N° 1310
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2018.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES FINANCES, dE L’Économie gÉnÉrale et du contrÔLE BUDGÉTAIRE
en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)
relative à la gestion du risque budgétaire associé aux contentieux fiscaux et non fiscaux de l’État
ET PRÉSENTÉ PAR
M. Romain GRAU, Rapporteur
Mme Véronique LOUWAGIE, Présidente
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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
La mission d’information est composée de : Mme Véronique LOUWAGIE, présidente ; M. Romain GRAU, rapporteur ; MM. Charles de COURSON, Éric COQUEREL, Jean‑Paul DUFRÈGNE, Mohamed LAQHILA et Mme Christine PIRES BEAUNE.
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SOMMAIRE
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Pages
PROPOSITIONS de la mission d’information
Première partie : une augmentation tendancielle du risque budgétaire associé aux contentieux
I. Un risque pour les finances publiques Élevé et en augmentation
A. Un coût ÉlevÉ, un risque en augmentation
1. Une augmentation continue du coût potentiel des contentieux
2. Un coût budgétaire qui atteindrait 3,6 milliards d’euros chaque année, en moyenne
a. Les dépenses associées aux contentieux sont difficiles à évaluer
B. Des enjeux financiers principalement concentrÉs en matière fiscale
a. Les ministères de la Transition écologique et solidaire et de la Cohésion des territoires
b. Le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation
c. Le ministère de l’Intérieur
e. Les ministères économiques et financiers
2. Des affaires en cours aux conséquences potentiellement explosives : les affaires Accor et Messer
a. L’affaire « précompte mobilier » / Accor
A. Un recours accru aux tribunaux
1. L’extension progressive du droit au recours
2. L’apparition des contentieux de masse
3. L’élargissement du champ de la responsabilité de l’État
B. Une fragilisation de la lÉgislation, particulièrement observable en matière fiscale
1. La diffusion de la norme européenne
2. Le développement du contrôle de constitutionnalité
III. Une situation peu satisfaisante
1. Un règlement en gestion qui affecte la sincérité des prévisions budgétaires
2. Un défaut d’anticipation qui occasionne des coûts supplémentaires
B. Un enjeu de sÉcurité juridique, de crÉdibilitÉ, et de lÉgitimité de l’action publique
Deuxième partie : face à cette « explosion contentieuse », une meilleure prévision est nécessaire
A. Une fonction juridique structurÉe, une coordination en matière internationale et européenne utile
1. Une fonction juridique structurée
i. Le développement des directions des affaires juridiques est relativement récent
iii. La gestion des contentieux implique parfois le recours à la médiation ou à la transaction
iv. Le recours aux avocats est en revanche limité
2. Un caractère interministériel marqué en matière de gestion des contentieux communautaires
B. Une fonction juridique dont la professionNalisation pourrait être AmÉlioRÉE
2. La création d’une filière d’avocats d’État
II. Une anticipation dÉlicate, qui doit faire l’objet d’une attention renforcÉe
1. Un outil qui permet une centralisation, agrégée et a posteriori, de l’information
2. Une provision qui ne rend que partiellement compte du risque encouru
b. Le provisionnement tardif de certains contentieux
c. Un contrôle par la direction générale des finances publiques à renforcer
d. Un exercice déconnecté de la prévision budgétaire
B. Une prévision budgétaire dont la transparence et la qualité doivent être amÉliorées
C. un renforcement de la transparence qui est souhaitable
I. Une gestion des contentieux fiscaux qui doit Être plus rÉactive
A. la faible incitation À mettre rapidement fin aux dispositifs contestés se rÉVÈle coÛteuse
a. Des procédures longues et sources d’aléa moral
B. les alertes contentieuses doivent rapidement pouvoir conduire À des évolutions lÉgislatives
2. Privilégier le dialogue avec la Commission européenne
a. Un « rescrit européen » est difficilement envisageable
b. Un dialogue avec la Commission européenne qui doit être privilégié
4. Adapter rapidement la gestion administrative lorsqu’un risque significatif est identifié
1. Les points d’attention relevés par la mission
2. Une simplification de la norme fiscale qui doit être recherchée à chaque étape
B. Une démarche qui doit être menÉe en donnant une place plus large À la consultation
1. Un recours à la consultation qui peut permettre d’identifier les failles de certains dispositifs
2. Une approche qui gagnerait à être systématisée et étendue
III. Un examen des dispositifs au Parlement qui doit s’appuyer sur des évaluations approfondies
A. Des études d’impact qui doivent devenir un véritable outil d’évaluation
B. Un avis juridique du conseil d’État sur les dispositions ne figurant pas dans les projets de loi
1. La procédure existante en matière de propositions de loi
IV. Une information du lÉgislateur sur les risques fiscaux qui doit être approfondie et systÉmatique
A. Une information rÉguliÈre du Parlement qui est impÉrative
B. Un sujet sur lequel le législateur devrait également se montrer proactif
Liste des personnes auditionnées par la mission d’information
Annexe n° 3 : Fiche de suivi individuel de la DGFiP
Annexe n° 5-1 : Statement n° 9 – Statement of risks (extraits) Synthèse des risques budgétaires
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La censure, par le Conseil constitutionnel, de la contribution additionnelle de 3 % sur les dividendes distribués, au début du mois d’octobre 2017, aura fortement marqué la première discussion budgétaire de la XVème législature, et occasionné des conséquences très importantes pour le budget de l’État. Les restitutions, toujours en cours au moment de l’édition de ce rapport, devraient s’élever à près de dix milliards d’euros, dont un milliard d’euros d’intérêts moratoires.
Cette décision aura rendu nécessaire l’adoption, dans l’urgence, d’un projet de loi de finances rectificative créant deux contributions exceptionnelles, additionnelles à l’impôt sur les sociétés, frappant les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à un milliard d’euros.
Elle illustre, de manière particulièrement saisissante, les enjeux grandissants posés par la multiplication des contentieux, ainsi que les difficultés de l’État à anticiper, à évaluer, et à gérer le risque budgétaire associé.
L’information tardive, et incomplète, du Parlement sur cette affaire, et plus généralement, sur les enjeux budgétaires associés aux procédures contentieuses en cours, a conduit la commission des finances de l’Assemblée nationale à décider la création de la présente mission d’information, afin de réaliser une cartographie des principaux litiges en cours, et de conduire une évaluation des dispositifs de gestion du risque associé.
En effet, ce manque d’information du législateur empêche une prise de conscience pleine et entière des risques budgétaires encourus, et ne favorise pas leur résolution rapide, alors même qu’une action courageuse devrait être menée dès la détection des premières fragilités.
Si la gestion par l’administration des contentieux, fiscaux comme non fiscaux, a fait l’objet de rapports épars, réalisés par les différents corps de contrôle et d’inspection de l’État ([1]), c’est la première fois que la gestion des contentieux fait l’objet d’une étude transversale et approfondie conduite par une assemblée parlementaire.
La mission d’information a adopté une approche résolument large afin de disposer d’une vision exhaustive des risques en présence. Elle a ainsi retenu une définition classique du contentieux, entendu comme « l’ensemble des litiges susceptibles d’être soumis aux tribunaux, soit globalement, soit dans un secteur déterminé » ([2]), et n’a souhaité exclure de son analyse aucune politique publique ni aucun champ de l’action de l’État. Elle a toutefois circonscrit ses analyses au risque budgétaire portant sur les finances de ce dernier, et n’a pu, par souci de cohérence, intégrer à sa réflexion les litiges pouvant affecter les finances sociales et locales.
Les litiges étudiés par la mission d’information présentent des différences de nature importantes, selon la politique publique considérée, la juridiction compétente, la fréquence des recours (récurrents ou exceptionnels), l’origine des sommes versées (indemnités, restitutions d’impôts), leur caractère sériel ou individuel, mais également selon que le contentieux porte sur l’illégalité de l’action de l’administration et la mise en jeu de sa responsabilité, ou sur la contrariété des lois et règlements nationaux aux normes de valeur supérieure, constitutionnelle, européenne ou internationale. La mission s’est également intéressée, lorsque cela était pertinent, aux modes alternatifs de règlements des litiges, de la réclamation préalable, à la médiation et à la transaction.
Malgré leur variété, ces différentes situations litigieuses présentent des points communs, justifiant la pertinence d’une telle approche. Celles-ci se caractérisent en effet par une triple incertitude, qui rend difficile l’anticipation de leurs conséquences budgétaires : incertitude relative aux délais de traitement des demandes par les services, incertitude concernant les dates des jugements, incertitude, enfin, portant sur le sens et le degré de sévérité de la décision rendue par le juge.
De telles difficultés peuvent, dans certaines situations, être de nature à affecter significativement la sincérité de la prévision budgétaire.
Le constat réalisé par la mission est alarmant. Chaque année, les dépenses associées aux contentieux attendraient 3,6 milliards d’euros en moyenne. Le risque est en forte augmentation : en 2017, la provision pour litiges s’élève à près de 25 milliards d’euros, soit 8 % des recettes nettes du budget général de l’État, et cette provision a été multipliée par cinq en dix ans. L’essentiel du risque est de nature fiscale.
Cette situation s’explique, pour partie, par la hausse du nombre de contentieux, corollaire d’une meilleure protection des droits et libertés des administrés et d’une plus grande accessibilité de la justice. Elle s’explique également par une fragilisation progressive de la norme législative, du fait de la diffusion dans notre droit de principes de valeur supérieure, constitutionnels ou européens. La mission insiste sur l’augmentation structurelle du coût budgétaire associé aux contentieux, qui appelle, selon elle à un véritable changement de perspective, afin de mieux prendre en compte, dès leur apparition, les risques budgétaires associés.
La mission relève que les outils utilisés pour l’évaluation et le suivi des risques contentieux ne permettent pas d’appréhender correctement les enjeux budgétaires. La provision comptable, qui reflète partiellement le risque encouru, et fait parfois l’objet d’un enregistrement tardif dans les comptes de l’État, constitue un indicateur imparfait.
Les débuts de cette législature et de la législature précédente ont été marqués par la nécessité de gérer les conséquences de contentieux hérités du passé (la censure de la contribution de 3 % en 2017, le contentieux OPCVM en 2012). En raison de la longueur des procédures contentieuses, en matière fiscale notamment, les conséquences budgétaires éventuelles de l’adoption d’un dispositif juridique fragile sont, en effet, reportées aux exercices ultérieurs, voire aux législatures suivantes.
Le coût de l’inaction est pourtant très élevé : depuis 2012, le coût annuel moyen associé aux intérêts moratoires, tous domaines contentieux confondus, s’est élevé à 458,7 millions d’euros, et a atteint 1,12 milliard en 2017.
Au cours de ses travaux, plusieurs affaires ont été identifiées par la mission d’information comme pouvant occasionner des conséquences budgétaires importantes. En particulier, le contentieux portant sur la contrariété de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) aux directives européennes relatives aux accises pourrait conduire à des restitutions s’élevant à plusieurs centaines de millions, voire plusieurs milliards d’euros, du fait du rendement élevé de la contribution et du nombre très élevé de recours déposés (14 000 recours devant les juridictions, auxquels s’ajoutent 55 000 demandes). Une provision a été enregistrée très tardivement dans les comptes de l’État, pour un montant de 1,25 milliard d’euros, alors que cette procédure a débuté il y a plusieurs années. Cette affaire est symptomatique de défaillances graves pouvant apparaître dans la gestion de certains contentieux de série.
La récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne, rendue dans l’affaire Accor, pourrait avoir d’importantes conséquences budgétaires. Pour la première fois en matière fiscale, la CJUE a sanctionné l’interprétation faite par le juge administratif français de l’application des normes européennes. Cette décision constitue un nouveau rebondissement dans une procédure ouverte il y a plus de dix ans. Si un montant de 4,1 milliards d’euros a été provisionné dans les comptes de l’État, le coût définitif du contentieux reste néanmoins difficile à évaluer précisément.
Face à ces constats, la mission a formulé 19 propositions, tendant à améliorer l’organisation administrative en matière de gestion des contentieux, fiscaux comme non fiscaux, à renforcer la prévision des risques budgétaires associés, à perfectionner la qualité de la législation, à favoriser une meilleure évaluation des dispositifs au moment de leur discussion au Parlement, ainsi qu’à permettre une information sincère, et en continu, du législateur, sur les risques encourus.
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PROPOSITIONS de la mission d’information
Proposition n° 1 : Favoriser la médiation lorsque cela est possible.
Proposition n° 2 : Envisager la constitution de pôles d’appui juridiques spécialisés lorsque cela est pertinent, en matière de marchés publics, par exemple.
Proposition n° 3 : Considérer la création d’une filière d’avocats d’État.
Proposition n° 4 : Lorsqu’est identifié un contentieux de série dont le nombre de requêtes potentielles n’est pas connu, et dont le coût définitif est donc difficile à anticiper, procéder systématiquement à une évaluation, qui peut être confiée à une agence ou à un corps d’inspection.
Proposition n° 5 : Renforcer le contrôle des provisions pour litiges et des engagements « hors bilan » par la direction générale des finances publiques.
Proposition n° 6 : Identifier dans les projets et les rapports annuels de performances les dépenses contentieuses, et budgéter plus sincèrement leur montant.
Proposition n° 7 : Mieux prendre en compte les risques, et leurs éventuelles conséquences budgétaires, dès le stade de l’autorisation, en joignant au projet de loi de finances une annexe présentant, de manière synthétique, les éventuelles conséquences budgétaires associées aux procédures contentieuses et quasi‑contentieuses en cours.
En matière spécifiquement fiscale :
Proposition n° 8 : Envisager rapidement une évolution des dispositifs fiscaux lorsqu’un risque contentieux est identifié, et faire appel pour cela, au besoin, à une expertise externe.
Proposition n° 9 : Pérenniser et poursuivre la systématisation des échanges internes aux ministères économiques et financiers.
Proposition n° 10 : Poursuivre l’amélioration du dialogue avec la Commission européenne.
Proposition n° 11 : Moderniser les systèmes d’information pour identifier au plus vite les dispositifs faisant l’objet de contentieux de série.
Proposition n° 12 : Adapter l’organisation administrative pour le traitement des contentieux de série, le cas échéant.
Proposition n° 13 : Conduire une revue d’ensemble des risques juridiques, en s’intéressant en priorité à certains dispositifs qui sont régulièrement contestés devant les tribunaux, et notamment aux taxes affectées.
Proposition n° 14 : Rechercher, à l’occasion de chaque modification législative, la simplification de la norme fiscale.
Proposition n° 15 : Développer et systématiser le recours aux consultations ouvertes préalables.
Proposition n° 16 : Faire des études d’impact de véritables outils d’évaluation, en indiquant si une consultation des autorités européennes a eu lieu, et en joignant au document déposé les contributions reçues lors des consultations menées préalablement à la préparation du texte.
Proposition n° 17 : Solliciter le Conseil d’État sur les dispositifs ne figurant pas dans les projets de loi (déposés sous la forme d’une proposition de loi ou d’un amendement), notamment grâce à la procédure existante en matière de propositions de loi, et envisager une procédure d’analyse juridique des amendements en cours de discussion.
Proposition n° 18 : Transmettre chaque semestre, aux Présidents et aux rapporteurs généraux des commissions des finances des deux assemblées, un rapport présentant l’état des risques budgétaires associés aux contentieux fiscaux, devant les juridictions nationales (QPC notamment) et européennes, et prévoir une information de la commission à huis clos, sous la forme d’une audition du ministre chargé du budget.
Proposition n° 19 : Effectuer un suivi annuel des risques contentieux, au moment du « Printemps de l’évaluation ».
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Première partie : une augmentation tendancielle du risque budgétaire associé aux contentieux
● Bien que les enjeux budgétaires soient conséquents, l’identification du risque budgétaire associé aux contentieux est difficile. En comptabilité budgétaire, les dépenses associées aux contentieux ne font pas l’objet d’un traitement spécifique, et ne donnent lieu ni à un suivi systématique dans chaque ministère, ni à une présentation harmonisée dans les documents budgétaires ou dans les données publiques ([3]). Le compte général de l’État, et plus particulièrement la provision pour litiges, permet d’approcher, bien qu’imparfaitement, mais de manière globale, et centralisée, le risque budgétaire potentiel.
Ces difficultés affectent la qualité du suivi des conséquences budgétaires des contentieux.
Un important travail de collecte de l’information a donc été nécessaire pour permettre à la mission d’information de mener à bien ses travaux. Une consultation écrite a été adressée à l’ensemble des ministères. Les données communiquées par les directions des affaires juridiques et financières des ministères interrogés, et par le service comptable de l’État, placé au sein de la direction générale des finances publiques du ministère de l’Action et des comptes publics, ont permis de donner un premier aperçu du coût budgétaire global associé aux contentieux.
Certains ministères interrogés ont néanmoins indiqué qu’ils n’étaient pas en mesure d’isoler les dépenses budgétaires engagées suite à un contentieux, et ont uniquement communiqué le niveau de la provision comptable qui y est attachée.
La mission a choisi de présenter, au niveau agrégé, les informations reçues. Ces éléments présentent les dépenses budgétaires associées aux contentieux, lorsqu’elles ont pu être isolées.
● Les informations recueillies soulignent que les dépenses budgétaires associées aux contentieux sont élevées, et que le risque est en augmentation, principalement du fait de la montée en puissance des contentieux fiscaux.
Cette augmentation s’explique, d’une part, par un recours accru aux tribunaux, et d’autre part, par une fragilisation accrue de la norme légale, de plus en plus contestée au regard des normes et principes supérieurs, constitutionnels comme européens, en matière fiscale notamment.
La difficulté à anticiper les conséquences budgétaires des contentieux conduit souvent à un règlement en gestion, dans l’urgence, ce qui affecte la sincérité des prévisions budgétaires, et occasionne des coûts supplémentaires. Cette situation, peu satisfaisante, constitue dès lors un enjeu de sécurité juridique pour l’administration comme pour les justiciables, et constitue une menace pour la crédibilité et la légitimité de l’action publique.
I. Un risque pour les finances publiques Élevé et en augmentation
A. Un coût ÉlevÉ, un risque en augmentation
1. Une augmentation continue du coût potentiel des contentieux
● Les informations présentées dans le compte général de l’État (CGE), annexé chaque année au projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes, permettent d’approcher le coût potentiel, pour les finances publiques, des procédures litigieuses en cours. Ces éléments sont présentés dans le CGE :
– dans le bilan de l’État, en provision pour risques et pour charges, et en particulier en provision pour litiges ;
– en engagements hors bilan, et notamment dans les « autres engagements découlant de la mise en jeu de la responsabilité de l’État ».
La méthodologie de calcul de ces différents éléments est présentée et commentée dans la deuxième partie de ce rapport (voir II de la deuxième partie).
● En 2017, la provision pour litiges enregistrée dans le compte général de l’État, qui traduit le risque budgétaire associé aux contentieux, fiscaux comme non fiscaux s’établit à 24,5 milliards d’euros, soit 1,07 % du produit intérieur brut calculé par l’Insee, et 1,08 % du passif de l’État hors situation nette.
Ce montant correspond à 7,5 % des dépenses du budget général de l’État, et à 9,7 % des dépenses dites « pilotables ».
bilan 2017 de l’État
(en milliards d’euros)
|
Actif |
2017 |
Passif |
2017 |
|
Immobilisations incorporelles et corporelles |
504,61 |
Dettes financières |
1 710,67 |
|
Immobilisations financières |
347,66 |
Dettes non financières |
244,12 |
|
Stocks |
29,23 |
Provisions pour risques et charges dont provisions pour litiges |
148,15 24,5 |
|
Créances |
85,15 |
||
|
Trésorerie active |
32,58 |
Trésorerie passive |
107,09 |
|
Autres |
11,99 |
Autres |
61,65 |
|
Total actif |
1 011,21 |
Total passif hors situation nette |
2 271,68 |
|
|
|
Situation nette |
– 1 260,47 |
Source : projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2017.
Cette provision agrège l’information relative au risque budgétaire associé à l’ensemble des litiges en cours au 31 décembre de chaque année. Elle ne donne cependant aucune information concernant le nombre ou la nature de ces litiges. Elle ne permet pas non plus d’apprécier le niveau de risque, ni d’identifier l’exercice budgétaire au cours duquel un litige pourrait donner lieu à un décaissement, le cas échéant.
Cette provision a fortement augmenté au cours des dernières années. Elle a doublé en quatre ans, entre 2012 et 2016, et quintuplé en dix ans, entre 2006 et 2016.
Montant de la provision pour litiges dans le compte général de l’État
(en milliards d’euros)
|
|
2006 |
2012 |
2016 |
2017 |
|
Provisions pour litiges |
5,5 |
13,6 |
25,1 |
24,5 |
Source : compte général de l’État, annexé au projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes.
Toutefois, la hausse du montant de la provision enregistrée depuis 2006 ne peut être uniquement imputée à la hausse du risque associé aux contentieux, mais s’explique également par la fiabilisation des données comptables (surtout dans les premières années de mise en œuvre de la LOLF). Dans un rapport publié en 2016 et consacré à la comptabilité générale de l’État ([4]), la Cour des comptes rappelait ainsi que « le montant des provisions pour risques comptabilisé au passif du bilan de l’État a pratiquement triplé entre fin 2006 et fin 2014, passant de 7,0 milliards d’euros à 19,4 milliards d’euros, sans qu’il soit possible de déterminer la part de cette évolution qui est imputable à une exposition croissante de l’État à des risques financiers ou à une amélioration de leur suivi. La fiabilité de ce dernier a cependant indéniablement progressé, comme l’a expressément relevé la Cour, qui a levé en 2009 la réserve qu’elle avait formulée sur les comptes de 2008 sur la procédure de recensement et d’évaluation de ces provisions ».
Actuellement, les provisions pour litiges représentent 16,5 % de la provision pour risques et charges enregistrée dans le compte général de l’État, et l’augmentation de cette provision depuis 2012 explique près du tiers de la hausse constatée des provisions pour risques et charges.
