N° 1095

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 juin 2018

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

 

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1)

sur le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace

par

Mme Marie-Pierre RIXAIN

Députée

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(1) La composition de la Délégation figure au verso de la présente page.

 

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Marie-Pierre Rixain, présidente ; Mme Marie‑Noëlle Battistel, Mme Valérie Boyer, M. Pierre Cabaré, Mme Fiona Lazaar, vice-présidents ; Mme Isabelle Florennes, Mme Sophie Panonacle, secrétaires ; Mme Emmanuelle Anthoine ; Mme Sophie Auconie ; M. Erwan Balanant ; Mme Valérie Beauvais ; Mme Huguette Bello ; Mme Céline Calvez ; M. Luc Carvounas ; Mme Annie Chapelier ; Mme Bérangère Couillard ; Mme Virginie Duby-Muller ; Mme Pascale Fontenel-Personne ; Mme Laurence Gayte ; Mme Annie Genevard ; M. Guillaume Gouffier-Cha ; Mme Nadia Hai ; M. Yves Jégo ; Mme Sonia Krimi ; M. Mustapha Laabid ; Mme Nicole Le Peih ; Mme Jacqueline Maquet ; Mme Cécile Muschotti ; M. Mickaël Nogal ; Mme Bénédicte Peyrol ; Mme Josy Poueyto ; Mme Isabelle Rauch ; Mme Laëtitia Romeiro Dias ; Mme Bénédicte Taurine ; Mme Laurence Trastour‑Isnart ; M. Stéphane Viry.

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Synthèse des recommandations

introduction

I. Affirmer les droits des femmes dans les droits fondamentaux

A. L’inscription de l’égalité entre les femmes et les hommes dans la constitution

1. La Révolution française et les origines du combat politique pour les droits des femmes et l’égalité

2. La reconnaissance des droits des femmes : une évolution progressive

3. La consécration dans la Constitution du principe d’égalité entre les femmes et les hommes

B. Passer d’une ÉgalitÉ de droit À une Égalité rÉelle

1. L’égal accès aux responsabilités

2. L’égalité des droits économiques et sociaux

C. De nouveaux enjeux à prendre en compte

1. Quelle consolidation du droit à l’avortement ?

2. Le droit à un environnement non sexiste et à une société non stéréotypée

3. Rendre visibles les femmes dans notre Constitution

II. Prendre en compte systÉmatiquement les droits des femmes dans le processus normatif

A. intégrer l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les dispositifs légaux et réglementaires

B. Systématiser la pratique de la budgétisation sensible au genre afin de garantir la prise en compte DE l’égalité dans l’ensemble des politiques publiques

C. Les droits des femmes au Parlement

Travaux de la dÉlÉgation

annexe : Liste des personnes auditionnÉes

I. Audition par la Délégation

II. Auditions par la Rapporteure


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   Synthèse des recommandations

Recommandation n° 1 : inscrire dans la Constitution que la France assure l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.

Recommandation n° 2 : affirmer l’égalité devant la loi sans distinction de sexe.

Recommandation n° 3 : renforcer le rôle des partis et groupements politiques en matière de parité et d’égalité entre les femmes et les hommes.

Recommandation n° 4 : inscrire le principe d’un Gouvernement paritaire à l’article 8 de la Constitution.

Recommandation n° 5 : développer l’utilisation du terme « Droits humains » plutôt que de celui de « Droits de l’Homme ».

Recommandation n° 6 : inscrire l’égalité entre les femmes et les hommes dans le champ de la loi à l’article 34 de la Constitution.

Recommandation n° 7 : progresser en matière de budgets intégrant l’égalité femmes-hommes :

– développer le recueil d’informations sexo-spécifiques dans l’ensemble des champs des politiques publiques, afin de permettre le développement de la budgétisation sensible au genre dans chacun des ministères ;

– établir une feuille de route précise pour accompagner le développement de cette expérimentation de budgets sensibles au genre ;

– réfléchir à une adaptation de nos procédures budgétaires pour garantir une bonne intégration des enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes dans chacune d’entre elles.


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   introduction

Évoquant la mémoire de Françoise Héritier à l’occasion de son discours du 25 novembre 2017, le Président de la République affirmait avec force l’ampleur et l’importance du combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes : « elle a su avec précision, avec une force admirable, pointer précisément ce qui dans notre société avait construit avec des explications culturelles, avec des rites, cette domination, cette inégalité entre les sexes ; elle avait montré tout ce caractère construit qu’on avait ensuite justifié avec des explications biologiques, physiques, cherchant à légitimer en quelque sorte la domination des hommes sur les femmes. Et comme tout cela est construit, nous pouvons le déconstruire ; comme tout cela est construit depuis des siècles, parfois des millénaires, cela prend du temps et il faut avoir de l’humilité pour le déconstruire mais c’est bien cette tâche à laquelle nous sommes attelés » ([1]).

La Délégation aux droits des femmes et le travail législatif participent pleinement, sans relâche, à cette déconstruction des stéréotypes sexistes et cherchent en permanence à mettre fin aux inégalités qui persistent entre les femmes et les hommes. Dans la sphère publique comme dans la sphère privée, dans chaque domaine où la loi intervient, la Délégation fait œuvre utile pour faire progresser l’égalité. Cette priorité est d’ailleurs également celle du Président de la République et du Gouvernement, qui ont fait de l’égalité la grande cause nationale du quinquennat.

Dans cette perspective et en cohérence avec les engagements du Président de la République, la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes s’est saisie du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, déposé le 9 mai 2018 à l’Assemblée nationale.

Notre pays n’a pas connu de révision constitutionnelle depuis dix ans et la démarche menée par le Gouvernement à travers ce projet de loi s’inscrit dans une volonté de modernisation de notre Constitution et donc plus généralement de notre système normatif. Nos institutions et nos normes doivent en effet s’adapter afin de toujours mieux prendre en compte les évolutions importantes de notre société.

Or, l’égalité entre les femmes et les hommes est aujourd’hui l’une des pierres angulaires de notre République. À l’occasion de son discours du 25 novembre 2017, le Président de la République affirmait d’ailleurs que « notre force, ce qui tient notre République, c’est la civilité ; c’est ce rapport d’égal à égal entre un homme et une femme ; c’est que citoyens, citoyennes, nous pouvons nous regarder, être ensemble, construire ensemble ». Cette révision constitutionnelle doit affirmer l’égalité entre les femmes et les hommes qui correspond à une aspiration extrêmement forte, et largement exprimée depuis plusieurs années, de nos concitoyens.

Ce texte constitutionnel ne comportant, au stade du projet de loi, aucune disposition en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, la Délégation a choisi de s’interroger le plus largement possible sur cette problématique. La Constitution est la norme suprême de notre ordre juridique interne et l’intégration de nouveaux dispositifs, voire de nouveaux droits, doit être appréhendée avec la plus grande rigueur. Si l’égalité est bien évidemment un objectif constitutionnel, votre Rapporteure considère qu’il convient aujourd’hui de faire également de l’égalité entre les femmes et les hommes un principe constitutionnel. Il faut néanmoins rester vigilant à ne pas intégrer dans notre loi fondamentale des dispositifs qui peuvent tenir à l’actualité ou ne pas correspondre au niveau d’une norme constitutionnelle, notamment en termes d’universalité et de stabilité.

C’est dans ce double esprit que la Délégation a souhaité conduire l’ensemble de ses travaux sur ce projet de loi constitutionnelle. Votre Rapporteure formule en ce sens sept recommandations qui visent à affirmer l’égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution.

 

 

 


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I.   Affirmer les droits des femmes dans les droits fondamentaux

A.   L’inscription de l’égalité entre les femmes et les hommes dans la constitution

1.   La Révolution française et les origines du combat politique pour les droits des femmes et l’égalité

À la Révolution, malgré une mobilisation active dans le combat pour l’avènement d’un nouveau système politique et de nouveaux droits, les femmes sont mises à l’écart du pouvoir et exclues des assemblées politiques. Plusieurs pamphlets, parfois inscrits de manière anonyme dans les Cahiers de doléance, réclament pourtant une égalité de droits et demandent notamment l’intégration des femmes à l’Assemblée nationale. Construisant une analyse critique de l’exclusion des femmes de la sphère politique, Condorcet s’associe à ce combat se demandant : « [les hommes] n’ont-ils pas [tous] violé le principe de l’égalité des droits en privant tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois, en excluant les femmes du droit de cité ? » ([2]).

