortées jusqu’au point d’évacuation primaire relève de la seule autorité du MEAE.

Schéma de la chaîne d’évacuation ([17])

Îlots

Zone de rassemblement des ressortissants définie par les autorités consulaires suivant une logique géographique.

PR

Point de regroupement.

PEP

Point d’évacuation primaire.

PES

Point d’évacuation secondaire.

ZTP

Zone temporaire de protection.

CRER

Centre de regroupement et d’évacuation des ressortissants.

Le phasage d’une opération de RESEVAC par le MINARM témoigne bien de la manière dont il envisage son rôle qui est, prioritairement, de procéder à l’évacuation primaire des ressortissants. Il comporte quatre phases.

La phase préliminaire est celle qui a trait aux mesures de précaution. Il s’agit autant de préparer l’envoi de la force (la générer, la mettre en alerte, déployer une base de soutien à vocation interarmées ([18]), faire monter en puissance les éléments constitutifs de la base opérationnelle avancée (BOA) ([19]), d’établir des détachements de liaison nécessaires…) que d’envoyer, si besoin est, des renforts, militaires ou civils, à l’ambassade du pays concerné, de rassembler du renseignement sur la situation locale et de passer les accords éventuellement nécessaires avec les États concernés.

La phase 1 consiste schématiquement en la projection de la force et prépare l’évacuation primaire. Elle se traduit par la prise de contrôle des points et axes nécessaires, la prise en charge des personnes à évacuer et leur escorte à partir des points de regroupement et vers le point d’évacuation primaire. C’est dans cette phase qu’interviennent la projection du poste de commandement interarmées de théâtre et le déploiement de la BOA, la mise en place d’un dispositif de sûreté, et, si nécessaire, d’une zone temporaire de protection (ZTP) sur le théâtre d’opération. Des extractions locales et ponctuelles de personnes à évacuer peuvent également se dérouler pendant cette phase.

La phase 2 est tournée vers l’évacuation primaire. Elle implique, comme pendant la phase 1, le contrôle des points sensibles et la protection des personnes évacuées durant leur transfert des points de regroupement ou des zones temporaires de protection vers le point d’évacuation primaire, puis leur évacuation depuis ce dernier vers une zone sécurisée ou le CRER. Pendant cette phase, des extractions locales et ponctuelles de ressortissants peuvent encore intervenir.

La phase 3 est celle du désengagement de la force.

Le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) du MINARM ([20])

Héritier du Centre opérationnel interarmées (COIA), créé en 1991, au moment de l’opération « Daguet », le CPCO est une composante de l’État-major des armées (EMA), dont la mission consiste, aux termes de l’article 19 de l’arrêté du 27 septembre 2019 portant organisation de l’état-major des armées, à « assure[r], pour le chef d’état-major des armées et sous l’autorité du sous-chef d’état-major opérations, la veille stratégique permanente, la contribution à l’anticipation stratégique, la planification pré décisionnelle et opérationnelle ainsi que la conduite générale des actions militaires décidées par le Président de la République et le Gouvernement dans un cadre national ou multinational (…) ».

Le CPCO a pour mission de faire le travail pré-décisionnel, en préparant les options militaires, et de transcrire les directives politiques en ordres militaires. Il constitue donc en cela à la fois un outil d’aide à la décision et un centre de commandement. Il est au cœur du processus de gestion des crises en amont (veille stratégique, planification) et en aval (conduite). Centre nerveux de la chaîne de commandement opérationnelle française, il regroupe les capacités de planification et de conduite des opérations au niveau stratégique.

Situé au cœur de l’hexagone de Balard à Paris, il est compte quelque 200 officiers, sous-officiers et militaires du rang, ainsi que des officiers de liaison des principaux pays alliés.

Pour mener ses missions de planification et de conduite, le CPCO est organisé autour de deux compétences complémentaires : une compétence géostratégique et une compétence fonctionnelle.

Les officiers chargés d’anticipation opérationnelle et de synthèse apportent une expertise géostratégique avec un découpage de la planète en différentes zones (Théâtre national, Europe, Afrique, Monde).

Les compétences fonctionnelles (logistique, conduite, systèmes de communication, renseignement…) sont fournies par les bureaux (appelés J pour « joint »). Cette structure en J est dérivée de la structure OTAN.

Cette organisation fonctionnelle est complétée par des cellules d’expertises particulières et par des officiers de liaisons spécifiques (dont les officiers de liaisons étrangers).

En matière d’opérations de RESEVAC, le CPCO, à la suite des orientations définies par le groupe d’anticipation stratégique (GAS) ([21]), élabore des planifications d’anticipation de RESEVAC ciblées sur des États au sein desquels peut survenir une menace de nature à justifier un plan d’évacuation. Une reconnaissance, destinée à parfaire l’expertise de théâtre, peut être menée localement par l’équipe de planification.

En conduite, le CPCO assure le commandement stratégique d’une opération nationale ou multinationale lorsque la France est pilote ou nation cadre. Il assure, aux ordres du CEMA, le commandement opérationnel des forces françaises engagées dans une opération multinationale et la coordination entre le commandant de l’opération et les autorités françaises.


  1.   Alors même que les opérations de RESEVAC semblent gagner en complexité, la France bénéficie d’une expertise reconnue en la matière
    1.   Des opérations de plus en plus complexes

Par nature, les opérations de RESEVAC revêtent un caractère complexe, tant du fait du cadre dans lequel elles interviennent que de leurs caractéristiques militaires.

En ce qui concerne leur cadre, elles nécessitent systématiquement une coordination interministérielle, dont le fonctionnement a des effets directs sur la réussite de l’opération. En outre, elles sont conduites dans des environnements instables qui peuvent se dégrader très vite et où l’adaptation et la réactivité sont impératives. Le MINARM distingue trois situations dites de « permissivité » qui caractérisent le niveau de menace potentiel sur le théâtre dans lequel l’opération de RESEVAC doit être conduite. Ce niveau dépend du degré d’opposition des acteurs locaux au bon déroulement de l’évacuation et du niveau de risque exposant les ressortissants et les forces armées.

Une situation est dite « permissive », lorsqu’elle se caractérise par l’absence de résistance locale ou d’acte hostile susceptible de faire obstacle ou de gêner le processus d’évacuation. Il s’agit du niveau de risque le plus faible. Cette situation ne nécessite pas, a priori, d’action militaire majeure.

Une situation est dite « incertaine », lorsqu’elle se caractérise par un climat insurrectionnel de grande ampleur. Les ressortissants et les forces armées en opération peuvent être directement menacés par la population ou des acteurs locaux. Les forces armées doivent être en mesure de conduire sur un court préavis une opération d’évacuation avec un dispositif dimensionné pour une action principalement défensive.

Enfin, une situation est dite « hostile », lorsqu’elle se caractérise par un climat insurrectionnel généralisé, voire par un conflit ouvert. Dans ce cas, une opération de RESEVAC d’une certaine dimension peut être nécessaire, lorsque l’État sur le territoire duquel l’opération intervient n’est plus capable d’assurer un minimum de sécurité. Si cet État s’oppose à l’évacuation des ressortissants français et menace directement ces derniers ainsi que les forces déployées, un autre type d’opération, distinct d’une opération de RESEVAC, devra être menée. Enfin, si l’État concerné est en conflit avec un autre État et qu’il existe un risque élevé de confrontation entre les forces françaises et l’un de ces deux États, il peut être envisagé que l’opération d’évacuation se passe du concours de celles-ci.

Le passage d’une situation à une autre, sans préavis, fait partie des impondérables auxquelles les opérations de RESEVAC sont confrontées.

En ce qui concerne leurs caractéristiques militaires, les opérations de RESEVAC se déroulent principalement en milieu urbain, qui n’est pas le plus facile à sécuriser, consistent en des opérations de « va-et-vient », d’abord entre les points de regroupements et le point d’évacuation primaire, puis entre le point d’évacuation primaire et le point d’évacuation secondaire, ce qui nécessite une excellente coordination des forces, et sont habituellement menées dans l’urgence, ce qui suppose un travail de veille stratégique et de planification particulièrement abouti.

Ce niveau de complexité, inhérent aux opérations de RESEVAC, tend à s’accroître, principalement à deux égards.

En premier lieu, ces opérations tendent de plus en plus à être menées dans un cadre multinational. Il est fréquent qu’en cas d’évacuation, plusieurs États soient concernés. Sur le plan militaire, cela se traduit par la concomitance d’interventions nationales indépendantes nécessitant a minima coordination et échange d’information.

L’Union européenne a développé le concept « d’État pilote », qui permet à un État membre, sur la base du volontariat, d’assurer le pilotage et la coordination européenne locale en cas de crise consulaire dans un pays tiers ([22]). Il pilote in fine l’opération de RESEVAC. Parallèlement, l’UE a cherché à rationaliser ce type d’opérations par une coordination en amont et par la mise en place de procédures de mutualisation des moyens à travers la directive européenne 2015/637/UE ([23]) qui organise la coopération consulaire entre les États européens. Elle prévoit notamment la prise en compte, lors des opérations de RESEVAC, des citoyens européens sans représentation diplomatique dans l’État hôte ou dont la représentation n’est pas en mesure d’assurer le « besoin d’aide et de rapatriement en situation d’urgence ».

Comme l’indique la doctrine RESEVAC du MINARM, « dans les faits, la France peut être amenée, pour des raisons liées à une présence forte dans certains États, en Afrique notamment, à exercer la responsabilité de nation cadre. L’état-major des armées (EMA) s’est rapproché de ses homologues européens pour faire établir des concepts conjoints d’opérations (CONOPS) de RESEVAC dans certains États. Ces démarches n’ont aujourd’hui abouti que dans un cadre bilatéral » ([24]).

Or une opération de RESEVAC multinationale ajoute fréquemment un élément de complexité supplémentaire, ne serait-ce que du fait de la nécessaire coordination qu’il implique avec les autorités politiques, diplomatiques et militaires des États qui y participent.

L’autre facteur qui accroît la complexité des opérations de RESEVAC est celle du niveau de permissivité. Lors de son audition devant la commission de la défense nationale et des forces armées sur le retour d’expérience de l’opération Sagittaire au Soudan, le vice-amiral d’escadre Nicolas Vaujour, sous-chef d’état-major « opérations » de l’EMA avait clairement indiqué que :

« (…) le contexte [de Sagittaire] était semi-permissif. Cela signifie que nous étions sous menace, la question centrale étant de déterminer son niveau. C’est le « brouillard de la guerre » : on ne sait jamais quelle est la réalité du contrôle opéré par les autorités sur leurs troupes, qu’il s’agisse des forces armées soudanaises ou des FSR ([25]). La seule certitude est qu’elles n’en ont pas le contrôle total. Dans un tel environnement, il faut donc assumer un certain niveau de risque, que l’on essaie de réduire au maximum. Malheureusement, je crains que cet environnement soit la nouvelle norme. Jusqu’à présent, les évacuations de ressortissants se passaient dans des milieux permissifs, Kaboul ayant été un contre-exemple. Á grands traits, on réquisitionne des avions d’Air France, les gens se rendent à l’aéroport où l’on enregistre le nom de ceux qui embarquent et c’est terminé. À l’avenir, et de plus en plus souvent, nous devrons agir dans des environnements semi-permissifs, caractérisés par une certaine hostilité d’une des deux factions au moins » ([26]).

Le vice-amiral Vaujour en déduisait qu’un ajustement de la doctrine était à venir :

« Si le semi-permissif devient la nouvelle norme, notre doctrine, qui consiste à évacuer au plus tard, devra être revue. Nous menons cette réflexion avec le Quai d’Orsay : quand faut-il demander à nos ressortissants de quitter un territoire, ce qui est toujours un crève-cœur pour eux ? Un équilibre doit impérativement être trouvé, car la question se pose pour d’autres zones et d’autres pays » ([27]).

Pour la rapporteure pour avis, ce constat raisonne particulièrement avec les évènements actuels au Mali.

  1.   L’opération Sagittaire : un exemple de l’expertise française en matière de RESEVAC

L’opération Sagittaire au Soudan, qui s’est déroulée du 21 au 28 avril 2023, illustre à la fois la complexité accrue des opérations de RESEVAC, puisqu’elle est intervenue dans un cadre multinational où la France était leader et dans un environnement semi-permissif, et le haut degré d’expertise de cette dernière en matière d’évacuation.

Sans entrer dans le détail de cette opération, qui, comme la rapporteure pour avis l’a indiqué, a fait l’objet d’une audition de la commission de la défense, il a paru souhaitable de rappeler qu’en l’espace d’une semaine, les forces françaises ont évacué 1 017 personnes de 84 nationalités, dont 225 Français, par huit rotations d’A400M et deux de C-130. Trois zones d’évacuation ont été utilisées : la base aérienne de Wadi Seidna, distante de 25 km au nord de Khartoum, qui a permis l’évacuation aéroportée vers Djibouti ; Port-Soudan où une frégate a contribué à l’évacuation par voie maritime des personnels onusiens vers Djeddah ; et l’aéroport d’El-Fasher au Darfour qui a été saisi dans la nuit du 27 au 28 avril pour permettre l’évacuation d’une centaine de personnels onusiens vers le Tchad. Le succès de cette opération – un seul blessé, un commando marine, parmi les forces françaises a été à déplorer – est d’autant plus remarquable que la France, si elle avait à l’époque des forces prépositionnées au Tchad, à Djibouti et dans l’Océan indien, n’était pas familière du Soudan, à la différence des Britanniques.