Évolution des provisions enregistrÉes dans le compte gÉnÉral de l’État, depuis 2012
(en milliards d’euros)
|
|
|
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
|
PROVISION POUR |
Provision pour charges liées à l’impôt |
0,57 |
0,29 |
0,31 |
0,36 |
1,30 |
5,75 |
|
Provisions pour charges de personnel |
8,62 |
8,86 |
9,26 |
9,04 |
9,22 |
9,97 |
|
|
Provisions pour transferts |
64,32 |
77,97 |
86,47 |
81,67 |
82,54 |
78,70 |
|
|
Provisions détaillées pour transferts |
4,39 |
4,80 |
4,77 |
3,29 |
4,13 |
4,93 |
|
|
Provisions pour remise en état démantèlement |
10,32 |
11,09 |
13,32 |
15,48 |
17,05 |
20,27 |
|
|
Provisions pour remise en état du domaine immobilier de l’État – dépollution et désamiantage |
– |
– |
0,91 |
1,05 |
0,96 |
0,88 |
|
|
Autres provisions pour charges |
0,89 |
0,07 |
0,06 |
0,31 |
0,02 |
0,02 |
|
|
Sous-total : provisions pour charges |
89,12 |
103,08 |
115,09 |
111,20 |
115,21 |
120,53 |
|
|
PROVISION POUR RISQUES |
Provisions pour engagements |
2,00 |
1,27 |
1,15 |
0,98 |
1,02 |
1,45 |
|
Provisions pour litiges liés à l’impôt |
12,03 |
14,71 |
16,32 |
21,10 |
24,06 |
20,26 |
|
|
Provisions pour autres litiges |
1,52 |
1,53 |
1,39 |
1,02 |
1,04 |
4,21 |
|
|
Sous-total : provision pour litiges |
13,55 |
16,24 |
17,72 |
22,12 |
25,10 |
24,46 |
|
|
Provisions pour autres risques |
0,91 |
2,43 |
0,55 |
0,57 |
1,50 |
1,70 |
|
|
Sous-total : provisions pour risques |
16,47 |
19,94 |
19,41 |
23,67 |
27,61 |
27,62 |
|
|
|
Total général |
105,59 |
123,03 |
134,51 |
134,87 |
142,82 |
148,15 |
Source : direction générale des finances publiques.
La croissance de la provision pour litiges s’explique elle-même par la hausse continue de la provision pour litiges fiscaux, qui augmente de 1,7 milliard d’euros par an environ depuis 2012.
En 2017, la provision recule légèrement, pour s’établir à 24,5 milliards d’euros. Cette diminution s’explique par le recul de la provision pour litiges fiscaux (– 3,8 milliards d’euros), sous l’effet de la censure par le Conseil constitutionnel de la contribution de 3 % sur les dividendes distribués, qui a conduit à reprendre la provision pour les montants restitués, et à enregistrer les montants restant à payer en provision pour charges liées à l’impôt.
La provision pour charges liées à l’impôt correspond aux remboursements devant être effectués de manière certaine dans un futur proche.
Elle s’élève à 5,7 milliards d’euros en 2017 et se compose :
– de provisions pour contentieux de série à hauteur de 5,4 milliards d’euros, en hausse de 4,5 milliards d’euros, du fait de deux censures constitutionnelles (la contribution de 3 % sur les dividendes distribués, pour un montant provisionné total de 4,6 milliards d’euros en 2017, et le contentieux Société FB Finance, pour 0,3 milliard) ;
– de provisions pour crédit de TVA aux entreprises étrangères, pour 224 millions d’euros ;
– et de provisions pour obligations fiscales reportables et restituables au titre de l’impôt sur les sociétés, pour 97 millions d’euros.
La répartition par ministère de la provision pour autres litiges (litiges non fiscaux) fait apparaître une répartition très inégale des risques. En 2017, les ministères de la Transition écologique et solidaire et de la Cohésion des territoires présentent ainsi une provision pour litiges supérieure à 900 millions d’euros, tandis que le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a notifié une provision de 5,5 millions d’euros.
La provision pour autres litiges était comprise, jusqu’en 2016, entre 1 et 1,5 milliard d’euros. Elle augmente fortement en 2017 (+ 3,17 milliards d’euros) du fait de provisions enregistrées au titre des contentieux Messer (+ 1,25 milliard), Accor (+ 1,16 milliard), et d’un contentieux relatif au ministère de la Transition écologique et solidaire (+ 640 millions).
Évolution de la provision pour autres litiges (litiges non fiscaux),
par ministère, depuis 2012
(en millions d’euros)
|
|
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
En % 2017 |
|
Sans affectation |
91,5 |
87,8 |
93,1 |
99,9 |
81,9 |
2 476,7 |
58,9 % |
|
Transition écologique et solidaire et Cohésion des territoires |
523,8 |
664,5 |
606,7 |
208,5 |
260,2 |
904,1 |
21,5 % |
|
Économie et finances, Action et comptes publics (hors fiscalité) |
309,5 |
271,8 |
239,4 |
315,3 |
209,2 |
301,6 |
7,2 % |
|
Agriculture et alimentation |
69,1 |
59,9 |
75,3 |
71,8 |
68,5 |
125,9 |
3,0 % |
|
Intérieur |
207,4 |
185,2 |
180,0 |
96,9 |
103,3 |
123,4 |
2,9 % |
|
Armées |
145,2 |
158,0 |
110,7 |
132,3 |
147,0 |
115,4 |
2,7 % |
|
Justice |
61,3 |
59,7 |
58,5 |
58,0 |
70,8 |
80,6 |
1,9 % |
|
Ministères sociaux (Solidarités et Santé, Travail, Sports) |
68,7 |
13,3 |
10,6 |
24,3 |
26,4 |
51,2 |
1,2 % |
|
Éducation nationale, Enseignement supérieur et recherche |
24,8 |
23,9 |
16,3 |
6,4 |
11,8 |
16,4 |
0,4 % |
|
Culture |
4,1 |
3,8 |
2,5 |
4,5 |
9,1 |
6,7 |
0,2 % |
|
Europe et affaires étrangères |
6,1 |
2,4 |
2,1 |
2,3 |
1,8 |
5,5 |
0,1 % |
|
Services du Premier ministre |
0,2 |
0,4 |
0,2 |
0,3 |
0,2 |
0,1 |
0,0 % |
|
Provisions pour autres litiges |
1 525,0 |
1 532,8 |
1 395,3 |
1 020,6 |
1 036,6 |
4 207,7 |
100 % |
Source : direction générale des finances publiques.
● De nombreux litiges ne font pas l’objet d’une provision pour risques dans la mesure où le risque de condamnation de l’État est estimé faible au moment de la clôture des comptes (voir II de la deuxième partie). Certains d’entre eux, qui pourraient constituer des passifs éventuels particulièrement lourds, font l’objet depuis cette année d’une présentation littéraire dans le compte général de l’État en tant qu’ « autres engagements découlant de la mise en jeu de la responsabilité de l’État » ([5]).
Sont ainsi présentés, de manière succincte, les contentieux « TP Ferro » et « Bouygues Telecom ».
Note n° 34.4 relative aux autres engagements découlant de la mise en jeu
de la responsabilité de l’État, dans le compte général de l’État (extraits)
Le contentieux « TP Ferro ». Depuis 2010, plusieurs litiges opposent le concessionnaire TP Ferro aux États français et espagnol dans le cadre de la concession relative à la ligne ferroviaire Perpignan-Figueras. Trois procédures arbitrales ont été introduites par le concessionnaire. La première a donné lieu au rejet par le Tribunal des demandes de la société TP Ferro par une sentence en date du 12 février 2015. La sentence de la deuxième a été rendue le 9 avril 2017, mais n’a pas été suivie d’effets au titre de l’année 2017. La troisième portant sur le bouleversement de l’économie de la concession (pour lequel un recours a été introduit le 11 août 2017) est en cours. Enfin, par courrier du 14 août 2017, TP Ferro a sollicité l’ouverture d’une quatrième procédure d’arbitrage tendant à contester la résiliation du contrat de concession. La France a rejeté cette demande d’arbitrage considérant qu’elle avait été formulée de manière irrégulière. Le litige n’a pas fait l’objet d’une provision pour risques dans les comptes de l’État au 31 décembre 2017 compte tenu du caractère irrégulier de la demande du concessionnaire TP Ferro.
Le contentieux « Bouygues Telecom ». La société Bouygues Telecom a formé une réclamation indemnitaire en avril 2016. Elle allègue un préjudice qui résulterait de l’absence d’encadrement de l’itinérance de Free Mobile et l’évalue à 2,3 Md€ environ. Le jugement est attendu pour 2018.
Source : compte général de l’État 2017, mai 2018.
2. Un coût budgétaire qui atteindrait 3,6 milliards d’euros chaque année, en moyenne
a. Les dépenses associées aux contentieux sont difficiles à évaluer
Si la provision comptable permet d’approcher le risque associé aux contentieux en cours, elle ne donne aucune information, ni sur le risque réel de décaissement, ni sur l’année au cours de laquelle les dépenses seront effectuées.
L’obtention d’informations rigoureuses et complètes concernant le coût budgétaire associé aux contentieux a constitué une réelle difficulté pour la mission d’information. Les données de la comptabilité générale permettent d’évaluer, mais imparfaitement, le coût budgétaire associé aux procédures contentieuses (cf. infra). La mission d’information a donc complété cette analyse comptable par une consultation de chaque ministère sur les dépenses associées aux contentieux gérés par leurs services et, si les données ainsi reçues recouvrent plus fidèlement le champ d’analyse de la mission, certains ministères n’ont pas été en mesure de transmettre les informations demandées.
Cette double analyse suggère que le coût budgétaire associé aux contentieux fiscaux et non fiscaux de l’État atteindrait 3,6 milliards d’euros annuels. Il connaît une croissance régulière, principalement en raison du coût associé aux contentieux fiscaux de série.
Parmi les contentieux non fiscaux, les ministères chargés de l’économie et des finances, du développement durable, de l’environnement et de l’énergie, de l’agriculture, et de l’intérieur, présentent les enjeux budgétaires les plus importants.
b. La comptabilité générale de l’État ne permet pas d’évaluer rigoureusement les dépenses associées aux procédures contentieuses
La comptabilité de l’État ne retrace pas stricto sensu le coût budgétaire associé aux contentieux mais permet de disposer d’une première évaluation. Trois comptes de charge, dits de « classe 6 », peuvent être rattachés à des dépenses contentieuses :
– le compte n° 6221000000, « intérêts moratoires » ;
– le compte n° 6222000000, « indemnités, dommages et intérêts » ;
– le compte n° 6228000000, « autres pénalités et condamnations ».
La somme de ces trois postes est ainsi passée de 517 millions d’euros en 2012 à 2,2 milliards en 2017, après un pic atteint en 2014, à 2,4 milliards. Sur la période considérée, la dépense totale atteint 8,6 milliards d’euros, soit 1,4 milliard d’euros par an en moyenne.
Montant des INTÉRÊTS MORATOIRES ET des INDEMNITÉS, PÉNALITÉS
ET CONDAMNATION (compte n° 622) depuis 2012
Source : compte général de l’État 2012 – 2017, direction générale des finances publiques.
Les données détaillées, par mission et programme budgétaire, sont présentées en annexe (voir annexe n° 1).
Ces éléments agrègent toutefois les dépenses contentieuses à d’autres types de dépenses. La direction générale des finances publiques a ainsi précisé à la mission que « les intérêts moratoires existent pour les factures payées en retard » et que « les indemnités, dommages et intérêts peuvent résulter de dispositions contractuelles plutôt que de condamnations en justice ».
De plus, ces données ne comprennent pas les montants restitués à l’occasion de contentieux fiscaux mais intègrent, en revanche, le coût des intérêts moratoires payés lors de ces mêmes contentieux – ils représentent d’ailleurs plus de 90 % du coût total des intérêts moratoires sur la période 2012-2017.
c. Les données transmises par les directions des affaires juridiques et financières des ministères concernés permettent d’évaluer le coût budgétaire annuel à 3,6 milliards d’euros annuels, depuis 2013
Les données transmises par les directions des affaires juridiques et financières des ministères concernés recouvrent plus fidèlement le périmètre des dépenses étudiées par la mission, mais ces données ne sont pas non plus exhaustives, puisque les ministères n’ont pas tous répondu.
En moyenne, depuis 2013, ces dépenses s’élèvent à 3,6 milliards d’euros chaque année. Elles ont atteint 8,5 milliards en 2017.
coût budgÉtaire annuel des contentieux, par ministère, depuis 2013
(en millions d’euros)
|
|
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
Moyenne 2013-17 |
Prévision 2018 |
|
Ministères de l’Économie et des finances et de l’Action et des comptes publics (1) |
1 503,7 |
2 004,1 |
1 904,3 |
1 904,7 |
7 604,4 |
2 984,2 |
6,1 |
|
dont contentieux fiscaux |
1 500 |
2 000 |
1 900 |
1 900 |
7 600 |
2 980 |
– |
|
dont contentieux gérés par la direction des affaires juridiques |
3,7 |
4,1 |
4,3 |
4,7 |
4,4 |
4,2 |
6,1 |
|
dont autres directions |
Non communiqué. |
||||||
|
Ministère de l’Agriculture et de l’alimentation |
46,1 |
447,5 |
847,5 |
379,6 |
743,9 |
492,9 |
– |
|
dont refus d’apurement (2) |
41,8 |
426,6 |
812,1 |
356,4 |
719,7 |
471,3 |
– |
|
dont contentieux |
4,3 |
6,8 |
24,1 |
4,9 |
4,6 |
8,9 |
– |
|
dont transactions |
n.c. |
14,1 |
11,3 |
18,3 |
19,6 |
15,8 |
– |
|
Ministère de l’Intérieur |
83,1 |
70,9 |
81,2 |
71,7 |
118,6 |
85,1 |
90 |
|
Ministères de la Transition écologique et solidaire et de la Cohésion des territoires |
34,9 |
23,2 |
20,7 |
53,2 |
29,3 |
32,3 |
– |
|
Ministère des Armées |
8,6 |
10,7 |
14,8 |
11,8 |
17,2 |
14,2 |
15,6 |
|
dont contentieux |
8,6 |
10,7 |
8,3 |
8,8 |
14,8 |
10,2 |
15,6 |
|
dont transactions |
– |
– |
6,5 |
3,0 |
2,4 |
4,0 |
– |
|
Ministères sociaux (Travail, Solidarités et Santé, Sports) |
9,5 |
17,2 |
12,4 |
9,2 |
11,8 |
12,0 |
– |
|
Ministères de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche |
6,8 |
7,5 |
7,9 |
4,6 |
6,2 |
6,6 |
6,0 |
|
Ministère des Outre-mer |
– |
0 |
10 |
0 |
4,5 |
3,6 |
25 |
|
Services du Premier ministre |
Non communiqué. |
||||||
|
Ministère de l’Europe et des affaires étrangères |
|||||||
|
Ministère de la Justice |
|||||||
|
Ministère de la Culture |
|||||||
|
Total |
1 692,7 |
2 581,1 |
2 898,8 |
2 434,8 |
8 535,9 |
3 628,7 |
– |
|
dont contentieux fiscaux |
1 500 |
2 000 |
1 900 |
1 900 |
7 600 |
2 980 |
– |
|
dont contentieux non fiscaux |
192,7 |
581,1 |
998,8 |
534,8 |
935,9 |
648,7 |
– |
(1) Contentieux fiscaux et contentieux gérés par la direction des affaires juridiques uniquement.
(2) Corrections prises en charge par le budget de l’État.
Source : réponses des ministères à la consultation transmise par la mission d’information.
B. Des enjeux financiers principalement concentrÉs en matière fiscale
La mission a reçu des informations détaillées concernant la composition de la dépense budgétaire, de la provision, et du risque global associé aux contentieux intéressant l’ensemble des ministères. Afin de ne pas porter atteinte au déroulement des procédures en cours, la mission n’a pas souhaité publier ces éléments, mais a choisi de présenter une synthèse des éléments reçus, concernant les ministères présentant le risque budgétaire le plus important.
L’essentiel de la dépense contentieuse est concentré au sein du ministère de l’économie et des finances, et concerne principalement la matière fiscale. En 2017, les contentieux fiscaux représentent ainsi près de 90 % du coût budgétaire total associé aux contentieux ([6]).
En dehors des ministères économiques et financiers, plusieurs ministères présentent un montant de dépenses contentieuses annuelles supérieures à 10 millions d’euros : il s’agit des ministères de la Transition écologique et solidaire et de la cohésion des territoires, du ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, du ministère de l’Intérieur, du ministère des Armées, et des ministères sociaux (Travail, Solidarités et Santé, Sports).
a. Les ministères de la Transition écologique et solidaire et de la Cohésion des territoires
● Les ministères de la Transition écologique et solidaire et de la Cohésion des territoires n’ont pas souhaité transmettre à la mission d’information la liste des contentieux les concernant. Ni la liste exhaustive des contentieux, ni les principales affaires n’y sont présentées, « afin de ne pas porter atteinte au bon déroulement des procédures en cours devant les juridictions ».
Les informations publiques, présentées dans les documents budgétaires, font état de contentieux de natures très diverses : contentieux relatifs aux eaux résiduaires urbaines et aux nitrates agricoles, contentieux de série en conséquence des inondations à Arles et dans la vallée du Rhône, contentieux miniers énergétiques, contentieux relatifs à la Commission de régulation de l’énergie, ou contentieux d’application du droit au logement opposable.
Les informations transmises par les ministères font état d’une provision de 903 millions d’euros en 2017, en forte augmentation par rapport à 2016 (214 millions d’euros, soit + 661 millions). Il est précisé que « les quinze contentieux présentant les plus forts risques budgétaires concernent les domaines de l’énergie, de l’urbanisme, des infrastructures ou des risques : à eux seuls, ils représentent 762 millions d’euros soit 95 % des provisions individuelles pour l’ensemble de nos ministères (administration centrale et services déconcentrés) ».
PROVISION POUR LITIGES, PAR PROGRAMME, DEPUIS 2013
(en millions d’euros et en %)
|
|
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
en % |
|
Paysages, eau et biodiversité n° 113 |
230,4 |
58,9 |
26,9 |
25,9 |
19,4 |
2 % |
|
Urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat n° 135 |
257,1 |
139,2 |
123,5 |
148,4 |
115,2 |
13 % |
|
Énergie, climat et après-mines n° 174 |
14,5 |
134,4 |
4,3 |
3,4 |
662,0 |
73 % |
|
Prévention des risques n° 181 |
102,2 |
102,7 |
24,6 |
35,1 |
29,0 |
3 % |
|
Infrastructures et services de transports n° 203 |
57,1 |
39,5 |
14,8 |
22,0 |
67,4 |
7 % |
|
Sécurité et affaires maritimes, pêche et aquaculture n° 205 |
1,0 |
2,1 |
2,2 |
2,1 |
3,6 |
0 % |
|
Conduite et pilotage des politiques de l’écologie, du développement et de la mobilité durables n° 217 |
7,3 |
9,3 |
4,8 |
4,5 |
6,5 |
1 % |
|
Sécurité et éducation routières n° 207 |
1,0 |
1,2 |
0,0 |
- |
- |
0 % |
|
Montant total par année |
670,5 |
487,3 |
200,4 |
241,4 |
903,1 |
100 % |
Source : ministères de la Transition écologique et solidaire et de la Cohésion des territoires, réponse à la consultation.
La réponse précise que « si les contentieux concernant la Commission de régulation de l’énergie n’étaient pas rattachés au pôle ministériel comme les années passées, le total des provisions individuelles s’élèverait à un peu plus de 45 millions d’euros ». Si l’on neutralise cet effet « périmètre », la provision pour litiges totale s’élèverait à 262 millions d’euros au 31 décembre 2017, au lieu de 903 millions d’euros (soit + 52 millions d’euros par rapport à 2016).
La répartition de la provision par niveau d’administration fait apparaître une concentration du risque au niveau de l’administration centrale.
PROVISIONS POUR LITIGES AU TITRE DES CONTENTIEUX RELEVANT DU MTES ET DU MCT, par niveau d’administration, DEPUIS 2013
(en millions d’euros et en %)
|
|
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
en % |
|
Administration centrale |
487,2 |
323,5 |
127,0 |
119,1 |
754,4 |
83,5 % |
|
Provisions pour litiges individuelles |
271,0 |
205,1 |
26,6 |
36,1 |
686,7 |
76,0 % |
|
Provisions pour litiges statistiques |
216,2 |
118,4 |
100,4 |
83,0 |
67,7 |
7,5 % |
|
Services déconcentrés |
183,3 |
163,8 |
73,4 |
122,4 |
148,7 |
16,5 % |
|
Provisions pour litiges individuelles |
150,0 |
129,2 |
36,3 |
85,1 |
117,7 |
13,0 % |
|
Provisions pour litiges statistiques |
33,3 |
34,6 |
37,2 |
37,2 |
31,1 |
3,4 % |
|
Montant total par année |
670,5 |
487,3 |
200,4 |
241,4 |
903,1 |
100 % |
Source : ministères de la Transition écologique et solidaire et de la Cohésion des territoires, réponse à la consultation.
● La soutenabilité de la mission pourrait être obérée par les conséquences budgétaires de ces contentieux ainsi que par d’autres risques budgétaires significatifs, hors du champ strictement contentieux.
La Cour des comptes rappelle dans sa note d’analyse de l’exécution budgétaire pour 2017 que « la soutenabilité de la mission pourrait également être obérée par les contentieux en cours, ainsi que par plusieurs risques pouvant peser lourdement sur ses dépenses dans les années à venir et compromettant la capacité du ministère à respecter la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022 ».
La note mentionne notamment la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, avec de « réelles incertitudes sur le montant des compensations », et la résiliation de la concession de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ([7]).
b. Le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation
● Les contentieux relatifs ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, au sens strict, représentent des montants limités, inférieurs à 10 millions d’euros par an en moyenne.
coût budgétaire annuel associé aux contentieux, entre 2013 et 2017
(en millions d’euros)
|
|
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
Moyenne |
|
Total |
4,3 |
6,8 |
24,1 |
4,9 |
4,6 |
8,9 |
Source : ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, réponse à la consultation.
