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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 décembre 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste,
Président
M. Xavier BRETON
Rapporteur
M. Matthieu BLOCH
Députés
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Voir les numéros : 1382 et 1488.
La commission relative sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste, est composée de ([1]) : Mme Sophie Pantel, présidente (jusqu’au 7 juillet 2025), M. Vincent Jeanbrun, président (du 7 octobre 2025 au 14 octobre 2025), M. Xavier Breton, président (à compter du 16 octobre 2025) ; M. Vincent Jeanbrun, rapporteur (jusqu’au 6 octobre 2025), M. Matthieu Bloch, rapporteur (à compter du 7 octobre 2025) ; M. Xavier Albertini ; Mme Léa Balage El Mariky ; Mme Sylvie Bonnet ; Mme Danielle Brulebois (à compter du 9 décembre 2025) ; M. Jérôme Buisson ; M. Pierre‑Yves Cadalen ; M. Aymeric Caron ; M. Eddy Casterman ; M. Hadrien Clouet ; Mme Josiane Corneloup ; M. Nicolas Dragon ; Mme Géraldine Grangier ; M. Laurent Jacobelli ; Mme Sandrine Josso ; Mme Constance Le Grip ; M. Mathieu Lefèvre (jusqu’au 6 octobre 2025) ; M. Paul Molac ; Mme Danièle Obono ; M. Julien Odoul ; Mme Sophie Pantel (à compter du 3 décembre 2025) ; M. Jérémie Patrier-Leitus ; Mme Anna Pic (à compter du 7 octobre 2025) ; M. Charles Rodwell ; M. Nicolas Sansu ; Mme Sabrina Sebaihi ; Mme Prisca Thevenot ; Mme Céline Thiébault-Martinez ; Mme Caroline Yadan.
SOMMAIRE
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Pages
I. Depuis les années 1960, l’islamisme politique s’est progressivement implanté en France
2. Naissance des mouvements islamistes en Afrique du Nord et au Moyen‑Orient
1. Les Frères musulmans s’implantent progressivement en Europe à compter des années 1950
2. Le salafisme s’établit également en Europe à compter des années 1960
b. Une mouvance quiétiste peu structurée et centrée sur la prédication
c. Le phénomène d’hybridation entre salafisme et djihadisme lors du conflit afghan
A. Attaquer la République pour s’en prendre aux valeurs qu’elle représente : le temps des attentats
1. La menace est aujourd’hui principalement endogène
2. La menace exogène n’a pas pour autant disparu
3. La menace islamiste demeure élevée et comporte désormais une dimension séparatiste
A. Des écosystèmes séparatistes aux revendications identitaires
1. Le séparatisme islamiste, une menace pour la République
2. Des écosystèmes séparatistes implantés sur l’ensemble du territoire
B. Une stratégie d’entrisme incarnée par les Frères musulmans
2. Des pratiques difficilement repérables par les services de l’État
C. Les relais d’influence des mouvements islamistes auprès de certaines organisations ou publics
1. Le champ éducatif, relai d’influence privilégié des mouvements islamistes
2. L’université, terrain de séduction des Frères musulmans ?
3. Une influence forte dans le monde associatif et sportif
4. Les « machines de prédication virtuelles », nouvel espace d’influence
a. Des stratégies locales difficiles à déceler
2. Une vigilance accrue dans la perspective des municipales de 2026
II. Au niveau national, le jeu dangereux de représentants politiques avec les mouvances islamistes
A. Des coalitions militantes fondÉes sur des convergences idÉologiques et des logiques opportunistes
3. Une convergence opportuniste autour de certaines causes pouvant être, en elles-mêmes, légitimes
a. Des manifestations pro-palestiniennes d’une ampleur nouvelle
a. Des élus au contact de nouveaux collectifs liés à la mouvance islamiste
b. Les liens de solidarité entre ces collectifs
A. Une stratégie électorale de captation du « vote musulman »
1. Une stratégie clientéliste passant par l’instrumentalisation de la cause palestinienne
2. Des inflexions idéologiques notables du mouvement et de son fondateur
1. Des élus complaisants devenus une cible privilégiée de l’entrisme islamiste
a. La recomposition de sections locales en faveur d’individus proches des mouvements islamistes
b. Une instrumentalisation de la cause palestinienne qui conduit à de graves dérives
a. Garantir le respect des lois et des principes de la République
b. Actualiser les dispositions relatives aux cultes
B. Les limites des outils en vigueur face À une menace en constante évolution
1. Des outils insuffisamment mobilisés face à des acteurs qui s’adaptent
a. Les limites des outils en vigueur
b. Des décideurs publics encore insuffisamment sensibilisés à la menace
c. Des acteurs qui s’adaptent pour contourner l’action publique
a. Un débat public polarisé : un clivage entretenu entre « islamogauchistes » et « islamophobes »
b. Des tensions dans les champs médiatique et universitaire
II. Un sursaut collectif est urgent pour engager la lutte contre l’islamisme dans une nouvelle phase
A. L’action publique doit gagner en efficacitÉ Face À une menace qui se dÉveloppe
b. Mieux contrôler les lieux de culte
c. Renforcer le contrôle des associations et des fonds de dotation
d. Améliorer la surveillance des structures et des individus soupçonnés de séparatisme ou d’entrisme
B. Mieux connaître et faire connaître la menace
1. Mieux connaître la menace et la faire connaître au grand public
a. Mobiliser les universités et renforcer l’islamologie
b. Éclairer le débat public à travers des publications statistiques et institutionnelles
2. Conscientiser les décideurs publics et en particulier les élus locaux
a. Informer et être présents aux côtés des décideurs publics
b. Institutionnaliser le dialogue entre le préfet et les élus locaux
d. Sensibiliser les parlementaires à la menace de l’islamisme politique
C. Combattre une idÉologie contraire À nos valeurs par des actions positives concrÈtes
a. Protéger la jeunesse des influences islamistes
c. Faire cesser les dérives communautaires en milieu sportif
2. Promouvoir les valeurs de la République
Liste des personnes auditionnées
Annexe : Changements de la composition de la commissIon d’enquête intervenus au cours de ses travaux
Contributions des membres de la commission d’enquête
Contribution du groupe La France insoumise
Contribution du groupe Rassemblement national
Contribution du groupe de La Droite républicaine
Contribution de Mme Constance Le Grip, députée des Hauts-de-Seine
Comptes rendus des auditions menées par la commission d’enquête
1. Audition, à huis clos, de M. Bernard Rougier, professeur des universités (8 octobre 2025)
4. Audition, ouverte à la presse, de M. Omar Youssef Souleimane, journaliste (16 octobre 2025)
7. Audition, ouverte à la presse, de Mme Nora Bussigny, journaliste (21 octobre 2025)
11. Audition de M. Emmanuel Razavi, reporter (28 octobre 2025)
15. Audition, à huis clos, de M. Laurent Bonnefoy, chercheur au CERI (30 octobre 2025)
17. Audition de Mme Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice (4 novembre 2025)
19. Audition, à huis clos, de M. Cédric Brun, conseiller régional (5 novembre 2025)
24. Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Nuñez, ministre de l’Intérieur (18 novembre 2025)
28. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Mélenchon (6 décembre 2025)
Ni une cage de MMA, ni un chapiteau de cirque.
Une commission d’enquête n’est pas une cage de MMA, autour de laquelle des spectateurs assoiffés de confrontations violentes viendraient se repaître de K.O.
Une commission d’enquête n’est pas non plus un chapiteau de cirque sous lequel des pirouettes et des numéros d’illusionniste viendraient amuser une galerie de spectateurs conquis d’avance.
Non, une commission d’enquête parlementaire est faite pour écouter, pour comprendre et, au final, pour rendre un rapport et formuler des recommandations.
Nous y voilà.
Deux types de publics vont certainement être déçus :
– d’un côté, ceux qui entendent « islamiste » quand on dit « musulman ». Voyant dans tout musulman un islamiste en puissance, ils attendaient impatiemment un rapport partial qui viendrait alimenter leur théorie ;
– de l’autre côté, ceux qui font mine d’entendre « musulman » quand on dit « islamiste ». Tout à leur quête d’un vote communautaire, et sous les faux prétextes de stigmatisation et d’islamophobie, ils entravent toute réflexion et toute action contre la menace islamiste qui pèse sur nos démocraties.
Au-delà de leurs divergences, ces deux publics ont en fait un point commun : ils font un amalgame dangereux entre islamisme et islam.
Il est donc tout à fait logique, et même réconfortant, que ce rapport ne convienne ni aux uns ni aux autres.
Créée le 24 juin 2025, la commission d’enquête sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste porte sur un objet peu documenté jusqu’à présent, et pourtant particulièrement sensible pour les années à venir, à savoir les stratégies mises en œuvre par des mouvements islamistes pour influer, aux niveaux local et national, sur les élus et les partis politiques en vue de modifier nos règles républicaines.
Les travaux de la commission complètent ainsi les premières analyses présentées par le rapport Frères musulmans et islamisme politique en France, publié par le ministère de l’Intérieur en mars 2025, selon lequel « la diffusion de l’islamisme résulte aujourd’hui principalement d’un activisme militant ancré au plan municipal, renforcé par une nouvelle génération de prédicateurs ». Insistant sur le danger que représentent les écosystèmes islamistes implantés sur notre territoire, ce rapport souligne la nécessité d’accroître notre vigilance sur l’influence que tentent d’exercer les mouvements islamistes sur les élus locaux en vue des prochaines échéances électorales, et notamment des élections municipales de 2026.
La diffusion de cette idéologie est également visible dans le comportement de certains élus nationaux, affichant publiquement et de manière assumée à l’occasion de manifestations ou de réunions, une proximité ou un soutien à des individus et collectifs proches de ces mouvements. Ce comportement révèle une forme d’amalgame entre islam et islamisme, défense des minorités et atteinte à l’universalisme républicain, engagement pour la cause palestinienne et complaisance à l’égard de groupes terroristes.
C’est ainsi pour documenter précisément la présence de l’islamisme en France et ses stratégies d’implantation, et comprendre les différentes relations que les tenants de cette idéologie cherchent à établir avec les élus ou mouvements politiques, que le groupe parlementaire Droite républicaine a souhaité faire usage de son droit de tirage.
Pour éclairer sa réflexion sur ce sujet sensible, la commission d’enquête a procédé à vingt-neuf auditions, recueillant d’utiles informations de la part des ministres compétents (M. Laurent Nunez, ministre de l’intérieur, M. Philippe Baptiste, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’espace, et M. Gérald Darmanin, Garde des Sceaux), des services de renseignement (direction générale de la sécurité extérieure, direction générale de la sécurité intérieure, direction nationale du renseignement territorial, direction du renseignement de la préfecture de police de Paris et service du renseignement financier), d’autres services compétents (secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale, direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur, comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation), de chercheurs et experts (notamment M. Olivier Roy, M. Bernard Rougier, M. Laurent Bonnefoy, M. Vincent Tiberj, M. Ghaleb Bencheikh et Mme Florence Bergeaud‑Blackler), de journalistes et reporters (notamment Mme Nora Bussigny, M. Erwan Seznec et M. Emmanuel Razavi), d’ambassadeurs de France en poste en Europe, au Maghreb ou au Moyen-Orient, de préfets, de maires et de responsables politiques (Mme Marine Tondelier et M. Jean-Luc Mélenchon).
Sur ces vingt-neuf auditions, quatorze étaient ouvertes à la presse et retransmises sur le site de l’Assemblée nationale. Au regard de la sensibilité du sujet, les quinze autres auditions se sont tenues à huis clos, soit neuf auditions des services de renseignement ou du ministère de l’intérieur, et de préfets, une audition réunissant des ambassadeurs, quatre auditions de personnes menacées – parfois de mort – pour leurs travaux, leurs positions publiques ou leurs décisions, et une audition de journalistes pour protéger d’éventuelles informations confidentielles. Ces auditions ont toutes fait l’objet de comptes rendus publiés sur le site de l’Assemblée nationale au fur et à mesure de l’avancée des travaux de la commission.
Ces nombreux échanges ont permis de confronter des points de vue différents sur les logiques à l’œuvre au sein des mouvements islamistes et les raisons de la diffusion de cette idéologie dans notre pays. Ils ont également permis d’objectiver :
– la menace et ses cibles prioritaires : la jeunesse, notamment au travers de la prédication en ligne, le secteur associatif culturel, social et cultuel, mais également, les décideurs publics ;
– les liens existants entre certains élus et représentants politiques avec des mouvements islamistes ;
– certains modes opératoires : le recours à un double-discours, reprenant les codes républicains, les postures de victimisation notamment au travers de la dénonciation d’une supposée « islamophobie d’État », l’instrumentalisation de certaines causes ou débats, comme la cause palestinienne, la place de la religion dans l’espace public, les discriminations envers les minorités, etc.
Si la commission a ainsi collecté des informations utiles à la compréhension des mécanismes à l’œuvre, le président ne peut que regretter que certaines personnes contactées n’aient pas donné suite à leur convocation, évoquant notamment des réticences à s’exprimer sur le sujet traité par la commission d’enquête. Le refus de participer aux travaux, notamment de la part de certains experts ou chercheurs, peut d’une part priver la commission d’informations importantes pour la compréhension des phénomènes à l’œuvre et d’autre part lui être reproché si seuls les partisans d’une conception du sujet acceptent d’être auditionnés.
Le Président remercie en revanche tous les services, chercheurs, experts, élus, hauts fonctionnaires et représentants politiques qui ont accepté de jouer pleinement le jeu de la démocratie et contribué à établir, avec sérieux et sérénité, un certain nombre d’éléments devant désormais permettre à la représentation nationale de mieux se saisir de la menace islamiste et de ses stratégies pour influer sur nos valeurs et nos principes républicains.
Il remercie également la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne et ses interlocuteurs auprès du Parlement européen et de la Commission européenne avec lesquels il a pu échanger, en compagnie du rapporteur, sur l’action commune à mettre rapidement en œuvre au niveau européen pour lutter plus efficacement contre cette menace.
Au terme des travaux de la commission, le Président, s’il partage de nombreuses recommandations formulées par le rapporteur, souhaiterait insister sur l’importance de nous protéger de l’entrisme islamiste à l’occasion des prochaines élections municipales de mars 2026.
Il invite ainsi l’ensemble des acteurs – services de l’État, élus, mouvements politiques – à une vigilance particulière à ce sujet et recommande :
– de renforcer les formations disponibles pour mieux appréhender l’islamisme politique, la gestion du fait religieux et la connaissance des pratiques communautaires ;
– de garantir un contrôle rigoureux de la provenance des financements bénéficiant à certains candidats ou mouvements politiques ;
– d’exclure tout candidat à une élection municipale qui aurait ouvertement mené une campagne communautariste en tenant des propos contraires à la souveraineté nationale, la démocratie ou la laïcité.
Le Président appelle également le Gouvernement mettre en place des politiques publiques efficaces contre les écosystèmes islamistes locaux qui se sont constitués sur notre territoire et qui sont désormais bien documentés par les services de renseignement. La lutte contre de tels écosystèmes, qui facilitent la propagation de l’islamisme dans nos communes, doit en effet constituer une priorité pour qui entend lutter efficacement contre les phénomènes de séparatisme et d’entrisme à l’œuvre dans notre pays.
Enfin, le Président sera très attentif à la prise en compte des recommandations de ce rapport dans le projet de loi qui devrait être présenté prochainement en vue de répondre aux tentatives d’entrisme islamiste, qui peuvent être soutenues par certains élus et formations politiques.
Associations, lieux de culte, clubs sportifs, accueils collectifs de mineurs, établissements d’enseignement, services aux personnes, syndicats… la liste est désormais longue des acteurs affiliés ou infiltrés par l’islamisme politique, soit par les tenants d’une vision de l’islam exacerbée et revendicatrice.
Olivier Roy indiquait lors de son audition : « Qu’est-ce que l’islamisme ? En substance, cette idéologie affirme qu’il ne suffit pas qu’une société soit musulmane pour qu’elle soit islamique. Pour ses tenants, être musulman relève de la culture, de la tradition, mais leur ambition consiste à reconstruire une société authentiquement islamique à partir de l’État. En ce sens, ils se révèlent tous profondément politiques, avec l’État comme objectif central » ([2]).
L’islamisme politique n’est donc pas l’islam et ne saurait pas davantage être confondu avec la culture islamique. Combattre cette idéologie, ce n’est donc pas discriminer les communautés musulmanes présentes sur notre territoire ou entraver la liberté religieuse, protégée par la Constitution. Combattre cette idéologie, c’est combattre un projet politique qui n’est pas compatible avec notre République.
Dans ce rapport, il ne sera ainsi question que de cette menace qui concerne tous les citoyens, quelle que soit leur confession et quelles que soient leurs préférences politiques, puisque le projet porté par l’islamisme politique, profondément contraire à nos valeurs et principes républicains – au premier titre desquels, la laïcité, la liberté religieuse, l’égalité entre les hommes et les femmes, la lutte contre les discriminations – est tout simplement opposé à ce que nous sommes et à ce que nous défendons en tant que Français.
Or, si plusieurs rapports ont déjà analysé les stratégies et l’organisation de l’islamisme politique dans certains secteurs d’activités, comme le sport ([3]), ou à travers certaines de ses mouvances, comme le rapport du ministère de l’intérieur Frères musulmans et islamisme politique publié en mai 2025 ([4]), à ce jour, aucune étude ne s’était spécialement intéressée à l’influence que cette idéologie tend à exercer sur notre vie politique.
Le projet des islamistes étant par nature politique, il est en effet fondamental de s’intéresser aux stratégies que ces derniers peuvent mettre en place pour approcher puis infiltrer, si l’occasion leur en est laissée, les mouvements et partis politiques.
Car ces stratégies existent. Tous les services de renseignement et du ministère de l’intérieur auditionnés le soulignent. Certaines sont assumées, au travers de personnalités souvent médiatisées qui s’exposent de manière régulière à des signalements devant la justice et parfois finissent condamnées ou expulsées de notre territoire. D’autres sont plus insidieuses, au travers d’une acquisition des codes et du discours républicains pour faire avancer un agenda politique présenté comme autant de revendications des musulmans alors qu’il n’en est rien.
Le principal mérite de cette commission d’enquête aura ainsi été d’examiner pour la première fois les liens qui peuvent exister entre des représentants politiques et des mouvements islamistes, avec lucidité quant à sa sensibilité, mais sans se laisser intimider par ceux qui dénonçaient une instrumentalisation politique, ni par ceux niant jusqu’à l’évidence de la menace islamiste.
Par ailleurs, dans un contexte international particulièrement tendu notamment depuis l’attaque gravissime du Hamas contre l’État d’Israël le 7 octobre 2023, qui constitue le pire massacre qu’ait connu la communauté juive depuis la Seconde Guerre mondiale, la commission d’enquête aura permis d’examiner certaines situations où il n’est plus question d’islamisme politique, mais bien de soutien ou de proximité affichée avec des individus faisant l’apologie d’actes terroristes ou jouant d’une ambiguïté malsaine entre défense de la cause palestinienne et soutien à des actes ou groupes désormais clairement reconnus comme terroristes. Ce constat est d’autant plus grave, préoccupant et même indigne pour les élus qui s’autorisent à avoir de tels comportements, que l’antisémitisme demeure un véritable fléau dans notre société, comme le sont l’ensemble des discriminations à raison de la religion ou de la religion supposée.
Il ressort ainsi des travaux de la commission que :
– l’islamisme politique est une menace sérieuse pour nos institutions, comme en témoignent tous les services de renseignement auditionnés.
Ce constat n’est pas politique. Il est établi par des serviteurs de l’État qui œuvrent, avec leurs agents, chaque jour à notre sécurité et qui nous alertent formellement et sans détour.
– Il faut réagir dès maintenant. Des écosystèmes islamistes sont d’ores et déjà bien implantés sur notre territoire, certains étant bien connus des services, d’autres étant en cours de consolidation.
Les élections des prochaines années dans les territoires concernés pourraient donner lieu à l’implantation d’un islamisme au niveau municipal, soit l’échelon du quotidien et de la relation de proximité avec les citoyens.
Votre rapporteur appelle ainsi avec solennité tous les partis politiques à la plus grande vigilance dans la constitution de leurs listes et à la plus grande prudence vis-à-vis de leurs interlocuteurs, en particulier lorsqu’ils se présentent comme les représentants de communautés religieuses.
– Il ne doit plus y avoir de tolérance avec le comportement complaisant ou ambigu de certains élus peu nombreux, mais dont les décisions sont fortement médiatisées.
Si le débat démocratique doit exister, si les sensibilités politiques doivent s’exprimer librement, si chacun doit pouvoir exprimer ses opinions et critiquer l’action publique, les dérives tendant à relativiser des actes terroristes, accepter des demandes communautaires qui n’ont d’autres objets que de provoquer et polariser le débat public, ou de cliver notre société, doivent interroger le sens des responsabilités de chaque famille politique.
Face à ces constats, plusieurs recommandations peuvent être formulées à ce stade :
– il est nécessaire de mieux connaître les différents mouvements composant l’islamisme politique en France et en Europe, en outillant mieux les services de renseignement et les acteurs de terrain que sont les préfets et les élus locaux, mais également en soutenant la recherche sur ce sujet ;
– certains comportements doivent pouvoir être plus rapidement entravés, soit administrativement, soit judiciairement, lorsqu’il est sciemment porté une atteinte d’une particulière gravité à nos valeurs et principes républicains, qu’il s’agisse de personnes morales, comme des associations, ou de personnes privées ;
– nos valeurs doivent être défendues, notamment auprès de la jeunesse qui constitue une cible privilégiée, en particulier sur les réseaux sociaux, pour ces mouvements et certains représentants politiques, ainsi qu’auprès de l’Union européenne qui doit s’emparer, comme l’a fait la France, de cette question de l’islamisme politique et lutter contre ses différentes stratégies d’influence.
Certains diront que lutter contre l’islamisme n’est pas la priorité, qu’il existe d’autres menaces plus graves, que c’est une façon d’agiter les peurs, voire de présenter une religion ou un groupe minoritaire comme une menace. En tant que rapporteur de cette commission, je les invite à prendre lecture avec attention de ce rapport et des comptes rendus de nos auditions.
Au-delà des services de renseignement et des autres services de l’État compétents, la commission a auditionné des chercheurs, des journalistes, mais également des acteurs de terrain comme des maires et des préfets, ainsi que des personnalités politiques nationales, comme Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti politique Les Écologistes, ou M. Jean-Luc Mélenchon, fondateur du mouvement La France insoumise.
Si les personnes auditionnées ont pu diverger sur les raisons ou l’intensité de la menace que présente l’islamisme politique, toutes se sont accordées à reconnaître son existence et le risque que cette idéologie emporte pour nos institutions. Toutes ont également considéré que les élus doivent être particulièrement prudents à ce sujet et qu’ils ont une responsabilité pour prévenir son extension.
Le constat est donc consensuel. Reste maintenant à agir.
Partie I – L’islamisme politique en France : la diffusion d’une idéologie qui met en péril les principes de la république
Trouvant ses racines dans le monde arabo-musulman, l’idéologie islamiste s’est progressivement diffusée en Europe à compter de la seconde moitié du XXème siècle. Différents mouvements islamistes se sont ainsi développés, structurant des écosystèmes à l’écart de la communauté nationale par le biais de stratégies de repli communautaire ou d’infiltration, parfois fondées sur la dissimulation et le double-discours. La décennie 2010 a été profondément marquée par les manifestations violentes de l’islamisme lors de tragiques attentats terroristes et une aggravation du phénomène séparatiste. Aujourd’hui, ces mouvements continuent d’étendre leur influence : ils s’ancrent localement au sein d’espaces articulés autour de lieux de culte, d’établissements scolaires confessionnels et de réseaux associatifs et s’appuient sur des relais d’influence au niveau local afin de poursuivre un projet politique de réislamisation des communautés musulmanes.
I. Depuis les années 1960, l’islamisme politique s’est progressivement implanté en France
Les mouvements islamistes nés au début du XXème siècle en Afrique du Nord et au Moyen Orient, et particulièrement la confrérie des Frères musulmans, ont progressivement fait de l’Europe un espace de diffusion de leur idéologie et de restructuration de leurs réseaux à la suite de leur affaiblissement dans le monde arabo-musulman. Bénéficiant d’un cadre démocratique et de l’absence de représentation organisée du culte musulman, ces mouvements poursuivent une finalité commune de réislamisation des communautés musulmanes et pour certains de tout l’Occident. En revanche, leurs méthodes diffèrent, allant de l’action non-violente et légaliste, s’agissant par exemple des Frères musulmans, aux actes terroristes, s’agissant en particulier des djihadistes.
A. L’islamisme politique : une idéologie fondée sur l’exacerbation d’une pratique religieuse au service d’un projet politique
Le terme « islamisme », s’il a d’abord désigné la religion pratiquée par les musulmans – construit sur le suffixe « ‑isme », à l’instar des mots christianisme ou judaïsme – renvoie désormais à une réalité tout à fait distincte.
Depuis les années 1980, et notamment un article de Jean-François Clément pour la revue Esprit ([5]) écrit à la suite de la révolution islamique iranienne, le terme « islamisme » désigne l’intégrisme musulman militant ([6]).
Par conséquent, si l’islam désigne la religion pratiquée par les musulmans, et l’Islam correspond à la civilisation musulmane ainsi que l’adjectif « islamique » – qui est relatif à l’islam – qui en dérive, l’islamisme renvoie à un projet politique d’une tout autre nature.
Selon le rapport Frères musulmans et islamisme politique en France publié par le ministère de l’intérieur en mai 2025, l’islamisme correspond ainsi à une « politisation exacerbée de l’islam, de ses normes et valeurs réelles ou présumées, qui connaît une intensité variable et des dimensions différentes : il peut ainsi s’exercer sur un mode minimaliste ou maximaliste, légaliste ou violent. L’une ou l’autre voie dépendra grandement des contextes et des acteurs. L’islamisme est donc au carrefour du religieux, du moral, du socioéconomique et du politique » ([7]).
Dans le même sens, Ghaleb Bencheikh, islamologue et président de la Fondation pour l’islam de France, décrit l’islamisme comme une « idéologisation exacerbée des préceptes religieux islamiques, pour d’autres fins que spirituelles, en vue d’un projet ou plutôt d’un "contre-projet" social et politique » ([8]).
La « matrice de l’islamisme politique » ([9]) a été conçue en 1928 en Égypte par le fondateur de la confrérie des Frères musulmans, Hassan al-Banna. Celle‑ci pose « les concepts clés qui façonneront le discours islamiste » ([10]), fondé sur l’application de la Charia et la création d’un État islamique ([11]).
L’exacerbation de la pratique religieuse constitue ainsi une caractéristique déterminante de l’islamisme, qui se fonde sur une « vision intégraliste de l’islam » ([12]). Pour Hassan al-Banna, « l’islam devient un ordre englobant qui porte sur tous les aspects de la vie » ([13]). Il s’agit d’une approche totale de la religion qui touche toutes les formes de la vie privée et publique, « dans tous les domaines, de la naissance jusqu’à la mort » ([14]), et prône une adhésion complète aux textes sacrés ainsi que le respect des principes de la loi islamique, la Charia ([15]).
Cette idéologique religieuse prône en outre la réalisation d’un projet terrestre – l’islamisation de la société –, par le biais d’une action sociale et politique qui doit permettre, à terme, l’avènement d’un État islamique ([16]). Olivier Roy, docteur en sciences politiques et spécialiste des questions islamiques, rappelle à cet égard que « cette idéologie affirme qu’il ne suffit pas qu’une société soit musulmane pour qu’elle soit islamique. Pour ses tenants, être musulman relève de la culture, de la tradition, mais leur ambition consiste à reconstruire une société authentiquement islamique à partir de l’État. En ce sens, ils se révèlent tous profondément politiques, avec l’État comme objectif central » ([17]).
L’islamisme recouvre des manifestations diverses sans unité politique ou géographique, qui ne se réduisent ni à un mouvement, ni à un mode opératoire et ne peut être abordé « d’une manière univoque et monolithique » ([18]).
À la mort d’Hassan al-Banna, l’idéologie diffusée par les Frères musulmans, privilégiant une stratégie non violente d’influence et de dissimulation (voir infra) a ainsi pu connaître des formes violentes, notamment sous l’impulsion de Sayyid Qutb, sans que cette vision plus radicale de la stratégie islamiste ne soit intégrée au référentiel de la confrérie ([19]). De même des mouvements salafistes a priori non violents ont pu nourrir de leurs membres des groupes djihadistes extrêmement dangereux.
L’islamisme comprend ainsi des groupes différents qui ont en commun de recourir à une pratique intégraliste de l’islam au service d’un projet politique. Olivier Roy précise en ce sens que « la mouvance islamiste recouvre l’ensemble des groupes activistes contemporains, aussi disparates soient-ils, qui, dans la seconde moitié de notre XXe siècle, inscrivent leur action dans le cadre des concepts élaborés par le fondateur des Frères musulmans égyptiens, Hassan al‑Banna » ([20]).
Olivier Roy distingue trois pôles géographiques d’implantation initiale des mouvements islamistes : la zone moyen-orientale de tradition sunnite, le sous‑continent indien et l’Iran chiite. Se sont ainsi développés différents partis provenant de cette idéologie, dont par exemple :
– le parti islamiste « Jamaat-e-Islami » fondé en 1941 au Pakistan ;
– le groupe chiite « Fedayins de l’islam » fondé en 1946 en Iran qui jouera un rôle actif dans la révolution iranienne ;
– le parti moudjahidin « Jamiat-e Islami » afghan créé en 1972 et très impliqué dans la guerre d’Afghanistan de 1979 à 1989 et la guerre civile qui s’en suivit ;
– le parti islamique irakien fondé en 1960 ;
– le « Millî Görüş » turc fondé en 1970 ;
– le mouvement « Ennahdah » tunisien créé à la fin des années 1970 ;
– le front islamique du salut (FIS) algérien fondé en 1989 ;
– le parti de la renaissance islamique du Tadjikistan fondé en 1990.
La notion d’islamisme est aujourd’hui employée assez extensivement dans le débat public, parfois pour désigner « tout ce qui relève d’une visibilité de l’islam comme religion "revendicatrice" » ([21]). Selon Haouès Seniguer, professeur des universités en histoire contemporaine des relations internationales, le conservatisme visible de certains musulmans est trop souvent assimilé, à tort, à l’islamisme, voire au djihadisme ([22]). De même, Olivier Roy précisait devant la commission d’enquête que « Il existe en effet diverses formes de réaffirmation d’une identité ou d’une pratique religieuse musulmane dans l’espace public qui ne relèvent pas nécessairement de la politique » ([23]).
Au regard de ces premières qualifications, la manifestation visible de la religion musulmane dans l’espace publique et l’orthopraxie ne suffisent pas à désigner un courant islamiste. Il doit également comporter une dimension politique : ses partisans, quel que soit le groupe auquel ils se rattachent (voir infra) doivent avoir le « souci commun de soumettre l’espace social à un régime spécifique de règles religieuses » ([24]).
2. Naissance des mouvements islamistes en Afrique du Nord et au Moyen‑Orient
La confrérie des Frères musulmans a été constituée en 1928 en Égypte par Hassan al-Banna et porte un projet fondé sur « une islamisation par le bas reposant sur la prédication (la dawaa) et recherchant par ce biais l’avènement d’un système de gouvernement islamique, qui résultera de l’islamisation pacifique d’une majorité de la population » ([25]).
Cette idéologie non-violente réaffirme ainsi les valeurs de l’islam dans le cadre d’un projet politique devant aboutir à la création d’un état islamique au sein duquel s’appliquerait la Charia. Elle est soutenue par une confrérie inspirée des confréries soufies et organisée sur un modèle de gouvernance pyramidal, constitué de plusieurs cercles d’autorité ([26]). Son objectif principal est de construire des relais d’influence assurant la diffusion de ses principes, en particulier dans les secteurs de l’éducation et de la charité.
La naissance de la confrérie s’inscrit dans un cadre historique particulier, marqué par l’abolition du califat par Mustafa Kemal Atatürk en 1924 et par la présence coloniale européenne en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Comme le souligne Haouès Seniguer, « On ne peut donc couper la naissance du mouvement islamiste à la fois d’une forme d’opposition à une présence étrangère vécue comme agressive et de l’apparition de régimes autoritaires une fois la parenthèse coloniale refermée » ([27]). Ce mouvement s’ancre sur l’idée que « l’islam est la solution face à l’invasion militaire, politique, ethnique et sociale venue d’occident » ([28]). Olivier Roy souligne également que la nostalgie du califat constitue un motif de propagation du mouvement : « [la disparition du califat] a laissé un vide considérable. Ainsi, si le califat constituait l’objectif très lointain, l’État national représentait, à moyen terme, le véritable objectif » ([29]). Dans ce contexte politique et historique propice, le mouvement de Frères musulmans se diffuse rapidement dans le monde arabo‑musulman jusque dans les années 1950, et notamment en Palestine, en Syrie, en Irak et en Jordanie.
En parallèle des Frères musulmans, d’autres mouvements fondés sur une vision intrégraliste de l’islam se structurent dans le monde arabo‑musulman. Ces derniers, issus le plus souvent de l’islam sunnite, se structurent à compter des années 1930 au travers de projets en principe non-violents similaires à celui des Frères musulmans.
● Le mouvement salafiste, fondé sur les enseignements de l’école hanbalite, prône un retour aux sources de l’islam, en référence aux « salaf », les premières générations de savants de l’islam ([30]) ou « pieux ancêtre » (al-salaf al‑salih) et à « la communauté utopique des premiers croyants » ([31]). Le salafisme ne se structure pas en une mouvance organisée comme la confrérie des Frères musulmans mais présente des similarités doctrinales : les salafistes font la promotion d’une pratique rigoriste dans un contexte de perte de centralité de l’islam par le biais de la prédication, dans le cadre d’un projet en principe non‑violent ([32]) de réislamisation de la population. En revanche, et c’est une différence fondamentale, les salafistes « ne prônent pas l’engagement politique dans la vie de la cité » ([33]), même s’ils visent à l’instauration d’une société islamique où la Charia serait imposée. Ces mouvements salafistes sont parfois caractérisés de « quiétistes », en opposition aux groupes violents tirant leur inspiration de la même doctrine.
● Le wahhabisme, également issu de l’école hanbalite, est considéré comme appartenant au courant salafiste. Constitué au XVIIIème siècle par Muhammad ibn Abd al-Wahhab, le mouvement prône un retour aux sources de l’islam mais ne se confond pas totalement avec le salafisme. À la suite d’un pacte avec le clan Al Saoud, l’idéologie wahhabite devient une idéologie d’État, aujourd’hui restreinte à l’Arabie Saoudite.
● Le mouvement du Tabligh Jamaat, fondé en 1926 en Inde, est une société de prédication prosélyte et fondamentaliste, considérée comme sectaire, qui s’est exportée dans les pays d’Afrique du Nord et au Moyen-Orient dans les années 1940, avant d’atteindre le continent européen dans les années 1960. Ce mouvement est fortement concurrencé par le salafisme depuis deux décennies.
● La confédération islamique Millî Görüş̧ est un mouvement islamiste turc, fondé en 1969 par Necmettin Erbakan, et lié au parti AKP. Ce mouvement s’inspire directement des Frères musulmans dans sa dimension politique, religieuse et sociale. Il s’en différencie néanmoins par sa dimension nationaliste. Necmettin Erbakan devient en effet premier ministre en 1996, dans le cadre d’une coalition entre son parti « Refah » et la droite libérale. Son influence demeure forte, notamment parmi la diaspora turque. De manière plus générale, l’AKP, issu d’une scission du parti « Refah », « effectue une synthèse novatrice entre nationalisme turc, islamisme et libéralisme » et vise à faire de la Turquie « le chef de file de l’Oumma » (la communauté musulmane) ([34]).
Aux côtés de ces mouvements non violents, d’autres mouvements se distinguent par le recours à la violence pour atteindre leurs objectifs politiques. Des mouvements salafistes radicaux et violents, comme le djihadisme et la takfirisme, prêchent ainsi l’islamisation par la violence et placent le djihad (le combat armé) au centre de leur action, dans le but d’instaurer un état islamique.
Sur l’origine de ces mouvements, l’interprétation des chercheurs peut diverger : si pour Johannes Saal, « le jihadisme apparaît comme une niche au sein du spectre salafiste » ([35]), Olivier Roy considère au contraire qu’ « Al-Qaïda et Daesh ne sont en rien les descendants des Frères musulmans » ([36]). Quelle que soit leur origine, ces mouvements diffèrent en tout état de cause fortement des autres mouvements islamistes par les méthodes extrêmement brutales qu’ils emploient, en particulier à l’égard des populations civiles de toutes confessions religieuses, y compris musulmane.
● Prenant essor en 1979 en Afghanistan au sein du mouvement des moujahidines, la mouvance djihadiste est notamment incarnée par l’organisation Al-Qaïda créée en 1987 au Pakistan. Abdallah Azzam, dont l’un des premiers disciples a été Oussama Ben Laden, est ainsi considéré comme l’idéologue originel du « salafo-djihadisme » fondé sur les thèses de l’idéologue de la frange révolutionnaire des Frères musulmans, Sayyid Qutb ([37]). L’État islamique – aussi dénommé Daesh – est issu de l’une des branches d’Al-Qaïda en Irak en 2006. Il devient rapidement une entité rivale et proclame le 29 juin 2014 l’établissement d’un califat sur les territoires syriens et irakiens qu’il contrôle (voir infra).
● Le takfirsme, fondé en 1971 en Égypte, repose quant à lui sur une idéologie ultra-orthodoxe prônant le recours à la violence dans le cadre d’un projet d’instauration du califat et manifeste une vive hostilité vis-à-vis des autres branches de l’islam – le terme takfir signifiant anathème en arabe.
B. L’implantation des mouvements islamistes en France : le cas des Frères musulmans et des salafistes
1. Les Frères musulmans s’implantent progressivement en Europe à compter des années 1950
a. Dans un premier temps, la mouvance des Frères musulmans infiltre l’espace européen pour soutenir de l’étranger la confrérie, réprimée dans l’espace arabo-musulman
Si « La stratégie de conquête occidentale [est] édictée dès l’origine par Hassan Al-Banna » ([38]), les mouvances islamistes s’implantent en Europe occidentale à compter des années 1950 « à la faveur de mouvements migratoires et de la répression engagée à leur encontre dans le monde musulman » ([39]).
Les Frères musulmans ambitionnaient dans un premier temps de prendre le pouvoir par la voie légale dans les pays arabo-musulmans, en jouant « le jeu institutionnel en se présentant aux élections, tout en maintenant une certaine intransigeance doctrinale, leur objectif restant bien évidemment la conquête du pouvoir » ([40]). Ils connaissent néanmoins un important déclin dès les années 1950 en raison d’un affrontement pour le pouvoir avec les partis nationalistes arabes, notamment en Syrie, où ils sont totalement évincés. Ils se tournent alors vers l’Europe qui leur sert de terre d’exil et de recomposition politique.
Les premiers Frères musulmans installés en Europe se structurent autour de centres comme l’Association des étudiants islamiques de Paris, fondée en 1963 par Mohammed Hamidullah, ou le Centre islamique de Genève, fondé en 1961 par Saïd Ramadan, gendre d’Hassan al-Banna.
Sous l’impulsion de Youssef Al-Qaradawi, guide spirituel de la confrérie, ils développent un discours compatible avec les sociétés européennes, reposant sur la diffusion de l’islam « du Juste milieu », soit la recherche d’un équilibre entre conservatisme et modernité, et le fiqh (droit ou jurisprudence) des minorités. Ce discours est ainsi « fondé sur un principe d’adaptation des musulmans à un contexte dans lequel ils ne sont pas majoritaires » ([41]), soit un « concept totalement inédit dans le monde musulman » qui va d’ailleurs « les couper du reste du Moyen‑Orient » ([42]).
L’année 1979 constitue par la suite un basculement dans la diffusion des mouvances islamistes, « marquée par l’invasion soviétique de l’Afghanistan, un coup d’État en Irak conduisant à l’accession de Saddam Hussein au pouvoir, la terrible révolution khomeiniste […] la prise de la Grande Mosquée de La Mecque par des mouvements chiites » ([43]) comme le relève Ghaleb Bencheikh, qui ajoute que « les sociétés majoritairement musulmanes et l’Europe, particulièrement notre pays, ont été considérées comme des "ventres mous" pour l’idéologie wahhabite et celle des Frères musulmans. À partir de 1979, une déferlante est effectivement survenue » ([44]).
Cette arrivée importante de membres de courants islamistes en Europe ne se traduit toutefois pas immédiatement par un intérêt à influer sur la vie politique des États hôtes : selon Olivier Roy, les Frères musulmans présents en Europe ne sont au départ pas intéressés par la vie politique européenne : « Ils constituaient, en quelque sorte, la diaspora qui soutenait les autres. Ils ne recherchaient donc évidemment pas le conflit avec les gouvernements européens, mais ne cherchaient pas davantage à exercer une influence. La question de l’influence s’est posée ultérieurement, lorsqu’ils ont modifié leur stratégie à la fin des années 1990 » ([45]).
b. À partir des années 1990, les Frères musulmans changent de stratégie et cherchent à se présenter comme les représentants des minorités musulmanes en Europe
La stratégie évolue dans les années 1990 à l’occasion de l’éloignement des Frères musulmans installés en Europe avec les pays arabo-musulmans. Olivier Roy souligne que « Ce changement [de stratégie] est intervenu au moment où ils se sont dissociés des partis Frères musulmans du Moyen-Orient, qui ne s’intéressaient pas à eux, ou qui les considéraient comme des soutiens sans accorder d’importance à leur vision des choses. À cette période, ils ont développé une politique d’influence, qui s’est principalement concentrée sur les institutions, et particulièrement auprès de l’Union européenne. Leur objectif consistait à obtenir une reconnaissance et des concessions sur la visibilité de l’islam. Pour ce faire, ils se sont positionnés comme défenseurs d’une minorité » ([46]).
Cette stratégie remporte un certain succès en raison de l’absence d’organisation structurée du culte musulman pour répondre aux demandes de religiosité exprimée par les communautés musulmanes. Sur ce point, Bernard Rougier, docteur en sciences politiques et spécialiste des questions religieuses, considère que les Frères musulmans « nous ont pris de vitesse, ils ont été les plus rapides à s’adapter à cette demande. Ils ont essayé de construire un écosystème, de créer un bloc, de définir l’identité musulmane – à travers le commerce, l’habit, les livres, etc. – afin de tenter de rallier à eux les musulmans issus de l’immigration » ([47]).
À la fin des années 1990, les Frères musulmans fondent ainsi l’association Musulmans d’Europe. Leur stratégie consiste à mettre en œuvre « une politique de défense de la minorité musulmane, non pas sur la base de la charia – ou de moins en moins sur la base de la charia – mais sur celle de l’identité. Cette approche les inscrit parfaitement dans le paradigme du multiculturalisme, alors très en vogue en Europe durant les années 1990 » ([48]). Faisant le constat que les minorités musulmanes en Europe ne sont pas nécessairement pratiquantes et plus ou moins croyantes, cette stratégie repose ainsi « beaucoup plus […] sur l’identitarisme que sur la foi » ([49]).
Les Frères musulmans cherchent alors à se présenter comme les représentants des communautés musulmanes auprès des institutions, notamment au niveau européen. Comme le souligne Olivier Roy : « ils vont se présenter dans les commissions, soumettre des propositions. Ils vont partout solliciter des échanges avec les autorités, qu’il s’agisse des préfets, des partis politiques, organiser des colloques, etc. » ([50]).
Ce dernier considère que ce changement de stratégie est néanmoins la preuve que « l’islamisme en tant qu’idéologie politique ne fonctionne pas en Europe. […] Les objectifs des groupes tels que les Frères musulmans ne consistent pas en une islamisation de l’État ou une prise de pouvoir. Leur stratégie consiste plutôt à affirmer le multiculturalisme et à transformer les musulmans en minorités ethniques reconnues par l’État » ([51]).
c. Une implantation en France structurée autour de la place centrale de l’UOIF, devenue Musulmans de France en 2017
L’implantation des mouvements islamistes sur le continent européen n’épargne pas la France, où commencent à se structurer des réseaux dès les années 1960. Alors que le culte musulman tente de s’organiser dans les années 1980, l’Union des organisations islamiques en France (UOIF), considérée comme la branche française des Frères musulmans, s’érige progressivement comme un acteur institutionnel clé.
Les pouvoirs publics n’ont alors « pas pris conscience de [cette structuration des mouvements islamistes] car, dans une Europe largement sécularisée et sortie du religieux, plus encore après l’effondrement du communisme, nous avions perdu de vue à quel point une idéologie, surtout si elle est d’inspiration religieuse, peut constituer un puissant moteur de mobilisation et d’orientation de l’action collective » ([52]).
Les premiers Frères musulmans « n’arrivent pas avec l’immigration ouvrière, mais avec une immigration intellectuelle composée d’étudiants, de réfugiés politiques » ([53]) et commencent par se structurer dans le cadre d’associations étudiantes liées aux mouvements Frères musulmans maghrébins et moyen‑orientaux, comme l’Association des étudiants islamiques en France ou le Groupement islamique en France, sans créer de branche nationale.
À la suite du vote de la loi n° 81-909 du 9 octobre 1981 modifiant la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association en ce qui concerne les associations dirigées en droit ou en fait par des étrangers ([54]), la branche nationale des Frères musulmans en France est créée en 1983 par Ahmed Jaballah et Abdallah Ben Mansour, sous l’appellation Union des organisations islamiques en France (UOIF), renommée Union des organisations islamiques de France en 1989. Devenue Musulmans de France en 2017, elle fait partie du Conseil des musulmans européens (CEM) et est dirigée par Mohsen Ngazou depuis 2021.
Cette organisation poursuit une attitude légaliste en maintenant un positionnement irréprochable et diffuse par ailleurs un discours religieux d’adaptation aux réalités françaises, s’appuyant sur le concept de jurisprudence des minorités, tout en prenant la défense de la communauté musulmane.
Aujourd’hui, Musulmans de France recouvre :
– 139 lieux de culte affiliés, et 68 lieux de culte considérés comme proches du mouvement répartis dans 55 départements, accueillant en moyenne 91 000 fidèles ([55]) ;
– 53 associations affiliées, et 280 associations qui seraient attachées à la mouvance dans les champs cultuel, caritatif et scolaire ([56]).
Selon la direction nationale du renseignement territorial (DNRT), « En s’appuyant sur son dynamisme cultuel, la Confrérie a construit des relais importants dans les domaines éducatif et socio‑économique » ([57]) qui se sont révélés déterminants dans la construction des écosystèmes sur le territoire national (voir infra).
L’UOIF, une infiltration progressive du champ institutionnel français
Dès sa création, l’UOIF dispose d’une double organisation : complétée par « un conseil de direction islamique, uniquement connu des membres et chargé d’établir la stratégie de l’organisation » ([58]), elle s’inscrit dans la tradition de culte du secret propre à la confrérie.
La stratégie de l’UOIF se caractérise par une « tentative continuelle d’institutionnaliser l’organisation, qui a constamment cherché à se positionner en interlocuteur des pouvoirs publics et affiché une volonté typiquement frériste de représenter l’ensemble de la population musulmane, alors même qu’elle n’en constitue qu’une fraction d’importance plus que relative » ([59]) en affichant un visage d’honorabilité.
L’organisation se rapproche des institutions dans les années 1990 en « se présentant "comme un rempart contre le terrorisme" » ([60]). La création, en 2003, du Conseil français du culte musulman (CFCM) constitue « l’apogée de l’implication des structures relevant des Frères musulmans dans le dialogue avec l’État, l’un de leurs fonds de commerce étant, partout où ils sont implantés, de prétendre au monopole de la représentation des musulmans dans le dialogue avec les autorités publiques » ([61]). L’UOIF, « invitée à la table de la République » ([62]), est intégrée au CFCM dans le cadre d’une volonté des pouvoirs publics de faire « émerger des acteurs qui ne sont pas affiliés officiellement à des États étrangers et remplacer l’islam consulaire par des gens qui font le pari de l’islam en France en tenant un discours républicain » ([63]).
Face à la montée en influence de l’islam consulaire et à l’occasion d’un changement de direction, l’UOIF recentre son discours sur la réislamisation des populations musulmanes et modifie son nom en 2017 pour devenir Musulmans de France, afin de se démarquer des Frères musulmans. L’association demeure très présente dans le jeu institutionnel du culte musulman, entretient une relation privilégiée avec la grande mosquée de Paris et fait preuve d’une intégration poussée sur le plan local.
Il convient toutefois de souligner que la fréquentation d’un lieu de culte, d’une association, d’une école liée à l’organisation Musulmans de France ne suffit en aucun cas à caractériser l’appartenance ou le soutien à la mouvance islamiste. Le rapport du ministère de l’intérieur souligne en ce sens que « Un fidèle fréquentant une mosquée de la mouvance n’est pas, loin s’en faut, membre » ([64]) et que « les enfants scolarisés dans ses établissements n’y sont pas, loin s’en faut, par des parents affiliés à la mouvance » ([65]).
Plusieurs sources de financement d’États étrangers désormais taries
Les services de renseignement interrogés par la commission d’enquête ont signalé avoir pu caractériser, dans le passé, des financements en provenance du Moyen-Orient au bénéfice de structures apparentées à la mouvance islamiste. Toutefois, ces sources de financement se sont taries en raison de l’action de l’État, sur le plan juridique et sur le plan diplomatique. Les dispositions de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République relatives au financement des associations cultuelles (voir partie III) « ont permis de faire porter l’effort sur la détection et le signalement de financements étrangers non déclarés » ([66]), tandis qu’« à la suite des démarches que l’État a engagées, à la fois par un dialogue avec les pays concernés et par la vigilance particulière avec laquelle ses services ont exercé leurs missions de contrôle, ces pays ont admis l’existence de la réglementation française et se sont mis en ordre de marche pour respecter les normes de l’État français » ([67]). Le ministre de la justice a ainsi indiqué pouvoir « attester de l’évolution positive de l’attitude du Qatar, pays dans lequel je me suis rendu à plusieurs reprises à la demande du président de la République : il a mis fin aux financements directs ou indirects qu’il accordait à des associations et des fondations établies en France que nous combattions. Je citerai aussi l’action résolue que mènent l’Arabie Saoudite et les Émirats pour nous aider dans notre lutte contre les Frères musulmans – les services de renseignement et le ministère de l’intérieur sont mieux placés que moi pour en juger » ([68]). François Gouyette, ambassadeur et auteur d’un rapport non rendu public sur l’islamisme politique remis au ministère de l’intérieur, a par ailleurs déclaré à la commission d’enquête que « Il n’y a plus, à ma connaissance, de financement des Frères musulmans par le Qatar – même s’il peut y avoir des mécènes qatariens privés, comme au Koweït, par exemple » ([69]). Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), précise dans le même sens que ses services sont encore « ponctuellement confrontés à des financements d’organismes caritatifs » mais que « les autorités de ces pays […] mettent un point d’honneur à respecter la loi française sur ce point » ([70]).
2. Le salafisme s’établit également en Europe à compter des années 1960
a. Les mouvements salafistes s’implantent en Europe à compter des années 1960 sous l’influence saoudienne
Si des courants salafistes se sont développés en Afrique du Nord et au Moyen-Orient dès les années 1930, ils ne se sont diffusés à l’international qu’à compter des années 1960. La création de l’université islamique de Médine en 1961 et de la Ligue islamique mondiale en 1962 en Arabie Saoudite font du royaume l’épicentre de la diffusion de l’idéologie salafiste. Comme l’indique Hugo Micheron, la diffusion de la doctrine salafiste par l’Arabie Saoudite s’inscrit dans un contexte géopolitique précis et « représente un instrument de choix pour répandre des discours religieux favorables aux intérêts du royaume » ([71]).
Le salafisme ne devient un mouvement déterminant en France qu’à compter des années 1990. Mohamed-Ali Andraoui, docteur en sciences politiques, indique que deux « canaux d’arrivée du salafisme quiétiste en France » ([72]) sont constatés. D’une part, des clercs salafis hostiles au régime en place en Algérie « vont essaimer vers la France, sous l’impulsion de l’installation d’imams venus d’Algérie et participant à la popularisation des thèses quiétistes » ([73]). D’autre part, les états du Golfe, et plus spécifiquement l’Arabie Saoudite, constituent un second canal de « mondialisation du salafisme » ([74]), en raison d’une présence universitaire et religieuse particulièrement dense. Des clercs saoudiens s’implantent alors en Europe, et de jeunes imams européens viennent se former dans les universités saoudiennes avant de revenir dans leur pays d’origine « pour transposer auprès des croyants les conceptions apprises lors de leur formation dans le Golfe » ([75]).
Pour le directeur-adjoint de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur (DLPAJ), « Dans la France des années 1980 et 1990, on ne prend pas au sérieux, faute d’en prendre la mesure, ce qui est en train de se passer dans notre pays, qui est une réplique de ce qui se passe plus largement dans la zone ANMO : un mouvement profond de réislamisation des populations de pays à majorité musulmane, sous l’effet de deux grandes familles d’influence, la famille d’inspiration frériste et la famille salafiste, soutenue par le régime wahhabite saoudien avec des moyens financiers considérables » ([76]).
Le courant salafiste, composé d’environ 5 000 individus sympathisants au début des années 2000 ([77]) prend progressivement de l’ampleur. Gilles Kepel considère que les émeutes de 2005 dans les banlieues françaises « permettent, à côté de la participation politique massive des enfants de l’immigration musulmane, l’émergence d’une minorité salafiste visible et agissante » ([78]).
Hugo Micheron considère que cette diffusion du salafisme en Europe est « facilitée par la surexposition des populations issues de l’immigration musulmane à la marginalisation économique, sociale, politique et culturelle, que la crise économique et financière de 2007-2008 est venue aggraver » ([79]) conjuguée à un « essor de la prédication de mouvements islamistes européens autonomes des tutelles étrangères » ([80]).
Le nombre de personnes affiliées à la mouvance salafiste était ainsi estimé en 2018 à « trente à cinquante mille personnes, dont dix ou douze particulièrement "virulentes", six à dix fois les niveaux estimés en 2004 » ([81]), regroupant des adeptes « géographiquement dispersés sur tout le territoire bien que principalement présents dans le Nord, en région parisienne et autour des mégalopoles lyonnaise, bordelaise et marseillaise » ([82]).
b. Une mouvance quiétiste peu structurée et centrée sur la prédication
Les prédicateurs salafistes s’implantent « dans les banlieues auprès de populations qui ne sont pas véritablement intégrées ou intégrées au bas de l’échelle sociale, occupant des métiers peu valorisés » ([83]). Ainsi, au sein de ces espaces « où habite en masse une population musulmane issue de l’immigration, une forme de pratique et d’identification islamiques gagne en visibilité » ([84]).
Olivier Roy précise que « Les salafis cherchent à organiser des communautés de foi, rassemblant des musulmans pratiquants, qui s’isolent non seulement de la société non musulmane, mais également de la société des musulmans non pratiquants ou "mauvais pratiquants" » ([85]). Les mouvements salafistes adoptent une approche séparatiste, érigeant des espaces à l’écart de la communauté nationale et se détournent de la politique. Ils se constituent localement, mais, à la différence de la confrérie des Frères musulmans, ne s’intègrent pas dans un appareil administratif structuré et « ne développent pas de stratégie nationale » ([86]). Mohamed-Ali Andraoui précise ainsi que « sur un plan politique, adeptes et clercs révoquent toute ambition protestataire et organisée dans le but de destituer les pouvoirs en place […] Seul l’appel aux "bonnes" mœurs et la prédication rigoureusement religieuse tiennent lieu de pratiques sensées pour réaffirmer "les droits de l’islam" » ([87]).
c. Le phénomène d’hybridation entre salafisme et djihadisme lors du conflit afghan
La décennie des années 1980 marque un tournant pour les salafistes : « la cause afghane fait l’objet d’une importante promotion dans les pays à majorité musulmane » et « Plusieurs régimes, en Algérie, en Égypte, en Syrie, en Jordanie et en Arabie Saoudite notamment, voient dans la promotion du jihad contre le soviet un exutoire pour apaiser [les] tensions » liées à la situation économique et politique de ces pays et à la montée des « velléités révolutionnaires » des mouvements islamistes présents en leur sein. L’une des conséquences du conflit afghan sera ainsi « l’enfantement de la matrice du jihadisme contemporain » ([88]).
Des courants djihadistes afghans émerge une hybridation « salafo-djihadiste » qui se diffuse sur le continent européen par l’arrivée d’activistes islamistes. À compter des années 1990, des « machines de prédication » s’implantent sur le territoire européen, « sur la base de la présence préalable de mouvements islamistes » ([89]). À terme, ces réseaux qui diffusent une conception radicale de l’islam imprégnée de salafo-djihadisme sont susceptibles de faire émerger « un écosystème islamiste plus ou moins radical et plus ou moins ancré dans le territoire » ([90]).
II. Quand la violence islamiste s’abat sur la France : Depuis les années 2010, une menace islamiste marquée par les actes terroristes et l’aggravation d’un phénomène séparatiste
L’islamisme politique qui s’est implanté en France a très tôt pris la forme de manifestations violentes, à l’image de la série d’attaques terroristes organisées par le Hezbollah qui ont touché Paris et l’Île-de-France entre décembre 1985 et septembre 1986. Particulièrement marquée par les attentats, la décennie 2010 a donné lieu, au prix fort, à une prise de conscience dans le débat public du danger que représente l’islamisme. La menace, qui reste élevée, a profondément évolué depuis lors et est désormais principalement endogène. Qu’il s’agisse de semer le chaos par des actions terroristes, ou d’influer sur des acteurs publics pour diffuser son idéologie, l’islamisme politique se manifeste toujours par un profond rejet des valeurs qui fondent notre société.
A. Attaquer la République pour s’en prendre aux valeurs qu’elle représente : le temps des attentats
● Depuis le début des années 2010, la menace terroriste d’inspiration islamiste a connu en France une inédite montée en intensité et en gravité, se traduisant notamment par la multiplication d’attentats : à Toulouse et Montauban en mars 2012 ; contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher en janvier 2015 ; à Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015 ; à Nice le 14 juillet 2016 ou encore à Saint-Étienne-du-Rouvray le 24 juillet 2024, pour ne citer que les cas les plus tristement célèbres.
Attaquant la République pour s’en prendre aux valeurs qu’elle représente, ces attaques terroristes islamistes ont produit une onde de choc profonde qui a bouleversé durablement la France et les Français, marquant un tournant dans la perception du risque et dans la mobilisation des moyens de l’État.
● Les conflits au Proche-Orient, et en particulier la guerre civile syrienne ouverte en 2011, ont joué un rôle déterminant dans l’accélération et l’extension de la menace.
Des milliers de volontaires étrangers – y compris des ressortissants européens – se sont rendus en Syrie et en Irak pour combattre aux côtés de groupes djihadistes ou les soutenir quotidiennement. Selon la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), plus de 5 000 individus partis d’Europe ont rejoint la zone syro-irakienne depuis 2012, dont plus du quart depuis la France ([91]).
Pour la DLPAJ, « les attentats perpétrés en 2015 – et le refus de respecter la minute de silence après les attentats de Charlie Hebdo dans de nombreux collèges et lycées – ont révélé une menace terroriste prenant la forme d’une organisation structurée, ancrée dans un discours et une idéologie réfléchis, et incorporée (certains ont parlé de "terrorisme homegrown") à la société française, enracinée dans un halo diffus de discours et de comportements qui sont autant de marqueurs identitaires destinés à éloigner, dans la pensée et dans les gestes, une partie de la population d’une autre » ([92]).
À cet égard, il est frappant de remarquer, comme Hugo Micheron, le rôle qu’a joué le militantisme islamiste dans la bascule vers le djihadisme : « la plupart des partisans de Daech étaient des militants islamistes avant d’être jihadistes. Ils y ont généralement été sensibilisés par des mouvements proches des Frères musulmans, du Hizb at-Tahrir, du Tabligh ou du salafisme (et parfois les quatre) » ([93]).
● Le bilan humain est particulièrement lourd. La directrice générale de la sécurité intérieure, Céline Berthon, indique que « Depuis janvier 2012, soit le début des filières syro-irakiennes, et avec l’avènement de l’État islamique, qui a été une matrice majeure de la transformation et de l’industrialisation de la menace terroriste en France, notre pays a enregistré cinquante attaques terroristes islamistes, dont vingt-quatre mortelles. Elles ont causé au total 274 morts et plus de 800 blessés » ([94]).
B. Une menace toujours élevée mais en constante évolution : vers la prédominance d’une menace endogène et l’affirmation d’une menace séparatiste
1. La menace est aujourd’hui principalement endogène
Depuis les années 2010, la menace islamiste a évolué. La DGSI indique en effet que le « niveau de la menace terroriste djihadiste, d’inspiration islamiste donc, reste élevé, même si elle présente un visage très différent de ce qui a frappé notre pays il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, la principale menace terroriste est djihadiste » ([95]).
● Les services de renseignement soulignent que la menace qui prédomine désormais est une menace endogène, c’est-à-dire émanant d’individus nés ou résidant durablement sur le territoire français.
Ces individus font l’objet d’un suivi actif des services de renseignement et des services judiciaires et sont, pour partie, inscrits dans le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), créé en 2015 ([96]) en réponse au phénomène des filières syro-irakiennes qui a frappé notre territoire. Le 13 octobre 2025, un peu moins de 4 000 individus étaient inscrits au FSPRT, qui rassemble les informations relatives aux personnes engagées dans un processus de radicalisation susceptibles de vouloir se rendre sur un théâtre d’opérations à l’étranger et les individus susceptibles de vouloir prendre part à des activités à caractère terroriste ([97]).
Selon la DGSI, cette menace « est principalement incarnée par des individus présents sur le territoire national, le plus souvent très jeunes, et presque tous inspirés par l’État islamique. Ils n’ont pas pour autant de lien avec cette organisation : le plus souvent, ce sont des consommateurs de sa propagande. Ils envisagent de passer à l’acte avec des moyens et des modes opératoires assez sommaires, le plus souvent en recourant aux armes blanches […]. Enfin, leurs cibles sont généralement symboliques et choisies en lien avec l’actualité internationale ou nationale. Le conflit israélo‑palestinien a fait remonter la menace visant les cibles juives ou les intérêts israéliens » ([98]).
● Aussi, plusieurs faits marquants se dégagent :
– les individus qui passent à l’acte n’ont pas de lien avec des structures organisées. Pour Bertrand Chamoulaud, directeur national du renseignement territorial (DNRT), ces individus « se sont radicalisés et ont suivi ces parcours le plus souvent parce que, dans la bulle des réseaux sociaux ou par leurs fréquentations, ils se sont enfermés eux-mêmes dans cette violence, avec une haine de la France et des valeurs des démocraties occidentales, et ont voulu tout d’un coup passer à l’acte avec un couteau ou des moyens assez sommaires, mais qui font des dégâts. On n’a pas senti, pour ces cas, d’impulsion venue de l’étranger comme on a pu en connaître avec les auteurs de l’attentat du Bataclan ou d’autres structures. Il s’agit vraiment d’une menace endogène » ([99]). Ces individus n’ont pas non plus de lien avec un parti ou un groupe politique particulier : aucun lien direct entre des partis politiques et des individus qui passent à l’acte n’a été observé par la DNRT, laquelle précise que « parmi les 870 individus que nous suivons et parmi ceux que nous avons suivis depuis que nous avons accès au FSPRT, nous n’avons pas établi de liens entre eux et des structures ou des partis politiques, qui auraient pu permettre un passage à l’acte ou en tout cas une bascule dans la phase de radicalisation à potentialité violente » ([100]) ;
– un rajeunissement notable de ces individus qui « trouvent, dans la radicalisation djihadiste, un système englobant qui explique leurs difficultés et leur donne des cibles expiatoires » ([101]). Ainsi, 70 % des personnes impliquées dans des projets d’action violente depuis 2023 sont âgées de moins de 21 ans et, sur les 1 300 personnes fichées au FSPRT que suit la DNRT, quelque 150 sont mineures, les plus jeunes ayant à peine 13 ans ;
– une part croissante de ces profils sont porteurs de troubles psychiatriques, ce qui complique d’ailleurs le suivi et la maîtrise du risque de passage à l’acte qu’ils présentent. Cette part est estimée à près d’un quart des individus impliqués dans des projets d’attentat depuis 2023, comme ce fut le cas lors des deux premières attaques perpétrées en 2025 ([102]).
● Cette situation semble correspondre au « djihadisme d’atmosphère » ([103]), théorisé par Gilles Kepel, dans le cadre duquel : « il n’y a plus de donneurs d’ordre, il y a d’un côté des entrepreneurs de colère qui vont désigner des cibles, par exemple le professeur Samuel Paty ou Charlie Hebdo, qu’ils ne vont pas eux-mêmes appeler à tuer ; et vous aurez d’autres personnes qui se seront déjà radicalisées en ce sens, sur le web ou à travers des sermons particulièrement virulents et autres, et qui vont décider de passer à l’action, sans appartenir à une organisation » ([104]). Selon le même auteur, « Ce ne sont pas des "loups solitaires", puisqu’ils ont déjà été formatés, ils ont subi un lavage de cerveau, une mise en condition, mais il n’y a plus ce rapport de l’organisation à l’exécutant » ([105]).
2. La menace exogène n’a pas pour autant disparu
La menace exogène n’a quant à elle pas disparu. Deux axes de résurgence potentielle, dont l’État islamique reste le principal vecteur, sont particulièrement surveillés, à savoir :
– la branche afghane de cette organisation, l’État islamique au Khorassan (EI-K), qui a été particulièrement dynamique en 2023 et en 2024 après l’évolution de la situation politique en Afghanistan, commettant les attentats de masse des dernières années en Iran en janvier 2024 et en Russie en mars de la même année. Selon la DGSI, cette menace « a été au moins temporairement affaiblie par de nombreuses opérations d’entrave menées sur ses donneurs d’ordre en zone afghano-pakistanaise, en Turquie, en Iran et en Europe. Elle reste toutefois à surveiller » ([106]) ;
– la branche en Irak et en Syrie, l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), qui demeure un point d’attention majeur, « Eu égard à l’instabilité sécuritaire dans ces territoires, à la présence sur zone de volontaires français encore nombreux, avec des statuts divers, et à la volonté de l’État islamique d’exploiter la situation pour faire monter en puissance, à nouveau, le risque sécuritaire » ([107]). La DGSI observe qu’à ce stade, le nombre de velléitaires à un départ sur zone reste relativement faible, bien qu’elle ait observé un regain d’intérêt pour la Syrie dans les mois qui ont suivi la chute du régime.
3. La menace islamiste demeure élevée et comporte désormais une dimension séparatiste
En somme, la phase la plus récente se présente comme une phase hybride dans laquelle la menace reste élevée, tant dans sa dimension violente que non‑violente.
● D’une part, il persiste un risque résiduel d’attentats et d’attaques planifiées. Difficiles à anticiper, des passages à l’acte demeurent possibles dans le cadre de la prévalence croissante des actes isolés, à l’image de l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020 à Conflans-Sainte-Honorine par un djihadiste d’origine tchétchène après la diffusion en ligne de violentes attaques à l’égard de ce professeur. Depuis le début de l’année 2025, trois attaques ont ainsi été commises sur le territoire national, dont deux mortelles, et six projets d’action ont été déjoués ([108]).
● D’autre part, les services de renseignement constatent que, depuis deux ans, le niveau de la menace terroriste djihadiste se rehausse de nouveau, « après une période pendant laquelle elle fut un peu moins acérée. Cette menace est nourrie par l’actualité internationale, qui conjugue la réactivation du conflit israélo‑palestinien après les attaques du 7 Octobre et la montée en puissance de la branche afghane de l’État islamique, notamment depuis l’évolution du régime politique en Afghanistan » ([109]).
Selon la DGSI, le traitement du conflit israélo-palestinien est un autre élément déterminant de cette menace : « La propagande djihadiste continue à diffuser un discours virulent à l’encontre de la communauté juive et des intérêts israéliens, mais aussi de l’Occident, considéré comme un soutien à Israël. Pour ces raisons, la France demeure ciblée car identifiée comme un partenaire historique d’Israël dans la propagande des organisations terroristes » ([110]).
À ce sujet, la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP) observe que « Depuis le 7 octobre 2023, la menace terroriste a fortement évolué. Ce constat est partagé avec les autres services de la communauté du renseignement. Depuis cette date, le niveau de menace a été rehaussé particulièrement à l’égard de la communauté juive ou des éléments en lien avec l’État d’Israël. La DRPP a également fait face à une augmentation nette des signalements de radicalisation. La Direction a ainsi reçu 450 signalements dans les 3 semaines qui ont suivi le 7 octobre 2023 soit un volume cinq fois supérieur aux flux habituels » ([111]).
Quant à la DNRT, elle indique qu’en « parallèle à la situation au Proche‑Orient, le renseignement territorial a documenté une montée des actes antisémites, avec des pics concomitants aux opérations militaires à Gaza. Ainsi, le premier semestre 2024 a connu près de trois fois plus de faits antisémites détectés par notre service que le premier semestre 2023, avec 887 faits contre 304 l’année précédente. Au premier semestre 2025, le service a détecté 646 actes antisémites, ce qui constitue une légère décrue de 27 % par rapport au premier semestre 2024, mais qui reste un niveau deux fois supérieur au premier semestre 2023 » ([112]).
● Parallèlement à ces actions violentes, les services de l’État constatent une forte prégnance de l’islamisme sous d’autres formes qui portent atteinte à la cohésion nationale : le séparatisme et l’une de ses déclinaisons, l’entrisme.
Le rapporteur note qu’une commission d’enquête sénatoriale soulignait déjà en 2020, en parlant alors de « radicalisme islamiste », que celui-ci « ne concerne pas uniquement la question du terrorisme ou du passage à l’action violente, mais implique aussi des comportements qui peuvent être pacifiques et qui ne mènent pas à la violence. Il peut être le fait de groupes qui prônent le repli identitaire ou l’entrisme dans le monde associatif et politique » ([113]).
La DNRT souligne ainsi que « De manière générale, la crise au Moyen-Orient depuis octobre 2023 (attaque du Hamas contre Israël, invasion israélienne de la bande de Gaza, conflit entre Iran et Israël, offensive d’Israël contre le Liban) s’est accompagnée d’une importation des tensions dans la société française. Les acteurs islamistes ont largement commenté ces conflits dans une forme de militantisme à la confluence des luttes antiraciste, décoloniale, anti-"islamophobie" et pro-palestinienne. Ces acteurs islamistes ont notamment critiqué la "criminalisation systématique du militantisme pro-palestinien" ainsi que "l’islamophobie d’État" » ([114]).
Dans le même sens, la DGSE souligne qu’« il est […] apparu qu’un certain nombre de discours, sans appeler directement au meurtre ou à la violence, pouvaient avoir des conséquences peut-être moins directes et moins visibles, mais non moins graves, durables et pernicieuses sur la cohésion nationale. C’est ce que les autorités ont appelé la lutte contre le séparatisme » ([115]).
Cette menace séparatiste, et l’une de ses déclinaisons l’entrisme, s’est étendue au cours des vingt dernières années sur notre territoire. Si les actes terroristes qui ont frappé notre pays ont permis une prise de conscience de la dangerosité de l’idéologie propagée par l’islamisme politique, même dans ses formes non violentes, la compréhension de ce phénomène et la déclinaison d’une réponse politique efficace pour le contrer est encore en cours. Il y a pourtant urgence : selon la DRPP, « Cette stratégie d’influence est en augmentation avec un risque réel de rejet des principes républicains et en conséquence de déstabilisation » ([116]).
III. L’islamisme en France aujourd’hui : des écosystèmes séparatistes et des stratégies d’entrisme via des relais d’influence
Le phénomène islamiste en France se caractérise par l’implantation d’écosystèmes constitués localement, favorisant la diffusion de stratégies séparatistes de rupture avec la communauté nationale qui représentent une véritable menace pour la République. Ces mouvements s’appuient sur des relais d’influence dans les secteurs éducatif, universitaire, associatif mais également en ligne afin de faire progresser leurs agendas et propager leur idéologie.
A. Des écosystèmes séparatistes aux revendications identitaires
1. Le séparatisme islamiste, une menace pour la République
Le ministère de l’intérieur définit la notion de séparatisme islamiste comme « un projet politique pensé et théorisé par des organisations ou groupements de fait déployant une stratégie de rupture ou de subversion qui vise à s’extraire des règles, normes, ou principes de vie commune en République, et à y substituer des prescriptions issues d’une vision littérale de l’islam. Il aboutit à l’élaboration d’une contre-société progressivement endoctrinée s’imposant de fait dans l’espace public, fragmentant la communauté nationale et sapant les fondements de son unité » ([117]).
Pour la DNRT, « La menace que représente l’islamisme repose sur les notions de repli identitaire et de stratégie séparatiste », au sein de quartiers « qualifiés de défavorisés, où les structures islamistes se sont imposées parfois face à un manque de services publics, et souvent de structures sociales et économiques » ce qui « conduit à créer un mode de fonctionnement autarcique qui contribue à séparer cette communauté de la collectivité, mettant à mal le vivre-ensemble localement et la cohésion nationale » ([118]).
La prise de conscience par les pouvoirs publics de ce phénomène séparatiste intervient dans les années 1990, alors que « ce que l’on prenait pour la simple expression d’une individualité et de convictions religieuses » s’est révélé « en réalité la déclinaison, à l’échelle de l’individu ou de la communauté, d’une pensée bien plus structurée et contraire au consensus social et national français » ([119]).
Le phénomène séparatiste peut prendre deux formes :
– une volonté de rupture et de construction d’une contre-société, qui s’illustre dans la tendance communautariste et de repli identitaire des mouvements salafistes. Selon la DNRT, ces mouvances ont pour ambition de créer « une société dans laquelle seraient privilégiées les règles de la religion » ([120]). En revanche, la création d’un espace communautaire autarcique ne s’accompagne pas nécessairement d’une volonté politique de modifier les règles de la société et d’imposer un modèle salafiste sur l’ensemble du territoire : « Pour peu que la Belgique, les Pays-Bas ou la France s’accommodent d’avoir des microsociétés et les laissent tranquilles, cela leur pose moins de difficultés » ([121]).
– une volonté de subvertir la société, qui consiste « non seulement [à] appliquer et mettre en avant des règles religieuses avant les règles de vie en société républicaines et démocratiques » mais également à « modifier ces dernières et les façonner à sa façon, sans violence et en prenant le temps nécessaire » ([122]) en utilisant « les outils du pluralisme démocratique contre lui-même » ([123]). Cette stratégie conduite par des mouvements comme les Frères musulmans aboutirait « à l’installation de fait, dans l’espace public et au sein même de la société considérée, d’une contre-société totalement régie par des règles distinctes, avec les représentants de laquelle il n’est bientôt plus de choix que de compter et de s’accommoder dans l’édiction des règles de vie commune » ([124]).
À cet égard, le ministre de la justice a précisé que « L’entrisme est une méthode, davantage employée par les Frères musulmans, et le séparatisme un projet, plutôt du ressort des salafistes, mais la frontière qui les sépare est devenue assez mince, comme l’a montré le rapport sur les Frères musulmans : on parle désormais de salafo-frérisme » ([125]) (voir encadré infra).
Ces mouvances séparatistes représentent « une menace sérieuse à la cohésion nationale et à l’unité du peuple français, ainsi qu’à la forme républicaine des institutions et donc aux valeurs et principes fondamentaux qui la sous-tendent » ([126]). La DGSI souligne à cet effet que « Cet intégralisme religieux autour de l’islam sous-tend des valeurs antidémocratiques et contraires aux principes de la République – le droit de choisir sa religion, l’égalité hommes‑femmes » ([127]).
Un phénomène récent d’hybridation fréro-salafiste
Malgré une concurrence originelle entre les mouvements salafistes et les Frères musulmans, une hybridation des deux courants, favorisée par des convergences doctrinales, est constatée localement.
Pascal Courtade exposait ainsi devant la commission d’enquête un « phénomène d’hybridation au dernier kilomètre », la confrérie se rapprochant des milieux salafistes, notamment du point de vue religieux ; à titre d’exemple « beaucoup de références salafistes figurent dans la bibliographie utilisée pour la formation des militants » ([128]). Ce constat est partagé par la DNRT qui indique relever « une hybridation croissante entre les différentes mouvances islamistes, avec un rapprochement des Frères musulmans de courants fondamentalistes (salafisme, tabligh, déobandie) » ([129]). Florence Bergeaud-Blackler observe un phénomène parallèle, où des « salafistes […] acceptent de participer à la prédication (Dawah) telle que promue par les Frères musulmans. Ces croyants orthopraxes, qui privilégient l’exactitude de la pratique, s’intègrent de fait dans le projet idéologique frériste, particulièrement dans les classes populaires » ([130]).
Olivier Roy considère toutefois que les Frères musulmans et les salafistes évoluent dans des espaces distincts, observant que « Le salafisme, ce sont de petites mosquées, des entrepreneurs idéologiques opérant dans leur quartier, dans leur environnement immédiat, sans ambition nationale. Cette dimension ne les intéresse pas car, dans leur vision, le jeu politique français est haram et un bon musulman ne doit pas y participer » ([131]).
2. Des écosystèmes séparatistes implantés sur l’ensemble du territoire
Les mouvements islamistes se sont implantés sur l’ensemble du territoire au sein d’écosystèmes, qui peuvent être définis comme des territoires sur lesquels des lieux de culte fondamentalistes et des associations communautaires ont pour objectif, selon la DRPP, d’« encadrer selon le respect des préceptes islamiques tous les aspects de la vie de la population musulmane qui s’y trouve » ([132]).
Dans le même sens, la DNRT souligne que ces ensembles plus ou moins structurés permettent de « régir la vie des musulmans dans tous les domaines, de la naissance jusqu’à la mort » grâce au développement d’un réseau réunissant « la salle de prière, […] l’école coranique, […] les activités extrascolaires, les commerces, les clubs de sport, les entreprises » ([133]).
Pascal Courtade, préfet, indique que le terme d’écosystème « décrit bien un phénomène qui n’est ni organique, ni coordonné, mais pluriel, et qui se matérialise le plus souvent par un lieu de culte, des associations en lien avec celui‑ci, ainsi que des services à la population ou des propositions sociales, culturelles, scolaires et périscolaires plus ou moins liées à la mosquée » ([134]).
Une note des renseignements territoriaux révélée dans un hebdomadaire national fait état de quatorze écosystèmes organisés autour d’une mosquée ou d’une association, d’obédience salafiste ou affiliés aux Frères musulmans ([135]). Pascal Courtade précise par ailleurs que « Les écosystèmes les plus aboutis sont les plus anciens. […] Les plus anciens et plus étayés sont ceux du Nord, de Lyon et de Marseille, mais il en existe de nombreux autres, plus petits, qui ne méritent donc peut-être pas d’être qualifiés d’écosystèmes » ([136]).
Quatorze écosystèmes implantés sur le territoire français
À partir d’une note des renseignements territoriaux, Le Journal du Dimanche ([137]) fait état de quatorze écosystèmes constitués, affiliés aux Frères musulmans, d’obédience salafiste ou mixtes, répartis sur l’ensemble du territoire :
– huit écosystèmes relèveraient plutôt de la mouvance des Frères musulmans et concerneraient Chambéry (Haute-Savoie), Decines-Charpieu (Rhône), Grenoble (Isère), Le Havre (Seine-Maritime), Lyon (Rhône), Trappes (Yvelines), Valence (Drôme) et Villeneuve d’Ascq (Nord) ;
– deux écosystèmes salafistes seraient implantés à Sète (Hérault) et Thiers (Puy-de-Dôme) ;
– trois écosystèmes seraient issus d’une hybridation entre courants salafistes et fréristes et seraient localisés à Belfort (Territoire de Belfort), Marseille (Bouches-du-Rhône) et Meaux (Seine-et-Marne).
Selon la DRPP, « Ces écosystèmes appellent notre vigilance car ils sont les plus à même de déployer une emprise islamiste sur un quartier et de développer ainsi des stratégies d’influence ou d’entrisme dans des collectivités locales » ([138]) (voir partie II). Le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR) précise en outre que ces réseaux se mettent en place à partir de « projets importants de mosquées, associés à des centres de formation, à des écoles et à des lieux d’accueil des mineurs » et sont supportés par des acteurs locaux « Grâce des appréciations fines réalisées avec les différents services de l’État, nous avons montré qu’il y a toujours un noyau dur – j’ai parlé de chefs d’entreprise et de gens bien intégrés dans la société – qui finance toutes ces opérations » ([139]).
● Sur les 1 977 lieux de culte musulmans identifiés par la DNRT en 2024, « 28 % sont rattachés à des courants fondamentalistes, soit 568 mosquées et salles de prières » ([140]). Le service relève toutefois qu’il est « difficile de classer ces lieux de culte par affiliation étant donné que le lien entre leurs associations gestionnaires et les fédérations nationales (souvent liées aux pays d’origine de leurs responsables) s’est distendu » ([141]).
Quatre mouvances sont néanmoins identifiées par la DNRT :
– la confrérie des Frères musulmans (ou affiliés) qui représenterait 217 lieux de culte ;
– Les mouvements salafistes qui seraient à la tête de 112 lieux de culte ;
– Le mouvement du Tabligh, qui représenterait 103 lieux de culte ;
– L’organisation Millî Görüş qui serait à la tête de 55 lieux de culte.
La seule fréquentation d’une mosquée affiliée à l’une de ces mouvances ne suffit cependant pas pour caractériser l’adhésion à leurs thèses, Pascal Courtade relevant par ailleurs que « Différencier une pratique orthodoxe de l’islam de l’islamisme politique à risque demande un vrai discernement » ([142]).
● L’agglomération parisienne, même si elle n’est pas « la zone la plus propice au développement de ces écosystèmes » au regard « de la densité de sa population et de la présence très importante d’autorités élues et de représentants de l’État » ([143]), constitue également un lieu d’implantation important des mouvances islamistes.
Le préfet de la Seine-Saint-Denis souligne ainsi la « présence ancienne et avérée de la mouvance islamiste, notamment frériste » ([144]) au sein du département. La DRPP remarque également que « des concentrations d’associations fréristes s’observent dans quelques communes de Seine‑Saint‑Denis [et à] Colombes, dans les Hauts-de-Seine » ([145]). Son directeur ajoute que le principal foyer se situerait à La Courneuve, autour de « la mosquée de l’Union, lieu de culte frériste et siège, dans les mêmes locaux, de l’association Musulmans de France, qui est de notoriété publique la fédération des Frères musulmans en France. Autour de ce siège et de cette association cultuelle gravitent toutes sortes d’associations qui leur sont directement liées » ([146]). Il ajoute que la commune de Saint-Denis serait intégrée à cet écosystème en raison de la présence d’un institut européen des sciences humaines (IESH) ([147]). Cet écosystème est ainsi bien identifié par les services de l’État et sous surveillance : « Toutes ces associations, tous ces organismes connus, cartographiés et contrôlés feront l’objet d’une grande vigilance dans les mois à venir dans le cadre de la nouvelle politique de lutte contre l’entrisme » ([148]).
De petits écosystèmes séparatistes se forment également dans des espaces périurbains à forte concentration salafiste, comme à Argenteuil, Stains, Villeneuve-la-Garenne ou Mantes-la-Jolie, où est constatée « l’apparition de micro-sociétés où le religieux prime sur toutes les autres formes d’organisation sociale » ([149]).
● À Marseille, la préfecture distingue deux écosystèmes islamistes, l’un appartenant à la mouvance des Frères musulmans qui « a pour cœur le Centre musulman de Marseille, qui regroupe une mosquée, le collège Ibn Khaldoun et différentes associations » ([150]), l’autre d’obédience salafiste et relié à la mosquée des Bleuets, comportant un réseau associatif caritatif dense et influent. Le rapport publié par le ministère de l’intérieur note, au sujet de l’écosystème marseillais, que celui‑ci a bénéficié d’un contexte d’expansion favorable en raison de la proximité de Mohsen Ngazou, président de Musulmans de France et imam de la mosquée Mariam « avec les précédentes municipalités pour développer sa structure » ([151]).
● La préfecture du Rhône précise quant à elle que « La pression islamique séparatiste des Frères musulmans est très forte » ([152]) dans les deux écosystèmes de Lyon et de Décines-Charpieu en raison de la proximité de « Genève, où les deux frères Ramadan – qui étaient présents à Lyon dans les années 1980 – ont participé à l’organisation de diverses structures » ([153]). Le centre Tawhid de Lyon, la mosquée Ottomane de Villeurbanne et le centre interculturel de Decines-Charpieu sont considérés comme les trois épicentres des écosystèmes rhodaniens. Le centre de Decines-Charpieu est à cet égard un écosystème caractéristique, regroupant une mosquée, une école, un centre de formation et le groupe scolaire Al-Kindi. Le rapport publié par le ministère de l’intérieur indique que l’écosystème lyonnais est également constitué d’« une cinquantaine d’associations musulmanes apparentées ou en lien avec Musulmans de France ou affichant plus généralement une sensibilité frériste » ([154]). La préfecture du Rhône demeure également vigilante s’agissant de l’influence du mouvement Millî Görüş, face au constat du développement, notamment à Vénissieux, de « structures – écoles, mosquées, lieux d’accueil des mineurs – pour vivre en vase clos » ([155]).
● L’écosystème du Nord « s’est historiquement constitué autour d’Amar Lasfar, fondateur et premier recteur de la Grande mosquée de Lille » ([156]) et président de l’UOIF de 2010 à 2013. Trois centres principaux sont identifiés par le rapport publié par le ministère de l’intérieur : la ligue islamique du Nord, disposant d’un important rayonnement territorial, le centre islamique de Villeneuve-d’Ascq et le lycée Averroès. Ce même rapport fait état d’une « trentaine de personnes […] identifiées comme cadres locaux de la mouvance, occupant des fonctions dirigeantes » ([157]) au sein notamment des trois organisations précitées. Cédric Brun, conseiller régional des Hauts-de-France, a en outre indiqué à la commission d’enquête que certains cadres de la mouvance avaient intégré des fonctions municipales, comme à Douchy-les-Mines où « le directeur de cabinet du maire était proche des Frères musulmans et de la famille Iquioussen » ([158]) ; un constat partagé par le rapport Frères musulmans et islamisme politique en France.
B. Une stratégie d’entrisme incarnée par les Frères musulmans
1. Une stratégie d’entrisme reposant sur le triptyque dissimulation – double-discours – victimisation
● Le ministère de l’intérieur définit la stratégie d’entrisme employée par les activistes islamistes – comme les Frères musulmans – comme une « démarche proactive de certains acteurs ou mouvements séparatistes d’intégrer des institutions, associations ou structures publiques ou privées dans le but d’y faire prévaloir progressivement une vision politique de l’islam, souvent en dissimulant leurs véritables intentions derrière un discours apparemment conforme aux principes républicains » ([159]). Elle se distingue ainsi du séparatisme par l’objectif d’infiltration des politiques publiques qu’elle poursuit.
● Cette stratégie s’appuie en premier lieu sur la culture du secret, « dans laquelle s’est construite la confrérie sous l’égide d’Hassan el-Banna » et dont « la stratégie frériste en Europe est restée emprunte » ([160]).
● Les Frères musulmans ont par ailleurs recours au double-discours. En effet, l’idéologie des Frères musulmans, et plus largement de l’islamisme politique, selon laquelle doit s’imposer à tous une stricte observance du culte musulman et des règles de société discriminantes notamment vis-à-vis des femmes, des personnes LGBT + ([161]) ou des personnes relevant d’autres confessions ([162]), n’est pas compatible avec les principes et valeurs de la République. Les Frères musulmans font ainsi preuve d’une « incapacité véritable à concevoir l’altérité dans une société sécularisée » ([163]).
Par conséquent, dans le contexte occidental, ils sont amenés à dissimuler « leurs intentions réelles en affichant partager les règles et principes régissant la vie collective occidentale » ([164]) afin d’infiltrer l’espace institutionnel. Le ministère de l’intérieur précise que « Cette stratégie peut s’appuyer sur une ambigüité dans les propos, bâtis pour satisfaire chacun de leurs interlocuteurs, mais aussi une mobilisation communautaire, une maîtrise des codes institutionnels, et une volonté d’occuper des espaces d’influence, notamment au sein du champ médiatique, associatif, éducatif ou politique » ([165]).
La DNRT précise à cet égard que « Cette stratégie repose sur des individus acquis à leurs idées qu’ils cherchent à positionner à des postes stratégiques, par exemple dans la recherche, dans des comités d’entreprise, dans divers conseils d’élus » ([166]). Dans le même sens, la DGSI souligne à ce sujet que « La confrérie des Frères musulmans a une véritable stratégie d’investissement du champ politique et institutionnel. Elle a un dessein politique et cherche à imposer son idéologie non pas par la violence – c’est la différence majeure entre le djihadisme et le frérisme – mais par une conviction des esprits et une captation progressive des lieux de pouvoir et de décision. Elle parvient à le faire car elle offre un visage élitiste, éduqué, donc rassurant, qu’elle double de démarches auprès des institutions locales, nationales, européennes et mondiales dans le but de se légitimer » ([167]). Les Frères musulmans poursuivent ainsi une politique d’influence en recrutant prioritairement des élites, comme des ingénieurs, des avocats, des chefs d’entreprise.
● Cette stratégie d’entrisme repose également sur la victimisation des communautés musulmanes, par le biais de la dénonciation d’« une islamophobie généralisée […], en amalgamant de tragiques actes antimusulmans, qui existent et que nous mesurons […] et une supposée islamophobie d’État, qui n’est bien souvent que l’application du respect des principes de la République et des valeurs de la démocratie, dont ils font une atteinte aux valeurs de l’islam » ([168]).
● Alors qu’ils avaient tenté de conquérir la sphère politique moyen‑orientale par les urnes, les Frères musulmans ont ainsi « privilégié en Europe une stratégie d’influence, voire d’entrisme, à l’appui d’une idéologie adaptée et d’une méthode projetée sur le temps long » ([169]). Pour Olivier Roy, « Il est significatif que les Frères musulmans n’aient jamais cherché à créer un parti islamiste en Europe. Il ne s’agit pas d’une question de moyens ; cela ne les intéresse pas. Ils ne sont pas non plus prosélytes, puisqu’ils ne cherchent pas à convertir, ne font pas de porte‑à‑porte. Ils visent essentiellement la jeunesse, et en particulier la jeunesse étudiante. Ils ne sont pas des acteurs des banlieues puisqu’ils visent les classes moyennes, les centres urbains et les institutions. Leur positionnement combine ainsi revendications et dialogue avec les institutions, dans une constante recherche d’alliances » ([170]).
Stratégie d’entrisme de la mouvance des Frères musulmans dans l’espace européen
● Le CEM, clé de voûte d’une stratégie d’entrisme auprès des institutions européennes
Pascal Courtade note que « la plupart des militants qui sont aux commandes des mouvances européennes se retrouvent dans un Conseil des musulmans européens ([171]) qui compte vingt-huit pays […] doté d’un appareil administratif au niveau européen spécialisé par finalités, ce qui est l’une des constantes de la mouvance : le culte, la prédication, l’éducation et le caritatif » ([172]). Celui-ci est considéré comme « l’organisation la plus marquée par le cercle restreint de la mouvance qui coordonne et met en œuvre la stratégie d’influence des Frères musulmans envers les institutions et les pays européens » ([173]).
Si l’affiliation du CEM à l’organisation internationale des Frères musulmans (OIFM) n’a jamais été confirmée par ses dirigeants, « un faisceau d’indice permet néanmoins d’identifier un continuum idéologique et structurel » ([174]) entre les deux organisations. Organisation faîtière de la mouvance, le CEM est localisé à Bruxelles depuis 2007, mais se réunit souvent à Istanbul, où se situe également le siège de l’une des branches l’OIFM ([175]).
Selon Bernard Rougier, le CEM « dispose de documents stratégiques, d’instances où l’on vote, d’une bureaucratie, de moyens, de textes programmatiques » ([176]). Il précise que le CEM considère que « pour les musulmans, la condition de la résidence dans les pays européens est la prédication, l’action militante, la da’wa. Cela sous-tend que le séjour d’un musulman en terre européenne n’est pas légitime, du point de vue de l’instance qui prétend les représenter au niveau européen, s’il ne s’accompagne pas d’un travail actif qui le justifie. Ce travail, à la fois religieux et d’influence – il est présenté ainsi –, s’étend par exemple aux publications à destination de la jeunesse, qui sont l’un des champs essentiels de l’action islamiste aujourd’hui » ([177]).
Différentes organisations sectorielles émanent du CEM et relayent ses activités au niveau européen :
– le Conseil européen de la fatwa et de la recherche (CEFR), qui compte 23 membres, en charge de l’établissement de jurisprudences ;
– le Forum des organisations européennes de jeunesse musulmanes (Femyso), créé en 1996 et rassemblant 36 associations nationales, qui « fait office de structure de formation des cadres à haut potentiel de la mouvance » ([178]) selon le rapport du ministère de l’intérieur. Il joue « un rôle clé dans la diffusion de la pensée frériste auprès des institutions et des fonctionnaires européens » ([179]) ;
– Les instituts européens des sciences humaines (IESH), au nombre de sept, dont un en France (le second de Château-Chinon a récemment été dissout), qui sont des structures d’enseignement supérieur privé ;
– l’Europe trust, « bras financier de la mouvance en Europe » ([180]) selon le rapport précité, implanté au Royaume-Uni ;
– le Conseil européen des imams (CEI), spécialisé dans la formation des ministres du culte et dans la prédication, qui coordonne les mosquées affiliées.
● Par ailleurs, les branches nationales des Frères musulmans font l’objet d’une forte acculturation au sein des pays dans lesquels ils sont implantés.
– En Allemagne, considérée comme une terre d’implantation historique de la mouvance ([181]), l’ambassadeur François Delattre constate « la présence […] de groupes islamistes qui déploient des stratégies tout à fait comparables, dans l’ensemble, à celles dont il est fait état en France […]. Ces groupes, qui se veulent légalistes, gèrent […] un réseau de structures cultuelles, culturelles et éducatives qui vise à exercer une influence sur la société » ([182]). Il ajoute que « les mouvements fréristes […] encouragent leurs affiliés à participer à la société et à occuper des postes clés dans les domaines économiques, sociaux et politiques, avec pour objectif de maximiser leur influence » ([183]).
L’ambassadeur précise que le mouvement islamiste le plus représenté est le mouvement Millî Görüş en raison de l’importance de la diaspora turque en Allemagne (2,8 millions de personnes).
– L’ambassadrice de France au Royaume Uni, Hélène Tréheux-Duchêne indique, pour sa part, que « Les Frères ont développé dès le début des années 1960 une stratégie connue, consistant à créer des organisations répondant aux besoins des communautés musulmanes » ([184]). Elle observe que « La méthode retenue est l’islamisation rampante, c’est-à-dire le fait de pénétrer la société par le biais des charities » (associations caritatives britanniques) ([185]). Elle ajoute que « Cette stratégie a été complétée assez récemment par des campagnes publiques menées dans le champ politique et plus nettement orientées : soutien à la Palestine, hostilité à la politique de lutte contre la radicalisation, dénonciation de l’islamophobie et effort de structuration d’un "vote musulman" » ([186]). L’ambassadrice a par ailleurs rappelé à la commission d’enquête les différences entre la société britannique, où « Chacun vit dans sa communauté, qui peut être géographique ou religieuse » et le modèle laïc français, ainsi que la place particulière des charities, qui sont « un élément important dans la culture anglo-saxonne, de même que dans les milieux musulmans » ([187]), ce qui explique cette stratégie d’implantation.
– La Belgique est qualifiée de « carrefour européen de la mouvance frériste » ([188]) par le rapport du ministère de l’intérieur précité sur les Frères musulmans et l’islamisme politique en France. La mouvance y constitue « un maillage étroit d’associations et d’organisations […], la priorité […] allant vers le lobbying, la collecte de fonds et l’action sociale » ([189]). François Gouyette souligne par ailleurs que la forte prépondérance des communautés musulmanes dans certaines communes implique « dans un pays où le verrou constitutionnel de la laïcité n’existe pas, […] une logique de négociation permanente » ([190]). Il en résulte des difficultés à appliquer des règles uniformes en raison des demandes des communautés. Il précise néanmoins ne pas avoir « noté de stratégie particulière d’entrisme auprès des partis politiques belges » ([191]), l’action des mouvements islamistes étant centrée sur les domaines éducatifs et caritatifs.
2. Des pratiques difficilement repérables par les services de l’État
Les services de renseignement, en premier lieu la DNRT, effectuent un travail de recensement des lieux de culte et associations pouvant constituer des foyers d’islamisme politique diffusant des idées contraires aux principes et valeurs de la République.
L’identification des acteurs des mouvances islamistes demeure toutefois difficile au regard des stratégies de dissimulation et de double discours traditionnellement mises en place. La DNRT indique à ce titre que « Cet entrisme et cette méthode portent sur le vivre-ensemble, avec des techniques qui […] ne sont pas simples, et pour nous, services de renseignement, pas faciles à mettre au jour » ([192]). Il précise ainsi que « Les Frères présents dans ces mosquées adoptent un langage lisse, qui rend difficile toute action de l’État à leur encontre. Le double discours, la dissimulation font que les propos tenus en public ne sont pas couverts par une infraction pénale ou par des textes qui permettraient de les entraver. En revanche, on sait qu’ils ont derrière d’autres façons d’agir pour évoquer leurs principes » ([193]).
Les services de renseignement se fondent sur une méthodologie reposant sur le repérage des signaux faibles et la constitution de faisceau d’indices. La DNRT indique s’appuyer sur « plusieurs vecteurs » afin d’identifier des organisations pouvant s’apparenter à des mouvances islamistes, en analysant le « corpus doctrinal mis en avant, [les] déclarations et prêches, [les] pratiques défendues » ([194]). Le service précise que « L’appartenance ou la proximité à la mouvance des Frères musulmans peut être descellée à partir de plusieurs signaux faibles, qui une fois réunis en faisceau permettent de déterminer la nature du lien entre d’une part la mouvance frériste et d’autre part une organisation ou un individu » ([195]). Cette technique du faisceau d’indice consiste à « croiser les différents indicateurs et les analyser afin de qualifier les mouvements et les individus qui les composent pour définir la nature de leur engagement et leur niveau de radicalisation » ([196]).
Ces signaux faibles peuvent être de diverses natures, à l’instar de ([197]) :
– l’obédience affichée à une mouvance rigoriste ;
– le rejet de principes républicains ;
– la vision totalisante de l’islam ;
– l’absence de mixité dans les activités organisées ;
– l’utilisation de manuels fondamentalistes dans les enseignements ;
– les discours prosélytes ;
– la banalisation du port de vêtements islamiques.
Comme le souligne la DGSI, l’objectif des services de renseignement est, par le biais de la caractérisation et de la détection de la stratégie de dissimulation des Frères musulmans, « de révéler la réalité de cette stratégie afin de sensibiliser et d’empêcher toute naïveté dans le dialogue avec les membres de cette confrérie » ([198]).
À ce jour, « Contrairement à d’autres pays, […] il n’a pas été mis en évidence, à notre connaissance, dans la doctrine de la mouvance française, de documents visant l’islamisation à court ou moyen terme » ([199]). Le SG-CIPDR précise également que « Le mouvement des Frères musulmans, […] n’est pas tant, dans notre pays, un mouvement majoritaire qu’un ensemble de personnes partageant les mêmes convictions. Sans être nécessairement organisées au sein d’un mouvement ni même animées d’une vocation politique, [ces personnes] veulent, par le simple fait d’être les plus nombreuses et de partager les mêmes croyances, influer sur les règles de leur environnement » ([200]).
C. Les relais d’influence des mouvements islamistes auprès de certaines organisations ou publics
1. Le champ éducatif, relai d’influence privilégié des mouvements islamistes
Le secteur éducatif est une cible privilégiée des mouvances islamistes. La DGSI mentionne ainsi « la façon dont [la branche française des Frères musulmans] investit le champ de l’éducation, considéré comme une priorité pour former ses élites – et, ce faisant, pour constituer une force politique dans tous les pays où elle est implantée » ([201]). Ce constat est corroboré par le rapport publié par le ministère de l’intérieur qui mentionne que « le secteur éducatif apparaît comme la priorité de la branche française, à un degré qui la distingue des homologues européens » ([202]).
Selon l’Inspection générale de l’administration (IGA), 78 établissements scolaires privés confessionnels musulmans ont été recensés en 2024 sur le territoire et 45 de ces établissements seraient liés à différents mouvements islamistes ([203]). La branche française des Frères musulmans s’appuie ainsi sur un réseau d’écoles confessionnelles qualifié de « limité mais solide » par le rapport précité : 21 établissements accueillant 4 200 élèves sont identifiés comme liés à la mouvance des Frères musulmans. Selon ce rapport, en 2023, cinq établissements disposaient d’un contrat d’association avec l’État, dont trois étaient affiliés à la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (FNEM) ([204]). Sur ces trois établissements – le lycée Averroès, le groupe scolaire Al-Kindi et le collège lycée Ibn Kahldoun – deux ont vu leur contrat d’association résilié : le lycée Averroès en 2023 (son contrat a été rétabli en 2025 à la suite d’une décision de justice ([205])) et le groupe scolaire Al-Kindi en 2025 ([206]). Le mouvement turc Millî Görüş serait impliqué au sein de dix établissements et les mouvances salafistes dans huit établissements, principalement hors contrat ([207]).
Le rapport publié par le ministère de l’intérieur fait également état d’une influence particulière des mouvances islamistes dans le cadre des organisations de jeunesse, « souvent associées à la dispense d’une formation religieuse » dont « les écoles coraniques sont l’instrument le plus abouti » ([208]). Ce même rapport mentionne 815 écoles coraniques recensées en 2024 qui accueillent plus de 66 000 élèves : « La quasi-totalité d’entre elles est rattachée à un lieu de culte musulman et plus d’un tiers évoluent dans un courant fondamentaliste de l’islam » ([209]).
Selon le rapport précité, la structuration de ce réseau s’est effectuée dans un « contexte d’augmentation continue des atteintes à la laïcité recensées en milieu scolaire » ([210]). La DNRT souligne également que, dans le secteur public, « l’école laïque, institution clé de la cohésion nationale, fait face à des remises en cause croissantes par des élèves ou des parents d’élèves se revendiquant d’un islamisme séparatiste » ([211]). Ces revendications comprennent le port de signes ou tenues ostensiblement religieuses, la perturbation de cours ou leur boycott. Lors de l’année scolaire 2023-2024, 6 589 atteintes aux valeurs de la République ont été recensées, un chiffre en augmentation de 40 % par rapport à l’année scolaire précédente et concernent dans un cas sur quatre sur le port de signes et de tenues religieuses ([212]).
2. L’université, terrain de séduction des Frères musulmans ?
● Philippe Baptiste, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’espace, a précisé à la commission d’enquête que « L’université est une caisse de résonance à deux égards » ([213]) s’agissant de l’islamisme. D’une part, en raison de ses activités de recherche, elle contribue « par son regard scientifique à éclairer la réflexion de la représentation nationale et du public » sur ce sujet ([214]). D’autre part, « parce que la jeunesse est, nous le craignons, particulièrement concernée par ces liens entre mouvements islamistes et mouvements politiques » ([215]).
À ce propos, le rapport publié par le ministère de l’intérieur décrit un « contexte où les Frères musulmans apparaissent mener une stratégie "d’islamisation de la connaissance" qui vise à "redéfinir" les sciences humaines et sociales sur la base de la "vision islamique" développée par la Confrérie et encourage la "désoccidentalisation du savoir", qui permet de présenter les théoriciens de l’islam politique sous un jour favorable, de légitimer le concept "d’islamophobie" et de discréditer les chercheurs hostiles à l’islamisme politique » ([216]).
● S’agissant de la recherche, Bernard Rougier déplore le fait que « l’islamisme est de moins en moins considéré comme un objet d’étude légitime à l’université », indiquant ne plus trouver « des financements publics pour des étudiants ou pour conduire des recherches sur cette thématique » ([217]).
Ce chercheur considère par ailleurs que « les disciplines qui travaillent sur ces questions, comme la sociologie, la science politique ou l’islamologie, sont fortement influencées. L’autre problème porte sur la légitimité même de l’objet. Il y a dans toutes les instances, à un moment ou à un autre, un professeur, un maître de conférences, un étudiant, un membre de conseil scientifique, qui parle à l’extérieur et entretient des liens avec des intellectuels islamistes » ([218]). Le chercheur explique ce phénomène de pénétration de l’université par le fait que « les Frères musulmans sont ouverts et parlent aux chercheurs. Il est très valorisant, pour un chercheur, de les rencontrer et il en retire un certain nombre d’informations. Les Frères musulmans comprennent le sens du travail de recherche, notamment sur la radicalisation, montrent leur meilleur visage, sont très urbains et se disent hostiles à la violence » ([219]).
Laurent Bonnefoy, chercheur au centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris, considère quant à lui que « S’agissant des chercheurs, je ne suis pas certain que l’on puisse considérer que le contexte est marqué par des pressions qui seraient exercées. J’estime pouvoir dire un grand nombre de choses, comme celles et ceux qui ont des opinions différentes des miennes ou qui les contestent » ([220]).
Le ministre chargé de la recherche a toutefois reconnu que « la France manque encore de spécialistes travaillant de manière privilégiée sur l’islamisme en France et son lien avec les partis politiques » ([221]) et que « Les chercheurs spécialisés sont soumis à une très forte pression politique et médiatique, dans un contexte de polarisation croissante du débat public, sans parler de la peur d’être la cible d’attentats. Certains chercheurs ont été la cible de menaces de mort. C’est intolérable » ([222]).
À cet égard, votre rapporteur ne peut que souligner le caractère inadmissible de cette situation qui a pu conduire des chercheurs spécialistes des questions de radicalisation et de terrorisme, reconnus par leurs pairs, à demander à la commission à ne pas être auditionnés par peur de représailles ciblant leur personne et leurs proches, ainsi que des chercheurs spécialistes de l’islamisme à demander que leur audition se tienne à huis clos.
● S’agissant de la perméabilité de l’université à des idées considérées comme radicales, notamment au sujet du conflit israëlo-palestinien, le ministre a déclaré que l’université était en effet « l’un des lieux habituels de l’expression exacerbée du débat politique national » ([223]).
Pour Florence Bergeaud-Blackler, « Les universités constituent des espaces où la gauche radicale exerce une influence considérable, non pas en nombre, mais par sa capacité à se faire entendre et à organiser des événements accueillant des personnalités de la frérosphère, que ce soit au nom de la Palestine, contre l’islamophobie ou contre les discriminations » ([224]). Pour Bernard Rougier, ce phénomène est la preuve que l’université est la cible d’une « stratégie d’entrisme et d’influence auprès des élites » ([225]) de la part des mouvements islamistes.
Les discours qui ont pu être tenus lors de certains évènements étudiants organisés par des groupuscules radicaux en soutien à la Palestine sont absolument révoltants et sont susceptibles de relever de l’apologie du terrorisme. Ils sont le fait d’une minorité d’étudiants très actifs et visibles. La DRPP souligne avoir « été surpris[e] par [la] faible représentativité [des étudiants concernés] : de 10 à 100 personnes – et encore, rarement – dans les assemblées générales ou dans les piquets, dans des universités qui comptent plusieurs milliers d’étudiants, parfois plus de 10 000 », indiquant qu’« Il y a là un effet de loupe dû à ce que ces gens sont extrêmement visibles et actifs mais, rapporté à la population étudiante générale, leur nombre est epsilonesque » ([226]).
Le ministre chargé de la recherche fait également le constat de groupes d’étudiants réduits mais très actifs. Il a néanmoins exprimé, devant la commission d’enquête, l’inquiétude, à laquelle votre rapporteur ne peut que souscrire, de voir « de jeunes Français tenir, dans les murs de leur université, des propos antisémites. Inquiétude aussi quand des personnes à peine sorties de l’adolescence, qui fréquentent parfois leur université depuis quelques heures ou quelques jours seulement, peuvent se faire les porte-paroles de propos qui relèvent de l’apologie du terrorisme. Inquiétude de constater que notre jeunesse n’est parfois pas protégée des idées mortifères qui traversent notre société, dans un lieu dont la vocation est de former à penser en citoyen libre, éclairé, capable de débattre dans le respect et l’intelligence » ([227]).
3. Une influence forte dans le monde associatif et sportif
Les mouvements islamistes s’appuient sur des réseaux associatifs extrêmement bien structurés, notamment dans le domaine caritatif, afin de diffuser leur idéologie. La DNRT indique que ces structures « se substituent parfois aux structures de l’État ou de la commune » et « essaient d’occuper tout l’espace de la vie d’un musulman en lui expliquant que pour l’instant, il faut respecter quand même un peu les lois de la République française, parce qu’on y est contraint, mais qu’à terme, leur loi s’imposera » ([228]).
Le rapport publié par le ministère de l’intérieur fait état d’une « trentaine d’associations caritatives islamistes » ([229]), dont seize d’obédience salafiste et quatre liées aux Frères musulmans.
Ces associations sont principalement financées par le biais de fonds de dotation, des « outils de mécénat […] largement détournés par la mouvance frériste pour assurer le recueil des fonds étrangers destinés au financement d’activités cultuelles » ([230]) et par des contributions individuelles. Plusieurs fonds de dotation – dont le fonds Al-Wakf, considéré comme l’un des plus important ([231]) –ont toutefois été suspendus en application des dispositions de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui interdit le financement étranger des activités cultuelles.
Les associations sportives sont également particulièrement ciblées par les mouvances séparatistes. Le rapport publié par le ministère de l’intérieur indique qu’en 2020 « 127 associations sportives étaient identifiées comme "ayant une relation avec une mouvance séparatiste" […] parmi lesquelles 29 structures apparaissaient fondées ou "noyautées" par des tenants de l’islam radical » ([232]). Ce phénomène se « double d’une emprise caractérisée dans la pratique sportive générale » ([233]), particulièrement prégnante dans le domaine du football, des sports de combat et du basket-ball.
La mission flash de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale sur les dérives communautaristes et islamistes dans le sport fait état de « comportements en rupture avec le pacte républicain » ([234]) et de dérives communautaristes et islamistes qui peuvent prendre la forme de la revendication du port d’un couvre-chef religieux, du refus de création de sections féminines, de demandes d’aménagements spécifiques afin d’imposer une non-mixité, de rituels de prière, de refus de serrer la main à un arbitre ou un joueur d’un autre sexe, etc.
En l’absence de règles uniformes encadrant la pratique sportive, les fédérations et les éducateurs sportifs peuvent être soumis à des pressions ou, à tout le moins, à des demandes récurrentes pour accepter l’aménagement des règles communes. Si certains de ces aménagements ne posent pas de difficultés, d’autres peuvent traduire une volonté prosélyte qui enferme les jeunes notamment dans une identité communautaire alors que le sport devrait être ouvert à tous, quelle que soit la confession ou les origines.
4. Les « machines de prédication virtuelles », nouvel espace d’influence
Une nouvelle génération de prédicateur « 2.0 » se forme et « constitue désormais un facteur majeur de diffusion de l’islamisme via les réseaux sociaux » ([235]), qui vise en particulier les jeunes générations. La DNRT indique que la doctrine des influenceurs séparatistes « illustre l’hybridation croissante entre frérisme et salafisme », ceux-ci étant « présents sur les réseaux sociaux où ils portent un discours mêlant "rappels religieux" rigoristes et discours identitaire, par exemple en critiquant l’Islam modéré, "l’islamophobie" et le prétendu sionisme de la France et des médias francophones » ([236]).
Selon le SG‑CIPDR, cette transformation invite à la plus grande vigilance au regard des capacités d’influence de la prédication en ligne : « nous sommes ainsi passés d’influenceurs en chair et en os, contre lesquels il est possible de faire quelque chose, même si cela est difficile notamment quand ils se trouvent à l’étranger, à la diffusion de messages élaborés grâce à l’intelligence artificielle par des influenceurs 2.0 qui, en une matinée, rassemblent une sourate du Coran, un commentaire prescriptif – "tu dois faire ceci", "tu dois faire cela" –, des flammes et une musique qui va bien ; et touchent ainsi à faible coût, 60 000 personnes de façon quasi instantanée » ([237]). La DGSE signale également qu’il est « très compliqué d’interagir avec certains prédicateurs, ce qui soulève la question de la pratique de l’islam en ligne » ([238]).
Hugo Micheron, dénonçant l’enfermement algorithmique des personnes passant à l’acte, relève que : « Le développement fulgurant des nouvelles technologies et, plus exactement, l’influence des algorithmes des grandes plateformes de réseaux sociaux sur la formation de l’opinion publique et la fragmentation du débat, représente une problématique centrale » ([239]). Il recommande à ce titre de « développer des outils légaux et numériques afin d’enrayer les "machines de prédication virtuelle" qui ont désormais pris forme en ligne et sur certains réseaux sociaux ». Il précise que « le cas de la plateforme Tik Tok doit faire l’objet d’une attention de premier ordre », l’algorithme de cette plateforme développé en Chine étant inaccessible à quiconque en Europe alors qu’« elle est plébiscitée par les 15-25 ans » et qu’ « elle est pour cette raison surinvestie par les réseaux religieux et notamment salafistes qui la transforme en machine de prédication virtuelle » ([240]).
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Il n’y a ainsi aucun doute possible, les mouvements islamistes sont bien implantés sur notre territoire et actifs depuis plus de trente ans. Ils ont constitué des écosystèmes au sein desquels ils prônent un repli communautariste fondé sur des valeurs qui pour certaines heurtent le pacte républicain, notamment en matière d’égalité homme-femme ou de laïcité.
Ce constat ne vise en aucun cas les personnes musulmanes qui, dans leur grande majorité, ne s’inscrivent pas dans ces logiques séparatistes, ni ne sollicitent d’aménagements particuliers des règles communes.
Il rappelle, sans céder à l’amalgame, une vérité : celle de la présence sur notre territoire de personnes qui rejettent nos sociétés occidentales, qui s’inscrivent dans le temps long et recourent à des stratégies de dissimulation pour nous fragiliser et nous diviser afin de parvenir à faire adopter leurs vues.
Il était ainsi nécessaire de nommer et de caractériser ces mouvements islamistes politiques pour mieux les combattre.
PARTIE II – Les liens entre des responsables politiques et des mouvances islamistes : un enjeu majeur pour la République
Les mouvances islamistes présentes sur notre territoire ont pour objectif d’influer sur nos règles communes pour diffuser une vision de l’islam rigoriste à la société, en tentant notamment de l’imposer aux communautés musulmanes – dont les pratiques religieuses sont pourtant très diverses – et en se présentant souvent abusivement comme des interlocuteurs légitimes auprès des acteurs publics. Cette stratégie conduit ces mouvances à s’intéresser de près aux élus nationaux et locaux, lesquels sont désormais en « première ligne » face à cette menace complexe à appréhender ([241]).
Les travaux de la commission d’enquête documentent ainsi l’existence de liens de diverses natures entre des responsables politiques et des individus ou collectifs liés aux mouvances islamistes. Le plus souvent, ces liens tiennent à une méconnaissance des finalités poursuivies par ces individus ou collectifs. Dans d’autres cas, il peut s’agir de stratégies électorales classiques, sans perception claire de l’idéologie propagée par leurs interlocuteurs. Cet entrisme, dissimulé et insidieux, peut concerner tous les mouvements politiques.
Dans d’autres cas, beaucoup plus rares, mais très graves, des élus s’affichent aux côtés de personnes propageant ouvertement une idéologie islamiste – voire faisant l’apologie d’actes terroristes, par calcul politique ou congruence de vues. C’est notamment le cas de certains représentants de partis de gauche et d’extrême‑gauche, et singulièrement de La France insoumise.
I. Au niveau local, des élus de toutes les sensibilités politiques en première ligne face à la menace islamiste
La présence d’importantes communautés musulmanes sur le territoire d’une collectivité territoriale, voire d’écosystèmes islamistes plus ou moins établis (voir partie I), peut être instrumentalisée par des individus ou collectifs pour se présenter comme des représentants légitimes des musulmans auprès des élus locaux et défendre des revendications prosélytes. Face à des acteurs associatifs ou cultuels faisant « progresser leurs agendas » ([242]), les élus manquent parfois d’information et de soutien pour différencier les demandes légitimes des stratégies de séparatisme ou d’entrisme ([243]). Au regard de ce phénomène susceptible d’affecter toutes les sensibilités politiques, les différents services de l’État auditionnés par la commission d’enquête identifient un risque réel d’entrisme à l’occasion des prochaines échéances électorales.
A. Des élus locaux peu outillés face aux revendications d’acteurs associatifs, cultuels ou d’influence
1. Les stratégies de l’islamisme politique au niveau local, une menace multiple difficile à appréhender
a. Des stratégies locales difficiles à déceler
● La présence d’écosystèmes séparatistes ou de zones caractérisées par un fort communautarisme représente un défi pour les élus et les responsables locaux. Ces derniers peuvent faire face à des revendications ou des pressions de la part de membres de mouvances islamistes qui se présentent, de manière trompeuse, comme les représentants d’une communauté dans le but de « consolider leurs écosystèmes » ([244]).
Au niveau local, l’entrisme peut ainsi consister, pour des individus, à « accéder à des "ressources politiques" » ([245]) par une stratégie d’influence sur les décideurs locaux ou, plus rarement jusqu’à présent, par l’occupation d’une fonction élective.
Ils peuvent tenter de faire aboutir certaines demandes – parfois légitimes (location de salle municipale, baux emphytéotiques, octroi de permis de construire, etc.) ou de faire évoluer des règles existantes (non-mixité de certaines activités, menus de cantine différenciés, etc.) afin de donner des gages aux communautés musulmanes et in fine de leur « imposer leurs orientations » ([246]). Ces pressions peuvent par ailleurs s’accentuer à l’approche des échéances électorales.
● Dans un tel contexte, la distinction entre des demandes légitimes émanant de musulmans souhaitant vivre leur religion sans méconnaître les valeurs de la République et la promotion de thématiques islamistes contraires à ces valeurs peut être complexe en raison des techniques de dissimulation et de double discours pratiquées par les membres des mouvances islamistes (voir partie I). Bernard Rougier indique à cet égard que les militants islamistes « sont tout à fait conscients du discours de vigilance qui est tenu. Ils mèneront donc ces opérations discrètement, si bien qu’il sera difficile de les repérer, sauf de l’intérieur » ([247]).
La difficulté de pouvoir rapidement identifier des acteurs poursuivant un projet islamiste génère également le risque de légitimer des acteurs non représentatifs de la communauté musulmane locale, bien qu’ils se présentent comme tels. Erwan Seznec, journaliste au Point, a ainsi indiqué à la commission d’enquête que le simple fait de rencontrer un élu peut « conférer une légitimité à quelqu’un qui n’en disposait pas initialement » et le conduire par la suite à se présenter auprès « de sa communauté comme un intermédiaire efficace, puisque le maire l’a reçu » ([248]).
b. Des liens documentés au niveau local entre des représentants politiques et des mouvements islamistes
Selon les services de renseignement, des liens, plus ou moins assumés, entre des élus locaux et des acteurs ou des organisations liées à des mouvances islamistes existent et favorisent le déploiement de stratégies de séparatisme et d’entrisme sur le territoire. Ces liens n’impliquent toutefois pas une adhésion idéologique à l’islamisme politique, mais davantage des convergences sur certains projets ou politiques locales – que d’autres acteurs (associatifs, politiques, étatiques etc.) peuvent d’ailleurs également soutenir.
Dans le cas des Frères musulmans, la DGSE souligne ainsi qu’« À l’occasion du suivi de certains individus, [nous avons vu] apparaître des liens entre des cadres des Frères musulmans et des élus locaux. Cela existe, certains se connaissent, c’est certain, les cadres en question, qui font des allers-retours en Turquie, ayant souvent des responsabilités locales, en tant que président d’association ou de structure éducative. Il y a donc des interactions, mais nous n’avons pas connaissance – même si cela ne signifie pas qu’il n’en existe pas – d’élus français qui s’impliqueraient sciemment et directement dans les activités de la confrérie, lesquelles sont, je le rappelle, clandestines ou semi‑clandestines et non revendiquées » ([249]).
● Des liens peuvent également exister au sein des exécutifs locaux. Comme le souligne Pascal Courtade, le risque d’entrisme municipal se manifeste notamment par « des militants fréristes ou des islamistes politiques [qui] figurent sur des listes de candidats » ou qui « agissent de façon un peu plus pernicieuse dans l’entourage immédiat du maire » ([250]).
Dans certaines communes, des militants islamistes semblent avoir ainsi infiltré des conseils municipaux et se trouvent en capacité d’influencer la prise de décision municipale :
– la DNRT a mentionné à la commission d’enquête que plusieurs personnes, à la tête d’un écosystème local et liées à l’UOIF, auraient « été élues à des fonctions municipales, notamment dans l’arrondissement de Valenciennes » ([251]) ;
– Cédric Brun a fait mention de l’influence particulière du directeur de cabinet du maire de Douchy-les-Mines, « proche des Frères musulmans et de la famille Iquioussen » ([252]) ;
– le préfet Alexandre Brugère également fait état d’un « "cas d’école" en matière d’entrisme municipal » dans la ville de Colombes où « l’actuel directeur de cabinet du maire cumulait […] ses fonctions avec celles de secrétaire général d’une mosquée considérée d’intérêt par les services compétents et de directeur d’une école coranique dans laquelle nous avons trouvé lors d’un contrôle des éléments témoignant d’un enseignement islamiste » ([253]). Il a par ailleurs « été amené à signaler à deux maires du département la présence dans leur conseil municipal d’individus connus de la thématique » ([254]).
● Des pressions ou des demandes d’accommodements sont également documentées dans le but d’obtenir « un cadrage des enjeux électoraux sur des thèmes de prédilection » ([255]) ou en échange de services ou de voix. Pascal Courtade précise à cet égard avoir pu visionner « des vidéos dans lesquelles l’imam Iquioussen explique de la manière la plus benoîte comment un militant frériste peut et doit proposer aux élus les voix des habitants de son quartier » ([256]). Ce type de pratiques laisse craindre la constitution d’un « rapport de forces électoral » ([257]) entre les islamistes et des élus.
Pascal Courtade souligne que la poursuite d’une telle stratégie suppose parfois « une interaction, voire une bienveillance des pouvoirs municipaux et l’accord des maires, dotés de larges pouvoirs en la matière » ([258]).
Bernard Rougier a ainsi présenté à la commission d’enquête un système clientéliste impliquant directement les élus. Dans le cas d’une commune de l’agglomération parisienne, ce système, désormais révolu, « reposait sur des avantages matériels accordés à une mouvance marocaine des Frères musulmans, Al Adl Wal Ihsane, le réseau Justice et Bienfaisance, à travers le contrôle de la grande mosquée de la ville. Le président du conseil départemental faisait jouer son influence auprès de la mairie pour accorder à cette mosquée et ses institutions divers avantages, ultérieurement dénoncés par un rapport de la Cour des comptes. En échange, ses élus bénéficiaient des voix du tissu associatif islamiste lors des élections municipales et cantonales » ([259]).
Dans le même sens, la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio soulignait que « certains élus sont complices par pur clientélisme. Ils ne sont nullement ignorants et il s’agit d’un calcul. D’ailleurs, nous constatons souvent l’augmentation de projets de mosquées six mois avant les élections municipales. Il s’agit de pur clientélisme et les maires qui s’y prêtent sont pleinement acteurs » ([260]).
Toutefois, ces décisions électoralistes n’ont pas nécessairement d’effet sur les résultats obtenus selon Erwan Seznec : « personne ne peut affirmer être capable de faire voter les musulmans en bloc, même si tout élu rêve évidemment de trouver une clé magique donnant accès à 800 voix d’un coup. Au scrutin précédent, la mairie de Lille a basculé pour seulement 264 voix et 800 fidèles dans certaines mosquées représenteraient donc un enjeu considérable. Ces partis n’ont aucune garantie que leurs interlocuteurs pourront mobiliser ces centaines de voix mais ils ont, en revanche, la certitude que ces intermédiaires sont très dangereux » ([261]).
● D’autres comportements témoignent d’un manque d’investissement des élus et de l’État dans certains quartiers qui basculent ensuite sous l’emprise des mouvements islamistes.
Selon la DNRT « Des élus se disent-ils peut-être que dans certains quartiers, les Frères musulmans, lorsqu’ils y sont le courant religieux dominant, ne sont certes pas tout à fait satisfaisants au regard de l’ensemble des valeurs de notre démocratie, mais que le quartier est plutôt calme et que les gens ne s’en plaignent pas trop. […] Tout doucement, de la rigueur s’y installe parce qu’il n’y a plus de services publics classiques, que l’État n’est plus présent et que les élus locaux ont peut-être fait ce qu’ils ont pu, mais n’ont pas pu tenir le territoire. Au bout d’un moment, ces contre-sociétés s’installent et ce sont les plus extrémistes qui prennent le dessus. […] Et comme l’ambition des Frères musulmans est de s’occuper de la vie de nos compatriotes musulmans de leur naissance à leur mort, ils prennent en charge tous les aspects de leur quotidien, et donc aussi l’aspect politique » ([262]).
2. Des élus parfois en difficulté pour justifier de la légitimité de leurs décisions alors même qu’elles s’inscrivent dans un cadre légal
a. Les liens entre élus et mouvements islamistes peuvent découler de la difficulté à trouver des acteurs représentatifs des musulmans pour répondre aux demandes légitimes exprimées par ces derniers
● Les liens entre élus et mouvements islamistes sont le plus susceptibles de se nouer lorsqu’il n’y a pas d’acteurs légitimes représentant les communautés musulmanes. Pour exercer leur influence, les islamistes se présentent alors comme des interlocuteurs fiables et représentatifs, quand bien même ils ne représenteraient qu’une minorité des musulmans de la collectivité. Cette situation intervient le plus souvent lorsque l’importance numérique des communautés musulmanes au sein d’un territoire en fait un enjeu électoral.
Les maires sont ainsi amenés à devoir répondre à des demandes qui peuvent être tout à fait justifiées au regard de la présence d’une communauté musulmane sur leur territoire, mais défendue par des mouvements dont les valeurs ne sont pas toujours compatibles avec la République.
De manière générale, Olivier Roy souligne que « tout maire doit nécessairement tenir compte de cette catégorie d’électeurs. Les élections se jouent fréquemment à quelques points de pourcentage près. Dans une ville dont 20 à 30 % de la population est d’origine immigrée, vous devez nécessairement avoir des soutiens au sein de cette population. […] Il s’agit d’un phénomène ancien, connu depuis l’instauration de la démocratie municipale. […] Nous observons en effet l’existence de réseaux, de personnalités, de notables, d’individus aspirant à percer et/ou à se faire élire. C’est ainsi que s’établit une politique municipale de concessions mutuelles, mais jamais selon une division simpliste entre musulmans et autres citoyens. Au sein même de ce qu’on appelle indistinctement "musulmans", l’on distingue des Marocains, des Harkis, des Algériens, des Turcs, chacun de ces groupes étant lui-même divisé. Des leaders autoproclamés émergent, cherchant à obtenir une reconnaissance municipale en apportant potentiellement des voix et en sollicitant des postes en retour. Je ne suggère aucunement qu’il s’agirait de systèmes de type mafieux. Dans toute coalition municipale, le maire doit distribuer les postes d’adjoints, avec des enjeux de visibilité et, ultimement, des enjeux économiques. De l’extérieur, ces dynamiques sont interprétées comme une politique d’islamisation. De l’intérieur, la réalité s’avère considérablement plus compliquée » ([263]).
À ce propos, le préfet Julien Charles a indiqué à la commission d’enquête que le département de la Seine-Saint-Denis compte « 1,8 million d’habitants, dont une population de confession musulmane estimée à 800 000 personnes [soit 44,4 % de la population], faisant de l’islam la première religion du département. On y trouve 115 ou 116 lieux de culte – mosquées ou salles de prière – parmi les 243 que compte la région parisienne. La simple mention de ce chiffre montre l’enjeu que peut représenter, sur le plan électoral, la population de nos compatriotes de confession musulmane » ([264]).
Ce poids des communautés musulmanes au sein de certaines villes incite naturellement les élus à se montrer attentif aux enjeux rencontrés par ces populations. Selon la préfecture des Bouches-du-Rhône, « Musulmans et juifs représentent ainsi 370 000 personnes sur 900 000 à Marseille. […] On comprend donc bien l’intérêt des élus non pas à partager les idéologies, mais à être auprès de ces populations. Cela ne signifie pas, j’insiste, qu’ils en soutiennent les causes. Deux exemples en témoignent. D’abord, dès que le rapport sur les Frères musulmans, qui cite le collège-lycée Ibn Khaldoun, a été rendu public, certains élus des Bouches-du-Rhône se sont publiquement exprimés et ont cessé de subventionner l’externat du lycée. Tous n’ont pas pris la parole, mais aucun ne s’est porté caution pour défendre cet établissement. Ainsi, les élus prennent leurs distances dès lors qu’il y a une allusion au frérisme. L’autre exemple est relatif aux salafistes. Vous savez que le préfet Georges-François Leclerc a souhaité fermer la mosquée des Bleuets, que cette fermeture a été contestée devant le tribunal administratif, que nous avons perdu et que nous faisons appel. Lorsque l’imam Bendjilali a tenu une conférence de presse pour dire qu’il allait contester l’arrêté préfectoral devant les tribunaux, certains élus étaient présents – non pas pour demander le maintien de l’imam dans la mosquée, mais pour signaler qu’en cas de fermeture, certains musulmans ne pourraient pas pratiquer leur religion compte tenu de l’éloignement des autres lieux de culte. Ainsi, les élus n’étaient pas là pour cautionner l’imam mais pour défendre les intérêts de la communauté musulmane » ([265]).
Pour la préfecture, ces situations relèvent bien plus d’un certain pragmatisme des élus – qui se manifeste par un soutien affiché de la communauté musulmane dans son ensemble – que d’une adhésion idéologique à l’islamisme ou à l’islam rigoriste.
● Comme l’indique la DRPP, « Il est normal que les élus, notamment les élus locaux, aient des contacts avec l’ensemble de leurs administrés. C’est d’ailleurs une difficulté pour nous quand nous nous intéressons à des écosystèmes ou de l’entrisme, de l’ingérence ou de l’influence sur des élus locaux : à quel moment la relation entre élu et administrés verse-t-elle dans l’anormal, puisqu’il est normal qu’un élu local s’occupe de l’ensemble de ses administrés, des communautés religieuses quelles qu’elles soient, des communautés étrangères et nationales ? » ([266]).
À cet égard, votre rapporteur souscrit à la vision partagée par Erwan Seznec : « Si les demandes sont d’ordre cultuel, il conviendrait de les satisfaire, dans la mesure du possible, car c’est conforme à l’essence de la démocratie. La République en sortira renforcée. Elle intégrera des populations ostracisées. En revanche, si les revendications portent la marque d’un projet politique extrémiste visant à diffuser un islam intolérant, il faut être intransigeant » ([267]).
Les relations entretenues par les maires avec les communautés musulmanes implantées sur leur territoire ne constituent en elles-mêmes ni un aveu de complaisance, ni la concrétisation de stratégies d’entrisme municipal. Olivier Roy indique à ce sujet que « La réalité locale est faite de petits compromis. […] Il existe donc toute une pratique locale où les maires se contentent de faire leur travail : satisfaire les attentes de leurs administrés » ([268]).
Tout au plus, ces pratiques peuvent s’apparenter à une forme de pragmatisme électoral à l’approche des élections locales. Sans alerte particulière de la part des services de l’État signalant la proximité d’un acteur ou d’une organisation avec des mouvements islamistes, on ne peut reprocher à un maire d’accéder à une demande légale émanant de la communauté musulmane ou de toute autre communauté religieuse implantée dans sa ville.
● Plusieurs élus locaux auditionnés par la commission d’enquête ont ainsi indiqué avoir accepté des demandes émises par les communautés musulmanes installées dans leur commune, à la suite d’un dialogue avec les services de l’État et sans qu’aucune menace islamiste ne leur ait été signifiée.
Un maire a ainsi indiqué avoir « délivré des permis [de construire], conformément à la loi » à la suite d’instructions ayant fait « l’objet d’un suivi avec le renseignement territorial » ([269]) et après avoir obtenu un avis favorable du préfet. L’élu précise n’avoir jamais constaté de faits « laissant penser que des mouvances islamistes, et encore moins terroristes » ([270]) soient en relation avec les associations cultuelles présentes dans la commune.
Une autre élue locale entendue par la commission a fait état d’un projet de construction de mosquée, dont l’objectif est de « répondre à la demande d’un certain nombre de pratiquants en permettant une unité de lieu ». Elle justifie l’implication des services municipaux par la volonté de travailler « avec une meilleure visibilité et une co-construction du projet. Plutôt que rester étrangers à la façon dont il sera concrétisé, nous voulons travailler avec l’association – comme nous le faisons depuis des années – pour que ce projet soit le plus respectueux possible de tout ce qui compte pour nous en tant qu’élus de la République » ([271]). L’édile précise par ailleurs que ce projet « a obtenu l’accord des services préfectoraux » et que « rien ne [lui] a été communiqué concernant l’association qui porte le projet de mosquée » ([272]).
● Les maires auditionnés ont souligné le fait que la majorité des élus locaux s’appliquent à respecter et à faire respecter les lois de la République au sein de leurs municipalités. Une élue locale a ainsi relevé que les maires sont « attentifs au respect du principe de laïcité et au fait que chacun puisse exercer son culte dans les conditions imposées par notre République. Comme chacun d’entre vous je pense, le principe de laïcité nous guide du matin au soir et du soir au matin » ([273]).
Les élus interrogés se sont dit particulièrement vigilants au sujet de demandes communautaires qui pourraient contrevenir au principe de laïcité : « nous appliquons la loi de 2021 dès que nous en avons l’occasion. Les associations que nous subventionnons doivent signer la charte de la laïcité. Nous avons instauré un règlement pour les mariages. Nous essayons de vivre de façon apaisée » ([274]). Une élue a ainsi précisé que sa municipalité n’avait « pas fait droit aux demandes communautaires concernant les menus des cantines. Nous continuons à proposer des menus équilibrés, parfois sans viande, qui ne constituent une discrimination ni positive ni négative vis-à-vis d’une quelconque religion. Nous y sommes attachés » ([275]).
En cas de doute, les élus peuvent s’appuyer sur les services de l’État : un élu a ainsi indiqué que les demandes relatives à la pratique sportive féminine dans certains clubs ne sont jamais traitées « sans en informer les services de la préfecture » ([276]).
b. Des élus locaux en première ligne pouvant être exposés aux attaques des mouvements islamistes et d’adversaires politiques
Les élus peuvent faire face à des pressions communautaires les incitant à accéder à des demandes, sous peine d’être accusés de discrimination ou d’« islamophobie » par des membres de mouvances islamistes. À l’inverse, certains élus peuvent être pointés du doigt et accusés de complaisance lorsqu’ils prennent des décisions relatives au culte musulman, sans que celles-ci ne soient pour autant illégitimes.
● Les pressions communautaires envers les élus peuvent être fortes ([277]). En cas de réponse négative aux demandes, les maires peuvent craindre des accusations d’islamophobie et d’intolérance de la part de militants islamistes. Le préfet Brugère indique à cet égard que « Les islamistes sont également particulièrement doués en matière de manipulation de l’opinion et ont réussi à installer l’idée selon laquelle s’opposer à eux c’est être "islamophobe" […]. Par faiblesse, certains élus peuvent donc être tentés de refuser le combat contre l’islamisme, de peur d’être ainsi catalogués » ([278]).
● Symétriquement, des élus peuvent être soupçonnés d’entretenir des relations de complaisance avec des mouvements islamistes ou séparatistes. Les situations locales s’avèrent néanmoins souvent complexes et les réponses des maires sont fortement influencées par les relations entretenues avec les services de l’État et les informations communiquées au sujet d’acteurs perçus comme problématiques.
Erwan Seznec a présenté à la commission d’enquête l’exemple d’une ville moyenne qui « illustre parfaitement l’ambiguïté et la complexité du sujet. Ce maire se trouve en effet accusé de complaisance envers les islamistes car il a cédé, à un prix avantageux, un terrain à une association musulmane souhaitant y construire une école » ([279]). Or, bien que l’association concernée entretient des liens « aisés à établir » avec des individus rigoristes, le projet de construction a été validé par l’inspection académique « considérant que l’école ne présente aucun problème particulier et qu’elle obtient de bons résultats lors des inspections » ([280]).
Le journaliste « initialement parti pour décrire un maire vendu aux islamistes et […] finalement revenu avec un papier concluant que la situation était bien plus complexe » concède que les situations locales dépendent de plusieurs variables. Erwan Seznec indique ainsi que le maire « se retrouve ainsi dans une position paradoxale, puisque les services de renseignement l’alertent sur le caractère problématique de ces acteurs tandis que l’Éducation nationale valide le projet ». L’élu a par la suite attribué un terrain à cette association dans un quartier excentré, « décision [qui] lui a valu des accusations de complaisance, […] car rien ne l’obligeait à céder un terrain pour une école coranique ». Pris « entre deux logiques institutionnelles », le maire, qui n’a selon le journaliste « aucun intérêt à courtiser » la communauté musulmane locale au regard de ses résultats électoraux, aurait pris une décision avant tout pour « éviter une implantation fondamentaliste visible en centre-ville ». Il se serait appuyé pour cela sur l’autorisation de l’académie et le signalement des services de renseignement au sujet du « caractère fondamentaliste des responsables sans pour autant pouvoir leur reprocher des actes violents concrets » ([281]).
Des élus peuvent ainsi faire l’objet d’accusations non justifiées de complicité ou de clientélisme en raison de décisions légales prises, avec le soutien des services de l’État, au bénéfice de la communauté musulmane. Certains se sont légitimement étonnés que le fait de « délivrer un permis de construire conformément à un règlement d’urbanisme » puisse être considéré comme « un acte de clientélisme » ([282]).
Ces situations illustrent la sensibilité de ces questions et la situation difficile dans laquelle peuvent se retrouver certains élus, lorsqu’ils doivent faire face à des accusations d’« islamophobie » ou, au contraire, d’« islamogauchisme » ou d’« islamodroitisme » (voir infra). Votre rapporteur regrette que ces accusations contre des élus majoritairement de bonne foi soient parfois fondées sur une vision simpliste des réalités locales.
3. L’information des élus sur les mouvements islamistes est inégale et dépend de leurs relations avec les services de l’État
● Les élus sont parfois peu outillés pour repérer des tentatives d’infiltration ou d’influence et les différencier de demandes légitimes de la part des communautés présentes sur leurs territoires. La DGSI précise ainsi que « L’enjeu est d’accompagner les élus en les aidant à distinguer ce qui relève de la pratique normale et légitime du culte de ce qui relève d’une stratégie d’entrisme, avec l’implantation de structures susceptibles de servir la stratégie de la confrérie à travers l’éducation d’une partie de la jeunesse ou le déploiement d’un projet politique non conforme aux lois de la République » ([283]).
Certaines situations d’entrisme se développent en raison du manque d’information des élus, qui « ignorent qui sont en réalité leurs interlocuteurs communautaires ou cultuels » ([284]). Le préfet Brugère souligne qu’il « ne faut pas se tromper : l’essentiel des élus sont républicains. Il ne faut pas sous-estimer la difficulté d’élus de bonne foi à identifier des tentatives d’entrisme » ([285]).
● La conscientisation de la menace que représentent les acteurs islamistes et l’appui de la part des services de l’État sont deux étapes indispensables pour aider les élus à mieux repérer ces acteurs et prévenir des situations d’entrisme. Il incombe aux services de renseignement et aux services préfectoraux d’« identifier les structures et bien connaître les acteurs. C’est à cette condition que nous sommes en mesure d’apporter des conseils, voire de prendre des mesures d’entrave quand il est possible de caractériser précisément les choses » ([286]), indique la DGSI.
Les élus rencontrés par la commission d’enquête ont tous indiqué se reposer sur les informations communiquées par les services de renseignement ou les services préfectoraux. En l’absence de signalement particulier, les élus considèrent que la situation est sans risque, comme l’indique l’un des maires auditionnés par la commission d’enquête : « Comme mes collègues, je considère spontanément qu’il n’y a pas de problème particulier si je ne reçois pas d’informations » ([287]).
Certains maires font également preuve de démarches proactives, comme le déclare l’un des élus auditionnés « À chaque fois que j’ai eu à instruire des demandes d’autorisation pour des communautés religieuses, je me suis rapproché du renseignement territorial pour m’assurer qu’il n’y avait pas de difficulté, et parce que j’estimais qu’il devait au minimum être informé que je commençais à instruire un dossier » ([288]). Ce même élu indique n’avoir « jamais entendu parler de Frères musulmans [dans ma commune]. Le cas échéant, ce serait une vraie faute des préfets successifs ou du renseignement territorial de ne pas m’en avoir informé » ([289]).
● Les préfets interrogés par la commission d’enquête ont indiqué que les services préfectoraux étaient pleinement mobilisés auprès des élus.
La préfecture de la Seine-Saint-Denis a indiqué à la commission d’enquête que l’attitude de l’État vis-à-vis des élus était « faite à la fois de conseil et de soutien, lorsque les élus nous sollicitent, ou que nous avons une information à leur communiquer [et] de rappel à la règle, notamment dans le cadre du contrôle de légalité, lorsqu’il nous semble qu’une initiative locale s’en écarte » ([290]).
Certaines préfectures prennent également des initiatives pour sensibiliser les élus. Par exemple, la préfecture des Hauts-de-Seine, « Pour éclairer les élus et ainsi prévenir ce phénomène d’entrisme, [a] organisé, le 16 septembre dernier, le premier séminaire en France de sensibilisation des maires à ce qu’est l’islamisme. C’est une question technique qui mérite d’être appréhendée comme telle. [Elle a] proposé aux maires de convier leurs conseillers municipaux et les membres de leur cabinet qui suivent habituellement ces questions » ([291]).
● En l’absence de cadre institutionnel clairement défini, les pratiques semblent toutefois dépendre des relations entretenues entre les maires et les préfets et de l’implication des deux parties. Par exemple, les services de l’État dans le Rhône conduisent des actions avec les maires « dans le cadre des réunions de tranquillité publique que nous organisons avec les maires des sept communes les plus sensibles, avec les taux de délinquance les plus élevés. Il est intéressant de noter qu’aucun signalement ne nous remonte des maires lors de ces moments de sensibilisation collective. En revanche, nous entretenons des échanges individuels plutôt positifs avec eux » ([292]). Les questions relatives à l’entrisme et au séparatisme islamistes semblent principalement abordées dans le cadre de réunions bilatérales entre un maire et les services préfectoraux : « C’est par nos entretiens bilatéraux avec les maires que nous pouvons traiter de ces sujets. Parfois, nous faisons des réunions à la demande des maires, ce qui nous permet d’identifier une structure d’aide alimentaire, un lieu d’accueil collectif de mineurs, un enjeu autour d’un terrain. C’est vraiment dans ce cadre bilatéral que l’on peut faire passer l’information. Dans les municipalités du Rhône les plus concernées par le phénomène de séparatisme islamiste, les maires sont de bonne volonté, coopératifs et à l’écoute » ([293]).
Selon les préfets rencontrés, le degré de réactivité des élus peut être variable. Alexandre Brugère évoquait le fait que « lorsque nous avons mis au jour l’écosystème islamiste autour du directeur de cabinet du maire de Colombes, j’ai rapidement reçu M. le Maire pour lui en faire part. L’État attendait une réaction pro-active de sa part. Il n’en a malheureusement rien été » ([294]). Dans les Bouches‑du-Rhône, Corinne Simon fait aussi le constat que « les élus ne nous sollicitent pas directement au sujet de l’islamisation ou des sphères fréristes ou salafistes. Ce sont des questions qu’ils n’évoquent pas d’eux-mêmes, […] si nous n’allons pas vers les élus sur ce sujet, eux ne viendront pas vers nous » ([295]).
Les élus auditionnés par la commission d’enquête ont globalement déclaré entretenir de bons rapports avec les représentants de l’État dans leurs départements. Une élue indique évoquer « régulièrement ces sujets [d’entrisme] avec M. le Préfet et les services de la préfecture, ainsi qu’avec ceux de la police nationale dès que nécessaire. Je ne doute pas une seconde que s’il y avait la moindre crainte ou le moindre élément d’alerte à me communiquer, ils l’auraient fait » ([296]).
Si ce dialogue est relativement efficace, un élu mentionnait à la commission d’enquête que « Il s’avère que nous voyons quand même passer un certain nombre de problèmes : quand il faut faire un signalement, c’est moi qui appelle le préfet. Rien n’est structuré ou organisé dans les échelons en dessous. Il y a là un enjeu d’efficacité. L’identification des signaux faibles ne peut pas se passer dans une relation intuitu personæ entre le maire et le préfet » ([297]).
Votre rapporteur souligne qu’un dialogue renforcé entre les préfets et les maires est absolument primordial pour permettre aux élus d’identifier les acteurs problématiques. De même, les élus sont souvent à même d’identifier des signaux faibles pouvant être remontés au préfet et aux services de renseignement.
B. Des phénomènes d’entrisme susceptibles de concerner tous les partis et qui pourraient avoir des conséquences lors des prochaines élections municipales
1. Au niveau local, l’ensemble des sensibilités politiques peuvent être visées par les mouvements islamistes
Les situations relevant de stratégies d’entrisme semblent décorrélées des sensibilités politiques des municipalités concernées. Lors des auditions de la commission d’enquête, en particulier des services de l’État (ministère de l’intérieur, services de renseignement, préfets), il n’a pas été signalé que certains partis politiques seraient, au niveau local, davantage visés par des militants islamistes. Les manifestations de l’entrisme municipal semblent donc liées à des contextes locaux précis. Selon la DRPP, l’ensemble des appartenances peuvent être prises pour cible et être sous tension, particulièrement « dans les communes dont la population est en grande partie, sinon majoritairement, musulmane, d’origine musulmane ou originaire de pays musulmans » ([298]).
La DGSE ajoute que « La difficulté à laquelle étaient confrontés ces élus ne dépendait ni de leur étiquette ni de leur nuance politique. La manière dont un maire est confronté à ce type d’écosystème islamiste – islamisation de la pratique du sport, généralisation des cours après l’école, enseignement associatif – transcende très largement les différentes nuances » ([299]).
2. Une vigilance accrue dans la perspective des municipales de 2026
Les prochaines échéances électorales de 2026 appellent une vigilance renforcée afin de prévenir toute tentative d’entrisme et d’infiltration de listes électorales.
● Le ministre de l’intérieur a précisé que « la probabilité de voir de l’entrisme [dans les listes électorales] est assez forte, puisque la stratégie est celle de l’infiltration » ([300]). Ce risque est également identifié par la DNRT qui indique que, « À l’occasion des élections municipales – que nous ne suivons pas et sur lesquelles nous ne faisons ni prévisions ni pronostics –, certaines têtes de liste seront clairement identifiées comme pouvant être proches de certains courants religieux musulmans » ([301]). La sénatrice Jacqueline Eustache‑Brinio précise que ce risque n’est pas inédit car « En 2020, quelques listes étaient déjà marquées par une forme d’entrisme et comportaient des personnes motivées, non par une ambition d’un projet commun pour une ville ou un territoire, mais par la volonté de propager leur idéologie » ([302]).
Le préfet Alexandre Brugère a également déclaré à la commission d’enquête que « L’entrisme islamiste à l’approche des élections municipales est un sujet de préoccupation. J’ai adressé, dans mon discours aux élus du 24 janvier, un appel à la vigilance, en soulignant [que] la présence dans des listes municipales d’individus liés à l’islam radical est une réalité » ([303]). Le préfet craint notamment des manifestations de comportements purement opportunistes visant à capter le vote des communautés musulmanes : « une petite minorité d’élus opportunistes, pensant que cela leur permettra de capter le vote de nos compatriotes de confession musulmane, peuvent être tentés de se lier avec des islamistes » ([304]).
Les élus sont aussi soucieux de ce phénomène. L’un des maires auditionnés a indiqué que « Concernant la constitution des listes électorales, nous sommes tous attentifs aux personnes avec qui nous faisons alliance lorsque nous préparons une élection. Je rappelle systématiquement qu’une fois élus, nous ne sommes plus les représentants de nous-mêmes ou de nos communautés, mais de l’intérêt général. Je passe au crible les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle nous aide à nous prémunir de toute erreur » ([305]).
Le ministre de l’intérieur a néanmoins indiqué à la commission d’enquête que « Très honnêtement, il est compliqué de s’opposer à cette stratégie d’entrisme. L’information peut être communiquée aux personnes en tête de liste : il leur reviendra de décider. Ensuite, des infractions sont constituées lorsque les élus ne se comportent pas de façon conforme aux lois de la République – par exemple, la prise illégale d’intérêts ou le délit de favoritisme. Mais ce sera compliqué » ([306]).
● La création de listes communautaire devrait demeurer un phénomène marginal pour les élections municipales de 2026. La constitution de listes communautaires n’est pas nouvelle, comme le signale le ministre de l’intérieur : « il y a déjà eu des listes dites communautaires – ce n’est pas un terme péjoratif dans ma bouche – dans certains quartiers lors de scrutins municipaux ; un parti politique s’est même présenté au nom de nos compatriotes musulmans » ([307]). La DRNT indique d’ailleurs que ces listes communautaires « peuvent […] être clairement identifiées comme étant fréristes, avec des gens identifiés comme tels, mais on ne peut pas l’interdire » ([308]). Le ministère de l’intérieur considère toutefois que « Pour 2026, nous pensons plutôt que certaines personnes s’agrégeront à des listes » ([309]).
● Les élections municipales peuvent en revanche être l’occasion pour des militants islamistes de faire du vote musulman un enjeu électoral. La DRPP souligne ainsi que dans certains écosystèmes « des référents islamiques peuvent, par le biais de leurs "fidèles" inciter à aller voter » ([310]). Une attention particulière doit donc être portée s’agissant de la diffusion de consignes électorales dans les lieux de culte. La DRPP a indiqué que les services seront « vigilants lors des élections municipales », elle relève toutefois que « depuis quelques années les prêches dans les mosquées sont très aseptisés. Non seulement les imams et les recteurs savent que ce qui se dit dans les mosquées est rapporté par les services de renseignement mais les entraves administratives – dissolutions et fermetures – ont aussi conduit à cette aseptisation. Donc, non, ce type de discours n’est pas tenu lors des prêches, en tout cas nous ne l’avons pas constaté » ([311]). Bernard Rougier a néanmoins indiqué qu’il existe « des structures communautaires qui, dans la plus grande discrétion, encourageront le moment venu le vote en faveur du bon candidat » ([312]). Le chercheur fait mention d’une commune de la petite couronne parisienne, où « aux élections municipales de 2008 et 2014, les candidats étaient invités à présenter leur programme à la mosquée de la Fraternité, proche des Frères musulmans, ce qu’ils ont fait. Ils étaient ensuite évalués sur leur capacité à répondre aux demandes communautaires de la mosquée » ([313]).
Élections municipales de mars 2026 : ingérences étrangères et instrumentalisation de l’idéologie islamiste
Les services de l’État sont particulièrement attentifs au risque d’ingérences étrangères, notamment numériques, à l’approche des élections municipales de 2026. Le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) précise à cet égard que « Nous avons vu ces dernières années une multiplication et une densification des ingérences numériques étrangères qui pèsent sur les processus électoraux, en particulier dans des pays européens proches de nous » ([314]). Des manipulations de l’information et des anomalies ont en effet été observées en Roumanie, en Allemagne et en Moldavie.
Le SGDSN constate « une diversification, une spécialisation technologique et une sophistication croissante des moyens technologiques utilisés par nos adversaires, principalement étatiques, contre le débat numérique national » ([315]), qui devrait encore se renforcer dans le cadre des échéances électorales de mars 2026 et mai 2027.
Les ingérences numériques étrangères sont caractérisées par la mobilisation de « plusieurs thèmes faisant partie de sujets clivants comme l’antisémitisme, l’immigration ou encore les accusations de néocolonialisme ou de séparatisme islamiste », instrumentalisés afin « de créer ou d’amplifier des tensions dans la population, pour mener à la confusion puis à des troubles à l’ordre public » ([316]). Les acteurs étrangers ne sont pas « nécessairement animés d’une motivation d’ordre idéologique de nature religieuse » mais font preuve d’une « démarche opportuniste » et cherchent à « repérer les lignes de fracture au sein de notre société pour ensuite les exploiter » ([317]).
À l’approche des élections municipales de mars 2026, les « modes opératoires informationnels persistants » ([318]) sont la menace la plus importante en termes d’ingérences étrangères. Ces infrastructures s’immiscent dans l’environnement numérique normal d’un débat et peuvent être par la suite activées lors d’élections, afin d’influencer le débat public. Si la France « a été plutôt préservé[e] des ingérences dans les processus électoraux […] les prochaines échéances électorales seront l’occasion, pour les pays qui ont intérêt à porter atteindre à la France ou à déstabiliser son modèle politique, de tenter des manœuvres en ce sens » ([319]) selon la DGSI. Toutefois la DGSE considère que « pour l’instant, les municipales intéressent très peu nos adversaires, contrairement à l’échéance 2027 » ([320]).
Afin de sensibiliser les élus à ce risque d’ingérences étrangères, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a diffusé un guide alertant les candidats de possibles ingérences dans le financement des campagnes électorales ([321]).
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La situation des élus locaux est ainsi très contrastée : dans la grande majorité des cas, les élus de la République sont pleinement vigilants quant au risque qu’emporte la présence de mouvances islamistes sur notre territoire et coopèrent de manière satisfaisante avec les services de l’État. Dans d’autres cas, ils peuvent être soumis à des demandes fortes et ne pas disposer d’une information utile et univoque de la part des services de l’État. Enfin, des élus, peu nombreux, peuvent, de façon plus ou moins assumée, se trouver en contact direct avec des individus proches de mouvements islamistes. Cela peut tenir de l’absence d’autres interlocuteurs au sein des communautés musulmanes, ce qui constitue une véritable difficulté, ou de stratégies électoralistes aussi dangereuses qu’incertaines.
II. Au niveau national, le jeu dangereux de représentants politiques avec les mouvances islamistes
Au niveau national, les liens documentés entre des mouvements islamistes et des représentants politiques concernant peu de représentants politiques mais de manière récurrente, traduisant ainsi une forme de convergence idéologique, souvent paradoxale, à l’occasion de la défense de certaines causes – qui en elles-mêmes peuvent être légitimes. Depuis le 7 octobre 2023, cette proximité est devenue particulièrement visible et a conduit à la multiplication pour le moins inquiétante des rencontres, invitations et soutiens entre des élus et des individus promouvant l’idéologie islamiste, voire même condamnés pour apologie du terrorisme.
A. Des coalitions militantes fondÉes sur des convergences idÉologiques et des logiques opportunistes
1. De l’ultra-gauche aux mouvements décoloniaux : une convergence idéologique avec la mouvance islamiste fondée sur un rejet de l’État
● Les liens de proximité avec la mouvance islamiste concernent en premier lieux les mouvements d’extrême gauche et d’ultragauche, dont certains militants ont théorisé ces liens de longue date, faisant émerger la possibilité d’alliances militantes sur certains sujets.
Chris Harman, militant révolutionnaire marxiste et écrivain britannique, plaidait ainsi dès 1994 pour une alliance pragmatique avec les islamistes, estimant que « sur certaines questions nous serons du même côté que les islamistes contre l’impérialisme et contre l’État. C’était le cas, par exemple, dans un grand nombre de pays lors de la seconde guerre du Golfe. Ce devrait être le cas dans des pays comme la France ou la Grande Bretagne lorsqu’il s’agit de combattre le racisme. Là où les islamistes sont dans l’opposition, notre règle de conduite doit être : "avec les islamistes parfois, avec l’État jamais" » ([322]). Selon Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue, « l’objectif n’est […] pas d’intégrer les organisations islamistes dans leur globalité mais de capter des individus afin de renforcer un mouvement révolutionnaire que la gauche radicale appelle de ses vœux » ([323]).
Historiquement, des accointances ont également existé entre des intellectuels de gauche et la République islamique d’Iran dans les années 1970 (soit avant la révolution islamiste en Iran), comme l’a rappelé Emmanuel Razavi, grand reporter, devant notre commission : « Lorsque l’ayatollah Khomeini avait trouvé refuge à Neauphle-le-Château d’octobre 1978 à janvier 1979, il a reçu un certain nombre de journalistes et d’intellectuels de gauche. Pendant que la révolution iranienne triomphait à Téhéran, que Yasser Arafat formait les futurs dignitaires du régime dans ses camps d’entraînement, une guerre d’influence se jouait en France, à laquelle participaient d’éminents intellectuels, comme Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Simone de Beauvoir. Je rappelle que Jean-Paul Sartre, cofondateur du journal Libération, faisait partie du comité de soutien à l’ayatollah Khomeini et a publié des textes à ce sujet à l’époque. De son côté, Michel Foucault a publié des articles dans Le Nouvel Observateur ou le Corriere della Sera, dans lesquels il disait que l’ayatollah Khomeini était un "saint". Les journalistes et intellectuels de la gauche radicale – je fais la part des choses – ont donc porté un discours auprès du pouvoir politique » ([324]).
Ces proximités historiques témoignent moins une adhésion aux thèses de l’islamisme politique, que de convergences de circonstance motivées par le rejet de l’État ou d’une puissance étrangère perçue comme dominante et opprimante, notamment dans le cas de l’Iran.
● Ces prémices se retrouvent dans certains constats actuels. Pour la journaliste Nora Bussigny ([325]), « étudier l’ultragauche permet de réaliser qu’elle partage une caractéristique commune avec l’islamisme, qui est la détestation de l’État et le rejet des institutions démocratiques » ([326]). Elle ajoute : « Ce qui rend possible cette accointance entre islamisme et ultra-gauche, c’est cette haine profonde de l’État et de ses représentants (justice, police et, plus largement, l’ensemble de nos institutions démocratiques) qui constitue l’un des moteurs centraux du mouvement, sans doute second seulement après la prétendue empathie pour les civils palestiniens » ([327]).
Dans le cadre de la défense de certaines causes, les groupes d’ultra-gauche et les mouvements islamistes peuvent avoir les mêmes adversaires politiques, ce qui permet certains rapprochements, comme l’explique la DNRT : « L’ultra-gauche s’est largement impliquée en lien avec la crise au Proche-Orient (participation aux manifestations pro-palestiniennes et en soutien à George Ibrahim Abdallah, renforcement des liens avec les organisations pro-palestiniennes), ce qui a permis de créer des liens entre certains membres de cette mouvance et des individus proches des Frères musulmans » ([328]).
Pour autant, selon la DNRT, les tentatives de convergence entreprises par l’ultra-gauche n’ont à ce jour pas été couronnées de succès : « L’ultragauche essaye de manière récurrente d’embarquer les jeunes des quartiers mais cela n’a jamais vraiment fonctionné. L’ultragauche était totalement absente lors des émeutes et des violences urbaines, et on ne la voit pas non plus quand il est question d’islamisme radical » ([329]).
● Des liens avec des mouvements dits « décoloniaux » existent également. La création en 2010 du Parti des Indigènes de la République (PIR), dans la continuité d’un appel lancé en 2005 ([330]), sous l’impulsion notamment de Houria Bouteldja, mobilise en effet un discours post-colonial radical, dénonçant le « racisme d’État » et l’« islamophobie », et n’hésite pas à défendre certaines proximités idéologiques avec des mouvances islamistes dans le cadre plus large de la lutte contre l’Occident et le sionisme.
Selon la DLPAJ, « La sphère décoloniale a été investie par des acteurs séparatistes, qui y voient une opportunité de diversifier les lieux où ils peuvent s’engager dans le débat public grâce à une approche par "proxy", en élaborant une alliance objective à partir de combats qui sont à l’origine éloignés. Ces acteurs séparatistes surfent sur la rhétorique de victimisation et s’appuient sur une stratégie parfaitement assumée de convergence des luttes et d’intersectionnalité, dont chacun pensera ce qu’il veut » ([331]).
2. Des rapprochements avec des mouvements islamistes qui peuvent concerner d’autres sensibilités politiques
Pour autant, les convergences avec l’islamisme ne se limitent pas à l’extrême gauche ni aux mouvements décoloniaux, et les travaux de la commission d’enquête montrent que des convergences militantes peuvent ponctuellement se former avec la plupart des partis politiques.
● En effet, votre rapporteur observe que, si La France insoumise (LFI) est particulièrement concernée (voir infra) la plupart des mouvements ou partis de gauche peuvent, ponctuellement ou de manière plus structurelle, établir des convergences militantes avec la mouvance islamiste.
La marche contre l’islamophobie, organisée le 10 novembre 2019 à Paris, en constitue une illustration. L’appel à cette marche, initié notamment par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) – qui « a historiquement compté plusieurs membres islamistes de premier plan » ([332]) et a été dissous par décret en 2020 (voir infra) ([333]) –, par le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), la plateforme L.E.S Musulmans ou encore l’Union communiste libertaire (UCL) ([334]), a été signé très largement par des mouvements ou personnalités de gauche, tels que Jean-Luc Mélenchon et l’ensemble du groupe parlementaire LFI, des élus d’Europe Écologie Les Verts (dont Julien Bayou, Yannick Jadot, Eva Sas, David Cormand ou encore Sandra Regol), de Génération.s (dont Benoît Hamon) ou encore du Parti communiste français (dont Stéphane Peu et Elsa Faucillon) ainsi que par Philippe Martinez, secrétaire général de la Confédération générale du travail (CGT).
Si certains des signataires de l’appel à manifester ont finalement préféré s’abstenir de participer à la manifestation, à l’image de Yannick Jadot ou François Ruffin, celle-ci a rassemblé près de 13 500 participants ([335]). À cette occasion, sur la place de la République, l’ancien directeur du CCIF, Marwan Muhammad, aux côtés du militant La France insoumise Taha Bouhafs, a fait scander « Allahou Akbar » aux manifestants, « car on en a marre que les médias fassent passer cette expression pour une déclaration de guerre » ([336]).
Si la participation à cette manifestation ne vaut pas adhésion à toutes les thèses islamistes véhiculées par certains de ses organisateurs, elle interroge néanmoins sur les motifs pour lesquels des personnalités politiques de premier plan ont pu la soutenir, s’y rendre et ne rien trouver à redire de certaines déclarations.
● S’agissant plus spécifiquement des partis écologistes, des liens ont pu être documentés entre certains élus et des mouvements islamistes ([337]). Ce peut être le cas dans le cadre d’ingérences étrangères : l’ancien député écologiste Hubert Julien-Laferrière a été mis en examen pour « corruption passive » par le Qatar, après l’ouverture en 2023 d’une information judiciaire par le Parquet national financier ([338]).
Plus généralement, il peut s’agir de stratégies électoralistes : par exemple, dans un article publié en août 2025 dans Le Point, le journaliste Erwan Seznec décrit comment, soucieux de gagner des voix dans les classes populaires, le parti Les Écologistes « s’est engagé dans une dérive communautariste » ([339]). Devant la commission d’enquête, ce dernier précisait que cette démarche avait toutefois pu susciter des débats internes : « Concernant les Écologistes, la situation est plus complexe puisqu’un débat interne est en cours […]. Généralement perçu comme trop blanc et diplômé, le parti aspire à s’ouvrir davantage à la diversité mais, lorsqu’ils invitent le rappeur Médine censé représenter cette diversité à leurs universités d’été du Havre en 2023, ils commettent selon moi une grave erreur d’appréciation. Médine, qui est en réalité la figure de proue d’une association frériste nommée Havre de Savoir, basée au Havre, est quelqu’un qui poursuit clairement un agenda politique à plus ou moins long terme, sans même s’en cacher. Chercher à incarner l’ouverture à la diversité en s’associant à Médine est donc profondément problématique et cette démarche déconcerte d’ailleurs de nombreux membres des Écologistes qui s’interrogent sincèrement sur la pertinence de cette stratégie » ([340]).
La secrétaire nationale du parti Les Écologistes, Marine Tondelier, a adressé au Point un droit de réponse, non publié à ce jour. Devant notre commission, elle conteste les éléments contenus dans cet article et récuse toute complaisance vis-à-vis de l’islamisme. Si elle confirme que l’invitation du rappeur Médine a suscité des débats au sein de son parti, elle affirme toutefois qu’il s’agissait de mettre en valeur un artiste local et que ce dernier s’était excusé de certains propos qu’il avait pu tenir ([341]).
● Selon Nora Bussigny, des contacts avec des personnes connues comme proches de la mouvance islamiste peuvent également concerner, plutôt au niveau local, des partis du centre et de la droite : « J’ai également identifié d’anciens membres de La République en marche (LREM) et des Républicains dont je ne peux révéler l’identité en cet instant, mais dont je pourrai vous communiquer les liens avec le Femyso ainsi qu’avec d’autres associations comme l’Union des organisations islamiques en France (UOIF), émanation des Frères musulmans. LFI n’est donc pas la seule formation concernée, même si elle apparaît de manière beaucoup plus centrale dans les éléments et les preuves que j’ai pu réunir » ([342]).
Emmanuel Razavi observe quant à lui qu’« À Dijon, récemment [un] imam frériste a également posé en photo aux côtés d’une ancienne députée et ministre macroniste, membre du parti Renaissance, qui assumait publiquement sa présence à l’un de ses événements. Ce n’était pas la première fois, elle y avait déjà été en présence d’une des grandes figures européennes des Frères musulmans » ([343]).
De nouveau, si ces contacts ne valent pas adhésion, ils démontrent la place que certains acteurs proches des mouvements islamistes ont pu prendre dans certaines collectivités et les contacts qui, même mineurs, peuvent se nouer avec des représentants politiques à l’occasion d’évènements publics.
● En revanche, Olivier Roy remarque que les Frères musulmans, malgré leur volonté, n’ont pas réussi à créer un rapprochement avec la droite chrétienne sur le plan des valeurs : « Dans ce cadre, deux options s’offrent à eux. La première serait une coalition des valeurs, dans la mesure où les Frères musulmans, comme la plupart des musulmans croyants et pratiquants, sont plutôt conservateurs – c’est le moins que l’on puisse dire. S’ils cherchent des gens partageant les mêmes valeurs concernant la famille ou la place de la femme, ils vont plutôt les trouver dans la droite chrétienne traditionaliste, illustrée par exemple par La Manif pour tous. Le problème est que cette droite chrétienne traditionaliste, particulièrement catholique, adopte également une position identitaire et considère que l’Europe n’est pas un lieu pour les musulmans. Malgré plusieurs tentatives, les Frères musulmans ne sont pas parvenus à créer une alliance, du moins un rapprochement ou une coalition des valeurs, avec la droite chrétienne » ([344]).
● Enfin, des liens peuvent également exister avec certains partis d’extrême droite, principalement autour d’un antisémitisme partagé ([345]) : selon la DRPP, « une certaine frange, marginale, groupusculaire sinon individuelle, de l’ultradroite négationniste se rapproche, par antisémitisme pur, de certains islamistes ou référents religieux islamistes qui tiennent des propos antisémites, souvent hors nos frontières. Ce sont des rapprochements "intellectuels", si vous me pardonnez cette malheureuse expression, non des rapprochements visant des actions de terrain ou l’organisation de projets » ([346]).
Emmanuel Razavi fait quant à lui état de liens entre l’extrême droite identitaire et la République islamique d’Iran : « Si les mouvements d’extrême gauche propalestiniens constituent la cible prioritaire des services secrets iraniens, il faut cependant rappeler que Téhéran fait feu de tout bois. Des figures de l’extrême droite identitaire, comme Alain Soral, se retrouvent sur des boucles Instagram animées par les agents de la force Al-Qods, spécialisée dans la guerre asymétrique » ([347]).
3. Une convergence opportuniste autour de certaines causes pouvant être, en elles-mêmes, légitimes
Les cas exposés jusqu’à présent révèlent que, hormis les liens pouvant exister de manière plus ou moins ponctuelle au niveau local, les convergences militantes entre des mouvements politiques et la mouvance islamiste trouvent leurs racines dans des couplages idéologico-politiques le plus souvent opportunistes (perception d’un même adversaire politique, lutte contre les discriminations, etc.). Mises en pratique, ces convergences, parfois surprenantes, s’expriment par le soutien commun à certaines causes.
La DGSE a ainsi mentionné, devant la commission d’enquête, « une forme de proximité idéologique parfois très forte entre certains élus nationaux et certains courants de pensée ou certaines lignes de force défendues par les courants fréristes » ([348]). Trois sujets « qui, pris individuellement, sont des causes légitimes » apparaissent propices à de telles proximités : « la lutte contre l’islamophobie, la lutte contre toutes les formes de discrimination et la défense de la cause palestinienne, également défendue par la République française » ([349]).
Bien identifiés comme des sujets de tensions au sein de notre société, ces derniers peuvent faire l’objet d’une instrumentalisation par des organisations extérieures ou par certains pays : « certains de ces combats ont pu être instrumentalisés par des organisations extérieures ou certains pays. À l’automne 2020, lors des polémiques très fortes sur les caricatures, certains mouvements au Pakistan, en Égypte ou en Turquie ont présenté la France, le gouvernement français et la société française comme profondément islamophobes – la lutte contre les discriminations, notamment contre les actes antimusulmans commis, fait l’honneur de notre pays. Nous avons été confrontés à des déferlements idéologiques, à des fausses informations, parfois créées par des services de renseignement étrangers, pour nous mettre en difficulté et laisser penser que la France était intrinsèquement hostile à l’islam. Cela s’est payé directement sur le plan sécuritaire. De la même manière, la lutte contre les discriminations a fait l’objet d’une forme d’instrumentalisation, laissant penser que la France était un État antimusulman et appliquait des politiques en ce sens. Enfin, la lutte pour la cause palestinienne, qui est évidemment légitime, a fait l’objet de la même instrumentalisation consistant à laisser penser que la France serait complice de crimes contre la Palestine ou les Palestiniens. On constate une convergence idéologique de ces thèmes. [La DGSI a] été confronté[e] à une amplification factice à dessein de la part de certains États », ce qui a valu une mise en garde formelle de ces pays « afin qu’ils arrêtent de nourrir ce type de narratif qui, parfois, trouvait un relais dans le territoire national » ([350]).
● Quelles qu’en soient les motivations (instrumentalisation, méconnaissance, ingérences étrangères, etc.), il n’en demeure pas moins que certains rapprochements entre des groupes que tout oppose en termes de valeurs sont paradoxaux : il est par exemple surprenant de voir des mouvements féministes manifester aux côtés d’individus prônant une idéologie postulant l’infériorité de la femme par rapport à l’homme.
Pour Olivier Roy, qui dresse un constat similaire, il s’agit non pas d’une alliance mais d’une « coalition objective » fondée sur un malentendu : « sur le thème de la coalition des minorités, les Frères musulmans trouvent dans l’extrême gauche, au sens très large du terme, des personnes avec qui le courant peut passer et avec qui ils peuvent s’entendre sur la défense des minorités. Le problème est que cette gauche ou extrême gauche qui défend les minorités n’adopte pas du tout leur positionnement sur la question des valeurs. Par exemple, pour l’extrême gauche, l’identité LGBT ([351]) est aussi une identité minoritaire qui doit être défendue, plaçant ainsi sur le même plan les musulmans et les personnes LGBT ; cela paraît quelque peu contradictoire, mais c’est ce que l’on observe aujourd’hui, en particulier chez de nombreux jeunes, qui y voient une défense commune des minorités brimées. Le discours postcolonial s’aligne également avec la perspective des Frères musulmans. Il existe donc non pas une alliance, mais une coalition objective entre ces mouvements, qui repose toutefois sur un profond malentendu » ([352]).
Ce dernier souligne que ce malentendu porte également sur la place de la religion dans notre société : « Pour l’extrême gauche, la religion n’existe pas vraiment […] Chez les Frères musulmans comme chez les salafistes, la foi constitue l’élément central. Le malentendu est donc complet ». Néanmoins, « dans la mesure où nous avons affaire à des minorités qui se sentent brimées, la contradiction n’apparaît nullement comme telle. Prenons l’exemple du port du burkini dans les piscines. Cela n’a rien à voir avec la charia. Pour la charia, le simple fait qu’une jeune musulmane fréquente une piscine publique – même en tchador – constitue un scandale et est absolument impensable, sachant qu’elle croisera des hommes légèrement vêtus. Pour les salafis, pour les fondamentalistes, la question ne se pose même pas. Je ne vois d’ailleurs pas en quoi le burkini représenterait un signe de foi. Il s’agit en revanche d’un signe identitaire, qui manifeste une volonté d’inscrire son identité dans l’espace public et de loisirs de la société française contemporaine » ([353]).
Dans ce contexte, le rapport du ministère de l’intérieur sur les Frères musulmans et l’islamisme politique invite à nuancer la possibilité d’une coalition durable entre des collectifs qui restent marqués par d’importantes divergences : « Une porosité existe entre militants de la lutte contre "l’islamophobie" et "décoloniaux". Plusieurs figures et organismes jugés comme activistes décoloniaux se sont ainsi distingués en la matière, à l’instar du Parti des Indigènes de la République (PIR) dont le discours évoque la rhétorique des Frères musulmans, en associant anticolonialisme et promotion d’un islam rétabli dans sa pureté originelle. De façon plus générale, les interfaces entre mouvance frériste et militantisme intersectionnel existent mais restent à ce jour ponctuelles, du fait de divergences importantes, notamment la question LGBT, point de désaccord difficilement dépassable » ([354]).
B. Depuis le 7 octobre 2023, des liens plus visibles dans le cadre de la dÉfense de la cause palestinienne
Depuis le 7 octobre 2023, les liens entre la mouvance islamiste et des mouvements politiques, exacerbés par la cause palestinienne, sont marqués par une visibilité et une intensité nouvelles. De nouveaux acteurs sulfureux sont apparus, à côté desquels des responsables politiques ont pu s’afficher, au risque de cautionner la mouvance islamiste et des discours qui fragilisent les principes de la République.
1. Des manifestations d’ampleur qui font émerger des discours promouvant l’idéologie islamiste dans un contexte de tensions communautaires
a. Des manifestations pro-palestiniennes d’une ampleur nouvelle
● Selon la DRPP, à partir du 7 octobre 2023 « Les manifestations de soutien à la Palestine et à Gaza se sont multipliées, comme les manifestations de soutien à Israël […] » ([355]). Ces manifestations se sont caractérisées par leur ampleur exceptionnelle : « dès le 12 octobre, des manifestations ont été déclarées et se sont tenues. Celle du 12 octobre a réuni 3 000 personnes. C’est beaucoup : habituellement, les manifestations propalestiniennes – elles sont permanentes à Paris – rassemblent entre 100 et 400 personnes au plus. On a dénombré 15 000 manifestants le 22 octobre, 14 000 le 2 novembre et 16 500 le 11 novembre. C’étaient donc de très grosses manifestations » ([356]).
● De toute évidence, une telle affluence trouve principalement sa cause dans un soutien politique apporté à la cause palestinienne – dont la légitimité n’a pas été remise en cause s’agissant de l’existence d’un État palestinien aux côtés de l’État israélien – et l’ensemble des manifestants ne sauraient, en aucun cas, être suspectés d’appartenir à la mouvance islamiste ou de la soutenir.
Selon la DRPP, « Ces événements de voie publique sont avant tout l’expression d’une opinion politique de soutien à la Palestine. Aucun caractère religieux n’a été constaté lors de ces rassemblements et manifestations » ([357]). Elle précise que « ces rassemblements sont organisés par tous types de déclarants : des organisations syndicales, des partis politiques et une multitude de collectifs propalestiniens. Certains, tels CAPJPO ([358]) ou l’Association France Palestine solidarité (AFPS), sont des collectifs historiques que nous connaissons bien. Ils rassemblent des gens qui manifestaient depuis des décennies en faveur de la Palestine, bien avant les troubles actuels. Très actifs, ils sont profondément hostiles à Israël mais ne soutiennent pas le terrorisme. Ce sont des collectifs laïques propalestiniens d’extrême gauche – si on se place sur le spectre politique israélien – antisionistes mais ils n’ont jamais soutenu le Hamas ou aucune autre organisation terroriste » ([359]).
Dans le même sens, Olivier Roy voit dans ces manifestations l’expression de convictions politiques et non pas une expression religieuse. Ces manifestations n’ont selon lui « rien à voir avec l’islamisation » : « il s’agit d’une présence de conviction, relative à la Palestine, et non par rapport à l’islam. La mobilisation pro-palestinienne que nous observons en France comme en Europe – en Italie, où je me trouve actuellement, cette mobilisation est encore plus forte qu’en France – n’a rien à voir avec l’islamisation. Nous pouvons légitimement nous demander pourquoi la cause palestinienne suscite une telle mobilisation alors que d’autres guerres existent dans le monde. Le fait est que cette cause mobilisait déjà autant dans les années soixante-dix lorsque son fer de lance était l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) et que la cause relevait plutôt du marxisme-léninisme ou de l’extrême gauche. Encore aujourd’hui, il ne s’agit pas d’une cause spécialement islamiste. L’on peut parfaitement soutenir la cause palestinienne sans défendre le Hamas. Certains défendent effectivement les deux, mais je ne vois pas en quoi des manifestations pro-palestiniennes seraient le prodrome de l’islamisation de la France. Cela me paraît totalement fantasmagorique » ([360]).
De la même manière, le politiste Laurent Bonnefoy juge qu’il « s’agit de mobilisations publiques, ouvertes, dont les ressorts – c’est une caractéristique importante – sont universalistes. Dans les manifestations en faveur de la Palestine, on fait bien davantage référence au droit international et aux questions d’égalité qu’à la défense d’une civilisation ou d’une religion. On peut critiquer ces mobilisations en les jugeant excessives ou en considérant qu’elles occultent certaines questions, par exemple celle de la violence du Hamas. Toujours est-il que le vocabulaire utilisé, et ce n’est pas anodin, est universaliste. […] ces mobilisations ne sont pas corporatistes » ([361]).
● Pour autant, les travaux de la commission d’enquête montrent que la composition des manifestations pro-palestiniennes a évolué depuis le 7 octobre 2023, voyant apparaître de nouveaux collectifs et individus appartenant à la mouvance islamiste et pouvant soutenir des modes d’action violents.
Selon la DRPP, « on a constaté une évolution notable de la population présente dans les cortèges, beaucoup plus communautaire, si vous me permettez cette expression un peu floue, que les cercles propalestiniens habituels » ([362]).
Selon la préfecture de la Haute-Garonne, a pu être constatée, lors de ces manifestations, la présence de groupes radicaux minoritaires affiliés à l’ultragauche et soutenant des organisations terroristes : « Ce soutien ne se manifeste pas de manière organisée, constituée dans des listes ou des partis, mais sur la voie publique à l’occasion d’événements. Or l’on trouve souvent dans ces manifestations des groupes radicaux minoritaires bien identifiés issus de la mouvance de l’ultragauche – comme le Collectif Palestine vaincra, le Comité de soutien à la Palestine 31 ou la Ligue de la jeunesse révolutionnaire – qui portent, eux, des messages de soutien à des organisations classées terroristes comme le Hamas ou d’autres, qu’ils expriment largement sur les réseaux sociaux » ([363]).
Pour la journaliste Nora Bussigny : « si des prémices existaient avant le 7 octobre, cette date a véritablement constitué un catalyseur pour ces collectifs ». Elle décrit « de nombreux collectifs qui, dès le 7 octobre, se sont soit créés, soit unis autour d’un discours prétendument décolonial constituant en réalité un soutien à ce qu’ils appellent la "résistance sous toutes ses formes", autrement dit la résistance armée, à savoir le Hamas, mais aussi et surtout le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), organisation reconnue comme terroriste et ayant participé au massacre du 7 octobre » ([364]).
b. La réactivation d’un conflit communautaire propice aux discriminations et aux violences contre les personnes perçues comme de confession juive ou musulmane
La nouvelle configuration des manifestations pro-palestiniennes s’inscrit dans un contexte de ravivement des tensions communautaires, constituant un terreau propice à l’exacerbation de l’antisémitisme et des actes anti‑musulmans, ainsi qu’aux ingérences étrangères.
● D’une part, elle a conduit à la réactivation d’un conflit entre communautés. En effet, pour François Gouyette, co-auteur du rapport remis au ministre de l’intérieur sur les Frères musulmans et l’islamisme politique en France, « La tragédie du 7 octobre et celle de Gaza ont radicalisé les positions de part et d’autre » ([365]). Il appelle toutefois à la prudence quant à l’idée d’importation du conflit israélo-palestinien sur le territoire national : « Il faut être prudent lorsqu’on parle d’importation du conflit. Il s’agit de savoir ce que l’on entend par là. On pense évidemment aux manifestations où sont brandis des drapeaux palestiniens, mais ne peut-on considérer que, de l’autre côté, certaines initiatives donnent aussi le sentiment d’une importation du conflit ? Je pense notamment à l’organisation de soirées de gala ayant pour objet de lever des fonds au bénéfice de l’armée israélienne. Les choses ne sont jamais univoques. Ce qui est vrai, c’est que la crise a crispé les rapports entre les communautés qui, par ailleurs, peuvent – ou pouvaient – entretenir localement d’excellentes relations. Dans certaines villes de banlieue parisienne, des rabbins travaillaient avec les imams afin de rapprocher les communautés et continuent de le faire aujourd’hui, en dépit des difficultés que l’on connaît » ([366]).
● Ces tensions communautaires ont également conduit à une montée préoccupante des actes antisémites et anti-musulmans.
S’agissant des actes antisémites, la DRPP indique que « La hausse des actes antisémites a été manifeste, immédiatement après le 7 octobre 2023 surtout, mais elle perdure malheureusement et l’antisémitisme s’incruste dans le tissu social » ([367]). Dans le même sens, la DLPAJ observe que « La montée de l’antisémitisme est en effet l’un des phénomènes extrêmement préoccupants que nous avons pu constater ces dernières années – en particulier depuis deux ans » ([368]). Le rapport issu des Assises de l’antisémitisme, publié en avril 2025 ([369]), indique ainsi que la DNRT évalue à 1 570 les actes antisémites ayant donné lieu à un dépôt de plainte en 2024 ([370]). Il précise que « les actes antisémites représentent 62 % de l’ensemble des faits antireligieux en 2024 pour moins de 1 % de la population », et constate en 2024 un pic en matière de violences constituées majoritairement d’atteintes aux personnes (65 %).
Nora Bussigny indique également avoir été témoin d’antisémitisme, notamment dans le cadre d’une formation organisée par Urgence Palestine : « Au fil de mes immersions, j’ai également identifié des stéréotypes antisémites classiques, reformulés par un simple glissement lexical substituant le terme "sioniste" à celui de "juif". Cette rhétorique m’est apparue de manière particulièrement flagrante lors d’une formation organisée par Urgence Palestine, à laquelle j’ai participé sous couverture. Les intervenants y ont exposé sans ambiguïté l’existence d’un prétendu "complot sioniste" en France, affirmant que les sionistes contrôleraient les médias et auraient infiltré le gouvernement ainsi que nos institutions démocratiques. Ces accusations ne sont rien d’autre qu’une reproduction fidèle des tropes antisémites traditionnels, déjà observés historiquement à l’extrême droite, ce qu’il importe de rappeler » ([371]).
Les chiffres transmis par le ministère de l’intérieur montrent quant à eux qu’une « augmentation significative des actes antimusulmans est observée depuis le début de l’année ». En effet, 231 actes antimusulmans ont été recensés entre janvier et septembre 2025, soit une hausse de 72 % par rapport à la même période en 2024. Cette hausse est particulièrement forte s’agissant des atteintes aux personnes (propos et gestes menaçants, violences physiques, homicides...), en augmentation de 169 % par rapport à la même période en 2024 et de 202 % par rapport à la même période en 2023 ([372]).
Un conflit communautaire alimenté par des ingérences étrangères, qui visent plus à semer le trouble qu’à défendre une idéologie
Le conflit communautaire lié à la situation au Proche-Orient semble également constituer un terreau favorable à des ingérences étrangères visant à destabiliser la France. Au mois d’octobre 2023, des tags antisémites ont ainsi été peints « par deux équipes de Moldaves, manifestement embauchées par un proxy étranger, sans doute russe » ([373]), tandis que des réseaux russes donnaient également de la visibilité en ligne à cet évènement. La France avait alors dénoncé la « persistance d’une stratégie opportuniste et irresponsable visant à exploiter les crises internationales pour semer la confusion et à créer des tensions dans le débat public en France et en Europe » ([374]).
L’ingérence de la République islamique d’Iran a également été évoquée à plusieurs reprises devant notre commission. Nora Bussigny a par exemple fait état de l’activité de Shahin Hazamy, qu’elle présente comme un agent d’influence iranien : « Mon ouvrage documente avec précision les liens qu’il entretient avec plusieurs députés français, chaque webinaire conjoint ayant été rigoureusement référencé. Il […] s’est rendu à plusieurs reprises en Iran en compagnie de Kémi Séba, personnalité accusée d’antisémitisme et de racisme, déchue de la nationalité française, et […] était également présent aux funérailles de Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah. Il a exprimé à de nombreuses reprises, publiquement et sur ses réseaux sociaux suivis par un public très jeune, son soutien explicite à la lutte armée. Cette année, il a ainsi promu à Villeneuve‑Saint-Georges un événement intitulé Gala Al-Qods, en référence au Jour d’Al-Qods, une journée internationale instaurée par l’Ayatollah Khomeini et consacrée à la "cause palestinienne". L’objectif poursuivi par l’Ayatollah était d’appeler l’ensemble des musulmans du monde et tous les États islamiques à s’unir pour, selon ses termes, "couper les mains du régime occupant d’Al-Qods et de ceux qui les protègent" ». M. Hazamy, poursuivi pour apologie du terrorisme, devrait être jugé en 2026 ([375]), après avoir fait l’objet d’une mesure de gel des avoirs ([376]).
Dans le même sens, Emmanuel Razavi, coordinateur d’un récent rapport sur l’entrisme iranien ([377]), indique que la République islamique d’Iran cherche à déstabiliser la France et déclare avoir constaté la présence d’agents iraniens et russes dans certaines manifestations : « Nous avons remarqué depuis trois ans dans certaines manifestations qu’il y avait des personnes proches de l’ambassade d’Iran mais également des agents de la Russie. Depuis le 7 octobre 2023, les services secrets iraniens œuvrent à faire converger leurs relais, partis d’extrême gauche, militants propalestiniens, islamistes, en exploitant leur convergence révolutionnaire » ([378]). Interrogée sur l’existence d’une ingérence iranienne depuis le 7 octobre, la DRPP indique que « Dans les manifestations propalestiniennes, nous n’avons pas constaté de tels liens » ([379]).
Le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) souligne, quant à lui, que le but des puissances étrangères est de semer le trouble dans la société plutôt que de soutenir une idéologie ou un parti, les actions d’ingérences pouvant d’ailleurs soutenir opportunément une idéologie qui n’est pas celle du commanditaire : « Ce que nous détectons, ce sont des acteurs avec une démarche opportuniste qui cherchent à repérer les lignes de fracture au sein de notre société pour ensuite les exploiter. Nous avons été frappés par ce qui se trouve au cœur des rapports de Viginum, à savoir que beaucoup de ces manœuvres informationnelles présentent un écart important entre l’idéologie telle que nous la supposons du commanditaire et la réalité du thème effectivement exploité, ce qui renforce le caractère opportuniste de l’utilisation de certains sujets. Viginum n’a donc pas distingué de différenciations spécifiques liées aux partis politiques, mais notre angle d’attaque porte sur les acteurs étatiques étrangers, pas sur la surveillance du débat national ni sur les positions des partis français, qui sont totalement en-dehors de notre champ de compétence » ([380]).
Pour illustrer son propos, il cite deux exemples : « Sur le thème de l’islamisme, nous avons détecté un dispositif russe nommé Storm‑1516, un mode opératoire informationnel qui a utilisé ce thème pendant les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 en diffusant une vidéo qui présentait de faux membres du Hamas menaçant la France d’attentats avec des photos de la Tour Eiffel en feu. Il n’est pas sans lien avec des acteurs qui savent basculer du monde virtuel au monde réel dans l’objectif d’utiliser l’islamisme ou l’antisémitisme comme des thèmes de fracture de la société française : je pense à la séquence des étoiles de David, des mains rouges et des têtes de cochon » ([381]).
2. Le jeu dangereux de responsables politiques qui s’affichent aux côtés d’islamistes et cautionnent leurs propos
Depuis le 7 octobre 2023, des responsables politiques n’ont pas manqué de prendre part aux manifestations pro-palestiniennes, contribuant à faire grossir leurs rangs. Il n’est bien sûr pas question ici de remettre en cause leur engagement politique ou militant en défense de la cause palestinienne – la France ayant par ailleurs reconnu l’État palestinien le 22 septembre 2025 – qui s’inscrit pleinement dans le débat démocratique. Toutefois, les proximités affichées lors de ces manifestations avec certains collectifs et individus pour le moins sulfureux ne manquent pas d’interroger. Ainsi semble s’installer un jeu dangereux conduisant certains élus de la Nation à cautionner, par leur présence ou leur silence, la mouvance islamiste et des discours portant atteinte aux principes de notre République.
a. Des élus au contact de nouveaux collectifs liés à la mouvance islamiste
En effet, les travaux de la commission soulignent les liens inquiétants qui se nouent à l’occasion de manifestations ou d’évènements en lien avec la cause palestinienne entre des responsables politiques, principalement du mouvement La France insoumise (LFI), abordé plus en détail ci-après, et des associations ou personnalités propageant l’idéologie islamiste.
● À cet égard, le cas du collectif Urgence Palestine, créé au lendemain du massacre du 7 octobre 2023, a été évoqué à de nombreuses reprises lors des auditions de la commission d’enquête.
Selon la DRPP, « on a vu naître le collectif Urgence Palestine […] et l’on a entendu dans ses rangs, de manière marginale au regard du nombre de manifestations mais plusieurs fois, des déclarations qui étaient autant de sorties de route » ([382]).
Omar Alsoumi, fondateur de cette association et ancien membre du Mouvement de la jeunesse palestinienne, affilié au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) ([383]), haranguait ainsi les manifestants le 3 novembre 2024 en leur demandant : « est-ce qu’on est d’accord pour continuer à être ce Déluge d’Al-Aqsa qui, partout à travers le monde, inonde les rues, inonde les âmes, inonde les consciences, ce déluge qui déborde, qui amène l’eau de la vie et qui fait pousser les graines de la résistance et de la libération ? » ([384]).
Le mardi 15 octobre 2024, lors d’une manifestation organisée par Urgence Palestine, il appelait à la révolte et à « l’Intifada » alors qu’il se trouvait entouré d’élus LFI et avant de céder la parole à Manuel Bompard, qui a remercié les organisateurs et a souhaité « apporter le soutien de La France insoumise, de ses parlementaires qui sont venus nombreux ce soir » ([385]).
Omar Alsoumi a depuis été interpellé par les forces de l’ordre et sera jugé en mai 2026 pour apologie du terrorisme ([386]). Interrogé par votre rapporteur sur le fait que la dissolution d’Urgence Palestine annoncée par le ministre de l’intérieur en mai 2025 ([387]) n’ait pas encore été suivie d’effets, le ministre de l’Intérieur indique que « cette dissolution a été lancée », ajoutant que « Lorsque j’étais préfet de police de Paris, une déclaration de manifestation qui n’était déposée que par cette association me posait un problème. Lorsque des partis politiques venaient s’y greffer, il était difficile de les interdire et nous agissions plutôt a posteriori, sur le plan judiciaire » ([388]). La DLPAJ précise quant à elle que « la procédure de dissolution fait l’objet d’un examen approfondi par les services du ministère de l’Intérieur » ([389]).
● L’association Perspectives musulmanes, formée en 2021 en réaction à la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République ([390]), a également été mentionnée lors des auditions, et tout particulièrement l’un de ses membres, El Yess Zareli, alias Elias d’Imzalène, également membre d’Urgence Palestine. Gravitant initialement auprès d’Alain Soral et Dieudonné, ce prédicateur s’est opportunément rapproché des réseaux de La France insoumise ([391]) après avoir co-organisé la marche contre l’islamophobie de 2019 et co-fondé le site « Islam et Info » ([392]) qui, en défense du militant LFI Taha Bouhafs, accusé d’agressions sexuelles, publiait en 2022 un texte accusant « les "françaises" [sic] de mettre en cause un "arabe" » et proposait une justice spécifique aux musulmans : « Si nous sommes conséquents, il nous faut exiger un régime de droit pour les nôtres, coupables ou non » ([393]).
Lors d’une manifestation du 8 septembre 2024, Elias d’Imzalène exhortait la foule à mener l’intifada : « Est-ce qu’on est prêt à mener l’intifada dans Paris ? Dans la banlieue ? Dans nos quartiers ? On va leur montrer que la voix de la libération vient de nous. Qu’elle démarre de Paris [...] bientôt Jérusalem sera libérée et nous pourrons prier au masjid al-Aqsa, et Jérusalem deviendra la capitale de tous les révolutionnaires » ([394]). Suite à ces propos, il a été condamné le 19 décembre 2024 pour provocation publique à la haine ou à la violence, avant de voir ses fonds et ressources économiques faire l’objet d’une mesure de gel des avoirs ([395]).
● Un autre cas mis en lumière par les travaux de la commission d’enquête est celui de Samidoun, également connu sous le nom de « réseau de solidarité aux prisonniers palestiniens ». Ce collectif a été interdit et dissous en Allemagne en 2023 et figure sur la liste des entités terroristes au Canada depuis octobre 2024, après un travail conjoint avec le département du Trésor des États-Unis qui le qualifie de « simulacre d’organisation caritative qui sert de collecte de fonds internationale pour l’organisation terroriste du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) » ([396]).
La journaliste Nora Bussigny souligne l’influence de ce collectif islamiste dans plusieurs pays : « Au cours de mon enquête, j’ai notamment été confrontée à Samidoun […] Je les ai identifiés aux États‑Unis, à Bruxelles, mais surtout en France, où ils bénéficient de salles municipales et du soutien de partis politiques français. Samidoun est la façade du Front populaire de libération de la Palestine, également connu sous le nom de Palestinian Prisoner Solidarity Network, collectif créé en 2012 et qui avait déjà attiré l’attention de plusieurs pays dès 2022 pour avoir organisé des rassemblements appelant à "vaincre l’Europe, les États-Unis et Israël à coups de kalachnikov, de roquettes et de balles". Depuis le 7 octobre, ils diffusent en France, notamment auprès des jeunes et des partis politiques, un discours d’engagement en faveur de la lutte armée » ([397]).
La journaliste Élodie Safaris, qui a réalisé une contre-enquête critique de l’ouvrage de Nora Bussigny, indique elle-même que Samidoun « qualifie sur son site Yahya Sinwar (ancien chef de la branche armée du Hamas, tué par Israël en octobre 2024), de "héros de l’intifada mondiale" ([398]) et glorifie le 7-Octobre ([399]) » ([400]).
Si Samidoun n’a fait l’objet ni d’une dissolution ni d’un classement comme entité terroriste en France, la DRPP a indiqué suivre de près ce collectif ([401]).
b. Les liens de solidarité entre ces collectifs
En plus de révéler les liens entre les mouvements politiques et ces nouveaux collectifs liés à la mouvance islamiste, les propos recueillis par la commission font état de liens entre ces collectifs.
● Nora Bussigny montre en effet que ces collectifs collaborent et se renforcent mutuellement : « Samidoun a considérablement accru son influence en France et ce collectif, initialement peu implanté sur notre territoire, a progressivement gagné en visibilité grâce à ses collaborations avec Urgence Palestine et Palestine Vaincra, jusqu’à s’imposer comme un acteur central de différentes mobilisations » ([402]). Ces collectifs semblent en effet se côtoyer lors de manifestations, qu’ils co-organisent parfois, et ont des membres en communs. Ils se soutiennent mutuellement lorsqu’ils se trouvent mis en cause, Samidoun se fendant d’un communiqué de soutien à Élias d’Imzalène lorsque celui-ci est auditionné par la police ([403]), Omar Alsoumi assistant à son procès ([404]) et Perspectives musulmanes publiant un communiqué de soutien à Omar Alsoumi lorsqu’il est à son tour placé en garde à vue ([405]). Ces collectifs entretiendraient également des liens financiers ([406]).
Selon Nora Bussigny, ces différents collectifs sont par ailleurs plus proches des modes d’actions de groupes terroristes que des Frères musulmans : « les Frères musulmans n’adoptent pas une posture d’agression frontale ni de violence explicite, à la différence de collectifs particulièrement virulents comme Urgence Palestine. Samidoun, pour sa part, n’entretient pas de lien direct avec les Frères musulmans selon mes investigations, mais son mode opératoire relève davantage de la mouvance terroriste, oscillant entre des références au Hamas et au Front populaire de libération de la Palestine. Nous devons donc distinguer deux dynamiques. D’un côté, la mouvance frériste, attestée et structurée, avance sous couvert de victimisation, radicalise la jeunesse et cible particulièrement la communauté musulmane, qui figure paradoxalement parmi ses premières victimes. De l’autre côté, nous observons des organisations au mode opératoire ouvertement violent, structurées mais fragilisées par l’impétuosité d’une base très jeune, et dont les actions tendent à provoquer chaos et affrontement » ([407]).
c. Un jeu dangereux qui conduit à cautionner des acteurs qui attaquent les principes de la République
Depuis le 7 octobre 2023, des responsables ou mouvements politiques n’hésitent pas à cautionner, voire à soutenir, des collectifs et individus très organisés pour faire prospérer un agenda politique islamiste, malgré les dissolutions et les condamnations pour apologie du terrorisme.
Le ministre de l’intérieur confirme d’ailleurs lui-même de tels liens : « Certaines formations politiques soutiennent, ou s’abstiennent de condamner, des structures appartenant à l’islam politique – ou bien, de façon plus indirecte, nous reprochent de nous en prendre à elles en nous traitant d’islamophobes. Cela m’est arrivé, en tant que haut fonctionnaire et en tant que ministre, parce que j’avais dénoncé telle ou telle structure. La question s’est beaucoup posée autour de la mouvance propalestinienne : au cours de certaines manifestations ont été tenus des propos dont nous considérions qu’ils relevaient clairement de l’apologie du terrorisme – ce qui, dans certains cas, a été confirmé par les tribunaux. Des actions ont parfois été engagées et nos bras de fer avec certains élus n’ont échappé à personne ; eux préféraient parler d’apologie de la résistance plutôt que d’apologie du terrorisme ! » ([408]).
Ce faisant, ces mouvements et responsables politiques apportent, par leur passivité ou par leur soutien actif, une légitimité à des mouvances dont l’idéologie et les propos s’opposent pourtant frontalement à nos principes républicains ([409]).
À titre d’exemple, quelques jours avant la publication du présent rapport figuraient encore sur un appel à manifester en solidarité avec la Palestine le collectif Urgence Palestine aux côtés du Comité Palestine Sciences-po, de la Confédération générale du travail (CGT), du parti Debout !, de GénérationS, de La France insoumise, des Écologistes, du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), du Parti socialiste (PS), du Parti communiste français (PCF), ou encore de l’Union nationale des étudiants de France (Unef) ([410]).
Si les représentants politiques concernés ne peuvent pas empêcher ce collectif de se joindre au cortège, le reconnaître comme un acteur avec lequel il est possible de se coordonner pour agir est pour le moins inquiétant au regard des alertes désormais largement médiatisées sur ses intentions manifestement incompatibles avec les principes de notre République.
Cette situation dénote d’une forme de confusion, par méconnaissance ou non, entre islamisme et islam et tend à faire apparaître l’État comme antimusulman, comme le souligne la préfecture de Haute-Garonne : « les positions propalestiennes exprimées relèvent d’un engagement politique militant, combiné à un effet d’aubaine ou d’opportunisme électoral. Les élus concernés sont quasi systématiquement présents à ces manifestations, pour envoyer des signaux à des populations musulmanes sensibles à la cause palestinienne, éventuellement entretenir un amalgame entre l’islam et l’islamisme, et au bout du compte faire apparaître l’État comme étant antimusulman » ([411]).
Or, selon Hugo Micheron, à l’extrême gauche, une attitude tend « à ne pas voir le militantisme islamiste pour ce qu’il est. Les tenants de thèses radicales ne sont pas distingués des musulmans ordinaires qui en subissent en premier lieu les idées et les méfaits. Tous sont réduits aux rôles d’opprimés dont le radicalisme éventuel n’aurait d’égal que les injustices qu’ils subissent. Alors que la lutte contre l’oppression est le socle revendiqué des combats de l’extrême gauche, la nature antiprogressiste, antiféministe et suprémaciste du projet salafiste, pour ne citer que celui-ci, est passée sous silence » ([412]).
● Cette situation, qui expose ces partis à l’entrisme de la mouvance islamiste, aurait un effet structurant sur le discours de certains représentants politiques.
Florence Bergeaud-Blackler fait ainsi le constat que « La gauche radicale reprend désormais des termes naguère réservés à la rhétorique islamiste, tels que la "libération de la Palestine" au même titre que la libération du prolétariat, ou encore des expressions telles que "résistance", "génocide" et "sioniste" utilisées pour désigner l’ennemi idéologique […]. Symétriquement, le vocabulaire islamiste s’est gauchisé pour séduire la gauche et l’on y retrouve désormais des concepts empruntés aux traditions révolutionnaires comme la "révolution permanente", la "résistance des opprimés" ou la "convergence des luttes", directement inspirés des thèses décolonialistes et de la lutte des races. Il s’agit bien d’un processus de traduction mutuelle, la gauche adoptant la terminologie islamiste tandis que l’islamisme reformule ses concepts pour en faciliter l’appropriation et la diffusion au sein des institutions de gauche » ([413]).
Emmanuel Razavi souligne quant à lui que « les gens dont nous parlons soutiennent des organisations terroristes comme le FPLP, le Hamas, le Djihad islamique, parce qu’ils sont mus par un esprit révolutionnaire. Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, la convergence entre les islamistes et l’extrême gauche en Occident repose sur un pilier révolutionnaire, qui se décline ensuite en anti-impérialisme, antisionisme, antisémitisme à peine masqué et anticolonialisme. Ils savent très bien ce qu’ils font, qui ils soutiennent ». Il en conclut : « On ne peut pas en permanence cautionner la violence sans finalement y basculer, à un moment donné » ([414]).
III. Les interrogations que soulÈve la proximitÉ affichÉe de certains Élus de la France insoumise avec des individus propageant l’idÉologie islamiste
Si La France insoumise (LFI) a déjà été évoquée à plusieurs reprises jusqu’à présent, il est apparu nécessaire de consacrer une section du présent rapport à ce mouvement, tant il se distingue par la proximité affichée de certains de ses membres avec des individus proches de mouvements islamistes.
Votre rapporteur souligne qu’il ne s’agit pas de cibler de manière univoque tout un parti politique, mais uniquement de souligner que les choix de certains de ses élus de s’afficher, recevoir, voire soutenir des personnes promouvant une idéologie contraire à certaines valeurs fondamentales de notre République interrogent sur les stratégies politiques à l’œuvre.
Si la commission d’enquête a souhaité entendre M. Jean-Luc Mélenchon sur sa perception de la menace islamiste, les développements suivants présentent des faits objectifs illustrant une tendance, chez certains élus qui lui sont proches, à amalgamer musulmans et islamistes et, en prétendant soutenir les premiers, à se montrer complaisants avec les seconds.
A. Une stratégie électorale de captation du « vote musulman »
1. Une stratégie clientéliste passant par l’instrumentalisation de la cause palestinienne
● Lors des travaux de la commission d’enquête, plusieurs personnes auditionnées ont souligné que La France insoumise avait mis en place au cours des dernières années une stratégie électorale ciblant la communauté musulmane.
Olivier Roy relève ainsi : « Disons-le clairement : La France insoumise voit, dans les personnes d’origine musulmane, un réservoir de voix. Cela est parfaitement évident » ([415]).
L’ancien militant et conseiller régional LFI Cédric Brun affirme d’ailleurs avoir eu confirmation d’une telle stratégie par M. Jean-Luc Mélenchon lui‑même : « j’en ai eu confirmation de Jean‑Luc Mélenchon et d’autres cadres. Lorsque j’ai dit : "Vous mettez en avant Rima Hassan, mais ce ne sont pas là les préoccupations des travailleurs", on m’a répondu : "Dans ta région, nous avons perdu les ouvriers. Ils sont passés du côté antirépublicain, du RN. Il faut conquérir les voix des quartiers populaires". Ce que j’ai tenté d’expliquer, c’est que les habitants de ces quartiers travaillent la journée à l’usine. On m’a alors fait comprendre qu’était recherché un soutien plus communautariste, marquant le début de ce que nous observons aujourd’hui » ([416]). Aussi, pour M. Brun : « Aujourd’hui, la Palestine est invoquée à tout propos et des flottilles sont engagées. C’est terrible pour quelqu’un comme moi qui a toujours défendu le droit des palestiniens mais aussi de leurs voisins de voir des gens qui n’ont pas du tout les mêmes intentions que nous et qui salissent le combat pour la dignité humaine. C’est ce qui est très difficile aujourd’hui ; ils nous ont confisqué ce combat idéologique » ([417]).
● Bien plus, depuis le 7 octobre 2023, certains élus LFI semblent avoir intensifié significativement cette stratégie en instrumentalisant la cause palestinienne et en la plaçant au cœur de leur discours politique.
Le meilleur exemple de cette instrumentalisation est sans doute l’intégration de Mme Rima Hassan à la liste de La France insoumise aux élections européennes. Pour le politiste Laurent Bonnefoy : « Si on veut parler de Rima Hassan, elle tient certainement un rôle symbolique fort, et on pourrait discuter de certaines de ses maladresses et de ce qu’on pourrait qualifier de provocations. À mon sens, elle s’est auto-assignée à la défense d’une cause bien spécifique » ([418]).
Plusieurs préfectures auditionnées par la commission d’enquête observent que cette stratégie singularise La France insoumise par rapport aux autres mouvements politiques, à l’image de celle de la Haute-Garonne : « Nous observons […] un soutien affirmé de certains, qui est exprimé à l’occasion de manifestations, d’une part par les sensibilités d’ultragauche, d’autre part par un certain nombre de parlementaires – essentiellement ou quasi exclusivement LFI » ([419]). De même la préfecture de police des Bouches-du-Rhône souligne qu’« À Marseille aussi, il s’agit d’un opportunisme électoraliste, exacerbé par la période. Tous les dimanches depuis deux ans, des manifestations propalestiniennes regroupent 300 à 400 personnes, avec la présence quasi systématique d’élus – en particulier LFI, parce qu’ils soutiennent la cause palestinienne et par opportunisme électoraliste » ([420]).
2. Des inflexions idéologiques notables du mouvement et de son fondateur
Cette stratégie électorale de La France insoumise s’illustre à travers l’évolution notable de certaines positions historiquement défendues par son fondateur, M. Jean-Luc Mélenchon, que celui-ci a d’ailleurs reconnue devant notre commission ([421]).
Plusieurs ruptures idéologiques peuvent interroger, à l’instar de :
– la rupture assumée avec l’universalisme républicain au profit de la défense d’une société multiculturelle et de la priorité donnée à la lutte contre les discriminations affectant certaines minorités. Le sociologue Julien Talpin ([422]), coordinateur d’un récent ouvrage publié par l’Institut La Boétie ([423]), comprenant un entretien de Jean-Luc Mélenchon et une postface de la députée Clémence Guetté, décrit en effet l’« inflexion assez notable qui s’est poursuivie dans l’offre politique de La France insoumise. Alors que ce n’était pas le logiciel initial de Jean-Luc Mélenchon, il a fait de la question de l’antiracisme, de la lutte contre les violences policières et de l’islamophobie un élément central de son offre politique. Cette offre était quasiment inexistante dans le champ politique de gauche jusqu’en 2022, à l’exception peut-être du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) » ([424]). LFI aurait opéré ces dernières années un « tournant politique fondamental » dans sa relation aux classes populaires, selon M. Talpin, qui précise que « penser la relation de la gauche aux classes populaires suppose de dépasser une appréhension monolithique de celles-ci, d’adopter une approche intersectionnelle qui mêle propriétés sociales, raciales, territoriales, générationnelles et genrées » ([425]).
Pour le journaliste Omar Youssef Souleimane, qui porte un regard critique sur cette rupture idéologique, il en résulte que LFI s’adresse désormais à nos concitoyens musulmans, « non pas comme à des citoyens français mais comme à des musulmans », tout en développant un « discours victimaire [qui] met les musulmans à l’écart et les présente comme des malheureux » ([426]).
Sur le terrain, la préfecture du Rhône fait ainsi le constat que « deux députés LFI ont un discours anticolonial visant à victimiser l’islam et les communautés islamiques. Ces deux députés, qui s’expriment parfois en arabe, instrumentalisent fortement ces sujets. On ne peut pas le cacher » ([427]) ;
– une inflexion radicale au sujet de la laïcité et du voile islamique. Pour mémoire, Jean‑Luc Mélenchon dénonçait en 2010, au sujet d’une candidate voilée proposée sur la liste du NPA aux élections régionales, « une attitude immature et un peu racoleuse », ajoutant qu’on « ne peut pas se dire féministe en affichant un signe de soumission patriarcale » et jugeant qu’« en ce moment, on a le sentiment que les gens vont au-devant des stigmatisations : ils se stigmatisent eux-mêmes ‑ car qu’est-ce que porter le voile, si ce n’est s’infliger un stigmate – et se plaignent ensuite de la stigmatisation dont ils se sentent victimes » ([428]). En 2015, il qualifiait le voile de « signe de soumission » ([429]) et en 2017, il le comparait à un « chiffon sur la tête » ([430]). En 2025, il déclarait toutefois avoir « changé de regard » ([431]) sur le voile – ce qu’il a confirmé devant notre commission ([432]) – et affirmait que « vouloir interdire le voile aux filles de moins de quinze ans est une violence, une insulte, un mépris » ([433]) ;
– ou encore un discours sur l’islamophobie qui a changé du tout au tout. Si Jean-Luc Mélenchon déclarait en 2015 « conteste[r] le terme d’islamophobie » ([434]), en novembre 2019, il signait une tribune dans Libération, pour dire « stop à l’islamophobie » ([435]), avant de prendre part à la manifestation co‑organisée par le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et de déclarer, au sujet des personnes ayant dénoncé sa participation, que « tous ces pseudo-laïques sont juste des islamophobes » ([436]). Dans le même sens, s’il considérait en 2015 qu’« on a le droit de ne pas aimer l’islam comme on a le droit de ne pas aimer le catholicisme », il est revenu sur cette déclaration en 2025 en déclarant : « je ne le dirais plus aujourd’hui. Jamais je n’accepterai de lâcher un mètre de terrain là‑dessus » ([437]). Loin des positions initiales de son fondateur, le mouvement LFI se présente ainsi aujourd’hui comme particulièrement investi dans la lutte contre l’islamophobie, son groupe parlementaire ayant même déposé, au printemps 2025, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur l’islamophobie ([438]).
Si l’opportunité de ces ruptures idéologiques relève de la seule appréciation du mouvement LFI, ils démontrent un tournant important, notamment quant à l’appréciation de la place de la religion dans notre société et des marqueurs identitaires de certaines communautés perçues comme de confession musulmane.
3. Une stratégie payante ? Un vote musulman qui se tourne très largement vers la gauche, et en particulier vers La France insoumise
● Les résultats des enquêtes électorales réalisées à la suite des derniers scrutins nationaux laissent penser que la stratégie mise en place par La France insoumise a eu les résultats escomptés. Si ces résultats sont à prendre avec de nombreuses précautions comme l’a souligné l’Ifop lors de son audition :
– 69 % des musulmans auraient voté (ou auraient exprimé une préférence) pour M. Jean-Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle de 2022 ([439]). Pour François Kraus : « la nouveauté qui saute aux yeux [à l’occasion de ce scrutin] est le survote en faveur de Jean-Luc Mélenchon dans la population musulmane […] ce vote est un phénomène exceptionnel » ([440]). S’il invite à la prudence sur ce sondage ([441]), il indique qu’une autre étude conduite en 2023 estime à 48 % la part des votes de la population musulmane en faveur de Jean-Luc Mélenchon, et la proportion totale de votes en faveur des gauches, au sens large, à 65 %, c’est-à-dire, selon M. Kraus, un taux « Certes moins spectaculaire que le taux de 69 %, [mais] l’ancrage à gauche est confirmé ([442]) et reste une part de marché électorale assez exceptionnelle » ([443]) ;
– 62 % auraient voté (ou auraient exprimé une préférence) pour la liste de La France insoumise conduite par Mme Manon Aubry aux élections européennes de 2024 ([444]).
Un « vote musulman » ?
Si François Kraus a fait part, lors de son audition, des limites méthodologiques des enquêtes qu’il a présentées, l’ordre de grandeur qui s’en dégage met en lumière une concentration électorale dans des proportions qui sont sans commune mesure avec les votes caractérisant d’autres électorats confessionnels ([445]). Aussi, pour M. Kraus, qui souligne que des travaux plus poussés seraient nécessaires pour disposer d’éléments plus solides, le vote musulman pourrait être schématisé en trois tendances :
« – un primat de la gauche radicale au sein de la population musulmane, notamment chez des personnes très jeunes, qui vivent dans des banlieues populaires, dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, et qui se sentent stigmatisés, exclus du marché de l’emploi et fortement discriminés. Cette population inclut des gens qui peuvent être très progressistes, engagés et militants, tout comme d’autres qui peuvent être très conservateurs ;
– une autre population s’inscrit dans une gauche républicaine, que je pourrais qualifier de macronisme de gauche. Ces électeurs plus âgés ont la quarantaine ou la cinquantaine. Socialisés dans les années 1980, quand les paraboles et les réseaux sociaux n’existaient pas, ils sont beaucoup plus proches de la norme et de la moyenne des Français concernant de nombreux sujets, notamment par un fort attachement à l’école républicaine, au service public, à l’État. On trouve d’ailleurs beaucoup ces personnes dans la fonction publique, qui leur a permis une ascension sociale ;
– Une fraction composée de ceux qui ont le plus réussi socialement, en particulier les commerçants, chefs d’entreprise, cadres et ingénieurs. Eux ont souvent quitté les quartiers et peuvent habiter dans des zones pavillonnaires ou dans des endroits moins soumis à une pression communautaire. Ils sont beaucoup plus insérés, et leur niveau de réussite sociale produit chez eux un certain détachement à l’égard de la religion, en tout cas concernant des formes de solidarité ou de pression communautaires » ([446]).
Vincent Tiberj, politiste spécialisé en sociologie électorale, remarque quant à lui, en analysant les enquêtes Trajectoires et Origines (« TeO ») ([447]), un surplacement à gauche des groupes issus de l’immigration, montrant que l’origine des personnes constitue un facteur déterminant de leur vote, sans doute en lien avec les discriminations qu’elles subissent : « Dans l’enquête TeO effectuée en 2008-2009, nous avons demandé aux sondés de se placer sur l’axe droite-gauche. Dans tous les groupes issus de l’immigration, on observe un surplacement à gauche, en comparaison de l’échantillon "majo", qui regroupait des natifs de natifs de natifs, soit ceux qui ne comptent ni parmi leurs parents ni parmi leurs grands-parents de personne d’origine étrangère née à l’étranger – c’est la définition d’un immigré proposée par l’Insee. Le phénomène est particulièrement frappant pour les immigrés d’origine subsaharienne, algérienne, marocaine ou tunisienne et leurs descendants de deuxième génération, mais aussi pour les ultramarins et leurs enfants. Il semble donc y avoir un lien entre surplacement à gauche, visibilité des origines et discrimination […]. Le contraste est saisissant entre la situation des descendants de l’immigration portugaise, espagnole, italienne ou issue du reste de l’Union européenne et celle des descendants des immigrés d’origine algérienne, marocaine, tunisienne, issus d’Afrique sahélienne ou centrale. Moins un groupe est perçu comme "tout à fait français", plus il est discriminé, plus le surplacement à gauche est fort » ([448]).
Il en conclut : « L’idée qu’il y aurait un vote musulman est donc vraisemblablement fausse. Elle tient sans doute à ce que les études interrogent uniquement les personnes sur leur religion. Si ces études incluaient la question des origines, leurs résultats seraient vraisemblablement très différents » ([449]).
Interrogé sur ces chiffres, le politologue Laurent Bonnefoy reconnaît lui aussi que la stratégie mise en place, à travers la mise en avant de Mme Rima Hassan, « permet sans doute d’obtenir des voix : à Dreux, lors des élections européennes et législatives de 2024, elle a suscité une mobilisation autour de concepts et d’un vocabulaire qui n’étaient pas proprement islamistes, mais qui ont réussi à rassembler une forme de clientèle électorale » ([450]).
Il suggère toutefois que ces résultats devraient surtout interroger les autres partis qui auraient renoncé à représenter certaines populations ou causes : « Évidemment, ces chiffres suscitent des interrogations. On pourrait retourner la question : pourquoi d’autres partis politiques ont-ils délaissé certaines positions, notamment en faveur de la Palestine ? Depuis de nombreuses années, la position de nombreux partis politiques sur le conflit israélo-palestinien est à rebours des attentes d’une grande partie de la population […]. Il n’est pas nécessaire d’être musulman pour être sensible à la situation de la Palestine. La façon de faire peut être débattue, mais la mobilisation autour de ce sujet montre une certaine clairvoyance de la part des partis qui s’en sont saisis, et laisse penser que le problème vient plutôt des autres forces politiques, qui, du point de vue de la stratégie comme du droit, pourraient s’interroger sur leurs choix […]. Je ne suis pas ici pour défendre la stratégie de La France insoumise ; je note plutôt qu’elle révèle l’abandon des autres forces politiques, qui pourraient se mobiliser davantage » ([451]).
À ce sujet, Vincent Tiberj rappelle que les populations d’origine maghrébine ou africaine se caractérisent aussi par un fort taux d’abstention lié à l’absence de prise en compte de leurs demandes : « comme beaucoup d’individus des mondes populaires ou des jeunes générations, sont fortement touchées par ce que j’appelle la grande démission. Leur abstention aux élections ne reflète pas l’absence d’avis, ou une incompréhension du rôle des citoyens. Elle témoigne d’un vrai refus du vote comme remise de soi. L’enquête que j’avais menée avec Antoine Jardin, en 2012, dans des communes de Seine-Saint-Denis montrait un décrochage frappant des populations issues de l’immigration lors des élections, faute de prise en compte de leur existence et de leurs demandes. Cela interroge notre société » ([452]).
B. Une stratégie qui a pu conduire des Élus de La France insoumise À des signes de complaisance, voire de soutien actif À des individus proches des mouvements islamistes
La stratégie électorale de LFI n’est pas condamnable en elle-même : il est loisible à chaque parti ou mouvement politique de chercher à recueillir le vote de tel ou tel électorat, et cela fait pleinement partie du jeu démocratique.
Toutefois, en l’espèce, cette stratégie a conduit certains élus à prendre des positions inquiétantes, sinon dangereuses, témoignant d’une forme de complaisance, voire de soutien actif à des individus proches d’organisations et de réseaux propageant l’idéologie islamiste ou même soutenant l’action terroriste.
1. Des élus complaisants devenus une cible privilégiée de l’entrisme islamiste
Les travaux de la commission d’enquête révèlent que l’engagement de LFI dans une stratégie clientéliste auprès de l’électorat musulman a pu faire de ce mouvement une cible privilégiée pour les stratégies d’entrisme mises en œuvre par des individus promouvant l’idéologie islamiste.
Selon Omar Youssef Souleimane, des prédicateurs et des organisations islamistes appelleraient désormais à voter en faveur de La France insoumise : « Lors de la campagne présidentielle de 2022, Hani Ramadan, frère de Tariq Ramadan, a appelé à voter pour Jean-Luc Mélenchon. Rappelons qu’il s’agit d’un prédicateur extrêmement dangereux, interdit de séjour en France du fait de propos djihadistes, terroristes même […] Lors des élections législatives de 2024, un prédicateur extrêmement dangereux, Vincent Souleymane, a aussi appelé à voter pour les candidats LFI » ([453]).
Nora Bussigny souligne également que le mouvement LFI serait spécifiquement visé par certains individus proches des mouvements islamistes : « Les figures que j’ai déjà mentionnées, telles que Houria Bouteldja ou Élias d’Imzalène, affirment toutes ouvertement leur volonté d’investir un parti politique bien précis, à savoir La France insoumise. Bien qu’ils considèrent, selon leurs propres termes, que M. Jean-Luc Mélenchon puisse être qualifié "d’islamophobe", ils estiment néanmoins que ce parti demeure le plus susceptible de défendre leurs intérêts » ([454]).
Certains candidats joueraient un rôle clé dans ce rapprochement, à l’image de Rima Hassan, députée européenne : « Il apparaît ainsi que certains collectifs et figures militantes s’inscrivent dans une démarche structurelle animée par l’ambition d’investir un parti politique, même si l’ensemble de ses positions ne correspond pas à leurs orientations. Leur stratégie consiste alors à cibler certains candidats qu’ils choisissent de soutenir, car ils ne se reconnaissent pas dans l’intégralité des figures de ce mouvement. Dans cette perspective, certaines personnalités jouent le rôle d’éléments de réconciliation, comme c’est le cas de Mme Hassan, sur laquelle j’ai mené un travail approfondi […]. Selon ces militants, elle incarne l’exemple le plus vertueux, le plus radical et le plus efficace dans la progression de leur cause » ([455]).
Dans ce contexte, l’inflexion des positions de LFI pourrait ne pas être sans lien avec cette forme d’entrisme, comme le laissent penser les propos d’Houria Bouteldja, rapportés par Florence Bergeaud-Blackler : « Houria Bouteldja, fondatrice du Mouvement des Indigènes de la République et sorte de relais entre islamisme et gauchisme, déclarait à propos de Jean-Luc Mélenchon, candidat en 2022 : "Dans ce magma, il y a un butin de guerre qui s’appelle Mélenchon. C’était une espèce de laïcard de dingue et aujourd’hui il dit des choses qu’il n’aurait jamais dites il y a quinze ans" » ([456]).
2. Des prises de position inquiétantes, voire dangereuses, de certains élus LFI en soutien à des individus promouvant l’idéologie islamiste
a. La recomposition de sections locales en faveur d’individus proches des mouvements islamistes
● Le témoignage livré par Cédric Brun, ancien militant et élu insoumis éclaire sur les transformations à l’œuvre dans certains territoires au sein des sections LFI : « Il ne s’agit pas d’une simple tentative d’entrisme mais d’une ouverture accordée à ces profils. Ils ne se présentent pas comme Salafistes ou Frères musulmans, mais leur façon d’élaborer les programmes et leur fonctionnement uniformisé les identifient. Lors d’une manifestation propalestinienne à Denain, tous ces individus se sont retrouvés ensemble, certains venant de loin pour se soutenir mutuellement, démontrant leurs liens au-delà de simples convictions politiques. Au cœur de ce réseau se trouve la famille d’Hassan Iquioussen, dont les fils coordonnent les activités au niveau départemental et national » ([457]).
Ce constat est confirmé par le journaliste Erwan Seznec, selon lequel les profils sur lesquels se reposent LFI pour mettre en œuvre sa stratégie électorale sont problématiques : « La notion de clientélisme n’est pas nécessairement péjorative mais, à mon avis, je l’ai écrit et je n’hésite pas à le répéter devant votre commission, LFI a emprunté un chemin extrêmement dangereux. Il n’est certes pas interdit de chercher à séduire l’électorat musulman mais, comme je l’indiquais précédemment, ils sélectionnent des intermédiaires pour atteindre cette communauté qui me paraissent extrêmement sulfureux, dans un calcul électoral qui ne semble pas pertinent » ([458]).
● Ces liens sont d’autant plus préoccupants qu’ils semblent connus, sinon approuvés par la direction de LFI.
En effet, comme le montre le témoignage de Cédric Brun, qui a récemment quitté le mouvement après avoir été militant insoumis à Denain et conseiller régional LFI des Hauts-de-France, les responsables de La France insoumise seraient informés des alliances militantes qui s’opèrent sur le terrain : « Ces faits édifiants sont observables sur le terrain. Je suis stupéfait que certains députés prétendent les ignorer. M. Le Coq [député LFI] m’avait lui-même expliqué, après un précédent rassemblement, que ces individus étaient "des modérés" et qu’il fallait composer avec eux, preuve qu’il s’agissait non d’une infiltration, mais d’une stratégie électorale délibérée » ([459]).
Ces alliances pourraient même bénéficier de l’aval de la direction du parti : « Les attentats du 7 octobre ont poussé certains profils à se montrer ouvertement. Certains étaient inscrits sous de faux noms, comme M. Iquioussen, dans notre groupe d’action. À la suite des attentats, La France insoumise a assumé leur présence sous leur vrai nom, créant un véritable appel d’air, probablement validé par le "cercle Mélenchon" » ([460]).
Or, la direction de LFI ne réagirait pas suite aux signalements qui lui sont faits : « Lorsque j’ai constaté la tentative d’infiltration à Denain, j’ai alerté mon groupe politique régional et informé les députés via courrier et visioconférence. Ils ont reconnu le problème, mais m’ont répondu qu’il ne fallait pas le surestimer […]. J’ai donc demandé par écrit à Paul Vannier et Manuel Bompard si la ligne politique avait évolué. Ils ont répondu que la politique locale relevait des groupes locaux et qu’ils ne pouvaient s’immiscer dans ce sujet, ce qui leur permet d’éviter toute responsabilité » ([461]). Les signalements dans d’autres villes du Nord ont connu le même sort : « J’ai échangé avec des membres de la CGT affiliés à La France insoumise à Grande-Synthe et Dunkerque, qui ont quitté le mouvement pour les mêmes raisons, alertant M. Bompard par courrier de tentatives d’entrisme qui n’ont pas reçu de réponse » ([462]).
● Du reste, la proximité entre LFI et la mouvance islamiste trouve des traductions très concrètes au niveau local, où des sections se recomposent, comme l’a indiqué M. Cédric Brun dans le cas de Denain : « J’ai constaté, dans mon périmètre autour de Denain, l’arrivée de profils connus ou de descendants de personnes connues, notamment les fils Iquioussen, en particulier Soufiane Iquioussen, qui a tenté en vain d’intégrer le groupe d’action locale de Denain, puis a créé un groupe concurrent pour "prendre la main" sur ce territoire. Initialement, je pensais qu’il s’agissait d’une tentative d’entrisme isolée ciblant La France insoumise. Mais en échangeant avec des collègues syndicalistes et membres du mouvement, j’ai constaté que le phénomène touche plusieurs territoires, comme Maubeuge, où ces personnes préparent une liste LFI pour les municipales, et Grande-Synthe, où la situation est similaire » ([463]).
Le journaliste Erwan Seznec avait d’ailleurs, dans un ouvrage publié en 2020 ([464]), déjà étudié la situation à Denain, sur laquelle il est revenu lors de son audition, la décrivant comme « une commune de 20 000 habitants située au sud de Valenciennes qui s’est vue progressivement structurée par des acteurs entrés en politique avec l’objectif clair d’islamiser la société. Ces fondamentalistes, qui ont suivi l’enseignement de l’imam Hassan Iquioussen, se donnent beaucoup de temps et poursuivent comme objectif unique, animé d’une sincérité qui leur est propre, d’appliquer les fondements de la charia à l’échelle locale, sans établir la moindre séparation entre religion et laïcité. Dans leur cadre conceptuel, cette distinction n’existe tout simplement pas, puisque la charia a vocation à réguler l’ensemble de la vie sociale. Ils sont d’ailleurs parfaitement transparents sur ce point et il serait difficile de leur reprocher d’avancer masqués car, même s’ils affirment ne pas avoir d’agenda religieux lorsqu’ils sont interrogés par un journaliste, leurs prêches et leurs brochures démontrent indéniablement l’inverse » ([465]).
Le journaliste constate ainsi : « En termes de gravité, La France insoumise se distingue de manière particulièrement nette, au point que nombre de leurs militants ne comprennent plus la ligne adoptée par leur propre direction. Je voudrais, à cet égard, vous rapporter une anecdote éclairante. Lors des élections départementales de 2021 à Roubaix, les Écologistes et LFI avaient décidé de présenter une liste commune, les Écologistes ayant suggéré comme tête de liste Ali Rahni, notamment connu pour son soutien à Tariq Ramadan. C’est la section locale de LFI qui s’y était opposée publiquement, dans les colonnes de La Voix du Nord. Depuis lors, il est intéressant de noter que la section LFI de Roubaix a été entièrement restructurée de sorte à installer des personnes acceptant de participer à ce jeu que je considère pour ma part comme éminemment dangereux » ([466]). Une observation là encore confirmée par le témoignage de Cédric Brun : « les personnes non élues mais en position de l’être quittent aussi le mouvement dans d’autres régions, signe d’un système profondément antidémocratique au sein du parti permettant l’arrivée soudaine de certains profils en remplacement de militants présents depuis dix à treize ans » ([467]).
b. Une instrumentalisation de la cause palestinienne qui conduit à de graves dérives
L’instrumentalisation de la cause palestinienne illustre également la stratégie électoraliste mise en œuvre par LFI. On ne peut toutefois que regretter, qu’aussi légitime soit la reconnaissance d’un État palestinien aux côtés de l’État israélien, la façon dont ce parti la défend conduit à multiplier de graves dérives au niveau national comme au niveau local. Ainsi, selon Cédric Brun, « Depuis les attentats du 7 octobre, le discours de La France insoumise a changé, nationalement et localement, refusant le terme "attentat" et parlant de "crime de guerre" pour des raisons politiques […] On observe aussi une valorisation du Hamas comme organisation de résistance, ce qui complique la situation pour nos élus et militants locaux » ([468]).
● En effet, le groupe parlementaire LFI a refusé, au moins dans un premier temps ([469]), de qualifier le Hamas de mouvement « terroriste », se contentant dans un communiqué du 7 octobre 2023 de déclarer que « l’offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas intervient dans un contexte d’intensification de la politique d’occupation israélienne » ([470]). À la suite d’actes terroristes ayant fait plus de 1 200 morts, la députée Danièle Obono a ainsi pu qualifier le Hamas de « mouvement de résistance » ([471]), tandis que Sophia Chikirou a partagé le 1er août 2024 une publication en ligne du collectif Urgence Palestine qui rendait hommage au chef politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, tué la veille, avant de se rétracter et de nier tout hommage ou soutien aux « actes terroristes » du Hamas ([472]). Jean-Luc Mélenchon jugeait quant à lui en octobre 2024 que l’élimination de Yahya Sinwar, chef de la branche armée du Hamas, était « une erreur » ([473]), au motif qu’il était un interlocuteur pour la libération des otages.
La députée européenne Rima Hassan s’est également illustrée par ses nombreuses déclarations de soutien à cette organisation terroriste :
– « En dehors de la pensée hégémonique occidentale, personne ne rattache le 7 octobre à du terrorisme » ([474]) ;
– « Le Hamas a une action légitime du point de vue du droit international » ([475]) ;
– « Le 7 octobre, c’est un mode opératoire terroriste, mais c’est comme les Algériens quand ils font péter les cafés des Français en Algérie […] Il faut resituer ces mouvements, l’ANC ([476]) de Mandela a aussi été classé terroriste » ([477]) ;
– « La résistance palestinienne ne se démantèle pas » ([478]), en réponse à un tweet affirmant que le Hamas était en passe d’être démantelé.
Rima Hassan a par ailleurs assisté ([479]), le 10 mai 2024, à la conférence d’ouverture du Forum social maghrébin « Maghreb-Machrek » à Tunis, en présence de plusieurs représentants de groupes terroristes islamistes parmi lesquels Sami Abu Zuhri ([480]), représentant du Hamas en Afrique du Nord et Jameel Mazhar, vice‑secrétaire général du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), qui ont glorifié lors de leur intervention liminaire l’attaque terroriste du 7 octobre ([481]). Selon Nora Bussigny ([482]), Rima Hassan s’est également rendue en Jordanie où, tout comme le militant insoumis Taha Bouhafs, elle a pris part le 16 août 2024 à une manifestation dans laquelle de nombreuses pancartes brandies par la foule rendaient hommage au chef politique du Hamas Ismaïl Haniyeh ([483]).
Malgré toutes ces dérives, c’est dans une posture victimaire que Rima Hassan se plaçait, en novembre 2025, en indiquant dans une publication avoir été convoquée à trois reprises pour apologie du terrorisme ([484]).
Le Hamas, une organisation terroriste islamiste
Le Hamas ([485]), ou Mouvement de la résistance islamique, est un mouvement islamiste et nationaliste palestinien fondé par le cheikh Ahmed Yassine, Abdel Aziz al-Rantissi et Mohammed Taha, trois figures de la branche palestinienne des Frères musulmans, à l’occasion de la première « intifada » en décembre 1987 ([486]).
Sa charte fondatrice, publiée le 18 août 1988, rappelle cette filiation directe avec la confrérie islamiste égyptienne, en affirmant que le Hamas « est l’une des ailes des Frères musulmans en Palestine » ([487]). Si cette mention a été supprimée par la charte publiée en 2017, cette dernière conserve, selon Mme Florence Bergeaud-Blackler, « des éléments extrêmement problématiques tels que le déni de l’existence du peuple juif en Palestine, l’affirmation du caractère islamique et sacré de l’ensemble du territoire, la légitimité de la lutte armée ou encore la centralité de la cause palestinienne pour l’Oumma » ([488]).
Si pour M. Laurent Bonnefoy « la qualification du Hamas est complexe et varie selon l’endroit d’où l’on parle » ([489]), celui-ci, constitué d’une branche politique et d’une branche armée, est qualifié d’organisation terroriste par près de quarante pays à travers le monde, dont la France, qui rappelait sa position à la suite des attentats du 7 octobre 2023 : « La position de la France concernant le Hamas est connue : c’est une organisation terroriste qui commet des actes terroristes » ([490]).
Certains mouvements et responsables de gauche persistent toutefois à soutenir ou à légitimer l’action du Hamas, à l’image d’élus de La France insoumise (voir supra) ou du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) qui, dans un communiqué diffusé le 7 octobre 2023, jugeait que « l’offensive est du côté de la résistance », se félicitait que « le Hamas appelle les palestienNes [sic] à se soulever dans tous les territoires et à lutter contre l’occupation », rappelant « son soutien aux PalestinienNEs et aux moyens de luttes qu’ils et elles ont choisi pour résister », et concluait par un appel à la révolte : « Aujourd’hui comme hier, nous sommes toutes et tous palestienNEs. Intifada ! » ([491]).
● Le cas de Rima Hassan est pourtant loin d’être un cas isolé parmi les élus de La France insoumise. Aussi, si de nombreux cas ont été précédemment cités, celui du député Thomas Portes mérite une attention particulière, celui-ci n’hésitant pas à afficher sa proximité avec des organisations terroristes et des individus mis en cause pour apologie du terrorisme.
Thomas Portes a ainsi pu adresser des messages de soutien à son « ami et camarade » Omar Alsoumi ([492]), le fondateur d’Urgence Palestine, comme l’a d’ailleurs fait le Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ([493]), et s’est rendu devant le commissariat de Meaux pour demander sa libération, comme l’avait fait avant lui la députée Ersilia Soudais avec Elias d’Imzalène ([494]).
Selon Omar Youssef Souleimane, Thomas Portes entretiendrait par ailleurs, comme d’autres députés LFI ([495]), des relations avec Salah Hamouri, avocat franco‑palestinien expulsé par Israël en 2022 ([496]). Ce dernier se serait récemment rendu avec Thomas Portes au Liban. Le député aurait alors « rencontré plusieurs membres du FPLP, parmi lesquels Marwan Abdel-al, dont le nom était mal orthographié sur le réseau social X mais que j’ai identifié grâce aux photographies de leurs réunions. Marwan Abdel-al est un militant du Hezbollah, organisation considérée comme terroriste, qui s’est rendu aux funérailles d’Hassan Nasrallah en février 2025. Thomas Portes a aussi rencontré Haitham Abdo, le chef du FPLP au Liban, terroriste sans réserve. Il n’a pas pu rencontrer Kamal Adouan, déjà tué par Tsahal, mais il lui a rendu hommage au cimetière des martyrs palestiniens, au sud de Beyrouth. Kamel Adouan est pourtant impliqué dans la mort de onze civils israéliens, survenue en 1972 lors de l’attentat de Munich » ([497]).
Ce déplacement n’était pas le premier déplacement troublant de Thomas Portes, qui s’était par exemple rendu au Caire, le 5 octobre 2023, pour rencontrer Abu Amir Eleiwa ([498]), dirigeant de l’association Humani’Terre, proche des Frères musulmans et inscrite sur la liste des organisations sous sanctions du Trésor américain, qui a fait peu après l’objet d’une enquête du parquet national antiterroriste pour ses liens présumés avec le Hamas ([499]) et dont les avoirs ont été gelés en France à partir de juin 2024 ([500]). Le 10 octobre 2023, dans un éditorial toujours en ligne, Thomas Portes faisait d’ailleurs référence aux « combattants » plutôt qu’aux « terroristes » du Hamas et à une « offensive armée » plutôt qu’à une « attaque terroriste » : « Deux jours après ma rencontre avec Abu Amir, les combattants du Hamas ont lancé une offensive armée contre l’État d’Israël, dont la riposte ne s’est pas fait attendre » ([501]).
● Ces dérives particulièrement graves peuvent également concerner l’entourage de certains élus ou des candidats investis par le mouvement. Plusieurs profils ont ainsi été mis en lumière par les travaux de la commission d’enquête :
– Mohamed Awad a été investi par LFI lors des élections législatives de 2024 et est tête de liste à La Courneuve pour les élections municipales de 2026 ([502]). Collaborateur du député Paul Vannier après avoir été secrétaire général du groupe insoumis à la région Île-de-France, il fut auparavant président de la section locale des Jeunes musulmans de France (JMF) à La Courneuve, soit de la branche jeunesse de l’UOIF cofondée par l’imam Hassan Iquioussen, cette dernière étant elle-même identifiée comme la branche nationale des Frères musulmans en France ([503]) ;
– Ritchy Thibault, collaborateur de la députée Ersilia Soudais a quant à lui déclaré lors d’une manifestation, le 5 octobre 2024 à Paris : « Oui, notre Élias [d’Imzalène] avait raison, le seul chemin, dans les rues de Paris et partout, c’est l’intifada » ([504]). Lors d’un rassemblement à Paris organisé après le meurtre d’un fidèle dans une mosquée du Gard, le 27 avril 2025, ce collaborateur haranguait la foule par des propos ayant donné lieu à un signalement au procureur de la République par le ministre de l’intérieur : « on ne peut pas compter sur les institutions. La police, la justice, véhiculent l’islamophobie et le racisme. On ne peut compter que sur nous-mêmes et c’est pour ça que je le dis, je l’assume, il faut que l’on se défende par nos propres moyens. Il faut constituer partout dans le pays des brigades d’auto-défense populaire » ([505]).
– ou encore Aly Diouara, candidat LFI dans la cinquième circonscription de la Seine-Saint-Denis qui, selon Mme Nora Bussigny, « dès décembre 2022, avait manifesté son soutien à Hadama Traoré, défenseur du terroriste Mickaël Harpon, responsable de l’attentat à la préfecture de police en octobre 2019. Il a également soutenu, le 14 octobre 2022, l’association dissoute Baraka City et apporté son appui à Idriss Sihamedi, prédicateur frériste proche d’une figure du Hamas, Mohamed Hassan ould Dedew, qu’il n’a pas hésité à soutenir publiquement en 2022 » ([506]).
c. La stratégie de certains élus LFI, qui semble s’intensifier en vue des municipales de 2026, est désormais préoccupante
● Malgré les dénégations de Jean-Luc Mélenchon ([507]), il semble qu’un amalgame soit entretenu par certains élus entre les musulmans et les islamistes. À cette aune, toute demande ou tout acteur se réclamant de la défense des communautés musulmanes serait légitime alors même que les personnes les plus actives auprès des élus et partis politiques sont le plus souvent proches des milieux islamistes et peu représentatives des musulmans ou des personnes venant de pays à confession majoritairement musulmane.
C’est ainsi que Mariam Abou Daqqa, membre du bureau politique du FPLP, a pu être invitée à l’Assemblée nationale par la députée Ersilia Soudais, pour intervenir à l’occasion de la projection du documentaire « Yallah Gaza » qu’elle organisait au lendemain de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023. Alertée, la Présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a interdit l’entrée de Mariam Abu Daqqa à l’Assemblée nationale ([508]), jugeant que sa présence « serait une inqualifiable provocation à l’égard de toutes les victimes de l’antisémitisme de par le monde. Donner la parole à une personne membre d’une organisation terroriste à l’Assemblée nationale donnerait une tribune à la violence, à la haine et porterait une atteinte grave à nos principes démocratiques, plus encore eu égard à la situation actuelle au Proche Orient » ([509]). Mariam Abou Daqqa a d’ailleurs été expulsée du territoire français peu après ([510]).
Plus récemment, le 12 mars 2025, le député Raphaël Arnault a convié à une table ronde à l’Assemblée nationale des membres d’Étudiants musulmans de France (EMF), branche estudiantine des Frères musulmans ([511]), ainsi que du Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE), qualifié par le ministre de l’intérieur de l’époque, Bruno Retailleau, de « faux nez européen du CCIF » dissous en 2020 (voir encadré infra) ([512]). Le ministre avait d’ailleurs considéré à cette occasion que « LFI continue à se complaire dans sa proximité inacceptable avec les islamistes » ([513]). À nouveau alertée par des députés, dont votre rapporteur, la Présidente Braun-Pivet, après avoir fait procéder aux vérifications requises, n’a pu empêcher cette venue mais a tenu néanmoins « à rappeler que les élus de la Nation ont un devoir d’exemplarité. Il est condamnable, sur le plan des principes, que certains d’entre eux s’en écartent en faisant entrer à l’Assemblée nationale des personnes dont les pratiques et les discours apparaissent comme contraires aux valeurs de notre République » ([514]).
● Aussi, en prétendant défendre les musulmans, certains élus de LFI soutiennent en réalité des individus proches des mouvements islamistes.
À cet égard, la réaction de Jean-Luc Mélenchon, interrogé sur les élus LFI qui s’affichent aux côtés d’individus tenant des propos pouvant relever de l’apologie du terrorisme, montre que celui-ci ne semble pas prendre la pleine mesure du problème. Ce dernier a ainsi nié toute tolérance vis-à-vis de tels propos : « je ne connais pas un Insoumis, une Insoumise qui ait trouvé que tout ça était écoutable et supportable, ni que ça lui convenait parfaitement. Ça n’existe pas, président. Croyez-moi si vous voulez, je vous dis que ça n’existe pas dans nos rangs » ([515]). En revanche, il qualifie les écarts constatés de simples « abus » : « Moi, les seuls qui me conviennent politiquement, ce sont les miens. Je fais un effort pour tous les autres, mais pour certains, l’effort est trop grand. Alors, on va leur dire : "Écoutez, vous abusez. On n’est pas venu là pour que vous nous fassiez endosser vos positions. Après, on va se retrouver devant une commission d’enquête où on va nous demander ce qu’on pense de ceci et de cela, alors qu’on n’y est strictement pour rien". Président, je ne peux pas faire mieux que vous dire que nous faisons de notre mieux, et je suis sûr que vous-même en faites autant à l’égard des excessifs qui sont aussi dans vos rangs » ([516]).
Le groupe parlementaire LFI s’est d’ailleurs opposé de manière constante à la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite « loi séparatisme » ou « loi CRPR », que Jean-Luc Mélenchon jugeait « en partie inutile, car répétant ce qui existe déjà, et dangereuse quant au reste, car elle menace la liberté. Surtout, elle ouvre la porte à ce que nous ne connaissons que trop, au déferlement de commentaires profondément néfastes à l’unité de la patrie, qui compte 5 ou 6 millions de musulmans – nos compatriotes, nos parents souvent, nos alliés toujours » ([517]). Le programme de La France insoumise prévoit ainsi l’abrogation de cette loi : « En dénonçant le "séparatisme", le gouvernement pointe du doigt les musulman-es, jamais les dispositions spéciales du Concordat et des statuts dérogatoires dans les Outre-mer, qui se séparent pourtant de la République, les arrangements des riches et des puissants qui s’organisent, par l’évasion fiscale par exemple, pour se séparer de la République. Il faut abolir la loi "séparatisme" » ([518]).
