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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 décembre 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
SUR LA PROPOSITION DE LOI
visant à garantir un renouvellement automatique des titres de séjour de longue durée
PAR Mme Colette CAPDEVIELLE
Députée
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Voir les numéros : 1799.
SOMMAIRE
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Pages
Introduction................................................ 5
commentaire des Articles de la proposition de loi
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi, déposée à l’initiative de Madame Fatiha Keloua Hachi, s’inscrit dans un contexte de fortes tensions pesant sur les services préfectoraux chargés de l’instruction des demandes de titres de séjour. Élaborée à partir d’un état des lieux particulièrement documenté, elle vise à instaurer un dispositif de renouvellement automatique des cartes de séjour pluriannuelles et des cartes de résident, afin de simplifier les démarches administratives supportées tant par les usagers que par les administrations.
Le régime des titres de séjour se distingue en effet par une architecture normative d’une grande complexité, marquée par la prolifération de titres de courte durée et par des renouvellements répétés. Cette configuration, conjuguée à une succession de réformes adoptées sans vision d’ensemble, a contribué à rendre le droit applicable peu lisible.
Cela se traduit par l’augmentation continue des délais de traitement des demandes de titres de séjour : en 2024, ces délais ont progressé de 27 % pour les premières demandes et de 25 % pour les renouvellements. Cette dynamique ne peut que se renforcer avec l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. En conditionnant l’accès aux titres pluriannuels à des exigences accrues, cette loi prolonge mécaniquement la période durant laquelle les usagers demeurent soumis à des titres de courte durée. Elle introduit par ailleurs de nouvelles conditions et vérifications, qui complexifient encore l’instruction des demandes et alourdissent la charge pesant sur les services préfectoraux.
De plus, la dématérialisation engagée depuis 2015 avec le déploiement de la plateforme « Administration numérique des étrangers en France » (ANEF) n’a pas permis de produire les améliorations attendues. Les travaux de la Défenseure des droits font état de dysfonctionnements structurels affectant les téléservices, accompagnés d’une information et d’un accompagnement insuffisants des usagers.
Ces dysfonctionnements administratifs conduisent à des ruptures de droits en matière d’emploi, de logement ou d’études, notamment lorsque les attestations de prolongation d’instruction ne sont pas délivrées ou renouvelées en temps utile. Elles plongent ainsi de nombreuses personnes dans une situation de précarité administrative, les privant de la possibilité de travailler légalement, de se maintenir dans leur logement, ou de poursuivre un cursus universitaire.
Cette situation pèse également sur les conditions de travail des agents préfectoraux, confrontés à une intensification de leur charge administrative et à une perte de sens dans l’exercice de leurs missions. La saturation des services contribue, en outre, à un encombrement croissant des juridictions administratives, régulièrement sollicitées pour garantir aux usagers un droit fondamental : celui d’accéder à l’administration.
C’est afin de remédier à cette situation, qui constitue pour de nombreux usagers une véritable « injustice silencieuse », que cette proposition de loi entend instaurer un mécanisme de renouvellement automatique des titres de séjour pluriannuels et des cartes de résident. Sans créer de droits nouveaux ni accorder de privilèges, le texte vise à sécuriser le parcours administratif de personnes résidant durablement en France et à restaurer l’efficacité du service public, dans un cadre respectueux des exigences de la République.
commentaire des Articles de la proposition de loi
Article 1er
(art. L. 411-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile [nouveau])
Renouvellement automatique des titres de long séjour
Adopté par la Commission avec modifications
Résumé du dispositif initial et effets principaux
L’article unique de la proposition de loi rend automatique le renouvellement des cartes de séjour pluriannuelles et des cartes de résident.
Modifications apportées par la Commission
La commission a adopté l’article premier de la proposition de loi modifié par un amendement rédactionnel de la rapporteure.
I. L’État du droit
A. Un rÉgime de sÉjour fragmentÉ, reposant principalement sur des titres de courte durÉe nÉcessitant des renouvellements frÉquents
L’article L. 411-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) prévoit l’obligation pour tout étranger d’être titulaire d’un titre de séjour au-delà de trois mois de présence sur le territoire français ([1]) . Chaque année, environ 340 000 titres sont délivrés pour la première fois, répartis entre les cinq grands motifs de séjour prévus par le code : professionnel, études, liens familiaux, protection internationale, motifs humanitaires ([2]) .
première dÉlivrance de titre de SÉjour par motif d’admission
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Motifs d’admission |
Année 2024 |
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Économique |
55 590 |
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Familial |
90 560 |
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Étudiants |
109 270 |
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Humanitaire |
54 530 |
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Divers |
26 760 |
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Total |
336 710 |
Source : Ministère de l’intérieur
Champ : France hexagonale, ressortissants pays tiers hors Britanniques
Les titres de séjour délivrés sur ces fondements se répartissent eux-mêmes en différentes catégories selon leur durée de validité ([3]) .
● Le visa long séjour valant titre de séjour, dont la durée de validité ne peut excéder douze mois, autorise l’entrée régulière sur le territoire français et dispense son titulaire de solliciter immédiatement une carte de séjour à son arrivée. Toutefois, pour acquérir pleinement la valeur d’un titre de séjour, ce visa doit être validé auprès de l’autorité administrative dans les trois mois suivant l’entrée en France.
● La carte de séjour temporaire est délivrée pour une durée maximale d’un an. À son expiration, l’étranger peut solliciter son renouvellement ou accéder à une carte pluriannuelle, ou à une carte de résident après cinq ans de séjour. Sa délivrance est en principe conditionnée à la production d’un visa de long séjour.
● La carte de séjour pluriannuelle dont la durée ne peut excéder quatre années ([4]) ne peut être délivrée qu’après une première année de séjour en France aux détenteurs d’un visa de long séjour valant titre de séjour ou d’une carte de séjour temporaire. Créée en 2016, à la suite du rapport de Matthias Fekl ([5]) , elle avait pour objectif de réduire les passages répétés en préfecture en se substituant au renouvellement annuel de la carte de séjour temporaire.
● La carte de résident et la carte de résident « longue durée – UE », sont valables dix ans. Leur délivrance est subordonnée à un séjour préalable de cinq ans, au respect de l’ordre public, et à la preuve de l’intégration à la société française, appréciée notamment au regard de la maîtrise de la langue et du respect des principes de la République. L’obtention de la carte de résident « longue durée – UE » est en outre subordonnée à une condition de ressources. Elles ouvrent un droit complet au marché du travail et sont renouvelables de plein droit ([6]).
Le législateur a également créé une carte de résident permanent, qui peut être délivrée pour une durée indéterminée après l’expiration d’une première carte de résident, sous réserve du respect de l’ordre public et de l’intégration du demandeur. Sa délivrance est de droit lors du second renouvellement de la carte de résident ou à partir de 60 ans ([7]) .
Toute demande de titre doit en principe être déposée personnellement en préfecture, la présence physique du demandeur constituant une formalité substantielle. Ce principe a toutefois été aménagé par la dématérialisation des procédures induite par la mise en œuvre du téléservice « Administration numérique pour les étrangers en France » (ANEF) ([8]) .
L’article R. 431-5 du CESEDA dispose que la demande de renouvellement d’un titre de séjour doit être présentée entre le 60e jour et le 120e jour qui précède l’expiration du premier titre, s’il est délivré par voie électronique, ou dans les deux mois précédant l’expiration pour les autres ([9]) . Le silence de l’administration pendant plus de quatre mois vaut décision implicite de rejet, sans toutefois mettre fin à l’instruction. Cette décision implicite emporte en revanche abrogation du récépissé ou de l’autorisation provisoire de séjour délivrés.
L’étranger qui demande la première délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour doit présenter à l’appui de sa demande les documents justifiants de son état civil et de sa nationalité. L’annexe 10 du livre IV de la partie réglementaire du CESEDA liste l’ensemble des autres justificatifs requis selon le titre de séjour demandé.
Le dépôt d’une demande de délivrance ou de renouvellement de titre de séjour donne lieu à la remise d’un récépissé qui autorise la présence du demandeur sur le territoire pour la durée qu’il précise et peut, dans certains cas, autoriser l’exercice ou la poursuite d’une activité professionnelle. Le récépissé de demande de titre de séjour a été réformé par le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour.
L’article R. 431‑15‑1 du CESEDA dispose désormais que le dépôt d’une demande de titre sur l’ANEF donne lieu à la délivrance immédiate d’une attestation dématérialisée de dépôt en ligne, qui ne justifie toutefois pas de la régularité du séjour de son titulaire.
Lorsque l’instruction de la demande se poursuit au-delà de la date de validité du document de séjour détenu, le préfet est tenu de mettre à la disposition du demandeur via le téléservice une attestation de prolongation de l’instruction de sa demande, dont la durée de validité ne peut être supérieure à trois mois ([10]) et qui permet de justifier de la régularité du séjour ([11]) . Cette attestation peut être renouvelée aussi longtemps que le préfet n’a pas statué sur la demande.
Le terme de récépissé est ainsi désormais formellement réservé aux demandes déposées en préfecture ([12]) .
Le titre de séjour est délivré par le préfet du département de résidence de l’étranger ([13]) .
879 790 titres ont été renouvelés en 2024 selon les données du ministère de l’intérieur.
Titres de sÉjour renouvelÉs en 2024 par motif d’admission au séjour
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Motifs d’admission |
Année 2024 |
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Économique |
194 240 |
|
Familial |
325 780 |
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Étudiants |
144 230 |
|
Humanitaire |
44 250 |
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Divers |
171 290 |
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Total |
879 790 |
Source : Ministère de l’intérieur
Champ : France hexagonale, ressortissants pays tiers hors Britanniques
Les services des préfectures chargés de l’instruction des demandes de titre de séjour connaissent depuis plusieurs années une saturation liée à une évolution des demandes plus soutenue que celle des effectifs, ainsi qu’une complexification excessive du droit applicable et des procédures.
L’analyse menée par la mission d’information du Sénat en 2022 ([14]) mettait déjà en évidence une augmentation du nombre de demandes de titre de séjour, s’accompagnant d’un déficit persistant de moyens. Les effectifs des services préfectoraux chargés des étrangers ont été augmentés de 321 équivalents temps plein (ETP) entre 2016 à 2019, auxquels s’est ajouté le recrutement de vacataires. Toutefois, les services chargés en particulier du séjour (accueil des étrangers au guichet et instruction de leurs demandes de titres) n’ont bénéficié que marginalement de l’augmentation des ETP, la Cour des comptes estimant à seulement 28 ETP les renforts alloués à ces services entre 2016 et 2019 ([15]).
Le rapport de la sénatrice Cécile Cukierman sur la mission Administration générale et territoriale de l’État du projet de loi de finances pour 2026 confirme la poursuite de cette dynamique. Le rapport relève ainsi que « les services des étrangers offrent l’illustration la plus frappante d’un effet ciseau qui combine hausse des demandes et complexification des procédures. Malgré l’affichage d’un effort de renforcement des services depuis 2023, la hausse des effectifs, limitée dans les faits à 3,8 % (+12 ETP en 2023, +60 en 2024 et +84 en 2025), reste insuffisante pour absorber cette progression de la charge de travail » ([16]) .
En conséquence, le rapport souligne que les délais de traitement des demandes de titre de séjour ont augmenté en 2024 de 27 % pour les premières demandes et de 25 % pour les renouvellements. Ce délai connaît une augmentation continue depuis 2019 (+ 86 % pour les primo délivrances et + 64 % pour les demandes de renouvellement).
Toutefois, le manque d’effectifs alloués à l’instruction des titres de séjour ne saurait expliquer à lui seul l’allongement de la durée d’instruction des demandes et les difficultés rencontrées par les services préfectoraux.
La Cour des comptes soulignait dès 2020 que les difficultés des préfectures ne tenaient pas seulement à un manque de moyens, mais à la brièveté des titres, à la fréquence des renouvellements et au retard de la transition numérique. Elle relevait ainsi :
« La France accordant peu de cartes de séjour permanent (43 en 2018), tous les titres, du récépissé de trois mois à la carte de résident de 10 ans, ont vocation à être renouvelés. Ce principe général, reflet d’un choix exprimé depuis des décennies, est au cœur de la législation du séjour et n’a été jusqu’à présent que modestement affecté par l’extension du champ des cartes de séjour pluriannuelles (CSP). La dématérialisation des démarches étant loin d’être avancée, le régime des titres de séjour place ainsi l’administration préfectorale sous pression, laquelle tend de surcroît à s’autoalimenter puisque l’absence de décision dans les délais exige un nouveau contact avec le demandeur en vue d’un nouveau récépissé » ([17]) .
En moyenne, la Cour estimait que 3,7 passages en préfecture étaient nécessaires pour obtenir un titre de séjour. Elle recommandait ainsi d’élargir l’accès aux titres pluriannuels et à la carte de résident afin d’améliorer l’efficience administrative.
En outre, la tendance à la brièveté des titres délivrés ne saurait que s’aggraver dans les prochaines années, sous l’effet des dispositions votées dans la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. En effet, en conditionnant, à compter du 1er janvier 2026, la délivrance des cartes de séjour pluriannuelles à l’atteinte d’un niveau de langue A2 et des cartes de résident à un niveau de langue B1, ainsi qu’à la réussite d’un examen civique, la loi aura pour conséquence de maintenir des personnes sous un statut précaire, les empêchant d’accéder à un titre de séjour de longue durée. Cela accroîtra mécaniquement la part de titres de séjour de courte durée, nécessitant des renouvellements fréquents et autant de passages supplémentaires en préfecture.
Au-delà des difficultés techniques et organisationnelles, l’allongement des délais d’instruction des demandes de titre de séjour trouve également son origine dans la complexification croissante du droit applicable aux étrangers. Depuis l’entrée en vigueur du CESEDA en 2005, celui-ci a fait l’objet de plus de 130 modifications, dont près d’une quarantaine au niveau législatif. Dans son avis sur le projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration le Conseil d’État soulignait que « la complexité croissante des actes, titres, procédures résulte d’une stratification des règles qui pour les agents en charge de la mise en œuvre comme pour les personnes concernées, complique la maîtrise du droit et contribue à susciter la défiance ou l’incompréhension de l’opinion publique ». Il appelait de ses vœux « une réorganisation du droit des étrangers se donnant pour but de réduire significativement le nombre de titres et d’affecter un but et un sens clairs à chaque procédure » ([18]) .
En effet, cet empilement de réformes successives, souvent élaborées sans vision d’ensemble, a conduit à un système juridique devenu « illisible et incompréhensible » ([19]) , qui pèse sur la capacité des préfectures à appliquer la norme de manière uniforme. Cette inflation normative multiplie les cas particuliers, les régimes dérogatoires et les conditions propres à chaque catégorie de titre, rendant l’instruction des dossiers plus longue, plus technique et plus exposée au risque d’erreur. Elle impose aux agents une expertise juridique toujours plus fine, sans que les moyens ou la formation ne suivent en conséquence. Dès lors, la complexité du cadre légal contribue directement à la dégradation des délais de traitement, aggravant les tensions pesant sur les services instructeurs.
La dématérialisation des demandes de titre de séjour est porteuse de simplification pour les usagers et d’amélioration de leur accès aux droits en réduisant les difficultés afférentes à l’obtention d’un rendez-vous en préfecture. Comme le relevait la Défenseure des droits : « la voie dématérialisée offre une certaine souplesse aux usagers qui disposent de l’équipement informatique et de la connexion nécessaire. Ces derniers peuvent en effet réaliser les démarches depuis leur domicile à toute heure, et en plusieurs fois si nécessaire. Ils peuvent ainsi concilier les démarches préfectorales avec leur emploi du temps et faire l’économie de déplacements en préfecture, d’autant que l’ANEF permet également de délivrer des documents provisoires de séjour de façon dématérialisée ([20]) ».
Toutefois, les conditions de déploiement de la dématérialisation des procédures et les nombreux dysfonctionnements affectant les téléservices n’ont pas permis de concrétiser les bénéfices attendus pour les usagers.