Au 31 décembre 2017, la provision pour litiges, en incluant les litiges relatifs à la CJUE, s’élève à 125,9 millions d’euros.
Le contentieux présentant le risque budgétaire le plus important s’élève à 25 millions d’euros, et les quinze contentieux les plus significatifs présentent un risque total de 45 millions d’euros.
Les contentieux portant sur le droit de la fonction publique représentent, en première instance, près de la moitié des recours.
Principaux domaines de contentieux
|
Domaines |
TA – CAA |
Conseil d’État |
|
Droit de la fonction publique |
45 % |
15 % |
|
Droit des exploitations et de l’aménagement rural avec une majorité de contentieux liés à la forêt et au contrôle des structures |
25 % |
25 % |
|
Droit des politiques sectorielles avec une majorité de contentieux liés à l’application de la politique agricole commune |
15 % |
15 % |
|
Droit de la sécurité et de la qualité des produits avec une majorité des contentieux liés aux signes de qualité (au Conseil d’État), aux produits phytosanitaires et à la santé animale |
10 % |
30 % |
|
Divers |
5 % |
15 % |
|
Total |
100 % |
100 % |
Source : ministère de l’Agriculture et de l’alimentation.
Le ministère n’a en revanche pas été en mesure de chiffrer l’enjeu budgétaire associé à chacun de ces domaines.
● Deux risques budgétaires spécifiques, qui ont fait l’objet d’une présentation à part dans la réponse du ministère à la consultation transmise par la mission, présentent néanmoins des risques budgétaires significatifs. Il s’agit :
– de la procédure transactionnelle avec des vétérinaires ayant exercé un mandat sanitaire ;
– des risques relatifs aux procédures d’enquêtes de conformité menées par la Commission européenne, ou « refus d’apurement ».
● La procédure transactionnelle avec des vétérinaires ayant exercé un mandat sanitaire est née de l’absence d’affiliation aux régimes général et complémentaire de sécurité sociale de ces vétérinaires. En 2011, le Conseil d’État a condamné l’État à réparer ce préjudice.
Un peu moins d’un millier de requérants ont ainsi conclu avec l’État, à partir de 2012, un protocole d’accord amiable, afin de faciliter la résolution de ce contentieux de masse, et d’en limiter le coût.
La procédure transactionnelle avec des vétérinaires
ayant exercé un mandat sanitaire
Par une décision intervenue en matière fiscale n° 83279 en date du 12 juin 1974, le Conseil d’État a qualifié de salaires les revenus issus d’activités de prophylaxie réalisées par des vétérinaires dits « sanitaires » sous mandat de l’État, dès lors qu’ils étaient perçus avant le 1er janvier 1990 (la loi du 22 juin 1989 ayant qualifié les revenus perçus postérieurement de revenus libéraux).
Par deux décisions n° 334197 et 341325 en date du 14 novembre 2011, le Conseil d’État a condamné l’État à réparer le préjudice né pour les vétérinaires sanitaires requérants de leur absence d’affiliation aux régimes général et complémentaire de sécurité sociale.
Face à la formation d’un contentieux de masse, il a été décidé d’instituer une procédure transactionnelle pré-contentieuse d’indemnisation s’appuyant sur la reconstitution des revenus annuellement perçus par ces vétérinaires sur la base de preuves documentaires de détention d’un mandat sanitaire et de perception des revenus salariaux associés. La procédure a vocation à permettre l’indemnisation du préjudice de minoration des pensions échues – par compensation financière directe – tout en prévenant la constitution d’un préjudice futur, en procédant, en tant qu’employeur, à la régularisation des arriérés de cotisations auprès des caisses concernées.
La procédure harmonisée mise en place dès 2012 en étroite collaboration avec les ministères sociaux et financiers a, d’ores et déjà, conduit 979 vétérinaires et ayants droit à signer un protocole d’accord amiable avec le ministère, emportant l’extinction définitive d’autant de litiges individuels. Plus de 95 % des propositions d’accord amiable ont été acceptées prouvant ainsi la validité d’une procédure plus apaisée et plus économique pour l’ensemble des parties.
L’acceptabilité de cette procédure transactionnelle et le risque budgétaire associé à cette série contentieuse reste néanmoins étroitement lié à la ligne suivie par les juridictions administratives pour régler les litiges dont elles sont saisies, au fond ou en référé.
Le coût total de cette procédure pourrait atteindre une centaine de millions d’euros.
Source : réponse du ministère de l’Agriculture et de l’alimentation à la consultation réalisée par la mission d’information.
Les enjeux budgétaires sont significatifs, puisque le coût définitif pourrait atteindre une centaine de millions d’euros au total. Au 31 décembre 2017, la provision enregistrée dans le compte général de l’État s’élève à 28,4 millions d’euros.
Coût budgétaire annuel de la procédure transactionnelle
(en millions d’euros)
|
|
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
Prévision 2018 |
|
Volume transactionnel (titre II et titre III) |
14,2 |
11,3 |
18,3 |
19,6 |
19,0 |
Source : ministère de l’agriculture et de l’alimentation, réponse à la consultation.
● Les procédures d’enquêtes de conformité menées par la Commission européenne représentent un coût budgétaire moyen de 266 millions d’euros par an depuis 2008.
Ces risques ne correspondent pas stricto sensu à des procédures contentieuses mais, ces décisions pouvant faire l’objet d’un recours contentieux en annulation totale ou partielle devant la Cour de justice de l’Union européenne, elles leur sont largement assimilables.
Les risques relatifs aux procédures d’enquêtes de conformité menées par la Commission européenne (refus d’apurement)
La Commission européenne est légalement responsable de la plus grande partie des fonds européens, à hauteur d’un montant de 142,5 milliards d’euros en 2014, mais 80 % du financement de l’UE sont en fait gérés localement par les États membres dans le cadre de la gestion directe.
Dans le cadre de l’exercice de décharge budgétaire, la Commission rend compte auprès du Parlement européen de la bonne gestion de ses fonds. Ce dernier est éclairé par un rapport annuel de la Cour des comptes européenne relative à la qualité de l’exécution budgétaire de la Commission. La Cour calcule le taux d’erreur correspondant aux montants payés indûment au regard de la réglementation européenne.
Ce taux dépasse, à l’échelle de l’Union, le seuil de tolérance de 2 %, ce qui amène le Parlement européen à émettre des réserves et exiger des mesures correctives de la part de la Commission.
En conséquence, la Commission européenne assure un suivi rapproché des États membres en mettant en œuvre différents types de procédures pour réduire le taux d’erreur, notamment des enquêtes de conformité afin d’évaluer la régularité des dépenses réalisées par les États membres. Ces enquêtes aboutissent à des corrections financières.
Les enquêtes de conformité conduisent la Commission à identifier des points qu’elle considère être en non-conformité par rapport à la réglementation européenne. Le processus d’audit vise, dans le cadre d’échanges contradictoires écrits et oraux, à préciser les constats, limiter leur impact et quantifier les montants de dépenses concernées.
Lors de la notification des constats (ouverture de la procédure contradictoire), la Commission annonce une correction financière correspondant à l’application d’un taux forfaitaire sur la totalité des dépenses concernées par l’audit. En l’absence d’argument ou d’accord sur des procédures de chiffrage, la Commission est susceptible d’appliquer ces corrections forfaitaires. Les taux forfaitaires sont fixés selon une grille définie par des lignes directrices.
Bien que cela nécessite une forte mobilisation et des travaux conséquents, les échanges contradictoires permettent de réduire l’ampleur des corrections financières initialement annoncées.
À titre d’illustration, l’évolution du montant de la correction sur les soutiens couplés peut être rappelée. D’un refus d’apurement initialement annoncé à hauteur d’un milliard d’euros par campagne (soit l’intégralité des aides versées au titre des campagnes 2015 et 2016), la DG Agri a réduit sa proposition de correction à 34,7 millions d’euros pour ces deux campagnes après prise en compte des réponses des autorités françaises.
Au terme des échanges contradictoires, la Commission prononce des corrections financières et les notifie au travers de décisions publiées au JOUE (décisions ad hoc). Ces décisions peuvent faire l’objet d’un recours contentieux en annulation totale ou partielle devant la Cour de Justice de l’Union Européenne.
La France a actuellement cinq procédures contentieuses en cours devant le tribunal de l’Union Européenne visant à obtenir l’annulation de certaines corrections financières. Elles concernent :
– les corrections relatives aux modalités de contrôle sur place de certaines mesures du FEADER (et notamment l’indemnité compensatoire de handicaps naturels – ICHN) ;
– les corrections concernant l’admissibilité de certaines surfaces aux aides surfaciques du FEAGA (surfaces peu productives, éléments topographiques, etc.) ;
– la suspension des paiements appliquée sur les aides surfaciques ;
– la correction relative aux contrôles des volailles exportées avec restitution.
Les procédures aboutissent dans certains cas à des réductions significatives des corrections financières. Ainsi un arrêt du 1er février 2018 (affaire T-518/15) a annulé une décision de correction financière relative à l’ICHN au motif que la Commission avait appliqué à tort la majoration du taux de correction forfaitaire pour cause de récurrence. 49,1 millions d’euros vont être remboursés à la France.
Sur la période récente, le montant des corrections financières notifiées en 2015 a atteint le pic de 1,24 milliard d’euros. Le paiement de la décision ad hoc n° 47 d’un montant total de 1,047 milliard d’euros ayant été étalé sur les budgets 2015 à 2017, le budget consacré au refus d’apurement a oscillé entre 356,4 millions et 812,1 millions d’euros sur les trois dernières années, malgré une baisse des montants de corrections notifiées en 2016 et 2017, respectivement à hauteur de 334 et 313 millions d’euros.
Ce type d’étalement explique les différences de montants chaque année entre les montants de corrections notifiées et les montants de corrections prises en charge par le budget de l’État.
Les budgets 2015 à 2017 ont été affectés par l’effet du rattrapage du retard de notification des irrégularités constatées sur les exercices 2008 à 2013. En effet, la DG Agri avait accumulé un retard très important dans l’avancée des enquêtes relatives en cours, notamment s’agissant de celles relatives à la France, comme permet de le constater le tableau ci-dessous :
Depuis l’entrée en vigueur du règlement 908/2014 qui introduit des délais maximaux à respecter pour la plupart des étapes de la procédure, la DG Agri respecte son engagement de veiller au bon avancement des procédures. L’accélération des procédures explique une partie de ce rattrapage.
Le montant des irrégularités constatées par exercice financier a oscillé autour de 369,3 millions d’euros sur la période 2009 et 2013 (exercices financiers). Le niveau de correction a baissé autour de 211 millions d’euros en moyenne sur les exercices financiers 2014 et 2015. Cette baisse s’explique en partie par les résultats obtenus dans les négociations avec la Commission suite à la mise en œuvre du plan d’action FEAGA. Une hausse du niveau d’erreur est toutefois constatée à compter de la campagne 2015 (exercices 2016 et suivants). Ceci s’explique en partie par l’impact des audits de la commission de certification des comptes des organismes payeurs des dépenses financées par les Fonds européens agricoles (CCCOP) et par les problèmes persistants sur les aides surfaciques s’agissant des modalités de prise en compte des surfaces peu productives.
Pour la France, le montant de l’apurement qui devra être supporté par le budget national en 2018 est estimé entre 274,7 et 347,7 millions d’euros. Le remboursement par la Commission du montant de 49,1 millions d’euros au titre de l’ICHN pourrait intervenir en cours d’année 2018. Dès lors, le chiffrage à retenir pour le remboursement 2018 au titre des refus d’apurement communautaires se situerait entre 225,6 et 298,6 millions d’euros.
Le risque financier relatif aux refus d’apurement est formellement identifié dans le cadre de la cartographie des risques réalisée par le ministère, et en constitue un point d’attention majeur.
À ce titre, le ministère continue à s’engager dans la mise en œuvre des mesures correctives nécessaires pour réduire au maximum les erreurs financières. Un suivi interministériel des enquêtes à enjeu financier majeur est par ailleurs piloté par le SGAE afin de maîtriser le risque de correction financière par des plans d’action, dans le calendrier requis par la Commission en vue de répondre à ses griefs définitifs.
Concernant le FEADER, dont les régions assurent le rôle d’autorité de gestion, le ministère assure un accompagnement avec l’objectif de sensibiliser ces dernières aux efforts nécessaires pour baisser le taux d’erreur constaté.
Source : réponse du ministère de l’Agriculture et de l’alimentation à la consultation réalisée par la mission d’information.
c. Le ministère de l’Intérieur
● L’activité contentieuse relevant du ministère de l’Intérieur est importante. La dépense s’explique par des contentieux nombreux et récurrents, pour lesquels le coût unitaire est relativement faible.
Hors contentieux des étrangers, 18 354 contentieux sont en cours ([8]) pour un montant provisionné total de 172 millions d’euros. L’année 2017 a toutefois été marquée par un niveau élevé de dépenses associées aux contentieux exceptionnels, celles-ci s’établissant à 45,4 millions d’euros.
Plus de 97 000 requêtes ont été enregistrées au titre du contentieux des étrangers en 2017, pour un montant exécuté de 19 millions d’euros, et un risque indemnitaire associé à chaque dossier faible.
Seuls 20 litiges sont provisionnés pour un montant supérieur à 1 million d’euros. La provision associée à ces 20 litiges s’élève à 127 millions d’euros.
Le coût budgétaire annuel associé à l’ensemble des contentieux s’élève à 85 millions d’euros en moyenne sur les cinq dernières années, et à 119 millions en 2017, soit près de 70 % de la provision.
Les litiges liés aux refus de concours de la force publique représentent en moyenne, sur les cinq dernières années, 44 % du coût annuel des litiges.
coût des litiges (règlement amiable et contentieux) depuis 2013
(en millions d’euros et en %)
|
|
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
En % du total 2017 |
|
Refus de concours de la force publique |
46,4 |
38,1 |
37,8 |
25,8 |
42,4 |
35,8 % |
|
Étrangers |
14,0 |
14,1 |
14,4 |
12,2 |
19,1 |
16,1 % |
|
Accidents de la circulation |
12,2 |
10,1 |
10,3 |
10,0 |
10,9 |
9,2 % |
|
Attroupements |
3,7 |
1,5 |
2,4 |
3,4 |
0,9 |
0,7 % |
|
Autres mises en cause de l’État |
6,8 |
7,1 |
16,3 |
20,2 |
45,4 |
38,3 % |
|
Total |
83,1 |
70,9 |
81,2 |
71,7 |
118,6 |
100,0 % |
Source : DLPAJ.
La DLPAJ précise que ces éléments intègrent les dépenses opérées dans le cadre de procédures amiables, qui peuvent représenter, pour certaines catégories de contentieux, une part importante de la dépense. En matière de refus de concours de la force publique et d’accidents de la circulation, les dépenses opérées suite à un règlement amiable des litiges correspondent respectivement à 40,1 millions d’euros et 8,7 millions d’euros, soit 95 % et 80 % du coût total de ces contentieux.
● Concernant les ministères sociaux ([9]), 2 188 contentieux indemnitaires ont été recensés au 31 décembre 2017. Ce recensement n’inclut pas les demandes amiables, mais uniquement les recours contentieux déposés et enregistrés dans l’application TéléRecours.
Le risque budgétaire est fortement concentré sur quelques contentieux individuels (médicaments) et de série (amiante et retraites, notamment).
Le coût budgétaire annuel est limité. Il s’élève à 12,1 millions en moyenne depuis 2013. Ce coût est stable sur la période, malgré un pic atteint en 2014, à 17,2 millions d’euros.
La politique de provisionnement semble prudente :
– le risque budgétaire (c’est-à-dire le montant réclamé) associé aux 2 188 contentieux répertoriés est évalué à 316 millions d’euros ;
– la provision au titre de l’exercice 2017 s’élève à 51 millions d’euros, soit 16 % du risque budgétaire total.
En moyenne, depuis 2013, le coût budgétaire annuel associé aux contentieux s’élève à 37,3 % de la provision. En 2014 toutefois, les dépenses constatées ont excédé la provision enregistrée.
coût budgétaire annuel associÉ aux contentieux
(en millions d’euros)
|
|
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 (p) |
Moyenne (exécuté) |
|
Coût budgétaire annuel |
9,5 |
17,2 |
12,4 |
9,2 |
11,9 |
11,5 |
12,1 |
|
Provision |
13,3 |
10,6 |
24,3 |
26,4 |
51,2 |
– |
32,4 |
Source : réponse à la consultation.
Les contentieux relatifs aux médicaments représentent près du quart du risque total associé aux contentieux en cours, entendu comme le montant des demandes adressées à l’administration, quel que soit le risque réel encouru.
principaux contentieux par catégorie
|
|
Nombre de recours |
Risque total |
En % |
|
Médicaments, pratiques et produits de santé |
13 |
78,7 |
25 % |
|
Amiante / responsabilité de l’État |
1 860 |
54,7 |
17 % |
|
Retraites |
99 (1) |
41,6 |
13 % |
|
Pharmacies / refus de création ou transfert, T2A |
16 |
35,8 |
11 % |
|
Autres |
200 |
104,8 |
34 % |
|
Total |
2 188 |
315,6 |
100 % |
(1) Sur la base des informations transmises dans l’annexe à la consultation.
Source : réponse à la consultation.
Le risque budgétaire est concentré sur un nombre limité de contentieux.
En effet, les quinze contentieux présentant les risques budgétaires les plus importants expliquent 82 % du risque total, et les cinq contentieux (trois contentieux individuels, deux contentieux de série) présentant les risques budgétaires les plus importants expliquent 56 % du risque budgétaire total (177 millions d’euros, sur 316 millions).
Il s’agit principalement de la carence fautive de l’État dans la réglementation relative aux poussières d’amiante (contentieux de série, 2 050 demandes préalables, et 1 860 recours), du préjudice subi du fait de l’illégalité de la décision de radiation d’une spécialité de la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d’hospitalisation, du refus d’autorisation de mise sur le marché de spécialités médicamenteuses, de la perte de droit à pension de retraite supplémentaire du fait de la transposition tardive d’une directive communautaire ([10]), et du préjudice causé par un arrêté de radiation d’un produit de la liste des produits et prestations remboursables.
e. Les ministères économiques et financiers
● Les contentieux fiscaux représentent l’essentiel des dépenses et du risque budgétaire associés aux contentieux.
Après deux années de hausse, le coût budgétaire associé aux contentieux fiscaux s’est stabilisé à 2 milliards d’euros annuels environ entre 2014 et 2016. En 2017, il a atteint 7,6 milliards d’euros.
dépenses budgétaires associées aux contentieux fiscaux
Source : projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2017,
compte général de l’État 2012 – 2017.
● Les contentieux fiscaux de série d’origine communautaire représentent une part très significative de ces dépenses. Leur coût est élevé et récurrent.
coût des principaux contentieux europÉens de sÉrie,
en comptabilité budgétaire nette
(en milliards d’euros)
|
|
2007-2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
Coût 2007-2017 |
2018e |
|
OPCVM |
1,15 |
0,7 |
0,75 |
0,75 |
3,35 |
1 |
|
Contentieux précompte |
0,87 |
+ 0,06 |
0 |
0,001 |
0,931 |
0 |
|
De Ruyter (part État) |
– |
0,005 |
0,07 |
0,02 |
0,095 |
0 |
|
Stéria |
– |
– |
0,33 |
0,2 |
0,53 |
0 |
|
CVAE / intégration fiscale |
– |
– |
– |
0,3 |
0,3 |
0,3 |
|
3 % dividendes |
– |
– |
– |
5,25 |
5,25 |
5 |
|
Total |
2,02 |
0,64 |
1,15 |
6,52 |
10,33 |
5,31 |
Source : direction générale des finances publiques, annexes Remboursements et dégrèvements aux rapports sur les projets de lois de finances des années 2015 à 2018.
● Le coût budgétaire relatif aux contentieux fiscaux a fortement augmenté en 2017, en raison des restitutions opérées dans le cadre du contentieux relatif à la contribution de 3 % sur les dividendes. Les restitutions opérées à ce titre représentent 84 % du coût total des contentieux fiscaux de série sur les impôts d’État en 2017.
Au 4 juin 2018, le coût budgétaire total associé au contentieux relatif à la contribution de 3 % sur les dividendes s’élève à 3,91 milliards d’euros (3,53 milliards en droits, et 385 millions d’intérêts moratoires), et le coût cumulé de ce contentieux sur 2017 et 2018, à 9,18 milliards d’euros (8,25 milliards en droits, et 930 millions d’intérêts moratoires) ([11]).
Les principaux contentieux fiscaux de série
Contentieux OPCVM et fonds de pension (dit AMURTA) : Contrariété de la retenue à la source appliquée aux dividendes de source française perçus par des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) non-résidents au principe de liberté de circulation des capitaux (CJUE, 2012, Santander Asset Management). Un arrêt rendu par la CJUE dans une affaire polonaise (2014, Emerging Markets) a imposé la prise en compte des réclamations des fonds d’investissement des pays tiers, allongeant ainsi la procédure.
Précompte mobilier : Contrariété de l’ancien dispositif de l’avoir fiscal et du précompte au droit européen (libertés d’établissement et de circulation des capitaux). Application au dispositif français de la logique retenue dans la décision Manninen (CJCE, 2004) relative au dispositif de l’avoir fiscal finlandais. La CJUE a invalidé le dispositif et laissé au Conseil d’État le soin de déterminer le quantum des litiges (CJUE, 2011, Accor, puis CE, 2012, Accor et Rhodia). La Commission européenne a saisi la CJUE d’un recours en manquement en juillet 2017, remettant en cause l’interprétation du Conseil d’État de 2012 (ce contentieux est détaillé au a du 2 du présent B).
