N° 1299

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2018.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur le respect de l’État de droit
au sein de l’Union européenne

ET PRÉSENTÉ

PAR Mme Coralie DUBOST et M. Vincent BRU,

Députés

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(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis Bourlanges, Bernard Deflesselles, Mme Liliana TANGUY, viceprésidents ; Mme Sophie AUCONIE, M. André Chassaigne, Mmes Marietta KARAMANLI, Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Damien ABAD, Patrice ANATO, Mme Aude Bono-Vandorme, MM. Éric Bothorel, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de Courson, Typhanie Degois, Marguerite Deprez-Audebert, M. Benjamin DIRX, Mmes Coralie DUBOST, Françoise DUMAS, MM. Pierre-Henri Dumont, Alexandre Freschi, Bruno Fuchs, Mmes Valérie Gomez-Bassac, Carole Grandjean, Christine Hennion, MM. Michel Herbillon, Alexandre Holroyd, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe Jerretie, Jérôme Lambert, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude Leclabart, Ludovic Mendes, Thierry Michels, Christophe Naegelen, xavier PALUSZKIEWICZ, Damien Pichereau, Jean‑Pierre Pont, Joaquim Pueyo, Didier Quentin, Mme Maina Sage, MM. Raphaël SCHELLENBERGER, Benoit Simian, Éric Straumann, Mme Michèle Tabarot.


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SOMMAIRE

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 Pages

Synthèse du rapport

Introduction

I. La nécessaire clarification de la notion dÉtat de droit

A. Ladoption dune notion plurielle de lÉtat de droit dans le cadre de lUnion européenne

1. La diversité des origines conceptuelles

a. Rechtstaat

b. Rule of law

c. LÉtat de droit : une notion substantielle

2. Le processus dintégration dans les Traités

a. Lémergence dune Communauté de droit

b. La Charte des droits fondamentaux : consécration de la valeur de lÉtat de droit au sein de lUnion européenne

c. Les mécanismes de garantie de lÉtat de droit

B. Leffectivité de lÉtat de droit conditionnée par sa clarification dans les traités

1. Une multiplicité de sources aux interprétations divergentes

2. La construction opérationnelle du concept par la CJUE

3. La nécessaire définition de critères clairs et communs

II. LEs atteintes manifestes à lÉtat de droit au sein de lUnion européenne

A. les atteintes politiques à lindépendance du pouvoir judiciaire

1. La remise en cause du contrôle de constitutionnalité

2. La réorganisation de larchitecture judiciaire

3. Les risques pour lautonomie du parquet

4. Le remplacement idéologique des juges

5. Le contrôle politique des carrières de magistrats

B. Les atteintes au pluralisme

1. Les entraves aux médias indépendants

2. Des médias publics en position quasiment monopolistique qui relaient la parole du pouvoir

3. Des campagnes gouvernementales de grande envergure

4. Les violations de la liberté académique

C. Linstrumentalisation de lidentité nationale

1. La dichotomie entre une population majoritairement pro-européenne et des gouvernements nationalistes

2. La construction dune singularité nationale isolationniste

D. Des sociétés polarisées

1. Des sociétés civiles résistantes

2. face au discours légitimiste de la « tyrannie majoritaire »

III. Des mécanismes imparfaits pour la sauvegarde de lÉtat de droit au sein de lUnion européenne

A. Les insuffisances propres à larticle 7

1. Un dialogue précontentieux

a. La structuration du dialogue entre la Commission européenne et la Pologne

b. Laction utile mais insuffisante de réseaux informels

c. LAgence des Droits Fondamentaux : attentive mais impuissante

2. Un dialogue politique soutenu

a. Bien que vos rapporteurs notent lintensité des discussions en cours…

b. …les changements législatifs manifestement insuffisants ne justifient pas la fin de la procédure

3. Un mécanisme de sanction complexe

a. La nécessaire unanimité

b. Un contexte européen divisé

c. Les effets délétères liés à la lenteur du processus

B. La construction prétorienne dune réponse juridique à développer

1. Une jurisprudence innovante

a. Larrêt Associação Sindical dos Juízes Portugueses/Tribunal de Contas, du 27 février 2018

b. La question préjudicielle posée par la Haute Cour dIrlande

c. Une action mesurée

2. Pour une plus grande coordination des organes judiciaires des États membres

IV. La nécessaire définition de solutions complémentaires

A. Linefficacité dun contrôle par les pairs

1. Une proposition dun groupe dÉtats membres

2. Les faiblesses inhérentes au contrôle interétatique

B. La mise en place dune conditionnalité dans le cadre de loctroi des fonds européens

1. Une proposition innovante de la Commission européenne

2. … dont les effets sont encore difficiles à mesurer

3. La nécessaire définition des critères stricts et transparents

C. Le suivi du respect des principes de lÉtat de droit par un réseau dacteurs

1. Une proposition de vos rapporteurs : un réseau européen dagences et de juristes destiné à assurer le respect de lÉtat de droit

a. Un appui sur de nombreuses structures préexistantes : lexemple du Pacte pour la démocratie du Parlement européen

b. Une nouvelle procédure dinfraction

c. Un nouveau réseau souple et rapide destiné à pallier la lenteur du système actuel

d. Une nécessaire indépendance politique

2. Soutenir la proposition du Parlement européen pour le constat de violations graves de lÉtat de droit en Hongrie

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Proposition de résolution européenne INITIALE

AMENDEMENTS

Proposition de résolution européenne ADOPTée par la commission

annexe : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs


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   Synthèse du rapport

Le 20 décembre 2017, la Commission européenne a décidé de transmettre au Conseil de l’Union européenne une proposition motivée en vue de constater, en Pologne, l’existence d’un risque de violation grave de l’État de droit, aux termes du premier paragraphe de l’article 7 du TUE (Traité sur l’Union européenne).

Ce texte a sanctionné l’échec du dialogue entamé jusque-là par les institutions européennes avec le Gouvernement de Pologne et alerté l’ensemble des États membres et des citoyens européens sur le risque que présentaient les lois polonaises pour le respect de l’État de droit et plus largement des valeurs inscrites à l’article 2 du TUE.

Les violations de l’indépendance de la justice, la remise en cause du contrôle de constitutionnalité ou encore les attaques contre le pluralisme des médias, la liberté académique et l’intégrité des défenseurs des droits de l’homme ne sont en effet pas des questions purement nationales. L’Union européenne est une communauté de droit, bâtie sur des valeurs, que l’ensemble des États membres s’engage à respecter au moment de leur adhésion. Les valeurs européennes ne sont pas que des concepts cantonnés à l’éther des idées. Une magistrature indépendante et un respect juridictionnel effectif de la hiérarchie des normes sont des conditions sine qua non de l’application uniforme du droit européen dans l’ensemble de l’Union européenne. Des instruments tels que le mandat d’arrêt européen ou les questions préjudicielles en dépendent directement. De telles brèches pourraient mettre à mal le marché unique et saper les bases de la construction européenne.

Vos rapporteurs ont engagé, au cours de leurs auditions et de leurs déplacements en Roumanie, en Hongrie et en Pologne, des discussions exigeantes avec l’ensemble des parties prenantes, qu’il s’agisse des autorités publiques, des représentants de la société civile ou d’experts indépendants. Les entretiens avec les institutions européennes ont également permis de saisir les enjeux des discussions actuelles ainsi que les réflexions sur l’évolution des outils européens.

De cet ensemble de discussions, vos rapporteurs ont acquis la conviction qu’il existait des violations graves et systémiques de l’État de droit en Pologne et en Hongrie.

Dans le premier cas, l’indépendance de la justice et la protection juridictionnelle de la Constitution ont été récemment fortement dégradées. L’action concertée du Gouvernement et de la majorité parlementaire s’est accompagnée de campagnes publiques contre les magistrats destinées à décrédibiliser l’institution judiciaire.

Dans le second cas, les actions du Gouvernement s’appuient certes sur une majorité parlement              aire qualifiée, lui ayant permis de modifier la Constitution. Toutefois, l’affaiblissement du Tribunal constitutionnel et de l’appareil judiciaire, la prise de contrôle des médias publics et l’étouffement des médias privés indépendants, ainsi que les attaques contre la liberté académique et la possibilité pour les défenseurs des droits humains d’exercer leurs activités constituent autant de risques pour le respect de l’État de droit et la conservation de l’espace public.

Enfin, en Roumanie, les entraves que le Gouvernement actuel impose à la lutte contre la corruption et, plus largement, les risques qui pèsent sur l’indépendance des magistrats et la possibilité pour les procureurs de poursuivre sereinement leurs carrières, ne permettent pas, à l’heure actuelle, de mettre fin au Mécanisme de Coopération et de Vérification.

La dégradation, parfois extrême, du respect du droit dans ces États membres de l’Union européenne est grave et s’accompagne le plus souvent de situations irréversibles de fait. Cela s’explique par la volonté constamment suivie et revendiquée de ces Gouvernements de revenir sur la répartition des pouvoirs et de favoriser l’exécutif et le législatif au détriment de l’autorité judiciaire et des contre-pouvoirs. Toutefois, les institutions européennes et les États membres portent également leur part de responsabilité.

En premier lieu, les mécanismes européens de réponse aux dégradations de l’État de droit doivent gagner en rapidité et en efficacité, pour prévenir les risques de violation avant que celles-ci ne deviennent systémiques et irrévocables. C’est pourquoi des instruments comme la conditionnalité des fonds européens dans le prochain Cadre Financier Pluriannuel ou le pacte européen pour la Démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux, proposé par le Parlement européen, constituent des propositions intéressantes. Elles reposent sur l’idée que les bénéfices inhérents à l’appartenance à l’Union européenne impliquent le respect des règles qui s’appliquent à tous.

Par ailleurs, l’action du système juridictionnel européen est particulièrement intéressante. La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) va jouer un rôle crucial dans les sanctions applicables aux manquements à l’État de droit. L’infléchissement de sa jurisprudence constitue à bien des égards un encouragement appréciable pour la Commission européenne. De la même manière, les juridictions nationales ainsi que le Conseil de l’Europe peuvent structurer un espace de respect des droits fondamentaux au sein de l’Union européenne.

Enfin, plus que d’informations, les institutions européennes et les États membres manquent de capacité d’action. Les éléments relatifs aux violations de l’État de droit sont abondamment fournis par des institutions comme l’Agence des Droits Fondamentaux ou la Commission de Venise, rattachées respectivement à la Commission européenne et au Conseil de l’Europe. Il s’agit désormais de passer à l’action, en soutenant les démarches de la Commission européenne fondées sur l’article 7 et en initiant de nouvelles modalités de réponses immédiates aux violations de l’État de droit au sein de l’Union européenne.

 


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   Introduction

 

 

Mesdames, Messieurs,

« Vous entrez ici dans le dernier bastion de la justice indépendante, qui pourrait rendre les armes dans trois semaines ». C’est par ces mots que Mme Malgorzata Gersdorf, Présidente de la Cour suprême polonaise, a accueilli vos rapporteurs. Voici résumés les enjeux du présent rapport : comment faire en sorte que les garants d’une justice indépendante et d’un État de droit, dans un État membre de l’Union européenne, ne rendent pas les armes ?

Né d’une inquiétude première après l’« activation » de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne (TUE) à l’encontre du Gouvernement polonais le 20 décembre 2017, ce rapport a permis de recenser des violations systémiques de l’État de droit que l’on pensait révolues. Des États membres respectueux des critères de Copenhague en 2005, dont les structures démocratiques convenaient parfaitement aux standards européens, sont revenus en arrière. Depuis 2010 pour la Hongrie, depuis 2016 pour la Pologne, des régimes qui se qualifient eux‑mêmes d’illibéraux menacent la pérennité de leurs propres États de droit.

Les violations qui ont été décrites lors des auditions ou que vos rapporteurs ont pu analyser au cours de leurs déplacements concernent avant tout l’indépendance de la justice. Il ne peut y avoir d’État de droit constitutionnel sans contrôle effectif de constitutionnalité, sans respect de la hiérarchie des normes, sans séparation des pouvoirs ou sans saine gestion du parquet. Or, la mainmise progressive des Gouvernements et des majorités parlementaires sur les organes judiciaires – les tribunaux constitutionnels, les cours suprêmes de l’ordre judiciaire ou encore les conseils supérieurs de la magistrature – sapent la possibilité même d’une autorité judiciaire indépendante.

En vertu de leur caractère systémique, les violations de l’État de droit par des gouvernements soucieux de se maintenir au pouvoir s’étendent également aux médias et à l’espace public. La faillite organisée des médias indépendants couplée au contrôle des médias publics, y compris dans leurs contenus, facilitent la déréliction de l’espace public et empêchent les citoyens d’accéder à la diversité des informations.

Enfin, la fabrication d’une cohésion nationale en ciblant des ennemis intérieurs – comme les juges – ou extérieurs – comme les institutions européennes – est lourde de menaces. Si la constitution d’une société nationale homogène n’est pas contraire au droit européen, un débat public serein ne peut se satisfaire de ce qu’une profession entière soit livrée à la vindicte, puis à une purge, sans preuve ni raison valable.

La Roumanie, la Hongrie et la Pologne sont toujours des démocraties et les élections donnent toute légitimité aux majorités parlementaires et aux Gouvernements en place. Mais, ainsi que de nombreuses organisations internationales l’ont rappelé dans divers rapports sur la situation de l’État de droit dans ces pays, les institutions, comme la juridiction constitutionnelle, l’autorité judiciaire ou les médias, doivent pouvoir fonctionner en vue d’assurer un véritable débat politique informé et libre.

À l’inverse, une majorité parlementaire qui s’arroge les pouvoirs d’une majorité constituante sans atteindre le nombre requis, ou encore la caricature des forces d’opposition comme antinationales, sont de nature à biaiser les scrutins et à miner à terme les principes démocratiques.

L’Union européenne s’est développée, particulièrement pendant les trente dernières années, comme une communauté de droit. Les citoyens européens doivent être assurés de bénéficier de l’ensemble des droits qu’ils tirent de leur appartenance à l’un de ses États membres. Cela explique l’existence de l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, qui énumère les valeurs auxquelles l’ensemble des institutions publiques adhèrent en acceptant de faire partie de l’Union. L’État de droit y tient une place éminente.

Pourtant, l’Union européenne n’a pas réussi à empêcher le retour en arrière de certains États membres et peine à en maintenir d’autres sur la voie de la lutte contre la corruption et de l’indépendance de la justice. Faute d’instruments rapides et efficaces, faute de volonté politique également de la part du Conseil, les situations en Pologne et en Hongrie se sont détériorées, à un point où une partie des violations de l’État de droit semble désormais irréversible.

L’enclenchement de la procédure de l’article 7 du TUE, par la Commission européenne à l’égard du Gouvernement polonais le 20 décembre 2017 et par le Parlement européen à l’égard du Gouvernement hongrois le 12 septembre 2018, doit être salué. Les institutions européennes ont agi, non sans courage, pour signaler les dérives et les risques qui menaçaient les peuples polonais et hongrois.

Aussi, ne nous trompons pas de débat. La question n’est pas de savoir si les valeurs européennes sont imposées à des peuples qui s’opposeraient à leur application, ni si un modèle, voire un mode de vie, était imposé de force. Les comparaisons entre « Bruxelles » aujourd’hui et « Moscou » hier, n’ont aucune raison d’être et sont une insulte à l’Histoire. La démocratie et l’État de droit sont des biens communs européens, des principes que partagent des peuples qui ont librement choisi d’adhérer à l’Union européenne.

La Commission européenne, dans ses nombreuses – et malheureusement souvent infructueuses – démarches destinées à nourrir le dialogue avec le Gouvernement polonais, a subi régulièrement un procès en technocratie. Elle remplit pourtant son rôle de gardienne des Traités. De la même manière, la CJUE (Cour de justice de l’Union européenne), qui devra sans doute prochainement statuer sur des questions cruciales relatives à l’État de droit au sein de l’Union européenne, assure le contrôle de la bonne application du droit européen, au titre de l’article 19 du TUE, ainsi que de la pleine jouissance, par l’ensemble des citoyens de l’Union, des droits inscrits dans la Charte des droits fondamentaux.

Il est pourtant à craindre que les instruments européens actuels n’aboutissent qu’à une impasse, n’interviennent que trop tard. C’est pourquoi, outre leur soutien aux procédures en cours et leur intérêt pour l’extension de certains mécanismes comme les recours au titre de l’article 258 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne, vos rapporteurs estiment qu’il conviendrait de mettre en place une nouvelle instance de dialogue entre la société civile et les autorités nationales. Dotée d’un pouvoir d’alerte, cette réunion des parties prenantes, sous l’autorité d’experts reconnus, pourrait faciliter les actions susceptibles de prévenir rapidement les atteintes à l’État de droit. En parallèle, la mise en place d’un « semestre de l’État de droit », inspiré du semestre européen existant et tel que le Parlement européen l’a proposé dans une résolution récente, faciliterait grandement le passage de l’information sur les violations systémiques de l’État de droit à l’action proprement dite.

Si l’organisation de la justice ou la régulation des médias sont des compétences nationales, la préservation des principes fondamentaux de séparation des pouvoirs et le cadre pour les démocraties concernent l’ensemble de l’Union européenne et de ses États membres. Des instruments aussi cruciaux que le mandat d’arrêt européen en dépendent. Ainsi que l’a expliqué Laurent Pech ([1]), spécialiste de la question de l’État de droit, la consolidation de régimes dits « illibéraux » au sein de l’Union européenne la menace plus directement que tout pays qui s’en retire.

La situation est urgente, la garantie juridictionnelle de l’ensemble des droits fondamentaux auxquels les citoyens européens peuvent légitimement prétendre exige une action ferme, résolue et durable. Les peuples polonais, hongrois, roumain, l’ensemble des peuples européens ne s’y tromperont pas.


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I.   La nécessaire clarification de la notion d’État de droit

A.   L’adoption d’une notion plurielle de l’État de droit dans le cadre de l’Union européenne

1.   La diversité des origines conceptuelles

Si les concepts propres à l’État de droit apparaissent différer dans un premier temps, il est toutefois possible de dégager un tronc commun : subordonner le pouvoir à des règles destinées à contenir sa puissance ([2]). Si l’histoire européenne laisse percevoir une conception commune et largement acceptée d’un certain nombre de principes de l’État de droit, la notion n’en a pas moins des origines variées qui expliquent son caractère polysémique. L’État de droit « a signifié beaucoup de choses pour beaucoup de gens » ([3]).

a.   Rechtstaat

On peut faire remonter la généalogie de l’État de droit au début du XIXe siècle allemand, où la notion de Rechtstaat est apparue dans le cercle des juristes prussiens. Si la notion d’État légal, à savoir un État gouverné par la loi de la raison, a reçu un large écho à partir des travaux d’Emmanuel Kant, c’est au juriste Robert von Mohl que l’on doit une notion de l’État de droit qui comprend les principes de respect de la Constitution, de séparation des pouvoirs et même l’existence d’une juridiction administrative dont la fonction doit être de régir le rapport entre les gouvernants et les citoyens. Georg Jellinek ou Rudolf von Jhering vont affiner, en accompagnant l’émergence du droit public allemand, la théorie du Rechstaat, qui finit par se structurer autour de trois critères : l’autolimitation de l’État, les droits subjectifs et la primauté de la loi ([4]). L’autolimitation de l’État s’explique par la maturité de la société, dont les individus qui la composent tiennent de l’État des droits individuels, garantis par la prééminence de la loi.

Dans l’ensemble, cette première conception demeure frustre en ce qu’elle ne donne pas de corps substantiel à l’État de droit, se transformant à la fin du XIXe siècle en « principe de légalité ». Pire encore, du fait de sa désincarnation, des théoriciens comme Carl Schmitt ([5]) ont pu considérer que l’État hitlérien, en 1935, était un État de droit, à partir du moment où chaque État pouvait avoir sa propre conception du Rechtstaat.

Ce concept a pourtant engendré ce qu’on entend aujourd’hui en Italie, en Espagne et en France, par « État de droit ». Inscrit à l’article 28 de la Loi fondamentale allemande de 1949, selon lequel « l’ordre constitutionnel des Länder doit être conforme aux principes d’un État de droit républicain, démocratique et social, au sens de la présente Loi fondamentale », il comprend aujourd’hui des principes aussi cruciaux que la séparation des pouvoirs, le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité par la Cour constitutionnelle allemande ou encore la sécurité juridique.

Cette forme de substantialisation s’explique en partie par l’influence britannique du concept de « rule of law ».

b.   Rule of law

La conception britannique de l’État de droit, influencée notamment par la lutte pour les droits des individus contre l’arbitraire du souverain – comme en témoigne le Bill of Rights de 1689 – a été conceptualisée en grande partie par le juriste A. V. Dicey. Ce dernier tint une série de conférences à Oxford, publiée en 1885, destinées à présenter un certain nombre de principes constitutionnels, au premier rang desquels le rule of law. Pour Dicey, ce principe se traduit par « la suprématie absolue ou la prédominance du droit ordinaire par opposition à l’influence du pouvoir arbitraire », « une égalité devant la loi ou l’égal assujettissement de toutes les classes sociales à la loi ordinaire du pays, administrée par les cours de droit ordinaire » et enfin par le fait que « les principes du droit privé ont été, chez nous, tellement accrus par l’action des cours et du Parlement qu’ils déterminent la position de la Couronne et de ses serviteurs ([6]). » L’idée sous-jacente est donc que le droit privé, en conférant aux citoyens ordinaires la possibilité de contester des lois injustes grâce à une riche jurisprudence, est respecté de telle sorte qu’une Constitution est superflue. Cette conception exclut par ailleurs le traitement particulier du contentieux relatif à l’État au sein de ce qui est devenu le droit public dans les pays de tradition franco-germanique.

Le rule of law s’étend également à la procédure juridictionnelle elle-même, garantissant les droits des justiciables pendant leurs procès. Ainsi, « lorsqu’un organisme administratif exerce des fonctions de nature judiciaire ou quasi judiciaire, les cours de justice s’assurent, s’ils en sont requis, que la procédure suivie répond aux exigences de la « justice naturelle » : chaque partie à le droit d’être entendue — c’est le principe audi et alteram partem — et de manière équitable (fair hearing) ; personne ne doit être à la fois juge et partie ([7]). » Cela prouve bien que si le rule of law britannique peut être souvent caricaturé comme un droit uniquement procédural, il demeure qu’il vise avant tout la protection des justiciables ainsi que l’existence d’une autorité judiciaire indépendante et compétente.

Si la conception du « rule of law » comme protection des citoyens contre l’arbitraire de l’État a imprégné les traditions continentales, le principe britannique s’est lui-même enrichi de conceptions issues du droit romain, notamment au moment de l’adoption du Human Rights Act en 1998.

Les influences mutuelles entre common law et droit germanique ont abouti à la définition d’un certain nombre de principes, qui embrassent souvent largement les droits fondamentaux des individus, mais permettent d’aboutir à une protection concrète des droits substantiels des citoyens.

c.   L’État de droit : une notion substantielle

Si l’on suit Ricardo Gosalbo Bono ([8]), la diversité des organes juridictionnels en charge, en droit interne comme en droit international, de protéger l’État de droit aujourd’hui, suit, notamment en Europe, de principes comparables. L’idée est que la distribution des pouvoirs vise à ouvrir l’espace le plus grand possible aux libertés individuelles. Pour reprendre la formule de Raymond Carré de Malberg ([9]) : plutôt qu’un État légal où seul le principe de légalité est assuré, le « développement naturel » de l’État de droit conduit plutôt à lier le législateur lui-même à « un principe de respect du droit individuel qui doive s’imposer à lui d’une façon absolue ».

Le concept d’État de droit dépasse largement l’Europe, puisque l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que toute personne doit avoir droit à « un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi ». Pour le juriste Jean-Pierre Massias, aujourd’hui, l’État de droit procède d’une triple dimension : démocratique (le droit émane de la volonté populaire), constitutionnelle (l’État se porte garant au travers de la Constitution), internationale (on ne peut pas faire complètement confiance à l’État) ([10]).

Mais l’Union européenne entretient, ainsi qu’il a été vu, une histoire particulière avec ce concept. Elle est « fondée sur l’État de droit dans une bien plus grande mesure que toute autre organisation ou entité internationale ou transnationale » grâce au « contrôle, par des cours indépendantes, de la légalité des décisions prises par les autorités publiques ([11]) ».

La mixité des définitions et des influences juridiques entraîne toutefois une forme de confusion, traduite dans les Traités. Or, une grande partie de la littérature reconnaît la nécessité de construire un tronc commun qui dépasse le seul principe de légalité et de respect des règles de droit supranationales.

2.   Le processus d’intégration dans les Traités

a.   L’émergence d’une Communauté de droit

L’Union européenne est aujourd’hui une communauté juridique structurée autour de valeurs communes. Les traités fondateurs n’en faisaient toutefois pas mention. Il est possible d’identifier plusieurs raisons à cela ([12]) :

-         les premiers principes de libre circulation et de non-discrimination, qui apparaissent dans le traité de Rome et qui sont affirmés avec force par la jurisprudence de la CJCE, puis CJUE ([13]) relèvent avant tout de la sphère économique et participent de la construction du marché commun, puis du marché unique ;

-         l’existence du Conseil de l’Europe, une instance qui se charge déjà de faire respecter les droits de l’homme en général. L’ensemble des États membres de l’Union européenne fait également partie du Conseil de l’Europe ;

-         par construction, la Communauté européenne s’occupant avant tout d’économie, les actes de celle-ci ne pouvaient que difficilement enfreindre des droits fondamentaux, à l’inverse des États membres qui conservaient alors la majeure partie de leurs compétences.

Ce sont pourtant les Cours constitutionnelles nationales elles-mêmes qui ont reconnu la possibilité pour le droit européen d’enfreindre les droits fondamentaux. En l’absence d’une véritable protection par la CJCE à l’échelle européenne, la Cour constitutionnelle allemande, notamment, a introduit un mécanisme de contrôle des droits fondamentaux à l’aune de la Grundgesetz, Loi fondamentale allemande, aussi longtemps qu’une véritable protection des droits fondamentaux n’existait pas au niveau européen ([14]). La CJCE a toutefois participé largement, via sa jurisprudence, à l’émergence d’une communauté de droit et a notamment reconnu la nécessaire application du principe de légalité pour les actes issus des institutions européennes ([15]).

L’intégration des considérations juridiques d’ordre constitutionnel s’est également faite par le truchement de l’élargissement progressif. Ainsi, si les similitudes entre les formes d’État de droit des six premiers membres ne justifiaient pas la mise en place d’un système commun de protection de l’État de droit, le représentant de la Commission européenne dans une Grèce sous le joug des Colonels établissait dès 1969 la nécessité d’une forme d’homogénéité juridique entre les États membres et ceux qui avaient vocation à rejoindre la Communauté ([16]). L’attention au respect de l’État de droit s’est poursuivie dans le cadre du processus d’élargissement mais aussi au sein de l’Union européenne elle‑même.

Dès 1978, le Conseil européen de Copenhague conclut, dans une déclaration sur la démocratie, que « le respect et le maintien de la démocratie représentative et des droits de l’homme constituent des éléments essentiels de l’appartenance aux Communautés européennes ».

Il a fallu cependant attendre le Traité d’Amsterdam pour voir la mise en place d’un dispositif censé sanctionner des violations graves et persistantes, par un État membre, des principes fondateurs que sont la liberté, la démocratie, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’État de droit. Autant de critères que l’on retrouve aujourd’hui au sein de l’article 2 du TUE. L’application de ce mécanisme prit un tour concret à l’occasion des élections législatives autrichiennes du 3 octobre 1999.

La coalition autrichienne portée au pouvoir comprenait notamment le Parti national-libéral (FPÖ) de Jorg Haider. Le choc produit par ces élections entraîna la suspension rapide de tout contact bilatéral entre les États membres de l’Union européenne et l’Autriche, même si les relations diplomatiques reprirent peu après. Surtout, la formation de la coalition posait la question suivante : que peuvent faire les institutions européennes devant un risque de violation potentielle de l’État de droit et des valeurs fondamentales ? La mise en place d’un mécanisme à double détente tel qu’on le connaît aujourd’hui avec l’article 7 du TUE vient précisément de cette interrogation.

b.   La Charte des droits fondamentaux : consécration de la valeur de l’État de droit au sein de l’Union européenne

La Charte des droits fondamentaux a parachevé l’édifice européen de protection des droits fondamentaux, dont ceux qui peuvent se rattacher à l’État de droit. Le projet a été officiellement initié par les conclusions du Conseil européen de Cologne, en date du 4 juin 1999, selon lesquelles, « au stade actuel du développement de l’Union européenne, il est nécessaire d’établir une [Charte des droits fondamentaux] afin d’ancrer leur importance exceptionnelle et leur portée de manière visible pour les citoyens de l’Union ».

Le Conseil européen de Tampere a ensuite pu définir les modalités d’élaboration de la Charte, grâce à une Convention chargée de réfléchir à la forme que pourrait prendre le document final. D’une manière relativement inédite, cette Convention, qui inspirera la méthode d’élaboration du Traité pour une Constitution européenne, a remplacé la traditionnelle « conférence intergouvernementale », généralement utilisée pour réformer les traités. La composition de cette Convention a également comporté une dimension innovante. En effet, quatre éléments y ont été associés : la Commission européenne, le Parlement européen, mais aussi les gouvernements des États membres et les parlements nationaux. Enfin, de nombreux experts ont été associés au processus, dont les travaux ont été particulièrement transparents et mis en ligne sur le réseau internet naissant.

Un certain nombre d’articles de la Charte consacrent explicitement le droit de tout citoyen d’un État membre de l’Union européenne à une justice indépendante, efficace et à un processus d’édiction des normes législatives et réglementaires respectueux de l’État de droit.

La protection de l’État de droit au sein de la Charte des droits fondamentaux

 

Article 47 : « Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter.

Une aide juridictionnelle est accordée à ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes, dans la mesure où cette aide serait nécessaire pour assurer l’effectivité de l’accès à la justice. »

Article 49 : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou le droit international. De même, il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée.

2. Le présent article ne porte pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux reconnus par l’ensemble des nations.

3. L’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction. »

La valeur de la Charte tient à sa double intégration dans le droit européen.

En premier lieu, en vertu de son article 51, les dispositions de la Charte s’appliquent non seulement aux institutions européennes, mais aussi aux États membres, dans la stricte limite de la mise en œuvre du droit de l’Union. Il y est bien spécifié que la « Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies dans les traités. »

Le second moment de l’intégration de la Charte des droits fondamentaux dans le corpus de l’Union européenne date du Traité de Lisbonne. Depuis lors, en effet, « l’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre 2000, telle qu’adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités ([17]) ».

La Charte des droits fondamentaux est aujourd’hui intégrée à part entière dans le droit primaire et utilisée comme telle par la CJUE dans sa jurisprudence. Il demeure toutefois que la Commission européenne a été relativement prudente dans son utilisation de la Charte comme base des procédures d’infraction inscrites à l’article 258 TFUE.

c.   Les mécanismes de garantie de l’État de droit

La mise en place progressive d’une forme de protection communautaire de l’État de droit permet aux citoyens européens de bénéficier d’une garantie de l’ensemble des droits et libertés qu’ils tiennent du droit de l’Union européenne, tant envers l’action des institutions européennes qu’envers celles des États membres. Selon l’expression de P. Gaïa, « empruntant d’abord la voie périlleuse de l’indifférence, l’Europe communautaire a par la suite choisi de faire des droits fondamentaux une référence à part entière de son architecture ([18]) ».

Les mécanismes garantissant le respect de l’État de droit par les institutions étatiques et les autorités publiques interviennent d’abord dans le cadre de l’adhésion à l’Union européenne, via les « critères de Copenhague ».

Les critères de Copenhague

 

Dans la lignée du Traité de Maastricht, le Conseil européen des 21 et 22 juin 1993 conclut de la façon suivante : « L’adhésion requiert de la part du pays candidat qu’il ait des institutions stables garantissant la démocratie, la primauté du droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection, l’existence d’une économie de marché viable ainsi que la capacité de faire face à la pression concurrentielle et aux forces du marché à l’intérieur de l’Union ».

Le Conseil européen réuni à Madrid en décembre 1995 a ajouté qu’un pays candidat doit être en mesure d’appliquer le droit européen et de garantir que sa transposition dans le droit national est mise en œuvre efficacement au moyen des structures judiciaires et administratives appropriées.