La dématérialisation des démarches s’est traduite par la coexistence de trois dispositifs distincts.
● En premier lieu, les préfectures ont mis en place des modules de prise de rendez‑vous en ligne afin de permettre aux étrangers de venir déposer leur demande de titre de séjour dans les locaux de la préfecture. Cette prise de rendez‑vous en ligne avait pour objet de limiter les files d’attente devant les préfectures.
Toutefois, la saturation des rendez-vous en ligne a conduit à la création de « files d’attentes numériques », entravant l’accès au guichet des usagers. La rareté des rendez-vous a par ailleurs favorisé l’apparition de pratiques frauduleuses, notamment la revente de rendez‑vous par des intermédiaires qui exploitent la vulnérabilité des demandeurs et contournent les dispositifs de sécurité des plateformes de réservation.
● En deuxième lieu, certaines préfectures ont eu recours à l’application « Démarches simplifiées ». Développée par la direction interministérielle du numérique et mise à la disposition de l’ensemble des administrations, cette plateforme « clés en main » a pour vocation d’accompagner les organismes publics dans la numérisation des démarches relevant de leur compétence. Les préfectures l’ont utilisée soit comme outil de prise de rendez-vous en ligne, soit, dans une perspective plus aboutie, comme support de dématérialisation des phases de dépôt et d’instruction de certaines catégories de demandes de titre de séjour. Toutefois cette utilisation s’est opérée sans encadrement. La Défenseure des droits a notamment souligné l’absence d’uniformisation des pratiques nuisant à la lisibilité des démarches pour les usagers.
● Enfin, le ministère de l’intérieur s’est engagé à compter de 2015 vers le basculement en ligne de l’ensemble des démarches liées à l’accès au séjour via le téléservice « Administration numérique des étrangers en France » (ANEF).
Le déploiement de l’ANEF a été progressif. Son utilisation a été rendue obligatoire pour la première fois en 2019, pour les titulaires de visas de long séjour afin de valider ces documents et de s’acquitter des taxes correspondantes. En 2020, le ministère de l’intérieur a également proposé, à titre expérimental, aux étudiants de déposer leurs demandes de titre par ce biais.
Par un décret n° 2021‑313 du 24 mars 2021, le gouvernement a précisé le cadre réglementaire applicable et a rendu obligatoire le dépôt de certaines demandes de titres de séjour via l’ANEF.
Ainsi, l’article R. 431‑2 du CESEDA, dispose désormais que : « la demande d’un titre de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l'immigration s'effectue au moyen d'un téléservice à compter de la date fixée par le même arrêté. Les catégories de titres de séjour désignées par arrêté figurent en annexe 9 du présent code ».
Cinq arrêtés ont été pris sur ce fondement, élargissant progressivement la liste des catégories de titres de séjour pour lesquels la demande doit être obligatoirement effectuée sur l’ANEF ([21]) .
Toutefois, plusieurs années après sa mise en œuvre, la Défenseure des droits met en évidence des « dysfonctionnements structurels » ayant un impact sur le renouvellement des titres de séjour et entraînant des ruptures de droits pour les usagers ([22]) .
Ces dysfonctionnements, déjà mis en lumière par certains rapports parlementaires et par les associations d’aide aux personnes étrangères, concernent chaque étape de la procédure de demande ou de renouvellement de titre. Ils ont trait tant à des bugs informatiques – impossibilité de déposer une demande de titre de séjour au motif que le titre précédent n’est pas considéré par le système informatique comme ayant été remis, alors même que celui-ci l’a bien été ; impossibilité de télécharger une pièce jointe ou de sélectionner un élément – qu’à des défauts de conception de la plateforme : impossibilité d’effectuer plusieurs démarches simultanément, de compléter ou modifier la demande une fois déposée, de conserver un historique complet des démarches réalisées et des pièces déposées.
À ces difficultés techniques s’ajoutent une information et un accompagnent insuffisants à destination des usagers. Certaines catégories de titres ont été intégrées à l’ANEF sans campagne d’information préalable, et les sites internet des préfectures présentent encore des contenus incomplets sur les démarches concernées et leurs délais respectifs.
De plus, malgré la décision du Conseil d’État du 3 juin 2022 imposant une solution de substitution ([23]), celle-ci n’a été mise en place qu’après 14 mois.
Un décret du 22 mars 2023 ([24]) ainsi qu’un arrêté du 1er août 2023 ([25]) ont ainsi précisé l’accompagnement des personnes rencontrant des difficultés dans le cadre du dépôt en ligne de leur demande de titre de séjour et les solutions de substitution à la procédure dématérialisée.
Les usagers qui rencontrent des difficultés avec la plateforme peuvent désormais contacter le Centre de contact citoyen (CCC) ou se rendre au point d’accueil numérique (PAN) dont chaque préfecture ou sous-préfecture dotée d’un service chargé des étrangers doit disposer.
Ces deux services sont également chargés, le cas échéant, de constater l’impossibilité technique du dépôt de la demande via le téléservice. Un rendez-vous physique en préfecture est alors proposé à l’usager. Celui-ci peut également demander à adresser sa demande par voie postale ou par courrier électronique.
En pratique, le rapport de la Défenseure des droits montre que ces services peinent à remplir pleinement leur office. Les usagers indiquent fréquemment que les échanges par courriel s’étalent sur plusieurs semaines voire plusieurs mois, sans qu’une attestation formelle de blocage – pourtant indispensable à l’accès à la solution de substitution – ne soit délivrée. Les téléconseillers procèdent souvent à des reformulations sans parvenir à appréhender la nature du dysfonctionnement, y compris lorsqu’il s’agit de blocages récurrents et documentés par des captures d’écran. La Défenseure des droits, tout comme les associations entendues dans le cadre de ces travaux, constatent unanimement que le dispositif d’accompagnement est globalement insuffisamment connu, compris et appliqué de manière homogène sur le territoire.
Ces dysfonctionnements massifs se traduisent par une hausse considérable des saisines de la Défenseure des droits portant sur l’accès aux droits des étrangers. Entre 2019 et 2024 celles-ci sont en hausse de 400 % et représentent désormais 40 % du total des réclamations reçues par l’autorité administrative indépendante. La Défenseure des droits souligne que parmi les réclamations liées aux droits des étrangers « plus de 75 % ont trait à des difficultés rencontrées avec les services préfectoraux dans le cadre d’une demande de première délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour ».
La dématérialisation des procédures, en particulier via l’ANEF, devait assurer une modernisation des démarches et un accès simplifié aux titres de séjour. Dans les faits, elle a entraîné une augmentation significative du nombre de documents provisoires de séjour, délivrés faute de pouvoir instruire rapidement les dossiers.
Ainsi, le nombre de documents provisoires ([26]) s’élevait à 293 441 en 2020, contre 388 030 en 2024 ([27]) , soit une augmentation de plus de 30 % en quatre ans. Dans le seul département de la Seine-Saint-Denis, 1 000 attestions de prolongation d’instruction sont délivrées chaque mois.
Or, ces documents provisoires ne permettent pas, en pratique, l’exercice effectif de l’ensemble des droits auxquels leurs titulaires devraient normalement accéder.
Si les attestations de prolongation d’instruction doivent en principe mentionner le maintien du droit au séjour et, le cas échéant, du droit de travailler, ces documents provisoires ne bénéficient pas, en pratique, du même degré de confiance de la part des employeurs ou des bailleurs, ce qui conduit fréquemment à des ruptures de droits pour leurs titulaires. Cette situation affecte également les étudiants étrangers, dont beaucoup peinent à obtenir un stage, pourtant obligatoire dans le cadre de leur formation, faute pour les organismes d’accueil de considérer ces documents temporaires comme suffisamment fiables pour formaliser une convention.
En outre, la Défenseure des droits et les associations soulignent que les documents issus de l’ANEF comportent régulièrement des mentions erronées ou lacunaires, notamment en matière de droit au travail, ce qui accroît le risque de perte d’emploi.
Ainsi, les dysfonctionnements de l’ANEF et la délivrance de documents provisoires généralisent les ruptures de droits sociaux, notamment l’interruption de prestations sociales, la perte d’emploi, l’impossibilité d’accéder à un logement, pour des personnes qui résident pourtant de manière parfaitement régulière sur le territoire.
Enfin, il convient de noter que les attestations de prolongation d’instruction ne sont pas automatiquement renouvelées lorsque le traitement de la demande dépasse leur délai de validité. Cela oblige donc l’étranger en attente de son titre à solliciter le renouvellement de l’API et à se maintenir sur le territoire sans aucun document attestant la régularité de son séjour jusqu’à l’obtention de la nouvelle attestation.
En outre, la multiplication des titres de séjour de courte durée évoquée précédemment contribue également à la précarisation des personnes étrangères. En imposant des renouvellements fréquents, ces titres maintiennent leurs titulaires dans une situation d’instabilité permanente, les contraignant à engager des démarches récurrentes sans perspective de sécurisation durable de leur droit au séjour. Cette instabilité pèse non seulement sur leur accès aux droits sociaux, mais elle nourrit également un climat d’incertitude et d’insécurité juridique.
Ces ruptures de droits, souvent imprévisibles et prolongées, s’accompagnent d’un impact psychologique significatif, documenté par les services sociaux et les associations qui constatent une augmentation des situations de détresse, d’anxiété ou de perte de repères administratifs.
Ces ruptures de droits, touchant des étrangers qui résident en France de manière parfaitement régulière, sont d’autant plus paradoxales que le taux de refus des demandes de renouvellement est extrêmement bas. En 2024, il s’élevait à 0,8 % pour les cartes de séjour pluriannuelles.
Cela est d’autant plus vrai s’agissant de la carte de résident, dont le renouvellement est de plein droit, et qui ne nécessite que des contrôles limités visant à la vérification du respect de l’ordre public et de la résidence habituelle sur le territoire. Le taux de refus de renouvellement de la carte de résident n’atteignait ainsi que 0,5 % en 2024.
Les conséquences humaines des retards de traitement des titres de séjour
Dans un rapport publié le 5 novembre dernier ([28]), Amnesty International alerte sur les ruptures de droits dues aux retards de l’administration pour traiter les demandes de renouvellement de titres de séjour. À travers plusieurs témoignages, le rapport illustre les situations individuelles critiques engendrées par ces dysfonctionnements administratifs.
Le témoignage de Nadia présenté dans le rapport est ainsi emblématique de l’impact de ces retards sur des personnes résidant régulièrement et durablement sur le territoire. Auxiliaire de vie installée en France depuis vingt-cinq ans, Nadia voit sa situation basculer en 2022, lorsque la préfecture tarde à renouveler son titre de séjour. Elle ne reçoit qu’un récépissé de trois mois, qui expire sans être remplacé. Pendant plus d’un an et demi, elle tente quotidiennement de joindre la préfecture, par téléphone, en ligne, ou en s’y présentant physiquement, mais sans convocation, l’accès lui est refusé.
Sans document lui permettant d’attester de la régularité de son séjour, elle perd son emploi, puis les aides sociales pour sa fille.
Après l’intervention d’une avocate en 2024, le tribunal administratif reconnaît la faute de l’administration. Nadia obtient un nouveau récépissé, mais le document expire avant que les démarches administratives auprès des organismes sociaux puissent aboutir, et les employeurs refusent d’embaucher une personne dont le titre n’est valable que quelques semaines.
Ce n’est qu’en avril 2025, soit près de trois ans après sa demande, qu’elle obtient une carte de séjour valable deux ans.
L’accumulation des dysfonctionnements et les cadences imposées face à l’augmentation des demandes génèrent une perte de sens importante chez les agents des services préfectoraux.
Les services instructeurs font état d’un temps administratif très important consacré à la gestion des erreurs, à la réédition de documents provisoires, à la résolution de bugs ou aux réponses aux sollicitations d’usagers démunis. Le retard pris dans l’instruction des demandes « autoalimente » par conséquent l’administration, qui doit produire des documents provisoires supplémentaires ou solliciter de nouvelles pièces.
De plus, la plateforme ANEF, construite « en silo » et dont les accès sont restreints pour les agents afin de prévenir la fraude, ne permet pas de corriger aisément les erreurs ou d’adapter l’instruction à un changement de situation : les agents sont contraints de clore un dossier pour en rouvrir un nouveau, au prix d’une perte de temps substantielle et d’une complexification inutile des chaînes de traitement. L’amélioration des accès aux fonctionnalités de l’ANEF constitue ainsi une demande très forte des agents en préfectures, qui permettrait un gain de temps substantiel pour l’administration comme pour les usagers.
Ainsi, le rapport d’information de François-Noël Buffet soulignait déjà un désarroi profond des agents, confrontés à « l’épuisement » et à la « perte de sens » face à un droit devenu illisible et à un système numérique rigide et dysfonctionnel.
Cette dégradation des conditions de travail entretient un cercle vicieux, en affectant l’attractivité des postes, ce qui provoque un turn-over accru et des vacances de postes persistantes, aggravant à leur tour les difficultés déjà existantes.
Le recours aux vacataires pour absorber les pics d’activité et pour compenser les suppressions ou vacances de postes témoigne de ces difficultés. Les services des étrangers des préfectures comptent 1 646 contractuels soit 39 % de leurs effectifs en 2024 ([29]) . Toutefois, ces contrats courts sont en contradiction avec la complexification croissante des procédures nécessitant une professionnalisation accrue.
Les dysfonctionnements de l’administration chargée du traitement des demandes de titres ont des conséquences en cascade pour de nombreuses autres administrations, notamment le service public de la justice.
Les affaires enregistrées en matière de droit des étrangers représentent 43 % de l’ensemble des requêtes présentées devant les tribunaux administratifs en 2024 et 55 % de celles introduites devant les cours administratives d’appel ([30]) . L’étude du Conseil d’État 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l’intérêt de tous, publiée en 2020, soulignait déjà que « les dysfonctionnements administratifs ont des conséquences démultipliées sur le contentieux ». Le rapport indiquait qu’une part non négligeable du contentieux des étrangers « a aujourd’hui pour seul objet de résoudre des questions purement matérielles, telles que l’accès à l’administration par l’obtention d’un rendez-vous ou le respect d’un délai », contribuant à l’allongement des délais de jugement.
Cette tendance s’est encore aggravée, comme en témoignent les alertes publiques de plusieurs tribunaux administratifs. Le président du tribunal administratif de Grenoble a ainsi dénoncé lors de l’audience solennelle de rentrée du tribunal en octobre 2025, les « blocages dans le renouvellement des titres de séjour » qui amènent devant le juge des personnes qui disposent pourtant d’un droit au séjour.
Le président du tribunal administratif de Paris, dans son allocution solennelle de rentrée 2025, a dressé le même constat : les contentieux portant sur les préalables procéduraux – accès à la plateforme numérique, dépôt impossible, absence de rendez-vous, accusés de réception défaillants – se multiplient au point que le tribunal peut être amené à statuer « cinq ou six fois » avant même qu’une décision administrative sur le droit au séjour ne soit prise. Il souligne le paradoxe d’un système dans lequel le juge doit intervenir pour garantir un droit élémentaire, celui « d’accéder à l’administration ».
La multiplication de ces recours n’est pas sans conséquence pour les finances publiques. Chaque recours entraîne potentiellement une prise en charge au titre de l’aide juridictionnelle. Par ailleurs, le retard de l’administration à exécuter les décisions juridictionnelles conduit le juge à prononcer un nombre croissant d’astreintes. Dans un rapport de mars 2025 consacré aux difficultés d’accès au droit et à la justice des étrangers, le Conseil national des barreaux met en lumière les effets préjudiciables de ce recours accru au juge, tant en termes de frais irrépétibles et de condamnations indemnitaires supportés par l’État qu’en raison du coût social considérable pour les personnes privées de leurs droits ([31]) . Le Conseil national des barreaux alerte également sur l’absence fréquente d’exécution des décisions de justice par les préfectures, portant atteinte à l’autorité de la chose jugée et aux droits des personnes concernées.
