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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 21 juin 2018.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

 

au nom de la délégation aux outre-MER (1)

sur les évolutions institutionnelles

dans les Outre-mer

PAR

MM. Hubert JULIEN-LAFERRIERE 

et  Jean-Hugues RATENON

 

 

Députés

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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

 


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La Délégation aux Outre-mer est composée de : M. Olivier Serva, président ; MM. Philippe Dunoyer, Hubert Julien-Laferriere, Mme Marie Lebec, MM. Jean-Philippe Nilor, Didier Quentin, Thierry Robert, viceprésidents ; Rodrigue Kokouendo, Mmes Josette Manin, Danièle Obono, Maud Petit, secrétaires ; M. Lénaïck Adam, Mmes Ramlati Ali, Ericka Bareigts, Nathalie Bassire, Huguette Bello, Justine Benin, MM. Sylvain Brial, Moetai Brotherson, André Chassaigne, Stéphane Claireaux, Mmes Françoise Dumas, Sophie Errante, MM. Jean-Michel Fauvergue, Laurent Furst, Raphaël Gérard, Philippe Gomès, Philippe Gosselin, Mmes Claire Guion-Firmin, Sandrine Josso, M. Mansour Kamardine, Mme Manuéla Kéclard-Mondésir, MM. Jean-Christophe Lagarde, François‑Michel Lambert, Mohamed Laqhila, Mme Charlotte Lecocq, MM. Serge Letchimy, David Lorion, Max Mathiasin, Mmes Monica Michel, George Pau-Langevin, M. Alain Ramadier, Mme Nadia Ramassamy, MM. Pierre-Alain Raphan, Jean-Hugues Ratenon, Hugues Renson, Mmes Cécile Rilhac, Maina Sage, Nicole Sanquer, M. Gabriel Serville, Mmes Laurence Trastour-Isnart, Hélène Vainqueur-Christophe, Laurence Vanceunebrock-Mialon et M. Philippe Vigier.

 

 

 


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  SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Première PARTIE- Les outre-mer : diversité statutaire et logiques d’organisation institutionnelle multiples

A. Les collectivités uniques et les régions monodépartementales régies par l’article 73 de la Constitution : réformes institutionnelles et statutaires

1. La question de la collectivité unique

2. Pour une approche globalisée de l’inscription des évolutions statutaires dans la Constitution

B. L’organisation des compétences au sein des collectivités de l’article 73 de la Constitution

1. Expérimentation, adaptation et habilitation dans les collectivités de l’article 73

2. De la singularité de La Réunion à la reconnaissance d’un droit à l’habilitation consolidé

C. L’exception statutaire mahoraise

1. L’intégration de Mayotte à la République française : une trajectoire statutaire unique

2. Garantir le respect de la volonté du peuple mahorais dans la mise en œuvre de la départementalisation

3. La « rupéisation » de Mayotte, garantir développement et cohésion

D. Saint-Barthélemy et Saint-Martin, de la commune à la collectivité d’outre-mer, une autonomie croissante, des statuts différenciés

1. Des choix statutaires différents liés à la diversité de situation économique et sociale

2. Le fonctionnement actuel des collectivités et le rôle de l’État

3. Faire de la différenciation des statuts au regard du droit de l’Union européenne un atout stratégique

E. Saint-Pierre-et-Miquelon

1. De l’hybridité statutaire à la nécessaire rationalisation

2. Une organisation territoriale et institutionnelle complexe

3. Le maintien du statut des pays et territoires d’outre-mer et l’approfondissement de l’insertion régionale

F. Les îles Wallis-et-Futuna, entre stabilité d’un équilibre original et exigence de modernisation

1. Du protectorat à la collectivité, l’attachement à l’équilibre de 1961

2. Une organisation originale des pouvoirs et des compétences, à moderniser

G. La Polynésie française, garantir un large degré d’autonomie collective et individuelle

1. Le renforcement de l’autonomie au sein de la République française

2. L’organisation institutionnelle actuelle

3. La revendication d’autonomie des collectivités locales de Polynésie

II. Deuxième partie - L’action extérieure des collectivités d’outre-mer

A. Les procédures de coopération régionale

B. Le problème de la représentation de la France par les collectivités d’outre-mer

III. Troisième partie – Les propositions des co-rapporteurs

examen par la délégation

Annexes

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES


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   Introduction

Depuis l’époque de l’administration coloniale, les statuts juridiques des outre-mer n’ont cessé de se diversifier, au point qu’aujourd’hui, il est devenu banal de constater que chacune des collectivités ultramarines dispose d’un régime statutaire propre, que l’on ne retrouve dans aucune autre. À travers cette histoire juridique complexe, on retrouve aisément la marque du débat collectif dans les outre-mer : si l’adéquation du statut institutionnel aux caractéristiques économiques et sociales n’est pas l’unique réponse aux attentes des populations de nos territoires ultramarins, le terrain des institutions est bien souvent un lieu d’expression de leurs espoirs accueillis ou déçus.

Aussi bien était-il normal que, dans le vaste échange de vues auquel la Délégation aux outre-mer a procédé au début de la législature, la question des institutions surgît et qu’il fût décidé d’en faire un des six rapports nés, le 25 juillet, de la réflexion collective.

Depuis cette date, vos Rapporteurs ont procédé à de nombreuses consultations, tant par la voie d’auditions directes que par le moyen de questionnaires adressés dans tous les territoires. Une mission à La Réunion, du 18 au 22 janvier 2018, leur a notamment permis de faire le point avec un grand nombre de personnalités du monde politique, de représentants de la société civile et d’experts locaux sur la situation constitutionnelle spéciale née de l’adoption, en 2003, d’un régime spécifique du droit d’habilitation prévu par l’article 73 de la Constitution. Ils ont également reçu un certain nombre de contributions spontanées de diverses origines, qui manifestent l’intérêt porté par beaucoup au débat institutionnel. À toutes les personnes qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué à nourrir leur réflexion, vos Rapporteurs sont heureux de renouveler ici l’expression de leurs remerciements.

Annoncée par le Président de la République au Congrès de Versailles, le 3 juillet 2017, la réforme constitutionnelle dont l’examen par le Parlement est prévu à l’été 2018, a soulevé de nombreuses attentes chez les élus et les populations d’outre-mer. Plus que jamais, la question de la prise en compte de la situation particulière – ou, pour mieux dire, des situations particulières – de ces territoires se pose. La Délégation aux outre-mer est pleinement dans son rôle en la traitant. Elle a déjà entamé ce travail, le 5 avril 2018, en consacrant aux institutions un colloque riche en débats ; le présent rapport poursuit et amplifie sa contribution.

 

 

 

Le présent rapport s’intéresse aux problématiques que pose l’organisation statutaire et institutionnelle des territoires d’outre-mer, et aux voies d’évolution envisageables pour ces collectivités dans le cadre de la réforme constitutionnelle et de ses textes d’application. Il fait état de la diversité statutaire actuellement reconnue par la Constitution, de l’organisation des compétences propres aux collectivités de chaque territoire, et des aspirations à une extension des possibilités de coopération régionale notamment suscitées par la loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional.

Parce que la succession des débats et des textes rend difficile la perception des enjeux, il a paru nécessaire d’asseoir la réflexion sur une analyse de l’évolution statutaire de chaque territoire, nourrie autant que possible du contenu des auditions et des contributions, avant de présenter certaines préconisations et recommandations.


 

   Première PARTIE- Les outre-mer : diversité statutaire et logiques d’organisation institutionnelle multiples

C’est la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République qui a forgé les statuts des territoires d’outre-mer actuellement répertoriés dans la Constitution française. Pour autant, dans leur philosophie, ces statuts sont en grande partie les héritiers de dispositions datant du temps de l’époque coloniale où prévalait la différenciation entre assimilation et indigénat.

L’ensemble des collectivités territoriales de la Nation sont régies par le Titre XII de la Constitution, qui comprend les articles 72 à 75. Dans ce titre, l’article 73 régit spécifiquement les départements, régions et collectivités d’outre‑mer et pose le principe d’identité législative. Cependant, il permet certains assouplissements : des possibilités d’adaptation du droit commun aux « caractéristiques et contraintes particulières » des territoires concernés, à l’image de ce qui est désormais possible en droit européen depuis le traité d’Amsterdam. Le paragraphe 2 de l’article 299 du Traité instituant la communauté européenne (TCE) ouvrait en effet la possibilité pour le Conseil d’arrêter des mesures spécifiques visant, en particulier, à fixer les conditions d’application du traité et des politiques communes aux départements français d’outre-mer, aux Açores, à Madère et aux îles Canaries, et c’est bien, aussi, dans le cadre de l’ouverture ainsi réalisée que M. Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait souhaité inscrire la réflexion sur les évolutions institutionnelles qu’il avait demandée en 1999 à deux parlementaires, MM. Claude Lise et Michel Tamaya ([1]).

L’article 73 de la Constitution prévoit deux voies d’adaptation: l’une par les lois et règlements (alinéa 1), l’autre par les décisions des collectivités locales des territoires (alinéa 2). Toutefois, le pouvoir d’adaptation des collectivités est limité. En effet, l’alinéa 4 de l’article 73 énumère les champs où il ne peut s’exercer, qui sont des domaines régaliens : la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l’état et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes, et le droit électoral.

La catégorie des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution a été créée par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Ces collectivités sont gouvernées par le principe de spécialité législative “qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République” et qui leur autorise une certaine autonomie législative et institutionnelle.

Si telles qu’elles sont présentées en 2003 ces deux catégories diffèrent l’une de l’autre, les évolutions statutaires et institutionnelles suivies individuellement par chacun des territoires amène aujourd’hui à reconnaître une pluralité de situations qui affecte beaucoup la dichotomie initialement voulue par les rédacteurs de la Constitution. Lors de son audition par les Rapporteurs, le 12 avril 2018, Mme Charlotte Girard, maître de conférences HDR de droit public à l’université de Nanterre, a évoqué à ce titre un « lacis statutaire » à l’image de la complexité politique de la question des outre-mer, ajoutant que chaque territoire est spécifique et a pu négocier dans chaque cas des dispositions particulières.

La Nouvelle-Calédonie, collectivité sui generis, occupe une place à part dans la Constitution depuis la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 qui a créé un titre XIII relatif à cette collectivité, à la suite du consensus trouvé par les Accords de Nouméa du 5 mai 1998. Comme on le sait, la Conférence des présidents a décidé de créer une mission d'information sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, présidée par M. Manuel Valls, et dont le rapporteur est M. Christian Jacob. La mission a commencé ses travaux le 3 octobre 2017. Ce rapport ne contiendra donc pas d’analyses ou de recommandations sur l’évolution statutaire de la Nouvelle-Calédonie.

Au cours de nos travaux, deux sujets transversaux, qui portent tous deux sur l’organisation des collectivités de l’article 73 de la Constitution, se sont particulièrement dégagés : la question de la collectivité unique et celle des délégations de compétences. Des problématiques propres à chaque collectivité ont également été exprimées.

A.   Les collectivités uniques et les régions monodépartementales régies par l’article 73 de la Constitution : réformes institutionnelles et statutaires

Le débat sur la collectivité unique, soulevé depuis longtemps, est désormais formulé en termes renouvelés. Certaines observations qui nous ont été faites nous conduisent à noter, en remarque préalable, que la liaison établie entre collectivité unique et modalités d’exercice de compétences déléguées mais n’est pas commandée par le droit – c’est une affaire d’appréciation purement politique.

1.   La question de la collectivité unique

Depuis les lois de décentralisation du début des années 1980, les départements d’outre-mer sont administrés par des assemblées élues, sur le modèle de la France hexagonale. L’aspiration à l’uniformité du territoire républicain et le souci de l’égalité entre les populations des outre-mer et de France hexagonale, ont conduit à transposer purement et simplement les dispositions de la réforme, sans aucune adaptation. À l’origine, une loi particulière à la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion instituait une assemblée unique faisant office de conseil général et de conseil régional, et réglant à la fois les affaires de deux collectivités distinctes, le département et la région. Mais dans sa décision n° 82-147 DC du 2 décembre 1982, le Conseil constitutionnel estima “qu'en substituant au conseil général et au conseil régional une assemblée unique élue à la représentation proportionnelle dans une circonscription unique, et en créant une nouvelle collectivité territoriale qui supprime le département, la loi viole le principe de l'assimilation des départements d'outre-mer aux départements de la métropole consacré par l'article 72 de la Constitution”, et déclara la loi non conforme à la Constitution. Des régions monodépartementales d’outre-mer ont donc été instituées dans les quatre départements.

Plusieurs voix se sont donc élevées afin de souligner les désavantages et complexités apportés par une telle organisation institutionnelle qui, sur un même territoire, fait se superposer un département et une région. Première étape franchie, la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer (LOOM) prévoit la création dans les régions monodépartementales d’outre-mer d’un congrès des élus départementaux et régionaux. Le congrès, qui réunit l’ensemble des conseillers de chacune des collectivités, délibère de toute proposition d'évolution institutionnelle, de toute proposition relative à de nouveaux transferts de compétences de l'État vers le département et la région concernés, ainsi que de toute modification de la répartition des compétences entre ces collectivités. Ainsi, en 2001 et en 2002, conscients des inconvénients induits par l’enchevêtrement de deux collectivités et de deux assemblées sur un même territoire, les congrès de Guadeloupe puis de Martinique, adoptèrent des résolutions en faveur de la création de collectivités, dotées d’une assemblée unique, remplaçant le département et la région ([2]).