Aujourd’hui, les critères de Copenhague sont définis par une combinaison de l’article 49 du TUE définissant les procédures d’adhésion à l’Union européenne et les principes auxquels l’impétrant doit se conformer, à l’article 6 du même Traité.

La Commission européenne met également en place des stratégies de pré-adhésion, fondées sur un dialogue structuré entre les institutions de l’Union européenne et les pays candidats à l’élargissement, notamment en vue de l’intégration des États des Balkans occidentaux. L’aide financière aux pays candidats passe par l’Instrument d’aide à la pré-adhésion (IAP), dont le montant d’élève à 11,7 milliards d’euros pour la période 2014–2020. Outre les aides à l’adaptation économique dans de nombreux secteurs, cet instrument encourage les États candidats à mener les réformes nécessaires pour assurer le respect de l’État de droit.             

La deuxième forme – et la plus connue – de protection de l’État de droit au sein de l’Union européenne est actuellement inscrite à l’article 7 du TUE. Celui-ci instaure un mécanisme à double objet préventif et correctif, pour assurer le respect des valeurs inscrites à l’article 2 du TUE.

Cet article est toutefois demeuré inutilisé, jusqu’au 20 décembre 2017, du fait de la lourdeur de la procédure et de la nécessité d’avoir in fine l’aval de l’ensemble des États membres au Conseil.

B.   L’effectivité de l’État de droit conditionnée par sa clarification dans les traités

1.   Une multiplicité de sources aux interprétations divergentes

La difficulté pour caractériser juridiquement ce qui relève de « valeurs » a été souvent relevée par les juristes auditionnés par vos rapporteurs. Il s’agit par ailleurs d’une difficulté classique du droit constitutionnel. La souplesse de la formulation combinée des articles 2 et 7 du TUE peut certes avoir certains avantages. Ainsi, les « violations, réelles ou potentielles, qui ont été signalées à ces occasions peuvent relever d’une mise en place insuffisante des dispositifs de l’État de droit ou bien de la direction générale de la politique d’un pays ([19]). » Pour G. Delledonne, la première hypothèse peut s’attacher à des cas tels que la crise constitutionnelle roumaine de l’été 2012, pendant laquelle le Gouvernement aurait tenté de contourner les décisions de la Cour constitutionnelle pour obtenir la destitution du président de la République. À l’inverse, la deuxième hypothèse se rapprocherait du cas hongrois, développé depuis plusieurs années. Vos rapporteurs partagent l’idée qu’il faut nécessairement une conception large pour embrasser l’ensemble des violations possibles de l’État de droit. Il demeure toutefois qu’à plusieurs reprises, leurs interlocuteurs ont pointé la différence d’interprétation, voire de valeurs attachées à la notion d’État de droit.

M. Delledonne reconnaît ainsi la difficulté d’interprétation unique de l’État de droit, marqué par des traditions juridiques diverses, comme on l’a vu. Or, ces divergences ont des conséquences directes sur la lecture des dispositions du traité : « le dégagement de significations prescriptives à partir des valeurs énoncées à l’art. 2 TUE peut bien poser des difficultés : c’est surtout le cas de la démocratie et de l’État de droit, pour lesquels la divergence entre le droit de l’UE et les droits nationaux et parmi les droits nationaux eux-mêmes est évidemment plus profonde ([20]). »

2.   La construction opérationnelle du concept par la CJUE

La communauté de droit telle qu’elle a été définie dans le texte des traités est issue largement d’une co-construction avec la CJUE, qui a défini de manière prétorienne la nécessité pour l’Union européenne de respecter l’État de droit. L’Union européenne n’est certes pas un État, et le concept lui-même n’a pas pu être utilisé, mais, dans un arrêt important de 1986, la CJCE a statué que « la Communauté européenne est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité. (…) le traité a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice le contrôle de la légalité des actes des institutions ([21]) ». L’Union n’est désormais elle‑même qu’à la condition de respecter le principe de légalité.

Or, la CJUE, dont la fonction principale est de garantir « le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités ([22]) » est une juridiction obligatoire, qui peut être saisie à l’occasion de l’application du droit européen, tant par les institutions que par les États membres ([23]). Dès lors, on peut considérer que « le principe le plus important résultant de l’État de droit de l’Union européenne est le principe d’efficacité (effet utile) du droit en ce qui concerne les autorités publiques et il inclut les concepts d’autonomie et d’effet direct du droit de l’Union, la primauté et la protection juridique intégrale ([24]) ».

Or, la CJUE a développé à partir de ce principe premier une jurisprudence particulièrement fournie et innovante, souvent en amont des cours nationales. Sont désormais inscrits dans l’acquis européen la sécurité juridique, la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent de leur appartenance à l’Union européenne ou encore la responsabilité de l’État en cas de défaillance dans l’application du droit de l’Union.

C’est d’ailleurs à partir de cette jurisprudence que la Commission européenne a pu se livrer, dans sa communication relative à la création d’un instrument pour l’État de droit, à un premier exercice de définition des critères constitutifs de cette notion. Cette conceptualisation s’appuie sur de multiples sources pour en tirer une synthèse. La Commission européenne reconnaît que la notion d’État de droit n’a été inscrite que tardivement dans les Traités. Elle extrait toutefois un certain nombre de jurisprudences constantes de la CJUE pour poser les fondements suivants à sa conception de l’État de droit :

- le principe de légalité, qui « suppose l’existence d’une procédure d’adoption des textes de loi transparente, responsable, démocratique et pluraliste » ainsi que le respect de la hiérarchie des normes. Ce principe a été reconnu comme fondamental par la Cour de Luxembourg ([25]) ;

- la sécurité juridique, qui comprend notamment l’édiction de règles claires, intelligibles et stables dans le temps, ainsi que l’interdiction d’une application rétroactive, sauf exceptions dûment justifiées. Ce principe a été rapidement reconnu par la CJUE et continue d’irriguer son appréciation des actes juridiques européens ([26]) ;

- l’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif. Ainsi, pour la CJUE, « dans tous les systèmes juridiques des États membres, les interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée de toute personne, qu’elle soit physique ou morale, doivent avoir un fondement légal et être justifiées par les raisons prévues par la loi et que ces systèmes prévoient, en conséquence, bien qu’avec des modalités différentes, une protection face à des interventions qui seraient arbitraires ou disproportionnées. L’exigence d’une telle protection doit donc être reconnue comme un principe général du droit [de l’Union] ([27]) » ;

- l’indépendance et l’effectivité du contrôle juridictionnel, y compris le respect des droits fondamentaux. Cela implique notamment que « les particuliers doivent pouvoir bénéficier d’une protection juridictionnelle effective des droits qu’ils tirent de l’ordre juridique [de l’Union] ([28]) ». Une telle interprétation est cohérente avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

- la séparation des pouvoirs, qui peut néanmoins prendre des formes diverses, eu égard aux différents modèles parlementaires et au degré variable de son application dans les États membres. À cet égard, la Cour évoquait la séparation fonctionnelle des pouvoirs impliquant un contrôle juridictionnel indépendant et effectif, en relevant que « (...) le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce qu’un État membre soit à la fois législateur, administrateur et juge, pour autant que ces fonctions sont exercées dans le respect du principe de la séparation des pouvoirs qui caractérise le fonctionnement d’un État de droit ([29]) » ;

- l’égalité devant la loi.

La Commission rappelle enfin que même en l’absence de définition précise ou exhaustive de l’État de droit dans les constitutions nationales, ce concept constitue un dénominateur commun dans les traditions constitutionnelles des États membres, susceptible d’orienter l’exercice de l’autorité publique dans chacun d’entre eux ([30]).

Dans sa résolution du 15 novembre 2017 relative à la situation de l’État de droit en Pologne ([31]), le Parlement européen s’est également attaché à définir un certain nombre de principes qui peuvent être rattachés dans leur ensemble à l’État de droit. Ceux-ci comprennent notamment « la légalité, qui suppose un processus de promulgation des lois qui soit transparent, responsable, démocratique et pluraliste ; la sécurité juridique ; l’interdiction de tout caractère arbitraire des pouvoirs exécutifs ; l’indépendance et l’impartialité des juridictions ; l’examen judiciaire efficace dans le respect intégral des droits fondamentaux ; et l’égalité devant la loi. »

Il existe donc une riche réflexion, structurée en grande partie par la jurisprudence de la CJUE, dont vos rapporteurs estiment qu’elle pourrait alimenter à terme une réécriture des traités à ce sujet.

3.   La nécessaire définition de critères clairs et communs

L’État de droit se traduit notamment par la capacité pour les citoyens d’exercer leur droit à un recours devant des juridictions indépendantes, dotées de l’autorité de la chose jugée. Ces recours varient d’un État à l’autre, tant dans leur appellation que dans leur contenu, mais forment généralement un ensemble de procédures, de mécanismes de contrôle et d’institutions propres à surveiller l’exercice des pouvoirs exécutif et législatif. Il est d’ailleurs intéressant de constater, à ce titre, que les traductions de l’article 2 du TUE font référence dans chaque langue à une tradition nationale spécifique. Ainsi, l’« État de droit » français correspond au « rule of law », au « Rechtstaat » ou au « Estado de Derecho », chacune de ces expressions correspondant à un ensemble de conceptions parfois divergentes.

Si le concept d’État de droit emporte un certain nombre de caractéristiques désormais partagées par tous, qui bénéficient notamment de l’effort conceptuel de la CJUE, vos rapporteurs estiment que l’article 2 du TUE, qui liste l’ensemble des valeurs sur lesquelles se fonde l’Union européenne, peut encore prêter à confusion.

L’article 2 du Traité sur l’Union européenne

L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

Or, les valeurs définies à l’article 2 n’ont pas une portée uniquement théorique, mais aussi très directement pratique et commandent un certain nombre de programmes européens, tels que le mandat d’arrêt européen. Dans le cadre de son avis sur l’adhésion de l’Union européenne à la CEDH, la CJUE explique ainsi que la « construction juridique » de l’Union européenne « repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 du TUE. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre ([32]) ».

Selon la décision-cadre de 2002 fondant le régime du mandat d’arrêt européen, « le mécanisme du mandat d’arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres » et sa mise en œuvre peut donc être suspendue, notamment en cas de violation grave des valeurs de l’Union européenne ([33]).

Les juristes que vos rapporteurs ont rencontrés ont émis de nombreuses critiques envers l’article 2 du TUE, qualifié de fourre-tout, qui ne permet pas de comprendre facilement ce que recouvrent les valeurs qui y sont listées. Ainsi, la démocratie et l’État de droit, tous deux cités dans l’article, sont indissociables. De plus, un certain nombre de principes qui appartiennent à l’État de droit, tels que la justice ou le respect des droits de l’homme, sont inscrits aux côtés de l’État de droit, laissant entendre que ces principes fondamentaux peuvent être distingués les uns des autres. Les articles 2 et 7 de l’actuel TUE pourraient être interprétés comme un effort inachevé vers une identité européenne en la matière.

Vos rapporteurs estiment toutefois que le caractère incomplet du traité dans cette matière ne justifie pas une remise en cause des critères clairs dégagés par la CJUE. Au contraire, dans léventualité dune renégociation des traités, la définition qui se dégage tant de la jurisprudence de la Cour de Luxembourg que des communications de la Commission européenne doit servir de base aux discussions.

Vos rapporteurs estiment donc que la clarification de larticle 2, dans cette perspective, serait à la fois de nature à faciliter son application et à renouveler le consensus des États membres sur ce que signifie le respect des valeurs fondatrices de lUnion européenne.

 


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II.   LEs atteintes manifestes à l’État de droit au sein de l’Union européenne

Le présent rapport ne porte pas sur la légitimité de l’appartenance de tel ou tel membre à l’Union européenne, mais respect de ce bien commun européen que constitue l’État de droit. La Pologne et la Hongrie ont ainsi longtemps été des exemples de la lutte contre l’ancien ordre soviétique, mais aussi, au moment des transitions des pays d’Europe Centrale et Orientale vers leur adhésion à l’UE, comme des modèles démocratiques à suivre ([34]). Par ailleurs, la question du délitement de l’État de droit dépasse de loin le seul cadre européen. Pour Sébastien Touzé, il s’agit d’une tendance de plus en plus affirmée d’États tentés de sortie des mécanismes internationaux, destinés à assurer le respect de l’État de droit. Ainsi, plusieurs États, tels que le Venezuela ou Saint‑Domingue, ont quitté la Cour interaméricaine des droits de l’Homme ([35]).

Les inquiétudes, enfin, ne sont pas le seul fait des institutions européennes. Le think tank « European Stability Initiative » (ESI) a ainsi analysé la situation polonaise comme un cas typique des menaces actuelles contre l’État de droit. Toutefois, « aucun État membre de l’UE ne serait allé aussi loin dans la subjugation de ses cours au pouvoir exécutif » ([36]).

Les violations systémiques de l’État de droit se manifestent de plusieurs manières. Le contrôle par les pouvoirs exécutif et législatif sur le pouvoir judiciaire se fonde sur la négation d’un pouvoir supérieur à celui du législateur, ce qui affecte directement le contrôle de constitutionnalité. La négation de toute forme d’encadrement légitime de la majorité élue contribue à ce que certains chercheurs qualifient d’« État majoritaire ». La majorité élue aurait, dans ce système, mandat pour représenter l’ensemble du peuple. Dès lors, tout contre-pouvoir est interprété comme illégitime et toute forme de limite à l’expression de la majorité comme une atteinte à sa capacité d’appliquer son mandat populaire. Ainsi, « la majorité parlementaire actuelle a exprimé à plusieurs reprises sa forte détermination pour détruire toute possibilité pour les cours indépendantes de contrôler ses actions » ([37]).

Pour vos rapporteurs, les situations en Roumanie, en Pologne et en Hongrie présentent évidemment des spécificités. Ces trois États membres, aux histoires proches mais distinctes, ont des structures judiciaires propres et ne font pas face aux mêmes défis. Les questions relatives à l’État de droit ne relèvent donc en rien d’une forme de fatalité ou d’une corruption inhérente à ces pays, qui serait héritée de la méfiance des populations vis-à-vis du pouvoir communiste.

Mais dans les trois cas, vos rapporteurs ont assisté à un véritable changement de modèle politique, déterminé, systémique, dans lequel les notions de séparation des pouvoirs, d’indépendance de la justice, sont menacées.

A.   les atteintes politiques à l’indépendance du pouvoir judiciaire

1.   La remise en cause du contrôle de constitutionnalité

Dans des États de droit constitutionnel, respectueux de la hiérarchie des normes, la norme suprême commande l’ensemble de la production normative. Ainsi, dès que le Fidesz, allié du KNDP, a obtenu la majorité constituante, en 2010, il a rapidement modifié la Constitution et fait voter 56 lois en trois mois, dont la révision des modalités de nomination des membres du Conseil constitutionnel, réduisant la possibilité pour l’opposition de contester la nomination de l’un de ces membres. La FIDH (Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme) a rapidement dénoncé la remise en cause de la Cour constitutionnelle. Celle-ci a pourtant défini des principes fondamentaux et nourri une riche jurisprudence de nature à préserver l’État de droit en Hongrie ([38]), inscrit à l’article 2 de la Constitution de 1989.

La nouvelle Constitution procède d’abord d’un préambule appuyé sur la « Constitution historique ». Ce terme, qui n’a pas de définition consensuelle, englobe les traditions juridiques hongroises. Si un Préambule peut n’avoir qu’une valeur politique et symbolique, comme en témoignent les mentions du roi Saint-Étienne, de la tradition chrétienne ou encore de la culture et de la langue hongroises, la Loi fondamentale confère à son Préambule une valeur juridique forte. En effet, selon l’article R, paragraphe 3, « les dispositions de la Loi fondamentale doivent être interprétées conformément à la Profession de foi nationale qui y est incorporée, ainsi qu’aux acquis de notre Constitution historique » ([39]). Par ailleurs, la Constitution communiste de 1949 a été déclarée nulle et non avenue. Cette nullité frappe également la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, appuyée jusqu’en 2010 sur la Constitution de 1949 réformée en 1989 ([40]). Ainsi, selon Jean-Pierre Massias, malgré l’excellence de la jurisprudence constitutionnelle qui a accompagné la Hongrie dans sa période de transition, aujourd’hui, « la Cour constitutionnelle ne peut plus se prononcer d’un point de vue matériel, mais uniquement formel ([41]) ».

Les rapports des organisations internationales ont confirmé les inquiétudes de la Commission européenne à ce sujet. Ainsi, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a fait part de ses inquiétudes dans un rapport récent, concernant « le niveau de protection des droits fondamentaux qu’offrent la loi et la pratique en Hongrie, la Loi fondamentale ayant fait l’objet de modifications fréquentes, souvent du fait de lois que la Cour constitutionnelle avait précédemment déclarées inconstitutionnelles ». Le Comité estime notamment que la Hongrie « devrait veiller à ce que le processus d’examen de la constitutionnalité soit efficace et instituer, dans la législation et dans la pratique, des garanties juridiques suffisantes pour assurer la pleine protection des droits consacrés par le Pacte [international relatif aux droits civils et politiques] dans l’ordre juridique interne ([42]) ».

Dans ses observations finales, en date du 5 avril 2018, le Comité constate que, actuellement, il n’y a pas de délai pour examiner la constitutionnalité des lois et que ce contrôle n’a pas d’effet suspensif sur la loi contestée.

En Pologne, selon des sources concordantes issues à la fois de l’examen mené par la Commission européenne et des organes judiciaires eux-mêmes, le Gouvernement a d’abord remis en cause le contrôle de constitutionnalité des lois, suivant en cela la lutte contre « l’impossibilisme légal », selon la formule de Jaroslaw Kaczynski. Faire prévaloir l’action du législateur sur le contrôle de constitutionnalité a d’abord nécessité de paralyser l’action du Tribunal constitutionnel. C’est ainsi qu’on peut analyser la déclaration de M. Kaczynski, de juin 2016 : « le conflit avec le Tribunal constitutionnel est, plus globalement, un conflit sur la question de savoir si les mécanismes démocratiques et les élections sont décisifs pour dessiner la vie publique… ou si le pouvoir resterait dans les mains de corporations professionnelles et de lobbies. »

Dès son accession au pouvoir, le parti « Droit et Justice », le PiS, a contesté la nomination de cinq juges au Tribunal constitutionnel par la majorité précédente. En effet, celle-ci, selon la loi relative au Tribunal constitutionnel entrée en vigueur le 30 août 2015, s’était arrogé le droit de nommer cinq juges, dont deux en remplacement de membres dont le mandat expirait après celui du Sejm, la Chambre basse polonaise. Ainsi que l’a expliqué le vice-ministre des affaires étrangères de Pologne à vos rapporteurs, cette modification des modalités de nomination a été contestée par l’opposition, devenue majorité à l’ouverture de la 8e législature du Sejm le 12 novembre 2015.

La nouvelle majorité a modifié la loi le 19 novembre 2015, en prévoyant la mise en place d’un mandat de trois ans, renouvelable une fois, pour le président du Tribunal constitutionnel et mettant fin au mandat du président sortant et de son vice-président, ainsi que de l’ensemble des cinq juges nommés par la précédente majorité. Or, malgré l’examen d’un recours en constitutionnalité relatif à la loi modifiée ([43]) et des mesures préventives du Tribunal constitutionnel, le nouveau Sejm a procédé à l’élection de cinq nouveaux juges le 2 décembre 2015. Le 3 décembre 2015, le Tribunal constitutionnel a estimé que l’élection de trois des cinq juges nommés par la majorité précédente était conforme à la Constitution et que le Président était dans l’obligation d’entendre leur prestation de serment. Par ailleurs, le Tribunal constitutionnel a pris une décision le 9 décembre 2015 sur la loi du 19 novembre, jugeant notamment que le remplacement des juges dont le mandat s’achevait le 6 novembre 2015, était contraire à la Constitution, de la même manière que la révocation anticipée du mandat du président du Tribunal et de son vice-président.

Enfin, le Sejm a amendé le 22 décembre 2015 la loi relative au Tribunal constitutionnel, en prévoyant notamment que le Tribunal, en formation plénière, devait rendre ses décisions à la majorité des deux tiers et non à la majorité simple, que le Sejm serait saisi de toute décision de révocation anticipée d’un membre et que le Président et le ministre de la justice auraient la faculté d’engager une procédure disciplinaire à l’encontre des membres du Tribunal ([44]).

La possibilité pour le Tribunal constitutionnel de contrôler les amendements du 22 décembre 2015 a été contestée, mais la Commission de Venise a estimé, à raison, que « lorsqu’un simple acte législatif risque de restreindre le contrôle de la constitutionnalité, il doit lui‑même faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité avant qu’il ne puisse être appliqué par la Cour ([45]) ». Malgré cet avis demandé par le Gouvernement polonais et la décision du Tribunal constitutionnel du 9 mars 2016 selon laquelle les amendements du 22 décembre 2015 sont inconstitutionnels, le Gouvernement a refusé de publier cette décision, remettant dès lors entièrement en cause la possibilité d’un contrôle effectif de constitutionnalité. C’est à ce moment-là, selon l’European Stability Initiative, que l’État de droit s’est terminé en Pologne ([46]). De la même manière, le refus de publier les décisions du Tribunal constitutionnel, a été, pour la Commission de Venise, non seulement « contraire à l’État de droit, mais une mesure sans précédent », alors que « non seulement la Constitution polonaise, mais aussi les normes européennes et internationales supposent que les décisions d’une cour constitutionnelle soient respectées ([47]) ».

La loi du 22 juillet 2016 est certes revenue sur la révocation des juges du Tribunal constitutionnel, mais différentes dispositions pourraient contribuer à sa paralysie :

-         la présence obligatoire du procureur général pour toute séance en plénière, sur des affaires jugées particulièrement complexes ;

-         la possibilité pour une minorité de quatre juges de reporter une affaire sur une période de six mois minimum ;

-         le changement des modes de publication des décisions du Conseil constitutionnel, qui doivent passer par une demande auprès du Premier ministre. L’autorité de la chose jugée ne pourrait alors dépendre que du bon vouloir du Gouvernement.

Le mandat du président du Tribunal constitutionnel ayant touché sa fin en décembre 2016, le Président de la République a nommé la présidente suivante, Julia Przylebska, sans contreseing. Cela ne fut possible, comme le rapporte l’European Stability Initiative, que grâce à la loi votée en 2016, qui a modifié le régime d’élection du Président du Tribunal constitutionnel. Plutôt qu’une élection par une assemblée de tous les juges, la loi a créé un poste de « président par intérim », nommé par le Président de la République. Ainsi, une nouvelle présidente du Tribunal fut nommée le 21 décembre 2016, qui, dès le 10 janvier 2017, a obligé le vice-président du Tribunal constitutionnel à prendre le solde de ses congés. Le 24 mars 2017, le vice-président a vu son congé obligatoire prolongé jusqu’à la fin du mois de juin 2017, alors qu’il avait demandé à reprendre son travail de juge du Tribunal à partir du 1er avril 2017. Les trois juges nommés par le parti majoritaire ont été subséquemment validés par le Tribunal constitutionnel, assurant ainsi une majorité au PiS au sein du Tribunal. En juillet 2017, selon le compte de l’European Stability Initiative, neuf des quinze membres du Tribunal constitutionnel avaient été nommés par la majorité actuelle.

Enfin, le ministre de la justice a initié une procédure devant le Tribunal constitutionnel pour que ce dernier examine la régularité de l’élection de trois juges, qui datait de 2010. Dès lors, plus aucun dossier n’a été confié aux juges en question. Pour Jean-Pierre Massias, en Pologne, « la Cour constitutionnelle devient alors un instrument de la majorité ([48]) ».

Ainsi que la Commission l’a relevé dans sa première recommandation ([49]), l’absence d’un véritable contrôle de constitutionnalité suscite d’autant plus d’inquiétudes « qu’un certain nombre d’actes législatifs particulièrement sensibles ont été récemment adoptés par la Diète et qu’ils devraient pouvoir faire l’objet d’un contrôle de constitutionnalité, comme, notamment, une loi sur les médias, une loi portant modification de la loi sur la police et certaines autres lois, une nouvelle loi sur la fonction publique, une loi sur le Conseil national des médias et une nouvelle loi contre le terrorisme ».

Aujourd’hui, selon la Présidente de la Cour Suprême qui a soutenu le Tribunal constitutionnel face à la majorité parlementaire, « plus personne ne saisit le Tribunal constitutionnel, tant il est décrédibilisé (…). Aujourd’hui, il n’y a plus de Tribunal constitutionnel en Pologne ».

En Roumanie, enfin, un certain nombre d’incompatibilités avec un véritable contrôle constitutionnel ont été relevées. Mme Simina Tanasescu, conseillère du Président, a ainsi manifesté sa surprise devant la décision de la Cour constitutionnelle forçant le Président à renvoyer la procureure en chef du parquet anti-corruption, Mme Laura Kövesi. Pour elle, cette décision, entachée de plusieurs irrégularités, signalait à la fois la capture de la Cour constitutionnelle par la majorité parlementaire et une forme de changement de régime qui ne disait pas son nom.

2.   La réorganisation de l’architecture judiciaire

Un ensemble de quatre lois peut être identifié dans le cas polonais pour comprendre la globalité de la réforme judiciaire. Ont successivement été adoptées une loi sur l’École nationale de la magistrature et des procureurs en juin 2017, sur les cours ordinaires en août 2017, sur le Conseil national de la Justice en mars 2018 et sur la Cour suprême en avril 2018.

La première de ces lois permet à des juges auxiliaires d’assumer les tâches de juges de tribunaux de district pour une durée de quatre ans. Ils peuvent, en particulier, exercer la fonction de juge unique. Or, ces juges auxiliaires ne jouissent pas des mêmes garanties d’indépendance que les juges. Leur statut, par exemple, ne dépend pas de la Constitution, mais peut être modifié par simple voie législative ordinaire. La CEDH a convenu que le statut de ces juges ne correspondait pas aux critères du procès impartial tel que défini par l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme ([50]). De plus, le ministre de la justice a une influence considérable sur le déroulé de la carrière des juges auxiliaires, puisqu’il est associé à la procédure de sélection et de nomination de ces juges.

La loi sur l’organisation des juridictions de droit commun a modifié les modalités de révocation et de nomination des présidents de tribunaux, en donnant au ministre de la justice le pouvoir, pendant une période de six mois, de les révoquer ou de les nommer, sans obligation de motivation et sans possibilité pour les instances judiciaires habituelles de bloquer la décision.

Outre l’influence exorbitante qu’un tel pouvoir donne au ministre sur les affaires individuelles sur lesquelles les présidents de juridiction sont amenés à statuer, ainsi que sur les juges aspirant à présider une juridiction, vos rapporteurs ont également noté que ces présidents disposaient d’importants pouvoirs d’organisation. Ils peuvent ainsi réaffecter les juges, dans leurs fonctions de chefs de division ou de chefs de section. Ces réactions en cascade minent donc fortement l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Enfin, le Conseil supérieur de la magistrature (KRS) a lui aussi été modifié, du fait de nouvelles procédures de nomination. Celles-ci sont désormais entièrement contrôlées par la Diète, qui élit l’ensemble des 15 juges, auparavant désignés par leurs pairs. L’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) elle‑même a averti, par le biais de son Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’Homme (BIDDH), sur les risques que représentait la loi sur le Conseil national de la magistrature sur l’indépendance de la justice. Or la Constitution polonaise prévoit, dans son article 186, paragraphe 1, que c’est précisément le Conseil supérieur de la magistrature qui se porte garant de l’indépendance des cours, des tribunaux et des juges.

Le système polonais respectait jusque-là les normes internationales et européennes, telles qu’inscrites, par exemple, dans la recommandation de 2010 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, estimant notamment qu’« au moins la moitié des membres [des conseils de la justice] devraient être des juges choisis par leurs pairs issus de tous les niveaux du pouvoir judiciaire et dans le plein respect du pluralisme au sein du système judiciaire ». Or, la possibilité pour la Diète de renommer l’ensemble des juges se couple avec la fin anticipée des mandats des membres du Conseil avant la promulgation de la loi.

Enfin, la composition interne du KRS renforce la politisation de l’instance, puisqu’il est désormais divisé en deux assemblées : la première réunit une majorité de membres du Parlement et la seconde se compose de juges nommés par ce même Parlement. Dès lors, les juges qui sont membres du KRS se trouveront fortement empêchés d’agir dans leurs fonctions d’évaluation et de nomination des candidats aux postes de juges.

Pour reprendre les termes de Malgorzata Gersdorf, la Présidente de la Cour suprême polonaise, que vos rapporteurs ont rencontrée en Pologne, cette modification a changé radicalement le fonctionnement du Conseil national de la magistrature, dont les nouveaux membres ont été nommés de manière particulièrement opaque. La fin de l’indépendance du KRS a des conséquences globales et immédiates sur l’indépendance de l’ensemble de la magistrature polonaise.

3.   Les risques pour l’autonomie du parquet

Vos rapporteurs ont pu constater sur place que les attaques contre l’indépendance de la justice ne concernaient pas que l’équivalent du siège, mais aussi le parquet. Ainsi, la loi polonaise relative au ministère public, adoptée par la Diète le 28 janvier 2016 et entrée en vigueur le 4 mars de la même année, constitue une des expressions les plus abouties de la soumission du parquet au pouvoir exécutif. La Commission de Venise a relevé de nombreuses inquiétudes à ce sujet.

Les réformes constitutionnelles successives après 1989 ont progressivement fait disparaître le ministère public de la Constitution et la loi de 2009 sur le ministère public a renforcé l’indépendance du parquet. Le procureur général, détaché de la fonction de ministre de la Justice, était alors garant de la protection de la magistrature. Le système de nomination issu d’une première loi datant de 1985 était le suivant : le procureur général était nommé par le Président de la République, parmi les candidats proposés par le Conseil national de la magistrature et le Conseil national des procureurs. Enfin, la loi de 2009 a renforcé l’indépendance des procureurs ordinaires dans la conduite de leurs procédures, puisque les ordres ou directives émanant d’une autorité hiérarchique ne pouvaient interférer avec le contenu des mesures procédurales.

La principale innovation de la loi de 2016 a été de rétablir la fusion entre les postes de ministre de la Justice et de procureur général. Cette refonte s’expliquait, selon le mémorandum envoyé par les autorités polonaises à la Commission de Venise, par les dysfonctionnements antérieurs, tels que l’impossibilité pour le procureur général de gérer efficacement le parquet et le caractère ambigu du ministère public, entre pouvoirs exécutif et judiciaire. Enfin, les autorités polonaises estimaient que le système précédent ne garantissait pas l’absence de pression politique exercée à l’égard du procureur général.

Les dispositions de la loi ont notamment donné au ministre de la Justice ainsi qu’aux procureurs les pouvoirs suivants :

-         tout procureur est tenu d’appliquer les dispositions, directives et ordres d’un procureur supérieur [dont le procureur général, c’est-à-dire le ministre de la Justice] et les ordres concernant le contenu d’un acte relatif à une procédure judiciaire sont donnés par un procureur supérieur sous forme écrite et sont motivés si le procureur subordonné en fait la demande ;

-         un procureur supérieur peut prendre en charge la gestion d’une affaire traitée par des procureurs subordonnés et contrôler les actes de ces derniers, sauf si la loi en dispose autrement ;

-         si un poste de procureur est créé ou devient vacant au sein d’un parquet de district, le procureur général nomme le candidat au poste en question à la suite d’un concours. Toutefois, la même disposition prévoit que dans des cas particulièrement justifiés, le procureur général procède à la nomination sans organiser de concours ;

-         enfin, le ministre de la Justice préside le Conseil national des procureurs.

Cette loi doit se comprendre dans le contexte plus général de modification de l’architecture judiciaire et notamment des pouvoirs de nomination conférés au ministre de la Justice, comme il a été vu. Pour la Commission de Venise, si « les systèmes où le ministère public fait partie de l’exécutif ou lui est subordonné sont conformes aux normes européennes », c’est « à condition qu’ils soient assortis de mesures effectives garantissant l’indépendance et l’autonomie du ministère public et la non-ingérence du gouvernement dans les affaires ». La fusion des postes de ministre de la justice et de procureur général engendre donc trois types de question :

-         l’article 97.1 de la loi de 2016 dispose qu’un procureur en fonction ne peut pas appartenir à un parti politique, ni participer à une quelconque activité politique. Or, la fonction de « procureur général » n’est pas seulement symbolique. L’article 31.1 de la loi confère au procureur général le grade de supérieur immédiat du procureur national ;

-         la nomination du ministre de la Justice obéit à des logiques comparables à celles des autres ministres, soit un vote de confiance du Sejm à la majorité absolue des voix. La Commission de Venise estime que l’absence de commission parlementaire ou d’experts indépendants conduit dès lors à une trop grande politisation de la fonction de procureur général ;

-         l’abaissement des critères de qualification pour être procureur général, destiné à faciliter l’investissement de la fonction par le ministre de la Justice.