Au cours de son audition, le vice-amiral d’escadre Nicolas Vaujour a très bien présenté les différentes phases de l’opération (préliminaire, phase 1 et phase 2) sur les trois terrains (Wadi Seidna, Port Soudan et El-Fasher) et les ajustements qui ont eu lieu pendant l’opération : intervention conditionnée à « un cessez-le-feu à peu près respecté » qui se révèle être « un cessez-le-feu respecté la nuit et pas le jour » ; choix de l’aéroport de Khartoum qui s’avère finalement inutilisable et nécessite de saisir l’aéroport de Wadi Seidna ; demande des Nations unies, le 27 avril, d’évacuer une centaine de leurs personnels restés au Darfour, à plus de 800 km par voie aérienne de Khartoum, et projection du commando qui saisit l’aéroport d’El-Fasher et rend possible leur évacuation le lendemain.

Tant le vice-amiral d’escadre que les personnes auditionnées par la rapporteure pour avis ont expliqué les raisons qui ont fait de cette opération de RESEVAC un succès. Ils ont notamment insisté sur l’importance d’avoir pu disposer de forces prépositionnées à Djibouti, au Sahel et dans l’Océan indien, et sur l’excellence du dispositif MEAE-MINARM. Celui-ci a été réactif pendant la phase préliminaire et particulièrement efficace dans le champ informationnel, y compris pour permettre aux forces militaires de procéder à l’extraction de personnes qui n’avaient pu atteindre les points de regroupement. Le vice-amiral d’escadre a résumé les clés de cette réussite :

« (…) le succès de l’opération Sagittaire a été rendu possible par notre savoir-faire et nos capacités. Nous savons entrer en premier dans une zone à risques, ce que nous avons fait avec les forces spéciales par le premier avion, puis avec les forces conventionnelles ensuite. Ce savoir-faire est aussi assuré par nos outils de combat, dont les avions A400M et C-130. Nos forces spéciales sont rompues à ce genre de manœuvres sur terrain sommaire. Sur le plan capacitaire, l’arrivée à maturité de l’A400M, avion remarquable, a permis de jouer l’ensemble de cette équation. Enfin, le succès est dû à un système de commandement et de décision politique également remarquable. Il y a là une différence de taille avec certains de nos partenaires européens qui ne peuvent pas décider aussi facilement et rapidement ce genre d’opération. La réactivité, la capacité de rassembler autour d’une table, en interministériel, l’ensemble des décideurs pour choisir une option puis l’exécuter nous ont permis d’aller extrêmement vite » ([28]).

  1.   Le nombre de ressortissants français présents au Moyen-Orient, l’évaluation des menaces dans cette zone ainsi que des facteurs stratégiques font de Chypre un « bon pays de transit »

En application de la doctrine RESEVAC, Chypre constituerait le « point d’évacuation secondaire ». Chypre étant considéré comme une zone sûre, le CRER y serait localisé. Les forces françaises y conduiraient, dans le prolongement de l’évacuation primaire, les ressortissants français et les autres personnes évacuées. Ceux-ci pourraient, ensuite, être acheminées vers la France ou leur État d’origine sous l’autorité du MEAE.

  1.   Un nombre important de ressortissants français et de citoyens européens dans une zone qui comprend des conflits actifs

La rapporteure pour avis n’a pu obtenir le nombre de ressortissants français actuellement inscrits sur les registres consulaires dans chacun des États du Moyen-Orient visé par l’accord avec Chypre ([29]). Elle a cependant eu communication par le MEAE de ces informations pour la moitié des États concernés, pour l’année 2024.

État

Nombre de ressortissants français inscrits sur le registre consulaire

Liban

20 352

Israël

70 536

Palestine

23 986

Turquie

13 161

Égypte

6 926

Jordanie

1 632

Syrie

468

Irak

328

Source : Réponses du MEAE au questionnaire de la rapporteure pour avis

Au total, pour ces huit États, le nombre de Français enregistrés, qui constitue vraisemblablement une sous-évaluation du nombre de Français effectivement présents dans ces derniers, s’élève à près de 130 000. Ce chiffre est conséquent. Il concerne pour partie des bi-nationaux.

Pour le seul Liban, le nombre de citoyens européens qui y sont présents est évalué à 200 000.

Comme cela a été indiqué à la rapporteure pour avis, le niveau de menace pour les ressortissants français au Moyen-Orient varie fortement d’un pays à l’autre et même à l’intérieur de certains pays. Il a évidemment été revu à la hausse depuis le 7 octobre 2023 dans une partie de la région.

Les zones présentant aujourd’hui les risques les plus élevés sont les zones de conflit actif : Palestine, zone frontalière Liban/Israël, zone de confrontation en Syrie en raison des attaques directes (attentats terroristes, affrontements interconfessionnels/intercommunautaires), du risque d’enlèvement (dans les zones où l’État est faible), et de la dégradation générale des services essentiels (accès humanitaire et sanitaires).

Dans les États traditionnellement plus stables, comme les États du Golfe, le risque est jugé plus faible. La rapporteure pour avis a bien noté que, malgré plusieurs crises (blocus du Qatar de 2017 à 2021, frappes israéliennes contre l’Iran en juin 2025, frappes israéliennes sur un bâtiment abritant des cadres du Hamas à Doha, aux Émirats arabes unis, le 9 septembre 2025, atteintes portées au trafic maritime par les Houthis depuis le Yémen…) aucune opération de RESEVAC n’y est intervenue. Cependant, elle estime qu’une escalade régionale ou des incidents diplomatiques ne peuvent être exclus a priori pour l’avenir et que la situation doit y faire l’objet d’un suivi attentif.

Le pays qui, selon votre rapporteure pour avis, requiert une attention soutenue des autorités françaises est le Liban. Le nombre de ressortissants français et européens y est particulièrement élevé. La situation politique et militaire y est délicate, à la fois du fait des interventions répétées des forces israéliennes et de la question du désarmement du Hezbollah. La fin du mandat de la force d’interposition des Nations unies, la FINUL, et son retrait à compter du 31 décembre 2026 ([30]) peuvent y accentuer l’incertitude sécuritaire.

  1.   La position géographique de Chypre est un atout de taille pour un pays de transit, mais pas le seul

Dans ce contexte, trois facteurs stratégiques plaident pour faire de Chypre un pays de transit en cas d’opérations de RESEVAC.

Le premier, qui est majeur, est sa position géographique. Comme le montre la carte ci-après, Chypre est situé à un peu plus de 200 km du Levant et permet des évacuations rapides en cas de crise, avec des temps de transits réduits pour les aéronefs et bâtiments militaires par rapport à la Grèce (île de Crète) ou à Djibouti.

À titre d’exemple, si une opération de RESEVAC devait concerner le Liban, la distance entre le port de Limassol, à Chypre, et Beyrouth serait de 238 km. Elle serait de 460 km à partir de Port-Saïd, en Égypte, de plus de 860 km à partir de la Crète et de plus de 2 500 km à partir de Djibouti par voie aérienne. Comme l’ont indiqué les personnes auditionnées par la rapporteure pour avis : « Dans le cadre de rotations multiples par voies maritimes ou aérienne, cette différence [de distance] est dimensionnante pour le volume et la temporalité des modes d’actions envisageables ».

Dans l’hypothèse où les forces françaises seraient privées de l’usage de l’aéroport de Beyrouth, Chypre offre de surcroît la possibilité de procéder à une évacuation par voie maritime.

Le deuxième facteur qui plaide en faveur de Chypre pour un accord RESEVAC est sa stabilité politique et sa fiabilité stratégique en tant que membre de l’Union européenne. Certes, le conflit à Chypre fait partie des conflits gelés et les tensions avec la partie nord de l’île et la Turquie sont réguliers. Ils ne sont pour autant pas à même de compromettre sa stabilité en tant qu’État ni son rôle d’allié pour la France. En outre, les accords bilatéraux de Chypre avec cette dernière, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Grèce « facilitent l’accès aux infrastructures d’urgence ».

Enfin, Chypre possède des infrastructures logistiques (aéroports de taille internationale et ports modernes), ainsi que des infrastructures hospitalières et sanitaires permettant d’accueillir un nombre important d’évacués en transit. Elles ont d’ailleurs été « testées », avec un résultat positif lors du conflit ayant opposé Israël au Hezbollah du 12 juillet au 11 août 2006, pendant lequel 15 000 citoyens européens ont transité par Chypre, dont plusieurs milliers de Français. Elles l’ont été à nouveau en 2023, à la suite de l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas
le 7 octobre.

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  1.   L’accord RESEVAC avec Chypre, un accord spécifique
    1.   Un cadre juridique ad hoc, conçu pour être le plus souple possible

L’accord est doté d’un bref préambule, qui vise :

– l’accord relatif à l’échange et la protection réciproque des informations classifiées du 22 janvier 2010 ;

– l’accord de coopération en matière de défense du 4 avril 2017 ;

– « la situation actuelle au Moyen-Orient » ;

– la proximité de Chypre avec ce dernier ;

– et « l’excellente relation bilatérale entre les Parties ».

Il comporte quinze articles, dont certains se retrouvent, de manière classique, dans les accords sur le Statut des forces et d’autres sont plus spécifiques à un accord RESEVAC.

L’article premier traite des différentes définitions pour la mise en œuvre de l’accord. Quatre d’entre elles ont appelé l’attention de la rapporteure pour avis.

La première concerne le terme « Évacué », qui est entendu de manière large à plusieurs égards. Sont ainsi considérés comme tels :

– tout citoyen de l’UE et non les seuls ressortissants français ;

– les personnes qui sont à leur charge, ce qui excède le seul champ familial ;

– tout citoyen d’un État tiers, pour lequel, au regard de ses engagements internationaux, la France aurait l’obligation ou la faculté de procéder à son évacuation ;

– tout citoyen d’un État tiers, dont l’évacuation serait opérée sur la base de « considérations humanitaires », qui seront appréciées par le personnel diplomatique français en charge du regroupement et peuvent donc donner lieu à une acception assez large.

La deuxième a trait au « Moyen-Orient », dont la liste des pays qui le composent est énumérée ([31]). Selon les réponses faites à la rapporteure pour avis, l’intention des rédacteurs visait uniquement à se référer à la définition géographique du Moyen-Orient. La liste des pays n’a donc pas été établie en fonction d’autres critères (limite de notre capacité de projection, évaluation de la menace…).

La troisième est liée à l’expression « Opération d’évacuation ». Celle-ci désigne « toutes les actions menées par [la France] afin de répondre à une situation de crise réelle ou potentielle ». L’accord permet donc le déclenchement d’une opération de RESEVAC par anticipation, sans que la situation n’ait dégénéré vers une crise réelle.

Enfin, « la situation de crise » est, elle aussi, entendue de manière extensive : elle est « caractérisée par un danger pour la vie et la santé des citoyens français à la suite d’une détérioration de la situation politique, de conflits armés, de catastrophes, d’accidents graves ou d’épidémies ». L’intervention des forces armées françaises peut donc être engagée pour des motifs variables, non limités aux seuls conflits armés, le dénominateur commun étant la nécessité de protéger les citoyens français.

L’article 2 énonce l’objet de l’accord, soit les conditions générales et les responsabilités applicables aux opérations d’évacuation du Moyen-Orient via le territoire de Chypre durant le transit. Il précise que l’accord est activé par note verbale de la Partie française au moins 48 heures avant le début prévu d’une opération d’évacuation, celle-ci devant comporter un certain d’informations destinées à Chypre, notamment une estimation du nombre d’évacués. Le paragraphe 4 de l’article limite à 48 heures la durée pendant laquelle les évacués demeurent sur le territoire chypriote, tout en prévoyant la possibilité, en cas de circonstances exceptionnelles, d’allonger ce délai, sous réserve de l’accord des autorités chypriotes. La brièveté de ce délai est cohérente avec le caractère temporaire d’un transit. Celui-ci supposera cependant que l’évacuation dite secondaire, à partir de Chypre, s’effectue rapidement, y compris dans le cas où elle concernera des ressortissants d’autres États que la France.

Les articles 3 et 4 sont d’une rédaction relativement classique que l’on retrouve habituellement dans les accords sur le Statut des forces. Leurs stipulations couvrent le respect de la législation chypriote par les personnels français et la liberté de mouvement de ces derniers, dans leur dimension terrestre, navale et aérienne (article 3), ainsi que la détention, l’entreposage, le transfert d’armes et de munitions, les forces françaises assurant la sécurité et la protection de celles-ci (article 4).

Comme l’indique l’étude d’impact, l’article 5 « ouvre à la France la possibilité d’installer et de mettre en œuvre ses propres systèmes de communication, sous réserve de l’accord des autorités chypriotes ».

L’article 6 stipule que les informations concernant les opérations de RESEVAC sont protégées et traitées sur une base strictement bilatérale, à moins que la France et Chypre n’en conviennent autrement. Tout échange d’informations est soumis aux stipulations de l’accord relatif à l’échange et la protection réciproque des informations classifiées du 22 janvier 2010.

L’article 7 détaille le soutien logistique (infrastructures, espaces publics, services de base liés aux infrastructures, espaces de stockage pour le matériel et les munitions) fourni à titre gratuit par Chypre, tout autre service demandé par la France et obtenu se faisant à titre onéreux.