Plusieurs préfets auditionnés par la commission d’enquête ont par ailleurs signalé que le mouvement LFI n’hésite pas, en s’inscrivant dans une logique victimaire, à s’en prendre à l’action des services de l’État :
– Selon la préfecture du Rhône, le mouvement LFI aurait apporté un soutien appuyé à l’institution scolaire Al-Kindi après la résiliation du contrat qui la liait à l’État ([519]) : « La mouvance LFI, par exemple, fait l’exploitation systématique d’une logique victimaire, dans une logique électoraliste. Je pense au soutien appuyé à l’institution Al-Kindi après le retrait des contrats d’association, aux manifestations de soutien à Gaza ou au discours anticolonial récurrent pour solliciter l’adhésion d’une partie des musulmans français » ([520]) ;
– Dans les Hauts-de-Seine, Alexandre Brugère a fait part à la commission des violentes attaques qu’il subit de la part du député LFI de son département : « La lutte contre l’islamisme est un combat difficile et technique, qui touche à une matière sensible puisqu’elle soulève des enjeux très lourds de conviction personnelle et de liberté de conscience. Nous avons face à nous des personnes très organisées, qui recourent souvent à une logique victimaire et qui vont parfois jusqu’à nous accuser d’islamophobie d’État. Nous sommes très attaqués. En l’occurrence, je constate que le seul grand élu qui attaque frontalement sur ces questions, avec cette violence et cette virulence, est le député LFI » ([521]).
● Le plus inquiétant reste que, malgré les alertes des services de l’État et de certains militants ou sympathisants, cette stratégie semble s’amplifier. Cédric Brun souligne ainsi que « nous assistons désormais à une bascule plus importante et massive à l’approche des élections municipales » ([522]).
Dans ce contexte, ce dernier a alerté la commission d’enquête sur le danger que constitue la stratégie de certains responsables LFI pour notre démocratie : « L’ampleur du phénomène s’intensifie ; ces individus sont désormais autorisés à agir ouvertement au sein de La France insoumise. Accepter quelqu’un du nom d’Iquioussen est révélateur : lors des dernières assises LFI à Valence, son apparition aux côtés de M. Delogu avait provoqué un émoi et le parti avait nié toute association. Aujourd’hui, ils s’affichent ouvertement, notamment avec M. Iquioussen fils, connu pour ses quenelles au Sénat et ses positions très particulières sur le mariage pour tous, ce qui traduit clairement un virage idéologique. Il ne s’agit pas d’un entrisme, mais d’une stratégie politique délibérée visant à accueillir ces profils pour obtenir les voix manquantes au second tour de la présidentielle. C’est un choix cynique. Le rapprochement de La France insoumise avec de telles personnes, proches de l’Iran ou d’autres pays, et bénéficiant de financements étrangers constitue une menace pour notre démocratie. Ces derniers pourraient accéder à des positions de pouvoir, à l’Assemblée nationale ou dans les mairies. L’infiltration des syndicats, quelle que soit leur étiquette, est également manifeste. Il ne s’agit pas de centaines de personnes, mais d’une cinquantaine de personnes très actives, disposant de moyens financiers, de leviers politiques via La France insoumise et de ressources juridiques » ([523]).
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Il ressort ainsi des travaux de la commission d’enquête que :
– au niveau local, si la grande majorité des élus sont vigilants quant aux demandes communautaristes et au risque de séparatisme et d’entrisme sur leur territoire, tous les responsables politiques sont susceptibles d’être considérés par les mouvements islamistes comme des cibles pour l’exercice de leur influence. Au regard de ce constat, les élus sur le territoire desquels se trouve un écosystème islamiste déjà établi sont les plus exposés à cette menace. Ils peuvent par ailleurs être mis en cause pour les décisions qu’ils prennent, alors qu’ils ne disposent pas toujours de toute l’information nécessaire pour apprécier si elles répondent à des demandes légitimes ou des revendications idéologiques. Ils sont ainsi souvent en première ligne ;
– au niveau national, les liens entre des représentants politiques et des individus proches de mouvements islamistes sont plus particulièrement préoccupants s’agissant d’élus d’un parti politique, La France insoumise. En effet, certains élus nationaux ou européens affichent une proximité, voire manifestent un soutien, à des personnes connues pour propager l’idéologie islamiste ou condamnées pour apologie du terrorisme. Cette situation, en ce qu’elle relaie des discours de division et de rejet de nos principes républicains, doit interpeller tous les responsables politiques et amener à affirmer fermement le caractère irresponsable de tels comportements.
Partie III – Lutter avec davantage de fermetÉ contre le sÉparatisme et l’entrisme et tenir un discours clair de dÉfense des valeurs de la rÉpublique
Si des mouvements islamistes semblent bien implantés sur notre territoire, les pouvoirs publics ne sont pas restés inactifs :
– dès les années 1980, un cadre législatif et opérationnel est mis en place pour lutter contre le terrorisme et les actions violentes de ces mouvements. Ce dernier a été profondément consolidé à la suite des attentats de 2015 ;
– à compter de 2020, s’engage une action visant plus spécifiquement les manifestations non violentes de l’islamisme, à savoir notamment les stratégies de séparatisme et la constitution de réseaux d’associations cultuelles ou culturelles au financement opaque. La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République impose davantage de transparence dans le financement des associations cultuelles, élargit les motifs pouvant justifier la dissolution administrative d’une association et introduit de nouveaux délits dans notre législation ;
– une nouvelle étape est en cours d’élaboration pour renforcer le cadre existant et l’élargir à la lutte contre l’entrisme. Annoncées par le Président de la République le 7 juillet 2025, à l’issue d’un conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), plusieurs mesures complémentaires – notamment en matière d’entraves administratives – devraient être prochainement présentées par le Gouvernement.
Il ressort nettement des auditions conduites par votre rapporteur que, si la France s’est ainsi dotée d’un cadre juridique parmi les plus robustes en Europe en matière de lutte contre l’islamisme, certaines mesures complémentaires doivent être prises de manière urgente pour intensifier la lutte contre le séparatisme et, surtout, traiter spécifiquement les phénomènes d’entrisme à l’œuvre auprès des décideurs et des acteurs publics. Cette nouvelle étape, pour être efficace, devra s’accompagner d’une prise de conscience des élus, des acteurs cultuels, culturels, économiques et sociaux, et plus généralement, du grand public, sur la nécessité de défendre les valeurs de la République pour le bénéfice de tous.
I. MalgrÉ un cadre juridique dÉsormais parmi les plus robusteS en Europe, les pouvoirs publics ne sont pas encore pleinement outillÉs pour lutter contre l’islamisme
A. Au cours des derniÈres annÉes, les pouvoirs publics se sont dotÉs de nouveaux outils pour lutter contre le terrorisme et le sÉparatisme islamistes
1. Le cadre juridique de la lutte contre le terrorisme a été renforcé à la suite des attentats de 2015
Les attentats de 2015 ont marqué un tournant dans l’appréhension juridique et opérationnelle du phénomène terroriste islamiste et, plus généralement, des actes violents commis au nom de cette idéologie.
Le cadre législatif applicable à la lutte contre le terrorisme, prévu depuis 1986 ([524]), a ainsi été profondément consolidé au cours des années qui ont suivi ces attentats, par ailleurs marquées par la mise en œuvre à plusieurs reprises de l’état d’urgence ([525]).
● La loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, en cours de préparation avant les attentats de Charlie Hebdo, renforce les capacités de collecte d’informations des services de renseignement.
● La loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale accorde aux juges et aux procureurs de nouveaux moyens d’investigation et renforce les possibilités de contrôle des lieux accueillant des rassemblements publics.
● L’ordonnance n° 2016-1575 du 24 novembre 2016 portant réforme du dispositif de gel des avoirs dispose que le ministre chargé de l’économie et le ministre de l’intérieur peuvent décider conjointement, pour une durée de six mois renouvelable, le gel des fonds et ressources économiques « qui appartiennent à, possédés, détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent », ainsi qu’à des personnes ou entités qui leur sont rattachées ([526]).
Du 1er janvier 2017 au 27 octobre 2025, 287 arrêtés de gel de fonds et de ressources économiques ont été pris concernant 23 personnes morales et 305 personnes physiques relevant de l’islam radical (88 % des mesures de gels concernent des individus pro-djihadistes) ([527]).
● La loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT », a notamment intégré dans le régime de droit commun des mesures qui relevaient jusqu’à présent du régime dérogatoire de l’état d’urgence.
Par exemple, les services de l’État ont désormais la possibilité de procéder à la fermeture de lieux de culte aux fins de prévenir la commission d’actes de terrorisme, dans le cas ou « les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes » ([528]).
Selon la DLPAJ, 13 arrêtés de fermeture de lieux de culte ont été prononcés pour ce motif depuis 2017. Le service précise que « Ces mesures ont démontré leur efficacité d’une part, en conduisant les lieux de culte prônant un islam radical à fermer définitivement ou au moins à changer de prédicateurs et d’autre part, en jouant un rôle dissuasif pour les autres lieux de culte. Toutefois, à l’instar des mesures de gel des fonds et ressources économiques, la diminution des fermetures provisoires de lieux de culte (6 entre 2017 et 2018 contre 1 depuis 2022) s’explique aussi par la stratégie de dissimulation des acteurs visés qui ne tiennent plus publiquement des propos incitant au terrorisme notamment » ([529]).
● L’article 69 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice crée un parquet national antiterroriste (Pnat) près le tribunal de grande instance de Paris, mis en place le 1er juillet 2019. Le Pnat est compétent pour les infractions terroristes, les infractions relatives à la prolifération d’armes de destruction massive, les crimes contre l’humanité, les crimes et délits de guerre et les crimes de tortures et de disparitions forcées commises par les autorités étatiques.
● La loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement prévoit notamment de pérenniser des dispositions temporaires prévues par la loi SILT et de renforcer les compétences des services de renseignement.
Ces évolutions législatives ont par ailleurs été complétées par des mesures réglementaires et opérationnelles visant à mobiliser les différents acteurs compétents et à assurer leur coordination.
Les cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (Clir)
Les Clir résultent de la circulaire du 27 novembre 2019 relative à la lutte contre l’islamisme et contre les différentes atteintes aux principes républicains, et de la circulaire du ministre de l’intérieur du 13 janvier 2020 relative à la doctrine de mise en place des Clir.
Instance interministérielle et opérationnelle de pilotage et de coordination départementale présidée par le préfet, la Clir est « caractérisée comme étant un lieu de confidentialité partagée et une instance de prise de décision globale, via la mobilisation de tous les acteurs pertinents » ([530]). Leur but est « de mieux détecter les comportements séparatistes ; les réponses apportées peuvent aller jusqu’à la fermeture de structures, voire des dissolutions en cas de propos incitant à la haine ou discriminants, donc contraires aux lois de la République ». Les élus ne sont pas systématiquement associés aux Clir, certains préfets ne l’estimant pas souhaitable. Le ministre de l’intérieur considère pourtant que « le principe même des Clir que je citais est d’associer les élus : la détection et l’entrave ne relèvent pas uniquement des services de renseignements, à la différence de la radicalisation violente. N’importe quel élu peut faire une détection et dispose des moyens de couper une subvention. C’est donc un collectif qui intervient : les services de la préfecture, les services de renseignement, les services de l’éducation nationale… bref l’ensemble des services. L’association des maires est donc essentielle, comme elle le sera pour l’entrisme » ([531]).
Julien Charles, préfet de la Seine-Saint-Denis a souligné que les Clir « ont trouvé leur place et fonctionnent de mieux en mieux » ([532]). Le préfet Alexandre Brugère indique quant à lui que « La Clir est un outil très efficace pour faciliter la circulation de l’information en confiance entre les services de l’État et faire converger les actions d’entrave. Cette logique de décloisonnement permet notamment de mieux articuler les efforts de chacun et diligenter des contrôles multiservices » ([533]).
Une Clir à compétence nationale (Clir-N) a été instituée par le Premier ministre en janvier 2022, afin de traiter les dossiers d’envergure nationale ou communs à un grand nombre de territoires et réunissant les administrations centrales des ministères concernés, placée sous l’égide du ministère de l’intérieur et coordonnée par le SG‑CIPDR. Depuis 2022, trois Clir-N ont été lancées, sur les champs éducatifs et sportifs. Le ministère de l’intérieur indique qu’une Clir-N dédiée à l’économie communautaire est en conception.
2. La loi du 24 août 2021 complète ce cadre juridique par des mesures dédiées à la lutte contre les actions islamistes non-violentes et les phénomènes de séparatisme
Lors de son discours aux Mureaux le 2 octobre 2020, le Président de la République déclare « Le problème, c’est le séparatisme islamiste. Ce projet conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société et dont les manifestations sont la déscolarisation des enfants, le développement de pratiques sportives, culturelles communautarisées qui sont le prétexte pour l’enseignement de principes qui ne sont pas conformes aux lois de la République. C’est l’endoctrinement et par celui-ci, la négation de nos principes, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité humaine. Le problème, c’est cette idéologie, qui affirme que ses lois propres sont supérieures à celles de la République » ([534]).
La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite « CRPR » prévoit ainsi un certain nombre de mesures visant à lutter contre ce phénomène au travers de deux axes principaux :
– garantir le respect des lois et des principes de la République dans tous les domaines exposés à des risques séparatistes, notamment dans les services publics, dans le monde associatif, ainsi qu’en matière d’égalité femmes-hommes, d’éducation ou encore de lutte contre les discours et les pratiques qui encouragent à la haine ;
– adapter le régime d’organisation des cultes, issu de la loi du 9 décembre 1905, aux difficultés rencontrées sur le terrain (de nombreuses associations cultuelles privilégiant le régime associatif prévu par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association).
Comme l’a souligné le garde des Sceaux, ministre de la justice, « Ce texte, partant d’un constat très lucide, [vise] à lutter contre l’islamisme radical et à combattre l’imposition aux habitants français de normes parallèles, les attitudes de défiance à l’égard des lois de la République, la promotion d’une inégalité entre les femmes et les hommes, les atteintes à la liberté de conscience ou à la liberté d’enseigner » ([535]).
a. Garantir le respect des lois et des principes de la République
● La loi CRPR crée un « déféré laïcité » qui permet au préfet de déférer au tribunal administratif un acte d’une collectivité territoriale de nature à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, en l’assortissant éventuellement d’une demande de suspension ([536]). Le juge administratif dispose alors d’un délai de quarante-huit heures pour statuer, sa décision étant susceptible d’appel devant le Conseil d’État dans les quinze jours.
Ce recours a été mis en application pour la première fois par le préfet de l’Isère en mai 2022, au sujet d’une délibération du conseil municipal de Grenoble sur le règlement intérieur des piscines municipales autorisant le port du burkini ([537]).
● La loi institue un délit de séparatisme, défini comme « le fait d’user de menaces ou de violences ou de commettre tout autre acte d’intimidation à l’égard de toute personne participant à l’exécution d’une mission de service public, afin d’obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service » ([538]). Ce délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
● La loi renforce le contrôle par l’État des associations, y compris s’agissant des associations et fédérations sportives.
Un contrat d’engagement républicain (CER) doit désormais être souscrit par toute association ou fondation qui sollicite l’octroi d’une subvention publique ([539]). En application de ce dispositif, le préfet de la Vienne a par exemple demandé respectivement à la maire de Poitiers et à la présidente de Grand Poitiers de retirer leurs subventions attribuées à l’association Alternatiba du fait du non‑respect du CER signé par cette association ([540]), laquelle organisait des ateliers de formation aux actions de désobéissance civile.
La liste des motifs de dissolution des associations ou groupements de fait inscrite à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure est complétée, ceux-ci pouvant à présent se voir imputer des agissements commis par leurs membres, agissant en cette qualité, ou des agissements directement liés à leurs activités ([541]). Comme le souligne le ministère de l’intérieur « l’intérêt des dissolutions administratives est triple. Tout d’abord, elles ont un intérêt symbolique, car cette mesure infamante marque l’association au fer rouge – et ce, d’autant plus qu’elle est exceptionnelle. Ensuite, cela permet de désorganiser la structure et de l’empêcher de poursuivre ses activités. Enfin, il y a des sanctions pénales à la clé en cas de reconstitution de ligue dissoute » ([542]).
Les services du ministère de l’intérieur indiquent que depuis 2017, 16 associations ou groupements de fait relevant de la mouvance islamiste ont été dissous, pour un motif d’incitation à la haine, la violence ou la discrimination. Quinze d’entre eux ont également été dissous pour des faits de terrorisme et deux pour provocation à des agissements violents ([543]).
Par ailleurs, la loi CRPR a sensiblement renforcé les moyens juridiques à disposition de l’autorité administrative pour exercer sa mission de contrôle des fonds de dotation ([544]) qui, comme l’indique l’IGA, sont devenus les structures les plus dynamiques du mécénat ([545]). L’inspection précise qu’une quinzaine de fonds de dotation ont été identifiés comme étant le support de financements d’initiatives séparatistes. Le ministère de l’intérieur ajoute que « Quatre ans après le vote de la loi, plus d’une vingtaine de fonds de dotation séparatistes au sens large ont fait l’objet soit d’une dissolution judiciaire soit d’une suspension administrative, qui en est le préalable » ([546]).
Depuis 2021, onze fonds de dotation ont été dissous par le juge judiciaire et huit autres sont actuellement suspendus par arrêté préfectoral, dont trois font l’objet d’une procédure de dissolution judiciaire ([547]).
Régime de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait
La dissolution d’une association ou d’un groupement de fait est prononcée par décret en Conseil des ministres sur le fondement de l’un des sept motifs énoncés à l’article L. 212‑1 du code de la sécurité intérieure. La DLPAJ précise que « s’agissant des groupes relevant de l’islam radical, elle est prise aux motifs de la provocation à la discrimination, la haine ou la violence (6° de l’article L.212-1 CSI) et/ou des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger (7°) » ([548]).
Aussi, si les dissolutions administratives sont plus fréquentes, notamment depuis 2015, cette dynamique s’est accrue depuis la loi CRPR ([549]). Ont ainsi été dissous :
– en octobre 2020, l’association « Barakacity », pour propagation d’idées « prônant l’islamisme radical » ([550]) ;
– en décembre 2020, le groupement « Association de défense des droits de l’homme – Collectif contre l’islamophobie en France » (CCIF), au motif qu’il avait qualifié d’islamophobes des mesures prises dans le but de prévenir des actions terroristes et de prévenir ou combattre des actes punis par la loi et qu’il « distillait, par la publication de ses propres statistiques ou ses dénonciations, un message consistant à faire passer pour islamophobe tout acte ou événement mettant en cause des personnes de confession musulmane ». Le Conseil d’État a rejeté le recours formé contre cette décision, considérant notamment que « Le CCIF entretenait toujours, à la date du décret attaqué, des liens étroits avec des tenants d’un islamisme radical invitant à se soustraire à certaines lois de la République » ([551]) ;
– en octobre 2021, l’association « Coordination contre le racisme et l’islamophobie » (CRI), au motif que « la CRI […] légitime directement ou indirectement, le recours à la violence contre les forces de l’ordre ou à des représailles contre les auteurs d’actes qu’elle prétend islamophobes » ([552]) ;
– en mars 2022, le groupement de fait « Collectif Palestine Vaincra », lequel « témoign[ait] régulièrement de son soutien à des organisations reconnues comme terroristes par l’Union européenne ou à leurs membres, présentant les membres du Jihad islamique palestinien comme des martyrs » ([553]) ;
– en juin 2024, l’association « Jonas Paris », qui « diffus[ait] auprès de jeunes élèves, un enseignement relevant de l’islam radical, prônant la supériorité de la charia, rejetant les valeurs de la République française et ses institutions et incitant à la violence » ([554]) ;
– en avril 2024, le groupement de fait « Sciences & éducation », au motif qu’il « promeut en réalité une pratique radicale de l’islam, légitime le recours au djihad armé, la mort en martyr ainsi que l’instauration de la charia, justifie le recours à l’action violente et contribue à attiser les tensions » ([555]) ;
– en septembre 2025, l’association « Institut Européen des Sciences Humaines (IESH) » de Château-Chinon en raison, notamment, de ses liens présumés avec « la fédération Musulmans de France, principale représentation de la mouvance frériste en France » et considérant « qu’en marge de son objet officiel tel qu’il résulte de la lecture de ses statuts, l’association assure en réalité, auprès des élèves qu’elle accueille, y compris des mineurs, ou à distance, la promotion d’une idéologie qui légitime les agissements violents à l’encontre des personnes, provoque à la discrimination, à la haine et à la violence à l’égard des non-musulmans, des femmes, des homosexuels et légitime la guerre sainte » ([556]).
● Pour lutter contre la « haine en ligne », il est en outre créé un délit de mise en danger d’autrui par la diffusion d’informations sur la vie privée, familiale ou professionnelle, puni de cinq ans de prison et de 75 000 euros d’amende si la victime est un agent public, un élu ou un journaliste ou si elle est mineure ([557]).
● Enfin, s’agissant de l’instruction des enfants et de diverses mesures portant sur la famille, la loi renforce le contrôle de l’instruction scolaire en famille, désormais soumise à autorisation, et dans les écoles privées hors contrat. Elle affermit la protection de la dignité humaine et des droits des femmes contre les pratiques contraires aux valeurs de la République, notamment en renforçant la protection des héritiers de biens situés en France lorsque la succession relève d’une loi étrangère qui ne reconnaît pas l’égalité des enfants héritiers et, en luttant contre les mariages forcés. Ces dispositions, qui ont une finalité plus large que la lutte contre le séparatisme, y contribuent en défendant nos valeurs communes.
b. Actualiser les dispositions relatives aux cultes
La loi CRPR modifie la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État et la loi du 2 janvier 1907 sur l’exercice public des cultes en vue notamment d’adapter le régime administratif des cultes aux difficultés posées par certaines associations.
● Le contrôle des associations cultuelles et des lieux de culte est renforcé. Afin de protéger les associations gérant un culte d’une prise de contrôle par des mouvements radicaux, la loi CRPR a réformé leur gouvernance en imposant la collégialité au sein des instances dirigeantes (clause dite « anti-putsch ») ([558]). Le ministère de l’intérieur précise que « Ce dispositif, couplé aux autres instruments de la loi CRPR, est un outil pertinent pour prévenir l’entrisme dans les associations bénéficiant des avantages propres aux associations cultuelles » ([559]). Par ailleurs, ces associations doivent effectuer une déclaration auprès du préfet tous les cinq ans, qui peut s’y opposer si l’association ne remplit pas les conditions prévues par la loi. Selon les services du ministère de l’intérieur « Seules quelques rares déclarations, tous cultes confondus, ont fait l’objet d’une opposition en préfecture. Les motifs d’opposition reposent principalement sur l’absence d’objet cultuel, sur les questions comptables et, plus ponctuellement, sur l’ordre public. Le faible taux d’opposition démontre une assez bonne appropriation de la loi par les représentants d’associations » ([560]).
Les obligations de déclaration comptable des associations cultuelles ont par ailleurs été durcies, notamment en matière de dons provenant de l’étranger ([561]). Les obligations des associations dites mixtes relevant de la loi de 1907 exerçant un culte ont par ailleurs été alignées sur celles des associations régies par la loi de 1905.
La loi CRPR renforce la transparence sur les avantages pouvant être accordés par les collectivités locales (amendement dit « mosquée de Strasbourg » ([562])), soumettant toute garantie publique pour un emprunt ou un bail emphytéotique à une information préalable du préfet ([563]).
● La loi CRPR a en outre actualisé les dispositions de la loi de 1905 en matière de police des cultes ([564]) :
– les provocations à « résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique » ([565]) commises par un ministre des cultes sont désormais punies de cinq ans d’emprisonnement ;
– il est interdit de diffuser de la propagande électorale ou d’organiser des opérations de vote dans les lieux de culte ([566]) ;
– toute personne condamnée pour actes de terrorisme ne peut désormais diriger ou administrer une association cultuelle pour une durée de dix ans (en cas de provocation ou d’apologie du terrorisme, cette durée est réduite à 5 ans) ;
– le préfet peut prononcer la fermeture temporaire d’un lieu de culte, pour une durée n’excédant pas deux mois, en cas d’agissements incitant à la haine ou à la violence. Ainsi, le préfet des Bouches-du-Rhône a pris un arrêté de fermeture temporaire de la mosquée des Bleuets à Marseille sur le fondement des dispositions de l’article 36-3 de la loi du 9 décembre 2025. Le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a néanmoins suspendu l’exécution de cette décision par une ordonnance du 11 octobre 2025, considérant que la mesure n’était pas proportionnée à l’objectif de prévention de propos incitant à la haine et la violence ([567]).
3. La France dispose en outre de différents moyens pour nuire aux intérêts financiers des mouvements islamistes et à leurs soutiens étrangers
● Si la loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France ne vise pas spécifiquement l’islamisme, plusieurs dispositions peuvent trouver à s’appliquer en la matière :
– elle crée un registre des activités d’influence réalisées pour le compte d’un mandant étranger (puissances étrangères hors Union européenne, personnes morales dirigées par celles-ci, partis ou groupements politiques étrangers) ([568]), tenu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et distinct du registre sur les représentants d’intérêts créé par la loi dite « Sapin 2 » de 2016 ([569]). Ce registre est mis en place à partir du 1er octobre 2025 ([570]) ;
– elle étend la procédure de gel des avoirs financiers, autorisée en matière de terrorisme, aux affaires d’ingérences étrangères, en définissant la notion d’acte d’ingérence dans le code monétaire et financier comme un « agissement commis directement ou indirectement à la demande ou pour le compte d’une puissance étrangère et ayant pour objet ou pour effet, par tout moyen, y compris par la communication d’informations fausses ou inexactes, de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, au fonctionnement ou à l’intégrité de ses infrastructures essentielles ou au fonctionnement régulier de ses institutions démocratiques » ([571]). Ainsi, les avoirs financiers de Shahin Hazamy, présenté par plusieurs personnes auditionnées comme un relais d’influence du régime iranien, ont été gelés ([572]).
● La loi n° 2025-532 du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic a également des incidences sur les outils pouvant être utilisés en matière de lutte contre l’islamisme et le séparatisme. Elle élargit en effet les capacités de collecte de renseignements par le service de renseignement financier Tracfin et étend les obligations de déclaration d’opérations suspectes à de nouveaux professionnels.
4. La recomposition des services de renseignement a garanti une meilleure coordination des services dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et le séparatisme
L’organisation des services de renseignement a été modifiée pour mieux intégrer la lutte contre la radicalisation, la prévention du terrorisme et les phénomènes séparatistes. Un rôle de chef de filât a ainsi été confié à certains services.
● La DGSI est cheffe de file en matière de lutte contre la radicalisation et le terrorisme depuis 2018. Selon la DRPP, cela « a considérablement renforcé la coopération et l’efficience du traitement des objectifs » ([573]).
● La DNRT est cheffe de file du renseignement en matière de lutte contre les extrémismes violents (mouvements d’ultra-droite, d’ultra-gauche, contestation sociale violente) depuis 2023. Le service indique qu’à la suite de cette décision, « la coordination entre les services de renseignement s’est grandement améliorée (partage de l’état de la menace, couverture interservices de grands évènements, rédaction de panoramas thématiques et transversaux, etc.) » ([574]). La DNRT est également compétente en matière de lutte contre la radicalisation islamiste à potentialité violente, pilotée et animée par la DGSI.
● La DNRT coordonne l’action des services de renseignement s’agissant de la lutte contre le séparatisme et l’entrisme islamistes, en collaboration avec la DLPAJ. Selon les informations transmises à votre rapporteur, « L’attribution de cette fonction à la DNRT a déjà permis de mieux coordonner l’activité opérationnelle des services de renseignement (ciblage des objectifs prioritaires, rédaction de notes communes, etc.). Nous sommes chargés de l’animation des services de renseignement, tandis que la DLPAJ travaille davantage sur l’animation des départements, auprès des préfets, et sur la mise en œuvre des mesures dites d’entrave administrative » ([575]).
La DRPP assure le même rôle sur son ressort territorial. Ce service indique que « Si la DRPP a déjà profondément modifié depuis 2019, année de mise en place des Clir, ses processus de travail pour prendre en compte la mission de lutte contre le séparatisme, elle a à nouveau modifié sa doctrine et ses modalités de travail pour intégrer la lutte contre l’entrisme. Elle s’est ainsi adaptée en se réorganisant en interne, en rehaussant la nature et le niveau des objectifs proposés en Clir, en ciblant davantage notamment les écosystèmes séparatistes et les acteurs de l’entrisme en particulier fréristes » ([576]).
● Le service de traitement du renseignement et d’action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin), qui constitue le service chargé du renseignement financier, identifie notamment les flux financiers « organisant ou contribuant à assurer le financement de mouvements terroristes potentiellement actifs sur le territoire national » ([577]) en lien avec les autres services de renseignement du premier cercle ([578]). S’agissant du financement des cultes, ce service exerce « la surveillance des flux étrangers qui peuvent bénéficier à des lieux de culte dans le cadre de la loi confortant le respect des principes de la République (CRPR), en coopération avec le ministère de l’intérieur » ([579]).
● Enfin, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), placé auprès du premier ministre, coordonne les travaux interministériels relatifs à la politique de défense et de sécurité nationale. Il suit notamment l’évolution des crises et des conflits internationaux qui peuvent affecter les intérêts de la France en matière de défense et de sécurité et concourt à l’adaptation du cadre juridique dans lequel s’inscrit l’action des services de renseignement, à la planification de leurs moyens et à l’organisation des groupes interministériels d’analyse et de synthèse en matière de renseignement. Il compte également trois services à compétences nationale que sont l’Anssi, le « bouclier cybersécuritaire » français, l’opérateur des systèmes d’information interministériels classifiés (OSIIC), et Viginum dont la mission centrale est de détecter les manipulations de l’information menées en France par des entités ou des États étrangers.
Le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum)
Créé par le décret n° 2021-922 du 13 juillet 2021 ([580]), le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) est un service à compétence nationale rattaché au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), lui-même placé auprès du Premier ministre.
Viginum coordonne et anime les travaux interministériels en matière de protection contre des opérations d’ingérence numérique étrangères. Il est ainsi chargé d’identifier « les opérations impliquant de manière directe ou indirecte un état étranger ou une entité non-étatique étrangère, qui visent à la diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée, par le biais d’un service de communication au public en ligne, d’allégations ou imputations de faits manifestement inexacts ou trompeurs, de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » ([581]).
Le service Viginum développe des outils technologiques et techniques afin de détecter et d’identifier les ingérences numériques étrangères. Depuis sa création, le service fait face à une sophistication technologique croissante des ingérences numériques étrangères notamment dans l’usage d’outils technologiques sur les réseaux sociaux. Le SGDSN indique ainsi être confronté « à l’accélération des évolutions technologiques numériques qui servent à des attaques de plus en plus sophistiquées de nos adversaires » ([582]), notamment en raison du recours à l’intelligence artificielle et de l’absence de modération des plateformes.
L’une des missions de Viginum est également de mettre à disposition des ressources documentaires ou techniques afin de donner la capacité à la société civile de « comprendre les infrastructures numériques et les technologies utilisées contre nous » ([583]).
Au regard de ces différentes avancées législatives et opérationnelles, la DLPAJ souligne que « la France est citée en exemple pour son dispositif très complet et ses capacités à gérer le phénomène séparatiste – à tel point que plusieurs pays souhaitent s’inspirer des dispositions votées dans le cadre de la loi CRPR en 2021. La France est aux avant-postes au niveau européen, à la fois en ce qui concerne la prise de conscience collective et la mobilisation administrative face à ce phénomène » ([584]).
Si ce constat est positif, la réalité de terrain décrite lors des auditions, notamment la présence d’écosystèmes séparatistes relativement aboutis sur notre territoire et les tentatives d’entrisme touchant tous les domaines de la vie publique, démontrent que des avancées sont encore nécessaires pour appréhender de manière efficace ces phénomènes.
B. Les limites des outils en vigueur face À une menace en constante évolution
Les pouvoirs publics, malgré les divers outils dont ils disposent désormais, peinent encore à répondre pleinement à la menace de l’islamisme politique.
Cela tient à une méconnaissance ou à une sous-utilisation de ces outils, et aux difficultés à caractériser concrètement le séparatisme et l’entrisme islamistes. Par ailleurs, les débats publics fortement polarisés sur ces questions ne facilitent pas la conscientisation de ces menaces par les décideurs et acteurs publics.
1. Des outils insuffisamment mobilisés face à des acteurs qui s’adaptent
a. Les limites des outils en vigueur
● Les premières évaluations des outils mis en place au cours des dernières années, notamment par la loi CRPR, dressent un bilan mitigé de leur application.
Ainsi, si l’IGA estime que la loi CRPR est allée aussi loin que possible dans l’adaptation du cadre juridique applicable à la lutte contre le séparatisme, elle indique toutefois que la mise en œuvre de la loi est partielle ([585]).
Portant un regard plus critique, la mission d’évaluation conduite au Sénat juge que les mesures adoptées dans cette loi « n’ont que marginalement contribué à garantir le respect des principes de la République » ([586]). Elle ajoute : « Si certaines dispositions de la loi CRPR se sont effectivement avérées utiles – bien qu’inégalement appliquées sur le territoire et parfois pour d’autres finalités que celles initialement envisagées (ainsi les dispositions destinées à la lutte contre la haine en ligne ou celles relatives à la dissolution d’association) –, force est de constater que la plupart d’entre elles soit n’ont pas été suivies d’effets dans la pratique, soit sont passées à côté de la cible qui leur avait été assignée » ([587]).
Sans faire un bilan exhaustif des mesures adoptées au cours des dernières années, votre rapporteur observe, à la lumière des auditions, que la pleine application de ces mesures se heurte à certaines limites, par exemple s’agissant des dissolutions de fonds de dotation qui ne peuvent aujourd’hui être prononcées que par l’autorité judiciaire, ou encore s’agissant de la transmission de certaines informations fiscales aux services en charge de prendre des mesures d’entrave administrative.
● Comme le souligne le SG-CIPDR, les pouvoirs publics ne se sont en outre pas encore pleinement saisis de certains outils : « Cette loi est récente et les dispositifs administratifs sont encore en phase de rodage. Nous avons évoqué un certain nombre de dispositifs légaux, mais les décideurs doivent se les approprier » ([588]).
Ainsi, le flux pénal concernant les nouveaux délits créés par la loi reste limité, s’agissant notamment du :
– délit d’atteinte à la liberté d’exercer un culte ou de s’abstenir de l’exercer ([589]), qui n’a toujours pas été mobilisé à ce jour ([590]) ;
– « délit de séparatisme » ([591]) sur le fondement duquel ont été prononcées dix condamnations ([592]).
Il en va de même pour le « déféré-laïcité » auquel, selon la DLPAJ, il n’a été recouru qu’une vingtaine de fois jusqu’à présent : pour l’affaire du burkini à Grenoble en 2021 ; au sujet d’une banderole pro-palestinienne installée au fronton de la mairie à Montfermeil en 2024 ; et à propos du pavoisement de drapeaux palestiniens ou de drapeaux israéliens sur les façades d’hôtels de ville en 2025 ([593]). La DLPAJ relativise toutefois cette faible utilisation : « le Conseil d’État a considéré que si un dispositif est utilisé quelques fois, c’est qu’il est utile et légitime. Ensuite, il faut savoir que de nombreux cas sont réglés avant même le déféré, comme c’est le cas sur bien d’autres sujets : il suffit souvent que le préfet attire l’attention du maire sur la difficulté, lequel comprend le problème et retire son acte ou sa délibération. C’est donc bien un outil puissant. Qu’il n’ait pas été davantage utilisé peut plutôt nous rassurer : on n’a pas eu énormément besoin d’y recourir » ([594]).
C’est le cas aussi de certains outils numériques et de lutte contre les ingérences, que le SGDSN invite à utiliser plus offensivement : « Nous avons entre nos mains des instruments comme la dénonciation publique, la publication de rapports et la prise de sanction à titre national ou européen contre des acteurs étrangers. Nous avons également des outils judiciaires et réglementaires entre les mains de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) et de la Commission européenne, au titre du DSA. Ce panel d’instruments est efficace, mais nous devons l’utiliser de façon plus offensive pour mieux nous protéger et mieux protéger la nation » ([595]).
● La mise en œuvre de certaines mesures, notamment à l’encontre des personnes physiques et morales, peut également générer une réponse contentieuse. Les services de l’État doivent ainsi présenter des dossiers solides, documentés et argumentés pour justifier des mesures d’entraves qu’ils prennent.
Par exemple, dans le cas de l’expulsion de l’imam Hassan Iquioussen, décidée par un arrêté du ministre de l’intérieur du 29 juillet 2022, le juge des référés avait suspendu la décision en jugeant que son expulsion présenterait un caractère disproportionné et serait prononcée en violation manifeste du droit au respect de sa vie privée et familiale ([596]). Le Conseil d’État l’a toutefois confirmée ([597]). Dans le cadre de la procédure au fond, après avoir apprécié le degré de gravité des propos et agissements reprochés à Hassan Iquioussen, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa requête tendant à ce que soit annulée la mesure d’expulsion ([598]). Pour la DLPAJ : « la bataille juridictionnelle autour de son expulsion a été tout sauf simple » ([599]).
Il en va de même dans le cas de la résiliation du contrat d’association liant l’État au lycée Averroès, mise en œuvre par le préfet du Nord le 7 décembre 2023, suite à la détection de possibles financements illicites et de carences parmi les ressources pédagogiques mises à la disposition des élèves. Le juge a toutefois annulé en avril 2025 la décision du préfet, en jugeant que la condition tenant à l’existence de manquements graves au droit n’était pas remplie et que la procédure suivie était entachée d’irrégularités. La ministre de l’éducation nationale de l’époque avait alors annoncé souhaiter faire appel de cette dernière décision ([600]).
b. Des décideurs publics encore insuffisamment sensibilisés à la menace
La faible appropriation des outils de lutte contre le séparatisme tient aussi au fait que les décideurs publics demeurent trop peu conscients de la menace que constitue l’islamisme pour nos principes républicains.
● Il ressort des travaux de la commission que, sauf exception, l’action des élus locaux dépend avant tout des informations dont ils disposent.
Or, les actions de sensibilisation menées par l’État demeurent perfectibles, comme l’indique Nicolas Lerner en faisant référence à ses années passées à la tête de la DGSI : « Le deuxième axe, qui relève du travail des services de renseignement intérieurs, concerne la sensibilisation menée auprès des élus de la République. Je garde de mes cinq années passées à la DGSI un certain goût d’inachevé concernant le travail que nous avons réussi ou non à accomplir auprès des élus, français et européens » ([601]). Dans le même sens, le rapport de l’IGA indique que les objectifs fixés par la loi CRPR en matière de formation des agents publics à la laïcité sont inatteignables et doivent être revus ([602]).
Ainsi, votre rapporteur constate que le travail de conscientisation des décideurs publics, entrepris notamment par la loi CRPR, le rapport sur les Frères musulmans et l’islamisme politique ([603]) et des actions concrètes menées dans certains territoires par les préfets, reste à poursuivre.
Il apparaît également que les maires ne s’estiment pas suffisamment informés par les services de l’État. Ainsi, si certains maires auditionnés ont estimé être correctement informés de situations potentiellement problématiques sur leur territoire, Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, relevait que dans cette ville, « il y a eu des questions autour de l’islamisme radical. Pour autant, nous ne sommes pas toujours associés par l’État au suivi individuel de telle ou telle personne. Cela dépend beaucoup de nos interlocuteurs, préfets ou directeurs de cabinet. À cet égard, je recommanderais d’institutionnaliser davantage ces procédures. La loi nous donne le droit de recevoir certaines informations dès lors que nous signons des chartes de confidentialité, mais je constate qu’elle est diversement appliquée. Cela nous laisse démunis pour anticiper certaines situations. Il serait pertinent que nous soyons informés que telle personne que nous recevons ou que nous croisons dans la rue fait l’objet d’une vigilance. Or nous n’avons pas ces informations. C’est regrettable » ([604]).
Constatant ne pas systématiquement recevoir d’informations de la part du renseignement territorial, il indiquait : « C’est un problème. Disons-le, cela interroge la réalité des capacités opérationnelles de ce service, qui ont été beaucoup affaiblies ces dernières années. Je regrette qu’il n’y ait pas d’institutionnalisation permettant des informations descendantes, pas plus qu’un lieu où partager les informations ascendantes de manière confidentielle et sécurisée. Nous, les maires, pourrions et devrions être mieux intégrés à la chaîne d’information du renseignement territorial. Concrètement, il existe une cellule de lutte contre la radicalisation et l’islamisme, mais nous ne nous sommes vus qu’une fois, avec un ancien directeur de cabinet du préfet, en 2021. Nous n’avons pas de relations de travail régulières » ([605]).
La situation semble ainsi très variable sur le terrain selon les élus et selon les représentants de l’État et leurs services. Si ce constat ne remet pas en cause les bonnes relations que peuvent entretenir ces acteurs locaux dans la grande majorité des cas, il n’en reste pas moins qu’il peut en résulter un défaut d’information problématique au regard de la menace que présentent certains individus propageant l’idéologie islamiste.
● Les alertes de l’État ne suffisent par ailleurs pas toujours à faire réagir certains élus. Pour la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio : « certains [maires], qu’ils soient de droite ou de gauche, ne luttent pas avec toute la détermination souhaitable. Je l’ai toujours affirmé et ils sont présents y compris au sein de ma propre famille politique » ([606]).
Ce constat semble parfois tenir à des divergences d’appréciation politique sur les actes susceptibles de porter atteinte à la laïcité ou à la neutralité du service public.
Par exemple, alors que plusieurs maires avaient annoncé leur intention de pavoiser le fronton de leurs mairies aux couleurs du drapeau palestinien à l’occasion de la reconnaissance de la Palestine par la France, en septembre 2025, le ministre de l’intérieur de l’époque, Bruno Retailleau, avait estimé que cela aurait été contraire au principe de neutralité du service public et avait demandé aux préfets d’alerter ces maires et, au besoin, de saisir la justice administrative. La préfecture de la Seine-Saint-Denis a ainsi rappelé : « Il y a quelques semaines, nous avons connu une vague de déploiement de drapeaux palestiniens sur les façades de quatorze hôtels de ville du département, à laquelle nous avons répondu par des déférés systématiques auprès de la juridiction administrative. L’État a été à cette occasion accusé de vouloir "invisibiliser" la cause palestinienne – ce à quoi il était facile de répondre que, depuis le début de l’année, quatre‑vingt-cinq manifestations déclarées en faveur de la Palestine ont été déclarées et aucune interdite » ([607]). Si le juge administratif, saisi par plusieurs préfets au moyen du « déféré-laïcité » ([608]), a enjoint à ces communes de procéder au retrait de ce drapeau, toutes n’ont pas exécuté cette décision ([609]).
Ces divergences politiques peuvent contraindre l’État à agir pour pallier les carences du maire, comme ce fut le cas pour le préfet des Hauts-de-Seine, à Colombes : « Lorsque j’ai découvert que le directeur de cabinet du maire de Colombes était au cœur d’un écosystème, j’ai reçu M. le maire pour lui en faire part. Ces éléments n’avaient pas nécessairement vocation à être publics, mais je les lui ai transmis, car l’État attendait une réaction de sa part face à la révélation de cette information concernant son plus proche collaborateur. C’est ensuite, constatant que M. le maire ne modifiait pas son organisation, que j’ai rendu ces éléments publics. Recourir à la dénonciation, au "name and shame", n’est pas satisfaisant, quand on est préfet : on aimerait que la personne avertie de telles informations, qu’elle donne le sentiment de découvrir, en tire des conséquences » ([610]).
c. Des acteurs qui s’adaptent pour contourner l’action publique
L’efficacité des outils existants aux problèmes rencontrés sur le terrain peut également être difficile à assurer tant les organisations qui pratiquent le séparatisme et l’entrisme se singularisent par leur capacité à s’adapter pour contourner les mesures d’entraves.
Au plan national, ces contournements peuvent prendre diverses formes, telles que l’infiltration d’une association déjà existante et bénéficiant d’une légitimité, l’auto-dissolution de structures, la dévolution de leurs actifs à des associations sœurs, ou encore la reconstitution de fonds de dotation similaires.
Par exemple, dans le cas de l’autorisation du burkini à Grenoble, précédemment mentionnée, la DLPAJ relate que « La modification du règlement intérieur des piscines de la ville par la mairie avait été obtenue à la suite d’un combat militant mené par l’association Alliance citoyenne. Celle-ci est entrée dans les mémoires grâce à ce combat, mais elle existait bien avant et rassemblait une myriade d’associations. Fondée dans les années 2010-2012 et inspirée par le social empowerment américain, elle avait à l’origine comme fonds de commerce d’"encapaciter" – si vous me permettez le terme – des habitants des quartiers sur des sujets très concrets d’accès aux aides, de réparation des ascenseurs, etc. Il ne s’agissait donc absolument pas de combats communautaristes. L’agenda de l’association a dévié de son objet premier au fur et à mesure que ses membres évoluaient également. La création en son sein d’une commission des femmes musulmanes, qui revendiquaient le port du voile dans les services publics et, singulièrement, le port du burkini à la piscine, a modifié son agenda qui, j’y insiste, n’était à l’origine absolument pas orienté vers des revendications communautaristes ou religieuses – à tel point que Alliance citoyenne a ensuite donné naissance au collectif des Hijabeuses, qui a engagé une procédure de contentieux contre les fédérations de football et de basket-ball, parce que leurs règlements interdisaient le port de tenues religieuses. Voilà un bon exemple d’entrisme, dans lequel des activistes qui défendent un agenda communautariste s’engagent dans une association de droit commun pour mener leurs propres combats » ([611]).
Nora Bussigny rappelle également que « la dissolution de Palestine Vaincra a rapidement été contournée par l’activisme de Samidoun en arrière-plan, de la même manière qu’Urgence Palestine, en cours de dissolution, continue d’agir […]. Je comprends parfaitement que la loi impose de limiter les dissolutions à des organisations précisément identifiées, mais cette contrainte se heurte à la réalité de ces structures qui se recomposent et s’entrelacent » ([612]).
Ces contournements dépassent parfois le cadre national, des organisations dissoutes se recomposant à l’étranger, à l’image du collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), reconstitué à Bruxelles en collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE). Interrogée sur ce cas, la DLPAJ indique qu’il « n’existe aujourd’hui pas d’outil permettant de faire échec à une telle reconstitution, même s’il semble possible sur le plan pénal de poursuivre l’infraction de reconstitution de ligue dissoute si l’État considéré dispose dans son droit interne d’une incrimination équivalente » ([613]).
Ces contournements sont d’autant plus préjudiciables à l’action publique que la lutte contre l’islamisme, spécialement dans sa forme non‑violente, est investie de manière variable en Europe, où le principe de laïcité n’existe pas en tant que tel. La DGSE indique en effet que « si la lutte contre le terrorisme est un sujet de coopération qui ne souffre d’aucune difficulté avec les services partenaires européens, il est parfois plus compliqué, je dois le reconnaître, de partager notre conception du séparatisme ou de la laïcité. Ce sont des aspects à propos desquels toute démocratie européenne peut avoir sa propre sensibilité, ce qui est respectable. Il ne s’agit donc pas d’un de nos principaux points de coopération, ce qui vaut également pour les services britanniques » ([614]).
● Par conséquent, les moyens dont disposent nos services doivent être constamment adaptés à la menace, comme l’a souligné la DNRT : « Nos moyens ont en effet des limites. Lorsque, par exemple, nous avons fermé le CCIF, les mêmes personnes sont parties s’installer en Belgique avec l’argent pour créer le CCIE et ont continué à être aussi nuisibles sur le territoire national. Il ne suffit donc pas d’avoir mené une action ; des évolutions sont nécessaires. Qui plus est, dans ce domaine, nous devrons nous adapter systématiquement, car nous avons affaire à des gens agiles et intelligents, des élites qui savent utiliser les valeurs de la démocratie et qui connaissent nos règles. Lorsque nous aurons réussi à porter des coups avec les outils de la loi, ils s’adapteront. Un exemple : nous avions réussi à fermer une mosquée dans laquelle étaient tenus des propos antisémites et homophobes qui appelaient à la violence […]. Pour fermer cette mosquée, nous sommes allés devant un juge et notre façon de travailler a été mise sur la place publique. Désormais, plus une seule des mosquées fondamentalistes de France ne laisse sur ses réseaux sociaux la moindre trace de quoi que ce soit. Chaque fois que nous sommes efficaces avec un outil, c’est la même chose : tout le monde s’adapte » ([615]).
d. Cette adaptation permanente rend difficile la caractérisation juridique du séparatisme et de l’entrisme
Enfin, une des difficultés majeures de l’action publique tient à la difficulté de caractériser juridiquement le séparatisme et l’entrisme.
Comme le souligne le ministère de l’intérieur : « La limite principale de l’arsenal juridique de l’État dans la lutte contre l’islamisme politique tient à ce qu’à ce jour, et contrairement à la législation autrichienne ou belge, ou au dispositif de droit souple britannique, aucune définition juridique du séparatisme ou de l’islamisme politique n’existe en droit positif. Hormis la lutte contre le terrorisme, l’appel à l’insurrection armée ou l’ingérence étrangère, les dispositions les plus répressives du dispositif juridique français ne permettent de sanctionner les discours ou les agissements que s’ils appellent explicitement à la haine ou à la discrimination, ce que les mouvances séparatistes ont tôt fait de bannir de leur discours, en tout cas de leur discours "grand public" » ([616]).
En effet, à l’inverse de la radicalisation extrémiste, dont les signes avant‑coureurs permettent de caractériser un risque manifeste de passage à l’acte violent, notamment terroriste, le séparatisme islamiste est un phénomène difficile à caractériser.
Il s’agit d’un phénomène multiforme, qui n’implique pas nécessairement la volonté d’utiliser la violence, ni celle d’accaparer le pouvoir politique, non plus qu’il ne procède systématiquement d’une ingérence étrangère. Il s’agit surtout pour ses acteurs d’endoctriner leurs membres, de les pousser à la séparation identitaire, d’imposer un état de fait para-légal et de peser sur les décisions quotidiennes des organes dirigeants (d’une association, d’une municipalité…). Ses moyens d’action et ses manifestations sont donc d’abord liés à une prise de contrôle de l’espace social via le développement de réseaux d’acteurs associatifs et commerciaux qui visent à produire une norme de comportements, nonobstant un discours de façade républicain, et une stratégie d’influence à la manière d’un groupe de pression.
Le séparatisme est par ailleurs une notion qui, bien que mobilisée dans le discours public, n’a fait l’objet d’aucune définition législative. C’est ainsi par abus de langage ou par facilité que l’on nomme « loi séparatisme » la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (CRPR), et « délit de séparatisme » le délit créé par l’article 9 de cette même loi.
Du reste, les définitions de ce terme sont nombreuses et variables. À ce sujet, le rapport sur les Frères musulmans relève que la définition présentée par le Gouvernement lors de la première évaluation de la loi ([617]) « ne rend pas suffisamment compte du caractère subversif et subtil du projet porté par les Frères musulmans, que les notions génériques de "séparatisme" ou de "repli identitaire" ne restituent qu’imparfaitement » ([618]).
● La question de la caractérisation juridique de l’entrisme se pose avec une acuité plus grande encore. En effet, l’entrisme des mouvances islamistes dans le jeu institutionnel local, politique ou associatif, en vue d’y faire progressivement prévaloir leur vision de l’islam, s’effectue à bas bruit et s’accompagne, comme nous l’avons vu, d’une stratégie de dissimulation, rappelée par le ministre de l’intérieur selon qui l’entrisme est « une forme de séparatisme, mais qui prend une forme différente. Le séparatisme est bien visible, tandis que l’entrisme est plus pernicieux, plus sournois : il endosse les habits de la République, il en respecte les codes et les valeurs, mais sa finalité est d’imposer une loi religieuse » ([619]).
Certaines organisations sont par ailleurs secrètes comme celle des Frères musulmans, qui a théorisé cette stratégie de subversion, ainsi que le souligne la DGSI : « la confrérie des Frères musulmans et le frérisme portent en effet en façade une vision éduquée de l’islam. Ils dissimulent leur stratégie. Ils offrent un visage de respectabilité et d’honorabilité qui peut avoir un effet rassurant pour un pays et des élus comme les nôtres, qui ont été confrontés au djihadisme sur leur territoire ces dix dernières années » ([620]). Il en résulte globalement un manque de connaissance et de renseignement sur une constellation d’organisations ou d’individus constituant une mouvance dangereuse, limitant mécaniquement l’efficacité de l’action de l’État.
En outre, l’entrisme est complexe car c’est aussi un phénomène politique, comme le rappelle la DLPAJ : « L’entrisme est aussi un sujet politique. Le fait que des activistes s’engagent dans la vie politique pour accéder au pouvoir, c’est finalement l’histoire de la démocratie » ([621]). Pour le ministre de l’intérieur : « Cette question est complexe, non seulement d’un point de vue juridique, mais aussi politique. En effet, ces formations politiques veulent faire évoluer la loi sur la laïcité et tolérer un certain nombre de choses qu’actuellement nous ne tolérons pas – ce qui peut être en phase avec les demandes de la mouvance. Comme ministre de l’intérieur, je qualifierais ce lien d’indirect, mais il peut exister, c’est sûr […]. Juridiquement, nous utiliserons toujours les moyens à notre disposition pour agir sur ces structures, et j’espère que nous en aurons les moyens législatifs. Mais les partis politiques sont toutefois libres d’émettre des opinions, et il est compliqué de s’en mêler » ([622]).
En somme, si les outils déployés ces dernières années ont permis d’initier une action publique ciblant le séparatisme, les enjeux liés à l’entrisme ont encore peu irrigué les politiques publiques. Dans ce contexte, le préfet Courtade s’interroge : « [la loi CRPR] a donc été utile, mais suffit-elle pour autant à répondre au phénomène d’entrisme, qui est un sous-ensemble du séparatisme islamiste ? Je serais mesuré sur ce point » ([623]).
e. Cette difficulté est accentuée s’agissant de la caractérisation des liens entre des individus liés à des mouvances islamistes et des élus nationaux ou locaux
S’agissant plus spécifiquement des cas d’entrisme auprès des élus nationaux ou locaux, les travaux de la commission d’enquête ont permis de mesurer à quel point ce sujet sensible était peu documenté.
Ce constat tient tout d’abord aux contraintes inhérentes à notre cadre démocratique et à l’État de droit, qui ne permettent pas aux services de renseignement de surveiller des responsables ou des mouvements politiques, comme l’ont rappelé tous les services de renseignement ([624]).
Comme le rappelle le ministre de l’intérieur : « il peut arriver que des propos faisant l’apologie du terrorisme soient tenus, parfois en présence d’élus de la République – et c’est bien là une forme de soutien de leur part. Mais les services de renseignement n’interfèrent pas : les politiques présents ont simplement une autre conception des propos qui sont tenus et de ce qu’est l’islam politique. C’est une conception qu’évidemment je combats, comme ministre de l’intérieur, et je proposerai au Premier ministre de retenir un dispositif qui nous permette d’appréhender ce phénomène. Mais les services de renseignement n’ont pas pour rôle de déterminer que telle ou telle formation politique soutient l’islam politique » ([625]).
Un tel soutien est d’autant plus difficile à caractériser que les propos litigieux ne sont pas tenus par des élus eux-mêmes, comme l’ont confirmé tous les services de renseignement et les préfets auditionnés, quand bien même certains élus nationaux peuvent afficher une proximité récurrente et problématique avec des individus proches des mouvements islamistes.
Par ailleurs, comme le souligne Ghaleb Bencheikh, il « n’existe pas [davantage] de parti se revendiquant comme représentant de l’islamisme politique en France » ([626]). Pour Vincent Tiberj, politiste spécialisé en sociologie électorale : « Certains partis ont essayé de construire un vote musulman, par exemple, dans les années 2000, le Parti des musulmans de France, ou, plus récemment, l’Union des démocrates musulmans français (UDMF) ([627]). Toutefois, la liste présentée par ce parti aux élections européennes de 2019 n’a rencontré qu’un sujet très relatif, malgré des scores importants dans certains bureaux de vote » ([628]). Quant à la présence d’individus radicalisés sur des listes électorales, elle reste exceptionnelle selon la DRPP : « c’est arrivé une seule fois, pour un individu suivi pour suspicion de radicalisation islamiste qui était d’ailleurs apolitique, donc relié à aucun parti. Il a été élu et s’est retrouvé dans un conseil municipal sans fonctions exécutives et marginalisé » ([629]).
Il ressort ainsi des travaux de la commission d’enquête que les liens entre mouvements politiques et les mouvances islamistes relèvent à ce jour davantage d’opportunités saisies par des individus identifiant des élus sensibles au discours qu’ils peuvent porter que d’une structuration au niveau national. Le préfet Pascal Courtade souligne ainsi : « Au niveau français, je ne connais pas de stratégie constituée d’influence de la mouvance auprès des partis politiques. Il a pu en être autrement lorsque l’UOIF était bien plus institutionnalisée grâce à son intégration au CFCM (Conseil français du culte musulman), même si je ne crois pas que nous pouvions alors parler de stratégie d’entrisme – il s’agissait d’une stratégie d’influence de la part d’un acteur reconnu du culte musulman. À l’heure actuelle, certains militants islamistes politiques – qui n’agissent pas nécessairement sur ordre – mènent au niveau local des stratégies d’influence, parfois d’obtention d’avantages, voire d’entrisme. Mais je répète que nous n’avons pas observé ni documenté ou étudié une stratégie d’influence au niveau national sur les partis politiques » ([630]).
Dans le même sens, la DGSE indique qu’« une forme de convergence idéologique sur certains sujets nous semble parfois exister […] Du point de vue d’un service de renseignement, cela n’est ni une infraction ni un manquement, mais relève de la responsabilité de chacun, et non de notre cœur de métier » ([631]). Le directeur de ce service ajoute : « Cela ne m’étonne pas que des individus se croisent, qu’ils échangent, qu’ils partagent une proximité idéologique lors de certaines manifestations – celles que vous citez ne me surprennent pas : nous le constatons en effet. Les services de renseignement ne sont pas omniscients, mais ils n’ont en revanche pas mis en évidence de volonté de construire un agenda commun ou de travailler ensemble sur des échéances programmatiques » ([632]). Pour autant, « Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas, mais que nos investigations n’ont pas mis en évidence de démarches assumées et méthodiques allant en ce sens » ([633]).
La DRPP indique quant à elle « n’[avoir] identifié aucun lien entre parti, groupe politique ou élus d’une part, groupes terroristes ou islamisme radical d’autre part » ([634]), tout en précisant qu’elle « observe une convergence dans ces manifestations, mais [qu’il lui est] interdit de travailler sur les partis politiques et il ne [lui] appartient pas de rapporter ou de documenter la présence ou le comportement d’élus » ([635]).
Il semble ainsi que l’appréhension de ce phénomène d’entrisme est particulièrement complexe à discerner et mesurer puisqu’il est, par définition, le résultat d’une stratégie de dissimulation et de mise en œuvre d’un agenda politique sur le temps long.
2. Un débat public extrêmement polarisé qui fragilise la compréhension des phénomènes à l’œuvre et l’action publique
La conscientisation de cette menace par les acteurs politiques est d’autant plus difficile que les efforts en ce sens se heurtent à une polarisation très forte du débat public à ce sujet.
a. Un débat public polarisé : un clivage entretenu entre « islamogauchistes » et « islamophobes »
● Comme le souligne le politologue Pierre-André Taguieff, le débat public s’articule principalement autour de deux camps qui se feraient face, soit les « islamogauchistes » et les « islamophobes » : « En France, un nouveau grand clivage idéologico-politique oppose les anti-islamistes aux anti-islamophobes, lesquels sont, si l’on excepte les opportunistes ou les "modérés" de droite et de gauche, soit des islamistes, soit des "islamo-gauchistes" […]. Dans le langage polémique en cours, ceux qui sont traités "d’islamophobes" ou accusés de "racisme anti-musulman" répliquent en dénonçant les islamistes ou les "collabos de l’islamisme" qui les accusent » ([636]).
Or ces deux termes font l’objet d’une querelle sémantique, entrainant la radicalisation des positions de chacun et la multiplication des polémiques.
● L’« islamophobie » est un terme dont l’apparition peut être datée du début du XXème siècle ([637]) et qui s’est diffusé largement dans l’espace public français au cours des dernières années, après avoir été popularisé dans le monde anglo-saxon à partir des années 1990 ([638]). Ce terme est marqué par une polysémie qui en complique la compréhension, désignant parfois des attitudes d’hostilité, de haine, à l’égard de l’islam, mais aussi, à l’encontre des musulmans en général ([639]).
Aussi, l’usage de ce concept pourrait sembler désigner des phénomènes bien réels de discrimination et d’hostilité pouvant toucher une partie de la population musulmane (voir infra) que les pouvoirs publics doivent combattre fermement. Ghaleb Bencheikh remarque à cet égard que les pouvoirs publics aux États-Unis ou au Canada ou même l’Organisation des Nations unies (ONU) ([640]), utilisent ce terme ([641]), tandis que la Commission européenne lui a préféré celui de « haine contre les musulmans » pour désigner la coordinatrice chargée de lutter contre ces faits.
Une communication publiée par la commission des lois de l’Assemblée nationale en mars 2025 revenait sur cette réflexion sémantique en considérant que « Si la DILCRAH, comme le ministère de l’Intérieur, préfère donc évoquer des "actes antimusulmans" ou la "haine antimusulmans", expressions que vos rapporteurs ne récusent pas, le terme d’islamophobie n’est pas dépourvu de légitimité et sera privilégié par vos rapporteurs tout au long de cette note » ([642]).
Pour autant, ce terme d’islamophobie apparaît problématique en ce qu’il fait l’objet d’une double instrumentalisation :
– D’une part, par les mouvances islamistes, comme le souligne le rapport sur les Frères musulmans paru en mai 2025 : « La lutte contre "l’islamophobie" constitue l’un des leitmotivs des Frères musulmans, qui utilisent le concept pour discréditer les mesures inspirées par le principe de laïcité, présentées comme relevant d’un "racisme d’État" visant les musulmans et dénoncer les politiques de lutte contre la radicalisation violente et le séparatisme islamiste » ([643]). Les auteurs de ce rapport ont ainsi fait part, lors de leur audition, de leur inquiétude au regard du succès de ce narratif ([644]) ;
– D’autre part, par certains élus de la gauche qui, prétendant protéger les musulmans, reprennent des discours de victimisation, au risque de recourir à une assignation identitaire et de diviser la nation. La députée LFI Ersilia Soudais déclarait ainsi en août 2024 que « La France est un pays islamophobe » ([645]).
Ce terme empêche par ailleurs toute critique des doctrines religieuses ou des organisations se réclamant de l’islam, et ce quand bien même elles porteraient des discours contraires aux valeurs de la République. Ainsi, son usage extensif par certains acteurs publics a contribué à brouiller la frontière entre critique légitime de l’islamisme et haine des musulmans, des responsables politiques, intellectuels ou journalistes se trouvant parfois accusés d’islamophobie pour avoir simplement dénoncé des dérives communautaristes.
Enfin, le concept d’islamophobie est utilisé opportunément comme un anathème visant à disqualifier l’action publique, comme le montrent les propos du ministre de l’intérieur Laurent Nuñez : « Nous nous sommes attaqués à certaines structures séparatistes, qui ont été dissoutes, le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) ou Barakacity par exemple. À l’époque, elles ont été traitées sous le prisme du séparatisme. Un certain nombre de formations politiques ont été extrêmement critiques sur le sujet, et ont considéré qu’il s’agissait d’actions islamophobes » ([646]).
● Le concept d’« islamo-gauchisme » a quant à lui été forgé au début des années 2000 par Pierre-André Taguieff ([647]), qui le définit comme une alliance de circonstance entre certains milieux islamistes et des courants d’extrême gauche, convergeant autour de causes communes telles que l’anticolonialisme ou la solidarité avec la cause palestinienne.
Si ce terme peut faire écho à des phénomènes précédemment décrits, il fait également l’objet de controverses qui ont particulièrement affecté les champs politique, médiatique et universitaire ces dernières années. Si Jean-Michel Blanquer ([648]), ministre de l’éducation nationale, et Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche ([649]) l’ont utilisé, cela n’a pas manqué de susciter des polémiques ([650]). Philippe Baptiste, actuel ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’espace a pu considérer pour sa part que « ce terme-là [l’islamo-gauchisme] n’existe pas [...], en tout cas pas de manière structurée et visible » ([651]) à l’université. Lors de son audition, il a précisé à ce propos : « Je n’ai dit que ce que dit lui-même le rapport commandé et publié par le ministère de l’intérieur, qui n’évoque que très marginalement les universités. Au sujet de la jonction entre islamisme et gauchisme, ce rapport précise que "les interfaces entre mouvance frériste et militantisme intersectionnel existent mais restent à ce jour ponctuelles […] du fait de divergences importantes, notamment la question LGBT, point de désaccord difficilement dépassable" » ([652]).
Au-delà de cette querelle sémantique qui n’intéresse pas directement la commission d’enquête, il ressort nettement de ses travaux que l’on constate bien une augmentation des actes anti-musulmans sur notre territoire. Ces actes peuvent servir de terreau à des discours visant à isoler les musulmans ou les personnes perçues comme telles de la communauté nationale. Aussi, tant ces actes que ces discours sont fermement dénoncés et combattus par l’État, comme en ont témoigné les services entendus par la commission.
Les actes anti-musulmans, un phénomène réel mais difficile à quantifier
L’Observatoire des discriminations envers les musulmans de France, organisme mis en place par la Grande mosquée de Paris et l’Ifop, révèle dans une étude récente que 66 % des musulmans sondés auraient fait l’objet de comportements racistes au cours des cinq dernières années, soit un taux plus de trois fois supérieur à celui observé chez l’ensemble des Français (20 %) et chez les adeptes des autres religions (18 %) ([653]). Le ministère de l’intérieur indique qu’entre janvier et septembre 2025, 231 actes antimusulmans ont été recensés, soit une hausse de 72 % par rapport à la même période en 2024 (134 actes), dont :
– 148 atteintes aux personnes (propos et gestes menaçants, violences physiques, homicides...), en augmentation de 169 % par rapport à la même période en 2024 et de 202 % par rapport à la même période en 2023 ;
– 83 atteintes aux biens (vols, dégradations, incendies…), soit une augmentation de 5 % par rapport à la même période en 2024. En 2024, 173 actes antimusulmans avaient été recensés ([654]).
Pour autant, ces chiffres ne constituent pas une statistique institutionnelle et les actes anti-musulmans restent mal quantifiés. La DNRT observe ainsi que « nous sommes certainement en dessous de la réalité pour les actes antimusulmans », ce qu’elle explique par deux raisons principales :
– « L’absence de statistique officielle disponible (le SSMSI et PHAROS ne pouvant pas discriminer les infractions en fonction de la religion) couplée à l’absence de recensement organisé par une institution représentative de la communauté musulmane (à la différence de la communauté juive avec le SPCJ) ([655]) conduisent à considérer que les tendances dégagées sont sous-estimées par rapport à la réalité. L’Association de défense contre les discriminations et les actes anti-musulmans (ADDAM), créée en 2024 et toujours en cours de structuration, n’effectue pas encore de remontée à la DNRT des faits antimusulmans signalés. Toutefois, la récente mise en place de la plateforme de signalement en ligne, sur son site internet, serait de nature à améliorer le recensement des atteintes antimusulmanes » ([656]) ;
– « De même, le moindre recours à l’institution policière pourrait aussi contribuer à masquer l’importance des atteintes. Ainsi, selon un sondage Ifop de septembre 2025 ([657]), […] seuls 58 % des musulmans ayant déjà fait l’objet de discriminations déclarent qu’ils porteraient plainte en cas de nouvelle discrimination » ([658]).
b. Des tensions dans les champs médiatique et universitaire
En plus d’être polarisé, le débat public sur l’islamisme est traversé par des tensions qui affectent le champ médiatique aussi bien que le champ universitaire.
● À cet égard, des journalistes ont témoigné de graves menaces proférées à leur encontre. Emmanuel Razavi a ainsi indiqué que « parler d’islamisme aujourd’hui en France revient à risquer sa vie, et au mieux sa réputation » ([659]). Certains, comme Nora Bussigny, ont pu être placés sous protection policière à la suite d’attaques sur leurs travaux.
Le journaliste Erwan Seznec a également fait état de pressions : « J’ai fait l’objet de poursuites en diffamation engagées par le président des Musulmans de France. Lorsque nous publions des articles critiques, notamment ceux consacrés au Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), nous faisons face à un déferlement de commentaires particulièrement violents sur les réseaux sociaux. Nous n’avons, fort heureusement, reçu aucune menace physique directe. Notre journal dispose des ressources nécessaires pour prendre en charge nos frais d’avocat […]. Nous ressentons toutefois indéniablement une forme de pression. Quant au renforcement de la protection accordée aux journalistes, je considère que la loi et la jurisprudence garantissent déjà des droits importants à notre profession » ([660]).
Que l’on soit en accord ou non avec le contenu des articles et publications de certains auteurs, votre rapporteur considère qu’il est absolument inadmissible et irresponsable que de telles pressions puissent s’exercer aujourd’hui dans notre pays. C’est une menace directe à l’encontre de la liberté de la presse, et plus généralement de la liberté d’expression et de la liberté d’opinion.
● Un tel climat ne manque pas d’affecter également le champ de la recherche universitaire (voir la partie I du présent rapport) qui est, comme le rappelle le ministre Philippe Baptiste, une « caisse de résonance naturelle des faits de société » ([661]). Selon lui : « S’il n’est pas étonnant que certaines polémiques, souvent amplifiées par les médias, donnent une image déformée du champ, la diversité des interprétations de la radicalisation ou de l’islamisme ne discrédite nullement la recherche, bien au contraire. Dans ce champ comme dans les autres, le pluralisme scientifique est une exigence fondamentale de la communauté académique, qui repose sur la rigueur méthodologique, la confrontation argumentée et la liberté critique. La responsabilité des pouvoirs publics n’est pas de trancher entre les différentes écoles de pensée, mais de garantir les conditions d’un débat scientifique sain, protégé le plus possible des pressions idéologiques ou communautaires, dans les limites très larges que la loi fixe à la liberté d’expression et aux libertés académiques en général » ([662]).
Or, un récent rapport de France Universités dresse le constat de difficultés encore importantes pour assurer des conditions de travail sereines à la recherche française ([663]). Votre rapporteur invite le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche à agir avec la plus grande fermeté face aux dérives constatées et à donner sa pleine portée à l’avis relatif aux libertés académiques, rendu en mai 2021 par le Collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche (CDESR) ([664]).
II. Un sursaut collectif est urgent pour engager la lutte contre l’islamisme dans une nouvelle phase
Face à une menace qui s’adapte et alors que les pouvoirs publics peinent à entraver l’islamisme, un sursaut collectif est urgent pour faire entrer l’action publique dans une nouvelle phase permettant de lutter plus efficacement contre le séparatisme et l’entrisme islamistes.
A. L’action publique doit gagner en efficacitÉ Face À une menace qui se dÉveloppe
Comme le souligne la DNRT : « nous devons passer à une vitesse supérieure, car la menace s’est développée » ([665]). Pour le ministre de l’intérieur Laurent Nuñez, il s’agit d’engager l’action publique dans une nouvelle phase : « Après avoir traité le terrorisme puis le séparatisme, nous nous attaquons maintenant à l’entrisme : nous le définissons, nous le nommons, et nous disons qu’il nous semble être un mal pour le vivre-ensemble dans notre société » ([666]).
1. La mise en place d’outils adaptés au séparatisme et à l’entrisme suppose une réflexion juridique préalable
● La mise en place d’une action publique pour lutter contre le séparatisme et l’entrisme nécessite un travail préalable de caractérisation juridique de la menace ([667]).
Les auditions conduites par la commission montrent qu’il s’agit là d’une réflexion épineuse : la notion d’entrisme est particulièrement difficile à caractériser d’un point de vue juridique, et se situe aux confins d’autres notions, comme l’a reconnu le SG-CIPDR : « Je ne sais pas vraiment ce qu’est l’entrisme : l’entrisme, l’ingérence et l’influence sont des notions proches » ([668]).
Selon la DLPAJ, « L’entrisme n’est défini nulle part, et je ne suis pas sûr qu’on puisse le faire juridiquement. On peut l’appréhender par diverses manifestations, comme la prise illégale d’intérêts. C’est le cas lorsqu’on arrive à documenter qu’au sein d’un exécutif local une personne utilise son influence sur la décision publique pour promouvoir un agenda personnel, associatif ou communautaire. C’est une infraction pénale, la difficulté étant de collecter suffisamment d’éléments de preuve pour pouvoir engager des poursuites » ([669]).
● Le législateur pourrait aussi s’inspirer des dispositifs mis en place par d’autres États, soit en droit positif (Belgique, Autriche), soit dans le droit souple (Royaume-Uni). Dans une contribution, la DLPAJ précise que les définitions juridiques apportées par ces États ont toutes tendance à se raccrocher à une conception substantielle de ce que constitue la démocratie, au-delà de l’attachement formel au respect de l’ordre public et des procédures institutionnelles (notamment électorales), en citant certains principes fondamentaux faisant partie de leur identité constitutionnelle :
– l’Autriche réprime ainsi les agissements « dont le but est de porter atteinte, en violation de la loi, à l’indépendance et à la forme de l’État établie par la Constitution » ;
– la Belgique vise les « conceptions ou visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, qu’elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l’homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l’État de droit » ;
– au Royaume-Uni, la définition, plus détaillée encore, ne figure pas en droit positif, mais cible particulièrement les activités qui, « ne franchissant pas le seuil de la menace à la sécurité nationale » et « agissant dans le respect des lois », visent néanmoins à « remplacer notre démocratie par l’avènement d’une société islamiste ou nazie », à « éroder nos droits démocratiques fondamentaux », à « subvertir notre démocratie ». Parmi les critères permettant de combattre de tels agissements, figure notamment la volonté de « miner, renverser ou remplacer le système britannique de démocratie libérale parlementaire et ses droits démocratiques » ou de « créer intentionnellement une atmosphère permissive pour que d’autres puissent le faire » ([670]).
Ces pistes pourraient conduire à caractériser certains comportements comme participant d’une forme de séparatisme ou d’entrisme. À ce propos, le préfet Courtade considère qu’il faudrait « se concentrer, me semble-t-il, sur l’atteinte à la forme républicaine des institutions, au sens de l’article 1er de notre Constitution : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances". Ce n’est pas du tout le programme des islamistes » ([671]).
● Par ailleurs, la lutte contre le séparatisme et l’entrisme est en prise avec des libertés fondamentales inhérentes à notre démocratie et à notre État de droit.
Si l’entrisme et le séparatisme islamistes peuvent mettre en danger notre démocratie, notamment à l’occasion des périodes électorales, qui sont des périodes de vulnérabilité, la lutte contre ces phénomènes doit s’attacher à préserver l’État de droit et la vitalité du jeu démocratique. Pour le ministre de l’intérieur : « Le champ de la décision politique est, dans une démocratie, d’abord et avant tout affaire de choix d’électeurs. Dans le respect de l’ordre public et des garanties procédurales prévues par la loi (financement de campagne, liberté d’expression), ce champ ne doit pas et ne saurait faire l’objet d’une quelconque action par les pouvoirs publics. Le premier point de vigilance est donc de laisser pleinement le jeu démocratique fonctionner, sous réserve des garanties évoquées [liées à l’ordre public] » ([672]).
La réflexion sur l’adaptation de l’action publique doit donc nécessairement s’inscrire dans les limites inhérentes à notre cadre démocratique et constitutionnel. À ce sujet, le ministre de l’intérieur indique qu’une « réflexion est en cours au ministère de l’intérieur pour savoir comment aborder cette troisième phase. Faut-il prévoir une nouvelle loi ? Comment peut-elle être écrite pour être conforme à la Constitution ? Il est facile de dire que l’entrisme, les islamistes, l’islam politique, ce n’est pas bien ; mais nous sommes quand même dans un État de droit, protecteur des libertés individuelles, qu’il faut respecter » ([673]).
● À cet égard, a pu être évoquée lors des auditions de la commission d’enquête l’opportunité de dissoudre les Frères musulmans. Il s’agit là d’une interrogation légitime, qui trouve d’ailleurs des échos à l’étranger, le Président des États-Unis d’Amérique venant par exemple de désigner, par décret, certaines sections des Frères musulmans comme organisations terroristes ([674]).
Toutefois, selon le ministre de l’intérieur, « On entend parfois dire qu’il faut dissoudre les Frères musulmans : cela n’a pas de sens. Comme dans le cas du séparatisme, ce sont les comportements et les thèses défendues que l’on observe : afficher et promouvoir le fait que l’on ne respecte pas les valeurs de la République et que l’on ne souhaite pas les respecter. Ce n’est pas l’appartenance en soi à une structure qui est condamnable, sauf si la structure elle‑même tient ces discours. L’atteinte que nous cherchons à qualifier, c’est celle faite à la cohésion nationale, au vivre-ensemble » ([675]).
Il en va de même pour la DGSE, qui, précisant qu’à « ce stade de nos connaissances et de notre documentation, interdire cette idéologie me semble difficile », plaide pour une approche pragmatique s’attachant non pas à l’idéologie mais aux entorses concrètes aux principes de la République ([676]).
Eu égard à la sensibilité et à la complexité des enjeux juridiques et politiques en cause, et pour préparer les travaux législatifs, votre rapporteur invite le Premier ministre à constituer un groupe de travail, associant notamment des élus locaux et nationaux, des chercheurs, des juristes et des magistrats, afin de mener une réflexion sur la meilleure manière de caractériser juridiquement les actes constitutifs d’une démarche de séparatisme ou d’entrisme islamistes sans porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux.
Recommandation n° 1 : Caractériser juridiquement les actes constitutifs de séparatisme et d’entrisme islamistes afin de lutter efficacement contre ces phénomènes.
2. Alors qu’un projet de loi devrait prochainement être présenté, plusieurs mesures peuvent permettre de mieux lutter contre l’entrisme
a. La préparation d’un prochain projet de loi auquel les groupes politiques doivent être associés au plus tôt
Pour mémoire, un premier CDSN réuni par le Président de la République le 21 mai 2025 dernier a permis de dresser un bilan d’application de la loi CRPR du 4 août 2021 et de tirer les conclusions du rapport sur les Frères musulmans publié par le ministère de l’intérieur en mars 2025. Un second CDSN, réuni le 7 juillet 2025, a permis d’acter le besoin de compléter le corpus juridique existant, notamment par le recours à cinq nouvelles entraves, dont la dissolution administrative des fonds de dotation, la création d’un mécanisme de dévolution coercitive des biens d’une association dissoute ou encore un mécanisme de gel des avoirs ([677]). À cette occasion, il a également été décidé :
– de renforcer la portée opérationnelle des dispositifs d’enseignements internationaux de langues étrangères (EILE) et du contrat d’engagement républicain (CER) ;
– d’assurer pleinement la sensibilisation des instances européennes, des élus et agents de l’État et territoriaux sur la stratégie et l’objectif de l’entrisme, particulièrement à quelques mois du scrutin municipal. Les agents hospitaliers, du monde sportif et associatif devraient également bénéficier de formations sur la conduite à tenir face à l’islamisme ;
– de compléter la règlementation en matière d’accueil des enfants.
Pour autant, si le Premier ministre a été chargé de « présenter l’intégralité de ces mesures en s’assurant de leur animation interministérielle au niveau national et local » ([678]), aucune présentation de la sorte n’a eu lieu à ce jour. Dans ce contexte, il serait opportun de mettre en place, dans les plus brefs délais, une concertation associant les groupes politiques sur ces questions et sur la meilleure façon de les traiter.
b. Mieux contrôler les lieux de culte
Les travaux de la commission d’enquête ont permis de dégager plusieurs pistes pour améliorer le contrôle des lieux de culte.
● D’une part, comme le suggère la DNRT, les dispositions réprimant l’immixtion de la politique dans les lieux de culte pourraient être précisées.
Le ministère de l’intérieur indique en effet que l’application du cadre en vigueur ([679]) reste incertaine : « si la tenue de meeting ou d’opérations de vote dans un lieu de culte sont clairement prohibées, il n’est à l’inverse pas du tout certain, faute de jurisprudence topique, que la seule diffusion de consignes de vote par des ministres du culte par exemple, motivée par des considérations de nature religieuse, relève de cette incrimination » ([680]).
Cette incertitude est d’autant plus problématique que, comme nous l’avons vu, certains imams n’hésitent pas, dans un contexte où les écarts de voix sont parfois très serrés, à faire usage de leur influence pour faire pression sur les maires, comme l’illustre l’imam Iquioussen qui expliquait, dans une vidéo partagée en 2014 : « on pousse les ouailles à s’inscrire […] on se retrouve avec 853 personnes […] et puis on est parti voir monsieur le maire […] c’est du commerce, tu vas le voir avec une liste et tu lui dis "je veux ça, ça et ça. Vous voulez votre poste ? je vous le garantis, 853 personnes vont voter pour vous, alors que vous avez gagné la dernière fois avec 50 voix, 200 voix, 300 voix". Il fait quoi le Maire à ton avis ? Il fait des génuflexions et des prosternations ! » ([681]).
Dans ce contexte, il apparait nécessaire d’élargir cette disposition pour interdire explicitement la diffusion de consignes électorales par les ministres du culte dans les lieux de culte.
Recommandation n° 2 : Interdire formellement aux ministres du culte de diffuser des consignes électorales dans les lieux de culte.
● D’autre part, le contrôle de la construction de lieux de culte pourrait être renforcé. Comme le rappelle le préfet Courtade, ces lieux se trouvent souvent au cœur des écosystèmes islamistes : « Les lieux de culte sont une étape importante dans la constitution des écosystèmes. Tous les écosystèmes n’abritent pas un lieu de culte en leur cœur mais, une fois que le lieu de culte est là, quelque chose s’est joué » ([682]).
À ce sujet, la loi CRPR a introduit dans le code de l’urbanisme un nouvel article L. 422-5-1 qui impose à l’autorité compétente chargée de l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme de saisir le préfet pour qu’il rende un avis consultatif sur tout projet portant sur une construction ou une installation destinée à l’exercice d’un culte ([683]). Le préfet se prononce notamment sur les questions relatives au respect du droit des cultes et sur les problématiques d’ordre public que pourrait soulever le projet. Cependant, d’une part, l’avis du préfet n’a pas de caractère contraignant et d’autre part, une décision défavorable du maire ou du président de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ne peut se fonder que sur une infraction à la réglementation d’urbanisme.
Le ministre de l’intérieur indiquait ainsi réfléchir : « à rendre nécessaire un avis conforme – motivé – des préfets avant la construction de certains lieux de culte susceptibles de poser problème. Actuellement, ils ne sont saisis que pour avis et ne peuvent s’opposer que pour des raisons liées à l’urbanisme ou à certaines réglementations, parmi lesquelles ne figurent pas la lutte contre le séparatisme ou l’entrisme » ([684]).
Deux évolutions semblent ainsi envisageables : l’avis du préfet pourrait être contraignant et le refus de l’autorisation d’urbanisme pourrait être fondé sur l’existence d’une menace grave pour l’ordre public dans le cas où le projet serait susceptible de porter atteinte aux principes et valeurs de la République.
Comme le souligne le préfet Courtade, « Il ne s’agit pas d’ôter des pouvoirs aux élus mais de faire en sorte que l’avis du préfet donne lieu à de véritables échanges avec ces derniers » ([685]). Une telle disposition placerait le préfet en prise directe avec les porteurs de projet, ce qui protègeraient les maires de toute tentative de pression.
Recommandation n° 3 : Transformer l’avis simple du préfet sur les projets de construction ou d’extension de lieux de culte en un avis conforme, lequel pourra refuser, sous le contrôle du juge, d’autoriser le projet s’il constate l’existence d’une menace grave pour l’ordre public, (notamment si ce projet est susceptible de porter une atteinte grave aux principes et valeurs de la République).
c. Renforcer le contrôle des associations et des fonds de dotation
En second lieu, des mesures pourraient être adoptées pour renforcer le contrôle des associations et des groupements de fait et rendre plus efficaces les mesures d’entraves qui trouvent à s’appliquer à ceux qui ne respectent leurs obligations légales.
● Actuellement, les motifs de dissolution d’associations et de groupements de faits ne permettent pas de viser spécifiquement les agissements séparatistes ou subversifs non violents ([686]). Le ministre de l’intérieur constate ainsi que : « Ce qui nous manque aussi, ce sont des motifs pour dissoudre les structures. Pour l’heure, nous ne pouvons le faire qu’en cas de terrorisme ou de menace grave à l’ordre public. Or avec l’entrisme, il n’y a jamais de terrorisme et le lien avec la violence n’est, en général, pas établi ; il faut, je le redis, sortir de ce fantasme. Et l’on ne peut pas forcément parler non plus de menace grave pour l’ordre public, comme prévu par la loi contre le séparatisme » ([687]).
Il précise que l’on « pourrait par exemple viser l’atteinte portée à la cohésion nationale ou au vivre-ensemble : c’est quelque chose que l’on pourrait écrire et démontrer » ([688]). Le ministère indique ainsi que l’éventualité d’un enrichissement des motifs de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure « est actuellement en cours d’étude » ([689]).
Sans préempter la réflexion du groupe de travail précité, il pourrait ainsi être envisagé qu’une violation délibérée et d’une particulière gravité de certains principes de la République, en ce qu’elle constituerait une atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, puisse constituer un motif de dissolution d’une association ([690]).
La DNRT suggère quant à elle d’étendre le champ du même article à des entités appelant à substituer des lois religieuses à la loi républicaine, ou minimisant la gravité d’attentats et, pour éviter les contournements, de l’étendre cette mesure aux sociétés commerciales : « On peut également étendre la procédure de dissolution aux sociétés commerciales. Comme je l’expliquais, en effet, si on parvient à dissoudre une association, il n’existe aucune mesure concernant les structures commerciales : certaines associations dissoutes se reconstituent en structure commerciale, et on ne peut pas les dissoudre. Ces personnes savent en effet utiliser, par un autre biais, les règles que propose la démocratie » ([691]).
Recommandation n° 4 : Engager la réflexion sur l’ajout, parmi les motifs de dissolution des associations et groupements de faits définis à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, de la violation délibérée et d’une particulière gravité de certains principes de la République, en ce qu’elle constituerait une atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État. Étendre par ailleurs le champ de ces dispositions aux sociétés commerciales.
● Par ailleurs, la loi ne prévoit pas de procédure relative à la dévolution des biens d’une association dissoute sur le fondement de l’article L. 212-1 du CSI. Par conséquent, selon la DLPAJ, « elles peuvent les transmettre à une association qui poursuivrait les mêmes buts. Or ces biens sont parfois considérables. Ce n’est pas seulement un cas d’école. L’association Barakacity, qui a été dissoute en 2020, avait transféré ses biens à Londres tandis qu’il est loisible à l’IESH (Institut européen des sciences humaines), qui vient d’être dissous par le Conseil des ministres au début de septembre, de transférer ses biens. Aucune disposition ne nous permet de nous y opposer » ([692]).
Il semble donc nécessaire, comme le suggèrent la DNRT ([693]) et l’IGA ([694]), de créer une procédure spécifique relative à la dévolution des biens d’une association dissoute sur le fondement de l’article L. 212-1 du CSI, afin de s’assurer que les actifs ne puissent être dévolus à une personne morale ayant pour objet de poursuivre les agissements de la personne morale dissoute.
Recommandation n° 5 : Créer une procédure spécifique relative à la dévolution des biens d’une association dissoute sur le fondement de l’article L. 212-1 du CSI, afin de s’assurer que les actifs ne puissent être dévolus à une personne morale ayant pour objet de perpétuer les agissements de la personne morale dissoute.
● Cela suppose de consolider le dispositif de gel des avoirs, notamment s’agissant des structures dissoutes et des fonds de dotation ([695]). Selon le ministre de l’intérieur : « Il nous manque également la possibilité de geler les avoirs en cas d’agissements liés aux motifs de dissolution des structures. Nous réfléchissons à une telle mesure, qui serait essentielle, de même que nous envisageons la possibilité de dissoudre les fonds de dotation pour des motifs liés à l’entrisme » ([696]).
Le dispositif de gel des avoirs, renforcé par la loi CRPR ([697]), est aujourd’hui applicable uniquement aux personnes morales et physiques concourant de manière directe (participation, financement ou incitation) au terrorisme, à des actes d’ingérence ou au trafic de stupéfiant ([698]). Comme l’indique Tracfin : « Le seul dispositif de gel administratif des avoirs en vigueur est le gel antiterroriste. Il n’y en a pas d’autres à ce jour tant qu’une nouvelle loi n’a pas été votée. Il n’existe donc pas de gel des avoirs "de l’islamisme" » ([699]). Dans ce contexte, la DNRT suggère de rendre le dispositif de gel des avoirs applicable aux individus faisant l’apologie du terrorisme ou appelant à la discrimination ou à la haine ([700]).
Le dispositif de suspension d’un fonds de dotation peut également être rendu plus efficace, comme l’indique le préfet Courtade : « la suspension d’un fonds de dotation par le préfet ne se traduit pas par la cessation des flux financiers : il faut emprunter la voie judiciaire pour le faire geler définitivement » ([701]). Dans ce contexte, et comme le proposent l’IGA et la DNRT, un mécanisme administratif de gel des avoirs pourrait être prévu à l’encontre des fonds de dotation faisant l’objet d’une décision de suspension temporaire.
Recommandation n° 6 : Renforcer le dispositif de gel des avoirs, d’une part, en élargissant ses motifs pour le rendre applicable aux individus faisant l’apologie du terrorisme ou appelant à la discrimination ou à la haine et, d’autre part, en introduisant un mécanisme administratif de gel des avoirs en cas de suspension temporaire d’un fonds de dotation.
● Enfin, un dernier axe de renforcement du contrôle des associations pourrait porter sur les subventions qu’elles reçoivent.
D’une part, la mission d’évaluation de la loi CRPR conduite par le Sénat suggère à cette fin de systématiser la transmission par les collectivités territoriales au préfet des demandes de subventions des associations dont le contrôle est jugé prioritaire en matière de lutte contre le séparatisme ([702]). Votre rapporteur soutient cette mesure qui ne peut que sécuriser les élus locaux, parfois moins bien informés que les services de préfecture sur certains profils présents sur leur territoire.
Comme le suggère la préfecture de la Seine-Saint-Denis, une telle mesure pourrait s’accompagner de la mise en place d’une base de données assurant la transparence de ces subventions : « Il me semble aussi que l’on pourrait aller plus loin que la loi de 2021 s’agissant des subventions des collectivités aux associations, en établissant une base de données permettant une transparence complète. Les représentants de l’État pourraient ainsi s’assurer que les associations bénéficiaires sont respectueuses du cadre républicain » ([703]).
D’autre part, pour s’assurer que soit mis un terme aux subventions bénéficiant à des associations dont les actes porteraient une atteinte d’une particulière gravité aux principes de la République, et comme le suggère la préfecture du Rhône, le législateur pourrait autoriser le préfet à se substituer, en cas de refus ou d’absence de réaction, à l’autorité attributive pour interrompre la subvention ([704]).
Recommandation n° 7 : Renforcer le contrôle des subventions versées aux associations, en assurant plus de transparence sur les subventions allouées par les collectivités et en permettant au préfet de se substituer à l’autorité attributive pour faire cesser le versement d’une subvention à une association dont les actes porteraient une atteinte d’une particulière gravité aux principes républicains.
d. Améliorer la surveillance des structures et des individus soupçonnés de séparatisme ou d’entrisme
Comme le souligne le préfet des Hauts-de-Seine, un travail est à mener sur les capteurs dont nous disposons pour évaluer et décrire la menace, c’est-à-dire sur les capacités de nos services de renseignement : « S’il y a un travail à mener, c’est plus à l’entrée du tuyau qu’à notre niveau. Dans la mesure où l’entrisme opère par nature dans la dissimulation, il faut probablement aider davantage qu’on ne le fait les services de renseignement » ([705]).
Cela suppose de s’assurer que ces services disposent de moyens suffisants pour accomplir leur mission et qu’ils puissent recourir à des techniques adaptées, alors qu’ils ont unanimement fait part de leurs difficultés actuelles à recourir aux techniques de renseignement pour lutter contre les phénomènes de séparatisme et d’entrisme. La DNRT souligne ainsi que le cadre législatif en vigueur ne lui permet pas d’utiliser certains outils pour traiter ces sujets : « les finalités fixées par la loi de 2015 pour justifier les demandes de techniques de renseignement, comme les écoutes, la pose de micros ou l’installation de caméras, ne nous donnent pas d’outils pour travailler sur le séparatisme et l’entrisme ; aucune des finalités n’est adaptée à ce sujet. Nous aurions besoin d’une réelle évolution […]. Une chose est sûre aujourd’hui : mes services n’ont pas la capacité de travailler avec ces outils » ([706]).
En effet, l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure (CSI) limite à sept finalités précisément définies le recours aux techniques de renseignement soumises à autorisation, soit les techniques les plus intrusives. La finalité relative à « la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions » aurait éventuellement pu trouver à s’appliquer aux cas d’entrisme (5° du a) de l’article L. 811-3 du CSI. Or, comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur lors de son audition, l’interprétation faite de cette finalité est plus restrictive : « À ce jour, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ne retient pas l’interprétation selon laquelle la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions pourrait permettre d’utiliser ces techniques dans les cas d’entrisme » ([707]).
Le ministre indique qu’une réflexion serait en cours pour déterminer :
– s’il est possible d’élargir l’interprétation du champ de la finalité de prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions. Le ministre affirme qu’une « telle interprétation pourrait permettre d’utiliser des techniques de renseignement dans le cadre des textes existants : à mon sens, l’entrisme constitue clairement une atteinte à la cohésion nationale, au vivre-ensemble, aux valeurs de la République » ([708]) ;
– ou, si cette acception extensive n’était pas possible, s’il convient de modifier le texte pour créer une nouvelle finalité de renseignement plus adaptée à la menace actuelle.
Le garde des Sceaux a lui aussi souligné la nécessité d’une évolution législative : « Nous réfléchissons donc bien à la création d’une infraction pénale, mais celle-ci devra être fondée sur des faits, que seuls les services enquêteurs – la DGSI, les renseignements territoriaux, la DRPP –, pourront fournir. J’insiste sur la nécessité d’inclure l’entrisme parmi les finalités du renseignement pour permettre aux services de documenter les actions pénales de demain » ([709]). Il ajoute : « il faut appliquer aux personnes soupçonnées d’entrisme les mêmes techniques qu’en matière de lutte contre le narcotrafic ou le terrorisme » ([710]).
Il s’agit là, en tout état de cause, d’un sujet éminemment sensible au regard du droit au respect de la vie privée qui nécessitera lui aussi d’être évalué avec précaution et discuté dans le cadre du débat parlementaire.
● Ce débat trouve d’ailleurs son prolongement dans la question de l’accès des services de renseignement aux messageries chiffrées, évoquées par la DNRT dans une contribution : « La direction rencontre des difficultés pour accéder à certains contenus face à l’utilisation croissante des messageries cryptées par les individus représentant une menace pour les intérêts fondamentaux de la Nation » ([711]).
À ce sujet, un amendement déposé par l’ancien président de la Délégation parlementaire au renseignement (DPR), le sénateur Cédric Perrin, adopté lors de l’examen de la proposition de loi dite « narcotrafic », visait à obliger les plateformes à mettre en œuvre les mesures techniques nécessaires afin de permettre aux services de renseignement d’accéder au contenu intelligible des correspondances et données qui y transitent ([712]). Malgré l’avis favorable donné par le Gouvernement à cet amendement, cette disposition a été supprimée lors de l’examen à l’Assemblée nationale.
Recommandation n° 8 : Adapter les techniques de renseignement à la réalité de la menace islamiste en précisant la portée de la finalité relative à « la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions » pour couvrir les faits de séparatisme ou d’entrisme (5° du a) de l’article L. 811-3 du CSI et obliger les plateformes à mettre en œuvre les mesures techniques nécessaires afin de permettre aux services de renseignement d’accéder, le cas échéant, au contenu crypté des messageries.
e. Renforcer l’action judiciaire en cas de signalement et assurer une information sur les suites données
● Comme le souligne le préfet Brugère, l’autorité judiciaire est un partenaire essentiel dans la lutte contre l’entrisme islamiste : « On a peu parlé de l’autorité judiciaire, mais elle a un rôle fondamental à jouer en la matière. Nous signons régulièrement des signalements au procureur de la République sur la base de l’article 40. Même si la justice judiciaire a son temps, elle est un partenaire essentiel dans ce combat » ([713]).
À cet égard, des gains d’efficience semblent envisageables s’agissant du suivi des signalements adressés au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale ([714]). Interrogé par notre commission, le garde des Sceaux indique, à propos des signalements effectués en application de l’article 40 du code de procédure pénale : « À ma connaissance, l’autorité judiciaire a apporté une réponse à tous les signalements : soit qu’elle ait conclu à une absence d’infraction, pour une minorité des cas, soit qu’elle ait ordonné des poursuites, mais le secret de l’instruction m’interdit d’en dire plus. Je peux donc vous assurer que les procédures concernant l’enseignement supérieur, les activités politiques et les réseaux sociaux sont désormais suivies avec attention par les procureurs généraux auxquels je rappelle, à chaque fois que je les vois, l’importance de la lutte contre l’antisémitisme et les atteintes aux principes de la République » ([715]).
Il fait toutefois état des difficultés rencontrées par l’autorité judiciaire dans le suivi de ces signalements : « Pour l’autorité judiciaire, les difficultés sont nombreuses. Certes, en matière de condamnations des actions terroristes, il y a eu des avancées décisives, notamment sous les gouvernements de M. Cazeneuve et de M. Valls. De très nombreux faits sont signalés aux procureurs de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale mais il est difficile de prendre en compte ceux qui relèvent du champ de votre commission d’enquête. Dans la circulaire de politique pénale que j’ai publiée à la fin du mois de janvier 2025, un mois après mon arrivée au ministère de la justice, j’ai demandé aux procureurs de la République ou plutôt je les ai incités fortement – le ministre de la justice n’a plus le droit de formuler des demandes systématiques depuis la loi de 2013 – à ouvrir des enquêtes à la suite de signalements au titre de l’article 40 pour des prises de position en lien avec l’antisémitisme et l’antisionisme repérées dans l’enseignement supérieur, parmi les élus locaux ou encore sur les réseaux sociaux » ([716]).
Il précise que ces difficultés tiennent notamment à un manque des moyens ou à des raisons organisationnelles : « J’ai d’ailleurs rappelé aux procureurs de la République combien il était important de répondre aux justiciables qui les interpellent, qu’ils soient victimes, accusés ou lanceurs d’alerte. Certains ne le font pas par manque de moyens ou pour des raisons d’organisation – tout dépend du parquet auquel vous vous êtes adressé –, mais ils le devraient » ([717]).
Aussi, cette procédure pourrait selon lui être révisée de façon à mettre en place un suivi dédié au séparatisme, à l’entrisme et à l’islamisme radical : « Nous pourrions imaginer un suivi dédié au séparatisme, à l’entrisme et l’islamisme radical. Cela impliquerait de saisir la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) pour qu’un décret en Conseil d’État nous autorise à connaître, ce qui m’est demandé parfois, l’état d’avancement des procédures lancées au titre de l’article 40, après le signalement de telle ou telle personne. Je peux m’engager à agir en ce sens. Aujourd’hui, ces données sont couvertes par le secret de l’instruction » ([718]).
Enfin, le garde des Sceaux indique que : « Les choses vont changer, puisque nous mettrons à disposition, en début d’année prochaine, un portail numérique – comparable au site Télérecours qui permet de saisir les juridictions administratives –, qui permettra au justiciable de suivre l’intégralité de ses relations avec la justice, qu’il s’agisse d’un dépôt de plainte ou d’un signalement au titre de l’article 40 » ([719]).
B. Mieux connaître et faire connaître la menace
Pour être efficace, l’action des pouvoirs publics face à l’islamisme doit s’appuyer sur une prise de conscience générale de ce que représentent, comme menace, le séparatisme et les tentatives d’entrisme de l’idéologie islamiste au sein des institutions sociales et politiques.
1. Mieux connaître la menace et la faire connaître au grand public
Parallèlement à la conscientisation et à la diffusion des enjeux liés à l’islamisme, il s’agit d’engager des actions qui permettent de mieux connaître la menace.
a. Mobiliser les universités et renforcer l’islamologie
Au-delà des préoccupations sécuritaires, il apparait nécessaire de renforcer la connaissance académique, non seulement de l’islamisme, mais aussi de l’islam.
● Le ministre de l’enseignement supérieur reconnaît en effet que « travailler sur l’islam demeure une entreprise difficile » ([720]), tandis que le rapport sur les Frères musulmans constate que cette recherche est en France « insuffisamment investie » et « extrêmement clivée » ([721]). Aussi, ce rapport appelle de ses vœux « l’émergence d’une troisième voie universitaire, moins idéologisée et plus ancrée sur des savoirs objectivés. Il existe une génération de chercheurs en islamologie, moins visible, qui devrait être davantage sollicitée par les pouvoirs publics » ([722]). Il suggère d’élargir l’action de l’Institut français d’islamologie (IFI) au champ contemporain et à de nouvelles disciplines (sociologie, sciences politiques) et de lui allouer des postes supplémentaires de maître de conférence, afin de renforcer l’université française sur ces sujets.
● Les universités ont, dans cette perspective, un rôle majeur à jouer pour développer l’islamologie, comme l’a souligné le préfet Courtade : « Je voudrais dire un mot de l’islamologie au sens le plus large du terme – il n’y a pas, en effet, que l’islamisme politique. Malgré les dissensions existant au sein de l’université, que j’ai évoquées, je crois beaucoup au rôle de cette institution pour développer une connaissance académique de l’islam. De fait, un sérieux effort de rattrapage a été mené, notamment grâce à l’Institut français d’islamologie. Nous sommes toutefois en retard par rapport à l’Allemagne, par exemple, qui a beaucoup investi en la matière » ([723]).
Pour Ghaleb Bencheikh, il s’agit de faire de l’islamologie une discipline mieux valorisée, notamment en soutenant l’Institut français d’islamologie (IFI) créé en 2022 ([724]) : « nous avons besoin dans notre pays d’un ruissellement ou d’une irrigation de cette discipline de prestige que nous n’avons pas ou très peu […]. Nous ne pouvons pas nous tenir à l’écart des autres nations européennes ou d’ailleurs, s’agissant d’une discipline de prestige » ([725]).
● Le ministre Philippe Baptiste indique que cet effort visant la recherche doit aussi concerner l’islamisme, alors qu’il « n’existe peut-être pas encore suffisamment de spécialistes du lien entre islamisme et partis politiques » ([726]). Il rappelle toutefois « que ces sujets – islam, islamisme, radicalisation – ont bénéficié d’un réel effort de recherche additionnel depuis 2015. Cette mobilisation s’est traduite par la création de nouveaux postes, par le lancement d’initiatives spécifiques, comme l’IFI, et par la mobilisation conjointe de mon ministère, du ministère de l’intérieur et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Des financements nationaux et européens se sont combinés pour travailler sur ces questions. D’excellents chercheurs, venus de l’étude du fait religieux, de la sociologie ou de la science politique, se sont penchés sur le sujet de l’islamisme » ([727]). Il précise également que, depuis 2022, l’État a consacré 6 millions d’euros à la relance de l’islamologie, tandis que le ministère de l’intérieur a financé à lui seul près d’une centaine de projets en dix ans, pour un montant de 3,4 millions d’euros.
Recommandation n° 9 : Renforcer le soutien public au développement de la recherche sur l’islam et l’islamisme, notamment en soutenant davantage l’Institut français d’islamologie (IFI).
b. Éclairer le débat public à travers des publications statistiques et institutionnelles
C’est également à travers des publications statistiques et institutionnelles solides et récurrentes que le travail de connaissance de l’islam et de l’islamisme pourra être enrichi et diffusé auprès du grand public.
● En premier lieu, il apparaît indispensable d’impliquer la statistique publique, qui est à ce jour très en retrait voire absente sur ce sujet, comme le souligne François Kraus, directeur de pôle à l’Institut français d’opinion publique (Ifop) : « nous constatons l’absence de commandes et d’enquêtes de la statistique publique ou des grands centres de recherche sur le sujet. Depuis 1989, c’est-à-dire depuis que cette question se pose, aucune étude en population générale n’a été réalisée dans un cadre scientifique et contrôlé par le service public. Le bureau central des cultes du ministère de l’intérieur nous passe des appels d’offres, mais ceux-ci se traduisent rarement par de vraies enquêtes. À nos yeux, il y a un problème : que ce soient le ministère de l’intérieur, le CNRS, l’Ined, l’Insee ou les centres de recherche universitaires, aucun organisme, en cinquante ans, n’a mené une enquête scientifique auprès de 20 000 ou 40 000 personnes qui nous permettrait de disposer de données incontestables. Ce manque d’outils d’évaluation amène l’Ifop à pallier la carence de la commande publique – avec des moyens humains, techniques et financiers évidemment beaucoup moins robustes » ([728]).
Recommandation n° 10 : Mobiliser la statistique publique pour renforcer la connaissance de l’islamisme.
● En second lieu, et comme le propose le rapport sur les Frères musulmans et l’islamisme politique précité, il serait utile que ces données soient complétées par un rapport établi par les services de renseignement, qui pourrait être intégré dans le rapport bisannuel prévu par la loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France (sur le modèle de ce que pratiquent déjà dans les services belges et allemands qui publient un rapport annuel sur l’état de la menace).
Recommandation n° 11 : Prévoir l’intégration d’un rapport établi par les services de renseignement sur la menace que représente l’islamisme politique au sein du rapport bisannuel sur les ingérences étrangères.
2. Conscientiser les décideurs publics et en particulier les élus locaux
a. Informer et être présents aux côtés des décideurs publics
En premier lieu, il revient à l’État d’œuvrer à la prise de conscience de tous les décideurs publics de la menace que représente l’islamisme politique. Ainsi, pour la DLPAJ, « L’enjeu réside […] pour l’essentiel dans l’information du grand public et dans la formation et la sensibilisation des élus à cette réalité » ([729]).
Sur ce point, votre rapporteur salue la qualité du travail accompli par les auteurs du rapport sur les Frères musulmans et l’islamisme politique en France et la décision du ministère de l’intérieur de publier ce rapport. S’il a suscité des débats, il a incontestablement fait œuvre utile en analysant pour la première fois la réalité de cette menace et en l’exposant au grand public. Le postulat était en effet clair : « L’acculturation du grand public à la réalité de la menace apparait essentielle pour qu’elle soit combattue efficacement, a fortiori dans un contexte marqué par l’extrême sensibilité de la population musulmane et la fréquente dénonciation de "l’islamophobie" » ([730]).
● Il convient de mobiliser tous les leviers possibles pour conscientiser les décideurs publics, et notamment les élus. La DNRT indique à ce titre : « Nous avons besoin, bien sûr, de courage politique, d’une action des élus nationaux, à tous les niveaux, pour prendre en compte la question. Elle existe, il y a une menace. C’est pour cela qu’un rapport a été rendu public. Il est intéressant, même si un autre rapport, classifié, contient plus d’éléments. Nos collègues des services de sécurité de Belgique, des Pays-Bas, d’Allemagne et d’autres pays nous envient parce que nous avons, au moins, réussi à dire les choses. Il faut poursuivre dans ce sens. Donner un coup de projecteur, avoir une vraie photographie de la situation doit permettre d’apaiser un peu les choses » ([731]).
Comme le rappelle la DLPAJ : « Certains élus sont complaisants, mais beaucoup d’entre eux sont de bonne volonté et ne sont pas conscients de ce qui se passe parfois dans leur commune, leur conseil municipal ou leur exécutif » ([732]). Il est donc important de leur apporter un soutien face à une menace particulièrement insidieuse.
Placés en première ligne, ces derniers ne disposent pas toujours de l’information nécessaire pour prendre leurs décisions en toute connaissance de cause. La DRPP souligne ainsi que « Dans certains cas des phénomènes d’influence ou d’entrisme peuvent être constatés, sans que les responsables locaux en aient forcément conscience. Ils peuvent tout à fait ignorer de bonne foi qui sont en réalité leurs interlocuteurs ou leurs intentions » ([733]).
En revanche, lorsqu’ils disposent d’une information leur révélant une situation problématique, ils prennent généralement les devants, comme cela fut le cas concernant le lycée Ibn Khaldoun, dont les subventions par le conseil régional et le conseil départemental ont été suspendues après la publication du rapport sur les Frères musulmans et l’islamisme politique en France ([734]).
● Il convient à cette fin de conforter la place des préfets comme premiers acteurs de la sensibilisation des élus, à travers l’organisation régulière d’échanges avec l’ensemble des décideurs publics du territoire sur les questions de laïcité, de séparatisme et d’entrisme, de façon à permettre à chacun de prendre des décisions éclairées et, notamment, de distinguer les demandes légitimes de certaines communautés de celles manifestant une atteinte aux principes républicains.
Cela suppose une action proactive de la part des préfets, qui doivent aller au contact des élus. Pour le préfet Courtade : « le dialogue entre le préfet, le sous‑préfet et le maire peut et doit avoir lieu – ce qui est le plus souvent le cas. Bien sûr, les maires peuvent demander l’expertise des services de l’État, mais c’est aussi le devoir du préfet et du sous-préfet – c’est ma conception de la fonction – d’aller au contact des élus pour essayer de les éclairer » ([735]).
Lors des auditions, ont par exemple été évoquées des réunions publiques ou des groupes de travail sur des thématiques liées à la laïcité et à l’islamisme.
Recommandation n° 12 : Conforter la place des préfets comme premiers acteurs de la sensibilisation des élus par l’organisation régulière d’échanges avec l’ensemble des élus du territoire sur les questions de laïcité, de séparatisme et d’entrisme.
b. Institutionnaliser le dialogue entre le préfet et les élus locaux
● Le dialogue entre les services de l’État et les élus locaux sur les menaces existantes sur le territoire et leur évolution (au-delà des seuls cas de l’entrisme et du séparatisme) pourrait par ailleurs faire l’objet d’une forme d’institutionnalisation dans certains territoires.
À ce sujet, il n’apparaît pas souhaitable de modifier le fonctionnement des cellules de lutte contre l’islamisme radical (Clir), qui donnent globalement satisfaction, comme l’indique la préfecture de la Haute-Garonne : « S’agissant des outils, je rejoins ce qu’ont dit mes collègues : l’appareil juridique et opérationnel est stabilisé et efficace. L’outil Clir donne satisfaction » ([736]).
Sans déstabiliser ces structures, des gains d’efficience pourraient sans doute être réalisés, par exemple en consolidant les informations dont elles disposent, comme le propose le préfet de la Seine-Saint-Denis : « elles ont trouvé leur place et fonctionnent de mieux en mieux, même si des éléments pourraient être améliorés – s’agissant du secret fiscal ou de l’association des organismes de sécurité sociale par exemple » ([737]).
Comme l’ont indiqué plusieurs préfets, la nature des informations échangées nécessite un format d’échange dans un cadre restreint. Pour le préfet de la Seine-Saint-Denis : « Les échanges doivent intervenir dans un cadre restreint et nous devons être soit dans une posture de conseil quand un élu se trouve face à une difficulté, soit dans une posture de rappel à la règle quand on estime que l’approche de ces questions est incorrecte ou ambiguë. Je ne suis pas favorable à un élargissement excessif de nos instances, comme évoqué par mon collègue Brugère, car plus il y a de monde autour de la table, moins on parle librement » ([738]).
Aussi, la mission d’évaluation de la loi CRPR du Sénat proposait quant à elle d’envisager, sur le modèle des sous-préfets à la relance, de désigner dans chaque département un sous-préfet chargé des missions relatives aux valeurs de la République et au lien avec les associations cultuelles et de nommer un sous-préfet exclusivement dédié à cette tâche lorsque le contexte départemental le justifie ([739]). Plutôt que cette dernière piste, votre rapporteur suggère d’institutionnaliser des échanges annuels entre le préfet et les élus, particulièrement lorsqu’un écosystème islamiste a été identifié sur le territoire. Cette évolution permettrait de créer un lien plus solide entre ces acteurs sur cette thématique et sans doute de mieux partager des signaux ou informations utiles à la compréhension de la menace.
Recommandation n° 13 : Institutionnaliser au moins un ou deux échanges bilatéraux annuels sur les questions liées à l’islamisme politique entre le préfet et les maires concernés par cette problématique sur leur territoire.
● Cette démarche de sensibilisation des élus implique également un partage raisonné d’informations et une transparence accrue des services de l’État, appelés de leurs vœux par plusieurs maires auditionnés, à l’image du maire de Thonon-les-Bains : « il me semble qu’un maire doit recevoir, sans avoir besoin de la demander, toute l’information utile sur la situation des communautés, quelles qu’elles soient » ([740]).
Pour le préfet Courtade : « Mon avis personnel est qu’il faut partager certaines informations sensibles avec les maires, pour peu qu’on les juge dignes de confiance, car, vous l’avez dit, certains "se sont fait avoir". Par exemple, l’une des premières filières djihadistes démantelée était issue d’une mosquée ; une bonne vingtaine de jeunes étaient partis en zone irako-syrienne. Plusieurs années après, le maire de la commune était toujours abasourdi et ne pouvait ni ne voulait comprendre ce qui s’était passé, alors que c’était éclatant. Et encore, il s’agissait de terrorisme ; en matière d’entrisme, les choses sont plus subtiles » ([741]). Celui-ci rappelle d’ailleurs qu’une circulaire 2018 ([742]) avait mis en place un tel partage en matière de prévention de la radicalisation violente, disposant que le maire est fondé à disposer d’une information régulièrement actualisée sur l’état de la menace terroriste sur le territoire de sa commune, et précisant que les échanges à caractère confidentiel devront être accrus dans les cas où le maire a à en connaître au regard de ses missions.
En somme, c’est une réflexion au cas par cas qui doit être faite par le préfet, comme le suggère le préfet Brugère : « Nous parlons là d’une matière sensible, largement remontée par les services de renseignement, pour laquelle s’applique le principe du droit à en connaître : par définition, certains éléments sont couverts par le secret et leur extériorisation doit donc être réfléchie. Même au sein d’une administration de l’État, tout le monde n’a pas à connaître des éléments qui nous sont transmis par les services de renseignement. La question se pose a fortiori s’agissant des élus. La réflexion se fait au cas par cas. Deux principes doivent nous guider. D’abord, la transmission d’une information ne doit pas menacer sa source. Généralement, les informations dont la source est aisément identifiable ont vocation à ne pas être diffusées. Ensuite, une relation bilatérale de confiance est nécessaire pour que l’interlocuteur fasse bon usage de l’information et que sa réaction fasse avancer vers l’objectif final, faire reculer l’islamisme » ([743]).
c. Former les élus locaux, notamment sur la laïcité, les différents cultes et les dérives religieuses constatées sur le territoire national
● En premier lieu, les collectivités territoriales doivent être sensibilisées à leur obligation de nomination d’un référent laïcité, prévue par la loi CPRR ([744]). En effet, la mission sénatoriale d’évaluation de la loi CRPR juge que si le réseau de référents laïcité se construit progressivement, il gagnerait à faire l’objet d’un recensement exhaustif et à être mobilisé plus activement ([745]). Dans le même sens, l’IGA suggère de mobiliser ces référents pour réaliser une remontée statistique des atteintes à la laïcité dans leurs rapports annuels, en confiant aux ministères chargés des collectivités territoriales et de la santé la responsabilité de produire une synthèse de leurs rapports d’activité ([746]).
Recommandation n° 14 : Sensibiliser les collectivités territoriales à l’obligation de nommer un référent laïcité et confier à ces derniers une mission de recensement des atteintes à la laïcité pour enrichir le suivi au niveau national.
● En second lieu, et plus globalement, la formation des maires, de leurs agents et des décideurs publics, doit être renforcée notamment, comme le suggère le rapport sur les Frères musulmans, « sur les enjeux de laïcité, la connaissance des cultes et de l’islam en particulier, ainsi que sur les ressorts et les manifestations du séparatisme » ([747]).
Votre rapporteur souligne que, bien que les maires soient déjà formés aux enjeux liés à la laïcité, une meilleure connaissance de certains cultes permettrait d’identifier plus facilement d’éventuelles dérives et de partager des expériences de terrain.
À cette fin, les services de l’État ont pleinement leur rôle à jouer. La préfecture de la Seine-Saint-Denis a ainsi organisé un séminaire avec les maires du département lors de la semaine de la laïcité prévue début décembre, à l’occasion des 120 ans de la loi de 1905, et a évoqué lors de son audition l’élaboration d’une « formation obligatoire à la laïcité au bénéfice des maires » ([748]).
La formation constitue d’ailleurs l’une des dimensions du plan national de prévention de la radicalisation, adopté en 2018 ([749]) et mise en œuvre par le secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR). Dans un rapport sur ce comité, la Cour des comptes indique que « Les acteurs locaux ont souligné la qualité de l’accompagnement et de la formation proposée par le SG-CIPDR, dont le rôle de ressource a évolué ces dernières années ».
Le préfet Courtade indique quant à lui qu’une réflexion est en cours au ministère de l’intérieur sur les « actions à mener en direction des élus locaux, à commencer par la formation. Des formations existent – qui sont assurées, entre autres, par le CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) –, mais peut-être faudrait-il proposer des formations plus spécialisées. Au sein du ministère de l’intérieur, il y a sans doute un peu de mise en cohérence à faire ; il est en outre nécessaire de développer la capacité à déployer des formations de terrain au dernier kilomètre par des gens spécialisés. Les ressources existent ; c’est plutôt une question de mise en œuvre » ([750]).
Le ministère confirme qu’un plan de formation à l’attention des agents du ministère est en cours d’élaboration et que des « actions de sensibilisation pourraient être menées à l’égard des fonctionnaires territoriaux, voire des élus, selon des modalités qui restent à préciser » ([751]).
● Les associations d’élus apparaissent également comme un acteur important pour la formation des élus. C’est d’ailleurs ce que souligne la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio : « Toutes les associations de maires ou d’élus locaux doivent considérer ce sujet comme une priorité dans leurs formations aux élus. De nombreux élus ne voient pas les choses venir ou les verront trop tard, tandis que d’autres sont dans le déni » ([752]).
À cet égard, l’Association des maires de France (AMF) a indiqué à votre rapporteur avoir créé il y a quelques années un groupe de travail laïcité et proposer des formations sur la laïcité, qui cependant « ne font pas l’objet de beaucoup de demandes, les élus privilégiant les séances d’information sur le sujet où ils peuvent venir accompagnés de leurs DGS ou secrétaires généraux de mairie » ([753]). L’AMF a également indiqué avoir présenté, lors du dernier congrès des maires, le module de formation dispensé par l’agence nationale de cohésion des territoires intitulé « Valeurs de la République et Laïcité » qui s’adresse aux élus comme aux agents travaillant dans les collectivités. Enfin, elle a produit en 2015 un vade-mecum sur la laïcité à l’usage des élus.
● Il serait opportun que ces formations comportent une dimension pratique avec la présentation de situations concrètes, auxquelles les élus peuvent être confrontés. Dans cette perspective, pourrait être élaboré, sur le modèle du rapport « état de la menace » de Tracfin ([754]), un référentiel présentant des situations‑type et les solutions pouvant être apportées.
Recommandation n° 15 : Former les décideurs publics locaux aux enjeux liés à l’islamisme et la laïcité, en associant le CNFPT et les associations d’élus, et formaliser un référentiel sur ces questions avec des situations de référence permettant d’identifier les problèmes et les éventuelles solutions à leur apporter.
d. Sensibiliser les parlementaires à la menace de l’islamisme politique
Les parlementaires, comme les autres élus, doivent être pleinement sensibilisés aux enjeux liés à l’islamisme politique, et notamment au séparatisme et à l’entrisme.
● À ce titre, votre rapporteur note avec intérêt la proposition de la DGSE selon laquelle les services de renseignement devraient faire régulièrement part au Parlement de l’état des menaces pesant sur la sécurité nationale, au-delà de ses contacts avec la délégation parlementaire au renseignement (DPR) ([755]). À cette fin, une présentation annuelle pourrait être organisée au Parlement sur cette thématique.
Recommandation n° 16 : Renforcer les interactions entre les services de renseignement et le Parlement, en instaurant notamment un débat annuel sur l’état des menaces pesant sur notre pays.
● De la même manière, un débat sur l’islamisme politique et ses manifestations de séparatisme et d’entrisme sur notre territoire, pourrait être organisé sur le fondement de l’article 50‑1 de notre Constitution afin de permettre aux différents groupes de s’interroger et de partager leurs vues et recommandations à ce sujet.
Recommandation n° 17 : Prévoir un débat parlementaire, au titre de l’article 50-1 de la Constitution, sur l’islamisme politique et ses manifestations de séparatisme et d’entrisme.
e. Dénoncer les dérives et les prévenir en dotant les partis politiques de mécanismes internes de prévention et de vigilance face aux stratégies d’entrisme
● Comme le souligne la sénatrice Eustache‑Brinio : « La formation des élus et l’explication du fonctionnement de l’islamisme ne modifieront cependant pas l’attitude de ceux qui sont complices et qui pratiquent le clientélisme électoral » ([756]).
La DRPP indique à cet égard qu’une stratégie de conscientisation est en cours d’élaboration par le ministère de l’intérieur, identifiant deux étapes de dialogue, la seconde impliquant la désignation publique de certains comportements : « Le préfet mènera un entretien tendant à informer un élu de ce que l’on a détecté autour de lui. On s’achemine vers un processus en deux étapes : conscientisation suivie, le cas échéant, de désignation publique – name and shame, disent les Anglosaxons – s’il apparaît qu’un maire ou tout autre élu savait à qui il avait affaire et n’est manifestement pas de bonne foi […]. La démarche sera mise en œuvre par les préfets » ([757]). Votre rapporteur appelle de ses vœux la mise en place rapide de cette stratégie et sa diffusion massive.
● Pour autant, il convient de rappeler qu’il est interdit aux services de l’État, et notamment aux services de renseignement, de surveiller les partis politiques. En effet, le cadre constitutionnel et législatif protège strictement la liberté de formation, d’organisation et d’expression des partis politiques, laquelle constitue un pilier du pluralisme démocratique et est protégée par l’article 4 de notre Constitution ([758]).
Dans ce contexte, face à l’entrisme et au jeu dangereux auquel se livrent certains responsables politiques, notamment au niveau de la représentation nationale (voir la partie II du rapport), il est indispensable que les partis politiques assument pleinement leur rôle dans la détection et la prévention de telles tentatives d’influence et, pour ce faire, qu’ils se dotent de mécanismes internes de prévention et de vigilance face aux stratégies d’entrisme.
Il est de leur responsabilité de prévoir des procédures permettant de mieux contrôler les investitures et des mécanismes clairs de sanction. Sans cet engagement volontaire des formations politiques, l’action publique restera structurellement limitée face aux stratégies d’entrisme décrites dans ce rapport.
Aussi, dans la perspective des prochaines échéances électorales, les formations politiques devraient renforcer leurs procédures de sélection et de contrôle des candidats, encadrer plus strictement les investitures locales et nationales, et s’assurer que leurs représentants ne puissent servir – volontairement ou non – de relais à des groupes promouvant l’idéologie islamiste.
Les partis devraient également élaborer des chartes incluant explicitement l’interdiction de toute complaisance à l’égard d’individus ou de structures séparatistes, et prévoir des actions pour y mettre un terme rapidement en cas de manquements.
Cette exigence de vigilance constitue une condition essentielle pour préserver la confiance dans nos institutions démocratiques et empêcher que des acteurs hostiles aux principes républicains ne trouvent, au sein des organisations politiques, des relais ou des opportunités d’influence.
Recommandation n° 18 : Au sein de chaque parti ou mouvement politique national :
– renforcer les procédures de sélection et de contrôle des candidats et encadrer plus strictement les investitures locales et nationales ;
– élaborer des chartes incluant explicitement l’interdiction de toute complaisance à l’égard d’acteurs promouvant des valeurs contraires aux valeurs et principes de la République, et prévoir des actions pour y mettre un terme rapidement en cas de manquements.
C. Combattre une idÉologie contraire À nos valeurs par des actions positives concrÈtes
La multiplication d’écosystèmes séparatistes locaux qui exercent leur emprise sur des structures culturelles, sociales et éducatives (voir partie I) met en péril les valeurs de la République. Selon le ministère de l’intérieur, « la disparition de la mixité dans l’espace public, l’imposition, parfois sourde, de pratiques religieuses portant atteinte à la liberté de conscience ou à la tranquillité publique, la résonance de discours radicaux pouvant alimenter une atmosphère de haine conduisant à la violence individuelle ou collective, notamment auprès des plus jeunes, la mobilisation d’imaginaires collectifs utilisés en vue d’attiser la division de la société, prospérant sur une quête identitaire issue des blessures du passé ravivées par une certaine lecture de l’actualité géopolitique mondiale, la contestation récurrente du principe de laïcité dans les services publics, la remise en cause des programmes scolaires, le refus de certaines obligations administratives ou juridiques, le dénigrement des institutions publiques au profit d’une autorité religieuse, la revendication d’aménagements spécifiques aux règles de la vie commune, en sont les conséquences directes » ([759]).
Aussi, votre rapporteur s’inscrit pleinement dans la vision partagée par la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio qui « affirme qu’il ne s’agit nullement d’une question partisane de droite ou de gauche, mais d’un sujet d’unité nationale et de cohésion. Nous devons partager une vision commune sur ce sujet, protéger les territoires et combattre ces écosystèmes ou communautés qui existent déjà dans certains départements, où seule la religion subsiste, où les commerces ne sont plus diversifiés et où des habitants quittent leur quartier parce qu’ils ne s’y reconnaissent plus. Ce phénomène représente un réel danger. Nous devons faire comprendre à la jeunesse actuelle que le vivre ensemble repose d’abord sur le fait d’être citoyen et que la religion ne doit pas régir nos rapports interpersonnels » ([760]).
La jeunesse est particulièrement prise pour cible par les mouvements islamistes, largement impliqués dans les secteurs éducatifs, sociaux et sportifs. L’intensification des pratiques religieuses chez les moins de 25 ans rend par ailleurs cette population perméable aux discours intégralistes portés par des militants islamistes. Comme le mentionne François Kraus, « nous faisons face à une jeunesse en quête de sens et d’appartenance. Selon moi, la dynamique et le succès du frérisme s’expliquent en grande partie par une capacité à proposer un référentiel moral et intellectuel structurant, axé autour d’un discours identitaire total. D’abord, il comporte en effet une dimension religieuse, à travers le retour à une foi authentique et à un islam des origines très différent de l’islam beaucoup plus modéré des parents ou des grands-parents. Ensuite, ce discours revêt une dimension sociale par une logique et une solidarité communautaires qui peuvent être très importantes, surtout chez des personnes marginalisées ou exclues du marché de l’emploi qui ont besoin de ce type de solidarité pour s’en sortir. Enfin, ce référentiel comporte une dimension politique, à travers un rejet d’une partie des valeurs de l’Occident. Ce rejet n’est pas nécessairement anti-républicain. Mais une portion de cette jeunesse, dont la culture politique peut être limitée, a le sentiment que certaines valeurs contredisent la vision morale conservatrice voire extrêmement traditionaliste diffusée par leur religion. C’est le cas notamment en matière de libéralisme des mœurs, d’égalité entre hommes et femmes et au rapport aux minorités de genre, aux questions LGBT » ([761]). Il est urgent de protéger notre jeunesse et de réaffirmer les valeurs de la République dans les principaux champs d’influence des islamistes.
● Le contrôle de l’accueil collectif de mineurs doit être renforcé. La DNRT précise en effet que « les critères de l’accueil collectif de mineurs sans hébergement semblent trop restreints pour prendre en compte certaines écoles coraniques » ([762]). Les dispositions qui réglementent l’accueil collectif de mineurs ([763]) (obligations de déclaration préfectorale, contrôles d’honorabilité et de compétences des encadrants, contrôles pédagogiques, respect des normes d’hygiène et de sécurité, etc.) ne s’appliquent en effet que partiellement aux établissements dispensant des cours d’enseignement religieux.
À ce titre, le ministère de l’intérieur indique que « De nombreuses préfectures ont fait remonter la difficulté à contrôler les accueils de mineurs » ([764]). Il précise également que ces structures, « qui peuvent parfois être en lien avec des activités séparatistes, sont nouvelles dans le paysage associatif français et ne rentrent pas aisément dans les catégories juridiques préalablement établies. C’est notamment le cas des "madrasas" ou des "écoles coraniques", qui peuvent parfois, sur des créneaux horaires pouvant aller jusqu’à la journée entière du mercredi, du samedi ou du dimanche, accueillir des centaines, voire milliers d’enfants pour leur dispenser des cours d’éducation religieuse, ainsi que, s’agissant de l’islam, des cours d’apprentissage de l’arabe nécessaire à la découverte et l’apprentissage du Coran. Ces écoles coraniques exercent parfois d’autres activités : activités de découverte, sportives, culturelles, ou d’aides aux devoirs. Il en résulte une incertitude juridique source de fragilité, dont ces écoles coraniques, à laquelle l’écrasante majorité ne pose pas de difficulté de principe, sont d’ailleurs les premières à demander à l’État de remédier » ([765]).
La DNRT indique que « le rapport de l’IGA a proposé plusieurs évolutions concernant l’enseignement scolaire et religieux, par exemple d’étudier l’opportunité d’une obligation de déclaration des lieux d’enseignement religieux et d’un contrôle d’honorabilité des personnes qui y enseignent ou participent à l’encadrement des activités » ([766]).
Sur ce point, le ministère de l’intérieur a signifié à la commission que « Plusieurs pistes sont à envisager : création d’un régime ad hoc de déclaration de l’ensemble des accueils de mineurs, lorsqu’ils se font sur un mode collectif par une association, avec contrôles d’honorabilité des encadrants ; création d’une possibilité subsidiaire et générale de contrôle de tout accueil de mineur, quel que soit son statut, au profit des services de l’État, en vue de s’assurer du respect des garanties de santé et de sécurité physique et morale des mineurs. L’objectif est d’être tout à la fois clair et lisible, de permettre à l’État et aux pouvoirs publics d’exercer leur contrôle pour le bien supérieur de l’enfant, et de ne pas alourdir démesurément la charge administrative des associations déjà soumises à de fortes contraintes, notamment financières » ([767]).
Votre rapporteur invite par conséquent à poursuivre ces réflexions afin d’étendre ces critères à l’ensemble des établissements assurant des cours d’enseignement religieux.
Recommandation n° 19 : Renforcer le contrôle des structures d’accueil collectif des mineurs :
– élargir les critères de l’accueil collectif de mineurs sans hébergement pour que soient soumises à leur réglementation certaines écoles coraniques ;
– prévoir une obligation de déclaration des cours d’enseignement religieux ;
– mettre en place un contrôle d’honorabilité des encadrants.
● Il est par ailleurs urgent de renforcer la vigilance dans l’enseignement scolaire hors contrat et à distance.
Selon un rapport de l’inspection générale de l’administration (IGA) non rendu public, les écoles confessionnelles sont, pour la plupart d’entre elles, contrôlées par des courants islamistes (voir partie I). La grande liberté pédagogique conférée aux établissements d’enseignement privé hors contrat est contrebalancée par certaines exigences, dont l’acquisition progressive du socle commun ([768]). Or, l’IGA considère que la vérification de la capacité des établissements privés hors contrats à garantir cette acquisition progressive n’est pas systématique ([769]).
L’inspection, tout comme la DNRT, recommandent donc de soumettre les élèves scolarisés dans ces établissements à des évaluations nationales à la fin de chaque cycle, afin de s’assurer de la progression des apprentissages.
Par ailleurs, Pascal Courtade a signalé à la commission que « les organismes d’enseignement à distance […] ne sont pas visés par la loi confortant [le respect des] principes de la République » ([770]).
Votre rapporteur propose ainsi de renforcer le contrôle des établissements d’enseignement hors contrat et des organismes d’enseignement à distance, lorsque des manquements en termes de progression des apprentissages sont signalés.
Recommandation n° 20 : renforcer l’évaluation de la progression des apprentissages dans le cadre de l’enseignement scolaire dans les établissements hors contrat et à distance en cas de manquements signalés.
● L’IGA préconise en outre d’examiner la possibilité de réprimer l’abus de faiblesse ([771]) dans le cadre de phénomènes séparatistes et d’incriminer pénalement les responsables de mouvements islamistes – ou de tout autre responsable sectaire – exerçant une emprise sur les jeunes. Le ministre de la justice considère que « La pénalisation de l’abus de faiblesse est un levier très important pour lutter contre les mouvements séparatistes, dont certains présentent aussi un caractère sectaire – il y a d’ailleurs une forme de dérive sectaire dans le séparatisme islamiste. Je suis très favorable à ce que cette infraction puisse être mobilisée pour protéger les femmes, les mineurs, mais aussi les personnes affectées par une maladie psychiatrique – dont je rappelle qu’elles représentent plus de 20 % des fiches S – ou soumises à une dépendance, quelle qu’elle soit » ([772]).
Le constat fait en 2003 par le rapport de la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République présidé par Bernard Stasi demeure d’actualité : « L’université doit être ouverte sur le monde. Il n’est donc pas question d’empêcher que les étudiants puissent y exprimer leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques. En revanche, ces manifestations ne doivent pas conduire à transgresser les règles d’organisation de l’institution universitaire » ([773]).
À ce propos, le ministre Philippe Baptiste a rappelé « le principe de neutralité du service public, qui s’applique à la présidence de l’université et à tous les agents publics, y compris aux doctorants, coexiste avec le principe de liberté pour les usagers. Contrairement à ce qui se passe à l’école, les signes religieux, en particulier le voile, sont autorisés à l’université. La raison en est assez simple : nous avons affaire à des adultes, qui ont leur liberté de conscience religieuse et politique, tandis que les collégiens et lycéens sont encore en pleine formation. En revanche, le voile intégral est interdit à l’université, comme partout ailleurs dans l’espace public. Le port du voile assorti d’un masque chirurgical est également interdit, il convient de le rappeler » ([774]).
Néanmoins, si les étudiants disposent « de la liberté d’information et d’expression à l’égard des problèmes politiques, économiques, sociaux et culturels » ([775]), cette liberté ne peut en aucun cas légitimer des discours et des postures antisémites et racistes.
S’agissant des dérives au sein des universités, votre rapporteur engage le ministre à faire preuve de la plus grande fermeté.
Lors de son audition, ce dernier a précisé le sens de son action : « Le ministère a vocation à mobiliser l’ensemble des instruments à sa disposition lorsque de tels faits se produisent : application de l’article 40 du code de procédure pénale, mise en œuvre de la protection fonctionnelle, sollicitation d’une protection policière auprès du ministère de l’intérieur, procédures disciplinaires à la main des établissements » ([776]).
Sur ce point, les efforts entrepris par la récente loi « Lévi-Fialaire » ([777]) devront être intensifiés afin de renforcer la lutte contre l’antisémitisme et les actes racistes à l’université, de façon à dénoncer systématiquement les dérives et à demander que des sanctions soient prises de la manière la plus efficace possible.
À cet égard, votre rapporteur regarde avec l’intérêt le partenariat créé entre le ministère et les équipes du mémorial de la Shoah, afin de travailler sur des ressources pédagogiques communes pouvant être mises à la disposition du plus grand nombre. Par ailleurs si, comme le ministre le suggère, des modules spécifiques à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme doivent être intégrés aux programmes, notamment pour les étudiants qui siégeront dans les composantes ([778]), les multiples incidents intervenus au cours des dernières années laissent penser qu’il est pertinent, sinon nécessaire, de former tous les étudiants à ces questions.
Recommandation n° 21 : Intensifier la sensibilisation aux questions relatives à l’antisémitisme et au racisme au sein des établissements d’enseignement supérieur et s’assurer qu’une formation soit dispensée aux étudiants lorsque des dérives ont été constatées.
Le domaine sportif est l’un des principaux relais d’influence des mouvements islamistes (voir la partie I). Comme ont pu le souligner Caroline Yadan et Julien Odoul dans le cadre d’une mission flash de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, il n’existe pas de règles unifiées pour les fédérations sportives qui peuvent librement autoriser ou proscrire le port de signes religieux en compétition ([779]). Selon la mission, seules quatorze fédérations interdisent cette pratique. Par ailleurs, hors compétition et dans le cadre de la pratique sportive de loisir, l’autorisation ou non du port de signes religieux dépend des règlements intérieurs des clubs sportifs.
Le ministre de l’intérieur a ainsi déclaré qu’« il faut harmoniser les règles des fédérations, sachant que le séparatisme et l’entrisme ne passent pas que par le port d’un signe religieux pendant les compétitions. Certaines ligues de football nous ont rapporté l’existence de clubs strictement communautaires, ce qui est un vrai problème » ([780]). S’agissant du port du voile, le ministre a précisé « Comme ministre de l’intérieur, je pense que c’est une bonne chose, car le port du voile en compétition est, à mon sens, un signal en faveur de sa généralisation, y compris dans des endroits où il n’est pas permis actuellement. Je me réjouis que les ministres des sports rappellent aux fédérations leurs obligations en la matière » ([781]).
Face à ces constats, votre rapporteur estime indispensable de procéder à une harmonisation des règles encadrant le port de signes religieux lors de la pratique sportive. Il souscrit par ailleurs à la suggestion de la DNRT de « renforcer les contrôles d’honorabilité pour les associations sportives » ([782]) afin de lutter contre ces phénomènes de séparatisme et d’entrisme au sein des associations sportives.
Recommandation n° 22 : Procéder à l’harmonisation des règles des fédérations sportives encadrant le port de signes religieux lors des compétitions sportives.
Recommandation n° 23 : Renforcer les contrôles d’honorabilité pour les associations sportives.
Votre rapporteur alerte particulièrement sur le phénomène de prolifération de « machines de prédication virtuelles », ciblant notamment les plus jeunes (voir la partie I). Il souhaite à ce titre rappeler que les réseaux sociaux peuvent constituer l’antichambre de manifestations extrêmement violentes entreprises au nom de l’islam radical ([783]).
Les discours séparatistes publiés par des « prédicateurs 2.0 » peuvent déjà être signalés sur deux plateformes : le centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR) piloté par l’unité de coordination de la lutte antiterroriste de la DGSI et la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos) au sein de la direction nationale de la police judiciaire. L’IGA recommande ainsi de mieux communiquer sur cette possibilité de signalement des contenus séparatistes ([784]).
Par ailleurs, si le CIPDR dispose déjà d’un pôle dédié à la veille des réseaux sociaux qui analyse notamment les discours séparatistes publiés en ligne, son secrétaire général préconise de relancer le groupe de travail « influenceurs islamistes en ligne » du ministère de l’intérieur, « en chargeant le CIPDR de son suivi et fonctionnement et de limiter le champ couvert par le pôle de veille au séparatisme islamiste et ses marges » ([785]). Votre rapporteur préconise à ce titre de porter une attention particulière au réseau social Tik Tok, largement fréquenté par les jeunes dont les manquements en termes de modération sont avérés ([786]). Auditionné par la commission d’enquête sur les effets psychologiques de Tik Tok sur les mineurs, Hugo Micheron a déclaré que lors d’une expérimentation conduite auprès de jeunes adultes, « une cinquantaine de comptes vierges, paramétrés avec le moins d’informations possible, ont été créés sur TikTok. La première recherche de contenu a consisté à taper le mot islam, on ne peut plus générique, dans la barre des tâches. Il s’agissait de voir au bout de combien de vidéos on tomberait sur des contenus indiscutablement – j’insiste sur ce point – salafistes, qui font la promotion, par exemple, des auteurs de référence de cette doctrine radicale de l’islam ou de ses éléments constitutifs, comme le port du voile intégral et de gants par les femmes. Le résultat n’a jamais été supérieur à cinq vidéos – c’était entre trois et cinq. Quand on prend en considération ce que pèse cette doctrine dans l’islam mondial et de France, il est en soi assez hallucinant de découvrir qu’elle est à ce point présente sur la plateforme privilégiée des jeunes » ([787]). Selon lui, « il est inutile d’ajouter une heure d’enseignement hebdomadaire à l’école pour promouvoir le "vivre-ensemble" ou l’éducation civique, si les élèves sont surexposés à du contenu radical sur ce type de plateforme » ([788]).
Votre rapporteur est également sensible aux actions menées par des acteurs non institutionnels, comme le programme « Jeune France » déployé par la Fondation pour l’islam de France, qu’a pu présenter Ghaleb Bencheikh. Ce programme, qui sensibilise les jeunes sur les dérives des contenus islamistes publiés sur les réseaux sociaux, « offre en quelque sorte une contre-réponse sur les réseaux sociaux – ou plutôt asociaux selon certains – en direction de jeunes gens, pour la plupart musulmans » ([789]). La fondation et ses partenaires conduisent des ateliers au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville et effectuent des interventions en milieu scolaire « afin que des imams autoproclamés qui sévissent sur ces réseaux sociaux ne viennent pas raconter n’importe quoi aux jeunes ; que ces derniers puissent passer par le filtre de l’entendement » ([790]).
Recommandation n° 24 : Relancer le groupe de travail « Influenceurs islamistes en ligne » et en confier le pilotage au SG‑CIPDR.
Recommandation n° 25 : Faire de la modération sur les plateformes numériques une priorité nationale afin de lutter contre la prolifération de contenus faisant l’apologie du terrorisme et incitant à la haine.
Recommandation n° 26 : Conduire une grande campagne de sensibilisation à ces contenus, notamment à destination des jeunes et communiquer largement sur l’existence de deux plateformes de signalement.
● Le rapport Frères musulmans et islamisme politique en France souligne que le combat contre l’islamisme ne peut être mené sans l’adhésion du public. Dans cette perspective, il affirme qu’un « nouveau discours public sera probablement nécessaire, qui ne cantonne pas la République à la laïcité et soit de nature à proposer les ferments d’une "amitié civique". Les islamistes proposent un grand récit, face auquel les "valeurs de la République" ne suffisent pas » ([791]).
Selon une récente étude de l’Ifop, 15 % des musulmans interrogés considéreraient que la charia doit s’appliquer intégralement dans le pays dans lequel ils vivent ([792]) ([793]). Ce constat, quand bien même la méthodologie retenue serait critiquée, doit nous interroger.
Un véritable travail de conviction s’impose en faveur des valeurs de la République, principalement sur les réseaux sociaux, terrain de plus en plus privilégié des prédicateurs.
Selon la DNRT, « Il faudrait peut-être développer ce qu’on pourrait appeler, même si le terme n’est plus nécessairement très juste, une influence positive. Il s’agit, par exemple, de ne pas laisser des prédicateurs ou des influenceurs dire tout et n’importe quoi sur les réseaux sociaux au sujet de l’action de l’État et de nos valeurs, sans que personne ne réagisse ou alors d’une façon excessive. Il faut tenir un discours positif qui, d’une part, montre qu’on peut tout à fait vivre sa religion en France quand on est musulman, en mettant en avant le nombre de salles de prière ou de mosquées qui ont été construites – même s’il y a sûrement des choses à améliorer dans la prise en compte de la religion, je pense par exemple aux carrés musulmans dans les cimetières –, et qui, d’autre part, affirme que les règles de la République, de la démocratie et de notre Constitution – la laïcité, l’égalité hommes-femmes, la liberté de conscience, la liberté religieuse… – sont au-dessus de tout et doivent être respectées. Il faut mener un travail de conscientisation et de pédagogie, sans avoir peur de rappeler les règles qui existent ni, peut-être, d’en adopter d’autres, pour aller un peu plus loin » ([794]).
Recommandation n° 27 : Produire un discours d’influence positive afin de promouvoir les valeurs de la République face aux revendications islamistes, notamment sur les réseaux sociaux.
Dès 2003, le rapport de la commission Stasi indiquait que « La dérive du sentiment communautaire vers un communautarisme figé menace de fragmentation nos sociétés contemporaines. À l’inverse nier toute diversité ou pluralité en réaffirmant de façon incantatoire un pacte républicain désincarné serait illusoire. La laïcité d’aujourd’hui est mise au défi de forger l’unité tout en respectant la diversité de la société » ([795]).
● Le débat public sur l’islam et l’islamisme est d’autant plus complexe qu’il emporte une dimension identitaire forte. Le ministre de l’intérieur considère ainsi que si une action ferme doit être menée contre l’islamisme, « nous ne réussirons pas dans le combat contre l’entrisme si nous faisons un lien systématique avec la violence. Par contre, cela contribuera immanquablement à braquer tous nos compatriotes musulmans. Faisons attention aux mots que nous employons, car ces sujets ne doivent pas être traités avec brutalité. La phase dans laquelle nous nous engageons va être extrêmement compliquée : il s’agit de faire comprendre que nous voulons faire primer le respect des valeurs de la République et le vivre-ensemble, et qu’ils sont attaqués par l’entrisme. Nous ne nous en prenons pas à nos compatriotes musulmans ; nous voulons que toutes les confessions religieuses et philosophiques vivent ensemble dans le respect des règles de la République. […] Il ne faut surtout pas donner à nos compatriotes de confession musulmane le sentiment d’une action gouvernementale islamophobe, d’autant que la plupart d’entre eux n’ont aucun problème avec le respect des règles et valeurs de la République et le vivre-ensemble » ([796]).
Le ministre souligne également la difficulté de faire comprendre la position française sur ce point : « Le but de notre action contre le séparatisme n’a pas toujours été compris, que ce soit au sein de notre pays ou par les autres États […]. Je ne parle pas seulement de pays qui sont majoritairement de confession musulmane : des démocraties occidentales ont critiqué la France parce qu’elles avaient une approche plus communautariste que la nôtre. Le sujet est hypersensible. C’est pour cela que je disais qu’il ne fallait pas traiter ce problème par la brutalité ; il faut beaucoup de pédagogie. Mais, quand vous avez expliqué tout ce que vous pouviez et que des gens continuent d’affirmer que les valeurs de la République sont incompatibles avec un certain nombre de valeurs religieuses, c’est un gros problème. Je serai absolument intransigeant. Il faudra expliquer les choses : on ne vise pas la communauté musulmane, mais on cherche à sauvegarder le vivre-ensemble pour continuer à vivre au sein de la République quelles que soient sa confession, son opinion philosophique, son orientation sexuelle… Il faut d’autant plus de pédagogie que certains diront que nous menons cette action contre les musulmans et qu’elle est islamophobe. Je les entends déjà ! » ([797]).
● Ce travail de pédagogie doit s’accompagner d’une amélioration de la prise en compte des discriminations envers les personnes musulmanes ou perçues comme telles afin de démontrer « que la République n’ignore ni leurs besoins légitimes ni leurs contributions, et qu’elle s’oppose, par les faits, aux discours victimaires diffusés par les mouvements islamistes » ([798]).
Selon François Kraus, « on considère donc que les attentats islamistes des années 2010 ont porté leurs fruits dans le débat public et dans l’esprit de la population : celle-ci est devenue plus frileuse à l’égard des musulmans, et chez ceux‑ci le sentiment de discrimination est très répandu […] Mais on constate un raidissement des perceptions tant des musulmans que du reste de la population : d’une part, une hostilité croissante à toute forme d’expression ou de religiosité de l’islam dans l’espace public ; d’autre part, le sentiment chez certains musulmans d’être extrêmement discriminés ou stigmatisés, non seulement par la sphère médiatique et politique mais aussi dans l’accès à l’emploi, au logement ou à d’autres types de prestations » ([799]).
Si votre rapporteur est particulièrement sensible aux enjeux de lutte contre les actes antimusulmans, il considère qu’il convient de dénoncer toutes les discriminations en raison de la religion, et rappelle que, dans le même temps, les actes antisémites ont connu une augmentation exponentielle extrêmement préoccupante. À cet égard, la communication autour des plateformes de signalement, comme la plateforme de signalement de l’association de défense contre les discriminations et les actes antimusulmans – Addam (voir supra), devrait être renforcée.
Recommandation n° 28 : Renforcer la lutte contre les actes anti-musulmans et les actes antisémites en communiquant largement sur les dispositifs de signalement.
Recommandation n° 29 : Introduire clairement la mention d’actes antireligieux dans le prochain plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine.
Lors d’un déplacement à Bruxelles le 3 décembre 2025, le rapporteur et le président de la commission d’enquête ont tenu à alerter leurs interlocuteurs au sein des institutions européennes sur la réalité de la menace islamiste en France et en Europe, ainsi que sur ses différentes manifestations.
À cette occasion, ils ont particulièrement insisté sur les effets extrêmement dommageables des révélations intervenant à échéance régulière sur des financements européens accordés à des personnes morales ou privées proches des mouvements islamistes ou sur la participation de ces derniers à des évènements organisés par les institutions européennes qui leur donnent une légitimité.
Ils ont ainsi souligné que, dans un pays comme la France, particulièrement meurtri par les attentats liés au terrorisme islamiste, et dans lequel les services de renseignement relèvent avec inquiétude la formation d’écosystèmes islamistes, toute forme de laxisme ou de complaisance à l’égard de discours ou d’acteurs promouvant cette idéologie contraire aux valeurs européennes est inadmissible.
Ils ont toutefois pris note que des efforts substantiels avaient été entrepris, notamment au travers de la mise en œuvre d’outils de contrôle des subventions européennes plus rigoureux.
La stratégie européenne de sécurité interne (Protect EU), publiée en avril 2025, souligne ainsi que « Le budget de l’UE doit être protégé contre toute utilisation abusive visant à renforcer des opinions radicales/extrémistes dans les États membres. Le règlement financier révisé inclut désormais, parmi les motifs d’exclusion des financements de l’UE, la condamnation pour "incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence". La Commission continuera d’étudier comment exploiter au mieux la boîte à outils, notamment lors de la sélection des bénéficiaires potentiels. La protection du budget de l’UE repose aussi sur une coopération étroite et le partage d’informations avec les autorités nationales et les organismes et organes de l’UE » ([800]).
Le système de détection rapide et d’exclusion (EDES), mis en place par la commission et qui vise à renforcer la protection des intérêts financiers de l’Union européenne, a en effet été modifié en 2024, de manière à mieux prendre en compte les comportements contraires aux valeurs européennes. Désormais, ce système permet d’exclure du bénéfice des financements européens des personnes faisant l’objet d’une décision administrative ou de justice définitive attestant qu’elles ont commis des actes d’« incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes ou un membre d’un groupe, ou activités similaires contraires aux valeurs sur lesquelles l’Union est fondée, consacrées à l’article 2 du traité sur l’Union européenne, lorsque cette faute a une incidence sur l’intégrité de la personne ou de l’entité qui porte atteinte ou risque concrètement de porter atteinte à l’exécution de l’engagement juridique » ([801]).
Si votre rapporteur considère que cette évolution des textes va dans le bon sens, il insiste sur la nécessité de contrôler désormais leur bonne application en amont et en aval de l’attribution des subventions.
Par ailleurs, il appelle à ce qu’un travail soit mené au niveau des États membres sur la dissolution des associations et le gel de leurs avoirs. Il est en effet incompréhensible pour des citoyens français de constater qu’une association dissoute au terme d’une procédure exigeante ayant nécessité la constitution de dossiers particulièrement solides, dans un contexte de forte protection de la liberté d’association, puisse se reconstituer aussitôt dans un autre État membre et poursuivre ses activités sans être inquiétée.
Ils insistent enfin sur la nécessité que des groupes de travail soient constitués au niveau de la commission européenne sur les deux principales manifestations non‑violentes de l’islamisme politique, à savoir le séparatisme et l’entrisme, pour déterminer la meilleure réponse à leur apporter au niveau communautaire.
Recommandation n° 30 : Renforcer les contrôles en amont et en aval de l’attribution de subventions européennes.
Recommandation n° 31 : Harmoniser les législations européennes sur la dissolution des associations et le gel de leurs avoirs lorsqu’elles poursuivent des actions contraires aux valeurs européennes.
Recommandation n° 32 : Mettre en œuvre des groupes de travail au niveau de la Commission européenne sur les manifestations non-violentes de l’islamisme politique que sont le séparatisme et l’entrisme.
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Il ressort des travaux de la commission d’enquête que l’islamisme politique présente plusieurs caractéristiques qui rendent son appréhension particulièrement difficile.
D’une part, il est composé de mouvements très divers tant au regard de leur origine géographique et de leur histoire, que de leur mode d’organisation et des moyens – violents ou non-violents – auxquels ils recourent. Les Frères musulmans se distinguent des salafistes, qui se distinguent eux-mêmes des mouvances turques. De la même façon, l’action d’infiltration ou d’influence, dissimulée ou assumée ouvertement, ne se confond pas avec l’extrême violence du terrorisme.
À cette diversité de cultures, de méthodes et de finalités s’ajoutent, d’une part, des phénomènes d’hybridation ou de convergence d’intérêts entre certains groupes présents sur un même territoire et, d’autre part, des ingérences étrangères prêtes à utiliser toutes les failles de notre société pour influer sur nos réactions et nos décisions.
Il n’existe ainsi pas un islamisme politique mais autant de projets que de groupes, ce qui rend particulièrement complexe la compréhension d’ensemble de cette idéologie et de ses manifestations sur notre territoire.
Une fois ce constat posé, on mesure la difficulté qui peut être celle des élus, en particulier au niveau local, pour apprécier si leurs interlocuteurs sont légitimes et fiables et si les demandes qu’ils portent sont bien celles des communautés musulmanes qu’ils prétendent représenter. Au niveau national, si la question se pose à ce jour avec moins d’acuité, des élus peuvent également, pensant défendre une cause ou une minorité, faire le jeu d’acteurs dont le projet politique est en réalité tout autre.
Si les élus de toutes les sensibilités politiques peuvent ainsi se trouver en contact avec des membres de groupes islamistes ou proches de cette idéologie, il ressort des auditions que certains constituent des cibles privilégiées : soit parce que des communautés musulmanes nombreuses sont présentes sur leur territoire, ce qui permet à certains individus de s’attribuer souvent abusivement la qualité de représentant de ces communautés et de faire peser une pression électoraliste sur les élus ; soit parce que la sensibilité politique de ces élus semble les désigner comme étant plus susceptibles d’accéder aux demandes de minorités religieuses ou communautaires.
Par ailleurs, certains élus, peu nombreux mais dont le comportement est particulièrement problématique et devrait interroger toute la classe politique, semblent quant à eux adopter des méthodes électoralistes visant à flatter certains individus pourtant dangereux pour notre République, en s’affichant à leurs côtés, en exprimant leur soutien lorsqu’ils sont mis en cause par l’institution judiciaire et, plus grave encore, en se rendant dans des pays étrangers auprès de groupes ou de responsables connus pour leurs activités terroristes.
Il ressort ainsi de plusieurs auditions, et notamment de celles du ministre de l’intérieur et des services de renseignement, que s’il n’y a pas a priori de liens structurés démontrables à ce jour entre les partis politiques et les mouvements islamistes, il existe bien des connivences et des proximités affichées entre certains élus, principalement du mouvement La France insoumise, et des individus promouvant cette idéologie, comme cela est rapporté dans la deuxième partie de ce rapport.
Face à ce constat, très largement partagé au cours des auditions menées par la commission d’enquête, votre rapporteur souligne qu’un certain nombre de mesures doivent être prises dans les meilleurs délais :
– nous devons mieux connaître la menace islamiste sur notre territoire : cela veut dire la documenter et la surveiller plus efficacement au travers du renforcement des capacités d’action des services de renseignement, et mieux la comprendre par un soutien à la recherche sur ce sujet ;
– nous devons être plus réactifs pour prévenir cette menace et en réprimer les manifestations : il faut que tous les acteurs concernés, et en premier lieu les préfets et les maires, disposent d’une information suffisante, régulière et adaptée à la situation de leur territoire. Il convient également de protéger ces acteurs des pressions et menaces qu’ils peuvent subir de toutes parts lorsqu’ils prennent des décisions en matière d’exercice des cultes. Enfin, il faut adapter notre cadre juridique pour mieux réprimer les différentes manifestations de l’islamisme politique, et notamment ses formes non-violentes ;
– nous devons protéger certains publics pris pour cible par ces mouvements, en particulier sur les réseaux sociaux : les mouvements islamistes sont particulièrement actifs dans tous les secteurs liés à la jeunesse, comme les clubs sportifs par exemple, ainsi que sur les réseaux sociaux. La formation des encadrants au contact des jeunes et le contrôle des structures pouvant les accueillir doivent absolument être renforcés. La régulation des plateformes en ligne et des réseaux sociaux, comme pour d’autres phénomènes graves touchant la jeunesse, doit désormais constituer une priorité face au développement des « machines de prédication virtuelle » ;
– nous devons porter ce combat auprès des institutions européennes : la réponse doit être harmonisée au niveau européen si nous ne voulons pas voir se reconstituer derrière nos frontières des acteurs dissous sur notre territoire, ni subir l’influence de mouvances disposant de relais dans tous les États membres.
– enfin, et de manière prioritaire et urgente, il est indispensable que les partis politiques eux-mêmes se dotent de mécanismes internes de prévention et de vigilance face aux stratégies d’entrisme.
En effet, les services de l’État, et notamment les services de renseignement, ne sont pas autorisés à surveiller les élus et les partis politiques. Notre cadre constitutionnel et législatif protège strictement la liberté de formation, d’organisation et d’expression des partis, laquelle constitue un pilier du pluralisme démocratique. Cette limitation, nécessaire en démocratie pour permettre aux partis politiques de concourir pleinement à l’expression du suffrage et prévenir toute dérive, a cependant pour conséquence que la prévention des risques d’entrisme ne peut reposer sur les seuls outils de contrôle dont dispose l’État.
Il est donc indispensable que les partis politiques assument pleinement leur rôle dans la détection et la prévention de telles tentatives d’influence.
Ils doivent ainsi internaliser une culture de vigilance, structurer des procédures de contrôle des investitures, établir des chartes de conformité aux principes républicains et prévoir des mécanismes clairs de sanction. Sans cet engagement volontaire des formations politiques, l’action publique restera structurellement limitée face aux stratégies d’entrisme décrites dans ce rapport.
Dans la perspective des prochaines échéances électorales, les formations politiques doivent en particulier renforcer les procédures de sélection et de contrôle de leurs candidats, encadrer plus strictement les investitures locales et nationales, et s’assurer que leurs représentants ne puissent servir — volontairement ou non — de relais à des groupes promouvant l’idéologie islamiste.
Cette exigence de vigilance constitue une condition essentielle pour préserver la confiance dans nos institutions démocratiques et empêcher que des acteurs hostiles aux principes républicains ne trouvent, au sein des organisations politiques, des relais ou des opportunités d’influence.
Recommandation n° 1 : Caractériser juridiquement les actes constitutifs de séparatisme et d’entrisme islamistes afin de lutter efficacement contre ces phénomènes.
Recommandation n° 2 : Interdire formellement aux ministres du culte de diffuser des consignes électorales dans les lieux de culte.
Recommandation n° 3 : Transformer l’avis simple du préfet sur les projets de construction ou d’extension de lieux de culte en un avis conforme, lequel pourra refuser, sous le contrôle du juge, d’autoriser le projet s’il constate l’existence d’une menace grave pour l’ordre public, (notamment si ce projet est susceptible de porter une atteinte grave aux principes et valeurs de la République).
Recommandation n° 4 : Engager la réflexion sur l’ajout, parmi les motifs de dissolution des associations et groupements de faits définis à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, de la violation délibérée et d’une particulière gravité de certains principes de la République, en ce qu’elle constituerait une atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État. Étendre par ailleurs le champ de ces dispositions aux sociétés commerciales.
Recommandation n° 5 : Créer une procédure spécifique relative à la dévolution des biens d’une association dissoute sur le fondement de l’article L. 212-1 du CSI, afin de s’assurer que les actifs ne puissent être dévolus à une personne morale ayant pour objet de perpétuer les agissements de la personne morale dissoute.
Recommandation n° 6 : Renforcer le dispositif de gel des avoirs, d’une part, en élargissant ses motifs pour le rendre applicable aux individus faisant l’apologie du terrorisme ou appelant à la discrimination ou à la haine et, d’autre part, en introduisant un mécanisme administratif de gel des avoirs en cas de suspension temporaire d’un fonds de dotation.
Recommandation n° 7 : Renforcer le contrôle des subventions versées aux associations, en assurant plus de transparence sur les subventions allouées par les collectivités et en permettant au préfet de se substituer à l’autorité attributive pour faire cesser le versement d’une subvention à une association dont les actes porteraient une atteinte d’une particulière gravité aux principes républicains.
Recommandation n° 8 : Adapter les techniques de renseignement à la réalité de la menace islamiste en précisant la portée de la finalité relative à « la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions » pour couvrir les faits de séparatisme ou d’entrisme (5° du a) de l’article L. 811-3 du CSI et obliger les plateformes à mettre en œuvre les mesures techniques nécessaires afin de permettre aux services de renseignement d’accéder, le cas échéant, au contenu crypté des messageries.
Recommandation n° 9 : Renforcer le soutien public au développement de la recherche sur l’islam et l’islamisme, notamment en soutenant davantage l’Institut français d’islamologie (IFI).
Recommandation n° 10 : Mobiliser la statistique publique pour renforcer la connaissance de l’islamisme.
Recommandation n° 11 : Prévoir l’intégration d’un rapport établi par les services de renseignement sur la menace que représente l’islamisme politique au sein du rapport bisannuel sur les ingérences étrangères.
Recommandation n° 12 : Conforter la place des préfets comme premiers acteurs de la sensibilisation des élus par l’organisation régulière d’échanges avec l’ensemble des élus du territoire sur les questions de laïcité, de séparatisme et d’entrisme.
Recommandation n° 13 : Institutionnaliser au moins un ou deux échanges bilatéraux annuels sur les questions liées à l’islamisme politique entre le préfet et les maires concernés par cette problématique sur leur territoire.
Recommandation n° 14 : Sensibiliser les collectivités territoriales à l’obligation de nommer un référent laïcité et confier à ces derniers une mission de recensement des atteintes à la laïcité pour enrichir le suivi au niveau national.
Recommandation n° 15 : Former les décideurs publics locaux aux enjeux liés à l’islamisme et la laïcité, en associant le CNFPT et les associations d’élus, et formaliser un référentiel sur ces questions avec des situations de référence permettant d’identifier les problèmes et les éventuelles solutions à leur apporter.
Recommandation n° 16 : Renforcer les interactions entre les services de renseignement et le Parlement, en instaurant notamment un débat annuel sur l’état des menaces pesant sur notre pays.
Recommandation n° 17 : Prévoir un débat parlementaire, au titre de l’article 50-1 de la Constitution, sur l’islamisme politique et ses manifestations de séparatisme et d’entrisme.
Recommandation n° 18 : Au sein de chaque parti ou mouvement politique national :
– renforcer les procédures de sélection et de contrôle des candidats et encadrer plus strictement les investitures locales et nationales ;
– élaborer des chartes incluant explicitement l’interdiction de toute complaisance à l’égard d’acteurs promouvant des valeurs contraires aux valeurs et principes de la République, et prévoir des actions pour y mettre un terme rapidement en cas de manquements.
Recommandation n° 19 : Renforcer le contrôle des structures d’accueil collectif des mineurs :
– élargir les critères de l’accueil collectif de mineurs sans hébergement pour que soient soumises à leur réglementation certaines écoles coraniques ;
– prévoir une obligation de déclaration des cours d’enseignement religieux ;
– mettre en place un contrôle d’honorabilité des encadrants.
Recommandation n° 20 : renforcer l’évaluation de la progression des apprentissages dans le cadre de l’enseignement scolaire dans les établissements hors contrat et à distance en cas de manquements.
Recommandation n° 21 : Intensifier la sensibilisation aux questions relatives à l’antisémitisme et au racisme au sein des établissements d’enseignement supérieur et s’assurer qu’une formation soit dispensée aux étudiants lorsque des dérives ont été constatées.
Recommandation n° 22 : Procéder à l’harmonisation des règles des fédérations sportives encadrant le port de signes religieux lors des compétitions sportives.
Recommandation n° 23 : Renforcer les contrôles d’honorabilité pour les associations sportives.
Recommandation n° 24 : Relancer le groupe de travail « Influenceurs islamistes en ligne » et en confier le pilotage au SG‑CIPDR.
Recommandation n° 25 : Faire de la modération sur les plateformes numériques une priorité nationale afin de lutter contre la prolifération de contenus faisant l’apologie du terrorisme et incitant à la haine.
Recommandation n° 26 : Conduire une grande campagne de sensibilisation à ces contenus, notamment à destination des jeunes et communiquer largement sur l’existence de deux plateformes de signalement.
Recommandation n° 27 : Produire un discours d’influence positive afin de promouvoir les valeurs de la République face aux revendications islamistes, notamment sur les réseaux sociaux.
Recommandation n° 28 : Renforcer la lutte contre les actes anti-musulmans et les actes antisémites en communiquant largement sur les dispositifs de signalement.
Recommandation n° 29 : Introduire clairement la mention d’actes antireligieux dans le prochain plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine.
Recommandation n° 30 : Renforcer les contrôles en amont et en aval de l’attribution de subventions européennes.
Recommandation n° 31 : Harmoniser les législations européennes sur la dissolution des associations et le gel de leurs avoirs lorsqu’elles poursuivent des actions contraires aux valeurs européennes.
Recommandation n° 32 : Mettre en œuvre des groupes de travail au niveau de la Commission européenne sur les manifestations non-violentes de l’islamisme politique que sont le séparatisme et l’entrisme.
M. le président Xavier Breton. Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de nos travaux et avant de céder la parole au rapporteur pour la présentation du rapport, je souhaiterais revenir brièvement sur leur déroulement.
La commission d’enquête porte sur un objet peu documenté jusqu’à présent, et pourtant particulièrement sensible pour les années à venir : les stratégies mises en œuvre par des mouvements islamistes pour influer, aux niveaux local et national, sur les élus et les partis politiques en vue de modifier nos règles républicaines.
Nos travaux ont ainsi visé à compléter les premières analyses présentées par le rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France », publié par le ministère de l’intérieur en mars 2025, lequel indiquait que « la diffusion de l’islamisme résulte aujourd’hui principalement d’un activisme militant ancré au plan municipal, renforcé par une nouvelle génération de prédicateurs ». Insistant sur le danger que représentent les écosystèmes islamistes implantés sur notre territoire, ce rapport soulignait également la nécessité d’accroître notre vigilance sur l’influence que tentent d’exercer les mouvements islamistes sur les élus locaux en vue des prochaines échéances électorales, et notamment des élections municipales de 2026.
Par ailleurs, la diffusion de cette idéologie nous semblait visible dans le comportement de certains élus nationaux, qui affichent, à l’occasion de manifestations ou de réunions, une proximité ou un soutien à des individus et collectifs proches de ces mouvements.
C’est pour documenter précisément la présence de l’islamisme en France et ses stratégies d’implantation, et pour mieux comprendre les différentes relations que les tenants de cette idéologie cherchent à établir avec les élus ou mouvements politiques, que le groupe parlementaire Droite républicaine a souhaité faire usage de son droit de tirage.
Si les débuts de la commission ont été quelque peu mouvementés, nous avons su rattraper le temps perdu en organisant rapidement, avec M. le rapporteur, un programme de travail.
Nous avons ainsi procédé à vingt-neufs auditions, recueillant d’utiles informations de la part des ministres compétents, des services de renseignement, de chercheurs et d’experts, de journalistes et de reporters, d’ambassadeurs de France en poste en Europe, au Maghreb ou au Moyen-Orient, de préfets, de maires et de responsables politiques.
Quatorze de ces auditions étaient ouvertes à la presse et retransmises sur le site de l’Assemblée nationale. En égard à la sensibilité du sujet, quinze autres se sont tenues à huis clos : celles des services de renseignement ou du ministère de l’intérieur, de personnes menacées – parfois de mort – pour leurs travaux, leurs positions publiques ou leurs décisions, ou de journalistes, pour protéger d’éventuelles informations confidentielles. Ces auditions ont toutes fait l’objet de comptes rendus, qui ont été publiés sur le site de l’Assemblée nationale au fur et à mesure de l’avancée des travaux de la commission.
Ces nombreux échanges ont permis de confronter des points de vue différents sur les logiques à l’œuvre au sein des mouvements islamistes comme sur les raisons de la diffusion de cette idéologie dans notre pays. Ils ont également permis d’objectiver la menace et ses principales cibles : la jeunesse, notamment au travers de la prédication en ligne, le secteur associatif culturel, social et cultuel, mais également les décideurs publics et les partis politiques. Nous avons aussi pu objectiver certains modes opératoires : le recours à un double discours reprenant les codes républicains ; les postures de victimisation, notamment au travers de la dénonciation d’une supposée « islamophobie d’État » ; l’instrumentalisation de certaines causes ou débats, comme la cause palestinienne, la place de la religion dans l’espace public ou encore les discriminations envers les minorités.
Si la commission a collecté des informations utiles à la compréhension des mécanismes à l’œuvre, je regrette que certaines personnes contactées n’aient pas donné suite à leur convocation, évoquant soit des difficultés d’agenda, soit des réticences à s’exprimer sur le sujet traité par la commission d’enquête.
Certains députés de La France insoumise m’ont interpellé sur ce point et je redis, comme je l’ai fait lors de l’audition de M. Mélenchon, que nous avons tenu compte, dans la mesure des deux mois et demi dont disposait notre commission pour mener ses investigations et produire un rapport, des demandes qui nous avaient été adressées.
Quelques refus nous ont été opposés par certains chercheurs ou experts qui auraient pu contribuer à nous éclairer. Si nous avions disposé de davantage de temps, cette situation aurait peut-être pu se résoudre. Malgré cela, nous avons entendu des personnes présentant des points de vue tout à fait différents et complémentaires, apportant autant de nuances à notre réflexion que la sensibilité de notre sujet l’exigeait.
Nous avons travaillé sereinement, sans chercher à accuser tel ou tel – ce qui n’est pas le rôle d’une commission d’enquête. Nous avons en revanche cherché à répondre à une question qui doit tous nous mobiliser, en tant que représentants de la nation et membres de formations politiques : comment certains mouvements idéologiques – en l’espèce l’islamisme – tentent-ils nous diviser et de nous influencer ?
Si je partage de nombreuses recommandations formulées par le rapporteur, je souhaiterais insister sur l’importance de nous protéger de l’entrisme islamiste à l’occasion des élections municipales de 2026. Il me semble que tous les groupes politiques doivent renforcer les formations disponibles pour mieux appréhender l’islamisme politique, la gestion du fait religieux et la connaissance des pratiques communautaires, qu’ils doivent garantir un contrôle rigoureux de la provenance des financements bénéficiant à certains candidats ou mouvements politiques, et qu’ils doivent exclure tout candidat à une élection municipale qui aurait ouvertement mené une campagne communautariste en tenant des propos contraires à la souveraineté nationale, à la démocratie ou à la laïcité.
Je souhaite également que le gouvernement se mobilise pleinement pour mettre en place des politiques publiques efficaces contre les écosystèmes islamistes locaux qui se sont constitués sur notre territoire et qui sont désormais bien documentés par les services de renseignement.
La lutte contre de tels écosystèmes, qui facilitent la propagation de l’islamisme dans nos communes, doit en effet constituer une priorité pour qui entend lutter efficacement contre les phénomènes de séparatisme et d’entrisme à l’œuvre dans notre pays.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Permettez-moi de dire les choses simplement : cette commission était mal partie. La dénomination initialement proposée était, disons-le, pour le moins maladroite, voire contre-productive. Elle a suscité d’emblée une vague de malentendus, d’interprétations, de suspicions. Nous avons ainsi perdu un temps précieux, plus de la moitié de celui qui nous était alloué – un luxe que nous n’avions pas.
Malgré ce départ chaotique, grâce à des échanges constructifs – notamment avec le président Xavier Breton, dont je salue l’implication et le sérieux –, nous avons su redresser la trajectoire et remettre cette commission dans la voie de l’intérêt général. Nous avons travaillé méthodiquement et dignement.
Je regrette seulement que les élus du groupe demandeur n’aient pas été davantage présents lors des auditions, surtout les plus sensibles d’entre elles. Je salue en revanche celles et ceux qui ont tenu la barre. Notre démarche a été claire : pas de buzz, pas de recherche de boucs émissaires, pas de diffamation ; des faits, rien que des faits.
Certains auraient voulu plus d’auditions, d’autres auraient voulu explorer davantage le sujet. Je les comprends, mais nous avons fait le maximum dans le temps qui nous restait.
Le résultat est riche : nous avons entendu des ministres, des services de renseignement, des élus locaux, des chercheurs et des journalistes, des responsables politiques parfois farouchement opposés entre eux. Toutes ces voix ont été entendues ; elles structurent les trois parties du rapport.
Je le dis avec gravité : les menaces et les intimidations subies par certains témoins montrent que nous avons touché juste et que ce sujet n’est pas une vaine polémique mais une réalité dangereuse. L’islamisme politique n’est pas un fantasme, pas une extrapolation, mais une menace réelle, documentée, visible.
Je le redis avec force : l’islamisme politique n’est pas l’islam. Jamais nous ne devons confondre les deux. Combattre une idéologie hostile à la République, ce n’est pas s’en prendre à des millions de Français paisibles et loyaux ; ce n’est pas restreindre la liberté religieuse, protégée par la Constitution. C’est au contraire défendre ce qui nous permet de vivre ensemble.
La première partie du rapport retrace la genèse de l’idéologie islamiste, son implantation progressive en France et la façon dont elle met en péril nos principes républicains. L’islamisme politique n’est pas un bloc unique : il est multiple, mouvant, stratifié. Il a un visage légaliste et un visage violent. Ces deux visages dialoguent et se nourrissent l’un l’autre.
Ce double registre – violence terroriste d’un côté, séparatisme et entrisme de l’autre – est analysé dans les chapitres de la première partie consacrés aux attentats et à la montée d’écosystèmes séparatistes.
Dès lors, une question s’imposait : quelles sont les interactions entre cette idéologie et la vie politique française ? Oui, l’islamisme a une ambition politique ; il cherche des relais, et en a trouvé certains. Ces liens ne sont pour l’instant ni financiers, ni organiques ; ils sont conjoncturels, électoralistes, opportunistes. C’est précisément ce qui les rend dangereux.
Les islamistes savent approcher, influencer, se rendre utiles, voire incontournables à ceux qui cherchent à occuper un segment électoral. Ce risque touche tout le monde. Les élus locaux sont souvent les premiers exposés.
Nous abordons ces questions dans la deuxième partie du rapport, qui s’intéresse d’abord aux élus locaux, puis aux phénomènes de convergences militantes au niveau national. Depuis le 7 octobre, une autre dérive est apparue : des proximités assumées avec des personnes qui font l’apologie du terrorisme ou qui entretiennent une ambiguïté coupable entre soutien au peuple palestinien – cause légitime – et soutien à des groupes terroristes.
Ces cas sont rares, mais ils existent. Ils concernent notamment certains élus de gauche et de l’extrême gauche, et singulièrement certains élus de La France insoumise. Je ne généralise pas, je ne stigmatise pas : je décris des faits, et ils sont têtus.
Nous les exposons dans le troisième chapitre de la deuxième partie, consacré aux interrogations que soulève la proximité affichée de certains élus de La France insoumise avec des individus propageant l’idéologie islamiste. De nombreux témoignages le confirment : une stratégie de captation électorale existe. Elle repose sur l’idée – fausse, dangereuse et profondément essentialisante – qu’il existerait un « vote musulman » homogène. Des responsables ont joué avec cette idée ; certains l’ont même théorisée. Cette stratégie produit mécaniquement une complaisance envers des acteurs islamistes, dans la mesure où ceux-ci apparaissent comme des prescripteurs.
Les exemples sont hélas nombreux et précis. Quelques jours après le 7 octobre, une députée LFI a invité ici même, à l’Assemblée, Mariam Abou Daqqa, cadre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), organisation reconnue comme terroriste par l’Union européenne. Il a fallu l’intervention de la présidente de l’Assemblée pour mettre fin à cette provocation. Le 12 mars 2025, un député LFI a convié à une table ronde au Palais-Bourbon les Étudiants musulmans de France (EMF), organisation étudiante des Frères musulmans, ainsi que le Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE), reconstitution du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dissous pour islamisme radical par Gérald Darmanin – qui dénonça d’ailleurs une « proximité inacceptable avec les islamistes ». Dans le Rhône, des responsables LFI apportent un soutien actif à l’école Al Kindi, pourtant sanctionnée pour des dérives graves. Les services de l’État parlent d’une stratégie victimaire destinée à cultiver un électorat ciblé. Dans les Hauts-de-Seine, le préfet Alexandre Brugère témoigne avoir subi des attaques d’une violence inédite de la part d’un député LFI pour avoir mené des actions contre les réseaux islamistes locaux. Dans certains territoires, notamment à Denain, des sections locales de LFI se trouvent sous l’influence directe de militants proches de la galaxie Iquioussen. Le journaliste Erwan Seznec parle de choix « extrêmement dangereux » et d’intermédiaires « sulfureux ». Enfin, des prédicateurs islamistes notoires comme Hani Ramadan ou Vincent Souleymane ont appelé publiquement à voter pour La France insoumise, voyant en celle-ci un mouvement qu’ils peuvent influencer.
Vous retrouverez ces éléments détaillés, audition après audition, dans ce même troisième chapitre de la deuxième partie, qui met en lumière une stratégie de captation d’un vote musulman et les formes de complaisance qui en découlent.
Pris isolément, tout cela pourrait passer pour des maladresses ; pris ensemble, c’est un schéma dangereux et incompatible avec les valeurs de la République. Encore une fois, ce n’est pas la défense des musulmans qui est en cause, mais les complaisances, parfois naïves, parfois calculées, envers une idéologie hostile à nos valeurs.
Nos lois sont-elles armées pour répondre à ces dérives ? Notre arsenal juridique est solide, mais pas suffisant. La menace évolue, s’adapte, contourne, renaît ailleurs. C’est ce diagnostic que nous posons au début de la troisième partie, en montrant les forces et les limites du cadre actuel de lutte contre le terrorisme et le séparatisme.
Il nous faut aller plus loin. Nos recommandations dessinent une stratégie globale. Nous proposons d’abord de renforcer notre capacité à identifier, à entraver et à sanctionner les comportements séparatistes ou entristes. Cela implique notamment de donner une définition précise de l’entrisme, afin de sortir du flou qui empêche les interventions rapides. Nous proposons que le préfet rende un avis conforme pour l’ouverture des lieux de culte, afin qu’il puisse s’opposer à des projets dangereux pour la République. Nous préconisons également l’élargissement des motifs de dissolution administrative aux atteintes graves aux valeurs républicaines, ainsi qu’une réforme des fonds de dotation afin d’empêcher que ceux-ci ne deviennent des outils de contournement des dissolutions. Enfin, les techniques de renseignement doivent être adaptées aux formes nouvelles d’activisme islamiste, notamment en ligne. Ces propositions figurent dans la section A du deuxième chapitre de la troisième partie du rapport qui porte sur les outils juridiques et opérationnels qui doivent être renforcés.
Il faut aussi mieux connaître la menace, mieux former et mieux éclairer. Le rapport recommande donc de renforcer la recherche sur l’islamisme politique, de développer des indicateurs publics permettant de suivre l’évolution des mouvements islamistes, de former les élus locaux à la laïcité, aux dérives sectaires et aux modes opératoires islamistes, d’organiser des réunions régulières entre préfets et collectivités pour anticiper les tentatives d’entrisme, et enfin de mettre en place dans les partis politiques de procédures d’investiture strictes, incluant la vérification de l’environnement associatif et militant des candidats. Je vous renvoie à la section B du deuxième chapitre de la troisième partie.
Parallèlement, il faut agir là où les islamistes investissent massivement : auprès de la jeunesse. Le rapport préconise l’élargissement du contrôle des structures donnant des cours religieux et leur déclaration obligatoire, l’instauration d’un contrôle d’honorabilité strict pour les encadrants, le renforcement des inspections menées dans les établissements hors contrat et à distance, l’harmonisation des règlements sportifs pour limiter les revendications communautaires et la création dans les universités d’outils disciplinaires plus efficaces contre le prosélytisme radical.
Cela impose aussi de lutter contre la prédication virtuelle, devenue centrale dans les stratégies islamistes, en relançant un groupe de travail interministériel dédié aux influences islamistes, en renforçant la modération des plateformes, en déployant des campagnes d’éducation numérique ciblées et en soutenant un contre-discours républicain crédible, lisible et incarné.
La République doit, de son côté, être irréprochable ; elle doit être ferme, mais juste. Elle doit combattre les actes antimusulmans et antisémites avec la même détermination, en améliorant les dispositifs de signalement, en intégrant pleinement les discriminations religieuses dans le prochain plan national de lutte contre les discriminations et en promouvant partout une laïcité de concorde, ferme sur les principes mais jamais hostile aux croyances.
Enfin, notre action doit être européenne, car les réseaux islamistes le sont déjà. Le rapport recommande ainsi un contrôle renforcé des subventions européennes, afin d’éviter le financement indirect d’organisations islamistes, une harmonisation des procédures de dissolution dans l’Union européenne et la création à Bruxelles d’un groupe de travail permanent sur les stratégies d’influence islamiste.
Toutes ces dimensions – jeunesse, université, sport, numérique, discriminations, Europe – font l’objet de la dernière partie du rapport, qui appelle à un véritable sursaut collectif.
Au total, c’est une stratégie complète que nous proposons : juridique pour entraver, politique pour responsabiliser, culturelle pour éclairer, civique pour protéger, européenne pour agir sans failles. C’est en combinant tous ces outils, le droit, la vigilance et la fidélité à nos principes, que nous pourrons défendre durablement la République.
M. Laurent Jacobelli (RN). Cette commission d’enquête aurait dû être un moment de vérité ; elle n’aura été qu’un coup marketing, un coup politique d’une formation qui n’est même pas présente aujourd’hui, et elle s’achève en rendez-vous manqué.
Il est pour le moins regrettable que cette commission n’ait pris la peine d’auditionner ni les associations et fédérations musulmanes liées aux réseaux fréristes, ni le moindre imam détaché – alors que l’Algérie en dépêche une cinquantaine chaque année en France –, comme elle n’a pas convoqué Tracfin ou la Cour des comptes pour examiner les subventions versées à près de 400 associations fréristes par des élus majoritairement de gauche, mais parfois aussi de droite.
Regrettons-le d’autant plus qu’il y a urgence. Il n’y a pas besoin d’une commission d’enquête pour établir ce que les Français voient déjà : les accointances de LFI, d’une partie de la gauche et parfois même de certains élus de droite avec la mouvance islamiste. Oui, il y a urgence lorsque La France insoumise invite à son école de formation des cadres l’antisémite Andreas Malm, militant notoire, qui justifie le pogrom du 7 octobre et se réjouit de regarder « comme une drogue » les massacres commis par le Hamas. Oui, il y a urgence lorsqu’une eurodéputée LFI se rend en Jordanie pour rendre hommage à Ismaël Haniyeh, chef du Hamas. Oui, il y a urgence lorsque des municipalités dites de droite favorisent la construction de mosquées au financement douteux, comme à Metz.
Cette commission est un échec, qui aurait été plus grave encore sans le travail remarquable de notre rapporteur, auquel revient le mérite d’avoir évité un naufrage.
Parce que la menace islamiste exige un combat de tous les instants, nous voterons ce rapport – non pas qu’il soit satisfaisant, mais il faut envoyer un signal. Soyons lucides : si nous voulons changer les choses, il faut dissoudre les Frères musulmans et prendre un autre chemin, celui défendu par Marine Le Pen dans sa proposition de loi visant à combattre les idéologies islamistes.
Mme Caroline Yadan (EPR). En terminant la lecture de ce rapport, on comprend que, par leur soutien actif, certaines mouvances politiques apportent une légitimité à des organisations dont l’idéologie s’oppose frontalement à nos principes républicains. On le soupçonnait, mais on comprend aussi qu’il existe une stratégie qui conduit certains élus de la République, notamment à l’extrême gauche, à prendre des positions inquiétantes et dangereuses, qui montrent une complaisance, voire apportent leur soutien à des individus proches des organisations islamistes et des réseaux qui propagent cette idéologie ou qui soutiennent l’action terroriste.
Contrairement à M. Jacobelli, je ne pense pas que cette commission soit un échec, loin de là. Ce rapport sera publié au nom de la représentation nationale : dès lors, certains faits seront incontestables, puisqu’ils émanent d’un travail très objectif. Cela nous permet d’envisager des travaux supplémentaires pour prolonger la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Les recommandations du rapport seront aussi importantes.
Les élus mis en cause devront choisir deux attitudes possibles face à l’évidence des faits : la prise de conscience et l’introspection, ou bien le déni. Nous pourrons, nous, dire de manière certaine pourquoi il est aujourd’hui nécessaire d’établir un cordon sanitaire autour d’un parti décidément extrêmement dangereux pour nos valeurs.
Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Je suis surprise d’entendre les uns et les autres se féliciter de la démarche de cette commission d’enquête. Le rapport est caricatural. Vous arguez du manque de temps et des difficultés qu’a rencontrées la commission pour démarrer ses travaux ; mais, en l’état, au vu de la façon dont ce rapport stigmatise et pointe une formation politique en particulier, ce travail abîme nos institutions, tout particulièrement la représentation nationale et l’outil qu’est la commission d’enquête.
Le rapport est notamment caricatural dans la façon dont il stigmatise La France insoumise et plus largement les forces politiques de gauche au moyen de raccourcis pour le moins étonnants. Je ne prendrai qu’un seul exemple : vous vous appuyez sur un tract du NPA – Nouveau Parti anticapitaliste – qui appelle à manifester pour soutenir le peuple palestinien. Ce tract est signé par de nombreuses formations politiques, dont la mienne, le Parti socialiste. De ces cosignatures, vous faites une reconnaissance des autres cosignataires et vous concluez qu’il faut voir là un « opportunisme électoral » – comme si, en soutenant une manifestation de soutien au peuple palestinien, on faisait de l’opportunisme électoral !
Tout à votre souci de voir une formation politique de gauche dériver et rompre avec les valeurs de la République, vous produisez un document qui stigmatise une force de gauche, mais aussi toute la religion musulmane, de façon proprement incroyable. On pourrait essayer de vous suivre si vous alliez au bout de votre démarche et que vous l’appliquiez à d’autres sujets, et si votre volonté était en effet d’assurer le respect des principes de la République. Mais alors les sujets étaient nombreux. Je n’en citerai qu’un : l’usage des fonds de l’Assemblée nationale par les députés du RN, compte tenu de l’usage qui a été fait par Marine Le Pen des fonds du Parlement européen.
La publication de ce rapport serait un problème ; il n’est pas à la hauteur de ce qui est attendu de la représentation nationale. Nous voterons donc contre.
Mme Sylvie Bonnet (DR). Cette commission a accompli un travail essentiel en révélant au grand jour ce que beaucoup refusaient de voir : La France insoumise n’est pas un parti comme les autres, mais un parti qui a pactisé avec les ennemis de la République et qui, sous couvert de lutte sociale, a ouvert ses portes aux islamistes, aux antisémites et aux apologistes du terrorisme.
Les auditions l’ont prouvé, notamment celle d’Omar Youssef Souleimane, journaliste syrien réfugié en France, qui a montré comment des députés LFI défilent aux côtés d’Urgence Palestine, dont le porte-parole appelle à reproduire en France le « déluge d’al-Aqsa », c’est‑à‑dire les massacres du 7 octobre. Nora Bussigny, dans son enquête courageuse, a révélé comment Samidoun, organisation liée au FPLP, tient des meetings avec des élus LFI dans des salles municipales. Cédric Brun, ancien cadre de LFI, a témoigné qu’on lui avait dit clairement qu’il fallait « conquérir les voix des quartiers », même si cela signifiait s’allier avec des islamistes. Et que dire de Rima Hassan, tête de liste LFI aux élections européennes, qui participe à des manifestations pro-Hamas en Jordanie, qui reçoit au Parlement européen des organisations liées aux Frères musulmans et qui relaie des appels à la violence ?
Jean-Luc Mélenchon, lui, joue la comédie, l’innocent. Il nous parle de laïcité, de République, de valeurs, mais les faits sont là. Son parti cautionne des collectifs dissous pour apologie du terrorisme et propose même de supprimer ce délit. Ses élus participent à des rassemblements où l’on scande « Mort aux sionistes ! ». Il refuse de condamner le Hamas, préférant parler de crimes de guerre plutôt que de terrorisme. Tout cela parce que LFI fait un calcul cynique : ces islamistes lui apportent des voix, une armée militante, une radicalité qui lui permet de se distinguer. En échange, elle leur apporte une respectabilité, une tribune et une immunité. Mais à quel prix ? Celui de l’antisémitisme, qui explose dans notre pays ; celui de la laïcité, bafouée au profit du communautarisme ; celui de la République, menacée par ceux qui veulent la diviser. Nous ne pouvons pas laisser faire.
Cette commission a établi la vérité. Il faut maintenant agir. La France n’est pas un pays comme les autres ; elle est la patrie des Lumières, de la laïcité et de l’universalisme. Nous ne laisserons pas des islamistes et leurs complices la défigurer. La République se défend ou elle meurt ; nous choisirons de la défendre.
M. Xavier Albertini (HOR). Il était nécessaire de nommer les choses et d’identifier, sinon des remèdes, du moins des recommandations.
Alors que nous célébrions, hier, le 120e anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, il nous faut constater que notre République est attaquée sous une forme nouvelle, l’entrisme, qui doit être détectée et condamnée. J’ai eu à connaître, dans le cadre de missions antérieures à mon mandat, le terrorisme et ses conséquences ; nous avons pu voir, il y a quelque temps, la manière dont il a marqué le territoire d’Israël. Face à de telles situations, nous devrions, plutôt que de jeter l’opprobre sur le rapport, nous rassembler et nous accorder sur la nécessité de nous mobiliser, car la République est en danger.
Je voterai donc pour la publication du rapport, même si ses recommandations auraient pu être présentées de manière plus opérationnelle.
M. le président Xavier Breton. Monsieur Jacobelli, des représentants de Tracfin ont bien été entendus par notre commission. J’ajoute qu’une réunion du bureau a été organisée au cours de laquelle les groupes ont pu proposer des auditions.
S’agissant de l’interdiction des Frères musulmans, qui a été abordée à plusieurs reprises, le ministère de l’intérieur et le directeur de la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure) estiment qu’elle serait compliquée, notamment parce que cette organisation n’a pas de statut juridique en France. M. Lerner a ainsi déclaré devant notre commission : « Dans une démocratie, l’interdiction des Frères musulmans est un débat qui, le cas échéant, doit être posé, mais on dit souvent, à raison, qu’interdire une idéologie est compliqué. À cet égard, la meilleure des démarches me semble être celle que le législateur a jusqu’à présent adoptée. Il n’a pas ainsi été décidé d’interdire un groupe ou une organisation qui, malgré notre travail de renseignement – je me dois de faire preuve de modestie –, demeure une nébuleuse difficile à comprendre, mais de nous concentrer sur l’observation des pratiques et des entorses de certaines structures vis-à-vis des principes et des valeurs de la République. » Il n’en demeure pas moins que la question de l’interdiction de cette organisation se pose.
Madame Thiébault-Martinez, vous estimez que notre rapport abîme fortement les institutions. Je m’inscris en faux contre ce propos : il a été établi de manière ouverte, à l’aide des services de l’Assemblée. Il fait, au contraire, œuvre utile en décrivant les mécanismes d’entrisme dans la société actuelle. On peut ne pas être d’accord sur les recommandations contenues dans le rapport, mais celui-ci fera date en ce qu’il favorise la prise de conscience du phénomène de l’islamisme politique.
En ce qui concerne la stigmatisation de LFI et, plus largement, de la gauche, je vous rappelle que nous avons organisé une table ronde réunissant des maires, de droite comme de gauche.
Lorsque vous nous reprochez de stigmatiser la religion musulmane, vous confondez islam et islamisme : nous ne nous en prenons qu’à l’islamisme. Il faut faire la part des choses – ce fut le sens de nos travaux.
Sur les questions qui pourraient faire, selon vous, l’objet d’une commission d’enquête, notamment celle de l’utilisation de l’argent public, j’invite votre groupe à faire usage de son droit de tirage.
Mme Constance Le Grip (EPR). Si mon groupe n’était pas particulièrement demandeur de cette commission d’enquête, nous avons néanmoins volontiers participé à ses travaux. Je tiens à saluer le courage des personnes qui ont accepté d’être entendus à visage découvert – je pense notamment à des journalistes – et à souligner la clarté de l’exposé des services de renseignement.
Le rapport dresse un constat que l’on peut qualifier de consensuel : l’entrisme islamiste dans la société politique et l’espace informationnel représente une menace réelle et indéniable. Au-delà du travail d’exposition de cette menace, bien documentée, notamment par des universitaires courageux, ce rapport comporte de très nombreuses préconisations. Je n’adhère pas à l’ensemble d’entre elles et, comme M. Albertini, j’aurais préféré qu’elles soient classées en fonction de leur nature : mesures législatives, réglementaires, actions de sensibilisation…
Quoi qu’il en soit, le groupe EPR souscrit à la nécessité d’une étape législative supplémentaire afin de renforcer certains outils. À cet égard, la recommandation n° 8, qui aurait pu être un peu plus précise, porte sur l’adaptation des techniques de renseignement, évoquée par le ministre de l’intérieur et le garde des sceaux. Il convient en effet de répondre aux besoins des services en définissant une nouvelle finalité qui leur permette de procéder à des interceptions de sécurité dans le domaine qui nous préoccupe.
Enfin, nous aurions pu, dans un souci de clarification, fusionner les recommandations nos 16 et 17. En tout cas, il faut que soit organisé, comme le prévoit la loi de juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, au moins un débat annuel au Parlement sur l’état des menaces qui pèsent sur notre République.
M. Jérôme Buisson (RN). L’islamisme politique représente une menace croissante. Or il est établi que les Frères musulmans diffusent cette idéologie. Face à ce constat, plusieurs pays, notamment musulmans, ont interdit cette organisation ou l’ont classée parmi les mouvements terroristes. Il va falloir que la France envisage à son tour l’interdiction de cette idéologie, en tout cas de son expression. Le législateur doit agir sans trembler : les demi‑mesures ne seront pas suffisantes. Comme contre le narcotrafic, il faut frapper fort avant qu’il ne soit trop tard. Les recommandations du rapport devront se traduire par des contrôles et des moyens.
M. Nicolas Dragon (RN). Le rapport met en évidence le danger que représentent les Frères musulmans, dont l’idéologie, est-il écrit page 39, « n’est pas compatible avec les principes et valeurs de la République ». À elle seule, cette phrase suffit à justifier l’interdiction de cette organisation. Une telle interdiction serait, certes, compliquée, mais il va nous falloir néanmoins l’envisager très sérieusement. Faut-il rappeler que ce mouvement islamiste est classé parmi les organisations terroristes en Égypte, dans les Émirats arabes unis, en Arabie Saoudite, en Jordanie ou en Autriche ? En France, il développe un réseau tentaculaire que les rapports du ministère de l’intérieur ont mis au jour. Ainsi, 139 mosquées radicales sont identifiées comme étant sous son influence, de même que des associations relais, qui peuvent changer de nom pour contourner les interdictions, et des imams étrangers sont formés pour diffuser leur idéologie étape par étape, génération après génération.
La réalité mise en lumière par le rapport est accablante : nous avons affaire à une idéologie totalitaire incompatible avec les valeurs de la République française.
M. le président Xavier Breton. Je précise que notre collègue Éric Pauget a déposé une proposition de résolution visant à ce que la mouvance des Frères musulmans soit inscrite sur la liste européenne des organisations terroristes.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. L’objet de notre commission d’enquête est très sensible puisqu’il a trait aux rapports entretenus par des groupes et des personnalités politiques avec des réseaux islamistes. Les services de l’État que nous avons auditionnés nous ont indiqué clairement que ces liens n’étaient pas structurels, financiers ou organiques mais conjoncturels. Ils ont cependant utilisé le conditionnel puisqu’ils ne peuvent pas enquêter directement sur des partis politiques. Pour les mêmes raisons, notre rapport ne peut pas comporter de recommandations visant les partis politiques, ne serait-ce que pour les obliger, par exemple, à se doter d’une commission de contrôle chargée de prévenir l’entrisme au sein de leur organisation – une telle obligation serait, au demeurant, inefficace. Néanmoins, les partis politiques doivent prendre conscience de ce risque car ils ont une responsabilité considérable dans l’organisation de la vie démocratique de notre pays.
M. le président Xavier Breton. Je précise que j’ai veillé à ce que deux recommandations restent bien ciblées sur l’islamisme : la recommandation n° 7, qui concerne le contrôle des associations, et la recommandation n° 20, qui a trait à celui des établissements scolaires et à distance. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de viser uniquement les structures pour lesquelles il existe une suspicion particulière d’entrisme islamiste.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. J’ajouterai un mot sur les élus locaux. Les maires que nous avons auditionnés nous ont indiqué qu’ils manquaient d’informations sur leurs administrés, en particulier sur les profils dangereux. Or plusieurs d’entre eux ont été pointés du doigt par des médias, voire désignés, de manière très sévère et parfois injustifiée, comme des « collabos » islamistes. C’est pourquoi nous préconisons de transformer l’avis simple du préfet sur les projets de construction ou d’extension de lieux de culte en un avis conforme, fondé notamment sur le respect des valeurs de la République. En transférant ainsi la responsabilité de la décision vers l’État, on sécuriserait les maires et on limiterait le risque d’ingérence islamiste au niveau local. De fait, lorsque 80 % de la population d’une commune est musulmane, il est logique que le maire soit réceptif aux demandes de cette communauté, mais il doit être parfaitement informé de l’idéologie défendue par l’association cultuelle demandeuse.
La commission adopte le rapport.
M. le président Xavier Breton. Je précise que le dépôt du rapport sera publié au Journal officiel de demain. Compte tenu du délai de cinq jours francs que nous impose l’article 144-2 du règlement pour permettre la constitution de l’Assemblée nationale en comité secret à l’effet de décider, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport, celui-ci ne pourra être publié que le mercredi 17 décembre.
Je rappelle que, dans l’intervalle, aucune communication ne devra être faite sur son contenu.
Je rappelle également que vous pouvez, à titre individuel ou au nom de votre groupe, rédiger une contribution qui sera annexée au rapport. Ces contributions doivent être transmises au secrétariat de la commission d’enquête au plus tard ce vendredi 12 décembre à 14 heures.
Liste des personnes auditionnées
Les comptes rendus des auditions sont consultables à l’adresse suivante :
Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des réunions de la commission d’enquête.
8 octobre 2025
– Audition, à huis clos, de M. Bernard Rougier, professeur des universités
15 octobre 2025
– Audition, à huis clos, de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ministère de l’Intérieur
– Audition, à huis clos, de MM. François Gouyette et Pascal Courtade, auteurs d’un rapport remis au ministre de l’Intérieur sur l’islamisme politique en France
16 octobre 2025
– Audition, ouverte à la presse, de M. Omar Youssef Souleimane, journaliste
– Audition, à huis clos, de la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT), ministère de l’Intérieur
21 octobre 2025
– Audition, à huis clos, de M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), ministère des Armées et des Anciens combattants
– Audition, à huis clos, de M. Antoine Magnant, directeur du service à compétence nationale de TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Nora Bussigny, journaliste
22 octobre 2025
– Audition, à huis clos, de M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville, directeur adjoint de la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques, ministère de l’Intérieur (DLPAJ) et de M. Étienne Apaire, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), ministère de l’Intérieur
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Florence Bergeaud-Blackler, chargée de recherche au CNRS
28 octobre 2025
– Audition, ouverte à la presse, de M. Emmanuel Razavi
– Audition, ouverte à la presse, de M. Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation pour l’islam de France (FIF)
29 octobre 2025
– Audition, à huis clos, de M. Hugues Bricq, Directeur du renseignement (DRPP) à la préfecture de police de Paris
– Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Roy, professeur au Robert Schumann Centre for Advanced Studies de l’European University Institute de Florence (Italie)
30 octobre 2025
– Audition, à huis clos, de M. Laurent Bonnefoy, chercheur au Centre de recherches internationales (CERI)
4 novembre 2025
– Audition, à huis clos, de M. Alexandre Brugère, préfet des Hauts-de-Seine, M. Julien Charles, préfet de Seine-Saint-Denis, Mme Corinne Simon, préfète de police déléguée pour la préfecture des Bouches-du-Rhône, M. Pierre-André Durand, préfet de Haute‑Garonne et M. Antoine Guérin, préfet délégué pour la défense et la sécurité représentant Mme Fabienne Buccio, préfète d’Auvergne Rhône-Alpes, Rhône
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice
– Table ronde, à huis clos, réunissant des maires
5 novembre 2025
– Audition, à huis clos, de M. Cédric Brun, conseiller régional
– Audition conjointe, à huis clos, de journalistes réunissant M. Jules Laurans, rédacteur en chef de Frontières, et M. Erwan Seznec, rédacteur en chef adjoint du service société du Point
6 novembre 2025
– Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Baptiste, ministre de l’enseignement supérieur
– Table ronde, à huis clos, réunissant Mme Hélène Tréheux-Duchêne, ambassadrice de France au Royaume-Uni, M. François Delattre, ambassadeur de France en Allemagne, M. Éric Chevallier, ambassadeur de France en Égypte, et M. Patrick Maisonnave, ambassadeur de France en Arabie Saoudite.
– Audition, à huis clos, de M. Nicolas Roche, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN)
18 novembre 2025
– Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Nuñez, ministre de l’Intérieur
– Audition, ouverte à la presse, de M. François Kraus, directeur de pôle Opinion, pôle « Actualités et politique » à l’IFOP (Institut français d’opinion publique), accompagné de Mme Mathilde Tchounikine, chargée d’études
26 novembre 2025
– Audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Tiberj, professeur des universités, Sciences Po Bordeaux
2 décembre 2025
– Audition, ouverte à la presse, de Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti Les Écologistes
6 décembre 2025
– Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Mélenchon
– Audition, ouverte à la presse, de M. Gérald Darmanin, garde des Sceaux, ministre de la Justice
Liste des personnes rencontrées lors du déplacement auprès des institutions européennes du 3 décembre 2025
Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne
– M. Nicolas de MAISTRE, préfet, chef du service justice et affaires intérieures ;
– Mme Solène TOUCHARD, conseillère lutte contre le terrorisme, radicalisation et échanges d’information en matière de justice et d’affaires intérieures
Parlement européen
– M. François-Xavier BELLAMY (FR-PPE), membre de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE)
Commission européenne
– Cabinet du Commissaire Magnus BRUNNER (Affaires intérieures et migration) : Mme Natasha BERTAUD, directrice adjointe du cabinet et Mme Cathrin BAUER‑BULST, conseillère chargée de la sécurité interne, du contre-terrorisme et de la lutte contre la radicalisation et l’extrémisme ;
– Cabinet du Commissaire Piot SERAFIN (Budget, lutte anti-fraude et administration publique) : M. Marek NOHEJL, conseiller chargé des affaires internes et de la migration, des affaires étrangères et de la politique de sécurité ;
– Direction générale de la migration et des affaires intérieures (DG HOME) : Mme Floriana SIPALA, directrice générale adjointe à la sécurité intérieure, et Mme Claudie BAUDINO, chargée de mission ;
– Direction générale du Budget (DG BUDG) : M. Olivier WAELBROECK, conseiller principal, affaires juridiques, règles financières ;
– Direction générale des ressources humaines et de la sécurité (DG HRS) : M. Pearse O’DONOHUE, directeur de la sécurité ;
– Secrétariat général de la Commission européenne : Mme Marie SIMONSEN, cheffe de l’unité en charge de la démocratie, l’état de droit et l’égalité) et Mme Iris ABRAHAM, membre de l’unité en charge de la lutte contre la haine anti-musulmans.
Ambassade de France en Belgique
— M. Xavier LAPEYRE DE CABANES, ambassadeur de France en Belgique.
Annexe :
Changements de la composition de la commissIon d’enquête intervenus au cours de ses travaux
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JO du |
Démission |
Nomination |
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1 |
03/07/2025 |
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Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC) |
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2 |
04/07/2025 |
M. Éric Pauget (DR) |
Mme Michèle Tabarot (DR) |
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3 |
05/07/2025 |
M. Raphaël Arnault (LFI-NFP) |
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP) |
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4 |
08/07/2025 |
Mme Sophie Pantel (SOC) |
M. Inaki Echaniz M. Nicolas Sansu (GDR) |
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5 |
30/09/2025 |
M. Inaki Echaniz (SOC) Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC) |
M. Paul Christophle (SOC) M. Pierrick Courbon (SOC) |
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6 |
07/10/2025 et rectificatif au JO du 08/10/2025 |
M. Mathieu Lefèvre (EPR) M. Hadrien Clouet (LFI-NFP) M. Paul Christophle (SOC) M. Pierrick Courbon (SOC) M. Romain Eskenazi (SOC) Mme Michèle Tabarot (DR) |
Mme Emmanuelle Hoffman (EPR) M. Raphaël Arnault (LFI-NFP) Mme Céline Hervieu (SOC) Mme Anna Pic (SOC) Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC) M. Guillaume Lepers (DR) |
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7 |
08/10/2025 |
Raphaël Arnault (LFI-NFP) |
Hadrien Clouet (LFI-NFP) |
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8 |
09/10/2025 |
M. Guillaume Lepers (DR) |
Mme Michèle Tabarot (DR) |
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9 |
15/10/2025 et rectificatif au JO du 16/10/2025
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Mme Caroline Yadan (EPR) (VP) M. Vincent Jeanbrun (DR) (PDT) Mme Michèle Tabarot (DR)
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M. Sylvain Maillard (EPR) M. Xavier Breton (DR) Mme Josiane Corneloup (DR)
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10 |
16/10/2025 |
M. Sylvain Maillard (EPR) |
Mme Caroline Yadan (EPR) (VP) |
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11 |
06/11/2025 |
Mme Emmanuelle Hoffman (EPR) |
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12 |
03/12/2025 |
Mme Céline Hervieu (SOC) |
Mme Sophie Pantel (SOC) |
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13 |
06/12/2025 |
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI) Mme Caroline Yadan (EPR) (VP) |
Mme Gabrielle Cathala (LFI) M. Pierre Cazeneuve (EPR) M. Bastien Lachaud (LFI) Mme Mathilde Panot (LFI) M. Aurélien Saintoul (LFI) Mme Liliana Tanguy (EPR) |
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14 |
09/12/2025 |
Mme Gabrielle Cathala (LFI) M. Bastien Lachaud (LFI) Mme Mathilde Panot (LFI) M. Aurélien Saintoul (LFI) Mme Liliana Tanguy (EPR) |
M. Pierre-Yves Cadalen (LFI) Mme Caroline Yadan (EPR) (VP)
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15 |
10/12/2025 |
M. Pierre Cazeneuve (EPR) |
Mme Danielle Brulebois |
Contributions des membres de la commission d’enquête
Contribution du groupe La France insoumise
Cette commission d’enquête n’a répondu, ni sur la forme ni sur le fond, de son lancement à sa conclusion, aux exigences constitutionnelles et parlementaires. Nous commençons donc par en souligner le caractère illégitime.
D’abord, de nombreux dévoiements du Règlement de l’Assemblée nationale ont entaché sa légitimité et le bon déroulé de ses travaux. Ces dévoiements ont permis la nomination d’un bureau non représentatif de la configuration politique de l’Assemblée nationale, du fait de l’exclusion d’élu·es des groupes La France insoumise, Socialistes et apparentés, Écologiste et Social, Gauche démocratique républicaine, et Libertés, indépendants, outre-mer et territoires. Par ailleurs, l’élection à la présidence de la commission a été repoussée à plusieurs reprises afin d’empêcher l’élection de notre candidat, soutenu par les groupes d’opposition.
Ces manœuvres ont permis au président d’être issu du groupe Droite républicaine et au rapporteur du groupe Union des droites pour la République, alors que tous deux étaient encore récemment membres du même parti politique. La commission devient alors un club aux objectifs politiciens, en totale opposition avec le sérieux et l’exigence des travaux parlementaires. C’est d’ailleurs pour cette même raison que la commission proposée par Laurent Wauquiez dans sa première version avait été rejetée.
Il n’est donc en rien surprenant, mais tout à fait scandaleux, que le président et le rapporteur aient rejeté nos propositions d’auditions, garantes du pluralisme politique, et refusé notre demande de vote sur les propositions de chaque groupe. Leurs auditions, partielles, partiales et contestées, ont ainsi été maintenues. Pourtant, notre demande de validation de chaque personne auditionnée par l’ensemble de la commission aurait dû nous être accordée de droit, comme le prévoit l’article 6 de l’ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires : le président et le rapporteur proposent des auditions mais ne sont pas propriétaires des prérogatives qui sont celles de la commission.
Ce dévoiement du Règlement et de l’ordonnance de 1958 a abouti à des auditions ciblant notre mouvement. Une commission d’enquête parlementaire ne peut pas avoir la prétention de juger si un parti est conforme aux lois de la République, seule la Justice peut en décider. Il est ainsi regrettable que le périmètre adopté en commission des lois par les parlementaires n’ait pas été respecté. La première version de la proposition de résolution (n°1382) créant la commission d’enquête avait pourtant été jugée irrecevable, notamment en raison de son « obsession vis-à-vis d’un parti politique en particulier ». La rapporteure de la commission des Lois avait ainsi considéré que cette proposition de résolution semblait « davantage inspirée par une démarche politicienne que par une volonté de faire le point sur les différentes traductions de l’islam politique en France et la réalité de leur influence ». En rejetant sa recevabilité, la commission des lois a considéré que les conditions requises pour la création de cette commission d’enquête n’étaient pas réunies.
La deuxième version, jugée recevable, a précisé le champ des faits étudiés dans le périmètre de la commission d’enquête (« les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste ») et fait disparaître les sept mentions du mouvement « La France insoumise », au profit de celle, plus générale, de « mouvements politiques ». Or, le président et le rapporteur ont autoritairement décidé de restreindre le périmètre politique des auditions, démontrant ainsi la totale partialité de leur commission. Une fin de non recevoir a été opposée à notre demande d’audition des responsables de mouvements politiques de droite et d’extrême droite dont des membres, parfois éminents, ont été cités, poursuivis et condamnés dans des affaires impliquant « des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste ». Soulignons que le problème du terrorisme, sujet central, n’est en conséquence qu’à peine effleuré dans ce rapport, au profit de manœuvres politiciennes bien en-deçà du sérieux qu’impose le traitement d’un sujet si grave.
Les seuls responsables politiques nationaux auditionnés ont été Marine Tondelier et Jean-Luc Mélenchon. Lors de l’audition de ce dernier, le rapporteur a pourtant cité des cas « d’entrisme » islamiste qui existeraient selon lui à l’échelle locale et qui ne concernent pas La France insoumise : Colombes (mairie écologiste), Villeneuve d’Ascq (mairie socialiste) et Valencienne (mairie Horizons). Pourquoi n’avoir donc convoqué aucun représentant du parti socialiste et d’Horizons ? Pourquoi aucun responsable national de LR ou du RN n’a été auditionné, alors même que les dernières condamnations pour collusion avec des organisations terroristes ou islamistes concernent des membres anciens ou actuels de leurs partis ? Le seule explication logique à ces omissions est que, pour ses initiateurs, son président et son rapporteur, cette commission n’a jamais véritablement eu pour but d’enquêter sérieusement sur ces sujets, mais de les instrumentaliser à des fins politiciennes. Nous considérons qu’une telle démarche est lamentable et abîme la République.
Cette partialité est d’autant plus flagrante que de nombreuses auditions, notamment de l’ensemble des services de renseignement, ont démontré l’absence d’accointances entre mouvements politiques de gauche et organisations terroristes ou islamistes, alertant plutôt sur l’importance d’investiguer les groupes d’extrême droite. La commission d’enquête a ainsi produit elle-même les preuves contredisant les allégations de ses instigateurs et disculpant les mouvements politiques injustement ciblés, dont le nôtre pour lequel aucun lien n’a été établi avec quelque organisation terroriste ou islamiste que ce soit.
Ainsi, le préfet de l’Aube et co-auteur du rapport remis au ministre de l’Intérieur sur l’islamisme politique en France Pascal Courtade, affirme : « au niveau français, je ne connais pas de stratégie constituée d’influence de la mouvance auprès des partis politiques. [...] À l’heure actuelle, certains militants islamistes politiques – qui n’agissent pas nécessairement sur ordre– mènent au niveau local des stratégies d’influence, parfois d’obtention d’avantages, voire d’entrisme. Mais je répète que nous n’avons pas observé ni documenté ou étudié une stratégie d’influence au niveau national sur les partis politiques. ». Nicolas Lerner, directeur général de la Sécurité extérieure affirme lui aussi « l’absence d’élément prouvant des connivences structurelles au sens de plan d’action, de programme, d’échéance, d’agenda communs. ».
Hugues Bricq, Directeur du renseignement à la préfecture de police de Paris, explique : « nos missions sont définies et circonscrites et c’est grâce à la surveillance que nous exerçons, notamment avec des techniques intrusives, sur nos propres objectifs que je peux vous le dire : il n’existe pas de liens documentés entre les objectifs que nous suivons et des élus ou des partis. ». Il est ainsi parfaitement clair : « L’ultragauche était totalement absente lors des émeutes et des violences urbaines, et on ne la voit pas non plus quand il est question d’islamisme radical. En revanche, une certaine frange de l’ultradroite négationniste se rapproche, par antisémitisme pur, de certains islamistes ou référents religieux islamistes qui tiennent des propos antisémites ».
De plus, selon le RTV Trend Report 2024, publié par le Centre de recherche sur l’extrémisme de l’université d’Oslo, la France est désormais à l’avant-garde des violences d’extrême droite en Europe. Les agressions, en hausse, sont de plus en plus ciblées et coordonnées[802]. Les violences racistes, notamment contre les musulman·es, restent les plus courantes. La France est ainsi le deuxième pays d’Europe avec le plus grand nombre d’attaques de l’extrême droite, mais le seul pays où ce sont des groupes organisés et non des acteurs isolés. Derrière ces violences, la menace du terrorisme d’extrême droite est bien réelle. Depuis 2017, 20 projets d’attentats d’extrême droite ont été déjoués en France : projets d’assassinat contre des personnalités politique (ciblant Jean-Luc Mélenchon ou Emmanuel Macron par exemple), projets d’empoisonnement de produits halal, projets d’attentat contre des lieux de culte ou des imams. Selon les données d’Europol, 118 personnes ont ainsi été arrêtées en France en 10 ans pour crime lié au terrorisme d’extrême droite.
Malgré ce constat, le rapport de cette supposée commission d’enquête ne dédie qu’un court paragraphe sur la droite et un autre aussi court sur l’extrême droite, sur plusieurs pages de conclusions. Un tel aveuglement en dit long sur l’absence de volonté des auteurs de ce rapport de s’interroger quant aux moyens de lutter véritablement contre l’antisémitisme, et donc contre ces franges d’extrême droite évoquées par le renseignement. Là encore, il préfère subordonner un problème particulièrement grave à leurs intérêts politiciens.
Par ailleurs, les auditions menées mettent elles-mêmes en cause la légitimité scientifique de certains « experts » choisis, à l’instar de Nora Bussigny, Bernard Rougier, Florence Bergeaud-Blacker, Omar Youssef Souleimane et Emmanuel Razavi. Ces choix, tous très orientés politiquement, correspondent aux biais des instigateurs qui se sont manifestés dès le départ du processus. Ainsi, en réponse à une question du rapporteur, Hugues Bricq, directeur du renseignement à la préfecture de police de Paris, dit avoir « connaissance des recherches, ouvrages et articles de certains auteurs…qui se placent eux-mêmes dans une sphère politique en écrivant ce qu’ils écrivent. »
Laurent Bonnefoy, chercheur au CNRS affecté au CERI, a, quant à lui, très précisément démontré les problèmes de méthodologie des travaux sur lesquels s’est appuyé le rapporteur pour mener sa charge politique contre La France insoumise. Omar Youssef Souleimane « monte en épingle un grand nombre de phénomènes, use de procès d’intention spécieux, témoigne d’une obsession pour la personne de Rima Hassan et met en scène de manière gênante sa propre enquête en racontant, par exemple, qu’il s’est rendu à des manifestations grimé, portant chapeau et keffieh ». Les travaux de Bernard Rougier « d’une part, montent parfois en épingle un certain nombre de phénomènes relativement marginaux, d’autre part, se concentrent sur des acteurs, des organisations, qui ne sont pas nécessairement en première ligne ».
Laurent Bonnefoy précise également que les « pressions » dont Florence Bergeaud-Blackler estime faire l’objet « s’exercent avant tout sur le plan politique, et non scientifique, précisément parce qu’elle a très largement abandonné le cadre scientifique pour se concentrer sur une forme d’agitation, notamment sur les réseaux sociaux. Dès lors que l’on ne joue plus le jeu de sa profession, on peut se retrouver dans une situation où ses demandes de financement sont retoquées, que ce soit par l’Union européenne ou par des agences de moyens nationales telles que l’ANR (Agence nationale de la recherche). ».
Plus grave encore que son expertise douteuse, les travaux de la commission sont entachés de soupçons d’ingérence étrangère.
Les Émirats arabes unis mènent également une guerre spécifique avec le Qatar, qu’ils accusent d’être proche des Frères Musulmans. Or, le président et rapporteur de la commission ont choisi d’auditionner deux journalistes d’Écran de veille, une revue qui serait, selon les informations de Mediapart, liée aux Émirats arabes unis, par son rattachement à Global Watch Analysis. Ce media a récemment commandé un sondage IFOP sur « le rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France »[803].
Les éclairages du Monde à ce propos sont édifiants : « En publiant, le 18 novembre, une longue étude sur le rapport des musulmans de France à leur religion, qui met en lumière la « tentation islamiste » de certains d’entre eux, l’IFOP a créé une vive polémique. Si la méthodologie de ce sondage a fait l’objet de critiques, l’identité de son commanditaire, elle, a moins attiré l’attention. L’étude a été commandée par « Écran de veille », une revue confidentielle appartenant au groupe Global Watch Analysis (GWA), qui se décline aussi en site Internet, en maison d’édition (GWA Editions) et en WebTV (Elmaniya). Dans la pratique, le groupe GWA, qui revendique « des publications consacrées à la résistance aux extrémismes et aux fanatismes, sous toutes leurs formes », se focalise très nettement sur l’islamisme, et en particulier sur les réseaux des Frères musulmans. De surcroît, il nourrit une hostilité manifeste envers le Qatar, principal partisan de la confrérie au niveau international. »
Alors que le rédacteur en chef de ce journal est présenté par Le Monde comme « un espion » et un « agent d’influence des émirats », on peut sérieusement s’interroger sur la pertinence du choix d’auditionner ces journalistes et le but poursuivi. La commission d’enquête sur les infiltrations islamistes a-t-elle été infiltrée elle-même au profit d’un conflit entre États islamiques ? Plutôt que de se laisser instrumentaliser dans les guerres d’influence entre les Émirats et le Qatar, le président et le rapporteur de la commission auraient pu s’interroger sur les campagnes de déstabilisation politique menées par les uns et les autres, comme celle, révélée par le média d’investigation L’informé, dont a été victime le député insoumis Carlos Martens Bilongo à la suite de son rapport sur la COP 28.
Alors que la commission d’enquête a également auditionné M. Erwan Seznec, rédacteur en chef du Point, elle aurait pu également s’interroger sur les liens entre le journaliste Ian Hamel, collaborateur du Point, et le cabinet d’influence suisse Alp Services travaillant pour le compte des Émirats arabes unis. D’après les informations de Mediapart, ce cabinet aurait fiché plus de 1000 citoyen·nes européen·nes, dont plus de 200 Français·es, bien souvent à tort, comme étant des proches des Frères musulmans, les livrant ainsi en pâture aux services secrets des Émirats sans pour autant provoquer de réaction publique de la France.
Nous regrettons le dévoiement du Règlement de l’Assemblée nationale à des fins politiciennes, car le sujet jugé recevable par la commission des Lois mérite une attention et une investigation sérieuse.
« Nous avons avant tout besoin de science et de compréhension de ce que nous affrontons » comme l’a expliqué Jean-Luc Mélenchon lors de son audition le 6 décembre 2025. L’objectif des organisations terroristes ou islamistes est que « nous nous emportions au point que nous confondions tout : la religion dont ils se réclament, à tort si l’on en croit les savants musulmans, les actes qu’ils posent, etc. » Les terroristes en particulier espèrent donc que nous nous divisions entre compatriotes français sur la base de nos différences de religions, et de toute autre différence, en misant sur une spirale sans fin de violence.
Face aux fanatiques de toute obédience, c’est l’unité du peuple qui doit prévaloir, placée sous le signe de l’accomplissement réel des principes républicains : liberté-égalité-fraternité. Stigmatiser les musulman.es revient à renforcer les extrémistes et à en servir l’agenda politique : non seulement parce que la division est leur but, mais parce que cette stigmatisation nourrit leur récit. A rebours de ce que le rapporteur affirme, ce n’est pas la dénonciation de l’islamophobie qui nourrit le fanatisme inspiré de l’islam, ou les projets terroristes issus de ce fanatisme : c’est bien l’islamophobie elle-même.
L’unité du peuple français doit donc être notre priorité, telle que la loi de 1905 le prévoit. Ainsi, contrairement à ce qu’affirment les rapporteur et président de cette commission d’enquête, alors que des millions de musulmanes et musulmans vivent en France, nous pensons que la lutte contre l’islamophobie est essentielle, et nous revendiquons l’utilisation de ce terme. Un terme par ailleurs employé par l’Organisation des Nations Unies qui dédie chaque année une journée à la lutte contre l’islamophobie le 15 mars[804]. Dès lors, refuser et pointer du doigt l’islamophobie est une faute politique pour tout républicain, comme l’est la lutte contre toutes les formes que prend le racisme dans la société.
Ainsi, si nous reconnaissons l’existence d’une menace terroriste islamiste, nous regrettons la confusion entretenue lors de ces auditions entre islam, islamisme et terrorisme islamiste. Cette confusion dangereuse est régulièrement entretenue dans la sphère politique et médiatique qui ne fait que renforcer ceux qui nous menacent. Or, l’islam est une religion, tandis que l’islamisme est un fondamentalisme. Le terrorisme, quant à lui, est une « forme d’islamisme meurtrier qui est une stratégie de combat, c’est-à-dire, par le terrorisme, provoquer l’effondrement de la société se déchirant entre elle-même » comme l’a expliqué Jean-Luc Mélenchon. Dès lors, mélanger conservatisme religieux, islamisme politique et terrorisme, comme le font souvent certains discours médiatiques ou institutionnels, ne produit que de la confusion, détourne l’attention des véritables vecteurs de violence et fragilise les services de renseignement.
A de nombreuses reprises, la commission d’enquête a ainsi abordé le sujet d’un « vote des musulman·es » qui serait plus favorable au mouvement de La France insoumise, démontrant ainsi une forme d’islamophobie conspiratoire amalgamant islam et islamisme. Le président de la commission a demandé à Laurent Bonnefoy comment il interprétait certains résultats électoraux : « on estime que 60 % à 70 % des musulmans ont voté pour La France insoumise aux élections européennes ou pour M. Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2022. Comment interprétez-vous ce résultat ? ». Ce faisant, ces auditions assignent « à une population particulière, les musulmans, une idéologie, un grand projet cohérent » comme l’explique Laurent Bonnefoy, « cette perception renvoie à une forme de complotisme qui a pu exister, en France, dans les années 1930 : une composante particulière du paysage national fomenterait un complot dont la cohérence serait assurée par une idéologie. »
Ces allusions s’inscrivent dans un climat de suspicion islamophobe de plus en plus banalisé, tel que le démontre le sondage de l’IFOP sur « le rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France » du 18 novembre 2025. Nous refusons cet acharnement contraire aux valeurs républicaines et combattons toutes les formes de persécutions religieuses.
L’ensemble du rapport est, d’ailleurs, rédigé sur ce mode complotiste de la suspicion et de la rumeur, sans faits vérifiés, à tel point que son contenu reflète fidèlement l’illégitimité de la commission elle-même. Soulignons d’ailleurs que Vincent Tiberj récuse l’idée même qu’il soit pertinent de retenir le concept de « vote musulman », puisque les personnes issues de l’immigration, du fait des discriminations qu’elles subissent votent en général à gauche, et en particulier pour la France insoumise : rien n’indique que la dimension confessionnelle soit en l’occurrence la motivation principale du vote.
Nous regrettons également les élucubrations racistes de certains auditionnés, évoquant un lien entre antisémitisme, « vote musulman » et partis de gauche, sous-entendant que les musulman·es soutiendraient des politiques de gauche par antisémitisme, ou que des partis de gauche utiliseraient l’antisémitisme pour convaincre des électeurs et électrices musulmans, des amalgames abjects qui ne se fondent sur aucune étude sérieuse.
A la suite des précédents, le rapport 2024 de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) sur le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie démontre même le contraire : les préjugés antisémites sont bien plus marqués à la droite et à l’extrême droite de l’échiquier politique. L’antisémitisme observé aussi à gauche et que nous combattons – puisque comme toutes les formes de racisme, il est structurel et existe dans toute la société –, est « sans comparaison avec celui observé à l’extrême droite et chez les proches du Rassemblement national. [...] Les gros bataillons de l’antisémitisme se composent de non-Musulmans, de personnes sans ascendance extra-européenne, et situées à droite sur l’échiquier politique »[805].
Les amalgames racistes qui sous tendent les propos tenus lors des auditions et repris dans le rapport sont d’autant plus graves que les chiffres du dernier rapport de la Défenseure des droits sur les discriminations fondées sur la religion révèlent une hausse de ces discriminations toutes religions confondues, mais démontrent que les personnes se déclarant ou étant perçues comme musulmanes restent les plus ciblées : 34% des personnes déclarent avoir subi une discrimination au cours des 5 dernières années, contre 19% pour les autres religions[806].
Enfin, la commission d’enquête s’est également intéressée à la présence de La France insoumise à des manifestations contre le génocide à Gaza, en assimilant hostilité au sionisme, antisémitisme, islamisme et islam. Nous récusons ces amalgames racistes. Laurent Bonnefoy souligne d’ailleurs que la position singulière de La France insoumise, l’un des seuls soutiens marqués dans la protestation contre le génocide à Gaza, tient surtout à l’absence incompréhensible d’autres organisations dans ce combat qui devrait pourtant faire l’unanimité. La seule conclusion que l’on peut tirer d’un tel engagement est que La France insoumise est une force politique humaniste, républicaine et attachée au droit international qu’elle défend en toute occasion.
Établir un lien entre le soutien au droit international et aux droits des Palestinien·es et l’antisémitisme est une position d’une gravité exceptionnelle, laquelle relève d’une forme d’antisémitisme, ancrée à droite et à l’extrême droite, qui assimile l’ensemble des Juifs à la politique du gouvernement d’extrême droite d’Israël, une essentialisation insupportable et raciste. Nous la combattons comme nous combattons toutes les formes de racisme[807].
Lutter contre toutes les formes de racisme est ainsi indispensable pour défendre l’unité du peuple Français et lutter contre l’extrémisme religieux. A cet égard, nous souhaitons de nouveau déplorer l’absence de volonté politique gouvernementale. Les gouvernements successifs ont manqué à leurs propres engagements. Le départ du délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) en juin 2024 a donné lieu a 8 mois de vacance, empêchant ainsi tout pilotage interministériel de la politique de l’État. Le plan national pour la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à l’origine 2023-2026 (Prado) peine encore à être mis en œuvre. Les premiers ministres Gabriel Attal et Michel Barnier n’ont pas respecté l’obligation de remise officielle du rapport annuel de la CNCDH par son président. Tout cela est regrettable et a des conséquences délétères.
La laïcité est un principe de protection des libertés. Son instrumentalisation à des fins discriminatoires est un dévoiement qui alimente les extrémismes religieux au lieu de lutter contre. Jean-Luc Mélenchon l’a rappelé devant cette commission le 6 décembre 2025 : la France est une terre de vieilles guerres de religion et cela conduit à bien peser les éléments du débat, avec rigueur, sérieux et prudence. La laïcité dans notre pays est l’accomplissement d’une histoire douloureuse : le massacre mutuel, l’expulsion, les violences. Il nous revient à toutes et à tous, quel que soit notre camp politique, de faire vivre la loi de 1905 dans son intelligence spécifique, sans en corrompre le sens et l’esprit, en prenant en compte les enseignements du passé pour préserver à l’avenir l’unité des Françaises et des Français.
En effet, la loi de 1905 et la laïcité française ne sont pas synonymes d’athéisme d’État. Il ne s’agit pas non plus d’une loi d’interdiction, mais d’une loi de liberté : la laïcité doit donc être considérée comme un principe d’émancipation et non comme un outil de suspicion et d’oppression. Ainsi, les propositions formulées lors des auditions et dans ce rapport visant à interdire le port du voile, cibler la nourriture halal ou la pratique du ramadan, menacent les libertés individuelles et doivent être dénoncées. La loi de 1905 consacre avant tout la liberté de culte et de conscience. Elle ne doit pas être vidée de sa substance par les droites et extrêmes droites qui ciblent aujourd’hui certains de nos compatriotes en fonction de leur religion, alors qu’elles ont dans leur histoire été les pourfendeurs de la laïcité. Nous serons toujours aux côtés de celles et ceux qui combattent ou sont victimes de cette surenchère raciste et xénophobe.
Nous avons formulé de nombreuses propositions dans le livret thématique de L’avenir en commun intitulé « Sécurité́ et sûreté : refonder le service public de la police » ou à travers les travaux de l’Institut la Boétie. Nous estimons que le ministère de l’Intérieur doit redevenir le garant de la paix civile et de la cohésion nationale, plutôt que le relais de peurs irrationnelles et de mesures inefficaces.
Préambule : pour une politique cohérente de lutte contre le terrorisme
Nous l’avons démontré : il est essentiel de distinguer clairement la violence terroriste des croyances religieuses ou des pratiques musulmanes. Une politique efficace ne doit pas lancer une guerre contre l’islam, mais traquer ceux qui commettent ou préparent des actes criminels, quels que soient leurs motifs, politiques, religieux ou autres. Lutter contre le terrorisme signifie donc s’attaquer aux réseaux criminels, aux logisticiens, aux propagateurs de violence, et non pas criminaliser une religion, des mosquées, des associations ou des personnes simplement parce qu’elles sont musulmanes. Nous refusons les méthodes approximatives, stigmatisantes ou liberticides qui, loin de renforcer la sécurité, affaiblissent l’État de droit et fracturent la société.
Une politique efficace doit s’appuyer à la fois sur une compréhension fine des mécanismes de radicalisation et sur une vision résolument émancipatrice de la société. Pour cela, nous devons comprendre les ressorts de la radicalisation violente. Sur ce point, les recherches en sociologie, en psychologie sociale et en sciences politiques convergent pour démontrer qu’elle trouve ses racines dans des fractures profondes : discriminations scolaires, raciales, sentiment d’injustice, pauvreté structurelle, absence de perspectives professionnelles ou citoyennes.
Une approche conséquente de la sécurité implique donc d’agir sur ces causes : réinvestir dans les services publics notamment l’éducation nationale, agir pour les jeunes des quartiers populaires, combattre les discriminations systémiques et s’attacher ainsi, plus que tout, à maintenir l’unité populaire, garante de la République en France.
● Sortir des logiques de choc des civilisations et des interventions militaires déstabilisatrices de l’ordre international.
● Mettre en place une stratégie globale et internationale contre le terrorisme, sous l’égide de l’ONU, coordonnant l’ensemble des acteurs pour cibler à la fois la violence, le financement et le trafic d’armes.
● Lutter contre les réseaux internationaux de financement et d’approvisionnement (blanchiment d’argent, pétrole, trafic d’armes, approvisionnement en ligne).
● Sortir de l’Otan pour garantir la souveraineté nationale et ne pas être entraîné par des agendas étrangers.
● Renforcer l’éducation, les services publics et la sécurité sociale pour prévenir l’embrigadement.
● Développer un travail interministériel et scientifique, en partenariat avec les sciences humaines et sociales, pour orienter rationnellement les actions.
● Soutenir les programmes de prévention non judiciaires et le signalement par les proches.
● Promouvoir des peines alternatives à la prison pour limiter l’embrigadement en détention.
● Renforcer le renseignement humain et territorial, privilégier l’infiltration et le travail de terrain.
● Diversifier les analystes et traducteurs, élargir la communauté antiterroriste et fidéliser les agents.
● Mettre fin aux dispositifs liberticides de surveillance de masse et renforcer le contrôle parlementaire et judiciaire.
● Cibler le renseignement sur les menaces réelles, y compris l’extrême droite et les groupuscules anti-républicains.
● Abroger les lois qui ont inscrit l’état d’urgence dans le droit commun.
● Accélérer les procédures judiciaires, supprimer les juridictions spécialisées et garantir des jurés populaires.
● Remplacer progressivement les opérations militaires intérieures comme « Sentinelle » par une surveillance ciblée assurée par la police, la gendarmerie et la garde nationale.
● Recrutement et fidélisation des agents : constituer des équipes spécialisées dans l’infiltration, la surveillance et l’analyse des réseaux terroristes, avec des contrats stables et des parcours de carrière sécurisés.
● Formation continue et haut niveau de qualification : mise en place de programmes publics financés par l’État pour former agents, analystes et traducteurs aux langues, cultures et techniques opérationnelles nécessaires.
● Intégration multidisciplinaire : associer sociologues, psychologues et spécialistes des sciences humaines pour orienter l’action des services sur le terrain et mieux comprendre les mécanismes de radicalisation.
● Plan de financement public des politiques de prévention : investir massivement dans l’éducation, les services sociaux, la culture et l’insertion professionnelle dans les quartiers populaires pour réduire les facteurs de vulnérabilité à l’embrigadement.
● Programmes de déradicalisation et de suivi personnalisé : développer des dispositifs non judiciaires d’accompagnement des personnes à risque, avec un financement pérenne des collectivités locales et des associations partenaires.
● Renforcement des anticorps républicains : actions éducatives et citoyennes pour promouvoir l’égalité, la laïcité émancipatrice et le vivre-ensemble.
● Plan de financement public des politiques de prévention : investir massivement dans l’éducation, les services sociaux, la culture et l’insertion professionnelle dans les quartiers populaires pour réduire les facteurs de vulnérabilité à l’embrigadement.
● Programmes de déradicalisation et de suivi personnalisé : développer des dispositifs non judiciaires d’accompagnement des personnes à risque, avec un financement pérenne des collectivités locales et des associations partenaires.
● Renforcement des anticorps républicains : actions éducatives et citoyennes pour promouvoir l’égalité, la laïcité émancipatrice et le vivre-ensemble.
Contribution du groupe de La Droite républicaine
Créée à l’initiative du groupe de la Droite Républicaine, cette commission d’enquête répondait à la nécessité de faire toute la lumière quant aux liens existants entre des mouvements politiques et les réseaux islamistes. Aucune compromission ne peut être tolérée à l’heure où notre pays subit une offensive sans précédent d’individus et de groupements, notamment liés aux Frères musulmans, en vue d’imposer leur idéologie et de subvertir, pas à pas, tous les fondements de la République.
Notre groupe salue la qualité des travaux de la commission d’enquête parlementaire et adresse ses vifs remerciements aux personnalités auditionnées pour la richesse de leurs contributions et leur courage. Nous tenons particulièrement à souligner l’engagement de la journaliste Nora Bussigny, qui a été la cible d’un honteux cyberharcèlement, attisé par le député Paul Vannier, après avoir témoigné devant notre commission. Ces faits ont fait l’objet d’une plainte qui, nous l’espérons, conduira à sanctionner les responsables.
Les conclusions des travaux conduits par la commission d’enquête sont édifiantes. Si sa création était fondée sur un faisceau d’indices révélant des liens troubles entre des responsables politiques, notamment issus de la France insoumise, et des individus ou réseaux islamistes, les auditions, témoignages et documents ne laissent place à aucun doute. Il ne s’agit pas de dérives marginales, mais d’une stratégie délibérée.
Les auditions de la commission ont, en effet, révélé une collusion systématique entre des élus, des militants et des cadres de la France insoumise et des organisations islamistes, certaines classées comme terroristes, d’autres dissoutes pour apologie du terrorisme ou séparatisme :
Les attentats du 7 octobre 2023, perpétrés par le Hamas, apparaissent comme un tournant dans les discours et les actions de la France insoumise. Les événements de soutien à la Palestine étant désormais autant d’espaces de rencontre et de lutte commune entre la France insoumise et les réseaux islamistes. Rappelons que :
Les faits révélés par la commission d’enquête traduisent un lien de connivence et d’intérêts réciproques. Les mouvements et réseaux islamistes reçoivent de ces élus une forme de caution républicaine à leurs revendications. En échange, ils apportent à la France insoumise une force militante pour ses actions politiques avec, en dernier ressort, l’objectif de consolider une base électorale sur fond de communautarisme.
La France insoumise légitime ainsi sciemment des mouvements qui, sans elle, seraient cantonnés à la marginalité. L’immunité parlementaire et la légitimité démocratique devenant le paravent des discours et organisations les plus radicalisés. Les exemples fournis par les travaux de la commission sont nombreux :
Les témoignages recueillis par la commission, notamment celui de Cédric Brun, ancien cadre de la France insoumise dans les Hauts-de-France, confirment que l’infiltration des islamistes au sein de la France insoumise n’est pas une simple tentative, mais une stratégie délibérée et organisée de conquête de l’électorat musulman. Cédric Brun a révélé que des responsables de LFI lui avaient explicitement dit : « Dans ta région, nous avons perdu les ouvriers. Ils sont passés du côté antirépublicain, du RN. Il faut conquérir les voix des quartiers populaires. » :
Les conclusions des travaux de la commission d’enquête amènent à un constat : la France insoumise n’est pas victime de l’entrisme, comme pourraient l’être toutes les organisations, elle en est l’instrument. Elle fournit un espace politique aux revendications islamistes avec le dessein de se constituer une base militante, d’exacerber les tensions communautaires et d’en récolter un bénéfice électoral. Par cette stratégie, Jean-Luc Mélenchon et ses alliés agissent en véritable cheval de Troie politique de l’islamisme en France. Ils ont délibérément pris le risque de sacrifier la République en se compromettant avec ses ennemis les plus déterminés. La menace est existentielle : la République se défend, ou elle meurt. Nous, députés de la Droite Républicaine, choisissons de la défendre.
Nos propositions pour protéger la République
Face à ce constat accablant, le groupe de la Droite Républicaine propose des mesures fortes pour protéger la France, la République et nos principes fondamentaux.
1. Dissoudre et combattre les organisations complices
2. Protéger nos institutions
3. Rétablir l’autorité de l’État
Contribution de Mme Caroline Yadan,
vice-présidente de la commission d’enquête,
députée des Français établis hors de France
Madame Caroline Yadan remercie la commission d’enquête pour la qualité de ses travaux. Le rapport, particulièrement étayé, devra amorcer un travail approfondi et une réflexion législative pour protéger notre République des atteintes liées à l’entrisme islamiste.
S’il est établi, par un constat sans appel de par les auditions menées, qu’il existe une stratégie qui conduit certains élus de la France Insoumise à une vraie complaisance voire à un soutien actif des individus proches des mouvements islamistes, ce phénomène ne se limite pas à la France mais se retrouve aussi au sein des instances européennes, notamment par l’activisme de l’eurodéputée Rima Hassan et par les risques d’ingérences du Hamas dans des ONG financées par l’Union européenne (UE).
I. Réception au Parlement européen de collectifs liés à la mouvance frériste
1. La réception de FEMYSO au Parlement européen le 30 septembre 2024
Le Forum of European Muslim Youth and Student Organisations (FEMYSO) a été reçu le 30 septembre 2024 au Parlement européen par Madame Rima Hassan, députée européenne élue sur la liste de La France insoumise.
Pour rappel, FEMYSO a été créée par la Fédération des organisations islamiques en Europe, elle-même « émanation de la mouvance des Frères musulmans à l’échelle du continent »[808] selon Nora Bussigny. Comme l’indique le rapport de la commission d’enquête (page 41), FEMYSO, fondé en 1996 et rassemblant 36 associations nationales, « fait office de structure de formation des cadres à haut potentiel de la mouvance »[809] selon le ministère de l’Intérieur. L’organisation joue également « un rôle clé dans la diffusion de la pensée frériste auprès des institutions et des fonctionnaires européens »[810].
2. La réception de LALLAB au Parlement européen le 26 mars 2025
Le 26 mars 2025, Madame Rima Hassan a également accueilli au sein du Parlement européen le collectif Lallab, lequel se définit comme « un mouvement féministe luttant contre les discriminations visant les femmes musulmanes ». Nora Bussigny a rappelé, au cours de son audition, que Lallab se présente « comme un mouvement féministe luttant contre l’”islamophobie” »[811]. Elle précise : « Lallab a été cofondé par Attika Trabelsi, qui a résidé à l’Institut européen des sciences humaines (IESH), établissement récemment dissous par le gouvernement après avoir formé pendant trois décennies des figures fréristes, des aumôniers et des imams, dont certains auraient rejoint des mouvements djihadistes. Désormais érigé en porte-étendard de la cause palestinienne, il a ainsi fait la promotion de plusieurs figures du féminisme islamique. Cette mouvance n’est pas récente puisque, dès 2003, Tariq Ramadan incitait les femmes à investir la question féminine afin de présenter l’interdiction du port du voile comme relevant d’une prétendue « islamophobie ». Lallab a ainsi valorisé et soutenu des personnalités telles que Meherzia Labidi Maïza, ancienne députée du parti islamiste tunisien Ennahdha, issu de la mouvance des Frères musulmans. Figure également Asma Lamrabet, auteure d’un ouvrage préfacé par Tariq Ramadan dans lequel elle est accusée de légitimer certaines violences conjugales. On peut encore citer Zahra Ali, théoricienne du féminisme islamique. C’est donc ce collectif, qui promeut de telles figures, qui a donc été reçu au Parlement européen par Mme Rima Hassan »[812] .
II. Risques d’ingérence du Hamas dans des ONG financées par l’UE
Selon un rapport publié par l’Institut de recherche NGO MONITOR le 4 décembre 2025, un ensemble de documents attribués au Mécanisme de sécurité intérieure du Hamas, met en évidence des indices sérieux d’ingérence de ce groupe, désigné comme terroriste par l’Union européenne, dans des organisations non gouvernementales internationales y compris certaines bénéficiant de financements de l’Union européenne, pour surveiller, infiltrer, influencer le travail de ces organisations[813].
Selon ces informations, le Hamas exigeait des « garants » ou des « personnes de liaison », approuvés par son appareil de sécurité interne, pour opérer au sein ou aux côtés des ONG. Dans de nombreux cas, ces personnes, qui occuperaient des postes administratifs de haut niveau, sont décrites comme étant membres, sympathisants ou affiliés au Hamas. Les documents affirment que le Hamas exerçait une surveillance étendue sur les locaux, le personnel et les projets des ONG. Dans certains cas, des ONG financées par l’UE auraient adapté leurs activités pour se conformer aux exigences ou aux pressions exercées par le Hamas. Les informations selon lesquelles certains projets financés par l’UE auraient été mis en œuvre de manière à soutenir indirectement les objectifs militaires du Hamas sont particulièrement préoccupantes. D’autres informations allèguent, par ailleurs, que les installations médicales et humanitaires étaient soumises à l’influence du Hamas, ce qui aurait pu permettre des pratiques à double usage qui compromettrait la neutralité de l’aide humanitaire et faciliteraient les activités du Hamas.
Si elles sont vérifiées, ces allégations soulèvent de sérieuses questions quant au respect par les organisations financées par l’UE des règles strictes de l’Union interdisant toute forme de coopération avec des groupes terroristes, tout avantage en leur faveur ou toute infiltration par ceux-ci.
Le ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé de l’Europe, Benjamin Haddad, ainsi que l’eurodéputée du Groupe Renew Europe, Nathalie Loiseau, et 17 de ses collègues ont à ce titre saisi la commission européenne, afin de faire toute la lumière sur ces allégations[814].
Enfin, il me semble utile d’ajouter à cette contribution le témoignage extrêmement complet de Madame Marie-Laure BROSSIER, ancienne élue PS à Bagnolet (Seine-Saint-Denis) de 2014 à 2020, dont j’ai été destinataire.
Témoignage de Madame Marie-Laure BROSSIER
Élue à Bagnolet (93) de 2014 à 2020
Bagnolet : une décennie de conquête par les mouvances islamo-décoloniales en lien avec les mouvements politiques.
