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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 novembre 2018.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA MISSION D’INFORMATION ([1])
sur la gestion des événements climatiques majeurs dans
les zones littorales de l’hexagone et des Outre-mer,
ET PRÉSENTÉ PAR
Mme Maina SAGE, Présidente,
et
M. Yannick HAURY, Rapporteur,
Députés.
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La mission d’information sur la gestion des événements climatiques majeurs dans les zones littorales de l’hexagone et des Outre-mer est composée de : Mme Maina Sage, présidente ; Mmes Claire Guion‑Firmin, Barbara Pompili, M. Olivier Serva, Mme Hélène Vainqueur‑Christophe, vice‑présidents ; M. Yannick Haury, rapporteur, MM. Moetai Brotherson, Emmanuel Maquet, Philippe Michel-Kleisbauer, Jean-Hugues Ratenon, secrétaires ; M. Frédéric Barbier, Mme Justine Benin, MM. Christophe Bouillon, Bertrand Bouyx, Stéphane Buchou, Lionel Causse, Stéphane Claireaux, Jean‑François Eliaou, Christophe Euzet, Philippe Gomès, Mme Sandrine Josso, MM. Mansour Kamardine, François‑Michel Lambert, David Lorion, Mme Sophie Panonacle, MM. Éric Pauget, Bruno Questel, Hugues Renson, Mme Frédérique Tuffnell, membres.
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SOMMAIRE
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Pages
PREMIÈRE PARTIE : UN CONSTAT INCONTOURNABLE : L’AGGRAVATION DES RISQUES
I. LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE
II. des perspectives inquiÉtantes : une vulnÉrabilitÉ littorale accrue face au changement climatique
A. Une fiabilitÉ des donnÉes de plus en plus affinÉe
1. Des observations multiples mais convergentes
a. Des organismes performants, des prévisions fiables
2. Des phénomènes prévisibles ?
a. Des classifications claires
b. Une surveillance mondiale performante, une veille territoriale permanente
a. Un risque maximum outre-mer
b. Un risque hexagonal à ne pas sous-estimer
c. Les digues : sept ans de réflexion ?
B. Des conséquences de moins en moins tolÉrées
1. Un réflexe : la mise en cause des pouvoirs publics.
2. Une nécessité : la lutte contre les rumeurs erronées
3. La culture de l’anticipation est toujours perfectible
III. la dÉmographie des zones littorales
A. l’attrait des zones cÔTIÈres
1. Le constat : une concentration des populations sur le littoral
2. Les perspectives : une accentuation de cette concentration
B. la protection du littoral : un enjeu majeur
1. Maintenir la loi « littoral » est aussi un enjeu de sécurité des populations
2. Adapter le droit à l’érosion côtière est une nécessité évidente
IV. des actIVITÉs humaines insuffisamment encadrÉes
A. des enjeux Économiques Évidents
1. Des systèmes économiques fortement dépendants des activités côtières
2. Des conséquences durables : la situation à Saint-Martin
d. La question spécifique de la fourniture d’eau
B. les implantations industrielles sont-elles pertinentes ?
1. Le cas particulier du nucléaire
C. les infrastructures sont-elles adaptÉes ?
1. Les réseaux de transports en cas de catastrophe climatique
2. La question de l’approvisionnement en électricité est cruciale
Deuxième partie : des enjeux vitaux
I. La sécurité des personnes et des biens
A. PrÉvention, RÉGLEMENTATION et vigilance : UN CADRE NÉCESSAIREMENT PARTAGÉ
1. La prévention doit encore progresser
ii. Un niveau de réalisation globalement satisfaisant
iii. La spécificité ultramarine
c. Face au risque de submersion marine, la France n’est pas suffisamment armée
i. Une prise en compte encore insuffisante du risque côtier
iii. La gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (GEMAPI)
d. La culture du risque doit être mieux entretenue
2. La vigilance est parfaitement assurée
3. L’alerte se fait en temps réel
a. Des alertes qui doivent êtres immédiates
b. Une information pertinente sans délai
B. la protection DES POPULATIONS : UN DEFI MAJEUR
1. En amont, la planification des opérations de secours
2. La gestion de la crise lorsqu’elle survient
a. Irma, José, Maria : un déploiement de forces exceptionnel face à des événements exceptionnels.
i. Une mobilisation de moyens exceptionnels
ii. La place des structures de soin dans le processus.
iii. Le rôle indispensable du déploiement militaire.
b. Le rôle des associations de sécurité civile doit être salué
3. Prévention et secours en Polynésie et Nouvelle-Calédonie
C. le système assurantiel est-il adaptÉ ?
1. Le rôle majeur des assurances privées
2. Le régime d’assurance des catastrophes naturelles
3. La nécessaire solidarité nationale
a. La mobilisation du « fonds Barnier »
b. Le recours au Fonds de solidarité européen
D. les conditions d’une reprise économique sont‑elles prÉsentes À saint-MARTIN ?
1. La nécessaire réforme du port, condition de relance de l’activité touristique
2. La gestion des services de la collectivité de Saint‑Martin
troisiÈme PARTIE : des objectifs clairs, des moyens diversifiÉs
I. le volet de la prÉvention : amÉliorer la communication plus que la fiabilité des donnÉes
A. la qualité de la vigilance nÉcessite des Équipements ADAPTÉs
B. la communication est parfois perfectible
II. la coordination administrative des actions d’urgence : centraliser les dÉcisions
A. le rôle central des prÉfectures est parfaitement assuré
1. Des instruments multiples pour une gestion préfectorale coordonnée.
2. Le rôle de relai des municipalités
B. la coordination des actions est toujours perfectible
III. la reconstruction : faire plus, vite et mieux
A. reconstruire n’est pas recommencer
1. Revoir les documents d’urbanisme…
2. … pour rénover les règles de construction
B. reconstruire n’est pas attendre
liste des personnes auditionnées
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Les défis que posent à la planète, donc aux populations du monde entier, les catastrophes naturelles sont de plus en plus prégnants.