L’article unique de la proposition de loi prévoit le renouvellement automatique des cartes de séjour pluriannuelles et des cartes de résident.
Ce dispositif, qui vise à alléger les démarches des usagers, constitue une mesure de simplification administrative pour le renouvellement de ces titres de long séjour.
La commission des Lois a adopté un amendement CL17 de la rapporteure, procédant à la réécriture globale de l’article 1er afin d’y apporter des améliorations rédactionnelles.
Article 2 (nouveau)
(art. L. 811-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile)
Information de l’étranger auquel le renouvellement du titre de long séjour est refusé sur le fondement du droit de communication reconnu à l’autorité administrative
Introduit par la Commission
Résumé du dispositif introduit par la Commission
La commission des Lois a adopté un amendement CL15 de Madame Regol portant article additionnel afin de prévoir l’information de l’étranger dont le renouvellement de la carte de séjour pluriannuelle ou de la carte de résident est refusé après que l’administration a exercé son droit de communication auprès des personnes morales mentionnées à l’article L. 811‑4 du CESEDA.
L’article L. 811‑3 du CESEDA permet la transmission à l’autorité administrative compétente des informations nécessaires à la vérification de la sincérité des déclarations et de l’authenticité des pièces produites à l’appui d’une demande de délivrance ou de renouvellement d’un titre de séjour. L’article L. 811-4 détermine les personnes publiques et privées auprès desquelles ce droit de communication peut être exercé ([32]) .
L’article L. 811-5 précise que, lorsqu’elle envisage de retirer une carte de séjour sur le fondement d’informations ou de documents obtenus en application du droit de communication, l’autorité administrative doit informer l’étranger de la nature et de l’origine de ces éléments. Elle doit également communiquer une copie de ces documents à l’intéressé s’il en fait la demande.
L’amendement CL15 de Madame Regol adopté par la Commission dispose que l’obligation d’information de l’étranger prévue à l’article L. 811-5 du CESEDA s’applique également lorsque l’autorité administrative envisage de refuser le renouvellement d’une carte de séjour pluriannuelle ou d’une carte de résident sur le fondement des informations obtenues dans le cadre du droit à communication de l’article L. 811-3 du CESEDA.
Lors de sa première réunion du mercredi 3 décembre 2025, la Commission commence l'examen de la proposition de loi visant à garantir un renouvellement automatique des titres de séjour de longue durée (n° 1799) (Mme Colette Capdevielle, rapporteure).
Lien vidéo : https://assnat.fr/7xBrqF
M. le président Florent Boudié. Ce texte a été déposé par la présidente Keloua Hachi le 16 septembre dernier.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Permettez-moi tout d’abord de rendre hommage à Fatiha Keloua Hachi, instigatrice et auteure de cette proposition de loi pertinente, réaliste et pragmatique qui vise à rendre automatique le renouvellement des cartes de séjour pluriannuelles et des cartes de résident. Si la circonscription de notre collègue est dramatiquement concernée par cette question, nos auditions ont montré que toutes les préfectures se trouvaient en grande difficulté.
Cette proposition de loi résulte d’un état des lieux qu’il sera difficile de contester car il est particulièrement objectivé. Le régime du séjour est fragmenté et repose sur une multiplicité de titres qui doivent être fréquemment renouvelés. L’architecture des titres de séjour est particulièrement complexe, notamment les modalités de leur demande et de leur renouvellement. Les services des étrangers des préfectures sont totalement saturés, non seulement par manque de moyens humains et matériels, mais aussi à cause de la brièveté des titres et d’une complexité accrue des procédures. Les préfectures de la grande couronne parisienne et des métropoles du pays sont les plus exposées. Les délais d’obtention des titres ne cessent de s’allonger. L’administration n’est plus en mesure d’assurer à chacun une situation claire et se trouve fort éloignée de sa promesse « Dites-le nous une fois » : il faut le lui dire x fois !
Le rapport de la sénatrice Cécile Cukierman sur la mission Administration générale et territoriale de l’État du projet de loi de finances pour 2026 est éloquent : il souligne que les délais de traitement des demandes de titre de séjour ont augmenté de 27 % en 2024 pour les premières demandes et de 25 % pour les renouvellements. Cette tendance ne fera que s’aggraver sous l’effet des dispositions de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. L’empilement de réformes élaborées sans vision d’ensemble a créé un régime juridique illisible et incompréhensible, qui pèse sur la capacité des préfectures à appliquer la norme de manière uniforme. Voilà où nous mènent les tours de vis successifs votés pendant des années. L’inflation normative multiplie les cas particuliers, les régimes dérogatoires et les conditions propres à chaque catégorie de titre, rendant l’instruction des dossiers plus longue, plus technique et plus exposée aux risques d’erreurs. L’administration amplifie le mouvement en étant sujette à un délire de l’excès de validation. L’amoncellement des textes impose aux agents une expertise juridique toujours plus fine, sans que les moyens ou la formation suivent en conséquence.
La complexité du cadre légal contribue directement à la dégradation des délais de traitement et aggrave les tensions pesant sur les services instructeurs. Les conditions de déploiement de la dématérialisation des procédures et les nombreux dysfonctionnements affectant les téléservices empêchent tout bénéfice pour les usagers. Lors de son audition, la Défenseure des droits nous a informés que 40 % des saisines qu’elle recevait concernaient des demandes de renouvellement de titres de séjour, qu’ils soient pluriannuels ou de résident
La Défenseure des droits a également mis en évidence des dysfonctionnements structurels qui affectent le renouvellement des titres de séjour et qui entraînent des ruptures de droit pour les usagers, ce à quoi s’ajoutent une information et un accompagnement insuffisants. Personne ne peut nier que ces problèmes et ces procédures kafkaïennes génèrent pour les personnes étrangères qui séjournent régulièrement sur le territoire français des ruptures de droit aux effets catastrophiques en termes d’emploi, de logement, d’études ou de stage. En outre, les attestations de prolongation d’instruction ne sont pas automatiquement renouvelées lorsque le traitement de la demande dépasse la durée de validité du titre de séjour. Les agents des préfectures souffrent au travail : ils ont beaucoup de mal à trouver du sens dans l’accomplissement de leur mission de service public. Enfin, l’embolisation des services préfectoraux a pour autre grave conséquence l’encombrement et le coût pour la collectivité de la saisine des tribunaux administratifs. Les magistrats ont récemment lancé l’alerte à ce sujet. Le juge doit intervenir pour garantir un droit élémentaire, celui d’accéder à l’administration. Voilà où nous en sommes ! Cette situation ne peut plus durer.
C’est pour mettre fin à cette injustice silencieuse que le groupe Socialistes et apparentés a déposé cette proposition de loi instaurant le renouvellement automatique des titres de séjour. Ce texte n’accorde aucun privilège ni ne crée aucun nouveau droit. Il concerne celles et ceux qui ont choisi de vivre paisiblement et de travailler ici. La République se doit de traiter chacun avec dignité et de manière égale. Tel est le sens de la proposition de loi.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Jonathan Gery (RN). La proposition de loi peut être résumée en deux points. Tout d’abord, elle érige en principe le bien-fondé du renouvellement automatique d’un titre de séjour de longue durée et, par voie de conséquence, met à la charge de l’administration l’apport de la preuve que le titre ne doit pas être délivré une nouvelle fois. Ensuite, elle traduit dans la procédure l’idée que la France ne doit plus, ou en tout cas moins exercer sa souveraineté dans le contrôle de l’admission et du maintien au séjour dans le territoire national.
Aussi ce texte repose-t-il sur deux postulats. Le premier est que l’immigration est un programme. Le second est que l’engorgement des préfectures et des services de l’État est lié à son devoir de contrôle des situations des demandeurs. Le sous-entendu est qu’il n’y a pas trop d’étrangers en France mais qu’il y a trop de procédures qui les empêchent de bénéficier des mêmes droits que les citoyens.
Sans qu’il soit besoin de décortiquer davantage l’idéologie des promoteurs du texte, nous comprenons que son article unique ouvre, malgré son apparence innocente, une boîte de Pandore migratoire, qu’il détricote le pouvoir d’appréciation de l’administration et envoie un très mauvais signal aux associations immigrationnistes accros aux recours contentieux.
Au Rassemblement national, nous tenons une ligne claire et si nous formons le premier groupe politique de cette assemblée, c’est pour la raison simple que les Français ne veulent plus subir cette immigration imposée par leurs dirigeants de gauche et du bloc central. En réalité, les Français se situent sur la même ligne que le communiste Georges Marchais, qui déclarait publiquement le 9 janvier 1981 qu’il fallait « stopper l’immigration officielle et clandestine ».
C’est le moment de donner quelques éléments de contexte pour bien caractériser la submersion migratoire que notre pays connaît et qu’il ne peut plus assumer. En 2024, 3 millions de visas ont été délivrés ; la même année, la primo-délivrance de titres de séjour a atteint 340 000 documents. À la fin de l’année dernière, plus de 4 millions de ressortissants étrangers étaient titulaires d’un titre de séjour provisoire. Pour les seuls titres de longue durée, 300 000 visas de long séjour ont été délivrés en 2024 contre 150 000 il y a cinq ans, soit une augmentation de 92 %. Sans surprise, les principaux pays d’origine sont le Maroc, la Tunisie et l’Algérie, pays qui ne coopèrent pas pour l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF) et dont les ressortissants contribuent bien plus à gonfler les effectifs des prisons que le PIB.
Près de 500 000 étrangers entrent légalement chaque année : si je rapporte ce chiffre à ma région Auvergne-Rhône-Alpes, c’est comme si la France accueillait chaque année la population de la Drôme ou celle de l’Allier et de la Haute-Loire réunis.
Les Français, qui sont 80 % à estimer qu’il ne faut pas accueillir davantage de migrants, peuvent compter sur Marine Le Pen et Jordan Bardella pour défendre une ligne claire. Le Rassemblement national redit que l’immigration que nous subissons n’est pas une chance pour la France. L’immigration massive et dérégulée fait le jeu des passeurs en plus d’être un gouffre financier pour l’État, lequel déverse des milliards d’euros chaque année pour accueillir des étrangers extra-européens dont environ 50 % ne travaillent pas alors qu’ils ont l’âge d’être actifs. Nous affirmons avec force et sérénité que l’immigration n’est pas un projet et que la France doit recouvrer sa souveraineté et décider qui entre et qui n’entre pas.
Face à cette proposition de loi qui ne peut être autre chose qu’une provocation, le groupe Rassemblement national remplira son rôle et s’opposera à son adoption.
Mme Laure Miller (EPR). Il n’est sans doute pas un seul membre de cette commission ni même de cette assemblée qui n’ait été interpellé par des administrés en plein renouvellement de titre de séjour, cherchant désespérément un rendez-vous en préfecture ou tentant simplement d’obtenir que leur dossier, pourtant déposé dans les temps, soit traité avant que le délai légal n’arrive à son terme. Nous connaissons toutes et tous ces situations.
Le système actuel peut placer des personnes de bonne foi, installées depuis longtemps dans notre pays, parfaitement insérées et n’ayant rien à se reprocher, dans une irrégularité qui ne doit rien à leur comportement ou à leur situation réelle mais tout à la lenteur des procédures administratives. Ces personnes se retrouvent plongées dans une insécurité juridique lourde et éprouvante. Il est de notre responsabilité collective de réfléchir à une manière plus juste et plus efficace d’instruire ces renouvellements.
Pour autant, l’automaticité du renouvellement des cartes de séjour de quatre ans ou des cartes de résident de dix ans ne saurait constituer à nos yeux une réponse pertinente. Je laisserai de côté la tonalité inutilement polémique de l’exposé des motifs de la proposition de loi : cette entrée en matière éloigne le débat de ce qu’il devrait être, à savoir une réflexion apaisée, rigoureuse et respectueuse sur les conditions d’un séjour légal en France. Les affirmations sur les carences de l’État ou la prétendue indifférence de l’administration ne rendent pas justice au travail des préfectures ni à la complexité réelle des enjeux migratoires. Elles servent davantage à dresser des procès d’intention qu’à proposer des solutions opérationnelles. C’est précisément pour cela que je souhaite en revenir au fond et expliquer pourquoi le groupe Ensemble pour la République s’opposera à cette initiative.
Tout d’abord, la proposition de loi entre en contradiction directe avec les principes qui structurent le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Ce dernier prévoit clairement que, sauf exception, le renouvellement d’un titre de séjour suppose que l’étranger démontre qu’il continue de remplir les conditions qui ont justifié sa délivrance initiale et qu’il apporte la preuve de sa résidence habituelle en France. Autrement dit, le renouvellement n'est jamais automatique, il exige un acte positif du demandeur et un contrôle effectif de l’administration. En supprimant cette étape, on renverse la logique du dispositif : ce serait à l’État et non plus au demandeur de prouver que les conditions ne seraient plus remplies.
Cette inversion de la charge de la preuve affaiblirait considérablement l’efficacité de l’action administrative, en particulier lorsqu’il s’agit de prévenir les atteintes à l’ordre public. Elle soulève également des interrogations sur la charge de travail, déjà très lourde, et l’organisation des préfectures. Ainsi, depuis le début 2025, près de 2 500 renouvellements ont été refusés pour des raisons relatives à la préservation de l’ordre public. Ce chiffre n’a rien d’anecdotique : dans le système proposé, ces titres auraient été automatiquement renouvelés, sans contrôle préalable, avant d’être éventuellement retirés sans que l’on sache sur quelle base puisque le texte est muet sur ce point. Cette façon de procéder ne semble pas la plus efficace, surtout dans le contexte actuel.
Il est donc indispensable que l’État conserve pleinement la maîtrise du contrôle préalable au renouvellement, y compris pour les titres de longue durée. Nous n’ignorons pas les situations humaines qui ont été évoquées : elles existent, elles nous touchent et elles appellent des réponses. Néanmoins, celles-ci doivent respecter le cadre juridique et les impératifs de sécurité. On pourrait imaginer de simplifier davantage la procédure pour les cartes de résident de dix ans, ou de créer un guichet dédié pour traiter plus rapidement les dossiers les moins complexes : ce sont des pistes de réflexion, et il y en a d’autres.
Si la préoccupation qui inspire la proposition de loi est légitime, l’automaticité du renouvellement n’est pas la bonne voie. Elle constituerait même, à bien des égards, une réponse inadaptée à un problème réel. Voilà pourquoi notre groupe votera contre ce texte.
M. Thomas Portes (LFI-NFP). Depuis 2017, la Macronie a fait du droit des étrangers une véritable fabrique de l’illégalité. L’exécutif a délibérément transformé l’accès au séjour en parcours du combattant. Les démarches sont de plus en plus longues, complexes et chères. Une demande de renouvellement de titre de séjour coûte 225 euros, soit vingt-cinq heures payées au smic. La Défenseure des droits a enregistré en trois ans une hausse de 233 % des réclamations relatives aux demandes de titre de séjour, fondées très majoritairement sur un délai d’instruction excessif.
Une personne peut déposer une demande de renouvellement quatre mois avant l’expiration de son titre ; or les délais d’instruction dépassent souvent un an, et les difficultés pour obtenir des justificatifs temporaires sont avérées. L’absence de renouvellement brise les vies comme les élans de solidarité. Il y a moins d’un mois, je suis intervenu en faveur de la régularisation d’un jeune homme de 26 ans qui avait désarmé un individu avec un couteau dans le RER D en 2021. Faute de renouvellement, il risque d’être licencié et expulsé. Dans ma circonscription, à Noisy-le-Grand, en Seine-Saint-Denis, les habitants subissent des pertes de droit et d’emploi, des mesures d’éloignement. Un habitant a déposé dans les temps sa demande de renouvellement : l’avis a été favorable, mais le rendez-vous pour retirer son document n’a été octroyé que plusieurs mois plus tard, au-delà du délai d’expiration ; il a dû déposer un nouveau dossier et, sans récépissé, a basculé dans l’irrégularité et a perdu son emploi et ses droits. Et sur la misère, le capitalisme prospère : des marchands piratent les sites des préfectures et revendent les rendez-vous jusqu’à 200 euros, bloquant ainsi l’accès à un service public supposé gratuit.