Les vœux ainsi exprimés trouvent leur prolongement dans la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 qui introduit au dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution la possibilité de création par la loi d'une collectivité se substituant à un département et à une région d'outre-mer ou l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités, à condition que le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités ait été recueilli.

En application des dispositions combinées du second alinéa l’article 72-4 et du dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution, deux décrets du 29 octobre 2003 décident de consulter les électeurs de la Guadeloupe et de la Martinique le 7 décembre 2003. Le décret n°2003-1049 du 4 novembre 2003 fixe pour la Guadeloupe les modalités d’organisation de la consultation (composition du corps électoral, institution d’une commission de contrôle, habilitation des partis et groupements politiques à la campagne etc.). Un décret aux dispositions similaires est pris le même jour pour la Martinique.

 

Le 7 novembre 2003, Mme Brigitte Girardin, ministre de l’outre-mer, présente à l’Assemblée nationale une déclaration du Gouvernement sur la consultation des électeurs des collectivités antillaises. Dans son discours, elle insiste sur le fait que « ce sont donc bien les propositions des élus locaux et elles seules qui ont conduit le Gouvernement à proposer au chef de l'État d'organiser ces consultations ». À La Réunion, « aucune demande locale » ne s’est manifestée, de sorte qu’il n’y a pas d’objet à la consultation. Un peu plus tard, répondant aux orateurs à la fin du débat, Mme Brigitte Girardin ajoute que « si aucune consultation n'est pour l'instant prévue en Guyane, cela tient tout simplement au fait que les élus locaux n'ont pas abouti à un accord sur un projet d'évolution » ([3]). Les élus qui participent à la discussion manifestent globalement leur soutien à la création de collectivités uniques en Guadeloupe et en Martinique. Pourtant, à la question « Approuvez-vous le projet de création en Martinique d'une collectivité territoriale demeurant régie par l'article 73 de la Constitution, et donc par le principe de l'identité législative avec possibilité d'adaptations, et se substituant au département et à la région dans les conditions prévues par cet article ? », 50,48% des électeurs martiniquais répondirent par le « non ». À une question similaire, les Guadeloupéens répondirent également par le « non » à 72,98% le 7 décembre 2003.

En réalité, l’instrumentalisation politique du débat sur le statut départemental par certains responsables politiques a créé au sein de l’électorat guadeloupéen et martiniquais une confusion au sujet de l’objet des référendums : il a vu dans la réforme de l’organisation institutionnelle, la voie vers une remise en cause du statut départemental et des avantages réellement (ou supposément) associés.

À la suite du refus des populations guadeloupéenne et martiniquaise, les évolutions institutionnelles dans les quatre régions monodépartementales ont été suspendues pendant plusieurs années. Le débat institutionnel et statutaire revient sur le devant de la scène à partir de 2008. Le congrès des élus départementaux et régionaux de Guyane adopta le 19 décembre 2008 un « projet de société relatif à l’évolution statutaire de la Guyane » prévoyant le passage au statut régi par l’article 74 de la Constitution. En Martinique, lors de sa séance plénière du jeudi 18 juin 2009, le congrès des élus départementaux et régionaux adopta à une large majorité (73 voix pour et 8 contre) une première résolution relative à la création d’une collectivité territoriale unique, dont l’organe délibérant serait un conseil territorial composée de 75 membres élus pour six ans, puis une cinquième résolution proposant de doter la Collectivité Territoriale de Martinique ainsi créée de compétences nouvelles.

 

 

Au vu de ces débats institutionnels locaux, les décrets n°2009-1405 et 2009-1406 du 17 novembre 2009 ont organisé la consultation des électeurs guyanais et martiniquais en leur soumettant, dans un premier temps, le choix de la transformation de chacun des territoires en une collectivité autonome régime par l’article 74 de la Constitution. Le 10 janvier 2010, aux questions « Approuvez‑vous la transformation de la Guyane/ de la Martinique en une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, dotée d’une organisation particulière tenant compte de ses intérêts propres au sein de la République ? », les Guyanais et les Martiniquais répondirent “non”, respectivement à 70,22% et à 79,31% ([4]) des voix.

Comme le prévoyaient les décrets du 17 novembre 2009, cette double réponse négative a entraîné, deux semaines plus tard, une nouvelle consultation des électeurs de Guyane et de Martinique, cette fois à la question : « Approuvez‑vous la création en Guyane/en Martinique d'une collectivité unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région tout en demeurant régie par l'article 73 de la Constitution ? », les Guyanais répondirent “oui” à 57,49% et les Martiniquais à 68,33% des voix ([5]). Les électeurs approuvent alors un changement d’organisation institutionnelle ouvrant la voie vers davantage de lisibilité de l’action publique, de simplification administrative, et de renforcement de la représentation politique locale.

La loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique acte la transformation des départements et régions de Guyane et de Martinique en collectivités uniques exerçant à la fois les compétences d’un département d’outre-mer et d’une région d’outre-mer régis par l’article 73 de la Constitution. Le 1er janvier 2016, les deux collectivités territoriales sont effectivement constituées en substitution aux conseils généraux et conseils régionaux existants, à la suite des élections organisées en décembre 2015 en même temps que les élections régionales. Une différence dans l’organisation de ces collectivités est à relever : si les organes de la collectivité territoriale de Guyane prévus initialement par la loi du 27 juillet 2011 comprennent l'assemblée de Guyane et son président, assistés du conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l'éducation de Guyane, les organes de la collectivité territoriale de Martinique comprennent, eux, l'assemblée de Martinique et son président, le conseil exécutif de Martinique et son président, assistés du conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l'éducation de Martinique. L’article 78 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer ajoute aux organes de la collectivité territoriale de Guyane un grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengués. ([6])

La Guadeloupe (depuis le 7 décembre 2003) et La Réunion n’ayant pas sollicité l’évolution institutionnelle offerte par l’alinéa 7 de l’article 73 de la Constitution, elles demeurent à ce jour les deux dernières régions monodépartementales d’outre-mer.

2.   Pour une approche globalisée de l’inscription des évolutions statutaires dans la Constitution

Dans la réflexion sur l’évolution générale du « schéma statutaire » des outre-mer, il est essentiel, pour vos Rapporteurs, de bien comprendre que cette interrogation, d’abord et réellement juridique, est tout autant un moyen pour les populations ultramarines d’exprimer leur volonté d’émancipation. Aimé Césaire est le témoin privilégié de cette dynamique, lui qui, rapporteur de la loi de départementalisation, saluait dans ce texte, en 1946, “l’aboutissement normal d’un processus historique et la conclusion logique d’une doctrine” ([7]), et se faisait, en 1978, le dénonciateur inspiré de l’essoufflement d’un processus et de l’échec, par manque de volonté politique, de la République assimilatrice ([8]). Ce constat, la délégation aux outre-mer a eu l’occasion de l’entendre, formulé en termes moins brillants mais de sens identique, lorsqu’elle a commémoré, en 2016, le soixante-dixième anniversaire de la loi de départementalisation ([9]).

Plus de vingt ans après le discours de Fort-de-France, les présidents des régions de Guadeloupe, Martinique et Guyane ([10]) ont repris ses analyses et son combat. Dans leur Déclaration de Basse-Terre du 1er décembre 1999, ils constatent l’inadéquation des compétences dévolues à leurs territoires face aux défis économiques, sociaux et fiscaux auxquels ils sont confrontés et appellent à « une modification législative voire constitutionnelle, visant à créer un statut nouveau ».

Aujourd’hui, l’insatisfaction statutaire qui perce ici ou là apparaît encore comme le signe le plus immédiat d’une revendication plus large. Dans le même temps, la netteté de la dichotomie entre les collectivités de l’article 73 et celles de l’article 74 de la Constitution s’est atténuée sous l’effet des adaptations successives des statuts des différentes collectivités, de part et d’autre de la « frontière » juridique ainsi tracée. Par ailleurs, l’évolution générale de la configuration institutionnelle dans les collectivités décentralisées, dans l’Hexagone comme dans les outre-mer, et les possibilités d’expérimentation qu’elle offre (encore accrues par la réforme désormais proposée) ne pousse pas, globalement, au maintien de catégories trop tranchées.

 

Pour toutes ces raisons, on en vient à douter de la pertinence du maintien de la distinction formelle, dans le texte de la Constitution, entre les régimes dits de l’article 73 et de l’article 74. Vos Rapporteurs pensent que l’évolution générale des statuts des collectivités ultramarines plaide, à titre d’expression symbolique d’une réalité politique et juridique, pour le rassemblement en un seul article des dispositions constitutionnelles relatives au statut des outre-mer.

L’idée a notamment été évoquée dans l’entretien que vos Rapporteurs ont eu avec M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, le 16 mai 2018. Ils ont envisagé avec lui un article unique qui poserait le principe d’un droit à la différenciation statutaire et normative des collectivités françaises d’outre-mer, naturellement assortie de garde-fous sous la forme de contrôles administratifs et juridictionnels de l’État central. La répartition des compétences entre l’État et chaque collectivité pourrait relever d’une loi organique propre qui préciserait la liste des compétences transférées à la collectivité d’outre-mer, celles partagées entre la collectivité d’outre-mer et l’État, celles dévolues à l’État.

B.   L’organisation des compétences au sein des collectivités de l’article 73 de la Constitution

La question de l’adéquation des compétences des collectivités aux caractéristiques économiques et sociales des territoires se pose pour tous les territoires d’outre-mer. Elle prend une coloration particulière à La Réunion.

1.   Expérimentation, adaptation et habilitation dans les collectivités de l’article 73

Pendant très longtemps, le principe d’égalité posé par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, selon lequel la loi doit être la même pour tous, a fait obstacle à ce que l’on admît des différences d’organisation et de compétences entre les collectivités d’un même niveau, que ce soit dans l’Hexagone ou dans les outre-mer. La réforme constitutionnelle de 2003 marque, pour la France entière, une inflexion de perspective, sous le signe de la subsidiarité. Dans les collectivités d’outre-mer, la Constitution révisée met en œuvre trois modalités : l’expérimentation, l’adaptation, et l’habilitation.

L’expérimentation est une procédure nationale, non spécifique aux outre‑mer, prévue par le nouvel article 72 alinéa 4 de la Constitution. Aux termes de cet alinéa, sous certaines conditions, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences. Comme le rappelle le ministre de l’intérieur dans une réponse à une question écrite de M. Jean-François Humbert, sénateur, « l'expérimentation aboutit, au-delà d'une prolongation ou d'une modification qui ne peut avoir qu'un caractère provisoire (trois ans), au maintien et à la généralisation des mesures prises à titre expérimental ou à l'abandon de l'expérimentation » ([11]). Alors même que l’intérêt de principe de cette disposition est largement reconnu, la doctrine en déplore jusqu’à nos jours l’application effective jugée trop timide. Comme l’écrivaient il y a quelques semaines MM. Nicolas Bouillant et Emmanuel Duru, « pas moins de neuf contraintes propres à l’expérimentation-dérogation peuvent être recensées : l’objet, la durée, l’espace, le volontariat, l’évaluation, la réversibilité, l’autorisation, la finalisation et les libertés publiques. Alors que l’expérimentation-dérogation devait multiplier les opportunités des collectivités, par un regain de marges de manœuvre et d’initiatives locales, le texte est quasiment resté lettre morte » ([12]).

L’article 73 de la Constitution pose le principe, pour les seules collectivités ultramarines qu’il régit, d’adaptations du droit national. Ces adaptations peuvent résulter de dispositions expresses des lois et règlements – la difficulté, bien connue, tient ici à la rigueur rationnelle des procédures préparatoires dans le cours desquelles de telles dispositions peuvent être envisagées et rédigées. Elles peuvent aussi être décidées par les collectivités, à condition que celles-ci soient habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement.

Le droit à l’habilitation prévu à l’article 73 de la Constitution possède un poids politique et symbolique fort, bien que, nous l’avons souligné, il soit strictement encadré. Effectivement, le spectre sur lequel l’élaboration de règles est rendue possible pour ces collectivités a été limité. Sont ainsi exclus les domaines suivants : la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l'état et la capacité des personnes, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l'ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral. De plus, l’alinéa 4 de l’article 73 dispose : « Cette énumération pourra être précisée et complétée par une loi organique ». Ainsi, le législateur est libre d’exclure à l’avenir d’autres domaines de la faculté d’habilitation législative et réglementaire des collectivités d’outre-mer. La loi peut donc ajouter d’autres matières à la liste des domaines de droit qui ne peuvent pas faire l’objet d’une habilitation. Dernière restriction, les habilitations « ne peuvent intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti ».

La liste des habilitations accordées en application des dispositions constitutionnelles qui viennent d’être rappelées figure en annexe de ce rapport. Elle fait apparaître clairement que la procédure, telle que l’organise le texte actuel de la Constitution, n’est pas utilisée à la hauteur des aspirations à l’élaboration par les assemblées élues des outre-mer de normes correspondant aux caractéristiques spécifiques de ces territoires. Certaines des personnes entendues par vos Rapporteurs  ont voulu expliquer cet état de fait par le peu d’appétence réelle des dirigeants élus des collectivités pour des transferts de compétences, et donc de responsabilité qui les exposeraient directement ; d’autres, sans doute avec plus de raison, ont fait valoir la complexité et la longueur de la procédure, qui empêche de fait ceux qui l’ont ouverte de la mettre durablement en œuvre avant la fin de leur mandat.

