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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 décembre 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,
SUR LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE,
portant création d’un Défenseur de la laïcité et définition de ce principe,
PAR M. Jérôme GUEDJ
Député
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Voir le numéro : 2000.
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Pages
Introduction............................................... 5
COMMENTAIRE DE L’ARTICLE UNIQUE
« Ce n’est pas par un coup de colère que nous voulons briser un régime suranné […] nous voudrions que la séparation des Églises et de l’État n’apparût pas comme la victoire d’un groupe sur d’autres groupes, mais comme l’œuvre commune et l’honneur commun de tous les républicains ».
Jean Jaurès, 1er juin 1904
« Notre loi est une loi de liberté, qui fait honneur à une assemblée républicaine »
Aristide Briand, séance du 3 juillet 1905
Depuis 120 ans, la loi du 9 décembre 1905 constitue le fondement juridique le plus connu de l’application du principe de laïcité. Elle marque l’aboutissement d’un lent mouvement de sécularisation de la société, indissociable de la naissance de la IIIe République. Cette loi est d’abord une loi de liberté, comme le rappelle son premier article, qui prévoit que la République « reconnaît la liberté de conscience » et qu’elle « garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées (…) dans l’intérêt de l’ordre public ». Son article 2 organise ensuite un régime de stricte neutralité de l’État vis-à-vis des Églises, en disposant que la République « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
Le principe de laïcité s’est décliné dans des domaines variés, au premier rang desquels figure l’école, et dispose d’une reconnaissance constitutionnelle forte, s’appuyant sur les dispositions prévues aussi bien au sein du Préambule de la Constitution de 1946, qui appartient au bloc de constitutionnalité, que de l’article 1er de la Constitution, qui en fait une des caractéristiques fondamentales de la République française.
En dépit de cette consécration, force est de constater que la laïcité demeure un principe encore mal compris. Sa complexité en est une première cause : simple d’apparence, la laïcité revêt une richesse conceptuelle qui permet, au-delà de sa dimension juridique, diverses interprétations. Une deuxième raison explique toutefois cette situation : l’absence d’une véritable politique publique en la matière. La création, en 2021, d’un Comité interministériel de la laïcité (CIL) après la suppression de l’Observatoire de la laïcité est, en effet, loin d’avoir produit les effets escomptés. Cette instance, qui a pourtant présidé au lancement des 17 mesures du plan « Laïcité » du Gouvernement, ne s’est toutefois plus réuni ces dernières années, contrairement à ce que prévoit pourtant son décret.
S’il serait injuste de considérer que « rien n’a été fait » depuis lors au regard des efforts de formation mis en œuvre, force est néanmoins de constater que les engagements pris en la matière n’ont pas été tenus.
Certes, les ministères se sont dotés, d’une façon inégale, d’outils permettant de traiter les situations rencontrées. On retrouve ainsi de nombreux guides et vade-mecum de la laïcité au sein des différentes fonctions publiques ([1]), avec un effort particulier accordé à cette question au sein de l’éducation nationale, qui dispose d’un Conseil des sages dédié. Un réseau de près de 16 000 « référents-laïcité » s’est progressivement constitué et des chartes de la laïcité ont été affichées au sein des services publics.
Les préfets défèrent aussi parfois certains actes des collectivités territoriales lorsqu’ils estiment que ceux-ci contreviennent à ce principe. Le Défenseur des droits, enfin, traite indirectement de cette question, à partir des réclamations qu’il peut recevoir en matière de discriminations. Il n’existe pas toutefois d’instance d’unification et de promotion de la laïcité à la hauteur de ces enjeux. Cet état de conduit parfois à des interprétations erronées ou dévoyées de la laïcité, et nourrir en conséquence la perception d’un principe source d’interdiction plutôt que de liberté.
La présente proposition de loi constitutionnelle entend remédier à cette situation. Elle constitue, à quelques jours de la célébration du 120e anniversaire de la loi du 9 décembre 1905, une invitation à structurer une véritable politique publique de la laïcité.
Face aux incertitudes et aux contestations qui peuvent se faire jour, elle propose de clarifier au sein de la Constitution le contenu du principe de laïcité, dans une optique pédagogique pour les citoyens. Elle reprend à cet effet la définition qu’en a donné le Conseil constitutionnel à l’occasion d’une décision rendue en 2013 sur une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Ce faisant, elle n’entend pas modifier les équilibres juridiques en vigueur, mais simplement réaffirmer l’importance de ce principe, en en précisant la définition.
La présente proposition de loi constitutionnelle revêt également une dimension pratique, avec la création d’un Défenseur de la laïcité. Ce dernier, sur le modèle du Défenseur des droits, pourrait être saisi par toute personne s’estimant lésé en la matière, afin de faire valoir ses droits.
Cette proposition de loi constitutionnelle vise, en définitive, à ouvrir le débat sur la question de la défense de la laïcité. Elle constitue une puissante invitation à la structuration d’une véritable politique publique de la laïcité, qui pourrait reposer sur les piliers suivants :
– un Défenseur de la laïcité, qui veillerait à la bonne application de ce principe ;
– un organe interministériel bénéficiant d’un portage politique fort, qui serait en charge de piloter l’action du Gouvernement dans ce domaine ;
– une véritable politique pénale de la laïcité mobilisant les dispositions prévues en droit à cet effet ;
– un suivi attentif du Parlement sur ces questions, pour contrôler l’action du Gouvernement et adapter les dispositifs existants. Ce rôle pourrait être dévolu à un organe parlementaire dédié rassemblant les deux chambres sur le modèle de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Cette proposition de loi constitutionnelle permet, enfin, de rappeler le nécessaire et juste équilibre entre la protection des droits et libertés fondamentales d’une part, qu’il s’agisse de la liberté de conscience et de la liberté religieuse, et le nécessaire respect des « exigences minimales de la vie en société » et des fondamentaux du modèle républicain.
COMMENTAIRE DE L’ARTICLE UNIQUE
Résumé du dispositif et effets principaux
L’article unique de la proposition de loi constitutionnelle crée un nouvel article 71-2 au sein de la Constitution afin de consacrer dans la norme suprême la création d’un Défenseur de la laïcité. Il constitutionnalise, ce faisant, la définition du principe de laïcité telle qu’issue de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Dernières modifications législatives intervenues
La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a actualisé certaines dispositions de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.
Fruit d’un mouvement de sécularisation progressive des sociétés occidentales, la laïcité est un principe polysémique qui désigne d’abord la séparation des églises et de l’État. Ce terme s’est formé au XIXe siècle, à partir de l’adjectif « laïque », qui désigne, selon le dictionnaire Littré, ce « qui n’est ni ecclésiastique, ni religieux ».
Ce principe de séparation de la société civile et de la religion permet de protéger la liberté religieuse et la liberté de conscience des citoyens (article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen – DDHC – de 1789). Il est profondément lié, par nature, au principe d’égalité entre les citoyens, défini à l’article 1er de la DDHC.
La DDHC adoptée en 1789 après la Révolution Française constitue un jalon essentiel, en affirmant l’égalité de tous les citoyens devant la loi et en dissociant la religion et le pouvoir politique. C’est toutefois plus d’un siècle plus tard que cette séparation deviendra définitive, mettant fin à une période de cohabitation entre l’État et les religions sous le régime du Concordat de 1801.
Le Concordat du 15 juillet 1801
Un concordat est un traité conclu entre le Vatican et un État afin de déterminer le statut de la religion catholique au sein de cet Etat.
Le concordat du 15 juillet 1801 signé entre Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII détermine les relations entre l’Église catholique et l’État français après la Révolution française. Ce traité reconnaît le catholicisme comme « la religion de la majorité des Français », sans en faire toutefois une religion d’État. Il garantit également la liberté de culte mais accorde à l’Etat une capacité de contrôle importante dans ce domaine. Les évêques sont ainsi nommés par le Premier Consul avant d’être investis par le pape. Le personnel religieux est salarié par l’État dans le cadre de l’exercice du service public du culte et doit prêter serment « de garder obéissance et fidélité au Gouvernement ».
Ce traité apaise enfin les tensions entre la papauté et la France puisque l’Église renonce à réclamer les biens qui ont été confisqués pendant la Révolution.
Lors de sa promulgation le 18 avril 1802, Napoléon y adjoint des articles organiques qui renforcent encore le contrôle de l’État sur l’Église.
La proclamation de la IIIe République en 1870, entraîne, après une décennie de tensions entre monarchistes et républicains, un mouvement progressif de laïcisation de la société.
La séparation des Églises et de l’État en 1905 a ainsi été préparée par l’adoption de plusieurs décrets et lois de laïcisation visant à réduire l’emprise du religieux au sein des institutions publiques :
– deux décrets anti-congréganistes en date du 29 mars 1880 proclament la dissolution des Jésuites en France et leur imposent de quitter les établissements d’enseignement. Les congrégations enseignantes non reconnues par l’État ont l’obligation de demander une autorisation à l’État sous peine de dissolution ;
– plusieurs lois de laïcisation de l’école sont adoptées afin de « républicaniser l’école publique ». La loi du 16 juin 1881 rend l’école primaire publique entièrement gratuite. La loi du 28 mars 1882 prévoit l’instruction obligatoire des enfants de 6 à 13 ans et garantit la laïcité de l’enseignement en remplacer l’enseignement religieux par une instruction morale et civile laïque. La loi du 30 octobre 1886 (votée à l’initiative de René Goblet) impose que le personnel enseignant soit laïc et non plus religieux.
Au-delà de l’école, diverses lois sont intervenues afin de réduire la place du religieux au sein de la société civile, qu’il s’agisse de la loi du 27 juillet 1884 (dite loi Naquet) qui rétablit le droit de divorcer pour les couples mariés, de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, qui permet à toute personne majeure de choisir son mode d’inhumation.
Deux dernières lois méritent d’être relevées, d’autant qu’elles ont précédé la loi du 9 décembre 1905 :
– la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association, qui proclame le principe de la liberté d’association et met fin au régime restrictif et d’interdiction préventive prévu notamment par la loi dite « Le Chapelier » de 1791 ;
– la loi du 7 juillet 1904 relative à la suppression de l’enseignement congréganiste, qui interdit l’enseignement en France aux congréganistes et organise la liquidation de leurs biens.
La loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État constitue l’aboutissement de cette dynamique historique. Elle s’inscrit dans un contexte d’affermissement du régime républicain et de fortes tensions avec la papauté. La montée de l’ultramontanisme et la publication de l’encyclique Quanta cura et du Syllabus (1864), qui contestent les acquis de la Révolution française et du Concordat cristallisent en effet les tensions.
Cette loi fixe, en ses deux premiers articles, les principes fondamentaux de la laïcité, à savoir :
– l’affirmation que la République « assure la liberté de conscience » et qu’elle garantit « le libre exercice des cultes » sous les seules restrictions mises en œuvre « dans l'intérêt de l'ordre public » (article 1er), dans une perspective profondément libérale ;
– le fait que la République « ne reconnaît, ne subventionne ni ne salarie aucun culte » (article 2), ce qui implique, en conséquence, la suppression « des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes ».
Elle modifie en profondeur les relations entre l’État et les Églises :
– des associations cultuelles sont créées pour suppléer la suppression des établissements publics qui assuraient précédemment la charge des édifices religieux. Les biens de l’Église leur sont attribués en conséquence (article 4). Les édifices servant à l’exercice des cultes et qui demeurent propriété de l’État, des départements et des communes (article 12) sont pour leur part laissés gratuitement aux associations cultuelles précitées ;
– un régime juridique propre est défini au profit de ces associations, dont l’objet particulier rend difficile l’application des règles classiques prévues par la loi du 1er juillet 1901. Pour être considérée comme cultuelle, toute association doit avoir pour objet exclusif l’exercice d’un culte (article 19). Il est rappelé que ces associations peuvent se financer grâce aux cotisations, quêtes et collecte pour l’exercice du culte, mais ne peuvent bénéficier des subventions de l’État, des départements et des communes ;
– le droit applicable à la police des cultes est réformé, afin de prévoir une ferme distinction entre manifestations religieuses et politiques, et d’interdire notamment le fait d’élever ou d’apposer tout signe ou emblème religieux sur les monuments publics.
– un régime de sanctions est défini en cas de violation des différentes obligations prévues par la loi.
La loi du 9 décembre 1905 abroge enfin l’ensemble des dispositions relatives à l’organisation publique des cultes antérieurement reconnus par l’État, qui résultaient notamment de la loi du 18 germinal an X (à savoir le Concordat et articles organiques).
La laïcité est un principe consacré comme l’une des caractéristiques de la République par l’article 1er de la Constitution du 27 octobre 1946, qui proclame que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Ce principe a été repris et complété au sein de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 afin de préciser que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » et qu’elle « respecte toutes les croyances ».
Il est également présent au sein du préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie, avec la DDHC de 1789 et la Charte de l’environnement, du bloc de constitutionnalité. L’alinéa 13 du Préambule de la Constitution de 1946 affirme en effet que l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».
La jurisprudence du Conseil constitutionnel consacre pleinement ce « principe organisationnel de la République ». Il l’a d’ailleurs rendu invocable dans le cadre d’une QPC, en considérant, que la laïcité « figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit » (décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013). Il en a même précisé les contours, le texte constitutionnel étant, finalement, peu disert à ce sujet, en listant, sans viser à l’exhaustivité, les éléments fondamentaux qui le constituent (infra).
Considérant n° 5 de la décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013.
« 5. Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » ; qu'aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ; que le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il en résulte la neutralité de l'État ; qu'il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu'il implique que celle-ci ne salarie aucun culte ; »
Comme le relève la doctrine, « l'un des apports majeurs de cette décision est donc de définir, pour la première fois, le contenu de la laïcité, le juge s'inspirant en réalité largement pour cela de la loi de 1905, même s'il ne cite pas expressément ce texte et n'en reprend pas non plus l'intégralité, préservant ainsi sa liberté de définition, et ce, d'autant plus qu'il se réserve la possibilité d'en compléter à l'avenir le contenu en ayant délibérément recours à l'adverbe « notamment ». Selon lui, la laïcité se traduit par la neutralité de l'État, autrement dit par le fait que l'État doit s'abstenir d'intervenir afin que soit préservée la liberté religieuse du citoyen. Plusieurs conséquences en découlent : la République doit assurer le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et elle ne doit reconnaître, ni salarier aucun culte » ([2]).
Cette définition des éléments constitutifs du principe de laïcité n’inclut pas, toutefois, le non-subventionnement des cultes ([3]), dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil d’État sur cette question. Ce dernier considère en effet que « le principe constitutionnel de laïcité (...) n'interdit pas, par lui-même, l'octroi dans l'intérêt général et dans les conditions définies par la loi, de certaines subventions à des activités ou des équipements dépendant des cultes » (CE 16 mars 2005, n° 265560, Min. de l'outre-mer c/ Gouvernement de la Polynésie française).
Le Conseil constitutionnel a eu par ailleurs l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur le champ et la portée de l’application du principe de laïcité :
– il a jugé que la nature gratuite et laïque de l’organisation de l’enseignement public, telle que prévu au sein du Préambule de la Constitution de 1946 ne saurait exclure l’existence de l’enseignement privé (décision n° 77-87DC du 23 novembre 1977). Il a conféré à cette occasion une valeur constitutionnelle au principe de liberté de l’enseignement dans cette même décision (en tant que principe fondamental reconnu par les lois de la République) ;
– il a jugé que « les dispositions de l’article 1er de la Constitution aux termes desquelles « la France est une République laïque » (…) interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers » (décision n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004 sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe) ;
– il a jugé que les dispositions particulières applicables dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et Moselle n’étaient pas contraires à la Constitution, en les qualifiant, dans un premier temps, de principe fondamental reconnu par les lois de la République (décision n° 2011-157 QPC) avant de confirmer sa position en s’appuyant sur les travaux préparatoires des Constitutions de 1946 et de 1958, ce dernier fondement ayant pour avantage d’être naturellement transposable à d’autres territoires (décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013) ;
– il a jugé, qu’en application de l’article 1er de la Constitution et de l’article 10 de la DDHC, que le principe de laïcité impose notamment que la République garantisse le libre exercice des cultes (2017-695 QPC du 29 mars 2018). Il a d’ailleurs réaffirmé plus directement ce principe dans une décision n° 2022-1004 QPC du 22 juillet 2022 en jugeant, qu’il résulte des mêmes articles que « la République ne reconnaît aucun culte et qu’elle garantir le libre exercice des cultes ».