La simplification administrative proposée est la bienvenue pour alléger les démarches de millions de personnes tenues de renouveler leur titre de séjour chaque année, en reportant sur l’administration la charge de s’y opposer. La personne en possession d’un titre pluriannuel a déjà démontré qu’elle avait en France un emploi ou une famille, ou qu’elle avait fait des études. Les agents des préfectures que nous avons auditionnés le disent clairement, les refus de renouvellement sont extrêmement marginaux – en Seine-Saint-Denis, 0,4 % en 2024 pour les cartes de résident. Le renouvellement automatique empêcherait de nombreuses personnes de tomber dans l’irrégularité du fait de délais ou de refus abusifs. Nous voterons évidemment en faveur de cette proposition de loi.
Cachés derrière l’excuse de la surcharge ou de l’erreur administratives, ce sont bien les macronistes qui bafouent les droits des étrangers. Les ministres successifs agitent un chiffon rouge : une submersion de migrants ferait exploser le nombre de demandes. C’est faux ! Selon les chiffres du ministère de l’intérieur lui-même, la croissance du nombre de renouvellements n’est que de 1 %. Ce qui a terriblement augmenté, c’est la vague de répression et de harcèlement qui touche les étrangers : les expulsions sont en hausse de 30 % et les interpellations de 20 %. La France est devenue championne d’Europe des OQTF : elle en délivre douze fois plus que l’extrême droite de Meloni en Italie. Lorsqu’il s’agit d’éloigner des étrangers, il n’y a aucun problème pour mobiliser des agents : en Seine-Saint-Denis, les OQFT occupent 7 % de leur temps.
Ce qui bloque, c’est la surenchère législative et l’obsession xénophobe : 119 lois sur l’immigration ont été promulguées depuis 1945, soit un texte tous les dix-huit mois. Darmanin, Retailleau et Macron ont drastiquement durci l’accès au séjour et à la nationalité, allongeant à l’infini les démarches et les conditions à remplir : examen civique de niveau bac + 5, rehaussement du niveau de langue requis, multiplication des motifs d’expulsion aux contours flous comme le non-respect des principes de la République ou le risque de trouble à l’ordre public. Les services de l’intérieur traquent les bonnes raisons de refuser le séjour, jusqu’à y mêler les taux de présence ou les sommes de pensions versées pour les parents d’enfants français. Pour un étudiant, il ne suffit plus d’étudier : le redoublement est parfois synonyme d’expulsion. L’étranger est perçu comme une menace, décrit comme un danger, traité comme un sous-citoyen.
Il est urgent de se mobiliser pour la défense des droits des étrangers. Cela implique, entre autres, de refuser un projet de loi de finances qui taxe le droit à la nationalité et les titres de séjour. Cela implique aussi de censurer un gouvernement qui fait du droit des étrangers une variable d’ajustement.
Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Karelle, étudiante en master 2 d’informatique, attend le renouvellement de son titre de séjour depuis trois mois : elle ne va plus à l’université. Maria, elle, attend son titre depuis le 6 septembre : elle est empêchée de retourner au travail. Zora est assistante maternelle : elle a cessé de travailler depuis qu’elle est en situation irrégulière du fait des délais de traitement de son dossier par la préfecture. Milan, Landry, Cristaline, Omar, Alessia, Issam, Charles, Patrick, Tanina et tant d’autres, habitants de ma circonscription, m’ont tous contactée depuis ma réélection en juillet 2024 pour évoquer leurs difficultés à obtenir le renouvellement de leur titre de séjour.
La situation est la même dans vos territoires. Selon Amnesty International, des milliers de personnes subissent chaque année les conséquences des délais de traitement excessifs des dossiers dans les préfectures. Ces lenteurs administratives plongent dans la précarité des hommes et des femmes installés depuis de nombreuses années dans notre société, qui ont, pour presque la totalité d’entre eux, construit ici leur vie et fondé leur famille. Ils contribuent pleinement à la vie sociale et économique de notre pays, monsieur Gery : le texte, que vous n’avez peut-être pas lu, concerne le renouvellement de titres de long séjour de personnes qui vivent depuis longtemps en France et qui y sont intégrées.
J’aimerais rappeler que les titulaires d’un titre de séjour de longue durée ne sont pas des nouveaux arrivants sur notre territoire : ils vivent ici depuis longtemps et sont, avec nous, le visage de la France. Pourtant, le renouvellement d’un simple titre demande six mois d’attente, voire une année entière dans certains départements comme le mien. La complexité de la procédure a créé une véritable embolie dans les préfectures, tandis que la multiplication des motifs d’obtention des titres rend leur délivrance plus longue et difficile.
Rien ne justifie ces procédures interminables. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les refus de renouvellement sont extrêmement rares. Prenons l’exemple de mon département, la Seine-Saint-Denis : en 2024, la préfecture a prononcé 14 000 décisions favorables et seulement 48 refus. C’est pour gérer ces 48 malheureux dossiers, soit moins de 0,5 % des demandes, que l’ensemble du système est ralenti au détriment des milliers de personnes qui, elles, remplissent toutes les conditions.
La nécessité de réformer le Ceseda fait consensus parmi l’ensemble des acteurs du droit des étrangers. La proposition de loi de Mme Capdevielle a le mérite de mettre ce sujet essentiel à l’ordre du jour.
Elle introduit trois avancées majeures. D’une part, elle simplifie la démarche : grâce au renouvellement automatique, les demandeurs n’auront plus à présenter un nombre massif de documents inutiles. D’autre part, elle évite de mobiliser les agents pour des renouvellements dont la majorité ne soulève aucune difficulté, et permet de concentrer les moyens sur les situations réellement complexes. Enfin, elle sécurise les parcours des personnes concernées.
M. Éric Pauget (DR). Nous sommes contre le titre de séjour à vie. Comment pourrions-nous décemment accepter un renouvellement automatique des titres de séjour des étrangers quand, chaque année, 14 millions de Français sont encore contraints de déposer une demande de renouvellement de leur carte d’identité ou de leur passeport ? C’est impossible.
Derrière l’intention de simplification administrative affichée par ses auteurs, la proposition de loi aurait des effets considérablement dangereux sur notre politique migratoire et sur la capacité de l’État à contrôler, suivre et garantir la conformité des situations administratives des personnes étrangères présentes sur le sol français. Je le dis avec gravité : supprimer toute vérification régulière des conditions de séjour, c’est affaiblir un pilier de notre souveraineté. Rendre automatique ce qui doit être contrôlé, c’est ouvrir la porte à des dérives, des fraudes, et créer un appel d’air pour l’immigration qui mènera à un affaiblissement de l’État. Créer un droit automatique, c’est défaire la logique même du séjour régulier, qui repose sur un contrôle continu des conditions légales. D’ailleurs, qui parmi vous a déjà vu sa carte d’identité et son passeport être renouvelés automatiquement ? Personne. Le renouvellement automatique des titres de séjour des étrangers irait à l’inverse des exigences posées à nos concitoyens français ; il serait dangereux pour la crédibilité et la sécurité de notre politique migratoire.
En tout, 2,7 millions de titres de séjour sont en circulation dans notre pays, et près de 600 000 renouvellements sont traités annuellement par les préfectures. Cela représente un travail considérable, mais surtout un travail nécessaire.
Ce travail est nécessaire d’abord pour notre sécurité, alors que 15 000 renouvellements sont refusés chaque année pour menace à l’ordre public et condamnation pénale. Avec ce texte qui désarme l’État, l’administration ne détecterait plus les demandes de titres de séjour déposées par les étrangers fichés S, condamnés ou radicalisés.
Il est nécessaire ensuite pour lutter contre la fraude aux titres de séjour, sachant que 12 % des demandes de renouvellement révèlent des cas de faux documents ou de mariage blanc, ou encore la perte des conditions initiales. Sans vérification systématique, comment pourrons-nous savoir si les étrangers remplissent les conditions de stabilité du séjour, de ressources suffisantes ou de respect de l’intégration républicaine lors du renouvellement de leur titre ?
Ce travail est nécessaire enfin pour répondre aux attentes fortes de 80 % de nos concitoyens, qui nous demandent de renforcer les contrôles plutôt que de faciliter les autorisations. Cette proposition de loi constitue un contresens politique et institutionnel : au moment où nos concitoyens attendent plus de fermeté, plus de contrôle et plus de clarté dans notre politique migratoire, elle va exactement dans la direction opposée.
Vous l’aurez compris, le groupe Droite républicaine est résolument contre cette automaticité aveugle et dangereuse. La solution n’est pas de supprimer les contrôles mais de les améliorer par nos procédures, nos moyens humains et nos outils numériques. Simplifier ne veut pas dire automatiser sans discernement et ne doit pas conduire à abandonner le contrôle. La simplification doit rester compatible avec la souveraineté migratoire de la France.
En conclusion, le renouvellement n’est pas une simple formalité administrative. C’est le moment d’une vérification indispensable, qui doit protéger l’équilibre entre humanité, responsabilité et fermeté. Nous devons être cohérents. Une politique migratoire crédible suppose un suivi sérieux et des conditions à respecter dans la durée. Automatiser, c’est renoncer à cette crédibilité. La droite républicaine est contre le titre de séjour à vie ; elle défend une immigration sélective, maîtrisée, conditionnée par l’intégration et le respect des devoirs envers la nation.
Pour toutes ces raisons, mon groupe s’oppose fermement à cette proposition de loi qui affaiblit l’État, nuit à la cohésion nationale et va clairement à rebours des attentes et des intérêts des Français.
Mme Sandra Regol (EcoS). Ce texte apporte des éléments pratiques et pragmatiques. Or notre assemblée en appelle souvent au bon sens et au pragmatisme.
La réalité est dans les chiffres : ceux des préfectures, qui n’arrivent pas à traiter les demandes dans des délais corrects, ou ceux des tribunaux administratifs, qui ressentent un mal-être croissant à devoir constamment annuler les décisions des préfectures pour non-respect des délais et des droits des personnes. C’est kafkaïen et ubuesque – d’ailleurs, monsieur Pauget, vos collègues sénateurs ont reconnu il y a quelques années, par la voix de M. Buffet, que cela ne pouvait pas durer. Je m’étonne aussi du mépris que vous manifestez pour les fonctionnaires des préfectures, qui représentent l’État dans les territoires et qui souffrent d’une surcharge de travail inutile.
Vous appelez sans cesse à serrer la vis dans la délivrance de titres à des personnes extérieures à l’Europe. Or nous parlons ici de personnes qui ont prouvé leur apport à l’économie française, à la vie du pays, à la vie associative. Je m’interroge sur votre connaissance des tissus économiques locaux et nationaux, car ces personnes sont recherchées pour leur savoir-faire dans le secteur médical, l’hôtellerie, la restauration et encore l’agriculture. Les patrons en ont besoin.
Les changements proposés par le texte sont nécessaires mais non suffisants. Ils nous permettront de ne plus être un pays qui humilie des personnes qui vivent sur son sol parfois depuis des dizaines d’années, contraintes d’attendre un rendez-vous pendant des heures, la nuit, au détriment de leur vie, de leur santé et de leur travail. Ils nous permettront de lutter contre l’épuisement du personnel des préfectures et des tribunaux. Automatiser, c’est montrer que la France est une démocratie qui fonctionne, une république, et non un pays de seconde zone incapable de traiter des questions administratives.
Au reste, les mesures prévues par le texte sont déjà plus ou moins appliquées, de façon inégale selon les préfectures – car en définitive, les agents doivent bien arriver à faire leur travail. J’appelle ceux d’entre vous qui s’y opposent à mesurer la situation impossible dans laquelle sont placés les agents des préfectures, qui relèvent souvent des dernières catégories de l’administration française, qui sont sous-payés et qui effectuent un travail colossal. Vous faites bien peu de cas de tous ces gens – sans même parler du respect que vous avez pour les droits humains. En gros, vous n’aimez pas beaucoup nos professionnels ni les personnes qui font fonctionner notre économie, et vous refusez de prendre des mesures basiques pour nous permettre d’avancer ensemble. Vous l’aurez compris, le groupe Écologiste votera ce texte avec plaisir et œuvrera à son amélioration dès que possible.
M. Éric Martineau (Dem). Nous tenons à saluer l’intention qui anime les auteurs de la proposition de loi. Nous partageons tous ici le même constat, celui d’une administration trop souvent engorgée et de délais qui peuvent placer les étrangers en situation régulière dans une incertitude préjudiciable. L’objectif de simplifier et de fluidifier est donc louable et nécessaire.
Si nous vous rejoignons sur le diagnostic, notre groupe exprime toutefois de sérieuses réserves quant à la solution technique que vous proposez. Nous craignons qu’en voulant simplifier les procédures, le texte ne fragilise l’équilibre du droit des étrangers.
Il touchera d’abord à la nature même du titre de séjour. Vous voulez supprimer le contrôle essentiel exercé par l’administration à chaque échéance pour vérifier que la présence de la personne de nationalité étrangère sur le territoire reste conforme aux règles prévues par la loi. Sans ce rendez-vous régulier, l’administration perdra une part importante de sa capacité de suivi et de contrôle.
Le renouvellement des titres permet également de vérifier que la personne n’est pas une menace pour l’ordre public, n’a pas été impliquée dans des faits graves – violences, radicalisation, délinquance aggravée – et n’a pas commis de fraude documentaire. C’est un point fondamental : l’administration doit pouvoir refuser un renouvellement à une personne qui présente des comportements incompatibles avec une présence en France. Ces exigences sont incontournables.
Sous couvert de simplification, le texte opère un renversement complet de la charge de la preuve. Aujourd’hui, le demandeur doit démontrer qu’il demeure éligible à son titre. Si la proposition de loi était adoptée, l’administration devrait justifier son éventuelle opposition à un renouvellement automatique. Cela constituerait une rupture nette avec l’architecture même de notre droit.
Veillons aussi à la cohérence législative. Votre texte va à rebours des principes et des mécanismes de la loi de 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration. Il en neutralise deux piliers centraux. Le premier est l’exigence de maîtrise du français, attestée par un niveau A2 pour les cartes pluriannuelles et B1 pour les cartes de résident. Cette exigence essentielle à l’intégration deviendrait inopérante. Le second est le contrôle du respect des principes républicains. Le contrat d’engagement républicain, qui permet de refuser ou de retirer un titre en cas de rejet de ces principes, perdrait toute portée si le renouvellement était présumé favorable.
Par ailleurs, la loi de 2024 facilite la levée des protections en cas de menace à l’ordre public. Si la procédure devenait automatique, il suffirait d’un contrôle manqué pour que le titre soit renouvelé, créant un droit acquis qu’il serait très lourd, sur le plan juridique et administratif, de retirer ultérieurement.
Je m’interroge enfin sur la faisabilité opérationnelle de la mesure. Le texte prévoit que l’administration conserve la possibilité de s’opposer au renouvellement, mais en pratique, comment faire ? Cela impliquerait qu’elle puisse détecter en temps réel, de sa propre initiative, chaque changement de situation, chaque déménagement et chaque trouble à l’ordre public. Or elle ne dispose pas d’outils suffisamment interconnectés pour assurer cette veille permanente.
Nous comprenons la volonté de désengorger les préfectures : c’est un chantier nécessaire. Mais la réponse ne saurait résider dans la suppression des contrôles. Réformer, simplifier, sécuriser, oui, mais pas dans ces conditions. Le groupe Les Démocrates votera contre ce texte qui soulève des difficultés juridiques et opérationnelles trop importantes.