Les événements récents en France ont mis en avant, en 2017, l’intensité du cyclone Irma qui a été d’une violence sans précédent à Saint-Martin, avec des rafales dépassant les 400 kilomètres par heure, alors que le seuil de résistance du béton est de 250 kilomètres par heure, provoquant plus de 25 000 sinistres, dont une part importante concerne des biens non indemnisés, dont au moins 750 habitations et environ la moitié des dommages constatés. Ces dommages impliquent un processus de reconstruction particulièrement lourd et complexe, dont le coût de l’ordre de 2 milliards d’euros n’est que trop lentement résorbé : la reconstruction à Saint-Martin avance trop lentement, pour de multiples raisons. Le premier défi est celui de la complexité du retour à une situation stabilisée, car il est malheureusement encore trop tôt pour parler d’un retour à la normale.
À Porto Rico, l’ouragan Maria qui s’est abattu sur l’île le 20 septembre 2017 a engendré 90 millions de dollars de dommages et le bilan humain est très controversé : officiellement l’ouragan a fait 64 morts, mais, dès le mois d’octobre, des chiffres de 1 000 victimes sont avancés, tandis qu’une étude médicale parue en mars 2018 ([2]) avance le chiffre de 4 645 victimes dans les trois mois qui ont suivi. Le passage de Maria a détruit de nombreuses infrastructures, le réseau électrique ainsi que les routes, privant la quasi-totalité des 3 millions d’habitants de Porto Rico d’eau, de téléphone, de transport et d’accès aux soins. Ces dégradations expliquent que le nombre des victimes soit, à terme, aussi important.
Pour la sauvegarde des populations, le premier des défis est celui de leur protection et de leur sécurisation. Porto Rico connaît encore aujourd’hui des foyers privés d’électricité. Le cyclone Florence, en septembre 2018, provoque 31 morts au moins ([3]), situation aggravée par des inondations en Caroline du Nord.
À Madagascar, un des rares pays au monde où le PNB par tête régresse, le cyclone de mars 2017 a fait au moins cinquante morts, 300 000 sinistrés et ruiné les plantations de vanille, seul produit d’exportation. Les répercussions des événements climatiques sont d’autant plus profondes et d’autant plus durables qu’elles se produisent dans des zones géographiques aux tissus économiques et sociaux fragilisés, aux infrastructures déficientes, à l’habitat insalubre. Dans les zones dépendantes du tourisme, c’est bien l’ensemble de l’économie qui est compromis : le chômage est d’autant plus marqué que l’activité est concentrée et s’interrompt brutalement. Au sens environnemental du terme, le premier défi est celui de la justice climatique.
Mais l’ampleur de telles catastrophes ne saurait occulter une réalité plus quotidienne : Météo-France déclenche environ 70 alertes par an, soit plus d’un événement et demi par semaine en moyenne. La mission a retenu des auditions menées, dont les constats scientifiques ont largement convergé quant à cette conclusion, que la fréquence des événements sera probablement constante à l’avenir, quoique ce constat doive être nuancé selon les parties du globe, mais qu’il fallait anticiper le fait que leur violence ira sans nul doute en augmentant. L’approche de la saison cyclonique est donc ressentie aux Antilles avec de plus en plus d’inquiétude. La préparation des populations doit être assurée sur le long terme. Les normes de construction et les implantations urbaines, dans les outre-mer comme dans les zones littorales de l’hexagone, doivent être pensées en fonction de la probabilité d’événements climatiques violents. Nous ne pouvons pas nous en remettre à une croyance en la technique salvatrice, qui prévoirait tout, sécuriserait tout, mais nous devons agir dans un monde incertain en fonction de l’aléa.
Celui-ci est d’ailleurs prévisible dans son occurrence, mais pas toujours dans son intensité, comme en témoigne Irma. Maria, qui a déferlé juste après, a eu un impact majeur en Martinique et surtout en Guadeloupe, notamment en raison de son intensification subite, marquée par le passage de catégorie 1 en catégorie 5 en 15 heures seulement, ce qui est exceptionnel et totalement inédit dans cette zone.
Si l’objet même de la mission était doublement limité, géographiquement aux seuls risques littoraux, ponctuellement aux seuls événements climatiques majeurs et non aux changements climatiques à long terme ou à d’autres enjeux liés au développement durable, ses conclusions ne se cantonnent pas à un seul secteur, mais cherchent bien à appréhender toutes les incidences de ces catastrophes – cyclones, tempêtes ou submersions – dans leurs diversités, humaines, économiques et juridiques.
Pour ce faire la mission a abordé successivement trois approches :
– scientifique, à la fois dans les aspects climatiques et démographiques – la concentration de plus de 8,5 millions de nos concitoyens sur les zones littorales accroissant évidemment les risques ;
– évaluative s’agissant de la prévention, de l’information des populations, des alertes et de la gestion de crise ;
– prospective en ce qui concerne les conditions de la reconstruction, notamment à Saint-Barthélemy, mais aussi sur la manière d’appréhender au mieux, à l’avenir, les risques.
La mission a appliqué ces approches aux diverses problématiques qu’elle a rencontrées : la phase d’anticipation du risque et plus précisément celle de l’alerte, la gestion in situ des cyclones et des phénomènes climatiques, et, enfin, toutes les questions liées à la reconstruction.