Lors des auditions, il a été précisé à la rapporteure pour avis que :

– dans le domaine aérien, l’aéroport international de Larnaca, principal aéroport de Chypre, dispose des infrastructures nécessaires à l’accueil des gros-porteurs et connaît un trafic commercial important, élément non négligeable pour un point d’évacuation secondaire. L’aéroport international de Paphos, doté d’installations internationales et d’une capacité de trafic significative, est également utile pour les vols militaires de transport ou d’évacuation. L’utilisation des installations militaires britanniques, c’est-à-dire l’aérodrome de Dhekelia et la base aérienne de la Royal Air Force d’Akrotiri, pour des opérations conjointes n’a pas été retenue ;

– concernant les infrastructures navales et portuaires, la base navale chypriote située au sud de l’île, près de Mari, ne peut accueillir des bâtiments de la Marine française, mais permet le débarquement des personnes, le chargement de logistique et le ravitaillement. Le port de Limassol, doté d’installations maritimes importantes, peut être utilisé pour l’accostage des navires de transport ou de bâtiments amphibies.

La capacité des aéroports à supporter des avions très lourds ou un trafic de masse lors d’une évacuation reste à confirmer. De même, l’efficacité des infrastructures maritimes et portuaires pour permettre à de grands navires de transport ou des navires amphibies d’accoster doit être évaluée.

L’article 8 précise les régimes fiscal et douanier applicables aux importations de biens et d’approvisionnement destinés à la mise en œuvre d’une opération de RESEVAC. En l’espèce, la France bénéficie d’une franchise de taxes et n’est pas soumise à une licence d’importation préalable. Cet article prévoit également le régime fiscal applicable aux contrats de sous-traitance que la France pourrait être amenée à conclure, toujours dans le cadre d’une opération de RESEVAC, et rend applicable aux éventuels civils locaux employés par la France la législation chypriote.

L’article 9 relève plus spécifiquement d’un accord RESEVAC. Il stipule que la France assure l’ensemble des soins médicaux aux personnes évacuées ainsi qu’aux personnels français. Elle a cependant la faculté de recourir à des soins dits « de niveau supérieur » dans les hôpitaux ou cliniques chypriotes, à titre onéreux. Les personnes auditionnées par la rapporteure pour avis ont confirmé qu’il s’agissait de soins spécialisés (consultations spécifiques et traitements spécialisés) et que l’article s’appliquait également au cas où les installations médicales françaises déployées à Chypre seraient saturées. Ce faisant, l’accord permet d’assurer la continuité des prises en charge médicale tant des personnes évacuées que des personnels français. La qualité des infrastructures hospitalières du pays de transit est une donnée importante dans le cadre d’une opération d’évacuation. L’EMA a d’ailleurs indiqué à la rapporteure pour avis que « les infrastructures hospitalières civiles proches des grands centres comme Larnaca, Nicosie et Limassol peuvent être mobilisés pour la prise en charge médicale d’urgence ».

L’article 10 impose à la France de prévenir et de traiter tout incident de pollution sur le territoire chypriote, conformément à la législation de l’Union européenne. L’accord ne crée donc pas une dérogation au droit européen en matière environnementale, dont la rapporteure pour avis se demande d’ailleurs bien sur quel fondement juridique elle aurait pu s’appuyer.

Les articles 11 et 12 traitent de la compétence exclusive de la France en matière de discipline sur ses personnels (article 11) et du partage de compétence juridictionnelle (article 12). Leurs stipulations sont relativement similaires à celles que l’on retrouve dans les accords sur le Statut des forces. Pour le partage de compétence juridictionnelle, le principe veut que l’État d’accueil (Chypre) exerce son pouvoir de juridiction à l’égard de toute personne se trouvant sur son territoire pour toutes les infractions qui y sont commises. Par exception, l’État d’envoi (la France) exerce par priorité son droit de juridiction en cas d’infraction résultant de tout acte ou négligence accompli dans l’exercice des fonctions officielles ou lorsque l’infraction porte uniquement atteinte à sa sécurité (trahison, sabotage, espionnage ou la violation de la législation relative aux secrets d’État ou de la défense nationale) ou à ses biens, ou à la personne ou aux biens d’un membre de son personnel. Tel est bien le cas du régime prévu par l’article 12.

De même, la matière de l’article 13 qui porte sur les modalités de règlement des dommages causés par les membres du personnel, de l’une ou l’autre Partie, se retrouve également dans les accords sur le Statut des forces. En l’espèce, il pose, en son paragraphe 1, le principe de renonciation à toute demande d’indemnité pour des faits commis pendant ou à la suite de l’exécution de l’accord, y compris en cas de blessures ou de décès d’un membre du personnel de l’une des Parties, l’exception étant que le dommage ait été commis à la suite d’une négligence grave ou d’une malveillance. Les paragraphes 4 et 5 règlent également la question de la réparation des dommages causés à des tiers pour des faits commis par les personnels d’une des Parties dans l’exercice de leurs fonctions officielles ou par les personnels de la France en dehors de l’exercice de leurs fonctions officielles.

L’article 14 stipule que toute différence relative à l’interprétation ou l’application de l’accord est résolue par voie de consultations.

Enfin, l’article 15 prévoit que l’accord est conclu pour une durée de trois ans à compter de son entrée en vigueur et reconduit tacitement pour une même durée. Il précise également ses conditions d’amendement.

En l’absence d’accord sur le Statut des forces avec Chypre, l’accord RESEVAC a été conçu pour couvrir un large champ d’hypothèses tenant tant à son déclenchement (définition des situations de crise) qu’aux personnes susceptibles de faire l’objet d’une évacuation (définition du terme « Évacué »).

  1.   Un accord dont la vocation de modèle n’est pas évidente
    1.   Un accord assez unique, dont l’élaboration a été influencée par un autre accord RESEVAC avec la République du Congo

Lors de la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord en commission, au Sénat, le rapporteur Christian Cambon a qualifié ce dernier « d’assez unique en son genre » ([32]). Les auditions menées par la rapporteure pour avis ont en effet confirmé que la France n’avait, à ce jour, signé qu’une seule convention similaire : avec la République du Congo. Le 17 décembre 2016 a été conclu à Brazzaville un accord relatif à l’évacuation des personnes prises en charge par la France en République démocratique du Congo (RDC). Cet accord est intervenu dans un climat de tensions dues au report de l’élection présidentielle en RDC. Les personnes auditionnées ont insisté sur le fait que l’accord avec la République du Congo se distinguait de celui signé avec Chypre sur deux points :

– le champ ratione personae de l’accord avec Chypre est plus large, puisqu’il prévoit la possibilité d’évacuer toute personne sur la base de considérations humanitaires contrairement à l’accord avec la République du Congo ;

– le champ ratione loci de l’accord avec Chypre est également plus vaste, puisqu’il vise des évacuations dans toute une région du monde, là où l’accord avec le Congo ne porte que sur des évacuations à partir de la RDC.

En l’espèce, l’accord avec Chypre n’a pas servi de modèle pour l’accord avec la République du Congo. C’est plutôt l’inverse qui s’est produit, selon la direction des affaires juridiques du ministère des Armées, les deux accords ayant été élaborés pendant la même période.

  1.   L’accord avec Chypre est-il transposable à d’autres zones ?

L’accord avec Chypre permettra de couvrir la zone du Moyen-Orient. La question de sa possible transposition, par exemple en Afrique où le dispositif français est désormais très réduit en dehors de Djibouti, ou dans la zone Indo-Pacifique où les tensions sont réelles et les risques d’escalade loin d’être hypothétiques, notamment en mer de Chine méridionale, a été abordée par la rapporteure pour avis avec ses interlocuteurs.

L’État-major des armées y a répondu en précisant, sans entrer dans les détails, qu’il existait d’autres accords de « facilitation » pour le Moyen-Orient, car « ne disposer que d’un seul hub identifié serait en effet restrictif […] Les crises à venir seront par nature incertaines et nécessiteront des capacités d’adaptation et de flexibilité pour nos forces armées ».

Il a également souligné qu’en ce qui concerne l’Afrique, le MEAE souhaitait se désengager des responsabilités d’État pilote que la France a longtemps endossées dans le cadre européen. Le redéploiement du dispositif militaire en Afrique ne permet d’ailleurs plus de réagir aussi rapidement que par le passé à une crise majeure, à l’exception des territoires proches de Djibouti. Pour autant, les armées françaises travaillent avec leurs principaux alliés sur des concepts d’opérations conjointes de RESEVAC, là où elles ont des intérêts communs et la rapporteure pour avis se doute que tel est le cas pour certaines parties de l’Afrique.

En ce qui concerne l’Indo-Pacifique, l’EMA considère que la France y dispose de bases militaires représentant d’excellents points d’appui. Le centre expert du commandement interarmées se penche actuellement sur la zone Pacifique.

En d’autres termes, s’il n’existe pas encore d’accords RESEVAC comparables à celui signé avec Chypre, en dehors de celui passé avec la République du Congo, l’EMA a bien évidemment des plans d’évacuation qui couvrent tant l’Afrique que l’Indo-Pacifique.

Parallèlement, les personnes auditionnées ont indiqué à la rapporteure pour avis que tout accord était négocié au « cas par cas », « la bonne protection de nos ressortissants à l’étranger » étant le paramètre principal des accords RESEVAC. En outre, à la différence des accords sur le Statut des forces, ils ne constituent pas une catégorie numériquement très importante et leurs stipulations semblent moins normées que celles des SOFA.

En ce qui concerne Chypre, c’est en fait l’absence d’accord sur le Statut des forces qui a conduit à la conclusion de cet accord. Il est probable que dans des pays où la France dispose déjà de ce type de convention, les opérations de RESEVAC pourraient être conduites dans ce cadre, par arrangement administratif ou à la suite d’un avenant précisant le régime de ces opérations.

La seconde spécificité de cet accord avec Chypre est qu’il concerne un État de l’Union européenne, non membre de l’OTAN, dont le respect tant de l’État de droit que du droit international n’est pas contestable. Cet état de fait rend prévisible l’application à venir d’un tel accord, ce qui peut ne pas toujours être le cas avec d’autres États.


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Compte tenu des risques réels de déstabilisation de la zone moyen-orientale et, en particulier du Levant, disposer d’un cadre juridique souple pour y conduire de possibles opérations de RESEVAC, à partir d’un État qui est géographiquement proche de la zone, semble à la rapporteure pour avis un exemple d’anticipation des risques particulièrement pertinent.

Si cet État est de surcroît un véritable allié de la France, partage sa vision en matière d’autonomie stratégique européenne et semble prêt à envisager la conclusion d’un accord sur le Statut des forces, l’autorisation d’approuver l’accord RESEVAC avec Chypre paraît, à la rapporteure pour avis, une conclusion toute naturelle.

 

 

 


   Travaux de la commission des affaires étrangères

Le mercredi 26 novembre 2025, à 9 h 30, la commission examine le projet de loi adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d’évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d’une situation de crise (n° 1615).

Mme Constance Le Grip, présidente. Dans le contexte d’instabilité chronique qui caractérise la région du Moyen-Orient depuis quelque temps, l’exposition de nos ressortissants et de ceux d’autres États européens à des situations de crise est réelle et peut nécessiter l’organisation d’opérations dites « RESEVAC » pour évacuation de ressortissants. Celles-ci doivent être menées de façon rapide, coordonnée et sécurisée. Le territoire chypriote n’étant qu’à une centaine de kilomètres des côtes syriennes, il peut constituer pour cela une base arrière stratégique.

Le souhait de conclure un accord avec la République de Chypre a été formulé par la France dès 2013 et, après de longues années de négociations, un tel accord a été signé le 9 septembre 2022.

M. Michel Herbillon, rapporteur. L’accord touche à l’une des responsabilités essentielles de notre politique étrangère : la capacité de protéger nos ressortissants à l’étranger. Depuis plusieurs années, la Méditerranée orientale est redevenue un espace d’incertitude exposé à des crises parfois soudaines, dans lequel une évacuation peut être rendue nécessaire en quelques heures. C’est à cette aune qu’il faut comprendre l’importance du partenariat noué avec Chypre.

Ce pays occupe une position singulière : membre de l’Union européenne, il est stable et fiable tout en étant situé à une centaine de kilomètres des côtes syriennes, libanaises et israéliennes. Au cours de plusieurs crises récentes – en 2006, en 2023 puis en 2024-2025 –, l’île a servi de point d’appui naturel à nos opérations d’évacuation. Depuis 1974, elle est divisée en deux parties séparées par une ligne de démarcation, la ligne verte. La République turque de Chypre du Nord, autoproclamée en 1983, n’est reconnue que par Ankara.

Lors de chaque crise, les autorités chypriotes ont démontré une remarquable volonté de soutenir nos opérations dans le cadre d’infrastructures calibrées pour un pays de 950 000 habitants.

À l’aéroport de Larnaka, la coexistence d’une zone militaire et d’un terminal très fréquenté par les touristes peut soulever, en cas d’urgence, des difficultés de circulation. La proximité du Levant – il y a moins de cinquante minutes de vol depuis Tel-Aviv, trente depuis Beyrouth – signifie que les mouvements de population peuvent être très rapidement amplifiés.