Enfin, en vertu de l’article 169 de la loi, le procureur général a le droit d’inspecter les activités des juridictions disciplinaires, peut réprouver les transgressions constatées et exiger des explications ainsi que la réparation des effets de la transgression. Or, la Commission de Venise estime que « ce droit est particulièrement problématique, car il compromet gravement l’indépendance de ces juridictions et, partant, celle des procureurs. »

En conclusion, la Commission de Venise retient que la loi de 2016 n’est en rien un retour à la situation d’avant 2009, mais un « système qui octroie des pouvoirs vastes, sans contrôle, (…) ce qui est inacceptable dans un État de droit, car il peut ouvrir la voie à l’arbitraire ».

Certains interlocuteurs de vos rapporteurs leur ont expliqué que la plupart des procureurs, à de rares et courageuses exceptions près, vivaient dans la peur ou étaient déjà inféodés au parti au pouvoir.

Des échos comparables ont été entendus en Hongrie, où une partie des procureurs refuserait d’initier des procédures, ce qui empêcherait notamment de donner suite à une partie des travaux de l’OLAF. Dès 2015, le GRECO (Groupe d’États contre la corruption) invitait le Gouvernement hongrois à prendre des mesures pour prévenir les abus et accroître l’indépendance du ministère public, notamment en supprimant la possibilité de réélire le procureur général ([51]). Vos rapporteurs s’inquiètent en effet de ce que le procureur général, nommé par le Parlement, puisse intervenir dans les affaires individuelles et peser de tout son poids dans une organisation très hiérarchisée.

En Roumanie, enfin, la situation des procureurs est devenue particulièrement précaire en raison d’un projet de loi qui était en cours d’examen au moment où vos rapporteurs s’y sont rendus. Ainsi que l’a expliqué M. Toader, le Ministre de la Justice ([52]), à vos rapporteurs, l’article 132 de la Constitution roumaine « dispose que les procureurs exercent leur activité sous l’autorité du Ministre de la Justice. » Comme tel, le ministre n’a pas de pouvoir concernant les affaires individuelles, mais peut interroger les procureurs, au motif, toujours selon M. Toader, qu’une instruction est trop longue, que le taux d’acquittement est trop élevé ou encore que tel procureur a un mauvais comportement. Par ailleurs, les articles 52 et 54 de la loi relative aux procureurs disposent que le ministre de la justice peut se saisir de l’action des procureurs en chef selon certains critères et les révoquer.

Le projet de loi en examen visait à renforcer les droits de la défense, de manière disproportionnée, risquant de priver l’instruction de ses capacités d’action. Ainsi, l’article 307 de ce projet de loi aboutissait à garantir au suspect un accès illimité au dossier dès le début de l’instruction, déséquilibrant ainsi le rapport entre les pouvoirs d’enquête et la protection des suspects et privant ainsi d’efficacité de nombreuses procédures en cours.

4.   Le remplacement idéologique des juges

Le paquet législatif relatif au départ à la retraite de juges, travaillant dans les juridictions ordinaires, le Tribunal constitutionnel et la Cour suprême, de 2017, a contribué au déclenchement de l’article 7 à l’encontre de la Pologne.

Les critiques des ONG, comme la Helsinki Foundation of Human Rights, portent sur les méthodes de remplacement des magistrats polonais. La réforme de la loi relative à l’organisation de la justice de droit commun a conféré au Ministre de la justice la possibilité de congédier les présidents et les présidents suppléants de toutes les cours de droit commun du pays sans motif et surtout sans l’avis normalement requis du KRS. Ces dispositions ne s’appliquant que dans un délai de six mois suivant l’entrée en vigueur de la loi ont été mises en œuvre avec diligence et efficacité : la Fondation Helsinki estime que, depuis la promulgation de la loi, 130 à 160 personnes ont été remerciées, sur un total de 372 cours en Pologne ([53]), soit un total d’environ 20 % des présidents et vice-présidents de tribunaux ordinaires et de cours d’appel. Ces remplacements n’ont évidemment pas tous un motif politique ; une partie d’entre eux a une motivation propre au corps lui-même. Mais le mécanisme décrit par la Fondation aboutit à ce que l’impartialité des jugements et la tranquillité d’esprit des magistrats ne reposent que sur la bonne volonté politique.

L’ensemble des mesures destinées à remplacer la génération actuelle de juges par une nouvelle est lié, selon les autorités rencontrées par vos rapporteurs, à la présence de magistrats nommés à l’époque communiste. Le corps de la magistrature n’aurait ainsi pas fait l’objet d’une purge nécessaire dans la phase de transition d’un régime à un autre. Cette sorte de « butte témoin » de l’époque communiste empêcherait les majorités nouvelles de s’exprimer dans leur plénitude. C’est ainsi que le Livre Blanc publié par le Gouvernement polonais en mars 2018 explique que « la magistrature polonaise n’avait jamais rendu compte de son passé communiste. Seule une poignée de juges les plus compromis avaient été chassés en 1990 – la majorité dans les cours communes demeure inaffectée ».

Toutefois, selon l’European Stability Initiative, 81 % des juges de la Cour suprême avaient été révoqués. Des 82 juges de la Cour suprême en 2017, seuls six auraient travaillé pendant l’ère de la loi martiale entre 1981 et 1983, à des degrés mineurs de la magistrature. Vos rapporteurs estiment dans tous les cas que les sanctions générales ne sont pas adaptées aux comportements individuels de certains magistrats dans le régime antérieur. De plus, l’indépendance de la justice et les modalités de contrôle de constitutionnalité correspondaient jusqu’à présent aux standards de l’Union européenne, comme en témoigne le respect des critères de Copenhague au moment de l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne.

Enfin, pour ce qui est des retraites elle-même, la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun ([54]) disposait que le régime de retraite applicable aux juges ordinaires passera de 67 ans à 60 ans pour les femmes et de 67 ans à 65 ans pour les hommes. Le Gouvernement a certes modifié l’inégalité entre les femmes et les hommes sous la pression de la Commission européenne. Mais, en abaissant d’une manière aussi radicale l’âge de départ à la retraite des juges, et en confiant au Ministre la possibilité de statuer sur les demandes de prolongation, le Gouvernement polonais a précipité le départ d’une génération de juges. Cette loi, même modifiée, a déjà produit des effets difficilement réversibles.

L’application de cette logique à la Cour suprême est particulièrement grave. La loi relative à la Cour abaisse l’âge général de départ à la retraite de 70 à 65 ans, ce qui a concerné 37 des 83 membres de la Cour, puisque ceux-ci sont généralement, par définition, en fin de carrière. Cette disposition entraîne une recomposition de la Cour suprême avec des candidats nommés par le Président de la République, sur la recommandation d’un Conseil supérieur de la magistrature, désormais sous l’influence de la Diète. La révocation collective des juges remet enfin en cause à la fois leur indépendance et leur inamovibilité, éléments indissociables de l’État de droit. Les membres de la Cour suprême peuvent faire une demande auprès du Président de la République pour prolonger leur mandat actif. Cette procédure a évidemment un impact direct sur la possibilité pour les juges de prendre des décisions uniquement en leur âme et conscience.

Cette révocation a été mise en place pour des raisons idéologiques. L’exposé des motifs de la loi dispose en effet que la recomposition de la Cour est indispensable, compte tenu de la manière dont la Cour suprême a traité les affaires de « décommunisation » après 1989, et parce qu’il reste des juges à la Cour qui ont travaillé pour le régime précédent ou ont statué sous ce dernier. Mais les doutes sur l’impartialité d’un magistrat devraient relever d’une procédure disciplinaire individualisée, et non d’un abaissement général de l’âge de départ à la retraite.

Cette loi soulève enfin un grave problème de constitutionnalité. Outre la violation de principes constitutionnels tels que la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice, le mandat de la Première présidente est établi dans la Constitution pour six ans. Il doit donc durer normalement jusqu’en 2020. La loi prévoit la nomination d’un « premier président faisant fonction », battant en brèche la sécurité juridique du mandat.

Mme Malgorzata Gersdorf est entrée, le 3 juillet 2018, date de la mise en œuvre de la loi, en résistance. Elle peut compter sur le soutien de vos rapporteurs.

La mise en œuvre de la loi a par ailleurs entraîné le lancement d’une procédure d’infraction par la Commission européenne. Faute de réponse satisfaisante le 14 septembre 2018, la Commission européenne a décidé de saisir la CJUE de laffaire.

Cette tentative de remplacement générationnel n’est pas isolée, puisque le Gouvernement roumain a également modifié l’âge de départ à la retraite des magistrats. Ainsi que l’a expliqué Mme Simina Tanasescu, le départ à la retraite était auparavant conditionné à une ancienneté de 25 ans. Si la limite était fixée à 65 ans, un juge pouvait partir à taux plein à 55 ans. La réforme actuelle introduit un décalage de 5 ans dans le système, qui passe à une fourchette entre 45 ans et 60 ans. Cela s’ajoute au doublement, voire triplement de la période de stage initial. Le niveau attractif des retraites achève de désorganiser les ressources humaines de l’ensemble de la magistrature et à faire disparaître progressivement les magistrats d’expérience.

La modification de l’âge de départ à la retraite a toutefois entraîné une contestation par voie de pétition de 4 000 magistrats, dont 3 000 juges et 1 000 procureurs.

De la même manière, la CJUE avait estimé dans son arrêt du 6 novembre 2012 ([55]) que le régime de retraite adopté par le gouvernement hongrois concernant la cessation de l’activité professionnelle des juges, des procureurs et des notaires, à 62 ans, contrevenait aux obligations de la Hongrie au regard du droit de l’Union. Une loi de 2013 a corrigé la situation, ce dont la Commission européenne a pris acte. Il demeure que cette loi a aussi eu des effets irréversibles liés au remplacement des juges partis antérieurement à la retraite ([56]).

5.   Le contrôle politique des carrières de magistrats

Le contrôle de la carrière des magistrats passe donc par les politiques d’abaissement de l’âge de la retraite mais aussi par le contrôle des modalités de nomination et des procédures disciplinaires.

Malgré la réforme de la loi sur les juridictions ordinaires en Pologne, les institutions européennes ont continué à exprimer leur inquiétude quant à l’irréversibilité des décisions prises antérieurement. De plus, le ministre de la justice peut toujours révoquer un président de Cour, sauf opposition d’une majorité des deux tiers du Conseil national de la magistrature. Bien que les autorités polonaises aient expliqué à vos rapporteurs que le rôle de président des cours ordinaires se limite à l’organisation administrative des tribunaux, ce dernier peut décider de la charge de travail ou encore de l’affectation des adjoints. Son rôle dans le maintien d’une magistrature de qualité n’est donc pas négligeable.

Certains interlocuteurs ont certes exposé les capacités de résistance des magistrats, en citant des exemples de nomination motivée politiquement de présidents de cours ordinaires, pour lesquelles il n’a pas été possible de recruter de vice-présidents. Ces exemples, ponctuels, ne sauraient toutefois cacher la fragilisation de l’ensemble du système judiciaire.

La Cour suprême polonaise

La loi d’avril 2018 a tenté de modifier entièrement la composition de la Cour suprême, puisque 40 % des juges ont été forcés de prendre leur retraite avant le 3 juillet 2018.

Dans le même temps, un certain nombre de juges doivent être nommés dans deux nouvelles Chambres dans la Cour suprême. Le remplacement pourrait atteindre au total 70 des 120 membres de la Cour suprême. Or, les deux nouvelles chambres vont avoir des rôles cruciaux : l’une sera responsable des actions disciplinaires à l’encontre de l’ensemble des juges et l’autre doit statuer sur les procédures du nouvel appel extraordinaire et sur les élections. De plus, l’ensemble de ces juges seront nommés par le biais du Conseil national de la Justice, sur lequel pèsent de sérieux soupçons de partialité, compte tenu de sa composition actuelle.

Par ailleurs, des personnes pourront être choisies par le Sénat pour siéger dans ces nouvelles chambres, sans pour autant être des magistrats. Ils vont pourtant être amenés à statuer sur les élections présidentielles, législatives ou encore la validité des référendums.

La nouvelle chambre disciplinaire, dont une partie des membres ne sera pas des magistrats, pourrait constituer une arme de pression plus forte encore pour le Gouvernement sur la magistrature.

La modification de la composition des organes de nomination, tels que le Conseil national de la magistrature polonais (KRS), a évidemment des conséquences directes sur le régime disciplinaire auxquels les magistrats sont soumis. Le Conseil a un rôle déterminant dans l’évolution des carrières judiciaires. Il a un rôle direct sur la promotion, la mutation et les procédures disciplinaires à leur égard, ainsi que sur leur révocation et leur départ à la retraite anticipée.

La réaction de la magistrature face à la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, est toutefois un signe encourageant de sa résistance. Ainsi, sur 10 000 juges, seuls 18 se sont portés candidats pour les 15 postes de membre du nouveau Conseil. Cette procédure a également abouti à la suspension du KRS du réseau européen des conseils de justice, en septembre 2018.

Pour ce qui est de la Hongrie, ainsi que l’expose le rapport de Judith Sargentini (Eurodéputée, Verts/Alliance libre européenne, Pays‑Bas), l’indépendance de la justice repose sur le Conseil national de la justice (OBH) ([57]). Toutefois, le président de l’Office national de la justice (OBT), nommé par le Parlement, dispose de pouvoirs importants, dont la capacité de transférer et d’affecter des juges. Il intervient également dans les procédures disciplinaires. Les interlocuteurs de vos rapporteurs ont toutefois surtout fait état d’un conflit entre les deux organes, sans pointer un risque grave et immédiat sur l’indépendance de la justice.

En Pologne, par ailleurs, en vertu du paragraphe 9 de l’article 144 de la loi sur l’organisation des cours ordinaires, le Ministre de la justice peut désormais influencer les mécanismes disciplinaires. Il peut s’opposer à la décision d’un représentant du pouvoir disciplinaire de ne pas engager d’action à l’encontre d’un magistrat, exerçant de facto une forme de pouvoir d’injonction. Il peut également nommer un procureur spécial dans les matières disciplinaires, qui pourrait recevoir des instructions spécifiques du Ministre. La nouvelle loi sur la Cour suprême du 3 avril 2018 donne également au ministre la possibilité de nommer l’ensemble de la formation de première instance en matière disciplinaire. Enfin, les magistrats jugés coupables ne pourront faire appel qu’auprès de la Cour suprême, dans la nouvelle chambre évoquée ci-dessus, qui comprendra notamment des civils élus par le Sénat n’ayant potentiellement aucune expérience ni connaissance juridique.

C’est donc l’ensemble de l’architecture judiciaire qui se trouve menacée en Pologne, du fait de ce paquet législatif de 2017-2018, mais vos rapporteurs tiennent à faire part de leurs craintes quant aux évolutions à ce sujet en Hongrie et en Roumanie également.

B.   Les atteintes au pluralisme

1.   Les entraves aux médias indépendants

La question de la liberté d’expression a attiré à plusieurs reprises l’attention de vos rapporteurs, au cours de leur déplacement. La situation des médias en Hongrie, ainsi, a fait l’objet de constats alarmants depuis 2010. Ainsi, le rapporteur spécial auprès de l’ONU, Michel Forst, a déploré le « paquet » sur la réforme des médias, composé de deux lois promulguées en 2010 ([58]). En s’appuyant sur le constat de rapporteurs spéciaux issus d’autres organisations internationales, telles que le Conseil de l’Europe ou l’OSCE, le rapporteur a notamment critiqué l’impact cumulatif issu de la réorganisation des médias. Aujourd’hui, une seule autorité publique, le Conseil des médias, se charge de la régulation des contenus, mais aussi de la nomination de l’ensemble des directeurs exécutifs des médias publics.

Or, ainsi que l’a exprimé la Commission de Venise, « l’essence de la gouvernance démocratique ne réside pas seulement dans la volonté politique du peuple, telle qu’exprimée à travers des élections législatives libres et équitables dotant un pays d’un gouvernement légitimement élu. Elle tient aussi à l’existence d’un espace démocratique ouvert aux minorités et aux points de vue différents ([59]) ».

À l’occasion des dernières élections tenues en Hongrie, en avril 2018, le BIDDH de l’OSCE a constaté que l’accès à l’information ainsi que la liberté des médias et la liberté d’association avaient été limités. Le retrait de nombreux médias internationaux a abouti à une concentration des médias entre les mains d’entrepreneurs proches du parti au pouvoir, qui limite d’autant la vitalité de l’espace public et la possibilité de mener une forme de journalisme critique ([60]). La presse régionale est elle aussi largement contrôlée par des personnalités proches du Gouvernement. Les médias « neutres » ont été progressivement rachetés par des proches du pouvoir, tandis que certains journaux sont financés à hauteur de 90 % par des espaces publicitaires d’origine gouvernementale. Pour certains des interlocuteurs hongrois rencontrés par vos rapporteurs, 80 % des médias sont contrôlés par des personnalités proches du pouvoir. Les seuls espaces de liberté d’expression qui demeurent seraient donc à chercher soit dans les portails internet en ligne, soit dans quelques organes de presse qui perdent toutefois de plus en plus de lecteurs.

2.   Des médias publics en position quasiment monopolistique qui relaient la parole du pouvoir

Ces tendances monopolistiques sont doublées d’une mainmise du Gouvernement sur les médias publics, en Hongrie notamment. C’est ce qu’a dénoncé le BIDDH dans le rapport précité. En effet, pour ce qui est du contrôle des médias eux-mêmes, la loi votée en 2012 a instauré un Conseil supérieur des médias dont les membres sont nommés par le Parlement. Par ailleurs, l’agence de presse MTI, devenue aujourd’hui Duna, joue un rôle clé dans la distribution de l’information aux médias publics. C’est ainsi qu’un tiers des radios retransmettent in extenso les bulletins d’information issus de cette agence de presse. Pour compléter le système, l’agence Duna est adossée à une fondation, la Médiaszolgáltatás-támogató és Vagyonkezelő Alap (MTVA) qui gère son budget, produit son contenu et agit comme son prestataire technique. Or, le directeur de la MTVA est nommé par le Président du Conseil des Médias, sans compétition ouverte entre candidats. Pour l’OSCE, « la politisation des modalités d’acquisition des médias, un cadre législatif restrictif et l’absence d’un corps de régulation des médias indépendant a restreint la liberté éditoriale et empêché les électeurs d’accéder à une information pluraliste ([61]) ».

Les interlocuteurs polonais rencontrés par vos rapporteurs ont également fait état de la partialité des médias publics, ainsi que des campagnes visant à diffamer les juges et soutenir les réformes gouvernementales. Ces attaques des médias publics ont toutefois pu, paradoxalement, attirer l’attention des médias indépendants sur la situation des tribunaux.

La situation en Roumanie, où là aussi les liens entre la télévision publique et les médias laissent craindre un biais dans le traitement de l’information, a également inquiété vos rapporteurs. Une chaîne d’information comme Antena 3, par exemple, serait peu protégée contre les risques de propager des fausses nouvelles. Les liens entre la chaîne et le gouvernement social-démocrate actuellement au pouvoir, la maire actuelle de Budapest étant une ancienne journaliste d’Antena 3, participeraient de cette crainte de détournement de l’information. Les situations sont d’autant plus problématiques que les populations rurales ou habitant des régions difficilement accessibles n’ont que de faibles moyens pour accéder à des médias alternatifs à la télévision ou la radio.

3.   Des campagnes gouvernementales de grande envergure

Sous ses différentes formes, les entraves à la libre information qui se manifestent dans les trois États membres où vos rapporteurs se sont déplacés sont renforcées par des campagnes de grande ampleur ciblant, en Hongrie notamment, des groupes identifiés comme hostiles à l’action gouvernementale. Il en est allé ainsi de la consultation nationale dite « Stop SOROS », visant à associer la politique migratoire de l’Union européenne et M. Georges Soros, cible prioritaire du régime. La consultation, tenue à l’automne 2017, a été promue par de grands panneaux dénonçant l’influence de M. Soros sur les politiques européennes en général.

En Pologne, par ailleurs, des interlocuteurs de vos rapporteurs leur ont expliqué que la Fondation nationale, organisation publique, a dépensé quatre millions d’euros pour une campagne destinée à noircir l’image des juges polonais et appuyer implicitement la réforme de la justice. Des personnes auditionnées ont dénoncé des panneaux installés le long des routes qui demandaient ainsi aux citoyens « Voulez-vous encore des juges corrompus ? » L’ensemble de la profession a donc été visée par ces actions de propagande publique.

Le contrôle de l’information, notamment en lien avec les échéances électorales, fait partie de ce que de nombreux chercheurs appellent la capture de l’espace public, aboutissant à terme à réduire à sa plus stricte expression l’espace de l’opposition. Là aussi, sous l’apparence du maintien d’un constitutionnalisme légal, les brèches dans les principes de l’État de droit sont évidentes. Celles-ci servent un projet spécifique, celui d’une souveraineté nationale exacerbée.

4.   Les violations de la liberté académique

Pour vos rapporteurs, l’existence d’écoles et d’universités où puissent se tenir des discours pluralistes, dans les limites traditionnelles de la liberté d’expression, participe de la diversité d’information et de la formation d’esprits critiques nécessaires au bon fonctionnement démocratique.

C’est à ce titre qu’ils se sont intéressés à cette liberté particulière dans le cadre du présent rapport, notamment en raison des lois hongroises sur l’enseignement supérieur. La loi XXV du 4 avril 2017 portant modification de la loi CCIV de 2011 sur l’enseignement supérieur a fait l’objet d’un avis de la Commission de Venise ([62]), qui y a rappelé que la remise en cause, sans raison véritablement fondée, de la capacité d’universités étrangères implantées depuis des dizaines d’années à dispenser des cours sur le territoire national, peut poser un grave problème sur le plan de l’État de droit.

La Commission européenne elle-même a cité la Hongrie devant la CJUE, le 7 décembre 2017, au motif que la loi restreignait la liberté de fonctionnement des universités de l’Union européenne et de l’étranger, de manière disproportionnée, notamment au regard de la liberté académique, du droit à l’éducation et de la liberté d’entreprise, toutes libertés inscrites dans la Charte des droits fondamentaux.

Les interlocuteurs de vos rapporteurs ont expliqué que cette loi visait avant tout l’Université d’Europe Centrale, fondée par M. George Soros, dénoncé comme un ennemi du peuple hongrois par le Gouvernement. Son recteur, Michael Ignatieff, a pourtant déclaré s’être mis en conformité avec la nouvelle loi, en particulier via une accréditation dans l’État de New York, afin de pouvoir continuer à délivrer des diplômes de droit américain. Cette université présente depuis 26 ans sur le sol hongrois est toutefois encore en attente de la décision d’agrément du Gouvernement.

Vos rapporteurs estiment, au regard des rapports produits par la Commission de Venise à ce sujet, que la liberté académique fait effectivement partie de droits fondamentaux qu’il revient à un État membre de l’Union européenne de protéger. Ils resteront donc attentifs à l’évolution de la situation de l’Université d’Europe Centrale, en espérant qu’elle puisse continuer à fonctionner selon les mêmes modalités qu’auparavant et donc de participer à la vie intellectuelle hongroise.

C.   L’instrumentalisation de l’identité nationale

1.   La dichotomie entre une population majoritairement pro-européenne et des gouvernements nationalistes

Vos rapporteurs ont été frappés – et heureux – de constater l’unanimité des sentiments pro-européens qui animent la plus grande partie de la population en Pologne, en Hongrie et en Roumanie. L’adhésion populaire à l’Union européenne a été estimée à 80 % en Pologne et en Hongrie tandis que le dernier Eurobaromètre faisait état d’une augmentation de 11 % de bonnes opinions sur l’Union européenne en Roumanie.

L’attachement des peuples au projet européen dans ces États membres s’explique par de nombreuses raisons, parmi lesquelles le souvenir du régime précédent s’efface petit à petit, notamment auprès des plus jeunes. Les liens que de nombreuses familles ont désormais tissés avec d’autres États membres de l’Union européenne constituent également un facteur explicatif. Les jeunesses roumaines, hongroises et polonaises font partie des plus mobiles au sein de l’Union européenne, créant des diasporas très actives sur le continent. Mme Raluca Alexandrescu, maître de conférences à l’Université de Bucarest, a ainsi estimé qu’il y avait plus d’un million de Roumains en Espagne, 800 000 en Italie, 400 000 au Royaume‑Uni et 350 000 en France. De la même manière, plus d’un million de Polonais vivraient ailleurs qu’en Pologne, au sein de l’Union européenne, tandis qu’une grande partie de la jeunesse hongroise vit à l’étranger, créant dès lors un manque précieux de main-d’œuvre qualifiée dans leur pays d’origine.

Les autorités publiques sont également sensibles à l’apport des fonds européens, notamment dans le cadre de la politique de cohésion. À ce titre, par exemple, la Pologne a bénéficié d’environ 86 milliards d’euros au sein de l’actuel Cadre Financier Pluriannuel, de 2014 à 2020, alors que la Hongrie a reçu l’équivalent de 3 % de son PIB.

L’adhésion globale au projet européen n’est toutefois pas exempte d’ambiguïté. Les interlocuteurs de vos rapporteurs leur ont décrit une forme d’adhésion bifide. Ainsi, en Roumanie, pour Mme Angela Cristea, représentante de la Commission européenne sur place, il existe un double discours. Si les Roumains louent globalement le projet européen et leur appartenance à l’Union, les institutions européennes font l’objet de critiques plus acerbes. Ainsi, malgré l’efficacité partielle du Mécanisme de Coopération et de Vérification(MCV), cet outil a été souvent remis en cause, de manière transpartisane.

 

Le mécanisme de coopération et de vérification (MCV)

 La mise en place d’un Mécanisme de Coopération et de Vérification (MCV) en 2007, au moment de l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne, s’explique par les nombreuses failles identifiées à l’époque dans l’organisation judiciaire et la lutte contre la corruption et la criminalité organisée.

 La Commission européenne a donc établi en 2006, dans une Décision, les critères de référence visant à évaluer les progrès réalisés par les deux États membres. Le mécanisme proprement dit se fonde sur un dialogue entre les services de la Commission européenne et les autorités publiques roumaines et bulgares, qui aboutissent à des rapports réguliers évaluant la situation. Chaque rapport est ensuite examiné au Conseil.

 Les critères relatifs à la Roumanie portent en particulier sur l’efficacité et la transparence du système judiciaire, la protection des institutions clés dans des domaines tels que l’intégrité et la lutte contre la corruption à tous les niveaux, ainsi que la prévention de la corruption.

 Malgré plusieurs tentatives de mettre fin au mécanisme, les personnes rencontrées en Roumanie ont fait part à vos rapporteurs des reculs en matière de lutte contre la corruption, qui ne permettaient pas encore de mettre fin au MCV.

La défiance envers les institutions européennes est largement encouragée par les autorités publiques, en Hongrie notamment. Le discours des autorités publiques, et notamment de M. Orbán, ne vise en aucun cas une sortie de l’Union européenne. L’économie hongroise bénéficie en effet largement de l’existence du marché unique, comme en témoignent les nombreuses implantations d’usines allemandes sur le territoire. L’une des dernières grandes campagnes publiques auprès de la population s’intitulait toutefois « Stop Bruxelles ! » et rejetait en particulier le système de quotas obligatoires de relocalisation des réfugiés au sein de l’Union européenne.

Dans le cadre du dialogue renforcé sur l’État de droit, la Commission européenne, et plus particulièrement son premier vice-président, M. Frans Timmermans, ont eu à affronter de violentes attaques, remettant en cause leur légitimité. Le soutien d’une partie des États membres à l’activation de l’article 7 et au dialogue constructif qui s’en est suivi n’a pas pu faire disparaître le procès en technocratie qu’ont subi les institutions européennes.

En Roumanie, enfin, la représentante de la Commission européenne a fait part à vos rapporteurs de sa détresse en constatant le retour en arrière qui imprègne une partie des discours. Le mécanisme du MCV est certes ressenti comme ayant contribué activement à la lutte contre la corruption, mais la Commission européenne est désormais une cible facile pour le gouvernement roumain.

Vos rapporteurs ont enfin recueilli de leurs entretiens avec les autorités publiques leur profond sentiment d’un « double standard ». Les autorités polonaises, notamment, ont voulu démontrer que leur réforme de la justice s’apparentait à ce qui avait pu se faire dans d’autres États membres, comme en témoignait d’ailleurs le Livre Blanc communiqué aux autres États membres et à la Commission européenne en mars 2018. L’idée sous-jacente est qu’on pardonnerait moins aux nouveaux États membres leur réforme judiciaire du fait de la méfiance initiale qu’ils inspireraient aux anciens États membres et aux institutions européennes.

Plus largement, des facteurs communs à l’expérience de plusieurs pays d’Europe centrale peuvent expliquer ce que Jacques Rupnik qualifie de régression démocratique. Selon lui, « la thèse la plus répandue est celle d’une société divisée entre les gagnants et les perdants de la transition post‑1989. Elle met en lumière la répartition inégale des bénéfices de la croissance économique, et plus généralement, le contraste entre les grandes villes, les diplômés et la jeunesse, tous trois favorables à l’orientation libérale qui a prévalu ces deux dernières décennies, et un électorat plus rural, à la fois moins éduqué et plus âgé. ([63])  » Ce constat, que partagent vos rapporteurs, a entraîné le retour d’un nationalisme fort, fondé sur une identité figée.

2.   La construction d’une singularité nationale isolationniste

La fermeture de la démocratie hongroise a été annoncée par M. Orbán lui‑même, le 28 janvier 2017 : « Une nouvelle ère frappe à la porte. Une nouvelle ère de la pensée politique, car les gens veulent des sociétés démocratiques et non des sociétés ouvertes ». Si la mise en place d’une société fermée et homogène n’est pas contradictoire en soi avec les principes de l’État de droit, le ressort nationaliste sur lequel s’appuient les gouvernements hongrois et polonais sous-tend les attaques systémiques à l’État de droit. En particulier, l’opposition au gouvernement est rapidement assimilée à une posture antipatriotique, telle qu’elle a pu apparaître dans la mise en scène des liens de l’opposition hongroise avec G. Soros.

L’affirmation d’une souveraineté singulière passe par des références constantes à un passé parfois mythifié. Dans son analyse du souverainisme obsidional de M. Orbán, Paul Gradavohl analyse la « profession de foi nationale » qui constitue un préambule à la nouvelle Constitution hongroise. Celle-ci « s’ouvre sur une sorte de catalogue des sources de fierté « historique » et se clôt sur l’affirmation que les générations à venir « rendront à nouveau la Hongrie grande » – référence à peine voilée à la Grande Hongrie, qui réunissait le bassin formé par les Carpates. ([64]) » On retrouve une forme de réécriture du passé en Pologne, comme en témoignent les lois mémorielles votées en 2018 relatives aux camps d’extermination situés en Pologne pendant la Seconde Guerre Mondiale.

C’est dans ce même esprit que l’on peut interpréter un amendement constitutionnel voté en juin 2018 visant à ce qu’aucune « population étrangère » ne puisse s’installer en Hongrie. La majorité qualifiée dont dispose le gouvernement hongrois lui a permis d’inscrire dans le marbre constitutionnel son opposition à la relocalisation obligatoire des réfugiés. Le projet du gouvernement est de conserver une population homogène, dont les limites sont parfois floues, puisque la diaspora hongroise habitant dans les pays limitrophes bénéficie désormais d’un passeport hongrois et de nombreux droits civiques, à commencer par le droit de vote.

Enfin, les défenseurs des droits humains ont été accusés d’être politiquement motivés. Les attaques du Gouvernement hongrois à l’encontre des ONG travaillant sur le territoire national ont pris plusieurs formes. Plusieurs organisations internationales se sont d’abord inquiétées de la rhétorique agressive employée à l’encontre des ONG, ainsi que du cadre juridique restreignant l’exercice des libertés fondamentales.