De Ruyter : Contrariété au principe d’unicité de la législation en matière de prélèvements sociaux de l’assujettissement de certains non-résidents à ces prélèvements (CJUE puis CE, 2015, de Ruyter). Les personnes affiliées à un régime de sécurité sociale dans un des États entrant dans le champ d’application territorial des règlements communautaires sur la sécurité sociale (Union européenne, Espace économique européen, Suisse) ne peuvent être assujetties en France à des prélèvements sociaux sur leurs revenus du patrimoine. Raisonnement transposable aux revenus de placement (ce contentieux est détaillé au b du 1 du A du I de la troisième partie).
Stéria : Contrariété de la quote-part représentative de frais et charges de 5 % sur les dividendes de source européenne au principe de liberté d’établissement, car la neutralisation de cette quote-part au moment de la réception, par une société mère française, de dividendes par ailleurs exonérés, était limitée à ceux provenant de sociétés intégrées fiscalement – or le périmètre d’une telle intégration ne s’appliquait qu’aux filiales établies en France et soumises à l’IS, les dividendes de source communautaire demeurant imposés (CJUE, 2015, Sopra Stéria).
CVAE / intégration fiscale (FB Finance) : Contrariété au principe d’égalité devant la loi des modalités de calcul du taux effectif de la contribution due par les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré, consistant à consolider le chiffre d’affaires au niveau du groupe (CC, 2016, Société FB Finance). Les entreprises fiscalement intégrées supportaient en effet un taux de CVAE plus élevé que celui qui aurait résulté de l’application de taux individuels aux différentes entités.
3 % dividendes : Contrariété de la contribution de 3 % sur les dividendes distribués à l’article 4 de la directive « mère-fille » (CJUE, 2017, AFEP) car elle constitue une double imposition irrégulière, excédant la part autorisée de 5 % pour frais et charges autorisée par la directive. En découle l’inapplicabilité de la contribution aux dividendes provenant de filiales européennes. Dès lors, contrariété aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques en raison de l’existence d’une discrimination à rebours : les dividendes en provenance d’autres sources (françaises et non européennes) restaient soumis à la taxe. Censure intégrale de la contribution par la décision QPC de 2017, Sorpafi.
Source : commission des finances.
2. Des affaires en cours aux conséquences potentiellement explosives : les affaires Accor et Messer
Deux contentieux pourraient occasionner des conséquences budgétaires particulièrement importantes.
a. L’affaire « précompte mobilier » / Accor
Le contentieux « précompte mobilier » porte sur la restitution de montants d’impôt versés en France par des sociétés détenant des filiales dans d’autres États de l’Union européenne.
Ce contentieux se distingue par son ancienneté. Il a en effet débuté en 2005, lorsqu’une vingtaine de sociétés mères françaises ont introduit des recours contentieux dans le but d’obtenir demander remboursement du précompte mobilier payé lors de la redistribution de certains dividendes provenant de filiales situées dans un autre État membre de l’Union européenne.
Saisie par la voie préjudicielle, la CJUE a invalidé ce dispositif, en laissant au Conseil d’État le soin de préciser les modalités de calcul des restitutions à opérer, ce qu’il a fait dans deux décisions de principe Accor et Rhodia du 10 décembre 2012.
Considérant que l’interprétation du Conseil d’État présentée dans ces décisions ne respectait pas la décision de la CJUE, la Commission européenne a saisi la CJUE d’un recours en manquement contre la France, en juillet 2017.
L’avocat général a présenté ses conclusions le 25 juillet 2018, et celles-ci ont été suivies par la Cour dans l’arrêt qu’elle a rendu le 4 octobre 2018.
Le jugement définitif de la CJUE est partiellement défavorable à la France. Le juge européen retient en effet deux griefs, sur les quatre présentés par la Commission :
– sur le fond de l’affaire, la Cour constate qu’en refusant de prendre en compte l’imposition déjà acquittée par les sous-filiales non françaises, la République française a enfreint les principes de liberté d’établissement et de libre circulation des capitaux (premier grief) ;
– sur la forme, la Cour a sanctionné le fait que le Conseil d’État ait omis de poser une question préjudicielle, alors que la question de droit posée ne « s’imposait pas avec une telle évidence qu’elle ne laissait place à aucun doute raisonnable » (quatrième grief).
En revanche, la Cour n’a pas admis les deux autres griefs, tirés respectivement du caractère disproportionné des exigences prescrites en matière de preuve pour fonder le droit au remboursement du précompte mobilier illégalement perçu (deuxième grief), et du plafonnement du montant remboursable au titre du précompte mobilier illégalement perçu à un tiers du montant des dividendes distribués (troisième grief).
Le contentieux « précompte mobilier » (affaire Accor)
Ce contentieux porte sur la compatibilité avec le droit européen de l’ancien régime de l’avoir fiscal et du précompte mobilier. Il sanctionne, sur le fondement de la liberté de circulation des capitaux, un avantage fiscal réservé aux sociétés françaises.
Le dispositif de l’avoir fiscal avait été instauré en 1965, par la loi n° 65-566 du 12 juillet 1965 modifiant l’imposition des entreprises et des revenus de capitaux mobiliers. Les sociétés bénéficiaient d’un avoir fiscal quand elles percevaient des dividendes déjà soumis à l’impôt sur les sociétés, et payaient un précompte quand elles reversaient des dividendes qui n’avaient pas été soumis à l’impôt sur les sociétés, notamment ceux qui relevaient du régime « mère-fille ». Toutefois, les dividendes reçus de sociétés exerçant dans des pays membres de l’Union européenne ne donnaient pas droit à avoir fiscal, alors que la redistribution des dividendes reçus de filiales européennes donnait lieu à « précompte ». Ce système de l’avoir fiscal et du précompte avait initialement pour objectif, non seulement d’atténuer le phénomène de double imposition des revenus distribués (au niveau de l’entreprise et au niveau de l’actionnaire), mais aussi de rendre plus attractive la place financière de Paris.
Dans sa décision Manninen du 7 septembre 2004, la CJCE a implicitement condamné le dispositif de l’avoir fiscal finlandais au motif que cette législation, qui autorise l’imputation d’un avoir fiscal lorsque la société distributrice est résidente nationale mais s’y oppose lorsque cette société n’est pas résidente, constitue une entrave à la liberté de circulation des capitaux. Par ses considérants de principe, la portée de cet arrêt dépassait le cadre du seul système fiscal finlandais.
Compte tenu des similitudes existant entre le dispositif finlandais et celui de l’avoir fiscal français ainsi que celui du précompte, le régime fiscal des distributions a été modifié par deux fois, en 2003 puis en 2004. Cette réforme a entériné la suppression à compter du 1er janvier 2005 de l’avoir fiscal et du précompte adossé à ce dernier pour les personnes morales.
Une vingtaine de sociétés mères françaises ont alors introduit des recours contentieux visant à obtenir un avoir fiscal à raison des dividendes reçus de leurs filiales résidentes d’un État membre de l’Union européenne, afin de demander le remboursement du précompte mobilier payé lors de la redistribution de ces dividendes.
L’État a ainsi été condamné dès 2006 par différents tribunaux administratifs et cours administratives d’appel à rembourser 1,1 milliard d’euros à plusieurs sociétés entre 2006 et 2008.
Saisi de deux pourvois en cassation de l’administration, le Conseil d’État a posé plusieurs questions préjudicielles à la CJUE en juillet 2009.
L’arrêt de la CJUE est intervenu le 15 septembre 2011. La Cour a invalidé le régime français des distributions qui s’appliquait jusqu’en 2003 parce qu’il réservait le bénéfice de l’avoir fiscal aux seuls dividendes de source française. Cependant, elle a aussi posé le principe selon lequel la France n’était pas tenue d’accorder un avoir fiscal sans tenir compte de l’impôt auquel ont été soumis les bénéfices de source communautaire appréhendés par les sociétés mères françaises, car le régime en cause avait pour objet d’éviter la double imposition des bénéfices.
La CJUE a laissé au Conseil d’État le soin de trancher un certain nombre de questions d’application de sa jurisprudence nécessaires à la détermination du quantum du litige.
À la suite de l’arrêt de la CJUE, deux décisions de principe du Conseil d’État, Accor et Rhodia, ont été rendues le 10 décembre 2012.
L’application combinée des principes posés par ces deux juridictions dans ces deux affaires a abouti au rétablissement au profit du Trésor de l’essentiel des impositions en cause. À ce jour, faisant application des principes posés dans ces deux décisions par le Conseil d’État, les juridictions nationales de premier et de second rang ont examiné les dossiers relevant du contentieux précompte dans un sens globalement favorable aux intérêts du Trésor.
Ces décisions ont suscité de vives critiques de la part de sociétés requérantes et elles ont fait l’objet d’une plainte en juillet 2013 devant la Commission européenne qui, au terme de son instruction, a finalement saisi la CJUE d’un recours en manquement contre la France le 10 juillet 2017.
La Commission a considéré que la France ne respectait pas l’arrêt de la CJUE du 15 septembre 2011 sur trois points :
– la décision du Conseil d’État ne tiendrait pas compte de l’imposition déjà acquittée par les sous-filiales non françaises ;
– cette décision limiterait le système de crédit d’impôt à un tiers du dividende redistribué par une filiale non française, ce qui constituerait une différence de traitement entre sociétés percevant des dividendes en provenance d’autres États membres et celles percevant des dividendes d’origine française, et s’opposerait au droit d’établissement et à la libre circulation du capital ;
– cette décision maintiendrait, pour limiter le droit au remboursement des sociétés concernées, des exigences quant à la preuve à apporter, ne respectant pas les critères dégagés par la CJUE.
Cette nouvelle étape a modifié la nature du risque : de fiscal, le risque contentieux devient un risque indemnitaire. Elle a reporte également l’issue définitive de l’ensemble du litige à un horizon plus lointain.
Les conclusions de l’avocat général ont été rendues le 25 juillet 2018 (1) et sont partiellement défavorables à la France.
L’avocat général conclue ainsi qu’en « refusant de prendre en compte l’imposition subie par les sous-filiales établies dans un État membre autre que la France alors que le mécanisme applicable aux sous-filiales établies en France permettait à celles-ci de verser à la société intermédiaire bénéficiaire des dividendes exemptés du coût de l’impôt qui les frappaient, la jurisprudence du Conseil d’État (…) a perpétué la discrimination constatée par la Cour à l’occasion de l’arrêt du 15 septembre 2011, Accor (…), et, ce faisant, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 et 63 TFUE » (premier grief, § 107-1).
De plus, le Conseil d’État « n’ayant pas interrogé la Cour alors que la prise en compte de l’impôt acquitté par les sous-filiales non-résidentes était une question du droit de l’Union susceptible d’avoir une influence sur la solution des litiges dont il était saisi, et ce alors que l’application correcte du droit de l’Union ne s’imposait pas avec une évidence telle qu’elle ne laissait place à aucun doute raisonnable, la République française a manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 267, troisième alinéa, TFUE » (quatrième grief, § 107-2).
Les autres griefs ont été rejetés par l’avocat général :
– concernant le deuxième grief tiré du caractère disproportionné des exigences prescrites en matière de preuve, l’avocat général rappelle que « la Commission ne démontre pas que la République française aurait subordonné la restitution à une société mère des sommes de nature à garantir l’application d’un même régime fiscal aux dividendes distribués par les filiales de celles-ci établies en France et à ceux distribués par les filiales de cette société établies dans d’autres États membres à des modalités probatoires contraires aux principes d’équivalence et d’effectivité » (§ 67) ;
– concernant le troisième grief tiré du plafonnement du montant remboursable à un tiers du montant des dividendes, l’avocat général souligne que « la Commission ne démontre pas que la République française perpétuerait la discrimination constatée par la Cour (…), en limitant au tiers des dividendes versés par une filiale non-résidente le remboursement du précompte mobilier payé sur ces dividendes » (§ 79).
Dans sa décision du 4 octobre 2018, la Cour a suivi les conclusions de l’avocat général, en admettant les premier et quatrième griefs, et en rejetant le recours pour le surplus.
(1) Conclusions de l’avocat général, M. Melchior Wathelet, dans l’affaire C‑416/17, présentées le 25 juillet 2018, et décision du 4 octobre 2018, Commission européenne c/ République française (lien).
Source : direction générale des finances publiques, Commission européenne.
Une telle situation est rare mais ne constitue pas une première en Europe. Ainsi, dans une décision Commission c/ Italie du 9 décembre 2003 (affaire C-129/00), la CJUE a constaté qu’en maintenant en vigueur certaines dispositions qui, telles qu’ « interprétées et appliquées par l’administration et les juridictions », rendraient pratiquement impossible ou, du moins, excessivement difficile pour le contribuable l’exercice du droit au remboursement de certaines taxes, la République italienne avait manqué à ses obligations communautaires ([12]).
En France, néanmoins, c’est la première fois qu’une décision défavorable de la CJUE infirme l’interprétation faite par le juge fiscal des principes communautaires.
Les enjeux budgétaires associés à ce contentieux sont conséquents.
Au 31 décembre 2017, les montants provisionnés dans les comptes de l’État s’élevaient à 4,1 milliards d’euros :
– s’agissant du contentieux en responsabilité, le montant provisionné des prétentions sous forme de dommages et intérêts déjà déposées s’élève à 1 157 millions d’euros ;
– s’agissant des affaires relatives au remboursement du précompte qui sont pendantes devant le juge de l’impôt, l’enjeu financier provisionné est de 2 944 millions d’euros.
Concernant le contentieux en responsabilité, en cas de décision défavorable de la CJUE sur le recours en manquement de la Commission européenne contre la juridiction administrative, le total des prétentions indemnitaires pourrait in fine s’avérer plus élevé que le montant provisionné si de nouvelles prétentions sont formulées par des entreprises, sous réserve des limites permises par les règles de prescription.
L’administration fiscale rappelle néanmoins que les montants provisionnés constituent une évaluation très prudente du risque associé. Les montants remboursés devraient s’établir à un niveau inférieur à la provision totale, pour plusieurs raisons :
– le CJUE n’a admis que deux des quatre griefs soulevés par la Commission, et un seul grief de fond, concernant la non-prise en compte de l’imposition déjà acquittée par les sous-filiales non françaises ;
– les entreprises vont désormais devoir apporter les justificatifs nécessaires à l’appui de leurs demandes. Le service juridique de la fiscalité de la direction générale des finances publiques relève ainsi que « les entreprises requérantes vont maintenant devoir justifier devant les juridictions françaises les sommes demandées au regard des principes précisés par la CJUE, et obtiendront ainsi leur restitution en tout ou partie selon les éléments de preuve apportés ».
Le SJF précise qu’en tout état de cause « les procédures ont vocation à s’étaler sur plusieurs années et il est encore impossible de connaître la fraction qui devra in fine être payée par l’État ».
Dans le projet de loi de finances pour 2019 ([13]), un montant de 600 millions d’euros a été budgété pour couvrir, d’une part, les remboursements de retenue à la source à des organismes de placement collectif situés à l’étranger (contentieux OPCVM), et d’autre part, ceux relatifs au précompte à raison des premières décisions des juridictions administratives rendues à la suite du récent arrêt de la CJUE, qui pourraient intervenir en 2019.
En 2013, la Cour des comptes avait constaté que « la défense du contentieux précompte par l’État a été conduite de manière adaptée, et les conséquences financières ont jusqu’à présent été correctement anticipées » au motif que « la poursuite de la défense du contentieux a permis de faire trancher en faveur de l’État le point relatif au quantum des réclamations et, vraisemblablement, de limiter le montant final des restitutions » ([14]), notamment. Ce dernier constat peut difficilement être renouvelé.
La mission d’information a pris connaissance d’un second contentieux présentant un risque budgétaire très élevé, portant sur la contrariété de la contribution au service public de l’électricité aux directives européennes relatives aux accises ([15]).
Le contentieux relatif à la contribution au service public de l’électricité
(affaire Messer France, anciennement Praxair)
La contribution au service public de l’électricité (CSPE) constitue une imposition indirecte assise sur les volumes d’électricité livrés au consommateur final.
Elle a été instituée par la loi n° 2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie, pour financer les charges suivantes :
– le paiement des surcoûts résultant de l’obligation d’achat, par les fournisseurs, de l’électricité obtenue à partir de sources d’énergies renouvelables et par cogénération, pour sa part la plus importante ;
– la compensation des surcoûts de production dans les zones non interconnectées au réseau métropolitain continental ;
– les pertes et recettes et les coûts de gestion supplémentaires supportés par les fournisseurs d’électricité en conséquence, d’une part, de l’application de la tarification spéciale de l’électricité et, d’autre part, de leur participation au régime en faveur des personnes en situation de précarité ;
– les coûts inhérents au fonctionnement administratif du médiateur de l’énergie et de la caisse des dépôts et consignations.
La société Praxair SAS, dont les droits ont été repris par la suite par la société Messer France a réclamé la restitution de la contribution payée pour les années 2005 à 2009.
Plusieurs procédures ont été successivement engagées.
Sur renvoi du Conseil d’État, le Conseil constitutionnel s’était prononcé en faveur de la constitutionnalité des dispositions fixant le régime de la CSPE. Le Conseil constitutionnel avait en effet jugé que les dispositions contestées ne méconnaissaient ni le principe de l’égalité devant l’impôt et les charges publiques, ni l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, et qu’en adoptant ces dispositions, le législateur n’avait pas méconnu l’étendue de sa compétence dans la détermination de l’assiette ou du taux d’une imposition (décision n° 2014-419 QPC du 8 octobre 2014, Praxair SAS).
Ce régime a ensuite été porté sur le terrain de la compatibilité avec le régime communautaire des aides d’État, et le Conseil d’État a écarté cette question dans un avis du 22 juillet 2015 (CE, Section, 22 juillet 2015, n° 388853).
Un nouveau moyen a alors été introduit en novembre 2015, contestant la conformité de la CSPE au régime général des accises (1). Le requérant contestait la conventionnalité de la CSPE sur le fondement de l’absence de finalité spécifique au sens des directives européennes concernant les autres impositions indirectes, existant en parallèle des accises. Selon le requérant, compte tenu de la pluralité des dépenses qu’elle finançait, la CSPE ne pouvait avoir une finalité spécifique.
Un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris en date du 23 février 2016 (n° 12PA03983) a rejeté la requête de la société Messer France, venant aux droits et obligations de la société Praxair SAS, tendant à la restitution de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) acquittée au titre des années 2005 à 2009.
Cette société a alors introduit un recours en cassation devant le Conseil d’État tendant à ce que soit annulée cette décision. Par une décision du 22 février 2017, le Conseil d’État a sursis à statuer sur ce pourvoi jusqu’à ce que la CJUE se soit prononcée sur quatre questions préjudicielles, dont la principale porte sur la compatibilité de la CSPE avec les directives européennes relatives aux accises.
La France a produit ses observations le 8 juin 2017. Le mémoire en réponse de la société Messer a été communiqué aux parties le 16 août 2017. La Commission européenne, la Belgique, l’Espagne et l’Italie ont également produit des observations.
L’audience de plaidoiries s’est tenue le 13 décembre 2017 et l’avocat général a rendu ses conclusions le 7 mars 2018.
La CJUE a rendu ses conclusions le 25 juillet 2018. Elle a suivi les conclusions de l’avocat général, jugeant que les contribuables peuvent prétendre à un remboursement partiel de CSPE :
– la CSPE peut être qualifiée d’imposition indirecte poursuivant des finalités spécifiques eu égard à sa finalité environnementale (qui vise le financement des surcoûts liés à l’obligation d’achat d’énergie verte) ;
– en revanche, elle ne peut pas être qualifiée d’imposition indirecte poursuivant des finalités spécifiques pour la partie de son produit destinée à des finalités de cohésion territoriale et sociale, telles que la péréquation tarifaire géographique et la réduction de prix de l’électricité pour les ménages en situation de précarité, et à des finalités purement administratives, notamment, le financement des coûts inhérents au fonctionnement administratif d’autorités ou d’institutions publiques telles que le médiateur national de l’énergie et la Caisse des dépôts et consignations (sous réserve de la vérification, par la juridiction de renvoi, du respect des règles de taxation applicables pour les besoins des accises) ;
– les contribuables concernés peuvent prétendre à un remboursement partiel de CSPE à proportion de la part des recettes affectée à des finalités non spécifiques (cohésion sociale et territoriale, finalités purement administratives), à condition que cette taxe n’ait pas été répercutée par ces contribuables sur leurs propres clients, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.
La décision du Conseil d’État devrait intervenir d’ici la fin de l’année 2018.
Entre-temps, à l’automne 2015, la loi de finances rectificative pour 2015 (2) avait refondu les modalités de financement du service public de l’électricité, à travers la création du compte d’affectation spéciale Transition énergétique et la fusion de la CSPE et de la taxe intérieure de consommation finale d’électricité (TICFE). Le financement des charges liées à la transition énergétique reste ainsi assuré par cette nouvelle fiscalité, tandis que les autres charges sont transférées au budget général de l’État. Cette modification législative à permis la sécurisation juridique du dispositif à partir du 1er janvier 2016.
(1) Directive 92/12 du 15 février 1992 relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, et directive 2003/96 du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité. La CSPE avait en effet été créée avant l’entrée en vigueur de la directive 2003/96/CE ayant soumis la taxation de la consommation d’électricité aux dispositions de la directive 92/12/CEE relative aux produits soumis à accises.
(2) Loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.
Source : direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers.
Les enjeux financiers associés à ce contentieux sont très conséquents. Selon Mme Émilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public de l’affaire devant le Conseil d’État, le risque pour l’État s’élèverait à près de 5 milliards d’euros ([16]).
Un travail d’évaluation conduit par l’administration a conduit à minorer ce montant. Une mission composée de membres de l’Inspection générale des finances, du Contrôle général économique et financier, et de la Commission de régulation de l’énergie, a été chargée d’apprécier plus finement l’enjeu budgétaire de ce contentieux sériel.
Au 31 décembre 2017, le montant provisionné dans les comptes de l’État s’élève à 1 250 millions d’euros. La mission d’information constate que le montant de cette provision est bien inférieur au risque total initialement évalué par le rapporteur public.