Ces réalités n’obèrent en rien la qualité de l’accueil chypriote mais rappellent l’importance pour nos deux pays d’anticiper ensemble les procédures, les parcours et les articulations entre les services civils et militaires. C’est précisément ce que permet l’accord : définir à l’avance ce qui relève des formalités, ce qui relève de la responsabilité opérationnelle et ce qui doit être activé sans délai en situation de crise.

Le texte présente aussi l’intérêt d’assurer une sécurité juridique à ces opérations. L’article 3 prévoit une activation du dispositif à la demande de la France exclusivement. Il garantit la maîtrise de la situation par nos autorités tout en respectant pleinement la souveraineté chypriote ; Chypre conserve en effet la faculté d’autoriser ou non la mise en œuvre du dispositif sur son territoire.

L’article 4 encadre l’accès aux infrastructures : il organise l’utilisation des ports, des aéroports, des zones de stationnement et des capacités d’accueil en précisant que celles-ci sont mises à disposition de manière immédiate, proportionnée aux besoins et sous contrôle permanent des autorités chypriotes.

Le texte prévoit également, en son article 7, une distinction claire entre les prestations fournies gratuitement – la mise à disposition des infrastructures essentielles, notamment – et celles qui doivent donner lieu à remboursement, comme certaines prestations d’escale, d’intendance ou de soutien logistique spécialisé. Cette transparence financière est déterminante car elle permet d’éviter les incertitudes et les négociations de dernière minute, au moment où chaque heure compte.

L’article 9 encadre la prise en charge médicale. Il permet, lorsque les capacités françaises sur place sont insuffisantes, le recours immédiat aux établissements de santé chypriotes, publics ou privés, dans un cadre financier qui aura été clarifié.

Enfin, le texte prévoit en son article 2 une durée maximale de transit des évacués de 48 heures, sauf accord spécifique, afin d’éviter toute ambiguïté quant à la vocation exclusivement temporaire du dispositif. Un accord de statut des forces, actuellement en négociation, renforcera ultérieurement cet édifice.

L’accord entre nos deux pays doit être replacé dans le cadre géopolitique que j’ai rappelé mais aussi dans celui d’une relation bilatérale intense et fructueuse. Il doit également être envisagé à la lumière de la prochaine présidence chypriote de l’Union européenne : Chypre assumera cette présidence, au premier semestre 2026, avec l’ambition de mettre en avant les enjeux méditerranéens, la gestion des crises, la solidarité européenne et le renforcement des capacités de protection civile. L’installation prochaine dans l’île d’un centre européen de lutte contre les incendies illustre la volonté de Chypre de jouer un rôle actif dans les mécanismes européens de sécurité collective. Vous savez que les mégafeux font, hélas, l’actualité dans les pays méditerranéens, y compris en France.

La France et Chypre ont des visions profondément convergentes de ce que doit être l’Europe : une Europe capable de protéger, de se doter des moyens d’agir face aux crises et de renforcer sa souveraineté stratégique. Nos échanges en matière de défense, de renseignement, d’éducation et de culture se sont intensifiés ces dernières années ; ils témoignent de la densité d’un partenariat fondé sur la confiance et la continuité. Rappelons que Chypre fait partie de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) et qu’elle a fait le choix en 2022 d’introduire l’enseignement obligatoire du français dans son système scolaire public secondaire, ce qui est peu fréquent. Comme ce fut le cas en Espagne il y a quelques années, cette décision conduira à un accroissement du nombre de locuteurs français, qui représentent actuellement 7 % de la population.

L’accord renforce la sécurité de nos compatriotes en cas de crise, consolide notre présence dans une région hautement stratégique et s’appuie sur une relation bilatérale d’une grande qualité : je vous invite à l’approuver.

Mme Constance Le Grip, présidente. Je précise que la commission de la défense, saisie pour avis, a émis, à l’unanimité, un avis favorable à l’adoption de ce projet de loi.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.

Mme Alix Fruchon (DR). Notre groupe soutiendra ce texte.

M. Jean-Louis Roumégas (EcoS). Le renforcement des moyens logistiques et du cadre juridique des opérations d’évacuation de nos ressortissants constitue pour la France un enjeu stratégique majeur. Du fait de sa proximité immédiate avec la côte syrienne, le territoire chypriote offre une plateforme incontournable pour conduire ces opérations dans des conditions optimales.

L’importance stratégique de Chypre est ancienne : l’île a toujours été un relais important pour la marine française, comme lors de la crise du canal de Suez en 1956. Même si le contexte géopolitique a profondément évolué, elle demeure un acteur clé dans la zone orientale de la Méditerranée. Elle fournit un appui précieux aux États membres de l’Union européenne et sert de lieu de repli en cas de crise régionale, notamment pour les populations du Liban.

Cet accord tient compte d’expériences antérieures d’évacuation menées depuis le Liban en 2006 et depuis Israël en 2003 puis en juin dernier, lorsque plus de 100 citoyens français ont été évacués vers Chypre après le déclenchement de la guerre avec l’Iran.

J’aimerais savoir s’il permet à la France d’organiser l’évacuation de ressortissants d’autres nationalités cherchant refuge sur son territoire : je pense aux Palestiniens qui sont sous les bombes à Gaza, aux femmes afghanes ou encore aux opposants aux régimes du Golfe, en Arabie saoudite par exemple.

Le groupe Écologiste et social considère que cet accord est un outil utile et nécessaire pour renforcer la coopération opérationnelle en situation de crise et améliorer la sécurité des évacuations de nos ressortissants : il le votera.

M. Michel Herbillon, rapporteur. Mon rapport insiste particulièrement sur l’importance géostratégique de Chypre, que vous avez soulignée, ainsi que sur la relation bilatérale de longue date entre nos deux pays. Chypre a souhaité souligner le caractère pionnier de l’accord, qui pourrait servir de référence. Ce sera probablement le cas car un certain nombre de pays s’y intéressent.

Pour répondre à votre question, nous évacuons en priorité nos ressortissants mais il est évidemment prévu que nous puissions évacuer, à titre humanitaire, ceux d’autres pays.

M. Frédéric Petit (Dem). En tant que député des Français de l’étranger, je peux témoigner que depuis quelques années, en particulier depuis la création du Centre de crise et de soutien (CDCS), la France est reconnue – y compris par les étrangers – comme un pays qui protège bien ses ressortissants. Elle l’a prouvé lors de l’épidémie de Covid et des dernières crises géopolitiques. J’ajoute qu’à l’étranger, la France met systématiquement ses moyens à la disposition des ressortissants de l’Union européenne ; elle l’a par exemple fait à de nombreuses reprises en Amérique du Sud, en coordination avec l’Allemagne, pendant la crise du Covid.

Si le Centre de crise et de soutien, qui n’a pas un statut juridique d’opérateur, effectue un travail aussi efficace, c’est parce que sa mission est clairement définie et circonscrite. Cela m’amène à suggérer que nous engagions une réflexion sur la nature, le rôle des opérateurs et la pertinence d’y recourir.

Enfin, nous aurions tout intérêt à adopter une approche géopolitique régionale dans laquelle les ambassadeurs ne travailleraient plus en silos, en particulier dans les champs qui ne relèvent pas de la stricte diplomatie gouvernementale : sécurité de nos ressortissants, culture – vous avez rappelé l’importance du français à Chypre –, etc. Notre vision doit dépasser les frontières des postes diplomatiques et de la relation bilatérale avec le pays d’accueil. À cet égard, l’accord avec Chypre est remarquable et pionnier. Le groupe Les Démocrates votera en sa faveur.

M. Michel Herbillon, rapporteur. Je tiens à saluer le rôle éminent que joue le Centre de crise et de soutien, grâce à son directeur Philippe Lalliot et son équipe. Il constitue un instrument remarquable en cas de crise et il est reconnu pour cela ; c’est à l’honneur du Quai d’Orsay et de notre pays. Ainsi que vous l’avez souligné, il procède à l’évacuation de ressortissants d’autres pays que la France, comme récemment lors des frappes entre l’Iran et Israël.

Comme vous, j’appelle à adopter une vision géostratégique large. Chypre s’engage d’ailleurs sur cette voie, puisqu’elle a inscrit parmi les priorités de sa présidence de l’Union européenne, au premier semestre 2026, les questions de souveraineté européenne, de sécurité civile et de protection des ressortissants européens.

M. Bertrand Bouyx (HOR). La France et Chypre entretiennent depuis plusieurs années une coopération stratégique dense fondée sur un soutien constant à l’intégrité territoriale chypriote et sur une présence militaire française régulière en Méditerranée orientale. L’accord signé entre nos deux pays en septembre 2022 fournit un socle juridique robuste permettant à la France d’organiser, en cas de crise, des opérations d’évacuation depuis l’ensemble du Moyen-Orient via le territoire chypriote. Il prévoit un déclenchement rapide des opérations – 48 heures après la demande formelle –, une liberté de mouvement complète, la mise à disposition gratuite d’infrastructures, un cadre clair pour le port d’armes par nos militaires, un partage équilibré des compétences juridictionnelles, un dispositif de soutien médical encadré et la possibilité d’évacuer des citoyens de l’Union européenne.

Voter ce projet de loi, c’est doter la France d’un outil de protection indispensable pour ses ressortissants dans une région exposée à des crises politiques, sécuritaires, humanitaires et sanitaires. C’est consolider un partenariat stratégique européen avec un État membre engagé dans la politique de défense et de sécurité commune, situé en première ligne face aux tensions du Moyen-Orient et de la Méditerranée orientale. Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera en faveur du projet de loi.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Alors que le Moyen-Orient s’embrase et que les crises s’y succèdent, la France doit se tenir prête pour agir à tout moment, protéger et évacuer ses compatriotes et d’autres ressortissants européens. C’est l’objet de l’accord signé par la France et Chypre en 2022 : il encadre les opérations dites « RESEVAC », dans lesquelles notre pays et ses alliés déploient des moyens militaires pour rapatrier leurs ressortissants depuis des zones de crise.

Ce texte s’inscrit dans une coopération de défense engagée de longue date entre Paris et Nicosie. Il ne s’agit donc pas d’un simple accord technique mais d’un outil de sécurité et de solidarité.

Chypre n’est pas un partenaire anodin : île européenne située aux portes du Moyen-Orient, confrontée à une militarisation croissante de la zone tampon qu’elle « partage » avec les forces armées turques du Nord, exposée à des pressions migratoires, elle est un point d’ancrage stratégique pour la sécurité européenne.

À son égard, la France reste fidèle à ses principes : soutien à l’intégrité territoriale de la République de Chypre, engagement pour sa sécurité, coopération militaire constante. La relation que nous avons construite avec ce pays depuis 1974 est renforcée par ce nouvel accord. Grâce à lui, nos forces disposeront d’un cadre juridique clair sur le territoire chypriote : liberté de mouvement et de circulation, accès aux infrastructures nécessaires, port d’armes, protection du statut des personnels engagés dans ces missions sensibles : autrement dit, tout ce qui garantit la rapidité et l’efficacité dans des moments de crise où chaque minute peut sauver une vie.

Depuis la signature de l’accord en 2022, la situation géopolitique au Moyen-Orient s’est aggravée : massacres perpétrés le 7 octobre 2023 par le Hamas en Israël, guerre à Gaza, tensions au Liban, menaces en mer Rouge, flux migratoires… L’équilibre régional est sans cesse fragilisé. Dans un tel environnement, il est indispensable d’anticiper les crises et de réunir les conditions juridiques et opérationnelles pour mener des évacuations d’urgence ; l’accord s’y emploie. Nos services diplomatiques sont toujours prêts à organiser des évacuations, y compris par voie maritime en cas de blocage de l’espace aérien, et nos forces s’y entraînent très régulièrement.

Le groupe LIOT votera pour ce texte, qui consolide la relation franco-chypriote et renforce notre capacité à protéger nos concitoyens où qu’ils se trouvent, en toutes circonstances.

M. Michel Herbillon, rapporteur. Les tensions en Méditerranée orientale étant de plus en plus fréquentes, il est effectivement nécessaire qu’un cadre juridique et financier clair prévoie l’ensemble des situations pouvant nécessiter une évacuation via Chypre. Tout ceci doit être anticipé car les évacuations sont soudaines et doivent être menées rapidement, sous 48 heures ; passé ce délai, il faut obtenir d’autres autorisations de la part des autorités chypriotes.

Mme Alexandra Masson (RN). Chypre, membre de l’Union européenne le plus proche du Moyen-Orient, a permis à la France d’évacuer ses ressortissants à cinq reprises depuis vingt ans lors des crises qui ont touché le Proche et le Moyen-Orient : en juillet 2006, en août 2019, en octobre 2023, en août 2024 et en juin 2025. Des centaines de Français ont ainsi été mis en sécurité lors des conflits qui ont opposé Israël et le Liban ou lorsqu’Israël a été attaqué par le Hamas et, plus récemment, par l’Iran. Par air ou par mer, les ressortissants français et les membres de leur famille ont pu être évacués et conduits aux ports chypriotes de Larnaca et Paphos.

L’accord signé entre la France et la République de Chypre le 9 septembre 2022 offre aux armées françaises un cadre juridique pour mener des évacuations via le territoire chypriote – conditions de lancement des opérations, responsabilités des parties, etc. –, assure le déploiement rapide et efficace des moyens nécessaires et garantit la sécurité des personnes évacuées.