Le Conseil d’État a également reconnu la valeur constitutionnelle du principe de laïcité. Il l’a d’abord qualifié, de façon concordante avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de « principe fondamental reconnu par les lois de la République » (CE, 6 avril 2001, Syndicat national des enseignants du second degré, n° 219379) avant d’en faire un « principe constitutionnel » (CE, 26 mars 2005, ministre de l’outremer c/ gouvernement de la Polynésie française, n° 265560).
La jurisprudence administrative a, par ailleurs, fortement contribué à la définition des contours pratiques de l’application du principe de laïcité, en précisant l’étendue de l’interdiction de principe du financement public des cultes ou de la neutralité des agents publics, et en articulant sa mise en œuvre avec d’autre principes juridiques de valeur similaire, tels que le principe de protection de l’intérêt général et de l’ordre public.
Les particularismes de la laïcité
Certains territoires bénéficient de règles dérogatoires à celles prévues au sein de la loi du 9 décembre 1905 pour des raisons historiques.
L’Alsace et la Moselle sont en effet encore régis par le Concordat de 1801 (loi du 18 germinal an X). Ces territoires n’appartenaient plus à la France au moment de l’adoption de la loi du 9 décembre 1905. Lors de leur réintégration, après la Première guerre mondiale, la loi du 1er juin 1924 a confirmé l’application des dispositions antérieures au nom du principe du « maintien des droits acquis ». Cette spécificité se traduit par le financement public des quatre cultes reconnus (catholique, luthérien, réformé, israélite) ainsi que le maintien d’un enseignement religieux obligatoire dans les écoles publiques.
La Guyane est toujours régie, pour sa part, principlement par les dispositions de l’ordonnance royale du 27 août 1828, qui consacre le culte catholique comme culte d’État. Le diocèse de Cayenne est financé par l’Etat. Il s’agit d’un héritage historique qui n’a pas été remis en cause.
Des régimes juridiques spécifiques existent également à Mayotte, Wallis-et-Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle Calédonie et à Saint Pierre et Miquelon, où les cultes sont reconnus et organisés de façon dérogatoire par rapport aux dispositions de la loi du 9 décembre 1905. Ces régimes juridiques spécifiques reposent sur les « décrets Mandel » de 1939, y compris pour Mayotte, depuis sa départementalisation, où ce régime coexiste toutefois avec le maintien partiel du droit local cadial.
Si la loi du 9 décembre 1905 constitue le socle de l’application du principe de laïcité, plusieurs lois sont intervenues récemment afin d’en assurer l’application ou d’en adapter les modalités dans des domaines spécifiques.
La loi du 15 mars 2004 a créé au sein du code de l’éducation, un nouvel article L. 141-5-1 qui dispose que dans « les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. ».
Cet article insiste toutefois sur la nécessité d’une logique de dialogue préalable à toute procédure disciplinaire, en instaurant une telle obligation pour les établissements scolaires.
Cette modification législative est intervenue à la suite du rapport publié en décembre 2003 de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité, présidée par Bernard Stasi, qui avait recommandé une telle mesure.
L’application de ces dispositions a été précisée par une circulaire de mai 2004 ([4]) , qui distingue les signes religieux ostensibles des signes discrets, dans une logique d’équilibre.
La loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public a fixé en son article premier le principe selon lequel « nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage ». Les contrevenants à cette obligation s’exposent à une contravention de deuxième classe de 150 euros maximum, qui peut être assortie de l’obligation d’effectuer un stage de citoyenneté ([5]) .
Dans une approche pédagogique, l’entrée en vigueur de ces dispositions était assortie d’une période de six mois à compter de la date de promulgation de cette loi.
Un nouveau délit a en outre été créé au sein du code pénal, à l’article 225-4-10 dans les termes suivants : « Le fait pour toute personne d'imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d'autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe, est puni d'un an d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende ». Une aggravation des peines est par ailleurs prévue lorsque l’instigation à dissimuler son visage vise une personne mineure (deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende).
Dans sa décision n° 2010-613 DC du 7 octobre 2010, le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions qui lui avaient été déférées ne portaient pas une atteinte excessive à la liberté religieuse, en s’appuyant à cette fin sur le motif d’intérêt général que revêt la sécurité publique et le nécessaire respect « des exigences minimales de la vie en société ».
La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a modifié le statut général de la fonction publique, tel que prévu par la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, afin de prévoir explicitement que le fonctionnaire « exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité ». Il lui est donc interdit de manifester ses opinions religieuses dans le cadre de ses fonctions.
Le principe d’égalité de traitement des usagers s’impose également aux fonctionnaires, en application de la jurisprudence constitutionnelle et administrative classique sur ce sujet. Cette même loi prévoit enfin que chaque agent peut saisir un référent déontologue sur ses obligations, afin d’en mesurer la portée et l’application concrète si cela est nécessaire.
La loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a introduit, au sein du code du travail, la possibilité pour les entreprises d’inscrire au sein de leur règlement intérieur l’obligation pour les salariés de respecter un principe de neutralité, notamment religieuse (article L. 1321-2-1 du code du travail).
Conformément à la jurisprudence européenne, ces restrictions doivent néanmoins justifiées, soit par la protection de l’exercice d’autres libertés fondamentales, soit par la nécessité du bon fonctionnement de l’entreprise. Elles doivent également être proportionnées au but recherché.
Cette obligation prend la forme d’un principe de neutralité et n’est pas, de fait, directement liée à l’application du principe de laïcité, qui ne concerne, en l’état du droit, que les personnes publiques ainsi que les personnes privées en charge d’un service public.
Cette loi a permis de sécuriser juridiquement la question du fait religieux en entreprise (après la décision « Baby Loup » de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 25 juin 2014).
La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a renforcé le cadre juridique relatif à l’application de la laïcité afin d’apporter, notamment, une réponse au repli communautaire et au développement de l’islamisme radical.
Son spectre est beaucoup plus large que celle de la loi du 9 décembre 1905, comme le relève Mme Mathilde Philip, professeure de droit public, puisqu’elle s’applique « dans des domaines aussi divers que les services publics, les marchés publics, les collectivités territoriales, les fédérations sportives ou encore les libertés de l’enseignement, du mariage, d’entreprendre et contractuelle ».
Les principales mesures mises en œuvre au sein de cette loi sont les suivantes :
– la diffusion d’une culture de la laïcité, avec la mise en place au sein des administrations d’un référent laïcité et la création d’une journée de la laïcité célébrée chaque 9 décembre ;
– l’extension du principe de neutralité au sein du service public, en prévoyant cette obligation pour les salariés des structures privées en charge d’une mission de service public, à condition que cela soit prévoit de façon contractuelle ;
– la création d’un « délit de séparatisme », afin de mieux protéger les agents publics et les élus contre les menaces ou violences pour obtenir une exemption ou une application différenciée des règles du service public. Un dispositif de signalement de ces difficultés est également mis en place en ce sens ;
– la création d’un délit d’entrave à la fonction d’enseignant, créé à la suite de l’assassinat de Samuel Paty, puni d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende ;
– la création d’une procédure de « déféré-laïcité » permettant au préfet, dans le cadre du contrôle de légalité des actes administratifs des collectivités territoriales de saisir le juge administratif pour obtenir la suspension de tout acte administratif contraire au principe de laïcité (le juge devant se prononcer sous 48h) ;
– la création d’un contrat d’engagement républicain qui doit signer toute association souhaitant recevoir des subventions publiques. L’autorité compétente se voit également dotée de la possibilité de retirer les subventions accordées en cas de violation des dispositions de ce contrat ;
– le renforcement du contrôle financier des associations cultuelles, en modifiant les dispositions des lois du 9 décembre 1905 (séparation des Églises et de l’État) et du 2 janvier 1907 (exercice public des cultes). La transparence des flux financiers concernant les associations cultuelles est renforcée, de même que leurs obligations déclaratives et comptables. Un renforcement similaire est appliqué pour les associations mixtes, qui relèvent aussi de la loi de 1901.
– le durcissement du régime de la police des cultes, tel que prévu au sein de la loi du 9 décembre 1905 (renforcement des peines applicables en cas de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence commise par un ministre des cultes, interdiction de l’organisation d’opérations de vote pour les élections politiques françaises, possibilité pour le juge d’interdire à une personne coupable d’un délit lié à la police des cultes de paraître au sein de ces lieux, compétence du préfet pour fermer provisoirement les lieux de cultes en cas d’agissements provoquant à la haine ou à la violence).
D’autres mesures figurent également au sein de cette loi, en particulier dans le domaine de la famille et de l’éducation. Cette loi a notamment rendu obligatoire la scolarisation de tous les enfants dans un établissement scolaire, modifié le régime juridique applicable à l’enseignement à la maison, et renforcer les exigences pesant sur les écoles privées hors contrat (obligations nouvelles et facilitation de leur fermeture administrative dans certaines conditions).
Le comité interministériel de la laïcité, créé en 2021 en remplacement de l’Observatoire de la laïcité, devait permettre de « donner une dimension plus opérationnelle à l’action publique en matière de laïcité ».
Son décret de création le place sous l’autorité du Premier ministre et lui confie les missions suivantes :
– coordonner et assurer le suivi de la mise en œuvre de l’action du Gouvernement en matière de promotion et de respect du principe de laïcité au sein des administrations publiques et personnes publiques ou privées chargées d’une mission de service public ;
– participer à la diffusion auprès de ces acteurs des règles relatives au principe de laïcité ;
– concourir à la définition des exigences de formation auxquelles doit satisfaire tout agent public en la matière ;
– déterminer le cadre de l’action des référents laïcité des administrations de l’État ;
– veiller à la bonne information des usagers du service public, sur les droits et devoirs découlant de l’application de ce principe.
L’article 3 de ce même décret prévoit, en outre, une obligation de réunion de cette instance au moins une fois par an.
Lors de ses auditions, votre Rapporteur n’a pu que constater la mise en sommeil depuis plusieurs années de cette instance. Le CIL ne s’est réuni que deux fois en 2021 sous la présidence du Premier ministre. Il ne s’est plus réuni depuis, alors que son décret de création fixe un principe de réunion annuelle. Le Gouvernement s’était pourtant engagé à le réunir en 2024, en réponse à une question au Gouvernement de votre rapporteur ([6]).
Un plan de promotion du principe de laïcité, rassemblant 17 mesures a été présenté par le Gouvernement le 15 juillet 2021, dans le cadre de la discussion parlementaire du projet de loi confortant le respect des principes de la République.
Ce plan était organisé autour des cinq axes suivants :
– garantir le respect du principe de laïcité dans tous les services publics ;
– former tous les agents publics à la laïcité ;
– diffuser une culture de la laïcité dans tous les services publics ;
– promouvoir notre modèle de laïcité avec la société civile ;
– coordonner le travail interministériel sur la laïcité.
Parmi les mesures prévues, figuraient notamment l’objectif de former 100% des agents publics sous quatre ans, en ciblant les publics les plus concernés, la création d’un réseau de référents laïcité, l’actualisation de la charte de la laïcité dans les services publics, ainsi qu’un ensemble de mesures visant la société civile (associations, entreprises). Un site internet dédié devait également permettre de « produire et diffuser les connaissances sur le principe de laïcité (laicite.gouv.fr).
Votre rapporteur relève que les résultats de ce plan n’ont pas fait l’objet d’une réelle évaluation. Un seul document, publié le 9 décembre 2022 à l’occasion de la journée nationale de la laïcité, fournit quelques éléments utiles, mais datées.
Les auditions menées font apparaître que l’objectif de formation des agents publics est très loin d’être atteint, avec environ 1,1 million de fonctionnaires formés (sur un effectif complet supérieur à 5 millions), soit un taux d’environ 30%. La structuration d’un réseau de référents laïcité semble être en revanche une réalité, puisque l’on dénombre au total quelques 16 000 référents au sein des administrations publiques. Le site internet dédié semble fonctionnel et actualisé.
Au-delà de ces quelques éléments, un consensus se dégage autour de la nécessité impérative d’évaluer ces actions et d’engager un véritable pilotage de cette politique publique, qui fait incontestablement défaut actuellement. Parmi les pistes d’explication possibles, au-delà de l’absence d’incarnation, figure évidemment le contexte d’instabilité ministériel récent, peu propice à une action de long cours.
Dans le prolongement de ses auditions, votre Rapporteur a obtenu communication de la part du ministère de l’Intérieur d’éléments de bilan vis-à-vis du plan laïcité du Gouvernement, qui sont insérés en annexe du présent rapport.
La nécessité d’une véritable politique publique de la laïcité se fait d’autant plus sentir qu’il peut exister une pluralité de définitions et de perception de ce que recouvre la notion de la laïcité, au-delà de sa seule dimension juridique.
Ce point a été rappelé par lors des auditions. Le principe de laïcité revêt à la fois une dimension philosophique, en tant que « construction intellectuelle tendant à empêcher l’emprise d’une confession sur la société », une dimension politique, en opposant les partisans d’une « sorte d’athéisme collectif » à ceux d’une laïcité plus « ouverte », et, enfin une dimension sociologique renvoyant au processus de sécularisation de la société ([7]).
Cette pluralité se manifeste par une diversité de définitions que le droit ne saurait épuiser. La définition juridique de la laïcité, retenue et développée par le Conseil d’État dans son étude annuelle consacrée à cette question en 2004, rassemble en définitive trois éléments : la neutralité de l’État, le respect de la liberté religieuse et le respect du pluralisme.
Si différentes définitions existent, l’essentiel est de constater que la principale tension porte sur la distinction entre la dimension individuelle et collective de ce principe : la laïcité garantit la liberté de conscience, de pensée et de conviction des individus, qu’ils disposent ou non d’une religion, mais elle constitue, en même temps, une exigence et une condition de liberté collective.
Si la culture juridique française est portée sur ce dernier point, la dynamique du droit européen, construit autour de la protection des droits fondamentaux, procède davantage de la première approche, sans toutefois pouvoir être réduite à la seule question des discriminations.
Droit européen et laïcité : une « large marge d’appréciation des États »
Le principe de laïcité ne trouve pas fondamentalement de traduction au sein des traités européens. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit expressément en son article 17 que l’Union « respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres. » Le traité sur l’Union européenne dispose, de même, que l’Union respecte l'égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, (article 4 TUE).
Il est en revanche appréhendé en droit européen à l’aune des droits fondamentaux que constituent les libertés de pensée, de consccience et de religion, reconnues à l’article 9 de la CEDH et à l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Dans sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l’Homme laisse toutefois une large marge d’appréciation aux Etats en la matière, tout en vérifiant que les dispositifs qui pourraient se revendiquer de ce principe ne violent pas les droits fondamentaux qu’elle protège. Cette position s’explique par la grande diversité des régimes juridiques applicables à cette question au sein de l’Union européenne.
La Cour de Strasbourg a ainsi jugé que la loi du 9 décembre 1905 ne méconnaissait pas les dispositions de la convention européenne des droits de l’Homme. Elle a également confirmé la conventionnalité des lois du 15 mars 2004 interdisant le port de signes religieux à l’école et du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.
La laïcité est un principe dont l’application peut causer des difficultés d’ordre pratique chez les citoyens, les agents publics et les élus, en raison précisément de sa nature polymorphe.
Lors de ses auditions, votre rapporteur a pris connaissance de cette réalité, qui justifie pleinement sa volonté de plaider en faveur d’une politique unifiée et cohérente de la laïcité. En effet, à l’heure actuelle, l’application de la laïcité procède d’une logique de silo en fonction des outils dont disposent les agents publics.
Les acteurs publics les plus concernés, par exemple le ministère de l’Éducation nationale, se sont organisés en conséquence. Le ministère a en effet créé en 2018 un Conseil des sages de la laïcité, qui est resté actif depuis lors. Ce dernier produit de la doctrine et peut se saisir de situations présentant des difficultés concrètes afin de proposer des solutions conformes à l’état du droit.