M. Laurent Marcangeli (HOR). Cette proposition de loi touche à une question éminemment régalienne, celle du contrôle de la présence des étrangers sur notre territoire. Elle interroge notre conception de la souveraineté et du rôle de l’État dans la régulation des flux migratoires et la maîtrise de nos frontières. Le groupe Horizons & indépendants estime que le droit, en particulier dans ce domaine, ne peut être modifié avec légèreté.
Aujourd’hui, l’état du droit est clair : les cartes pluriannuelles sont valables quatre ans au maximum, et les cartes de résident dix ans. Une fois le titre arrivé à échéance, une demande de renouvellement doit être formulée. Cette procédure n’est pas une inutile formalité administrative : il s’agit d’un acte de contrôle de l’État, dans le cadre de ses prérogatives régaliennes, qui permet de vérifier que la personne respecte toujours les critères établis, qu’aucune décision de justice ou d’éloignement ne s’oppose à son maintien sur le territoire et qu’elle souhaite véritablement y demeurer.
La proposition de loi qui nous est soumise risquerait, si elle était adoptée, de porter atteinte à l’ordre public. Elle vise en effet à automatiser le renouvellement des titres de séjour en faisant d’un titre temporaire une autorisation de séjour à durée indéfinie. Cela représente un changement de nature du droit des étrangers. Ce texte représente aussi, d’une certaine manière, un renoncement au droit de l’État de décider qui peut ou non rester sur notre territoire. Je le dis très simplement : ce renoncement, le groupe Horizons & indépendants n’y consentira pas.
Le texte soulève une question très simple : souhaitons-nous garantir à tous les étrangers en situation régulière sur notre territoire un renouvellement automatique de leur titre de séjour, étrangers parmi lesquels figureront inévitablement des personnes susceptibles de ne pas respecter nos lois et donc le pays ? Notre réponse est non. Il y va du respect de l’ordre public, de la sécurité et même de la justice à l’égard des étrangers qui, eux, dans leur grande majorité, respectent scrupuleusement notre droit.
En outre, votre texte créerait, nous semble-t-il, une situation aberrante où des personnes qui ne souhaitent même pas rester sur notre territoire recevraient tout de même un titre de séjour. Cela constituerait une démission pure et simple de l’État dans l’une de ses missions. Nous pensons au contraire que le système actuel fonctionne – dès lors qu’il est appliqué, rappelons-le. Des crédits supplémentaires seraient évidemment souhaitables afin d’accélérer le traitement des demandes de titres de séjour en préfecture, mais nous pensons que les règles actuelles permettent de protéger nos intérêts souverains et d’assurer un traitement juste et lisible pour ceux qui souhaitent s’intégrer dans notre pays.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera contre la proposition de loi.
M. Paul Molac (LIOT). De quoi parlons-nous, en somme ? De gens qui tombent dans l’irrégularité et deviennent des hors-la-loi simplement parce qu’on n’a pas renouvelé leur titre de séjour. Ils ont fait les choses en temps et en heure, mais l’administration n’a pas été capable de suivre. Ils restent en situation régulière dans les trois mois qui suivent l’expiration de leur titre et doivent ensuite demander trois mois supplémentaires – c’est pourquoi j’ai déposé un amendement visant à porter d’emblée cette durée à six mois.
De qui s’agit-il ? On a voulu nous faire croire que tous ces gens venaient d’Afrique du Nord ; c’est le cas pour certains, mais dans le lot, il y a aussi des Britanniques ou des Canadiens. Ce sont des gens qui viennent de partout dans le monde, qui travaillent, paient leurs impôts, bien souvent sont mariés et ont des enfants : on les met dans l’illégalité et ils doivent arrêter de travailler. C’est gaguesque. Des employeurs me téléphonent parfois parce qu’il s’agit d’un salarié dont ils ont vraiment besoin, un chauffeur par exemple, qui ne peut plus venir au travail car son titre n’a pas été renouvelé dans les temps. Le ministre Gérald Darmanin a d’ailleurs indiqué que même des députés du Rassemblement national lui demandaient de régulariser certains étrangers dont nous avons besoin qu’ils travaillent – preuve d’ailleurs qu’ils tiennent deux discours.
Nous devons faire en sorte que les gens travaillent, vivent de leur travail et puissent s’intégrer. Le renouvellement automatique est donc une mesure de bon sens – à moins qu’on ne veuille payer des fonctionnaires à traiter tout cela, en nous demandant dans le même temps de faire des économies ! Oui, c’est une question de bon sens, en particulier pour les personnes qui ont déjà une carte de résident de dix ans et qui ont donné toute satisfaction. Et je rappelle que, de toute façon, l’administration peut retirer un titre de séjour à tout moment en cas de problème.
M. Édouard Bénard (GDR). La proposition de loi qui nous est soumise va dans le bon sens, pour plusieurs raisons.
Premièrement, le renouvellement d’un titre de séjour représente un coût élevé pour la population concernée : le demandeur doit s’acquitter d’une taxe de 200 euros et d’un droit de timbre de 25 euros tous les ans, tous les deux ans ou tous les quatre ans, selon la durée de son titre, auxquels s’ajoutent les frais de dossier, de traduction, de certification de copie conforme de certains documents et j’en passe. Ces taxes constituent une manne financière illégitime pour l’État, car elles pèsent sur une population déjà fortement précarisée. Selon le rapport de la mission d’information de l’Assemblée nationale relative à la taxation des titres de séjour de 2019, leur montant se situe dans la fourchette haute des tarifs européens. Automatiser le renouvellement des cartes de séjour pluriannuelles ou d’une carte de résident valable dix ans est donc une mesure de justice sociale.
Deuxièmement, cette simplification administrative est bienvenue alors que les préfectures sont engorgées et que le parcours des demandeurs se dégrade. Bien qu’elles aient respecté les démarches et les délais, de nombreuses personnes qui résident et travaillent légalement sur le territoire français se heurtent à des délais de traitement anormalement longs, à l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous ou à l’absence de réponse de l’administration préfectorale. Ces lenteurs – ou entraves – administratives ont des conséquences sociales graves : impossibilité d’obtenir ou de conserver un emploi, de signer un bail, de percevoir des aides sociales, voire de renouveler une assurance maladie. Ces situations plongent des salariés, des étudiants et des familles dans une précarité insupportable alors même qu’ils vivent, travaillent ou étudient dans notre pays depuis des années.
Troisièmement, en plus d’être une entrave aux droits des usagers, ces dysfonctionnements alourdissent la charge de travail des agents des services des étrangers des préfectures. La timide augmentation des équivalents temps plein adoptée en commission ne saurait combler le manque de personnel dédié à la délivrance des titres. Comme l’indique le bleu budgétaire du programme 354 : « Il est constaté depuis 2021 une hausse continue de la demande de titres de séjour, en primo-délivrance et en renouvellement, qui entraîne une charge de travail significative pour les préfectures entraînant une dégradation constante des délais de traitement des demandes. […] Les moyens en effectifs ont certes été importants mais n’ont pas permis de suivre la hausse de la demande de titres. » La dégradation des services préfectoraux touche y compris les personnes qui souhaitent renouveler leur carte de séjour pluriannuelle ou leur carte de résident valable dix ans.
Pour toutes ces raisons, le groupe GDR votera en faveur de la proposition de loi.
Mme Hanane Mansouri (UDR). Vous proposez d’instaurer un renouvellement automatique des titres de séjour de longue durée. Certes, notre système est à bout de souffle. En 2024, près de 900 000 titres de séjour ont dû être renouvelés. Les préfectures sont saturées, les files d’attente physiques et numériques s’allongent, et les dysfonctionnements de la plateforme Anef provoquent des ruptures de droits massives. Mais votre réponse n’est pas la bonne.
Pour traiter un dysfonctionnement administratif, vous proposez une solution idéologique : supprimer le contrôle, renverser la charge de la preuve, considérer que tout renouvellement doit devenir automatique sauf si l’État parvient à démontrer qu’il doit être refusé. En 2024, le taux de refus de renouvellement des titres de séjour de longue durée était déjà infime : 0,8 % pour les cartes pluriannuelles et 0,5 % pour les cartes de résident. Autrement dit, le problème ne tient pas à des décisions arbitraires mais à un manque de moyens et à des procédures défaillantes.
Ce que vous proposez revient à faire de l’absence de contrôle la norme. Mais comment l’État vérifiera-t-il le maintien des conditions de séjour – emploi, présence sur le territoire, absence de condamnation – si le renouvellement devient automatique ? Vous créez un angle mort qui affaiblit la crédibilité de notre politique migratoire, déjà mise à rude épreuve. Le problème, en réalité, n’est pas le délai de renouvellement des titres de séjour mais bien le nombre de demandes – car oui, le vrai sujet est la submersion migratoire de la France.
Par ailleurs, l’accès à un titre de séjour n’est absolument pas synonyme d’intégration. Dahbia Benkired, par exemple, a disposé d’un titre de séjour et a commis un meurtre absolument abominable sur la petite Lola.
Pour toutes ces raisons, le groupe UDR votera contre cette proposition de loi.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Je constate que nous partageons tous le même constat. Oui, il y a un problème, même le groupe UDR en convient. Seuls les députés Horizons pensent que tout va bien ; je les invite à se rendre dans certaines préfectures et je regrette qu’ils n’aient pas assisté aux auditions, notamment celle du préfet de la Seine-Saint-Denis.
Collègues du RN, vous êtes totalement hors sujet. Il est ici question du renouvellement des titres et non de leur délivrance. Vous avancez le chiffre fort discutable des étrangers qui entrent sur le territoire mais ce qui m’intéresse, quant à moi, est le solde : des étrangers entrent mais d’autres partent, volontairement, après avoir fini leurs études par exemple.
Les personnes dont nous parlons ici, ce sont celles qui prennent soin de nous, qui nous soignent, qui s’occupent de nos parents, de nos grands-parents, de nos enfants et petits-enfants, qui nous servent à manger, qui assurent la sécurité et la propreté de nos bâtiments, y compris à l’Assemblée nationale, et qui nous disent régulièrement qu’elles n’arrivent pas à obtenir un rendez-vous en préfecture. Tout le monde reconnaît qu’en raison des délais de traitement administratif, des personnes totalement insérées, qui vivent en France et y travaillent depuis des années, peuvent perdre leurs droits. Il est tout de même catastrophique que la République française ne soit pas capable d’assurer les droits de personnes qui sont légitimement présentes sur son sol.
Nombre d’entre vous, à droite et à l’extrême droite, nous bassinent en permanence avec la simplification. Voilà que nous vous offrons une occasion en or de simplifier, et vous la refusez ! Pour vous, la simplification n’est que pour les Français : les résidents étrangers en France, il faut plutôt compliquer leur séjour, au point de le rendre impossible. Tel est le sens de vos interventions et de vos amendements.
M. Pauget a établi un parallèle entre le renouvellement des titres de séjour et celui du passeport et de la carte d’identité. Ce n’est pas sérieux : vous savez très bien qu’on n’a pas besoin d’un passeport ou d’une carte d’identité pour travailler en France, pour trouver un logement ou un stage ; en revanche, les étrangers – notamment les étudiants – ont besoin d’un titre de séjour pour obtenir un stage ou faire du tutorat. Un passeport ne crée pas des droits, il permet uniquement de passer les frontières de l’Union européenne. Du reste, des progrès ont été accomplis en la matière : désormais, la carte d’identité et le passeport sont délivrés dans des délais raisonnables. Quoi qu’il en soit, leur délivrance n’a pas du tout les mêmes conséquences pour les Français, en matière de droits et de devoirs, que celle du titre de séjour pour les étrangers. Un titre de séjour est un document substantiel sans lequel on ne peut pas vivre, travailler, accéder à des droits, être soigné, faire des stages, se loger.
Mme Miller reconnaît les difficultés actuelles, mais n’apporte pas de solution.
Je remercie Thomas Portes d’avoir souligné que les demandeurs suivaient un véritable parcours du combattant, qui leur coûte extrêmement cher, sur le plan financier et humain – des vies sont brisées –, mais qui coûte aussi à l’État français qui doit mobiliser du personnel dans les préfectures et les tribunaux administratifs. Il a aussi eu raison d’insister sur les rendez-vous payants commercialisés par des escrocs. Le système est devenu tellement fou que des escrocs vendent très cher des rendez-vous en préfecture – les services préfectoraux le reconnaissent eux-mêmes. C’est totalement inacceptable. Comment pouvons-nous tolérer que des étrangers paient pour obtenir un rendez-vous rapidement en préfecture, parce qu’ils ont besoin de leur titre de séjour pour travailler ?
Merci à Fatiha Keloua Hachi d’avoir donné corps et vie à ces personnes – nous en connaissons tous. Je pense pour ma part à Marie-Thérèse : elle vit en France depuis dix ans, elle a obtenu un diplôme et un emploi, mais selon le préfet des Pyrénées-Atlantiques, le fait qu’elle ait profité d’un titre provisoire pour signer un contrat de travail justifie une OQTF. Nous en sommes là, s’agissant de personnes totalement insérées, qui ont des diplômes et qui travaillent !
Vous avez bien fait de signaler, monsieur Molac, que les syndicats d’employeurs et les chefs d’entreprise nous téléphonent pour nous dire que ce n’est plus possible. Ils ont besoin de boulangers, de chauffeurs, d’experts-comptables, de gestionnaires de patrimoine ; ils ont des gens compétents, mais la préfecture traîne pour traiter leurs dossiers. Cessons d’être hypocrites, cette réalité saute aux yeux.
Mme Mansouri a rappelé que les demandes de renouvellement n’étaient refusées que pour 0,8 % des titres pluriannuels et 0,5 % des titres de résident longue durée. Ce sont les lois que vous avez votées et dont vous n’avez pas voulu voir les effets qui sont parvenues à bloquer le système pour les 99,5 % d’étrangers qui remplissent toutes les conditions.
Je remercie par ailleurs Mme Regol d’avoir insisté, comme d’autres, sur la très grande souffrance du personnel des préfectures, qui ne trouvent plus de sens à leur travail tant il est devenu difficile. Nous devons les défendre et faire en sorte que leurs conditions de travail deviennent supportables.
Une fois encore, je suis très étonnée que le groupe Horizons estime que tout va bien et que le système fonctionne – ils sont les seuls à le dire.
Je remercie tous ceux qui se préoccupent de la situation de millions de gens qui vivent et travaillent en France, et souvent s’occupent de nous. Ces étrangers sont entrés de façon régulière sur notre territoire et ont justifié de la régularité de leur séjour ; ils ont pleinement leur place dans notre pays. Du fait de la baisse démographique, la France a cruellement besoin d’eux dans la plupart des secteurs clés. Facilitons-leur la vie car ils contribuent à la cohésion sociale au quotidien et au vivre-ensemble.
Article unique : (art. L. 411-3-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile [nouveau]) : Renouvellement automatique des titres de long séjour
Amendements de suppression CL1 de M. Éric Pauget et CL16 de M. Jonathan Gery
M. Éric Pauget (DR). Le maintien sur le territoire français ne doit jamais être une obligation ni automatique. Au contraire il faut étudier les situations, les instruire, voir si l’intégration républicaine a été réussie. Oui, les préfectures sont débordées et il faut faire évoluer nos moyens humains, techniques et technologiques, mais en aucun cas nous ne devons céder et accorder une automaticité du renouvellement de ces titres. Je ne citerai pas Georges Marchais pour ma part, mais ce serait revenir au programme commun des années 1980 et aux grandes vagues de régularisation – c’est même pire lorsqu’on sait que 600 000 titres doivent être renouvelés chaque année.
M. Jonathan Gery (RN). Cette proposition de loi, je le répète, va à rebours de l’aspiration des Français à une immigration contrôlée et réellement maîtrisée. Je ne donnerai qu’un chiffre : 79 % des Français réclament un durcissement de notre politique migratoire, y compris 64 % des sympathisants de La France insoumise et 52 % des sympathisants socialistes.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Je ne vous comprends pas. Nous vous démontrons l’urgence de la simplification administrative, qui vous est particulièrement chère. C’est d’ailleurs vous-même, avec les lois que vous avez votées, qui avez créé la situation actuelle. Depuis son entrée en vigueur, en 2005, le Ceseda a été modifié 130 fois : un record ! Une quarantaine de ces modifications sont de niveau législatif et plus personne ne comprend ce millefeuille normatif, illisible tant pour les usagers que pour les administrations et même pour les professionnels.