Elle souligne néanmoins que cette provision a été enregistrée tardivement, à la suite de la remise des conclusions préliminaires de la mission IGF-CGEFI-CRE et juste avant les travaux de fin clôture des comptes de l’État pour l’année 2017, alors que ce contentieux était ancien, et le risque, connu.
Ce contentieux est en effet symptomatique des défaillances graves qui peuvent affecter la gestion par l’administration de certains contentieux de masse, et en augmenter le coût final.
L’affaire Messer constitue la « tête de série » d’un contentieux très vaste. D’après les données obtenues par la mission d’information, 14 000 recours ont été portés devant les tribunaux administratifs et, selon les estimations de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), qui avait été chargée de la gestion de cette contribution, 55 000 réclamations préalables tendant à la restitution de cette réclamation lui auraient également été présentées.
La mission relève que de très faibles moyens humains avaient été dévolus à la CRE pour gérer cette contribution. La gestion administrative de cette taxe avait en effet été confiée à trois agents. Deux d’entre eux avaient compétence pour le calcul de la taxe, et le troisième était chargé de la mise en œuvre du recouvrement.
La faiblesse des moyens mis en œuvre n’a pas permis de gérer convenablement ce contentieux. Le flux journalier des demandes a parfois atteint 2 500 dossiers, et jusqu’à sept intérimaires ont été embauchés au cours des périodes de pic pour assurer la réception physique des dossiers envoyés par voie postale. Les dossiers ont été stockés dans des entrepôts, sans qu’un suivi exhaustif ne soit réalisé.
Dans ces conditions, l’administration n’a ni accusé réception, ni rejeté explicitement les réclamations tendant à la restitution de la CSPE. Ce silence a donc fait naître des décisions implicites de rejet à l’encontre de ces demandes. En l’absence d’accusé de réception ou de décision expresse mentionnant les voies et délais de recours à la suite des réclamations tendant à la restitution de la CSPE, aucun délai de recours contentieux ne pourra être opposé aux réclamants, et ceux-ci pourront, dans ces circonstances, introduire un recours contentieux à tout moment.
La direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers a néanmoins précisé à la mission que « l’application de certaines règles de forclusion et de prescription aux requêtes et aux réclamations d’ores et déjà déposées serait […] de nature à limiter le risque de restitution de la CSPE ».
Selon les informations reçues par la mission d’information, les éléments préliminaires issus des travaux de la mission ICG-CGEFI-CRE font apparaître qu’une grande majorité des réclamations préalables ont été déposées au cours des années 2013 et 2014. Les contribuables ayant déjà déposé une réclamation préalable ou introduit un recours contentieux seraient des entreprises, des collectivités territoriales ou encore des consommateurs résidentiels, non professionnels.
Lors de son audition par la mission d’information, la CRE a rappelé qu’au moment de la réception des réclamations, les moyens alors invoqués – non-conformité à la Constitution et non-compatibilité avec le régime européen des aides d’État – paraissaient présenter un risque limité pour l’État. Aucune provision n’avait alors été enregistrée.
Le risque est devenu plus sérieux lorsqu’ont été posées les questions préjudicielles à la CJUE. La direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers a également souligné que des notes avaient été transmises au cabinet du ministre pour l’informer des évolutions de cette procédure contentieuse. Au vu de ces éléments et des moyens disponibles, le suivi de ce contentieux par la CRE et la DAJ de Bercy ne semble pouvoir être mis en cause.
La mission relève que la lenteur de la prise de conscience des enjeux financiers associés à ce contentieux au plus haut niveau et la faiblesse des moyens consacrés à sa gestion n’ont pas permis de définir une stratégie contentieuse claire. L’absence d’accusé de réception et de refus explicite a ainsi aggravé le risque budgétaire associé, en laissant ouverts les délais de recours. L’enregistrement de la provision a été tardif (quatre mois seulement avant la décision de la CJUE, alors que le contentieux durait depuis plusieurs années), et le législateur n’en a pas été informé.
II. Des contestations de l’action publique et de la norme lÉgale qui se sont multipliées devant les tribunaux
L’augmentation du risque budgétaire associé aux contentieux s’explique notamment par le recours accru aux tribunaux – du fait de l’extension progressive du droit au recours, du développement des contentieux de masse, et de l’élargissement du champ de la responsabilité de l’État – ainsi que par la fragilisation de la législation nationale, particulièrement observable en matière fiscale, en raison de la diffusion de la norme européenne et du développement du contrôle de constitutionnalité.
A. Un recours accru aux tribunaux
Les tribunaux sont de plus en plus sollicités par les citoyens. Cette demande sociale accrue de justice, ou, comme l’évoque l’ancien vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, dans un discours prononcé en 2010 ([17]), cette « généralisation de l’usage du droit comme mode de résolution des conflits », augmente les circonstances dans lesquelles la norme peut être contestée, et où la responsabilité de l’État peut être mise en cause.
Le recours accru aux tribunaux est le résultat d’un faisceau de phénomènes, dont trois sont ici identifiés : l’extension progressive du droit au recours, l’apparition des contentieux de masse et l’élargissement du champ de responsabilité de l’État.
1. L’extension progressive du droit au recours
Les citoyens se sont saisis des opportunités ouvertes par les changements de législation et les évolutions jurisprudentielles. Cette extension des voies de recours possibles a contribué à l’augmentation de l’activité des juridictions administratives.
Le droit au recours est un principe jurisprudentiel ancien. La décision Ministre de l’Agriculture contre Dame Lamotte (CE, Ass., 17 février 1950) marque la reconnaissance de l’existence d’un principe général du droit selon lequel le recours pour excès de pouvoir est ouvert contre toute décision administrative, même sans texte le mentionnant explicitement. Dès lors qu’un acte administratif fait grief, un recours est possible. Parallèlement, la catégorie des actes non susceptibles de recours, les actes de gouvernement et les mesures d’ordre intérieur, n’a cessé de se réduire, en grande partie par l’action du juge administratif.
Le juge administratif a, dans les décennies suivantes, largement œuvré dans le sens d’un approfondissement du droit au recours. Xavier Domino, maître des requêtes au Conseil d’État, fait ce constat en 2014, dans un article des Nouveaux Cahiers du Conseil Constitutionnel ([18]). À l’appui de ses propos, il cite notamment la décision du Conseil d’État en 2014 (CE, Ass. 14 février 2014, Mme Rachel Lambert et autres) dans laquelle la juridiction administrative a considéré que la décision d’interrompre ou non un traitement était contestable devant le juge du référé.
Cet exemple parmi d’autres permet à Xavier Domino de conclure ainsi : « Sous l’effet, notamment, de ces évolutions, que ne vient contrebalancer aucun mouvement jurisprudentiel notable en sens inverse, le droit au recours est, devant le juge administratif probablement plus largement ouvert aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été par le passé » ([19]).
Cette extension du droit au recours est également l’œuvre du législateur, qui, pour répondre à certaines demandes sociales, utilise aussi cet outil. Ainsi, la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instaure un droit au logement opposable, ce qui signifie que des voies de recours sont ouvertes aux citoyens soit mal logés, soit ayant attendu un logement social pendant un délai trop long. L’État est garant de ce droit. La première étape est le recours devant une commission de médiation, organisée à l’échelle du département. S’il est avéré que le citoyen est prioritaire pour obtenir un logement, et qu’aucun ne lui ait attribué dans un délai précis, alors il peut déposer un recours devant le tribunal administratif. Cette nouvelle procédure a suscité un contentieux important pour les juridictions administratives. Ainsi, le Sénat, dans un rapport de 2011 ([20]), notait qu’entre la fin 2008 et la fin 2011, le DALO a été à la source de 21 600 requêtes, avec une augmentation du contentieux spécifique de 61 % en trois ans, du fait du recours créé à l’article L. 441‑2‑3‑1 du code de la construction et de l’habitation.
2. L’apparition des contentieux de masse
Les contentieux de masse, qui se sont multipliés à partir des années 90, participent du recours accru aux juridictions administratives.
Ces contentieux, selon les mots du Vice-président du Conseil d’État Jean‑Marc Sauvé, peuvent être divisés en deux catégories. Soit ils « procède[nt] de l’accumulation de requêtes individuelles contre des décisions fondées sur une interprétation unique de la loi, erronée ou perçue comme telle » ([21]). Les saisines sont souvent simultanées et font alors instantanément augmenter le volume de contentieux de la juridiction. Ceux-ci peuvent aussi être qualifiés de contentieux sériels. Soit il s’agit de « l’accumulation de requêtes individuelles contre une multitude de décisions distinctes, faisant application d’une même législation, mais cette fois-ci à des situations individuelles qui sont – en principe – distinctes ».
Deux domaines sont particulièrement propices à l’émergence de contentieux sériels. La fonction publique d’abord, et à cet égard, l’exemple des 27 000 recours en 1991 et 1992 sur le cumul du supplément familial de traitement est assez parlant. Le deuxième est la fiscalité : un chiffre souvent avancé pour l’illustrer est celui des 6 000 requêtes déposées en 1993 sur la compatibilité avec le droit communautaire de taxes parafiscales prélevées sur les horticulteurs.
Les raisons de l’émergence de ces contentieux sont à trouver à la fois dans les dispositifs législatifs, dans l’importance de plus en plus grande prise par le droit européen dans la législation nationale, mais aussi dans l’extension progressive du droit au recours, détaillée plus en amont.
Leur traitement représente pour les juridictions administratives un réel défi, qui doivent y répondre sans pour autant méconnaître le droit de chaque justiciable à voir sa demande jugée de manière individuelle. Il y a, attaché à cette émergence des contentieux de masse, un enjeu de qualité juridique auquel la juridiction administrative s’est efforcée de répondre.
La fiscalité reste aujourd’hui une source importante de contentieux. Selon le rapport du Conseil d’État sur l’activité de la juridiction administrative en 2017, les décisions rendues dans le domaine de contentieux fiscal représentaient 10,8 % des décisions de TA, 15,5 % des décisions de CAA et 15,9 % des décisions du Conseil d’État.
Afin de répondre à cette augmentation et cette massification du contentieux, des moyens humains ont été nécessaires. L’effectif budgétaire des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel est ainsi passé de 359 en 1987 à près de 1 100 en 2009, soit une multiplication par trois. Les dispositifs préalables aux contentieux ont aussi été développés. Le recours administratif préalable obligatoire (RAPO) a été institué pour les contentieux en matière d’impôts directs et sur les taxes sur le chiffre d’affaires, entre autres. Il est, selon Frédéric Puigserver, « particulièrement justifié dans les contentieux de masse » et « présente l’avantage de prévenir le contentieux inutile » ([22]). C’est un outil qui permet à l’administration de corriger certaines erreurs sans aller jusqu’au litige.
Ces réformes permettent une meilleure gestion des contentieux et de diminuer le nombre des litiges portés devant les juridictions administratives. Il n’en reste pas moins que l’apparition des contentieux de masse a participé à une sollicitation plus importante des tribunaux, avec d’autant plus d’opportunités de contestation de la norme.
3. L’élargissement du champ de la responsabilité de l’État
L’arrêt du Tribunal des Conflits Blanco en 1873 marque l’avènement de la responsabilité de l’État. Le Tribunal, en reconnaissant que « la responsabilité, qui peut incomber à l’État, pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public », met un terme à l’irresponsabilité de la puissance publique qui avait cours jusque-là. Cette responsabilité reste limitée – elle n’est « ni générale ni absolue » – et n’obéit pas aux règles en vigueur pour les particuliers – mais bien à des « règles spéciales » déterminées selon les besoins du service.
De fait, la responsabilité de l’État est longtemps cantonnée à des cas très spécifiques : elle ne peut être engagée qu’en cas de reconnaissance d’une faute lourde commise par l’administration, c’est-à-dire une faute d’une particulière gravité. Ainsi, en matière médicale, une personne victime d’une faute de l’hôpital ne peut prétendre à une indemnisation que si une faute lourde a été commise. Ce régime assez défavorable aux administrés se justifiait par une volonté de ne pas entraver l’action de l’administration. Par ailleurs, le juge se refusait aussi à reconnaître certains préjudices : suivant l’adage selon lequel « les larmes ne se monnayent pas », le dommage moral n’était pas indemnisé.
L’élargissement du champ de la responsabilité de l’État s’est opéré progressivement. D’abord, le régime de la faute lourde a peu à peu été abandonné. Ainsi, en matière médicale, le régime de la faute simple a été retenu par le Conseil d’État dans un arrêt d’Assemblée du 10 avril 1992, Époux V. La responsabilité pour faute lourde subsiste aujourd’hui dans deux domaines, celui de la police et celui du contrôle. Le maintien de ce régime se justifie par la difficulté des activités conduites, qui le seraient d’autant plus si la probabilité d’une menace contentieuse était élevée.
D’autre part, les régimes de responsabilité sans faute se sont multipliés. Cela permet au juge d’indemniser des administrés ayant subi un préjudice en l’absence de faute avérée de l’administration. C’est le cas pour les dommages occasionnés par un ouvrage public à un tiers. Cette évolution vers une responsabilité sans faute de l’État correspond à une certaine demande des citoyens de socialisation du risque. Il est considéré que certaines charges ne doivent pas être portées entièrement par les victimes mais aussi par la collectivité.
Cet élargissement du champ de la responsabilité de l’État implique des conséquences financières importantes pour l’État mais signifie aussi une augmentation des contentieux impliquant l’État, ce qui nécessite une gestion adaptée pour prévenir puis piloter les contentieux.
B. Une fragilisation de la lÉgislation, particulièrement observable en matière fiscale
Ce fort développement des contentieux impliquant l’État a été alimenté par l’extension du champ des normes de valeur supérieure à la loi, internationales, européennes et constitutionnelles, ainsi que par l’apparition de nouvelles procédures, qui ont accru les possibilités de contester la loi.
Cette évolution est particulièrement visible en matière fiscale. Comme l’a rappelé M. Alexandre Maitrot de la Motte, Professeur à la faculté de droit de l’Université Paris-Est Créteil, lors de son audition par la mission d’information, le droit fiscal a longtemps été « gouverné par le principe de la légalité fiscale », caractérisé par une compétence exclusive du Parlement, aujourd’hui prévue, avec certaines nuances, par l’article 34 de la Constitution, compétence dont le corollaire était le principe de consentement à l’impôt, inscrit à l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Le juge de l’impôt était alors le « serviteur de la loi », et les décharges d’imposition n’étaient accordées qu’en cas de violation de la loi par les services. Cette « conception légicentriste » a ainsi été « remise en cause au fur et à mesure que des normes supra-législatives – conventions fiscales internationales, convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, droit de l’Union européenne, et, depuis l’ouverture de la question prioritaire de constitutionnalité, en mars 2010, diffusion accrue des droits et libertés que la Constitution garantit – ont été reconnues et sanctionnées ».
1. La diffusion de la norme européenne
Le droit de l’Union, primaire comme dérivé, saisit toutes les branches de la législation nationale. Il constitue un « nouvel ordre juridique de droit international », au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres mais également leurs ressortissants. Il en découle que cet ordre juridique « produit des effets immédiats », et « engendre des droits individuels que les juridictions internes doivent sauvegarder » ([23]).
En vertu du principe de primauté du droit de l’Union européenne, d’affirmation jurisprudentielle, le droit du traité ne peut, en raison de sa « nature spécifique originale », se voir opposer un texte interne quel qu’il soit, sans perdre son caractère communautaire, et sans que soit mise en cause la base juridique communautaire elle-même ([24]). La primauté des dispositions des traités, mais également des dispositions à caractère obligatoire prises sur son fondement, s’exerce même vis-à-vis de législations nationales postérieures ([25]).
L’application de ces principes par les juridictions nationales a conduit à la diffusion progressive des normes issues du droit de l’Union européenne. Dans une intervention donnée à la Cour de justice de l’Union européenne de Luxembourg le 27 mars, à l’occasion du 60ème anniversaire du traité de Rome, l’ancien Vice-président du Conseil d’État, M. Jean-Marc Sauvé, rappelait que « l’extension continue du champ des compétences de l’Union au-delà de la libre circulation des biens, services et capitaux, aux questions monétaires, d’environnement, de coopération judiciaire, d’immigration ou de lutte contre le terrorisme a bouleversé la donne et accru l’interdépendance et l’interpénétration des droits nationaux et européens » ([26]).
Or, l’interprétation du droit de l’Union européenne pose des questions de plus en plus complexes et nombreuses. Il revient en effet aux juridictions nationales des États membres de l’Union européenne d’appliquer le droit de l’Union européenne, primaire comme dérivé. La procédure de renvoi préjudiciel permet à une juridiction nationale d’interroger la CJUE sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union européenne, dans le cadre d’un litige dont elle est saisie.
Le nombre de renvois préjudiciels transmis chaque année à la CJUE est fluctuant, mais connaît une augmentation régulière depuis le début des années 1990 (de 66 questions par an en moyenne entre 1961 à 1989, à 291 entre 1990 et 2017). Cette évolution s’explique en partie par les élargissements successifs de l’Union européenne, qui ont accru le nombre de juridictions nationales susceptibles de renvoyer une question, mais également par un recours plus fréquent des États membres à la CJUE. Au total, 10 149 renvois préjudiciels ont été effectués entre 1961 et 2017.
Nombre moyen de questions préjudicielles
posÉes chaque annÉE, par État membre, entre 1961 et 2017
Source : Rapport annuel 2017 de la Cour de justice de l’Union européenne.
En 2017, sur 533 questions préjudicielles posées à la CJUE, 25 l’ont été par des juridictions françaises.
Nombre total de questions préjudicielles
posées chaque annÉe par les États membres, entre 1961 et 2017
Source : Rapport annuel 2017 de la Cour de justice de l’Union européenne.
La mission relève que 9,6 % des questions préjudicielles posées à la CJUE depuis 1961 l’ont été par la France, soit 979 questions, ce qui place notre pays en quatrième position des pays ayant le plus recours à cette procédure, derrière l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, et devant la Belgique et le Royaume-Uni.
Nombre de renvois prÉjudiciels, par pays, entre 1961 et 2017
(en nombre de renvois)
|
État membre |
Nombre de renvois |
En % |
|
Allemagne |
2 449 |
24,1 % |
|
Italie |
1 445 |
14,2 % |
|
Pays-Bas |
1 013 |
10,0 % |
|
France |
979 |
9,6 % |
|
Belgique |
841 |
8,3 % |
|
Royaume-Uni |
623 |
6,1 % |
|
Autriche |
521 |
5,1 % |
|
Espagne |
460 |
4,5 % |
|
Danemark |
192 |
1,9 % |
|
Autres États membres |
3 |
16 % |
|
Total |
10 149 |
100 % |
Source : Rapport annuel 2017 de la Cour de justice de l’Union européenne.
En 2017, les questions fiscales représentent environ 10 % des affaires clôturées par la CJUE, et en constituent la matière prédominante.
AFFAIRES CLÔTURÉES entre 2013 et 2017, par matiÈre
(PAR ARRÊT, AVIS OU ORDONNANCE À CARACTÈRE JURIDICTIONNEL)
(en nombre de décisions et en %)
|
|
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
En % du total 2017 |
|
Fiscalité |
74 |
52 |
55 |
41 |
62 |
9,9 % |
|
Espace de liberté, de sécurité et de justice |
46 |
51 |
49 |
51 |
61 |
9,7 % |
|
Propriété intellectuelle et industrielle |
43 |
69 |
51 |
80 |
60 |
9,6 % |
|
Concurrence |
42 |
28 |
23 |
30 |
53 |
8,4 % |
|
Aides d’État |
34 |
41 |
26 |
26 |
33 |
5,3 % |
|
Rapprochement des législations |
24 |
25 |
24 |
16 |
29 |
4,6 % |
|
Droit institutionnel |
31 |
18 |
27 |
20 |
27 |
4,3 % |
|
Environnement |
35 |
30 |
27 |
53 |
27 |
4,3 % |
|
Politique sociale |
27 |
51 |
30 |
23 |
26 |
4,1 % |
|
Agriculture |
33 |
29 |
20 |
13 |
22 |
3,5 % |
|
Protection des consommateurs |
19 |
20 |
29 |
33 |
20 |
3,2 % |
|
Union douanière et tarif douanier commun |
11 |
21 |
20 |
27 |
19 |
3,0 % |
|
Libre circulation des personnes |
15 |
20 |
13 |
12 |
17 |
2,7 % |
|
Transports |
17 |
18 |
9 |
20 |
17 |
2,7 % |
|
Marchés publics |
12 |
13 |
14 |
31 |
15 |
2,4 % |
|
Autres (29 matières) |
157 |
138 |
137 |
165 |
140 |
22,3 % |
|
Total général (44 matières) |
620 |
624 |
554 |
641 |
628 |
100,0 % |
Source : rapport annuel 2017 de la Cour de justice de l’Union européenne.
En France, en particulier, l’interprétation du droit de l’Union européenne en matière fiscale suscite des difficultés croissantes. Les statistiques transmises à la mission d’information par le Conseil d’État soulignent que le nombre de questions préjudicielles posées chaque année à la CJUE en matière fiscale a triplé depuis 2010. En 2017, la moitié des questions posées par les juridictions administratives l’ont été sur des questions fiscales, soit plus du quart du nombre total de questions posées toutes juridictions confondues cette année-là.
nombre de questions prÉjudicielles
transmises par les juridictions administratives françaises, depuis 2010
(en nombre de recours)
|
|
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
|
Juridictions administratives |
7 |
15 |
8 |
10 |
11 |
13 |
12 |
14 |
|
dont TA et CAA |
2 |
2 |
3 |
5 |
2 |
4 |
2 |
1 |
|
dont Conseil d’État |
5 |
13 |
5 |
5 |
9 |
9 |
10 |
13 |
|
Toutes juridictions |
33 |
31 |
15 |
24 |
20 |
25 |
23 |
25 |
Source : Cour de justice de l’Union européenne, Conseil d’État.
La mission relève notamment que la matière fiscale est particulièrement concernée par la jurisprudence européenne, alors même que seule la fiscalité indirecte fait l’objet d’une réglementation directe de la part de l’Union européenne.