Tel est le cas, par exemple, d’une lycéenne se présentant en candidate libre pour l’examen du baccalauréat, et portant un voile. Dans ces circonstances, en effet, faute d’inscription au sein de l’établissement concerné, le principe de laïcité ne saurait s’appliquer à elle, quand bien même elle serait mineure et présente dans l’enceinte d’un établissement scolaire. Un autre exemple a été mentionné lors des auditions, à savoir la présence au sein du conseil d’administration d’établissements scolaires de parents d’élèves portant des signes religieux manifestes. Selon un raisonnement similaire, ces derniers sont considérés comme des usagers du service public de l’éducation et donc ne sont pas soumis aux exigences prévues par la loi de 2004.
Votre rapporteur a observé, en revanche, que d’autres acteurs publics, plus éloignés de la question, avait une approche très prudente de l’application de ce principe. Tel est le cas, par exemple, du ministère des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative. Ce dernier laisse en effet une forte marge d’appréciation aux fédérations sportives afin de prendre les mesures réglementaires nécessaires, dans la droite ligne de la jurisprudence récente du Conseil d’État sur cette question.
Laïcité et sport : la décision du Conseil d’État n° 458088 du 29 juin 2023
Le Conseil d’État a été saisi par deux associations souhaitant que le port du hijab soit autorisé par la Fédération française de football, ainsi que par la ligue des Droits de l’Homme qui contestait l’interdiction du port pendant les matchs de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale ».
Dans une décision du 29 juin 2023, le Conseil d’État a jugé que pour garantir le bon déroulement des matchs de football et éviter tout affrontement ou confrontation, la Fédération française de football pouvait édicter l’interdiction contestée, cette dernière étant par ailleurs adaptée et proportionnée au but recherché. Il a également rappelé à cette occasion que l’obligation de neutralité qui s’applique aux agents publics est applicable à toutes les personnes sélectionnées en équipes de France lors des manifestations et compétitions auxquelles elles participent.
En tout état de cause, il n’existe aucune coordination, ni pilotage, ni doctrine publique sur l’application du principe de laïcité, la définition de ses contours étant définie, in fine, par la jurisprudence administrative lors des contentieux.
Constats et propositions du Défenseur des droits sur les « interprétations erronnées » de la laïcité (2025)
Dans son rapport « Les discriminations fondées sur la religion » publié il y a quelques jours, le Défenseur des droits observe une augmentation des discriminations liées à la religion. En 2024 37 % de la population considère que des personnes sont souvent discriminées en raison de leur religion. 31% des personnes interrogées la même année estiment avoir été témoins de discriminations fondées sur la religion (contre 21% en 2016).
Les réclamations qui lui ont été adressées en la matière mettent en évidence, par ailleurs, « une tendance, chez certains acteurs publics comme privés, à considérer qu’afficher ostensiblement une appartenance religieuse par le port d’un signe serait, par nature, incompatible avec les principes de laïcité et de neutralité. L’interprétation erronée de ces principes conduit à restreindre indûment la liberté religieuse et peut générer des discriminations ». Le Défenseur des droits propose à cet égard une recension des réclamations lui ayant été soumises qui démontre combien l’application de ce principe peut être parfois délicate.
Face à cette situation, le Défenseur des droits préconise de créer un « enseignement dédié à la laïcité dès le niveau élémentaire » et de renforcer la formation à la laïcité au sein des administrations, notamment à destination des contractuels de droit privé. Il propose également d’étendre ces formations aux salariés du secteur privé et aux élus « dont les discours et décisions conditionnent largement la bonne application du droit ».
Source : Défenseur des droits.
Il convient d’ailleurs d’observer que les outils juridiques de la régulation de la laïcité ne sont pas toujours connus. Tel est le cas, par exemple, de l’article 31 de la loi du 9 décembre 1905, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui offre des leviers de poursuite peu utilisés, en définitive, par les parquets.
Article 31 de la loi du 9 décembre 1905 – dans sa version issue de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République
« Sont punis d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ceux qui, soit par menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, ont agi en vue de le déterminer à exercer ou à s'abstenir d'exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d'une association cultuelle, à contribuer ou à s'abstenir de contribuer aux frais d'un culte. Les peines sont portées à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende lorsque l'auteur des faits agit par voie de fait ou violence. »
Les données communiquées à votre rapporteur par la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur indiquent que le nombre d’atteintes au principe de laïcité demeure assez faible.
Tous périmètres ministériels confondus, on comptabilise en effet 11 638 signalement pour la période 2022/2024.
Ces signalements sont le plus souvent résolus par le dialogue et le rappel du cadre juridique. Ils n’aboutissent donc que rarement à l’engagement d’une procédure donnant lieu à des sanctions disciplinaires.
Les données de la DGAFP relatives aux années 2021, 2022 et 2023, indiquent ainsi que, pour un total annuel qui peut varier de 3 300 à 3 900 sanctions disciplinaires prononcées dans la fonction publique de l’État, les atteintes à la laïcité ont donné lieu au prononcé de 9 sanctions en 2021, 4 en 2022 et 3 en 2023.
Parmi les sanctions prononcées, six concernent des comportements prosélytes ou promouvant des convictions religieuses, six sont relatives à des propos ou comportements excessifs ou discriminatoires en lien avec une religion parfois vis-à-vis des usagers, une concerne le port d’un signe ou d’un vêtement religieux et trois concernent enfin des faits autres en lien avec les principes de neutralité et de laïcité.
Dans ses éléments, le ministère de l’Intérieur reconnaît qu’un « travail doit être réalisé pour fiabiliser et préciser les données relatives aux signalements laïcité dans les trois versants de la fonction publique (modalités de comptabilisation et de recueil des données, distinction des saisines pour demande d’information/rappel du cadre des saisines pour atteintes éventuelles…) et pour disposer d’un baromètre de la laïcité plus détaillé des collectivités locales » ([8]).
Les atteintes à la laïcité au sein de l’Education nationale
Au sein du ministère de l’Education nationale, on dénombre 30 équipes académiques valeurs de la République (EAVR), composées de 600 agents, qui sont chargées de répondre aux signalements d’atteinte à la laïcité sur l’ensemble du territoire.
Pour l’année scolaire 2022-2023, 4 710 signalements d’atteinte à la laïcité ont été recensés. 2 845 demandes ont été formulées auprès des équipes académiques « Valeurs de la République » (EAVR).
Pour l’année scolaire 2023-2024, 6 589 signalements ont été remontés au ministère (avec 50% des signalements ont lieu dans 8 académies). 50% de ces signalements ont eu lieu dans les collèges publics, 35% dans les lycées publics et 15% dans le premier degré
S’agissant des auteurs, 86% sont des élèves, 7% des parents d’élèves, 4% des personnels et 3% sont des auteurs tiers
Enfin, concernant les motifs, 43% des signalements concernaient le port de signes ou tenues, 10% des contestations d’enseignement, 10% des suspicions de prosélytisme et 8% des refus d’activité.
Source : Ministère de l’Intérieur.
La laïcité est une thématique fréquemment abordée, notamment au Parlement. De nombreuses initiatives ont été engagées récemment sur cette question. Tel est le cas, par exemple de la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport (n°376) déposée récemment par le sénateur M. Michel Savin.
Dans sa rédaction actuelle, ce texte prévoit un principe d’interdiction du port de tout signe ou tenue « manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse » lors des compétitions départementales, régionales et nationales organisées par les fédérations sportives délégataires, leurs organes déconcentrés, les ligues professionnelles et leurs associations affiliées qui concerne les acteurs de ces compétitions. Y figure également un article visant à interdire, au sein des piscines, l’adoption de dispositions visant à satisfaire des demandes religieuses en matière de tenue de bain, dans la ligne de la jurisprudence récente du Conseil d’État intervenue sur ce sujet.
On peut citer, en outre, la proposition de loi envisagée par M. Laurent Wauquiez visant à interdire le voilement des mineurs dans l’espace public (n° 2167).
Ces propositions tiennent davantage de l’extension du champ d’application du principe de neutralité du service public, que du principe de laïcité en tant que tel, qui renvoie comme on l’a vu d’abord à la neutralité de l’État et au respect du pluralisme religieux.
Votre rapporteur est toutefois plus favorable à d’autres propositions de loi portant sur la laïcité. Il pense ici, en particulier, à la proposition de loi n° 384 déposée en octobre dernier, qui prévoit également la création d’un office parlementaire de la laïcité. Il soutient également la démarche de la proposition de loi sénatoriale (n° 72) de M. Franck Montaugé, qui souhaite inscrire une charte de la laïcité dans la Constitution.
L’article unique définit de façon précise et limitative les éléments constitutifs du principe de laïcité.
Il reprend à cet effet le contenu de la décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 « Association pour la promotion et l'expansion de la laïcité ».
Le Conseil constitutionnel avait été saisi, en effet, le 19 décembre 2012 par le Conseil d'État, dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une QPC relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article VII des articles organiques des cultes protestants de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes, qui porte spécifiquement sur la question du traitement des pasteurs des églises consistoriales dans les anciens départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ainsi qu’ en Moselle.
Dans son considérant n°5, le Conseil constitutionnel, après avoir rappelé le contenu de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et de l’article 1er de la Constitution, et souligné que le principe de laïcité « figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit », en a rappelé de façon non limitative certains éléments constitutifs, à savoir :
– « la neutralité de l’État » ;
– le fait que la République ne reconnaît aucun culte ;
– « le respect de toutes les croyances » ;
– « l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion » ;
– « le libre exercice des cultes » que la République doit garantir.
Le premier alinéa du nouvel article 71-2 de la Constitution créé par l’article unique de la présente proposition de loi constitutionnelle reprend ces éléments, en ajoutant des précisions ponctuelles issues des articles 1er et 2 de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État.
Il est à noter que cette définition ne reprend pas les dispositions de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 précitée quant à l’absence de subventionnement par l’État des cultes, la jurisprudence du Conseil constitutionnel étant, sur ce point, identique à celle du Conseil d’État et ne faisant pas du non-subventionnement un élément inhérent au principe de laïcité.
L’article unique de la proposition de loi constitutionnelle crée, dans un nouveau titre XI ter de la Constitution comprenant un article 71-2, un « Défenseur de la laïcité » sur le modèle du Défenseur des droits prévu au titre XI bis.
Cette autorité administrative indépendante (AAI), de rang constitutionnel, aurait pour principale mission de veiller au respect du principe de laïcité.
Ce nouvel article 71-2 prévoit également :
– sa nomination par le Président de la République, pour un mandat de six ans non renouvelable, dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 13 de la Constitution ;
– son pouvoir d’autosaisine, en sus de la capacité pour toute personne s’estimant lésée au regard du principe de laïcité de le saisir dans les conditions déterminées par la loi organique ;
– l’obligation pour ce dernier de « rendre compte de son activité au Président de la République et au Parlement ».
Ce nouvel article prévoit enfin qu’une loi organique « définit les attributions et les modalités d’intervention du Défenseur de la laïcité, et notamment « les conditions dans lesquelles il peut être assisté par un collège pour l’exercice de certaines de ses attributions ».
Dans une logique de transparence, votre Rapporteur souhaite faire état des principaux éléments d’analyse ressortis des différentes auditions qu’il a menées dans le cadre de ses travaux.
Il observe, d’abord, que la grande majorité des acteurs auditionnés est favorable à la formalisation d’une véritable politique publique de la laïcité. Tous ont en effet déploré le manque de structuration et de portage d’une telle politique, ainsi que son suivi erratique.
De ce point de vue, votre rapporteur considère que plusieurs pistes de solution se dégagent. Le Parlement pourrait, par exemple, se doter d’un Office parlementaire de la laïcité, qui pourrait revêtir une forme similaire à celle de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPCEST). De son côté, l’exécutif pourrait nommer avec profit une autorité politique forte en charge de coordonner l’ensemble de cette politique (délégué interministériel ou haut-commissaire, par exemple).
Sur le contenu de la proposition, plusieurs éléments importants sont ressortis des échanges conduits :
– si la clarification de la définition du principe de laïcité est un objectif partagé par tous, la forme retenue au sein de l’article unique a suscité de légitimes interrogations. D’aucuns ont considéré que cette définition serait neutre en termes d’impact juridique, d’autres ont estimé que cette dernière pourrait avoir de réels effets et modifier en profondeur l’état du droit.
– une autre solution a en revanche fait consensus afin de maintenir l’objectif pertinent de clarification, pour tous, du contenu du principe de laïcité, avec l’insertion, au sein du préambule de la Constitution, d’une « charte de la laïcité ». Cette charte principielle, qui doit rester suffisamment générale, pourrait reprendre les principes cardinaux de la laïcité, à savoir les plus consensuels, tout en intégrant une exigence d’action des pouvoirs publics dans ce domaine. Cette solution présenterait en outre la vertu de respecter ce que doit être le contenu du texte constitutionnel.;
– en ce qui concerne l’application du principe de laïcité, il apparaît que la création d’une nouvelle AAI a suscité des réserves, en raison du risque de doublon avec l’actuel Défenseur des droits, de la nécessité d’éviter d’intégrer des autorités administratives indépendantes au sein de la Constitution, et de la crainte qu’une telle AAI peine à se saisir pleinement de la dimension collective de la laïcité. Votre rapporteur est ouvert au compromis sur cette question, qu’il s’agisse, en définitive, de doter l’actuel Défenseur des droits d’une telle compétence, ou de mettre en place un autre organe qui puisse porter une telle politique et intervenir dans le débat public le cas échéant.
La Commission a adopté plusieurs amendements lors de l’examen de la présente proposition de loi :
– les amendements CL5 et CL4 (rapporteur) qui intègrent parmi les textes constitutionnels introduisant la Constitution, et au sein de son Préambule, une charte de la laïcité. L’amendement CL4 a été adopté sous amendé par le sous-amendement CL9 présenté par M. Iordanoff, qui supprime l’un des considérants envisagés au sein de ladite charte ;
– l’amendement CL2 présenté par M. Philippe Gosselin, qui dote le Défenseur des droits d’une nouvelle compétence en matière de laïcité en lieu et place de la création d’un nouveau Défenseur de la laïcité. Cet amendement a été adopté sous amendé par le sous-amendement CL7 (rapporteur) qui supprime la définition de la laïcité contenue en son sein.
La Commission a toutefois rejeté le texte lors du vote prévu sur l’ensemble de ses dispositions (par égalité de voix).
Secrétariat du Comité interministériel de la laïcité (CIL) :
Mise en œuvre des 17 décisions pour la laïcité
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Décisions |
Objet |
Points d’étape |
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1 |
Renforcer l’application du principe de laïcité par tous les organismes chargés d’une mission de service public |
Organismes chargés d’une mission de service public : le ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a mis en ligne une fiche technique détaillant les nouvelles obligations des titulaires de la commande publique en matière de respect des principes de laïcité et de neutralité du service public.
Une illustration au Ministère de la justice (MJ) : la clarification de la nature juridique des missions du secteur association habilité (SAH) |
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2 |
Nommer des référents laïcité et faire vivre le réseau des référents laïcité |
Le décret du 23 décembre 2021 est venu préciser les attributions et la portée de la mission de référent laïcité créée par l’article 3 de la loi du 24 août 2021 Déploiement des réseaux de référents laïcité : 16 000 référents désignés pour les versants État et hospitalière de la fonction publique
Quelques exemples : - Ministère de l’éducation nationale : 14 000 référents laïcité désignés parmi les directeurs d’établissements et leurs adjoints. - Ministère de l’intérieur : 264 référents laïcité désignés depuis 2021, dont 1 dans chaque préfecture. - Ministère de la justice : 137 référents désignés. Le référent laïcité ministériel est le collège de déontologie. Les établissements publics et les services à compétence nationale ont été invités à désigner un référent laïcité dans leur structure. Ainsi, l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) a désigné le 13 décembre 2023 un référent déontologue, éthique, lanceur d’alerte et laïcité. - Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire : 1 référente laïcité et 35 correspondants désignés. - Collectivités locales : des référents laïcité désignés dans les centres de gestion.
Formation et animation des réseaux de référents laïcité : un kit de formation réalisé par le bureau de la laïcité mis à disposition de l’ensemble des ministères 30 diplômes universitaires (DU) « laïcité, religion et citoyenneté » agréés par le MI et le MESR, pour une formation approfondie à la laïcité et au fait religieux.