La République de Chypre fait face à une situation sécuritaire délicate du fait de l’occupation du Nord de l’île par l’armée turque. Dans ce contexte, cet accord confirme le soutien que la France apporte à Chypre, à sa stabilité et à sa souveraineté, éléments essentiels à l’équilibre de la région. Au-delà d’une simple assistance technique, il consolide notre lien de confiance avec Chypre et prépare les conditions d’une réponse coordonnée aux crises à venir. Nous voterons pour son adoption.

M. Michel Herbillon, rapporteur. Les crises imposant des évacuations peuvent être de natures très différentes. C’est ainsi que, en août 2019, quand la Grèce a subi des incendies majeurs, des citoyens grecs et français ont été évacués sur l’île de Chypre, qui compte deux ports importants.

M. Vincent Ledoux (EPR). Je tiens à saluer le travail très complet du rapporteur, qui éclaire avec précision les enjeux géostratégiques, juridiques et opérationnels de cet accord, et contribue à la compréhension d’un contexte régional d’une extrême sensibilité.

La Méditerranée orientale est redevenue un arc de crise majeur – Liban, Syrie, Israël, Gaza... – où les dégradations peuvent être brutales et rapides. Dans cet environnement, la France doit disposer de dispositifs d’évacuation fiables ; c’est un impératif de souveraineté et de protection de nos ressortissants. De ce point de vue, Chypre est un point d’appui exceptionnel : membre stable de l’Union européenne, disposant d’infrastructures portuaires et aéroportuaires éprouvées, le pays a démontré sa solidité et sa disponibilité lors de différentes crises.

L’accord de 2022 met fin aux mécanismes improvisés et établit un cadre clair, opérationnel et prévisible. Il s’inscrit dans une coopération déjà riche : exercices conjoints Eunomia et Argonaut, utilisation régulière des ports et des aéroports chypriotes, coopération dans la politique de sécurité et de défense commune, présence militaire française active en Méditerranée orientale, etc. À quelques mois de la présidence chypriote de l’Union européenne, il renforce la capacité d’action européenne dans une région stratégique. Le groupe EPR votera donc en faveur du projet de loi.

Je souhaite toutefois vous soumettre deux questions. Les crises récentes ont révélé certaines limites de la coordination civilo-militaire et du partage d’informations. Cet accord permet-il d’y répondre ou faudra-t-il le compléter par un accord de statut des forces à l’étranger (SOFA) plus ambitieux ? Par ailleurs, la clause de transit de 48 heures, indispensable à la fluidité des opérations, vous paraît-elle réaliste en cas d’afflux massif, ou faudra-t-il prévoir un mécanisme européen de débordement ?

M. Michel Herbillon, rapporteur. Les SOFA ne concernent que le statut des troupes, tandis que l’accord dont nous débattons répond à toutes les questions pouvant se poser : logistique, sécurité, conditions sanitaires, hébergement, intendance, etc. Il tire les enseignements des crises passées durant lesquelles Chypre a servi de terrain d’évacuation.

Par ailleurs, le délai de 48 heures peut être étendu en cas de situation exceptionnelle, avec l’accord des autorités chypriotes.

Chypre n’est certes pas l’État membre de l’Union européenne le plus peuplé mais le fait qu’il joue un rôle essentiel dans l’évacuation des ressortissants français et européens en cas de crise constitue un motif de fierté auquel les Chypriotes sont très attachés. C’est la raison pour laquelle Chypre mettra les questions de sécurité civile et de souveraineté européenne à l’agenda de sa présidence de l’Union au premier semestre 2026.

M. Pierre Pribetich (SOC). La République de Chypre est un allié historique stratégique et fiable de notre pays, marqué par une stabilité politique. Nous menons régulièrement des exercices conjoints et des opérations militaires aux côtés de ses forces. Plusieurs interventions au Moyen-Orient ont été rendues possibles par l’utilisation d’infrastructures chypriotes dans les années 1980 mais aussi au Liban en 2006 ou en Israël en 2023, sans s’inscrire dans un cadre juridique formalisé. Ce contexte fait de Chypre un territoire pertinent pour évacuer des ressortissants par des moyens militaires. L’accord offrira un cadre juridique solide et clair à ces opérations, renforçant par là même l’autonomie opérationnelle et stratégique de la France. Le groupe Socialistes et apparentés le soutient, tout comme il soutient la relation franco-chypriote.

Notons toutefois que l’île est divisée depuis 1974 entre la partie Nord, reconnue uniquement par la Turquie, et la partie Sud reconnue par la communauté internationale. La militarisation organisée de chaque côté de la ligne verte – laquelle est sous surveillance de l’Organisation des Nations unies (ONU) – crée un contexte de tension persistante. La dernière élection présidentielle nord-chypriote a vu un partisan de la réunification de l’île, Tufan Erhürman, remporter une large victoire avec 62 % des voix : c’est un camouflet violent pour les nationalistes chypriotes turcs qui prônent l’indépendance et le renforcement des liens avec la Turquie ; c’est aussi un signal d’ouverture alors que les négociations de paix sont bloquées depuis plusieurs années.

Dans ce contexte, quelles garanties avons-nous que notre coopération avec Chypre ne sera pas fragilisée par des interférences turques ?

M. Michel Herbillon, rapporteur. La Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre est présente dans le pays depuis 1964 et la partition de l’île est survenue en 1974. La République turque de Chypre du Nord, autoproclamée, n’est reconnue que par la Turquie. C’est une sorte de conflit gelé et la militarisation s’est accrue de chaque côté de la ligne verte.

Je ne saurais prédire les évolutions géopolitiques et géostratégiques du pays ni l’attitude de la Turquie, dont nous avons remarqué à d’autres occasions qu’elle pouvait être variable. Il me semble toutefois que la Turquie n’aurait pas d’intérêt stratégique à refuser ou à perturber des opérations d’évacuation de ressortissants européens, d’autant que l’accord ne concerne que le Sud de l’île, sur lequel les autorités turques n’exercent aucun contrôle.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Cet accord de coopération est bienvenu et La France insoumise le soutient. Il sécurise des opérations qui ont déjà cours : en 2006 par exemple, la France a évacué des ressortissants via Chypre lors de la guerre d’Israël contre le Liban, de même qu’en juin dernier lors du conflit entre Israël et l’Iran. Le recours par la France à des infrastructures chypriotes est un signe d’amitié entre nos peuples, qui doit perdurer et que l’accord consolide.

Notons néanmoins trois éléments de contexte.

Chypre appartient à l’Union européenne mais pas à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), position strictement inverse à celle de son voisin turc. Cette situation ne manque pas de rappeler le caractère incertain, sur le plan stratégique, de l’Alliance atlantique. Le bilan de l’OTAN face aux crises imposant des opérations d’évacuation est d’ailleurs désastreux : que l’on pense à la Libye en 2011 ou à la guerre du Golfe en 2003, orchestrée par la première puissance militaire mondiale, fer de lance de l’Alliance atlantique, les États-Unis d’Amérique. Ces fiascos ont profondément et durablement déstabilisé l’ensemble de la région. Il est important de le rappeler pour envisager le futur de notre projection diplomatique et militaire sur des bases plus indépendantes.

Le dispositif prévu par l’accord est rendu nécessaire par la déstabilisation de la région, qui atteint un sommet avec la politique agressive à tous crins du gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou. La politique génocidaire conduite en Palestine, tout particulièrement à Gaza, multiplie les besoins d’évacuations, en application du droit international.

S’il est satisfaisant de conclure un accord avec Chypre, nous pouvons regretter le manque de volonté politique de la France lorsqu’il s’agit de conduire des évacuations à la hauteur des besoins. Un véritable couloir humanitaire est nécessaire alors que le cessez-le-feu n’est pas respecté. Comme le souligne l’organisation non gouvernementale Physicians for Human Rights Israël, nous n’accueillons pas assez de Palestiniens, en particulier dans un cadre médical. Médecins sans frontières insiste elle aussi sur la nécessité d’en faire plus et d’être à la hauteur de la situation humanitaire terrible à Gaza. La France a évacué 25 personnes depuis le 1er septembre ; à titre de comparaison, la Belgique en a évacué 400. Beaucoup attendent. Je pense notamment à la famille Al Rayyes, dont le père a été blessé lors d’une explosion à Gaza le 13 septembre dernier : le centre hospitalier universitaire de Brest s’est engagé à l’accueillir, puisque son fils vit déjà en France, dans le département. La France doit tout mettre en œuvre pour évacuer ceux auxquels elle se doit de porter secours. C’est un impératif ; encore faut-il en avoir la volonté politique.

M. Michel Herbillon, rapporteur. Je vous remercie pour votre soutien. L’objet n’est pas, ici, d’engager un débat sur l’OTAN, le gouvernement de M. Netanyahou et les événements survenus depuis octobre 2023. Je n’en suis pas moins sensible, comme nous le sommes tous, à la situation humanitaire des populations à Gaza.

Mme Constance Le Grip, présidente. Nous en venons à présent aux questions et interventions formulées à titre individuel.

M. Michel Guiniot (RN). L’accord de 2022 comble une lacune juridique constatée dès 2006 et offre un cadre permanent à la France pour ses opérations de retrait de ressortissants via Chypre. Il permet d’anticiper les besoins logistiques, juridiques et médicaux liés à ces opérations. Le texte a été déposé une première fois au Sénat en 2023 puis a été retiré à la suite des attentats perpétrés par le Hamas à l’encontre d’Israël. À l’époque, ce dispositif aurait pu être capital pour les ressortissants français, même si Chypre n’a ratifié l’accord qu’en 2024.

Comme vous l’avez souligné, il est indispensable d’anticiper pour pouvoir agir le plus rapidement possible. L’accord nous permettra d’être réactifs si une crise survient au Moyen-Orient – cela peut malheureusement être le cas, même si le président de la République a l’air de considérer que la prochaine crise se déclenchera un peu plus au Nord. Comme les autres membres de la commission, je suis donc favorable à cet accord.

M. Michel Herbillon, rapporteur. Si les événements d’octobre 2023 ont retardé l’approbation de l’accord, cela n’a pas empêché de procéder à des RESEVAC, dans les conditions que j’ai rappelées, en 2024 et en 2025.

Mme Alix Fruchon (DR). Chypre, qui aspire à jouer un rôle stratégique actif dans la région, constitue un point d’observation essentiel et une base arrière précieuse pour nos armées. L’évacuation de ressortissants en situation de crise a été réalisée à plusieurs reprises par la France via le territoire chypriote.

Il manquait à ces opérations un cadre juridique ; l’accord qui nous est soumis en prévoit un. Il mérite donc une attention particulière compte tenu de la situation de la région, qui traverse des bouleversements sans précédent depuis plusieurs années.

Sans être membre de l’OTAN, Nicosie manifeste sa volonté d’apporter son concours à l’Europe de la défense, à la hauteur de ses moyens. Compte tenu des rivalités et des intérêts croisés en Méditerranée orientale, Chypre compte sur l’appui politique de Paris. Comment l’accord tient-il compte de l’évolution récente des menaces dans la zone pour garantir la sécurité des RESEVAC ?

M. Michel Herbillon, rapporteur. La coopération entre la France et Chypre est très active. Notre relation bilatérale se déploie dans de nombreux domaines, notamment celui de la défense. La marine nationale mène des opérations dans les eaux territoriales de Chypre et dans leur environnement. Cette relation bilatérale a vocation à s’approfondir.

M. Michel Barnier (DR). Je pense depuis longtemps que Chypre est une place stratégique, quand bien même ce pays n’est pas membre de l’OTAN. Membre de l’Union européenne, il constitue une base avancée de l’influence européenne dans cette zone très troublée.

Dans la mesure où Chypre est à la croisée de nombreuses influences, dont l’influence russe sur le plan financier, nous avons tout intérêt à entretenir de très bonnes relations avec elle. Je suis heureux que l’accord de coopération nous soit enfin soumis.

Les nombreux conflits environnants nous amènent à effectuer des RESEVAC et nous devrons en faire d’autres à l’avenir. Je salue le travail du Centre de crise et de soutien en la matière. Il m’est arrivé d’aller chercher des otages à Chypre, notamment Christian Chesnot et Georges Malbrunot en décembre 2004. Les opérations d’évacuation, qu’elles soient massives ou plus discrètes, exigent une bonne coopération avec Chypre.

M. Michel Herbillon, rapporteur. Monsieur le premier ministre, cher Michel Barnier, je vous remercie de ces informations complémentaires. L’importance géostratégique de Chypre découle du fait que l’île est à la croisée de multiples influences.

Sorte d’avancée de l’Europe en Méditerranée orientale, elle est à proximité immédiate des côtes syriennes, libanaises, turques et israéliennes. L’accord qui nous est soumis n’en est que plus important.

Je salue le travail remarquable du Centre de crise et de soutien, qui assure une veille permanente et suit des crises de natures diverses, de plus en plus souvent climatiques. Son rôle dans l’évacuation non seulement de nos ressortissants mais aussi de ceux des autres États membres de l’Union européenne est tout à fait essentiel.

Comme il arrive parfois, notre commission est unanimement favorable à l’adoption de l’accord. Notre unanimité, lorsqu’il s’agit du rôle de la France, de celui de notre diplomatie et de la situation géopolitique de l’Europe, me semble une chose heureuse.