Par la suite, en décembre 2017, la Commission a enclenché une procédure judiciaire contre le Gouvernement hongrois, en raison de manquements aux obligations qui lui incombent en vertu des stipulations du traité relatives à la libre circulation des capitaux, du fait de la loi adoptée le 13 juin 2017. Celle-ci limiterait, selon la Commission, les dons aux ONG issus de l’étranger de manière disproportionnée.

Mais c’est surtout la loi relative aux ONG de l’été 2018 qui a restreint fortement la liberté des organes et personnes agissant en faveur de la protection des droits de l’homme. Le projet de loi relatif à la lutte contre l’immigration clandestine a été présenté le 29 mai 2018. Malgré les mises en garde du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, le projet a été adopté le 20 juin 2018. Celui-ci contient notamment l’introduction d’une taxe de 25 % sur le financement des ONG issu de personnes morales ou physiques étrangères. La fondation Open Society a également indiqué, dans son analyse de juillet 2018 ([65]), que les dispositions nouvelles du Code pénal aboutissaient à criminaliser les « activités organisées » destinées à aider les demandeurs d’asile à exercer leurs droits, pour débuter une procédure de demande d’asile ou obtenir un permis de séjour. Ce nouveau délit s’attache à l’aide individuelle, mais aussi à la préparation ou la distribution d’informations relatives à ces droits.

La remise en cause du pouvoir judiciaire, la capture des cours ordinaires comme des cours constitutionnelles, la faible diversité d’informations et les attaques contre les défenseurs des droits de l’homme ont un impact certain sur la capacité de la société civile à se mobiliser.

D.   Des sociétés polarisées

1.   Des sociétés civiles résistantes…

L’été 2018 a confirmé l’impression de vos rapporteurs au cours de leurs déplacements : les sociétés civiles d’Europe centrale et orientale sont susceptibles de réagir avec vigueur aux atteintes à l’État de droit. Les trois nuits de manifestation à Bucarest, du 10 au 12 août, à la suite de la destitution de Mme Laura Codruța Kövesi de la tête de la Direction nationale anticorruption, démontrent l’attention de la société civile envers les questions de corruption. De la même manière, plus de 10 000 Polonais ont manifesté contre les réformes relatives au Tribunal constitutionnel polonais. Plus globalement, selon les représentants de l’opposition, on recense plus de 13 500 réunions publiques ou manifestations entre le 1er janvier 2016 et le mois de décembre 2017. Selon eux, il n’y a pas eu une telle mobilisation depuis 1989, attestant par-là même d’une forte opposition dans la rue aux réformes amenuisant l’État de droit.

Cette dimension est cruciale, et a grandement motivé les déplacements de vos rapporteurs sur place. En effet, « le principal obstacle à la poussée des populismes et nationalismes en Europe du Centre-Est ne peut venir que de l’intérieur. La capacité de mobilisation de la société civile (…) est le vrai contrepoids à la tentation populiste. Elle pose la question de savoir dans quelle mesure les sociétés des pays d’Europe centrale ont, au cours des deux premières décennies de leur transition à la démocratie, accumulé des « anticorps », des capacités de résistance aux dérives autoritaires ([66]). »

Toutefois, vos rapporteurs ont rencontré des interlocuteurs qui leur ont fait part d’une vision plus pessimiste de l’activisme de la société civile. Ainsi, en Hongrie, la divulgation dans de nombreux médias des affaires de corruption touchant des proches du pouvoir n’avait pas empêché la victoire écrasante du Fidesz aux élections d’avril 2018. La société civile a été décrite comme « apathique » et « résignée », habituée aux scandales de corruption et fataliste quant à la qualité de l’ensemble du personnel politique.

Cette résignation peut s’expliquer par le discours des autorités publiques, puisque, ainsi que l’ont expliqué les représentants de l’opposition polonaise, le Gouvernement estime que « la volonté de la majorité est supérieure à la Constitution, aux obligations internationales ». De la même manière, en Hongrie, « l’opposition politique étant faible et divisée, le pouvoir cible ceux qui en prenaient le relais, à savoir les organisations de la société civile contraintes ([67]) ». Cela caractérise ce que Kim Lane Scheppele qualifie d’« État majoritaire » ([68]).

2.   … face au discours légitimiste de la « tyrannie majoritaire »

Le régime constitutionnel libéral se caractérise normalement par sa capacité à ménager une alternance sans que celle-ci ne se traduise par l’écrasement de l’ancienne majorité par la nouvelle. En d’autres termes, la Constitution doit notamment servir à renouveler les majorités, au risque de frustrer temporairement la majorité actuelle. Celle-ci, malgré le mandat qu’elle tient du peuple, doit en effet respecter la norme constitutionnelle, dût‑elle entrer en contradiction directe avec les promesses faites pendant les élections.

Or, il s’agit précisément de ce que le PiS, en Pologne, a rapidement rejeté, via l’expression d’« impossibilisme légal ». Pour les représentants de l’opposition en Pologne, le Gouvernement fait tout pour aller à l’encontre de la Constitution. Ce qui distingue en effet la situation polonaise de la situation hongroise réside dans l’absence de majorité constituante. Dès lors, la majorité parlementaire et le Gouvernement ont plutôt modifié le fonctionnement du contrôle de constitutionnalité plutôt que la Constitution elle-même.

L’ESI (European Stability initiative([69]) s’est interrogée sur la facilité avec laquelle le PiS a pu changer rapidement la composition des organes judiciaires, malgré les protestations initiales du Tribunal constitutionnel, de la Cour suprême ou du Conseil national de la magistrature. Ces trois instances ont ou vont subir un changement dans leur composition ; même si le Médiateur continue d’exprimer ses inquiétudes sur l’État de droit en Pologne. Cette opposition interne a toutefois été réduite en vertu du fait, selon l’ESI, que toute forme de critique sur le pouvoir actuel est rejetée sur le thème de la trahison et de l’antipatriotisme.

Ainsi que l’a résumé la Présidente de la Cour Suprême, Malgorzata Gersdorf, toutes les justifications aux réformes de la justice s’appuient sur l’idée que les représentants du peuple souverain l’auraient décidé, y compris en l’absence de majorité constitutionnelle. Selon elle, la majorité simple parlementaire s’est érigée d’elle‑même en Constituante.

Cette évolution vers des États majoritaires est inquiétante à de nombreux titres, tout d’abord en ce qu’elle remet en cause des principes fondamentaux de l’État de droit et de la démocratie, tels que le respect de la hiérarchie des normes et de la possibilité d’une alternative crédible au parti au pouvoir. Mais la volonté de conserver une population homogène, doublée d’une démarche uniquement majoritaire, pourrait aboutir à des risques pour certaines minorités, sociales ou ethniques, vivant sous ces régimes.

Vos rapporteurs estiment que l’ensemble de ces violations de l’État de droit dessinent un paysage très inquiétant et constituent une remise en cause systémique des valeurs inscrites à l’article 2 du TUE. Ce retour en arrière ([70]) d’États membres de l’Union européenne à un point où le bon fonctionnement du droit européen lui-même est remis en question est inacceptable. Ils en appellent donc à une réponse européenne vigoureuse, efficace et rapide, qui puisse pallier les déficiences actuelles.


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III.   Des mécanismes imparfaits pour la sauvegarde de l’État de droit au sein de l’Union européenne

A.   Les insuffisances propres à l’article 7

1.   Un dialogue précontentieux

a.   La structuration du dialogue entre la Commission européenne et la Pologne

Les menaces sur l’État de droit accumulées depuis 2010 ont incité la Commission européenne à trouver de nouveaux moyens efficaces et contraignants pour éviter des dérives irrémédiables. Entre l’article 7 peu praticable et les procédures d’infraction trop spécifiques, la Commission a proposé un nouvel instrument adopté en mars 2014, dans sa communication « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’État de droit ». Outre le rappel que l’État de droit est l’un des principes qui découlent de la tradition constitutionnelle des États membres, il y est inscrit que l’Union européenne est fondée sur une confiance mutuelle entre les États membres et entre leurs systèmes juridiques respectifs. L’objectif de ce cadre était de prévenir l’apparition d’une menace systémique pour l’État de droit grâce à un dialogue en amont.

Le processus est structuré en trois étapes, afin de préserver un dialogue aussi constructif que possible avec l’État membre concerné :

-         une première phase d’évaluation où la Commission estime s’il y a des indications claires d’un risque systémique de brèche à l’État de droit, dans ce cas, un avis sur l’État de droit est envoyé au gouvernement concerné ;

-         si aucune action appropriée n’est entreprise, la Commission peut émettre une recommandation, qui peut inclure des suggestions spécifiques quant aux mesures à prendre pour résoudre la situation dans un délai fixe ;

-         enfin, dans la phase de suivi, la Commission surveille la manière dont l’État met en place lesdites mesures.

Description : A rule of law framework for the European Union

Source : Commission européenne.

Si les mesures prises ne la satisfont pas, la Commission se réserve la possibilité d’un recours discrétionnaire à l’article 7. Cela explique en grande partie l’usage du nom informel de « pré-article 7 ».

Bien que destiné avant tout à la situation hongroise, les actions du PiS ont conduit la Commission européenne à activer ce nouveau mécanisme à l’encontre de la Pologne dès le 13 janvier 2016. Cette activation a été justifiée par les risques portant sur le non-respect des décisions du Tribunal constitutionnel, ainsi que la loi sur les médias. Dans un discours tenu le même jour, le Commissaire Timmermans a rappelé la nécessité de respecter les critères de l’État de droit définis dans le « nouveau cadre de l’UE ».

Malgré l’émission d’un avis, adopté le 1er juin 2016, l’absence de réponse des autorités polonaises a conduit à l’adoption d’une première recommandation le 27 juillet 2016. La Commission européenne, qui s’est alors définie comme « chargée non seulement d’assurer le respect du droit de l’Union, mais également de garantir les valeurs fondamentales de l’Union avec le Parlement européen, les États membres et le Conseil ([71]) », s’est concentrée avant tout sur les évolutions relatives au Tribunal constitutionnel. Ses inquiétudes portaient sur le différend politique et juridique concernant la composition du Tribunal constitutionnel, l’absence de publication des décisions rendues par ce dernier, ainsi que la révision de la loi relative au Tribunal constitutionnel et son incidence sur l’efficacité du contrôle de constitutionnalité de la nouvelle législation suscitent des inquiétudes quant au respect de l’État de droit. Dès lors, les recommandations étaient principalement les suivantes :

-         mettre intégralement en œuvre les décisions du Tribunal constitutionnel des 3 et 9 décembre 2015, qui exigent que les trois juges légalement désignés en octobre 2015 par l’assemblée précédente puissent prendre leurs fonctions de juge au Tribunal constitutionnel ;

-         publier et exécuter intégralement la décision rendue par le Tribunal constitutionnel le 9 mars 2016, ainsi que toutes ses décisions ultérieures, et veiller à ce que la publication des décisions futures soit automatique et ne dépende d’aucune décision des pouvoirs exécutif ou législatif ;

-         veiller à ce que toute réforme de la loi relative au Tribunal constitutionnel soit conforme aux décisions de cette juridiction, y compris ses décisions des 3 et 9 décembre 2015 et du 9 mars 2016, et tienne pleinement compte de l’avis de la Commission de Venise.

La Pologne avait trois mois pour mettre en place ces mesures. Malgré la faiblesse des réponses, la Commission européenne, estimant sans doute ne pas avoir l’appui politique nécessaire, n’a pas décidé d’activer l’article 7 immédiatement, mais a publié une recommandation complémentaire ([72]). Celle-ci, actant l’absence de progrès et notamment l’impossibilité pour le Tribunal constitutionnel de siéger en formation plénière pour rendre ses décisions, a demandé le rétablissement des conditions propices à un véritable contrôle de constitutionnalité.

Sans nouvelle mesure, la Commission a estimé qu’un risque réel existait non seulement pour l’État de droit mais aussi pour le principe de coopération loyale entre les États membres de l’Union européenne et les institutions. Elle n’a toutefois pu que publier une troisième recommandation ([73]). Elle a certes étoffé l’ensemble de ses griefs. En particulier, elle a rappelé que l’État de droit n’est pas uniquement un principe fixé à l’article 2, mais un instrument à même d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, en vertu de la sécurité juridique, ainsi que de la bonne application de l’ensemble du droit européen, grâce au principe de coopération loyale. La communication précise que malgré la diversité des systèmes judiciaires européens, « des normes européennes communes existent en ce qui concerne la protection de l’indépendance de la justice. C’est avec une grande inquiétude que la Commission observe qu’à la suite de l’entrée en vigueur des nouvelles lois mentionnées ci-dessus, le système judiciaire polonais ne serait plus compatible avec les normes européennes sur ce point ».

Par ailleurs, d’une manière inédite par rapport à ce qui s’est fait jusqu’à présent, les recommandations adressées à la Pologne dans le cadre du Semestre européen de 2017 comportaient une dimension propre à la situation de l’État de droit : « la sécurité juridique et la confiance dans la qualité et la prévisibilité des politiques et institutions réglementaires, fiscales et autres sont autant de facteurs importants susceptibles d’accroître le taux d’investissement. L’État de droit et l’indépendance de la justice sont également essentiels dans ce contexte. En prenant en considération les sérieuses préoccupations liées à l’État de droit, on contribuera à renforcer la sécurité juridique ». Ces recommandations ont été adoptées par le Conseil « affaires générales » du 11 juillet 2017.

Le Parlement européen est également intervenu pour encourager la Commission européenne à reconnaître l’existence d’un risque de violation des valeurs contenues dans l’article 2 du TUE. Dans une résolution en date du 15 novembre 2017 ([74]), les députés européens ont rappelé que :

-         l’Union européenne fonctionne sur la base de la présomption de confiance mutuelle, à savoir que ses États membres agissent dans le respect de la démocratie, de l’État de droit et des droits fondamentaux, comme le prévoient la convention européenne des droits de l’homme et la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

-         l’État de droit est l’une des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, et la Commission, en collaboration avec le Parlement européen et le Conseil, est tenue, en vertu des traités, de garantir le respect de l’État de droit en tant que valeur fondamentale de l’Union et de veiller à ce que le droit, les valeurs et les principes de l’Union européenne soient respectés.

Cet instrument, dans son ensemble, devait permettre l’engagement d’un dialogue constructif avec les autorités publiques polonaises, mais aussi servir d’exemple pour d’autres États membres dans lesquels des dérives similaires avaient été signalées. Force est toutefois de constater que cet instrument n’a en rien permis d’endiguer la volonté du Gouvernement et de la majorité parlementaire de remettre en cause l’indépendance de la justice. Au contraire, il a pu être considéré que ce dialogue précontentieux a retardé la mise en œuvre de l’article 7.

b.   L’action utile mais insuffisante de réseaux informels

La Commission européenne a été accompagnée dans ce dialogue avec la Pologne par des instances telles que le Réseau européen des Conseils de la Justice (RECJ), composé des Conseils nationaux de la magistrature des États membres de l’Union européenne, dont le Conseil supérieur de la magistrature français. Ce réseau promeut des standards d’indépendance du pouvoir judiciaire, parmi lesquels l’idée que « le mécanisme de nomination des membres judiciaires d’un Conseil doit exclure toute interférence des pouvoirs exécutif ou législatif et l’élection des juges doit se faire uniquement par leurs pairs, sur la base d’une représentation large des départements pertinents au sein de la magistrature ([75]) ». Il a fourni une analyse juridique de l’évolution de l’État de droit, notamment en Hongrie et en Pologne.

Dès le 3 juin 2016, le RECJ a publié une « Déclaration de Varsovie » selon laquelle, « au regard du développement de la situation en Pologne, le RECJ insiste sur l’importance du respect de l’indépendance du pouvoir judiciaire par l’exécutif et sur la nécessité de ne mener de réforme du système judiciaire qu’après une consultation significative du Conseil de la magistrature et des juges eux-mêmes ([76]) ». Les nouvelles modalités de nomination, qui dérogent complètement de ces standards, ont également été critiquées par le Conseil consultatif des juges européens (CCJE) en avril 2017 ([77]).

Le RECJ a fini par prendre la décision, en septembre 2018, de suspendre le Conseil supérieur de la magistrature polonais, en raison tant des changements dans les modalités de nomination que de la réforme de l’ensemble du système judiciaire polonais. En particulier, le Bureau du réseau considère que le KRS ne respecte désormais plus les standards d’indépendance vis‑à‑vis de l’exécutif.

c.   L’Agence des Droits Fondamentaux : attentive mais impuissante

Cette Agence, installée à Vienne, est née en 2007 sur les cendres de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, lui-même créé en 1998. Il s’agissait là, dans le contexte de la négociation du Traité de Lisbonne ainsi que de la prochaine intégration de la Charte des Droits Fondamentaux dans l’acquis européen, de mettre en place une agence aux compétences toutefois strictement limitées ([78]). Celles-ci se cantonnent avant tout à l’information et la collecte de données sur la situation des droits de l’homme au sein de l’Union, la rédaction d’avis autonomes ou à la demande d’une institution européenne sur le respect des droits de l’homme dans la mise en œuvre du droit de l’Union, la communication auprès des sociétés civiles pour les sensibiliser aux questions relatives aux droits fondamentaux et à l’État de droit.

L’Agence, à l’inverse, ne peut ni examiner les plaintes individuelles, ni formuler d’opinion sur le respect par les États membres des obligations qui leur incombent au titre des traités, y compris au titre de l’article 2.

S’agissant du respect de l’État de droit, actuellement, l’Agence a agi d’abord dans le sens d’une meilleure information des parties prenantes. C’est dans cette perspective qu’elle a émis en 2016 une opinion sur le développement d’un outil intégré pour mesurer le respect des valeurs de l’article 2, à partir des sources d’information existantes ([79]). Le but était notamment de réunir les différents types de mesure pour en faciliter le traitement et mieux communiquer les résultats. Cette proposition s’inscrit directement dans le sens de la proposition du Parlement européen en faveur d’un cycle politique de l’État de droit, tel qu’exposé ci‑après.

L’Agence a également reconnu la précarité de la situation actuelle, dans le rapport écrit à l’occasion de son dixième anniversaire. Ainsi, selon elle, « les récentes évolutions politiques, sociales et économiques ont démontré que ce qui a souvent été considéré, ces dix dernières années, comme une évolution naturelle vers un plus grand respect des droits fondamentaux pouvait facilement régresser ([80]) ».

Il n’en reste pas moins que l’action de l’Agence demeure fondamentalement limitée par son mandat ainsi que par son budget. Pour Sébastien Touzé, Professeur en droit public à Paris II, il s’agit d’une « coquille vide » ([81]) qui ne joue pas un rôle adéquat. Par ailleurs, ainsi que le déplorait déjà Yves Bur dans son rapport à la Commission des Affaires européennes ([82]) , l’influence de l’Agence des Droits Fondamentaux demeure limitée et ne semble pas, dans les sources qu’utilise entre autres la Commission européenne à l’occasion de son avis motivé du 20 décembre 2017, suppléer d’autres organes tels que la Commission de Venise. Vos rapporteurs déplorent donc le décalage entre labondance dinformations à la disposition des institutions européennes ainsi que des États membres et la lenteur des actions mises en œuvre.

2.   Un dialogue politique soutenu

L’activation de l’article 7, paragraphe 1, à l’encontre de la Pologne le 10 décembre 2017, a permis de mettre en place des mesures inédites dans l’histoire de l’Union.

a.   Bien que vos rapporteurs notent l’intensité des discussions en cours…

L’avis motivé de la Commission européenne du 20 décembre 2017 ([83]) – à forte résonance médiatique – a enclenché la première phase de discussion autour de la situation de l’État de droit en Pologne. À la suite d’un échange de lettres, le Conseil a organisé l’audition, le 26 juin 2018, des autorités polonaises.

L’ensemble du processus a fait émerger des positions claires sur la question. Ainsi, la France et l’Allemagne, parlant littéralement d’une seule voix, soit par le ministre allemand, soit par la ministre française en charge des Affaires européennes, encouragent la tenue d’un dialogue exigeant entre la Commission européenne et la République de Pologne, à la condition que celui‑ci aboutisse à des résultats. Ainsi que vos rapporteurs l’ont compris à l’issue de leur déplacement à Bruxelles, le simple fait d’évoquer, au Conseil, les questions relatives à l’indépendance de la justice au sein de l’un des États membres constitue un changement complet de culture. Celui-ci ne s’est toutefois malheureusement pas traduit par des changements conséquents.

 

b.   …les changements législatifs manifestement insuffisants ne justifient pas la fin de la procédure

Les demandes suggérées par la Commission européenne au Conseil reprennent celles des recommandations antérieures. La Commission a également dénoncé la réorganisation de l’architecture judiciaire et le dénigrement des magistrats. Il s’agit là de fondements clairs et précis de l’État de droit, reconnus comme tels par la CJUE.

Le Gouvernement polonais a certes répondu en partie aux exigences de la Commission européenne. Les trois décisions du Tribunal constitutionnel des 9 mars, 11 août et le 7 novembre 2016 ont finalement été publiées, même si, en raison des nouvelles dispositions législatives adoptées depuis, celles-ci avaient largement perdu de leur pertinence. De la même manière, la discrimination entre les femmes et les hommes pour ce qui est de l’âge de départ à la retraite a été supprimée, l’ensemble des juges pouvant désormais partir à la retraite à 65 ans. Enfin, la procédure de l’appel extraordinaire a vu son champ d’application réduit, tandis que le Conseil de la magistrature pouvait exercer une forme de veto à la révocation par le Ministre de la justice d’un président ou vice-président de Tribunal.

Cela éclaire notamment la position de M. le vice‑ministre des Affaires étrangères, Konrad Szymański, qui s’est ainsi expliqué à vos rapporteurs : « Nous comprenons les craintes sur l’État de droit. D’où les deux paquets législatifs pour modifier de manière lisse nos projets de loi. Ce n’était pas facile, mais cela a été fait. Nous attendons la réponse de la Commission européenne. »

Au vu de ces éléments, ainsi que de la décision de la Commission européenne d’initier, le 2 juillet 2018, une procédure en infraction au moment de l’entrée en vigueur de la réforme de la composition de la Cour suprême polonaise, vos rapporteurs font le constat d’une certaine inefficacité de la procédure de l’article 7 pour remédier aux atteintes systémiques d’un État membre aux fondements de l’État de droit.

3.   Un mécanisme de sanction complexe

Ce relatif échec peut s’expliquer par plusieurs facteurs, le premier d’entre eux étant la lourdeur du processus lui-même.

a.   La nécessaire unanimité

L’article 7 TUE comprend deux mécanismes distincts, indépendants l’un de l’autre. Il est ainsi parfaitement possible, pour la Commission européenne de soumettre une proposition au titre de l’article 7, paragraphe 2, sans passer par le mécanisme inscrit au premier paragraphe.

Larticle 7 du Traité sur lUnion européenne

 

1. Sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission européenne, le Conseil, statuant à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un État membre des valeurs visées à l’article 2. Avant de procéder à cette constatation, le Conseil entend l’État membre en question et peut lui adresser des recommandations, en statuant selon la même procédure.

Le Conseil vérifie régulièrement si les motifs qui ont conduit à une telle constatation restent valables.

2. Le Conseil européen, statuant à l’unanimité sur proposition d’un tiers des États membres ou de la Commission européenne et après approbation du Parlement européen, peut constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l’article 2, après avoir invité cet État membre à présenter toute observation en la matière.

3. Lorsque la constatation visée au paragraphe 2 a été faite, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains des droits découlant de l’application des traités à l’État membre en question, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil. Ce faisant, le Conseil tient compte des conséquences éventuelles d’une telle suspension sur les droits et obligations des personnes physiques et morales.

Les obligations qui incombent à l’État membre en question au titre des traités restent en tout état de cause contraignantes pour cet État.

4. Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider par la suite de modifier les mesures qu’il a prises au titre du paragraphe 3 ou d’y mettre fin pour répondre à des changements de la situation qui l’a conduit à imposer ces mesures.

5. Les modalités de vote qui, aux fins du présent article, s’appliquent au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sont fixées à l’article 354 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

La faiblesse de l’article 7 tient à ce que la sanction prévue au paragraphe 2, qui peut aller jusqu’à priver de droit de vote au Conseil un État membre de l’Union, a été considérée comme suffisamment sévère pour nécessiter une approbation à l’unanimité des États membres, sauf l’État incriminé. C’est pourquoi vos rapporteurs ont entendu, au cours de leurs auditions, parler d’un mécanisme qui était autant « une bombe nucléaire » qu’un « pétard mouillé ».

Dans le cas polonais, l’éventualité d’une décision prise, sur le fondement du paragraphe 2, constatant une violation grave et persistante des valeurs visées à l’article 2, et de sanctions en conséquence, est d’autant moins probable que plusieurs gouvernements, à commencer par le Gouvernement hongrois, ont déclaré qu’ils s’y opposeraient, le cas échéant.

b.   Un contexte européen divisé

L’initiative – tardive – de la Commission européenne s’inscrit en effet dans un contexte politique complexe, où les États membres sont divisés quant à la procédure de l’article 7. Les différentes options que sont l’abandon de la procédure, le maintien d’un dialogue exigeant au titre de cet article entre la Commission et le gouvernement polonais, ou le passage au vote du Conseil, ne recueillent actuellement aucune majorité significative.

En effet, un certain nombre d’États membres partagent l’idée du Gouvernement polonais selon laquelle la Commission européenne outrepasse ses compétences, en analysant une réforme judiciaire qui compte parmi les prérogatives d’États souverains. Certaines des autorités publiques rencontrées par vos rapporteurs au cours de leurs déplacements ont également soutenu l’idée que la Commission européenne n’engagerait jamais une telle procédure à l’encontre des « vieux » membres de l’Union européenne, et que l’ensemble relevait d’un « double standard ».

c.   Les effets délétères liés à la lenteur du processus

La lenteur de l’ensemble du processus aboutit à des situations irréversibles. Cette politique du fait accompli s’est à nouveau illustrée au mois d’août 2018. Malgré la mise en place d’une procédure en manquement le 2 juillet 2018, soit la veille de l’échéance à laquelle la Présidente de la Cour suprême polonaise devait démissionner, le Gouvernement polonais a refusé de modifier la loi impliquant de mettre à la retraite un tiers des membres de la Cour suprême. La Commission européenne, insatisfaite de la réponse des autorités polonaises, a adressé le 14 août une mise en demeure, à laquelle les autorités polonaises ont un mois pour répondre, sans quoi la Commission européenne portera la question devant la CJUE. Par ailleurs, la Cour suprême elle-même a posé une question préjudicielle à la CJUE sur la légalité de la loi.

Toutefois, le Conseil de la magistrature polonais a déjà nommé une douzaine de juges à la Cour suprême, avant de proposer d’autres candidats au Président de la Pologne. Le procureur en chef a demandé au Tribunal constitutionnel de prononcer l’inconstitutionnalité de la demande de la Cour suprême visant à suspendre une partie de la loi. Enfin, malgré la mise en demeure de la Commission européenne, M. Jaroslaw Gowin, vice-président du Conseil des ministres, a déclaré que, si la CJUE venait à trancher en faveur de la Cour suprême, le gouvernement polonais n’aurait d’autre choix que d’ignorer la décision, « comme contraire au Traité de Lisbonne et à l’esprit de l’intégration européenne ».

Cet ensemble d’actions a tendance à souligner, en négatif, l’incapacité des institutions européennes dans leur ensemble, à réagir rapidement. C’est ce que dénoncent de nombreux chercheurs : le retard pris par la Commission européenne dans l’activation de l’article 7, les hésitations du Conseil ainsi que l’ineffectivité des résolutions du Parlement européen ont abouti à des situations de facto irréversibles. Les juges qui ont été suspendus ou mis à la retraite, la nomination de nouveaux magistrats ou encore l’attrition de l’espace public sont autant de phénomènes irréversibles ([84]). L’action des institutions européennes, dont font partie les États membres, doit donc être, à l’avenir, plus souple et plus rapide, aidée en cela par une base juridique solide telle que la dégage actuellement la CJUE.

B.   La construction prétorienne d’une réponse juridique à développer

1.   Une jurisprudence innovante

a.   L’arrêt Associação Sindical dos Juízes Portugueses/Tribunal de Contas, du 27 février 2018

La CJUE a progressivement reconnu son rôle dans la protection des droits fondamentaux des citoyens de l’Union européenne, malgré la proximité du rôle de la CEDH. À ce titre, la Charte des Droits Fondamentaux a progressivement pris une place de plus en plus grande dans la bonne application du droit de l’Union. En particulier, le respect de la Charte s’impose aux États membres dès lors qu’ils appliquent le droit de l’Union européenne ([85]). Ce lien s’est certes progressivement élargi, renforçant d’autant la communauté de droits fondamentaux à laquelle participent l’ensemble des États membres. Mais avec l’arrêt du 27 février 2018, la CJUE a changé de base légale, fondant le contrôle de la bonne application du droit européen non pas au regard de l’article 47 de la Charte, qui vise à garantir l’accès à un tribunal indépendant et impartial, mais de l’article 19, paragraphe 1, alinéa 2, du TUE. Celui-ci prévoit notamment que « les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ». Cet article 19 du TUE est nécessairement plus large que les dispositions de la Charte, puisque les juridictions nationales doivent connaître des litiges impliquant le droit européen. Dès lors, en vertu du principe de coopération loyale, les États membres partagent avec l’Union l’obligation de respecter l’État de droit en assurant une protection juridictionnelle effective. On pourrait en déduire qu’un juge national qui n’offrirait pas les garanties d’indépendance nécessaires pour assurer cette protection ne saurait être considéré comme une juridiction au sens des traités.

La jurisprudence de la CJUE suit ici le principe de fonctionnalité de l’Union européenne. Selon cette théorie, « lordre juridique européen dépend fortement, pour la formation des actes normatifs ainsi que pour leur application successive, de la coopération des institutions nationales. Il sagit donc dune conséquence essentielle de cette interdépendance accrue entre les États membres que produit lintégration européenne. On peut même étendre les implications de ce raisonnement : tant quun État est membre de lUnion européenne, ses choix concernent, plus ou moins de près, tous les citoyens de lUnion ([86]) ».

Il ne fait guère de doutes que la jurisprudence de la Cour est directement inspirée de ce qui se passe en Pologne et en Hongrie. Le président de la CJUE a d’ailleurs présenté les conclusions de l’arrêt devant la Cour administrative suprême de Pologne le mois suivant, en insistant sur le fait que, dans une perspective transnationale, le principe de confiance mutuelle entre les cours ne peut être pertinent qu’à la condition expresse que celles-ci soient indépendantes, et donc égales ([87]).

Dans la perspective du recours en manquement initié par la Commission européenne le 2 juillet 2018, la CJUE pourra donc, avec d’autant plus de facilité, s’appuyer sur le TUE lui-même pour faire respecter les valeurs inscrites dans son article 2.

b.   La question préjudicielle posée par la Haute Cour d’Irlande

Les inquiétudes relatives au maintien de la Pologne, notamment, dans la communauté de droit européenne, sont partagées par les cours de certains États membres. En loccurrence, un juge irlandais a estimé que la Pologne ne représentait plus suffisamment de garantie quant au respect de lÉtat de droit pour assurer les conditions propices à un procès équitable ([88]).

En lespèce, le juge Donnelly a été saisi dune demande dun mandat darrêt européen à lencontre dune personne recherchée en Pologne. Le renvoi préjudiciel de la Haute Cour visait à demander si la situation du système judiciaire polonais permettait toujours dappliquer le principe de confiance mutuelle, condition sine qua non du bon fonctionnement du mandat darrêt européen.

La CJUE a statué le 25 juillet 2018 en adoptant une position équilibrée. Vos rapporteurs notent à cette occasion que quatre États membres seulement (lEspagne, la Hongrie, les Pays-Bas et la Pologne) ont présenté leurs observations sur un arrêt pourtant crucial.

La Cour de Luxembourg a refusé de se prononcer sur la question de savoir si les juridictions polonaises ne présentaient plus les caractéristiques nécessaires à la tenue dun procès équitable. En particulier, elle a noté les griefs exprimés par la juridiction de renvoi ([89]) sans les qualifier expressément. La Cour a également rappelé que, alors que lexécution du mandat darrêt européen constitue le principe, le refus dexécution est conçu comme une exception qui doit faire lobjet dune interprétation stricte.