En effet, au sein de l’Union européenne, la politique fiscale se décompose en deux branches, relatives à la fiscalité directe, d’une part, et à la fiscalité indirecte, d’autre part :
– la fiscalité directe relève de la compétence exclusive des États membres. Elle n’est pas directement régie par le droit dérivé, bien que des normes harmonisées aient été adoptées concernant la fiscalité des sociétés et celles des particuliers (directives sur les fusions ([27]), sur les sociétés mères et leurs filiales ([28]),convention sur la procédure arbitrale permettant d’éliminer les doubles impositions ([29]), notamment) ;
– la fiscalité indirecte, en revanche, est fortement harmonisée par le droit européen ([30]), en raison des conséquences de ses conséquences potentielles sur la libre circulation des marchandises et la libre prestation des services au sein du marché unique.
Dans ces deux situations, la législation nationale doit néanmoins être compatible avec le droit primaire et avec les grandes libertés, et notamment la liberté d’établissement et la liberté de circulation des capitaux.
Les quatre libertés dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)
● Liberté de circulation des marchandises, aux articles 34 à 36 du TFUE :
Article 34 (ex-article 28 TCE). – Les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes mesures d’effet équivalent, sont interdites entre les États membres.
Article 35 (ex-article 29 TCE). – Les restrictions quantitatives à l’exportation, ainsi que toutes mesures d’effet équivalent, sont interdites entre les États membres.
Article 36 (ex-article 30 TCE). – Les dispositions des articles 34 et 35 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation, d’exportation ou de transit, justifiées par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres.
● Liberté de circulation des personnes (libertés d’établissements et de libre circulation des travailleurs), aux articles 45 à 55 TFUE :
Article 45 (ex-article 39 TCE). – 1. La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union.
2. Elle implique l’abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail.
3. Elle comporte le droit, sous réserve des limitations justifiées par des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique :
a) de répondre à des emplois effectivement offerts,
b) de se déplacer à cet effet librement sur le territoire des États membres,
c) de séjourner dans un des États membres afin d’y exercer un emploi conformément aux dispositions législatives, réglementaires et administratives régissant l’emploi des travailleurs nationaux,
d) de demeurer, dans des conditions qui feront l’objet de règlements établis par la Commission, sur le territoire d’un État membre, après y avoir occupé un emploi.
4. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux emplois dans l’administration publique.
Article 49 (ex-article 43 TCE). – Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre sont interdites. Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un État membre établis sur le territoire d’un État membre.
La liberté d’établissement comporte l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, et notamment de sociétés au sens de l’article 54, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d’établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux.
● Liberté de circulation des services, aux articles 56 à 62 du TFUE :
Article 56 (ex-article 49 TCE). – Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.
Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d’un État tiers et établis à l’intérieur de l’Union.
Article 57 (ex-article 50 TCE). – Au sens des traités, sont considérées comme services les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes.
Les services comprennent notamment :
a) des activités de caractère industriel,
b) des activités de caractère commercial,
c) des activités artisanales,
d) les activités des professions libérales.
Sans préjudice des dispositions du chapitre relatif au droit d’établissement, le prestataire peut, pour l’exécution de sa prestation, exercer, à titre temporaire, son activité dans l’État membre où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que cet État impose à ses propres ressortissants.
● Liberté de circulation des capitaux, aux articles 63 à 66 du TFUE :
Article 63 (ex-article 56 TCE). – 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.
2. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.
Article 65 (ex-article 58 TCE). – 1. L’article 63 ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres :
a) d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ; (…).
Source : EUR-Lex.
En matière de fiscalité directe, l’application de ces grands principes a conduit à plusieurs décisions de justice défavorables à la France au cours des dernières années, avec des enjeux budgétaires étaient significatifs (voir I B de la première partie).
Ainsi, par exemple :
– dans l’affaire « précompte », l’ancien dispositif de l’avoir fiscal a été reconnu contraire aux principes de liberté d’établissement et de libre circulation des capitaux ;
– dans l’affaire « OPCVM », la retenue à la source appliquée aux dividendes de source française perçus par des organismes de placement collectif en valeurs mobilières non-résidents a été reconnue contraire au principe de liberté de circulation des capitaux. Auditionnée par la mission d’information, la direction de la législation fiscale (DLF) relevait que « le principe de liberté de circulation des capitaux garanti par l’article 64 du TFUE, qui s’applique à l’égard du monde entier sans aucune réciprocité, peut par nature engendrer des contentieux de masse, particulièrement en matière de retenues à la source appliquées aux revenus distribués à des non-résidents ». En 2012, l’arrêt Santander ([31]) a ainsi contraint la France à étendre aux organismes de placement collectif étrangers les exonérations de retenue à la source ;
– dans l’affaire « Stéria », la quote-part représentative de frais et charges de 5 % sur les dividendes de source européenne a été reconnue contraire au principe de liberté d’établissement.
L’ensemble des personnes auditionnées par la mission d’information ont relevé la difficulté à anticiper les évolutions de la jurisprudence communautaire ainsi que la technicité grandissante des affaires. La DLF a insisté sur le caractère évolutif la jurisprudence de la CJUE en ces domaines, précisant qu’elle n’était donc « ni figée, ni complètement prévisible ». Les magistrats de la Cour des comptes ont également souligné le caractère « dynamique » de la jurisprudence communautaire. Le rapport de l’Inspection générale des finances relatif à la contribution de 3 % sur les dividendes distribués évoque ainsi un « concours de circonstances extraordinaire » qui tient, pour partie, à « la survenance concomitante sur le sujet de deux nouveautés jurisprudentielles », et notamment, en matière européenne, à « la lecture de l’article 4 de la directive mère-fille par la CJUE à partir de son objectif plutôt que de sa lettre ».
2. Le développement du contrôle de constitutionnalité
Les évolutions de la jurisprudence constitutionnelle – et notamment, la reconnaissance du « bloc de constitutionnalité » en 1971 par la décision Liberté d’association ([32]) –, la possibilité ouverte à 60 députés ou sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l’article 61 alinéa 2 de la Constitution, et, plus récemment, la création de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 ([33]), ont multiplié les situations dans lesquelles le Conseil constitutionnel peut être amené à contrôler la conformité de la loi à la Constitution.
Tous domaines confondus, en moyenne, entre 2010 et 2017, le Conseil constitutionnel a rendu près de 80 décisions QPC sur le fondement de l’article 61‑1 par an.
Nombre de décisions QPC (quelle que soit la juridiction de renvoi),
entre 2010 et 2017
|
|
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
|
Nombre de décisions QPC |
64 |
110 |
74 |
66 |
67 |
74 |
84 |
79 |
Source : Conseil d’État.
La matière fiscale fait l’objet de nombreuses décisions QPC chaque année. Elle représente en moyenne, depuis 2010, près du quart des décisions rendues par le Conseil constitutionnel sur renvoi du Conseil d’État.
décisions qpc rendues par le conseil constitutionnel
sur renvoi du conseil d’État, entre 2010 et 2017
|
|
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
Moy. |
|
Décisions rendues sur renvoi du CE |
42 |
62 |
43 |
37 |
36 |
43 |
45 |
54 |
45 |
|
dont, en matière fiscale |
11 |
11 |
5 |
4 |
11 |
11 |
11 |
24 |
11 |
|
en % |
26,2 % |
17,7 % |
11,6 % |
10,8 % |
30,6 % |
25,6 % |
24,4 % |
44,4 % |
24,3 % |
Source : Conseil d’État.
Cette procédure conduit régulièrement à des censures des dispositifs votés par le législateur. Sur 88 décisions QPC rendues par le Conseil constitutionnel sur renvoi du Conseil d’État depuis 2010, 25 ont donné lieu à une décision de non-conformité, soit 28 %.
sens des décisions qpc du conseil constitutionnel en matière fiscale,
sur renvoi du conseil d’État, entre 2010 et 2017
|
|
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
Moy. |
|
Conformité |
9 |
10 |
5 |
3 |
5 |
11 |
4 |
15 |
8 |
|
Non-conformité |
1 |
1 |
0 |
1 |
6 |
0 |
7 |
9 |
3 |
|
Non-lieu à statuer |
1 |
– |
– |
– |
– |
– |
– |
– |
– |
|
Total |
11 |
11 |
5 |
4 |
11 |
11 |
11 |
24 |
11 |
Source : Conseil d’État.
III. Une situation peu satisfaisante
A. Un défaut d’anticipation qui conduit souvent À un règlement des contentieux en gestion, dans l’urgence, ce qui affecte la sincérité des prévisions budgÉtaires, et occasionne des coûts supplÉmentaires
1. Un règlement en gestion qui affecte la sincérité des prévisions budgétaires
En raison de leur caractère difficilement pilotable, les dépenses contentieuses font régulièrement l’objet d’un règlement en gestion, dans l’urgence. Leur budgétisation imparfaite peut parfois affecter la sincérité des prévisions budgétaires.
Deux exemples illustrent ce constat :
– au ministère de l’Intérieur, la sous-budgétisation chronique des dépenses contentieuses a pu affecter la sincérité de la prévision. Un rapport de l’Inspection générale de l’administration publié en 2013 ([34]) constatait ainsi que ces dépenses « excèdent largement chaque année le budget prévu en loi de finances initiale », conduisant à des mouvements de crédits réguliers pour pouvoir exécuter la dépense. Le rapport soulignait que ces abondements en gestion sont devenus « trop massifs et répétés pour que la programmation budgétaire issue de la LFI puisse être qualifiée de sincère » ;
– au ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, les risques relatifs aux procédures d’enquêtes de conformité menées par la Commission européenne (ou refus d’apurement – voir 1 du B du I de la première partie) ont fait l’objet d’une insuffisante budgétisation, et ce de manière structurelle. La Cour des comptes relevait ainsi en 2015 que « la faiblesse récurrente de la programmation (non budgétisations représentant des masses financières croissantes, difficulté à évaluer certaines dépenses d’intervention) et le véritable risque systémique que représente le refus d’apurement communautaire, constituent des motifs de préoccupation majeurs pour les années à venir » ([35]). Le budget de la mission Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales avait alors été surexécuté à hauteur de 1,07 milliard d’euros en CP, dont 812,4 millions d’euros au titre des apurements communautaires.
La mission a constaté que des progrès avaient été réalisés concernant la budgétisation de certains de ces contentieux. Ces éléments seront développés plus en détail dans la suite du rapport (voir le B du II de la deuxième partie).
2. Un défaut d’anticipation qui occasionne des coûts supplémentaires
Le défaut d’anticipation et les difficultés de gestion des contentieux peuvent avoir des conséquences budgétaires directes d’une triple nature :
– la sous-budgétisation peut empêcher la conclusion d’arrangements amiables, alors qu’un accord entre les parties, qui coûterait moins cher à l’administration, serait envisageable. Le rapport de l’IGA précité rappelle que « l’insuffisance de crédits est génératrice de dépenses supplémentaires pour le BOP Contentieux : elle aboutit fréquemment à empêcher la conclusion d’arrangements amiables engagés par les préfectures et les SGAP, alors qu’un accord entre les parties serait envisageable. Or, la procédure contentieuse coûte plus cher à l’administration, notamment en raison du risque de condamnation aux frais irrépétibles, sans compter les éventuels frais d’avocat. Prévue à l’article L. 761-1 du code de justice administrative et à l’article 700 du code de procédure civile, cette condamnation est très souvent prononcée par le juge lorsque l’administration est la partie perdante » ;
– la longueur des procédures, administratives comme judiciaires, génère une charge en intérêts moratoires en cas de condamnation de l’État (voir le 2 du A du I de la présente partie, et le 2 du A du I de la troisième partie) ;
– bien que cet élément soit plus difficile à valoriser, la gestion administrative des contentieux, et en particulier des contentieux de série donnant lieu à un nombre très élevé de recours (contentieux de Ruyter ou CSPE, par exemple) occasionne une charge de travail importante pour les services.
B. Un enjeu de sÉcurité juridique, de crÉdibilitÉ, et de lÉgitimité de l’action publique
Dans son rapport public annuel pour 2006 ([36]), le Conseil d’État définissait la sécurité juridique de la manière suivante : « le principe de sécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles ».
Le renforcement de la sécurité juridique constitue une demande forte de la part des particuliers comme entreprises. Un rapport du Club des juristes publié en 2015, constatait ainsi que le thème de la sécurité juridique tournait « à l’obsession » ([37]), et soulignait que « la sécurité juridique n’est pas seulement une exigence démocratique ; elle est devenue un objectif de (bonne) politique économique. Et dans la période actuelle, on peut espérer que de cette prise de conscience extrajuridique vienne le progrès du droit »
En matière fiscale, la sécurité juridique constitue un élément essentiel d’attractivité. Elle dépend de trois facteurs principaux : la prévisibilité de la norme fiscale, la sécurisation a priori du traitement fiscal de certaines situations particulières (à travers la pratique du rescrit, par exemple), et la qualité du contrôle fiscal ([38]).
La complexité de la législation et la fréquence des modifications législatives peuvent affecter fortement la prévisibilité de la norme fiscale ([39]).
En 2017, le Conseil des prélèvements obligatoires rappelait que « les modifications du droit fiscal semblent plus importantes en France que chez nos principaux partenaires européens » ([40]).
Évolution du nombre de mesures fiscales concernant les entreprises entre 2010 et 2014 pour six États membres de l’Union européenne
Source : « Nouvelle donne fiscale en 2015 – points clés et perspectives », EY société d’avocats, janvier 2015, cité par le rapport du CPO, page 43.
Auditionné par la mission d’information, l’Institut des avocats conseils fiscaux rappelait ainsi que 20 % des dispositions du code général des impôts étaient modifiées chaque année, et que ce code avait augmenté de 8 % en volume entre 2012 et 2015.
L’invalidation de dispositifs fiscaux à la suite de décisions défavorables du Conseil constitutionnel ou de la CJUE, est de nature à accroître cette insécurité juridique, et les modifications rendues nécessaires par les dispositifs invalidés sont fréquentes. Entre 2011 et 2017, à l’occasion de l’examen des projets de loi de finances, initiales et rectificatives, dans le cadre de la saisine obligatoire de l’article 39 de la Constitution, le Conseil d’État a été saisi de 18 articles tirant les conséquences d’affaires contentieuses, constitutionnelles et européennes, depuis 2011.
Cette imprévisibilité est d’autant plus problématique qu’en matière fiscale, les enjeux financiers sont lourds, et les délais de jugement, longs. Les conséquences sur la trésorerie des contribuables sont alors très importantes. L’exemple de la contribution de 3 % est illustratif, puisque le montant d’impositions indues payées au titre de ce prélèvement a pu atteindre jusqu’à 230 millions d’euros certaines années, pour une seule entreprise ([41]).
Enfin, en raison de la complexité des questions posées, de la période de reprise de 3 ans ouverte à l’administration fiscale, et de la nécessité de déposer auprès de l’administration une demande préalable, les procédures peuvent être particulièrement longues. Les affaires portées devant le Conseil d’État concernent ainsi, souvent, des millésimes d’impositions anciens de dix ans.
La mission souligne que ces questions ne peuvent être envisagées sous le seul angle budgétaire. Au-delà de la stricte question de la sécurité juridique, la multiplication des contentieux interroge la capacité de l’État à faire adopter et à faire appliquer la législation. La mise en échec des décisions prises par l’État devant les tribunaux constitue dès lors non seulement une question financière, mais également un enjeu de crédibilité et de légitimité de l’action publique. En matière fiscale notamment, la banalisation de la contestation de la législation pourrait aboutir à un effritement du consentement à l’impôt.
— 1 —
Deuxième partie : face à cette « explosion contentieuse », une meilleure prévision est nécessaire
Dans le cadre de ses travaux, la mission a rencontré les services juridiques de ministères en charge des contentieux présentant les risques budgétaires les plus importants. Elle a pu constater qu’au sein de ces ministères, la fonction juridique, en matière de conseil comme de contentieux, faisait l’objet d’une structuration rationnelle, permettant un suivi des contentieux et une défense des intérêts de l’État devant les tribunaux qu’elle a jugé satisfaisante.
La mission se prononce toutefois pour un usage plus large des procédures alternatives de règlement des litiges, et notamment de la médiation, qui permettent un raccourcissement des délais de gestion des dossiers ainsi qu’une meilleure prévisibilité des dépenses associées (proposition n° 1).
La coordination et la prise en charge, selon les cas, des procédures portées devant les juridictions internationales et européennes par deux services spécialisés, le Secrétariat général aux affaires européennes, et la direction des affaires juridiques du ministère chargé des affaires étrangères, assure l’harmonisation des positions françaises sur ces questions, et permet le maintien d’une expertise juridique de qualité.
La mission constate néanmoins que la professionnalisation de la fonction juridique pourrait être renforcée. Elle propose de développer les structures spécialisées de conseil juridique et de contentieux, sur le modèle des pôles d’appui juridiques du ministère de l’Intérieur (proposition n° 2). Elle suggère également de considérer la création, au sein de l’administration publique, d’une filière d’ « avocats d’État », rassemblant des agents spécialisés dans le conseil et le contentieux et mis au service des ministères, comme cela est déjà le cas en Espagne et en Italie. Cette filière permettrait, par un recrutement de haut niveau, par l’organisation de parcours de carrière et de formation adéquats, et par le regroupement d’une expertise variée, de renforcer plus encore la défense de l’État (proposition n° 3).
Concernant plus spécifiquement le suivi et l’évaluation du risque budgétaire associé aux contentieux, la mission constate que, si la provision enregistrée dans le compte général de l’État permet de centraliser l’information disponible relative au risque associé aux contentieux en cours, elle constitue un outil de gestion inabouti et peu exploitable par le Parlement. En effet, l’information est présentée à un niveau très agrégé, elle est transmise tardivement au Parlement, et, en raison de sa méthodologie de calcul, elle ne permet pas d’anticiper les risques potentiels. Enfin, malgré une prise de conscience récente au sein de certains ministères, la traduction budgétaire des risques enregistrés reste incertaine, ce qui affecte la sincérité de la prévision.
La mission propose de renforcer le contrôle par la DGFiP de la provision et des engagements hors bilans déclarés par les différents ministères (proposition n° 4), de procéder à une évaluation systématique du coût total potentiel de certains contentieux à enjeux dès leur identification, en mobilisant, si besoin, l’expertise des corps d’inspection et des agences (proposition n° 5), d’identifier dans les projets et les rapports annuels de performances les dépenses contentieuses, et de budgéter plus sincèrement leur montant (proposition n° 6), et d’améliorer la transparence financière en développant une approche plus prospective du risque, afin d’en rendre compte devant le Parlement, en s’inspirant d’expériences étrangères (proposition n° 7).
I. Une organisation administrative structurée en matiÈre DE traitement du contentieux, qui doit poursuivre sa professionNalisation
A. Une fonction juridique structurÉe, une coordination en matière internationale et européenne utile
1. Une fonction juridique structurée
a. Les directions des affaires juridiques assurent le pilotage des fonctions de conseil et de contentieux
i. Le développement des directions des affaires juridiques est relativement récent
La création de ces directions répond à une exigence de rationalisation et à un besoin de professionnalisation des administrations face à une augmentation des contentieux et des risques budgétaires associés. Dans un entretien donné à la Revue des droits de l’Homme, en 2015, Mme Claire Landais, directrice des affaires juridiques du ministère de la Défense, rappelait que si les questions juridiques ont « toujours été prises en considération au sein du ministère », elles faisaient l’objet d’un traitement « par différentes entités du ministère (…) parfois (…) de manière un peu éparpillée et avec moins de visibilité que chez certains de nos partenaires » ([42]).
La création de la direction des affaires juridiques, en 1999, est donc venue « rationaliser le conseil juridique pour le rendre plus efficace : la structure a été pensée pour être tournée à la fois vers le ministre et l’ensemble de l’administration centrale mais aussi vers les forces opérationnelles afin que d’un bout à l’autre de notre institution et à chaque échelon, le conseil juridique soit diffusé de manière appropriée et que soit prise en compte l’importance croissante du droit dans la société en général et dans les activités du ministère de la Défense en particulier ».
Le développement d’une expertise au sein de l’administration centrale apparaît d’autant plus utile que celui-ci peut assurer une fonction de conseil et d’appui auprès des services déconcentrés.
ii. Souvent placées au sein des secrétariats généraux ([43]), les directions des affaires juridiques assurent le pilotage des activités en matière de contentieux et de conseil juridique
Ces directions apportent une analyse juridique aux autres directions du ministère, ce qui contribue à sécuriser la prise de décision et à améliorer la qualité juridique de la norme. Ainsi, la direction des affaires juridiques (DAJ) du secrétariat général sous autorité conjointe du ministère de l’Éducation nationale et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche et de l’innovation indique dans sa consultation qu’elle exerce une activité de conseil auprès de l’administration centrale, des services déconcentrés et des établissements. Elle apporte notamment une expertise juridique sur les projets législatifs ou réglementaires, afin d’identifier et prévenir les risques en amont. La DAJ du ministère de la Défense a précisé à la mission qu’entre 2014 et 2017, le taux de progression de l’activité « conseils-avis » était de 68 %.
La défense de l’État devant les tribunaux est fréquemment partagée avec les services locaux.
Généralement, les directions des affaires juridiques ne suivent pas individuellement chaque contentieux, et peuvent se saisir des contentieux aux enjeux budgétaires élevés dès la première instance si elles l’estiment nécessaire. À titre d’exemple, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’intérieur (DLPAJ) cible les contentieux aux demandes financières supérieures à 100 000 euros et les suit plus attentivement si elle n’est pas déjà chargée de les défendre. Plusieurs DAJ ont également indiqué qu’elles reprenaient les dossiers si une procédure d’appel était ouverte ([44]). Enfin, si les dossiers concernent l’administration centrale, il est très courant que la DAJ soit compétente dès la première instance ([45]).
Plusieurs directions ont mentionné leur collaboration avec les directions métiers, qu’elles sollicitent régulièrement afin d’obtenir des informations sur le fond des dossiers, même si les DAJ restent compétentes pour assurer la défense de l’État devant les tribunaux ([46]).