Quatre réunions des référents laïcité ministériels organisées sous la présidence MI/MFPSTAP, en mars 2022, décembre 2022, décembre 2023 et mars 2025. |
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3 |
Renforcer le contrôle de la bonne mise en œuvre du principe de laïcité |
Instruction du Gouvernement du 31 décembre 2021 relative au contrôle de légalité des actes portant gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics. Mise en œuvre du « déféré-laïcité » : la procédure du déféré-laïcité a été mise en œuvre pour la première fois avec succès par une décision de référé du Conseil d’Etat n° 464648 du 21 juin 2022 au sujet du règlement intérieur des piscines de Grenoble autorisant le burkini. Par ailleurs, le tribunal administratif de Montreuil (Tribunal administratif de Montreuil, 6 décembre 2024, n°2417169) a rendu une ordonnance suspendant la décision du maire de la commune de Montfermeil d'apposer une banderole comportant la reproduction d'un drapeau palestinien ainsi que la mention « Seigneur ! pardonnez-nous » sur le fronton de l'hôtel de ville.
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4 |
Actualiser la charte de la laïcité dans les services publics |
Charte de la laïcité dans les services publics : actualisée et diffusée à l’occasion du CIL du 9 décembre 2021
Chartes spécifiques
- le Ministère de la justice a diffusé une Charte de la laïcité dans le service public pénitentiaire en novembre 2021
- le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a diffusé une Charte de la laïcité dans les établissements de l’enseignement supérieur en septembre 2023 et un « guide la laïcité à l’université » en décembre 2023
- Le ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a actualisé le Vademecum « La laïcité à l’Ecole » en 2023 qui complétait déjà la « Charte de la laïcité à l’école ». |
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5 |
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L’obligation de formation des agents publics est désormais statutaire et codifiée à l’article L. 121-2 du code général de la fonction publique (CGFP).
Ecoles de service public : module de formation obligatoire pour tous les entrants dans la fonction publique
Programme de formation interministérielle :
- un module de formation à distance, « Les fondamentaux de la laïcité », accessible à tous les agents publics ; - une formation « Valeurs de la République et laïcité » portée par l’ANCT et déployée notamment dans la fonction publique territoriale - une formation spécifique en présentiel sous forme d’atelier « analyse et pratique » pour les publics dits prioritaires identifiés par les ministères, ex. : agents au contact du public, encadrants, agents en poste en service RH - une formation pour les référents laïcité : kit de formation réalisé par le bureau de la laïcité mis à disposition de l’ensemble des ministères - 30 diplômes universitaires (DU) « laïcité, religion et citoyenneté » agréés par le MI et le MESR, pour une formation approfondie à la laïcité et au fait religieux.
Etat du déploiement de la formation : Tous les entrants dans la fonction publique formés dans les écoles de service public
Plus de 1 100 000 agents publics formés dans la fonction publique d’Etat et hospitalière depuis 2021. Ex. : au MENJ 70% des agents formés, au MI plus de 55% ;
Des efforts à poursuivre dans la fonction publique hospitalière
Un état des lieux à conduire dans la fonction publique territoriale
Des bonnes pratiques :
- la formation des référents laïcité du MI, à la fois théorique et pratique avec le recours au théâtre-forum, qui permet d’ancrer les apports théoriques dans la gestion de la laïcité et du fait religieux en situation de pratique professionnelle ; - des sessions de formation collectives avec le RL - des challenges laïcité entre plusieurs services pour former le plus d’agents possible dans un délai déterminé |
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Former spécifiquement les publics les plus concernés
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Partenariats conclus entre l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), la direction des sports et la direction de l’intégration et de l’accès à la nationalité (DIAN) pour la mise à disposition des ressources pédagogiques du plan Valeurs de la République et Laïcité (VRL)
Un réseau de référents Valeurs de la République et laïcité dont 20 postes d’inspecteurs de la Jeunesse et des Sports installés pour travailler en particulier sur les questions de laïcité
Un guide ministériel à l’attention des acteurs du sport finalisé
Kit VRL actualisé portée par l’ANCT
En cours : Kit de sensibilisation à destination des élus en cours de rédaction. |
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Déployer de nouveaux outils adaptés aux besoins de chaque agent public |
Guide de la laïcité à l’attention des agents publics et dépliant « Comprendre la laïcité – Agents publics » diffusés le 9 décembre 2023
Autres exemples de guides :
Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse : diffusion du coffret « Guide républicain » auprès des équipes pédagogiques + publication d’un ouvrage « Ecole et laïcité » par le réseau CANOPE.
Ministère de la justice : un guide de la laïcité dans le service public pénitentiaire a été publié et diffusé en novembre 2021. Un guide de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse a été élaboré en septembre 2023 à destination de ses professionnels « Quelle réponse éducative sur la place de la religion dans le suivi de la protection judiciaire de la jeunesse ? ». Un guide de la laïcité au ministère de la justice (à destination des agents) est en cours de rédaction.
Le ministère des Armées est en cours de production d’une série de 5 podcasts sur la laïcité à destination des agents. Cette série sera publiée autour du 9 décembre prochain marquant les 120 ans de la loi. Le ministère propose une diffusion plus large.
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Accompagner les acteurs du sport et de la jeunesse (à mettre en lien avec la décision n°6) |
Un réseau de référents Valeurs de la République et laïcité dont 20 postes d’inspecteurs de la Jeunesse et des Sports installés pour travailler en particulier sur les questions de laïcité.
Le ministère des sports, de la jeunesse et de la vie associative a diffusé en février 2025 (2ème édition), le guide « Laïcité et fait religieux dans le champ du sport – Mieux vivre ensemble ».
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Coordonner la bonne application du principe de laïcité dans les territoires
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Instruction du Gouvernement du 27 décembre 2022 relative au déploiement du réseau des référents laïcité dans l’administration territoriale de l’État et l’évolution du réseau des correspondants laïcité : - réaffirme le rôle central des préfets dans la mise en œuvre de la loi du 24 août 2021 - instaure désormais deux réseaux en préfecture : les correspondants cultes et laïcité, interlocuteurs des élus, des chefs de service de l’Etat et des cultes présents dans les départements sur l’ensemble des questions liées au principe de laïcité ; les référents laïcité, au soutien des agents publics et chargés de promouvoir la laïcité |
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10 |
Agir avec les associations d’élus |
Présentation de loi CRPR dans le cadre d’une réunion avec l’ensemble des associations nationales d’élus à l’automne 2021 et présence des préfets lors les assemblées générales des associations de maires
Les centres de gestion disposent d’un référent laïcité, généralement mutualisé avec la mission de référent déontologue. Un état des lieux précis doit être conduit dans les collectivités locales, en particulier au regard de l’obligation de formation des agents publics
A compter de 2024 : le bureau de la laïcité au Salon des maires pour échanger avec les élus
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Veiller au respect des valeurs de la République par les associations |
Contrat d’engagement républicain introduit par la loi du 24 août 2021, subordonnant l’attribution de subventions des associations à la souscription au CER, engageant les associations sur 7 thématiques, dont le respect du principe de laïcité
Diffusion par le MENJ et la DJEPVA du Guide « Laïcité et expression de convictions de nature politique, philosophique et religieuse en accueils collectifs de mineurs à caractère éducatif » auprès des acteurs associatifs
Diffusion du Guide « Faire vivre la laïcité dans les structures d’animation de la vie sociale – Repères concernant l’expression des convictions philosophiques, politiques et religieuses » par la Caisse nationale d’allocations familiales en janvier 2024
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Accompagner les entreprises dans la gestion du fait religieux
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Le guide du fait religieux en entreprise a été actualisé et diffusé par le Ministère du travail en janvier 2023
Un accompagnement des entreprises à renforcer puisque la question de la gestion du fait religieux s’installe depuis quelques années dans le paysage des entreprises françaises.
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Produire et diffuser les connaissances sur le principe de laïcité |
Pédagogie de la laïcité auprès du grand public
Diffusion du fascicule « Comprendre la laïcité » en décembre 2022
Réalisation de capsules vidéo à destination du grand public en collaboration avec l’INA, à diffuser
Une année 2025 consacrée à la célébration des 120 ans de la loi du 9 décembre 1905, réalisation de spots de promotion des 120 ans à diffuser largement. |
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Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse (MENJ) Rénovation du site Les valeurs de la République du réseau CANOPE Evolution de la plateforme Canopé/Valeurs de la République
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Célébrer au plan national la Journée nationale de la laïcité |
Journée nationale de la laïcité le 9 décembre
Consacrée par l’article 3 de la loi CRPR, désormais socle de nombreuses initiatives et évènements depuis 2021, pour en faire un temps de promotion et d’échanges autour de la laïcité Exemples : conférences, débats, tables rondes, expositions, projections…
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Promouvoir la laïcité |
Prix de la laïcité de la République française
Une enveloppe de 50 000 € consacrée au soutien et à la valorisation des projets ou des actions en faveur de la promotion de la laïcité. Cette enveloppe sera exceptionnellement dotée de 100 000 euros pour l’année des 120 ans.
Depuis 2021, 37 lauréats récompensés à travers trois éditions et un accent particulier mis sur l’engagement de la jeunesse
Un succès croissant : + 86 % de candidatures entre 2021 et 2024
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Mobiliser le réseau diplomatique et consulaire pour une diplomatie d’influence en faveur du modèle français de laïcité
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Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE)
Mobilisation du réseau diplomatique et d’influence en défense du modèle républicain et du principe de laïcité
Adoption d’un plan stratégique le 1er mars 2021 visant notamment à développer le dialogue avec l’ensemble des publics, l’enseignement de la langue arabe, faire rayonner l’islamologie française, accroître notre influence médiatique et développer nos relations avec les jeunesses du Monde Arabe
De nombreuses mesures d’information chaque année sur l’obligation de formations des agents aux fondamentaux de la laïcité.
Relance et valorisation du parcours de formation « la laïcité dans les Etablissements français à l’étranger »
Un appel à projet adressé aux établissements à l’occasion des 120 ans de la loi de 1905
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S’assurer de l’efficacité de l’action interministérielle sur le terrain |
Des modalités de pilotage et de gouvernance désormais au service d’une politique publique de la laïcité
Création d’un bureau de la laïcité au sein de la DLPAJ du MI :
Animation interministérielle de la politique publique de laïcité dans les administrations Expertise juridique sur l’application du principe de laïcité Promotion et pédagogie de la laïcité auprès du grand public
Quelques exemples concrets portés par le bureau de la laïcité : - la conception de la formation en e-learning « Les fondamentaux de la laïcité » avec la DGAFP ; - la conception et la diffusion d’un kit de formation des référents laïcité ; - la réalisation du guide de la laïcité dans la fonction publique avec la DGAFP.
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Lors de sa seconde réunion du mercredi 3 décembre 2025, la Commission examine la proposition de loi constitutionnelle portant création d’un Défenseur de la laïcité et définition de ce principe (n° 2000) (M. Jérôme Guedj, rapporteur).
Lien vidéo : https://assnat.fr/hYJ1GP
M. Jérôme Guedj, rapporteur. Je me présente devant vous en faisant doublement preuve d’humilité et de gravité. Tout d’abord, c’est la première fois que je suis rapporteur de cette respectable et prestigieuse commission des lois, au sein de laquelle je vous remercie de m’accueillir. Ensuite, on est naturellement amené à faire preuve d’humilité et de gravité quand on propose un texte qui touche à notre norme suprême, la Constitution, qu’il faut aborder sinon avec un stylo tremblant, du moins avec précaution et prudence, ce qui n’exclut pas, néanmoins, le volontarisme. Tel est l’esprit dans lequel j’ai déposé cette proposition de loi constitutionnelle que je vous propose d’adopter, au nom du groupe socialiste. Le calendrier nous y invite d’une certaine manière, puisque nous célébrerons dans quelques jours le cent vingtième anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, connue comme étant l’incarnation du principe de la laïcité, même s’il avait commencé à s’appliquer auparavant, notamment dans le cadre de la loi de 1882 relative à la laïcisation de l’école publique.
La laïcité est un principe qui peut, de prime abord, paraître simple. C’est une des pierres angulaires de notre République. Cependant, la laïcité incarne bien plus que la séparation des pouvoirs religieux et publics. Elle protège avant tout la liberté de conscience et garantit que chacun, indépendamment de ses convictions religieuses ou de son absence de convictions dans ce domaine, puisse vivre librement et dans l’égalité avec les autres citoyens.
Je rappelle simplement, sans retracer toute l’histoire de la laïcité, que la séparation des Églises et de l’État s’inscrivait dans un mouvement de sécularisation plus large, porté par les idéaux de la Révolution française et de la philosophie des Lumières, et qu’elle avait surtout pour objectif de poser les bases d’un modèle républicain fondé sur l’égalité et la liberté de conscience, dans lequel la religion devait rester cantonnée dans le champ des convictions intimes, conformément au principe de la neutralité de l’État.
Malgré son ancrage législatif et constitutionnel, la laïcité demeure un principe souvent mal compris et interprété d’une manière erronée. Cette complexité vient du fait que le principe de la laïcité, bien qu’il semble simple en surface, est en réalité d’une grande richesse conceptuelle qui engendre des débats et des ambiguïtés. La laïcité, c’est d’abord du droit – la loi du 9 décembre 1905 – mais c’est aussi un principe philosophique assorti d’une forte charge symbolique et philosophique qui irrigue les débats. La diversité d’interprétations de la laïcité nourrit des perceptions parfois contradictoires. Certains voient dans la laïcité un principe d’ouverture, d’égalité, de tolérance, et d’autres une source de restrictions, d’interdits et d’intolérance. Le décalage entre la loi et sa perception, le fait que la laïcité est parfois perçue comme une série d’interdictions nous invite à réfléchir sinon à un meilleur encadrement, du moins à la manière de poser le débat.
Tel est le sens de cette proposition de loi constitutionnelle. Prenez-la pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une forte invitation à ce que la puissance publique – l’État, y compris le législateur que nous sommes, et les collectivités locales – sorte de l’affirmation du principe pour incarner la laïcité dans une politique publique. On parle beaucoup de la laïcité, parfois à tort et à travers, en l’instrumentalisant et en perdant de vue ce qu’elle est, une loi de protection et de liberté. Nous avons besoin qu’elle soit mise en œuvre par ce que j’appelle une politique publique de la laïcité. Le présent texte vise à opérer un tournant dans ce sens, en créant une autorité administrative indépendante chargée de veiller à alimenter le débat public, à l’éclairer, à le documenter, à prendre des positions en matière d’interprétation et de doctrine, et qui servirait aussi de recours pour les citoyens et les administrations, lesquelles sont en première ligne quand il s’agit d’appliquer le principe de séparation.
Dans quel état d’esprit avons-nous souhaité travailler dans cette commission, dans l’hémicycle et au-delà si ce texte prospère ? Nous avons voulu mettre sur la table deux interrogations.
Tout d’abord, faut-il définir la laïcité dans la Constitution ? Celle-ci en mentionne le principe dans son article 1er – « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » – mais sans en donner une définition. D’autres principes fondamentaux ne sont pas davantage précisés. Le texte que j’ai déposé donne une définition de la laïcité qui ne repose pas sur une invention ex nihilo, mais sur la sédimentation jurisprudentielle, notamment issue des travaux du Conseil constitutionnel, dont la dernière consolidation date d’une décision rendue à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de 2013, qui a identifié six critères. Nous aurons à y revenir pour trouver ensemble le meilleur chemin. Je viens en effet devant vous, je préfère le dire tout de suite, sans certitudes – j’ai failli dire sans religion en la matière. Faut-il définir la laïcité et, si nous le décidons, devons-nous reprendre la définition proposée par le Conseil constitutionnel ? Nous en reparlerons lors de l’examen des amendements.
Par ailleurs, l’article unique de cette proposition de loi constitutionnelle tend à créer un Défenseur de la laïcité, qui a pour source d’inspiration évidente le Défenseur des droits, dont l’existence a été consacrée dans la Constitution et qui est issu de l’agglomération de plusieurs entités préexistantes, la Halde (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), la Commission nationale de déontologie de la sécurité, le Défenseur des enfants et le Médiateur de la République. L’idée qui vous est proposée est de créer une autorité administrative indépendante capable de répondre à des saisines individuelles, dans une logique le plus souvent de médiation, mais aussi parfois d’avis ou d’injonction, s’agissant des relations entre les acteurs concernés, et de produire une vision homogène. Cette entité nouvelle devra faire preuve d’un magistère moral, j’utilise à dessein ce terme, face aux interrogations ou aux instrumentalisations qui peuvent voir le jour. Je le dis afin d’entrer tout de suite dans le vif du sujet et dans l’espèce d’entonnoir auquel nous serons confrontés par la suite.