Cependant, elle a également soutenu que le principe de confiance mutuelle, sans lequel lespace de liberté, de sécurité et de justice ne peut fonctionner, suppose le respect par lensemble des États membres des droits fondamentaux garantis par le droit de lUnion. Elle réaffirme ainsi que larticle 19 TUE concrétise la valeur de lÉtat de droit affirmée à larticle 2. Lindépendance des juridictions nationales est essentielle au bon fonctionnement du système de coopération judiciaire quincarne le mécanisme de renvoi préjudiciel prévu à larticle 267 TFUE. Il y a lieu de considérer que lexistence dun risque réel que la personne faisant lobjet dun mandat darrêt européen subisse, en cas de remise à lautorité judiciaire démission, une violation de son droit fondamental à un tribunal indépendant et, partant, à un procès équitable, est susceptible de permettre à lautorité judiciaire dexécution de sabstenir, à titre exceptionnel, de donner suite à ce mandat darrêt européen.

Il revient donc à la juridiction dorigine, en lespèce irlandaise, dapprécier au cas par cas le risque pour un individu de ne pas bénéficier dun procès équitable. Toutefois, si lautorité judiciaire dorigine constate une défaillance généralisée des juridictions en ce quelles manquent des caractéristiques fondamentales garantissant leur indépendance, elle doit, dans un second temps, apprécier, de manière concrète et précise, les conséquences sur le cas despèce. Ce second critère pourrait avoir tendance à amenuiser la portée de larrêt de la CJUE. Mais la Cour encourage les juridictions nationales à sappuyer sur la proposition motivée de la Commission européenne sur le fondement de larticle 7, paragraphe 1, dans laquelle elle repère des éléments particulièrement pertinents.

Pour M. Sébastien Touzé, il sagit là dune possibilité supplémentaire pour la Commission européenne dappuyer une procédure en manquement sur larticle 19 du TUE.

c.   Une action mesurée

Dans l’ensemble, la CJUE ne peut seule, à partir notamment des procédures d’infraction, assurer une protection efficace de l’État de droit. Les violations sont à chaque fois nécessairement spécifiques et dessinent donc uniquement un portrait en creux de ce que devraient être les procédures dans leur globalité. Une violation systémique emportant la réorganisation de l’ensemble de l’appareil judiciaire d’un État ne peut être efficacement appréhendée par les seuls recours en manquement ou les infractions jugées habituellement par la Cour de Luxembourg.

Par ailleurs, ainsi que vos rapporteurs ont pu le constater, les États membres qui font l’objet de craintes quant au respect de l’État de droit ne sont pas les plus respectueux de l’autorité de la chose jugée par la CJUE ou la CEDH. Ainsi, les ONG rencontrées en Hongrie ont fait état d’une augmentation considérable des requêtes hongroises auprès de la CEDH depuis l’arrivée de Viktor Orbán au pouvoir en 2010 (augmentation de 1 100 % depuis 2010, pour un total actuel de 11 % de l’ensemble des requêtes auprès de la Cour de Strasbourg). Le ministre de la Justice hongrois a contesté ces chiffres, en estimant le niveau actuel des litiges à 2000. Surtout, les entorses que dénoncent les associations ou l’opposition en Hongrie seraient difficiles à prouver, puisqu’elles n’intervenaient pas au niveau des textes eux-mêmes, mais dans leur mise en application.

Les juges de Luxembourg rappellent eux-mêmes que seule une décision du Conseil européen constatant, dans les conditions prévues à l’article 7, paragraphe 2, TUE, une violation grave et persistante dans un État membre, peut permettre de refuser automatiquement d’exécuter tout mandat d’arrêt européen émis par un État membre.

2.   Pour une plus grande coordination des organes judiciaires des États membres

Si l’on en croit Laurent Pech, Professeur à l’Université Middlesex de Londres, le retour en arrière en matière d’État de droit est d’autant plus difficile à combattre qu’il est largement invisible. La première victime en est toutefois le « fonctionnement de son système normatif interconnecté et, indirectement, le futur du marché unique européen ».

Dès lors, le maintien des conditions normales de respect des droits fondamentaux des citoyens ainsi que des mécanismes démocratiques n’est pas la seule affaire de la Commission européenne, mais aussi de l’ensemble des États membres ainsi que des organisations régionales. Pour Sébastien Touzé, il faut inventer de nouvelles formes de coordination entre la CEDH, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Il regrettait à ce titre l’avis 2/13 de la CJUE empêchant l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des Droits de l’Homme ([90]).

D’une manière plus souple, vos rapporteurs estiment que la question préjudicielle de la Haute Cour d’Irlande est un exemple encourageant de citations horizontales entre les juridictions des États membres, qui sont elles aussi garantes du respect de l’État de droit. La coopération de l’ensemble de ces juridictions étant fondée sur la confiance mutuelle, leur collaboration ne peut fonctionner lorsque des violations sérieuses de l’indépendance de la magistrature sont constatées, ainsi qu’en témoigne la suspension récente du Conseil supérieur de la magistrature polonais.

Vos rapporteurs estiment en effet que les brèches de l’État de droit ne concernent certes pas seulement l’État membre incriminé, mais pas uniquement les institutions européennes non plus. Ils partagent avec nombre des interlocuteurs rencontrés sur place, comme Mme Kamila Gasiuk-Pihowicz, députée du parti Nowoczesna, l’idée que ce qui se passe en Pologne pourrait s’étendre à d’autres États membres. Les risques pour l’État de droit constitutionnel ne sont en rien limités à quelques pays, mais intéressent directement l’ensemble de l’Union européenne.


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IV.   La nécessaire définition de solutions complémentaires

A.   L’inefficacité d’un contrôle par les pairs

1.   Une proposition d’un groupe d’États membres

Les États membres les plus sensibles à la question de l’État de droit au sein de l’Union européenne se sont réunis au sein d’un groupe informel, « les amis de l’État de droit ». Particulièrement fédéré autour de la Belgique, ce groupe a notamment abouti à l’idée d’un système de surveillance interétatique, par les pairs, de la situation de l’État de droit au sein de l’Union européenne.

Il existe déjà actuellement un dialogue régulier, au sein du Conseil Affaires Générales, sur des thèmes en lien avec l’État de droit. Ces discussions thématiques, initiées récemment, n’aboutissent toutefois à aucune suite, et leur dimension thématique peut parfois brouiller le message.

L’analyse proposée par ce groupe prendrait la forme d’une revue régulière par laquelle chaque État membre pourrait poser des questions et formuler des recommandations. Ce mécanisme permettrait d’analyser la situation juridique des citoyens européens dans l’ensemble des États membres.

2.   Les faiblesses inhérentes au contrôle interétatique

Pour séduisante qu’elle soit, cette idée, inspirée en grande partie par le fonctionnement des Nations Unies, a soulevé le scepticisme de nombreux experts rencontrés par vos rapporteurs. Ainsi, pour M. Touzé, aucun État membre ne se risquera à formuler des critiques trop sévères à l’égard d’un autre État membre, sous peine d’être lui-même accusé en retour. Dès lors, chaque évaluation serait au mieux réfléchie, au pire timorée. De la même manière, M. Massias a vanté l’idée d’un contrôle interétatique extérieur à celui de l’Union européenne, appuyé sur les structures de l’ONU. Enfin, les représentants de la Commission européenne ont averti contre le piège qui pouvait se cacher derrière une telle structure : les institutions européennes ont déjà tous les rapports nécessaires et les États membres peuvent faire entendre leur volonté dans le cadre des instruments à leur disposition.

B.   La mise en place d’une conditionnalité dans le cadre de l’octroi des fonds européens

1.   Une proposition innovante de la Commission européenne…

La Commission européenne, au moment où elle a publié sa proposition pour le prochain Cadre Financier Pluriannuel 2021-2027, a également proposé un instrument destiné à assurer la protection des fonds européens en cas de défaillance systémique des États membres sur les questions d’État de droit ([91]).

L’idée de la Commission européenne repose sur le fait que le respect des valeurs de l’article 2 TUE n’est pas uniquement nécessaire pour faire prévaloir les droits fondamentaux des citoyens de l’Union ou pour assurer le bon fonctionnement de l’espace de sécurité, de liberté et de justice, mais il est aussi indispensable pour la bonne utilisation des fonds européens. Le marché intérieur suppose en effet le respect par les autorités des États membres du droit des sociétés, afin de favoriser l’innovation et l’investissement.

La proposition de règlement de la Commission vise donc à établir « les règles nécessaires à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre ». En effet, selon la Commission, le respect de l’État de droit fait partie des conditions essentielles à la bonne gestion financière, telle que définie à l’article 317 du TFUE. Par ailleurs, l’article 19 du TUE impose aux États membres de prévoir une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, y compris l’exécution du budget de l’Union.

Celle-ci suppose que des juridictions indépendantes puissent s’assurer de la régularité des actes, contrats ou autres instruments générateurs de dépenses ou de dettes publiques, notamment dans le cadre des procédures de passation de marchés publics dont les juridictions peuvent être saisies.

L’idée de conditionner l’attribution des fonds européens au respect de l’État de droit a été soutenue par les autorités françaises et allemandes. La solidarité européenne suppose en effet le respect des valeurs qui sont à son fondement et l’appartenance à l’Union ne peut s’exonérer des devoirs qu’elle suppose.

La Commission prévoit en pratique des mesures telles que la suspension ou la réduction du financement au titre d’engagements existants, ou encore l’interdiction de conclure de nouveaux engagements avec des catégories spécifiques de destinataires. La proportionnalité de l’action sera assurée par la prise en compte de la gravité de la situation, du temps écoulé depuis le début de la violation en cause, de sa durée et de sa répétition éventuelle, de l’intention de l’État membre d’y mettre un terme et de son degré de coopération en ce sens.

La Commission mènerait donc une évaluation qualitative, avant d’estimer la pertinence des mesures à prendre. Le Conseil disposerait, en vertu de l’article 322 TFUE, des compétences d’exécution, et voterait sur la proposition de la Commission à la majorité qualifiée inversée. Ces modalités d’action, qui se situent à l’opposé du déclenchement de l’article 7, permettraient une adoption rapide des sanctions et compliqueraient grandement la possibilité de s’opposer à leur mise en œuvre.

Cette proposition s’inscrit dans un contexte où les États membres concernés actuellement par les procédures relatives à l’État de droit s’appuient sur les fonds européens sans toutefois en garantir une efficacité maximale. Ainsi, selon le rapport de Judith Sargentini, « la Hongrie bénéficie de fonds de l’Union à hauteur de 4,4 % de son PIB, soit plus de la moitié de l’investissement public » mais la « part des marchés attribués à l’issue de procédures de marchés publics qui n’ont fait l’objet que d’une seule offre s’élève toujours à 36 % en 2016 » ([92]). Par ailleurs, la Hongrie affiche le pourcentage le plus élevé dans l’Union en matière de recommandations financières de l’OLAF, en ce qui concerne les Fonds structurels et l’agriculture, pour la période 2013-2017. En Roumanie, les interlocuteurs de vos rapporteurs ont également souligné la dépendance des autorités publiques envers les fonds européens pour un grand nombre d’infrastructures, tout en reconnaissant l’inefficacité de la distribution des fonds européens, en grande partie due à des problèmes de corruption.

2.   … dont les effets sont encore difficiles à mesurer

La baisse potentiellement drastique des financements européens dans des États qui dépendent en grande partie des fonds européens pourrait toutefois avoir des effets pervers.

À tout le moins, ainsi que l’a expliqué la Présidente de la Cour Suprême de Pologne, la mise en place d’une telle conditionnalité introduit une forte incertitude économique et politique. D’autres personnes auditionnées, comme M. Mate Szabó, représentant de l’ONG TASZ, ont mis en garde contre les problèmes structurels qu’une absence soudaine d’engagement des fonds pourrait entraîner, notamment pour les hôpitaux publics en Hongrie. Il proposait donc de vérifier plus efficacement la destination des fonds. De la même manière, le député roumain Catalin Predoiu a prévenu vos rapporteurs de la nécessité d’accompagner d’éventuelles sanctions d’un grand effort de pédagogie auprès des populations, afin de parer à l’utilisation par les autorités publiques de cet instrument pour alimenter le sentiment anti-européen.

À l’inverse, vos rapporteurs ont rencontré des interlocuteurs qui encourageaient vivement la mise en place d’un tel instrument, estimant qu’il s’agissait là du moyen le plus efficace pour empêcher les gouvernements en cause de prospérer dans leurs projets de réforme. La conditionnalité présente en effet l’avantage de la rapidité d’intervention et d’entraîner des effets immédiats. De la même manière, la proposition de la Commission a le mérite de renforcer la crédibilité des institutions européennes face à des dérives systémiques.

3.   La nécessaire définition des critères stricts et transparents

Vos rapporteurs estiment avant tout que le mécanisme proposé doit permettre de limiter limpact de la conditionnalité sur les populations et les porteurs de projet. Ainsi que l’a exposé Mme Cristea, représentante de la Commission européenne en Roumanie, « on veut éviter de punir des innocents. Tous les projets qui impliquent des bénéficiaires non-étatiques doivent continuer, avec de l’argent national à défaut de l’argent européen ».

La Commission européenne est certes consciente de cet écueil, puisqu’elle insiste dès le préambule de sa proposition sur la nécessité de « garantir que les responsables des lacunes constatées assument ces conséquences » et que « les bénéficiaires individuels des fonds de l’UE, tels que les étudiants Erasmus, les chercheurs ou les organisations de la société civile » ne soient pas touchés.

La Commission européenne propose donc, dans sa proposition, que « sauf disposition contraire de la décision portant adoption des mesures, l’imposition de mesures appropriées ne remet pas en cause l’obligation des entités publiques visées au paragraphe 1, point a), ou des États membres visés au paragraphe 1, point b) d’exécuter le programme ou le Fonds affecté par la mesure, et notamment l’obligation d’effectuer les paiements aux destinataires ou bénéficiaires finaux. » Vos rapporteurs pensent toutefois qu’il sera difficile de forcer les entités publiques de continuer à financer des projets pour lesquels les fonds européens sont suspendus. L’impact sur les infrastructures publiques et l’investissement privé restent donc difficiles à mesurer.

La conditionnalité doit évidemment concerner l’ensemble des fonds et des États membres. Si les mesures de suspension auront un impact d’autant plus fort que les États concernés sont des bénéficiaires nets des fonds européens, aucun État membre ne peut s’en exonérer.

Vos rapporteurs estiment donc que, globalement, la proposition de la Commission européenne constitue un instrument supplémentaire intéressant par son efficacité et sa rapidité. Il ne devrait toutefois être utilisé qu’en dernier recours et à bon escient, afin d’éviter de toucher les populations. Cette proposition étant intégrée dans l’ensemble des textes relatifs au Cadre Financier Pluriannuel 2021-2027, elle nécessitera toutefois une adoption à l’unanimité. Le destin de cette proposition est donc incertain, vos rapporteurs estiment que d’autres instruments de réaction rapide devraient être mis en œuvre.

C.   Le suivi du respect des principes de l’État de droit par un réseau d’acteurs

1.   Une proposition de vos rapporteurs : un réseau européen d’agences et de juristes destiné à assurer le respect de l’État de droit

a.   Un appui sur de nombreuses structures préexistantes : l’exemple du Pacte pour la démocratie du Parlement européen

Vos rapporteurs ont examiné avec intérêt la proposition du Parlement européen quant à la création d’un mécanisme global de l’Union pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux ([93]).

La proposition du Parlement européen vise à s’appuyer sur les structures existantes pour créer un pacte DEF (démocratie, État de droit et droits fondamentaux), qui s’appliquerait tant aux États membres qu’aux institutions de l’Union et comprendrait les outils suivants :

-         un rapport annuel sur la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux incluant des recommandations spécifiques par pays qui tiennent compte des rapports établis par diverses instances, dont l’Agence des Droits Fondamentaux et le Conseil de l’Europe ; ce rapport serait écrit par un panel d’experts et intégrerait les instruments existants tels que le tableau de bord pour la justice, l’instrument de surveillance du pluralisme des médias et remplacerait le MCV pour la Bulgarie et la Roumanie ;

-         un débat interparlementaire annuel issu de ce rapport ;

-         des modalités de traitement des risques potentiels et violations telles que prévues par les traités, et des conditions d’activation du volet préventif ou correctif de l’article 7 du traité sur l’Union européenne ;

-         un cycle de politiques en faveur de la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux.

L’articulation de ces différents instruments serait la suivante : la Commission adopterait le rapport, puis le transmettrait au Parlement, au Conseil et aux parlements nationaux. Le rapport serait lui-même divisé entre des considérations générales et des recommandations par pays sur l’ensemble des aspects relatifs à l’État de droit et à la démocratie.

Le débat interparlementaire à partir du rapport devrait aboutir à une résolution du Parlement européen, tandis que le Conseil tiendrait un débat annuel également, remplaçant l’actuel dialogue sur l’État de droit. Sur la base du rapport également, la Commission pourrait intenter une action pour violation systémique des valeurs inscrites à l’article 2 du TUE, en regroupant plusieurs dossiers d’infraction.

Pour ce qui est du volet « sanctions », si le panel d’experts constate une violation de plusieurs points inscrits dans le Pacte, la Commission européenne engage sans délai un dialogue avec l’État membre concerné. En revanche, si des éléments étaient de nature à invoquer l’article 7, paragraphe 1 ou l’article 7, paragraphe 2, les trois institutions européennes devraient chacune examiner la situation et prendre une décision motivée, rendue publique.

Le système proposé par la députée européenne Sophia in t Veld ([94])  sinspire fortement du Semestre européen, pour mettre en place un semestre de lÉtat de droit, fondé sur des mécanismes comparables de prévention et de correction, sous peine de sanction.

b.   Une nouvelle procédure d’infraction

Vos rapporteurs soutiennent également lidée du professeur Olivier de Schutter de mettre en place une nouvelle procédure dinfraction, directement liée au respect des valeurs listées à larticle 2 TUE ([95]). L’usage renforcé de la procédure d’infraction inscrite à l’article 258 du TFUE permet d’éviter d’en passer par la procédure issue de l’article 7 et de s’attaquer aux « signaux faibles » de la remise en cause de l’État de droit, avant que celle-ci ne devienne systémique. Or, ainsi que l’a relevé Sébastien Touzé, la Commission européenne, par timidité politique ou par souci de rester sur le terrain des traités, use rarement du recours en manquement sur la question de l’État de droit ([96]). Ainsi le seul recours en manquement initié par la Commission européenne concernant la Pologne porte sur la question des rémunérations égales entre les hommes et les femmes et non pas sur les migrants, sur l’environnement ou sur la réforme judiciaire. Dans l’ensemble, la procédure d’infraction en manquement est donc sous-utilisée dans la matière précise de l’État de droit.

Cette procédure présente pourtant l’avantage, par rapport à la saisine de la CJUE, qu’elle ne dépend pas d’une saisine préalable des cours nationales, qui peut s’avérer longue ou difficile pour les citoyens d’un État membre. Or, dans le domaine des droits fondamentaux, où, comme on l’a vu, les violations peuvent aboutir à des situations irréversibles. La rapidité et l’efficacité sont cruciales.

Les procédures d’infraction présentent l’avantage de ne pas nécessiter l’intervention initiale d’un justiciable et de prévenir les conséquences concrètes et potentiellement irréversibles des violations de l’État de droit. Vos rapporteurs soutiennent donc lidée dun usage renforcé par la Commission européenne des recours en infraction dans le champ spécifique des atteintes à lÉtat de droit. Ils surveilleront également de près lévolution de la procédure dinfraction initiée par la Commission européenne le 3 juillet 2018 et désormais examinée par la CJUE.

c.   Un nouveau réseau souple et rapide destiné à pallier la lenteur du système actuel

Un certain nombre d’instruments parallèles à l’article 7, tels que les juridictions nationales, sous l’autorité de la CJUE, ont prouvé l’intérêt de leur action. Les principes de coopération loyale et de confiance mutuelle impliquent en effet l’application égale du droit européen à l’ensemble des États membres, et donc une confiance totale entre les États membres et entre leurs systèmes juridictionnels respectifs. Telle est la leçon qui peut être tirée, entre autres, de l’issue donnée à la question préjudicielle posée par la Haute Cour d’Irlande.

De la même manière, la position du Réseau européen des Conseils de la Justice selon laquelle le KRS, Conseil de la magistrature polonais, ne répond plus aux standards européens d’indépendance face à l’exécutif, et la suspension subséquente permettent de penser que les réseaux horizontaux des organes judiciaires peuvent compléter, voire suppléer, l’action verticale des institutions européennes.

Forts de ce constat, vos rapporteurs estiment que, dans lépure du pacte européen pour la démocratie exposée plus haut, un nouvel organe pourrait être créé, destiné à jouer un rôle dalerte rapide. En lien avec les experts juridiques du panel en charge du rapport annuel sur l’État de droit, cet organe pourrait rassembler, en cas dalerte, des représentants des autorités publiques concernées, des membres de la société civile ainsi que les experts, pour faire un état des lieux ainsi que des recommandations rapides. Ces réunions gagneraient à intégrer également des représentants des institutions européennes.

La réunion des parties prenantes serait en effet un ajout appréciable aux seuls mécanismes de prévention et de correction, pour favoriser le dialogue entre les autorités publiques et les acteurs de la société civile, dialogue qui fait cruellement défaut aujourd’hui, comme l’ont constaté vos rapporteurs.

d.   Une nécessaire indépendance politique

Vos rapporteurs constatent limpuissance actuelle des institutions européennes. Or, des solutions pour y remédier ont déjà été formulées. Jan‑Werner Müller, par exemple, a proposé une forme de « Commission de Copenhague » ([97]), qui aurait un pouvoir d’alerte à l’échelle européenne pour toute forme de violation de l’État de droit. Cette idée est issue du constat selon lequel les crises européennes ont entraîné une politisation du débat et des institutions européennes elles-mêmes. La Commission européenne est de plus en plus identifiée, via des processus tels que les spitzenkandidaten, comme un objet politique. Le fondement de la proposition de M. Müller est donc de créer un gardien de l’acquis normatif européen, avec des pouvoirs d’enquête et d’alarme, mais aussi de sanction financière.

Vos rapporteurs estiment de la même manière que tout nouvel organe en charge de surveiller l’évolution de l’État de droit au sein des États membres de l’Union européenne devrait être aussi indépendant que possible des parties qui mènent actuellement le dialogue.

2.    Soutenir la proposition du Parlement européen pour le constat de violations graves de l’État de droit en Hongrie

Le constat de vos rapporteurs rejoint celui de Mme Judith Sargentini, députée européenne, qui a présenté un rapport « invitant le Conseil à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée » ([98]), adopté par une majorité qualifiée au Parlement européen le 12 septembre 2018.

En premier lieu, ils saluent la démarche des parlementaires européens, prouvant par-là que des représentants démocratiquement élus étaient particulièrement inquiets des développements en Hongrie. Ainsi que l’écrit Mme Sargentini, « le champ d’application de l’article 7 du TUE ne se limite pas aux obligations découlant des traités, comme l’article 258 du TFUE, et que l’Union peut apprécier l’existence d’un risque clair de violation grave des valeurs communes dans des domaines relevant des compétences des États membres » ([99]). Ce constat conforte par ailleurs l’action de la Commission européenne relative à l’État de droit en Pologne, ainsi que les arrêts de la CJUE à venir.

Ensuite, vos rapporteurs estiment que l’invitation au Conseil est parfaitement justifiée, compte tenu des nombreuses violations à l’État de droit qu’eux-mêmes ont pu constater dans le cadre de leur déplacement et des auditions qu’ils ont menées, corroborant les analyses de nombreuses organisations internationales.

Ils estiment donc quil revient désormais au Conseil de prendre position pour constater lexistence dun risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs inscrites à larticle 2 du TUE, en particulier lÉtat de droit.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie les mercredis 3 et 10 octobre 2018, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

 

Réunion du mercredi 3 octobre 2018 :

Mme la Présidente Sabine Thillaye. J’ai été saisie d’une demande de parole de notre collègue, Michel Herbillon sur le déroulement de nos travaux.

M. Michel Herbillon. Je vous remercie, Madame la Présidente. Je voudrais m’exprimer au nom de l’ensemble des députés Les Républicains de la commission des affaires européennes. Les pratiques, les habitudes, la jurisprudence de la commission des affaires européennes, de longue date, veillent à ce qu’il y ait une recherche du consensus, à ce qu’il y ait une association de la majorité et de l’opposition sur les missions et les rapports d’information. C’est une longue tradition de la commission des affaires européennes. Je tiens d’ailleurs à dire, Madame la Présidente, que vous-même, depuis le début de la mandature, vous veillez à cet équilibre. Je vous en donne tout à fait acte.

Dans le compte-rendu de la réunion du bureau du mercredi 24 janvier, qui a institué ce rapport d’information dont s’occupent nos deux collègues, Coralie Dubost et Vincent Bru, il est indiqué que « la formule du binôme pour les rapports d’information serait reconduite », ce qui indique bien votre intention. Il peut y avoir bien sûr des exceptions, mais je voudrais vous dire que point trop n’en faut et que cela dépend du sujet.

Point trop n’en faut d’abord. J’ai regardé ce qui s’est passé dans la précédente législature. En cinq ans, il n’y a eu que quatre rapports d’information où la majorité se parle à elle‑même, entre la majorité et la majorité, et en vérité trois, puisque l’un de ceux‑là concernait l’application de l’article 88‑4 de la Constitution. Deux sur ces trois rapports concernaient la Présidente, votre prédécesseur, Mme Auroi. L’un de ces rapports d’information n’était pas assorti d’une résolution. Deux seulement de ces trois rapports ont fait l’objet d’une résolution. Vous voyez donc : cinq ans, trois rapports, deux résolutions. Là, en un an, il y a déjà eu deux rapports d’information où la majorité se parle à elle‑même et le précédent rapport, de MM. Patrice Anato et Vincent Bru, n’était pas assorti d’une résolution. Nous sommes donc là, aujourd’hui, dans une procédure relativement rare, même si elle n’est pas totalement inédite, et sur un sujet dont j’ajoute qu’il serait plus que nécessaire d’associer l’opposition, ce qui n’est pas le cas.

J’ajoute, mais c’est vraiment un détail, je vous le concède, que dans le compte‑rendu de la réunion du bureau, le libellé était légèrement différent de celui qui a été retenu ici. C’était « l’État de droit en Europe » et là c’est « le respect de l’État de droit au sein de l’Union européenne. » Je vous dis ça simplement pour la précision des faits, et non pas pour en faire un argument. Le sujet méritait que l’opposition soit associée, à l’évidence, puisqu’il se trouve que le contexte n’est plus le même. Le contexte dans lequel nous sommes saisis aujourd’hui par nos deux collègues de la majorité d’un rapport d’information et d’une proposition de résolution n’est pas du tout le même que celui qu’il était au début de l’année quand ce rapport a été décidé. Beaucoup d’éléments l’indiquent, je vais faire court.

Le Conseil a déclenché le 20 décembre 2017 une procédure sans précédent contre la Pologne, en mettant en œuvre l’article 7-1 du Traité. Depuis cette date, depuis la décision du bureau, il y a eu voilà quelques semaines, début septembre, un vote au Parlement européen – ce n’est pas la même procédure, vous l’accorderez, que celle du Conseil concernant la Pologne – demandant à la Commission de déclencher l’article 7-1 du Traité contre la Hongrie… Donc nous ne sommes absolument pas dans le même contexte qu’au début de l’année quand ce rapport d’information a été décidé, et, alors que nous n’avons été informés qu’il y a quelques jours de cette proposition de résolution, le sujet est suffisamment important, au point que le Parlement européen a fait son devoir ; nous sommes en présence d’un vote politique d’une instance politique démocratiquement élue concernant la Hongrie .

Je remarque d’ailleurs que, le 4 juillet dernier, la réponse qu’a faite Mme Loiseau à la question au Gouvernement posée par notre collègue Coralie Dubost concernait principalement – pas exclusivement mais principalement – la situation en Pologne et les procédures d’infractions lancées contre la Pologne. J’ajoute, toujours sur le plan de la procédure, que selon le calendrier prévisionnel, vous envisagez, le 18 octobre, une audition des ambassadeurs de Hongrie et de Pologne en France – même si ces derniers n’ont pas encore confirmé leur présence. Je crois savoir que l’ambassadeur de Pologne n’a pas été préalablement auditionné par nos collègues pendant la préparation de ce rapport, et que l’ambassadeur de Hongrie a été entendu par M. Vincent Bru seul, dans le cadre d’un déjeuner, au retour de la mission des deux rapporteurs en Hongrie, à l’invitation de l’ambassadeur de Hongrie lui-même, ce qui n’est pas exactement le cadre habituel d’une audition parlementaire.

Enfin, des procédures sont en cours au niveau de l’Union, dans le cadre du droit européen, dans le respect des institutions européennes, et, je veux le préciser, nous sommes tous attachés au respect de l’État de droit et à sa défense, quels que soient les bancs sur lesquels nous sommes assis.

Pour toutes ces raisons de procédure, et compte tenu du sujet et des éléments que je viens de rappeler, nous vous demandons donc solennellement, Madame la Présidente, de différer l’examen de ce rapport d’information et de cette proposition de résolution européenne, afin, ensemble, de trouver les modalités d’association appropriées de l’opposition à ce travail. Ma proposition, Madame la Présidente, faite au nom de mes collègues du groupe Les Républicains, va dans le sens du dialogue constructif que nous souhaitons entre la majorité et l’opposition, notamment sur le sujet des questions européennes, puisque c’est toujours cette règle qui a présidé aux réunions de la commission et aux rapports depuis que vous êtres présidente et avant que vous le soyez.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. J’entends très bien vos arguments. Nous avons en effet reconduit la procédure des binômes depuis le début de la législature. Lorsque nous avons lancé ce rapport sur l’État de droit, aucun des commissaires Les Républicains ne s’est porté volontaire pour être rapporteur sur ce sujet. C’est la raison pour laquelle le binôme a été constitué avec le Modem, à travers la candidature de M. Vincent Bru.

M. Michel Herbillon. Je ne peux pas parler au nom de mon collègue Bernard Deflesselles, je n’étais pas présent lors du bureau de la commission, je ne sais pas quelle a été la nature de vos débats. Mais, quelles que soient les décisions qui ont pu être prises par hypothèse à l’époque par le groupe Les Républicains ‑ que j’ignore ‑ le contexte aujourd’hui n’est plus le même, vous en conviendrez, après le vote politique du Parlement européen, une procédure assez inédite, et cela justifie de notre point de vue que l’opposition, que le groupe LR soit maintenant associé à ces travaux, de manière tout-à-fait constructive. C’est la raison pour laquelle je vous demande que l’examen de ce rapport et de cette proposition soit différé. C’est une proposition constructive et qui n’a pas d’objet polémique.

Mme Marietta Karamanli. Je m’associe à la démarche de mon collègue Michel Herbillon, et ces propos peuvent être partagés par l’ensemble des oppositions, et nous défendons nous aussi le pluralisme dans les rapports. Ce rapport établi par deux collègues de la majorité uniquement – il faudra vérifier cette question du refus du groupe LR de s’en saisir – démontre aussi le dysfonctionnement des règles que vous avez établies pour la répartition des rapports, dont le résultat est d’exclure les oppositions. En ce qui concerne le groupe Socialistes et apparentés, nous sommes 30 députés à l’Assemblée, trois dans cette commission et nous n’avons accès qu’à un seul rapport tous les six mois environ.

Il ne faut pas analyser les choses de manière simplement arithmétique, c’est le pluralisme qu’il faut respecter dans l’attribution des rapports, et pas simplement le fait que c’est au tour de tel ou tel groupe de prendre un rapport avec la majorité. Votre méthode, Madame la Présidente, doit être un peu assouplie. Nous étions capables, sous la précédente législature, mais aussi sous celle qui l’a précédée – je suis membre de cette commission depuis plus de dix ans, dans l’opposition, puis dans la majorité – et nous étions capables d’accepter le pluralisme des points de vue et nous avons toujours travaillé dans le consensus.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je suspends la séance pour permettre aux commissaires de la majorité de se réunir.

Suspension de séance.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je donne la parole à M. Ludovic Mendes pour présenter la position du groupe LaREM.