*

Article unique (autorisation de l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d’évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d’une situation de crise, signé à Paris le 9 septembre 2022)

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

 


   Travaux
de la commission de la défense nationale
et des forces armées

Le mercredi 19 novembre 2025, à 11 heures la commission examine pour avis le projet de loi adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d’évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d’une situation de crise (n° 1615).

M. le président Jean-Michel Jacques. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l’examen pour avis du projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d’évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d’une situation de crise.

Négocié à l’initiative de la France à partir de 2013, il a été signé à Paris près de dix ans plus tard, le 9 septembre 2022. Le Sénat l’a ratifié en séance publique le 23 juin 2025, date à laquelle il a été transmis à l’Assemblée nationale.

Les accords relatifs aux opérations d’évacuation de ressortissants (RESEVAC) sont particuliers et rares. C’est pourquoi il m’a semblé intéressant que notre commission se saisisse pour avis de l’accord précité, non seulement afin d’en examiner le contenu, mais également afin d’aborder la doctrine française et les savoir-faire opérationnels en matière de RESEVAC.

La France dispose d’une expertise reconnue en la matière, dont elle a notamment fait la preuve en avril 2023, au Soudan, lors de l’opération Sagittaire. L’examen du rapport de Mme Anna Pic permettra au surplus de faire le point sur les réponses apportées par cet accord en cas de menace relative à la sécurité de nos compatriotes séjournant au Moyen-Orient.

Mme Anna Pic, rapporteure pour avis. De la conception à la conclusion de l’accord qui nous occupe, beaucoup de temps s’est écoulé. J’ai interrogé mes interlocuteurs sur les raisons qui avaient conduit le Sénat à retirer le projet de loi autorisant son approbation de l’ordre du jour en 2023 avant de le réinscrire à nouveau en 2025. Il m’a été répondu que ce retrait avait été demandé par les services du Premier ministre qui estimaient que, dans le contexte particulièrement sensible des attentats terroristes du 7 octobre 2023 perpétrés par le Hamas à l’encontre d’Israël et de la guerre de Gaza qui s’en est ensuivie, l’examen du texte aurait pu être interprété comme un signal que la France s’apprêtait à organiser des évacuations.

Cette précision faite, j’évoquerai d’abord le contexte géostratégique dans lequel Chypre évolue. L’un de ses éléments structurants est la partition de l’île, qui date de 1974. Elle est la conséquence de la tentative de coup d’État de la Garde nationale chypriote, menée à l’instigation de la Grèce du régime des colonels, contre le président chypriote, archevêque et primat de l’Église de Chypre, Makários III. En réaction, la Turquie a envahi le nord de l’île et l’occupe depuis cette date.

De fait, Chypre est divisée en deux. Au Sud, la République de Chypre exerce son autorité sur les deux tiers du territoire, soit un peu moins de 6 000 km2, et sur les deux tiers des 930 000 ressortissants chypriotes qui y vivent. Quant à la partie nord de l’île, elle a proclamé son indépendance le 15 novembre 1983 en tant que République turque de Chypre du Nord (RTCN), reconnue par la seule Turquie. Seule la République de Chypre jouit d’une reconnaissance internationale.

Une ligne de démarcation, en principe démilitarisée, les sépare : la ligne verte. Une force d’interposition des Nations unies, la Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (UNFICYP), y est stationnée. Au nord, selon les estimations les plus communément admises, se trouvent 35 000 soldats turcs, dotés de matériels modernes et pouvant être soutenus par des renforts venus de Turquie.

Les nombreuses tentatives de régler le conflit ont échoué et le conflit reste gelé.

Ce conflit ne concerne pas que le territoire de l’île, mais il s’étend à l’espace maritime de Chypre qui abrite d’importantes ressources gazières et que lui conteste la Turquie.

Face aux 35 000 soldats turcs bien entraînés et bien équipés, la Garde nationale chypriote aligne 10 000 hommes et 60 000 réservistes. Le déséquilibre des forces en défaveur de la République de Chypre est une donnée qui l’a amenée à pratiquer ce qu’il est communément admis d’appeler « la dissuasion par la diplomatie.

Ainsi, Chypre entretient d’excellents rapports avec son proche voisinage, notamment avec Israël, l’Égypte et le Liban. Sa diplomatie est particulièrement active dans les instances internationales, en particulier au Conseil de l’Europe et aux Nations unies.

Chypre a adhéré à l’Union européenne en 2004 et constitue depuis lors la pointe avancée de l’Union en Méditerranée orientale. Le pays bénéficie de la clause d’assistance mutuelle prévue par l’article 42 paragraphe 7 du traité sur l’Union européenne (TUE) en cas d’agression armée. Chypre n’étant pas membre de l’Otan, cette clause revêt une importance non négligeable pour ce pays, qui a toujours soutenu le renforcement de l’autonomie stratégique de l’Europe, dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) puis de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

Dans cet environnement géostratégique, Chypre est un partenaire fiable. Le cadre principal des relations militaires franco-chypriotes est un accord de coopération en matière de défense signé le 4 avril 2017 et entré en vigueur le 1er août 2020.

Il a permis plusieurs avancées notables. Chypre a notamment fourni un soutien opérationnel à l’Italie lors de l’opération Chammal contre Daech. Dans son actualisation pour 2026, il est prévu que les exercices conjoints, notamment maritimes, seraient amplifiés, avec une attention portée aux opérations d’évacuation des ressortissants et à la gestion de crises régionales.

Sur le plan multilatéral, le haut degré de coopération avec Chypre s’illustre au sein du format quadripartite QUADMEDOR. Réunissant depuis 2020 la France, la Grèce, l’Italie et Chypre, il est centré sur la liberté de navigation en Méditerranée orientale. Le pilier opérationnel de ce format est matérialisé par la tenue annuelle, au sud de Chypre, de l’exercice EUNOMIA. Dans ce cadre, un exercice d’évacuation des ressortissants a été réalisé en septembre 2025.

J’en viens à la doctrine française en matière de RESEVAC, ces opérations constituant l’objet de l’accord qui nous est soumis. Pour le ministère des armées, une RESEVAC est « une opération conduite hors du territoire national, à dominante de sécurisation, mobilisant des capacités militaires, en vue de protéger des bénéficiaires identifiés par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) résidant ou demeurant ponctuellement à l’étranger et de les évacuer d’une zone présentant une menace imminente et sérieuse risquant d’affecter leur sécurité ».

L’une des spécificités des RESEVAC est qu’il s’agit d’opérations déclenchées par le président de la République, conduites par le MEAE et relevant, pour leur partie militaire, de l’état-major des armées (EMA). Elles rassemblent donc trois acteurs.

Le MEAE, en tant que responsable de la sécurité des ressortissants français à l’étranger, assure la conduite globale de l’opération dans le cadre du Centre de crise et de soutien (CDCS). Quant à l’EMA, il y joue un rôle central par le biais du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO). Il est au cœur du processus de gestion de crise, de la veille stratégique à la conduite opérationnelle en passant par la planification.

Concrètement, du côté du ministère des armées, une RESEVAC se déroule en trois phases. La première est le regroupement. Elle consiste à rassembler, sous la responsabilité du MEAE et conformément au plan de sécurité du poste diplomatique, les ressortissants en un point de regroupement (PR).

La deuxième est l’évacuation primaire. Placée sous la responsabilité du ministère des armées, elle consiste à évacuer les ressortissants du point de regroupement vers les points d’évacuation primaire (PEP), puis secondaire (PES).

La troisième est l’évacuation secondaire. Placée sous la responsabilité du MEAE, elle a lieu entre le point d'évacuation secondaire (PES), localisé en zone sûre, qui peut être un Centre de regroupement et d'évacuation des ressortissants (CRER), et la destination finale, en principe l'État d'origine.

La compétence du ministère des armées est restreinte à la deuxième phase, les deux autres relevant du MEAE. Il ne procède à l’évacuation que des personnes figurant sur les listes établies par ce dernier. De même, les opérations de tri des personnes se trouvant sur les points de regroupement ou escortées jusqu’au point d’évacuation primaire relève de la seule autorité du MEAE.

La France jouit d’une expertise reconnue en matière de RESEVAC. Notre dispositif institutionnel reposant sur le CDCS et sur le CPCO, dont la collaboration fonctionne bien, ainsi que le savoir-faire de nos forces nous procurent une efficacité et une réactivité que beaucoup de pays nous envient. Lors de l’opération Sagittaire, menée au Soudan du 21 au 28 avril 2023, les forces françaises ont évacué en une semaine 1 017 personnes de quatre‑vingt-quatre nationalités, dont 225 Français, en déployant huit A400M et deux C-130 dans un pays qu’elles ne connaissaient pas particulièrement.

J’en viens à la question de fond : pourquoi conclure un accord de RESEVAC avec Chypre qui deviendrait, selon le schéma du ministère des armées, un PES ? D’abord, dans huit des seize États visés par l’accord sous la dénomination « Moyen-Orient », 130 000 Français sont enregistrés auprès des services consulaires. Au seul Liban, le nombre de citoyens européens est évalué à 200 000.

Ensuite, il est difficilement contestable que le Moyen-Orient compte des zones de conflits actifs, où le risque pour la sécurité des ressortissants français est réel. Tel est notamment le cas en Palestine, dans la zone frontalière entre le Liban et Israël et dans la zone de confrontation en Syrie. Enfin, Chypre offre trois avantages : sa position géographique, au milieu de la Méditerranée : il est plus facile de projeter nos forces aériennes ou navales depuis Chypre que depuis, par exemple la Crète ou l’Égypte ; sa stabilité politique et sa fiabilité stratégique en tant que membre de l’Union européenne ; la qualité de ses infrastructures logistiques, sanitaires et hospitalières.

Concernant le contenu de l’accord, il est détaillé dans mon rapport et n’appelle qu’une observation. Si certaines de ses stipulations relèvent spécifiquement d’un accord de RESEVAC, d’autres sont directement inspirées des accords de statut des forces à l’étranger (ou SOFA pour Status of Forces Agreement). En réalité, c’est bien parce que la France n’a pas de SOFA avec Chypre que cet accord nous est soumis, d’autant que des négociations sont en cours pour en conclure un.

En conclusion, compte tenu des risques réels de déstabilisation de la zone moyen‑orientale et notamment du Levant, disposer d’un cadre juridique pour conduire des RESEVAC à partir d’un État géographiquement proche de la zone me semble un exemple d’anticipation des risques particulièrement pertinent. Si de surcroît cet État est un véritable allié de la France, qui partage sa vision en matière d’autonomie stratégique européenne et semble prêt à envisager la conclusion d’un SOFA, l’autorisation d’approuver l’accord avec Chypre en matière de RESEVAC me semble offrir une conclusion toute naturelle.

M. le président Jean-Michel Jacques. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

Mme Catherine Rimbert (RN). Le rapport sur le projet de loi visant à approuver l’accord entre la France et la République de Chypre du 9 septembre 2022 n’est pas un simple texte technique. C’est un acte politique fondé sur l’expérience du terrain et sur une conviction stratégique : la France opère plus efficacement si elle dispose de points d’appui fiables. Plus nous en avons, plus nous sommes capables de protéger nos ressortissants et d’assumer nos responsabilités internationales.

L’opération Sagittaire, au Soudan, l’a démontré avec éclat. Nous avons été les seuls à conduire une opération de RESEVAC de cette ampleur. Nous avons réussi à évacuer non seulement nos compatriotes mais aussi des ressortissants européens et même américains. Ce succès, nous le devons à la qualité de nos forces et à la solidité de nos partenariats.

Chypre fait partie de ces partenaires rares. C’est un allié fiable, qui nous accorde sa confiance. Il subit l’hostilité permanente de son voisin turc, dont l’occupation illégale et les postures agressives, nourries par le projet expansionniste de la Patrie bleue, ne faiblissent pas.

Notre coopération s’incarne dans les exercices EUNOMIA. Le dernier a notamment consisté en un exercice d’évacuation de ressortissants mené avec Chypre, la Grèce et l’Italie, dans lequel nous avons engagé la frégate multimissions (Fremm) Languedoc. C’est la preuve que, si nous travaillons avec des partenaires partageant notre vision, les opérations sont plus efficaces.

L’accord qui nous est soumis renforce notre capacité d’action, notre crédibilité et notre sécurité. Nous devons l’approuver avec détermination.

Mme Corinne Vignon (EPR). Face aux tensions et aux crises sécuritaires, politiques et humanitaires récurrentes au Moyen-Orient, il est parfois indispensable d’évacuer rapidement des ressortissants français ou européens. Dans ce contexte, Chypre occupe une position stratégique majeure. À proximité directe de plusieurs foyers de crise, l’île est un point d’appui privilégié permettant d’accéder rapidement aux zones concernées.

Historiquement, elle a été utilisée comme zone de transit pour l’évacuation de nos ressortissants. Cette expérience commune a naturellement fait naître la volonté de formaliser la coopération entre la France et Chypre par un accord bilatéral, signé le 9 septembre 2022.

La France a toujours partagé des relations de défense étroites et structurées avec Chypre, qui met régulièrement ses infrastructures à la disposition de nos armées. Celles-ci y réalisent chaque année une quinzaine d’escales navales et de nombreuses escales aériennes ainsi que des arrêts logistiques et opérationnels.