D’autres orientations que la création d’un Défenseur de la laïcité stricto sensu étaient possibles, mais l’évolution que je vous propose est rendue nécessaire par la disparition de l’Observatoire de la laïcité, qui n’avait pas d’ancrage constitutionnel. C’était une entité administrative créée par le pouvoir exécutif, qui a décidé de la supprimer pour la remplacer par un comité interministériel de la laïcité. Or cette instance ne s’est réunie que deux fois, en 2021.
L’Observatoire de la laïcité n’avait pas de pouvoir décisionnaire, mais un pouvoir d’influence, d’orientation de l’action des administrations. Le Défenseur de la laïcité serait, de son côté, un des piliers d’une politique publique de la laïcité. Comme l’indique le projet de rapport qui vous a été transmis, la création de cette autorité administrative indépendante n’exclut pas d’autres moyens d’action, par exemple une structuration interministérielle, dans le cadre d’un comité interministériel de la laïcité ou d’une autre entité, ou encore la conduite d’une politique judiciaire de la laïcité. La laïcité étant un droit, les atteintes à celui-ci peuvent et doivent être sanctionnées. L’article 31 de la loi de 1905, très peu appliqué, définit ainsi des atteintes à la laïcité, notamment le fait d’obliger quelqu’un à croire ou de l’en empêcher. J’illustrerai ce point tout à l’heure par des exemples.
J’aurai aussi l’occasion d’évoquer plus en détail la manière dont nous pourrions structurer un travail parlementaire permanent en matière de laïcité. Notre collègue du Sénat Franck Montaugé a ainsi proposé de créer, sur le modèle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, un office parlementaire de la laïcité qui aurait pour objet de développer une approche apaisée, dépassionnée, mais convaincue et convaincante, je l’espère, de la laïcité. Cela correspond tout à fait à la philosophie qui a guidé le dépôt de cette proposition de loi constitutionnelle. Il s’agit de sortir la laïcité du champ des passions, des pulsions et des outrances qui caractérisent encore le débat.
M. le président Florent Boudié. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Sophie Blanc (RN). Le texte qui nous est soumis ambitionne d’inscrire dans notre Constitution une définition détaillée de la laïcité et de créer une nouvelle autorité administrative indépendante, le Défenseur de la laïcité. Cette proposition de loi constitutionnelle pose plusieurs difficultés juridiques et institutionnelles majeures qui nous conduisent à nous y opposer.
La laïcité française n’est pas née en 1905 : elle s’inscrit dans un temps plus long. Des premières lois scolaires de la IIIe République à la loi Goblet de 1886, la France a progressivement organisé la neutralité de l’État, l’égalité des citoyens et la liberté de conscience. Par ailleurs, la loi du 9 décembre 1905 n’a pas cherché à effacer l’histoire religieuse de la France en séparant les Églises et l’État. Elle a reconnu cette histoire comme un fait, tout en affirmant que les institutions républicaines ne privilégieraient plus aucun culte.
Inscrire dans la Constitution une définition étroite, littérale et unique de la laïcité reviendrait à prendre le risque de rompre l’équilibre entre un État qui demeure neutre et une société qui est libre. Notre droit s’est construit sur une articulation souple entre la loi et la jurisprudence. Le Conseil d’État a ainsi défini au fil des décennies les contours de la neutralité du service public, les limites de la liberté religieuse dans les établissements scolaires, les conditions de la police des cultes ou encore la portée du déféré laïcité. Le Conseil constitutionnel, de son côté, a reconnu la laïcité comme un principe à valeur constitutionnelle, mais sans prétendre en enfermer chaque nuance dans un texte unique. Une définition constitutionnelle figée, quelle que soit sa rédaction, serait rapidement inadaptée à la diversité des situations que rencontrent les services publics.
De plus, la définition qui nous est proposée sous couvert de neutralité projette une vision qui tend à dissoudre l’héritage culturel et historique de notre pays. La France s’est construite grâce à un passé dans lequel le christianisme a joué un rôle politique, artistique, linguistique et social majeur. Reconnaître ce fait ne contredit en rien la laïcité ; cela permet au contraire d’en comprendre les fondations. Neutralité ne signifie pas amnésie. Une République sûre d’elle n’a pas besoin de gommer ses racines pour affirmer son attachement à la liberté de conscience.
Le présent texte conduirait, par ailleurs, à un problème institutionnel d’ampleur. La création d’un Défenseur de la laïcité ajouterait une autorité administrative indépendante de plus dans un paysage déjà chargé. Et loin de combler un vide, cette nouvelle entité ferait double emploi avec plusieurs dispositifs : la Charte de la laïcité dans les services publics, la circulaire du 15 mars 2017 sur les obligations des agents publics, les référents laïcité présents dans l’ensemble de la fonction publique, le Défenseur des droits, qui est compétent en matière de discriminations et de manquements à la neutralité, et le juge administratif, qui sanctionne les atteintes à la laïcité, notamment par le déféré déjà évoqué. Aucun vide juridique réel ne justifie la création d’une nouvelle instance. L’évolution qui nous est proposée multiplierait au contraire les doublons, créerait des conflits de compétences et renforcerait la bureaucratie, ce qui aurait un coût pour l’État. Enfin, la nomination du Défenseur de la laïcité par le président de la République poserait un risque évident de politisation d’un principe qui doit rester indépendant, stable et non instrumentalisé. La laïcité n’a pas besoin d’une autorité supplémentaire, mais de clarté, d’une application ferme et d’une interprétation cohérente de la part du juge. Nous avons déjà les outils nécessaires.
Pour toutes ces raisons – risque d’enfermement constitutionnel, méconnaissance du contexte historique, duplication institutionnelle inutile et danger de politisation –, notre groupe votera contre le texte.
M. Éric Martineau (Dem). Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi constitutionnelle visant à créer un Défenseur de la laïcité. Selon les auteurs de ce texte, le consensus relatif à la laïcité s’effriterait et son principe serait mal compris. Pour y remédier, ils nous proposent d’inscrire dans la Constitution une acception du principe de laïcité. Notre loi fondamentale, en effet, affirme que la France est une république laïque mais ne définit pas la laïcité. Les auteurs du présent texte reprennent la définition donnée par les Sages, qui aurait pour effet d’inscrire dans le marbre de la Constitution la neutralité de l’État et la liberté de conscience. Enfin, le texte tend à créer une nouvelle autorité administrative indépendante sur le modèle du Défenseur des droits, en vue d’éviter toute instrumentalisation ou toute stigmatisation reposant sur la notion de laïcité et de construire une politique publique de promotion et de défense de ce principe.
Nous sommes attachés à la laïcité en tant que garantie fondamentale de la liberté et de la neutralité de l’État et en tant qu’outil d’égalité. En revanche, mon groupe n’approuve pas les évolutions proposées dans ce texte.
D’abord, la France n’a pas besoin d’un énième organe pour assurer le respect du droit – en l’occurrence celui du principe de la laïcité. Nous disposons déjà d’une loi, qu’il faut appliquer pleinement, du Défenseur des droits, qui est compétent pour traiter des discriminations, et d’un arsenal pénal. Enfin, nous avons une justice administrative, garante de la légalité des actes publics. À quoi conduirait la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante ? À de l’illisibilité, oui. À de la complexité, sûrement. À de la confusion dans le débat public, sans doute. Quant à l’application pleine et effective du principe de la laïcité, en revanche, rien n’est moins sûr.
Ensuite, nous ne devrions pas nous risquer à faire de la Constitution une compilation de définitions. Si la Constitution de 1958 n’a pas défini la laïcité, ce n’était pas un oubli mais un choix. Cette souplesse est une force, car elle permet au législateur et au juge d’adapter le principe de la laïcité aux évolutions de la société. Inscrire une définition dans le marbre de la Constitution reviendrait à figer un concept vivant, dont toute la pertinence et la singularité résident dans notre capacité à l’interpréter et à le faire évoluer.
L’idée que la création d’une nouvelle institution pacifierait les débats nous semble, par ailleurs, bien illusoire. Le Défenseur de la laïcité pourrait rapidement devenir un guichet de revendications communautaires. La laïcité ferait ainsi l’objet d’un contentieux permanent contre les services publics et, loin d’apaiser la situation, nous créerions une caisse de résonance pour les conflits, ce qui aggraverait la fragmentation que nous cherchons à combattre.
Monsieur le rapporteur, vous avez vous-même écrit que la laïcité n’était pas une notion figée dans la loi que sa seule évocation, tel un mantra, suffirait à rendre intelligible. Vous expliquiez aussi en 2023 que la loi de 2004 sur le port de signes religieux dans les écoles publiques suffisait parfaitement pour interdire l’abaya. Il n’était nul besoin, selon vous, d’inventer de nouveaux outils juridiques. Votre texte nous semble reposer sur un paradoxe. Pour sauver la laïcité, il la met sous une cloche constitutionnelle ; pour la rendre plus efficace, il la bureaucratise ; pour la pacifier, il offre une tribune institutionnelle à des acteurs qui pourront ainsi la contester encore plus vigoureusement. Nous ne soutiendrons donc pas cette proposition de loi constitutionnelle.
Mme Laure Miller (EPR). La laïcité n’est pas un principe abstrait : elle est ce qui nous permet très concrètement de vivre ensemble, sans que nos croyances – ou leur absence – dictent notre place dans la société. La laïcité, c’est à la fois une liberté et une protection : une liberté, parce qu’elle garantit à chacun le droit de croire, de ne pas croire, de changer d’avis, de pratiquer ou de ne pas pratiquer ; une protection, parce qu’elle empêche que l’État, ou n’importe quelle pression religieuse, n’impose une norme spirituelle aux citoyens. C’est aussi une promesse d’égalité, la garantie que ce qui nous distingue sur le plan intime ne servira jamais à nous hiérarchiser. C’est aussi – et peut-être surtout – une émancipation, l’idée que chacun peut se construire selon sa propre conscience, sans être enfermé dans une identité assignée.
Ce principe a fait ses preuves : il a accompagné les grandes avancées de notre République, protégé la liberté d’expression, permis à l’école publique de s’adresser à tous les enfants, sans distinction. Encore aujourd’hui, il constitue un point d’équilibre précieux, parfois fragile, mais essentiel. Or la laïcité est attaquée, mal comprise, instrumentalisée. Dès lors, comment faire pour mieux la réinscrire dans notre promesse républicaine ? Faut-il en inscrire une définition détaillée dans la Constitution ? La question mérite d’être posée avec prudence, car la Constitution est notre texte fondamental. Y inscrire un principe, c’est à la fois le protéger et le figer. Depuis 1905, la force de la laïcité vient justement de sa capacité d’adaptation, de son ancrage dans la jurisprudence, du dialogue constant entre liberté individuelle et intérêt général. Une définition constitutionnelle peut être une sécurité, elle peut aussi devenir un carcan empêchant la nécessaire évolution de son interprétation et obérant sa capacité à s’adapter à des phénomènes sociétaux, des offensives et des instrumentalisations d’un genre nouveau.
En réalité, la question qui se pose, et à laquelle il nous faut répondre, est double : dire – ou rappeler – ce qu’est la laïcité en France en 2025, et la faire respecter. Or dire ce qu’est la laïcité en France en 2025, c’est à la fois répondre à l’aspiration de certaines pratiques religieuses dans l’espace public sans rejeter la religion dans la sphère privée – ce qui pourrait être considéré comme une atteinte à la liberté d’expression –, et rejeter les traits d’une religion dont certaines pratiques porteraient atteinte à nos principes fondamentaux – je pense à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la liberté de propos, notamment au blasphème, à la liberté de conscience – sans être taxé de vouloir contrôler les consciences.
Sur la méthode, l’enjeu est d’accompagner tous ceux qui rencontreraient des difficultés dans l’application de la laïcité au quotidien – les collectivités territoriales, l’école, les associations et les individus eux-mêmes. Pour répondre à ce besoin d’accompagnement, vous proposez la création d’un Défenseur de la laïcité. Quelques tentatives laborieuses ont eu lieu par le passé, comme l’Observatoire de la laïcité, annoncé dès 2003 par Jacques Chirac, mais dont le décret de création ne sort qu’en 2007, la nomination de ses membres n’intervenant ensuite qu’en 2013. Et cet observatoire, très critiqué, a fini par disparaître en 2021 au profit d’un comité interministériel de la laïcité, qui s’est réuni une fois mais ne fait plus grand-chose depuis près de quatre ans.
L’instance que vous proposez de créer a le mérite d’exister déjà, à travers le Défenseur des droits – et ça fonctionne. Elle jouerait sans aucun doute un rôle clé et utile : rappeler le droit, apaiser, éclairer, former et aider à fixer une compréhension partagée de la laïcité, dans un moment où les interprétations sont parfois largement instrumentalisées. Mais l’heure étant plutôt à la simplification du fonctionnement administratif, ne pourrait-on envisager que ce soit le Défenseur des droits lui-même qui assure ce rôle, dans le cadre de missions élargies ? Au fond, tout l’enjeu est là : préserver ce principe sans l’enfermer, le défendre sans le rigidifier, le faire vivre sans le dénaturer. La laïcité n’est pas un dogme, c’est un équilibre, qui se protège mais se cultive, aussi, avec finesse.
Sur le plan opérationnel, cette proposition pose des questions, qui seront sans doute éclairées par notre débat. Quoi qu’il en soit, nous vous sommes reconnaissants, monsieur Guedj, d’ouvrir ce sujet dans le débat parlementaire, et nous vous remercions pour votre engagement constant pour faire vivre ce principe essentiel de la République.
Mme Nadège Abomangoli (LFI-NFP). Le 9 décembre 1905, la loi concernant la séparation des Églises et de l’État était promulguée. Dans un même mouvement, la consolidation de la République s’accompagnait de l’adoption du principe de laïcité – « l’Église chez elle et l’État chez lui », pour reprendre le mot célèbre de Victor Hugo. La neutralité de l’État « assure la liberté de conscience [et] garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées […] dans l’intérêt de l’ordre public » – rien de moins, rien de plus.
Cent vingt ans plus tard, notre collègue Jérôme Guedj éprouve le besoin de créer un Défenseur de la laïcité et de graver dans le marbre de la Constitution une définition de ce principe. Selon lui, il y aurait urgence à promouvoir et défendre la laïcité – qui serait, donc, en danger. Mais voilà : le remède que propose notre collègue est pire que le mal, qui est en réalité imaginaire. Il y a tout lieu de douter de l’utilité d’un Défenseur de la laïcité aux missions floues et aux attributions largement redondantes avec celles du Défenseur des droits. Cette proposition est donc superfétatoire. En même temps, conférer au président de la République – et, plus largement, au pouvoir politique – le pouvoir de nommer une telle autorité revient à ouvrir la porte à l’arbitraire, aux dérives autoritaires, aux instrumentalisations politiques du principe de laïcité, toutes choses que l’auteur du texte prétend pourtant vouloir limiter.
Par ailleurs, il y a matière à s’interroger sur la nécessité de constitutionnaliser une définition unique de la laïcité, au risque de la figer alors que, dès l’origine, elle a fait l’objet de débats, d’appréciations, d’évolutions. Et quand bien même, pourquoi choisir la définition qui nous est proposée ici ? Avec une définition aussi univoque, la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics aurait été jugée anticonstitutionnelle et n’aurait pas pu voir le jour. Pourtant, c’est certainement un texte très cher à l’auteur de la présente proposition de loi.
Le dispositif qui nous est proposé est une usine à gaz, mal formulée et mal calibrée – les auditions l’ont d’ailleurs montré. Et, au fond, où est donc l’urgence ? Pas dans l’existence d’une réelle menace sur le principe de laïcité, car il n’y en a nulle trace tangible. Comme vous le soulignez vous-même dans votre rapport, on ne recensait que neuf sanctions pour atteinte à la laïcité en 2021 dans la fonction publique d’État, qui compte pourtant 2,5 millions de fonctionnaires, quatre en 2022 et trois en 2023. À l’école, on compte entre 5 000 et 6 500 signalements par an entre 2022 et 2024, pour 13 millions d’élèves. Et encore, seule une poignée de ces signalements, déjà bien peu nombreux en proportion, concernaient des faits graves. Nulle urgence, donc, mais un grand fantasme : dans un contexte de crise, la tentation est grande, chez certains, de lire les difficultés et tensions sociales comme autant de menaces contre un modèle de culture et de société homogène, qui n’a d’ailleurs jamais existé. C’est le spectre tantôt du supposé communautarisme, tantôt des prétendues atteintes à la laïcité. Et derrière, ce sont d’ailleurs toujours nos concitoyens de confession musulmane que l’on soupçonne, que l’on stigmatise, que l’on désigne à la vindicte. Un discours que chérit l’extrême droite, mais que cultive aussi, à sa façon, une certaine gauche néoconservatrice, celle qui s’arc-boute sur une vision autoritaire et dévoyée de la laïcité et de la République pour compenser son abandon de toute perspective de transformation sociale.