En 1791, en réponse à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, Olympe de Gouges présente sa Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne. Considérant que la Nation se définit comme « la réunion de la femme et de l’homme » ([3]), elle en déduit que « la Constitution est nulle si la majorité des individus qui composent la nation n’a pas coopéré à sa rédaction » ([4]).

Ce texte unique permet à Olympe de Gouges de revendiquer avec force et clarté que les femmes sont libres et égales aux hommes. Dénonçant avec ironie l’oubli des femmes par la Révolution française, la Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne n’est en réalité que peu diffusée à la fin du 18e siècle et ne sera publiée en intégralité qu’en 1986 par Benoîte Groult. Cette postérité tardive n’enlève toutefois rien à l’importance historique de ce texte qui constitue la première déclaration des droits humains respectant l’égalité entre les sexes.

2.   La reconnaissance des droits des femmes : une évolution progressive

La Révolution française ne modifie pas la condition des femmes dans la société et ne leur ouvre finalement pas le chemin de la citoyenneté. Au contraire, le code civil institutionnalise même une forme d’infériorité de la femme qui doit obéissance à son mari. Sous la IIIe République, les femmes bénéficient d’avancées civiles comme l’accès à l’instruction ([5]), mais ce n’est qu’au 20e siècle qu’elles acquièrent progressivement les droits politiques, sociaux et économiques dans un objectif de plus en plus affirmé d’égalité générale entre les femmes et les hommes.

Chronologie des droits acquis au 20e siècle

 1907 : La loi accorde aux femmes mariées la libre disposition de leur salaire.

 1909 : Institution d’un congé de maternité de 8 semaines sans rupture de contrat mais sans traitement.

 1924 : Les programmes de l’enseignement secondaire ainsi que le baccalauréat deviennent identiques pour les filles et les garçons.

 1928 : Congé de maternité de deux mois à plein traitement pour toutes les salariées de la fonction publique.

 1936 : Premières femmes sous-secrétaires d’État.

 1938 : Suppression de l’incapacité civile des femmes.

 1944 : Ordonnance accordant le droit de vote et d’éligibilité aux femmes.

 1946 : Le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines est désormais inscrit dans le préambule de la Constitution.

 1947 : Première femme nommée ministre (santé publique et population).

 1965 : Loi de réforme des régimes matrimoniaux qui autorise les femmes à exercer une profession sans autorisation maritale et à gérer leurs biens propres.

 1967 : Loi Neuwirth qui autorise la contraception.

 1970 : Le congé maternité est indemnisé à 90 % par l’Assurance maternité. Création d’un congé parental d’éducation et suppression de la notion de « chef de famille ».

 1972 : Le principe de l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes est inscrit dans la loi.

 1973 : La mère peut transmettre sa nationalité à son enfant légitime ou naturel.

 1975 : Instauration du divorce par consentement mutuel. Obligation de la mixité scolaire. La loi Veil autorise l’IVG (interruption volontaire de grossesses) pour une période probatoire de 5 ans.

 1979 : Une nouvelle loi sur l’IVG rend définitive les dispositions de la loi de 1975.

 1981 : Loi sur le viol qui redéfinit l’agression sexuelle.

 1982 : IVG remboursée par la sécurité sociale.

 1983 : Loi Roudy sur l’égalité professionnelle.

 1985 : Le congé d’éducation parentale est ouvert à l’un ou l’autre des parents salariés. Loi relative à l’égalité des époux dans la gestion des biens de la famille et des enfants.

 1987 : Loi instituant l’autorité parentale conjointe pour les enfants naturels ou de parents divorcés.

 1990 : Autorisation de l’utilisation du RU 486, technique médicamenteuse de l’IVG. La Cour de cassation reconnaît le viol entre époux.

 1992 : Loi sanctionnant le harcèlement sexuel dans les relations de travail.

 1993 : La loi dépénalise l’auto-avortement et crée le délit d’entrave à l’IVG.

 1995 : Création de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes.

Source : http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/dossiers/actions-dispositifs-interministeriels/chronologie-des-dispositions-en-faveur-de-legalite-des-femmes-et-des-hommes/ [URL consultée le 10 juin 2018].

L’après seconde guerre mondiale marque un véritable tournant avec, d’une part, l’ordonnance accordant le droit de vote et d’éligibilité aux femmes et, d’autre part, l’inscription dans le préambule de la Constitution de 1946 du principe de droits égaux entre les femmes et les hommes ([6]). La Constitution de 1958 consacre le droit de vote des femmes en son article 3 qui précise que « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ».

Toutefois, cette égalité de droit ne permet pas la mise en œuvre de certaines actions efficaces en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, en particulier toute démarche de discrimination positive est considérée comme contraire au principe plus général d’égalité. Ainsi, en 1982, le Conseil Constitutionnel censure une loi proposant l’instauration de quotas par sexe pour les listes aux élections municipales dans les communes de plus de 3 500 habitants. S’appuyant sur l’article 3 de la Constitution et l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel avait en effet considéré que « la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l’éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n’en sont pas exclus pour une raison d’âge, d’incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l’électeur ou l’indépendance de l’élu ; que ces principes de valeur constitutionnelle s’opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles ; qu’il en est ainsi pour tout suffrage politique, notamment pour l’élection des conseillers municipaux » ([7]).

3.   La consécration dans la Constitution du principe d’égalité entre les femmes et les hommes

La révision constitutionnelle de 1999 ([8]) permet de dépasser cet obstacle en inscrivant à l’article 3 que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » et en précisant à l’article 4 que les partis politiques contribuent à la mise en œuvre de ce principe dans les conditions déterminées par la loi. La Constitution concilie ainsi le caractère indivisible et universel de la souveraineté nationale, le principe d’égalité des citoyens, le principe de liberté des électeurs et l’objectif d’un égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions électorales. Sans en citer le terme, cette révision constitutionnelle vise à faire progresser la parité en politique, c’est-à-dire le fait que chaque sexe est représenté à égalité dans les institutions.

En 2008, une nouvelle révision constitutionnelle ([9]) réaffirme solennellement ce principe en étendant la disposition précitée « aux responsabilités professionnelles et sociales » et surtout en l’inscrivant à l’article premier de la Constitution.

S’appuyant sur ces évolutions constitutionnelles, plusieurs lois ont été adoptées depuis une vingtaine d’années pour promouvoir l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques et sociales, en s’appuyant sur des instruments variés : listes alternées femmes-hommes, pénalités financières, scrutin binominal… Ces dispositions législatives ont permis des avancées majeures en termes d’égalité entre les femmes et les hommes, notamment dans le champ politique avec la mise en place de dispositifs paritaires pour la plupart des élections ([10]).

Malgré ces progrès, de nombreuses inégalités entre les femmes et les hommes persistent ; l’égalité formelle ne s’est pas encore totalement traduite par une égalité réelle. Comme le souligne la juriste Elsa Fondimare, les mesures en faveur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes continuent de se heurter au principe constitutionnel d’égalité : « les mesures positives, en ce qu’elles prévoient une distinction fondée sur le sexe, constituent une dérogation au principe d’égalité, alors même qu’elles tendent à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

L’absence de reconnaissance d’un droit à l’égalité réelle est particulièrement significative dans la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans sa décision QPC du 24 avril 2015 ([11]), relative à la parité dans les conseils académiques des universités. […] Tout en reconnaissant que l’alinéa 2 de l’article 1er de la Constitution confère au législateur le pouvoir de prendre des mesures paritaires incitatives ou contraignantes, il considère néanmoins que “cette disposition n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit” et que “sa méconnaissance ne peut donc être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité”. Dès lors, à travers le rejet de la parité comme droit fondamental, le Conseil constitutionnel empêche d’appréhender l’égalité réelle comme un droit individuel, susceptible d’être invoqué par des requérants, notamment à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité. Ainsi, ni la disposition constitutionnelle relative à la parité, ni l’alinéa 3 du Préambule de 1946 sur l’égalité des droits, ne constituent un fondement juridique pour un droit à l’égalité réelle, qui demeure une simple faculté pour le législateur » ([12]).