Les directions des affaires juridiques sont généralement organisées en bureaux thématiques. Ainsi, une des divisions de la DLPAJ s’occupe exclusivement du contentieux des étrangers. La coordination entre ces différents bureaux est assurée par la mission du pilotage et de l’appui juridique aux territoires. Celle-ci centralise les résultats contentieux des bureaux d’administration centrale, des préfectures et des secrétariats généraux pour l’administration du ministère de l’Intérieur (SGAMI). Cette spécialisation à l’intérieur des directions des affaires juridiques est un facteur qui contribue à renforcer la professionnalisation des agents dans le traitement du contentieux.
Afin de garantir que la DAJ ait une vue d’ensemble des risques contentieux, les responsables ont évoqué des échanges réguliers avec les réseaux déconcentrés autour des contentieux traités à l’échelle régionale. Ainsi, la DAJ des ministères sociaux a opéré une certaine sensibilisation des directeurs généraux des agences régionales de santé afin que ceux-ci identifient les contentieux possibles au niveau du territoire et fassent remonter l’information. Le SAJ du ministère de l’Agriculture et de l’alimentation s’appuie lui sur des conseillers juridiques interrégionaux, qui conseillent les services déconcentrés et informent le service des difficultés potentielles dans les territoires. Ces échanges contribuent également à renforcer la professionnalisation des agents de la direction des affaires juridiques.
Certains ministères ont opté pour la constitution de pôles spécialisés dans certaines matières, comme les pôles d’appui juridiques (PAJ) du ministère de l’Intérieur (voir le B du 1).
Enfin, lorsqu’un décret fait l’objet d’un recours contentieux devant le Conseil d’État, ou à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Secrétariat général du Gouvernement assure la défense de l’État en liaison avec les ministères concernés.
iii. La gestion des contentieux implique parfois le recours à la médiation ou à la transaction
Dans certains cas, des procédures de médiation sont mises en œuvre. La DAJ du ministère des Armées indique dans sa réponse que la mise en place du recours administratif préalable obligatoire (RAPO) à partir de 2001 a permis de filtrer efficacement les recours et de prévenir les contentieux. Elle indique ainsi que sur les 48 858 recours reçus par la commission des recours des militaires entre septembre 2001 et décembre 2015, seuls 3 620 cas ont donné matière à des recours contentieux recensés par la commission, soit un taux de 6,7 %.
Plusieurs DAJ expérimentent actuellement un dispositif de médiation. C’est le cas de la direction commune aux ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur et de la recherche et de l’innovation, sur le fondement du décret n° 2018-101 du 16 février 2018 portant expérimentation d’une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique et de litiges sociaux. La direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l’Intérieur s’est associée avec le tribunal administratif de Paris pour identifier une liste de contentieux se prêtant à la médiation, et ceux-ci « font désormais systématiquement l’objet d’une proposition de transaction par le tribunal administratif lorsque le requérant le souhaite » ([47]). Une telle proposition n’oblige en rien le ministère, qui peut préférer la solution contentieuse. Ce mécanisme est fréquemment utilisé en matière d’indemnisation des propriétaires pour refus de concours de la force publique.
Les procédures transactionnelles peuvent également se révéler particulièrement pertinentes dans le cas de contentieux de masse. Lors de son audition par la mission d’information, les services des affaires juridiques et financières du ministère de l’agriculture et de l’alimentation ont expliqué avoir actuellement recours à une procédure transactionnelle avec des vétérinaires ayant exercé un mandat sanitaire, pour des montants budgétaires très importants. Le ministère a relevé la pertinence de cette procédure, précisant que « plus de 95 % des propositions d’accord amiable ont été acceptées prouvant ainsi la validité d’une procédure plus apaisée et plus économique pour l’ensemble des parties » ([48]) (voir le b du 1 du B du I de la première partie).
Le recours aux procédures alternatives de règlement des litiges présente un véritable intérêt, pour l’État comme pour les requérants, et apportant notamment une meilleure maîtrise des délais, une prévisibilité accrue des conséquences budgétaires de ces dossiers, ainsi qu’un désengorgement des juridictions.
En pratique toutefois, le recours à la transaction reste limité, car ces procédures supposent un accord entre les parties, et leur gestion peut s’avérer chronophage pour les services.
La mission suggère ainsi que le recours à de telles procédures soit développé, chaque fois que cela est possible. Afin d’éviter d’éventuelles dérives et d’assurer l’égalité de traitement entre les administrés, le suivi des procédures doit être rigoureusement assuré.
La création d’une filière d’avocats d’État (voir proposition n° 3) pourrait être utilement mise à profit afin d’assurer la collégialité et d’éviter le risque d’arbitraire lors de la réalisation des accords transactionnels.
Proposition n° 1 : Favoriser la médiation lorsque cela est possible, en particulier en matière non fiscale.
iv. Le recours aux avocats est en revanche limité
Devant les juridictions administratives, l’État est dispensé du ministère d’avocat ([49]). En cassation, il est dispensé du ministère d’avocat soit en demande, soit en défense, soit en intervention. Les recours et les mémoires, lorsqu’ils ne sont pas présentés par le ministère d’un avocat au Conseil d’État, doivent être signés par le ministre intéressé ou par le fonctionnaire ayant reçu délégation à cet effet ([50]).
Devant les juridictions judiciaires, le monopole de la représentation de l’État est confié à l’Agent judiciaire de l’État (voir b). La direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers assure cette fonction interministérielle, pour laquelle elle passe des marchés publics avec des cabinets d’avocats. 192 contrats ont été conclus avec 126 prestataires lors du dernier appel d’offres.
En pratique, selon les informations reçues par la mission d’information, le recours aux avocats est loin d’être systématique :
– les ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation ont précisé avoir recours à des avocats « lorsqu’il s’agit de défendre l’État devant les juridictions de l’ordre judiciaire (hors le mandat légal de l’Agent judiciaire de l’État) ou, de manière très exceptionnelle, lorsqu’il s’agit d’agir au nom de l’État dans une affaire qui nécessite le recours à une expertise spécifique ».
– le ministère de l’agriculture et de l’alimentation a ainsi indiqué avoir conclu, en 2014, et pour une durée de quatre ans, un marché de prestations d’assistance juridique « rédaction de projets d’actes de procédures contentieuses » auquel il a cependant très peu eu recours. Une vingtaine de dossiers seulement ont été confiés en 2014, 2015 et 2016 aux cabinets attributaires du marché, et aucun en 2017 et 2018.
– le ministère de l’intérieur a souligné qu’il ne faisait « pas usage de ce type de conseils ».
b. Au sein des ministères économiques et financiers, la fonction de conseil et de contentieux est partagée entre la direction des affaires juridiques du secrétariat général, qui assure notamment la mission d’Agent judiciaire de l’État, et les autres services
La direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers compte 180 agents et se distingue des autres directions juridiques en ce qu’elle ne centralise pas le traitement des contentieux relatifs au ministère. Chaque direction du ministère traite les contentieux la concernant, tout en pouvant solliciter l’expertise de la direction des affaires juridiques sur des points précis.
● La direction des affaires juridiques (DAJ) est une direction « support » des ministères économiques et financiers. À ce titre, elle constitue un pôle d’expertise et de conseil pour les ministères économiques et financiers mais aussi, plus généralement, pour l’administration.
Elle assure également la fonction interministérielle d’agent judiciaire de l’État (AJE) devant les juridictions nationales et étrangères. Aux termes de la loi du 3 avril 1955 ([51]), « toute action portée devant les tribunaux de l’ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l’État créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l’impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l’agent judiciaire du Trésor public [ancienne dénomination de l’agent judiciaire de l’État] ».
L’Agent judiciaire de l’État (AJE)
L’AJE dispose d’un mandat légal de représentation de l’État devant le juge judiciaire. Il a succédé en 2012 à l’agent judiciaire du Trésor, créé par le décret révolutionnaire du 21 juillet 1790. La loi du 3 avril 1955 et des lois postérieures ont toutefois instauré des limites à ce mandat. Ainsi les matières fiscales, entre autres, sont exclues du champ de compétence de l’AJE. Trois types de situations justifient l’intervention de l’AJE : la contestation d’une activité de l’État, la demande de réparation d’un préjudice par l’État, la poursuite en réparation pécuniaire d’un agent de l’État.
L’AJE travaille avec un outil informatique, Sillage. Dès que l’AJE est saisi d’un acte introductif d’instance, il est saisi dans l’application et affecté ensuite au bureau compétent. L’administration compétente sur le dossier est ensuite sollicitée afin de fournir les pièces nécessaires à la défense de l’État. L’AJE effectuant une mission par nature interministérielle, la collaboration avec les autres administrations est fréquente. La DAJ du ministère de la défense mentionne ainsi que l’AJE organise deux fois par an des réunions avec les représentants des directions des affaires juridiques des ministères, afin d’échanger sur les points particulièrement sensibles et les risques contentieux associés.
Selon les dossiers, l’AJE fait parfois appel à des avocats, avec lesquels il passe des marchés publics de services juridiques. Il dispose actuellement d’un réseau de 126 cabinets d’avocats. Une fois le dossier attribué, l’avocat doit informer l’agent responsable à l’AJE des développements de la procédure. Ce dernier doit systématiquement valider les conclusions produites par l’avocat.
Il traite chaque année entre 4 000 et 5 000 nouvelles affaires, et est partie à environ 3 000 jugements définitifs.
Source : direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers.
● Les directions des ministères économiques et financiers sont compétentes pour assurer le traitement des questions juridiques et contentieuses relevant de leur direction.
Ces ministères ont insisté sur le caractère « hétérogène » de la gestion des contentieux, qui « dépend de la nature des matières qui sont traitées par les directions » :
– les contentieux gérés par la direction des achats de l’État sont « peu nombreux et concernent exclusivement des procédures en référé contractuel ou précontractuel ».
– à l’inverse, la direction générale des douanes et droits indirects recense, pour l’ensemble de ses administrations, « près de cinquante mille procédures litigieuses réalisées dans le cadre de sa mission de lutte contre la fraude » et ne gère, au niveau central, que les procédures juridictionnelles administratives, les pourvois en cassation devant la Cour de cassation et les précontentieux et contentieux européens.
– la direction générale des finances publiques recense, pour l’ensemble de ses administrations au titre de l’année 2017, 2 871 246 réclamations, alors que 21 307 recours ont été introduits devant les juridictions administratives et judiciaires, essentiellement en matière fiscale.
● Au sein de la direction générale des finances publiques, les questions fiscales sont ainsi suivies par deux services, le service juridique de la fiscalité (SJF) et la direction de la législation fiscale (DLF) :
– la défense de l’État devant les juridictions nationales, administratives est assurée en première instance et en appel par les services déconcentrés, et en cassation par le SJF et lorsque sont posées des questions prioritaires de constitutionnalité ;
– lorsque le contentieux est porté devant la Cour de justice de l’Union européenne, la défense relève de la DLF, en coopération avec la direction des affaires juridiques du ministère chargé des affaires étrangères et le Secrétariat général aux affaires européennes (voir 2). La DLF rédige également, avec le Secrétariat général du Gouvernement, les mémoires en défense de l’État devant le Conseil constitutionnel, lorsque celui-ci est saisi à la suite de la procédure législative.
– enfin, la DLF peut être consultée par le SJF à l’occasion de certains contentieux portés devant le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel, en QPC.
L’organisation de la défense de l’État devant les tribunaux en matière fiscale
S’agissant des contentieux fiscaux, l’article 408 de l’annexe II du code général des impôts précise l’organisation de la défense de la DGFiP devant les tribunaux.
La défense de l’État devant les tribunaux administratifs est assurée par les directions départementales des finances publiques qui ont un siège de tribunal administratif, les directions spécialisées des finances publiques et les directions à compétence nationale. Cette organisation a été mise en place en septembre 2016.
Devant les cours administratives d’appel, la défense de l’État est assurée par les services du contentieux d’appel des services déconcentrés, services relevant des DIRCOFI.
En cassation, la défense de l’État est assurée par le SJF.
Pour les juridictions judiciaires, la défense de l’État est assurée par les directions régionales des finances publiques de Paris et de Marseille. Cette organisation a été mise en place en septembre 2016. En cassation, la défense de l’État est assurée par le SJF.
S’agissant des contentieux devant la CJUE, la DLF prépare les mémoires contentieux destinés à défendre la position de la France. Ce travail est effectué en lien avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé d’assurer la plaidoirie devant la CJUE, et en lien avec le SGAE. Le service juridique de la DGFiP est associé à cet exercice.
Un processus similaire est suivi dans les cas où la France, à l’initiative de la direction de la législation fiscale, décide d’intervenir dans un contentieux ou une question préjudicielle qui concerne un autre État membre dès lors que les considérations juridiques qui y sont soulevées sont susceptibles de la concerner.
Source : service juridique de la fiscalité de la direction générale des finances publiques, direction de la législation fiscale.
2. Un caractère interministériel marqué en matière de gestion des contentieux communautaires
Devant la Cour de justice de l’Union européenne, plusieurs recours sont possibles.
Les différents types de recours possibles devant la CJUE
Plusieurs recours et actions sont possibles devant la Cour de justice de l’Union européenne afin de garantir le respect et l’application effective du droit communautaire : le recours en manquement, le recours en carence, le recours en annulation, l’action en réparation et le renvoi préjudiciel.
Trois recours parmi ces cinq sont principalement utilisés.
– le recours en manquement (articles 258 à 260 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne) permet à la Commission (ou à un autre État membre) de saisir la CJUE si elle considère qu’un État membre a manqué à ses obligations communautaires. Il intervient après que l’État ait été en mesure de présenter ses observations. Au 1er juillet 2018, un recours en manquement contre la France était pendant ;
– le recours en annulation (article 263 du TFUE) sert à contester la légalité d’un acte communautaire. Il peut être formé par un État membre, mais aussi par les institutions elles-mêmes. Les personnes physiques peuvent déposer un recours en annulation si elles démontrent un intérêt à agir et peuvent prouver une qualité à agir. Au 1er juillet 2018, 6 affaires étaient pendantes concernant un recours en annulation formé par la France ;
– le mécanisme de question préjudicielle est le plus utilisé : il représente plus de la moitié des affaires pendantes devant les juridictions de l’Union. Au 1er juillet 2018, 25 questions préjudicielles françaises étaient pendantes devant les juridictions de l’Union.
Les enjeux financiers des contentieux devant les juridictions européennes sont d’ampleur différente selon le type de contentieux.
Ainsi, depuis 2005, la France a été condamnée à trois reprises à des sanctions pécuniaires pour non-exécution d’un arrêt de manquement de la Cour sur le fondement de l’article 260 du TFUE.
Les recours en manquement sont très souvent résolus avant la deuxième saisine de la Cour de Justice, ce qui explique qu’une quantité marginale de condamnations aient été prononcées depuis 2005 (13 à l’encontre de la totalité des États).
La rareté des condamnations entraîne un risque financier réduit. Les enjeux financiers peuvent à l’inverse se révéler élevés si les juridictions européennes mettent en cause l’application du droit communautaire au niveau français, et que la législation ou réglementation doit évoluer.
Source : Secrétariat général des affaires européennes.
La plupart des ministères auditionnés ont relevé l’existence de contentieux portés devant les juridictions européennes.
En plus des ministères chargés de la politique publique concernée, Les contentieux portés devant les cours européennes font intervenir deux services, chargés de la centralisation des recours et de la coordination des positions françaises :
– la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères est responsable de la rédaction des mémoires et de la plaidoirie devant la CJUE ;
– en tant que service chargé de la coordination interministérielle pour les questions européennes, le secrétariat général des affaires européennes (SGAE), rattaché aux services du Premier Ministre, diffuse toutes les pièces de procédure et assure notamment la diffusion de toutes les questions préjudicielles.
a. Le SGAE coordonne les positions de la France à l’échelle européenne et intervient en matière précontentieuse et contentieuse
Rattaché aux services du Premier Ministre, le Secrétariat général aux affaires européennes est chargé de la coordination interministérielle sur l’ensemble des questions lié à l’Union Européenne, afin de garantir la cohérence des positions françaises Il constitue à ce titre l’interlocuteur privilégié de la Commission européenne lors de phases contentieuses et précontentieuses. Il diffuse l’ensemble des pièces de procédure et assure la transmission de l’ensemble des questions préjudicielles.
Le SGAE est divisé en dix-sept secteurs thématiques, auquel s’ajoute un secteur juridique. L’organisation administrative du suivi des contentieux européens varie selon le stade de la procédure.
Les procédures d’infraction en droit de l’Union européenne
Si la Commission, gardienne des traités, constate une violation du droit de l’Union Européenne par un État membre, elle peut enclencher une procédure formelle d’infraction. La première étape est l’envoi d’une lettre de mise en demeure à l’État membre concerné : celui-ci a deux mois pour donner une réponse détaillée sur la violation présumée. Ensuite, si la Commission n’est pas convaincue par les explications données par l’État membre, elle lui adresse un avis motivé, qui revient à une demande formelle de se conformer au droit de l’Union. Cet avis contient les explications de la Commission sur la violation reprochée. Si, dans un délai de deux mois, la Commission considère que l’État membre ne respecte toujours pas ses obligations, elle peut alors saisir la Cour de Justice, qui rend un arrêt obligeant l’État à remplir ses obligations.
Dans le cas où cette saisine ne serait pas suffisante, la Commission peut demander à la Cour de prononcer des sanctions à l’égard de l’État membre. Il faut noter que la plupart des cas sont réglés avant la saisine de la Cour par la Commission. Néanmoins, si l’État membre ne s’est pas conformé à l’arrêt de la Cour, la Commission peut le renvoyer une deuxième fois, et proposer cette fois que l’État membre soit frappé de sanctions financières sous la forme d’un forfait ou d’astreintes financières. Ce nouvel arrêt serait un manquement sur manquement. La Commission peut proposer une sanction, mais la Cour n’est pas liée par cette proposition et peut décider elle-même du montant des sanctions.
● En amont de l’ouverture d’une procédure d’infraction, à côté des demandes d’information informelles, des mécanismes permettent une communication régulière avec les services de la Commission, et notamment les dispositifs « EU Pilot » et « SOLVIT ».
Afin d’établir un dialogue entre la Commission et les États membres sur de potentielles infractions aux normes européennes, le dispositif « EU Pilot » avait été mis en place par la Commission Européenne en 2008. Ce logiciel présente l’avantage d’être un outil de suivi centralisateur. Ces échanges d’informations précèdent l’envoi d’une mise en demeure et peuvent être l’opportunité pour un État membre d’apporter des précisions sur un dispositif normatif afin de démontrer qu’il est conforme à la législation communautaire. La France y participe depuis 2011 et le SGAE s’est déclaré satisfait de ce canal de communication. Les sujets majoritairement abordés par ce biais sont l’environnement, l’énergie, le marché intérieur et la fiscalité.
Une cellule de trois personnes au sein du secteur juridique du SGAE centralise l’ensemble des questionnaires EU Pilot. Après une première analyse, les ministères concernés par la demande sont sollicités pour préparer des éléments de réponse, qui sont ensuite retransmis au secteur juridique du SGAE. Cette organisation présente l’avantage de garantir la pertinence des réponses tout en maintenant la cohésion des positions françaises.
La Commission, en 2017, a décidé que le recours au dispositif EU Pilot ne serait plus systématique s’il s’avérait que l’infraction est manifeste. Les autorités françaises regrettent ce changement et l’ont signalé à la Commission.
● Une fois la procédure d’infraction ouverte, c’est-à-dire, après qu’ait été envoyée une lettre de mise en demeure, le secteur thématique concerné du SGAE est chargé du suivi de la procédure jusqu’à sa clôture, avec l’appui du secteur juridique. Il échange avec les ministères afin de préparer les éléments de réponse.
Des réunions entre la Commission européenne et les ministères sont organisées plusieurs fois par an afin d’échanger sur les procédures concernant la France dans un domaine donné. Ces réunions permettent des discussions sur les marges de manœuvre possibles, les dossiers prioritaires et le calendrier. Chacune des réunions donne lieu à une préparation en amont des ministères concernés, coordonnée par le SGAE.
Enfin, le secteur juridique tient un tableau de bord spécifique sur le suivi des travaux de transposition des directives. Cela permet notamment d’identifier les situations qui posent des difficultés particulières, en particulier les retards de transposition ayant donné lieu à un précontentieux.
En matière fiscale, le suivi des précontentieux fait l’objet d’un suivi régulier de part des services du SGAE et des affaires étrangères. La réponse du SGAE au questionnaire transmis par la mission souligne qu’ « [en son sein], les précontentieux fiscaux sont suivis par le secteur « FIN », chargé des questions économiques et financières, dont une adjointe est plus particulièrement chargée du suivi des questions fiscales, sous l’autorité du conseiller financer. Au sein du secteur juridique, la conseillère juridique est appuyée par un adjoint chargé des questions économiques et financières. Au sein de la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, le conseiller chargé des questions fiscales et le conseiller juridique suivent ces dossiers et sont en contact régulier avec les services de la Commission, et notamment la DG TAXUD, voire des cabinets de commissaires si nécessaire. Des réunions sont également régulièrement organisées, soit au SGAE au niveau des services, soit au format de réunions interministérielles ».
Au stade de l’ouverture d’une procédure contentieuse (recours en manquements ou questions préjudicielles, concernant la France ou un autre État membre), le secteur juridique du SGAE est compétent pour assurer la coordination des travaux interministériels. Des réunions sont organisées sur toutes les procédures contentieuses dans lesquelles la France intervient, afin de définir la position de la France dans chaque affaire. À ce stade, outre les ministères intéressés, le principal interlocuteur du secteur juridique est alors la DAJ du MEAE, qui assure la préparation de la défense de la France.
Le SGAE assure enfin l’information du cabinet du Premier ministre sur les dossiers sensibles, à chaque stade de la procédure précontentieuse ou contentieuse, et des réunions interministérielles peuvent être organisées sur certains dossiers.
b. Devant les cours européennes, et en particulier la CJUE, la direction des affaires juridiques du ministère chargé des affaires étrangères centralise les recours
● La direction des affaires juridiques du MEAE accomplit une double mission, contentieuse et consultative. Elle est constituée de profils variés (diplomates, magistrats administratifs, juristes spécialisés).