M. Ludovic Mendes. Nous avons écouté avec attention les interventions de Mme Marietta Karamanli et M. Michel Herbillon. Toutefois, nous considérons qu’un travail long et approfondi a été fait et bien fait, que l’ensemble des sujets ont été évoqués et que tout est désormais connu. Certes, le Conseil et le Parlement européen ont, dans l’intervalle, pris position sur la situation de la Hongrie et de la Pologne, mais nous sommes membres d’un Parlement national libre de ses décisions. Nous sommes donc libres d’aller jusqu’au bout aujourd’hui et si cette décision déplaît à certains, ils ont le choix de rester ou de quitter la séance.

M. Michel Herbillon. J’ai bien noté les propos de M. Ludovic Mendes et la manière extrêmement désobligeante qui est la sienne de nous demander de quitter la séance. Je trouve particulièrement regrettable et dommageable l’attitude de la majorité, ainsi que votre attitude, Madame la présidente, qui s’oppose totalement à celle que vous aviez annoncé vouloir adopter lors de votre élection et qui a été la vôtre jusqu’alors. Mais peut-être vous a‑t‑elle été imposée par votre majorité.

Je comprends bien que l’actualité politique est très compliquée pour vous en ce moment, comme elle a pu l’être pour toutes les majorités avant vous. Justement, vous aviez l’occasion de donner un autre exemple que celui que donne actuellement le Gouvernement. Bien au contraire, vous adoptez une attitude sectaire qu’à n’en pas douter, vous finirez par regretter. Ce qui est certain, c’est qu’une telle attitude est une première dans les annales de notre commission, et nos collègues les plus anciens peuvent en témoigner. C’est d’autant plus regrettable que le sujet est d’importance, à moins, bien sûr, que soit assumée par la majorité l’attitude consistant à jeter l’anathème sur nos partenaires européens. Si telle est votre conception de nos travaux, alors, elle s’oppose totalement à ce qui a présidé à la création de la commission des affaires européennes et à ce qui a guidé ses travaux depuis lors. Dans ces conditions, et de manière logique, vous comprendrez que nous ne participerons pas à l’examen du rapport et de la proposition de résolution.

Les membres du groupe LR quittent la salle.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. J’entends vos arguments et je ne peux que vous conseiller d’être constructifs et d’examiner avec la majorité le rapport et la proposition de résolution. Vous pourrez voter contre ou vous abstenir mais un débat riche est dans l’intérêt de tous. En outre, je vous rappelle que la proposition de résolution, même adoptée par notre commission, sera ensuite examinée en commission permanente et, le cas échéant, modifiée par amendement.

Mme Marietta Karamanli. Je regrette les propos de M. Ludovic Mendes et si les membres de la commission des affaires européennes viennent de toutes les commissions permanentes, seuls ceux appartenant à la commission saisie au fond pourront examiner à nouveau la proposition de résolution. Or, celle‑ci est importante et il est inconcevable qu’elle soit examinée, ainsi que le rapport, dans les dix minutes qui nous restent avant les questions au Gouvernement. Je suis d’avis que nous reportions l’examen de ce rapport et de cette proposition de résolution à une autre date.

Mme Danièle Obono. Il ne serait pas sérieux, étant donné la nature du débat que nous pourrions avoir de manière constructive, y compris de notre point de vue plutôt favorable à ce rapport, de bâcler cela maintenant et de passer en force. Je pense que cela enverrait un message désastreux pour la poursuite de nos travaux dans la commission. Cela donnerait un signal politique négatif d’une instrumentalisation de ce débat pour coller à un positionnement politique de l’exécutif sur cette question‑là. Étant donné le contexte, ce n’est pas sérieux de poursuivre comme cela.

J’alerte la majorité sur le discrédit que cela porterait sur la sincérité des débats, notamment dans le contexte des élections européennes, où ces sujets vont revenir. Faisons en sorte que cette question ne soit pas instrumentalisable ou instrumentalisée à des fins politiciennes, je pense que ce serait dommage.

M. Ludovic Mendes. Pour répondre à Michel Herbillon, concernant ma phrase « si vous voulez quitter la commission, quittez‑là », je répondais à une intervention hors micro. Je ne vous demandais pas de quitter la salle. J’ai un profond respect pour les oppositions. On n’est pas toujours obligés d’être d’accord et c’est tant mieux, cela permet un débat démocratique.

Il nous reste treize minutes avant les questions au Gouvernement, ce qui ne sera pas suffisant pour étudier le rapport et la proposition de résolution. Nous ne sommes pas contre le fait que vous amendiez, au contraire. Jusqu’à maintenant, le processus a toujours été celui‑ci, et à aucun moment vous ne vous êtes élevés contre. Mon rapport a aussi été envoyé vingt-quatre heures avant le débat.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je donne la parole aux deux rapporteurs. 

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Merci, Madame la Présidente. M. Herbillon, je vous ai écouté, j’ai du respect pour l’ensemble des travaux parlementaires, quel que soit le parti politique. J’entends votre appel sur l’aspect historique du consensus dans cette commission des affaires européennes, mais il ne faut pas se leurrer : ce sujet ne fait pas consensus actuellement au sein de l’Union européenne, au sein de cette assemblée et y compris dans votre parti, où vous avez été très ennuyés pour voter au Parlement européen.

Vous parlez d’un changement de contexte. Le sujet du rapport a été décidé en bureau, où l’opposition siège, en janvier, après que l’article 7 du Traité relatif à l’Union européenne a été engagé contre la Pologne. Vous connaissiez les enjeux. Les procédures d’infraction de la Commission européenne contre la Hongrie, qui mettent déjà en cause des garanties liées à l’État de droit, étaient déjà engagées. C’est sur le fond que vous souhaitez un report.

Le rapport et la proposition de résolution vous ont été adressés. Dans d’autres commissions, même permanentes, sur des textes plus longs et plus compliqués, les délais sont aussi restreints. Je pense que la raison pour laquelle vous faites cette agitation depuis plus de quarante‑cinq minutes, c’est parce que c’est un sujet éminemment politique et que La République En Marche assume d’aller jusqu’au bout, quand bien même vous voudriez faire autre chose.

Je voudrais enfin témoigner ma solidarité à l’endroit de Madame la Présidente et je trouve injuste que vous instrumentalisiez son titre de présidente pour la mettre en cause dans son rapport avec l’ensemble des membres.

M. Michel Herbillon. J’ai dit l’inverse. Mme la Présidente, je demande que mes propos soient intégralement au compte‑rendu et les raisons pour lesquelles nous quittons la séance, avec toute l’estime et la considération que j’ai pour chacun de mes collègues. Je ne vous autorise pas, ma chère collègue, à interpréter mes propos. J’ai dit les choses très précisément et j’ai donné à plusieurs reprises mon avis sur la manière dont la Présidente assume la Présidence de cette commission.

Quant au fait qu’il est 14 h 50, c’est parce qu’il y a eu une interruption de séance décidée par la Présidente pour consulter la majorité. On doit s’excuser de prendre la parole ici ? Il ne s’agit pas d’agitation, ma chère collègue. 

M. Vincent Bru, rapporteur. Je regrette énormément la tournure de ces débats, car c’est un sujet très lourd qui nous a mobilisés pendant plusieurs mois et pour lequel nous avons subi un certain nombre de pressions, tant les enjeux sont politiques. Il aurait été utile, dans la mesure où le rapport ainsi que la proposition de résolution vous ont été remis, d’en discuter et il sera toujours loisible de faire entendre les points de vue dans la commission au fond et en séance plénière. Je regrette qu’on ne puisse pas aborder ces sujets importants pour l’avenir de l’Europe.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. La séance est levée.


Réunion du mercredi 10 octobre 2018 :

Mme la présidente Sabine Thillaye. Après nos premiers échanges sur ce sujet, je souhaite que nos débats se poursuivent aujourd’hui dans la sérénité. Afin de permettre à chacun d’étudier le texte et d’exercer son droit d’amendement, j’ai décidé de rouvrir les délais de dépôt d’amendement. Nous avons d’ailleurs été saisis d’un amendement déposé par la France Insoumise. Au vu de nos échanges la semaine passée, j’ai également pris la décision de saisir le bureau de la commission afin d’établir un délai minimum entre la communication aux membres de la commission d’une proposition de résolution et son examen. Ce délai minimal n’ayant jamais été fixé, il est important que les choses soient clarifiées. Les différents groupes politiques pourront ainsi prendre connaissance du texte dans de meilleures conditions et exercer pleinement leur droit d’amendement.

M. Michel Herbillon. Je m’exprime au nom du groupe Les Républicains. Une semaine après le début de l’examen de cette proposition de résolution européenne, la commission est à nouveau réunie. Cette semaine a donné à chacun, je l’espère, le temps de réfléchir. La semaine dernière notre groupe vous a fait à vous, Madame la Présidente, – et non au whip du groupe LaREM – un certain nombre de remarques et de propositions. Je rappelle qu’après mon intervention Mmes Danièle Obono pour la France Insoumise et Marietta Karamanli pour le groupe Socialistes et apparentés ont tout comme nous exprimé le souhait que les oppositions soient associées au débat et que les propositions de résolution ne soient pas présentées à la va-vite. L’essentiel de notre demande vise à ce que vous associez, Madame la Présidente, les oppositions à ce travail majeur pour plusieurs raisons. D’une part, et à l’évidence, du fait de l’importance du sujet. D’autre part, l’actualité a considérablement évolué depuis le moment en janvier dernier où le bureau de la commission a décidé de créer un rapport d’information sur ce sujet. À l’époque, l’article 7 venait d’être activé, et, depuis, le Parlement européen s’est exprimé sur la Hongrie. Nous ne sommes donc pas dans le même cadre ; la situation est totalement différente de celle qui prévalait en janvier 2018 : d’autres pays sont concernés et le Parlement européen s’est exprimé. Troisième raison : l’intitulé du rapport a changé. Nous sommes passés d’un rapport sur l’État de droit en Europe à un rapport sur le respect de l’État de droit au sein de l’Union européenne. Quatrième observation : le vote par le Parlement européen il y a à peine un mois d’un rapport demandant l’activation de l’article 7 contre la Hongrie est un vote important qui nous engage. Il est issu d’une assemblée démocratiquement élue où sont représentés tous les pays de l’Union. Des procédures sont en cours et doivent être respectées. Les institutions européennes – Parlement et Conseil – doivent être respectées. À moins que vous ne souhaitiez sous-entendre, Madame la Présidente, que le vote de notre commission a plus d’importance que celui du Parlement européen ? Cinquième observation : qu’apporte cette résolution vis-à-vis de nos partenaires européens ?

Mme la Présidente Sabine Thillaye. C’est une discussion que nous pourrions avoir après la présentation du rapport.

M. Michel Herbillon. Je souhaiterais terminer. Notre commission n’est pas là pour lancer des anathèmes contre nos partenaires qui dans certains cas peuvent s’avérer des alliés de poids – je pense notamment aux questions militaires ou agricoles. Enfin, comme je l’ai rappelé la semaine dernière, la recherche d’un consensus et de l’association fructueuse de la majorité et de l’opposition est un état d’esprit qui doit à nos yeux prévaloir dans la commission. Cela a toujours été le cas. L’excellent et récent rapport sur la politique agricole commune de nos collègues André Chassaigne et Alexandre Freschi et leur proposition pour une agriculture durable au sein de l’Union européenne en sont la parfaite illustration. Ils ont démontré que majorité et opposition peuvent travailler ensemble pour défendre les intérêts de notre pays ; ils ont produit un rapport de grande qualité et nous avons voté dans l’hémicycle à l’unanimité leur proposition de résolution.

Nous réitérons solennellement, Madame la Présidente, notre demande de la semaine dernière. Nous souhaiterions avoir un délai pour examiner de manière associée ce rapport et la proposition de résolution qui en découle car le sujet démontre les limites d’un système où la majorité s’adresse à la majorité. L’Europe mérite mieux que l’instrumentalisation politique qui nous est proposée cet après-midi.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Merci pour vos propos. Nous avons bien pris note et je vais faire des propositions au bureau de la commission qui iront dans votre sens. Je tiens toutefois à souligner que, depuis le mois de janvier, personne dans votre groupe n’a réagi. Ce sujet est sur la table depuis fin janvier. Je suis tout autant attachée que vous à la bonne marche de la commission – nous avons d’ailleurs toujours tenu compte de l’opposition. Tout ce que vous venez d’évoquer sera à l’ordre du jour du prochain bureau, au besoin d’un bureau extraordinaire. Nous allons mettre en place des mécanismes pour garantir à chacun son droit d’expression et d’amendement dans un cadre clair. J’aimerais que nous en venions aujourd’hui à la présentation du rapport. Vous ne pouvez pas toujours vous prévaloir du passé ; il n’y a pas forcément eu alors autant de sujets européens qui portaient à crispation comme c’est le cas actuellement. Je suis pour ma part très attachée aux valeurs démocratiques et aux droits d’une opposition qui montre ce qu’elle a à dire. C’est indissociable de l’État de droit et vous pouvez compter sur moi. J’invite les Républicains à être présents au bureau que je convoquerai prochainement.

M. Michel Herbillon. Je vous donne acte et j’ai bien entendu ce que vous indiquez pour l’avenir. J’ai juste une question : quelle est votre décision quant à l’examen de ce rapport ? Nous accordez-vous un délai supplémentaire afin d’associer les oppositions ?

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Vous avez déjà eu un délai supplémentaire et vous auriez pu, comme l’a fait la France Insoumise, déposer un ou plusieurs amendements. À présent il est temps de donner la parole aux rapporteurs et que nous discutions du fond, ensemble, de manière démocratique.

M. Michel Herbillon. Vous discuterez donc avec la majorité, Madame la Présidente, et c’est une première ici.

Mme la présidente Sabine Thillaye. C’est très dommage.

Les membres du groupe LR quittent la salle.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. À titre liminaire – et alors que nous sommes en train d’assister au départ des Républicains qui ne se parlent qu’à eux-mêmes puisqu’ils n’écoutent même pas la présentation des rapporteurs – je voudrais dire que, contrairement à ce qu’ils sous-entendent, la situation n’est pas nouvelle. Les procédures à l’endroit de la Pologne ont été activées en 2017 et celles à l’encontre de la Hongrie ont commencé en 2015. Je ne crois pas que l’on puisse dire que les circonstances ont changé du jour au lendemain. Par ailleurs, les Républicains ont eu une semaine de délai supplémentaire pour déposer des amendements, ce qu’ils n’ont pas fait et c’est dommage car cela aurait contribué au débat. Quant à cette idée de traditionnel consensus dans notre commission, il me semble pour ma part que le problème est surtout l’absence de consensus sur ces questions au sein du groupe LR. J’en prends pour preuve les déclarations de Mme Valérie Pécresse, condamnant sans réserve et au nom des Républicains le démantèlement de l’État de droit en Hongrie, le recul de la liberté de la presse, des libertés des universitaires, de l’indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs incompatibles avec les valeurs européennes, tandis que M. Laurent Wauquiez a déclaré que Viktor Orbán avait toute sa place au sein du Parti populaire européen. On comprend bien qu’ils aient eux-mêmes une difficulté à trouver un consensus, ce qui n’empêchera pas le reste du pays, des oppositions et de la majorité, à travailler sur des sujets de fond qui sont effectivement primordiaux et pour lesquels nous vous remercions d’être présents.

M. Vincent Bru, rapporteur. Notre rapport porte sur la situation de l’État de droit dans l’Union européenne et non pas spécifiquement sur un État en particulier. Nous avons plus particulièrement étudié trois États : la Pologne, la Hongrie et la Roumanie. Il est certain qu’entre le moment où l’on décide de faire un rapport et le moment où celui-ci est publié, il y a des évolutions naturelles et on ne va pas rediscuter à chaque fois du mandat qui nous a été donné. C’est absurde ! Dans ces conditions, nous ne pourrions jamais présenter un rapport. Il me semble assez logique que nous présentions le nôtre malgré le vote important du Parlement européen en septembre dernier.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. « Bienvenue dans le dernier bastion de la justice indépendante qui sera contraint de rendre les armes dans trois semaines ». C’est par ces mots que Mme Malgorzata Gersdorf, ex-présidente de la Cour suprême polonaise, nous a accueillis lors de notre visite à Varsovie le 6 juin dernier. Nous souhaitons partager avec vous ce que nous avons vécu lors de nos déplacements en Hongrie, Pologne et Roumanie. Bien que ces États aient des contextes économiques, politiques et culturels propres, certains constats convergent. Dans chacun de ces États, nous avons rencontré des sociétés civiles vibrantes, des forces vives très concernées par le projet européen, des magistrats fiers d’exercer leurs missions. Nos interlocuteurs hongrois, polonais, roumains, nous ont témoigné leur amitié et leur sympathie et nous ont rappelé la force des liens qui unit la France à ces États membres de l’Europe centrale. Je souhaiterais à ce stade adresser mes pensées aux proches de Ján Kuciak, Daphne Caruana Galizia et Viktoria Marinova, les trois journalistes qui ont été tués, victimes d’une politique d’atteinte à la liberté de la presse, évidemment inacceptable en Europe.

Notre rapport a pour objet d’examiner la situation de l’État de droit dans chacun de ces pays ; leurs situations ne se confondent pas et il importe de refuser la facilité d’un amalgame. Pourquoi ces trois États membres spécifiquement ? De nombreuses alertes ont été émises, tant par la Commission européenne que par le Parlement européen, la Commission de Venise ou d’autres organes. À chaque fois, l’alerte a concerné le cœur de notre patrimoine européen : la mise en cause de principes d’organisation démocratiques, droits fondamentaux et valeurs dont l’application n’est pas négociable. Les traités européens ont affirmé l’universalité de ces valeurs fondatrices de notre patrimoine européen ; chaque État membre s’engage à les respecter dès le moment où il adhère à l’Union, et même en amont, lors de la candidature d’adhésion – la satisfaction des critères dits de Copenhague est une exigence incontournable.

Comment pourrions-nous accepter ensuite que ces États, qui font à présent partie de l’Union européenne, portent atteinte à ce patrimoine commun en choisissant de ne plus garantir l’indépendance de la justice, la pluralité des médias, le respect du principe de constitutionnalité et la lutte contre la corruption ? Certains ont tenté d’arguer qu’il s’agit là de questions purement nationales et que l’Union européenne – et donc la France – n’aurait aucune légitimité pour s’en saisir. Bien évidemment la violation de l’État de droit ne saurait se dissimuler derrière le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures. C’est un argument fallacieux : non seulement cela résulte explicitement de l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, mais, en sus, la remise en cause de principes fondateurs de l’Union pourrait entacher la confiance mutuelle et la coopération loyale entre les États membres. Ce qui se passe dans ces États concerne la communauté des États dans son ensemble.

Les principes de confiance mutuelle et de coopération loyale entre États membres mais aussi entre les juridictions nationales fondent en effet la réalisation même de l’Union. Qu’adviendra-t-il de chacun d’entre nous si nous ne pouvons plus coopérer en confiance ? C’est notamment ce qui a amené la Cour de Justice de l’Union européenne à reconnaître en juillet dernier la possibilité pour un État de vérifier les conditions d’extradition vers la Pologne. En effet, sans garantie juridictionnelle, sans indépendance des organes judiciaires, comment s’assurer à terme de l’application uniforme du droit européen ou encore du bon usage des fonds européens ou de l’égalité d’accès des candidats aux marchés publics ? Étroitement lié aux questions de démocratie et de droits fondamentaux, un État de droit garantit avant tout la bonne application du principe de légalité via l’indépendance de la justice. La puissance politique d’un État doit avant tout respecter des principes qui lui sont supérieurs, qui ont été édictés par des peuples constituants dans des normes fondamentales durables et indépendantes des majorités politiques contingentes.

M. Vincent Bru, rapporteur. L’État de droit suppose tout d’abord le respect des règles constitutionnelles, au sommet de la hiérarchie des normes dans tous les États, et qui fixent les règles du jeu politique, les compétences des organisations et des organes du pouvoir. Le respect de la Constitution permet d’assurer la continuité de l’État au-delà des alternances politiques en empêchant des majorités de redéfinir en fonction de leur propre intérêt les règles qui doivent être respectées par tous. C’est la raison pour laquelle le respect de la Constitution assuré par un organe indépendant nous semble extrêmement important.

L’État de droit suppose également la garantie d’une justice indépendante, d’une part dans son organisation interne, mais aussi dans les organes qui sont chargés de la nomination, de la mobilité et des éventuelles sanctions apportées aux magistrats de l’ordre judiciaire. Il existe à cet égard au sein de l’Union européenne une importante variété d’organisations judiciaires. Il est certain que les garanties peuvent être perfectibles – comme c’est le cas pour le Conseil supérieur de la magistrature en France dont le fonctionnement sera amélioré par la révision constitutionnelle à venir – mais il est important qu’un organe puisse garantir l’indépendance et donc l’impartialité des magistrats. En ce qui concerne le parquet, il faut garantir son indépendance non pas organique mais fonctionnelle, c’est-à-dire faire en sorte que les membres du parquet puissent librement assurer les poursuites lorsque cela est nécessaire. Cette autonomie du parquet nous semble fondamentale dans des pays ravagés par les tentatives et les affaires de corruption et où les procureurs reçoivent des ordres du pouvoir en place pour les dissuader de lancer des poursuites contre les personnes soupçonnées de corruption.

Enfin, un État de droit doit pouvoir permettre un débat nourri au sein de la société civile. Pour cela, il est important de garantir la liberté de la presse. Les citoyens doivent avoir accès à une presse pluraliste, à l’information la plus large possible, pour nourrir ce débat démocratique et non pour l’appauvrir. La liberté de la presse est extrêmement importante car elle conditionne au fond l’existence d’élections libres. L’élection n’est pas seulement le respect d’une procédure électorale. L’État de droit se manifeste également par l’existence d’un débat public nourri par une presse pluraliste. Les citoyens doivent pouvoir avoir accès à une pluralité d’informations, sans laquelle le débat démocratique est singulièrement appauvri.

Nous avons malheureusement constaté, sur ces quatre points et à des degrés divers, des violations de l’État de droit, en Hongrie et en Pologne, qui légitiment les démarches engagées à ce sujet par l’Union européenne.

Nous avons auditionné des juristes à Paris et à Bruxelles, entendu les institutions européennes, mais surtout effectué nos déplacements dans l’idée de juger sur place de la situation en matière d’État de droit. Nous avons rencontré l’ensemble des parties prenantes, autant les autorités publiques que les ONG ou les représentants des organes judiciaires. Nous avons été frappés par la diversité des opinions sur ce qui se passait, c’est pourquoi nous avons également appuyé notre analyse sur des sources textuelles. Qu’il s’agisse des rapports de la Commission de Venise, d’organes du Conseil de l’Europe ou des Nations Unies, les réformes engagées en Hongrie depuis 2010, en Pologne depuis la fin de l’année 2015, et même, à certains égards, actuellement en Roumanie, convergent vers une remise en cause de principes européens fondamentaux.

Mme Coralie Dubost, rapporteure.  Ces trois États sont bien évidemment encore à l’heure actuelle des démocraties, et nul ne peut remettre en cause la validité des élections. De la même manière, il ne s’agit pas de remettre en cause des politiques nationales au prétexte qu’elles iraient à l’encontre des politiques européennes. Il n’est pas question de parler ici des politiques migratoires.

Il n’en demeure pas moins que nous avons repéré, notamment en Pologne et en Hongrie, de nombreux indices d’une politique fondée avant tout sur le sentiment national et sur le sentiment des majorités parlementaires en place, de représenter l’ensemble du peuple. La formation de ce qu’on pourrait appeler un « État majoritaire » entraîne l’affaiblissement d’un grand nombre de contre-pouvoirs, parfois présentés par les autorités publiques comme des freins à l’expression de la souveraineté nationale. M. Jaroslaw Kaczynski, président du PiS, le parti Droit et Justice actuellement au pouvoir, a fait de ce qu’il appelle « l’impossibilisme légal » son ennemi. Dans cette hypothèse, il est loisible à une majorité parlementaire, y compris lorsqu’elle n’a pas le nombre requis de députés, d’agir comme une constituante, de modifier la composition du Tribunal constitutionnel ou de refuser de publier ses décisions. Autant de griefs que la Commission européenne a adressés aux autorités polonaises lorsqu’elle a proposé au Conseil l’enclenchement de l’article 7, le 20 décembre 2017.

Cela nous amène à la question de savoir quoi faire désormais, alors que nous sommes confrontés à ce que des spécialistes de la question appellent un « retour en arrière » de l’État de droit au sein de l’Union européenne. La Commission européenne, parfois – il faut le dire – bien seule dans cette matière, a initié en 2014 une procédure de dialogue relatif à l’État de droit, appliquée à la Pologne dès 2016. Ce dialogue n’a toutefois abouti à aucune solution constructive, au contraire. Le paquet législatif voté en 2017, qui engageait une réorganisation complète de l’architecture judiciaire polonaise et a abouti, entre autres, à suspendre le Conseil supérieur de la magistrature polonais du réseau européen des Conseils de justice, a obligé la Commission européenne à activer l’article 7.

Les défauts de cette procédure sont toutefois bien connus. En réclamant l’unanimité des États membres pour mettre en place des sanctions, comme la privation de droits de vote au Conseil, ce qui est souvent présenté comme une bombe nucléaire se transforme souvent en « pétard mouillé ». La Hongrie s’est ainsi déclarée immédiatement opposée à la condamnation de la Pologne, et les auditions des autorités polonaises devant le Conseil Affaires Générales n’ont pas pour l’instant permis de sortir de l’impasse. Les modifications législatives polonaises n’ont été que cosmétiques, tandis que la situation en Hongrie, par exemple, s’est fortement détériorée cet été, notamment pour les défenseurs des droits humains. Cela explique notamment le vote par le Parlement européen d’une résolution en faveur de l’activation par le Conseil de l’article 7 à l’encontre de la Hongrie, le 12 septembre dernier. Il n’empêche toutefois que le problème de l’unanimité demeure, condamnant l’Union européenne à une forme de passivité impuissante face à la dégradation de l’État de droit chez une partie de ses membres. Nous avons retenu plusieurs propositions intéressantes pour permettre aux institutions européennes de passer à l’action dans ce domaine. Ce ne sont en effet pas les informations sur les risques pour l’État de droit qui font défaut puisque, outre la Commission de Venise, l’Agence des Droits Fondamentaux, adossée à la Commission européenne depuis 2007, exerce une activité de surveillance de la situation des droits fondamentaux au sein de l’Union européenne. Malheureusement, il ne ressort de cette masse d’information que l’incapacité des institutions européennes à enrayer cette régression de l’État de droit.

M. Vincent Bru, rapporteur.  La Cour de Justice de l’Union européenne porte une partie de nos espoirs. Confrontés à la question de l’application du mandat d’arrêt européen en Pologne ou encore bientôt de la situation de la Cour suprême polonaise, les juges de Luxembourg ont émis cette année une jurisprudence intéressante, qui laisse à penser que les droits fondamentaux et le respect de l’État de droit font désormais pleinement partie des prérequis à la bonne application du droit européen. Il ne faut pas oublier à cet égard que la Cour de Justice de l’Union européenne s’appuie désormais pleinement sur les dispositions de la Charte des droits fondamentaux, qui a aujourd’hui la même valeur que les Traités.

La Commission européenne a également proposé de mettre en place un instrument de conditionnalité des fonds européens au respect de l’État de droit. L’idée est d’infliger, dans certains cas délimités, une sanction immédiate et rapide. Cette procédure, qui doit s’inscrire dans le prochain Cadre financier pluriannuel, vise à protéger l’usage des fonds européens en cas de défaillance systémique de l’État de droit au sein d’un État membre. Cette proposition est séduisante à de nombreux égards, et pourrait d’ailleurs gagner à s’accompagner d’une incitation financière en faveur des organes garants de l’État de droit. Elle allie les vertus de la simplicité et de l’efficacité. Nous estimons toutefois qu’il faut garder une certaine prudence en la matière, puisque les populations risquent une double peine : subir les violations de l’État de droit et perdre le financement européen de leurs projets. Un tel instrument doit donc être particulièrement bien calibré pour ne pas pénaliser les populations. Nous avons bien conscience qu’aucun pays n’est parfait, mais souhaitons, en amont faire progresser l’État de droit.

Le Parlement européen a, quant à lui, émis une proposition très intéressante dans le cadre du rapport de Sophie In ’t Veld, celui d’un semestre de l’État de droit. Inspiré du Semestre européen, il s’agirait, pour un panel d’experts juridiques, d’émettre des recommandations sur la situation de l’État de droit au sein de chacun des États membres. En cas de risque grave de violation, le panel pourrait recommander l’activation de l’article 7, charge à chacune des institutions européennes d’expliquer, par un avis public et motivé, les raisons qui l’ont poussée à suivre, ou non, les recommandations. Le panel pourrait enfin, dans les cas moins graves, proposer à la Commission européenne des recommandations pays par pays, dans le cadre d’un dialogue politique comparable, là encore, à celui du Semestre européen actuel.

La diversité de nos rencontres et des avis recueillis sur le sujet nous a enfin amenés à préconiser la création d’un comité des parties prenantes, regroupant autorités publiques des États membres en cause, représentants de la société civile et experts juridiques. Cette instance de dialogue permettrait de mettre tout le monde autour de la table pour engager une discussion autour de l’État de droit et faire émerger des solutions adaptées à chacun des contextes, évitant ainsi d’en arriver à la phase punitive que connaissent actuellement la Hongrie et la Pologne. En tout état de cause, et à court terme, nous soutenons la démarche des institutions européennes. Nous estimons qu’il existe en effet des cas manifestes de violation grave de l’État de droit en Pologne et en Hongrie. Nous avons également constaté que les évolutions récentes en Roumanie quant à la lutte contre la corruption ne permettaient pas de lever, à l’heure actuelle, le Mécanisme de Coopération et de Vérification, qui a permis de grands progrès en la matière depuis l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne.

La préservation de l’État de droit au sein de l’Union européenne n’est pas la seule affaire de la Commission européenne. La pleine expression démocratique dans l’ensemble de notre continent concerne tous les États, et spécialement, tous les parlements nationaux. Les évolutions actuelles en Europe suscitent notre inquiétude, c’est le sens de la proposition de résolution européenne que nous vous proposons de voter. Il ne s’agit pas ici de stigmatiser les États, de diviser l’Europe entre ceux qui seraient de valeureux garants de l’État de droit et ceux qui ne le respecteraient pas. Nous souhaiterions montrer au contraire que le dialogue doit être poursuivi avec les États dont on a parlé. Les citoyens européens doivent être défendus.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

M. Ludovic Mendes. J’ai échangé il y a peu avec des députés roumains qui se posent des questions sur l’évolution de leur pays et sur les décisions prises par la majorité et le Gouvernement actuels. Merci, chers collègues. Le sujet que vous avez traité est effectivement compliqué et important. Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez souhaité vous emparer d’une telle question ? Avez-vous rencontré des entraves ? Comment se sont passés vos échanges avec les autorités des États membres que vous avez rencontrées ?

Mme Marietta Karamanli. Tout d’abord, je tiens à souligner que nous voulions être présents pour interroger les rapporteurs. Vous nous avez fait des propositions, Mme la Présidente, et je tenais à saluer vos initiatives pour faire en sorte que la pluralité des groupes politiques puisse être respectée pour l’ensemble des rapports. Il apparaît que l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, en tant que mécanisme et dispositif de garantie des droits fondamentaux, n’est pas suffisamment abordée. La Cour de Justice de l’Union européenne avait rendu un avis négatif il y a quelques années sur cette adhésion en l’état. Pour reprendre les propos de la Haute Représentante de l’Union pour l’action extérieure : les règles établies de concert ne constituent pas une contrainte, mais une garantie pour tous. Où en est-on à ce sujet, car cela touche à l’État de droit ?

À propos de l’agence européenne des droits fondamentaux, votre titre annonce qu’elle est « attentive mais impuissante ». Elle dispose de 20 millions d’euros, contre 70 millions pour la Cour européenne des droits de l’homme, soit moins par État mais avec deux fois moins d’États et beaucoup moins de citoyens. Sa visibilité est faible et son action peu efficiente. Quels sont les rôles que les États lui assignent ?

Enfin, vous évoquez la proposition d’un réseau d’agences, qui seraient des acteurs de la surveillance et du respect des droits. L’Union européenne a délégué une partie de ces activités à des agences dont l’activité peut conduire à la violation de droits et dont le contrôle est difficile. Je pense notamment à Frontex. Où en est la réflexion dans cette matière ? Quelles sont vos propositions et initiatives pour qu’il y ait plus de respect au niveau des agences ?