Des personnes qui résident depuis longtemps en France se trouvent piégées dans une précarité administrative permanente et ne peuvent faire valoir leurs droits. Ces personnes qui travaillent depuis des années risquent de perdre logement et emploi. Certains collègues ont rappelé que des employeurs nous supplient littéralement. C’est véritablement un non-sens économique, social et humain. Dans les préfectures aussi, où 39 % des personnels ne sont que contractuels, la souffrance au travail produit de la précarité. Les agents sont épuisés et frustrés devant l’accumulation des dossiers. Or, nous vous l’avons dit, dans 99 % des cas pour les titres pluriannuels et 99,5 % pour les titres de résident, les demandes sont renouvelées sans aucune difficulté.
Enfin, contrairement à ce qu’affirme le Rassemblement national, cette proposition de loi ne va aucunement à rebours des aspirations des Français. La France est un pays de droits et de devoirs et les conditions que vous posez n’existent d’ailleurs pas dans la loi. Vous faites dire aux Français des aberrations et votre amendement est, comme d’habitude, hors sujet.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je suis surpris de vos tentatives répétées, monsieur Pauget, pour restreindre le droit des étrangers et la possibilité pour notre pays de les accueillir dans de bonnes conditions, alors même que vous nous dites que c’est votre souhait.
En 1981, à l’époque du programme commun que vous évoquez, la carte de dix ans n’existait pas encore. Par ailleurs, il existe déjà des procédures de renouvellement automatique qui fonctionnent très bien, comme vous le confirmeront les employés des maisons départementales des personnes handicapées ou les agents des départements chargés des renouvellements de la prestation de compensation du handicap et de toute une série d’autres prestations sociales : au terme du délai, on vous demande simplement si votre situation a changé – par exemple, si vous avez toujours la même adresse, ou un emploi. Cela facilite grandement le travail des agents du service public.
Surtout, le fait que les personnes demandeuses soient titulaires d’une carte signifie qu’il a déjà été jugé qu’elles pouvaient l’obtenir. Le travail a donc déjà été fait, par des professionnels – à moins que vous ne contestiez la rigueur de nos agents. S’ils ont délivré ce titre, en respectant tous les critères requis, c’est que les étrangers concernés pouvaient résider durablement et légalement en France.
À force de dispositifs contraignants et de baisses de budget systématiques, on en arrive à l’épuisement moral de personnes qui sont pourtant utiles à la nation et qui en outre aiment la France et souhaitent y rester. Ce qu’elles lui apportent est d’ailleurs reconnu par leur entourage comme par les gens qui sont derrière les guichets. Vous devriez avoir plus de considération pour ces femmes et ces hommes et plus de respect pour les agents du service public ; bref vous devriez permettre ces renouvellements automatiques.
Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). La Droite républicaine et le Rassemblement national, déposant des amendements de suppression de l’article unique, ne veulent clairement pas discuter du renouvellement des titres de séjour. C’est-à-dire qu’ils pensent qu’idéologiquement, il est plus intéressant pour eux de ne pas en discuter, ou de le faire à l’occasion de projets de loi sur l’immigration de plus en plus durs.
Il n’est pas du tout question ici de flux migratoires, mais de résidents, c’est-à-dire de gens qui vivent en France, qui y sont établis, qui y travaillent et qui ont absolument le droit d’y rester – car, je le rappelle, le renouvellement est un droit. Or, avec une administration qui devient trop complexe, on s’oppose à ce renouvellement. Nous sommes en train de fabriquer des sans-papiers et vous ne voulez pas en discuter. Je m’en désole. Je comprends qu’on soit opposé à cette proposition de loi, mais il faut que nous ayons ce débat. Il est très décevant et très choquant que la Droite républicaine ne le veuille pas. C’est manquer de respect aux résidents, qui sont parfois en France depuis quarante ou cinquante ans, qui travaillent, qui ont cotisé toute leur vie. Ils ont des droits, mais aussi des devoirs, auxquels ils se soumettent toute leur vie, et du jour au lendemain ils se trouvent être sans-papiers, dans des situations catastrophiques.
Vous faites de l’idéologie, ce qui n’est pas le cas du groupe socialiste. Nous, nous cherchons une solution au marasme dans lequel se trouve l’Anef, qui dysfonctionne complètement. Trouvons ensemble la meilleure solution, au lieu de chercher à supprimer le texte.
M. Yoann Gillet (RN). Ceux qui ont présenté cette proposition de loi et ceux qui la défendent sont soit totalement déconnectés de la réalité, soit ivres de leur idéologie. Parmi les détenteurs d’un titre de séjour, certains méritent évidemment son renouvellement, mais d’autres devraient se le voir retirer. Selon M. Molac, cette loi permettrait de simplifier les choses et, au bout du compte, de diminuer le nombre de fonctionnaires : mais alors, quand les contrôles seront-ils effectués ? Même actuellement, alors qu’ils ont lieu au moment du renouvellement du titre de séjour, les failles sont nombreuses et certaines personnes ont un nouveau titre alors qu’elles ne respectent pas les lois de la République et devraient être immédiatement renvoyées chez elles.
En supprimant l’étape du renouvellement manuel sur demande, vous supprimez tout contrôle. Soyez connectés à la réalité, ayez conscience du fait que les Français ne veulent plus de la submersion migratoire que nous vivons du fait de l’immigration tant régulière qu’irrégulière. Tout craque. Si, comme vous le constatez, le système ne fonctionne plus et les délais sont trop longs, c’est sûrement parce qu’il y a trop de délivrances de titres de séjour et trop d’étrangers en France ! C’est une réalité. Une majorité de Français, y compris vos électeurs, veulent en finir avec cette submersion migratoire.
Mme Hanane Mansouri (UDR). Vous vous trompez, madame la rapporteure, lorsque vous dites que les personnes en situation irrégulière ont plus besoin d’un titre de séjour que les Français d’une pièce d’identité. Nous en avons besoin pour trouver un logement et pour participer au baccalauréat par exemple. La délivrance de la carte d’identité et du passeport est d’ailleurs payante…
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP. Non, la carte d’identité est gratuite !
Mme Hanane Mansouri (UDR). Par ailleurs, quand l’argument de l’emploi est avancé, je suis gênée par le discours de la gauche, qui relève du mépris de classe : selon vous, nous avons besoin de ces personnes pour faire le ménage, pour assurer la sécurité de nos événements ou pour nous conduire ! Cette façon de parler est assez problématique, mais je vous laisse le bénéfice du doute : il s’agit peut-être d’une façon de dire qu’il y a des postes à pourvoir en France. Dans ce cas, votre texte est hors sujet : il aurait mieux valu travailler sur le coût du travail et sur la lutte contre l’assistanat, pour permettre que ces emplois soient pourvus par des Français au chômage.
Enfin, il est vrai, madame la rapporteure, qu’il y a des droits et des devoirs. Mais lorsqu’un devoir n’est pas respecté, la question n’est pas de le supprimer par la loi mais de le faire respecter. Nous voterons donc pour les amendements de suppression de cette proposition de loi complètement démago.
M. Laurent Marcangeli (HOR). Nous avons pris l’engagement de ne pas voter les amendements de suppression et nous ne les voterons pas.
Toutefois, et contrairement aux propos que vous me prêtez, madame la rapporteure, je ne dis pas que tout va bien. Ça ne va pas bien du tout. Mais je me réjouis de voir que feu le Nouveau Front populaire s’engage désormais dans un grand mouvement de simplification. Lorsque j’étais ministre chargé de la simplification, j’observais que, s’agissant de simplifier la vie à nos chefs d’entreprise et à nos commerçants, ses membres étaient plutôt contre. Les Françaises et les Français comprendront.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Je m’étonne que ceux qui défendent ces amendements de suppression ne parlent pas des personnes concernées. Ils les traitent d’une manière déshumanisante, ils évoquent de vagues travailleurs et des situations particulières alors qu’il s’agit d’abord d’êtres humains, qui ont une famille dans notre pays, des enfants, et à qui le fait ne pas avoir accès à ces titres de séjour pourrit littéralement la vie. Chaque fois que nous évoquons ce sujet, nous recevons des dizaines de messages de remerciement de personnes qui nous disent qu’enfin on parle d’elles comme d’êtres humains, et non pas comme de délinquants ou de criminels.
L’ambiance que le Rassemblement national instaure à l’égard des personnes étrangères qui séjournent régulièrement – et même irrégulièrement – sur le territoire de la République est très dangereuse et très violente. À cause des propos que vous tenez, des gens se font agresser – et de cela, vous ne parlez jamais. Or cela concerne plus de 4 millions de personnes, que vous semblez vouloir supprimer, chasser, envoyer je ne sais où, vers ce que vous dites être leurs pays d’origine. Beaucoup de ces personnes sont attachées à la France, le pays dans lequel elles vivent, ce qui ne les empêche pas d’avoir un attachement pour un autre pays. Assa Traoré a dit récemment, et très justement, qu’on n’est pas 50 % quelque chose et 50 % de son pays d’origine, mais 100 % les deux. Eh oui ! Admettez donc que les gens aiment autant la France que leur pays d’origine et respectez-les simplement comme des êtres humains. Cela changera des propos que vous tenez habituellement.
M. Paul Molac (LIOT). Vous voulez contrôler tous les étrangers, tout le temps. C’est une perte de temps et d’efficacité, car le problème n’est pas là. Il faut plutôt contrôler et expulser ceux qui ne respectent pas les règles et instaurer des procédures applicables en cas de problème.
Certains parlent d’assistanat mais que dois-je faire, dans ma circonscription qui compte 5 % de chômeurs, quand les chefs d’entreprise viennent me voir pour me dire qu’ils ont besoin de main-d’œuvre ? Les Français sont paradoxaux : quand vous les interrogez, ils ne veulent pas d’étrangers, mais quand ils ont besoin d’un médecin, ils se fichent bien de savoir si le seul qu’ils ont trouvé est Syrien ! Et si vous essayez d’expulser ce médecin syrien, ils vont débouler dans votre permanence pour vous dire de leur laisser le seul médecin qui leur reste. Voilà la réalité.
M. Ludovic Mendes (EPR). Le sujet est compliqué. La proposition de loi paraît logique : il s’agit de personnes qui restent longtemps en France, et nous connaissons tous, que ce soit dans le Val-de-Marne ou en Moselle, de grandes difficultés pour renouveler les titres de séjour ou délivrer des récépissés dans les temps. Nous savons bien les problèmes que cela pose. Cependant, même nos pièces d’identité à nous, Français, ne sont pas renouvelées automatiquement : il faut démontrer qu’on habite à telle adresse, changer la photo, prendre rendez-vous en mairie. Nous ne pouvons donc pas accepter que le renouvellement du titre de séjour se fasse sans vérification. Il faut vérifier que les règles qui conditionnent ce titre de séjour sont toujours respectées, qu’elles concernent le travail, le logement, la possibilité de faire vivre sa famille ou le fait que cette dernière se trouve encore sur le territoire national. En outre, des personnes présentes depuis années ont peut-être besoin d’un accompagnement différent auprès de nos préfectures – c’est le débat qui a entouré la création du titre pluriannuel de dix ans, dont l’obtention et le renouvellement ont été largement facilités, comme du reste pour le titre de quatre ans.
Il n’y a pas de submersion dans notre pays. Ces personnes sont intégrées, travaillent, payent des impôts et font fonctionner notre État. Toutefois, l’automaticité du renouvellement des titres de séjour n’est pas souhaitable. Il y a certes un problème de fonctionnement, mais la réponse consiste à permettre aux préfectures de traiter les dossiers sans laisser des personnes sans papiers pendant un certain temps en leur faisant perdre leur emploi ou leur logement.
Nous voterons bien entendu contre ces amendements de suppression.
M. Philippe Gosselin (DR). M. Mendes a souligné à juste titre la nécessité d’améliorer l’accompagnement et de fluidifier les procédures, mais aussi le fait qu’il n’existe pas de droit éternel. Certains Français rencontrent régulièrement des difficultés pour faire renouveler leur carte d’identité ou leur passeport : ce sont des Français nés à l’étranger, qui sont presque harcelés pour prouver que l’acte qu’ils produisent vaut bien nationalité française, comme s’ils étaient des étrangers. Par parallélisme, il serait abusif que le droit au renouvellement des titres de séjour soit automatique.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Nous observons tous que la multiplicité des titres de séjour complique les choses. Monsieur Mendes, aucun Français ne perd son emploi, son logement, son droit à un stage, une bourse d’études, des droits liés à la maladie s’il n’obtient pas sa carte d’identité ou son passeport dans les délais. Nous avons connu voilà quelques années une période difficile pour l’obtention de ces documents, mais la situation s’est très largement améliorée et on peut aujourd’hui déposer sa demande dans n’importe quelle mairie. Ce n’est pas le cas des étrangers, puisque la première condition de recevabilité de leur demande de renouvellement est que la préfecture où ils la déposent soit territorialement compétente, et le défaut de titre de séjour peut avoir pour eux des conséquences dramatiques. Le parallèle ne tient donc absolument pas. Par ailleurs, je rappelle que le renouvellement est de plein droit pour les cartes de résident.
Enfin, je souligne à l’intention du Rassemblement national que c’est justement parce que nous sommes très connectés avec la réalité administrative que nous proposons ce texte. Je rappelle aussi que l’administration peut à tout moment procéder à des vérifications et au retrait des titres de séjour, ce dont d’ailleurs elle ne se prive pas. Nous considérons donc que le renouvellement – car il n’est pas question ici de délivrance – peut devenir automatique, puisqu’il s’effectue aujourd’hui dans plus de 99 % des cas.
La commission rejette les amendements.
Amendements CL2 de M. Éric Pauget et CL17 de Mme Colette Capdevielle (discussion commune)
M. Éric Pauget (DR). Mon amendement ajoute des conditions au renouvellement.
Pour en revenir au débat précédent, je précise qu’il n’est pas question d’empêcher le renouvellement, qui est un droit. Mais les droits n’en sont pas moins générés par des devoirs, dont il est normal que nous les contrôlions. Il n’existe aucun pays qui ne contrôle pas le respect des devoirs permettant d’accéder à des droits. Le Canada, grand pays démocratique, important sur la scène internationale, s’est forgé grâce à l’immigration : il n’empêche qu’il y pose, comme on me l’a confirmé à son ambassade, de nombreuses conditions, notamment de ressources et de logement. Nous demandons, quant à nous, que le respect des devoirs associés au droit au renouvellement soit contrôlé. C’est une question de souveraineté nationale.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure. L’amendement CL17 est rédactionnel.
Monsieur Pauget, la plupart des pays se développent grâce à l’immigration, pas seulement le Canada. Votre amendement est par ailleurs inutile car les documents que vous citez sont déjà exigés par le Ceseda. Il n’apporte donc aucune nouvelle garantie, mais crée plutôt de la confusion et de la redondance. Avec cet empilement de dispositifs dont le législateur est responsable, on se donne l’impression d’agir alors qu’on ne fait que complexifier. En outre, votre amendement ne relève pas de la loi, mais est de nature réglementaire. Avis défavorable.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). Une certaine confusion est entretenue, peut-être à dessein, pour rendre cette proposition de loi beaucoup plus radicale qu’elle ne l’est. Visant le renouvellement des titres de long séjour, elle s’adresse en effet à des publics spécifiques : des personnes qui sont déjà en France depuis plusieurs années et ont déjà répondu à divers critères liés à l’intégration, comme la nécessité d’être domicilié et d’avoir des ressources. Cette population voit déjà ses titres de séjour renouvelés à 99,5 %. De ce fait, il conviendrait plutôt, au lieu de contrôler tout le monde, de procéder à des contrôles ciblés. Libérons beaucoup de temps en ne contrôlant plus que 2 % ou 3 % des dossiers pour trouver plus facilement les 1 % qui ne répondent pas aux règles.