En 2005, j’achète un appartement à Bagnolet. Après plus de dix ans passés dans le 20ᵉ arrondissement de Paris, je franchis le périphérique comme tant de familles en quête d’espace et d’un cadre de vie plus agréable. Je suis alors entrepreneuse dans le digital et dénuée d’ambition politique. Rien ne laissait présager que je m’engagerais un jour sur un parcours, aussi escarpé que violent, pour la défense de nos principes républicains.
À partir de 2010, mon quotidien bascule. Effarée par l’installation d’une école coranique illégale dans des locaux de la ville, je rejoins une association citoyenne. Puis, de 2014 à 2020, j’exerce un mandat de conseillère municipale (société civile jusqu’en 2018 puis au sein d’En Marche/Renaissance) au cours duquel j’engage deux procédures judiciaires – que je remporte. La première pour diffamation face à Youcef Brakni, activiste islamo-décolonial, la deuxième face à la ville de Bagnolet pour atteinte à la loi de 1905. Par ailleurs, je me suis employée à documenter et dénoncer les agissements de responsables politiques et d’activistes islamo-décoloniaux dont les actions, selon moi, contribuent à fragiliser nos principes républicains.
Toutes ces années m’ont permis d’observer de près les mécanismes de pouvoir, les stratégies et les alliances qui structurent le paysage politique local. Ce territoire, qui s’étend de l’est parisien à la Seine-Saint-Denis, constitue aujourd’hui un point névralgique de la France Insoumise et des mouvances islamo-décoloniales. Entre ces deux univers, il ne s’agit plus seulement d’une convergence ponctuelle : c’est une alliance, je dirai même un pacte, désormais assumé. La LFI y trouve, pense-t-elle, un moyen d’assurer sa pérennité politique ; les mouvances islamo-décoloniales y voient un levier puissant pour déployer leur agenda idéologique.
Note 1 – Dans le cadre de cette enquête, il m’a été demandé de mettre en lumière les liens entre mouvements politiques et organisations diffusant l’idéologie islamiste. J’ai volontairement élargi ce périmètre au champ « décolonial » lorsqu’il est politisé, car ces mouvances participent pleinement, selon moi, à la diffusion de l’idéologie islamiste. Elles en sont même des alliées stratégiques : elles offrent l’habillage politique nécessaire pour investir les partis, au nom de la lutte contre le racisme.
Note 2 – Tout ce qui est rapporté dans ce témoignage est documenté. Si je m’exprime ici en tant que témoin, chacun des faits évoqués peut être étayé par des éléments tangibles
Préambule : un contexte historique, idéologique et économique propice
Pour comprendre comment se sont tissées, au fil du temps, les convergences entre la France insoumise et les mouvances islamo-décoloniales — particulièrement visibles à Bagnolet — il est indispensable de revenir sur quelques repères clés. Car ces alliances ne surgissent pas de nulle part : elles s’inscrivent dans un terreau historique, idéologique et économique qui a favorisé leur rapprochement et leur installation durable dans le paysage politique local.
La ceinture rouge, le PCF et Bagnolet face aux appétits grandissants des mouvances islamo-décoloniales et de la La France Insoumise
A bout de souffle et abîmés par une gestion municipale catastrophique, les communistes cèdent la ville de Bagnolet au PS lors des municipales de 2014. C’est la fin d’un règne ininterrompu de 82 années. La ceinture rouge se fragilise dans tout le département de la Seine-Saint-Denis et pour les islamo-décoloniaux qui œuvrent déjà sur le territoire mais à l’échelle associative militante, c’est le signal et le début de la charge pour la conquête des postes et des opportunités.
A Bagnolet, ils profiteront des calculs électoraux du PS pour rentrer au sein de la majorité en 2020. Un premier pas décisif qu’ils comptent bien transformer en prise de guerre totale lors des prochaines municipales et grâce au profil très problématique d’Edouard Denouel. Haut fonctionnaire au Sénat la journée, il est le premier allié des mouvances islamo-décoloniales le reste du temps à Bagnolet. Adjoint au maire, il a officialisé sa candidature pour 2026 avec « Bagnolet Collectif » et il bénéficie du logo LFI qu’il a récupéré suite à l’éviction providentielle de Corbière. Il bénéficie également du logo Les Ecologistes dont il a expurgé, avec la complicité de Mme de Rugy, les profils qui ne lui étaient pas acquis. Les instances Les Écologistes resteront sourdes aux protestations des militants lésés.
Le Parti des Indigènes de la République, la matrice intellectuelle et idéologique des mouvances islamo-décoloniale
« La France a été un État colonial… La France reste un État colonial » En janvier 2005, l’Appel des Indigènes de la République était lancé et signé par de nombreux militants politiques et associatifs ainsi que des intellectuels. Fondé par Houria Bouteldja et Youssef Boussoumah, sans oublier Saïd Bouamama, cet appel dénonce également la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques françaises de 2004, qui, pour les auteurs « fait partie d’une démarche colonialiste » rejoignant ainsi les revendications des frères musulmans.
Il est fondamental de bien comprendre le rôle et l’implication intellectuelle du PIR qui a infusé jusque dans les rangs des dirigeants LFI. Le 29 novembre 2021, lors de l’émission Paroles d’honneur, Houria Bouteldja dit : « Dans ce magma, il y a un butin de guerre qui s’appelle Mélenchon, qui a des défauts mais il revient quand même de loin … le laïcard de dingue ne dirait pas aujourd’hui les mêmes choses qu’il y a quinze ans ». C’est la mutation d’une gauche qui passe de la lutte des classes à la lutte des races.
Les fondateurs du PIR et leurs contributeurs ont élaboré le « logiciel décolonial» qui sert de référence encore aujourd’hui ; même après sa dissolution « révolutionnaire » de 2020. C’est le canal historique qui s’enrichit d’une nébuleuse de militants compatibles comme Françoise Vergès, Alain Gresh ou encore Michèle Sibony (UJFP). Ils ont tous nourri une deuxième génération militante qui a intégré et digéré le discours du PIR et dans le même temps, ils s’en sont émancipé en épousant volontairement une stratégie de convergence au cœur du « système blanc colonial ». Le Comité Adama Traore en est l’exemple le plus lumineux avec son entrée au sein des sphères people, intellos et médiatiques parisiennes mais aussi syndicales, universitaires ou même les gilets jaunes.
La cause palestinienne : l’outil de convergence par excellence.
Les municipalités de la Seine-Saint-Denis rivalisent d’initiatives pour brandir leur soutien à la cause palestinienne. Discuter et apporter une opinion différente du narratif ambiant est un impensé. Tout est parfaitement rôdé et rabâché depuis des années, et à toutes occasions. La cause palestinienne est un liant immuable qui traverse et anime la vie politique locale. Les saillies anti-impérialistes, anti-capitalistes, anti-racistes et décoloniales inhérentes à la cause sont totalement compatibles avec le logiciel des mouvances de l’ultra gauche. Il n’y a donc aucune surprise à ce que La France Insoumise se soit emparée de la cause palestinienne pour en faire la pierre angulaire de sa stratégie de rayonnement politique.
La personnification doit aussi jouer son rôle. Bien qu’il y ait des figures importantes de prisonniers telles que Barghouti ou Salah Hamouri, Georges Ibrahim Abdallah est sans conteste LA figure emblématique qui fut héroïsée et utilisée pour nourrir la propagande palestiniste, notamment auprès de la jeunesse des quartiers. Un bon militant islamo-décolonial doit avoir participé au moins une fois à un rassemblement pour sa libération. Cette dernière est intervenue il y a quelques semaines après plus de quatre décennies d’emprisonnement. La ville de Bagnolet a fait de Salah Amouri et de Georges Ibrahim Abdallah des citoyens d’honneur. Le 3 février 2014, saisie par le Préfet, le Tribunal Administratif fit annuler la délibération concernant Georges Ibrahim Abdallah. Un acte vécu comme une persécution par les protagonistes.
Les violences policières, le comité Adama Traore et Youcef Brakni : Marketing sur mesure pour de nouvelles conquêtes médiatiques et politiques (LFI).
Bagnolet a un privilège rare : elle accueille sur son territoire, Youcef Brakni, un militant majeur des mouvances islamo-décoloniales. En 2018, ce dernier a été officiellement recruté avec son camarade Taha Bouhafs (journaliste et proche de Révolution Permanente) par la France Insoumise pour aller chercher les voix des quartiers qui ont manqué à Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle de 2017. Ils vont contribuer à organiser Les Rencontres Nationales des Quartiers qui se sont tenues à Villepinte. En réalité, Brakni a gagné en notoriété depuis qu’il est porte-parole du comité Adama Traore et il est désormais « bankable ». Le comité Adama Traoré déploie une stratégie de communication très efficace et parfaitement marketée pour conquérir ses nouveaux alliés. La visibilité est au rendez-vous. Le cocktail « violences policières, racisme systémique, État colonial » et la mise en scène d’Assa Traore fait mouche et le plan média est redoutable. Intellectuels, écrivains, artistes, journalistes, responsables politiques, ils deviennent tous les courroies de transmission d’une sphère idéologique qui occupe les médias comme jamais. Les représentants de partis politiques de gauche sont fascinés par cette efficacité et souhaitent évidemment profiter de cette dynamique. Eric Coquerel invite Youcef Brakni à l’AMFIS 2017 à Marseille. Brakni déclare à la tribune, et sans que personne ne bouge « Cela fait 40 ans que policiers et gendarmes tuent des noirs et des arabes » (25:52). Le ton est donné. La France Insoumise approuve.
Bagnolet. Municipales 2020 : le PS cède et fait sauter le verrou. Municipales 2026 : Les islamos-décoloniaux et LFI en passe de mettre la main sur la ville.
Le maire PS sortant, pour garder la ville lors des municipales de 2020, fait alliance et partage sa majorité avec la liste « Bagnolet en Commun », pilotée par Edouard Denouel, administrateur adjoint au Sénat. Il est très activement soutenu par Youcef Brakni que l’on surnomme « le dir de campagne de Denouel ». Denouel lui rend un hommage vibrant à l’issue de la campagne “ Au militant, ami, soutien et visionnaire Youcef Brakni ” illustré d’une photo d’Assa Traore et de Youcef Brakni. Le maire Tony di Martino, aura par cet accord électoral, permis l’intégration de profils militants islamo-décoloniaux au cœur même de la majorité municipale et au sein de l’administration : Shawqui Haddad, adjoint à la jeunesse et à la vie sociale des quartiers et Neiman Amraoui, directeur du service jeunesse de la ville. Deux compagnons de route de Youcef Brakni et du réseau islamo-décolonial de la Seine-Saint-Denis.
Témoignage : les faits
2014. Je fais partie de l’équipe fraîchement élue aux municipales. Je suis élue société civile au sein de la majorité municipale PS. Le débarquement des communistes a été le fruit d’un ras le bol général à l’échelle de toute la ville. Le dernier mandat, sous la houlette de Marc Everbecq, est un désastre. Le narco-trafic a prospéré de manière inédite et en toute impunité. Et pour cause, Mustapha Ait-Cheick, le caïd du deal local est embauché à la tête du garage municipal et fait office, à ses heures, de gros bras pour le maire quand il faut corriger ou menacer des agents municipaux récalcitrants. A la tête de la direction générale de la ville, Hassen Allouache œuvre au clientélisme à coup d’embauche et d’octroi de logements sociaux.
Le premier sera cueilli au printemps 2014 après une perquisition dans les locaux techniques de la ville où l’on retrouvera 15 kilos de cocaïne, des dizaines de milliers d’euros en cash et quelques kalashnikovs. Il sera condamné à cinq ans de prison et sera abattu en juillet 2024 à Livry-gargan par la mafia du narco-trafic. Le deuxième sera contraint de partir après une longue procédure initiée par la CGT locale.
Clientélisme, drogue, naufrage financier, promoteurs immobiliers douteux, c’est aussi durant ce mandat que l’on voit émerger les relations avec les islamos-décoloniaux. Ces derniers ont trouvé en Bagnolet un nid providentiel et très accueillant puisque qu’en 2012 se tient le lancement du « Printemps des quartiers 2012 » au cinéma et au gymnase municipal. Saïd Bouamama, Tariq Ramadan, Alain Gresh, Houria Bouteldja, Neiman Amraoui, Nabil Ennasri, Youcef Brakni, Omar Slaouti et tant d’autres, c’est un casting fourni de militants décoloniaux qui déroulent des heures de discours devant une salle comble. C’est d’ailleurs à cette occasion que Houria Bouteldja dira quelques jours après les massacres de Mohamed Mehra : « Mohamed Merah c’est moi, et moi je suis lui. Nous sommes de la même origine mais surtout de la même condition. Nous sommes des sujets postcoloniaux. Nous sommes des indigènes de la république ».
Notons que le Printemps des quartiers qui s’est tenu le 31 mars 2012 est un évènement organisé par Youcef Brakni et Neiman Amraoui, alors jeunes militants bagnoletais qui prennent ainsi du galon.
Quelques mois plus tard, début 2013, c’est l’apparition d’une école coranique illégale dans le quartier des Malassis qui me propulse définitivement dans l’action citoyenne. Chaque matin, un cortège de mini-bus déposent des dizaines d’enfants, déscolarisés de l’école de la République et accompagnés par des mères voilées de la tête aux pieds. Une fois rentrés, le volet de fer se referme et personne ne sait ce qui se trame à l’intérieur des locaux municipaux.
Alertés par les riverains, je fais partie d’une poignée d’habitants qui décident de saisir les autorités pour que la puissance publique agisse. Ministères, préfecture, mairie, rectorat, député, nous agitons le chiffon de l’illégalité à tous les niveaux : aucun agrément, installation dans des locaux publics, enfance en danger. Malgré nos relances, le déni est total et personne ne veut se mouiller.
C’est grâce à la pugnacité des habitants et par le déclenchement d’une visite de sécurité du CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité des conditions de travail) que l’école disparaîtra du jour au lendemain. Elle réouvrira quelques semaines plus tard à Bobigny, un autre territoire gangrené qui fera bientôt parler de lui avec l’affaire Lagarde, parfaitement décryptée par Eve Szeftfel dans son livre-enquête « le Maire et les Barbares ».
C’est à ce moment, et parce que je dénonce cette école coranique, que les militants islamo-décoloniaux commencent à s’intéresser de plus près à moi. Youcef Brakni s’active de toutes ses forces et partout pour que la nouvelle élue que je suis soit salie le plus vite possible.
L’objectif ? décrédibiliser et réduire au silence tous ceux qui se lèveraient pour dénoncer les mouvances islamiques. Précisons que Youcef Brakni fut membre du Mouvement islamique de Libération. Je l’ai appris lors d’un communiqué de soutien du M.I.L. (Un communiqué qui se termine par une sourate du Coran). « Islamophobe, facho, suprémaciste » : rien ne me sera épargné. La charge est extrêmement violente et se répand sur les réseaux sociaux. Cela ira même jusqu’aux insultes publiques hurlées en plein conseil municipal. J’ai eu la présence d’esprit de filmer cette charge odieuse. Il profère également des menaces à l’encontre de tous ceux qui oseraient me soutenir.
Sortie sous escorte du conseil municipal, j’ai très vite compris qu’il allait falloir se battre pour continuer à avancer debout. Je pense que si j’avais eu la vingtaine, j’aurai été laminée et écrasée sous tant de brutalité et j’aurai très certainement abandonné et déménagé.
Début 2015, sur les conseils d’un avocat, je demande la protection fonctionnelle des élus et j’attaque en justice Youcef Brakni pour diffamation suite à un article paru sur son blog du GAB (Groupement des associations de Bagnolet). Il affirme que je compare les musulmans à des nazis. Rien de moins. C’est parti pour trois années de procédure : il sera condamné en appel pour propos diffamatoire et écopera de 3000 euros de dommages et intérêts.
Cette victoire me conforte mais je comprends aussi que, même si je suis dans mon bon droit, je n’aurai aucune solidarité, ni soutien de la part de mes collègues élus, à l’exception de quelques personnalités qui me le feront savoir de manière confidentielle. En fait, je réalise que le travail psychologique de soumission a déjà fait son travail. Ce qui deviendra la vague d’autoritarisme idéologique, telle que LFI la pratique aujourd’hui et qui révulse l’immense majorité des français, imbibe déjà les territoires où la gauche radicale règne.
Cette emprise et ces injonctions à servir l’agenda de la gauche radicale est réelle et elle est, avec la lâcheté politique, l’une des raisons de la fragilisation de notre édifice républicain. Parallèlement aux grandes gesticulations politiciennes, dont les narratifs sont parfaitement rôdés (Palestine, le méchant capital, Les « riches »), il existe les signaux faibles ; ces initiatives, inaudibles pour les français qui n’appartiennent pas au sérail des instances.
C’est là que se loge le véritable poison qui se déverse lentement dans les veines de notre République. Il y a si peu de profils présents et prêts à agir pour dénoncer la multitude de « ballons d’essai » et de tentatives d’infiltration que les dommages sont, quelques années plus tard, installés et très inquiétants. Dans le sport, à l’école, au sein de nos institutions, cette lente montée des eaux obscures agit partout.
Comme le dit très justement Fatiha Boudhjalat, c’est l’effet cliquet. Tout ce qui est gagné est acquis et il n’y a pas de retour en arrière. On m’a souvent dit « Pourquoi tu es si pointilleuse pour des petits trucs ? », je réponds systématiquement « parce que une fois que tu as autorisé une initiative borderline en imaginant que c’est anodin, c’est la porte ouverte pour d’autres assauts ». C’est une consumation à petit feu qui se transforme aujourd’hui en incendie.
Parmi les nombreux coups de canif portés à notre pacte républicain, je peux rapporter trois faits assez révélateurs du délitement de « l’intérieur ».
Après quelques mois de mandat, j’apprends qu’une disposition a été mise en place pour que les élus, qui ne souhaitent pas marier des citoyens de même sexe pour raisons religieuses, soient épargnés de le faire. J’engage la discussion en bureau municipal, les échanges deviennent très vite houleux. « On ne voit pas le problème ». Le maire qui était au courant mais qui est désormais embarrassé, veut absolument savoir qui m’a donné l’info, que je ne donnerai pas, bien évidemment. Il prend une décision de contournement assez lâche : au lieu d’exiger d’élus de la République qu’ils remplissent leur mission et donc respectent la loi, il préfère les interdire de mariage. Cela est très révélateur sur l’absence de volonté d’exiger l’application de la loi. Ne pas heurter les sensibilités religieuses et donc demander à la République de faire la variable d’ajustement.
L’un des élus de la majorité délégué à la voierie, Jimmy Parat, converti et proche de Youcef Brakni, nous aura gratifié d’un festival de propos obscurantistes, islamistes, antisémites et sexistes. Il compare les femmes qui avortent à des meurtrières lors d’une cession de l’agglo Est Ensemble concernant un vœu pour soutenir la Maternité des Lilas. Face aux protestations d’associations féministes, le maire finira par lui retirer sa délégation. Sans surprise, Brakni lui apporte son soutien « Jimmy Parat est victime du fait qu’il est musulman ».
Lorsque Myriam Tibi, bagnoletaise du Quartier du Plateau, m’alerte sur un post antisémite posté par Jimmy parat, c’est l’effroi « Tout rentrera dans l’ordre quand ces sauterelles d’Israéliens seront brûlés. Et ca arrivera, fait confiance en Dieu l’unique comme les musulmans le font ». Avec du recul, je ne peux m’empêcher de faire le lien avec les massacres du 7 octobre dont, j’imagine, il a dû se réjouir.
Début 2017, Jimmy Parat annonce sa candidature aux législatives avec ce post « Wa alikoum Salam. Pour la présidentielle, je prendrai ma décision une fois les professions de foi reçues. Pour les législatives, je voterai pour moi Inch Allah » et il organise une rencontre à la Mosquée Islah de Montreuil en compagnie de Youcef Brakni et du prédicateur imam Noureddine Assouat. Sur le flyer est précisé « à 16h (après la prière Asr) ». On retrouve également le logo du parti politique Français et Musulmans. Cela constitue une infraction à la loi 1905, article 26, il ne peut se tenir de rencontre politique dans un lieu de culte. J’informe et j’alerte mes collègues élus. Sans surprise, c’est l’indifférence totale. Je pourrais néanmoins compter sur le soutien de Laurence Marchand de Forces Laïques qui interviendra avec l’envoi d’un courrier au préfet de la Seine-Saint-Denis. A ma connaissance, le préfet n’a engagé aucune poursuite.
En 2018, sur un désaccord avec Mahamadou Sylla, un autre élu de la majorité délégué à l’Enfance, Jimmy Parat en vient aux mains et se fait fracasser la mâchoire au beau milieu des familles et des poussettes présentes pour la fête de la ville,. Ce sera la fin de son engagement politique à Bagnolet. Quant à Mahamadou Sylla, il est actuellement conseiller municipal chargé du logement au sein de la majorité PS/ Bagnolet en Commun.
Avril 2019. Le maire Tony di Martino fait voter une délibération pour la vente du terrain de la grande mosquée de Bagnolet. Sorti du chapeau au dernier moment et présenté au vote du conseil municipal, le dossier est opaque, incomplet et comporte une atteinte à loi de 1905 avec une facilité de paiement à hauteur de 250 000 euros qui peut s’apparenter à un financement de lieux de culte.
À un an des élections municipales, la ficelle est grosse, le maire voulait faire passer ce dossier le plus vite possible. Bagnolet n’a pas le monopole du clientélisme religieux mais il y a ici une illégalité manifeste. Je saisis le Tribunal Administratif de Montreuil. Je gagne sur le fond et sur la forme. La ville fait appel. Grâce à l’association AD3L, maître Frédéric Thiriez me fait l’honneur de me défendre en appel pour ce dernier round. Deuxième victoire. Après plus de trois années de procédure, la Ville de Bagnolet est condamnée.
Les procédures judiciaires sont les dossiers les plus techniques, longs, onéreux et d’une certaine manière ingrats. Ce sont les initiatives les plus utiles et pourtant elles restent victimes d’une immense indifférence. Par ce témoignage, j’aimerais faire passer le message que se saisir de l’état de droit est primordial. Exiger que la loi soit appliquée est une nécessité impérieuse, même pour une délibération que l’on penserait pouvoir ranger au rang des « pertes et profits de la République ». Pour cette procédure très technique, j’ai eu la chance de bénéficier de l’accompagnement de Michel Bouleau, magistrat administratif honoraire. Je tiens à le remercier chaleureusement.
Au cours de mon mandat, j’ai vu émerger une nouvelle entité sur Bagnolet : Le « Front de mères », un syndicat de parents d’élèves fondé par Fatima Ouassak, conjointe de Youcef Brakni. Je prends connaissance du texte fondateur. La portée racialiste et l’appel à sécession des propos sont d’une violence inouïs :
« L’école c’est la guerre. La société française est hiérarchisée racialement, les Blancs font en sorte d’être privilégiés dans l’accès à la propriété, au pouvoir, aux soins, à la reconnaissance ou au confort, au détriment des non-blancs qui voient leur accès à ces ressources constamment entravés »
Ou encore
« Nos enfants comprennent très tôt que l’école a un problème avec leurs cheveux quand ils sont crépus, avec leur langue maternelle si elle est africaine, avec leur religion quand c’est l’Islam. »
Ce narratif diffuse l’idée que l’État et ses services œuvrent consciemment à l’humiliation et au racisme systémique, avec en agents zélés les enseignants de nos écoles. Quoi de plus efficace et cynique que d’utiliser les enfants pour manipuler les parents issus de l’immigration et ériger l’État français au rang d’ennemi ?
Parallèlement, Fatima Ouassak s’appuie sur une autre association, EEB, Ensemble pour les Enfants de Bagnolet, pour organiser des rencontres-débats et capter une nouvelle population parisienne qui s’installe à Bagnolet. Malbouffe, nuisances des écrans, il n’y a rien de mieux que ces sujets ultra-consensuels pour attirer les nouveaux habitants.
Le 4 avril 2018, j’envoie un email d’alerte à tous les élus de la municipalité où je reproduis le texte fondateur dans son intégralité. Sans surprise, personne ne réagit… sauf Jimmy Parat, membre du parti Français & Musulmans, qui m’écrit « Vous êtes à l’image d’un Manuel Valls qui envoie sa propagande à tous les députés de l’assemblée nationale: polluante.». Silence et compromission. Fatima Ouassak n’a pas à s’inquiéter, la lâcheté politique est son meilleur allié.
En 2019, Elle participe au Muslim Think Tank. La charge contre la société française est phénoménale : raciste, discriminante et oppressive. On se demande comment elle peut survivre à cette dictature qu’est la France. Le clou de ses propos restera ce moment où elle compare les quartiers populaires à des camps de concentration nazis. Elle prend comme exemple le film « la Vie est belle » et ce papa qui invente un quotidien ludique pour effacer l’innommable et préserver son fils de six ans. Elle poursuit « bin, c’est un peu pareil en fait pour nos enfants ». Au-delà de l’abjection des propos, on touche ici à un objectif stratégique majeur des islamo-décoloniaux : se hisser au rang du malheur sacralisé des juifs en construisant une « shoah » propre aux musulmans. Nous l’avons vu ces deux dernières années avec la guerre post 7 octobre et l’instrumentalisation de l’information très largement relayée par les responsables politiques LFI.
Fatima Ouassak pourra compter sur la nouvelle majorité municipale de 2020 pour lui ouvrir une voie royale. Une voie sous le signe de l’écologie car Fatima Ouassak a élargi son spectre de convergence des luttes à la défense de l’environnement où pullulent un paquet d’ONG et d’associations qui seront les heureux destinataires de son narratif décolonial. Avoir le sens de l’opportunité quand on est militant c’est important et Fatima Ouassak n’en est pas dépourvue. Les élections municipales de 2020 porteront les Écologistes à la tête des plus grandes villes françaises : Lyon, Bordeaux, Poitiers, Grenoble, Strasbourg, Annecy . C’est un carton plein auprès des trentenaires citadins.
Fatima Ouassak, qui bénéficie de la proximité médiatique du clan Traoré, est aussi largement relayée pour son « écologie pour les quartiers populaires ». Entre 2019 et 2020, elle sera invitée aux meetings d’EELV à Montreuil, Rennes et Toulouse. Sandrine Rousseau, dont les thèses sur l’écoféminisme font convergences, l’adore et exprime son souhait qu’elle puisse être investie pour les législatives. La diffusion du sulfureux texte fondateur du « front de mères » finira de doucher les espoirs d’EELV qui renonce.
Retour à Bagnolet. Edouard Denouel et son équipe sont désormais aux commandes et le maire cède sur toutes les demandes. Ce sera l’octroi d’un local de 900M2 pour le nouveau projet de Mme Ouassak : Verdragon. Inauguration en grande pompe avec l’association Alternatiba, qui sert de caution écolo et charrie une jeunesse exaltée qui ne se rend pas compte de l’instrumentalisation idéologique qui est à l’œuvre.
Je ne suis plus élue mais à l’occasion de ce nouvel épisode fâcheux qu’est Verdragon, je découvre avec satisfaction qu’une poignée d’habitants se lèvent et dénoncent publiquement l’attribution du local. Le Collectif “ Front citoyen Bagnolet ” adresse une lettre ouverte aux élus de la ville avec pour titre « Le soutien d’élus de la République aux mouvances indigénistes et racialistes n’est pas compatible avec les valeurs républicaines universalistes et émancipatrices ». La presse s’en empare dont le Figaro avec un article qui fera le tour de la ville. Une pétition récolte plus de 600 signatures.
Le maire Tony Di Martino, ficelé par les arrangements politiciens qu’il a scellé ne lâche rien à part un « c’est un non-événement » lors d’un conseil municipal où il est interrogé. Les socialistes font bloc derrière le maire, l’équipe de Denouel savoure. A ce moment, je comprends que la ville de Bagnolet est tombée aux mains des islamo-décoloniaux. Quelques mois plus tard, l’adjoint aux finances, Olivier Taravella, démissionne face à un budget ,exigé par la nouvelle majorité, qu’il ne peut cautionner.
Quant à Alexis Corbière, député de la circo, il est quasi inexistant. En arrivant à Bagnolet, en 2017, il avait frayé avec les islamo-décoloniaux, notamment Brakni, Bouhafs et Edouard Denouel, laissant même le groupe local LFI à ce dernier. Il n’aura pas fallu longtemps pour que le couple Garrido-Corbière se rende compte de l’OPA qui était en cours. Le torchon brûle, les comptes se règlent publiquement sur les réseaux sociaux. On sait maintenant quel camp Mélenchon a choisi. On pensait être servi par le couple Corbière-Garrido et leurs outrances ? Nous aurons bien pire avec le front islamo-decolonial qui vient d’être adoubé par Mélenchon. A ce titre, Bagnolet est un exemple très éclairant de la compromission assumée de LFI avec les islamo-décoloniaux. Dans son plan de conquête avec sa liste « Bagnolet Collectif », Edouard Denouel œuvre également pour mettre le groupe Les écologistes sous sa coupe. Adhésion en masse de proches, refus d’adhésion pour les profils non compatibles. Le tour est joué.
Dernièrement, c’est le projet Muftah avec l’iReMMO (Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient) qui a fait polémique dans les médias. Ce projet a emmené 30 jeunes de la ville dans des camps palestiniens en Jordanie gérés par l’UNRWA. C’est sans surprise que l’on apprend que le pilote du projet est Chawqui Haddad, adjoint chargé de la jeunesse aux côtés d’Edouard Denouel qui siège au conseil d’administration de l’iReMMO, initiateur du projet. La boucle est bouclée.
J’aurai pu noircir encore de nombreuses pages pour mon témoignage et peut-être que cela fera partie d’un autre projet, encore plus complet. En attendant, j’espère avoir restitué le plus clairement et fidèlement possible une décennie de conquête de ma ville, Bagnolet, par la gauche radicale, notamment LFI, et les islamo-décoloniaux. J’ai fait ma part en tant que citoyenne et élue. La situation est grave à Bagnolet, mais elle l’est dans la France entière. Nous devons faire preuve de responsabilité et de courage politique pour notre avenir. Nous le devons à nos enfants. Nous le devons à notre République.
Contribution de Mme Constance Le Grip,
députée des Hauts-de-Seine
Mme Constance Le GRIP se félicite que le travail de la commission d’enquête sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste ait abouti à un rapport dense, bien documenté et porteur de nombreuses préconisations.
Elle tient à souligner la qualité et la diversité des auditions menées, et à attester du courage dont ont fait preuve plusieurs personnes auditionnées. Leurs témoignages et leurs informations ont été éclairants.
La précision des réponses et le degré de maîtrise du sujet dont ont fait preuve tous les services de renseignement auditionnés sont aussi à souligner, ces auditions ayant grandement nourri la réflexion des membres de la commission d’enquête.
Mme LE GRIP tient à mettre en exergue le constat, consensuel, auquel ont procédé toutes les personnes et instances auditionnées, et qu’elle partage pleinement. L’islamisme, aussi désigné par le vocable « islam politique », est une menace et un danger pour notre République, pour la cohésion de la Nation, pour les valeurs républicaines et démocratiques auxquelles nous sommes attachés, pour la liberté, l’égalité et la fraternité. L’infiltration, l’entrisme, la pénétration de l’idéologie islamiste sont déjà avérés, documentés, attestés, dans plusieurs secteurs et domaines de notre vie commune.
Si le rapport, éclairé par les auditions, peut mettre en lumière des complaisances, connaissances, accointances, proximités plus ou moins reconnues et assumées entre les organisations et associations propageant des positions ou idées islamistes, et des mouvements ou élus politiques, à commencer par plusieurs élus appartenant à La France Insoumise, c’est à l’ensemble des partis et mouvements politiques de notre pays de se montrer extrêmement vigilants et sourcilleux quant au respect des principes et valeurs républicaines tels qu’ils ont déjà pu être listés dans notre droit. C’est à tous les élus et candidats, quels que soient les mandats brigués, de se montrer exigeants et déterminés dans la défense de la République et la cohésion de notre Nation, face à toute volonté de soumission, face à tout accommodement, face à tout risque de clientélisme. L’entrisme islamiste se caractérisant de facto par une stratégie de dissimulation, d’influence, de conquête à bas bruit, l’affirmation de la détermination à le combattre et la solidité des valeurs républicaines doivent être d’autant renforcées.
A cet égard, Mme LE GRIP tient à insister sur la responsabilité individuelle et collective de tous les partis politiques concourant à l’expression du suffrage universel, de tous leurs responsables, élus et candidats, pour détecter, prévenir et combattre tout entrisme islamiste. Les diverses associations d’élus ont à cet égard une mission tout à fait essentielle. Ce que le rapport souligne d’ailleurs.
Par ailleurs, parmi les très nombreuses préconisations faites, dont Mme LE GRIP partage la grande majorité, celle-ci tient à insister particulièrement sur l’une des préconisations, qui relève de la responsabilité du législateur. Il s’agit de celle consistant à donner à nos services de renseignement une finalité supplémentaire, par la loi, permettant de mettre en place des techniques d’interception de sécurité. Cette finalité nouvelle, qui pourrait tourner autour des menaces et risques d’atteinte à la cohésion de la Nation, offrirait un instrument supplémentaire et bienvenu à nos services de renseignement.
Enfin, Mme LE GRIP tient ici à redire qu’elle est très favorable à une nouvelle étape législative, donc un projet de loi, permettant de lutter plus efficacement contre l’entrisme islamiste. Plusieurs pistes de travail pouvant être utilement envisagées dans ce futur projet de loi sont d’ailleurs expressément préconisées dans le rapport. Après la lutte contre le terrorisme djihadiste et le combat contre le séparatisme, une nouvelle étape législative semble indispensable.
Comptes rendus des auditions
menées par la commission d’enquête
Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la commission d’enquête.
Les enregistrements vidéo des auditions ouvertes à la presse sont disponibles en ligne à l’adresse suivante : https://videos.assemblee-nationale.fr/commissions.mouvements-politiques-et-ideologie-islamiste-ce
1. Audition, à huis clos, de M. Bernard Rougier, professeur des universités (8 octobre 2025)
M. le président Vincent Jeanbrun. Mes chers collègues, je suis très heureux d’ouvrir la première audition de notre commission d’enquête. Je vous rappelle qu’elle se tient à huis clos et vous prierai donc de ne pas diffuser les propos de notre intervenant afin que sa parole puisse être la plus libre possible.
Je vous remercie d’être présent aujourd’hui, monsieur Rougier, alors que, de votre propre aveu, c’est presque à votre corps défendant. Vous êtes politologue et professeur à l’université Sorbonne Nouvelle, où vous dirigez le centre des études arabes et orientales. Vous êtes membre senior de l’Institut universitaire de France et l’un des meilleurs connaisseurs des dynamiques théologiques et territoriales de l’islamisme contemporain. Vous êtes également l’auteur ou le directeur de plusieurs ouvrages, dont Les territoires conquis de l’islamisme, paru en 2021, ou encore Qu’est-ce que le salafisme ? de 2008.
C’est dire si vos propos sont attendus par la commission : vos analyses seront essentielles pour éclairer sa réflexion.
Nous aimerions notamment connaître votre réaction au rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France », publié par le ministère de l’intérieur en mai 2025. Partagez‑vous l’analyse selon laquelle les élus sont en première ligne face à l’implantation de réseaux islamistes ? Quels sont selon vous les acteurs nationaux ou étrangers qui contribuent le plus à la diffusion de l’islamisme sur notre territoire ? Nous aimerions comprendre comment un certain nombre d’organisations cherchent à influencer la vie politique locale et nationale.
Je vous remercie, le cas échéant, de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Par ailleurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Aussi, je vous invite à prêter serment.
(M. Bernard Rougier prête serment.)
M. Bernard Rougier, professeur des universités. Je vous remercie pour votre invitation, même si je ne souhaitais pas venir.
J’ai l’impression, mais je me trompe peut-être, qu’une partie des élus font désormais partie du problème – je précise que je répondrai à vos questions en visant aussi bien des élus de gauche que de droite, afin d’être tout à fait libre et que l’on ne m’assigne pas une position politique. J’ajoute qu’une partie de l’université fait également partie du problème.
J’illustrerai mon propos avec des photographies prises lors de réunions du Council of European Muslims (CEM), le Conseil des musulmans d’Europe. Il s’agit de la principale structure européenne des Frères musulmans, qui se réunit régulièrement à Istanbul et qui dispose de documents stratégiques, d’instances où l’on vote, d’une bureaucratie, de moyens, de textes programmatiques. C’est l’une des structures qui impulse les orientations de l’islamisme – je reviendrai sur la définition de ce terme – dans les vingt-sept pays de l’Union européenne et même au-delà.
Sur une première photographie, prise en 2022, les participants font une prière avant de commencer. On peut voir l’ancien dirigeant de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) Abdallah Ben Mansour, le représentant du Hamas en Europe Majed al-Zeer, un ancien conseiller du président Morsi et François Burgat, directeur de recherche – non pas émérite à l’époque, mais en place – au CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Voilà une partie du problème : comme on peut le voir, il n’est pas dans une posture de chercheur mais bien plutôt d’acteur.
Sur une autre photographie, on voit des dirigeants du CEM, francophones pour l’essentiel : Abdallah Ben Mansour, Mohamed Saghrouni, qui est l’un des principaux dirigeants de Musulmans de France (anciennement UOIF), et de nouveau François Burgat. Que s’est-il passé au CNRS pour que cela soit possible ?
François Burgat a, par ailleurs, introduit dans l’université un certain nombre de personnes, parmi lesquelles Nabil Ennasri, dont il a dirigé la thèse – en réalité une hagiographie sur le cheikh Youssef al-Qaradaoui soutenue l’IEP d’Aix en 2017. Ennasri a corrompu un membre de la représentation nationale, le député Hubert Julien-Laferrière, membre de la commission des affaires étrangères, qui recevait des notes de sa part. Nabil Ennasri touchait entre 35 000 et 40 000 euros par mois, là où un professeur des universités en fin de carrière atteint à peine 4 000 euros. Son travail a fini par être découvert. Il tenait cet argent du Qatar, évidemment, et devait corrompre des intellectuels, des journalistes et des députés. Il a été introduit dans le circuit universitaire, à partir de l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, par François Burgat, actuel directeur du CAREP, financé par le Qatar.
Ce dernier continue à sévir sur sa page Facebook, d’où il me cible presque tous les mois. Il a encore énormément d’influence à l’université, parmi les gens qu’il a formés, ainsi que dans la haute fonction publique, aux affaires étrangères, dans certains ministères, etc.
Dans ces conditions, l’exercice universitaire devient difficile : à titre personnel, j’ai eu cinq procès à la 17e chambre du tribunal de Paris après la publication de mon livre Les territoires conquis de l’islamisme – et François Burgat était parfois au courant avant moi des plaintes qui avaient été déposées à mon encontre. L’un de ses proches, employé lui aussi au CNRS, est allé rencontrer les personnes citées dans le livre pour les inciter à porte plainte contre moi. La première fois que j’ai été attaqué en justice, la plainte provenait de Rifaat al-Assad, l’oncle de Bachar al-Assad – accusé d’abus de biens publics, ayant pillé son pays et possédant des dizaines de millions d’euros, ancien propriétaire d’un immeuble avenue Foch et un haras dans les Yvelines, tout cela en ayant été décoré de la légion d’honneur. J’avais dit sur une chaîne de télévision qu’il avait du sang sur les mains, ce qui était un euphémisme sachant les crimes de masse dont il s’était rendu coupable, notamment la destruction totale de la ville de Hama en 1982. Je me flatte d’avoir eu pour adversaires un représentant emblématique des dictatures arabes, d’un côté, et des représentants des courants islamistes et de leurs alliés, de l’autre – soit les deux réalités qui détruisent les sociétés civiles dans le monde arabe, et dont les relations réciproques, selon les périodes et selon les domaines, oscillent entre conflit et coopération. Leur point commun est d’empêcher la naissance d’un espace de liberté intellectuelle et religieuse en Europe, qui serait une menace mortelle pour eux, en dépit de leurs différences et en raison de leurs connivences.
Voilà pour ma carrière judiciaire devant la 17e chambre – qui n’est sans doute pas terminée, tant la vigilance militante de certains a pour finalité de restreindre le champ d’investigation de la recherche universitaire.
J’ajoute enfin que l’islamisme est de moins en moins considéré comme un objet d’étude légitime à l’université. Il est devenu impossible aujourd’hui de trouver des financements publics pour des étudiants ou pour conduire des recherches sur cette thématique. Mon dernier financement m’a été accordé par la région Île-de-France, ce dont je lui suis reconnaissant – après validation par un conseil scientifique, qui a posé des questions et organisé une mise en concurrence. Cette aide est désormais arrivée à son terme.
Des étudiants continuent de travailler sur ces questions extrêmement importantes mais dans un climat de suspicion qui entrave leur sérénité. Ils rencontrent deux problèmes. Si la personnalité de leur directeur de thèse est jugée négativement par ceux qui, au sein du milieu universitaire, ont fait de la défense de l’islamisme une cause militante, au prétexte de lutter contre « l’islamophobie », je crains qu’ils ne trouvent pas de poste à l’université sur un sujet pareil. En effet, les disciplines qui travaillent sur ces questions, comme la sociologie, la science politique ou l’islamologie, sont fortement influencées. L’autre problème porte sur la légitimité même de l’objet. Il y a dans toutes les instances, à un moment ou à un autre, un professeur, un maître de conférences, un étudiant, un membre de conseil scientifique, qui parle à l’extérieur et entretient des liens avec des intellectuels islamistes.
Les islamistes appliquent cette stratégie depuis déjà un moment. C’est une stratégie d’entrisme et d’influence auprès des élites, qui touche également les grandes écoles comme Sciences Po Paris, ou HEC (École des hautes études commerciales). Tout cela est pensé. François Burgat est maintenant un peu trop visible, un peu âgé, mais il était l’un des éléments les plus actifs de cette stratégie désormais portée par des éléments plus jeunes, qu’il a contribués à former ou qu’il a récupérés ces dernières années.
Avant de parler des élus, comme vous me l’avez demandé, je voudrais dire une dernière chose au sujet du Conseil des musulmans européens. Vous observerez que personne ne travaille sur les Frères musulmans, à une ou deux exceptions près. Avant même d’envisager la connivence, cela s’explique par le fait que les Frères musulmans sont ouverts et parlent aux chercheurs. Il est très valorisant, pour un chercheur, de les rencontrer et il en retire un certain nombre d’informations. Les Frères musulmans comprennent le sens du travail de recherche, notamment sur la radicalisation, montrent leur meilleur visage, sont très urbains et se disent hostiles à la violence – ce qui, d’une certaine manière, est vrai. Au sujet de la violence djihadiste, ils sont prêts à dire que s’ils avaient été chargés d’exercer des médiations et un contrôle social, tel ou tel attentat n’aurait pas eu lieu.
Une instance a un rôle très important dans la mise en place des consignes, des textes religieux, des orientations et des priorités théologiques : il s’agit de l’Union internationale des oulémas (ou savants) musulmans, qui siège essentiellement à Doha et a longuement été dirigée par Youssouf al-Qaradaoui. Aujourd’hui, deux personnalités qui y ont un rôle très important, intéressent particulièrement la France.
Il s’agit d’abord du cheikh soudanais Issam al-Bachir, longtemps très proche d’Omar al-Bachir, le président dictateur du Soudan poursuivi devant la Cour internationale de justice pour génocide au Darfour. Ce cheikh, qui est à la tête de l’Union internationale des oulémas musulmans et a été ministre au Soudan de 2001 à 2005, a joué un rôle très important dans la mise en place de l’Institut européen des sciences humaines (IESH) de Château-Chinon.
Il est très intéressant de voir que lors des travaux préparatoires à l’installation de l’IESH étaient présents Youssouf al-Qaradaoui, Issam al-Bachir et tous les grands docteurs de la loi, religieux de statut, des Frères musulmans. On retrouve des éléments de ces travaux préparatoires dans une revue en arabe des Frères musulmans, Al-Mujtama’ al-Islami, publiée de façon hebdomadaire au Koweït et dont tous les numéros sont archivés. Ceux qui concernent la mise en place de l’IESH en 1990 évoquent les travaux préparatoires et relatent des débats. L’une des questions discutées était de savoir si les musulmans devaient voter. La réponse était positive, mais de façon toujours concertée avec les instances dirigeantes des Frères musulmans.
L’Union internationale des oulémas musulmans est codirigée, ensuite, par un cheikh mauritanien vivant à Doha, Mohamed Hassan Ad Dedew. Celui-ci a une très grande influence sur des prédicateurs itinérants qui enseignent non seulement dans leur mosquée mais aussi en ligne, et sont très connus de ceux qui s’intéressent à ces questions. Ces prédicateurs empruntent les méthodes des salafistes, ont la barbe longue, portent des djellabas et parlent en citant des hadiths, c’est-à-dire des propos attribués au prophète, mais travaillent en réalité pour les Frères musulmans – ceux-ci ayant emprunté un certain nombre de techniques aux salafistes, leurs adversaires dans le champ religieux.
L’Union internationale des oulémas musulmans est donc la structure théologique, celle qui impulse, tandis que le Council of European Muslims (le CEM : Conseil des musulmans européens) est la structure organisationnelle. Abdallah Ben Mansour est le président du CEM. Sur un personnage aussi important, acteur fondamental de l’islam de France, on ne trouve qu’un seul article, écrit en 1994 par feu l’excellent Henri Tincq, spécialiste des questions religieuses au journal Le Monde. Sur son action, son rôle au sein du CEM, sa stratégie, l’analyse de ses discours, la recherche spécialisée est silencieuse.
Au sein du CEM, il y a l’idée que, pour les musulmans, la condition de la résidence dans les pays européens est la prédication, la da’wa en arabe, l’action militante. Cela sous-tend que le séjour d’un musulman en terre européenne n’est pas légitime, du point de vue de l’instance qui prétend les représenter au niveau européen, s’il ne s’accompagne pas d’un travail actif qui le justifie. Ce travail, à la fois religieux et d’influence – il est présenté ainsi –, s’étend par exemple aux publications à destination de la jeunesse, qui sont l’un des champs essentiels de l’action islamiste aujourd’hui.
Il y a donc bien une action stratégique, des moyens considérables et des prédicateurs nombreux – même si tout cela n’est pas coordonné et totalement planifié et laisse une grande place aux initiatives locales.
Vous m’avez interrogé au sujet des élus. À Aubervilliers, aux élections municipales de 2008 et 2014, les candidats étaient invités à présenter leur programme à la mosquée de la Fraternité, proche des Frères musulmans, ce qu’ils ont fait. Ils étaient ensuite évalués sur leur capacité à répondre aux demandes communautaires de la mosquée. Cette forme de clientélisme communautaire est un exemple typique de vote à enjeu unique, au rebours de la délibération démocratique sur un ensemble de sujets. Ailleurs, il y a des consignes de vote à la mosquée, où les croyants sont incités à voter pour le candidat « le moins mauvais » vis-à-vis de l’islam. Enfin, les témoignages sur le rôle de l’association musulmane dans l’interface avec la municipalité pour l’obtention d’un service (logement social, emploi local etc) ont été fréquents sur les différents terrains de recherche.
M. le président Vincent Jeanbrun. Après les premières questions du rapporteur, je laisserai la parole à nos collègues. Nous avons convenu que les questions seraient courtes, dans le but de vous laisser du temps. Ce que vous nous avez raconté en quelques minutes est déjà saisissant.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Merci d’avoir accepté de venir devant notre commission d’enquête. Je voudrais revenir sur la présence de M. François Burgat lors d’une réunion du Conseil des musulmans européens. À votre avis, à quel titre y était-il convié ?
M. Bernard Rougier. L’intéressé ne cache pas cette proximité. Son compte Facebook le montre en discussion avec Youssef al-Qardawi, après le décès de ce dernier. Il a toujours eu au sein de l’université une attitude très favorable à l’islamisme, considérant que c’est la voix des sociétés du Sud et qu’après avoir réalisé leur indépendance politique, celles-ci doivent réaliser leur indépendance symbolique, culturelle, islamique – c’est pour lui le dernier étage de la fusée.
En raisonnant ainsi, il donne implicitement aux islamistes le statut de représentants de l’islam. Lui-même nie, comme les islamistes, toute différence entre islam et islamisme. Or elle est selon moi essentielle car l’islamisme, c’est la transformation d’une tradition religieuse en instrument de pouvoir. Ce qui est caractéristique des islamistes, c’est la volonté de soumettre les individus à une morale publique et privée dirigée et déterminée par une minorité, qui s’arroge le droit d’interpréter la vérité de l’islam – les Frères musulmans étant les plus anciens et probablement les plus organisés dans ce travail.
Je prends toujours l’exemple de la sourate 24, An-nour, verset 30, où l’on trouve « Que les croyantes mettent leur voile sur leur poitrine ». Le mot utilisé, khimar, peut désigner un voile à porter sur la poitrine, les épaules, la tête ou les cheveux. On peut bien sûr considérer que ce verset évoque le voile à mettre sur la tête, mais on doit aussi admettre que ce n’est qu’une interprétation, et non la vérité finale de la parole coranique.
Or les islamistes, notamment les Frères musulmans, considèrent qu’ils ont la vérité ultime sur le sens de tous les versets du Coran, dont ils rigidifient ainsi la pluralité des significations. Là est la différence entre l’islamisme et l’islam. En n’opérant pas cette distinction, on donne la capacité aux islamistes de parler au nom de l’islam. C’est ce qu’ils prétendent faire lorsqu’ils rencontrent des élus ou des représentants de l’administration, alors qu’ils ne parlent qu’au nom de leur propre interprétation de l’islam.
M. le président Vincent Jeanbrun. Merci pour cette définition. Tout l’enjeu de la commission d’enquête est d’éviter cet amalgame.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le rapport sur les Frères musulmans publié par le ministère de l’intérieur évoque l’implantation de réseaux islamistes dans certains territoires de la République. Ses auteurs considèrent que les élus sont aujourd’hui « en première ligne » face à la montée de cette mouvance. Que pensez-vous de cette affirmation ?
M. Bernard Rougier. Elle est tout à fait exacte, et j’y ajoute les préfets. Je vais prendre cette fois un exemple à droite. Jusqu’à une période assez récente, il existait à Mantes‑la‑Jolie un système clientéliste qui reposait sur des avantages matériels accordés à une mouvance marocaine des Frères musulmans, Al Adl Wal Ihsane, le réseau Justice et Bienfaisance, à travers le contrôle de la grande mosquée de la ville. Le président du conseil départemental faisait jouer son influence auprès de la mairie pour accorder à cette mosquée et ses institutions divers avantages, ultérieurement dénoncés par un rapport de la Cour des comptes. En échange, ses élus bénéficiaient des voix du tissu associatif islamistes lors des élections municipales et cantonales.
Les liens entre la mosquée et l’islam politique n’étaient pas difficiles à saisir. De manière régulière, Hassan Iquioussen était invité à faire des conférences à la grande mosquée de Mantes-la-Jolie. Les conférences sont consultables sur Internet : on peut l’entendre expliquer, dans une mosquée, en parlant des élections municipales, comment les associations musulmanes peuvent peser sur le scrutin : « c’est facile, vous allez voir M. le maire, vous lui dites que s’il cherche 853 voix, vous les lui donnez. Vous ne demandez pas au maire ce que les musulmans veulent, vous lui dites plutôt : on tient ton élection si tu es d’accord pour faciliter les choses et ne pas t’opposer aux musulmans ».
Voilà pour cet exemple à droite – il y en aurait à gauche. Dans toutes les formations politiques, certains sont animés du sens républicain, d’autres ne le sont pas et préfèrent gagner des voix au mépris de la promesse républicaine.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques s’inquiète de l’origine de financements dont pourraient bénéficier certains candidats aux élections municipales. Constatez-vous une récurrence, voire une amplification des pratiques clientélistes en faveur des groupes propageant l’idéologie islamiste, notamment à l’approche des élections municipales de 2026 ? Si oui, quels partis ou mouvements politiques seraient davantage concernés ?
Plus généralement, quels sont les liens entre les mouvements politiques français et la mouvance islamiste ? Ces liens sont-ils particulièrement marqués avec certains mouvements ou partis politiques ?
M. Bernard Rougier. Pour répondre à cette question, un chercheur doit surveiller les liens éventuels qu’entretiennent les élus et municipalités ; il faut être très bien informé localement. Étant à Paris, c’est moins facile pour moi mais je peux émettre des hypothèses et m’appuyer sur des exemples.
Depuis leur naissance en 1928, la Palestine est la cause prioritaire des Frères musulmans – ils avaient envoyé des volontaires pour se battre lors de la guerre de 1948. Pour eux, la cause palestinienne n’est pas une cause politique mais religieuse. La décision, par exemple, de créer le Hamas est celle du bureau international des Frères musulmans, ce n’est pas une décision palestinienne. La question palestinienne, ou plutôt la Palestine comme enjeu islamique, est au cœur de leur identité. D’une certaine façon, le Hamas détruit la cause palestinienne, en tant que cause nationaliste, pour lui substituer une définition religieuse et culturaliste.
Dès lors, donc, que des acteurs politiques s’engagent pour la Palestine, dénoncent le génocide, etc., ils bénéficient d’une présomption favorable sans même qu’il y ait de soupçons d’alliances ou de transactions.
Il existe donc des structures communautaires qui, dans la plus grande discrétion, encourageront le moment venu le vote en faveur du bon candidat. Travailler sur ce sujet dans certaines municipalités est non seulement difficile mais, plus encore, dangereux – sur le plan non seulement judiciaire, mais également physique – et c’est le cas également à d’autres endroits. Il y a des exemples autour de LFI et de sa position sur Gaza. Il y en a aussi qui s’expliquent par des liens plus anciens de nature transactionnelle.
M. Nicolas Dragon (RN). Comment percevez-vous la montée des extrêmes islamistes dans les universités ?
L’immigration incontrôlée en France depuis des décennies – les gouvernements successifs n’ayant rien fait pour lutter contre – ne conduit-elle pas à un développement du terreau électoraliste en lien avec l’idéologie islamiste ?
Le drapeau palestinien, brandi lors de manifestations politiques dont la plupart n’ont rien à voir avec la Palestine, est-il une porte d’entrée de l’islamisme en France, favorisant le ralliement à ce mouvement ?
M. Bernard Rougier. Les enseignants, les professeurs, les maîtres de conférence ne sont pas devenus islamistes : certains, parmi eux, sont plutôt pusillanimes. Nombre d’entre eux sont très à gauche, assez peu républicains, ou favorables à une société multiculturaliste – ils considèrent que le discours républicain est un peu ringard. Ils laissent faire.
J’ai cité François Burgat, mais j’aurais pu évoquer d’autres noms, en coordination étroite avec lui, à l’instar de ceux qui, pour le compte de Doha, ont élaboré la convention entre Sciences Po Paris et le Doha Institute for Graduate Studies, dirigé par un membre soudanais des Frères musulmans. C’est l’établissement qui finance le CAREP, (Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris) dont François Burgat, on l’a dit, est le directeur scientifique.
Votre deuxième question est de nature politique, elle ne relève pas de ma compétence. En d’autres temps, on aurait pu imaginer une intégration individualiste, républicaine, grâce à laquelle les gens se seraient approprié le discours national. Cela n’a pas été le cas car les islamistes, notamment les Frères musulmans, ont veillé, dès la fin des années 1980, à contrôler l’expression religieuse des populations originaires du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Ils ont été conscients des risques que cette intégration représentait pour eux – un islam libéral, une société civile ouverte. Une alliance s’est donc nouée, ou au moins un effet d’aubaine, entre d’un côté des pouvoirs autoritaires qui s’appuyaient sur l’islam et l’islamisme, au Maghreb comme au Machrek, et de l’autre des acteurs islamistes qui ne voulaient pas d’un autre islam que le leur.
La demande d’islam qui s’est exprimée à la fin des années 1980 et au début des années 1990 a été prise en main par des réseaux liés aux Frères musulmans. Ils nous ont pris de vitesse, ils ont été les plus rapides à s’adapter à cette demande. Ils ont essayé de construire un écosystème, de créer un bloc, de définir l’identité musulmane – à travers le commerce, l’habit, les livres, etc. – afin de tenter de rallier à eux les musulmans issus de l’immigration.
Là est l’enjeu principal aujourd’hui : il faut absolument que nos compatriotes de confession musulmane s’inscrivent dans le récit républicain, qu’il soit de gauche ou de droite, plutôt que dans le récit islamiste. Or si, à l’université, je trouve facilement des étudiants prêts à travailler avec moi, cela ne débouche sur aucun poste. Là, ce n’est plus l’islamisme le problème, c’est l’université ou l’administration. C’est une difficulté.
Quant au drapeau palestinien, il est devenu une carte de visite opportuniste.
Durant ma thèse, j’ai vécu dans les camps palestiniens du Liban de 1996 à 2002. Puis j’ai travaillé dans d’autres camps palestiniens, Nord Liban, tout en fréquentant à partir de 2011 des représentants de l’opposition syrienne. J’ai enseigné gratuitement le français à des Palestiniens et à des Palestiniennes. J’avais demandé aux jeunes filles qui suivaient mes cours si elles accepteraient de vivre dans le camp de Ain al-Helweh, au Sud Liban. Elles m’ont répondu en rougissant qu’il n’en était pas question, mais elles ont refusé de m’expliquer pourquoi. J’ai compris en faisant ma thèse que la réponse tenait au développement de milieux islamistes avec des positions très dures, sur la condition des femmes comme sur la manière de s’habiller ou les pratiques de sociabilité en milieu palestinien.
Par ailleurs, ils étaient très hostiles au curriculum national palestinien : ils ont substitué au manuel palestinien de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) des manuels entièrement religieux qu’ils avaient rédigés, dans lesquels l’histoire de la Palestine devenait une histoire islamique et l’empire ottoman, un empire islamique qu’il fallait préserver. À l’école, ils ont séparé les garçons des filles, réussissant à faire prévaloir une organisation où les garçons avaient cours le matin et les filles l’après-midi contre le règlement intérieur de l’Unrwa (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient). Bref j’ai vu comment l’islamisme avait réussi à détruire de l’intérieur le cadre national palestinien, l’identification collective, le récit, la définition de soi tant sur le plan individuel que collectif ; c’est devenu le sujet de ma thèse.
Cette expérience de jeunesse m’a marqué. J’ai gardé en tête la manière dont les réseaux islamistes peuvent détruire des cadres nationaux et politiques, en leur substituant des éléments de socialisation de type religieux. Ils le font de manière purement opportuniste : ils ne croient pas spécialement en LFI, ils cherchent juste à marquer des points et à obtenir des avantages en échange.
Mme Caroline Yadan (EPR). Constatez-vous une évolution de cet entrisme depuis le 7 octobre, y compris chez les élus ? Pourriez-vous la décrire ?
M. Bernard Rougier. Il va de soi que tant les événements du 7 octobre que la réaction israélienne sont exploités par les acteurs islamistes. Pour le dire de façon provocante, un idéologue islamiste ouvre le journal le matin en espérant qu’un attentat ait été commis contre une mosquée. Par conséquent, Benyamin Netanyahou leur rend service, car ils ne sont jamais meilleurs que dans la victimisation. Elle leur permet d’aller au-delà du discours religieux tout en introduisant leur thématique religieuse ; elle favorise la radicalisation. La situation au Moyen-Orient favorise la multiplication de ce type de discours. Les Frères musulmans récupèrent l’actualité pour ancrer leur emprise locale et dire : « il y a nous et il y a eux ».
Selon certains observateurs, il n’y a aucun problème avec les mosquées, tout est sous contrôle ; le problème vient d’internet et des gens perturbés sur le plan psychologique. Ce discours ne me paraît pas correspondre à la réalité. Le fait est qu’on ne fait plus de travail de terrain car il est très difficile d’aller au plus près : cela demande une immersion participante, une prise de risque. Si l’on écrit, on s’expose à avoir le sentiment d’avoir trahi, et les autres considèrent qu’ils l’ont été.
Par ailleurs, internet est pleinement connecté à la mosquée. On n’accède pas aux comptes les plus fermés sans cooptation. La prédication est encore plus codée depuis le 7 octobre, et atténuée : on fait en sorte de ne pas trop en dire pour éviter des poursuites judiciaires, car on sait qu’on peut faire l’objet d’une surveillance. Ce qui permet d’ailleurs, dans certains cas, à d’autres acteurs d’attaquer le prédicateur appartenant aux Frères musulmans au prétexte qu’il ne va pas assez loin, par exemple au sujet de Gaza !
Mme Caroline Yadan (EPR). Dans des organisations telles que Samidoun, a-t-on vu une différence depuis le 7 octobre ?
M. Bernard Rougier. Je ne peux vous répondre avec précision sur Samidoun. J’essaie de prendre des exemples que je connais bien.
Mme Constance Le Grip (EPR). Le préfet des Hauts-de-Seine, Alexandre Brugère, vient d’organiser un séminaire de formation des élus locaux sur les dangers de l’islamisme, auquel vous avez participé. J’espère que cette initiative sera reprise par d’autres préfets en vue des élections municipales.
Vous aviez notamment indiqué que lors de ces élections, il pouvait y avoir de l’entrisme dans certaines familles politiques, mais que le plus grand danger venait de ce qu’une ou deux personnes pouvaient figurer sur les listes de partis qu’on pourrait qualifier de convenables afin de faire de la propagande et de véhiculer des idées ou des valeurs. Pourriez‑vous revenir sur ce point ? Comment mettre en garde les élus locaux contre ce phénomène ?
M. Jérôme Buisson (RN). De façon générale, quel est le but de cet entrisme, de cette infiltration à tous les étages dont vous nous parlez : défendre une communauté, prendre le pouvoir, instaurer un califat ?
M. Matthieu Bloch, rapporteur. S’agissant des moyens déployés par les pouvoirs publics pour lutter contre l’islamisme, le cadre juridique en matière de lutte contre le terrorisme et le séparatisme vous semble‑t-il adapté ? En particulier, considérez-vous que l’introduction du contrat d’engagement républicain et le renforcement des critères de dissolution d’une association, prévus par la loi du 24 août 2021, constituent des instruments efficaces et suffisants ?
M. Bernard Rougier. J’ai en effet dit que, à de rares exceptions près, il n’y aurait pas de listes électorales communautaires. De manière plus subtile, les acteurs religieux islamistes continueront plutôt à essayer de faire figurer des personnes dans les listes proposées par tous les camps politiques. Cela avait été le cas pour le parti UDI, et la journaliste qui avait écrit un livre à ce sujet avait également été poursuivie devant la 17e chambre.
Que cherchent-ils à obtenir ? Des menus végétariens dans les cantines, des baux emphytéotiques, divers avantages comme ces prêts illégaux à Mantes-la-Jolie qui avaient été épinglés par la Cour des comptes… Il existe de nombreuses manières de faire des transactions. Cela étant, ils sont tout à fait conscients du discours de vigilance qui est tenu. Ils mèneront donc ces opérations discrètement, si bien qu’il sera difficile de les repérer, sauf de l’intérieur.
Par ailleurs, il existe une interaction permanente : je tiens, on tient un discours sur l’islamisme de même que les islamistes en tiennent un sur nous, sur les institutions, sur moi. Ils ont intériorisé ce discours mais également la loi « séparatisme ». Ils sont très prudents, d’où leur investissement dans les valeurs qui leur semblent sûres – la jeunesse, la famille, les livres pour enfants, la prédication et donc les imams.
Je ne crois pas qu’au fond, les islamistes cherchent à instaurer un califat – sauf à envisager pareil objectif à très long terme. Ils souhaitent simplement organiser et contrôler la population musulmane en France pour parler en son nom, peser dans un rapport de force, obtenir des avantages et en finir avec le discours républicain. Ils espèrent favoriser le passage à une société multiculturaliste de type britannique et obtenir des positions de pouvoir institutionnelles. Ils cherchent à transformer la société et à parler au nom d’un groupe dont le caractère de victime serait revendiqué.
Cette stratégie peut fonctionner car les dirigeants des Frères musulmans et de Musulmans de France vivent dans de très bonnes conditions matérielles, tout comme les États et les fonds de dotation qui les aident. De braves gens, qui ne savent pas de quoi il retourne, leur donnent de l’argent pour construire une mosquée mais l’économie islamique n’aurait aucun problème pour le faire de toute façon. Ces gens qui ont beaucoup d’argent, forment une espèce de bourgeoisie qui veut étouffer la bourgeoisie libérale musulmane qui existe aussi, et parler au nom de tous les musulmans.
En tant que citoyen, je me suis prononcé en faveur de la loi « séparatisme », tout en sachant qu’ils en tireraient parti. J’ai vu certains de mes collègues – Franck Frégosi, Haoues Seniguer – devenir tout à coup des adversaires de la loi, clamant que les musulmans étaient persécutés et que l’État était islamophobe. Bref je constate qu’un certain discours universitaire s’adosse au discours islamiste, et cela me panique. On peut débattre, bien sûr, mais en l’espèce l’argument islamiste est repris tel quel ! Après l’adoption de la loi, c’est une véritable artillerie antifrançaise, au sens d’antirépublicaine, qui s’est constituée – avec l’agence Anadolu, des réseaux turcs, AJ+… –, soutenue par des États, pour œuvrer contre le fonctionnement des institutions et le projet républicain d’émancipation individuelle. On voit bien qu’il existe une alliance entre des États et des réseaux religieux, qui sont beaucoup plus efficaces grâce au soutien d’une infrastructure étatique.
S’agissant des moyens de lutte, le contrat d’engagement républicain me paraît être un bon dispositif : il était pour le moins curieux que des associations profitent d’un financement public pour détruire le cadre politique au sein duquel elles prospéraient. Il y avait là une contradiction manifeste.
Un autre moyen serait de donner des moyens à l’université et de garantir le pluralisme en son sein. Les travaux sur la domination et le post-colonialisme ont droit de cité, mais ils ne peuvent pas représenter l’essentiel de la production académique sur la question. La vocation de l’Etat est de garantir le pluralisme de la recherche.
Mme Caroline Yadan (EPR). Faudrait-il interdire les Frères musulmans, comme l’ont fait certains pays ?
M. le président Vincent Jeanbrun. Au-delà de l’existence d’un clientélisme local, pensez-vous que l’idéologie islamiste est déjà présente au sein du Parlement ?
M. Bernard Rougier. En tant qu’universitaire libéral, au sens philosophique du terme, je ne suis pas très à l’aise avec une interdiction pure et simple des Frères musulmans, qui susciterait énormément de remous, d’attaques, de campagnes internationales. Ils se dupliqueraient sans doute sous un autre nom et les effets négatifs l’emporteraient sur les avantages.
La grande difficulté est de contenir un discours qui, au nom de la défense de l’identité musulmane, dénonce la persécution par l’Occident, met en avant le rôle de la famille, l’obligation pour la femme d’obéir à son mari, la supériorité de la charia sur le droit positif, etc. Ce discours mêlant nationalisme et islamisme s’est élaboré assez récemment, à partir de la fin du XIXe siècle selon Mohammed Arkoun. Il propose une définition de soi en opposition avec l’autre – le non-musulman, l’Européen… – qui constitue un soubassement implicite. Il est très difficile pour un imam de s’extraire de la puissance de ce discours pour réaliser une introspection critique. Dans les nombreuses prédications, je constate l’homogénéisation de cette prédication qui s’éloigne de l’intégration républicaine.
Quant à savoir si le discours islamiste existe à l’Assemblée nationale, je ne peux pas vous répondre : vous êtes meilleurs juges que moi.
M. le président Vincent Jeanbrun. Je vous remercie.
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2. Audition, à huis clos, de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ministère de l’Intérieur (15 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Nous accueillons Mme Céline Berthon, directrice de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Cette audition devant respecter un huis clos strict, je rappelle que les téléphones portables et ordinateurs ne sont pas autorisés et que les assistants de groupe ne peuvent y assister.
Mme Berthon dirige la DGSI depuis 2024. Elle a auparavant exercé plusieurs fonctions au sein de la direction générale de la police nationale et de la direction nationale de la sécurité publique. Son expérience et ses fonctions actuelles en font une interlocutrice particulièrement importante pour éclairer notre commission d’enquête.
Au cours de votre propos liminaire, madame, je souhaiterais que vous répondiez à quelques premières questions. Quels sont les mouvements islamistes présents sur notre territoire, et quelle est leur importance ? Comment se distinguent-ils d’autres groupes religieux qui, tout en étant conservateurs, ne propagent pas une idéologie islamiste ? Quelles stratégies ces mouvements islamistes mettent-ils en œuvre pour approcher les élus ?
Je vous remercie de nous déclarer le cas échéant tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Céline Berthon prête serment.)
Mme Céline Berthon, directrice de la DGSI. Je vous remercie de me consacrer du temps et d’accepter les conditions de cette audition, qui ne sont pas un effet de style : ce sont ces conditions qui nous permettront d’avoir l’échange le plus franc et le plus utile possible pour éclairer votre commission. Si nécessaire, je saisirai la possibilité que vous m’avez offerte de compléter ou de préciser mes propos en répondant par écrit au questionnaire que vous m’avez adressé.
Je voudrais commencer par vous rappeler ce qu’est la direction générale de la sécurité intérieure et quel est son champ d’action : il m’arrivera de ne pas pouvoir répondre à vos questions, non parce que je ne le souhaite pas mais parce que les domaines d’activité de la DGSI ne l’amènent pas à couvrir l’islamisme au sens large du terme, ni les mouvements politiques en porosité avec lui. La DGSI dépend du ministère de l’intérieur. Compétente en matière de sécurité et de renseignement, elle l’est aussi en matière judiciaire pour couvrir les missions qui lui ont été confiées par le décret créateur de 2014. Cette double compétence en renseignement et judiciaire, à des fins d’entrave, porte sur cinq domaines.
Le premier – sans doute celui dont nous parlerons le plus aujourd’hui – est la lutte contre le terrorisme. La DGSI est le chef de file de la lutte antiterroriste en France depuis 2018. Sa vocation est d’agir en amont de la réalisation du risque terroriste en recueillant et en exploitant des renseignements qui permettent l’identification et l’interpellation des porteurs de projet d’action violente. Notre champ d’action nous conduit donc non pas à suivre les mouvements islamistes au sens large, mais à nous concentrer sur des individus qui, obéissant notamment à une idéologie islamique violente – en particulier le djihadisme – peuvent être conduits à mener des actions violentes sur notre territoire.
Notre deuxième domaine d’activité est le contre-espionnage. C’est le cœur de métier historique de notre direction, qui, comme vous le savez, s’est appelée direction de la surveillance du territoire, à partir de 1944, avant de devenir direction centrale du renseignement intérieur de 2008 à 2014, et enfin DGSI. Dans ce contexte, notre vocation est d’identifier et d’entraver les activités des services de renseignement étrangers s’exerçant sur notre territoire et visant à capter des informations ou à peser sur certains processus décisionnels. Le contre‑espionnage nous conduit aussi à mener des activités de contre-ingérence face aux acteurs étatiques étrangers cherchant à influer sur les affaires intérieures françaises, voire à peser sur les processus électoraux locaux ou nationaux.
Au titre de cette lutte contre l’ingérence, nous avons en troisième lieu une activité de protection économique qui vise à préserver la souveraineté économique, scientifique et technologique de la France en détectant les ingérences d’acteurs étatiques ou économiques étrangers cherchant à porter atteinte aux intérêts stratégiques de la France.
Nous luttons aussi, dans ce cadre, contre la prolifération des armes de destruction massive.
Enfin, nous contribuons à la lutte contre la cybercriminalité, au travers notamment de la cyberdéfense : nous nous consacrons alors principalement à la défense des intérêts fondamentaux de l’État, notamment la protection des opérateurs et des points d’importance vitale. Nos efforts portent en particulier sur les modes opératoires d’attaque utilisés par des services de renseignement étrangers à l’encontre d’acteurs économiques ou stratégiques français.
Je vous l’ai dit, la DGSI est chef de file en matière de prévention du terrorisme. Au premier rang des menaces qui frappent notre pays et qui caractérisent la mouvance islamiste ces dernières années, figure évidemment le terrorisme djihadiste.
Dans ce domaine, notre compétence est avant tout la caractérisation des projets d’action violente. En l’absence d’une dimension violente ou terroriste, nous n’avons pas vocation à suivre spécifiquement la diffusion de l’idéologie islamiste et la totalité des mouvements islamistes qui se répandent dans notre territoire. Je ne pourrai donc pas répondre de façon exhaustive à vos questions, mais seulement sur notre segment d’action de la prévention des actions violentes.
Nous travaillons dans ce champ de concert avec nos partenaires parmi les autres services de renseignement français, dont je sais que vous les rencontrerez. Je pense singulièrement à la direction nationale du renseignement territorial (DNRT) et à la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), qui, au titre de leurs compétences généralistes sur les phénomènes de radicalisation et de repli identitaire ou au titre du suivi des cultes sur le territoire national, sont susceptibles d’embrasser de façon plus précise et plus complète le segment que vous avez évoqué, monsieur le président.
La DGSI n’est toutefois pas absente de l’action et des politiques publiques engagées par l’État en matière de lutte contre le séparatisme et l’islamisme politique, au titre notamment de sa mission de lutte contre les ingérences de puissances étrangères étatiques. Historiquement, la DGSI a ainsi été conduite à porter son attention et à mener des actions sur l’activité spécifique de la confrérie des Frères musulmans, notamment parce que celle-ci est identifiée et constitue un relais d’ingérence et d’influence étrangère. Nous avons pu documenter ceci en caractérisant, par le passé, des soutiens financiers et idéologiques en provenance d’organisations ou structures soutenues par des États. Je peux les citer, même si ces soutiens se sont raréfiés et ne sont plus systémiques, du fait de l’action engagée par l’État français : il s’agit du Qatar et du Koweït, qui ont pu soutenir financièrement et idéologiquement la confrérie des Frères musulmans – et ce faisant, les organisations qui la représentaient dans notre territoire. Un autre point de vigilance, et enjeu de suivi pour nous, concerne le soutien logistique ou financier que certaines structures et organisations peuvent mener depuis la Turquie à la confrérie.
Sur les questions de séparatisme, d’islamisme politique et de lutte contre les Frères musulmans, nous sommes donc acteurs de la politique publique sous l’angle de la lutte contre les ingérences étrangères et des organisations supra nationales.
Dans ce contexte, nous avons été conduits à nous intéresser depuis plusieurs années à la philosophie des Frères musulmans, aux caractéristiques de cette organisation à la fois politique et opportuniste, et à la façon dont elle est, de fait, un facteur d’ingérence étrangère sur notre territoire. Nous avons ainsi travaillé sur la représentation des Frères musulmans en France, en Europe et à l’étranger de façon à bien identifier les vecteurs, les contacts, les porosités et les financements. Nous avons tenté de révéler la stratégie de la confrérie, avec son enjeu d’investissement du champ politique et institutionnel au niveau national et local en France.
Nous avons aussi caractérisé la façon dont elle investit le champ de l’éducation, considéré comme une priorité pour former ses élites – et, ce faisant, pour constituer une force politique dans tous les pays où elle est implantée.
Nous avons également étudié les leviers d’ordre financier pour tenter de déterminer la façon dont elle organise son soutien à ses structures locales, nationales ou internationales, en sollicitant notamment des pays étrangers.
Nous avons travaillé sur la façon dont les Frères musulmans investissent le champ juridique pour essayer de faire progresser un certain nombre d’idées – qui ont d’ailleurs pénétré le vocabulaire utilisé en France aujourd’hui : je pense singulièrement au sujet de l’islamophobie d’État ainsi qu’à la rhétorique antiraciste qui peut s’exprimer à l’encontre des fondements du droit des étrangers et du droit associatif.
Au titre de la lutte contre les ingérences étrangères, nous sommes enfin attentifs à la façon dont les Frères musulmans s’efforcent d’accroître leur influence dans le domaine religieux en s’appuyant sur un tissu associatif dense et en tentant de s’imposer dans la gestion du culte musulman.
C’est essentiellement de cette façon que la DGSI a pu couvrir ce domaine, sans aller jusqu’à travailler sur les liens avec les mouvements politiques dans la mesure où leur activité n’entre pas dans son champ de compétences.
M. le président Xavier Breton. Pourriez-vous nous en dire plus sur l’ingérence dans les processus électoraux, ainsi que sur la stratégie suivie par les Frères musulmans pour s’immiscer dans le champ institutionnel ?
Mme Céline Berthon. S’agissant de l’ingérence dans les processus électoraux, le champ d’action de la DGSI consiste en la prévention, la caractérisation et la tentative d’entrave des phénomènes d’ingérence étrangère dans ces processus.
Les raisons pour lesquelles un État étranger peut avoir intérêt à peser dans un processus électoral sont de deux natures.
Il peut s’agir pour lui de peser sur sa diaspora présente dans un pays et d’influencer son vote, qu’il concerne le pays d’origine ou le pays d’installation : un régime d’un pays étranger peut par exemple avoir intérêt à ce que sa diaspora vote pour des mouvements qui lui sont favorables. Cette « cultivation » de la diaspora vise à s’assurer que, dans ses choix électoraux, elle soutient le régime en place. Cela peut conduire à une tentative de pénétration du tissu politique local ou national par des individualités porteuses ou représentatives des intérêts du pays en question.
Un pays étranger peut aussi avoir intérêt à perturber un processus électoral pour porter tort au pays organisateur des élections, notamment pour déstabiliser un système politique démocratique, pour faire perdre confiance dans l’État et dans sa capacité à organiser des élections. Un pays européen, la Roumanie, et un autre peu éloigné de l’Europe, la Moldavie, ont ainsi fait l’objet de telles tentatives d’ingérence étrangère dans des processus électoraux.
Nous devons être attentifs à ces phénomènes, qui peuvent se traduire de bien des manières. Des ingérences numériques étrangères peuvent perturber le déroulement de la propagande électorale, la manipulation d’algorithmes peut altérer la sincérité de la couverture de sujets, de fausses informations peuvent être utilisées. Il peut y avoir aussi une amplification de la notoriété de personnes concourant à des élections. Nous l’avons observé dans des pays étrangers : des candidats ont subitement connu une notoriété qui n’était pas proportionnée à la place qu’ils avaient précédemment acquise dans la vie politique locale. Tout ceci peut répondre à des logiques d’ingérence lancées depuis l’étranger.
Notre action vise vraiment à prévenir, contrer et dénoncer des ingérences étrangères hostiles à la France de façon directe ou indirecte ; il ne s’agira jamais pour nous d’intervenir dans un débat politique que je pourrais qualifier de franco-français.
S’agissant de la stratégie des Frères musulmans pour s’immiscer dans le champ institutionnel, nous faisons le constat qu’elle consiste à offrir un visage d’honorabilité – d’où la vertu de la publication du rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France ». Notre pays a été confronté à un islamisme violent, celui du djihadisme, basé sur le recours à la violence et la volonté de provoquer un choc, notamment par l’attentat. Il en a été profondément marqué. La stratégie des Frères musulmans est bien différente, même si – des spécialistes de l’islam ou de l’islamisme sauront mieux vous le dire que moi – certains fondements et fondamentaux sont communs, comme l’instauration d’un califat et de la charia.
Cet intégralisme religieux autour de l’islam sous-tend des valeurs antidémocratiques et contraires aux principes de la République – le droit de choisir sa religion, l’égalité hommes-femmes – mais qui ne disent pas leur nom : la confrérie des Frères musulmans et le frérisme portent en effet en façade une vision éduquée de l’islam. Ils dissimulent leur stratégie. Ils offrent un visage de respectabilité et d’honorabilité qui peut avoir un effet rassurant pour un pays et des élus comme les nôtres, qui ont été confrontés au djihadisme sur leur territoire ces dix dernières années.
Cette dimension pernicieuse rend nécessaire une conscientisation, à laquelle contribue le rapport que j’évoquais. Dans notre domaine d’action, qui vise à essayer de caractériser et détecter la stratégie de dissimulation des Frères musulmans, notre objectif est de révéler la réalité de cette stratégie afin de sensibiliser et d’empêcher toute naïveté dans le dialogue avec les membres de cette confrérie. La difficulté, c’est que ceux-ci ne reconnaissent pas leur appartenance : c’est une confrérie secrète, discrète, qui ne révèle pas sa stratégie mais la dissimule. Il y a sur ce sujet un enjeu de conscientisation générale et de sensibilisation : il s’agit de ne pas être piégé en ayant le sentiment de parler à des gens qui seraient honorables et honnêtes dans leur démarche.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Merci pour votre propos liminaire, qui répond déjà à quelques-unes de mes questions. Je voudrais néanmoins revenir sur ce rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France » publié par le ministère de l’intérieur en mai 2025, qui évoque l’implantation de réseaux islamiques dans certains territoires de la République. Ses auteurs considèrent que les élus sont aujourd’hui en première ligne face à la montée de cette mouvance : que pensez-vous de cette affirmation ? Quels sont les États qui financent cette mouvance islamique ?
Mme Céline Berthon. La DNRT et la DRPP connaissent bien mieux que nous les écosystèmes fréristes et islamistes et sauront mieux les évoquer.
L’existence de ces écosystèmes et leur territorialisation, c’est-à-dire leur présence sur des territoires administrés par des services de l’État ou des élus locaux, sont un vrai enjeu de sensibilisation du grand public et des décideurs, donc des élus. Il faut pouvoir appeler les choses par leur nom à chaque fois que cela est possible, et pour cela caractériser la réalité des aspirations des acteurs.
S’agissant du financement, nous avons pu observer, dans l’histoire de la confrérie des Frères musulmans ou des écosystèmes fréristes en France, que certains pays se sont distingués par des soutiens protéiformes. Ce fut le cas du Qatar et du Koweït ; c’est le cas de la Turquie. Pour ce qui est du Qatar et du Koweït, nous avons pu par le passé caractériser leur contribution au financement de la stratégie d’entrisme de la confrérie. Ils ont notamment soutenu des projets cultuels, culturels ou éducatifs en France, par le biais d’organisations non gouvernementales qui fournissaient des fonds.
Je tiens à en parler au passé. En effet, à la suite des démarches que l’État a engagées, à la fois par un dialogue avec les pays concernés et par la vigilance particulière avec laquelle ses services ont exercé leurs missions de contrôle, ces pays ont admis l’existence de la réglementation française et se sont mis en ordre de marche pour respecter les normes de l’État français. Je tiens à dire que nous ne caractérisons plus de financement systémique par ces États.
Aujourd’hui, nous sommes davantage attentifs à la relation que la Turquie ou certains de ses représentants entretiennent avec la confrérie. Il est possible que certaines organisations apportent un soutien logistique et financier ou qu’il existe un projet politique commun, fondé sur les idées qui sous-tendent le régime turc. Nous avons relevé une forme de soutien idéologique, notamment par le relais de discours fréristes dans certaines sphères informationnelles, numériques par exemple. À quelques occasions, nous avons pu observer l’organisation en Turquie de réunions de la confrérie des Frères musulmans, ce qui laisse penser qu’il pourrait exister un soutien logistique, même si je ne suis pas en mesure de l’affirmer.
Si un lien doit susciter notre attention aujourd’hui, c’est avec la Turquie.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Comment évoluent les différents types de menaces terroristes en France – projetées, inspirées, sans lien avec des organisations terroristes ou endogènes mais téléguidées par des organisations étrangères ? Le risque d’attentats terroristes islamistes est-il encore élevé ? Faut-il dissoudre des associations ou groupements de fait présents sur notre territoire ?
Mme Céline Berthon. Le niveau de la menace terroriste djihadiste, d’inspiration islamiste donc, reste élevé, même si elle présente un visage très différent de ce qui a frappé notre pays il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, la principale menace terroriste est djihadiste. Depuis janvier 2012, soit le début des filières syro-irakiennes, et avec l’avènement de l’État islamique, qui a été une matrice majeure de la transformation et de l’industrialisation de la menace terroriste en France, notre pays a enregistré cinquante attaques terroristes islamistes, dont vingt-quatre mortelles. Elles ont causé au total 274 morts et plus de 800 blessés.
Ces deux dernières années, nous avons constaté que le niveau de la menace terroriste djihadiste se rehaussait de nouveau, après une période pendant laquelle elle fut un peu moins acérée. Cette menace est nourrie par l’actualité internationale, qui conjugue la réactivation du conflit israélo-palestinien après les attaques du 7 Octobre et la montée en puissance de la branche afghane de l’État islamique, notamment depuis l’évolution du régime politique en Afghanistan. Elle est très élevée. Depuis le début 2025, deux attaques ont été commises sur le territoire national, une mortelle et une non mortelle, et cinq projets d’action ont déjà été déjoués, notamment grâce au travail de la DGSI.
L’analyse des profils des individus que nous suivons confirme la prédominance de la menace endogène. Celle-ci est principalement incarnée par des individus présents sur le territoire national, le plus souvent très jeunes, et presque tous inspirés par l’État islamique. Ils n’ont pas pour autant de lien avec cette organisation : le plus souvent, ce sont des consommateurs de sa propagande. Ils envisagent de passer à l’acte avec des moyens et des modes opératoires assez sommaires, le plus souvent en recourant aux armes blanches, comme dans le cas des deux attentats que j’ai évoqués. Enfin, leurs cibles sont généralement symboliques et choisies en lien avec l’actualité internationale ou nationale. Le conflit israélo‑palestinien a fait remonter la menace visant les cibles juives ou les intérêts israéliens.
Une part croissante de ces profils endogènes jeunes sont porteurs de troubles psychiatriques. C’est le cas de près d’un quart des individus impliqués dans des projets d’attentat depuis 2023. Les deux attaques de 2025 ont été perpétrées par des individus présentant des fragilités psychiatriques.
La menace exogène n’a pas disparu. Nous avons observé deux axes de résurgence potentielle. L’État islamique reste le principal vecteur, par le biais de deux branches principales.
La première est la branche afghane – le fameux EI-K, État islamique au Khorassan –, qui a été particulièrement dynamique en 2023 et en 2024, après l’évolution de la situation en Afghanistan. Elle s’est illustrée en commettant les attentats de masse des dernières années, en Iran en janvier 2024 et en Russie en mars de la même année. Elle avait développé une stratégie d’activation à distance, en s’appuyant notamment sur des réseaux centre-asiatiques et nord‑caucasiens établis un peu partout en Europe, en Turquie et en Asie du Sud, ainsi que sur des réseaux afghans. Cette menace a été au moins temporairement affaiblie par de nombreuses opérations d’entrave menées sur ses donneurs d’ordre en zone afghano-pakistanaise, en Turquie, en Iran et en Europe. Elle reste toutefois à surveiller.
La seconde branche, celle qui nous a fait le plus de mal, est l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) – autrement dit en Syrie. La chute du régime de Bachar al-Assad et la prise du pouvoir par le HTC, Hayat Tahrir al-Cham, ont évidemment été pour elle des bouleversements majeurs. Eu égard à l’instabilité sécuritaire dans ces territoires, à la présence sur zone de volontaires français encore nombreux, avec des statuts divers, et à la volonté de l’État islamique d’exploiter la situation pour faire monter en puissance, à nouveau, le risque sécuritaire, elle constitue pour nous un point d’attention majeur. Nous avons beaucoup observé l’intérêt porté en France à la situation en Syrie pour savoir si nous risquions d’être à nouveau confronté à des départs massifs, comme au début et au milieu des années 2010. À ce stade, le nombre de velléitaires reste relativement faible, bien que nous ayons observé un regain d’intérêt pour la Syrie dans les mois qui ont suivi la chute du régime. Nous y restons très attentifs. Quelques volontaires ont réussi à partir ; les services français ont engagé des procédures judiciaires à leur encontre.
Le dernier élément, déterminant, est le traitement du conflit israélo-palestinien. La propagande djihadiste continue à diffuser un discours virulent à l’encontre de la communauté juive et des intérêts israéliens, mais aussi de l’Occident, considéré comme un soutien à Israël. Pour ces raisons, la France demeure ciblée car identifiée comme un partenaire historique d’Israël dans la propagande des organisations terroristes.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Combien d’individus radicalisés en lien avec les mouvements islamiques se trouvent en France ? Comment évoluent-ils ? Disposons-nous d’informations sur leurs profils ?
Combien de signalements le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation violente (CNAPR) reçoit-il chaque année ?
Mme Céline Berthon. Nous recensons et centralisons dans le FSPRT, le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, les informations relatives aux personnes engagées dans un processus de radicalisation qui sont susceptibles de vouloir se rendre sur un théâtre d’opérations à l’étranger. Le fichier a été spécifiquement créé en lien avec le phénomène massif des filières syro-irakiennes qui a frappé notre territoire. Il peut également concerner des individus susceptibles de vouloir prendre part à des activités à caractère terroriste, donc violentes. Je donne ces précisions pour expliquer que le FSPRT concerne un segment d’individus ; il n’est pas un fichier de suivi des islamistes ni de l’islam politique en France.
Le 13 octobre, un peu moins de 4 000 individus étaient inscrits dans le fichier. Ils font l’objet d’un suivi actif des services de renseignement et des services judiciaires français, afin de prévenir un passage à l’acte violent.
S’agissant du profil, le rajeunissement des individus porteurs de menace est notable : 70 % de ceux impliqués dans des projets d’action violente depuis 2023 sont âgés de moins de 21 ans. C’est dire la part que représentent les jeunes majeurs, voire les mineurs, dans les individus que nous suivons. Certains individus font partie de la mouvance endurcie ; ils sont suivis depuis des années, en raison du risque qu’ils représentent. Certains individus présentent un profil psychiatrique fragile ; on les retrouve parmi les auteurs d’attentats ou de projets d’actions violentes et dans les objectifs que nous suivons. Certains individus sont en prison, en détention provisoire ou condamnés ; ils sont suivis en milieu carcéral.
Le centre d’appel du CNAPR a vocation à recevoir des signalements en lien avec la radicalisation, quelle qu’elle soit. Ces signalements concernent surtout la radicalisation islamiste et djihadiste, qui peut couvrir un spectre plus large que celui du FSPRT, par exemple les phénomènes de rigorisme et de séparatisme.
Les données que je vais vous communiquer correspondent au nombre total d’appels reçus par an. C’est un volume brut : un signalement peut donner lieu à plusieurs appels. J’ajoute que certains appels ne concernent pas l’islam radical.
La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) limitant la durée de conservation des données des fichiers retraçant les appels au CNAPR à trois ans, les données les plus anciennes datent de 2022.
En 2022, le Centre a reçu 5 908 appels, donnant lieu à l’enregistrement de 1 167 signalements, dont 942 intéressaient la thématique de l’islam radical.
En 2023, on totalise 8 329 appels et 1 635 signalements, dont 1 378 liés à l’islam radical.
En 2024, on compte 9 345 appels et 1 523 signalements, dont 1 230 intéressant l’islam radical.
On observe une augmentation significative du nombre de signalements, que nous mettons sur le compte de plusieurs phénomènes. En 2023, un attentat en milieu scolaire a visé un professeur. Nous l’avions observé à la suite de l’attentat contre Samuel Paty : de tels événements donnent lieu à une mobilisation populaire nationale qui se traduit dans les appels que nous recevons. C’est bon signe au sens où cela alimente notre mobilisation. On identifie l’intérêt de procéder à des signalements ou de lever le doute : des gens appellent, ne restent pas seuls avec leurs questions mais appellent pour les soumettre.
Par ailleurs, 2023 et les années qui ont suivi ont été marquées par la résurgence du conflit israélo-palestinien, qui a entraîné des phénomènes de radicalité dans les comportements et la montée en puissance de dénonciations de comportements liés à l’islamophobie ou à ce genre de choses. Tout ceci alimente des logiques de signalement, lesquels viennent de particuliers ou de personnes appartenant à des communautés publiques – scolaires, étatiques –, qui posent des questions et demandent des conseils sur les modalités de prise en charge.
C’est ainsi que nous expliquons ce regain d’appels, après quelques années d’activité plus réduite.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Quelles suites sont données à ces appels ? Que se passe-t-il si, au bout de trois ans, il faut effacer les données alors que les dossiers ne sont pas clos ?
Mme Céline Berthon. La Cnil a limité la durée de conservation des données de la main courante du centre d’appel, pas celle des données du fichier, qui a une capacité de conservation beaucoup plus longue.
Les signalements peuvent concerner des situations très différentes. Peuvent appeler des familles désemparées par une radicalisation religieuse, un isolement, une évolution des pratiques. Elles demandent des conseils pour pouvoir dialoguer avec leurs enfants et éviter de rompre le lien. Cela arrive souvent. Le Centre compte des psychologues.
D’autres signalements nécessitent une prise en compte sécuritaire : ils sont alors communiqués aux services de renseignement, qui les évaluent et identifient s’il est nécessaire de mettre en œuvre une prise en charge sécuritaire. C’est la raison pour laquelle j’ai distingué les chiffres des appels de ceux des signalements : les seconds peuvent donner lieu à une prise en charge sécuritaire. Ils peuvent aussi cesser parce qu’on a donné des conseils à la famille.
Le Centre reçoit régulièrement des appels de familles, pour demander par exemple comment appréhender une conversion, quels mots choisir, sans qu’il y ait de risque sécuritaire. On peut donc schématiquement regrouper les appels dans ces deux grandes catégories.
Mme Constance Le Grip (EPR). Merci madame. Si vous le permettez, à travers vous, je voudrais exprimer ma reconnaissance à tous les membres de votre direction pour leur professionnalisme et la qualité de leur travail.
Indépendamment du djihadisme terroriste, la DGSI identifie-t-elle de l’infiltration, de l’entrisme, de la propagation d’idéologie venant de la république islamique d’Iran ? Quelques chercheurs et journalistes ont récemment écrit des livres qui font état de réseaux, de pénétration, voire de financements orchestrés par le régime des mollahs, ainsi que de connivences, parfois anciennes.
Les meurtriers de Samuel Paty et de Dominique Bernard étaient respectivement tchétchène et ingouche. Existe-t-il de ce côté des éléments que la DGSI surveillerait, comme des filières susceptibles d’exercer une ingérence ou d’exécuter des manœuvres meurtrières et que le régime du Kremlin n’aurait pas dissuadé d’agir ?
Mme Céline Berthon. Nous appréhendons l’Iran sur la base d’un possible risque d’ingérence. Étant donné le caractère très autoritaire de ce pays, celle-ci peut se traduire par des actions violentes menées sur notre territoire. Elle peut prendre la forme de ce que nous désignons par le terme générique de répression transnationale. Cela consiste à appliquer sur notre territoire les règles ayant cours dans le pays d’origine, par exemple en venant réprimer, en violation des règles de la République, des individus qui sont la cible du régime de leur pays d’origine pour des raisons diverses et variées, notamment parce qu’ils sont des opposants.
Si le sujet vous intéresse, je vous invite à visiter le site internet de la DGSI ; nous avons élaboré une communication spécifique qui détaille toutes les modalités de la répression transnationale, comme le harcèlement téléphonique ou cyber et les pressions exercées par des nationaux présents sur notre territoire. Elle peut aller jusqu’à l’assassinat ou à la tentative d’assassinat. Dans ce cas, nous parlons de terrorisme d’État.
Le régime iranien a pu pratiquer ces méthodes. Nous l’avons observé dans des pays proches du nôtre. Nous avons aussi déjoué, en 2018, un projet d’attentat terroriste porté par l’État iranien et certains de ses représentants qui visait un rassemblement à Villepinte. Donc cette réalité existe.
En l’état de la situation en France, il n’y a pas de porosité ni de superposition avec les autres phénomènes djihadistes que j’ai dépeints. Les logiques ne sont donc pas les mêmes.
En revanche, l’Iran promeut une répression pouvant aller jusqu’à l’acte terroriste, qui vise des individus opposants au régime ou encore le pays considéré comme l’ennemi juré du régime iranien, à savoir Israël et tout ce qui le représente – évidemment, les cibles juives sont totalement associées à Israël dans l’esprit de l’Iran. Je décris là une réalité documentée à l’échelle mondiale, à l’échelle européenne et, parfois, à l’échelle française.
S’agissant de ce que je rassemblerai sous le terme de Nord-Caucasiens – ou Sud‑Asiatiques –, des communautés sont installées historiquement sur notre territoire. Certaines s’y sont réfugiées dans les années 1990 après avoir fui la guerre de Tchétchénie. Je n’entends aucunement stigmatiser une communauté dans son ensemble ; néanmoins, certains de ses membres, notamment ceux qui avaient fait partie de l’émirat du Caucase, organisation présente en Tchétchénie, ont pu importer sur le territoire national des idéologies radicales, qui s’accompagnaient d’une opposition au régime tchétchène et à la Russie. Cette génération a grandi : elle a des enfants, qui sont nés sur notre territoire, et, pour un certain nombre d’entre eux, sont français. Au sein de cette communauté, qui se caractérise par une fermeture hermétique, des profils identitaires très forts, un certain virilisme, peut continuer de se diffuser la même idéologie radicale, cette fois tournée non plus contre la Tchétchénie mais contre notre territoire. Elle peut aussi être instrumentalisée par des organisations terroristes. C’est le cas de l’État islamique au Khorassan, qui s’appuie sur la radicalité de cette communauté pour l’inciter à passer à l’acte – nous l’avons observé également plus largement en Europe.
Nous suivons donc avec une attention particulière la communauté nord-caucasienne pour ceux de ses individus qui présentent des profils sensibles. Elle est surreprésentée parmi les objectifs que nous surveillons et parmi les individus qui sont malheureusement passés à l’acte violent – les attaques contre le professeur Paty et le professeur Bernard sont le fait de membres de cette communauté.
En revanche, à aucun moment, les services n’ont documenté le fait que cette communauté puisse être instrumentalisée par la Russie.
M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR). Je salue à mon tour l’engagement des agents dont vous avez la responsabilité.
Ma première question concerne le rôle du Qatar. Vous avez utilisé le passé pour évoquer la part qu’il a prise dans l’entrisme. Comment qualifiez-vous sa stratégie actuelle dans notre pays – rachat du PSG, don pour la restauration de Notre-Dame de Paris, financement des fontaines du rond-point des Champs-Élysées ? S’agit-il simplement de rayonnement culturel, économique, diplomatique ou politique ? Peut-on vraiment parler de l’entrisme au passé ou a‑t‑il pris d’autres formes ?
Ensuite, existe-t-il des éléments de preuve pour corroborer l’existence d’une stratégie de la part de groupes fréristes consistant à cibler certains partis politiques, par exemple à l’extrême gauche ? Des noms d’élus, de militants ou de sympathisants apparaissent-ils dans le fichier FSPRT ou dans les signalements qui vous sont adressés ? Les règles d’impunité des élus, toutes les règles qui entourent la protection des élus, constituent-elles un obstacle dans votre travail de renseignement ?
Enfin, avez-vous déjà caractérisé des tentatives d’ingérence dans l’élection présidentielle à venir ?
Mme Céline Berthon. Nous parlons au passé du financement par le Qatar s’agissant du financement de structures parce que les dispositions prises par l’État français, en particulier l’article 17 de la loi « séparatisme », qui impose aux associations cultuelles de déclarer tout financement étranger au-delà de 15 000 euros par an, ont permis de faire porter l’effort sur la détection et le signalement de financements étrangers non déclarés. Les efforts diplomatiques et le travail d’explication de la France, conjugués à la volonté de cet État de respecter le droit français, ont permis de faire reculer ces phénomènes.
Sur le financement en France d’activités de toute nature par des États étrangers, et en particulier sur les points évoqués dans votre question, je ne dispose pas d’éléments permettant de caractériser d’éventuelles tentatives d’ingérence. Cela relève sans aucun doute du lobbying et de la stratégie d’influence mais cela ne tombe pas nécessairement sous le coup de la loi.
S’agissant d’un éventuel ciblage des partis politiques par les groupes islamistes, il faut garder à l’esprit la stratégie de dissimulation des Frères musulmans. Sans dire leur nom, ils peuvent s’appuyer sur des thématiques qui font écho à des préoccupations communautaires et qui sont susceptibles d’être reprises par des élus, lesquels peuvent être alors consciemment ou inconsciemment instrumentalisés. On peut imaginer que certaines thématiques qui sont entrées dans le débat public et qui sont clivantes – comme le terme d’islamophobie, qui ne s’est pas répandu par hasard dans les débats de société – sont instrumentalisées par des mouvances islamistes et que ces dernières cherchent à approcher les partis politiques qu’elles imaginent les plus favorables à ces idées. D’où l’importance de la sensibilisation et de l’éducation au risque, afin que personne ne soit leurré par les démarches dont il est l’objet.
S’agissant du FSPRT, je ne connais pas la qualité de tous ceux qui y figurent mais j’aurais tendance à répondre par un non franc et massif à votre question puisque le fichier n’a vocation à recenser que ceux qui sont susceptibles de commettre un acte violent ou de partir sur zone en raison de l’adhésion à une organisation terroriste. Les deux domaines ne se chevauchent pas.
Enfin, ma réponse à vos deux dernières questions sur les règles de protection des élus et sur l’élection présidentielle sera commune. Pour nous, l’enjeu sera de prévenir et de détecter les ingérences d’origine étrangère qui pourraient altérer la sincérité du scrutin ou vicier son déroulement. Dans la mesure où deux pays voisins du nôtre y ont été confrontés – la Moldavie et la Roumanie –, il nous faut nous y préparer, dans le respect du droit existant et en collaboration avec l’ensemble des acteurs intérieurs concernés.
Mme Géraldine Grangier (RN). Je vous remercie, vous et vos équipes, d’œuvrer à la défense de la France et des Français.
Lors des dernières élections présidentielle et législatives, avez-vous constaté des ingérences dans le processus électoral ? Les réseaux sociaux offrent des relais aux thèses complotistes qui aliment de fausses croyances sur d’éventuelles manipulations des élections, et il est difficile de les discréditer.
La diaspora turque fait-elle l’objet d’une surveillance particulière ?
Quels sont vos liens avec les services de renseignement étrangers ? Comment travaillez-vous avec eux ? Que vous apportent-ils ?
Mme Céline Berthon. Jusqu’à présent, notre pays a été plutôt préservé des ingérences dans les processus électoraux, à quelques exceptions notoires et documentées mais l’état du monde s’est durci. Nous sommes convaincus que les prochaines échéances électorales seront l’occasion, pour les pays qui ont intérêt à porter atteinte à la France ou à déstabiliser son modèle politique, de tenter des manœuvres en ce sens.
Il est vrai que les médias et réseaux sociaux peuvent participer à un travestissement de la vérité. Le sujet est complexe, car les initiatives de personnes diffusant des idées complotistes ou mensongères se mêlent à des campagnes numériques totalement artificielles, parfois orchestrées depuis l’étranger. L’enjeu pour la France – et pas seulement pour les services de renseignement – est d’être en mesure de détecter les campagnes numériques hostiles venant de l’étranger, autrement dit de caractériser un phénomène d’ampleur, inauthentique, manié depuis l’étranger et ayant vocation à vicier la couverture de sujets divers et variés. Nous travaillons avec Viginum (service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères), qui est depuis 2021 le chef de file en matière de traitement des ingérences numériques étrangères.
Au-delà de ces campagnes construites à l’étranger, nous observons que certains phénomènes peuvent être repris en France par des écosystèmes numériques pro-telle ou telle cause, dans le but d’artificialiser un débat, d’amplifier l’écho d’un sujet, d’alimenter des clivages. Le défi consiste à traiter de tels phénomènes sans entraver la liberté d’expression. On ne peut pas laisser se propager n’importe quelle idée, mais le libre débat reste intangible. La DGSI concentrera ses efforts sur les ingérences provenant de l’étranger.
Plutôt que de la diaspora turque, je parlerai de l’intérêt que porte la Turquie à ses ressortissants en France et de ses tentatives pour les influencer, quitte à contrevenir aux règles démocratiques françaises. En la matière, notre rôle est d’identifier les agents agissant sur notre territoire pour le compte d’un État étranger, qu’ils appartiennent ou non à un service de renseignement, dès lors que leur rôle dépasse le lobbying et l’influence pour relever de l’ingérence – autrement dit, dont l’action risque de porter atteinte à la France. Nous opérons un suivi de toute nature par les moyens classiques d’un service de renseignement.
Enfin, nous avons des partenariats très denses avec les services de renseignement étrangers, tant sur le plan analytique que sur le plan opérationnel.
Sur le premier plan, nous partageons nos analyses des phénomènes, notamment de leur émergence et de leur récurrence dans plusieurs territoires, pour comprendre s’ils touchent le monde entier ou alors si c’est un pays en particulier, ou des écosystèmes occidentaux, des systèmes politiques ou administratifs proches du nôtre, qui sont visés.
Par ailleurs, nous avons des échanges opérationnels très forts. Le partage de renseignements nous permet d’être plus rapides et plus efficaces dans les actions que nous conduisons afin d’empêcher au plus tôt la réalisation de la menace, soit en empêchant l’arrivée sur notre territoire d’individus connus dans d’autres pays pour des faits de même nature ; soit en interrogeant nos partenaires sur des individus que nous avons repérés ; soit en les incitant à la vigilance au sujet d’individus susceptibles de se rendre dans leur pays.
M. Eddy Casterman (RN). Je salue à mon tour, au nom des Français que nous représentons, le travail que vous faites pour assurer notre sécurité.
Quelle est l’influence, dans notre réseau institutionnel et para-institutionnel, national et européen, des confréries – qu’elles soient implantées sur notre territoire ou qu’elles viennent d’un pays étranger ? Je pense, au niveau européen, au Femyso (Forum des organisations européennes musulmanes de jeunes et d’étudiants), qui est une porte d’entrée pour les fréristes dans nos institutions. Ces organisations sont un moyen de peser sur le processus institutionnel et de se rapprocher des élus. Vous avez certainement d’autres exemples à nous citer.
Avez-vous répertorié les structures liées à l’idéologie frériste qui s’implantent dans nos territoires grâce à la complaisance des élus, par exemple les mosquées radicales ? On voit des mosquées Milli Gorus, liées à la Turquie, qui sont inaugurées en présence des maires. On voit des élus favoriser l’implantation de confréries, au risque de créer dans leur commune des poches de danger et de développement d’une idéologie qui peut mener à des actes de violence. L’IESH (Institut européen des sciences humaines) de Château Chinon est heureusement en voie de fermeture, mais il existe certainement des organismes similaires sur notre territoire. Avez‑vous recensé les compromissions des élus avec de telles organisations et quelles en sont les conséquences sur le terrain ?
Mme Céline Berthon. La confrérie des Frères musulmans a une véritable stratégie d’investissement du champ politique et institutionnel. Elle a un dessein politique et cherche à imposer son idéologie non pas par la violence – c’est la différence majeure entre le djihadisme et le frérisme – mais par une conviction des esprits et une captation progressive des lieux de pouvoir et de décision. Elle parvient à le faire car elle offre un visage élitiste, éduqué, donc rassurant, qu’elle double de démarches auprès des institutions locales, nationales, européennes et mondiales dans le but de se légitimer.
Dans cette stratégie d’entrisme, la confrérie s’appuie sur des structures au niveau européen qui ont vocation à faire du lobbying, ni plus ni moins. À cet égard, le Femyso joue, selon nous, un rôle clé dans la diffusion de la pensée frériste auprès des institutions et des fonctionnaires européens. La façon dont il se fait le porte-drapeau d’un certain nombre de revendications fondamentales qui sont la colonne vertébrale de la stratégie des Frères musulmans est d’ailleurs notable. La lutte contre l’islamophobie, notamment, est le principal cheval de bataille du Femyso et des associations qui lui sont liées.
Peut-être vous souvenez-vous qu’il s’est illustré auprès du Conseil de l’Europe en participant, en 2021, à l’élaboration d’une campagne de communication intitulée « We can », qui présentait le port du hijab comme un symbole de liberté. Pour mémoire, les Frères musulmans sont les premiers à avoir utilisé le port du voile par les femmes comme une stratégie de reconquête de la société. Cette campagne ayant suscité une vague de mobilisations qui a conduit à son retrait, le Femyso a réagi en publiant un communiqué dénonçant un nouvel exemple de discrimination à l’encontre des femmes musulmanes en Europe, qualifiant Paris de « capitale du racisme » à la suite de nombreuses réactions de la classe politique et des médias français. Le retrait de cette campagne a ainsi offert au Femyso l’occasion de réitérer son discours victimaire et d’accuser la France d’islamophobie.
Les services de renseignement français et plusieurs de leurs partenaires s’investissent largement auprès des institutions européennes pour les sensibiliser à l’organisation de la confrérie, à ses relais, aux thématiques qu’elle défend et à la nécessité de ne pas soutenir des financements qui faciliteraient l’entrisme et la pénétration de ces idées dans les sphères institutionnelles et politiques européennes.
Je n’ai pas d’exemple précis à fournir s’agissant des organismes locaux de toute nature – salles de prière, institutions scolaires – que vous avez évoqués. Sans doute la DNRT et la DRPP, qui connaissent bien ces écosystèmes, seront-elles plus à l’aise pour vous répondre. Il me semble néanmoins que notre but doit être de parvenir à respecter les espaces de culte ou d’éducation tout en veillant à ce qu’ils ne deviennent pas des organes ou des outils de développement de la stratégie des Frères musulmans. L’enjeu est d’accompagner les élus en les aidant à distinguer ce qui relève de la pratique normale et légitime du culte de ce qui relève d’une stratégie d’entrisme, avec l’implantation de structures susceptibles de servir la stratégie de la confrérie à travers l’éducation d’une partie de la jeunesse ou le déploiement d’un projet politique non conforme aux lois de la République. La façon dont cet équilibre peut être trouvé excède mon champ de compétences : il conviendra de confronter ce constat au diagnostic de la DNRT et de la DRPP.
Pour éclairer les élus, pour les aider à ne pas se tromper dans leurs choix – pour peu que le choix existe – et à refuser l’ouverture de structures qui seraient porteuses de l’idéologie des Frères musulmans et serviraient leur logique d’investissement du champ politique, institutionnel et scolaire, nous devons, en tant que services de renseignement et services de l’État, identifier les structures et bien connaître les acteurs. C’est à cette condition que nous sommes en mesure d’apporter des conseils, voire de prendre des mesures d’entrave quand il est possible de caractériser précisément les choses.
M. Eddy Casterman (RN). Votre rôle d’accompagnement est en effet essentiel pour beaucoup d’élus, qui peuvent être un peu perdus ou ne pas avoir conscience des dangers. En revanche, certains se rendent complices, et même coupables, en accompagnant activement l’implantation de telles structures sur leur territoire. Comment appréhender ce phénomène ? Ces compromissions, ces décisions politiques favorisent-elles la formation de poches de radicalisation au sein desquelles pourraient naître des actes violents ou terroristes ?
Mme Céline Berthon. Je comprends votre question, dans la mesure où un tel continuum pourrait justifier la mobilisation de mesures d’entrave prévues dans le champ antiterroriste. Pour avoir fait un point avec mes équipes opérationnelles, je peux toutefois affirmer que nous ne documentons pas, à ce jour, de cas d’individus appartenant à la confrérie des Frères musulmans suivis au titre du djihadisme – c’est-à-dire étant passé à l’acte ou au projet d’acte violent. Je ne dis pas que ce constat restera pérenne, mais il n’y a pas, pour l’instant, de superposition entre la violence et l’islamisme défendu par la confrérie des Frères musulmans. Il existe des fondamentaux communs – la place centrale de l’islam, l’instauration d’un califat, l’islam comme projet politique – mais la logique du frérisme consiste à faire aboutir un projet politique sans violence, par une stratégie d’entrisme, quand le djihadisme vise à choquer, à conquérir et à imposer un modèle par la violence.
Le fait que nous n’observions pas de porosité entre les deux ne répond pas à votre question. Le sujet est d’identifier de quels outils disposerions-nous pour entraver l’action d’élus qui choisiraient sciemment de soutenir ce type de structures, que ce soit par clientélisme, par facilité ou par défaut ?
M. Jérôme Buisson (RN). Outre les financements externes que vous avez évoqués, avez-vous identifié des systèmes de financement interne à l’entrisme ou au terrorisme ? On parle parfois de l’argent de la drogue. Peut-on s’interroger sur les produits halals ?
Le djihadisme n’a pas de frontière : des bases de préparation ou de repli peuvent être hébergées à l’extérieur du pays – je pense notamment à Molenbeek. Dans votre champ de compétence, comment appréhendez-vous ces bases extérieures, en particulier en Europe ? Certains pays vous préoccupent-ils plus que d’autres ?
Le fonctionnement actuel des frontières est-il pour vous un obstacle, ou vous convient‑il parfaitement ?
Mme Céline Berthon. S’agissant du financement, je répondrai en deux points. Le financement du djihadisme, d’abord : en France, nous n’observons pas, ou très peu, de porosité entre le financement de l’action djihadiste et les milieux de la criminalité organisée, pour une raison assez simple – et c’est une réussite du droit français : le soutien à l’action terroriste par la fourniture de moyens ou de financements est poursuivi au même titre que l’action terroriste elle-même. Nous avons pu observer, dans plusieurs cas concrets, que des individus nourrissant un projet d’action terroriste et recherchant des armes se voyaient refuser la vente en raison de leur projet : les trafiquants ne voulaient pas y être mêlés. C’est une réussite de la stratégie judiciaire mise en œuvre par la France au cours des dix dernières années pour réagir au phénomène.
Pour autant, le financement du terrorisme existe. Il s’inscrit plutôt dans une logique de contribution, notamment via l’envoi d’argent depuis la France vers l’étranger, notamment vers des personnes parties en Syrie ou en Irak, qui ont besoin de moyens pour vivre. Nous traitons régulièrement des affaires de financement terroriste dans ce contexte.
Hors djihadisme, il existe un financement de l’écosystème islamiste par le biais de contributions. Nous avons pu observer comment certaines écoles et institutions bénéficient d’appels aux dons et se financent par le biais de réseaux communautaires. L’État, s’il souhaite limiter le fonctionnement d’une structure, dispose là d’un important levier d’action : procéder à sa dissolution et saisir ses financements pour empêcher les projets d’être menés à bien.
S’agissant des bases arrière et des liaisons entre pays, nous constatons effectivement une porosité évidente dans certains écosystèmes européens. Nous comme nos partenaires avons, par le passé, soit démantelé, soit subi l’action de réseaux qui sont reliés entre eux. La France et la Belgique en sont un très bon exemple. Nous avons développé des coopérations, des partages de renseignement analytiques et opérationnels, pour avoir le même degré de connaissance des individus et être en mesure de les suivre quand ils passent d’un territoire à un autre. Nous menons par ailleurs régulièrement des opérations communes.
La gestion de la frontière s’appuie sur une législation française qui autorise le contrôle aux frontières extérieures de l’espace Schengen. Il s’agit d’un outil déterminant pour contrôler ceux qui rentrent et détecter ceux qui pénètrent sur le territoire sans le dire et sans que nous les identifiions. À cet égard, la montée en puissance du système d’information Schengen et le partage de renseignement opérationnel en Europe et au-delà nous donnent une connaissance, sinon mondiale, du moins assez précise des individus porteurs de menace qui pourraient tenter de partir de notre pays ou d’y revenir. La difficulté viendra toujours de ceux qui n’empruntent pas les points de passage habituels et que, de fait, nous ne sommes pas en mesure de détecter. La coopération opérationnelle entre les services de renseignement et les services judiciaires européens vise toutefois à minimiser ce risque autant que possible.
M. le président Xavier Breton. En guise de conclusion, quelles évolutions juridiques considérez-vous opportunes ou indispensables, et de quoi la DGSI aurait-elle besoin pour rendre son action encore plus efficace qu’elle ne l’est déjà – et je m’associe aux félicitations unanimes qui vous ont été adressées ?
Mme Céline Berthon. S’agissant de la lutte contre le djihadisme, le législateur français a considérablement renforcé le dispositif au cours des dix dernières années. Il nous reste des points d’attention concernant la prise en charge des profils psychiatriques ou encore la place de la propagande djihadiste et la manière dont elle continue à vivre sur les réseaux. Sur ces axes, quelques mesures pourraient être utiles et la DGSI, par la voix du ministère de l’intérieur, s’efforce de les promouvoir et de les faire intégrer dans des projets ou propositions de loi. Nul doute que nous y parviendrons un jour.
Un sujet plus complexe concerne la possibilité de couvrir ce qui, tout en relevant de l’action islamiste, passe par d’autres modèles que la violence. La DNRT et la DRPP l’évoqueront probablement, mais l’enjeu est de savoir si, dans le cadre dans lequel nous travaillons aujourd’hui, les critères qui nous permettent d’avoir recours à des moyens d’action, d’entrave ou de recueil de renseignement sont respectés. Pour l’heure, nous avons le droit de procéder à la surveillance d’individus ou de groupes d’inspiration radicale si ces derniers sont susceptibles de recourir à la violence ou de porter atteinte à la sécurité nationale. Cette notion de violence s’est construite dans le temps par référence à des insurrections ou coups d’État survenus au cours de notre histoire. Or ce que nous avons commencé à qualifier ensemble aujourd’hui, et que vous aurez probablement l’occasion d’approfondir au cours de prochaines auditions, c’est une idéologie politique qui vise à s’installer sans recourir à la violence, mais qui n’en porte pas moins atteinte aux principes républicains fondamentaux que sont la laïcité, la liberté de choisir son culte ou de ne pas en avoir, ou encore l’égalité entre les hommes et les femmes.
Le défi consiste à trouver des leviers qui nous permettent de traiter ces projets d’inspiration plus politique avec la même efficacité que celle avec laquelle nous appréhendons des idéologies d’inspiration plus radicale et violente. C’est probablement cet enjeu que nous serons conduits à explorer et sur lequel votre commission d’enquête sera peut-être amenée à se prononcer.
M. le président Xavier Breton. Merci infiniment pour ces échanges très intéressants, que vous pourrez compléter par tout élément écrit qui vous semblera utile.
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3. Audition, à huis clos, de MM. François Gouyette et Pascal Courtade, auteurs d’un rapport remis au ministre de l’Intérieur sur l’islamisme politique en France (15 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Nous auditionnons maintenant à huis clos MM. Pascal Courtade et François Gouyette, auteurs d’un rapport sur les Frères musulmans partiellement rendu public par le ministère de l’intérieur en mai dernier.
Monsieur Courtade, vous êtes préfet de l’Aube depuis 2024. Vous étiez précédemment en poste auprès du préfet des Yvelines en tant que préfet délégué chargé de l’égalité des chances.
Monsieur Gouyette, vous êtes diplomate et avez notamment été notre ambassadeur aux Émirats arabes unis de 2001 à 2005, en Libye de 2008 à 2011, en Tunisie de 2011 à 2016, en Arabie saoudite de 2016 à 2020 et en Algérie de 2020 à 2023.
Pour rédiger ce rapport sur l’islamisme en France, vous avez procédé à de nombreux déplacements et entendu plus de 200 personnes. Si certains éléments de votre rapport ont été expurgés de sa version publique, vous n’en dressez pas moins des constats graves sur l’influence de certains mouvements islamistes dans nos territoires et plus particulièrement auprès des élus locaux.
Aussi, je souhaiterais vous soumettre, messieurs, quelques questions en guise d’introduction à nos travaux et vous proposer, si vous le souhaitez, de prendre la parole pour un propos liminaire d’une dizaine de minutes Quels sont les mouvements islamistes présents sur notre territoire et quelle est leur importance ? Quelle stratégie mettent-ils en œuvre pour approcher les élus nationaux ou locaux ? Avez-vous le sentiment que la situation est suffisamment connue et fait l’objet d’une réponse adéquate de la part de l’État et des autres acteurs compétents ?
Je vous prie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Par ailleurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Pascal Courtade et François Gouyette prêtent successivement serment.)
M. François Gouyette, co-auteur du rapport. La mission qui nous a été confiée par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, au début de l’année 2024, prescrivait un état des lieux de l’influence de l’islamisme politique en France – ou des islamistes, ou des Frères musulmans, la définition de notre champ d’investigation ayant donné lieu à de nombreuses discussions entre la publication de la lettre de mission et la remise du rapport. Il est certain que ne parler que des Frères musulmans aurait été réducteur.
La lettre de mission était cosignée par le ministre des affaires étrangères, M. Stéphane Séjourné, et par le ministre des armées, M. Sébastien Lecornu, car nous souhaitions interroger la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure), mais c’est le ministère de l’intérieur qui avait pour l’essentiel la main. M. Bruno Retailleau, qui a succédé à M. Gérald Darmanin, a lui aussi suivi nos travaux avec beaucoup d’attention. Trois collaborateurs ont été mis à notre disposition par le ministère de l’intérieur et un diplomate par le Quai d’Orsay, à ma demande.
Nous nous sommes réparti les tâches de manière fonctionnelle : ayant été ambassadeur au Moyen-Orient notamment, je me suis intéressé pour l’essentiel à la dimension internationale du problème, en particulier au rôle du Qatar et de la Turquie. Nous avons réalisé de nombreux entretiens et déplacements en France et quelques-uns à l’étranger.
M. Pascal Courtade, co-auteur du rapport. La raison pour laquelle j’ai été désigné pour cette mission tient sans doute au fait que j’avais été préfet chargé de l’égalité des chances, c’est-à-dire en charge notamment de la politique de la ville, après avoir été chef du bureau central des cultes, où j’étais chargé, entre autres, des dossiers concernant le culte musulman.
Nous avons donné une importance forte à la dimension universitaire de notre travail. Nous avons rencontré quarante-cinq universitaires et lu l’essentiel de la littérature académique occidentale de ces vingt dernières années. Nous avons également travaillé avec les services de renseignement. Le rapport a été rendu en juillet 2024 ; il a ensuite fait l’objet de nombreuses relectures et réécritures par divers services.
La mission, qui concernait à l’origine uniquement les Frères musulmans, a été étendue à l’islamisme politique pour des raisons que je développerai.
La mouvance des Frères musulmans – je reviendrai sur ce terme – est organisée de la même manière dans tous les pays d’Europe et fortement inspirée de la confrérie originelle créée par Hassan al-Banna en 1928 en Égypte.
Le cercle restreint se compose d’un noyau de militants assermentés, avec une hiérarchisation forte par familles, puis par régions ; l’organisation est pyramidale, avec une guidance forte et plusieurs degrés d’assermentation. L’acculturation des branches nationales à leur pays de résidence est forte : la mouvance française n’est pas la mouvance autrichienne, ni la mouvance allemande. Au contact de ce cercle restreint, actionné ou influencé par lui à des degrés divers, on trouve un deuxième cercle de personnes physiques et morales qui, sans être assermentées elles-mêmes, concourent aux mêmes fins.
En France, l’existence d’un cercle restreint est débattue. Des sortants de la confrérie disent qu’il existe toujours et décrivent des choses assez précises, avec le biais que l’on retrouve chez les sortants, tandis que d’autres le contestent. La recherche universitaire est extrêmement clivée, entre une ligne qui considère – pas seulement en France – que la confrérie originelle ne fonctionne plus en cercle restreint, tenu au secret, et une autre qui estime qu’elle n’a pas changé.
La confrérie a une dimension internationale importante. L’organisation internationale est basée à Londres et en Turquie. Il est apparu que la plupart des militants qui sont aux commandes des mouvances européennes se retrouvent dans un Conseil européen des musulmans qui compte vingt-huit pays. La mouvance française dispose du plus grand nombre de sièges. Il est doté d’un appareil administratif au niveau européen spécialisé par finalités, ce qui est l’une des constantes de la mouvance : le culte, la prédication, l’éducation et le caritatif.
Une autre dimension de notre travail consistait à mesurer l’impact concret, sur le terrain, de l’islamisme politique, qui ne se résume pas au frérisme. Nous avons en effet constaté une hybridation entre le frérisme et le salafisme, lequel n’est pas nécessairement politique à l’origine mais dont plusieurs militants ont une action politique. Cette hybridation existe de façon plus générale au sein de la confrérie et elle est très présente au niveau municipal. Sans doute des islamologues aguerris pourraient-ils distinguer des subtilités entre le discours d’un militant salafiste qui utilise les codes du frérisme et celui d’un militant frériste qui emploie des ressorts salafistes. Nous avons parcouru une dizaine de départements pour prendre la mesure de ce que nous avons qualifié d’islamisme municipal, – je précise que notre rapport ne traitait pas directement du sujet de votre commission d’enquête, mais de la mouvance en elle-même, raison pour laquelle le paragraphe sur les élus ne fait qu’une demi-page sur les soixante-cinq que compte le rapport.
M. François Gouyette. Un dernier point concernant la méthodologie choisie : le souci que j’ai fait valoir, aux côtés de mes collègues du ministère de l’intérieur, et qui a été validé par le cabinet du ministre, était d’avoir une approche aussi inclusive que possible. Nous n’avons pas voulu rencontrer uniquement les contempteurs de l’islam politique, mais tous ceux qui s’intéressent à la question – en d’autres termes, aussi bien Mme Florence Bergeaud-Blackler que Gilles Kepel ou Olivier Roy, qui ont des sensibilités très différentes. Cela nous a parfois placés dans une situation délicate lorsque, par exemple, nous avons voulu auditionner un interlocuteur connu pour avoir dialogué avec Tariq Ramadan ; après avoir initialement accepté, ce dernier s’est désisté, au motif que les déclarations faites par le ministre de l’intérieur lorsqu’il avait présenté la mission montraient, à l’en croire, que le rapport était écrit d’avance et qu’il s’agissait d’une machine de guerre contre les islamistes – j’ai d’ailleurs trouvé désobligeant de considérer que je pourrais donner mon aval à un rapport écrit d’avance. Il y a donc eu des réticences à être auditionnés de la part de certains. Nous avons néanmoins veillé à avoir un panel d’interlocuteurs le plus large possible.
M. Pascal Courtade. Nous avons notamment rencontré les représentants de la mouvance, ou du moins de son émanation la plus institutionnelle, dont le nom est aujourd’hui Musulmans de France et qui s’appelait précédemment l’UOIF (Union des organisations islamiques de France). Nous avons également rencontré le président du Conseil européen des musulmans. En tout, nous avons eu trois réunions de travail avec des responsables de la mouvance.
Ce que dit François Gouyette sur le monde universitaire est vrai. C’est la raison pour laquelle vous me permettrez de ne pas citer d’autres universitaires que ceux qui figurent nommément dans le rapport, car cela pourrait les desservir dans un sens ou dans l’autre. Nous ne pouvons pas non plus citer les sources auxquelles nous avons eu accès, étant tenus par le secret de la défense nationale et le devoir de réserve. Nous ne sommes pas des analystes politiques, mais des fonctionnaires.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je tiens à saluer la présence de deux grands serviteurs de l’État et à vous remercier, au nom de la représentation nationale, pour le travail que vous avez effectué tout au long de votre carrière au service de la France et pour ce rapport essentiel, voire existentiel, pour la préservation de notre identité nationale et des valeurs communes qui font que la France est la France. La confrérie a-t-elle une stratégie d’entrisme dans certains milieux politiques français ou européens ? D’autres mouvements islamistes ont‑ils des stratégies similaires ?
M. François Gouyette. Nous avons effectué quatre missions à l’étranger dans quatre pays européens : le Royaume-Uni, la Belgique, l’Autriche et l’Allemagne.
Notre premier déplacement a eu lieu en Belgique, où nous avons rencontré les responsables en charge de la lutte contre la radicalisation. J’ai été frappé par l’ampleur du poids des communautés turco-musulmanes ou arabo-musulmanes dans la composition démographique des dix-neuf communes du Grand Bruxelles. Les chiffres sont étonnants. On connaît surtout Molenbeek, mais il y a aussi Saint-Josse-ten-Noode. Il s’agit de communes où l’on compte 92 % d’administrés d’origine étrangère, turque et surtout marocaine et où, dans certaines écoles, 85 % des enfants sont issus de l’immigration. Ce qui en découle, dans un pays où le verrou constitutionnel de la laïcité n’existe pas – qui, bien que malmené, permet quand même des choses en France –, c’est une logique de négociation permanente : il est ainsi très compliqué pour un bourgmestre ou un directeur d’école de faire valoir des principes différents de ceux auxquels sont attachées les populations concernées, s’agissant par exemple du ramadan ou du halal, et ils doivent souvent donner suite aux demandes de ces communautés. Je m’en tiendrai à cet exemple.
Je n’ai pas noté de stratégie particulière d’entrisme auprès des partis politiques belges. En Belgique, il y a traditionnellement des élus de toutes confessions et de toutes origines dans les parlements régionaux, comme le parlement de Wallonie ou celui de Bruxelles. J’ai eu personnellement l’occasion de constater l’existence d’une élite issue de l’émigration turque lorsque j’étais ambassadeur en Algérie : l’ambassadrice de Turquie était turco-belge et elle était auparavant élue à Bruxelles. Proche de l’AKP, elle est aujourd’hui ministre de la famille à Ankara. Au demeurant, nombre d’élus issus de l’immigration, en particulier, marocaine siègent dans les parlements fédéraux et ne sont pas islamistes.
Je m’attarderai un instant sur les institutions européennes, dont le siège se trouve au royaume des Belges et où les mouvements islamistes exercent leur soft power. Cet élément figure dans notre rapport et je le mentionne, car il est emblématique de l’action menée notamment par le Femyso (Forum des organisations européennes musulmanes de jeunes et d’étudiants), basé à Bruxelles, auprès de la Commission et du Parlement européen. Les personnes qui en font partie sont bien formées, maîtrisent les outils de communication, réussissent à populariser certains mots d’ordre et trouvent un écho auprès de certains élus, voire de la Commission, au nom du respect des droits de l’homme, de la liberté d’expression, de la diversité, autant de valeurs communément admises dans les institutions européennes.
M. Pascal Courtade. Je confirme que les choses sont très organisées au niveau européen, où ces organisations mènent un travail de lobbying – elles ne sont les seules à le faire – dans le but d’obtenir des avantages palpables. Nous avons cité les financements reçus par l’antenne allemande de l’Islamic Relief Worldwide. Il y a aussi la question majeure de la promotion du voile et de la lutte contre « l’islamophobie », un terme que je mets entre guillemets car récusé par les pouvoirs publics. François Gouyette a évoqué le FEMYSO. Le Conseil des musulmans d’Europe dispose également d’un directeur des affaires publiques.
M. François Gouyette. Il y a aussi le CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe).
M. Pascal Courtade. Oui, le CCIE s’est expatrié en Belgique pour promouvoir la lutte contre « l’islamophobie ». Il y a d’ailleurs une certaine porosité : en effet, nous avons tracé des formations données par des Frères musulmans à des diplomates du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), tandis qu’une ancienne commissaire européenne a participé à des opérations du Femyso. La représentation française auprès de l’Union européenne s’emploie à sensibiliser la Commission aux risques que peut entraîner la mouvance.
Au niveau français, je ne connais pas de stratégie constituée d’influence de la mouvance auprès des partis politiques. Il a pu en être autrement lorsque l’UOIF était bien plus institutionnalisée grâce à son intégration au CFCM (Conseil français du culte musulman), même si je ne crois pas que nous pouvions alors parler de stratégie d’entrisme – il s’agissait d’une stratégie d’influence de la part d’un acteur reconnu du culte musulman.
À l’heure actuelle, certains militants islamistes politiques – qui n’agissent pas nécessairement sur ordre – mènent au niveau local des stratégies d’influence, parfois d’obtention d’avantages, voire d’entrisme. Mais je répète que nous n’avons pas observé ni documenté ou étudié une stratégie d’influence au niveau national sur les partis politiques.
M. François Gouyette. J’ajoute que se pose aussi la question des Salafistes, dont Pascal Courtade a évoqué le rôle. Comme je l’ai dit, ces derniers n’étaient pas inclus dans le champ de notre mission, mais il me semble qu’ils présentent un risque au moins aussi grand que les Frères musulmans, en ce qu’ils promeuvent des valeurs tout de même assez éloignées de notre ADN républicain, et qu’eux aussi maîtrisent les outils technologiques. Comme l’a bien expliqué Gilles Kepel, les imams 2.0 sont aujourd’hui bien plus influents auprès de la jeunesse issue de l’immigration arabo-musulmane que les caciques de l’UOIF, qui sont des sexagénaires – je schématise, mais c’est la réalité. Or, contrairement aux Frères musulmans, les salafistes ne prônent pas l’engagement politique dans la vie de la cité. Ils ne souhaitent pas participer aux élections, pas plus qu’ils n’appellent en général les Musulmans à voter pour tel ou tel parti, même si une certaine hybridation avec les Frères peut parfois conduire des Salafistes à le faire.
M. Pascal Courtade. En effet, je l’évoquais, nous avons constaté un phénomène d’hybridation au dernier kilomètre. Un exemple presque chimiquement pur est celui de M. Sefrioui, condamné dans l’affaire Paty. Est-il salafiste ou Frère musulman ? Il est extrêmement difficile de le dire.
Comme l’a dit François Gouyette, les cadres de la mouvance frériste vieillissent. Lors de nos déplacements, nous avons systématiquement demandé s’il y avait de jeunes militants. Il y en a dans le Nord, mais pas en quantité significative, et il s’agit plutôt d’une exception. Visiblement, le processus élitiste de sélection, fondé sur le secret, ne séduit plus autant. Quand je travaillais au bureau central des cultes, j’avais des relations assez nourries avec les représentants de l’UOIF, qui était alors encore associée au CFCM et qui faisait donc partie des interlocuteurs réguliers des pouvoirs publics – les choses ont changé quelques années plus tard. Or, dix ans plus tard, j’ai retrouvé les mêmes interlocuteurs lors de la réalisation de notre rapport.
Cependant, au niveau municipal, les choses ne se passent pas ainsi. Le phénomène d’hybridation au dernier kilomètre concerne la confrérie en général, dont nous pouvons considérer qu’elle se « salafise ». Ainsi, beaucoup de références salafistes figurent dans la bibliographie utilisée pour la formation des militants. Du temps des rencontres annuelles des musulmans de France, au Bourget – événement qui ne s’est plus tenu depuis 2019 –, on pouvait voir sur le stand des éditions de l’UOIF des ouvrages d’auteurs madkhalistes, qui appartiennent à une frange extrémiste des salafistes et qui haïssent les Frères musulmans. De même, Salah Abdelhaq, actuel guide par intérim des Frères musulmans, a passé trente ans en Arabie saoudite et est considéré comme faisant partie de la frange la plus ouverte au salafisme au sein de la confrérie. Comme vous l’imaginez, cette dernière est composite, mais c’est cette ligne qui est aujourd’hui dominante.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Il y a deux semaines, le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a alerté les candidats potentiels aux élections municipales sur les risques relatifs aux financements provenant de certains réseaux. Votre rapport, lui, évoque le danger d’un « islam municipal » et affirme que « l’agenda islamiste aurait […] trouvé un exutoire idéal dans le cadre municipal ». Pourriez-vous nous en dire plus ? Comment ce phénomène se manifeste-t-il ? Est-il circonscrit ou en expansion ?
M. Pascal Courtade. L’objectif du militant islamiste politique local – et c’est aussi la visée même du frérisme – est la réislamisation de la communauté musulmane. Cette réislamisation passe par des institutions, des organisations, des associations et, quand il en manque, des lieux de culte. Tout cela se traduit donc par des besoins très concrets, comme la création d’associations, la mise à disposition de salles ou encore la délivrance de permis de construire. Cela suppose une interaction, voire une bienveillance des pouvoirs municipaux et l’accord des maires, dotés de larges pouvoirs en la matière. Le terme « exutoire » n’est pas de nous : il a été utilisé par un universitaire qui a enquêté sur Marseille. En définitive, les militants islamistes ont intérêt à entretenir de bons rapports avec les municipalités, voire à s’associer à l’exercice des mandats.
Pour ce que nous avons constaté – mais nous n’avons pas tout vu –, le risque le plus étayé ne me semble pas venir des financements, mais plutôt des propositions de services ou de voix. En attestent des vidéos dans lesquelles l’imam Iquioussen explique de la manière la plus benoîte comment un militant frériste peut et doit proposer aux élus les voix des habitants de son quartier. Il s’agit d’une action qui s’apparente à du clientélisme classique. Là où les risques sont réels, c’est quand des militants fréristes ou des islamistes politiques figurent sur des listes de candidats – sans qu’il s’agisse, le plus souvent, de listes communautaires – ou agissent de façon un peu plus pernicieuse dans l’entourage immédiat du maire. Nous avons identifié des cas dans notre rapport.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Pourriez-vous revenir sur les grands écosystèmes locaux dans lesquels se diffuse un islamisme au niveau municipal ? Dispose-t-on d’une cartographie des territoires concernés et d’un inventaire des pratiques que vous relevez dans votre rapport ?
M. Pascal Courtade. Nous évoquons effectivement certains de ces écosystèmes dans notre rapport ; d’autres ont été relevés dans des notes de renseignement qu’il ne nous appartient pas de divulguer – seuls leurs auteurs le peuvent. À cet égard, il ne vous aura pas échappé qu’une de ces notes, faisant état de quatorze écosystèmes, a fuité dans le Journal du dimanche.
Les écosystèmes les plus aboutis sont les plus anciens. Ils ont été définis, ce qui me semble juste, comme des réseaux collaboratifs plus ou moins intégrés qui permettent de prendre en charge voire d’encadrer un musulman dans tout son parcours de vie. Les plus anciens et plus étayés sont ceux du Nord, de Lyon et de Marseille, mais il en existe de nombreux autres, plus petits, qui ne méritent donc peut-être pas d’être qualifiés d’écosystèmes. Je pourrai vous donner quelques exemples hors procès-verbal, si vous le souhaitez.
Il s’agit d’une réalité constatée, raison pour laquelle nous avons repris le terme « écosystème », qui nous paraît juste, dans notre rapport. Le mot décrit bien un phénomène qui n’est ni organique, ni coordonné, mais pluriel, et qui se matérialise le plus souvent par un lieu de culte, des associations en lien avec celui-ci, ainsi que des services à la population ou des propositions sociales, culturelles, scolaires et périscolaires plus ou moins liées à la mosquée.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Avez-vous constaté une évolution de ces phénomènes à la suite de la loi de 2021 confortant le respect des principes de la République ? Dit autrement, cette loi vous semble-t-elle efficace ?
M. Pascal Courtade. C’est une vaste question, qui a déjà occupé l’Assemblée nationale. Je ne suis, pour ma part, qu’un praticien de cette loi. Même si je ne prétendrai pas qu’elle a atteint tous ses objectifs, elle a donné des outils qui manquaient, notamment en matière scolaire et de transparence des associations cultuelles et de leurs satellites immédiats. Elle a donc été utile, mais suffit-elle pour autant à répondre au phénomène d’entrisme, qui est un sous-ensemble du séparatisme islamiste ? Je serais mesuré sur ce point.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Comment peut-on aider les élus, les maires, qui font face à des demandes d’ouverture de mosquée, de lieu de culte ou de salle, à distinguer les risques d’entrisme des pratiques modérées ? L’action des maires est parfois dénoncée, mais peut-être ne disposent-ils pas de toutes les données pour prendre une décision tout à fait éclairée. Les services de l’État peuvent-ils les assister dans ce domaine ?
M. Pascal Courtade. La loi a créé quelques rendez-vous incontournables, parmi lesquels l’avis – simple, donc consultatif – que doit donner le préfet pour la délivrance d’un permis de construire de lieu de culte. En écho à votre question précédente, cet avis devrait-il devenir conforme ? Je laisse la représentation nationale apprécier.
Quoi qu’il en soit, le dialogue entre le préfet, le sous-préfet et le maire peut et doit avoir lieu – ce qui est le plus souvent le cas. Bien sûr, les maires peuvent demander l’expertise des services de l’État, mais c’est aussi le devoir du préfet et du sous-préfet – c’est ma conception de la fonction – d’aller au contact des élus pour essayer de les éclairer.
Comme nous l’avons dit, il s’agit d’une réalité complexe et subtile. Différencier une pratique orthodoxe de l’islam de l’islamisme politique à risque demande un vrai discernement. C’est aussi le travail des préfets et des sous-préfets, qu’ils assument. L’exercice n’est évident pour personne, sachant que la matière dont disposent les représentants de l’État provient de notes de renseignement. Mon avis personnel est qu’il faut partager certaines informations sensibles avec les maires, pour peu qu’on les juge dignes de confiance, car, vous l’avez dit, certains « se sont fait avoir ».
Par exemple, l’une des premières filières djihadistes démantelée était issue d’une mosquée ; une bonne vingtaine de jeunes étaient partis en zone irako-syrienne. Plusieurs années après, le maire de la commune était toujours abasourdi et ne pouvait ni ne voulait comprendre ce qui s’était passé, alors que c’était éclatant. Et encore, il s’agissait de terrorisme ; en matière d’entrisme, les choses sont plus subtiles.
Lorsque j’étais préfet délégué, mon travail portait sur l’égalité des chances ainsi que sur la politique scolaire et culturelle à destination des habitants. J’avais néanmoins à cœur de systématiquement avoir des discussions les enjeux relatifs à l’islam avec les maires. Évidemment, ce dialogue était plus ou moins poussé selon le degré d’écoute et l’appétence des élus. Reconnaissons aussi que tous ne sont pas demandeurs et qu’engager la discussion est parfois compliqué.
Un précédent a été la circulaire de Christophe Castaner sur la radicalisation, qui est un sujet encore différent. Elle demandait justement de discuter de cet enjeu avec les maires, dans le cadre d’une charte de confidentialité. De fait, dans les deux départements où j’ai été affecté depuis la publication de la circulaire, les maires étaient plutôt peu demandeurs d’un tel dialogue.
Il faut donc que les choses soient à double sens. Les préfets et sous-préfets doivent aller à la rencontre des maires, discuter de ces questions avec eux et à être à leur écoute, car les élus sont parfois un peu dépourvus.
Mme Géraldine Grangier (RN). En effet, les maires sont parfois dépourvus, dépassés, voire complices.
Vous êtes des experts du sujet, mais quelle a été votre plus grande surprise à l’écriture du rapport ? Vous connaissiez déjà le milieu, mais qu’est-ce qui vous a le plus marqué, outre le voyage en Belgique dont vous avez parlé et au cours duquel vous avez constaté l’influence de la population musulmane dans certaines villes ?
M. François Gouyette. Ce qui m’a le plus marqué m’a été rapporté par nos collègues du ministère de l’intérieur sur la base de leurs entretiens avec de multiples interlocuteurs de confession musulmane : il s’agit du sentiment de douleur et de colère éprouvé quasi unanimement par les intéressés dans le contexte de la guerre à Gaza.
Nous étions évidemment conscients de l’immense traumatisme qui a frappé la communauté juive à la suite de l’attaque terroriste du 7 Octobre. 2023. Notre mission a débuté six mois plus tard, en avril 2024, et elle s’est achevée à la fin du mois de juillet suivant, le rapport étant remis le 9 août aux directeurs de cabinet des ministres démissionnaires de l’intérieur et des affaires étrangères. Ces quatre mois ont correspondu à l’aggravation du conflit, lorsque le bilan en pertes humaines parmi les civils palestiniens est devenu de plus en plus élevé. Dans le contexte de la mission que nous menions, nous avons perçu chez nos interlocuteurs musulmans beaucoup de frustration devant ce qui était perçu, à tort ou à raison, comme un biais pro-israélien marqué des positions de la France.
Certains se sont demandé pourquoi nous évoquions la reconnaissance de l’État de Palestine parmi les préconisations du rapport. Pascal Courtade a évoqué le concept d’islamophobie, que nous récusons certes, mais que les Islamistes utilisent avec un bonheur certain, au point d’avoir réussi à convaincre nombre de nos compatriotes de confession, de tradition, de culture ou de foi musulmane – et ils sont plusieurs millions – qu’il y a effectivement en France une islamophobie, voire une islamophobie d’État. Or, ce qui se passait à Gaza au même moment apportait de l’eau au moulin du narratif islamiste accusant nos autorités de se montrer insensibles aux souffrances des Palestiniens, précisément parce qu’ils sont musulmans à 99%.
M. Pascal Courtade. Nous ne nous sommes pas concertés, mais j’ai moi aussi été très frappé par le très grand succès du narratif victimaire sur l’islamophobie, scandé par la mouvance frériste depuis longtemps, ainsi que par l’UOIF elle-même pendant un temps – avant qu’elle ne mette ce discours en sourdine et ne délègue sa propagation à des associations du deuxième cercle, au premier rang desquelles, disons-le, le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), qui a fait beaucoup de tort à la cohésion nationale.
J’ai notamment le souvenir de discussions très agitées, lors d’une visite dans une mosquée qu’on peut qualifier de normale, au cours desquelles transparaissait cette conviction d’une islamophobie d’État, où tout le monde, depuis le dernier fonctionnaire de préfecture jusqu’au président de la République, aurait une haine des musulmans. Cela m’a profondément affecté.
Un autre élément frappant fut de voir que dans tous les pays européens que nous avons étudiés ou visités, il y avait une structuration analogue, certes à des degrés différents, et qu’il y existait une organisation transnationale, autour du Conseil des musulmans d’Europe et de ses satellites. J’avais fréquenté la mouvance française un certain temps, mais je reconnais que je n’avais pas perçu l’ampleur de cette structuration et de cette stratégie – car c’est bien d’une stratégie qu’il s’agit.
Enfin, alors que je connaissais mal certaines réalités départementales, j’ai été très frappé par le caractère très abouti et sophistiqué de certains écosystèmes, comme ceux du Nord et du Rhône.
M. Jérôme Buisson (RN). Vous avez dit que le frérisme et d’autres mouvances avaient un désir d’extension. Qu’en est-il des conversions ? Ces mouvements visent-ils à convertir ceux qui ne sont pas musulmans, comme les catholiques pourraient le faire d’ailleurs ?
M. François Gouyette. Seuls les Juifs ne sont pas prosélytes.
M. Jérôme Buisson (RN). C’est vrai.
Cette volonté de conversion s’arrêterait-elle à l’islam, ou irait-elle jusqu’à défendre des valeurs contraires à la République ? Avez-vous eu des témoignages en ce sens ?
Plus généralement, quand on rédige un rapport, on a envie qu’il serve à quelque chose. Un peu comme pour la dette, doit-on agir contre l’entrisme avant une mise sous tutelle ? Dit autrement, y a-t-il urgence à agir, ou bien votre rapport ne présente-t-il qu’un état de fait à des fins d’information ?
M. François Gouyette. Sans revenir sur la chronologie de cette mission, j’ai été frappé par le sérieux avec lequel M. Bruno Retailleau a pris les choses en main à son arrivée Place Beauvau en septembre 2024. Le ministre nous a aussitôt demandé de venir le voir, nous l’avons rencontré à deux reprises, et il a d’emblée manifesté la volonté de prendre, sur cette base, des mesures opérationnelles.
La lettre de mission, qui était signée des trois ministres, mais qui, pour l’essentiel, était l’œuvre du ministère de l’intérieur, nous assignait une tâche d’une triple nature : dresser un état des lieux ; caractériser la menace – considérée sous l’angle du séparatisme, au sens de la loi de 2021 – que pouvait représenter l’action des islamistes ; enfin – c’était sans doute l’élément le plus délicat –, formuler des préconisations pour les autorités politiques. Je suis heureux d’avoir pu faire équipe avec M. Courtade et ses collègues du ministère de l’intérieur.
M. Pascal Courtade. Notre mission était d’abord de rendre un rapport au gouvernement, mais si elle a permis, incidemment, d’éclairer, si ce n’est l’opinion publique, du moins les élus et les membres de la fonction publique, il y a lieu de s’en féliciter. En effet, le travail qui devra être mené ne pourra pas se faire sans les élus ni l’ensemble des ministères. Au sein des préfectures, l’efficacité de l’action des cellules de lutte contre l’islam radical et le repli communautaire suppose que l’ensemble des administrations, qui ont des cultures et des tropismes différents, puissent discerner ce qui relève d’un islam orthodoxe ou de l’islamisme politique et soient en mesure de se mettre en ordre de marche.
Je n’ai pas détecté de spécificité du frérisme en matière de conversion. L’islam est une religion prosélyte – elle n’est pas la seule –, mais cela concerne particulièrement le salafisme. Le frérisme impliquant une forme d’élitisme, c’est davantage la réislamisation de la communauté musulmane qui est cœur de ses préoccupations.
M. François Gouyette. Ils entendent rééduquer les musulmans qui ne suivent pas suffisamment les préceptes de l’orthodoxie islamique.
M. Pascal Courtade. Oui, notamment.
La vision frériste de l’islamisme prône l’enfermement communautaire, ce que les sociologues du religieux appellent l’orthopraxie, c’est-à-dire un ritualisme très poussé. Certaines choses me choquent, comme le voilement des petites filles prépubères, que nous avons constaté – ce phénomène n’est toutefois pas endémique, il se rencontre plutôt chez les salafistes. Le terme qui nous paraît le plus juste pour décrire une vision des choses partagée par les salafistes et les fréristes est « l’intégralisme », autrement dit une conception intégraliste de la loi islamique.
M. Jérôme Buisson (RN). Sont-ils en compétition ?
M. Pascal Courtade. Oui, bien sûr : elle est très claire au Moyen-Orient. Il y a aussi des hybridations. Les salafistes purs et parfaits détestent les Frères musulmans, mais la réciproque n’est pas vraie.
M. François Gouyette. En Égypte, en juillet 2013, le maréchal Sissi a renversé, à la suite d’un coup d’État, le président Morsi, qui était issu des Frères musulmans. Or, les salafistes égyptiens, qui sont très puissants, ont soutenu l’armée contre Morsi. On voit donc que cette compétition peut conduire à des choix radicaux.
Mme Constance Le Grip (EPR). Vous avez écrit que l’islamisme politique n’avait très certainement pas renoncé à son objectif à long terme d’islamisation du pays, une fois achevée l’étape de réislamisation en profondeur des musulmans vivant en France. Cela peut aider à définir précisément ce qu’est l’islamisme. La définition de l’islamisme est une difficulté à laquelle se heurtent tous ceux qui travaillent sur le sujet. Plusieurs pays européens ont tenté de mobiliser, à cette fin, des notions juridiques. Les Britanniques ont beaucoup travaillé sur le sujet. Toutefois, on n’a jamais réussi à définir juridiquement l’islamisme ou l’islam politique. Pour votre part, vous caractérisez ce dernier par la poursuite d’un objectif, qui est l’islamisation de notre pays.
À la suite de votre rapport, plusieurs travaux ont été menés. On peut citer, en particulier, les deux réunions qu’a tenues le Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), sous la présidence du chef de l’État. Celui-ci a souhaité, à l’issue de la deuxième réunion, que le gouvernement prépare un projet de loi visant à lutter contre l’entrisme. L’idée était de parvenir à une deuxième étape, après la loi de 2021 contre le séparatisme. Vous formulez des préconisations de nature réglementaire, parfois très opérationnelles et facilement applicables – former les élus et les acteurs publics, développer des outils pédagogiques, etc. –, mais aussi des propositions qui pourraient relever du domaine de la loi. Retrouvez-vous vos préconisations dans les quelques pistes qui avaient été esquissées en vue de l’élaboration de ce projet de loi ? Pensez-vous qu’il est nécessaire d’avoir une étape législative supplémentaire ?
Enfin, de manière plus accessoire, j’ai été surprise de lire que vous proposiez de développer l’apprentissage de l’arabe à l’école de la République.
M. François Gouyette. J’ai évoqué le contexte particulier de la tragédie de Gaza, marqué par une grande souffrance des Musulmans de France, symétrique de celle de leurs concitoyens juifs, d’où m’a-t-il semblé, la nécessité d’envoyer des signaux positifs à ces compatriotes, tant il est vrai, comme je l’ai fait valoir au ministre, que le combat contre l’islamisme ne peut être remporté sans le soutien, à tout le moins, d’une majorité d’entre eux.
Pourquoi l’enseignement de l’arabe nous paraît-il devoir être encouragé ? D’abord parce que c’est une langue de civilisation, une langue internationale parmi les plus importantes, que j’ai moi-même étudiée à l’université il y a un demi-siècle. Ensuite et surtout, parce que l’on déplore depuis quelques années une diminution du nombre d’emplois de professeur d’arabe ouverts au concours du Capes (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré). Faute d’enseignants, on ne peut donc plus étudier l’arabe ailleurs que dans certaines universités, la matière n’étant quasiment plus proposée au lycée. C’est la porte ouverte aux cours dispensés par des écoles privées musulmanes, auxquels s’inscrivent les jeunes issus de l’immigration maghrébine désireux d’apprendre cette langue – de même que des jeunes appartenant à des familles originaires du Portugal ou d’Espagne peuvent légitimement souhaiter apprendre le portugais ou l’espagnol.
Il est normal que l’on permette à ceux qui veulent étudier cette langue de le faire dans le cadre de l’éducation nationale. Sinon, on fait le jeu des islamistes, qui ont un agenda dans ce domaine, comme on le voit à travers l’activité des instituts d’enseignement religieux. Il me semble important d’insister sur cet apprentissage dans le cadre de l’éducation nationale, qui va à l’encontre de l’objectif qu’ils poursuivent.
M. Pascal Courtade. Aujourd’hui, si l’on veut apprendre l’arabe, on doit aller dans une mosquée. Il n’y a pas d’offre républicaine d’apprentissage de l’arabe. Personnellement, cela me pose un problème. Il me paraît légitime que l’on puisse apprendre cette langue. J’ai à l’esprit des mosquées islamistes qui se financent exclusivement par l’enseignement de l’arabe, ce qui ne me semble pas satisfaisant. La seule autre possibilité qui existe, ce sont les enseignements internationaux en langue étrangère, que l’on appelait auparavant l’Elco (enseignement de la langue et de la culture d’origine). Le système gagnerait, même après sa réforme, à être évalué. À titre personnel, je m’étonne que, pour apprendre le turc, on ait besoin de recourir à un professeur venant de Turquie ; les professeurs en question ont parfois, comme je l’ai constaté dans certains territoires, très peu d’élèves, mais cet enseignement est garanti par un accord international. Cette situation me semble anormale car l’école de la République pourrait dispenser ces cours. Cela étant, il ne m’a pas échappé que notre préconisation a pu surprendre certaines personnes.
Mme Constance Le Grip (EPR). Nous souhaiterions que l’accent soit mis sur l’apprentissage de la langue française.
M. Pascal Courtade. Ces deux choses ne sont pas du même ordre.
S’agissant de l’islamisation du pays, vous aurez noté que, dans le rapport, nous employons le conditionnel. L’islamisation est envisagée dans une perspective providentialiste, qui est celle dans laquelle se placent les islamistes. Contrairement à d’autres pays, comme l’Autriche, il n’a pas été mis en évidence, à notre connaissance, dans la doctrine de la mouvance française, de documents visant l’islamisation à court ou moyen terme. En Autriche, une opération judiciaire d’envergure a été menée contre la mouvance islamiste, qui a mis au jour des documents affirmant très clairement cet objectif.
Nous nous trouvons dans un État laïc, ce qui nous différencie du Royaume-Uni, par exemple ; il n’est donc pas évident que l’État ait à définir ce qu’est l’islamisme – et sa vision politique –, l’islam, etc. En tout état de cause, cela ne figure pas dans le droit actuel.
Mme Constance Le Grip (EPR). Nous souhaitons creuser un peu les choses sur la base de votre rapport.
M. Pascal Courtade. Comme nous l’avons observé lors de nos déplacements, plusieurs pays n’abordent pas la question sous cet angle. En Autriche, on prend en considération la volonté de porter atteinte à l’indépendance et à la forme de l’État établie par la Constitution. En Belgique, on définit l’extrémisme en tant qu’il attente aux institutions. Au Royaume-Uni, on recourt à des notions quelque peu comparables. Cette approche fondée sur l’atteinte aux institutions me paraît intéressante et fructueuse.
Mme Constance Le Grip (EPR). Il peut s’agir de l’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.
M. Pascal Courtade. Oui, par exemple, même si cette notion recouvre, sur le plan juridique, un périmètre très large. Il faut plutôt se concentrer, me semble-t-il, sur l’atteinte à la forme républicaine des institutions, au sens de l’article 1er de notre Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. ». Ce n’est pas du tout le programme des islamistes.
Mme Constance Le Grip (EPR). Je suis bien d’accord.
M. Pascal Courtade. L’égalité entre les hommes et les femmes est l’un des grands marqueurs en la matière. L’angle de l’atteinte à la forme républicaine des institutions me paraît donc à privilégier, étant rappelé que la commune fait partie des institutions de la République.
Mme Constance Le Grip (EPR). C’est une « petite République », comme on le dit souvent !
Et pour ce qui est d’un éventuel projet de loi ?
M. Pascal Courtade. Je peux répondre en tant que praticien chargé de faire appliquer la loi confortant les principes de la République. On pourrait sans doute définir plus précisément les choses concernant l’accueil collectif de mineurs. À l’heure actuelle, la réglementation est un peu floue. Je ne serais pas choqué que l’on impose une déclaration systématique pour tout accueil collectif de mineurs, quelles que soient la nature de la structure et les activités proposées. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Je pense aussi aux fonds de dotation, qui ont été voulus en 2013 par le législateur, désireux de proposer une forme plus libérale et plus accessible que les fondations. Force est de constater que, malgré les amendements apportés à la loi de 2013, il nous manque des outils. À titre d’exemple, la suspension d’un fonds de dotation par le préfet ne se traduit pas par la cessation des flux financiers : il faut emprunter la voie judiciaire pour le faire geler définitivement.
Je citerai également les organismes d’enseignement à distance, qui ne sont pas visés par la loi confortant les principes de la République et qui, de fait, connaissent un vrai succès – je ne parle évidemment pas du Cned (Centre national d’enseignement à distance).
Les lieux de culte sont une étape importante dans la constitution des écosystèmes. Tous les écosystèmes n’abritent pas un lieu de culte en leur cœur mais, une fois que le lieu de culte est là, quelque chose s’est joué. La question est de savoir s’il ne faut pas aller plus loin en ce qui concerne l’avis du préfet. Il ne s’agit pas d’ôter des pouvoirs aux élus mais de faire en sorte que l’avis du préfet donne lieu à de véritables échanges avec ces derniers.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Avez-vous constaté, parallèlement au sentiment d’islamophobie des musulmans que vous avez rencontrés – que certains avaient tendance, dites-vous, à qualifier d’islamophobie d’État –, une rupture totale de dialogue entre les communautés musulmane et juive de France ? On a assisté à une importation très dangereuse, à mon sens, du conflit du Moyen-Orient sur nos terres. Cela n’a-t-il pas mis de l’huile sur le feu et nourri un sentiment antisémite croissant, qui a peut-être même été amplifié par certains mouvements politiques qui l’ont récupéré en France par une volonté de clientélisme ?
M. François Gouyette. La tragédie du 7 Octobre et celle de Gaza ont radicalisé les positions de part et d’autre. Je connais personnellement le grand rabbin de France et le recteur de la grande mosquée de Paris qui, lorsque j’étais encore en poste à Alger – avant le 7 Octobre, donc – entretenaient des relations personnelles très cordiales, voire amicales. La crise de Gaza a entraîné un refroidissement de leurs relations, une prise de distance, même si le dialogue n’est pas rompu.
Il faut être prudent lorsqu’on parle d’importation du conflit. Il s’agit de savoir ce que l’on entend par là. On pense évidemment aux manifestations où sont brandis des drapeaux palestiniens, mais ne peut-on considérer que, de l’autre côté, certaines initiatives donnent aussi le sentiment d’une importation du conflit ? Je pense notamment à l’organisation de soirées de gala ayant pour objet de lever des fonds au bénéfice de l’armée israélienne. Les choses ne sont jamais univoques. Ce qui est vrai, c’est que la crise a crispé les rapports entre les communautés qui, par ailleurs, peuvent – ou pouvaient – entretenir localement d’excellentes relations. Dans certaines villes de banlieue parisienne, des rabbins travaillaient avec les imams afin de rapprocher les communautés et continuent de le faire aujourd’hui, en dépit des difficultés que l’on connaît.
M. le président Xavier Breton. Monsieur l’ambassadeur, les États voisins de la France dans lesquels vous vous êtes rendus ont-ils adopté des mesures dont nous pourrions nous inspirer ? Vous évoquiez la coordination européenne des structures musulmanes. Existe-t-il une coordination européenne des ambassades ou des services d’État destinée à travailler sur ces sujets ?
Monsieur le préfet, nous disions tout à l’heure que la sensibilisation et la conscientisation étaient indispensables. Vous évoquiez ce qui était à l’œuvre dans les services de l’État. Y a-t-il des actions supplémentaires à mener pour sensibiliser les élus locaux, dans nos départements ?
M. François Gouyette. La coopération entre les services de l’État, les services de renseignement, vise surtout la prévention du terrorisme. C’est un objectif qui ne saurait évidemment se confondre avec la question de l’islam en général, ni même de l’islamisme. Nous nous sommes rendus dans plusieurs pays européens, mais nous nous sommes également intéressés à d’autres régions du bassin méditerranéen – même si nous n’avons pas pu nous rendre, comme nous l’avions envisagé, par exemple, au Maroc ou en Turquie, la dissolution nous ayant conduits à accélérer le rythme de rédaction du rapport.
J’aurai quelques remarques à formuler sur le rôle joué par des pays comme la Turquie, le Qatar ou l’Arabie Saoudite, compte tenu des fonctions que j’y ai exercées précédemment.
M. Pascal Courtade. J’ai été frappé, entre autres choses, par le soin que mettent les autres pays à décrire ce qui se passe – comme nous nous y sommes également attachés dans le rapport. Je pense à la Dokumentationsstelle Politischer Islam, en Autriche : ce think tank universitaire créé par le gouvernement mais indépendant des services produit de l’expertise sur l’islamisme, notamment politique. En Allemagne et en Belgique, les services spécialisés produisent un rapport annuel qui vise à éclairer non seulement sur le risque terroriste lié à l’ingérence étrangère, mais aussi sur l’islamisme politique. Cela m’a paru intéressant.
Je voudrais dire un mot de l’islamologie au sens le plus large du terme – il n’y a pas, en effet, que l’islamisme politique. Malgré les dissensions existant au sein de l’université, que j’ai évoquées, je crois beaucoup au rôle de cette institution pour développer une connaissance académique de l’islam. De fait, un sérieux effort de rattrapage a été mené, notamment grâce à l’Institut français d’islamologie. Nous sommes toutefois en retard par rapport à l’Allemagne, par exemple, qui a beaucoup investi en la matière.
Le ministère de l’intérieur est en train de réfléchir aux actions à mener en direction des élus locaux, à commencer par la formation. Des formations existent – qui sont assurées, entre autres, par le CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) –, mais peut-être faudrait-il proposer des formations plus spécialisées. Au sein du ministère de l’intérieur, il y a sans doute un peu de mise en cohérence à faire ; il est en outre nécessaire de développer la capacité à déployer des formations de terrain au dernier kilomètre par des gens spécialisés. Les ressources existent ; c’est plutôt une question de mise en œuvre. Je crois savoir que le ministère a bien cela en tête.
M. François Gouyette. J’ai veillé à l’organisation de déplacements, en lien avec mes collègues, mais aussi de rencontres avec des ambassadeurs de pays étrangers en France. Nous avons demandé à voir les représentants des pays les plus directement concernés par ces questions, essentiellement des États de la rive sud de la Méditerranée. Nous avons, ainsi, été reçus, à ma demande, par les ambassadeurs d’Arabie Saoudite, du Koweït, des Émirats arabes unis, de Turquie, d’Israël, de Tunisie et d’Égypte – sollicité, l’ambassadeur du Qatar n’a pas répondu. Ceux qui se sont montrés les plus intéressés par la question sont les représentants des États qui considèrent les islamistes comme un véritable danger : les Émirats arabes unis – qui, on le sait, sont à la pointe de la lutte contre l’islamisme politique –, l’Égypte et la Tunisie – dont le président est connu pour son hostilité à cette mouvance.
Que peut-on dire des soutiens étrangers auxquels peuvent prétendre les organisations islamistes, les mosquées et les associations relevant de cette mouvance ? L’analyse doit être nuancée. On a beaucoup parlé dans le passé du Qatar et de l’Arabie Saoudite. Il fut en effet une époque – celle des années 1980 et 1990 – où l’Arabie Saoudite veillait, par le truchement de la Ligue islamique mondiale, à propager l’idéologie wahhabite avec tous les effets délétères que cela pouvait avoir.
Les choses ont changé. J’en ai été le témoin lorsque j’étais en poste à Riyad. Quand le prince héritier saoudien a réellement accédé au pouvoir en 2017, l’une de ses premières décisions a été de nommer un nouveau secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, le docteur al-Issa, qui s’est d’ailleurs rendu très rapidement en Europe – je l’ai accompagné lors de ses premières rencontres à Paris. Il avait alors reçu de Mohammed ben Salman un mandat clair, celui de remettre de l’ordre au sein des représentations de la Ligue islamique à l’étranger, notamment en Europe où sévissaient auparavant des éléments extrémistes. Il a entrepris ce travail et a donné des gages de sa volonté de dialogue avec les autres religions. Il s’est notamment rendu à Auschwitz et a rencontré à plusieurs reprises M. Haïm Korsia.
Mohammed ben Salmane a une position sans ambiguïté vis-à-vis de l’islamisme et nous pouvons considérer qu’aujourd’hui, l’Arabie saoudite joue pleinement le jeu. Les Saoudiens n’apportent plus de soutien, direct ou indirect, à la mouvance, ce qui ne signifie pas qu’il ne puisse pas exister de financements émanant de donateurs saoudiens privés.
Le Qatar, pour ce qui le concerne, a été longtemps – plus longtemps encore que l’Arabie – un pourvoyeur de fonds pour des mosquées d’obédience frériste. Compte tenu des excellentes relations qu’il entretient avec lui, le Président de la République semble avoir demandé à l’Emir du Qatar qu’il soit mis un terme à ces financements d’État et ils ont cessé. Il n’y a plus, à ma connaissance, de financement des Frères musulmans par le Qatar – même s’il peut y avoir des mécènes qatariens privés, comme au Koweït, par exemple.
Les Émirats arabes unis, quant à eux, suivent une ligne très offensive contre l’islamisme politique. Ils sont particulièrement attentifs à la question et ont été très intéressés par la mission.
Sont évidemment aussi concernés des pays comme le Maroc et l’Algérie. Je n’avais pas demandé à rencontrer l’ambassadeur d’Algérie – il était d’ailleurs déjà parti. On sait qu’Alger dispose en France d’un relais d’influence d’importance qui est la grande mosquée de Paris. Son recteur n’a lui-même rien d’un islamiste, même si, dans le cadre de stratégies de pouvoir, il a pu lui arriver de nouer des alliances avec la mouvance pour conforter sa position. Depuis la fin de ce que l’on nomme à Alger la décennie noire, l’Algérie entretient une certaine ambiguïté dans sa relation avec les islamistes. Elle les a écrasés militairement, tout en les recyclant politiquement. Selon que l’islamisme peut servir les intérêts du pouvoir ou, au contraire, le menace, ce dernier l’instrumentalise ou le réprime. Sans aucun état d’âme.
La situation au Maroc est différente. J’avais été frappé, lorsque j’ai découvert ce pays à la fin des années 1980, par le fait que la population était beaucoup plus observante qu’en Algérie – ce qui ne vient pas spontanément à l’esprit intuitivement, le Maroc ayant une image de modernité. J’avais ainsi remarqué que tout le monde, ou presque, jeûnait pendant le mois de Ramadan, ce qui n’était pas le cas en Algérie, en tout cas à l’époque. Il s’agit, certes, d’un islam de rite malékite, un islam « du juste milieu » comme se plaisent à se qualifier ses adeptes, mais il est incontestable que l’islamisme travaille la société marocaine. Le gouvernement a d’ailleurs été dirigé pendant plusieurs années par un premier ministre islamiste, certes très encadré par le Makhzen et le Roi. Il existe donc dans ce pays un terreau favorable, y compris dans l’immigration.
Le cas de la Turquie est différent car ce pays mène une véritable politique d’État en soutien à la présence de l’islam turc dans les communautés établies à l’étranger. Il s’y emploie notamment à travers l’action du ministère des affaires religieuses – la Diyanet, qui dispose de moyens budgétaires considérables– et d’organismes comme le “Millî Görüş” – que l’on pourrait traduire par « le point de vue national » – d’obédience islamiste, mais qui ne se confond pas avec l’AKP, le parti de Recep Tayyip Erdogan. Il y a donc plusieurs niveaux : l’AKP, la Diyanet et le Millî Görüş, qui se situe dans la tradition du prédécesseur d’Erdogan à la tête de la mouvance islamiste turque, Necmettin Erbakan. Ce sont des détails importants, car la communauté turque est très organisée. La politique de soft power d’Ankara se limite, pour l’essentiel, aux communautés turques : les Turcs ne vont pas financer des mosquées marocaines ou algériennes.
Il me paraissait important d’évoquer cette dimension internationale compte tenu des relations que la France entretient avec ces pays.
M. le président Xavier Breton. Nous vous remercions pour ces échanges très intéressants. Je vous invite à les compléter en répondant par écrit au questionnaire que vous a envoyé le rapporteur. N’hésitez pas à nous faire parvenir des éléments additionnels si vous le jugez utile.
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4. Audition, ouverte à la presse, de M. Omar Youssef Souleimane, journaliste (16 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Nous poursuivons les travaux de la commission avec l’audition de M. Omar Youssef Souleimane.
Monsieur Souleimane, vous êtes né en Syrie et avez trouvé asile en France en 2012. Vous avez depuis publié plusieurs livres qui ont, pour certains, reçu des prix. C’est pour le livre Les Complices du mal, paru au début du mois d’octobre, que vous êtes auditionné.
Dans cet ouvrage, vous évoquez les liens qui existeraient entre des mouvements islamistes et certains représentants de partis d’extrême gauche et soulignez l’influence du conflit israélo-palestinien sur ce rapprochement. Vous décrivez des discours victimaires qui assimileraient la position française dans ce conflit à une politique menée contre l’ensemble des musulmans – en les associant volontairement aux intérêts du Hamas alors même que cette organisation est considérée comme terroriste par la France et l’Union européenne. Enfin, vous dénoncez les visées électoralistes de ces discours.
Nos travaux ne visent pas un parti ou une sensibilité politique en particulier, mais s’intéressent à tous les élus politiques, puisque des liens avec des mouvements islamistes peuvent apparaître dans différents territoires et pour différents motifs. Vos constats ne manquent pas moins de nous interroger.
La commission s’intéresse à la stratégie des mouvements islamistes en France pour nouer des liens avec les élus nationaux ou locaux. Comment ces liens se manifestent-ils ? Sont-ils conjoncturels, liés au contexte international, ou plus durables ? Selon vous, traduisent-ils une adhésion des élus aux finalités poursuivies par les mouvements islamistes alors même qu’elles sont incompatibles avec les valeurs démocratiques de la République – je pense en particulier à l’inégalité entre les hommes et les femmes et à la charia – ou s’agit-il davantage d’opportunisme politique ?
Avant toute chose, je vous invite à nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. En outre, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Omar Youssef Souleimane prête serment.)
M. Omar Youssef Souleimane, journaliste. La question majeure est en effet d’identifier comment se manifeste le lien entre La France insoumise (LFI) et les islamistes et de distinguer les soupçons des éléments factuels. Cela m’a occupé pendant des mois.
Permettez-moi de revenir sur les raisons qui m’ont poussé à m’intéresser à ce sujet et à écrire ce livre. Je viens de Syrie, pays dominé par les islamistes, où j’ai passé les vingt-cinq premières années de ma vie. J’ai aussi passé trois ans en Arabie Saoudite où j’ai étudié le Coran et les hadiths, c’est-à-dire la parole de Mahomet. La révolution syrienne a commencé en 2011 et, comme des milliers de jeunes Syriens, je me suis engagé dans cette révolution socialiste menée contre le régime fasciste de Bachar al-Assad. Ce sont les islamistes qui ont détruit cette révolution. Un an plus tard, je me suis échappé de Syrie pour fuir cette ambiance terrible : entre le régime de Bachar al-Assad et les islamistes, nous étions entre la peste et le choléra. Je me suis d’abord dirigé vers la Jordanie où j’ai pu faire une demande d’asile politique pour la France.
Arrivé en France, retrouver l’ambiance que j’avais fuie a été un choc. J’ai habité pendant sept ans en banlieue parisienne, où j’ai constaté avec surprise que certains imams radicaux apportaient un soutien sans réserve à Jean-Luc Mélenchon. Ce constat m’a amené à me poser des questions.
Après le massacre du 7 octobre, je me suis rendu à des dizaines de manifestations organisées par La France insoumise ou par Urgence Palestine, une association ouvertement islamiste et antisémite, qui se déroulaient le plus souvent place de la République, et parfois place de la Nation. J’en retire de nombreux éléments.
Omar Alsoumi est le fondateur de l’association Urgence Palestine créée le lendemain du massacre du 7 octobre. Il a d’ailleurs salué à plusieurs reprises le « déluge d’al-Aqsa », nom que le Hamas donne à cet événement. Je tiens à dire que tout ce que j’affirme est documenté par des photos, des vidéos ou des enregistrements audio collectés pendant ces manifestations. Elles sont organisées par ce même Omar Alsoumi qui défile aux côtés de Mathilde Panot, Thomas Portes, Ersilia Soudais et d’autres députés. Les membres de l’association Perspectives musulmanes y participent aussi régulièrement. Les plus actifs sont Ehmad Ibrahim – qui milite également pour Urgence Palestine et a déclaré que la Palestine était une « terre d’islam » – et Maria de Cartena, pour qui la guerre contre le terrorisme est en vérité une guerre contre l’islam.
Ces éléments-là relèvent encore du soupçon. Les élus de La France insoumise nous répondent régulièrement qu’ils participent à ces manifestations de bonne foi. Sachez que je n’accuse en aucun cas ceux qui manifesteraient de bonne foi, parce qu’il y a des victimes à Gaza ou parce qu’il faudrait agir : ce n’est pas mon sujet. Mon enquête se concentre sur les organisateurs de ces manifestations, qui portent un projet politique islamique.
Thomas Portes est le député le plus actif de ces manifestations. Il s’est d’ailleurs récemment rendu au Liban en compagnie de Salah Hamouri, un militant du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), une organisation considérée comme terroriste par l’Union européenne. Thomas Portes y a rencontré plusieurs membres du FPLP, parmi lesquels Marwan Abdel-al, dont le nom était mal orthographié sur le réseau social X mais que j’ai identifié grâce aux photographies de leurs réunions. Marwan Abdel-al est un militant du Hezbollah, organisation considérée comme terroriste, qui s’est rendu aux funérailles d’Hassan Nasrallah en février 2025. Thomas Portes a aussi rencontré Haitham Abdo, le chef du FPLP au Liban, terroriste sans réserve. Il n’a pas pu rencontrer Kamal Adouan, déjà tué par Tsahal, mais il lui a rendu hommage au cimetière des martyrs palestiniens, au sud de Beyrouth. Kamel Adouan est pourtant impliqué dans la mort de onze civils israéliens, survenue en 1972 lors de l’attentat de Munich. Voilà de premiers exemples, parmi les nombreux autres que je pourrais vous donner.
Meluka Hadj-Mimoune, la suppléante d’un élu de La France insoumise, a ainsi participé dans la banlieue lyonnaise à l’ouverture de la mosquée El-Rahma, qui a accueilli à plusieurs reprises un djihadiste tunisien dont j’ai réussi à identifier les déclarations. Il appelle à éliminer les juifs, à tuer tous les Israéliens, et chante la gloire du Hamas depuis le 7 octobre. Nombre des paroles citées dans mon livre ont été prononcées en arabe, ma langue maternelle, et je les ai donc traduites.
Parmi les autres personnes, tout de même très nombreuses, que j’ai identifiées, se trouve Mohamed Awad, un islamiste radical que La France insoumise a choisi comme candidat aux élections législatives l’année dernière, ce que je trouve très dangereux.
Enfin, Sébastien Delogu a été plusieurs fois salué par les chaînes de télévision islamiques radicales et pro-Hamas comme Al-Jazira ou Al-Mayadin. Il a aussi trouvé un vrai soutien en la personne de Seyyed Yahiah Gouasmi, qui a fondé le centre chiite et djihadiste Zahra, fermé pour apologie du terrorisme – élément déjà rendu public par le ministère de l’intérieur. Sébastien Delogu, après que Yahiah Gouasmi l’a félicité pour avoir brandi le drapeau palestinien dans l’Assemblée nationale, l’a remercié sur les réseaux sociaux.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. J’ai été particulièrement marqué dans votre ouvrage par le récit de votre jeunesse en Syrie, par l’envie que ne se reproduise pas ce que vous avez vécu là-bas, et, en France, par le choc qu’a constitué la découverte d’un antisémitisme galopant et d’un entrisme islamique fort, au détriment des valeurs républicaines.
J’ai également été frappé par votre description de l’éducation antisémite qui existerait dans certains pays du Moyen-Orient et que vous retrouveriez en France. Pourriez-vous expliquer cette idée d’une formation à l’antisémitisme qui aurait cours sur certains territoires de la République ?
M. Omar Youssef Souleimane. J’ai pris le risque d’écrire ce livre parce que je refuse que les islamistes qui ont détruit mon pays d’origine fassent la même chose en France, pays que j’ai adopté et qui m’a adopté.
L’antisémitisme a, hélas, toujours été présent au Moyen-Orient : c’est une des dimensions essentielles de la religion. Je précise que le terme de « religion » fait ici référence au projet islamique radical fondé en 1928 en Égypte par Hassan al-Banna et les Frères musulmans, dont l’idéologie est fondée sur le djihad contre les Juifs en Palestine – avant même la naissance de l’État d’Israël. C’est ce projet qui a déclenché l’antisémitisme au Moyen-Orient. Des textes radicaux appelant à la haine existaient bel et bien depuis longtemps, cela dans plusieurs religions, mais ils ont été repris et diffusés par les islamistes pour leur projet politique. Des groupes djihadistes liés aux Frères musulmans ont ainsi commencé à partir pour faire le djihad.
Cette époque est aussi celle de Mohammed Amin al-Husseini, le grand mufti d’Al-Qods – Jérusalem. Pendant la deuxième guerre mondiale, il a rencontré Hitler et participé à la création, au sein de l’armée nazie, d’une troupe musulmane de 20 000 soldats, venus pour la plupart d’Europe de l’Est. Des liens existent : des archives ont même mis au jour le lien entre Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans, et les nazis.
Tous ces éléments sont venus nourrir la haine des Juifs dont, plus tard, la naissance de l’État d’Israël a renforcé l’intensité. Imaginez que 800 000 Juifs vivaient dans les pays arabes et musulmans du Moyen-Orient avant la naissance d’Israël. Ils ne sont même plus 30 000 aujourd’hui. Or ces personnes vivaient toutes depuis des centaines voire des milliers d’années en Syrie, en Irak, au Liban ou même dans les pays du Maghreb, c’étaient leurs pays, qu’ils ont quittés parce que la situation était devenue insupportable pour eux.
Je me souviens qu’à Al-Qutayfah, ma ville d’origine à côté de Damas, le mot « juif » était une insulte et que, pour se défendre, on disait : « je ne suis pas Juif, pour être si mal traité ! ». Les Juifs n’y sont même pas traités comme des êtres humains. Plus de quarante-et-un versets du Coran évoquent les Juifs, que le prophète surnomme « les fils d’Israël » : jamais ils n’y sont bien traités. Je ne parle pas là d’un Coran étudié dans le cadre d’une croyance religieuse individuelle, mais bien de l’instrument d’un projet politique.
En arrivant en France, j’ai été très choqué. Qu’est-ce que la France pour moi ? C’est le pays de l’universalisme, de la laïcité, du vivre-ensemble et de la diversité. J’appartiens à cette France, que j’aime, qui est celle de Jean Jaurès – que je lisais avant mon arrivée –, de Paul Éluard, de la Résistance. Il est impossible, dans ce pays, de dire qu’on doit supprimer ou détruire Israël !
Thomas Portes a déclaré en juillet 2025 – je cite la chaîne Al-Jazira – qu’il fallait libérer l’ensemble de la Palestine. Or appeler à libérer la Palestine, c’est appeler à détruire l’État d’Israël, dont 75 % des habitants sont des Juifs. C’est du pur antisémitisme. Dans les manifestations organisées par La France insoumise, par Urgence Palestine ou par d’autres associations palestiniennes, l’idée de détruire l’État d’Israël est normalisée. Pourtant, a-t-on déjà appelé à détruire la Russie qui a lancé une guerre contre l’Europe ? Non. On manifeste et on critique un régime symbolisé par Poutine. On a tous les droits de critiquer un gouvernement extrémiste, en Israël ou ailleurs, mais pas d’appeler à éliminer un État entier.
Ce discours est celui dans lequel j’ai grandi. Chaque matin, lorsque j’allais à l’école, nous devions répéter « Mort à Israël ! » et, les Juifs d’Israël ressemblant tellement aux Juifs de Syrie, qu’il fallait jeter tous les Juifs dans la mer Méditerranée. Revivre cela en France est pour moi insupportable.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Selon vous, il existe un risque pour que la France soit détruite par la folie radicale des islamistes. À quel point ce risque est-il avéré ? Comment cette menace se matérialise-t-elle ?
M. Omar Youssef Souleimane. Si je comprends bien, vous voulez savoir comment tout cela pourrait mener au chaos.
Il faut voir l’intensité des dizaines de manifestations organisées par LFI et ces islamistes : ce ne sont pas des appels à la paix mais des appels à la haine. Notez d’ailleurs combien les actes antisémites ont augmenté en France depuis le 7 octobre – des enquêtes le documentent. Il y a en France environ 5 millions de musulmans et 500 000 Juifs. D’après mon expérience et les preuves que j’ai rassemblées, le projet de La France insoumise, en se liant avec ces islamistes, est d’aviver l’intensité entre ces deux communautés.
La France insoumise le fait de plusieurs manières. D’abord, en s’adressant aux musulmans non pas comme à des citoyens français mais comme à des musulmans – ce qui me semble très dangereux – ou en répétant que les musulmans sont en danger et que la France est, dans son ensemble, un pays islamophobe, comme l’a déclaré Mélenchon après l’horrible crime commis contre Aboubakar Cissé dans une mosquée. Le criminel n’était d’ailleurs pas français mais serbe, mais peu importe, c’est un acte à condamner sans réserve. Ce discours victimaire met les musulmans à l’écart et les présente comme des malheureux, non comme nos compatriotes.
J’ai obtenu la nationalité française en 2022. Ma famille est musulmane, ma mère est voilée. Tout mon entourage est pratiquant. On se fiche complètement de savoir si je suis croyant ou non, si je suis musulman ou non ! Existe-t-il une différence entre nous dans cette salle ? Nous sommes des citoyens français, c’est ce qui compte pour moi. Hélas, cette notion est complètement absente des discours de LFI. En s’adressant aux musulmans comme à des musulmans, ils ont un discours séparatiste.
Pour ce qui est du chaos, les actes antisémites ont donc doublé depuis le 7 octobre et il se produit même des agressions à l’encontre de musulmans. Je répète que rien n’est pire pour les musulmans en France que le projet des islamistes et leur alliance avec La France insoumise, car ils sont pris en otage par un projet séparatiste.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Revenons aux manifestations auxquelles vous avez participé et où vous dites avoir collecté des documents, des vidéos et des preuves sur la participation des uns et les autres.
Le 5 octobre 2024 s’est tenue place de la République une manifestation organisée par le collectif Urgence Palestine. Selon vous, Mme Soudais, M. Portes, M. Boyard, Mme Aubry et M. Mélenchon étaient présents mais aussi, et surtout, Omar Alsoumi, le garde du corps de Rima Hassan, qui aurait appelé à la « résistance armée ». Pouvez-vous le confirmer ?
M. Omar Youssef Souleimane. Omar Alsoumi n’est pas le garde du corps de Rima Hassan, c’est le fondateur du collectif Urgence Palestine. Mais le garde du corps de Rima Hassan est un militant actif de ce collectif– ce qui est très grave. On attribue à Omar Alsoumi plusieurs actes antisémites.
Il faut aussi évoquer Mehdi Meftah, un membre du Parti des indigènes de la République (PIR) qui manifeste régulièrement avec Ersilia Soudais, Mathilde Panot, Thomas Portes et d’autres députés. Il a tenu des discours très dangereux sur la chaîne libanaise Al-Mayadin, qui soutient l’Iran et le Hezbollah, dans lesquels il affirme que la loi contre le séparatisme vise les musulmans en France. Je confirme tous les autres éléments que vous avez mentionnés.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous évoquez la « complicité toxique » entre les islamistes et LFI – cette notion donne d’ailleurs son titre à votre ouvrage. Pouvez-vous nous donner les exemples les plus concrets et les plus marquants de cette complicité ? En outre, pourquoi mettre en avant le cas de Rima Hassan ? Enfin, d’autres partis politiques sont-ils concernés par des liens avec la mouvance islamiste ?
M. Omar Youssef Souleimane. D’après ce que j’ai pu découvrir, il n’y a pas d’autres partis politiques que La France insoumise concernés par une telle alliance. Je témoigne de ce que j’ai vu.
Rima Hassan est sur la couverture de mon livre pour plusieurs raisons. Elle n’est pas le sujet principal du livre, mais une sorte de fil rouge. Comme moi, elle vient de Syrie et je connais Nayrab, sa ville d’origine située dans la banlieue d’Alep. Or, j’ai été choqué par plusieurs éléments la concernant.
De retour en Syrie au début de l’année 2024, Rima Hassan a expliqué sur Al-Jazira qu’elle était revenue à Nayrab parce qu’elle s’y sentait en sécurité et qu’elle avait fui la France après avoir reçu des menaces de mort. Comment peut-on se sentir en sécurité sous le régime fasciste de Bachar al-Assad ? La commune de Nayrab a même connu pire : elle a été contrôlée par une milice iranienne, Fayraq al-Qods – la Force al-Qods – qui collaborait avec celles du régime. Je suis choqué par le fait que Rima Hassan n’ait jamais condamné Bachar al-Assad, le boucher de Damas, qui a assassiné des centaines de milliers de Syriens, y compris palestiniens, et arrêté 98 Palestiniens au camp de Nayrab et des dizaines d’autres ailleurs. Il y a un double standard : comment peut-on défendre les Palestiniens face à Israël et abandonner les Palestiniens en Syrie, comme s’il ne s’y était rien passé ? Une ancienne membre de LFI m’a d’ailleurs confirmé que Rima Hassan disait que Bachar el-Assad était un moindre mal pour la Syrie.
Ensuite, Rima Hassan n’a jamais reconnu ce que la France lui avait apporté, alors qu’elle y est arrivée à 9 ans. Pour ma part, la France, où je suis arrivé à 25 ans, m’a construit, m’a sauvé la peau, m’a donné la liberté d’expression. C’est lorsque je suis rentré en Syrie treize ans après l’avoir quittée, en janvier 2025, que je me suis le plus senti français. Il ne s’agit pas d’être nationaliste mais il me semble très dangereux d’insulter la France jour et nuit et de la faire passer pour un pays colonialiste qui aurait pour ambition de détruire le Moyen-Orient, tout en faisant de l’Algérie la Mecque de la liberté, comme Rima Hassan. C’est pourtant le régime algérien qui a emprisonné l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal : zéro condamnation de sa part. Rima Hassan incarne la haine de la France et j’ai honte qu’elle nous représente au Parlement européen.
Rima Hassan s’est aussi rendue en Jordanie et au Liban en 2024 pour son projet photographique, intitulé « S’émouvoir », autour des réfugiés palestiniens. Elle y a inséré un verset djihadiste, qui signifie que ceux qui sont morts au nom de Dieu ne sont pas vraiment morts et qu’ils sont vivants au paradis de Dieu : il est au fondement du discours d’Al-Qaïda, de Daech, du Hamas, et l’inspiration principale des martyrs du djihad islamique dans le monde entier. C’est le verset le plus dangereux du Coran, après un autre qui appelle à préparer des attentats.
Je veux finir par vous livrer des éléments exclusifs qui ne sont pas dans mon livre. On a beaucoup parlé ces derniers mois de la flottille pour Gaza. Certains soupçons donnaient déjà Zaher Birawi, un collaborateur du Hamas, pour son organisateur. Mais la presse n’a pas encore révélé que Mohammed Sawalha, fondateur et militant armé du Hamas en Cisjordanie, aujourd’hui réfugié au Royaume-Uni, est lui aussi très actif dans cette initiative. À ce propos, l’élément le plus grave est que Zaher Birawi, journaliste pour la chaîne de télévision islamiste Al-Hiwar – le « dialogue », en arabe –, ait interviewé Ismaël Haniyeh, l’un des chefs du Hamas qui a appelé, en parlant des flotilles, à briser le blocus de Gaza afin de changer la politique internationale. Faut-il d’autres preuves pour affirmer que la flottille pour Gaza n’a rien à voir avec le transport d’aide humanitaire à destination des civils de Gaza, mais qu’elle participe d’un projet politique islamique à la gloire du Hamas ?
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Selon vous, le 8 septembre 2024, Mme Hassan, M. Portes, M. Bompard et Mme Soudais se seraient rendus à une manifestation place de la Nation en présence d’Elias d’Imzalène, un conseiller politique d’Urgence Palestine fiché S. Sous le regard des députés, les discours auraient enchaîné des slogans peu conventionnels comme « Israël assassin ; Macron complice », ou, en arabe, « Du fleuve à la mer, la Palestine est arabe » – une invitation claire à l’éradication d’Israël. Vous avez également identifié Ramy Shaath, emprisonné en Égypte entre 2019 et 2022 pour soutien à une organisation terroriste, et qui a publié sur sa page Facebook : « Si Gaza brûle, Paris brûlera aussi. ». Les députés auraient pris la parole et déployé une banderole en soutien à la libération de George Ibrahim Abdallah, terroriste libanais du FPLP. Pouvez-vous confirmer ces éléments ?
M. Omar Youssef Souleimane. Ramy Shaath est un militant palestinien qui a été emprisonné en Égypte pour apologie du terrorisme avant de venir en France. Il tient un discours antisémite sans réserve. Le 8 septembre, place de la Nation, il a désigné en arabe les Juifs – il a vraiment employé le mot arabe, yahud, qui signifie juif – comme étant des ennemis. Lorsqu’Omar Alsoumi a traduit ses propos en français, il a remplacé le mot « Juifs » par le mot « Israéliens ». Était aussi présent Elias d’Imzalène, prédicateur salafiste, qui est arrivé avec Rima Hassan. Je l’ai filmé quand il a pris la parole à la fin de la manifestation. J’étais face à lui mais je précise que j’étais grimé, comme je l’étais en Syrie lorsque je participais aux manifestations contre le régime de Bachar al-Assad – c’est terrible, je n’aurais jamais imaginé devoir faire une telle chose pour pratiquer mon métier ici en France. Il a appelé à mener une intifada à Paris et dans la banlieue parisienne, a salué ceux qui, à Gaza, renversent les Merkavas, a formulé le souhait de pouvoir prier à Jérusalem, capitale de toutes les révoltes.
J’étais entouré de jeunes venus en toute bonne foi. Certains ne savaient pas ce que voulait dire « intifada » et je suis sûr et certain qu’ils n’auraient pas applaudi Elias d’Imzalène s’ils avaient connu la signification de ce mot. Le chaos, que vous évoquiez, ce prédicateur l’incarne en lançant de tels appels. Ces discours manipulateurs m’ont mis dans une telle colère que j’ai publié ma vidéo de la manifestation sur X, ce que j’évite de faire habituellement. L’association LEA – Lutte pour l’égalité contre l’antiracisme – s’en est servie pour porter plainte contre Elias d’Imzalène et j’ai été harcelé par ses soutiens lorsque je me suis rendu au tribunal. Ses propos sont très dangereux. Lors du procès, il a déclaré que l’intifada pouvait être menée dans le cadre de la démocratie française, ce qui est complètement faux. Rappelons que la première fois que ce terme a été utilisé, c’est par le Hamas, l’année de sa création, en 1987. Nous avons vu les résultats de cette première Intifada : combien de milliers de personnes ont été tuées, combien de civils ont été assassinés entre 1987 et 1993, année des accords d’Oslo ? Et que dire de la deuxième Intifada, dans les années 2000, dans laquelle le Hamas s’est impliqué de manière grave ? Je ne pense pas du tout que l’intifada puisse être pacifique, c’est un mot de haine qui doit être interdit en France. Elias d’Imzalène a aussi appelé à renverser les Merkavas, les blindés qui font la fierté de Tsahal, l’armée israélienne. Il s’est défendu en affirmant qu’il saluait les enfants qui jetaient des pierres contre Tsahal, référence à la deuxième Intifada. Or là encore, c’est faux : ceux qui s’attaquent à ces tanks, ce sont uniquement les membres du Hamas ou du Djihad islamique.
Un mot sur Amar Lasfar, prédicateur islamiste, ancien président de MF, Musulmans de France, pour illustrer la stratégie très intelligente de l’islamisme en France. Elle est fondée sur la taqiya, mot que l’on peut traduire par « dissimulation », à laquelle ont recours les Frères musulmans et le Hamas : elle consiste à cacher son propre projet en disant des choses qui n’ont rien à voir avec ce qu’on fait. Il s’agit de se préparer pendant des années, notamment pour commettre un attentat. Je citerai ici un verset du Coran : « Préparez-vous à terroriser vos ennemis et les ennemis d’Allah ». C’est ainsi que les talibans ont pu revenir au pouvoir en 2021 alors que tout le monde pensait qu’ils avaient disparu depuis 2001. Les islamistes sont présents parmi nous en France et ce n’est pas du complotisme que de le dire : c’est une vérité, nous avons creusé la question.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous faites état dans votre livre d’une véritable complicité entre les imams de France et La France insoumise. Sur quels cas vous êtes-vous fondé ?
M. Omar Youssef Souleimane. Amar Lasfar a déclaré dans les années 1990 qu’il s’agissait d’arriver au Parlement, à l’Assemblée nationale, grâce aux élections ou même à un coup d’État. Ce même Amar Lasfar, après la loi contre le séparatisme, a affirmé qu’il croyait dans la loi de 1905, à la séparation entre l’Église et l’État, à la République. La première déclaration a été faite en arabe, la deuxième, en français : cela me paraît éclairer ce qu’est la dissimulation.
Lors de la campagne présidentielle de 2022, Hani Ramadan, frère de Tariq Ramadan, a appelé à voter pour Jean-Luc Mélenchon. Rappelons qu’il s’agit d’un prédicateur extrêmement dangereux, interdit de séjour en France du fait de propos djihadistes, terroristes même – il vit en Suisse. La France insoumise est soutenue par des chaînes islamiques comme Al-Jazira, Al-Mayadin ou des associations comme Urgence Palestine et Perspectives musulmanes. Lors des élections législatives de 2024, un prédicateur extrêmement dangereux, Vincent Souleymane, a aussi appelé à voter pour les candidats LFI.
On pourrait se dire que si des membres d’associations radicales, des djihadistes, des islamistes soutiennent LFI, c’est parce qu’ils se sentent menacés par un discours extrémiste et discriminatoire, et que LFI n’y est pour rien. Mais LFI collabore avec eux et ce, pour une raison principale, arriver au pouvoir, les témoignages que j’ai rassemblés dans mon livre le montrent. Il a manqué à Mélenchon 420 000 voix pour accéder au deuxième tour en 2022, et pour se maintenir au second tour en 2027, il compte sur les voix des musulmans. J’ai enquêté sur le vote des musulmans pour Mélenchon aux présidentielles ou pour un candidat LFI aux législatives de 2024 : beaucoup d’entre eux ne l’ont fait ni pour LFI, ni même pour la France, mais pour Gaza, ce que je trouve extrêmement dangereux.
Nagib Azergui a fondé l’Union des démocrates musulmans français (UDMF), seul parti musulman de France. Cela n’a jamais marché car, depuis l’entrée en vigueur de la loi contre le séparatisme en 2021, les partis politiques musulmans ont perdu leurs chances de fonctionner. Tous les éléments que j’ai pu rassembler montrent, d’après moi, que les islamistes utilisent LFI comme un cheval de Troie : ils se cachent derrière ce parti pour arriver au pouvoir et recueillir des avantages politiques. Ce qui m’a vraiment fait froid dans le dos, c’est la déclaration qu’a faite Nagib Azergui sur le site Ultrasawt, qui appartient au Qatar, donc aux Frères musulmans, selon laquelle les imams en France comptaient sur leur collaboration avec La France insoumise. De quelles preuves supplémentaires a-t-on besoin ?
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous mentionnez l’appui du Qatar, soutien des Frères musulmans, et de la chaîne Al-Jazira à LFI. Est-ce à dire que les liens entre islamistes et LFI sont alimentés par des puissances étrangères ?
M. Omar Youssef Souleimane. Ils sont alimentés de manière indirecte. J’ai tenu un décompte des fois où la chaîne AJ +, branche de la chaîne Al-Jazira destinée aux jeunes, a soutenu Sébastien Delogu et d’autres députés LFI, a fait l’éloge du Hamas ou même de Ahed Tamimi, palestinienne ayant été emprisonnée en Israël, qui a déclaré après le massacre du 7 octobre : « Vous allez même oublier ce qu’Hitler vous a fait ». Al-Jazira comme d’autres chaînes fréristes du Moyen-Orient soutient sans réserve La France insoumise.
Bien sûr, se pose la question du financement par le Qatar. Personnellement, j’estime qu’AJ + devrait être interdite en France du fait des deux lignes éditoriales qu’elle promeut : d’une part, accroître la haine envers la France, la traiter comme un pays arriéré, dangereux, sans sécurité, un pays islamophobe ; d’autre part, glorifier les islamistes et les imams radicaux en France tout comme LFI. Ce rôle joué par le Qatar, je l’ai documenté. Je parlerai maintenant de mes soupçons : le Qatar financerait des projets en France à la gloire ou au profit des Frères musulmans et de La France insoumise.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous avez mentionné les noms d’élus de La France insoumise et d’extrême gauche qui participent à ces manifestations. Selon vous, ont-ils conscience de la dangerosité de certaines personnes qu’ils côtoient ? S’agit-il pour eux simplement d’une volonté électoraliste de surfer sur Gaza et d’aller chercher l’électorat musulman ?
M. Omar Youssef Souleimane. Trois semaines avant la publication de mon livre, Plon, ma maison d’édition et moi-même avons reçu une lettre de mise en demeure de la part de La France insoumise qui voulait obtenir l’envoi d’un exemplaire dans un délai de vingt-quatre heures. Recevoir cette lettre ici a été très dur pour moi. En Syrie, où j’ai pratiqué le journalisme pendant sept ans, à chaque fois que j’ai publié une enquête ou un article, j’ai été humilié, parfois même frappé, par les services de renseignement. Jamais je n’aurais imaginé que treize ans plus tard, je tomberais en France sur des politiques voulant me faire taire. Une semaine après cette mise en demeure, LFI a lancé une action en justice pour obtenir la communication de mon ouvrage avant sa parution et le juge a refusé leur demande. Comment, en 2025, un parti politique français peut-il exiger d’avoir un livre avant sa parution ? Ont-ils peur à ce point d’un journaliste qui ne fait que son métier ? Manuel Bompard a justifié cette action en déclarant qu’ils avaient besoin d’un exemplaire pour se préparer à porter plainte pour diffamation. Comment peuvent-ils affirmer qu’il y a diffamation sans avoir lu le livre ? C’est vraiment n’importe quoi, et je suis gentil !
Je pense à 1 000 % que La France insoumise sait ce qu’elle fait. Ils le savent tous. Ce n’est pas de l’aveuglement. Cela fait plus de douze ans qu’avec d’autres journalistes, nous menons des enquêtes et publions des articles sur ce sujet. J’écris pour des journaux largement lus comme Le Point ou L’Express. Les membres de La France insoumise ne lisent-ils pas ces articles comme tout le monde ? Le Figaro a publié l’année dernière une longue enquête que j’ai consacrée aux liens entre La France insoumise et les islamistes : pourquoi ne l’ont-ils pas lue ? Soit les députés de La France insoumise ignorent que les gens avec qui ils manifestent sont dangereux, et c’est condamnable car tout le monde sait qu’il y a un danger islamiste ; soit ils en ont conscience, et c’est encore plus grave. Et, à mon avis, ils le savent à 100 %.
Pourquoi agissent-ils ainsi ? L’idéologie de La France insoumise, surtout de Mélenchon, est de créer un affrontement social. Quand une députée comme Sophia Chikirou dit que la Chine n’est pas une dictature, croit-elle à ce qu’elle dit ? Est-ce un lapsus ? Non car, à mon avis, elle le fait exprès. Quand La France insoumise participe à ces manifestations, elle le fait exprès. Mélenchon a fait récemment un doigt d’honneur à Benjamin Duhamel qui l’interviewait sur France Inter. Comment accepter cette vulgarité, cette intimidation, cette agression ? C’est horrible ! Ils le font exprès pour créer le chaos en France. Mélenchon vient d’un milieu trotskiste qui souhaite diviser le peuple français pour le dominer et le diriger.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous dites que votre ouvrage a pour but de protéger les musulmans de France, pris en otage par les islamistes et les partisans de LFI. Comment, selon vous, les pouvoirs publics peuvent-ils lutter efficacement contre l’islamisme sans stigmatiser les musulmans ? Avez-vous connaissance de mesures prises par des États étrangers qui seraient de nature à nous inspirer ?
M. Omar Youssef Souleimane. Parmi les États étrangers, vous serez peut-être surpris si je cite l’Arabie Saoudite. J’y ai vécu pendant trois ans au moment des attentats du 11 septembre. C’était un pays radical mais vous pouvez voir aujourd’hui dans la société les progrès qui ont été faits. J’évoquerai aussi les Émirats arabes unis, l’Égypte et même la Jordanie, pays dans lequel, depuis le mois d’avril dernier, les Frères musulmans sont considérés comme une organisation terroriste. Qu’est-ce qu’on attend en Europe, franchement ? Ils se présentent comme des terroristes, leur projet est radical, on ne peut jamais leur faire confiance. En Syrie, ils ont demandé la réouverture de leurs bureaux à la suite de la chute du régime de Bachar al-Assad, et les dirigeants de ce pays, qui sont islamistes, leur ont opposé un refus, non parce qu’ils n’aiment pas les Frères musulmans – bien sûr qu’ils les aiment – mais parce qu’ils ne veulent pas déranger certains pays comme les Émirats ou l’Arabie Saoudite qui aident à financer les politiques du pays.
La première série de mesures à prendre, c’est l’interdiction des Frères musulmans, à considérer comme une organisation terroriste, et de toute association ou de toute chaîne appelant à la haine, à l’antisémitisme, au séparatisme et glorifiant le Hamas. Aucune tolérance n’est possible. Et je reviens à votre question : il s’agit de protéger les musulmans. Ils vivent depuis toujours en France. Dans les années 1990, ils étaient nombreux et il n’y avait pas les problèmes qu’il y a aujourd’hui.
Je vais vous donner un exemple. En Syrie, dans les années 1970, ma grand-mère n’était pas voilée, comme la plupart des femmes dans ce pays à cette période. L’islam politique – je parle des Frères musulmans – n’était pas aussi présent. Je suis tombé sur des photos de ma grand-mère à la plage avec ses potes en train de s’amuser. Cela m’a beaucoup surpris car j’ai grandi dans un monde où toutes les femmes étaient voilées. J’ai demandé à ma mère pourquoi ma grand-mère n’était pas voilée et elle m’a répondu qu’à l’époque, elle ne savait pas ce qu’était la vraie religion. Plus tard, une fois adulte, j’ai creusé la question : j’ai découvert que les Frères musulmans, quand ils ont perdu la bataille contre Hafez al-Assad en 1982, ont commencé à s’infiltrer dans la société. Ils ont manipulé surtout les jeunes en présentant la femme voilée comme une femme libre, une femme désirable parce qu’elle garde son corps uniquement pour son mari, au contraire d’une femme non voilée, qui est une femme sans valeur, un simple objet. Petit à petit, les jeunes ont commencé à porter le voile. Porter le voile n’a jamais été un geste religieux, c’est un acte politique. C’était pour ces femmes comme un drapeau : montrer que l’on est croyante, que l’on est sunnite. Et je trouve, malheureusement, que c’est une attitude très présente en France. Pour ne pas être mal compris, je tiens à préciser que je suis contre l’interdiction totale du voile.
Après l’interdiction des Frères musulmans, de certaines associations ou chaînes, le deuxième axe d’action, très important à mon avis, c’est de cultiver la laïcité chez les jeunes, surtout ceux qui sont d’origine maghrébine ou d’origine dite musulmane. Depuis cinq ans, j’anime des ateliers d’écriture en banlieue parisienne, à Trappes, à Poissy, à Saint-Quentin-en-Yvelines, en collaboration avec plusieurs associations. Quand je demande aux jeunes qui y participent s’ils se considèrent comme français, ils me disent qu’ils ne sont pas français, qu’ils sont avant tout algériens, marocains, musulmans. Pourtant, ils ne savent rien de l’islam. Ils n’ont jamais lu le Coran. Ils ne sont jamais allés en Algérie mais ils veulent être algériens pour ne pas être français. C’est tout ! Pour ces jeunes, la citoyenneté, la laïcité, le fait d’être français, c’est être arriéré, cela renvoie au colonialisme et au racisme. Ceux qui nourrissent ces théories horribles et atroces, ce sont des gens comme Rima Hassan ou les membres de La France insoumise. Il faut aller dans les villes les plus précaires de France et organiser des débats, des ateliers d’écriture pour cultiver la laïcité.
M. Nicolas Dragon (RN). Dans votre livre, vous mettez en avant les rapprochements d’une partie de la gauche avec les tenants d’un islam politique conservateur, voire avec les islamistes. Cela peut sembler antinomique avec certains combats comme l’égalité entre les sexes. Comment qualifieriez-vous ce jeu ? Qui sont les idiots utiles de qui ?
M. Omar Youssef Souleimane. Plutôt que de la gauche, je préfère parler des gauches car il y en a plusieurs. C’est à la gauche radicale, plus particulièrement à La France insoumise que je m’intéresse. Je n’ai pas creusé la question de l’égalité femmes-hommes mais j’ai pu faire certains constats pour ce qui me concerne. Je suis considéré comme un malheureux réfugié, un petit migrant. Pire, une bonne partie de la gauche me voit comme l’Arabe de service récupéré par l’extrême droite. C’est tellement triste. Stigmatiser une personne qui fait son travail de journaliste en la renvoyant tout le temps à son origine au lieu de voir en elle un citoyen comme les autres, c’est du racisme. Ça n’a rien à voir avec l’égalité, qui est l’un des principes essentiels de la gauche.
M. Nicolas Dragon (RN). Vous avez parlé des jeunes musulmans et des jeunes d’origine maghrébine en rappelant qu’il fallait enseigner la laïcité. Les discours séparatistes s’appuient souvent sur la mémoire coloniale pour culpabiliser et pour mobiliser une partie de la jeunesse, créant ainsi les conditions d’un affrontement social. Cette repentance n’a-t-elle pas également été rendue possible par la complaisance ou l’inaction des gouvernements successifs en France ?
M. Omar Youssef Souleimane. J’ai déjà répondu à cette question. Ils envisagent en effet d’amplifier l’affrontement en France.
M. Nicolas Dragon (RN). Les islamistes ont réussi à populariser l’amalgame selon lequel critiquer la religion reviendrait à la remettre en cause ou à s’y opposer. Avoir fait intérioriser cette idée à de nombreux Français, n’est-ce pas l’une des plus grandes victoires de l’islamisme en France ?
M. Omar Youssef Souleimane. La victoire de l’islamisme en France, c’est l’imposition d’un projet qui change les normes sociales. Quand on va dans certaines cités, dans certains quartiers, on constate qu’il y a une ambiance islamique qui change les normes. Cela n’a rien à voir avec le fait d’être musulman. Il faut préciser qu’il y a une grande diversité chez les musulmans de France : on peut avoir un musulman qui ne sort pas de la mosquée, un musulman qui boit de l’alcool, un musulman qui ne croit même pas en Dieu, un musulman qui considère l’islam comme une identité, un autre comme une culture, une musulmane voilée, une musulmane non voilée. On est 5 millions et quand je dis « on », c’est que moi aussi je suis considéré comme musulman alors que je suis le dernier à pouvoir l’être sur cette planète, étant apostat depuis l’âge de 18 ans. Associer le fait d’être musulman à une race ou à l’immigration, c’est très dangereux. Inventer une identité aux musulmans de France, c’est un projet de l’islamisme et de l’extrême gauche et les premières victimes de ce projet, ce sont nos compatriotes musulmans.
Mme Constance Le Grip (EPR). J’espère que d’autres avant moi ont salué votre courage. Nous sommes heureux que votre maison d’édition soit allée jusqu’au bout et que votre livre ait pu paraître. J’avoue humblement ne pas avoir encore achevé sa lecture. Je me félicite de voir que la presse française s’est fait l’écho de beaucoup des résultats de vos investigations et j’espère qu’elle en parlera davantage encore. En exposant la compromission, la complaisance, la complicité de certains membres de La France insoumise avec les réseaux islamistes, vous donnez quelques clés pour comprendre cet alliage qui peut sembler a priori contradictoire avec l’égalité que promeut l’extrême gauche. On s’attendrait à la voir du côté de ceux qui refusent de s’incliner devant les religieux alors que nombre de ses membres ont des accointances avec ceux qui prônent la théocratie. Il y a là du cynisme électoral, du clientélisme, de l’opportunisme. Vous avez fait allusion au second tour de l’élection présidentielle et aux quelques centaines de milliers de voix qui ont manqué à Jean-Luc Mélenchon pour se qualifier. Nous voyons bien comment les « ingénieurs du chaos » œuvrent. La stratégie suivie par certains, notamment La France insoumise, penche du côté de l’affrontement et de la conflictualité.
Quel est, selon vous, le dessein des uns et des autres ? S’agit-il d’islamiser notre pays, de le transformer totalement, de mettre à bas la République fondée sur la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité pour la remplacer par une société islamisée et nouer des alliances avec certaines puissances étrangères ?
M. Omar Youssef Souleimane. L’objectif, c’est exactement cela. Le vrai scandale, ce n’est pas que les islamistes avancent, car c’est dans leur nature de vouloir avancer et ils avancent partout en Europe – au Royaume-Uni et en Allemagne, en particulier –, ainsi qu’en Égypte et au Moyen-Orient. Non, le vrai scandale, c’est que La France insoumise leur ouvre la porte pour avancer.
Vous avez évoqué le clientélisme de La France insoumise. Cette complicité avec le communautarisme des Frères musulmans est politique : les musulmans votent. Ce sujet a été largement abordé ces deux dernières années. Tout le monde est au courant. Dans mon enquête, je vais très loin. Youssef al-Qaradaoui, l’un des fondateurs des Frères musulmans, qui a vécu au Qatar, a parlé de former des « îles musulmanes » en Europe, chaque petit groupe musulman devant créer sa propre société. Sur Al-Jazira, il a évoqué l’avenir des musulmans sur ce continent. L’islam est une religion de prédicateurs : il faut qu’elle rassemble toujours plus de personnes. On crée une société musulmane pour finir avec un État islamique. Cela n’a rien à voir avec les musulmans en tant qu’individus, je le redis. Tout cela, nous le voyons de nos yeux. Dans mon livre, j’ai rassemblé le plus grand nombre d’éléments concrets pour mettre fin à cette tragédie : le danger est présent de plus en plus, il nous entoure.
Si on n’interdit pas ces associations terroristes en France, si on ne coupe pas le robinet des financements du Qatar, qui aide les chefs islamiques dans ce pays, si on n’encadre pas La France insoumise, si on ne la condamne pas, je pense que cela va très mal finir, surtout en 2027. On ne sera pas loin d’avoir un affrontement très grave en France parce que ces gens ne croient pas en la démocratie. Je pense que La France insoumise ne croit ni en la démocratie, ni en la liberté de la presse, ni en la liberté d’expression. Ce qu’ils ont fait pour interdire ce livre est une preuve.
Mme Emmanuelle Hoffman (EPR). Je salue votre courage, parce que vos investigations n’étaient pas faciles et qu’il n’était pas simple d’en publier les résultats. Nous avons la chance d’être en France, où votre livre a pu paraître. Nous avons encore l’espoir de combattre des agissements qui ont le chaos pour seul objectif.
L’islamisme radical et ses méthodes nuisent également aux musulmans, qui sont cinq millions en France. Les islamistes agissent par le biais de l’éducation et des livres, mais aussi en s’infiltrant. Avez-vous une idée de l’ampleur de ce phénomène ? Est-ce par crainte que certains musulmans n’osent pas s’exprimer à ce sujet – ce que l’on peut comprendre – ou bien parce que le degré d’infiltration est déjà important ?
L’objectif des islamistes est politique. Vous avez évoqué l’élection présidentielle de 2027, mais elle sera précédée en 2026 par les élections municipales, qui sont elles aussi importantes et présentent des risques.
Disposez-vous d’éléments permettant de quantifier le phénomène islamiste, tant en ce qui concerne l’éducation – c’est un point fondamental, car la propagande vise les jeunes – que s’agissant de l’ampleur des dégâts – puisque la population musulmane en est également victime ?
M. Omar Youssef Souleimane. C’est un point important.
Il faut donner la parole aux musulmans en France. Cependant, ils ne doivent pas parler de ces problèmes en tant que musulmans, mais en tant que citoyens français.
Il est également très important d’insister sur un point : en France, on a le droit de critiquer l’islam et le Coran, voire de s’en moquer ainsi que de Mahomet. Ça ne doit pas être un tabou. Lors des ateliers d’écriture que j’anime dans la banlieue parisienne, je constate que nombreux sont ceux qui ont peur de critiquer le Coran.
Vous avez salué mon courage. Mais je ne suis pas courageux, je pratique ma citoyenneté. Je suis Français, c’est tout. Je critique l’islam actuellement, mais je pourrais critiquer une autre religion plus tard. Pourquoi faudrait-il que l’islam soit le sujet que l’on n’ose pas aborder en France ? Cela contribue avant tout à stigmatiser les musulmans. Il est donc très utile de banaliser ce sujet. Il faut en discuter très tranquillement, en critiquant le voile ou en parlant de Charlie-Hebdo, ou encore en critiquant toutes les religions, parce que nous sommes dans un pays laïc. C’est très clair. Il faut aussi cultiver la notion de laïcité chez les jeunes. Je supplie les responsables politiques de soutenir les projets qui vont dans ce sens.
Il existe en effet une majorité silencieuse et beaucoup de Français sont engagés sur ce sujet. Mais nous ne sommes pas unis. Nombre de journalistes, d’écrivains et d’artistes exercent une véritable influence et souhaitent s’adresser aux banlieues, mais ils ne savent pas comment faire. Je le fais en collaborant avec certaines associations, mais mon action est un cas isolé. C’est un petit projet mais j’aimerais qu’il devienne un projet national. C’est très important.
Pour cultiver la laïcité, il est très utile de se concentrer sur l’idée suivante : la laïcité est la seule chose qui protège les musulmans.
Lorsque Daech a fait de Raqqa sa capitale, on y trouvait des centaines de musulmans très pratiquants, dont des femmes qui ne portaient pas seulement un voile mais masquaient intégralement leur visage. Ils se sont pourtant échappés de Raqqa et se sont rendus dans des zones contrôlées par les Turcs, voire par le régime d’Assad. Ils ont préféré Assad à Daech, alors même qu’ils étaient très pratiquants.
Si un État islamique voyait le jour quelque part dans le monde, même les musulmans ne pourraient le supporter. Grâce à la laïcité, ils peuvent pratiquer leur religion. Il faut cultiver chez les enfants l’idée que la laïcité n’est pas contre eux, mais pour eux.
Mme Constance Le Grip (EPR). Ni vous ni nous ne sommes des théologiens. Vous avez beaucoup parlé des musulmans qui vivent en France. L’expression « islam des lumières », à défaut de s’imposer, est apparue dans le débat public. On sent bien qu’il y a encore assez peu de gens de bonne volonté pour essayer de défendre cette idée et pour dire comment elle pourrait s’opposer à l’obscurantisme du fanatisme islamiste et aux ténèbres.
Est-ce la peur ou la crainte de ne pas être compris et de se mettre à dos les membres de la communauté musulmane qui amène ceux qui voudraient promouvoir cet islam des lumières à rester silencieux et malheureusement un peu trop en retrait ?
Est-ce en raison d’ingérences étrangères ? Vous avez beaucoup parlé du Qatar. On pourrait aussi évoquer la République islamique d’Iran, ainsi que le rôle pas toujours très net joué par l’Algérie à travers la grande mosquée de Paris.
M. Omar Youssef Souleimane. Je pense qu’il y a des degrés dans l’islam. J’en reviens toujours à l’exemple de pays majoritairement musulmans, comme la Malaisie, les Émirats arabes unis ou le Koweït. Comme ils se sont débarrassés de l’islam radical, c’est-à-dire des Frères musulmans, ils n’ont plus ce problème.
En France, la situation est différente. Il convient de parler de l’islam seulement comme d’une religion, et surtout ne pas l’assimiler à une race. Actuellement, dès que l’on critique l’islam ou un aspect qui lui est lié, on est accusé d’être raciste. Mais depuis quand l’islam est‑il une race ?
Il a fallu beaucoup de temps entre la Révolution et la loi de 1905 pour arriver à séparer l’Église de l’État. Or c’étaient un autre contexte et un autre débat. Un débat clair qui opposait les catholiques pratiquants et ceux qui ne croyaient pas. Le débat actuel est complétement différent, car on nous renvoie toujours à une race, à l’immigration ou à l’étranger, dans le but de créer des tabous destinés à empêcher de critiquer une religion qui s’appelle l’islam.
L’idée d’islam des lumières est intéressante car elle permet de traiter cette religion comme un rite qui relève seulement de l’espace privé.
L’année dernière, j’ai mené une enquête en visitant des librairies musulmanes à Argenteuil, à Aubervilliers et à Paris. J’ai été particulièrement choqué de trouver des livres de prédicateurs interdits en Syrie et en Arabie Saoudite. Ils sont vendus ici ! J’ai découvert des livres d’al-Qaradaoui. C’est insupportable ! Al-Qaradaoui était un terroriste. Il lui était d’ailleurs interdit d’entrer sur le territoire depuis une décision de Nicolas Sarkozy, parce qu’il appelait très clairement à commettre des attentats. On trouve aussi des livres qui conseillent de frapper les enfants.
Pour moi, c’est très simple : l’islam doit s’adapter à la République. Ce n’est pas à la République de s’adapter à l’islam. C’est valable pour n’importe quelle religion.
Mme Emmanuelle Hoffman (EPR). Les livres que vous avez mentionnés sont-ils donnés ou vendus ?
M. Omar Youssef Souleimane. Le point que vous soulevez est très important. Certains de ces livres doivent coûter une fortune à éditer. Cela se voit à leur qualité. Pourtant, ils sont vendus à un prix très bas.
Lors de mon enquête, j’ai essayé pendant des jours de contacter les libraires, mais personne ne m’a répondu.
M. le président Xavier Breton. Merci pour ces éléments. Vous pouvez les compléter si vous le souhaitez en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été adressé. N’hésitez pas à nous transmettre tout autre élément que vous jugerez utile.
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5. Audition, à huis clos, de la Direction nationale du renseignement territorial (DNRT), ministère de l’Intérieur (16 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Mes chers collègues, je rappelle que notre audition se déroule à huis clos et qu’il est interdit de divulguer toute image ou tout propos tenu dans cette salle.
Monsieur Chamoulaud, vous dirigez le service de renseignement créé le plus récemment, en 2023, à la suite de la réorganisation du renseignement français. Il est néanmoins indispensable pour appréhender et anticiper certains phénomènes dans nos territoires. Parmi les divisions composant votre direction se trouvent en effet une sous-direction des phénomènes sociaux et sociétaux ainsi qu’une sous-direction de la prévention du terrorisme, du repli identitaire et des dérives urbaines.
Nos travaux portant sur les mouvements islamistes en France et leur stratégie pour nouer des liens avec les élus nationaux ou locaux, je souhaiterais que vous nous indiquiez tout d’abord comment vos services identifient la présence de mouvements islamistes dans un territoire. S’appuient-ils sur l’identification de certaines caractéristiques ou stratégies, ou évaluent-ils davantage un risque, par exemple d’atteinte aux valeurs de la République ? Par ailleurs, constatez-vous dans certains territoires des liens entre élus et mouvements islamistes ? Si oui, de quel type sont-ils ? Enfin, disposez-vous des moyens d’identifier de tels liens et, plus généralement, pensez-vous que nous devrions renforcer notre cadre juridique pour mieux caractériser certaines situations d’entrisme visant nos élus et nos institutions ?
Je vous remercie de nous déclarer, le cas échéant, tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous invite, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, à prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Bertrand Chamoulaud et M. Benjamin Baudis prêtent successivement serment.)
M. Bertrand Chamoulaud, directeur de la direction nationale du renseignement territorial (DNRT). Je me présente devant vous accompagné de mon conseiller Benjamin Baudis, et je vous remercie pour votre invitation. Le sujet d’importance que traite votre commission d’enquête est particulièrement large. Je m’efforcerai de répondre le plus exhaustivement possible à vos interrogations. Malheureusement, mon service n’est pas compétent sur tout le spectre de vos travaux, ce qui posera plusieurs limites à mon propos.
Je vais vous présenter notre service, en vous détaillant notre action et en vous précisant les domaines qui nous sont interdits. Dans un deuxième temps, je m’efforcerai de vous dresser un panorama de la menace en matière de terrorisme islamiste et d’atteinte à la cohésion nationale.
La DNRT constitue le service de renseignement de la direction générale de la police nationale (DGPN). Elle travaille également au profit de la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). À ce titre, nous élaborons un renseignement généraliste, centralisé et national à l’intention de nos autorités administratives – les préfets, le directeur général de la police et le directeur général de la gendarmerie nationale – et du pouvoir exécutif – le ministre de l’intérieur, le Premier ministre et le Président de la République. Mon service dispose d’environ 3 200 agents, répartis sur l’ensemble du territoire et en administration centrale, pour rechercher, collecter, analyser et exploiter le renseignement. Nous nous appuyons également sur des informations transmises par les autres services partenaires de la police nationale – la sécurité publique, la police judiciaire, la police aux frontières – et par la gendarmerie nationale.
La DNRT est compétente sur l’ensemble du territoire national, en zones police et gendarmerie, à l’exception du ressort de la préfecture de police de Paris, qui dispose d’un service de renseignement dédié, la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP). La mission globale de la DNRT consiste à anticiper, détecter, analyser et identifier les risques de mouvements revendicatifs et protestataires, les phénomènes de violence ou de remise en cause des valeurs républicaines. Cette compétence couvre tous les domaines de la vie institutionnelle, économique, sociale et sociétale.
La DNRT fait partie de la communauté française du renseignement, composée de dix services et animée par le coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT), le préfet Pascal Mailhos. Cette communauté est impliquée dans une politique publique du renseignement dont l’objectif, protéger les intérêts fondamentaux de la nation, est repris dans l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure. Le renseignement ne se fait pas sur simple décision des chefs de service ou sur commande de nos autorités ; il existe une stratégie nationale du renseignement, dont le contenu est public, qui fixe les grandes orientations et les objectifs. Elle appelle en particulier à la vigilance face à « une société française en proie aux extrémismes violents et aux idéologies séparatistes ».
Pour coordonner l’activité du renseignement, des chefs de filat ont été instaurés sur des thématiques et confiés à certains services. À ce titre, mon service est compétent en matière de lutte contre le terrorisme islamiste sunnite, mais doit répondre au pilotage et à l’animation de la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure), qui est cheffe de file en la matière. En revanche, la DNRT dispose, depuis l’été 2023, d’un chef de filat pour l’animation des services de renseignement sur les extrémismes violents – les mouvements dits d’ultradroite, d’ultragauche, les écologistes radicaux et la contestation sociétale violente. Nous disposons pour cela d’une structure permettant d’animer et de piloter l’analyse non seulement des dix services de renseignement mais aussi des services de renseignement judiciaire qui participent à la lutte contre les extrémismes violents. De même, depuis le printemps 2025, ma direction joue le rôle de pivot de l’animation des services de renseignement dans la lutte contre le séparatisme et l’entrisme islamistes en collaboration avec la DLPAJ (direction des libertés publiques et des affaires juridiques). Nous sommes chargés de l’animation des services de renseignement, tandis que la DLPAJ travaille davantage sur l’animation des départements, auprès des préfets, et sur la mise en œuvre des mesures dites d’entrave administrative.
La DNRT est organisée en trois niveaux. Le niveau central a deux fonctions : produire une analyse nationale au profit de nos autorités, mais aussi animer et coordonner l’action des services dans les territoires. Au niveau des six zones de défense et de sécurité, nos services produisent une analyse plus proche du territoire, tout en coordonnant et en soutenant l’action des services du renseignement territorial dans les départements. Enfin, notre cellule de base, de proximité et de terrain est constituée par les services départementaux du renseignement territorial, qui assurent des missions pour les préfets et les directeurs locaux de police nationale et de gendarmerie. Les services du RT (renseignement territorial) sont formatés en fonction de la taille du département et de l’activité. Nous avons un service dans chaque département, dont les effectifs peuvent aller d’une dizaine d’agents à près de quatre-vingt-dix dans le Nord ou dans les Bouches-du-Rhône.
Les agents du renseignement territorial utilisent deux méthodes de travail.
D’une part, ils ont recours à des informations disponibles en milieu ouvert – presse, médias, réseaux sociaux, tracts –, qu’ils complètent par des contacts institutionnels ès qualités, notamment avec des responsables syndicaux ou des dirigeants d’association. Ils se présentent à ces derniers pour leur exposer leur travail et leur indiquer quels renseignements ils recherchent – lors de l’organisation d’une manifestation, par exemple, pour servir d’intermédiaires avec les autorités.
D’autre part, ils utilisent des données issues du milieu fermé, lorsque nous nous intéressons à des individus potentiellement dangereux ou susceptibles de commettre des violences. Des moyens d’investigation et de surveillance sont alors mis en place. Nous avons notamment accès aux techniques de renseignement – interceptions de sécurité, écoutes téléphoniques, géolocalisations en temps réel – qui nous sont offertes depuis la loi de 2015. Elles sont bien sûr encadrées par le code de la sécurité intérieure. Une autorité administrative indépendante, la CNCTR (Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement), se prononce et donne un avis au Premier ministre, qui autorise le renseignement territorial à mettre en œuvre ces mesures dans plusieurs domaines et à plusieurs fins : prévention du terrorisme, de la criminalité organisée et des violences collectives.
Malgré les moyens et les compétences larges de la DNRT, je ne pourrai pas intervenir sur certains sujets qu’étudie votre commission d’enquête. En effet, mon service n’est pas compétent pour le suivi des représentants et des structures politiques. Ces quarante dernières années, le suivi de la vie politique par les renseignements généraux et le renseignement territorial a été progressivement supprimé : retrait en 1991 du décret autorisant le recueil d’informations sur les opinions politiques ; fin du suivi des partis politiques en 1994 ; abandon de l’activité de prévisions électorales dans les années 2000. Aujourd’hui, le suivi des partis politiques et de la sphère privée de leurs membres est formellement exclu de notre compétence.
Qui plus est, je ne pourrai pas vous dévoiler des informations couvertes par le secret de la défense nationale. Nous sommes habilités au secret de la défense nationale au titre de l’instruction générale interministérielle n° 1300. En tant que chef et agent d’un service de renseignement, je suis soumis devant vous à une obligation de secret, qui n’existe pas, en revanche, devant la délégation parlementaire au renseignement.
Enfin, je ne pourrai pas aborder certains domaines réservés à des services partenaires : la DNRT ne disposant que d’une compétence associée en matière de terrorisme, c’est la DGSI qui dispose de la légitimité pour évoquer ces questions. Surtout, nous n’avons pas de compétences judiciaires, même si nous travaillons parfois avec les services judiciaires et si nous pouvons avoir des contacts avec des magistrats.
Pour en venir à l’objet de votre commission, la DNRT dépend du ministère de l’intérieur, qui est aussi le ministère des cultes. Nous assurons un suivi de toutes les religions en France, depuis les trois grandes religions monothéistes jusqu’aux religions et spiritualités plus confidentielles. La DNRT assure également un suivi et une analyse des mouvements qui relèvent de l’islamisme, c’est-à-dire la défense d’un projet politique de société ou de vie inspiré de certains préceptes islamiques. L’idéologie islamiste est très variée dans ses objectifs et dans ses méthodes, depuis le djihadisme justifié par le salafisme jusqu’à l’islam politique prôné par les Frères musulmans, en passant par le prosélytisme fondamentaliste des tabligh. Sous toutes ses formes, l’idéologie islamiste et sa mise en œuvre constituent une menace majeure pour la sécurité et la cohésion nationales.
L’exemple le plus évident et le plus tragique de cette atteinte a trait aux actes terroristes islamistes. Je ne suis pas légitime pour vous en dresser un panorama complet – Céline Berthon, la directrice générale de la DGSI, a dû le faire – mais depuis 2015, la lutte contre la radicalisation islamiste à potentialité violente a été copieusement renforcée, avec notamment l’attribution d’une compétence en la matière au renseignement territorial. Avant 2015, nous limitions notre action à ce que l’on appelait l’islam de France. Désormais, au titre du suivi des individus radicalisés à potentialité violente, répertoriés dans le FSPRT (fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste), nous disposons du deuxième portefeuille, après la DGSI, avec 870 individus dits du bas et du milieu du spectre – la DGSI s’occupe du haut du spectre, c’est-à-dire des individus qualifiés comme relevant de mouvements terroristes ou ayant accès à des armes ou ayant des liens avec l’étranger. Nous prenons les signalements de base, révélés par d’autres administrations, par la plateforme CNAPR (Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation violente) ou par d’autres structures. En 2024, malheureusement, pour la première fois, un individu de notre portefeuille est passé à l’acte. Le procureur national antiterroriste s’en est saisi. Puis il y a eu l’affaire de Mulhouse en février 2025, avec un mort et trois blessés graves du fait d’un individu schizophrène que nous avions dans nos capteurs – malheureusement, ça n’a pas suffi à empêcher le passage à l’acte.
Nous évaluons, au total, entre 3 000 et 5 000 individus par an sur l’ensemble du territoire national. Parfois, un parent qui s’inquiète du changement de comportement de son adolescent fait un signalement, avant qu’on se rende compte que cela n’avait rien à voir avec de la radicalisation et que ce n’était qu’un écart de jeunesse. Cet individu ne sera pas comptabilisé dans le fichier.
Comme je vous le disais, il est interdit à mon service d’assurer un suivi individuel des représentants politiques ou de suivre l’activité des partis. Je ne pourrai donc pas dresser un état des soutiens ou des liens que des élus auraient avec le terrorisme. En revanche, je peux vous dire que parmi les 870 individus que nous suivons et parmi ceux que nous avons suivis depuis que nous avons accès au FSPRT, nous n’avons pas établi de liens entre eux et des structures ou des partis politiques, qui auraient pu permettre un passage à l’acte ou en tout cas une bascule dans la phase de radicalisation à potentialité violente. Mon service a cependant suivi des événements d’ordre public en lien avec une personne condamnée pour des infractions terroristes, notamment lors des manifestations de soutien à Georges Ibrahim Abdallah, qui ont réuni plusieurs milliers de personnes. Dans la mesure où il s’agit d’actions de visibilité sur la voie publique, nous n’avons pas d’intérêt à suivre le fait que des élus ou des représentants de partis y assistent. Ce sont des choses que l’on peut voir en milieu ouvert.
La menace que représente l’islamisme repose sur les notions de repli identitaire et de stratégie séparatiste. Dans son discours des Mureaux en 2020, M. le Président de la République définissait le séparatisme islamiste comme un « projet conscient, théorisé, politico-religieux qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la Constitution d’une contre-société […] ». Nous constatons la création de plusieurs écosystèmes séparatistes en France : des territoires où des lieux de culte fondamentalistes et des associations communautaires ambitionnent d’encadrer la population musulmane dans tous les aspects de la vie quotidienne, de la naissance au décès. Ces quartiers marqués par un repli communautaire sont souvent des territoires qualifiés de défavorisés, où les structures islamistes se sont imposées parfois face à un manque de services publics, et souvent de structures sociales et économiques. Cela conduit à créer un mode de fonctionnement autarcique qui contribue à séparer cette communauté de la collectivité, mettant à mal le vivre-ensemble localement et la cohésion nationale.
Pour ne citer qu’un exemple évoqué dans le rapport sur les Frères musulmans et l’islamisme politique en France paru cette année, la région lyonnaise se caractérise par huit lieux de culte et une cinquantaine d’associations affichant une sensibilité frériste ou proche de leurs structures, notamment de l’Union des jeunes musulmans. Ces associations œuvrent dans des domaines aussi variés que la formation religieuse, l’insertion socioprofessionnelle, la protection des consommateurs et la lutte contre l’islamophobie.
De plus, l’école laïque, institution clé de la cohésion nationale, fait face à des remises en cause croissantes par des élèves ou des parents d’élèves se revendiquant d’un islamisme séparatiste. Ces atteintes aux principes de laïcité et de neutralité comprennent par exemple le port de signes ou de tenues ostensiblement religieux, la perturbation de cours intéressant de près ou de loin la morale islamique – cours de sciences et vie de la terre, de philosophie, d’histoire – voire leur boycott à certaines périodes de fêtes religieuses – cours de dessin, de musique, de sport, de natation. Je citerai une enquête de l’Ifop de 2022, que vous connaissez sûrement – elle date un peu mais la situation ne s’est pas améliorée : 53 % des enseignants expriment que des enseignements font l’objet de contestations dans leur école ou établissement scolaire. Ce chiffre était de 38 % en 2018.
Ce phénomène s’est notablement développé à partir du premier trimestre de l’année 2021-2022, notamment marqué par l’irruption massive d’abayas dans les établissements scolaires publics du secondaire. À la rentrée 2023, une circulaire a été prise par le ministre de l’éducation nationale de l’époque, Gabriel Attal, pour rappeler la règle. Elle a été un outil décisif pour limiter le port des tenues religieuses et traditionnelles à l’école. Le sujet n’a pas disparu mais il est vraiment retombé, parce que les équipes pédagogiques ont reçu une consigne claire et que la règle a été rappelée. Lorsque l’on rappelle les règles et qu’il y a des textes forts, que l’on a le courage de dire quelles sont les règles de la République et de la démocratie, ça aide et ça a des effets.
Nous faisons face à des pics d’atteintes à la laïcité, notamment à certains moments de l’actualité – malheureusement, l’actualité internationale est riche en la matière –, mais aussi à l’occasion de commémorations des attentats contre les professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard – cela a été plutôt calme cette semaine, mais il y a quelques années, il y avait beaucoup de contestations lors des minutes de silence, par exemple.
En dernier lieu, l’islamisme représente un risque particulièrement insidieux en ce qu’il peut s’accompagner d’une stratégie d’entrisme portée principalement par la confrérie des Frères musulmans. Comme l’a dit M. le ministre Retailleau lors de son discours à Londres en mars 2025, l’islamisme ne saurait aboutir à « retourner nos principes libéraux contre la liberté elle-même ». Les Frères musulmans ont l’ambition de faire évoluer la France, à terme, vers une société où s’appliquent la charia et des normes islamiques fondamentalistes, en profitant du cadre démocratique libéral français. Ce ne sera pas par des méthodes violentes ni par des actions très visibles, mais grâce à l’entrisme. Cette stratégie repose sur des individus acquis à leurs idées qu’ils cherchent à positionner à des postes stratégiques, par exemple dans la recherche, dans des comités d’entreprise, dans divers conseils d’élus – non seulement ceux des municipalités ou des départements mais aussi dans des Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires) ou ce type de structures.
En parallèle, grâce à leur contrôle sur une centaine de mosquées, ils essaient de diffuser leurs idées auprès des fidèles qui les fréquentent, soit environ 100 000 personnes – le chiffre étant sorti dans la presse, nous pouvons l’évoquer, mais il est très difficile à établir. Les Frères présents dans ces mosquées adoptent un langage lisse, qui rend difficile toute action de l’État à leur encontre. Le double discours, la dissimulation font que les propos tenus en public ne sont pas couverts par une infraction pénale ou par des textes qui permettraient de les entraver. En revanche, on sait qu’ils ont derrière d’autres façons d’agir pour évoquer leurs principes.
L’entrisme des Frères musulmans repose également sur une victimisation. Ils dénoncent une islamophobie généralisée voire une islamophobie d’État, en amalgamant de tragiques actes antimusulmans, qui existent et que nous mesurons, comme l’attentat contre Hichem Miraoui à Puget-sur-Argens, et une supposée islamophobie d’État, qui n’est bien souvent que l’application du respect des principes de la République et des valeurs de la démocratie, dont ils font une atteinte aux valeurs de l’islam.
Cet entrisme cible explicitement la vie politique française, en particulier le niveau municipal – nous l’avons moins détecté au niveau national – afin d’obtenir des accommodements et le cadrage des enjeux électoraux sur des thèmes de prédilection par le biais d’un chantage au clientélisme. De même, l’entrisme municipal peut faire accéder à des ressources politiques – pour donner accès aux HLM, modifier le menu des cantines… –, qui permettent ensuite d’imposer leurs orientations à la communauté musulmane – par exemple comme le montre le rapport sur les Frères musulmans et l’islamisme politique en France, dans le Nord se trouve un écosystème très abouti autour de la grande mosquée de Lille mais aussi du lycée Averroès et du Centre islamique de Villeneuve-d’Ascq. Une trentaine de personnes liées à l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) sont à la tête de cet écosystème, dont certaines ont été élues à des fonctions municipales, notamment dans l’arrondissement de Valenciennes.
Pour élargir le panorama, citons également les velléités d’entrisme politique de certains groupes extrémistes radicaux ou violents, velléités séparatistes plus proches de ce qu’on qualifie d’ultragauche. Des militants anarcho-autonomes ont mis en place une stratégie de prise de contrôle de certaines structures et institutions, notamment dans le centre de la France. Dans le cadre du mouvement de la Montagne limousine, autour de la Corrèze, de la Creuse et de la Haute-Vienne, une communauté s’installe et noyaute des institutions publiques afin d’imposer ses règles anarcho-autonomistes. Elle bénéficie éventuellement des subventions et des bienfaits de l’Europe, de l’État, du département et de la région, mais critique tout le reste et cherche parfois à entrer dans ces institutions pour les modifier et créer des « mini-États autonomes ».
Les services de police et de renseignement restent entièrement mobilisés pour protéger l’ensemble de nos concitoyens et pour défendre la cohésion nationale et les valeurs communes de notre République.
M. le président Xavier Breton. Exercez-vous une vigilance particulière à l’égard du mouvement salafiste, qui est en progression ?
M. Bertrand Chamoulaud. Si je devais résumer la situation, je dirais qu’il y a trois niveaux pour nous.
Le premier concerne la radicalisation à caractère violent, qui amènerait à suivre des individus pouvant passer à l’acte terroriste.
Le deuxième concerne les courants, dont font partie les salafistes, qui sont très religieux, qui font preuve de communautarisme et d’un repli identitaire. Ceux-là veulent créer une société dans laquelle seraient privilégiées les règles de la religion, mais ils n’ont pas de velléités de modifier complètement les règles de fonctionnement de la République ou des institutions. Pour peu que la Belgique, les Pays-Bas ou la France s’accommodent d’avoir des microsociétés et les laissent tranquilles, cela leur pose moins de difficultés.
Le troisième niveau est le plus inquiétant pour nos institutions : l’islam politique. Le courant des Frères musulmans veut non seulement appliquer et mettre en avant des règles religieuses avant les règles de vie en société républicaines et démocratiques, mais il veut aussi modifier ces dernières et les façonner à sa façon, sans violence et en prenant le temps nécessaire. Les courants salafistes ont moins ces velléités politiques.
En réalité, évidemment, ce n’est pas aussi simple que ces cases pourraient le faire croire. Même s’il n’y a pas de statistiques officielles, on part du principe qu’il y a environ 5 millions de musulmans pratiquants en France. Le courant des Frères musulmans est entendu par à peu près 100 000 musulmans. Il y a quelques milliers de personnes vraiment motivées par ce courant. Quant au noyau dur, il représente autour de quelques centaines d’individus qui portent cette politique de façon forte. L’inconvénient, c’est qu’il y a un double discours et une prééminence de la loi coranique imposée sur tout le reste. Et ce qui est fort, c’est qu’ils font preuve d’un certain pragmatisme. Les règles des Frères musulmans – considérés par certains pays comme un groupe terroriste – sont connues : ils recherchent l’islam intégral. Or dans une démocratie comme la nôtre, ils sont prêts à quelques concessions et accommodements temporaires pour avancer par petites touches, dans l’espoir que dans vingt, trente ou quarante ans, la France soit une république islamique où s’applique la charia. La difficulté tient à leur forte dissimulation, ce qui brouille la visibilité par rapport à un islam orthodoxe.
Il y a des musulmans très religieux, comme les tabligh, qui n’ont pas de volonté politique. Ils ont envie d’appliquer les règles du Coran sur une bonne partie de leur vie, mais pas forcément de prendre la tête du pays. Les Frères musulmans souhaitent, quant à eux, régir la vie des musulmans dans tous les domaines, de la naissance jusqu’à la mort. Ils sont présents dans la salle de prière, à l’école coranique, dans les activités extrascolaires, les commerces, les clubs de sport, les entreprises. Finalement, les gens peuvent être pris en compte dès leur naissance, pour peu que les Frères créent une structure pour s’occuper des enfants, jusqu’à la mort, quand des associations vont envoyer le corps au pays d’origine et s’occuper des obsèques.
L’esprit est louable : il s’agit de structures de soutien, qui se substituent parfois aux structures de l’État ou de la commune pour apporter à manger et de l’aide aux indigents. Mais le but n’est pas purement charitable, puisqu’il s’agit de s’attirer la sympathie et de faire adhérer la population à leur mouvement. Ils essaient d’occuper tout l’espace de la vie d’un musulman en lui expliquant que pour l’instant, il faut respecter quand même un peu les lois de la République française, parce qu’on y est contraint, mais qu’à terme, leur loi s’imposera. L’idée est de porter des « coups de canif », en disant par exemple que les femmes doivent porter le voile en toutes circonstances, que l’on pourrait prévoir des jours pour les femmes et d’autres pour les hommes pour le sport ou la piscine.
Dans le milieu médical, il existe une association assez forte, qui recrute pas mal et qui propose que les femmes musulmanes ne soient vues que par des infirmières et des médecins femmes. Dans ce cas, pourquoi ne pas faire en sorte que les femmes musulmanes ne voient que des femmes aux urgences, et les hommes que des hommes ? Cela ferait un peu de régulation. Si l’on dit oui, le problème est que dans un an ou deux, on se demandera s’il ne faut pas deux entrées : une pour les hommes, une pour les femmes. Dans dix ans, on dira qu’il faut deux bâtiments différents. Dans trente ans, on dira qu’il n’y a finalement pas besoin de soigner les femmes. Je grossis un peu le trait et je noircis le tableau pour bien faire comprendre la démarche.
Lorsqu’ils entrent dans un conseil municipal, ce n’est pas pour exploser les valeurs de la République du jour au lendemain. Ils agissent par petites touches en réclamant des concessions, par exemple en proposant des repas halal à la cantine, en supprimant tel ou tel aliment qui n’est pas conforme. Le conseil municipal trouvera que ça ne gêne personne qu’il n’y ait que des repas halal et que ça fait plaisir aux musulmans. Ensuite, on pourrait exclure les élèves musulmans de certaines sorties scolaires, pour ne pas les choquer. Mais ce ne sont pas les règles que notre République défend pour la vie en société. Pour les islamistes, la laïcité est l’ennemie numéro un. C’est pour cela que la France est très touchée par tous ces phénomènes. C’est un principe très franco-français, et pour eux, la laïcité est vraiment le principe à abattre, plus encore la laïcité à la française. L’égalité hommes-femmes aussi leur est insupportable. Si on n’impose pas les limites de notre belle République, celles de la vie en démocratie que nous avons su construire au fil des années et des siècles, et si, par lâcheté parfois, on laisse faire de petites choses, au bout du compte, on perd le fil. La circulaire de l’éducation nationale que je citais a été très utile car, même si elle n’a pas réglé tous les problèmes, elle a donné autorité et confiance ; c’est ce que nous devons faire. Il s’agit de favoriser la conscientisation et la connaissance du phénomène, mais aussi de rappeler aux élus, aux administrations et aux magistrats qu’il existe des règles supérieures, car parfois on hésite à contrarier ceux qui refusent nos valeurs.