Pour employer le mot le plus fréquemment utilisé, l’objectif du présent rapport est de dégager les voies et moyens d’accroître la résilience. Mais qu’est-ce que la résilience ? Est–elle la capacité d’un retour à l’état antérieur ou la résistance à l’état de crise ? Elle recouvre en fait la capacité d’une société à se relever face aux changements climatiques, ainsi que la possibilité d’en amortir les effets, par l’anticipation, l’apprentissage et l’esprit d’initiative. Pour préparer un événement dont ne sait pas à l’avance avec quelle ampleur et quand il se produira, la mobilisation des moyens, quant à elle, doit être permanente : toute la difficulté de la veille est qu’elle doit anticiper, sans faille, un événement aléatoire dans son déroulement et ses conséquences.
Elle exige la possibilité d’en amortir les effets, par l’anticipation, l’apprentissage et l’esprit d’initiative. Afin de préparer un évènement dont nous ne savons pas quand il se produira, avec quelle ampleur et pendant quelle durée, nous voulons que la mobilisation des moyens à mettre en œuvre soit permanente. Nous n’ignorons pas la difficulté de la veille qui doit anticiper sans faille un évènement aléatoire, à la fois dans son déroulement et dans ses conséquences, mais cette exigence nous paraît indispensable.
Il faut donc prévenir, c’est incontestable, mais quand la catastrophe a eu lieu, il ne serait pas honnête de conclure systématiquement et dans tous les cas, que la prévention a été dédaignée ou que les réparations ont été négligées. Soyons modestes et sachons reconnaître que cette prévention rencontre des limites, des zones d’inconnues et précisément des zones d’imprévisibilité, car les humains seront toujours face à des impossibilités devant certains éléments naturels. C’est actuellement le cas à Saint-Martin où les victimes regrettent que la reconstruction de leur île ne se fasse pas plus rapidement alors que l’implication de l’État est importante et constante. Pour améliorer la résilience que nous voulons, il ne faut pas omettre de faire aussi une analyse multifactorielle scrupuleuse afin de trouver sur place des remèdes qui pourraient permettre d’aller plus vite.
Devant l’imprévisibilité d’un cyclone, devant l’absence de repères et de modèles pour en comprendre avec justesse la violence, pour en saisir la complexité et les implications dans différents domaines, nous savons que les réponses humaines sont souvent insuffisantes et paraissent toujours dérisoires. Nous sommes conscients que les précautions et les solutions que nous préconisons peuvent avoir des résultats aléatoires, mais nous le faisons avec conviction car nous ne voulons pas renoncer à défendre la vie et les intérêts des habitants. Nous avons décidé qu’il fallait se battre pour sauver notre planète et son littoral.
Rappelons-nous la phrase de Bossuet. Pour ironiser sur nos inconséquences humaines, il disait : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des effets dont ils ont chéri les causes ». Surtout ne nous prenons pas pour un dieu qui serait spectateur des acteurs de terrain, mais essayons de tenir compte des expériences malheureuses pour insister sur la nécessité d’avoir des règlements d’urbanisme rigoureux car ils sont à la base des mesures à prendre pour éviter les drames. Ils doivent être réfléchis, justes et consensuels. C’est le rôle des responsables sans qui rien ne pourra se faire
Je témoigne que la Mission a rencontré beaucoup d’acteurs mobilisés et impliqués, bien plus nombreux que les personnes découragées qui se contentent de dénoncer de prétendues carences. Notre mission d’information débouche sur des suggestions concrètes. Les préconisations répondent aux nombreux défis à relever pour favoriser la résilience du littoral face aux aléas climatiques.
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Veille et prévention
Proposition n° 1 : Créer un système d’ « alerte cyclone » (tempête ou inondation) à l’instar du système « alerte enlèvements » qui serait déclenché par le préfet et aurait des vecteurs de diffusion non seulement par les médias de la zone mais également par les opérateurs de téléphonie mobile ou sites internet partenaires.
Propositions n° 2 : Développer la culture du risque, en particulier l’information scolaire et en entreprise. Prévoir une analyse du risque et des mesures de protection dans les manuels scolaires et établir dans les outre-mer et dans les zones exposées du littoral métropolitain une séquence annuelle coordonnée de formation aux risques naturels, dans les services publics, les écoles, à destination des travailleurs sociaux et des personnels hospitaliers, et, si possible dans les entreprises.
Proposition n° 3 : Adapter et appliquer le droit du littoral. Mettre en place une législation générale adaptée au recul du trait de côte, une cartographie du risque, poursuivre la mise en place des plans de prévention des risques naturels majeurs (PPRN) dans toutes les zones côtières, édicter et faire approuver les PPRN en Polynésie et en Nouvelle Calédonie, interdire les constructions nouvelles proches du rivage à Saint-Martin et Saint Barthélemy, édicter les documents d’urbanisme et le PPRN nécessaires à Saint-Martin.
Proposition n° 4 : Mettre à la charge des professionnels de l’immobilier une obligation d’information sur les risques de retrait côtier, de submersion et d’aléas climatiques majeurs.
Proposition n° 5 : Installer un houlographe à Saint‑Martin, des radars en outre-mer, notamment en Polynésie, faire financer l’entretien des équipements de mesures météorologiques et de détection par les collectivités territoriales concernées, notamment en Martinique, mettre aux normes les matériels informatiques en Guadeloupe et en Martinique.
Phase d’alerte et de secours
Propositions n° 6 : Doter la préfecture de Saint-Martin de moyens humains nécessaires à l’accomplissement de sa mission pour permettre la mise en œuvre d’un véritable contrôle de l’État en matière d’urbanisme et de missions de sécurité ; sécuriser un centre opérationnel à la préfecture ; développer un stock d’équipements de premier secours au titre d’une réserve civile.
Propositions n° 7 : Désigner aux médias un interlocuteur unique pour l’information publique et interdire en conséquence aux médias, pendant la durée d’un cyclone, de se rendre directement à Météo France. Lutter contre les fausses nouvelles.