En effet, l’article premier de la Constitution utilise le verbe « favoriser » qui laisse une extrême latitude au législateur. Selon le rapport de la commission des Lois de l’Assemblée nationale en première lecture du projet de loi constitutionnelle de 1999, « l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ne dépend pas des seules dispositions légales même si celles-ci sont indispensables. Elle naîtra aussi d’une évolution - on serait tenté de dire une révolution - des mentalités au sein des forces politiques et parmi les électeurs. La loi devra contribuer à ce mouvement par un effet d’entraînement que l’on espère puissant. Désormais le Parlement pourra agir en ce sens grâce à la révision constitutionnelle » ([13]).

En outre l’article premier ne mentionne pas explicitement le terme de « parité » ou d’« égalité » dans le partage des responsabilités entre les femmes et les hommes, mais utilise l’expression d’« égal accès » aux responsabilités. L’article premier se traduit ainsi, non pas par une obligation de résultat, mais une obligation de moyens.

Pourtant la parité est un objectif, mais également un outil pour parvenir à une société d’égalité entre les femmes et les hommes. Il serait donc pertinent de renforcer son inscription dans notre loi fondamentale et d’en faire un principe constitutionnel dont chacun et chacune puisse se prévaloir. Faire de la parité un droit fondamental permettrait en effet aux justiciables de l’invoquer devant le Conseil constitutionnel, ce qui serait une avancée majeure pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans notre pays.

Dans son avis pour une constitution garante de l’égalité femmes-hommes, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) relève également ces difficultés, affirmant : « si cette rédaction a permis l’écriture des lois dites de parité qui ont conduit à une amélioration notable de la place des femmes dans les sphères politiques, économiques et sociales, elle n’est néanmoins pas suffisante » ([14]). Le HCEfh recommande pour cela de remplacer le terme « favoriser » par celui de « garantir » et d’ajouter que « la loi favorise le partage à égalité entre les femmes et les hommes ». Comme l’a rappelé Mme Danielle Bousquet, présidente du HCEfh, lors de son audition par la Délégation, « il est important que la Constitution porte cet objectif de parité et qu’aucun recul ne soit possible » ([15]).

Votre Rapporteure considère qu’il serait pertinent d’entamer une réflexion approfondie pour inscrire plus fortement les principes d’égalité et de parité dans notre Constitution. L’article premier notamment pourrait faire l’objet de modifications qui pourraient passer par le remplacement du verbe « favoriser » par le verbe « assurer ». Cette évolution enverrait un signal extrêmement clair à nos concitoyens et imposerait en plus de prendre en compte l’objectif de parité dans l’ensemble des travaux du législateur. Reprenant le verbe utilisé à l’alinéa précédent – pour assurer l’égalité des citoyens devant la loi – l’utilisation du verbe « assurer » fait évoluer le niveau de cette norme et en fait un principe générique, conforme à l’esprit de ce premier article de notre Constitution. Par rapport au droit existant, il élève clairement le niveau d’exigence constitutionnel tout en veillant à l’applicabilité de ce principe.

Lors de son audition par votre Rapporteure, Mme Diane Roman, professeure de droit public à l’université de Tours, a également souligné qu’en l’état actuel de sa rédaction, cet alinéa est une forme d’habilitation du législateur qui est ensuite libre ou non de l’utiliser. Selon elle, cette formulation n’est pas suffisante, car elle ne permet pas de faire de cette disposition un véritable engagement constitutionnel de la France.

Dans la continuité du premier alinéa de l’article premier, il semblerait finalement plus pertinent de considérer que c’est « la France [qui] assure l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». Ainsi cette disposition ne serait plus une simple habilitation du législateur, mais deviendrait une véritable garantie constitutionnelle.

Recommandation n° 1 : inscrire dans la Constitution que la France assure l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales.

Si votre Rapporteure estime qu’il est intéressant de réfléchir à une affirmation encore plus concrète du principe de parité pour garantir le partage égal des responsabilités entre les femmes et les hommes, elle relève toutefois que ce principe constitue un objectif qui est déjà poursuivi par la Constitution et qu’il serait donc redondant d’aller au-delà de la formulation d’« égal accès » qui garde toute sa pertinence aujourd’hui. Lors de son audition, M. Julien Jeanneney, maître de conférences en droit public à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, a d’ailleurs souligné qu’il convenait de veiller à ne pas inclure dans la Constitution des normes trop précises qui ne pourraient pas nécessairement trouver à s’appliquer.

L’expression « d’égal accès » a d’ailleurs été retenue volontairement en 1999. « On constate que le projet de loi ne fait pas référence au terme de parité qui est, en réalité, l’objet même de cette réforme. On peut s’interroger sur ce silence. L’exposé des motifs affirme pourtant sans ambages qu’il importe de promouvoir par des mesures appropriées la parité entre les femmes et les hommes.

Il semble difficile d’inscrire dans la Constitution la notion de parité, pour une raison simple : elle est extrêmement délicate à réaliser concrètement. La notion de parité renvoie à l’idée d’égalité parfaite, ce qui signifie, dans l’absolu, qu’il y ait, par exemple, autant de femmes que d’hommes occupant les fonctions de maire en France. Il en serait de même pour les fonctions d’adjoint, de président de conseil général ou régional, de vice-président... On imagine sans difficulté l’impossibilité d’atteindre un tel objectif d’égalité pure et parfaite. Adopter une position trop rigide c’est rendre la règle inapplicable et donc prendre le risque de la discréditer.

Contrairement à l’idée développée par certains partisans de la parité, celle-ci ne peut être véritablement considérée comme un objectif mathématique. Elle est à la fois une finalité globale et un instrument, parmi d’autres, pour atteindre une égalité réelle entre les femmes et les hommes dans la vie publique mais aussi dans tous les domaines sociaux ou économiques. Dans le cadre de notre démocratie républicaine, il est important de se référer à nos principes fondateurs au premier rang desquels l’égalité. La construction d’une société où règne l’égalité exige un effort perpétuel qui passe par la mise à bas des injustices. Le verrouillage du monde politique par les hommes est une injustice. Il faut donc mettre en place les conditions juridiques pour déverrouiller le système et permettre aux femmes qui le souhaitent - et soyons certains qu’elles seront nombreuses - de se présenter aux élections, d’être élues et d’exercer des responsabilités politiques. C’est le sens de l’expression “ égal accès .

La mise en œuvre de la parité, par exemple, pour les scrutins de liste, peut être un instrument commode, rapide et efficace pour imposer l’idée que les femmes sont aussi aptes à représenter leurs concitoyens que les hommes. Mais pourquoi s’en tenir à la parité ? Demain peut-être plus de femmes que d’hommes seront présentes sur certaines listes. Cela signifiera alors que cette révision constitutionnelle a fait son œuvre et que la société politique française s’est enfin modernisée. En tout état de cause il faut laisser au législateur le soin d’organiser, au cas par cas, les conditions les plus favorables pour instituer une égalité réelle entre les sexes » ([16]).

Néanmoins pour aller plus loin, mieux garantir l’égalité et assurer très concrètement l’égalité entre les femmes et les hommes, votre Rapporteure estime qu’il est aujourd’hui cohérent de sacraliser le principe d’égalité entre les femmes et les hommes, qui apparaît certes déjà, de manière indirecte, dans le bloc de Constitutionnalité par le Préambule de 1946 ([17]) mais à travers une formulation justement peu respectueuse de ce principe d’égalité et qui mentionne seulement des « droits égaux », mais n’inscrit pas explicitement le principe général d’égalité entre les femmes et les hommes.

Estimant que si « notre Constitution ne fait bien sûr pas obstacle à l’égalité, elle est toutefois loin d’être la garante absolue ou la pierre fondatrice de l’égalité entre les femmes et les hommes », Mme Danielle Bousquet a rappelé, lors de son audition par la Délégation, que « la place des femmes n’est pas pleine dans la Constitution qui ne fait pas de l’égalité entre les femmes et les hommes un principe fondamental » ([18]). Votre Rapporteure adhère à ce constat et considère qu’il convient aujourd’hui de mieux intégrer l’égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution pour en faire un principe fondamental de notre droit.