Au-delà des domaines de l’enseignement, de la santé, du milieu scolaire et de la vie publique, nous avons des témoignages de chefs d’entreprise confrontés à ces difficultés, mais qui n’osent pas trop en parler, car on est très vite taxé d’islamophobie et de racisme, et c’est difficile à assumer. Ils nous disent que dans leur entreprise, depuis quelque temps, ils ne peuvent pas placer une femme cadre à la tête de certaines structures parce que les salariés musulmans invoquent les règles de leur religion, qui ne sont pourtant pas des règles du droit du travail. Parfois, ce sont ces femmes elles-mêmes qui disent qu’elles ne peuvent plus exercer leur mission et demandent qu’on les change de poste. Dans le milieu des transports, nous avons des témoignages d’hommes qui ne veulent pas prendre le volant d’un bus parce qu’une femme l’a conduit avant eux, et d’autres témoignages du même ordre dans de nombreux domaines.
Si on laisse faire – et on comprend les chefs d’entreprise et certaines administrations qui, par facilité, décident qu’ils vont se débrouiller autrement et changer les horaires ou les postes –, on abandonne et c’est ce qui permet à ces gens-là de reprendre le dessus. L’extrême prudence qui fait redouter de se faire traiter d’« islamophobe », de raciste ou d’antimusulman laisse trop de champ à ces gens qui veulent absolument porter atteinte à nos vraies valeurs. Il faut donc conscientiser toutes les personnes publiques, les entrepreneurs, les élus, les magistrats et les administrations, leur expliquer et leur redonner – même si le terme n’est pas tout à fait adapté – le courage de dire : « Non, ce n’est pas possible. Ce n’est pas dans nos valeurs, qui affirment l’égalité hommes-femmes et qui ne donnent pas aux femmes une place différente. Non, le principe, c’est que le mariage soit d’abord devant M. le maire et que le mariage religieux vienne après – ce n’est pas dans l’autre sens. Non, il y a des règles à appliquer. »
Cet entrisme et cette méthode portent sur le vivre-ensemble, avec des techniques qui, je le répète, ne sont pas simples, et pour nous, services de renseignement, pas faciles à mettre au jour : dissimulation, quête de légitimation et dénonciation de l’islamophobie – ce terme qui fait peur à tout le monde, nous ne l’utilisons pas et il ne faut pas l’utiliser. Il a été porté par le courant frériste et il y a tout un historique de sa montée en puissance. Pour notre part, nous recensons les actes antireligieux visant toutes les religions. Nous ne sommes pas un service de statistiques, mais personne d’autre ne le fait et cela fait partie de notre travail. Par exemple, nous comptons tous les ans les actes antisémites, antichrétiens et antimusulmans, mais sans parler d’islamophobie. Nous avons ainsi recensé, au premier semestre 2025, 181 actes antimusulmans, en forte hausse par rapport à 2024 et à 2023 ; nous sommes capables de le dire, comme pour les actes antisémites, altérophobes et antichrétiens.
La différence est que pour les autres religions, notamment pour les communautés juive et chrétienne, nous avons des interlocuteurs fiables qui nous aident à consolider ces statistiques, lesquelles remontent par d’autres canaux. Nous vérifions alors la nature des actes. Pour caricaturer, la situation est grosso modo la suivante : si, lorsque vous êtes dans la rue et identifié comme appartenant à une religion, on vous vole votre portable, ce n’est pas pour autant un acte antireligieux, car cela peut relever du droit commun ; ou encore, si une synagogue est taguée parce qu’elle est en face d’un autre bâtiment et que c’est ce dernier qui est visé, ce n’est pas un acte antisémite. En revanche, si on vous vole votre portable en vous traitant de sale rabbin, de sale imam ou de sale curé, c’est différent. Nous essayons de comptabiliser tout cela.
C’est un peu plus compliqué et nous sommes certainement en dessous de la réalité pour les actes antimusulmans, mais nous le faisons aussi. Une structure a été créée l’an dernier, l’Addam (Association de défense contre les discriminations et les actes antimusulmans), destinée à faire remonter ces faits. Nous sommes informés de ces derniers par les forces de police et de gendarmerie mais nous devons aussi en avoir une autre lecture, pour aboutir à une vraie photographie : alors, nous pourrons dire qu’il y a bien des actes antimusulmans en France, à l’instar de ce que connaissent toutes les religions. En revanche, il ne faut pas employer le terme d’« islamophobie » dès que quelqu’un rappelle la règle. Dire que la laïcité doit s’imposer dans les services publics, notamment à l’école – pour les enseignants et les équipes, mais aussi pour les élèves –, conformément à nombre de décisions de justice et de textes, ce n’est pas être « islamophobe » mais rappeler la règle de la République française. Il faut faire attention à ne pas tomber dans ce piège, et peut-être certains recourent-ils à cette facilité.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Monsieur le directeur, permettez-moi de rendre hommage, au nom de la représentation nationale, au travail que vous et vos services menez au quotidien au service des Français. Vous êtes absolument indispensables au maintien de notre nation et à la protection de ses valeurs, et je vous en remercie.
Je mettrai tout de suite les pieds dans le plat. Vous avez dit dans votre propos liminaire qu’une limite vous avait été fixée et que vous ne suiviez pas les personnalités ni les partis politiques. Or les Frères musulmans ont une stratégie d’entrisme, qui consiste à prendre le pouvoir, ce qui se fait nécessairement par l’intermédiaire des personnalités ou des partis politiques.
Nous avons auditionné tout à l’heure M. Omar Youssef Souleimane, dont le travail d’enquête a mis en relief des faisceaux d’indices qui le conduisent à certifier qu’il existe dans notre pays des connivences entre les réseaux des Frères musulmans et certains partis politiques d’extrême gauche – connivences qu’il a constatées à l’occasion de diverses manifestations, souvent en région parisienne, ce qui ne relève certes pas de votre compétence, mais est tout de même intéressant.
Dans votre effort de lutte contre l’islamisation radicale, le fait de ne plus pouvoir suivre les personnalités politiques n’entrave-t-il pas votre travail et ne vous fait-il pas passer à côté de certaines choses, de telle sorte qu’il y aurait des trous dans la raquette ?
Du reste, qu’appelez-vous « personnalités politiques » ? De quel échelon parle-t-on ? Du conseil municipal, régional ou départemental, ou de personnalités nationales ?
M. Bertrand Chamoulaud. Le sujet n’est pas simple. Nous ne suivons pas les partis politiques, notamment tous ceux qui sont représentés ici, à l’Assemblée nationale. C’est la limite évidente. Je n’ai pas de dossiers sur tel parti politique ou sur des élus, ni les moyens de solliciter des techniques d’écoute ou des filatures à l’encontre d’élus, car c’est un principe démocratique. C’est comme ça. Ensuite, si nous suivons, au titre de notre activité, des individus de l’ultradroite ou de l’ultragauche, qualifiés de fréristes, et qu’ils vont rencontrer des gens, nous ne nous interdisons pas de vérifier qui ils rencontrent – il peut s’agir d’un élu national, d’un magistrat ou d’un chef d’entreprise. Cependant, nous n’allons pas mener d’investigation sur ce qui a été dit ou fait, ni pousser l’intervention.
Les services de renseignement doivent bien évidemment avoir des limites. Comme je l’ai expliqué dans mon propos liminaire, nous pouvons travailler sur des milieux ouverts, comme peut le faire tout un chacun, par exemple un chercheur ou un journaliste. Nous voyons des choses à l’occasion d’une manifestation ou sur un plateau de télévision, des réactions sur les réseaux sociaux et des soutiens qui peuvent apparaître à un certain moment. Lorsque, par exemple, nous avons travaillé sur le dossier de l’imam Iquioussen en vue de son expulsion, qui a fait beaucoup parler, on a bien vu les réactions que cela a suscitées. Si des hommes et des femmes politiques réagissent, c’est du domaine public et on voit qui sont les soutiens, mais nous n’allons pas pour autant travailler sur tel élu ou sur tel homme ou telle femme politique qui aurait réagi. Nous tenons compte de ce qui est dit, mais nous n’allons pas mener d’investigation. Là est la limite.
Pour ce qui concerne les Frères musulmans, c’est au niveau local, auprès des conseils municipaux et des élus locaux, qu’on sent une offensive. C’est moins sensible au niveau national, même s’il peut y avoir une proximité idéologique. Lorsque des représentants du CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe) de Bruxelles sont invités à l’Assemblée nationale et que c’est diffusé sur les réseaux sociaux, tout le monde le voit. Il y a des choses évidentes et il n’est pas besoin d’être un service de renseignement pour les voir. Nous nous arrêtons à cela : c’est du domaine public.
Dans les territoires, c’est plus sournois. À l’occasion des élections municipales – que nous ne suivons pas et sur lesquelles nous ne faisons ni prévisions ni pronostics –, certaines têtes de liste seront clairement identifiées comme pouvant être proches de certains courants religieux musulmans, l’affirment et l’affichent. On verra bien les noms qui figureront sur les listes, mais tout le monde peut les voir et il n’est pas non plus besoin pour cela d’être un service de renseignement. Peut-être y aura-t-il aussi des listes identitaires communautaires. On n’en a pas connu beaucoup, mais ça peut arriver. Il s’est même créé un parti politique des Frères musulmans, mais il n’a pas fait fortune. Certaines listes peuvent toutefois être clairement identifiées comme étant fréristes, avec des gens identifiés comme tels, mais on ne peut pas l’interdire. C’est le jeu de la démocratie et, après tout, c’est un choix : ce sont les électeurs qui décident.
La situation est plus compliquée lorsque des têtes de liste accueillent sur leur liste des individus qui y viennent pour faire de l’entrisme, pour être élus puis, comme je l’ai expliqué tout à l’heure, pour faire modifier, au sein du conseil municipal, les règles de la vie en société. Voilà quelques années, nous nous en souvenons tous, Tariq Ramadan était invité partout, tout le monde le trouvait très bien, il s’exprimait bien et présentait des idées fantastiques. Des Tariq Ramadan, si je peux me permettre ce parallèle, il y en a plusieurs sur notre territoire national, qui iront certainement proposer à des candidats de figurer sur leur liste et de leur apporter une partie des voix de la communauté musulmane de leur circonscription, faisant valoir qu’ils représentent tel quartier. Pourquoi pas, après tout ? Il faut bien que tout le monde soit représenté. Si l’ambition qui sous-tend cette démarche est de porter des valeurs collectives, ça va, mais c’est plus gênant s’il s’agit de défendre, une fois élu, les idées des Frères musulmans et cette radicalisation religieuse.
Il est un peu gênant aussi que, lors de la dernière élection présidentielle, des groupes religieux aient appelé à voter pour un candidat – ce sont, là aussi, des informations en milieu ouvert, que je ne cite pas en tant que chef d’un service de renseignement et qu’on trouve sur les réseaux sociaux et dans la presse. Est-il normal que dans une église, une synagogue ou une mosquée, on appelle à voter pour un candidat à l’élection présidentielle, quel qu’il soit ? Cela ne me paraît pas légitime, car ce n’est pas le lieu, mais celui de la spiritualité. Il est vrai que les musulmans ne sont pas les seuls concernés, car cela s’est également produit avec d’autres religions. Toujours est-il que, pour voir ces choses, il n’est pas besoin d’être un service de renseignement. On voit quels sont les équilibres, et c’est aussi le jeu de la démocratie.
Nous devons donc pouvoir alerter nos autorités et les mettre en garde, mais il y a déjà pas mal de choses en milieu ouvert et nous n’avons pas besoin d’aller plus loin, car on touche là à des libertés essentielles comme la liberté de conscience, la liberté religieuse et la liberté politique.
Des élus se disent-ils peut-être que dans certains quartiers, les Frères musulmans, lorsqu’ils y sont le courant religieux dominant, ne sont certes pas tout à fait satisfaisants au regard de l’ensemble des valeurs de notre démocratie, mais que le quartier est plutôt calme et que les gens ne s’en plaignent pas trop. Il y a bien des groupes identitaires et des commerces communautaires mais finalement, cela correspond à la sociologie de ces villes qui sont, en y regardant de plus près, majoritairement des territoires où une communauté musulmane est présente. Tout doucement, de la rigueur s’y installe parce qu’il n’y a plus de services publics classiques, que l’État n’est plus présent et que les élus locaux ont peut-être fait ce qu’ils ont pu, mais n’ont pas pu tenir le territoire. Au bout d’un moment, ces contre-sociétés s’installent et ce sont les plus extrémistes qui prennent le dessus. On retrouve ce mécanisme. Et comme l’ambition des Frères musulmans est de s’occuper de la vie de nos compatriotes musulmans de leur naissance à leur mort, ils prennent en charge tous les aspects de leur quotidien, et donc aussi l’aspect politique.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Selon vous, la menace islamiste est aujourd’hui endogène. Pourriez-vous revenir sur l’état actuel de cette menace ? Le risque d’attentats terroristes islamistes est-il toujours élevé dans notre pays ? Des associations ou groupements de fait présents sur notre territoire vous semblent-ils devoir être dissous pour limiter ce risque ?
M. Bertrand Chamoulaud. Céline Berthon a plus de légitimité que moi pour parler de la menace terroriste, mais avec les éléments que nous partageons et ceux que j’ai en portefeuille, je peux dire que la menace terroriste est toujours très forte sur le territoire national. Pour mon service, dans toutes les missions que nous avons à couvrir, il s’agit de la priorité majeure. On me demande souvent ce qui m’empêche de dormir en tant que directeur national du renseignement territorial : c’est qu’un individu que nous avons en portefeuille passe à l’acte terroriste en tuant des gens.
L’auteur de l’attentat de Mulhouse était schizophrène, or les gens qui ont des problèmes psychiatriques ou psychologiques sont très difficiles à suivre. Parmi les quelque 900 individus de notre portefeuille, 25 % à 30 % ont des problèmes psychiatriques ou psychologiques. En tant que service de renseignement, nous faisons ce que nous pouvons, mais vient un moment où la question ne relève plus de nous, mais de la médecine. Ces personnes sont vues par des médecins mais – pour faire simple – on ne sait pas si elles prennent bien leur traitement. Nous devons donc disposer d’outils pour tenter de bloquer leurs actions, mais les services de renseignement ou de police ne peuvent pas toujours agir. Les « cas psy », c’est-à-dire psychiatriques ou psychologiques, sont une vraie inquiétude, ainsi que les jeunes majeurs, les mineurs et les sortants de prison, à quoi s’ajoutent tous les individus étrangers venus de territoires ayant connu des combats – Afghans, Tchétchènes, Syriens ou Irakiens par exemple. Nous nous disons en effet que des gens qui ont une culture de la violence sont prêts à passer à l’acte.
Selon les chiffres du procureur national antiterroriste, on a enregistré, sur les douze mois de l’année 2024, deux passages à l’acte djihadistes qualifiés de terroristes – parce que le procureur national antiterroriste s’en est saisi – et neuf autres faits qui ont été entravés, c’est-à-dire que les individus ont été interpellés avant la commission par les services de la DGSI et de la sous-direction antiterroriste (SDAT). Cela représente onze actes sur une année, soit environ un fait par mois. En 2025, le chiffre est légèrement inférieur, avec deux faits terroristes djihadistes commis, c’est-à-dire des passages à l’acte – dont Mulhouse, avec malheureusement des victimes, et un autre un peu avant en zone gendarmerie, dans le sud de la France – et six interpellations en prévention par nos collègues de la DGSI et de la SDAT, après détection d’individus.
La menace endogène vient de gens qui sont sur notre territoire, parfois de nationalité française, en tout cas présents depuis longtemps. Les passages à l’acte se font avec des couteaux : ce ne sont pas des filières avec des gens armés ou ayant accès à des explosifs. C’est préoccupant et il faut rester humble en la matière, car nous avons des réussites, mais nous ne pouvons malheureusement pas toujours être derrière tout le monde. La menace est donc importante.
Les derniers passages à l’acte que je cite n’ont pas de lien avec des structures organisées et sont le fait d’individus qui, au-delà des problèmes psychiatriques et psychologiques que présentent certains d’entre eux, se sont radicalisés et ont suivi ces parcours le plus souvent parce que, dans la bulle des réseaux sociaux ou par leurs fréquentations, ils se sont enfermés eux‑mêmes dans cette violence, avec une haine de la France et des valeurs des démocraties occidentales, et ont voulu tout d’un coup passer à l’acte avec un couteau ou des moyens assez sommaires, mais qui font des dégâts. On n’a pas senti, pour ces cas, d’impulsion venue de l’étranger comme on a pu en connaître avec les auteurs de l’attentat du Bataclan ou d’autres structures. Il s’agit vraiment d’une menace endogène. La difficulté est de parvenir à détecter très tôt ces personnes, puis de les suivre.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous indiquiez tout à l’heure que la DNRT s’efforçait de détecter les signaux faibles qui laissent présager une présence frériste, pour en informer les autorités. Quelles sont les informations transmises dans ce cas, à qui, et quelles suites leur sont données ?
M. Bertrand Chamoulaud. Je rappelle d’abord, et ce n’est pas anodin, que les services de renseignement travaillent depuis très longtemps sur tous ces sujets. Comme je l’ai dit en effet, le ministère de l’intérieur est le ministère des cultes et il s’intéresse, quelles que soient les religions, aux extrémismes et aux orthodoxies qui peuvent conduire à des excès ou à des entorses au vivre-ensemble. Depuis 2015, la priorité des services de renseignement a été de lutter contre le passage à l’acte terroriste. Nous travaillons donc depuis très longtemps sur tous ces mouvements, notamment sur les mouvements fréristes, mais pendant des années la priorité a été de détecter ceux qui pouvaient tuer ou commettre des actes terroristes tels que ceux que nous avons connus en 2015 et 2016, qui ont fait de nombreuses victimes. Un état des lieux a été fait, mais une moindre attention a peut-être été accordée aux actions que j’ai évoquées précédemment. Il y a eu un regain d’intérêt à partir de 2020 – car c’est malheureusement souvent comme cela que les choses se passent – avec l’attentat à l’encontre d’un enseignant, M. Paty, et les déclarations du chef de l’État aux Mureaux. Les services de renseignement ont alors repris beaucoup plus de poids sur ces sujets, des mesures ont été prises et des associations et des structures ont été dissoutes, comme le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), structure frériste évidente. Depuis 2020, nous avons procédé régulièrement à des expulsions – outre l’imam Iquioussen, on peut également citer la fermeture et la dissolution de l’IESH. Nous avons également gelé des avoirs – c’est un outil très utile que de prendre les finances : un décret des ministres de l’intérieur et des finances bloque les moyens financiers car, comme partout, l’argent est le nerf de la guerre. Nous avons tout un tas de mesures et, si nous le pouvons, nous procédons, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale, à des signalements à l’autorité judiciaire, qui poursuit des enquêtes.
Localement, nous informons le préfet, qui est l’autorité de police et le représentant de l’État dans les territoires, ainsi que le ministre de l’intérieur au niveau national et, comme je vous l’ai dit, s’il y a lieu, le ministre de la justice ou des ministères qui ont des pouvoirs importants. Nous continuons à le faire, mais nous devons passer à une vitesse supérieure, car la menace s’est développée. Le rapport qui a été rendu public sur Les Frères musulmans et l’islamisme politique en France est un important outil de conscientisation. Nous allons découvrir d’autres sujets et les traiter. Nous devrons alors avoir d’autres outils, qui permettront, à défaut d’enquête judiciaire, des entraves administratives visant à dissoudre, expulser, retirer l’argent et fermer des locaux.
Nos moyens ont en effet des limites. Lorsque, par exemple, nous avons fermé le CCIF, les mêmes personnes sont parties s’installer en Belgique avec l’argent pour créer le CCIE et ont continué à être aussi nuisibles sur le territoire national. Il ne suffit donc pas d’avoir mené une action ; des évolutions sont nécessaires.
Qui plus est, dans ce domaine, nous devrons nous adapter systématiquement, car nous avons affaire à des gens agiles et intelligents, des élites qui savent utiliser les valeurs de la démocratie et qui connaissent nos règles. Lorsque nous aurons réussi à porter des coups avec les outils de la loi, ils s’adapteront. Un exemple : nous avions réussi à fermer une mosquée dans laquelle étaient tenus des propos antisémites et homophobes qui appelaient à la violence. Quelques prêches n’étaient pas terribles, mais l’association qui gérait cette mosquée nous assurait que ce n’était pas vrai, que les prêches étaient lisses et qu’il n’y avait pas de problème. Nous avions cependant trouvé sur les réseaux sociaux – à l’époque, il s’agissait de Facebook – des propos et des prêches homophobes et antisémites : l’association qui gérait la mosquée n’avait pas retiré ces propos ni joué un rôle de modérateur en condamnant ceux qui s’y étaient ajoutés. Pour fermer cette mosquée, nous sommes allés devant un juge et notre façon de travailler a été mise sur la place publique. Désormais, plus une seule des mosquées fondamentalistes de France ne laisse sur ses réseaux sociaux la moindre trace de quoi que ce soit. Chaque fois que nous sommes efficaces avec un outil, c’est la même chose : tout le monde s’adapte.
Nous devons, nous aussi, avoir des armes, qui sont souvent plus lourdes à mettre en place lorsqu’on veut respecter les principes démocratiques. C’est un combat permanent.
Pour tous ces coups que nous portons, il faut utiliser les règles administratives et judiciaires, ainsi que les pouvoirs donnés à l’État, mais il faut les développer. L’idée est d’entraîner, à la suite du rapport publié récemment, d’autres administrations qui sont parfois un peu en retrait ou dans le déni, ou qui n’ont pas connaissance de la situation.
Nous sommes là pour travailler davantage sur ces sujets, pour les documenter plus précisément et pour amener plus de pédagogie, de conscientisation et de prise en compte. Une part du travail consistera à faire évoluer des textes pour entraver, et une autre part consistera, avec les outils qui existent aujourd’hui – ne serait-ce, j’y insiste, qu’avec un peu de courage – à dire : « Non. Ça, ce n’est pas acceptable. ». Lorsque quinze étudiants bloquent l’entrée d’un amphithéâtre de 500 places, on peut se dire qu’il y a un problème. Il n’y a pas besoin d’appeler la police pour déloger quinze étudiants qui empêchent des centaines d’autres d’entrer.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le cadre juridique en matière de lutte contre le terrorisme et le séparatisme vous semble-t-il adapté ? Des évolutions de ce cadre vous semblent-elles souhaitables et, si oui, lesquelles ?
M. Bertrand Chamoulaud. En matière de lutte contre le terrorisme, les évolutions sont toujours possibles, notamment pour ce qui concerne les moyens techniques – je pense que ma collègue de la DGSI vous en a parlé. Les techniques évoluent en effet, avec toutes les messageries cryptées, et les choses deviennent plus difficiles. Il y a peut-être aussi des sujets plus internationaux, qui relèvent de son périmètre.
Pour ce qui est du séparatisme, la loi CRPR – loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République – mériterait peut-être des adaptations et des évolutions, car les sujets évoluent et nous avons des besoins complémentaires sur certaines thématiques. Ainsi, les finalités fixées par la loi de 2015 pour justifier les demandes de techniques de renseignement, comme les écoutes, la pose de micros ou l’installation de caméras, ne nous donnent pas d’outils pour travailler sur le séparatisme et l’entrisme ; aucune des finalités n’est adaptée à ce sujet. Nous aurions besoin d’une réelle évolution, consistant à ajouter une nouvelle finalité ou à faire en sorte que l’interprétation des finalités existantes par la jurisprudence adapte la lecture de certaines d’entre elles. Une chose est sûre aujourd’hui : mes services n’ont pas la capacité de travailler avec ces outils.
Différentes mesures pourraient encore être proposées. On pourrait ainsi interdire la diffusion de consignes de vote dans un lieu de culte en période électorale.
On pourrait également proposer l’extension des critères de dissolution d’une association ou d’un groupement de fait aux entités qui appellent à substituer des lois religieuses à la loi républicaine, ou qui tiennent des discours tendant à minimiser la gravité d’attentats. Face à ces choses que nous constatons, nous n’avons pas vraiment de texte – nous en avons lorsque le discours appelle fortement à commettre un acte terroriste, mais pas vraiment lorsqu’il s’agit d’un soutien à des groupes terroristes, consistant par exemple à minimiser l’action commise par le Hamas sur un autre territoire. Nous pourrons vous proposer un certain nombre de mesures dans notre réponse à votre questionnaire, car il peut être un peu laborieux de les détailler ici.
Voilà à peu près un an, un rapport de l’Inspection générale de l’administration formulait des recommandations sur l’utilisation de la loi CRPR et son adaptation.
On peut ainsi renforcer le contrôle des associations régies par la loi de 1901 et des associations mixtes.
On peut aussi étendre les critères de gel administratif des avoirs, outil très important, notamment à l’encontre des fonds de dotation.
On peut également étendre la procédure de dissolution aux sociétés commerciales. Comme je l’expliquais, en effet, si on parvient à dissoudre une association, il n’existe aucune mesure concernant les structures commerciales : certaines associations dissoutes se reconstituent en structure commerciale, et on ne peut pas les dissoudre. Ces personnes savent en effet utiliser, par un autre biais, les règles que propose la démocratie.
On peut encore renforcer les contrôles d’honorabilité pour les associations sportives. Il y a en effet un problème dans le milieu du sport, où certaines disciplines sont plus touchées que d’autres. Là aussi, la question n’est pas simple.
On peut enfin pratiquer une évaluation nationale plus marquée des élèves scolarisés dans les établissements privés hors contrat.
Nous disposons ainsi d’une petite liste de mesures qui permettraient de travailler plus et mieux.
C’est ce que nous allons nous efforcer de mettre en œuvre avec la nouvelle façon de travailler sur ces sujets, en lien avec la DLPAJ. Le ministère de l’intérieur serait porteur de cette politique publique contre le séparatisme et l’entrisme, et à nous, services de renseignement, de travailler davantage en cohérence et en coordination. Nous avons lancé ces actions, c’est très bien et ça fonctionne, mais il faut aussi aider à travailler – la DLPAJ étant partie menante – avec tous les autres ministères que j’ai cités. Chaque ministère doit avoir les moyens de faire tomber les foudres de la puissance publique sur une structure que nous aurions qualifiée, en l’attaquant par tous les bouts au même moment, c’est-à-dire en faisant du 360 °. Ainsi, dans le cas d’un lycée, on ne se limitera pas aux règles de l’éducation nationale, mais on peut également regarder s’il n’est pas possible de recourir à des règles des finances publiques, du ministère de l’intérieur ou de celui de la santé, et de frapper au même moment avec les mêmes outils. Ne serait-ce que sur le plan de la méthode, c’est bénéfique et, nous l’espérons, profitable. C’est ce que nous avons essayé de mettre en place pour l’IESH et nous avons vu que cela a porté ses fruits.
M. Nicolas Dragon (RN). La hausse continue d’actions qui remettent en cause notre pacte républicain, en lien avec l’extrémisme radical islamique, ne signe-t-elle pas l’échec des gouvernements successifs, qui, même si des choses ont été faites, ont refusé de voir ce fléau ou de lutter complètement contre lui, pour ne pas faire de vagues ?
Vous avez rappelé que votre service ne suivait plus les activités des partis politiques et des personnalités politiques publiques, au nom de libertés fondamentales qui sont garanties par la Constitution et auxquelles nous sommes très attachés. On sait pourtant que des personnalités politiques ou des partis politiques participent à l’entrisme de l’islam radical. Que préconisez‑vous donc que nous fassions ? Vous avez dit que des candidats aux élections municipales avaient été identifiés comme étant des islamistes radicaux. Faudrait-il modifier les règles électorales ? Certains impératifs peuvent déjà empêcher des personnes de se présenter à une élection. Je sais bien qu’il y a la liberté – nous sommes dans une République –, mais ce que vous avez rapporté est particulièrement inquiétant. Jusqu’où tout cela va-t-il aller ?
M. Bertrand Chamoulaud. En tant que directeur d’un service de l’administration, je ne porterai pas d’appréciation sur les gouvernements qui se sont succédé. Je peux dire, en revanche, que beaucoup a été fait – pas suffisamment, peut-être, mais le phénomène dont nous parlons est monté en puissance très rapidement. Sans faire de parallèle un peu facile, c’est un peu comme le narcotrafic. Les services de police ont toujours traité la question des trafics de stupéfiants, mais on voit qu’ils explosent – cela va beaucoup plus loin qu’avant.
On voyait venir ce dont nous sommes en train de parler, on le pointait du doigt et un suivi a eu lieu – des dissolutions et des expulsions ont été décidées, pour essayer de limiter le phénomène –, mais tout cela est très complexe. Par ailleurs, la volonté de poser un vrai diagnostic et de prendre la question à bras-le-corps partout sur le territoire n’était peut-être pas là, effectivement. Depuis dix ans, c’est la menace terroriste qui a mobilisé l’ensemble des services, de renseignement mais aussi judiciaires. Plus personne n’avait envie de connaître des soirées comme celle du 14 juillet 2016 à Nice, sur la promenade des Anglais, ou celle du Bataclan. C’était la priorité et c’est ainsi que nous avons réussi à mettre en place un dispositif complet en matière de lutte contre le terrorisme. Je le dis en toute humilité, car il peut toujours se passer quelque chose de dramatique, y compris au moment même où je vous parle, mais les pays qui nous regardent considèrent que nous avons beaucoup progressé. Les services de renseignement et les services judiciaires sont à la manœuvre, nous avons un procureur national antiterroriste, une structuration en matière d’alerte et un fichier, le FSPRT. Tout le pays a été mobilisé. Tous les citoyens français se sont sentis concernés, parce que tout le monde a connu quelqu’un qui a été touché, sur la promenade des Anglais, au Bataclan ou encore à Saint‑Étienne-du-Rouvray – les exemples sont malheureusement trop nombreux.
Une vraie mobilisation a eu lieu, mais je vous rejoins sur l’idée qu’elle ne concerne pas encore la thématique du séparatisme et de l’entrisme, pour de multiples raisons, notamment le fait que c’est quelque chose de sournois, de moins visible, de moins facile à appréhender. Il est facile pour la majorité de l’opinion d’être contre les effets dévastateurs de la cocaïne ou contre le terrorisme, qui peut faire quatre-vingts morts en une soirée. Tout le monde est contre. Être contre le fait que des gens préconisent que les femmes doivent rester dans un coin et les hommes dans un autre, et que la laïcité n’est pas bien du tout – il faudrait d’abord respecter une règle religieuse, la question du vivre-ensemble viendrait ensuite –, cela n’infuse pas aussi facilement. Le phénomène n’est pas simple, il est moins visible et il s’est développé pour beaucoup de raisons – l’essor des moyens de communication et des réseaux sociaux, un contexte difficile du point de vue économique, etc.
Beaucoup a été fait, je l’ai dit. Comment faire plus et mieux ? Je vois plusieurs étapes.
Nous avons besoin, bien sûr, de courage politique, d’une action des élus nationaux, à tous les niveaux, pour prendre en compte la question. Elle existe, il y a une menace. C’est pour cela qu’un rapport a été rendu public. Il est intéressant, même si un autre rapport, classifié, contient plus d’éléments. Nos collègues des services de sécurité de Belgique, des Pays-Bas, d’Allemagne et d’autres pays nous envient parce que nous avons, au moins, réussi à dire les choses. Il faut poursuivre dans ce sens. Donner un coup de projecteur, avoir une vraie photographie de la situation doit permettre d’apaiser un peu les choses. Comment y travailler ?
Le premier réflexe est de dire qu’il faut faire attention : on s’en prend à un courant particulier de l’islam, qui ne concerne pas tous les musulmans de France, loin de là, mais quelques centaines de milliers de personnes au maximum sur 5 millions. D’ailleurs, les premières victimes sont souvent les musulmans qui, majoritairement, respectent les règles de la République et ne demandent que de pouvoir vivre tranquillement leur religion, dans le respect des valeurs de la République, comme toutes les autres religions.
Comment faire pour qu’un certain nombre de musulmans nous aident à combattre ces idéologies extrêmes, qui ont des visées assez funestes ? Il faudrait peut-être développer ce qu’on pourrait appeler, même si le terme n’est plus nécessairement très juste, une influence positive. Il s’agit, par exemple, de ne pas laisser des prédicateurs ou des influenceurs dire tout et n’importe quoi sur les réseaux sociaux au sujet de l’action de l’État et de nos valeurs, sans que personne ne réagisse ou alors d’une façon excessive. Il faut tenir un discours positif qui, d’une part, montre qu’on peut tout à fait vivre sa religion en France quand on est musulman, en mettant en avant le nombre de salles de prière ou de mosquées qui ont été construites – même s’il y a sûrement des choses à améliorer dans la prise en compte de la religion, je pense par exemple aux carrés musulmans dans les cimetières –, et qui, d’autre part, affirme que les règles de la République, de la démocratie et de notre Constitution – la laïcité, l’égalité hommes-femmes, la liberté de conscience, la liberté religieuse…– sont au-dessus de tout et doivent être respectées. Il faut mener un travail de conscientisation et de pédagogie, sans avoir peur de rappeler les règles qui existent ni, peut-être, d’en adopter d’autres, pour aller un peu plus loin.
M. le président Xavier Breton. Nous vous remercions de votre disponibilité pour ce temps d’échange. Vous pourrez répondre par écrit au questionnaire que nous vous avons envoyé, en n’hésitant pas à ajouter, si vous le souhaitez, d’autres éléments à la suite de votre audition.
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6. Audition, à huis clos, de M. Nicolas Lerner, directeur général de la Sécurité Extérieure (21 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Monsieur Lerner, vous dirigez l’un de nos plus importants services de renseignement, rattaché au ministère des Armées et des Anciens combattants et qui a la particularité d’exercer sa mission de recherche de renseignements à l’étranger. Avant de diriger cette grande direction, vous aviez déjà été à la tête de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui est active sur le territoire national. Comme vous le savez, nous avons entendu sa directrice, Mme Berthon, la semaine dernière.
Vous êtes ainsi un fin connaisseur des menaces internes et externes qui peuvent peser sur la sécurité de notre pays et votre audition est particulièrement importante pour nos travaux.
Ces derniers portent sur les mouvements islamistes en France et leur stratégie pour nouer des liens avec les élus nationaux ou locaux. Quels sont les principaux risques d’ingérence étrangère auxquels notre pays fait face et les principaux domaines concernés ? Identifiez-vous des risques d’ingérence provenant spécifiquement de mouvements islamistes ? Disposez-vous de moyens suffisants pour lutter contre ces ingérences et, plus généralement, pensez-vous que nous devrions renforcer le cadre juridique pour mieux identifier et combattre les stratégies de certains groupes pour affaiblir notre pays ?
Avant de vous laisser la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Nicolas Lerner prête serment.)
M. Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité extérieure (DGSE). Je vous remercie de m’avoir associé à vos travaux, à l’aune de ma double expérience. Dans mon propos liminaire, j’essaierai de vous apporter quelques éléments au titre de mes fonctions actuelles et des précédentes, à la tête de la DGSI.
Je ferai d’abord quatre remarques de méthode. Premièrement, je resterai tenu par le respect du secret de la défense nationale. Deuxièmement, l’objet de votre commission étant de travailler sur des liens entre des politiques – groupes ou individus – et des organisations ou des groupes extérieurs susceptibles de représenter une menace pour le territoire national, je précise que la DGSE n’a pas vocation à travailler sur des mouvements politiques – ceux d’entre vous qui ont siégé au sein de la CNCTR (Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement) le savent bien. C’est au travers potentiellement du suivi des organisations, des groupes susceptibles de représenter une menace que nous pouvons voir apparaître des élus ; ce n’est en aucun cas le schéma inverse. Troisièmement, je dirige un service extérieur ; compte tenu de ce prisme, j’aurais donc plus à cœur de me focaliser sur la manière dont certains groupes, organisations ou États peuvent souhaiter déstabiliser notre société et venir fragiliser nos valeurs. Enfin, eu égard aux compétences essentielles de la DGSE, j’insisterai davantage sur deux séries de déstabilisation : l’action de certaines organisations terroristes ou utilisant des modes opératoires terroristes mais également les différentes formes d’ingérence étatique ou paraétatique susceptibles de peser non pas sur la sécurité physique des Français, mais bien sur la cohésion nationale et nos valeurs. Nous savons que ces actions d’ingérence sont susceptibles d’avoir des effets profondément déstabilisateurs, et pas uniquement sur l’intégrité physique de nos concitoyens.
Je présenterai rapidement les deux axes d’action principaux de la DGSE, en lien avec vos travaux. Lorsque j’étais à la DGSI, où j’ai travaillé durant cinq ans, les premiers organismes, du point de vue chronologique, dont j’ai eu à m’occuper au titre de la sécurité nationale étaient des groupes d’inspiration terroriste djihadistes, qaïdistes ou liés à l’État islamique, qui avaient tous comme particularité d’appeler ouvertement à la violence contre nos intérêts. L’appréhension de ces groupes et de ces menaces est facilitée, y compris via le cadre juridique que vous avez évoqué. Premièrement, le discours menaçant à l’égard de nos intérêts est assumé, avec des appels clairs à la violence. Deuxièmement, les dégâts causés par ces groupes sont visibles et s’évaluent : il y a des morts et des blessés. Troisièmement, la DGSE continue malheureusement de travailler sur des organisations territorialisées en Syrie, en Afghanistan, au Pakistan, en Afrique : il s’agit de groupes constitués que l’on peut localiser. Quatrièmement, la condamnation ferme, définitive, pleine et entière de ces discours et de ces actes n’a jamais souffert d’aucune discussion sur l’ensemble de l’échiquier politique français : à partir du moment où il s’agit de groupes terroristes, il n’y a aucun débat sur le caractère néfaste de leurs actions. J’en parle au passé, mais vous savez que ça reste – et ça restera longtemps – un axe d’actions et d’investissement très fort du Service.
Si la menace terroriste n’a malheureusement pas été jugulée ou anéantie, en revanche, elle a été fortement contenue et réduite grâce à notre action extérieure et à nos dispositifs intérieurs. C’est la conséquence d’un investissement dans l’efficacité de nos dispositifs, qui est le plus remarquable de tous les pays européens, voire occidentaux. Sont aussi apparues deux autres séries de menaces sur lesquelles les services de renseignement ont eu à s’investir de manière croissante. D’abord, le premier constat, dont une grande partie de l’opinion a pris conscience de manière crue même s’il était déjà documenté, est que certaines actions terroristes ou violentes ne sont pas nécessairement commises en réponse à un appel direct à les commettre au nom d’un groupe terroriste. Une série d’actions – notamment l’assassinat de Samuel Paty – perpétrées à l’automne 2020 relèvent de ce que Gilles Kepel a appelé le « djihadisme d’atmosphère ». Certaines idéologies, qui n’appellent pas directement au meurtre ainsi que le ferait l’idéologie djihadiste, peuvent néanmoins avoir des conséquences directes sur l’élévation du risque terroriste et sécuritaire.
Ensuite, il est aussi apparu qu’un certain nombre de discours, sans appeler directement au meurtre ou à la violence, pouvaient avoir des conséquences peut-être moins directes et moins visibles, mais non moins graves, durables et pernicieuses sur la cohésion nationale. C’est ce que les autorités ont appelé la lutte contre le séparatisme. Depuis que j’ai pris mes fonctions à la tête de la DGSI, ces sujets de préoccupation n’ont eu de cesse de prendre de l’importance : d’une part, parce que la lutte contre le terrorisme nous a permis de dégager des moyens pour lutter contre ce type de phénomènes ; d’autre part, parce que nos dirigeants ont pris conscience de manière croissante des dangers de ceux-ci.
Ces enjeux de séparatisme ont d’abord une dimension nationale très forte – j’en viens au cœur du sujet qui nous réunit. Lorsque j’étais directeur général de la sécurité intérieure, j’ai beaucoup interagi avec mes collègues du renseignement territorial de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris et de la DLPAJ (direction des libertés publiques et des affaires juridiques). À mon sens, l’enjeu a d’abord trait à l’existence d’écosystèmes locaux séparatistes qui se créent et se structurent au plus près des territoires. Ces écosystèmes constituent d’abord et avant tout un défi pour les maires, avec leur casquette d’agents de l’État, les autorités étatiques – le préfet – et les élus locaux quant à la manière de faire face à ce phénomène. Du reste, il est parfois difficile de qualifier ces écosystèmes : sont-ils, par exemple, fréristes, salafistes ? En réalité, il s’agit d’une forme d’hybridation de ces différents courants de pensées. La dimension est d’abord et avant tout nationale. Néanmoins, la DGSE, dans le cadre de son action à l’extérieur, a été sollicitée pour tenter de documenter les éventuelles influences extérieures susceptibles de venir renforcer cette idéologie et de la nourrir sur le territoire national. En matière de lutte contre le séparatisme, nous sommes concourants des services intérieurs qui sont plus directement impliqués.
Je souhaite partager quatre séries de constats, à l’aune de mes sept années d’expérience à la tête de services de renseignement.
D’abord, pendant longtemps, la France a été directement confrontée à des formes d’ingérence dans le domaine cultuel, qu’il s’agisse du financement du culte musulman ou d’imams détachés ou nommés, formés dans certains pays étrangers – la Turquie, l’Arabie Saoudite et les pays du Maghreb. À ce titre, tous les sujets ne sont pas réglés. Mais en matière de financement des cultes, notamment du culte musulman, des progrès très significatifs ont été réalisés, avant même la loi CRPR (confortant le respect des principes de la République) qui impose de déclarer les financements étrangers. En effet, j’avais été, avec d’autres, mandaté par nos plus hautes autorités politiques pour passer des messages très clairs à certains pays, notamment aux États du Golfe – le Qatar, l’Arabie Saoudite et le Koweït, entre autres – et à la Turquie. Nous avons adopté une démarche graduelle : nous avons commencé par nous intéresser à certains lieux de culte qui, du point de vue des services intérieurs, représentaient une menace pour notre sécurité ou notre cohésion nationale. Puis, peu à peu, nous avons étendu notre action avant d’établir ce principe avec nos interlocuteurs, antérieur à l’intervention du législateur. La DLPAJ vous le confirmera, les sujets de financement étranger des cultes sont, pour l’essentiel, réglés et dernière nous. Nous sommes encore ponctuellement confrontés à des financements d’organismes caritatifs sur lesquels nous devons enquêter. Mais je suis frappé de constater combien les autorités de ces pays, avec lesquelles nous interagissons, mettent un point d’honneur à respecter la loi française sur ce point.
Ensuite, à mesure que la DGSE, en lien avec la DGSI, s’est intéressée aux organismes susceptibles d’influencer le débat national en matière de terrorisme ou de séparatisme, ont émergé en Europe un certain nombre d’organismes structurés, pas nécessairement très connus ou identifiés, essentiellement autour de la sphère frériste. S’il y a bien une menace qui interagit et se diffuse sur le territoire national, c’est celle qui est constituée par la sphère frériste et la mouvance ou la confrérie – notion qui renvoie à des structures, à des organisations – des Frères musulmans. Vous connaissez sans doute globalement la manière dont ceux-ci sont organisés avec d’une part, l’Organisation internationale des Frères musulmans dont la structure faîtière, en Égypte, a été très affaiblie ; d’autre part, une structure en Europe, dont les ramifications essentielles se trouvent en Turquie, le Conseil des musulmans d’Europe (CEM). À mesure que les services de renseignement ont enquêté sur ces structures, est apparue une organisation hiérarchisée qui théorise une influence et diffuse la pensée frériste en Europe à différents niveaux – éducatif, cultuel avec des ramifications en France, en Allemagne, en Belgique et en Italie. On constate également un entrisme politique, à la fois au niveau national mais surtout au niveau communautaire. Les organisations fréristes ont saisi que la conception de la laïcité qui prévaut à Bruxelles est différente de la conception française. Ils ont une capacité à peser à Bruxelles, via notamment la Femyso (Forum des organisations européennes musulmanes de jeunes et d’étudiants). Par ailleurs, leur action s’inscrit dans une logique idéologique désormais assez hybride : l’adhésion stricte à l’idéologie frériste, telle qu’élaborée depuis la fin des années 1920, importe moins qu’une forme d’islamisation ou d’affirmation des valeurs liées à l’islam ou à l’identité musulmane.
Le rôle de la DGSE est de travailler sur ces organisations en Europe. Le point important à signaler est que le mouvement frériste a traversé ces dernières années une période très difficile : d’une part, s’agissant de ses sources de financement ; d’autre part, au regard de ses soutiens traditionnels ou historiques. En effet, les pays où il était le plus fort, comme l’Égypte, ou certains soutiens historiques, comme la Turquie, ont peu à peu pris leurs distances avec ce mouvement sans pour autant rompre avec lui. Ces structures en Europe ont dû se réorganiser, y compris en adaptant leur financement. Depuis trois ans, singulièrement et en vertu de la loi CRPR, l’action des pouvoirs publics a porté des coups importants aux structures éducatives et aux structures de financement, en particulier les fonds de dotation. Un certain nombre de cadres du CEM sont Français et font des allers-retours réguliers entre la Turquie, l’Allemagne et la France pour faire vivre cette organisation – il s’agit là du cœur de notre sujet.
J’en viens aux liens entre ces organisations et certains mouvements politiques français qu’on aurait pu établir à partir de notre travail sur ces organisations. Premièrement, jusqu’à aujourd’hui, nous n’avons pas caractérisé en renseignement le fait que ces organisations fréristes aient théorisé ou défini une stratégie d’approche de tel ou tel parti ou de tel ou tel homme politique.
Deuxièmement, de la même manière, nous n’avons pas caractérisé en renseignement le fait que telle instance politique ou que tel homme politique ait volontairement pris part à cette organisation telle qu’elle est pensée. Nous n’avons relevé l’implication d’aucune structure politique française de manière organisée, par exemple au sein du CEM et de toutes ses ramifications.
Troisièmement, à plusieurs reprises, nous avons été confrontés à des individus qui interagissaient ou qui étaient en lien avec les Frères musulmans et qui, au niveau local, représentaient des défis pour les élus locaux. La difficulté à laquelle étaient confrontés ces élus ne dépendait ni de leur étiquette ni de leur nuance politique. La manière dont un maire est confronté à ce type d’écosystème islamiste – islamisation de la pratique du sport, généralisation des cours après l’école, enseignement associatif – transcende très largement les différentes nuances.
Quatrièmement, en tant qu’ancien DGSI j’ai constaté, et comme DGSE j’observe toujours, une forme de proximité idéologique parfois très forte entre certains élus nationaux et certains courants de pensée ou certaines lignes de force défendues par les courants fréristes. Sur le plan sécuritaire, trois sujets qui, pris individuellement, sont des causes légitimes, m’ont préoccupé par le passé : la lutte contre l’islamophobie, la lutte contre toutes les formes de discrimination et la défense de la cause palestinienne, également défendue par la République française avec la reconnaissance récente de l’État palestinien. J’ai été confronté à la manière dont certains de ces combats ont pu être instrumentalisés par des organisations extérieures ou certains pays. À l’automne 2020, lors des polémiques très fortes sur les caricatures, certains mouvements au Pakistan, en Égypte ou en Turquie ont présenté la France, le gouvernement français et la société française comme profondément islamophobes – la lutte contre les discriminations, notamment contre les actes antimusulmans commis, fait l’honneur de notre pays. Nous avons été confrontés à des déferlements idéologiques, à des fausses informations, parfois créées par des services de renseignement étrangers, pour nous mettre en difficulté et laisser penser que la France était intrinsèquement hostile à l’islam. Cela s’est payé directement sur le plan sécuritaire. De la même manière, la lutte contre les discriminations a fait l’objet d’une forme d’instrumentalisation, laissant penser que la France était un État antimusulman et appliquait des politiques en ce sens. Enfin, la lutte pour la cause palestinienne, qui est évidemment légitime, a fait l’objet de la même instrumentalisation consistant à laisser penser que la France serait complice de crimes contre la Palestine ou les Palestiniens. On constate une convergence idéologique de ces thèmes. J’ai été confronté à une amplification factice à dessein de la part de certains États qui m’a valu, comme DGSI, de faire des déplacements à l’étranger. J’ai ainsi mis formellement en garde mes homologues afin qu’ils arrêtent de nourrir ce type de narratif qui, parfois, trouvait un relais dans le territoire national.
Enfin, je dirai un mot de ce qui était un sujet de préoccupation très forte en tant que DGSI et qui l’est un peu moins dans mes fonctions actuelles : la sphère numérique, en particulier les ingérences numériques. On se focalise souvent sur les États, alors qu’on peut leur parler en revanche, il est très compliqué d’interagir avec certains prédicateurs, ce qui soulève la question de la pratique de l’islam en ligne. Je vous renvoie aux travaux, notamment de Hakim El Karoui, s’intéressant à la manière dont l’islam modéré ou compatible avec les valeurs de la République s’exprime en ligne.
J’en viens à vos questions, monsieur le président. Je me suis focalisé sur les risques d’ingérence d’ordre général, de nature informationnelle, cyber ou venant de Russie, qui entrent moins dans le champ direct de cette commission.
Encore une fois, ces mouvements nuisent de manière plus pernicieuse et plus discrète à la cohésion nationale et menacent nos valeurs. La lutte contre ceux-ci se développe à l’échelle européenne et internationale, à mesure que la France, et je le salue, assume de mettre des mots sur cette menace – je pense notamment à un récent rapport rédigé par de hauts fonctionnaires. Des pans entiers de coopération internationale s’ouvrent sur ces sujets, ce qui n’était pas le cas il y a deux ou trois ans. Certains pays versaient alors dans la caricature en disant qu’il fallait interdire les Frères musulmans, que la France était trop permissive. Aujourd’hui, on met des mots sur certains phénomènes, on désigne des organisations, ce qui permet d’ouvrir la voie à la coopération internationale.
Par ailleurs, s’agissant de la manière dont les services de renseignement intérieur peuvent suivre ces phénomènes – ceux-ci ou la DLPAJ pourront mieux vous renseigner sur cette question –, autant caractériser une menace terroriste est assez simple et objectif car il s’agit d’un projet d’action violente, autant caractériser un mouvement séparatiste est beaucoup plus complexe. La manière dont les services de renseignement peuvent ou non déployer des moyens d’enquête intrusifs – écoutes, sonorisation – pour surveiller ce qui est certes une menace pour la société mais qui, parfois, relève de l’opinion ou de la pensée est beaucoup plus complexe. Je ne prétends pas avoir la solution. Les services de renseignement et le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme ont des échanges approfondis avec la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. De la même manière que, lorsque j’étais DGSI, travailler sur l’ultragauche ou l’ultradroite était sensible, travailler sur ce qu’est le séparatisme et sur ce qui justifie qu’un service de renseignement s’intéresse à des mouvements séparatistes est, par définition, complexe. En tant que serviteur de la République, je suis rassuré de constater que ces sujets sont traités à un bon niveau, avec la Commission où siègent quatre parlementaires, avec la volonté de trouver un équilibre entre la préservation de la sécurité et le respect des libertés individuelles.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie pour vos réponses. J’en profite pour saluer l’action de vos services qui œuvrent à la sécurité de notre pays.
Vous avez indiqué que le mouvement frériste traversait une période difficile et que certains pays prenaient leur distance avec eux. Comment se traduit la réorganisation de ces mouvements sur notre territoire ?
Vous avez évoqué la question de la sphère numérique. Avez-vous des exemples de puissance étrangère qui soutiendrait voire financerait des comptes visant à relayer des idéologies politiques défendues par des élus, qu’ils soient députés européens, parlementaires français ou élus locaux ?
M. Nicolas Lerner. L’accession au pouvoir des Frères musulmans en Tunisie et en Égypte, qui a fait suite aux printemps arabes, a été suivie d’une vague de répression très forte de ces mouvements dans ces pays. Leur capacité à se financer en a été réduite, ce qui a mis en cause leur pérennité, voire leur survie. Ces fonds, dont une partie provenait notamment d’Égypte et alimentait des réseaux européens, ont été coupés.
Ces structures ont donc dû se réorganiser. Elles ont fait appel à la charité, elles ont géré les investissements qu’elles avaient réalisés auparavant – structures immobilières, notamment SCI. La manne financière venant de territoires extra-européens ayant été très rapidement coupée, il était nécessaire de trouver des fonds au sein de l’Europe, notamment à mesure que l’attention des autorités nationales sur tout financement étranger s’est renforcée. Non seulement les financements étatiques ont été coupés, mais, par ailleurs, il est plus difficile pour ces organisations de bénéficier de financements de la part de sympathisants résidant en dehors de l’Union européenne. Pendant plusieurs années, des associations ou des structures ont été en très grande difficulté financière, du fait de l’action des pouvoirs publics lorsque celle-ci a été orientée en faveur de la lutte contre les mouvements fréristes.
S’agissant des ingérences numériques, domaine dans lequel la Chine et à plus forte raison la Russie sont particulièrement actives, nous n’avons pas documenté, dans la période récente, d’actions directes de la part de services d’États étrangers visant à alimenter des narratifs favorables à l’islam ou à l’islamisme.
Cela étant, marqué par les épisodes de l’année 2020, je resterai très prudent et pars du principe que des pays pourraient se livrer à de nouveaux déferlements à notre encontre et trouver des vulnérabilités. Ce n’est pas parce que nous ne sommes actuellement pas confrontés à une telle situation qu’elle ne peut pas se reproduire.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je vous remercie pour votre présentation et, au nom de la représentation nationale, pour le travail accompli par vos services pour la sécurité des Français.
Quel a été l’effet, dans des pays comme l’Égypte, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, de l’interdiction des Frères musulmans ? Dans la mesure où la stratégie de cette mouvance inclut une bonne part de dissimulation, pensez-vous qu’une démocratie comme la nôtre pourrait appliquer pareille interdiction ?
M. Nicolas Lerner. L’effet des mesures prises par les pays que vous avez cités, ou encore par la Tunisie, a été radical pour les organisations concernées et les individus qui y participent, dans la mesure où appartenir à cette confrérie et défendre son idéologie relève désormais du terrorisme. Les choses vont donc au-delà d’une simple interdiction. Outre les conséquences financières que j’évoquais plus tôt, des organisations et des individus ont été très sévèrement punis, incarcérés, condamnés à mort et exécutés.
Comme ces pays le disent eux-mêmes – ce sont presque leurs mots –, ce positionnement leur a permis de reprendre le contrôle sur l’islam professé en leur sein. Les structures étatiques en question, dont vous savez qu’elles ne partagent pas notre conception de la laïcité, se vantent d’être capables de contrôler, de valider, voire d’écrire les prêches qui sont diffusés et qu’elles décrivent comme modérés et compatibles avec leurs valeurs.
Dans une démocratie, l’interdiction des Frères musulmans est un débat qui, le cas échéant, doit être posé, mais on dit souvent à raison qu’interdire une idéologie est compliqué. À cet égard, la meilleure des démarches me semble être celle que le législateur a jusqu’à présent adoptée. Il n’a ainsi pas été décidé d’interdire un groupe ou une organisation, qui malgré notre travail de renseignement, je me dois de faire preuve de modestie, demeure une nébuleuse difficile à comprendre, mais de nous concentrer sur l’observation des pratiques et des entorses de certaines structures vis-à-vis des principes et des valeurs de la République.
J’insiste, à ce stade de nos connaissances et de notre documentation, interdire cette idéologie me semble difficile. En revanche, se focaliser sur les structures dont nous sommes capables de démontrer en droit français que leur action nuit ou contrevient aux valeurs françaises me semble la voie à suivre, étant rappelé que dans une démocratie, la charge de la preuve appartient à l’administration. C’est le choix fait par le législateur avec la loi confortant le respect des principes de la République et c’est ce que les services de renseignement s’attachent à faire en s’intéressant non à l’idéologie, mais à des lieux concrets tels que des salles de prière, des lycées ou des établissements d’éducation supérieure, vis-à-vis desquels nous avons plus de prise, pourvu, je le répète, que nous apportions la preuve – qui sera contestable en justice – qu’une structure ou un individu, au-delà d’appartenir à une organisation, adhère à une idéologie contraire aux lois de la République.
En l’état de nos connaissances de la confrérie en France et en Europe, cette approche pragmatique me semble la seule réaliste à court terme.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. L’usage grandissant de la notion de séparatisme par les pouvoirs publics et l’introduction du délit de séparatisme par la loi confortant le respect des principes de la République vous ont-ils conduits à élargir vos actions ?
M. Nicolas Lerner. La réponse est oui. C’est le cas de la DGSE qui, guidée par les considérations pragmatiques que j’évoquais, a fait le choix de renforcer le travail de renseignement sur la sphère frériste dans son ensemble, car c’est la plus organisée et la plus à même de théoriser et de mener des actions d’influence sur notre sol. Et c’est bien sûr le cas des services de renseignement intérieurs : le représentant de la DLPAJ que vous auditionnerez sera certainement disert sur la question.
Jusqu’en 2020, nous cherchions les meilleurs moyens de prendre en compte les écosystèmes séparatistes qui n’entraient pas stricto sensu dans le cadre des lois antiterroristes, qu’il s’agisse de l’état d’urgence ou encore de la loi Silt (loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme). Nous avions identifié de manière documentée des lieux de culte, des librairies, des établissements d’enseignement supérieur, des lycées où les discours tenus, les valeurs enseignées étaient contraires à celles de la République, mais sans que la DGSI ou le renseignement territorial soient en mesure de démontrer qu’on y prônait directement la commission d’actions violentes. Les éléments à démontrer étaient logiquement nombreux, vu qu’ils avaient trait aux libertés d’association ou de réunion
Avec la loi confortant le respect des principes de la République, les services se sont dotés d’une doctrine et d’un cadre d’action qui leur ont permis de renforcer leur suivi des structures, l’appréhension et la caractérisation du séparatisme étant, je le répète, plus complexe que celles du terrorisme ou de l’apologie du terrorisme ; d’où l’équilibre à trouver pour la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je reviens à l’Iran. Avez-vous noté des connivences entre l’État ou les services secrets iraniens et des partis politiques français ?
M. Nicolas Lerner. Récemment, je n’en ai pas en mémoire.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Savez-vous si des individus interdits dans certains États étrangers en raison de leur idéologie ou de leurs activités islamistes conduisent de telles activités sur notre sol ou en lien avec des personnes vivant en France ?
M. Nicolas Lerner. Je n’ai pas non plus de cas en mémoire, mais il existe certainement l’inverse : des individus qui ne devraient pas se trouver sur le territoire national mais qui y demeurent pour toutes les raisons que nous connaissons et qui sont parfois insolubles.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. La recomposition des services de renseignement français, opérée depuis 2014, a-t-elle permis une coopération efficace avec la DGSE ?
M. Nicolas Lerner. En matière de coopération, on apprend souvent de l’adversité. À cet égard, il y aura eu un avant et un après 2015. Non qu’il n’y avait pas de coopération avant cette date, loin de moi cette idée, mais depuis, et plus encore depuis 2018 et le choix de confier à la DGSI le rôle de chef de file en matière de lutte contre le terrorisme – je commence par cet aspect.
J’étais DGSI lors de l’assassinant du père Hamel, à Saint-Étienne-du-Rouvray. Vous vous souvenez peut-être que, quelques mois plus tard, la presse a révélé – ce qui était vrai – qu’un service de renseignement avait connaissance de l’identité d’un des deux auteurs et savait qu’il avait prêté allégeance à l’État islamique. De mon point de vue, le partage de cette information n’aurait pas nécessairement permis d’empêcher le passage à l’acte, car il y avait alors des allégeances quasiment tous les jours, mais la famille de la victime, que j’avais reçue, avait légitimement demandé pourquoi cela n’avait pas été le cas.
Désormais, en matière d’antiterrorisme dès qu’un agent, au niveau local ou national, a connaissance du moindre indice ou à la moindre suspicion, il en fait part à tous ses collègues des autres services compétents avant même de saisir sa hiérarchie, ce qui est une vraie avancée. Et cette manière de coopérer irrigue l’ensemble des champs thématiques de la DGSE : l’espionnage, le contre-espionnage, le renseignement économique, les ingérences et le séparatisme.
S’agissant des Frères musulmans, sans entrer dans le détail de nos méthodes, vous imaginez bien que compte tenu de l’intrication des liens, de l’implication de Français au sein du CEM, des interactions et des financements étrangers, il faut nous répartir les cibles. La méthodologie que nous avons acquise en matière d’antiterrorisme se décline ainsi dans les autres champs du renseignement, hormis quelques très rares exceptions, qui correspondent à des chasses gardées très justifiables de chaque service.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Savez-vous si certains cadres français du CEM entretiennent des liens avec des élus de la République ?
M. Nicolas Lerner. À l’occasion du suivi de certains individus, j’ai vu apparaître des liens entre des cadres des Frères musulmans et des élus locaux. Cela existe, certains se connaissent, c’est certain, les cadres en question, qui font des allers-retours en Turquie, ayant souvent des responsabilités locales, en tant que président d’association ou de structure éducative. Il y a donc des interactions, mais nous n’avons pas connaissance – même si cela ne signifie pas qu’il n’en existe pas – d’élus français qui s’impliqueraient sciemment, clandestinement et directement dans les activités de la confrérie, lesquelles sont, je le rappelle, clandestines ou semi-clandestines et non revendiquées.
Mme Constance Le Grip (EPR). À mon tour de vous remercier pour la précision de vos réponses et d’exprimer ma reconnaissance envers les membres de vos services pour l’excellence de leur engagement, leur professionnalisme et la manière dont ils accomplissent leurs missions, parfois – et peut-être plus souvent qu’on ne l’imagine – au péril de leur vie.
Quel est le degré de coopération entre la DGSE et les services étrangers, qu’ils soient européens ou extra-européens ? Nous savons combien cet élément est vital. Cependant, si les liens avec le renseignement belge ou néerlandais sont certainement étroits, nous avons l’impression que les avancées ne sont pas toujours celles que nous souhaiterions, eu égard à la manière dont certains organes sont installés au sein des institutions européennes, qui relèvent du droit belge.
De la même manière, quels sont nos échanges avec les services britanniques sur les dangers de l’idéologie islamiste et de ses ramifications ? Je vous interroge sur ce point non seulement car le renseignement britannique est connu pour son excellence, mais parce que le modèle de société anglo-saxon est multiculturel. À ce titre, de nombreuses institutions sont présentes au Royaume-Uni depuis longtemps, y compris des fonds appartenant à des individus extrêmement fortunés.
Enfin, quelles sont nos relations avec les services de renseignement algériens ? La période actuelle est-elle propice à un renforcement de notre coopération avec eux ?
M. Nicolas Lerner. S’agissant des relations avec les autres services européens, je ne l’ai pas mentionné, mais la France a une mission sinon de sensibilisation – je n’aime pas trop ce terme –, du moins de décodage, notamment auprès des services communautaires, du vrai visage de certains groupes ou associations qui interagissent, voire bénéficient de subventions de la part des institutions européennes. Notre objectif minimal est que ces dernières prennent leurs décisions en toute connaissance de cause. Plus particulièrement, nous avons appelé l’attention de la Commission européenne sur le double discours que peuvent avoir les Frères musulmans.
D’un point de vue général, si la lutte contre le terrorisme est un sujet de coopération qui ne souffre d’aucune difficulté avec les services partenaires européens, il est parfois plus compliqué, je dois le reconnaître, de partager notre conception du séparatisme ou de la laïcité. Ce sont des aspects à propos desquels toute démocratie européenne peut avoir sa propre sensibilité, ce qui est respectable. Il ne s’agit donc pas d’un de nos principaux points de coopération, ce qui vaut également pour les services britanniques.
Cela étant, sans entrer dans le détail, les services belges sont, encore plus que les nôtres, confrontés à des ingérences étrangères, qui visent le Parlement et les instances européennes. Ces dernières sont en effet très exposées, certaines affaires récentes et judiciarisées l’ont montré, et malheureusement la pratique se poursuit – je n’en dirai pas plus. Aussi entretenons-nous en ce domaine une forte coopération, même si elle n’a pas uniquement trait à la promotion de l’islam ou aux tentatives d’islamisation. Les ingérences touchent tous les domaines au Parlement européen et relève parfois de la loi pénale belge.
Sachez enfin, mais cela ne vous étonnera pas, que les pays qui ont le plus conscience de la menace que constituent les Frères musulmans accueillent avec beaucoup d’intérêt l’évolution de la France en matière de lutte contre le séparatisme. Ces pays sont donc enclins à partager leurs connaissances sur la galaxie frériste et ses ramifications – étant rappelé que nous restons évidemment maîtres de la manière dont nous utilisons ces informations.
Mme Géraldine Grangier (RN). Au nom de la France et des Français, je vous remercie pour l’action que vous menez au quotidien.
Vous avez expliqué être allé à l’étranger, en 2020, après avoir constaté des faits d’ingérence sur notre sol, afin de dialoguer avec les pays dont ils provenaient. Quels sont les États avec lesquels avoir ce type de discussion est le plus difficile ?
M. Nicolas Lerner. Dans le contexte des épisodes douloureux de 2020, ma mission a effectivement été de faire comprendre à des collègues de pays que l’instrumentalisation de certains sujets et que le relais, voire la création de certains narratifs étaient de nature à compromettre notre niveau de sécurité nationale. À l’époque, je consacrais beaucoup de ressources à la DGSI à essayer de déjouer des tentatives d’attentats contre la communauté musulmane – et ils étaient nombreux à cette période, essentiellement de la part de l’ultradroite. Il y avait donc bien des comportements islamophobes en France, mais ces faits étaient montés en épingle dans une partie du monde musulman pour affirmer que les musulmans de France étaient livrés à eux-mêmes, sans protection.
Pour répondre directement à votre question, je ne crois pas qu’il y ait un seul service dans le monde avec lequel on puisse parler de manière méthodique et apaisée de leurs actions d’ingérence, car sauf très rares exceptions, nous ne sommes pas en mesure de leur en apporter la preuve exacte. La logique de tout homologue qui se respecte, est de nier totalement l’implication de ses services, ou de renvoyer son interlocuteur vers l’action de la société civile, en lui indiquant que même s’il les condamne, ces choses relèvent de la liberté de chacun. Même avec le pays le plus actif et le plus agressif à notre égard – vous comprendrez certainement de qui je parle –, le dialogue est extrêmement compliqué. Ils savent que nous savons, mais je n’ai jamais eu personne en face de moi pour reconnaître les choses et essayer de les calmer. Il n’y a que des allusions.
Par ailleurs, je pense que les semaines à venir seront propices à la relance du dialogue. Restera à savoir pour quoi faire et avec quelles exigences du côté français ? Ces dernières concernent Boualem Sansal ou encore les Algériens en situation irrégulière sur notre sol
M. Nicolas Dragon (RN). Dans le cas où un représentant ou un mouvement politique pourrait être utilisé comme porte-voix ou relais de réseaux pro-islamistes, étrangers ou non, comment appréciez-vous le risque de captation de l’influence politique par ces réseaux ? Quelles mesures recommandez-vous pour y faire face ?
M. Nicolas Lerner. Une forme de convergence idéologique sur certains sujets nous semble parfois exister, mais je m’élève peut-être au-dessus de ma condition en disant cela. Du point de vue d’un service de renseignement, cela n’est ni une infraction ni un manquement, mais relève de la responsabilité de chacun, et non de notre cœur de métier.
Nous avons deux axes d’action. Dans le passé, un membre de cette Assemblée a été mis en cause pénalement – je ne citerai pas son nom car cela ne concernait pas un mouvement islamiste, et je ne me prononcerai pas car l’affaire est en cours. Il lui est reproché d’avoir potentiellement touché de l’argent de l’étranger pour poser des questions ou faire valoir des éléments dans le saint des saints, l’Assemblée nationale.
Il ne vous aura pas échappé qu’une affaire presque similaire a eu lieu au Parlement européen. Il ne s’agit plus ici d’idéologie ou d’appréciation. Peu importe le fond : les services ont caractérisé ce qui était une infraction pénale et la justice s’en est saisie. Cette affaire, publique, fait ressortir une difficulté : un parlementaire européen peut-il accepter de l’argent pour écrire un article dans une revue ou un média connu pour être foncièrement prorusse ?
Le sujet n’est pas anodin, puisque le parlementaire en question avait fait une œuvre littéraire : « Oui, je sais pour qui je fais ça. » Vu de nos services, nous ne pouvons pas nous empêcher d’y voir une démarche de séduction, de corruption, qui pose question lorsque l’élu l’assume en toute connaissance de cause. Nous sommes donc parfois dans une zone grise. Voilà notre premier axe, mais je n’en dirai pas plus, car le cas français ne correspond pas tout à fait à cette situation.
Le deuxième axe, qui relève du travail des services de renseignement intérieurs, concerne la sensibilisation menée auprès des élus de la République. Je garde de mes cinq années passées à la DGSI un certain goût d’inachevé concernant le travail que nous avons réussi ou non à accomplir auprès des élus, français et européens.
Une partie du risque auquel vous étiez exposés, celui d’ingérence russe, est quand même bien moins élevé qu’avant, en raison d’une sensibilisation accrue à cette menace et des capacités amoindries des Russes. En effet, en 2022, au moment de la déclaration de la guerre en Ukraine, il y avait à Paris plus de 80 agents de renseignement russe sous couverture diplomatique. Une bonne partie de ces diplomates avaient pour mission de cultiver des relations avec vous et vos attachés parlementaires. Nous devons encore travailler à cette sensibilisation.
Notre rôle se limite donc à la caractérisation des liens, par exemple constater une proximité idéologique entre certains pays qui ont des conceptions différentes des nôtres et un élu français qui considèrerait que leur modèle est celui à suivre. La commission nationale de contrôle est particulièrement attentive à ce que notre mission s’arrête à la caractérisation de risque, vous le savez.
Il y a deux cas de figure de contrepartie : dans le premier, une contrepartie directe, dans le second, un dol ou une tromperie de la personne.
Bien davantage que sur une quelconque proximité idéologique, sur laquelle nous n’avons aucune compétence, nous agissons donc au moment où l’on estime qu’un élu est pris en main par des services.
Lorsque je dirigeais la DGSI, je me suis d’ailleurs battu pour la création d’un registre d’intérêts, que la représentation nationale a adoptée. La loi, dite Fara (Foreign Agents Registration Act), à la française, oblige les interlocuteurs venus vous voir au nom d’États étrangers ou d’organismes apparentés à des États à déclarer les liens qu’ils entretiennent avec eux. Cette mesure de base s’appliquera dans les semaines à venir, puisqu’il fallait que le pouvoir réglementaire s’en saisisse.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Parmi les auteurs d’ouvrages récents auditionnés par cette commission, M. Souleimane dit s’être infiltré dans certaines manifestations pro-Gaza et avoir observé des connivences entre différents élus de la République et certains prédicateurs islamistes, y compris étrangers, voire membres du groupe Samidoun. Il laisse donc penser que des connivences politiques existeraient quand même. Or vous disiez qu’il n’y avait pas de lien structurel, ou du moins organisé, entre les partis politiques et ces mouvements.
Je l’entends bien mais souhaite revenir sur un élément. Le CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe) a été interdit en France à la demande du ministre de l’Intérieur. Il a connu une résurrection chez nos voisins belges, sous la forme du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), reçu dans ces murs il y a quelques mois, à la demande d’un député d’un groupe parlementaire de l’Assemblée nationale.
Quel suivi faites-vous du CCIF, vitrine des Frères musulmans, à l’étranger ? Que pensez‑vous du fait de le faire venir ici ? Ne s’agit-il pas d’une forme de connivence structurelle ?
M. Nicolas Lerner. Je laisserai la commission choisir les termes ou les qualificatifs. Mes propos avaient pour objectif d’évoquer l’absence d’élément prouvant des connivences structurelles au sens de plan d’action, de programme, d’échéance, d’agenda communs. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas, mais que nos investigations n’ont pas mis en évidence de démarches assumées et méthodiques allant en ce sens.
Je n’entrerai pas dans le détail, mais nous avons évidemment un œil sur les structures que vous avez évoquées. Cela ne m’étonne pas que des individus se croisent, qu’ils échangent, qu’ils partagent une proximité idéologique lors de certaines manifestations – celles que vous citez ne me surprennent pas : nous le constatons en effet.
Les services de renseignement ne sont pas omniscients, mais ils n’ont en revanche pas mis en évidence de volonté de construire un agenda commun ou de travailler ensemble sur des échéances programmatiques. Voilà ce que j’avais en tête.
S’agissant du CCIF et de son interdiction en France, il s’agit d’un véritable enjeu. Je ne connais pas précisément le dernier état du droit, mais au ministère de l’Intérieur, nous étions en effet très préoccupés du fait qu’une association dissoute en France pouvait renaître dans un État voisin et y continuer son activité de la même manière. Lorsque j’ai quitté le ministère de l’Intérieur, je savais qu’une évolution de la législation communautaire pouvait encore faciliter cela.
Les questions juridiques, sur lesquelles la DLPAJ sera plus assertive que moi, étaient donc en effet un sujet majeur de préoccupation lorsque j’étais à la DGSI.
M. Jérôme Buisson (RN). Des élections françaises se déroulent à l’étranger. Font‑elles l’objet d’un suivi particulier de la part de vos services ?
M. Nicolas Lerner. Les manœuvres étrangères concernant le processus électoral français, qu’il ait lieu en France ou à l’étranger, font l’objet d’un suivi.
Je reviens à l’automne 2020 – nous sommes tous le fruit de notre histoire. En tant que parlementaires, vous avez été consultés sur la création de Viginum (service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères), résultat des événements de 2020. Nous nous étions alors rendu compte que des manœuvres caractérisées, frauduleuses, artificielles, visaient à amplifier les débats et à propager de fausses informations en France, et que nous n’étions pas équipés pour les caractériser et y travailler.
La création de Viginum vient de la décision du Président de la République. Je le dis d’autant plus librement que tout le monde n’était pas du même avis. Le Président avait alors considéré, à raison, que cette création se justifiait par la nécessité de caractériser des manœuvres frauduleuses en provenance de l’étranger, faisant peser une menace sur nos intérêts.
Deux expériences récentes illustrent ce type de manœuvres : la Roumanie, avec une forme d’ingérence cependant un peu différente de celle qui vous préoccupe, et la Moldavie. Les moyens employés, d’une puissance colossale, comme la réceptivité au discours russe, ne sont cependant pas tout à fait les mêmes en France et en Moldavie ou même en Roumanie. Ces moyens se déploient dans tous les domaines – achats de voix, créations de faux comptes, attaques cyber – : de véritables lignes d’opérations sont menées par des services étrangers pour déstabiliser le scrutin.
Viginum sera donc la principale responsable pour les séquences électorales à venir. J’ai eu l’occasion de débattre du sujet de la sincérité du scrutin à de nombreuses reprises. Il génère de l’incompréhension, notamment outre-Atlantique – l’annulation du scrutin en Roumanie a suscité des réactions très vives aux États-Unis, où certains défendent des conceptions de la démocratie très différentes de la nôtre.
Ayant été élevé avec un principe fondamental, celui de la sincérité du scrutin, je considère que les juges électoraux doivent se saisir de la sincérité numérique d’un scrutin, ce qui est compliqué et pose de nombreuses questions, y compris de compétences de ces dix juges. Viginum est ainsi en première ligne.
En matière électorale, la DGSE intervient en appui, en complément de Viginum, et uniquement pour caractériser les manœuvres et opérations de déstabilisation étrangères.
M. le président Xavier Breton. Concernant le cadre de vos actions ou le cadre juridique de vos interventions, avez-vous des propositions à nous faire, qui vous permettraient d’être encore plus efficace ?
M. Nicolas Lerner. La suggestion que j’avais faite – Mme Le Grip s’en souvient – a été entendue, mais je me permets de la relayer, même si tout le monde ne partage pas mon avis au sein de la communauté du renseignement : que les services de renseignements aient l’obligation de faire régulièrement part au Parlement de l’état de la menace sur la sécurité nationale, mais non sur la criminalité organisée, dont vous vous êtes suffisamment saisis.
La délégation parlementaire au renseignement mise à part, je trouve que les temps d’échange ne sont pas assez nombreux. Le rapport contenant ma recommandation a été rendu et, nous ne vous en voudrons jamais de vous saisir de ces sujets.
Ces dernières années, j’ai été auditionné sur l’ingérence chinoise, TikTok ou l’indépendance de l’université et les ingérences en son sein. Sur ces sujets lourds, d’autant plus complexes qu’ils ne sont pas visibles, plus il y aura d’interaction entre le Parlement et les services de renseignement, plus nous éviterons de faux débats sur les besoins des services, comme l’algorithme ou autres sujets de ce type – je ne reviendrai pas sur le chiffrement, question bien plus complexe. Plus vous aurez pleinement conscience de ce que nous traitons, plus nous travaillerons efficacement ensemble aux mesures à adopter.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie pour ces éléments très intéressants. Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire envoyé par le rapporteur.
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7. Audition, ouverte à la presse, de Mme Nora Bussigny, journaliste (21 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Nous allons maintenant auditionner Mme Nora Bussigny, journaliste d’investigation. Madame, vous avez récemment publié un essai intitulé Les nouveaux antisémites dans lequel vous dénoncez les liens susceptibles d’exister entre certains groupes d’extrême-gauche et des mouvements véhiculant un discours antisémite, notamment depuis le 7 octobre 2023. Vous constatez que ce discours est désormais repris par certains élus ou figures politiques de notre pays. Puisque nos travaux portent sur les mouvements islamistes en France et sur leur stratégie visant à nouer des liens avec des élus nationaux et locaux, nous souhaitons vous entendre sur les éléments que vous avez recueillis au cours de votre enquête.
J’aimerais, en préambule, formuler deux questions. Tout d’abord, la dérive antisémite des groupes d’extrême-gauche que vous dénoncez vous paraît-elle liée au conflit qui affecte le Proche-Orient depuis plus de deux ans ou trouve-t-elle d’autres fondements ? Ensuite, vous mentionnez le risque d’un rapprochement entre certains élus représentant des partis d’extrême‑gauche et des mouvements islamistes en vue des échéances électorales. Pourriez‑vous développer ce point ?
Je vous prie préalablement de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et vous invite, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « je le jure ».
(Mme Nora Bussigny prête serment.)
Mme Nora Bussigny, journaliste. J’ai effectivement publié un ouvrage intitulé Les nouveaux antisémites, fruit d’une enquête d’investigation comportant une partie en immersion menée sous couverture, puisque je n’ai pas révélé ma qualité de journaliste aux groupes militants et collectifs que j’ai côtoyés pendant près de deux ans. Parallèlement, j’ai recueilli plus d’une centaine de témoignages d’enfants, de professeurs, d’élus locaux, de militants et d’étudiants, qui m’ont décrit leur situation en tant que juifs et non-juifs depuis le 7 octobre en France, mais également à l’Université libre de Bruxelles et sur le campus de Columbia aux États-Unis.
Concernant votre première question, nous constations déjà, avant le 7 octobre, une fragmentation des mouvements d’ultragauche en France, certains collectifs se consacrant à l’écologie radicale, d’autres à l’opposition aux forces de l’ordre et d’autres encore aux luttes décoloniales. Avant d’enquêter sur l’antisémitisme, j’étais persuadée, ainsi que je l’explique dans l’avant-propos de mon ouvrage, que la convergence des luttes, objectif central pour les militants, s’articulait autour d’un ennemi commun qui serait le policier, ce que nous avons notamment constaté lors du décès du jeune Nahel Merzouk pendant les émeutes de 2023. Les banlieues se sont embrasées autour d’une opposition aux forces de l’ordre, mais cette colère n’a pas perduré et, afin de maintenir une convergence de luttes et de fédérer les différents mouvements militants, il fallait trouver un ennemi commun plus durable. Le 7 octobre a apporté cet ennemi à travers la figure du juif, ou plutôt du sioniste, qui a permis de rassembler toutes ces luttes fragmentées autour d’une prétendue cause palestinienne, instrumentalisant une empathie légitime pour les civils palestiniens au prétexte de véhiculer un message de soutien au terrorisme. Je précise que j’ai tenu, dans mon enquête, à distinguer clairement l’apologie du terrorisme et le soutien aux groupes armés du soutien aux victimes civiles palestiniennes.
Étudier l’ultragauche permet de réaliser qu’elle partage une caractéristique commune avec l’islamisme, qui est la détestation de l’État et le rejet des institutions démocratiques. J’ai ainsi voulu mettre en lumière de nombreux collectifs qui, dès le 7 octobre, se sont soit créés, soit unis autour d’un discours prétendument décolonial constituant en réalité un soutien à ce qu’ils appellent la « résistance sous toutes ses formes », autrement dit la résistance armée, à savoir le Hamas, mais aussi et surtout le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), organisation reconnue comme terroriste et ayant participé au massacre du 7 octobre. Au cours de mon enquête, j’ai notamment été confrontée à Samidoun, collectif qui, bien qu’il ne soit pas considéré comme une organisation terroriste en France, est reconnu comme tel dans de nombreux pays et constitue le fil conducteur de mon ouvrage. Je les ai identifiés aux États‑Unis, à Bruxelles, mais surtout en France, où ils bénéficient de salles municipales et du soutien de partis politiques français. Samidoun est la façade du Front populaire de libération de la Palestine, également connu sous le nom de Palestinian Prisoner Solidarity Network, collectif créé en 2012 et qui avait déjà attiré l’attention de plusieurs pays dès 2022 pour avoir organisé des rassemblements appelant à « vaincre l’Europe, les États-Unis et Israël à coups de kalachnikov, de roquettes et de balles ». Depuis le 7 octobre, ils diffusent en France, notamment auprès des jeunes et des partis politiques, un discours d’engagement en faveur de la lutte armée, tout en adoptant une posture encore plus radicale à l’Université libre de Bruxelles où je me suis rendue, avec pour objectif de mettre en place ce qu’ils nomment une « intifada » au sein des campus universitaires.
Ainsi, pour répondre précisément à votre question, si des prémices existaient avant le 7 octobre, cette date a véritablement constitué un catalyseur pour ces collectifs.
M. le président Xavier Breton. Vous évoquez le risque d’un rapprochement entre certains élus ou représentants de partis d’extrême-gauche et des mouvements islamistes. Pourriez-vous développer ce point, notamment dans la perspective des prochaines échéances électorales ?
Mme Nora Bussigny. Je souhaite en premier lieu évoquer Houria Bouteldja, figure emblématique de la lutte décoloniale en France, sur laquelle j’ai mené une investigation approfondie, et qui a cofondé le Parti des indigènes de la République, publié des ouvrages extrêmement controversés et été accusée à plusieurs reprises d’antisémitisme pour ses positions. Dès 2024, elle publiait sur son site QG décolonial un article intitulé « Garder la tête froide, rester stratège, définir les objectifs à court, moyen et long terme, gagner en rapport de force, viser 2027 » dans lequel elle expliquait qu’il est crucial, pour faire avancer leurs causes, d’investir les partis politiques. Comme l’a démontré mon enquête, Houria Bouteldja n’est pas isolée dans cette stratégie puisque le militant prédicateur Elias d’Imzalène, jugé pour apologie du terrorisme après avoir appelé à faire « une intifada de Paris à Gaza », et qui a fait appel de la décision de justice rendue récemment, affirmait dès 2022, aux côtés d’un autre activiste, Wissam Xelka, que les élections à venir constituaient une opportunité déterminante. Ils préconisaient ainsi, élément essentiel pour comprendre les dynamiques électorales, d’identifier leurs potentiels alliés, de les positionner stratégiquement et de les radicaliser progressivement. Dans cette citation précise, qui est détaillée dans mon ouvrage, il faisait référence au parti La France insoumise et spécifiquement à M. Jean-Luc Mélenchon.
La question des élections municipales revêt une importance capitale dans l’analyse de ces figures militantes et nous observons aujourd’hui une structuration organisée à l’échelle nationale. Dans le cadre de mon enquête, j’ai mené des investigations dans plusieurs métropoles françaises, constatant que ces militants concentrent particulièrement leurs efforts sur la Génération Z, née après 1995, qui constituera une partie significative des primo-votants lors des municipales de 2026. Leur stratégie consiste à présenter la cause palestinienne comme universelle et à la transformer en enjeu électoral déterminant.
Pour les besoins de cette commission, j’ai recensé plusieurs personnalités, principalement issues de La France insoumise mais pas exclusivement qui, au niveau municipal, ont soit apporté leur soutien à des organisations dissoutes, soit tenu elles-mêmes des propos relevant de l’apologie du terrorisme. Souhaitez-vous que je vous expose ces éléments dès maintenant ?
M. le président Xavier Breton. Vous pouvez effectivement en présenter un aperçu, puis nous approfondirons si nécessaire.
Mme Nora Bussigny. Dans le cadre de cette enquête, j’ai pu observer des collectifs tels qu’Urgence Palestine, actuellement en procédure de dissolution par le gouvernement. L’un de ses porte-parole, Omar Alsoumi, lors d’un rassemblement où je menais une observation immersive, exhortait les manifestants à constituer « un déluge d’Al-Aqsa en France », expression qui désigne précisément l’attaque terroriste du 7 octobre et apparaît récurrente dans les discours militants. Également employée le 7 octobre 2025 par le collectif antifasciste Gale, normalement dissout, cette terminologie se retrouve également dans de nombreuses boucles Telegram liés au régime de la République islamique d’Iran. Mon confrère Emmanuel Razavi, avec lequel j’ai étroitement collaboré pour mon ouvrage, pourra approfondir ce sujet lors de son audition.
Concernant les personnalités ayant tenu des propos liés à l’islamisme, je peux notamment évoquer le cas d’Aly Diouara, candidat LFI dans la cinquième circonscription de Seine-Saint-Denis qui, dès décembre 2022, avait manifesté son soutien à Hadama Traoré, défenseur du terroriste Mickaël Harpon, responsable de l’attentat à la préfecture de police en octobre 2019. Il a également soutenu, le 14 octobre 2022, l’association dissoute Baraka City et apporté son appui à Idriss Sihamedi, prédicateur frériste proche d’une figure du Hamas, Mohamed Hassan ould Dedew, qu’il n’a pas hésité à soutenir publiquement en 2022.
M. le président Xavier Breton. Il est certes pertinent, madame, d’illustrer votre propos par des exemples, mais sans nécessairement procéder à une identification nominative systématique. L’essentiel réside dans la démonstration de l’existence de ces situations et leurs caractéristiques et je vous invite donc à évoquer ces cas sans désignation nominative précise. Nous disposerons ensuite des informations détaillées et déterminerons leur traitement dans le cadre de la publication du rapport. À ce stade, l’important est d’examiner les mécanismes de ces liens potentiels.
Mme Nora Bussigny. Je ne procéderai pas à une énumération nominative systématique mais je tiens à rappeler que mon enquête repose sur une immersion directe et que j’ai donc personnellement rencontré des députés lors de manifestations auxquelles j’ai participé.
M. le président Xavier Breton. Je réitère notre objectif, qui consiste à comprendre les phénomènes. Les noms sont disponibles dans votre ouvrage pour qui souhaite les connaître mais cette commission d’enquête vise à analyser des mécanismes et non à pointer du doigt des personnes spécifiques. Je vous invite donc à poursuivre dans cette perspective.
Mme Nora Bussigny. Dans cette optique, je vais donc plutôt mettre en lumière des situations où des militants d’ultra-gauche, et particulièrement des individus tenant un discours islamiste ou entretenant des liens avec des organisations terroristes, ont pu bénéficier pour ce faire d’un accès privilégié à des salles municipales.
Dans mon ouvrage, comme dans le précédent, je consacre un développement substantiel à la Semaine décoloniale, manifestation qui se déroule chaque année dans une salle municipale d’Ivry-sur-Seine. Cette année, y ayant assisté anonymement, j’ai personnellement pu constater une intensification préoccupante du phénomène. Cette soirée était coorganisée par Urgence Palestine et Samidoun et, à ce moment précis, nous attendions une confirmation concernant le sort de Yahya Sinwar, l’un des dirigeants du Hamas, son statut incertain plongeant les militants dans une profonde anxiété. Lorsque son décès a été confirmé, un hommage lui a été rendu dans l’enceinte même de la salle municipale. Le porte-parole de Samidoun, Adèle, que je cite dans mon livre et que l’on retrouve fréquemment dans d’autres espaces municipaux, était présent pour soutenir notamment M. Elias d’Imzalène, aux côtés d’un député de La France insoumise et de collectifs tels que Les Soulèvements de la Terre, mouvement écologiste radical. Durant la Semaine décoloniale de 2024, Leïla, l’une des porte-parole d’Urgence Palestine, avait proclamé : « L’essence même de la résistance : vous tuez dix de nos hommes pour chacun des vôtres que nous tuerons, mais c’est vous qui finirez par vous lasser. Vous éliminez un chef qui tombera en martyr et nous aurons dix autres candidats. Dix combattants martyrs tomberont, mille autres se lèveront. Vous pouvez tuer la tête, vous ne couperez pas la résistance de son sol, les Palestiniens résisteront jusqu’au bout. » L’intégralité de ce discours, prononcé dans une salle municipale, est reproduite dans mon ouvrage.
Pour les besoins de mon enquête, j’ai souhaité démontrer l’existence d’une connexion financière entre ces collectifs et, pour ce faire, j’ai effectué un don à Samidoun par carte bancaire. Les responsables m’ont indiqué qu’il devait obligatoirement transiter par le stand d’Urgence Palestine, puisque leurs comptes et leurs finances étaient communs. Cette précision revêt une importance majeure, car Samidoun entretient par ailleurs des liens étroits avec le collectif Palestine Vaincra à Toulouse, organisation dissoute après une première demande formulée le 27 octobre 2022 et confirmée par le Conseil d’État en 2023. Or malgré cette procédure, les connexions entre les deux structures demeurent significatives. La présence de Samidoun à Toulouse illustre ce phénomène puisqu’il y entretient des relations avec des figures municipales locales ainsi qu’avec un député de La France insoumise. Plus encore, ses liens avec la République islamique d’Iran apparaissent particulièrement révélateurs, puisque le 4 octobre 2023, sa coordinatrice internationale a reçu à Téhéran le huitième prix des droits de l’homme islamique et de la dignité humaine.
La question de la convergence des luttes entre figures islamistes est également centrale. Dans le cadre de mes travaux, j’ai ainsi analysé en profondeur Shahin Hazamy, un agent d’influence rattachée à la République islamique d’Iran qui rassemble près d’un demi-million d’abonnés sur l’ensemble de ses réseaux sociaux et dont le procès se tiendra en 2025 en raison des propos qu’il a tenus. Mon ouvrage documente avec précision les liens qu’il entretient avec plusieurs députés français, chaque webinaire conjoint ayant été rigoureusement référencé. Il convient de souligner que Shahin Hazamy s’est rendu à plusieurs reprises en Iran en compagnie de Kémi Séba, personnalité accusée d’antisémitisme et de racisme, déchue de la nationalité française, et qu’il était également présent aux funérailles de Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah. Il a exprimé à de nombreuses reprises, publiquement et sur ses réseaux sociaux suivis par un public très jeune, son soutien explicite à la lutte armée. Cette année, il a ainsi promu à Villeneuve-Saint-Georges un événement intitulé Gala Al-Qods, en référence au Jour d’Al-Qods, une journée internationale instaurée par l’Ayatollah Khomeini et consacrée à la « cause palestinienne ». L’objectif poursuivi par l’Ayatollah était d’appeler l’ensemble des musulmans du monde et tous les États islamiques à s’unir pour, selon ses termes, « couper les mains du régime occupant d’Al-Qods et de ceux qui les protègent ». Il exhortait chaque musulman à désigner comme Journée d’Al-Qods le dernier vendredi du mois sacré du ramadan. Cette année, cet événement, organisé de longue date, s’est tenu à Villeneuve-Saint-Georges avec le soutien de Shahin Hazamy, dans une salle privée où des députés de La France insoumise, dont je tairai ici le nom, ont déjà tenu des meetings politiques.
Dans le cadre de mes nombreuses immersions au sein de manifestations, j’ai en outre participé à un rassemblement place de la Nation au cours duquel M. Elias D’Imzalène a lancé un « appel à l’intifada de Paris à Gaza ». Mon ouvrage restitue l’intégralité des personnalités politiques présentes à cette occasion, parmi lesquelles figuraient non seulement des députés mais également des sénateurs, dont une sénatrice d’Europe Écologie Les Verts dont le nom est mentionné dans mon livre. Au cours de la même manifestation, Omar Alsoumi, porte-parole d’Urgence Palestine, avait invité l’ensemble des manifestants à scander le mot « résistance » après chaque ville palestinienne qu’il énumérait, appelant ainsi explicitement à soutenir la résistance armée sur le territoire palestinien.
J’ai également conduit une analyse approfondie de la situation locale strasbourgeoise. La maire de la ville, Mme Jeanne Barseghian, a été soumise à de fortes pressions de la part des militants propalestiniens locaux pour mettre un terme au jumelage historique entre Strasbourg et la ville israélienne de Ramat Gan. J’ai personnellement assisté à l’une de ces manifestations, au cours de laquelle les participants, munis de haut-parleurs et accompagnés d’un camion arborant des messages en faveur de la résistance palestinienne, scandaient dans les rues leur opposition à ce qu’ils qualifiaient de « jumelage de la honte ». La mobilisation s’est également dirigée vers un restaurant McDonald’s de Strasbourg afin d’appeler au boycott de cette enseigne, certains manifestants allant jusqu’à crier aux familles et aux enfants présents qu’ils consommaient « la chair des enfants palestiniens ». McDonald’s figure en effet sur la liste du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS), qui bénéficie du soutien affiché de certains partis politiques français.
La ville de Toulouse illustre également la persistance de ces dynamiques. Bien que le collectif Palestine Vaincra ait été dissous, il convient de souligner que cette organisation et Samidoun ont poursuivi un travail d’entrisme au sein de la faculté Toulouse-Jean-Jaurès, comme je le démontre dans mon ouvrage. J’y détaille également les figures politiques qui se sont opposées à la dissolution de ce collectif et ont continué à l’appuyer. Ces mêmes personnalités n’hésitent pas à reprendre le slogan « libérer la Palestine de la mer au Jourdain », appel signé par plusieurs députés de La France insoumise, et affichent également leur soutien à Georges Ibrahim Abdallah.
Enfin, à Fontenay-sous-Bois, mes recherches sur Samidoun m’ont conduite à constater leur participation à un tournoi de football présenté comme organisé en soutien à Gaza. Des militants de ce collectif, le visage dissimulé par des keffiehs mais revendiquant ouvertement leur appartenance à l’organisation, ont encadré des enfants dans le cadre d’actions explicitement tournées vers la résistance palestinienne. Cet événement, organisé dans un espace public relevant de la municipalité, s’est accompagné d’appels directs à soutenir cette résistance. Samidoun a ainsi pris l’habitude d’organiser, dans des salles municipales, des manifestations que je répertorie dans mon livre et où les enfants sont encouragés à écrire des lettres aux martyrs ou à réaliser des dessins à leur intention. Ces collectifs ciblent particulièrement la jeunesse et, plus spécifiquement, les enfants et les étudiants.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Madame Bussigny, je tiens à saluer votre présence courageuse. Vous n’avez pas demandé le huis clos pour cette audition, preuve que vous souhaitez livrer un témoignage public servant l’intérêt de notre nation. À l’instar d’Omar Youssef Souleimane, que nous avons auditionné la semaine dernière, vous dénoncez la participation de certains élus de la République à des manifestations où des islamistes notoires jouent un rôle prépondérant. Selon vous, cette participation relève-t-elle d’une démarche électoraliste visant à conquérir l’électorat musulman en instrumentalisant les souffrances des Gazaouis, ou s’inscrit-elle dans une dynamique plus structurelle ? Nos auditions révèlent en effet un certain antagonisme puisque les services de l’État évoquent d’éventuelles connivences sans les considérer comme structurantes, tandis que les auteurs tels que vous suggèrent l’existence de connivences étroites entre certains élus et ces mouvances islamiques.
Mme Nora Bussigny. J’ai effectivement proposé à M. Souleimane de m’accompagner lors de plusieurs manifestations et nous avons couvert ensemble différents événements, comme je le détaille dans mon ouvrage. Les figures que déjà mentionnées, telles que Houria Bouteldja ou Elias d’Imzalène, affirment toutes ouvertement leur volonté d’investir un parti politique bien précis, à savoir La France insoumise. Bien qu’ils considèrent, selon leurs propres termes, que M. Jean-Luc Mélenchon puisse être qualifié d’« islamophobe », ils estiment néanmoins que ce parti demeure le plus susceptible de défendre leurs intérêts. J’ai longuement développé ces éléments dans mon ouvrage en citant chacun de ces acteurs, les informations reposant sur des sources ouvertes et sur des archives que j’ai pu reconstituer à partir de l’analyse de leurs discours.
Il apparaît ainsi que certains collectifs et figures militantes s’inscrivent dans une démarche structurelle animée par l’ambition d’investir un parti politique, même si l’ensemble de ses positions ne correspond pas à leurs orientations. Leur stratégie consiste alors à cibler certains candidats qu’ils choisissent de soutenir, car ils ne se reconnaissent pas dans l’intégralité des figures de ce mouvement. Dans cette perspective, certaines personnalités jouent le rôle d’éléments de réconciliation, comme c’est le cas de Mme Hassan, sur laquelle j’ai mené un travail approfondi et que nous aurons l’occasion d’évoquer ultérieurement. Selon ces militants, elle incarne l’exemple le plus vertueux, le plus radical et le plus efficace dans la progression de leur cause.
S’agissant de l’autre versant de la question, je précise ne pas être personnellement engagée dans ces structures militantes et ne pas vouloir m’exprimer au nom des partis politiques, ni les accuser formellement de séduction électoraliste. Il demeure toutefois légitime de s’interroger, particulièrement lorsque certaines figures politiques ne semblent pas se réjouir des accords de paix conclus entre Israël et le Hamas et qu’elles appellent, comme j’ai pu l’observer place de la République, à maintenir la pression sur le gouvernement français en poursuivant les manifestations, sur l’existence éventuelle d’une volonté délibérée d’entretenir les tensions, notamment auprès de la jeunesse. Car au-delà d’une stratégie visant à séduire un électorat musulman, il apparaît que la jeunesse dans son ensemble constitue une cible prioritaire, ce qui explique l’investissement massif observé sur de nombreux campus. J’espère que nous pourrons aborder la question d’un collectif lié aux Frères musulmans qui s’implante dans ces campus et accueille des personnalités politiques, son objectif déclaré étant d’instaurer une intifada au sein même des universités. C’est d’ailleurs ce qui justifie que de nombreuses personnalités politiques, que je cite dans mon livre, aient encouragé les étudiants à bloquer leurs facultés et à semer le chaos sur leurs campus. Dès lors, il me paraît essentiel de souligner que, bien au-delà de l’électorat musulman, l’ensemble de la jeunesse constitue une cible prioritaire en vue des échéances électorales de 2026 et 2027.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. De nombreux jeunes gens participent à ces manifestations, souvent animés par un sentiment louable et potentiellement légitime de vouloir protéger la population civile de Gaza. Leur critique d’un gouvernement, celui de Benyamin Netanyahou, se trouve fréquemment récupérée, amplifiée et déformée par les mouvances islamistes pour propager une haine des juifs plus générale. Comment établir une frontière hermétique, dans l’esprit de nos jeunes, entre la critique légitime de l’action temporaire d’un État et le risque de basculer dans l’antisémitisme ?
Mme Nora Bussigny. La première difficulté tient à une confusion fondamentale des définitions. Lors de mes nombreuses immersions sous couverture auprès de jeunes militants, aucun d’entre eux n’a été en mesure de fournir une explication claire et précise du terme « sioniste », alors même qu’ils venaient de scander « sionistes fascistes, c’est vous les terroristes », slogan extrêmement répandu dans ces manifestations. Pour ces jeunes, un sioniste se réduit à une personne qui soutient le gouvernement de Benyamin Netanyahou. Ils distinguent ainsi deux catégories, les « sionistes » d’une part, toujours désignés comme juifs, et les « complices du sionisme » d’autre part, systématiquement non-juifs, parmi lesquels j’ai moi-même été accusée de figurer. J’ai ainsi recueilli de nombreux témoignages de militantes LGBT et féministes relatant l’expérience d’être juives et engagées dans des luttes progressistes, tout en devant sans cesse prouver leur légitimité. En raison de leur judéité, elles étaient en effet contraintes de se déclarer opposés à l’existence même de l’État d’Israël, au-delà d’une simple critique du gouvernement Netanyahou, et d’apporter en permanence des gages de leur engagement en faveur de la lutte armée palestinienne.
Au fil de mes immersions, j’ai également identifié des stéréotypes antisémites classiques, reformulés par un simple glissement lexical substituant le terme « sioniste » à celui de « juif ». Cette rhétorique m’est apparue de manière particulièrement flagrante lors d’une formation organisée par Urgence Palestine, à laquelle j’ai participé sous couverture. Les intervenants y ont exposé sans ambiguïté l’existence d’un prétendu « complot sioniste » en France, affirmant que les sionistes contrôleraient les médias et auraient infiltré le gouvernement ainsi que nos institutions démocratiques. Ces accusations ne sont rien d’autre qu’une reproduction fidèle des tropes antisémites traditionnels, déjà observés historiquement à l’extrême droite, ce qu’il importe de rappeler.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Selon vous, les élus présents à ces manifestations agissent-ils comme facilitateurs de cet amalgame, contribuant au développement d’un fort sentiment antisémite parmi la jeunesse de notre pays et, par conséquent, comme vecteurs de séparatisme au sein même de notre nation ?
Mme Nora Bussigny. Je répondrai à nouveau par des faits concrets. Mme Hassan a été invitée à Sciences Po en mars 2024, alors qu’elle n’était pas encore élue. Dans mon ouvrage, je rapporte, à partir des nombreux témoignages d’étudiants, de professeurs et de membres de la direction de l’établissement, comment sa présence et la conférence qu’elle a donnée aux côtés de M. Rony Brauman ont constitué l’élément déclencheur des tensions internes à Sciences Po. À la suite de cet événement, une étudiante juive s’est vu refuser l’accès à l’un des campus occupés par les militants, au motif qu’elle serait une sioniste, formule que je retranscris dans mon livre.
Lorsque des élus politiques participent à de telles manifestations ou rencontres, ils offrent une caution républicaine et institutionnelle à des mouvements de nature révolutionnaire. Tel est le cas lorsqu’un député de La France insoumise assiste à une soirée de soutien à M. Elias d’Imzalène, organisée conjointement avec Les Soulèvements de la Terre et Samidoun dans une salle municipale. Tel est encore le cas lorsque plusieurs élus de la République se trouvent place de la Nation au moment où M. d’Imzalène conclut un rassemblement en appelant à faire l’intifada.
Ces exemples, parmi d’autres, montrent que leur présence fonctionne comme une forme de caution, pouvant conduire les militants à considérer que, si ces représentants institutionnels ne réagissent pas lorsque certaines limites sont franchies, c’est qu’il n’existe finalement aucune limite à respecter. Ce n’est que lorsque les médias relaient certains propos et les qualifient d’apologie du terrorisme que ces militants s’étonnent d’une telle caractérisation, puisqu’ils constatent que des élus étaient présents sans manifester la moindre désapprobation.
J’ai documenté dans mon enquête de nombreuses manifestations et rencontres parfois très confidentielles, organisées dans la rue ou dans des squats, au cours desquelles des élus étaient présents alors que l’on scandait « Vive la résistance armée » sans qu’ils n’expriment la moindre objection. Une telle absence de réaction équivaut de fait à une légitimation républicaine.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Dans votre ouvrage, vous mettez en lumière une convergence des luttes autour de la cause palestinienne entre des associations apparemment antagonistes, comme les organisations LGBT et féministes, qui seraient pourtant certainement persécutées par le Hamas si elles se trouvaient à Gaza. Vous avez observé, lors de votre participation à certaines manifestations, l’exclusion de féministes juives et l’émergence d’un important antisémitisme au sein même de ces associations. Ces structures étant fréquemment subventionnées par des collectivités territoriales ou par l’État, pourriez-vous nous indiquer quelles associations féministes, LGBT ou autres, vous semblent avoir dangereusement dévié de leur mission initiale, et préciser si ces associations soutiennent particulièrement un ou plusieurs partis politiques ?
Mme Nora Bussigny. Dans mon ouvrage, j’établis une liste précise des différentes personnalités issues des collectifs féministes et LGBT, en veillant à identifier spécifiquement les membres de ces associations. Concernant le milieu LGBT, j’évoque l’ancien président de l’organisation historique Act up, engagée dans la lutte contre le VIH. J’y décris les difficultés internes de cette structure tout en constatant que, depuis son départ récent de la présidence, des évolutions positives semblent s’opérer en son sein.
J’analyse également le collectif Nous Toutes, l’un des mouvements féministes les plus importants de France, qui coordonne chaque année les manifestations de la journée internationale des droits des femmes du 8 mars et celles du 25 novembre. Je mets en évidence sa participation aux côtés de Samidoun et d’Urgence Palestine, en développant particulièrement les événements du 8 mars 2025, passage central de mon ouvrage. Ces organisations s’inscrivent désormais dans une logique qu’elles qualifient d’« inter-orga », reposant sur un principe d’horizontalité où chaque collectif prend part aux décisions et contribue à l’organisation des manifestations. Ce fonctionnement a facilité l’entrisme de groupes comme Urgence Palestine et Samidoun, un phénomène déjà perceptible dès novembre 2023 mais qui a récemment franchi un point de non-retour lorsque ces collectifs ont choisi d’exclure explicitement ceux qu’ils désignent comme des groupes « sionistes et fascistes ».
J’ai moi-même observé des membres de Samidoun distribuer des tracts dans la manifestation, assortis de la consigne de ne pas démarrer la manifestation tant que le collectif Nous Vivrons et ses alliés seraient présents, en particulier Femme Azadi, qui regroupe des femmes iraniennes et soutient avec courage les féministes de Nous Vivrons. Je me suis placée au niveau du blocus ainsi organisé, et c’est précisément à cet endroit qu’a éclaté un incident violent visant le député Jérôme Guedj. Pris à partie par des militants qui l’ont chargé en criant « sale sioniste » alors qu’il tentait de rejoindre Nous Vivrons et Femme Azadi, M. Guedj n’a pu se dégager qu’avec difficulté. J’ai pu lui fournir les vidéos de cette agression car, bien que dans l’impossibilité d’intervenir afin de préserver mon anonymat, j’ai documenté cette scène.
Dès le 8 mars 2024, j’ai par ailleurs constaté que Nous Vivrons subissait des jets de tessons de bouteilles ou d’œufs et des insultes. Je précise qu’ils étaient protégés par le service de protection de la communauté juive (SPCJ) et non par la Ligue de défense juive (LDJ), contrairement aux accusations émises par certains députés, information aujourd’hui vérifiée. J’ai également identifié sur une photographie M. Omar Alsoumi, porte-parole d’Urgence Palestine, lançant une bouteille en direction des féministes juives. Je l’ai contacté à ce sujet mais il n’a pas souhaité me répondre.
Je consacre enfin une partie importante de mon ouvrage à Mme Louisa Yousfi, militante du collectif Parole d’Honneur, codirigé par Houria Bouteldja. Dès le 7 octobre, Louisa Yousfi a affiché sur ses réseaux sociaux (suivis par près de 15 000 abonnés) son soutien à ce qu’elle nomme « la résistance armée ». Cette même personne a bénéficié d’une résidence d’un an à la Villa Médicis, dotée d’un financement public d’au moins 42 000 euros, au détriment d’autres auteurs ou autrices non sélectionnés. Durant ce séjour en Italie, financé par les contribuables, elle a publiquement porté le deuil de figures du Hamas sur ses réseaux et a invité Houria Bouteldja afin d’effectuer ensemble une tournée des mouvements propalestiniens et antisionistes italiens.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Pour revenir sur Samidoun, rappelons que cette organisation a été interdite en Allemagne, aux États-Unis, au Canada et aux Pays-Bas, dont les services de renseignement établissent des liens organiques avec le Front Populaire de Libération de la Palestine, inscrit sur la liste des organisations terroristes de l’Union Européenne. Quel rôle concret Samidoun a-t-il joué dans les manifestations auxquelles vous avez participé ? Quelle a été leur influence ? Avez-vous observé des connivences entre certains élus présents et les membres de cette association ?
Mme Nora Bussigny. J’ai effectivement observé l’existence de liens avec plusieurs élus, que je nomme dans mon ouvrage mais que je ne citerai pas ici, et qui appartiennent à des formations politiques diverses. Samidoun a considérablement accru son influence en France et ce collectif, initialement peu implanté sur notre territoire, a progressivement gagné en visibilité grâce à ses collaborations avec Urgence Palestine et Palestine Vaincra, jusqu’à s’imposer comme un acteur central de différentes mobilisations.
Je les ai personnellement identifiés à Sciences Po lors des blocus et manifestations, puisqu’ils occupaient physiquement les locaux aux côtés de députés venus apporter leur soutien aux mobilisations étudiantes. Leur implantation bénéficie également d’un accès remarquablement aisé à de nombreuses salles municipales, où ils organisent leurs rencontres et leurs cérémonies de soutien à ceux qu’ils qualifient de martyrs.
Je suis en outre toujours inscrite à leur canal Telegram, où j’ai pu vérifier leur position récente à propos des accords de paix. Ils y qualifient l’Autorité palestinienne de « traitresse » et appellent explicitement à « soutenir la résistance armée » contre cette même autorité. Mon ouvrage documente de manière exhaustive l’influence de ce collectif dans de nombreuses institutions, en particulier à l’Université libre de Bruxelles et sur le campus de Toulouse-Jean-Jaurès. Ces éléments démontrent sans ambiguïté que leur engagement ne se limite pas à la défense de la cause palestinienne, mais qu’il vise spécifiquement le soutien à ce qu’ils désignent eux-mêmes comme la « résistance armée ».
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Certaines universités ont été mobilisées dans ces manifestations. Quels ont été, selon vous, les principaux vecteurs de cette mobilisation ?
Mme Nora Bussigny. Le phénomène présente de fortes similitudes avec celui observé à l’Université libre de Bruxelles, où la situation a atteint un paroxysme, même si cet exemple ne relève pas directement de notre cadre national. Les connexions transnationales demeurent néanmoins déterminantes, puisque nous voyons des collectifs extérieurs, comme à Strasbourg, agir en lien avec des groupes palestiniens locaux, exerçant une influence considérable sur les étudiants.
Dans mon ouvrage, j’examine ces dynamiques ville par ville. Je décris notamment comment, sur le campus de Toulouse-Jean-Jaurès, des étudiants de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) ont mis au jour des correspondances entre les listes d’étudiants impliqués dans certains collectifs universitaires et celles des militants de Palestine Vaincra ou de Samidoun. Ce constat s’explique par l’adhésion de nombreux étudiants à des organisations comme Urgence Palestine, Samidoun, Palestine Vaincra et d’autres structures similaires. Nous observons donc à la fois un soutien externe, validé par des personnalités politiques que je cite dans mon livre, et interne, porté par ces étudiants militants.
Il convient également de souligner l’importance des relais internationaux, notamment l’organisation Students for Justice in Palestine, sur laquelle j’ai mené une enquête approfondie en me rendant sur le campus de Columbia aux États-Unis. Ces mouvements d’intifada étudiante sont en effet nés aux États-Unis avant de se diffuser sur plusieurs campus français. Students for Justice in Palestine a été fondée en 1993 à Berkeley par Hatem Bazian, professeur de droit islamique qui affiche ouvertement son soutien à l’équivalent américain des Frères musulmans, le Council of American-Islamic Relations (CAIR). Une antenne de Students for Justice in Palestine s’est implantée à Sciences Po peu après le 7 octobre, ouvrant la voie à l’intervention de Mme Rima Hassan dans cet établissement.
Dès les attaques du 7 octobre, l’organisation a ainsi élaboré ce qu’elle a désigné comme une « boîte à outils » à l’usage des étudiants, exposant la prétendue légitimité des actes du Hamas et fournissant des arguments destinés à contester toute qualification de pogrom ou d’agression terroriste. Cette structure a par ailleurs coorganisé les protestations à Sciences Po, caractérisées par des blocus particulièrement violents, et accueilli Mme Hassan.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous affirmez qu’il existe « une véritable infiltration de la mouvance islamiste dans toute la société française grâce à l’aide efficace, réfléchie, programmée de la gauche radicale ». Pouvez-vous nous expliquer comment se manifeste cette infiltration et quelle est l’aide apportée, selon vous, par la gauche radicale ? D’autres mouvements politiques sont-ils également concernés ?
Mme Nora Bussigny. Je souhaite évoquer certains collectifs qui ont été reçus au Parlement européen, parmi lesquels figure le Forum des organisations musulmanes et des jeunes étudiants européens (Forum of European Muslim Youth and Student Organisations, Femyso), créé par la Fédération des organisations islamiques en Europe, elle-même émanation des Frères musulmans à l’échelle du continent. Le Femyso a été accueilli au Parlement européen par Mme Rima Hassan, tout comme Lallab, un autre collectif sur lequel j’ai mené une enquête approfondie qui se présente comme un mouvement féministe luttant contre l’« islamophobie ». Mes investigations ont démontré que Lallab a été cofondé par Attika Trabelsi, qui a résidé à l’Institut européen des sciences humaines (IESH), établissement récemment dissous par le gouvernement après avoir formé pendant trois décennies des figures fréristes, des aumôniers et des imams, dont certains auraient rejoint des mouvements djihadistes.
Shahin Hazami, identifié comme agent d’influence de la République islamique d’Iran, a en outre participé à des webinaires aux côtés d’élus issus de différents partis politiques. Ses actions militantes, telles que le jet de faux sang sur la façade de Sciences Po, ont été relayées et approuvées publiquement sur les réseaux sociaux par Mme Rima Hassan et il entretient des connexions multiples avec diverses personnalités politiques.
Je pourrais développer davantage, mais cela impliquerait de citer des noms, ce que vous ne souhaitez pas. Il est toutefois essentiel de rappeler que certains collectifs, à l’instar du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dissous mais soupçonné de s’être reconstitué sous l’appellation Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE), ont été reçus jusqu’à l’Assemblée nationale par un élu de La France insoumise. Le soutien à cette organisation n’émane toutefois pas seulement de cet élu précis, puisque d’autres représentants du même parti manifestent ouvertement leur appui au CCIE, collectif pourtant lié à la campagne de dénigrement ayant visé Samuel Paty. Un autre exemple significatif concerne Mme Mariam Abou Daqqa, militante du Front populaire de libération de la Palestine, qui a reçu une invitation à l’Assemblée nationale de la part d’une élue de La France insoumise. Je dispose de nombreux autres cas de ce type, que je pourrai transmettre ultérieurement avec les preuves nécessaires, l’essentiel de mon enquête reposant sur des sources ouvertes.
Il convient enfin de préciser que d’autres formations politiques sont impliquées puisqu’Europe Écologie Les Verts apparaît notamment dans mes recherches, avec certaines personnalités entretenant des relations avec des organisations promouvant un islam radical. Je choisis soigneusement ces termes afin d’éviter tout amalgame avec la communauté musulmane dans son ensemble. J’ai également identifié d’anciens membres de La République en marche (LREM) et des Républicains dont je ne peux révéler l’identité en cet instant, mais dont je pourrai vous communiquer les liens avec le Femyso ainsi qu’avec d’autres associations comme l’Union des organisations islamiques en France (UOIF), émanation des Frères musulmans. LFI n’est donc pas la seule formation concernée, même si elle apparaît de manière beaucoup plus centrale dans les éléments et les preuves que j’ai pu réunir.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Dans le chapitre 12 de votre ouvrage, vous revenez particulièrement sur la situation de Rima Hassan. Quel lien lui attribuez-vous avec des individus ou groupes de la mouvance islamiste et de quels éléments disposez-vous pour prouver ces liens ?
Mme Nora Bussigny. Comme je l’indiquais précédemment, le Femyso constitue un exemple particulièrement explicite, tout comme le collectif Lallab, que Mme Rima Hassan a invité au Parlement européen. Ce dernier met d’ailleurs en lumière des personnalités particulièrement problématiques. Désormais érigé en porte-étendard de la cause palestinienne, il a ainsi fait la promotion de plusieurs figures du féminisme islamique. Cette mouvance n’est pas récente puisque, dès 2003, Tariq Ramadan incitait les femmes à investir la question féminine afin de présenter l’interdiction du port du voile comme relevant d’une prétendue « islamophobie ». Lallab a ainsi valorisé et soutenu des personnalités telles que Meherzia Labidi Maïza, ancienne députée du parti islamiste tunisien Ennahdha, issu de la mouvance des Frères musulmans. Figure également Asma Lamrabet, auteure d’un ouvrage préfacé par Tariq Ramadan dans lequel elle est accusée de légitimer certaines violences conjugales. On peut encore citer Zahra Ali, théoricienne du féminisme islamique. C’est donc ce collectif, qui promeut de telles figures, qui a donc été reçu au Parlement européen par Mme Rima Hassan.
J’ai par ailleurs révélé l’an dernier, dans un article publié dans Le Point et que je développe dans mon ouvrage, la participation de Rima Hassan à une manifestation pro-Hamas en Jordanie. J’y expose la manière dont j’ai pu identifier le caractère radical de cette mobilisation, qu’elle avait pourtant cherché à dissimuler. Ses liens avec Students for Justice in Palestine, déjà évoqué, ainsi que son approbation publique pour les contenus de Shahin Hazami, méritent également d’être soulignés. Il y a deux jours, elle a d’ailleurs diffusé le message « One by one » en référence à un article décrivant comment le Hamas élimine individuellement chaque civil palestinien accusé d’être un ennemi de l’organisation armée.
J’expose enfin, dans mon enquête, la manière dont Rima Hassan, par ses pratiques de doxing, a mis en danger des élus locaux, notamment Pernelle Richardot, élue socialiste à Strasbourg désormais placé sous protection fonctionnelle. Celle-ci témoigne dans mon livre des pressions exercées par Mme Hassan à travers les collectifs propalestiniens locaux qu’elle mobilise.
Mme Constance Le Grip (EPR). Je tiens à vous exprimer, madame, ma profonde reconnaissance pour votre présence aujourd’hui, car votre courage et votre engagement forcent le respect et votre ouvrage se révèle à la fois passionnant et angoissant, puisqu’il nous oblige à regarder la réalité en face, particulièrement lorsque nous devons affronter l’adversité. Vous décrivez de manière extrêmement argumentée, documentée et sourcée et donc, selon mon analyse, inattaquable, la convergence des luttes, et vous exposez les mécanismes qui ont conduit à cette convergence ainsi qu’à l’identification d’un ennemi commun fédérateur, à savoir le juif, le sioniste, d’où le titre Les nouveaux antisémites. En réalité, votre analyse dépasse largement la seule lutte contre l’antisémitisme galopant qui gangrène notre société, aussi fondamentale soit-elle, puisque ce sont nos valeurs républicaines qui se trouvent mises en causes, l’idée même d’une République laïque, universaliste et protectrice des droits des femmes et des libertés individuelles.
Ma question porte sur les véritables motivations des élus de la gauche radicale, particulièrement ceux de La France insoumise, qui manifestent cette accointance, cette complaisance, cette connivence que vous décrivez : s’agit-il uniquement d’un intérêt électoraliste cynique visant à séduire les voix des musulmans de France, démarche par ailleurs extrêmement méprisante et dégradante envers cette communauté, ou, au-delà de cet opportunisme électoral orienté vers la conquête de places fortes, de mairies, et peut-être d’autres mandats, existe-t-il selon vous d’autres motifs à cette convergence d’intérêts ? Est-ce la vision révolutionnaire portée par La France insoumise qui justifie que le chaos, l’affrontement et la radicalité puissent légitimer tous les expédients, et cette conception révolutionnaire revendiquée par ses membres autorise-t-elle, à leurs yeux, à emprunter les chemins de l’antisémitisme, de l’antisionisme et de l’islamisation de la cause palestinienne ?
Mme Nora Bussigny. La notion de « chaos » résume précisément la logique que m’a livrée un militant insoumis lors de mon immersion, qui m’a confié : « La révolution se fera avec ou sans les urnes ». Cette formule illustre sans détour leur raisonnement, qui consiste à se satisfaire pour l’heure des élections municipales puis, si cette voie apparaît insuffisante, à provoquer le chaos par tous les moyens. C’est la raison pour laquelle j’ai pris soin de citer plusieurs figures accusées d’antisémitisme, d’accointances avec le frérisme et de militantisme radical, qui affirment ouvertement que La France insoumise et ces autres partis doivent être investis puis radicalisés progressivement, l’objectif final étant bien celui d’une révolution génératrice de chaos.
Ce qui rend possible cette accointance entre islamisme et ultra-gauche, c’est cette haine profonde de l’État et de ses représentants (justice, police et, plus largement, l’ensemble de nos institutions démocratiques) qui constitue l’un des moteurs centraux du mouvement, sans doute second seulement après la prétendue empathie pour les civils palestiniens. J’ai longuement évoqué cette hostilité aux forces de l’ordre dans mon précédent ouvrage Les Nouveaux Inquisiteurs, en relatant ma participation à la Semaine décoloniale bien avant le 7 octobre, au cours de laquelle l’objectif explicite était d’attiser la haine des forces de l’ordre en scandant, dans une salle municipale, « un bon flic est un flic mort » et « un flic, une balle, justice sociale ». Nous observons donc clairement la volonté de communautarisation et le rejet actif de nos institutions et des représentants de la loi.
M. Nicolas Dragon (RN). Certains manifestants refusent de condamner les actions du Hamas, notamment celles du 7 octobre, ou défilent aux côtés de groupes classés comme proches des terroristes, invoquant la convergence des luttes. Pourtant, dans la bande de Gaza sous contrôle du Hamas, nous savons que les personnes homosexuelles, transgenres, ainsi que la liberté des femmes sont gravement mises à mal. Comment expliquer cette hypocrisie ou cet aveuglement de militants français qui, sur notre sol, revendiquent l’égalité hommes-femmes et défendent les droits des personnes de toutes orientations sexuelles, tout en soutenant de tels mouvements ?
Mme Nora Bussigny. Cette question trouve sa réponse dans les nombreux témoignages de militantes féministes et de militants LGBT que j’ai recueillis. Elle me taraude moi-même et revient systématiquement lors de mes conférences : comment des militants peuvent-ils soutenir le Hamas tout en connaissant l’application de la charia en Palestine ? La clé de compréhension réside dans le prisme décolonial, puisque cette grille de lecture s’impose désormais sur toutes les autres formes de discriminations. Une éminente militante féministe témoigne dans mon ouvrage d’un phénomène observé peu avant le 7 octobre, notamment lors du décès du jeune Nahel Merzouk, lorsque des militants accusés de violences sexistes et sexuelles ont été réintégrés dans les luttes féministes et LGBT sous prétexte que « l’urgence était l’antiracisme », formule qui leur était explicitement signifiée. Le 7 octobre a considérablement amplifié cette dynamique.
Dans Les Nouveaux Inquisiteurs, je relate ma participation sous couverture à l’organisation de la Pride radicale, événement qui se tient depuis plusieurs années à Paris. Lors de cette édition, des pratiques de ségrégation raciale ont été appliquées dans les rues et, en tant que personne considérée comme « racisée », j’ai été chargée de trier les participants selon leur couleur de peau. Les personnes blanches devaient se placer en fin de cortège afin de laisser l’avant aux « non-blancs », et même les couples LGBT, s’ils étaient blancs, étaient relégués à l’arrière. La grille décoloniale primait alors sur toutes les autres.
Lorsque le 7 octobre est survenu, j’ai réactivé l’un des nombreux faux profils créés pour mes enquêtes. Grâce à ces identités numériques crédibles, qui me permettent d’intégrer des boucles Telegram, j’ai pu constater que de nombreux collectifs féministes et LGBT, certains bénéficiant de financements publics que je cite nommément dans mon livre, célébraient les attaques en évoquant le magnifique spectacle du « colonisé qui se rebellait contre le colon » et de « l’opprimé qui se défendait contre l’oppresseur ». Ce discours binaire propre à la pensée décoloniale attribue systématiquement à un camp le statut de « colonisé » et à l’autre celui de « colon », indépendamment des réalités. C’est dans cette logique que l’on entend régulièrement, dans les manifestations auxquelles j’ai assisté, le slogan « L’Algérie a vaincu, la Palestine vaincra ».
Mme Caroline Yadan (EPR). Il n’est pas aisé de s’exprimer publiquement sur ces sujets, et beaucoup préfèrent le huis clos pour des raisons de sécurité, mais vous avez choisi l’inconfort en décidant de témoigner devant nous tous. Je souhaite donc vous féliciter sincèrement, ainsi que pour votre travail, que je considère essentiel à notre compréhension collective et que je recommande vivement aux élus de la République comme à nos concitoyens.
Ma question porte spécifiquement sur Samidoun et sur le rôle central que ce collectif joue dans l’infiltration de l’islamisme, car nous avons rappelé qu’il est considéré comme proche du FPLP et classé organisation terroriste par le Canada, les États-Unis et les Pays-Bas, tandis que l’Allemagne l’a également interdit en octobre 2023. Dans votre ouvrage, vous décrivez sa présence en France dans des contextes variés, puisque vous l’avez constatée lors de manifestations féministes place de la République, dans des meetings politiques à l’espace Robespierre d’Ivry-sur-Seine, mais également dans des événements municipaux destinés aux mineurs, notamment des tournois sportifs à Fontenay-sous-Bois ou des ateliers de dessin à Corbeil-Essonnes. Vous relatez en outre un épisode datant du 20 octobre 2024 où vous auriez photographié, à une même table entourée de drapeaux palestiniens, Adèle de Samidoun, Omar Alsoumi d’Urgence Palestine et un député LFI réunis pour défendre le prédicateur radical Elias d’Imzalène, et vous mentionnez enfin une importante mobilisation à la fin d’octobre 2024 à Aubervilliers, organisée dans une salle municipale avec notamment Samidoun, Urgence Palestine, Les Soulèvements de la Terre et plusieurs élus LFI. Ces observations laissent entrevoir une présence active, organisée et politisée de Samidoun en France, bénéficiant de connivences locales et nationales et allant parfois jusqu’à l’accès à des équipements municipaux pour la tenue de ses événements.
J’aimerais donc vous poser trois questions précises. Premièrement, comment Samidoun a-t-il acquis une capacité d’infiltration aussi aisée au sein du tissu militant français ? Deuxièmement, confirmez-vous l’existence d’une véritable stratégie de séduction de ces mouvements islamistes envers la jeunesse, parfois accompagnée par certains élus de la République, notamment par le biais de Students for Justice in Palestine ? Enfin, quelles mesures préconisez-vous pour lutter contre ce militantisme radical islamiste ainsi que contre leurs éventuels complices, qu’il s’agisse d’élus ou de partis politiques ?
Mme Nora Bussigny. Nous avons souvent parlé, à juste titre, d’Urgence Palestine, que j’ai moi-même placée au centre de mon enquête, mais Samidoun demeure moins examiné, contrairement à la Belgique où l’un de ses porte-parole, Mohamed Khatib, est désormais interdit de territoire. Dans mon ouvrage, je relate comment cette organisation a agressé des élus en Belgique, notamment lors de manifestations féministes, ainsi que ses actions sur le campus de l’Université libre de Bruxelles et ses tentatives similaires en France. Vous avez rappelé, à juste titre, l’interdiction de Samidoun prononcée en Allemagne en octobre 2023, après que les autorités ont pu établir des liens tangibles avec le Hamas. Il est particulièrement révélateur que, dans la foulée du 7 octobre, cette organisation déjà classée terroriste en Allemagne ait organisé une distribution de pâtisseries à Berlin pour « fêter la victoire de la résistance », en référence aux attaques.
En France, nous retrouvons exactement le même discours dans les cercles de Samidoun ou sur leurs boucles Telegram. Durant mon immersion, j’ai pu intégrer leur canal international, que la plateforme a suspendu en raison de la classification terroriste du collectif dans plusieurs pays, mais le canal Samidoun Paris banlieue reste actif et compte aujourd’hui plus de 500 membres, un nombre en nette progression depuis sa création. Leur présence demeure également visible sur Instagram, même si leur compte a récemment été suspendu ou désactivé, probablement pour effacer des publications compromettantes après les dénonciations que j’ai formulées. La France semble donc en net retard sur ce sujet, alors même que l’organisation est classée terroriste pour des motifs légitimes dans de nombreux pays.
La jeunesse constitue en effet l’axe prioritaire de leur stratégie. J’ai ainsi recensé d’innombrables événements organisés en direction des enfants, tels que des ateliers de dessin où ils étaient incités à écrire des messages aux martyrs, mais également le tournoi de football à Fontenay-sous-Bois, dont j’ai publié des photographies particulièrement saisissantes où l’on voit des enfants travestis en petits combattants, le visage recouvert d’un keffieh, incités à brandir des drapeaux comme des fusils, pour instiller l’idée que la résistance est en marche, y compris en France. Leur objectif manifeste est de former de nouveaux militants au sein même du collectif et j’ai ainsi rencontré de nombreux étudiants intégrés dans leurs rangs, notamment à l’université Jean-Jaurès de Toulouse et à Paris, ce qui leur assure un accès privilégié aux campus.
Il faut voir Samidoun comme une pieuvre. Cette image, souvent associée aux mouvances fréristes, s’applique tout autant à cette organisation : une tentacule coupée se régénère aussitôt sous une autre forme. Ainsi, la dissolution de Palestine Vaincra a rapidement été contournée par l’activisme de Samidoun en arrière-plan, de la même manière qu’Urgence Palestine, en cours de dissolution, continue d’agir. Mon enquête contient de nombreux éléments attestant de leur complaisance envers le terrorisme et de leur ambition de reproduire en France un « déluge d’Al-Aqsa », ce qui est d’une extrême gravité et revient à appeler à un nouveau Bataclan. Nous devrions nous interroger en pleine conscience sur ce danger, d’autant que le collectif Gale de Lyon, pourtant dissous, a encore défilé le 7 octobre 2025 avec des banderoles appelant explicitement au « déluge d’Al-Aqsa » en France.
Ces constats rejoignent votre question sur mes recommandations. Il est avant tout impératif de vérifier l’absence de reconstitutions d’associations dissoutes et d’examiner de près la porosité entre collectifs. Je comprends parfaitement que la loi impose de limiter les dissolutions à des organisations précisément identifiées, mais cette contrainte se heurte à la réalité de ces structures qui se recomposent et s’entrelacent. C’est ce que j’ai voulu démontrer en retraçant mes dons financiers vers Samidoun, qui se sont retrouvés sur les comptes d’Urgence Palestine lors d’événements municipaux, preuve d’une communauté de financement. Nous faisons face à des tentacules qui se reconstituent inlassablement, et cette porosité complique considérablement toute tentative de les neutraliser durablement.
Mme Géraldine Grangier (RN). Madame Bussigny, c’est un véritable honneur de vous recevoir aujourd’hui Je vous suis depuis plusieurs années et votre présence m’émeut profondément, car vous faites preuve d’un courage exceptionnel. J’admire votre capacité d’immersion au sein de collectifs particulièrement violents dont les propos, d’une extrême dureté envers les forces de l’ordre, invoquent la résistance et le « déluge d’Al-Aqsa », ce qui nous choque profondément.
Ma question porte sur l’objectif réel que poursuivent les militants de Samidoun et d’Urgence Palestine. S’agit-il véritablement de défendre la cause palestinienne, d’acquérir un jour le pouvoir en France, de promouvoir une pratique plus rigoureuse de l’islam, ou plutôt de semer le chaos en divisant les Français ? À qui profitent alors les liens avérés entre certains députés, élus de la République, et ces militants ? Qui instrumentalise l’autre ? Vous avez en effet indiqué que les élus servaient de cautions républicaines tandis que ces collectifs fonctionnent également comme cautions électorales et qu’ils s’alimentent mutuellement à des fins électoralistes ou idéologiques. Dès lors, ces élus ne deviennent pas finalement les « idiots utiles » de collectifs fondamentalement antirépublicains et hostiles à la France ? Par ailleurs, selon vous, à quel moment les dérives antisémites observées à l’extrême gauche se sont-elles intensifiées ? Cette aggravation est-elle consécutive au 7 octobre ou existait-elle déjà avant ?
Mme Nora Bussigny. J’emploie en effet moi-même l’expression « idiots utiles » du Hamas pour qualifier cette relation ambivalente entre les différents acteurs que nous évoquons. Lorsque vous écouterez Emmanuel Razavi, qui interviendra prochainement, ou Mona Jafarian, porte-parole du collectif Femme Azadi d’origine franco-iranienne, vous verrez que l’un et l’autre établissent parfaitement le parallèle avec l’histoire iranienne. Dans ce pays, nous avons en effet assisté à une alliance entre une extrême gauche et l’islamisme, les premiers devenant les « idiots utiles » des seconds, comme en atteste l’avènement de la République islamique d’Iran. Ce n’est donc pas un hasard si, dans mes enquêtes et dans les manifestations auxquelles j’assiste, je croise de plus en plus fréquemment des Moudjahidines du peuple, phénomène qui afflige profondément mes consœurs iraniennes, contraintes de constater la participation de ces acteurs à des rassemblements en France malgré leur propre histoire nationale. Emmanuel Razavi développera ce point avec bien plus de légitimité que moi, puisqu’il est directement concerné et spécialiste de ces questions.
Nous observons des liens tangibles et avérés avec les Frères musulmans, porteurs d’une volonté délibérée de diffuser en France un discours et un islam radical, ce qui se manifeste notamment par l’instrumentalisation du féminisme. C’est précisément ce que j’ai voulu démontrer en citant ces collectifs reçus au Parlement européen et parfois soutenus par des élus locaux. Toutefois, les Frères musulmans n’adoptent pas une posture d’agression frontale ni de violence explicite, à la différence de collectifs particulièrement virulents comme Urgence Palestine. Samidoun, pour sa part, n’entretient pas de lien direct avec les Frères musulmans selon mes investigations, mais son mode opératoire relève davantage de la mouvance terroriste, oscillant entre des références au Hamas et au Front populaire de libération de la Palestine.
Nous devons donc distinguer deux dynamiques. D’un côté, la mouvance frériste, attestée et structurée, avance sous couvert de victimisation, radicalise la jeunesse et cible particulièrement la communauté musulmane, qui figure paradoxalement parmi ses premières victimes. De l’autre côté, nous observons des organisations au mode opératoire ouvertement violent, structurées mais fragilisées par l’impétuosité d’une base très jeune, et dont les actions tendent à provoquer chaos et affrontement. J’ai ainsi assisté à une réunion internationale de Samidoun où leurs représentants, venus de différents pays, se félicitaient d’avoir convaincu de nombreux étudiants de l’Université libre de Bruxelles et affirmaient clairement que leur stratégie consistait à investir tous les campus, à s’associer aux blocus et manifestations propalestiniens, et à consacrer du temps auprès des étudiants pour les rallier à leur cause.
Ce point mérite d’être rapproché de mon enquête sur Students for Justice in Palestine, qui avait mis en place des formulaires Google destinés aux étudiants les incitant à lister et dénoncer les professeurs et camarades qui « nieraient l’expérience palestinienne », sans préciser l’usage prévu de ces listes. Je révèle également dans mon ouvrage qu’à Columbia, le 24 mars 2024, la section locale de Students for Justice in Palestine a coorganisé un événement intitulé Résistance 101, lors duquel les étudiants ont pu échanger en visioconférence avec Khaled Barakat, membre du Front populaire de libération de la Palestine, organisation classée terroriste. Ce dernier les a félicités pour leurs actions militantes et les a encouragés à poursuivre cette « intifada des campus », affirmant que les combattants de Gaza étaient fiers de cette mobilisation étudiante.
Nous sommes donc confrontés à deux modes opératoires distincts : d’un côté, une approche subtile, insidieuse et inscrite dans le long terme, caractéristique des Frères musulmans, qui avancent par un discours progressif et, de l’autre, des organisations directement liées au terrorisme, qui cherchent à provoquer chaos et violence extrême et qui, en France, ont trouvé en certains députés et figures politiques leurs soutiens, en l’occurrence leurs « idiots utiles ».
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8. Audition, à huis clos, de M. Antoine Magnant, directeur du service à compétence nationale de TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (21 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur le directeur, ainsi que votre collaboratrice pour cette audition à huis clos. Vous dirigez un service de renseignement dont l’adage est « Faire parler l’argent ». Tracfin agit à cette fin en étroite collaboration avec les services de renseignement du premier cercle et contribue efficacement à la lutte contre les menaces pesant contre notre sécurité, notamment celle du le terrorisme. Pour avoir précédemment exercé différents postes au sein du ministère des finances, vous connaissez bien les circuits empruntés par certains réseaux opposés aux valeurs de notre République.
Ainsi, votre audition est importante pour nos travaux, bien que ceux-ci couvrent un champ assez resserré au regard de vos activités, puisque nous nous intéressons aux stratégies mises en œuvre par des groupes islamistes pour nouer des liens avec des élus nationaux et locaux. J’aurais trois questions préliminaires auxquelles vous pourrez répondre lors de votre propos liminaire, puis je laisserai la parole au rapporteur et aux autres commissaires. Quels sont les principaux flux financiers à risque entrant et sortant de notre pays ? Dans votre rapport d’activité pour 2024, vous mentionnez les risques particuliers pesant sur les personnes politiquement exposées, celles qui exercent ou qui ont récemment exercé des responsabilités publiques ; quels sont ces risques et comment en assurez-vous le suivi ? Dans le même rapport, vous indiquez que « la poursuite du conflit entre Israël et le Hamas a également suscité une attention accrue du Service, afin d’identifier des flux destinés à l’organisation terroriste ». Pouvez-vous nous en dire plus sur ces flux financiers et les mesures que vous avez prises pour assurer leur suivi ?
Avant de vous laisser la parole, j’indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité
(M. Antoine Magnant et sa collaboratrice prêtent successivement serment.)
M. Antoine Magnant, directeur du service à compétence nationale de Tracfin, service de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins au ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Je dirige Tracfin depuis 18 mois. Cette maison de 230 personnes a une double identité. D’une part, c’est la cellule de renseignement financier français, comme il en existe désormais une dans presque chaque État. Nous exerçons cette fonction depuis 35 ans et sommes ainsi l’une des plus anciennes de ces cellules au monde, sinon la plus ancienne.
Ce service a été conçu en 1990, à un moment de rupture dans l’histoire européenne et mondiale. Cette rupture s’est caractérisée par plusieurs éléments qui structurent la fonction, les orientations, les principes directeurs et le travail du service. La fin de la guerre froide entraîne la perception que les régimes démocratiques libéraux capitalistes occidentaux ont défait les régimes socialistes ; on a l’impression que le triomphe des principes démocratiques est universel et éternel – rappelez-vous la publication, en 1992, de l’essai de Fukuyama, La Fin de l’histoire et le dernier homme. C’est le moment où apparaît l’expression, qui n’a plus tellement cours ces temps-ci, de « communauté internationale », celui, aussi, où cette communauté d’États se cherche de nouveaux ennemis ou prend conscience de menaces restées jusqu’alors dans l’ombre portée de la guerre froide, notamment la montée en puissance économique et parfois même militaire des réseaux criminels et mafieux.
Je donnerai deux exemples de l’époque, annonciateurs de suites de nos jours encore. D’une part, en 1991, en Sicile, après une décennie de sang, le juge Falcone est assassiné par la mafia. D’autre part, en 1990, les cartels latino-américains, notamment colombiens, commencent à avoir une puissance économique considérable. La crainte gagne que ces nouveaux ennemis en arrivent à porter atteinte à la souveraineté territoriale, la cohésion nationale, l’organisation et la prospérité du système économique des États. On décide donc que pour structurer la lutte contre les mafias et le blanchiment des profits de l’activité criminelle, il convient d’organiser dans chaque État et à travers la communauté internationale une alliance des pouvoirs publics et des acteurs économiques principaux, qui ont un intérêt conjoint à ne pas se laisser tailler des croupières territoriales ou politiques par ces groupes criminels, soit par la violence soit par la concurrence déloyale. Le partenariat public-privé pour la lutte contre le blanchiment, principe fondateur des cellules de renseignement financier, régit le fonctionnement actuel de Tracfin et de ses homologues à travers le monde.
Les professions financières et d’autres professions que je vous présenterai brièvement sont assujetties par la loi à l’obligation – dont le non-respect est passible de sanctions disciplinaires, voire pénales – de déclarer toute transaction, tout acte économique et tout flux financier qu’ils observent dans leurs comptes, dans les comptes de leurs clients et dans les actes juridiques qu’ils élaborent, lorsqu’ils soupçonnent que l’un de ces mouvements ou l’une de ces opérations peut être lié à un crime ou à un délit passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an, et de déclarer ce soupçon à la cellule de renseignement financier française. Le réseau des cellules de renseignement financier couvre le monde entier, mais celle de la Fédération de Russie a été exclue temporairement de la communauté.
La famille des professions soumises à l’obligation déclarative ne cesse de croître. Elle a récemment été élargie par la loi de lutte contre le narcotrafic adoptée par le Parlement au premier semestre de cette année, qui y a assujetti les vendeurs et loueurs de voitures et de bateaux de luxe ainsi que les loueurs d’avions. Le projet de loi de lutte contre la fraude présenté au conseil des ministres la semaine dernière élargit encore l’obligation déclarative. À ce stade, une cinquantaine de professions sont concernées. Ce sont, dans le secteur financier, les banques, les compagnies d’assurances, les opérateurs de transfert de fonds, les prestataires de services sur actifs numériques et les opérateurs de crypto-actifs. Dans le secteur non financier, ce sont des professionnels du droit et du chiffre, avocats, notaires, experts-comptables, commissaires aux comptes, les professions de soutien et d’aide à la création d’entreprise, sociétés de domiciliation ou greffiers des tribunaux de commerce. Ce sont enfin certains opérateurs économiques, notamment les commerçants dont l’activité se traduit par des transactions dans desquelles circule beaucoup d’argent : antiquaires, galeristes, commissaires‑priseurs, huissiers de justice, casinotiers, agents de sportifs professionnels, etc.
Plusieurs centaines de milliers de personnes sont donc concernées, qui doivent adresser à Tracfin des déclarations de soupçon. Nous avons reçu un peu plus de 200 000 déclarations en 2024. Notre travail consiste à récupérer, trier, conserver ces informations et à ouvrir des enquêtes sur la base de ce substrat.
Tracfin ne travaille que sur saisine. Les déclarations de soupçons nous parviennent principalement dans le cadre que je viens de décrire, mais les saisines peuvent être de deux autres natures. Il peut s’agir de l’information qu’une autorité publique a la faculté de nous adresser – la déclaration de soupçon est obligatoire pour les professionnels concernés, facultative pour les autorités publiques ; nous en recevons quelques centaines par an. Des informations peuvent aussi nous être transmises par nos homologues étrangers qui, ayant détecté une opération ou un mouvement suspect, déterminent que ces opérations ont un lien avec notre territoire ; nous les alertons, symétriquement, en pareils cas. Tracfin n’a pas le droit de s’autosaisir et ne veut pas ce droit. Il faut donc un point d’entrée écrit, documenté et signé faisant part d’un soupçon, après quoi le service récupère ces informations et enquête.
Nos enquêtes sont de nature financière. Pour les nourrir, nous usons de nos prérogatives, dont la principale est le droit de communication. Nous pouvons nous faire communiquer tout document entre les mains d’une des professions tenues à des obligations déclaratives à notre endroit. Ce droit nous est particulièrement utile vis-à-vis des banques, et nous travaillons fondamentalement par l’analyse de relevés de comptes bancaires. De plus en plus, nous élargissons ces enquêtes à des opérations de transferts de fonds et à des opérateurs de crypto-actifs. Nous savons comprendre et faire parler des bilans comptables, mais les comptes bancaires sont notre matière première principale et c’est sur eux que nous enquêtons pour faire parler l’argent.
Que nous dit un compte bancaire sur la situation d’une personne ? En premier lieu, il nous indique avec qui elle est en relation. Lorsque vous donnez ou recevez de l’argent, l’opération n’est pas totalement neutre : c’est la manifestation du fait que vous entretenez une relation, d’autant plus étroite que les échanges financiers et les montants concernés sont fréquents et importants. Ces éléments donnent une idée du réseau relationnel de la personne sur laquelle nous menons une enquête généralement complémentaire des informations que l’on peut recueillir par filature et mise sur écoute.
Les flux financiers donnent aussi des indications sur vos déplacements. Lorsque vous payez avec votre carte de crédit ou retirez des espèces, ces opérations sont géolocalisées et datées, ce qui donne des renseignements sur les pratiques quotidiennes. Ainsi, l’achat de billets de transport en train ou en avion peut alerter. Mais alerte aussi ce qui manque : si, monsieur le président, vous avez quatre voitures mais n’achetez jamais d’essence, ne payez jamais de péage et n’achetez jamais de nourriture, soit vous êtes contemplatif, soit vous avez des sources de revenus non bancarisés, par exemple parce que vous recevez de l’argent liquide. Le point d’alerte est là : il manque des éléments fondamentaux dans l’organisation de votre vie. Tels sont les éléments réunis par l’analyse des données dont nous disposons.
L’enquête est menée au bureau en région parisienne – tous les agents de Tracfin y travaillent, sur documents, sans interaction avec la personne concernée et donc sans procédure contradictoire. Si, à l’issue de l’enquête, nous voyons qu’il n’y a rien, nous ne faisons rien. Si les éléments analysés laissent penser qu’une infraction, un délit ou un crime est vraisemblablement en train d’être commis, nous transmettons à l’autorité compétente pour suite à donner car Tracfin ne travaillant pas dans un cadre contradictoire, ne prononce pas de sanctions. Nous saisissons donc l’autorité judiciaire, un service public de contrôle – administration fiscale et administration sociale particulièrement, ou un collègue d’un pays étranger lorsque nous avons l’impression que le nœud des faits se situe en dehors du territoire national, ou que la ou les personnes concernées se trouvent dans le pays considéré.
Tel est le travail d’une cellule de renseignement financier, et donc de Tracfin pour la France. Mais j’ai mentionné notre double identité. C’est que nous sommes aussi, depuis 2008, un service de renseignement du premier cercle. Cela a pour effet que nous organisons notre activité dans un double cadre juridique : le code monétaire et financier régit notre activité de cellule de renseignement financier, le code de la sécurité intérieure notre activité de service de renseignement. C’est pourquoi je ne vous ai pas donné le nom de ma collaboratrice.
Avoir le statut de service de renseignement nous permet de partager avec les autres services les informations issues des déclarations de soupçons que nous seuls détenons. Nous partageons aussi avec les autres services de renseignement notre expertise en matière d’analyse financière pour leur indiquer comment parle l’argent, dans le cadre juridique sécurisé et de confiance défini par le code de la sécurité intérieure.
Cette interaction récurrente avec nos homologues des services de renseignement est un facteur clé de notre valeur ajoutée.
Le premier pilier de notre action vise la préservation des intérêts fondamentaux de la Nation dans ses quatre composantes principales : la lutte antiterroriste ; la contre-ingérence ; le renseignement économique et la contribution au maintien de la probité de la vie publique.
Le second pilier de notre activité, qui tient aussi à notre appartenance au ministère des finances dont je suis l’un des directeurs, est la lutte contre la fraude fiscale, la fraude sociale, le travail dissimulé et les escroqueries commises au détriment des finances publiques.
Notre troisième activité historique est la lutte contre la délinquance financière et fondamentalement contre le blanchiment, c’est-à-dire le réinvestissement dans l’économie, en particulier par la criminalité organisée, des profits dégagés par les activités illégales ; cela passe de manière croissante depuis plusieurs mois, par la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Voilà ce qu’est Tracfin, et telles sont les ambitieuses missions des 230 remarquables agents qui composent le service.
Pour répondre aux questions que vous m’avez posées, les « personnalités politiquement exposées » forment une catégorie du droit financier communautaire. Le cadre d’action de Tracfin en sa qualité de cellule de renseignement financier, et de ses homologues européens, est structuré par un cadre communautaire très dense. Nous préparons la transposition en droit national, d’ici 2027, du sixième paquet antiblanchiment. Ce nouveau corpus fait donc suite à cinq autres, et des dizaines et des dizaines d’articles de notre code monétaire et financier transposent le cadre juridique communautaire en droit français. La catégorie de ces personnalités y est définie comme celle des personnes exposées par leur fonction publique à des risques spécifiques de corruption, qui doivent pour cette raison faire l’objet d’une vigilance accrue, d’abord de la part des acteurs économiques privés tenus de déclarer leurs soupçons éventuels à la cellule de renseignement financier.
Peut-être, monsieur le président et monsieur le rapporteur, avez-vous eu le sentiment que depuis le début de votre mandat votre banque vous posait des questions particulièrement intrusives. C’est que, parce que vous êtes des personnalités politiquement exposées, votre banquier a l’obligation d’assurer le suivi approfondi des flux qu’il observe sur vos comptes. Cela vaut pour les parlementaires comme pour les hauts responsables administratifs, pour tous ceux qui, par leurs fonctions et la capacité qu’ils ont de passer des marchés publics et d’orienter la loi, sont exposés à des risques de corruption. Un suivi spécifique de vos comptes bancaires – et du mien – est donc organisé pour s’assurer de l’absence d’éléments problématiques.
Nous décelons effectivement des corruptions d’agents publics et d’élus après avoir reçu des déclarations de soupçon sur lesquelles nous enquêtons comme sur les autres, et l’autorité judiciaire peut être destinataire du compte rendu de nos travaux.
Pour ce qui concerne la guerre à Gaza depuis 2023, nous avons décidé, en liaison avec nos homologues européens, nord-américains et d’autres pays dont évidemment Israël, et en liaison aussi avec nos collègues des autres services de renseignement, de nous concentrer sur le repérage d’éventuels flux sortant de France pour financer soit le Hamas soit des individus figurant sur la liste européenne ou domestique des personnes faisant l’objet de sanctions liées à des actes de terrorisme. Les flux pourraient sortir de France par le biais d’associations ou d’opérateurs de crypto-actifs.
De même, nous nous attachons à identifier des flux organisant ou contribuant à assurer le financement de mouvements terroristes potentiellement actifs sur le territoire national, tels les groupes qui ont fomenté l’assassinat des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard ou ceux qui financent des Français actifs dans les groupes de l’État islamiste, notamment à la frontière entre la Syrie et l’Irak. Les montants observés dans ce cadre sont peu élevés, mais des flux récurrents existent. Quand nous détectons un de ces flux, nous informons nos partenaires compétents, voire organisons, directement lorsque les avoirs sont sur notre sol, en mobilisant des homologues étrangers lorsque l’argent a quitté le territoire national, des gels administratifs préparatoires à des saisies et des confiscations des fonds par l’autorité judiciaire, soit en France soit dans l’État concerné.
Notre pays s’est doté il y a plusieurs années d’un dispositif de gel des avoirs et des biens à finalité antiterroriste et cette procédure va faire des petits, à partir du début de l’année prochaine avec le gel des avoirs des narcotrafiquants et, dans un avenir très proche, avec le gel des avoirs des personnes soupçonnées d’ingérence étrangère. Des travaux en cours sur d’autres sujets pourraient conduire à appliquer cette procédure dans d’autres cas encore.
Nous organisons la judiciarisation du renseignement en lien avec nos partenaires pour collecter le plus de matière possible avant de déclencher l’alerte que représente l’ouverture d’une procédure administrative ou judiciaire pour les individus concernés. J’insiste : ces flux vont du territoire national vers la zone de crise, non dans le sens inverse.
Dans des proportions et à une échelle incommensurablement plus élevée que ce dont je viens de vous parler, les flux financiers à risque les plus problématiques proviennent d’activités criminelles – escroqueries, fraude carrousel à la taxe sur la valeur ajoutée, prostitution, autres typologies de délits et, en premier lieu, trafic de stupéfiants – dont les auteurs s’emploient à faire sortir le produit du territoire national. Le travail quotidien des agents de Tracfin est de mettre les mains, le nez et le cerveau dans la diversité des pratiques et des activités les plus illégales et les plus lucratives possibles.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie. Les fondations et les think tanks sont‑ils soumis à l’obligation déclarative ?
M. Antoine Magnant. Le législateur ne l’a prévu ni au plan communautaire ni au plan national. Je lui laisse le soin de convaincre le mouvement associatif qu’imposer une obligation de cette nature à l’entièreté des associations est une bonne idée, car cela ne me paraît pas totalement évident. Cette vigilance incombe à des professionnels aguerris qui voient passer entre leurs mains des sommes importantes ; elle ne revient ni à la totalité des entreprises, ni à la totalité des associations, ni à la totalité des collectivités territoriales, ni à la totalité des Français.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le 7 juillet dernier, le Président de la République a annoncé une possible évolution de la législation pour lutter plus efficacement contre l’islamisme, notamment en élargissant le gel des avoirs financiers aux cas d’« entrisme islamiste ». Qu’en pensez-vous ? Comment votre service pourrait-il identifier ces cas d’entrisme ? D’autres évolutions législatives vous semblent-elles souhaitables ?
M. Antoine Magnant. La réflexion interministérielle à ce sujet est active. Les éléments qui la nourrissent sont consignés dans le rapport de MM. Pascal Courtade et François Gouyette relatif à l’islamisme politique en France. Le gel des avoirs des terroristes est déjà possible, je vous l’ai dit, et le gel d’autres avoirs le sera bientôt. À cet égard, je suis très attentif à la manière dont nous procéderons, collectivement, pour geler les avoirs des narcotrafiquants, parce que l’on va changer d’échelle et de pratique.
Mme la collaboratrice du directeur de Tracfin. Quand un objectif est gelé, à titre antiterroriste en particulier, la mesure est prise pour six mois renouvelables mais elle a un effet durable sur la relation entre la personne et sa banque. L’individu concerné est identifié par les établissements assujettis à l’obligation déclarative comme ayant fait l’objet d’une mesure administrative, pour motif terroriste et il devra exercer son droit au compte pour contraindre les établissements à accueillir ses avoirs. Cela met en perspective la question grave qui se pose dans l’éventualité d’une décision de gel, pour des raisons autres que des actes terroristes à l’encontre d’une personne morale ou d’une personne physique qui, par définition, n’a pas encore été condamnée.
D’autre part, il faut mesurer l’efficacité du gel dans une économie mondialisée. Que la bancarisation de l’individu et ou de la personne morale soit rendue extrêmement compliquée sur le territoire national n’exclut pas qu’elle se finance dans d’autres États. Pour nous assurer de la pleine efficacité de la mesure que nous proposons, nous devons affiner notre connaissance des mécanismes de contournement auxquels les objectifs suivis recourent le plus souvent.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Début août, on pouvait lire dans la presse que des personnalités musulmanes auraient été visées par le gel de leurs avoirs dans le cadre de la lutte contre l’islamisme. Cette mesure a-t-elle bien été appliquée ? Quels motifs peuvent justifier ce gel ?
M. Antoine Magnant. Le seul dispositif de gel administratif des avoirs en vigueur est le gel antiterroriste. Il n’y en a pas d’autres à ce jour tant qu’une nouvelle loi n’a pas été votée. Il n’existe donc pas de gel des avoirs « de l’islamisme ». En revanche, la justice peut inclure dans la peine qu’elle prononce à l’encontre de l’auteur d’un délit qu’elle condamne une mesure de confiscation de son patrimoine. En résumé, un gel administratif n’est pas possible, une saisie et/ou une confiscation judiciaire l’est.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. En d’autres termes, la presse n’est pas toujours bien renseignée. Avez-vous constaté des liens financiers entre certains élus ou agents publics et des organisations soutenant le terrorisme islamiste ou propageant l’idéologie islamiste ?
M. Antoine Magnant. Non
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Avez-vous vous identifié des financements étrangers d’associations ou de lieux cultuels pouvant s’apparenter à des tentatives d’ingérence ?
M. Antoine Magnant. Des financements des cultes, pour certains organisés, pour d’autres non, ont été détectés par Tracfin ou par d’autres services. Pour le culte musulman, le plus célèbre est le système de financement de la Grande Mosquée de Paris qui est ancien et structuré. De même, un certain nombre de lieux de culte catholiques perçoivent des financements étrangers destinés à leur rénovation, parfois à l’animation du culte. Ils émanent de mécènes situés sur le territoire national et sur plusieurs continents – aux États-Unis par exemple – et évidemment du Vatican, qui intervient dans le financement du culte. Pour le culte hébraïque, nous identifions des flux d’origine nationale et aussi d’origine étrangère émanant de fidèles, d’organisation de fidèles ou d’associations situées sur le territoire israélien. Je rappelle ces éléments triviaux car c’est aussi à cette aune que ce je vais vous dire du financement de certains lieux de cultes musulmans doit être mesuré. La religion, fait social très ancien, mobilise des personnes à travers le monde et sur le territoire national – et je n’ai parlé que des flux entrants, non des flux sortants destinés aux missionnaires ou aux chrétiens d’Orient, mais j’aurais pu.
Concernant le financement du culte musulman, nous identifions effectivement des interventions émanant de plusieurs pays.
Mme la collaboratrice du directeur de Tracfin. Nous exerçons la surveillance des flux étrangers qui peuvent bénéficier à des lieux de culte dans le cadre de la loi confortant le respect des principes de la République (CRPR), en coopération avec le ministère de l’intérieur. Nous nous focalisons, ensemble, sur les associations identifiées comme susceptibles de recevoir des flux financiers de l’étranger non déclarés alors qu’elles sont soumises à une obligation déclarative depuis l’adoption de la loi en 2021. Ce système fonctionne assez bien et nous permet de constater ponctuellement des flux non déclarés mais il a eu pour conséquence une importante diminution des flux financiers formels – ceux que Tracfin connaît – de l’étranger vers les lieux de culte musulmans, notamment des flux en provenance des États du Golfe.
Ce suivi est circonscrit au cadre de la loi CRPR. Il est distinct de notre activité de lutte contre le financement du terrorisme, qui porte sur des organisations considérées par les services de la lutte antiterroriste comme des organisations terroristes, activité elle-même distincte de celle que nous conduisons avec les mêmes services dans le cadre de la lutte contre les ingérences étrangères. Ce sont trois blocs distincts entre lesquels nous ne constatons pas de porosité.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le cadre juridique de la lutte contre le financement du terrorisme vous semble-t-il adéquat ? Des évolutions vous paraissent-elles souhaitables ?
M. Antoine Magnant. Je considère que notre cadre juridique est très solide même s’il me parait perfectible en ce qui concerne la régulation des opérateurs en matière de crypto-actifs. La régulation française des opérateurs des crypto-actifs est, je pense, la plus stricte d’Europe, avec des inspections approfondies très régulières et des capacités de mobilisation d’informations sur les opérateurs présents sur le territoire national. Mais plus on est exigeant plus on s’expose au risque que ces opérateurs s’en aillent et que l’on perde toute information. Or, le nombre de Français détenant des crypto-actifs est plus élevé que le nombre de ceux qui détiennent des actions – je parle de nombres, non de valeur. Ce marché en très forte augmentation se caractérise par le rythme d’innovation technologique extrêmement rapide de ses plus grands opérateurs qui peuvent s’ils le souhaitent s’installer dans un des États qui organisent l’absence totale de contrôle et qui ne répondent pas quand on les interroge sur les portefeuilles détenus chez eux.
L’équivalent de l’ancien secret bancaire suisse est donc en pleine reconstruction dans un univers caractérisé par son opacité.
Tout ce que nous pouvons faire en matière de régulation fonctionne jusqu’à ce que les opérateurs s’en aillent, après quoi nous n’avons plus que nos yeux pour pleurer. C’est extrêmement inquiétant, je le redis, car les crypto-actifs sont utilisées pour des transactions ordinaires, mais aussi à des fins de blanchiment et pour le financement du terrorisme, et si nous perdons notre capacité de visualisation des flux nous ne saurons plus rien de ce qui se passe.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Alors que les élections municipales approchent, le président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a alerté sur la possibilité que les campagnes électorales soient financées par des mouvements islamistes dans certaines zones du territoire de la République. Quels sont les risques réels ?
M. Antoine Magnant. Je me félicite que l’adoption de la proposition de loi de lutte contre la fraude, au printemps dernier, ait stabilisé le cadre juridique des échanges entre la CNCCFP et Tracfin. Avant cela, Tracfin ne pouvait adresser le résultat de ses enquêtes qu’à des entités dont la liste avait été fixée par le législateur, si bien que si un organisme avait été oublié, je n’avais pas le droit de le saisir – c’était le cas de la CNCCFP. La liste étant désormais établie au niveau réglementaire, nous avons gagné en réactivité.
Nous craignons effectivement le risque d’ingérences étrangères, qu’elles prennent des formes numériques, financières ou d’autres formes. Cette crainte n’est pas fondée sur une paranoïa mais sur des faits constatés. Voyez les élections moldaves ; voyez les élections roumaines dont le résultat a été annulé en raison de mouvements sur les réseaux sociaux dus à des acteurs numériques que quelqu’un a bien dû payer ; voyez les élections allemandes, avec les prises de parole du président d’un important réseau social prenant publiquement position en faveur d’une certaine orientation politique, modifiant manifestement les algorithmes de son réseau pour la favoriser et organisant vraisemblablement des financements. Donc, oui, nous avons des craintes, fondées sur ces constatations. Les ingérences peuvent être du type de celles que vous identifiez, et des faits divers judiciaires soulignent que ce ne sont pas non plus des craintes abstraites et théoriques ; il peut y avoir des financements étatiques, il peut y avoir des financements autres, avec d’autres orientations. Nous sommes très attentifs à l’ensemble de ces faits.
Mme Caroline Yadan (EPR). Juste avant de vous recevoir, nous avons entendu la journaliste Nora Bussigny qui a enquêté sur des mouvances islamistes en lien, d’ailleurs, avec certains partis politiques. Elle nous a parlé du collectif Samidoun, de Students for Justice in Palestine, d’Urgence Palestine, etc. Vous avez indiqué coopérer avec vos homologues, notamment israéliens. Avez-vous constaté un changement important depuis le 7 octobre 2023 ? Si c’est le cas, comment se manifeste-t-il ?
Mme la collaboratrice du directeur de Tracfin. Le 7 octobre 2023 a conduit Tracfin à donner un niveau de priorité très élevé à la surveillance des flux financiers entre des organisations présentes sur le territoire national qui pourraient être liées au Hamas. C’est inédit, car jusqu’alors le service ne donnait pas au Hamas un niveau de priorité particulier, puisque nous travaillons sur les organisations qui constituent une menace aux intérêts français identifiée comme principale par les services menants.
Depuis le 7 octobre, nous travaillons à identifier ces flux, dans plusieurs cadres. La communauté des cellules de renseignement financier décide de donner priorité à cette thématique et de partager des informations sur des organisations identifiées comme susceptibles d’être liées au Hamas. Le partage de renseignements est donc organisé pour échanger un maximum d’informations de manière réactive, transparente et plus structurée que ce n’avait jamais été le cas sur la question. Nous travaillons ensuite, comme nous le faisons habituellement, avec les services de renseignement qui contribuent à la lutte antiterroriste et avec le Parquet national antiterroriste. Mais les enquêtes que nous menons se caractérisent par la difficulté d’établir que les flux collectés sur le territoire national et qui le quittent ont vocation à abonder le Hamas. C’est très compliqué pour une cellule de renseignement qui n’a pas de capteurs dans les territoires palestiniens ou en Israël, et c’est le mur auquel nous nous sommes heurtés : il est difficile de distinguer la finalité ultime de ces collectes de fonds.
M. Nicolas Dragon (RN). Dans le rapport d’activité de 2021, votre prédécesseur a écrit que « les circuits de financement observés par Tracfin confirment les risques d’ingérence de puissances étrangères par le biais de structures associatives promotrices d’une idéologie radicale ». Quels sont les États à l’origine de ces financements, et par quel biais ? Observez‑vous une évolution depuis 2021 ? D’autre part, pouvez-vous estimer la proportion des signalements à Tracfin qui concernent des financements occultes d’organisations à caractère politique ou religieux radicalisés en lien avec l’islamisme ?
M. Antoine Magnant. Je ne sais pas répondre précisément à votre question mais quand on a un soupçon, la question de savoir qui agit effectivement en sous-main est spécialement difficile à détecter dans ces cas par un banquier, et davantage encore par un notaire. Aussi, je ne sais pas répondre à cette question sinon pour vous dire que c’est très faible. Les chiffres que j’ai en tête, toutes religions confondues, sont de l’ordre de quelques milliers par an, mais nous les préciserons à l’issue de l’audition.
Mme la collaboratrice du directeur de Tracfin. La difficulté à laquelle nous nous heurtons tient à ce que nos connaissances sont alimentées par les soupçons d’infractions qui nous arrivent et, que l’entité considérée ait une vocation cultuelle ou non, elle doit être associée à un soupçon d’infraction passible d’une peine supérieure à un an pour que nous soyons saisis. Or, le lien d’une organisation cultuelle avec son culte ne constitue pas en lui-même un motif de déclaration de soupçon. Pour que nous soyons saisis, le lien financier doit contrevenir au cadre juridique français.
M. Antoine Magnant. J’ai signé très récemment des transmissions à l’autorité judiciaire de cas d’escroqueries et de travail dissimulé émanant de ces typologies de structures. Le sujet ne se réduit de toute manière pas au terrorisme, à l’entrisme ou à la diffusion d’une idéologie problématique ou prohibée.
M. le président Xavier Breton. Si un élu est gratifié d’un chèque à l’occasion de sa participation à un colloque ou pour relayer des idées dans un cadre légal, le dispositif de suivi des comptes bancaires des personnalités politiquement exposées vous permettra-t-il de le repérer, ou faudrait-il que l’on vous dise d’aller gratter un peu pour y voir plus clair ?
M. Antoine Magnant. L’un n’empêche pas l’autre. Si vous êtes banquier, que vous avez dans vos livres le compte d’un parlementaire sur lequel transite habituellement un certain flux, que vous constatez soudain un flux inhabituel par son ampleur ou par son origine, vous vous dites « c’est bizarre », vous nourrissez un soupçon et vous vous arrêtez là, parce que vous avez écrit à Tracfin et qu’ensuite c’est à Tracfin de jouer. Les systèmes informatiques et humains bancaires de détection mettent en exergue les atypies.
Mme la collaboratrice du directeur de Tracfin. Les banques, qui sont un de nos capteurs principaux, sont très vigilantes sur les menaces émergentes. Elles ont des systèmes de veille en source ouverte sur ce qui constitue un nouveau risque – la perspective d’élections, l’adoption d’une loi. Leur très grande réactivité nous permet de déterminer ensemble si les déclarations de soupçons sont justifiées ou si elles si elles procèdent d’une surinterprétation de leur dispositif de vigilance. La publication de rapports tels que le rapport Gouyette-Courtade a un impact sur les dispositifs de conformité des assujettis à l’obligation déclarative.
Mme Caroline Yadan (EPR). Vous avez cité les monarchies du Golfe. Avez-vous aussi constaté l’existence de flux financiers depuis la République islamique d’Iran ? Si oui, à qui sont-ils destinés ?
Mme la collaboratrice du directeur de Tracfin. Des flux peuvent être associés à l’Iran mais de tels mouvements sont très compliqués, le pays faisant l’objet de nombreuses mesures d’embargo, notamment financier. L’objet principal de notre travail, pour ce qui concerne la République islamique, est d’identifier les mécanismes de contournement des mesures d’embargo.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie pour ces éléments très intéressants. Vous pouvez compléter ces échanges en répondant par écrit au questionnaire que vous avait envoyé le rapporteur, ou à la lumière de nos échanges ce soir.
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9. Audition de M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville, directeur adjoint de la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur et de M. Étienne Apaire, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) (22 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Mes chers collègues, nous auditionnons M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville, directeur-adjoint de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) et M. Étienne Apaire, secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR). Je rappelle que cette audition se tient à huis clos et qu’il est interdit d’en divulguer toute image et tout propos.
Monsieur Ploquin-Duchefdelaville, vous représentez Mme Pascale Léglise, directrice de la DLPAJ. Cette direction est l’un des services qui œuvrent étroitement à la préservation des valeurs et principes de la République notamment la laïcité, les libertés de culte et d’association, la sauvegarde de l’ordre public et la prévention des infractions. Elle a été particulièrement sollicitée pour l’élaboration et le suivi de l’application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (CRPR). Elle est également chargée des mesures de police administrative prises à l’encontre de personnes physiques ou morales présentant certains risques.
Monsieur Apaire, vous êtes secrétaire général d’un comité interministériel créé en 2006 pour concevoir et piloter les politiques de prévention de la délinquance, dont le champ d’intervention a été élargi en 2016 à la prévention de la radicalisation. Il a notamment été mobilisé dans la conception du plan national Prévenir pour protéger, présenté en 2018. Il accueille en son sein la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).
Vos deux services sont donc particulièrement concernés par l’élaboration de politiques publiques efficaces visant à répondre au défi que représente la présence sur notre territoire de mouvements islamistes défendant des valeurs opposées à celles de la République.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Étienne Apaire et Vincent Ploquin-Duchefdelaville prêtent successivement serment.)
M. Étienne Apaire, secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SG-CIPDR). Quelques éléments d’éclairage chronologique s’imposent, car le paysage administratif a sensiblement évolué. La loi confortant les principes de la République de 2021 a fait suite à l’assassinat du professeur Samuel Paty. La prise en compte de la menace séparatiste a conduit le gouvernement d’alors à confier au SG‑CIPDR la mission de lutter contre le séparatisme et de mettre en œuvre une stratégie globale de lutte contre les phénomènes séparatistes.
Nous avons œuvré pendant quelque temps dans cette direction avant que le précédent ministre de l’intérieur ne considère qu’il fallait unifier les entraves administratives prévues notamment par la loi confortant les principes de la République, qui complète la loi de 1905, en confiant la mission de lutte contre le séparatisme à la DLPAJ, représentée par M. Ploquin‑Duchefdelaville ici présent, auquel je laisserai le soin de présenter le nouveau dispositif visant à renforcer l’efficacité de notre action ; je me concentrerai sur l’action de l’État jusqu’à cet été 2025.
La Miviludes est adossée au SG-CIPDR, dans l’idée de lutter contre toutes les emprises – délinquante, radicale ou sectaire. Qu’est-ce qu’une emprise ou une dérive sectaire ? Vaste débat ! Pendant un certain temps, nous avons hésité sur la façon de considérer le séparatisme : était-ce un avatar de l’action d’un mouvement religieux, philosophique ou politique ? Le séparatisme islamiste devait-il être considéré comme une dérive de l’islam, comme certaines sectes ou certains mouvements présentant des dérives sectaires sont des dérives du catholicisme, du protestantisme ou d’autres religions ? Il a été décidé, compte tenu de sa spécificité et du projet politique qu’il défend, d’en faire une politique publique spécifique confiée non à la Miviludes mais au SG‑CIPDR.
Nous avons continué à réfléchir, et je vous invite à faire de même, à ce qu’est l’islamisme, idéologie politique et sociale fondée sur une vision fondamentaliste et totalisante de l’islam. Outre les mouvements, nous avons des individus qui font sécession, se retirent et vivent leur quotidien selon des règles différentes de celles de la République.
Il y a les mouvements séparatistes qui, dans l’organisation nouvelle de l’État, doivent être entravés : ces mouvements islamistes prônent des valeurs contraires à celles de la République ou vont encore plus loin en cherchant à substituer leurs valeurs à celle de la République. Et il y a les individus, désignés comme radicalisés ; pour eux, le SG-CIPDR reste compétent.
Nous avions, au SG-CIPDR, une vision assez claire de ce que nous avions à faire : s’occuper des radicalisés les plus inquiétants, envoyés par les GED (groupe d’évaluation départemental) en s’assurant que les Cepraf (cellule de prévention de la radicalisation et d’accompagnement des familles) sont dans tous les départements en capacité de les accompagner et de susciter une rupture avec un engagement radical. Le CIPDR s’efforce de coordonner le dispositif territorial et de fournir les ressources notamment en matière de formation et d’expertise à ses membres. Nous coordonnons également en lien avec le Parquet national antiterroriste, l’Unité de concours à la lutte antiterroriste (UCLAT) et le dispositif spécifique d’accompagnement les mineurs de retour de zones d’opérations de groupements terroristes (MRZOGT), au moyen de dispositifs particuliers.
Nous cherchons enfin à adapter les dispositifs d’accompagnement aux nouvelles menaces notamment quand celles-ci trouvent leur origine dans d’autres formes de radicalité violentes, politiques ou hybrides. Selon qu’il s’agit de mouvements ou d’individus, les mesures visant à limiter l’influence des dérives ne sont pas les mêmes. Contre les mouvements, elles sont clairement identifiées : on a recours à l’entrave administrative, à l’entrave pénale si des manquements à la loi et à nos valeurs sont identifiés. Leur mise en œuvre est relativement simple.
Concernant les dérives individuelles, c’est beaucoup plus compliqué. Un territoire peut très bien héberger un grand nombre de radicalisés qui, sans être organisés, peuvent par coagulation influencer leur environnement. Le mouvement des Frères musulmans, qui a fait l’objet d’un rapport, n’est pas tant, dans notre pays, un mouvement majoritaire qu’un ensemble de personnes partageant les mêmes convictions. Sans être nécessairement organisées au sein d’un mouvement ni même animées d’une vocation politique, certaines personnes radicalisées veulent, par le simple fait d’être nombreuses dans certains territoires et de partager les mêmes croyances, influer sur les règles de leur environnement. Il en résulte des situations où il faut à la fois maintenir les valeurs de la République et convaincre ceux qui les remettent en question, de l’intérêt que présente le respect des règles de la République.
En ce qui nous concerne, nous avons identifié un manque dans notre dispositif, qui ne relève pas obligatoirement du droit. S’agissant de l’apologie du terrorisme ou de comportements violents à l’égard des uns et des autres ainsi que des actes empêchant autrui d’exercer ses droits, nous sommes tous d’accord pour dire qu’ils relèvent de la sanction pénale. Mais une partie de la population semble tout simplement ne pas toujours connaitre ou comprendre les valeurs de la République, soit parce que les personnes concernées viennent d’endroits où elles ne sont pas en vigueur ou parce qu’ils ne sont pas convaincus du bien-fondé des principes de laïcité, d’égalité entre les hommes et les femmes et de respect des uns et des autres. Dans ce cas, un travail de conviction s’impose.
Vous me répondrez que les valeurs de la République sont faciles à identifier et qu’elles s’apprennent à l’école. Mais nous avons beaucoup de gens qui ne sont pas passés par l’école de la République et, même s’ils y sont allés, encore faut-il qu’on ait abordé ces sujets lorsqu’ils étaient scolarisés. Au surplus, énormément de gens, dans ce pays, confrontent les contenus qu’ils apprennent à l’école avec ceux qu’ils aperçoivent sur les réseaux sociaux. Or, sur ces réseaux, nos valeurs font l’objet de nombreuses contestation.
Avant que cette mission ne lui soit retirée à compter du 1er septembre dernier, le CIPDR assurait une mission de veille sur internet, qui permettait de suivre les « influenceurs » islamistes agissant sur la Toile à destination des internautes, mineurs ou pas. Nous en suivions une vingtaine ; nous dénoncions les faits les plus graves aux services de police ou de renseignement et nous essayions de leur opposer une entrave administrative.
Certains sont suivis par plus de 100 000 personnes ; je vous laisse le soin de multiplier ce chiffre par vingt pour prendre la mesure de l’écho considérable de leurs publications. Les professeurs seraient ravis d’avoir une telle audience et de jouir d’une telle capacité de persuasion, voire d’emprise.
En deux ans à la tête du SG-CIPDR, j’ai observé une évolution inquiétante: nous sommes ainsi passés d’influenceurs en chair et en os, contre lesquels il est possible de faire quelque chose même si cela est difficile notamment quand ils se trouvent à l’étranger à la diffusion de messages élaborés grâce à l’intelligence artificielle par des influenceurs 2.0 qui, en une matinée, rassemblent une sourate du Coran, un commentaire prescriptif – « tu dois faire ceci », « tu dois faire cela » –, des flammes et une musique qui va bien et touchent ainsi à faible coût, 60 000 personnes de façon quasi instantanée.
Contre cela, que pouvons-nous faire ? Il y a certes les différentes entraves administratives ou pénales mais cela ne suffit pas
Nous sommes clairement dans un combat de valeurs : celles de la République contre d’autres, présentées comme supérieures. Il est donc nécessaire de se mobiliser pour faire ce qui a été fait à un moment de notre histoire par les hussards de la République et par la pédagogie, je pense à l’inscription aux frontons de toutes nos écoles de la devise Liberté, Égalité, Fraternité, effectuée pour marquer les esprits de tous.
Il faut réenseigner les valeurs de la République à nos concitoyens, qui font souvent passer leur destin et leurs opinions personnels avant l’opinion commune. On me dit que je veux faire de la propagande : mais oui, je veux faire de la propagande pour la République ! Je ne vois pas pourquoi nous accepterions que seuls les influenceurs islamistes aient le droit de propager leurs valeurs ; pourquoi ne serions-nous pas capables de les combattre avec les nôtres ?
Pendant un certain temps, on a pensé que la vérité résidait dans la mise en place d’un contre-discours : celui que l’on oppose, dans un déjeuner de famille, au cousin assis en face de soi qui refuse d’être vacciné. Vous lui dites qu’il est idiot et qu’il devrait se faire vacciner. Mais si on dit aux gens qu’ils sont idiots, ils ne vous écoutent plus. Le contre-discours consistait à dire aux influenceurs islamistes et aux islamistes en général qu’ils pensaient mal, qu’ils avaient tort de penser ce qu’ils pensaient. Ça ne marche pas : les gens se fâchent et vous traitent d’islamophobe.
En revanche, dire en quoi la République et ses valeurs ont permis d’assurer la paix à des communautés qui s’étaient affrontées cruellement pendant des années ; dire dans une France très spirituelle, contrairement à ce que l’on croit, et qui est prête à recréer de l’identité forte, que nous avons besoin d’un régime de laïcité pour permettre aux communautés de coexister ; dire que notre un système d’égalité entre les hommes et les femmes est une richesse pour notre pays ; dire que nous avons besoin d’avoir certains minimas sociaux parce que c’est l’exercice de la fraternité entre nous qui peut nous permettre de lier tous nos concitoyen autour d’un destin commun et solidaire : nous parait être beaucoup plus efficace que les contre‑discours.
Qui fait cela ? L’école, avec les réserves que j’ai indiquées. Les systèmes de communication des administrations sont, eux, assez faibles et se consacrent surtout à essayer d’expliquer ce que font les pouvoirs publics. Hormis peut-être la DLPAJ dans le domaine de la laïcité – puisqu’elle est chargée de diffuser, si j’ose dire, « la bonne parole » en ce domaine –, aucune administration de l’État n’est en réalité chargée de faire connaître et de promouvoir les valeurs de la République. Il faut donc amplifier l’effort comme nous essayons de le faire en diffusant des messages pédagogiques expliquant les valeurs de la République sur les réseaux sociaux
S’agissant de la lutte contre le séparatisme, le bilan de notre action est favorable. Nous avons effectué des contrôles, dont nous vous communiquerons le détail, dans des structures d’accueil des mineurs, dans des commerces et dans d’autres établissements susceptibles d’héberger des mouvements séparatistes, la limite de l’exercice étant que l’on ne peut pas contrôler quinze fois la même structure. Nous avons pris des mesures très importantes en matière d’imams étrangers ou de transparence en matière financière, que je laisserai à la DLPAJ le soin de détailler.
Mais, encore une fois, nous nous efforçons de combattre des idées avec d’autres idées. Nos adversaires islamistes nous disent que nous n’avons pas de valeurs. Je suis persuadé du contraire. Je pense que nous ne nous donnons plus les moyens de défendre nos valeurs, à l’échelle nationale comme à l’échelle européenne. Si les Frères musulmans, dans notre pays, sont faibles, en termes de direction, à l’échelon européen au contraire leur entrisme est très avancé. Or personne, au sein des institutions de l’Union européenne, n’a la capacité voire le désir de défendre les valeurs qui nous fédèrent tous. Plus encore, régulièrement la France s’interroge sur des financements par certaines instances de l’union de mouvements qui remettent en cause très clairement les valeurs de notre charte commune.
En France, localement, nous avons des écosystèmes islamistes et séparatistes qu’il faut combattre, notamment par les dispositifs administratifs à la main des préfets, mais aussi avec des contenus. Telle est la mission que j’ai confiée à une cellule de mobilisation républicaine au sein du SG-CIPDR. Nous assurons la promotion des valeurs de la République avec les moyens qui sont les nôtres – trois personnes. Ils doivent être augmentés et chaque institution publique ou privée doit s’impliquer dans ce combat fondamental pour la cohésion de notre pays
Le combat n’est pas perdu. Il faut non seulement entraver les structures, comme le fait la DLPAJ, mais aussi gagner la bataille non des cœurs mais des cerveaux, rappeler tout l’avantage qu’offrent les valeurs de la République à ceux qui habitent sur notre territoire et leur dire que nous ne transigerons pas sur ces valeurs.
M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville, directeur-adjoint de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ). Le sujet qu’aborde votre commission doit être examiné sur le temps long : l’histoire des dernières décennies me semble déterminante pour comprendre le phénomène auquel nous sommes confrontés.
Dans les années 1980, en France, des acteurs et des organismes commencent à structurer le culte musulman, en raison de l’immigration en provenance des pays du Maghreb et de la zone ANMO (Afrique du Nord et Moyen-Orient). Depuis 1981, la loi permet à des ressortissants étrangers de présider une association en France, ce qui n’était pas possible auparavant.
Divers mouvements s’emparent de cette possibilité : des mouvements locaux ayant pignon sur rue et dont l’unique objet est d’organiser le culte musulman pour répondre aux besoins d’un nombre croissant de fidèles, et des mouvements bien plus organisés que le rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France » décrit en détail, au premier rang desquels l’UOIF (Union des organisations islamiques en France), créée à l’époque et qui est la structure faîtière des Frères musulmans dans notre pays.
Dans la France des années 1980 et 1990, on ne prend pas au sérieux, faute d’en prendre la mesure, ce qui est en train de se passer dans notre pays, qui est une réplique de ce qui se passe plus largement dans la zone ANMO : un mouvement profond de réislamisation des populations de pays à majorité musulmane, sous l’effet de deux grandes familles d’influence, la famille d’inspiration frériste et la famille salafiste, soutenue par le régime wahhabite saoudien avec des moyens financiers considérables. L’émergence de la diffusion satellitaire a permis à ses prédicateurs et à ses inspirateurs de diffuser leurs messages en Afrique subsaharienne et dans les Balkans après l’effondrement du bloc de l’Est et en Europe occidentale.
Nous n’avons pas pris conscience de ce qui se passait car, dans une Europe largement sécularisée et sortie du religieux, plus encore après l’effondrement du communisme, nous avions perdu de vue à quel point une idéologie, surtout si elle est d’inspiration religieuse, peut constituer un puissant moteur de mobilisation et d’orientation de l’action collective. La plupart des acteurs de l’époque, dans la société civile, voire dans les services de l’État, ont considéré ce phénomène naissant – on se souvient de l’affaire du foulard de Creil en 1989 – comme un avatar de la modernité, relevant de la liberté d’expression et de l’affirmation de l’individu dans une société moderne libérale et individualiste, sans comprendre ce qui était d’ores et déjà à l’œuvre, ou sans en tout cas en mesurer la portée.
Les années 1980 et 1990 sont des années de relatif tâtonnement. On ne sait pas trop comment appréhender ce phénomène nouveau ; on n’arrive pas vraiment à le théoriser comme une affirmation d’une forme de suprématie de la loi religieuse sur la loi commune, qui se singularise et se cristallise notamment à l’école et, dès les années 1980, dans le monde du travail, notamment dans les usines Renault où on commence à organiser le culte pour les ouvriers spécialisés issus du Maghreb. Il est normal qu’il se cristallise à l’école, parce que les mouvements porteurs d’un islam politique les plus structurés ont compris tout l’enjeu que représente l’éducation et parce que c’est là qu’arrivent les nouvelles générations.
Le tâtonnement des autorités est illustré par les décisions du Conseil d’État qui, dans les années 1990, valident ou invalident les mesures prises par les chefs d’établissements tendant à sanctionner des manifestations prosélytes, musulmanes mais pas exclusivement. Dans la foulée de l’avis pris en assemblée générale du 27 novembre 1989, il adopte une position relativement équilibrée, réaffirmant la liberté de l’élève d’exprimer son appartenance religieuse pourvu que cela n’ait pas pour effet de perturber les activités scolaires, et rend sur cette base plusieurs décisions un peu contradictoires.
Cette période s’achève avec la commission Stasi, installée en 2003, dont je vous invite à relire le rapport. Il n’a rien perdu en actualité. Tous les phénomènes décrits il y a vingt-deux ans sont toujours là, majorés. Le constat de l’époque est toujours valable.
Au demeurant, le rapport Stasi a eu de nombreuses suites. Il préconisait ce qui deviendra la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, et ce qui deviendra la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi El Khomri, autorisant notamment, au nom de la paix civile, la limitation et la réglementation de l’expression religieuse dans les organismes de droit privé. Par ailleurs, plusieurs de ses recommandations s’inscrivent dans le cadre de la bataille culturelle pour gagner les âmes et les cœurs qu’évoquait M. Apaire.
Les années 1990 sont aussi celles, assez curieuses de ce point de vue, de l’affirmation et de la structuration des Frères musulmans qui, jusqu’en 2010, gagnent en respectabilité. L’UOIF est invitée à la table de la République, le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy ayant fait le pari de la structuration de l’islam de France pour faire émerger des acteurs qui ne sont pas affiliés officiellement à des États étrangers et remplacer l’islam consulaire par des gens qui font le pari de l’islam en France en tenant un discours républicain.
Les mêmes, d’ores et déjà, étaient pourtant convaincus de double discours. A. B. l’une des têtes pensantes de l’UOIF, accordait une grande interview au Monde détaillant les vertus de l’islam de la République en 1994 mais se voyait refuser l’accès à la nationalité française pour appartenance à des mouvements extrémistes prônant le rejet des valeurs de la République – décision validée en Conseil d’État en 1999.
Ainsi, après une période de tâtonnements des gouvernements qui se sont succédé dans les années 1990, le ministre de l’Intérieur de l’époque a pris la décision de structurer le dialogue avec l’islam en France en créant le Conseil français du culte musulman (CFCM) en 2003. C’est l’apogée de l’implication des structures relevant des Frères musulmans dans le dialogue avec l’État, l’un de leurs fonds de commerce étant, partout où ils sont implantés, de prétendre au monopole de la représentation des musulmans dans le dialogue avec les autorités publiques.
Ni la commission Stasi, ni la loi de 2004 sur le port de signes religieux à l’école, ni la montée en puissance de nouvelles modalités de dialogue avec le culte musulman visant, selon les mots du ministre de l’époque, à « sortir l’islam des caves » n’ont empêché la montée en puissance d’acteurs dont le double discours a été documenté a posteriori. Ce furent par exemple les grandes années de l’aura du prédicateur Hassan Iquioussen auprès de la communauté musulmane.
Dans ces années, le problème du séparatisme continue à s’affirmer, ce qui aboutit notamment à l’adoption de la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, validée en 2014 par la Cour européenne des droits de l’homme sur un fondement méritant d’être relevé : la CEDH a refusé les motifs sécuritaires mais validé le motif du vivre-ensemble, considérant qu’il appartient à l’autorité administrative de le garantir et nourrissant un débat – qui n’est pas complètement clos – sur le fait de savoir si l’autorité administrative peut, ou non, interdire ou limiter l’expression des convictions religieuses pour des motifs autres que ceux relevant de l’ordre public et de l’hygiène, notamment le respect de la liberté d’autrui.
Au fur et à mesure des années, ce qui était une intuition dans les années 1990 gagne de la substance, avant d’être théorisé sous l’appellation de « séparatisme ». On prend conscience que ce que l’on prenait pour la simple expression d’une individualité et de convictions religieuses est en réalité la déclinaison, à l’échelle de l’individu ou de la communauté, d’une pensée bien plus structurée et contraire au consensus social et national français.
Il y a eu une vraie rupture dans les années 2012-2015, après les attentats, période à partir de laquelle l’appareil de l’État s’est mobilisé pour traiter la pointe du diamant, ce qui avait quelque chose de terrible et de simple à la fois : terrible, parce que les attentats représentaient la barbarie, une violence extrême, mais simple, parce que le consensus national était très fort devant la menace objective, qui n’appelait aucun débat – celui-ci s’est traduit par l’adoption des lois de lutter contre le terrorisme entre 2015 et 2017, personne ne pouvant défendre le fait de tuer ses compatriotes au nom d’une idéologie, fût-elle religieuse.
Ce qui est plus insidieux, c’est la radicalisation et le séparatisme – qu’on a appris à mieux traiter par la suite. Nous nous sommes aperçus que le parcours de radicalisation, et l’éventuel passage à l’acte terroriste d’un individu, commençait par un repli identitaire, communautariste et séparatiste et que la manifestation violente ne devait pas masquer un séparatisme d’atmosphère qui se répandait à la vitesse grand V dans certaines communautés – phénomène documenté par des travaux de recherches et des sondages.
Face à ce constat, différents travaux ont été engagés, qui se sont accélérés à la suite de l’assassinat de Samuel Paty. Tout d’abord, une mission spécifique de lutte contre le séparatisme islamiste et le repli communautaire a été confiée au SGCIPDR, comme le rappelait M. Apaire. Ensuite, le président de la République, dans les deux discours qu’il a prononcés à Mulhouse et aux Mureaux, a donné une forme de reconnaissance administrative et politique au concept de séparatisme, qui s’est traduite, sur le plan législatif, par l’adoption de la loi contre le séparatisme.
Depuis cinq ans, nous travaillons concrètement sur plusieurs aspects. La loi contre le séparatisme vise à traiter l’ensemble des manifestations du séparatisme, dans tout le spectre des politiques publiques. S’agissant de ceux qui relèvent de la DLPAJ, c’est-à-dire principalement la laïcité et les cultes, nous utilisons ce levier pour renforcer la transparence, la gouvernance, la redevabilité et l’auditabilité des acteurs des cultes, pour éviter que les cultes ne soient dévoyés à des fins séparatistes, voire terroristes. En matière de laïcité, nous menons des actions de formation auprès des agents publics, mais aussi en milieu scolaire et auprès de la société civile pour sensibiliser à ce principe qui nous unit tous et dont nous fêtons les 120 ans cette année. Enfin, nous prenons des mesures de police administrative – gels d’avoirs, dissolutions d’associations, fermetures de lieux de culte, interdictions de sortie du territoire ou d’entrée sur le territoire –, afin d’entraver tous les acteurs qui, de près ou de loin, alimentent les dynamiques séparatistes.
C’est dans ce but qu’il a été décidé d’unifier au sein de la DLPAJ tous les leviers de cette politique publique, du haut et du bas du spectre, considérant qu’il s’agissait d’une politique multifactorielle, avec à la fois des mesures de police administrative et la connexion de la formation et du dialogue. À ce sujet, nous avons substantiellement revu depuis trois ans les modalités de dialogue avec le culte musulman, rompant avec le CFCM qui avait fait la preuve de son échec non seulement à apporter des solutions concrètes à nos compatriotes musulmans mais aussi à travailler efficacement contre les tendances radicales et séparatistes. Nous avons fait le pari de la société civile, en nous inspirant du modèle allemand, en axant le dialogue sur le Forum de l’islam de France qui, en trois ans d’existence, a fait plus que le CFCM en vingt ans et dans le cadre duquel nous travaillons chaque jour pour apporter des réponses aux attentes légitimes de nos compatriotes musulmans, que ce soit en matière de lutte contre les actes antimusulmans, d’inclusion bancaire, de formation des imams, etc.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vos propos liminaires ont déjà répondu à une partie de mes questions et je vous en remercie. Quel bilan dressez-vous de l’action des pouvoirs publics en matière de lutte contre l’islamisme sous toutes ses formes – terrorisme, séparatisme, entrisme, radicalisation ?
M. Étienne Apaire. En matière de lutte contre le terrorisme, vous avez auditionné la DGSI – direction générale de la sécurité intérieure – et vous connaissez le nombre d’attentats déjoués. La grande réussite issue de ces malheurs a été de permettre à des administrations qui ne communiquaient pas entre elles de le faire désormais, sous l’autorité des préfets dans les départements et d’états-majors communs au plan national. Nous pouvons tous nous réjouir que, depuis 2016, l’administration se soit complètement modernisée et échange toutes les informations nécessaires – la DGSI a été désignée comme chef de file en matière de terrorisme.
Nous manquons d’éléments chiffrés en matière de prévention et de lutte contre la radicalisation, puisque nous ne faisons pas le décompte des personnes radicalisées. Néanmoins, nous disposons de quelques indicateurs, notamment la liste des personnes inscrites dans les fichiers des services de renseignement, en particulier le FSPRT (fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste). Nous disposons aussi d’indicateurs d’atmosphère, tels que les incidents survenus lors d’événements commémoratifs, comme ceux faisant suite aux assassinats des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard dans les établissements scolaires ; le nombre d’incidents tend désormais à diminuer. Enfin, grâce aux entraves administratives, nous avons obtenu des résultats : les communautés locales ont acquis de nouveaux réflexes ; pour obtenir les financements qui leur sont nécessaires, beaucoup doivent maintenant se tourner vers des mécanismes clandestins.
Par conséquent, sans vouloir trop se glorifier de l’évolution positive de la situation – il y a encore sur la voie publique des manifestations qui peuvent s’apparenter à des mouvements séparatistes –, on peut se réjouir de l’évolution de nos pratiques.
Bien sûr, il faut aller plus loin ; cela suppose de définir précisément quels combats nous voulons mener. La liberté de croyance est absolue dans notre pays ; mais elle ne s’applique que dans le respect des règles de la République. Une proposition de loi visant à inscrire dans la Constitution que nul ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect des règles de la République doit être examinée prochainement au Sénat. Cela me paraissait évident, mais certaines personnes semblent encore avoir des hésitations à ce sujet – je ne vous imposerai pas de nouveau mon discours sur les valeurs ; il faut progresser sur ce point.
M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville. Il se trouve que j’étais à Bruxelles en septembre pour participer aux rencontres annuelles des administrations européennes chargées des cultes : la France est citée en exemple pour son dispositif très complet et ses capacités à gérer le phénomène séparatiste – à tel point que plusieurs pays souhaitent s’inspirer des dispositions votées dans le cadre de la loi CRPR en 2021. Nous devrions accueillir dans les prochains mois des délégations estonienne, autrichienne et allemande, qui souhaitent mieux comprendre les dispositions instituées en France, tant sur le plan législatif qu’opérationnel, s’agissant des imams détachés.
Pour répondre à votre question, nous ne serions pleinement satisfaits que si le problème était réglé. Or la création de votre commission d’enquête prouve qu’il ne l’est pas et que du travail reste à accomplir. Disposons-nous des leviers juridiques suffisants ? Sans doute pas. Y a-t-il une meilleure conscience collective du sujet ? Elle n’est sans doute pas suffisante. Néanmoins, et je rejoins les propos d’Étienne Apaire, la France est aux avant-postes au niveau européen, à la fois en ce qui concerne la prise de conscience collective et la mobilisation administrative face à ce phénomène.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je note que les évolutions législatives semblent satisfaisantes, même s’il reste des points d’amélioration. Permettez-moi de revenir sur l’une des dispositions de la loi CRPR, le déféré laïcité. Cet outil vous semble-t-il efficace pour lutter contre la propagation de l’idéologie islamiste et prévenir d’éventuels liens entre les mouvements islamistes et des partis ou des mouvements politiques ?
M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville. Ce dispositif donne la possibilité au préfet d’assortir son déféré préfectoral contre la décision d’une collectivité locale d’une demande de sursis. Auparavant, il ne pouvait le faire que pour les actes portant gravement atteinte à une liberté publique ; en 2021, le dispositif a été étendu aux actes de nature à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité. Ces deux principes sont importants, parce qu’ils couvrent un spectre large : nous l’avons constaté encore récemment lorsque certaines mairies ont décidé d’accrocher un drapeau palestinien aux frontispices de leurs édifices ; les préfets ont gagné quasiment tous leurs déférés, parce que ce pavoisement a été considéré comme portant gravement atteinte à la neutralité du service public.
À notre connaissance, le dispositif n’a été utilisé que deux fois pour atteinte au principe de laïcité : une fois à Montfermeil et une autre à Grenoble, dans l’affaire iconique du burkini. D’ailleurs, la circulaire, qui avait été produite conjointement par la DLPAJ et par la direction générale des collectivités locales, dressait la liste des cas de figure dans lesquels il pouvait être mobilisé. Le fait qu’il ait été peu utilisé ne remet pas en cause son intérêt. D’ailleurs, le Conseil d’État a considéré que si un dispositif est utilisé quelques fois, c’est qu’il est utile et légitime. Ensuite, il faut savoir que de nombreux cas sont réglés avant même le déféré, comme c’est le cas sur bien d’autres sujets : il suffit souvent que le préfet attire l’attention du maire sur la difficulté, lequel comprend le problème et retire son acte ou sa délibération. C’est donc bien un outil puissant. Qu’il n’ait pas été davantage utilisé peut plutôt nous rassurer : on n’a pas eu énormément besoin d’y recourir.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Quel regard portez-vous sur le rapport sur les Frères musulmans qui a été publié par le ministère de l’intérieur en mai 2025 ? A-t-il fait évoluer votre travail au quotidien ?
M. Étienne Apaire. Ce rapport a le mérite d’exister, d’autant qu’il est l’un des premiers à avoir associé la population – puisque le ministre a souhaité le rendre public – et les décideurs, sur un phénomène largement méconnu. Il a permis de lever le voile sur un phénomène qui, sans être massif, était inquiétant : dans l’imagerie populaire, les islamistes sont sont des gens qui portent la djellaba, qui vont à la mosquée, dont les pratiques, en journée, font que celle-ci ne se déroule pas comme celle de la population d’origine chrétienne et qui sont issus de couches sociales peu aisées et concentrés dans certains quartiers. Or le rapport a permis de mettre en exergue que les Frères musulmans étaient au contraire des gens parfaitement insérés dans la société française, qui étaient chefs d’entreprise, cardiologues, professeurs, etc., et qui étaient mus par une volonté intemporelle – les Frères musulmans ont une notion du temps très différente de la nôtre –, de défendre un dessein politique qui vise à intégrer notre pays à la sphère islamiste, non pas par la violence mais par la persuasion ou par l’éducation.
Nous sommes donc passés d’une époque au cours de laquelle l’islamisme était considéré comme le terreau du terrorisme, avec un lien direct entre islamisme et violence, à une construction qui nous a permis de comprendre les forces à l’œuvre, des forces qui s’attaquaient à la communauté musulmane, laquelle n’était pas obligatoirement en phase avec ce mouvement, afin que cette communauté fasse masse et change les valeurs de la République. C’est en cela que le rapport est important.
Faute de temps, le rapport n’a pas pu aborder d’autres sujets, comme l’entrisme turc, qui ressemble à celui des Frères musulmans, avec des mouvements tels que Millî Görüs ou Ditib, qui sont liés au pouvoir turc et représentent une autre manifestation de l’islam politique, avec une volonté d’ingérence ou, en tout cas, de mainmise sur les communautés. Il aurait aussi pu évoquer les phénomènes hybrides qui commencent à apparaître : certains mouvements plus étonnants se rapprochent plutôt des dérives sectaires. Vous avez dû entendre parler des « êtres souverains », qui cultivent une forme de séparatisme philosophique en refusant de « contracter » avec l’État.
Ce rapport doit donc être vu comme le commencement d’un mouvement qui éclaire les grandes évolutions qui agitent notre pays.
M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville. À la genèse du rapport, il y a eu l’expulsion de l’imam Hassan Iquioussen, qui a marqué une rupture. Il s’agissait d’une figure locale, installée dans la sphère d’influence musulmane, qui avait pignon sur rue et faisait partie des acteurs qui comptent dans l’univers musulman du Nord de la France. La procédure d’expulsion engagée à son endroit par le préfet du Nord a été l’occasion de sortir d’une forme de jeu de dupes, puisque l’administration disposait d’éléments permettant de documenter le double discours dont je parlais précédemment. Mais force a été de constater que la bataille juridictionnelle autour de son expulsion a été tout sauf simple, les juridictions étant exigeantes quant au bien-fondé d’une expulsion qui visait une personne présente en France et intégrée depuis longtemps, dont les enfants étaient de nationalité française et qui était un acteur local connu et reconnu. In fine, le Conseil d’État a invalidé la décision du tribunal administratif de Paris qui avait annulé l’arrêté d’expulsion, considérant, grâce à un effort de persuasion considérable du ministère de l’intérieur – mémoire à l’appui, avec quarante pages d’annexes dressant la liste de toutes les incohérences dans l’expression publique et privée de M. Iquioussen – qu’il y avait suffisamment d’éléments pour valider son expulsion. Cette expérience a été riche d’enseignements, parce qu’elle confirmait que les Frères musulmans étaient particulièrement difficiles à appréhender, tant comme pensée que comme mouvement, et qu’il fallait, à l’instar de ce qui avait été fait en Autriche, au Royaume-Uni ou en Suède, un rapport faisant autorité, parce que produit par des tiers – venus du monde universitaire ou hauts fonctionnaires reconnus –, pour documenter et objectiver la réalité du phénomène.
Hasard du calendrier, ces travaux ont été menés et le rapport a été rendu public au moment même où l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler menait, de son côté, un travail dont plusieurs éléments recoupent ceux du rapport.
Par conséquent, ce rapport est utile dans la mesure où il documente et rend accessible au grand public et aux décideurs – maires, élus, etc. – la réalité du phénomène. Il donne à voir et explicite la matrice frériste et ses manifestations dans le territoire, en matière de séparatisme et d’entrisme.
Permettez-moi de prendre un exemple pour illustrer ce que l’on peut qualifier d’entrisme : j’ai fait allusion, tout à l’heure, à l’affaire du burkini, à Grenoble. La modification du règlement intérieur des piscines de la ville par la mairie avait été obtenue à la suite d’un combat militant mené par l’association Alliance citoyenne. Celle-ci est entrée dans les mémoires grâce à ce combat, mais elle existait bien avant et rassemblait une myriade d’associations. Fondée dans les années 2010-2012 et inspirée par le social empowerment américain, elle avait à l’origine comme fonds de commerce d’« encapaciter » – si vous me permettez le terme – des habitants des quartiers sur des sujets très concrets d’accès aux aides, de réparation des ascenseurs, etc. Il ne s’agissait donc absolument pas de combats communautaristes. L’agenda de l’association a dévié de son objet premier au fur et à mesure que ses membres évoluaient également. La création en son sein d’une commission des femmes musulmanes, qui revendiquaient le port du voile dans les services publics et, singulièrement, le port du burkini à la piscine, a modifié son agenda qui, j’y insiste, n’était à l’origine absolument pas orienté vers des revendications communautaristes ou religieuses – à tel point que Alliance citoyenne a ensuite donné naissance au collectif des Hijabeuses, qui a engagé une procédure de contentieux contre les fédérations de football et de basket-ball, parce que leurs règlements interdisaient le port de tenues religieuses. Voilà un bon exemple d’entrisme, dans lequel des activistes qui défendent un agenda communautariste s’engagent dans une association de droit commun pour mener leurs propres combats.
M. Étienne Apaire. En complément de ce qui a déjà été dit, la cartographie de l’implantation des Frères musulmans au niveau européen constitue un autre apport important du rapport : elle illustre que l’entrisme existe aussi en Europe, avec notamment des revendications et des accusations d’islamophobie à l’égard de la France accueillie sans recul par certains responsables instrumentalisés par ces groupements ainsi qu’une capacité d’associations clairement identifiées comme ayant des liens avec les Frères musulmans à obtenir des subventions au soutien de projets imprécis. Le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), par exemple, qui a été interdit dans notre pays, s’est reconstitué à Bruxelles sous la forme du CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe). Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il y a table ouverte, mais cela y ressemble fort.
La cartographie documente aussi très bien les écosystèmes présents à l’échelon régional, qui mettent en place des projets importants de mosquées, associés à des centres de formation, à des écoles et à des lieux d’accueil des mineurs. Grâce des appréciations fines réalisées avec les différents services de l’État, nous avons montré qu’il y a toujours un noyau dur – j’ai parlé de chefs d’entreprise et de gens bien intégrés dans la société – qui finance toutes ces opérations. Les circuits sont de plus en plus connus et réglementés, grâce au travail des préfectures et de la DLPAJ, mais nous savons aussi que ces écosystèmes poursuivent leurs efforts au niveau régional pour poursuivre une véritable stratégie d’occupation territoriale. Bien sûr, ils ne constituent pas ni la majorité du phénomène séparatiste, ni la majorité du fondamentalisme qui cherche à agiter la communauté musulmane. Il y a aussi les mouvements salafistes et Tabligh qui portent des projets communautaires. Néanmoins, s’agissant des Frères musulmans, nous avons désormais une meilleure connaissance de leurs agissements et de leurs stratégies. C’est un mouvement, rappelons-le, qui a une grande expérience de la clandestinité et qui doit nécessairement attirer l’attention des décideurs. Ce rapport les a fait sortir de l’ombre.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. J’aimerais aborder le plan national de prévention de la radicalisation, adopté en 2018. Quel bilan faites-vous de son application, six ans après son adoption ? Un nouveau plan est-il envisagé ? Dans quelle mesure le plan actuel concerne‑t‑il les mouvements politiques nationaux et les élus locaux ? Des dispositifs spécifiques sont‑ils mobilisés lorsque des acteurs politiques ou associatifs sont soupçonnés de proximité idéologique avec des réseaux islamistes ?
M. Étienne Apaire. L’application de ce plan se poursuit : nous avons un plan de formation des élus, avec des guides de formation. Néanmoins, il nous a paru nécessaire de le compléter, pour permettre une montée en puissance des autorités locales – élus et administrations – qui auront à connaître de ces questions. Il nous a également paru nécessaire de sensibiliser le monde du travail à ces questions, car nous savons que les entreprises font, elles aussi, l’objet d’un entrisme important, soit par la contestation de valeurs de la laïcité, soit par des recrutements communautaristes. Le SG-CIPDR intervient régulièrement auprès des directeurs de la sécurité des entreprises pour les former à la détection et à la bonne réaction dans ce domaine.
Du fait de l’autonomie des élus, il est très difficile d’intervenir autrement que dans le cadre des déférés laïcité. Notre but, c’est que chacun prenne ses responsabilités, le cas échéant politiques, et sache de quoi il parle. Il y a une réglementation, il y a des discours : nous assumons les nôtres. Nous répondons aussi aux demandes qui nous sont transmises et nous nous efforçons de n’oublier aucun secteur de la société.
Pour vous faire sourire, permettez-moi de raconter une anecdote : lorsque nous rencontrons des partenaires étrangers, ils nous demandent souvent comment cela se passe en France, avec la laïcité, et ce que nous entendons par séparatisme. Je leur raconte que lorsqu’un jour le responsable d’une association locale importante qui exerce des activités de soutien aix membres des communautés musulmanes vous explique qu’il serait préférable de décaler les horaires d’ouverture de la piscine pour permettre aux filles et aux garçons de ne pas nager en même temps, alors même que cette association n’a pas de vocation religieuse, vous réalisez qu’il se passe quelque chose dans votre commune. Et lorsque j’ai expliqué cela, les Italiens ont dit : « Ah oui, vous aussi, vous avez ça ! » Ces mouvements interviennent dans tous les pays d’Europe. Et si nous ne veillons pas au respect des contrats d’engagement républicain prévus par la loi confortant les principes de la République, si nous ne réaffirmons pas nos valeurs d’égalité, de liberté, de fraternité et de laïcité, nous aurons des interlocuteurs habituels qui essaieront de rétrocéder des avantages politiques à nos élus contre des décisions visant à affaiblir notre contrat républicain. Nous devrons être particulièrement vigilants à l’approche des élections municipales à l’égard des engagements que certains pourraient être tentés de prendre si ceux-ci sont contraires à nos principes
La plus grande force de notre République est de rendre tout cela visible et public, de sorte que ces débats ne se déroulent pas en catimini dans la préparation d’une élection ou dans le bureau d’un élu. Sa force est de former tous les élus aux valeurs de la République et aux dispositifs légaux et réglementaires en vigueur et de s’assurer que, s’il y a des transgressions, celles-ci soient connues. Nous ne faisons pas de name and shame, mais nous faisons en sorte que personne ne puisse dire « nous ne savions pas ».
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Auriez-vous besoin, dans le cadre de vos travaux, que le législateur intervienne pour préciser juridiquement le phénomène d’entrisme ?
M. Etienne Apaire. Votre commission est l’occasion de faire un bilan de la loi de 2021 confortant le respect des principes de la République, même si le Sénat a déjà publié un rapport sur son application. Cette loi est récente et les dispositifs administratifs sont encore en phase de rodage.
Nous avons évoqué un certain nombre de dispositifs légaux, mais les décideurs doivent se les approprier. La loi de 2021 prévoit par exemple que faire pression sur une personne pour l’obliger à continuer à croire ou, au contraire, pour la faire changer de croyance constitue désormais un délit. Des gens arrêtent de croire ou veulent se convertir à une autre religion, et c’est bien légitime. On sait qu’il y a des pressions. Les Témoins de Jéhovah, par exemple, pratiquent l’ostracisme, ce qui revient à décréter la mort sociale pour ceux qui veulent s’en aller. Or il n’y a pas eu une seule poursuite. C’est quelque chose d’incroyable.
On peut bien sûr réfléchir à l’opportunité de nouveaux textes. C’est le travail des directions législatives – et la DLPAJ devrait d’ailleurs fermer boutique si l’on estimait qu’il n’y en a plus besoin d’évolutions. En tant que magistrat, je considère qu’il faut peut-être se méfier : ne vaut-il pas mieux que chacun s’approprie les dispositifs existants ? Les parlementaires pourraient reprocher aux administrations de ne pas utiliser ceux qui sont à leur disposition.
Je ne sais pas vraiment ce qu’est l’entrisme : l’entrisme, l’ingérence et l’influence sont des notions proches. Grosso modo, nous voyons tous que nous voulons éviter que des gens viennent et substituent leurs valeurs aux nôtres.
Encore une fois, nous disposons d’un certain nombre de textes. En matière de sectes, nous n’encadrons pas la liberté de croyance mais nous combattons les dérives qui entraînent des infractions aux lois, aux règlements et à nos valeurs. En complément du dispositif actuel, ce modèle peut paraitre pertinent mais il suppose de renforcer l’arsenal pénal dont nous disposons, notamment en matière de police des cultes.
Il faut laisser vivre la loi de 2021, donner les moyens nécessaires aux administrations, organiser les formations nécessaires. Depuis 2022, nous avons formé des milliers d’agents dans ce domaine, et la DLPAJ va continuer à le faire. Nous formons également les élus. Il faudra peut-être étudier la manière dont chacun utilise les moyens qui sont à sa disposition.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Pouvez-vous dresser un bilan quantitatif et qualitatif des principales mesures d’entrave – dissolutions d’associations ou groupements de fait, fermetures de lieux de culte, gels des avoirs ou expulsions – mises en œuvre ces dernières années en lien avec le terrorisme et l’idéologie islamiste ?
L’association Urgence Palestine a-t-elle bien été dissoute ?
M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville. Pour ne pas alourdir notre discussion, je vous ferai parvenir par écrit la réponse à votre question sur le bilan chiffré, mais je vais en faire une synthèse du point de vue qualitatif.
Ces mesures ont fait la démonstration de leur utilité, car elles ont permis de déstabiliser des acteurs qui, pour certains, utilisaient une rhétorique d’apologie du terrorisme et, pour d’autres, faisaient l’apologie de la haine ou de la discrimination à l’encontre d’un certain nombre de groupes de personnes – et singulièrement de nos compatriotes de confession juive.
La montée de l’antisémitisme est en effet l’un des phénomènes extrêmement préoccupants que nous avons pu constater ces dernières années – en particulier depuis deux ans – et qui traduit l’emprise de la pensée frériste.
Les gels des avoirs ou les dissolutions d’associations permettent de s’en prendre aux moyens ou de désorganiser l’action de ceux qui promeuvent ce genre d’idéologie. On nous dit souvent que les dissolutions ne servent à rien, puisque les personnes qui étaient membres des associations ou des groupements de fait dissous continuent à avoir les mêmes idées.
Ce n’est vrai que partiellement. On peut en effet constater que ces personnes pensent encore de la même manière, mais l’intérêt des dissolutions administratives est triple. Tout d’abord, elles ont un intérêt symbolique, car cette mesure infamante marque l’association au fer rouge – et ce, d’autant plus qu’elle est exceptionnelle. Ensuite, cela permet de désorganiser la structure et de l’empêcher de poursuivre ses activités. Enfin, il y a des sanctions pénales à la clé en cas de reconstitution de ligue dissoute. Une organisation qui a été dissoute par une décision prise en Conseil des ministres fait toujours l’objet d’un suivi par les services de renseignement, précisément pour documenter une éventuelle reconstitution de ligue dissoute. Des procédures judiciaires ont été engagées à la suite d’un certain nombre de dissolutions, qui concernaient notamment l’ultradroite ou les milieux islamistes.
En 2021, le législateur a bien voulu moderniser substantiellement le dispositif de dissolution des fonds de dotation, qui étaient un instrument extrêmement prisé par les acteurs séparatistes, qu’il s’agisse de la sphère frériste ou des islamo-nationalistes turcs. Grâce à cette modification, les préfets ont pu engager un certain nombre de procédures de dissolution judiciaire de fonds de dotation. Quatre ans après le vote de la loi, plus d’une vingtaine de fonds de dotation séparatistes ont fait l’objet soit d’une dissolution judiciaire soit d’une suspension administrative, qui en est le préalable.
Un certain nombre d’outils pourraient être encore améliorés par le législateur. En cas de dissolution administrative, nous ne disposons pas d’un mécanisme de dévolution des biens des associations dissoutes. De ce fait, elles peuvent les transmettre à une association qui poursuivrait les mêmes buts. Or ces biens sont parfois considérables. Ce n’est pas seulement un cas d’école. L’association Barakacity, qui a été dissoute en 2020, avait transféré ses biens à Londres tandis qu’il est loisible à l’IESH (Institut européen des sciences humaines), qui vient d’être dissous par le Conseil des ministres au début de septembre, de transférer ses biens. Aucune disposition ne nous permet de nous y opposer.
Les mesures de police administrative qui sont à notre disposition sont utiles et ont montré leur efficacité. Elles mériteraient sans doute d’être complétées ou améliorées à la marge.
Un petit bémol in fine : la victoire ultime sera atteinte seulement lorsque les individus qui prônent les théories du « eux contre nous » justifiant l’utilisation de ces mesures de police administrative auront été convaincus. Tel doit être le combat de l’administration et de la société civile.
M. Nicolas Dragon (RN). Au cours d’auditions précédentes, il a été indiqué que la pensée décolonialiste tend à se placer au-dessus d’autres luttes sociales. Suivez-vous l’évolution des mouvements décolonialistes ? Si oui, procédez-vous à des signalements lorsqu’ils dérivent vers des formes d’endoctrinement ou de radicalisation idéologique ? Et à partir de quand ?
Mme Caroline Yadan (EPR). Il est en effet très utile de dissoudre des associations comme Barakacity ou le CCIF – même si l’on sait qu’il a été recréé ailleurs en Europe. Cela permet de les désorganiser.
Hier, nous avons auditionné Nora Bussigny, qui a beaucoup parlé de Samidoun. C’est une sorte de pieuvre, qui permet justement à des associations comme BDS (« Boycott, désinvestissement et sanctions »), Urgence Palestine ou Students for justice in Palestine d’œuvrer – si l’on peut dire – auprès de la jeunesse. Nora Bussigny a insisté sur la dangerosité idéologique de Samidoun, dont on ne connaît pas vraiment les financements. Cette dangerosité se manifeste notamment par un antisémitisme exacerbé, par la haine des juifs.
J’ai alerté les différents ministres de l’intérieur sur Samidoun au cours des deux dernières années, en demandant sa dissolution. Cette organisation est d’ailleurs considérée comme terroriste en Allemagne, au Canada, aux États-Unis et aux Pays-Bas.
Je vais de nouveau demander la dissolution de Samidoun, car c’est un point très important. Avez-vous connaissance de discussions précises en vue d’engager une telle procédure ?
M. Jérôme Buisson (RN). La pensée politique décolonialiste a-t-elle des liens avec le séparatisme religieux islamique ?
M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville. Je ne sais pas ce que vous ont dit les collègues des services de renseignement s’agissant des mouvances qui se qualifient elles-mêmes de décoloniales, mais l’administration ne les suit pas en tant que mouvements de pensée. Chacun peut dire et penser ce qu’il veut, pourvu que ça reste dans les limites fixées par la loi.
En revanche, nous avons eu à procéder à des signalements à l’autorité judiciaire ou à prendre des mesures administratives dès lors qu’étaient en fait tenus des discours de haine et de discrimination, notamment vis-à-vis des personnes de confession juive ou des personnes dites de « race blanche ». Nous sommes neutres, objectifs : dès lors qu’il y a une infraction à la loi ou un trouble à l’ordre public, dans une logique de police préventive, nous n’avons aucun état d’âme à agir.
Ce que vous indiquez fait écho à ce que j’ai dit précédemment sur les phénomènes d’entrisme. La sphère décoloniale a été investie par des acteurs séparatistes, qui y voient une opportunité de diversifier les lieux où ils peuvent s’engager dans le débat public grâce à une approche par « proxy », en élaborant une alliance objective à partir de combats qui sont à l’origine éloignés. Ces acteurs séparatistes surfent sur la rhétorique de victimisation et s’appuient sur une stratégie parfaitement assumée de convergence des luttes et d’intersectionnalité, dont chacun pensera ce qu’il veut.
Madame Yadan, nous sommes extrêmement vigilants au sujet du genre de mouvement que vous avez mentionné. Je ne peux pas en dire plus, non par manque de transparence, mais parce que des procédures sont en cours et qu’elles nécessitent la confidentialité. Nous avons bien en tête un certain nombre d’acteurs de cette sphère, dont Samidoun.
M. le président Xavier Breton. Rencontre-t-on des difficultés pour qualifier juridiquement des liens qui peuvent exister entre certains élus et des mouvements ou des personnalités islamistes et qui mettent en évidence des stratégies d’entrisme ? La loi actuelle est-elle suffisante ? Avez-vous des propositions à faire sur ce point ?
M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville. L’entrisme n’est défini nulle part, et je ne suis pas sûr qu’on puisse le faire juridiquement.
On peut l’appréhender par diverses manifestations, comme la prise illégale d’intérêts. C’est le cas lorsqu’on arrive à documenter qu’au sein d’un exécutif local une personne utilise son influence sur la décision publique pour promouvoir un agenda personnel, associatif ou communautaire. C’est une infraction pénale, la difficulté étant de collecter suffisamment d’éléments de preuve pour pouvoir engager des poursuites.
L’entrisme est aussi un sujet politique. Le fait que des activistes s’engagent dans la vie politique pour accéder au pouvoir, c’est finalement l’histoire de la démocratie. Je rejoins ce que disait Étienne Apaire précédemment : l’enjeu consiste à faire prendre conscience de ce qu’il se passe aux gens – et singulièrement aux élus locaux. Il n’est pas neutre de prendre pour adjoint à la vie associative quelqu’un qui dirige par ailleurs deux mosquées prônant un islam rigoriste dans la même ville – et ce n’est pas un cas d’école. Il n’est pas neutre d’avoir un directeur de cabinet qui est par ailleurs président d’une multitude d’associations communautaristes intervenant dans le champ social, éducatif ou de la solidarité.
Je ne suis pas convaincu que l’on puisse qualifier juridiquement l’entrisme. Le seul contre-exemple que j’ai en tête concerne la législation italienne destinée à lutter contre l’entrisme de la mafia dans les exécutifs locaux, adoptée dans les années 1990 – mais cela nous éloigne du sujet qui nous occupe. Face à l’ampleur du phénomène mafieux, le législateur italien a doté le pays d’un arsenal juridique extrêmement puissant, qui permet à l’autorité administrative de dissoudre l’ensemble d’un conseil municipal dès lors qu’il est prouvé qu’il est mis en coupe réglée par la mafia.
Il y a cependant une difficulté. La mafia est un groupe criminel ; on arrive à caractériser des infractions pénales. En matière de séparatisme, c’est beaucoup plus diffus, beaucoup plus insidieux, et l’on tangente des libertés fondamentales que sont la liberté d’expression et la liberté religieuse. Je livre cela à votre réflexion.
L’enjeu réside donc pour l’essentiel dans l’information du grand public et dans la formation et la sensibilisation des élus à cette réalité. Certains élus sont complaisants, mais beaucoup d’entre eux sont de bonne volonté et ne sont pas conscients de ce qui se passe parfois dans leur commune, leur conseil municipal ou leur exécutif.
M. le président Xavier Breton. Il me reste à vous remercier pour ces échanges très intéressants. Vous pourrez les compléter en apportant des réponses écrites au questionnaire du rapporteur et, le cas échéant, aux questions qui vous ont été posées lors de cette audition.
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10. Audition, ouverte à la presse, de Mme Florence Bergeaud‑Blackler, chargée de recherche au CNRS (22 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Madame Bergeaud-Blackler, vous avez récemment publié un ouvrage intitulé Le frérisme et ses réseaux, dans lequel vous analysez les différentes stratégies déployées par ce mouvement pour s’implanter dans nos territoires. Vous y soulignez également comment certains discours ou pratiques politiques facilitent cette implantation. Nos travaux portant sur les mouvements islamistes en France et leurs stratégies pour établir des liens avec des élus nationaux et locaux, nous souhaiterions vous entendre sur les éléments recueillis au cours de votre enquête. Je souhaite donc vous soumettre trois premières questions en guise d’introduction.
Premièrement, comment définiriez-vous l’islamisme en tant qu’idéologie et partagez‑vous le constat, formulé à plusieurs reprises devant notre commission, d’une hybridation entre frérisme et salafisme ?
Deuxièmement, vous indiquez dans votre ouvrage que les mouvements fréristes auraient choisi d’infiltrer les courants altermondialistes de gauche au motif que ces derniers, de nature composite, estiment nécessaire de « s’allier coûte que coûte, y compris avec des mouvements dont on ne connaît pas exactement les intentions ». Il en résulterait une défense de thèmes communs, tels que la cause palestinienne particulièrement depuis le 7 octobre 2023, par des groupes aux objectifs politiques pourtant fondamentalement opposés. Pourriez-vous approfondir ce point ?
Troisièmement, vous soulignez l’importance de bien connaître les stratégies islamistes pour pouvoir les combattre. La recherche dans ce domaine est-elle, selon vous, suffisante ?
Je vous prie préalablement de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et vous invite, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « je le jure ».
(Mme Florence Bergeaud-Blackler prête serment.)
Mme Florence Bergeaud-Blackler, chargée de recherche au CNRS. Je réponds à votre invitation avec d’autant plus d’intérêt que j’alerte depuis plusieurs années sur les collusions possibles entre des islamistes légalistes, comme les Frères musulmans, et certains partis politiques.
Je travaille depuis plus de trente ans sur les normativités islamiques en tant que docteur en anthropologie et, dans mon avant-dernier ouvrage intitulé Le frérisme et ses réseaux, j’explique comment les fréristes investissent l’arène politique, non pas en créant des partis islamistes, conscients qu’ils n’auraient aucune chance de l’emporter par les urnes, mais en utilisant ce que je nomme des partis « coucous ». De la même manière que l’oiseau pond ses œufs dans le nid d’une autre espèce pour qu’elle les couve, les Frères musulmans exploitent les partis, les institutions et les associations comme ils l’ont toujours fait depuis leur fondation en Égypte en 1928, c’est-à-dire de façon discrète, par influence et sans confrontation frontale.
Cette méthodologie, qui s’est affinée en Europe, s’inspire parfois de l’expérience trotskiste, mais elle repose avant tout sur les recommandations de Youssef al-Qaradâwî, figure religieuse sunnite qui reste le mentor le plus influent du frérisme au XXIème siècle, notamment dans les sociétés libérales sécularisées. En résumé, il ne préconise pas de recourir directement à la violence pour islamiser une société, mais de la rendre progressivement compatible avec la charia. Ce rejet apparent de la violence ne découle pas d’un refus de principe mais d’un simple calcul d’efficacité qui postule que dans des sociétés technologiquement et militairement puissantes, la violence s’avère vouée à l’échec. La méthode privilégiée est donc la subversion, entendue comme l’utilisation des forces et des atouts d’une société contre elle-même.
La période qui a suivi les massacres du 7 octobre a mis en pleine lumière ces connexions que j’avais déjà étudiées. Deux importantes enquêtes récentes, publiées par Nora Bussigny et Omar Youssef Souleimane, que votre commission a auditionnés, montrent clairement ces convergences militantes entre La France insoumise et d’autres partis de la gauche radicale d’une part, et les réseaux fréristes qui se présentent sous l’étiquette plus acceptable de défenseurs de la cause palestinienne d’autre part. Il existe donc des alliances militantes avérées puisque des élus LFI comme Mathilde Panot, Thomas Portes, Louis Boyard, Rima Hassan ou encore Ersilia Soudais participent à des manifestations aux côtés d’acteurs proches du Hamas ou du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) tels qu’Urgence Palestine ou Perspectives musulmanes. Dans ces cortèges, les slogans reprennent la rhétorique islamiste avec des références au « déluge d’Al-Aqsa » (appellation donnée par le Hamas à l’attaque du 7 octobre), la dénonciation de l’État français « colonial » ou encore des appels à l’intifada. Tout cela est rigoureusement documenté.
Il importe de rappeler que le Hamas n’est pas un mouvement de résistance mais un groupe terroriste créé pour éradiquer Israël au nom de l’Oumma, c’est-à-dire de la nation islamique. Son projet n’est pas uniquement territorial mais également religieux et messianique. La charte fondatrice de 1988 prévoit explicitement la suppression d’Israël, désigné comme « entité sioniste ». Certains soutiennent que le document de 2017 aurait adouci cette position, mais il n’en est rien, puisque ce texte, qui ne fait qu’amender la charte initiale, conserve des éléments extrêmement problématiques tels que le déni de l’existence du peuple juif en Palestine, l’affirmation du caractère islamique et sacré de l’ensemble du territoire, la légitimité de la lutte armée ou encore la centralité de la cause palestinienne pour l’Oumma. Selon ce document, la Palestine incarne donc « l’âme de l’humanité, la conscience vivante » pour l’ensemble des musulmans du monde. La seule différence notable avec la charte fondatrice réside dans la disparition de la rhétorique antisémite explicitement fondée sur le Coran et la Sunna, ainsi que dans l’effacement du lien avec les Frères musulmans, qui demeure mais a été volontairement gommé.
Si les manifestations se sont multipliées depuis le 7 octobre, montrant cette alliance de façon manifeste, la convergence est en réalité ancienne. Ce qui a changé, et doit aujourd’hui nous alerter, c’est l’ampleur des mobilisations et surtout l’alignement d’une partie de la presse de gauche qui, autrefois relativement neutre, relaie désormais massivement la propagande et la terminologie du Hamas et des réseaux fréristes internationaux. Les exemples abondent. En décembre 2008-2009, lors de la guerre à Gaza qui déclenche l’opération de représailles « Plomb durci », les chiffres des victimes civiles sont amplifiés par la propagande et relayés en France par certains partis de gauche. L’Humanité titre alors « photos du carnage », « Gaza martyrs », « massacres » et va jusqu’à évoquer un « Gaza Holocauste ». Ces publications provoquent des manifestations auxquelles participent Lutte Ouvrière, la Ligue communiste révolutionnaire, le Parti ouvrier indépendant, le Parti de gauche, le NPA, le Parti communiste et la CGT. On y brandit des portraits du cheikh Yassine, fondateur du Hamas, et de Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, tandis que l’Union des organisations islamiques en France (UOIF), vitrine des Frères musulmans, défile également.
En 2014, l’ayatollah Khamenei qualifie Israël de « chien enragé » et parle de « génocide » contre Gaza, tandis que le général Qassem Soleimani promet de transformer le ciel et le sol de Gaza en enfer pour les sionistes. Des roquettes s’abattent sur Israël en visant des civils et Israël réplique après avoir averti la population et en ciblant les tunnels. Un bombardement sur l’hôpital Al-Wafa suscite l’émotion, mais le Croissant-Rouge confirmera que le Hamas utilisait l’établissement comme bouclier humain. Là encore, le scénario se répète presque à l’identique. François Hollande et Laurent Fabius condamnent dans un premier temps l’agression du Hamas mais, après une tribune virulente de Dominique de Villepin publiée dans Le Figaro et saluée par la gauche, le gouvernement finit par parler lui aussi de « massacre » et exige un cessez-le-feu. Pour autant, cette inflexion est jugée tardive par le Parti des Indigènes de la République, qui jure que le PS paiera le prix de son hésitation aux élections présidentielles de 2017. La branche jeunesse de l’UOIF, les Jeunes musulmans de France, exprime également son mécontentement auprès de Martine Aubry et menace de sanctions électorales. Dans le même contexte, L’Humanité publie une tribune de Salah Hamouri, militant du FPLP. À travers toute la France, des cortèges scandent « Soutien total et inconditionnel à la résistance palestinienne », reprenant ainsi une rhétorique déjà installée.
Le 19 juillet 2014, une manifestation interdite par la préfecture est maintenue par le Pôle de renaissance communiste en France (PRCF). Alain Pojolat, cofondateur et porte-parole du NPA, convoqué devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris pour cet appel, reçoit le soutien de jeunes communistes, de députés socialistes, d’élus d’Europe Écologie Les Verts et de personnalités politiques telles que Jean-Luc Mélenchon, Clémentine Autain ou Arlette Laguiller. Le cortège du collectif Cheikh Yassine, proche du Hamas, s’y joint en fin de manifestation. La presse couvre largement l’événement, mais ce sont principalement les médias de gauche et d’extrême gauche qui relaient ces éléments. C’est également à cette époque que Tariq Ramadan déclare sur LCI que le Hamas n’est pas une organisation terroriste, mais une structure comparable au Congrès national africain (African National Congress, ANC) sud‑africain, autrefois classé comme telle. Ce qui s’est produit le 7 octobre 2023 n’est donc qu’une amplification de phénomènes déjà bien présents mais que nous avons refusé de voir.
N’oublions pas, enfin, la manifestation contre l’islamophobie de 2019, où nous avons vu défiler, aux côtés du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) (dissous en 2021 pour son implication dans l’assassinat de Samuel Paty) des personnalités comme Elias d’Imzalène qui, en 2024, appellera publiquement à l’intifada dans les rues de Paris. Rappelons que le terme signifie littéralement « soulèvement » et correspond à un appel explicite à l’insurrection populaire contre une autorité jugée illégitime.
Alors, cette alliance militante correspond-elle à une alliance idéologique ? Dans un article publié dans la revue Cités, intitulé « Le problème de la gauche avec l’islamisme sur la postérité française de Chris Harman », j’expliquais que la gauche avait, dès les années 1980-1990, théorisé une possible convergence avec l’islamisme. Pour Chris Harman, militant britannique dont la position peut être comparée à celle de La France insoumise aujourd’hui, l’islam ne se réduit pas à une force conservatrice et peut au contraire constituer une puissance révolutionnaire. Selon lui, l’islamisme n’est qu’une conséquence traumatique de la domination impérialiste et, moyennant certains correctifs, une alliance devient envisageable. Harman écrit notamment que « de nombreux individus attirés par les versions radicales de l’islamisme peuvent être influencés par les socialistes, à condition que ces derniers maintiennent une indépendance politique vis-à-vis des formes d’islamisme, tout en saisissant les occasions d’entraîner des islamistes individuels dans des formes de lutte véritablement radicales à leurs côtés ». L’objectif n’est donc pas d’intégrer les organisations islamistes dans leur globalité mais de capter des individus afin de renforcer un mouvement révolutionnaire que la gauche radicale appelle de ses vœux.
La gauche s’appuie pour cela sur la lutte contre l’islamophobie, instrument qu’elle utilise pour séduire les musulmans tout en les maintenant dans la peur. Cette stratégie figurait déjà dans les projets des Frères musulmans dès les années 1990, bien avant que le terme ne soit explicitement formulé. Si le rapport du Runnymede Trust au Royaume-Uni fut le premier document officiel à l’employer, l’idée de combattre la haine antimusulmane et anti-islam existait dès les années 1980 chez Youssef al-Qaradâwî, comme je l’expose dans mon livre.
Dans cette logique, Houria Bouteldja, fondatrice du Mouvement des Indigènes de la République et sorte de relais entre islamisme et gauchisme, déclarait à propos de Jean-Luc Mélenchon, candidat en 2022 : « Dans ce magma, il y a un butin de guerre qui s’appelle Mélenchon. C’était une espèce de laïcard de dingue et aujourd’hui il dit des choses qu’il n’aurait jamais dites il y a quinze ans ». L’expression « prise de guerre » montre clairement son positionnement du côté islamiste. Elle reconnaît d’ailleurs avoir été inspirée tout au long de son parcours par Tariq Ramadan.
Les frontières demeurent ainsi poreuses entre islamisme, indigénisme et mouvance décoloniale, et tous aspirent à instrumentaliser la gauche. Leur stratégie repose sur l’utilisation de partis « coucous », infiltrés pour transformer progressivement l’ADN de ces formations politiques et les amener à servir leur projet d’islamisation de la société. Ils s’appuient pour cela sur une définition particulièrement mobilisatrice de l’islamophobie.
Je souhaiterais vous diffuser une vidéo illustrant parfaitement la méthode employée pour islamiser la gauche. Est-ce techniquement possible ?
M. Xavier Breton, président. Nous aurions dû être informés à l’avance du contenu exact de ce document, mais vous pourrez nous le transmettre ultérieurement pour que nous puissions l’intégrer à notre documentation.
Mme Florence Bergeaud-Blackler. Dans cette vidéo, nous pouvons voir Elias d’Imzalène, qui appartient à Perspectives musulmanes, un groupe islamiste dont l’objectif affiché est de réislamiser la gauche, s’exprimer sur la chaîne Parole d’honneur face à des militants du NPA. Il y propose une définition singulière et révélatrice de l’islamophobie, qu’il formule en ces termes : « L’islamophobie, pour nous, ce n’est pas simplement un problème de droits individuels, c’est systémique. L’islamophobie, c’est tout ce qui entrave la construction et le développement de la communauté, son expression visible et politique, que ce soit en France ou ailleurs. Il nous faut donc développer et protéger les initiatives de la communauté, rendre légitime son expression visible et politique ». Cette définition implique, en substance, que toute entrave à l’islam politique est assimilée à une forme d’islamophobie et, pour saisir pleinement la portée de cette affirmation, il convient d’adopter le prisme islamiste. Dans une perspective non islamiste, s’opposer à l’expression d’un parti politique islamique dans l’espace public suffit à être taxé d’islamophobie, ce qui soulève déjà de sérieuses difficultés, mais dans la vision islamiste, toute entrave au devoir de propager l’islam constitue une agression caractérisée. Le musulman qui se voit limité dans son droit de pratiquer et d’inviter autrui à embrasser l’islam se perçoit comme agressé, ce qui déclenche un devoir de défense.
Cette réaction renvoie au concept de djihad défensif, théorisé par Ibn Taymiyyah, érudit des XIIIème et XIVème siècles dont l’influence irrigue aussi bien les salafistes stricts que les Frères musulmans. Il le décrit comme une obligation individuelle pour tout musulman face à une agression, et sa conception a été reprise et réinterprétée par des figures centrales comme Saïd Qotb, idéologue des Frères musulmans, ou Abdullah Azzam, mentor d’Oussama Ben Laden et d’autres personnalités marquantes des réseaux islamistes. Ce djihad défensif peut prendre des formes diverses selon les contextes. Il ne suppose pas nécessairement le recours aux armes mais peut se manifester par des moyens subversifs non directement violents, qui permettent tout à la fois de se défendre et d’attaquer. C’est dans ce cadre que certains islamistes français, à l’instar de d’Imzalène, cherchent à imposer leur conception du droit d’être musulmans en tout lieu et selon leurs propres modalités, au nom même de leur citoyenneté française, et considèrent cette démarche comme un devoir impérieux.
Dans le même temps, les cadres de La France insoumise adoptent progressivement le vocabulaire et les thématiques issues de la sphère islamiste. Dans la vidéo que j’évoquais, nous constatons ainsi que la gauche radicale reprend désormais des termes naguère réservés à la rhétorique islamiste, tels que la « libération de la Palestine » au même titre que la libération du prolétariat, ou encore des expressions telles que « résistance », « génocide » et « sioniste » utilisées pour désigner l’ennemi idéologique. Ces vocables ne visent plus uniquement les Juifs, mais également ce que certains qualifient de « Juifs cachés », assimilés aux capitalistes ou à d’autres figures adverses. Symétriquement, le vocabulaire islamiste s’est gauchisé pour séduire la gauche et l’on y retrouve désormais des concepts empruntés aux traditions révolutionnaires comme la « révolution permanente », la « résistance des opprimés » ou la « convergence des luttes », directement inspirés des thèses décolonialistes et de la lutte des races. Il s’agit bien d’un processus de traduction mutuelle, la gauche adoptant la terminologie islamiste tandis que l’islamisme reformule ses concepts pour en faciliter l’appropriation et la diffusion au sein des institutions de gauche.
Grâce à cette hybridation, les islamistes ont su imposer l’idée selon laquelle les Palestiniens sont opprimés en raison de leur identité musulmane, une condition étendue à l’ensemble de la planète. C’est la raison pour laquelle, dès le 7 octobre, des manifestations d’ampleur mondiale ont émergé. Il ne s’agissait pas seulement de la « rue arabe », mais bien de l’Oumma, une mobilisation transnationale de la communauté musulmane. Rappelons que les Arabes ne représentent que quatre cinquièmes des musulmans dans le monde, alors que de Londres à Johannesburg et de Kuala Lumpur à Paris, ces rassemblements ont montré un phénomène global.
Le fonctionnement de cette alliance islamo-gauchiste s’explique tout autant par des motifs idéologiques et militants que par des calculs clientélistes visant à séduire un électorat musulman au vote relativement concentré. Dans certaines municipalités, des accords existent entre des maires et des frères musulmans qui s’érigent en porte-parole autoproclamés de la communauté, bien qu’ils ne disposent d’aucun mandat officiel. Il est frappant de constater que cette population, bien que peu mobilisée électoralement, suit néanmoins les consignes diffusées par ces intermédiaires. Les chiffres l’attestent puisque, selon un sondage Ifop de juin 2024, 62 % des électeurs musulmans ayant participé aux élections européennes ont voté pour La France insoumise. Il faut ajouter que 59 % des musulmans se sont abstenus, mais les votants actifs forment un bloc électoral fortement concentré.
S’agissant enfin de la distinction entre courants religieux conservateurs et mouvances salafistes ou fréristes, je considère qu’il n’existe pas de différence doctrinale fondamentale entre le salafisme piétiste et l’islamisme frériste. Le courant salafiste strictement conservateur n’a pas vocation, en principe, à s’implanter durablement dans un pays non musulman. Le salafiste pieux doit accomplir sa hijra, c’est-à-dire émigrer vers une terre d’islam. Par conséquent, il n’existe pas de collectif salafiste piétiste structuré en France, cette démarche relevant d’initiatives individuelles et de formes limitées de prosélytisme.
Nous observons en revanche l’émergence d’hybrides que je qualifie de « frérosalafistes », des salafistes qui, étant dans l’incapacité d’émigrer pour des raisons personnelles ou professionnelles, acceptent de participer à la prédication (Dawah) telle que promue par les Frères musulmans. Ces croyants orthopraxes, qui privilégient l’exactitude de la pratique, s’intègrent de fait dans le projet idéologique frériste, particulièrement dans les classes populaires. En définitive, l’offre islamique organisée en France relève essentiellement du fondamentalisme, avec une prédominance frériste, les Frères musulmans étant les seuls à proposer un projet structuré, compatible avec la présence en pays non musulmans et exempt de caractère explicitement illicite.
C’est ce mouvement qui s’est arrogé le droit de légitimer une telle existence en terre de mécréance, bien que la majorité des musulmans ne se reconnaissent pas dans ces courants organisés. Lorsqu’ils pratiquent leur religion, ils suivent en effet les prêches dispensés dans la mosquée locale, rattachée à leur communauté d’origine, et leurs lectures proviennent essentiellement des librairies islamiques et des mosquées. La grande majorité de ces ouvrages, traduits en français, relèvent de l’obédience salafiste et véhiculent par conséquent un islam fondamentalement incompatible avec les valeurs et le mode de vie européens. Ce constat revêt une importance capitale car, si les Frères musulmans et les salafistes demeurent relativement minoritaires dans l’ensemble de la population musulmane, cette minorité se renforce significativement parmi les jeunes générations. Un sondage particulièrement révélateur, dont je vous communiquerai les références précises, démontre que 58 % des jeunes musulmans âgés de 18 à 25 ans privilégient la charia aux lois de la République. Nous assistons ainsi à une réislamisation remarquablement efficace, orchestrée notamment par les Frères musulmans et amorcée dès les années 1980-1990, puisque nous en sommes désormais à la troisième génération réislamisée et que les résultats de cette entreprise apparaissent de manière manifeste.
Je n’aborde pas ici le cas des non-pratiquants, qui relève d’une autre problématique. Les musulmans pratiquants nés en France se réfèrent en effet à une littérature salafiste francophone, dont ils adaptent les préceptes à divers degrés de pratique. Dans mon étude, centrée sur l’offre religieuse disponible, j’ai constaté que les prédicateurs les plus influents sur internet appartiennent au courant frérosalafiste, ces prédicateurs parfaitement francophones s’adressant aux jeunes et à leurs parents en traitant de leurs préoccupations quotidiennes, contrairement aux imams importés des pays d’origine des migrants.
Il existe également des musulmans qui ne se reconnaissent pas dans cette offre religieuse dominante, car ils pratiquent l’islam chez eux, observent une alimentation halal à différents degrés et entretiennent un rapport plus personnel à la religion. Enfin, nous devons mentionner tous ceux qui ont quitté l’islam mais ne le déclarent pas ouvertement, catégorie particulièrement difficile à quantifier.
M. Xavier Breton, président. Vous évoquez à plusieurs reprises « la gauche » alors que, dans vos ouvrages, vous utilisez plutôt les termes « ultra-gauche » ou « gauche radicale ». Pourriez-vous préciser votre position à ce sujet ? Vous référez-vous effectivement à la gauche dans son ensemble ou spécifiquement à une fraction de celle-ci ?
Mme Florence Bergeaud-Blackler. Ma langue n’a pas fourché. J’observe en effet une évolution notable entre 2008, 2014 et 2023, puisque les forces de gauche sont de plus en plus nombreuses à se rapprocher de ces mouvements qualifiés de propalestiniens, qui constituent selon moi des mouvements islamistes instrumentalisant une cause permettant de rallier la gauche. Je maintiens donc mes propos et considère que tant que la gauche Front Populaire, en particulier, n’aura pas clairement pris ses distances avec une gauche dite radicale (LFI et NPA notamment) qui manifeste des positions antisémites, je ne vois aucune raison de les distinguer. Toute alliance avec des partis s’exprimant ainsi et faisant cause commune avec l’islamisme constitue une forme de complicité.
Si, dans mon ouvrage publié en 2023, je me réfère principalement à la gauche radicale, c’est parce que nous n’avions pas encore assisté aux événements survenus cette même année et à la réaction timorée de la gauche Front Populaire face à l’antisémitisme, non pas en tant que tel mais dans son expression islamiste. Loin de marquer leur désapprobation, des médias comme Le Monde, Libération ou La Croix ont trop facilement relayé la propagande du Hamas, alors qu’ils disposaient de tous les moyens nécessaires pour prendre leurs distances avec celle-ci. Les développements observés depuis 2023 sont donc particulièrement étonnants.
M. Matthieu Bloch, rapporteur de la commission d’enquête sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste. Je tiens à vous remercier pour votre exposé, votre présence et votre courage, car vous abordez un sujet particulièrement sensible où nous percevons rapidement des menaces, révélatrices d’un problème substantiel. Vos travaux apparaissent absolument essentiels pour préserver l’unité nationale face à des forces séparatistes qu’il est indispensable d’identifier et de combattre avant qu’elles ne puissent provoquer le chaos qu’elles recherchent.
J’aimerais revenir sur la question des manifestations. Nous avons auditionné différents auteurs qui ont relevé la présence de personnalités politiques à diverses manifestations organisées par des collectifs tels qu’Urgence Palestine. Selon eux, la participation active de ces élus aux côtés de personnes prônant l’idéologie islamiste démontre factuellement l’existence de liens étroits entre ces élus et la mouvance islamiste. Vous nous avez confirmé partager cette analyse. Pourriez-vous préciser s’il s’agit, selon vous, d’un simple opportunisme politique et électoral, d’une adhésion idéologique plus profonde avec un véritable lien structurant, ou d’une combinaison des deux ?