Cette direction représente le Gouvernement français devant la Cour Internationale de Justice (CIJ), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la Cour de justice et le tribunal de première instance de l’Union Européenne, la Cour de justice de l’Association européenne de libre-échange, le Tribunal international pour le droit de la mer, ainsi que dans les arbitrages internationaux auxquels l’État est partie.
Cette organisation en une équipe unique chargée de la défense juridique de l’État devant la CJUE dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Lors de son audition, la direction des affaires juridiques a ainsi précisé que « tous les États membres de l’Union sont représentés devant la CJUE par une équipe unique, qui est responsable de l’ensemble du contentieux. Les équipes des 28 États membres sont réunies deux fois par an dans le cadre de réunions d’agents pour échanger sur des problématiques communes, ce qui permet l’existence d’un solide réseau des agents devant la CJUE, qui est notamment très utile pour échanger sur les affaires pendantes ».
Le rattachement de cette équipe peut néanmoins varier selon les États membres : si le modèle majoritaire consiste en un rattachement au sein du ministère des affaires étrangères (cette organisation se retrouve dans quinze États membres), les pays de l’Est de l’Europe privilégient un rattachement au ministère de la Justice. En Allemagne, ce service fait l’objet d’une tutelle partagée entre les ministères de la justice et de l’économie.
● Lors de la phase contentieuse, la procédure de détermination de la position française fait l’objet d’un arbitrage interministériel. La rédaction des écritures reste toutefois centralisée au niveau de la direction des affaires juridiques du Quai d’Orsay. Ce choix a été fait afin de garantir la cohérence des positions françaises. La DAJ a aussi une expertise des méthodes d’interprétation, des règles procédurales et des enjeux propres du droit communautaire qui rend cette centralisation pertinente.
La gestion d’un dossier contentieux porté devant la CJUE
Dès lors qu’un mémoire ou une plaidoirie devant la CJUE doit être préparé, le SGAE organise une réunion avec la DAJ et les services techniques concernés, qui produisent les moyens d’argumentation envisagés et les détails sur le dispositif concerné. La réunion sert à arrêter la position du gouvernement, ainsi que l’argumentation juridique.
La DAJ du MEAE est ensuite chargée de rédiger un projet d’observations écrites ou de mémoires. Elle peut à cette occasion ajouter sa propre argumentation, fondée sur son expertise et sa connaissance du mode de raisonnement de la Cour, qui diffère de celui des juridictions françaises.
Le projet de la DAJ du MEAE est ensuite transmis au SGAE, qui le diffuse auprès des services concernés. Un échange s’ensuit, pour arriver à un consensus sur le dossier.
Si un accord est atteint, les observations ou le mémoire sont transmis par la DAJ du MEAE.
Si l’ensemble des services impliqués n’arrive pas à un consensus, le SGAE – si c’est un point technique – ou le cabinet du Premier Ministre – sur un point politique – tranche. Lorsque la procédure atteint le stade contentieux, la « cogestion » entre le SGAE et la DAJ du MEAE devient ainsi plus marquée.
La DAJ a d’ailleurs indiqué dans sa réponse au questionnaire envoyé par la mission que cette cogestion des contentieux était un mécanisme spécifiquement français. Cette répartition lui convient au sens où ce n’est pas le service contentieux (donc la DAJ MEAE) qui tranche en cas de désaccord entre les administrations mais bien le service rattaché au Premier Ministre, qui dispose donc de « toute l’autorité nécessaire ». Cela signifie que la DAJ peut alors apporter l’expertise juridique la plus objective possible.
Source : Secrétariat général aux affaires européennes, direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.
La direction des affaires juridiques du MEAE relève que cette organisation repose sur plusieurs spécificités du contentieux international et européen :
– premièrement, en raison de la « composition des juridictions précitées, qui conduit un État à être jugé par des juges d’autres États », il est nécessaire de « traverser la barrière non seulement de la langue, mais aussi de traditions juridiques différentes » ;
– deuxièmement, la spécificité du contentieux international tient également à « l’existence d’un dialogue entre juridictions internationales, qui s’efforcent d’adopter des jurisprudences convergentes » et « cela est particulièrement vrai des juridictions européennes, le dialogue des juges entre la CEDH et la CJUE étant très intense (par exemple, en matière de non bis in idem, de protection des données à caractère personnel, etc.) » ;
– troisièmement, la spécificité du contentieux international tient à la circonstance que les contentieux internationaux, à la différence des contentieux nationaux, constituent la « poursuite de l’action politique par d’autres moyens ». Ainsi, bien souvent, il s’agit de « faire trancher par le juge, dans le sens correspondant aux intérêts de l’État membre, certains points parfois restés ambigus en raison des compromis nécessaires en fin de négociation. En outre, les arrêts de la Cour pouvant peser sur des négociations en cours, il est important de faire valoir ses arguments aussi devant la Cour. Ainsi, les États membres adoptent une approche stratégique du contentieux devant le juge international et surtout européen ».
Ainsi, le contentieux devant la CJUE, loin d’être un contentieux strictement défensif, nécessite une « approche stratégique globale » à plusieurs égards :
– il s’agit souvent pour les États membres de « faire valoir devant la CJUE leur position sur des éléments de la négociation laissés en suspens par le législateur lors des négociations à Bruxelles », en matière de propriété intellectuelle par exemple ;
– il peut également s’agir pour les États membres « d’entamer la défense d’un dispositif national au moment pertinent, lorsqu’il est encore temps de le faire », comme cela a été le cas en matière de contrôle du détachement de travailleurs. Le gouvernement français est ainsi intervenu dans l’affaire préjudicielle belge C-359/16, Altun e.a., qui posait des questions relatives au contrôle du détachement de travailleurs présentant un degré de connexité important avec les questions posées dans des affaires préjudicielles françaises sur le même sujet (notamment l’affaire C-620/15, A-Rosa Flussschiff).
– il est enfin fréquent que le gouvernement français défende devant les juridictions de l’Union des positions offensives sur des questions de principe qui revêtent pour lui une importance toute particulière, notamment en intervenant dans des affaires étrangères. Le gouvernement français est ainsi intervenu dans les affaires allemandes concernant l’accès des ressortissants de l’Union à des prestations sociales dans des États dans lesquels ils n’avaient pas ou très peu vécu et travaillé (C-333/13, Dano, C-67/14, Alimanovic, et C-299/14, García-Nieto e.a.).
● La France intervient particulièrement en matière fiscale. À titre d’exemple, la France a apporté des éléments à l’appui de la Belgique dans l’affaire relative à la fairness tax, dispositif posant des questions similaires à celles de l’affaire préjudicielle française AFEP. Depuis le 1er juillet 2013, le gouvernement français a participé à 52 affaires en matière fiscale, dont 23 affaires étrangères (la liste complète des affaires dans laquelle la France est intervenue est reproduite en annexe n° 2).
La « fairness tax » belge
La « fairness tax » avait été créée en juillet 2013 par le gouvernement Di Rupo. Compte tenu des possibilités de report de pertes permises par le droit belge, et du mécanisme de déductibilité des intérêts notionnels, certains bénéfices pouvaient échapper durablement à l’impôt. L’objectif affiché par le gouvernement belge était d’établir un impôt minimum dont les sociétés devraient s’acquitter.
Cette taxe est prélevée sur les sociétés imposables en Belgique lors de la distribution des dividendes.
D’un taux de 5,15 %, elle était assise sur un montant égal à la différence entre, d’une part, les dividendes bruts distribués au cours de la période imposable, et, d’autre part, le résultat fiscal de la société effectivement soumis à l’impôt sur les sociétés.
Sur renvoi préjudiciel de la Cour constitutionnelle de Belgique, la CJUE a jugé dans une décision C-68/15 du 17 mai 2017, Xc. Ministeraaad, que cette taxe était contraire au droit européen, et en particulier à l’article 4 de la directive « mère-fille », dans la mesure où « cette législation, dans une situation où des bénéfices perçus par une société mère de sa filiale sont distribués par cette société mère postérieurement à l’année au cours de laquelle ils ont été perçus, a pour conséquence de soumettre ces bénéfices à une imposition dépassant le plafond de 5 % prévu à ladite disposition ». Cette décision a été rendue par la CJUE le même jour que celle portant sur la contribution de 3 % sur les dividendes distribués.
Dans un arrêt n° 24/18 du 1er mars 2018, la Cour constitutionnelle de Belgique a ensuite censuré pour l’avenir cette taxe, tout en maintenant l’effet des dispositions pour les exercices d’imposition 2014 à 2018. Seules les impositions portant sur les sociétés belges entrant dans le champ d’application de la directive « mère-fille » ne seront pas dues.
La Cour constitutionnelle rappelle notamment qu’étant donné « que la manière dont la base imposable de la « Fairness Tax » pour les sociétés étrangères ayant un établissement belge doit être établie n’est pas claire, l’article 233, alinéa 3, attaqué du CIR 1992 porte une atteinte disproportionnée au principe selon lequel tout contribuable doit pouvoir déterminer, avec un niveau minimum de prévisibilité, le régime fiscal qui lui sera appliqué. Il en est d’autant plus ainsi que la « Fairness Tax » est soumise à des versements anticipés, de sorte qu’une majoration d’impôt est appliquée si les versements anticipés sont insuffisants » (§ B.14.1, page 31).
Les enjeux budgétaires sont en revanche bien inférieurs à ceux occasionnés par la décision concernant la contribution française, puisque le produit de la taxe s’élevait à 75 millions d’euros annuels environ.
Source : CJUE, Cour constitutionnelle de Belgique, Service public fédéral Finances.
Les personnes auditionnées ont souligné qu’il était plus aisé d’anticiper les contentieux en matière de recours, qui sont suivis dès la phase précontentieuse, que les contentieux découlant des questions préjudicielles, sur lesquelles la direction du MEAE n’a aucune prise.
La DAJ a déclaré être disposée à être sollicitée de manière plus fréquente pour la phase précontentieuse.
S’agissant du contentieux lié à la Cour européenne des droits de l’homme, l’organisation est différente. Le SGAE n’a alors pas spécialement vocation à intervenir. La procédure devant la Cour est très spécifique, et la DAJ joue un rôle majeur dans le suivi des affaires françaises : la sous-direction des droits de l’homme y est consacrée. Dès lors qu’une requête concernant le gouvernement français n’est pas manifestement irrecevable, elle est transmise au Gouvernement français. La DAJ est saisie de ces requêtes et les adresse ensuite aux administrations concernées. À la suite des échanges entre les administrations, la DAJ rédige un projet de mémoire. La Cour des comptes a estimé en 2015 que l’aiguillage vers les ministères fonctionnait de manière satisfaisante.
● La DAJ accomplit aussi une mission consultative. Le SGAE, mais aussi les autres services, peuvent émettre des demandes de consultations sur le droit de l’Union ou le droit international, que ce soit sur des questions institutionnelles ou plutôt sur des sujets de droit matériel. La Cour des comptes notait dans son rapport en février 2015 qu’en moyenne, le nombre de consultations s’élevait à 35 par mois.
● Les personnes auditionnées par la mission d’information, et notamment la direction de la législation fiscale, le Secrétariat général aux affaires européennes, et le Conseil d’État, ont exprimé leur satisfaction quant à cette organisation, qui permet de mobiliser l’expertise juridique de la direction des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des affaires étrangères sur des affaires complexes ([52]).
En 2015, la Cour des comptes relevait notamment que « le rôle joué par la DAJ dans l’évolution du droit européen, notamment pour sa cohérence interétatique, mérite d’être souligné » et ajoutait que « la DAJ montre son excellente maîtrise de la complexité croissante des dossiers devant ces juridictions, complexité mettant de plus en plus en cause, parfois dans une même affaire, différentes branches du droit international (…) la pertinence juridique de ses argumentaires et la qualité de ses consultations sont unanimement reconnues au MAEDI et dans les ministères ».
L’organisation actuelle de la DAJ du ministère chargé des affaires étrangères, et sa participation aux procédures concernant d’autres États membres, permet ainsi de défendre efficacement les positions de la France auprès de l’Union, telles qu’arbitrées par le Gouvernement. Un article universitaire réalisé par le Centre pour le droit d’auteur et les nouveaux modèles économiques dans l’économie de la création ([53]), concluait que la France était le pays le plus influent en matière de droits d’auteur devant la CJUE, en raison du nombre d’interventions réalisées, et parce que ses arguments sont souvent suivis par la Cour.
B. Une fonction juridique dont la professionNalisation pourrait être AmÉlioRÉE
La professionnalisation de la fonction juridique pourrait être renforcée, par le développement les structures spécialisées de conseil juridique et de contentieux, sur le modèle des pôles d’appui juridiques du ministère de l’Intérieur (proposition n° 2), et par la création, au sein de l’administration publique, d’une filière d’ « avocats d’État », rassemblant des agents spécialisés dans le conseil et le contentieux et mis au service des ministères (proposition n° 3).
1. Une initiative qui pourrait être étendue à de nouveaux domaines : la création des pôles d’appui juridique au ministère de l’Intérieur
Les pôles d’appui juridique du ministère de l’Intérieur ont été créés dans le cadre du plan « Préfectures nouvelle génération » et répondent au besoin croissant d’expertise juridique des préfectures. La complexité des dossiers, mais aussi le manque de moyens humains dans les préfectures pour les traiter, ont conduit à la création de ces structures déconcentrées qui sont au service de l’ensemble des préfectures.
Six pôles ont été ouverts en 2017, chacun étant spécialisé sur une problématique spécifique : ceux d’Orléans, de Dijon et de Lille gèrent les questions liées à la police administrative ; le pôle installé à Limoges est chargé de l’ensemble des problématiques juridiques liées aux ressources humaines ; les pôles de Marseille et Strasbourg sont spécialisés dans la responsabilité et concours de la force publique.
L’offre de service est étendue, puisque les prestations vont du simple conseil au traitement complet d’un dossier, en fonction des besoins, et des capacités d’expertise juridique des préfectures. En matière contentieuse, les pôles peuvent ainsi être sollicités pour relire ou rédiger un mémoire en défense ou une requête, représenter à l’audience pour les référés ou les dossiers complexes, ou proposer des alternatives au contentieux. Ils offrent également des prestations de conseil juridique, sont en mesure de rédiger ou de sécuriser une décision administrative ou un contrat, et de répondre aux questions juridiques.
Chaque préfecture dispose d’un droit de tirage et peut saisir n’importe quel pôle, en fonction de leurs besoins. Le fonctionnement dématérialisé est privilégié, dans une logique d’efficacité.
Cette organisation permet d’optimiser l’utilisation des compétences disponibles et de professionnaliser la fonction de conseil juridique et de contentieux. Le choix a été fait de créer des structures légères : les pôles sont constitués de cinq agents, dont un chef de pôle et un greffier. Ils rassemblent des juristes expérimentés, ayant déjà une expérience contentieuse. Ils sont organisés sur le modèle d’un cabinet d’avocat. La saisine répétée des PAJ participe d’une dynamique vertueuse, qui, en raison du grand nombre de dossiers traités, permet la spécialisation et la montée en compétences des agents.
Ces pôles apportent une expertise complémentaire, et n’ont pas vocation à se substituer aux services métiers des préfectures : ils ont été pensés sur le modèle d’un cabinet d’avocat interne à l’administration, intervenant à la demande expresse d’une préfecture sur un dossier précis. Les préfets ne donc sont pas dépossédés de leur compétence et restent libres de suivre ou non les recommandations des PAJ. Ces entités restent attachées au directeur des libertés publiques et des affaires juridiques, ce qui permet d’assurer la cohérence des positions défendues.
Au cours de son audition par la mission d’information, la DLPAJ tire un bilan très favorable après un an d’implantation des PAJ. L’activité des pôles fait l’objet d’un suivi régulier de la part de la direction, au moyen de tableaux de bord. Plus de 1 000 prestations ont été dispensées au cours de l’année 2017, pour un taux de réussite contentieuse de 73 %. Soixante préfectures ont saisi les PAJ, et le taux d’appréciation, par ces préfectures, de la qualité de la prestation s’élève à 100 % (90 % de préfectures « très satisfaites » et 10 % de préfectures « satisfaites »).
Le développement des PAJ devrait se poursuivre : l’ouverture de deux nouvelles structures est prévue en 2018. La première, à Nantes, s’occupera des contentieux statutaires. La deuxième, située à Toulouse, sera en charge des marchés. L’idée est aussi que les pôles puissent, à moyen terme, élargir leur offre de service. La création d’un PAJ répond à chaque fois à un besoin identifié par la DLPAJ, qui base l’ouverture de prochains PAJ sur le nombre de dossiers traités par les PAJ déjà existants.
La mission constate le succès de cette initiative et son inscription rapide dans le paysage administratif des préfectures. Elle propose de répliquer ce modèle à d’autres domaines, et à d’autres ministères, en l’adaptant aux besoins spécifiques des services déconcentrés. Des pôles conseil pourraient ainsi être créés en matière de marché public, en lien avec la direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, qui pilote l’élaboration du droit national de la commande publique. Il semble important de conserver la logique d’une offre modulable et décidée en fonction des besoins observés sur le terrain.
Proposition n° 2 : Envisager la constitution de pôles d’appui juridiques spécialisés lorsque cela est pertinent, en matière de marchés publics, par exemple.
2. La création d’une filière d’avocats d’État
La mission relève que, si la structuration progressive de la fonction juridique, de conseil comme de contentieux, sous la forme de directions centralisées au sein des ministères, a permis de rationaliser l’organisation administrative et d’améliorer la qualité du service rendu, la professionnalisation de cette fonction pourrait être renforcée par la création d’une filière spécifique d’agents, spécialement recrutés pour assurer le conseil et la défense de l’État, et ce devant l’ensemble des juridictions.
La mission suggère ainsi de considérer la création, au sein de l’administration publique, d’une filière d’ « avocats d’État », rassemblant des agents spécialisés dans le conseil et le contentieux, et mis au service des ministères.
La création de cette filière permettrait de regrouper l’essentiel des compétences juridiques en matière de conseil et de contentieux au sein d’un même organe de l’État. Elle contribuerait à rendre ces métiers plus attractifs, et de les ouvrir aux compétences extérieures, en attirant des juristes de haut niveau souhaitant mettre leur expertise au service de l’État.
Un parcours de carrière et de formation spécifique serait mis en place afin d’accompagner la professionnalisation de cette fonction.
Une telle organisation pourrait s’inspirer du modèle de l’Abogacía General del Estado espagnol. Rattaché au ministère de la justice, et composé de hauts fonctionnaires recrutés grâce à un concours spécifique, ce service permet d’assurer un service juridique de qualité à l’ensemble des services de l’État.
L’Abogacía General del Estado espagnol
En Espagne, le bureau de l’Avocat général de l’État (ou Abogacía General del Estado) est un service du ministère de la Justice. Il bénéficie du statut « sous-secrétariat », qui correspondrait, en France, à une direction ministérielle. Depuis 2010, il est directement rattaché au ministre de la Justice.
Il est dirigé par l’Avocat général de l’État (ou Abogado General del Estado), duquel dépendent les services centraux ainsi que plusieurs unités (ou Abogacías del Estado). Le Service juridique de l’État (Servicio Jurídico del Estado) rassemble l’ensemble des organes administratifs assurant la fonction d’assistance juridique.
Depuis juin 2018, le service est dirigé par Mme Consuelo Castro Rey. Diplômée de l’Université Complutense de Madrid en 1987, lauréate du concours de l’avocat général en 1989, elle a notamment occupé les fonctions d’avocat au ministère de la Santé et de la consommation, et a dirigé le service juridique de la Communauté autonome de Galice, de 2007 à 2018.
Le bureau de l’Avocat général est chargé de l’assistance juridique ainsi que de la représentation et de la défense devant les tribunaux de l’ensemble de l’administration de l’État, de ses établissements publics, et des organes constitutionnels. Il peut également assister les autorités et employés publics à l’occasion de certains litiges. Le cas échéant, il peut également assister et représenter les entreprises publiques, les fondations dans lesquelles l’État dispose d’une participation, les Communautés autonomes et les autres autorités locales.
Il comprend sept sous-directions, et notamment :
– la sous-direction des services consultatifs, qui assure une fonction de conseil juridique ;
– la sous-direction des services contentieux, qui représente l’État et les autres personnes publiques mentionnées précédemment devant toutes les juridictions nationales ;
– la sous-direction des questions européennes et internationales, compétente pour les litiges portés devant les cours européennes et internationales.
Il rassemble cinq autres unités (bureaux de l’Avocat de l’État devant la Cour suprême, devant l’Audience nationale, devant les tribunaux administratifs centraux, notamment).
Les Avocats de l’État placés au sein de départements ministériels, d’organismes de droit public, et de Communautés autonomes, lui sont rattachés.
Cette organisation répond à la volonté d’assurer une assistance juridique complète et coordonnée à l’ensemble du secteur public d’État, et d’améliorer la performance des administrations publiques dans la gestion de leurs ressources.
En 2016, le bureau de l’Avocat général de l’État a traité 18 425 demandes ainsi que 5 487 affaires contentieuses.
Au 31 décembre 2016, les effectifs du bureau s’élevaient à 299 avocats d’État (119 dans les services centraux, 136 dans les services périphériques, et 44 dans les départements ministériels) et 388 agents de soutien.
Le recrutement dans le corps des avocats d’État est effectué par concours public, ouvert aux titulaires d’une licence de droit. 20 postes avaient été ouverts en 2016.
Source : Memoria de la Abogacía General del Estado – Dirección del Servicio Jurídico del Estado, 2016.
Le ministère de tutelle auquel ce nouveau service serait rattaché serait à définir. La direction des affaires juridiques des ministères économiques et financiers, qui assure la fonction interministérielle d’Agent judiciaire de l’État, pourrait être envisagée.
Proposition n° 3 : Considérer la création d’une filière d’avocats d’État.
II. Une