Proposition n° 8 : Instaurer un système administratif d’obligation d’évacuation des lieux sous forme d’un arrêté de mise en péril provisoire à exécution immédiate.
Phase de reconstruction
Proposition n° 9 : Sécuriser, équiper et moderniser sans délai les installations portuaires de Saint-Martin pour assurer notamment une desserte de l’île notamment en matériaux de reconstruction. Lutter contre la concurrence hollandaise en matière de trafic de conteneurs.
Proposition n° 10 : Respecter les règles d’urbanisme et d’inconstructibilité en zone littorale, éviter les implantations durables de constructions provisoires en particulier sur le littoral méditerranéen. Renforcer les effectifs des services d’urbanisme de la collectivité de Saint‑Martin ; prévoir que quatre agents au moins soient assermentés pour constater les infractions, assurer une transmission plus franche des dossiers au procureur de la République et au contrôle de légalité. Prévoir que plusieurs procureurs sont compétents en matière d’urbanisme, et assurer a minima la présence sur place d’un troisième procureur ; faire respecter l’obligation de dépôt des permis de construire, établir et mettre en vigueur un PLU, faire examiner sur place les normes de sécurité et d’accessibilité des locaux.
Proposition n° 11 : Publier un guide des pratiques de construction, privilégiant les constructions en bois, en confiant sa rédaction à une mission interministérielle s’appuyant sur une consultation internationale et sur les observateurs locaux.
Proposition n° 12 : Adapter les règles et les procédures de construction des digues, définir les charges respectives des propriétaires et des collectivités locales, dans le cadre des documents d’urbanisme, réduire le temps d’instruction des dossiers et des études préalables.
Proposition n° 13 : Renforcer l’implication du Parlement Impliquer le Parlement en amont de toute réforme du régime de catastrophes naturelles. Prévoir un débat parlementaire après chaque événement climatique majeur. Prévoir des lois de programmation quinquennales de transition énergétique dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique.
Proposition n° 14 : Simplifier le code des impôts de Saint‑Martin, en s’inspirant de celui de Saint-Barthélemy et assurer le recouvrement effectif de l’impôt, la simplification des normes et l’articulation entre les mécanismes nationaux et locaux d’aide et de défiscalisation. Mettre en avant les critères de construction et de localisation para-cycloniques et environnementaux pour conditionner les défiscalisations.
Proposition n° 15 : Réaliser un audit de la fonction publique locale à Saint‑Martin, pour adapter les modes d’organisation des agents territoriaux à ces nouveaux risques et au processus de reconstruction et renforcer les effectifs de catégorie A.
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L’évaluation parlementaire sur un tel sujet, si elle a conduit à créer cette mission, ne saurait s’arrêter à la seule apparence, c’est-à-dire à l’émotion, légitime, au désordre durable des territoires concernés et à l’organisation adéquate pour y répondre, mais pose en réalité une question plus fondamentale : les moyens, scientifiques, humains, matériels, les procédures, les règles juridiques sont-ils adaptés à des situations, qui, même si elles peuvent être prévues, n’en sont pas moins exceptionnelles, relevant de crises graves, nécessitant souvent une action coordonnée d’acteurs publics et privés ? L’exemple des États-Unis montre qu’aucun pays n’échappe à une réflexion sur l’adéquation entre les moyens permanents et leur mobilisation exceptionnelle.
La précision du sujet des « risques climatiques majeurs », même si elle conduit à s’intéresser aussi à des phénomènes permanents, au premier rang le recul du trait de côte, ou l’envahissement des côtes par des phénomènes polluants, comme les sargasses en Martinique, reste spécifique et marquée par le caractère unique de chacune des crises observées. La mission est conduite en revanche à constater la systématique étendue de ses conséquences : humaines, les plus immédiates et les plus sensibles, économiques, juridiques, ou encore environnementales. Leurs effets dans le temps et les atteintes à l’économie des territoires touchés, ou encore les difficultés liées à la reconstruction du bâti, sont complexes. La difficulté tient naturellement à la gravité des événements, mais aussi à la diversité des acteurs et des approches : si les missions régaliennes des États de secours et d’aide aux victimes sont naturellement, au premier chef, sollicitées, elles ne sont pas les seules : toute reconstruction mobilise des forces économiques et pose des questions sociétales essentielles.
Le sujet renvoie à des questions fondamentales, comme celle de la justice climatique, de l’internationalisation de la lutte contre le réchauffement climatique, ou encore de la prise en compte des préoccupations environnementales dans les politiques publiques. Il renvoie à la recherche permanente d’une adaptation des activités humaines au risque. Les pouvoirs publics sont souvent accusés de n’agir que sous la pression des crises ou des événements. L’ambition de la mission d’information, à partir d’un cadre bien délimité, et au-delà du constat à dresser, est précisément de sortir de cette logique de l’action d’urgence dictée par la contrainte, pour s’intéresser à la prise en compte préventive du risque, de passer d’une logique réparatrice à une logique de veille et de résilience.
Naturellement, la situation de Saint-Martin est un sujet central du présent rapport. Si l’ampleur sans précédent des dégâts explique en partie les difficultés, il reste que la multiplicité des acteurs, la lenteur des procédures, les défauts accumulés au fil du temps d’application des règles d’urbanisme, sont autant de facteurs qui freinent la reconstruction. Pour autant, les défis environnementaux qui se posent à la planète sont de plus en plus cruciaux et lourds de conséquences, surtout dans les outre-mer. Ils nécessitent de ne relâcher ni l’ambition d’une justice climatique, telle qu’elle s’est manifestée à travers l’accord de Paris, ni de résoudre autant que faire se peut l’écart entre ces ambitions et leur mise en œuvre. Chaque catastrophe permet de mesurer cet écart. Les moyens de veille doivent être permanents, l’organisation des secours doit être mobilisable à tout moment, alors que la réalisation du risque est aléatoire. Il faut parer, de façon certaine, à une incertitude. Mais cette exigence ne saurait être relâchée.