En vérité, tout cela n’est rien d’autre que la version française de l’imaginaire réactionnaire du choc des civilisations ou de « l’insécurité culturelle », dans la traduction qu’en a faite, il y a dix ans déjà, le courant du printemps dit républicain, dont l’auteur du texte se revendique. Au fond, ce texte dit beaucoup plus des sourdes obsessions et des petites manœuvres de certains que de l’état réel de notre peuple et des urgences auxquelles nous devons répondre. Son auteur dit vouloir en finir avec l’instrumentalisation de la laïcité ; en réalité, une vraie politique publique de la laïcité, telle qu’il l’entend, devrait commencer par en finir avec les paniques morales et les dévoiements. Elle commence, donc, par le rejet de ce texte.
Mme Marietta Karamanli (SOC). Nous sommes réunis aujourd’hui pour réfléchir à ce qui demeure l’un des piliers de notre République : la laïcité. Inscrite à l’article 1er de notre Constitution, elle fonde notre vivre-ensemble, garantit la liberté de conscience, protège l’égalité des citoyens. Pourtant, chacun le sait, elle est aujourd’hui traversée par les controverses, les malentendus ; parfois, même, elle est instrumentalisée. Ce constat nous oblige à redonner force et clarté à ce principe, non pour en limiter la portée, mais pour l’étendre et l’actualiser. Sur ce sujet, Jérôme Guedj est engagé de longue date.
Cette proposition de loi constitutionnelle vise donc à créer un Défenseur de la laïcité sur le principe du Défenseur des droits. Cette autorité indépendante aurait pour mission de veiller à l’application uniforme de la laïcité, de protéger les citoyens, de renforcer la pédagogie autour de ce principe. Les forces de cette proposition sont évidentes : elle réaffirme la laïcité comme principe fondamental, en clarifie la définition, offre un recours direct aux citoyens et renforce la prévention et la pédagogie. Le texte suscite naturellement des interrogations, à commencer par le risque d’un chevauchement des compétences du Défenseur de la laïcité avec celles du Défenseur des droits. Le rapporteur a précisé les conditions de sa nomination, qui donnerait toute sa place au Parlement, mais nous pouvons les faire évoluer. Se pose aussi la question de ses moyens d’action, de sa place et de son rôle en matière de formation et de sensibilisation dans les services publics et l’éducation. Cela aussi dépend de nous. Toutes ces questions sont autant d’invitations à améliorer le texte.
Mais, avant toute chose, il convient d’abord de rappeler que respecter la laïcité, ce n’est pas seulement en parler : c’est aussi agir pour elle. Nous avons là un commencement. Trop souvent, ceux qui proclament haut et fort la laïcité négligent l’école publique, réduisent les moyens des associations laïques ou tolèrent les discriminations dans les services publics. La création d’un Défenseur de la laïcité doit être un vecteur puissant au service de valeurs fortes, et d’une laïcité source de rassemblement et de protection des citoyens. C’est tout le sens de l’initiative du rapporteur et, plus largement, de notre groupe. Nous souhaitons naturellement que le débat ait lieu, ici puis en séance publique.
M. Ian Boucard (DR). Ce texte porte sur un principe auquel la Droite républicaine est profondément attachée : la laïcité. Si nous partageons l’objectif de mieux la défendre, de mieux la faire respecter et de la rendre plus intelligible pour nos concitoyens, nous avons plusieurs réserves majeures sur les moyens proposés. Depuis des décennies, la République s’est dotée d’un cadre juridique solide pour protéger la laïcité – les Constitutions de 1946 et 1958, la loi de 1905 et l’ensemble de la jurisprudence constitutionnelle et administrative. Ce principe régalien essentiel, qui fonde la République et structure notre pacte civique, doit rester intégré au cœur des institutions, et non être externalisé dans une structure autonome, susceptible de développer sa propre doctrine et sa propre dynamique, parfois éloignée de l’esprit du législateur.
Depuis quinze ans, les autorités administratives indépendantes se multiplient. Je reconnais bien là l’appétence du Parti socialiste pour ces structures, lui qui veut en créer toujours plus – nous en comptions dix-sept au début du mandat de François Hollande ; après son mandat et ceux d’Emmanuel Macron, nous en sommes aujourd’hui à vingt-six, pour un coût de plus de 850 millions par an. Dans un contexte où les Français demandent lisibilité et maîtrise de la dépense publique, créer une nouvelle autorité dotée d’une organisation propre – son administration, son budget, son cabinet –, n’est ni raisonnable, ni utile. La laïcité mérite mieux qu’une couche supplémentaire dans un mille-feuille institutionnel déjà illisible. Nous connaissons aussi les difficultés qui accompagnent certaines nominations à la tête des autorités indépendantes – vous en êtes vous-même convenu, monsieur le rapporteur : confier la laïcité à un nouvel organisme, c’est aussi ouvrir la porte à des interprétations fluctuantes instables, parfois contradictoires avec l’esprit du législateur. Vous avez d’ailleurs rappelé le cas de l’Observatoire de la laïcité, dont le président, Jean-Louis Bianco, devenu depuis candidat du Nouveau Front populaire, semble avoir une idée de la laïcité bien éloignée de la nôtre – de la vôtre aussi, il me semble. D’où mon inquiétude.
Vous le savez, la laïcité exige stabilité, continuité et cohérence. Les litiges qui lui sont liés concernent très souvent l’accès aux services publics, la neutralité des agents ou des discriminations. Or ces sujets dont déjà traités par le Défenseur des droits, qui reçoit chaque année plus de 118 000 réclamations. Créer une autorité parallèle et éparpiller les missions disperserait les moyens et obligerait les citoyens à choisir entre deux portes, au risque d’obtenir des réponses divergentes ou d’allonger les délais.
Nous croyons en une solution plus simple, plus efficace, plus responsable : confier ces missions au Défenseur des droits, une institution qui existe déjà, qui fonctionne, qui est légitime et dispose de l’expertise nécessaire. Ce modèle serait moins coûteux, plus cohérent et plus rapide à déployer. Dans un esprit de responsabilité et de construction, nous avons déposé, avec mes collègues Philippe Gosselin et Émilie Bonnivard, un amendement en ce sens : s’il n’était pas adopté, nous ne pourrions soutenir le texte, qui crée un nouvel objet institutionnel flou, sans garantie d’efficacité ni cohérence avec le paysage existant, au risque qu’il soit perçu par beaucoup comme un bidule supplémentaire. N’oublions pas l’exigence de simplification pour nos concitoyens : ils n’ont pas besoin d’une porte de plus. Faute de garanties suffisantes et d’un cadre réellement opérationnel, nous ne pourrons soutenir le texte. Mais je vous remercie d’avoir déposé ce texte, qui nous permet d’ouvrir le débat sur un sujet important.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). La proposition de loi constitutionnelle déposée par notre collègue Jérôme Guedj vise à inscrire, dans la Constitution, une définition de la laïcité inspirée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ainsi qu’à créer un défenseur spécifique, sur le modèle du Défenseur des droits. En préambule au débat sur la pertinence du dispositif, je tiens à rappeler que nous sommes à quelques jours du 120e anniversaire de la loi de 1905, et qu’il convient de célébrer cette grande loi, fruit d’une histoire particulière, et exception française. Je ne referai pas l’histoire de la Révolution française en trois minutes, mais sous l’Ancien Régime, le catholicisme était religion d’État. La séparation de l’Église et de l’État ne s’est pas faite en un jour, ni toujours dans la douceur : c’est le fruit d’un long combat, historiquement porté par la gauche. Il faut attendre la loi Ferry de 1882 pour que l’enseignement primaire soit rendu laïque, puis la loi Goblet de 1886 pour que l’enseignement des écoles publiques soit confié à un personnel non ecclésiastique. La loi du 9 décembre 1905 ne vient donc pas de nulle part : elle est issue d’une longue affirmation de la République.
Si la société française s’est très largement sécularisée depuis 1789, le fait religieux réapparaît, et avec lui le débat sur la laïcité. Disons plutôt que le terme de « laïcité » est à nouveau employé dans le débat public, car il est souvent utilisé dans une acception impropre ou mal défini. Il n’est pas rare que la laïcité soit brandie de manière dissymétrique, ou par des zélateurs de quelque racine, ou encore avec des arrière-pensées xénophobes. Je crois que c’est la raison pour laquelle une partie de nos concitoyens perçoivent la laïcité comme un caractère discriminant, alors que, bien au contraire, elle garantit à toutes et tous une égalité de traitement dans la République.
Ainsi, notre débat doit replacer la laïcité dans son histoire, dans notre histoire, et contribuer à en clarifier la définition. Pour ma part, je crois utile de réaffirmer la pertinence et la modernité du principe de laïcité, et il me semble nécessaire de bien comprendre et faire comprendre ce dont il s’agit. La loi de 1905, qui ne mentionne d’ailleurs pas le terme de « laïcité », pose un cadre qui fixe l’essentiel : elle dispose que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes […] La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » Il y a là une valeur – la liberté de conscience –, une garantie – celle de pouvoir pratiquer sa religion –, et un principe d’organisation – la séparation des administrations publiques et des Églises. Si le principe de laïcité figure dans le préambule de la Constitution de 1946 et dans l’article 1er de celle de 1958, il n’y est pas défini à proprement parler. En revanche, le Conseil constitutionnel en a fourni, en 2013, une définition jurisprudentielle prudente et équilibrée.
L’examen des amendements sera l’occasion de débattre de la pertinence d’inscrire dans la Constitution une définition de la laïcité et de la création d’une nouvelle autorité administrative spécifique, comme un Défenseur de la laïcité. Pour ma part, je ne suis pas fermé à cette idée. Animés d’une attitude constructive, nous avons déposé plusieurs amendements, même si le texte ne nous semble pas encore tout à fait mûr et soulève de nombreuses interrogations. Je fais confiance au débat, j’espère qu’il sera à la hauteur de l’importance du sujet et qu’il portera sur le fond.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). En un siècle, la laïcité est devenue l’un des principes fondateurs de notre République. Dans la continuité des Lumières, la loi du 9 décembre 1905, dont nous célébrerons dans quelques jours les 120 ans, a consacré la liberté de conscience, le libre exercice des cultes et affirmé une règle simple et puissante : « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » Ce cadre équilibré, respectueux de toutes les croyances, est ainsi devenu l’un des piliers de notre cohésion nationale, qui permet à la nation de préserver « le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis », pour reprendre les mots d’Ernest Renan.
Pourtant, la laïcité est aujourd’hui fragilisée, à la fois par ceux qui l’attaquent – souvent faute de la comprendre, parfois faute de le vouloir –, par ceux qui l’instrumentalisent pour servir leurs propres intérêts, en lui faisant dire ce qu’elle ne dit pas, et par un débat public qui ne laisse plus de place à la nuance et à la pédagogie. Nous devons collectivement entendre ces signaux d’alerte, car lorsque la laïcité est attaquée, travestie ou dévoyée, c’est la République tout entière qui en paie le prix. La laïcité n’est pas un principe abstrait : elle est un guide pratique du vivre ensemble. Le groupe Horizons & indépendants partage donc pleinement l’objectif qui sous-tend cette initiative parlementaire. Il faut parler de la laïcité, il faut l’expliquer, la faire vivre et cesser de laisser le terrain à ceux qui la déforment, la dénaturent ou la brandissent pour mieux la détourner.
Néanmoins, nous sommes en désaccord avec la solution proposée dans ce texte. Nous savons bien, ici, qu’il ne faut toucher à la Constitution que d’une main tremblante. Sur le fond, nous avons deux objections majeures à la création d’un Défenseur de la laïcité. D’abord, nous disposons déjà d’une institution compétente : en vertu de l’article 71-1 de la Constitution, « le Défenseur des droits veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics […] ». La laïcité fait donc pleinement partie de son champ d’intervention, comme les dossiers qu’il instruit chaque année le démontrent. Ensuite, et surtout, un Défenseur de la laïcité ne serait pas à la hauteur de l’enjeu historique : pour honorer comme il se doit les 120 ans de la loi de 1905, nous avons besoin d’un véritable plan national, ambitieux au niveau politique, juridique et institutionnel ; un plan capable d’entrer dans le débat public, de convaincre, de combattre ceux qui détournent la laïcité. Une autorité indépendante, aussi respectable soit-elle, ne serait qu’une vitrine : elle ne saurait être un moteur.
Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera contre cette proposition de loi constitutionnelle. Mais à quelques jours des 120 ans de la loi de 1905, nous vous remercions, cher collègue, d’avoir remis ce sujet au cœur de notre République.
M. Paul Molac (LIOT). La laïcité s’invite régulièrement dans le débat public, souvent avec passion, parfois avec inquiétude. On en parle dans les médias, dans nos écoles et nos services publics, et je devine qu’elle s’invitera encore, dans quelques semaines, dans la campagne électorale.
Je le dis sans détour : le groupe LIOT est attaché au principe de laïcité et reconnaît l’intention louable qui anime ce texte. Le constat de départ est juste : la laïcité suscite des interrogations, peut nourrir des tensions, des interprétations, parfois très extensives : pour certains, parler une langue régionale est contraire à la laïcité, même si je ne vois pas en quoi. C’est la preuve qu’en France, nous ne sommes pas toujours au clair avec les concepts, ce qui peut conduire à confondre francité avec citoyenneté ou laïcité.
Pour y remédier, le texte propose d’inscrire dans la Constitution une définition de la laïcité et de créer un Défenseur de la laïcité. Cette solution ne nous semble pas pertinente. À première vue, consacrer constitutionnellement la laïcité pourrait sembler un symbole fort. Mais celle-ci figure déjà tout en haut de notre Constitution, dans la première phrase de son article 1er, qui proclame que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. » Cette consécration n’est-elle pas suffisante ? Nous ne définissons pas le principe de fraternité, alors pourquoi ajouter une définition spécifiquement pour la laïcité ? Cela risquerait de figer un principe vivant, qui traverse nos territoires au quotidien et façonne notre façon de vivre ensemble. La laïcité est à la fois le socle de notre liberté de conscience et de la neutralité de l’État, et le cadre qui garantit l’égalité entre tous les citoyens, quelle que soit leur religion – y compris lorsqu’ils n’en ont pas. Elle permet l’existence de spécificités locales – je pense au statut très particulier de l’Alsace-Moselle : si nous voulions le réformer, je pense que tous les Mosellans et Alsaciens nous tomberaient dessus, et à raison.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel a déjà fait émerger une définition stable et reconnue. Et c’est précisément son caractère jurisprudentiel qui lui permet de s’adapter, d’évoluer, de se confronter aux réalités contemporaines, sans exiger une révision constitutionnelle. En voulant figer cette définition, on la rigidifie ; en voulant la clarifier, on risque, paradoxalement, d’ouvrir un nouveau champ de contentieux, car on finit toujours par tester les limites d’une définition explicite.
Et pourquoi créer un Défenseur de la laïcité ? L’objectif est compréhensible, mais nous avons déjà un Défenseur des droits, une institution respectée, reconnue, identifiée par les citoyens, dont le rôle est de garantir les libertés publiques, dont la liberté de conscience, et le respect de laïcité. S’il lui manque des moyens, donnons-les-lui ; s’il manque une base juridique, précisons-la ; mais créer une nouvelle autorité risquerait de disperser les compétences, d’affaiblir l’action et de perdre un peu plus les citoyens dans une architecture administrative déjà complexe, voire obèse. La démocratie ne gagne pas en force en multipliant les vigies, mais lorsque les institutions sont claires, accessibles dotées de moyens suffisants.
Si l’objectif de cette proposition de loi est respectable, la solution proposée ne nous semble pas efficace. Nous ne soutiendrons donc pas le texte.