Mme Danièle Obono. Je déplore le départ de nos collègues du groupe Les Républicains. Sur un tel sujet, je pense qu’il n’y a pas de positionnement partisan. Nous sommes capables de défendre, avec nos singularités et nos principes, ces enjeux de droits et libertés fondamentales au niveau de l’Union européenne. Nous serons attentifs à ce que l’on puisse avoir des débats plus consensuels par la suite. Une question se pose autour de l’activation de l’article 7, qui explique l’amendement que le groupe La France insoumise a déposé. Il y a un décalage entre le fait que l’adhésion à l’Union européenne nécessite l’accord avec des principes fondamentaux et l’absence de mécanisme qui permettrait de s’assurer que c’est effectivement le cas. L’article 7 est utilisé en ce sens. Il y a des contraintes liées au non‑respect des règles économiques, mais pour ce qui est des droits fondamentaux, ce n’est pas le cas. La question de l’unanimité est un frein en ce sens. Comment dépasser le « dilemme de Copenhague » sur l’impuissance de l’Union à protéger les citoyens ? Il faudrait faire en sorte que le Parlement européen joue un rôle beaucoup plus important et éviter, ‑ c’est ce que nous pointons dans notre amendement et je note que cela a été pris en compte ‑ qu’il y ait un retournement de ces mesures qui sanctionnent davantage les populations que les dirigeants. Quelles suites donner à ces propositions ?

M. Damien Pichereau. Ce travail permet de nous éclairer, ainsi que les citoyens, sur l’État de droit, essentiel à la construction de l’Union européenne. Le pluralisme des médias et des sources d’information et la liberté de la presse sont des piliers de la démocratie. Or, des articles de la presse nationale ont pu mettre en avant la quasi-absence de cette liberté dans les pays que vous avez visités. Pire, cette presse, on l’attaque, on l’assassine, sur fond d’accusations de corruption. Je tiens à rendre hommage à ces journalistes victimes de lâches assassinats. Ma question est simple : les médias privés ont-ils encore les moyens d’exercer leur contre-pouvoir ?

M. Joaquim Pueyo. Quand on parle de l’Europe, je pense qu’il y a beaucoup de points communs entre les groupes politiques. J’appartiens à la majorité de ceux qui croient en l’Union européenne, qui croient qu’on doit se battre pour préserver les droits de l’homme. Vous avez bien fait de rappeler qu’une démocratie se mesure à la manière dont la presse est traitée, à l’équilibre entre les pouvoirs judiciaire et exécutif. Cela compte beaucoup dans l’adhésion d’un État membre à l’Union européenne. On ne peut pas adhérer, chapitre par chapitre et puis, au gré d’un changement de gouvernement, remettre en question un sous-chapitre. L’Union européenne doit se doter de leviers pour mettre l’accent sur ce point, sous la forme de contrôles ou de sanctions. J’adhère à vos propositions, même si on en connaît bien les limites. J’ai une question concernant le semestre de l’État de droit, qui est une bonne proposition. Les pays qui seront contre cette proposition seront ceux qui ne veulent pas être contrôlés. Je ne vais pas les citer, vous les connaissez aussi bien que moi. J’arrive de Hongrie et de République Tchèque, dans le cadre de mes fonctions à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, et j’ai été surpris d’entendre certains parlementaires hongrois, j’ai cru revenir quarante ans en arrière. Le semestre de l’État de droit est une bonne proposition, je la voterai. Mme Karamanli a parlé de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui est l’émanation du Conseil de l’Europe. Est-ce que vous avez pu rencontrer des membres de la Cour européenne des droits de l’homme et des parlementaires des pays, tendant à dériver par rapport à nos exigences européennes ?

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je vais commencer par répondre à M. Mendes. Nous avons tous les deux des appétences personnelles sur ces sujets : M. Bru a été constitutionnaliste et moi-même j’ai travaillé dans le domaine du droit international, du droit européen et des droits de l’homme. Ces questions nous préoccupaient dans nos parcours antérieurs. Cela étant, la véritable motivation pour nous intéresser à ce sujet, c’est la demande de la Commission européenne, le 20 décembre 2017, faisant le constat d’une violation grave de l’État de droit en Pologne. Cela nous est parvenu par la presse française, qui relatait des mouvements de magistrats qui tiraient la sonnette d’alarme, en pointant des atteintes à l’indépendance et à l’impartialité de la justice. Des lois discriminatoires ont été adoptées, instituant un traitement différent entre magistrats femmes et hommes. Cela était suffisamment grave pour faire descendre des magistrats dans la rue et motiver cette décision de la Commission européenne. Nous sommes des parlementaires nationaux et non européens, il faut faire montre de solidarité avec les citoyens des autres États membres. Nous sommes préoccupés par la situation de nos voisins. Je tiens à souligner que très récemment, des rapports du même type sont instruits par d’autres parlements nationaux, qui suivent le mouvement et tiennent à faire savoir leur attachement à l’État de droit, ce qui me semble une très bonne chose.

Avons‑nous rencontré des entraves ? Quand nous travaillons sur des sujets aussi sensibles que l’indépendance de la justice ou le respect du pluralisme des médias, les informations données ont parfois été parcellaires et ont fait l’objet d’avis opposés. Mais nous prenons en compte l’ensemble des opinions, que ce soit à Bruxelles, à Paris ou lors de nos déplacements. Nous avons vécu des annulations de dernière minute de rendez‑vous très politiques, notamment avec certains ministres. Nous sommes arrivés en Roumanie et quinze minutes après notre atterrissage, la Cour constitutionnelle venait de prendre deux décisions constitutionnelles qui retiraient ses pouvoirs au Président de la République qui tentait, tant bien que mal, de défendre la Procureure anti-corruption, Mme Laura Codruta Kövesi. Nous avons vécu, peu ou prou, la même chose en Pologne et en Hongrie, nous arrivions au moment où les choses se passaient. Cela a été très mouvementé.

Après ces huit mois de travail, pendant lesquels nous avons sollicité toutes les autorités publiques, pour pouvoir échanger très librement sur les sujets et permettre d’entendre tous les arguments, nous avons subi quelques pressions. Des courriers ont été adressés au Président de l’Assemblée nationale et à la Présidente de la Commission des affaires européennes, émanant notamment d’autorités publiques étrangères. Cela nous semble inacceptable quand cela a trait à un travail parlementaire et je tiens à remercier notre Présidente et le Président de l’Assemblée nationale, d’avoir soutenu les rapporteurs.

M. Vincent Bru, rapporteur. Nous avons affaire ici à une sorte de cancer qui mine l’Union européenne. Il faut prendre conscience des dangers de la progression de ces idées qui vont à l’encontre des valeurs fondamentales de l’Union et réfléchir ensemble à une manière de lutter contre ce phénomène. Il faut imposer le respect des critères de Copenhague, exigé pour tous comme un prérequis à l’entrée dans l’Union. Il est vrai que nous avons subi des pressions, notamment pour donner connaissance de notre rapport avant même qu’il ne soit présenté à la commission des affaires européennes. Je veux saluer ma co-rapporteure dans sa détermination à résister à ces pressions.

Pour répondre à Mme Obono, ce qui nous a préoccupés c’est de trouver de nouveaux moyens de contourner le déclenchement de l’article 7, notamment en instaurant des systèmes préventifs qui éviteraient d’y recourir. Il y a énormément de documents disponibles sur les risques d’atteinte à l’État de droit et aux libertés. Ce n’est donc pas l’information qui manque, mais plutôt les moyens d’action pour en tirer les conclusions nécessaires. Nous avons fait des propositions, comme ce comité des parties prenantes, ou le semestre de l’état de droit, qui permettraient d’agir plus rapidement qu’avec la procédure particulièrement lourde de l’article 7. Le rôle des commissions des affaires européennes dans les Parlements est aussi de présenter des propositions de résolution, pour soutenir le Parlement européen et les institutions de l’Union européenne.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je voudrais insister sur l’accueil qui nous a été réservé par les acteurs de la société civile, très inquiets de leur situation. Nous avons véritablement entendu des appels à l’aide. Notre proposition du comité des parties prenantes vise à redonner une voix à ces acteurs qui en sont privés. Les représentants des États et des organisations issues de la société civile pourraient ainsi disposer d’une enceinte pour renouer les fils d’un dialogue rompus dans leur pays. Cette question du respect des droits fondamentaux est d’une actualité brûlante en Europe, mais plus largement dans le monde, comme en témoignent les résultats du premier tour des élections présidentielles brésiliennes. La remise en cause des droits de l’Homme nous pose question, et l’on voit bien que la mise en cause d’une justice indépendante est l’un des premiers signaux d’alerte qui doivent nous interpeller.

Pour répondre à la question de notre collègue Marietta Karamanli, nous avons auditionné des experts au sein du Conseil de l’Europe et consulté de nombreux rapports de la Commission de Venise, mais la question de l’adhésion de l’Union à la CEDH en tant que telle ne se posait pas dans notre rapport. Cela constitue un sujet connexe, mais pas identique. L’article 2 du Traité dit en effet que « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes ». Pour de nombreux experts rencontrés, le concept d’État de droit tel que défini dans cet article est imparfait. Nous pensons qu’une clarification serait la bienvenue. Nous avons donc retenu, dans le cadre de notre rapport, une définition qui se caractérise par la capacité pour les citoyens « d’exercer leur droit à un recours devant une juridiction indépendante, dont les décisions ont l’autorité de chose jugée. Ces recours varient d’un État à l’autre, tant dans leurs appellations que dans leurs contenus, mais forment généralement un ensemble de mécanismes, de procédures et d’institutions propres à surveiller l’exercice des pouvoirs exécutifs et législatifs. » On voit bien que la mise en cause de l’indépendance des juridictions, si elle ne constitue pas en elle-même une atteinte aux droits de l’homme, entraîne par ricochet un risque. Et c’est ce que l’on observe dans ces pays, avec la mise à mal de la séparation des pouvoirs. Deux cents présidents de Cour ont par exemple été limogés en Hongrie : cela ne peut que nous inquiéter.

M. Vincent Bru, rapporteur. Sur la question de l’exercice de leur mission par les médias, il faut dire que nous sommes tous inquiets de la situation de la presse dans ces pays, à des degrés différents. Pour la Hongrie, dès l’arrivée de M. Orbán, deux lois ont été votées sur la presse, et l’on assiste à une concentration très forte des médias tant régionaux que nationaux. Or, dans les provinces rurales, l’accès à internet reste compliqué, ce qui ne favorise pas le pluralisme. Il y a eu des rachats d’organes de presse par des intérêts proches du pouvoir en place. D’après nos interlocuteurs, près de 80 % de la presse est contrôlée par le pouvoir politique. En 2012, on a créé un Conseil supérieur des médias chargé de traiter des questions de déontologie. Mais ses membres sont nommés par le Parlement, où le parti au pouvoir, le FIDES rassemble 133 membres sur 199, soit une majorité absolue. Cette majorité lui permet d’ailleurs de réviser la Constitution très librement. L’agence de presse Duna, quasiment officielle, permet au gouvernement une mainmise très étroite sur l’information. En outre, des campagnes sont financées par de l’argent public, notamment la campagne « Stop Soros », qui met en cause la liberté académique.

En ce qui concerne la Pologne, il y a eu des campagnes de diffamation, notamment à l’encontre des juges, et financées par de l’argent public. On voit là la pression très forte exercée par le pouvoir politique sur les médias et l’opinion publique.

En Roumanie, il y a aussi des craintes sur l’influence exercée sur l’information par le pouvoir avec des campagnes gouvernementales menées à l’échelle nationale et qui mettent en cause la Commission européenne.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Pour compléter les propos de Vincent Bru sur la liberté de la presse, je vais vous donner quelques exemples patents. En Pologne, tous les directeurs de radio et de télévision publiques ont été remplacés par des militants du parti majoritaire au pouvoir, ce qui s’est traduit par le licenciement de 225 journalistes. Tomasz Piatek, journaliste d’investigation à Gazeta Wyborcza, quotidien d’opposition, est actuellement poursuivi devant un tribunal militaire pour avoir publié un livre critique intitulé « Macierewicz et ses secrets » sur le ministre de la défense. En Hongrie, l’organe décrit par Vincent Bru, permet de contrôler et suggérer des contenus et peut désormais obliger les médias publics et privés, en les menaçant de lourdes peines financières, à corriger des informations pour manque d’objectivité politique. Je précise que la directrice qui vient d’être nommée à la tête de cet organe est une proche du Premier ministre. Voilà où en est la presse, qui à mon avis, n’est pas en mesure de jouer le rôle de chienne de garde qu’évoque la Cour européenne.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Chers collègues, il nous reste une série de questions avant de passer à l’examen de la proposition de résolution.

M. Alexandre Holroyd. Mme la Présidente, je tiens d’abord à vous féliciter d’avoir pris en compte les remarques de l’opposition et de lui avoir donné du temps pour examiner cette  proposition de résolution. Je vous félicite également de créer une nouvelle procédure pour que tous les groupes politiques aient à l’avenir le temps nécessaire à la réflexion avant l’examen des résolutions. Notre assemblée doit prendre des positions claires sur des sujets primordiaux. Si notre commission ne prenait pas position sur des sujets fondamentaux qui préoccupent nos concitoyens et les responsables politiques, elle n’aurait pas lieu d’être. Nous sommes là précisément dans notre rôle. Le commentaire fait par notre collègue Michel Herbillon est juste : ce sujet est en évolution permanente. Mais ma conclusion est différente de la sienne. Nous devrions nous repencher sur ce sujet de façon régulière. J’ai donc une question pour vous, Mme la présidente. Pourrait-on constituer un groupe d’études ou un cercle chargé de nous apporter des informations régulières sur ce qui va se passer au cours des six à huit mois à venir ?

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Il y a de toute façon un droit de suite qui pourrait – c’est à voir avec les rapporteurs – être ouvert plus largement aux députés intéressés.

Mme Valérie Gomez-Bassac. Étant maître de conférences en droit privé et ayant eu des responsabilités dans mon université, je suis très attachée aux libertés académiques. La construction de l’espace européen de l’enseignement supérieur repose sur des principes et valeurs reflétés par la Magna Charta Universitatum adoptée en 1988 à Bologne. Cette charte érige en principe fondamental de la vie universitaire la liberté de recherche, d’enseignement et de formation. Une épée de Damoclès pèse au-dessus de l’université de l’Europe centrale illustrée par le conflit ouvert entre George Soros et le gouvernement de Viktor Orbán. En parallèle, les études de genre sont bannies, on enseignerait aux jeunes Hongrois que la place des femmes est à la cuisine ou auprès des enfants. Quel état des libertés académiques dressez-vous dans votre rapport ? Sont-elles aussi menacées qu’on le dit par ailleurs ?

Mme Nicole Le Peih. Dans le cadre des négociations pour la future PAC entamées en juin dernier, la Pologne est un allié précieux de la France pour s’opposer aux coupes budgétaires envisagées par la Commission. Les aides agricoles sont en effet stratégiques pour la Pologne où 12 % de la population vit dans ce secteur. Si la France est l’État membre qui perçoit le plus d’aides au titre de la PAC, la Pologne est le 5ème et reçoit environ 4,5 milliards d’euros d’aides. Pensez-vous que cette reconnaissance par notre assemblée de la violation de l’État de droit en Pologne puisse avoir des conséquences sur son soutien à la France pour maintenir un budget de la PAC ambitieux ?

M. Alexandre Freschi. Je félicite nos deux rapporteurs et regrette l’absence de nos collègues Républicains dans la discussion. Je voudrais revenir sur la question de la conditionnalité comme instrument pour faire respecter l’État de droit. Vous avez rappelé les conséquences de l’application de la conditionnalité pour les populations civiles. J’aimerais savoir à quels outils vous pensez pour que la conditionnalité n’ait pas d’impact négatif sur la population.

Mme Marguerite Deprez-Audebert. Existe-t-il en dehors de ce rapport d’initiative française d’autres rapports d’autres pays de l’Union européenne sur l’État de droit ? Mon autre question porte sur le travail des journalistes internationaux présents dans ces pays. En avez-vous rencontré ? Y a‑t‑il encore des correspondants étrangers en Pologne, en Hongrie, en Roumanie ? Vous ont-ils fait part de leurs conditions de travail ? Votre rapport a vocation à être diffusé dans la presse nationale, internationale et dans les territoires également. En effet, ma région compte un fort pourcentage de population d’origine polonaise et celle-ci n’a pas conscience de ce qui se passe actuellement Pologne.

M. Pieyre-Alexandre Anglade. Je me joins aux félicitations de mes collègues sur ce très bon rapport qui prend parfaitement en compte ce qui s’est passé au cours des derniers mois en faisant référence au rapport Sargentini et au vote du Parlement européen. Par ailleurs, en réponse à nos collègues Républicains qui affirment ne pas avoir disposé de temps pour examiner la proposition de résolution, je dirais que le Parlement européen a publié des rapports dès 2011 et qu’on ne découvre pas la situation. L’Assemblée nationale doit examiner, contrôler, débattre de la démocratie et de l’État de droit dans les États membres de l’Union européenne. C’est la moindre des choses. Ce rapport adopte à mon avis la bonne approche. C’est un rapport réaliste, sobre, nuancé qui traduit des convictions. Je regrette donc que certains groupes politiques aient fait le choix de sortir de la salle. Le projet de déconstruction politique de l’Union européenne ne se limite pas à brader les principes d’humanisme mais affecte tous les mécanismes de décision sur les réformes fondamentales à faire. Je pense évidemment à la réforme de la zone euro, au budget européen et à la question migratoire. Avez-vous senti, dans les pays où vous êtes allés, une remise en cause plus globale du projet européen, au-delà de celle des principes de l’État de droit ?

M. Thierry Michels. Merci à nos deux rapporteurs pour leur travail remarquable qui nous éclaire sur une réalité très inquiétante. Il faut conserver ce trésor qu’est la démocratie. Les élections européennes vont être un moment crucial au cours duquel nous nous rendrons compte qu’il faut se battre et se mobiliser pour ce trésor que nous avons en main. J’aimerais savoir comment se manifeste concrètement les atteintes à l’État de droit pour la femme et l’homme de la rue des pays que vous avez visités ?

M. Xavier Paluszkiewicz. Je déplore le comportement ubuesque d’une partie de l’opposition qui, sur un sujet important, délicat et sérieux, fait le choix de la posture et d’une esbroufe exacerbée. J’aimerais vous interroger sur l’alinéa 41 de la proposition de résolution portant sur la mise en place d’un « comité des parties prenantes, comprenant juristes reconnus, représentants des médias, des ONG et des autorités publiques, pour traiter des questions relatives à l’État de droit. » Comment la création de ce comité pourrait-elle permettre une amélioration de la situation ?

Mme Christine Hennion. Notre Union européenne est basée sur une communauté de valeurs. À l’occasion d’un déplacement à Bruxelles qui portait sur le RGPD (Règlement général sur la protection des données personnelles), j’avais constaté que nos collègues polonais essayaient de freiner l’application de ce texte important sur les libertés dans le domaine du numérique. Avez-vous pu discuter du développement des technologies et du risque de cyber surveillance avec les collègues que vous avez rencontrés ?

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Sur la conditionnalité des fonds, il faut avoir une certaine prudence pour que ce ne soient pas les citoyens qui subissent les conséquences d’une décision politique qui est censée les aider. Il ne faudrait pas que, pour garantir l’État de droit, on lèse des citoyens européens, qui subissent déjà des décisions qui ne leur correspondent pas. Le mécanisme est en train d’être pensé par la Commission européenne pour faire en sorte que cela ne touche pas les acteurs privés et ceux qui protègent la démocratie au quotidien.

Le Comité des parties prenantes doit permettre de donner une voix à ceux qui en sont privés et de retrouver un dialogue avec les autorités publiques. Il faut remettre tous les acteurs autour de la table.

Il y a effectivement eu d’autres rapports, notamment le rapport Sargentini, et ceux de la Commission européenne et de la Commission de Venise. Il y en a eu pléthores, afin d’alerter à chaque nouvelle évolution de la situation dans ces États membres. Nous avons ressenti, dans nos échanges sur place, dans les inquiétudes de la population et des associations qui nous ont sollicités, que derrière cette atteinte à l’État de droit, il y avait une musique tendant à faire croire que l’Union européenne devenait la nouvelle URSS, et que le pays n’avait pas d’avenir s’il ne se repliait pas sur lui-même. Il y a eu des campagnes très dures à l’endroit de nos démocraties. La France a parfois été décrite comme une civilisation décadente, aux mauvaises mœurs, avec une majorité qui se moque de ses citoyens. C’est une instrumentalisation du discours pour séparer l’avenir du pays du caractère europhile de la population. Or ce sont des populations très europhiles.

M. Vincent Bru, rapporteur. Il faut souligner que la Pologne a touché 86 milliards d’euros dans le cadre financier pluriannuel 2014‑2020, et pour la Hongrie, cela représente plus de 4,5 % de son PIB. On estime notamment que les fonds européens représentent plus de la moitié des investissements en Hongrie. Il n’y a pas de rejet de l’Europe, dans la population polonaise ou hongroise. D’ailleurs, M. Orbán ne dit pas qu’il veut quitter l’Europe mais seulement la transformer. Nous sentons que les jeunes sont attachés à l’Europe, pour des raisons économiques et de niveau de vie mais aussi parce qu’ils réagissent davantage aux attaques à l’État de droit. Ainsi, ils s’expatrient : on compte plus d’un million de Polonais vivant en dehors de leur pays, il y a beaucoup de jeunes qui quittent les universités hongroises pour les autres universités européennes. Il y a donc un déficit d’intelligence et de ressources pour l’avenir qui est très inquiétant.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Sur la liberté académique, nous avons de fortes inquiétudes. En Hongrie, des lois visent à réguler un enseignement académique libre et critique à l’endroit des autorités locales. Concernant le paquet législatif en date du 4 avril 2017, la Commission de Venise et la Commission européenne ont successivement tiré la sonnette d’alarme. Cette loi a été adoptée en arguant que cela concernait toutes les universités alors que cela en visait une spécifiquement, mettant à sa charge des contraintes administratives excessives pour tenter de l’empêcher d’enseigner. En France, cette situation est impensable, tant l’indépendance académique est importante. C’est la raison pour laquelle certains citoyens quittent leur pays, car ils n’ont pas accès à un enseignement de qualité. Cette situation est très préoccupante, à l’endroit de la liberté académique mais aussi des ONG, qui subissent des taxes spécifiques si elles aident des populations en difficulté, notamment des minorités et des migrants.

Dans le quotidien, sans juge impartial, le droit n’est pas du tout assuré d’être respecté. En cas de capture des données personnelles par l’État, par exemple, si le citoyen veut les récupérer, l’autorité de régulation peut être contrôlée politiquement. Si le citoyen va devant le juge et que celui-ci est également sanctionné en raison d’une trop grande indépendance, alors le droit au respect de la vie privée et aux données personnelles n’est pas respecté.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Nous allons à présent procéder à l’examen de la proposition de résolution. Je précise auparavant comment vont se dérouler les travaux de l’Assemblée sur cette résolution qui met en cause plusieurs États membres au regard du respect des valeurs sur lesquelles l’Union européenne est fondée, conformément à l’article 7 du Traité sur l’Union européenne. À l’issue de nos travaux, la présidence de l’Assemblée nationale saisira la commission permanente compétente ; celle-ci disposera d’un mois pour examiner cette résolution. Je proposerai au président de la commission qui sera saisie au fond d’organiser une audition commune des ambassadeurs de Hongrie et de Pologne avant l’examen de la résolution. Nous recevrons par ailleurs de notre côté une délégation de la commission des affaires européennes de Roumanie le 30 octobre prochain ; ce sera l’occasion de mettre ce sujet sur la table. Tout cela montre bien, contrairement à ce qu’affirment certains membres de l’opposition, que nous pouvons affirmer nos valeurs sans rompre le dialogue.

À l’issue de la présentation du rapport d’information, la commission a examiné la proposition de résolution européenne.

La commission examine l’amendement n° 1 de Mme Danièle Obono.

Mme Danièle Obono. Mon amendement est un amendement d’appel. Comme je l’ai indiqué lors de la dernière réunion, nous sommes globalement en accord avec les éléments développés dans la proposition de résolution. Toutefois, ayant eu le temps d’examiner le texte, nous souhaiterions souligner un point qui nous semble problématique à l’alinéa 39. En effet, le fait de « soutenir la proposition de la Commission européenne visant à mettre en place, au sein du prochain Cadre Financier Pluriannuel, un instrument de protection du budget de l’Union européenne en cas de défaillance systémique de l’État de droit » ne nous paraît pas opportun. Cette conditionnalité de l’aide est pour nous une fausse bonne idée, qui risquerait avant tout de pénaliser les populations. L’impact de ce type de mesure sur les populations n’est pas seulement une question théorique et de principe, mais une question très pratique. C’est précisément en raison de la réalité des politiques qui sont menées par les États que les peuples vont rejeter les principes démocratiques ; la vie quotidienne des citoyens et citoyennes de ces pays est aussi importante ; ce n’est pas qu’une question de droits démocratiques et politiques mais aussi de droits économiques et sociaux. À notre avis, le recul de ces derniers droits dans ces pays est une des raisons qui expliquent l’arrivée et le maintien au pouvoir d’un certain nombre de régimes qui remettent en cause les droits fondamentaux. Il faut être très attentif à cela. Nous estimons également qu’il serait intéressant de travailler à consolider les outils de contrôle de l’Union européenne sur l’affectation réelle des fonds qui sont distribués. Il serait intéressant de renforcer le travail de l’Office de lutte anti‑fraude face aux détournements des fonds alloués à un certain nombre de pays, au profit des pouvoirs en place et au détriment des populations.

Les rapporteurs ayant eux-mêmes déposé un amendement qui répond à ce souci, je suis prête à le voter et à retirer le mien, dans un souci constructif et en cohérence avec ce que mon groupe défend ici, à l’Assemblée nationale comme au niveau du Parlement européen.

M. Vincent Bru, rapporteur. Juste un mot pour remercier Mme Obono et affirmer que nous ne sommes pas du tout fermés à la discussion, bien au contraire. Nous sommes contents qu’un dialogue s’établisse autour de ce rapport et de cette proposition de résolution et que les choses ne soient pas figées. Nous regrettons que certains n’aient pas compris cela.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Je vous remercie aussi d’avoir été dans ce dialogue constructif et d’avoir attiré notre attention sur ce point-là.

L’amendement est retiré.

La commission examine l’amendement n° 2 de Mme Coralie Dubost et M. Vincent Bru, rapporteurs.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. Il s’agit de recommander un instrument qui permette de sanctionner les États et non les populations, qui, elles, ne sont pas responsables.

M. Vincent Bru, rapporteur. Lors de la journée d’étude qui a été organisée par nos collègues Coralie Dubost et Ludovic Mendes, nous avons entendu des élus locaux s’inquiéter de cette mesure, notamment eu égard au manque d’hôpitaux et d’infrastructures dans ces pays. Il faut faire attention à ce que les citoyens ne subissent pas une double peine en plus des atteintes à l’exercice de leurs libertés et de la remise en cause du système démocratique. Une élection ne se résume pas au respect de règles formelles le jour de l’élection : il s’agit aussi d’avoir des juges impartiaux et indépendants qui assurent le contentieux électoral. Nous ne voulons pas pénaliser les citoyens, mais, à titre de menace, rappeler les États à leur devoir de respecter l’État de droit.

Mme Coralie Dubost, rapporteure. J’ajoute que la Commission européenne a précisé que les bénéficiaires individuels des fonds de l’Union européenne – étudiants Erasmus, chercheurs et organisations de la société civile notamment – ne peuvent pas être tenus responsables de ces violations et donc être touchés par la sanction financière.

L’amendement n° 2 est adopté.

La proposition de résolution ainsi modifiée est adoptée à l’unanimité :

Par conséquent, la commission autorise la publication du rapport d’information.

 

 


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   Proposition de résolution européenne INITIALE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 2, 7, 19 et 49 du Traité sur l’Union européenne (TUE),

Vu la Communication de la Commission européenne « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’État de droit », du 11 mars 2014,

Vu les recommandations de la Commission européenne, notamment les recommandations (UE) 2016/1974, (UE) 2017/146 et (UE) 2017/1520,

Vu la proposition motivée conformément à l’article 7, paragraphe 1 du Traité sur l’Union européenne concernant l’État de droit en Pologne de décision du Conseil relative à la constatation d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’État de droit, du 20 décembre 2017,

Vu la proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre, du 2 mai 2018,

Vu la proposition de résolution du Parlement européen du 15 novembre 2017 sur la situation de l’État de droit et de la démocratie en Pologne (2017/2931(RSP)),

Vu le rapport relatif à une proposition invitant le Conseil à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée (2017/2131(INL)), de Mme Judith Sargentini, du 4 juillet 2018,

Sur l’État de droit au sein de l’Union européenne

Considérant que l’Union européenne est une communauté de droits fondée sur des valeurs énumérées à l’article 2 du TUE,

Considérant que l’État de droit est cité parmi les valeurs de l’article 2 du TUE et constitue l’un des principes fondateurs de l’Union européenne, issu de la tradition constitutionnelle des États membres,

Considérant que les États candidats à l’adhésion à l’Union européenne doivent respecter les critères issus des conclusions du Conseil européen des 21 et 22 juin 1993, dont notamment la démocratie, la primauté du droit et les droits de l’homme,

Considérant que la formulation actuelle de l’article 2 peut prêter à confusion quant au champ exact de l’État de droit,

Considérant toutefois que des efforts appréciables de définition ont été fournis par la Commission européenne, dans la Communication établissant nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’État de droit,

Considérant en particulier que l’État de droit comprend des principes issus d’une jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE),

Réaffirme son attachement à l’ensemble des valeurs de l’Union européenne, telles que définies à l’article 2 du TUE,

Estime qu’une prochaine révision des Traités pourrait permettre de clarifier la notion d’État de droit à l’article 2 du TUE, en s’appuyant notamment sur la Charte des droits fondamentaux,

Estime néanmoins que la Commission européenne est légitime pour s’appuyer sur les critères dégagés par la CJUE afin de garantir le respect de l’État de droit au sein des États membres, et veiller ainsi à l’application des Traités, ainsi que le dispose l’article 17 du TUE,

Sur la situation des États membres au regard du respect de l’État de droit

Considérant la remise en cause substantielle, dans certains États membres, d’un contrôle effectif et indépendant de constitutionnalité, de l’indépendance de la justice, du pluralisme des médias, de la lutte contre la corruption,

Considérant que le respect de la hiérarchie des normes ne peut être assuré que par une protection juridictionnelle effective de la Constitution, via un organe indépendant du politique,

Considérant que l’indépendance des juges doit être garantie notamment par leur inamovibilité et par des mécanismes de promotion et de sanction indépendants des pouvoirs exécutif et législatif, ainsi que par l’exercice d’un pouvoir disciplinaire propre à l’organisation juridictionnelle, sans immixtion ni influence du Gouvernement et du Parlement,

Considérant en particulier que l’abaissement soudain de l’âge de la retraite des magistrats est de nature à perturber la qualité du travail de ces derniers ainsi que leur indépendance et caractérise une discrimination en fonction de l’âge,

Considérant que les mises à la retraite forcées, les nominations rapides et le remplacement de facto d’une génération de juges par une autre sont de nature à vider l’État de droit de sa substance, et portent atteinte au principe fondamental de non-discrimination sur deux critères, l’âge et les convictions politiques,

Considérant que le pluralisme des médias et des sources d’information, d’expression et d’opinion sont les piliers de la démocratie et un axe cardinal de la vie démocratique,

Considérant que la lutte contre la corruption est indispensable à la garantie d’un État de droit et d’une société démocratique,

Considérant que les violations systémiques à l’État de droit peuvent remettre en cause la confiance mutuelle entre États membres, et donc l’application uniforme des principes fondamentaux de l’Union européenne à l’ensemble des États membres,

Soutient les institutions européennes dans leurs efforts pour lutter contre les violations systémiques de l’État de droit,

Soutient, à ce titre, le dialogue entre la Commission européenne et la Pologne au titre de l’État de droit, ainsi que la proposition motivée de la Commission européenne au Conseil, au titre de l’article 7, paragraphe 1,

Dénonce la dégradation de l’État de droit, motivée par un programme idéologique contraire aux valeurs européennes et démocratiques, en Hongrie et en Pologne,

Estime que les évolutions législatives en Pologne, et en particulier la remise en cause de la composition de la Cour suprême le 2 juillet 2018, ne permettent pas de mettre fin à la procédure inscrite à l’article 7, paragraphe 1,

Considère que le Conseil doit être prêt, en l’absence de progrès significatifs en Pologne quant à l’indépendance de la justice, à constater l’existence d'une violation grave et persistante des valeurs visées à l'article 2,

Estime que la situation de l’État de droit en Hongrie, notamment en matière de respect du Défenseur des droits de l’homme, de liberté académique, du pluralisme des médias, d’indépendance de la justice, justifie le constat, par le Conseil, de l’existence d’une violation grave de l’État de droit,

Considère que, en l’état, le Mécanisme de Coopération et de Vérification a toujours vocation à s’appliquer à la Roumanie, afin d’aider les autorités publiques roumaines à lutter contre la corruption et de soutenir les progrès vers un système judiciaire transparent, indépendant et impartial,

Sur les instruments de l’Union européenne pour assurer le respect par les États membres de l’État de droit,

Considérant la nécessité pour le Conseil européen de statuer à l’unanimité pour constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l'article 2, au titre de l’article 7, paragraphe 2 du TUE,

Considérant que, dans la situation actuelle, une telle unanimité est inenvisageable,

Soutient la proposition de la Commission européenne visant à mettre en place, au sein du prochain Cadre Financier Pluriannuel, un instrument de protection du budget de l’Union européenne en cas de défaillance systémique de l’État de droit,

Estime nécessaire que soient mis en place de nouveaux mécanismes visant à assurer le respect effectif de l’État de droit par l’ensemble des États membres de l’Union européenne,

Recommande la mise en place d’un comité des parties prenantes, comprenant juristes reconnus, représentants des médias, des ONG et des autorités publiques, pour traiter des questions relatives à l’État de droit,

Soutient la proposition de création d’un mécanisme global de l’Union pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux, qui s’appliqueraient à tous les États membres ainsi qu’aux trois principales institutions de l’Union, ainsi que la mise en place d’un semestre européen de l’État de droit,

Souhaite la mise en place d’un réseau d’autorités administratives indépendantes nationales et de juristes experts en matière d’État de droit, échangeant informations et bonnes pratiques, doté d’un pouvoir d’alerte auprès de la Commission européenne, dès le constat d’une violation répétée de l’État de droit,

Encourage la Commission européenne à s’appuyer sur l’OLAF (Office européen de la lutte antifraude) ainsi que sur les rapports de la Cour des Comptes européenne pour disposer d’informations aussi précises que possible relatives au respect de l’État de droit, notamment dans le cadre de la passation de marchés publics.