Si beaucoup des propositions du rapport sont pertinentes, notamment ce qui concerne le nécessaire développement de la culture du risque, l’amélioration des alertes, le fait que toute modification du régime de catastrophe naturelle ne saurait se faire sans le Parlement, les débats parlementaires, la nécessité de prévoir une réglementation adaptée en matière de recul du trait de côte, il aurait été souhaitable qu’il prenne davantage en compte les spécificités des territoires d’outremer, notamment à Saint‑Martin où la situation a été traumatisante et demeure difficile.
Je regrette que le présent rapport puisse parfois être à charge pour cette jeune Collectivité, ses gestionnaires actuels ou plus généralement pour les populations ou les élus ultra marins, ne donnant qu’une vision partielle, comme celle qui ne consisterait qu’à développer le contrôle et le contentieux et omettre en parallèle de préciser que les responsabilités en la matière sont largement partagées avec l’ État. Ce dernier s’étant en effet souvent ou trop longtemps défaussé sur les structures locales et n’a pas suffisamment accompagné le transfert de compétences des moyens correspondants. Irma a sans doute servi de révélateur de certaines carences, mais elles doivent être replacées dans le contexte particulier d’une collectivité récemment créée et faiblement accompagnée jusqu’à ces événements climatiques dévastateurs.
D’un point de vue plus global, il convient de dire plus clairement que des marges de progression existent et sont nécessaires, y compris s’agissant des moyens de prévention, de surveillance et d’alerte dépendant de l’État, matériellement ou budgétairement.
Enfin, Il faudra porter une attention plus soutenue aux techniques innovantes de reconstruction en milieux insulaires, tenant compte des problématiques foncières et environnementales. Cette étude pourrait être menée en partenariat avec la Délégation aux Outremers de notre assemblée.
Ma mission, dont j’ai eu l’honneur de conduire les travaux jusqu’à la mise aux voix du rapport, ne s’étend pas pour autant à l’approbation en totalité de son contenu, en particulier celles de propositions relatives aux outremers et à la reconstruction de Saint Martin.
Il faut désormais, outre-mer comme dans l’hexagone, avoir comme objectif constant de répondre à la contrainte climatique.
Faut-il même le rappeler : nous n’avons qu’une seule terre, dont nul n’est propriétaire, et dont chacun est héritier, occupant viager et transmetteur, ou citer Saint Exupéry : Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants ([4]).
La Présidente, Maina Sage
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La Conférence des Présidents a décidé au mois d’octobre 2017, de créer une mission d’information, composée de 29 membres, consacrée à la prévention et aux incidences des risques climatiques majeurs dans les zones littorales, dans l’hexagone et les outre-mer. Votre rapporteur remercie ses collègues de lui avoir confié la charge du présent rapport, la présidente, Maina Sage, pour la conduite constante et attentive des travaux, et tous les députés qui y ont participé, ainsi que les nombreuses personnes qui ont bien voulu, par des auditions, rencontres sur place, ou contributions, y prendre une part active.
Il faut souligner qu’il ne s’agit pas de privilégier telle ou telle approche, telle ou telle problématique ou telle ou telle zone géographique, mais, bien au contraire, de faire porter l’analyse sur l’ensemble des conséquences de ces risques climatiques majeurs : aucune aire métropolitaine ou hexagonale n’est privilégiée, même si naturellement l’attention s’est particulièrement portée sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy, où, malheureusement, parce que les incidences du cyclone Irma y ont été les plus violentes et où la succession d’événements, finalement plus modérés, aurait pu créer une situation encore aggravée. Aucune de ces incidences n’est ni négligée, ni ignorée par le présent rapport, qui s’intéresse tant aux questions de la veille météorologique, à l’organisation des secours, au traitement sanitaire, à la prévention et à la communication institutionnelle qu’aux normes techniques des bâtiments, ou aux questions économiques, notamment touristiques.
Votre rapporteur n’est nullement un spécialiste des sciences de la terre. Les auditions et les travaux scientifiques convergents permettent de conclure que les cyclones, les tempêtes, et les pluviométries exceptionnelles ne seront pas à l’avenir plus fréquents, mais, en revanche, que leur intensité va sans doute augmenter.
Trois difficultés conceptuelles peuvent d’emblée être soulignées.
Il reste en premier lieu complexe d’identifier ex-ante les populations touchées, les scientifiques comme les pouvoirs publics sont confrontés à des phénomènes très divers dans leurs manifestations, leur intensité et la zone où elles se produisent, mais très fréquents. En 2017, les assureurs notent ainsi que 301 catastrophes se sont produites dans le monde contre 329 en 2016. 183 d’entre elles étaient des catastrophes naturelles (contre 192 en 2016) et 118 des catastrophes techniques (contre 137 en 2016).
La Charte internationale « Espace et Catastrophes majeures », –coopération internationale entre 17 Agences Spatiales ([5]) offrant un système unifié de données satellites dans les cas de catastrophes d’origine naturelle ou anthropique – a été déclenchée plus de 560 fois, et près de 120 pays en ont déjà bénéficié. En moyenne, depuis 2007, la Charte est activée chaque année pour une quarantaine de catastrophes.
Les alertes de Météo-France déclenchent environ 70 cas de vigilance rouge ou orange par an, soit un événement au moins par semaine. Certains reprochent même à l’opérateur public, dans quelques cas, son excessive précaution. Mais votre rapporteur ne saurait partager ces critiques : mieux vaut le reproche d’une excessive prudence plutôt que celui d’une carence dans l’alerte.