Le problème est le même que pour les OQTF : le nombre d’individus concernés est tel que ni les juges ni la police ne savent plus quelle priorité se fixer, si bien que les personnes dont l’OQTF est réellement justifiée et qui présentent un profil dangereux sont moins bien prises en charge. On perd énormément de temps à poursuivre des gens qui ne doivent leur OQTF qu’au fait que leur titre de séjour n’a pas été renouvelé, pour diverses raisons – dont souvent la lourdeur administrative.
C’est une question de bon sens. Nous n’avons pas les moyens de contrôler tout le monde, et il n’y a que 1 % de cas difficiles : la proposition de loi vise donc à réorienter les contrôles vers ce 1 %. Nous ne parlons pas ici de vagues migratoires ni de primo-arrivants, mais de personnes qui sont là depuis au moins cinq ans et qui ont déjà été contrôlées. Ne caricaturez pas cette proposition de loi et tenons-nous en à son mode opératoire et au public visé – qui, je le répète, dans 99 % des cas, respecte les règles.
Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Monsieur Pauget, je ne comprends pas votre argumentation. Avant de dire à propos du présent amendement que le renouvellement est de plein droit pour les résidents, vous indiquiez, pour votre amendement précédent, que le droit au maintien sur le territoire français ne devait jamais être une obligation et que la France en quelque sorte se mérite. Or l’étranger dont nous parlons mérite d’être en France : il l’a déjà prouvé à son arrivée sur notre territoire. Pourquoi donc devrait-il le démontrer à nouveau lors du renouvellement de son titre de séjour ? Dire que la France se mérite veut à la fois tout dire et rien dire. À s’en tenir aux critères du Ceseda, si un étranger se voit délivrer une première carte de résident, c’est qu’il le mérite et la question est réglée : il n’a pas à prouver à chaque fois qu’il remplit les conditions pour cela.
Quand il faut un bulletin B2 du casier judiciaire pour une carte de résident, la demande n’est pas adressée à l’usager, mais se fait d’un service à l’autre. C’est que nous appelons l’automaticité : cela signifie que l’usager n’a plus rien à faire – plus à produire cinquante papiers différents pour prouver une situation que tout le monde connaît déjà. Si la personne représente une menace pour l’ordre public, auquel cas il n’est évidemment pas question de renouveler son titre de séjour, cela se règle aussi entre deux administrations : le ministère de la justice et celui de l’intérieur. L’usager n’a plus rien à voir là-dedans.
Je vous le demande donc : le renouvellement est-il bien un droit et, si c’est le cas, pourquoi dites-vous que la France se mérite ?
M. Jonathan Gery (RN). Monsieur Pauget, nous voterons pour votre amendement. Pour le reste, les propos des députés de la Droite républicaine sont toujours cocasses : vous parlez comme nous, mais vous gouvernez à gauche depuis trente ans. Vivement que vous soyez au pouvoir !
M. le président Florent Boudié. Méditons collectivement cette formulation.
M. Ludovic Mendes (EPR). Nous ne voterons pas l’amendement de M. Pauget, qui vise à durcir les conditions de renouvellement, ni celui de la Mme la rapporteure. Pour en revenir au fond, ce dont il est ici question est la procédure et non le principe du renouvellement du titre de séjour puisque, comme vous l’avez dit, plus de 99 % des personnes concernées l’obtiennent.
Cette procédure, il est un fait qu’elle dysfonctionne. Peut-être demande-t-on aux personnes des documents que les services de l’État pourraient fournir directement, comme c’est le cas dans d’autres domaines. Quoi qu’il en soit, demander tous les dix ans le renouvellement de son titre de séjour, comme celui d’une pièce d’identité, n’apparaît pas déconnant. Le problème est de savoir comment simplifier la procédure.
Je rappelle que quand un titre de séjour est périmé, c’est souvent parce que la demande de renouvellement n’a pas été faite dans les quatre mois prévus par les textes. Il est vrai que certaines préfectures connaissent de véritables dysfonctionnements, comme en Moselle, dans le Val-de-Marne ou dans d’autres territoires, mais il existe un délai de soixante jours où l’on ne perd pas ses droits si la préfecture délivre un récépissé de traitement. Le droit prévoit toutes ces situations et l’on ne perd pas automatiquement son logement, ses aides, sa bourse ou toute autre prestation. Il est aussi une réalité que nous intervenons auprès des préfets pour éviter certaines situations – j’envoie chaque jour à ma préfecture de Moselle trois ou quatre mails sur l’ensemble du sujet, qui est plus large que celui du renouvellement des titres de séjour.
L’automaticité pose problème car elle ne répond pas aux autres besoins. Il est nécessaire d’avoir une procédure de renouvellement des titres de séjour, de la simplifier et de garantir le respect des droits de la personne. Mais nous ne pouvons pas accepter la simplification que vous proposez, qui consiste à rendre le renouvellement automatique.
La commission rejette l’amendement CL2.
Elle adopte l’amendement CL17 et l’article unique est ainsi rédigé.
En conséquence, l’amendement CL6 de Mme Andrée Taurinya tombe.
Après l’article unique
Amendement CL8 de M. Thomas Portes
M. Thomas Portes (LFI-NFP). Cet amendement vise à rendre encore plus automatique et effective cette proposition de loi en supprimant la notion floue de « respect des principes de la République », qui a été réintroduite par la loi de 2024. Un droit qui dépend du bon vouloir de l’administration n’est pas un droit, c’est une fiction. Le respect des principes de la République est une notion fourre-tout et dangereuse. Quand elle est entre les mains d’un ministre tel que Bruno Retailleau, qui ne cesse de parler de « régression vers les origines ethniques » et des « belles heures de la colonisation », on se demande quels ordres sont donnés aux services préfectoraux.
Le critère du respect des valeurs de la République est en vérité une arme politique pour exclure, discriminer, stigmatiser. Ce n’est pas au ministre de l’intérieur ni aux guichets d’une préfecture de définir ce que sont ces valeurs. Avant d’en imposer le respect, il conviendrait que la France assure un accueil digne, valeur essentielle qu’elle ne respecte pas alors que nous devrions tous nous rassembler derrière un tel objectif.
Un mot aussi à propos de la submersion migratoire dont parle l’extrême droite dès qu’il est question des personnes en situation irrégulière : je rappelle que le groupe Rassemblement national a déposé en 2024 un amendement visant à exonérer les patrons d’entreprises de moins de onze salariés de l’obligation de vérifier qu’ils n’embauchent pas des personnes en situation irrégulière. Autrement dit, ces collègues sont racistes, sauf quand il s’agit d’exploiter les gens !
Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Cet amendement tend à abroger deux articles du Ceseda permettant de refuser le renouvellement d’un titre de séjour au motif de la méconnaissance des principes de la République. Je partage votre volonté de supprimer ces dispositions, mais je rappelle que le périmètre de la proposition de loi est très ciblé. Ce texte a été construit, avec Mme Keloua Hachi, pour répondre à une urgence très concrète qui tient à la saturation totale des préfectures, à la longueur de l’instruction des demandes de titres de séjour et au non-respect des droits.
Vous avez raison, la loi de janvier 2024 a complexifié les procédures – et ce sera encore plus vrai à partir du 1er janvier prochain – en introduisant des critères flous, extrêmement subjectifs et difficilement applicables. Les agents des préfectures sont déjà en difficulté pour interpréter des notions juridiques imprécises et nous nous sommes rendu compte lors des auditions que les préfectures pouvaient avoir des appréciations totalement différentes, si bien qu’il vaut mieux parfois demander le renouvellement de sa carte de séjour dans une préfecture plutôt que dans une autre. Oui, nous en sommes là ! Une telle situation accroît les contentieux et fragilise la sécurité juridique, tant pour les usagers que pour les administrations.
Un travail global s’impose pour retrouver de la cohérence et il faudra mener pour cela une réflexion de fond. Bien que je sois alignée, en tant que rapporteure et au nom du groupe socialiste, sur l’objectif que vous défendez, cette proposition de loi n’est pas le bon véhicule législatif pour mener une telle réforme. Je vous demande donc, même si je le comprends parfaitement, de retirer votre amendement. À défaut, je donnerai un avis défavorable.
M. Jordan Guitton (RN). Le groupe Rassemblement national votera sans surprise contre cet amendement. Avec la gauche et le parti socialiste, on l’a bien compris, on a toujours plus d’immigration. C’est à peu près le but de ce texte, qui serait encore pire si on adoptait les propositions de la France insoumise. Cette dernière voudrait régulariser l’ensemble des clandestins présents dans notre pays – un petit million – alors que 79 % des Français veulent au contraire durcir les règles de l’immigration pour la réduire. Vivement 2027, vivement que les Françaises et les Français puissent s’exprimer au sujet de la politique migratoire de notre pays !
Le bloc de gauche et l’extrême gauche souhaitent augmenter encore le nombre d’immigrés : peut-être jusqu’à 1 million de personnes supplémentaires par an ? C’est un projet cauchemardesque pour les Françaises et les Français, dont même une partie de vos électeurs ne veulent pas.
Le statu quo, c’est-à-dire le maintien du niveau d’immigration actuel, est le projet du bloc central et d’une partie des Républicains, qui gouvernent en ce moment. Nous accueillons actuellement 500 000 personnes par an.
Le bloc du Rassemblement national et de ses alliés veut, lui, réduire l’immigration. Nous avons ainsi défendu il y a quelques semaines une proposition de loi visant au rétablissement du délit de séjour irrégulier, mesure largement réclamée par les Françaises et les Français et que le bon sens devrait conduire à adopter. En attendant, nous nous opposerons à cette proposition de loi. Nos concitoyens ne veulent plus d’une immigration massive. Il est temps d’arrêter d’écouter la gauche et de se laisser gouverner par des socialistes qui représentent 1,75 % du peuple français.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). Dans un débat comme celui-ci, il faut user avec prudence de certains arguments. Je reviens sur la comparaison que vous avez faite, monsieur Pauget, avec le Canada. C’est vrai, ce pays fait preuve de certaines exigences, mais à l’entrée et non pour le renouvellement des titres, qui est beaucoup plus facile qu’en France : vous êtes donc mal renseigné. Par ailleurs, le Québec s’appuie beaucoup sur l’apport d’une main-d’œuvre étrangère, largement issue de pays francophones mais aussi constituée de résidents étrangers qui ont longtemps habité en France. Or ils partent parce que nous les traitons mal.
Je vais vous expliquer exactement la situation, dont pourra aussi témoigner mon voisin Karim Ben Cheikh. Nous avons investi à l’étranger dans des écoles où l’on apprend le français, et nous avons aussi en France de bonnes écoles. Nous payons ainsi une formation de qualité, et même exceptionnelle, jusqu’à l’enseignement supérieur, pour des millions de gens en France et à l’étranger. Or, en raison des obsessions identitaires et de la mise en cause permanente d’un certain nombre de compatriotes et d’étrangers, des gens s’en vont – ils n’en peuvent plus. Nous avons payé leur formation, leurs diplômes et tout ce qui va avec, mais nous les perdons à la fin et ce sont d’autres pays, d’autres nations qui profitent de tous ces investissements stratégiques réalisés.
Le général de Gaulle disait qu’il fallait faire apprendre le français dans tous les pays. Ses héritiers expliquent que c’est pour en faire profiter les autres. Je vous invite à y réfléchir et à avoir une autre approche de l’immigration.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Ce qui m’étonne toujours de la part du Rassemblement national, outre son racisme et sa xénophobie, c’est son hypocrisie. L’immigration n’est pas sans causes. La plupart du temps, il s’agit de gens qui fuient la guerre, mais on n’entend jamais le Rassemblement national la dénoncer à Gaza, au Congo, au Soudan ou en Ukraine. La situation économique peut aussi en être à l’origine, mais on n’entend jamais le Rassemblement national dénoncer l’action de M. Bolloré, qui a exploité des ports, des infrastructures et des matières premières en Afrique pendant des années. Enfin, le changement climatique joue, mais on n’entend jamais le Rassemblement national s’exprimer à ce sujet, sinon pour dire qu’on exagère.
Collègues, vous êtes contre l’immigration mais vous en chérissez les causes. Nous, nous chérissons les êtres humains. Quand des gens arrivent chez nous pour fuir la guerre dans leur pays, nous voulons les accueillir. Vous, au Rassemblement national, vous êtes fondamentalement incohérents : une partie de l’immigration actuelle est faite de gens qui fuient l’Afghanistan, c’est-à-dire les islamistes que vous êtes censés détester ; mais comme ils sont Afghans, leur présence vous pose un problème – parce que, disons-le franco, vous n’aimez pas les Arabes ! Voilà la vérité ! (Exclamations.)
Notre amendement propose de supprimer la partie du Ceseda qui concerne le contrat d’engagement à respecter les principes de la République. Nos collègues du Rassemblement national devraient lire ce contrat : ils verraient qu’il y est question des valeurs de la France, c’est-à-dire de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, mais aussi de l’idée de ne pas juger les gens en raison de leur origine.
M. Yoann Gillet (RN). Monsieur le président, si vous ne faites pas la police dans cette commission, je peux vous dire que cela va mal se passer. Nous n’acceptons pas les propos inadmissibles qui ont été tenus. M. Léaument est certes habitué à faire le clown, mais vous devez veiller à la bonne tenue des débats.
M. le président Florent Boudié. Vous m’avez remis, en tout cas une majorité d’entre vous, le pouvoir de faire la police dans cette commission, c’est-à-dire de faire en sorte que nos travaux soient ordonnés, et c’est ce que je m’efforce de faire. En revanche, je ne fais pas la police de la parole, à l’égard de qui que ce soit. J’essaie, vous le savez, de rester un président à sang froid, quels que soient les propos qui sont tenus, sauf s’ils entrent dans la catégorie des insultes et des injures. Il s’agissait là de propos politiques et c’est le propre de cette commission et de l’Assemblée nationale que de pouvoir en échanger, même si je déplore parfois la tonalité de certaines prises de parole, peu importe les groupes concernés.
Mme Laure Miller (EPR). Sans alourdir les débats, je voudrais m’arrêter un instant sur l’amendement proposé par M. Portes et, à travers lui, par La France insoumise. M. Léaument vient de parler de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et du fait qu’il ne faut pas juger les gens en fonction de leurs origines. Or cet amendement entend retirer le critère du respect des valeurs de la République. Je voudrais que chacun ait bien en tête l’espèce de dinguerie que cela représente. Le prétexte invoqué est un manque de clarté. La liberté de conscience, la liberté d’expression, l’égalité femmes-hommes, la laïcité ne seraient donc pas des notions claires ? Il m’aurait semblé que nous serions tous d’accord sur leur importance, mais on peut dire aujourd’hui que La France insoumise ne veut pas qu’on respecte ces valeurs.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL10 de M. Thomas Portes
M. Thomas Portes (LFI-NFP). Cet amendement permettra le renouvellement automatique des cartes de séjour des étudiants dès lors qu’ils étudient. Différentes mesures législatives ont fait des parcours d’études un enfer pour plus de 400 000 jeunes dans notre pays. Voici un exemple qui illustre bien le délire actuel : en 2023, un jeune homme nommé Fodé s’est retrouvé en centre de rétention administrative après que la préfecture lui a retiré son titre de séjour parce qu’il ne faisait pas assez de progrès dans son cursus scolaire. On parle là d’un jeune Malien qui a fui la misère et la guerre, qui est venu faire des études de sociologie en France et qui, parce qu’il a simplement redoublé une fois – ce qui n’arrive à personne d’autre, bien sûr – s’est vu retirer son titre de séjour. Une telle situation est absolument inacceptable. Les marges d’appréciation données aux préfectures ne correspondent pas aux objectifs visés. Nous devrions tous être d’accord avec l’idée que celles et ceux qui étudient dans notre pays devraient avoir droit au renouvellement automatique de leur titre de séjour.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure. L’objet de la proposition de loi n’est pas de modifier les motifs de renouvellement des titres de séjour, mais de simplifier les procédures existantes. Par ailleurs, cet amendement aurait un effet contre-productif dès lors que les étudiants pouvant justifier du suivi d’un enseignement ont le droit de se voir délivrer une carte de séjour pluriannuelle, selon le 8° de l’article L. 411-4 du Ceseda. Je vous avoue toutefois que j’ai des doutes, car je n’ai jamais vu de tels titres. J’ai donc demandé aux préfectures, notamment celle de Paris, de nous en produire quelques-uns, bien sûr anonymisés.