Ayant intégré le principe d’égalité entre les femmes et les hommes dans la Constitution fédérale en 1981 ([19]), la Suisse est un bon exemple d’une telle démarche de sacralisation de ce principe. Son article 8 dispose ainsi que « l’homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale » ([20]). Affirmant clairement que tous les êtres humains sont égaux en droit, l’inscription de ce principe dans la norme suprême actualise l’idée d’égalité dans l’ensemble du droit suisse ([21]).

Pour parvenir à une société d’égalité entre les femmes et les hommes, ce principe doit irriguer l’ensemble de notre droit et il semble aujourd’hui cohérent d’en faire un principe fondamental en l’inscrivant plus clairement dans notre Constitution.

Il conviendrait pour cela de compléter l’article premier qui dispose que « [la France] assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Cette égalité devant la loi se fait également sans distinction de sexe ; or, ce point n’est pas explicitement reconnu dans la Constitution qui bannit bien les distinctions « d’origine, de race ou de religion », mais pas les distinctions en raison du sexe. Pour consacrer les droits fondamentaux de tous et de toutes, votre Rapporteure considère comme nécessaire d’ajouter ce principe d’égalité devant la loi sans distinction de sexe.

Recommandation n° 2 : affirmer l’égalité devant la loi sans distinction de sexe.

En cohérence avec ces modifications, votre Rapporteure estime qu’il convient également de renforcer l’article 4 de la Constitution qui dispose que les partis et groupements politiques « contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé au second alinéa de l’article 1er dans les conditions déterminées par la loi ». Afin de faire progresser l’égalité réelle, elle recommande de remplacer le verbe « contribuer » par le verbe « mettre en œuvre ».

Recommandation n° 3 : renforcer les obligations des partis et groupements politiques en matière de parité et d’égalité entre les femmes et les hommes.

B.   Passer d’une ÉgalitÉ de droit À une Égalité rÉelle

Le Préambule de 1946 proclame que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». Les évolutions législatives des soixante dernières années montrent que si le principe semble acquis, l’égalité réelle reste encore difficile à atteindre. L’inscription constitutionnelle de droits opposables se pose notamment, d’une part, en termes d’accès aux responsabilités et, d’autre part, en termes d’égalité des droits économiques et sociaux.

1.   L’égal accès aux responsabilités

Si le principe d’égal accès aux responsabilités est constitutionnellement consacré, sa mise en œuvre apparaît encore largement perfectible comme l’ont montré les récents travaux de la Délégation. Les femmes se heurtent encore largement au phénomène du « plafond de verre » qui les empêche d’accéder de la même manière que les hommes à des postes à responsabilité.

Au plan politique, la parité progresse lentement aussi bien pour les élections nationales que locales. Comme le montre le tableau ci‑après, les dernières élections législatives ont toutefois marqué une évolution sensible, les députées représentant désormais près de 40 % de l’Assemblée nationale.

Composition de l’AssemblÉe nationale (1)

 

XIe législature

XIIe législature

XIIIe législature

XIVe législature

XVe législature

 

au 16/6/2002

au 19/6/2007

au 19/6/2012

au 17/6/2017

au 16/3/2018

Hommes

510

496

447

410

348

Soit

90,4 %

86,7 %

80,4 %

73,1 %

60,8 %

Femmes

54

76

109

151

224

Soit

9,6 %

13,3 %

19,6 %

26,9 %

39,2 %

(1) Ne sont comptabilisés que les mandats effectivement exercés à la date considérée.

Source : site de l’Assemblée nationale.

En 2017, le pouvoir exécutif s’est lui aussi attaché à respecter le principe de parité et le Premier ministre a proposé au Président de la République un gouvernement strictement paritaire. Cette bonne pratique mériterait d’être consacrée dans la Constitution, son article 8 pouvant prévoir que la composition du Gouvernement est paritaire.

Recommandation n° 4 : inscrire le principe d’un Gouvernement paritaire à l’article 8 de la Constitution

Au niveau local, la direction générale des collectivités locales note l’impact de « l’obligation de présenter une alternance stricte hommes/femmes aux élections régionales et aux élections municipales dans les communes de plus de 1 000 habitants ». Le taux de féminisation atteint respectivement 47,8 % et 48,1 %. Le taux de féminisation des conseillers départementaux est quant à lui de 50 %, « traduisant mécaniquement l’obligation de présenter des binômes (hommes, femmes) » ([22]). L’obligation d’alternance qui s’appliquait auparavant aux communes de 3 500 habitants et plus a été étendue aux communes de 1 000 habitants et plus pour les élections de 2014. Ce mécanisme se traduit par un taux moyen de féminisation des conseillers municipaux de 40,3 %. Le tableau suivant récapitule ces données.

Féminisation des élus locaux en 2016

Source : Direction générale des collectivités locales, Les collectivités locales en chiffres, 2016.

Pour encourageants que soient ces évolutions, elles doivent être complétées par une analyse du taux de féminisation des fonctions exécutives que détaille le tableau ci‑après. En 2010, il n’y avait que 7,7 % de femmes parmi les présidents de conseils régionaux ; cette proportion atteint 18 % après les élections de 2015. Le taux de féminisation des présidents de conseils départementaux est passé de 6 % après les élections de 2011 à 8 % après celles de 2015. En 2014, seuls 10,9 % des maires étaient des femmes ; elles représentent désormais 16,1 %.

Féminisation des fonctions exécutives locales en 2016

Source : Direction générale des collectivités locales, Les collectivités locales en chiffres, 2016.

Dans le champ économique, des avancées importantes ont été constatées grâce à la loi dite « Copé-Zimmermann » de 2010 ([23]) et la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes de 2014 ([24]). Depuis 2014, les conseils des sociétés anonymes (SA) et des sociétés à commandite par actions (SCA) cotées en bourse doivent présenter au moins 40 % de femmes dans leur conseil d’administration ou de surveillance à compter du 1er janvier 2017. Cette obligation s’appliquera à compter de 2020 aux SA et SCA non cotées de plus de 250 salariés et ayant un chiffre d’affaires net ou un total de bilan d’au moins 50 millions d’euros.

Cette évolution doit cependant désormais être déclinée à tous les niveaux de l’entreprise. À ce titre, votre Rapporteure considère particulièrement bienvenu l’amendement présenté par le Gouvernement sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui prévoit les conseils d’administration et les conseils de surveillance devront désormais « se pencher sur les indicateurs de mixité au sein des comités exécutifs et du top management » ([25]) au moins une fois par an, en application du nouveau septième alinéa de l’article L. 225‑37‑4 du code du commerce ([26]).

Au plan politique comme au plan économique, la prise de conscience semble générale et la dynamique positive. Il n’en reste pas moins qu’il convient de veiller à la déclinaison opérationnelle du principe parité à tous les niveaux pour en garantir l’effectivité.

2.   L’égalité des droits économiques et sociaux

Le troisième alinéa du Préambule de 1946 est renforcé au plan économique par le cinquième qui dispose que « nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances ». L’article 34 de la Constitution précise qu’il appartient à la loi de déterminer les principes fondamentaux du droit du travail. De la combinaison des dispositions précédentes, on pourrait déduire que l’égalité salariale est comprise dans ces principes fondamentaux.

Comme le relève le rapport de la Délégation sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ([27]), il a toutefois fallu attendre 1972 pour inscrire l’égalité salariale dans la loi française et malgré cette avancée, beaucoup reste encore à faire. Aujourd’hui, les femmes sont en effet encore dans une situation économique plus défavorable que les hommes : en France, en 2018, les femmes gagnent environ 25 % de moins que les hommes et un écart salarial inexplicable d’environ 10 % persiste entre une femme et un homme possédant un contrat, un diplôme, une expérience et des responsabilités identiques. Alors qu’elles représentent près de la moitié de la population active, les femmes occupent 80 % des emplois à temps partiel et représentent plus des deux tiers des travailleurs pauvres. La ségrégation apparaît horizontale, c’est-à-dire que les femmes exercent majoritairement des métiers moins rémunérateurs, et verticale, c’est-à-dire qu’au sein d’une même catégorie professionnelle, les occupent les postes les moins bien payés.