Mme Florence Bergeaud-Blackler. Mon propos liminaire démontrait justement qu’il ne s’agit pas uniquement d’une alliance militante opportuniste et qu’il existe de véritables convergences idéologiques, probablement fondées sur un malentendu. Dans mon article publié dans la revue Cités, j’expliquais ainsi que Chris Harman avait commencé à théoriser un rapprochement avec l’islamisme, alors qu’initialement la gauche se montrait méfiante à l’égard de ces mouvements conservateurs et inégalitaires. Les théoriciens ont défini les conditions d’une alliance avec l’islamisme en déterminant ce qu’ils pouvaient accepter, à savoir le caractère révolutionnaire, la défense des plus démunis et la lutte contre le capitalisme, et ce qu’ils rejetaient, en particulier l’inégalité entre hommes et femmes ainsi que la substitution de la racialisation du conflit social à la lutte des classes. Ils ont cependant sous-estimé leurs interlocuteurs, qui maîtrisaient parfaitement leur propre idéologie. Lorsque des islamistes comme Elias d’Imzalène s’adressent à la gauche, ils adoptent sciemment un vocabulaire qui lui est familier, en des références qui résonnent favorablement à ses oreilles. La gauche croit ainsi, conformément à son programme initial, n’avoir affaire qu’à des individus en rupture avec l’islam traditionnel et naturellement attirés par ses valeurs, alors qu’il s’agit en réalité d’une ruse délibérée des islamistes pour la séduire. Ces derniers ont fait élire, excusez-moi de ce propos, pas les plus malins et les plus intelligents des députés dont le comportement à l’Assemblée nationale est révélateur, et cette manœuvre se révèle parfaitement intentionnelle, car les islamistes étudient depuis longtemps les écrits de la gauche afin de chercher à la manipuler. La plus franche à ce sujet demeure Houria Bouteldja, qui parle de « prise de guerre », confirmant ainsi qu’ils travaillent depuis longtemps à piéger la gauche pour l’intégrer à leur sphère d’influence.
M. Xavier Breton, président. Je tiens à préciser que nos collègues, qui ont été démocratiquement élus, méritent le même respect que tous les autres.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le CCIF a longtemps bénéficié d’une importante visibilité médiatique en France avant sa dissolution par Gérald Darmanin à la suite de l’assassinat de Samuel Paty. Cette organisation s’est reconstituée à Bruxelles sous l’appellation Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE). Pourriez-vous expliciter les liens qui existent entre le CCIF, le CCIE et les Frères musulmans ? Êtes-vous en mesure d’établir des connexions entre cette organisation, sous ses deux dénominations, et certains partis politiques français ? Pourriez-vous également préciser l’ancienneté de ces relations, sachant que le CCIE a récemment été invité par un député au sein même du Palais Bourbon ?
Mme Florence Bergeaud-Blackler. Marwan Muhammad, fondateur et porte-parole du CCIF, s’est exprimé à plusieurs reprises, notamment dans une vidéo où il explique que l’on ne peut interdire aux musulmans de rêver que la France devienne un jour une société islamique. Ces rares documents démontrent clairement son positionnement islamiste frériste. Il convient cependant de distinguer les Frères musulmans assermentés, qui ont prêté serment à la confrérie et œuvrent dans le secret, des fréristes, ces individus flattés ou achetés par la confrérie pour diffuser son message à l’extérieur. Le CCIF appartient manifestement à cette frérosphère, composée de fréristes porteurs de l’idéologie mais rarement aussi explicites que l’a été Marwan Muhammad dans cette vidéo, document précieux car unique. Les fréristes se gardent généralement d’exposer leurs stratégies de subversion et ne commettent pas l’erreur de dévoiler les ruses qu’ils emploient pour transformer une société. Néanmoins, après trente ans d’observation de ces milieux, je peux affirmer que le discours de Marwan Muhammad correspond parfaitement aux propos tenus dans les cercles fréristes depuis les années 90, leur principe fondamental restant de présenter une façade acceptable.
Dans une société inclusive craignant par-dessus tout d’être taxée de racisme ou de discrimination, le CCIF a adopté une tactique particulièrement efficace : fonder un collectif contre l’islamophobie et se poser systématiquement en victime. Cette stratégie de victimisation persiste uniquement parce qu’elle fonctionne et, si elle devenait inopérante, les frères adopteraient immédiatement une autre approche tactique.
Les procédures judiciaires ont établi un lien entre le CCIF et ceux qui ont conduit le meurtrier de Samuel Paty à commettre cet acte, puisque l’influence du CCIF s’est exercée par divers canaux, contribuant à légitimer l’assassinat du professeur. Ce lien demeure indirect, et nous ne pouvons pas affirmer que le CCIF a tué Samuel Paty, mais l’influence exercée apparaît néanmoins manifeste.
Le CCIF s’est donc immédiatement retrouvé dans le collimateur de la police et du ministère de l’intérieur après la promulgation de la loi de 2021 sur le séparatisme. Pour éviter sa dissolution administrative, l’organisation a préféré s’autodissoudre, manœuvre qui lui a permis de transférer ses activités à Bruxelles. Ce transfert se résume simplement à prendre un train pour Bruxelles, à ouvrir une boîte aux lettres puis à revenir en France pour poursuivre ses activités sous une nouvelle dénomination. Le logo du CCIE comporte d’ailleurs une petite partie grisée à l’extrémité du E permettant d’y voir CCIF, un véritable pied de nez qui révèle que le CCIF poursuit ses activités à Bruxelles sous un autre nom, perpétuant son travail de victimisation mais également de démoralisation. Car répéter constamment à la population musulmane qu’elle subit des discriminations structurelles de la part de l’État constitue un discours particulièrement violent, surtout pour ceux qui y adhèrent. La spécialité du CCIF consiste précisément à propager l’idée que les musulmans sont détestés et cette rhétorique alimente manifestement un vote musulman, puisque tous les partis qui évoquent une discrimination systémique ou une islamophobie d’État ont effectivement engrangé des voix issues de l’électorat musulman.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. En février 2021, Frédérique Vidal, alors ministre de l’enseignement supérieur, annonçait la commande d’un rapport sur l’islamo-gauchisme dans l’université. Comment expliquez-vous que ce rapport n’ait jamais vu le jour ? Quelle est votre analyse du concept d’islamo-gauchisme ? Existe-t-il une complaisance pour l’idéologie islamiste dans l’enseignement supérieur français ? Le cas échéant, quelle est son ampleur ? Existe-t-il des liens entre des organisations universitaires, d’étudiants ou de professeurs et la mouvance islamiste ? Ces organisations ont-elles des liens avec des partis politiques ?
Mme Florence Bergeaud-Blackler. Je documente précisément ces liens dans mon ouvrage Le frérisme et ses réseaux. Les universités constituent des espaces où la gauche radicale exerce une influence considérable, non pas en nombre, mais par sa capacité à se faire entendre et à organiser des événements accueillant des personnalités de la frérosphère, que ce soit au nom de la Palestine, contre l’islamophobie ou contre les discriminations. Les militants de la frérosphère pénètrent ainsi l’université par le biais de ces canaux spécifiques.
Les islamistes ont théorisé dès les années 1980 ce qu’ils nomment « l’islamisation de la connaissance », démarche qui vise à produire un savoir compatible avec la charia et l’islam. Ainsi, face à des travaux sur l’égalité hommes-femmes, ils proposeront plutôt une version de féminisme islamique, compatible avec la charia. Tous les domaines de connaissance se trouvent déclinés dans une version islamique et cette approche fait disparaître les savoirs universels au profit de savoirs situés et de connaissances relatives. Ce relativisme, également porté par certaines écoles de sociologie ou d’anthropologie, a marginalisé ceux qui défendaient l’idée d’une science universelle, les empêchant de s’exprimer et de publier leurs travaux.
Depuis que je développe une analyse critique de l’islamisme, mes travaux ont été largement ignorés ou, lorsqu’ils étaient considérés, systématiquement dénigrés. Nous n’assistons pas à un véritable débat intellectuel mais à des joutes militantes où la légitimité doit constamment être prouvée. Dans cette perspective, l’existence d’un phénomène social objectif ne peut plus être démontrée puisque toute connaissance est considérée comme située. Le savoir objectif n’existe plus, remplacé par des batailles de subjectivité. Si vous ne disposez pas d’un groupe de soutien, personne ne vous écoute. Voilà ce qu’est malheureusement devenue l’université, particulièrement dans le domaine des sciences sociales.
Concernant la demande de rapport sur l’islamo-gauchisme formulée par la ministre, elle outrepassait manifestement ses prérogatives, car une telle initiative doit normalement transiter par des comités. Sa démarche comportait donc une part de risque institutionnel. En revanche, lorsque le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a déclaré quelques mois plus tard que l’islamo-gauchisme n’existait pas, il a adopté une position parfaitement idéologique et dépourvue de tout fondement scientifique. Personne n’a encore démontré ni l’existence ni l’inexistence de ce phénomène, précisément parce que ce travail de recherche n’a jamais été mené. Nous demeurons donc dans un flou qui profite évidemment aux forces dominantes dans les universités, particulièrement celles qui nouent des alliances avec les islamistes.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. À l’université, et plus généralement, nous constatons une jeunesse très mobilisée sur la question de Gaza, puisque de nombreux jeunes participent à des manifestations animés par le bon sentiment, qui peut d’ailleurs être tout à fait légitime, de vouloir protéger la population civile de Gaza. Les auteurs que nous avons déjà auditionnés, après avoir été en immersion dans ces manifestations, ont relevé que ces jeunes ne disposaient finalement pas des clés de décryptage nécessaires sur la situation de Gaza ni sur l’histoire d’Israël et de la Palestine. Ils ont observé en particulier leur incapacité à définir le sionisme, alors même qu’ils scandent des slogans violents contre celui-ci. En tant qu’universitaire, quelle solution préconiseriez-vous afin d’attirer l’attention des jeunes sur l’extrême complexité de la situation au Proche-Orient, de manière à éviter qu’ils ne deviennent finalement les idiots utiles de la mouvance islamiste en adhérant à une certaine forme d’antisémitisme ?
Mme Florence Bergeaud-Blackler. Il convient prioritairement de permettre aux chercheurs tels que moi de revenir enseigner à l’université. Bien que je sois rattachée au CNRS et possède tous les diplômes nécessaires, je me vois systématiquement interdire l’accès à l’enseignement universitaire. Les présidents d’universités ne formulent pas explicitement d’interdiction mais refusent simplement de délivrer les autorisations. Ce phénomène touche également Fabrice Balanche, qui a subi de violents chahuts en amphithéâtre, ou encore Gilles Kepel, qui a perdu sa chaire de sciences politiques à l’École normale supérieure (ENS) en raison de son approche critique de l’islamisme.
Tous les chercheurs adoptant une démarche critique (c’est-à-dire une approche analytique, qu’elle soit positive ou négative) envers l’islamisme se voient systématiquement exclus des campus. Ceux qui refusent d’appartenir aux centres travaillant uniquement sur l’islamophobie ou de devenir des défenseurs institutionnels de cette cause ne peuvent plus accéder aux universités. Parallèlement, nous assistons au scandale absolu de laisser entrer des militants propalestiniens, ou plus exactement islamistes, dans nos établissements et de les autoriser à manifester.
Nous avons tout laissé faire pendant des décennies. Le mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) a ainsi pu accéder librement aux universités alors même qu’il participe, comme je le démontre dans mon dernier ouvrage, à ce que j’appelle le djihad économique. Nous devons impérativement relancer les recherches sur l’islamisme, établir clairement la distinction entre islam et islamisme et revitaliser ces travaux académiques aujourd’hui pratiquement inexistants. Si je souhaite diriger un doctorant sur ces sujets, celui-ci sera menacé, entravé, et je doute de pouvoir constituer un jury de spécialistes suffisamment courageux pour l’accompagner jusqu’à sa soutenance. Notre complaisance envers les intimidateurs a créé un déficit d’expertise dramatique au sein de l’université.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous affirmez dans votre ouvrage que l’économie constitue l’un des domaines d’action privilégiés des mouvements fréristes, dont la manifestation la plus significative serait le marché halal global, avec le développement de produits, processus et espaces halal par et pour les musulmans. Pourriez-vous développer cette affirmation ?
Mme Florence Bergeaud-Blackler. Mon dernier livre Le djihad par le marché consacre trois cents pages à cette question. Le marché halal n’existait pas avant les années 1980, tout simplement parce que le concept même de halal (signifiant « licite ») n’avait pas de raison d’être dans les pays musulmans où tout était présumé conforme. Ce marché résulte de la rencontre entre néolibéralisme et néofondamentalisme, survenue lorsque les puissances occidentales non musulmanes ont commencé à exporter vers les pays musulmans et, parallèlement, quand des populations musulmanes se sont installées en Europe. Cette configuration nouvelle a engendré la création d’un marché halal, initialement limité à la viande avant de s’étendre à l’ensemble des produits alimentaires. Les idéologies néofondamentalistes, qui dictent la norme halal et la traduisent en instructions pour l’industrie, ont progressivement pris le contrôle des organismes de certification, ce qui leur offre l’opportunité stratégique de diffuser leurs normes religieuses par le biais du marché. En face, les entreprises (abattoirs, distributeurs, mais également acteurs de la mode pudique, du tourisme halal ou de l’industrie pharmaceutique) y voient l’occasion de développer des niches commerciales lucratives. Ces entreprises fonctionnent comme des « idiots utiles » de droite (car, si j’ai évoqué l’islamo-gauchisme, il existe également un islamo-droitisme) au service de ces fondamentalistes qui propagent leurs normes à travers les mécanismes du marché.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils lutter efficacement contre l’islamisme tout en prévenant toute confusion avec l’islam et toute stigmatisation des musulmans ? Connaissez-vous des exemples étrangers de lutte efficace contre la diffusion de cette idéologie, mis en œuvre dans des pays proches de la France ou ailleurs ?
Mme Florence Bergeaud-Blackler. La question de la stigmatisation des musulmans mérite tout d’abord d’être rigoureusement examinée. Existe-t-elle réellement ? Les personnes de tradition musulmane sont-elles rejetées en raison de leur appartenance religieuse ? Cela n’a jamais été formellement démontré. Une femme émiratie effectuant ses achats aux Champs-Élysées subit-elle de l’islamophobie ? L’épicier indonésien de quartier, apprécié pour ses services, en est-il victime ? Rien n’est moins certain.
Si le racisme et la xénophobie existent indéniablement, ils s’appuient sur des comportements jugés inacceptables puis généralisés à un ensemble plus large. Le nom arabo‑musulman constitue un marqueur visible qui peut déclencher des conduites d’exclusion, mais ces mécanismes fonctionnent dans les deux sens, puisque donner à ses enfants un nom arabo-musulman marque délibérément une appartenance et entraîne des réactions. Les conditions d’assimilation doivent donc être négociées par les deux parties. Or nous tendons actuellement à lutter contre les discriminations comme si elles émanaient exclusivement de la population majoritaire envers les minorités, sans considérer que certains groupes minoritaires refusent délibérément l’intégration. À titre d’exemple, les associations islamistes revendiquent ouvertement leur opposition à l’assimilation des musulmans, présentée comme une perte d’identité et d’authenticité, et ce positionnement résulte d’une stratégie délibérée.
Le document de l’Organisation mondiale islamique pour l’éducation, la science et la culture (Isesco), organisation rattachée à l’Organisation de la coopération islamique qui rassemble les 53 États musulmans du monde, est particulièrement révélateur. Ce texte, publié par le Qatar et fortement influencé par les Frères musulmans, s’intitule « Stratégie de l’action islamique culturelle à l’extérieur du monde islamique » et détaille minutieusement cette stratégie de désassimilation ou d’inassimilation que tous nos responsables politiques devraient connaître. En substance, ce document affirme que pour éviter des problèmes de délinquance, il faut admettre que les populations d’origine musulmane sont intrinsèquement musulmanes, qu’elles ne peuvent être autre chose, qu’elles ne pourront jamais s’assimiler et qu’il faut donc les traiter en tant que groupe, sous peine de violences. Ce type de chantage imprègne ce document sur l’action culturelle hors du monde islamique et les groupes islamistes manifestent une volonté délibérée d’empêcher l’assimilation de ces populations.
Au début de ma carrière, il y a plus de 35 ans, j’observais une population musulmane en voie d’assimilation, ce qui se traduisait notamment par leur approche pragmatique de la question alimentaire. Ils s’appuyaient sur le verset 5 de la Sourate 5 du Coran, stipulant que la viande des chrétiens et des juifs était licite, ce qui rendait superflue toute séparation alimentaire. Avec l’arrivée des Frères musulmans, ce discours a été contredit et ces musulmans se sont vu expliquer que les Occidentaux n’étaient pas de vrais chrétiens et qu’ils devaient préserver leur identité en imposant leurs propres normes. Cette évolution vers la désassimilation s’est considérablement intensifiée mais, au lieu d’analyser ce phénomène objectivement, nous avons préféré adhérer au narratif victimaire, alors que cette victimisation constitue en réalité une stratégie s’inscrivant dans un projet global plus ambitieux.
M. Nicolas Dragon (RN). Je vous remercie, madame, pour vos explications et pour votre courage, car j’ai compris que vous aviez rencontré de grandes difficultés, jusqu’à recevoir des menaces de mort, dans le cadre du travail que vous nous présentez aujourd’hui. Je condamne fermement ces actes et j’imagine que mes collègues partagent cette condamnation.
En mai 2023, vous avez déclaré que vous n’étiez plus qu’une poignée de chercheurs à travailler sur l’islamisme, affirmation qui a été confirmée lors d’une précédente audition. Estimez-vous que d’autres chercheurs craignent de travailler sur ce sujet ? Considérez-vous par ailleurs que le CNRS, établissement public financé à hauteur de plus de 4 milliards d’euros d’argent public, se trouve infiltré, voire gangréné par un islamisme rampant ? Avez-vous, enfin, reçu le soutien des autorités de l’État à un moment ou à un autre ?
Mme Caroline Yadan (EPR). Je vous félicite pour votre courage, tant dans la poursuite de vos recherches que dans votre détermination à témoigner malgré les nombreuses menaces dont vous faites l’objet. Je salue également la mission que vous vous êtes fixée.
Ma première question porte sur les soutiens directs d’élus de la République, de gauche et d’extrême gauche, à des manifestations que vous avez évoquées en début d’audition. Depuis le 7 octobre notamment, de nombreuses manifestations en France ont permis à des participants de tenir un discours d’apologie du terrorisme, de lancer des appels à l’intifada ou de saluer les massacres du 7 octobre. Ces manifestations ont également accueilli des associations comme Urgence Palestine, Samidoun, BDS ou Les Soulèvements de la Terre, aux côtés de représentants politiques. La simple présence d’un élu de la République à un tel rassemblement doit-elle nécessairement s’interpréter comme un soutien à l’idéologie islamiste ou s’agit-il plutôt d’un activisme politique, idéologique, voire d’une complicité avec cette idéologie ?
Mon second axe de questionnement concerne l’université. Nous avons tous pu observer les événements survenus hier à l’université Paris 8, où 800 étudiants ont été conviés à un rassemblement glorifiant notamment Georges Ibrahim Abdallah, condamné à perpétuité pour actes de terrorisme, et Mariam Abudaqa, liée au FPLP. Nous avons ainsi assisté à une glorification du terrorisme, et notamment des massacres du 7 octobre, en plein cœur de l’université française. Comment analysez-vous ce laisser-faire ? Vous avez évoqué une stratégie d’entrisme dans ces institutions, mais je m’intéresse davantage à l’attitude de leurs directions. Ce laisser-faire relève-t-il de la peur, d’un réseautage ou d’une adhésion à cette idéologie ? Comment expliquez-vous que ces universités se trouvent aujourd’hui gangrénées par cette parole de haine ?
M. le président Xavier Breton quitte la séance à 18 heures 30. Il est remplacé par Mme Caroline Yadan, vice-présidente de la commission d’enquête.
Mme Florence Bergeaud-Blackler. Vous me demandez si ces acteurs, qu’il s’agisse des responsables politiques dans les cortèges de manifestation ou des directions universitaires, sont des alliés utiles ou des complices, et s’ils adhèrent à l’idéologie islamiste, ce qui est une question particulièrement complexe. J’ai le sentiment qu’il ne s’agit pas d’une véritable adhésion, mais plutôt d’une volonté d’instrumentaliser des groupes qui, sans agir sous forme de djihad violent, disposent d’une force de mobilisation capable de porter les revendications de la gauche. C’est précisément ce qu’évoquait Chris Harman, que j’ai cité précédemment : ces mouvements leur sont utiles car ils portent une parole forte, attirent l’attention, apportent des idées nouvelles et renouvellent le vocabulaire et les objectifs de la gauche marxiste, tout en employant les méthodes de la gauche trotskiste.
Cette instrumentalisation initiale connaît cependant un point de basculement, puisque nous observons aujourd’hui certains députés qui adoptent progressivement l’habitus de l’islamiste, tant physiquement que dans leurs discours et leurs modes de manifestation. Nous les voyons entourés d’islamistes dans les cortèges et un mimétisme s’opère puisqu’ils en reprennent non seulement les mots, mais parfois aussi le sens. L’islamisme exerce sur eux une forme de séduction qui transforme ces « partis coucous » en partis proto-islamistes, où les œufs éclosent. Au lieu de s’en distancier, ces personnalités s’assimilent progressivement à cette nouvelle orientation islamiste. Selon mon analyse, La France insoumise, dans sa trajectoire actuelle, bascule donc vers l’islamisme et l’adoption de normes islamiques. Cette évolution provoque d’ailleurs des remous internes, certains membres claquant la porte en refusant de soutenir le port du voile pour les enfants ou la généralisation du halal. Des tensions très fortes traversent donc le mouvement et nous observons également une volonté, comme avec Rima Hassan, de remplacer les leaders blancs par des leaders autochtones islamisés.
Concernant l’université, la situation diffère, car le milieu universitaire rassemble des enseignants et des chercheurs qui, il faut le reconnaître, manquent souvent de courage et se préoccupent principalement de leur carrière, de leurs étudiants et de préserver leur position dans un environnement extrêmement compétitif, notamment au niveau des idées. Dans ce contexte une bonne idée attire moyens et collaborateurs, tandis qu’une idée jugée mauvaise ne reçoit aucun soutien. Le développement de recherches nécessite donc l’assentiment non seulement des pairs, mais de tout l’environnement universitaire. Choisir une voie difficile comme la mienne signifie se retrouver sans ressources et, de surcroît, sous menaces de mort et protection policière permanente.
Mes collègues me confient souvent qu’ils partagent mon analyse mais refusent de se retrouver dans ma situation, par peur, vis-à-vis de leur famille ou par crainte de mettre leurs étudiants en danger ou de compromettre leur carrière. Le milieu universitaire s’avère ainsi profondément conservateur, reproduisant l’existant sous couvert de recherche et d’innovation, ce qui m’a toujours étonnée.
Je comprends en revanche moins bien les mécanismes à l’œuvre au niveau des directions d’universités et des rectorats, domaines que je connais moins bien, mais je ne conçois par le risque que prendrait une université en autorisant l’une de mes conférences. À Lille, par exemple, j’avais été invitée par une organisation étudiante mais nous n’avons pas obtenu l’autorisation d’utiliser la salle car l’un des laboratoires, que j’ai parfaitement identifié comme comprenant de nombreux fréristes, a mobilisé ses étudiants pour s’opposer à ma venue sur le campus. La direction a considéré que la situation présentait un certain danger et a donc confirmé le refus d’autoriser ma conférence. À la suite de cela, M. Xavier Bertrand m’a invitée à présenter cette conférence au conseil régional, ce qui a permis sa tenue. Je peux ainsi donner des conférences partout sauf à l’université, alors même que je suis universitaire. La responsabilité du président devrait être engagée, il devrait rendre des comptes, mais rien ne se produit, et c’est précisément là que réside le problème.
Concernant l’exemple de Paris 8 que vous avez mentionné, étant actuellement à Montréal, je n’ai pas suivi cette affaire de près, mais j’ai effectivement vu une affiche présentant des militants palestinistes et islamistes clairement identifiables. Je ne comprends pas comment l’université peut autoriser l’entrée de ces individus, ni pourquoi la presse ne révèle pas leur identité.
Mme Caroline Yadan, présidente. Si vous consultez les réseaux sociaux concernant les événements survenus à Nanterre, vous découvrirez une vidéo extrêmement détaillée comprenant des slogans explicites. Il ne s’agit donc pas simplement d’une affiche.
Mme Florence Bergeaud-Blackler. J’ai visionné cette vidéo et j’ai d’ailleurs interrogé son auteur sur les raisons pour lesquelles il n’avait pas identifié les personnes présentes dans l’amphithéâtre, qui les avait invitées, pourquoi elles s’y trouvaient et quels étaient leurs noms. Il est en effet impératif que les participants à de tels événements soient nommés et assument leurs responsabilités car, dans le cas contraire, nous donnons l’impression que l’université tout entière se trouve en situation de chaos, ce qui est inexact puisque de nombreux collègues accomplissent correctement leur mission. Au lieu d’identifier les responsables, les responsabilités individuelles se trouvent diluées dans l’affirmation que la situation est catastrophique dans les universités, alors que des individus précis en portent la responsabilité et qu’il convient d’enquêter sur leur comportement, d’analyser leurs motivations et bien entendu d’interdire l’accès à l’université à des personnes qui s’apparentent à des terroristes ou à des terroristes potentiels. Ces militants, que nous connaissons, n’ont absolument rien à faire dans un amphithéâtre.
Quant à ma situation personnelle, il est effectivement très coûteux pour ma vie privée d’être sous protection policière, mais le plus pénible demeure l’absence totale de soutien du CNRS, qui est mon employeur. J’observe peut-être même une volonté délibérée de compliquer ma situation en me plaçant dans une position intenable, puisque je suis censée retourner régulièrement sur les campus alors que je fais l’objet de menaces et que ma protection policière me dissuade plutôt de m’y rendre, alors même que je risque d’être sanctionnée pour ce motif. Je ne comprends pas un tel manque d’attention, de soutien et de compréhension, et de telles mesures prises contre les chercheurs indépendants n’encourageront certainement pas mes collègues à s’exprimer pour dénoncer les problèmes.
Je terminerai en affirmant que l’initiative de cette commission d’enquête revêt une importance capitale et constitue la seule de ce type que je connaisse en Europe. Je donne de nombreuses conférences dans divers pays et j’estime que la France est très avancée dans sa lutte contre l’islamisme, malgré toutes les difficultés que j’ai exposées et le chemin qu’il reste à parcourir. Je vous remercie sincèrement, ainsi que les policiers de la République qui m’accompagnent quotidiennement et me permettent de continuer à dispenser mes conférences.
Mme Caroline Yadan, présidente. Vous avez parfaitement raison de le souligner, car la République nous protège et vous protège, ce qui est fondamental.
Je vous propose de compléter nos échanges en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été transmis par le rapporteur en préparation de cette audition. N’hésitez pas à apporter des réponses complémentaires aux questions suscitées par nos discussions.
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11. Audition de M. Emmanuel Razavi, reporter (28 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Mes chers collègues, je vous souhaite la bienvenue pour notre première audition de cette journée, au cours de laquelle nous allons entendre M. Emmanuel Razavi, grand reporter et spécialiste du Moyen-Orient. Monsieur, vous avez écrit plusieurs ouvrages dont La pieuvre de Téhéran en 2025, La face cachée des mollahs en 2024, ou encore Le Projet : la stratégie de conquête et d’infiltration des frères musulmans en France et dans le monde en 2019.
Vous collaborez régulièrement avec différentes publications et connaissez particulièrement bien la situation de la république islamique d’Iran. Dans vos travaux, vous décrivez une stratégie d’influence qui viserait certains élus et certaines institutions françaises. Comment s’exerce cette influence et quelles sont les personnes les plus susceptibles d’être approchées ?
Les relations nouées par des agents de la république islamique d’Iran avec certains élus, que vous dénoncez dans vos publications, traduisent-elles une forme de méconnaissance des objectifs poursuivis par cet État ou une convergence reposant sur des intérêts communs ?
Avant de vous donner la parole, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
M. Razavi prête serment.
M. Emmanuel Razavi, reporter. Mesdames et messieurs les députés, je suis un français d’origine iranienne. Je suis grand reporter et passe une partie de ma vie entre le Moyen-Orient et la France. Je collabore avec des revues et publications telles que Paris Match, Franc-Tireur, Atlantico, Le Figaro, Écran de Veille ou encore Historia. Je viens effectivement de publier La pieuvre de Téhéran, en collaboration avec mon confrère Jean-Marie Montali. J’ai également coordonné un rapport sur l’ingérence iranienne qui sera transmis dès demain à l’Assemblée nationale. Ce rapport a été dirigé par Gilles Platret, maire de Chalon-sur-Saône.
Je travaille depuis plus de vingt ans sur l’islamisme frériste et sur les réseaux iraniens. Mon premier reportage sur le Hezbollah, la milice chiite pro-iranienne au Liban, remonte à 1996, et mes premiers reportages sur les Frères musulmans datent des années 2000. J’ai vécu aussi plusieurs années au Moyen-Orient, dans le Golfe Persique et en Afghanistan. Durant mes enquêtes, comme d’autres de mes camarades, j’ai plusieurs fois failli perdre la vie lors de mes reportages. J’ai été blessé et j’ai vu des islamistes tuer sous mes yeux, je sais ce dont ils sont capables.
Les propos que je prononcerai cet après-midi sont tirés de mes enquêtes publiées par les grands médias ou conduites pour l’écriture du livre La pieuvre de Téhéran. Ces enquêtes reposent notamment sur l’analyse de documents écrits, vidéos et photos, ainsi que sur des entretiens que nous avons réalisés avec un ancien agent de la Drug Enforcement Administration (DEA) infiltré au sein du Hezbollah et des gardiens de la révolution islamique, le bras armé du régime iranien. D’autres entretiens ont été menés avec Matthieu Ghadiri, ancien agent double français infiltré au sein des services secrets iraniens, mais également Mohsen Sazegara, le cofondateur du corps des gardiens de la révolution islamique.
Nous avons également parlé avec un ancien officier subalterne, un lieutenant des gardiens de la révolution islamique, qui a témoigné sous anonymat. Enfin, nous nous sommes entretenus avec une personnalité toujours liée aux services secrets iraniens et un ancien diplomate iranien qui a été en poste en Europe. Témoignant de manière anonyme, il nous a transmis un grand nombre d’informations. Aujourd’hui, un certain nombre de personnes en Iran tendent à s’acheter une « assurance-vie » en parlant aux journalistes.
J’ai aussi recueilli mes informations en me rendant en Irak, à la frontière iranienne, dans le golfe Persique, en Allemagne, mais aussi en France, où j’ai pu rencontrer des membres d’organisations travaillant pour les services de renseignement des différents mouvements de l’opposition iranienne.
Au même titre que Nora Bussigny ou Omar Souleimane qui ont déjà témoigné devant vous, je suis régulièrement menacé de mort par les islamistes, régulièrement insulté par leurs soutiens d’extrême gauche, en raison des révélations que je publie dans mes articles. Nous avons un point en commun avec Nora et Omar : nous avons tous trois des origines orientales et ce que nous racontons en tant que journalistes d’investigation ne va pas dans le sens de leur récit victimaire. Je me réjouis particulièrement de témoigner devant vous aujourd’hui, en tant que fils d’immigrés iranien. Vous faites preuve d’un courage immense, car parler d’islamisme aujourd’hui en France revient à risquer sa vie, et au mieux sa réputation.
L’islamisme dont je vais vous parler aujourd’hui est celui qui est parrainé par la république islamique d’Iran qui depuis son avènement en 1979 a fait du terrorisme, de l’espionnage et de l’influence ses trois marques de fabrique. Cette république islamique a pour projet de porter le chaos sur le territoire français. À cette fin, elle instrumentalise la cause palestinienne en manipulant des militants, des cadres politiques, parfois d’extrême gauche, mais il peut arriver que d’autres partis soient également concernés.
La république islamique d’Iran recherche des personnes acquises à la cause palestinienne, du Hezbollah et parfois des Frères musulmans. Ces personnes que les services secrets iraniens manipulent ont à leurs yeux une fonction : elles seront chargées de diffuser, dans un deuxième temps, des éléments de langage favorables au régime des mollahs, à ses proxys palestiniens et libanais comme le Hamas, le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) et le Hezbollah, pour influer sur la politique de la France.
Parmi ces éléments de langage figurent ceux consistant à expliquer que l’organisation terroriste Hamas est un mouvement de résistance et qu’au cours de la Seconde guerre mondiale, les résistants français étaient également accusés par les Allemands d’être des terroristes. De la même manière, certains expliquent que si la république islamique d’Iran venait à tomber, l’Iran deviendrait alors la Syrie ou l’Irak.
En tant que spécialiste de l’Iran et étant d’origine iranienne, je précise que tous les mouvements d’opposition iraniens, qu’ils soient de gauche, ethniques comme les Kurdes, monarchistes ou libéraux, sont favorables à la démocratie et sont laïcs. Aucun d’entre eux ne veut aujourd’hui la partition de l’Iran, à part quelques groupes minoritaires.
Les défenseurs du régime expliquent également que la république islamique d’Iran constitue un gage de stabilité pour le Moyen-Orient, qui s’embraserait si elle venait à tomber, provoquant une nouvelle crise migratoire. Ce récit est en réalité construit à Téhéran par les services secrets iraniens et diffusé via le ministère des affaires étrangères à travers le réseau des ambassades iraniennes dans le monde.
L’objectif des services secrets iraniens consiste surtout à faire peur au gouvernement français, mais aussi à faire passer le message, en instrumentalisant des groupes d’étudiants, de militants, que Téhéran et ses services ont la capacité de soulever des foules sur le sol français. Je rappelle que le préambule de la Constitution de la république islamique d’octobre 1979 précise clairement qu’il faut porter le djihad à travers le monde, en s’appuyant sur les textes de son fondateur, l’ayatollah Khomeini. Le même ayatollah Khomeini préconisait dès les années soixante-dix la conquête des territoires « non musulmans ». Bien que chiite, il avait été inspiré par les Frères musulmans égyptiens et leur projet de califat.
Pourquoi la cause palestinienne sert-elle autant l’influence iranienne ? Pour répondre à cette question, il faut remonter à 1973. À l’époque, Yasser Arafat, le chef de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) faisait la couverture des grands magazines européens et américains, posait le revolver à la ceinture, alors même que ses miliciens détournaient des avions et commettaient des attentats. Khomeini a alors compris que la cause palestinienne apparaissait comme étant romantique aux yeux des intellectuels et des journalistes occidentaux.
Il a alors demandé à son bras droit, Ali Akbar Mohtashamipur, de rencontrer Arafat. Ce dernier l’a alors invité à rejoindre un de ses camps d’entraînement palestiniens dans la plaine de la Bekaa, au Liban, où il a alors été formé à la lutte armée, mais également au narratif révolutionnaire, celui du faible contre le « géant impérialiste ». D’autres proches de Khomeini, dont son propre fils Ahmad, ont ensuite rejoint ces camps d’entraînement, où ils se sont liés d’amitié avec des révolutionnaires d’extrême gauche, certains alors étudiants, qui ont commis, quelques années plus tard des attentats au nom de la cause palestinienne. Je pense notamment à la « Bande à Baader », le plus célèbre de ces groupuscules. À cette occasion, islamistes et gauchistes ont découvert qu’ils partageaient un idéal révolutionnaire.
Cet idéal est construit autour de combats communs contre « l’impérialisme », contre l’Occident, contre ce qu’ils appellent le colonialisme, et évidemment contre le sionisme. Mohtashamipur est ensuite devenu le cofondateur des gardiens de la révolution islamique, mais aussi du Hezbollah au Liban, en 1982.
Il faut également souligner que ces dignitaires, de Khomeini à Mohtashamipur, sont anticommunistes. Lorsque la république islamique a été proclamée, ils ont préservé leurs liens avec les gens d’extrême gauche à l’extérieur de l’Iran, mais ont massacré les militants communistes dans leur pays. Aujourd’hui, des avocats, dont un avocat franco-iranien, œuvrent à la mise en place d’une cour pénale internationale pour juger les auteurs de crimes contre l’humanité en Iran.
Khomeini a fait exécuter tous ceux qui servaient sous le régime du chah et en 1980, de nouveaux services secrets iraniens ont été recréés par le nouveau régime, notamment les services secrets du corps des gardiens de la révolution. Il faut bien comprendre qu’en Iran, il existe plusieurs services de renseignement. Ces deniers ont financé les combattants du FPLP, leur ont fourni des armes et une formation paramilitaire. En échange, cette organisation terroriste a donné accès aux services secrets iraniens à ses relais dans les universités et les milieux du militantisme européen.
Le même deal a été passé à partir de 1988 avec l’organisation terroriste Hamas, qui se présente dans sa charte constitutive comme la branche palestinienne des Frères musulmans. De fait, la cause palestinienne sert ainsi depuis quarante-six ans de véhicule pour agiter les étudiants dans les universités, ainsi que les militants ou les cadres de mouvements d’extrême gauche.
Les services secrets iraniens les utilisent de façon très opportuniste en fonction de leurs besoins. Pour être précis, à Paris, le centre névralgique des services secrets iraniens, et notamment des services secrets des gardiens de la révolution islamique, est l’ambassade de la république islamique d’Iran, située avenue d’Iéna. Depuis ces bureaux, des agents épluchent la presse pour opérer de véritables « castings », c’est-à-dire repérer des profils de chercheurs, de journalistes, d’anciens diplomates, qui pourraient relayer les éléments de langage fabriqués à Téhéran.
Les services secrets sont en effet conscients de la nécessité d’approcher ces militants, en instrumentalisant la cause palestinienne, beaucoup plus romantique que la défense de la république islamique d’Iran. Une fois leur repérage effectué, ces agents approchent leurs cibles lors de conférences, de repas dans des restaurants iraniens, mais aussi de soirées qui peuvent être organisées dans des appartements très discrets de Paris. Parmi les personnes approchées, nombre d’entre elles refusent de collaborer, mais d’autres l’acceptent, parfois par idéologie, parfois pour de l’argent, même si les sommes en question ne sont jamais très élevées. D’autres apprécient simplement que l’ambassade leur facilite l’obtention d’un visa pour se rendre à Téhéran. À leur retour en France, ils peuvent ensuite proposer leurs services à des grandes entreprises ou des journaux, en tant que « spécialistes » de l’Iran, en diffusant un narratif plutôt rassurant et bienveillant sur le régime des mollahs iraniens.
Par ailleurs, vous devez savoir que les services secrets iraniens ont été formés depuis 1979 par les services secrets russes. Leur méthodologie est russe. Nous avons remarqué depuis trois ans dans certaines manifestations qu’il y avait des personnes proches de l’ambassade d’Iran mais également des agents de la Russie.
Depuis le 7 octobre 2023, les services secrets iraniens œuvrent à faire converger leurs relais, partis d’extrême gauche, militants propalestiniens, islamistes, en exploitant leur convergence révolutionnaire. Pourquoi le phénomène s’est-il autant accéléré ? La république islamique d’Iran est aujourd’hui très fragilisée. Deux tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté ; plus de la moitié des Iraniens ne peuvent pas se nourrir plus d’une fois par jour et toutes les grandes villes iraniennes n’ont accès à l’électricité que quelques heures par jour.
Ce pays vit une tragédie et les services iraniens ont besoin de maintenir au maximum le régime en place, alors qu’il est de plus en plus contesté par la jeune génération. Une étude conduite par la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) et réalisée en partenariat avec le Groupe d’analyse et de mesure des attitudes en Iran (Gamaan), un institut qui analyse les tendances en Iran, indique que 81 % des Iraniens ne veulent plus de la république islamique. Le régime est fragilisé, ses jours sont comptés. Dans une forme de fuite en avant, il réagit en utilisant les armes du terrorisme et de l’influence. Je rappelle que l’Iran est un pays terroriste, qui pose des bombes, qui a tué des soldats français et prend en otage nos ressortissants, depuis quarante-six ans.
Je souhaite également détailler la posture des services secrets et de leurs agents, qui comprend six étapes. La première étape concerne la contestation de l’Occident, sous couvert de contestation de « l’impérialisme ». Ils procèdent également par la victimisation, la médiatisation, la « fascisation » de leurs cibles, la décrédibilisation, et éventuellement, la juridisation.
Vous avez reçu ma brillante consœur, Nora Bussigny, dont j’admire le courage. Nos chemins se croisent souvent et je mesure les risques qu’elle prend. Elle vous a parlé d’un agent d’influence iranien, Shahin Azami, qui a plusieurs fois été photographié au ministère des affaires étrangères iranien, avec des dignitaires du régime, mais également à un événement organisé par le Basij, la milice civile des gardiens de la révolution. Au mois de juin, il distribuait des drapeaux de la république islamique d’Iran, place de la République, à l’occasion d’une manifestation dans laquelle se trouvait non loin comme par hasard une eurodéputée de la France insoumise, Rima Hassan.
Des personnes comme Shahin Azami sont dangereuses car elles sont en contact avec la force Al-Qods, une unité d’élite du corps des gardiens de la révolution, en charge des opérations extérieures. Il s’agit notamment d’opérations de guerre asymétrique, de terrorisme, d’influence, de cyberguerre. Shahin Azami a par ailleurs été mis en examen pour apologie du terrorisme. Néanmoins, il demeure très actif sur les réseaux sociaux.
En tant que journaliste, je suis menacé depuis des années, j’ai été blessé en travaillant sur les Frères musulmans, plusieurs de mes amis ont été otages, certains ont été blessés, d’autres tués. Je m’interroge sur le fait que des gens comme Shahin Azami soient en liberté en France, quand nous, journalistes, n’avons pas de protection, et sommes menacés continuellement par les gens pour lesquels ils travaillent.
J’ai révélé dans Atlantico et Franc-Tireur les relations de Mathilde Panot, de Thomas Portes, d’Ersilia Soudais, de Sébastien Delogu, avec un dénommé Salah Hamouri, qui appartient au FPLP, une organisation considérée comme terroriste par l’Europe. J’ai également raconté comment la 13e section du Parti communiste avait accueilli à Paris des agents d’influence iraniens dans ses locaux, pendant plusieurs années, de 2013 à 2018.
Une plainte déposée en 2024 par Avocats sans frontières pour intelligence avec une puissance étrangère contre Thomas Portes, Rima Hassan et Ersilia Soudais a étonnement été classée sans suite en août 2025. À la suite de mon audition devant le Sénat en février 2025, la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio a effectué un signalement sous forme d’article 40 du code de procédure pénale, qui a reçu le même traitement, malgré les éléments factuels que nous avions fournis.
Si les mouvements d’extrême gauche propalestiniens constituent la cible prioritaire des services secrets iraniens, il faut cependant rappeler que Téhéran fait feu de tout bois. Des figures de l’extrême droite identitaire, comme Alain Soral, se retrouvent sur des boucles Instagram animées par les agents de la force Al-Qods, spécialisée dans la guerre asymétrique. J’ajoute que ces manœuvres ne se limitent pas à Paris. Un agent de haut niveau de la force Al‑Qods, Bashir Biazar, a été arrêté il y a deux ans à Dijon où il existe une forte diaspora iranienne. Il était installé dans la capitale bourguignonne ; avait pour mission d’y surveiller les opposants iraniens et de faire la promotion des proxys palestiniens de Téhéran dans les milieux universitaires.
Il existe en Bourgogne un écosystème particulier, qui comprenait notamment l’Institut européen des sciences humaines (IESH), un institut des Frères musulmans, qui a été dissous par le ministère de l’intérieur. Plusieurs personnes qui y ont été formées sont parties rejoindre les rangs du djihad international. Toujours à Dijon, vit un imam qui, depuis des années, jouit de ses bonnes relations avec l’ancien maire socialiste de la ville.
Cet islamiste, en apparence « soft » parce que très élégant – tous les islamistes ne portent pas des kalachnikovs – a fait prospérer ses idées en se faisant accepter du tissu politique et institutionnel et surtout en usurpant parfois des fonctions, notamment de représentant du culte musulman pour la région Bourgogne. Les autorités publiques n’ont rien trouvé à y redire, jusqu’à présent. À Dijon, récemment cet imam frériste a également posé en photo aux côtés d’une ancienne députée et ministre macroniste, membre du parti Renaissance, qui assumait publiquement sa présence à l’un de ses événements. Ce n’était pas la première fois, elle y avait déjà été en présence d’une des grandes figures européennes des Frères musulmans.
Pour les services secrets iraniens et leurs alliés algériens, ce genre de compromission avec les Frères musulmans constitue une aubaine et, inversement, un véritable danger pour la sécurité de notre République. Comparaison n’est pas raison, la France de 2025 n’est pas l’Iran des années 1970 ; mais les mêmes mécanismes sont à l’œuvre. Parmi ceux-ci, figure la convergence entre les islamistes et l’extrême gauche, qui instrumentalise la cause palestinienne. Au terme de mes longues enquêtes, de mes nombreuses discussions, je suis de plus en plus convaincu que si l’islamisme a imprimé sa marque terroriste en France et plus largement en Europe, et que l’extrême gauche française évidemment n’a pas encore posé de bombes, nous nous orientons vers le même scénario. Je ne souhaite pas être alarmiste mais je travaille sur ces sujets depuis trente ans et je fais partie des rares personnes à avoir des contacts à l’intérieur et à l’extérieur de la République islamiste.
En conclusion, je tiens à rendre hommage à Matthieu Ghadiri, qui a infiltré pendant des années les services secrets iraniens pour le contre-espionnage français. Il a représenté une source précieuse d’informations et d’expertises. Il est important de le mentionner car certains manipulent nos propos. De nombreuses personnes d’origine orientale comme moi, Nora Bussigny ou Omar Youssef Souleimane aiment la France, sa culture, la démocratie française et nous avons la chance de temps en temps de tomber sur des policiers qui nous ressemblent et qui eux aussi ont choisi la France.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie. D’après vous, des sympathies de groupes politiques, de droite comme de gauche, envers les mouvements islamistes existaient‑elles en France à l’époque à Khomeini vivait en exil à Neauphle-le-Château, dans les années 1970 ? Les racines des contacts que vous mentionnez datent-elles de ce moment ?
M. Emmanuel Razavi. Votre question est très intéressante, j’y réponds par l’affirmative. Lorsque l’ayatollah Khomeini avait trouvé refuge à Neauphle-le-Château d’octobre 1978 à janvier 1979, il a reçu un certain nombre de journalistes et d’intellectuels de gauche.
Pendant que la révolution iranienne triomphait à Téhéran, que Yasser Arafat formait les futurs dignitaires du régime dans ses camps d’entraînement, une guerre d’influence se jouait en France, à laquelle participaient d’éminents intellectuels, comme Jean-Paul Sartre, Michel Foucault, Simone de Beauvoir. Je rappelle que Jean-Paul Sartre, cofondateur du journal Libération, faisait partie du comité de soutien à l’ayatollah Khomeini et a publié des textes à ce sujet à l’époque. De son côté, Michel Foucault a publié des articles dans Le Nouvel Observateur ou le Corriere della Sera, dans lesquels il disait que l’ayatollah Khomeini était un « saint ». Les journalistes et intellectuels de la gauche radicale – je fais la part des choses – ont donc porté un discours auprès du pouvoir politique.
Lorsqu’il a pris le pouvoir en Iran, Khomeini a décidé de poursuivre cette guerre d’influence et d’utiliser à cet effet les ambassades iraniennes, notamment celle de Paris. C’est à cette époque que les services secrets de la République islamique ont recruté Matthieu Ghadiri, ignorant qu’il travaillait en réalité pour le contre-espionnage français. Ce dernier a raconté cet épisode dans son livre Notre agent iranien. Il a passé des années à collecter une documentation extrêmement précieuse grâce à son opération d’infiltration, effectuant un travail exceptionnel, aux dires de toutes les personnes que j’ai interrogées. Les services iraniens l’avaient chargé de pénétrer le Parti Socialiste et d’approcher François de Grossouvre. À l’époque, la guerre faisait rage entre l’Iran et l’Irak et les services secrets iraniens veulent savoir quelle était la position de François Mitterrand concernant ce conflit.
Enfin, pour répondre à votre question, laissez-moi vous faire part d’une anecdote. Lorsque j’ai interviewé Mohsen Sazegara, cofondateur des gardiens de la révolution, avec Ali Akbar Mohtashamipur, celui-ci m’a indiqué qu’à l’époque de l’exil en France, ils avaient décidé que lorsqu’ils prendraient le pouvoir en Iran, ils créeraient une armée parallèle avec laquelle exercer le pouvoir et cette armée parallèle s’appelle les Gardiens de la révolution « made in Paris » ou « made in Neauphle-le-Château ».
M. le président Xavier Breton. Vous avez indiqué que la république islamique d’Iran a pour objectif de provoquer le chaos sur le sol français. La France est-elle spécialement visée en Europe ? Pourquoi ?
M. Emmanuel Razavi. Aux yeux des dirigeants du régime iranien, la France est le pays qui a le plus d’influence en Europe. Ils la perçoivent également comme une puissance militaire qui les dérange considérablement, notamment dans le golfe Persique. En effet, la France dispose d’une base interarmes de très haut niveau à Abu Dhabi et d’une marine de pointe, dont les frégates circulent régulièrement dans le détroit d’Ormuz pour prévenir toute attaque de la marine des gardiens de la révolution. Ainsi, lors de mon plus récent reportage dans le détroit d’Ormuz, nous avons été autorisés à monter à bord d’un hélicoptère des services de renseignement de la marine et nous sommes allés survoler les navires de guerre iraniens qui naviguent dans le détroit. Il s’agissait d’une première.
En résumé, l’Iran nous craint. Face à cette crainte, le régime a opté pour la « diplomatie de la terreur » qui consiste à poser des bombes, à prendre des otages, à réaliser des opérations d’ingérence, pour tenter de nous manipuler. Pourquoi veulent-ils porter le chaos chez nous ? Ils veulent nous montrer qu’ils disposent des moyens de déstabiliser notre pays. Or il ne vous aura pas échappé que depuis trois ans, notre pays est effectivement profondément déstabilisé par toutes ces manifestations organisées à la suite de l’importation du conflit israélo-palestinien sur notre territoire. La cause palestinienne est toujours instrumentalisée, pour faire pression sur les opinions publiques, amadouer un certain nombre d’intellectuels sensibles à cette cause que je ne remets d’ailleurs pas en question. Pour moi, le sujet n’est pas la cause palestinienne, mais les organisations terroristes palestiniennes.
En résumé, l’objectif consiste à nous influencer, afin que l’opinion publique fasse à son tour pression sur les gouvernants, et donc sur Emmanuel Macron et la diplomatie française, pour qu’ils incitent Israël à retenir ses coups contre le Hamas à Gaza, contre le Hezbollah au Liban, et évidemment contre la république islamique d’Iran.
Enfin, le dernier dossier épineux concerne le nucléaire, qui a également donné lieu à un jeu d’influence et de manipulation extrêmement important.
M. le président Xavier Breton. Vous avez fait état de relations qui pouvaient exister entre les mouvements islamistes et des partis français, non seulement avec leurs dirigeants, mais également les militants. Comment ces liens sont-ils établis ?
M. Emmanuel Razavi. Les services secrets iraniens considèrent depuis quarante-six ans qu’il faut recruter dans les universités. Il leur arrive également d’envoyer des étudiants iraniens dans nos universités, pour mener des actions d’espionnage et d’influence. Ce faisant, ils peuvent approcher les associations étudiantes, qui sont souvent politisées, et les inciter à organiser des événements, des manifestations.
Je rappelle à nouveau que les services iraniens ont été formés par les services russes, qui travaillent sur le temps long. Quand ils investissent sur un doctorant de 25 ans, ils calculent que dans cinq à dix ans, il ou elle sera journaliste, chercheur de haut niveau dans une université, travaillera au Quai d’Orsay, pourra approcher des personnes qui disposent d’influence.
Il ne faut pas s’étonner de retrouver plus tard un certain nombre de personnes qui répètent à l’envi des éléments de langage de la république islamique d’Iran et qui finalement, n’ont aucun égard pour le sang versé à Téhéran par la jeunesse iranienne pourchassée par le régime.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Monsieur Razavi, nous avons souhaité vous auditionner à la suite des auditions de M. Souleimane et de Mme Bussigny. Je vous remercie à mon tour pour votre témoignage et salue votre courage. Il n’est pas évident de parler d’islamisme et nous sommes conscient des menaces dont vous faites l’objet.
Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit à propos des plaintes d’Avocats sans frontières – nous avons demandé à ce sujet une contribution écrite à Gilles-William Goldnadel, que nous lirons avec beaucoup d’attention. Vous avez déploré l’absence de poursuites en dépit de signalements. Pour ma part, j’avais adressé un signalement au procureur de la République à l’encontre d’un élu de mon territoire, Ismaël Boudjekada, qui a déjà fait l’objet d’une première condamnation pour apologie du terrorisme et qui a renouvelé certains propos absolument édifiants sur Twitter en faisant du chef du Hamas un martyr. Dans ce cas, l’institution judiciaire a donné suite à mon action.
Lorsque vous indiquez « Étonnamment, ces gens ne sont pas poursuivis », pensez‑vous qu’il existe une faille dans notre dispositif judiciaire, que la notion d’apologie du terrorisme est quelque peu abstraite et difficile à cerner ? Ou pensez-vous qu’il y a un manque de courage politique dans notre pays sur ces sujets ?
M. Emmanuel Razavi. Je crois que les temps ont changé. Nous nous sommes habitués à certaines formes de discours, qui bien qu’illégaux, sont banalisés à force d’être répétés et deviennent acceptables. Les sujets sur lesquels nous travaillons sont éminemment complexes. Il est formidable que des députés prennent le temps de nous entendre, mais je comprends en même temps que les juges ne disposent pas nécessairement des connaissances que nous avons acquises. La magistrature devrait sans doute être plus sensibilisée. Il n’en demeure pas moins que certains et certaines, comme Rima Hassan ou Thomas Portes, se compromettent avec des éléments travaillant pour des organisations terroristes comme le FPLP, à l’instar de Salah Hamouri. Je sais que l’on ne doit pas donner de noms mais c’est important.
M. le président Xavier Breton. Je tiens à préciser que la règle n’est pas de citer des noms ou non, mais lors de l’audition de Mme Bussigny, j’ai simplement indiqué que ce qui nous intéressait c’était les situations et les cas. Nous n’allions pas nous crisper sur les noms de certaines personnes. Ce n’est pas un tribunal, nous ne faisons pas un procès et nous ne montrons pas du doigt, mais vous pouvez citer des noms si cela est utile.
M. Emmanuel Razavi. Je comprends tout à fait et je pense que les personnes concernées assument leurs engagements. Les députés de La France Insoumise Rima Hassan, Mathilde Panot, Thomas Portes, Sébastien Delogu, Ersilia Soudais ont donné des conférences, même si certaines des images ont disparu d’Internet. Nous avons tout documenté. Ces gens se compromettent avec des membres d’organisations terroristes, mais un juge ne le sait pas forcément.
Heureusement, le temps est venu d’un débat national sur le sujet, car la démocratie française est en danger. Quand des gens cautionnent quotidiennement la violence à Gaza, à la télévision, dans des émissions de radio, sur la place de la République, viendra un moment où des cerveaux mal façonnés, des esprits faibles passeront aussi à l’action sur le territoire français et au-delà. En effet, l’Espagne ou l’Allemagne vivent par exemple la même situation que la France. Les services secrets iraniens sont très puissants.
Mme Caroline Yadan (EPR). Merci beaucoup pour ce témoignage. Recevez toute notre admiration pour le courage dont vous faites preuve, au même titre que Nora Bussigny ou Omar Youssef Souleimane, en acceptant une audition publique et non à huis clos.
Dans La pieuvre de Téhéran, vous décrivez l’influence iranienne et affirmez que les services de renseignement français ont une connaissance fine de ce réseau. En revanche, il existe un véritable décrochage du côté politique, une absence de volonté d’agir que vous qualifiez de « naïveté coupable » vis-à-vis d’un État qui est un État terroriste. Vous allez même jusqu’à suggérer la fermeture de l’ambassade d’Iran à Paris que vous qualifiez de plaque tournante de cette propagande.
Lorsque vous parlez de « naïveté coupable », peut-il encore s’agir d’ignorance ? Pensez-vous que les élus d’extrême gauche que vous venez de citer choisissent cette cause par naïveté, par aveuglement ou par une complicité réelle et assumée, notamment avec la république islamique d’Iran ? Quel risque spécifique identifiez-vous à l’approche des prochaines élections municipales, notamment en termes de clientélisme communautaire ou de complaisance d’élus locaux face à ces réseaux d’influence ? Existe-t-il vraiment un entrisme spécifique lié à ces élections municipales ?
M. Emmanuel Razavi, reporter. Je vous remercie. Je respecte tous les engagements, y compris celui pour la cause palestinienne.
Mais les gens dont nous parlons soutiennent des organisations terroristes comme le FPLP, le Hamas, le Djihad islamique, parce qu’ils sont mus par un esprit révolutionnaire. Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, la convergence entre les islamistes et l’extrême gauche en Occident repose sur un pilier révolutionnaire, qui se décline ensuite en anti-impérialisme, antisionisme, antisémitisme à peine masqué et anticolonialisme. Ils savent très bien ce qu’ils font, qui ils soutiennent ; d’autant plus que la littérature, les enquêtes de la presse, du Nouvel Observateur au Figaro Magazine, sont désormais abondantes. Ces députés de LFI ont les moyens de se renseigner, de se cultiver, d’approcher des journalistes. Ils peuvent nous questionner.
Je pense qu’ils s’inscrivent dans un schéma révolutionnaire, raison pour laquelle je parle de danger. On ne peut pas en permanence cautionner la violence sans finalement y basculer, à un moment donné.
Votre deuxième question porte sur les élections municipales. Le communautarisme représente un enjeu important de ces prochaines élections. À titre d’exemple, laissez-moi évoquer à nouveau l’imam dijonnais dont je vous ai parlé précédemment, qui est lié aux Frères musulmans. Celui-ci est devenu aujourd’hui un véritable levier électoral pour différents candidats, pas uniquement de gauche. Il l’a été pendant des années pour la mairie socialiste et il l’est encore ; de même que pour cette ancienne députée et ministre, qui se compromet dans les événements qu’il organise. J’ai produit à ce sujet une longue enquête pour le journal en ligne Atlantico.
Le même phénomène se retrouve dans d’autres villes, par exemple à Annecy. Il y a quelques semaines, la municipalité a décidé d’octroyer un terrain à une association, dont on connaît la proximité avec les Frères musulmans, afin qu’elle y bâtisse une mosquée. Par ailleurs, cette mosquée est supposée ériger un minaret extrêmement haut. Or la question de son financement ne peut qu’interroger. Les responsables de l’association ont expliqué qu’il s’agissait de dons, alors même que les montants s’élèvent à 6 ou 7 millions d’euros. À ce sujet, je souhaite lever toute ambiguïté. Je suis d’origine iranienne, certains membres de ma famille sont musulmans et j’ai grandi entre deux cultures.
Cependant, il faut arrêter d’être naïf. Comment la mairie peut-elle prendre une telle décision ? Cette affaire connaît d’ailleurs un certain retentissement. Atlantico me demande de travailler sur ce dossier. Nous observons qu’il existe des pressions de la part des écologistes, de la France Insoumise. Celui qui pose les questions sur le financement se fait immédiatement traiter de fasciste, de raciste ; ce qui est complètement idiot. En l’espèce, les conseillers municipaux de droite ont plutôt été silencieux sur le sujet parce qu’ils craignent précisément de subir de telles accusations. Le conseiller municipal LR Nicolas Krivobok a osé poser la question ; il s’est fait insulter.
Les élus sont ainsi devenus otages de cette extrême gauche. Mais la situation n’est pas nouvelle ; il y a une vingtaine d’années, j’ai écrit Frères musulmans : dans l’ombre d’Al Qaeda, dans lequel je racontais que les Frères musulmans constituaient la matrice du djihadisme contemporain. Ils sont en effet à l’origine du Hamas, à l’origine d’Al-Qaïda. Abdallah Azzam, le fondateur d’Al-Qaïda et mentor de Ben Laden, faisait ainsi partie des Frères musulmans et en était un des théoriciens importants.
Je racontais il y a vingt ans que ces gens-là deviendraient des leviers électoraux, qu’ils créeraient leurs propres listes. Or j’ai cru entendre qu’une liste communautaire allait se présenter, au sein même de la République française. Lorsque nous étions enfants, mon père, immigré iranien, nous expliquait, à mes sœurs et à moi-même qu’en France, on s’assimilait. Je ne peux accepter cette idée de liste communautaire.
Les puissances hostiles à la France, parmi lesquelles figurent l’Iran et ses services secrets, cherchent à exploiter les fractures de la société française, le communautarisme. Encore une fois, la capitale n’est pas seule ciblée ; l’espionnage et l’influence sont déployés dans l’ensemble de l’Hexagone, comme l’exemple de la Bourgogne l’illustre.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je souhaite revenir sur le phénomène d’entrisme à l’université, qui constitue un problème majeur. Vous avez indiqué tout à l’heure que des étudiants serviraient de vecteurs d’entrisme à l’islamisme iranien. Nous observons la présence nombreuse d’étudiants aux manifestations que vous avez mentionnées aux côtés d’élus de gauche qui ont tendance à prôner l’égalité homme-femme, l’ouverture à la communauté LGBT, autant de mouvements mis à mal dans ces pays islamistes. Nous constatons donc un antagonisme total entre ces différentes positions.
En outre, lorsqu’ils sont interrogés, ces jeunes sont incapables de définir le sionisme, qu’ils assimilent à la politique de Netanyahou à Gaza. Pourtant, nombre d’entre eux suivent des cursus prestigieux. Nous sommes donc en droit de nous inquiéter de cet entrisme. Au-delà des étudiants, existe-t-il des vecteurs d’entrisme chez les professeurs d’université ? Si tel est le cas, dans quelles conditions deviennent-ils de tels vecteurs ?
M. Emmanuel Razavi. Effectivement, il existe aujourd’hui, au sein de la communauté enseignante, des gens qui, par naïveté, parfois par idéologie, peuvent relayer une idée favorable aux Frères musulmans. Il y a quelques années, ma fille était en terminale. L’un de ses professeurs, qui leur parlait des religions, en est venu à évoquer les Frères musulmans, qu’il qualifiait « d’organisation pacifiste ».
Il existe évidemment des liens entre ces associations étudiantes et certains enseignants. Dans certaines universités, des recteurs d’université, des professeurs, des enseignants ont tenu des propos favorables aux organisations « proxys » de terrain, comme le FPLP ou le Hamas.
Dans ces conditions, ne faudrait-il pas complètement reprendre en charge ce qui se passe dans l’éducation nationale, mais aussi dans l’enseignement supérieur ? On ne peut pas reprocher à des jeunes de 16 ou 17 ans de se retrouver soutien de la cause palestinienne, qui n’est pas un sujet, mais aussi de proxys terroristes, quand ils ne le savent pas eux-mêmes, et qu’ils répètent à l’envi les propos parfois tenus par des militants ou des professeurs. Dans les instituts d’études politiques (IEP), des professeurs relayent un discours très complaisant à l’égard de ces proxys et manipulent d’une façon ou d’une autre certains étudiants.
Ensuite, au mois de février, l’ambassadeur de la république islamique d’Iran à Paris a reçu les étudiants de douze grandes écoles et universités de la région parisienne. Lorsque je m’en suis aperçu, j’ai rapidement publié sur Twitter et l’un des collaborateurs du ministre de l’intérieur de l’époque, M. Retailleau, m’a indiqué qu’ils allaient se renseigner. J’ignore la suite qui a été donnée à cette histoire. En revanche, il est évident que lorsque l’ambassadeur de la république islamique d’Iran, État terroriste, mais aussi narco-État reçoit ces jeunes, il parle nécessairement de géopolitique, du Moyen-Orient, du Proche-Orient, d’Israël et, évidemment, de la situation à Gaza. Or des évènements comme celui-ci se produisent par dizaines sur notre territoire. Le numéro deux de l’ambassade d’Iran est ainsi intervenu pendant des années dans une grande école alors qu’il s’agit d’un agent opérationnel des services iraniens.
M. Matthieu Bloch. Notre pays a été frappé par des terribles attentats islamistes. Nos services de renseignement ont développé un antiterrorisme performant pour éviter que ces attentats se renouvellent sur notre sol. Parallèlement, le combat contre l’entrisme ne dispose pas encore tout à fait des mêmes armes.
Or je suis assez étonné du niveau d’entrisme à l’université, qui nous a été révélé par différentes personnes auditionnées depuis le début de notre commission d’enquête, laquelle a vocation à constituer un instrument de contrôle de la représentation nationale sur le gouvernement.
À ce titre, je me demande quelles peuvent être les responsabilités politiques. En effet, les enseignants-chercheurs dépendent malgré tout d’un ministère, d’une hiérarchie. Quand on connait l’incidence de certains professeurs sur leurs élèves, on peut s’interroger sur leur responsabilité. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
M. Emmanuel Razavi. Je suis mal placé pour parler de responsabilités politiques, ne disposant pas de la compétence nécessaire. D’ailleurs, lorsque je parle d’élus qui appartiennent à tels ou tels partis, sauf pour LFI, je ne vise pas le parti en lui-même. Je comprends bien que tout le monde n’est pas parfait dans une organisation politique. Si je devais répondre à votre question, j’aborderais plutôt la dimension philosophique. Quel projet de société souhaitons nous ?
Lorsque je parle de la nécessité d’un débat national, je considère qu’il faut repenser notre projet de société. Voulons-nous une France multiculturelle ? Je suis d’origine iranienne, un biculturel, mais je suis Français, sans aucune équivoque. Chez moi, on m’a appris que la France, la République, le drapeau passaient avant tout. Je me suis toujours assez peu préoccupé des opinions politiques, nous sommes en démocratie ; je suis journaliste et j’aime le débat. En revanche, lorsque l’on prend parti pour une organisation terroriste, on prend le parti de l’étranger et notamment de puissances hostiles.
Il m’apparaît nécessaire de conduire un véritable débat sur ce que nous voulons faire de notre pays dans les années qui viennent. Quel type d’héritage allons-nous laisser à nos enfants ? Ce débat doit faire participer les enseignants du supérieur comme les enseignants du primaire et du secondaire, mais également les partis politiques.
Nora Bussigny ou moi-même sommes d’origine immigrée, d’origine orientale, mais nous assumons pleinement et revendiquons notre identité française, notre identité républicaine. Nous n’avons pas peur, nous en sommes fiers. Pourquoi laisserions-nous certaines personnes proches de ces mouvements, notamment à LFI, dans le monde étudiant ou universitaire, dégrader notre démocratie, notre République ?
À un moment donné, il faudra que cela s’arrête ; il faudra prendre des mesures. Aujourd’hui, des gens adoptent impunément des positions illégales, comme soutenir un proxy palestinien de Téhéran tel que le FPLP, une organisation considérée comme terroriste. Or ils ne sont pas poursuivis. Nous sommes ainsi arrivés à un moment dans notre société où il nous faut décider ce que l’on souhaite faire, c’est pour cela que je parle d’un débat national.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie. Vous pouvez le cas échéant compléter nos échanges si vous le souhaitez, en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours et en nous adressant tous les documents que vous jugerez utiles.
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12. Audition de M. Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation pour l’islam de France (FIF) (28 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Nous nous retrouvons pour notre seconde et dernière audition de la journée. Nous recevons M. Ghaleb Bencheikh, un islamologue reconnu et engagé dans différentes institutions, dont la Fondation de l’Islam de France (FIF), qu’il préside, ou encore la Conférence mondiale des religions pour la paix.
Monsieur Ghaleb Bencheikh, vous êtes également membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République, présidé par Mme Dominique Schnapper, qui est institué auprès du ministre de l’éducation nationale. Ce comité étudie notamment les conditions du respect de la promotion des principes et valeurs de notre République à l’école et dans les accueils collectifs de mineurs. Il s’intéresse en particulier aux questions de laïcité, de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, à la promotion de l’égalité des sexes et à la lutte contre les discriminations. Vous êtes également l’auteur de plusieurs ouvrages sur la laïcité et sur l’islam.
Votre audition doit nous permettre d’identifier quels sont les mouvements islamistes présents sur notre territoire, quelle est leur idéologie et quelles sont les stratégies mises en œuvre pour influer sur nos politiques publiques. Aussi, je vous soumettrai quelques questions en guise d’introduction, puis je vous proposerai de prendre la parole pour un propos liminaire d’une dizaine de minutes.
Quelle place occupent les groupes promouvant l’idéologie islamiste en France ? Considérez-vous que leur influence tend à s’accroître auprès de certains publics, notamment du fait du contexte international ?
Ensuite, de nombreux élus ou agents publics sont confrontés à des demandes qui peuvent porter atteinte à la laïcité, en particulier de la part de groupes qui placent leur idéologie au-dessus des lois de la République. Quels constats faites-vous sur les pressions pouvant s’exercer sur les décideurs ou les acteurs publics ? Et comment y répondre ?
Avant de vous donner la parole, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. Ghaleb Bencheikh prête serment.)
M. Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation pour l’islam de France. Je ne suis pas suffisamment expert pour répondre à vos deux premières questions.
Selon un vieil adage, « le spécialiste est celui qui sait presque tout sur presque rien » et donc par définition, l’expert est celui qui sait presque tout sur presque rien.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, je ne connais pas ces mouvements islamistes. Je le dis d’emblée par rigueur intellectuelle et aussi par probité. En revanche, figure dans mon périmètre de moindre incompétence, tout ce qui concerne la civilisation et la tradition religieuse islamique, l’Islam et l’islam. La question islamique est épineuse dans notre pays et nous avons tous intérêt, lorsque nous nous disons hommes et femmes de bonne volonté, d’essayer de trouver une sortie par le haut à une crise qui a assez duré.
Il est vrai que nous autres Français, quelle que soit notre appartenance confessionnelle sous la voûte commune de la laïcité, connaissons ces derniers temps une situation de tension. Le mot est un doux euphémisme, et au lieu d’ajouter de la fragmentation à la fragmentation et sans édulcorer quoi que ce soit, il va de notre responsabilité d’amener à plus de compréhension.
La question islamique en France, contrairement à ce que l’on peut entendre ici ou là, ne date pas de ces dernières années. Elle a une protohistoire et une préhistoire, qu’il est bon de connaître. Nous n’avons pas le temps de les passer en revue, je remonterai uniquement au Second Empire. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il existait une réelle islamophilie chez les intellectuels à cette époque. Par exemple, quelqu’un comme Alphonse de Lamartine ne cessait de dire que « Si la grandeur du dessein, l’immensité du résultat, la petitesse des moyens sont la marque du génie, qui ose comparer un homme de nos jours à Mahomet ? »
Vint ensuite la Troisième République, qui était un peu spéciale. L’un des méfaits majeurs de la colonisation concerne la non-application de la loi de 1905 aux colonies et dans les contextes islamiques, en dépit des demandes réitérées des oulémas. Plus récemment, et surtout depuis la fatidique année 1979, la France et l’Europe connaissent des problèmes cruciaux sur cette question, impliquant le vocable « islam ». Il existe cependant une singularité française dans le contexte européen, qui ne doit pas être éludée.
Pour y parvenir, il faut commencer par s’attacher au terme « islamisme ». Voltaire et Renan l’employaient ; le philosophe Roger Caratini a pour sa part publié en 1993 l’ouvrage Le génie de l’islamisme. C’est impensable aujourd’hui que cela puisse être publié et étudié. Il n’a en fait que pastiché le Génie du christianisme de Chateaubriand. À la fin des années 1970, Bruno Étienne a accolé – à juste titre – l’épithète « radical », apportant une autre connotation au terme.
L’islamisme est une idéologisation exacerbée des préceptes religieux islamiques, pour d’autres fins que spirituelles, en vue d’un projet ou plutôt d’un « contre-projet » social et politique. L’islamisme couvre toute une gamme allant de l’extrémiste violent – on dit maintenant « djihadiste » – symbolisé par la monstruosité idéologique et religieuse dénommée Daech, qui a esthétisé la violence, théâtralisé la barbarie, jusqu’à Erdogan, qui est un islamiste, mais également dirigeant d’un pays membre de l’Otan et peut jouer les médiateurs dans la crise au Proche-Orient.
Alors quand j’entends lors d’un rassemblement à Paris, de mémoire le 26 mars, qu’« il faut vaincre l’islamisme », et des prises de parole sans discernement, sans distinguer les registres, sans faire preuve de désimplication des variables, ceci au lieu d’ajouter à l’intelligibilité des problèmes auxquels nous sommes confrontés, a rajouté à l’incompréhension totale.
Ce sujet est si crucial, si épineux, si central, si fondamental pour le devenir de la nation qu’il faudrait se rendre compte qu’on ne peut l’aborder d’une manière univoque et monolithique. Ceux qui savent mieux que moi disent qu’il s’agit d’une condensation multidimensionnelle de faits et de grilles de lecture sédimentées : l’approche sociale et sociologique ; l’approche politique ; l’approche géostratégique dans les rapports internationaux ; l’approche psychologique ; l’approche théologique ; l’approche culturelle et l’approche médiatique. Le tout avec une vision de l’histoire qui doit se faire avec un regard critique.
Je distingue quatre temps. Le premier temps concerne le temps de la réponse sécuritaire. Nous savons gré aux forces de l’ordre qui ont neutralisé et déjoué des attentats meurtriers. Une séquence a été inaugurée par le criminel Merah en 2012 et qui s’est achevée, espérons-le, avec l’assassinat de Dominique Bernard. Au cours de cette douzaine d’années s’est ainsi déroulée une période de terreur qui a culminé avec l’anus horribilis de 2015. Nos concitoyens ont eu peur, non sans raison, de tout ce qui a trait à l’islam et à l’islamisme. Sur ce plan, la réponse sécuritaire et de renseignement est bienvenue.
Le deuxième temps est celui du discours alternatif. D’aucuns viennent nous dire qu’un contre-prêche et un contre-discours sont nécessaires. Ce faisant, il est déjà délégitimé par ceux‑là mêmes auquel il est destiné. Cependant, il faut trouver un discours alternatif puisé dans le patrimoine civilisationnel et religieux islamique, pour une jeunesse laissée pour compte. Ce travail doit être mené avec force, conviction et détermination.
Le troisième temps s’inscrit à moyen et long terme. Il porte sur l’éducation, l’instruction, l’acquisition du savoir, de la culture, de la connaissance, de l’ouverture sur le monde, des humanités, de l’inclination pour les valeurs esthétiques, pour les belles lettres, les beaux-arts. Il s’agit là de la meilleure réponse face aux dérives radicales, face à l’attirance de notre jeunesse française vis-à-vis des sirènes islamistes ou islamisantes.
Le quatrième temps est celui de la République. À ce titre, je convoque le peintre et caricaturiste Honoré Daumier. Quand il a voulu concourir pour L’Allégorie de la République en 1848, il a peint une belle femme, plantureuse, qui allaite deux nourrissons, avec un garçonnet à ses pieds. La légende du tableau est la suivante : la République nourrit et instruit ses enfants. Pour peu que la République nourrisse, instruise et protège tous ses enfants, nous parcourrons un chemin vers l’aplanissement de ces difficultés.
Je souhaite également ajouter une idée fondamentale, celle de la fameuse « tenaille identitaire », c’est-à-dire deux mâchoires d’une tenaille qui se rapprochent et qui vont finir par blesser véritablement la nation, le corps national. D’un côté, certains expliquent qu’à cause d’une série de démissions, d’abdications, de régressions, nous nous retrouvons avec des éléments dangereux, étrangers, allogènes, qui viennent nous menacer. Il s’agit là du fameux « grand remplacement », de l’identité malheureuse où « La France n’est plus la France ».
De l’autre côté, certains, dont des jeunes gens, considèrent que quoi qu’ils fassent et disent, ils seront toujours perçus comme des éléments étrangers, que leur citoyenneté leur est déniée. Ils partent alors à la recherche d’une sorte d’identité de substitution et de refuge dans la communauté supranationale des croyants.
Dans ce contexte, nous devons tout faire pour écarter ces deux mâchoires. S’il fallait retenir une seule idée de mon intervention, elle serait la suivante : il ne faut pas considérer les questions liées à l’islam et les questions liées à l’immigration, comme étant des questions tautologiques. Elles s’entrecroisent, partagent des éléments en commun, mais l’une n’épuise pas l’autre. Les aborder toujours et systématiquement en termes de tautologie constitue une erreur fondamentale ; il ne peut y avoir de réponse politique ou intellectuelle si l’on se trompe d’emblée.
À ce sujet, il me semble intéressant de relever les différences qui peuvent subsister en termes d’approches, en fonction des pays. Nous autres citoyens français sommes fatigués, lassés d’être comparés souvent à nos voisins d’outre-Rhin. Pourtant, l’exemple allemand est riche d’enseignements. Il se trouve qu’en 2022, l’une et l’autre de nos deux nations se sont prononcées lors d’élections majeures. Nous avons connu des élections présidentielles et les Allemands ont connu des élections législatives. Durant la campagne électorale officielle de nos voisins allemands en 2022, le mot islam n’a pas été cité, une seule fois. Pourtant, Angela Merkel avait accepté la venue de millions de réfugiés syriens, dont on peut penser qu’ils sont quasiment tous musulmans et dont certains s’étaient mal comportés lors de la Saint-Sylvestre 2015 à Cologne. À l’inverse, lors de la dernière campagne électorale majeure en France, le mot « islam » était cité à chaque jour, associé à un corollaire d’épouvante, d’arriération, de danger.
Simultanément, une partie de la jeunesse estime qu’il existe deux poids, deux mesures. Elle constitue une proie facile pour des sermonnaires, des doctrinaires, des idéologues, des aventuriers, des islamistes. Ceux-ci leur disent : « Vos parents ont été à la fois bafoués, spoliés, méprisés, mais cela ne sera pas votre cas, pour peu que vous suiviez les préceptes que je suis seul à vous indiquer. Vous vous insurgerez, regagnerez votre dignité, voire le statut de martyr, et vous jouirez des délices paradisiaques ».
À la suite de propos antisémites, un humoriste a été interdit d’antenne et même de représentation, à juste titre. Un autre polémiste, tout autant condamné que ledit humoriste sinon plus, pourra quant à lui être candidat à la magistrature suprême. Lors de ses conventions, il ne cesse de répéter que le choix est entre l’islam et la France. Il ne dit pas « islamisme », « terrorisme » ou « djihadisme », mais islam. Ceci est perçu comme un traitement différencié pour un dixième de la population mondiale.
Il est vrai que des hiérarques musulmans n’ont pas toujours été à la hauteur du moment. Quand les attentats sévissaient au nom de la tradition religieuse islamique, ils n’ont pas trouvé mieux à dire que « Halte à l’amalgame ; l’islam est une religion de paix, d’ouverture et de miséricorde ». Ce discours était inaudible, surtout compte tenu de la récurrence de l’épouvante et de la terreur. Le discours aurait dû être plus engageant et plus responsable. Il est intervenu par la suite, mais c’était déjà trop tard. Il importe donc de rattraper le retard.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie pour ce propos liminaire, qui contraste effectivement avec les précédentes auditions. Les questions qui nous sont posées se présentent sous différentes facettes et celles que vous abordez sont éminemment intéressantes.
Vous avez indiqué au début de votre intervention qu’il existait une singularité française en Europe, que vous avez reprise par la suite en comparant les échéances électorales françaises et allemandes. Comment vous expliquez cette singularité française en Europe ? Est-elle liée au poids de l’histoire, de la colonisation, de la décolonisation ou à d’autres facteurs ?
M. Ghaleb Bencheikh. La singularité française repose sur deux éléments. D’abord, en Allemagne, une grande tradition « d’orientalisme islamisant savant » a débuté au XIXe siècle et a pu irriguer la société. Il existait des islamologues de renom, d’ailleurs souvent juifs, qui connaissaient l’arabe.
Notre Président de la République parle du « ruissellement » pour l’économie. De la même manière, nous avons besoin dans notre pays d’un ruissellement ou d’une irrigation de cette discipline de prestige que nous n’avons pas ou très peu. Lorsque j’ai rencontré le président, je lui ai parlé d’un Institut français d’islamologie. Nous ne pouvons pas nous tenir à l’écart des autres nations européennes ou d’ailleurs, s’agissant d’une discipline de prestige.
Le second point concerne effectivement la décolonisation. Il ne s’agit pas tant de la question de la guerre d’Algérie qui n’a été officiellement qualifiée comme telle qu’en 1999, soit trente-sept ans après la fin des « événements » de pacification. Lorsque ceux-ci se sont déroulés, si le terme de guerre avait été officiellement appliqué, cela serait revenu à reconnaître l’existence d’une guerre civile entre des indigènes et des citoyens ; ce qui était inenvisageable à l’époque.
Le vocabulaire importe : les antagonistes considérés étaient d’une part les Européens, et d’autre part, les musulmans. En effet, le statut de l’indigénat ou le code de l’indigénat appréhendait les Algériens de manière singulière, notamment après le décret Crémieux, qui avait conféré aux juifs la nationalité française. À l’époque, cette différence avait occasionné de sérieux débats entre les intellectuels musulmans et leurs compatriotes juifs. Pour l’anecdote, lorsqu’un Européen se convertissait à l’islam, il demeurait Européen. En revanche, lorsqu’un musulman se convertissait au christianisme, on parlait alors de « musulman catholique ». L’ethnicisation est intervenue par la confession.
Associé au poids de la guerre d’Algérie, cet élément est demeuré une difficulté majeure qui n’a pas été aplanie. À l’hypermnésie des uns répond l’amnésie réelle des autres. À un moment ou un autre, il faudrait savoir dépasser tout cela pour établir un avenir commun de part et d’autre de la Méditerranée.
M. le président Xavier Breton. Vous avez également évoqué lors de vos propos liminaires l’année fatidique de 1979. En quoi s’agit-il d’une année fatidique ?
M. Ghaleb Bencheikh. Il est dans la vie des humains des années un peu spéciales. L’année 1979 en est une. Elle a été ainsi marquée par l’invasion soviétique de l’Afghanistan, un coup d’État en Irak conduisant à l’accession de Saddam Hussein au pouvoir, la terrible révolution khomeiniste d’un autocrate illuminé, la prise de la Grande Mosquée de La Mecque par des mouvements chiites. Lors de ce dernier événement, l’Arabie Saoudite a d’ailleurs fait appel à la France et au commandant Baril pour mater la rébellion. Comme il s’agit d’un sanctuaire qu’un non-musulman ne peut pas fouler de ses pieds, on lui alors donné une sorte de « certificat d’islamité » momentané, ce qui constitue un non-sens total. L’idéologie wahhabite est alors devenue une idéologie d’État. À partir de cette date, la monarchie saoudienne a exporté, grâce à ses pétrodollars, une idéologie rétrograde, passéiste, sectaire, considérée par le reste des autres musulmans comme une secte.
Le fameux congrès de Grozny du 24 au 27 aout 2016 a réuni les différentes obédiences de l’islam sunnite et chiite et quasiment tous ont considéré que le wahhabisme était une secte à bannir. Il est vrai que dans les contextes dits islamiques, les sociétés majoritairement musulmanes et l’Europe, particulièrement notre pays, ont été considérés comme des « ventres mous » pour l’idéologie wahhabite et celle des Frères musulmans. À partir de 1979, une déferlante est effectivement survenue. Nous la constatons d’abord à travers les dégâts terribles dans les pays dits musulmans, notamment la guerre civile algérienne. Il s’agit de la fameuse décennie noire.
M. le président Xavier Breton. L’année 1979 a effectivement été évoquée lors de nos précédentes auditions, essentiellement à travers le prisme iranien. Notre commission d’enquête devra approfondir les échos que cette année a pu susciter dans notre pays, en particulier au niveau des formations politiques.
M. Ghaleb Bencheikh. J’ai oublié d’ajouter les accords de Camp David de 1978 et la prise d’otage de citoyens américains à Téhéran en 1979.
M. le président Xavier Breton. Notre commission d’enquête devra approfondir les échos que cette année a pu susciter dans notre pays, en particulier au niveau des formations politiques.
M. Matthieu Bloch, rapporteur de la commission d’enquête sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste. Monsieur Bencheikh, je vous remercie pour votre présence et vos propos liminaires. En tant que président de la Fédération de l’islam de France, pouvez-vous nous rappeler son rôle dans la prévention de la radicalisation et la promotion d’un islam compatible avec les valeurs républicaines ? Ce point me semble d’autant plus essentiel que vous avez précédemment indiqué que les hiérarques de l’islam n’avaient pas été à la hauteur des événements lors des attentats ayant ensanglanté notre pays.
M. Ghaleb Bencheikh. Je précise en préambule que la Fondation de l’islam de France est actuellement un peu mise en veille pour des raisons bien particulières liées à son fonctionnement, je dis non sans humour que dans le « PIF, la FIF est la fille de la FOIF ». C’est-à-dire que, dans le paysage islamique français, la Fédération de l’islam de France est la « fille » d’une autre fondation, la Fondation des œuvres de l’islam de France. Au bout de onze ans d’existence, minée par une paralysie de ses dirigeants, cette dernière n’avait rien produit et le Conseil d’État avait dû se résoudre à la dissoudre. Face à cette situation, Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur avait alors souligné la nécessité d’une fondation pouvant constituer le pendant du Conseil français du culte musulman (CFCM). Le CFCM est chargé des questions cultuelles et la FIF des questions éducatives, culturelles et civilisationnelles. Cette dernière est une fondation laïque reconnue d’utilité publique.
J’ai la faiblesse de croire qu’elle agit beaucoup, en dépit de son indigence matérielle. Entendons-nous bien : il n’est pas dans sa vocation de vivre exclusivement de deniers publics. Cependant, la reconnaissance d’utilité publique implique malgré tout que quelques aides puissent être fournies. Or, nous n’avons jamais obtenu les fameux 10 millions d’euros annoncés lors du discours des Mureaux du Président de la République, le 2 octobre 2020. Nous avons seulement bénéficié des subsides de l’Agence nationale pour la cohésion des territoires (ANCT), afin de financer trois projets.
Mon prédécesseur Jean-Pierre Chevènement, grand républicain pour lequel j’ai une grande admiration et affection a eu raison de donner des bourses d’études aux jeunes Français, quels qu’ils soient, pour produire une connaissance et une compréhension du fait islamique d’une manière froide, rationnelle et intelligente. En effet, nous avons besoin de convoquer le temps long pour aplanir les difficultés du temps présent, et nous devons le faire avec connaissance. J’aime à rappeler, quand nous établissons quelques comparaisons, que nous devons aussi étudier et élargir les « Lumières juives » du XIXe siècle. Dans le cas qui nous occupe, il y eut un humanisme d’expression arabe totalement oblitéré, effacé des mémoires, insoupçonné même.
Ensuite, des bourses étaient attribuées à des ministres du culte : imams, prédicateurs, aumôniers, présidents d’associations culturelles et autres, afin de doubler leur formation religieuse par une formation laïque ou profane, consistant à apprendre le droit des cultes, connaître l’histoire de la France, l’histoire des idées politiques ; comprendre que la laïcité est un acquis de la modernité politique et intellectuelle, une conquête de l’esprit humain.
J’ai ensuite formulé l’idée d’une université populaire itinérante allant de ville en ville, de quartier en quartier, de cité en cité, pour porter le débat. La circulation de la parole constitue une thérapie en tant que telle. Il est exact que j’ai vu de mes propres yeux dans certaines salles, des jeunes gens avec un accoutrement improbable, un comportement inacceptable, un discours intolérable. Même si cela nous a été reproché, il était nécessaire de descendre dans la « fosse aux lions », de ne pas craindre de mener ce débat ; nous l’avons fait à quarante reprises.
Nous avons également procédé par la réponse à travers la culture, la culture démocratique. Certains nous ont à nouveau reproché d’être élitistes, mais il le faut. Nous avons reconfiguré L’Enlèvement au Sérail composé par Mozart qui présente le Pacha Selim comme un homme magnanime, où la figure du musulman est celle du bon prince et non plus celle de Kouachi ou de Coulibaly. Lorsque le chœur était joué par des jeunes musulmans, les failles identitaires, les brèches intérieures étaient colmatées.
Je pense également au Procès animal de la domination humaine, qui forme le corps de l’épître 22 des Épîtres des Frères de la Pureté, une société secrète du Xe siècle, que nous avons habillé par des considérations contemporaines et actuelles. Notre fierté réside dans les vocations, notamment juridiques, suscitées par cette pièce de théâtre auprès des jeunes du lycée d’Aubervilliers.
Dans le même ordre d’idées, notre programme Jeune France offre en quelque sorte une contre-réponse sur les réseaux sociaux – ou plutôt asociaux selon certains – en direction de jeunes gens, pour la plupart musulmans. Des interventions sont également menées parfois dans les établissements scolaires afin que des imams autoproclamés qui sévissent sur ces réseaux sociaux ne viennent pas raconter n’importe quoi aux jeunes ; que ces derniers puissent passer par le filtre de l’entendement.
Il faut également mentionner le travail mené dans les prisons. Le champ sémantique évolue ; on ne dit plus « déradicaliser », mais « désengager ». Des aumôniers, des médiateurs peuvent ainsi parler avec des jeunes gens qui, pour certains, n’ont que 300 mots pour s’exprimer. C’est la raison pour laquelle le travail conjoint d’écoute et de désengagement est nécessaire.
À ce titre, je vous invite à consulter nos deux rapports d’activité et notre campus numérique, comprenant presque 300 vidéos qui présentent sous forme de capsules ou de modules tout ce qui a trait à l’islam. Nous sommes particulièrement fiers d’avoir, avec la Fondation pour la mémoire de la Shoah, coproduit une vingtaine de vidéos sur les relations entre juifs et musulmans, à la fois à travers l’histoire et de nos jours. Ce programme, « Ombres et Lumières », a connu une présentation inaugurale à Sciences-Po en 2022 ou 2023.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous parlez de confusion entre l’islam et l’islamisme que vous qualifiez d’idéologisation. Cette idéologisation est portée par certains imams autoproclamés qui laissent entendre que beaucoup reste à faire dans l’organisation du culte musulman en France. Alors que le Forum de l’islam de France (Forif) a tenu sa deuxième session en février 2025, quel regard portez-vous sur cette instance ? Quelles sont vos principales préconisations concernant l’organisation du culte musulman ?
M. Ghaleb Bencheikh. De mémoire, je pense même qu’il s’agit de la troisième édition de ce Forum.
Je suis un homme libre et un citoyen libre. Je pense que la puissance publique fait face à un dilemme, un paradoxe, qu’il lui incombe de rompre. D’un côté, il ne lui appartient pas de s’immiscer dans l’organisation d’un culte en vertu de la loi, depuis 1905. Cela paraît impensable, inacceptable. Pensez-vous qu’un ministre de l’intérieur réunirait les bouddhistes de France pour leur dire ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire ? Ce phénomène n’est pas nouveau ; il a débuté avec le Conseil d’orientation et de réflexion sur l’islam de France (Corif) en 1991, lorsque Pierre Joxe était ministre de l’intérieur.
Mais d’un autre côté, si les musulmans de France s’étaient réunis et avaient procédé à la désignation de leurs propres instances, nous ne serions pas dans cette situation ; parce que la puissance publique est fondée à avoir des interlocuteurs légitimes. L’incurie organique a ainsi conduit les différents ministres de l’intérieur, en charge des questions cultuelles, à essayer de trouver une instance représentative. Malheureusement, certains représentants du culte musulman en France se soucient de la notabilité de leur fonction que de leurs responsabilités. De jeunes quadragénaires, tout en étant républicains, ont à cœur à mettre de l’ordre dans cette affaire.
L’islam est-il compatible avec les valeurs de la République ? Je ne suis pas certain que la question puisse être posée en ces termes. Soit les actions de musulmans de France s’inscrivent dans notre triptyque républicain, liberté-égalité-fraternité, et ils se fondent de manière « caméléonesque » au sein de la nation, comme tous leurs compatriotes. Soit leurs actions sont illégales, et la loi doit être appliquée avec sévérité et célérité. Il n’y a pas à chercher un islam qui soit compatible ou non.
Il faut que nos traditions religieuses, d’une manière générale, agissent d’une manière conforme aux valeurs de la République, dans le respect scrupuleux de la loi de 1905. Dans ce cas, l’islam ou les musulmans ne doivent pas se soustraire à leur appartenance à la nation, en respectant la loi. Il n’y a pas à leur demander d’une manière spécifique d’agir d’une manière compatible avec les valeurs de la République.
La voûte commune de la laïcité permet au ciel d’être plus clément ici au-dessus de notre tête qu’à Téhéran ou au Caire. En conséquence, si des chantiers titanesques doivent être menés en matière de pensée théologique islamique, c’est en Europe et particulièrement en France qu’il faut les conduire.
Le premier chantier concerne les libertés fondamentales, et notamment de la liberté de conscience. Le deuxième chantier est celui de l’égalité ontologique et juridique entre les êtres humains, par-delà l’appartenance confessionnelle, par-delà le genre, par-delà les orientations métaphysiques et spirituelles. Le troisième chantier porte sur la désacralisation de la violence et consiste à en finir avec l’idéologie du combat sacré prescrit par le divin. Il faut combattre l’idée qui attribuerait une quelconque efficacité à la violence qui, de surcroît, pourrait être commanditée par la transcendance. Enfin, le quatrième chantier, tout aussi titanesque, est celui de l’autonomisation du champ du savoir et de la connaissance par rapport à celui de la révélation et de la croyance.
Pour le reste, il faut continuer de s’inscrire dans le cadre de la liberté, l’égalité, la fraternité, l’universalisme républicain. Si un citoyen musulman ou un résident musulman régulier dans notre pays s’y conforment ; tout se passe bien. S’ils ne s’y conforment pas, le premier subira la dureté de la loi et le deuxième nous quittera.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. J’ignore si vous avez lu le rapport publié par le ministre de l’intérieur en mai 2025 sur les Frères musulmans. Ce rapport indique que la diffusion de l’islamisme en France résulte de grands écosystèmes locaux. Qu’en pensez-vous ?
M. Ghaleb Bencheikh. J’ai été auditionné par les deux auteurs du rapport, que je connais. Je ne doute pas de leur probité intellectuelle. Ce rapport met en lumière la déliquescence ou le délitement de ce qu’étaient les Frères musulmans en France par rapport à la période où l’Union des organisations islamiques en France, puis l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) rassemblait des milliers de personnes au Bourget.
S’agissant des écosystèmes locaux, je fais crédit à ces auteurs qu’ils disent vrai. Je ne sais pas comment ces écosystèmes locaux agissent. J’imagine qu’il existe une grande pression dite « communautaire », que dans tel ou tel quartier, un jeune homme ou une jeune fille qui ne jeûnent pas pendant le ramadan peuvent vivre des situations difficiles. Il est possible alors de parler « d’écosystèmes locaux », si cette pression communautaire est réelle dans certaines cités, alors que le maître mot doit être la liberté.
Telle ou telle pratique doit constituer une adhésion spontanée, une adhésion intime. Il ne s’agit pas d’obéir à une injonction quelconque.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Selon vous, quels sont les liens entre les mouvements politiques français et la mouvance islamiste aujourd’hui ? Ces liens sont-ils particulièrement marqués avec certains mouvements ou partis politiques ?
M. Ghaleb Bencheikh. En toute rigueur, je n’en sais sincèrement rien. Il n’existe pas de parti se revendiquant comme représentant de l’islamisme politique en France. Mais les crypto-islamistes ou les islamistes doivent sûrement manœuvrer.
En revanche, les musulmans qui votent – parce qu’on oublie ceux qui ne votent pas – le font souvent en faveur de la France Insoumise, non pas parce que ce parti leur ferait miroiter je-ne-sais-quoi. Simplement, ils votent pour ceux qui ne les insultent pas. Or, d’autres partis politiques les insultent, hélas. Je le regrette, mais c’est ainsi. Ce tropisme existe, bien en amont du 7 octobre 2023.
Ensuite, existe-t-il des mécanismes particuliers ? Je ne les connais pas. En revanche, il existe un mot que nous gagnerions à bannir du vocabulaire, y compris de la classe politique, celui de « l’islamo-gauchisme ». En effet, il faudrait à la place parler soit « d’islamismo-gauchisme », soit de « gaucho-islamisme ». De fait, le préfixe « islamo » n’a pas de sens devant « gauchisme ». Aujourd’hui, on entend parler « d’islamo-raquailles », « d’islamo-délinquants », « d’islamo-nazis », « d’islamo-fascistes », « d’islamo-gauchistes », que sais-je encore.
Il n’est pas possible de faire perdurer ce préfixe « islamo » pour qualifier tout ce qui est négatif, tout ce qui ne peut pas perdurer. Imaginez un instant que l’on puisse établir des noms composés avec les préfixes « christiano » ou « judéo », « franc-maçonnerie » et ainsi de suite, que l’on accolerait à « délinquance », « fascisme », « nazisme », « gauchisme ».
Je ne dis pas qu’il n’existe pas de collusion entre l’idéologie islamiste et des mouvements d’ultra-gauche. Cela saute aux yeux, par exemple depuis l’alter-mondialisme de Porto Alegre, ou ailleurs en Europe. Cette collusion existe, mais il faut savoir la nommer. En revanche, « islamo », renvoie d’abord à l’islam et à l’Islam, en tant que tradition, religion et civilisation.
À l’époque, trois membres du gouvernement, Gérald Darmanin et Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal ont employé ce terme « d’islamo-gauchisme », suscitant une vive controverse par tribunes interposées. Il a ainsi été question « d’islamo-gauchisme au sein de l’université française et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ». Mais il faudrait plus précisément les illustrer. En l’espèce, il s’agit de l’islamisme et du gauchisme. Mais, à ma connaissance, « l’islamo-gauchisme » n’a pas de valeur scientifique, ni même de bon sens.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous dites que le vote musulman privilégie souvent la France Insoumise parce que ce parti est celui qui les insulte le moins. Honnêtement, je ne suis pas persuadé que tous les autres partis insultent les musulmans, loin de là, et fort heureusement. Mais ne pensez-vous pas également que le positionnement de LFI sur le conflit à Gaza alimente aussi un certain électoralisme ?
M. Ghaleb Bencheikh. Il convient d’être précis dans l’emploi des mots. Je n’ai pas dit qu’il s’agit du parti qui les insultent le moins, mais qui « ne les insulte pas ». Tous les autres partis politiques n’insultent pas dans leur globalité, mais deux ou trois partis le font à longueur de journée. Prenez le parti Reconquête !, il les insulte. Prenez le Rassemblement National, il les insulte. Prenez le micro-parti d’Éric Ciotti, il les insulte.
Mes prises de position contre le voile m’ont valu de solides inimitiés. Je suis résolument contre. Je mets au défi quiconque de trouver entre 1926 et 1979, des exemples de jeunes filles allant à l’université, à l’école ou travaillant dans l’administration qui seraient voilées dans les contextes islamiques. Le « revoilement » est apparu justement après cette année fatidique de 1979. Il n’a pas de fondement canonique comme l’a dit le président du CFCM en 2019.
Mais je ne peux pas non plus accepter d’entendre un ministre de l’intérieur dire « À bas le voile » à l’occasion d’un rassemblement ; il n’est pas dans son rôle. Il aurait au moins pu dire « À bas le voile dans le sport ». Je suis résolument contre le port du voile, mais un ministre chargé des cultes ne peut prononcer de tels mots. Les problèmes doivent se régler par la connaissance, par les arguments, y compris théologiques, par la discussion, par le débat. Pour y parvenir, il est nécessaire de disposer d’imams formés, sérieux, compétents, courageux et surtout éclairés. Il s’agit là aussi d’un travail titanesque qu’il y a lieu de mener.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous comprendrez que je ne vous rejoins pas. Je pense qu’au sein de cette représentation nationale, aucun parti n’insulte les musulmans.
Quel regard portez-vous sur l’action des pouvoirs publics face à la montée des mouvements islamistes ? Comment peuvent-ils lutter efficacement contre l’islamisme tout en prévenant toute confusion entre l’islam et toute stigmatisation des musulmans ? Je vous assure que les partis qui siègent dans cet hémicycle ne veulent pas stigmatiser les musulmans contrairement à ce que vous pensez.
M. Ghaleb Bencheikh. Je n’ai jamais affirmé que l’ensemble de la représentation nationale le fait. En revanche, je maintiens que des partis politiques représentés au sein de l’Assemblée nationale le font. Il s’agit, hélas, d’une réalité. Je pourrai vous fournir des exemples.
Au-delà, il faut aborder ces questions d’une manière sereine, tranquille, avec froideur d’esprit et distanciation par rapport aux faits. Lorsqu’un de mes interlocuteurs, dans quelque situation que ce soit ne me rejoint pas, j’envisage la situation comme une opportunité d’apprendre, de me remettre en cause. À l’occasion d’un débat, je peux considérer que mon contradicteur a tort, mais je n’oublie pas qu’il peut détenir une part de vérité et que mes positions peuvent receler leur erreur.
S’agissant de votre question sur l’action des pouvoirs publics face au mouvement islamiste, laissez-moi reprendre ma métaphore en quatre temps. C’est en distinguant, en diagnostiquant le mal, qu’on lui trouve une médication appropriée. Il m’a été demandé, sans être bien entendu, ni par le porte-parole de la présidence de la République et encore moins par celui du gouvernement, d’aller désamorcer une double crise née de deux discours du Président de la République. Le premier concernait le fameux discours des Mureaux, le 2 octobre 2020, lorsque le président Macron avait déclaré « L’islam est en crise ». Une quinzaine de jours plus tard, l’assassinat odieux de Samuel Paty intervenait.
Lors de l’oraison funèbre, le Président de la République avait dit à la Sorbonne « Nous ne renoncerons jamais aux caricatures ». Certainement à la suite d’une instrumentalisation, ces propos ont pu être compris comme s’il s’agissait exclusivement et uniquement des caricatures qui brocardaient le prophète de l’islam. J’ai eu l’occasion, en tant que citoyen, mais aussi au titre de la fondation, d’aller porter le débat à Amman, à Doha, à Riyad, au Caire et à Rabat, selon un programme en quatre séquences. La première concernait une rencontre officielle avec des membres de l’exécutif ; la deuxième une rencontre académique ; la troisième séquence, une sorte de débat public notamment avec des étudiants et la quatrième séquence était d’ordre médiatique.
Je ne pense pas que ces rencontres étaient anecdotiques. À l’époque, l’ambassadrice de France à Amman m’avait expliqué qu’à la suite des appels au boycott, les produits français, du camembert jusqu’au foulard Hermès, avaient enregistré un recul de 40 %, à la suite de la crise qui avait été attisée. J’ajoute que la situation a été encore plus grave en Asie.
À chaque reprise, je me suis attelé à expliquer le modèle français, celui de la laïcité, de la séparation des pouvoirs, de l’indépendance de la justice, de l’État de droit ; l’idée que l’on ne gouverne pas la cité selon le désir politique de Dieu. Je rappelais que la tradition des caricatures était séculaire en France et ne concernait pas une religion en particulier. Cette liberté est précieuse. Nous ne sommes pas prêts à transiger quant à son effectivité.
Mme Caroline Yadan (EPR). Merci pour ces éléments. Ma question va porter sur l’après 7 octobre 2023. Vous nous avez décrit ces universités itinérantes, votre travail, dans les milieux de l’éducation, de la culture, voire des prisons. Vous avez indiqué que vous vous trouviez parfois confrontés à des jeunes gens dont les propos étaient intolérables.
Avez-vous assisté à un changement depuis le 7 octobre 2023, à une radicalisation et une multiplication des discours haineux ? Si tel a été le cas, votre travail s’est-il adapté à cette déferlante de haine, notamment antisémite, que nous avons vu se diffuser dans les universités ? Les faits sont absolument effrayants de ce point de vue.
M. Ghaleb Bencheikh. Madame la députée, il faut distinguer les principes et leur traduction dans les faits, dans la vie de tous les jours. Au niveau des principes, et immédiatement après le 7 octobre, des prises de position, dont les miennes, celles de la Fondation, mais aussi de la Conférence mondiale des religions pour la paix, ont eu pour objet de rappeler des points fondamentaux.
En premier lieu, aucune cause, si noble soit-elle, si légitime soit-elle, ne justifie le massacre d’innocents. Les exactions perpétrées le 7 octobre desservent en elles-mêmes la justesse ou la résistance contre une occupation, de quelque ordre que ce soit.
Ensuite, il n’existe pas de solidarité inconditionnelle allant de pair avec l’appartenance confessionnelle ou ethnique. De ce point de vue, la solidarité ne doit pas se concevoir d’une manière instinctive ; elle doit être étayée ou fondée sur le droit et la justice. Nous ne pouvons pas affirmer que notre seule boussole est le droit, notamment le droit international, et ne pas le suivre.
La troisième idée concerne le droit de se défendre. Mais qui dit se défendre ne dit pas se venger. Et mêmes les lois talioniques disaient « œil pour œil, dent pour dent » et donc pour un œil, ce ne sont pas les deux yeux, pour une dent, ce n’est pas la mâchoire et pour une vie, ce n’est pas la tribu.
Quatrièmement, et comme cela a été rappelé à de multiples reprises, nous ne devons pas importer le conflit dans notre propre pays, mais malheureusement, le conflit entre par tous les interstices. En conséquence, il ne faut pas prendre pour responsable quelqu’un qui n’y est pour rien. Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons de la justice, ni de la solidarité. Lorsqu’un citoyen juif est attaqué dans sa synagogue, le musulman doit trembler parce que son tour viendra s’il ne se porte pas solidaire de son propre concitoyen.
Enfin, il faut apaiser, sortir d’une situation qui a assez duré. D’une part, la solidarité avec le peuple palestinien n’implique pas tel ou tel acte et vengeance contre nos compatriotes juifs. D’autre part, la question ou la cause palestinienne, j’entends aujourd’hui parler de « palestinisme » est une affaire de droit et de justice. Ce peuple a connu un déni de droit et de justice depuis soixante-quinze ans.
Voilà ce que nous disons et ce que nous faisons lors de nos rencontres et de nos débats. Certaines actions sont connues, diffusées sur les réseaux sociaux et internet. D’autres le sont moins, par exemple lorsque j’ai participé à une conférence internationale sur le Proche-Orient à Caux en Suisse au mois de juillet. Tel n’était pas l’objet ; il s’agissait en revanche de trouver ensemble, avec des hommes et des femmes de bonne volonté, comment sortir d’une situation de crise qui a ému le monde entier.
M. le président Xavier Breton. Le terme « islamophobie » fait l’objet de débats. Bien qu’il soit composé du préfixe « islamo », dont vous nous avez dit ce que vous pensiez précédemment, l’acceptez-vous comme une forme d’exception ?
M. Ghaleb Bencheikh. J’ai écrit un ouvrage sur ces questions, Les mots (et les maux) de l’islam : Réparer le présent et préparer l’avenir. Le livre est composé d’une douzaine de chapitres, dont un est effectivement consacré à l’islamophobie. Étymologiquement, l’islamophobie reflète la peur de l’islam.
Un arachnophobe craint les araignées ; un hydrophobe ne se jette pas dans l’eau ; un agoraphobe ne prend pas la parole publiquement ; un claustrophobe ne prend pas l’ascenseur. De son côté, un islamophobe craint l’islam. S’il ne devait avoir comme information sur le fait islamique que ce que lui racontent certaines plateformes télévisées, il a raison d’avoir peur de l’islam. Si je ne devais m’informer sur notre propre société française qu’à travers l’unique canal de la revue Détective, je deviendrais francophobe, bien qu’étant Français.
Deuxièmement, il existe un mensonge manifeste. Certains relayeurs d’opinion viennent nous dire que l’islamophobie est un mot créé récemment de toute pièce par les mollahs pour interdire toute critique de l’islam. D’abord, ceci est faux. Factuellement, le mot existe depuis 1910.
Troisièmement, sans le mot qui la désigne, la chose n’existe pas. Si l’on n’utilise pas le mot islamophobie, tout ce que ce mot signifie ou ce qu’il indique est inexistant.
Quatrièmement, face à ce mot non voulu, que l’administration ne veut pas utiliser et que la classe politique rechigne à employer, je me suis dit qu’il fallait trouver un néologisme. J’y ai réfléchi longuement, en envisageant des exemples empruntés à la psychologie féminine. Ainsi, il est coutume de distinguer l’androphobie et la misandrie. L’androphobie est le fait de craindre les hommes, en raison d’un père violent, d’un frère irrespectueux, d’un instituteur strict. En revanche, la misandrie concerne la haine et la détestation maladive de ce qui est masculin. Mutatis mutandis, la même situation se présente à peu près lorsqu’il est question d’islamophobie. J’avais ainsi envisagé le terme de « misislamie » qui n’a pas connu beaucoup de succès en dehors de quelques cercles très restreints.
Il se trouve que l’Organisation des Nations unies a décrété depuis quelque temps le 15 mars comme journée internationale de lutte contre l’islamophobie. De l’autre côté de l’Atlantique, aussi bien au Canada qu’aux États-Unis, une personne est officiellement en charge de lutter contre l’islamophobie. Au niveau de l’Union européenne, Mme Marion Lalisse est chargée de prévenir et de lutter contre les actes antimusulmans.
Dans notre propre pays, il existe une délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Élisabeth Borne avait d’ailleurs rajouté l’antitziganisme. Je ne suis pas favorable à de telles distinctions : un même organisme interministériel doit pouvoir lutter contre toute forme de discrimination.
Je ne dis pas que notre pays doit nécessairement se conformer à ce qui se passe ailleurs. Mais il n’y a pas ailleurs ce complexe quant à ce mot qui fait débat dans notre pays. On peut ne pas l’utiliser ou en utiliser un autre. Mais il faut qu’il existe effectivement une réelle lutte contre toutes ces dérives d’atteinte à des citoyens musulmans, soit dans l’exercice de la pratique de leur culte, soit dans leur dignité.
Face à l’argument consistant à dire qu’il en est ainsi afin de ne pas critiquer l’islam, je répondrais que toute critique est salutaire. Si elle est académique, elle est bénéfique ; si elle est populaire, elle n’est pas dénuée de bon sens. Toute doctrine, toute idéologie, toute théologie, toute philosophie qui fuit le débat, qui ne s’affirme pas dans la transparence, la clarté, finit invariablement par s’atrophier et se fragiliser. Il ne leur reste alors plus in fine que la violence pour pouvoir subsister quelques instants. En conséquence, cette affaire de critique est fallacieuse.
Le « magma » des réseaux sociaux a effectivement suscité des réactions de détestation, de haine, de la part de musulmans ou se présentant comme tels face à quiconque porterait selon eux un discours fallacieux par rapport à leur identité. En l’espèce, il ne s’agit effectivement pas de religion, mais d’identité ; parce qu’ils n’y entendent rien en matière religieuse. Pensez-vous un instant qu’un Coulibaly ou qu’un Kouachi a lu le Coran ou connaît la finesse de la théologie islamique de l’ère classique ?
Par conséquent, cette réaction corrobore l’idée que les musulmans seraient rétifs, réfractaires à toute idée de critique. Si tel est le cas, ils ont tort ; au contraire, ils doivent être demandeurs de critiques. Si tel ce n’est pas le cas, ce n’est pas la peine de le faire savoir ni d’en parler.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie pour cette audition nourrie et ces échanges qui nous ont permis d’approfondir un certain nombre de sujets qui nous préoccupent. Vous pouvez le cas échéant compléter nos échanges si vous le souhaitez, en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé il y a quelques jours et en nous adressant les documents que vous jugerez utiles.
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13. Audition, à huis clos, de M. Hugues Bricq, Directeur du renseignement (DRPP) à la préfecture de police de Paris (29 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Monsieur Bricq, nous vous accueillons pour une audition à huis clos. Vous dirigez l’un des quatre services de renseignement du ministère de l’intérieur, dont la particularité est d’être rattaché à la préfecture de police de Paris. Il participe aux côtés de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à la lutte contre le terrorisme, à la surveillance de certains individus, au maintien de l’ordre public et à la lutte contre l’immigration illégale. Dans ce cadre, il est chargé de rechercher les informations permettant d’orienter le travail des forces de l’ordre, notamment dans l’identification de réseaux locaux susceptibles de commettre des infractions. Votre service a ainsi une connaissance fine de la situation en Île-de-France et des agissements de certains groupes ou individus sur ce territoire.
Nos travaux portant sur les mouvements islamistes en France et leur stratégie pour nouer des liens avec les élus nationaux ou locaux, je souhaiterais que vous nous indiquiez si vous suivez-vous l’activité des mouvements islamiques présents dans votre ressort de compétence ? Constatez-vous l’existence d’écosystèmes aboutis ? Si oui, quels risques présentent-ils ? Avez-vous connaissance de liens entre ces mouvements et des élus et, si tel est le cas, de quel type ?
Avant de vous laisser la parole, je vous indique que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité
(M. Hugues Bricq prête serment.)
M. Hugues Bricq, directeur de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP). Je vous remercie de me recevoir avec mes collaborateurs, dont le sous-directeur qui s’occupe de la prévention du terrorisme et des subversions violentes, la responsable de la division de prévention du terrorisme et le chef de mon cabinet. Je vous répondrai du mieux que je peux, mais un certain secret étant de rigueur sur ce qui concerne notre organisation, nos objectifs et nos procédés, certaines de mes réponses seront peut-être un peu courtes.
La DRPP est une direction active de la préfecture de police. C’est aussi un des dix services de la communauté du renseignement national dont quatre, vous l’avez dit, sont au sein du ministère de l’intérieur : la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction nationale du renseignement territorial (DNRT), la DRPP et enfin la sous-direction de l’anticipation opérationnelle (SDAO) placée sous l’autorité du directeur général de la gendarmerie nationale. À ce titre, nous sommes placés sous le pilotage de la coordination nationale du renseignement et de la lutte antiterroriste (CNRLT).
Notre direction appartient donc à deux communautés. La première est celle des directions et services de la préfecture de police de Paris qui ont besoin des renseignements que nous recueillons pour préparer leurs manœuvres opérationnelles : la direction de l’ordre public et de la circulation, la direction de la sécurité publique et, dans une moindre mesure, la direction de la police judiciaire ; les liens opérationnels entre notre direction et ces services sont très étroits. Notre deuxième communauté est celle des autres services de la CNRLT, avec lesquels nous entretenons des échanges nourris.
La DRPP compte 700 agents environ. Le service est compétent à Paris et dans les trois départements de la petite couronne. Sa direction est installée dans l’île de la Cité, aux côtés du préfet de police. Il comprend trois services départementaux dans les Hauts-de-Seine, la Seine‑Saint-Denis et le Val-de-Marne, qui ont eux-mêmes des antennes, et un service des aéroports agissant à Roissy, Orly et Le Bourget.
La direction est chargée du recueil du renseignement relatif à la sécurité nationale et aux intérêts fondamentaux de la nation, de l’analyse et de l’anticipation au profit du préfet de police et des autorités ; la formulation est donc assez large. La DRPP est résolument tournée vers le travail opérationnel et l’anticipation de terrain. Une des spécificités de ce service est de ne pas être une direction centrale à compétence nationale, à l’inverse des neuf autres services.
Nos missions de renseignement doivent permettre au préfet de police et aux forces de sécurité intérieure d’anticiper certains phénomènes et de les entraver. Nous devons donc assurer le suivi, l’analyse et l’anticipation de tous les phénomènes de contestation sociale et sociétale susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, la surveillance d’individus, groupes ou d’organisations d’inspiration radicale susceptibles de recourir à la violence et de porter atteinte à la sécurité nationale. Dans ce cadre s’inscrit la lutte contre les extrémismes violents : le suivi et l’entrave de l’ultragauche, de l’ultra-droite, des écologistes radicaux et de la contestation sociétale violente de type « Gilets jaunes ».
Nous est aussi assignée la prévention du terrorisme et de la radicalité islamiste. La direction est ainsi chargée du suivi de 520 individus inscrits au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) dans la région parisienne. Ce nombre étant assez élevé au regard de la taille du territoire concerné et de notre effectif, cette mission est pour nous la première par son ampleur.
D’autres missions se rapprochent parfois de la précédente : le suivi des dérives séparatistes et de l’entrisme ; le suivi, l’analyse et l’anticipation des dérives urbaines et des phénomènes d’emprise dans les quartiers – bandes, violences urbaines – ; le suivi des dérives sectaires et du fait religieux en général. Nous maintenons un contact institutionnel avec les grandes religions – islam traditionnel, communauté israélite, communauté chrétienne, etc.
Nous avons pour autre spécificité de suivre les communautés étrangères et les légations diplomatiques. Cela s’explique par le fait que presque toutes les représentations diplomatiques sont à Paris et que les membres contestataires des diasporas se rassemblent et manifestent à Paris. Ces activités sont très chronophages.
Nous sommes aussi chargés de la lutte contre la criminalité organisée, particulièrement la lutte contre le trafic de stupéfiants à laquelle la DRPP prend une part active, du suivi du supporterisme et de la lutte contre les violences dans le sport et le hooliganisme – il y a beaucoup de matches, et beaucoup de matches à risque – et encore de la réalisation, prévue par la loi, d’enquêtes administratives dans le cadre des décrets « grands événements ».
Enfin, en ma qualité de coordonnateur zonal du renseignement en Île-de-France, j’assure la synthèse des analyses en rédigeant des notes zonales et je pilote la filière « renseignement » de la grande couronne, en lien direct avec la DNRT, autorité hiérarchique de ces structures. La fluidité est d’ailleurs complète.
Vous l’aurez constaté, la DRPP n’exerce aucune mission de suivi ou de surveillance des activités politiques, des partis politiques ou des personnalités politiques, et il en est évidemment de même pour les autres services de renseignement du ministère de l’intérieur, au niveau national comme au niveau local. Cela nous est strictement interdit, et nous n’aurions même pas l’idée de le faire : depuis 1994, il y a donc plus de trente ans, les services de renseignement ne travaillent plus sur la sphère politique.
La DRPP n’a pas de compétences judiciaires. Nous n’exerçons que des activités de renseignement. Nous disposons pour ce faire de tous les outils d’un service de renseignement, des techniques les plus intrusives aux contacts officiels ès qualités et à l’analyse des sources ouvertes. Les services de renseignement assurent en effet une partie non négligeable de leur collecte par le recueil d’informations obtenues en source ouverte. Ces outils nous permettent de remplir l’ensemble de nos missions de manière adaptée et proportionnée à chaque mission dans le respect du cadre juridique propre à chacune.
La DRPP est résolument engagée, depuis des décennies et plus particulièrement depuis la série d’attentats de 2015, dans la prévention du terrorisme et dans tout ce qui a été construit sous l’égide de la DGSI dans les années qui ont suivi ces attentats en matière de prévention de la radicalisation islamiste et de suivi des objectifs radicalisés. Comme ses partenaires, le service est aussi pleinement impliqué dans la lutte contre le séparatisme islamiste depuis le discours prononcé par le président de la République aux Mureaux en 2020, et développe aujourd’hui la lutte contre l’ingérence islamiste. Cette nouvelle politique publique, dont le ministère de l’intérieur est le chef de file, demande l’implication de l’ensemble des acteurs publics et non, seulement, des services de renseignement. Les services de renseignement y prendront toute leur part : la DGSI bien sûr, mais aussi, à titre principal la DNRT, qui joue un rôle pivot, et la DRPP sur son ressort territorial.
La DRPP a de tout temps assuré le suivi des salles de prières et des associations liées à ces salles relevant des tendances fondamentalistes de l’islam. Frères musulmans, Jama’at tabligh, salafistes, islam turc sont particulièrement surveillés et les acteurs de ces mouvances sont connus et cartographiés. Cependant, la direction s’est réorganisée pour mieux piloter les objectifs présentés aux cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (Clir) et ainsi mieux lutter contre l’ingérence islamiste, particulièrement celle des Frères musulmans, avec ses partenaires de la DNRT et les préfets des quatre départements concernés. Cette nouvelle politique vise au rehaussement des objectifs ; ce sont les objectifs que proposent les services et les autres acteurs de l’État – principalement les services, nous semble-t-il trop souvent. La détection d’écosystèmes séparatistes ou fréristes est un prisme un peu différent de la surveillance des objectifs individuels que nous opérions. La nouvelle politique vise une priorisation par écosystème et un travail en partenariat non plus seulement local ou territorial mais resserré au plan national.
Pour répondre à votre question, nous constatons effectivement la création d’écosystèmes séparatistes, essentiellement fréristes. Dans certains territoires se développent, autour des lieux de culte fondamentalistes, des associations communautaires de toute nature – écoles coraniques, lieux de formation pour adultes, aide à la recherche d’emploi, occupations périscolaires, associations caritatives, etc. – visant à encadrer selon le respect des préceptes islamiques tous les aspects de la vie de la population musulmane qui s’y trouve.
Ces écosystèmes appellent notre vigilance car ils sont les plus à même de déployer une emprise islamiste sur un quartier et de développer ainsi des stratégies d’influence ou d’entrisme dans des collectivités locales. L’agglomération parisienne, en raison de la densité de sa population et de la présence très importante d’autorités élues et de représentants de l’État, n’est pas la zone la plus propice au développement de ces écosystèmes que l’on retrouve davantage, selon ce qui ressort de mes échanges avec mes partenaires de la DNRT, en grande couronne francilienne ou en banlieue de quelques grandes villes de province. Néanmoins, des concentrations d’associations fréristes s’observent dans quelques communes de Seine‑Saint‑Denis, notamment à La Courneuve, où l’on a relié cet écosystème à l’Institut européen des sciences humaines (IESH) et à des établissements de Saint-Denis, dans le même département, et de Colombes, dans les Hauts-de-Seine.
Les maires et les responsables locaux sont en première ligne, et en particulier dans les municipalités où la population est en grande partie, sinon majoritairement, musulmane, d’origine musulmane ou originaire de pays musulmans. On peut constater des cas d’influence ou d’entrisme dont les responsables locaux n’ont pas conscience car ils ignorent qui sont en réalité leurs interlocuteurs communautaires ou cultuels. La stratégie du ministère de l’intérieur en cours d’élaboration de conscientisation des élus vise précisément à leur permettre de prendre des décisions éclairées. Le préfet mènera un entretien tendant à informer un élu de ce que l’on a détecté autour de lui. On s’achemine vers un processus en deux étapes : conscientisation suivie, le cas échéant, de désignation publique – name and shame, disent les Anglosaxons – s’il apparaît qu’un maire ou tout autre élu savait à qui il avait affaire et n’est manifestement pas de bonne foi. Mais on est loin du travail des services de renseignement : la démarche sera mise en œuvre par les préfets.
La DRPP n’a identifié aucun lien entre parti, groupe politique ou élus d’une part, groupes terroristes ou islamisme radical d’autre part. Je vous l’ai dit, la direction ne suit ni les partis ni les personnalités politiques, mais elle suit les objectifs terroristes ou radicalisés qu’elle a identifiés ou qu’on lui a signalés, et n’a constaté aucun lien à ce jour. Depuis le 7 octobre 2023, la menace terroriste s’est rehaussée, avec des projets d’attaques terroristes concernant notamment des cibles juives ou israéliennes. Mais ces développements relèvent plutôt de la DGSI, qui a dû en faire état devant vous.
Pour notre part, nous avons été confrontés à une vague de signalements à évaluer. Au cours des trois semaines suivant le 7 octobre 2023, la DRPP a reçu 450 signalements de radicalisation, soit cinq fois plus qu’en période normale. Nous devons bien sûr traiter l’ensemble de ces signalements avec la plus grande rigueur ; nous aurions à assumer la responsabilité d’un cas que nous n’aurions pas correctement évalué – cela peut arriver – et qui, ensuite, serait passé à l’acte. La hausse des actes antisémites a été manifeste, immédiatement après le 7 octobre 2023 surtout, mais elle perdure malheureusement et l’antisémitisme s’incruste dans le tissu social.
Les manifestations de soutien à la Palestine et à Gaza se sont multipliées, comme les manifestations de soutien à Israël, que nous avons aussi dû gérer. Cela a eu un fort impact opérationnel sur la DRPP. Les manifestations sur la voie publique en faveur de la Palestine avaient été interdites entre le 7 et le 12 octobre 2023 par la préfecture de police pour éviter des provocations mais, dès le 12 octobre, des manifestations ont été déclarées et se sont tenues. Celle du 12 octobre a réuni 3 000 personnes. C’est beaucoup : habituellement, les manifestations propalestiniennes – elles sont permanentes à Paris – rassemblent entre 100 et 400 personnes au plus. On a dénombré 15 000 manifestants le 22 octobre, 14 000 le 2 novembre et 16 500 le 11 novembre. C’étaient donc de très grosses manifestations, et l’on a constaté une évolution notable de la population présente dans les cortèges, beaucoup plus communautaire, si vous me permettez cette expression un peu floue, que les cercles propalestiniens habituels.
Assez rapidement, l’étiage de ces manifestations est redevenu plus habituel mais le nombre d’événements sur la voie publique n’a jamais baissé. Une ou deux manifestations propalestiniennes sont déclarées pratiquement chaque jour mais l’étiage est assez bas et les manifestants sont tout à fait contrôlables. Ces rassemblements sont organisés par tous types de déclarants : des organisations syndicales, des partis politiques et une multitude de collectifs propalestiniens. Certains, tels CAPJPO ou l’Association France Palestine solidarité (AFPS), sont des collectifs historiques que nous connaissons bien. Ils rassemblent des gens qui manifestaient depuis des décennies en faveur de la Palestine, bien avant les troubles actuels. Très actifs, ils sont profondément hostiles à Israël mais ne soutiennent pas le terrorisme. Ce sont des collectifs laïques propalestiniens d’extrême gauche – si on se place sur le spectre politique israélien – antisionistes mais ils n’ont jamais soutenu le Hamas ou aucune autre organisation terroriste. En revanche, on a vu naître le collectif Urgence Palestine dont la composition est tout à fait différente, et l’on a entendu dans ses rangs, de manière marginale au regard du nombre de manifestations mais plusieurs fois, des déclarations qui étaient autant de sorties de route.
En résumé, des manifestations sont fréquemment déclarées par des syndicats, des partis, des collectifs propalestiniens. Certains les déclarent en leur nom propre et les manifestations réunies drainent assez peu de monde. D’autres font des déclarations groupées à dix, douze ou quinze, et des gens appellent simplement à rejoindre la manifestation sans déclarer officiellement. En ce cas, les manifestations sont d’ampleur et, comme lors des manifestations syndicales, des carrés se forment dans les cortèges, chacun restant avec les siens.
Ces événements de voie publique sont l’expression d’une opinion politique : le soutien à la Palestine. Aucun caractère religieux n’a été constaté par la DRPP lors de ces rassemblements. En revanche, certains propos tenus lors de quelques manifestations organisées par Urgence Palestine ont fait l’objet de signalements au procureur par le préfet de police pour soutien ou apologie du terrorisme. Quelques procédures judiciaires ont été engagées et une procédure de dissolution administrative est en cours au ministère de l’intérieur à l’encontre de ce collectif. Le sujet est donc bien identifié mais, selon nous, il n’est pas lié au politique.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie. Comment abordez-vous la préparation des prochaines élections municipales ? L’existence d’écosystèmes locaux du type de ceux que vous avez mentionnés peut-elle entraîner la constitution de listes électorales communautaires ou une ingérence communautaire dans des listes électorales ? Un travail spécifique est-il en cours à ce sujet ?
M. Hugues Bricq. Je vous l’ai indiqué, nous ne travaillons pas sur la sphère politique, ni, donc, sur les listes électorales, et nous ne le ferons pas ; c’est aux préfectures et aux bureaux des élections qu’il revient de procéder aux vérifications nécessaires. Nous travaillons sur les objectifs qui relèvent de nos missions et donc, dans certaines villes, sur des associations cultuelles, culturelles et d’autres reliées à ce culte, et c’est à partir de la surveillance exercée sur nos objectifs que nous pourrons, le cas échéant, mettre à jour des pressions sur des élus ou des actes d’ingérence ou d’entrisme. Notre rôle s’arrêtera à la détection de ces phénomènes et à l’information de l’autorité administrative. Les suites données à nos signalements ne seront pas décidées par les services de renseignement mais par l’autorité préfectorale ou l’autorité judiciaire si les faits que nous pointons relèvent du pénal.
En revanche, je vous l’ai dit, nous exerçons une extrême vigilance sur certains écosystèmes pour repérer toute éventuelle entorse aux règles. Le principal est celui de la Courneuve ; c’est presque une évidence puisque se trouve là la mosquée de l’Union, lieu de culte frériste et siège, dans les mêmes locaux, de l’association Musulmans de France, qui est de notoriété publique la fédération des Frères musulmans en France. Autour de ce siège et de cette association cultuelle gravitent toutes sortes d’associations qui leur sont directement liées. À Saint-Denis, juste à côté de l’IESH, se trouvent une dizaine d’institutions que nous suivons aussi parce qu’elles font partie de l’écosystème frériste de La Courneuve. Cet écosystème est bien identifié et nous serons particulièrement vigilants au risque d’ingérences dans le cadre des élections municipales à venir. Il en ira de même pour l’écosystème équivalent de Colombes, dans les Hauts-de-Seine, ou tous les organismes que nous avons repérés ont déjà fait l’objet de contrôles diligentés après que nous les avons proposés au préfet du département dans le cadre des CLIR, et où un établissement contrôlé a été fermé par décision préfectorale. Des mesures d’entrave administrative sont donc prises en tant que de besoin.
Le réseau IESH est un réseau européen, comme souvent avec les Frères musulmans. Sur les sept instituts, un seul est désormais établi en France, à Saint-Denis, l’association de Château-Chinon venant d’être dissoute. Mais ces établissements n’ont pas de liens juridiques directs entre eux, et les contrôles menés sur l’IESH de Saint-Denis ne nous ont pas permis, à ce jour, de trouver d’éléments susceptibles de conduire à une fermeture et à une dissolution. Néanmoins, le fonds de dotation de cet institut a été dissous.
Toutes ces associations, tous ces organismes connus, cartographiés et contrôlés feront l’objet d’une grande vigilance dans les mois à venir dans le cadre de la nouvelle politique de lutte contre l’entrisme.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je vous remercie, au nom de la représentation nationale, du travail que vous et vos services accomplissez pour veiller sur la sécurité des Français, en allant chercher des renseignements dans une zone d’habitation dense et mélangée, fréquentée par de nombreux touristes, ce qui ne vous simplifie certainement pas la tâche. Contrairement aux constats que vous venez de faire, Mme Nora Bussigny et MM. Youssef Souleimane et Emmanuel Razavi nous ont dit, lors de leur audition, qu’il existait des liens étroits, extrêmement dangereux, entre des organisations islamistes et certains partis politiques en France. Souvent, la révélation de ces liens a lieu lors des grandes manifestations parisiennes organisées en soutien à la Palestine. Des groupes tels qu’Urgence Palestine, Perspectives musulmanes et aussi le collectif Samidoun – interdit en Allemagne et au Canada – ont participé à des manifestations au cours desquelles ont été tenus des propos faisant l’apologie du terrorisme que vous avez signalés au procureur de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Lors de ces manifestations, des élus apparaissent auprès de ces associations, quelquefois même des parlementaires prennent la parole, soutenant plus ou moins les propos tenus. Nous sommes donc quelque peu surpris de vous entendre dire qu’il n’y a aucun lien entre cette mouvance et des élus. D’autre part, le collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), dissous par Gérald Darmanin, s’est reconstitué en Belgique sous le nom de CCIE et a été invité dans ces murs, à l’Assemblée nationale, par un député de la France insoumise ; cela suppose des liens avec ces organisations.
J’aimerais donc comprendre comment s’explique la contradiction qui fait que des journalistes ou des chercheurs affirment l’existence de liens entre la mouvance islamiste et des partis politiques mais que les services de l’État interrogés la réfutent.
M. Hugues Bricq. Je vais m’efforcer d’éclaircir mon propos. Je n’ai pas dit qu’il n’y a pas de liens pour ce qui est de la présence dans les manifestations. J’ai indiqué que de nombreuses manifestations avaient eu lieu, parfois déclarées par un seul déclarant, parfois par plusieurs et qui rassemblaient plus de monde, où l’on a effectivement vu des élus ceints de leur écharpe. Mais, je le redis, mon rôle, pas davantage que celui de mes collègues, n’est de documenter la présence d’élus dans des manifestations, fussent-ils ceints de leur écharpe. Ces rassemblements sont publics, les gens sont présents, il y a des témoins, la télévision… Je vous l’ai dit, les déclarants étaient de toute sorte : des organisations syndicales, des partis politiques – et beaucoup de déclarations pro-Gaza ont été faites par LFI mais aussi par le parti socialiste, et de nombreux collectifs qu’il faut distinguer les uns des autres pour les raisons que je vous ai dites. Peut-être me suis-je mal exprimé : effectivement, on observe une convergence dans ces manifestations, mais il m’est interdit de travailler sur les partis politiques et il ne m’appartient pas de rapporter ou de documenter la présence ou le comportement d’élus – sauf, bien sûr, s’ils tenaient des propos apologétiques, ce que nous n’avons jamais constaté. Les propos de cette sorte ont été tenus par quelques individus à la tribune ou au micro d’Urgence Palestine, non par des élus.
Lorsque nous surveillons nos objectifs, qui sont des individus ou des groupes terroristes ou islamistes, nous ne faisons pas de lien avec des partis politiques ou des élus nationaux ou locaux dans ce que l’on pourrait identifier comme une collusion sur des projets terroristes ou islamistes. Mais j’ai connaissance des recherches, ouvrages et articles de certains auteurs… qui se placent eux-mêmes dans une sphère politique en écrivant ce qu’ils écrivent. Nos missions sont définies et circonscrites et c’est grâce à la surveillance que nous exerçons, notamment avec des techniques intrusives, sur nos propres objectifs que je peux vous le dire : il n’existe pas de liens documentés entre les objectifs que nous suivons et des élus ou des partis. Mais, encore une fois, nous ne travaillons pas sur les partis, au contraire de ce que des auteurs peuvent se permettre de faire.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. L’interdiction faite aux services d’enquêter sur les partis politiques dans certains contextes n’entraîne-t-elle pas une faille dans la lutte contre l’entrisme en empêchant d’observer certaines choses qu’il faudrait voir dans l’intérêt du pays ?
M. Hugues Bricq. Cette question ne relève pas de ma compétence. J’assume les missions que l’on me confie. Définir le rôle que l’on souhaite donner aux services de renseignement dans une démocratie est un sujet politique. Je ne peux donc vous répondre sinon pour vous dire qu’en France et dans la plupart des pays qui nous entourent ou qui nous ressemblent, les services de renseignement ne travaillent pas sur les partis politiques – j’entends par là les partis qui s’inscrivent dans le jeu démocratique, non les groupuscules qui expriment des versions radicales et violentes de la politique, de droite ou de gauche.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Hier, M. Emmanuel Razavi a évoqué des liens au cours de ces manifestations avec des personnes introduites par les services secrets iraniens, parfois avec l’aide des Russes, voire des services secrets algériens. Avez-vous fait de telles observations ?
M. Hugues Bricq. Dans les manifestations propalestiniennes, nous n’avons pas constaté de tels liens.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. On observe dans ces manifestations une forte présence d’étudiants des grandes universités, notamment, parisiennes, qui participent beaucoup à ce combat propalestinien. Les auteurs que nous avons reçus font état d’entrisme iranien dans certaines universités françaises. L’avez-vous observé ?
M. Hugues Bricq. Non. Nous avons été très occupés par le suivi des groupuscules ou des syndicats étudiants qui ont organisé des événements propalestiniens, un temps quotidiennement, moins souvent maintenant. Cela étant, j’ai été surpris par leur faible représentativité : de 10 à 100 personnes – et encore, rarement – dans les assemblées générales ou dans les piquets, dans des universités qui comptent plusieurs milliers d’étudiants, parfois plus de 10 000. Il y a là un effet de loupe dû à ce que ces gens sont extrêmement visibles et actifs mais, rapporté à la population étudiante générale, leur nombre est epsilonesque.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Quel bilan dressez-vous de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République dans les champs qui vous concernent ? Le cadre juridique de la lutte contre l’islamisme, le terrorisme, le séparatisme, la radicalisation vous semble-t-il adapté ? Faut-il modifier la législation pour qualifier juridiquement l’entrisme ou le séparatisme islamiste et mieux les prévenir ?
M. Hugues Bricq. Cette loi était attendue. Elle est utile car elle rappelle les obligations de laïcité et de neutralité qui s’imposent à tous les acteurs, y compris ceux du secteur privé, chargés de missions de service public. Le texte a aidé tous ces grands opérateurs à clarifier leurs règlements intérieurs dans un cadre légal renforcé. Ce qui nous importe plus directement est la transparence permise par les nouvelles obligations déclaratives qui s’imposent aux associations cultuelles. Cinq associations cultuelles et non des moindres, représentant six ou sept mosquées, utilisent déjà les dispositions prévues ; c’est très positif. L’instrument est aussi utile aux préfets, qui n’ont pas accordé pour l’instant le bénéfice de la loi de 1905 et ses avantages à certains lieux de culte un peu problématiques, attendant leur adhésion au contrat d’engagement républicain. Au moins une mosquée turque du Val-de-Marne a inclus dans ses statuts la clause « antiputsch » conçue pour éviter la déstabilisation de salles de prières classiques par des fondamentalistes. C’est un début et ces outils devront être beaucoup plus utilisés. Ce ne sont pas les services de renseignement qui instruisent ces évolutions mais elles nous sont très utiles parce qu’elles nous permettent d’accéder à des informations désormais obligatoirement données aux préfectures par les associations cultuelles.
Faut-il préciser dans la loi la définition de l’entrisme ou du séparatisme islamiste pour renforcer la lutte contre ces phénomènes ? Pourquoi pas, mais pour ce qui nous concerne nous en avons une vision assez claire. Les outils dont nous disposons nous permettent depuis longtemps d’assurer un suivi assez performant de toutes ces salles de prières. Nous étudions avec les services juridiques les moyens d’utiliser plus aisément les techniques les plus intrusives quand nous traitons de ces thématiques mais à ce stade les services de renseignement disposent d’un ensemble d’outils satisfaisant.
Mme Caroline Yadan (EPR). Je vous remercie à mon tour, au nom de la Nation, pour votre travail quotidien et votre protection. Sont donc inscrits au FSPRT 520 individus faisant l’objet de votre surveillance. De combien d’agents dispose votre direction ?
M. Hugues Bricq. Le service compte 700 agents mais il ne faut pas raisonner en rapportant le nombre d’agents au nombre d’objectifs, car tous ne représentent pas le même degré de menace. Nous évaluons et réévaluons en permanence leur dangerosité en fonction d’indicateurs et de renseignements qui nous arrivent pour appliquer des mesures de surveillance plus intrusives et plus massives à certains moments si besoin est. Le gros de notre travail est la collecte de renseignement et la priorisation permanente des objectifs. Notre effectif étant malheureusement assez éloigné de l’effectif de référence, la préfecture de police a lancé un plan de renforcement de la DRPP et des recrutements sont en cours. Mais notre service assume ses missions et suit ses objectifs de manière satisfaisante, en tout cas ces dernières années. Nous parvenons régulièrement par divers moyens – visites domiciliaires, suites judiciaires, mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, saisines du procureur au titre de l’article 40 du code de procédure pénale – à entraver les menaces. Nous avons d’ailleurs réussi pendant la période des Jeux Olympiques à faire face avec le même effectif à une menace exacerbée.
Mme Caroline Yadan (EPR). Hier, M. Razavi a mentionné l’entrisme iranien dans les universités et le rôle névralgique de la propagande islamique de l’ambassade de la République islamique d’Iran. Vous êtes chargés de suivre les communautés étrangères et les légations. Comment articulez-vous la surveillance d’une ambassade et éventuellement de ses « proxys », ces agents qui pourraient être infiltrés dans les universités ou ailleurs ?
M. Hugues Bricq. Peut-être n’ai-je pas été suffisamment précis en parlant du suivi des communautés étrangères, car contre-espionnage et contre-ingérence ne sont pas de notre compétence mais de la compétence exclusive de la DGSI. Je parlais des « communautés étrangères » au sens de diasporas, d’associations communautaires, de la vie d’une communauté, de l’opposition politique, des manifestations de voie publique. C’est souvent par ce prisme que nous travaillons sur les communautés. Nous nous intéressons évidemment à celles qui sont les plus présentes sur la voie publique parce qu’une grande partie de la compétence du service relève du maintien de l’ordre public. Je me dois d’aviser le préfet de police et la direction de l’ordre public des manifestations à venir, de l’état d’esprit des manifestants et de leur nombre. Quant au suivi des légations, il s’explique par les contacts que nous entretenons avec elles pour organiser des événements en grand nombre au long de l’année, mais nous n’empiétons pas sur les compétences de la DGSI. Au contraire, nous disposons parfois d’éléments à la marge de notre compétence que nous leur transmettons.
Pour répondre plus directement à votre question, nous avons des contacts avec des associations de la diaspora iranienne, mais ce ne sont évidemment pas des suppôts du régime. Travailler sur les agents du régime iranien en France ne relève pas de notre compétence. Si un renseignement d’opportunité nous arrive, nous le transmettons à la DGSI. À notre niveau, nous n’avons identifié ni entrisme ni ingérence iranienne dans les universités ou dans les manifestations. Cela ne signifie pas que cela n’existe pas, mais notre service n’est peut-être pas le mieux placé pour en juger.
Mme Caroline Yadan (EPR). Vous n’avez donc rien observé de ce que plusieurs personnes auditionnées ont mentionné devant nous. Collaborez-vous avec les chercheurs et les journalistes d’investigation qui travaillent sur des documents précis, ne serait-ce qu’en les auditionnant pour profiter des informations qu’ils peuvent vous donner ? Je prendrai l’exemple du collectif Samidoun. Interdit en Allemagne et défini comme organisation terroriste par les Pays-Bas, le Canada, les États-Unis, il n’est toujours pas dissous en France. Pourtant, plusieurs éléments pourraient servir à conduire des investigations supplémentaires pour parvenir à sa dissolution, ce collectif pouvant être considéré comme une pieuvre ayant des liens avec plusieurs associations connexes au Hamas et au Front populaire de libération de la Palestine. Des chercheurs ou des journalistes d’investigation pourraient peut-être vous aider à mener des investigations plus complètes que vous pourriez transmettre au ministère de l’intérieur. Travaillez-vous avec ces professionnels ?
M. Hugues Bricq. Des échanges ont lieu entre la communauté du renseignement et des chercheurs ou des journalistes – plus souvent des chercheurs –, mais la DRPP est, je vous l’ai dit, un service très tourné vers l’opérationnel. Un cadre d’échanges réunit les chercheurs, la coordination nationale du renseignement et l’Académie du renseignement. La DGSI a aussi des échanges avec des chercheurs dont les travaux portent sur des domaines de compétence spécifiques, mais je ne veux pas m’exprimer en son nom. La DRPP ne travaille pas directement sur des sujets opérationnels avec des journalistes.
Nous connaissons bien et suivons le collectif Samidoun. Malheureusement, à ce jour, nous n’avons pas réussi à documenter des éléments suffisants pour le faire dissoudre. Parvenir à la dissolution d’une association est un travail de longue haleine qui suppose de soumettre à la direction des libertés publiques et des affaires juridiques des centaines de pages de mémoire attestant d’éléments convergents et récurrents. Il ne suffit pas qu’un collectif ait été défini comme une organisation à caractère terroriste à l’étranger pour qu’il le soit en France. Les pays de droit anglo-saxon ont moins de difficultés juridiques que les pays de droit latin à classer « organisation terroriste » une association. Nous poursuivons notre travail de documentation avec nos partenaires mais, pour répondre directement à votre question, la DRPP n’a pas de contacts directs avec ces chercheurs, ce n’est pas le lieu.
Mme Caroline Yadan (EPR). Je suppose qu’un ouvrage aussi documenté sur Samidoun que celui de Nora Bussigny peut apporter des éléments pour vous aider. J’entends absolument que la surveillance des groupes politiques n’entre pas dans vos missions parce que nous sommes dans un État de droit, et c’est tant mieux. C’est un des fondements de notre démocratie. Mais imaginons que, dans le cadre de votre surveillance de phénomènes d’emprise dans un quartier, de séparatisme ou d’ingérence islamiste dans l’espace public, vous identifiiez la présence d’un élu, maire, député ou député européenne. Pousserez-vous les investigations plus loin, ou non ?
M. Hugues Bricq. Tout dépendrait de la normalité ou de l’anormalité de la présence ou de la relation. Dans une manifestation, on peut se trouver à côté de gens qui ne sont pas convenables mais on exprime publiquement une opinion politique que nous n’avons pas à juger. Si, hors toute visibilité, nous détections autour d’objectifs suivis par notre service une ou un élu national ou local et si cette présence revêtait à nos yeux un caractère anormal, nous rendrions compte de ce que nous avons constaté à l’autorité administrative. Mais, je le redis, la condition sine qua non de ce rapport serait l’anormalité de la relation. Il est normal que les élus, notamment les élus locaux, aient des contacts avec l’ensemble de leurs administrés. C’est d’ailleurs une difficulté pour nous quand nous nous intéressons à des écosystèmes ou de l’entrisme, de l’ingérence ou de l’influence sur des élus locaux : à quel moment la relation entre élu et administrés verse-t-elle dans l’anormal, puisqu’il est normal qu’un élu local s’occupe de l’ensemble de ses administrés, des communautés religieuses quelles qu’elles soient, des communautés étrangères et nationales ? Nous ne cherchons pas à savoir qui les élus rencontrent, nous travaillons sur nos objectifs, et c’est à partir de nos objectifs que nous pouvons éventuellement détecter des anomalies en termes d’influence, d’ingérence ou d’entrisme. Si, en suivant un individu radicalisé, nous détections une relation anormale entre lui et un élu, le renseignement serait certainement remonté à l’autorité administrative, mais l’hypothèse est virtuelle.
Mme Caroline Yadan (EPR). C’est bien, aussi, ce que vous entendez par la conscientisation et la désignation publique par les préfets, ou s’agit-il d’autre chose ?
M. Hugues Bricq. En France, l’entrave ne relève pas des services de renseignement, sinon, très rarement, pour le seul qui a une compétence judiciaire. Dans une démocratie, un service de renseignement collecte des renseignements puis informe les autorités administratives ou judiciaires – et en ce cas, généralement par le biais de l’autorité préfectorale – au titre de l’article 40. Or, la conscientisation est une forme d’entrave, a fortiori la désignation publique.
M. le président Xavier Breton. Cela signifie-t-il que les élus jouissent d’une immunité en termes de surveillance par rapport aux autres citoyens ?
M. Hugues Bricq. Monsieur le président, nous ne surveillons pas d’élus. Ni le fichage politique ni la surveillance des élus ne font partie des missions des services de renseignement. Si nous devions le faire ce serait dans les conditions exceptionnelles que j’ai évoquées et après avis des autorités compétentes.
M. le président Xavier Breton. Je reformule ma question : si vous constatez qu’un élu agit ou se comporte d’une manière qui mérite selon vous d’être creusée et surveillée, vous interdirez-vous de le faire parce que c’est un élu ?
M. Hugues Bricq. Non. Par exemple, si nous disposons d’éléments attestant par exemple qu’une personne est en cours de radicalisation terroriste, nous la surveillerons même s’il s’agit d’un élu.
M. Jérôme Buisson (RN). Avez-vous déjà constaté la présence d’individus radicalisés que vous surveillez sur des listes électorales ?
M. Hugues Bricq. C’est arrivé une seule fois, pour un individu suivi pour suspicion de radicalisation islamiste qui était d’ailleurs apolitique, donc relié à aucun parti. Il a été élu et s’est retrouvé dans un conseil municipal sans fonctions exécutives et marginalisé.
M. Jérôme Buisson (RN). Entend-on lors des prières dans les mosquées radicalisées des appels à participer au processus électoral ? Y a-t-il, comme cela peut d’ailleurs arriver dans les églises, des consignes de vote ?
M. Hugues Bricq. Nous serons vigilants lors des élections municipales, soyez-en certains. C’est le type d’informations que nous ferions remonter, cela va de soi, mais nous ne constatons pas cela. Cela étant, depuis quelques années les prêches dans les mosquées sont très aseptisés. Non seulement les imams et les recteurs savent que ce qui se dit dans les mosquées est rapporté par les services de renseignement mais les entraves administratives – dissolutions et fermetures – ont aussi conduit à cette aseptisation. Donc, non, ce type de discours n’est pas tenu lors des prêches, en tout cas nous ne l’avons pas constaté. C’est plutôt dans les écosystèmes que j’ai mentionnés que des référents islamiques peuvent, par le biais de leurs « fidèles » inciter à aller voter.
M. Jérôme Buisson (RN). Des groupuscules d’extrême gauche ou d’autres, que vous surveillez, ont-ils des liens avec les islamistes ?
M. Hugues Bricq. Non, très peu, même si cela doit parfois leur traverser l’esprit. L’ultragauche essaye de manière récurrente d’embarquer les jeunes des quartiers mais cela n’a jamais vraiment fonctionné. L’ultragauche était totalement absente lors des émeutes et des violences urbaines, et on ne la voit pas non plus quand il est question d’islamisme radical.
En revanche, une certaine frange, marginale, groupusculaire sinon individuelle, de l’ultradroite négationniste se rapproche, par antisémitisme pur, de certains islamistes ou référents religieux islamistes qui tiennent des propos antisémites, souvent hors nos frontières. Ce sont des rapprochements « intellectuels », si vous si vous me pardonnez cette malheureuse expression, non des rapprochements visant des actions de terrain ou l’organisation de projets.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie. Vous pouvez compléter ces échanges en répondant par écrit au questionnaire que nous vous avons adressé.
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14. Audition de M. Olivier Roy, professeur au Robert Schumann Centre for Advanced Studies de l’European University Institute de Florence (Italie) (29 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Nous poursuivons les travaux de notre commission avec l’audition de M. Olivier Roy.
Monsieur Roy, vous êtes un islamologue parmi les plus reconnus dans votre domaine. Vous avez contribué depuis les années 70 à l’étude de l’islam et de l’islamisme en France et dans le monde. En plus de vos activités universitaires, vous avez écrit de nombreux ouvrages sur l’Afghanistan, l’Iran, l’Asie centrale, mais également sur la place de la religion et de la culture dans nos sociétés. Sur l’islam et l’islamisme, vous avez notamment publié L’échec de l’islam politique au Seuil en 1992, Généalogie de l’islamisme aux éditions Hachette en 1995, ou encore La laïcité face à l’islam aux éditions Stock en 2004.
Votre audition, comme celle d’autres experts, doit nous permettre de mieux comprendre quels sont les mouvements islamistes présents sur notre territoire, quelle est leur idéologie et quelles sont leurs stratégies pour influer sur nos politiques publiques. Je vous soumettrai donc quelques questions en guise d’introduction, auxquelles vous pourrez répondre dans votre propos liminaire. Le rapporteur et les collègues ici présents pourront ensuite vous adresser des questions complémentaires.
Premièrement, dans vos écrits, vous soulignez que l’islamisme soumet la religion au politique et que, loin d’être un retour à une société plus pieuse, cette idéologie prospère sur la déculturation que connaîtraient nos sociétés. Pourriez-vous expliciter ce point ? Deuxièmement, comment décririez-vous les mouvements islamistes en France et quelle est, selon vous, leur influence sur notre vie publique et politique ?
Je vous prie préalablement de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et vous invite, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « je le jure ».
(M. Olivier Roy prête serment.)
M. Olivier Roy, professeur au Robert Schumann Centre for Advanced Studies de l’European University Institute de Florence (Italie). Le problème réside dans le fait que, sous l’étiquette « islamisme », on englobe aujourd’hui à peu près tout ce qui relève d’une visibilité de l’islam comme religion « revendicatrice », si je puis dire. Il est donc difficile de parler de l’islamisme en termes généraux.
À la lecture des questions que vous me posez ou qui m’ont été envoyées par e-mail, il apparaît clairement que votre commission s’intéresse essentiellement à l’islamisme des Frères musulmans, c’est-à-dire l’islamisme politique. Il existe en effet diverses formes de réaffirmation d’une identité ou d’une pratique religieuse musulmane dans l’espace public qui ne relèvent pas nécessairement de la politique. Ma thèse sur la déculturation soutient que la sécularisation des sociétés conduit les religions à se reconstruire en dehors des cultures dominantes, qui sont de plus en plus sécularisées. Pour éviter des considérations trop générales, je me concentrerai sur la question des Frères musulmans, car l’islamisme, c’est eux. Le djihadisme, c’est autre chose, tout comme le salafisme.
L’islamisme, c’est une version idéologisée de l’islam. Ce mouvement a émergé dans les années 30, essentiellement avec Hassan al-Banna, fondateur des Frères musulmans d’Égypte, mais aussi dans le sous-continent indien avec Maududi. La version turque est apparue bien plus tard, dans les années 50, et la version iranienne avec Khomeini, ou plutôt ses prédécesseurs.
Qu’est-ce que l’islamisme ? En substance, cette idéologie affirme qu’il ne suffit pas qu’une société soit musulmane pour qu’elle soit islamique. Pour ses tenants, être musulman relève de la culture, de la tradition, mais leur ambition consiste à reconstruire une société authentiquement islamique à partir de l’État. En ce sens, ils se révèlent tous profondément politiques, avec l’État comme objectif central.
Pour les islamistes, la question ne se limite pas simplement à la charia. La charia préoccupe davantage les salafistes et les traditionalistes, qui souhaitent son imposition dans la vie quotidienne, sans trop s’intéresser à qui l’impose. Pour les salafistes, le pouvoir politique n’est pas véritablement un problème – il peut être exercé par un prince, un président ou toute autre autorité. À leurs yeux, dès lors que la charia est imposée, la société musulmane est islamique, les deux termes étant alors équivalents.
À l’inverse, les Frères musulmans aspirent à transformer radicalement la société. Il importe de noter que ce mouvement est né dans les années trente, à une époque où l’Europe était essentiellement divisée, sur le plan idéologique, entre le fascisme mussolinien d’un côté et le communisme léniniste de l’autre. La démocratie se trouvait alors en mauvaise posture. Les Frères musulmans ambitionnaient de construire une idéologie permettant une prise du pouvoir, tout en manifestant une certaine fascination pour ces deux systèmes idéologiques occidentaux, le communisme et le fascisme. Cette matrice d’origine s’avère capitale.
Ils ont donc construit un parti revêtant simultanément les caractéristiques d’un parti léniniste et d’une confrérie religieuse. Les membres de cette organisation, les Frères musulmans, doivent se soumettre à une initiation et être eux-mêmes profondément religieux. Il ne suffit pas de prendre sa carte.
Dans les années trente, le monde musulman vivait aussi dans la nostalgie du califat, aboli par Atatürk en 1924. Même s’il était purement symbolique, sa disparition a laissé un vide considérable. Ainsi, si le califat constituait l’objectif très lointain, l’État national représentait, à moyen terme, le véritable objectif. Tous les mouvements Frères musulmans s’inscrivent dans un État-nation : l’Égypte, l’Algérie, la Tunisie, le Maroc, la Turquie, l’Iran, etc. Le Pakistan constitue, dans une certaine mesure, un produit dérivé de cette idéologie.
À cette époque, l’on ne parlait nullement de révolution islamique. Les Frères musulmans opéraient à deux niveaux : ils jouaient le jeu institutionnel en se présentant aux élections, tout en maintenant une certaine intransigeance doctrinale, leur objectif restant bien évidemment la conquête du pouvoir. Cette ambition a engendré des conflits majeurs : Nasser les a emprisonnés, Hafez al-Assad les a massacrés. Un véritable affrontement pour le pouvoir opposait, dans les années 60, les Frères musulmans aux régimes nationalistes arabes, de tendance plutôt socialiste. De ce conflit, les Frères musulmans sont sortis vaincus. Ils ont perdu sur tous les fronts, étant quasiment éliminés en Syrie où ils ne jouent plus aucun rôle.
Par la suite, les Frères musulmans vont se réinsérer dans une stratégie beaucoup plus politique au sens banal du terme, autrement dit électorale. Ils vont se présenter aux élections et partir à la conquête de la société civile, mais nullement sur les bases de la charia ou du prosélytisme. Ce ne sont pas des partis prosélytes, mais des partis élitistes : ils ciblent les cadres, les ingénieurs, les avocats, etc. Ils s’efforcent d’exercer une influence sur la société, en bâtissant des réseaux humanitaires, des hôpitaux, en créant des syndicats, des associations féminines et estudiantines, etc. En cela, ils sont profondément modernes.
Deux phénomènes majeurs ont marqué leur évolution récente : l’immigration et le printemps arabe. Durant les décennies 1970 à 1990, toute contestation dans les pays musulmans s’exprimait au nom de l’islam, qui était le drapeau de la contestation. Avec le printemps arabe de 2011, l’islam disparaît soudainement de la contestation. La jeunesse ne revendique ni charia ni islam, etc. Les Frères musulmans se retrouvent alors complètement en porte-à-faux. Certes, ils constituent les seuls partis d’opposition structurés et remportent les élections en Égypte et en Tunisie, mais ils ont très bien compris qu’ils ne pourraient pas créer un État islamique du jour au lendemain. Ils jouent donc le jeu de la démocratie tout en étant très mal outillés. La suite des évènements leur est totalement défavorable : coup d’État de Sissi en Égypte, défaite électorale d’Ennahda en Tunisie qui quitte le pouvoir sans tenter de s’imposer. En Algérie, le parti du cheikh Nahnah joue la carte du régime et occupe quelques strapontins au parlement. Au Maroc, le PJD (Parti de la justice et du développement) joue également la carte de la monarchie, gouverne quelques années puis se retire après son échec. L’on assiste donc à une véritable banalisation des Frères musulmans dans l’ensemble des pays arabes.
Parallèlement, à partir des années 1980, des Frères musulmans s’implantent en Europe. Ils n’arrivent pas avec l’immigration ouvrière, mais avec une immigration intellectuelle composée d’étudiants, de réfugiés politiques, etc. En France particulièrement, une déconnexion totale s’établit entre les membres des Frères musulmans et l’immigration ouvrière essentiellement maghrébine et socialement issue des classes populaires. La connexion ne prend pas. Les Frères musulmans ne cherchent aucunement à conquérir les banlieues : c’est un mythe. Leur objectif demeure les élites, recrutant prioritairement parmi les ingénieurs, les avocats, etc.
Initialement, en Occident, ils se considèrent plutôt comme une espèce de diaspora, leur regard étant tourné vers la Palestine, l’Égypte, le Liban, etc. Progressivement, ils réalisent que les Frères musulmans égyptiens ou syriens se désintéressent complètement de cette diaspora. Les Frères musulmans européens, notamment français, réorientent alors leur action vers l’islam en Europe. À la fin des années 1990, ils fondent l’association Musulmans d’Europe, introduisant un concept totalement inédit dans le monde musulman : le fiqh de la minorité. Selon ce concept, les musulmans en minorité doivent se créer un droit et une interprétation différente de la charia, étant entendu que l’application de la charia est impossible et ne fonctionne pas. Cette évolution va d’ailleurs les couper du reste du Moyen-Orient.
Les Frères musulmans d’Europe vont alors se lancer dans une politique de défense de la minorité musulmane, non pas sur la base de la charia – ou de moins en moins sur la base de la charia – mais sur celle de l’identité. Cette approche les inscrit parfaitement dans le paradigme du multiculturalisme, alors très en vogue en Europe durant les années 1990. Ce point est fondamental : les Frères musulmans ne s’investissent pas dans le prosélytisme musulman et ne convertissent pas. L’on ne trouve pratiquement aucun converti dans leurs rangs, contrairement aux salafistes ou aux djihadistes. Chez les Frères musulmans, on se méfie plutôt des convertis.
Les Frères musulmans vont donc moderniser et adapter leur discours au multiculturalisme ambiant, se présentant comme défenseurs de la minorité musulmane, qu’ils savent pas nécessairement pratiquante et plus ou moins croyante. Ils vont donc beaucoup plus jouer sur l’identitarisme que sur la foi. Ils vont chercher à être les interlocuteurs des institutions, notamment à Bruxelles, où ils vont se présenter dans les commissions, soumettre des propositions. Ils vont partout solliciter des échanges avec les autorités, qu’il s’agisse des préfets, des partis politiques, organiser des colloques, etc.
Sur ce point, ils se distinguent radicalement des salafistes. Ces derniers se désintéressent totalement du politique et ne recherchent aucunement à dialoguer avec les autorités. Les salafis cherchent à organiser des communautés de foi, rassemblant des musulmans pratiquants, qui s’isolent non seulement de la société non musulmane, mais également de la société des musulmans non pratiquants ou « mauvais pratiquants ». Les salafistes s’efforcent d’organiser, pour reprendre une terminologie protestante, des « communautés de saints » regroupant des croyants purs refusant tout compromis avec l’incroyance, la mauvaise croyance ou la tiédeur. Leurs stratégies respectives diffèrent donc complètement. Les salafistes s’apparentent davantage aux évangéliques protestants, via cette « communauté des saints », tandis que la mise en place d’alliances politiques est le premier objectif des Frères musulmans.
Il est significatif que les Frères musulmans n’aient jamais cherché à créer un parti islamiste en Europe. Il ne s’agit pas d’une question de moyens ; cela ne les intéresse pas. Ils ne sont pas non plus prosélytes, puisqu’ils ne cherchent pas à convertir, ne font pas de porte‑à‑porte. Ils visent essentiellement la jeunesse, et en particulier la jeunesse étudiante. Ils ne sont pas des acteurs des banlieues puisqu’ils visent les classes moyennes, les centres urbains et les institutions. Leur positionnement combine ainsi revendications et dialogue avec les institutions, dans une constante recherche d’alliances.
Dans ce cadre, deux options s’offrent à eux. La première serait une coalition des valeurs, dans la mesure où les Frères musulmans, comme la plupart des musulmans croyants et pratiquants, sont plutôt conservateurs – c’est le moins que l’on puisse dire. S’ils cherchent des gens partageant les mêmes valeurs concernant la famille ou la place de la femme, ils vont plutôt les trouver dans la droite chrétienne traditionaliste, illustrée par exemple par La Manif pour tous. Le problème est que cette droite chrétienne traditionaliste, particulièrement catholique, adopte également une position identitaire et considère que l’Europe n’est pas un lieu pour les musulmans. Malgré plusieurs tentatives, les Frères musulmans ne sont pas parvenus à créer une alliance, du moins un rapprochement ou une coalition des valeurs, avec la droite chrétienne.
En revanche, sur le thème de la coalition des minorités, les Frères musulmans trouvent dans l’extrême gauche, au sens très large du terme, des personnes avec qui le courant peut passer et avec qui ils peuvent s’entendre sur la défense des minorités. Le problème est que cette gauche ou extrême gauche qui défend les minorités n’adopte pas du tout leur positionnement sur la question des valeurs. Par exemple, pour l’extrême gauche, l’identité LGBT est aussi une identité minoritaire qui doit être défendue, plaçant ainsi sur le même plan les musulmans et les personnes LGBT ; cela paraît quelque peu contradictoire, mais c’est ce que l’on observe aujourd’hui, en particulier chez de nombreux jeunes, qui y voient une défense commune des minorités brimées. Le discours postcolonial s’aligne également avec la perspective des Frères musulmans. Il existe donc non pas une alliance, mais une coalition objective entre ces mouvements, qui repose toutefois sur un profond malentendu.
Pour l’extrême gauche, la religion n’existe pas vraiment. Elle est un symptôme, une identité. Comme l’affirme mon collègue François Burgat, c’est le « parler musulman » : un langage de contestation utilisant des termes religieux, mais qui exprime, dans le fond, la révolte et non la foi. Sur ce point, je m’inscris en total désaccord. Chez les Frères musulmans comme chez les salafistes, la foi constitue l’élément central. Ces personnes sont authentiquement croyantes, véritablement religieuses, à l’instar des participants à La Manif pour tous ou des catholiques traditionalistes réclamant le retour de la messe en latin.
Le malentendu est donc complet. Néanmoins, dans la mesure où nous avons affaire à des minorités qui se sentent brimées, la contradiction n’apparaît nullement comme telle. Prenons l’exemple du port du burkini dans les piscines. Cela n’a rien à voir avec la charia. Pour la charia, le simple fait qu’une jeune musulmane fréquente une piscine publique – même en tchador – constitue un scandale et est absolument impensable, sachant qu’elle croisera des hommes légèrement vêtus. Pour les salafis, pour les fondamentalistes, la question ne se pose même pas. Je ne vois d’ailleurs pas en quoi le burkini représenterait un signe de foi. Il s’agit en revanche d’un signe identitaire, qui manifeste une volonté d’inscrire son identité dans l’espace public et de loisirs de la société française contemporaine.
Je poursuivrai avec une parenthèse sur la question du halal, qui s’avère particulièrement éclairante à cet égard. Le halal fait partie de la pratique musulmane, tout comme le casher pour la pratique juive, bien que ces concepts puissent être définis et pratiqués avec des degrés variables de rigueur. La différence fondamentale entre halal et casher ne réside pas dans une supposée plus grande rigueur du halal. C’est même exactement l’inverse, puisque le casher est beaucoup plus contraignant. En cuisine, comme je l’ai personnellement expérimenté, il est beaucoup plus facile de préparer un repas halal que de préparer un repas casher, ne serait-ce que parce que ce dernier exige une cuisine entièrement casher.
Quoi qu’il en soit, les juifs croyants et pratiquants ont des siècles de pratique en la matière et ont traversé des siècles d’adaptation et de construction de compromis qui permettent à une famille juive conservatrice traditionnelle de vivre dans la société française tout en respectant les règles du casher. Pour les musulmans, la transition s’est révélée beaucoup plus brutale, puisque tout s’est essentiellement déroulé durant les années 1960 à 1980. D’un seul coup, ces populations sont arrivées dans une société dépourvue de toute évidence culturelle du halal. En Égypte ou au Maroc, nul ne songerait à demander à un boucher si sa viande est halal – elle est supposée l’être. À Paris, trois options se présentent : abandonner la pratique du halal, fréquenter des boucheries spécialisées, ou préparer soi-même ses aliments halal. Cette situation génère une forme de bricolage et engendre des adaptations extrêmement variées.
Pourquoi le halal devient-il soudainement un sujet si prégnant ? Je ne crois aucunement à une stratégie orchestrée par les Frères musulmans pour imposer le halal ; je ne vois d’ailleurs guère comment l’on pourrait adopter une stratégie visant à imposer une norme culinaire. Le véritable enjeu, c’est que nous assistons à un changement sociologique profond. Les salafistes sont plutôt implantés dans les banlieues auprès de populations qui ne sont pas véritablement intégrées ou intégrées au bas de l’échelle sociale, occupant des métiers peu valorisés. Dans ce contexte, la pratique du halal et l’existence de restaurants ethniques ne posent pas de difficultés particulières.
En parallèle, un phénomène crucial émerge, qui est au cœur du problème : la sortie des ghettos et l’apparition d’une classe moyenne et supérieure d’origine musulmane. Ce phénomène récent demeure peu étudié sociologiquement, cette nouvelle classe n’ayant pas envie de faire parler d’elle et n’étant pas particulièrement revendicatrice. L’observation empirique suffit pourtant à le constater : examinez les noms des médecins dans les hôpitaux, la liste des avocats, les noms des employés des institutions financières, les noms des ingénieurs, etc. Il existe désormais des classes moyennes et supérieures d’origine musulmane ; j’emploie à dessein l’expression « d’origine musulmane », dans la mesure où les noms que portent ces personnes ne préjugent en rien de leur pratique ou de leur conception de l’islam.
Le paysage social s’est en tout cas considérablement modifié. Ces personnes ne restent plus confinées dans les quartiers mais investissent désormais les centres-villes. À Dreux, où je réside lorsque je suis en France, le changement est extraordinaire. Nous assistons à une gentrification portée par l’arrivée de classes moyennes d’origine immigrée, d’ailleurs pas uniquement musulmane, puisque l’on trouve aussi beaucoup d’Africains d’origine chrétienne. La question est loin de se résumer aux populations musulmanes. Cette évolution est assurément majeure, ne serait-ce que parce que ces populations ont des demandes de consommation. Ces consommateurs ne veulent plus aller au kebab du coin pour prendre un « grec », comme on le dit par euphémisme. Le couscous, trop marqué ethniquement et socialement, ne répond plus à leurs attentes. Ces personnes veulent du halal moderne, contemporain et français.
Nous voyons ainsi apparaître des restaurants proposant du bœuf bourguignon halal, de la cuisine française halal, etc. C’est précisément ce qui fait scandale. Personne n’a rien contre le couscous marocain présumé halal, mais l’ouverture de restaurants français halal par des chefs suscite l’indignation. C’est pour moi un paradoxe, puisque cette évolution devrait plutôt être perçue positivement. En tout cas, aucune stratégie ne sous-tend ce phénomène. L’économie, ce n’est pas de la stratégie. L’ouverture d’un restaurant halal répond simplement à une demande, qui n’émane pas des 400 ou 1 000 Frères musulmans répertoriés dans les rapports officiels, mais de classes moyennes souhaitant fréquenter, en famille ou entre collègues, des restaurants halal. Un phénomène similaire s’observe chez les juifs, particulièrement aux États-Unis, avec l’émergence de restaurants casher modernes que l’on peut fréquenter sans se renier ou s’enfermer dans un ghetto.
Notre société peine à appréhender cette évolution, et la tension en France est beaucoup plus forte que dans d’autres pays. En Europe, la méfiance envers l’islam existe partout : en Angleterre, en Allemagne, aux Pays-Bas, etc. Dans notre pays, cette méfiance se trouve amplifiée par la méfiance française envers le religieux en général : voyez toutes les histoires sur les croix, les films, les annonces, etc. Les autorités catholiques se plaignent de politiques ou contraintes fondamentalement antireligieuses. Et elles ont raison. La laïcité française vise essentiellement à confiner le religieux dans la sphère privée, à lui interdire toute visibilité dans l’espace public, exception faite des monuments historiques – ce qui revient à muséifier le phénomène religieux. Notre société éprouve une profonde difficulté à accepter le religieux vivant, ce qui constitue un problème majeur dans la France d’aujourd’hui.
Cette situation va de pair avec un paradoxe absolu. Depuis trente-cinq ans, précisément depuis le ministère de Pierre Joxe à l’intérieur en 1988-1989, l’État français – tous gouvernements confondus, sans distinction partisane – cherche à créer une « église musulmane », à organiser l’islam de France. Cette démarche est en totale contradiction avec le principe de séparation absolue établi par la loi de 1905. Néanmoins, pour des raisons d’ordre public qui peuvent être parfaitement compréhensibles – je ne critique nullement ce souci de l’ordre public –, l’on cherche à organiser l’islam en France. Cela implique de faire des choix ; mais quels choix effectuer et sur quels critères les fonder ? L’on ne parvient pas à trancher.
Ainsi, tout le monde s’accorde sur le caractère essentiel de la formation des imams. Où allons-nous les former ? Qui va les former et comment ? Dans ce domaine, nous hésitons entre différents modèles plus ou moins contradictoires. L’approche dominante reste l’islam consulaire, récemment condamné par le Président, mais malgré quelques visas refusés, la structure demeure largement celle d’un islam consulaire. Trois pays investissent massivement dans cette approche : le Maroc, la Turquie et l’Algérie, cette dernière bénéficiant en outre de la grande mosquée de Paris. Ces pays ne poussent pas un islam particulier et ne sont pas intéressés par l’idéologie ou par telle ou telle école juridique. Ils développent en revanche un islam d’influence, dans une logique de soft power.
Les Marocains excellent particulièrement dans ce domaine. Ils disposent d’un remarquable appareil diplomatique et religieux, déployé non seulement en France mais aussi en Afrique. Ils ont établi des associations, des centres de formation et forment des imams tout à fait modérés, ne posant aucun problème de sécurité ni d’ordre public. Cependant, cela reste un islam consulaire, un islam marocain. La situation avec la Turquie et l’Algérie s’avère plus complexe en raison de relations interétatiques souvent plus conflictuelles, impliquant potentiellement l’utilisation des réseaux pour faire pression. C’est assurément un problème.
L’idée de développer un islam français est évidemment pertinente, mais comment procéder concrètement ? Toutes les tentatives ont échoué, invariablement pour la même raison : la loi de 1905 ne le permet pas. Une initiative aurait pu aboutir à des résultats tangibles, en 1999, lorsque le doyen de la faculté protestante de Strasbourg a proposé d’ouvrir une filière de théologie islamique au sein de l’établissement. Ce projet a été torpillé par une alliance entre notre premier ministre de l’époque, M. Lionel Jospin, et le cardinal Lustiger, chacun agissant évidemment pour des motifs distincts. Le cardinal souhaitait préserver l’exclusivité chrétienne, avec une petite tolérance pour le judaïsme, tandis que M. Jospin était – et est toujours, je le suppose – un laïque profond.
Comme nous le constatons, l’organisation de l’islam de France n’avance pas. Aujourd’hui, on tente de fermer le centre de formation des imams affilié aux Frères musulmans. Le fait est que ces imams étaient au moins formés et connus. Un autre problème fondamental réside dans le fait que personne ne souhaite devenir imam. L’islam connaît exactement la même crise de recrutement que le catholicisme. La position d’imam n’est pas valorisée en France et demeure non rémunérée. Par conséquent, les imams sont très souvent autoproclamés ou nommés par des pays étrangers, mal intégrés et ne bénéficient pas du prestige qu’on leur attribue, hormis quelques personnalités charismatiques.
Vous m’avez questionné sur le séparatisme. Les salafistes sont séparatistes par définition, mais ce ne sont pas eux qui tiennent les quartiers. Nous persistons à analyser la situation des jeunes d’origine immigrée uniquement à travers le prisme de l’islam, de l’islamisme, de la revendication religieuse et de la radicalisation islamique. Ces phénomènes existent assurément, mais on ne voit pas que la réalité est considérablement plus complexe.
J’en arrive à la question des mairies. Je ne souhaite pas spécifiquement citer Dreux, trop souvent prise pour mauvais exemple depuis 1983 pour d’autres raisons, mais l’évolution de la ville est particulièrement instructive. Dans toutes les villes comparables, notamment en région parisienne ou autour de Lyon, comptant entre 10 000 et 80 000 habitants, l’on retrouve une très forte population d’origine immigrée. Je ne dis pas qu’ils sont musulmans – je l’ignore. Ces gens-là ne vivent pas en communauté : il n’existe pas de communauté musulmane en France. Il y a des musulmans, dont le problème réside précisément dans leur extrême division. Si une communauté musulmane existait en France, nous nous en serions aperçus. Nous disposerions d’un équivalent du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) et négocierions politiquement avec un leadership reconnu. Or il n’y en a pas et il n’y en aura pas.
Cependant, tout maire doit nécessairement tenir compte de cette catégorie d’électeurs. Les élections se jouent fréquemment à quelques points de pourcentage près. Dans une ville dont 20 à 30 % de la population est d’origine immigrée, vous devez nécessairement avoir des soutiens au sein de cette population. Si celle-ci était d’origine arménienne, la problématique demeurerait identique. Il s’agit d’un phénomène ancien, connu depuis l’instauration de la démocratie municipale. Dans ce contexte, il se développe ce que j’ai qualifié de « relations claniques », à ne pas interpréter au sens ethnologique du terme. Nous observons en effet l’existence de réseaux, de personnalités, de notables, d’individus aspirant à percer et/ou à se faire élire. C’est ainsi que s’établit une politique municipale de concessions mutuelles, mais jamais selon une division simpliste entre musulmans et autres citoyens. Au sein même de ce qu’on appelle indistinctement « musulmans », l’on distingue des Marocains, des Harkis, des Algériens, des Turcs, chacun de ces groupes étant lui-même divisé. Des leaders autoproclamés émergent, cherchant à obtenir une reconnaissance municipale en apportant potentiellement des voix et en sollicitant des postes en retour. Je ne suggère aucunement qu’il s’agirait de systèmes de type mafieux. Dans toute coalition municipale, le maire doit distribuer les postes d’adjoints, avec des enjeux de visibilité et, ultimement, des enjeux économiques. De l’extérieur, ces dynamiques sont interprétées comme une politique d’islamisation. De l’intérieur, la réalité s’avère considérablement plus compliquée.
Lutter contre l’islamisme en tant qu’idéologie politique visant la prise du pouvoir étatique est parfaitement légitime, mais cela me rappelle tout de même l’ancienne lutte contre le communisme. Qu’entendait-on exactement par communisme ? Certains appelaient à voter contre François Mitterrand au nom de la lutte contre le marxisme. Aujourd’hui, nous assistons à l’utilisation de ces étiquettes – communisme, marxisme, islamisme – pour disqualifier des individus aux trajectoires compréhensibles et pas nécessairement répréhensibles. Chacun a le droit de faire de la politique, d’aspirer à devenir adjoint au maire ou maire. Le problème, c’est que l’on jette systématiquement la suspicion sur toutes les personnes d’origine musulmane, excepté celles qui accomplissent une forme d’apostasie et qui se dédouanent constamment.
S’opposer à l’islamisme comme idéologie politique ou au djihadisme va évidemment de soi, mais le droit d’être croyant doit être préservé. Or la France éprouve une réelle difficulté à admettre qu’un responsable politique puisse être croyant. Le véritable problème de la République est donc cette difficulté à s’ouvrir au religieux. Je me concentre sur l’islam puisque c’est notre sujet, mais un profond malaise existe également chez les catholiques. Parallèlement, le protestantisme évangélique effectue une percée en France. Ses adeptes, très discrets, ne rejoignent aucunement les milieux identitaires chrétiens pour une raison évidente : ils recrutent très largement parmi les populations issues de l’immigration. Leur discours, évidemment très conservateur sur le plan des valeurs, s’accompagne paradoxalement d’une ouverture sur l’immigration qui constitue leur principal vivier de recrutement.
Nous ne sommes donc nullement confrontés à des polarités nettes et distinctes. Nous évoluons dans un environnement complexe et dynamique. La France se transforme profondément, de manière indéniable, et l’islam participe pleinement à ces transformations.
M. Xavier Breton, président. Merci, monsieur Roy, pour ce propos liminaire, à la fois fourni et particulièrement nourri, qui éclaire les travaux de notre commission. Vous indiquez que « l’entrée » des Frères musulmans sur le territoire européen date du début des années 80, après une phase qui s’était déroulée dans les pays arabes entre les années 30 et les années 70. Pouvez-vous nous apporter un éclairage sur l’écho qu’a eu cette entrée du frérisme sur le territoire européen, et plus particulièrement en France, par rapport au paysage politique et aux mouvements politiques existants ? Pour rappel, notre commission d’enquête est bien ciblée sur les liens avec les mouvements politiques. Vous avez développé une analyse sociologique très intéressante par rapport à des mouvements sociaux et des minorités. D’un point de vue politique, avez-vous pu observer des accointances ou des échos, que ce soit avec la droite, la gauche, ou certains courants de pensée spécifiques dans notre pays, lors de cette arrivée des Frères musulmans sur notre territoire ?
M. Olivier Roy. Non, parce qu’au début la vie politique européenne ne les intéressait pas. Ils se considéraient essentiellement en soutien aux Frères musulmans des pays arabes. Ils constituaient, en quelque sorte, la diaspora qui soutenait les autres. Ils ne recherchaient donc évidemment pas le conflit avec les gouvernements européens, mais ne cherchaient pas davantage à exercer une influence. La question de l’influence s’est posée ultérieurement, lorsqu’ils ont modifié leur stratégie à la fin des années 90. Ce changement est intervenu au moment où ils se sont dissociés des partis Frères musulmans du Moyen-Orient, qui ne s’intéressaient pas à eux, ou qui les considéraient comme des soutiens sans accorder d’importance à leur vision des choses. À cette période, ils ont développé une politique d’influence, qui s’est principalement concentrée sur les institutions, et particulièrement auprès de l’Union européenne. Leur objectif consistait à obtenir une reconnaissance et des concessions sur la visibilité de l’islam. Pour ce faire, ils se sont positionnés comme défenseurs d’une minorité. Ils ont ainsi trouvé un écho auprès des militants multiculturalistes, mais à ma connaissance, il n’a jamais existé de rencontre au sommet entre un parti politique français et les dirigeants des Frères musulmans pour élaborer une stratégie commune. D’autant plus que leur jonction est très largement basée sur des malentendus, notamment sur l’ignorance de la religion induite par la laïcité des partis et mouvements de gauche. De même, si des personnalités de droite ont pu entretenir des relations avec les Frères musulmans, ces rapports se situent au niveau local. Les véritables alliances, lorsqu’elles existent, s’établissent au niveau municipal.
M. Xavier Breton, président. Je vous remercie pour cette réponse qui part de la perspective des Frères musulmans. Plaçons-nous maintenant du côté des formations politiques françaises qui ont vu arriver ces mouvements. Je partage votre constat qu’il n’y a pas eu d’accord formel d’alliance entre des partis politiques et des mouvements islamistes, mais quel a été le comportement ou l’attitude des formations politiques face à cette présence dans les territoires ? Cette réalité a-t-elle été prise en compte ? A-t-elle été intégrée d’un point de vue électoral et, plus largement, d’un point de vue politique ?
M. Olivier Roy. Disons-le clairement : La France insoumise voit, dans les personnes d’origine musulmane, un réservoir de voix. Cela est parfaitement évident. Cependant, les Insoumis connaissent les conditions sociologiques de ces territoires et de ces circonscriptions. Ils savent pertinemment que ce ne sont pas les Frères musulmans qui vont leur apporter ces voix, puisque ces derniers disposent d’un poids très limité localement. Au niveau local, chaque imam agit pour son propre compte, tel un petit entrepreneur. On trouve ensuite des réseaux que je qualifie de « claniques », des leaders locaux, ainsi que des relations de solidarité nationale – marocaine, algérienne, etc. Dans ce contexte, les Frères musulmans ne sont pas des porteurs de voix. Vous ne pouvez pas négocier avec un membre des Frères musulmans qui promettrait d’apporter 400 voix. Ce n’est pas ainsi que la mouvance fonctionne, car les Frères musulmans constituent un mouvement élitiste qui n’est pas véritablement implanté en profondeur dans les banlieues. Ils peuvent certes fournir des cadres, mais la relation est beaucoup plus complexe, comme je l’observe sur le terrain local. Les voix musulmanes intéressent fortement les partis, mais ceux-ci ne souhaitent pas réellement voir des militants de deuxième ou troisième génération revendiquer des postes éligibles. Nous constatons ici l’existence d’un plafond de verre au sein des partis, y compris dans les partis d’extrême gauche. Dans ma ville, par exemple, le candidat tête de liste de La France insoumise n’est jamais un musulman. On les prend pour coller des affiches et mobiliser les électeurs, mais lorsqu’il s’agit d’attribuer des postes éligibles, on privilégie et récompense les militants traditionnels qui ont dix ou vingt années de militantisme. Autrement dit, les tentations existent, mais elles se heurtent à un fonctionnement des partis qui n’est pas idéologique mais carriériste.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Merci beaucoup, monsieur Roy, pour votre propos liminaire tout à fait passionnant. Vos observations me rappellent, en partie, les propos du Président Sarkozy qui souhaitait instaurer un islam de France et non pas islam en France. Force est de constater que toute tentative d’organisation du culte musulman se heurte rapidement à nos grands principes républicains, notamment au fait que l’État n’a pas à intervenir dans ce domaine conformément à la loi de 1905. C’est un véritable débat.
La commission qui nous réunit aujourd’hui porte sur les liens éventuellement existants entre les partis politiques et les mouvances islamistes et/ou terroristes. Nous avons préalablement auditionné plusieurs de vos collègues : je pense notamment à Omar Youssef Souleimane, à Nora Bussigny, à Emmanuel Razavi, originaires de pays comme la Syrie ou l’Iran, qui alertent sur des ingrédients qu’ils voient venir en France, qu’ils ont connus dans leurs pays d’origine et qui ont conduit les islamistes au pouvoir. Ils les voient notamment à travers les manifestations récentes, particulièrement nombreuses, en soutien à la cause palestinienne, avec la présence dans ces cortèges de différentes associations comme Urgence Palestine, Perspectives musulmanes ou Samidoun. Cette dernière association est d’ailleurs interdite dans plusieurs pays comme les Pays-Bas, l’Allemagne ou encore les États-Unis. Ces manifestations ont vu la participation d’acteurs publics importants, notamment des parlementaires d’extrême gauche, et nos témoins y voient des connivences dangereuses susceptibles d’entraîner la France vers une islamisation et vers ce qu’il s’est passé en Iran ou en Syrie. Tel est leur constat et ils tirent la sonnette d’alarme à ce sujet. Partagez-vous leur constat ou considérez-vous finalement que la présence d’élus lors de ces manifestations pour défendre la cause palestinienne relève d’un pur électoralisme visant à séduire l’électorat musulman ?
M. Olivier Roy. Il s’agit d’une présence de conviction, relative à la Palestine, et non par rapport à l’islam. La mobilisation pro-palestinienne que nous observons en France comme en Europe – en Italie, où je me trouve actuellement, cette mobilisation est encore plus forte qu’en France – n’a rien à voir avec l’islamisation. Nous pouvons légitimement nous demander pourquoi la cause palestinienne suscite une telle mobilisation alors que d’autres guerres existent dans le monde. Le fait est que cette cause mobilisait déjà autant dans les années 70 lorsque son fer de lance était l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) et que la cause relevait plutôt du marxisme-léninisme ou de l’extrême gauche. Encore aujourd’hui, il ne s’agit pas d’une cause spécialement islamiste. L’on peut parfaitement soutenir la cause palestinienne sans défendre le Hamas. Certains défendent effectivement les deux, mais je ne vois pas en quoi des manifestations pro-palestiniennes seraient le prodrome de l’islamisation de la France. Cela me paraît totalement fantasmagorique.
C’est aussi vrai lorsque l’on évoque l’Iran. Je connais bien l’Iran, je parle persan et j’y ai fréquemment séjourné. Les Iraniens n’ont jamais été intéressés par l’islamisation de la France. Ce n’est pas leur problème. Les Iraniens développent une stratégie d’influence beaucoup plus « traditionnelle », si je puis dire : placer des agents, éventuellement utiliser le terrorisme, etc. En revanche, les Iraniens n’ont jamais mené de propagande dans les banlieues, cela ne les intéresse pas. J’irais même jusqu’à affirmer qu’ils entretiennent un profond mépris pour ces banlieues. S’il existe des stratégies d’islamisation, ce dont je doute – tout dépend de ce que l’on entend par « islamisation » –, elles ne passent pas par les manifestations pro-Gaza. Il peut exister d’autres motivations pouvant expliquer ces manifestations, mais je me limite ici strictement à la question de l’islamisation.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous évoquez l’Iran. Les auteurs que nous avons auditionnés ont aussi mis en avant une présence iranienne, notamment dans nos universités, où certains étudiants iraniens viendraient en France pour propager une certaine idéologie islamiste. Ces étudiants se retrouvent d’ailleurs dans les manifestations précitées. Qu’en pensez-vous ? Estimez-vous que l’Iran a vraiment une volonté d’ingérence dans nos universités françaises ?
M. Olivier Roy. Non, pas dans une perspective politique ou religieuse. En revanche, ce que l’on sait, c’est que l’Iran a effectivement envoyé des étudiants dans des institutions de physique nucléaire et d’autres domaines similaires. C’est précisément ce qui intéresse l’Iran : l’infiltration des secteurs du nucléaire, de la défense et des autres domaines stratégiques. Cette approche reste relativement traditionnelle. L’islamisation des étudiants en France leur importe peu. Ce qui les intéresse, c’est plutôt de disposer de relais politiques. Ils ont toutefois échoué dans cette entreprise. L’Iran n’a jamais réussi à développer le type d’influence que la Russie ou la Syrie a pu exercer, notamment auprès des députés. Les Iraniens ont tenté ce type d’approche, sans jamais réussir. Notons enfin que les Iraniens ne s’entendent pas du tout avec les Frères musulmans. Depuis que les Frères musulmans se sont rangés du côté de Saddam Hussein en 1980, les relations entre l’Iran et l’organisation n’ont jamais été bonnes.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous avez décrit dans vos travaux la concurrence entre salafistes et Frères musulmans au Moyen-Orient, les premiers poussant les seconds à la surenchère dans l’islamisation. Observez-vous un phénomène similaire en France, se traduisant par la radicalisation des mouvements salafistes ou fréristes ?
M. Olivier Roy. Ils se trouvent effectivement en concurrence d’influence, mais en France, ils ne pratiquent pas la surenchère, car ils n’évoluent pas dans les mêmes milieux. La situation est différente en Égypte ou en Tunisie. En Égypte, lorsque les salafistes ont décidé de participer aux élections, une véritable concurrence s’est instaurée. Les salafistes ont poussé les Frères musulmans à soutenir la charia, ce qui n’était pas vraiment leur intention, et ce qui leur a fait perdre leur électorat modéré. Au dernier moment, les salafistes se sont ralliés au maréchal Sissi. La question n’est donc pas purement idéologique.
En France, l’expression « salafiste » ne veut pas dire grand-chose. Bien sûr, il y a des imams salafistes. Le salafisme, ce sont de petites mosquées, des entrepreneurs idéologiques opérant dans leur quartier, dans leur environnement immédiat, sans ambition nationale. Cette dimension ne les intéresse pas car, dans leur vision, le jeu politique français est haram et un bon musulman ne doit pas y participer. Frères musulmans et salafistes évoluent donc, en France, dans deux espaces distincts.
Par ailleurs, nous assistons à une crise du salafisme. Comme tous ces systèmes de stricte orthopraxie, où la vie quotidienne doit être dominée par des pratiques normatives, l’engagement se limite généralement à quelques années. Chez beaucoup de jeunes, le passage au salafisme est une période, qu’ils finissent plus ou moins par abandonner. Considérons aussi, au plan extérieur, l’évolution de l’Arabie saoudite : Mohammed ben Salmane a coupé les vivres aux lieux de formation et de publication. Cette réalité s’observe indéniablement sur le terrain. Il est aujourd’hui extrêmement difficile, pour un jeune, d’obtenir une bourse et d’aller suivre trois années d’études de salafisme, tous frais payés, à Médine ou à La Mecque. Désormais, pour rester salafiste, l’on doit accepter de rester dans la pauvreté. Ce n’est plus un moyen de promotion, ce n’est plus une carrière.
Les salafistes se trouvent ainsi dans l’impasse, et de nombreux jeunes s’en détournent. Je dirais donc que le salafisme est un lieu de passage. D’ailleurs, pour beaucoup d’intellectuels, les Frères musulmans sont aussi un lieu de passage, comparable au passage chez les gauchistes ou au parti communiste dans les années 50. Ce phénomène touche aujourd’hui tant les salafistes que les Frères musulmans. Quoi qu’il en soit, les salafistes ne développent pas de stratégie nationale, cela ne les intéresse pas. Ils adoptent une approche séparatiste, visant à constituer des espaces où ils peuvent vivre entre salafistes.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Abordons la question des élections locales, notamment municipales. Concernant le clientélisme, vous avez déclaré cette année qu’il existait, je vous cite, « un clientélisme électoral qui se développe dans les villes à forte population musulmane, mais les acteurs ne sont pas les Frères musulmans ». Vous considérez ainsi qu’il s’agit d’un clientélisme clanique et non religieux. Pourriez-vous développer cette analyse ? Ce clientélisme vous paraît-il de nature à favoriser l’influence islamiste, particulièrement à l’occasion des prochaines élections municipales de 2026 ?
M. Olivier Roy. Non, pas l’influence islamiste au sens idéologique, puisque comme je l’ai souligné, ce n’est pas la stratégie des Frères musulmans. La réalité locale est faite de petits compromis. Combien de parlementaires ai-je observés dénoncer l’islamisation de la France à l’Assemblée nationale, puis, de retour dans leur circonscription, apporter leur soutien à la mosquée locale ? C’est une démarche que j’approuve, d’ailleurs, car les musulmans sont des citoyens comme les autres. La demande de pouvoir pratiquer sa religion pose quelques difficultés dans un État laïque. Néanmoins, concernant la question des menus scolaires, des compromis peuvent être trouvés en proposant, à défaut de menus halal, des menus végétariens. Il existe donc toute une pratique locale où les maires se contentent de faire leur travail : satisfaire les attentes de leurs administrés. Je vous renvoie ici aux travaux d’Arnaud Lacheret, ancien élu Les Républicains dans la banlieue lyonnaise, qui a conduit des analyses sur la gestion de cette demande de religieux émanant de musulmans croyants et pratiquants.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Comment les pouvoirs publics peuvent-ils, selon vous, lutter efficacement contre l’islamisme, tout en évitant la confusion avec l’islam et la stigmatisation des musulmans ? Avez-vous connaissance d’exemples de lutte efficace contre la diffusion de cette idéologie mis en œuvre dans des pays proches de la France ?
M. Olivier Roy. Comme je l’affirme depuis le début, l’islamisme en tant qu’idéologie politique ne fonctionne pas en Europe. Il est donc délicat de chercher comment lutter contre l’islamisme. Les objectifs des groupes tels que les Frères musulmans ne consistent pas en une islamisation de l’État ou une prise de pouvoir. Leur stratégie consiste plutôt à affirmer le multiculturalisme et à transformer les musulmans en minorités ethniques reconnues par l’État. Face à cette réalité, l’on doit effectivement s’opposer au multiculturalisme en tant qu’identité collective. Cependant, pour que cette opposition soit efficace, nous devons simultanément ouvrir l’espace à la pratique religieuse individuelle. Pour contrer la politisation d’une religion, nous ne devons pas attaquer la religion elle-même, ce que nous faisons pourtant dans les faits, bien sûr sans le dire. Nous devons, au contraire, établir un dialogue avec les personnes religieuses, sur une base strictement religieuse. Si nous stigmatisons toute manifestation d’une pratique ou d’un signe religieux, nous provoquerons inévitablement soit l’exclusion, soit la radicalisation. L’enjeu réside donc dans l’intégration des pratiques d’une nouvelle religion en Europe dans le cadre national. À titre d’exemple, la question du voile ne pose pas du tout les mêmes problèmes en Angleterre qu’en France. En Angleterre, des policières portent le voile, tandis qu’en France, cette perspective demeure totalement inconcevable. Ce phénomène ne relève pas uniquement d’une islamophobie française, mais d’une véritable religiophobie. En 1950, des députés siégeaient en soutane, comme le chanoine Kir. Aujourd’hui, il serait intéressant de voir les réactions que susciterait la présence d’un député en soutane.
Mme Caroline Yadan (EPR). Je vous remercie, Monsieur Roy, pour toutes ces explications. Ma question, relativement simple mais connexe, concerne votre expérience académique. Dans le cadre de votre enseignement et de vos recherches, rencontrez-vous des difficultés particulières en raison du sujet que vous étudiez, à savoir cette idéologie islamiste ? Certains de vos confrères, comme Mme Florence Bergeaud-Blackler ou M. Gilles Kepel dans un autre contexte, nous ont signalé de telles difficultés. Faites-vous face à des difficultés particulières ou vos étudiants qui souhaiteraient travailler avec vous se heurtent-ils à des difficultés que ce soit en termes de crédits de recherche ou de menaces éventuelles ?
M. Olivier Roy. Je ne rencontre ni l’un ni l’autre type de difficultés. J’ai enseigné comme professeur de lycée pendant huit ans, il y a déjà un certain temps. Des tensions pouvaient bien entendu se manifester, étant entendu que j’organisais des débats dans le cadre de mon enseignement. À l’université, la situation diffère puisque nous travaillons avec des étudiants. La contestation demeure présente, ce qui est parfaitement normal. L’absence de contestation chez les jeunes susciterait même notre surprise et notre inquiétude. J’ai fait l’objet d’attaques écrites, c’est-à-dire de publications critiquant mes propos, mais cela fait également partie intégrante de la vie intellectuelle. Concernant les crédits de recherche, je n’en bénéficie pas spécifiquement pour ce sujet. Les seuls crédits que j’ai obtenus concernaient mes travaux sur le christianisme. Je ne suis donc pas le meilleur exemple en la matière.
M. Xavier Breton, président. Je vous remercie, monsieur Roy, pour ces échanges. Vous pouvez compléter vos réponses par écrit en répondant aux questionnaires qui vous ont été adressés, notamment à la lumière de notre discussion de ce soir. Nous vous remercions pour votre participation. Chers collègues, nous reprendrons nos travaux demain à 14 heures.
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15. Audition, à huis clos, de M. Laurent Bonnefoy, chercheur au CERI (30 octobre 2025)
M. le président Xavier Breton. Monsieur Bonnefoy, vous êtes politologue et chercheur au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), affecté au Ceri (Centre de recherches internationales de Sciences Po). Vous êtes spécialiste de la péninsule arabique et auteur de plusieurs publications, parmi lesquelles Yémen. Le tournant révolutionnaire et Jeunesses arabes : du Maroc au Yémen.
Nous vous remercions de votre participation aux travaux de notre commission d’enquête, qui a pour objet de déterminer si des mouvements islamistes sont bien présents sur notre territoire et, si oui, de connaître leur idéologie et les stratégies qu’ils mettent en œuvre pour influer sur nos politiques publiques.
Dans le rapport sur les Frères musulmans publié par le ministère de l’intérieur en mai dernier ainsi que lors de nos précédentes auditions a été mentionnée à plusieurs reprises l’existence d’« écosystèmes islamistes » dans certains territoires. Qu’en pensez-vous ?
Des mouvements islamistes exercent-ils selon vous une influence sur notre vie publique, plus particulièrement sur certains élus ?
Dans de récentes publications, vous mentionnez les pressions qui s’exerceraient sur les chercheurs, en particulier dans votre domaine d’étude. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
Avant de vous céder la parole, je vous invite à nous déclarer, le cas échéant, tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Laurent Bonnefoy prête serment.)
M. Laurent Bonnefoy, chercheur au CNRS. J’ai souhaité que mon audition se tienne à huis clos car elle porte sur un sujet sensible, très polarisant, non seulement dans l’espace public mais aussi dans les débats entre spécialistes.
Bien que je sois spécialisé dans l’étude de sociétés différentes de la nôtre, puisque je m’intéresse au Yémen, et en particulier aux mouvements islamistes dans ce pays, des liens existent qui peuvent me permettre d’apporter des éléments sur les sujets qui vous occupent.
Pour répondre à votre première question, j’ai pu suivre certains des travaux qui ont abouti à la publication du rapport sur les Frères musulmans, que j’ai lu – je n’ai pas été moi‑même auditionné mais certains de mes collègues l’ont été. Il pointe des cas d’une forme de territorialisation de l’islamisme dans ce qui est appelé, en référence aux travaux de Bernard Rougier, des « écosystèmes islamistes ». Sur le plan pratique, il existe effectivement des territoires dont les habitants sont très largement attachés à une norme conservatrice qui heurte souvent la perception dominante de la société française.
Si ce phénomène n’est pas contestable, ses causes sont sujettes à interprétation. Sur ce point, des divergences existent dans le champ scientifique. Ainsi, j’ai critiqué les travaux de Bernard Rougier qui, d’une part, montent parfois en épingle un certain nombre de phénomènes relativement marginaux, d’autre part, se concentrent sur des acteurs, des organisations, qui ne sont pas nécessairement en première ligne. Je pense notamment à ce que Florence Bergeaud‑Blackler a désigné comme le « frérisme » – notion présente également dans le rapport du ministère de l’intérieur –, qu’elle considère principalement comme une idéologie, qui plus est adossée à des institutions religieuses, en particulier des mosquées, à partir desquelles se déploierait l’islamisme.
Ce faisant, elle laisse de côté divers phénomènes, notamment de relégation des populations musulmanes, et des travaux qui montrent que la radicalisation, ou le djihadisme, s’inscrit très fréquemment dans des trajectoires expresses, pourrait-on dire, des formes de socialisation accélérée qui ne sont pas adossées à des instances religieuses.
Cette thèse me paraît problématique dans la mesure où, désignant certains acteurs, elle induit des politiques publiques qui ne me semblent pas les plus pertinentes.
Si un référentiel islamique se diffuse au sein de la société française, cette diffusion n’est pas adossée à des institutions particulières. La norme religieuse est portée par des acteurs souvent diffus, notamment sur internet ; il s’agit de phénomènes que l’on peine à substantialiser, qui relèvent davantage d’expériences individuelles que d’institutions.
S’agissant de l’influence islamiste sur des élus – question qui est, je le sais, au cœur de la démarche –, j’ai une forme, sinon de réticence, du moins d’interrogation quant à la pertinence réelle de cette hypothèse. D’abord, la place de l’islamisme en tant qu’opérationnalisation politique, en tant qu’interface avec des décideurs politiques, est minime : il n’y a ni élu ni parti islamiste. On doit à mon sens s’en féliciter, mais il me paraît important de le rappeler.
Il est vrai que certaines normes sont diffusées au sein de populations, mais ces dernières se caractérisent par leur retrait de l’espace politique. Elles ne sont donc pas en mesure d’exercer de réelles pressions. On peut observer, localement, un clientélisme autour d’acteurs religieux musulmans dans le cadre, par exemple, de l’attribution de financements à des associations qui seraient à la limite de ce qui est permis par la loi de 1905. Mais il me semble que ce type de clientélisme n’a pas pleinement de couleur politique. Je suis, dans une certaine mesure, sensibilisé à cette question car, comme Olivier Roy – que vous avez auditionné récemment –, j’habite depuis plusieurs années en périphérie de Dreux.
Ce qui pose problème dans la question de l’interface entre les musulmans et la politique, c’est que l’on observe dans cette population une forme de désaffiliation, de désengagement, de perte de repères. Ainsi, quand bien même certaines organisations souhaiteraient la mobiliser, elles auraient très peu d’accroches potentielles auprès d’associations ou de partis politiques.
Se focaliser sur les influences islamistes qui s’exerceraient sur des élus, c’est donc, me semble-t-il, prendre le problème à l’envers. Ce sur quoi nous devrions nous interroger – vous en tant qu’élus, moi en tant que citoyen –, c’est la faible interface qui existe, non pas avec les islamistes, mais avec une composante de notre paysage national. Il conviendrait de travailler collectivement pour trouver des moyens d’intégrer l’ensemble de nos concitoyens afin que la machine fonctionne de façon plus efficace. Au Québec, on a appelé cela les accommodements raisonnables, lesquels peuvent prendre une forme symbolique. L’enjeu est d’agrandir la table du banquet républicain, en acceptant d’intégrer certaines obsessions, certaines passions, dans l’espace public et politique.
Pour cela, il faut sortir de l’injonction contradictoire dans laquelle se sentent pris ceux de mes amis ou collègues qui revendiquent leur foi – et les musulmans ne sont pas les seuls à le faire. S’ils ne participent pas, on les accuse de séparatisme ; s’ils participent, on les accuse d’entrisme. Encore une fois, ce qui doit nous inciter à nous interroger, c’est plutôt la faible représentation dans l’espace public, médiatique ou politique des personnes qui se revendiquent comme musulmans ou qui le sont par leur origine.
S’agissant des chercheurs, je ne suis pas certain que l’on puisse considérer que le contexte est marqué par des pressions qui seraient exercées. J’estime pouvoir dire un grand nombre de choses, comme celles et ceux qui ont des opinions différentes des miennes ou qui les contestent. Simplement, la démarche scientifique suppose le respect d’un certain cadre méthodologique. Sous cet aspect, les travaux de certains collègues ont pu être contestés. Ainsi, les pressions dont Florence Bergeaud-Blackler estime faire l’objet s’exercent avant tout sur le plan politique, et non scientifique, précisément parce qu’elle a très largement abandonné le cadre scientifique pour se concentrer sur une forme d’agitation, notamment sur les réseaux sociaux. Dès lors que l’on ne joue plus le jeu de sa profession, on peut se retrouver dans une situation où ses demandes de financement sont retoquées, que ce soit par l’Union européenne ou par des agences de moyens nationales telles que l’ANR (Agence nationale de la recherche).
M. le président Xavier Breton. J’aimerais que vous reveniez sur un terme qui suscite crispations et polémiques : « l’islamophobie ». Pensez-vous que l’injonction contradictoire que vous avez évoquée soit fondée sur une forme d’islamophobie ?
M. Laurent Bonnefoy. Intellectuellement et scientifiquement, je n’ai aucune difficulté à utiliser un terme qui existe depuis plus d’un siècle, puisqu’il a été forgé en 1910 par Alain Quellien, qui en donne la définition suivante : « pour d’aucuns », l’islam « est la négation de la civilisation et la barbarie, la mauvaise foi et la cruauté sont tout ce qu’on peut attendre de mieux des mahométans ». On ne parle plus aujourd’hui de mahométans, mais ce type de critique continue à sous-tendre des perceptions et des préjugés négatifs qui sont diffusés dans certains médias ou certains discours. Je n’ai aucune difficulté à considérer que les musulmans subissent des discriminations spécifiques. À « islamophobie », faut-il préférer « musulmanophobie » ou « haine antimusulmans » ? Je n’ai pas de raison d’aller en ce sens, dès lors que beaucoup de termes en -phobie se sont imposés – on parle d’homophobie ou de grossophobie, par exemple. Du reste, le mot « antisémitisme » s’est imposé pour parler de la haine contre les juifs alors qu’il peut être contesté au motif que les Arabes eux-mêmes sont sémites.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation alors qu’elle ne vous a été transmise que la semaine dernière. Je précise, en toute transparence, que vous figuriez sur la liste des personnes que souhaitaient entendre nos collègues de La France insoumise, qui ne participent pas, hélas, aux auditions.
J’ai vu, sur X, une de vos publications, retweetée par M. Aymeric Caron, dans laquelle vous annonciez la parution d’un article dans lequel vous critiquez l’ouvrage d’Omar Youssef Souleimane, Les complices du mal. Selon vous, l’auteur « prétend révéler les liens entre la gauche, l’islamisme et l’antisémitisme, le tout à travers de formidables raccourcis qui se nourrissent d’un climat antimusulman et l’alimentent en retour ». Pourriez-vous revenir sur les principales critiques que vous adressez à cet ouvrage ?
M. Laurent Bonnefoy. Ce texte, qui fait partie des comptes rendus de lecture que je publie épisodiquement sur des thèmes variés, porte sur un ouvrage qui a commencé à faire beaucoup de bruit avant même sa publication.
Cette très large réception m’a étonné au regard de son contenu qui me paraît problématique. L’auteur monte en épingle un grand nombre de phénomènes, use de procès d’intention spécieux, témoigne d’une obsession pour la personne de Rima Hassan et met en scène de manière gênante sa propre enquête en racontant, par exemple, qu’il s’est rendu à des manifestations grimé, portant chapeau et keffieh. Sa logique me semble également problématique en ce qu’il présuppose que l’interface que constituent les mobilisations en faveur de la Palestine – interface dont j’ai évoqué la faiblesse tout à l’heure – serait secrète, au point qu’il faudrait se grimer, montrer patte blanche, pour pénétrer ce milieu. Nora Bussigny, que vous avez également auditionnée, a adopté une démarche similaire.
Or il s’agit de mobilisations publiques, ouvertes, dont les ressorts – c’est une caractéristique importante – sont universalistes. Dans les manifestations en faveur de la Palestine, on fait bien davantage référence au droit international et aux questions d’égalité qu’à la défense d’une civilisation ou d’une religion. On peut critiquer ces mobilisations en les jugeant excessives ou en considérant qu’elles occultent certaines questions, par exemple celle de la violence du Hamas. Toujours est-il que le vocabulaire utilisé, et ce n’est pas anodin, est universaliste.
C’est donc une interface qui est aussi positive. Je parlais d’ouvrir le banquet républicain ; dans cette logique, on peut reconnaître que ces mobilisations ne sont pas corporatistes. Elles ne sont pas le fait d’un groupe particulier, mais au contraire très ouvertes. Si vous mobilisez en faveur du respect du droit international en Palestine et contre les agissements d’Israël, vous n’avez pas besoin de porter un keffieh. Du reste, des organisations qui se revendiquent comme juives participent à ces manifestations.
Outre cette dimension spécieuse, l’auteur assigne – à la manière, en quelque sorte, de Florence Bergeaud-Blackler – à une population particulière, les musulmans, une idéologie, un grand projet cohérent. Cette perception renvoie à une forme de complotisme qui a pu exister, en France, dans les années 1930 : une composante particulière du paysage national fomenterait un complot dont la cohérence serait assurée par une idéologie. Honnêtement, remplaçons, dans certains textes, « Hassan al-Banna » par « Le protocole des sages de Sion » ou « frérisme » par d’autres vocables : cela fait un peu froid dans le dos.
J’ai commencé mon propos en indiquant que les normes religieuses diffusées dans certains quartiers choquent probablement le vivre-ensemble et sont en elles-mêmes problématiques. Mais j’insiste dans le même temps sur le fait que cela se produit de façon beaucoup plus diffuse qu’on ne le dit et, en définitive, en réaction à l’état de notre société politique, qui est largement polarisée – vous avez mentionné l’islamophobie. De ce fait, on a probablement les mauvais leviers en main pour agir contre ces phénomènes. Agir efficacement contre le repli impose sans doute plutôt d’être plus accueillant.
Les services de renseignement font leur travail. Or les spécialistes de ce domaine avec qui il m’est arrivé de discuter des analyses de Bernard Rougier ou de Florence Bergeaud‑Blackler m’ont dit que ces travaux n’étaient pas opérants ; ils relèvent d’un discours politique, d’une interprétation qui peut être discutée. En tant que spécialistes du renseignement, ils n’ont besoin, pour prévenir les attentats, ni de ces travaux, ni de fermer des mosquées tous azimuts ou l’institut de Château-Chinon qui formait des imams, ni de dissoudre le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF), ni d’expulser Hassan Iquioussen.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous avez évoqué des manifestations organisées dans un esprit universaliste pour dénoncer le non-respect du droit international. Il n’empêche que, lors de ces événements, on a pu constater la présence d’associations dont les propos sont pour le moins porteurs d’une certaine confusion, telles que Samidoun ou Urgence Palestine, dont les slogans font l’apologie du « déluge d’al-Aqsa » – le nom de code donné par le Hamas aux terribles attentats du 7 octobre 2023 – ou revendiquent – souvent en arabe, d’ailleurs – une Palestine qui irait « du fleuve à la mer », ce qui suppose l’éradication de ce qu’ils appellent l’État sioniste. On va même jusqu’à prêcher l’Intifada. Certes, les élus qui participent à ces manifestations ne reprennent pas ces propos, mais ils marquent, par leur présence, un accord implicite avec ce qui y est dit.
C’est peut-être la raison pour laquelle M. Souleimane, qui a vécu en Syrie, a eu le sentiment de revivre en France des choses qu’il avait pu observer dans son pays. S’il s’est grimé, c’est sans doute parce qu’il avait peur d’être reconnu et craignait pour sa sécurité, car certains groupuscules auraient pu s’attaquer à sa personne. Ces méthodes d’investigation sont au demeurant assez classiques dans le monde journalistique.
Vous avez dit qu’il y avait peu d’influence des réseaux islamistes sur les partis politiques. Le CCIF, dissous par M. Gérald Darmanin, s’est reconstitué en Belgique sous le nom de CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe). Or celui-ci a été invité dans ces murs par un député. Cela ne dénote-t-il pas des liens certains, voire une connivence avec l’islamisme ?
M. Laurent Bonnefoy. La fermeture du CCIF a résulté, je crois, d’une mauvaise appréciation. On a cassé le thermomètre ; nous avons désormais une appréciation très peu affinée des phénomènes d’islamophobie et des discriminations. Cette association continue de travailler avec d’autres institutions, notamment l’Union européenne ; je ne suis pas sûr qu’il faille faire valoir la spécificité française en la matière. Ne pas être capable de mesurer l’islamophobie ne me semble pas être la marque d’une grande assurance.
Que La France insoumise ait établi des liens avec ce collectif, on pourrait dire que c’est de bonne guerre : elle défend des positions qui reconnaissent l’islamophobie et il n’est donc pas surprenant qu’elle soit amenée à collaborer avec le CCIE. Celui-ci ne peut pas être qualifié d’organisation islamiste ; il a pour vocation de mesurer les phénomènes d’islamophobie. Il ne fait pas de doute qu’il soit critique de certains discours de l’État français, mais il n’est pas le seul.
Aucun élu de premier ordre, de quelque tendance que ce soit, n’a été condamné pour des propos manifestement antisémites. Je perçois plutôt, et je m’en réjouis, une attention portée par l’ensemble des élus à ces questions et un refus des discours islamophobes et antisémites, comme des discours homophobes ou sexistes. Des campagnes médiatiques sont parfois alimentées par des discours politiques, mais, encore une fois, c’est de bonne guerre ; finalement, c’est la réalité juridique qui compte.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Quel bilan faites-vous de l’action des pouvoirs publics en matière de lutte contre l’islamisme, le terrorisme, le séparatisme, l’entrisme, la radicalisation ? Comment les pouvoirs publics peuvent-ils lutter efficacement contre l’islamisme en prévenant toute confusion avec l’islam et toute stigmatisation des musulmans ? Avez-vous connaissance d’exemples étrangers de lutte efficace contre la diffusion de cette idéologie ?
M. Laurent Bonnefoy. Je ne suis pas certain d’être parfaitement qualifié pour répondre à cette vaste question. Il faut d’abord souligner que des mécanismes ont permis de sortir de la phase anxiogène que nous avons vécue il y a une dizaine d’années et pendant laquelle les attentats se succédaient : le travail mené par les policiers et les services de renseignement a été bien mené.
J’ai été associé à des projets de suivi de personnes radicalisées, en milieu fermé et en milieu ouvert. On peut noter qu’il n’y a pas eu de récidive jusqu’à présent – nous espérons tous qu’il n’y en aura jamais. La phase de lutte effective contre le terrorisme a été plutôt efficace, notamment les processus de déradicalisation.
Il y a eu aussi, au sein même des populations radicalisées, un processus générationnel, un phénomène qu’on appelle les « sorties de rôle » : il y a une usure du discours. Nous sommes donc dans une situation meilleure qu’hier ; cela ne signifie pas pour autant que tous les problèmes ont été réglés. Voilà pour le côté positif.
De l’autre côté, il y a toujours un problème pour constituer une interface entre les populations qui se définissent comme musulmanes, ou qui sont perçues comme telles, et le restant de la société – je ne reprends pas à mon compte le terme « séparatisme », car cela voudrait dire que les populations musulmanes seraient seules comptables de ce qui serait alors considéré comme une auto-exclusion. Je pense au contraire qu’il s’agit d’une interaction, d’un phénomène qui s’auto-alimente.
Plutôt que de pointer du doigt une communauté spécifique, nous devons fournir un effort collectif pour l’intégrer davantage, par exemple en agissant sur le fonctionnement de nos villes, sur les transports reliant les banlieues aux centres-villes et sur l’égalité des chances.
Les expériences menées à l’étranger sont très variables, selon qu’elles le sont par des États démocratiques ou autoritaires. Nous avons la chance de vivre dans un régime démocratique, qui porte une attention forte aux libertés publiques et aux garanties qu’elles offrent.
Il est difficile de trouver la bonne jauge. Les expulsions ne sont pas toujours la bonne stratégie, en particulier lorsqu’elles occasionnent d’importantes controverses, comme celle d’Hassan Iquioussen. La fermeture du CCIF a plutôt illustré les limites de l’action des pouvoirs publics : ses idées continuent de circuler et je ne suis pas certain que cette organisation s’en soit trouvée affaiblie, dans la mesure où elle a pu faire valoir que sa fermeture en France ne l’avait pas empêchée de poursuivre ses activités ailleurs.
Pour lutter efficacement contre les phénomènes violents, il faut aussi prendre en considération les discriminations et le fort sentiment de relégation. Il faut maintenir un équilibre entre une main répressive, celle de la police et des services de renseignement, et une main tendue, qui invite à notre table un nouveau convive, parfois critique et muni de son propre bagage et de ses propres passions.
Ces populations font partie du paysage et ce n’est pas en nous retranchant que nous trouverons un terrain commun. Chercher à les repousser ou à nier leur légitimité, parfois en la criminalisant – par exemple en déclarant que toute mobilisation en faveur de la Palestine est illégitime parce qu’elle cache une forme d’antisémitisme – n’est à mon avis pas une bonne stratégie.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Dans votre recension, vous soulignez les faiblesses de l’ouvrage d’Omar Souleimane en pointant notamment que le cas d’Ismaël Boudjekada n’y est pas cité. Ce dernier était élu de mon département lorsqu’il a assimilé Yahya Sinwar à un héros, ce qui m’a conduit à faire un signalement au procureur en application de l’article 40 du code de procédure pénale.
D’autres élus ont refusé de caractériser le Hamas comme un mouvement terroriste, le qualifiant même de mouvement de résistance. Ne considérez-vous pas que ces propos sont assez proches de ceux de Ismaël Boudjekada, qui a fait l’objet de poursuites pour apologie du terrorisme ?
M. Laurent Bonnefoy. La qualification du Hamas est complexe et varie selon l’endroit d’où l’on parle. Un historien aurait du mal à considérer le terme de « terroriste » comme le principal qualificatif du Hamas. Celui-ci s’inscrit dans une histoire particulière qui, si on la rapporte à l’histoire universelle, est caractérisée par des phénomènes de résistance. Cependant, il est globalement accepté que des opérations du Hamas sont, à juste titre, qualifiées de terroristes.
Il peut y avoir une certaine congruence à le labelliser comme un mouvement de résistance, mais je n’ai pas entendu, dans le débat public français, des élus tenir des propos considérant que le 7-octobre n’est pas une action terroriste. Il y a eu des réticences et certains d’entre eux s’appuient sur une démarche historienne pour considérer qu’il s’agit d’autre chose.
Je n’ai pas de difficulté à accepter qu’il s’agit aussi d’autre chose, même si à titre personnel, en tant que citoyen, je considère que le recours à la violence le 7 octobre 2023 est une action terroriste, au même titre que le 11-septembre.
La difficulté que certains ont eue à utiliser uniquement le terme de terroriste est une chose ; considérer que ceux qui ont planifié ou commis cette action sont des héros en est une autre, d’autant que ce qualificatif est intervenu tardivement, au moment de la mort de Yahya Sinwar, plus d’un an après le 7-octobre. Je n’ai pas entendu d’élus qualifier ce dernier de héros, mais quand bien même il y en aurait eu, ce ne sont pas ceux qui occupent une place centrale dans l’élaboration de la doctrine politique de leur mouvement.
Si on veut parler de Rima Hassan, elle tient certainement un rôle symbolique fort, et on pourrait discuter de certaines de ses maladresses et de ce qu’on pourrait qualifier de provocations. À mon sens, elle s’est auto-assignée à la défense d’une cause bien spécifique. Celle-ci permet sans doute d’obtenir des voix : à Dreux, lors des élections européennes et législatives de 2024, elle a suscité une mobilisation autour de concepts et d’un vocabulaire qui n’étaient pas proprement islamistes, mais qui ont réussi à rassembler une forme de clientèle électorale.
M. Nicolas Dragon (RN). L’islamisme radical, qui tend à se développer dans notre pays – c’est un constat que font beaucoup de gens –, est-il un danger national présent ou à venir ?
M. Laurent Bonnefoy. La réponse dépend de la manière dont on définit les termes. Je ne suis pas certain que l’islamisme radical se développe dans notre pays, grâce au travail des services de renseignement et de police – j’en ai déjà parlé. Ce travail a été plus ou moins efficace, mais il est parvenu à le contenir.
En revanche, il est vrai qu’on voit se diffuser certaines normes, dans certains quartiers et pour des catégories spécifiques, qui peuvent nous apparaître comme problématiques ou du moins totalement étrangères à la société française. Cela pose une question plus large : je ne sais pas si elles doivent être considérées comme un danger, mais nous devons collectivement nous en saisir, tout comme nous devons recoller les morceaux du tissu national. C’est un enjeu supplémentaire, comme le sont l’école ou la ruralité.
C’est là un problème relativement partagé dans le monde occidental, en raison de la transformation des flux migratoires : de nouvelles interfaces sont apparues depuis une cinquantaine d’années. Cette altérité doit être gérée, mais je ne la perçois pas comme un véritable danger pour notre société ; celle-ci se montrerait bien faible si elle considérait ces 5 % ou 6 % de la population comme capables de mettre en danger notre faculté à vivre ensemble.
Cela doit plutôt nous encourager à traiter la radicalisation d’une part, et à consentir un effort collectif pour agrandir le banquet républicain d’autre part. C’est la seule chose à faire, puisque nous ne pouvons faire disparaître une composante de notre société ; et ce n’est pas en la stigmatisant, en l’excluant ou en lui tordant le bras que nous serons attrayants.
Nous devons nous interroger sur l’attrait de notre modèle dominant. Pour quelle raison une jeune fille française dont la famille est originaire du Maghreb se sent-elle plus à l’aise en portant le foulard ? La réponse à la question de l’attractivité de notre société passe par une forme de générosité, dont nous avons su faire preuve pendant un temps et que nous avons cessé de pratiquer.
Je ne parle pas d’une générosité financière, mais d’une forme de générosité symbolique qui serait préférable à la stigmatisation lancinante exercée à l’encontre de ces populations et de certaines mobilisations – à propos de la Palestine, du port du foulard, de certaines pratiques religieuses, de la construction de mosquées. Notre société ne trouve pas comment s’ouvrir à ces nouvelles normes – évidemment, nous devons nous mobiliser contre celles qui sont contraires à nos usages et à notre droit.
Nous devons nous montrer généreux et ne pas nous focaliser sur quelques cas montés en épingle. Cessons de croire que des acteurs périphériques tiennent le haut du pavé et sont capables de déterminer la ligne politique d’un parti, même au niveau local.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie pour ces propos importants, qui apportent un éclairage différent. Ils contribuent à enrichir notre réflexion et à remettre en question nos a priori.
Je voudrais vous poser une dernière question sur le vote des musulmans. Bien qu’il n’existe pas de données statistiques relatives à l’appartenance religieuse, on estime que 60 % à 70 % des musulmans ont voté pour La France insoumise aux élections européennes ou pour M. Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle de 2022. Comment interprétez-vous ce résultat ?
M. Laurent Bonnefoy. Sans doute M. Jean-Luc Mélenchon a-t-il imaginé une stratégie pour capter ce vote, même si lui-même a eu des positionnements variables à ce sujet. Son rapport à la laïcité, notamment, a considérablement évolué depuis une quinzaine d’années.
Si la dimension stratégique paraît difficile à nier, elle ne me semble pas propre à la communauté musulmane. Ainsi, en 2007, une importante part de l’électorat juif a voté pour Nicolas Sarkozy.
Quoi qu’il en soit, il me semble qu’il faut s’en tenir au droit et éviter tout procès d’intention.
D’autres mouvements politiques appliquent des stratégies similaires au niveau micro‑local. Ainsi, à Dreux, le maire divers droite procède à des accommodements manifestes avec certaines communautés afin de capter leur vote. De tels accommodements peuvent être négociés à l’échelle nationale, parfois avec de gros sabots ; ils en dérangent certains, comme citoyens ou comme opposants politiques. Mais si l’on s’en tient au droit, je ne crois pas qu’il y ait là véritablement de problème.
M. le président Xavier Breton. Ma question ne portait pas sur la dimension juridique, qui n’est pas problématique, mais sur la dimension sociologique du phénomène.
Vous avez raison de donner d’autres exemples de corrélations, à d’autres époques, mais cela reste des exceptions. En général, la répartition des votes dans différentes catégories de population reflète le vote national. Par conséquent, les chiffres importants que j’ai évoqués ont-ils une signification sociologique ?
M. Laurent Bonnefoy. Évidemment, ces chiffres suscitent des interrogations. On pourrait retourner la question : pourquoi d’autres partis politiques ont-ils délaissé certaines positions, notamment en faveur de la Palestine ? Depuis de nombreuses années, la position de nombreux partis politiques sur le conflit israélo-palestinien est à rebours des attentes d’une grande partie de la population.
Ce phénomène a aussi été constaté aux États-Unis, bien que les modes de calcul et de sondage y soient différents ; un basculement a lieu, y compris dans la population d’origine juive. Les nouvelles générations, notamment les étudiants juifs, sont très hostiles à la politique menée par le gouvernement israélien.
Il n’est pas nécessaire d’être musulman pour être sensible à la situation de la Palestine. La façon de faire peut être débattue, mais la mobilisation autour de ce sujet montre une certaine clairvoyance de la part des partis qui s’en sont saisis, et laisse penser que le problème vient plutôt des autres forces politiques, qui, du point de vue de la stratégie comme du droit, pourraient s’interroger sur leurs choix. N’est-ce pas un choix perdant, puisqu’il s’agit de leurs futurs électeurs ? Le personnel politique souffre d’une forme de discrédit : en s’emparant de ce sujet, ne pourrait-il pas montrer qu’il défend des valeurs, qu’il a des choses à faire valoir, notamment à l’échelle internationale ?
Je ne suis pas ici pour défendre la stratégie de La France insoumise ; je note plutôt qu’elle révèle l’abandon des autres forces politiques, qui pourraient se mobiliser davantage.
M. le président Xavier Breton. Merci pour tous ces éléments. Vous pouvez les compléter si vous le souhaitez en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été adressé. N’hésitez pas à nous transmettre tout autre élément que vous jugerez utile.
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16. Audition, à huis clos, de M. Alexandre Brugère, préfet des Hauts-de-Seine, M. Julien Charles, préfet de Seine-Saint-Denis, Mme Corinne Simon, préfète de police déléguée pour la préfecture des Bouches-du-Rhône, M. Pierre-André Durand, préfet de Haute-Garonne et M. Antoine Guérin, préfet pour la défense et la sécurité délégué pour la préfecture d’Auvergne Rhône-Alpes (4 novembre 2025)
M. le président Xavier Breton. Je remercie vivement les préfets que nous allons entendre pour leur participation à nos travaux en présentiel ou en visioconférence.
Monsieur Alexandre Brugère, vous êtes préfet des Hauts-de-Seine, région que vous connaissez bien pour y avoir exercé d’autres fonctions, et vous avez été en poste auprès de différents ministres de l’intérieur. Monsieur Julien Charles, vous êtes préfet de Seine‑Saint‑Denis, après l’avoir été dans d’autres départements et avoir exercé différentes fonctions au sein du ministère de l’intérieur et des services déconcentrés de l’État. Monsieur Pierre-André Durand, préfet de Haute-Garonne et de la région Occitanie, vous avez été préfet dans d’autres territoires et avez exercé dans des cabinets ministériels. Vous êtes par ailleurs président de l’association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’intérieur. Monsieur Antoine Guérin vous êtes préfet délégué pour la défense et la sécurité auprès de la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Mme Fabienne Buccio qui n’a pu se joindre à cette table-ronde. Enfin Madame Corinne Simon, vous êtes préfète de police déléguée pour la préfecture des Bouches-du-Rhône, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, M. Georges-François Leclerc, venant d’être appelé à exercer de nouvelles fonctions auprès du président de la République.
En guise d’introduction à nos travaux, je souhaite vous soumettre quelques questions. D’abord, constatez-vous des stratégies d’entrisme de la part de mouvements islamistes présents dans votre territoire ? Ensuite, recourez-vous à des mesures particulières pour y faire face ? Dans ce cadre, vos pratiques ont-elles évolué depuis la loi de 2021 confortant le respect des principes de la République ? Que vous a apporté cette loi ? Enfin, les élus de votre territoire sont-ils conscients des situations d’entrisme qui peuvent exister ? Sont-ils en demande de davantage de soutien de la part de vos services en la matière?
Cette audition se déroule à huis clos. Il est interdit de divulguer toute image ou tout propos tenu dans cette salle ou par le biais de la visioconférence.
Par ailleurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Alexandre Brugère, M. Julien Charles, M. Pierre-André Durand, M. Antoine Guérin et Mme Corinne Simon prêtent successivement serment.)
M. Alexandre Brugère, préfet des Hauts-de-Seine. J’ai pris mon poste le 18 novembre 2024, après avoir assumé diverses fonctions au cabinet du ministre de l’intérieur durant quatre ans, dont deux à sa direction. J’ai donc été sensibilisé à la question de l’islamisme et de ses différents modes d’action – le djihadisme violent, le séparatisme et l’entrisme.
Le tableau clinique qui m’a été dressé quand j’ai pris mes fonctions avait tout lieu de m’inquiéter, puisque sur trente-quatre lieux de culte recensés – vingt-neuf mosquées et cinq salles de prière –, un tiers font l’objet d’une attention particulière, soit parce que leurs dirigeants sont déjà connus, soit parce que leur gouvernance est instable et qu’ils pourraient faire l’objet d’une prise de contrôle de la part d’individus moins bien intentionnés. Par ailleurs, 70 cibles sont suivies au sein de la cellule départementale de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (Clir) et 224 individus sont fichés au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, dont 25 étrangers.
Mes échanges avec les acteurs du territoire ont rapidement confirmé la gravité de la situation et le sentiment que ce département, contrairement à sa réputation, n’est ni favorisé, ni à l’abri des spasmes de la société s’agissant de l’islamisme. Cette situation m’a amené à indiquer, à l’occasion d’une invitation de la mosquée des Abeilles de Levallois-Perret le 18 mars, que les islamistes étaient persona non grata dans le département, tout en adressant un message de fraternité à nos compatriotes de religion musulmane qui respectent les lois de la République. Ce discours a suscité un intérêt au-delà des frontières de mon département, ce qui m’a conduit à accepter l’invitation d’une fondation d’utilité publique, la Fondapol, à publier un témoignage sur le sujet. C’était inédit s’agissant d’un préfet en exercice, mais j’ai estimé que l’importance du sujet le justifiait. Le ministre de l’intérieur de l’époque a d’ailleurs souhaité préfacer ce témoignage.
J’en viens à vos questions. Pendant ces onze mois, je ne me suis pas contenté d’écrire : j’ai engagé plusieurs actions dans la droite ligne des orientations fixées par le président de la République et les différents ministres de l’intérieur, la lutte contre l’islamisme étant devenue une politique d’État. Trois d’entre elles méritent d’être mises en avant.
La première a été la révélation d’un écosystème islamiste à Colombes, autour de la personne du directeur du cabinet du maire, qui était aussi secrétaire général d’une mosquée considérée d’intérêt par les services compétents et président et dirigeant d’une école coranique dans laquelle nous avons trouvé lors d’un contrôle des éléments témoignant d’un enseignement islamiste.
La deuxième action d’intérêt a été la fermeture de l’institut Alfoulk, à Antony rendue possible grâce à la collaboration établie avec le maire. Nous avons effectué des contrôles dans cet établissement, qui demandait notamment aux femmes de faire valoir une attestation signée de leur père ou de leur mari pour assister aux enseignements prodigués. J’ai eu besoin que le maire prenne un arrêté de fermeture sur la base de la réglementation applicable aux établissements recevant du public – ce qui fut le cas. Un lanceur d’alerte, M. Naëm Bestandji, a par la suite porté à ma connaissance des enregistrements édifiants du président de l’institut, M. Serge Althaparro, contenant des propos homophobes et faisant la promotion de la pédophilie et de la polygamie. Par la suite, le dirigeant de l’institut Alfoulk a annoncé sa fermeture définitive et je m’en réjouis.
La troisième action est la sensibilisation des maires. Le 14 avril, j’ai écrit aux trente‑six maires du département pour leur demander de me signaler des cibles dans le cadre de l’examen effectué par les Clir – que j’ai décidé de présider personnellement alors que cette tâche était jusqu’à mon arrivée dévolue au directeur de cabinet. Nous avons également organisé, le 16 septembre, le premier séminaire en France de sensibilisation des maires à ce qu’est l’islamisme, auquel Mme la députée Le Grip a assisté. La question est technique et mérite d’être appréhendée comme telle. J’avais proposé aux maires de convier leurs conseillers municipaux et les membres de leur cabinet qui suivent habituellement ces questions. Ce séminaire a été animé avec Laurent Nuñez, appelé à d’autres fonctions depuis, Mme Pascale Léglise et M. Bernard Rougier, que vous avez auditionné.
L’entrisme islamiste à l’approche des élections municipales est un sujet de préoccupation. J’ai adressé, dans mon discours aux élus du 24 janvier, un appel à la vigilance, en soulignant que si la constitution de listes 100 % communautaires est un phénomène marginal dans le département et le restera probablement au prochain scrutin, la présence dans des listes municipales d’individus liés à l’islam radical est une réalité. J’ai d’ailleurs été amené, je l’ai dit publiquement, à sensibiliser deux maires de mon département à la présence d’individus connus de la thématique dans leurs conseils municipaux.
S’agissant des réactions des élus à mon action offensive contre l’islamisme, je tiens à porter à la connaissance de votre commission que je suis extrêmement attaqué par le député LFI du département, M. Saintoul – tandis que les relations avec les autres grands élus du département sont toutes bonnes. Ainsi, dès la sortie de mon témoignage « Combattre l’islamisme sur le terrain », le 21 mai, M. Saintoul appelait à ce que je quitte mon poste. Je le cite : « En tout état de cause, ces infractions à la déontologie attendue d’un haut fonctionnaire ne peuvent rester sans réponse. C’est pourquoi j’examine les démarches les plus appropriées pour y mettre un terme. »
Le 6 juin, M. Saintoul renouvelait cette demande dans une salve de huit tweets décortiquant ce même essai. Le 31 juillet, alors que je mettais en demeure les responsables de la mosquée de Bagneux de ne pas laisser prêcher un individu condamné par le tribunal correctionnel de Nanterre pour des publications présentant un danger pour la jeunesse et susceptibles d’inciter à la violence en montrant des scènes de torture, M. Saintoul m’accusait de « livrer les musulmans de Bagneux en pâture aux médias ». Je tiens la copie de ces messages à la disposition de votre commission.
M. Julien Charles, préfet de Seine-Saint-Denis. Le département de la Seine‑Saint‑Denis compte 1,8 million d’habitants, dont une population de confession musulmane estimée à 800 000 personnes, faisant de l’islam la première religion du département. On y trouve 115 ou 116 lieux de culte – mosquées ou salles de prière – parmi les 243 que compte la région parisienne. La simple mention de ce chiffre montre l’enjeu que peut représenter, sur le plan électoral, la population de nos compatriotes de confession musulmane.
La communauté musulmane est variée. Toutes les dénominations de l’islam sont représentées, même si l’islam sunnite maghrébin et subsaharien est largement majoritaire. On ne peut donc pas parler d’une communauté musulmane séquano-dionysienne.
Cette population est fortement concernée par la question de Gaza et du sort de ses habitants. De fréquentes mobilisations se poursuivent, sous forme de rassemblements et de manifestations. Reste à savoir si cette tendance se traduira dans les urnes aux prochaines échéances municipales.
Il existe aussi une présence ancienne et avérée de la mouvance islamiste, notamment frériste. Le rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France », remis en début d’année, rappelle la présence d’écosystèmes dans le département de la Seine-Saint-Denis, avec par exemple le siège de Musulmans de France à La Courneuve et l’implantation à Saint-Denis de l’un des six instituts européens des sciences humaines (IESH), en l’occurrence celui de Paris. La stratégie d’influence de cette mouvance fait l’objet d’un suivi étroit de la part des services de l’État.
L’action territoriale de l’État s’organise autour de trois axes. D’une part, nous opérons un suivi interministériel étroit dans le cadre des Clir, que nous avons fait le choix dans le département d’organiser de façon thématique – santé, école, sports de combat… D’autre part, nous mobilisons énergiquement les outils de la loi « séparatisme » de 2021, notamment l’article 5 concernant le déféré-laïcité – largement utilisé dans les cas de pavoisement du drapeau palestinien sur les façades des mairies –, l’article 7 relatif à la consultation du préfet pour les autorisations d’urbanisme concernant des lieux de culte ou l’article 17 qui a pu conduire à la fermeture de fonds de dotation. Enfin, nous entretenons un dialogue exigeant avec les élus, notamment les maires, au cœur duquel figure le principe de laïcité. Nous sommes dans une posture de conseil et d’écoute lorsque ceux-ci nous font part de difficultés, mais aussi dans une posture d’exigence.
M. Pierre-André Durand, préfet de Haute-Garonne. La Haute-Garonne compte 1,5 million d’habitants. Les lieux de culte musulman y sont au nombre de quarante-cinq, dont vingt mosquées et vingt-cinq salles de prière. Comme en Seine-Saint-Denis, les communautés de confession musulmane sont diverses – majoritairement marocaines et algériennes, avec les différentes sensibilités que l’on connaît : la grande mosquée de Paris pour huit lieux, le rassemblement des Musulmans de France, anciennement Union des organisations islamiques en France (UOIF), pour six lieux, avec quatre structures à caractère associatif et deux mosquées à encadrement turc, ainsi qu’une dizaine de structures plus ou moins indépendantes.
Il faut noter l’influence forte de l’imam de Toulouse, qui dirige la coordination musulmane de Toulouse Métropole. Ce faisant, il coordonne onze lieux de culte et chapeaute près de 40 % des fidèles du département. Sa position assez rigoriste n’est pas attaquable en tant que telle, mais nous sommes attentifs à ses évolutions puisque son discours tend à être justement de plus en plus rigoriste.
Pour répondre à vos questions, il n’existe pas dans le département de lien avéré qui constitue de l’entrisme électoral. Nous observons en revanche un soutien affirmé de certains, qui est exprimé à l’occasion de manifestations, d’une part par les sensibilités d’ultragauche, d’autre part par un certain nombre de parlementaires – essentiellement ou quasi exclusivement LFI. Je précise qu’il s’agit de manifestations sur la voie publique. Il n’y a pas de listes communautaires, ou d’évolution de cette nature.
Nous activons les outils classiques de suivi du phénomène, parmi lesquels les Clir et le groupe d’évaluation départemental (GED) pour les individus. Nous sommes attentifs à la fois à la sensibilisation des maires et au suivi du « paracultuel », à savoir le réseau associatif et culturel.
Le conflit au Moyen-Orient a clairement réactivé la question du rapport à l’islamisme et à l’islam, qui donne souvent lieu à des amalgames et à des confusions entretenues et exploitées, mais tout cela s’exprime essentiellement lors des manifestations et événements et pas encore dans la sphère électorale.
M. le président Xavier Breton. Vous êtes président de l’Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l’intérieur. Les préfets échangent-ils entre eux au sujet de l’islamisme ?
M. Pierre-André Durand. Dans l’association, nous avons l’habitude d’aborder des sujets d’actualité : il peut s’agir de sujets concernant l’exercice de nos fonctions ou de sujets d’intérêt général auxquels nous sommes confrontés, qu’ils soient d’ordre économique, sécuritaire ou encore relatifs à la décentralisation. Il s’agit d’échanges intellectuels sur des bonnes pratiques et la connaissance de situations, pas d’une action institutionnelle : nous appliquons, chacun dans sa circonscription, les instructions du gouvernement et nous déclinons les outils et les dispositifs mis à notre disposition.
M. Antoine Guérin, préfet délégué pour la défense et la sécurité de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Dans le Rhône, qui compte 2 millions d’habitants, la population musulmane est estimée à 350 000 personnes et l’on dénombre 94 lieux de culte.
La pression islamique séparatiste des Frères musulmans est très forte. Nous ne sommes pas loin du Centre islamique de Genève, qui entretient des connexions avec le centre Tawhid de Lyon et le centre interculturel de Décines-Charpieu, lequel regroupe à la fois une mosquée, une école, un centre de formation et le complexe Al-Kindi. On dénombre par ailleurs 5 000 affiliés au salafisme. Il faut aussi noter l’importance des courants de l’islamisme turc, avec onze lieux de culte : le DiTib (l’Union turco-islamique des affaires religieuses), la communauté islamique du Milli Gorus, la confrérie Süleymanci dont le navire amiral, la mosquée Eyüp Sultan de Vénissieux, réunit 1 200 fidèles le vendredi, et les Tablighs.
Pour faire face à cette forte pression séparatiste, nous avons élaboré une stratégie. L’an dernier, nous avons mobilisé nos forces autour de l’établissement Al-Kindi qui a, dans le passé, signé avec l’État deux contrats d’association pour le collège et le lycée et un contrat d’association simple pour l’école primaire. L’objectif était de casser ce complexe emblématique des écosystèmes que je viens d’évoquer. Dans le cadre de la Clir, nous visons trente-cinq autres cibles.
Nous conduisons aussi des actions avec les maires. Nous évoquons notamment le sujet dans le cadre des réunions de tranquillité publique que nous organisons avec les maires des sept communes les plus sensibles, avec les taux de délinquance les plus élevés. Il est intéressant de noter qu’aucun signalement ne nous remonte des maires lors de ces moments de sensibilisation collective. En revanche, nous entretenons des échanges individuels plutôt positifs avec eux.
Enfin, il existe des porosités entre ces écosystèmes et certains élus – ce qui engendre généralement des réactions de la part des maires. Par ailleurs, deux députés LFI ont un discours anticolonial visant à victimiser l’islam et les communautés islamiques. Ces deux députés, qui s’expriment parfois en arabe, instrumentalisent fortement ces sujets. On ne peut pas le cacher.
En somme, les élus sont conscients et plutôt coopératifs, mais dans le cadre de relations bilatérales. En dehors de cela, ils font montre d’une certaine passivité que je tiens à souligner.
M. le président Xavier Breton. Je précise que vous vous exprimez sur le Rhône et la métropole de Lyon, et non sur l’ensemble de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Mme Corinne Simon, préfète de police déléguée pour la préfecture des Bouches-du-Rhône. S’agissant du département des Bouches-du-Rhône et plus précisément de Marseille, il n’y a pas une communauté musulmane mais plusieurs, sans leadership particulier. Personne ne s’identifie comme le représentant de la communauté musulmane et les 105 mosquées, dont 65 à Marseille, fonctionnent de façon indépendante.
Depuis quelques années, nous constatons une dynamique dans le développement de la pratique de l’islam. Avec 300 000 musulmans sur 900 000 habitants, Marseille est la première ville musulmane de France. La religion devient un cadre structurant. Plusieurs éléments en témoignent.
D’une part, la pratique religieuse s’intensifie. En quelques années, le nombre de fidèles pratiquant la prière du vendredi est passé de 19 000 à 25 000. Le nombre de classes des établissements scolaires confessionnels augmente : le lycée Ibn Khaldoun, cité dans le rapport consacré aux Frères musulmans et qui a ouvert avec deux classes en 2009, en compte aujourd’hui seize, avec plus de 400 élèves. Cette hausse de la pratique religieuse se voit aussi dans les fermetures de commerces de plus en plus nombreuses le vendredi. Dans certains quartiers, une vision plus rigoriste de l’islam s’observe, avec le port du voile, la non-mixité et le rejet des fêtes autres que musulmanes. On assiste à une montée du salafisme puisqu’un quart des mosquées de Marseille, c’est-à-dire seize d’entre elles, sont d’obédience salafiste. Je pourrais aussi citer ce qu’on appelle « la baignade des Belphégor » : de plus en plus de femmes viennent prendre leur bain sur des plages bien spécifiques du Frioul l’été, entre onze heures et midi. Ce sont autant de choses qui s’observaient déjà auparavant mais qui ont tendance à s’amplifier.
Ce retour à la religion s’accompagne de discours modernes, traitant de l’actualité, avec l’utilisation de moyens eux aussi modernes – notamment des vidéos pédagogiques sur les réseaux sociaux. L’islam est donc devenu un véritable marqueur identitaire, c’est-à-dire un point commun entre les populations d’origine différente qui vivent dans les quartiers.
Par ailleurs, deux écosystèmes islamistes se distinguent. Le premier est frériste et a pour cœur le Centre musulman de Marseille, qui regroupe une mosquée, le collège Ibn Khaldoun et différentes associations. Cet écosystème tourne autour de M. Ngazou, président des Musulmans de France. L’autre écosystème est salafiste, autour de la mosquée des Bleuets et de l’imam Bendjilali.
Il existe une proximité entre certains élus et les islamistes, mais elle n’est pas nécessairement tournée vers l’idéologie. Ainsi, certains élus fréquentent des manifestations, notamment propalestiennes. Toutefois, ils ne soutiennent pas la cause, mais la population musulmane. Je parlerais plus, s’agissant de Marseille et des Bouches-du-Rhône, d’un pragmatisme électoral exacerbé par cette période préélectorale.