La réforme constitutionnelle dont le premier acte est la discussion du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace présenté par le Gouvernement le 9 mai 2018, modifie assez profondément les dispositions communes relatives aux expérimentations et le régime particulier des habilitations applicable dans les outre-mer de l’article 73. Pour le régime des expérimentations, l’innovation est double. Elle se traduit d’abord par une possibilité de différenciation entre collectivités territoriales en fonction de spécificités et d’enjeux propres permettant à une collectivité d’exercer une compétence dont ne disposent pas les autres collectivités de même catégorie. Le second élément nouveau est la fin de l’alternative, au terme d’une expérimentation, entre généralisation à l’ensemble des territoires ou abandon pur et simple ; désormais le dispositif expérimental pourra être pérennisé dans la collectivité qui l’a pratiquée et elle seule, de sorte que l’on pourrait parler d’un véritable droit à la différenciation des collectivités. Dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, la procédure d’habilitation des collectivités territoriales d’outre-mer est simplifiée puisque l’habilitation ne serait plus accordée par la loi, mais par décret en conseil des ministres après avis du Conseil d’État. Vos rapporteurs doivent à la vérité de préciser que cette proposition de réforme, qui aboutirait à faire dépendre d’un acte règlementaire les modalités d’habilitation des collectivités d’outre-mer y compris dans les domaines que la Constitution, et notamment son article 34, attribuent à la loi, a suscité de la part de juristes qu’ils ont entendus à La Réunion, des réserves de principe, sans connotation locale, pour ce motif précisément.

Du moins la réforme, en renvoyant l’habilitation à un simple décret, permettrait-elle ensuite d’évaluer plus rigoureusement la valeur respective des explications données de la sous-utilisation de la procédure.

2.   De la singularité de La Réunion à la reconnaissance d’un droit à l’habilitation consolidé

Comme on le sait, l’article 73 de la Constitution comporte un cinquième alinéa excluant explicitement le département et la région de La Réunion de la procédure d’habilitation précédemment décrite

Les circonstances qui ont accompagné l’aboutissement de cette initiative législative ont encore été rappelées lors du colloque sur les institutions des outre‑mer organisé par la Délégation le 5 avril dernier. À cette occasion, des débats anciens ont retrouvé vigueur. Les Rapporteurs estiment que cette résurgence est la conséquence d’affrontements politiques aujourd’hui dépassés, notamment en raison de l’obsolescence de leurs thèmes Ils ont en tout cas pu constater, à l’occasion de leur mission à La Réunion, que le sujet demeurait extrêmement sensible parmi les élus comme parmi les représentants de la société civile.

Aussi bien est-il nécessaire, pour une bonne compréhension du sujet, de rappeler rapidement les termes du débat constitutionnel de 2002 qui a abouti à l’insertion dans l’article 73 de son cinquième alinéa actuel.

Lors de la séance du 6 novembre 2002, consacrée par le Sénat à l’examen de la réforme constitutionnelle, M. Jean-Paul Virapoullé présente son amendement, soutenu par le groupe de l’Union centriste, comme une conséquence de l’attachement manifesté par une majorité d’élus réunionnais au statut départemental de l’île. Il met en avant une préoccupation de « prudence » qu’il explicite ainsi : « Nous préférons la stabilité institutionnelle et la sécurité juridique parce que ce sont deux fondements essentiels au décollage économique de notre département et à la paix sociale. ». C’est pourquoi il propose d’exclure La Réunion du champ d’application des habilitations accordées aux départements et régions d’outre-mer régis par le nouvel article 73 de la Constitution. Mme Anne‑Marie Payet, cosignataire de cet amendement, a, elle, déclaré en explication de vote : « Oui au principe d'assimilation législative adaptée, qui a fait tant de bien à la Réunion, non au principe de spécialité législative ».

Les partisans de cette disposition ont plusieurs fois souligné la volonté traditionnelle de La Réunion de s’ancrer durablement dans l’exercice du droit commun (celui des régions pluri-départementales de France hexagonale) et d’exprimer sa différence vis-à-vis des autres territoires inscrits à l’article 73 de la Constitution. Comme le rappelle lors du débat la ministre des outre-mer, il se situe ainsi dans une position intermédiaire par rapport à certains élus qui préconisaient d’exclure purement et simplement La Réunion du champ d’application de l’article 73 de la Constitution afin de l’assimiler entièrement à un département et à une région de France hexagonale. Mis aux voix par scrutin public, le texte, devenu, pour des raisons de procédure parlementaire, sous-amendement à un amendement de la commission des lois, est adopté par 188 voix contre 44 sur 314 votants et 232 suffrages exprimés. Mme Brigitte Girardin, ministre des outre-mer, s’en était remise avant le vote à la sagesse du Sénat. À l’Assemblée nationale, du moins en séance publique, le 22 novembre 2002, le débat se réduit à une protestation de M. René Dosière contre une disposition dont il déplore la spécificité extrême.

La question de savoir si « l’amendement Virapoullé » était ou non remis en cause par la réforme constitutionnelle a beaucoup préoccupé les esprits à La Réunion, comme vos Rapporteurs ont pu le constater au cours de leur mission d’avril.

Rappelons d’abord les pièces du dossier, et d’abord le texte de l’article 17 du projet de loi constitutionnelle :

L’article 73 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Les deuxième et troisième alinéas sont remplacés par les deux alinéas suivants :

 « Sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités régies par le présent article peuvent, à leur demande, être habilitées par décret en conseil des ministres après avis du Conseil d’État, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement.

 « Ces habilitations sont confiées dans les conditions fixées par la loi organique. » ;

2° Les cinquième et sixième alinéas sont remplacés par les dispositions suivantes :

 « Pour le département et la région de La Réunion, les habilitations prévues au deuxième alinéa s’appliquent uniquement dans les matières relevant de leurs compétences.

 « Chaque session ordinaire, le Gouvernement dépose un projet de loi de ratification des actes des collectivités pris en application du deuxième alinéa dans le domaine de la loi. Ces actes deviennent caducs en l’absence de ratification par le Parlement dans le délai de vingt-quatre mois suivant l’habilitation. »

L’exposé des motifs qui précède le projet de loi explique que « le département et la région de La Réunion continueront à connaître un régime spécifique, conformément au choix opéré en 2003. Les habilitations ainsi prévues ne pourront porter, pour ce qui les concerne, que sur les matières qui relèvent de leur compétence »

Les choses paraissent donc claires, à la lecture du texte et de son explication : même référence à la volonté spécifique exprimée par les élus réunionnais en 2003 et dont on considère qu’elle n’a pas évolué ; même alignement sur les compétences des départements et des régions de l’Hexagone. L’esprit du « verrou » constitué par l’alinéa 5 de l’article 73 demeure. Mais il s’applique désormais à un régime d’habilitation élargi et obéissant à une procédure simplifiée et conçue comme plus rapide. Sans doute est-ce cette double caractéristique de l’innovation proposée qui explique la diversité des appréciations exprimées par les personnes auditionnées par vos Rapporteurs à Saint-Denis de La Réunion, quant à la portée exacte de la modification qui résulterait de la réforme. Ces appréciations paraissaient davantage dépendre des aspirations politiques générales des interlocuteurs que d’une analyse strictement juridique du dispositif nouveau.

Parmi les raisons avancées à l’appui de l’abandon de l’exception réunionnaise, figurent naturellement des considérations politiques générales formulées aussi bien par des opposants de toujours à cette exception que par d’autres personnes plus directement sensibles à l’évolution générale de la politique de décentralisation et de reconnaissance en droit des spécificités ultramarines. Ces interlocuteurs estiment le moment venu de faire jouer à plein à La Réunion, les mécanismes de définition des compétences adaptés aux spécificités d’un territoire mis en œuvre dans les autres territoires d’outre-mer et déplorent une résistance qui équivaut à dénier aux Réunionnais et à leurs élus la capacité juridique et pratique de gérer leurs affaires reconnue aux élus de ces autres territoires (argument réfuté par ceux qui mettent en avant la différence de culture et de pratique institutionnelle entre La Réunion et les Antilles). D’autres interlocuteurs, associatifs, prenant au mot la référence aux compétences exercées nationalement, pointent le fait que cette assimilation accuse la discordance entre les règles nationales et la situation locale qui n’a pas été prise en compte lors de l’édiction de ces règles, de sorte que l’argument tiré de la nécessaire conformité du droit en vigueur à La Réunion au droit hexagonal se retourne : cette conformité devient, en effet, une source de difficultés, voire même de préjudices, qu’une habilitation des assemblées locales dans les domaines en cause permettrait d’éviter.

Concentrées sur des problèmes de principe, les analyses développées par les interlocuteurs de vos Rapporteurs à La Réunion évoquent peu le fait que les habilitations offertes par l’article 73 de la Constitution, dans la nouvelle rédaction proposée, sont une simple possibilité mise à la disposition des collectivités concernées. Elles peuvent donc librement choisir et, si l’alinéa 5 n’existait pas, La Réunion pourrait choisir de s’en saisir ou de ne pas s’en saisir. Dans un climat de poursuite maîtrisée de la décentralisation, la restriction résultant de cet alinéa pour La Réunion devient de plus en plus difficile à tenir et à justifier. Les conditions qui ont déterminé en 2003 l’attitude de prudence, ou de méfiance, traduite par le choix institutionnel fait à l’époque ne semblent plus aujourd’hui réunies. C’est la raison pour laquelle vos Rapporteurs estiment possible de poser la question de la suppression du régime restrictif qu’il a inauguré et que le projet de réforme en voie de discussion, en définitive, confirme largement.

C.   L’exception statutaire mahoraise

1.   L’intégration de Mayotte à la République française : une trajectoire statutaire unique

La trajectoire statutaire de Mayotte au regard de son appartenance à la France représente véritablement une exception dans le cours de l’histoire de cette région de l’Océan indien. Alors que Madagascar et l’archipel des Comores accèdent à l’indépendance, la population de Mayotte ne cesse d’affirmer, depuis plusieurs décennies, son souhait d’approfondir le lien l’unissant à la France.

Elle l’a fait une première fois à l’occasion du référendum sur l’indépendance de l’archipel des Comores organisé en vertu de la loi n° 74-965 du 23 novembre 1974. Lors du scrutin, qui a lieu le 22 décembre 1974, le choix de l’indépendance obtient la quasi-totalité des voix à Anjouan, Grande Comore et Mohéli ; il est, au contraire rejetée par 63,82% des voix à Mayotte. La loi n°75‑560 du 3 juin 1975 organise en conséquence les conditions juridiques de l’accession à l’indépendance du « territoire des Comores » ; la République des Comores proclame son indépendance le 6 juillet. Neuf mois plus tard, le 8 février 1975, la consultation organisée à Mayotte en application de la loi n° 75-1337 du 31 décembre 1975 confirme le choix de la population mahoraise en faveur du maintien au sein de la République française, et le sens de ce vote est confirmé lors de la dernière consultation référendaire, tenue le 11 avril 1976, où les Mahorais rejettent le statut de territoire d’outre-mer (TOM) et choisissent la départementalisation, seul statut qui leur paraît adapté à leur désir d’assimilation.

La réponse institutionnelle à ce vœu est donnée par la loi n° 76-1212 du 24 décembre 1976, qui fait de Mayotte une collectivité territoriale de la République française, dotée d’un conseil général élu au suffrage universel direct et où le Gouvernement désigne, par décret en conseil des ministres, un représentant ayant rang de préfet. La loi prévoit dans un délai d’au moins trois ans la consultation des Mahorais au sujet soit de la transformation de Mayotte en département, soit de l’adoption d’un statut différent – à condition que le conseil général en fasse la demande à la majorité des deux tiers.

Le statut de 1976 prévoit que dans l’archipel nouvellement divisé en communes et en cantons, les lois nouvelles ne sont applicables que sur mention expresse. Il fait de Mayotte une collectivité territoriale française sui generis, qui se distingue à la fois des communes, des départements d’outre-mer (DOM) et des territoires d’outre-mer (TOM) reconnues par la Constitution. André Oraison, très critique à l’égard de la gestion de la situation mahoraise, parle d’un véritable « statut hybride » ([13]) tant les dispositions du statut de 1976 mêlent des traits relevant des DOM et des TOM. La solution ainsi retenue présente un caractère provisoire, et traduit la réticence politique du Gouvernement de l’époque à consolider l’option de la départementalisation. Le délai de consultation de la population sur le statut de Mayotte est d’ailleurs prorogé, à l’initiative du Gouvernement de Raymond Barre, par la loi n° 79-1113 du 22 décembre 1979 qui substitue au referendum prévu par la loi de 1976, une consultation des Mahorais au sujet soit d’une éventuelle départementalisation, soit du maintien du statut de 1976, soit de l’adoption d’un statut différent. La consultation devait avoir lieu dans les cinq ans de la promulgation de la loi nouvelle, soit, au plus tard, le 22 décembre 1984 : cette disposition restera lettre morte. La “stratégie d’évitement” adoptée par le Gouvernement se perpétue pendant des années, non sans que, lors de sa visite à Mayotte en novembre 1994, le Premier ministre Édouard Balladur n’annonce la tenue d’un référendum sur l’avenir institutionnel et statutaire de l’archipel « avant la fin du siècle » - nouvelle annonce non suivie d’effet. Le provisoire devient permanent.