S’agissant des étudiants, l’objectif n’est pas de favoriser le renouvellement de leurs titres temporaires. Il faut que nous plaidions ensemble pour qu’ils puissent se voir délivrer une carte de séjour pluriannuelle pour toute la durée de leurs études, dès lors qu’ils sont entrés régulièrement sur le territoire et qu’ils justifient d’un logement. Actuellement, et c’est insupportable, ils sont obligés de présenter tous les ans une demande de renouvellement. On arrive ainsi à des situations aberrantes où les étudiants finissent par obtenir le renouvellement de leur titre de séjour au moment où ils doivent refaire une demande pour l’année suivante – et cela alors qu’ils sont en France pour suivre un cursus complet.
Pour ces raisons, avis défavorable.
M. Jordan Guitton (RN). Je ne reviens pas sur les leçons de morale de La France islamiste, ou immigrationniste. Nos collègues ne font pas confiance au personnel des préfectures. Ils écrivent ainsi dans l’exposé sommaire de leur amendement que « la marge d’appréciation des préfectures est très large, amenant les agents à mener des investigations intrusives ou à refuser des renouvellements pour les étudiants au seul motif que ceux-ci redoublent ou changent de cursus universitaire ». Ayez un peu confiance dans les agents des préfectures, qui font leur travail d’investigation ! On sait très bien qu’il existe des filières d’immigration pour des gens qui se maintiennent illégalement sur le territoire français après leurs études. Il ne s’agit pas de dire que tous les étudiants étrangers posent problème, mais qu’une partie d’entre eux profite des largesses du système français pour venir sur notre sol avant de s’y maintenir illégalement. C’est la réalité ce qui se passe quand l’État laisse tout faire et que des filières d’immigration énormes agissent dans un pays.
Pourquoi nous retrouvons-nous avec presque 1 million de clandestins – sachant que le ministre de l’intérieur n’est même pas capable de donner leur nombre, ce qui pose tout de même un problème ? La France insoumise défend un amendement qui nous met en péril, et doute du personnel des préfectures. Pardon, mais les agents du service public sont tout de même là pour appliquer les lois de la République française ! Quand on vit dans notre pays, il y a des règles et des devoirs à respecter. Il faut commencer par être en situation régulière, mais aussi respecter les mœurs et l’identité françaises. Il existe même une charte de la laïcité. Faites confiance, chers collègues, aux agents de la préfectorale.
Mme Sandra Regol (EcoS). Tous ceux qui sont opposés à ce texte pour des raisons pratiques – et non idéologiques, liées à des choix ethniques – refusent en réalité le renouvellement automatique, qui figure d’ailleurs dans le titre de la proposition de loi. Mais cette automaticité sera très encadrée : des recours seront toujours possibles, en cas de danger par exemple ou si l’administration trouve que tous les éléments ne sont pas réunis.
Les deux amendements déposés par M. Portes montrent bien que cette automaticité mise en avant est un mythe qui ne se réalisera pas, même si le texte est adopté. Il y a donc beaucoup de jeux de positionnement et de communication derrière l’opposition à ce texte. En réalité, vous ne voulez pas trop vous mélanger avec d’autres personnes.
Or les grands pays, les grandes démocraties, les grandes économies font venir des cerveaux du monde entier, ou alors forment les futurs cerveaux, parce qu’ils exercent une influence culturelle qui les rend attirants : on a envie d’aller travailler dans ces pays et d’embrasser leur culture. Le présent amendement vise justement à faire en sorte que les cerveaux de demain puissent être français, ou formés par des Français, afin que notre culture puisse irriguer largement.
Ce qui m’amuse toujours, c’est qu’il est très facile d’hériter de la nationalité française sans jamais l’avoir méritée, sans avoir rien fait pour l’obtenir. Mais il s’agit d’un droit et c’est donc normal. Les personnes qui choisissent de vivre chez nous le font en revanche par amour de la France, et cet amour sera toujours beaucoup plus fort que celui de tous ceux et de toutes celles qui décrient ce texte.
M. Thomas Portes (LFI-NFP). On nous dit qu’il faudrait respecter les agents du corps préfectoral et des préfectures, mais leur souhait n’est pas d’être des tuteurs académiques chargés de vérifier si un étudiant a suivi 30 % ou 40 % des cours ou de savoir pour quel motif il a redoublé ! Ce qu’ils attendent, c’est que la proposition de loi soit adoptée pour simplifier et faciliter leur travail.
Par ailleurs, c’est l’honneur de la France d’accueillir des étudiants étrangers qui demain feront rayonner notre pays à travers le monde. Votre opposition tout au long de l’examen de ce texte montre bien ce que vous êtes : un parti politique qui a fait du racisme sa boussole idéologique. Voilà ce qu’est la réalité de l’extrême droite dont vous êtes l’incarnation.
La commission rejette l’amendement.
M. le président Florent Boudié. Nous achèverons donc l’examen de cette proposition de loi cet après-midi.
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Lors de sa seconde réunion du mercredi 3 décembre 2025, la Commission poursuit l’examen de la proposition de loi visant à garantir un renouvellement automatique des titres de séjour de longue durée (n° 1799) (Mme Colette Capdevielle, rapporteure).
Lien vidéo : https://assnat.fr/hYJ1GP
Après l’article unique (suite)
Amendement CL14 de M. Paul Molac
M. Paul Molac (LIOT). Quand vous demandez le renouvellement de votre titre de séjour, vous obtenez un récépissé qui vous permet d’attendre trois mois et de continuer pendant ce temps à travailler et à mener une vie normale. Je propose de porter cette durée à six mois, puisqu’on voit bien que les trois mois actuels ne suffisent pas. Un certain nombre de demandeurs se retrouvent sans papiers et ne peuvent plus aller travailler.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Je me suis moi-même interrogée sur cette durée, notamment afin d’éviter les ruptures de droits pour les personnes qui attendent le renouvellement de leur titre. Ce que vous proposez relève du bon sens, mais serait tout de même un pis-aller qui poserait les mêmes questions que l’extension des attestations de prolongation d’instruction (API) des demandes. Cela ne ferait que déplacer le problème au lieu de le régler et on s’installerait dans la précarité en multipliant encore les documents provisoires, ce qui est contraire à l’esprit de la proposition de loi.
Un document provisoire n’est pas un vrai titre, ce qui ne rassure ni les employeurs – on ne peut pas obtenir un CDI – ni les bailleurs. Dans ma circonscription, une jeune diplômée qui avait signé un CDI, avec l’autorisation de la préfecture, a fait l’objet d’une OQTF, une obligation de quitter le territoire français, et le préfet a même demandé au procureur, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, d’engager des poursuites contre l’entreprise. Ces documents sont non seulement précaires mais ils peuvent aussi mettre en danger l’employeur. Avis défavorable.
Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Cet amendement est effectivement de bon sens. Nous voulons, pour bien faire, qu’un étranger en situation régulière puisse le rester, et ce qui nous est proposé correspond à une demande récurrente des associations et de la Défenseure des droits. Je me demande toutefois jusqu’où il est possible d’aller dans ce domaine. L’attestation de prolongation d’instruction est valable trois mois, selon le Ceseda, mais des préfectures, dont la mienne, délivrent des API de six mois renouvelables. Pendant un an, l’étranger a donc en sa possession des bouts de papier qu’il imprime tout seul après être allé sur le site de l’Anef – administration numérique pour les étrangers en France. On trouve sur ces simples feuilles A4 son nom, son prénom et la mention « attestation de prolongation d’instruction ». Il est par ailleurs écrit, mais cela figure en tout petits caractères, en bas, que la personne garde les mêmes droits. Je ne vois pas qui peut vraiment accepter ce genre de documents. Les employeurs ne le font pas, en général, et les bailleurs non plus. C’est vraiment un pis-aller très limité.
M. Paul Molac (LIOT). Cet amendement ne permettra pas de régler le problème, nous sommes d’accord sur ce point, mais il évitera de faire une démarche administrative. En effet, la durée de validité ne sera plus de trois mois, avec la possibilité d’un renouvellement, mais de six mois directement. Chez nous, par ailleurs, les employeurs acceptent ce genre de documents, car ils n’ont pas le choix. Tant que la personne a le droit de continuer à travailler, ils la gardent.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CL15 de Mme Sandra Regol
Mme Sandra Regol (EcoS). Il s’agit simplement de s’assurer que le rejet des demandes n’est pas automatique.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure. Cet amendement intelligent prévoit la transmission à un étranger des éléments justifiant le refus du renouvellement de sa carte de séjour pluriannuelle ou de sa carte de résident lorsque cette décision est fondée sur des informations obtenues auprès d’autres organismes. Je m’en remets à la sagesse de la commission, car cette mesure dépasse le cadre de la proposition de loi, mais s’inscrit dans le même esprit de simplification des procédures de renouvellement des titres.
La commission adopte l’amendement. L’article 2 est ainsi rédigé.
Elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi visant à garantir un renouvellement automatique des titres de séjour de longue durée (n° 1799) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
M. Ludovic Guinamant, sous-directeur du séjour et du travail
Mme Claire Hédon, Défenseure des droits
M. Antoine Touron, conseiller parlementaire
Mme Mireille Larrède, préfète déléguée à l’immigration
M. Jean-Daniel Montet-Jourdran, sous-directeur du séjour et de l’accès à la nationalité
Mme Tchérina Jerolon, responsable du programme « Conflits, migrations, justice »
Mme Diane Fogelman, chargée de plaidoyer migrations
M. Jean-Michel Delarbre, membre du groupe de travail « Droits des étrangers »
M. Julien Charles, préfet de la Seine-Saint-Denis
M. Laurent Simplicien, sous-préfet, secrétaire général
Mme Alice Robichon, directrice par intérim à la direction des étrangers et des naturalisations
Contribution Écrite
([1]) Cette obligation ne concerne ni les mineurs ni les citoyens de l’Union européenne.
([2]) Le chapitre VI du titre II du livre IV du CESEDA rassemble également les titres de séjour « délivrés pour un autre motif », notamment les titres délivrés à l’étranger remplissant les conditions d’acquisition de la nationalité française, l’étranger ayant combattu dans l’armée française, ou l’étranger retraité.
([3]) article L. 411-3 CESEDA
([4]) L’article L. 411-4 du CESEDA détermine la durée applicable à cinq situations particulières.
([5]) Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France, rapport remis au Premier ministre le 14 mai 2013.
([6]) article L. 433-3 du CESEDA
([7]) article L. 426-4 du CESEDA
([8]) article R. 431-2 du CESEDA
([9]) article R. 431-4 du CESEDA
([10]) L’attestation de prolongation d’instruction des bénéficiaires de la protection internationale est valable six mois
([11]) Pour obtenir une attestation de prolongation d’instruction le dossier de demande de titre de séjour doit être complet et avoir été déposé dans les délais
([12]) article R. 431-12 du CESEDA
([13]) article R. 431-20 du CESEDA
([14]) Rapport d’information fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur la question migratoire, Par M. François-Noël BUFFET, sénateur, n° 626
([15]) Cour des comptes, rapport public thématique, L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères, 2020, p. 68.
([16]) Projet de loi de finances pour 2026 : Administration générale et territoriale de l'État, Avis n° 145 (2025-2026), tome I, déposé le 24 novembre 2025
([17]) Voir le rapport de la Cour des comptes précité, p. 72.
([18]) Avis n° 406543 sur un projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.
([19]) Rapport d’information fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur la question migratoire, Par M. François-Noël BUFFET, sénateur, n° 626 (2021-2022), p.22.
([20]) Défenseure des droits, L’Administration numérique pour les étrangers en France (ANEF) : une dématérialisation à l’origine d’atteintes massives aux droits des usagers (2024), p. 12.
([21]) Il s’agit notamment des demandes de titres « étudiant », « talent », « visiteur », « citoyen UE/EEE/Suisse », « réfugié », « bénéficiaire de la protection subsidiaire », « conjoint de Français », « parent d’enfant français », « enfant majeur à charge d’un Français » et « parent à charge d’un Français et de son conjoint », « travailleur saisonnier » et « membres de famille » de citoyen UE/EEE/Suisse, des titres concernant les conjoints et enfants entrés dans le cadre du regroupement familial, ainsi que les jeunes majeurs âgés de 16 à 21 ans, nés et scolarisés en France, les jeunes majeurs confiés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) avant 16 ans, les victimes de traite, bénéficiaires d’une ordonnance de protection, de violences conjugales ou de mariage forcé, ainsi que les personnes qui sollicitent un titre de séjour pour raison de santé ou au titre d’une rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle, des demandes de renouvellement d’une carte de résident, y compris issue d’un accord bilatéral, d’un certificat de résidence algérien de 10 ans, et de la délivrance d’une carte de résident permanent.
([22]) Voir rapport précité
([23]) CE, 3 juin 2022, n° 452798. Le Conseil d’État a jugé que le pouvoir réglementaire pouvait imposer le recours à un téléservice pour accomplir des démarches administratives, à la condition de permettre l'accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l'exercice effectif de leurs droits. En l’espèce, le Conseil d’État a jugé qu’eu égard aux caractéristiques du public concerné, à la diversité et à la complexité des situations des demandeurs et aux conséquences que l'enregistrement de la demande d'un étranger a sur sa situation, il incombait au pouvoir règlementaire, d’une part, de prévoir un accompagnement des personnes qui ne disposent pas d'un accès aux outils numériques ou qui rencontrent des difficultés dans leur utilisation et, d’autre part, de garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution, pour le cas où certains demandeurs se heurteraient, malgré cet accompagnement, à l'impossibilité de recourir au téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement.
([24]) Décret n° 2023-191 du 22 mars 2023 créant une solution de substitution au téléservice mentionné à l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
([25]) Arrêté du 1er août 2023 pris pour l'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile fixant les modalités d'accueil et d'accompagnement et les conditions de recours à la solution de substitution des usagers du téléservice « ANEF »
([26]) Les documents provisoires comprennent les récépissés, les autorisations provisoires de séjour, les attestations de demande d’asile et les attestations de prolongation d’instruction
([27]) Hors autorisations provisoires de séjour délivrées aux bénéficiaires de la protection temporaire
([28]) Amnesty International, À la merci d'un papier : quand l'État français fabrique la précarité des travailleur·se·s étranger·e·s en France, 2025.
([29]) Cécile Cukierman, projet de loi de finances pour 2026 : Administration générale et territoriale de l'État, Avis n° 145 (2025-2026), tome I, déposé le 24 novembre 2025
([30]) Rapport public 2025 du Conseil d’État, Activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2024
([31]) Conseil national des barreaux, rapport sur les difficultés d’accès au droit et à la justice des étrangers, 2025
([32]) Autorités dépositaires des actes d’état civil ; administrations chargées du travail et de l'emploi ; organismes de sécurité sociale et de l’institution mentionnée à l'article L. 5312-1 du code du travail ; établissements scolaires et des établissements d’enseignement supérieur ; fournisseurs d’énergie et des services de communications électroniques ; établissements de santé publics et privés ; établissements bancaires et des organismes financiers ; greffes des tribunaux de commerce.