En effet, j’ai évoqué l’importance de la communauté musulmane de Marseille, mais la communauté juive est aussi la troisième d’Europe, après Londres et Paris, avec 70 000 juifs. Musulmans et juifs représentent ainsi 370 000 personnes sur 900 000 à Marseille. Attention, la population musulmane est composée de beaucoup de jeunes, dont une bonne part à moins de 18 ans. On comprend donc bien l’intérêt des élus non pas à partager les idéologies, mais à être auprès de ces populations. Cela ne signifie pas, j’insiste, qu’ils en soutiennent les causes. Deux exemples en témoignent. D’abord, dès que le rapport sur les Frères musulmans, qui cite le collège-lycée Ibn Khaldoun, a été rendu public, certains élus des Bouches-du-Rhône se sont publiquement exprimés et ont cessé de subventionner l’externat du lycée. Tous n’ont pas pris la parole, mais aucun ne s’est porté caution pour défendre cet établissement. Ainsi, les élus prennent leurs distances dès lors qu’il y a une allusion au frérisme ou à l’islamisme.
L’autre exemple est relatif aux salafistes. Vous savez que le préfet Georges-François Leclerc a souhaité fermer la mosquée des Bleuets, que cette fermeture a été contestée devant le tribunal administratif, que nous avons perdu et que nous faisons appel. Lorsque l’imam Bendjilali a tenu une conférence de presse pour dire qu’il allait contester l’arrêté préfectoral devant les tribunaux, certains élus étaient présents – non pas pour demander le maintien de l’imam dans la mosquée, mais pour signaler qu’en cas de fermeture, certains musulmans ne pourraient pas pratiquer leur religion compte tenu de l’éloignement des autres lieux de culte. Ainsi, les élus n’étaient pas là pour cautionner l’imam mais pour défendre les intérêts de la communauté musulmane.
S’agissant des outils, nous utilisons les Clir et les GED, comme tous les départements. Ce matin, nous avions une Clir pour étudier la demande d’une association de créer une aumônerie musulmane dans un lycée. Par ailleurs, nous travaillons en étroite relation avec les renseignements territoriaux (RT), qui jouent un rôle pivot dans la problématique de l’entrisme, en lien avec la direction des libertés publiques et des affaires juridiques. En l’occurrence, j’ai des réunions bilatérales hebdomadaires avec les RT, avec une vigilance particulière concernant l’islamisme.
Enfin, nous avons prévu de dispenser des formations aux élus après les élections municipales.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Merci pour vos propos liminaires éclairants. Vous avez des parcours professionnels de haute volée au service de l’État. Au nom de la représentation nationale, je vous remercie pour le travail que vous effectuez au quotidien au service des Français et de notre beau pays.
Mes premières questions concerneront l’islamisme et son influence dans la vie politique. Vous avez été plusieurs à citer des parlementaires d’un groupe bien spécifique qui poseraient des difficultés. Pensez-vous qu’on ait affaire à des agissements par électoralisme ou à une adhésion plus profonde aux thèses islamistes ? Les liens sont-ils factuels au travers de la participation à des manifestations ou d’un soutien peut-être implicite ou bien sont-ils plus structurels avec une participation active aux écosystèmes locaux, notamment dans le cadre de la préparation des municipales ?
Le rapport consacré aux Frères musulmans évoque l’implantation d’écosystèmes islamistes dans certains territoires, parmi lesquels Marseille ou la région lyonnaise – mais il y en a d’autres, évidemment. Comment ont-ils pu se constituer ? Comment y faites-vous face, dans votre pratique quotidienne ?
Comment appréhendez-vous, vous-mêmes et les élus locaux avec lesquels vous êtes en contact, le dialogue avec les acteurs dont la proximité avec les Frères musulmans est établie ? Je pense à des responsables associatifs, culturels, cultuels, voire politiques.
Constatez-vous une récurrence, voire une amplification des pratiques clientélistes en faveur de groupes propageant l’idéologie islamiste ? Avez-vous connaissance de communes qui pourraient voir l’influence de leurs mouvances islamistes sensiblement renforcée à l’occasion des prochaines élections ?
M. Alexandre Brugère. Le député que j’ai évoqué est le seul grand élu LFI de mon département. Il est l’auteur des propos que j’ai rapportés, sur lesquels chacun peut se faire son avis. J’ai des maires communistes et proches de l’extrême gauche ainsi que des parlementaires classés très à gauche qui ne tiennent pas de propos de cette nature. Je fais simplement le constat que l’auteur de ces propos est le seul grand élu LFI du département, et je ne dispose pas d’élément permettant d’affirmer qu’il existe des liens structurels entre les islamistes et ce mouvement politique.
La lutte contre l’islamisme est un combat difficile et technique, qui touche à une matière sensible puisqu’elle soulève des enjeux très lourds de conviction personnelle et de liberté de conscience. Nous avons face à nous des personnes très organisées, qui recourent souvent à une logique victimaire et qui vont parfois jusqu’à nous accuser d’islamophobie d’État. Nous sommes très attaqués. En l’occurrence, je constate que le seul grand élu qui attaque frontalement sur ces questions, avec cette violence et cette virulence, est le député LFI. C’est factuel, même si je n’ai pas d’élément pour corroborer des liens.
Pour ce qui est des écosystèmes, beaucoup a été fait ces dernières années par les pouvoirs publics, notamment l’État, quels qu’aient été les gouvernements et les orientations. À partir de 2015, une lutte très forte a été engagée contre l’islamisme violent, le djihadisme. Elle s’est poursuivie ensuite en devenant une lutte contre la radicalisation, puis contre le séparatisme, puis contre l’entrisme : les menaces évoluent, de même que les modes d’action.
La conscientisation de cette menace est une réalité d’abord pour nos interlocuteurs, les élus, mais aussi pour l’État. Il est probable que le phénomène ait réussi à s’installer dans la durée, en partie parce qu’il fallait le temps qu’il se révèle et soit compris. Mais j’ai le sentiment que la maturité de l’État en la matière est désormais forte, même si c’est récent.
Le précédent ministre de l’intérieur a organisé un séminaire thématique avec les préfets. C’est la preuve que la conscientisation évolue et que l’État se prépare de plus en plus. Il y a encore dix ans, on n’aurait pas imaginé une loi contre le séparatisme comme celle de 2021, impulsée à la suite du discours des Mureaux par le président de la République. L’État a désormais la maturité pour capter ces écosystèmes. Nous avons une lucidité et une compréhension que nous n’avions pas jusqu’à présent, car les services ont travaillé et ont documenté le phénomène. Il y a quelques années, un rapport sur les Frères musulmans n’aurait pas pu être aussi complet que celui qui vient d’être publié : c’est un processus itératif.
M. Julien Charles. En Seine-Saint-Denis, nous n’avons pas identifié de liens organisationnels entre la mouvance islamiste et des mouvements politiques. Ces derniers s’investissent plutôt au sujet de Gaza et de la cause palestinienne. C’est le seul sujet sur lequel l’action locale de l’État est mise en cause. Il y a quelques semaines, nous avons connu une vague de déploiement de drapeaux palestiniens sur les façades de quatorze hôtels de ville du département, à laquelle nous avons répondu par des déférés systématiques auprès de la juridiction administrative. L’État a été à cette occasion accusé de vouloir « invisibiliser » la cause palestinienne – ce à quoi il était facile de répondre que, depuis le début de l’année, quatre‑vingt-cinq manifestations déclarées en faveur de la Palestine ont été déclarées et aucune interdite.
Face à cette accusation d’« islamophobie d’État » dont on voit bien que la mouvance islamiste essaie de la diffuser au maximum, nous sommes extrêmement attentifs à toutes les questions de sécurité des lieux de culte, de façon à être irréprochables dans ce domaine : nous réunissons régulièrement les responsables de lieux de culte, quels qu’ils soient, nous nous assurons que les contacts sont pris entre les présidents d’association et les commissaires de police et nous recourons au fonds interministériel de prévention de la délinquance pour financer certains travaux de sécurisation ou de pose de caméras.
S’agissant des écosystèmes, j’ai cité les exemples de La Courneuve et de l’IESH de Saint-Denis. Nous suivons de près ces deux ensembles. À La Courneuve, cela s’organise autour de la mosquée de l’Union, qui est l’une des plus anciennes du département, mais aussi du siège de l’ancienne UOIF – devenue Musulmans de France – et de celui du Conseil des musulmans d’Europe, qui est l’instance de lobbying des Frères musulmans vis-à-vis des institutions européennes. S’agissant de l’IESH de Saint-Denis, une action entreprise sur le plan financier s’est traduite par la dissolution judiciaire du fonds de dotation, sur la base de la loi « séparatisme ».
Nous n’entretenons au niveau préfectoral aucun contact avec les responsables de ces deux écosystèmes. Mais, parce que nous souhaitons en avoir avec l’ensemble de la communauté musulmane, nous pouvons être en lien avec des personnes dont nous savons qu’elles ont une proximité avec les Frères musulmans. Sous réserve d’être attentif à ne pas se laisser instrumentaliser et à ne pas présenter ses interlocuteurs comme les représentants du monde musulman en Seine-Saint-Denis, il est possible d’entretenir un dialogue minimal.
Enfin, nous n’avons pas encore fait le constat du développement d’un clientélisme à l’approche des élections, même si je tends à penser que l’affaire des drapeaux palestiniens n’était pas sans lien avec ce sujet. Nous serons attentifs à la constitution des listes électorales, car nous nous doutons que certains voudront faire monter les enchères auprès des candidats.
M. Pierre-André Durand. À Toulouse, ville de forte tradition contestataire, nous avons noté une multiplication des manifestations propalestiennes depuis octobre 2023, qui ont donné lieu à des prises de position politiques. Nous non plus n’avons pas établi de lien entre des représentants de mouvements politiques et des organisations ou réseaux soutenant ou propageant l’idéologie islamiste ou le soutien à l’action terroriste. En revanche, les positions propalestiennes exprimées relèvent d’un engagement politique militant, combiné à un effet d’aubaine ou d’opportunisme électoral. Les élus concernés sont quasi systématiquement présents à ces manifestations, pour envoyer des signaux à des populations musulmanes sensibles à la cause palestinienne, éventuellement entretenir un amalgame entre l’islam et l’islamisme, et au bout du compte faire apparaître l’État comme étant antimusulman.
Ce soutien ne se manifeste pas de manière organisée, constituée dans des listes ou des partis, mais sur la voie publique à l’occasion d’événements. Or l’on trouve souvent dans ces manifestations des groupes radicaux minoritaires bien identifiés issus de la mouvance de l’ultragauche – comme le Collectif Palestine vaincra, le Comité de soutien à la Palestine 31 ou la Ligue de la jeunesse révolutionnaire – qui portent, eux, des messages de soutien à des organisations classées terroristes comme le Hamas ou d’autres, qu’ils expriment largement sur les réseaux sociaux.
En somme, aucun élément objectif ne permet d’indiquer que des représentants de mouvements politiques propageraient par eux-mêmes une idéologie islamiste. Toutefois, des postures et des positionnements pris à l’occasion de manifestations comprenant des éléments radicaux donnent à penser qu’il s’agit de signaux, pour ne pas dire de gages donnés à la communauté musulmane dans son ensemble. C’est un raisonnement simpliste, car tous nos compatriotes musulmans ne sont pas dupes, mais c’est une réalité.
Quant à votre question concernant l’implantation de ces écosystèmes dans nos territoires, qu’on le veuille ou non, elle renvoie à la question de l’immigration, et d’une immigration essentiellement maghrébine et de culture musulmane. C’est tout simplement le nombre qui a progressivement conduit ces communautés à s’organiser et à être plus attentives au sujet religieux. S’est greffé à cette situation, c’est un fait de société, un discours victimaire et instrumentalisé à des fins politiques. Cette dynamique, créée au fil des années, explique que nous soyons confrontés à ces difficultés.
M. Antoine Guérin. Je rejoins ce qui vient d’être dit concernant ce que vous avez qualifié d’agissements par électoralisme. La mouvance LFI, par exemple, fait l’exploitation systématique d’une logique victimaire, dans une logique électoraliste. Je pense au soutien appuyé à l’institution Al-Kindi après le retrait des contrats d’association, aux manifestations de soutien à Gaza ou au discours anticolonial récurrent pour solliciter l’adhésion d’une partie des musulmans français.
S’agissant de la constitution des écosystèmes, on peut noter un caractère organisé, que fait bien apparaître le rapport des renseignements territoriaux sur les Frères musulmans. Nous sommes proches de Genève, où les deux frères Ramadan – qui étaient présents à Lyon dans les années 1980 – ont participé à l’organisation de diverses structures. Je rappelle aussi le caractère fermé du mode de vie de certaines communautés turques, qui ont développé, en particulier à Vénissieux, des structures – écoles, mosquées, lieux d’accueil des mineurs – pour vivre en vase clos. Le préfet des Hauts-de-Seine a mentionné l’action déterminée des services de l’État, ces dernières années, pour essayer de casser cette dynamique.
De mon point de vue, et pour répondre à votre dernière question, il n’y a pas d’amplification de ces phénomènes et les élus me paraissent mus par un souci électoraliste plus qu’autre chose.
Mme Corinne Simon. À Marseille aussi, il s’agit d’un opportunisme électoraliste, exacerbé par la période. Tous les dimanches depuis deux ans, des manifestations propalestiniennes regroupent 300 à 400 personnes, avec la présence quasi systématique d’élus – en particulier LFI, parce qu’ils soutiennent la cause palestinienne et par opportunisme électoraliste. Nous n’avons pas détecté d’élus qui soutiennent directement la cause des Frères musulmans ou des salafistes.
Vous demandez comment ces écosystèmes se sont implantés. S’agissant des fréristes, il s’est agi de répondre à un besoin, à une demande de la communauté : alors que nous comptons 300 000 musulmans, l’établissement Ibn Khaldoun est le seul collège-lycée confessionnel. Dès lors que les valeurs de la République sont respectées, il est compliqué d’interdire l’implantation d’une telle infrastructure. En tout état de cause, aucun de nos élus n’adhère à l’idéologie islamiste en tout cas publiquement.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Ma deuxième série de questions est consacrée à l’action des pouvoirs publics.
Les auteurs du rapport sur les Frères musulmans considèrent que les élus sont « en première ligne » face à la montée de l’idéologie islamiste. Que pensez-vous de cette affirmation ? Comment collaborez-vous avec ces élus et comment les soutenez-vous face à cette menace ? Dans quelle mesure et à quelle fréquence vos services sont amenés à échanger avec eux sur cette question ?
Vous semble-t-il nécessaire d’associer davantage les élus à la gestion de cette menace ? Quel regard portez-vous sur les Clir ? D’autres mesures ou instances sont-elles nécessaires pour renforcer la coopération au niveau local ?
M. Alexandre Brugère. Nous parlons là d’une matière sensible, largement remontée par les services de renseignement, pour laquelle s’applique le principe du droit à en connaître : par définition, certains éléments sont couverts par le secret et leur extériorisation doit donc être réfléchie. Même au sein d’une administration de l’État, tout le monde n’a pas à connaître des éléments qui nous sont transmis par les services de renseignement. La question se pose a fortiori s’agissant des élus.
La réflexion se fait au cas par cas. Deux principes doivent nous guider. D’abord, la transmission d’une information ne doit pas menacer sa source. Généralement, les informations dont la source est aisément identifiable ont vocation à ne pas être diffusées. Ensuite, une relation bilatérale de confiance est nécessaire pour que l’interlocuteur fasse bon usage de l’information et que sa réaction fasse avancer vers l’objectif final, faire reculer l’islamisme.
Lorsque j’ai découvert que le directeur de cabinet du maire de Colombes était au cœur d’un écosystème, j’ai reçu M. le maire pour lui en faire part. Ces éléments n’avaient pas nécessairement vocation à être publics, mais je les lui ai transmis, car l’État attendait une réaction de sa part face à la révélation de cette information concernant son plus proche collaborateur. C’est ensuite, constatant que M. le maire ne modifiait pas son organisation, que j’ai rendu ces éléments publics.
Recourir à la dénonciation, au name and shame, n’est pas satisfaisant, quand on est préfet : on aimerait que la personne avertie de telles informations, qu’elle donne le sentiment de découvrir, en tire des conséquences. Quoi qu’il en soit, c’est une relation bilatérale et tout dépend de l’interlocuteur qu’on a face à soi.
S’agissant des Clir, j’estime que leur gouvernance est mature. Ce sont des outils qui fonctionnent bien et qui permettent à chacun de se mettre en mouvement vers l’objectif poursuivi. Les services de l’État commencent à y être rodés – et pas seulement ceux du ministère de l’intérieur : les autres se mobilisent de plus en plus. S’il y a des gains d’efficience à chercher en matière d’organisation, ce n’est pas dans ces structures : on peut sans doute encore les étendre, mais il faudra veiller à ne pas les déstabiliser. C’est vrai des GED également.
M. Julien Charles. Concernant la relation aux élus, le dialogue exigeant que j’évoquais tout à l’heure doit être bilatéral. Les échanges doivent intervenir dans un cadre restreint et nous devons être soit dans une posture de conseil quand un élu se trouve face à une difficulté, soit dans une posture de rappel à la règle quand on estime que l’approche de ces questions est incorrecte ou ambiguë.
Je ne suis pas favorable à un élargissement excessif de nos instances, comme évoqué par mon collègue Brugère, car plus il y a de monde autour de la table, moins on parle librement. Or l’intérêt des Clir est de permettre une discussion précise, opérationnelle et sans tabou.
En revanche, la relation avec les maires est essentielle. Des points méritent d’être travaillés et améliorés. Le principe de laïcité, par exemple, n’est pas suffisamment connu dans toutes ses dimensions. Aussi avons-nous prévu d’organiser un séminaire avec les maires du département lors de la semaine de la laïcité qui se déroulera, début décembre, pour les 120 ans de la loi de 1905. Ce sera l’occasion de rappeler les principes et de marteler certains messages. Peut-être faudrait-il aussi élaborer une formation obligatoire à la laïcité au bénéfice des maires.
Il me semble aussi que l’on pourrait aller plus loin que la loi de 2021 s’agissant des subventions des collectivités aux associations, en établissant une base de données permettant une transparence complète. Les représentants de l’État pourraient ainsi s’assurer que les associations bénéficiaires sont respectueuses du cadre républicain.
En synthèse, le rôle des élus est essentiel et doit plutôt être traité dans un mode bilatéral. La laïcité et les subventions sont des thématiques à creuser. Quant aux Clir, elles ont trouvé leur place et fonctionnent de mieux en mieux, même si des éléments pourraient être améliorés – s’agissant du secret fiscal ou de l’association des organismes de sécurité sociale par exemple.
M. Pierre-André Durand. Les relations avec les élus passent effectivement par le contact bilatéral. Les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance fournissent aussi l’occasion d’un dialogue – pas en formation plénière, mais en aparté – avec les maires et, parfois, les adjoints chargés de la sécurité.
S’agissant des outils, je rejoins ce qu’ont dit mes collègues : l’appareil juridique et opérationnel est stabilisé et efficace. L’outil Clir donne satisfaction.
Enfin, la promotion de la laïcité est souhaitable. On s’y emploie en diverses occasions, mais c’est un vaste programme compte tenu du rapport à cette notion qu’ont certains membres de la communauté musulmane, en particulier les radicaux qui l’instrumentalisent et la détournent. Nous avons un combat quasi quotidien à mener sur ce terrain.
M. Antoine Guérin. C’est par nos entretiens bilatéraux avec les maires que nous pouvons traiter de ces sujets. Parfois, nous faisons des réunions à la demande des maires, ce qui nous permet d’identifier une structure d’aide alimentaire, un lieu d’accueil collectif de mineurs, un enjeu autour d’un terrain. C’est vraiment dans ce cadre bilatéral que l’on peut faire passer l’information. Dans les municipalités du Rhône les plus concernées par le phénomène de séparatisme islamiste, les maires sont de bonne volonté, coopératifs et à l’écoute.
Comme mes collègues l’ont dit, une formation des maires à la laïcité serait utile, de même qu’un pouvoir de substitution du préfet pour mettre un terme à une subvention. J’estime aussi que le cadre juridique de l’accueil collectif de mineurs, qui est un sujet sensible, mériterait d’être approfondi, avec des obligations de déclaration et de formation des encadrants.
Sans doute y a-t-il aussi des améliorations à apporter dans la collaboration. Dans cette optique, le secret professionnel de la direction départementale des finances publiques pourrait être levé.
Mme Corinne Simon. Il arrive que des élus qui ont connaissance de certaines informations agissent par eux-mêmes, comme cela a été le cas pour le lycée Ibn Khaldoun après le rapport sur les Frères musulmans, qui a eu pour conséquence directe la suspension des subventions par le conseil régional et le conseil départemental.
Néanmoins, les élus ne nous sollicitent pas directement au sujet de l’islamisation ou des sphères fréristes ou salafistes. Ce sont des questions qu’ils n’évoquent pas d’eux-mêmes. Il a pu m’arriver, dans certaines réunions bilatérales, de prévenir le maire que l’État avait décidé de suspendre des subventions pour des associations, sans toutefois lui en préciser les raisons.
Bref, dans les Bouches-du-Rhône, si nous n’allons pas vers les élus sur ce sujet, eux ne viendront pas vers nous. Je précise que si la communauté musulmane est massivement présente à Marseille, elle est implantée de façon plus modeste dans les autres communes du département, ce qui explique que les questions qui portent sur le rapport avec les élus se posent essentiellement à Marseille.
Les Clir fonctionnent plutôt bien, voire très bien. Je ne suis pas favorable à l’idée d’y associer les élus, car les informations qui y sont échangées sont confidentielles : on devrait se passer d’informations importantes des renseignements territoriaux ou des finances publiques par exemple. Même si les élus étaient demandeurs, je ne verrais pas d’un bon œil qu’ils soient associés. On peut leur communiquer des informations, mais en dehors de ces instances.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Monsieur le préfet Brugère, vous avez obtenu du maire d’Antony la fermeture de l’institut Alfoulk, pour des raisons de sécurité. Pouvez-vous y revenir brièvement ?
Par ailleurs, dans le témoignage que vous avez publié pour la Fondapol en mai dernier, vous relevez que « le combat ne se déroule pas à armes égales. Nous sommes dans une démocratie libérale et un État de droit, ce qui nous contraint davantage que nos adversaires ». Comment lutter efficacement contre l’islamisme en garantissant le respect des libertés fondamentales et en prévenant toute stigmatisation ou discrimination à l’encontre des musulmans ? Préconisez-vous de faire à nouveau évoluer notre cadre juridique, notamment législatif ?
M. Alexandre Brugère. Concernant Alfoulk, tout est parti d’un signalement que j’ai reçu, selon lequel cet institut demandait sur son site internet – c’était une information en source ouverte – aux femmes qui souhaitaient s’inscrire de fournir une photographie d’identité en hijab ainsi qu’un certificat signé soit de leur père, soit de leur mari. Vous conviendrez qu’on peut y voir un signal faible d’attitude islamiste.
Ce signalement nous a conduits à effectuer des vérifications. Nous avons programmé un contrôle Clir, c’est-à-dire multiadministrations, au cours duquel quinze anomalies ont été constatées au regard de la réglementation incendie. Sur ce fondement, nous avons demandé au maire – puisque c’est de sa compétence – de demander à l’institut d’appliquer les modifications sous huit jours, sous peine de fermeture. L’institut ayant indiqué ne pas être en mesure de le faire dans ce délai, le maire d’Antony a pris un arrêté de fermeture.
Sept jours plus tard, j’ai été amené à faire un signalement au procureur de la République, après avoir pris connaissance de propos tenus par le président de l’institut Alfoulk. Il s’agissait de propos homophobes et faisant la promotion de la pédophilie, de la polygamie et de diverses autres horreurs.
Dans un courrier daté du 29 octobre et reçu par la mairie d’Antony le 3 novembre, M. Althaparro indique que la structure restera définitivement fermée et n’a pas vocation à reprendre ses cours. La même communication figure en ligne. Du point de vue de la République, c’est une victoire, permise par une collaboration parfaite avec le maire d’Antony. J’aurais pu me substituer à lui s’il n’avait pas voulu prendre l’arrêté de fermeture, mais il l’a évidemment fait : c’est un grand républicain.
En comparaison, je me suis permis de me substituer au maire pour prendre l’arrêté de fermeture de l’institut Lissen, l’école coranique de Colombes, dans lequel nous avons découvert des affichettes présentant des femmes et des enfants sans visage, ce qui est un signe de l’idéologie islamiste. En effet, le responsable de cette école coranique étant son directeur de cabinet, j’ai considéré que demander au maire de prendre cet arrêté sur le fondement d’infractions à la réglementation incendie l’aurait placé dans une situation délicate.
Pour en revenir à l’institut Alfoulk, j’espère qu’il y aura des suites judiciaires au signalement que j’ai fait sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale. Mais, sur le plan administratif, ce sujet est derrière nous puisque la structure est fermée.
S’agissant du texte que j’ai publié, et dans la droite ligne de ce qu’ont dit mes collègues, je considère que notre appareil administratif et législatif est mature. Il n’y a pas de loi magique pour lutter contre l’islamisme – tous ceux qui prétendent le contraire mentent. Il ne suffira pas d’écrire dans la loi que l’islamisme est interdit pour qu’il n’y en ait plus. De fait, nous sommes face à des acteurs qui pratiquent la dissimulation. Ce faisant, ils rendent le travail des préfets de plus en plus compliqué. Alors certes, on peut penser à des renforcements de notre arsenal législatif – sur les subventions publiques ou sur l’accueil des mineurs par exemple –, qui seront aussi utiles que la loi « séparatisme » nous l’est au quotidien. Mais ce n’est pas ce qui changera fondamentalement la nature du combat, lequel requiert de mobiliser tous les outils qui sont à notre disposition, qu’ils soient administratifs et judiciaires.
On a peu parlé de l’autorité judiciaire, mais elle a un rôle fondamental à jouer en la matière. Nous signons régulièrement des signalements au procureur de la République sur la base de l’article 40. Même si la justice judiciaire a son temps, elle est un partenaire essentiel dans ce combat.
Je dis simplement dans mon texte que nous sommes dans un État de droit et dans une démocratie libérale. Face à des questions aussi complexes, qui touchent à la liberté de conscience et à la conviction religieuse et sur lesquelles on peut être facilement caricaturé, les recours que permettent des contre pouvoirs juridiques sont utiles. Car, pour compléter l’extrait que vous avez cité, « nos victoires sont d’autant plus grandes qu’elles s’inscrivent dans le cadre de l’État de droit républicain », puisqu’elles s’obtiennent sur le fondement du droit et dans le respect du contradictoire. Et lorsqu’il arrive que ces recours ne se soldent pas par une victoire, l’État continue son travail.
Encore une fois, s’agissant d’une matière aussi sensible, ce cadre a son utilité. Les évolutions de ce cadre, qui seront les bienvenues, n’empêcheront pas que nous devrons continuer à faire un travail de dentelle face à des individus qui se dissimulent de plus en plus. M. Althaparro a tenu les propos que j’évoquais il y a plus de dix ans : depuis, il ne les tient plus publiquement. Un nombre croissant d’islamistes font attention à ce qui se dit dans les prêches et publiquement, nous donnant du même coup de plus en plus de fil à retordre. Aussi devons-nous continuer à renforcer notre connaissance de ces écosystèmes et à pratiquer la méthode très offensive des Clir, qui permet l’analyse des cibles et la mobilisation de tous les leviers disponibles.
Mme Constance Le Grip (EPR). Merci pour vos témoignages de terrain qui nous éclairent et contribueront utilement à notre réflexion.
Monsieur le préfet Brugère, en tant que députée des Hauts-de-Seine, je vous apporte tout mon soutien pour votre action déterminée contre l’islamisme, ce fléau qui gangrène nos valeurs républicaines. La lutte ardemment engagée commence à porter ses fruits, ainsi qu’en atteste la virulence des attaques personnelles portées contre vous. Vos écrits montrent dans quel esprit vous menez ce combat.
Après les deux Conseils de sécurité et de défense nationale réunis à la suite du fameux rapport sur les Frères musulmans, dont nous avons auditionné les auteurs, le chef de l’État a émis le souhait que des dispositions législatives complètent la loi de 2021 confortant les principes de la République. Ce serait notamment utile s’agissant de la dissolution administrative des fonds de dotation ou du contrôle des apports financiers, bref de la transparence, au sens large – qui est, à côté de la combativité de l’administration, l’autre arme dont les États de droit et les démocraties peuvent faire usage.
Essayer de définir l’islamisme politique nous ferait perdre beaucoup de temps et d’énergie sans être bien sûrs d’atteindre notre objectif. D’autres pays européens s’y sont essayés, sans que ce soit concluant. Néanmoins, ne pourrait-on pas travailler une définition juridique de l’entrisme islamisme de sorte à pouvoir caractériser des actes et des comportements qui porteraient atteinte aux intérêts de la nation ? Cela nous offrirait des outils supplémentaires pour appréhender des personnes morales ou physiques.
M. Jérôme Buisson (RN). Cette commission a été créée parce que certains députés nourrissent des suspicions. Dans la mesure où ceux sur qui nous vous interrogeons jouent au chat et à la souris avec ceux qui enquêtent, pouvez-vous nous indiquer, même si c’est subjectif, s’il y a un écart entre ce que vous constatez sur le terrain, que vous nous relatez, et ce que vous ressentez ? Parfois, on enquête sur une mosquée où l’on sait qu’il se passe des choses, mais on ne trouve rien : voilà le type d’écart auquel je pense. Ce n’est pas parce que vous n’avez pas trouvé de liens entre l’islamisme et les hommes politiques que de tels liens n’existent pas.
Par ailleurs, M. Brugère est-il le seul à avoir été attaqué par un député – du groupe LFI ou d’un autre ? Est-ce dû à des prises de position plus fermes ?
Enfin, je comprends votre réserve quant à l’ouverture des Clir aux élus locaux. Mais, sans révéler de secret, disposez-vous d’éléments concernant des politiques qui ne peuvent pas être révélés ici ?
M. Alexandre Brugère. Merci, madame la députée Le Grip, pour vos mots qui me touchent. Au-delà de ce que j’ai pu dire sur un député de mon département, je me félicite de constater que les élus ont très largement la République au cœur, quelle que soit leur tendance politique. Il est important d’avoir en tête que les phénomènes dont nous parlons sont marginaux. L’immense masse des élus de la République sont pleinement républicains.
La question de la difficulté à capter l’information relève davantage des services de renseignement. Leur cadre d’action nécessite de travailler avec prudence. Ils ont la possibilité de mobiliser des techniques spécifiques, qui répondent à des règles encadrées par le droit et qui sont extrêmement contrôlées. Ainsi, s’il y a des évolutions à chercher, c’est probablement pour eux. C’est aussi à eux de répondre sur la nature de ces évolutions.
Pour notre part, nous pouvons recevoir de l’information d’autres acteurs, mais nous sommes largement clients ou usagers de celle qui émane des services de renseignement. S’il y a un travail à mener, c’est plus à l’entrée du tuyau qu’à notre niveau. Dans la mesure où l’entrisme opère par nature dans la dissimulation, il faut probablement aider davantage qu’on ne le fait les services de renseignement.
S’agissant de votre question sur nos impressions, monsieur le député Buisson, je suis assez convaincu de ce que vous ont aussi dit mes collègues : je ne crois pas qu’il s’agisse d’un système organisé. Je ne crois pas qu’il y ait des réunions entre des responsables politiques et des représentants islamistes pour se mettre d’accord sur la stratégie de la semaine. Il est important de le dire.
En revanche, comme l’ont également dit tous mes collègues, je crois qu’il existe une recherche de captation électorale. Les islamistes sont particulièrement doués en matière de propagande et ont réussi à installer cette idée folle qu’est l’islamophobie – un néologisme dont on retrace très bien la construction et dont on voit, sans nier la réalité des actes antimusulmans, qu’il a la vocation d’être un outil politique de conquête. Ils ont ainsi réussi à encourager une sensibilité, chez nos compatriotes de confession musulmane, qui fait qu’une attaque contre les islamistes fait réagir des personnes qui ne sont pas islamistes et qui sont même pleinement républicaines, parce qu’elles ont le sentiment que c’est une action de plus visant à « faire la chasse aux musulmans ». Les islamistes sont parvenus à capter un ressort psychologique chez une partie de nos compatriotes et à donner de la force à la thèse d’une islamophobie d’État.
Je retrouve exactement le même mécanisme dans la question du rapport entre les jeunes et la police. Certaines personnes ont développé un discours selon lequel la police, institution éminemment républicaine, serait animée par une envie de tuer, de s’en prendre physiquement à la délinquance, de régler des comptes. C’est la même logique : les personnes en question ne se réunissent pas avec les délinquants pour définir le planning de la semaine, mais elles utilisent un ressort pour essayer de capter l’adhésion. C’est une forme de soft power, qui rend votre travail ainsi que le nôtre difficiles. Mais je ne crois pas que vous arriviez à trouver les preuves d’un système organisé.
M. Julien Charles. J’adhère à ce que vient de dire mon collègue. S’agissant de l’entrisme, nous nous heurtons effectivement à la difficulté de définir le phénomène. Il apparaît toutefois que c’est une manière de faire dévier la décision publique d’une forme de normalité, qui aboutit à des effets que nous pouvons contrôler et sanctionner le cas échéant. C’est la raison pour laquelle je persiste à dire que des améliorations du cadre juridique sont nécessaires, pour pouvoir traiter de certaines subventions aux associations par exemple, ou de biens mis à la disposition d’une association cultuelle par le biais d’un bail emphytéotique un peu « bizarre ».
Concernant les écarts entre les constats et les suspicions, nous sentons effectivement dans certains territoires qu’une ambiance n’est pas claire, mais nous manquons d’éléments matériels. C’est pour cela que nous avons besoin des Clir, de travail interministériel et de capteurs fins pour essayer d’identifier des pratiques relevant de la loi.
Par ailleurs, en tant que préfets, nous donnons prise à des attaques. Pour ma part, elles ont surtout concerné les drapeaux palestiniens ou la défense de la police. Cela fait partie du job.
Enfin, nous vous indiquons tout ce dont nous avons connaissance. De surcroît, en cette époque d’usage généralisé des réseaux sociaux, les prises de position des uns et des autres sont connues. Tout est en littérature ouverte, comme on dit en matière de renseignements.
M. Pierre-André Durand. Concernant l’écart que vous évoquiez, on peut certes avoir un sentiment ou une suspicion concernant des lieux de culte, mais il faut surtout à mon sens veiller au domaine culturel et périscolaire – un sujet de préoccupation car il touche à la formation de la jeunesse et au regard qu’elle peut porter sur la République, ses institutions et ses valeurs.
Quant aux attaques, elles sont souvent le fait d’individus – hommes politiques ou acteurs publics – qui s’en prennent à l’image ou à la personne du préfet. Ces attaques peuvent aussi être collectives : c’est ainsi que j’ai été amené à porter plainte, au nom de l’Association du corps préfectoral, contre M. Mélenchon qui avait menacé de « mettre les préfets en prison » s’il arrivait au pouvoir. Mais, comme l’a dit mon collègue de la Seine-Saint-Denis, nous sommes hélas accoutumés à ce genre d’attaques. Il faut simplement poser des limites et, quand ces attaques sont constitutives d’infractions, faire systématiquement appel à la justice.
M. Antoine Guérin. Lorsque la préfète de région a résilié les contrats d’association, elle a fait l’objet d’attaques la sommant de se justifier, y compris de la part d’acteurs départementaux et des départements limitrophes. Je ne vois pas d’autres cas.
Mme Corinne Simon. Il existe toujours un écart entre les constats et les suspicions. C’est précisément parce que l’entrisme est difficile à qualifier qu’il est difficile à repérer, la théorie des islamistes consistant à se rendre invisibles pour infiltrer. On peut avoir un faisceau d’indices, mais qui ne font pas une démonstration.
Deuxième point, le préfet Georges-François Leclerc n’a pas été attaqué par un quelconque élu en raison d’une décision qu’il aurait pu prendre.
Enfin, nous ne vous cachons rien. Par ailleurs, si je suspectais une action qui pourrait engendrer des actes répréhensibles, il est évident que je recourrais à l’article 40 du code de procédure pénale sans aucun état d’âme.
Mme Constance Le Grip (EPR). Il existe un lien entre toutes les formes d’antisémitisme et d’antisionisme et l’idéologie islamiste, qu’elle soit frériste ou salafiste. Une réflexion est en cours, à l’Assemblée nationale et ailleurs, pour mieux cadrer la définition de l’antisémitisme, y compris dans ses formes renouvelées. Cela permettrait peut-être, par un effet miroir, de disposer d’outils supplémentaires pour contraindre l’idéologie islamiste.
M. le président Xavier Breton. Madame et messieurs les préfets, je vous remercie. Vous pourrez compléter vos interventions par écrit.
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17. Audition de Mme Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice (4 novembre 2025)
M. le président Xavier Breton. Mes chers collègues, nous accueillons Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Chère collègue, je vous remercie de votre venue au Palais‑Bourbon. Notre commission d’enquête a souhaité vous inviter à participer à nos travaux au titre de plusieurs de vos rapports, dont celui sur la radicalisation islamiste de 2020, qui permettait de mesurer l’ampleur de ce phénomène dans des pans importants de notre société, et le rapport d’évaluation de la loi confortant le respect des principes de la République (CRPR), publié en 2024 et qui porte un regard assez critique sur les résultats obtenus par cette loi, puisqu’il a pour sous-titre « Tout reste à faire ».
Nos travaux portent sur les mouvements islamistes en France et leur stratégie pour nouer des liens avec des formations politiques et les élus nationaux ou locaux. Or, dans votre rapport d’évaluation de la loi CRPR, vous soulignez d’importantes disparités dans l’appropriation de celle-ci par les élus locaux. Comment l’expliquez-vous ? Les élus vous semblent-ils suffisamment sensibilisés à l’influence des mouvements islamistes sur leur territoire ? Votre rapport contenait un certain nombre de recommandations. Effectuez-vous un suivi de la mise en œuvre de ces propositions, tant sur le plan quantitatif que qualitatif ? Vous considérez également qu’il serait nécessaire d’étendre le délit de séparatisme prévu par l’article 433-3-1 du code pénal. Pouvez-vous préciser ce point ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice. Je vous remercie de me recevoir et de m’auditionner dans le cadre de vos travaux. J’ai été élue locale, c’est-à-dire maire d’une ville du Val-d’Oise, où j’ai dû mener un combat très fort pour préserver l’unité de ma ville face à ce que nous appelions il y a quinze ans « les barbus » – qui aujourd’hui ne portent plus de barbe, mais demeurent tout aussi dangereux. J’ai également exercé pendant vingt-cinq ans dans un lycée professionnel d’Argenteuil, ce qui m’a permis d’observer les choses évoluer. Je suis un pur produit de l’école républicaine que nous devons préserver aujourd’hui.
J’ai réalisé le rapport de la commission d’enquête que vous avez mentionné à la demande de Bruno Retailleau qui, connaissant mon expérience personnelle, avait souhaité que j’approfondisse ce sujet fondamental pour la cohésion sociale de notre pays et face auquel nous n’avons pas tous la même approche. D’ailleurs, il ne se vit pas de la même manière sur l’ensemble du territoire, mais ne nous faisons aucune illusion : ce que nous vivons actuellement en région parisienne ou dans les grandes agglomérations, l’ensemble de la France le connaîtra dans quelques années. Les élus doivent réellement en prendre conscience.
Mon engagement s’enracine également dans mon incapacité à concevoir que des enfants puissent sortir de la République dès l’âge de quatre ans et devenir ensuite des adultes n’ayant jamais intégré les codes et les règles de la République.
Concernant la loi dite « séparatisme », nous nous sommes montrés assez critiques au travers du bilan effectué à la demande du président de la commission des lois. C’est une loi technique essentielle qui a apporté des outils, en particulier aux préfets, pour surveiller l’origine des fonds ou fermer provisoirement des lieux de culte, mais fondamentalement, concernant l’entrisme au quotidien et la volonté de séparatisme, cette loi ne contient pas de réelles dispositions.
Par exemple, les associations doivent simplement cocher une case attestant leur engagement à respecter les lois de la République et apposer leur signature, ce qui n’engage à rien et ne fait l’objet d’aucune vérification. Il y a deux sujets : effectivement, les outils pour surveiller mieux et différemment les associations en particulier et le quotidien et la volonté politique. Or sur ce second sujet, le texte ne prévoit pas de réel dispositif.
La réalité de notre pays demeure inchangée. Lorsqu’un certain nombre de nos concitoyens vous disent « ma ville change, ma rue change, mon pays change », ils expriment que des choses les heurtent et les gênent. Cette cohésion et cette manière de vivre ensemble au‑delà de nos religions, que ma génération a connues, ne sont plus une réalité partout.
Je retravaille encore aujourd’hui sur ce sujet au Sénat et je vais réaliser un rapport, et plusieurs chercheurs et spécialistes nous disent que – ce qui est loin de me rassurer – « la France a cinq ans de retard sur la Belgique ». Je peux vous communiquer les noms de ces lanceurs d’alerte et chercheurs, mais un tel discours devrait nous inquiéter.
Nous disposons d’outils, de moyens et de quelque chose qui nous protège, à savoir la laïcité, qui est la bête noire des islamistes. La laïcité ne s’adjective pas. Il n’existe pas de laïcité ouverte ou tolérante. Il s’agit simplement de la laïcité et tous les citoyens doivent la comprendre dans le même sens. Il est important de se battre pour cette laïcité, car elle est émancipatrice pour la jeunesse et constitue une respiration. Faire comprendre aux jeunes que la laïcité est émancipatrice et leur permet d’être des citoyens éclairés me paraît essentiel. Nous ne devons pas transiger sur ce sujet qui me tient à cœur et j’estime que notre responsabilité politique nous oblige à dénoncer et à nommer les choses.
Je figure parmi ces élus qui, il y a quinze ans, ont lutté fermement. J’appartiens probablement aux premiers élus qui ont été menacés, surveillés et ont commencé à devoir transmettre leur emploi du temps à la police. Ces islamistes tentent de nous faire taire et jouent avec cette volonté de nous faire peur. Moins nous les craignons, plus nous avançons, et ce message doit être diffusé.
Je regrette aujourd’hui que de nombreux élus s’inquiètent de la cohésion au sein de leur ville et font face à certaines demandes dans le domaine sportif notamment, mais ne maîtrisent pas toujours les méthodes employées par ces individus qui, sous des apparences affables, vous emmènent là où ils le souhaitent sans que vous ne vous en rendiez compte. Nous devons donc former les élus à reconnaître cet entrisme et leur expliquer son fonctionnement ainsi que la manière dont ces personnes arrivent à leurs fins avant qu’il ne soit trop tard.
Je m’inquiète particulièrement, et je m’étais déjà exprimée sur le sujet en 2020, des prochaines élections municipales, pour lesquelles nous devons rester extrêmement vigilants. En 2020, quelques listes étaient déjà marquées par une forme d’entrisme et comportaient des personnes motivées, non par une ambition d’un projet commun pour une ville ou un territoire, mais par la volonté de propager leur idéologie. Les élus doivent prendre conscience que les personnes qui s’engagent doivent être unies autour d’un projet commun qui est l’ambition pour sa ville, peu importe l’origine, la couleur de peau, le genre, etc.
Vos travaux confirmeront certainement que, lorsque des listes sont infiltrées par des islamistes, ces derniers font d’abord bonne figure puis, après deux ans environ, quelques-uns quittent la majorité municipale, avant de créer un groupe d’opposition et de préparer la suite. Nous devons donc être attentifs à ces phénomènes, qui ont de réels impacts sur nos territoires.
À titre personnel, j’affirme qu’il ne s’agit nullement d’une question partisane de droite ou de gauche, mais d’un sujet d’unité nationale et de cohésion. Nous devons partager une vision commune sur ce sujet, protéger les territoires et combattre ces écosystèmes ou communautés qui existent déjà dans certains départements, où seule la religion subsiste, où les commerces ne sont plus diversifiés et où des habitants quittent leur quartier parce qu’ils ne s’y reconnaissent plus. Ce phénomène représente un réel danger. Nous devons faire comprendre à la jeunesse actuelle que le vivre ensemble repose d’abord sur le fait d’être citoyen et que la religion ne doit pas régir nos rapports interpersonnels.
Je regrette profondément l’exploitation politique de cette question par certains. Ne pas identifier cette réalité serait irresponsable. Certains élus veulent assigner à résidence des personnes dans ce qu’ils sont pour s’en servir comme d’une clé électorale. Nous ne devons pas assigner les personnes dans nos cités et dans nos quartiers, mais plutôt les aider à s’émanciper et leur montrer qu’ils sont citoyens avant d’être religieux. Nous ne pouvons pas vivre tous ensemble sans règles communes fondées sur le fait d’être citoyen dans un pays laïc, la religion relevant quant à elle de la sphère privée. Ce principe demeure essentiel pour l’avenir de notre pays.
Nous ne sommes certes pas l’unique pays européen confronté à cet entrisme islamiste partout, mais nous figurons probablement, après la Belgique qui constitue un cas particulier, parmi les nations les plus attaquées sur ce sujet en raison de la laïcité que nous portons en étendard. Nous ne pouvons pas avoir un discours en demi-teinte, c’est-à-dire de fermeté tout en étant tolérant, ce qui n’a pas de sens. Votre commission d’enquête confirmera certainement plusieurs constats que certains d’entre nous vous présenteront lors de ces auditions. Je pense qu’il est en tous cas urgent de décrire ce phénomène.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je vous remercie, madame la sénatrice, pour votre présence et pour votre travail. J’ai pris connaissance de votre rapport avec grande attention. Vous avez parfaitement raison d’affirmer que ce sujet revêt une importance particulière, qu’il doit être transpartisan et qu’il touche à l’unité de notre nation. Notre rapport ne reproduira évidemment pas le travail que vous avez déjà accompli, bien que nous nous en inspirerons certainement.
Le thème central qui nous réunit aujourd’hui correspond aux liens éventuels entre les partis politiques et l’islamisme. Dans vos travaux, avez-vous identifié des liens entre des mouvances islamistes et des mouvements politiques français ? Ces liens apparaissent-ils particulièrement marqués au sein de certains mouvements ou partis politiques ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Au travers de la commission d’enquête que nous avions menée en 2019, nous n’avions pas véritablement abordé ce sujet, mais je peux vous en parler librement. Il serait hypocrite de ma part de ne pas poser les constats avec clarté et j’assume pleinement tous les propos que j’exprime aujourd’hui.
Nous faisons face à une extrême gauche qui joue avec ce sujet. Je suis issue de quartiers populaires et des HLM. J’ai maintenu ce lien avec ceux-ci et je m’efforce de faire de la pédagogie auprès des habitants en leur expliquant que personne ne remet en cause leurs croyances, que personne ne critique leur foi ou leur absence de foi. Je leur explique cependant que pour se libérer, il est essentiel qu’ils comprennent ce que nous pouvons faire pour eux.
Il est évident aujourd’hui que les mouvements d’extrême gauche exploitent ce ressort en affirmant que notre pays est raciste et islamophobe. En 2019, j’ai fait voter au Sénat une loi, qui n’a pas été validée à l’Assemblée nationale, sur l’interdiction du voile pour les accompagnatrices scolaires. Dans la foulée, la marche contre l’islamophobie a été organisée, avec la participation d’élus de la République arborant leurs écharpes tricolores. Je prononce ici le terme « islamophobie », mais je refuse habituellement de l’utiliser, car il s’agit d’un concept inventé par les salafistes et les islamistes, qui consiste simplement à prétendre que la France est raciste et n’aime pas les musulmans, ce qui est hallucinant.
Ces mouvements fonctionnent en trois étapes : la victimisation, la provocation et la communication. Une fois ce mécanisme compris, nous savons quel est leur mode opératoire. Ils entretiennent un discours victimaire permanent en disant qu’ils sont détestés, mais qu’on m’explique en quoi nos compatriotes de confession musulmane seraient aujourd’hui rejetés en France. Ils ne sont rejetés nulle part et il s’agit d’un concept inventé pour dresser les gens les uns contre les autres. Nous observons le même phénomène avec certains mouvements à Grenoble, avec les Hijabeuses, avec les débats sur le burkini, etc. Cette situation est malsaine et pousse les gens à s’opposer entre eux. Certains Français, qui en ont marre d’entendre parler de ces sujets, ne cherchent même plus à comprendre ce qu’il se passe.
J’assume de dire que les mouvements d’extrême gauche exploitent cette corde sensible, ce qui est extrêmement dangereux, en premier lieu pour les populations victimes de cette exploitation politique, de ce clientélisme électoral. Je suis élue de banlieue et, lorsque j’ai mené certains combats, la gauche et l’extrême gauche m’ont attaquée en me qualifiant de « méchante raciste ». Cette stratégie n’a pas fonctionné, car les gens me connaissaient. Cette approche est dangereuse, car elle fragilise notre cohésion sociale et assigne à résidence des personnes qui n’en ont pas besoin.
Dans les villes qui comptent ces quartiers populaires très sympathiques, il existe une forme de police des mœurs et de la pensée. J’ai rencontré des femmes qui me disaient : « Je suis musulmane, j’achète un sapin de Noël parce que mes enfants veulent célébrer Noël, le sapin n’ayant rien de religieux », puis elles recevaient la visite du « barbu » du quartier qui leur reprochait d’avoir installé un sapin, au motif que cette pratique est interdite. Dans certains quartiers s’institue cette police des mœurs et de la pensée et le discours victimaire porté par certains entraîne des répercussions dramatiques. Nous ne pouvons pas tolérer cette situation.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Les travaux de la commission d’enquête sénatoriale font état de politiques d’accommodement à l’égard de mouvances religieuses radicales et de pratiques clientélistes. Pourriez-vous nous présenter les principaux cas que vous avez observés ? À quel point ces pratiques sont-elles répandues ? Comment pouvons-nous les prévenir et les faire cesser, notamment dans la perspective des prochaines échéances électorales ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Dans certaines villes, des élus, pour gérer des problèmes de sécurité, d’unité ou d’émeutes, sollicitent les imams plutôt que de faire appel à la police. Cette réalité est insupportable. Les imams sont même parfois remerciés avant la police lors de conflits ou d’émeutes. Ce n’est pas le rôle des élus.
Quand je parle d’accommodement, je fais référence à cette tendance à accorder dans nos villes une telle place à une religion. À titre de comparaison, il ne me serait jamais venu à l’esprit de m’adresser au curé si j’avais été confrontée à des émeutes. La République ne fonctionne pas ainsi et ces pratiques inadmissibles sont irresponsables. Elles remettent en cause notre mode de fonctionnement.
Je souhaite insister sur l’importance de la formation des maires. Toutes les associations de maires ou d’élus locaux doivent considérer ce sujet comme une priorité dans leurs formations aux élus. De nombreux élus ne voient pas les choses venir ou les verront trop tard, tandis que d’autres sont dans le déni. L’objectif n’est pas de les accuser, mais de les appeler à être vigilants à ce qu’il se passe dans leurs communes. Le jour où ils constateront qu’ils sont dépassés, il sera malheureusement trop tard.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le rapport d’application de la loi CRPR que vous avez corapporté en 2024 portait un regard critique et, près de trois ans après l’adoption de cette loi, dressait un bilan encore loin d’être concluant. Quelles recommandations pourriez-vous formuler pour améliorer cette loi ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Cette loi très technique n’a rien réglé dans le quotidien. Ce n’était peut-être pas sa vocation immédiate, mais elle constituait un premier pas. Elle n’a pas émergé par hasard en 2021 et elle répondait déjà à certaines réalités. Nous devons désormais aller plus loin, car dans notre vie quotidienne, rien n’a changé. Il reste des dispositions à établir concernant le sport et l’école, même si cette dernière a fait l’objet d’évolutions.
Je tiens à souligner que M. Attal n’a pas publié sa circulaire sur l’abaya par hasard. J’ai sincèrement salué cette initiative, car malgré la loi CRPR, l’abaya commençait à s’implanter dans nos lycées. Sa circulaire a certes provoqué des remous, mais ceux-ci n’ont finalement pas été si importants. Lorsque la République et une règle claire s’imposent, tout le monde les respecte. Sans écrire les choses progressivement et avec clarté dans le quotidien, aucun recul ne sera obtenu. Les lois actuelles, qu’elles permettent de vérifier l’origine des fonds ou de fermer des lieux de culte pour raisons sanitaires ou sécuritaires, sont insuffisantes. Notre mode de fonctionnement ensemble exige que nous imposions certaines règles. J’utilise délibérément le terme « imposer », ce qui peut heurter, mais une fois la règle instaurée, la question est réglée. Le texte sur l’abaya a été très clair, a heurté, puis tout le monde s’y est conformé.
Dans plusieurs secteurs de la société – sport, école, hôpitaux –, un travail considérable reste à accomplir. Des revendications dans les hôpitaux sont insupportables en France en 2025. Au quotidien, nous n’avons pas suffisamment armé la République. Les fédérations sportives doivent également s’approprier cette question et établir des règles. Le sport représente cet espace où les enfants de la République partagent des moments. Dans un club de football, de basketball ou de danse, nous partageons des expériences communes où la religion n’a pas sa place. Pourtant, nous constatons aujourd’hui des revendications religieuses dans le milieu sportif. Il est impératif d’imposer des règles. La loi Savin, adoptée au Sénat et interdisant le voile dans les compétitions sportives, n’est toujours pas passée à l’Assemblée nationale malgré les engagements du gouvernement. Je défends qu’il est nécessaire de choisir entre le sport et le voile. Le sport est un espace neutre où l’on pratique ensemble sans afficher sa religion. Si l’on ne veut pas retirer son voile, on renonce au sport. Cette position créera initialement des tensions, mais chacun finira par pratiquer son sport. Cet univers offre des moments extraordinaires de partage et l’envie de pratiquer du sport ensemble prendra le dessus.
Notre faiblesse au quotidien permet aux islamistes et communautaristes d’exploiter constamment notre gentillesse permanente. J’espère que nous ne sommes pas arrivés à un point de non-retour.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous avez observé à travers ce rapport des disparités territoriales. Pourriez-vous préciser cette analyse et nous indiquer comment garantir l’appropriation par les pouvoirs publics de l’ensemble des outils disponibles ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Ces disparités s’expliquent principalement parce que tout le monde ne vit pas le phénomène de la même manière, même si chacun finira tôt ou tard par y être conforté de manière identique. Les préfets, dont certains sont particulièrement actifs, reçoivent désormais des objectifs précis de l’État concernant l’application de cette loi. Celle-ci n’a cependant pas été appliquée de façon uniforme sur l’ensemble du territoire, notamment parce que les problématiques se manifestent différemment selon les régions.
Il est nécessaire que tous les acteurs s’approprient ce texte et que les élus prennent conscience que cette réalité fait partie de leur environnement. La responsabilité ne repose en effet pas uniquement sur les préfets, mais également sur les élus locaux. Je m’exprime très librement sur ce sujet, car des élus de droite comme de gauche pratiquent le clientélisme. Les élus locaux ne peuvent pas demander en permanence à l’État d’agir à leur place. Ils doivent assumer leur rôle d’acteurs au sein de leur collectivité et opposer un refus lorsque la situation l’exige afin de préserver l’unité de leur ville et le vivre ensemble.
Mme Caroline Yadan (EPR). Je vous remercie, madame Eustache-Brinio, pour ces propos dont notre République a besoin. Nous avons en effet besoin de paroles fortes et d’élus – sénateurs, députés, responsables locaux – qui s’emparent de ce sujet pour rappeler que la lutte contre l’islamisme ne constitue nullement une forme d’intolérance, mais est absolument indispensable à la survie de notre démocratie. J’ai également été rapporteure d’une mission flash sur l’islamisme dans le sport, ce qui m’a valu toutes sortes de qualificatifs, et je partage entièrement votre conviction que la fermeté l’emportera.
Vous avez souligné à plusieurs reprises la nécessité de former les élus face à cet entrisme avant qu’il ne soit trop tard et que tous les élus devraient considérer ce sujet comme prioritaire dans leur commune. En ont-ils la volonté ? Les élus font-ils preuve d’une certaine naïveté, d’une faiblesse ou peut-être d’une crainte ? Ou estimez-vous que certains élus adoptent en toute conscience une idéologie pour être complices de cet entrisme islamiste ?
Par ailleurs, vous avez reconnu que la loi CRPR avait été utile, mais précisé qu’elle n’avait pas résolu les problèmes dans le quotidien et nécessitait des améliorations. Avez-vous envisagé depuis 2021 – date de promulgation de la loi – une nouvelle proposition de loi ? Si vous y avez songé, quelles raisons vous ont empêchée d’aller au terme de cette démarche ? Selon vous, faut-il légiférer davantage sur ce sujet ou la solution réside-t-elle ailleurs ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Effectivement, certains élus sont complices par pur clientélisme. Ils ne sont nullement ignorants et il s’agit d’un calcul. D’ailleurs, nous constatons souvent l’augmentation de projets de mosquées six mois avant les élections municipales. Il s’agit de pur clientélisme et les maires qui s’y prêtent sont pleinement acteurs. Toutefois, ils ne constituent pas une majorité.
Les élus ne peuvent pas ignorer l’existence du problème, sur leur territoire ou à proximité, et je continue de le dire parce qu’il est peut-être encore temps d’agir et de limiter un certain nombre de choses. Il est nécessaire de leur faire comprendre qu’il s’agit de l’avenir de notre pays, car chaque territoire en constitue un morceau. L’addition des territoires touchés rend rapidement la situation ingérable.
La formation des élus et l’explication du fonctionnement de l’islamisme ne modifieront cependant pas l’attitude de ceux qui sont complices et qui pratiquent le clientélisme électoral. Ces derniers doivent néanmoins être confrontés à leurs responsabilités.
Concernant la loi, nous n’avons jamais affirmé qu’il n’aurait pas fallu l’élaborer, mais nous avons simplement souligné qu’elle ne modifiait pas substantiellement le quotidien des Français. Dans ce contexte, ceux qui entendent imposer les lois religieuses avant les lois de la République n’ont pas été réellement gênés et ont continué à fonctionner.
Je suis une combattante contre le voile et je trouve insupportable de voir toutes ces jeunes filles voilées sous prétexte qu’elles ne seraient pas de véritables musulmanes sans cela. Lorsque j’enseignais dans mon lycée à Argenteuil, certaines de mes élèves ont combattu le patriarcat ainsi que la place du père et des frères et me confiaient avoir pris des coups et se battre pour leurs petites sœurs. Quand j’étais maire et que je luttais contre les islamistes, des femmes venaient me dire qu’elles étaient heureuses que je sois à la mairie parce que je les protégeais.
Ils utilisent les femmes et le voile. En effet, le port du voile rend cette religion visible dans l’espace public. Je répétais souvent aux habitants de ma ville que je ne voulais même pas connaître leur religion, car je les considérais uniquement comme des citoyens. Le voile est conçu précisément pour servir d’étendard, qui permet d’inscrire, par les femmes, cette religion dans l’espace public. Les filles concernées n’en ont d’ailleurs pas toujours conscience.
Nous devons donc élaborer des textes ciblés vis-à-vis de cette situation. J’ai voulu cette loi sur les accompagnatrices scolaires, car les sorties scolaires constituent un temps scolaire. Il est incohérent de refuser qu’une maman qui porte le voile participe à une activité scolaire dans l’enceinte de l’école tout en l’autorisant à accompagner des enfants lors d’une sortie. Nous devons également aider ces femmes à se libérer de ce carcan.
Il est donc nécessaire de parvenir à écrire des dispositifs qui permettent de lutter efficacement. La loi CRPR a certes apporté des avancées concernant les financements, ce qu’il se passe dans les mosquées et la surveillance des prêches, mais elle demeure insuffisante. Nous devons progressivement élaborer des mesures pour provoquer un bousculement.
M. Julien Odoul (RN). Je vous remercie, madame la sénatrice, pour ces propos lucides et courageux. Vous faites en effet preuve d’une qualité malheureusement trop souvent absente de la classe politique, c’est-à-dire de courage. Votre proposition de loi visant à interdire les signes religieux pour les accompagnatrices scolaires a alimenté un débat au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, lequel a suscité d’abondants commentaires, mais très peu d’avancées législatives concrètes.
À la lumière de votre rapport et de vos propos aujourd’hui, le problème originel n’est‑il pas démographique ? Les flux migratoires n’ont-ils pas, dans certains territoires et certaines localités, soumis certains élus, par la force du nombre, à contrevenir aux règles et lois de la République, les conduisant ainsi à s’accoutumer à ces accommodements ?
Vous avez évidemment insisté sur l’extrême gauche, évidence qui ne peut échapper à quiconque observe la situation tant à l’Assemblée nationale qu’au-dehors, en particulier ses connivences et ses pratiques. Avez-vous également constaté une soumission de la part d’élus de droite, que ce soit au niveau municipal, départemental ou parlementaire, ayant adopté le langage et les codes des islamistes à des fins clientélistes ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Nous ne pouvons nier qu’il existe aujourd’hui un problème démographique concernant l’arrivée d’une population de confession musulmane. Les chiffres et la réalité le démontrent, ce qui n’empêche toutefois pas d’établir des règles et des lois pour expliquer clairement à celles et ceux qui s’installent chez nous que nous vivons dans un état laïc avec une constitution très claire, et que les lois religieuses doivent rester dans la sphère privée.
Je reconnais que dans certains territoires, la situation s’avère plus complexe en raison du nombre de personnes appartenant à une confession, mais cela ne doit pas nous empêcher d’imposer des règles communes. Dans ces territoires particulièrement, nous devons porter une grande attention à celles et ceux qui y travaillent. Nous devons être vigilants concernant les personnes autorisées à travailler dans ces quartiers, notamment au sein des associations. En effet, le soutien scolaire et l’encadrement ne peuvent être confiés à n’importe qui.
Dans ma commune, où 30 % du territoire était constitué de HLM, j’ai toujours refusé que les animateurs de quartier soient issus du quartier même où ils intervenaient, car ils n’auraient pas disposé de la liberté nécessaire pour travailler. Sous la pression du quartier, il n’est en effet pas possible de travailler comme on le souhaite. Je les aidais donc à trouver du travail ailleurs, car ils avaient légitimement le droit de travailler. J’ai ainsi veillé à ce que les animateurs et éducateurs viennent d’ailleurs pour éviter l’enfermement qui favorise toutes les dérives.
La présence de populations d’origine étrangère et de confession musulmane dans certains quartiers ne signifie pas que nous devons renoncer. Au contraire, nous devons imposer la République partout, même si cela s’avère plus difficile dans certaines zones, ce qui passe par l’élaboration de textes et de lois. J’utilise volontairement le terme « imposer », car nous avons dépassé le stade de la négociation et nous devons désormais imposer la règle.
Concernant la soumission de certains élus, il ne me revient pas de faire le procès de quiconque, mais certains, qu’ils soient de droite ou de gauche, ne luttent pas avec toute la détermination souhaitable. Je l’ai toujours affirmé et ils sont présents y compris au sein de ma propre famille politique.
M. Eddy Casterman (RN). Je tiens à réitérer notre admiration pour votre courage et votre détermination, et vous remercie d’éclairer cette commission d’enquête, tant par les travaux que vous avez menés au Sénat que par votre expérience courageuse en tant qu’élue locale dans votre commune du Val-d’Oise, où vous avez dû affronter des menaces inqualifiables de la part des islamistes.
Je souhaite revenir sur ce constat concernant les réseaux islamistes qui utilisent des dispositifs « paravents » pour ouvrir des centres éducatifs et culturels se transformant progressivement en centres cultuels, c’est-à-dire des mosquées ou des écoles coraniques. Le Figaro a récemment rapporté le cas de la commune de Givors où une association islamique chiite pro-iranienne cherche depuis plusieurs années à construire un centre islamique regroupant une école et une nouvelle mosquée. Cette organisation, qui fait l’éloge de l’ayatollah Khomeini, vient de se porter acquéreur d’une ancienne école désaffectée appartenant à la commune, dans laquelle elle prévoit d’installer une école hors contrat Montessori et une association de scoutisme. Ces deux projets constituent des prétextes pour occuper un immense bâtiment qui permettra d’ouvrir une mosquée plus spacieuse, une école coranique et un centre culturel chiite en lien avec le régime iranien.
Madame la sénatrice, au travers de vos travaux au Sénat, avez-vous pu constater des initiatives similaires concernant la radicalisation islamiste ? Avez-vous identifié une stratégie délibérée de recours à ces paravents pédagogiques permettant d’accéder plus facilement à des locaux détenus par des collectivités, ou même d’obtenir des dispositifs de soutien de l’État, comme des missions de service civique qui ne peuvent normalement pas bénéficier à des associations culturelles islamiques ? Si tel est le cas, comment pouvons-nous les prévenir, tant par de la prévention auprès des élus que par des sanctions pour ceux qui se rendraient complices ou coupables de telles actions en connaissance des projets de ces associations ?
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Je ne connais pas particulièrement le projet de Givors, mais il s’agit d’un exemple parmi d’autres. La loi CRPR a néanmoins fourni des outils aux préfets pour surveiller ces situations et leur permet d’ordonner des fermetures. De plus, le Sénat avait ajouté la nécessité pour ces lieux de culte d’obtenir des permis de construire soumis à validation du préfet. Désormais, nous pouvons examiner ces situations et procéder à des fermetures, les préfets étant particulièrement vigilants sur ce qui se déroule dans ces lieux, notamment concernant l’égalité entre hommes et femmes.
Si la ville de Givors a vendu son propre bien pour ce type de projet, elle aurait dû réfléchir davantage aux conséquences futures, car des problèmes seront rencontrés tôt ou tard. Aujourd’hui, nous disposons véritablement d’outils pour examiner, fermer et refuser. Je ne connais pas l’état d’avancement de ce projet spécifique, mais un préfet va certainement examiner l’origine des fonds et pourra éventuellement retarder sa réalisation. Dans le Val‑d’Oise, j’ai vu des projets retardés d’un an, voire abandonnés, grâce à la vigilance du préfet sur le financement. Il est nécessaire d’être attentif à ce que vise le projet, au permis de construire et à la configuration des locaux. Nous possédons aujourd’hui des leviers et des instruments pour agir.
Par ailleurs, le maire de Givors doit réfléchir et prendre ses responsabilités sur ce sujet. Un maire peut par exemple organiser des commissions de sécurité et j’ai personnellement fait fermer certains lieux de cette façon. Les contrôles inopinés relèvent en effet du pouvoir du maire. Dans ma commune, j’ai fait fermer un local après avoir découvert qu’une maison avait été transformée en lieu de prière sans autorisation.
Concernant le service civique, nous devons être extrêmement vigilants quant aux attributaires des marchés publics. Dans ma commune, un prestataire était chargé d’organiser du porte-à-porte pour sensibiliser au tri des déchets. J’ai constaté que les jeunes engagées dans cette mission portaient l’abaya. J’ai mis fin à cette mission et j’ai immédiatement convoqué l’association pour lui demander des explications. Nous avons également été confrontés à des jeunes du service civique chargés d’expliquer ce dispositif dans les écoles, mais là encore elles portaient l’abaya. Le service civique constitue une clé et il est impératif de contrôler à qui nous confions ces missions et de vérifier le respect des principes qui fondent le service civique.
M. Nicolas Dragon (RN). Je tiens aussi à saluer votre travail, votre courage et votre détermination sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui. Je souhaite particulièrement vous interroger sur un point qui retient mon attention en tant que parlementaire engagé sur les questions de laïcité et de lutte contre l’islamisme. Quel constat dressez-vous des dérives observées au sein de certaines collectivités locales où des responsables politiques semblent fermer les yeux au nom du « pas de vague » et du « laisser faire » ? Vous avez souligné que les élus locaux devaient être vigilants face aux tentatives d’entrisme islamique. Mais concrètement, comment faut-il réagir lorsque des élus mettent sciemment en avant des manifestations religieuses, mettent des salles à disposition et en font même la promotion sur les réseaux sociaux ? J’ai observé ce phénomène dans mon département de l’Aisne récemment, avec une mise en avant qui ne serait jamais accordée à une autre religion. Quelle attitude doit être adoptée face à ces situations en tant qu’élu local ? Faut-il dénoncer publiquement ces pratiques ? Ce phénomène m’interpelle particulièrement, car la peur semble parfois dominer.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Il s’agit de l’engagement individuel des élus et vous avez raison de dénoncer ces pratiques. J’estime qu’il ne faut avoir aucun état d’âme à ce sujet et ces comportements doivent être dénoncés. À court, moyen et long terme, ils minent la cohésion nationale. Un élu, quel qu’il soit, ne peut se permettre de porter atteinte à la cohésion nationale. Rien ne nous empêche de dénoncer ces dérives et ces choix politiques qui concernent également la France plus largement. Une ville constitue un petit morceau de territoire et s’inscrit dans la République. Les petits morceaux de territoire qui se détachent de la République finissent par former de grands espaces qui, tôt ou tard, s’en sépareront. Nous devons lutter contre cette tendance.
Mme Constance Le Grip (EPR). Je vous remercie pour vos propos francs et clairs ainsi que pour votre courage et vos travaux. Vous avez parfaitement raison d’insister sur l’importance des prochaines élections municipales, sujet que nous évoquons régulièrement, notamment concernant la sensibilisation et la formation des élus actuels et futurs. Le préfet des Hauts-de-Seine est le seul à avoir organisé dans sa préfecture un séminaire de formation destiné aux élus locaux sur les enjeux de l’islamisme. D’autres préfets semblent intéressés par cette initiative, mais envisagent de l’organiser après les élections municipales, ce qui en diminue l’intérêt il me semble. Quelles réponses avez-vous reçues de la part des grandes associations d’élus ? Vous êtes en effet, en tant que sénateurs, mieux placés pour vous adresser directement à ces associations afin de les sensibiliser, voire les inciter fortement à intégrer cette problématique et à diffuser quelques recommandations.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Dans le cadre de mes travaux au Sénat, j’ai récemment souhaité auditionner les associations d’élus. La plupart ne sont pas venues, estimant que la question ne les concernait pas. Celles qui ont accepté notre invitation n’étaient que modérément intéressées et considéraient également que le sujet ne les concernait pas réellement. En tant qu’ancienne élue locale, je me demande comment une telle réponse est possible de la part d’une association d’élus.
Dans un certain esprit de provocation, j’ai proposé d’organiser des tables rondes lors du prochain Salon des maires de France et d’y participer, mais mes interlocuteurs ont refusé. J’ai alors répondu que des intervenants spécialistes de la question pouvaient être invités, l’essentiel étant d’aborder ce sujet avant les élections municipales. Cette question transcende les clivages politiques traditionnels et des personnalités de gauche partagent mon point de vue, tandis que certaines à droite s’en écartent. Toutefois, ma proposition s’est encore heurtée à un refus. Nous devons convaincre les associations d’élus et je considère qu’un élu doit incarner un modèle et montrer la voie. Nous ne pouvons exiger des Français qu’ils fassent preuve de courage si les élus en manquent. Si nous ne montrons pas l’exemple, comment pouvons-nous leur demander d’être plus courageux que leurs représentants ?
M. Jérôme Buisson (RN). Vous avez affirmé que la France avait cinq ans de retard sur la Belgique et j’aimerais savoir si vous considérez qu’il est trop tard en Belgique ainsi que ce que cela signifie. Par ailleurs, en tant qu’enseignant, le sujet du voile à l’école me révolte également profondément. Cependant, estimez-vous que la question des repas halal représente un danger comparable ? Certaines écoles publiques ont en effet tenté de servir des repas halal, avec l’approbation de départements qui n’y voyaient pas d’obstacle particulier. Le voile comme le régime halal génère une accoutumance progressive des jeunes au fait religieux dans l’espace public.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Quand vous examinez l’évolution de la Belgique et l’entrisme qui s’y développe, notamment au niveau des conseils municipaux, vous remarquez un changement notable par rapport à dix ans auparavant. Ces revendications permanentes ont été particulièrement visibles en Belgique lors des dernières élections. Lorsque des chercheurs et des lanceurs d’alerte affirment que la France accuse un retard de cinq ans sur la Belgique, ils nous avertissent que, sans intervention immédiate, nous ferons face à des revendications religieuses de plus en plus fortes et à l’élection de représentants communautaires dont l’unique objectif sera de faire prévaloir leurs revendications religieuses avant la République, ce que nous ne pouvons concevoir.
Concernant le voile et le régime halal, la situation doit être claire. La cantine ne constitue pas un service obligatoire, nul n’est contraint de la fréquenter et un maire n’est pas tenu d’en organiser une. À la cantine, on mange ce qui est servi. L’école de la République rassemble tous les enfants, notamment lors des repas, comme dans le sport. Si un enfant ne souhaite pas consommer tel plat, il peut se reporter sur un autre. À l’inverse, imposer le régime halal à l’ensemble des enfants est simplement aberrant. Ces petits accommodements ont conduit à la situation actuelle.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie, madame la sénatrice, pour vos propos au cours de cette audition, qui s’est avérée très dynamique.
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18. Table ronde, à huis clos, réunissant M. Christophe Arminjon, maire de Thonon, M. François Astorg, maire d’Annecy, M. Christian Dupessey, maire d’Annemasse, Mme Stéphanie Guiraud-Chaumeil, maire d’Albi, M. Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, Mme Véronique Lecauchois, maire de Saint-Julien-en-Genevois et M Éric Piolle, maire de Grenoble (4 novembre 2025)
(Il a été fait droit aux demandes des élus auditionnés qui, pour leur protection, n’ont pas souhaité que leurs propos soient rendus publics.)
M. le président Xavier Breton. Nous allons pouvoir procéder à notre dernière audition du jour au cours de laquelle nous allons entendre plusieurs maires, que je remercie vivement de leur participation à cette table ronde. Votre expérience en tant qu’élus locaux est très précieuse pour nous permettre de bien appréhender les difficultés auxquelles vous pouvez être confrontés et mettre en perspective certaines des auditions, notamment des services de renseignement, que nous avons déjà réalisées.
Je vous soumettrai, mesdames et messieurs, quelques questions en guise d’introduction à nos travaux et vous proposerai, si vous le souhaitez, de prendre la parole pour un propos liminaire de cinq minutes environ chacun pour laisser le temps au rapporteur de poser ses questions ainsi qu’aux commissaires qui le souhaitent.
Nos travaux portant sur les mouvements islamistes en France et leur stratégie pour nouer des liens avec les élus nationaux ou locaux, je souhaiterais que vous nous indiquiez, dans le cadre de votre propos liminaire ou à la suite de ce propos si vous avez constaté des stratégies d’entrisme de la part des mouvements islamistes sur votre territoire ? Plus généralement, avez-vous été confrontés à des demandes de communautés religieuses dont il était difficile d’apprécier la légitimité au regard du cadre juridique existant ? Le cas échéant, les services de l’État vous ont-ils apporté leur aide dans la gestion de ces dossiers ? La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République a-t-elle eu une incidence sur votre tissu associatif ou cultuel, ou sur vos pratiques d’élus ?
Pour protéger votre parole et permettre un échange aussi libre que possible, nous avons décidé que cette audition se déroulerait à huis clos. Il est donc interdit de divulguer toute image ou tout propos tenu dans cette salle ou par le biais de la visioconférence.
Par ailleurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Christophe Arminjon, M. François Astorg, M. Cédric Piolle, Mme Stéphanie Guiraud-Chaumeil, M. Matthieu Hanotin et Mme Véronique Lecauchois prêtent successivement serment.)
M. Christian Dupessey nous rejoindra ultérieurement.
Mme Stéphanie Guiraud-Chaumeil, maire d’Albi. J’ignore quels critères vous ont conduits à me demander d’intervenir devant vous, mais je vous remercie de nous permettre de faire part de nos expériences et de nous exprimer sur une thématique qui exige notre vigilance collective.
Je me présente devant vous comme une maire stigmatisée par un média d’opinion qui était jusqu’ici ignoré dans nos territoires et qui me considère comme l’un des trente maires en France complices de l’islam le plus radical. J’assiste sur mes réseaux sociaux à un déferlement de publications à caractère haineux, menaçant et outrancier. Contrairement à certains de mes collègues présents ce soir, je n’ai pas souhaité porter plainte ou médiatiser ces éléments, même s’ils sont connus, car je ne veux pas donner de visibilité à ce type d’action. En revanche, j’ai effectué un signalement auprès du procureur de la République.
L’Albigeois est un territoire d’équilibre, dans lequel les choses se passent de manière plutôt apaisée, quoi qu’en pensent certains pseudo-journalistes. Nous sommes attentifs au respect du principe de laïcité et au fait que chacun puisse exercer son culte dans les conditions imposées par notre République. Comme chacun d’entre vous je pense, le principe de laïcité nous guide du matin au soir et du soir au matin.
Je ne crois pas que l’Albigeois ait fait l’objet de stratégies d’entrisme – en tout cas, pas de manière massive ; rien de tel ne m’a été rapporté. J’évoque régulièrement ces sujets avec M. le préfet et les services de la préfecture, ainsi qu’avec ceux de la police nationale dès que nécessaire. Je ne doute pas une seconde que s’il y avait la moindre crainte ou le moindre élément d’alerte à me communiquer, ils l’auraient fait.
En l’occurrence, rien ne m’a été communiqué concernant l’association qui porte le projet de mosquée qui, je pense, me vaut les honneurs de cette pseudo-presse. L’objectif est de répondre à la demande d’un certain nombre de pratiquants en permettant une unité de lieu, avec une meilleure visibilité et une co-construction du projet. Plutôt que rester étrangers à la façon dont il sera concrétisé, nous voulons travailler avec l’association – comme nous le faisons depuis des années – pour que ce projet soit le plus respectueux possible de tout ce qui compte pour nous en tant qu’élus de la République. Je précise que ce projet de construction d’une mosquée a obtenu l’accord des services préfectoraux du Tarn.
Nous recevons parfois des demandes relatives à la pratique sportive féminine dans certains clubs. Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, nos collaborateurs sont avertis et nous ne traitons jamais une demande sans en informer les services de la préfecture.
Nous avons monté une cellule municipale d’échanges sur la radicalisation il y a plusieurs années, mais elle ne s’est pas réunie depuis dix-huit mois, en l’absence de remontées particulières de la part de nos collaborateurs.
Par ailleurs, nous n’avons pas fait droit aux demandes communautaires concernant les menus des cantines. Nous continuons à proposer des menus équilibrés, parfois sans viande, qui ne constituent une discrimination ni positive ni négative vis-à-vis d’une quelconque religion. Nous y sommes attachés.
Nous sommes également attentifs au déroulement des mariages. Nous avons établi une charte de la laïcité du mariage, que les mariés signent au moment de la constitution de leur dossier.
Notre charte impose le respect des règles de laïcité pour tout prêt d’une salle municipale à des associations. Cet engagement est signé par les associations concernées.
Nous pouvons compter sur les services de l’État pour nous accompagner.
Il n’a jamais été question d’une quelconque présence des Frères musulmans sur le territoire albigeois, jusqu’à la parution de ce magazine et des menaces et autres messages que j’évoquais.
Les demandes communautaires viennent parfois d’autres religions que la religion musulmane. Nous venons ainsi d’autoriser les prières catholiques dans nos cimetières pour la Toussaint.
La loi de 2021 nous permet de mieux appliquer le principe de laïcité et de nous appuyer sur des textes clairs lorsque des demandes nous sont présentées.
Une fois que je vous ai dit cela, je ne fais pas d’angélisme. Nous observons les mêmes signaux qu’ailleurs. Nous y travaillons avec la police nationale et avec les services de M. le préfet de façon transparente, constructive et respectueuse de la place de chacun dans ce dispositif.
Mme Véronique Lecauchois, maire de Saint-Julien-en-Genevois. […]
M. Christophe Arminjon, maire de Thonon-les-Bains. Quand j’ai été élu en juillet 2020, il existait trois lieux de culte à Thonon. Quand je terminerai ce mandat, il y aura toujours trois lieux de culte – rénovés, déplacés, ou pour l’un d’entre eux, agrandi. Aussi comprendrez‑vous ma surprise de lire dans la presse, si tant est que l’on puisse parler de presse, que délivrer un permis de construire conformément à un règlement d’urbanisme était un acte de clientélisme, et même d’islamodroitisme, en ce qui me concerne, puisque mon positionnement politique est connu de tous.
Je partage aussi la surprise et le regret de ma collègue de n’avoir pas reçu plus de soutien de la part des élus, si ce n’est de la part de l’Association des maires de Haute-Savoie. Soit les élus se terrent dans un silence de connivence, soit ils redoutent d’être à leur tour pris dans la tourmente.
Notre situation sociale vis-à-vis de la religion et de l’islam a indéniablement évolué. Les attentats y sont certainement pour beaucoup. Entre 1997 et 2020, date de mon élection, sept permis ont été délivrés et huit déclarations préalables ont été accordées, sans que cela ne pose aucun problème.
C’est lorsque j’ai présenté pour la première fois ma candidature à la magistrature de Thonon-les-Bains, en 2008, que j’ai été confronté à ce que je crois être le véritable clientélisme : quand je me rendais dans les bureaux de vote avec mes colistiers, je voyais une personne d’origine turque s’adressait systématiquement à ses coreligionnaires, en turc, pour leur dire de voter pour le maire sortant.
Quand je me suis à nouveau présenté en 2014, je suis arrivé premier dans vingt bureaux de vote sur vingt-deux, mais l’élection a été complètement inversée par le vote des deux bureaux restants. Il est apparu qu’entre le premier et le deuxième tour, une masse de nouveaux électeurs étaient venus voter dans ces bureaux. Dans l’un d’entre eux, ils portaient majoritairement des noms à consonance maghrébine. Dans le second, ils portaient principalement des noms d’origine turque. J’ai compris alors ce qu’était le clientélisme.
Lorsque je me suis présenté pour la troisième fois en 2020, j’ai rencontré les trois associations des trois lieux de culte pour leur expliquer que je ne leur donnerais jamais de gage et ne leur ferais jamais de promesse, dans la mesure où la République commande de ne faire aucune distinction entre les concitoyens. J’ai respecté cet engagement ; j’ai refusé des permis lorsqu’ils étaient irréguliers, non conformes au plan local d’urbanisme. En revanche, je les ai accordés quand ils étaient conformes – c’est ce qui m’a valu les grâces de ce média d’extrême droite.
Je suis embêté, car à la lecture de l’article, je n’aurais rien à ajouter ou à redire. Il ne fait qu’exposer la réalité : j’ai délivré des permis, conformément à la loi. Je précise que toutes les instructions ont fait l’objet d’un suivi avec le renseignement territorial et que tous les permis ont obtenu un avis favorable du préfet.
Si j’ai décidé de me joindre à la plainte pénale pour injure publique contre ce média, c’est parce que mon nom et mon visage ont été associés à la collaboration. Or ce n’est pas acceptable quand on connaît l’histoire de notre département, dans lequel chaque famille a été blessée par le nazisme ou la collaboration. Dans mes fonctions, j’ai toujours fait en sorte de faire vivre le devoir de mémoire, conformément aux idéaux qui nous animent tous, je crois.
En somme, j’ai été surpris que ces délivrances de permis aient pu être interprétées comme du clientélisme. Je n’ai pas de commentaire à faire quant à l’accusation d’islamodroitisme. Quand on lit cette prose, on a juste envie de jeter la revue à la poubelle.
J’en viens à vos trois questions.
Dans mes fonctions, je n’ai jamais constaté d’entrisme. Peut-être est-ce que parce que j’avais pris la peine d’expliquer à chacun comment j’envisageais la campagne électorale et, éventuellement, mon mandat. Ce que j’ai rappelé concernant les élections de 2008 et de 2014 laisse penser que l’entrisme était peut-être présent. En tout cas, je n’y ai jamais cédé et je n’ai jamais constaté quoi que ce soit.
Par ailleurs, je n’ai jamais été destinataire de demandes qui auraient une connotation religieuse. Nous avons trois lieux de culte musulman, que fréquentent essentiellement respectivement les Marocains, les Tunisiens, les Algériens et les Turcs. Toutes ces communautés sont extrêmement bien intégrées à Thonon-les-Bains. Je n’ai jamais eu connaissance de faits laissant penser que des mouvances islamistes, et encore moins terroristes, sont en relation avec ces trois associations cultuelles.
Enfin, nous appliquons la loi de 2021 dès que nous en avons l’occasion. Les associations que nous subventionnons doivent signer la charte de la laïcité. Nous avons instauré un règlement pour les mariages. Nous essayons de vivre de façon apaisée.
Je reviens sur les trois permis de construire qui ont été délivrés, pour préciser que deux n’ont fait l’objet d’aucun recours, parce que le voisinage vit en parfaite intelligence avec les associations concernées. Seul le troisième a fait l’objet d’un recours, lequel a été rejeté par Mme la préfète ; il est actuellement au contentieux. Ce permis concernait un changement de site – changement sollicité par la mairie pour un besoin d’intérêt public, en l’occurrence l’agrandissement d’un parking contigu à un crématorium qui sera livré en avril 2026 et sera adjacent au cimetière. Hormis ce changement de site, rien n’a posé le moindre problème aux citoyens de Thonon-les-Bains.
M. François Astorg, maire d’Annecy. […]
M. Éric Piolle, maire de Grenoble. […]
M. Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis. Je n’ai pas été mis en cause par Frontières, mais j’exprime ma sympathie et ma solidarité à tous mes collègues, quelle que soit leur tendance politique, qui ont subi les errements de ce torchon – « média » est un terme trop sympathique pour décrire le contenu de cette publication.
Saint-Denis est une ville aux mille couleurs, multiculturelle et cosmopolite par essence, ce dont nous sommes fiers. Nous avons même la faiblesse de croire que c’est l’une des solutions pour ressourcer et refonder le pacte républicain. Certes, dans une ville aux mille visages, avec des gens issus de cultures du monde entier et avec une forte présence de la communauté musulmane – mais pas seulement, loin de là –, se posent des questions de cohabitation de toutes ces religions et de toutes ces cultures. Mais c’est l’essence même de la laïcité que de permettre à chacun, quelle que soit sa culture, sa religion ou son absence de religion, de vivre avec les autres dans un même espace, celui de la République et celui d’une ville.
C’est ce principe que j’essaie d’appliquer comme maire, en me tenant à équidistance de tout le monde et à l’écoute chacune des communautés, notamment religieuses. Nous essayons de faciliter la vie de nos concitoyens quelle que soit leur religion.
Ainsi, je me félicite que nous soyons au rendez-vous pour nos concitoyens d’origine musulmane, qui constituent la communauté la plus nombreuse à Saint-Denis, par exemple en prêtant des stades pour permettre à 15 000 personnes de faire la prière de l’Aïd dans de bonnes conditions, et non dans l’espace public de manière sauvage et non organisée.
Nous accompagnons également la communauté juive tous les ans pour Hanoukka, la fête de la lumière, en allumant ensemble des bougies sur le parvis de la mairie. Cette tradition existait déjà avant mon arrivée.
Nous instruisons en ce moment le permis de construire d’un édifice orthodoxe, dans le respect de la loi comme l’indiquait mon collègue de Thonon-les-Bains. Il s’agit de permettre aux chrétiens orthodoxes, en particulier les Chrétiens d’Orient, de disposer d’un lieu de rassemblement pour faire vivre leur religion.
Nous sommes aussi en train de remonter la deuxième flèche de la basilique de Saint-Denis, basilique des rois et des reines de France, qui est une de nos grandes fiertés. En puisant dans les racines de notre pays et de notre ville, qui sont aussi chrétiennes, nous arrivons à construire là un projet qui fédère l’ensemble des communautés. Cela dit beaucoup de choses de la République que nous voulons essayer de bâtir.
Le prosélytisme et les tentatives d’entrisme que nous subissons au quotidien viennent plutôt de mouvements sectaires ou parasectaires, comme l’Église de la scientologie qui s’est installée à Saint-Denis ou d’autres églises évangéliques. Alors qu’ils sont en première ligne face à ces phénomènes, les maires sont ici laissés sans solution par l’État.
J’ai fait tout ce que le droit me permettait pour résister à l’installation de l’Église de la scientologie dans un bâtiment qui avait été acheté durant le mandat de mon prédécesseur. J’ai fini par être condamné pour abus de pouvoir au terme d’un procès auquel l’État, qui était normalement à nos côtés, n’a envoyé aucun représentant pour plaider – j’aime autant vous dire que je l’ai assez mal vécu. Les collectivités se sentent abandonnées. On a laissé faire, de fait, puisque nous étions seuls, et l’Église de scientologie a pu installer son siège européen à quelques encablures du Stade de France.
Aujourd’hui, c’est bien ce type de mouvement sectaire ou parasectaire qui est présent dans l’espace public et essaie d’aller toujours plus loin, en installant des barnums ou en faisant des campagnes prétendument antidrogues pour essayer de recruter.
À notre échelle, l’entrisme politique n’est pas une réalité. On verra ce qui se jouera sur les différentes listes des prochaines élections, c’est le principe de la démocratie. Mais l’équipe municipale que j’ai l’honneur d’animer est très claire : nous essayons d’être au service de tous, dans un esprit de cosmopolitisme.
Je rejoins les interrogations de mes collègues maires quant à l’objectif de cette audition, d’autant que l’entrisme et l’islamisme radical sont deux dynamiques différentes.
À Saint-Denis, il y a eu des questions autour de l’islamisme radical. Pour autant, nous ne sommes pas toujours associés par l’État au suivi individuel de telle ou telle personne. Cela dépend beaucoup de nos interlocuteurs, préfets ou directeurs de cabinet. À cet égard, je recommanderais d’institutionnaliser davantage ces procédures. La loi nous donne le droit de recevoir certaines informations dès lors que nous signons des chartes de confidentialité, mais je constate qu’elle est diversement appliquée. Cela nous laisse démunis pour anticiper certaines situations. Il serait pertinent que nous soyons informés que telle personne que nous recevons ou que nous croisons dans la rue fait l’objet d’une vigilance. Or nous n’avons pas ces informations. C’est regrettable.
M. le président Xavier Breton. Au cours de nos auditions a été évoqué à plusieurs reprises le sujet de la pose de drapeaux palestiniens au fronton des mairies, notamment à Saint‑Denis. Il a pu être dit qu’il s’agissait d’une démarche électoraliste, mais quel était pour vous le sens de cette démarche ?
M. Mathieu Hanotin. On est loin de l’entrisme politique, mais je peux vous répondre sur ce sujet.
M. le président Xavier Breton. Pour précision, notre commission d’enquête ne porte pas seulement sur l’entrisme politique, mais sur le lien entre les mouvements islamistes et les formations politiques. Nous traitons donc aussi des notions de séparatisme et de laïcité.
M. Mathieu Hanotin. J’ai aussi du mal à voir le lien entre islamisme et Palestine, mais je vous répondrai bien volontiers, tout en précisant que nous sommes hors sujet. Je souhaite que cela soit inscrit au compte rendu.
Moi-même, mon conseil municipal et une grande partie de la population de Saint‑Denis – comme une grande partie des Français – avons été très sensibles à la situation dramatique vécue par les Gazaouis et avons souhaité dénoncer de manière républicaine les massacres commis à Gaza. Nous avons voulu l’exprimer dans un cadre républicain, à l’occasion de la reconnaissance de l’État de Palestine par la France. Je suis fier que nous l’ayons fait.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie pour cette réponse.
(M. Christian Dupessey prête serment.)
M. Christian Dupessey, maire d’Annemasse. […]
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation dans des délais en effet très courts. Nous avons souhaité organiser cette table ronde pour parler de vos préoccupations et des difficultés que vous rencontrez dans le domaine qui intéresse notre commission.
Je veux vous faire part de mon respect. J’ai été maire avant d’être parlementaire, et le président de la commission a lui aussi occupé ces fonctions. Nous connaissons bien ces sujets. Vous êtes les premiers maillons de la République et il est, pour nous, essentiel d’avoir une discussion avec les élus locaux dans le cadre de cette commission.
Certains d’entre vous ont répondu aux questions que je vous avais transmises pour préparer cette audition. Si vous voulez apporter des compléments, vous êtes évidemment libres de le faire.
Estimez-vous disposer de suffisamment d’informations concernant les communautés religieuses, notamment proches des milieux islamistes, présentes dans votre territoire ? J’ai entendu que certains éléments ne vous sont pas communiqués par les renseignements territoriaux. C’est l’une des préconisations du rapport sur les Frères musulmans et l’islamisme politique publié en mai dernier par le ministère de l’Intérieur. Recevez-vous suffisamment d’informations de la préfecture pour vous orienter, pour vous assister et pour vous aider dans vos missions de maire face à l’entrisme que vous pourriez rencontrer dans vos communes ?
Avez-vous reçu des demandes de formation à la laïcité et aux principes de la République de la part des agents publics ? M. le maire d’Annecy a répondu par l’affirmative et je le félicite pour les actions qu’il a mises en place.
Selon vous, les élus sont-ils suffisamment sensibilisés aux risques d’entrisme de certains mouvements religieux, notamment proches de l’islamisme ?
M. Christophe Arminjon. Concernant le partage d’informations, je rejoins le maire d’Annecy : si nous ne recevons aucune information de la part des services de l’État, nous considérons qu’il n’y a pas de problème. À chaque fois que j’ai eu à instruire des demandes d’autorisation pour des communautés religieuses, je me suis rapproché du renseignement territorial pour m’assurer qu’il n’y avait pas de difficulté, et parce que j’estimais qu’il devait au minimum être informé que je commençais à instruire un dossier. Ensuite, l’instruction se fait selon les règles de l’urbanisme ; nous pouvons pour cela nous appuyer sur nos propres services.
Cette recommandation sur le partage d’informations doit être suivie d’effet, car il me semble qu’un maire doit recevoir, sans avoir besoin de la demander, toute l’information utile sur la situation des communautés, quelles qu’elles soient.
Par ailleurs, je ne connais pas de communauté religieuse qui serait proche de l’islamisme. Je ne peux donc pas vous dire si je dispose de suffisamment d’informations. Je n’ai jamais eu aucun écho ou aucun signe que me laisserait penser qu’une telle communauté existe chez nous. La ville de Thonon-les-Bains est loin de ces polémiques – plus loin encore qu’Annecy puisque nous sommes enclavés entre la montagne, le lac et la Suisse.
J’ai répondu à la question relative aux échanges avec le préfet et le renseignement territorial. J’essaie de les interroger dès que j’en ai l’occasion. Il est difficile pour le maire de Thonon d’accéder directement au préfet qui est à Annecy. J’ai toujours obtenu des réponses à mes questions, mais les informations ne me sont pas transmises d’emblée.
Ai-je été confronté à des demandes communautaires difficiles à apprécier ? Je ne sais pas comment interpréter cette question. En tout cas, je n’ai pas été mis en difficulté. Si une demande est légitime et relève de ma compétence, j’y accède de manière indistincte. C’est le principe de la République. Si elle est irrégulière, je la refuse. Ce qui fait l’honneur des élus, c’est de savoir dire non, pas de tout accepter. Mais je n’ai jamais identifié de demande qui me mettait mal à l’aise dans le domaine auquel s’intéresse votre commission.
Par ailleurs, je n’ai pas reçu de demande de formation à la laïcité. Nous avons établi un guide des bonnes pratiques à destination des agents communaux, car nous sommes soucieux de les accompagner pour éviter toute entorse à la laïcité. Pour autant, je n’ai pas le sentiment qu’une formation soit nécessaire. Nous faisons des rappels réguliers.
Les élus sont-ils suffisamment sensibilisés au risque d’entrisme religieux ? J’observe ce qui se passe ailleurs, mais je n’ai pas l’impression que le Chablais soit concerné. Par définition, je n’ai donc rien mis en œuvre qui puisse éviter le séparatisme ou le clientélisme, si ce n’est rappeler à chaque fois que j’en ai l’occasion, en particulier aux élus, qu’il convient de se montrer vigilant pour ne défendre que l’intérêt général et ne pas relayer des demandes qui pourraient faire entorse aux principes républicains.
Quant aux Frères musulmans, je n’en entends parler qu’à la télévision. Je n’ai jamais entendu parler de Frères musulmans à Thonon. Le cas échéant, ce serait une vraie faute des préfets successifs ou du renseignement territorial de ne pas m’en avoir informé.
M. Mathieu Hanotin. Je l’ai dit, nous ne recevons pas d’informations descendantes de la part du renseignement territorial. C’est un problème. Disons-le, cela interroge la réalité des capacités opérationnelles de ce service, qui ont été beaucoup affaiblies ces dernières années.
Je regrette qu’il n’y ait pas d’institutionnalisation permettant des informations descendantes, pas plus qu’un lieu où partager les informations ascendantes de manière confidentielle et sécurisée. Nous, les maires, pourrions et devrions être mieux intégrés à la chaîne d’information du renseignement territorial.
Concrètement, il existe une cellule de lutte contre la radicalisation et l’islamisme, mais nous ne nous sommes vus qu’une fois, avec un ancien directeur de cabinet du préfet, en 2021. Nous n’avons pas de relations de travail régulières.
Comme mes collègues, je considère spontanément qu’il n’y a pas de problème particulier si je ne reçois pas d’informations. Il s’avère que nous voyons quand même passer un certain nombre de problèmes : quand il faut faire un signalement, c’est moi qui appelle le préfet. Rien n’est structuré ou organisé dans les échelons en dessous. Il y a là un enjeu d’efficacité. L’identification des signaux faibles ne peut pas se passer dans une relation intuitu personæ entre le maire et le préfet.
Concernant la laïcité dans la fonction publique, nous avons agi. Dans une ville aussi cosmopolite que Saint-Denis, avec une forte présence de la religion musulmane, nous avons eu à nous séparer de moins de 10 collaborateurs ou collaboratrices, sur un total de 4 000 agents, depuis le début du mandat – soit qu’ils refusaient de serrer la main à des femmes, soit que des femmes refusaient d’ôter leur voile. Je mentionne ces chiffres pour montrer à quel point qu’il s’agit d’un épiphénomène.
Le respect du principe de laïcité est communément accepté par les fonctionnaires et par les agents de la fonction publique, qui choisissent de travailler pour la République. Je veux bien qu’on se fasse des nœuds au cerveau pour une, deux ou trois personnes sur 4 000, mais nous, les maires, savons gérer ces cas exceptionnels. Une femme à qui nous avons laissé le choix d’enlever son voile ou de partir a choisi de partir. Je n’ai même pas eu besoin de m’en séparer : elle a d’elle-même démissionné de la fonction publique.
Les mauvais comportements, les voyous me posent bien plus de problèmes. J’aimerais que, dans notre approche républicaine, nous nous recentrions sur les vrais problèmes, plutôt que de passer tant de temps là où il n’y en a pas – ainsi que l’expriment les interlocuteurs avec qui je discute.
Le rapporteur indique que les services de l’État parlent d’entrisme politique. Qu’il existe des tentatives d’entrisme, je veux bien le croire. Mais à Saint-Denis, aux dernières élections, il y a eu une liste communautaire de défense de l’islam ; elle a recueilli entre 1 % et 2 % des voix. Aux élections départementales, des candidats communautaires affichés ont obtenu des résultats dans les mêmes eaux.
Qu’il y ait des risques et qu’il faille les prévenir, pourquoi pas. Mais dire que l’entrisme serait une réalité dans les communes, c’est dangereux. Ce n’est pas la réalité que je vis, pas plus que celle que vivent les maires que je connais. En revanche, il est vrai que nous devons gérer les relations avec les communautés, en particulier dans les territoires cosmopolites. C’est d’ailleurs à cela que sert la laïcité. C’est pour cela qu’elle a été créée en 1905 : pour permettre à des gens différents de réussir à vivre ensemble dans un espace commun.
Mme Véronique Lecauchois. […]
M. François Astorg. […]
M. le président Xavier Breton. Nous en venons aux questions de nos collègues.
Mme Caroline Yadan (EPR). Il semble que l’entrisme islamiste passe notamment par les associations. C’est la raison pour laquelle la loi de 2021 prévoit un contrat d’engagement républicain. Le faites-vous signer à chaque association qui reçoit des subventions ? Vérifiez‑vous ensuite que cet engagement est respecté ? Cette vérification est-elle effectuée une seule fois, ou bien à chaque fois qu’une subvention est demandée ?
Il nous a aussi été indiqué que le risque d’entrisme ne se situe pas tant dans la constitution de nouvelles listes communautaires ou communautaristes que dans la participation à des listes existantes en vue de propager une idéologie qui serait contraire à nos valeurs républicaines. Des vérifications spécifiques sont-elles effectuées pour chacun des membres des listes de candidats aux élections municipales ?
J’avais également une question pour le maire de Saint-Denis, qui est parti, mais je peux l’étendre à vous tous. À Saint-Denis, l’université Paris 8 a connu des événements effrayants d’apologie du terrorisme et du massacre du 7 octobre. Une journaliste en immersion a démontré la radicalité d’organisations liées à l’islamisme radical, comme Students for Justice in Palestine ou Samidoun. Connaissez-vous le même cas de figure dans les universités présentent sur vos territoires, s’il y en a ? Estimez-vous que vos moyens d’action sont suffisants ?
Mme Véronique Lecauchois. […]
M. Christophe Arminjon. Concernant la constitution des listes électorales, nous sommes tous attentifs aux personnes avec qui nous faisons alliance lorsque nous préparons une élection. Je rappelle systématiquement qu’une fois élus, nous ne sommes plus les représentants de nous-mêmes ou de nos communautés, mais de l’intérêt général. Je passe au crible les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle nous aide à nous prémunir de toute erreur.
J’ai du mal à comprendre ce que je fais sur la liste du média Frontières : je n’ai pas de colistier originaire du Maghreb et on me reproche d’avoir délivré deux permis à deux communautés issues du Maghreb. Il est intéressant de le constater.
Par ailleurs, deux personnes issues de la communauté turque étaient sur ma liste, l’une était en position éligible, l’autre non. J’avais fait le choix d’intégrer un colistier pour représenter la minorité kurde, car il me paraissait important d’envoyer ce message républicain. Mais on ne constitue pas une liste comme un panier de courses ; on cherche à trouver des colistiers en phase avec ses idées.
Je précise encore que la ville de Thonon n’a passé qu’une délibération susceptible d’intéresser les cultes, celle relative à l’achat du terrain dont j’ai parlé tout à l’heure, sur lequel est encore édifié un lieu de culte qu’il s’agit de transférer parce que la commune a besoin du terrain pour un intérêt public marqué. De surcroît, les pratiquants y étaient trop à l’étroit. Nous n’accordons aucune subvention à qui que ce soit qui puisse être attaché à des mouvements cultuels, quelle que soit la religion.
Enfin, quand on lit l’article du média, on est étonné de lire mon nom. De fait, on ne me reproche rien dans cet article qui est le plus factuel de tout le magazine. Je peux vous donner l’explication : depuis 1989, la ville de Thonon n’a jamais eu de candidat d’une liste Front national ou Rassemblement national. Mais, comme par hasard, concomitamment à la publication de cet article, un candidat a annoncé qu’il se faisait fort de constituer une liste Rassemblement national. Autant vous dire que si les mouvements religieux, islamistes ou autres, sont instrumentalisés, ce n’est certainement pas par les maires que nous sommes !
M. le président Xavier Breton. C’est noté.
Je vous remercie de votre participation dans un délai très contraint. Vous avez la possibilité de compléter vos réponses par écrit. L’un de vous a écrit en commentaire de cette visioconférence qu’il souhaitait que cette audition soit utile. Je le souhaite aussi.
Si les logiques des élus locaux et celle d’une commission d’enquête parlementaire peuvent apparaître contradictoires au cours du processus d’enquête, nous servons tous notre pays, notre démocratie et notre République. Je vous remercie.
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19. Audition, à huis clos, de M. Cédric Brun, conseiller régional (5 novembre 2025)
M. le président Xavier Breton. Monsieur le rapporteur, chers collègues, nous allons procéder à la première audition de ce jour en entendant M. Cédric Brun. Conseiller régional des Hauts-de-France et secrétaire général CGT de l’usine Stellantis de Valenciennes, vous avez quitté La France insoumise en septembre dernier, au motif que ce parti connaîtrait une « dérive idéologique majeure » avec l’arrivée « de profils proches des frères musulmans ». Vous soulignez que l’influence de certains mouvements ou personnalités islamistes ne touche pas seulement La France insoumise, mais aussi des exécutifs locaux et des syndicats. Si les travaux de la commission d’enquête ne visent pas un parti ou une sensibilité politique, mais s’intéressent à tous les élus politiques puisque des liens entre mouvements islamistes et élus politiques peuvent apparaître dans différents territoires et pour différents motifs, votre témoignage est important pour éclairer nos travaux.
Avant votre propos liminaire, j’aimerais savoir comment un parti comme La France insoumise, a priori opposé aux valeurs islamistes, peut accueillir de telles personnalités. Vous avez aussi évoqué l’entrisme dans des corps intermédiaires comme les syndicats : ce phénomène est-il fréquent et les instances nationales y portent-elles attention ? Enfin, les élus et décideurs publics sont-ils suffisamment sensibilisés au risque d’entrisme et disposent-ils d’informations, notamment de l’État, pour juger de la légitimité de certaines demandes exprimées par des associations ou communautés religieuses ?
Avant tout, je vous invite à nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie donc de lever la main droite et de dire : « Je le jure ».
(M. Brun prête serment.)
M. Cédric Brun, conseiller régional des Hauts-de-France. Merci de m’avoir convié à cette commission d’enquête, essentielle pour la démocratie aujourd’hui. Un rapport gouvernemental sur l’entrisme de l’islamisme politique a été publié récemment, mais il m’apparaît partiellement instrumentalisé, insuffisamment documenté et largement minimisé. Cette situation traduit un échec politique qui nous place aujourd’hui dans des contextes extrêmement complexes sur le terrain.
J’ai constaté, dans mon périmètre autour de Denain, l’arrivée de profils connus ou de descendants de personnes connues, notamment les fils Iquioussen, en particulier Soufiane Iquioussen, qui a tenté en vain d’intégrer le groupe d’action locale de Denain, puis a créé un groupe concurrent pour « prendre la main » sur ce territoire.
Initialement, je pensais qu’il s’agissait d’une tentative d’entrisme isolée ciblant La France insoumise. Mais en échangeant avec des collègues syndicalistes et membres du mouvement, j’ai constaté que le phénomène touche plusieurs territoires, comme Maubeuge, où ces personnes préparent une liste LFI pour les municipales, et Grande-Synthe, où la situation est similaire.
J’ai également échangé avec des élus de Raismes, notamment Aymeric Robin, président de la communauté d’agglomération, qui signale dans un récent article de Libération ou du Point l’installation d’une école privée sous contrat, à propos de laquelle il soupçonne des financements étrangers. Le contrat proposé ne correspond pas aux besoins de fonctionnement. Cette école, proche de la famille Iquioussen, notamment d’Othmane Iquioussen, prédicateur dans une mosquée défavorablement connue, soulève des interrogations.
J’ai découvert ces faits à travers mon parcours politique et syndical. Le syndicat ArcelorMittal CGT a récemment été confronté à un problème de radicalisation interne. Lorsqu’il a tenté de la limiter, il a été attaqué par l’association Justice et Paix, reliée à La France insoumise et présidée par Ali Karimi et Kamal Saïd, ce dernier ayant auparavant dirigé l’association Centre Zahra, interdite pour antisémitisme et détention d’armes.
Selon mes informations et celles du syndicat local, Ali Karimi, surnommé « Ali l’Iranien », fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et ne devrait pas être présent sur notre territoire. L’association Zahra était proche du mouvement Soral, qui avait mené une campagne avec des financements iraniens. Ces deux personnes sont donc très proches de cette tendance religieuse et politique.
Quelquefois, ce ne sont pas des partis, mais des municipalités qui subissent des pressions. Le maire est contacté par des membres d’une association locale exigeant d’être intégrés à sa liste, sous menace de créer une liste concurrente sous l’étiquette LFI. Ce procédé se retrouve dans plusieurs communes. Les personnes concernées ont demandé à rester anonymes, mais le phénomène mérite d’être signalé.
On m’a souvent demandé pourquoi je n’avais pas réagi plus tôt. Depuis les attentats du 7 octobre, le discours de La France insoumise a changé, nationalement et localement, refusant le terme « attentat » et parlant de « crime de guerre » pour des raisons politiques. Pour moi, enlever et exécuter des enfants relève du terrorisme, pas d’un acte de guerre. On observe aussi une valorisation du Hamas comme organisation de résistance, ce qui complique la situation pour nos élus et militants locaux.
Lorsque j’ai constaté la tentative d’infiltration à Denain, j’ai alerté mon groupe politique régional et informé les députés via courrier et visioconférence. Ils ont reconnu le problème, mais m’ont répondu qu’il ne fallait pas le surestimer. Quand j’ai menacé de publier un communiqué si la famille Iquioussen présentait une liste à Denain, ils m’ont assuré qu’ils allaient agir. Ils m’ont alors proposé de conduire cette liste et de faciliter ainsi l’accès de ces personnes à la municipalité…
J’ai donc demandé par écrit à Paul Vannier et Manuel Bompard si la ligne politique avait évolué. Ils ont répondu que la politique locale relevait des groupes locaux et qu’ils ne pouvaient s’immiscer dans ce sujet, ce qui leur permet d’éviter toute responsabilité.
J’ai également été contacté officieusement par les renseignements territoriaux via un agent que je connais, qui m’a conseillé la prudence face à certains profils. Cette information a confirmé mes soupçons sur l’entrisme exercé par certaines personnes et l’ampleur de ce phénomène.
Plusieurs enquêtes journalistiques publiées dans Le Point par Erwan Seznec et dans Libération par Charlotte Belaïch confirment l’existence d’un problème national : il ne s’agit pas d’une simple tentative d’entrisme mais d’une ouverture accordée à ces profils. Ils ne se présentent pas comme Salafistes ou Frères musulmans, mais leur façon d’élaborer les programmes et leur fonctionnement uniformisé les identifient.
Lors d’une manifestation propalestinienne à Denain, tous ces individus se sont retrouvés ensemble, certains venant de loin pour se soutenir mutuellement, démontrant leurs liens au-delà de simples convictions politiques. Au cœur de ce réseau se trouve la famille d’Hassan Iquioussen, dont les fils coordonnent les activités au niveau départemental et national.
L’ampleur du phénomène s’intensifie ; ces individus sont désormais autorisés à agir ouvertement au sein de La France insoumise. Accepter quelqu’un du nom d’Iquioussen est révélateur : lors des dernières assises LFI à Valence, son apparition aux côtés de M. Delogu avait provoqué un émoi et le parti avait nié toute association. Aujourd’hui, ils s’affichent ouvertement, notamment avec M. Iquioussen fils, connu pour ses quenelles au Sénat et ses positions très particulières sur le mariage pour tous, ce qui traduit clairement un virage idéologique.
Il ne s’agit pas d’un entrisme, mais d’une stratégie politique délibérée visant à accueillir ces profils pour obtenir les voix manquantes au second tour de la présidentielle. C’est un choix cynique.
Le rapprochement de La France insoumise avec de telles personnes, proches de l’Iran ou d’autres pays, et bénéficiant de financements étrangers constitue une menace pour notre démocratie. Ces derniers pourraient accéder à des positions de pouvoir, à l’Assemblée nationale ou dans les mairies.
L’infiltration des syndicats, quelle que soit leur étiquette, est également manifeste. Il ne s’agit pas de centaines de personnes, mais d’une cinquantaine de personnes très actives, disposant de moyens financiers, de leviers politiques via La France insoumise et de ressources juridiques.
J’ai demandé que mon audition se tienne à huis clos, car ma situation est devenue très compliquée depuis mes prises de parole. Nous devons penser à nos familles ; nul n’est à l’abri d’un individu déséquilibré prêt à passer à l’acte, malheureusement comme dans le cas de Samuel Paty.
M. le président Xavier Breton. Merci pour ces éléments. Vous mentionnez une cinquantaine d’individus plutôt que des centaines. Faites-vous référence à une organisation locale, régionale ou nationale ?
M. Cédric Brun. Je me réfère à mes observations au niveau départemental. Après avoir pris la parole publiquement, j’ai reçu d’autres témoignages de personnes confrontées à des situations similaires dans leurs territoires respectifs. Il s’agit systématiquement de groupes restreints mais particulièrement actifs.
M. le président Xavier Breton. Ces pressions et menaces subies depuis votre prise de position sont-elles exprimées de manière officielle ? Comment se manifestent-elles ?
M. Cédric Brun. Les pressions ont d’abord été politiques : les écologistes m’avaient proposé un « asile politique » au sein du conseil départemental pour préserver mon droit de parole, mais ils ont subi d’intenses menaces de la part de M. Bompard, M. Vannier et des cadres de LFI, assorties d’un compte à rebours explicite sur le temps leur restant pour agir avec comme menace de représailles de rompre toutes les alliances existantes aux municipales et aux législatives. Ils menaçaient ainsi de provoquer l’éclatement du groupe régional, le privant ainsi de moyens.
J’ai aussi été la cible de centaines d’insultes sur les réseaux sociaux, au point de devoir suspendre mes comptes quelques heures. Ce sont des boucles qui sont créées avec des éléments de langage données aux militants qui sont alors chargés de vous attaquer. Ces attaques, coordonnées en interne, visaient à me faire passer, à 46 ans et après 25 ans de militantisme à la CGT, pour un fasciste.
S’y sont ajoutées des pressions physiques : lors de meetings LFI, j’étais accompagné de gardes du corps face à des individus cherchant à imposer leur autorité locale. Les syndicats ne sont pas épargnés : hier, lors d’un rassemblement CGT sur la nationalisation chez ArcelorMittal, des personnes invitées par LFI et M. Le Coq ont dû être évacuées par le service d’ordre.
Ces faits édifiants sont observables sur le terrain. Je suis stupéfait que certains députés prétendent les ignorer. M. Le Coq m’avait lui-même expliqué, après un précédent rassemblement, que ces individus étaient « des modérés » et qu’il fallait composer avec eux, preuve qu’il s’agissait non d’une infiltration, mais d’une stratégie électorale délibérée.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Merci, monsieur Brun, pour votre présence et votre courage. L’engagement politique et syndical doit pouvoir s’exprimer librement, quelles que soient les opinions de chacun. L’objectif qui nous réunit tous, c’est l’unité de la nation, menacée par des réseaux séparatistes, islamistes et radicaux. Je regrette ainsi que vous soyez aujourd’hui dans cette situation alors que vous avez fait preuve de courage et je voulais de nouveau vous remercier d’être présent aujourd’hui.
J’ai bien entendu les éléments que vous avez déjà partagés en réponse aux questions du président. Je voudrais revenir sur la situation de M. Jean‑Luc Mélenchon auprès duquel vous étiez engagé. Il avait auparavant un discours tout à fait républicain et laïque. Selon vous, quand le changement de stratégie est-il intervenu ? Est-ce un choix volontaire ou subi ?
M. Cédric Brun. Lorsque je fais part de mon témoignage, on me répond régulièrement que la position de La France insoumise a toujours été la même et vous n’avez pas vu ou n’avez pas voulu voir. Mais ce n’est pas vrai. Lorsque je me suis engagé, M. Jean‑Luc Mélenchon défendait un discours républicain et laïque, strict sur le voile et d’ailleurs parfois contesté au sein de la gauche à ce titre. C’était aussi ma position. En tant que syndicaliste CGT, les accusations de fascisme à mon égard sont absurdes. Je défends une ligne de la gauche qui peut être n’existe plus, mais lorsque La France insoumise défendait encore strictement la laïcité, l’un de mes collaborateurs, bénévole dans une mosquée, craignait que cela ne soit pas apprécié. La situation a ainsi complètement basculé.
Des signes précurseurs existaient notamment, lors de manifestations accueillant des personnes de l’Union des organisations islamiques en France (UOIF) ou des profils particuliers. On se disait que c’était subi ou que c’était de la naïveté. Mais en réalité c’est un long processus, pas sur dix ans, mais sur deux-trois ans. Les attentats du 7 octobre 2023 ont été à ce titre un véritable tournant. Aujourd’hui, la Palestine est invoquée à tout propos et des flottilles sont engagées. C’est terrible pour quelqu’un comme moi qui a toujours défendu le droit des palestiniens mais aussi de leurs voisins de voir des gens qui n’ont pas du tout les mêmes intentions que nous et qui salissent le combat pour la dignité humaine. C’est ce qui est très difficile aujourd’hui ; ils nous ont confisqué ce combat idéologique, les combats sociaux et nous nous retrouvons désormais avec des gens comme eux sur tous les piquets de grève, qui se présentent comme la vraie gauche, alors que leurs actions relèvent d’une imposture totale.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Votre constat est inquiétant : les attentats du 7 octobre 2023 ont constitué le pire pogrom contre Israël depuis la Seconde Guerre mondiale et ils seraient, selon vous, à l’origine de ce basculement idéologique majeur.
La France insoumise participe-t-elle à la propagation de l’antisémitisme ? Les actes antisémites augmentent depuis ces attentats. Existe-t-il un discours assumé de La France insoumise dissimulant l’antisémitisme sous couvert d’antisionisme ? Nous avons observé la participation de dirigeants LFI à des manifestations avec des associations contestables, parfois aux côtés de personnes faisant l’apologie du terrorisme. Comment avez-vous vécu cela en interne ? Pouvez-vous confirmer l’existence de liens entre certains dirigeants de La France insoumise et l’islamisme radical ?
M. Cédric Brun. Je n’ai jamais constaté d’antisémitisme ni de racisme. Est-ce qu’il existe parfois un discours ambigu pour donner des gages à certains alliés ? Probablement. La prise de position de parler de « crime de guerre » plutôt que « d’attentat » visait sans doute à donner des gages à d’éventuels alliés.
Avant les attentats, il y a eu les élections européennes et l’arrivée de Rima Hassan qui a complètement éclipsé le travail de députés européens comme Anthony Smith, cégétiste et inspecteur du travail, ou Marina Mesure, qui sont des gens exceptionnels. C’est catastrophique car mettre en avant les idées de Rima hassan et le drapeau palestinien dans un territoire sinistré économiquement, où les usines ferment et où la seule réponse idéologique, c’est la Palestine, le port du voile et la cantine hallal, cela crée un décalage total avec les besoins locaux.
En revanche, sous serment, je n’ai jamais entendu d’antisémitisme et je ne crois pas que Jean‑Luc Mélenchon soit antisémite : opportuniste, peut-être, mais pas antisémite.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Merci beaucoup. Qu’en est-il des liens entre l’islam radical et les dirigeants de La France insoumise ?
M. Cédric Brun. J’ai pris connaissance de documents montrant des députés s’étant déplacés à l’étranger pour promouvoir des profils problématiques, proches de milieux antisémites ou terroristes. J’ai également cru comprendre qu’un député à l’Assemblée nationale avait tenté d’inviter d’anciens membres de l’UOIF. Ces événements ont été un véritable choc.
En tant que militant, on a tendance à écarter ces signaux, mais nous assistons désormais à une bascule plus importante et massive à l’approche des élections municipales.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous indiquez que des dizaines de militants ont pris leurs distances avec cette dérive dangereuse. Cela concerne-t-il spécifiquement les Hauts‑de‑France ? Connaissez-vous d’autres élus se désengageant de ce mouvement ou d’autres pour les mêmes raisons ?
M. Cédric Brun. Ma vision se situe au niveau départemental et régional. J’ai échangé avec des membres de la CGT affiliés à La France insoumise à Grande-Synthe et Dunkerque, qui ont quitté le mouvement pour les mêmes raisons, alertant M. Bompard par courrier de tentatives d’entrisme qui n’ont pas reçu de réponse. Des personnes non élues mais en position de l’être quittent aussi le mouvement dans d’autres régions, signe d’un système profondément antidémocratique au sein du parti permettant l’arrivée soudaine de certains profils en remplacement de militants présents depuis dix à treize ans.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous étiez cadre local à La France insoumise. Avez-vous participé à une réunion où ce changement stratégique, visant à conquérir un électorat prioritairement musulman pour obtenir les voix manquantes au second tour, vous a été présenté ? À votre niveau, avez-vous été informé de cette évolution et de ses motivations, ainsi que du degré d’acceptabilité de cette stratégie ?
M. Cédric Brun. Oui, j’en ai eu confirmation de Jean‑Luc Mélenchon et d’autres cadres. Lorsque j’ai dit : « Vous mettez en avant Rima Hassan, mais ce ne sont pas là les préoccupations des travailleurs », on m’a répondu : « Dans ta région, nous avons perdu les ouvriers. Ils sont passés du côté antirépublicain, du RN. Il faut conquérir les voix des quartiers populaires ». Ce que j’ai tenté d’expliquer, c’est que les habitants de ces quartiers travaillent la journée à l’usine. On m’a alors fait comprendre qu’était recherché un soutien plus communautariste, marquant le début de ce que nous observons aujourd’hui.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Lorsque vous avez alerté votre direction sur ces tentatives d’entrisme, la réaction n’a pas été à la hauteur de vos espérances. Par la suite, une sorte de chasse à l’homme s’est engagée sur les réseaux sociaux. Qui, selon vous, en était l’instigateur ? Ces actions provenaient-elles du siège de votre parti ?
M. Cédric Brun. Oui, j’ai subi des attaques de députés du Nord me qualifiant « d’islamophobe mythomane », ce qui constituait un moyen de me mettre une cible dans le dos. Ce qui les a le plus énervé, c’est que pour dix messages d’insultes, j’en recevais cent de soutien.
Le problème est que, comme dans d’autres partis, des cadres de LFI sont arrivés dans le mouvement sans véritable parcours professionnel et ont fait de la politique leur métier. Ils s’y accrochent, tandis que je possède un historique concret de combats sociaux et d’entreprises sauvées. Ils ont tenté de me présenter comme un fasciste, proférant menaces et critiques, mais cela n’a pas marché. J’aurais espéré un débat plus constructif, mais à l’ère de Twitter et TikTok, une phrase d’une ligne semble plus efficace qu’un texte argumenté.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Quelle a été la réaction de vos militants locaux ? Vous êtes-vous senti soutenu ? Les événements dans votre fédération ont-ils affecté son fonctionnement ? D’autres cadres ont-ils été remplacés ? Des militants ont-ils rendu leur carte suite à vos révélations ? Que s’est-il passé au niveau de votre fédération LFI dans les Hauts‑de‑France ?
M. Cédric Brun. La France insoumise n’a ni fédération, ni congrès, ni vote : c’est un mouvement « gazeux ». On s’inscrit sur une plateforme locale, on intègre un groupe et on se débrouille seul. Les décisions tombent sporadiquement. Des démissions ont eu lieu avant et après la mienne. Certains militants partent, d’autres restent subjugués par le « gourou », refusant de croire ce qui se passe malgré la présence d’infiltrés. Si vous avez une idée divergente, vous êtes tout de suite exclu ; les militants suivent la ligne sans pensée autonome.
Ancien membre du Parti communiste et de la CGT, j’ai connu des organisations où tout se débat et se vote. Ici, les décisionnaires sont flous et n’assument pas leurs responsabilités, sauf pour distribuer circonscriptions ou mairies aux proches.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Pensez-vous que les élus soient aujourd’hui suffisamment sensibilisés aux risques d’entrisme islamiste ? Quelles actions pourraient être mises en œuvre par les pouvoirs publics pour mieux informer et protéger les élus ?
Vous mentionnez que les services de renseignement territoriaux vous avaient alerté sur l’écosystème qui se constituait autour de vous. Ces informations sont-elles suffisantes ? Voyez‑vous d’autres leviers pour empêcher la propagation de l’entrisme parmi les élus, notamment locaux ?
M. Cédric Brun. Ma sortie médiatique a encouragé de nombreuses personnes à s’exprimer, mais beaucoup ne saisissent pas la gravité de la situation. Les individus concernés sont formés, disposent de moyens conséquents et s’implantent dans les syndicats et les mairies sur le long terme – sept à huit ans typiquement. Les gens ne sont pas prêts face à de telles stratégies.
Dans certains cas, le maire n’est pas le vrai décideur. À Douchy-les-Mines, le directeur de cabinet du maire était proche des Frères musulmans et de la famille Iquioussen. Le maire n’a pas compris ce qui se passait et quatre camarades communistes ont perdu leurs délégations pour avoir protesté contre le directeur de cabinet qui ne défendait pas les positions du parti communiste. Malgré ces situations et les violences observées, les renseignements territoriaux ne semblent pas transmettre ces informations au gouvernement ou, si elles sont transmises, il n’y a pas d’action concrète.
Si l’on attend la veille des élections municipales, il sera trop tard ; la situation s’aggrave et les citoyens se détournent. Certaines communes commencent déjà à être affectées. D’autres partis, également infiltrés, feignent l’ignorance publiquement. À terme, cette politique de l’autruche ne tiendra plus et les scandales éclateront. Syndicats et partis politiques doivent agir, en espérant qu’il ne soit pas trop tard. Beaucoup subissent également cette situation et ignorent la nature réelle de leurs adversaires.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Plusieurs communes semblent concernées par ces stratégies d’entrisme. Sont-elles nombreuses ?
M. Cédric Brun. J’ai constaté ce phénomène dans cinq communes de taille relativement importante, mais d’autres seront probablement concernées. Ces situations touchent souvent des quartiers populaires, d’anciens bastions industriels marqués par la précarité. La stratégie principale des Frères musulmans consiste à organiser dans ces quartiers des collectes pour les plus démunis, des actions pour la rentrée scolaire, des barbecues communautaires. Ainsi, ils intègrent progressivement des habitants dans des associations locales influentes, capables d’exercer une forte pression sur les municipalités.
M. le président Xavier Breton. Vous avez mentionné que d’autres partis étaient également infiltrés. Pouvez-vous préciser lesquels ?
M. Cédric Brun. Tous les partis ont connu au moins une fois ce type de situation. La plupart l’ont purgée, d’autres la subissent encore.
Mme Caroline Yadan (EPR). Merci pour vos explications et votre courage. Vous avez indiqué que plusieurs militants vous soutenant ont préféré rester silencieux. Votre démarche montre votre attachement à la démocratie et votre conscience des risques pour nos institutions.
Après le 7 octobre 2023, avez-vous eu le sentiment d’une amplification des mouvances islamistes et davantage de cas d’entrisme dans le mouvement ? Avez-vous aussi observé des tentatives d’appropriation de causes consensuelles que vous défendez, comme le féminisme, l’écologie ou l’antiracisme, pour gagner en légitimité, influencer le tissu associatif et municipal et imposer un agenda religieux et identitaire ?
M. Cédric Brun. Les attentats du 7 octobre ont poussé certains profils à se montrer ouvertement. Certains étaient inscrits sous de faux noms, comme M. Iquioussen, dans notre groupe d’action. A la suite des attentats, La France insoumise a assumé leur présence sous leur vrai nom, créant un véritable appel d’air, probablement validé par le « cercle Mélenchon ».
Est-ce qu’ils ont d’autres programmes emblématiques à défendre ? Aujourd’hui, on voit qu’ils cherchent à infiltrer les syndicats, surtout dans les ensembles comprenant beaucoup de travailleurs originaires de pays musulmans – j’ai cité ArcelorMittal, c’est également le cas des fédérations de commerce où ils placent leurs proches dans les conseils de surveillance pour essayer d’étendre leur influence et sur plusieurs années, ils peuvent y arriver.
J’ai observé la même dynamique à l’usine d’Aulnay-sous-Bois : les camarades CGT avait bien des difficultés à maîtriser seuls le conflit. Ils devaient demander des autorisations pour agir. Dans ce contexte, défendre par exemple l’égalité salariale des femmes ou d’autres causes comme celle-ci, c’est très compliqué. L’avenir de LFI s’annonce chaotique : les positions islamistes et les questions fondamentales comme le mariage, la mixité ou les rapports hommes-femmes sont difficilement conciliables.
Mme Caroline Yadan (EPR). Dans vos écrits, vous mentionniez un échange avec un membre du groupe fondé par Soufiane Iquioussen et Youssouf Feddal, au cours duquel il aurait déclaré : « on fait une liste d’Arabes ». Pouvez-vous le confirmer ? Si oui, quel était le contexte exact de cet échange et d’autres personnes étaient-elles présentes ?
M. Cédric Brun. Nous avons affaire à des individus intelligents et méthodiques. À l’époque, ils m’ont abordé alors que je distribuais des tracts sur un marché pour établir un contact. Ils ont expliqué vouloir constituer des listes municipales. Quand je leur ai demandé leur programme et leurs ambitions, car nous avons une ligne programmatique et des valeurs à défendre, ils m’ont répondu « Désormais, c’est notre tour, et nous allons placer des gens de la communauté ». À ma question sur la nature de la communauté, ils ont précisé : « Nous allons constituer une liste d’Arabes, car c’est ce qui peut l’emporter dans la commune ».
Sidéré, j’ai demandé : « Mais pourquoi pas une liste d’Italiens ou de Polonais ? ». Peu après, la maire actuelle de Denain m’a contacté pour m’expliquer qu’elle me soutiendrait pour les législatives mais qu’il y avait dans mon groupe politique certains profils connus. Elle m’a expliqué qu’elle avait subi une infiltration par la famille Iquioussen. J’ai découvert que le Parti communiste avait rencontré une situation similaire dans le Nord-Pas-de-Calais. Si certaines formations de gauche ont su résoudre ces problèmes, d’autres sont tombées dans le piège, parfois par naïveté.
M. Jérôme Buisson (RN). Merci pour cette intervention importante et courageuse. Cet entrisme menace tout le spectre politique, à gauche comme à droite.
Si LFI et les islamistes s’utilisent mutuellement à des fins électorales, qui prendra l’ascendant ? Dans les syndicats et municipalités infiltrés, quel rôle est réservé aux femmes, alors que l’idéologie islamiste les cantonne au foyer ?
M. Cédric Brun. Qui l’emportera entre LFI et les islamistes ? Avec des personnes de conviction comme moi, on en trouve plus à l’extérieur qu’à l’intérieur, mais cela ne préjuge pas de l’issue. Ils rencontreront vite des difficultés. LFI tiendra‑t‑elle quatre ou cinq ans ? Je n’en suis pas sûr. En revanche, ceux qui l’ont infiltrée et obtenu des postes resteront, et c’est là le problème.
Sur la place des femmes, leur stratégie surprend : elles sont non-voilées et défendent l’égalité et les combats sociaux. J’ai constaté cela à Denain avec une jeune femme ancienne sportive issue des « camps Iquioussen ». Il est impossible de la soupçonner sans la connaître, ce qui est inquiétant.
Les infiltrés se présentent comme des gendres idéaux et prétendent représenter un large réservoir de voix, mais c’est une illusion. À Denain, la mairie a découvert qu’ils étaient mal vus par la communauté musulmane et même interdits dans certaines mosquées. Les musulmans les connaissent bien et sont choqués qu’ils puissent parler en leur nom et être mis en avant par certains partis.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Monsieur Brun, comment se passe votre mandat à la région ? Depuis votre départ de LFI, parvenez-vous encore à siéger, et dans quelles conditions ? Ressentez-vous de l’appréhension ? Pouvez-vous exercer correctement votre mandat ?
M. Cédric Brun. Je me rends à la région la tête haute, comme dans les usines ou les piquets de grève, car j’agis par conviction. Ceux qui comprennent la situation partagent ma position. Mon principal obstacle est le manque de moyens, en tant que non-inscrit, pour défendre les combats sociaux. Néanmoins, je collabore avec la majorité sur des sujets comme la préservation des usines, ce qui crée des terrains d’entente. Ma prise de position me rend « politiquement mort » aux yeux de beaucoup à gauche, mais peu importe : en 2028, je retournerai à l’usine, mon vrai métier. La politique me laisse une impression mitigée.
Mme Caroline Yadan (EPR). Avez-vous remarqué que des militants ayant quitté LFI se sont rapprochés d’un autre mouvement politique ?
M. Cédric Brun. Beaucoup sont écœurés, mais ce sont des militants expérimentés et de valeur. Ils finiront par rejoindre une formation politique, mais pas le PS ni vraiment le PC. Certains se tournent plutôt vers Debout la France ou d’autres mouvements, sans que l’impact soit clair. Quitter LFI est perçu comme une trahison, et rejoindre un autre parti dissident complique encore les choses. Ces militants restent donc généralement discrets sur leur nouvelle affiliation.
M. le président Xavier Breton. Votre profil semble plutôt compatible avec le Parti communiste. Comment expliquez-vous votre rapprochement avec LFI et comment percevez‑vous votre parcours ? Quelle est votre vision actuelle du PC dans le Nord et de son évolution ?
M. Cédric Brun. Je viens d’une région industrielle où élus et responsables étaient majoritairement des ouvriers ou des employés. Le PC y conserve une idéologie forte à travers ses membres. Après la période Hollande, vécue par les travailleurs et plus généralement par les gens de gauche comme une trahison, un besoin de radicalité s’est fait sentir. Un mouvement de masse s’est alors constitué autour de syndicats radicaux et d’associations pour défendre les droits des travailleurs. À ce moment, La France insoumise est apparue comme un parti très à gauche, prônant une rupture avec le système et laïque.
M. le président Xavier Breton. Comment analysez-vous le PC par rapport à la situation politique locale ?
M. Cédric Brun. Il est particulièrement terrible d’observer qu’une force organisée, ayant tant apporté à la société, se retrouve dans cette situation. Autrefois, les anciens disaient que grâce au Parti, ils pouvaient aller au ski ou pratiquer la musique. Avec l’effondrement des secteurs industriels, les usines ont disparu et avec elles de nombreux communistes.
Je note les efforts courageux pour une transition avec Fabien Roussel, que j’ai soutenu en politique. Toutefois, le besoin de radicalité en France fait qu’il est compliqué d’avoir des idées fortes sans subir les attaques des réseaux sociaux et de nombreux « inquisiteurs ». Malheureusement, cette radicalité tend à se tourner vers l’extrême droite plutôt que vers la gauche.
M. le président Xavier Breton. Merci pour ces précisions importantes pour se représenter l’évolution des idées. Le PC reste présent historiquement et dans notre paysage politique. Nous vous remercions de nouveau pour cet échange riche qui sera utile pour nos travaux.
Chers collègues, merci pour votre présence, cette discussion a été attendue et enrichissante.
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20. Audition conjointe, à huis clos, de journalistes réunissant M. Erwan Seznec, rédacteur en chef adjoint du service société du Point et M. Jules Laurans, rédacteur en chef de Frontières (5 novembre 2025)
M. le président Xavier Breton. Monsieur Seznec, vous avez travaillé pour plusieurs journaux et revues comme Marianne, La Tribune ou La Gazette des communes. Vous êtes également l’auteur de l’ouvrage intitulé Nos élus et l’islam, paru en 2020 aux éditions Robert Laffont qui traite des risques d’un clientélisme électoral ciblant les communautés musulmanes ou perçues comme telles. Monsieur Laurans, vous êtes rédacteur en chef au magazine Frontières, qui a récemment publié un numéro intitulé « Collabos : ces maires complices de l’islamisme ».
Je tiens tout d’abord à rappeler que notre commission d’enquête, qui porte sur les liens qui pourraient exister entre les mouvements islamistes et les élus nationaux ou locaux, ne vise aucun parti politique en particulier ni ne cherche à porter des accusations contre tel ou tel élu. Son objectif est d’identifier avec précision la menace islamiste et les situations dans lesquelles les élus pourraient, volontairement ou involontairement, se trouver en lien avec des représentants de cette mouvance.
Je vous prie de nous déclarer tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et vous invite, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire « je le jure ».
(M. Erwan Seznec et M. Jules Laurans prêtent serment.)
J’aurais une première question pour chacun d’entre vous, vos publications n’abordant pas la question de l’islamisme et des élus de la même manière.
Monsieur Seznec, vous soulignez dans votre ouvrage que les élus locaux sont régulièrement amenés à prendre position sur des sujets en rapport avec l’islam, au risque de s’exposer à des critiques venant aussi bien de la droite que de la gauche. Au cours de votre enquête, avez-vous constaté que les élus locaux se trouvent en première ligne sur ces questions ? Le cas échéant, disposent-ils, selon vous, d’un soutien suffisant des services de l’État ou d’autres acteurs pour affronter ces problèmes ? Le risque d’entrisme de mouvements islamistes auprès d’élus nationaux ou locaux vous semble-t-il concerner certains partis seulement ou l’ensemble d’entre eux ?
M. Erwan Seznec, rédacteur en chef adjoint du service société du Point. Concernant les services de l’État, la situation demeure contrastée, puisque certains soutiennent effectivement les élus lorsqu’ils en expriment le besoin, tandis que d’autres beaucoup moins. Tous les partis politiques sont en outre potentiellement concernés par l’entrisme islamiste, y compris le Rassemblement national. De nombreux témoins que j’ai rencontrés affirment que ce phénomène se produit réellement, et je ne peux que le confirmer, bien qu’il reste extrêmement difficile d’évaluer précisément le niveau de gravité de cet entrisme. La situation varie en effet considérablement selon les régions et les périodes, avec une tension particulièrement marquée en période préélectorale.
Quant à savoir si les élus sont suffisamment armés face à cette menace, lorsque mon livre a été publié en 2020, la réponse était clairement négative, puisque le constat dominant demeurait celui d’un profond désarroi. Les élus se trouvaient contraints d’improviser en permanence, à l’image de M. Arnaud Lacheret, directeur de cabinet du maire de Rillieux‑la‑Pape, que j’avais interviewé. Il est l’auteur de l’ouvrage Les territoires gagnés de la République ? dans lequel il décrit un bricolage constant, souvent à la limite de la légalité, pour parvenir à composer avec cette réalité. L’autre difficulté majeure qu’il décrit est celle de la distinction entre ce qui relève de l’islamisme et ce qui n’en relève pas. Arnaud Lacheret souligne également le danger, que j’ai pu vérifier par la suite, de conférer une légitimité à quelqu’un qui n’en disposait pas initialement simplement parce qu’un élu l’a reçu. Ainsi, un islamiste qui ne représente que lui-même, s’étant autoproclamé imam, rencontre un maire, qui l’écoute, le reçoit et lui accorde quelque chose. L’intéressé se présente ensuite auprès de sa communauté comme un intermédiaire efficace, puisque le maire l’a reçu. Par ce jeu de ping-pong entre la communauté et les élus, il finit par devenir ce qu’il n’était pas au départ. Comme on le dit dans la Silicon Valley, « fake it until you make it ». Il acquiert ainsi progressivement une réelle représentativité, et nous ne réalisons que trop tardivement qu’il poursuivait également un agenda religieux. Je pourrais notamment citer le cas d’Hassan Iquioussen, sur lequel j’ai longuement enquêté.
M. le président Xavier Breton. Vous indiquez que ce phénomène dépend des régions et des périodes. Pourriez-vous développer davantage cette variabilité ?
M. Erwan Seznec. Dans la commune de Penmarc’h, dans le Finistère, où je suis élu local, la question de l’entrisme islamiste ne se pose tout simplement pas faute de communauté musulmane significative établie. Plus la communauté musulmane est importante dans une région, plus le risque d’entrisme est présent. Dans le Nord, en Alsace, en région Paca et en région parisienne, cette problématique se pose désormais de manière récurrente. Mais la région où le processus d’entrisme est le plus avancé est sans conteste le Nord et, plus précisément, le Valenciennois, où je viens d’ailleurs de réaliser une enquête approfondie.
Dans mon livre, j’examine notamment la situation de Denain, une commune de 20 000 habitants située au sud de Valenciennes qui s’est vue progressivement structurée par des acteurs entrés en politique avec l’objectif clair d’islamiser la société. Ces fondamentalistes, qui ont suivi l’enseignement de l’imam Hassan Iquioussen, se donnent beaucoup de temps et poursuivent comme objectif unique, animé d’une sincérité qui leur est propre, d’appliquer les fondements de la charia à l’échelle locale, sans établir la moindre séparation entre religion et laïcité. Dans leur cadre conceptuel, cette distinction n’existe tout simplement pas, puisque la charia a vocation à réguler l’ensemble de la vie sociale. Ils sont d’ailleurs parfaitement transparents sur ce point et il serait difficile de leur reprocher d’avancer masqués car, même s’ils affirment ne pas avoir d’agenda religieux lorsqu’ils sont interrogés par un journaliste, leurs prêches et leurs brochures démontrent indéniablement l’inverse.
Une anecdote, que je tiens d’un élu de Roubaix à qui je dois conserver l’anonymat et qui a lui-même fréquenté ces milieux, me paraît à cet égard particulièrement révélatrice. Il m’a relaté une scène saisissante où de jeunes membres de la mouvance des Frères musulmans, à une époque où celle-ci était encore perçue comme un signe de modernité, se sont retrouvés stupéfaits face à un homme vêtu d’un costume trois pièces britannique, un verre de whisky et un cigare à la main. Cet homme leur a alors déclaré, avec un aplomb remarquable : « Qu’est-ce que vous croyez ? Vous croyez réellement pouvoir monter dans la société habillés comme vous l’êtes ? Si c’est pour Allah, si c’est pour la cause vous avez le droit de feindre » Cette anecdote m’a ensuite été confirmée par une seconde source.
M. le président Xavier Breton. Ce phénomène, manifestement antérieur aux événements du 7 octobre 2023, apparaît en réalité comme une dynamique installée depuis plusieurs années. Comment situez-vous précisément ces événements du 7 octobre dans cette dynamique ? Représentent-t-il un tournant ou une accélération ?
M. Erwan Seznec. Il s’agit d’une très nette accélération, dans laquelle les manifestations propalestiniennes ont joué un rôle de catalyseur. Dans le cadre de l’enquête que nous avons publiée dimanche dernier, nous avons même observé un rapprochement entre chiites et sunnites. Dans les secteurs de Grande-Synthe et Dunkerque, nous avons en effet identifié des militants chiites d’origine iranienne et des Frères musulmans sunnites défiler côte-à-côte lors de manifestations propalestiniennes, auxquelles participaient également des élus de La France insoumise. Nous avons par la suite constaté que ces même militants chiites et fréristes se retrouvaient impliqués dans la campagne de La France insoumise à Denain ou à Maubeuge. Je fais référence, dans l’article, à un individu surnommé Ali l’Iranien. Je n’y révèle pas son identité complète, mais il s’agit en réalité d’Ali Karimi qui, malgré son placement sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) et interdiction du territoire français (ITF), était présent à Maubeuge pour le lancement de la campagne de candidats LFI. Interrogés à ce sujet, les représentants de LFI n’ont pas souhaité faire de commentaire.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Nous vous remercions, monsieur Seznec, pour votre présence à cette audition, même si nous aurions souhaité qu’elle soit plus large et rassemble davantage d’intervenants. Vous avez publié ce matin un article sur la situation dans le Nord et il aurait été intéressant d’entendre les acteurs sur ce sujet, mais l’organisation des auditions s’avère complexe.
Vous avez signé, dans les colonnes du Point, un article concernant l’entrisme iranien, qui fait notamment référence au rapport de M. Gilles Platret, maire de Chalon-sur-Saône. Pourriez-vous présenter à notre commission un résumé de cet article et nous expliquer en quoi cet entrisme du régime iranien est devenu prégnant ? Pourriez-vous développer particulièrement les aspects qui concernent directement l’objet de notre commission, à savoir les relations entre mouvements politiques et les mouvements propageant l’islamisme ou incitant à la commission d’actes terroristes ?
M. Erwan Seznec. L’Iran est un pays extrêmement complexe que je n’ai pas la prétention de connaître parfaitement. Nous avons néanmoins étudié le rapport de M. Platret qui confirme l’existence d’une stratégie à long terme déployée par le régime iranien, tant au niveau ministériel que du côté des Gardiens de la Révolution, visant à accroître son influence en France. Cette stratégie poursuit plusieurs objectifs, notamment celui d’infléchir la politique française vis-à-vis d’Israël et de la question du nucléaire. La question palestinienne s’inscrit en outre naturellement dans ce cadre global. Je reste toutefois prudent, car les interlocuteurs iraniens avec lesquels nous avons pu échanger attirent systématiquement notre attention sur l’extrême complexité de la vie politique iranienne, les Gardiens de la Révolution n’étant pas toujours alignés avec le ministère.
Les interlocuteurs que j’ai pu consulter m’ont confirmé que l’instrumentalisation par les services iraniens constitue une forte probabilité, ces derniers ayant pour habitude de s’appuyer sur des structures associatives ou des centres proches qui bénéficient d’un soutien financier massif de l’Iran.
Nos sources ont également attiré notre attention sur un point particulièrement préoccupant, que nous n’avons pas suffisamment développé dans l’article mais qui fera l’objet d’une enquête approfondie, qui est que les Iraniens s’appuient désormais sur le grand banditisme. Ils passent ainsi par les services algériens pour recruter des malfrats auxquels ils commandent des opérations d’intimidation contre leurs opposants, dans les cas les moins graves, et des tentatives d’assassinat dans les situations les plus extrêmes. Ce phénomène s’est déjà manifesté en Espagne et aux Pays-Bas. Un incident récent, survenu dans le Val-d’Oise, a ainsi vu quatre jeunes délinquants incendier les locaux d’une association d’opposants iraniens, sans que les motivations précises de cette action n’aient pu être clairement établies. Il s’agit donc d’une forme de sous-traitance en cascade, par laquelle les Iraniens sollicitent les services algériens, qui activent leurs réseaux dans les communautés algériennes et marocaines, lesquels exécutent des missions pour l’Iran, parfois sans même connaître le commanditaire final.
Les Iraniens conduisent par ailleurs, en s’appuyant sur les réseaux fréristes sunnites, une politique active d’influence auprès des intellectuels et universitaires français potentiellement réceptifs à leur discours. Le rapport ne fait toutefois pas mention d’élus directement approchés par les Iraniens et nous n’avons pas identifié de cas récents.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je souhaiterais revenir sur vos propos concernant les manifestations, à propos desquelles vous évoquiez la présence d’individus sous OQTF et même ITF. Avez-vous pu échanger avec les différents services de l’État sur ces questions ? Dans la mesure où il semble exister une connaissance précise et un suivi rigoureux, on peut légitimement s’étonner de constater la présence de telles personnes dans ces manifestations. Cela ne traduit-il pas un certain laxisme ou du moins une absence de volonté politique de résoudre cette problématique ?
M. Erwan Seznec. Bien que je m’aventure sur un terrain que je ne maîtrise pas entièrement, il m’a été rapporté par un Iranien ayant infiltré les services iraniens en France que les agents traitants n’opèrent généralement pas directement dans le pays où ils se trouvent. Ainsi, si des Iraniens agissent pour le compte du gouvernement iranien en France, leur agent traitant sera en Allemagne et réciproquement, ce qui expliquerait d’ailleurs pourquoi Ali l’Iranien, que j’évoquais précédemment, demeure peut-être en Belgique, non loin de la frontière française. Cela justifierait sa présence dans la zone frontalière alors qu’il ne devrait pas s’y trouver. Il s’agit toutefois d’une hypothèse.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je vous interrogeais également sur l’existence d’une possible carence de volonté politique.
M. Erwan Seznec. Hassan Iquioussen, auquel je fais également référence dans l’article publié dimanche, a pu bénéficier d’une certaine tolérance car il jouait un rôle d’indicateur. Cette situation peut sembler difficile à comprendre car cet individu est repérable, identifiable dans les manifestations comme dans d’autres contextes publics. Je connaissais son statut d’indicateur depuis deux ou trois ans, mais je ne viens de le mentionner dans mes écrits que maintenant, puisqu’il se trouve actuellement en Arabie Saoudite, ce qui réduit les risques. Je me suis autorisé cette révélation alors qu’auparavant je m’en abstenais, afin de ne pas mettre sa vie en danger ou perturber le travail policier. Il est donc probablement resté actif au sein de ces réseaux plus longtemps qu’il n’aurait fallu, mais les enjeux sont complexes et les services de police ne nous disent pas tout.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je souhaite revenir sur votre article sur l’Alliance du Nord, qui fait état d’un entrisme islamiste accueilli « à bras ouverts » par La France Insoumise. Considérez-vous que cet accueil relève d’un pur électoralisme conjoncturel, accentué par les attentats du 7 octobre, ou s’agit-il plutôt d’un phénomène structurel traduisant une adhésion de la direction du parti à certaines thèses islamistes ?
M. Erwan Seznec. La notion de clientélisme n’est pas nécessairement péjorative mais, à mon avis, je l’ai écrit et je n’hésite pas à le répéter devant votre commission, LFI a emprunté un chemin extrêmement dangereux. Il n’est certes pas interdit de chercher à séduire l’électorat musulman mais, comme je l’indiquais précédemment, ils sélectionnent des intermédiaires pour atteindre cette communauté qui me paraissent extrêmement sulfureux, dans un calcul électoral qui ne semble pas pertinent. Aucune mosquée de Denain n’avait, par exemple, signé les pétitions de soutien à Hassan Iquioussen lorsqu’il a été expulsé et s’agissant de Roubaix, personne ne peut affirmer être capable de faire voter les musulmans en bloc, même si tout élu rêve évidemment de trouver une clé magique donnant accès à 800 voix d’un coup. Au scrutin précédent, la marie de Lille a basculé pour seulement 227 voix et 800 fidèles dans certaines mosquées représenteraient donc un enjeu considérable. Ces partis n’ont aucune garantie que leurs interlocuteurs pourront mobiliser ces centaines de voix mais ils ont, en revanche, la certitude que ces intermédiaires sont très dangereux.
Concernant les Écologistes, la situation est plus complexe puisqu’un débat interne est en cours. Marine Tondelier nous a d’ailleurs envoyé un droit de réponse ce matin concernant un article que nous avions publié en août, décrivant comment le parti tente également de se rapprocher de la communauté musulmane. Généralement perçu comme trop blanc et diplômé, le parti aspire à s’ouvrir davantage à la diversité mais, lorsqu’ils invitent le rappeur Médine censé représenter cette diversité à leurs universités d’été du Havre en 2023, ils commettent selon moi une grave erreur d’appréciation. Médine, qui est en réalité la figure de proue d’une association frériste nommée Havre de Savoir, basée au Havre, est quelqu’un qui poursuit clairement un agenda politique à plus ou moins long terme, sans même s’en cacher. Chercher à incarner l’ouverture à la diversité en s’associant à Médine est donc profondément problématique et cette démarche déconcerte d’ailleurs de nombreux membres des Écologistes qui s’interrogent sincèrement sur la pertinence de cette stratégie.
En termes de gravité, La France insoumise se distingue de manière particulièrement nette, au point que nombre de leurs militants ne comprennent plus la ligne adoptée par leur propre direction. Je voudrais, à cet égard, vous rapporter une anecdote éclairante. Lors des élections départementales de 2021 à Roubaix, les Écologistes et LFI avaient décidé de présenter une liste commune, les Écologistes ayant suggéré comme tête de liste Ali Rahni, notamment connu pour son soutien à Tariq Ramadan. C’est la section locale de LFI qui s’y était opposée publiquement, dans les colonnes de La Voix du Nord. Depuis lors, il est intéressant de noter que la section LFI de Roubaix a été entièrement restructurée de sorte à installer des personnes acceptant de participer à ce jeu que je considère pour ma part comme éminemment dangereux.
M. le président Xavier Breton. Pourriez-vous préciser à quelle enquête vous faites référence lorsque vous évoquez celle publiée sur les Écologistes au mois d’août ?
M. Erwan Seznec. Je fais référence à l’enquête parue au mois d’août 2025.
M. le président Xavier Breton. Pourriez-vous nous la transmettre, ainsi que le droit de réponse que vous venez de mentionner ?
M. Erwan Seznec. Oui, bien entendu.
M. le président Xavier Breton. Nous souhaitons disposer de l’ensemble des éléments permettant de déterminer si cette problématique concerne uniquement un parti ou s’étend à plusieurs formations politiques. Il est important, pour notre commission, d’avoir accès à l’ensemble des documents pertinents.
Monsieur Laurans, nous avons reçu hier plusieurs maires, dont certains ont été mis en cause dans l’une de vos récentes publications. Celle-ci comporte des accusations graves, notamment celle de « collaboration », un terme particulièrement sensible dans notre pays et a fortiori en Haute-Savoie. Cette accusation traduit-elle une confusion entre islamisme et islam ? Considérez-vous qu’une décision prise par un élu concernant les communautés musulmanes présentes sur sa commune, comme la construction d’une mosquée ou la rencontre avec des responsables du culte, doit nécessairement être interprétée comme une complicité avec l’islamisme ?
M. Jules Laurans, rédacteur en chef de Frontières. Je ne pense pas que l’objectif soit de débattre directement de la Une de notre magazine mais d’exposer l’enjeu central de notre publication, qui consiste à revenir sur le phénomène de clientélisme vis-à-vis de l’islamisme à l’approche des élections municipales de 2026. Il s’agit d’un véritable enjeu. Frontières est un magazine d’investigation. On ramène des preuves et des faits concrets de façon que ce phénomène de clientélisme ne puisse pas être écarté d’un simple revers de main.
Les conclusions de notre enquête confirment que ce phénomène de clientélisme ou de laxisme vis-à-vis de l’islamisme, que nous qualifions également de forme de collaboration, dépasse les clivages partisans. Il concerne des élus de droite, du centre et de gauche, et il faut inclure dans ce constat les maires qui se présentent sans étiquette. Dans différentes municipalités, nous ainsi avons relevé de nombreuses décisions prises en conseil municipal qui témoignent d’un laxisme envers des associations islamistes, par exemple lorsque des espaces publics sont loués à des associations cultuelles musulmanes qui imposent le voile à des fillettes de cinq ou six ans sans que cela ne suscite de réaction du maire. C’est cela que nous qualifions de laxisme. Il n’est pas normal qu’un maire soit indifférent au fait de louer un local sans regarder si l’association en question voile les petites filles.
Je rejoins par ailleurs les propos tenus précédemment sur le fait que ce phénomène de clientélisme vis-à-vis de l’islamisme s’est désormais propagé au-delà des grandes métropoles. Il ne se limite plus à Paris, Lyon ou Marseille, mais s’étend aujourd’hui vers de nouveaux territoires. Le cas de la Haute-Savoie est assez intéressant, puisqu’il s’agit d’un département auquel on ne pense pas spontanément lorsqu’on évoque ce type de problématique. Nous y avons pourtant observé de nombreux maires faisant preuve d’un laxisme face aux enjeux liés à l’islamisme, balayant ces préoccupations d’un revers de main. Pour eux, la question d’avoir une mosquée Millî Görüş dans leur ville n’est pas un sujet, ce n’est pas quelque chose d’important. Pour eux, avoir une mosquée construite avec un minaret n’est pas quelque chose d’important.
Nous avons également relevé ce phénomène à Albi, où notre enquête a établi qu’un local avait été loué gracieusement à disposition d’une association culturelle qui s’avérait être en réalité une madrassa, c’est-à-dire une école coranique. Cette structure accueillait des intervenants issus de l’Institut Européen des Sciences Humaines (IESH), notamment une étudiante en septième année de l’IESH. Une visioconférence avait été organisée avec un imam également rattaché à cet institut. Confrontée à ces éléments, la maire s’est contentée de modifier le contrat avec l’association, sans répondre à nos interrogations, persistant à minimiser la gravité de la situation. Nous observons ainsi chez les élus la crainte d’être accusés de clientélisme, mais il y a, de manière profonde, un sentiment pour plusieurs d’entre eux que ce n’est pas une question intéressante. À Albi, pour reprendre cet exemple, la maire a cédé un terrain en 2024 destiné à l’édification d’une mosquée, déclarant ouvertement que l’usage ultérieur du lieu ne l’intéressait pas. Lorsque des élus d’opposition l’ont interrogée sur l’apparence de l’édifice, ses dimensions ou la présence éventuelle d’un minaret, elle a répondu de manière évasive.
Dans le cadre de notre enquête, nous avons appliqué le principe du contradictoire. J’ai personnellement contacté les maires par courriel, ainsi que leurs cabinets et je les ai appelés directement, mais peu ont répondu. Certains sont même allés jusqu’à organiser une conférence de presse pour affirmer qu’ils n’avaient jamais été sollicités, ce que nous avons immédiatement démenti en publiant l’ensemble des correspondances, démontrant ainsi leur manque total d’honnêteté.
On s’est attaché, dans cette enquête, à montrer tous les mécanismes de clientélisme à l’œuvre, y compris certains auxquels on ne penserait pas spontanément. Nous avons tout d’abord observé des échanges directs entre associations cultuelles et municipalités, sous la forme d’échanges de bons procédés. À Poissy, par exemple, une association cultuelle a sollicité auprès de la maire Sandrine Berno Dos Santos un bail pour établir une nouvelle mosquée, en suggérant explicitement une mobilisation électorale en contrepartie. C’est exactement ce qu’a fait la maire : elle a autorisé un bail emphytéotique de 99 ans pour la somme symbolique d’un euro.
Nous avons par ailleurs découvert un procédé jusqu’alors jamais documenté qui est celui du don direct d’associations cultuelles à une municipalité. À Éragny-sur-Oise, par exemple, une association cultuelle a ainsi versé un don de 3 000 euros à la mairie. En échange, la mosquée a bénéficié d’un parking pour un euro malgré les nombreux problèmes de voisinage qu’elle génère. L’association profite également d’un loyer dérisoire de 300 euros, quasiment gracieux pour ce secteur, et d’un parking, déclassifié du domaine public, désormais réservé aux fidèles. Je précise toutefois que, dans ce cas précis, il ne s’agit pas d’une communauté islamiste mais d’une communauté musulmane ordinaire. Ce mécanisme du don, qui devrait par nature être désintéressé, mérite donc une vigilance particulière lors des prochaines municipales, puisqu’il conviendra d’examiner quelles associations effectuent des dons aux municipalités et ce qu’elles obtiennent en retour.
Un autre cas significatif concerne la maire de Saint-Julien-en-Genevois, Véronique Le Cauchois, récemment auditionnée par votre commission. Une affaire incroyable s’y est produite concernant la location d’un espace convoité à la fois pour un garage et pour une mosquée. La maire avait initialement privilégié l’option économique du garage mais, en 2023, lors d’un conseil municipal, 160 musulmans de la mosquée locale ont envahi la salle pour faire pression sur la maire par leur présence et, à la suite de cet épisode, celle-ci a renversé sa position et a finalement accordé l’espace à la mosquée, ce qui a suscité une incompréhension chez les propriétaires du garage. Je trouve qu’il faut le prendre en compte, parce que moi si j’avais 160 musulmans qui venaient m’écouter ici, ça me mettrait un peu de pression. Donc oui, c’est une pression que la maire ne reconnaît pas. Sa décision a pourtant complètement changé à partir de ce moment-là.
Ces différents mécanismes de pression et d’influence, encore sous‑documentés, risquent donc d’être exploités dans la perspective des élections municipales de 2026. C’est ce que notre travail d’enquête a cherché à faire apparaître.
M. le président Xavier Breton. Vous évoquez des mécanismes de clientélisme, mais par rapport à ma question, je ne perçois pas clairement la distinction entre islam et islamisme dans ces exemples. Dans les cas que vous citez, notamment de construction d’un lieu de culte, il n’y a pas nécessairement d’islamistes, mais des musulmans qui souhaitent pouvoir pratiquer leur culte. À quel moment établissez-vous cette différence, si vous en faites une ?
M. Jules Laurans. Si vous ne considérez pas que le fait de venir exercer une pression sur une maire pour obtenir une mosquée en se rassemblant à 160 personnes autour d’elle donne une dimension politique à l’islam, alors nous ne serons probablement pas d’accord sur la dimension. Je pense que l’islamisme vise à faire infléchir la République aux lois de l’islam, comme dans ce conseil municipal où une réelle pression a été exercée. Le professeur Samuel Paty avait, lui aussi, subi des pressions politiques avant l’issue tragique. J’appelle cela de l’islamisme, avant même que l’on atteigne le stade des messages ultra-violents ou de la violence brute. Lorsque 160 personnes viennent faire pression sur un élu dans une commune telle que Saint-Julien-en-Genevois, où le lien avec les habitants est permanent, il s’agit indéniablement d’une pression.
M. le président Xavier Breton. Vous avez évoqué le contradictoire, un point important des échanges que nous avons pu avoir lors de la table ronde avec les maires. Pourriez‑vous développer davantage ce point ? Comment s’est organisé ce contradictoire ? Vous êtes-vous rendu sur place pour enquêter ou s’agit-il uniquement des délibérations prises ?
M. Jules Laurans. J’ai travaillé avec une entreprise spécialisée dans l’analyse de données, avec laquelle j’ai l’habitude de travailler et qui s’appuie sur l’intelligence artificielle. Cela nous a permis d’analyser des milliers de données très rapidement, de manière bien plus efficace qu’un travail journalistique classique. En trois mois, nous avons ainsi examiné des milliers de décisions prises en conseils municipaux au travers de mots-clés récurrents. Cette méthode nous a permis de distinguer les maires qui luttent contre l’islamisme en refusant, par exemple, les locations de salles à des associations qui imposent le voile à des fillettes, de ceux qui acceptent ces demandes.
Nous avons ainsi pu dégrossir notre panel en identifiant les cas les plus chimiquement purs de clientélisme et, par la suite, contacter chacun de ces maires par courriel. Pour ceux qui ne répondaient pas, nous avons sollicité leurs cabinets. Nous avons contacté chacun des cabinets des maires de Haute-Savoie, qui nous ont même transmis leurs adresses électroniques, sans jamais obtenir aucune réponse. Nous avons véritablement respecté le principe du contradictoire de bout en bout, avec la volonté de comprendre les motivations de ces élus. J’ai cherché à comprendre et à dialoguer avec chacun d’entre eux.
Lorsque nous avons souhaité nous rendre en Haute-Savoie pour assister à une conférence de presse organisée par les maires locaux, ils nous ont communiqué une fausse adresse afin d’éviter notre présence et nos questions. Ils se sont ainsi entourés uniquement de journalistes de la presse quotidienne régionale, qui partageaient leurs positions et publiaient depuis dix ans des articles identiques sans relever ce que nous avions découvert.
Dans notre enquête, nous avons traité la droite, la gauche et le centre. Notre étude inclut ainsi des maires de droite dure, comme Nicolas Daragon à Valence, mais également des maires sans étiquette et de gauche. Nous n’avons pas manifesté parti pris et nous sommes appuyés sur les décisions prises en conseil municipal. Nous les avons présentées aux maires en les interrogeant sur leurs motivations et en soulevant la question d’un éventuel laxisme, mais ils ont pour la plupart refusé de nous répondre, en raison notamment des élections municipales à venir. Il convient de rappeler que notre journalisme est un journalisme d’enquête qui, selon la formule d’Albert Londres, consiste à « mettre la plume dans la plaie ». Notre rôle est de mettre en évidence des réalités auprès des responsables politiques afin de souligner que la situation observée est anormale et que les citoyens ont le droit d’être informés de ce qui se passe sur leur territoire. Certains maires nous ont toutefois répondu et, lorsqu’ils l’ont fait, nous avons systématiquement intégré leurs réponses à notre travail.
M. le président Xavier Breton. Avez-vous réalisé des enquêtes de terrain en vous rendant sur place ?
M. Jules Laurans. Nous nous sommes rendus dans l’ensemble des communes concernées, notamment à Annemasse, Annecy et Saint-Julien-en-Genevois, et nous disposons de reportages pour chacune d’elles.
M. le président Xavier Breton. Qu’en est-il des villes en dehors de la Haute-Savoie ?
M. Jules Laurans. Couvrir l’ensemble des villes, c’est compliqué, au vu de la taille de notre rédaction. Mais nous avons effectivement visité de nombreuses municipalités comme les villes d’Île-de-France, Albi, Lyon et la Haute-Savoie. Nous nous sommes attachés, dans la mesure de nos moyens, à couvrir le plus grand nombre de territoires possible.
M. le président Xavier Breton. Comment avez-vous concrètement conduit ce travail de terrain ? Une fois sur place, quels étaient vos objectifs dans chacune de ces villes ?
M. Jules Laurans. Nous prenons tout d’abord contact avec des citoyens qui signalent une situation locale problématique. Pour reprendre l’exemple de Saint-Julien-en-Genevois, nous avons ainsi rencontré le garagiste concerné afin de comprendre pourquoi, après avoir reçu la promesse d’obtenir ce terrain entre 2020 et 2023, il a finalement perdu cette opportunité précisément après le conseil municipal au cours duquel 160 musulmans sont intervenus. Nous avons cherché à déterminer s’il avait été informé de ce changement de situation, ce qui n’était pas le cas, puisqu’il n’a jamais reçu la moindre information et a finalement dû relocaliser son activité économique.
M. le président Xavier Breton. Sur l’exemple de la Haute-Savoie et le fait que quatre communes aient été ciblées, ce qui représente un nombre conséquent, il a pu être dit que cela avait été fait en parallèle de stratégies d’implantation de certains partis politiques en vue des municipales. Que répondez-vous ?
M. Jules Laurans. Vous avez lu le dossier en entier ?
M. le président Xavier Breton. Je ne l’ai pas lu ligne à ligne, mais je l’ai lu de manière rapide.
M. Jules Laurans. D’accord, comme je l’ai expliqué, ce dossier concerne autant des maires de droite que de gauche. Je ne sélectionne pas les maires selon leur orientation politique. Mme Véronique Le Cauchois est sans étiquette tandis que le maire d’Annecy, François Astorg, est écologiste, mais j’aurais parlé de lui quelle que soit son appartenance politique.
M. le président Xavier Breton. Ma question portait sur l’existence potentielle d’une implantation de partis politiques, notamment le Rassemblement national, dans ce secteur, ainsi que sur l’éventualité d’une démarche coordonnée.
M. Jules Laurans. Il n’y en a pas.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie. Vous avez employé le terme « collabo » dans votre titre, qui est loin d’être neutre. Il s’agit d’un mot grave, faisant référence à une période sombre de notre histoire. Comprenez-vous que des maires peuvent être profondément heurtés par une telle accusation à propos de décisions avec lesquelles on peut être d’accord ou pas d’accord, particulièrement dans des terres qui ont été marquées par la Résistance ?
M. Jules Laurans. Le choix du mot « collabo » est très simple. Gérald Darmanin lui‑même a indiqué que nous sommes en guerre contre l’islamisme. Or dans une guerre, certains combattent et d’autres collaborent. Certains maires permettent effectivement le développement de cet islamisme, soit en faisant preuve de laxisme à son égard soit en l’instrumentalisant pour assurer leur élection. Ils collaborent donc bien avec l’islamisme.
M. le président Xavier Breton. Mais la connotation du terme « collabo » reste fortement associée à la Seconde Guerre mondiale.
M. Jules Laurans. J’estime que, dans une situation de guerre, pour reprendre les propos de Gérald Darmanin, il y a ceux qui combattent et ceux qui collaborent.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je souhaite revenir sur ces trente maires car, au terme de leur audition, il apparaît qu’ils prennent leurs décisions selon leur conscience et les informations dont ils disposent. Un maire qui accorde un permis de construire pour une mosquée dans une logique de clientélisme électoral n’agit pas illégalement. La situation devient véritablement préoccupante lorsqu’elle implique des réseaux d’islamisme radical ou des prédicateurs problématiques. Dans ces cas, les services de l’État et les renseignements territoriaux sont censés alerter les maires des dangers et de l’écosystème qui les entoure. D’après ceux que nous avons interrogés, en l’absence d’avertissement des services de l’État concernant un risque particulier, ils considèrent qu’il n’y a pas lieu d’opposer un refus.
Se pose ensuite la question du permis de construire, qui fait l’objet d’un avis simple du préfet. Dans les cas que nous avons examinés, il ne semble pas qu’un quelconque problème ait été soulevé par la préfecture dans le cadre de ces avis, qui se limitent à un contrôle d’urbanisme. Toutefois, la loi confortant le respect des principes de la République (CRPR) de 2021 permet aux services de l’État d’identifier des associations cultuelles ou culturelles problématiques et de les dissoudre lorsque des indices suffisamment graves et concordants le justifient. Les maires, en tant qu’élus locaux, demeurent donc placés sous l’autorité de l’État. Par expérience personnelle, en tant qu’ancien maire, je sais qu’il n’est pas toujours aisé de prendre une décision à partir des informations dont on dispose. Sans renseignements précis transmis par les services de l’État, un maire ne peut refuser un permis de construire pour une mosquée au seul motif qu’il redoute une accusation d’électoralisme.
Aussi, estimez-vous que les services de l’État remplissent adéquatement leur mission et que la communication descendante entre les services de renseignement et les maires soit suffisante pour éclairer leurs décisions ? Certains maires agissent peut-être en toute connaissance de cause dans un cadre électoraliste, ce qui n’est pas illégal, quand d’autres sont informés mais choisissent de passer outre. Mais dans ce cas, si les services de l’État savent qu’un maire s’apprête à commettre une erreur, comment expliquer qu’ils le laissent faire ? Selon vous, quelle appréciation devons-nous porter sur la communication entre les services de l’État et les élus locaux ? Est-elle suffisamment développée ou existe-t-il à votre sens des lacunes ?
M. Jules Laurans. Je ne considère pas que l’action ou la réaction face aux questions liées à l’islamisme dépende de l’orientation politique. Je prendrai un exemple précis. Grégory Doucet, maire de Lyon, a adopté une position ferme à l’égard d’un prêcheur salafiste nommé Vincent Souleymane tenant des propos dégradants à l’encontre des femmes, des homosexuels, des Juifs, et faisant l’apologie de la charia. Le maire est immédiatement intervenu pour s’opposer à sa participation à une conférence en prenant attache auprès de la préfète Fabienne Buccio, avec qui il a pu agir en parfaite coordination. Ce maire écologiste a donc saisi la préfète, qui a confirmé que de tels propos, contraires aux valeurs de la République, rendaient cette intervention impossible. En conséquence, cet individu n’a pas pu s’exprimer dans la ville de Lyon.
En examinant à l’inverse le cas de Stéphanie Guiraud-Chaumeil à Albi, j’ai pu établir que les services de renseignement surveillaient cette école coranique fréquentée par des individus issus de l’IESH. J’ignore toutefois dans quelle mesure la préfète était elle-même informée et si les renseignements, qui avaient assisté à la visioconférence de l’imam et documenté les activités de l’étudiante en septième année de l’IESH, avaient effectivement transmis ces informations. J’ignore donc si ce lien a été établi mais je constate, en revanche, que lorsque nous alertons le maire et l’interrogeons sur des faits précis en lui demandant sa position, nous nous heurtons à un refus catégorique de répondre. Ces maires refusent d’assumer ce qui se déroule sur leur territoire et cette posture procède d’une forme de pusillanimité, d’une réticence à s’opposer directement à l’islamisme. Si les services de renseignements avaient averti la maire, la situation aurait peut-être été différente. Peut-être que le lien n’avait en effet pas été fait, mais j’en reste au stade de la supposition.
Je reviens effectivement au constat selon lequel certains maires apparaissent dépassés par le contexte local, car nombre d’entre eux ne bénéficient d’aucune formation en matière d’islamisme, tandis que d’autres ne considèrent pas que cette question est vraiment importante. C’est l’objet de notre travail, qui consiste à démontrer l’existence de mécanismes concrets. Nous ne nous situons pas dans le registre du fantasme lorsque nous évoquons l’islamisme ou les risques de clientélisme. Il existe de réelles tentatives d’implantation menées par les Frères musulmans et par les salafistes, qui recourent à des stratégies et à des formes d’influence multiples.
Je constate, si nous abordons l’échelle nationale, que si le phénomène de clientélisme et de laxisme traverse l’ensemble du spectre politique, La France insoumise a propension plus marquée à accepter davantage la radicalité de l’islam. Je vais donner un exemple précis. Lors des élections anticipées à Villeneuve-Saint-Georges, nous avons révélé qu’un individu pro-Hamas figurait en cinquième position sur la liste de Louis Boyard, cet individu s’étant livré à plusieurs reprises à l’apologie du Hamas et des massacres du 7 octobre, avec des preuves accessibles sur ses réseaux sociaux. Malgré le retentissement médiatique suscité par cette révélation, Louis Boyard a maintenu son soutien à ce colistier lors du meeting organisé pour le second tour, en présence de Jean-Luc Mélenchon ainsi que de plusieurs cadres et collaborateurs de LFI.
Cette attitude contraste nettement avec celle adoptée par d’autres formations politiques. Certains partis, lorsqu’ils sont confrontés à des situations comparables, choisissent de ne pas répondre aux sollicitations des journalistes, tout en engageant néanmoins une analyse interne des faits. Stéphanie Guiraud-Chaumeil, par exemple, a modifié le contrat après avoir pris connaissance de notre enquête, sans toutefois nous apporter de réponse directe. La France insoumise, en revanche, assume pleinement sa stratégie consistant à soutenir des individus pro-Hamas, tout en niant les faits rapportés par la presse, alors même que nos informations avaient été corroborées par Le Figaro, le JDD et d’autres médias.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je souhaite poser la même question à M. Seznec. Estimez-vous que les services de l’État remplissent convenablement leur fonction de conseil auprès des maires ? Quelles pistes pourriez-vous suggérer pour renforcer la loi CRPR à ce sujet ?
M. Erwan Seznec. L’exemple de Valence, avec Nicolas Daragon, illustre parfaitement l’ambiguïté et la complexité du sujet. Ce maire se trouve en effet accusé de complaisance envers les islamistes car il a cédé, à un prix avantageux, un terrain à une association musulmane souhaitant y construire une école. Bien que les liens de cette association avec des individus rigoristes soient aisés à établir, l’inspection académique a validé le projet d’agrandissement, considérant que l’école ne présente aucun problème particulier et qu’elle obtient de bons résultats lors des inspections. Nicolas Daragon se retrouve ainsi dans une position paradoxale, puisque les services de renseignement l’alertent sur le caractère problématique de ces acteurs tandis que l’Éducation nationale valide le projet. L’association convoitait initialement un bâtiment situé en centre-ville, mais Nicolas Daragon a préféré leur attribuer un terrain dans le quartier de Fontbarlettes, davantage excentré et majoritairement immigré. Cette décision lui a valu des accusations de complaisance, notamment de la part de Charlie Hebdo et du JDD, car rien ne l’obligeait à céder un terrain pour une école coranique.
Mes échanges avec lui m’ont cependant prouvé que rien ne permet d’assimiler son profil à celui d’un maire islamiste, dans la mesure où son conseil municipal compte plusieurs élus d’origine arménienne, naturellement vigilants face au fondamentalisme musulman. Il est en outre systématiquement réélu avec une avance confortable alors que les bureaux de vote de Fontbarlettes, où réside principalement la communauté musulmane, affichent un taux de participation de 28 %. Il n’a donc aucun intérêt électoral à courtiser cette population.
Nicolas Daragon est en réalité pris entre deux logiques institutionnelles contradictoires, puisque l’Éducation nationale autorise l’ouverture de cette école alors même que celle de Fontbarlettes est menacée de fermeture en raison de graves problèmes sécuritaires, sa priorité étant d’éviter une implantation fondamentaliste visible en centre-ville. Il a ainsi géré cette situation comme il l’aurait fait pour l’implantation d’une antenne relais, en recherchant la solution la moins dommageable. L’académie a donné son feu vert, les services de renseignement signalent le caractère fondamentaliste des responsables sans pour autant pouvoir leur reprocher des actes violents concrets, et ses mauvaises relations avec la préfète de l’époque n’ont fait qu’aggraver la situation. Lorsqu’il m’a reçu dans son bureau, il s’est montré stupéfait d’être accusé de chercher à séduire l’électorat musulman, s’appuyant sur les résultats électoraux pour me démontrer l’absurdité ce reproche. J’ignore toutefois toujours quelle aurait été la bonne décision à prendre et quelle aurait dû être l’action des services de l’État.
À mes yeux, ce qui fait cruellement défaut dans ce type de situation, c’est une communication efficace entre les services de l’État. Cette coordination devrait théoriquement relever des préfectures, les préfets étant censés centraliser les informations émanant des différents services sur ces questions sensibles. Un renforcement de cette coordination serait donc incontestablement bénéfique pour accompagner les élus confrontés à de telles situations.
M. le président Xavier Breton. Avez-vous évoqué la question de Valence dans un article ou s’agit-il d’un simple témoignage ?
M. Erwan Seznec. Nous avons effectivement consacré un article à ce sujet.
M. le président Xavier Breton. Pourriez-vous nous communiquer les références précises de cet article ?
M. Erwan Seznec. Bien entendu, même si j’étais initialement parti pour décrire un maire vendu aux islamistes et suis finalement revenu avec un papier concluant que la situation était bien plus complexe.
M. le président Xavier Breton. Ce genre d’article nuancé peut justement s’avérer particulièrement instructif.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Cette question présente effectivement un intérêt certain, particulièrement sous l’angle d’analyse retenu par notre commission d’enquête. Le lien entre les islamistes et des partis politiques apparaît, dans certains cas, avec une certaine évidence et pour d’autres, c’est beaucoup plus compliqué. En tant que parlementaires, nous devons désormais à formuler des réponses concrètes face à cette réalité.
M. Erwan Seznec. Vous allez vous heurter à une difficulté que j’ai constatée de manière empirique, bien que je n’aie jamais formellement rédigé de réflexion à ce sujet. Si vous organisez une réunion en y conviant un imam sincèrement républicain, il est fort probable qu’il ne se présente pas, précisément parce qu’il est sincèrement républicain. Il ne répondra même pas à votre invitation. Les mosquées authentiquement républicaines, qui sont pourtant en mesure d’identifier clairement les imams problématiques, ne prennent pas l’initiative de vous contacter, car elles refusent catégoriquement de s’impliquer dans ce type de démarches. Ainsi, si vous convoquez les imams d’une circonscription ou d’une métropole, il apparaît de manière paradoxale que ceux qui déclinent l’invitation sont bien souvent les plus fiables. Je ne peux certes pas vous en apporter la preuve formelle, mais j’en ai acquis la conviction profonde. Les imams véritablement dignes de confiance sont précisément ceux qui refusent d’engager un dialogue avec les autorités.
M. Jérôme Buisson (RN). J’aimerais savoir si, d’après votre expérience et vos nombreuses publications, vous estimez que cette pratique du « name and shame », qu’elle soit justifiée ou non, produit un effet tangible sur le comportement ultérieur des maires concernés. Pensez-vous par ailleurs que cette stratégie puisse avoir un impact sur les résultats électoraux, notamment ceux de 2026 ? S’agit-il, selon vous, d’un outil véritablement efficace ?
M. Jules Laurans. Notre démarche consiste à démontrer l’existence de ce phénomène, car il est aisé d’alléguer des accointances islamistes sans disposer de preuves tangibles, tandis que notre objectif est d’établir des faits. Nous ne cherchons pas à pratiquer une politique de « name and shame », puisque notre approche se veut factuelle. Il ne s’agit pas d’humilier des maires, mais de présenter leurs actions, car les citoyens ont le droit d’être informés de projets ou de l’indifférence de leur maire face à l’implantation d’une communauté Millî Görüş. Bien qu’un maire n’ait pas pour mission de fermer lui-même un lieu de culte problématique, il lui incombe de prendre position et d’alerter les services de l’État. Le maire d’Annecy, par exemple, demeure indifférent à la présence, sur son territoire, d’une mouvance Millî Görüş pourtant identifiée dans plusieurs rapports comme un vecteur d’ingérence turque. Ces sujets leur paraissent souvent secondaires ou sont assimilés à des préoccupations d’extrême droite, si bien qu’ils refusent de s’y confronter.
Dans les grandes métropoles, ce travail d’investigation devrait incomber à la presse quotidienne régionale, mais cette dernière ne s’en saisit pas. L’enquête que nous avons conduite a suscité des réactions, précisément parce qu’elle vise pour la première fois des maires de Haute-Savoie. Lors de leur conférence de presse, ces derniers n’ont d’ailleurs pas contesté les faits, refusant simplement de nous inviter par crainte des questions que nous pourrions poser et allant même jusqu’à affirmer ne pas avoir été contactés.
Nous, nous sommes honnêtes dans notre démarche. À un moment, ces sujets doivent être mis sur la table. Il ne s’agit pas de « détruire » quelqu’un. L’idée, c’est de dire qu’il faut absolument parler de ces sujets, sinon ça conduit à des catastrophes. L’affaire Samuel Paty, c’est une affaire de muets, car certaines personnes n’ont pas parlé, ont voulu couvrir des éléments alors qu’il aurait fallu reconnaître que ce professeur était en danger, qu’il faisait l’objet de menaces et qu’il nécessitait une protection.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous affirmez que les élus évitent ces sujets et que cela révèle un problème de conscientisation de la menace islamiste. Estimez-vous nécessaire de renforcer la formation de nos élus sur ces problématiques ? Identifiez-vous une carence à ce niveau ?
M. Jules Laurans. Une carence existe, en particulier chez les élus des petites communes, qui se trouvent fréquemment dépassés par ces situations complexes, car ils ne disposent pas des éléments pour identifier l’entrisme islamiste. Les élus obéissent cependant aussi à une logique électorale, ce qui les conduit à éviter les sujets afin de ne pas faire de vague. Une formation plus approfondie, associée à l’assurance d’un soutien solide de la part des services de l’État, les aiderait très certainement.
Toute personne qui aborde ces questions se voit en effet systématiquement stigmatisée, voire menacée, et ces élus se retrouvent ainsi fréquemment isolés dans leur prise de parole, d’autant plus au sein d’une majorité municipale de gauche particulièrement sensible aux accusations d’islamophobie. Un maire qui ose évoquer l’existence d’un problème potentiel s’expose à une mort sociale. La protection de tous ceux qui s’expriment sur la question de l’islamisme constitue donc, à ce titre, un impératif absolu, car ils doivent être rassurés.
La formation à la détection des signaux demeure également essentielle, même si l’identification de ces problématiques relève avant tout des services de renseignement, dont la mission consiste précisément à repérer les situations préoccupantes, à en informer les élus et à les accompagner dans cette démarche en leur garantissant qu’ils ne seront pas abandonnés. La prise de position publique des élus revêt une importance majeure et lorsqu’une personne décide de s’exprimer, d’autres suivent. Mais si celui ou celle qui prend la parole en premier subit des représailles, la peur viendra inévitablement inhiber toute initiative ultérieure.
M. le président Xavier Breton. Monsieur Seznec, pouvez-vous également répondre à cette question sur la formation des élus ?
M. Erwan Seznec. Je n’y crois pas. Je ne crois pas que financer une formation pour les élus soit suffisant.
M. le président Xavier Breton. Cette formation pourrait revêtir des formes diverses, sans nécessairement prendre la forme d’un dispositif payant. Elle pourrait être initiée par la préfecture ou par des associations départementales, dans une approche davantage institutionnalisée.
M. Erwan Seznec. Le rapport sur les Frères musulmans publié en mai dernier identifiait déjà une dizaine de communes susceptibles de basculer entre les mains des islamistes à l’occasion des prochaines élections municipales. Nous sommes donc aujourd’hui parvenus à un stade où qualifier un candidat d’islamiste renforce paradoxalement sa position électorale dans certaines communes ciblées. Cette stratégie est d’ailleurs délibérément poursuivie par certains élus. Même si je me garderai bien d’assimiler l’ensemble des membres de La France insoumise ou des Écologistes à cette tendance, elle s’observe indéniablement au sein de ces formations politiques. À l’image de ce que fut autrefois la « ceinture rouge », se dessine aujourd’hui une « ceinture verte » qui reproduit, avec une grande précision, l’écosystème que le Parti communiste avait su bâtir avec un remarquable savoir-faire. Ces acteurs s’approprient progressivement les territoires en investissant les associations, les mairies, les services sociaux, ce qui conduit, finalement, à de véritables phénomènes d’éviction. Certaines communes sont ainsi d’ores et déjà identifiées comme accueillantes, tolérantes et arrangeantes.
Si, en région parisienne, la tension exercée sur le marché du logement limite ce phénomène, car les habitants n’y déménagent pas aisément, dans les territoires où cette tension est moindre, la transformation peut en revanche s’opérer de manière extrêmement rapide, parfois à l’échelle d’un simple quartier qui, en quelques années seulement, devient un véritable territoire séparé. Je pense notamment à Perseigne à Alençon ou au quartier Pissevin à Nîmes. À l’échelle communale, de véritables mini-califats peuvent ainsi se constituer avec la complicité d’élus complaisants. Dans ce contexte, dénoncer ces élus comme islamistes dans la presse devient contre-productif, car une telle accusation ne fait que renforcer leur assise locale.
M. le président Xavier Breton. Lorsqu’on aborde ces thématiques sensibles, les menaces et les pressions apparaissent rapidement. Ressentez-vous, à la suite de vos travaux, une menace pesant sur votre liberté d’expression ? Avez-vous subi des pressions consécutives à vos publications ? Estimez-vous qu’il soit nécessaire de renforcer les dispositifs de protection des journalistes afin de garantir leur capacité à mener un travail d’investigation ?
M. Erwan Seznec. J’ai fait l’objet de poursuites en diffamation engagées par le président des Musulmans de France. Lorsque nous publions des articles critiques, notamment ceux consacrés au Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), nous faisons face à un déferlement de commentaires particulièrement violents sur les réseaux sociaux. Nous n’avons, fort heureusement, reçu aucune menace physique directe. Notre journal dispose des ressources nécessaires pour prendre en charge nos frais d’avocat, qui s’élèvent à environ 50 000 euros par an, même si ces poursuites ne concernent pas exclusivement les affaires liées à l’islamisme. Nous ressentons toutefois indéniablement une forme de pression.
Quant au renforcement de la protection accordée aux journalistes, je considère que la loi et la jurisprudence garantissent déjà des droits importants à notre profession.
M. Jules Laurans. Nous sommes, pour notre part, confrontés à des menaces particulièrement caractérisées. Un islamiste a d’ailleurs été condamné il y a trois semaines pour avoir projeté un attentat contre nos locaux. Cet individu avait même tenté d’établir un contact avec le Hezbollah et son obsession visait tout particulièrement le directeur de notre rédaction. Nous recevons régulièrement des courriels extrêmement menaçants, émanant de profils islamistes, qui mentionnent précisément les lieux que nous fréquentons ou nos adresses personnelles. Nous déposons systématiquement plainte, et je tiens à souligner que les forces de police prennent très au sérieux l’ensemble des menaces que nous recevons, qui sont généralement précises et caractérisées.
Il ne faut pas davantage minimiser les menaces que nous recevons lorsque nous travaillons sur l’islamisme. Notre rédaction est constamment ciblée, avec des messages envoyés à nos adresses personnelles évoquant nos lieux de résidence ou nos familles. Le fait d’avoir des personnes malhonnêtes dans leur démarche, notamment certains maires qui nous qualifient d’islamophobes, prétendant que nous mentons et que nous ne les avons jamais contactés. Ce type de discours contribue à créer un environnement propice à la violence car, pour eux, je ne suis pas un journaliste digne d’être protégé, mais un militant contre lequel la violence serait justifiée. Il s’agit là d’une stratégie délibérée de délégitimation du travail d’enquête journalistique.
Aujourd’hui en France, on ne meurt pas pour avoir été accusé d’être un collabo islamiste, mais on est réellement en danger lorsqu’on est désigné comme islamophobe.
M. le président Xavier Breton. Je vous rejoins concernant les lois sur la presse, qu’il faut absolument préserver car elles sont précieuses. Pensez-vous toutefois que l’application effective de nos lois nécessiterait davantage de volontarisme, tant au niveau des forces de l’ordre que de la justice, pour garantir cette protection essentielle ?
M. Jules Laurans. Il ne faut pas daigner que traiter des questions liées à l’islamisme n’est pas anodin dans la France d’aujourd’hui et que cette démarche devient, au fil du temps, de plus en plus complexe. Nous nous heurtons, d’une part, à une dénégation de la réalité entretenue par ceux qui contestent nos constats, quels que soient les éléments que nous produisions et, d’autre part, à une violence émanant de certains groupes. Notre média ne s’inscrit pas dans une logique de caricature ou de blasphème, approches qui suscitent la colère des islamistes. Charlie Hebdo, à travers ses caricatures, excite énormément les islamistes. Nous, nous révélons des accointances, ce qui fait peut-être peser un peu moins de menaces, même si elles restent très présentes. Les derniers attentats ont d’ailleurs clairement démontré que le blasphème demeure un sujet particulièrement sensible pour les islamistes.
M. le président Xavier Breton. Vous souhaitez ajouter quelque chose ?
M. Jules Laurans. Nous évoquons régulièrement les élus, qu’il s’agisse des maires, des députés, mais il ne faut pas négliger leur environnement immédiat. Ce sont souvent leurs collaborateurs et leurs assistants qui constituent le lien avec des personnalités ou des mouvements islamistes. Prenons l’exemple de l’association Urgence Palestine, récemment dissoute par décret en Conseil des ministres : de nombreux collaborateurs parlementaires participaient régulièrement à ses manifestations et à ses activités, jouant ainsi un rôle d’intermédiaire auprès des élus. Cette dimension doit impérativement être prise en considération, car nombre d’élus ne font que reprendre les éléments de langage qui leur sont suggérés par leur entourage.
M. le président Xavier Breton. Les témoignages recueillis lors de nos premières auditions ont effectivement révélé que dans les écosystèmes locaux, ces situations concernent aussi bien les maires que leur entourage.
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21. Audition, ouverte à la presse, de M. Philippe Baptiste, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’espace (6 novembre 2025)
M. le président Xavier Breton. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence devant notre commission d’enquête. Votre parcours professionnel est très riche ; aussi rappellerai-je simplement que vous suivez depuis longtemps les questions relatives à l’enseignement supérieur pour avoir été membre de plusieurs cabinets ministériels et occupé plusieurs fonctions au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et au ministère de l’enseignement supérieur.
Nos travaux portent sur les mouvements islamistes en France et leurs stratégies pour nouer des liens avec des élus nationaux ou locaux. Nous avons auditionné des chercheurs, des représentants des services de l’État – principalement des services de renseignement –, mais également des acteurs de terrain, notamment des préfets et des maires. Lors de ces auditions, il a été souligné qu’une connaissance approfondie des mouvements islamistes était indispensable pour contrer leur influence. Or de nombreuses personnes auditionnées nous ont signalé les difficultés à disposer d’études objectives ainsi que les pressions exercées sur les chercheurs spécialisés dans ces domaines. Plus généralement, il apparaît que l’islam lui-même, en tant que culture et religion, est insuffisamment étudié. Ces constats sont aussi ceux du rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France » publié en mai dernier par le ministère de l’intérieur.
Dressez-vous les mêmes constats ? Comment pourrions-nous garantir aux chercheurs des conditions de travail plus sereines et disposer d’une base de connaissances suffisamment solide et actualisée pour appréhender l’influence des mouvements islamistes ?
Par ailleurs, des actes d’intimidation à l’égard d’étudiants ou de conférenciers ainsi que des actes de blocage impliquant des groupes minoritaires sont régulièrement dénoncés. Quelles actions entendez-vous mener face à ce type de comportements ? Quels échanges avez‑vous avec les directeurs d’établissement sur ce point ?
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Philippe Baptiste prête serment.)
M. Philippe Baptiste, ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’espace. Je voudrais tout d’abord partager ma grande inquiétude quand je vois de jeunes Français tenir, dans les murs de leur université, des propos antisémites. Inquiétude aussi quand des personnes à peine sorties de l’adolescence, qui fréquentent parfois leur université depuis quelques heures ou quelques jours seulement, peuvent se faire les porte-parole de propos qui relèvent de l’apologie du terrorisme. Inquiétude de constater que notre jeunesse n’est parfois pas protégée des idées mortifères qui traversent notre société, dans un lieu dont la vocation est de former à penser en citoyen libre, éclairé, capable de débattre dans le respect et l’intelligence. Je suis certes inquiet, mais je crois en la mobilisation implacable de mon ministère pour répondre à ces actes.
Je comprends que votre commission d’enquête a pour objet d’étude les liens entre les représentants de mouvements politiques et l’organisation et les réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste. J’ai naturellement été attentif à vos travaux, au moins à ceux rendus publics, et c’est dans ce cadre qu’un lien a pu être établi avec la caisse de résonance naturelle des faits de société que constitue le terrain universitaire.
L’université est une caisse de résonance à deux égards, et c’est sur cette dualité que je fonderai mon propos liminaire afin qu’il soit le plus utile possible à votre commission. D’abord parce que l’université, en tant que lieu où se fabrique la recherche, peut et doit contribuer par son regard scientifique à éclairer la réflexion de la représentation nationale et du public. Ensuite parce que la jeunesse est, nous le craignons, particulièrement concernée par ces liens entre mouvements islamistes et mouvements politiques. Je vous propose donc de distinguer ces deux dimensions de l’université, comme lieu de recherche et d’enseignement pour la communauté académique, d’une part, et comme lieu d’expression de la jeunesse étudiante, d’autre part.
L’islam, l’islamisme et la radicalisation ont bénéficié, en tant que champs d’études, d’un effort de recherche particulier depuis les attentats islamistes qui ont frappé notre pays en 2015. Cet effort a porté à la fois sur l’investissement et la structuration des champs disciplinaires et de recherche afin de répondre à des enjeux scientifiques, sociétaux et sécuritaires. Cette mobilisation s’est traduite par la création de nouveaux postes, par le lancement d’initiatives spécifiques, comme celle de l’Institut français d’islamologie (IFI), et par la mobilisation conjointe du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, du ministère de l’intérieur et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec l’appui de financements nationaux et européens. L’objectif était alors clair : construire une recherche crédible, exigeante et indépendante sur l’islam, à l’abri des influences idéologiques et des réseaux.
En une dizaine d’années, nos connaissances se sont considérablement enrichies, notamment au sujet des courants issus de l’intégrisme musulman : Frères musulmans, salafisme et djihadisme recouvrent des notions dont les nuances sont désormais mieux connues, y compris au-delà d’un public de chercheurs très spécialisés.
Pour autant, travailler sur l’islam demeure une entreprise difficile. Les chercheurs spécialisés sont soumis à une très forte pression politique et médiatique, dans un contexte de polarisation croissante du débat public, sans parler de la peur d’être la cible d’attentats. Certains chercheurs ont été la cible de menaces de mort. C’est intolérable.
Le ministère a vocation à mobiliser l’ensemble des instruments à sa disposition lorsque de tels faits se produisent : application de l’article 40 du code de procédure pénale, mise en œuvre de la protection fonctionnelle, sollicitation d’une protection policière auprès du ministère de l’intérieur, procédures disciplinaires à la main des établissements.
L’attention politique et médiatique sur ces sujets d’étude complexes constitue une difficulté supplémentaire du fait de l’inévitable simplification opérée au moment où les termes de ces recherches sont repris et exposés tant par les élus ou responsables publics que par les médias. S’il n’est pas étonnant que certaines polémiques, souvent amplifiées par les médias, donnent une image déformée du champ, la diversité des interprétations de la radicalisation ou de l’islamisme ne discrédite nullement la recherche, bien au contraire. Dans ce champ comme dans les autres, le pluralisme scientifique est une exigence fondamentale de la communauté académique, qui repose sur la rigueur méthodologique, la confrontation argumentée et la liberté critique. La responsabilité des pouvoirs publics n’est pas de trancher entre les différentes écoles de pensée, mais de garantir les conditions d’un débat scientifique sain, protégé le plus possible des pressions idéologiques ou communautaires, dans les limites très larges que la loi fixe à la liberté d’expression et aux libertés académiques en général.
Dans un avis rendu le 21 mai 2021, le Collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche (CDESR) rappelle que « l’esprit [sur lequel reposent les libertés académiques] se caractérise par la tolérance, l’ouverture au débat, l’acceptation du pluralisme […]. Une approche scientifique suppose […] la rigueur des analyses […] et la prévention des conflits d’intérêts. […] C’est au regard de ces principes que s’apprécient tant le comportement des enseignants-chercheurs eux-mêmes que les conditions d’organisation de débats dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche. » Et plus loin : « Plus les sujets abordés sont sensibles, plus le respect de ces obligations appelle d’attention. »
La grande majorité des chercheurs travaillent dans ce cadre. Hors de tout militantisme, ils font leur travail, lequel consiste à produire des savoirs, objectifs et rigoureux, loin des postures.
Mon ministère s’est fortement engagé pour soutenir une recherche sur l’islam qui réponde à ces standards. L’État a ainsi consacré près de 6 millions d’euros, depuis 2022, à la relance de l’islamologie dans le cadre de l’IFI. Le ministère de l’intérieur a financé près d’une centaine de projets en dix ans, pour un montant de 3,4 millions d’euros. Il est nécessaire de mieux faire connaître ces travaux, de renforcer leur visibilité et de mobiliser davantage leur expertise, comme le recommande le rapport du ministère de l’intérieur sur l’islam politique et les Frères musulmans dans sa partie consacrée à la recherche. D’excellents chercheurs, venus de l’étude du fait religieux, de la sociologie ou de la science politique, se sont penchés sur l’islamisme. Cependant, il est vrai que la France manque encore de spécialistes travaillant de manière privilégiée sur l’islamisme en France et son lien avec les partis politiques.
Le programme Religions et sociétés face aux défis contemporains (ReligiS), annoncé en décembre 2024 et piloté par l’université de Strasbourg, constitue à cet égard un nouveau levier stratégique. Il vise à analyser les transformations des interactions entre fait religieux et société dans le monde contemporain. En renforçant l’expertise française sur les transformations contemporaines du fait musulman et en adoptant une approche comparative et pluridisciplinaire, il peut contribuer à bâtir un savoir collectif, objectif, apaisé et durable sur l’islam dans ses multiples dimensions. Cela suppose, je le répète, de garantir le cadre adéquat à ces recherches.
La liberté académique est un pilier de notre démocratie. Elle protège la recherche, la pluralité des idées et le débat contradictoire. Mais elle s’accompagne de devoirs qui engagent la responsabilité de chacun au sein la communauté académique, des chercheurs et des enseignants jusqu’aux étudiants. Garantir les libertés académiques et préserver la possibilité d’un débat scientifique ouvert est un devoir fondamental. C’est aussi la meilleure manière de préparer les étudiants d’aujourd’hui à devenir des citoyens éclairés, capables de résister à tous les endoctrinements et d’entrer dans un dialogue fondé sur la raison plutôt que sur l’invective.
Ce premier volet de mon propos liminaire n’est pas celui d’un chercheur engagé dans son champ d’études, mais celui du ministre qui, bénéficiant du recul et de la hauteur que lui confère mécaniquement son poste, peut assurer que ce champ d’études existe, qu’il est investi et que le ministère continue de tout faire pour que chaque chercheur puisse exercer dans ces conditions normales.
L’université a depuis longtemps offert un terrain favorable à l’expression des opinions politiques, jusqu’à l’extrémisme politique et à l’hyper-radicalité. Nous devons conserver cette histoire longue en tête au moment de poursuivre sur la question des liens qui s’établiraient au sein de la jeunesse étudiante entre islamisme et mouvements politiques. C’est précisément parce que je ne veux rien minorer ni esquiver que j’estime primordial de conserver en mémoire certains jalons essentiels de l’histoire universitaire récente.
La guerre d’Algérie, qui a concerné toute la jeunesse française par la conscription et par les débats qui ont enflammé la France, a été l’occasion d’une mobilisation importante, qui a pu créer ce que des chercheurs ont qualifié de véritable culture de la violence politique dans les universités.
Quelques années plus tard, en 1966, Paris connaît une vingtaine d’affrontements violents en quinze jours entre groupes d’extrême gauche et groupes d’extrême droite. Les universités deviennent des champs de bataille idéologiques où l’on entre en militance par la détestation de l’autre. La violence politique étudiante, à l’université, n’est pas née avec les réseaux sociaux ; elle a un siècle d’histoire, au moins.
La jeunesse étudiante a été la cible privilégiée d’un effort explicite et organisé de conversion militante et d’influence. Durant trois décennies, l’influence soviétique sur une grande partie du milieu universitaire français s’est exercée de manière systématique. Les travaux de Stéphane Courtois et de Marc Lazar ont mis en évidence la manière dont l’URSS s’est efforcée de peser sur les convictions d’une grande partie de la jeunesse, du financement d’organisations étudiantes, présentées comme indépendantes, aux échanges avec des universités soviétiques. S’y ajoutaient le contrôle de maisons d’édition et de revues universitaires, ainsi qu’un système d’intimidation par l’intermédiaire de la presse communiste qui édictait des interdits stricts contre les dissidents.
La perte d’attrait du modèle soviétique – relative, me semble-t-il – n’a pas fait disparaître les engagements militants. Ceux-ci ont simplement changé de référent : maoïsme, trotskisme, anarchisme, entre autres.
La situation que je suis amené à commenter devant vous s’inscrit dans une forme de continuité, tout en présentant évidemment plusieurs ruptures.
La première d’entre elles est la fragmentation des groupes militants. En un peu plus d’une dizaine d’années, le modèle classique des grands syndicats et des mouvements de jeunesse des partis s’est effondré au profit d’une fragmentation extrême des groupes militants. Il est donc immensément complexe, pour ne pas dire impossible, de construire désormais une organisation capable de diffuser dans tout le pays une idéologie ou un objectif militant avec l’efficacité que l’on prêtait jadis aux organisations étudiantes. Chaque école, chaque université et même chaque campus dispose de ses propres structures qui peuvent, malgré des noms pourtant semblables, défendre des positionnements très éloignés les uns des autres.
La deuxième de ces ruptures est l’inversion du magistère moral. Jusqu’aux années 1980, la parole venue de l’université pouvait sembler porteuse d’une lumière qui éclairait les débats de société : les très grands intellectuels universitaires avaient une influence politique majeure. Il semble que le mouvement se soit quelque peu inversé : les responsables politiques s’invitent parfois dans l’enceinte universitaire pour y faire entendre leur discours et, pour certains, leur radicalité.
La troisième de ces ruptures porte sur les nouveaux thèmes du militantisme radical, qui deviennent parfois très sectoriels, à rebours de ce que l’on appelait « l’intersectionnalité des luttes ». C’est en particulier le cas – sans vouloir porter aucun jugement – des questions d’égalité entre les femmes et les hommes et de lutte LGBTQIA+. Ces nouvelles plateformes idéologiques, en particulier celles que je viens d’évoquer, sont très éloignées de la vision de la société défendue par l’islamisme politique. C’est précisément ce que dit le rapport commandé par le ministère de l’intérieur et opportunément diffusé en mai 2025, qui n’évoque que marginalement les universités, contrairement à d’autres sphères de la société : « Les interfaces entre mouvance frériste et militantisme intersectionnel existent mais restent à ce jour ponctuelles […], du fait de divergences importantes, notamment la question LGBT, point de désaccord difficilement dépassable. ».
Il existe cependant des militants radicaux qui pensent pouvoir établir un lien à partir d’une convergence de mobilisation, en particulier sur le conflit israélo-palestinien. Cette convergence se traduit par un antisémitisme tourné vers les étudiants juifs de France, souvent, ou par l’apologie du terrorisme, plus rarement.
Nous, responsables politiques, devons bien nommer les choses. Ainsi, ce qui émerge en premier lieu n’est ni l’entrisme, ni l’islamisme, ni tout autre terme médiatique un peu fourre‑tout qui recouvre le problème d’un amalgame dont aucune clarté ne peut ressortir. L’antisémitisme est trop abominable pour être désigné d’un autre nom. L’apologie du terrorisme est trop grave pour être appelée autrement. L’un comme l’autre sont susceptibles de revêtir des qualifications pénales et font l’objet de la plus grande fermeté de ma part et de celle de l’ensemble du gouvernement.
Enfin, et c’est la dernière rupture que je souhaite aborder, depuis les années 1960, les outils à disposition du ministère ont profondément évolué, de même que le droit français. L’encadrement par la loi de la liberté d’expression a permis de constituer les propos racistes et antisémites en délits ou en crimes, et l’apologie du terrorisme est désormais considérée comme un crime par le code pénal. Au sein même des universités, l’organisation a évolué pour que, sans remettre en cause les libertés académiques ou la franchise universitaire, le droit ne soit pas absent des campus, des amphithéâtres et des laboratoires. Les moyens dont disposent les présidents d’université sont ainsi beaucoup plus importants que par le passé. La loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, dont les sénateurs Lévi et Fialaire ont pris l’initiative et que vous avez votée, y contribue en renforçant les moyens de prévention et en fournissant enfin aux universités des outils disciplinaires rapides et efficaces.
Oui, l’université est l’un des lieux habituels de l’expression exacerbée du débat politique national. Oui, c’est le lieu où se forme notre jeunesse et où se fabriquent des consciences politiques. Oui, l’université est un lieu où se fabrique un savoir, une analyse et où la recherche peut éclairer des phénomènes sociétaux à l’œuvre.
C’est dans ce cadre que peuvent survenir des tentatives d’influence ou d’ingérence. Le récent rapport de France Universités rédigé par Stéphanie Balme le présente clairement : le secteur français de la recherche et de l’enseignement supérieur est désormais exposé à des stratégies d’influence menées par des puissances étrangères qui peuvent franchir les limites de l’ingérence et affecter la souveraineté scientifique française. Ce constat est particulièrement vrai dans le domaine des sciences dures, mais le phénomène peut également se traduire par des tentatives d’inflexion, au sein des sciences humaines et sociales, pour obtenir des récits favorables à tel ou tel État concerné, ou encore par diverses procédures bâillons visant à réduire l’attrait pour telle ou telle recherche.
C’est dans ce cadre qu’il nous faut prendre des mesures pour renforcer l’appui déjà existant aux universités, en engageant une stratégie de prévention à grande échelle pour défendre davantage les libertés académiques, la recherche libre et le travail des enseignants-chercheurs contre toute tentative d’ingérence et, in fine, de déstabilisation.
Sur ces questions, le dialogue entre mes services, le ministère de l’intérieur et le Quai d’Orsay est constant. Nous agissons en permanence, car mon dernier message est celui de la fermeté la plus absolue. Chaque fois que le ministère est saisi de cas d’antisémitisme, d’apologie du terrorisme ou d’intimidation violente, dans le contexte universitaire, face à tout acte ou manifestation d’idée ou d’idéologie contraire aux valeurs de la République, je montre la fermeté la plus intransigeante. Je demande toujours immédiatement aux recteurs concernés de saisir le procureur de la République en application de l’article 40 du code de procédure pénale. À chaque fois, nous nous rapprochons des présidences d’université pour nous assurer de l’application des actions nécessaires. Je tiens à saluer la position de principe de France Universités de se constituer systématiquement partie civile. Lorsque je le considère comme opportun, je saisis également l’inspection du ministère pour établir les responsabilités administratives. Je mène ce travail de vigilance avec mes collègues de l’intérieur et de la justice. Avec le garde des sceaux, nous sommes très attentifs à ce que les parquets s’assurent du suivi des signalements de faits intervenus dans les établissements d’enseignement supérieur. Avec le ministre de l’intérieur, nous évaluons au cas par cas les menaces formulées à l’encontre d’individus. Dès que le moindre risque est identifié, nous sollicitons la protection appropriée pour des chercheurs, des enseignants ou des présidents d’université.
Je suis convaincu que le sujet qui nous rassemble mérite de prendre le temps de bien définir les termes et de penser la situation avec l’exigence nécessaire.
M. le président Xavier Breton. Ce propos liminaire était fourni. Il nous permet d’alimenter nos réflexions, et peut-être même nos questions.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Votre propos liminaire est riche et commence par une inquiétude face à une sorte d’antisémitisme qui gangrènerait nos universités.
Le 15 octobre dernier, une manifestation a eu lieu sur le campus de l’université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, au cours de laquelle une oratrice a fait applaudir les événements du 7 octobre 2023. Je rappelle qu’au cours de ces événements, 1 219 personnes ont été massacrées et 251 prises en otage. À la suite de ces faits, vous avez diligenté une mission d’inspection et exprimé votre dégoût, tout à fait légitime.
Cette manifestation était notamment organisée par la Fédération syndicale étudiante (FSE). Ce syndicat étudiant fait-il partie de vos interlocuteurs ? Si oui, doit-il le rester ? Existe‑t-il des liens entre ce syndicat et des mouvements politiques ? Si oui, lesquels ? D’autres organisations étudiantes, qui seraient en lien avec des partis politiques, posent-elles problème en raison de leurs accointances avec des islamistes ?
Le fait que ces applaudissements aient été de toute évidence naturels, voire enthousiastes, vous paraît-il un épiphénomène ou au contraire le symptôme d’un état d’esprit répandu dans la jeunesse étudiante française ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Des vidéos de cette manifestation circulent. J’ai effectivement condamné publiquement les faits dans les heures qui ont suivi la diffusion de la première vidéo. Le procureur de la République a été immédiatement saisi, en application de l’article 40 du code de procédure pénale, et des poursuites ont été engagées. Le garde des sceaux a immédiatement diffusé une circulaire de politique pénale qui a permis de compléter les dispositifs existants. De plus, une mission d’inspection a été diligentée. Nous avons donné trois semaines à l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) pour mener ce travail, et elle me remettra ses conclusions dans une dizaine de jours. Nous en tirerons évidemment toutes les conséquences, mais il est malheureusement un peu tôt pour répondre aux questions posées sur la nature exacte de la manifestation et les responsabilités des individus et syndicats impliqués.
Au regard du nombre de personnes présentes, nous ne pouvons pas qualifier l’événement d’épiphénomène. Et quand bien même, la multiplication des actes antisémites, mêmes plus individuels que celui-là, montre que ce phénomène existe et n’est malheureusement pas spécifiquement universitaire. En la matière, notre lutte doit s’étendre à toute la société.
En outre, les faits qui nous sont rapportés ne représentent qu’une petite partie de l’ensemble des actes antisémites qui ont lieu quotidiennement. Je perçois la souffrance des étudiants juifs et de leurs représentants lorsque je les reçois. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un épiphénomène dans la société française. Nous sommes donc mobilisés au quotidien pour dénoncer systématiquement ces agissements et demander que des sanctions soient prises de la manière la plus efficace possible. Tel était le sens de la loi Lévi-Fialaire et de notre travail avec le Parlement : bénéficier des dispositifs les plus efficaces pour répondre très rapidement, par des sanctions disciplinaires, aux faits antisémites commis au sein des établissements.
M. le président Xavier Breton. Pourrons-nous disposer rapidement d’éléments sur l’inspection que vous avez diligentée, pour que nous puissions en prendre connaissance dans le délai contraint de préparation de notre rapport ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Nous serons en mesure de vous transmettre des éléments.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Lors de leur audition par notre commission, certains enseignants-chercheurs ont rapporté se sentir en insécurité au sein de leur université. Nous avons d’ailleurs perçu leur frayeur face aux intimidations et aux menaces répétées dont ils font l’objet. Comment expliquez-vous cette grave entorse à la liberté académique et à la liberté d’expression en général ? Quels sont vos pouvoirs réels, avec les présidents d’université, pour faire respecter ces piliers de notre République ? Le législateur doit-il intervenir pour renforcer encore la législation en vigueur ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Je commencerai par une position de principe : il est inacceptable que des enseignants-chercheurs soient empêchés d’assurer leurs cours ou leurs conférences. J’ai été extrêmement clair et ferme à ce sujet, notamment dans l’affaire impliquant M. Balanche, maître de conférences à l’université Lumière Lyon 2. La liberté d’enseigner et de débattre fait partie des fondements de l’université, et ce, dans tous les établissements. Lorsque cette liberté est remise en cause, nous devons être intransigeants – ce que je suis. Dans le cas du professeur Balanche, le procureur de la République a été saisi en application de l’article 40, une protection policière a été proposée et le ministère s’est constitué partie civile.
Des présidents d’université ont été amenés à ne pas autoriser la tenue d’un événement dans l’enceinte de leur établissement, pour des raisons d’ordre public. L’appréciation des dangers pour l’ordre public relève de la responsabilité des chefs d’établissement, dans le cadre de l’exercice de leurs pouvoirs de police et dans le respect du principe de proportionnalité. Cette possibilité d’interdire des rassemblements ou des événements a simplement pour but de garantir la sécurité de tous les participants, y compris des enseignants-chercheurs appelés à s’exprimer. Ces décisions sont prises en toute transparence et peuvent faire l’objet de recours devant le tribunal administratif.
Se pose aussi la question du pluralisme, qui aurait disparu au sein de certains départements ou sur certains sujets. Concernant l’islam, nous disposons de nombreuses instances et de projets – je pense notamment au conseil scientifique de l’IFI et à l’appel à projets « islam et société » lancé par le Bureau central des cultes du ministère de l’intérieur – qui attestent concrètement de la pluralité des études financées et de la diversité des courants et des débats scientifiques.
Lorsque des chercheurs voient leur activité entravée au sein de l’université ou dans leur laboratoire, des voies de recours existent et sont efficientes. Le CDESR cherche à garantir en permanence un équilibre entre les libertés, d’un côté, et les responsabilités et l’intégrité scientifique, de l’autre.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le cas d’un ancien directeur de recherche du CNRS, réputé proche des Frères musulmans, a été évoqué devant cette commission. Une personne auditionnée a d’ailleurs présenté une photo de l’intéressé participant en tant que membre à un conseil des Frères musulmans. Est-ce un cas isolé selon vous ? Un phénomène d’entrisme islamique vous semble-t-il exister dans les lieux de recherche et d’enseignement supérieur ? Si oui, quelles actions mettez-vous en place pour y faire face ? Ces informations vous sont-elles remontées ? Lorsque tel est le cas, comment peut-on laisser des profils de ce genre en place pendant tant d’années ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Il s’agit d’un cas particulier ; je serai donc bref. Le directeur de recherche qui n’est plus en poste aujourd’hui.
La France est une cible particulière pour les ingérences étrangères. L’enseignement supérieur et la recherche constituent à la fois un vecteur et une cible naturelle, puisqu’ils ont la capacité de toucher le large public que sont les étudiants. Ces opérations d’ingérence sont susceptibles d’entraîner des effets négatifs très importants, notamment pour la communauté académique.
Le rapport de France Universités montre d’ailleurs très clairement que la recherche et l’enseignement supérieur français sont exposés à des stratégies d’influence menées par des puissances étrangères. L’acte d’ingérence est défini comme un « agissement commis directement ou indirectement à la demande ou pour le compte d’une puissance étrangère ». La commission d’enquête sénatoriale sur les politiques publiques face aux opérations d’influences étrangères, qui a auditionné le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche en 2024, a établi un certain nombre de faits et constaté la forte exposition de la France à des menaces hybrides.
Nous essayons de dresser un état des lieux de ces tentatives d’ingérence. Cinq axes de travail ont été identifiés : la vie de campus, la recherche, la valorisation économique, la coopération et les échanges internationaux. Certains de ces axes coïncident plus ou moins avec ceux sur lesquels vous travaillez dans le cadre de vos travaux sur les Frères musulmans.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Certaines de nos auditions ont révélé des ingérences qui proviendraient de l’Iran. Pouvez-vous nous le confirmer ? Quels dispositifs pouvez-vous mettre en place pour lutter contre elles ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Tout d’abord, je souhaite rappeler que, lorsque des puissances étrangères s’intéressent à nos universités, leur intérêt se porte principalement sur des dispositifs techniques.
S’agissant de l’Iran, les services spécialisés sont évidemment alertés. L’attention des fonctionnaires de sécurité et de défense des établissements a été appelée à de nombreuses reprises sur ce type de phénomènes. Des réflexions sont menées pour permettre une meilleure sensibilisation des acteurs – des étudiants aux chefs d’établissement – à ce type de sollicitations et d’approches auxquelles ils peuvent être confrontés au quotidien.
Du fait des problématiques sécuritaires en Iran et des restrictions sur les missions scientifiques dans ce pays, le service de défense et de sécurité (SDS) examine très peu de coopérations scientifiques institutionnelles entre un établissement d’enseignement supérieur et de recherche français et une institution iranienne. Ainsi, au cours des quatre dernières années, seuls dix avis ont été émis, qui ne concernent que 0,5 % des projets de coopération internationale soumis au SDS, voire moins.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le rapport publié en mai dernier souligne qu’il apparaît indispensable de renforcer la recherche française sur l’islam et l’islamisme. Celle-ci serait « insuffisamment investie » et « extrêmement clivée ». Or, pour sensibiliser les élus et le public au risque que représentent les mouvements islamistes, il faut mieux connaître l’islam, ce qui permet de distinguer les demandes légitimes de certaines communautés de celles manifestant une forme de séparatisme ou d’entrisme. Êtes-vous d’accord avec cette préconisation ? Si oui, comment envisagez-vous de la suivre, notamment au regard des difficultés rencontrées par certains enseignants-chercheurs pour mener des recherches dans ce domaine et trouver des étudiants pour les épauler sans faire l’objet d’intimidations ou de menaces ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Vos propos sont vrais, quelle que soit la chapelle dont se réclament les chercheurs, enseignants-chercheurs ou étudiants. Nous avons constaté cette difficulté à plusieurs reprises.
Je souhaite rappeler que ces sujets – islam, islamisme, radicalisation – ont bénéficié d’un réel effort de recherche additionnel depuis 2015. Cette mobilisation s’est traduite par la création de nouveaux postes, par le lancement d’initiatives spécifiques, comme l’IFI, et par la mobilisation conjointe de mon ministère, du ministère de l’intérieur et du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Des financements nationaux et européens se sont combinés pour travailler sur ces questions. D’excellents chercheurs, venus de l’étude du fait religieux, de la sociologie ou de la science politique, se sont penchés sur le sujet de l’islamisme. Il n’existe peut-être pas encore suffisamment de spécialistes du lien entre islamisme et partis politiques. Nous devons mieux faire connaître leurs travaux, renforcer leur visibilité et mobiliser les expertises, ce qui a en effet été recommandé par le rapport du ministère de l’intérieur sur l’islam politique et les Frères musulmans, dans sa partie consacrée à la recherche. J’ai également mentionné dans mon introduction le programme ReligiS de l’université de Strasbourg, qui constitue une réelle avancée. Je rappelle en outre que depuis 2022, l’État a consacré 6 millions d’euros à la relance de l’islamologie, et le ministère de l’intérieur 3,4 millions d’euros.
En sciences humaines et sociales comme dans les grands programmes technologiques ou scientifiques, la question du temps de recherche se pose : entre le moment où les financements sont décidés et celui où les travaux de recherche sont effectivement lancés, où les thèses et postdoctorats sont menés, il y a un délai significatif.
Par ailleurs, nous partageons l’objectif du rapport du ministère de l’intérieur concernant la nécessité d’informer le grand public de la réalité des phénomènes liés à ces questions. Cette information doit passer par l’analyse scientifique la plus rigoureuse, indépendante et pluraliste possible.
Un rapport annuel sur les radicalités religieuses me paraît important pour éclairer ces différents faits, à commencer par ceux que vous mentionnez.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. L’été dernier, vous avez déclenché une polémique en déclarant que le terme « islamo-gauchisme » n’existait pas, en tout cas pas de manière structurée et visible. Votre ministre de tutelle d’alors, Élisabeth Borne, s’était opposée à cette déclaration en jugeant que « ce courant existe dans la société, donc nécessairement à l’université. Ce sont des gens d’extrême gauche qui considèrent que les musulmans sont une force électorale, qui les courtisent en encourageant le communautarisme et en banalisant l’islamisme radical. » Pourriez-vous revenir sur cette déclaration ? Considérez-vous toujours que l’islamo-gauchisme n’existe pas de manière structurée ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Je n’ai dit que ce que dit lui-même le rapport commandé et publié par le ministère de l’intérieur, qui n’évoque que très marginalement les universités. Au sujet de la jonction entre islamisme et gauchisme, ce rapport précise que « les interfaces entre mouvance frériste et militantisme intersectionnel existent mais restent à ce jour ponctuelles […] du fait de divergences importantes, notamment la question LGBT, point de désaccord difficilement dépassable ». C’est bien là mon propos. Certes, il existe des militants radicaux qui pensent pouvoir établir ce lien – ce que rappelle Élisabeth Borne, avec laquelle il n’y avait aucune dissension – à partir d’une convergence de mobilisations, en particulier sur le conflit israélo-palestinien, ce qui se traduit par un antisémitisme à l’encontre des étudiants juifs de France, souvent, ou par une apologie du terrorisme.
Je le répète, nous avons la responsabilité politique forte de bien nommer les choses : quand il s’agit d’antisémitisme, il faut parler d’antisémitisme, et quand il s’agit d’apologie du terrorisme, il faut le dire et employer les bons mots. L’antisémitisme et l’apologie du terrorisme correspondent à des qualifications pénales ; je combats systématiquement chacun de ces actes avec la plus grande fermeté.
M. le président Xavier Breton. N’avez-vous pas l’impression que ces points de désaccord entre la mouvance frériste ou islamiste et les courants LGBT sont dépassés, peut-être momentanément ? Les désaccords identifiés comme « difficilement dépassables » dans le rapport du ministère de l’intérieur semblent pouvoir être mis entre parenthèses dans le cadre d’une convergence des luttes.
M. Philippe Baptiste, ministre. Certains partis politiques cherchent-ils à dépasser ces divergences, qui me semblent structurellement indépassables ? Oui, évidemment – il suffit d’ouvrir les yeux. Mais cette question politique concerne toute la société ; elle excède le cadre de l’université.
M. le président Xavier Breton. Certes, mais les manifestations qui ont lieu dans l’enceinte des universités montrent que le dépassement s’opère aussi dans l’université.
M. Philippe Baptiste, ministre. Le rapport du ministère de l’intérieur dit plutôt le contraire.
Mme Caroline Yadan (EPR). Merci pour la clarté de vos propos et pour votre fermeté, dont nous ne doutons pas un seul instant.
Je souhaite revenir sur plusieurs événements survenus à Paris 8 et à Lyon 2, et aborder la méthode d’apaisement des conflits utilisée à Sciences Po, notamment pour faire face aux événements qui ont lieu dans les autres universités.
L’événement du 15 octobre à Paris 8 a provoqué une réelle stupeur. L’alerte avait été donnée par la production d’affiches qui mettaient en avant Mariam Abou Daqqa, cadre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), mouvement reconnu comme terroriste par plusieurs États, et la présence annoncée, sans qu’elle se concrétise, de Georges Ibrahim Abdallah, condamné à perpétuité pour complicité d’assassinat terroriste. De plus, une association luttant contre l’antisémitisme avait demandé à la direction qu’un commissaire de justice puisse procéder à un constat – la direction, qui a refusé cette demande, était donc parfaitement informée des faits en question.
Vous avez évoqué une enquête dont les conclusions seront rendues dans une dizaine de jours. Elle porte sur la responsabilité des organisateurs de la manifestation, donc de la FSE, mais s’intéresse-t-elle également à celle des dirigeants de l’université ? Si leur responsabilité était mise en cause – à mon sens, elle l’est –, y aurait-il des conséquences ?
D’autre part, quelles suites convient-il de donner à cette manifestation, y compris en matière de formation des étudiants qui y ont assisté et qui ont témoigné d’une jouissance terrible face aux événements du 7 Octobre – cette même jouissance que l’on a perçue chez les terroristes du Hamas quand ils procédaient aux massacres ? Lorsque des étudiants jubilent à l’évocation de ces massacres, une formation, ou au moins une explication, est-elle prévue ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Deux heures environ après le choc provoqué par ces images, j’ai exprimé mon profond dégoût. J’ai convoqué le président de l’université dès le lendemain, afin qu’il m’explique ces événements. En parallèle, deux enquêtes ont été lancées : une enquête pénale, par le procureur de Bobigny, et une enquête administrative, que j’ai diligentée afin d’établir l’ensemble des responsabilités, y compris internes.
Je ne souhaite ni présumer des résultats de l’enquête, ni me cacher derrière quoi que ce soit. Un syndicat a invité des individus pour tenir des propos abominables dans l’amphithéâtre d’une université de la République. Le dysfonctionnement me semble donc caractérisé, même si je laisse à la mission d’inspection le soin d’établir les faits.
Concernant le cadre général applicable aux étudiants et les contraintes imposées aux associations et organisations syndicales, je vous renvoie à l’avis du CDESR du 19 juin 2024 relatif au cadre de la coopération scientifique et technologique internationale des universités, au rôle et à la place de l’université dans l’organisation des débats publics et aux libertés académiques. Quatre critères sont mis en avant : les manifestations ne peuvent être autorisées si elles vont au-delà de la mission de l’établissement, si elles perturbent le déroulement des activités d’enseignement et de recherche, si elles troublent le fonctionnement normal du service public ou si elles risquent de porter atteinte à l’ordre public. Il faut expliquer à nouveau le sujet et discuter avec les présidents d’université, qui suivent déjà ces organisations avec vigilance.
Par ailleurs, la loi Lévi-Fialaire aborde la formation des étudiants. Faut-il aller au-delà ? Faut-il former tous les étudiants, systématiquement, aux questions relatives à l’antisémitisme, au racisme et à un certain nombre d’autres violences ? J’examine avec intérêt cette question, qui mérite d’être posée et débattue.
Mme Caroline Yadan (EPR). Le 5 octobre 2023 se tenait à l’université Lyon 2 une conférence intitulée « Colonisation et apartheid israélien, quel avenir pour les Palestiniens ? » en présence de Mariam Abou Daqqa, la cadre du FPLP – un mouvement reconnu comme terroriste par plusieurs États, comme je l’ai déjà dit – également présente ensuite à Paris 8. Alors que la présidence de l’université n’avait pas voulu interdire sa présence, la préfecture avait été saisie et est intervenue pour faire retirer son intervention du programme. Il était donc entendu qu’elle ne devait pas entrer dans l’établissement. Or non seulement elle est entrée, mais elle a participé à cette conférence – non à la tribune, mais dans le public – et a ainsi pu déverser son idéologie. Ni l’organisation de cet événement ni l’autorisation implicite de la présidente de l’université n’ont fait l’objet de suites disciplinaires ou de sanctions. La présidente de l’université est depuis montée en grade, puisqu’elle a désormais la responsabilité de tous les établissements d’enseignement supérieur de Lyon et de Saint-Étienne. Les événements du 7 Octobre se sont déroulés ensuite.
Le 1er avril 2025, le professeur de géographie Fabrice Balanche a été contraint d’interrompre son cours et de quitter l’amphithéâtre face à une quinzaine d’individus masqués scandant « Racistes, sionistes : c’est vous les terroristes ! » Une plainte a été déposée ; pourtant, l’université n’a pas été en mesure de fournir le nom d’un seul des participants, alors que ce sont apparemment les mêmes étudiants qui avaient demandé des locaux – une salle de prière – pour la fin du ramadan. Avez-vous des informations au sujet de cette plainte ?
Par ailleurs, un ancien vice-président de l’université Lyon 2 est connu pour avoir exprimé sa sympathie pour le Hezbollah sur les réseaux sociaux et pour avoir glorifié la mémoire d’Hassan Nasrallah en déclarant qu’il avait « gravi les échelons du panthéon de nos cœurs ». Il a démissionné de son poste de vice-président mais continue d’enseigner et de siéger au conseil d’administration de l’université. Il anime même un séminaire prétendument scientifique, auquel il confère une apparence académique, alors qu’il est en fait lié à une idéologie et accueille des intervenants extrêmement problématiques. Ce séminaire, intitulé « Que nous enseigne la Palestine ? », est organisé avec le laboratoire Triangle et reçoit le soutien du CNRS, de l’École normale supérieure (ENS) de Lyon, de Sciences Po Lyon, de l’université Jean-Monnet de Saint-Étienne, et donc de fonds publics. Comment expliquer qu’un tel séminaire, qui, sous des apparences savantes, réduit un conflit tragique à une cause idéologique, puisse se tenir alors qu’il érige l’antisionisme en dogme et provoque ensuite la haine des juifs dans les mêmes établissements où il est organisé ?
M. le président Xavier Breton. Je rappelle que notre commission ne saurait intervenir dans une enquête judiciaire en cours. En revanche, nous sommes habilités à nous pencher sur les éléments qui relèvent de votre ministère.
M. Philippe Baptiste, ministre. S’agissant de l’organisation des événements, je rappelle le principe de la franchise universitaire. Ce concept n’est pas nouveau et confère au président un grand pouvoir qu’il ne saurait pour autant exercer en dehors de tout cadre. J’ai eu souvent l’occasion de discuter avec des présidents d’université et des directeurs de composante, qui sont directement exposés à ces questions. Je souhaite seulement rappeler que nous ne parlons que de quelques établissements, particulièrement concernés, non pour minorer ces faits, totalement inacceptables, mais pour présenter une vision globale d’un ensemble de soixante‑dix universités, 150 écoles d’ingénieurs et autant d’écoles de commerce. Partout où apparaissent des difficultés, nous avons resserré les liens avec les présidents d’université et rediscuté avec eux des principes, dans le cadre de leur autonomie et de cette franchise universitaire, afin qu’ils jouent pleinement leur rôle tout en faisant respecter la loi.
S’agissant de Fabrice Balanche, son cours a effectivement été interrompu le 1er avril aux cris de « Racistes, sionistes : c’est vous les terroristes ! » Le ministère a immédiatement porté plainte et manifesté son soutien le plus total à ce professeur. Je l’ai appelé dans les jours ou les heures qui ont suivi l’événement et me suis assuré qu’il puisse reprendre ses cours. De mémoire, les fauteurs de troubles étaient masqués. Une enquête judiciaire est en cours, mais l’identification de ces personnes est difficile, et le temps de la justice est un peu décalé par rapport au temps politique et au temps de l’indignation. Nous devons attendre les résultats de l’enquête ; à ce stade, je ne dispose d’aucun nom ni élément. Si, par la suite, des étudiants étaient formellement identifiés, des sanctions disciplinaires interviendraient mécaniquement.
Concernant Willy Beauvallet, vice-président de l’université Lyon 2 à l’époque des faits, les propos faisant l’apologie de Hassan Nasrallah ont été portés à ma connaissance à la fin du mois d’avril. J’ai considéré qu’il s’agissait d’une forme d’apologie du terrorisme et ai donc demandé au recteur de saisir la justice au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Je constate que ce vice-président a démissionné de ses fonctions dix jours plus tard. Nous avons été assez fermes sur ces questions.
M. Julien Odoul (RN). Malgré la fermeté la plus absolue que vous affichez et exprimez devant nous aujourd’hui, force est de constater que bon nombre d’universités françaises sont devenues des zones de non-droit, et même des zones d’un autre droit, celui de l’islamo-gauchisme.
M. le rapporteur a rappelé les tristes événements de l’université Paris 8, ma collègue Caroline Yadan a évoqué ceux de Lyon 2. Je parlerai pour ma part de l’université Jean-Moulin Lyon 3. Il y a quelques jours, un groupe d’étudiants a diffusé sur Instagram un sondage inquiétant et nauséabond, censé répondre à la question « Qui aime les juifs ? » L’une des réponses possibles était : « Pas moi, je leur tire dessus. » Ces étudiants ont-ils été identifiés ? Quelles seront les suites et les éventuelles sanctions ?
Je souhaite ensuite vous alerter sur l’enquête du magazine Valeurs actuelles au sujet de l’université Sorbonne Paris Nord Paris 13, à Villetaneuse. Cette enquête a révélé une augmentation du nombre d’étudiantes voilées, un prosélytisme s’affichant sur les murs, la tenue de prières dans les couloirs et la proposition de repas halal concurrençant ceux du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous). Quelle est la réponse de l’État et de votre ministère ?
Concernant l’implantation de l’islamisme et la banalisation de l’antisémitisme, considérez-vous que la tournée des facs à laquelle se livrent certains députés d’extrême gauche contribue à jeter de l’huile sur le feu et à favoriser l’infiltration et la propagation de ces messages ? Considérez-vous également que la multiplication des provocations liées au drapeau palestinien favorise un endoctrinement politique à l’idéologie islamo-gauchiste ? Compte tenu du caractère très alarmant de la situation et du symbole que représente ce drapeau, qui n’est pas un emblème national, mais l’étendard de tous ceux qui détestent les juifs et l’État d’Israël, vous paraît-il pertinent et utile de bannir ce drapeau dans les enceintes des universités françaises ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Permettez-moi d’exprimer une forme de désaccord : les universités ne sont pas devenues des zones de non-droit. Je ne reprendrai pas ce propos à mon compte. En revanche, des actes condamnables, et qui doivent être condamnés et faire l’objet d’enquêtes, de procédures disciplinaires et d’actions en justice, s’y produisent.
Concernant l’abominable questionnaire que vous mentionnez à Lyon 3 – je l’ai condamné –, je tiens à signaler la réaction exemplaire du président de l’université. Il me semble que les étudiants en question sont en première année de licence de droit. J’insiste sur ce point parce que d’autres incidents, à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ont également impliqué de très jeunes étudiants. Nous assistons à des prises de position et des comportements scandaleux, honteux, illégaux, de la part de très jeunes adultes, de très jeunes étudiants ; à Paris 1, les étudiants concernés n’étaient inscrits que depuis quelques heures ou quelques jours. On ne peut donc pas blâmer l’université pour leurs dérives. Sans nier les difficultés qui peuvent exister au sein de nos établissements, je considère que le problème est bien plus profond.
S’agissant de la situation à Paris 13, je souhaite rappeler que le principe de neutralité du service public, qui s’applique à la présidence de l’université et à tous les agents publics, y compris aux doctorants, coexiste avec le principe de liberté pour les usagers. Contrairement à ce qui se passe à l’école, les signes religieux, en particulier le voile, sont autorisés à l’université. La raison en est assez simple : nous avons affaire à des adultes, qui ont leur liberté de conscience religieuse et politique, tandis que les collégiens et lycéens sont encore en pleine formation. En revanche, le voile intégral est interdit à l’université, comme partout ailleurs dans l’espace public. Le port du voile assorti d’un masque chirurgical est également interdit, il convient de le rappeler.
Ainsi, la loi garantit aux étudiants le droit de porter des signes religieux, d’afficher leurs convictions religieuses et d’exprimer leurs opinions politiques – mais pas de les imposer – et d’en débattre à l’université. Cela fait partie de la liberté. Il faut que les universités soient des lieux de débat et de discussion. C’est le cas aujourd’hui et cela correspond à des valeurs auxquelles je crois profondément.
M. Julien Odoul (RN). Vous n’avez pas répondu à ma question sur la tournée des universités par certains députés.
M. Philippe Baptiste, ministre. La libre appréciation des présidents d’université est fondamentale. Je suis attentif à la pluralité et à la possibilité de débattre.
Votre question est très politique et je ne suis pas sûr que cette commission d’enquête soit le meilleur cadre pour y répondre. S’il s’agit de savoir si certains partis politiques cherchent à augmenter la température sur les campus, la réponse est oui.
M. Julien Odoul (RN). Quelle est votre position concernant le drapeau palestinien, qui est instrumentalisé et constitue un vecteur de violence et de haine à l’endroit de nos compatriotes de confession juive ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Je n’ai pas de position sur cette question, notamment dans le cadre de votre commission d’enquête. Je considère que l’un de mes rôles est de lutter contre tous les phénomènes d’antisémitisme à l’université – j’y ai d’ailleurs consacré une part très importante de mon énergie depuis ma prise de fonction. Cela me semble fondamental.
Mme Caroline Yadan (EPR). À Sciences Po, Luis Vassy a considérablement serré la vis à la suite des événements qui s’y sont déroulés : exclusions, réforme des admissions, modification du règlement intérieur de l’établissement. Cette méthode musclée et cette intransigeance absolue sur l’antisémitisme ont produit leurs effets, en faisant passer l’excellence avant le militantisme.
Il a, sauf erreur de ma part, rédigé une sorte de vade-mecum sur la méthode employée à destination d’homologues qui voudraient s’en inspirer. Envisagez-vous de diffuser une circulaire sur cette base ? En effet, la crainte, à mon avis fondée, est qu’un sentiment d’impunité s’empare de l’ensemble des universités, alors que le problème ne concerne, comme vous l’avez indiqué, qu’une dizaine ou une quinzaine d’entre elles sur soixante-dix. Une circulaire préconisant une méthode ferme, reprenant celle élaborée par Luis Vassy, est-elle envisageable ? Dans le cas contraire, quelles autres solutions envisagez-vous ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Je soutiens pleinement le positionnement ferme de Luis Vassy. Il exerce cette politique dans son établissement, en accord avec les règles spécifiques à ce dernier, qui ne sont pas exactement les mêmes que dans les universités.
La loi Lévi-Fialaire renforce les dispositifs de sanctions disciplinaires. Elle donne en particulier aux présidents d’université la possibilité de mobiliser des commissions en dehors de leur établissement, avec des délais de réaction plus rapides, une distance plus adaptée par rapport aux événements et, le cas échéant, des sanctions plus efficaces. La direction est donc la même.
Sciences Po a mis en place des dispositifs de formation destinés aux étudiants – pour en avoir discuté plusieurs fois avec Luis Vassy, je pense que c’est très efficace – tout en adoptant une attitude plus ferme et en laissant passer moins de dérives. Quand je réunis les présidents des universités concernées – je l’ai fait à plusieurs reprises depuis ma nomination –, c’est dans cette même logique que nous travaillons. Les présidents sont conscients des enjeux et mobilisés sur ces questions, avec leur diversité d’approche.
Par ailleurs, nous évoquons une dizaine d’universités concernées, mais seuls quelques départements de ces universités sont réellement soumis à ces tensions.
Encore une fois, quand nous constatons des incidents, des actes antisémites ou des propos d’apologie du terrorisme, nous devons condamner ces comportements abominables de manière extrêmement ferme. J’ai été clair à ce sujet, je crois l’avoir démontré.
Je me méfie aussi d’un très fort effet de loupe sur le monde universitaire. L’université ne se résume pas du tout à ce que nous avons vu un jour dans un amphithéâtre. L’université, c’est la liberté, le débat public, la confrontation des points de vue. Ce sont des personnalités qui se construisent et se forment au travers du débat. C’est bien ce que souhaitent aujourd’hui les présidents et les directeurs d’établissement.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Pour conclure, j’aimerais revenir sur la question de la formation des étudiants en général. Tout porte à croire que l’ignorance est un moteur de haine puissant. Lors de manifestations pro-Palestine, à l’extérieur des universités, les étudiants fréquentent des organisateurs parfois peu recommandables, qui fusionnent différents combats pouvant paraître antagonistes. Ils viennent souvent au sujet de Gaza, pour défendre une cause qui peut être légitime, mais quand on les interroge pendant ces manifestations, on constate une ignorance profonde : ils s’avèrent incapables de définir le sionisme et d’appréhender la complexité du conflit israélo-palestinien.
Ces jeunes étudiants arrivent à l’université, après être passés par l’enseignement secondaire, sans être capables de faire la part des choses sur une question géopolitique qui excite les passions depuis fort longtemps. N’est-ce pas l’illustration d’une défaillance totale, d’un échec total de l’État et de notre système éducatif ? Comment pouvons-nous renforcer ce dernier ? Des formations particulières doivent-elles être mises en place sur ces sujets pour éviter que nos jeunes soient si faciles à manipuler ou à endoctriner et qu’ils en viennent à défendre des causes totalement incompatibles avec les valeurs de la République ?
M. Philippe Baptiste, ministre. Ce constat que vous posez, j’ai pu le partager. Nous assistons à des mobilisations très fortes, très expressives – je parle évidemment de celles qui sont légales –, où la compréhension des sous-jacents ou de la complexité de l’histoire récente ou plus ancienne manque parfois cruellement. En effet, certaines questions se posent en amont de l’université, puisque ces sujets figurent dans les programmes scolaires, ce qui nous interpelle évidemment. Nous devons y travailler, notamment au sein des universités. Des modules spécifiques à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme doivent être intégrés aux programmes, notamment pour les étudiants qui siégeront dans les composantes. Faut-il aller plus loin ? J’y suis plutôt ouvert.
Le 4 juillet dernier, je me suis rendu au séminaire national de formation des référents racisme et antisémitisme, qui s’est tenu pour la première fois, à ma demande, au mémorial de la Shoah. J’ai souhaité que nos équipes et celles du mémorial travaillent ensemble sur des ressources pédagogiques afin de mettre des modules et du matériel de formation à la disposition du plus grand nombre.
Cet effort de formation à la complexité du monde est essentiel.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour les réponses que vous nous avez apportées. Vous pourrez les compléter par écrit en nous renvoyant le questionnaire que nous vous avons transmis et en nous transmettant les éléments évoqués au cours de cette audition.
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22. Table ronde, à huis clos, réunissant M. Éric Chevallier, ambassadeur de France en Égypte, M. François Delattre, ambassadeur de France en Allemagne, M. Patrick Maisonnave, ambassadeur de France en Arabie Saoudite et Mme Hélène Tréheux-Duchêne, ambassadrice de France au Royaume-Uni (6 novembre 2025)
M. Laurent Jacobelli, président. Messieurs les ambassadeurs, madame l’ambassadrice, pour appréhender la menace islamiste, il nous a semblé utile de la replacer dans un contexte européen et international afin de disposer d’une vision plus complète sur les stratégies à l’œuvre et leurs caractéristiques selon les contextes nationaux. Nos échanges compléteront ainsi les éléments dont nous disposons depuis la publication du rapport sur les Frères musulmans et l’islamisme politique en France par le ministère de l’intérieur en mai dernier.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Éric Chevallier, François Delattre et Patrick Maisonnave et Mme Hélène Tréheux-Duchêne prêtent successivement serment.)
M. Éric Chevallier, ambassadeur de France en Égypte. Je commencerai par répondre aux deux questions qui nous ont été envoyées : quel est l’état actuel de la menace terroriste islamiste dans les pays où nous représentons la France ? Quelles y ont été les éventuelles conséquences du 7-Octobre ?
Avec toute la prudence nécessaire sur ces sujets, la plupart des experts estiment que la menace terroriste en Égypte est relativement contrôlée aujourd’hui. Cela n’a pas toujours été le cas, loin de là. Assez récemment encore, l’Égypte faisait face à une très importante menace terroriste, qui s’est malheureusement concrétisée par de nombreux attentats. Ceux-ci n’ont pas épargné la France puisque l’un d’entre eux, perpétré au centre du Caire le 22 février 2009, a causé la mort d’une jeune Française, Cécile Vannier, et blessé 25 personnes ; une instruction est toujours en cours.
Nous pourrions malheureusement égrener tout une liste d’attentats, notamment durant les années 2010, avec une attaque à la voiture piégée et une opération suicide en 2013 au Caire, le crash d’un avion reliant Charm el-Cheikh à la Russie, l’attentat contre l’église Saint‑Pierre‑et‑Saint-Paul, le 11 décembre 2016, durant la messe dominicale qui a fait vingt‑sept morts et quarante-neuf blessés.
Ce sont des mouvements djihadistes, sous des appellations différentes – Al-Qaïda, Wilayat Sinaï, qui s’est affiliée à Daech en 2014, Djihad islamique, Jamaa Islamiya –, qui sont soupçonnés d’avoir été les auteurs de ces événements tragiques.
Il est à noter que, notamment au cours de la période 2015-2022, une campagne antiterroriste de très grande ampleur a été menée par les autorités égyptiennes contre la principale menace d’alors : celle de la Wilayat Sinaï. Les autorités considèrent aujourd’hui que, pour l’essentiel, elle a été éliminée.
Pour ce qui est des évolutions depuis le 7-Octobre, l’Égypte n’a pas connu de regain significatif de menaces, mais les autorités sont évidemment très attentives. On peut noter deux événements, jusqu’à présent isolés : le 8 octobre 2023, un attentat a causé la mort de deux touristes israéliens à Alexandrie et de leur guide ; plus récemment, le 20 juillet 2025, dans un quartier populaire du Caire, les forces de l’ordre sont intervenues contre des membres de Hasm, branche armée des Frères musulmans que certains pensent basée en Turquie. Cette opération a donné lieu à un échange de tirs qui s’est soldé par la mort de deux des suspects et d’un passant, un officier de police ayant également été blessé.
M. François Delattre, ambassadeur de France en Allemagne. C’est un grand honneur pour moi de m’exprimer devant vous aux côtés de mes collègues. À titre liminaire et au-delà de la réponse aux questions qui nous ont été adressées, j’exprimerai trois observations.
Premièrement, nous constatons la présence en Allemagne de groupes islamistes qui déploient des stratégies tout à fait comparables, dans l’ensemble, à celles dont il est fait état en France dans le rapport du ministère de l’intérieur sur les Frères musulmans. Ces groupes, qui se veulent légalistes, gèrent sur le territoire allemand, et particulièrement dans l’ex-Allemagne de l’Ouest un réseau de structures cultuelles, culturelles et éducatives qui vise à exercer une influence sur la société.
Sur le plan politique, et sans vouloir être trop schématique, il est un fait que certains de ces groupes cherchent à instrumentaliser l’islamophobie pour donner des consignes de vote et ainsi faire peser ce qu’ils appellent, explicitement ou implicitement selon le cas, le « vote musulman », avec un succès qui semble à ce jour relativement limité.
Je dois signaler une spécificité allemande : l’importance de la diaspora turque dans ce pays, qui comprend quelque 2,8 millions de personnes et qui est majoritairement acquise au parti islamique AKP – Parti de la justice et du développement – du président Erdoğan. Je précise que l’Allemagne compte environ 5,5 millions de musulmans, dont 3 millions sont de nationalité allemande. Cette spécificité se traduit dans les mouvements islamistes actifs en Allemagne de deux manières notamment : c’est la communauté islamique Millî Görüs, proche de l’AKP, qui est la mieux représentée en Allemagne. Ce groupe prône une idéologie proche de celle des Frères musulmans, mais s’en distingue par ses positions nationalistes turques. Si le vote de la diaspora turque en Allemagne portait traditionnellement plutôt vers des partis de gauche, il tend à évoluer progressivement vers la droite de l’échiquier politique : l’Union chrétienne-démocrate (CDU), voire l’AfD – Alternative pour l’Allemagne.