 


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   AMENDEMENTS

 

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉEENNES

9 octobre 2018


Proposition de Résolution Européenne relative à l’état de droit
au sein de l’Union européenne (N° 1300)

 

AMENDEMENT

No 1

 

présenté par

Mme Danièle Obono et les membres du groupe La France insoumise

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ARTICLE UNIQUE

Supprimer l’alinéa 39 : « Soutient la proposition de la Commission européenne visant à mettre en place, au sein du prochain Cadre Financier Pluriannuel, un instrument de protection du budget de l’Union européenne en cas de défaillance systémique de l’État de droit, ».

EXPOSÉ SOMMAIRE

Seule proposition formulée par l’Union européenne, la conditionnalité de l’aide n’est en aucun cas une solution selon nous.

Dans le cadre de son budget 2021‑2027, l’Union européenne a ainsi décidé de créer un lien entre le versement de fonds européens et le respect de l’État de droit par ses membres.

Cependant, nous considérons que cette pénalité ferait le jeu des nationalistes et des europhobes, renforçant alors l’extrême‑droite.

En effet, conditionner l’aide financière apportée par l’Union européenne à la Hongrie ou à la Pologne impacterait essentiellement les populations.

Cette proposition est donc parfaitement contre-productive puisque, pour rappel, les fonds de cohésion de l’Union européenne sont destinés à réduire les inégalités entre pays européens !

De plus, les risques de dérives d’une telle mesure sont trop importants. Comment nous assurer que cela ne deviendrait pas un simple tribunal politique ? Qui déciderait ? Et selon quels critères ?

Au contraire, nous considérons qu’il faut consolider les outils de contrôle de l’Union européenne afin de s’assurer de l’affectation réelle de ces fonds. L’Office de lutte anti‑fraude de l’Union européenne (OLAF) devrait ainsi être renforcé afin de mettre fin au détournement des fonds alloués par l’Europe à la Hongrie.

Il est en effet scandaleux d’apprendre que les proches de Viktor Orbán ont amassé des fortunes en monopolisant les marchés publics hongrois, eux-mêmes financés en grande partie grâce aux fonds de cohésion de l’Union européenne !

Ainsi, pour faire respecter l’État de droit, il nous semble essentiel que les fonds européens soient bien alloués, afin de garantir aux populations un niveau de vie décent et homogène au sein de l’Union européenne.

 

Cet amendement est retiré.

 


COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉEENNES

10 octobre 2018


Proposition de Résolution Européenne relative à l’état de droit
au sein de l’Union européenne (N° 1300)

 

AMENDEMENT

No 2

 

présenté par

Mme Coralie Dubost et M. Vincent Bru, Rapporteurs

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ARTICLE UNIQUE

À l’alinéa 39, après les mots : « défaillance systémique de l’État de droit »,

insérer :

« ; souhaite toutefois attirer l’attention sur la nécessité de calibrer cet instrument de telle sorte que seuls les responsables des violations de l’État de droit subissent, le cas échéant, des sanctions financières ».

EXPOSÉ SOMMAIRE

L’instrument proposé par la Commission européenne a toute légitimité pour s’appliquer aux violations de l’État de droit dans certains États membres, puisqu’il permet d’agir efficacement dès la reconnaissance des premières violations.

Il comprend plusieurs garanties pour éviter de toucher les populations de ces États, seuls les Gouvernements, le cas échéant, peuvent être tenus responsables des violations de l’État de droit.

En particulier, l’instrument proposé par la Commission européenne :

- ne vise en rien une approche punitive à l’encontre des populations dans les États visés. Au contraire, il s’agit d’avoir entre les mains de la Commission européenne un instrument d’action rapide, contre lequel l’obstruction d’une minorité d’États est rendue très difficile par le mécanisme de la majorité inversée ;

-  prend en compte les risques de toucher les populations concernées. La Commission précise, à cet égard que « les bénéficiaires individuels des fonds de l’Union européenne, tels que les étudiants Erasmus, les chercheurs ou les organisations de la société civile, ne peuvent donc pas être considérés comme responsables de ces violations ». En particulier, « l’imposition de mesures appropriées ne remet pas en cause l’obligation des entités publiques d’exécuter le programme ou le Fonds affecté par la mesure, et notamment l’obligation d’effectuer les paiements aux destinataires ou bénéficiaires finaux. » ;

- permet de disposer d’un éventail d’instruments, parmi lesquels la suspension de paiements et d’engagements, une réduction du financement au titre d’engagements existants et une interdiction de souscrire de nouveaux engagements avec des destinataires, permettant une réponse proportionnée et donc qui aura potentiellement le moins d’impact sur les populations.

Il conviendra toutefois de prêter une attention toute particulière, en cas d’activation de cet instrument, à l’impact qu’il pourra avoir sur les porteurs de projet et l’ensemble des bénéficiaires des fonds européens dans les États membres concernés.

 

Cet amendement est adopté.

 

 

 

 


—  1  —

 

   Proposition de résolution européenne ADOPTée
par la commission

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 2, 7, 19 et 49 du Traité sur l’Union européenne (TUE),

Vu la Communication de la Commission européenne « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’État de droit », du 11 mars 2014,

Vu les recommandations de la Commission européenne, notamment les recommandations (UE) 2016/1974, (UE) 2017/146 et (UE) 2017/1520,

Vu la proposition motivée conformément à l’article 7, paragraphe 1 du Traité sur l’Union européenne concernant l’État de droit en Pologne de décision du Conseil relative à la constatation d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’État de droit, du 20 décembre 2017,

Vu la proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre, du 2 mai 2018,

Vu la proposition de résolution du Parlement européen du 15 novembre 2017 sur la situation de l’État de droit et de la démocratie en Pologne (2017/2931(RSP)),

Vu le rapport relatif à une proposition invitant le Conseil à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée (2017/2131(INL)), de Mme Judith Sargentini, du 4 juillet 2018,

Sur l’État de droit au sein de l’Union européenne

Considérant que l’Union européenne est une communauté de droits fondée sur des valeurs énumérées à l’article 2 du TUE,

Considérant que l’État de droit est cité parmi les valeurs de l’article 2 du TUE et constitue l’un des principes fondateurs de l’Union européenne, issu de la tradition constitutionnelle des États membres,

Considérant que les États candidats à l’adhésion à l’Union européenne doivent respecter les critères issus des conclusions du Conseil européen des 21 et 22 juin 1993, dont notamment la démocratie, la primauté du droit et les droits de l’homme,

Considérant que la formulation actuelle de l’article 2 peut prêter à confusion quant au champ exact de l’État de droit,

Considérant toutefois que des efforts appréciables de définition ont été fournis par la Commission européenne, dans la Communication établissant nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’État de droit,

Considérant en particulier que l’État de droit comprend des principes issus d’une jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE),

Réaffirme son attachement à l’ensemble des valeurs de l’Union européenne, telles que définies à l’article 2 du TUE,

Estime qu’une prochaine révision des Traités pourrait permettre de clarifier la notion d’État de droit à l’article 2 du TUE, en s’appuyant notamment sur la Charte des droits fondamentaux,

Estime néanmoins que la Commission européenne est légitime pour s’appuyer sur les critères dégagés par la CJUE afin de garantir le respect de l’État de droit au sein des États membres, et veiller ainsi à l’application des Traités, ainsi que le dispose l’article 17 du TUE,

Sur la situation des États membres au regard du respect de l’État de droit

Considérant la remise en cause substantielle, dans certains États membres, d’un contrôle effectif et indépendant de constitutionnalité, de l’indépendance de la justice, du pluralisme des médias, de la lutte contre la corruption,

Considérant que le respect de la hiérarchie des normes ne peut être assuré que par une protection juridictionnelle effective de la Constitution, via un organe indépendant du politique,

Considérant que l’indépendance des juges doit être garantie notamment par leur inamovibilité et par des mécanismes de promotion et de sanction indépendants des pouvoirs exécutif et législatif, ainsi que par l’exercice d’un pouvoir disciplinaire propre à l’organisation juridictionnelle, sans immixtion ni influence du Gouvernement et du Parlement,

Considérant en particulier que l’abaissement soudain de l’âge de la retraite des magistrats est de nature à perturber la qualité du travail de ces derniers ainsi que leur indépendance et caractérise une discrimination en fonction de l’âge,

Considérant que les mises à la retraite forcées, les nominations rapides et le remplacement de facto d’une génération de juges par une autre sont de nature à vider l’État de droit de sa substance, et portent atteinte au principe fondamental de non-discrimination sur deux critères, l’âge et les convictions politiques,

Considérant que le pluralisme des médias et des sources d’information, d’expression et d’opinion sont les piliers de la démocratie et un axe cardinal de la vie démocratique,

Considérant que la lutte contre la corruption est indispensable à la garantie d’un État de droit et d’une société démocratique,

Considérant que les violations systémiques à l’État de droit peuvent remettre en cause la confiance mutuelle entre États membres, et donc l’application uniforme des principes fondamentaux de l’Union européenne à l’ensemble des États membres,

Soutient les institutions européennes dans leurs efforts pour lutter contre les violations systémiques de l’État de droit,

Soutient, à ce titre, le dialogue entre la Commission européenne et la Pologne au titre de l’État de droit, ainsi que la proposition motivée de la Commission européenne au Conseil, au titre de l’article 7, paragraphe 1,

Dénonce la dégradation de l’État de droit, motivée par un programme idéologique contraire aux valeurs européennes et démocratiques, en Hongrie et en Pologne,

Estime que les évolutions législatives en Pologne, et en particulier la remise en cause de la composition de la Cour suprême le 2 juillet 2018, ne permettent pas de mettre fin à la procédure inscrite à l’article 7, paragraphe 1,

Considère que le Conseil doit être prêt, en l’absence de progrès significatifs en Pologne quant à l’indépendance de la justice, à constater l’existence d'une violation grave et persistante des valeurs visées à l'article 2,

Estime que la situation de l’État de droit en Hongrie, notamment en matière de respect du Défenseur des droits de l’homme, de liberté académique, du pluralisme des médias, d’indépendance de la justice, justifie le constat, par le Conseil, de l’existence d’une violation grave de l’État de droit,

Considère que, en l’état, le Mécanisme de Coopération et de Vérification a toujours vocation à s’appliquer à la Roumanie, afin d’aider les autorités publiques roumaines à lutter contre la corruption et de soutenir les progrès vers un système judiciaire transparent, indépendant et impartial,

Sur les instruments de l’Union européenne pour assurer le respect par les États membres de l’État de droit,

Considérant la nécessité pour le Conseil européen de statuer à l’unanimité pour constater l’existence d’une violation grave et persistante par un État membre des valeurs visées à l'article 2, au titre de l’article 7, paragraphe 2 du TUE,

Considérant que, dans la situation actuelle, une telle unanimité est inenvisageable,

Soutient la proposition de la Commission européenne visant à mettre en place, au sein du prochain Cadre Financier Pluriannuel, un instrument de protection du budget de l’Union européenne en cas de défaillance systémique de l’État de droit ; souhaite toutefois attirer l’attention sur la nécessité de calibrer cet instrument de telle sorte que seuls les responsables des violations de l’État de droit subissent, le cas échéant, des sanctions financières,

Estime nécessaire que soient mis en place de nouveaux mécanismes visant à assurer le respect effectif de l’État de droit par l’ensemble des États membres de l’Union européenne,

Recommande la mise en place d’un comité des parties prenantes, comprenant juristes reconnus, représentants des médias, des ONG et des autorités publiques, pour traiter des questions relatives à l’État de droit,

Soutient la proposition de création d’un mécanisme global de l’Union pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux, qui s’appliqueraient à tous les États membres ainsi qu’aux trois principales institutions de l’Union, ainsi que la mise en place d’un semestre européen de l’État de droit,

Souhaite la mise en place d’un réseau d’autorités administratives indépendantes nationales et de juristes experts en matière d’État de droit, échangeant informations et bonnes pratiques, doté d’un pouvoir d’alerte auprès de la Commission européenne, dès le constat d’une violation répétée de l’État de droit,

Encourage la Commission européenne à s’appuyer sur l’OLAF (Office européen de la lutte antifraude) ainsi que sur les rapports de la Cour des Comptes européenne pour disposer d’informations aussi précises que possible relatives au respect de l’État de droit, notamment dans le cadre de la passation de marchés publics.


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   annexe :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

 

 

Paris

-            Mme Nathalie Loiseau, Ministre auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargée des Affaires européennes

-            M. Sébastien Touzé, professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas

-            M. Jean-Pierre Massias, professeur de droit public à l’Université de Pau
et des Pays de l’Adour, Président de l’Institut Universitaire Varenne

-            M. Yves Bertoncini, Président du Mouvement Européen – France

-            Mme Yana Prokofyeva, Mouvement Européen – France

-            M. Renaud Halem, chef du secteur « espace judiciaire européen » au secrétariat général des affaires européennes

-            Mme Audrey Saunion, secrétariat général des affaires européennes

-            M. William Pique, secrétariat général des affaires européennes

-            Mme Lucile Gernot, secrétariat général des affaires européennes

-            M. Stéphane Pierré-Caps, professeur, directeur de l'Institut de Recherches sur l'Évolution de la Nation Et de l'État

-            Mme Claire Bazy-Malaurie, membre du Conseil constitutionnel et de la Commission de Venise

 

Bruxelles

-            M. Francisco Fonseca Morillon, directeur général adjoint, direction générale justice et consommateurs

-            M. Emmanuel Crabit, directeur, droits fondamentaux et état de droit, direction générale justice et consommateurs

-            Mme Nathalie Griesbeck, (groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe), présidente de la commission spéciale sur le terrorisme

-            M. Ben Smulders, chef de cabinet du Premier vice-président Franz Timmermans, chargé de l'amélioration de la réglementation, des relations interinstitutionnelles, de l'état de droit et de la Charte des droits fondamentaux

-            M. Florian Blazy, conseiller juridique, Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne,

-            Mme Pauline Dubarry, conseillère justice – questions transversales

Bucarest

-            M. Tudorel Toader, Ministre de la Justice

-            M. Florin Iordache (PSD, vice-président de la Chambre des Députés, Président de la Commission parlementaire spéciale sur la réforme de la justice)

-            M. Catalin Predoiu, député (PNL)

-            M. Dan Barna, député et chef du parti USR (Union Sauvez la Roumanie)

-            Mme Raluca Alexandrescu, maître de conférences à la faculté de Sciences politiques de l’Université de Bucarest

-            M. Dragos Calin, Président du Forum des Juges de Roumanie

-            Mme Mona Popescu, magistrat de liaison, Ambassade de France

-            Mme Angela Cristea, représentante de la Commission européenne

-            Mme Simina Tanasescu, conseillère du Président de la République

 

Varsovie

-            M. Konrad Szymański, vice-ministre des Affaires étrangères

-            Mme Malgorzata Gersdorf, Présidente de la Cour suprême

-            Mme Kamila Gasiuk-Pihowicz, députée du parti Nowoczesna

-            Mme Hanna Machińska, adjointe au défenseur des droits

-            MM. Krystian Markiewicz et Tomasz Marczyński, Président et vice-président de l’association Iustitia

-            Mme Małgorzata Szuleka, avocate à la Fondation Helsinki pour les droits de l’Homme (FHDH)

 

Budapest

-            M. László Trócsányi, Ministre de la Justice

-            M. Zsolt Németh, Président de la Commission des affaires étrangères, Fidesz

-            Mme Hajnalka Juhasz, vice-président de la Commission des affaires étrangères, et membre de la Commission des affaires européenne, KDNP

-            Mme Katalin Csöbör, membre de la Commission des affaires européenne, Fidesz

-            M. Istvan Bajkai, membre de la Commission législative, Fidesz

-            M. Márton Gyöngyosi, membre de la Commission des affaires étrangères, Jobbik

-            M. Michael Ignatieff, Président et recteur de l’Université d’Europe Centrale

-            M. József Péter Martin, directeur exécutif de Transparency International – Hongrie

-            M. David Vig, Comité Helsinki

-            M. Mate Szabó, TASZ

-            M. László Majtényi, Institut Eötvös Károly

-            Mme Veronika Móra, Fondation Ökotárs

-            M. Gábor Polyák, ONG Mertek media


([1]) Professeur à l’Université du Middlesex.

([2]) Jacques-Yvan Morin, L’État de droit : émergence d’un principe du droit international, Recueil des Cours de l’Académie de Droit International. Tome 254, La Haye, Martinus Nijhoff Publishers, 1995.

([3]) J. Jowell, The Rule of Law Today. Dans J. Jowell & D. Oliver, The Changing Constitution, 6ème éd. Oxford 2007, p 57.

([4]) Ricardo Gosalbo Bono, « État de droit et droit de l’Union européenne »,  Rev. UE 2011. 13.

([5]) « Was bedeutet der Streit um den "Rechtsstaat"? » in Zeitschrift für die gesamte Staatswissenschaft (95.Band, 1935, Verlag der H.Laupp’schen Buchhandlung Tübingen), S. 189-201.

([6]) A. V. Dicey, An Introduction to the Study of the Law of the Constitution. Introduction par E.C.S. Wade, 10ème édition, dans Ricardo Gosalbo Bono, « État de droit et droit de l’Union européenne », Rev. UE 2011. 13.

([7]) Jacques-Yvan Morin, op. cit.

([8]) Ricardo Gosalbo Bono, « État de droit et droit de l’Union européenne », Revue du marché commun et de l’Union européenne, 2011, 546, p 156-174.

([9]) R. Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, Paris, 1920.

([10]) Audition du 28 mars 2018.

([11]) Ricardo Gosalbo Bono, op. cit.

([12]) Ces assertions sont empruntées à Patrick Gaïa : « La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », Revue française de droit constitutionnel, vol. 58, n° 2, 2004, pp. 227-246.

([13]) CJCE, 22 novembre 2005, Werner Mangold c. Rüdiger Helm.

([14]) Arrêt dit « Solange I » du 29 mai 1974.

([15]) CJCE, « Les Verts », 1986 : « l’UE est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’est le traité », forme de principe de légalité applicable directement au droit européen.

([16]) Avis de la Commission au Conseil du 1er octobre 1969.

([17]) Article 6 du Traité sur l’Union européenne.

([18]) Patrick Gaïa : « La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne », Revue française de droit constitutionnel, vol. 58, n° 2, 2004, pp. 227-246.

([19]) Delledonne, Giacomo. « Homogénéité constitutionnelle et protection des droits fondamentaux et de l’État de droit dans l’ordre juridique européen », Politique européenne, vol. 53, n° 3, 2016, pp. 86-109.

([20]) Delledonne, Giacomo. op. cit.

([21]) CJCE, 23 avril 1986,  Les Verts c. Parlement, affaire 294/83.

([22]) Article 19 du TUE.

([23]) CJCE, 6 déc. 1990, Zwartveld, aff. C2/88.

([24]) Ricardo Gosalbo Bono, op. cit.

([25]) CJCE, Commission/CAS Succhi di Frutta, Rec. 2004, p. I-3801, point 63.

([26]) CJCE, arrêt du 6 avril 1962, Soc. Kledingverkoopbedrijf de Geus en Uitdenbogerd, 13/61 et CJCE, arrêt du 14 juillet 1972, ICI c.Commission, 48/69.

([27]) Affaires jointes 46/87 et 227/88, Hoechst/Commission, Rec. 1989, p. 2859, point 19.

([28]) Affaire C-50/00 P Unión de Pequeños Agricultores, Rec. 2002, p. I-6677, points 38 et 39.

([29]) Affaire C-279/09 DEB, Rec. 2010, p. I-13849, point 58.

([30]) Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil. « Un nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’État de droit. », 11 mars 2014.

([31]) « La situation de l’État de droit et de la démocratie en Pologne ». Résolution du Parlement européen du 15 novembre 2017 sur la situation de l’État de droit et de la démocratie en Pologne (2017/2931(RSP)).

([32]) Avis 2/13 de la Cour, 18 décembre 2014.

([33]) 2002/584/JAI : Décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres - Déclarations de certains États membres sur l’adoption de la décision-cadre.

 

([34]) Thomas Carothers, The End of the Transition Paradigm, Journal of Democracy, 2002.

([35]) Audition du 28 mars 2018.

([36]) Batory Foundation et European Stability initiative, « Where the law ends. The collapse of the rule of law in Poland – and what to do », 29 mai 2018.

([37]) Batory Foundation et European Stability initiative, idem.

([38]) P.-A. Collot, « Difficulté contre-majoritaire et usage impérieux du pouvoir constituant dérivé au regard de la quatrième révision de la loi fondamentale de Hongrie », R.F.D.C., 2013/4, pp. 789-812.

([39]) Avis de la Commission de Venise sur la nouvelle Constitution de la Hongrie, Venise, 17-18 juin 2011.

([40]) Avis n° 621/2011 de la Commission de Venise sur la nouvelle Constitution de Hongrie, 20 juin 2011.

([41]) Audition du 28 mars 2018.

([42]) Observations finales concernant le sixième rapport de la Hongrie, Comité des Droits de l’Homme, 9 mai 2018.

([43]) Affaire n° K 34/15.

([44]) Le nouvel article 31a(1) prévoit que « dans les affaires particulièrement flagrantes, l’Assemblée générale demande au Sejm de révoquer le juge du Tribunal ».

([45]) Avis de la Commission de Venise sur les amendements à la loi du 25 juin 2015 relative au Tribunal constitutionnel de Pologne, adopté les 11-12 mars 2016.

([46]) Batory Foundation  et European Stability initiative, op. cit

([47]) Avis de la Commission de Venise sur les amendements à la loi du 25 juin 2015 relative au Tribunal constitutionnel de Pologne, adopté les 11-12 mars 2016.

([48]) Audition du 28 mars 2018.

([49]) Recommandation (UE) 2016/1374 de la Commission du 27 juillet 2016 concernant l’État de droit en Pologne.

([50]) Cour européenne des droits de l’homme, affaire Pohoska c. Pologne, 33530/06, 10 avril 2012.

([51]) GRECO, Quatrième cycle d’évaluation. Prévention de la corruption des parlementaires, des juges et des procureurs. Rapport d’évaluation de la Hongrie. 27 mars 2015.

([52]) Audition du 30 mai 2018.

([53]) « It Starts With The Personnel. Replacement of common court presidents and vice presidents from August 2017 to February 2018 », April 2018: Helsinki Foundation for Human Rights.

([54]) Articles 1er, paragraphe 23, points b) et c) et 13, paragraphe 1.

([55]) Affaire C-286/1, Commission / Hongrie.

([56]) Institut des droits de l’homme de l’Association internationale du barreau : « Still under threat : the independance of the judiciary and the rule of law in Hungary », octobre 2015.

([57]) Judith Sargentini, Rapport relatif à une proposition invitant le Conseil à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée (2017/2131(INL)), 4 juillet 2018.

([58]) Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme sur sa mission en Hongrie, 19 janvier 2017.

([59]) Avis de la Commission de Venise, n° 798/2015 sur la législation relative aux médias (loi CLXXXV sur les services médiatiques et les médias, loi CIV sur la liberté de la presse et législation concernant l’imposition des recettes publicitaires des médias) de Hongrie.

([60]) Rapport du BIDDH sur les élections législatives du 8 avril 2018.

([61]) Rapport du BIDDH précité.

([62]) Avis 891/2017 de la Commission de Venise sur la Loi XXV du 4 avril 2017 portant modification de la Loi CCIV de 2011 sur l’enseignement supérieur national, 9 octobre 2017.

([63]) Rupnik, Jacques. « La démocratie illibérale en Europe centrale », Esprit, vol. juin, n° 6, 2017, pp. 69-85.

([64]) Gradvohl, Paul. « Orbán et le souverainisme obsidional », Politique étrangère, vol. printemps, n° 1, 2017, pp. 35-45.

([65]) Open Society, « Legal analysis of Hungary’s anti-NGO Bill », juillet 2018.

([66]) Rupnik, Jacques. « Poussées nationales-populistes en Europe du Centre-Est », Après-demain, vol. n ° 43, nf, n° 3, 2017, pp. 26-28.

([67]) Rupnik, Jacques. « La crise du libéralisme en Europe centrale », Commentaire, vol. n° 160, n° 4, 2017, pp. 797-806.

([68]) Kim Lane Scheppele, « Autocratic legalism », The University of Chicago Law Review, vol. 85, n° 2 (March 2018), pp. 545-584

([69]) Batory Foundation et European Stability initiative, op. cit.

([70]) « Pech Laurent and  Scheppele Kim Lane, 2017, ‘Illiberalism Within: Rule of Law Backsliding in the EU’, Cambridge Yearbook of  European  Legal  Studies, »

([71]) Recommandation de la Commission concernant l’État de droit en Pologne : questions et réponses.

([72]) Recommandation (UE) 2017/146 de la Commission du 21 décembre 2016 concernant l’État de droit en Pologne complétant la recommandation (UE) 2016/1374.

([73]) Recommandation de la Commission du 26 juillet 2017 concernant l’État de droit en Pologne complétant les recommandations (UE) 2016/1374 et (UE) 2017/146 de la Commission.

([74]) « La situation de l’État de droit et de la démocratie en Pologne ». Résolution du Parlement européen du 15 novembre 2017 sur la situation de l’État de droit et de la démocratie en Pologne (2017/2931(RSP)).

([75]) Councils for the Judiciary Report 2010-2011 : “the mechanism for appointing judicial members of a Council must be a system which excludes any executive or legislative interference and the election of judges should be solely by their peers and be on the basis of a wide representation of the relevant sectors of the judiciary.”

([76]) « In relation to the developing situation in Poland, the ENCJ emphasizes the importance of the executive respecting the independence of the judiciary, and only undertaking reforms to the justice system after meaningful consultation with the Council for the Judiciary and the judges themselves. »

([77]) Opinion of the CCJE Bureau following the request of the Polish National Council of the Judiciary, 07.04.2017.

([78]) Les missions de l’Agence ont été définies par le  règlement n° 168/2007 du Conseil du 15 février 2007.

([79]) Opinion on the development of an integrated tool of objective fundamental rights indicators able to measure compliance with the shared values listed in Article 2 TEU based on existing sources of information.

([80]) Agence des Droits fondamentaux. « Entre promesses et réalisations : 10 abs de droits fondamentaux dans l’UE », 2017.

([81]) Audition du 28 mars 2018.

([82]) Rapport d’information n° 3083  du 11 janvier 2011 sur la protection des droits fondamentaux en Europe et les relations entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe.

([83]) Proposition motivée conformément à l’article 7, paragraphe 1, du Traité sur l’Union européenne concernant l’État de droit en Pologne de décision du Conseil relative à la constatation d’un risque clair de violation grave, par la République de Pologne, de l’État de droit.

([84]) Pech Laurent and Scheppele Kim Lane, 2017, « Illiberalism Within : Rule of Law Backsliding in  the EU », Cambridge Yearbook of European Legal Studies, : « Once a government has created facts on the ground ‑ packed courts, fired officials, purged institutions – the Commission’s tools fail to work. The Commission can virtually never force a change in an existing situation but only lay out ground rules for the future. »

([85]) CJUE 26 février 2013, aff. C-617/10, Åkerberg Fransson.

([86]) Delledonne, Giacomo. « Homogénéité constitutionnelle et protection des droits fondamentaux et de l’État de droit dans l’ordre juridique européen », Politique européenne, vol. 53, n° 3, 2016, pp. 86-109.

([87]) Koen Lenaerts, The Court of Justice and National Courts : A Dialogue Based on Mutual Trust and Judicial Independence, 19 mars 2018.

([88]) Judgement of Ms Justice Donnelly, in Ministry of Justice and Equality and Artur Celmer, High Court, 12 mars 2018.

([89]) - les modifications du rôle constitutionnel de protection de l’indépendance de la justice dévolu au Conseil national de la magistrature, combinées aux nominations illégales au Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) par le gouvernement polonais et au refus de ce dernier de publier certaines décisions ;

-  le fait que le ministre de la Justice soit désormais le procureur général, qu’il soit habilité à jouer un rôle actif dans les poursuites judiciaires et qu’il revête un rôle disciplinaire à l’égard des présidents de juridiction, ce qui a potentiellement un effet dissuasif sur ces présidents, avec, pour conséquence, une incidence sur l’administration de la justice ;

-  le fait que le Sąd Najwyższy (Cour suprême) soit affecté par des mises à la retraite d’office et par les nominations futures, et que les nominations politiques prévaudront dans une large mesure dans la nouvelle composition du Conseil national de la magistrature, et

-  le fait que l’intégrité et l’efficacité du Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) aient été grandement perturbées en ce que rien ne garantit que les lois en Pologne respectent la Constitution polonaise, ce qui suffit en soi à emporter des effets sur l’ensemble du système de justice pénale.

([90]) Audition du 28 mars 2018.

([91]) Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la protection du budget de l’Union en cas de défaillance généralisée de l’État de droit dans un État membre, 2 mai 2018.

([92])  Judith Sargentini, Rapport relatif  à une proposition invitant le Conseil à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée (2017/2131(INL)), 4 juillet 2018.

([93]) Résolution du Parlement européen du 25 octobre 2016 contenant des recommandations à la Commission sur la création d’un mécanisme de l’Union pour la démocratie, l’État de droit et les droits fondamentaux (2015/2254(INL)).

([94]) Eurodéputée du Groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe, Pays‑Bas.

([95]) Cette idée est développée dans le rapport de M. De Schutter : « Infringement proceedings as a tool for the enforcement of fundamental rights in the European Union », Open Society European Policy Institute, octobre 2017.

([96]) Audition du 28 mars 2018.

([97]) Jan-Werner Müller, « Protecting Democracy and the Rule of Law inside the EU, or : Why Europe Needs a Copenhagen Commission. » 13 mars 2013.

([98]) Judith Sargentini, Rapport relatif à une proposition invitant le Conseil à constater, conformément à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, l’existence d’un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l’Union est fondée (2017/2131(INL)), 4 juillet 2018.

([99]) Idem.