Cette réalité statistique montre le caractère insuffisamment opérationnel et applicable des dispositions existantes. Ce phénomène est d’autant plus regrettable que tous les supports juridiques, qu’ils soient constitutionnels, légaux ou internationaux, vont dans le même sens. En 2003, M. Pierre Bailly, conseiller à la Cour de cassation, relève ainsi que « l’égalité dans la relation de travail est reconnue par des instruments internationaux qui ne sont pas tous dotés de la même force » et que, ni le « princip[e] d’égalité [ni celui] de non-discrimination, ne sont revêtu[s], en l’état actuel du droit communautaire, d’une autorité normative, même si l’on peut constater que les Avocats généraux de la Cour de Justice y font souvent référence dans leurs conclusions » ([28]) .

Lors de son audition par la Délégation en mai 2018, la ministre du Travail considérait qu’existe désormais un consensus sur cette question de l’égalité salariale et que les écarts persistants n’étaient plus socialement admis.

C.   De nouveaux enjeux à prendre en compte

1.   Quelle consolidation du droit à l’avortement ?

En 2016, ce sont 211 900 interruptions volontaires de grossesse (IVG) qui ont été réalisées en France. Il s’agit de femmes de tous les âges et de tous les milieux sociaux ; les deux tiers d’entre elles utilisaient une méthode contraceptive. Les femmes âgées de 20 à 25 ans restent les plus concernées par le recours à l’IVG avec un taux de 26 IVG pour 1000 femmes. On estime aujourd’hui qu’une femme sur trois aura recours dans sa vie à une IVG ([29]). Le droit d’avoir recours à une IVG, qui garantit à une femme de pouvoir interrompre sa grossesse si elle le souhaite, participe pleinement au droit des femmes à disposer librement de leur corps et concourt à une société d’égalité entre les femmes et les hommes.

Pourtant l’IVG a longtemps été considéré comme un crime ([30]). Il a été acquis après un combat politique de haute lutte, dans lequel se sont engagées de nombreuses femmes. En 1971, 343 personnalités - parmi elles, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Jeanne Moreau, Yvette Roudy - ont le courage de signer le manifeste « Je me suis fait avorter », plus connu sous le nom de « manifeste des 343 salopes », s’exposant alors à des poursuites pénales. L’avortement est finalement dépénalisé grâce à la loi Veil du 17 janvier 1975 ([31]). Ce droit a par la suite été renforcé par différentes mesures législatives en 2001 pour moderniser la loi Veil ([32]) ; en 2014 pour supprimer la notion de détresse des conditions de recours à l’IVG et étendre le délit d’entrave à l’IVG à l’accès à l’information sur l’IVG ([33]) ; en 2016 pour notamment supprimer le délai minimal de réflexion d’une semaine, garantir la confidentialité et rendre gratuit l’ensemble des actes inclus dans le parcours IVG ([34]).

Ces progrès législatifs ont largement contribué à l’émancipation des femmes, la reconnaissance de leur droit total à disposer de leur corps et plus généralement à l’égalité entre les femmes et les hommes. Le droit à l’IVG n’est toutefois pas consacré́ expressément comme l’expression d’un droit et le recours à l’IVG se heurte encore à plusieurs obstacles.

Le rapport relatif à l’accès à l’IVG du HCEfh, publié en novembre 2013, comporte une analyse approfondie des différents obstacles qui demeurent en matière d’accès à l’IVG sur l’ensemble du territoire. Sans reprendre en détail les constats et recommandations du HCEfh ([35]), il est utile de rappeler que l’accès à l’IVG est limité par une baisse de l’offre de soins, alors que la demande est globalement stable, des difficultés d’informations, des délais qui peuvent parfois être longs, une tendance à la culpabilisation des femmes y ayant recours, etc.

En outre, ce droit a été récemment remis en cause dans plusieurs pays - en Espagne ou encore aux États-Unis et il ne faut pas oublier que même en Europe il est interdit ou limité dans certains pays, comme Chypre, la Pologne ou encore l’Irlande qui a toutefois récemment décidé de faire évoluer sa législation.

Le 29 mars 2018, la Délégation a adopté à l’unanimité une résolution sur ce thème. Elle avait en effet « pris connaissance du projet de loi actuellement débattu au Parlement polonais et restreignant drastiquement l’accès à l’interruption volontaire de grossesse ». Alors que « le droit polonais est déjà l’un des plus restrictifs en la matière, ce texte vise à supprimer l’un des trois motifs d’avortement aujourd’hui autorisés, à savoir l’existence de malformations graves ou mortelles du fœtus ». La Délégation a marqué son opposition à ce projet. « Les membres de la Délégation [ont considéré] que cette initiative constitue un recul intolérable et [ont rappelé] leur attachement le plus profond à la liberté de choix et au strict respect des droits des femmes à disposer librement de leur corps. En conséquence ils [ont exhorté] résolument les députés polonais à rejeter cette initiative régressive » ([36]).

Le respect de ce droit est crucial pour garantir le respect des droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce droit est également une traduction du principe constitutionnel de liberté individuelle. Saisi sur les lois relatives à l’interruption volontaire de grossesse, le Conseil constitutionnel a en effet affirmé que le droit à l’IVG découle de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui garantit la liberté de la femme ([37]).

En 2014, l’Assemblée nationale a d’ailleurs rappelé par l’adoption d’une résolution l’attachement du Parlement à ce droit fondamental.

Proposition de résolution n° 2360 visant à réaffirmer le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse en France et en Europe,
adoptée le 26 novembre 2014

 

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement,

Vu la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, dite « loi Veil »,

Vu la loi n°79–1204 du 31 décembre 1979, dite « loi Pelletier », reconduisant définitivement la loi Veil du 17 janvier 1975,

Vu la convention sur l’élimination des discriminations à l’encontre des femmes (CEDAW), adoptée en assemblée générale des Nations Unies en 1979 et ratifiée en 1983 par la France, et spécifiquement son article 12 qui stipule que « les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans le domaine des soins de santé en vue de leur assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme, les moyens d’accéder aux services médicaux, y compris ceux qui concernent la planification de la famille »,

Vu la loi n° 82-1172 du 31 décembre 1982, dite « loi Roudy », qui autorise le remboursement de l’interruption volontaire de grossesse et instaure la prise en charge par l’État,

Vu la loi n° 93-121 du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, dite « loi Neiertz », créant le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse,

Vu le programme d’action de la conférence internationale du Caire sur la population et le développement (CIPD) de septembre 1994, qui rappelle que les moyens de maîtriser la fécondité des femmes sont des éléments capitaux des programmes relatifs à la population et au développement,

Vu le programme d’action de Pékin, adopté en septembre 1995 lors de la quatrième conférence mondiale sur les femmes, qui rappelle « la liberté et la possibilité de décider si et quand on veut avoir des enfants. Cela implique qu’hommes et femmes ont le droit d’être informés sur les méthodes sûres, efficaces, abordables et acceptables de planification familiale » (alinéa 94 du programme d’action),

Vu la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, qui modernise la loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 susvisée,

Vu la résolution 1607 adoptée par le Conseil de l’Europe en avril 2008 promouvant un accès à un avortement sans risque et légal en Europe,

Vu la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui supprime la notion de détresse et élargit le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse,

1. Réaffirme l’importance du droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse pour toutes les femmes, en France, en Europe et dans le monde ;

2. Rappelle que le droit universel des femmes à disposer librement de leur corps est une condition indispensable pour la construction de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et d’une société de progrès ;

3. Affirme le rôle majeur de la prévention et de l’éducation à la sexualité, en direction des jeunes ;

4. Affirme la nécessité de garantir l’accès des femmes à une information de qualité, à une contraception adaptée et à l’avortement sûr et légal ;

5. Souhaite que la France poursuive son engagement, au niveau européen comme international, en faveur d’un accès universel à la planification familiale.

Adhérant pleinement à cette réaffirmation du droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse en France et en Europe, votre Rapporteure considère que le législateur doit rester extrêmement vigilant quant au respect de ce droit. Si ce droit est aujourd’hui garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, il conviendrait sans doute de poursuivre le renforcement de ce droit en garantissant sa pleine accessibilité sur l’ensemble du territoire national.

Ce droit fondamental participe au quotidien du droit des femmes à disposer librement de leur corps et votre Rapporteure tient à rappeler que cette liberté est constitutive de la liberté des femmes, telle qu’elle est garantie par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. La liberté des femmes ne saurait être entendue sans le respect plein et entier de ce droit. Or, la principale menace qui pèse aujourd’hui sur ce droit dans notre pays concerne son effectivité. Il est absolument primordial de veiller à ce que chaque femme, où qu’elle se trouve sur le territoire, puisse avoir un accès direct, gratuit et rapide à un service en mesure de pratiquer une IVG.