C’est le 27 janvier 2000 que le Secrétaire d’État à l’Outre-mer, M. Jean‑Jack Queyranne, le Président du conseil général de Mayotte, M. Younoussa Bamana, et les responsables des trois principales forces politiques locales ([14]) parviennent à la signature de l'Accord sur l'avenir de Mayotte qui prévoit la consultation de la population, au plus tard, le 31 juillet 2000 et par ailleurs, la transformation du territoire en « collectivité départementale ». Lors de la consultation finalement organisée le 2 juillet 2000, 73% des mahorais approuvent cet accord et, de ce fait, le rapprochement de l’administration de l’archipel au droit commun. La loi n° 2001-616 du 11 juillet 2001 définit le contenu du statut de collectivité départementale. Elle rend applicables de plein droit à Mayotte les lois, ordonnances et décrets portant sur les matières suivantes : nationalité ; état et capacité des personnes ; régimes matrimoniaux, successions et libertés ; droit pénal ; procédure pénale ; procédure administrative contentieuse et non contentieuse ; droit électoral ; postes et télécommunications. Le préfet est le représentant de l’État à Mayotte.

L’inclusion de Mayotte dans les collectivités d’outre-mer énumérées par l’article 72-3 issu de la révision du 28 mars 2003 marque une étape importante, tant symbolique que juridique, dans l’approfondissement de son lien à la République française. En 2007, la loi organique n°2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer fait de Mayotte une collectivité départementale régie par l’article 74 de la Constitution, qui exerce les compétences dévolues par les lois et règlements aux départements et aux régions. Elle élargit le nombre de dispositions législatives et réglementaires applicables de plein droit à Mayotte. Parallèlement, la même loi organique (article LO 6111-2 nouveau du code électoral) dispose qu’à compter de la première réunion qui suit son renouvellement en 2008, le conseil général de Mayotte peut, à la majorité absolue de ses membres et au scrutin public, adopter une résolution portant sur la modification du statut de Mayotte et son accession au régime de département et région d'outre-mer défini à l'article 73 de la Constitution. C’est chose faite, à l’unanimité des membres du conseil, le 18 avril 2008. Le Pacte pour la départementalisation de Mayotte présenté par le Gouvernement le 8 janvier 2009 détaille les étapes de cette départementalisation. Les Mahorais, une nouvelle fois consultés le 29 mars 2009, approuvent à 95,2% la création du Département, collectivité unique régie par l’article 73 de la Constitution. En application de l’article 63 de la loi organique n°2009-969 du 3 août 2009, la départementalisation prend effet le 31 mars 2011, à l’occasion de la première réunion du conseil général suivant son renouvellement partiel.

2.   Garantir le respect de la volonté du peuple mahorais dans la mise en œuvre de la départementalisation

Comme le montre ce rappel d’une histoire toujours présente à leur esprit, les Mahorais ont été probablement, parmi les ultramarins, la population d’outre‑mer consultée le plus souvent sur la pertinence de son appartenance à l’État français. Ils ont, de manière constante, soutenu avec force leur adhésion à la République. La revendication d’assimilation et d’intégration mahoraise se distingue des trajectoires vers la différenciation que l’on observe dans d’autres collectivités d’outre-mer et qui, sans doute encore de manière limitée, se développe aussi dans l’Hexagone à travers la notion d’expérimentation. Vos Rapporteurs constatent que cet attachement confirmé est la première donnée à prendre en compte pour Mayotte dans le cadre d’une enquête globale sur les évolutions statutaires des outre-mer.

On doit également constater que la volonté d’assimilation, ou de transposition, clairement associée, dans l’esprit de la population et des élus, à la notion de départementalisation, s’étend de manière détaillée et scrupuleuse à l’ensemble des structures administratives et des services. La consolidation du statut ne s’est pas accompagnée, aux yeux des Mahorais, des avancées juridiques et sociales qu’ils en attendaient. Aussi bien, dans les revendications formulées depuis le début de l’année par le collectif de la société civile à la tête de la mobilisation, figurent notamment l’absence de rectorat, de cour d’appel et d’agence régionale de santé (ARS) de plein exercice sur le territoire ([15]) ; le collectif s’élève, dans le même mouvement, contre le tableau négatif que les indicateurs de développement économique et social de Mayotte permettent de dresser. Renouvelant, dans un contexte très particulier, le constat qui se dégage du bilan des soixante-dix ans de départementalisation aux Antilles, en Guyane et à La Réunion, la situation de Mayotte montre que la stabilisation, dans le sens globalement souhaité par la population, du cadre institutionnel du territoire ne garantit pas, à elle seule, la satisfaction des attentes des Mahorais, que ce soit pour l’acquisition des droits sociaux ou pour le développement des investissements publics. À l’inverse, on comprend que la population et les élus mahorais soient particulièrement sensibles à toute anticipation, fondée ou non, d’un changement de régime juridique qui confirmerait, selon une formule éloquente, le caractère de Mayotte comme « département perpétuellement transitoire » ([16]) : le passé que nous avons décrit ne peut qu’inciter au scepticisme et à la vigilance.

Pour leur part, vos Rapporteurs ne préconisent, il faut être clair, aucune modification du statut de Mayotte. Il faut bien plutôt asseoir dans la durée une départementalisation qui a été, jusqu’à présent, lente et incomplète. Un énième changement de statut institutionnel ne résoudrait pas les problèmes de Mayotte. En l’état, la population attend une action conjointe des élus locaux et du Gouvernement français pour le maintien de l’ordre, la lutte contre l’insécurité et l’immigration illégale, et le développement durable du territoire : l’étude des moyens propres à atteindre ces objectifs n’entrait pas dans le cadre du thème retenu par la Délégation pour le présent rapport.

3.   La « rupéisation » de Mayotte, garantir développement et cohésion

L’évolution du statut de Mayotte en droit interne français a eu des répercussions immédiates sur la situation du territoire au regard du droit européen. L’Union européenne, à l’initiative de la France, a en effet tiré les conclusions, dans son ordre juridique, de la transformation de Mayotte en département consécutivement au référendum de 2009. La décision 2012/419/UE du 11 juillet 2012 du Conseil européen dispose qu’à compter du 1er janvier 2014, Mayotte cesse d’être un pays et territoire d’outre-mer (PTOM) pour devenir une région ultrapériphérique (RUP) au sens de l’article 349 du TFUE. Comme le rappelle M. Faneva Tsiadino Rakotondrahaso, maître de conférences en droit public à l’université de La Réunion, « la transformation de Mayotte en RUP n'est pas une conséquence juridique de la départementalisation de l'île ». Cependant, il y a, pour reprendre la formule du même auteur, « une concordance naturelle » entre le statut de département en droit interne et le statut de région ultrapériphérique (RUP) en droit européen ([17]).

Le choix des élus mahorais en faveur du statut de RUP s’explique sans doute en partie par des considérations symboliques. En effet, le régime qui lui était antérieurement applicable de pays et territoire d’outre-mer (PTOM) impliquait, selon l’expression de M. Rakotondrahaso, un « amalgame persistant avec un État tiers » et un « parallélisme continuel de traitement » entre pays tiers du groupe Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) et PTOM, tous deux bénéficiaires du Fonds européen de développement (FED)[18]. En droit, le passage au statut de RUP assure l’application à Mayotte des textes de droit européen, selon une logique proche de celle du droit interne, tout en appelant également des adaptations de normes à la situation particulière du territoire. Par ailleurs, et il semble que cette considération ait été déterminante, le statut de RUP ouvre à Mayotte l’accès aux fonds structurels européens.

L’objectif de cohésion fixé par les traités européens répond parfaitement aux préoccupations des Mahorais qui voient dans le statut de RUP une source de soutien financier au développement de leur territoire. Il revient aux pouvoirs publics, dans un cadre juridique national et européen stabilisé, de s’assurer de la bonne coordination des interventions nationale et européenne pour la réalisation de cet objectif.

D.   Saint-Barthélemy et Saint-Martin, de la commune à la collectivité d’outre-mer, une autonomie croissante, des statuts différenciés

1.   Des choix statutaires différents liés à la diversité de situation économique et sociale

Jusqu’en 1946, Saint-Barthélemy et la partie française de l’île de Saint‑Martin étaient administrativement rattachées au territoire de la Guadeloupe. La loi n°46-451 du 19 mars 1946 qui a érigé la Guadeloupe en département français conduit à transformer les deux territoires en communes du nouveau département d’outre-mer, administrées à partir de 1963 par la sous-préfecture des Îles du Nord.

Cette solution n’allait pas sans poser des difficultés, en raison de l’éloignement des centres de décision – Saint Martin et Saint Barthélemy se situent à 250 km au Nord de la Guadeloupe. Ressentant une insuffisante prise en compte de leurs intérêts propres, les populations de ces territoires et leurs élus revendiquèrent progressivement des adaptations du droit afin de garantir un développement local plus poussé grâce à des compétences normatives plus amples et des recettes fiscales accrues. La loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République crée une procédure permettant l’adaptation statutaire ainsi souhaitée : en vertu de l’article 72-4 de la Constitution, le passage de l’article 73 à l’article 74 (ou inversement), d’une collectivité toute entière ou d’une partie d’une collectivité, peut se faire sous la réserve du consentement préalable de la population de la collectivité ou partie de collectivité intéressée.

Présentant la déclaration du Gouvernement sur les consultations des populations ultramarines, le 7 novembre 2003, Mme Brigitte Girardin, ministre de l’outre-mer, fait une distinction claire entre l’introduction de cette passerelle statutaire et l’ouverture d’une voie vers l’indépendance de Saint-Barthélemy et Saint-Martin : « C'est dire que, régies par l'article 73 ou par l'article 74, les collectivités situées outre-mer bénéficient du même degré de protection constitutionnelle : le temps où l'article 74 était une sorte « d'antichambre de l'indépendance » pour les territoires d'outre-mer est bel et bien révolu (…). Je le réaffirme donc ici avec force : l'article 73 et l'article 74 sont sans incidence sur l'appartenance à la République des collectivités qu'ils régissent et le passage de l'un vers l'autre n'emporte sur ce point aucune espèce de conséquence » ([19]).

Aux questions « Approuvez-vous le projet de création à Saint‑Barthélemy/Saint-Martin d'une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution, se substituant à la commune, au département et à la région, et dont le statut sera défini par une loi organique qui déterminera notamment les compétences de la collectivité et les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ? », les électeurs répondirent « oui » par 95,51% des voix à Saint-Barthélemy et 76,17% des voix à Saint-Martin, le 7 décembre 2003.

La trajectoire vers une plus grande autonomie de gestion de Saint‑Barthélemy et Saint-Martin est à apprécier au regard des évolutions statutaires en cours dans leur environnement régional proche, et en particulier dans le territoire néerlandais de Sint-Maarten. En juin 2000 lors d’un référendum qui proposait de choisir entre le statu quo, une réforme de l’organisation de la Fédération, l’accès à l’indépendance ou, l’élévation à un statut de pays autonome au sein du Royaume des Pays-Bas, une large majorité des électeurs de Sint‑Maarten ont approuvé la dernière proposition. Le pays dispose aujourd’hui de sa propre Constitution, d’un gouvernement et d’un Parlement. La dissolution officielle de la Fédération des Antilles néerlandaises est finalement intervenue le 10 octobre 2010, et Bonaire, Saba et Saint-Eustache ont été alors intégrés aux Pays-Bas en tant que communes néerlandaises à statut particulier.

2.   Le fonctionnement actuel des collectivités et le rôle de l’État

Les articles 4 et 5 de la loi organique n°2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer fait des communes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin deux collectivités uniques d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution, toutes deux dotées de l’autonomie et qui exercent les compétences qui étaient auparavant dévolues à la commune, au département et à la région de Guadeloupe sur leur territoire.

Dans les deux collectivités, l’assemblée délibérante est le conseil territorial, qui élit son président et les membres du conseil exécutif et est assisté à titre consultatif par un conseil économique, social et culturel composé de représentants des groupements professionnels, des syndicats, des organismes et des associations qui concourent à la vie économique, sociale ou culturelle du territoire.

La loi organique de février 2007 (article LO 6324-1 nouveau du code électoral) crée à Saint-Martin des quartiers et institue des conseils de quartier dont elle prévoit la consultation par le président du conseil territorial avant toute délibération portant sur le plan local d’urbanisme ou divers projets d’aménagement

Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont représentés au Parlement par deux sénateurs, un pour chaque collectivité, et un unique député, chacune un siège au Sénat, mais en revanche, un siège commun à l’Assemblée nationale conformément à l’ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés.

Vos Rapporteurs n’ont été saisis d’aucune demande de modification du régime statutaire des collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Lors de ses vœux du 15 janvier 2018, le président de la Collectivité territoriale de Saint‑Martin, M. Daniel Gibbes s’est référé à « l’esprit de l’article 74 » pour souhaiter un partenariat à la fois clair et étroit entre État et Collectivité. « Aujourd’hui, Saint-Martin doit renaître de ses cendres : pour cela, nous avons besoin de disposer des outils, garantis par l’article 74, qui nous font cruellement défaut : une antenne INSEE, des services de l’État efficients sur notre territoire, un Préfet de plein exercice, un vice-rectorat » ([20]).