M. Édouard Bénard (GDR). Beaucoup a déjà été dit. Nous aussi, nous partageons votre intention de défendre ce pilier républicain qu’est la laïcité. Sans parler de francité – Paul Molac a dit l’essentiel –, nul besoin de puiser jusqu’aux théories du choc des civilisations pour affirmer que ce texte soulève des interrogations.
La création d’un Défenseur de la laïcité sonne comme une redite à deux égards : sur la forme, il s’agirait d’un faux jumeau du Défenseur des droits ; sur le fond, la nouvelle entité figerait la définition jurisprudentielle du Conseil constitutionnel, alors que les implications du principe de laïcité sont nombreuses. Vous avez pris le parti d’arrêter une seule définition de la laïcité. Or, si l’article 1er n’en fournit pas, le Conseil constitutionnel s’est attribué cette mission et sa jurisprudence assure une interprétation souple, et donc efficace, du principe de laïcité dans le temps. Graver cette définition dans le marbre de la Constitution risque d’en obérer l’adaptabilité, et donc de le desservir. Par ailleurs, qui, du Conseil constitutionnel ou du Défenseur de la laïcité, aura désormais la charge de la laïcité ? Le Conseil doit-il abandonner toute œuvre de jurisprudence, ou le Défenseur de la laïcité devra-t-il se soumettre à l’interprétation des Sages de la rue de Montpensier ? La création d’une telle autorité risquerait de faire naître des conflits de décision, et cela doit nous interpeller.
Outre son manque d’originalité, la création d’une nouvelle autorité administrative indépendante, calquée sur le modèle d’une autorité déjà existante, n’aurait pas de finalité propre. Elle n’aurait pour missions que celles qu’elle aurait ôtées au Défenseur des droits, qui traite déjà des conflits entre les administrés et l’administration lorsqu’il en ressort une discrimination, notamment en raison de la religion de l’intéressé. Qu’apporterait de plus un Défenseur de la laïcité ? Il enlèverait, en revanche, un peu de la relative clarté du paysage institutionnel des droits et libertés fondamentaux en France.
Toutes les interrogations que soulève ce texte posent la question même de son opportunité, sur la forme comme sur le fond. En l’état, nous ne le soutiendrons pas.
M. Jérôme Guedj, rapporteur. Je vous remercie sincèrement toutes et tous. En déposant le texte, mon but était précisément que nous échangions et que chacun fasse part de ce qu’il perçoit de l’état de la laïcité. Des désaccords se sont exprimés. Pour certains, il n’y a pas de problème, les difficultés sont surmontables. Pour d’autres, la laïcité est fragilisée, ce qui justifie que l’on apporte des solutions. J’ai bien entendu qu’il n’y avait pas de majorité pour adhérer à ma proposition de loi constitutionnelle, qui n’est, je le redis, qu’une forme de mise de départ. Les objections que vous avez soulevées, je les avais également identifiées et j’avais tenté d’y apporter une réponse. Les amendements en proposent d’autres.
Faut-il définir la laïcité dans la Constitution ? Comme les juristes et les constitutionnalistes que j’ai auditionnés, vous avez souligné le risque qu’il y aurait à figer une définition, alors même que le Conseil constitutionnel continuera à faire preuve de la souplesse et de la plasticité qui lui ont permis de proposer des réponses adaptées aux différentes situations. C’est la raison pour laquelle je ne me cramponne pas à cette définition et suis finalement plutôt favorable à son retrait. J’ai du reste bien aimé la réflexion de M. Molac, qui a dit qu’on ne définissait pas la fraternité.
Ce que nous pourrions faire, en revanche, c’est annexer à la Constitution une charte de la laïcité que nous élaborerions ensemble, sur le modèle de la Charte de l’environnement. Mon texte constituerait une première accroche destinée à faire prospérer l’idée, dans un processus de percolation, comme cela s’est fait pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG), avec les propositions de loi de Mathilde Panot et d’Aurore Bergé. Toutes ces réflexions préparatoires participent d’un travail de reniflage – pardonnez la trivialité de l’expression – entre parlementaires. On se lime la cervelle, comme disait plus joliment Montaigne, dans une démarche de coproduction.
Qui pour incarner la défense de la laïcité ? Je vous proposais, parce que cela me semblait fort, de créer une autorité administrative indépendante, le Défenseur de la laïcité, dont le mode de fonctionnement est très largement inspiré de celui du Défenseur des droits. Ce faisant, je tendais une perche pour interroger l’articulation entre ces deux autorités. Nous avons auditionné Mme Claire Hédon, qui est compétente en matière de laïcité, notamment pour ce qui concerne les discriminations religieuses sur lesquelles elle va présenter un rapport dans les prochains jours. Mais la Défenseure des droits ne traite pas tous les sujets relatifs à la laïcité. Elle n’est pas compétente, par exemple, pour irriguer le débat public sur cette question, pour produire des avis collectifs ou des rapports documentés sur les autres volets relatifs à la laïcité – je pense notamment à la neutralité de l’État et à l’organisation des services publics. Si vous estimez que le Défenseur des droits peut devenir un Défenseur des droits et de la laïcité, je m’en remettrai à la sagesse de notre travail commun. Mme Hédon nous a dit qu’elle pouvait accueillir cette nouvelle mission si on lui en donnait le mandat exprès et, a-t-elle glissé, les moyens.
Enfin, la création d’un Défenseur de la laïcité n’exclut en rien la construction d’une véritable politique publique de la laïcité. Mme Firmin Le Bodo disait que nous avions besoin d’un plan national ambitieux capable d’entrer dans le débat public : je l’appelle également de mes vœux. Il faut remuscler le comité interministériel de la laïcité voire imaginer un ministère chargé de la laïcité, pour former, sensibiliser et réfléchir à la question des sanctions, y compris pénales. Je ne proposais pas de créer une autorité administrative indépendante pour solde de tout compte. Au contraire, c’est une manière d’inciter la puissance publique à renforcer les autres piliers – comité interministériel, politique judiciaire voire coordination parlementaire avec un office parlementaire de la laïcité – et à structurer sa politique.
Avant l’article unique
Amendement CL5 de M. Jérôme Guedj
M. Jérôme Guedj, rapporteur. Même si cela donne l’impression de mettre la charrue avant les bœufs, la légistique nous impose d’examiner mes deux amendements relatifs à la charte de la laïcité avant de supprimer, puisque cela faisait consensus, la définition de la laïcité à l’article unique.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Ces amendements posent la question de la constitutionnalisation de la définition de la laïcité et, le cas échéant, de l’endroit où le faire. À tout prendre, une charte paraît plus souple. Juridiquement, ce sera la même chose ; symboliquement, la portée sera un peu différente. Ensuite, il faudra s’interroger sur son contenu. Je n’ai pas d’opposition de principe. La laïcité ayant déjà une valeur constitutionnelle, c’est un peu comme pour l’IVG, la portée d’une telle charte serait d’abord symbolique, puisque cela ne changera pas grand-chose juridiquement. Figer une définition minimale pourrait avoir un intérêt, à condition qu’elle soit consensuelle. La laïcité est entendue sous différentes acceptions ; elle est un objet de débat et sujette à des interprétations qui nuisent à sa compréhension et à sa juste application. À mon sens, il faudrait d’abord s’entendre sur une définition, puis voir quelle serait la plus-value de l’intégrer à une charte.
M. Antoine Léaument (LFI-NFP). Il est très étrange d’intégrer dans la Constitution la référence à une « Charte de la laïcité de 2026 » dont on ne sait rien. Cela me semble d’autant plus problématique qu’il n’y a pas d’accord sur la définition du terme. Certains y voient une sorte d’athéisme d’État, mettant à distance toutes les religions. D’autres, au contraire, la considèrent comme un outil de liberté permettant de respecter l’intégralité des religions dans une forme de neutralité. Le Conseil constitutionnel parle d’ailleurs de la « neutralité de l’État », tandis que ce texte mentionne la « neutralité des administrations publiques et de tout organisme investi d’une mission de service public », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. La neutralité, est-ce la distance ou l’interdiction ? Au moment d’appliquer la loi de 1905, il y a ainsi eu un débat pour savoir s’il devait y avoir des crucifix dans les salles de classe. Le débat a été tranché en disant que, dans l’idéal, il n’en faudrait pas, mais qu’on pouvait les laisser là où les gens n’étaient pas d’accord pour les enlever. On a évité de choquer. Nous nous sommes tellement éloignés de la définition de la laïcité dans la loi de 1905 et de ses premières applications que la perspective de cette charte m’inquiète. Nous voterons contre l’amendement.
M. Ludovic Mendes (EPR). Étant mosellan, je ne peux me satisfaire de votre proposition, qui oublie que l’Alsace et la Moselle sont régies par un droit différent. L’État y reconnaît des établissements publics cultuels, ce qui permet de les financer. L’évêque et les archevêques sont nommés par le président de la République et par le Vatican. Il ne faut pas oublier non plus les décrets Mandel relatifs aux outre-mer.
M. Jérôme Guedj, rapporteur. Ce n’est pas remis en cause !
M. Ludovic Mendes (EPR). Si, puisque vous voulez inscrire que la République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte. Vous oubliez nos particularismes. Ce n’est pas que nous voulions défendre à tout prix le Concordat, mais il s’agit d’un droit local particulier qui ne peut être remis en question, comme l’a souligné la décision QPC Somodia du Conseil constitutionnel du 5 août 2011. Ainsi, la plupart de nos associations ne sont pas régies par la loi de 1901, mais par le code civil local de 1908. Alors que nous insistons régulièrement sur les spécificités de nos territoires, vous n’en tenez pas compte dans votre proposition de loi constitutionnelle.
M. le président Florent Boudié. Jérémie Iordanoff me demande si nous pouvons examiner vos deux amendements ensemble, monsieur le rapporteur, ce qui me semble une bonne idée.
M. Pouria Amirshahi (EcoS). On ne constitutionnaliserait pas la définition de la laïcité, mais on constitutionnaliserait une charte qui en fait état. Je ne comprends pas le recours à cet artifice. Je comprends encore moins l’idée de devoir nous prononcer sur cet amendement, alors que nous n’avons pas le contenu de la charte. La présentation groupée suggérée par Jérémie Iordanoff va sans doute simplifier le débat. Prenons garde tout de même à ne pas ouvrir la boîte de Pandore. Beaucoup d’entre nous sont attachés à la laïcité, au titre des principes républicains qui nous animent, mais c’est un sujet très abrasif. Or les prochains mois promettent d’être très tourmentés et certains feront de la laïcité l’une des causes de nos troubles identitaires.
Amendement CL4 de M. Jérôme Guedj et sous-amendements CL9 et CL10 de M. Jérémie Iordanoff
M. Jérôme Guedj, rapporteur. La définition de la laïcité envisagée à l’article unique reprend, monsieur Mendes, les éléments que le Conseil constitutionnel a construits progressivement avant de les consolider dans la décision QPC du 21 février 2013, relative au financement public des cultes religieux en Alsace-Moselle. Ce n’est donc pas un cheval de Troie pour remettre en cause les différents régimes dérogatoires. Si le législateur décidait un jour de les remettre en question, il pourrait le faire avec ou sans garde-fou constitutionnel.
Pour rédiger la charte, nous avons retenu des éléments consensuels de définition du principe de laïcité, qui renvoient les sujets discutés au niveau législatif. Cela signifie que cette charte n’empêchera jamais le droit de la laïcité d’évoluer dans un sens ou dans l’autre. Si une majorité décidait demain de revenir sur le régime concordataire, elle pourrait le faire malgré la charte. À l’inverse, si une majorité voulait changer radicalement les principes en matière de laïcité, elle pourrait aussi le faire.
Je vous invite à lire ensemble notre proposition de charte.
« Art. 1er. – La laïcité repose sur les principes suivants : la liberté de conscience, le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public, la neutralité de l’État, l’égalité de tous les citoyens devant la loi, quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions. » Nous ne faisons que reprendre les éléments de la décision QPC du 21 février 2013, pour les redéfinir dans les articles qui suivent.
« Art. 2. – La laïcité garantit la liberté de conscience des citoyens. Elle protège le droit d’avoir une religion ou de ne pas en avoir, de changer de religion, ou d’y renoncer. Nul ne peut être contraint de se conformer à des prescriptions d’ordre religieux. Nul ne peut être contraint de ne pas se conformer à de telles prescriptions, dans les limites fixées par la loi. » Ces deux dernières phrases sont le cœur même de la loi de 1905 : la proscription de toute pression pour pratiquer une religion ou pour ne pas la pratiquer.
« Art. 3. La laïcité protège la liberté d’expression des citoyens. » Cet article vise à consacrer le fait qu’il n’y ait pas de contradiction entre les deux principes – Laure Miller mentionnait le droit au blasphème tout à l’heure.
« Art. 4. – La laïcité garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public. » L’article confirme la possibilité d’afficher, dans l’espace public, son appartenance religieuse ; cela ne veut pas dire que la religion est cantonnée à la sphère privée. Les manifestations religieuses doivent respecter l’ordre public.
« Art. 5. – La laïcité nécessite la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses. L’ordre politique est fondé sur la seule souveraineté nationale.
Art. 6. – La laïcité impose la neutralité de l’État, des collectivités territoriales, des services publics et de leurs agents. »
Les deux derniers articles sont une invitation à mener une politique publique de la laïcité.
« Art. 7. – L’éducation, la formation et l’information doivent contribuer à la compréhension et au respect du principe de laïcité par les citoyens.
Art. 8. – Les pouvoirs publics assurent la mise en œuvre des dispositions prévues au sein de la présente Charte. »
C’est une accroche, qui nécessite un gros travail de rédaction avec les sénateurs et un comité de constitutionnalistes et de juristes, comme la Charte de l’environnement. Je le redis, c’est une mise de départ pour obtenir un document qui devra être consensuel, puisqu’il faut la majorité des trois cinquièmes pour réviser la Constitution. Comme la Charte de l’environnement, ce serait une affirmation, une pétition de principe, un outil pédagogique pour, si ce n’est évangéliser – la métaphore serait curieuse –, disons acculturer le plus grand nombre aux enjeux relatifs à la laïcité.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Même s’il est compliqué de voter quelque chose d’inabouti, je suis d’ores et déjà favorable à une telle démarche. C’est pourquoi j’ai déposé ces amendements sur le fond du texte. Je propose ainsi de supprimer le troisième considérant : « Que toute personne présente sur le territoire national a le devoir impérieux de respecter la loi française ». Il ne me semble pas nécessaire de le rappeler. Par ailleurs, je ne comprends pas cette phrase à l’article 5 : « L’ordre politique est fondé sur la seule souveraineté nationale. » N’y aurait-il pas une contradiction avec des conventions internationales ? Je propose de la supprimer également.
M. Jérôme Guedj, rapporteur. Nous voilà aux prémices du long travail collectif d’amendement dont je vous parlais. Le troisième considérant pouvant en effet sembler superfétatoire, je suis favorable au sous-amendement CL9. Quant à l’article 5, il est pour moi la déclinaison de la jolie phrase d’Aristide Briand : « La loi doit protéger la foi, aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi. » C’est l’idée selon laquelle l’ordre politique ne peut s’appuyer sur autre chose que la souveraineté nationale, qui procède elle-même de la souveraineté populaire. Peut-être la formulation n’est-elle pas suffisamment précise.
M. Paul Molac (LIOT). Les effets de bord de cette charte m’inquiètent un peu. Pour ne prendre que l’article 5, aux termes duquel « la laïcité nécessite la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses », comment faire lorsqu’une congrégation religieuse a une mission de service public, dans les établissements scolaires ou les hôpitaux, par exemple ? On revient en 1905, quand toutes les congrégations ont été mises dehors. Par la suite, un équilibre avait été trouvé avec la loi Debré, puisqu’elles ont pu enseigner dans un cadre contractuel proposé par l’État. Je crains que la charte ne vienne rompre des équilibres très fragiles. C’est manu militari que les congrégations ont été expulsées. C’est l’armée qui a fermé les écoles et les couvents. Si on tombe sur un psychorigide qui veut appliquer la charte, on n’a pas fini de rigoler.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). Je comprends l’argumentation du rapporteur et retire donc mon sous-amendement CL10.
M. Jérôme Guedj, rapporteur. Je tiens à rassurer M. Molac : le juge constitutionnel, en dépit de toute mention, a considéré que l’intention du constituant, en 1946 comme en 1958, n’était pas de remettre en question les régimes préexistants, et la loi Debré continue de s’appliquer. Il ne s’agit donc pas de la lecture rigoriste que vous redoutez.