En second lieu, il faut mesurer l’écart entre les possibilités de prévoir la réalisation du risque, ou plus généralement l’information, et la manière dont les alertes se répercutent sur le terrain, ou plus simplement les actions menées, en tenant compte d’une multiplicité d’éléments : quels sont les acteurs, comment se coordonnent-ils, au plan matériel, mais aussi au plan juridique, comment gagner du temps, question cruciale, comment lutter contre la diffusion de fausses informations, comment et quand passer de la vigilance à l’alerte, comment convaincre les personnes de la menace ou contraindre les évacuations ?
Enfin, mais il sera largement revenu sur ce point tout au long du présent rapport, les effets de phénomènes aux caractéristiques comparables peuvent être très divers selon la zone littorale où ils se produisent.
La tempête Xynthia, le 28 février 2010, a donné lieu à deux commissions d’enquête parlementaires, dont celle de l’Assemblée nationale ([6]) dont on rappellera simplement, à ce stade, le constat suivant : « Les coûts ont, dans un premier temps été évalués à 1,2 milliard d’euros par la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA), montant porté ensuite à 1,5 milliard. La répartition en est la suivante : 800 millions d’euros pour les sinistres causés par le vent, au titre de la garantie tempête et 700 millions pour les sinistres dus aux inondations, au titre du régime des catastrophes naturelles. Les dégâts dus aux inondations ont été plus importants par sinistre, mais moins nombreux sur l’ensemble du territoire. En effet, 40 000 sinistres sont causés par les inondations et 350 000 sinistres sont imputables au vent, soit 90 % d’entre eux.
À titre de comparaison, le coût pour les assureurs de la tempête Klaus du 24 janvier 2009 a coûté 1,5 milliard d’euros pour les assureurs, 715 000 sinistres étant déclarés pour un coût moyen de 2 150 euros par sinistre. Les tempêtes Lothar et Martin, qui ont frappé l’Europe en décembre 1999, qui se classent parmi les cinq tempêtes les plus marquantes des trente dernières années, ont coûté 6,9 milliards d’euros ». Xynthia a ravagé la commune des Moutiers-en-Retz et le port du Collet, où, en particulier, le comportement humain explique deux victimes refusant les conseils des secours. La durée séparant la tempête de la réalisation des travaux d’endiguement a été de plus de huit ans : un an pour la réalisation, sept ans de… réflexions. La situation actuelle, huit ans après les faits, montre à quel point il est difficile, au plan juridique comme matériel de mener à bien la réalisation des ouvrages de protection : les études préalables sont lentes, et doivent s’adapter en permanence à des exigences techniques changeantes. Elle montre également la complexité des contentieux qui suivent les catastrophes littorales.
Entre le 5 et le 7 septembre 2017, l’ouragan Irma est passé, en 24 heures, d’un classement 1 au classement maximum 5 ([7]), alors qu’en général cette évolution se réalise sur une dizaine de jours. Ce caractère imprévisible explique une partie des conséquences d’Irma.
Source : http://amicale-des-ouragans.org/atlas_guadeloupe/cartotheque
Si le cyclone a bien été anticipé, son intensité et son évolution, elles, n’étaient guère prévisibles à moyen terme. Il faut remonter à 1891 pour trouver une intensité cyclonique comparable, et depuis que le régime de catastrophe naturelle existe, c’est l’événement le plus violent jamais enregistré. Les vents ont, par endroits, sans doute dépassé les 400 kilomètres/heure, le point de résistance du béton étant évalué à environ 250 kilomètres/heure. Cette vitesse était celle constatée lors du passage à Saint-Martin de l’œil du cyclone. 237 personnes ont alors été évacuées de l’île, 7 000 en tout l’ont quittée dans les semaines qui ont suivi. En outre, Irma a été suivi de José, le 9 septembre 2017, puis du passage de l’ouragan Maria, le 19 septembre : la zone des Îles du Nord a donc connu trois ouragans en quinze jours, ce qui a compliqué l’organisation des secours sur place et provoqué les départs de résidents. L’ouragan José n’a pas eu d’effets significatifs sur la Guadeloupe et les îles du nord : les effets, en dehors de la houle, ont été limités. Les instruments de mesure étant détruits, on estime la vitesse des vents moyens sur les îles du Nord à environ 60 km/h et les rafales de l’ordre de 130 km/heure lorsque le centre est passé, le 9 septembre, au plus près de Saint-Martin à quelque 130 km avec des vents maximum près du centre de 225 km/h.
Des vagues de 6 à 8 mètres ont probablement déferlé avec quelques submersions côtières d’ampleur limitée, mais dans la rade de Gustavia, qui est le port du côté français, l’effet de submersion a pu être un peu supérieur. José est passé au plus près de la Guadeloupe à environ 160 km, et au plus près de la Martinique à environ 300 km. Cependant la menace a fortement affecté la gestion de crise de l’après Irma sur les Iles du Nord.
L’ouragan Maria, relève de la catégorie des cyclones dits « Barbarien », d’intensification rapide, qui généralement n’atteignent pas le stade d’ouragan majeur. Dès le vendredi 15 septembre 2017, la menace pour l’arc antillais est signalée, mais avec une intensité beaucoup plus faible que celle finalement observée ; la menace est régulièrement réévaluée jusqu’au 17 au matin, mais, même à ce stade, les experts n’ont pas anticipé le passage en catégorie 5. Maria, a donc eu un impact majeur en Martinique et surtout en Guadeloupe, notamment en raison de cette intensification, de catégorie 1 en catégorie 5 en 15 heures seulement, phénomène inédit dans cette zone.