3.   Faire de la différenciation des statuts au regard du droit de l’Union européenne un atout stratégique

Nous avons évoqué à propos de Mayotte les dispositions du traité de Lisbonne qui ont permis de faciliter la modification du statut d’un territoire ultramarin au regard de l’Union européenne. La France en a fait usage à propos de Saint-Barthélemy, qui est passé du statut de région ultrapériphérique à celui des pays et territoires d’outre-mer, en vertu de la décision n°2010/718/UE du 29 octobre 2010.

À l’appui de leur demande, les élus de Saint-Barthélemy ont tiré argument, selon les considérants de la décision, notamment, « de son éloignement physique de la métropole, de son économie insulaire et de petite taille uniquement orientée vers le tourisme » et « des difficultés concrètes d’approvisionnement qui rendent délicate l’application d’une partie des normes de l’Union ». L’incidence du changement de statut sur l’évolution du régime douanier a, ainsi, joué. Du fait de leur régime d’association, les PTOM bénéficient en effet de la suppression des droits de douane pour leurs échanges commerciaux avec les États membres de l’Union européenne, mais peuvent toutefois percevoir à l’importation des droits de douane « qui répondent aux nécessités de leur développement et aux besoins de leur industrialisation ou qui, de caractère fiscal, ont pour but d’alimenter leur budget »[21]. En outre, les PTOM, s’ils ne bénéficient pas des fonds structurels européens, reçoivent des dotations du Fonds européen de développement (FED), conformément aux objectifs de solidarité et de développement fixés par les traités de l’Union européenne.

Pour sa part, la collectivité de Saint-Martin a fait le choix de conserver le statut de RUP, qu’elle détient en tant que démembrement du département de la Guadeloupe. Or, la collectivité néerlandaise de Sint‑Maarten est, pour sa part, régie par le statut des PTOM. Ainsi, sur une île d’à peine 90km², deux collectivités relevant de deux États membres de l’Union européenne sont soumis en droit européen à deux régimes de droit différents, alors qu’aucune frontière physique ne les sépare et que l’on passe très facilement de l’une à l’autre. Cette coexistence est pour la collectivité française de Saint-Martin la source de difficultés, venant non seulement de l’existence de divers trafics, « mais aussi de la manière dont au quotidien, chacun utilise ce différentiel frontalier », ce que Mme Marie Redon appelle « les revers de la frontière » ([22]). Il est également notoire, comme le rappelait M. Matthieu Conan, professeur de droit public à l’université de Paris I lors de son audition par vos Rapporteurs le 12 avril 2018, que Saint-Martin représente dans le nord-est de l’archipel des Caraïbes un appel d’air conséquent pour des populations en provenance de pays tiers aux niveaux de vie moins élevés, et que la partie française de l'île est soumise à une forte pression migratoire en provenance notamment de la République dominicaine et d’Haïti.

L’idée d’une recherche de l’harmonisation des régimes juridiques sur l’île bi-nationale de Saint-Martin a été notamment soutenue, en 2005, par. MM. Jean‑Jacques Hyest, Christian Cointat et Simon Sutour, sénateurs, rapporteurs de la commission des lois du Sénat. Pour eux, « l'obtention par les deux parties d'un statut identique permettrait de mieux assurer la cohésion et l'équilibre de l'île » ([23]). L’exécution d’un tel vœu semble se heurter à des difficultés considérables, et croissantes sans doute à mesure que la distinction des statuts se prolonge. Il reste que la France et les Pays-Bas sont liés, pour l’intérêt commun des deux parties de l’île, par l’article 3 du traité de Concordia du 23 mars 1648 qui dispose « Que les Français et Hollandais, habitués dans ladite île, vivront comme amis, et alliés par ensemble, sans qu’aucun, ni de part ni d’autre, se puisse molester, à moins que de contrevenir au présent concordat, et par conséquent punissables par les lois de la guerre ». Dans le langage de l’époque, le même traité prévoit une mutualisation des richesses et ressources naturelles de l’île et une solidarité réciproque des deux nations. Parmi les questions que le renforcement de la coopération régionale permettrait de résoudre dans l’intérêt commun, la gestion des flux migratoires, notamment en provenance de la République dominicaine et d’Haïti, figure inévitablement. Dans le cadre de l’Union européenne, le programme de coopération territoriale pour la période 2014-2020 entre Saint‑Martin et Sint-Maarten adopté le 15 décembre 2015 par la Commission européenne et doté d’une enveloppe FEDER de 10M d’euros, premier à être conclu entre une RUP et un PTOM, a valeur de précédent positif.

E.   Saint-Pierre-et-Miquelon

1.   De l’hybridité statutaire à la nécessaire rationalisation

Situé dans l’Atlantique Nord au large du Canada, et à 4 300 kilomètres de la France hexagonale, l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est constitué de huit îles, dont seules les deux principales, Saint-Pierre et Miquelon-Langlade, sont habitées. Selon l’INSEE, la population légale de la collectivité territoriale est de 6 274 habitants au 1er janvier 2017 ([24]) ; Miquelon-Langlade est à la fois l’île la plus vaste et la moins peuplée, puisqu’on y trouve à peine 10 % de la population totale (617 habitants).

 

Territoire d’outre-mer (TOM) à partir de 1946, Saint-Pierre-et-Miquelon est érigé en département d’outre-mer (DOM) par la loi n° 76-664 du 19 juillet 1976, mais pour une brève durée : la loi n°85-595 du 11 juin 1985 relative au statut de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon en fait une collectivité territoriale de la République au sens de l’article 72 de la Constitution. En vertu de cette loi, le conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon exerce les compétences attribuées à la fois aux conseils généraux et aux conseils régionaux ; il détient également des compétences en matière fiscale et douanière, ainsi que dans les domaines de l’urbanisme et du logement. En dehors de ces matières, la loi nationale est applicable de plein droit à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon. La révision constitutionnelle de 2003, fait du territoire une collectivité d’outre-mer (COM) au sens de l’article 74 de la Constitution.

Aux termes de la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, le représentant de l'État a la charge des intérêts nationaux, du respect des lois et des engagements internationaux de la France, de l'ordre public et du contrôle administratif. La collectivité territoriale exerce les compétences dévolues par les lois et règlements en vigueur aux départements et aux régions, à certaines exceptions près (fonctionnement et entretien des collèges et lycées par exemple). Elle peut fixer les règles applicables dans les domaines des impôts, du régime douanier (à l'importation et à l'exportation qui relèvent de l'ordre public et des engagements internationaux de la France et des règles relatives à la recherche, à la constatation des infractions pénales et à la procédure contentieuse), de l’urbanisme et du logement, entre autres.

2.   Une organisation territoriale et institutionnelle complexe

Les organes institutionnels de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon sont le conseil territorial, le conseil exécutif et le conseil économique, social et culturel.

Le conseil territorial, assemblée délibérante de la collectivité, est composé de dix-neuf membres (quinze pour Saint-Pierre, quatre pour Miquelon-Langlade) élus pour cinq ans au scrutin de liste à deux tours. Il élit à la majorité absolue de ses membres son président dont il peut mettre en cause la responsabilité par le vote d'une motion de défiance. Le président représente la collectivité, prépare et exécute les délibérations du conseil territorial et du conseil exécutif. Les fonctions de président du conseil territorial sont incompatibles avec les fonctions de maire, ainsi qu'avec l'exercice de toute autre fonction publique non élective.

Le conseil territorial élit également les membres du conseil exécutif, qui exercent les attributions dévolues aux vice-présidents et membres des commissions permanentes du conseil général du département et du conseil régional par les lois et règlements en vigueur. Le conseil exécutif peut émettre des vœux sur les questions relevant de la compétence de l'État.

Enfin, le conseil territorial est assisté à titre consultatif d'un conseil économique, social et culturel composé de représentants des groupements professionnels, des syndicats, des organismes et associations qui concourent à la vie économique, sociale et culturelle de Saint-Pierre-et-Miquelon. Les conseillers territoriaux ne peuvent être membres de ce conseil.

La loi organise les conditions de dissolution, par décret motivé pris en conseil des ministres, du conseil territorial et du conseil exécutif, lorsque leur fonctionnement se révèle impossible.

Par ailleurs, on compte 29 conseillers municipaux à Saint-Pierre et 15 conseillers municipaux à Miquelon-Langlade.

Cette description fait ressortir la complexité particulière de l’organisation administrative de Saint-Pierre et Miquelon, qui contraste avec la solution retenue tant à Saint-Barthélemy qu’à Saint-Martin. En décembre 2015, M. Laurent Olléon, conseiller d’État, remet à Mme George Pau-Langevin un rapport qui concluait, en invoquant les « imperfections du statut », en faveur de l’instauration d’une collectivité unique, tout en préconisant la création « a minima », d’une délégation de la collectivité à Miquelon-Langlade. Le rapport se faisait également l’écho d’une crainte de principe, exprimant, on doit le noter, une préoccupation qui a été également formulée à propos d’autres territoires : « que la constitution d’une collectivité unique, en plaçant tous les pouvoirs locaux entre les mains d’une même majorité, ne favorise une gestion partisane du territoire, voire des comportements autocratiques » ([25]).

La suite des consultations et prises de position émanant tant des parlementaires de l’île que des élus du conseil territorial fait apparaître que la solution de la collectivité unique suscite de profondes divisions et réticences parmi les responsables politiques, au point que la consultation référendaire sur ce thème, dont le projet est présenté lors du conseil des ministres du 19 juillet 2016 est abandonnée huit jours plus tard : par une lettre du 27 juillet 2016 adressée à M. Stéphane Artano Président du Conseil territorial de Saint-Pierre-et-Miquelon, la ministre des outre-mer, Mme George Pau-Langevin indique que faute d’accord « sur l’architecture institutionnelle qui pourrait être proposée à la consultation », le gouvernement a décidé de suspendre la consultation.

Comme ils l’ont fait à l’égard de l’ensemble des responsables des collectivités d’outre-mer, vos Rapporteurs ont demandé à M. Stéphane Lenormand, président du conseil territorial de Saint-Pierre et Miquelon, de leur communiquer en toute liberté son appréciation sur la question statutaire. Dans la lettre, en date du 26 avril 2018, qu’il a bien voulu leur adresser, M. Lenormand exprime une opposition résolue à la solution de la collectivité unique, indiquant qu’elle « ne constituerait en rien un levier de développement pour l’Archipel », mettant en cause les intentions purement politiques des promoteurs de l’idée, et se prévalant du mandat que la majorité du conseil territorial a reçu de 71 % des suffrages exprimés « sur la base d’une stabilité institutionnelle, excluant toute réforme statutaire ». Vos Rapporteurs donnent acte au président Lenormand de sa réponse.

3.   Le maintien du statut des pays et territoires d’outre-mer et l’approfondissement de l’insertion régionale

Saint-Pierre-et-Miquelon a dû affronter, comme d’autres territoires, la question de la définition de ses rapports juridiques avec l’Union européenne. Le statut actuel de PTOM semble, comme l’ont relevé les sénateurs Cointat et Frimat dans un rapport de 2011 ([26]), le plus adéquat à la situation de l’archipel, au regard des avantages qu’offre le régime commercial, des garanties d’autonomie en matière de ressources fiscales et douanières, et des concours financiers alloués au titre du Fonds européen de développement (FED). Ainsi, pour le 11e FED, couvrant la période 2014-2020, une dotation territoriale indicative de 26,35 millions d’euros a été attribuée à Saint-Pierre-et-Miquelon ([27]), au bénéfice principalement du développement du tourisme et de la desserte maritime. À la différence de la plupart des départements et autres collectivités d’outre-mer c’est le Canada, et non la France hexagonale, qui représente, du fait de sa proximité géographique, le principal partenaire commercial de Saint-Pierre-et-Miquelon. Le statut de PTOM est le cadre le plus adapté à ces échanges.

F.   Les îles Wallis-et-Futuna, entre stabilité d’un équilibre original et exigence de modernisation

1.   Du protectorat à la collectivité, l’attachement à l’équilibre de 1961

Les îles Wallis, Futuna, Alofi et les îlots qui en dépendent sont situés dans l’Océan Pacifique, entre les archipels des Fidji et des Samoa américaines. Les îles de Wallis et de Futuna, distantes d’environ 230 kilomètres l’une de l’autre, concentrent la quasi-totalité de la population et des activités de l’archipel. À plus de 16 000 km de la France hexagonale, ces territoires français sont aujourd’hui régis par l’article 74 de la Constitution. En 2013, la population s’élevait à 12 197 habitants.

L’origine historique des rapports entre la France et Wallis et Futuna réside dans les demandes de protectorat adressées par la reine de Wallis et les rois de Futuna au Gouvernement français et entérinées par les traités ratifiés par décrets du 5 avril 1887 et du 16 février 1888. Le décret du 5 mars 1888 établit le protectorat français. Comme l’a rappelé à vos Rapporteurs la délégation du conseil territorial de Wallis et Futuna qu’ils ont reçue le 16 mai 2018, le rattachement de Wallis et Futuna à la France résulte, ainsi, d’une démarche volontaire.