M. le président Florent Boudié. J’ajouterai deux éléments. Tout d’abord, puisqu’il s’agit d’une proposition de loi constitutionnelle, elle doit être soumise à référendum, sauf bien sûr si l’exécutif devait la reprendre sous forme de projet de loi constitutionnelle, auquel cas le président de la République pourrait recourir à la procédure d’un vote aux trois cinquièmes au congrès. En second lieu, il n’est pas nécessaire d’indiquer la date de la charte de la laïcité.
Le sous-amendement CL10 est retiré.
La commission adopte successivement l’amendement CL5, le sous-amendement CL9 et l’amendement CL4 sous-amendé.
Article unique : (titres XI ter, article 71-2 [nouveaux] de la Constitution)
Amendement CL2 de M. Philippe Gosselin et sous-amendement CL7 de M. Jérôme Guedj
M. Ian Boucard (DR). L’amendement CL2 vise à rattacher la compétence relative à la laïcité au Défenseur des droits, au lieu de créer une autorité distincte et, si une définition du principe de laïcité devait être retenue dans la Constitution – étant entendu qu’il vaudrait mieux que ce ne soit pas le cas –, à retenir celle qui procède de la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2013.
M. Jérôme Guedj, rapporteur. Devant cette opposition, j’émettrai un avis de sagesse. Quant à l’argument fondé sur la redondance des autorités administratives indépendantes, monsieur Boucard, je me permets de rappeler que c’est Nicolas Sarkozy qui a créé le Défenseur des droits – et il a très bien fait.
J’entends aussi l’argument selon lequel il existerait un risque de confusion, car la mission du Défenseur de la laïcité chevauche une partie de celles du Défenseur des droits. Je souhaite que nous puissions avancer intelligemment en la matière, ce qui serait le cas s’il existe demain un Défenseur des droits et de la laïcité dont les missions sont inscrites dans la Constitution et dans la loi organique qui l’accompagnera pour les préciser.
Je pensais, à titre principal, qu’il fallait donner à cette mission la force d’une structure autonome, mais j’entends l’argument opérationnel invoquant le chevauchement des autorités administratives, voire, accessoirement, celui des économies que nous pourrions réaliser : d’où mon sous-amendement visant à retirer la définition de la laïcité qui subsistait dans l’amendement de M. Gosselin. J’ai en effet entendu qu’on ne voulait pas figer dans la Constitution une définition de la laïcité et, puisque nous venons de nous engager dans un processus de rédaction d’une charte de la laïcité, il faut supprimer cette définition. Le sous-amendement conserve cependant le glissement de la compétence vers le Défenseur des droits, qu’il faudra désormais appeler Défenseur des droits et de la laïcité.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS). La laïcité est un principe d’organisation de l’État et si ce mode d’organisation concourt à garantir la liberté de croyance et de culte, la laïcité en elle-même n’est pas une liberté ou un droit individuel. Le modèle du Défenseur des droits ne me semble donc pas duplicable pour s’appliquer au principe de laïcité. Confondre un principe d’organisation de l’État avec une liberté et un droit individuel est source de nombreuses dérives dans la compréhension et la définition même du principe de laïcité. L’égalité devant la loi, la liberté de croyance et la liberté de culte, qui sont les trois grandes libertés que consacre et que garantit la laïcité, sont déjà de la compétence du Défenseur des droits, qui formule d’ailleurs dans son rapport d’activité plusieurs préconisations et recense des entorses à ces droits.
Je suis, par ailleurs, étonné que la Droite républicaine réaffirme son attachement à la laïcité, qui consacre la liberté de la pratique religieuse, alors qu’elle attaque outrancièrement cette liberté depuis plusieurs jours – c’est quasiment un festival : Laurent Wauquiez dépose une proposition de loi visant à interdire le port du voile aux moins de 18 ans et les sénateurs veulent l’interdire aux accompagnatrices scolaires, qui ne sont même pas des agents du service public. Les cordonniers étant souvent les plus mal chaussés, votre groupe ne voit, en revanche, aucun problème quand il s’agit de soutenir le maire de Béziers qui inaugure une crèche dans son hôtel de ville, en violation manifeste la loi de 1905. Cette famille politique s’est pourtant illustrée par sa défense quasi inconditionnelle de la liberté d’éducation et du droit des parents de soustraire leurs enfants à l’institution républicaine par excellence qu’est l’école publique. Vos attaques contre cette liberté d’éducation sont d’autant plus surprenantes que les outils existent.
M. Ian Boucard (DR). Nous soutenons le sous-amendement de M. Guedj car, si l’amendement de M. Gosselin propose de reprendre la définition formulée par le Conseil constitutionnel en 2013, mieux vaut encore ne pas l’inscrire dans la Constitution.
Monsieur Duplessy, vous êtes un peu culotté, car les quatre membres du groupe écologiste présents dans notre commission ont quatre avis différents, en fonction de l’endroit où ils sont élus et de la sensibilité de chacun – ce qui, du reste, est bien normal à propos d’un sujet comme la laïcité.
J’ajoute que la proposition formulée par le Sénat d’interdire aux femmes voilées d’accompagner les sorties scolaires renvoie à un débat qui a traversé notre assemblée entre 2017 et 2022. Je faisais partie de ceux qui n’étaient pas favorables à cette mesure, avec notre ancien collègue Alain Ramadier, et Mme la vice-présidente Abomangoli s’en souvient sans doute. Au sein de notre groupe aussi – et, comme je l’espère, au sein de tous les groupes –, les débats sur la laïcité ne sont pas uniformes. La laïcité est, comme vous l’avez rappelé, un principe d’organisation de l’État et chacun agit en fonction de ses valeurs, de ses convictions et de son histoire. L’intervention de nos collègues mosellans et alsaciens suggère des répercussions différentes dans leurs territoires et le débat serait encore différent pour nos collègues d’outre-mer, compte tenu de la réglementation spécifique qui s’applique chez eux. Cette attaque était donc superfétatoire et ressemblait plus à une mauvaise émission de télévision qu’au consensus qui s’exprime habituellement dans cette commission des lois.
M. le président Florent Boudié. Habituellement, c’est beaucoup dire !
M. Pouria Amirshahi (EcoS). L’exemple que vous donnez en invoquant la perception des Alsaciens et Mosellans montre qu’il y a matière à discussion et qu’il ne faut pas balayer cette réalité du revers de la main. Je connais le rapporteur depuis très longtemps et je n’ai aucun doute sur le fait que nous partageons les mêmes convictions sur la laïcité mais – souffrez la critique –, sur un sujet aussi important, il faudrait retravailler un peu plus les propositions. En effet, comme le reconnaît le rapporteur lui-même, tous les doutes qui se sont exprimés sont sérieux et graves.
Au lieu donc d’insérer cette discussion dans une niche, peut-être aurait-il été plus avisé de passer une journée entière sur la question, avec un projet ou une proposition de loi spécifique, afin d’éviter de précipiter un débat si grave. Il est certes bon que nous l’ayons aujourd’hui, mais il est davantage un éclairage pour la suite qu’un acte définitif. De fait, et pardon de le dire, le texte ne me paraît pas encore bien ficelé.
M. Jérôme Guedj, rapporteur. Monsieur Duplessy, je partage vos interrogations. Il est vrai que le Défenseur des droits est très marqué par une culture de protection des libertés et des droits fondamentaux des individus, alors que la laïcité n’est pas réductible à ces seuls droits. Le Défenseur des droits ne traite pas seulement, en effet, des discriminations religieuses, mais aussi de l’organisation des services publics. C’est la raison pour laquelle il me semblait qu’il fallait d’abord avoir un objet distinct. Le pari consistant à insérer cette compétence parmi celles relevant d’un Défenseur des droits et de la laïcité visait à permettre une cohabitation de ces deux pratiques, davantage tournée vers libertés et les droits individuels que vers la dimension collective. D’où mon avis de sagesse.
Du reste, M. Amirshahi a raison : j’utilise cette niche parlementaire pour lancer un débat. Mon objectif est que ce texte ainsi amendé soit voté et que la présidente de l’Assemblée nationale, le président du Sénat ou nous-mêmes nous attachions à définir un point d’atterrissage qui comprendrait notamment la rédaction d’une charte de la laïcité ou des prérogatives et du mode de fonctionnement de ce Défenseur des droits et de la laïcité.
Il y avait deux manières d’appréhender cette démarche : en amont, pendant deux ans, au sein d’un groupe de travail transpartisan pour tenter de déboucher sur quelque chose, ou en jouant un rôle d’aiguillon, y compris en direction du gouvernement. De fait, lors de leurs auditions, les ministères ont déclaré qu’ils avaient bien compris que je formulais cette proposition parce que le comité interministériel de la laïcité ne s’était pas réuni depuis quatre ans et que, comme tout le monde en convient, nous avions besoin de structurer une politique publique de la laïcité pour dépassionner et désescalader. Je pense en effet que tout le monde est d’accord. Ainsi, un plan de formation des enseignants a été annoncé lors du comité interministériel du 9 décembre 2021, avec l’objectif de former 100 % des agents publics aux enjeux de la laïcité mais, quatre ans plus tard, et même si c’est déjà beaucoup, 1 200 000 agents seulement ont été formés – souvent dans le champ de l’éducation nationale– et 3 ou 4 millions d’autres, qui sont les premiers confrontés aux enjeux de la laïcité, ne l’ont donc pas été. Cela ne peut se faire qu’avec une politique publique de formation et de sensibilisation. Il en va de même, notamment, pour les enjeux scolaires.
J’ajoute que mon sous-amendement reprend l’amendement CL1 de Mme Miller, qui visait à supprimer la définition de la laïcité, afin de faire glisser la compétence relative à la laïcité vers une autorité unique : le Défenseur des droits, investi de prérogatives élargies.
M. Ludovic Mendes (EPR). Ce dispositif semble cohérent. De fait, le Défenseur des droits est intervenu à diverses reprises à propos des droits en matière de laïcité, en réponse à des étudiants qui demandaient le respect de leurs droits, car l’obligation qui existe dans le monde universitaire de proposer des aumôneries n’est pas toujours respectée, alors que le débat s’oriente sur le port du voile à l’université. À titre personnel, et sans que cela engage mon groupe, je pense que le sous-amendement de M. Guedj à l’amendement de M. Gosselin, qui supprime la définition du principe de laïcité – laquelle peut poser problème aux Alsaciens et aux Mosellans – paraît adapté et plus juste. Il évite aussi de créer un nouveau défenseur, à un moment où toutes les ressources disponibles pour le Défenseur des droits importent.
Il est vrai par ailleurs, Monsieur le rapporteur, que la formation à la laïcité laisse à désirer dans tous les services publics. Nous avons aussi un problème de reconnaissance des droits, de discrimination des personnes liée à leur confession religieuse et d’actes antireligieux. Nous devrions avoir un vrai débat de fond sur les réponses adaptées et la classe politique devrait enfin accepter que la laïcité repose sur un seul texte et cesser de le réadapter en fonction des interprétations.
M. Jérémie Iordanoff (EcoS). La proposition de loi touchait à deux sujets : la définition et la constitutionnalisation du principe de laïcité. Nous touchons ici au second, en nous demandant s’il existe une instance chargée d’appliquer cette définition, et quelle est la nature de cette instance. Il était proposé d’instaurer un Défenseur de la laïcité, dont la compétence chevauchait quelque peu celles du Défenseur des droits. J’étais, quant à moi, relativement défavorable à la création de ce Défenseur de la laïcité et je propose, dans un amendement qui sera appelé plus tard, le recours à une autorité administrative indépendante dénommée plutôt observatoire, dans l’esprit de l’Observatoire de la laïcité qui a existé dans le passé. Cette autorité ne retirerait pas de compétences au Défenseur des droits en matière de discriminations, mais formulerait des préconisations de politiques publiques.
Lors des auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons eu un débat sur la question de savoir s’il valait mieux recourir à une autorité administrative indépendante qui ferait des préconisations ou à une organisation interministérielle. Je n’ai pas tranché cette question. Le format interministériel de l’ancien Observatoire de la laïcité avait l’avantage de mieux intégrer les politiques publiques à une politique gouvernementale, alors que les préconisations d’une autorité administrative indépendante ne sont pas nécessairement suivies par le gouvernement. Dans le cas d’un observatoire interministériel, le danger est qu’il peut disparaître selon la couleur politique du gouvernement, comme on l’a vu. Je ne suis donc pas défavorable à ce que la question soit gérée par une autorité administrative indépendante mais, en réalité, la compétence en la matière appartient déjà au Défenseur des droits.
Je serai donc favorable au sous-amendement et m’abstiendrai sur l’amendement Gosselin. Il faut avancer dans la réflexion pour savoir si nous avons besoin d’une autorité admirative indépendante supplémentaire – je n’en suis pas convaincu, notamment s’il existe une charte de la laïcité. Je ne sais pas non plus si un observatoire est nécessaire et, si nous devions avoir un outil supplémentaire, il serait peut-être plus efficace s’il était interministériel.
M. Jean Terlier (EPR). Étant donné que l’amendement de Mme Miller tombera si celui-ci et adopté, je rappelle qu’à ce stade, notre groupe considère que ce n’est pas une bonne idée d’inscrire une définition du principe de laïcité dans le bloc de constitutionnalité. La jurisprudence de juillet 2022 du Conseil constitutionnel nous semble se suffire à elle-même et donne déjà à ce principe une valeur constitutionnelle.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.
En conséquence, l’article unique est ainsi rédigé et les amendements CL3 de M. Jérémie Iordanoff, CL1 de Mme Laure Miller et CL8 de M. Jérôme Guedj tombent.
La commission rejette l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi constitutionnelle portant création d’un Défenseur de la laïcité et définition de ce principe (n° 2000) (M. Jérôme Guedj, rapporteur).
Mme Anne-Laure Pajot, adjointe au chef de bureau du droit constitutionnel et du droit public général
Mme Caroline Pascal, directrice générale
Mme Judith Klein, cheffe du bureau de l’égalité filles-garçons, de la lutte contre les discriminations, de la citoyenneté et de l’engagement
M. Éric Buge, directeur
M. Vincent Ploquin, directeur adjoint
Mme Nathalie Tehio, présidente
Mme Marie-Laure Tirelle, secrétaire générale
M. Mohammed Attia, membre
M. Dominique Goussot, vice-président
Mme Catherine Chenevier, sous-directrice de l'éthique, de la protection des publics et des métiers ;
Mme Hélène Trehlu, Chargé de mission juridique ;
M. Julien Boutet, chargé de mission prévention des violences et discriminations ;
M. Yves Rançon Meyrel, chef du bureau éthique, intégrité et politique de prévention
Mme Claire Hédon, défenseure des droits
M. Antoine Touron, conseiller parlementaire
M. Jimmy Charruau, conseiller expert au secrétariat général
M. Charles Arambourou, coordinateur du rapport annuel
([1]) On peut citer, par exemple, le guide de la laïcité à l’université, le guide ministériel à l’intention des acteurs du sport, le « guide républicain » de l’Éducation nationale, le guide de la laïcité dans le service public du ministère de la Justice ou encore le guide de la laïcité en entreprise diffusé par le ministère du travail. Des guides identiques ont également été publiés par la caisse nationale d’allocations familiales et l’APHP par exemple.
([2]) Nathalie Jacquinot et Alexandre Mangiavillano, « Droit constitutionnel, janvier 2013 – décembre 2013 », Recueil Dalloz, n° 26, 2014, p. 1516.
([3]) Ce principe souffre en effet de différentes dérogations liées soit à la nécessité pour l’État de garantir le libre exercice du culte (aumôniers en prison etc.) et au sein des territoires où la loi du 9 décembre 1905 ne s’applique pas.
([4]) Circulaire du 18 mai 2004 relative à la mise en œuvre de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
([5]) Ce stage de citoyenneté peut d’ailleurs se substituer à l’amende précitée.
([6]) Séance de questions au Gouvernement du 6 mai 2024.
([7]) Ces éléments ont notamment été abordés par Mme Philip lors de la table-ronde rassemblant diverses personnalités qualifiées qui s’est réunie le vendredi 28 novembre dernier.
([8]) Réponses écrites de la DLPAJ à votre rapporteur, lundi 1er décembre.