2.   Le droit à un environnement non sexiste et à une société non stéréotypée

Les stéréotypes de genre constituent un obstacle majeur à la réalisation d’une véritable égalité entre les femmes et les hommes. Ces stéréotypes, qui imposent à chacune et à chacun des rôles sociaux prédéfinis issus de préjugés sur la place du féminin et du masculin dans notre société, conduisent les femmes et les hommes à agir en fonction de ce que l’on attend de leur sexe. Cloîtrant les filles et les garçons dans des rôles préconçus, ils limitent les possibilités de chacune et chacun. Ils ont des conséquences dans les domaines les plus variés : ils influencent l’orientation scolaire et professionnelle, ils favorisent une répartition inégale des tâches domestiques et familiales, ainsi qu’un partage inégal des responsabilités politiques, sociales et économiques ; en outre, ils conduisent souvent à des comportements sexistes et répréhensibles (harcèlement de rue, agressions sexuelles, violences conjugales, féminicides…).

L’égalité entre les femmes et les hommes ne sera une réalité que si l’on lutte fermement contre ces stéréotypes aux conséquences graves et diverses. L’élimination des stéréotypes et la déconstruction des rôles sociaux sont un impératif ; elles doivent se faire dans toutes les sphères de la société et dès le plus jeune âge pour permettre à chacun et chacune de vivre sans entrave de façon égalitaire.

En outre, l’égalité entre les femmes et les hommes impliquent de mettre fin à toute forme d’agissements sexistes et de violences faites aux femmes. Les femmes ne peuvent accéder aux mêmes responsabilités, qu’elles soient politiques, sociales ou économiques, si elles sont en permanence victimes d’outrages sexistes, d’agressions sexuelles ou de toute autre forme de violence. Un environnement exempt de violences est une condition nécessaire à l’égalité entre les sexes.

En tant que législateurs, il nous appartient de tout faire pour garantir un tel environnement non sexiste, non stéréotypé et non violent. Un tel sujet, qui implique des mesures très spécifiques et parfois ciblées – comme l’éducation à la sexualité et à l’égalité entre les sexes dès le plus jeune âge ne semble toutefois pas trouver dans la Constitution le meilleur des supports. Il s’agit en effet d’un sujet extrêmement large, au sein duquel s’entrecroisent des problématiques diverses, et qui est amené à s’adapter en fonction des évolutions de la société, par exemple en termes de développement numérique.

3.   Rendre visibles les femmes dans notre Constitution

Dans sa Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne, Olympe de Gouges soulignait déjà avec ironie l’invisibilisation des femmes dans le droit. L’emploi unique du mot « homme », quand bien même il est compris dans une acception neutre, au lieu d’« être humain » contribue à faire disparaître la femme dans nos textes de lois.

Comme l’a rappelé Mme Danielle Bousquet lors de son audition ([38]), le rapport HCEfh précise que « malgré́ le recours de plus en plus fréquent à l’expression “ droits humains ”, la France continue à employer dans sa terminologie officielle l’expression “ droits de l’Homme ”, se démarquant ainsi des autres pays du monde et plus particulièrement de plusieurs pays francophones comme le Canada, la Suisse ou encore Haïti » ([39]). Si l’emploi de la majuscule dans l’expression « droits de l’Homme » permet la distinction à l’écrit, ce changement ne s’entend pas à l’oral. Le HCEfh recommande donc l’utilisation de l’expression « droits humains », à la fois plus neutre et plus inclusive. Le HECfh rappelle également que le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères s’est positionné en faveur de l’usage de l’expression « droits humains » à l’occasion de son discours du 8 mars 2018 lorsqu’il estimait que « sur la question des droits humains, droits de l’homme, il faut mettre un terme à cette confusion. Je suis partisan de dire désormais définitivement droits humains » ([40]). Comme l’a rappelé Mme Diane Roman lors de son audition, ce changement de vocabulaire serait une véritable avancée qui refléterait finalement une évolution de la société.

Votre Rapporteure estime qu’il est aujourd’hui essentiel de changer de paradigme et d’imposer, via notre texte constitutionnel, l’expression de « Droits humains », afin de garantir une fois pour toutes les droits et libertés des femmes, qui constituent la moitié de l’humanité et ne doivent pas être invibilisées par l’expression « Droits de l’Homme ». Votre Rapporteure considère que cette évolution permettra d’intégrer clairement les femmes dans le Préambule de la Constitution sans pour autant modifier la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Au-delà du principe et du symbole, qui ont toutefois toute leur importance, ce changement de lettre et d’usage est fondamental au quotidien, car il se décline ensuite pour chacun des droits qui sont visés.

Recommandation n° 5 : développer l’utilisation du terme « Droits humains » plutôt que de celui de « Droits de l’Homme ».

Par ailleurs, votre Rapporteure estime qu’il faut aujourd’hui entamer une réflexion sérieuse sur l’usage d’un langage respectant l’égalité entre les femmes et les hommes. L’emploi, notamment dans les textes de lois, Constitution comprise, de termes uniquement masculins, que ce soit pour désigner les citoyens ou certaines fonctions, contribue à ce phénomène d’invisibilisation des femmes.

Concernant cette problématique, le HCEfh souligne que « la portée performative du langage est importante, en ce qu’elle témoigne de notre vision du monde, et le choix de l’utilisation de la règle grammaticale, selon laquelle le masculin est neutre, exclut symboliquement les femmes des hautes fonctions de la République. En français, le neutre n’existe pas : un mot est soit masculin, soit féminin. L’usage du masculin n’est pas perçu de manière neutre en dépit du fait que ce soit son intention, car il active moins de représentations de femmes auprès des personnes interpellées qu’un générique épicène.

Votre Rapporteure rappelle que l’Assemblée nationale a signé le 8 mars 2017 la Convention d’engagement pour une communication publique sans stéréotype de sexe du HCEfh qui vise à la bonne utilisation du Guide précité dans les travaux du législateur. Elle estime que cet engagement n’est aujourd’hui pas suffisamment respecté et qu’il est nécessaire d’accentuer les efforts pour développer une langue française plus inclusive.

Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, votre Rapporteure considère néanmoins qu’il n’est pas pertinent d’employer une écriture systématiquement féminisée dans un texte aussi formel au sein duquel l’emploi du masculin en tant que neutre est acceptable, mais qu’il conviendrait toutefois de veiller à rendre visible les femmes dans notre loi fondamentale, à travers notamment l’emploi de la formule « Droits humains » qui doit aujourd’hui être systématisée.

II.   Prendre en compte systÉmatiquement les droits des femmes dans le processus normatif

A.   intégrer l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les dispositifs légaux et réglementaires

Lors de son discours du 25 novembre 2017, le Président de la République a rappelé que l’égalité entre les femmes et les hommes doit devenir un combat de « la Nation tout entière » et nécessite « la mobilisation de la Nation toute entière, au-delà de celle du gouvernement et de nos administrations » ([41]). Cette mobilisation doit se traduire dans le processus de préparation, d’adoption et de contrôle de la mise en œuvre de toutes les normes.

● Cette volonté du Président de la République fait écho à la volonté de nombreux acteurs d’intégrer les enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes dans l’ensemble des politiques publiques. Appelée gender mainstreaming, cette démarche pourrait « plus communément [se] tradui[re] en français par  approche intégrée de l’égalité ˮ » ([42]). Le Conseil de l’Europe définit pour sa part cette approche intégrée de l’égalité comme « la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques » ([43]).

L’intérêt de cette approche est d’articuler un « outillage technique » avec des pratiques. Il est à la fois un « outil conceptuel et [une] méthode d’action. Le défi est donc clairement de mêler réflexions théoriques et approches plus empiriques afin de saisir la complexité de ce concept-méthode qui permet d’articuler querelles idéologico-terminologiques et souci d’efficacité » ([44]).

Votre Rapporteure considère qu’inscrire l’égalité entre les femmes et les hommes dans ce qui relève du champ de la loi au sens de l’article 34 de la Constitution garantirait cette impulsion théorique initiale. Cette modification pourrait se faire à l’article 2 du projet de loi constitutionnelle qui prévoit d’inscrire la lutte contre le changement climatique. La promotion de l’égalité s’inscrit pleinement dans cette volonté de prise en compte des grands enjeux de façon systématique.