Aux commencements de la Vème République, une aspiration à un changement de statut fut exprimée par trois motions présentées les 10 et 27 juin 1959 par les trois rois, tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs ministres et des chefs et notables placés sous leur autorité. Elles appellent communément à la conservation, au sein de la République française, d’une certaine autonomie de gestion et d’administration propre aux caractéristiques particulières du territoire, ainsi qu’au respect des coutumes et institutions traditionnelles. Au visa de ces motions, un décret du 4 décembre 1959 ([28]) organise la consultation de la population au sujet d’une évolution statutaire. Le référendum tenu le 27 décembre suivant en application de ce décret fait apparaître l’adoption, à une très large majorité, du statut de territoire d’outre-mer (TOM). Prenant acte de cette volonté, la loi n°61‑814 du 29 juillet 1961 confère aux Îles Wallis et Futuna le statut de TOM, doté de l’autonomie administrative et financière. Elle octroie aux personnes originaires du territoire la nationalité française et la jouissance des droits et libertés qui y sont attachés. En écho aux préoccupations exprimées par les motions de juin 1959, l’article 3 de la loi, toujours en vigueur, dispose que « la République garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit » et aux dispositions de la loi.

La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 insère expressément les îles Wallis-et-Futuna dans la catégorie des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution. Elle ne remet pas en cause les bases du statut adopté il y a bientôt soixante ans, dont la permanence, au-delà de modifications essentiellement techniques, tranche avec la profondeur des modifications statutaires et institutionnelles qu’ont connues plusieurs territoires d’outre-mer pendant la même période. Globalement, comme l’a confirmé la délégation reçue par vos Rapporteurs, la population locale est très attachée à l’arrangement institutionnel alors trouvé. En témoigne le fait que, chaque 29 juillet, la « fête du Territoire » est l’occasion de commémorer l’adoption du statut.

2.   Une organisation originale des pouvoirs et des compétences, à moderniser

À Wallis-et-Futuna l’État assure sur le territoire les compétences régaliennes, à savoir : la défense du territoire, l’ordre et la sécurité publique, le respect des lois, des règlements et des décisions des tribunaux, les relations et communications extérieures, la tenue de l’état civil, le fonctionnement du Trésor et de la douane, le contrôle administratif et financier. L’administrateur supérieur, représentant de l’État, est aussi, selon l’article 9 de la loi de 1961, le chef du territoire ; à ce titre, il rend exécutoire, par arrêté, les délibérations de l’assemblée territoriale.

L’Assemblée territoriale instituée par l’article 11 de la loi de 1961 est constituée de vingt conseillers territoriaux, issus de cinq circonscriptions électorales et élus tous les cinq ans au suffrage universel direct. L’assemblée arrête le budget de la collectivité et délibère sur les sujets de sa compétence. Il n’y a pas de communes, mais le territoire est divisé en trois circonscriptions territoriales (Uvea, Sigave et Alofi), chacune dotée de la personnalité morale. Pour un certain nombre de services d’État, l’archipel dépend de la Nouvelle-Calédonie : pour la justice (cour d’appel de Nouméa) la gendarmerie, les affaires maritimes, l’aviation civile, ou encore le service des mines.

À Wallis-et-Futuna, on trouve les derniers rois de France. Le roi est considéré par la population comme « l’autorité supérieure et le juge suprême » ([29]). Avec ses ministres il forme une grande chefferie placée au-dessus des chefs de village qui gèrent au plus près de la population les affaires courantes. De tout temps, les rois ont été impliqués dans la vie politique du territoire, d’où les répercussions sur la vie collective de la contestation apparue en avril 2016 à Wallis autour de la légitimité du Lavelua. Les rois continuent d’occuper une place primordiale dans la coordination de l’action publique locale, au-delà des dispositions statutaires. La délégation wallisienne reçue par vos Rapporteurs a plaidé en conséquence pour une consécration par les textes du rôle effectif joué par les rois, par exemple pour la maîtrise du foncier. Les trois rois coutumiers sont les vice-présidents du Conseil territorial qui assiste le préfet pour l’administration du territoire et examine tous les projets qui doivent être soumis à l’assemblée territoriale. Le Président de l’Assemblée territoriale David Vergé nous a fait part de son souhait de donner davantage de poids politique à ce Conseil territorial en lui confiant un droit d’initiative.

Illustrant la place spécifique de l’Église catholique dans la société wallisienne – il a été fait plusieurs fois référence à l’évêque au cours de l’entretien avec la délégation de l’archipel – une convention pluriannuelle, conclue en 1969 et prorogée à plusieurs reprises, jusqu’en 2019, confie la gestion de l'enseignement primaire à la mission catholique des îles Wallis-et-Futuna.

L’entretien de vos Rapporteurs avec la délégation de l’Assemblée territoriale leur a permis de constater l’attachement des élus et, à travers eux, de la population, à l’équilibre général du statut qui relève pour elle, selon la forte expression du président David Vergé, du « sacré ». Elle a également donné à la délégation l’occasion d’exprimer des vœux de modernisation de certaines dispositions par trop décalées par rapport à la réalité contemporaine de la vie institutionnelle en France hexagonale et dans les outre-mer.

M. Vergé, affirmant l’existence, sur le sujet, d’un consensus parmi les responsables politiques locaux, a notamment insisté sur l’archaïsme que constitue l’article 9 de la loi, faisant de l’administrateur supérieur de Wallis et Futuna le chef du territoire. L’archipel est la seule collectivité où l’exécutif de la collectivité est aux mains du représentant de l’État et non pas du président d’une assemblée élue. M. Vergé déplore en outre, même s’il n’est pas systématique, l’usage du pouvoir d’inertie donné à l’administrateur par l’article 10, qui lui confère la maîtrise de l’ordre du jour du conseil territorial et, par suite, de celui de l’assemblée territoriale.

Sur la composition et le fonctionnement de l’Assemblée territoriale, M. Vergé a dit souhaiter, à titre personnel, que le nombre de conseillers soit réduit de 20 à 19, pour faciliter, grâce au nombre impair de sièges, la délibération majoritaire, mais a reconnu que, par nature, le sujet donnait matière à controverse. Il s’interroge en outre, en invoquant la faible superficie du territoire et les disparités dans les évolutions démographiques entre les cinq circonscriptions nous la création, à leur place, de deux circonscriptions électorales, une à Wallis, et une à Futuna. Il souhaite enfin, que le mandat du Président de l’Assemblée territoriale et de son bureau ne soit plus soumis à renouvellement annuel, mais, comme dans les autres collectivités de France hexagonale et d’outre-mer, soit porté à cinq ans, ce qui, selon lui, permettrait une véritable maturation des projets politiques et rendrait plus sûre leur exécution.

Vos Rapporteurs prennent acte de l’attachement des élus et de la population à la stabilité globale du cadre statutaire de 1961. Ils considèrent comme raisonnable d’harmoniser l’organisation du pouvoir exécutif de Wallis-et-Futuna avec sa structure dans les autres collectivités d’outre-mer.

 

G.   La Polynésie française, garantir un large degré d’autonomie collective et individuelle

1.   Le renforcement de l’autonomie au sein de la République française

Comme on le rappelle souvent, les cinq archipels composant la Polynésie française se déploient sur un espace aussi vaste que l’Europe. La présence française y remonte au traité de protectorat signé en 1842 entre la France et la reine Pomaré IV.

La création de l’Union française par la Constitution du 27 octobre 1946 conduit à constituer les établissements français de l’Océanie (EFO) en un territoire d’outre-mer, dont tous les ressortissants ont la qualité de citoyen. La loi n° 46‑2152 du 7 octobre 1946 fixe les conditions de création et de fonctionnement des assemblées locales dans les TOM. Le 25 octobre 1946, la Polynésie est dotée d’une assemblée représentative/territoriale ([30]).

La loi n°57-836 du 26 juillet 1957 substitue à la dénomination d'Établissements français de l’Océanie celle de Polynésie française. Lors du référendum de ratification du projet de Constitution, le 28 septembre 1958, la population polynésienne s’exprime, à 64 % des suffrages exprimés, pour le « oui ». L’ordonnance n°58-1337 du 23 décembre 1958 relative au conseil de gouvernement et à l’assemblée de la Polynésie française fait du gouverneur de la Polynésie française le dépositaire des pouvoirs de la République et le chef du territoire.

Depuis cette date, les textes régissant le statut de la Polynésie française ont tous été orientés vers l’approfondissement de son autonomie au sein de la République. La loi n°84-820 du 6 septembre 1984 portant statut du territoire de la Polynésie française dote celui-ci d’un gouvernement composé d’un président, élu par l’assemblée territoriale parmi ses membres au scrutin secret, et de six à douze ministres. L’article premier de la loi organique n°96-312 du 12 avril 1996 portant statut d'autonomie de la Polynésie française reconnaît en elle « un territoire d'outre-mer doté d'un statut d'autonomie, qui exerce librement et démocratiquement, par ses représentants élus, les compétences qui lui sont dévolues [par la loi] ». Enfin, selon l’article 1er, alinéa 2, de la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 « pays d'outre-mer au sein de la République, la Polynésie française constitue une collectivité d'outre-mer dont l'autonomie est régie par l'article 74 de la Constitution ».

En conséquence de ce rattachement à l’une des catégories prévues par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, la loi organique de 2004, en son article 14, définit de manière limitative les compétences d’attribution qui restent dévolues à l’État. Pour toutes les autres matières, les autorités de la Polynésie française sont pleinement compétentes. L’article 7 de la loi organique subordonne à une mention expresse l’application en Polynésie française des lois et règlements relevant des compétences de l’État, à l’exception, par dérogation, des domaines, qu’il énumère, où ces lois et règlements sont applicables de plein droit. Une procédure de consultation de l’Assemblée de la Polynésie française est également prévue par la loi organique.

2.   L’organisation institutionnelle actuelle

Les institutions de la Polynésie française comprennent le Président, le gouvernement, l’Assemblée de Polynésie française et le conseil économique, social et culturel.

Le gouvernement de la Polynésie exerce le pouvoir exécutif et dispose de l’administration. Il est responsable devant l’assemblée qui peut voter des motions de renvoi. Le président de la Polynésie dirige l’action du gouvernement. Il est élu pour cinq ans par l’assemblée de la Polynésie française parmi ses membres, au scrutin secret. Il nomme les membres du gouvernement, préside le conseil des ministres, promulgue les lois du pays, signe tous contrats, est l’ordonnateur du budget de la Polynésie française, est à la tête de l’administration et représente le pays. Le Conseil des ministres est chargé collégialement et solidairement des affaires de la compétence du gouvernement.

La Polynésie française est dotée d’un degré d’autonomie très important, et, dès lors, d’un champ de compétences beaucoup plus large que celui des autres collectivités d’outre-mer. La procédure de consultation du Conseil des ministres de la Polynésie française sur certaines matières de la compétence de l’État, et la faculté reconnue au même conseil d’émettre des vœux sur des questions relevant de cette compétence, sont également spécifiques au pays.

L’assemblée contrôle l’action du président et du gouvernement de la Polynésie française, dont elle peut mettre en cause la responsabilité par le vote d’une motion de défiance. Elle est composée de cinquante-sept membres élus pour cinq ans. Elle ne peut délibérer que si plus de la moitié de ses membres en exercice sont présents à l'ouverture de la séance. Les actes normatifs adoptés, à côté des délibérations par l’'assemblée de la Polynésie française prennent le nom de « lois du pays », soumises, sous certaines limites et selon une procédure spécifique, au contrôle juridictionnel du Conseil d’État exerce un contrôle juridictionnel spécifique de certaines lois du pays. La loi organique définit les conditions dans lesquelles l’assemblée participe, par l’adoption de lois du pays, à l’exercice des compétences qui, en principe, demeurent conférées à l’État. L'initiative des lois du pays et des autres délibérations appartient concurremment au gouvernement et aux représentants à l'assemblée de la Polynésie française.

Le Conseil économique, social et culturel de la Polynésie française est composé de représentants des groupements professionnels, des syndicats, des organismes et des associations qui concourent à la vie économique, sociale ou culturelle de la Polynésie française. Cette composition assure une représentation de l'ensemble des archipels. Ses membres ont un mandat de quatre ans. Il exerce un pouvoir consultatif.

Le Haut-commissaire de la République est le représentant de l’État. Il a la charge des intérêts nationaux, du respect des lois et des engagements internationaux, de l'ordre public et du contrôle administratif. Il veille à l'exercice régulier de leurs compétences par les autorités de la Polynésie française et à la légalité de leurs actes.

Pendant plusieurs années, la vie politique polynésienne a été caractérisée par une instabilité chronique, à travers un usage étendu de la procédure des motions de défiance. La loi organique n° 2011-918 du 1er août 2011 relative au fonctionnement des institutions de la Polynésie française a cherché à remédier à cet état de fait en modifiant le régime électoral de l’Assemblée et en encadrant davantage les conditions de dépôt et d’adoption d’une motion de défiance par celle-ci.

Vos Rapporteurs n’ont pas été saisis d’observations ou de critiques sur le régime statutaire actuel de la Polynésie française.