Grâce à ce texte, la France pourra mieux évacuer ses ressortissants du Moyen‑Orient. Il facilitera la fluidité des opérations, notamment grâce à une exemption de droits de douane, de taxes et de formalités fiscales pour les équipements nécessaires aux évacuations. Il renforcera l’appui logistique dans un cadre juridiquement sécurisé. Il permettra de mieux assurer la sécurité des citoyens français présents à Chypre, où des infrastructures de communication pourront être installées afin de garantir la célérité des échanges. Cet accord, conclu pour une durée de trois ans, est renouvelable automatiquement pour des périodes équivalentes. Il offre une flexibilité essentielle pour adapter et pérenniser notre coopération en fonction des évolutions géostratégiques. Le groupe Ensemble pour la République votera le projet de loi autorisant sa ratification.

M. Abdelkader Lahmar (LFI-NFP). Le texte qui nous est proposé se place dans la continuité de l’accord de défense avec Chypre, entré en vigueur en 2020. Le groupe La France insoumise ayant voté ce dernier, nous ferons de même aujourd’hui.

Dans les faits, les infrastructures de la République de Chypre sont déjà utilisées par les forces armées françaises pour les opérations de RESEVAC. En juin dernier, lors de la guerre déclenchée par Israël contre l’Iran, des avions militaires ont évacué des citoyens français d’Israël via Chypre. En 2006, lors de la guerre d’Israël contre le Liban, près de 7 000 personnes furent évacuées par voie maritime, la plupart transitant par la République de Chypre.

Étant donné la réalité géopolitique actuelle et l’attitude belliciste du gouvernement israélien d’extrême droite, de telles situations pourraient se reproduire, notamment au Liban, en Israël, en Syrie et à Gaza. La coopération avec Chypre est donc essentielle pour le bon déroulement d’opérations de RESEVAC dans ces zones. L’améliorer et l’inscrire dans un cadre juridique clair pour les forces françaises amenées à opérer depuis Chypre relève du bon sens.

L’accord prévoit des facilités matérielles sur place pour les opérations de RESEVAC, ce qui favorisera grandement l’action des militaires français déployés dans cette zone. Des opérations de RESEVAC via Chypre ayant déjà été menées, quels changements concrets résulteront de l’entrée en vigueur de l’accord ? Est-ce à dire que les forces françaises n’étaient pas couvertes juridiquement ?

Mme Anna Pic, rapporteure pour avis. Jusqu’à présent, il fallait, pour chaque opération de RESEVAC, définir les conditions de son déroulement. Disposer d’un cadre juridique permet de ne pas avoir à le faire à chaque fois.

Si la République de Chypre a conclu des accords stratégiques avec Israël, elle a aussi reconnu l’État de Palestine et entretient des relations approfondies avec le Liban. Elle offre donc un point d’appui solide pour toute la zone, où les conflits se succèdent depuis longtemps. Le cadre offert par l’accord ne résout pas tout, notamment en matière de Statut des forces, mais il règle la question des taxes et évite de devoir négocier lors de chaque opération de RESEVAC.

M. Jean-Louis Thiériot (DR). Je formulerai trois observations illustrant le vote favorable de notre groupe.

D’abord, Chypre est hautement symbolique de ce que signifient les traités de l’Union européenne et des engagements qu’ils représentent en matière de défense. Chypre n’est pas membre de l’Otan, mais nous sommes liés au titre de l’article 42 paragraphe 7 du TUE, qui est plus exigeant, en matière d’engagement, que l’article 5 du traité de l’Atlantique nord.

Ensuite, dans les débats qui ont lieu au sein de l’Union européenne, Chypre, lorsqu’il s’agit de défendre l’autonomie stratégique européenne et le principe selon lequel les financements européens doivent bénéficier aux entreprises européennes, est toujours aux côtés de la France. Chypre est pour nous, comme on dit dans le jargon bruxellois, un pays affinitaire. Enfin, du point de vue opérationnel, nous avons jusqu’à présent procédé à des opérations de RESEVAC dans des milieux ouverts et dans des environnements peu ou pas contestés, à l’exception de l’opération Sagittaire. Demain, nous devrons probablement conduire des opérations de RESEVAC dans des environnements contestés où nous devrons sinon entrer en force, du moins faire face à un niveau de menace élevé. Disposer de points d’appui en Méditerranée orientale, zone si déchirée par les conflits, est un atout considérable.

Mme Anna Pic, rapporteure pour avis. L’article 42 paragraphe 7 du TUE, qui est particulièrement exigeant, est un rappel utile que notre première alliance est l’Union européenne. Au demeurant, c’est notamment pour œuvrer à son autonomie stratégique que Chypre l’a rejointe.

De plus en plus, nos opérations de RESEVAC s’inscrivent dans un contexte où nos ressortissants peuvent être en danger et où il n’est pas certain que les conditions de leur évacuation peuvent être réunies. Il importe d’autant plus de disposer de points d’appui permettant d’agir rapidement, dans les meilleures conditions et au moment le plus opportun.

M. le président Jean-Michel Jacques. Je saisis l’occasion de saluer nos forces spéciales qui, souvent, sont à la pointe des opérations de RESEVAC et déplorent parfois des blessés. On le sait peu, compte tenu de la discrétion attachée à leur activité. C’est avec courage qu’elles mènent ces opérations.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Je saisis l’occasion qui m’est offerte de rappeler le soutien du groupe Écologiste et social au processus de réunification de l’île, divisée entre la République de Chypre et la RTCN. Nous encourageons les dirigeants chypriotes grecs et turcs à poursuivre leurs discussions dans le cadre des Nations unies.

Chypre est située dans la zone orientale de la mer Méditerranée. Il fut un temps où le prétexte de l’évacuation de ressortissants français servait à installer une base arrière, notamment en 1956 lors de l’opération de Suez. Les temps ont changé. À présent, Chypre joue un rôle majeur de soutien aux États de l’Union européenne dans la région et constitue un refuge en cas de crise dans les pays de la zone, par exemple au Liban.

L’un de ses voisins, l’État d’Israël, est connu pour son expertise dans le renseignement. L’armée française a-t-elle prévu des dispositifs pour se protéger du renseignement israélien, particulièrement présent à Chypre ? Des antécédents sont connus dans la station balnéaire chypriote de Paphos et au mont Olympe. En tout état de cause, au groupe Écologiste et social, nous sommes favorables au projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement français et le gouvernement de la République de Chypre.

Mme Anna Pic, rapporteure pour avis. Lors des auditions que j’ai menées, il n’a pas été question de renseignement ni des installations israéliennes. Au demeurant, les Israéliens collectent du renseignement dans toute la zone de façon approfondie. Par ailleurs, Israël et l’Union européenne sont liés par des accords en matière d’échange de renseignement.

Mme Sabine Thillaye (Dem). Ce projet de loi n’est pas un simple texte technique. C’est un choix stratégique. Chypre n’est pas un partenaire comme les autres. C’est un État membre de l’Union européenne situé en première ligne des crises du Levant et confronté depuis 1974 à une occupation militaire rappelant chaque jour la fragilité des équilibres régionaux. Il est d’autant plus nécessaire d’y disposer d’un cadre clair pour agir, ce qui n’a rien de théorique et peut faire toute la différence si la France est amenée à protéger ses ressortissants en urgence.

C’est aussi un choix clair, celui d’une France et d’une Europe capables d’assumer, dans une région sensible, le soutien d’un État membre situé en première ligne. C’est un signal que nous envoyons.

Le groupe Les Démocrates soutient résolument l’accord. Notre seule question porte sur le caractère temporaire de l’accueil des personnes évacuées, qui peut constituer un goulot d’étranglement si la crise est majeure et qu’il faut rapidement prendre le relais.

Les capacités d’accueil de Chypre, de surcroît limitées par la partition de l’île, peuvent à mon avis poser un problème de logistique, notamment en matière d’hébergement et de transport vers la France. Avons-nous un plan B en cas d’engorgement ?

Mme Anna Pic, rapporteure pour avis. L’accord prévoit que les ressortissants évacués ne restent que quarante-huit heures à Chypre. Les rotations sont donc rapides. Les infrastructures hospitalières sont normalement suffisantes pour la zone, en cas de besoin.

Par ailleurs, l’accord offre aussi la possibilité de monter des hôpitaux de campagne et de faire venir du personnel médical pour abonder l’offre. En tout état de cause, un séjour de quarante-huit heures relève davantage du flux que de l’installation, d’autant que toutes les démarches sont prévues et engagées, le cas échéant, par le MEAE.

M. Michel Criaud (HOR). La France et Chypre entretiennent depuis de nombreuses années une coopération stratégique dense, fondée sur un soutien constant à l’intégrité territoriale chypriote et sur une présence militaire française régulière en Méditerranée orientale. Dans un environnement régional profondément déstabilisé par des tensions persistantes entre Israël et le Hamas, par les menaces du Hezbollah et par une pression migratoire croissante, Chypre apparaît comme un partenaire européen fiable.

L’accord signé en septembre 2022 fournit un socle juridique robuste permettant à la France d’organiser, en situation de crise, des opérations de RESEVAC depuis l’ensemble du Moyen-Orient via le territoire chypriote. Voter le projet de loi visant à sa ratification, c’est d’abord doter la France d’un outil de protection indispensable de ses ressortissants, dans une région exposée aux crises politiques, sécuritaires, humanitaires et sanitaires.

C’est également consolider un partenariat stratégique européen avec un État membre engagé dans la PSDC et situé en première ligne des tensions du Moyen-Orient et de la Méditerranée orientale. Le groupe Horizons et indépendants votera le projet de loi.

M. Édouard Bénard (GDR). Si l’accord qui nous est présenté vise officiellement à faciliter l’évacuation des ressortissants depuis le Moyen-Orient via Chypre, il ouvre de facto la voie à une nouvelle projection durable des forces françaises en Méditerranée orientale, dès lors qu’il « permettra aux forces armées françaises de bénéficier d’un cadre juridique solide lors d’une situation de crise et du déploiement d’une opération d’évacuation », selon l’exposé des motifs, et qu’il a été conçu, ai-je aussi lu, pour être « le plus souple possible ».

Madame la rapporteure pour avis a évoqué ses réserves sur l’absence de SOFA. Je note pourtant que les facilités offertes aux forces françaises rappellent clairement un véritable statut des forces : libre circulation des bâtiments, des aéronefs et des véhicules ; possibilité de porter une arme ; exonérations ; immunité juridictionnelle.

Le rapport rappelle les enjeux migratoires, le risque d’importation des conflits régionaux et les fragilités induites par le drame génocidaire à Gaza et par la situation au Liban. On nous dit que le but serait uniquement l’évacuation de ressortissants, mais le rapport démontre que Chypre est d’ores et déjà la première destination d’escale de nos forces navales dans la zone, avec trente-six escales en 2024, et que les exercices bilatéraux et multilatéraux ont vocation à être amplifiés. Quel changement ce cadre apporte-t-il ?

Par ailleurs, quels critères définissent explicitement la situation de crise évoquée par l’exposé des motifs ? Le Parlement sera-t-il informé avant l’activation de l’accord s’agissant d’une décision ouvrant la porte à un déploiement militaire sur un territoire européen ? Certes, nous avons le devoir de protéger nos ressortissants et approuverons, comme tout le monde manifestement, l’accord, mais, au nom de cette protection et comme pour tout accord, nous devons veiller à l’association permanente du Parlement.

Mme Anna Pic, rapporteure. Une opération de RESEVAC est décidée par le président de la République. Les commissions parlementaires compétentes en sont informées.

L’augmentation du nombre d’escales à Chypre est la conséquence de l’instauration du format QUADMEDOR en 2020, qui vise à renforcer notre partenariat avec Chypre en matière stratégique, donc d’entraînement des forces. Par ailleurs, la France est l’un des principaux fournisseurs en matière capacitaire de Chypre, ce qui a encore renforcé nos liens au cours des dernières années.

S’agissant de la définition d’une situation de crise, l’accord a la particularité d’en retenir une large. En conséquence, celle des ressortissants et des personnes ayant vocation à être évacuées l’est aussi. Une situation de crise est caractérisée, aux termes de l’article 2 de l’accord, par « un danger pour la vie et la santé des citoyens […] à la suite d’une détérioration de la situation politique, de conflits armés, de catastrophes, d’accidents graves ou d’épidémies ».

Les forces armées sont donc engagées pour des motifs très variables ne se limitant pas aux conflits armés. C’est à eux que l’on pense spontanément en raison de la situation stratégique de Chypre et de la conflictualité majeure et persistante dans la zone, mais ils ne constituent pas le seul motif d’une opération de RESEVAC, laquelle découle de la nécessité de protéger les citoyens français se trouvant dans la zone.

M. Thierry Sother (SOC). Le projet de loi de ratification de l’accord entre la France et Chypre que nous examinons s’inscrit dans un contexte géopolitique où la Méditerranée orientale demeure instable et où les risques pour nos ressortissants au Moyen‑Orient sont bien réels. Membre de l’Union européenne depuis 2004, Chypre est un État stable, attaché à l’autonomie stratégique européenne et très actif dans les instances internationales.

Dans une situation sécuritaire complexe liée à la partition de l’île et à la pression constante de la Turquie, Chypre a toujours fait preuve d’un engagement sans faille vis-à-vis de ses partenaires européens. Le pays est tout à fait aligné avec les positions françaises de construction d’une défense européenne.