Recommandation n° 6 : inscrire l’égalité entre les femmes et les hommes dans le champ de la loi à l’article 34 de la Constitution.

Il conviendra de décliner ce principe dans les lois organiques de façon notamment à ce que les études d’impact intègrent systématiquement une analyse sur les conséquences des dispositifs envisagés en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

● Il appartiendra également au Parlement de déterminer la place qu’il entend réserver à l’égalité entre les femmes et hommes dans ses missions d’évaluation et de contrôle. Pourtant, faute de données consolidées, il est parfois difficile de procéder à une telle analyse. À ce titre, comme le proposait la Rapporteure de la Délégation sur la proposition de loi visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination, il serait utile de créer un observatoire de la parité chargé du suivi de la mise en œuvre de la parité dans le monde politique, professionnel ou social ([45]). Il conviendra de déterminer le positionnement de cet organe, sa composition et ses pouvoirs dans le cadre du travail d’ensemble sur les moyens alloués aux missions de contrôle et d’évaluation du Parlement.

B.   Systématiser la pratique de la budgétisation sensible au genre afin de garantir la prise en compte DE l’égalité dans l’ensemble des politiques publiques

Le gender budgeting en français, la budgétisation sensible au genre est l’un des principaux instruments du gender mainstreaming évoqué ci-avant. Il consiste à prendre en compte les enjeux de genre dans l’ensemble des décisions budgétaires et l’impact des recettes et des dépenses sur les femmes et les hommes, afin de corriger, le cas échéant, les inégalités apparues. Le Conseil de l’Europe la définit comme « l’application de l’intégration de la dimension de genre dans le processus budgétaire. Cela signifie une évaluation des budgets basée sur la dimension de genre, en incorporant une perspective de genre à tous les niveaux du processus budgétaire et en restructurant les recettes et les dépenses dans le but de promouvoir l’égalité́ des genres ».

Le budget est l’un des principaux outils techniques des politiques publiques et n’est jamais neutre : il reflète des choix politiques, sociaux, économiques, écologiques... Les décisions budgétaires ont des conséquences sur les différentes composantes de la population et sur les inégalités. L’étude du budget sous l’angle du genre permet de renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes, en favorisant une utilisation plus efficace et mieux ciblée des ressources publiques.

la démarche de budgétisation sensible au genre

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Source : Centre Hubertine Auclert, Guide pratique « La budgétisation sensible au genre ».

Le gender budgeting consiste donc en une démarche globale, impliquant des analyses ex ante et des évaluations ex post. Il est nécessaire pour cela de disposer de statistiques sexuées pour toute politique publique mise en œuvre. Ces statistiques sont nécessaires pour connaître l’effet de chaque denier public : est-il neutre du point de vue l’égalité ou diminue-t-il ou augmente-t-il les inégalités entre les femmes et les hommes ?

Votre Rapporteure considère qu’aujourd’hui toute procédure budgétaire, qu’elle soit locale ou nationale, doit faire l’objet d’une mesure précise de son impact pour l’égalité entre les femmes et les hommes. La France doit mettre en œuvre le gender budgeting.

Cette ambition est d’ailleurs celle du Gouvernement, qui, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018 a annoncé la mise en place d’une mission portant sur la budgétisation sensible au genre « pour garantir des "budgets intégrant l’égalité́ entre les femmes et les hommes", comme y procèdent déjà̀ plusieurs pays européens.

Une mission a été confiée en 2017 au Haut Conseil à l’égalité́ entre les femmes et les hommes (HCE) [sur ce thème] et visant à : analyser les bonnes pratiques connues à l’étranger et en France, tant au niveau central que dans les territoires ; proposer des recommandations pour compléter les instructions, les procédures et les outils budgétaires, tant sur les recettes que les dépenses ; préconiser une méthodologie pour la réalisation d’un budget intégrant l’égalité ; évaluer les besoins en formation des agents des ministères participant au processus d’élaboration des documents budgétaires (PLF, PLFSS, PAP, DPT, etc.) ; proposer des recommandations concernant les Hauts fonctionnaires à l’égalité́ (HFE) au sein de chaque ministère.

Les recommandations du HCE attendues pour la fin de l’année 2017 seront mises en œuvre dès 2018, notamment avec des ministères volontaires pour mettre en œuvre dans le champ de leur politique publique un budget intégrant l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes » ([46]).

Votre Rapporteure soutient pleinement cette initiative et s’associe aux conclusions et recommandations du rapport de la Délégation sur le projet de loi de finances pour 2018 : « Il s’agit de développer, grâce au gender budgeting, une intégration systématique des enjeux d’égalité femmes-hommes dans toutes les politiques publiques, parallèlement aux politiques spécifiquement dédiées aux droits des femmes et à l’égalité. Il s’agit là d’un enjeu essentiel pour renforcer l’efficacité des politiques publiques et faire progresser l’égalité des sexes » ([47]).

Recommandation n° 7 : progresser en matière de budgets intégrant l’égalité femmes-hommes :

– développer le recueil d’informations sexo-spécifiques dans l’ensemble des champs des politiques publiques, afin de permettre le développement de la budgétisation sensible au genre dans chacun des ministères ;

– établir une feuille de route précise pour accompagner le développement de cette expérimentation de budgets sensibles au genre ;

 réfléchir à une adaptation de nos procédures budgétaires pour garantir une bonne intégration des enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes dans chacune d’entre elles.

C.   Les droits des femmes au Parlement

● La loi du 12 juillet 1999 ([48]) a créé, au sein de chacune des deux assemblées du Parlement, une délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Chacune de ces délégations compte trente-six membres désignés « de manière à assurer une représentation proportionnelle des groupes parlementaires et équilibrée des hommes et des femmes ainsi que des commissions permanentes ».

La composition de l’actuelle Délégation de l’Assemblée nationale assure effectivement une représentation proportionnelle des groupes et des commissions mais ne permet pas d’atteindre un équilibre entre les hommes et les femmes puisque la Délégation ne compte que 8 hommes, soit un taux de 22 %.

À l’Assemblée nationale comme au Sénat, la Délégation a « pour mission d’informer l’Assemblée de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits des femmes et sur l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. En ce domaine, elle assure le suivi de l’application des lois ». Si la mission de la Délégation est transversale, elle doit être accomplie « sans préjudice des compétences des commissions permanentes ou spéciales ni de celles des commissions chargées des affaires européennes ».

La Délégation peut être saisie :

       sur les projets et propositions de loi par le Bureau de l’Assemblée – soit à son initiative soit à la demande d’un président de groupe – ou par une commission permanente ou spéciale – soit à son initiative soit à la demande de la Délégation ;

       sur les textes soumis en application de l’article 88‑4 de la Constitution, par la commission chargée des affaires européennes.

La Délégation de l’Assemblée nationale peut demander à entendre les ministres ; le Gouvernement doit lui communiquer les informations utiles ainsi que les documents nécessaires à l’accomplissement de sa mission.

En cas de saisine sur un projet ou une proposition de loi, les travaux de la Délégation donnent lieu au dépôt sur le bureau de l’assemblée concernée d’un rapport d’information comportant des recommandations.

● Nombre de parlements disposent d’un organe spécifiquement dédié aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes. Dès 1979, à l’initiative de Mme Yvette Roudy et avec le soutien de Mme Simone Veil, le Parlement européen s’est doté d’une « commission ad hoc pour les droits des femmes. Au cours des années 1980 cette commission et d’autres qui la suivent enquêtent sur la situation des femmes en Europe et abordent toutes les grandes questions : travail des femmes, places des femmes dans la société, droits des femmes, etc. » ([49]). Cette démarche a été déclinée dans plusieurs pays de l’Union, souvent pour « combler un vide » ([50]), les parlementaires considérant que les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes étaient trop souvent traités de façon annexe par les autres organes.

Le statut des deux délégations françaises pourrait évoluer si le nombre de commissions permanentes devait évoluer. Toutefois, votre Rapporteure relève que c’est moins le statut que les prérogatives et l’organisation des délégations qu’il convient d’interroger.