3.   La revendication d’autonomie des collectivités locales de Polynésie

Les consultations auxquelles ont procédé vos Rapporteurs les ont conduits, en revanche, à accorder attention à une problématique particulière, dans le cadre de leur réflexion globale sur les questions statutaires : la revendication d’autonomie à l’intérieur de la Polynésie française exprimée par les communes des îles Marquises.

Composé de six îles habitées et distantes d’environ 1600 km du chef-lieu de la Polynésie française, l’archipel des Marquises est animé depuis plusieurs années par un riche débat institutionnel et statutaire. Un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), la Communauté des communes des Îles des Marquises (CODIM), en regroupe depuis 2010 les six communes. Elle défend un projet d’évolution statutaire de l’archipel des Marquises, qu’elle a souhaité porter à la connaissance de vos Rapporteurs et de la Délégation, et qui comporte la revendication d’un transfert de compétences et de moyens centré sur le développement économique de l’archipel à travers l’amélioration des infrastructures et des services publics et la reconnaissance de l’identité culturelle, notamment linguistique, des Marquises (existence d’une langue propre à la population de l’archipel). Lors de son récent déplacement en Polynésie française en janvier 2018, la Ministre des outre-mer, Mme Annick Girardin, a manifesté sa sympathie pour les préoccupations ainsi exprimées, déclarant: « L’État ne souhaite pas voir remise en cause l’unité de la Polynésie française, mais le président Macron souhaite aujourd’hui que la différenciation puisse être prise en compte. Ça veut dire que les Marquises (…) peuvent être accompagnées différemment des autres archipels. Le rôle de l’État, c’est d’adapter le cadre législatif de l’intercommunalité et d’ouvrir une collaboration plus soutenue entre le Pays et la Codim » ([31]).

L’existence de ce débat s’explique par le fait que la répartition des compétences entre le Pays et les communes polynésiennes ou les établissements publics de coopération intercommunale est beaucoup moins favorable aux communes que celle qui prévaut en France hexagonale. Sans doute la loi organique de 2004 ménage-t-elle la possibilité de transferts ultérieurs de compétences au travers de l’adoption de lois de pays, mais cette possibilité n’a pas été à ce jour mise en œuvre, selon les élus des îles Marquises, alors même qu’elle ne porte que sur des domaines limités par la loi organique.

Les élus des Marquises affirment que l’éloignement géographique explique parfois un certain désintérêt politique des autorités du Pays et des lenteurs de procédure administrative importants, dommageables au développement économique de leur archipel. Selon Mme Lucie Tetahiotupa, « la logique de décentralisation du pouvoir est peu présente en Polynésie française, ce qui conduit à une grande dépendance des territoires envers le centre décisionnel tahitien, une atrophie des projets de développement et, à terme, faute d’opportunité dans les archipels, à un exode vers Tahiti ». Il est remarquable que cette critique, formulée dans un cadre géographique et institutionnel spécifique de la Polynésie, rejoigne, mutatis mutandis, des observations faites ailleurs dans les outre-mer et aussi dans l’Hexagone.

C’est pourquoi vos Rapporteurs, tout en respectant comme il se doit l’autonomie de décision des autorités politiques compétentes de la Polynésie française, ont cru devoir accorder aux demandes des élus des îles Marquises, qui peuvent être sans difficultés reliées à un large débat national, une attention particulière.


 

II.   Deuxième partie - L’action extérieure des collectivités d’outre-mer

La plupart des collectivités d’outre-mer attachent une grande importance à la qualité de leurs relations avec ce qu’il est convenu d’appeler leur « environnement géographique », c’est-à-dire, très concrètement, avec des populations qui sont unies à nos compatriotes ultramarins par des liens, non seulement de proximité matérielle, mais d’interdépendance économique et de communauté de culture et de traditions. Vos Rapporteurs ont constaté que, dans toutes ces collectivités, le souhait de voir se développer les relations avec les États de leur bassin océanique dans un cadre institutionnel stable et reconnu était largement partagé. Ils n’évoqueront ici que les données juridiques du problème, renvoyant pour une analyse complète de ses aspects économiques, sociaux et culturels aux rapports récemment établis par M. Jean-Jacques Vlody, alors député de La Réunion, dans le cadre d’une mission ministérielle ([32]) et par M. Serge Letchimy, député de la Martinique, en sa qualité de rapporteur de la proposition de loi qu’il a déposée en vue de renforcer la coopération régionale dans les outre-mer ([33]).

A.   Les procédures de coopération régionale

Le développement de la coopération régionale dans les outre-mer peut prendre deux voies de droit.

La première est la coopération entre les collectivités décentralisées des territoires d’outre-mer et les collectivités de niveau comparable des États voisins. Il s’agit d’une forme de coopération qui est courante, également, dans l’Hexagone. Comme le rappelle M. Serge Letchimy dans son rapport, les jumelages de commune à commune ont été la première manifestation de cette coopération, au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Depuis lors, les initiatives des conseils municipaux et départementaux en vue de la coopération décentralisée, se sont fortement développées. Des dispositions législatives ont été prises, depuis la loi d’orientation du 6 février 1992 sur l’administration territoriale de la République, pour en encadrer le déroulement. Ces procédures nationales sont bien entendu à la disposition des élus des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution. Parmi les précautions dont les Gouvernements successifs ont souhaité entourer leur mise en œuvre, une mérite une mention spéciale dans le cadre de la réflexion du présent rapport : la nécessité de respecter tant les engagements internationaux de la France que « la conduite de ses relations diplomatiques », rappelée par la circulaire interministérielle du 24 mai 2018 relative au cadre juridique de l’action extérieure des collectivités territoriales et de son contrôle – dont les auteurs indiquent expressément qu’elle s’applique aussi dans les collectivités précitées.

La seconde voie est la coopération entre les collectivités ultramarines et les États ou territoires autonomes appartenant à la même zone géographique. C’est cette forme de coopération qui a été principalement évoquée devant vos Rapporteurs, sous le double aspect du contenu des relations internationales qui peuvent être ainsi nouées et de la représentation de la France par les collectivités d’outre-mer dans les relations internationales entre États de la zone et les organisations régionales de coopération. La loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à l'action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional, dite « loi Letchimy » a renouvelé l’approche de cette forme de coopération et, au-delà de son contenu précis, créé un appel à l’amplification des relations entre outre-mer et États de la zone, comme l’ont illustré les propos tenus de plusieurs parts à vos Rapporteurs. On peut constater que l’ensemble des collectivités visées par le titre XII de la Constitution aspire à davantage de présence effective dans les instances de coopération régionale animées par les États de leur voisinage afin de bâtir dans divers domaines de compétences des programmes de coopération.

La loi du 5 décembre 2016 crée plusieurs modalités d’implication des collectivités d’outre-mer dans les relations avec les États de leur environnement géographique. Elle leur ouvre la possibilité de conclure de conventions avec ces États pour les besoins d’une coopération régionale ; elle leur permet d’adhérer en qualité de membre ou de membre associé à une banque régionale de développement ou à une institution de financement dont la France est membre régional, membre associé ou participante au capital. Les collectivités peuvent en outre adresser au Gouvernement des propositions en vue de la conclusion d’engagements internationaux concernant la coopération régionale entre la France et les États et organismes de leur environnement régional. Enfin, elles reçoivent la possibilité d’affecter des agents territoriaux à leur représentation auprès des missions diplomatiques de la France dans ces mêmes États.

La circulaire interministérielle du 3 mai 2017 qui précise les modalités d’application de la loi de 2016, est traversée par le souci d’éviter équivoques et empiètements, et plus précisément de « veiller à la cohérence entre les actions menées par l’État et les initiatives que les collectivités territoriales d’outre-mer peuvent prendre vis-à-vis de partenaires étrangers ». Elle insiste notamment sur la nécessité d’une observation rigoureuse de la terminologie diplomatique qui impose d’employer systématiquement le terme de « convention » et non d’« accord ».

 

 

 

 

La même circulaire appelle également l’attention sur le risque de contradiction entre les conventions passées sur le fondement de la loi de 2016 et les obligations de la France à l’égard de l’Union européenne. « Il serait particulièrement préjudiciable », écrivent ses auteurs, « que des engagements conventionnels locaux traduisent une action contraire au droit européen, aux orientations ou aux objectifs arrêtés au niveau de l’Union ».

La tonalité manifestement restrictive de la circulaire contraste fortement avec l’intérêt manifesté pour les ouvertures de participation aux relations internationales dans un bassin géographique permises par la loi de 2016. Cependant, il ne ressort pas des informations communiquées à vos Rapporteurs qu’en l’état les procédures établies par cette loi aient été mises en œuvre à grande échelle jusqu’à présent.

B.   Le problème de la représentation de la France par les collectivités d’outre-mer

Les auditions auxquelles vos Rapporteurs ont procédé, tant à La Réunion qu’à Paris, leur ont permis de constater la sensibilité du problème posé par les conditions dans lesquelles les collectivités ultramarines participent à la fonction de représentation de la France dans les relations internationales avec les pays de leurs zones géographiques et dans les organisations de coopération régionale actives dans chacune d’elles.

La France est, par exemple, appelée à participer, grâce à la présence de ses collectivités ultramarines, à la CARICOM dans la Caraïbe, à la Commission de l’Océan Indien et au Forum du Pacifique Sud. Les collectivités peuvent être également appelées à s’associer à des initiatives plus informelles telles que celles qui ont été prises, en 2015, dans le cadre de la préparation de la COP 21 ([34]).

Or, les usages en vigueur dans ces organisations régionales subordonnent la participation de collectivités d’outre-mer dépendant d’États extérieurs à leur zone de compétence à une appréciation positive de leur degré d’autonomie – entendue au sens générique – par rapport à l’État central. L’appréciation est portée sans égard nécessaire à la classification des collectivités en droit interne.

Pour la Polynésie française, les articles 39 à 42 de la loi organique de 2004 organisent avec précision les modalités de participation du président de la collectivité aux négociations et aux travaux des organisations de la région dans lesquels la France est impliquée. En revanche, selon M. David Vergé, président de l’Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna, la représentation du territoire par le préfet, administrateur supérieur, donc agent de l’État, est un obstacle à la pleine participation de l’archipel aux relations internationales dans la région. La problématique n’est pas propre aux collectivités de l’article 74, puisque M. Didier Robert, président du conseil régional de La  Réunion, a déclaré à vos Rapporteurs souhaiter une clarification des règles de représentation de la France dans les négociations internationales dans la zone de l’Océan Indien, permettant sa participation ès qualités de président dans ces négociations, voire sa reconnaissance comme représentant de La Réunion et par là-même, de la France, dans ce cadre.

Il serait sans doute utile de revoir, dans le sens d’une plus grande ouverture, les conditions de mise en œuvre de telles règles de représentation, quel que soit l’article constitutionnel de rattachement statutaire de la collectivité.

À titre subsidiaire, vos Rapporteurs voudraient mentionner la faculté ouverte par la loi du 5 décembre 2016 aux collectivités, qui peuvent affecter des agents territoriaux chargés de les représenter auprès des missions diplomatiques de la France. Le décret n°2017-1060 du 10 mai 2017 fixe les conditions de conclusion de la convention conclue entre l’État et la collectivité d’origine (relevant de l’article 73) et envisage pour ces agents, outre la participation aux actions de coopération régionale, « leur concours au bon fonctionnement de la mission diplomatique ».

 


III.   Troisième partie – Les propositions des co-rapporteurs

Les propositions que vos Rapporteurs souhaitent présenter dans cette troisième partie s’inscrivent pour l’essentiel dans la perspective de la réforme constitutionnelle soumise par le Gouvernement à l’appréciation du Parlement. Ils n’oublient pas pour autant que, notamment à l’occasion de leurs auditions à La Réunion, plusieurs interlocuteurs leur ont présenté des observations qui, sans relever d’une problématique constitutionnelle, insistaient sur l’inadéquation de certaines règles de la loi nationale aux réalités ultramarines.

En outre, ils souhaitent préciser en observation générale que les propositions ici formulées ne devraient être mises en œuvre qu’au prix de la consultation préalable des citoyens et des élus.

1. Le régime restrictif des habilitations résultant pour La Réunion du cinquième alinéa de l’article 73 de la Constitution, perd de sa logique, dès lors que la réforme proposée accroît, dans l’Hexagone et ailleurs, les possibilités d’adaptation des compétences des collectivités.  L’alinéa 6 de l’article 17 du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, prévoit que les habilitations  qui seront demandées par le département et la région de La Réunion s’appliqueront uniquement dans les matières relevant de leurs compétences. La Réunion présentant toutefois certaines particularités par rapport aux autres collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, il est proposé d’assortir ce pouvoir normatif d’une disposition susceptible de les prendre en compte. C’est pourquoi vos Rapporteurs proposent une autre rédaction qui pourrait se lire ainsi :

« Pour le département et la région de La Réunion, les demandes d’habilitation prévues au deuxième alinéa doivent être prises à la majorité des conseillers, présents ou représentés, des deux assemblées lorsqu’elles visent un champ de compétences partagé entre le département et la région de La Réunion. »

2. La pertinence du maintien des régions monodépartementales (Guadeloupe et La Réunion) mérite réflexion. Vos Rapporteurs ont entendu deux arguments en faveur du maintien de la formule : le conseil départemental et le conseil régional, de par leur mode d’élection et la nature de leurs compétences, répondraient opportunément à deux ordres de compétences et de besoins différents, l’un plus politique, l’autre plus administratif. Il a été également soutenu que l’autorité du président de l’assemblée de la collectivité unique serait sans contrôle effectif.