Pour la France, c’est un allié de confiance. Sécurité intérieure, renseignement, défense, interopérabilité, exercices navals conjoints : nombreux sont les sujets de coopération sur lesquels nous avançons avec Chypre dans d’excellentes conditions.

L’intérêt de cet accord est très concret. Pour être efficace, notre dispositif doit prendre appui sur un point sûr, proche des zones de crise, disposant d’infrastructures médicales et logistiques de bonne qualité : autant de qualités dont dispose Chypre. Le Levant connaît des conflits actifs pour nos forces. Disposer d’un PES à Chypre dans un cadre juridique clair, c’est garantir des capacités de réaction rapide et sécurisées en cas de dégradation de la situation. Pour la sécurité des Français vivant dans la zone, cet accord est un fait d’anticipation et de protection tout à fait important.

Madame la rapporteure pour avis, vous avez indiqué que Chypre est le seul pays, à l’exception de la République démocratique du Congo (RDC), avec lequel la France a signé un accord relatif aux opérations de RESEVAC. Vous semble-t-il souhaitable d’en conclure avec d’autres pays ? Par ailleurs, ce dispositif d’évacuation a-t-il vocation à faire face uniquement aux risques dus aux conflits ou peut-il être utilisé à d’autres fins, notamment en cas de crise environnementale ?

Le groupe Socialistes et apparentés votera le projet de loi.

Mme Anna Pic, rapporteure. Les opérations de RESEVAC sont envisageables de façon assez large. Il suffit que la vie ou la santé des citoyens français soit en danger pour qu’elles puissent être lancées.

Une crise liée à l’environnement peut entrer dans ce cadre, d’autant que l’accord permet d’agir par anticipation s’il est vraisemblable qu’un événement est susceptible, à échéance de quelques heures ou de quelques jours, d’exiger la mise à l’abri de nos ressortissants. Il n’est pas nécessaire d’attendre que la situation dégénère pour agir. L’appréciation en revient au président de la République.

Nous nous sommes demandé si cet accord peut servir de modèle pour d’autres zones. Rien de tel n’est envisagé à ce jour. L’accord conclu avec Chypre doit beaucoup à la situation du pays, membre de l’Union européenne et jouissant d’une position géostratégique intéressante compte tenu du nombre de ressortissants français vivant au Proche-Orient et au Moyen-Orient.

M. le président Jean-Michel Jacques. Nous en venons à une question individuelle.

M. Aurélien Rousseau (SOC). J’aimerais formuler deux observations moins accessoires qu’elles n’en ont l’air. Le retour d’expérience (Retex) de l’opération Sagittaire, notamment celui du vice-amiral d’escadre Vaujour, évoqué à plusieurs reprises par Mme la rapporteure pour avis, a montré qu’il faut sérieusement renforcer les analyses de prévention situationnelle du positionnement de nos emprises diplomatiques.

À Khartoum, la résidence de l’ambassadrice était d’un côté du fleuve et la chancellerie de l’autre, et on ne savait pas où étaient les gens. Sur ce point, il faut élargir la perspective et ne pas s’en tenir aux enjeux de défense.

Par ailleurs, lorsque le président de la République a décidé, au lendemain du 7 octobre, d’envoyer le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Dixmude jeter l’ancre dans le port égyptien d’El-Arich pour préparer une éventuelle opération de RESEVAC, nous nous sommes rendu compte que la coopération avec les autorités sanitaires égyptiennes était très en retard. J’en déduis que nos accords de coopération relatifs à la défense ou aux opérations de RESEVAC doivent inclure la perspective d’une coopération sanitaire au cas où nous enverrions un bâtiment.

Mme Anna Pic, rapporteure pour avis. C’est en travaillant à la coopération en matière de RESEVAC que le travail sur la coopération sanitaire ainsi que la capacité à savoir ce qu’il y a dans la zone et comment y intervenir s’est affiné. Dans le choix de Chypre comme point d’appui fiable, la qualité de ses infrastructures hospitalières a été un élément essentiel, de même que la proximité de l’île avec les côtes du Liban et d’Israël. Tout cela permet d’évacuer les gens rapidement vers un lieu stabilisé et fiable.

La complexité des opérations de RESEVAC tient aussi à la connaissance des ressortissants. Les listes consulaires sont rarement complètes – nous le constatons à chaque élection. Si l’accord est large, c’est aussi pour permettre aux gens qui y figurent de faire connaître les personnes qui leur sont associées et doivent être évacuées le cas échéant, telles que des conjoints ni mariés ni pacsés et des enfants ayant la nationalité du pays d’accueil. La définition du terme « d’évacué » adoptée par l’accord permet de faire preuve d’une réactivité améliorée.

S’agissant de la localisation des uns et des autres, la représentation diplomatique, tributaire de l’histoire, est souvent sise dans des bâtiments historiques et dispersée en plusieurs endroits d’un même pays. Sans doute faut-il réfléchir aux modalités d’évacuation particulières, la règle générale étant qu’il incombe aux ressortissants de rejoindre un point de regroupement. Une opération de RESEVAC est d’autant plus complexe que la liste consulaire est incomplète.

 

La commission émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble du projet de loi non modifié.

 


   Annexe n° 1 :
texte de la commission des affaires étrangères

Article unique

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d’évacuation à partir de la région du Moyen‑Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d’une situation de crise, signé à Paris le 9 septembre 2022 et dont le texte est annexé à la présente loi.

 


   Annexe n° 2 :
liste des personnes auditionnées
par le rapporteur


([1]) La base d’Akrotiri est une base de la Royal Air Force, celle de Dhekelia est une base terrestre et navale. Elles abritent à elles deux environ 2 500 militaires britanniques. Elles constituent des enclaves britanniques en territoire chypriote.

([2]) En juillet 2025, cette force compte 1 021 personnels dont 750 sont des militaires.

([3]) Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) a appelé l’attention de la rapporteure pour avis sur le fait que ce chiffre pouvait varier selon les interlocuteurs de 15 000 à plus de 100 000. Il a cependant été confirmé par le MINARM.

([4]) Voir par exemple le rapport du 3 juillet 2025, S/2025/447, pp. 4 et suivantes.

([5]) Le Monde avec AFP, 19/10/2025, Chypre nord : l’opposant Tufan Erhürman élu à la présidence.

([6]) Le Figaro, Théo Sivazlian, 3/11/2025, « Un comportement impérialiste » : le président de Chypre répond à Erdoğan et tance son « approche néo-ottomane ».

([7]) Article 42§7 du TUE :

« Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies. Cela n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres. »

([8]) Reuters, Laïla Bassam and Maya Gebeily, June 19 2024, Head of Lebanon’s Hezbollah threatens Israel and Cyprus (Agence Reuters, Laïla Bassam et Maya Gebeily, 19 juin 2024, Le chef du Hezbollah au Liban menace Israël et Chypre).

https://www.reuters.com/world/middle-east/head-lebanons-hezbollah-threatens-israel-cyprus-televised-address-2024-06-19/

([9]) Lancée le 19 septembre 2014, l’opération CHAMMAL représente le volet français de l’opération internationale INHERENT RESOLVE rassemblant 80 pays et cinq organisations internationales. CHAMMAL apporte un soutien militaire aux forces irakiennes engagées dans la lutte contre Daech. En parallèle, les activités d’accompagnement et de conseil de la Coalition internationale visent à permettre aux autorités politiques et militaires irakiennes d’assurer seules la sécurité de leur pays.

Source : MINARM, https://www.defense.gouv.fr/operations/proche-moyen-orient/operations-militaires-au-proche-moyen-orient/operation-chammal.

([10]) Sénat, rapport n° 727, 11 juin 2025, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d’évacuation de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d’une situation de crise, par M. Christian Cambon, p 11.

([11]) Le Conseil de l’Union européenne a adopté le 27 mai 2025 un règlement portant création de l’instrument « Agir pour la sécurité en Europe » (instrument SAFE). Il s’agit d’un nouvel instrument financier européen qui soutiendra les États membres qui souhaitent investir dans la production industrielle de défense au moyen d’acquisitions conjointes, en se concentrant sur les capacités prioritaires.

https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2025/05/27/safe-council-adopts-150-billion-boost-for-joint-procurement-on-european-security-and-defence/

([12]) Du nom des deux ministres de la Défense de l’époque.

([13]) Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France 2025, p. 110.

Aux termes de l’arrêté du 27 juin 2012 relatif à la liste des matériels de guerre et matériels assimilés soumis à une autorisation préalable d’exportation et des produits liés à la défense soumis à une autorisation préalable de transfert, les licences d’exportation de matériels

- ML3 concernent des munitions et dispositifs de réglage de fusées, comme suit, et leurs composants spécialement conçus ;

- ML4 concernent des bombes, torpilles, roquettes, missiles, autres dispositifs et charges explosifs et matériel et accessoires connexes, comme suit, et leurs composants spécialement conçus ;

- ML11 concernent du matériel électronique, "véhicules spatiaux" et composants non visés par ailleurs dans la liste commune des équipements militaires de l’Union européenne.

([14]) Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentation (CICDE), DIA-3.4.2(A)_RESEVAC, promulguée le 29 juin 2022, p. 10.

([15]) Sources : CICDE, doc. préc., pp. 19 et 20, et CDCS, rapport annuel 2024, p. 6.

([16]) Source : CICDE, doc. préc., p. 25.

([17]) CICDE, doc. préc., p. 25.

([18]) CICDE, doc. préc . p. 29 : « La base de soutien à vocation Interarmées (BSVIA) (Forward Mounting Base) permet de regrouper et soutenir les unités projetées. Elle est déployée dans une zone sécurisée située au plus près de la zone à évacuer ou dans une région sûre de l’État hôte. Une BSVIA s’appuyant sur un dispositif prépositionné est à privilégier ».

([19]) La BOA est, selon le site Defence IQ, « une position militaire opérationnelle sécurisée servant à mener des opérations complémentaires et faisant office de centre stratégique ». Elle est l’équivalent français de la Forward Operating Base ou FOB en anglais.

([20]) Sources : ministère des Armées et des anciens combattants, Organisation de l’État-major des Armées, réponses au questionnaire de la rapporteure pour avis et Olivier Brun, CPCO in Dictionnaire du renseignement, Perrin, 2018, pp. 225-27.

([21]) Le GAS intervient en matière d’anticipation et de planification stratégiques au sein de l’EMA. Selon la DIA-5(C)_A&PS(2019) du 9 janvier 2020, p. 9, « l’anticipation stratégique a pour but de fournir au CEMA des éléments d’appréciation pour préparer ou modifier des engagements opérationnels de nos armées en cas de crises émergentes ou potentielles à l’horizon de 6 à 24 mois.

Les travaux sont pilotés par le Groupe d’anticipation stratégique (GAS) qui se réunit deux fois par an. Lors du GAS plénier, le CEMA fixe des axes d’efforts à 12 mois (planification opérationnelle et orientation du renseignement d’intérêt militaire) et une vision prospective à 24 mois (planification opérationnelle, renseignement d’intérêt militaire et relations internationales).

Les conclusions des travaux du GAS permettent la rédaction des directives annuelles en matière de planification, de RI militaires en soutien aux opérations et d’actions de renseignement. »

([22]) Lignes directrices de l’Union européenne relatives à la mise en œuvre du concept d’État pilote en matière consulaire (2008/C 317/06) :

Article 2.1. b) « en cas de crise majeure à répercussions consulaires, il revient à l’État pilote de mettre en œuvre les mesures d’assistance au profit des bénéficiaires définis au point 3.1. [soit, toute personne susceptible de recevoir l’assistance consulaire de son État membre peut demander l’assistance de l’État pilote] ».

Article 2.2. « Lorsque l’État pilote estime qu’il est nécessaire de procéder à l’évacuation des bénéficiaires définis au point 3.1., il en informe les États membres concernés localement et dans les capitales. »

([23]) Directive 2015/637 du Conseil du 20 avril 2015 établissant les mesures de coordination et de coopération nécessaires pour faciliter la protection consulaire des citoyens de l’Union européenne non représentés dans des pays tiers et abrogeant la décision 95/553/CE.

([24]) CICDE, doc. préc . pp. 15-16.

([25]) Les Forces de soutien rapide (FSR) sont une force paramilitaire soudanaise opposée depuis 2023 à l’armée nationale soudanaise.

([26]) Audition, à huis clos du vice-amiral d’escadre Nicolas Vaujour, sous-chef d’état-major « opérations » de l’état-major des armées, sur le retour d’expérience de l’opération Sagittaire, opération d’évacuation des ressortissants français au Soudan, compte rendu n° 91, 21 juin 2023, p. 6.

([27]) Audition préc., p. 6.

([28]) Audition précit., p. 6.

([29]) Au nombre de 16, il s’agit de l’Arabie Saoudite, Bahreïn, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Irak, l’Iran, Israël, la Jordanie, le Koweït, le Liban, Oman, le Qatar, la Syrie, les Territoires palestiniens, la Turquie et le Yémen.

([30]) Conseil de sécurité des Nations unies, 28 août 2025, résolution 2790 (2025).

([31]) Il s’agit de l’Arabie Saoudite, Bahreïn, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Irak, l’Iran, Israël, la Jordanie, le Koweït, le Liban, Oman, le Qatar, la Syrie, les Territoires palestiniens, la Turquie et le Yémen.

([32]) Rapport n° 727 précité, Examen en commission, p. 22.