Je tempérerai quelque peu les deux précédentes observations en notant que nous n’avons, à ce stade, pas de signal d’entrisme réel de ces mouvements dans les partis politiques allemands. Ce sujet est, du reste, assez peu évoqué dans la presse ou dans l’opinion publique allemande. Le parti politique Dava – Alliance démocratique pour la diversité et le renouveau –, lui-même proche du pouvoir turc, n’a connu qu’un succès très limité en Allemagne lors des élections européennes de 2024. Il n’a présenté qu’un seul candidat aux élections locales de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, candidat qui a du reste été écarté par la commission électorale locale.
M. Patrick Maisonnave, ambassadeur de France auprès du royaume d’Arabie Saoudite. Je rappelle d’abord, car on a tendance à l’oublier, que l’Arabie Saoudite a elle-même été frappée par plusieurs vagues de terrorisme depuis la fin des années 1970. On compte en effet, depuis 1979, une cinquantaine d’attentats sur le sol saoudien. Cette menace est aujourd’hui limitée, d’abord parce que les services de renseignement et de sécurité sont devenus beaucoup plus performants dans l’identification des réseaux, ensuite parce qu’il a été décidé en 2014 d’interdire les Frères musulmans sur le territoire saoudien, ce mouvement étant classé comme organisation terroriste au même titre que la branche saoudienne du Hezbollah ou, évidemment, l’organisation Al-Qaïda dans la péninsule Arabique (AQPA).
Cette menace est largement jugulée mais elle n’a pas disparu. Les services restent très actifs sur le territoire saoudien et continuent à identifier et à démanteler des cellules terroristes. Ce qu’on craint le plus sont les actions commises par des personnes isolées – les « loups solitaires », comment on dit aujourd’hui. Les échanges que nous avons avec les autorités saoudiennes et les analyses de notre propre service de renseignement laissent penser qu’il existe aujourd’hui une menace diffuse, et peut-être même en augmentation du fait d’un regain d’activité de l’organisation Al-Qaïda dans la péninsule Arabique, qui a désormais à sa tête un Yéménite. On observe effectivement entre Al-Qaïda dans la péninsule Arabique et le mouvement houthi au Yémen des rapprochements qu’on pourrait qualifier de rapprochements d’opportunité.
La vigilance est donc accrue, surtout dans le contexte de l’après 7-Octobre. Il y a dans l’opinion saoudienne comme dans celle des autres pays arabes une sensibilité à la question palestinienne, et donc une vigilance renforcée dans le domaine du contre-terrorisme, le prince héritier Mohammed ben Salmane ne faisant pas mystère de sa volonté de normaliser les relations avec Israël. Ces prises de position, même si elles ont été un peu mises sous le boisseau depuis le début de l’intervention à Gaza, créent néanmoins des tensions qui justifient la vigilance des autorités saoudiennes.
Il faut avoir conscience du fait que si l’Arabie Saoudite a pu être considérée par le passé comme associée à une certaine forme de prosélytisme et au financement d’organisations terroristes, ou du moins d’un islam wahhabite et radical, nous avons changé d’époque : ce pays est engagé dans une logique de modernisation économique, sociale et sociétale, et le prince héritier assume désormais une vraie prise de distance vis-à-vis du pouvoir religieux, dont il a, en réalité, pris le contrôle. L’image de promoteur à travers le monde d’un islam radical qui colle à l’Arabie est en train de s’estomper, précisément parce que les autorités saoudiennes, et le prince héritier au premier chef, ont pris des mesures pour mettre fin au soutien qui a pu être apporté par le passé, sinon par l’État saoudien, du moins par des groupes privés en Arabie, à un certain nombre de groupes et d’actions dans le monde.
Mme Hélène Tréheux-Duchêne, ambassadrice de France au Royaume-Uni. La menace terroriste islamiste constitue évidemment un sujet de coopération très étroite avec la France. Bien présente au Royaume-Uni, cette menace a largement changé d’aspect : depuis 2020, le MI5, c’est-à-dire les services de sécurité intérieure, et la police ont déjoué dix‑neuf attaques ; le nombre d’enquêtes est en augmentation. Ces chiffres recouvrent toutefois toutes les formes de terrorisme, notamment celles qui proviennent de groupes d’extrême droite violents, qui en constituent une part non négligeable.
La menace est maintenant moins le fait d’organisations centralisées comme Al-Qaïda et l’État islamique, que d’une radicalisation en ligne et autonome. En 2024, un cinquième des arrestations dans le cadre des enquêtes terroristes concernait des jeunes de moins de 17 ans. La frontière entre les actes terroristes et criminels devient de plus en plus difficile à tracer.
La menace du terrorisme islamiste au Royaume-Uni dépend des intentions et des capacités d’Al-Qaïda et de l’État islamique à l’égard du pays. Les services britanniques établissent deux constats : certaines franchises de l’État islamique et d’Al-Qaïda n’ont pas renoncé à mener des attentats en Europe – c’est notamment le cas de l’État islamique au Khorassan, d’obédience afghane ; le Royaume-Uni est, en Occident, moins menacé que ne peuvent l’être les États-Unis ou l’Europe occidentale. Ils prennent toutefois la question au sérieux et ont pris des mesures en créant un centre d’opérations qui regroupe à Londres les forces du MI5, du MI6 et du GCHQ (Government Communications Headquarters). Ils appliquent également une réponse judiciaire : 234 personnes ont été interpellées entre juillet 2024 et 2025 pour des actions liées au terrorisme et 257 personnes sont détenues pour des infractions liées au terrorisme, dont 61 % sont considérées comme liées à l’islamisme extrémiste, 29 % à l’extrême droite, et 10 % à d’autres idéologies.
L’attaque terroriste du 7 octobre 2023 n’a pas eu de conséquences significatives sur l’état de la menace terroriste globale au Royaume-Uni. En revanche, l’attentat contre une synagogue de Manchester, le 2 octobre dernier, a rappelé que la menace spécifiquement dirigée contre la communauté juive et les lieux de culte avait augmenté.
Historiquement, la présence des Frères musulmans au Royaume-Uni est ancienne, avec une implantation remontant aux années 1950 et 1960, à l’époque où des étudiants et des exilés politiques fuyaient la répression au Moyen-Orient. Elle s’est renforcée plus récemment à la chute de Mohamed Morsi.
Les Frères ont développé dès le début des années 1960 une stratégie connue, consistant à créer des organisations répondant aux besoins des communautés musulmanes, et ont également mené une alliance avec des organisations islamistes enracinées dans l’héritage musulman de l’Asie du Sud-Est. Deux tiers des musulmans britanniques sont en effet originaires du sous-continent indien, ce qui a également facilité l’implantation des mouvements islamiques d’Asie du Sud-Est.
Les Britanniques jugent que la mouvance frériste a une stratégie non-violente de contrôle des charities, c’est-à-dire des organisations caritatives. Ils ne voient pas, ou très peu, dans cette pénétration rampante de la société une dimension terroriste. Cette stratégie a été complétée assez récemment par des campagnes publiques menées dans le champ politique et plus nettement orientées : soutien à la Palestine, hostilité à la politique de lutte contre la radicalisation, dénonciation de l’islamophobie et effort de structuration d’un « vote musulman ».
La position des autorités britanniques a évolué progressivement. En 2014, le rapport de John Jenkins, alors ambassadeur en Arabie Saoudite, a clarifié les choses en qualifiant le frérisme de menace pour la sécurité du Royaume-Uni mais n’suscité que très peu de réactions. La société britannique est multiculturelle, elle n’est pas laïque et il est difficile pour les autorités britanniques d’imaginer comment intervenir. Depuis le 7-Octobre, toutefois, un certain nombre de réactions se sont manifestées.
Pour ce qui est des partis politiques, il s’est produit, à la suite du 7-Octobre, une aggravation des divisions au sein du Parti travailliste. Après l’époque Corbyn, le premier ministre Keir Starmer, qui avait été très actif dans la décorbynisation, s’est montré très attentif à affirmer une rupture forte sur la question de la lutte contre l’antisémitisme, conçue comme une priorité de son action, tout en préservant une approche libérale des relations avec l’islam. Il a cependant été jugé insuffisamment engagé sur la question de Gaza. M. Corbyn a créé un nouveau parti, dénommé Your Party, rejoint par quatre ou cinq députés indépendants élus en 2024 après avoir fait campagne uniquement sur la question de Gaza. Les statistiques montrent que, dans les vingt circonscriptions où la population musulmane était la plus importante en juillet 2024, le score des travaillistes a baissé de façon importante.
M. Matthieu Bloch, rapporteur de la commission d’enquête. Madame l’ambassadrice, messieurs les ambassadeurs, je tiens, au nom de la représentation nationale, à vous remercier pour le travail que vous effectuez pour porter la parole de la France et pour le soin tout particulier que vous apportez à nos ressortissants.
En 2013 et 2014 respectivement, l’Égypte et l’Arabie Saoudite ont qualifié le mouvement des Frères musulmans d’organisation terroriste. Quels ont été les effets de cette qualification ? Suite à son interdiction, l’organisation des Frères musulmans exerce‑t‑elle encore une influence dans ces pays et observe-t-on une reconfiguration de la mouvance ?
M. Éric Chevallier. L’Égypte a classé la confrérie comme organisation terroriste le 26 décembre 2013. De ce fait, les dirigeants de la confrérie sont passibles de la peine de mort et ses militants peuvent encourir cinq ans de prison. Quelque temps après, le 9 août 2014, la Haute Cour constitutionnelle a prononcé la dissolution de Liberté et justice, le parti politique qui est l’émanation des Frères musulmans. Auparavant, l’organisation elle-même avait été dissoute en septembre 2013 et ses avoirs gelés, ainsi que ses financements.
Cela s’est accompagné de mesures plus larges, dans le cadre d’une vaste campagne sécuritaire. Il y a eu des affrontements violents entre l’armée et les fréristes, qui auraient provoqué environ 1 400 morts chez les Frères musulmans ; 2 000 militants de la confrérie auraient été arrêtés. Ce mouvement s’est poursuivi ; même s’il faut employer les chiffres avec prudence, entre l’été 2013 et l’été 2015, 40 000 personnes environ auraient été arrêtées, dont les trois quarts seraient des Frères musulmans. Des condamnations à mort ont été prononcées, notamment celle de l’ancien président Mohamed Morsi, issu de la confrérie.
Le système politique et le régime égyptiens actuels sont nés d’une réponse à l’année où les Frères musulmans ont été au pouvoir, entre mi-2012 et mi-2013, à laquelle ont mis fin les autorités qui sont aujourd’hui au pouvoir depuis environ une décennie. L’attitude du pouvoir vis-à-vis de la confrérie est donc celle d’une hostilité claire et forte ; la quasi-totalité des dirigeants et des principaux militants sont décédés, emprisonnés ou partis à l’étranger.
Il est compliqué de savoir quelle est désormais l’influence réelle de la confrérie dans le pays. Aucun chiffre ne peut être considéré comme totalement fiable. On peut cependant dire que cette influence est sans aucun doute faible. Elle repose sur des médias et des réseaux basés à l’étranger, notamment à Londres. Quelques activités de soutien social persistent sans doute, mais à très bas bruit. On sait qu’il s’agissait d’un grand outil d’influence des Frères musulmans dans les décennies passées. L’influence de la confrérie est très résiduelle mais elle est surveillée extrêmement étroitement par les autorités et le système militaro-sécuritaire égyptien.
Je rappelle pour mémoire que la confrérie a été fondée à Ismaïlia en 1928 par Hassan al-Banna, instituteur venu du delta du Nil. C’était une double réaction à l’égard de l’Occident, d’une part contre le protectorat britannique et, d’autre part, contre l’implication des pays occidentaux dans la gestion du canal de Suez.
M. Patrick Maisonnave. Le mouvement a été interdit en Arabie saoudite en 2014. Précédemment, un certain nombre de cadres de la confrérie persécutés sous Nasser y avaient trouvé refuge ; mais deux épisodes historiques particulièrement importants ont pesé sur l’évolution des relations entre le royaume et les Frères musulmans.
Tout d’abord, un différend majeur est apparu lors de la première guerre du Golfe, la confrérie s’opposant à toute intervention occidentale.
Ensuite, les attentats du 11 septembre 2001 ont ouvert une nouvelle phase de répression contre les Frères musulmans, qui s’est accentuée lors de l’arrivée de Morsi au pouvoir.
Le décret royal de 2014 est particulièrement répressif à l’égard des mouvements terroristes en général et des Frères musulmans en particulier. Il comprend une série d’interdictions, dont celle de financer les mouvements affiliés aux Frères musulmans, aussi bien en Arabie saoudite qu’à l’étranger. Il est prohibé de fournir des armes à cette mouvance et ses réunions sont interdites, de même que le fait d’héberger ses membres ou sympathisants. Enfin, il est interdit de diffuser des messages de soutien aux Frères musulmans sur internet et sur les réseaux sociaux. Ce pays est l’un des plus connectés au monde ; les réseaux sociaux y sont particulièrement contrôlés, mais les Saoudiens y sont très actifs. Un tweet de soutien aux Frères musulmans ou le simple retweet d’un compte qui leur est associé est passible de poursuites, ce soutien pouvant constituer une atteinte à la sûreté de l’État. Les peines sont particulièrement lourdes et peuvent aller jusqu’à la peine de mort.
Depuis que ce décret est appliqué, il n’y a évidemment plus de lien officiel entre le royaume et cette mouvance. De façon plus générale, il n’y en a plus avec l’islam radical ni avec le financement de celui-ci.
En 2018, la France avait organisé à Paris une grande conférence sur la lutte contre le financement du terrorisme, à laquelle une centaine de pays avaient participé – dont l’Arabie saoudite. À la suite de cela, les Saoudiens se sont dotés en 2022 d’un haut comité chargé de superviser les financements à destination des communautés islamiques à l’étranger. Il est composé notamment de membres des services de renseignement et du ministère des affaires étrangères, sous l’autorité de la Cour royale. Il s’agit d’éviter autant que faire se peut que des financements ne tombent entre les mains de mouvements affiliés de près ou de loin aux organisations terroristes, et en particulier aux Frères musulmans.
Il faut être conscient qu’on a changé d’époque en Arabie saoudite. Le clergé a été repris en main. Les prêches, tant dans les mosquées que sur les réseaux sociaux, sont étroitement contrôlés par le pouvoir. Ce dernier est très vigilant quant à l’influence de la confrérie, non seulement en Arabie mais aussi dans le reste du monde.
Le pays prône désormais un islam renouvelé et apaisé. Très influente au sein de la Ligue islamique mondiale, l’Arabie saoudite a poussé celle-ci à se réformer. Alors qu’elle était auparavant le vecteur principal d’un islam salafiste, radical, cette Ligue fait désormais la promotion de l’islam « du juste milieu » – ce qui est cohérent avec les transformations entreprises par le royaume sous l’autorité du prince héritier. C’est aussi une affaire d’image pour l’Arabie saoudite, qui veut mettre fin à celle d’un pays rigoriste.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. L’entrisme pratiqué par les Frères musulmans au sein même des pays occidentaux et leur influence sur la sphère politique sont-ils l’objet d’une attention particulière dans les États dans lesquels vous êtes en poste ?
M. Éric Chevallier. Il est très clair que, pour les autorités égyptiennes, l’influence de la confrérie est un sujet de préoccupation majeur, aussi bien dans le pays que du fait de son réseau international. Comme l’Europe est à la fois un voisin et un partenaire très important, ces autorités sont évidemment attentives à la présence et aux réseaux des Frères musulmans.
Ils nous en parlent et nous sollicitent à ce sujet, à tous les niveaux – aussi bien lors des contacts entre les différents services que lors de ceux que l’équipe politique de l’ambassade et moi-même pouvons avoir. Il y a un intérêt et une préoccupation, qui se traduisent par des échanges entre les instances concernées des deux pays.
M. Patrick Maisonnave. Pour l’Arabie Saoudite, la vigilance sur les activités des Frères musulmans commence par la péninsule Arabique, où des États sont réputés leur être proches – tout particulièrement le Qatar. La place qu’ils occupent dans ce pays et le soutien qui leur y est apporté a constitué une véritable source de tension, ce qui a d’ailleurs conduit au blocus du Qatar il y a quelques années.
Les quelques Saoudiens membres de la confrérie installés à l’étranger, en particulier à Londres, sont surveillés par les autorités saoudiennes. Comme je l’ai indiqué, celles-ci suivent attentivement les contenus publiés sur les réseaux sociaux, aussi bien dans le royaume qu’à l’étranger. Elles surveillent également les financements, car il s’agit de préserver l’image du royaume et de l’islam qu’elles veulent désormais promouvoir.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Monsieur Delattre, madame Tréheux-Duchêne, les stratégies des mouvements islamistes pour influer sur les politiques publiques et sur les élus, en particulier les élus locaux, décrites dans le rapport sur les Frères musulmans et l’islamisme politique en France publié par le ministère de l’intérieur vous semblent-elles similaires à celles mises en œuvre par ces mêmes mouvements dans les pays dans lesquels vous exercez vos fonctions ? Certains groupes politiques entretiennent-ils davantage de liens avec des mouvements ou des individus promouvant l’idéologie islamiste ?
Mme Hélène Tréheux-Duchêne. La mouvance islamiste est importante au Royaume‑Uni. Elle a des liens nombreux avec les pays d’origine. Les Britanniques le savent et les surveillent – on peut faire leur faire confiance pour avoir de bons services de renseignement.
Les islamistes au Royaume-Uni bénéficient de gros soutiens extérieurs, notamment du Qatar et de la Turquie, mais on assiste aussi à des actions de contre-influence, par exemple menées par les Émirats arabes unis.
La méthode retenue est l’islamisation rampante, c’est-à-dire le fait de pénétrer la société par le biais des charities.
Même si nous sommes voisins, la société britannique est extrêmement différente de la nôtre. Chacun vit dans sa communauté, qui peut être géographique ou religieuse. La police dialogue directement avec les imams, qui jouent le rôle d’officier d’état civil lorsqu’ils célèbrent des mariages, comme le font les prêtres anglicans : il n’y a pas d’état civil en tant que tel au Royaume-Uni et les communautés ont des compétences extrêmement importantes.
Il y a une volonté de respecter la communauté et la religion des uns et des autres. L’anglicanisme est religion d’État, mais le roi Charles III se dit défenseur des différentes religions. La communauté est la structure de base. Les Frères musulmans essayent bien entendu de s’appuyer sur les différentes organisations liées à cette dernière, dont les associations caritatives – ce qui leur permet de lever des fonds et de bénéficier d’avantages fiscaux substantiels. La charité est un élément important dans la culture anglo-saxonne, de même que dans les milieux musulmans.
Les services britanniques ne s’occupent pas de l’islamisme politique tant qu’il n’y a pas de dimension terroriste. Comme je l’ai déjà indiqué, des campagnes publiques à caractère politique ont été récemment menées. S’agissant des charities, il faut savoir que les musulmans donnent proportionnellement bien plus que la moyenne des Britanniques. Le nombre de charities a augmenté.
S’agissant de la pénétration du pouvoir politique, une très forte suspicion a pesé pendant longtemps sur le parti travailliste à l’époque de Corbyn. Keir Starmer s’est attaché à « décorbyniser » le parti. Son équipe est très engagée sur cette question. Son directeur de cabinet est le fondateur de Labour Friends of Israel. Il y a donc une volonté de ne pas laisser qui que ce soit avoir la main sur l’action du parti travailliste.
Cela a conduit le parti à avoir une réaction extrêmement prudente à l’égard de la situation à Gaza après le 7-Octobre – réaction jugée d’ailleurs trop prudente par une grande partie de son électorat. Alors même que le Royaume-Uni en avait été la puissance mandataire, il a eu une attitude plutôt suiviste par rapport à la France. Face à des manifestations plus importantes et plus violentes, le gouvernement a adopté une définition de l’extrémisme plus large que celle qui était en vigueur depuis 2011, afin de cibler davantage d’organisations et d’en dissoudre certaines. Tel a notamment été le cas de la branche britannique de Hizb ut‑Tahrir, qui avait pris position en faveur des actions violentes du Hamas. Le gouvernement a également adopté une attitude très agressive contre le groupe Palestine Action.
Le gouvernement travailliste a donc veillé à prendre ses distances et à ne pas se laisser inféoder.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Lors de son audition, Omar Youssef Souleimane a indiqué que la flottille pour Gaza était pilotée par Zaher Birawi, qui est installé à Londres. Connaissez-vous ce personnage ?
Mme Hélène Tréheux-Duchêne. Non. Nous allons vérifier, mais je crois qu’ils étaient nombreux à piloter cette flottille.
M. François Delattre. En Allemagne, les stratégies des mouvements islamistes sont tout à fait comparables à celles que l’on observe en France en ce qui concerne l’influence sur les structures sociales, comme les mosquées ou les associations pour la jeunesse.
S’agissant du « vote musulman » et de l’influence dans les structures sociales, les Frères musulmans et la communauté islamique Millî Görüs donnent des consignes de vote de manière explicite, afin de peser dans le débat politique. En revanche, certains groupes appellent à ne pas voter, considérant qu’il faut refuser de reconnaître les institutions démocratiques allemandes. Mais ils sont minoritaires. Ce fut le cas en février 2025 du groupe Realität Islam, proche du groupe islamiste sunnite Hizb ut-Tahrir – qui est du reste interdit en Allemagne depuis 2003. De manière générale, à l’instar de ce qui est relevé dans le rapport sur les Frères musulmans en France, les mouvements fréristes en Allemagne encouragent leurs affiliés à participer à la société et à occuper des postes clés dans les domaines économiques, sociaux et politiques, avec pour objectif de maximiser leur influence.
En ce qui concerne l’entrisme dans les partis allemands, nous ne disposons pas d’éléments particuliers témoignant d’une influence réelle de ces groupes sur les partis ou sur les acteurs politiques allemands. Je le disais, seul le parti Dava, créé en 2024 et dont l’idéologie islamiste est proche de celle du pouvoir turc, a présenté un candidat en Rhénanie du Nord‑Westphalie pour les élections européennes, et cette candidature a été rejetée par la commission électorale locale.
Un mot sur la menace terroriste en Allemagne, parce que la situation évolue. Le pays reste confronté à une menace terroriste islamiste élevée, notamment de la part de l’État islamique et de ses organisations régionales.
Cinq attentats islamistes ont été perpétrés en 2024 et 2025 et, bien que le nombre de personnes identifiées comme représentant une menace à proprement parler soit resté stable depuis environ trois ans, les autorités allemandes considèrent que le niveau de cette menace a augmenté. Du reste, pas plus tard que le week-end dernier, un ressortissant syrien affilié à l’État islamique a été arrêté à Berlin, car il était soupçonné de planifier un attentat.
L’attaque terroriste du 7 octobre 2023 a eu au moins deux effets sur la menace islamiste. D’une part, elle a été utilisée par les groupes islamistes pour alimenter leurs discours dénonçant l’oppression et l’exclusion que subissent, selon eux, les personnes de confession musulmane au sein de la société allemande. D’autre part, elle a conduit à une extension des activités du Hamas et du Hezbollah en Allemagne, malgré leur interdiction.
M. Laurent Jacobelli, président. On a souvent lu ou entendu que les institutions européennes étaient une proie privilégiée des mouvements islamistes radicaux, qui souhaitent les influencer. La France est particulièrement vigilante sur ce point. Quelle est la position de l’Allemagne vis-à-vis de cet entrisme probable dans les institutions européennes ?
M. François Delattre. L’Allemagne mobilise à la fois des outils préventifs et répressifs.
Sur le plan préventif, les autorités ont mis en place plusieurs formats de dialogue, dont la Conférence allemande sur l’islam, qui fonctionne toutes choses égales par ailleurs sur des bases assez proches du Forum de l’islam de France, l’un et l’autre puisant manifestement à des philosophies voisines. De même, l’État fédéral finance des cursus de formation des imams, comme l’Islamkolleg, fondé en 2019 et situé à Osnabrück, dans le Land de Basse-Saxe.
Sur le plan répressif, les autorités allemandes mobilisent l’outil de l’interdiction d’associations cultuelles. La plus récente a eu lieu pas plus tard qu’hier, avec la dissolution par le ministère fédéral de l’intérieur de l’association Muslim Interaktiv, accusée de s’opposer à l’ordre constitutionnel, de rejeter les droits des femmes et de prôner la haine d’Israël.
En revanche, la dimension proprement européenne de cette problématique ne ressort pas avec beaucoup de force à Berlin.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Outre l’interdiction des Frères musulmans, les pays dans lesquels vous exercez vos fonctions disposent-ils d’outils et de moyens spécifiques pour surveiller et prévenir l’influence des mouvements islamistes séparatistes ? Ces mesures vous paraissent-elles efficaces et pourraient-elles s’appliquer en France pour compléter celles déjà existantes ?
M. Éric Chevallier. En Égypte, la réponse est très sécuritaire. Il y a aussi une dimension de prévention et de lutte contre la radicalisation, notamment au sein de la très grande institution musulmane qu’est Al-Azhar, qui est non seulement une mosquée très importante mais aussi un lieu d’enseignement scolaire et universitaire, et qui est considérée comme la principale institution religieuse musulmane dans le monde sunnite ; son rayonnement est très large, y compris dans des pays d’Asie, tels que l’Indonésie ou la Malaisie.
Il existe désormais au sein d’Al Azhar un centre de prévention de la radicalisation, dirigé par une femme, qui n’est pas une instance gouvernementale - Al Azhar étant formellement indépendante des autorités. Cette structure indique avoir pour objectifs la prévention, la réponse au discours radical, ainsi que la promotion d’un islam qui refuse l’action violente.
M. François Delattre. Les moyens utilisés par le gouvernement allemand sont de trois types. L’aspect préventif, tout d’abord, est lié à la Conférence allemande de l’islam que je citais, et qui doit permettre à l’État fédéral de trouver les voies d’un dialogue avec la communauté musulmane dans sa diversité et de prévenir les conflits.
S’agissant de l’aspect répressif, j’ai cité la récente dissolution de l’association Muslim Interaktiv. L’Allemagne s’est engagée avec un certain retard dans le volet répressif qui est ici, pour des raisons liées à l’histoire du pays, traditionnellement jugé plus sensible et moins évident. Néanmoins, elle étoffe progressivement sa politique dans ce domaine.
Le troisième aspect a trait au renseignement, qui est une dimension essentielle. L’Allemagne dispose d’un cadre légal limité de lutte contre l’influence des mouvements islamistes légalistes : les enquêtes ne peuvent être menées que si un lien avec une menace violente est directement établi. Des contraintes légales fortes s’imposent au renseignement allemand, en réaction à la période nazie mais aussi à celle de l’Allemagne de l’Est, en particulier de la Stasi : les règles en matière de durée du stockage et de traitement des données sont par exemple beaucoup plus strictes qu’en France.
M. Patrick Maisonnave. En Arabie Saoudite, l’aspect préventif est très important. Il s’agit de promouvoir un islam qui n’est plus, qui ne doit plus être radical. Sur ces sujets, vous pourriez utilement prendre contact avec le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, qui était le vecteur principal de cet islam radical et qui promeut désormais un autre islam – du reste, la Ligue s’abstient de financer des mouvements liés à l’islam radical à l’étranger.
L’appareil répressif y est certes important, je n’y reviens pas, avec, comme ailleurs, une surveillance des individus, des contenus sur internet, des réseaux et des financements.
Il convient de mentionner également la coopération entre pays, notamment entre l’Arabie Saoudite et la France. Elle était plus intense après les attentats de Paris et de Nice, mais elle reste significative en ce qui concerne le repérage des Français présents sur le territoire saoudien : certains sont fichés S, mais d’autres viennent simplement parfaire leur parcours académique, notamment à l’université de Médine. Nos services échangent entre eux pour assurer la surveillance de ces profils.
Mme Hélène Tréheux-Duchêne. Les Britanniques ont développé plusieurs stratégies. Leurs moyens de surveillance et de renseignement sont puissants et s’appuient, en matière de lutte contre le terrorisme, sur des textes forts qui leur confèrent beaucoup de droits, notamment le Terrorism Act. Ils disposent d’un réseau de vidéosurveillance très développé et se sont restructurés, je l’ai dit. Enfin, nous coopérons étroitement avec eux.
S’agissant des moyens récemment déployés pour lutter contre l’influence des mouvements islamistes, le Royaume-Uni s’est doté en 2023 d’une stratégie de contre‑terrorisme, Contest, qui repose autour de quatre piliers : prévenir la radicalisation, poursuivre les auteurs, protéger le public et préparer la réponse – prevent, pursue, protect, prepare.
En 2024, le pays a présenté une nouvelle définition de l’extrémisme, qui en étend le périmètre à la promotion de toute idéologie fondée sur la violence, la haine ou l’intolérance – elle couvre donc un large spectre, qui va de l’extrémisme islamiste à l’extrême droite.
Enfin, les Britanniques ont recours à la proscription d’organisations et à des actes de régulation – c’est ce qui s’est passé avec le groupe Palestine Action et le mouvement Hizb ut‑Tahrir. Et, bien sûr, ils surveillent aussi les contenus en ligne et sur internet.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Nos élus locaux sont amenés à prendre des décisions pour lesquelles ils ont besoin d’être assistés par les services de l’État et, parfois, par les services de renseignement, notamment lorsqu’il s’agit d’accorder à une communauté un permis de construire pour un lieu de culte. Quels liens y a-t-il en Allemagne et au Royaume‑Uni entre les services de l’État et les élus locaux pour la prise de décision et pour prévenir l’entrisme, afin d’aboutir à une meilleure prise de conscience du phénomène du frérisme et de ses conséquences ?
Mme Hélène Tréheux-Duchêne. Au Royaume-Uni, c’est une spécificité, les communautés jouent un grand rôle. Chacun vit dans sa communauté. D’ailleurs, s’il s’adresse à son peuple, le premier ministre souhaitera à chacun « all the best in your communities ».
Il existe évidemment un dialogue avec ces communautés. Les polices locales sont très présentes et bien acceptées, parce qu’elles sont proches, parce qu’elles ne sont pas armées, qu’elles connaissent les gens et sont un élément de ce dialogue. Ensuite, les décisions régaliennes, telles que la délivrance de permis de construire, reviennent sans doute à l’État.
Néanmoins, j’y insiste, les communautés jouissent d’une grande autonomie au niveau local et c’est sans doute ce qui a retardé la réaction des Britanniques après la publication du rapport Jenkins, qui révélait pourtant beaucoup de choses. Par exemple, la définition de l’extrémisme retenue en 2024 ne s’applique pas à l’échelon local. Il y a donc un dialogue mais aussi une très grande tolérance et la possibilité est laissée aux communautés de gérer de nombreuses questions de manière autonome.
M. François Delattre. En Allemagne, de façon assez similaire à ce que vient de décrire ma collègue, les organisations et les associations fonctionnent en relative autonomie ; elles fournissent des prestations sociales, cultuelles, culturelles... Deuxièmement, le fonctionnement des institutions repose sur une répartition des pouvoirs entre l’État fédéral et les Länder, les États fédérés. Les élus locaux ont très peu de contacts avec l’échelon fédéral, compétent pour traiter des sujets que vous évoquez, puisque leurs partenaires habituels sont les Länder. Il arrive que des États fédérés interviennent sur le sujet qui vous intéresse : je pense notamment à l’État de Basse-Saxe qui finance l’IslamKolleg, que je citais tout à l’heure, à hauteur de 5,5 millions d’euros, à la suite d’un arrangement avec l’État fédéral – cela reste toutefois une exception, dans un registre où les Länder, dont le pouvoir est très grand, sont en la matière relativement démunis par nature.
M. Laurent Jacobelli, président. Je vous remercie pour ces éléments très intéressants. Vous pouvez compléter nos échanges, si vous le souhaitez, en répondant par écrit au questionnaire qui vous a été adressé.
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23. Audition, à huis clos, de M. Nicolas Roche, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) (6 novembre 2025)
Mme la présidente Caroline Yadan. Monsieur Roche, vous avez eu une carrière très riche : vous avez notamment été premier conseiller à l’ambassade de France en Israël, directeur des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement au ministère des affaires étrangères, directeur de cabinet du ministre, puis ambassadeur en Iran. Depuis le 26 mars 2025, vous dirigez le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui, placé auprès du premier ministre, assure la coordination interministérielle sur l’ensemble des questions stratégiques de défense et de sécurité nationale, comme la lutte contre le terrorisme et contre les ingérences numériques étrangères. Vous assurez également le secrétariat du Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN) présidé par le chef de l’État.
Je rappelle qu’à la suite du CDSN du 7 juillet 2025, le président a estimé que certains dispositifs de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République étaient insuffisants et qu’il convenait de prendre des mesures supplémentaires d’entrave, telle la dévolution des biens des associations dissoutes.
Comme vous le savez, nos travaux portent sur les mouvements islamistes en France et leur stratégie pour nouer des liens avec les élus nationaux ou locaux. Or lors de nos auditions, il a été souligné que les attaques terroristes du 7 octobre 2023 avaient marqué un tournant en matière d’entrisme islamiste, en permettant notamment la convergence de certaines revendications entre les mouvements propageant cette idéologie et des représentants de partis d’extrême gauche. Faites-vous également ce constat ?
Viginum, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, est rattaché au SGDSN. Quelles ingérences numériques étrangères influencent le débat public ? Quelles sont leurs cibles ? Quelles mesures sont prises pour lutter contre ce phénomène, notamment dans la perspective des prochaines échéances électorales ?
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Nicolas Roche prête serment.)
M. Nicolas Roche, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. Je vous suis très reconnaissant d’avoir bien voulu accepter le huis clos : d’abord parce qu’en tant que représentant de l’institution dépositaire de la réglementation du secret de la défense nationale, mes missions requièrent de la discrétion et du secret ; ensuite parce qu’exprimer des propos mal maîtrisés sur ces sujets dans une circonstance aussi officielle peut avoir des conséquences néfastes et gêner notre pays.
J’ai pris connaissance de la résolution qui a débouché sur la création de cette commission d’enquête. Vos travaux portent notamment sur le soutien de mouvements politiques à des réseaux soutenant l’action terroriste, la participation d’élus à des événements liés à de tels réseaux, le recours à des pratiques clientélistes par des mouvements politiques, le risque d’entrisme lors de prochaines échéances électorales.
Les missions du SGDSN et de son secrétaire général sont fixées dans des articles du code de la défense qui ne me donnent pas de compétence, ou bien des compétences marginales, sur les quatre champs que votre commission étudie. En revanche, la question des prochaines échéances électorales me permettra de revenir sur la nature de Viginum et sur celle des travaux du SGDSN dans le domaine de la lutte contre les manipulations de l’information.
Je vais présenter de façon très générale mes missions de secrétaire général et celles du SGDSN de façon à ce que vous puissiez porter votre propre jugement sur les compétences qui sont les nôtres et qui peuvent être utiles ou non à cette commission d’enquête.
Le secrétaire général est placé auprès du premier ministre dans l’exercice de ses responsabilités en matière de défense et de sécurité nationale. À ce titre, il coordonne les travaux interministériels relatifs à la politique de défense et de sécurité nationale ; il suit l’évolution des crises et des conflits internationaux qui peuvent affecter les intérêts de la France en matière de défense et de sécurité ; il est responsable de la politique de protection du secret de la défense nationale ; il concourt à l’adaptation du cadre juridique dans lequel s’inscrit l’action des services de renseignement, à la planification de leurs moyens et à l’organisation des groupes interministériels d’analyse et de synthèse en matière de renseignement ; il est responsable de la planification interministérielle de défense et de sécurité nationale.
Il s’assure en tout temps que le président de la République et le gouvernement disposent des moyens de commandement et de communication électronique nécessaires en matière de défense et de sécurité nationale, dont il fait assurer le fonctionnement au quotidien. Il propose et applique la politique du gouvernement en matière de sécurité des systèmes d’information via l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi). Il veille à la cohérence de la politique de recherche scientifique et de projets technologiques intéressant la défense et la sécurité nationale.
Il identifie également les opérations impliquant de manière directe ou indirecte un état étranger ou une entité non-étatique étrangère, qui visent à la diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée, par le biais d’un service de communication au public en ligne, d’allégations ou imputations de faits manifestement inexacts ou trompeurs et de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. C’est la définition de Viginum. Il anime et coordonne les travaux interministériels en matière de protection contre ces mêmes opérations d’ingérence numérique étrangère.
Dans le champ civil qui ne concerne pas les travaux de votre commission, nous assurons également le secrétariat du conseil de politique nucléaire avec l’assistance du haut‑commissaire à l’énergie atomique. Cette énumération de nos missions est un peu sèche mais cette précision sur l’organisation de l’institution que j’ai l’honneur de diriger depuis six mois vise à permettre de répondre au mieux à l’ensemble des questions.
Le cœur historique de la mission du secrétariat, depuis 1906, est l’instruction des dossiers militaires. À l’époque, ils étaient soumis à l’arbitrage du président du Conseil par les trois ministères compétents en matière de défense, soit le ministère de la guerre, le ministère de la marine et le ministère des colonies. Aujourd’hui, les dossiers sont soumis à l’arbitrage du président de la République et nous assurons le secrétariat des travaux préparatoires menés avec les ministères pour la préparation des conseils restreints de défense et de sécurité nationale, ainsi que des travaux interministériels en matière de défense et de sécurité nationale.
Le secrétariat a évolué au fil du temps : il est devenu permanent à partir de 1921 et il a oscillé entre un simple rôle de secrétariat du président de la République ou du président du Conseil et un rôle d’état-major avec des compétences beaucoup plus opérationnelles, qui ont conduit à la création de l’état-major des armées en 1962. Nous avons donc perdu cette partie opérationnelle pour nous concentrer à nouveau sur notre mission permanente et première, celle du secrétariat du conseil de défense, devenu Conseil de défense et de sécurité nationale en 2010 ; au même moment, le secrétariat général est devenu le SGDSN.
Ce rôle en matière de sécurité nationale, défini de façon très large dans les textes, est un élément essentiel de notre mission : il repose sur un continuum entre la défense, les questions de sécurité intérieure et militaires, celles liées aux menaces extérieures et celles de sécurité nationale. C’est la particularité la plus notable du SGDSN, institution civile qui concentre en son sein de nombreuses compétences interministérielles, des personnels militaires, mais aussi des ingénieurs civils, des scientifiques et des représentants des corps techniques de l’État. Il s’agit donc d’un outil interministériel qui bénéficie en son sein d’un certain nombre de compétences techniques pour assurer les missions que j’ai mentionnées.
Le SGDSN est un service du premier ministre, mais il travaille pour le compte du président de la République au titre de ses responsabilités de secrétariat du CDSN. J’en suis le secrétaire et le chef de l’État en est le président. Notre rôle consiste à préparer les conseils et à y assister, à réunir les contributions des différents ministères, à diffuser les relevés de décisions tels qu’ils sont arrêtés et signés par le président de la République, et à nous assurer de l’exécution des décisions prises par le CDSN.
Le SGDSN compte deux directions centrales. La première est la direction de la protection et de la sécurité de l’État qui planifie, forme et entraîne les acteurs de la gestion de crise. Dans ce contexte, nous avons des compétences en matière de lutte contre le terrorisme puisque cette direction, sous mon autorité, rédige et met à jour les plans antiterroristes de la famille Pirate dans son ensemble, Vigipirate étant le plus connu, mais également d’autres plans en matière de lutte NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique), sanitaire ou de réaction aux accidents industriels. Il s’agit du cœur de sa mission de planification de la défense et de la sécurité nationale.
Le SGDSN comporte également la direction des affaires internationales, stratégiques et technologiques qui suit les crises internationales, comme celle du 7 octobre 2023 à laquelle vous avez fait référence. Elle mène des travaux d’anticipation sur des thèmes prioritaires comme la lutte contre la prolifération nucléaire, la protection du patrimoine scientifique et technologique de la nation et de nos entreprises, ainsi que sur des questions spatiales, d’exportation et d’armement par délégation du premier ministre.
Le SGDSN compte également trois grands services à compétence nationale qui ont une vocation opérationnelle. L’Anssi est le bouclier cybersécuritaire de la France, l’institution chargée de protéger le cœur régalien de l’État contre les attaques cyber, quelle que soit leur provenance. L’Anssi est aussi un régulateur national et une autorité de police administrative dans le domaine du cyberespace contre toute attaque qui pèse sur les systèmes d’information de l’État ou des grands opérateurs d’importance vitale de la nation.
Le deuxième grand service est l’opérateur des systèmes d’information interministériels classifiés (OSIIC), épine dorsale de la capacité de l’État à gérer les questions de secret de la défense nationale dans un environnement communicant dûment sécurisé.
Le troisième grand service est Viginum, dont la mission centrale est de détecter les manipulations de l’information menées en France par des entités ou des États étrangers. Il a été créé en 2021 par deux décrets après les campagnes étrangères qui ont visé notre pays, faisant suite à l’assassinat de Samuel Paty et de la vague de manipulation de l’information parfois extrêmement violente qui a déferlé sur la France et sur l’ensemble des intérêts français dans le monde, en particulier dans le Golfe et au Pakistan.
Viginum a un rôle dans la protection des élections face aux attaques d’origine étrangère. Il crée et met des outils technologiques et techniques à disposition de ceux qui s’intéressent aux ingérences numériques étrangères et qui veulent les détecter. Au-dessus de Viginum, le SGDSN assure le secrétariat du comité interministériel de lutte contre les manipulations de l’information (Colmi) que je préside au nom du premier ministre.
Pour répondre à vos questions, madame la présidente, penchons-nous de façon plus précise sur les attaques informationnelles qui polluent désormais chaque grande échéance électorale en Europe. Nous avons vu ces dernières années une multiplication et une densification des ingérences numériques étrangères qui pèsent sur les processus électoraux, en particulier dans des pays européens proches de nous. La Roumanie a dû annuler puis réorganiser une élection présidentielle à l’issue de la détection de manipulation de l’information. L’Allemagne et la Moldavie ont également constaté de graves anomalies et ont largement communiqué sur le sujet.
Le champ d’action de Viginum est défini dans les textes de manière précise. Son décret de fondation du 7 décembre 2021, validé en Conseil d’État après l’avis de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés), autorise Viginum à bénéficier d’un traitement de données selon quatre critères cumulatifs qui bornent son champ de compétences.
Le premier critère est l’origine étrangère des ingérences numériques, qu’elles proviennent d’États, de puissances étatiques ou d’entités non-étatiques. Le deuxième est une diffusion artificielle ou automatisée : Viginum détecte des comportements numériques ou technologiques d’amplification d’éléments artificiels, inauthentiques et automatisés sur l’ensemble des plateformes et des réseaux sociaux, donc dans le débat numérique national. Le troisième critère implique que ces diffusions artificielles automatisées aient un caractère massif et délibéré, à partir d’un certain niveau qui n’est pas quantifié. Le quatrième critère est la détection d’allégations ou d’imputations de faits manifestement inexacts ou trompeurs de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.
Le cumul de ces quatre critères, voulu par le pouvoir réglementaire, définit un domaine de compétences qui exclut du périmètre d’action de Viginum le champ du débat politique national. Sa méthode n’est pas le traitement du fond, de la substance, ni du contenu des messages, mais la caractérisation technique de la nature artificielle de la diffusion au moyen de méthodologies technologiques inauthentiques.
Je peux présenter des exemples concrets si vous le souhaitez : nous avons rendu publics de nombreux documents et Viginum publie régulièrement des rapports qui dévoilent des opérations adverses auxquelles nous sommes confrontés de façon croissante. Ces rapports présentent des éléments techniques de caractérisation, notamment des listes de faux comptes, d’adresses IP ou de modes opératoires informationnels qui sont objectivables et vérifiables par tout un chacun. Viginum existe depuis quatre ans, et ce double choix de l’approche technique et de la publication d’éléments objectifs et vérifiables s’avère payant en termes de crédibilité technique vis-à-vis de la population française, de nos partenaires étrangers et des professionnels de l’information.
Le SGDSN comporte un dernier service à compétence nationale : le GIC (groupement interministériel de contrôle), qui met en œuvre les techniques de renseignement pour le compte des services de renseignements dits du premier cercle. Je n’ai pas d’autorité opérationnelle sur ce service qui dépend opérationnellement du premier ministre et de son cabinet. Je n’en suis que l’autorité organique : je m’occupe des budgets et des ressources humaines sans avoir de droit de regard sur ses opérations ni de droit d’accès au contenu des techniques de renseignement.
Le SGDSN est composé d’environ mille six cents agents civils et militaires très qualifiés et notre fonction centrale est de s’assurer que les politiques publiques de sécurité nationale et de défense protègent l’ensemble de la nation.
Nous avons animé, pour l’ensemble de l’interministériel, la revue nationale stratégique (RNS) que le président de la République a commandée aux services de l’État dans ses vœux aux armées en janvier 2025, ce qui nous a permis d’avoir des consultations approfondies avec les assemblées, notamment avec la commission de la défense de l’Assemblée nationale et la commission de la défense et des affaires étrangères du Sénat. Dans cette RNS se trouve un scénario central, dans lequel se trouve l’ensemble des menaces hybrides et parmi ces menaces hybrides se trouvent les ingérences numériques étrangères et les manipulations de l’information que nous voyons croître, se massifier et se densifier.
Concernant l’évolution de la menace, nous constatons depuis la création de Viginum une diversification, une spécialisation technologique et une sophistication croissante des moyens technologiques utilisés par nos adversaires, principalement étatiques, contre le débat numérique national. Nous anticipons pour les années à venir une massification encore plus importante, en particulier dans le cadre des élections municipales en mars 2026 et de l’élection présidentielle en mai 2027. Nous menons donc des réflexions sur les modalités d’un durcissement de notre disposition de détection et de caractérisation des ingérences numériques étrangères, dans sa définition fixée en 2021.
Vous avez auditionné la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure) et le DNRT (direction nationale du renseignement territorial) qui ont des compétences séparées, portant spécifiquement sur le débat national et qui ne relèvent pas de Viginum. Cependant, nos travaux interministériels respectifs font le constat d’un durcissement, d’une massification et d’une sophistication croissante de la menace sur notre débat numérique national que représentent en matière d’ingérence numérique plusieurs acteurs étrangers. Nous sommes donc en train de proposer à nos autorités politiques des options de renforcement de nos dispositifs de réponse une fois l’ingérence détectée.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions et pour revenir plus en détail sur les outils judiciaires, administratifs et réglementaires, en particulier au titre de la réglementation européenne et du DSA (règlement sur les services numériques), qui nous donnent des outils puissants pour lutter contre ces ingérences numériques étrangères.
Mme la présidente Caroline Yadan. Merci beaucoup pour ces propos introductifs qui nous éclairent sur la mission du SGDSN.
Concernant la spécialisation, la massification et la sophistication croissante des ingérences numériques étrangères, avez-vous constaté une différence notable après le 7 octobre 2023 ? L’approche de nos prochaines élections pourrait-elle marquer un autre tournant ?
M. Nicolas Roche. Non, Viginum n’a pas détecté de différence en termes de sophistication technologique entre avant et après le 7 octobre 2023.
La plupart des manipulations de l’information ou des ingérences numériques étrangères que Viginum détecte sans prétendre à l’exhaustivité ne visent pas la promotion dans le débat public national d’une idéologie spécifique, qu’elle soit islamiste ou non. En revanche, plusieurs thèmes faisant partie de sujets clivants comme l’antisémitisme, l’immigration ou encore les accusations de néocolonialisme ou de séparatisme islamiste sont mobilisés par les acteurs étrangers de la menace informationnelle mais sans que ceux-ci soient nécessairement animés d’une motivation d’ordre idéologique de nature religieuse.
Ce que cherchent nos adversaires dans les ingérences numériques étrangères est moins une capacité à générer de puissants mouvements d’opinion qu’à instrumentaliser des thématiques de façon opportuniste afin de créer ou d’amplifier des tensions dans la population, pour mener à la confusion puis à des troubles à l’ordre public. Il existe une différence entre l’instrumentalisation de la substance de thèmes et le sous-jacent technologique par lequel des États étrangers cherchent à s’ingérer dans notre débat numérique : leur objectif stratégique est de semer la confusion, le trouble et la division, et pour ce faire, ils promeuvent parfois des thèmes contraires à leur idéologie.
Depuis la création de Viginum, nous avons constaté de façon continue une sophistication croissante de la menace des ingérences numériques étrangères sur un plan technologique dont le critère principal est l’évolution technologique elle-même, à la fois stratégique et systémique. Les acteurs étrangers deviennent de plus en plus experts dans l’usage d’outils technologiques qui leur permettent de se cacher : ils utilisent des réseaux de faux comptes et de bots, des trolls, et de l’intelligence artificielle pour massifier la diffusion automatique. Nous sommes donc confrontés à l’accélération des évolutions technologiques numériques qui servent à des attaques de plus en plus sophistiquées de nos adversaires.
Nous constatons aussi une évolution de nature systémique, en raison de l’évolution des modes de fonctionnement des réseaux sociaux et des plateformes internationales, pour la plupart américaines : leur complexification croissante avec l’injection d’intelligence artificielle qui massifie leur emploi, et surtout leur évolution profonde due à la suppression ou la quasi-suppression des outils de modération. Non modérées, ces plateformes deviennent de façon systémique des chambres d’écho beaucoup plus importantes. Ces deux critères expliquent à la fois la massification et la sophistication croissantes de nature technologique des actions adverses et néfastes que nous détectons.
Par ailleurs, la période électorale est particulièrement favorable à une ingérence de nos adversaires, notamment étatiques : nous le constatons par le biais de ce qui se passe chez nos principaux partenaires, et par ce que nous avons observé nous-mêmes dans le débat national au moment des élections européennes, puis des élections législatives anticipées de l’année dernière.
J’insiste : l’objectif est de semer la confusion et de créer le trouble, plus que de promouvoir une ligne narrative spécifique. Cet élément central est d’ailleurs la définition de la « menace hybride » évoquée dans la revue nationale stratégique. Par exemple, nous avons pu constater des convergences objectives de narratifs entre des acteurs qui se trouvent pourtant à des antipodes idéologiques. Encore une fois, l’objectif n’est pas de convaincre mais de semer la confusion.
Mme la présidente Caroline Yadan. Avez-vous identifié les pays à l’origine de ces ingérences ?
M. Nicolas Roche. Parmi les grands acteurs des ingérences numériques étrangères, Viginum a été amené à publier des rapports sur la Russie. Le service a également publié un rapport mentionnant l’Azerbaïdjan, avec un objectif spécifique qui vise nos départements et régions d’outre-mer (Drom). Des actions ont été conduites par le BIG (Bakou initiative group), qui a instrumentalisé des thèmes liés aux accusations de colonialisme pour mener des manœuvres d’ingérence numérique étrangère dans les Drom.
Cette liste d’acteurs, qui n’est pas exhaustive mais qui représente l’essentiel des opérations de détection en cours, est partagée avec nos partenaires européens qui font face à peu près à la même menace et avec lesquels nous avons des actions de coopération et des échanges réguliers. Il existe néanmoins une particularité de la France concernant les Drom, liée à la fois à notre positionnement diplomatique et à la spécificité de nos outre-mer que d’autres pays européens n’ont pas.
Mme la présidente Caroline Yadan. Menez-vous des actions de coopération avec des partenaires non-européens également ?
M. Nicolas Roche. Oui, mais pour des échanges moins opérationnels.
Sans vouloir être immodeste, d’autant que je ne suis dans mes fonctions que depuis six mois, je peux dire que la France est en avance en termes de capacité de détection des ingérences numériques étrangères : Viginum a été créé assez tôt dans la prise de conscience collective de la montée en puissance de cette menace. Nous avons développé une approche technique et technologique spécifique et tous nos partenaires ne sont pas arrivés au niveau de maturité que nous avons atteint. Certains, historiquement très proches de nous, ont néanmoins déployé des capacités très tôt. C’est le cas des Suédois.
En dehors de l’Europe, Singapour est en avance par rapport à beaucoup de nos partenaires européens. Nous avons également des échanges stratégiques avec le Canada et l’Australie.
Mme la présidente Caroline Yadan. L’objectif des ingérences est certes de semer la confusion et de créer du trouble ainsi que de la division. Mais avez-vous détecté une volonté de faire monter un parti politique plutôt qu’un autre ?
M. Nicolas Roche. Pas à ce jour, mais nous serons attentifs à ce sujet lors du cycle électoral à venir.
Ce que nous détectons, ce sont des acteurs avec une démarche opportuniste qui cherchent à repérer les lignes de fracture au sein de notre société pour ensuite les exploiter. Nous avons été frappés par ce qui se trouve au cœur des rapports de Viginum, à savoir que beaucoup de ces manœuvres informationnelles présentent un écart important entre l’idéologie telle que nous la supposons du commanditaire et la réalité du thème effectivement exploité, ce qui renforce le caractère opportuniste de l’utilisation de certains sujets.
Viginum n’a donc pas distingué de différenciations spécifiques liées aux partis politiques, mais notre angle d’attaque porte sur les acteurs étatiques étrangers, pas sur la surveillance du débat national ni sur les positions des partis français, qui sont totalement en-dehors de notre champ de compétence.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Nous avons accepté bien volontiers votre demande de huis clos pour échanger en toute confiance, il s’agit d’un outil précieux compte tenu de la sensibilité des sujets évoqués dans le cadre de cette commission d’enquête. Je tiens également à vous remercier pour le travail important que vous et vos 1 600 agents effectuez au service de la sécurité des Français.
Le rapport sur les Frères musulmans publié par le ministère de l’intérieur en mai 2025 souligne que l’influence de l’islam politique sur le terrain est amplifiée dans le monde virtuel, notamment à travers de nombreux prédicateurs actifs sur internet et sur les réseaux sociaux. Pouvez-vous revenir sur ce phénomène et sur la menace qu’il constitue ? Quel rôle jouent vos services pour prévenir cette influence en ligne ? Quels sont les principaux comptes identifiés et les principaux réseaux sociaux utilisés ? De quel suivi font-ils l’objet ?
M. Nicolas Roche. Les acteurs français du débat numérique en France ne relèvent pas du champ de compétences de Viginum et du SGDSN, qui sont tournés vers les acteurs étrangers, étatiques ou non-étatiques, venant s’ingérer dans le débat numérique. Les prédicateurs islamistes qui diffusent des messages islamistes, fréristes, entristes ou séparatistes sur les réseaux sociaux exclusivement dans le débat numérique national ne relèvent pas du SGDSN.
Sur le thème de l’islamisme, nous avons détecté un dispositif russe nommé Storm‑1516, un mode opératoire informationnel qui a utilisé ce thème pendant les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 en diffusant une vidéo qui présentait de faux membres du Hamas menaçant la France d’attentats avec des photos de la Tour Eiffel en feu. Il n’est pas sans lien avec des acteurs qui savent basculer du monde virtuel au monde réel dans l’objectif d’utiliser l’islamisme ou l’antisémitisme comme des thèmes de fracture de la société française : je pense à la séquence des étoiles de David, des mains rouges et des têtes de cochon.
Nous détectons donc ces ingérences étrangères qui peuvent instrumentaliser certains thèmes, mais nous ne sommes pas en charge de la surveillance des réseaux sociaux sur le territoire national dans le débat politique français.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Quel risque d’ingérence ou d’attaque en ligne identifiez-vous pour les prochaines échéances électorales, que ce soit pour les élections municipales de 2026 ou pour l’élection présidentielle de 2027 ?
M. Nicolas Roche. Le cœur de la valeur ajoutée technique et technologique de Viginum est de détecter des modes opératoires informationnels persistants. Nous constatons la mise en place d’infrastructures sophistiquées qui cherchent à se fondre dans l’environnement numérique normal d’un débat. Ces infrastructures sont prépositionnées pour pouvoir être activées, ce qui arrive parfois, puis deviennent dormantes avant d’être ensuite réactivées.
Ces modes opératoires informationnels persistants représentent aujourd’hui la menace la plus importante et ils sont liés, en tout cas pour ceux que nous avons pu détecter à ce jour, aux acteurs étatiques que j’ai mentionnés. L’utilisation ou le réveil de ces infrastructures numériques dans la période 2026-2027 est au centre de nos préoccupations.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. La publication du rapport sur les Frères musulmans a donné lieu à plusieurs conseils de défense et de sécurité nationale relatifs au séparatisme et à l’entrisme. Un CDSN s’était-il déjà réuni sur ces thématiques par le passé ? L’affirmation d’une doctrine autour du séparatisme a-t-elle conduit le SGDSN à adapter son action ?
M. Nicolas Roche. Plusieurs discussions interministérielles se sont tenues dans l’histoire récente et ont abouti à la loi sur le séparatisme. Depuis, des discussions interministérielles portant sur le séparatisme et l’entrisme ont eu lieu, au-delà du rapport sur les Frères musulmans : la vague de haine en ligne après l’assassinat de Samuel Paty a été l’un des déclencheurs de la prise de conscience des ingérences numériques étrangères.
La chronologie était la suivante : assassinat de Samuel Paty, discours du président de la République à la Sorbonne, et déclenchement d’une vague massive de haine en ligne provenant de Turquie et passant par le Golfe et le Pakistan, avant de revenir sur le territoire national. Cette séquence a abouti à la prise de conscience collective que nous avions besoin de nous doter d’un outil de détection des ingérences numériques étrangères et cette réflexion interministérielle a abouti à la création de Viginum avec les deux décrets de 2021.
Le SGDSN remplit toujours sa fonction de secrétariat des conseils de défense et de sécurité nationale : l’animation de la réflexion interministérielle, la coordination interministérielle, la préparation du dossier à instruire et ensuite la diffusion du relevé de décision et la vérification que celui-ci est bien exécuté par l’ensemble des ministères.
Dans les domaines qui ne sont pas au cœur de nos missions, nous avons un rôle de secrétariat mais pas de mise en œuvre concrète et opérationnelle, qui relève des principaux ministères qui ont la charge et la compétence de substance des politiques publiques décidées en conseil.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je ne sais si vous pourrez répondre à cette question : pourriez-vous présenter les principales mesures décidées lors des CDSN relatifs au séparatisme et à l’entrisme ? Disposez-vous d’éléments sur le projet de loi relatif à l’entrisme qui avait été annoncé par le président de la République ?
M. Nicolas Roche. Vous avez raison, je ne peux pas répondre.
Cependant, je me permets de partager mon expérience de ces six derniers mois ainsi que de mes vingt-cinq dernières années de carrière où, dans différentes fonctions, j’ai eu à participer ou à préparer des conseils restreints de défense et de sécurité nationale.
Un caractère de secret, particulier dans le monde du secret de la défense nationale, s’attache à ces conseils. Dans l’ensemble de la réglementation, il existe des niveaux de protection : diffusion restreinte, secret et très secret. Dans le domaine des conseils, vous devez être habilité nominativement ès qualités avec une mention « conseil » particulière qui vous permet d’avoir accès aux documents, aux dossiers et aux relevés de décision. La liste de ces personnes est limitée.
Le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale a la responsabilité de la protection du secret de la défense nationale. Le monde étant ce qu’il est, nous constatons souvent des fuites, y compris d’éléments de dossiers du conseil, ce qui est particulièrement regrettable et de surcroît pénalement répréhensible. Cependant, la protection spécifique qui s’attache à l’ensemble des délibérations des CDSN va au-delà de la réponse négative que je suis obligé de vous opposer : ces questions sont couvertes non pas simplement par le secret de la défense nationale, mais par une mention spéciale en son sein.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Revenons au cœur du sujet de notre commission. Quels liens identifiez-vous entre des mouvances islamistes et des mouvements politiques français ? Ces liens sont-ils particulièrement marqués dans certains mouvements ou partis politiques ? Quelle attention le SGDSN porte-t-il à ces liens ?
M. Nicolas Roche. Je n’ai aucune compétence sur le sujet.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Quel bilan faites-vous du fonctionnement de Viginum ? Les pouvoirs publics sont-ils désormais outillés pour prévenir des dérives sur les réseaux sociaux, telles que celles qui ont contribué à l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020 ? D’autres outils de régulation des plateformes vous semblent-ils nécessaires ?
M. Nicolas Roche. Sur ce qui relève de la capacité des services de l’État à détecter et à caractériser des ingérences numériques étrangères, nous avons un dispositif opérationnel, efficace et reconnu. Après quatre ans d’existence, Viginum est un succès qui est dû à la décision, à sa création, de se centrer sur les questions techniques et technologiques ainsi que sur la détection et la caractérisation des infrastructures numériques utilisées par nos adversaires pour peser sur notre débat national.
Pour le dire différemment, le choix qui a été fait par les autorités politiques françaises a consisté à spécialiser un service sur des bases technologiques, objectivables et objectives, et à ne pas transformer Viginum en un service chargé de dire ce qui est vrai ou ce qui est faux.
Le succès fondamental de Viginum repose également sur la transparence qui s’attache à la fois à son régime juridique et à la publication d’un rapport annuel et de rapports sur des détections d’opérations numériques étrangères. Par ailleurs, le décret de création de Viginum a été validé par le Conseil d’État et par la Cnil au titre de la protection des données personnelles qu’il peut collecter sur les réseaux sociaux en source ouverte.
En termes de caractérisation et de détection des ingérences numériques étrangères qui regroupent infrastructures numériques, modes opératoires, techniques tactiques et protocoles d’attaque contre nous, la réponse est objectivement oui : les pouvoirs publics sont outillés efficacement.
Cependant, nous pouvons faire mieux. Nous avons entre nos mains des instruments comme la dénonciation publique, la publication de rapports et la prise de sanction à titre national ou européen contre des acteurs étrangers. Nous avons également des outils judiciaires et réglementaires entre les mains de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) et de la Commission européenne, au titre du DSA. Ce panel d’instruments est efficace, mais nous devons l’utiliser de façon plus offensive pour mieux nous protéger et mieux protéger la nation.
Nous avons un effort supplémentaire à faire en ce qui concerne la sensibilisation, l’éducation et l’explication de ce que sont les ingérences numériques étrangères auprès du grand public. L’une des missions de Viginum est de mettre à disposition des ressources documentaires ou techniques pour que nos compatriotes, les médias et les associations aient la capacité de comprendre les infrastructures numériques et les technologies qui sont utilisées contre nous.
Je vous donne deux exemples. Viginum a créé, en lien avec le Clemi (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information), des modules de sensibilisation à la nature d’une ingérence numérique étrangère et d’une manipulation de l’information pour informer dès le plus jeune âge sur ce qui se passe sur les réseaux sociaux en termes techniques et technologiques.
Viginum a aussi développé des outils technologiques très simples à partir de codes en open source pour par exemple détecter l’utilisation de l’intelligence artificielle à des fins de copypasta, soit la réplication automatique du même texte légèrement modifié et massivement diffusé sur les réseaux sociaux. Nous avons présenté cet outil au sommet pour l’intelligence artificielle début 2025 et il a été mis à disposition du public. Il a été repris et enrichi par des médias et des associations particulièrement actives dans la lutte contre les manipulations de l’information.
Nous pouvons donc faire plus en termes de mobilisation des instruments à notre disposition et nous pouvons faire plus également en matière de sensibilisation et d’éducation à ces infrastructures numériques utilisées contre nous par nos adversaires.
Mme la présidente Caroline Yadan. Vous avez cité plusieurs pays dans la liste des grands acteurs des ingérences numériques étrangères, mais pas la Turquie que vous avez mentionnée plus tard. En fait-elle partie ?
M. Nicolas Roche. La Turquie est un acteur variable dans le temps. Elle a été très active à l’époque de la création de Viginum, donc cela dépend de l’environnement et de la relation bilatérale.
Mme Constance Le Grip (EPR). Je vous remercie pour l’excellence du travail effectué par l’Anssi et Viginum. Beaucoup de travaux parlementaires se consacrent aux ingérences numériques étrangères, ce qui témoigne d’un début de prise de conscience et de missions d’information. D’ailleurs, les commissions de la défense nationale et des affaires étrangères ont récemment émis un certain nombre de préconisations.
La délégation parlementaire au renseignement dont j’ai été membre avait consacré son rapport 2022-2023 à la lutte contre les ingérences étrangères, pour aboutir ensuite à une loi qui a fourni plusieurs instruments souhaités par nos services de renseignement.
Concernant les marges de progrès que nous pouvons avoir, je me suis rendue à Taïwan, et je me suis souvent entretenue avec des représentants de la société civile ou des parlementaires des trois États baltes qui ont des compétences très orientées dans la riposte aux ingérences russes de toute nature.
Nous pourrions nous inspirer de l’organisation horizontale et transversale de leurs sociétés civiles et de l’implication d’acteurs non-étatiques, qui ne sont d’ailleurs pas forcément des ingénieurs, ni des informaticiens. Cette solution a été abordée par le chef de l’État lorsqu’il a annoncé qu’il présiderait une réunion sur « la démocratie à l’épreuve des réseaux et des algorithmes ».
Vous avez esquissé d’éventuelles avancées réglementaires ou législatives lorsque vous avez évoqué nos marges de progrès. Il se trouve que quelques parlementaires essayent de travailler sur ce sujet, malgré la difficulté due aux contraintes que représentent les conventions et la jurisprudence. Êtes-vous en mesure de nous en dire plus ?
M. Nicolas Roche. Je transmettrai vos propos élogieux aux personnels de Viginum et de l’ANSSI, ils y seront très sensibles. Je ne suis pas en mesure de vous dire quelles modifications législatives nous pourrions souhaiter : le travail est en cours et nous n’avons pas forgé notre conviction sur ce point.
Nous réfléchissons au temps numérique, qui est extraordinairement rapide, surtout en période d’élections : le tempo des ingérences numériques étrangères peut venir percuter un débat électoral. Le juge des référés peut agir en quarante-huit heures dans une logique judiciaire efficace et rapide, mais ce dispositif est-il adapté au tempo de la menace en période électorale ? Je n’ai pas de réponse pour le moment. Nos discussions en interne sur ces questions sont extraordinairement complexes, y compris en termes juridiques, et nous n’avons pas encore finalisé de solution. En tout cas l’ajustement de notre dispositif au tempo spécifique des opérations d’ingérences numériques étrangères en période électorale est un vrai sujet.
Mme Constance Le Grip (EPR). Merci pour votre franchise.
Nous sommes assez bons en matière de détection, de prévention et de retrait, avec ce bémol fort sur la temporalité en période électorale où tout va très vite avec des dégâts potentiellement considérables. Mais ne faudrait-il pas que nous soyons non plus seulement sur la défensive, mais également à l’offensive : vous avez abordé l’élaboration de notre propre récit, pour ne pas se contenter d’un contre-narratif et proposer notre propre narratif.
Sur X, le Quai d’Orsay a tenté, avec un bonheur inégalé, des ripostes et des propositions de narratifs pour aller au-devant de ceux, toxiques et malveillants, intentés contre nous par les puissances étrangères que l’on devine. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
M. Nicolas Roche. Je vais répondre à votre question comme secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale mais aussi en tant qu’ancien directeur de cabinet d’un ministre des affaires étrangères au moment de la création de Viginum et de transformation la direction de la communication et de la presse du Quai d’Orsay pour reprendre l’offensive.
Nous avons fait des progrès considérables du côté d’une part de la détection et de la caractérisation, d’autre part de la réaction, y compris technique, à des opérations d’ingérences numériques étrangères. Viginum, le SGDSN et d’autres services sont amenés à signaler des milliers de faux comptes qui sont ensuite fermés parce qu’ils violent les conditions générales d’utilisation : les plateformes interdisent leur existence, ainsi que celle des trolls et des bots. Cette partie est opérationnelle, technique et technologique.
Le Quai d’Orsay, parce que c’est son cœur de métier et sa vocation, a fait beaucoup de progrès aussi. L’action successive des ministres a massifié cette logique que vous mentionnez et qui était au cœur de la réforme que Jean-Yves Le Drian avait souhaitée. Elle passe désormais à l’échelle supérieure grâce à l’action de Jean-Noël Barrot : elle consiste à reprendre l’offensive dans une logique de communication stratégique non pas simplement pour réagir à des campagnes d’ingérences numériques étrangères, mais aussi pour créer un environnement informationnel favorable aux intérêts fondamentaux de la France.
Cette intégration dans une manœuvre coordonnée entre le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, le ministère des armées et le ministère de l’intérieur est aujourd’hui effective.
Vous posez ensuite la question de l’impact et de la manière d’être plus efficace. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il restera une asymétrie fondamentale entre nous et nos adversaires, due à la nature de notre modèle démocratique et républicain. Nous avons néanmoins fait d’énormes progrès en termes d’intégration d’une manœuvre coordonnée, de détection, de riposte, et d’une promotion plus offensive de notre narratif.
Mme la présidente Caroline Yadan. Je vous remercie pour ces éléments extrêmement intéressants. Je vous propose de répondre par écrit au questionnaire qui vous a été envoyé par le rapporteur pour préparer cette audition, et éventuellement d’apporter des réponses additionnelles aux questions nées de nos échanges.
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24. Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Nuñez, ministre de l’Intérieur (18 novembre 2025)
M. le président Xavier Breton. Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre présence aujourd’hui devant notre commission d’enquête. Vous êtes à la tête du ministère de l’Intérieur depuis octobre dernier, mais connaissez bien ses missions pour avoir été précédemment Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur. Vous êtes également un grand connaisseur des enjeux liés à la sécurité nationale pour avoir été préfet de police de Paris, coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme et directeur de la Direction générale de la sécurité intérieure.
Comme vous le savez, nous avons déjà auditionné des acteurs travaillant au sein de votre ministère, ou en partenariat étroit avec lui – les services de renseignement, mais aussi les acteurs de terrain que sont les préfets. Nos travaux s’inscrivent dans la continuité du très éclairant rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France » que votre ministère a publié en mai 2025.
Lors de leur audition, certains maires ont indiqué leur souhait que soient davantage institutionnalisés les échanges avec les services de l’État sur la présence de profils problématiques sur leur territoire, demande également mentionnée dans le rapport de mai dernier. Pensez-vous qu’il soit utile d’institutionnaliser davantage les échanges avec les élus, dans certains territoires particulièrement exposés, sur les agissements d’acteurs identifiés par vos services comme présentant un risque d’entrisme ? Quelle forme ces échanges pourraient‑ils prendre ?
Par ailleurs, plusieurs personnes auditionnées ont évoqué le risque d’entrisme sur les listes des prochaines élections municipales de mars 2026, notamment dans les communes situées au sein d’écosystèmes déjà bien constitués. Comment prévenir ces phénomènes ? Des instructions particulières ont-elles été données aux services de l’État ?
Des réflexions seraient également en cours concernant le renforcement des modalités de détection et de caractérisation des ingérences numériques étrangères ; une partie seulement des fake news et des manipulations de l’information sont aujourd’hui couvertes. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce domaine d’action fondamental au regard de la place prise aujourd’hui par l’information en ligne ?
Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Laurent Nuñez prête serment.)
M. Laurent Nuñez, ministre de l’intérieur. Avant de répondre à vos questions, il me semble important de cadrer le sujet. Vous avez rappelé mes fonctions précédentes. Lorsque j’étais secrétaire d’État auprès de Christophe Castaner, nous avons lancé le deuxième volet de notre action, sur le séparatisme – le premier étant celui du terrorisme, et l’entrisme l’étape à venir.
Un dispositif de suivi et de détection de mouvances islamistes a été instauré à partir de 2015, avec une montée en puissance en 2017. Son objectif était de mieux détecter et mieux entraver l’idéologie islamiste violente, notamment le terrorisme. Il comprenait le FSPRT (fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste), ainsi que la loi de 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, adoptée après l’état d’urgence déclaré suite aux attentats du Bataclan, des terrasses et du Stade de France. Ces mesures ont notamment permis aux préfets de fermer un certain nombre de lieux de culte qui entretenaient des liens avec le terrorisme et la radicalisation violente. Parmi ces nouveaux instruments de lutte contre le terrorisme figurent les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas), les visites domiciliaires et la mise en ordre de bataille des services de renseignement. L’objectif était d’appréhender la radicalisation islamiste violente. J’insiste sur ce point : le sujet est alors celui de la radicalisation violente et du terrorisme.
Le dispositif ainsi développé est toujours en vigueur aujourd’hui : la loi de 2017 a été reconduite en 2021 ; les outils ont été améliorés et rendus plus performants ; le FSPRT existe toujours et les services de renseignements sont à l’affût.
À partir de 2018-2019, d’autres mesures ont été instaurées ; il s’agissait de mieux appréhender ce que l’on a appelé le séparatisme : une idéologie islamiste politique qui n’appelle pas forcément à des actions violentes et encore moins au terrorisme, mais qui prône un discours selon lequel les lois religieuses sont supérieures aux lois de la République, avec les conséquences qui en découlent au quotidien – demandes de modification appuyées du fonctionnement de certains services publics, notamment en matière d’égalité hommes-femmes, ou au sujet du contenu des enseignements.
Nous avons donc progressivement bâti un dispositif de détection, puis de suivi, puis d’entrave de ces comportements contraires aux valeurs de la République. Contrairement aux lois de 2017 et 2021, les textes adoptés à l’époque ne nécessitaient pas la présence d’un contexte terroriste pour agir, mais une incitation à la haine ou à la violence. Une circulaire a créé dans chaque département des commissions locales, les cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (Clir), qui sont à la main des préfets et dont le but est de mieux détecter les comportements séparatistes ; les réponses apportées peuvent aller jusqu’à la fermeture de structures, voire des dissolutions en cas de propos incitant à la haine ou discriminants, donc contraires aux lois de la République. Ces textes sont toujours en vigueur.
La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République comporte des mesures visant à mieux contrôler les cultes et les financements étrangers ; elle permet, dans certaines circonstances, des fermetures. Cette loi a aussi créé un délit de séparatisme, qui permet de poursuivre les personnes qui font pression dans l’organisation d’un service public pour obtenir la modification de son fonctionnement pour le rendre conforme à la loi religieuse.
Le sujet sur lequel nous travaillons actuellement – des réflexions sont toujours en cours – est celui de l’entrisme. C’est une forme de séparatisme, mais qui prend une forme différente. Le séparatisme est bien visible, tandis que l’entrisme est plus pernicieux, plus sournois : il endosse les habits de la République, il en respecte les codes et les valeurs, mais sa finalité est d’imposer une loi religieuse. Le rapport que vous avez cité, qui a été rendu public par mon prédécesseur dans une forme expurgée, s’inscrit dans ce cadre. Une réflexion a dès lors été lancée pour savoir comment appréhender l’entrisme.
L’entrisme se caractérise par une stratégie de la dissimulation, assumée comme telle par le mouvement des Frères musulmans : il s’agit de noyauter les démocraties occidentales pour arriver, au bout du bout, à une application de la loi religieuse. Le terrorisme et le séparatisme relevaient, soit de la radicalisation violente, soit de propos d’incitation à la haine, à la violence et à la discrimination : les outils législatifs permettaient aux services de renseignement d’agir et les définitions en vigueur d’avoir une accroche pénale – cela reste vrai pour le séparatisme, lorsqu’il appelle à la discrimination ; les mesures de police administrative donnaient la possibilité de dissoudre des structures. L’entrisme est bien plus difficile à appréhender. Il n’est pas possible de le traiter à droit constant, car il n’y a pas d’incitation affichée à la haine ou à la discrimination, encore moins d’incitation à la violence : le dispositif juridique existant ne s’applique donc pas, ou très difficilement. Les services de renseignement ne peuvent s’appuyer sur aucune des finalités prévues par la loi, contrairement au terrorisme qui dispose d’une finalité dédiée, ou au séparatisme lorsqu’il incite à la haine ou à la violence. Il en va de même pour les poursuites pénales et pour les motifs de dissolution.
Une réflexion est en cours au ministère de l’intérieur pour savoir comment aborder cette troisième phase. Faut-il prévoir une nouvelle loi ? Comment peut-elle être écrite pour être conforme à la Constitution ? Il est facile de dire que l’entrisme, les islamistes, l’islam politique, ce n’est pas bien ; mais nous sommes quand même dans un État de droit, protecteur des libertés individuelles, qu’il faut respecter.
Les textes sur le séparatisme permettent toutefois de produire des dissolutions : les préfets le font avec des structures de la mouvance des Frères musulmans ou qui en sont proches lorsqu’ils commettent une faute – propos discriminatoires, enfants déscolarisés ou bien scolarisés dans un établissement hors contrat. Il est également possible de s’appuyer sur les moyens de contrôle administratif de droit commun ou d’utiliser des contrôles fiscaux.
La question est donc celle de savoir s’il faut passer à la vitesse supérieure, en adoptant une loi pour que l’action des services de renseignement ne soit pas entravée, pour avoir des possibilités d’incrimination pénale, et, surtout, pour pouvoir dissoudre des structures. La réflexion sur l’entrisme va se poursuivre dans les semaines qui viennent, comme l’a annoncé le premier ministre lors des questions au gouvernement la semaine dernière.
J’en viens à vos questions, en premier lieu celle portant sur les maires. Il a toujours été prévu d’associer les maires en cas de radicalisation violente. Christophe Castaner avait demandé dans une circulaire aux préfets de le faire dans trois cas de figure : faire un retour à l’élu qui avait signalé un individu susceptible d’être, selon lui, dans une radicalisation violente ; faire un retour au maire qui cherchait à recruter et qu’apparaissait un individu connu au titre de la radicalisation violente ; informer les élus des démarches de déradicalisation d’individus radicalisés.
S’agissant du séparatisme, le principe même des Clir que je citais est d’associer les élus : la détection et l’entrave ne relèvent pas uniquement des services de renseignements, à la différence de la radicalisation violente. N’importe quel élu peut faire une détection et dispose des moyens de couper une subvention. C’est donc un collectif qui intervient : les services de la préfecture, les services de renseignement, les services de l’éducation nationale… bref l’ensemble des services. L’association des maires est donc essentielle, comme elle le sera pour l’entrisme. L’une de mes dernières réunions en tant que préfet de police était organisée par le préfet des Hauts-de-Seine en présence de tous les élus du département, notamment les maires et les parlementaires : elle visait à expliquer ce qu’était l’entrisme. Il y a un travail de pédagogie à faire. C’est une mission dont je chargerai les préfets.
Sur la question des listes municipales, la probabilité de voir de l’entrisme est assez forte, puisque la stratégie est celle de l’infiltration. Il y a déjà eu des listes dites communautaires – ce n’est pas un terme péjoratif dans ma bouche – dans certains quartiers lors de scrutins municipaux ; un parti politique s’est même présenté au nom de nos compatriotes musulmans. Pour 2026, nous pensons plutôt que certaines personnes s’agrégeront à des listes. Très honnêtement, il est compliqué de s’opposer à cette stratégie d’entrisme. L’information peut être communiquée aux personnes en tête de liste : il leur reviendra de décider. Ensuite, des infractions sont constituées lorsque les élus ne se comportent pas de façon conforme aux lois de la République – par exemple, la prise illégale d’intérêts ou le délit de favoritisme. Mais ce sera compliqué.
Enfin, le sujet des ingérences numériques étrangères dépasse bien sûr le cadre de l’islam politique. Effectivement, chaque élection récente a été marquée par des ingérences – dont des ingérences étrangères –, notamment numériques, avec de la désinformation ciblant tel ou tel candidat. Certaines grandes puissances jugent utile de diviser notre pays, souvent en diffusant massivement de fausses informations grâce à de faux comptes. Nous essayons de détecter, de dénoncer et de faire supprimer ces contenus.
M. le président Xavier Breton. Concernant les réflexions en cours sur les insuffisances de notre législation, l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure prévoit sept cas de recours aux techniques de renseignement. L’un d’eux, relatif à la « prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions », permet d’utiliser les techniques de renseignement pour surveiller des mouvements islamistes. Est-ce efficace ? Faudrait-il ajouter un nouveau cas de recours pour mieux cibler l’entrisme ?
M. Laurent Nuñez, ministre. L’article que vous évoquez cite effectivement les finalités qui permettent aux services de renseignement d’agir : prévention du terrorisme, de la criminalité organisée ou des ingérences étrangères par exemple. Celle que vous avez mentionnée est celle qui correspond le mieux à l’entrisme ; la prévention du terrorisme peut également s’appliquer en cas de radicalisation violente – ce qui est finalement rare. J’y insiste car je sais que cette opinion n’est pas partagée par tous : nous ne réussirons pas dans le combat contre l’entrisme si nous faisons un lien systématique avec la violence. Par contre, cela contribuera immanquablement à braquer tous nos compatriotes musulmans. Faisons attention aux mots que nous employons, car ces sujets ne doivent pas être traités avec brutalité.
La phase dans laquelle nous nous engageons va être extrêmement compliquée : il s’agit de faire comprendre que nous voulons faire primer le respect des valeurs de la République et le vivre-ensemble, et qu’ils sont attaqués par l’entrisme. Nous ne nous en prenons pas à nos compatriotes musulmans ; nous voulons que toutes les confessions religieuses et philosophiques vivent ensemble dans le respect des règles de la République.
Je reviens à votre question. À ce jour, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ne retient pas l’interprétation selon laquelle la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions pourrait permettre d’utiliser ces techniques dans les cas d’entrisme.
La réflexion en cours vise à déterminer s’il est possible d’avoir une interprétation extensive de la forme républicaine de nos institutions, c’est-à-dire de considérer que les grands principes constitutionnels en font partie. Une telle interprétation pourrait permettre d’utiliser des techniques de renseignement dans le cadre des textes existants : à mon sens, l’entrisme constitue clairement une atteinte à la cohésion nationale, au vivre-ensemble, aux valeurs de la République. Sinon, il faudrait modifier le texte.
M. le président Xavier Breton. Les auditions des services de renseignement ont rappelé que le renseignement n’enquête plus sur les formations politiques et les élus. Nous suivons les islamistes mais pas les élus qui pourraient entretenir des liens avec ces mouvements. Est-ce qu’il n’y a pas un manque d’informations en la matière ?
M. Laurent Nuñez, ministre. L’exercice est compliqué. Il ne faut surtout pas donner à nos compatriotes de confession musulmane le sentiment d’une action gouvernementale islamophobe, d’autant que la plupart d’entre eux n’ont aucun problème avec le respect des règles et valeurs de la République et le vivre-ensemble – même si le sondage de l’Ifop paru hier doit bien sûr être pris en compte. Je le lis comme la preuve qu’il est nécessaire de passer à la troisième phase, celle qui concerne l’entrisme.
Les services de renseignement ne travaillent pas sur les partis politiques – et c’est heureux. Les interactions peuvent toutefois se faire dans la mesure où – j’assume de le dire – un certain nombre de formations politiques critiquaient déjà les actions du gouvernement contre le séparatisme et nous taxaient d’islamophobie. Dès lors, le politique s’invite dans une action de protection de nos intérêts. Vous avez tous en mémoire la manifestation de novembre 2019, je n’y reviens pas.
Nous nous sommes attaqués à certaines structures séparatistes, qui ont été dissoutes, le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) ou Barakacity par exemple. À l’époque, elles ont été traitées sous le prisme du séparatisme. Un certain nombre de formations politiques ont été extrêmement critiques sur le sujet, et ont considéré qu’il s’agissait d’actions islamophobes.
Cette question est complexe, non seulement d’un point de vue juridique, mais aussi politique. En effet, ces formations politiques veulent faire évoluer la loi sur la laïcité et tolérer un certain nombre de choses qu’actuellement nous ne tolérons pas – ce qui peut être en phase avec les demandes de la mouvance. Comme ministre de l’intérieur, je qualifierai ce lien d’indirect, mais il peut exister, c’est sûr.
Certains des tenants de la mouvance de l’islam politique peuvent ainsi avoir le sentiment d’être soutenus par certains partis politiques, qui se sont publiquement exprimés en ce sens– je définis l’islam politique de façon précise, comme un mouvement politique de l’islam, minoritaire, qui veut imposer les lois religieuses où elles n’ont pas leur place, dans l’espace public, dans le vivre-ensemble, dans la République.
Mais c’est le débat politique. Juridiquement, nous utiliserons toujours les moyens à notre disposition pour agir sur ces structures, et j’espère que nous en aurons les moyens législatifs. Mais les partis politiques sont toutefois libres d’émettre des opinions, et il est compliqué de s’en mêler.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Votre audition nous permet d’avoir un regard plus global et plus politique sur la thématique qui nous intéresse. Vous l’avez dit, le gouvernement réfléchit à une loi pour renforcer la lutte contre l’entrisme. Ainsi, les travaux de cette commission et du gouvernement se rejoignent.
Nos travaux portent sur les accointances entre certains mouvements politiques et les mouvements islamistes. Il s’agit de déterminer s’il existe des liens réels ou pas, de les qualifier – sont-ils purement conjoncturels et électoralistes, ou davantage organisés et structurels ? –, de les quantifier – ce phénomène touche-t-il plusieurs partis politiques ou un seul ? – et de les localiser – l’échelon est-il national ou des écosystèmes locaux sont-ils touchés ? Et surtout, quel est l’objectif de ce rapprochement ?
Les auditions ont mis en évidence un décalage entre, d’une part, les journalistes ou les chercheurs, et, d’autre part, les services de l’État. Les premiers nous ont alertés sur l’existence de liens inquiétants entre des responsables politiques et des personnalités propageant l’idéologie islamiste, notamment lors de manifestations ou d’événements autour de la cause palestinienne. Les seconds, dont plusieurs relèvent de votre tutelle, nous ont affirmé ne pas constater directement de tels liens. Il semblerait ainsi qu’en l’absence d’actions précises, l’État ne soit pas en mesure de prévenir les rapprochements, pourtant documentés, entre des personnalités politiques et des personnalités parfois condamnées pour apologie du terrorisme. Qu’en pensez‑vous ? Comment prévenir de tels rapprochements ?
Le cas typique est celui d’une manifestation où une personne condamnée pour apologie du terrorisme ou proche d’un mouvement islamiste radical prend la parole aux côtés d’un élu de la République – parfois parlementaire. Par sa présence, ce dernier cautionne les propos tenus, sans les tenir lui-même : il ne sera donc pas poursuivi. Sa seule présence suffit-elle à caractériser une accointance ? Comment avoir prise sur cette personne qui participe activement à une manifestation, sans tenir elle-même de propos de nature à engager des poursuites, comme l’apologie du terrorisme ?
M. Laurent Nuñez, ministre. Que les services de renseignement manifestent une certaine prudence, je le comprends parfaitement ; ils ne travaillent pas sur les formations politiques. Les chercheurs, qui sont des observateurs, ont davantage de liberté.
L’exemple que vous citez est une réalité. Certaines formations politiques soutiennent, ou s’abstiennent de condamner, des structures appartenant à l’islam politique – ou bien, de façon plus indirecte, nous reprochent de nous en prendre à elles en nous traitant d’islamophobes. Cela m’est arrivé, en tant que haut fonctionnaire et en tant que ministre, parce que j’avais dénoncé telle ou telle structure. La question s’est beaucoup posée autour de la mouvance propalestinienne : au cours de certaines manifestations ont été tenus des propos dont nous considérions qu’ils relevaient clairement de l’apologie du terrorisme – ce qui, dans certains cas, a été confirmé par les tribunaux. Des actions ont parfois été engagées et nos bras de fer avec certains élus n’ont échappé à personne ; eux préféraient parler d’apologie de la résistance plutôt que d’apologie du terrorisme ! Je vous confirme en tout cas que, dans certaines manifestations propalestiniennes ou visant à défendre des structures dissoutes de l’islam politique, des élus de la République étaient bien présents – même si, de mémoire, ils n’ont pas eux-mêmes tenu de propos relevant de l’apologie du terrorisme.
Lorsqu’est organisé un rassemblement au cours duquel de tels propos peuvent être tenus, nous réagissons systématiquement. Soit nous l’interdisons – auquel cas l’interdiction peut encore être suspendue par le tribunal administratif – soit nous ne le faisons pas, parce qu’il est organisé par un parti politique et que la liberté d’expression existe heureusement dans notre pays. Dans ce cas, il peut arriver que des propos faisant l’apologie du terrorisme soient tenus, parfois en présence d’élus de la République – et c’est bien là une forme de soutien de leur part. Mais les services de renseignement n’interfèrent pas : les politiques présents ont simplement une autre conception des propos qui sont tenus et de ce qu’est l’islam politique. C’est une conception qu’évidemment je combats, comme ministre de l’intérieur, et je proposerai au premier ministre de retenir un dispositif qui nous permette d’appréhender ce phénomène. Mais les services de renseignement n’ont pas pour rôle de déterminer que telle ou telle formation politique soutient l’islam politique. Ensuite, il y a des choses qui sautent aux yeux, quand même…
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le communiqué de la présidence de la République du 7 juillet 2025 tout comme le rapport d’évaluation de la sénatrice Eustache‑Brinio soulignent que la loi de 2021 ne permet ni de prévenir ni de lutter pleinement contre les phénomènes d’entrisme et de séparatisme islamistes. Quelles mesures concrètes faut-il prendre, selon vous, pour garantir une meilleure application de cette loi dans l’ensemble du territoire et renforcer ainsi son efficacité ?
M. Laurent Nuñez, ministre. Je suis actuellement ministre de l’intérieur mais je travaille depuis 2017, sous une forme ou une autre, aux côtés du président de la République. C’est un peu facile de dire que la loi confortant le respect des principes de la République est difficile à mettre en œuvre ou qu’elle ne va pas assez loin. Peu de choses ont été faites avant 2017, alors que la radicalisation n’est pas un phénomène nouveau. Ce n’est pas forcément ce qui est dit dans votre camp politique mais nous, au moins, nous agissons ! Le terrorisme et la radicalisation dans les prisons décrite par Gilles Kepel existent depuis plus de vingt ans. D’autres étaient aux responsabilités à l’époque et je n’ai pas le souvenir qu’ils aient engagé de nombreuses actions. Après avoir traité le terrorisme puis le séparatisme, nous nous attaquons maintenant à l’entrisme : nous le définissons, nous le nommons, et nous disons qu’il nous semble être un mal pour le vivre-ensemble dans notre société.
Sans éluder votre question – je vous dirai ensuite ce qui nous manque –, je voudrais rappeler que la loi de 2021 permet tout de même certaines choses. Elle assure notamment la neutralité dans les services publics, instaure le délit de séparatisme, conditionne l’attribution de subventions à la souscription d’un contrat d’engagement républicain – dont la méconnaissance entraîne le remboursement de la subvention perçue – et renforce les moyens juridiques pour dissoudre les associations présentant une menace grave pour l’ordre public. Ce dernier point est nouveau. Rappelons en effet que, dans le cadre de la loi de 2017, il fallait, pour dissoudre une structure, qu’elle ait un lien avec le terrorisme : action terroriste, apologie, contact avec des personnes dont les propos relèvent de l’apologie, ou contact avec des profils djihadistes. La loi de 2021 a ramené ces critères à la « menace grave pour l’ordre public ». Ce fondement n’est pas suffisant pour lutter contre l’entrisme mais, dans le cadre de la lutte contre le séparatisme, il nous a permis de fermer un certain nombre de lieux de culte. C’est sur cette base – ou pour terrorisme, dans les cas de radicalisation violente – qu’agit le préfet des Hauts‑de-Seine.
Je rappellerai aussi que cette loi a prévu les mesures visant à lutter contre les certificats de virginité, la modification de certaines règles relatives à l’héritage ou encore le refus explicite de prendre désormais en compte la polygamie en matière de pensions de réversion ou de droit au séjour. La loi de 2021 a également soumis à autorisation l’instruction en famille, dont on sait qu’elle permettait souvent de détourner les enfants des circuits scolaires, y compris privés sous contrat ; elle a renforcé les modalités de contrôle de l’État sur les établissements privés hors contrat et créé un régime de fermeture administrative. Sur le volet religieux, elle a établi le contrôle des versements venant de l’étranger et l’obligation de les déclarer au-delà d’une certaine somme, en donnant au préfet la possibilité de s’y opposer.
La loi instaure aussi deux délits. L’un est relatif aux pressions physiques exercées ou tentées à l’encontre d’un fonctionnaire – le plus souvent, il s’agit de fonctionnaires territoriaux, mais pas toujours – pour obtenir un aménagement du service public. L’autre vise la publication en ligne de l’identité de quelqu’un.
Nous voulons évidemment aller plus loin, à la lumière de ce que nous avons vécu avec la loi contre le séparatisme : c’est en avançant que l’on trouve des solutions.
Parmi les mesures auxquelles nous réfléchissons actuellement, il y en a une que nous avons évoquée tout à l’heure : soit l’extension de l’une des finalités existantes pour les techniques de renseignement – la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions – soit la création d’une nouvelle finalité. J’enfonce une porte ouverte en disant que sur un sujet hypersensible comme celui-ci, il n’est pas simple d’obtenir une majorité au Parlement ! Mais, à titre personnel, je pense que ce serait la solution.
Ce qui nous manque aussi, ce sont des motifs pour dissoudre les structures. Pour l’heure, nous ne pouvons le faire qu’en cas de terrorisme ou de menace grave à l’ordre public. Or avec l’entrisme, il n’y a jamais de terrorisme et le lien avec la violence n’est, en général, pas établi ; il faut, je le redis, sortir de ce fantasme. Et l’on ne peut pas forcément parler non plus de menace grave pour l’ordre public, comme prévu par la loi contre le séparatisme : il nous faut donc un motif pour pouvoir dissoudre en raison de l’entrisme. On pourrait par exemple viser l’atteinte portée à la cohésion nationale ou au vivre-ensemble : c’est quelque chose que l’on pourrait écrire et démontrer.
Il nous manque également la possibilité de geler les avoirs en cas d’agissements liés aux motifs de dissolution des structures. Nous réfléchissons à une telle mesure, qui serait essentielle, de même que nous envisageons la possibilité de dissoudre les fonds de dotation pour des motifs liés à l’entrisme.
Il nous paraîtrait très utile, par ailleurs, de renforcer le contrôle de l’accueil des mineurs. Les différentes structures d’accueil n’entrent pas, en effet, dans le cadre juridique des dispositifs de contrôle existants : beaucoup d’écoles coraniques y échappent.
Nous réfléchissons enfin à rendre nécessaire un avis conforme – motivé – des préfets avant la construction de certains lieux de culte susceptibles de poser problème. Actuellement, ils ne sont saisis que pour avis et ne peuvent s’opposer que pour des raisons liées à l’urbanisme ou à certaines réglementations, parmi lesquelles ne figurent pas la lutte contre le séparatisme ou l’entrisme.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Nous avons nous-mêmes constaté au cours d’une audition que les maires ne se sentaient pas suffisamment soutenus par l’État au moment de statuer sur l’ouverture d’un lieu de culte. Un avis simple est rendu par le préfet sur la seule base du respect des règles d’urbanisme. On pourrait donc en effet se demander si un avis conforme ne serait pas préférable et s’il ne devrait pas se fonder aussi sur des critères liés à la lutte contre l’entrisme et le séparatisme. Les élus locaux seraient ainsi protégés, dans la mesure où ce sont les préfets qui prendraient la responsabilité de refuser un lieu de culte à une communauté. Cela n’est pas toujours très facile en effet, notamment dans les communes où la population musulmane est majoritaire.
Nous avons d’autres propositions à vous soumettre. Ainsi, une nouvelle loi pourrait‑elle interdire la diffusion de consignes de vote dans un lieu de culte en période électorale ?
M. Laurent Nuñez, ministre. C’est déjà prévu par la loi de 1905 que nous avons eue à examiner ce week-end au sujet de la messe commémorant le souvenir du maréchal Pétain, en marge de laquelle des propos clairement révisionnistes ont été tenus. Il est interdit de donner des consignes de vote dans un lieu de culte en période électorale, sous peine de poursuites pénales.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Comment éviter que des mesures d’entrave prises à l’encontre d’associations ne soient contournées, par exemple par une réorganisation au niveau européen ? Le CCIF s’est ainsi reconstitué en CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe) et a même organisé une réunion dans nos murs, à l’invitation d’un député de la République.
M. Laurent Nuñez, ministre. Il faut, je crois, que nous obtenions la modification des règlements européens. Hier, mon équipe et moi avons discuté avec le commissaire européen en charge des affaires intérieures. Comme l’avaient fait mes prédécesseurs Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, je pense, j’ai abordé de nouveau le sujet avec lui. C’était déjà l’une de mes préoccupations en tant que haut fonctionnaire puis comme directeur général de la sécurité intérieure.
Il y a en effet un souci avec les textes européens. Nous aimerions par exemple que le gel des avoirs soit possible pour les faits de radicalisation et de séparatisme, et non pas seulement pour ceux de terrorisme comme c’est le cas aujourd’hui. De la même façon, nous souhaitons que des contrôles soient opérés – c’est désormais le cas – dans le cadre des règlements financiers, afin que des structures ne puissent bénéficier de financements européens quand la France ne les finance plus.
Des structures ont pu se reconstituer à l’étranger, comme l’a fait le CCIF – pas uniquement en Europe, mais aussi au Royaume Uni. Notre souhait à cet égard est que les mesures que nous prenons en France pour des raisons liées à la radicalisation soient valables dans un autre État – ou, à tout le moins, que celui-ci poursuive nos actions. Il me paraît très important que ce sujet soit défendu au niveau européen. Je crois que le commissaire à qui j’en ai parlé hier a compris : je n’ai pas reçu de réponse négative, au contraire.
D’autres États européens ont les mêmes demandes en matière de contrôle des financements, et souhaitent eux aussi qu’une approche conjointe empêche une structure dissoute de se reconstituer dans un autre État de l’Union européenne. Si nous procédons à une dissolution aujourd’hui, c’est parce qu’il existe une menace grave à l’ordre public – demain, ce pourra être pour atteinte sans violence aux valeurs de la République. Certains textes européens proscrivent de porter atteinte aux valeurs de l’Union, qui sont les mêmes que les nôtres : j’ai donc bon espoir que nous parvenions à nos fins – en tout cas, nous allons pousser en ce sens. Mais comme toujours avec l’Europe, cela ne se fera pas en un quart d’heure !
M. Matthieu Bloch, rapporteur. La question suivante touche sans doute aux limites de la loi de 1905. Le Forum de l’islam de France – Forif – a tenu sa deuxième session en février 2025. Quel regard portez-vous sur cette instance et quelles sont vos principales préconisations concernant l’organisation du culte musulman ? La création d’un statut de l’imam avait été annoncée par l’un de vos prédécesseurs, M. Gérald Darmanin, en février 2024 : qu’en est-il ?
M. Laurent Nuñez, ministre. Je suis très favorable au Forif. Il ne s’agit pas d’une instance représentative mais d’une instance de dialogue visant à représenter nos compatriotes de confession musulmane de la façon la plus large possible. Les assises territoriales de l’islam de France, qui se sont tenues au cours de plusieurs sessions dans de nombreux départements, en sont la déclinaison territoriale. L’initiative revient au président de la République, qui souhaitait ainsi revenir sur les instances représentatives : elles n’avaient pas bien fonctionné et étaient très liées aux États étrangers.
Je crois beaucoup à ce dispositif qui a déjà permis d’engager des discussions. Certaines ont abouti, avec la création par exemple de l’Association de défense contre les discriminations et les actes antimusulmans, qui dispose d’une plateforme de signalement et assure un suivi de ces actes. Des réflexions ont par ailleurs été lancées au sujet des carrés confessionnels et de la création d’un conseil national des aumôneries musulmanes. Le Forif est un espace de dialogue au sujet de la relation entre le culte musulman et les autorités publiques.
J’en viens au statut de l’imam. Comme vous le savez, des mesures ont été prises pour qu’il n’y ait plus d’imams financés par les États étrangers comme auparavant, et la sortie du dispositif s’est faite en sifflet. Nous avons créé un référentiel métier, avec des contrats de travail types, mais on ne peut pas dire qu’il existe un statut à proprement parler : la profession n’est en effet pas réglementée au sens juridique du terme. Néanmoins, les questions relatives à la professionnalisation et au recrutement reviennent régulièrement dans les discussions du Forif et lors des assises territoriales. Le Forif a réfléchi notamment au régime du salariat et à l’attractivité du métier. Il existe une volonté très forte, au sein de la communauté musulmane, de sécuriser la fonction.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Votre prédécesseur a annoncé, à la fin du mois de février 2025, la dissolution d’Urgence Palestine. Cette annonce n’a pas encore été suivie d’effet. Qu’en est-il ?
M. Laurent Nuñez, ministre. À ma connaissance, cette dissolution a été lancée : elle est dans les tuyaux, comme on dit. Il faudrait vérifier qu’elle est passée en Conseil des ministres mais, en tout cas, je n’y ai pas mis de frein. Au cours de manifestations organisées par Urgence Palestine, des propos faisant l’apologie du terrorisme ont clairement été tenus. Lorsque j’étais préfet de police de Paris, une déclaration de manifestation qui n’était déposée que par cette association me posait un problème. Lorsque des partis politiques venaient s’y greffer, il était difficile de les interdire et nous agissions plutôt a posteriori, sur le plan judiciaire.
Il faut garder à l’esprit que nous avons dissous beaucoup de structures : les gouvernements successifs n’ont jamais eu la main molle sur ces sujets. Et ce ne sont pas seulement des mouvements de soutien à la cause palestinienne qui ont été dissous, pour des propos proches de l’apologie du terrorisme, mais aussi de nombreuses structures d’ultradroite. Je le dis à dessein, pour ne pas donner le sentiment qu’il y aurait deux poids, deux mesures. C’est ce que disaient Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, et je tiendrai le même discours : dès qu’une structure sort du cadre des lois de la République, il doit être possible de la dissoudre – d’autant plus que toutes les dissolutions que nous avons lancées font suite à des appels ou des incitations à la violence, à des menaces graves à l’ordre public ou à des faits d’apologie du terrorisme.
M. Nicolas Dragon (RN). Le magazine Le Point a révélé ce matin les résultats d’un sondage Ifop selon lequel 57 % des jeunes musulmans français estiment que la charia doit primer les lois de la République française et la science. Vous êtes ministre chargé des cultes : que vous inspire ce chiffre ? Comment expliquez-vous ce constat qui, comme vous l’imaginez, inquiète une grande partie de nos concitoyens ?
M. Laurent Nuñez, ministre. Il y a là évidemment un sujet. Je ne me suis pas penché sur la façon dont les questions sont posées mais il y a d’autres réponses qui interpellent, comme le fait que 38 % des personnes approuvent au moins l’une des thématiques défendues par l’islam politique. Cela signifie qu’il est urgent de lancer la phase trois, contre l’entrisme, et d’apporter une réponse claire à ceux qui laissent entendre que la charia pourrait s’appliquer en territoire de France. Ce n’est pas possible. Les lois de la République seront toujours supérieures aux lois religieuses, d’où qu’elles viennent, quelles qu’elles soient – y compris la charia, a fortiori. Je n’ai pas l’ombre d’un doute, pas une hésitation sur ce sujet. Il y maintenant urgence à agir contre l’entrisme comme nous l’avons fait contre le séparatisme. Nous pourrons ainsi mieux appréhender ce phénomène.
Mme Constance Le Grip (EPR). Je vous remercie, monsieur le ministre, pour la clarté de vos propos et de vos prises de position, ainsi que pour les pistes que vous avez exposées devant nous. Elles découlent des travaux du Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN), qui s’est réuni à plusieurs reprises pour travailler sur les suites à donner au rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France ». Si elles étaient retenues par le gouvernement, ces pistes pourraient figurer dans un futur projet de loi. Il m’a effectivement semblé, en vous entendant il y a quelques jours au micro de BFM TV et RMC, qu’à titre personnel et comme ministre de l’intérieur, vous étiez très favorable à ce que soit utilisée la voie législative et non pas seulement la voie réglementaire ou celle des instructions aux préfets – dont le rôle reste néanmoins essentiel en la matière.
Je profite de l’occasion pour saluer l’action de l’excellent préfet des Hauts-de-Seine, Alexandre Brugère, très engagé dans la lutte contre l’islamisme. Il me semble qu’il est le seul, à ce stade, à avoir organisé une réunion d’information destinée aux élus locaux au sujet de l’entrisme et de l’islamisme. Nous souhaiterions que d’autres préfets puissent mener ce même travail de pédagogie et d’information, non pas après mais avant les élections municipales.
Plusieurs des pistes que vous avez esquissées sont de nature à corroborer ce que l’on a entendu après les réunions du CDSN – notamment dans les propos du chef de l’État, qui est très engagé sur ce sujet.
Il y a une piste que vous n’avez pas évoquée avec précision : le renforcement du régime administratif d’interdiction des ouvrages illicites. Dans de nombreuses grandes villes, des librairies proposent à la vente, de façon tout à fait publique, des ouvrages illicites ou propageant, à tout le moins, une idéologie islamiste de nature à porter atteinte à la cohésion de la nation et aux valeurs de la République. Quoique relevant d’un registre différent, cette mesure pourrait‑elle être insérée dans le futur projet de loi que nous appelons de nos vœux ?
Dans sa réponse à Michel Barnier la semaine dernière, le premier ministre a indiqué que le travail était en cours et que les ministres concernés pourront ouvrir une large consultation des partis politiques pour recueillir leurs avis sur cette phase trois. Envisagez-vous d’ouvrir bientôt cette consultation ?
M. Laurent Nuñez, ministre. La réunion organisée par le préfet Brugère, à laquelle j’ai participé comme préfet de police de Paris, pour expliquer aux élus tout ce que nous avions fait a été médiatisée. Mais d’autres préfets en organisent également.
Nous prévoyons en effet des dispositions législatives pour renforcer le contrôle des ouvrages illicites et des publications étrangères que l’on peut trouver en librairies.
Enfin, la discussion avec tous les partis politiques est indispensable. L’entrisme est un sujet si sensible que nous avons tout intérêt à partager le maximum d’informations. Soit il y aura une loi et le Parlement sera le lieu de cette concertation, soit il n’y en aura pas et c’est évidemment en association étroite avec les élus et les formations politiques que nous progresserons.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS). Monsieur le ministre, comme vous le savez, nous ne disons plus « maréchal » Pétain, puisqu’il a été déchu de toutes ses distinctions militaires.
Vous avez parlé de la place de la religion dans l’espace public et de la neutralité. Pourriez-vous préciser votre propos ? Le principe de la laïcité, c’est bien de pouvoir exprimer un fait religieux ou son absence dans l’espace public.
Le rapport sur l’entrisme des Frères musulmans parle de 400 à 1 000 individus et relève un recul de leur influence. Dans la mesure où il ne s’agit pas de pointer une structure spécifique, je ne vois pas comment vous allez pouvoir définir l’entrisme, d’autant que la dissimulation à l’œuvre complique la caractérisation de l’intention. Quelles pourraient être les nouvelles qualifications pénales ? Comment caractériser le délit d’entrisme ? Enfin, pourquoi ne pas tout simplement recourir à l’article 31 de la loi de 1905, notamment pour appréhender les questions de polygamie ou d’héritage ?
À la page 52 du rapport, les sportives portant le voile sont considérées comme participant à une stratégie d’entrisme. Est-ce l’avis du ministère ?
Enfin, si l’entrisme, tel que vous l’avez défini, a pour objectif d’attaquer notre cohésion nationale, la politique de lutte contre l’entrisme pourrait aussi abîmer notre vivre-ensemble : en s’appuyant sur des éléments assez peu tangibles, celle-ci contribue parfois à alimenter les soupçons à l’encontre d’une communauté spécifique. Comment préserver nos concitoyens musulmans de ce climat de suspicion qui les conduit à se justifier de leur culte dès lors qu’ils veulent participer à la vie de notre cité, que ce soit en se présentant à des élections ou en s’engageant dans des associations ? Il ne faudrait pas que le remède soit pire que ce que nous essayons de traiter.
M. Laurent Nuñez, ministre. Vous avez raison, c’est Pétain et non le maréchal Pétain.
Quand je disais qu’il ne devait pas y avoir d’immixtion de la loi religieuse dans l’espace public, je ne parlais pas de l’espace physique mais de la vie publique : la loi religieuse ne peut pas conduire des individus à ne pas respecter les lois de la République.
Ce ne sont pas des structures que nous appréhendons. On entend parfois dire qu’il faut dissoudre les Frères musulmans : cela n’a pas de sens. Comme dans le cas du séparatisme, ce sont les comportements et les thèses défendues que l’on observe : afficher et promouvoir le fait que l’on ne respecte pas les valeurs de la République et que l’on ne souhaite pas les respecter. Ce n’est pas l’appartenance en soi à une structure qui est condamnable, sauf si la structure elle‑même tient ces discours. L’atteinte que nous cherchons à qualifier, c’est celle faite à la cohésion nationale, au vivre-ensemble. Elle me semble facile à établir.
L’article 31 de la loi de 1905 est fondé sur l’idée d’une menace, qui n’est pas toujours évidente à caractériser. C’est sans doute pour cela que l’on a dû apporter des précisions en 2021.
M. le président Xavier Breton. Pour la clarté de notre débat, je vais vous lire l’article 31 : « Sont punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ceux qui, soit par menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, ont agi en vue de le déterminer à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte. »
M. Laurent Nuñez, ministre. C’est cela. Il s’agit bien d’une menace.
Quant au port du voile, il est régi par les fédérations sportives. La plupart d’entre elles s’y opposent pendant les compétitions. Comme ministre de l’intérieur, je pense que c’est une bonne chose, car le port du voile en compétition est, à mon sens, un signal en faveur de sa généralisation, y compris dans des endroits où il n’est pas permis actuellement. Je me réjouis que les ministres des sports rappellent aux fédérations leurs obligations en la matière.
Votre dernière question aborde un point fondamental. Le but de notre action contre le séparatisme n’a pas toujours été compris, que ce soit au sein de notre pays ou par les autres États. De nombreux pays n’ont pas compris la loi de 2021, la circulaire qui l’a accompagnée ni les discours tenus à l’époque. Je ne parle pas seulement de pays qui sont majoritairement de confession musulmane : des démocraties occidentales ont critiqué la France parce qu’elles avaient une approche plus communautariste que la nôtre. Le sujet est hypersensible. C’est pour cela que je disais qu’il ne fallait pas traiter ce problème par la brutalité ; il faut beaucoup de pédagogie. Mais, quand vous avez expliqué tout ce que vous pouviez et que des gens continuent d’affirmer que les valeurs de la République sont incompatibles avec un certain nombre de valeurs religieuses, c’est un gros problème. Je serai absolument intransigeant. Il faudra expliquer les choses : on ne vise pas la communauté musulmane, mais on cherche à sauvegarder le vivre-ensemble pour continuer à vivre au sein de la République quelles que soient sa confession, son opinion philosophique, son orientation sexuelle… Il faut d’autant plus de pédagogie que certains diront que nous menons cette action contre les musulmans et qu’elle est islamophobe. Je les entends déjà !
M. le président Xavier Breton. Nous en venons aux questions des autres députés.
M. Jérôme Buisson (RN). Monsieur le ministre, reprenez-vous à votre compte le terme d’« islamophobe » que je vous ai entendu utiliser à plusieurs reprises ?
S’agissant du sondage du Point, comment déradicaliser les 57 % de jeunes musulmans – soit plusieurs centaines de milliers de personnes – qui souhaiteraient que la charia soit au‑dessus des lois de la République, alors qu’il est déjà très difficile de déradicaliser quelques centaines de détenus ? On sait où cette radicalisation peut mener.
Je suis d’accord avec vous concernant le port du voile dans le sport, dont je ne suis pas certain qu’il participe au vivre-ensemble. La République pourrait-elle être encore plus claire sur ce point ?
M. Laurent Nuñez, ministre. Je ne reprends pas à mon compte le terme d’« islamophobe » : j’ai dit que c’était un reproche qui était adressé au gouvernement et aux pouvoirs publics. Il a été régulièrement utilisé en 2019 et en 2020 pour qualifier le gouvernement français. Il l’est encore par la mouvance de l’islam politique, qui essaie de diffuser l’idée d’une France islamophobe auprès des plus jeunes, ce qui ne va vraiment pas dans le sens de la cohésion nationale.
Le sondage que vous citez confirme qu’il faut entrer dans la troisième phase et redoubler de pédagogie. Il faut s’opposer systématiquement à toute revendication d’application de lois religieuses qui contreviendraient aux valeurs de la République. Nous devons être intraitables en la matière.
Je n’emploierais pas, comme vous, le terme de « déradicalisation » à propos de ces jeunes. On ne peut pas dire que ces jeunes sont radicalisés ; la radicalisation ne va pas sans violence. Ce qui importe, c’est de tenir un discours qui défende avec force les valeurs de la République et de rappeler les règles avec beaucoup de fermeté – tout en menant un gros travail de pédagogie.
Mme Caroline Yadan (EPR). Selon des spécialistes cités dans le rapport sur les Frères musulmans, des municipalités françaises pourraient être d’ici à dix ans « à la main d’islamistes », comme Saint-Josse ou Molenbeek en Belgique. Les exemples belge et britannique montrent les risques que nous courons à ne pas agir. L’Allemagne et l’Autriche ont, elles, adopté des mesures plus fermes.
Kamel Daoud rappelle que ce sont les associations qui ont constitué la première cible des islamistes en Algérie dans les années 1980, suivies des municipalités, avant qu’ils n’investissent le champ politique national. Ma première question portera donc sur une association, Samidoun, qui est une sorte de pieuvre qui permet à d’autres associations, comme Students for justice in Palestine ou Urgence Palestine, de s’étendre. Ce réseau, qui est interdit en Allemagne depuis octobre 2023 pour ses liens avérés avec le Hamas et classé sur la liste des organisations terroristes par les États-Unis et le Canada, a très largement sévi sur notre territoire, dans de nombreuses réunions, y compris avec des élus de la République, à Ivry-sur-Seine, à Corbeil-Essonnes, à Fontenay-sous-Bois ou à Aubervilliers. Que faudrait-il faire pour que Samidoun soit dissoute comme l’ont été Barakacity ou le CCIF ?
Ces associations sont particulièrement actives auprès de la jeunesse, qui constitue leur cible privilégiée. La troisième phase comportera-t-elle un volet spécifique aux jeunes ?
Pour avoir été corapporteure d’une mission sur l’islamisme dans le sport, j’ai pu constater que les dérives communautaires islamistes existent et qu’elles prennent des formes très variées – port d’un couvre-chef, prières dans les établissements sportifs, refus de serrer la main à un arbitre, refus de s’incliner, prosélytisme avec adaptation du calendrier, etc. Dans le sport institué, on a observé que le port en compétition d’un signe ou d’une tenue manifestant une appartenance religieuse est tantôt interdit aux personnels des fédérations et aux membres de l’équipe de France, tantôt autorisé, chacune des 118 fédérations fixant sa propre règle. La grande majorité autorise le port du voile et n’agit pas sur les dérives éventuelles. Cette hétérogénéité des règles produit des situations confuses voire absurdes. Les fédérations elles‑mêmes nous ont dit qu’elles avaient besoin que les règles soient clarifiées et harmonisées. C’est pourquoi il est nécessaire de légiférer, comme le Sénat a commencé à le faire.
M. Laurent Nuñez, ministre. S’agissant de Samidoun et des autres associations, nous travaillons au cas par cas pour voir en quoi le projet de dissolution est fondé : nous regardons s’il y a des discours d’incitation à la haine, à la violence, à la discrimination voire des menaces et des risques de troubles à l’ordre public. Nous travaillons structure par structure. Je vous confirme que nous sommes extrêmement attentifs aux agissements de Samidoun – c’est tout ce que je peux vous dire dans la mesure où nous ne sommes pas à huis clos.
Il est évident qu’il faudra mettre l’accent sur la jeunesse. Nous attendons des imams et des responsables de la communauté musulmane qu’ils intensifient leur message prônant le respect des valeurs de la République.
Sans vouloir parler au nom de la ministre des sports, je partage votre point de vue : il faut harmoniser les règles des fédérations, sachant que le séparatisme et l’entrisme ne passent pas que par le port d’un signe religieux pendant les compétitions. Certaines ligues de football nous ont rapporté l’existence de clubs strictement communautaires, ce qui est un vrai problème.
C’est important pour moi de vous présenter l’historique de tout ce qui a été accompli, tout en discutant de ce qui reste à faire. Vous avez compris la complexité du sujet, tant du point de vue juridique que pédagogique. Néanmoins, je suis convaincu qu’il y a un chemin. Ma responsabilité en tant que ministre de l’intérieur et des cultes est de maintenir la cohésion de notre pays, un souci qui a toujours guidé ma vie, aussi bien personnelle que professionnelle. C’est cet effort commun vers le vivre-ensemble qui fait grandir et non pas de bafouer les règles de la République, qui doivent s’imposer en toutes circonstances.
M. le président Xavier Breton. Monsieur le ministre, nous vous remercions pour ces échanges très intéressants. Vous pourrez les compléter par écrit, en répondant au questionnaire qui vous a été transmis ou si vous disposez d’éléments additionnels.
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25. Audition, ouverte à la presse, de M. François Kraus, directeur de pôle Opinion, pôle « Actualités et politique » à l’IFOP (Institut français d’opinion publique), accompagné de Mme Mathilde Tchounikine, chargée d’études (18 novembre 2025)
M. le président Xavier Breton. Nous allons procéder à notre seconde audition du jour, au cours de laquelle nous allons entendre M. François Kraus, directeur du pôle actualités et politique de l’Ifop, et Mme Mathilde Tchounikine, chargée d’études à l’Ifop.
Monsieur Kraus, vous avez été responsable de plusieurs enquêtes récentes relatives au rapport des musulmans à leur religion, à l’adhésion aux valeurs de la République, mais également aux discriminations dont ils peuvent faire l’objet. Votre institut a par ailleurs publié des études concernant le vote des différentes confessions lors de l’élection présidentielle de 2022 et des élections européennes de l’année dernière.
Notre commission d’enquête s’intéresse aux mouvements islamistes en France et à leur stratégie pour nouer des liens avec les élus nationaux ou locaux. Dans ce contexte, il est intéressant d’apprécier si ces mouvements et leurs idées bénéficient d’un certain écho au sein de la population, et si tel est le cas, de comprendre quelles peuvent en être les conséquences politiques.
Vous venez de publier un état des lieux sur le rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France. Monsieur Kraus, vous indiquez dans un quotidien de ce jour : « Cette enquête dessine très nettement le portrait d’une population musulmane traversée par un processus de réislamisation, structurée autour de normes religieuses rigoristes et tentée de plus en plus par un projet politique islamiste. » Nous sommes ici au cœur de notre sujet.
Vous soulignez qu’environ un tiers des personnes musulmanes sondées expriment une sympathie pour une mouvance islamiste, qu’elle soit frériste, salafiste ou wahhabite. Vous montrez que ces mouvements suscitent aussi de l’hostilité chez un quart des personnes sondées. Comment interpréter ces réactions très clivées au sein des communautés musulmanes ?
Dans vos enquêtes sur les discriminations à l’encontre des musulmans, vous relevez que 82 % des personnes musulmanes sondées estiment que la haine envers elles est un phénomène répandu. En France, une majorité exprime également une défiance à l’égard des institutions. Comment expliquer ces résultats préoccupants ?
Comment analyser la forte concentration du vote musulman en faveur du parti politique La France insoumise (LFI) lors des dernières élections présidentielle et européennes ? C’est la corrélation la plus forte que l’on observe entre un parti politique et une appartenance religieuse, sans commune mesure avec les autres religions ou les autres partis politiques. Quels éclairages pouvez-vous nous apporter sur ce point ?
Je vous invite à déclarer, le cas échéant, tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations. Par ailleurs, l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc successivement à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. François Kraus et Mme Mathilde Tchounikine prêtent successivement serment.)
M. François Kraus, directeur du pôle politique et actualité de l’Ifop. Je suis en effet directeur du pôle actualités et politique de l’Ifop, mais aussi responsable de la méthodologie et de l’échantillonnage dans cet institut, et enseignant à Nanterre en science politique et en méthode d’enquête d’opinion. Je collabore également au think tank la Fondation Jean-Jaurès, où je suis expert notamment concernant l’éducation, la laïcité ou les questions LGBT. Je suis également associé à la revue de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme).
J’exerce ce métier depuis une petite vingtaine d’années et je suis devenu spécialiste des études auprès des minorités religieuses, par exemple les protestants, plus rarement les catholiques pratiquants, et surtout les musulmans.
L’Ifop, que je représente ici, a été pionnier en matière d’enquête auprès des musulmans : en 1989, lors de l’éclatement de l’affaire des foulards de Creil, l’équipe de Gilles Kepel et l’Ifop ont créé le premier dispositif d’enquête auprès des musulmans de France. À l’époque, nous avons collaboré avec des médias comme Le Monde afin de mettre en place un ensemble d’indicateurs de suivi des pratiques religieuses et cultuelles dans le contexte de cette polémique, qui marque la naissance de la question de l’islam en France. Par la suite, nous avons connu le débat au sujet de la loi de 2004 qui a interdit les signes religieux dans les écoles publiques, les polémiques à propos du port du voile islamique pour les mères accompagnatrices lors de sorties scolaires et de l’alimentation halal à l’école, ou la bataille des abayas, qui a agité la rentrée de 2023. Très régulièrement, nous avons aussi des drames tels que l’assassinat d’enseignants par des terroristes ou des individus islamistes ou radicalisés. Tout cela agite le débat public.
Via nos collaborations avec des associations, des think tanks ou des médias, nous recevons fréquemment des commandes d’enquêtes sur la laïcité, la place des religions dans la société ou dans le système scolaire, et aussi concernant les opinions de cette minorité religieuse que sont les musulmans de France.
Ces enquêtes ne sont pas des études omnibus classiques, menées par internet auprès de 1 000 personnes, qui alimentent 90 % du débat public. Certes, de temps en temps, le Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) ou certains think tanks conduisent de grandes études de référence auprès de 10 000 Français ; mais la plupart des sondages sont des enquêtes flash, rapides, honnêtes et qui font le travail sans avoir pour autant de prétentions scientifiques ou universitaires.
Il arrive que l’Ifop et ses commanditaires se donnent les moyens de mener des enquêtes de cadrage, comme celle que nous avons publiée aujourd’hui, conduite par téléphone auprès de près de 15 000 Français. Ses données sont donc extrêmement solides.
Notre dernière étude de ce type avait été menée en 2016 pour l’Institut Montaigne, un think tank plutôt libéral. Dirigée par Hakim El Karoui, cette enquête faisait apparaître un taux d’environ 5,5 % de musulmans en France. Cette année, il est de 7 %, donc en progression lente. Une étude conduite en 2009 par le Cevipof sur un échantillon certes moins solide de 2 000 personnes mais très robuste méthodologiquement révélait un taux d’environ 4 % de musulmans en France.
Toutes ces enquêtes sont menées par téléphone. Dans la mise en perspective historique présente dans notre enquête, toutes les données sont construites selon le même dispositif.
La question n’a pas changé au fil des études, alors qu’il y a plusieurs manières de mesurer la religion en France. Elle a été déterminée par le Cevipof et la Sofres dans les années 1970 : « Avez-vous une religion, et si oui, laquelle ? ». Les réponses possibles étaient catholique, juif et musulman. Les confessions orthodoxe et bouddhiste, entre autres, ont ensuite été ajoutées.
Une recherche approfondie menée avec Mathilde Tchounikine n’a pas révélé la moindre trace avant 1985 d’une enquête mesurant l’affiliation religieuse des musulmans : c’était alors un non-sujet. Cette année-là, une étude conduite par l’Ifop a mesuré à 0,5 % la proportion de musulmans parmi les Français âgés de 18 ans et plus – nous l’évoquons dans l’enquête que nous publions aujourd’hui. Cette proportion est donc passée de 0,5 % à 7 % entre 1985 et 2025.
Il faut être prudent quant aux indicateurs des années 1980. Certes, les enquêtes respectaient le même indicateur, le même mode de recueil et la même méthode des quotas. Mais elles n’avaient pas une prétention scientifique aussi élevée que l’étude que nous avons publiée aujourd’hui ou que celle de 2016 de l’Institut Montaigne, qui est à nos yeux la seule enquête de référence.
Parallèlement à ces études sont publiées d’autres données relatives à la population musulmane. En particulier, l’Ined (Institut national d’études démographiques) et l’Insee ont mené l’enquête TeO (Trajectoires et origines) dirigée en 2008 par Vincent Tiberj et reproduite de 2019 à 2020, dans un contexte pré-covid. Bien qu’extrêmement robuste, beaucoup plus que les études de l’Ifop – même celle d’aujourd’hui –, cette enquête nous pose un problème. Centrée sur les migrants et des sujets de discrimination, elle exclut les plus de 60 ans, soit 20 millions de Français. L’exclusion d’autant de personnes rend difficile l’obtention d’un taux fiable des minorités religieuses, musulmans ou autres.
Dans l’étude TeO, un indicateur d’affiliation religieuse est à nos yeux problématique, car l’enquête demande d’abord : « Avez-vous une religion ? ». En cas de réponse positive, l’étude demande : « Laquelle ? ». Cette méthode légitime peut être sujette à discussion. Pour nous, elle soulève une difficulté car elle ne permet une comparaison ni avec les études étrangères ni avec le passé, ce qui était notre objectif principal.
Enfin, l’enquête TeO n’inclut pas de question liée aux valeurs sociales ou politiques des minorités. Par exemple, le sujet du port du voile n’est pas posé en tant que tel, ni d’autres questions qui nous paraissent indispensables pour évaluer les valeurs religieuses des Français.
L’enquête EVS (European Values Study), lancée par Pierre Bréchon de l’IEP (institut d’études politiques) de Grenoble, est d’une richesse exceptionnelle. Elle comprend différentes vagues, dont la première date de 1981. L’intégralité des variables sociales, culturelles et politiques dans de nombreux pays européens y sont présentées et comparées. La plupart des tendances discernées par l’Ifop ou d’autres instituts apparaissent déjà dans cette grande enquête de référence. Je dois préciser que l’indicateur de mesure de l’affiliation religieuse est différent du nôtre : le partenariat international impose une formulation anglo-saxonne qui s’inscrit dans une logique très communautaire : « Considérez-vous que vous appartenez à une religion ? ». En France, la question n’est pas exactement identique : « Croyez-vous à une religion ? Si oui, laquelle ? ». Il n’est donc pas facile d’intégrer les résultats de l’enquête EVS à nos réflexions et analyses socio-politiques.
La variable de la religion est également posée dans de nombreuses études de sociologie électorale ou politique. L’enquête « Fractures françaises » menée par le Cevipof et la Fondation Jean-Jaurès inclut, je crois, cette variable d’analyse, à l’instar du baromètre politique du Journal du dimanche et de l’Ifop depuis 1958. Contrairement à une idée reçue, on peut poser la question de l’affiliation religieuse dans une enquête, à condition de respecter des précautions d’usage. En 1958, il n’y en avait pas. Mais depuis la loi sur les sondages et surtout le règlement général sur la protection des données (RGPD), des précautions techniques et juridiques spécifiques s’imposent.
À l’Ifop, nous constatons l’absence de commandes et d’enquêtes de la statistique publique ou des grands centres de recherche sur le sujet. Depuis 1989, c’est-à-dire depuis que cette question se pose, aucune étude en population générale n’a été réalisée dans un cadre scientifique et contrôlé par le service public. Le bureau central des cultes du ministère de l’intérieur nous passe des appels d’offres, mais ceux-ci se traduisent rarement par de vraies enquêtes.
À nos yeux, il y a un problème : que ce soit le ministère de l’intérieur, le CNRS (Centre national de la recherche scientifique), l’Ined, l’Insee ou les centres de recherche universitaires, aucun organisme, en cinquante ans, n’a mené une enquête scientifique auprès de 20 000 ou 40 000 personnes qui nous permettrait de disposer de données incontestables. Ce manque d’outils d’évaluation amène l’Ifop à pallier la carence de la commande publique – avec des moyens humains, techniques et financiers évidemment beaucoup moins robustes.
M. le président Xavier Breton. Merci de votre propos liminaire, qui nous amène à nous interroger concernant vos propos sur les enquêtes publiques. L’historique que vous venez de rappeler, notamment le traitement de ces questions par l’Ifop depuis 1989, est intéressant. C’est une année charnière pour l’islamisme politique, tant au niveau international que national.
Ces dernières décennies, une étude a-t-elle montré une corrélation entre les formations politiques, de droite ou de gauche, et les populations ou mouvements musulmans ?
M. François Kraus. En sociologie électorale, la variable religieuse est une variable lourde, extrêmement explicative. Le Cevipof, avec notamment Jean-Marie Donegani, prend en compte depuis longtemps la variable d’analyse centrée sur le vote des catholiques pratiquants. On les isolait du reste de la population pour mesurer leur rapport à la démocratie chrétienne, au gaullisme ou parfois au communisme. Le courant des catholiques de gauche – ou très à gauche – était étudié dans tous les travaux ; j’ai moi-même analysé cette mouvance qui, dans les années 1960 et 1970, a progressivement rallié l’union de la gauche et contribué de manière significative à faire basculer la France à gauche en 1981.
André Siegfried, le fondateur de notre métier, a montré dans Le Tableau politique de la France de l’Ouest que le rapport à la République, à gauche et à la droite était notamment lié à la position à l’égard des prêtres jureurs pendant la Révolution française. C’est un b.a.-ba que tout étudiant apprend en première année de science politique.
Dans les années 1970, une partie de la France de l’Ouest et d’autres endroits de tradition catholique ont évolué vers la gauche. Cela s’est traduit aux élections municipales de 1977 par une conquête de plusieurs villes de Bretagne et des Pays de la Loire. Dans les années 2000, le vote Bayrou a montré que ces zones votaient davantage pour le centre. Aujourd’hui, les dernières zones de force du macronisme – si on peut les nommer ainsi – se limitent à cette France de tradition plutôt démocrate-chrétienne, où l’héritage catholique s’est d’ailleurs beaucoup dissous. Sociologiquement, nous sommes loin des franges les plus laïcisées ou les plus populaires du Nord-Est de la France comme des endroits à forte proportion d’immigrés et du contour méditerranéen, particulièrement la Provence-Alpes-Côte d’Azur. N’importe quel spécialiste développerait d’ailleurs ces éléments bien mieux que mieux que moi.
Comme je vous l’ai expliqué, il y a très peu de données de cadrage incontestables au sujet du vote musulman. Les quelques enquêtes existantes, menées par l’Ifop et d’autres instituts, sont liées à des études post-électorales réalisées le jour de grandes élections. Nos confrères du Cevipof, entre autres, ont parfois conduit des enquêtes le lendemain du vote. La qualité du recueil est en effet la meilleure à ce moment-là car les personnes sondées sont encore fières de leur vote : sa restitution dans les enquêtes est totalement similaire à la réalité. Les enquêtes solides de 4 000 voire 10 000 personnes fournissent la matière pour comprendre réellement les motivations du vote et le profil des électeurs. Avec le temps, il y a un effet de mémoire, les gens sont moins satisfaits de la situation. Le vote qu’ils déclarent alors ne correspond toujours pas à leur suffrage de l’époque : il dépend de l’opinion des électeurs au sujet des candidats le jour où ils sont interrogés.
Ce processus opère particulièrement avec le vote pour Jean-Luc Mélenchon. Beaucoup moins clivant en 2022 qu’aujourd’hui, il était alors très populaire grâce à une campagne électorale qu’on peut qualifier de très talentueuse. Les enquêtes menées a posteriori comportent donc une différence très nette entre le vote réel des personnes interrogées et leurs déclarations.
Pour revenir à votre question relative au vote musulman, il est difficile à mesurer dans les échantillons de nos enquêtes électorales, car elles sont conduites très rapidement – le jour du vote entre 9 heures et 18 heures. Ce ne sont pas les enquêtes les plus fiables et les plus solides que les instituts réalisent : elles répondent à une demande médiatique, elles sont destinées à alimenter les plateaux et l’analyse des médias dont nous sommes partenaires. Je ne dis pas qu’elles ne sont pas de qualité, mais elles n’ont pas de prétentions scientifiques et universitaires.
Surtout, au-delà du fait qu’elles sont menées par internet et rapidement, leur objectif n’est pas de contrôler le poids des musulmans dans l’échantillon, puisqu’elles ne sont pas centrées sur les minorités religieuses et ethniques. Or les enquêtes en ligne, en face à face ou par téléphone comportent structurellement une sous-représentation des étrangers et des personnes qui maîtrisent mal le français ou dont le niveau socioculturel est faible : celles-ci souhaitent parfois éviter une situation perçue comme scolaire, où leur supposé manque de culture générale ou d’intérêt pour les affaires publiques serait mis en avant. En outre, les enquêtes en ligne sous-représentent les personnes mal à l’aise avec les nouvelles technologies, notamment les seniors.
Ces variables et ces biais incitent à une extrême prudence s’agissant des enquêtes en ligne. Or celles-ci constituent 100 % des études annonçant le score, par exemple, de Jean-Luc Mélenchon ou de son parti dans tel ou tel groupe. Le rôle de ces enquêtes flash conduites le jour du vote n’est pas de prendre en compte les biais que pourrait engendrer une sous‑représentation de certaines catégories de population.
L’effet du mode de recueil est central. Les études par internet sous-représentent encore plus les profils que je vous ai indiqués : l’échantillon de 1 000 personnes d’une enquête en ligne de l’Ifop ne contient que 45 musulmans au maximum. Mais le taux de musulmans est de 7 % dans nos enquêtes au téléphone, dont la précision est beaucoup plus fine, notamment par un contrôle de la distribution des points d’enquête, de la nationalité des personnes interrogées et du caractère migratoire de leur lieu de vie. Les données de nos confrères de l’Ined affichaient une proportion de 8 % au sein des moins de 60 ans, proche de nos chiffres.
En plus de l’aspect technique de l’échantillonnage, nous rencontrons une difficulté : certaines personnes n’ont pas de religion ou ne souhaitent pas répondre à cette question du fait de son caractère sensible, et nous devons leur laisser cette possibilité. Surtout, des membres de l’échantillon peuvent être étrangers, non inscrits sur les listes électorales ou ne pas avoir voté à l’élection concernée. Ainsi, il faut rester extrêmement prudent quant à ces études qui croisent le vote et l’affiliation religieuse – y compris celle que nous publions aujourd’hui et que nous menons avec notre partenaire La Croix depuis des années.
Une fois ce préalable méthodologique passé, comment se répartissent les votes en fonction de l’affiliation religieuse ? Pour l’Ifop, l’élection la plus intéressante est la présidentielle de 2022. Lors de ce scrutin, les personnes sans religion ont plutôt voté à gauche ; les catholiques, notamment pratiquants, plutôt à droite ou au centre droit. Ce sont des constantes de la sociologie électorale qui n’étonneront personne. La nouveauté qui saute aux yeux est le survote en faveur de Jean-Luc Mélenchon dans la population musulmane. J’ai insisté sur la nécessaire prudence vis-à-vis de ces outils, mais ce vote est un phénomène exceptionnel : les recherches effectuées dans les études des quarante dernières années n’ont révélé aucune corrélation de cette ampleur.
Le vote protestant est historiquement progressiste. Avec la dynamique évangélique, il est devenu beaucoup plus conservateur, voire très à droite – comme le vote juif. Au sein de ce dernier, les Ashkénazes étaient plutôt progressistes, républicains, évoluant dans une gauche réformiste, un centre droit ou un centre réformateur et progressiste. À l’inverse, les Séfarades étaient soit plus libéraux, soit plus à la gauche de la gauche – comme l’a montré l’engagement de nombreuses personnalités dans les années 1960 et 1970. Les enquêtes menées ces dernières années révèlent une droitisation très claire, voire une extrême droitisation, des juifs en France. On l’a constaté notamment avec le vote Zemmour dans cette communauté – là encore, à considérer avec prudence. Le vote Zemmour chez les juifs est à ma connaissance à des années‑lumière du vote Mélenchon chez les musulmans. Encore une fois, il faut être prudent : les outils employés peuvent être contestés car ils ne sont pas construits ad hoc.
En 2023, l’Ifop a conduit une étude auprès de 1 000 musulmans – c’est donc plus que la centaine de notre échantillon de 3 000 personnes de notre enquête pour La Croix qui a montré que 69 % des électeurs musulmans avaient voté pour Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2022. Toutefois, un quart des personnes interrogées étant étrangères, elles ne pouvaient pas voter ; 15 % étaient françaises mais pas inscrites sur les listes électorales – cette inscription n’est ni automatique ni généralisée. Seules 600 personnes environ de notre échantillon étaient donc à même de voter à la présidentielle de 2022. Et, compte tenu de la surreprésentation des catégories populaires chez les musulmans, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il y avait in fine moins de votants que dans les autres communautés.
Cette enquête de 2023 s’intéressait uniquement à la population musulmane ; en dépit de toutes les prudences que j’ai indiquées, la taille de l’échantillon – 1 000 personnes – rend le résultat solide. Nous arrivons à un taux de 48 % de votes en faveur de Jean-Luc Mélenchon. La proportion totale de votes en faveur des gauches, au sens large, est de 65 %. Certes moins spectaculaire que le taux de 69 %, l’ancrage à gauche est confirmé et reste une part de marché électorale assez exceptionnelle.
Dans des enquêtes un peu plus limitées au cours des années 2010, l’Ifop avait mesuré cet ancrage massif à gauche des personnes de confession musulmane. À partir de 2012, on a assisté à un basculement en faveur de Jean-Luc Mélenchon, qui a réussi à attirer l’essentiel de ce vote de gauche longtemps capté par les socialistes, ou de façon moindre par les communistes – notamment, pour ces derniers, dans des villes de la banlieue rouge où il y avait une forte personnalité locale.
À l’occasion de l’élection présidentielle de 2022, nous avons mesuré une division du vote des musulmans en plusieurs catégories, à commencer par une gauche radicale, qui capte à peu près la moitié du vote en faveur de Jean-Luc Mélenchon, avec presque une dizaine de points pour d’autres listes d’extrême gauche. Emmanuel Macron, quant à lui, a récolté un quart des voix. Il n’y a donc pas vraiment de vote de droite chez les musulmans – à moins de considérer que le vote Macron en est un.
Une schématisation fait apparaître trois tendances, mais des travaux plus poussés seraient nécessaires.
On a d’abord le sentiment d’un primat de la gauche radicale au sein de la population musulmane, notamment chez des personnes très jeunes, qui vivent dans des banlieues populaires, dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, et qui se sentent stigmatisés, exclus du marché de l’emploi et fortement discriminés. Cette population inclut des gens qui peuvent être très progressistes, engagés et militants, tout comme d’autres qui peuvent être très conservateurs.
Une autre population s’inscrit dans une gauche républicaine, que je pourrais qualifier de macronisme de gauche. Ces électeurs plus âgés ont la quarantaine ou la cinquantaine. Socialisés dans les années 1980, quand les paraboles et les réseaux sociaux n’existaient pas, ils sont beaucoup plus proches de la norme et de la moyenne des Français concernant de nombreux sujets, notamment par un fort attachement à l’école républicaine, au service public, à l’État. On trouve d’ailleurs beaucoup ces personnes dans la fonction publique, qui a permis une ascension sociale.
On trouve enfin une fraction composée de ceux qui ont le plus réussi socialement, en particulier les commerçants, chefs d’entreprise, cadres et ingénieurs. Eux ont souvent quitté les quartiers et peuvent habiter dans des zones pavillonnaires ou dans des endroits moins soumis à une pression communautaire. Ils sont beaucoup plus insérés, et leur niveau de réussite sociale produit chez eux un certain détachement à l’égard de la religion, en tout cas concernant des formes de solidarité ou de pression communautaires.
Le vote d’extrême droite des musulmans n’est pas négligeable : historiquement, sa proportion se situe aux alentours de 5 % ou 6 %, avec notamment les harkis, en particulier dans le sud de la France. À Béziers ou Perpignan, le vote harki peut encore être mobilisé, bien que plus difficilement car les nouvelles générations se détachent de cette logique-là. Le vote d’extrême droite concerne également des musulmans – notamment des commerçants – qui vivent dans des quartiers très difficiles. Dans les quartiers Nord de Marseille, Stéphane Ravier avait atteint des scores assez impressionnants. On pouvait en déduire qu’un certain vote d’extrême droite existait chez des habitants de quartiers très populaires qui manifestaient de la sorte leur besoin de sécurité.
Ce panorama très rapide pourrait être sujet à discussion avec des spécialistes. Je vous ai simplement livré un résumé de l’évolution du vote musulman, de sa structuration, et de la prudence indispensable concernant ce type d’outils. L’enquête que j’ai évoquée n’avait pas vocation à analyser la population musulmane selon sa proximité politique ou selon son vote aux dernières élections. Elle n’a pas été publiée mais nous vous l’enverrons.
Mme Mathilde Tchounikine, chargée d’études à l’Ifop. Ne négligeons pas l’effet générationnel : près de la moitié des 1 000 musulmans de notre échantillon ont moins de 35 ans. Les jeunes y sont donc bien plus nombreux que dans l’ensemble de la population française. Or nos enquêtes menées le jour du vote montrent que le vote Mélenchon est composé à 50 % de jeunes, me semble-t-il.
M. François Kraus. L’effet est donc à la fois générationnel et communautaire.
M. le président Xavier Breton. Comment expliquez-vous sociologiquement le basculement de la gauche classique, socialiste ou communiste, vers une gauche plus radicale, c’est-à-dire La France insoumise ?
M. François Kraus. L’abandon de la social-démocratie par une partie des électeurs de gauche au profit de la gauche radicale ne s’explique pas spécialement par des sondages : c’est un phénomène général. À la dernière élection présidentielle – celle qui a mobilisé le plus d’électeurs ces trois dernières années et où l’on peut observer les principaux mouvements et tendances –, le primat du mélenchonisme sur l’ensemble de la gauche était massif, avec des candidatures socialiste, écologiste ou communiste réduites à la portion congrue. Cette domination du mélenchonisme au sein de la gauche n’est pas caractéristique des musulmans.
Depuis, les votes Mélenchon et LFI ont connu une décrue : les forces de la gauche sociale-démocrate et de la gauche radicale sont beaucoup plus équilibrées, comme on a pu le voir aux élections européennes de 2024. Mais le niveau de mobilisation était différent.
Grâce à son charisme, à son talent et à sa capacité à influencer le débat public, Jean‑Luc Mélenchon est en mesure d’obtenir des scores plus élevés que des personnes qui le représentent – par exemple aux élections européennes –, si estimables soient-elles. L’effet de personnalité est donc aussi à prendre en compte en ce qui concerne le vote Mélenchon, qui dépasse l’emprise de la gauche et la sympathie pour la gauche radicale et pour LFI.
Pour vous répondre plus précisément, l’Ifop n’a pas particulièrement travaillé la question de l’éloignement des Français de gauche à l’égard de la social-démocratie. Mais il me semble que l’échec du mandat de François Hollande a beaucoup joué dans le discrédit de la gauche socialiste auprès de ces catégories de la population.
Ce mandat s’est notamment fini avec les attentats de 2015 et le gouvernement Valls, qui est apparu comme une personnalité laïciste, au discours très républicain, mais peut-être perçu par les musulmans comme trop proche d’Israël et des juifs, et trop insensible aux discriminations envers les musulmans. La loi El Khomri, qui a fait évoluer, entre autres, les choses en matière de port des signes religieux dans le milieu professionnel, a aussi pu sembler constituer une forme de discrimination venant de la gauche sociale-démocrate. La fermeté des socialistes quant à ces sujets a pu engendrer une rupture avec une partie des jeunes musulmans. Ceux-ci se sentent stigmatisés, nos enquêtes le montrent – et vous l’avez évoqué, monsieur le président –, dans tous les domaines de la vie : l’emploi, le logement, les relations avec les forces de l’ordre… Ils estiment être victimes de stigmatisation dès qu’ils expriment leur religiosité mais aussi d’une instrumentalisation médiatique et politique de la question de l’islam, ce qui leur donne le sentiment de vivre dans une société musulmanophobe.
Les musulmans de France sont devenus plus sensibles aux discriminations, et ont pu avoir le sentiment que la gauche sociale-démocrate incarnée par le PS de l’époque n’était peut-être pas à l’écoute, voire qu’elle contribuait, après les attentats, à ce raffermissement des autorités de l’État. L’impression que cette gauche n’a pas du tout été solidaire avec la cause des musulmans de France peut donc être une clé d’explication.
À cela il faut ajouter le brio et la capacité des députés LFI, plus nombreux aujourd’hui qu’en 2017, à occuper le débat public concernant ces questions et à apparaître aux yeux d’une partie des musulmans comme le seul parti qui les défend au quotidien.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Dans l’enquête d’opinion que l’Ifop a menée pour la revue Écran de veille, intitulée « État des lieux du rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France », que vous faites paraître aujourd’hui, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et qui anime le monde politique depuis hier, 44 % des personnes sondées se reconnaissant comme musulmanes considèrent que le respect des règles de l’islam est plus important que celui des règles de la République. La proportion est même de 57 % pour les 15‑24 ans. Comment l’expliquer ? Est-ce plutôt un rejet de la République, une manifestation identitaire ou les deux ?
M. François Kraus. Nous disposons seulement d’hypothèses et non d’éléments précis pour répondre à votre interrogation. Cette question est un peu tendancieuse : on pourrait aussi dire que chez certaines personnes très croyantes, qu’elles soient catholiques, juives ou protestantes, les préceptes religieux sont plus importants qu’un texte de la République française. Ce sujet n’est donc pas spécifique aux musulmans. Ce qui distingue l’islam des autres confessions, c’est le degré de religiosité et d’orthopraxie, c’est-à-dire de respect des préceptes religieux, dans tous les domaines de la vie, c’est-à-dire non seulement cultuel, mais aussi familial, conjugal, sexuel et politique. D’où un poids beaucoup plus fort de la religion dans la vision qu’ont les musulmans de la société, donc de la politique.
C’est donc un effet de structure qui entraîne les musulmans à dire que l’islam et ses règles doivent l’emporter sur les lois de la République, puisque ces personnes sont beaucoup plus religieuses et attachent bien plus d’importance à mener une vie régie par ces préceptes religieux. Je précise que notre question était : « Sur un sujet important dans votre famille, comme l’abattage rituel, le mariage ou l’héritage, que feriez-vous si vous deviez choisir entre le respect des lois françaises et le respect des règles de votre religion ? » Tous les sujets possibles ne sont donc pas considérés : nous avons volontairement restreint le débat à des enjeux privés afin de déceler une éventuelle attraction du modèle britannique.
En effet, il existe dans le grand Londres des tribunaux islamiques privés où des musulmans font juger tout un ensemble d’affaires, notamment familiales et conjugales, dans l’indifférence, me semble-t-il, des services publics britanniques. Notre question cherchait donc à révéler s’il existait chez les musulmans de France une sorte d’appétence pour une légitimation de la religion quand il s’agit de trancher des conflits d’ordre privé.
L’opinion est très partagée : 49 % disent préférer la loi française, d’autres privilégient les règles de leur religion. Mais la proportion de musulmans indiquant qu’ils préfèrent la religion a explosé, augmentant de presque vingt points en trente ans. Chez les jeunes, cette proportion est supérieure à 50 %. Je ne peux pas expliquer cette évolution. Simplement, compte tenu du regain de religiosité, d’orthopraxie et de rigorisme qu’on observe dans la vie privée et intime des musulmans, il n’est pas étonnant qu’ils souhaitent que la société dans laquelle ils vivent soit beaucoup plus régie, au moins pour eux et pour les membres de leur communauté, par les valeurs religieuses auxquelles ils attachent tant d’importance.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Dans cette même étude, 17 % des sondés âgés de 15 à 24 ans se sentent proches de l’association Musulmans de France et 32 % éprouvent de la sympathie pour cette mouvance, contre respectivement 13 % et 24 % chez le reste des sondés. On lit aussi que 11 % des 15-24 ans approuveraient la plupart des positions des islamistes, contre 8 % chez le reste des personnes interrogées. Comment expliquer cette influence du frérisme auprès des jeunes alors que l’organisation des Frères musulmans est présentée par les chercheurs et les services de renseignement comme en perte de vitesse en France ?
M. François Kraus. C’est une très bonne question. Mon professeur à Sciences Po, Marc Lazar, grand spécialiste du communisme, a beaucoup étudié la contre-société communiste qui existait en France dans les années 1950 et 1960. Elle avait ses médias, ses associations et ses collectifs d’entraide, qui structuraient très fortement la banlieue rouge avec tout un ensemble d’acteurs, par exemple le Secours populaire et L’Humanité, qui accompagnaient du berceau au tombeau les personnes des catégories populaires dans leur cheminement social ou intellectuel.
Je ne dis pas du tout que la structuration de Musulmans de France est d’un niveau identique : cette association est très loin de disposer d’effectifs aussi forts qu’à la grande époque où Nicolas Sarkozy fréquentait le Congrès du Bourget, grand moment de réunion de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) dans les années 2000.
Mais quand on a gagné la bataille des idées – ce qui semble être le cas dans de nombreux domaines, comme le rapport aux prescriptions alimentaires, vestimentaires ou conjugales –, on n’a pas forcément besoin, à l’heure des réseaux sociaux, d’un mouvement qui mobilise des millions de personnes. Les modes d’action et d’engagement sont aujourd’hui beaucoup plus dématérialisés et atomisés. De la même façon, vous le savez bien, le nombre de militants des partis politiques français est toujours artificiellement gonflé. On le constate lors de chaque élection d’un chef de parti ou de chaque investiture d’un candidat à la présidentielle : les militants ne sont souvent que quelques dizaines de milliers. Comparons Musulmans de France avec le RN, qui représente entre 30 % et 35 % dans l’opinion : combien y a-t-il réellement de militants actifs au RN ? Moins d’un million, et même moins de 100 000. Une emprise très puissante dans le débat public ne nécessite donc pas forcément un arsenal militant et associatif très développé.
En 2016, l’enquête dirigée par Hakim El Karoui avait évalué à environ 10 % la proximité des musulmans français à l’égard de cette association. Ce taux, qui n’a pas changé, suggère que cet islamisme n’est pas tant structuré par l’adhésion à des personnes telles que Tariq Ramadan ou à des associations, ou par des engagements concrets, que par une sympathie pour une vision de l’islam rigoriste, intégraliste, parfois extrêmement radicale sur de nombreux sujets, notamment les rapports entre les hommes et les femmes. Cette vision soulève bien sûr des questions, mais même les institutions religieuses comme la grande mosquée de Paris – pour lesquelles l’Ifop travaille – rencontrent des difficultés à s’adresser à cette jeunesse musulmane qui constitue plus de la moitié de notre échantillon.
Mme Mathilde Tchounikine. En effet, 56 % de notre échantillon est constitué de personnes de moins de 35 ans.
M. François Kraus. Les institutions religieuses traditionnelles et tous ceux qui ont un discours construit, notamment théologique, se heurtent donc à une difficulté : comment parler à une jeunesse qui ne regarde pas Le Jour du Seigneur ou d’autres émissions religieuses du service public – sans oublier la radio – et qui s’informe peu, voire pas du tout, grâce aux grands médias, même aux médias communautaires ?
Pour répondre plus précisément à votre question, nous faisons face à une jeunesse en quête de sens et d’appartenance. Selon moi, la dynamique et le succès du frérisme s’expliquent en grande partie par une capacité à proposer un référentiel moral et intellectuel structurant, axé autour d’un discours identitaire total.
D’abord, il comporte en effet une dimension religieuse, à travers le retour à une foi authentique et à un islam des origines très différent de l’islam beaucoup plus modéré des parents ou des grands-parents.
Ensuite, ce discours revêt une dimension sociale par une logique et une solidarité communautaires qui peuvent être très importantes, surtout chez des personnes marginalisées ou exclues du marché de l’emploi qui ont besoin de ce type de solidarité pour s’en sortir.
Enfin, ce référentiel comporte une dimension politique, à travers un rejet d’une partie des valeurs de l’Occident. Ce rejet n’est pas nécessairement anti-républicain. Mais une portion de cette jeunesse, dont la culture politique peut être limitée, a le sentiment que certaines valeurs contredisent la vision morale conservatrice voire extrêmement traditionaliste diffusée par leur religion. C’est le cas notamment en matière de libéralisme des mœurs, d’égalité entre hommes et femmes et au rapport aux minorités de genre, aux questions LGBT.
Certains acteurs musulmans s’étaient ainsi mobilisés contre le programme progressiste d’enseignement que constituait l’ABCD de l’égalité. On avait aussi constaté une opposition, de manière plus légère, au mariage pour tous. Le fossé existant entre les prescriptions religieuses et le programme de l’éducation nationale, notamment en matière d’égalité entre hommes et femmes ou d’inclusion des homosexuels, est important. En raison de ce hiatus, certains rejettent très nettement une société beaucoup trop permissive et progressive au regard de leurs valeurs conservatrices.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous avez utilisé le terme de musulmanophobie plutôt que celui d’islamophobie, souvent récusé par les pouvoirs publics. Ce choix résonne notamment avec votre étude, puisque 66 % des personnes musulmanes sondées déclarent avoir subi des comportements racistes au cours des cinq dernières années. Pourtant, seule la moitié de ces personnes estiment que cette discrimination était liée à leur appartenance à l’islam. Pourriez-vous revenir à ce choix terminologique ?
M. François Kraus. L’Ifop est un institut de sondage ; nous n’avons pas vocation à prendre parti dans les débats publics. Notre rôle est d’apporter des données de cadrage qui peuvent éclairer la prise de décisions publiques, mais nous essayons d’être les plus neutres politiquement.
Plus vieil institut français d’opinion, fondé en 1938, l’Ifop étudie depuis toujours le racisme et l’antisémitisme ; ces questions de minorités religieuses vont souvent de pair avec celle des discriminations. La haine antimusulmane, qui a explosé notamment à partir de 2001, a été mesurée, en particulier dans le cadre du Baromètre racisme de la CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) depuis près de trente ans, avec des pics, souvent liés aux attentats islamistes.
Il y a un mois, nous avons publié une enquête – que vous avez citée – pour la Grande Mosquée de Paris dans le cadre de l’observatoire des discriminations envers les musulmans de France. En 2019, nous avons mené une première enquête de cadrage concernant des sujets très similaires pour la Dilcrah (Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT). De plus, nous avions conduit pour l’université de Leyde en 2016 une première enquête post-attentats qui mesurait le niveau de discrimination des musulmans à la suite des mesures policières prises à l’époque. Notre institut est donc à la pointe de ces sujets. Mais comment qualifie-t-on cette discrimination ?
Le terme d’islamophobie ne fait l’objet d’un consensus ni scientifique ni politique. Il est un peu trop polémique à nos yeux et pose un problème de fond. Étymologiquement, le mot phobie désigne la peur, mais dans le langage courant, il fait référence à la haine. En suivant le sens courant du terme, l’islamophobie désignerait donc la haine de l’islam. Or, comme tout corps doctrinal, une religion et ses préceptes peuvent être sujets aux critiques. Si on est progressiste, on peut ainsi critiquer certains éléments du Coran, par exemple à propos de l’héritage ou des droits de la femme. Mais nous considérons qu’il ne faut pas voir là une haine envers les musulmans : la discussion des effets positifs ou négatifs d’une vision religieuse et de son influence dans la société fait partie du débat public.
Or ce qui nous intéresse dans nos enquêtes n’est pas la haine de l’islam mais celle des musulmans. C’est pour que les faits de discrimination, d’agression ou de racisme soient au cœur de notre analyse que nous avons fait le choix d’utiliser le terme de musulmanophobie, qui nous semble beaucoup plus juste car il fait référence à des individus et non à une religion. Ce n’est pas une invention de l’Ifop : nous nous sommes fiés aux travaux très intéressants de plusieurs éminents sociologues musulmans.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Parmi les personnes sondées, 80 % estiment que la haine contre les musulmans en France est plus importante qu’il y a dix ans. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
M. François Kraus. Ce sont les musulmans eux-mêmes qui jugent dans cette enquête que la musulmanophobie est plus répandue.
Mon point de vue personnel est que les attentats islamistes n’y sont pas pour rien. Un de leurs objectifs est de causer une rigidification et une plus grande frayeur de la population majoritaire à l’égard des musulmans. Cela s’accompagne souvent d’une hostilité, de discriminations ou de racisme qui provoquent à leur tour un repli sur soi des musulmans et une plus grande ouverture vis-à-vis de discours beaucoup plus communautaires, identitaires ou rigoristes. On considère donc que les attentats islamistes des années 2010 ont porté leurs fruits dans le débat public et dans l’esprit de la population : celle-ci est devenue plus frileuse à l’égard des musulmans, et chez ceux-ci le sentiment de discrimination est très répandu ; ils estiment que l’expression de leur religiosité dans l’espace public – ou même privé – fait naître des soupçons de pseudo-terrorisme ou de radicalisme qui peuvent susciter des formes de stigmatisation.
Ce n’est pas à moi de juger si ces sentiments sont justifiés. Mais on constate un raidissement des perceptions tant des musulmans que du reste de la population : d’une part, une hostilité croissante à toute forme d’expression ou de religiosité de l’islam dans l’espace public ; d’autre part, le sentiment chez certains musulmans d’être extrêmement discriminés ou stigmatisés, non seulement par la sphère médiatique et politique mais aussi dans l’accès à l’emploi, au logement ou à d’autres types de prestations.
M. le président Xavier Breton. Vous écrivez que « cette enquête dessine très nettement le portrait d’une population musulmane traversée par un processus de réislamisation, structurée autour de normes religieuses rigoristes et tentée de plus en plus par un projet politique islamiste ». Comment s’exprime cette dernière notion à la lumière de votre étude ?
M. François Kraus. D’abord, elle repose sur un rejet de la rationalité scientifique. Quand on demande qui a plutôt raison concernant la création du monde, 65 % des musulmans – et 80 % des 15-24 ans – indiquent faire confiance à la religion plutôt qu’à la science. Cette proportion est de 19 % en moyenne chez les adeptes des autres religions. Et nous n’avons pas intégré les athées à cette moyenne : on peut considérer qu’une grande majorité fait confiance à la science. C’est un indicateur singulier : même si on constate aussi un certain raidissement chez les jeunes catholiques ou protestants, le niveau de rejet de la science n’est pas comparable.
Ensuite apparaît une remise en question de la légitimité du cadre juridique actuel, qui ne repose ni sur la religion ni sur les préceptes de l’islam. Vous l’avez constaté, la majorité des jeunes musulmans préfèrent s’en remettre à la religion plutôt qu’à un cadre juridique classique s’agissant des problèmes d’ordre privé – je répète que notre question se limitait à cela. Si cette tentation islamiste se fait jour, c’est tout simplement parce que nous avons posé la question de l’application de la loi islamique, intégrale ou partielle, dans les pays non musulmans. Or 15 % des musulmans souhaitent une application intégrale de la charia quel que soit le pays où ils vivent, c’est-à-dire aussi dans des pays majoritairement non musulmans. Environ un tiers se prononce pour cette application, mais de manière partielle.
Cela suggère un rapprochement avec le modèle anglo-saxon où une sorte de contre‑société islamique vit de manière autogérée avec des normes et des règlements à l’amiable, pas dans tous les domaines mais notamment pour des sujets d’ordre privé, familiaux et conjugaux. Ce phénomène nous apparaît comme une remise en cause de l’uniformité du droit.
Les chercheurs aiment utiliser des indicateurs d’une complexité et d’une précision extrêmes pour mesurer le niveau d’intégrisme politique ou religieux. Mais il est possible de demander très simplement aux musulmans s’ils partagent les positions des islamistes ! Notre enquête montre que 38 % des musulmans de France partagent partiellement ou intégralement ces positions : cette proportion a doublé depuis 1998. Nous avions à cette époque utilisé le terme « intégristes » car c’est celui qui était usité à l’époque : on employait très peu le terme « islamistes ».
Enfin, nous avons demandé si les personnes interrogées éprouvaient de la sympathie ou de l’hostilité à l’égard de différentes mouvances islamistes : 24 % ont de la sympathie pour le frérisme, respectivement 9 % et 8 % pour le salafisme et le wahhabisme – deux courants très proches. Il n’y a pas là d’évolution.
Le plus préoccupant est le rapport au djihadisme. Dans le cadre d’une étude quantitative menée au téléphone par un enquêteur, nous pensions qu’une portion infime de l’échantillon afficherait de la sympathie pour le djihadisme. Mais 3 % des musulmans de France ont de la sympathie pour ce courant ; 52 % éprouvent de l’hostilité à son égard, et 24 % de l’indifférence. Comment interpréter ce pourcentage de personnes indifférentes à une action pour le moins violente ? Le rejet du djihadisme n’est pas massif – c’est en tout cas ce que mesure cette enquête. Et la proportion de 3 % fait partie de la réalité du problème.
Pour résumer notre propos, un islamisme latent, d’atmosphère, oscille de 40 % à 50 % et concerne des idées fortes, comme les lois de la religion et l’application de la charia. Mais ce phénomène reste léger : certaines personnes n’ont pas forcément conscience de la nature du système politique qui en découlerait. Par ailleurs, quelques indicateurs affichent un ordre de grandeur situé entre 30 % et 35 % de sympathie affichée pour les courants islamistes. Là encore, il faut rester prudent : tous les sondés connaissent-ils réellement le frérisme ou le wahhabisme ? Ce n’est pas forcément évident. Le taux de 15 % de musulmans indiquant souhaiter une application intégrale de la charia en France est celui qui a le plus de sens pour nous : il représente à notre sens le « noyau dur » de l’islamisme en France. Et au sein de ces 15 % se trouve la partie la plus radicalisée : les 3 % de musulmans qui ne cachent pas leur sympathie pour le djihadisme, courant le plus violent de tous.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie pour votre présence et pour cette enquête très intéressante, qui nourrira nos travaux.
Si vous souhaitez compléter nos échanges, vous pourrez répondre par écrit au questionnaire que nous vous avons envoyé et éventuellement apporter des réponses additionnelles aux questions nées de notre discussion.
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26. Audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Tiberj, professeur des universités, Sciences Po Bordeaux (26 novembre 2025)
M. le président Xavier Breton. Nous entendons Vincent Tiberj, professeur de sociologie politique à Sciences Po Bordeaux et chercheur au centre Émile-Durkheim. Monsieur Tiberj, vous avez notamment publié La Droitisation française, mythe et réalités et Les Citoyens qui viennent : comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France, ou encore Français comme les autres ? Enquête sur les citoyens d’origine maghrébine, africaine et turque. Vous avez également consacré plusieurs articles aux comportements électoraux des personnes musulmanes et des jeunes dans la société française.
Notre commission d’enquête s’intéresse aux mouvements islamistes en France et à leur stratégie pour nouer des liens avec les élus nationaux ou locaux. Il est intéressant d’apprécier si ces mouvements et leurs idées bénéficient d’un certain écho au sein de la population, et si tel est le cas, d’en comprendre les conséquences politiques.
Dans la présentation que vous nous avez transmise, il apparaît que les préférences politiques varient sensiblement selon les appartenances religieuses. Quel est selon vous le poids de la religion dans les suffrages ?
Plusieurs chercheurs, dont Olivier Roy, ont mentionné devant notre commission un regain de religiosité des communautés musulmanes, en particulier chez les jeunes. Ce phénomène rend-il cet électorat plus sensible à certaines thématiques islamistes, comme tendrait à le démontrer une étude récente de l’Ifop, intitulée « État des lieux du rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France » ?
Plusieurs études de l’Ifop font par ailleurs état d’une concentration du vote des musulmans en faveur du groupe La France insoumise (LFI). Si ces résultats doivent évidemment être pris avec précaution, comme l’a rappelé le représentant de l’Ifop lors de son audition, comment les expliquer ? Est-ce par adhésion à ce parti, dont la position en matière de laïcité semble avoir évolué au cours des dernières années ? Ou est-ce davantage la manifestation d’un rejet des autres formations politiques ?
Je vous invite à déclarer, le cas échéant, tout intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations.
L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Vincent Tiberj prête serment.)
M. Vincent Tiberj, professeur en sociologie politique à Sciences Po Bordeaux. En tant que sociologue et professeur d’université, il est tout à fait normal de répondre à la sollicitation de la représentation nationale. Vous me demandez de dire « la vérité, toute la vérité » – j’essaierai de le faire, dans la mesure du possible. Les résultats des scientifiques sont toujours provisoires ; ils doivent être pris avec prudence et peuvent parfois être invalidés.
La notion de vote musulman me semble quelque peu abusive et doit être interrogée, voire déconstruite, même si je ne nie pas son intérêt et la possibilité qu’un tel vote existe. La science politique et la sociologie électorale ont traité cette question à différents niveaux. Aux États-Unis, les logiques qui régissent le rapport des communautés d’originaires – c’est‑à‑dire de personnes partageant la même origine – aux pouvoirs publics locaux peuvent ainsi renvoyer à une histoire culturelle ou à une religion. Il en va de même au Royaume-Uni. En France, plusieurs enquêtes ont montré qu’il existe, dans certaines communes dirigées par la droite ou la gauche, tant de la part des responsables politiques que des citoyens, des tentatives de faire valoir une manière de penser propre à une communauté d’originaires. Cela fait partie du jeu politique.
Certains partis ont essayé de construire un vote musulman, par exemple, dans les années 2000, le Parti des musulmans de France, ou, plus récemment, l’Union des démocrates musulmans français. Toutefois, la liste présentée par ce parti aux élections européennes de 2019 n’a rencontré qu’un sujet très relatif, malgré des scores importants dans certains bureaux de vote. En sociologie des partis, il est classique que des organisations émergent, pour tenter de structurer un électorat autour de lignes religieuses. C’est la vieille histoire de la démocratie chrétienne, que l’on retrouve dans différents pays européens.
Au niveau national, des interrogations régulières apparaissent – je pense notamment à la note du ministère de l’intérieur intitulée « Frères musulmans et islamisme politique en France ». Dans les faits, la question du vote musulman revient tantôt à gauche, tantôt à droite. En 2014, dans le cadre d’un travail mené pour la fondation Jean-Jaurès avec Jérôme Fourquet – qui travaillait alors sur le vote musulman –, nous avions identifié plusieurs tentatives, de la part de Jean-François Copé notamment, pour activer ce type de vote, pendant la campagne pour les élections municipales.
En tant que scientifique, je ne refuse pas de tester l’hypothèse de l’existence d’un vote musulman, en gardant à l’esprit que d’autres facteurs que l’appartenance religieuse pourraient avoir la même force explicative. Aux États-Unis, un facteur explicatif central est ainsi l’expérience de discriminations : plus un groupe est discriminé, plus il vote pour le parti démocrate. D’autres facteurs explicatifs peuvent être culturels ou historiques – je pense notamment aux traumas. Enfin, la composition sociologique peut entrer en jeu : même s’il existe désormais une classe moyenne, la population d’origine maghrébine ou africaine appartient encore largement aux catégories populaires, avec beaucoup d’employés.
En sociologie électorale, la tradition d’analyse des liens entre religion et vote est ancienne. Dans le désormais classique Classe, religion et comportement politique, Guy Michelat et Michel Simon ont ainsi montré que, dans la France des années 1960 et 1970, la proximité avec la religion catholique pesait parfois plus que la classe sociale. Ainsi, du point de vue de son comportement politique, un ouvrier catholique pratiquant était d’abord un catholique pratiquant, avant d’être un ouvrier. Plus récemment, Claude Dargent et Guy Michelat ont confirmé le maintien de l’alignement entre le fait d’être catholique pratiquant régulier et le vote pour un parti, en l’occurrence l’UMP, puis Les Républicains. Aujourd’hui, les catholiques pratiquants réguliers votent de plus en plus en faveur du Rassemblement national. Cela tient notamment aux valeurs et à l’insertion dans des réseaux catholiques. En face, le vote des athées et des sans‑religion reste très fortement marqué à gauche.
Ainsi, nous pouvons tout à fait imaginer que l’islam amène à un vote, que la fréquentation des imams et de la mosquée construit un vote particulier – c’est même un beau problème de science politique. D’après certaines théories, les personnes affiliées à une religion minoritaire voteraient à gauche, parce que leur position dans la société serait plus compliquée qu’il n’y paraît. Ce phénomène s’observe aux États-Unis : les catholiques y votent plus souvent pour le parti démocrate que les protestants – en France, les rares études sur le vote protestant, menées notamment par Claude Dargent, montraient plutôt le phénomène inverse.
Pour analyser un vote en prenant en compte les différentes variables explicatives, il faut que les données le permettent. Or de nombreuses enquêtes, notamment celle de l’Ifop que vous citiez, ne mesurent que l’affiliation religieuse, sans questionner les origines des personnes interrogées, ni prendre en compte le fait que beaucoup d’immigrants et de descendants d’immigrés, notamment ceux originaires d’Afrique subsaharienne, sont catholiques, ou que certains sont désormais évangéliques et d’autres athées. Dès lors, de telles enquêtes ne permettent pas d’appréhender le phénomène dans toute sa diversité.
Heureusement, il existe des enquêtes de qualité. Je pense notamment à l’enquête Rapfi (rapport au politique des français issus de l’immigration), que j’avais menée avec Sylvain Brouard au sein du Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po), et qui s’appuyait sur un échantillon de Français d’origine maghrébine, africaine et turque et sur un échantillon miroir, mais elle commence à dater. L’enquête Trajectoires et origines (TeO) est la Rolls des enquêtes sur la diversité : elle permet de mesurer toute la diversité de la population et des modes d’intégration et d’incorporation à la société française. Ses échantillons sont régulièrement actualisés – un échantillon permet désormais, par exemple, de mesurer l’insertion dans la société française des immigrés ou des descendants d’immigrés chinois. Nous sommes en train d’achever un ouvrage sur la deuxième édition de l’enquête TeO, qui date de 2018-2019 – ce type d’enquête prend du temps.
Toutefois, l’enquête TeO a l’inconvénient de mesurer très peu de variables socio‑politiques, notamment en matière de vote, en comparaison des enquêtes socio-politiques traditionnelles. Du moins mesure-t-elle le positionnement à gauche ou à droite.
En 2005, l’enquête Rapfi nous a permis de constater un très fort alignement d’un échantillon de Français d’origine maghrébine, africaine et turque avec la gauche, en comparaison de l’échantillon miroir. Dans les années 1990, Anne Muxel était parvenue à des conclusions similaires, à partir d’un panel de jeunes. Un sondage de sortie des urnes publié par l’institut CSA en 2002 montrait également un survote des Français d’origine maghrébine et africaine pour Lionel Jospin.
Dans l’enquête Rapfi, nous avons également étudié l’alignement des personnes interrogées sur l’axe gauche-droite en fonction de leur profession et de leur religion. C’est très frappant : l’échantillon Rapfi – qui regroupait donc des personnes issues de l’immigration – se plaçait très nettement à gauche quelle que soit la profession – ouvrier, employé, profession intermédiaire ou cadre –, et l’appartenance religieuse – cet échantillon comportait quelques catholiques, majoritairement d’origine subsaharienne et deux tiers de musulmans. En effet, tous les descendants de l’immigration maghrébine ne sont pas musulmans ; autour de 25 % des membres de l’échantillon Rapfi étaient même sans religion.
Les musulmans de l’échantillon Rapfi étaient 64 % à se déclarer à gauche. Dans ce même échantillon, le niveau n’était pas très différent pour les sans-religion, avec 67 %, et les catholiques, avec 56 %. En revanche, dans l’échantillon témoin – qui reflétait le reste de la société française –, les catholiques n’étaient que 29 % à se placer à gauche, et les sans-religion, 54 %. Si l’échantillon Rapfi reflétait l’ensemble de la population, notre pays voterait très majoritairement à gauche.
Dans l’enquête TeO effectuée en 2008-2009, nous avons demandé aux sondés de se placer sur l’axe droite-gauche. Dans tous les groupes issus de l’immigration, on observe un surplacement à gauche, en comparaison de l’échantillon « majo », qui regroupait des natifs de natifs de natifs, soit ceux qui ne comptent ni parmi leurs parents ni parmi leurs grands-parents de personne d’origine étrangère née à l’étranger – c’est la définition d’un immigré proposée par l’Insee.
Le phénomène est particulièrement frappant pour les immigrés d’origine subsaharienne, algérienne, marocaine ou tunisienne et leurs descendants de deuxième génération, mais aussi pour les ultramarins et leurs enfants. Il semble donc y avoir un lien entre surplacement à gauche, visibilité des origines et discrimination – nous mesurons celle-ci en demandant aux sondés à quelle fréquence ils ont subi des insultes racistes et dans quelle mesure ils sont d’accord avec l’assertion « On me voit comme un Français ». Les ultramarins et leurs descendants qui ont migré en métropole sont régulièrement renvoyés à leurs origines supposées. Le contraste est saisissant entre la situation des descendants de l’immigration portugaise, espagnole, italienne ou issue du reste de l’Union européenne et celle des descendants des immigrés d’origine algérienne, marocaine, tunisienne, issus d’Afrique sahélienne ou centrale. Moins un groupe est perçu comme « tout à fait français », plus il est discriminé, plus le surplacement à gauche est fort.
Lors de la deuxième édition de l’enquête TeO, en 2018-2019, j’ai essayé de mieux comprendre les effets respectifs du positionnement social, du positionnement religieux ainsi que de la visibilité des origines et des discriminations. Dans tous les groupes, nous avons constaté une forte baisse du classement sur l’axe gauche-droite. Dans mon ouvrage La Droitisation française, mythe et réalités, j’appelle cela la grande démission. Les années 2010 et 2020 sont marquées par une déconnexion progressive des citoyens avec les alignements politiques. Désormais, entre 40 % et 50 % des gens refusent de se placer sur l’axe gauche-droite ou par rapport à un parti. Cela doit nous interroger.
Malgré cela, dans la deuxième édition de l’enquête TeO, ce sont les mêmes groupes qui sont surplacés à gauche : les descendants de deuxième génération des immigrés d’Afrique sahélienne, d’Afrique centrale, d’Algérie ou les immigrés originaires d’Algérie – bref, ceux qui sont souvent pointés du doigt comme n’étant pas des Français comme les autres.
En matière de vote religieux, l’étude TeO permet de retrouver le phénomène noté par Guy Michelat et Michel Simon et remis en avant par Claude Dargent : parmi les natifs de natifs de natifs, les athées se classent beaucoup plus à gauche qu’à droite ; ceux qui déclarent à la fois avoir une religion et être catholiques se classent beaucoup plus à droite.
L’étude permet toutefois de constater que les athées descendants d’immigrants natifs du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne sont encore plus à gauche que les athées natifs de natifs de natifs. Il se joue sans doute là quelque chose qui renvoie aux discriminations, au déni de francité.
Alors que les catholiques natifs de natifs de natifs se placent majoritairement à droite, le groupe des catholiques issus de l’immigration d’Afrique subsaharienne – le seul groupe de catholiques issus de l’immigration suffisamment important pour permettre la comparaison – est celui qui se place le plus à gauche, parmi les différents groupes définis par une appartenance religieuse ou par l’athéisme. Dans ce groupe, soit la religion catholique joue le rôle inverse de celui qu’elle joue pour les natifs de natifs de natifs, soit elle ne joue aucun rôle. De fait, presque autant de catholiques d’origine africaine et d’athées d’origine africaine se placent à gauche. Ce qui joue avant tout est donc sans doute la visibilité des origines.
Quant aux musulmans originaires du Maghreb ou du reste de l’Afrique, ils sont tout aussi à gauche que les athées natifs de natifs de natifs, mais moins à gauche que les athées originaires du Maghreb.
L’idée qu’il y aurait un vote musulman est donc vraisemblablement fausse. Elle tient sans doute à ce que les études interrogent uniquement les personnes sur leur religion. Si ces études incluaient la question des origines, leurs résultats seraient vraisemblablement très différents. De fait, le lien entre placement à gauche et origine maghrébine ou africaine a été confirmé dans de nombreuses enquêtes.
Ainsi, la théorie du vote musulman n’est pas forcément vérifiée. Notons que, quand on observe les valeurs culturelles – le rapport au genre, à la liberté, aux minorités sexuelles, notamment –, on constate une forme de conservatisme chez de nombreux musulmans. Dans le cas du catholicisme, le conservatisme empêche le placement à gauche. Pas chez les musulmans. Il serait donc erroné de penser que l’islam explique tout. C’est plus compliqué et il faut conserver une approche plurielle, scientifique, mesurée de ces phénomènes.
Ces résultats interrogent également notre société. La dernière vague de l’enquête Trajectoires et origines montre une montée du nombre de répondants qui déclarent être d’identité musulmane – ce qui n’exclut pas d’autres identités, car l’identité est plurielle. Peut-‑être est-ce un effet du traitement de la diversité en France ? C’est ce que j’appelle le « cadrage musulman » dans mes travaux : la diversité est souvent évoquée à travers l’islam, ce qui crée, à rebours, des identités.
Le regard de la société sur nos compatriotes d’origine immigrée a un impact sur la manière dont ils se projettent en politique. Quand on étudie un clivage politique, il faut toujours distinguer ce qui vient des citoyens, ce qui vient de l’offre politique et ce qui vient de la société.
Vous mentionnez un regain de religiosité chez les jeunes. La société française, à l’image d’autres sociétés européennes, se distingue de plus en plus des pays d’origine de l’immigration, comme le montre la World values survey, entre autres enquêtes. Quand on interroge les individus sur l’importance de la religion dans leur vie, en France, seuls 15 % des répondants déclarent lui accorder une place très importante ; dans des pays d’émigration tels que la Tunisie, le Maroc, entre autres pays africains, ce taux avoisine les 90 %. Dans ces pays, la religion pèse donc énormément en matière de morale, de conduite individuelle. Les migrants qui arrivent en France et leurs enfants ont ainsi été élevés dans un climat religieux qui se retrouve de moins en moins dans le reste de la société française. Cela permet de comprendre l’impression d’une montée de la religiosité des plus jeunes.
Par ailleurs, je me méfie de la manière dont l’Ifop a constitué ses échantillons dans l’étude que vous citez. L’étude TeO permet de constater, dans certains cas, une montée de la religiosité, et dans d’autres sa baisse. C’est notamment le cas pour les descendants d’immigrés issus de couples mixtes, dont le parcours est marqué, comme l’ensemble de la société française, par la sécularisation.
Quid du vote LFI ? Le travail mené par Anne Muxel dans les années 1990 et le sondage de sortie des urnes de 2022 que j’ai cité montrent que pendant une longue période, le vote pour la gauche profitait au PS. Or ce parti a connu le destin électoral qu’on sait et il semble vraisemblable que ses électeurs ou anciens électeurs appliquent une logique de vote utile. C’est donc peut-être d’abord la proximité avec la gauche qui joue, avant la proximité avec LFI.
Enfin, au premier et au second tour des élections présidentielles de 2017 et 2022, nous avons constaté un vote de la diversité en faveur d’Emmanuel Macron, qui témoigne d’un alignement entre cet électorat et ce que j’appelle, dans d’autres cénacles, le libéralisme culturel.
En tout cas, pour l’instant nous ne constatons pas vraiment de prégnance des discours islamistes sur le vote. On connaît l’insuccès d’un parti comme l’Union des démocrates musulmans français. Dans nos études, les principaux problèmes que les Français d’origine maghrébine ou africaine mettent en avant ont trait, comme dans le reste de la population, au pouvoir d’achat ou à l’insécurité. Du point de vue de leur agenda, ce sont ainsi des Français comme les autres.
M. le président Xavier Breton. Si ceux qui subissent davantage de discriminations se tournent vers la gauche, est-ce par adhésion à son programme, ou est-ce par rejet des propositions de droite en matière de discrimination ?
M. Vincent Tiberj. C’est une très bonne question, qui a fait l’objet de travaux sociologiques aux États-Unis, au Royaume-Uni, ou encore aux Pays-Bas. Ce pays, où dominent les scrutins de liste et la représentation proportionnelle, constitue un cas particulièrement intéressant. C’est un pays relativement petit, ce qui permet des interactions entre la politique nationale et la politique locale plus fortes qu’en France. C’est également un pays où les étrangers ont le droit de vote. Dans un premier temps, aux Pays-Bas, la population issue de l’immigration s’est alignée à gauche, et ce sont plutôt les partis de gauche qui ont présenté des candidats diversitaires, ce qui leur a servi. Dans un second temps, les autres partis se sont approprié les questions de diversité – à l’exception des partis les plus à droite, qui se sont construits en opposition. Cela a permis de normaliser les électorats issus de la diversité, qui, du coup, n’ont plus toujours soutenu les candidats qui leur ressemblaient. Nous pourrions sans doute observer de tels phénomènes dans des communes françaises, où indépendamment de la couleur politique du maire, certains partis construisent leurs listes afin de parler à l’ensemble des habitants.
Par ailleurs, une partie du vote des Français d’origine maghrébine ou africaine tient vraisemblablement à la préoccupation pour les discriminations ou la lutte contre le racisme et la xénophobie. Si les partis de droite tenaient un discours plus clair sur ces questions, sans doute les préférences politiques changeraient-elles. En 2005, quand Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, vantait la valeur travail, nous avions été frappés par l’attachement à cette valeur que manifestaient les répondants d’origine maghrébine, africaine et turque, par exemple. Aux États-Unis, l’électorat latino manifestait le même attachement à la valeur travail, tout en votant à plus de 60 % en faveur du parti démocrate. Lors de l’élection présidentielle de 2024, une partie de cet électorat – souvent celle liée au monde de la petite entreprise, des boutiques ou de l’artisanat – s’est désalignée du parti démocrate pour voter en faveur de Donald Trump.
Toutefois, ces populations, comme beaucoup d’individus des mondes populaires ou des jeunes générations, sont fortement touchées par ce que j’appelle la grande démission. Leur abstention aux élections ne reflète pas l’absence d’avis, ou une incompréhension du rôle des citoyens. Elle témoigne d’un vrai refus du vote comme remise de soi. L’enquête que j’avais menée avec Antoine Jardin, en 2012, dans des communes de Seine-Saint-Denis montrait un décrochage frappant des populations issues de l’immigration lors des élections, faute de prise en compte de leur existence et de leurs demandes. Cela interroge notre société.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous écriviez dans un article de 2015 que le vote musulman n’existe pas. De vos propos, on comprend bien que le vote n’est pas une histoire de religion. C’est l’origine des électeurs et sa visibilité, quand elles sont liées à un sentiment de discrimination, qui conduit à voter à gauche. Selon une étude récente de l’Ifop, aux dernières élections présidentielles, 69 % des musulmans ont voté pour Jean-Luc Mélenchon ; aux dernières élections européennes, 62 % auraient voté pour Manon Aubry. On est en droit de se demander si la stratégie de LFI n’est pas d’exagérer les discriminations et de nourrir l’idée qu’il existe une islamophobie d’État. Même si c’est faux, les chercheurs que nous avons auditionnés témoignent de la prégnance de cette croyance chez les électeurs musulmans, ou originaires d’Afrique du Nord. La France insoumise n’exagère-t-elle pas pour conserver son électorat ?
M. Vincent Tiberj. La question est complexe, d’autant que je ne maîtrise pas tout le programme de La France insoumise. J’ai notamment retenu des propositions de Jean-Luc Mélenchon en 2022 la référence fréquente à la notion de créolisation, pour s’opposer à celle de « grand remplacement ». Il rejoint en cela des manières de parler identifiées chez Ségolène Royal en 2007 – elle évoquait alors, outre des Français de souche, des Français « de feuillage et de branchage », à propos de la diversité.
Quand on réfléchit à ces questions, notamment à la suite de la loi sur la parité, du sondage de 2002, puis des émeutes, on voit qu’il existe dans la classe politique dans son ensemble une interrogation et parfois une difficulté en ce qui concerne la reconnaissance de la diversité et de ce qu’elle peut produire, notamment par rapport au contrat républicain – une République aveugle aux couleurs, qui traiterait les individus de la même façon, quelles que soient leurs origines, leur race ou leur religion. On a collectivement du mal avec ces questions, et cela vaut aussi pour les candidats aux élections. François Fillon disait en 2016-2017, par exemple – je me souviens de cette citation car je l’utilise en cours –, que la France n’était pas une nation multiculturelle, alors que c’est le cas, de fait. Il y a, au-delà de la diversité des origines, celle des régions, qui est assez bien connue. Il suffit de penser aux Basques et aux Corses – désolé de faire du communautarisme. Il existe, on le voit, des interrogations sur la diversité, les différences de culture, la coexistence, etc.
Il est très clair que LFI relaie des interrogations fortes au sujet d’un certain nombre de services d’État. Même si je ne suis pas sûr que ce soit de l’islamophobie, j’alerte la représentation nationale sur un point. Une enquête comme TeO, qui n’est pas vraiment faite, a priori, pour porter sur les questions de discrimination, comporte plusieurs indicateurs concernant les rapports avec la police. Quand on demande aux personnes combien de fois elles ont été contrôlées au cours de la dernière année, on voit que le surcontrôle ou la multiplication des contrôles ne sont clairement pas liés au hasard. Un des soucis, c’est que souvent, dès lors qu’ils se multiplient, les contrôles ne se passent pas bien. Une enquête du Défenseur des droits qui visait à tester le rapport à la police selon les origines, le genre, la sexualité ou la situation en matière de handicap, a identifié le même type de problème.
Il se passe vraisemblablement quelque chose qui doit pousser à s’interroger sur l’ensemble des services publics. Je sais très bien, naturellement, à quoi cela conduit : à des débats autour de « la police tue » et d’un possible racisme systémique. Tout cela n’est pas proprement français. La police anglaise se pose ces questions depuis très longtemps. Il est intéressant de voir comment elle a réfléchi depuis les années soixante à la manière de gérer les relations avec la population et les éventuels biais dans la façon de s’adresser aux gens.
Par ailleurs, il n’y a pas que la question des biais des policiers. Celle des biais de la population générale se pose aussi. Ce qui se joue là, c’est un travail sur le contrat républicain. Je pense qu’il y a quelque chose à faire qui est de l’ordre de la conscientisation dans l’ensemble des institutions porteuses d’un service public. La CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme) a mené l’année dernière un travail assez impressionnant sur le monde médical face aux discriminations. Elle s’est rendu compte que des cultures, des manières d’appréhender les patients devaient être revues.
Je n’ai pas répondu complètement à votre question, j’en ai bien conscience. J’ai essayé de resituer le sujet en allant au-delà de LFI, pour voir quelles questions se posent à la classe politique en général, à la République et à ses services publics.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous dites que la République doit jouer son rôle, y compris s’agissant de la façon dont on appréhende les patients dans le monde médical, mais nous avons aussi des retours selon lesquels l’espace religieux vient un peu s’ingérer dans le système de santé, dans la mesure où certaines communautés font part de demandes qui seraient incompatibles avec les valeurs de la République. Le refus de l’administration d’aller dans leur sens peut alors conduire à un sentiment de rejet et d’islamophobie. Les situations sont parfois difficiles à appréhender.
Les mouvements islamistes, comme les Frères musulmans, vous semblent-ils avoir une influence sur le vote des musulmans ou sur leurs préférences électorales ?
M. Vincent Tiberj. Cela fait un petit moment que je réfléchis à ces questions. Il faut travailler sur nos perceptions et sur notre compréhension des musulmans et de l’islam en général. Je dis souvent qu’il y a l’islam des islamologues, l’islam des mouvements organisés, dont on connaît la diversité et, pour certains d’entre eux, le rigorisme, voire l’intransigeantisme, et l’islam des musulmans de la porte d’à côté. J’ai publié un papier intitulé « The muslims next door », dans lequel j’ai essayé de rendre compte de ce qu’on savait des musulmans d’en bas. Les catégories qu’on plaque sur les personnes qui se déclarent musulmanes, et qui sont aussi, très souvent, croyantes – c’est plus compliqué dans le cas du catholicisme –, ne correspondent pas à ce qu’on voit dans la population des musulmans français.
Quand nous avons publié, avec Sylvain Brouard et d’autres, l’enquête Français comme les autres ?, des gens comme Gilles Kepel ont dit que nous ne nous étions pas interrogés sur le type d’islam pratiqué – s’il s’agissait de personnes chiites ou sunnites, par exemple – et nous nous sommes dit que nous ferions mieux la fois suivante. Dans notre enquête de 2008, sur laquelle nous n’avons pas assez publié, nous avons donc demandé à ceux qui se disaient musulmans s’ils se considéraient comme sunnites ou chiites, et nous nous sommes rendu compte que ces catégories n’avaient pas de sens pour les personnes interrogées. C’est une spécificité de l’islam, qui est une religion extrêmement diverse : beaucoup de gens qui parlent au nom des musulmans ne sont pas forcément aussi connectés qu’on le pense aux vrais musulmans, ou en tout cas aux musulmans de la rue, et ils imposent des manières de penser, des logiques qui en réalité ne sont pas applicables à ces personnes.
J’ai des problèmes avec l’enquête de l’Ifop, car j’imagine que c’est à cela que vous voulez m’amener. Je pense qu’il aurait fallu vérifier que les gens avaient vraiment conscience de ce que sont les Frères musulmans, le tabligh et les autres mouvements évoqués dans les questions. Cette enquête a été menée par téléphone, ce qui est bien – j’en ai fait une et, si vous m’avez lu, vous savez que les enquêtes sur internet posent une difficulté selon moi –, mais je soupçonne qu’il aurait quand même fallu s’y prendre un peu mieux.
Si la charia, de même, a beaucoup inquiété, c’est que souvent on n’interroge que des musulmans. Or on connaît bien, dans la sociologie des religions, ce qu’on appelle la culture intransigeantiste, c’est-à-dire la difficulté d’un croyant à accepter qu’il peut y avoir une interférence ou une opposition entre les lois de sa religion et les lois du pays dans lequel il vit. Nous avons fait, Nonna Mayer et moi, une enquête sur Sarcelles qui était très intéressante, notamment du fait de la diversité de la population interrogée – nous avions un nombre suffisant de catholiques, de juifs et de musulmans. Nous leur avons notamment demandé ce qu’il fallait faire, à leur avis, dans le cas où la Torah, le Coran ou la Bible s’opposait aux lois de la République. Le taux d’intransigeantistes était à peu près le même dans les trois religions. La question renvoie donc à ce qu’est la religion, c’est-à-dire une logique d’absolu.
S’agissant du sondage de l’Ifop, j’aurais souhaité que soit défini ce qu’on entend par le terme charia. Est-ce, par exemple, la manière dont on traite les voleurs, la question de la liberté des femmes ou celle de la liberté pour ce qui est des autres religions ? Si on avait posé ces questions, les réponses auraient sans doute été très différentes. Il faut faire extrêmement attention, quand on mène ce type d’enquête, à poser des questions qui permettent de comprendre de quoi on parle. Si vous regardez l’enquête Français comme les autres ?, vous verrez que je fais partie de ceux qui ne cachent pas les choses. Nos résultats, s’agissant de certains aspects culturels, n’étaient pas forcément réjouissants, mais il faut chercher à charge et à décharge, si je puis dire. On doit essayer de se mettre à la place des gens, de voir comment ils comprennent les questions et de faire des comparaisons. Dès lors on se rend compte, très souvent, que les choses sont plus compliquées.
Je reviens à votre question. Si ces acteurs ont une influence, elle reste pour l’instant invisible dans les enquêtes. Cela ne signifie pas qu’elle n’existe pas, qu’il n’y a pas dans certains endroits des cultures particulières, des modes d’influence qui peuvent poser des problèmes. J’ai parlé des résultats obtenus par l’Union des démocrates musulmans français : ils ont réussi à avoir plus de 10 % des voix localement. Cela ne veut pas dire que l’Union des démocrates musulmans français est frériste. Je ne le pense pas : il me semble que c’est plus compliqué. Mais en vérité, je ne sais pas, je suis obligé de suspendre mon jugement – vous m’avez demandé de dire la vérité, rien que la vérité. Il faudrait suivre une approche beaucoup plus ethnographique afin de bien identifier les choses, en n’oubliant pas la big picture (vue d’ensemble), excusez‑moi pour cet anglicisme, que permettent d’avoir des enquêtes comme Trajectoires et origines, qui peuvent toucher l’ensemble de la population française et nous racontent des choses vraiment intéressantes aussi.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous venez de répondre à mes interrogations sur le sondage de l’Ifop. Vous dites, pour résumer, que les questions posées ont beaucoup influé sur les résultats, notamment en ce qui concerne les Frères musulmans. Quand on demande aux gens s’ils se sentent proches de l’association Musulmans de France, ce n’est pas suffisamment clair, selon vous, pour qu’on puisse établir un lien avec une adhésion aux Frères musulmans, au sens structurel du terme. Même chose pour la charia, qui n’était pas très clairement définie : les réponses, de ce fait, pouvaient passer un peu à côté de ce qu’est la réalité de ce phénomène, c’est-à-dire son application stricto sensu. Est-ce bien cela ?
M. Vincent Tiberj. Tout à fait.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Selon une autre étude de 2025, intitulée « Fractures françaises », « un clivage gauche-droite important existe en revanche sur la compatibilité de l’islam avec les valeurs de la société, auquel se superpose un clivage générationnel ». Il apparaît qu’on considère majoritairement au sein des partis de gauche et chez les moins de 35 ans que la religion musulmane est compatible avec les valeurs de la société française, alors que la tendance est totalement inverse du côté des partis de droite et des plus de 35 ans. Quel est votre sentiment au sujet de cette enquête ?
M. Vincent Tiberj. Il est parfois dommage que « Fractures françaises » ne porte que sur un point dans le temps, alors que cette enquête, de mémoire, est menée tous les ans depuis 2014. Quand on se place dans une perspective temporelle, on comprend mieux ce qui est en train de se passer.
Ce que vous dites ne m’a pas surpris. On retrouve le même résultat, par exemple, dans le baromètre de la CNCDH, dont les questions ne sont pas forcément formulées dans les mêmes termes. Cette enquête demande ainsi aux gens s’ils ont une image positive, négative ou ni positive ni négative de la religion musulmane, et une comparaison est faite avec d’autres confessions religieuses. Par ailleurs, plutôt que de poser une question sur la compatibilité de l’islam avec les valeurs de la République, l’enquête de la CNCDH demande si un certain nombre de pratiques musulmanes posent un problème pour la vie en société. La burqa est ainsi testée, depuis très longtemps, ainsi que le voile, la prière ou l’interdiction de manger du porc et de boire de l’alcool.
Je date la structuration du débat sur la compatibilité de l’islam avec les valeurs de la République ou sur l’intégration des musulmans dans la société française aux alentours de l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, en 2007. Cela fait donc vingt ans qu’on a identifié ce que dit « Fractures françaises ». C’est à ce moment-là que ce que j’appelle le cadrage musulman de la diversité est devenu un mode dominant de discussion de cette question. Au lieu de parler d’immigration ou de discriminations, on s’est mis à discuter de la question du voile, de la religion, de la compatibilité entre l’islam et les valeurs de la République.
Ce clivage est là depuis un bon bout de temps. Il repose, par ailleurs, sur un renouvellement générationnel. Ce que je constate, en effet, c’est que plus une génération est récente, plus les pratiques qui ont trait à l’islam, et à la diversité en général, sont considérées comme normales. Cela peut s’interpréter comme un autre type de construction de la laïcité, en particulier au sein de la gauche, qui est clivée entre une laïcité très républicaine, antireligions, contre toutes les religions, et une laïcité plus diversitaire, plus multiculturelle, qui ressemble un peu aux modes de vivre ensemble qu’on trouve aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en Belgique ou aux Pays-Bas, c’est-à-dire des types de laïcité qui acceptent la religion des autres dès lors qu’il n’y a pas de prosélytisme. C’est assez frappant au sujet du voile, par exemple. Pour les millennials, les personnes nées dans les années 1980-1990, le voile n’est plus un problème pour la vie en société – le voile porté dans la rue, et non le voile à l’école. Chez les boomers, nés dans les années 1940 et 1950, le voile continue à être considéré comme un problème, y compris à gauche.
Des transformations ont lieu. Ce que vous dites au sujet de « Fractures françaises », je le constate aussi dans d’autres enquêtes. Il serait intéressant de travailler sur des données cumulées.
M. le président Xavier Breton. Je vous demande de bien vouloir m’excuser. Je dois vous quitter car j’ai une autre obligation, toujours à l’Assemblée, mais je laisse le rapporteur continuer à vous poser les questions qu’il souhaite et je consulterai le compte rendu de la suite de cette audition.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Il est beaucoup question d’islamophobie dans le débat public. Que pensez-vous de ce terme ? Certains parlent plutôt de musulmanophobie. La loi de 2004 qui a interdit les signes religieux ostensibles dans l’enseignement primaire et secondaire et l’interdiction récente, en 2023, de l’abaya par Gabriel Attal, quand il était ministre, ont-elles pu être ressenties comme islamophobes ou discriminatoires par une partie des musulmans vivant en France ? Par ailleurs, quel est votre avis sur la stratégie frériste qui consiste à qualifier d’islamophobe toute résistance à son entrisme ?
M. Vincent Tiberj. C’est une sacrée question. Le terme islamophobie est débattu et combattu en France. C’est beaucoup moins vrai, notamment dans la recherche sur la diversité, aux niveaux européen et nord-américain. Ce terme fait partie du vocabulaire classique des enquêtes comparatives, mais il peut effectivement être utilisé, comme beaucoup d’autres, à des fins militantes par des organisations plus ou moins rigoristes ou conservatrices. On devrait parfois laisser de côté le vocabulaire pour regarder les faits qu’il est censé mesurer. Je m’explique. Pierre-André Taguieff disait que l’antisémitisme n’était pas un bon terme parce que la notion de sémitisme dépasse largement la question du peuple juif, et il parlait donc de judéophobie. D’autres vous diront qu’islamophobie et judéophobie renvoient au vocabulaire médical, ce qui pose un vrai problème. Caroline Fourest, à un moment, parlait de racisme antimusulmans. La difficulté, c’est que les musulmans ne sont pas une race et qu’on se retrouve donc à utiliser un mot un peu bizarre.
On peut débattre de ces questions, mais ce ne sont pas forcément celles qui m’intéressent le plus. Ce qui m’importe, c’est plutôt de vérifier s’il existe, ou non, des comportements discriminatoires en relation avec une appartenance religieuse, y compris supposée. Or un certain nombre d’indications laissent penser que des actes visent spécifiquement des musulmans, en tant que tels. Le ministère de l’intérieur recense désormais ce type d’actes, même s’il ne s’agit, nécessairement, que des plus graves – cela n’inclut pas toujours les insultes ou les refus d’accès à certains magasins, mais ces actes existent aussi et ils doivent être sanctionnés, puisqu’ils tombent sous le coup de la loi. Il faut d’abord que cette réalité soit entendue, c’est-à-dire que tels actes soient reconnus comme des actes délictueux. C’est un enjeu : une partie de l’histoire qui se joue avec les musulmans de France est liée à l’impression que ce qui leur arrive n’est pas considéré comme aussi injuste que ce qui peut arriver à d’autres groupes, ce qui conduit à s’interroger sur le contrat qui existe dans notre pays.
Je vous ai parlé tout à l’heure de l’enquête que nous avons faite à Sarcelles. Comme nous voulions travailler sur les relations intergroupes, nous avons conduit, avec Nonna Mayer, une expérimentation extrêmement intéressante, notamment parce que les gens ne savaient pas ce que nous allions faire. Nous leur racontions l’histoire d’un monsieur d’une quarantaine d’années pris à partie par des jeunes dans une commune de l’Est de l’Île-de-France. Il était traité de sale juif, de sale noir, de sale Français ou de sale arabe. Nous leur demandions si ce comportement était, à leur avis, très grave, assez grave, pas très grave ou pas grave du tout. Dans cette cité, où des tensions communautaires et des actes antisémites ont eu lieu, l’insulte « sale juif » est la plus rejetée, y compris par les musulmans, ce qui montre bien la volonté de lutter, dans cette population, contre l’antisémitisme, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Ce qui était plus problématique, c’était lorsqu’on leur disait que le monsieur en question était allé porter plainte au commissariat et qu’on leur demandait ce qui s’était ensuite passé. La police avait-elle tout fait pour retrouver les coupables ou, au contraire, l’affaire avait-elle été classée ? Ils pensaient que la police n’allait enquêter effectivement qu’au sujet de l’insulte « sale juif ». Ce ne sont que des perceptions, naturellement, mais elles disent bien le besoin d’une partie importante de la communauté nationale d’être traitée comme les autres et de pouvoir bénéficier des mêmes protections.
Vous m’avez aussi interrogé sur l’utilisation par certains acteurs d’une logique d’islamophobie, voire d’islamophobie d’État, en ce qui concerne le voile ou l’abaya. C’est une question complexe. Les enquêtes montraient dès 2005 que les gens avaient des opinions extrêmement tranchées au sujet du voile. Nous avons fait une expérimentation pour voir si l’on pouvait les faire bouger sur ce point en fonction des arguments utilisés, et nous avons vu que c’était impossible. Pour beaucoup, les choses étaient très claires : les signes ostentatoires religieux n’avaient pas leur place à l’école, un point c’est tout. La question qui se pose est de savoir comment on gère les signes religieux ou d’appartenance dans l’école de la République et comment on arrive à parler de la diversité religieuse, mais aussi de l’athéisme, c’est-à-dire comment on met à distance la religion, comment on y réfléchit. Je crois que pas mal de profs arrivent à faire des choses intéressantes dans ce domaine.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous avez parlé de différences de perception entre les actes antimusulmans et, par exemple, les actes antisémites. On peut quand même rappeler que 504 actes antisémites ont été recensés, me semble-t-il, entre les mois de janvier et de mai de cette année, contre 145 actes antimusulmans. Ces deux types d’actes sont en forte croissance mais, si on les ramène aux populations concernées, ceux de nature antisémite sont évidemment beaucoup plus nombreux.
M. Vincent Tiberj. Oui.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. C’est peut-être une erreur de croire qu’on ne s’occupe pas du tout des actes antimusulmans. L’État et la représentation nationale le font. Les services de renseignement protègent les lieux de culte, d’un côté comme de l’autre, même si la hausse des actes antisémites est beaucoup plus forte.
Je vous remercie d’avoir répondu à toutes mes questions et je laisse la parole à mon collègue.
M. Jérôme Buisson (RN). Monsieur Tiberj, je vais commencer par une question peut‑être un peu polémique. Vous avez dit que plus les minorités étaient visibles, plus elles votaient à gauche, même après plusieurs générations. On peut faire un parallèle avec les peurs de la droite, voire de l’extrême droite. On a ainsi parlé de « vote de la dernière chance » au sujet de Trump – peut-être s’agissait-il, mais je l’ignore, du vote des blancs. Pensez-vous qu’il y a du côté de La France insoumise et d’autres partis de gauche, mais aussi de l’autre côté, une sorte de course contre-la-montre électorale ? Le ressent-on dans les enquêtes ?
M. Vincent Tiberj. C’est difficile à dire, mais le cas américain est extrêmement intéressant. Il existe, en effet, une sorte de color line (séparation en fonction de la couleur). Depuis les années 1964-1968, à la suite du mouvement des droits civiques, le vote des Afro‑américains est à 80 % ou 90 % en faveur des démocrates. On a pensé dans les années 1990 et 2000 que la même chose allait se passer pour les latinos, car on observait un suralignement de ce groupe sur les démocrates, indépendamment d’autres caractéristiques, notamment religieuses. Néanmoins, la situation a un peu bougé en 2020 et 2024. On a alors vu que le vote latino ne constituait pas forcément un bloc et que les Républicains étaient peut-être en train de sortir de l’opposition entre les white anglo-saxon protestants (Américains blancs protestants) et les minorités ethniques.
On se rend compte, en réalité, que ces dernières ont des manières de se politiser qui diffèrent beaucoup selon les situations. Ceux qu’on appelle les Asian Americans (Américains d’origine asiatique), qui sont notamment venus du Vietnam, du Laos et Cambodge – il n’y a pas encore assez de personnes originaires de Chine pour qu’on puisse mesurer ce qu’il en est dans leur cas –, ont ainsi plus de chances de voter pour les Républicains. Le fait d’être un immigré n’est pas nécessairement le gage d’un vote pour la gauche.
La question qui se pose est celle de la reconnaissance. On commence à avoir des travaux intéressants sur la politisation des personnes d’origine asiatique en France. Ils montrent que la politisation de ces personnes n’est pas forcément très favorable à la gauche, alors qu’elles sont touchées par un racisme spécifique, dû à leur visibilité. C’est particulièrement vrai pour les immigrés issus du Vietnam, du Laos et du Cambodge, qui sont le groupe le plus à droite. Leurs descendants, quant à eux, sont plus proches des natifs de natifs de natifs. Le positionnement des uns et des autres renvoie, en fait, à des questions liées à l’histoire, à la culture et aux récits, notamment à la manière dont on tient compte des populations et de leurs besoins. Un travail très intéressant a été mené par ma collègue Hélène Le Bail sur cette question. Depuis la présidence de Nicolas Sarkozy, il existe une reconnaissance claire des immigrés originaires de l’Asie du Sud-Est et de leurs descendants, ce qui a conduit à des politisations différentes.
Pour revenir à votre question, une partie de la polarisation tient, en effet, à ce que certains électeurs pensent être en phase de minorisation. Beaucoup de démographes de renom disent qu’un grand remplacement n’est pas forcément en train de se produire, mais cette impression explique pas mal de positionnements, en faveur de Nicolas Sarkozy en 2012, de François Fillon et de Marine Le Pen en 2017, puis d’Éric Zemmour – c’était moins vrai pour Valérie Pécresse, qui a fait un score plus faible. Quelque chose se joue de ce côté-là.
M. Jérôme Buisson (RN). Et de l’autre côté, puisqu’un dirigeant étranger – je ne sais plus lequel – a déclaré que s’il y avait eu une colonisation dans un sens, il y en aurait également une dans l’autre sens, par les ventres.
Il est beaucoup question du sentiment de discrimination ou d’islamophobie, même si ce terme est contesté par certains, qui pourrait orienter le vote des personnes d’origine étrangère – on peut le comprendre, en effet. Il est possible de s’interroger sur nos propres institutions et sur ce que vous avez appelé le racisme systémique, mais cette masse d’électeurs ou de futurs électeurs s’interrogent-ils sur eux-mêmes ? Des enquêtes ont été menées après les attaques contre Israël, les attentats du 11 septembre ou le massacre de Charlie Hebdo. Qu’en est-il ? La communauté musulmane s’interroge-t-elle sur ses extrémistes ou considère-t-elle, comme on l’entend dire parfois, même si c’est difficile à admettre de notre côté, qu’ils ne font pas partie de la même communauté ?
Quand un extrémiste de droite fait quelque chose, on ne lui demande pas si Hitler représente plutôt ceci ou cela à ses yeux. Lorsque vous faites des enquêtes sur l’extrême droite, vous n’allez pas chipotez sur la même façon dont elle se représente le racisme ? Donc est-ce que la communauté musulmane s’interroge sur ses extrémistes ou pense-t-elle qu’ils ne font pas partie de leur communauté ?
M. Vincent Tiberj. Il y a plusieurs manières de vous répondre. Tout d’abord, il n’existe pas tant d’enquêtes que cela. La première qui me vient à l’esprit est celle d’un collectif organisé autour d’Olivier Galland et d’Anne Muxel sur les réactions aux attentats de 2015. Ce qui était intéressant, c’était que l’essentiel des jeunes interrogés rejetaient catégoriquement ce qui s’était passé. La question, néanmoins, est de savoir si un biais de désirabilité n’a pas joué. Était-ce vraiment un rejet complet de leur part ou une volonté de se conformer à ce qu’on attendait d’eux ? Ce n’est pas simple à mesurer. La désirabilité sociale est, d’une manière générale, un vrai souci pour nos enquêtes.
Y a-t-il une espèce de continuité entre être musulman, musulman conservateur, islamiste et extrémiste ? La même question peut se poser pour certains protestants américains born again (nés de nouveau), dont certains paraissent très éloignés de la culture du vivre ensemble. On se heurte un peu au même problème quand on travaille sur ce que j’appelle les musulmans et les catholiques de la porte d’à côté – les évangéliques, quant à eux, ne sont pas encore assez nombreux en France pour faire l’objet de très bonnes études. Il est extrêmement compliqué de mesurer la radicalité, sur le plan religieux mais aussi d’une manière plus générale, comme Anne Muxel et Olivier Galland ont essayé de le faire dans leur livre La Tentation radicale. Derrière l’espèce de halo de radicalité qu’on observe, y a-t-il une continuité, des phénomènes de contamination, ou passe-t-on à quelque chose de complètement différent ? Il est très compliqué de répondre à cette question.
Les résultats dont nous disposons ne sont pas toujours satisfaisants, je le sais bien, mais Xavier Crettiez a tout de même réalisé une très belle étude sur les profils des djihadistes emprisonnés. Il a fait tout un travail pour comprendre comment se mettait en place l’ensemble de facteurs dispositionnels et personnels qui conduit certains individus à se retrouver fichés S puis en prison, pour avoir commis ou accompagné des attentats. Cette étude, que je vous invite à regarder, montre qu’il n’existe pas un modèle pur, mais plusieurs modèles. Il est question des djihadistes condamnés par la justice, et non des mouvements conservateurs musulmans, au sujet desquels je ne connais pas d’étude de ce type, j’en suis désolé.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Merci pour cette audition très instructive, dont vous pourrez trouver le compte rendu en ligne, sur le site de l’Assemblée nationale, dans quelques jours.
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27. Audition, ouverte à la presse, de Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti Les Écologistes (2 décembre 2025)
M. Xavier Breton, président. Comme vous le savez, notre commission d’enquête s’intéresse aux stratégies que certains mouvements islamistes peuvent déployer à l’échelle locale ou nationale pour influer sur les représentants politiques et, in fine, sur les politiques publiques. Elle ne vise ainsi a priori aucun parti en particulier et n’a vocation, sur un sujet aussi sensible, à n’accuser personne. Simplement, nous essayons d’analyser le plus fidèlement possible des phénomènes sur lesquels l’ensemble de la communauté du renseignement nous a alertés.
Nous disposons, à ce stade de nos travaux, de plusieurs éléments. D’abord, il ne fait pas de doute que des mouvements islamistes sont présents sur notre territoire et qu’ils souhaitent exercer une influence pour modifier nos règles communes : le rapport du ministère de l’intérieur sur les Frères musulmans et l’islamisme politique en France paru en mai dernier l’indiquait et cela nous a été confirmé au cours des auditions. Cet objectif nous amène naturellement à nous intéresser aux représentants et aux partis politiques, pour analyser les relations qu’ils peuvent entretenir avec de tels mouvements. Au niveau national, les cas les plus problématiques semblent se concentrer principalement sur un autre parti que le vôtre. Au niveau local, la situation est plus compliquée : tous les partis peuvent être concernés par des tentatives d’entrisme de la part de personnes proches de mouvements islamistes.
Sur ce point, je me permets une seconde précision : nous traitons bien ici d’islamisme politique, c’est-à-dire de personnes défendant une vision exacerbée de l’islam et cherchant à l’imposer aux communautés musulmanes présentes sur notre territoire et, plus généralement, à notre société. Nous ne traitons donc ni de l’islam, ni des musulmans, ni de toutes les décisions qui sont prises de manière tout à fait légitime par les élus de la nation pour répondre aux besoins exprimés par les membres de cette confession religieuse. De la même façon, nous condamnons sans équivoque les amalgames qui peuvent être faits entre islam et islamisme, ainsi que toutes les violences qui peuvent être exercées à l’encontre de personnes au nom de leur religion supposée.
Nous traitons donc d’un point très précis, évoqué sans être pleinement développé par le récent rapport du ministère de l’intérieur : les liens entre les mouvements islamistes et les représentants de partis politiques. Or il se trouve qu’au cours de nos auditions, votre parti a été mentionné à plusieurs reprises comme pouvant constituer, dans certains territoires, une cible pour les mouvements islamistes. C’est à ce titre que nous avons souhaité vous recevoir.
Aussi ai-je quelques questions à vous soumettre en guise d’introduction.
Avez-vous pris connaissance du rapport du ministère de l’intérieur auquel j’ai fait référence ; si oui, qu’en avez-vous pensé ? Partagez-vous le constat selon lequel « l’acculturation du grand public à la réalité de la menace [que représente l’islamisme] apparaît essentielle pour qu’elle soit combattue efficacement, a fortiori dans un contexte marqué par l’extrême sensibilité de la population musulmane et la fréquente dénonciation de l’“islamophobie” » ?
Que pensez-vous d’ailleurs de ce terme, qui fait débat et auquel les services de l’État préfèrent celui d’« actes antimusulmans », plus objectivable ?
Avez-vous le sentiment que, au sein de votre parti, la différence entre islamisme et islam fait l’objet d’une information suffisante pour permettre aux élus de distinguer les demandes légitimes de nos concitoyens musulmans des demandes relevant davantage du séparatisme ou de l’entrisme ? Ces enjeux suscitent-ils des discussions en interne ? Votre parti y sensibilise-t-il ses élus et militants ou propose-t-il des formations qui en traitent ?
Un risque d’entrisme sur les listes municipales en vue des prochaines élections a été mentionné à plusieurs reprises au cours des auditions, notamment dans les communes situées au sein d’écosystèmes islamistes déjà bien constitués. Comment prévenir ces phénomènes ? Est-ce un point de vigilance pour votre parti ?
Avant de vous laisser la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Marine Tondelier prête serment.)
Mme Marine Tondelier, secrétaire nationale du parti Les Écologistes. J’ai préparé une introduction pour cadrer les choses. Elle ne répondra pas forcément à toutes vos questions, mais je ne doute pas que vous vous ferez un plaisir de me relancer le cas échéant.
Merci de m’avoir si gentiment conviée à m’exprimer devant vous. En juin dernier, les députés du groupe Droite républicaine ont exercé leur droit de tirage – qui constitue un outil politique rare et précieux, puisqu’il est accordé une fois par an aux groupes d’opposition ou minoritaires – pour créer une commission d’enquête consacrée aux « organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste ».
Ces questions sont effectivement essentielles pour la sécurité de notre pays et pour notre vivre-ensemble. Mais, dans ce cas précis, leur traitement me semble – je préfère le dire d’emblée – délétère. J’utilise ce mot à dessein, car cette commission d’enquête, par la manière dont elle s’est créée, dont elle choisit et formule ses questions, nourrit le climat de suspicion permanente qui pèse sur un trop grand nombre de nos compatriotes en raison d’une appartenance réelle ou supposée à une religion, en l’occurrence l’islam. En alimentant cette atmosphère que je n’hésite pas à qualifier d’islamophobe, elle risque de dégrader une nouvelle fois la sérénité et les libertés des personnes concernées et, par ricochet, de contribuer à réduire des droits pour l’ensemble de la population, par exemple si elle devait conduire à l’extension d’un droit d’exception.
Avant d’en venir au sujet qui fâche, je veux le redire clairement : les Écologistes sont convaincus que la lutte contre le terrorisme islamiste est un enjeu crucial, parce qu’il menace et a déjà atteint à plusieurs reprises la sécurité de celles et ceux qui vivent sur notre sol, mais aussi la vie de nos compatriotes à l’étranger ; parce qu’il met à l’épreuve nos principes républicains ; parce qu’il continue, ailleurs dans le monde, de restreindre les libertés et de semer la peur. « Le terrorisme, c’est la tranquillité impossible », a-t-on entendu à la barre du procès des attentats du 13 novembre 2015. Il y a quelques semaines encore, notre pays s’est recueilli en hommage aux 132 personnes assassinées ce soir-là par les commandos de Daech au Bataclan, au Stade de France et sur les terrasses des 10e et 11e arrondissements de Paris. Nous n’oublions rien : ni ces atrocités, ni celles commises depuis dix ans, au cours desquelles 119 autres personnes ont perdu la vie sur le territoire national.
Si les organisations terroristes islamistes ont été matériellement affaiblies depuis 2015, leurs discours continuent d’infuser. Ils inspirent les passages à l’acte d’individus plus jeunes, plus isolés, souvent plus difficiles à repérer. C’est précisément parce que les Écologistes prennent ces enjeux avec le plus grand sérieux qu’ils considèrent qu’ils doivent être traités avec honnêteté, nuance et force.
Je commence par la question de l’honnêteté parce qu’elle renvoie au cadrage même des travaux de cette commission, à son intention initiale, à ses choix méthodologiques et, par conséquent, aux conclusions qu’elle est susceptible de produire. À cet égard, je rappelle les propos de Laurent Wauquiez, président du groupe de la Droite républicaine à l’Assemblée nationale et instigateur direct de cette commission, prononcés au micro de CNews – cela ne s’invente pas : « L’objectif, pour moi, c’est de faire cesser cette impunité dont jouit LFI dans notre pays, cette forme de privilège rouge. » Ses propos étaient tellement dirigés contre La France insoumise, mentionnée à sept reprises dans le seul exposé des motifs de sa proposition de résolution initiale, qu’il a finalement été contraint de revoir sa copie, tout simplement parce qu’elle n’était pas recevable. Ces façons de faire nous scandalisent et devraient, me semble‑t‑il, scandaliser toutes les personnes attachées à la démocratie et à la bonne marche de cette assemblée.
Je me tiens devant vous aujourd’hui par respect de votre règlement et parce que je n’ai aucune volonté de me soustraire aux questions de la représentation nationale ; par ailleurs, je n’ai rien à cacher. Je suis prête à répondre à toutes vos questions sur des enjeux dont nous reconnaissons le caractère essentiel et je me soumets à cette enquête, même si plusieurs éléments m’amènent à douter qu’elle soit conduite en toute bonne foi.
Je songe tout d’abord à la teneur des questions qui m’ont été transmises pour préparer l’audition ainsi que celles posées aux personnes entendues avant moi. Il a par exemple été demandé à Vincent Tiberj s’il pensait que l’islam était compatible avec les valeurs de la République, comme si une religion et tous ses fidèles – puisqu’il s’agissait bien de l’islam, et non de l’islamisme – pouvaient par principe être exclus du champ républicain. Je pense aussi aux multiples confusions entre pratique de l’islam et dérives islamistes, par exemple au fait que le port du voile ait été évoqué à plusieurs reprises alors qu’il est permis par le principe de laïcité, lequel impose la neutralité de l’État vis-à-vis des religions mais garantit évidemment la liberté de conscience. Le fait de traiter l’islamophobie comme une obsession et non comme une grave discrimination, alors qu’elle a déjà fait au moins deux morts cette année, Aboubakar Cissé et Hichem Miraoui, est également troublant. Vous avez également évoqué à l’instant, monsieur le président, « un contexte marqué par l’extrême sensibilité de la population musulmane ». Qu’entendez-vous par là ? J’ajoute enfin à ces éléments l’absence pure et simple d’investigations liées au terrorisme d’extrême droite, pourtant au cœur des préoccupations de la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure) et d’Europol.
Je m’étonne par ailleurs que tous les partis représentés au Parlement n’aient pas été convoqués par cette commission d’enquête qui, à vous entendre, ne vise « aucun parti en particulier » – il faudrait le rappeler à M. Wauquiez. Je suis convoquée aujourd’hui ; j’ai cru comprendre que M. Mélenchon le serait ce week-end. La cohérence aurait voulu que les autres partis le soient également, car, comme vous l’avez souligné, tous peuvent être concernés par ces problèmes.
J’en viens au devoir de nuance qui nous incombe à tous. Nous traversons une période où les mots sont malmenés. Or l’imprécision, qu’elle relève de la haine pure et dure contre les musulmans ou d’une ignorance savamment entretenue, alimente les incompréhensions, les tensions sociales et la violence
Ces distinctions sont pourtant essentielles, en tout cas pour qui tient sincèrement à nos principes républicains. Car ne pas distinguer – ou faire semblant de ne pas distinguer – entre une personne d’origine maghrébine ou d’Afrique subsaharienne, une personne de confession musulmane, un islamiste et un terroriste, c’est nourrir l’injustice dans un pays qui fait de l’égalité et de la participation de tous à la vie publique des idéaux cardinaux. Soulever la question du port du voile dans le cadre de travaux censés traiter de l’entrisme islamiste et du terrorisme, comme vous l’avez fait dans le questionnaire que j’ai reçu lundi, participe de ces confusions qui parcourent la société française. Le résultat en est l’éloignement des personnes concernées de nos espaces de vie démocratique, de nos partis, de nos associations et de nos écoles républicaines. Avouez que nous sommes là bien loin de l’entrisme ; avouez aussi qu’il n’y a pas de quoi s’en réjouir.
Ne pas prendre le soin de faire ces distinctions, c’est aussi donner du crédit à une vision conspirationniste du monde, qui essentialise les musulmans et les imagine tous comme des islamistes terroristes en puissance, tapis partout, prêts à conquérir le pays ; à une vision selon laquelle il n’y aurait qu’un tout petit pas entre une femme qui porte le voile et un projet de prise de pouvoir politique au nom de la charia. Puisque nous sommes plongés depuis plusieurs décennies dans une véritable panique morale autour de l’islam, je propose de sortir de cette folie en nous raccrochant à une chose simple, presque basique : que chacun soit jugé pour ce qu’il fait, jamais pour ce qu’il est.
Or exercer sa foi, aller prier, porter un voile, manger halal ne menace pas la République. Ce qui menace la République, ce sont des organisations religieuses ou idéologiques structurées, diffusant la haine et cherchant à imposer des normes contraires aux droits et aux libertés publiques – y compris des organisations catholiques, comme l’a montré l’exemple de l’association d’extrême droite intégriste Civitas, finalement dissoute par le gouvernement. Quand certains groupes, islamistes ou autres, ont effectivement pour projet de substituer aux lois françaises un ordre politique incompatible avec la démocratie et l’État de droit, alors on en apporte les preuves, que l’on transmet aux autorités compétentes. C’est ainsi qu’un État de droit fonctionne, pas par insinuation ou stigmatisation, pas en mettant des œillères pour ne voir que ce qui sert ses propres obsessions politiques.
Si j’insiste autant sur ces distinctions, c’est parce qu’elles sont littéralement vitales pour nos compatriotes musulmans ou perçus comme tels – car être perçu comme musulman suffit à être discriminé dans notre pays. C’est ainsi que l’islamophobie opère : en transformant des millions de personnes en suspects permanents, en ennemis de l’intérieur. Leurs intentions sont en permanence questionnées, leur parole mise en doute, leurs gestes scrutés. On les contraint à se justifier sans cesse, tout en les privant concrètement de leur pleine liberté d’accès au logement, à l’emploi, aux loisirs, à une vie ordinaire et en sécurité. Voilà la réalité de notre pays.
Parfois, la violence franchit un seuil supplémentaire. Mus par une vision extrêmement pauvre de ce qu’est une nation, certains leur signifient qu’ils ne seront pas « de vrais Français » tant qu’ils n’auront pas renoncé à tout : leur prénom, leurs traditions culinaires, leurs prières, leur voile. Et même s’ils renonçaient à tout – si tant est que cela ait un sens –, ce ne serait jamais suffisant pour celles et ceux qui les harcèlent. Certains en viennent à tirer des conclusions terribles : les renvoyer « chez eux », « dans leur pays », même si leur pays de naissance et leur vie sont ici ; ou, pire encore, les viser physiquement. C’est une pente dangereuse qui s’inscrit dans l’histoire longue des processus d’exclusion menant aux violences de masse.
Les chiffres du ministère de l’intérieur parlent d’eux-mêmes : de janvier à mai 2025, les actes islamophobes ont augmenté de 75 % par rapport à 2024 et les atteintes aux personnes ont triplé. Je tiens à rappeler ici les noms de Djamel Bendjaballah, Aboubakar Cissé et Hichem Miraoui, morts après avoir été pris pour cible par cette haine. Ces violences ne relèvent pas de faits isolés. Elles dessinent un climat qui menace la cohésion du pays et la sécurité de nos concitoyens. Nous ne pouvons ni nous y habituer, ni les considérer comme une fatalité.
Ce n’est qu’une fois toutes ces précautions posées que nous pourrons combattre les menaces que constituent le terrorisme et la diffusion de l’idéologie islamisme avec force et efficacité.
Faire preuve de force et d’efficacité, c’est d’abord donner des moyens suffisants aux services compétents, mais aussi adapter la prévention aux zones où les recruteurs sont les plus actifs, sensibiliser aux risques d’embrigadement et développer des dispositifs de désengagement du djihadisme et de toutes les idéologies qui menacent notre démocratie. Il faut aussi soutenir davantage les élus, les agents publics, le tissu associatif et les acteurs locaux, qui sont en première ligne pour prévenir le délitement social, et, bien sûr, investir dans les services publics, car les idéologies islamiques prospèrent d’autant plus facilement que l’État recule. Nous ne pouvons pas fermer les yeux sur le fait que certains territoires sont littéralement abandonnés par la République.
La lutte contre le terrorisme passe également par une coopération internationale renforcée, notamment avec la Turquie, la Syrie, l’Irak, les pays du Maghreb, les Balkans et le Caucase, sur les vétérans du djihad, les réseaux financiers clandestins et le suivi des filières. Elle exige aussi une meilleure réponse pénale contre les recruteurs djihadistes ; pour les personnes étrangères condamnées, l’expulsion doit pouvoir être envisagée.
Enfin, la propagande en ligne doit être tarie par la diffusion d’informations fiables et par des interdictions effectives – sans oublier la prévention de l’embrigadement des plus jeunes par le renforcement de l’encadrement des mineurs, que ce soit dans les écoles ou dans les associations. Tous les leviers doivent être activés, mais dans le respect strict des libertés fondamentales, sans sacrifier le droit, sans créer des zones d’ombre judiciaires et sans glisser vers une société de surveillance généralisée.
En guise de conclusion, je dirai que notre pays et ce débat ont besoin d’apaisement et que je ne suis pas inquiète quant à un éventuel entrisme de l’idéologie islamiste ou terroriste au sein du mouvement que j’ai l’honneur de présider depuis 2022. Ce qui m’inquiète, ce sont les amalgames qui blessent, les vécus que l’on nie et une menace réelle qui peut, dans certains cas, être instrumentalisée pour fragiliser des individus, des organisations et, au bout du compte, nos libertés collectives.
On parle ici d’une menace d’entrisme dont les contours sont particulièrement flous et que l’on peine à véritablement caractériser. Je suis très vigilante quant à l’usage d’une catégorie si extensible qu’elle peut servir à disqualifier tout citoyen musulman engagé dans la vie démocratique française, un parti ou une association, voire toute personne musulmane ou identifiée comme telle au sein de l’espace public. Car si la menace d’entrisme reste floue, les mesures envisagées pour la combattre sont, elles, très concrètes : davantage de moyens pour les services de renseignement, de nouvelles possibilités d’incrimination pénale, une plus grande faculté à dissoudre des structures et à tarir leurs sources de financement.
C’est cela qui me préoccupe profondément et c’est sur l’ensemble de ces éléments que j’espère pouvoir échanger avec vous dans un esprit de sérieux, de rigueur et de responsabilité.
M. le président Xavier Breton. Puisque vous avez mis en doute l’honnêteté des travaux de notre commission, je rappelle que la question de la compatibilité entre l’islam et les valeurs républicaines fait référence à une étude réalisée par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), laquelle a mis en évidence, sur ce point, un clivage entre les sympathisants de gauche et les sympathisants de droite.
Mme Marine Tondelier. Vous vous rendez compte des questions posées dans les sondages en France !
M. le président Xavier Breton. Les instituts de sondage jouissent encore d’une liberté qu’il convient de préserver au maximum.
J’ai effectivement évoqué dans mon propos liminaire « un contexte marqué par l’extrême sensibilité de la population musulmane ». Il s’agit d’une citation tirée du rapport du ministère de l’intérieur, et non d’une pensée qui serait venue spontanément aux membres de la commission d’enquête.
Par ailleurs, nous n’auditionnons pas de représentant de tous les partis car nos délais sont contraints, mais nous n’avions aucun a priori sur les personnes à recevoir. Il se trouve simplement qu’au cours des auditions, La France insoumise a été la plus souvent citée, mais que votre parti l’a été également, surtout à l’échelle locale.
Je ne suis pas certain que l’emploi du terme d’islamophobie, que vous utilisez alors que tous les services de renseignement et de l’État le rejettent, soit un gage de clarification. Si voir un islamiste en puissance derrière tout musulman est un amalgame, faire accroire que l’on fait référence à tous les musulmans dès que l’on parle d’islamisme en est un autre. Il est possible de distinguer l’islam et l’islamisme. En cela, le terme d’islamophobie ajoute de la confusion.
J’ai bien noté qu’il n’y avait pas, à votre sens, d’entrisme dans votre parti. Dont acte. Considérez-vous néanmoins qu’il existe un risque d’entrisme islamiste dans notre société ?
Mme Marine Tondelier. Que l’expression malheureuse « d’extrême sensibilité de la population musulmane » soit tirée d’un rapport ne change rien au fait qu’il faut être très prudent quand on parle de plusieurs millions de nos concitoyens, qui forment une population diverse, plurielle et n’ayant pas vocation à être ainsi caractérisée globalement. Une commission d’enquête, comme un rapport ministériel, est sujette à un devoir d’exactitude et de neutralité. Cela commence par la manière dont on désigne celles et ceux dont on parle.
Pour ce qui est de l’islamophobie, je me réfère à une note thématique produite, au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, par Sabrina Sebaihi, du groupe Écologiste et social, Ludovic Mendes, du groupe Ensemble pour la République, et Marietta Karamanli, du groupe Socialistes. D’après ce document transpartisan, l’islamophobie est bien un mot que l’on doit pouvoir utiliser : « Si un préjugé tenace en attribue la paternité aux mollahs iraniens qui, en 1979, auraient ainsi espéré discréditer leurs opposants, le terme date en réalité de 1910, comme l’a rappelé l’historien Nicolas Lebourg. […] Il est utilisé par les institutions internationales, par exemple par l’ONU ou le Conseil de l’Europe, ainsi que par les chercheurs en sciences sociales. Il est globalement admis, dans le langage courant, comme désignant non pas la critique, autorisée, d’une religion, mais la peur, la haine, l’hostilité ou la violence envers des institutions ou des individus en raison de leur appartenance réelle ou supposée à l’islam. » La commission d’enquête peut remettre ce mot en question – même si je ne pensais pas que tel était son objet –, mais je revendique son utilisation ; manifestement, je ne suis pas la seule.
Vous avez évoqué le rapport du ministère de l’intérieur sur les Frères musulmans. Rappelons que ce document, présenté en Conseil de défense le 21 mai dernier après avoir été commandé par Gérald Darmanin il y a plus d’un an, devait être classifié. Bruno Retailleau a souhaité le rendre public. C’était son droit. Il en a aussi fait fuiter – ce qui me paraît plus discutable – des extraits dans Le Figaro dès le 8 mai. On voit bien là le lien qui peut se créer entre la volonté d’objectiver les faits et celle d’en faire un usage politique. Il me paraît délicat de traiter des sujets aussi sérieux de cette manière. Finalement, seule la partie consacrée aux services de sécurité n’a pas été publiée, ce que l’on peut comprendre.
Pour répondre à votre question sur l’existence d’un entrisme islamiste en France, que dit ce rapport ? La France compterait entre 400 et 1 000 Frères musulmans, soit 0,001 % de la population française, même si le nombre reste difficile à établir. Le budget de Musulmans de France, la branche française des Frères musulmans, s’élève à 500 000 euros annuels et a baissé de moitié en cinq ans. On recense 139 lieux de culte affiliés à Musulmans de France et 68 autres considérés comme proches de la mouvance frériste, soit seulement 7 % des mosquées, qui sont au nombre de 2 600 en tout. Environ 10 % des lieux de culte ouverts entre 2010 et 2020 y seraient affiliés, ce qui correspond à 91 000 fidèles – sachant qu’un fidèle peut fréquenter une mosquée sans adhérer à la mouvance, comme le précise le rapport lui-même –, soit 0,01 % des 7,5 millions de musulmans en France.
Par ailleurs, 4 200 élèves sur 12 millions seraient scolarisés dans un de leurs vingt et un établissements – 0,4 % des établissements. Enfin, 127 clubs sportifs sur 360 000, soit 0,04 % d’entre eux, seraient liés à la confrérie – ils rassembleraient plus de 65 000 adhérents. Sur la trentaine d’ONG considérées comme islamistes, seize sont dirigés par des « salafistes », un courant sunnite concurrent marqué par une lecture littéraliste et rigoriste des textes. Le rapport en identifie seulement quatre « relevant ou ayant relevé de la mouvance frériste ».
Le document pointe enfin « le danger d’un islamisme municipal, composite au plan idéologique mais très militant, avec des effets croissants dans l’espace public et le jeu politique local ». N’étant pas spécialiste de ces questions, j’ai préféré citer le rapport pour vous répondre.
Je crois au pluralisme et à une République qui respecte les croyances de chacun. Je ne veux pas d’une société de la suspicion permanente dans laquelle on demanderait aux musulmans de cacher les signes de leur foi, voire de disparaître de l’espace public. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il n’est même plus question des seuls Frères musulmans : tout ce qui est associé à la religion musulmane devient suspect. Une boucherie halal, frérisme ; une ado voilée sur un terrain de basket, frérisme ; une robe couvrante portée par l’influenceuse Léna Situations à Cannes, frérisme. Il me semble très compliqué de vivre ensemble dans ces conditions.
M. le président Xavier Breton. Contrairement au rapport du ministère de l’intérieur, les travaux de notre commission d’enquête portent sur l’islamisme, et non sur le frérisme : ils englobent aussi, par exemple, le salafisme et le wahhabisme.
Par ailleurs, si tout devenait réellement frérisme, les chiffres que vous avez rappelés et qui reflètent le mode d’implantation des Frères musulmans – c’est-à-dire l’infiltration et la diffusion à partir d’un noyau sélectionné – seraient beaucoup plus élevés.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Merci, madame Tondelier, d’avoir accepté aussi facilement cette audition ; j’y vois un signe de respect envers nos institutions.
Le rapport sur les Frères musulmans évoque l’implantation de réseaux islamistes dans certains territoires de la République. Ses auteurs considèrent que les élus sont en première ligne face à la montée de cette mouvance et affirment que « le danger d’un islamisme municipal, composite au plan idéologique mais très militant, avec des effets croissants dans l’espace public et le jeu politique local, apparaît bien réel ». Alors que des polémiques ont affecté plusieurs mairies dirigées par votre parti ces dernières années, que pensez-vous de ces affirmations ?
Quel regard portez-vous sur le cas du maire de Colombes, dont la mairie a été perquisitionnée par la police il y a quelques jours pour des soupçons de favoritisme envers des associations islamistes, après qu’il a choisi d’ignorer des alertes du préfet des Hauts-de-Seine ? Avez-vous échangé avec lui à ce sujet ?
Mme Marine Tondelier. Il me semble m’être exprimée longuement sur le rapport consacré aux Frères musulmans, mais, pour vous répondre clairement, il est évident que certains territoires sont davantage concernés que d’autres. Ce rapport ne m’apprend d’ailleurs rien ; il ne contient aucun scoop particulier. Le fameux entrisme massif serait incarné par 400 personnes. Suggère-t-on réellement que 400 individus suffiraient à islamiser la société française et à renverser la République ? Ce n’est pas crédible : notre République est, je l’espère, bien plus solide que cela. Je ne crois pas au mythe du grand complot musulman pour prendre le pouvoir.
En revanche, qu’il existe des territoires dans lesquels la situation est difficile, c’est certain. Seulement, si on voulait y remédier vraiment, peut-être faudrait-il commencer par faire en sorte que les services publics n’en disparaissent pas.
Pour ce qui est des mairies écologistes, j’imagine que vous faites référence à Strasbourg, qui, du fait de l’application du Concordat, constitue un cas un peu particulier. La ville avait effectivement fait l’objet d’une affaire dont le traitement m’avait paru totalement injuste.
En 2021, le conseil municipal de Strasbourg a voté une subvention de 2,5 millions d’euros en faveur de la construction de la mosquée Eyyûb Sultan dans le quartier de la Meinau. En vertu du Concordat en vigueur en Alsace, les cultes peuvent en effet obtenir des subventions publiques, notamment pour la construction d’un édifice religieux, à hauteur d’environ 10 % du coût total du chantier. Dans la nuit suivant le vote, Gérald Darmanin, alors ministre de l’intérieur, a dénoncé la décision par le tweet suivant : « La mairie verte de Strasbourg finance une mosquée soutenue par une fédération qui a refusé de signer la charte des principes de l’islam en France et qui défend un islam politique. Vivement que tout le monde ouvre les yeux et que la loi séparatisme soit bientôt votée et promulguée. » Vous ne m’empêcherez pas de penser que ce tweet avait une visée très politique, puisqu’il utilisait cet argument pour promouvoir son projet de loi.
Ce qui me choque énormément dans cette affaire, c’est que le ministre de l’intérieur ne s’est manifesté que le lendemain du vote pour interpeller, dénoncer et stigmatiser publiquement la maire de Strasbourg, alors que son devoir, s’il disposait d’éléments de nature à influer sur des décisions ou à justifier le retrait de subventions accordées par le conseil municipal, aurait été d’en informer les services ou la maire. Or celle-ci m’a assurée que ni le ministère ni la préfecture ne lui avaient jamais fait remonter une quelconque alerte sur l’association concernée. C’est ce qui m’amène à dire qu’on a parfois la sensation que certains ministres cherchent à piéger les élus locaux, à régler des comptes, à faire de la politique politicienne avec ces sujets, ce qui, pour un ministre de l’intérieur, me paraît particulièrement grave.
Finalement, pour information et comme l’avait annoncé la maire de Strasbourg à l’époque, « les porteurs du projet ont constaté le besoin de consolider leur plan de financement et ont donc retiré le 15 avril leur demande de subvention ». Voilà ce qu’il en est.
J’ai effectivement échangé avec le maire de Colombes à la suite de la récente parution d’articles dans la presse, comme je le fais systématiquement dans ce type de cas. D’après les notes que j’ai prises à cette occasion, il n’avait pas grand-chose à déclarer publiquement, et moi non plus, puisque l’affaire est en cours et que la commission d’enquête ne saurait se substituer à la justice. Il m’a néanmoins dit très clairement : « Soit ils trouveront quelque chose et on prendra nos dispositions – on se portera même partie civile –, soit ils ne trouvent rien et au moins les choses seront claires. Nous croyons à la justice dès l’instant où elle est rigoureuse. » Je m’associe pleinement à ces propos.
M. le président Xavier Breton. Vous évoquez un problème dans les relations entre les préfets et les maires, que plusieurs personnes auditionnées ont déjà soulevé. La commission formulera sûrement des propositions dans ce domaine pour améliorer la communication.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Dans une enquête sur l’entrisme islamiste au sein du parti Les Écologistes, publiée en août 2025, deux journalistes du magazine Le Point affirment que « soucieux de gagner des voix dans les classes populaires, le parti des écologistes s’est engagé dans une dérive communautariste ». L’article faisait état des dissensions que ce sujet provoquait au sein de votre parti. Vous avez transmis au magazine un droit de réponse à cet article : pouvez-vous nous faire part de vos appréciations ?
Mme Marine Tondelier. L’article relève plus du torchon que du travail de journaliste. Inadmissible, il a meurtri de nombreux adhérents de notre parti. Nos instances internes en ont longuement débattu, non pour déplorer notre action mais pour exprimer l’indignation des militants sur la façon dont le magazine parlait de certains d’entre nous, que nous connaissons depuis longtemps car ils ont adhéré à notre mouvement en 2002, sept ans avant que je ne prenne moi-même la carte de ce parti. Ces figures politiques très énergiques sont au-delà de tout soupçon : parmi elles figurent la maire de Strasbourg ou la présidente du groupe Les Écologistes au conseil de Paris. Meurtris et choqués, nous avons rédigé un très long droit de réponse, que Le Point a refusé de publier alors que certains passages de l’article relevaient du pénal : Ali Rahni, militant à Roubaix depuis 2002, a d’ailleurs porté plainte. Ce type de journalisme est inacceptable : je soutiens les droits des journalistes, mais eux doivent respecter leur déontologie professionnelle.
Dans notre droit de réponse, nous évoquions le passage de l’article selon lequel la présidente du groupe écologiste au conseil de Paris se serait opposée à la volonté d’Anne Hidalgo de donner le nom de Samuel Paty à un lieu de la capitale. Les journalistes écrivent que Fatoumata Koné aurait invoqué des raisons techniques. En effet, tous les écologistes soutenaient cette idée. La proposition a été soumise au vote du conseil de Paris en novembre 2020, pendant la crise du covid : les réunions reprenaient à distance et les scrutins se faisaient par voie électronique. Lors de celui-ci, le système de vote a connu un dysfonctionnement majeur. Tous les groupes du conseil ont été affectés : certains conseillers qui voulaient soutenir la proposition ont été comptabilisés comme opposants. Tous les écologistes avaient voté en faveur de la résolution, mais le relevé des votes était différent : un rectificatif a été ensuite effectué. Vous voyez à quel point il est malhonnête d’accuser notre présidente de groupe – qui s’appelle Fatoumata Koné, peut-être le traitement qu’elle a subi aurait-il été différent si elle avait un autre patronyme, comme le lui a d’ailleurs dit Rachida Dati – de s’être opposée à la proposition de la maire de Paris. L’article du magazine est profondément mensonger : si les journalistes avaient pris la peine de nous poser la question, nous aurions pu leur expliquer le problème et cela leur aurait évité d’écrire des âneries.
L’article ne repose sur aucune preuve, il n’avance aucun fait établi ni rien qui tienne devant une commission d’enquête et encore moins devant un tribunal. La dérive communautariste que les journalistes nous prêtent est une pure fabrication ; l’entrisme islamique est de la même eau. Soyons sérieux, si le moindre élément tangible existait, cette commission en aurait eu connaissance : ce n’est pas le cas car il n’y a rien. D’ailleurs, pour adhérer à notre parti, il faut signer la charte des Verts mondiaux, laquelle proclame, entre autres, la reconnaissance et le respect des minorités sexuelles, l’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les sphères de la vie sociale, économique, politique et culturelle : je doute que les islamistes se reconnaissent dans de tels principes.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le département du Nord a fait l’objet de nombreuses alertes sur la proximité de personnalités avec des mouvements islamistes. À Roubaix, M. Ali Rahni, présenté comme proche de Tariq Ramadan et de l’imam Hassan Iquioussen, a été investi par Europe Écologie Les Verts pour les élections cantonales de 2021, après, semble-t-il, avoir été jugé trop ambigu sur la laïcité par le groupe local de La France insoumise. Aviez-vous eu connaissance de ce cas, même si vous n’étiez pas encore dirigeante du parti ? Qu’en pensez-vous ?
Le parti Les Écologistes a-t-il constaté des cas d’entrisme en son sein ? A-t-il déployé des mécanismes pour les prévenir ?
Mme Marine Tondelier. Tout cela est assez stupéfiant. Je connais Ali Rahni depuis 2009, il me semble qu’il est l’un des premiers militants que j’ai rencontrés en adhérant chez les Verts. Quelques mois après mon arrivée dans le parti, le maire de gauche de Hénin-Beaumont a été mis en prison, condamné pour dix-huit chefs d’inculpation. L’élection partielle qui s’en est suivie à l’été 2009 pouvait consacrer l’extrême droite – Steeve Briois ou Marine Le Pen. Effrayé par cette perspective, le groupe de militants de Roubaix s’est mobilisé : c’est dans ce cadre que j’ai rencontré Ali, que je croise constamment depuis cette période dans ma vie de militante. Je n’ai jamais eu de problème avec lui. Il a fait l’objet de nombreuses diffamations, notamment dans l’article du Point pour lequel il a porté plainte. Je vous rappelle que tous les procès ont été gagnés par le lycée Averroès dans le Nord et par Pastel FM – radio sur laquelle Ali intervient parfois. On ne peut pas procéder par insinuation : soit il y a des faits que la justice condamnera, soit il n’y en a pas et il faut laisser les gens tranquilles.
On parle d’entrisme puis de séparatisme, bientôt on parlera d’« entre-deuxtrisme » pour stigmatiser ceux qui n’entrent dans aucune des deux catégories : j’ai du mal à percevoir la cohérence entre toutes ces accusations. J’imagine que les soupçons d’entrisme de La France insoumise contre Ali Rahni seront portés au crédit de ce mouvement lorsqu’il sera auditionné.
M. le président Xavier Breton. Le gouvernement et les services de renseignement distinguent trois phases : d’abord, les attentats terroristes commis par des djihadistes, puis le séparatisme, qui a donné lieu à la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, destinée à traiter le problème de ceux qui souhaitent se mettre en dehors de la société et de la République, enfin, actuellement, l’entrisme, qui consiste à infiltrer les structures sociales et économiques pour islamiser la société. Ce schéma ne fait pas consensus dans l’ensemble du champ politique, mais il réunit l’ensemble des services de l’État travaillant dans ce domaine.