3. Le maintien de l’exception qui fait du préfet, administrateur supérieur des Iles Wallis et Futuna le « chef du territoire » ne se justifie plus près de soixante-dix ans après l’adoption du statut de l’archipel. La mise en conformité du statut de Wallis-et-Futuna avec les règles générales qui déterminent l’équilibre des fonctions dans les autres collectivités, et donc la suppression de cette disposition, paraissent nécessaires.

4. L’évolution de l’équilibre général des relations entre l’État national et les collectivités d’outre-mer vers plus d’autonomie pour celles-ci, et les modifications apportées aux différents statuts de chaque collectivité au fil des réformes successives, tendent à atténuer la force de la distinction entre les collectivités de l’article 73 et celles de l’article 74. L’expression en un seul article du droit à la différenciation des collectivités, assortie d’une définition des compétences sur lesquelles cette différenciation pourrait s’opérer et des garanties qui accompagnent sa mise en œuvre (droits et libertés, compétences régaliennes) aurait valeur à la fois d’affirmation de principe et de symbole politique.

5. L’insertion dans la Constitution d’une disposition définissant le régime de participation des collectivités ultramarines aux relations internationales de coopération dans leur environnement régional permettrait de légitimer davantage et de consolider l’établissement de relations qui répondent tant à l’aspiration des populations qu’à l’intérêt bien compris de la nation.

 


 

examen par la délégation

Lors de sa deuxième réunion du 21 juin 2018, la Délégation aux Outre-Mer procède à l’examen des conclusions du rapport d’information sur les évolutions statutaires dans les Outre-mer :

http://assnat.fr/0Wx3qf

Puis la Délégation adopte le rapport d’information et quatre propositions, dans le texte suivant :

1. Le régime restrictif des habilitations résultant pour La Réunion du cinquième alinéa de l’article 73 de la Constitution, perd de sa logique, dès lors que la réforme proposée accroît, dans l’Hexagone et ailleurs, les possibilités d’adaptation des compétences des collectivités.  L’alinéa 6 de l’article 17 du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, prévoit que les habilitations  qui seront demandées par le département et la région de La Réunion s’appliqueront uniquement dans les matières relevant de leurs compétences. La Réunion présentant toutefois certaines particularités par rapport aux autres collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, il est proposé d’assortir ce pouvoir normatif d’une disposition susceptible de les prendre en compte. C’est pourquoi la Délégation propose une autre rédaction qui pourrait se lire ainsi :

« Pour le département et la région de La Réunion, les demandes d’habilitation prévues au deuxième alinéa doivent être prises à la majorité des conseillers, présents ou représentés, des deux assemblées lorsqu’elles visent un champ de compétences partagé entre le département et la région de La Réunion. »

2. La pertinence du maintien des régions monodépartementales (Guadeloupe et La Réunion) mérite réflexion. Les Rapporteurs ont entendu deux arguments en faveur du maintien de la formule : le conseil départemental et le conseil régional, de par leur mode d’élection et la nature de leurs compétences, répondraient opportunément à deux ordres de compétences et de besoins différents, l’un plus politique, l’autre plus administratif. Il a été également soutenu que l’autorité du président de l’assemblée de la collectivité unique serait sans contrôle effectif.

3. Le maintien de l’exception qui fait du préfet, administrateur supérieur des Iles Wallis et Futuna le « chef du territoire » ne se justifie plus près de soixante-dix ans après l’adoption du statut de l’archipel. La mise en conformité du statut de Wallis-et-Futuna avec les règles générales qui déterminent l’équilibre des fonctions dans les autres collectivités, et donc la suppression de cette disposition, paraissent nécessaires.

 

 

4. L’insertion dans la Constitution d’une disposition définissant le régime de participation des collectivités ultramarines aux relations internationales de coopération dans leur environnement régional permettrait de légitimer davantage et de consolider l’établissement de relations qui répondent tant à l’aspiration des populations qu’à l’intérêt bien compris de la nation.

La Délégation donne en outre mandat aux co-rapporteurs de poursuivre la réflexion sur les thèmes abordés dans le rapport et de lui en rendre compte lorsqu’ils la jugeront suffisamment développée.

Elle autorise enfin la publication du rapport.


    

   Annexes

   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Personnes entendues à Paris par les co-rapporteurs :

     Me Philippe Traisnel, Avocat associé à Buès et Associés,

     M. Matthieu Conan, Professeur agrégé de droit public à l’Université Paris Nanterre,

     Mme Charlotte Girard, maîtresse de conférences de droit public à l’Université Paris Nanterre,

     M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux.

     Une délégation de l’Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna conduite par M. David Vergé, son Président, et composée de Mme Mireille Laufilitoga, présidente de la commission permanente, MM. Napole Polutele, président de la commission de l’enseignement, Jean Paul Mailagi, président de la commission des finances,  Alexis Leleivai, conseiller technique et Romain Chancelier, chargé de mission.

Personnes entendues par les co-rapporteurs lors de leur mission à La Réunion du 20 au 23 avril 2018 :

     Mme Ericka Bareigts, ancienne ministre des Outre-mer, députée de La Réunion

     M. David Lorion, député de La Réunion

     M. Didier Robert, président du Conseil régional

     M. Cyrille Melchior, président du Conseil départemental

     M. Jean Bernard Gonthier, Président de la Chambre d'agriculture

     M. Marc Joly, membre du syndicat des architectes, cabinet Quadra-Architectures

     M. Jean Dany Andamaye, association chasse et pêche 974

     M. Bernard Picardo, président de la Chambre des métiers

     M. Claude Hoarau: mouvement Action Populaire Réunionnais (APR)

     M. Patrice Atchicanon: mouvement Croire et Oser

     Mme Denise Delavanne, co-secrétaire départementale du Parti de Gauche

     M. Jean Michel Saingany, président de la Confédération nationale du logement (CNL) de La Réunion

 

     M. André Oraison, professeur des Universités

     M. Antoine Fontaine, Collectif pour le maintien des activités au cœur de la Réunion (CMAC)

     Mme Anaïs Patel, déléguée de La République En Marche

     M. Zarif Mansour, vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie de la Réunion (CCIR)

     MM. Didier Hoareau et Mourad Guelalta, Coopérative Carburants d'intérêt régional et des produits pétroliers (CCIRPP)

     M. Eric Marcelly, président du Collectif des syndicats et associations professionnelles de la Réunion (CSAPR)

     M. François Cafarelli, professeur des universités, et Maitre Nathalie Jay, avocate, rapporteurs de l'atelier 7 des Assises des Outre-Mer

     MM. Gilles Leperlier et Johnny Bacary Lagrange, membres du Parti Communiste Réunionnais (PCR)

     M. Dominique Vienne, président de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) de La Réunion

     M. Frédéric Vienne, président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de La Réunion

Personnes ayant apporté des contributions écrites aux travaux des corapporteurs :

     M. Stéphane Lenormand, président du Conseil territorial de Saint‑Pierre‑et‑Miquelon

     Mme Huguette Bello, députée de La Réunion

     M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, Professeur de droit public à l’Université de Bordeaux,

     Mme Lucie Tetahiotupa, Sciences Po Toulouse,

     M. Faneva Tsiadino Rakotondrahaso, Maître de conférences en droit public,

     M. Alain Plaisir, Président du Comité d’initiative pour un projet politique alternatif (CIPPA),

     Mme Hélène Pongérard-Payet, Maîtresse de conférences HDR en droit public à l’Université de La Réunion,

     M. Mickael Poeaheiau Fidele, avocat et conseil juridique de la communauté de communes des Îles Marquises.

 

****************


([1]) Comme le rappelle Emmanuel Jos, « La consultation du 7 décembre 2003 à la Martinique », Pouvoirs dans la Caraïbe, 2007, p.108.

([2]) Rapport n° 27 (2002-2003) de M. René GARREC, fait au nom de la commission des lois, déposé le 23 octobre 2002, sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République.

([3]) 3ème séance du vendredi 7 novembre 2003, Journal Officiel, débats de l’Assemblée nationale, p. 10299 et 10317.

([4]) Décisions du 11 janvier 2010 proclamant les résultats de la consultation des électeurs de la Guyane et de la Martinique du 10 janvier 2010

([5]) Décisions du 24 janvier 2010 proclamant les résultats de la consultation des électeurs de la Martinique du 24 janvier 2010

([6]) Le décret n°2018-273 du 13 avril 2018 fixe les modalités d’application de cet article.

([7]) Rapport n°520 fait au nom de la Commission des territoires d’outre-mer sur les propositions de loi: 1° de M. Léopold Bissol et plusieurs de ses collègues tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe et de la Martinique; 2° de M. Gaston Monnerville tendant au classement de la Guyane française comme département français; 3° de M. Raymond Vergès et plusieurs de ses collègues tendant au classement comme département français de l’île de la Réunion, par M. Aimé Césaire.

([8]) « Discours des trois voies ou des cinq libertés », Fort-de-France, le 24 février 1978.

([9]) Audition de MM. Marcel Dorigny et Nicolas Roinsard, 30 mars 2016, in Rapport d’information n°3899 de M. Jean-Claude Fruteau, p.165-177.

([10]) Mme Lucette Michaux-Chevry, M. Alfred Marie-Jeanne et M. Antoine Karam, respectivement.

([11]) Réponse de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique à la question écrite n°5402 de M. Jean-François Humbert, JO Sénat, 30 mai 2013, p.1663.

([12]) « Réformer le droit à l’expérimentation locale, un enjeu public majeur », Fondation Jean Jaurès, 14 février 2018,

([13]) André Oraison, « Quelques réflexions critiques sur la conception française du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes à la lumière du différend franco-comorien sur l’île de Mayotte », RBDI, 1983 p. 655-698.

([14]) MM. Ahamada Madi pour le Mouvement populaire mahorais, Mansour Kamardine pour le Rassemblement pour la République (fédération de Mayotte) et Ibrahim Aboubacar pour le Parti socialiste (fédération de Mayotte).

([15]) La Ministre des outre-mer a annoncé récemment la création de ces deux services.

([16]) Thomas M’Saidié, Mayotte, un département perpétuellement transitoire, communication au congrès de l’Association française de droit constitutionnel (Nancy, 16-18 juin 2011).

([17]) Jurisclasseur administratif, fasc. 130-30, Mayotte, n°50.

([18]) Faneva Tsiadino Rakotondrahaso, Le statut de Mayotte vis-à-vis de l’Union européenne, Aix-en-Provence, PUAM, 2014.

([19]) JO Assemblée nationale, 3ème séance du 7 novembre 2003, p. 10297.

([20]) http://www.com-saint-martin.fr/La-presidence_Saint-Martin-Services_492.html

([21]) Traité instituant la Communauté européenne (version consolidée Nice)

([22]) Marie Redon, « Saint-Martin/Sint-Maarten, une petite île divisée pour de grands enjeux », Les Cahiers d’Outre-Mer, 234, avril-juin 2006, p. 233-266.

([23]) Jean-Jacques Hyest, Christian Cointat et Simon Sutour, L'avenir statutaire de Saint-Barthélemy et SaintMartin : le choix de la responsabilité, rapport d'information n° 329 (2004-2005) fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 10 mai 2005, p.63.

([24]) Date de référence statistique : 1er janvier 2014. 

([25]) Laurent Olléon, Saint-Pierre-et-Miquelon à l’heure de la collectivité unique, rapport à la ministre des outremer.

([26]) Christian COINTAT et Bernard FRIMAT, Saint-Pierre-et-Miquelon : Trois préfets plus tard, penser l'avenir pour éviter le naufrage, Rapport d'information n° 308 (2010-2011) fait au nom de la commission des lois, déposé le 15 février 2011.

([27]) RAPPORT DE LA COMMISSION AU CONSEIL sur la mise en œuvre de l’aide financière aux pays et territoires d’outre-mer au titre du 11e Fonds européen de développement Bruxelles, le 22.2.2016, COM(2016) 79 final.

([28]) Décret n°59-1364 du 4 décembre 1959 tendant à organiser une consultation des populations des îles Wallis-et-Futuna devant se prononcer sur la transformation de ces îles en un territoire d'outre-mer de la république française.

([29]) Françoise Douaire-Marsaudon, « Droit coutumier et loi républicaine dans une collectivité d’outre-mer française (Wallis-et-Futuna) », Ethnologie française, vol. 169, no. 1, 2018, pp. 81-92.

([30]) Décret n°46-2379 du 25 octobre 1946 organisation des pouvoirs publics en Polynésie française.

([31]) http://www.ladepeche.pf/annick-girardin-a-passe-cinq-jours-fenua-quil-faut-retenir-de-visite/

([32]) Jean-Jacques Vlody, Du cloisonnement colonial au codéveloppement régional, rapport à la ministre des outre-mer, juillet 2016.

([33]) Rapport n°3581 de M. Serge Letchimy sur la proposition de loi (n° 3023) relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération de l’outre-mer avec son environnement régional, déposé le 16 mars 2016.

([34]) Cf les déclarations citées par Mme Maina Sage, MM. Ibrahim Aboubacar et Serge Letchimy, dans leur rapport d’information n°3172 sur les conséquences du changement climatique dans les outre-mer, p.85-99.