Le dispositif actuel souffre en effet de deux limites qui pourraient être levées par voie législative ou par une modification des règlements des assemblées :

       la Délégation ne peut s’auto-saisir même si, en pratique, à chaque fois qu’elle a manifesté son intention d’être saisie d’un texte ou d’un sujet, il a été fait droit à sa demande ;

       elle ne peut ni examiner ni adopter d’amendements, ses rapporteurs portant les amendements issus des travaux de la Délégation en leur nom propre.

Votre Rapporteure estime par ailleurs que toute éventuelle modification du statut des délégations doit préserver le principe de la double appartenance. L’approche intégrée de l’égalité suppose en effet d’être en mesure de porter la question des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines. Les travaux des délégations sont transversaux par nature et permettent une prise de conscience ou de révéler une difficulté ; il convient ensuite de porter cette réflexion dans les commissions compétentes au fond. Il faut préserver cette logique de « relais » qui permet un enrichissement et un renforcement mutuels.

Si la révision constitutionnelle conduisait à modifier le nombre de commissions permanentes dans les assemblées, voire à en supprimer totalement le plafond, il sera absolument nécessaire de prévoir la création d’une commission consacrée à l’égalité entre les femmes et les hommes. Cette évolution devra toutefois s’accompagner également du principe de double appartenance, car les questions d’égalité sont par nature transversales et doivent irriguer les travaux de l’ensemble des commissions parlementaires.

 


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   Travaux de la dÉlÉgation

Lors de sa réunion du 20 juin 2018 sous la présidence de Mme Marie‑Pierre Rixain, la Délégation a adopté le présent rapport et les recommandations présentées supra (page 5).

La vidéo de cette réunion est accessible en ligne sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante : http://assnat.fr/uOLl9X.

 


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   annexe : Liste des personnes auditionnÉes

I.   Audition par la Délégation

 Mme Danielle Bousquet, présidente du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

II.   Auditions par la Rapporteure

 M. Julien Jeanneney, maître de conférences à l’Institut des sciences juridique et philosophique de l’université Paris I Panthéon‑Sorbonne ;

 Mme Diane Roman, professeure des universités, présidente de la section de droit public et de sciences politiques de l’Université de Tours, membre du Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux (CREDOF).

 

 


([1]) Voir le Discours du Président de la République à l'occasion de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes et du lancement de la grande cause du quinquennat.

([2]) Condorcet, Sur l’admission des femmes au droit de cité, 3 juillet 1790.

([3]) Article 3 de la Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme ; nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ».  

([4]) Article 16 de la Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne.

([5]) L’enseignement primaire est accessible aux filles depuis 1836, l’enseignement secondaire depuis 1880.

([6]) Il convient de noter toutefois que la formulation de l’article 3 « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme » construit les droits des femmes par rapport à ceux des hommes, instituant ainsi une forme de hiérarchie.

([7]) Conseil constitutionnel, 18 novembre 1982, décision numéro 82-146 DC, « Quotas par sexe ».

([8]) Loi constitutionnelle n° 99-569 du 8 juillet 1999 relative à l’égalité entre les femmes et les hommes.

([9]) Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

([10]) À ce sujet, voir le rapport n° 3991 de Mme Catherine Coutelle sur la place des femmes en politique, suite au colloque organisé par la Délégation le 9 mars 2016, 20 juillet 2016, XIVe législature.

([11]) Conseil constitutionnel, décision n° 2015-465 QPC du 24 avril 2015.

([12]) Elsa Fondimare, « La mobilisation de l’égalité formelle contre les mesures tendant à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes : le droit de la non-discrimination contre les femmes ? », in La Revue des droits de l’homme, 11/2017, mis en ligne le 10 janvier 2017 [http://journals.openedition.org/revdh/2885 – URL consultée le 9 juin 2018].

([13]) Rapport n° 1240 de Mme Catherine Tasca sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes, 2 décembre 1998, XIe législature.

([14]) Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Pour une Constitution garante de l’égalité femmes–hommes, avis relatif à la révision constitutionnelle n° 2018-04-18-PAR-033, publié le 18 avril 2018.

([15]) Voir la vidéo de cette audition.

([16]) Rapport n° 1240 de Mme Catherine Tasca, op. cit.

([17]) L’article 3 du Préambule de 1946  dispose que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».

([18]) Voir la vidéo de cette audition.

([19]) Accepté en votation populaire du 14 juin 1981 (ACF du 17 août 1981 – RO 1981 1243 – et AF du 10 octobre 1980– FF 1980 III 713 787, 1980 I 73, 1981 II 1216.

([20]) Constitution fédérale de la Confédération suisse https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995395/index.html [URL consultée le 10 juin 2018].

([21]) Jean-Claude Beguin, « La constitutionnalisation du principe d’égalité hommes/femmes en Suisse et le processus de concrétisation », in Revue internationale de droit comparé, vol. 50 n° 1, janvier-mars 1998. pp. 67-92.

([22]Direction générale des collectivités locales, Les collectivités locales en chiffres, 2016.

([23]) Loi n° 2011‑103 du 27 janvier 2011 relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle.

([24]) Loi n° 2014‑873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([25]) Présentation de l’amendement AS 1247 par la ministre du Travail devant la commission des Affaires sociales.

([26]) Amendement AS 1247 sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, déposé par le Gouvernement et adopté par la commission des Affaires sociales.

([27]) Rapport n° 979 de M. Pierre Cabaré sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, au nom de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, 23 mai 2018.

([28]) Pierre Bailly, « L’égalité des salariés en droit du travail », in Cour de cassation, Rapport annuel, 2003, https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_tude_annuelle_36/rapport_2003_37/deuxieme_partie_tudes_documents_40/tudes_theme_egalite_42/droit_travail_6251.html [URL consultée le 10 juin 2018].

([29]) Nathalie Bajos et Michèle Ferrand, in Les enjeux contemporains de la légalisation de l’avortement, Revue française des affaires sociales, 2011.

([30]) Jusqu’en 1975, l’article 317 du code pénal punissait de peine de prison et d’amende le fait de subir, de pratiquer ou d’aider un avortement.

([31]) Loi n° 75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de la grossesse.

([32]) Loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception.

([33]) Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([34]) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

([35]) Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, rapport relatif à l’IVG n° 2013-1104-SAN-009, publié le 7 novembre 2013.

([36]) Résolution adoptée par la Délégation le 29 mars 2018.

([37]) À ce sujet, voir notamment les décisions du Conseil constitutionnel n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 et n° 2017-747 DC du 16 mars 2017.

([38]) Voir la vidéo de cette audition.

([39]) Ibid.

([40]) Ibid.

([41]) Discours du Président de la République à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et du lancement de la grande cause du quinquennat, 25 novembre 2017 - http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-a-l-occasion-de-la-journee-internationale-pour-l-elimination-de-la-violence-a-l-egard-des-femmes-et-du-lancement-de-la-grande-cause-du-quinquennat/ [URL consultée le 10 juin 2018].

([42]) Sandrine Dauphin et Réjane Sénac-Slawinski, « Gender mainstreaming : analyse des enjeux d’un “ concept-méthode ˮ », in Gender mainstreaming, de l’égalité des sexes à la diversité ?, Cahiers du genre, 2008/1.

([43]) https://www.coe.int/fr/web/genderequality/what-is-gender-mainstreaming [URL consultée le 10 juin 2018].

([44]) Sandrine Dauphin et Réjane Sénac-Slawinski, « Gender mainstreaming.., », art. cit. 

([45]) Rapport n° 896 de Mme Isabelle Rauch sur la proposition de loi visant à garantir la présence des parlementaires dans certains organismes extérieurs au Parlement et à simplifier les modalités de leur nomination au nom de la de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, 19 avril 2018.

([46]) Extrait du projet annuel de performance du programme 137 « Égalité entre les femmes et les hommes » – projet de loi de finances pour 2018.

([47]) Rapport n° 345 de Mme Fiona Lazaar sur le projet de loi finances pour 2018 au nom de la de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, 31 octobre 2017.

([48]) Loi n° 99‑585 du 12 juillet 1999 tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

([49]) Yves Denéchère, « Parité et droits des femmes dans l’Union Européenne (1992-2012) », in Les cahiers d’histoire immédiate, Groupe de recherche en histoire immédiate, 1992, pp. 77-94.

([50]) Expression utilisée sur la page de présentation du comité pour les droits des femmes et l’égalité de la Chambre des communes britannique.