Mme Marine Tondelier. Ali Rahni est adhérent depuis 2002, me semble-t-il. Si vous parlez de l’entrisme comme d’un fait nouveau, son idée aurait été des plus préméditées. J’ai parfois eu des désaccords politiques avec lui, comme dans tout mouvement politique sain où la démocratie existe. La politique locale est parfois très complexe : lors des élections départementales de 2021, nous étions en concurrence avec La France insoumise presque dans tout le département du Nord ; cela peut expliquer les accusations que vous avez relevées car tous les coups sont souvent permis, surtout les coups bas.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. En octobre 2023, au lendemain d’un rassemblement au cours duquel des manifestants avaient scandé « Allahu akbar », vous avez déclaré : « Je rêve d’un monde où je pourrai manifester pour le peuple palestinien, le peuple israélien et pour la paix sans être amalgamée à des gens qui crient “Allahu akbar” place de la République […], ce qui est débile et choquant. » Après que les jeunes écologistes ont publiquement critiqué votre position, vous avez dit la regretter et avez présenté vos excuses. Pourquoi êtes-vous revenue sur vos propos ?
Quel regard portez-vous sur les élus qui s’affichent aux côtés d’individus comme Elias d’Imzalène, de Perspectives musulmanes, condamné pour apologie du terrorisme ou Omar Alsoumi d’Urgence Palestine ? Ces élus ne vous semblent-ils pas cautionner des dérives et contribuer à amalgamer la défense d’une juste cause à celle de l’islamisme ?
Mme Marine Tondelier. Nous remplissons pour l’instant le bingo des questions que j’avais prévues.
Les jeunes écologistes ont eu raison de prendre position publiquement contre moi. Sabrina Sebaihi, ici présente, fut d’ailleurs la première à m’avoir dit, en sortant de l’émission, que j’avais eu tort : elle était très fâchée et nous en avons beaucoup discuté. Je ne me suis pas excusée à la suite de pressions internes, je me suis excusée parce que j’avais tort, parce que j’avais dit une connerie. Je suis devenue secrétaire nationale des écologistes en décembre 2022 ; à cette époque, nous étions quatre salariés à travailler quatre-vingt-dix heures par semaine, car certains permanents sont aux 32 heures et sont absents le lundi ou le vendredi, pour changer les statuts, le nom et le logo du parti. Nous n’avons fait que cela pendant plusieurs mois pour avancer à marche forcée. Une convention de lancement était prévue le 13 octobre 2023 pour entériner les changements après le vote des militants. Quelques jours plus tôt, il y a eu le 7 octobre et la veille, l’attentat terroriste qui a coûté la vie à Dominique Bernard, à Arras, dans le Pas-de-Calais, département dont je suis originaire. La grande fête de l’écologie que nous avions préparée pendant des mois a ainsi pris un tour particulier. Le climat était lourd et pesant. Au lieu du recueillement, que je privilégie, un mouvement collectif d’invectives s’est déclenché dans le pays : j’aime me pencher en profondeur sur les sujets, sur le fondement de mes valeurs, qui sont solidement assises, et je n’apprécie pas d’avoir à commenter les phrases des uns et des autres.
Nous avions prévu de nombreuses interventions devant la presse pour parler du nouveau mouvement : je me suis ainsi retrouvée tous les jours dans les médias, dans de longues émissions comme « C à vous » ou celle de Gilles Bornstein sur France Info. Au lieu d’évoquer l’évolution de mon parti, je n’étais interrogée que sur le conflit israélo-palestinien : nous avons immédiatement qualifié les attaques du 7 Octobre de terroristes et nous avons fait part de notre inquiétude quant à l’incursion terrestre annoncée de l’armée israélienne à Gaza, position que Gilles Bornstein a qualifiée d’antisémite en l’assimilant à celle de La France insoumise alors que c’était celle des Nations unies. J’en voulais beaucoup à certains qui avaient envenimé le débat public, devenu déplorable : on ne parlait plus des victimes des attentats ni des Palestiniens qui craignaient pour leur vie, avec raison comme la suite l’a montré. Cette émission sur France Info n’était qu’une succession de questions sur des tweets ou des commentaires. J’avais demandé à la reporter car je n’avais pas dormi depuis de nombreux jours et je n’étais pas en état de la faire. Dans les derniers instants, Gilles Bornstein m’a montré une image de manifestation, sans le son, et m’a dit que des gens avaient crié « Allahu akbar » lors de ce rassemblement. Il m’a demandé ce que j’en pensais : j’ai parlé pendant cinq minutes et j’ai dit que je rêvais d’un monde dans lequel on puisse manifester pour des causes justes sans être toujours ramené à des polémiques.
C’est la raison pour laquelle je me suis rendue à la manifestation contre l’antisémitisme, organisée par Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher. Je me suis disputée avec plusieurs militants de gauche sur cette question ; il est vrai que la formulation de certains mots d’ordre ne me plaisait pas et que Marine Le Pen était présente. En tant que secrétaire nationale, j’avais défendu l’idée selon laquelle l’antisémitisme était un sujet trop grave pour tergiverser, ergoter et trouver des prétextes pour ne pas y aller. J’avais dit qu’il serait bien que de grandes marches puissent également se dérouler en faveur du droit international, du droit humanitaire à Gaza et des droits élémentaires des Palestiniens, comme à Amsterdam, New York ou Londres : il n’y en a eu aucune en France. Nous avons participé à la marche contre l’antisémitisme avec nos propres mots d’ordre, car c’est là qu’était notre place. J’aurais aimé que d’autres partis politiques en fassent autant. J’ai expliqué cette position à la fin de l’émission, mais le journaliste ne cessait de m’interroger sur les cris « Allahu akbar » ; acculée, j’ai fini par dire que c’était débile. Je l’ai dit pour qu’il cesse ses questions, mais ce n’était pas la bonne réponse. Tous mes amis, dont Sabrina Sebaihi, m’ont envoyé des messages pour me dire que l’interview était très bien mais que j’avais craqué à la fin en donnant une très mauvaise réponse. Les personnes qui me veulent du bien, surtout à gauche, rendent cette partie de l’entretien virale. Comme tous les responsables politiques, cela m’arrive de faire des erreurs, mais je suis l’une des seules à les reconnaître et à m’excuser car je déteste provoquer de la haine, de l’humiliation, du chagrin ou de la honte. Je n’étais pas fière de ma réponse dont je suis toujours mortifiée.
Je ne suis pas de confession musulmane et je connais mal ce culte. « Allahu akbar » n’a pas été crié tout au long de la manifestation, mais certains ont ponctué une minute de silence de ce cri comme cela se fait traditionnellement. Je comprends que cela ait pu choquer certaines personnes, mais les manifestants concernés n’ont rien fait de mal.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous avez invité le rappeur Médine aux journées d’été de votre parti en septembre 2023. Celui-ci s’était illustré, dans son œuvre, par l’utilisation d’une sémantique islamiste et par des attitudes polémiques. Dans sa chanson Don’t laïk, il dit « Crucifions les laïcards comme à Golgotha » ou « Je mets des fatwas sur la tête des cons ». On l’a également vu sur plusieurs photos postées sur des comptes militants : sur l’une d’entre elles, il porte un t-shirt sur lequel est écrit « Djihad ». Enfin, il s’est laissé aller dans un tweet à un jeu de mots au sous-entendu antisémite contre la juriste Rachel Kahn : il avait écrit « ResKAHNpée ». Vous avez confirmé son invitation quinze jours après cette publication. Les journées d’été constituent un événement politique et non culturel : quel message politique envoyez-vous à vos militants et sympathisants en mettant en avant un tel artiste ?
Mme Marine Tondelier. Je ne suis ni l’avocate ni la porte-parole de Médine, dont je n’avais jamais écouté la musique avant de l’inviter aux journées d’été. Je l’ai écouté depuis et je vous mets au défi de faire l’exégèse mot à mot des textes de la grande majorité des rappeurs : nous ne sommes pas là pour avoir une discussion culturelle mais vous savez très bien pourquoi je dis cela.
Nous cherchions des artistes de la région du Havre, où se tenaient les journées d’été cette année-là. La personne responsable de l’organisation de l’événement a proposé deux personnalités locales à la nouvelle équipe qui venait de s’installer à la tête du parti : elle les a présentées comme les emblèmes de la ville aux yeux des habitants tout en soulignant que nous n’étions pas d’accord avec leurs positions. La première était Édouard Philippe : nous souhaitions l’inviter pour débattre avec lui et parler de terminal méthanier et de nucléaire. La seconde était le rappeur Médine, très aimé au Havre. Quelques jours après ces journées d’été, Emmanuel Macron a organisé les journées de Saint-Denis où il avait invité tous les chefs de parti : après des semaines et des semaines de polémique – alors que l’on entend tous les jours dans le débat politique des propos très choquants qui sont oubliés en deux heures et pour lesquels personne ne présente jamais d’excuse –, Édouard Philippe m’interroge alors pour savoir si j’ai trouvé Médine très sympathique et me dit qu’il l’a reçu plusieurs fois à la mairie et que celui-ci l’aide dans de nombreux projets. Quand je lui ai demandé pourquoi il n’était pas intervenu dans le débat et il m’a répondu qu’il n’avait pas à se mêler de nos affaires. Voilà l’hypocrisie qui règne autour de ces sujets.
Dans son tweet, Médine a réagi – avec les codes des réseaux sociaux dont il faudrait parfois s’éloigner – à un propos de Rachel Kahn en écrivant « ResKAHNpée », ce qui est inadmissible. Je l’ai appelé pour l’interroger : il m’a dit que la « famille » faisait souvent des jeux de mots avec « Kahn » – « Kahnapé », « Mexikahn food », etc. – et que ce mot avait plusieurs sens. Je lui ai répondu qu’il y en avait un qui emportait tous les autres et qui était inacceptable dans un contexte où il était invité à un événement politique. Il s’est excusé, ce qui est rare pour un rappeur et lui a valu de nombreux reproches. En 2015, il a été accusé d’avoir tenu des propos homophobes : il m’a expliqué avoir grandi avec des codes qui ne l’avaient pas déconstruit, qu’il avait dû le faire tout seul et qu’il devait emprunter le même chemin pour l’antisémitisme. J’en ai discuté à l’époque avec la première ministre, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) et la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra). J’ai dit à des grands responsables associatifs du pays, très engagés dans la lutte contre l’antisémitisme, que celui-ci était partout et qu’il était difficile à combattre.
Tous les candidats des écologistes aux municipales ont suivi une formation de lutte contre l’antisémitisme : il faut former tout le monde, tout le temps car le racisme, quelles que soient ses formes, est très diffus dans la société. Nous rédigeons des tribunes et des tracts, nous organisons des colloques, mais ces actions ne touchent pas toute la société. Comme Médine semblait vouloir s’amender, j’ai voulu parler de ce sujet avec lui en public, lors de ces journées, afin de susciter l’intérêt de personnes qui ne nous suivent pas. L’organisation de cette discussion a provoqué un débat dans mon mouvement, mais j’ai assumé cette décision, ce qui n’a pas été simple.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Il y a quelques jours, la candidate de votre parti à la mairie de Saint-Ouen, Sabrina Decanton, a dû renoncer à se présenter après qu’on lui a expliqué que son homosexualité serait mal acceptée dans certains quartiers populaires de la ville. Ces pressions relèvent-elles de l’influence de normes sociales conservatrices liées à des courants islamistes présents dans ces territoires ? Comment expliquez-vous que votre parti, qui affiche son engagement en faveur des minorités, notamment sexuelles, n’ait pas été en mesure de protéger sa candidate face à ces pressions qui heurtent totalement les valeurs de la République que nous entendons tous défendre ?
Mme Marine Tondelier. Ma réaction publique a été immédiate et sans appel : elle m’a causé d’ailleurs quelques réactions houleuses, mais je ne regrette rien. Une procédure interne est en cours : comme toujours, nous respectons le principe du contradictoire, mais je n’ai pas de raison de douter de la version de Sabrina Decanton. Elle l’a exposée dans une vidéo de huit minutes dans laquelle elle explique que, lors d’une réunion sur Zoom avec cinq ou six personnes de sa campagne, elle a tenté de se déconnecter pour rejoindre une autre réunion mais qu’elle s’est trompée et s’est reconnectée à la même réunion : elle a entendu alors les membres de son équipe parler d’elle en pensant qu’elle n’entendait pas. Dans sa vidéo, elle annonce qu’elle renonce à se présenter aux municipales.
J’ai tenté de la réconforter au téléphone et lui ai indiqué que si elle nous avait alertés avant d’envoyer la vidéo, nous aurions pu tenter de régler le problème, même si la confiance était rompue avec les membres de l’équipe. Elle m’a dit qu’elle avait agi ainsi à dessein par crainte que nous la convainquions de maintenir sa candidature alors qu’elle ne voulait plus travailler avec ces personnes. Le secrétariat exécutif du mouvement – composé de la secrétaire nationale, des secrétaires nationaux adjoints, de la trésorière et de la porte-parole – s’est réuni quelques jours plus tard pour examiner le document que nous avons demandé à Sabrina Decanton de rédiger pour consigner les faits. Le secrétariat exécutif a immédiatement déclenché une procédure disciplinaire interne. Cette décision a été rendue publique quatre à cinq jours plus tard : les reproches d’absence de protection de Sabrina Decanton sont donc infondés, car nous avions déjà lancé la procédure. Elle a publiquement fait état de l’affaire car le maire de Saint‑Ouen, Karim Bouamrane, était en train de la déposséder de son récit pour accuser La France insoumise. Une fois l’affaire connue de tous, j’ai immédiatement posté un tweet.
La fachosphère s’est emparée des propos de Sabrina Decanton, au grand désarroi de celle-ci. Elle a d’ailleurs publié un communiqué indiquant son refus de voir stigmatisés les quartiers où elle avait grandi, dans une famille plurielle. Dans une conversation que nous avons eue toutes les deux, elle m’a raconté que c’était la partie fortunée de sa famille qui avait le moins bien compris son homosexualité : pour reprendre ses mots, qu’elle m’a autorisé à rapporter, il n’y a pas plus d’homophobie à Saint-Ouen qu’à Versailles.
M. le président Xavier Breton. Réfléchissez-vous aux moyens d’éviter que cette expérience ne se reproduise au sein de votre formation ?
Mme Marine Tondelier. Il y a évidemment des enseignements à tirer de cette affaire, mais cela vaut pour tous les partis. En effet, des femmes jeunes, parfois racisées, appartenant parfois à des minorités sexuelles, sont confrontées très fréquemment à ce type d’épreuve. Le plus souvent, elles partent en silence, sur la pointe des pieds. Sabrina Decanton a eu le courage de dénoncer publiquement cette délégitimation, donc l’éclairage médiatique se porte sur elle, mais elle n’est malheureusement ni la première ni la dernière à être ainsi contestée.
Nous devons tous agir pour que de telles situations ne se reproduisent plus ou le moins possible. Dans notre parti, nous avons créé l’académie verte, qui assure des formations, comme celle sur la lutte contre l’antisémitisme. Certains cycles de formation sont ouverts à tous les adhérents. Les nouveaux venus reçoivent également des documents expliquant nos valeurs. Un parcours de formation, arrêté il y a quelques semaines, est en cours de déploiement pour les cadres du mouvement, car l’animation d’un groupe local, par exemple, emporte plus de responsabilité que la simple détention d’une carte d’adhérent. Enfin, des formations plus spécifiques sont dispensées aux élus et aux nouveaux membres des instances internes. La première formation du nouveau cycle portait sur les violences sexistes et sexuelles (VSS). Dans les régions, nous avons formé des adhérents à former leurs camarades. Il s’agit d’un travail de longue haleine. Je ne suis pas satisfaite de la situation actuelle car je suis très exigeante, mais je ne pense pas que nous faisons moins ou plus mal que les autres.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Notre assemblée a récemment été marquée par une polémique liée à la présence de fillettes voilées dans les tribunes de l’hémicycle. Interrogée à ce sujet, notamment par la presse, vous avez qualifié les critiques d’« islamophobes » et vous avez évoqué le port du voile non pas par les fillettes mais par les mères accompagnatrices de sorties scolaires.
Vous défendez le port du voile comme un choix individuel, y compris pour des mineures. Dans le même temps, votre parti soutient les femmes qui, ailleurs dans le monde, se battent contre le voile lorsqu’il leur est imposé par des régimes islamistes. Pouvez-vous expliquer clairement comment vous conciliez ces deux positions ? Comment, en France, distinguez-vous, d’une part, la liberté de choisir de porter le voile, d’autre part, l’influence de normes religieuses ou communautaires contraignantes quand il s’agit d’une fillette ? Quelles garanties votre parti met en avant pour éviter que la défense du choix individuel ne contribue en réalité à renforcer des pressions ou des mécanismes d’emprise contraires à l’émancipation des femmes que vous dites défendre ?
Mme Marine Tondelier. Je ne vois pas de contradiction dans notre position. Il faut que les femmes puissent faire ce qu’elles veulent : nulle part dans le monde le voile ne doit leur être imposé mais quand elles choisissent de le porter, de manière consciente et parce que c’est leur pratique religieuse, elles doivent pouvoir le faire sans être stigmatisée et discriminée. Rappelons qu’une femme qui porte le voile à 80 % de chances en moins de voir sa candidature retenue pour une alternance, par exemple. C’est un sujet dont on doit s’occuper car c’est un droit dans notre pays. La laïcité impose à l’État d’être neutre mais les Français ont le droit de porter dans l’espace public des signes religieux visibles.
J’aimerais revenir sur l’enquête Ifop récemment publiée car il me paraît important de remettre en perspective les chiffres qui en sont issus. Elle repose sur des données solides compte tenu de l’importance des échantillons : il s’est agi de demander à 14 000 personnes quelle était leur religion afin de retenir un échantillon de 1 000 personnes s’étant déclarées musulmanes. Les chiffres montrent que parmi les personnes interrogées, seules 149 portent le voile. L’Ifop souligne lui-même qu’une base de 150 effectifs paraît un « seuil minimal mais acceptable pour analyser ces données ». Pour parvenir à ce total – je m’appuie sur un article de Mediapart consacré à cette enquête –, l’institut a choisi d’inclure les 33 femmes ayant dit ne porter que rarement le voile et les 24 indiquant l’enlever au travail ou sur leur lieu d’étude, sinon le nombre de « Françaises musulmanes qui se voilent » serait tombé à 91. Le rapport précise d’ailleurs qu’« en raison de la faiblesse des effectifs, les résultats détaillés de cette question doivent être interprétés avec prudence ». Tout cela n’a pas empêché Le Figaro d’en tirer un article à part, accompagnant une interview de François Kraus, de l’lfop, et Europe 1 d’affirmer qu’« une jeune musulmane sur deux aujourd’hui est voilée ». Or sur ces 149 femmes déclarant porter le voile, seulement 2 % disent le faire « sous pression des proches » tandis que 42 % invoquent comme raison « se sentir en sécurité » – je reprends les catégories du sondage – et 15 % « ne pas être perçue comme une femme impudique ou indécente ».
La conclusion qu’en tire l’Ifop me laisse pantoise : « proportion totale de femmes musulmanes voilées pour faire face aux risques ou pressions pesant sur les femmes : 59 % », résume-t-il. Vincent Tiberj commente : « Sur le voile, ces additions donnent quand même des trucs très bizarres. On mélange pression des proches et sécurité. ». Contacté par Mediapart, l’Ifop a estimé qu’« il n’y avait pas de meilleurs termes pour désigner globalement ces femmes qui portent le voile pour des raisons de sécurité, pour ne pas apparaître impudiques au regard des autres, pour éviter le regard des hommes ou sous pression ». Peut-on réellement mettre dans la catégorie « pour faire face aux risques ou pressions » une femme qui ne souhaiterait pas porter le voile mais qui est contrainte de le faire par ses proches et une femme qui souhaite le porter par volonté de ne pas attirer le regard des hommes ?
Je vous accorde que 2 % de femmes qui portent le foulard sous la pression de leurs proches, c’est déjà trop, mais évitons les amalgames. Le voile est un sujet sérieux et il ne faut pas le traiter n’importe comment.
Les jeunes femmes qui portent le voile ont été instrumentalisées par l’extrême droite dans une énième polémique islamophobe, raciste et sexiste. Je regrette profondément la réponse de la présidente de l’Assemblée nationale qui s’est engouffrée dans une polémique montée de toutes pièces. Je le lui ai dit et le groupe écologiste lui a envoyé un courrier. C’est Marc Fesneau, qui n’est pas écologiste, qui n’est même pas de gauche, qui a invité ce groupe d’élèves. Plusieurs dizaines de personnes visitent l’Assemblée nationale chaque jour et certaines portent des signes religieux, dont le voile. Le règlement de l’Assemblée nationale ne fait nulle part mention de l’interdiction du port de ces signes lors des visites. Il indique simplement qu’il ne faut pas porter de couvre-chef, ce qui à l’époque de sa création faisait référence aux chapeaux haut-de-forme. La loi de 2004 a interdit le port du voile dans les écoles publiques mais les élèves d’établissements privés confessionnels ont le droit de se présenter avec des signes religieux. En l’occurrence, il s’agissait d’une école privée musulmane.
Je tiens d’abord et avant tout à assurer de mon soutien ces jeunes filles et leurs familles qui se sont retrouvées exposées à des polémiques médiatiques et politiques alors que nous devrions seulement nous réjouir de voir que nos institutions plaisent et intéressent. Vous parliez de séparatisme : voici des jeunes qui veulent voir comment fonctionnent nos institutions.
Il ne faut pas être dupes : l’extrême droite ne porte dans son cœur ni le féminisme, ni les libertés individuelles. Leur problème n’est pas que des jeunes filles portent le voile, leur problème, c’est la présence de personnes racisées, à plus forte raison musulmanes, dans des institutions qu’ils voudraient excluantes et exclusives. Des parlementaires du groupe Écologiste et social ont déjà fait remonter l’information selon laquelle certaines personnes racisées et/ ou musulmanes avaient annulé leur visite à l’Assemblée nationale de peur de se voir exclues ou stigmatisées, ce qui est grave. Cela dépasse ce que nous pouvons accepter pour notre démocratie et notre vivre ensemble. Voilà les conclusions que je tire de cette histoire.
Mme Caroline Yadan (EPR). Je vous remercie pour vos éclaircissements. Vous avez affirmé que les écologistes considéraient avec sérieux, honnêteté et méthode les sujets dont nous traitons. Pour ma part, je m’attacherai aux faits, rien qu’aux faits : ils posent question et j’aimerais revenir dessus avec vous. Comme vous l’avez souligné, il faut que chacun soit jugé non pas pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il fait. Je ne peux qu’approuver car c’est notre conception de l’universalisme auquel, en tant que républicains, nous sommes très attachés.
En 2022, Raymonde Poncet-Monge, sénatrice EELV, défile aux côtés du fiché S Elias d’Imzalène, proche de la mouvance frériste et appelant à l’intifada.
En 2021, à Strasbourg, EELV propose de subventionner à hauteur de 2,5 millions une mosquée gérée par Millî Görüş, organisation proche des Frères musulmans.
En Île-de-France, EELV refuse en 2017 de signer la charte de la laïcité. Votre prédécesseur soutient le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) et défend la non‑mixité sociale.
En mai 2025, l’adjointe EELV de la mairie du 20e arrondissement de Paris lance en plein conseil municipal : « le jour où on rassemblera les juifs au même endroit, nous avons peur qu’ils puissent faire l’impensable ». À Strasbourg, il y a quelques mois, la maire EELV Jeanne Barseghian, keffieh sur les épaules, a gelé un jumelage avec une ville israélienne – c’est son droit – devant une carte de la Palestine recouvrant toute la surface d’Israël, appel en filigrane à la destruction de cet État juif qui reprenait la propagande du Hamas et des islamistes.
En 2021, Abdelaziz Hafidi, exclu depuis, est candidat sur la liste EELV-LFI alors qu’il était l’un des proches Tariq Ramadan. À Grenoble, on sait qu’Éric Piolle milite ardemment pour le burkini.
En 2023, EELV a invité à son université d’été le rappeur Médine. Or, on pouvait déjà savoir qu’il était adepte de la quenelle antisémite de Dieudonné, qu’il soutenait Barakacity et le CCIF, dissous depuis par le ministère de l’intérieur pour propagande islamiste, et qu’il était proche de Kémi Seba, condamné pour incitation à la haine raciale.
En 2024, dans une manifestation, vous avez vous-même enlacé Salah Hamouri, qui est lié au FPLP (Front populaire de libération de la Palestine), mouvement reconnu comme terroriste par plusieurs pays de l’Union européenne, le Canada et les États-Unis, et condamné pour tentative d’assassinat du grand rabbin d’Israël.
Au regard de ces faits, dont j’aurais pu poursuivre la liste si j’avais davantage de temps, pouvez-vous me dire en toute honnêteté, en toute sincérité, si vous avez envisagé de créer une commission interne à votre parti pour promouvoir une plus grande vigilance, voire pour mener une réflexion approfondie face à ces dérives, qui meurtrissent nombre de nos compatriotes, attachés comme moi aux valeurs républicaines et à l’universalisme ?
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Je tiens à remercier notre secrétaire nationale d’avoir accepté de participer à cette commission d’enquête. Au moment de sa création, nous avions dénoncé le manque de pluralité politique de son bureau qui empêche de mener un travail éclairé, équilibré et objectif. Nous avons dressé une liste de demandes d’auditions, notamment de Marine Le Pen et de représentants d’autres partis d’extrême droite, demandes auxquelles nous a été opposé un refus pur et simple.
Avec cette commission d’enquête, nous aurions pu aborder le phénomène de l’entrisme sous toutes ses formes car il représente bel et bien un danger, mais au lieu de cela, et c’est regrettable, elle se focalise sur nos concitoyens musulmans, ces Français de confession musulmane contre lesquels est menée depuis maintenant des mois une véritable cabale. Au-delà des auditions de cette commission, je citerai les rapports du ministère de l’intérieur ou le rapport que vient de publier un groupe de sénateurs Les Républicains. Parmi les dix-sept recommandations qu’ils formulent, il y a l’interdiction du voile avant un certain âge au prétexte d’éviter les carences en vitamine D et la chute de cheveux. Ils concluent à l’existence d’un entrisme au sein du mouvement sportif du fait que les auteurs des attentats commis en France entre 2013 et 2015 appartenaient tous à un club sportif. Cette manière de tirer des généralités de faits isolés revient à s’attaquer à l’ensemble d’une communauté, ce que nous déplorons. Ce sont les extrémistes qu’il faut viser car il y va de la stabilité de notre République.
Il importe aussi de poser la question des ingérences étrangères qui ne se résument pas à la question de l’islam. Je trouve, par ailleurs, dommage de ne pas prendre la mesure du danger que constitue l’extrême droite alors que lui sont imputables plus de la moitié des tentatives d’attentats dans notre pays – je ne minimise pas là les menaces liées à la mouvance extrémiste islamiste.
Ma question ira à rebours des questions précédemment posées, dont certaines n’avaient aucun rapport avec l’entrisme : comment lutter contre l’islamophobie et empêcher que des outils à la disposition des parlementaires soient utilisés pour stigmatiser certains de nos compatriotes ?
M. le président Xavier Breton. La composition du bureau de cette commission a été déterminée il y a un moment déjà mais tous les groupes sont invités à y être représentés. Les propositions d’auditions formulées par chaque groupe ont été reprises en tout ou partie. Aucun groupe ne s’est vu refuser la totalité des auditions suggérées.
Le rapport sénatorial est issu du travail d’un seul groupe alors que notre commission d’enquête rassemble tous les groupes.
Comme vous le soulignez, il existe de multiples types d’entrisme : libre à votre groupe de créer une commission d’enquête pour explorer une autre forme que l’islamisme auquel nous avons choisi de consacrer nos travaux. Quant aux liens entre l’extrême droite et le terrorisme, c’est un autre sujet. Nous sommes bien dans le périmètre de notre commission quand nous nous penchons sur le djihadisme.
Mme Marine Tondelier. Madame Yadan, beaucoup de vos questions n’ont rien à voir avec l’entrisme et j’ai déjà répondu à certains d’entre elles. Votre commission a auditionné Éric Piolle et j’imagine qu’étant le premier concerné, il a pu vous apporter des réponses précises.
S’agissant des participants à nos manifestations, nous ne pouvons pas vérifier l’identité de chacun. C’est le rôle du ministre de l’intérieur qui, comme chacun le sait, n’est pas proche de nous.
Quant aux propos de l’élue municipale parisienne que vous avez cités, si vous sous‑entendez qu’ils constituent une forme d’entrisme islamiste, c’est très grave. Sachez qu’elle les regrette profondément et qu’elle a engagé un parcours de formation. Elle a signé avec un rabbin une tribune consacrée à la nécessaire formation des élus. Elle a déclaré que l’hormonothérapie qu’elle suivait provoquait des brouillards mentaux. Elle avait même un certificat médical pour l’exempter d’assister à ce conseil municipal mais elle a été rappelée car il n’y avait pas suffisamment de présents. Lors d’une précédente réunion du conseil, elle avait dû être ramenée chez elle par la voiture du maire après un malaise. Notre mouvement a immédiatement condamné ses propos et elle a fait l’objet d’une procédure disciplinaire au terme de laquelle une suspension de six mois a été prononcée.
Madame Sebaihi, je suis effectivement choquée que la loi, qui doit s’appliquer à tous les Français, soit utilisée pour discriminer une partie de la population. Bruno Retailleau, quand il était ministre de l’intérieur, a déclaré : « vive le sport, à bas le voile », ce qui est extrêmement grave. Rappelons que la laïcité implique que l’État soit neutre par rapport aux religions. Or certains considèrent que cela suppose de s’en prendre toujours à la même religion, l’islam, et en particulier aux femmes qui la pratiquent. Cela devrait poser à tous les démocrates un grand problème. Nous voyons bien que la question du port du voile dans le sport divise, y compris au sein du gouvernement.
Mme Constance Le Grip (EPR). En quoi consiste la formation à la lutte contre l’antisémitisme que votre mouvement dispense aux candidats, aux élus et aux parlementaires ? Quel organisme et quelles personnes s’en chargent ? Prend-elle en compte la définition opérationnelle de l’antisémitisme utilisée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’holocauste, qu’ont reconnue le Parlement européen, l’Assemblée nationale et le Sénat à travers des résolutions adoptées à une très large majorité et qui fait autorité dans de nombreux travaux menés par des organismes d’État ?
Êtes-vous favorable, comme certains maires EELV, au port du burkini dans les piscines municipales ou à l’aménagement de créneaux réservés aux femmes ?
Mme Prisca Thevenot (EPR). Interrogée au sujet du voilement des fillettes, vous avez évoqué l’islamophobie et la liberté de choix : j’espère que vous m’éclairerez sur ce décalage. Que les choses soient claires, personne ne remet en cause la liberté d’une femme adulte de disposer de son corps et donc de décider de sa tenue mais quand il s’agit de petites filles, on peut se demander s’il ne s’agit pas des premiers outils d’entrisme idéologique : normaliser dans l’espace public une vision rigoriste allant à l’encontre de la protection que nous devons garantir aux plus jeunes d’entre nous. La capacité à se déterminer pleinement n’est pas la même pour un enfant et pour un adulte, j’espère que vous en conviendrez. Ma question sera simple et sans détour : êtes-vous oui ou non pour le voilement des fillettes ?
Mme Marine Tondelier. La formation consacrée à l’antisémitisme est assurée par Alice Timsit, conseillère de Paris, et Jonas Cardoso, de Mulhouse, tous deux membres du collectif Golem, qui se sont battus pour mettre en place le groupe de travail contre l’antisémitisme au sein de notre parti, qui est le seul, à ma connaissance, à avoir créé une telle structure. Ils effectuent un travail remarquable et je les en remercie.
Cette formation comprend plusieurs sessions. Les premières ont été suivies par les membres du groupe Écologiste et Social à l’Assemblée nationale et les candidats aux municipales. Cette formation, je l’ai moi-même suivie pas plus tard qu’aujourd’hui, car il me paraît important que tous les membres de la direction en prennent connaissance. Nous ont été présentés des tweets ou des visuels pour démontrer leur caractère antisémite. Pour certains, cela paraît évident. D’autres reposent sur des codes que tout le monde ne maîtrise pas, ce qui expose les personnes juives à une double peine : elles pourront, dans certains cas, immédiatement saisir l’antisémitisme de telle représentation ou de tel propos alors qu’autour d’elles les gens ne s’en rendront pas compte. Cela les laisse seules face à leur souffrance, ce qui n’est pas admissible. Prenons l’expression de « dragons célestes » : elle vient de personnages d’un manga qui n’a rien d’antisémite mais qui a été détourné. Citons encore l’inscription « Mais qui ça ? » sur les pancartes brandies dans les manifestations pendant le covid : beaucoup de militants écolos ignoraient qu’il s’agissait d’un slogan antisémite. Cette formation est destinée, cela va de soi, à éviter tout propos antisémite au sein du mouvement mais aussi à donner la possibilité de déceler l’antisémitisme partout où il se manifeste, notamment dans les assemblées délibérantes, afin d’être en mesure de soutenir les personnes qui en sont victimes et qui sont parfois seules à reconnaître les formes qu’il prend.
J’en viens au burkini. Ce qui s’applique aux piscines, ce n’est pas le principe de laïcité, qui impose aux agents publics de ne pas porter au signe religieux, mais des règles d’hygiène. C’est en se référant à ces règles que certains établissements interdisent le port du burkini. Par ailleurs, certaines femmes se couvrent pour des raisons liées à leur santé ou à la pudeur. Vous évoquiez aussi, madame Le Grip, les piscines non mixtes. J’ai eu connaissance de polémiques au sujet d’une salle de sport de l’enseigne Basic-Fit qui prend des dimensions nauséabondes. Cette chaîne a dans beaucoup de villes des salles non mixtes : celles qui les fréquentent ne sont pas forcément des femmes de confession musulmane, ce sont plus généralement des femmes qui en ont marre de se faire emmerder tout le temps par les hommes. Se pose aussi la question de mettre en place des wagons non mixtes dans les transports en commun. J’ai déjà dit que cela ne me paraît pas résoudre grand-chose : l’agression n’arrive pas simplement dans le wagon, elle peut survenir sur le trajet entre son domicile et la station – j’ai été moi-même agressée alors que je m’apprêtais à prendre un taxi en sortant d’un transport en commun. Toutefois, si de tels wagons existaient, j’irai dedans car, comme plein de femmes, je n’en peux plus d’entendre en permanence des remarques. Ce ne sont pas les femmes qu’il faut stigmatiser, ce sont les hommes qu’il faut éduquer.
S’agissant du port du voile chez les fillettes, de deux choses l’une, soit c’est légal, soit c’est illégal. Si vous voulez l’interdire, faites-le. S’il est légal, je ne vois pourquoi on devrait stigmatiser des élèves qui ont eu le malheur de vouloir venir assister à un débat à l’Assemblée nationale. Pour préparer cette audition, j’ai consulté des spécialistes, dont certains ont été auditionnés par votre commission. Ils ont souligné qu’une telle pratique était très marginale dans le pays comme dans l’islam et qu’elle relevait souvent d’un mimétisme : les petites filles qui accompagnent leurs mamans pour la prière s’habillent comme elles mais elles ne portent pas forcément le voile toute la journée. Je ne suis pas une spécialiste de ce sujet. Vous êtes parlementaires : si vous voulez travailler précisément sur cette question, faites-le. Le groupe Écologiste et Social sera très content de participer à votre réflexion.
Les élèves dont nous parlons viennent d’un établissement confessionnel privé, c’est donc encore une autre histoire. Dans les Hauts-de-France, pendant des années, aucune action n’a été entreprise à l’encontre du lycée confessionnel privé de Riaumont qui fonctionnait très mal alors que le lycée Averroès de Lille a été l’objet de multiples décisions – la justice lui a d’ailleurs donné à chaque fois raison. Il y a clairement deux poids deux mesures selon que les établissements sont catholiques ou musulmans. Jean-René Lecerf, ancien sénateur du parti Les Républicains, et Pierre Mathiot, ancien directeur de Sciences Po Lille, se sont d’ailleurs insurgés contre ces manières de faire.
Sachez que je prends très au sérieux l’entrisme islamiste et le terrorisme et c’est parce que je les prends très au sérieux que je ne veux pas qu’on fasse n’importe quoi. Or, dans le débat politique, je suis souvent confrontée au n’importe quoi. Lors de la réunion entre les chefs de parti, la première ministre et le président de la République à Saint-Denis en septembre 2023, je m’étais étonnée qu’au bout de trois heures de débat sur les sujets internationaux personne n’ait évoqué le conflit israélo-palestinien. Nous venions de parler du djihadisme, nous accordant tous sur le fléau qu’il constituait, et j’avais souligné que le terme de terrorisme ne devait pas être utilisé n’importe comment, notamment comme une arme politique. On peut ne pas être d’accord avec nous et avec certaines de nos manifestations mais comment nous coller sur le dos, comme l’a fait le ministre de l’intérieur – toujours lui – cette cible qu’est le qualificatif d’écoterroristes ? Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler devant la commission d’enquête sur Sainte-Soline de votre assemblée, cela a eu des conséquences très violentes.
Un de nos camarades a été gardé à vue à tort trente-six heures sous la qualification d’écoterrorisme, après avoir été plaqué au sol à six heures du matin devant son gamin de cinq ans par des membres des forces de l’ordre qui ont ensuite perquisitionné son domicile. Pourquoi ? Parce qu’un faisceau de présomptions avait été rassemblé contre lui : sa plaque d’immatriculation avait été relevée alors qu’il participait à une manifestation dans la zone à patates de Pertuis, sur laquelle se mobilisaient des militants contre un projet d’extension d’une zone d’activités économiques que la justice a ensuite sanctionné ; il avait l’application Signal sur son téléphone, ce qui relève simplement d’une bonne pratique numérique, surtout de la part d’une personne comme lui qui travaille sur la défense des libertés numériques ; son téléphone n’avait pas borné pendant trois heures le jour où une cimenterie Lafarge avait été ciblée tout simplement parce qu’il s’était éteint alors qu’il participait à une fête de Noël avec sa famille. Il n’a pas compris ce qui lui arrivait jusqu’à ce qu’on lui présente une photo totalement pixélisée sur laquelle il était difficile de discerner quoi que ce soit, si ce n’est le fait que l’homme avait une casquette rouge mais pas de lunettes alors que, lui, en porte tout le temps. Finalement, on a fini par lui dire qu’il y avait eu une erreur et on lui a présenté des excuses.
Les moyens dédiés à la lutte contre le terrorisme ont été dévoyés et dispersés. Si nous voulons nous concentrer sur les personnes réellement dangereuses pour notre pays, il faut procéder autrement.
Je prends aussi le sujet de l’islamisme très au sérieux et je n’ai pas entendu grand monde me soutenir lorsque le maire de ma commune, lors du dernier conseil municipal, m’a qualifiée de « taliban hystérique » – c’est bien connu, il y a des talibans pourvus d’un utérus – tout simplement parce que j’avais posé une question sur le choix de la mairie de recourir pour une crèche municipale à People and Baby, dont les pratiques font l’objet d’un scandale au niveau national. Ce dévoiement des mots porte préjudice au débat public et au combat contre le djihadisme, le terrorisme et l’islamisme que tous ensemble nous voulons mener.
M. le président Xavier Breton. Nous nous retrouvons sur le sérieux avec lequel il faut examiner la question de l’islamisme. Je crois que nos échanges auront contribué à notre réflexion, même si nos réponses sont différentes. Je vous précise que vous pourrez apporter des compléments par écrit aux questions qui vous ont été posées. Nous vous remercions à nouveau de vous être rapidement mobilisée pour répondre aux questions de notre commission.
Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, M. Jean-Luc Mélenchon, que nous avions convoqué selon le même calendrier, nous a fait part de difficultés d’agenda. Nous en prenons acte et lui avons proposé de l’entendre samedi à 14 heures. Nous espérons qu’il jouera pleinement le jeu républicain en répondant aux questions qui lui seront posées par les commissaires.
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28. Audition, ouverte à la presse, de M. Jean-Luc Mélenchon (6 décembre 2025)
M. le président Xavier Breton. Monsieur Mélenchon, vous êtes fondateur du mouvement La France insoumise et coprésident de l’Institut La Boétie, think tank proche de ce mouvement. Je vous remercie sincèrement pour votre présence aujourd’hui.
Je voudrais commencer par clarifier quelques points qui me semblent importants.
Nous nous intéressons ici aux stratégies que des mouvements islamistes présents sur notre territoire peuvent mettre en œuvre pour influer sur les représentants politiques locaux ou nationaux et, in fine, sur nos politiques publiques.
Certains commissaires, notamment parmi les groupes de gauche, auraient souhaité que nous étendions notre champ d’investigation à d’autres formes d’entrisme. Toutefois, cela n’a jamais été l’objet de cette commission d’enquête, qui traite spécifiquement de l’islamisme politique et s’inscrit, en ce sens, dans la parfaite continuité du rapport sur cette idéologie publié par le ministère de l’intérieur en mai 2025.
À cet égard, nos travaux permettent de dresser plusieurs constats : les mouvements islamistes présents sur notre territoire représentent une menace bien réelle et désormais documentée par les services de renseignement ; ils souhaitent affaiblir certains de nos principes républicains, comme la laïcité, ou de nos valeurs, comme l’égalité entre les hommes et les femmes ou la liberté religieuse, et cet objectif les amène naturellement à s’intéresser aux représentants politiques et aux partis politiques.
Nos travaux ont permis de constater qu’au niveau local, tous les partis politiques peuvent être concernés, les élus ne disposant pas toujours de toute l’information nécessaire pour distinguer les intentions de leurs interlocuteurs, tandis qu’au niveau national, le risque se concentre sur quelques élus qui affichent une certaine proximité avec des individus pourtant proches des mouvements islamistes.
Autre précision sur le fond, qui me semble importante tant il est difficile d’aborder sereinement ce sujet : nous traitons bien ici d’islamisme politique, c’est-à-dire de personnes défendant une vision exacerbée de l’islam et cherchant à l’imposer d’abord aux communautés musulmanes présentes sur notre territoire, et plus généralement à toute notre société. Nous ne traitons donc ni de l’islam, ni des musulmans, ni de toutes les décisions qui sont prises – de manière légitime – par les élus de la nation pour répondre aux besoins exprimés par les membres de cette confession religieuse.
Nous condamnons sans équivoque les amalgames entre islam et islamisme, ainsi que toutes les violences qui peuvent être exercées à l’encontre de personnes au nom de leur religion supposée.
Nos travaux se concentrent donc sur un point très précis, évoqué sans être pleinement développé par le rapport du ministère de l’intérieur de mai dernier : les rapports entre les mouvements islamistes et les représentants de partis politiques.
S’agissant à présent de la méthode, et malgré tout ce qui a pu être dit, cette commission ne vise pas un parti en particulier. Nous ne sommes pas un tribunal et nos auditions se sont déroulées jusqu’à présent dans un climat serein. Nous essayons simplement d’analyser le plus fidèlement possible des phénomènes sur lesquels l’ensemble de la communauté du renseignement nous a alertés.
Nous avons ainsi auditionné des personnalités présentant des points de vue différents, proposées par différents commissaires. Par ailleurs, j’ai personnellement veillé à ce que tous les groupes soient invités à participer au bureau de la commission et qu’ils puissent s’y exprimer librement.
Enfin, s’agissant de votre venue devant nous, il se trouve que lors de nos auditions votre parti a été mentionné à plusieurs reprises comme pouvant constituer une cible pour les mouvements islamistes. Il nous a donc semblé important de vous recevoir et d’échanger avec vous.
Nous avons été alertés par tous les services de renseignement au sujet de l’importance de la menace que représente l’islamisme politique en France. Sont identifiés deux types de menace : une menace séparatiste, c’est-à-dire un repli communautaire de plus en plus marqué dans certains territoires ou certains quartiers, qui remet en question l’adhésion de leurs habitants à nos valeurs et principes républicains, et d’autre part une menace d’entrisme ou d’influence au sein des associations, des institutions ou des mouvements politiques pour faire changer les règles communes. Qu’en pensez-vous ?
Avez-vous le sentiment qu’au sein de votre parti, la différence entre islamisme et islam fait l’objet d’une information suffisante pour permettre aux élus de distinguer les demandes légitimes de nos concitoyens musulmans d’autres qui relèveraient davantage du séparatisme ou de l’entrisme ? Ces enjeux font-ils l’objet de discussions en interne ? Le parti sensibilise-t-il par des formations ses élus et militants à ce sujet ?
Enfin, un risque d’entrisme sur les listes municipales en vue des prochaines élections a été mentionné à plusieurs reprises au cours de nos auditions, notamment dans les communes situées au sein d’écosystèmes locaux déjà bien constitués. Comment prévenir ces phénomènes ? Est-ce pour votre parti un sujet de vigilance ?
Je vous invite, conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Jean-Luc Mélenchon prête serment.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, nous sommes vous et moi presque réconciliés, nonobstant la présence nocturne de ce policier venu me remettre une convocation. Je sais que vous n’y êtes pour rien, mais auparavant vous aviez commis une erreur : la convocation était arrivée au bureau du groupe La France insoumise – or je vous rappelle que le règlement nous interdit absolument de faire travailler les collaborateurs de groupe pour un parti politique, y compris pour des tâches de secrétariat. Je n’étais donc pas informé, je le fus soudainement, je vous en voulais beaucoup ; vous m’avez envoyé une lettre extrêmement aimable et je vous en donne acte.
Nous avions décidé de vous boycotter, et vous savez pourquoi. L’intitulé de la commission était d’abord insupportable. On y mettait en cause notre parti – non pas que cela nous aurait dérangés, nous sommes capables de faire face à toutes les adversités, mais il y avait tout de même un problème : comment, en France, une commission parlementaire interroge‑t‑elle un parti pour s’assurer de sa conformité aux lois de la République ? C’était inouï, et cela ne s’est pas fait, grâce à la sagesse de la commission des lois, qu’il faut en remercier.
Le bureau de votre commission a été ensuite constitué dans des conditions qui ne convenaient pas au groupe parlementaire, qui ne se sentait pas représenté et à qui on disait que les auditions qu’il demandait n’étaient pas possibles – vous venez de vous en expliquer. La décision de boycott a donc été prise. C’est celle du groupe et cela ne me regarde pas.
Je me suis donc demandé pourquoi vous m’invitiez, moi. Comme je ne voyais pas de raison à cela, j’ai mis cette volonté sur le compte de l’intérêt que vous avez pour mes capacités intellectuelles de coprésident de l’Institut La Boétie. J’ai écrit depuis trois décennies d’innombrables articles, éditos, livres et autres au sujet de la laïcité : je me sens donc capable d’éclairer vos réflexions sur des sujets en effet très délicats du point de vue des principes.
La France est une terre de vieille guerre de religion, et elle doit par conséquent plus que toute autre nation être prudente et se souvenir des leçons du passé. La guerre de religion, c’est sous l’Ancien Régime onze expulsions des Juifs de ce pays ; c’est l’invention par le supposé saint Louis, en réalité Louis IX, de la rouelle, des incendies de thoras et de l’expulsion des Juifs. Ce furent ensuite les guerres effroyables entre catholiques et protestants, pendant deux siècles et un quart à peu près.
Dès lors, la laïcité n’est pas le résultat d’un colloque savant, mais l’accomplissement d’une histoire où l’on a tout essayé pour s’en passer : le massacre mutuel ou l’expulsion – j’ai parlé des Juifs mais il faudrait aussi parler des plus de 200 000 protestants partis après la révocation de l’édit de Nantes enrichir, pour notre malheur, des pays qui nous ont ensuite mené des guerres implacables.
J’espère que c’est de cette façon que je dois comprendre le fait que vous m’appellerez dans un instant à répondre à vos questions.
Je ne peux néanmoins m’empêcher de vous taquiner et de vous demander pourquoi vous n’avez pas auditionné des personnes qui me semblaient d’un plus grand intérêt que moi, sur ce sujet que vous avez bien délimité : un fait, une menace, dont je reconnais évidemment l’existence – au milieu, certes, de bien d’autres. La France doit faire attention et agir avec intelligence ; j’y viens.
Vous avez auditionné les auteurs du rapport du ministère, M. Courtade et M. Gouyette. Ce dernier est un grand ambassadeur de France, qui a représenté notre patrie dans de nombreux pays du monde musulman et qui connaît bien son affaire : dès lors, j’attache beaucoup d’intérêt à ses propos comme à ce rapport, que j’ai lu et trouvé intéressant.
Mais je suis presque obligé de vous dire – ne le prenez pas mal – que vous êtes hors sujet : le rapport n’évoque pas spécialement les Frères musulmans. Le débat s’est concentré sur eux et, dans un instant, je vous demanderai pourquoi. En effet, des confréries, il y en a de toutes sortes dans l’islam : c’est propre à cette religion, qui n’est pas un système vertical comme l’est l’Église catholique, où un organe dit la vérité à laquelle il faut adhérer sous peine d’être excommunié. Dans l’islam, il y a toujours discussion sur tous les sujets ; les savants de l’islam sont ceux qui rendent compte des points de vue sur telle ou telle question.
Pardon de cette parenthèse, mais je me suis intéressé à la vie intellectuelle des religions, pour la raison qu’elles ont contribué à la formation de la culture nationale des Français : combien de temps et de discussions y a-t-il eu entre savants catholiques pour savoir si telle ou telle encyclique du pape était hérétique ! Je vous rappelle ainsi que Philippe Le Bel a demandé à la Sorbonne de se prononcer sur la question de savoir s’il avait le droit de percevoir un impôt, malgré le pape Boniface. Les savants étaient bien embarrassés d’avoir à obéir à la fois au roi et au pape. Je passe cet épisode, j’y reviendrai si vous voulez, il est tellement savoureux.
Mais enfin, des personnes qualifiées pour bien comprendre de quoi il s’agit, il y en a. Nous avons avant tout besoin de science et de compréhension de ceux que nous affrontons : quand nous affrontons des terroristes, notre intérêt est de les séparer du reste de la population, et de ne leur valoir aucune sympathie. Il faut comprendre que leur stratégie prévoit que nous nous emportions au point de tout confondre et d’assimiler la religion dont ils se réclament, à tort si l’on en croit les savants musulmans, et les actes qu’ils commettent. Que l’on s’entretue, que l’on se dispute entre Français, parce que celui-ci ou celui-là n’est pas de la bonne religion : voilà ce qu’ils espèrent ! Dans les guerres de Religion aussi, chacun imputait à l’autre une connivence avec l’étranger ; celle-ci existait d’ailleurs, puisque la Ligue était liée aux Espagnols et le parti protestant aux nouvelles principautés protestantes des innombrables Allemagnes qu’il y avait à l’époque – un délice. C’était cousu de fil blanc et cela a toujours été comme cela. Les violences de l’un servent à justifier les violences de l’autre, toujours. Les terroristes ne font rien d’autre ; et ils espèrent, je le redis, qu’en dénonçant leur activité, nous en arrivions à la confondre avec l’islam, et que nous finissions par nous affronter entre Français, musulmans ou non.
Il faut donc travailler avec vigilance à l’unité du peuple français. C’est notre tâche permanente et c’est pour cela qu’existe la loi de 1905 sur la laïcité ; c’est pour cela qu’il nous revient à tous, quel que soit le parti auquel nous appartenons, de la faire vivre dans son intelligence spécifique. La laïcité, redisons-le, ce n’est pas un athéisme d’État, ce n’est pas l’interdiction de ceci ou de cela ; la loi de 1905 est une loi de liberté. Et elle résulte de la bataille entre catholiques et protestants : l’autorité du roi était d’essence divine, mais de laquelle des deux religions procédait-elle ? Très vite, les rois s’aperçoivent qu’ils ne sortiront pas indemnes de cette histoire. Ils disent alors qu’ils sont les rois de tous leurs sujets. Il a fallu deux siècles et dix-neuf ans de cheminement. Le parti royaliste, lui, se fiche complètement de savoir qui Dieu a choisi et estime que la loi française, c’est la loi salique : l’aîné de la branche aînée est roi de France, peu importe d’où il sort. Mais patatras ! Bourbon de Navarre est protestant. Il a fallu surmonter cela. Puis viennent la Révolution, la Commune… Le problème auquel nous sommes confrontés est vieux et nous devons tenir compte des enseignements du passé et viser l’unité des Français.
Puisque vous faites la chasse aux extrémistes, pourquoi donc ne pas avoir consulté M. Lang, qui préside l’Institut du monde arabe et qui a une grande science et compréhension de ce qui se passe dans le monde islamique ? Pourquoi ne pas avoir consulté M. Bernard Cazeneuve, qui a vécu en première ligne l’attentat épouvantable du Bataclan, qui a si profondément meurtri notre patrie ? Tenez, et là pour le coup je vous taquine : pourquoi ne pas avoir consulté M. Wauquiez, qui a inventé cette commission ? Il s’y est tellement mal pris qu’il a fallu en changer le nom, et pour finir, il vous abandonne ! Il a peut-être des idées : c’est lui qui a inventé que nous serions responsables, nous, les Insoumis, de je ne sais quelle connivence. Où est-il passé ? Pourquoi ne vous supplie-t-il pas, monsieur le président, de vous expliquer ce qui l’a motivé à nous pourchasser comme il le fait ? Je passe sur M. Retailleau ou sur M. Hollande, qui comme président de la République a avoué publiquement qu’il avait pris des décisions extrêmement rudes à l’égard des ennemis de notre pays, si vous voulez bien vous souvenir de ce à quoi je fais allusion.
Si vous voulez interroger des gens qui ont des liens avec les terroristes, interrogez plutôt des membres du Rassemblement national. Je précise immédiatement que je n’accuse pas le Rassemblement national d’entretenir des liens avec le terrorisme ; mais deux de ses membres ont été pris la main dans le sac, l’un à vendre des armes, l’autre à aider le travail. Je n’en accuse pas le RN, je ne l’ai jamais fait ; je fais preuve de mesure. Mon domicile a été entièrement saccagé, et sur tous les murs, il y avait des slogans du Rassemblement national : je n’ai jamais accusé le Rassemblement national d’avoir décidé cette agression, car je ne crois pas que ce soit le cas. Voilà pourquoi je ne crois pas que le Rassemblement national soit un mouvement lié aux groupes terroristes. Cependant, les connexions existent, pour des raisons qui sont idéologiques, et il faut les comprendre.
De telles connexions n’existent pas pour nous, par définition, puisque nous sommes un mouvement qui postule que la similitude des êtres humains crée leur égalité en droit. Dès lors, nous combattons toujours tout ce qui s’apparente de près ou de loin à des distinctions qui reposent sur autre chose, c’est-à-dire que nous ne voulons pas qu’elles deviennent des règles politiques.
Me voici tout de même devant vous, et vous vous en étonnez peut-être, après ce que je viens de vous dire. C’est parce que votre commission a déjà produit les documents qui nous innocentent absolument. J’ai lu les comptes rendus : aucun des responsables de services de renseignement de notre pays que vous avez entendu ne dit qu’il existe un lien entre nous et les islamistes. Ils disent même le contraire. Aussi bien, s’agissant des Frères musulmans, M. Courtade ne pourrait pas être plus clair : « Au niveau français, je ne connais pas de stratégie constituée d’influence de la mouvance auprès des partis politiques. […] À l’heure actuelle, certains militants islamistes politiques – qui n’agissent pas nécessairement sur ordre – mènent au niveau local des stratégies d’influence, parfois d’obtention d’avantages, voire d’entrisme. Mais je répète que nous n’avons pas observé ni documenté ou étudié une stratégie d’influence au niveau national sur les partis politiques. » A fortiori, sur nous ! C’est votre compte rendu que j’ai lu, cela ne vient pas de nos investigations, car nous en menons aussi – et je vous en dirai un mot pour vous mettre en garde contre ce qui vous arrive.
C’est le moment pour moi de vous alerter. Quelque chose d’un peu bizarre se passe dans ce pays. Le député Insoumis Carlos Martens Bilongo est rapporteur de la commission des affaires étrangères sur la préparation de la COP28, activité parmi d’autres, traditionnelle chez les parlementaires. Le voilà qui s’y rend, elle se tient aux Émirats arabes unis. Son rapport mentionne que le responsable de la COP28 est également celui d’une compagnie pétrolière ; il s’en étonne, il ne l’accepte pas. Il rentre. Mais il s’est apparemment attiré une haine indépassable ; et voilà que se mettent en mouvement des services de renseignement qui noyautent l’administration française, et que celle-ci se met à pourchasser M. Bilongo pour une histoire assez confuse – je vous renvoie à lui. Il a ainsi été mis en cause par un service d’intelligence ennemi – ennemi parce que personne n’est autorisé, dans notre pays, à nous espionner ou à nous manipuler. J’ai le souvenir heureux de M. Charles Pasqua, à qui j’avais dit une fois « Charles, tu as expulsé quarante-sept diplomates », des Américains ; il m’avait répondu : « Pas du tout, j’ai expulsé quarante-sept espions. » Les Français n’ont jamais admis, y compris des puissances amies, qu’elles se mêlent de nos affaires.
Dans cette histoire, nous avons protesté. Que s’est-il passé ? Rien.
Là-dessus, voilà qu’un sondage est publié, qui donne lieu à toutes sortes de commentaires dans la presse, selon lesquels il serait manipulé. Qui l’a fait ? Vous avez reçu deux personnes. Il est important que vous sachiez qui vous a recommandé d’entendre ces deux personnes, car elles sont liées à un journal qui n’existe pas, mais qui est distribué gratuitement à l’Assemblée nationale, et qui est lié à un fonds lui-même lié aux Émirats arabes unis. Tout cela est expliqué dans les documents que je viens de vous transmettre : des articles du Monde, de Mediapart et d’Orient XXI. Je m’empresse de dire aux Émiriens qui m’écouteraient que je n’ai rien contre eux, que je n’ai pas d’affaire avec eux et que je n’en veux pas. Mais il n’empêche qu’ils ont manipulé et que ce journal, Écran de veille, se donne pour objectif de provoquer des débats publics. Ce sont eux qui, par compétition avec le Qatar, ont imaginé qu’il fallait mettre en cause les Frères musulmans pour mettre en cause le Qatar.
Sans doute y a-t-il des Frères musulmans en France : bien sûr, il y a de tout en France, sur tous les sujets. Pourquoi n’y aurait-il pas des Frères musulmans ? Le rapport dit qu’il y en a dans 8 mosquées, parmi les 2 600 de notre pays : donc il faut regarder, faire attention, mais rien d’autre ; il faut surtout éviter de se donner en spectacle pour ne pas donner de la visibilité ou de l’importance à des choses qui parfois n’en méritent pas – si on veut vraiment qu’elles n’en aient pas.
Voilà pourquoi je vous mets en garde, en tant que compatriote : attention, il y a une puissance extérieure à la France qui manipule et s’ingère dans toutes sortes de circonstances pour régler ses comptes avec le Qatar. Et c’est normal : dans ce que l’on appelle le monde musulman – personne ne m’en voudra d’appeler de cette façon ces deux pays, Qatar et Émirats arabes unis, qui figurent parmi les vingt-quatre pays ayant inscrit l’islam dans leur Constitution –, il y a des luttes d’influence. Ce que je n’accepte pas, c’est que la France soit le terrain de jeu de ces luttes d’influence et que, de manière tout à fait honnête, j’en suis persuadé, vous vous trouviez impliqué là-dedans, et finissiez par soutenir des manœuvres auxquelles aucun d’entre vous n’a jamais eu l’idée de participer si peu que ce soit, y compris à cet instant. Voilà pourquoi le groupe La France insoumise a déposé un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale.
Me permettez-vous de dire encore quelques mots, monsieur le président, ou bien voulez-vous passer tout de suite aux questions ?
M. le président Xavier Breton. Quelques mots très rapides, si vous voulez, afin que nous puissions avoir un échange.
M. Jean-Luc Mélenchon. Deux choses alors. Pour la première, je vais presque répéter ce que vous avez dit, monsieur le président. Nos compatriotes doivent savoir que vous, moi, M. le rapporteur, d’autres ici, qui ne sommes d’accord sur rien, sommes au moins d’accord sur un point : nous ne confondons pas l’islam et l’islamisme ; nous ne confondons pas non plus l’islamisme avec le terrorisme. Je le leur dis, me faisant le porte-parole de tout le monde ici. Au nom de ce pays, j’affirme que nous ne confondons pas.
Dès lors, c’est simple. L’islam est une religion. L’islamisme est un fondamentalisme, qui a deux branches. La première est quiétiste : on ne s’occupe pas de politique, mais seulement du respect de la loi de Dieu, pratiquée dans l’intimité, à la maison, dans les manières de faire. Ce n’est pas si loin d’idées que nous acceptons sans difficulté. La seconde prétend tirer de l’islam des lois politiques. Il y a des pays, comme la Turquie, qui se réclament de cet islamisme politique. Évidemment, nous Français sommes là en désaccord complet : nous ne croyons pas à cela, puisque nous séparons la religion de la politique.
Mais aujourd’hui, 60 % de nos compatriotes ne pratiquent pas de religion : la majorité du peuple français n’a jamais été confrontée au voisinage de la pratique religieuse. Dans ma génération, le christianisme, et surtout le catholicisme, était extrêmement présent, au village comme à la ville : on croisait sans arrêt des gens en uniforme religieux. Ceux d’entre nous qui étions catholiques ou protestants, croyants, pratiquants, qui allaient à la messe mais qui allaient aussi au Parti communiste ou au Parti socialiste, devaient bien trouver comment accorder tout cela – ce que la population, d’ailleurs n’acceptait pas toujours. Tout cela n’existe plus.
Bref, nous séparons. Nous ne confondons pas. Nous discernons.
Quant au terrorisme, c’est une forme d’islamisme meurtrier, une stratégie de combat qui vise à provoquer l’effondrement de la société ; il s’agit de nous pousser à nous entre‑déchirer. Mais nous devons étendre la réflexion. Je l’ai toujours dit pour ma famille politique : nous désapprouvons le terrorisme – bien sûr, le mot ne veut pas dire la même chose dans toutes les circonstances : les résistants français étaient traités de terroristes, mais, d’une manière générale, quel que soit le cadre d’une lutte militaire violente, nous la désapprouvons. Notre mouvement combat toutes les formes de violence, islamistes ou autres, et même de gauche.
Un second point et j’en aurai terminé. Je veux vous parler des conditions dans lesquelles la laïcité est née de la nécessité de la liberté du culte. La laïcité est d’abord la protection de la liberté de culte, et non son interdiction. Dès lors que chaque Français se confronte de façon permanente à l’exercice du culte, c’est toujours un sujet un peu plus délicat pour lui que pour d’autres, qui acceptent que l’on colle, dans des ghettos, toutes les croyances les unes à côté des autres. Nous, Français, ne condamnons jamais une opinion ; nous condamnons éventuellement une pratique. La liberté de conscience est absolue – et d’ailleurs incontrôlable, vous le savez aussi bien que moi ; on ne peut combattre que des actes. Dès lors, la laïcité ne combat que les pratiques interdites par la loi. Et c’est tout. Quand les Américains ont inventé que nous pourchassions les religions parce que nous avions une querelle avec une secte – la scientologie –, nous leur avons dit que nous n’avions aucune querelle avec une quelconque secte et que nous ne faisions qu’une chose : punir les escroqueries. Voilà comment les Français abordent cette question.
M. le président Xavier Breton. Merci pour ce propos liminaire. Concernant la convocation, elle vous a été envoyée dans les mêmes formes que celle de Mme Tondelier, que nous avons pu voir plus rapidement. Nous sommes satisfaits que nous puissions nous rencontrer aujourd’hui.
Pourquoi vous ? Encore une fois, nous ne sommes pas un tribunal, donc nous n’accusons pas telle ou telle personne.
M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà qui est bien.
M. le président Xavier Breton. Nous vous avons invité parce que vous avez exercé des responsabilités au sein du parti La France insoumise, mais aussi pour entendre votre éclairage sur votre histoire et votre cheminement au sein de la gauche, afin de nourrir notre réflexion.
Pour le choix des auditions, elles sont en lien avec le titre du rapport du ministère de l’intérieur qui mentionne les Frères musulmans. Il indique en effet que ce mouvement est plutôt en décroissance, mais aussi que leur stratégie d’entrisme est celle qui inquiète le plus en ce moment. Nous nous inscrivons dans le prolongement de cette réflexion.
Vous vous étonniez aussi de l’absence du président du groupe Droite républicaine. Cette commission résulte en effet du droit de tirage de notre groupe, mais vous savez bien qu’au sein d’un groupe parlementaire, il peut y avoir des représentations : je représente ici le groupe DR.
Vous citez les comptes rendus de nos auditions ; je pourrais vous en citer d’autres, de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), de la direction nationale du renseignement territorial (DNRT), de la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) qui indiquent clairement que le risque d’entrisme politique dans notre pays est bien réel. Vous n’êtes pas ciblés en particulier, c’est clair.
M. Jean-Luc Mélenchon. D’accord.
M. le président Xavier Breton. Mais l’entrisme existe et votre parti est cité au titre de certains de ses membres qui peuvent être en contact avec des représentants d’organisations islamistes.
Enfin, s’agissant du sondage de l’Ifop, je respecte cet institut, l’un des plus anciens de notre pays. Vous avez saisi la justice : nous n’avons pas à nous en occuper dans cette audition. Il nous a semblé normal de les entendre. J’indique d’ailleurs que les cinq premières minutes de l’audition du représentant de l’Ifop ont été consacrées à une explication de la méthodologie de ce sondage, ce qui a permis d’éclairer certains points.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Merci M. Mélenchon pour vos propos liminaires. Je souhaite tout d’abord rappeler le cadre précis et la nature de nos travaux. Une commission d’enquête n’est pas un tribunal ; elle ne juge pas, ne condamne pas, n’instruit pas à charge et, contrairement à ce que j’ai pu lire dans la presse, n’a pas les moyens d’investigation du système judiciaire – elle n’est d’ailleurs pas faite pour cela. Elle est un outil parlementaire au service de la représentation nationale, chargée d’établir les faits et de formuler des propositions – en l’occurrence, pour prévenir ou corriger les phénomènes d’entrisme qui pourraient toucher des responsables publics, des organisations ou des partis politiques dans notre pays.
C’est dans cet esprit de lucidité et de responsabilité que nous devons inscrire nos travaux. Car si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est aussi parce que la France a été frappée dans sa chair par le terrorisme islamiste. Depuis 2012, 50 attaques ont été perpétrées sur notre sol, dont 24 mortelles, faisant 274 morts et plus de 800 blessés. De Toulouse à Montauban, de Charlie Hebdo au 13 novembre, de Nice à Saint-Étienne-du-Rouvray, jusqu’aux horribles assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard, ces crimes ont bouleversé durablement notre pays. Ils ne relèvent ni de faits isolés, ni d’une dérive marginale. Ils s’inscrivent dans un continuum idéologique, celui de l’islamisme politique qui, sous des formes légalistes ou violentes, cherche à fracturer notre société, à délégitimer nos institutions et à miner les fondements mêmes de la République.
Cette réalité nous oblige, car en amont du passage à l’acte terroriste, il existe des écosystèmes d’influence, des stratégies séparatistes et parfois des démarches d’entrisme identifiées de longue date par les services de l’État et les chercheurs. Comprendre ces dynamiques, c’est contribuer à prévenir ce qui, un jour, peut menacer l’intégrité de la nation. Depuis plusieurs décennies, notre pays est confronté à la diffusion progressive d’une idéologie d’islamisme qui dépasse largement la question religieuse. Comme l’ont rappelé de nombreux chercheurs et autorités auditionnés par notre commission, l’islamisme est avant tout un projet politique qui mobilise des normes religieuses comme leviers d’organisation sociale et, pour certains courants, comme moyens de transformation de l’État – vous évoquiez les Frères musulmans, il y en a d’autres. En France, cette implantation a pris la forme d’écosystèmes d’influence mêlant lieux de culte, associations, structures éducatives et relais communautaires. Les services de renseignement et les chercheurs que nous avons auditionnés ont montré que ces structures, sans être toutes clandestines ou violentes, peuvent façonner des contre-sociétés en tension avec les règles communes. Certaines mouvances développent même des stratégies d’entrisme destinées à influencer des institutions, des collectivités ou des élus, tout en masquant leurs intentions derrière un discours conforme aux valeurs républicaines.
Face à cela, notre commission a une responsabilité claire : établir les faits, mesurer les risques et déterminer si certains responsables publics peuvent se retrouver en situation de proximité, d’influence ou d’instrumentalisation par des réseaux poursuivant des objectifs incompatibles avec les principes de laïcité, d’égalité et de liberté.
Notre démarche n’est pas partisane ; elle s’inscrit dans la continuité des alertes formulées par les services de l’État, les universitaires et les élus locaux. Elle répond à une conviction simple : une République forte doit regarder lucidement ce qui peut fragiliser son unité. C’est dans cet esprit de rigueur, de respect et de vérité que nous vous entendons, monsieur Mélenchon. Votre parole compte parce que vous êtes une figure majeure de la vie publique française ; elle compte aussi parce que certains discours, certaines alliances militantes ou certains relais associatifs suscitent des interrogations légitimes, auxquelles cette audition doit permettre d’apporter des réponses claires.
Les travaux de la commission ont mis en évidence, dans plusieurs communes, des situations où des individus issus de mouvances islamistes ont pu exercer une influence ou accéder à des responsabilités locales. Je pense par exemple à Colombes, où le directeur du cabinet du maire cumulait ses fonctions municipales avec celles de responsable d’une mosquée et d’une école coranique identifiée comme vecteur d’un enseignement problématique, ou encore à Villeneuve-d’Ascq, Valenciennes ou Douchy-les-Mines, où des personnes proches d’un écosystème frériste ont été élues ou placées à des postes d’influence.
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous n’y sommes pour rien, nous sommes d’accord ?
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Ces exemples illustrent un phénomène d’entrisme qui peut toucher n’importe quelle formation politique lorsque la vigilance se relâche, y compris dans la sphère locale.
Une autre forme d’entrisme, davantage idéologique, a été revendiquée publiquement en 2022 par Houria Bouteldja, fondatrice du Parti des indigènes de la République. À propos de votre candidature à l’élection présidentielle, elle déclarait : « Dans ce magma, il y a un butin de guerre qui s’appelle Mélenchon. C’était une espèce de laïcard de dingue, et aujourd’hui il dit des choses qu’il n’aurait jamais dites il y a quinze ans. » Cette phrase vous désigne explicitement comme une sorte de cheval de Troie, un instrument permettant de faire avancer un agenda politique hostile à ce que Mme Bouteldja appelle elle-même les « laïcards » et assumant une logique d’influence à l’égard d’un candidat aux plus hautes fonctions.
À la lumière de ces exemples, comment analysez-vous la réalité du phénomène d’entrisme en France ? Selon vous, quelles lignes rouges et quelles garanties doivent s’imposer à l’ensemble des formations politiques, y compris celle qui vous est proche, pour éviter que des acteurs qui poursuivent un agenda incompatible avec les principes républicains ne puissent instrumentaliser un mouvement ou un candidat ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous remercie pour la précision de votre question, monsieur le rapporteur, et je commencerai par déblayer des incertitudes.
Vous avez donné des exemples d’entrisme – vous l’appelez comme ça, pourquoi pas – dont aucun ne me concerne ni ne concerne le mouvement Insoumis. Je voudrais que vous compreniez pourquoi il paraît difficilement possible que cela ait lieu avec des Insoumis.
Il faut comprendre la matrice intellectuelle du mouvement Insoumis. Sa matrice essentielle, c’est l’humanisme qui dit que l’être humain est l’auteur de son histoire. Sur ce plan, il y a une interconnexion facile avec la pensée de ceux qui croient. En effet, les religions qui attribuent un libre arbitre à l’être humain disent que c’est par sa décision que l’homme fait le bien ou le mal. Dans l’islam, on dit que ce n’est pas Dieu qui a fabriqué le mal : ce sont les êtres humains qui le font. On dit quelque chose de similaire dans le christianisme – quoique la personne du Diable soit identifiée comme un acteur de cette aventure spirituelle. Ceux qui n’ont pas de foi religieuse diront que la conformité avec les principes de la morale qu’ils s’assignent crée le bien et le mal. Sur ce plan, nous avons donc un terrain commun.
On passe ensuite à d’autres questions, à savoir l’égalité et la similitude absolues des êtres humains entre eux. Là commencent des discussions politiques sur l’étendue des droits et des devoirs de chacun – le principal devoir étant de respecter le droit des autres. Les formations dispensées par le mouvement Insoumis, qu’elles soient initiales ou continues, comportent toujours un volet antiraciste et laïque. Notre école de formation propose des stages régionaux et des stages nationaux. L’un de ces derniers dure six mois, avec une rencontre nationale tous les quinze jours – le mouvement prenant en charge les frais occasionnés pour les participants. Pour toutes les promotions sans exception, cette formation de base comporte deux cours consacrés respectivement au racisme et à la laïcité de l’État.
Le cours sur la laïcité est dispensé par le philosophe Benoît Schneckenburger, président de la Fédération nationale de la libre pensée – vous imaginez qu’une telle fonction lui confère une vigilance spéciale sur la question de la foi. Comme notre but n’est pas d’endoctriner mais de faire réfléchir, il va de soi que chaque fois qu’il vient, il se heurte à des amis qui trouvent ses formules excessives et qui, de ce fait, réfléchissent – puisqu’il existe entre nous, comme vous pouvez l’imaginer, une grande tolérance dans nos échanges de points de vue. Ainsi, toutes les promotions de cadres de notre organisation sont confrontées à cette double formation. Celle qui est consacrée au racisme prend en compte toutes les formes que sont l’antisémitisme, la négrophobie, que sais-je encore, tout ce qui est répandu par l’ennemi – je vous parle avec mon vocabulaire – pour diviser le peuple. Car pour nous, l’acteur de l’histoire est le peuple – nous l’avons décrit d’une manière matérialiste – et nous pensons que notre adversaire, l’oligarchie, est incapable de dominer la société s’il ne divise pas le peuple. D’où notre vigilance spéciale à refuser d’être divisés par le racisme et notre vigilance à l’égard de la laïcité. Nous passons notre temps à expliquer cela.
Nous sommes des militants politiques – je ne vais pas vous apprendre ce que c’est, monsieur le rapporteur, vous en êtes un aussi ; vous êtes un député et vous savez que l’enjeu de la vie politique est la conscience. La meilleure manière d’intervenir dans la formation des consciences n’est pas de donner des ordres mais de faire comprendre l’environnement d’une idée. La question de la laïcité de l’État est fondatrice, de notre point de vue, pour éviter qu’on réclame de l’État des mesures qui protègent telle ou telle chose. Nous passons notre temps à expliquer que la liberté républicaine est une liberté absolue. Nous n’interdisons pas. Par exemple, il existe dans notre pays la liberté de l’interruption volontaire de grossesse. Personne n’est obligé d’avorter, mais celles qui le veulent le peuvent parce que la loi le permet. De manière assez étrange, on a permis à la profession médicale de faire valoir une clause de conscience pour refuser d’accomplir l’acte d’avortement. Je ne vous cache pas que personnellement, si je comprends ce que cela peut représenter pour un croyant, j’y vois un biais et une exception à la loi qui pourraient ensuite être étendus. Si ceux qui ont une fonction publique quelle qu’elle soit, une utilité sociale, peuvent se réclamer à tout instant de leurs propres convictions religieuses pour empêcher que la liberté des autres s’exprime, il y a un problème. Je ne mets ici personne en cause, je dis que de temps à autre, nous sommes placés devant une contradiction qui nous pose problème, nous interroge – et à la fin on applique la loi, et puis voilà. C’est ce que je fais. Telle est la réponse de fond pour le mouvement Insoumis.
Est-ce que cela nous protège de tout ? Non, bien sûr. Nous ne sommes protégés nous‑mêmes ni du sexisme, ni de la bêtise, ni de tout ce qu’on voudra ; ce sont des influences de la société, et il y a lieu de les combattre dans nos rangs lorsqu’on les aperçoit. Tous les partis y sont confrontés. Nous sommes des êtres humains dans une société libre ; par conséquent, cela circule. Face à cela, nous pensons que nous nous donnons les moyens. Chacun des Amfis que nous organisons tous les étés comporte des séances consacrées spécifiquement aux racismes de toute sorte et à la laïcité de l’État.
Dans ce domaine, nous n’avons pas de difficulté particulière avec les musulmans qui sont dans nos rangs ou que nous rencontrons dans la société. En effet, l’islam en France est essentiellement influencé par son origine maghrébine, laquelle est elle-même extrêmement liée à la période arabo-andalouse. De fait, nous avons affaire à un islam malikite qui dit ceci : vous devez respecter la loi du pays où vous êtes – il n’y a pas de problème, et c’est un point considérable. Pardon, mais nous avons eu un autre problème avec l’Église catholique – je suis obligé de le dire ! En 1906, l’encyclique Vehementer nos dit qu’il n’y a pas de loi supérieure à celle de Dieu et qu’il est criminel de penser qu’il faut en appliquer une autre. L’explication a été violente, nonobstant le nombre de catholiques qui ne partageaient pas le point de vue clérical selon lequel la République était un malentendu provisoire. Il a fallu attendre 1920 pour que l’Église catholique reconnaisse du bout des lèvres la République française lors d’un pot à Alger, c’est vous dire – c’était peut-être l’évêque d’Alger, je ne me rappelle pas, mais Alger y est mêlé.
Désormais, tout cela est beaucoup plus simple à gérer, si bien que celui qui ferait de l’entrisme religieux se ferait plus vite repérer que n’importe quel autre. Et évidemment, notre mouvement n’acceptera jamais ni l’entrisme religieux, ni de confier des responsabilités à quelqu’un qui dirait : je le fais parce que je suis catholique et je vais expliquer les vertus catholiques – comme d’autres le feraient pour les vertus juives ou protestantes, qui sont respectables mais qui n’ont rien à faire dans notre organisation ni dans nos candidatures. Si vous avez des difficultés à nous signaler, faites-le. En tant qu’élus, vous savez comment cela se passe, vous faites aussi des listes ; tout le monde en arrive à un moment où il faut faire des listes.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. On sait que l’islamisme politique repose sur l’exacerbation de normes religieuses utilisées au service d’un projet politique et qu’il peut s’appuyer, dans certaines circonstances, sur des marqueurs identitaires visant à distinguer ou à séparer une communauté de la société, dans le cadre de stratégies d’influence ou d’entrisme. Plusieurs chercheurs auditionnés ont d’ailleurs souligné que certains comportements ou symboles, lorsqu’ils étaient instrumentalisés, pouvaient devenir des leviers d’affirmation politique et de pression sociale.
À la lumière de nos travaux, une question se pose concernant la cohérence du discours politique à l’égard de ces marqueurs identitaires, dont le voile islamique. Vous-même avez exprimé au fil des années des positions assez différentes. En 2010, vous considériez qu’« on ne peut pas se dire féministe en affichant un signe de soumission patriarcale » et que le voile constituait « un stigmate que l’on s’inflige ». En 2015, vous qualifiiez encore le voile de « signe de soumission ». Mais en 2025, dix ans plus tard, vous déclariez avoir changé de regard et estimiez que « vouloir interdire le voile aux filles de moins de 15 ans est une violence, une insulte, un mépris ». Dans ce contexte, et alors que notre commission n’examine pas la foi des individus en aucune façon, mais l’utilisation possible de symboles religieux à des fins politiques par certains réseaux – islamistes en ce qui nous concerne –, j’aimerais vous interroger très factuellement. Comment expliquez-vous l’évolution de votre position concernant le voile ? Faites-vous une distinction selon que le voile est porté par une femme adulte, une adolescente ou une fillette, au regard des phénomènes d’influence que l’on peut observer de la part de réseaux islamistes ? Vous inscrivez-vous toujours pleinement dans le cadre de la loi de 2004 qui protège l’espace scolaire en interdisant les signes religieux ostensibles dans les écoles, les collèges et les lycées ? Plus largement, comment un responsable politique peut-il, selon vous, concilier la défense de la liberté religieuse et la nécessaire vigilance face à l’utilisation de marqueurs religieux comme instruments d’entrisme ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Merci pour cette question précise, à laquelle je répondrai aussi précisément que possible. Je commence par ce qui me concerne puisque vous avez évoqué mon évolution, à juste raison. Mon point de vue a évolué de manière générale, pas seulement concernant l’islam. Je viens d’une famille catholique, je suis de formation catholique, j’ai été enfant de chœur et ma mère était extrêmement croyante. Grâce à cela, j’ai été protégé du racisme qui régnait dans les communautés françaises d’Afrique du Nord, où les propos n’étaient pas spécialement légers ni délicats envers les musulmans. Je ne peux donc que l’en remercier.
Ayant rompu avec la foi chrétienne à partir du moment où le divorce de mes parents leur a valu d’être excommuniés, je suis devenu une sorte d’enragé de la laïcité – toute ma vie, on m’a pourchassé pour cette histoire de religion. On disait à l’époque : Mélenchon il n’y a rien à en tirer, c’est un laïcard, donc on ne peut pas lui parler. Je faisais avec ; j’allais chercher ma section socialiste à la sortie de la messe dans le village de Montaigu, puisqu’ils allaient tous à la messe sauf moi, et ma foi, on arrivait assez bien à se supporter, cela se passait plutôt tranquillement. La vie avançant, j’ai renoncé à une forme d’anticléricalisme grossier, pour lequel je veux m’excuser auprès de ceux que j’ai pu blesser dans le passé. Quand il vous est arrivé, une fois dans votre vie, de croiser un groupe dans lequel se trouve une bonne sœur dont vous vous êtes moqué, et que vous la retrouvez morte après avoir été torturée par des bourreaux d’extrême droite en Amérique latine, plus jamais vous ne pouvez dire quoi que ce soit contre une religieuse ou un prêtre ; ce n’est plus possible humainement. Si bien qu’en Argentine, lorsqu’on m’a remis un diplôme, le laïcard que je suis a fait se lever toute la salle en évoquant la mémoire de nos trente-deux compatriotes assassinés par les dictateurs fascistes, en insistant sur le curé et les deux bonnes sœurs – j’ai pensé que les reconnaître comme mes compatriotes me vaudrait peut-être un peu de leur faveur, de là où ils m’observaient. Le combat extraordinaire qu’ils ont mené grandit l’idée qu’on se fait de la France, puisqu’ils sont morts pour avoir défendu la liberté.
Ce que j’ai jugé bon de faire concernant le christianisme – les catholiques en particulier –, je le fais pour les musulmans, mais dans un autre contexte, car fort heureusement, en France, les catholiques ne font pas l’objet de persécutions et de discriminations, comme c’est le cas pour les musulmans. Je ne vous en accuse pas, mais l’ambiance est épouvantable : ici un sondage qui raconte n’importe quoi, là-bas je ne sais quoi, ça n’arrête pas. Les musulmans par‑ci, les musulmans par-là – tout le monde ne fait pas preuve de votre discernement –, et ça y va ! La Défenseure des droits le dit : la discrimination religieuse contre les musulmans progresse de façon terrible.
J’en viens au fond de votre affaire : le voile. Cela me rappelle François de Rugy, lorsqu’il était président de l’Assemblée nationale. Alors que nous venions de nous constituer en groupe Insoumis, mes camarades, à la demande des femmes du groupe, décident qu’on ne porterait plus de cravate. Pour un bon mot, je cède : après les sans-culottes, cela me réjouissait qu’il y ait des sans-cravates. Au bureau de l’Assemblée, un collègue, je ne sais plus lequel – si je m’en souviens, je ne vous dirai pas qui, pour ne pas me moquer de lui – nous dit alors : il faut avoir une tenue décente, vous allez mettre une cravate et même des chaussettes. Des chaussettes ? Oui, car certains de vos collègues n’ont pas de chaussettes. Comme je connais M. de Rugy depuis un moment, je lui dis : écoute, si vous votez qu’on doit mettre des chaussettes et des cravates, on les mettra ; mais ce qui va devenir intéressant, c’est quand tu nous expliqueras ce qu’est une tenue décente pour une femme. Et M. de Rugy, qui est quelqu’un d’intelligent, de s’énerver : mais qu’est-ce que c’est que cette histoire, il y en a marre ! On n’a donc plus parlé ni de chaussettes ni de cravate, parce que le sujet était tombé sur les femmes.
Quant au voile, j’ai d’abord pensé, comme cela se disait autour de moi, qu’il était un signe de soumission. Je regardais un peu narquois les photos de ma propre famille, ma grand‑mère avec un foulard sur la tête, ma mère avec un foulard sur la tête, ma sœur avec un foulard sur la tête, parce qu’autrefois, tout le monde mettait un foulard sur la tête ; sinon on disait d’une femme qu’elle était « en cheveux », et cela ne se faisait pas. Il fallait avoir un foulard sur la tête, donc tout le monde portait un foulard. Voici que maintenant, les musulmanes en portent un – comme un signal, dites-vous. Je ne vais pas contester que certaines personnes portent un foulard comme un signe de leur appartenance à la religion musulmane. Il y a aussi des Français qui portent des croix très visibles, y compris des collègues à qui il a fallu demander de les retirer. On connaît tout ça. Oui, c’est vrai, il y a des gens qui se mettent ça sur la tête comme un signal religieux. Bien. À nous de faire preuve de discernement. C’est l’État qui est laïque en France, ce n’est pas la rue. Les adultes s’habillent comme ils l’entendent sauf si leur tenue venait à choquer par la nudité, ce qui n’est pas le cas du voile. Pour le reste, le seul habit interdit est la burqa. Depuis qu’elle a été interdite, vous n’en voyez quasiment plus, ce qui prouve qu’en général, les gens respectent la loi. Même ceux qui sont un peu olé-olé et veulent faire des démonstrations, quand il s’agit de la loi, tout le monde est fait du même bois.
Allons plus loin. Dans la rue, les gens se mettent ce qu’ils veulent sur la tête : des kippas, des chapeaux en fourrure, des voiles. La rue n’est pas laïque. En revanche, pour accomplir le service de l’État, ce n’est plus pareil : l’État est laïque ; dans ce cadre, personne ne met ni voile ni de chapeau quel qu’il soit. Cela dit, il faut faire preuve de discernement suivant les circonstances pour ne pas envenimer les problèmes. Et curieusement, ça tombe encore sur les femmes. Pardon, mais que voulez-vous faire quand quelqu’un se met un foulard sur la tête ? Courir dans la rue et lui dire : enlevez ça, vous êtes une islamiste ? L’intéressée vous répondra : pas du tout, il pleut, je mets un foulard sur ma tête. Vous n’en sortirez pas. Vous voyez bien que ce n’est pas praticable.
Venons-en aux enfants – problème compliqué, car la loi reconnaît à chaque parent le droit de transmettre ses valeurs à ses enfants, avec les pratiques qui les accompagnent. Après tout, on pourrait dire à quelqu’un qui emmène son gosse à la messe le dimanche qu’il le prive de sommeil. On ne le fera évidemment pas, on n’est pas fou. Les parents transmettent leurs convictions. Je me suis posé la question à propos du voile. Est-il une obligation dans l’islam ? Non. L’islam a d’autres obligations. Un groupe de sénateurs propose par exemple d’interdire le jeûne durant le ramadan, alors que cette pratique est l’un des cinq devoirs de l’islam. Comment peut-on empêcher les gens de jeûner ? Personnellement, je pratique le jeûne intermittent, ce qui n’a rien à voir avec le ramadan – c’est ramadan toute l’année. Allez-vous surveiller si je jeûne pour des raisons religieuses ou pas ? C’est inextricable, monsieur le rapporteur.
Et c’est toujours la même histoire : c’est les femmes ! Elles ne doivent pas faire ci ou ça. J’ai posé la question à une de mes amies, une croyante musulmane qui fait ses cinq prières – un exploit, puisqu’il faut se lever à cinq heures du matin pour faire la première prière – et qui est par ailleurs féministe. Elle m’a dit : je ne mets pas le voile parce que ce n’est pas une obligation mais je fais mes cinq prières, qui sont une des cinq obligations avec le ramadan, le pèlerinage à La Mecque ou encore l’aumône ; je ne suis pas soumise à un homme – d’ailleurs, en ce moment, je n’en ai pas –, je suis soumise à Dieu. Vous êtes des militants comme moi ; si vous voulez vous disputer avec Dieu, vous avez perdu d’avance : personne n’est jamais arrivé à rien sur ce sujet. Tous ceux qui ont essayé d’extraire la foi par des moyens violents ne sont arrivés à rien. Quant à employer des moyens de persuasion, la foi est-elle rationnelle ? Vous le savez comme moi si vous avez la foi ou si vous l’avez eue : ce n’est pas un acte de raison, c’est un autre degré de relation au grand tout. Alors, que faire ? Je ne sais pas. J’ai tapé aux portes pour vendre le programme commun et certains me disaient : c’est très bien tout ce que vous nous dites, vous y croyez, mais vous êtes alliés avec des communistes qui ne croient pas en Dieu, et on ne vote pas pour ceux qui ne croient pas en Dieu. Que vouliez-vous que je leur réponde ? Rien, alors je passais à la porte suivante.
Un dernier mot : je vous lance un défi, monsieur le rapporteur, pour que vous éprouviez le même embarras que moi lorsqu’il s’agit de trancher des questions de cette nature. Vous me parlez des enfants à qui l’on met un voile, mais que dites-vous de la circoncision ? Elle concerne des jeunes enfants à qui on ne demande pas leur avis. Elle est présente dans deux religions, et même maintenant dans les mœurs de gens qui n’ont pas de religion mais qui considèrent que c’est une bonne chose. Personne ne pose jamais la question : ce n’est pas un problème, alors que le voile sur la tête des filles, oui, c’est un problème ! Et la circoncision ? Il y a des gens pour qui c’est un problème, une maltraitance. Comment allons-nous nous sortir de cela, monsieur le rapporteur et monsieur le président ? Je ne sais pas vous répondre, mais si vous avez des lumières, n’hésitez pas à nous les donner.
M. le président Xavier Breton. Vous aurez posé la question.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Les travaux de notre commission ont mis en lumière un phénomène préoccupant, l’usage stratégique par certains réseaux islamistes du terme « islamophobie » pour délégitimer toute critique de leur idéologie, affaiblir la vigilance républicaine et nourrir un récit de confrontation entre les musulmans et le reste de la société. Les services de l’État nous ont alertés sur la dangerosité d’un tel usage qui confond volontairement la critique d’un projet politique avec la stigmatisation de croyants, créant un brouillage dont les mouvances radicales tirent profit.
De plus, en assimilant volontairement, avec l’emploi de ce terme, toute critique de l’islamisme à une hostilité envers les musulmans, ils fabriquent des adversaires. Ils désignent des cibles et cherchent à réduire au silence celles et ceux qui étudient leur idéologie – nous l’avons constaté avec les menaces reçues par certaines personnes que nous avons auditionnées comme Florence Bergeaud-Blackler, Nora Bussigny, Emmanuel Razavi, Bernard Rougier et d’autres. Ces menaces ont été déclenchées précisément en réaction à leurs travaux sur l’islamisme, ce qui illustre la mécanique de mise en danger que les services de l’État nous ont décrite : une accusation militante suivie d’une exposition publique puis d’une menace réelle. Notre commission ne peut ignorer ce climat. La République ne saurait accepter qu’un mot soit utilisé pour intimider, délégitimer ou susciter des menaces contre des chercheurs, des journalistes ou des responsables publics. Défendre la liberté d’expression, c’est protéger ceux qui contribuent à éclairer la nation, même lorsque leurs analyses nous dérangent.
Dans le même temps, la réalité statistique impose une forme de lucidité. Selon les chiffres de 2024 du ministre de l’intérieur, notre pays a recensé récemment environ 240 actes antimusulmans, que nous devons dénoncer avec la plus grande rigueur, contre plus de 1 600 actes antisémites, alors même que la population juive est près de dix fois moins nombreuse que la population musulmane. Si les actes visant nos concitoyens musulmans appellent évidemment une condamnation ferme et résolue, l’antisémitisme demeure malheureusement la haine la plus meurtrière, la plus persistante et la plus massivement dirigée contre une minorité religieuse en France. Les représentants de plusieurs services que nous avons auditionnés ont souligné que lorsque le terme « islamophobie » était utilisé d’une manière militante et extensive, il pouvait contribuer, même involontairement, à alimenter certains ressorts antisémites. En diffusant l’idée fallacieuse d’une guerre menée contre les musulmans, et en désignant en creux les juifs comme des bénéficiaires supposés de l’ordre républicain, ce discours active des schémas complotistes déjà mobilisés par les mouvances islamistes radicales. Vous-même, monsieur Mélenchon, avez rappelé par le passé votre réticence à employer ce terme, avant d’expliquer avoir changé de position, comme d’ailleurs au sujet du voile. Cette évolution mérite d’être comprise dans un contexte où la clarté des mots est essentielle à la cohésion nationale.
Mes questions sont donc les suivantes. Comment, selon vous, concilier la lutte indispensable contre les actes antimusulmans avec la nécessité de prévenir l’usage idéologique du terme « islamophobie » lorsqu’il peut brouiller la critique légitime de l’islamisme et nourrir, par ricochet, des imaginaires antisémites ? Pensez-vous qu’un usage trop extensif de ce terme puisse contribuer à renforcer ces ressorts ? Comment maintenir, dans le débat public, une frontière nette entre la critique d’une religion, la dénonciation d’une idéologie politique et la protection de tous nos concitoyens contre le racisme ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Question vaste ! D’abord, je suis d’accord avec vous pour dire que les mots ont une grande importance, parce qu’ils fixent la réalité à laquelle nous accédons. Pas de mots, pas de pensée. C’est un point de vue matérialiste et je suis content de vous retrouver sur ce terrain. Les mots ont leur importance.
Moi, au départ, j’étais hostile à l’utilisation du mot « islamophobie », parce qu’on me disait « Mais alors, tu nous interdis de critiquer l’islam ! ». Je m’étais donc dit qu’on ne va pas utiliser cette expression, on va en utiliser une autre, qui ne vaut pas mieux : « haine des musulmans ». Puis, la discussion avance et je vois que l’usage commun, autour de moi, est de parler d’islamophobie. Je m’en vais donc regarder dans quelles circonstances il intervient.
Ceux qui se font un nœud au cerveau en disant que le mot « islamophobie » conduit à l’antisémitisme, permettez-moi de vous dire que ce sont des gens très préoccupés. Je respecte la complexité de leur pensée, mais je ne vois pas le lien entre les deux. En revanche, j’ai constaté que le mot « islamophobie » est d’usage international. Tous les ans a lieu, à l’initiative de l’Organisation des Nations unies, une journée de lutte contre l’islamophobie, qui est le 25 mars. Je me sens d’autant plus libre de l’utiliser.
Dans « haine des musulmans », il y a « haine de ». Pour ma part, je hais les nazis. Je n’ai pas l’intention de changer d’avis et je pense que la plupart d’entre nous en sont au même point. Je hais les nazis. C’est une haine que je trouve saine, salutaire, qui m’entretient bien et que j’essaie de transmettre à d’autres.
Le mot « haine » n’est pas bon. « Islamophobie », ça parle bien, parce qu’il y a « islam » et « phobie ». La phobie est quelque chose qui échappe à la raison, qui est de l’ordre de la déraison. Par exemple, il y a des gens qui ont la phobie des araignées – vous en connaissez forcément dans votre entourage, monsieur le rapporteur, peut-être vous-même êtes prompt à cette phobie ou à une autre. Pour d’autres, ce sont les mouches, pour d’autres c’est je ne sais quoi. L’esprit humain est ainsi fait que nous avons tous nos démons intérieurs, qui surgissent sous des formes fantasmées.
Pour moi, le mot « islamophobie » est particulièrement bien adapté. Quand vous regardez les gens qui sont en proie à l’islamophobie – je mets de côté les gens qui font une critique de la religion musulmane, par exemple parce qu’ils sont d’une autre religion, car la critique est de l’ordre de la raison –, vous voyez qu’ils font n’importe quoi. Ils s’exclament : « Mon dieu, un musulman ! Ils vont faire ceci, ils vont faire cela ! Ils vont nous égorger ! Ils vont nous tirer dessus ! ». C’est de la folie, ce n’est même plus rationnel ! On ne peut même plus parler ! J’estime que le mot est bien utile, parce qu’il décrit un comportement irrationnel.
J’ai lu qu’il aurait telle ou telle origine. Que voulez-vous ? Les mots sont les mots et nous n’en avons pas tant que ça ! Je prends un autre exemple. Récemment, il a été décidé que ceux qui sont contre le sionisme sont des antisémites. Ça n’a rien à voir ! Pour plein de gens, le sionisme est un point de vue politique et l’antisémitisme un point de vue raciste. Ça n’a rien à voir ! On peut être antisioniste sans être raciste. On peut être sioniste sans être anti-ceci ou anti-cela. Voilà un usage du mot qui est abusif.
De même, on peut penser que le mot « islamophobie » contient toutes sortes de choses, dont certaines que nous n’accepterions pas. Mais ce n’est pas parce que nous refusons l’assimilation de l’hostilité au sionisme à l’antisémitisme que nous allons rejeter le mot « antisémitisme », parce que l’antisémitisme est une réalité à combattre. De même, l’islamophobie est une réalité à combattre.
Je préfère me dire que je combats une phobie qu’une haine, dont je ne saurais plus que faire. Je peux expliquer à quelqu’un pourquoi il est absurde d’avoir sur les musulmans un regard réducteur qui les ramène à ceci ou à cela. Moi, je n’ai jamais dit que l’Église catholique était responsable du massacre, en Norvège, de soixante-dix jeunes assassinés par un illuminé qui se réclamait de la religion catholique pour le faire. La religion catholique n’a rien à voir avec ça. Il est en prison mais sert d’idole à toutes sortes de gens qui continuent à utiliser son nom.
Nous, les gens de raison, et surtout nous, les Français, qui sommes des praticiens de la laïcité, à chaque pas, nous devons faire attention à ne pas donner à manger aux extrêmes, à ceux qui voudraient à tout prix que tout soit un conflit. Voilà ce que j’ai à vous dire. Je ne saurais vous dire mieux que ceci : adopter ce mot me permet de mieux comprendre la tâche que j’ai à faire dans la lutte contre le racisme.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Notre commission a examiné en détail le rôle de certaines organisations qui, sous couvert de défense des droits, ont contribué à diffuser une vision militante de l’islamophobie visant à délégitimer l’action de l’État et à entraver la lutte contre l’islamisme politique. C’est précisément ce qui avait conduit, en 2020, à la dissolution du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) par le ministre de l’intérieur, qui était alors Gérald Darmanin, suite à l’assassinat odieux de Samuel Paty. Cette dissolution a été confirmée – vous le savez, monsieur Mélenchon – par le Conseil d’État au regard des objectifs poursuivis par cette organisation.
Or, depuis cette dissolution, un groupe présenté comme son prolongement direct, le CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe), opère depuis la Belgique en ayant la possibilité de poursuivre les mêmes activités sur notre territoire. Le CCIE a même été convié à participer à une réunion dans les murs du Palais-Bourbon.
Que pensez-vous de la dissolution du CCIF ? Par-delà votre opinion sur ce point, pensez-vous qu’il est conforme à l’exigence démocratique que des groupes dissous par nos institutions, et dont la dissolution a été juridiquement confirmée, retrouvent une forme de reconnaissance institutionnelle en étant accueillis au Palais-Bourbon ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous réponds comme le feraient tous ceux qui ont à répondre à des questions compliquées, avec toutes sortes de tiroirs. Cet organisme, le CCIF, a été dissous. Nous en sommes d’accord, je l’ai observé comme vous. Il l’a été après un meurtre abominable, qui nous soulevait tous de dégoût et nous a inspiré à tous des sentiments de vengeance ou de représailles, pour essayer de dissoudre en nous toute cette révolte qu’avait créé cet événement.
Mais après, il y a le droit, que voulez-vous ! Le Conseil d’État dit que oui, on peut dissoudre. Mais la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, qui ne sont pas des organisations gauchistes, en tout cas pas à mes yeux sinon aux vôtres, et des organisations de professionnels du droit, disent que c’est absolument intolérable, qu’on a fait une erreur pas possible. D’autant que le Conseil n’a pas dit : « Oui, il faut le dissoudre ». Le Conseil, qui a donné son avis, a dit : « Oui, vous pouvez dissoudre ». Il n’a pas dit : « Vous devez dissoudre ».
Voici en tout cas ma réponse à ce moment, embarrassé que je suis, comme tout le monde, dans une situation où vous avez d’un côté vos meilleurs amis, à qui vous portez le plus grand respect et auxquels vous vous fiez quant à leur évaluation de ce qui est juridiquement acceptable ou pas, et de l’autre une institution de l’État. Je dis, comme la Ligue des droits de l’homme, comme le Syndicat des avocats de France, comme le Syndicat de la magistrature, comme Attac et comme la Fédération nationale de la libre pensée, que cette organisation n’aurait pas dû être dissoute.
Si j’avais un doute sur le fait qu’on puisse en dissoudre de manière aveugle, je n’en ai plus depuis que j’ai vu qu’on a dissous la Jeune garde, organisation antifasciste qui n’est coupable ni responsable de rien, à la faveur d’un jour où le gouvernement avait besoin d’en dissoudre deux d’un coup, une à droite et une à gauche, et l’a dissoute pour pouvoir dissoudre les Soulèvements de la terre le même jour. Tout cela procède plus de la politique politicienne que du fond. Moi, je suis attaché à rester lié à ma famille intellectuelle et de pensée, parce qu’elle m’aide à penser et à décider. Dans cette circonstance, elle me permet ça.
D’ailleurs, je sais qu’on m’a fait un reproche similaire au moment de la participation à la manifestation du 10 novembre 2019. Il y a eu une attaque à la mosquée de Bordeaux. Deux pauvres papés qui sortaient de là se prennent des coups de fusil. Et que se passe-t-il ? Rien. Pas la moindre trace de mobilisation. Puis, des organisations décident d’appeler à une marche. Après avoir discuté, comme vous l’imaginez – oui, non, oui, non, on y va, on n’y va pas, qui appelle, qui n’appelle pas –, on décide d’y appeler, parce qu’on se sent en sympathie et en adhésion avec la masse considérable de gens qui s’est révélée être présente le jour de cette manifestation, le 10 novembre. Et il s’est trouvé que, dans la manifestation, quelqu’un a crié un slogan. Mais qu’est-ce qu’on y pouvait ? Une personne crie « Dieu est grand ! ». Ma foi, c’est déjà un problème d’aller lui dire qu’on n’est pas d’accord, parce qu’il y en a qui pensent qu’en effet Dieu est grand, et peu importe la langue dans laquelle on le dit, et d’autres qui pensent que ce n’est pas le moment, bref, on n’en finirait plus.
Mais je veux, moi, en finir. La marche a eu lieu. On me l’a reproché des dizaines de fois. Pourquoi ne l’a-t-on pas reproché aux autres appelants – Attac, la CGT, la FSU (Fédération syndicale unitaire), la Ligue des droits de l’homme, le NPA (Nouveau parti anticapitaliste), Europe Écologie-Les Verts (EELV) ? Pourquoi ? C’est absurde ! Nous étions tous là ! Nous sommes tous de gauche, nous sommes tous laïcs et, à la fin, on chanta La Marseillaise sur la place ! Eh bien moi, je regrette de ne pas être resté jusque-là.
Mme Prisca Thevenot (EPR). Monsieur Mélenchon, allons droit au but. Je pourrais vous parler de la montée de l’antisémitisme dans notre pays, vous rappeler que les actes antisémites représentent 60 % des agressions à caractère religieux alors même que la population juive constitue moins de 1 % de la population. Je pourrais alors vous demander pourquoi vous semblez voir de l’islamophobie partout et de l’antisémitisme nulle part. Je pourrais ajouter que cette minimisation de l’antisémitisme participe à créer un terrain propice à l’entrisme islamiste.
Mais je sais que, face à ce phénomène pourtant préoccupant, vous allez faire le tribun, comme vous savez faire et faites souvent, théâtraliser pour esquiver ou transformer la question en long cours d’histoire pour m’expliquer que je me trompe. Alors aujourd’hui, je ne vous demanderai pas de répondre à ces questions déjà posées mille fois.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ce n’est pas le sujet de la commission, de toute façon.
Mme Prisca Thevenot (EPR). Je vous demande plutôt de nous éclairer sur les agissements de ceux que vous faites élire au sein de nos institutions nationales et européennes et qui, portant notre écharpe tricolore, semblent pourtant ne pas du tout vouloir défendre notre pays. Cautionnez-vous que votre députée européenne Rima Hassan ait des liens assumés avec des associations liées aux Frères musulmans telles que Lallab ? Pouvez-vous nous dire si vous cautionnez sa présence à une manifestation en Jordanie pour la mort du terroriste Sinwar ?
Comment voyez-vous la proximité de plusieurs élus Insoumis avec Shahin Hazamy, agent d’influence du régime iranien, qui sera jugé dans quelques mois et en faveur duquel plusieurs députés de votre famille politique ont signé une tribune cette semaine ?
Pouvez-vous nous confirmer que vous avez apporté votre soutien à Julien Théry, enseignant ayant publié une liste de vingt personnalités de confession juive qualifiées de « génocidaires à boycotter » et un visuel représentant des clichés antisémites ?
En répondant, je l’espère, à ces questions, montrez-nous aujourd’hui, devant cette commission, que vous n’êtes pas devenu, malgré vous ou par calcul, le cheval de Troie idéal de l’entrisme islamiste dans la politique française.
M. Jean-Luc Mélenchon. Allez-vous, vous, me montrer que vous n’êtes pas le cheval de Troie d’un pays étranger qui cherche à faire passer ces assassinats pour une cause noble ? Je ne vous poserai pas la question, car je connais la réponse. La réponse est non ; vous n’êtes pas l’agent d’un pays étranger.
De même, pourquoi voudriez-vous que, moi, je sois l’agent de ceci ou de cela ? Je suis l’agent de moi-même, des Insoumis, de la pensée humaniste, d’un radicalisme que je ne nie pas mais qui n’a rien à voir avec le racisme, quel qu’il soit.
Mais je ne peux pas vous cacher l’agacement que fait naître l’obligation de montrer sans cesse patte blanche devant des inquisiteurs de circonstance, qui vous enjoignent de dire ceci, de dire cela. Du calme ! Moi, j’ai une vie qui témoigne pour moi. Vous n’étiez pas née quand j’aidais des Juifs à quitter l’URSS, alors même que j’étais procommuniste. J’ai passé mon existence à mener ces batailles. Il n’y a pas une fois où l’on peut me prendre en défaut, puisque j’ai des juges, quelle que soit la situation.
Je vous ai répondu, même si ce n’est pas le sujet de la commission, et je pense que le mieux est d’en rester à ce sujet, précisément. Mais je suis prêt à venir expliquer – invitez-moi à une réunion, celle que vous voulez, avec qui vous voulez – en quoi consiste la bataille contre l’antisémitisme que nous menons, car nous la menons.
Quant aux statistiques, elles ont une très grande importance. C’est pourquoi j’aimerais que l’État, au ministère de l’intérieur, en établisse, au lieu d’en laisser le soin aux organisations associatives liées aux différentes communautés. Nous avons besoin de savoir exactement où nous en sommes. Mais s’il y avait un seul crime, on serait contre.
Voyez-vous, quand Mme Mireille Knoll a été assassinée, dans les conditions dont vous vous souvenez sans doute, nous appelâmes – nous, groupe dont j’étais le président – à la marche qui devait se faire. Tous les groupes ont signé. Nous nous y sommes rendus. Nous avons téléphoné la veille, pour prendre nos précautions, au Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), pour lui demander d’assurer notre sécurité. Il nous a dit qu’il ne pouvait pas le faire ; nous sommes venus quand même. Nous avons été agressés par des membres d’une organisation juive considérée comme terroriste en Israël comme à New York. Ils ont couvert d’insultes les femmes qui étaient parmi nous. Personne ne nous a défendus ce jour-là. Qu’ai-je dit à la sortie ? Ai-je maudit tout le monde ? J’ai dit que je ne confonds pas quarante illuminés d’une communauté et les autres. Je veux que chaque Juif du plus modeste village de ce pays sache que, s’il a un problème, il aura les Insoumis à ses côtés pour le défendre. Nous n’avons aucune raison de faire quelque concession que ce soit.
On me dit que c’est le clientélisme qui nous anime. Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Vous vous figurez que les musulmans sont clients de politiques antisémites ? Mais c’est une vision raciste des musulmans ! Ça n’existe pas ! Et croyez-vous qu’ils soient sensibles à autre chose, quand ils m’écoutent, qu’à mon art de parler ? Mais enfin, ce sont des gens munis d’un cerveau !
Ils entendent des revendications sociales avec lesquelles ils sont d’accord. Pourquoi ? Parce qu’il se trouve que les musulmans, à cette étape de notre histoire, font partie des catégories sociales qui ont commencé à la première marche. Et maintenant, ils sont en train de monter à toute vitesse : gloire au peuple français ainsi composé !
Quant à Mme Rima Hassan, franchement, vous n’êtes pas fatigués de la prendre pour cible ? Il n’est pas vrai qu’elle a participé à une marche pour machin, pour truc, pour bidule. Et je serais obligé de me tenir informé à chaque instant de ce que tout le monde fait pour pouvoir en répondre ? Non ! Elle est allée à une marche qui a lieu toutes les semaines. Elle se trouvait là, elle est allée à la marche. Voilà. Elle s’est expliquée dix fois sur cette affaire.
Je ne vous dis pas qu’on ne commet pas d’erreurs, madame. Nous en commettons. Quand nous en commettons, nous nous excusons, par exemple d’avoir dit des choses qu’il ne fallait pas dire. Nos adversaires, jamais ! Je n’en ai jamais entendu un seul dire : « Je n’aurais pas dû parler comme ça à M. Mélenchon ».
Le rapporteur, Matthieu Bloch, a montré il y a un instant le lien entre l’ambiance qu’on crée et les violences que, ce faisant, on déclenche. Nous autres – moi, je viens du mouvement socialiste –, nous en savons quelque chose : c’est comme ça qu’on nous a assassiné Jaurès. À force de le présenter comme un ami de l’Allemagne et autre, il s’est trouvé un dingue pour aller lui tirer dessus.
Figurez-vous que, moi, j’ai fait l’objet de deux tentatives de meurtre. Le premier commando s’est pris neuf ans de prison, le second dix-huit. Je sais donc de quoi vous parlez, monsieur le rapporteur. Je n’ai pas l’intention, moi, si peu que ce soit, de créer ce climat pour les autres.
J’aime la joute, j’aime la polémique, j’aime la dispute au sens philosophique du terme, mais pas la menace physique, l’intimidation, l’appel au meurtre. Aucun d’entre nous ne l’a fait et ne le fera jamais. Si quelqu’un a un comportement ambigu, vous me le signalerez et je lui dirai : « Il ne faut pas faire comme ça ». Moi, Mélenchon, qui suis un Méditerranéen, je parle avec les mains et avec les yeux, mais le reste du temps, il nous faut tous baisser d’un ton et j’y suis disposé.
Ensuite, l’enseignant. Mais madame, vous serez vous-même la première à vous alerter de ce qui se passe dans ce pays ! Voilà que des gens complètement illuminés se mettent à pourchasser les influences de ceci ou de cela dans l’université. Quand cela arrive-t-il ? Je n’ai jamais vu ça en France !
Il y a une liberté universitaire depuis Robert de Sorbon. Ça date du VIe siècle ! C’est vous dire si ça fait un moment que, dans ce pays, on dit que, dans les universités, on raconte ce qu’on veut, figurez-vous. J’exagère peut-être un peu l’ancienneté de Robert de Sorbon, mais c’est comme ça.
M. Théry est un enseignant. Et voici qu’on a trouvé une porte d’entrée pour commencer la chasse à l’enseignant du supérieur, qu’on prendrait en défaut. Qu’est-ce qu’il a fait ? Il a pris une liste de gens qui ont signé une tribune et, prenant cette liste, il cite les signataires. Il y a dedans un curé – comme Juif, on fait mieux ! Il les cite et dit : « Ceux-là, il faudra s’en rappeler, soutiennent le génocide ». Est-ce une bonne idée de faire ça ? Il n’a pas été prudent car, aujourd’hui, il suffirait de citer un seul nom pour que ça déclenche une affaire. Ensuite, des gens ont trouvé ceci et cela, parce qu’aussitôt, il y a des armées qui se mettent en mouvement pour aller chercher si, sous chaque cheveu, vous n’avez pas un pou.
Lui, il a critiqué une tribune et ses signataires. J’ai défendu cet homme et je vous préviens que je vais défendre tous ceux qui, à l’université, auront des points de vue iconoclastes. Cet enseignant n’est pas antisémite. Il ne l’a jamais été, il ne l’est pas et il ne le sera jamais. Si vous me prouvez le contraire, madame, je serai le premier à vous donner raison et à aller lui dire que je change d’avis. Venez me démontrer qu’il l’est. À mes yeux, il ne l’est pas.
Mais je vous mets tous en garde : attention au confort, à la facilité qui consiste à prendre un adversaire et à le harceler sans vous rendre compte du précédent concret. Moi et d’autres, nous ne permettrons pas que, à l’université, on fasse la chasse aux mal-pensants. Voyez ce que ça donne aux États-Unis d’Amérique !
Soit M. Théry a eu un comportement antisémite et il sera pourchassé et condamné pour ça ; soit il n’en a pas eu et on lui fout la paix, on ne le menace pas et on n’essaie pas d’intimider les autres. Voilà ce que je peux vous répondre. Je ne peux pas faire mieux que vous dire dans quelle situation je prends sa défense.
Y a-t-il une question à laquelle je n’ai pas répondu – même si vous considérez que ce n’est pas vraiment une réponse que je vous fais là ?
Mme Prisca Thevenot (EPR). Monsieur Mélenchon, vos réponses ne répondent pas du tout, sur le fond, aux questions que je vous ai posées. Vous n’avez rien dit des liens de plusieurs députés de votre famille politique avec Shahin Hazamy, en faveur duquel ils ont signé une tribune cette semaine.
M. Jean-Luc Mélenchon. Madame, je ne peux pas vous répondre, je ne sais pas de qui vous parlez. Pour commencer, quelle est sa nationalité ?
Mme Prisca Thevenot (EPR). Iranienne.
M. Jean-Luc Mélenchon. Iranienne ? Je suis le dernier que vous allez venir embêter avec l’Iran, parce que, même quand l’ayatollah Khomeiny était en France applaudi par tout le monde, car on était tous anti-Shah, moi je ne le soutenais pas. Ce n’est pas maintenant que je vais le faire, ni aucun des miens.
Pour le régime iranien, nous n’avons – d’ailleurs il nous rend bien la monnaie de notre pièce – aucune sorte de sympathie, ni de près ni de loin et dans aucune de leurs activités. J’ai notamment dit qu’un régime dont le premier chef dit qu’il va rayer de la carte un État voisin, en l’occurrence Israël, ne peut pas mériter autre chose que notre mépris et notre volonté de le voir dégager le plus vite possible.
Nous sommes opposés aux régimes théocratiques, à tous sans exception ; je n’en ferai pas la liste pour me fâcher avec le moins de monde possible dans cette salle, parce que je crois que j’en ai déjà assez fait, notamment tout à l’heure avec les Émiriens, à qui je tiens à répéter que je n’ai aucune querelle avec eux, mais que s’ils veulent bien aller espionner plus loin, ça nous arrangerait.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Monsieur le président Mélenchon, nous sommes ici, nous le savons, sur l’injonction de la droite extrême et de l’extrême droite, qui prétendent vouloir mettre au jour les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste. Chacun sait de quoi il retourne en réalité : jeter l’opprobre sur La France insoumise et ressasser une énième fois les fantasmes islamophobes qui dominent le débat public.
Une farce – qui ne mériterait que le rire et le dédain si elle n’avait pour conséquence de livrer des millions de nos concitoyens de confession musulmane aux soupçons et à la vindicte, en les amalgamant à une menace intérieure. Les précédentes auditions ont déjà permis de dégonfler le soufflé, en établissant que ces élucubrations n’ont aucune base factuelle. Le directeur général de la sécurité extérieure, Nicolas Lerner, a ainsi déclaré : « Mes propos avaient pour objectif d’évoquer l’absence d’élément prouvant des connivences structurelles au sens de plan d’action, de programme, d’échéance, d’agenda communs ».
L’absence du moindre fait incriminant étant désormais établie, nos débats de ce jour ont la vertu de dissiper certains des présupposés intellectuels qui sous-tendent cette chasse aux sorcières. Car tous ces fantasmes – tantôt le communautarisme, tantôt le séparatisme, tantôt l’entrisme, on ne sait plus trop – reposent sur des idées fausses quant à la réalité du fait religieux et du principe de laïcité.
C’est sur ce plan que je voudrais vous interroger, monsieur le président, en vous demandant quelle doit être, selon vous, en République, la place de la religion et son rapport avec le politique, et ce que vous pensez de la thèse développée sous diverses nuances, d’une certaine gauche néo-conservatrice jusqu’à l’extrême droite, selon laquelle la religion musulmane poserait une question spécifique voire, comme le disent certains idéologues islamophobes, serait incompatible avec la République.
M. le président Xavier Breton. Monsieur Lachaud, je pourrais vous citer d’autres extraits des comptes rendus de nos réunions, où on lit des propos tenus par des hauts fonctionnaires travaillant chaque jour à la sécurité de notre pays, selon lesquels il y a un risque d’entrisme islamiste dans notre pays et un besoin de sensibilisation particulière à ce sujet.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, vous parlez d’or. M. Hugues Bricq, directeur du renseignement à la préfecture de police de Paris (DRPP), a dit devant vous, en parlant de « l’ultragauche » – mais je ne sais plus où on nous classe aujourd’hui, parce que nous sommes passés de gauche à gauche radicale et à extrême gauche, suivant les humeurs de ceux qui s’adressent à nous – : « L’ultragauche était totalement absente lors des émeutes et des violences urbaines ».
Et il a aussitôt ajouté : « En revanche, une certaine frange […] de l’ultradroite négationniste se rapproche, par antisémitisme pur, de certains islamistes ou référents religieux islamistes qui tiennent des propos antisémites ». Ça confirme à la fois ce que vous dites, président, et ce que vient de dire M. Bastien Lachaud : nous n’avons naturellement rien à voir avec tout ça et, s’il arrivait qu’ici ou là on constate le contraire, je serais le premier à le condamner.
Je ne peux faire moins, comme intellectuel, me perchant sur ma pauvre petite licence de philosophie qui impressionna tant mes parents, que vous dire la chose suivante à propos de l’islam : l’islam est une religion et, comme toutes les religions, on peut considérer qu’elle pose problème au pouvoir politique, qui veut se tenir à distance d’elle. Nous autres, Français, avons commencé avec Philippe Le Bel – je ne vous raconterai pas l’histoire du pape Boniface VIII, qui a eu cher à connaître de son opposition au roi de France qui ne voulait pas qu’il se mêle de ses affaires.
Dans l’immédiat, je sais ce que l’esprit des Lumières – la pensée qui a cheminé de la Renaissance jusqu’à la grande Révolution – doit à l’islam et aux docteurs de la foi islamique. Je pense à Averroès – ce n’est pas son nom, c’est le nom qu’on a latinisé pour éviter d’avoir à citer un Arabe dans nos sources – dont nos intellectuels à nous, au Collège de France, disent qu’il fait partie des fondateurs des Lumières – à mon avis, c’est un peu exagéré mais j’ai compris ce qu’ils voulaient dire.
À la consternation des chrétiens d’Occident qui, étant entrés par les croisades en contact avec les musulmans, ont rapporté des sciences qu’on trouve avec sa tête – les mathématiques, la physique, la chimie – et se demandent comment il peut exister deux vérités, l’une enseignée par le Livre et la religion, l’autre qu’on trouve avec sa tête, Averroès règle le problème en disant, le premier, que la vérité est une et indivisible, mais qu’on y accède par des chemins différents. Il cite la rhétorique, la philosophie et la foi.
Et Averroès, avec d’autres conséquences, étend son raisonnement. Ce qui est au départ un jugement religieux n’ayant rien de philosophique va pénétrer et travailler toute la pensée naissante à partir de la Renaissance. Ce n’était pas un compliment, à l’époque, de se faire traiter d’averroïste, parce que certaines écoles musulmanes ont dit : « Ce type est un hérétique » – c’est dire si, dans toutes les religions, il y a beaucoup de discussions.
Averroès fait pleinement partie intégrante de la culture des Lumières françaises qui, comparées à celles des Pays-Bas et des autres pays, sont particulières. Les Lumières françaises ont débouché sur la loi de 1905, qui n’est pas un athéisme d’État. Eh bien, il faut que nous soyons capables, quand on entend tant d’horreurs, de reconnaître les liens idéologiques qui nous ont bâtis en tant qu’humanité, tels que nous sommes, tous autant que nous sommes.
Voilà pourquoi je ne dirai pas que l’islam est incompatible avec la République. Si vous allez par ce chemin, bien des choses sont incompatibles avec la République, si du moins on a de la République une vision fermée à la liberté qu’elle porte. La République, c’est d’abord la liberté et la souveraineté du peuple. Ce sont mes mots pour vous dire, monsieur le président, monsieur le rapporteur, que je suis certain que c’est nous tous, les laïcs, qui auront le dernier mot dans ce pays, comme d’habitude.
Mme Mathilde Panot (LFI-NFP). Monsieur le président Mélenchon, en 2013, deux figures du Front populaire tunisien, qui étaient vos amis et nos compagnons de route, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, ont été assassinés par des islamistes. Vous aviez déclaré alors que, quand les islamistes tuent, ce sont souvent les nôtres qui meurent. Vous vous étiez rendu en Tunisie, à la mémoire de Mohamed Brahmi et de ceux qui ont payé de leur vie leur combat contre le fanatisme, en solidarité avec le peuple tunisien.
En 2019, lorsque vous étiez président du groupe parlementaire Insoumis, je me suis rendue, avec Danièle Obono, au Rojava, pour apporter notre soutien au peuple kurde, en première ligne contre Daech et les milices djihadistes. Leur contribution à ce combat mérite une nouvelle fois d’être saluée.
Aujourd’hui, certains nous accusent de proximité avec ceux que nous avons toujours condamnés sans ambiguïté et qui ont tué nos amis. Évidemment, ces mêmes odieux ne disent absolument rien quand, par exemple, Lafarge se trouve en procès pour financement du terrorisme. Or celui qui a mené les négociations entre Lafarge et Daech est un ancien candidat du Front national. Idéologiquement, tous hiérarchisent les vies humaines et défendent l’inégalité comme principe.
Compte tenu de votre engagement auprès de ceux qui sont en première ligne contre les fanatiques partout dans le monde, quel est, selon vous, le contenu politique du procès stupide mené contre vous, contre nous, à l’heure où l’extrême droite a la faveur des médias de masse ?
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Monsieur Mélenchon, je vais vous poser une question assez simple, non sans rappeler que cette commission d’enquête n’a pas bénéficié des lumières de tous les savants les plus autorisés sur la question de la représentation politique des musulmans. Je note l’absence de chercheurs très reconnus dans leur domaine tels que Franck Frégosi, Margot Dazey et Hanoues Seniguer, personnalités qui pourtant font autorité.
L’une d’elles, Mme Dazey, dans son travail de thèse, caractérise la position de l’UOIF (Union des organisations islamiques en France), qui est l’une des principales organisations des musulmans de France, selon trois traits : la loyauté nationale, la déférence politique et la discrétion religieuse. Notre rapporteur ayant soulevé tout à l’heure la question de l’usage du mot « islamophobie », diriez-vous que cette caractérisation par la loyauté nationale, la déférence politique et la discrétion religieuse est un point de vue scientifique ou une manifestation d’islamogauchisme ? Quel sens donneriez-vous à ce mot ?
Mme Liliana Tanguy (EPR). Monsieur Mélenchon, j’ai une question très simple : que faisait le député de La France insoumise Thomas Porte le 6 octobre 2023, à la veille des massacres menés par le Hamas contre des civils israéliens, en Égypte, aux côtés de Abou Amir Eleiwa, qui dirige une association française humanitaire héritière du Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens (CBSP), jugé proche des Frères musulmans par les services de renseignement français et visé par une enquête du Parquet national antiterroriste (Pnat) pour ses liens présumés avec le Hamas ?
Que faisait votre député en réunion avec cet homme, à la frontière de Gaza, à 2 kilomètres de l’endroit où ont eu lieu, le lendemain, ces actes terroristes d’une ampleur et d’une brutalité sans précédent ? Cautionnez-vous la proximité de votre député et d’autres cités par notre collègue Prisca Thévenot, ainsi que de certains de vos militants, avec l’islamisme politique et, par ces liens avec l’organisation des Frères musulmans, leur volonté de pénétrer le champ politique français ?
M. le président Xavier Breton. Parmi les chercheurs que vous avez cités, cher collègue Saintoul, nous en avons contacté deux pour les auditionner, M. Frégosi et M. Seniguer. Ils n’ont pas donné suite à notre demande.
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous avez évoqué les luttes que nous avons menées ensemble, madame la présidente Panot, dans des circonstances qui ont forcé mon admiration pour votre courage et celui de Mme Obono. Pour vous rendre au Rojava où se trouvait un gouvernement provisoire féministe, écologique, socialiste, vous avez dû traverser tout l’Irak en passant par la zone, où vous n’aviez pas que des amis, du « Kurdistan » – je mets ce mot entre guillemets car je ne veux pas me fâcher avec la République d’Irak – « irakien », qui est plutôt favorable aux thèses islamistes, puisque les dirigeants kurdes pratiquent la religion et la mettent au pouvoir.
Il fallait traverser tout ça pour aller de l’autre côté manifester notre soutien. Je demande qu’on nous entende, parce que nous sommes capables de ça. Je ne sais pas si beaucoup de partis politiques peuvent établir la même liste d’actes de cette ampleur et de cette vigueur.
De même, je me trouvais aux côtés de la famille de Chokri Belaïd, en Tunisie, 48 heures après qu’il a été assassiné. Quand je suis venu, le sang était encore là, ainsi que les fleurs, dans cette partie de la cité. Nous sommes partis en cortège manifester.
J’y suis retourné à la fin du deuil de quarante jours de Mohamed Brahmi, autre dirigeant du Front populaire tunisien, en étant cette fois, sur la recommandation de bien des gens, entouré d’un service d’ordre exceptionnel, ce qui est rarissime me concernant, composé d’agents de police français, parce qu’on pensait qu’un Français venant défendre une position pareille n’était pas en sécurité pour cette célébration. Je ne mets pas en avant mon courage : dans cette situation, je me sentais sous la protection des Tunisiens eux-mêmes. Mais combien d’autres exemples de cette nature pourraient être donnés ! Je vous en fais grâce.
Je voudrais quand même vous rappeler que, sur la question de la compromission de Lafarge, qui a payé Daech, nous avons été la seule force politique, pendant de très longs mois, à mener la bataille, dans une indifférence glacée assez générale. Pourtant, nous n’avons pas lâché prise. Je me réjouis de savoir qu’en ce moment même a lieu le procès des responsables.
Souvent, il en a coûté, voyez-vous, président. J’étais ami par hasard – ces choses-là nous arrivent dans la vie – avec un officier supérieur de l’armée algérienne, Mohamed Boukobza, qui avait écrit un magnifique livre sur les événements en Algérie. Je me suis trouvé là-bas quelques semaines avant les élections et nous avions sympathisé. C’était un militaire et un intellectuel ; nous n’étions pas exactement sur les mêmes positions politiques.
Mohamed Boukobza a été égorgé sur le pas de sa porte, ayant sa fille à la main. J’en ai conçu une colère terrible, qui ne m’a toujours pas lâché, contre la lâcheté d’un tel attentat, et qui a résonné en moi lorsque Paty a été assassiné, et ainsi de suite. Chaque fois, je retrouve cette même rage contre cette manière de se comporter, cette barbarie absolue.
Mais quand a été signée sous l’autorité des autorités religieuses catholiques – qui ont fait leur travail, je ne le leur reproche pas – la plateforme de Sant’Egidio, aussi appelée contrat de Rome, auquel plusieurs forces politiques plus ou moins importantes de l’Algérie avaient cru bon d’apporter leur signature, quelqu’un qui a été un ami et pour qui j’ai eu beaucoup d’admiration, Hocine Aït Ahmed, fondateur du Front socialiste en Algérie, a signé. Je lui ai dit que moi, jamais je ne signe quoi que ce soit avec des fascistes et avec des égorgeurs. Nous nous sommes fâchés, alors que nous étions amis et que je l’admirais et l’admire toujours, et nous ne nous sommes plus jamais parlé – hélas pour moi.
Jamais je n’ai approuvé, si peu que ce soit, la moindre compromission ni la moindre concession dans une lutte où, comme l’a dit la présidente, quand ils tuent, c’est souvent nous, et pas seulement en tant que militants politiques. À Nice, il y a des musulmans parmi les morts en nombre, qui étaient là parmi tous les autres. Je ne sais pas s’il y en avait au Bataclan, mais je peux vous dire que, chaque fois qu’une bombe explose dans tel ou tel pays, ce sont souvent des musulmans qui sont les premiers à mourir. Dès lors, la haine que je porte à ces assassins ne repose pas sur une base religieuse et ne trie pas les victimes.
Madame Tanguy, je comprends que vous me posiez cette question, mais franchement, on peut faire mieux. M. Portes se trouvait là-bas, à la frontière, parce qu’il avait l’intention de la passer. C’était deux jours avant les abominables crimes du 7 octobre. J’espère que vous ne sous-entendez pas qu’il était au courant ou qu’il venait pour les présider. Il se trouvait là. Que voulez-vous ? Ça arrive, de se trouver à côté d’un endroit où il se passe des choses épouvantables. J’étais dans Paris à l’heure des assassinats du Bataclan ; je n’ai rien pu faire d’autre que ce qu’a fait tout le monde, avoir peur et pleurer beaucoup. Là, c’est pareil.
Alors le type qui est à côté de lui est M. Machin ou M. Bidule. Soit ! Si c’est un personnage qui n’est pas fréquentable, ne le fréquentons pas. À l’époque, Thomas n’en sait rien du tout. Il y a un type qui est à côté de lui et qui lui dit qu’il va l’aider à passer la frontière, voilà tout. Il peut se trouver que, à certains moments, on se trouve à côté de gens qu’on n’a pas envie de fréquenter. Je pense que c’était le cas. De même me suis-je trouvé parfois, dans des manifestations, avec des hurluberlus – pas seulement du point de vue religieux, des hurluberlus au sens le plus radical du terme, portant des pancartes étranges. Franchement, vous n’avez jamais, monsieur le président, été dans cette situation ? Vous étiez bien embêté, voilà tout.
Mme Mathilde Panot (LFI-NFP). Ils ne manifestent pas !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il y en a qui manifestent. Au moment du mariage pour tous, ils y étaient tous. Vous étiez alors avec des islamistes ; ça ne vous a pas dérangés. On le comprend : ils défendent des vues sur la famille qui sont plus proches des vôtres que des miennes. Et alors ? On est tous du même pays, non ? On se déteste le reste du temps, mais il y a des moments où on fait la pause.
Moi, madame, jamais je ne vous accuserai d’être complice de qui que ce soit qui tire sur les autres. Ce pauvre Thomas Portes, vous le voyez se faire le complice d’un meurtre aussi épouvantable que les assassinats ayant eu lieu le 7 octobre ? Bien sûr que non !
Si nous ne faisons pas preuve de raison entre nous, alors nous sommes perdus, parce que nous allons commencer à nous entre-dévorer au lieu d’essayer de voir comment on peut faire. Et si quelqu’un commet une erreur ou a une mauvaise fréquentation, on le lui dit. Si vous n’en êtes pas content, vous dites : « Mais celui-là, il ne cède à rien ! Je vais téléphoner ! ». S’il vous plaît, pas à moi. Et vous me dites « votre député ». Pardon, ce n’est pas le mien ; c’est celui du peuple français, qui l’a élu. Ce n’est pas mon député, c’est mon camarade. Voilà ce que je peux vous dire. Je vous invite tous à la raison.
M. le président Xavier Breton. Nos auditions ont permis de recueillir plusieurs témoignages factuels selon lesquels des élus, députés ou élus locaux, se trouvent dans des manifestations comme celle organisée en octobre 2024 par Urgence Palestine, dont l’un des organisateurs a indiqué, en parlant à la foule, qu’il fallait continuer à être le déluge d’al-Aqsa, soit le nom de l’opération du 7 octobre. Certes, ce ne sont pas eux qui ont prononcé ces mots, mais on a la responsabilité de partir, si on n’est pas d’accord, et de faire un débriefing pour que ça ne recommence pas. Dans le parti que vous avez fondé – on a bien compris que vous n’en avez plus la responsabilité directe, mais on ne doute pas de l’influence que vous y avez encore…
M. Jean-Luc Mélenchon. J’espère bien – morale, au moins !
M. le président Xavier Breton. Quel retour faites-vous de ces expériences ? Quand le président Chirac a entendu siffler La Marseillaise et la France, il a quitté les lieux, parce qu’il était inconcevable qu’il y reste. Quand vous entendez, sur une estrade, des propos flirtant avec l’apologie du terrorisme, vous ne pouvez pas y rester. Est-ce quelque chose que vous comprenez ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Évidemment, monsieur le président. Que croyez-vous qu’il se passe ? Je ne vais pas vous raconter les secrets des préparations de manifs, mais ce sont des prises de tête dont vous n’avez pas idée, sur ce que l’un ou l’autre va dire ou ne pas dire, sur ce qu’on n’acceptera pas, sur ceci et cela, sur qui on ne veut pas… On s’en débrouille.
Quand quelqu’un mord le trait ou ne respecte pas les autres, on le prend d’abord comme un manque de respect. Si ce n’est pas ce dont on est convenu – nous ne venons pas à une manif pour entendre des choses pareilles –, on se le dit entre nous, on tâche de régler le problème.
Mais je ne connais pas un Insoumis, une Insoumise qui ait trouvé que tout ça était écoutable et supportable, ni que ça lui convenait parfaitement. Ça n’existe pas, président. Croyez-moi si vous voulez, je vous dis que ça n’existe pas dans nos rangs.
Moi, je ne vous cherche pas querelle sur la présence d’islamistes féroces aux manifs contre le mariage pour tous, parce que je sais très bien que ce n’était pas votre sujet. Ceux qui étaient contre le mariage pour tous l’étaient pour des raisons morales, politiques, philosophiques religieuses et, ma foi, je ne suis pas d’accord avec eux, mais jamais je n’irai vous embêter parce que vous pensez ça. Et je ne vous fais pas le reproche de ceux qui s’y trouvaient, car je suppose que, si j’en faisais la liste, vous seriez aussi embarrassé que je le suis, moi, quand vous m’évoquez tel ou tel.
Moi, les seuls qui me conviennent politiquement, ce sont les miens. Je fais un effort pour tous les autres, mais pour certains, l’effort est trop grand. Alors, on va leur dire : « Écoutez, vous abusez. On n’est pas venu là pour que vous nous fassiez endosser vos positions. Après, on va se retrouver devant une commission d’enquête où on va nous demander ce qu’on pense de ceci et de cela, alors qu’on n’y est strictement pour rien ». Président, je ne peux pas faire mieux que vous dire que nous faisons de notre mieux, et je suis sûr que vous-même en faites autant à l’égard des excessifs qui sont aussi dans vos rangs.
M. le président Xavier Breton. Monsieur Mélenchon, je vous remercie de vos réponses. Votre audition a été, je crois, utile. La présence de nombreux collègues en témoigne.
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29. Audition, ouvert à la presse, de M. Gérald Darmanin, garde des Sceaux, ministre de la Justice (6 décembre 2025)
M. le président Xavier Breton. Monsieur le garde des sceaux, nous savons votre agenda particulièrement chargé et je vous remercie sincèrement d’avoir pu vous libérer, depuis les Antilles où vous êtes en déplacement, pour cette dernière audition de notre commission d’enquête.
Nous connaissons l’engagement qui a été le vôtre face à la menace islamiste, en tant que ministre de l’intérieur, et nous voulions vous entendre, en tant que garde des sceaux, sur des aspects peut-être moins abordés lors de nos auditions mais qui ont une grande importance : la réponse judiciaire à apporter aux manifestations violentes et non violentes de cette idéologie politique qu’est l’islamisme et les besoins des juridictions pour la mettre en œuvre.
Je commencerai par deux séries de questions.
Quels sont les moyens dont dispose actuellement la justice pour appréhender la menace que constitue l’islamisme politique, en particulier ses manifestations non violentes comme le séparatisme et l’entrisme ?
Il ressort de nos auditions qu’il n’est pas évident de caractériser juridiquement certains comportements relevant de cette menace. L’entrisme au sein d’associations ou de mouvements politiques repose en effet bien souvent sur une stratégie de dissimulation et de double discours. Le premier ministre a ainsi indiqué, lors des questions au gouvernement du 12 novembre dernier, qu’il manquait des outils à l’autorité judiciaire pour lutter efficacement contre le séparatisme et l’entrisme. Quelle est votre analyse de la situation ? Quels pourraient être ces outils ?
Avant de vous laisser la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(M. Gérald Darmanin prête serment.)
M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Je soulignerai d’abord la grande importance du travail que doivent mener les ministres et les administrations placées sous leur autorité pour lutter contre l’islamisme politique et les soutiens terroristes que propage parfois ce djihadisme d’atmosphère, pour reprendre la formule de Gilles Kepel.
En 2020, quand je suis arrivé au ministère de l’intérieur, j’ai placé cet enjeu au centre de mon action. Cela s’est concrétisé par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite loi séparatisme. Elle avait recueilli peu de soutiens politiques, y compris dans l’hémicycle : LFI a exprimé de manière véhémente son opposition avant de voter contre et le Rassemblement national s’est abstenu, ce que je n’ai toujours pas compris. Ce texte, partant d’un constat très lucide, visait pourtant à lutter contre l’islamisme radical et à combattre l’imposition aux habitants français de normes parallèles, les attitudes de défiance à l’égard des lois de la République, la promotion d’une inégalité entre les femmes et les hommes, ainsi que les atteintes à la liberté de conscience ou à la liberté d’enseigner.
Cette loi de reconquête républicaine, inspirée des travaux de Gilles Kepel et d’autres penseurs, entendait octroyer des moyens très importants aux pouvoirs administratifs pour lutter contre l’islamo-frérisme et le salafo-frérisme face notamment aux demandes de certificats de virginité auprès des médecins, aux difficultés rencontrées par les personnels des hôpitaux et aux fatwas numériques lancées contre des fonctionnaires. Ce texte de bon sens nous a permis de fermer des dizaines de lieux de culte et de prononcer la dissolution d’associations comme « Nawa Centre d’études orientales et de traduction », propriétaire d’une maison d’édition islamiste, le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), que j’ai beaucoup combattu, Barakacity ou le collectif Cheikh Yassine, alors que des demandes précédentes avaient été retoquées par le juge administratif en l’absence de bases légales. Les dispositions de cette loi « séparatisme » ont été aussi utilisées par mon successeur, Bruno Retailleau, et je m’en félicite.
Nous avons également donné d’importants moyens à la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure) pour qu’elle se consacre au séparatisme et j’ai confié au préfet Pascal Courtade et à l’ambassadeur François Gouyette la rédaction du rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France » que Bruno Retailleau a rendu public. Cela a conduit sans doute le premier ministre à évoquer les nécessaires évolutions législatives que vous mentionniez.
Les moyens contre l’islamisme radical et le salafo-frérisme, contre l’entrisme et le séparatisme, doivent être déployés non seulement dans le domaine politique, ce qui donne un rôle particulier au ministère de l’intérieur et au bureau des élections politiques à la veille des élections municipales, mais aussi dans le domaine de la culture, de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la recherche ainsi que dans le monde sportif et les associations caritatives dont il ne faut pas sous-estimer le rôle, qui vient se combiner parfois à l’action politique.
L’entrisme est une méthode, davantage employée par les Frères musulmans, et le séparatisme un projet, plutôt du ressort des salafistes, mais la frontière qui les sépare est devenue assez mince, comme l’a montré le rapport sur les Frères musulmans : on parle désormais de salafo-frérisme. Il s’accompagne d’ingérences étrangères, notamment à travers des soutiens venus du Koweït et de la Turquie même si ces pays ont pu apporter des corrections. Je peux attester de l’évolution positive de l’attitude du Qatar, pays dans lequel je me suis rendu à plusieurs reprises à la demande du président de la République : il a mis fin aux financements directs ou indirects qu’il accordait à des associations et des fondations établies en France que nous combattions. Je citerai aussi l’action résolue que mènent l’Arabie Saoudite et les Émirats pour nous aider dans notre lutte contre les Frères musulmans – les services de renseignement et le ministère de l’intérieur sont mieux placés que moi pour en juger.
Le ministère de la justice, monsieur le président, ne se réduit pas à l’autorité judiciaire. Certaines administrations et leurs services placés sous son autorité occupent une place qui leur permet de saisir certaines difficultés spécifiques.
Je pense à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pour ce qui est de la radicalisation d’une partie de la jeunesse et des liens entre violences et radicalisation. J’adresserai à l’ensemble des personnels du ministère de la justice, le 9 décembre prochain, journée de la laïcité, une circulaire pour rappeler l’importance de la laïcité pour les agents eux-mêmes et surtout pour les usagers du service public – cela fait quinze ans qu’il n’y a pas eu d’initiative en ce sens.
Je citerai également l’administration pénitentiaire qui fait face à de graves problèmes, notamment en matière de personnels. Parmi les détenus radicalisés, on distingue les personnes condamnées pour des actes de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste, les TIS, des personnes ayant purgé une peine de droit commun s’étant radicalisées, les RAD, dont le nombre est d’environ 700. Ce qui me frappe le plus, c’est le rajeunissement, et même l’extrême rajeunissement, qu’on observe chez ces deux catégories de détenus. À cet égard, j’aimerais souligner le travail admirable mené par le parquet national antiterroriste (Pnat) mais aussi saluer le SNRP, le service national du renseignement pénitentiaire, dont l’activité principale est d’assurer un suivi de l’entrisme, du séparatisme et de l’islamisme radical, en plus de celui de la criminalité organisée.
Pour l’autorité judiciaire, les difficultés sont nombreuses. Certes, en matière de condamnations des actions terroristes, il y a eu des avancées décisives, notamment sous les gouvernements de M. Cazeneuve et de M. Valls. De très nombreux faits sont signalés aux procureurs de la République au titre de l’article 40 du code de procédure pénale mais il est difficile de prendre en compte ceux qui relèvent du champ de votre commission d’enquête. Dans la circulaire de politique pénale que j’ai publiée à la fin du mois de janvier 2025, un mois après mon arrivée au ministère de la justice, j’ai demandé aux procureurs de la République ou plutôt je les ai incités fortement – le ministre de la justice n’a plus le droit de formuler des demandes systématiques depuis la loi de 2013 – à ouvrir des enquêtes à la suite de signalements au titre de l’article 40 pour des prises de position en lien avec l’antisémitisme et l’antisionisme repérées dans l’enseignement supérieur, parmi les élus locaux ou encore sur les réseaux sociaux. On sait en effet la part que prend en général dans l’entrisme islamiste l’envie de destruction d’Israël et du peuple juif partout où il est. J’ai renouvelé cette instruction lorsque j’ai été reconduit dans mes fonctions dans le gouvernement de M. Lecornu.
J’ai demandé à la DACG (direction des affaires criminelles et des grâces) de faire un bilan de l’ouverture des enquêtes au titre de l’article 40, notamment s’agissant des personnalités politiques. À ma connaissance, l’autorité judiciaire a apporté une réponse à tous les signalements : soit qu’elle ait conclu à une absence d’infraction, pour une minorité des cas, soit qu’elle ait ordonné des poursuites, mais le secret de l’instruction m’interdit d’en dire plus. Je peux donc vous assurer que les procédures concernant l’enseignement supérieur, les activités politiques et les réseaux sociaux sont désormais suivies avec attention par les procureurs généraux auxquels je rappelle, à chaque fois que je les vois, l’importance de la lutte contre l’antisémitisme et les atteintes aux principes de la République.
Nous pourrions imaginer un suivi dédié au séparatisme, à l’entrisme et l’islamisme radical. Cela impliquerait de saisir la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) pour qu’un décret en Conseil d’État nous autorise à connaître, ce qui m’est demandé parfois, l’état d’avancement des procédures lancées au titre de l’article 40, après le signalement de telle ou telle personne. Je peux m’engager à agir en ce sens. Aujourd’hui, ces données sont couvertes par le secret de l’instruction.
Notre espace public est devenu plus vulnérable aux tentatives de manipulation, notamment depuis le 7 octobre, avec le pogrom génocidaire qui touche Israël. Nous avons déployé beaucoup de moyens pour suivre, en lien avec le Pnat et d’autres, les ingérences étrangères dans notre vie politique au sens large. Les services de renseignement pourraient les documenter de manière plus approfondie. La loi du 25 juillet 2024 a créé une circonstance aggravante applicable lorsqu’un crime ou un délit est commis au profit d’une puissance étrangère ou d’une entreprise ou d’une organisation étrangère ou sous contrôle étranger. Le décret d’application a été publié il y a moins d’un an et j’ai rappelé à l’ensemble des procureurs l’importance de se saisir des nouvelles possibilités qu’ouvre ce délit d’ingérence. À la veille des élections municipales, en lien avec le ministère de l’intérieur, nous adresserons une circulaire à la DACG au sujet des signalements relatifs à des élus ou candidats ayant tenu des propos relevant de l’entrisme ou du salafisme. Pourront être lancées des procédures au titre du référé fake news, qui permettent de faire retirer en moins de quarante-huit heures des propos diffamant un candidat, par exemple parce qu’il est de confession réelle ou supposée juive, comme nous l’avons constaté lors des dernières élections. Seront également pris en compte les candidats qui soutiennent des projets de construction de lieux de culte ou qui s’y opposeraient, notamment en diffusant de fausses informations, car on peut y voir une autre manifestation de l’ingérence islamiste en période électorale.
Outre l’approche administrative, il importe de prendre en compte la formation des magistrats du siège ou du parquet. Au ministère de la justice, la culture du secret, au sens où on l’entend pour la défense nationale, est peu développée, c’est le moins que l’on puisse dire. La formation des magistrats aux questions relevant de l’entrisme ou de l’islamisme et des ingérences étrangères est quasiment inexistante. Or il paraît difficile de juger lorsqu’on ignore les mécaniques des Frères musulmans ou de l’islamisme politique. Le rapport sur les Frères musulmans – et le président de la République, lors d’un conseil de défense, est allé en ce sens –insiste sur la nécessité d’une formation spécifique. J’ai donc transmis aux magistrats ce rapport accompagné d’un résumé, dès sa publication. Nous mettrons en place à l’École nationale de la magistrature (ENM) et à l’École nationale des greffes (ENG) des modules de formation initiale et continue dédiés à ces questions, comme il en existe pour les violences faites aux femmes ou la haine en ligne. Cela permettra notamment d’améliorer la manière dont les magistrats prennent en compte les dénonciations au titre de l’article 40 concernant l’islamisme, lequel, rappelons-le, vient heurter profondément notre pacte républicain.
M. le président Xavier Breton. Je vous remercie pour ces perspectives très concrètes que vous ouvrez, qu’il s’agisse des modifications de décret pour assurer un suivi des articles 40 ou de nouvelles circulaires.
Après la loi « séparatisme » et dans le prolongement du rapport consacré aux Frères musulmans, il serait question d’un projet de loi consacré à l’entrisme. La définition juridique de l’entrisme fait-elle actuellement l’objet de travaux ?
M. Gérald Darmanin, ministre. J’ai en effet demandé à la direction des affaires criminelles et des grâces de travailler à la définition d’une infraction pénale d’entrisme, en lien avec le projet de loi annoncé. La difficulté qui se pose est toutefois de mettre au jour les doubles discours.
Ce problème ne se posait pas pour le séparatisme, qui se manifeste par des actes de séparation de la communauté nationale. Le fait d’exiger de pseudo-médecins qu’ils fournissent des certificats de virginité avant un mariage, par exemple, est un acte concret : on peut saisir ces documents, traduire ces faits devant la justice et condamner la personne qui les commet. Il en va de même pour la fatwa numérique subie par Samuel Paty : quelqu’un a désigné un professeur sur internet et a, d’une certaine manière, armé idéologiquement le passage à l’acte du terroriste. Cette mise en danger des agents publics est désormais punie par la loi et l’infraction est facile à définir.
En revanche, l’objectif même du double discours qui caractérise l’entrisme est de se dissimuler. Or cette dissimulation est, par définition, difficile à caractériser, donc à traduire en infraction pénale, aussi bien aux yeux du Conseil constitutionnel que pour les tribunaux qui auront à en juger le cas échéant.
Il faut donc absolument donner aux services de renseignement les moyens de documenter l’entrisme. Sans vouloir m’exprimer à la place de M. Nuñez, je crois qu’il importe de faire de la lutte contre l’entrisme une nouvelle finalité justifiant le recours aux techniques de renseignement. Géolocaliser les personnes, consigner leurs échanges et connaître leurs sources de financement peut permettre d’identifier un complot contre l’État et les principes de la République. C’est sur la base de ces documents et de ces informations qu’on pourra incriminer les personnes concernées.
Nous réfléchissons donc bien à la création d’une infraction pénale, mais celle-ci devra être fondée sur des faits, que seuls les services enquêteurs – la DGSI, les renseignements territoriaux, la DRPP (direction du renseignement de la préfecture de police de Paris) –, pourront fournir. J’insiste sur la nécessité d’inclure l’entrisme parmi les finalités du renseignement pour permettre aux services de documenter les actions pénales de demain.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. En tant que ministre de la justice et ancien ministre de l’intérieur, vous disposez d’une double expertise unique pour éclairer nos travaux. Nos auditions ont mis en évidence la difficulté à laquelle se heurtent les services judiciaires et de renseignement soucieux de poursuivre des comportements relevant d’ambiguïtés volontaires, de stratégies d’entrisme ou de proximité assumée avec des organisations ou des proxys étrangers hostiles, sans qu’un acte matériel évident permette d’engager une procédure pénale.
Votre collègue de l’intérieur, M. Nuñez, nous a indiqué envisager une évolution législative en vue de répondre aux stratégies d’entrisme. Le cadre juridique en vigueur semble totalement insuffisant ; il faudrait certainement introduire un délit spécifique dans le code pénal pour réprimer ces situations. Une difficulté majeure se pose toutefois : comment définir l’entrisme ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je ne pense pas que l’entrisme soit si difficile à définir et à objectiver, dès lors que les services enquêteurs du ministère de l’intérieur disposent des moyens techniques nécessaires.
À titre d’exemple, il existe en France une école de formation des ministres du culte musulman – même si ce terme n’est pas tout à fait approprié –, qui est d’ailleurs visée par une procédure de dissolution. Nous avons reçu des informations provenant de services étrangers et des témoignages faisant état du fait qu’elle constituait un lieu important du frérisme, où étaient enseignées des techniques de dissimulation et d’entrisme. Malgré ces éléments qui nous étaient remontés officieusement, je n’ai jamais pu, à l’époque où j’étais ministre de l’intérieur, avoir recours aux techniques de renseignement qui auraient pu documenter ces faits. Comme vous le savez, pour mettre quelqu’un sous écoute téléphonique, accéder à ses messages dits cryptés et au contenu de son téléphone ou le géolocaliser, le ministre de l’intérieur s’adresse au cabinet du premier ministre qui présente une demande à la CNCTR (Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement). Or ces comportements ne correspondaient pas aux finalités autorisées telles qu’elles sont définies par le Parlement – dont l’intervention en la matière est normale, puisqu’il est question de libertés publiques et individuelles.
En somme, il faut appliquer aux personnes soupçonnées d’entrisme les mêmes techniques qu’en matière de lutte contre le narcotrafic ou le terrorisme.
Une personne fait l’objet d’une fiche S lorsqu’elle est soupçonnée d’être en lien, par exemple, avec un réseau terroriste ou islamiste radical. Ainsi, si une personne figurant dans le fichier appelle le même individu plusieurs fois dans une journée pour lui demander de l’argent, il y a de fortes chances que ce dernier soit à son tour fiché S : cela ne signifie pas qu’il s’agit d’un islamiste radical, simplement qu’il est en contact avec des personnes qui le sont.
Si l’on part du principe qu’il ne faut plus se soucier uniquement de l’islamisme radical ou du terrorisme mais aussi de l’entrisme religieux, on créera probablement une nouvelle fiche de suivi, qui justifiera l’emploi de techniques de renseignement. On parviendra alors à démêler le vrai du faux et à faire la distinction entre ceux qui essayent effectivement de dissimuler leur action contre la République et les autres. On pourra alors monter des dossiers, en lien avec l’autorité judiciaire, notamment avec le procureur de la République, qui ouvrira une enquête s’il considère que les éléments collectés par les services démontrent l’entrisme.
L’erreur serait de chercher à définir une infraction et à l’insérer dans le code pénal : cela ne marchera quasiment jamais, car l’entrisme est, par nature, le fait de gens très intelligents qui se dissimulent. Il faut plutôt donner aux services de renseignement les moyens de documenter cet entrisme, de montrer l’existence d’un complot, puis de transmettre ces éléments à l’autorité judiciaire.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. L’Inspection générale de l’administration, dans un rapport sur la loi du 24 août 2021, recommande d’étudier l’opportunité du recours au délit d’abus de faiblesse pour pénaliser l’endoctrinement de mineurs par certaines mouvances islamistes. Qu’en pensez-vous ?
M. Gérald Darmanin, ministre. J’y suis tout à fait favorable. La pénalisation de l’abus de faiblesse est un levier très important pour lutter contre les mouvements séparatistes, dont certains présentent aussi un caractère sectaire – il y a d’ailleurs une forme de dérive sectaire dans le séparatisme islamiste. Je suis très favorable à ce que cette infraction puisse être mobilisée pour protéger les femmes, les mineurs, mais aussi les personnes affectées par une maladie psychiatrique – dont je rappelle qu’elles représentent plus de 20 % des fiches S – ou soumises à une dépendance, quelle qu’elle soit.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Comment éviter que des mesures d’entrave prises à l’encontre d’associations ne soient contournées, notamment par une réorganisation au niveau européen – à l’image du CCIF, reconstitué à Bruxelles en CCIE (Collectif contre l’islamophobie en Europe) –, ou par la dévolution de leurs biens à une association similaire ?
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est un point très important. On peut effectivement penser au CCIF, mais aussi à l’association Barakacity, désormais située à Londres. Nous n’avons pas, en la matière, une politique commune et il arrive que l’Europe elle-même ne nous aide pas. Je me souviens avoir interpellé plusieurs fois Didier Reynders, alors commissaire européen à la justice, à ce sujet lorsque j’étais ministre de l’intérieur. J’ai par exemple obtenu la dissolution d’une association grenobloise qui était pourtant financée par des crédits de l’Union européenne.
Il faut faire en sorte que les règles européennes, notamment celles relatives au versement de subventions, respectent nos critères de lutte contre le séparatisme. Seulement, la France et l’Autriche, qui sont les deux pays les plus avancés en la matière – la France en vertu de son modèle laïque et l’Autriche pour d’autres raisons – se heurtent très souvent à des pays qui appliquent un système non laïque, où l’existence d’une religion dominante est parfaitement acceptée, comme l’Espagne ou l’Italie, ou à des pays qui ont accepté une forme de communautarisme à l’anglo-saxonne, comme la Belgique. Dans ce domaine, la France doit malheureusement évangéliser ses voisins, notamment ses voisins les plus immédiats que sont la Belgique, la Grande-Bretagne et l’Allemagne.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Pouvez-vous préciser le nombre de condamnations et de poursuites en cours pour délit de séparatisme ou d’entrave à l’exercice de la fonction d’enseignant recensés depuis l’entrée en vigueur de la loi confortant le respect des principes de la République ?
M. Gérald Darmanin, ministre. La Cnil ne permet pas à la DACG de faire remonter ces informations. Comme je l’ai indiqué au président Breton, j’entends modifier le décret qui régit ce point afin de vous transmettre ces informations dans les plus brefs délais. À ma connaissance, on compte quelques dizaines de cas.
M. Matthieu Bloch, rapporteur. Quand une autorité effectue un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale, la justice est-elle tenue de lui faire un retour ? M’étant moi-même trouvé dans ce cas, je n’ai pas reçu d’information du parquet et je ne sais pas si les actions judiciaires qui ont été engagées l’ont été du fait de mon signalement ou pour d’autres raisons.
M. Gérald Darmanin, ministre. Vous avez parfaitement raison d’attendre un retour. J’ai d’ailleurs rappelé aux procureurs de la République combien il était important de répondre aux justiciables qui les interpellent, qu’ils soient victimes, accusés ou lanceurs d’alerte. Certains ne le font pas par manque de moyens ou pour des raisons d’organisation – tout dépend du parquet auquel vous vous êtes adressé –, mais ils le devraient. Les choses vont changer, puisque nous mettrons à disposition, en début d’année prochaine, un portail numérique – comparable au site Télérecours qui permet de saisir les juridictions administratives –, qui permettra au justiciable de suivre l’intégralité de ses relations avec la justice, qu’il s’agisse d’un dépôt de plainte ou d’un signalement au titre de l’article 40.
M. le président Xavier Breton. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Constance Le Grip (EPR). Je partage votre avis quant à la difficulté à cerner juridiquement, d’une manière parfaitement conforme à notre Constitution et à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la notion même d’entrisme, en vue de produire un texte irréprochable.
Vous avez également, en écho au ministre de l’intérieur, insisté sur la nécessité, pour nos services de renseignement, de pouvoir invoquer une finalité nouvelle qui leur permettrait d’appréhender des comportements ou des actes portant atteinte à la cohésion de la nation. Nous leur ouvririons ainsi un champ de travail nouveau, indispensable pour lutter réellement et efficacement contre les propagandistes et celles et ceux qui pratiquent l’entrisme.
Pouvez-vous en dire davantage sur le contenu de la circulaire sur la laïcité que vous vous apprêtez à diffuser ?
Que pensez-vous de la démarche entreprise par plusieurs d’entre nous pour obtenir la dissolution de l’organisation Samidoun ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Le ministère de la justice n’a jamais adressé d’instruction à l’ensemble des 500 000 agents de ses services, y compris mais pas seulement l’autorité judiciaire, pour rappeler les règles de la laïcité. Pourtant, la justice est un service public qui accueille des dizaines de milliers de Français et d’étrangers, dans les prisons, la PJJ ou l’ensemble des tribunaux de France.
La circulaire s’adressera à tous les agents – ceux de l’administration centrale, de la PJJ, de l’administration pénitentiaire et de l’autorité judiciaire. Elle visera à rappeler les règles de la laïcité. Tous les agents publics, quel que soit leur statut, même les stagiaires ou les collaborateurs à temps partiel du service public, doivent intégralement respecter le principe de neutralité religieuse et politique. Aucun agent ne doit pouvoir être soupçonné d’avoir un biais ou d’être partial, notamment lorsqu’ils ont à connaître des litiges difficiles à trancher.
J’ai fait modifier en début d’année le règlement intérieur de l’École nationale de la magistrature, afin de bien rappeler, après la survenue de deux cas, que les étudiantes ne pouvaient pas venir voilées à l’ENM. Les règles s’appliquent également aux avocats, même si je ne suis pas leur chef : je salue leur décision d’interdire de plaider avec un voile islamique, règle que n’ont pas prise d’autres pays européens.
La deuxième partie de la circulaire a trait aux devoirs des usagers du service public. Nos services accueillent de nombreux mineurs, lesquels, lorsqu’ils suivent une scolarité en prison ou dans le cadre de la PJJ, sont tenus de respecter les mêmes obligations que dans un établissement classique. Les personnes se rendant dans un tribunal ont tout à fait le droit d’exprimer leurs convictions religieuses – il s’agit de l’une des composantes de la laïcité – tant que celles-ci ne perturbent pas l’ordre public. Le président d’un tribunal a, comme celui d’un bureau de vote, toute autorité pour assurer la police de la séance. Les hommes doivent retirer leur casquette ou leur chapeau devant le juge. Très peu de cas pour lesquels les magistrats me demandaient la règle à suivre me sont remontés. Je rappelle dans cette circulaire que si l’expression religieuse est possible pour les usagers du service public au nom de la laïcité, il ne peut y avoir de provocation ni de trouble à l’ordre public. Le président ou la présidente du tribunal peut le rappeler, voire mettre fin à la séance.
N’étant plus ministre de l’intérieur, je ne m’occupe plus des dissolutions administratives, mais aucune association qui soutient le Hamas ou qui est en lien avec des réseaux ou des fronts qui se disent de libération de la Palestine, mais qui souhaitent en fait la destruction de l’État d’Israël ne devrait exister sur le territoire de la République. J’avais demandé la dissolution du Collectif Palestine vaincra, que le Conseil d’État m’a refusée, mais M. Retailleau a fort opportunément repris le flambeau. Je n’ai pas d’élément précis à vous apporter sur l’association que vous évoquez, mais toute structure ayant des liens avec le Hamas devrait être interdite, comme en Allemagne.
Mme Liliana Tanguy (EPR). Je partage votre appréciation du risque de séparatisme et d’entrisme que pose l’islam radical. Vous avez qualifié ce dernier d’ennemi culturel de la République. Le risque est présent partout dans le pays, même dans des territoires reculés comme le Finistère où je suis élue : à Brest, un imam a légitimé le viol des femmes non voilées dans ses prêches. Vous avez mentionné la loi dite de lutte contre le séparatisme, que j’ai soutenue à l’Assemblée : grâce à ce texte, des actions concrètes ont été déployées pour contrer l’endoctrinement islamiste, comme la dissolution d’associations, la fermeture temporaire ou définitive de lieux de culte, ou la fin de l’accueil d’imams détachés, envoyés et financés par des États étrangers.
Un problème profond persiste, celui de l’autoradicalisation sur les réseaux sociaux et de radicalisation des détenus en prison. Vous avez souligné le travail réalisé par le SNRP. Quels sont les moyens utilisés et les résultats obtenus dans la lutte contre la radicalisation en milieu carcéral ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je vous remercie pour vos encouragements, madame la députée. Les résultats que nous obtenons sont avant tout dus à l’action des agents pénitentiaires et au travail de mon antéprédécesseur, Éric Dupond-Moretti, sur le suivi des personnes radicalisées. Nous ne faisons pas seulement face à un problème de moyens. En prison, 346 détenus sont considérés comme des islamistes radicalisés alors qu’ils n’ont pas été condamnés pour des faits de terrorisme islamiste – ceux-là sont au nombre de 347 – mais pour des délits ou des crimes de droit commun : il y a environ 800 personnes à suivre au long cours.
Il y a de plus en plus de femmes dans cette population à surveiller, lesquelles sont incarcérées dans un quartier spécifique de la prison de Rennes. Les femmes ne représentent que 5 % de la population carcérale, mais elles sont de plus en plus nombreuses, notamment pour des faits de radicalisation islamiste.
Les peines infligées pour terrorisme islamiste étaient, il y a sept ou huit ans, avant que la loi ne change, plus courtes que maintenant. De nombreuses personnes, condamnées sous l’empire de l’ancienne législation, ont été moins suivies que les détenus plus récents et sortent actuellement de prison : nous devons assurer, avec le ministère de l’intérieur, un suivi approfondi de ces individus en milieu ouvert, c’est-à-dire à l’extérieur des établissements. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’acte terroriste perpétré par une personne sortant de prison, notamment parce que nous en réincarcérons certaines grâce à des mesures administratives – ce fut par exemple le cas pendant les Jeux olympiques l’année dernière. Élément positif, quatre‑vingt-douze établissements, soit environ la moitié du parc pénitentiaire, peuvent accueillir ces personnes.
Nous devons tisser des liens profonds avec le ministère de l’intérieur pour suivre les détenus sortant de prison. Lorsqu’une personne entre en milieu ouvert ou de suivi, le ministère de l’intérieur – la DGSI, les services de renseignement – et les psychiatres, puisqu’un quart de ces personnes souffrent de maladies psychiatriques, doivent disposer de l’ensemble des informations du SNRP et des établissements pénitentiaires. Nous devons nous améliorer sur ce point.
Il convient enfin d’expulser davantage les étrangers qui sortent de prison après avoir purgé une peine pour terrorisme islamiste ou islamisme. Les pays d’origine n’ont pas envie de les voir revenir, mais il est impératif qu’ils quittent le territoire national s’ils ne sont pas français.
M. le président Xavier Breton. Nous vous remercions, monsieur le ministre, pour vos réponses et pour votre disponibilité malgré un agenda très contraint.
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([1]) Composition de la commission d’enquête en date du 10 décembre 2025. Les changements intervenus au cours des travaux de la commission d’enquête sont disponibles en annexe.
([2]) Audition du 29 octobre 2025, compte-rendu n° 17.
([3]) Voir notamment les conclusions de la mission flash de Mme Caroline Yadan et de M. Julien Odoul sur les dérives communautaristes et islamistes dans le sport, présentées le 5 mars 2025 (https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/organes/commissions-permanentes/affaires-culturelles/actualites/conclusions-de-la-mission-flash-sur-les-derives-communautaristes-et-islamistes-dans-le-sport).
([4]) https://www.interieur.gouv.fr/actualites/dossiers-de-presse/publication-du-rapport-freres-musulmans-et-islamisme-politique-en-france
([5]) Jean-François Clément, « Pour une compréhension des mouvements islamistes », Esprit, janvier 1980.
([6]) Aussi désigné par les anglo-saxons sous le terme de « fondamentalisme ».
([7]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 74.
([8]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 15.
([9]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 10.
([10]) Ibid., p. 14.
([11]) Ibid., p. 11.
([12]) Ibid., p. 15.
([13]) Hassan al-Banna, cité par Mohammed Arkoun (in M. Arkoun, L. Gardet, L’Islam, hier demain, p. 157).
([14]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([15]) La loi islamique, également appelée Charia (ou Shari’a, la « voie à suivre »), comprend l’ensemble des droits et des devoirs qui règlent la vie des musulmans, en se fondant sur le Coran mais aussi sur la Sunna, composée des traditions se rapportant au prophète Mahomet, et notamment les hadîths (paroles et actes de Mahomet). L’interprétation temporelle des règles de la Charia par les juristes de l’islam donne lieu à une abondante jurisprudence (fiqh) et le droit islamique englobe également le consensus des savants (ijma) ainsi que l’analogie juridique (qiyas).
([16]) Olivier Roy, L’Échec de l’islam politique, Points, 2ème éd., 2015.
([17]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([18]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 15.
([19]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 11.
([20]) Olivier Roy, L’Échec de l’islam politique, Points, 2ème éd., 2015.
([21]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([22]) Bernadette Sauvaget, « Faut-il avoir peur de l’islamisme en France ? Entretien avec Haouès Seniguer », Libération, 9 mai 2021.
([23]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([24]) Hugo Micheron, La Colère et l’oubli, Éditions Gallimard Folio, 2023, p. 29.
([25]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 10.
([26]) Ibid.
([27]) Bernadette Sauvaget, « Faut-il avoir peur de l’islamisme en France ? Entretien avec Haouès Seniguer », Libération, 9 mai 2021.
([28]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 10.
([29]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([30]) Centre d’études et de recherche de l’enseignement militaire supérieur, Le salafisme : origine et principe, septembre 2006.
([31]) Hugo Micheron, La Colère et l’oubli, Éditions Gallimard Folio, 2023, p. 31.
([32]) Comme le précise Hugo Micheron dans l’ouvrage précité, « L’islam dans sa pure version salafiste ne préconise pas le passage à la violence en raison du respect du devoir d’obéissance à l’égard du "détenteur d’autorité" (wali al-amr), ce qui le différencie des jihadistes » (p. 31).
([33]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([34]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 27.
([35]) Johannes Saal, cité par Hugo Micheron (in La Colère et l’oubli, Éditions Gallimard Folio, 2023, p. 14).
([36]) Olivier Roy, L’échec de l’islam politique, Points, 2ème éd., 2015.
([37]) Voir sur ce point, Hugo Micheron dans l’ouvrage précité, p. 45.
([38]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 11.
([39]) Ibid., p. 14.
([40]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([41]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 12.
([42]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([43]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 15.
([44]) Ibid.
([45]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([46]) Ibid.
([47]) Audition du 8 octobre 2025, compte rendu n° 3.
([48]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([49]) Ibid.
([50]) Ibid.
([51]) Ibid.
([52]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([53]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([54]) La loi du 9 octobre 1981 abroge un décret-loi de 1939 qui prévoyait qu’« aucune association ne peut se former, ni exercer son activité en France, sans autorisation préalable du ministre de l’intérieur » et rétablit le droit des ressortissants étrangers de créer ou présider une association française.
([55]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 40.
([56]) Ibid.
([57]) Contribution transmise au rapporteur par la direction nationale du renseignement territorial.
([58]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 41.
([59]) Ibid.
([60]) Ibid.
([61]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([62]) Ibid.
([63]) Ibid.
([64]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 40.
([65]) Ibid., p. 44.
([66]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([67]) Ibid.
([68]) Audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 32.
([69]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([70]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 9.
([71]) Hugo Micheron, La Colère et l’oubli, Éditions Gallimard Folio, 2023, p. 145.
([72]) Mohamed-Ali Andraoui, « Le salafisme en France – socialisation, politisation, mondialisation », Confluences méditerranées, n° 95, 2016.
([73]) Ibid.
([74]) Ibid.
([75]) Mohamed-Ali Andraoui, « Être salafiste en France », Qu’est-ce que le salafisme ? (dir. Bernard Rougier), PUF, 2008, p. 236.
([76]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([77]) Mohamed-Ali Andraoui, « Être salafiste en France », Qu’est-ce que le salafisme ? (dir. Bernard Rougier), PUF, 2008, p. 235.
([78]) Gilles Kepel, « "Radicalisations" et "islamophobie" : le roi est nu », Libération, 14 mars 2016.
([79]) Hugo Micheron, La Colère et l’oubli, Éditions Gallimard Folio, 2023, p. 143.
([80]) Ibid., p. 144.
([81]) Ibid., p. 333.
([82]) Mohamed-Ali Andraoui, « Le salafisme en France – socialisation, politisation, mondialisation », Confluences méditerranées, n° 95, 2016.
([83]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([84]) Mohamed-Ali Andraoui, « Être salafiste en France », Qu’est-ce que le salafisme ? (dir. Bernard Rougier), PUF, 2008, p. 233.
([85]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([86]) Ibid.
([87]) Mohamed-Ali Andraoui, « Le salafisme en France – socialisation, politisation, mondialisation », Confluences méditerranées, n° 95, 2016. Selon cet auteur, la prédication occupe un espace central dans le mouvement salafiste, « faisant par-là de la mosquée le lieu physique cardinal de cette socialisation » et institue « le clerc comme pilier central de la société ». Par ailleurs, au-delà d’une pratique extrêmement rigoriste des préceptes islamiques, les salafis placent « le départ pour une terre d’islam [la hijra] au cœur de leur parcours », et, lorsqu’ils émigrent, choisissent pour destination l’Afrique du Nord, les pays du Golfe ou la Malaisie. Cette émigration s’inscrit, toujours selon Mohamed-Ali Andraoui, dans le cadre d’un dédain affiché par les adeptes du salafisme envers des « sociétés foncièrement non (voire anti) musulmanes ».
([88]) Hugo Micheron, La Colère et l’oubli, Éditions Gallimard Folio, 2023, p. 45.
([89]) Ibid., p. 55.
([90]) Ibid., p. 56.
([91]) DGSI, Les Français dans les filières syro-irakiennes, site internet du ministère de l’intérieur, mis à jour le 26 novembre 2024.
([92]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([93]) Hugo Micheron, La Colère et l’oubli, Éditions Gallimard Folio, 2023, p. 272.
([94]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([95]) Ibid.
([96]) Décret du 5 mars 2015 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste » (FSPRT).
([97]) La DGSI souligne toutefois que le FSPRT a été spécifiquement créé en lien avec le phénomène des filières syro‑irakiennes qui a frappé notre territoire. Ce fichier peut également concerner des individus susceptibles de vouloir prendre part à des activités violentes, voire à caractère terroriste, mais il n’a pas pour objet le suivi des islamistes et de l’islam politique en France.
([98]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([99]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([100]) Ibid.
([101]) Christophe Cornevin et Jean Chichizola, « Islamisme, ultragauche, écologie radicale… Les nombreux défis du patron du renseignement territorial », Le Figaro, 30 mai 2024.
([102]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([103]) Gilles Kepel, Le Prophète et la pandémie. Du Moyen-Orient au jihadisme d’atmosphère, Gallimard, 2021.
([104]) Site du secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, « Nouvelle menace : le "jihadisme d’atmosphère" », 30 avril 2021.
([105]) Ibid.
([106]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([107]) Ibid.
([108]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5. La troisième attaque a été notifiée au rapporteur à la suite de cette audition.
([109]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([110]) Ibid.
([111]) Contribution transmise au rapporteur par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris.
([112]) Contribution transmise au rapporteur par la direction nationale du renseignement territorial.
([113]) Sénat, rapport de Mme Jacqueline Eustache-Brinio, fait au nom de la commission d’enquête "Radicalisation islamiste : faire face et lutter ensemble", n° 595 (2019-2020), déposé le 7 juillet 2020, synthèse, p. 1.
([114]) Contribution transmise au rapporteur par la direction nationale du renseignement territorial.
([115]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 9.
([116]) Contribution transmise au rapporteur par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris.
([117]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur.
([118]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([119]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([120]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([121]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([122]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur.
([123]) Ibid.
([124]) Ibid.
([125]) Audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 32.
([126]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur
([127]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([128]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([129]) Contribution transmise au rapporteur par la direction nationale du renseignement territorial.
([130]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 13.
([131]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([132]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([133]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([134]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([135]) William Molinié, « Islamisme : Comment les Frères musulmans font main basse sur les quartiers », Le Journal du Dimanche, 25 juin 2025.
([136]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([137]) William Molinié, « Islamisme : comment les Frères musulmans font main basse sur les quartiers », Le Journal du Dimanche, 25 mai 2025.
([138]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([139]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([140]) Contribution transmise au rapporteur par la direction nationale du renseignement territorial.
([141]) Ibid.
([142]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([143]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([144]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([145]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([146]) Ibid.
([147]) Les IESH sont les « principales institutions d’enseignement supérieur privé de la mouvance [frériste] en Europe » (Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 31).
([148]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([149]) Mohamed-Ali Andraoui, « Être salafiste en France », Qu’est-ce que le salafisme ? (dir. Bernard Rougier), PUF, 2008, p. 238.
([150]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([151]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 50.
([152]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([153]) Ibid.
([154]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 49.
([155]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([156]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 49.
([157]) Ibid.
([158]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 22.
([159]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur.
([160]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 18.
([161]) Selon le rapport précité du ministère de l’intérieur, l’idéologie colportée par les islamistes demeure « fondée sur une détermination "sexo-spécifique, voire sexuée" qui érige la non-mixité en règle et instrumentalise le port du voile », ce dernier étant devenu un véritable marqueur politique (p. 16).
([162]) Le même rapport souligne la permanence d’un discours antisémite prégnant, comme l’illustrent certaines prises de parole d’Hani Ramadan et d’Hassan Iquioussen.
([163]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 15.
([164]) Ibid., p. 20.
([165]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur.
([166]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([167]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([168]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([169]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 29.
([170]) Audition du 29 octobre 2025, compte-rendu n° 17.
([171]) Créée en 1989, la Fédération des organisations islamistes d’Europe (FOIE) est renommée Conseil des musulmans européens (CEM) en 2020.
([172]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([173]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 29.
([174]) Ibid.
([175]) Ibid.
([176]) Audition du 8 octobre 2025, compte rendu n° 3.
([177]) Ibid.
([178]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 31.
([179]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([180]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 31.
([181]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 35.
([182]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 25.
([183]) Ibid.
([184]) Ibid.
([185]) Ibid.
([186]) Ibid.
([187]) Ibid.
([188]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 34.
([189]) Ibid.
([190]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([191]) Ibid.
([192]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([193]) Ibid.
([194]) Contribution transmise au rapporteur par la direction nationale du renseignement territorial.
([195]) Ibid.
([196]) Contribution transmise au rapporteur par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris.
([197]) Ibid.
([198]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([199]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([200]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([201]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([202]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 44.
([203]) Inspection générale de l’administration, La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : bilan de la mise en œuvre, état des faits de séparatisme et propositions, 2025.
([204]) Créée sous l’impulsion de l’UOIF, cette fédération est domiciliée au siège de Musulmans de France et dirigée par l’un des vice-présidents de l’association.
([205]) Le contrat d’association du lycée Averroès a été résilié par une décision préfectorale du 7 décembre 2023. Cette décision a été annulée par le Tribunal administratif de Lille le 23 avril 2025.
([206]) Le contrat d’association du groupe scolaire Al-Kindi a été résilié par une décision préfectorale du 10 janvier 2025.
([207]) Inspection générale de l’administration, La loi du 24 août 2021, état de la mise en œuvre, état des faits de séparatisme et propositions, 2025.
([208]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 52.
([209]) Ibid.
([210]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 46.
([211]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([212]) Inspection générale de l’administration, La loi du 24 août 2021, état de la mise en œuvre, état des faits de séparatisme et propositions, 2025.
([213]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 24.
([214]) Ibid.
([215]) Ibid.
([216]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 61.
([217]) Audition du 8 octobre 2025, compte rendu n° 3.
([218]) Ibid.
([219]) Ibid.
([220]) Audition du 30 octobre 2025, compte rendu n° 18.
([221]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 24.
([222]) Ibid.
([223]) Ibid.
([224]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 13.
([225]) Audition du 8 octobre 2025, compte rendu n° 3.
([226]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([227]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 24.
([228]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([229]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 46.
([230]) Ibid., p. 47
([231]) Les activités du fonds Al Wakf ont été suspendues pour une durée de six mois par une décision du préfet de la Seine-Saint-Denis en date du 23 janvier 2023, renouvelée le 4 août 2023. Le fonds de dotation a été dissout par une décision du Tribunal judiciaire de Bobigny du 4 juillet 2024, en ce qu’il a financé des activités cultuelles et procédé à des appels à la générosité du public sans autorisation administrative préalable.
([232]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 52.
([233]) Ibid.
([234]) Commission des affaires culturelles et de l’éducation, Mission flash sur les dérives communautaristes et islamistes dans le sport, XVIème législature, 5 mars 2025.
([235]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 53.
([236]) Contribution transmise au rapporteur par la direction nationale du renseignement territorial.
([237]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([238]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 9.
([239]) Hugo Micheron, La Colère et l’oubli, Éditions Gallimard Folio, 2023, p. 386.
([240]) Ibid., pp. 393-394.
([241]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 51.
([242]) Ibid.
([243]) Ces termes sont définis en partie I.
([244]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 51.
([245]) Contribution transmise au rapporteur par la direction nationale du renseignement territorial.
([246]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([247]) Audition du 8 octobre 2025, compte rendu n° 3.
([248]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 23.
([249]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 9.
([250]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([251]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([252]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 22.
([253]) Contribution transmise au rapporteur par le préfet Alexandre Brugère.
([254]) Ibid.
([255]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([256]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([257]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 51.
([258]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([259]) Audition du 8 octobre 2025, compte rendu n° 3.
([260]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 20.
([261]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 23.
([262]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([263]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([264]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([265]) Ibid.
([266]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([267]) Erwan Seznec, Nos élus et l’islam, Robert Laffont, 2020, p. 9.
([268]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([269]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 21.
([270]) Ibid.
([271]) Ibid.
([272]) Ibid.
([273]) Ibid.
([274]) Ibid.
([275]) Ibid.
([276]) Ibid.
([277]) Selon Nora Bussigny, une maire « a été soumise à de fortes pressions de la part des militants propalestiniens locaux pour mettre un terme au jumelage historique entre [sa commune] et la ville israélienne de Ramat Gan. J’ai personnellement assisté à l’une de ces manifestations, au cours de laquelle les participants, munis de haut-parleurs et accompagnés d’un camion arborant des messages en faveur de la résistance palestinienne, scandaient dans les rues leur opposition à ce qu’ils qualifiaient de "jumelage de la honte" » (audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10).
([278]) Contribution transmise au rapporteur par le préfet Alexandre Brugère.
([279]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 23.
([280]) Ibid.
([281]) Ibid.
([282]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 21.
([283]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([284]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([285]) Contribution transmise au rapporteur par le préfet Alexandre Brugère.
([286]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([287]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 21.
([288]) Ibid.
([289]) Ibid.
([290]) Contribution transmise au rapporteur par la préfecture de la Seine-Saint-Denis.
([291]) Contribution transmise au rapporteur par le préfet Alexandre Brugère.
([292]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([293]) Ibid.
([294]) Contribution transmise au rapporteur par le préfet Alexandre Brugère.
([295]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([296]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 21.
([297]) Ibid.
([298]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([299]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 9.
([300]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([301]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([302]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 20.
([303]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([304]) Contribution transmise au rapporteur par le préfet Alexandre Brugère.
([305]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 21.
([306]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([307]) Ibid.
([308]) Audition du 16 novembre 2025, compte rendu n° 8.
([309]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([310]) Audition du 29 novembre 2025, compte rendu n 16.
([311]) Ibid.
([312]) Audition du 8 octobre 2025, compte rendu n° 3.
([313]) Ibid.
([314]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 26.
([315]) Ibid.
([316]) Ibid.
([317]) Ibid.
([318]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 26.
([319]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([320]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 9.
([321]) CNCCFP, Guide à l’usage des candidats aux élections et de leur mandataire, édition 2025-2026.
([322]) Chris Harman, « Le prophète et le prolétariat », International Socialism Journal, 2:64, Automne 1994.
([323]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 13. Voir également, Florence Bergeaud-Blackler, « Le problème de la gauche avec l’islamisme. Sur la postérité française de Chris Harman », Cités, n° 100,2024/4, pp. 381 à 393.
([324]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 14.
([325]) Nora Bussigny, Les nouveaux antisémites, Albin Michel, 2025.
([326]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10.
([327]) Ibid.
([328]) Contribution transmise au rapporteur par la direction nationale du renseignement territorial.
([329]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([330]) « Appel pour les assises de l’anticolonialisme postcolonial : Nous sommes les Indigènes de la République ! », janvier 2005.
([331]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([332]) Ministère de l’Intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 21.
([333]) Décret du 2 décembre 2020 portant dissolution d’un groupement de fait.
([334]) « Le 10 novembre, à Paris, nous dirons STOP à l’islamophobie ! », tribune publiée dans Libération, 1er novembre 2019.
([335]) « La marche contre l’islamophobie a rassemblé 13 500 participants, selon le cabinet indépendant Occurrence », franceinfo.fr, 10 novembre 2019.
([336]) Jacques Pezet, « Pourquoi le cri "Allahu akbar" a-t-il été scandé pendant la marche contre l’islamophobie ? », Libération, Checknews, 10 novembre 2019.
([337]) Selon M. Pierre-André Taguieff, « en France comme ailleurs, ont fait preuve de complaisance, voire de connivence avec certaines mouvances islamistes », Pierre-André Taguieff, Liaisons dangereuses : islamo‑nazisme, islamo-gauchisme, Hermann, 2021, p. 92.
([338]) Rémi Dupré, Abdelhak El Idrissi, Damien Leloup et Florian Reynaud, « L’ancien député Hubert Julien-Laferrière mis en examen pour corruption dans un dossier d’ingérences étrangères », Le Monde, 24 juillet 2024.
([339]) Erwan Seznec et Géraldine Woessner, « Les écologistes confrontés aux accusations d’entrisme islamiste », Le Point, 22 août 2025.
([340]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 23.
([341]) Audition du 2 décembre 2025, compte rendu n° 30.
([342]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10.
([343]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 14.
([344]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([345]) M. Pierre-André Taguieff, théorisait le concept « d’islamo-droitisme », qui concerne des mouvements situés à l’extrême droite : « Si l’expression "islamo-gauchisme" désigne une réalité sociohistorique aujourd’hui observable mais aux contours flous, qu’il convient donc d’étudier de plus près, il ne faudrait pas oublier, pour autant, les multiples figures historiques de ce qu’on pourrait appeler très approximativement "l’islamo‑droitisme", en précisant que ce qui est en question, ce sont des couplages idéologico-politiques entre des mouvements situés à l’extrême droite et des courants islamistes. Dans le nom composé, le "droitisme", terme ambigu, réfère à des droites antidémocratiques et antilibérales. Il renvoie ici plus précisément, d’une part, à certains milieux antisémites d’extrême droite qui, souvent fascinés par l’islam, ont vu dans les courants du panarabisme et du panislamisme, notamment depuis la déclaration Balfour (2 novembre 1917), des alliés dans leur combat contre les juifs et, d’autre part, à des mouvements islamistes qui, pour diverses raisons, se sont engagés dans une politique d’alliance avec les fascistes ou les nazis », Pierre-André Taguieff, « L’islamo‑droitisme, ça existe aussi », Le Point, 2 novembre 2020.
([346]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([347]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 14.
([348]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 9.
([349]) Ibid.
([350]) Ibid.
([351]) L’acronyme LGBT fait référence aux personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres.
([352]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([353]) Ibid.
([354]) Ministère de l’Intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 21.
([355]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([356]) Ibid.
([357]) Ibid.
([358]) Coordination des appels pour une paix juste au Proche-Orient – EuroPalestine.
([359]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([360]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([361]) Audition du 30 octobre 2025, compte rendu n° 18.
([362]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([363]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([364]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10.
([365]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([366]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6. Ce dernier observait par ailleurs que la position française sur le conflit avait pu alimenter les tensions : « Dans le contexte de la mission que nous menions, nous avons perçu chez nos interlocuteurs musulmans beaucoup de frustration devant ce qui était perçu, à tort ou à raison, comme un biais pro-israélien marqué des positions de la France. Certains se sont demandé pourquoi nous évoquions la reconnaissance de l’État de Palestine parmi les préconisations du rapport. Pascal Courtade a évoqué le concept d’islamophobie, que nous récusons certes, mais que les Islamistes utilisent avec un bonheur certain, au point d’avoir réussi à convaincre nombre de nos compatriotes de confession, de tradition, de culture ou de foi musulmane – et ils sont plusieurs millions – qu’il y a effectivement en France une islamophobie, voire une islamophobie d’État. Or, ce qui se passait à Gaza au même moment apportait de l’eau au moulin du narratif islamiste accusant nos autorités de se montrer insensibles aux souffrances des Palestiniens, précisément parce qu’ils sont musulmans à 99 % ».
([367]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([368]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([369]) Rapport Assistes de lutte contre l’antisémitisme, publié sur le site de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), 28 avril 2025, p. 13.
([370]) Il est toutefois précisé que « Le recensement des actes par la DNRT, réalisé en collaboration avec les associations, est effectué selon une méthodologie extrêmement rigoureuse laquelle, notamment parce qu’elle n’enregistre que les faits ayant donné lieu à un dépôt de plainte, est en deçà de la réalité ».
([371]) Ibid.
([372]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur. La DLPAJ précise toutefois que ces données sont issues du recensement des faits qui signalés à la DNRT par les forces de sécurité intérieure. En ce sens la DLPAJ indique qu’elles ne constituent pas une statistique institutionnelle mais permettent d’établir une tendance après consolidation.
([373]) Propos tenus par le ministre de l’intérieur devant la commission des lois du Sénat, à l’occasion de l’examen des amendements au projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, le mardi 27 février 2024.
([374]) Site du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, « Russie – Nouvelle ingérence numérique russe contre la France », communiqué publié le 9 novembre 2023.
([375]) Une publication du collectif Union pour la Palestine Marseille, publiée sur Facebook le 4 juillet 2025, indique que le procès de M. Hazamy, initialement prévu en juillet 2025, a été reporté à avril 2026.
([376]) Arrêté du 5 août 2025 portant application des articles L. 562-2 et suivants du code monétaire et financier.
([377]) Rapport « L’infiltration en France de la République islamique d’Iran », réalisé par une mission présidée par Gilles Platret, publié par le mouvement d’idées France 2050 en octobre 2025.
([378]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 14.
([379]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([380]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 26.
([381]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 26.
([382]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([383]) Omar Youssef Souleimane, Les Complices du mal, Plon, octobre 2025.
([384]) Ibid.
([385]) La vidéo « Stop au génocide ! Stop aux massacres ! », publiée sur la chaine YouTube de La France insoumise le 16 octobre 2024, coupe habilement l’intervention de M. Alsoumi et commence au moment où celui-ci donne le micro à M. Bompard.
([386]) Ouest France, « Le porte-parole du collectif Urgence Palestine sera jugé en mai 2026 pour apologie du terrorisme », article publié le 8 novembre 2025.
([387]) Ministère de l’Intérieur, « Dissolution de trois groupements de faits », communiqué de presse du 16 mai 2025.
([388]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([389]) Contribution écrite transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([390]) Alice Pairo-Vasseur, « La campagne pro-abaya se poursuit sur Internet », Le Point, 13 septembre 2023.
([391]) Erwan Seznec et Antoine Bouchet, « Elias d’Imzalène : d’Alain Soral à LFI, l’islam comme seule boussole », Le Point, 9 septembre 2024.
([392]) Au 20 novembre 2025, le site Islam et infos ne semble plus en activité mais dispose encore d’une page Facebook suivie par près de 525 000 personnes.
([393]) Bartolomé Simon, « Appel à l’intifada, rapprochement avec LFI… le jeu dangereux de Perspectives musulmanes », Le Point, 29 septembre 2024.
([394]) Emma Ferrand, « "Prêts à mener l’intifada dans Paris ?" : enquête ouverte après le violent appel d’Elias d’Imzalène lors d’une manifestation propalestinienne », Le Figaro, 13 septembre 2024.
([395]) Arrêté du 13 janvier 2025 portant application des articles L. 562-2 et suivants du code monétaire et financier.
([396]) « A sham charity that serves as an international fundraiser for the Popular Front for the Liberation of Palestine (PFLP) terrorist organization ». Département du Trésor des États-Unis, « United States and Canada Target Key International Fundraiser for Foreign Terrorist Organization PFLP », communiqué de presse du 15 octobre 2024.
([397]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10.
([398]) « Samidoun : Commémoration du martyre of Yahya Sinwar, héros de l’intifada mondiale », communiqué publié sur le site samidoun.net le 17 octobre 2025.
([399]) « 7 octobre Déluge d’Al-Aqsa : Voilà deux ans aujourd’hui que la révolution palestinienne résiste au génocide ; les tâches urgentes de notre mouvement », communiqué publié sur le site samidoun.net le 9 octobre 2025.
([400]) Élodie Safaris, « "Les nouveaux antisémites" : l’obsession Rima Hassan (3/3) », Arrêt sur images, 3 novembre 2025.
([401]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([402]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10.
([403]) « Solidarité avec Elias d’Imzalène et tous-tes les personnes visé-es pour leur soutien au peuple palestinien ! », communiqué publié sur le site de Samidoun le 28 septembre 2024.
([404]) Omar Youssef Souleimane, Les Complices du mal, Plon, octobre 2025.
([405]) « Libérez Omar al-Soumi ! Libérez la Palestine ! », message publié sur le compte Instagram de Perspectives musulmanes le 7 novembre 2025.
([406]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10.
([407]) Ibid.
([408]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([409]) Pour Nora Bussigny : « Lorsque des élus politiques participent à de telles manifestations ou rencontres, ils offrent une caution républicaine et institutionnelle à des mouvements de nature révolutionnaire […] Ces exemples, parmi d’autres, montrent que leur présence fonctionne comme une forme de caution, pouvant conduire les militants à considérer que, si ces représentants institutionnels ne réagissent pas lorsque certaines limites sont franchies, c’est qu’il n’existe finalement aucune limite à respecter. Ce n’est que lorsque les médias relaient certains propos et les qualifient d’apologie du terrorisme que ces militants s’étonnent d’une telle caractérisation, puisqu’ils constatent que des élus étaient présents sans manifester la moindre désapprobation » (audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10).
([410]) Manifestation nationale en solidarité avec la Palestine le 29 novembre 2025, texte d’appel publié sur le site du NPA, 12 novembre 2025.
([411]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([412]) Hugo Micheron, La Colère et l’oubli, Éditions Gallimard Folio, 2023, p. 386.
([413]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 13.
([414]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 14.
([415]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 17.
([416]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 22.
([417]) Ibid.
([418]) Audition du 30 octobre 2025, compte rendu n° 18.
([419]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([420]) Ibid.
([421]) Audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 31 : « vous avez évoqué mon évolution, à juste raison. Mon point de vue a évolué de manière générale, pas seulement concernant l’islam ».
([422]) Le rapporteur remarque d’ailleurs que M. Talpin, chercheur au CNRS, est lié à l’association Alliance citoyenne, qui a milité pour le burkini dans les piscines et le port du hidjab pour les footballeuses, dont il préside l’Institut Alinsky.
([423]) Julien Talpin (dir.), Nouveau peuple, nouvelle gauche, Les livres de l’Institut La Boétie, éditions Amsterdam, septembre 2025.
([424]) Mathieu Dejean, « Julien Talpin : "Toutes les classes populaires ne se sont pas détournées de la gauche" », Mediapart, 24 août 2025.
([425]) Louis Nadau, « "Nouveau peuple, nouvelle gauche" : (inquiétant) précis de doctrine insoumise », Marianne, 29 septembre 2025.
([426]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 7.
([427]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([428]) Gérald Andrieu, « Mélenchon : la candidate voilée du NPA relève du racolage », Marianne, 4 février 2010.
([429]) Propos tenus par Jean-Luc Mélenchon dans l’émission « Face aux Chrétiens », sur KTO télévision catholique, 5 mars 2015.
([430]) Propos tenus par Jean-Luc Mélenchon dans « L’Émission politique », sur France 2, 23 février 2017.
([431]) « 3 heures pour penser le XXIe siècle avec Jean-Luc Mélenchon », vidéo postée sur la chaîne YouTube de Jean-Luc Mélenchon, 26 juin 2025.
([432]) Jean-Luc Mélenchon précise: « Je ne vais pas contester que certaines personnes portent un foulard comme un signe de leur appartenance à la religion musulmane. Il y a aussi des Français qui portent des croix très visibles, y compris des collègues à qui il a fallu demander de les retirer, etc. On connaît tout ça. Oui, c’est vrai, il y a des gens qui se mettent ça sur la tête comme un signal religieux. Bien. À nous de faire preuve de discernement. C’est l’État qui est laïque en France, ce n’est pas la rue. Les adultes s’habillent comme ils l’entendent sauf si leur tenue venait à choquer par la nudité, ce qui n’est pas le cas du voile. Pour le reste, le seul habit interdit est la burqa » (audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 31).
([433]) Tweet publié le 27 mai 2025 sur le compte de Jean-Luc Mélenchon.
([434]) Tweet publié le 21 novembre 2015 sur le compte de Jean-Luc Mélenchon.
([435]) Tribune, « Le 10 novembre, à Paris, nous dirons STOP à l’islamophobie ! », Libération, 1er novembre 2019.
([436]) « 3 heures pour penser le XXIe siècle avec Jean-Luc Mélenchon », vidéo postée sur la chaîne YouTube de Jean-Luc Mélenchon,26 juin 2025.
([437]) Ibid.
([438]) Proposition de résolution de M. Idir Boumertit et plusieurs de ses collègues tendant à la création d’une commission d’enquête portant sur l’islamophobie, n° 1271, déposée le 9 avril 2025.
([439]) Ifop pour La Croix, Le vote des électorats confessionnels au 1er tour de l’élection présidentielle, 10 avril 2022.
([440]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 28.
([441]) S’agissant du sondage Ifop pour La Croix relatif à l’élection présidentielle de 2022, M. Kraus précise : « un quart des personnes interrogées étant étrangères, elles ne pouvaient pas voter ; 15 % étaient françaises mais pas inscrites sur les listes électorales – cette inscription n’est ni automatique ni généralisée. Seules 600 personnes environ de notre échantillon étaient donc à même de voter à la présidentielle de 2022. Et, compte tenu de la surreprésentation des catégories populaires chez les musulmans, vous ne serez pas surpris d’apprendre qu’il y avait in fine moins de votants que dans les autres communautés ».
([442]) François Kraus indique que :« Dans des enquêtes un peu plus limitées au cours des années 2010, l’Ifop avait mesuré cet ancrage massif à gauche des personnes de confession musulmane. À partir de 2012, on a assisté à un basculement en faveur de Jean-Luc Mélenchon, qui a réussi à attirer l’essentiel de ce vote de gauche longtemps capté par les socialistes, ou de façon moindre par les communistes – notamment, pour ces derniers, dans des villes de la banlieue rouge où il y avait une forte personnalité locale » (Ibid.).
([443]) Ifop pour La Croix, Le vote des électorats confessionnels au 1er tour de l’élection présidentielle, 10 avril 2022.
([444]) Ifop pour La Croix, Le vote des électorats confessionnels aux élections européennes, 9 juin 2024.
([445]) À titre de comparaison, 29 % des électeurs catholiques ont voté en 2022 pour Emmanuel Macron, 27 % pour Marine Le Pen, et 14 % pour Jean-Luc Mélenchon.
([446]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 28.
([447]) Conduites par l’Institut national d’études démographiques (Ined) et l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) à deux reprises (2008-2009 ; 2019-2020), ces enquêtes cherchent à améliorer la connaissance statistique des questions d’immigration et d’intégration, sans mesurer spécifiquement le vote confessionnel.
([448]) Audition du 26 novembre 2025, compte rendu n° 29. M. Tiberj ajoute : « Le regard de la société sur nos compatriotes d’origine immigrée a un impact sur la manière dont ils se projettent en politique. Quand on étudie un clivage politique, il faut toujours distinguer ce qui vient des citoyens, ce qui vient de l’offre politique et ce qui vient de la société ».
([449]) Ibid.
([450]) Audition du 30 octobre 2025, compte rendu n° 18.
([451]) Ibid.
([452]) Audition du 26 novembre 2025, compte rendu n° 29.
([453]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 7.
([454]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10.
([455]) Ibid.
([456]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 13.
([457]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 22.
([458]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 23.
([459]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 22.
([460]) Ibid.
([461]) Ibid.
([462]) Ibid.
([463]) Ibid.
([464]) Erwan Seznec, Nos élus et l’Islam, Robert Laffont, 2020.
([465]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 23.
([466]) Ibid.
([467]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 22.
([468]) Ibid.
([469]) Le communiqué « Hommage aux victimes du 7 octobre et à celles provoquées depuis par les offensives israéliennes sur Gaza, la Cisjordanie et le Liban. Cessez-le-feu ! », publié sur le site de La France insoumise le 7 octobre 2024, marque une légère inflexion dans la position du mouvement, l’attaque du Hamas étant finalement qualifiée d’« acte terroriste ».
([470]) « Israël-Palestine : pour une paix juste et durable, stop à l’escalade ! », communiqué publié sur le site de La France insoumise le 7 octobre 2023.
([471]) Ces propos, exprimés sur Sud Radio le 17 octobre 2023, ont été contestés y compris au sein de La France insoumise, le député Arnaud Le Gall déclarant le même jour, lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale : « Nous n’apportons aucun soutien au Hamas, qui n’est pas un mouvement de résistance ».
([472]) Laurence Benhamou, « Polémique Mort d’Ismaïl Haniyeh : le PS critique un post de Sophia Chikirou, qui se défend », Libération,4 août 2024.
([473]) Cnews, « Mort de Yahya Sinouar : Jean-Luc Mélenchon estime que tuer le chef du Hamas "était une erreur" », 19 octobre 2024. Pour M. Mélenchon, il s’agissait d’une erreur notamment car M. Sinwar était un interlocuteur pour la libération des otages.
([474]) Propos exprimés sur X le 22 août 2024, son autrice précisant que « pour l’écrasante majorité des experts internationaux et notamment onusiens les violations du droit international commises par le Hamas le 7 octobre peuvent relever de crimes de guerre. Il appartient aux juridictions internationales de poursuivre leur travail en ce sens ».
([475]) Propos exprimés sur Sud radio, le 27 février 2025. Dans une série de tweets du 12 mars 2024, Rima Hassan justifie ses propos, qu’elle a précisés auprès d’Arrêt sur images (« "Action légitime" du Hamas : autopsie de la polémique Rima Hassan », 13 mai 2024) : « Pour elle, l’action politique du Hamas, contrairement à sa branche armée, est légitime. C’est en ce sens qu’elle répond "vrai". "On peut dire que le Hamas a une légitimité dans un contexte de lutte pour l’autodétermination. C’est un parti politique qui a été élu. Mais quand ils commettent des crimes, ils sont en dehors du cadre prévu par les Nations unies." Cet aspect-là des actions du Hamas est bien, selon elle, illégitime. "Depuis le début, je parle de "crimes de guerre" pour qualifier les attaques du 7-Octobre notamment." Et même, insiste-t-elle, "de mode opératoire terroriste" ».
([476]) Congrès national africain.
([477]) Propos exprimés sur la chaîne YouTube Thinkerview, le 2 septembre 2025.
([478]) Propos exprimés sur X le 29 septembre 2025.
([479]) Mme Hassan a elle-même communiqué sur sa participation, notamment par un tweet du 10 mai 2024.
([480]) La présence de M. Abu Zuhri est d’ailleurs mise en valeur par l’Agence de presse de la République islamique, dans l’article « Les prisonniers de l’occupation ne verront pas la lumière du jour tant que l’occupation ne respectera pas les conditions de la résistance (Hamas) », publié sur son site le 14 mai 2024.
([481]) Voir notamment le communiqué « Le camarade Jamil Mazhar, secrétaire général adjoint du Front populaire : "La résistance à Gaza livre la plus grande épopée de notre époque, et nous sommes pleinement confiants dans une victoire éclatante. " », publié le 11 mai 2024 sur le site du FPLP.
([482]) Nora Bussigny, « Rima Hassan s’affiche pro-Hamas sans réserve en Jordanie », Le Point, 17 août 2024.
([483]) La journaliste Élodie Safaris, dans une contre-enquête publiée par Arrêt sur images le 30 octobre 2025, « Les nouveaux antisémites" : des récits contestés par les protagonistes (2/3) », précise que Rima Hassan avait publié un communiqué sur X, le 20 août 2024, pour « clarifier la situation », dans lequel elle indique que « depuis octobre, tous les vendredis, se tient une manifestation en soutien à Gaza parce que c’est le jour de repos » et déclare que : « utiliser de façon grossière des photos de quelques manifestants qui affichaient leur soutien au Hamas en me les imputant c’est profondément malhonnête. Je ne suis pas responsable de qui participe à la manif et c’est surtout ne rien comprendre au contexte de la région ». Interrogé sur cette manifestation, Jean-Luc Mélenchon a lui aussi affirmé qu’il s’agissait d’une simple manifestation hebdomadaire à laquelle Mme Hassan, étant sur place, a jugé bon de participer.
([484]) Tweet publié le 21 novembre 2025 sur le compte de Rima Hassan.
([485]) Acronyme de « Harakat al-muqâwama al-islâmiya ».
([486]) La première « intifada », qui signifie « soulèvement » en arabe, désigne la période de conflit qui s’étend du 9 décembre 1987 à la signature des accords d’Oslo en 1993.
([487]) Traduction de l’historien Jean-François Legrain, publiée p. 152-166 de son ouvrage Les voix du soulèvement palestinien 1987-1988, Centre d’études et de documentation économique, juridique et sociale, 1991. La référence aux Frères musulmans a été supprimée de la charte publiée par le Hamas en 2017.
([488]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 13.
([489]) Audition du 30 octobre 2025, compte rendu n° 18.
([490]) Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Territoires palestiniens - La France exprime sa très vive préoccupation face au nombre de victimes civiles à Gaza, communiqué du 3 novembre 2023.
([491]) NPA, « Offensive de Gaza : nous sommes tous et toutes palestinienNEs ! », communiqué publié le samedi 7 octobre 2023.
([492]) Tweet publié le 5 novembre 2025 sur le compte de Thomas Portes.
([493]) « Meaux (Seine-et-Marne) : le militant palestinien Omar Alsoumi gardé à vue », communiqué publié sur le site du NPA le 7 novembre 2025.
([494]) Vidéo partagée sur le compte Facebook d’Ersilia Soudais le 24 septembre 2024.
([495]) Lors de son audition, M. Razavi a également fait mention des liens de M. Hamouri avec Rima Hassan, Mathilde Panot, Ersilia Soudais ou encore Sébastien Delogu.
([496]) Dans un communiqué publié sur le site France diplomatie le 18 décembre 2022, la France a condamné cette expulsion en la jugeant « contraire au droit ».
([497]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 7.
([498]) Dans son édito « Gaza, une prison à ciel fermé », publié le 10 octobre 2023 sur le site thomasportes93.com, Thomas Portes indique qu’Abu Amir Eleiwa a effectué le déplacement au Caire spécialement pour rencontrer sa délégation. Malgré cela, interrogé sur ce cas, M. Mélenchon laisse penser que Thomas Portes ignorait l’identité d’Abu Amir Eleiwa : « Alors le type qui est à côté de lui est M. Machin ou M. Bidule. Soit ! Si c’est un personnage qui n’est pas fréquentable, ne le fréquentons pas. À l’époque, Thomas n’en sait rien du tout. Il y a un type qui est à côté de lui et qui lui dit qu’il va l’aider à passer la frontière, voilà tout. Il peut se trouver que, à certains moments, on se trouve à côté de gens qu’on n’a pas envie de fréquenter. Je pense que c’était le cas. De même me suis-je trouvé parfois, dans des manifestations, avec des hurluberlus – pas seulement du point de vue religieux, des hurluberlus au sens le plus radical du terme, portant des pancartes étranges » (audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 31).
([499]) Jean Chichizola, « Hamas : une association française visée par une enquête pour financement du terrorisme », Le Figaro, 15 juillet 2024.
([500]) Arrêté du 5 juin 2024 portant application des articles L. 562-2 et suivants du code monétaire et financier, renouvelé par les arrêtés du 12 décembre 2024 et du 6 juin 2025 du même nom.
([501]) « Gaza, une prison à ciel fermé », édito publié le 10 octobre 2023 sur le site thomasportes93.com.
([502]) Mathieu Dejean et Pauline Graulle, « À l’Assemblée, une atmosphère de « chasse aux sorcières » contre les collaborateurs insoumis », Mediapart, 3 juin 2025.
([503]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 40 et p. 43.
([504]) Omar Youssef Souleimane, Les Complices du mal, Plon, octobre 2025, p. 123.
([505]) Le Figaro, « Bruno Retailleau saisit la justice contre un collaborateur d’une députée LFI pour appel à l’insurrection », 28 avril 2025.
([506]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10.
([507]) Devant notre commission d’enquête celui-ci déclare : « Nos compatriotes doivent savoir que vous, moi, M. le rapporteur, d’autres ici, qui ne sommes d’accord sur rien, sommes au moins d’accord sur un point : nous ne confondons pas l’islam et l’islamisme ; nous ne confondons pas non plus l’islamisme avec le terrorisme. Je le leur dis, me faisant le porte-parole de tout le monde ici. Au nom de ce pays, j’affirme que nous ne confondons pas » (audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 31).
([508]) Décision prise en application de l’article 13 du règlement de l’Assemblée nationale.
([509]) Interdiction d’entrée de Mme Abu Daqqa à l’Assemblée nationale, communiqué de presse de la Présidence de l’Assemblée nationale, 9 octobre 2023.
([510]) Alors que l’arrêté du ministre de l’intérieur et des outre-mer du 14 octobre 2023, prononçant l’expulsion de Mariam Abu Daqqa du territoire français en urgence absolue pour menace grave à l’ordre public et le retrait de son visa de court séjour, avait été suspendu en référé par l’ordonnance n° 2323894 du tribunal administratif de Paris le 20 octobre, cette ordonnance avait elle-même été annulée par l’ordonnance n° 489045 du Conseil d’État le 8 novembre.
([511]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 43.
([512]) Décret du 2 décembre 2020 portant dissolution d’un groupement de fait. Le rapporteur rappelle d’ailleurs que la députée Ersilia Soudais, lors des questions au Gouvernement du 15 janvier 2025, a fait référence à « la scandaleuse dissolution du CCIF ». Lors de son audition, Jean-Luc Mélenchon a affirmé que cette organisation n’aurait pas dû être dissoute : « il y a le droit, que voulez-vous ! Le Conseil d’État dit que oui, on peut dissoudre. Mais la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat des avocats de France, le Syndicat de la magistrature, qui ne sont pas des organisations gauchistes, en tout cas pas à mes yeux sinon aux vôtres, et des organisations de professionnels du droit, disent que c’est absolument intolérable, qu’on a fait une erreur pas possible. D’autant que le Conseil n’a pas dit : "Oui, il faut le dissoudre". Le Conseil, qui a donné son avis, a dit : "Oui, vous pouvez dissoudre". Il n’a pas dit : "Vous devez dissoudre". Voici en tout cas ma réponse à ce moment, embarrassé que je suis, comme tout le monde, dans une situation où vous avez d’un côté vos meilleurs amis, à qui vous portez le plus grand respect et auxquels vous vous fiez quant à leur évaluation de ce qui est juridiquement acceptable ou pas, et de l’autre une institution de l’État. Je dis, comme la Ligue des droits de l’homme, comme le Syndicat des avocats de France, comme le Syndicat de la magistrature, comme Attac et comme la Fédération nationale de la libre pensée, que cette organisation n’aurait pas dû être dissoute » (audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 31).
([513]) Tweet publié le 11 mars 2025 sur le compte de Bruno Retailleau.
([514]) Communiqué de presse de la Présidence de l’Assemblée nationale, 11 mars 2025.
([515]) Audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 31.
([516]) Ibid.
([517]) Discours de Jean-Luc Mélenchon en défense de la motion de rejet préalable déposée par le groupe LFI lors de l’examen de la loi CRPR à l’Assemblée nationale, lors de la première séance du lundi 1er février 2021.
([518]) « Une République laïque », Les livrets thématiques de l’Avenir en commun, programme de LFI, édition 2022.
([519]) S’agissant de la description de ce cas, le rapporteur renvoie le lecteur à la page 45 du rapport sur les Frères musulmans et l’islamisme politique en France, publié par le ministère de l’intérieur en mai 2025.
([520]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([521]) Ibid.
([522]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 22.
([523]) Ibid.
([524]) Loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme.
([525]) En application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
([526]) Article L. 562-2 du code monétaire et financier, modifié par l’article 1er de l’ordonnance n° 2016-1575 du 24 novembre 2016 portant réforme du dispositif de gel des avoirs.
([527]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([528]) Article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, modifié par l’article 2 de la loi du 30 octobre 2017.
([529]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([530]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([531]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([532]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([533]) Contribution transmise au rapporteur par le préfet Alexandre Brugère.
([534]) Déclaration du Président de la République sur la lutte contre les séparatismes, Les Mureaux, 2 octobre 2020.
([535]) Audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 32.
([536]) Articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 du code général des collectivités territoriales.
([537]) Préfecture de l’Isère, « Délibération du conseil municipal de Grenoble sur le règlement intérieur des piscines municipales », communiqué de presse du 15 mai 2022. Le 25 mai 2022, le tribunal administratif de Grenoble a reconnu que cette délibération litigieuse avait gravement porté atteinte au principe de neutralité du service public et a suspendu l’exécution du nouveau règlement des piscine (TA de Grenoble, ordonnance n° 2203163, 25 mai 2022.). Cette ordonnance a été confirmée par le Conseil d’État le 21 juin 2022 (Conseil d’État, juge des référés, formation collégiale, n° 464648, 21 juin 2022).
([538]) Article 433-3-1 du code pénal, créé par l’article 9 de la loi CRPR.
([539]) Article 12 de la loi CRPR.
([540]) Ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, Dossier de presse. Loi confortant le respect des principes de la République : premier bilan et perspectives, un an après sa promulgation, 6 octobre 2022.
([541]) Article 16 de la loi CRPR. Le texte voté par le Parlement prévoyait, qu’en cas d’urgence, le ministre de l’intérieur pouvait prononcer la suspension d’une association, dans l’attente de sa dissolution. Toutefois, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition au motif qu’elle portait atteinte à la liberté d’association.
([542]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur. Le ministère de l’intérieur précise qu’« Une organisation qui a été dissoute par une décision prise en Conseil des ministres fait toujours l’objet d’un suivi par les services de renseignement, précisément pour documenter une éventuelle reconstitution de ligue dissoute. Des procédures judiciaires ont été engagées à la suite d’un certain nombre de dissolutions, qui concernaient notamment l’ultradroite ou les milieux islamistes ».
([543]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([544]) Article 17 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.
([545]) IGA, La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : bilan de la mise en œuvre, état des faits de séparatisme et propositions, n° 24116-R1, 2025, p. 33. L’IGA a dénombré 4 628 fonds de dotation, dont les actifs peuvent être estimés entre 4 et 7 milliards d’euros.
([546]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([547]) Ibid.
([548]) Ibid.
([549]) Rapport de Mmes Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale du Sénat sur l’application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, n° 383, 6 mars 2024.
([550]) Décret du 28 octobre 2020 portant dissolution d’une association. Par une ordonnance n° 445774 du 25 novembre 2020, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté la demande de suspension de cette dissolution.
([551]) Décret du 2 décembre 2020 portant dissolution d’un groupement de fait. Le Conseil d’État, par une décision n° 449215 du 24 septembre 2021, a confirmé la légalité de cette dissolution.
([552]) Décret du 20 octobre 2021 portant dissolution d’une association.
([553]) Décret du 9 mars 2022 portant dissolution d’un groupement de fait. Le Conseil d’État, par une décision n° 462981 du 20 février 2025, a confirmé la légalité de cette dissolution.
([554]) Décret du 26 juin 2024 portant dissolution d’une association.
([555]) Décret du 16 avril 2025 portant dissolution d’un groupement de fait.
([556]) Décret du 3 septembre 2025 portant dissolution de l’association « Institut Européen des Sciences Humaines (IESH) ».
([557]) Article 36 de la loi CRPR, créant l’article 223-1-1 du code pénal.
([558]) Article 69 de la loi CRPR, créant l’article 19-1 de la loi du 9 décembre 1905.
([559]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([560]) Ibid.
([561]) La loi a imposé, pour les associations cultuelles et les associations mixtes, une obligation de déclaration des financements étrangers au-delà d’un certain seuil au ministre de l’intérieur qui peut désormais s’y opposer pour un motif tiré de l’ordre public. À ce jour, un seul financement a fait l’objet d’une opposition du ministre pour un motif d’ordre public (sans lien avec le séparatisme). La surveillance de ces flux étrangers est effectuée par le service de renseignement financier Tracfin.
([562]) En attribuant une subvention de 2,5 millions d’euros à la mosquée Eyyûb Sultan, gérée par la Confédération islamique Milli Görüş, le conseil municipal de Strasbourg avait déclenché une polémique, entrainant le retrait de la demande de subvention et l’annulation de la délibération du conseil municipal par les décisions n° 2102347 et 2102497 du tribunal de Strasbourg le 10 novembre 2022.
([563]) Article 70 de la loi CRPR.
([564]) Articles 25 à 36-3 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.
([565]) Article 35 de la loi précitée.
([566]) L’article 35-1 de la loi précitée dispose que « Il est interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte ou dans leurs dépendances qui en constituent un accessoire indissociable. Il est également interdit d’y afficher, d’y distribuer ou d’y diffuser de la propagande électorale, que ce soit celle d’un candidat ou d’un élu. Il est également interdit d’organiser des opérations de vote pour des élections politiques françaises ou étrangères dans un local servant habituellement à l’exercice du culte ou utilisé par une association cultuelle. Les délits prévus au présent article sont punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
([567]) Tribunal administratif de Marseille, ordonnance n° 2512251, n° 2512252 et n° 2512253, 11 octobre 2025.
([568]) Article 1er de la loi du 25 juillet 2024, insérant une section 3 ter au chapitre Ier de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
([569]) Article 25 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
([570]) Décret n° 2025-733 du 31 juillet 2025 relatif à la transparence des activités d’influence réalisées pour le compte d’un mandant étranger.
([571]) Article 7 de la loi du 25 juillet 2024, modifiant l’article L. 562-1-1 bis du code monétaire et financier.
([572]) Arrêté du 5 août 2025 portant application des articles L. 562-2 et suivants du code monétaire et financier.
([573]) Contribution transmise au rapporteur par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris.
([574]) Contribution transmise au rapporteur par la direction nationale du renseignement territorial.
([575]) Ibid.
([576]) Contribution transmise au rapporteur par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris.
([577]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 11.
([578]) Six services spécialisés de renseignement sont dits du « premier cercle » : DGSE, DGSI, Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), Direction du renseignement militaire (DRM), direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) et Tracfin.
([579]) Ibid.
([580]) Décret n° 2021-922 du 13 juillet 2021 portant création, auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, d’un service à compétence nationale dénommé « service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères ».
([581]) Ibid.
([582]) Ibid.
([583]) Audition du jeudi 6 novembre 2025, compte rendu n° 26.
([584]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([585]) IGA, La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : bilan de la mise en œuvre, état des faits de séparatisme et propositions, n° 24116-R1, 2025.
([586]) Rapport de Mmes Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale du Sénat sur l’application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, n° 383, 6 mars 2024, p. 12.
([587]) Ibid., l’essentiel, p. 1.
([588]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([589]) L’article 81 de la loi CRPR, modifiant l’article 31 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, renforce les peines applicables à ce cas.
([590]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([591]) Nouvel article 433-3-1 du code pénal, qui vise la protection de personnes exerçant une mission de service public contre les menaces et actes d’intimidation.
([592]) IGA, La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : bilan de la mise en œuvre, état des faits de séparatisme et propositions, n° 24116-R1, 2025.
([593]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([594]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([595]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 26.
([596]) Tribunal administratif de Paris, ordonnance n° 2216413 du 5 août 2022. Un autre recours, devant la CEDH (CEDH, ord. art. 39, 4 août 2022, Iquioussen c. France, n° 37550/22), a été rejeté car les conditions de l’équivalent du référé (art. 39) devant cette juridiction n’étaient pas réunies.
([597]) Conseil d’État, ordonnance n° 466554 du 30 août 2022.
([598]) Dans son jugement n° 2216712/4-2 du 11 mars 2024, le tribunal administratif de Paris relève notamment des propos antisémites, un discours systématique sur l’infériorité de la femme et sa nécessaire soumission à l’homme, en méconnaissance du principe constitutionnel d’égalité, ainsi que des propos virulents et hostiles à l’égard des non-musulmans. Il en conclut que Hassan Iquioussen s’est livré à des propos, réitérés et assumés, d’une particulière gravité, entrant dans le champ d’application de la loi (article L. 631-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) permettant son expulsion.
([599]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12. La DLPAJ précise : « les juridictions étant exigeantes quant au bien-fondé d’une expulsion qui visait une personne présente en France et intégrée depuis longtemps, dont les enfants étaient de nationalité française et qui était un acteur local connu et reconnu. In fine, le Conseil d’État a invalidé la décision du tribunal administratif de Paris qui avait annulé l’arrêté d’expulsion, considérant, grâce à un effort de persuasion considérable du ministère de l’intérieur – mémoire à l’appui, avec quarante pages d’annexes dressant la liste de toutes les incohérences dans l’expression publique et privée de M. Iquioussen – qu’il y avait suffisamment d’éléments pour valider son expulsion ».
([600]) Tweet publié sur le compte d’Élisabeth Borne le 29 avril 2025.
([601]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 9.
([602]) IGA, La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : bilan de la mise en œuvre, état des faits de séparatisme et propositions, n° 24116-R1, 2025.
([603]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025.
([604]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 21.
([605]) Ibid.
([606]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 20.
([607]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([608]) Article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, modifié par l’article 5 de la loi CRPR.
([609]) S’agissant par exemple de la commune de Malakoff, voir l’ordonnance du 20 septembre 2025, n° 2516999 du tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Saisi à nouveau par le préfet, le juge a, dans une ordonnance du 22 septembre 2025, n° 2517016, modifié sa première ordonnance pour l’assortir d’une astreinte de 150 euros par jour de retard.
([610]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([611]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([612]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10.
([613]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([614]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 9.
([615]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([616]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur.
([617]) Le dossier de presse « Loi confortant le respect des principes de la République : premier bilan et perspectives, un an après sa promulgation », publié par le ministère de l’intérieur et des outre-mer en octobre 2022, donne la définition suivante : « Le séparatisme consiste à affaiblir voire à détruire la communauté nationale en vue de remplacer celle-ci par de nouvelles formes d’allégeance et d’identification, en rupture avec la tradition démocratique et républicaine. Il s’appuie sur une démarche idéologique – politique ou politico-religieuse – visant à couper l’individu-citoyen de son cadre national. Il s’affirme contre la nation, comme source d’identité collective, en établissant des clôtures définitives entre les individus et les groupes ».
([618]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 57.
([619]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([620]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
([621]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([622]) Audition du 18 novembre, compte rendu n° 27.
([623]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([624]) La DNRT précise d’ailleurs que cette interdiction a été renforcée au cours des dernières décennies : « Depuis près de 40 ans, le suivi de la vie politique par les renseignements généraux, puis par le renseignement territorial a été progressivement supprimé : retrait en 1991 du décret autorisant le recueil d’information sur les opinions politiques, fin du suivi des partis politiques en 1994 et abandon de l’activité de prévision électorale dans les années 2000. Cette interdiction a été réaffirmée en 2008 lors de la création de la sous-direction de l’information générale » (contribution transmise au rapporteur par la DNRT).
([625]) Audition du 18 novembre, compte rendu n° 27.
([626]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 15.
([627]) L’UDMF a été fondée en 2012 par Nagib Azergui, lequel a également présenté une liste « Free Palestine » aux élections européennes de 2024.
([628]) Audition du 26 novembre 2025, compte rendu n° 29.
([629]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([630]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([631]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 9.
([632]) Ibid.
([633]) Ibid.
([634]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([635]) Ibid.
([636]) Pierre-André Taguieff, Liaisons dangereuses : islamo-nazisme, islamo-gauchisme, Hermann, 2020, p. 9.
([637]) Si des polémiques ont pu naitre alors que certains attribuaient la paternité de ce terme aux mollahs de la Révolution iranienne, on en trouve en réalité plusieurs occurrences, à la page 133 de l’ouvrage d’Alain Quellien La politique musulmane dans l’Afrique occidentale française, paru en 1910, qui le définit comme « reproches adressés à l’islam ».
([638]) Houda Asal, « Islamophobie : la fabrique d’un nouveau concept État des lieux de la recherche », revue Sociologie, n° 1, vol. 5 : sociologie de l’islamophobie, 2014.
([639]) À ce sujet, François Kraus indique que : « Le terme d’islamophobie ne fait l’objet d’un consensus ni scientifique ni politique. Il est un peu trop polémique à nos yeux et pose un problème de fond. Étymologiquement, le mot phobie désigne la peur, mais dans le langage courant, il fait référence à la haine. En suivant le sens courant du terme, l’islamophobie désignerait donc la haine de l’islam. Or, comme tout corps doctrinal, une religion et ses préceptes peuvent être sujets aux critiques. Si on est progressiste, on peut ainsi critiquer certains éléments du Coran, par exemple à propos de l’héritage ou des droits de la femme. Mais nous considérons qu’il ne faut pas voir là une haine envers les musulmans : la discussion des effets positifs ou négatifs d’une vision religieuse et de son influence dans la société fait partie du débat public. Or ce qui nous intéresse dans nos enquêtes n’est pas la haine de l’islam mais celle des musulmans. C’est pour que les faits de discrimination, d’agression ou de racisme soient au cœur de notre analyse que nous avons fait le choix d’utiliser le terme de musulmanophobie, qui nous semble beaucoup plus juste car il fait référence à des individus et non à une religion. Ce n’est pas une invention de l’Ifop : nous nous sommes fiés aux travaux très intéressants de plusieurs éminents sociologues musulmans » (audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 28).
([640]) L’ONU qui définit l’islamophobie comme « la peur, les préjugés et la haine envers les musulmans » , a fait du 15 mars la Journée internationale de lutte contre l’islamophobie (site des Nations unies, page relative à la Journée internationale de lutte contre l’islamophobie).
([641]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 15.
([642]) Assemblée nationale, séance thématique de contrôle, « Haine anti-musulmans, islamophobie : qualification juridique et politiques publiques de lutte contre ces discriminations », fait par Mme Marietta Karamanli, M. Ludovic Mendes et Mme Sabrina Sebaihi, rapporteurs au nom de la commission des lois, mars 2025.
([643]) Ministère de l’Intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 20.
([644]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([645]) Tweet posté sur le compte d’Ersilia Soudais le 10 août 2024, en lien avec l’interdiction de porter des signes religieux faite aux athlètes français lors des Jeux olympiques.
([646]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([647]) Pierre-André Taguieff, La nouvelle judéophobie, Fayard, 2002.
([648]) Propos tenus lors de l’interview politique Europe matin le 7/9, sur Europe 1 le 22 octobre 2020.
([649]) Propos tenus sur le plateau de l’émission politique dominicale de Jean-Pierre Elkabbach, sur CNews, 14 février 2021.
([650]) Le CNRS a qualifié ce terme de « slogan politique utilisé dans le débat public, [qui] ne correspond à aucune réalité scientifique » (CNRS, « "L’islamogauchisme" n’est pas une réalité scientifique », communiqué de presse du 17 février 2021).
([651]) Propos tenus par Philippe Baptiste dans l’émission Lundi c’est politique, sur LCP, lundi 7 juillet 2025, ayant donné lieu à une déclaration en apparence divergente de sa ministre de tutelle, Élisabeth Borne (sur Radio J le dimanche 13 juillet 2025) : « ce courant existe dans la société, donc nécessairement à l’université. Ce sont des gens d’extrême gauche qui considèrent que les musulmans sont une force électorale, qui les courtisent en encourageant le communautarisme et en banalisant l’islamisme radical ».
([652]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 24.
([653]) Ifop, Observatoire des discriminations envers les musulmans de France, 15 septembre 2025. Étude Ifop pour la Grande Mosquée de Paris réalisée par téléphone auprès d’un échantillon de 1 005 musulmans vivant en France métropolitaine âgée de 15 ans et plus (8 août-2 septembre 2025) et par questionnaire auto-administré auprès d’un échantillon de 1 002 musulmans vivant en France métropolitaine âgée de 15 ans et plus (21‑29 novembre 2023).
([654]) Contribution transmise au rapporteur par le ministre de l’intérieur.
([655]) À cet égard, pour le politologue Laurent Bonnefoy, la fermeture du CCIF a résulté « d’une mauvaise appréciation. On a cassé le thermomètre ; nous avons désormais une appréciation très peu affinée des phénomènes d’islamophobie et des discriminations » (audition du 30 octobre 2025, compte rendu n° 18).
([656]) Audition du 30 octobre 2025, compte rendu n° 18.
([657]) Ifop, Observatoire des discriminations envers les musulmans de France, 15 septembre 2025.
([658]) Contribution transmise au rapporteur par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris.
([659]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 14.
([660]) Audition du 5 novembre 2025, compte rendu n° 23.
([661]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 24.
([662]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 24.
([663]) Stéphanie Balme, Défendre et promouvoir la liberté académique. Un enjeu mondial, une urgence pour la France et l’Europe, étude pour France Universités, octobre 2025. Le rapport indique notamment que : « Dans certains cas documentés, ces ingérences ont visé à influer non seulement sur les contenus et les partenariats de recherche, mais également sur les prises de position d’universitaires français. Plusieurs conférences ont été annulées, à l’initiative de directions d’établissements, d’associations étudiantes ou d’acteurs extérieurs, sur fond de polémiques ou d’invocation de risques de trouble à l’ordre public. Des enseignements ont été perturbés par des intrusions en salle, ou ciblés a posteriori par des diffusions de contenus hors contexte sur les réseaux sociaux, à des fins de stigmatisation. Des chercheurs ont également fait l’objet de poursuites sur le fondement de textes encadrant la liberté d’expression, des lois mémorielles ou de la législation relative à l’apologie du terrorisme. Le nombre de procédures-bâillons a augmenté, de même que les retraits de financements de recherche ou de bourses doctorales, y compris de la part de collectivités locales, au prétexte de contenus jugés sensibles ou polémiques. Parallèlement, plusieurs approches critiques en sciences humaines et sociales continuent de faire l’objet d’amalgames idéologiques, souvent qualifiées de manière péjorative de "dérives décoloniales", de "wokisme" ou "d’islamo-gauchisme". Enfin, certaines personnalités politiques ont cherché à intervenir directement dans la vie universitaire, recourant aux médias pour dénoncer, dans des termes généralement brutaux, le travail des enseignants-chercheurs ».
([664]) Collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche, avis relatif aux libertés académiques, 21 mai 2021. Cet avis dispose notamment que « Les principes déontologiques impliqués par les libertés académiques reposent sur un esprit et sur une méthode. L’esprit se caractérise par la tolérance, l’ouverture au débat, l’acceptation du pluralisme, la bienveillance, le respect d’autrui. Une approche scientifique suppose la transparence de la méthode, la rigueur des analyses, l’absence de préjugés, le souci de l’intégrité scientifique et la prévention des conflits d’intérêts. […] C’est au regard de ces principes que s’apprécient tant le comportement des enseignants-chercheurs eux-mêmes que les conditions d’organisation de débats dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche. […] Dans leurs travaux de recherche comme dans leurs activités d’enseignement, les enseignants-chercheurs et les chercheurs disposent d’une entière liberté aussi bien pour les thèmes de recherche qu’ils choisissent que pour les opinions qu’ils expriment de manière argumentée. Ils ne sont pas pour autant affranchis de leurs obligations déontologiques. La liberté académique s’exerce, en particulier, dans le respect tant des personnes que des cadres définis collectivement pour l’obtention des diplômes. Elle s’accompagne de l’évaluation par les pairs. En toutes circonstances, elle implique la tolérance et la courtoisie. Elle exclut toute forme d’attaque des personnes et tout comportement violent. Des manquements à ces règles appellent l’intervention des instances déontologiques et peuvent donner lieu à des actions disciplinaires voire, dans les cas les plus graves, à des poursuites pénales. Plus les sujets abordés sont sensibles, plus le respect de ces obligations appelle d’attention ».
([665]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([666]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([667]) À cet égard, le garde des Sceaux a indiqué avoir « demandé à la direction des affaires criminelles et des grâces de travailler à la définition d’une infraction pénale d’entrisme, en lien avec le projet de loi annoncé » (audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 32) .
([668]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([669]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([670]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([671]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([672]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur.
([673]) Audition du 18 novembre, compte rendu n° 27.
([674]) The White House, Designation of certain Muslim Brotherhood chapters as foreign terrorist organizations and specially designated global terrorists, décret (executive order) publié le 24 novembre 2025.
([675]) Audition du 18 novembre, compte rendu n° 27.
([676]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 9 : « Dans une démocratie, l’interdiction des Frères musulmans est un débat qui, le cas échéant, doit être posé, mais on dit souvent à raison qu’interdire une idéologie est compliqué. À cet égard, la meilleure des démarches me semble être celle que le législateur a jusqu’à présent adoptée. Il n’a ainsi pas été décidé d’interdire un groupe ou une organisation, qui malgré notre travail de renseignement, je me dois de faire preuve de modestie, demeure une nébuleuse difficile à comprendre, mais de nous concentrer sur l’observation des pratiques et des entorses de certaines structures vis-à-vis des principes et des valeurs de la République ».
([677]) Site internet de l’Élysée, « Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN) consacré à la lutte contre l’islamisme et aux phénomènes de séparatisme et d’entrisme », publié le 7 juillet 2025.
([678]) Ibid.
([679]) L’article 35-1 de la loi du 9 décembre 1905, tel qu’il a été modifié par la loi CRPR, dispose qu’il est « interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte ou dans leurs dépendances qui en constituent un accessoire indissociable. Il est également interdit d’y afficher, d’y distribuer ou d’y diffuser de la propagande électorale, que ce soit celle d’un candidat ou d’un élu ». La violation de cette disposition est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
([680]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur.
([681]) « Débat sur le vote : halal ou haram, chirk ou intérêt général ? - Hassan Iquioussen », vidéo postée le 19 mars 2014 sur la chaine YouTube d’Hassan Iquioussen.
([682]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([683]) Article 7 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.
([684]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([685]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([686]) Les motifs de dissolution d’associations ou de groupement de fait prévus à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure visent notamment les groupes qui provoquent à des manifestations armées ou des agissements violents, se présentent comme des milices ou des groupes de combat, ont pour objet de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou à attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement, de viser à la collaboration de l’ennemi, de provoquer à la discrimination, la haine ou la violence à l’égard de personnes ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, ou de leur appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée, ou qui visent à provoquer au terrorisme. Le ministère de l’intérieur précise par ailleurs que des associations qui tiendraient des discours tendant à minimiser la gravité d’attentats terroristes pourraient tomber sous le coup des dispositions actuelles, de tels propos s’apparentant a priori à une forme d’apologie assimilable à de la provocation.
([687]) Audition du 18 novembre, compte rendu n° 27.
([688]) Ibid.
([689]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur.
([690]) En s’inspirant en cela de récentes évolutions législatives en matière de conditions de séjour (voir notamment les articles L. 412-7 et L. 631-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).
([691]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([692]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([693]) Contribution transmise au rapporteur par la DNRT.
([694]) IGA, La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : bilan de la mise en œuvre, état des faits de séparatisme et propositions, n° 24116-R1, 2025.
([695]) Les fonds de dotation sont des personnes morales de droit privé à but non lucratif. Cet outil, créé par l’article 140 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, vise à faciliter le financement au service de la philanthropie et du mécénat, grâce à la capitalisation des dons qu’il reçoit.
([696]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([697]) Article 12 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.
([698]) Article L. 562-1 du code monétaire et financier.
([699]) Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 11.
([700]) Contribution transmise au rapporteur par la DNRT.
([701]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([702]) Rapport de Mmes Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale du Sénat sur l’application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, n° 383, 6 mars 2024, proposition n° 8.
([703]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([704]) Ibid.
([705]) Ibid.
([706]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([707]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([708]) Ibid.
([709]) Audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 32.
([710]) Ibid.
([711]) Contribution transmise au rapporteur par la direction nationale du renseignement territorial.
([712]) Proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic n° 2025-532. Amendement de M. Cédric Perrin et plusieurs de ses collègues, n° 73 rect. ter, adopté au Sénat le 28 janvier 2025.
([713]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([714]) Le second alinéa de cet article dispose : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».
([715]) Audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 32.
([716]) Ibid.
([717]) Ibid.
([718]) Ibid.
([719]) Ibid.
([720]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 24.
([721]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 61.
([722]) Ibid.
([723]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([724]) Créé le 2 février 2022 sous la forme juridique d’un groupement d’intérêt public (GIP), l’IFI a pour mission de développer une islamologie française de haut niveau et de promouvoir à l’échelle nationale l’étude scientifique des systèmes de croyances, de savoirs et de pratiques propres aux différentes branches qui composent la religion musulmane. Outre le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, il regroupe huit partenaires : Aix-Marseille université ; l’École normale supérieure de Lyon ; l’École pratique des hautes études ; l’École des hautes études en sciences sociales ; l’Institut national des langues et civilisations orientales ; l’université Lumière-Lyon 2 ; l’université Jean Moulin-Lyon 3 ; l’université de Strasbourg.
([725]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 15.
([726]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 24.
([727]) Ibid.
([728]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 28.
([729]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([730]) Ministère de l’Intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 58.
([731]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([732]) Audition du 22 octobre 2025, compte rendu n° 12.
([733]) Contribution transmise au rapporteur par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris.
([734]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([735]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([736]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([737]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([738]) Ibid.
([739]) Rapport de Mmes Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale du Sénat sur l’application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, n° 383, 6 mars 2024, p. 16.
([740]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 21.
([741]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27
([742]) Circulaire du ministre de l’intérieur du 13 novembre 2018, n° INTK1826096J.
([743]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([744]) L’article 3 de la loi CRPR impose aux administrations publiques de désigner un référent laïcité, chargé « d’apporter tout conseil utile au respect du principe de laïcité à tout agent public ou chef de service qui le consulte » et « d’organiser une journée de la laïcité le 9 décembre de chaque année ». Cette obligation est désormais codifiée à l’article L. 124-3 du code général de la fonction publique (CGFP).
([745]) Rapport de Mmes Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale du Sénat sur l’application de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, n° 383, 6 mars 2024, p. 27.
([746]) IGA, La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : bilan de la mise en œuvre, état des faits de séparatisme et propositions, n° 24116-R1, 2025.
([747]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025.
([748]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19.
([749]) Gouvernement, « Prévenir Pour Protéger » Plan national de prévention de la radicalisation, février 2018.
([750]) Audition du 15 octobre 2025, compte tendu n° 6.
([751]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur.
([752]) Contribution transmise au rapporteur par la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris.
([753]) Contribution transmise au rapporteur par l’Association des maires de France.
([754]) Tracfin, LCB-FT : état de la menace 2024-2025, septembre 2025.
([755]) La DPR a été créée par la loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007. Commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, elle est composée de quatre députés et de quatre sénateurs parmi lesquels les présidents des commissions permanentes chargées des affaires de sécurité intérieure et de défense qui en sont membres de droit La DPR exerce le contrôle parlementaire de l’action du Gouvernement en matière de renseignement, évalue la politique publique en ce domaine et assure un suivi des enjeux d’actualité et des défis venir qui s’y rapportent. Ses travaux sont couverts par le secret de la défense nationale et ses membres désignés par le président de chaque assemblée le sont de manière à assurer une représentation pluraliste.
([756]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 20.
([757]) Audition du 29 octobre 2025, compte rendu n° 16.
([758]) « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie » (article 4, alinéa 1 de la Constitution du 4 octobre 1958).
([759]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur
([760]) Audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 20.
([761]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 28.
([762]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([763]) Articles L. 227-1 et suivants et R. 227-1 et suivants du code de l’action sociale et des familles.
([764]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur.
([765]) Ibid.
([766]) Contribution transmise au rapporteur par la direction nationale du renseignement territorial. Dans le même sens, les services de l’État dans le Rhône soulignent que « le cadre juridique de l’accueil collectif de mineurs, qui est un sujet sensible, mériterait d’être approfondi, avec des obligations de déclaration et de formation des encadrants » dans la même mesure que les structures d’accueil pour mineurs règlementées (audition du 4 novembre 2025, compte rendu n° 19).
([767]) Contribution transmise au rapporteur par le ministère de l’intérieur.
([768]) Article L.442-2 du code de l’éducation.
([769]) IGA, La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : bilan de la mise en œuvre, état des faits de séparatisme et propositions, n° 24116-R1, 2025’, p. 263.
([770]) Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 6.
([771]) L’abus de faiblesse est réprimé par les articles 223-15-2134 et 223-15-3135 du code pénal.
([772]) Audition du 6 décembre 2025, compte rendu n° 32.
([773]) Rapport de la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, 2003.
([774]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 24.
([775]) Article L. 811-1 du code de l’éducation
([776]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 24.
([777]) Loi n° 2025-732 du 31 juillet 2025 relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. Cette loi renforce les dispositifs de prévention, de signalement et de suivi des actes antisémites et racistes dans l’enseignement supérieur. Elle redéfinit également les fautes disciplinaires et institue des sections disciplinaires communes aux établissements d’une même région académique.
([778]) Audition du 6 novembre 2025, compte rendu n° 24.
([779]) Sur le sujet spécifique de l’islamisme et de l’entrisme dans le domaine du sport, le rapporteur renvoie à la communication de M. Julien Odoul et Mme Caroline Yadan, rapporteurs de la mission flash sur les dérives communautaristes et islamistes dans le sport publiée en mars 2025.
([780]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([781]) Ibid.
([782]) Audition du 16 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([783]) L’assassinat du professeur Samuel Paty a eu lieu à la suite d’une violente campagne de dénigrement en ligne, dont s’est emparé un individu radicalisé.
([784]) IGA, La loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : bilan de la mise en œuvre, état des faits de séparatisme et propositions, n° 24116-R1, 2025.’.
([785]) Contribution transmise au rapporteur par le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation.
([786]) Voir le rapport n° 1770 de la commission d’enquête sur les effets psychologique de TikTok sur les mineurs (XVIIème législature), 2025.
([787]) Rapport n° 1770 de la commission d’enquête sur les effets psychologique de TikTok sur les mineurs (XVIIème législature), tome II, 2025.
([788]) Hugo Micheron, La Colère et l’oubli, Édition Gallimard Folio, 2023, p. 394.
([789]) Audition du 28 octobre 2025, compte rendu n° 8.
([790]) Ibid.
([791]) Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 61.
([792]) Étude Ifop pour la revue Écran de Veille réalisée par téléphone du 8 août au 2 septembre 2025 auprès d’un échantillon de 1 005 personnes de religion musulmane, extrait d’un échantillon national représentatif de 14 244 personnes âgées de 15 ans et plus résidant en France métropolitaine.
([793]) Vincent Tiberj a à ce sujet précisé que « Si la charia, de même, a beaucoup inquiété, c’est que souvent on n’interroge que des musulmans. Or on connaît bien, dans la sociologie des religions, ce qu’on appelle la culture intransigeantiste, c’est-à-dire la difficulté d’un croyant à accepter qu’il peut y avoir une interférence ou une opposition entre les lois de sa religion et les lois du pays dans lequel il vit. Nous avons fait, Nonna Mayer et moi, une enquête sur Sarcelles qui était très intéressante, notamment du fait de la diversité de la population interrogée – nous avions un nombre suffisant de catholiques, de juifs et de musulmans. Nous leur avons notamment demandé ce qu’il fallait faire, à leur avis, dans le cas où la Torah, le Coran ou la Bible s’opposait aux lois de la République. Le taux d’intransigeantistes était à peu près le même dans les trois religions. La question renvoie donc à ce qu’est la religion, c’est-à-dire une logique d’absolu » (audition du 26 novembre 2025, compte rendu n° 29).
([794]) Audition du 16 octobre 2026, compte rendu n° 8.
([795]) Rapport de la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, 2003.
([796]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 27.
([797]) Ibid.
([798]) Contribution transmise au rapporteur par la DLPAJ du ministère de l’intérieur.
([799]) Audition du 18 novembre 2025, compte rendu n° 28.
([800]) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:52025DC0148. À cet égard, l’article 6 du règlement financier européen précise notamment que « Lors de l’exécution du budget, les États membres et la Commission veillent au respect de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, conformément à l’article 51 de la Charte, et respectent les valeurs de l’Union consacrées à l’article 2 du traité sur l’Union européenne qui sont pertinentes pour l’exécution du budget », tandis que son considérant 11 prévoit que « Le présent règlement devrait permettre aux ordonnateurs, le cas échéant conformément à la réglementation sectorielle, d’adopter des mesures adéquates et d’agir pour protéger le budget, par exemple de suspendre les paiements, lorsque le non-respect des valeurs pertinentes de l’Union et des droits fondamentaux de la part d’un État membre a des incidences sur sa mise en œuvre d’une action financée par des fonds de l’Union » (https://eur-lex.europa.eu/eli/reg/2024/2509/oj/fra).
([801]) vi du c du 1 de l’article 138 du règlement financier européen.
[802] RTV Trend Report 2024 - Right-Wing terrorism and Violence in Western Europe, 1990 - 2023, 2025
[803] IFOP, Etat des lieux du rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France, 18 novembre 2025
[805] Commission nationale consultative des droits de l’Homme, La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie - année 2024, 27 mars 2025
[806] Défenseur des droits, Les discriminations fondées sur la religion, 4 décembre 2025
[807] Danièle Obono, Mathilde Panot et alii, Proposition de résolution n° 1596 visant à lutter efficacement contre l’antisémitisme dans le cadre de la lutte contre toutes les formes de racisme, 18 juin 2025
[808]Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10
[809] Ministère de l’intérieur, Frères musulmans et islamisme politique en France, 2025, p. 31.
[810] Audition du 15 octobre 2025, compte rendu n° 5.
[811] Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10
[812] Audition du 21 octobre 2025, compte rendu n° 10
[813] NGO Monitor, Puppet Regime: Hamas’ Coercive Grip on Aid and NGO Operations in Gaza, décembre 2025.
[814] Loiseau, N. et al. (2025). Lettre à la Présidente de la Commission européenne concernant l’ingérence présumée du Hamas dans les ONG financées par l’UE à Gaza, 4 décembre 2025 ; Tweet de Benjamin Haddad du 10 décembre 2025 : https://x.com/benjaminhaddad/status/1998696943476769201?s=52&t=CZvjwE-4J2fK6GlvXyx_KA