Le cyclone s’est abattu avec une intensité forte sur Porto Rico le 20 septembre 2017. Il a engendré 90 millions de dollars de dommages et le bilan humain est très controversé : si, officiellement l’ouragan a immédiatement provoqué 64 morts, dès le mois d’octobre, des chiffres de 1 000 victimes sont avancés, tandis qu’une étude médicale parue en mars 2018 ([8]) avance le chiffre de 4 645 victimes dans les trois mois qui ont suivi. Le passage de « Maria » a détruit de nombreuses infrastructures, le réseau électrique ainsi que les routes, privant la quasi-totalité des 3 millions d’habitants de Porto Rico d’eau, de téléphone, de transport et d’accès aux soins.
La Réunion a été touchée du 17 au 19 janvier 2018, par le passage de la tempête tropicale Berguitta, passée au large des côtes sud, alors que certaines prévisions avaient initialement envisagé un passage centré sur l’île, au stade de forte tempête tropicale après avoir été classé comme cyclone tropical intense. Du point de vue hydrologique, des seuils exceptionnels, qui ne se constatent que tous les 10 ans ([9]), ont été atteints, les pics correspondant à des « durées de retour » de 30 ou 40 ans. Ces constats ont conduit à la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle dans neuf communes du sud et du sud-ouest de l’île.
Le 24 avril 2018, toujours à La Réunion, la tempête Fakir, pour laquelle Météo-France a enregistré des rafales de vents à plus de 171 km/h au Piton Maïdo et 176 km/h à Gros-Piton Sainte-Rose, provoquait plus de dégâts que tous les événements cycloniques enregistrés sur l’île au cours des dix dernières années : deux morts et des destructions chiffrées à 15 millions d’euros, dont la nécessaire remise en état de 40 salles de classe environ. 144 000 personnes ont été privées d’électricité, dont 42 000 de manière durable.
Le cyclone Florence, en septembre 2018, provoque 31 morts au moins ([10]), situation aggravée par des inondations en Caroline du Nord. 250 000 personnes au moins ont été évacuées et plus d’un demi-million de foyers ont été privés d’électricité.
Ces exemples montrent que, passée la première urgence qui consiste à porter secours aux victimes, la question du rétablissement des réseaux, en particulier des réseaux de communication, puis celle de la protection et de la reconstruction, sont essentielles : s’agissant de Saint-Martin, l’île a été coupée de toute communication pendant trois jours au moins et, si le premier sujet a été l’approvisionnement en eau potable, par l’envoi de deux millions de bouteilles, le rétablissement des réseaux de communication, qu’ils soient routiers, aériens, satellitaires ou hertziens, s’est révélé primordial. Les routes sont restées coupées plusieurs jours.
De telles violences physiques, pourtant, risquent de se reproduire à l’avenir, puisque la montée en puissance des cyclones et la force accrue des tempêtes s’expliquent, au moins en partie, par les tendances à long terme qui affectent le climat au niveau mondial.
Ces facteurs de complexité, qui condamnent toute approche simplificatrice, conduisent à s’appuyer sur des retours d’expérience concrets pour formuler des propositions, et sur une certitude : les risques climatiques doivent être mieux appréhendés dans les politiques publiques, ne serait-ce que parce que leur réalisation est de plus en plus probable.
Si, de l’avis de tous, Irma est un phénomène inédit, les conditions pour que des événements similaires se reproduisent seront donc sans nul doute à nouveau réunies au cours des prochaines années.
Plusieurs facteurs de causalité ont été cités par les scientifiques auditionnés par la mission. En outre, les caractéristiques des événements climatiques majeurs sont aggravées par un climat plus chaud (intensité des vents, intensité des pluies, taille et vitesse de déplacement, intensification plus rapide des cyclones, etc.). Comme l’indique Mme Anny Cazenave, dans sa contribution écrite adressée à la mission d’information : « À cause de l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère par les activités humaines (majoritairement du dioxyde de carbone –CO2-, suite à la combustion des énergies fossiles et à la déforestation), la Terre est aujourd’hui dans un état de déséquilibre énergétique : elle renvoie moins d’énergie vers l’espace qu’elle n’en reçoit du Soleil. De la chaleur s’accumule donc dans le système climatique et la Terre se réchauffe. On estime qu’en moyenne sur les 50 dernières années, 93 % de cet excès de chaleur sont stockés dans l’océan. Les 7 % restants servent à réchauffer la basse atmosphère et les surfaces continentales ainsi qu’à faire fondre la banquise arctique, les glaciers et les calottes polaires (l’Antarctique et le Groenland). Conséquence directe du réchauffement de l’océan (qui se dilate) et de la fonte des glaces continentales, la mer monte.
Les mesures historiques d’instruments appelés marégraphes, installés de longue date le long des côtes continentales, nous indiquent que le niveau de la mer a commencé à s’élever depuis le début du XXème siècle, au rythme d’environ 1,5 mm par an. Depuis le début des années 1990, on mesure la hausse du niveau de la mer au moyen de satellites dits « altimétriques » (TOPEX/Poseidon et ses successeurs Jason-1, 2 et 3 développés conjointement par le CNES et la NASA, ainsi que les satellites de l’Agence Spatiale Européenne ERS-1&2, Envisat et Sentinel-3). Leurs mesures précises et globales montrent que la mer s’élève actuellement de 3 mm par an en moyenne, soit deux fois plus vite qu’au XXème siècle, et même que le phénomène est en train de s’accélérer. Les satellites révèlent aussi que la mer ne monte pas de façon uniforme : dans le Pacifique tropical ouest, la hausse de la mer atteint 10 mm/an, valeur 3 fois supérieure à la moyenne. Dans cette région du monde, c’est 25 cm d’élévation de la mer que nous constatons sur les 25 dernières années. Le long des côtes de la Métropole, la hausse de la mer est proche de la moyenne globale ».
Cette hausse du niveau de la mer joue naturellement un rôle dans la fragilisation du littoral.
Par ailleurs, les travaux du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ([11]) démontrent qu’il est très probable que les rejets de gaz à effet de serre dus aux activités humaines ont contribué à l’augmentation de la température de surface des mers dans les régions dans lesquelles se forment les ouragans. Or, une relation statistique est clairement établie entre la température des eaux de surface des mers et la puissance des ouragans.
La hausse du niveau des eaux qui en résulte, au rythme prévu de 3 mm par an, est un facteur important qui explique le déclenchement mais aussi l’ampleur des dégâts dans certaines zones. Le cinquième rapport du GIEC (2013) prévoit une montée des eaux de l’ordre de 50 à 80 centimètres à l’horizon 2100. Postérieurement, le rapport spécial sur les impacts d’un réchauffement global de 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, approuvé le 6 octobre 2018, fournit notamment des comparaisons sur les impacts liés à un réchauffement global de 2°C par rapport à un réchauffement de 1,5°C. Ce rapport souligne que les risques sont très nettement inférieurs, pour 1,5°C de réchauffement par rapport à 2°C, s’agissant des risques associés aux événements climatiques majeurs, de la hausse de la température des océans et de la hausse du niveau des mers. Cette dernière serait comprise entre 26 et 77 cm pour 1,5°C mais serait plus élevée de 10 cm pour 2°C, entraînant une exposition au risque de 10 millions de personnes supplémentaires. Le niveau des mers continuera en outre à s’élever pendant des siècles après 2100.
Le Legos estime que la mer pourrait être en 2100 en moyenne plus haute qu’aujourd’hui, dans une fourchette de 1m à 1m50. Ces estimations suggèrent que l’Antarctique, à elle seule, pourrait produire +1m d’élévation du niveau de la mer en 2100, avec une variabilité régionale qui se superpose à la hausse moyenne et amplifiera le phénomène d’environ 30 % dans un certain nombre de régions, par exemple les Tropiques.
Comme l’indique M. Jean Jouzel, climatologue, directeur de recherche émérite, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE), ancien membre du GIEC, au cours de son audition : « à très long terme, si un réchauffement important persistait, ce ne sont pas loin de 15 mètres d’élévation du niveau de la mer que l’on peut craindre. Et ce seront les émissions de ce siècle qui en décideront largement. Prenons le cas d’un scénario émetteur jusqu’en 2100. Même si cette période était suivie d’un arrêt total des émissions, les projections montrent que d’ici 10 000 ans, ce niveau pourrait augmenter d’une vingtaine de mètres ».
La baisse de salinité des océans est également souvent citée comme un des facteurs de causalité, même si nul ne se hasarde à établir des liens mécaniques définitifs entre la violence accrue d’un ouragan et la fonte des glaces polaires. Il serait sans nul doute contestable d’établir ainsi une causalité unique. Il est en outre frappant d’observer que, plus les modèles de compréhension du climat s’affinent, plus les prévisions scientifiques s’aggravent, le tout dans un contexte de nouvelle hausse des émissions mondiales de CO2.
Il est également certain que plus un événement se produit dans une zone fragile – que cette fragilité soit géographique, matérielle ou économique, qu’elle tienne au littoral lui-même ou aux constructions et aux infrastructures – plus son impact est fort et ses conséquences durables.
Ainsi, la dégradation de l’environnement est au rang des causes des événements climatiques majeurs, et joue un rôle certain dans leur impact. Le recul du trait de côte dans les zones dunaires expose davantage les habitations proches du littoral, et plus généralement les activités humaines, et menace l’économie côtière. Outre-mer, la fragilisation ou la diminution de la surface des mangroves, qui jouent le rôle d’un amortisseur naturel très puissant des événements climatiques, est également un facteur à prendre en compte. L’acidification des océans est souvent citée comme un facteur majeur de fragilisation des récifs coralliens, et, donc, rend à son tour les littoraux plus fragiles et plus sensibles à l’érosion. Cette multiplicité d’éléments explique donc, même si elle n’en est pas la cause première, que les conséquences des événements climatiques sur le littoral sont de plus en plus fortes. En toute hypothèse, la situation actuelle pose un véritable défi aux pouvoirs publics, mais aussi à tous les acteurs économiques. Ce défi n’est d’ailleurs pas national : un ouragan ne connaît pas de frontières.
Ce défi est donc d’abord posé au niveau mondial. La justice climatique ne peut que partir d’un constat : les risques climatiques produisent des effets amplifiés dans les zones les plus pauvres, qui sont les plus durement touchées : Haïti, la Dominique, Cuba, Porto Rico se situent dans des zones d’intense activité cyclonique. S’y ajoute le fait que l’économie de ces zones est souvent marquée par le poids d’un élément ou d’une production dominants, souvent le tourisme, les régions touchées ne pouvant s’appuyer sur une diversité d’activités économiques pour trouver les voies d’une reprise équilibrée.
La Dominique est ainsi particulièrement touchée. En 1979, le cyclone David ravage l’île. Du 24 au 29 août 2015, le passage du cyclone Erika y a détruit 900 habitations et engendré un coût estimé à la moitié du PNB du pays. Le 18 septembre 2017, alors que l’économie de l’île commençait à grand-peine à se redresser, le cyclone Maria, de catégorie 5, avec des vents de 260 kilomètres/heure, a fait au moins 33 morts et ravagé 70 % à 80 % de l’île. Le Premier ministre a alors pu déclarer « À ce stade, nous avons perdu tout ce qui pouvait être perdu ». Le même cyclone a fait deux morts en Guadeloupe et touché Porto Rico.
Madagascar a été frappée par le cyclone Enawo en mars 2017, avec un bilan de 50 morts et 300 000 sinistrés, beaucoup plus lourd que celui provoqué par Irma. Ce cyclone a ravagé les plantations de vanille, principale denrée exportée du pays, ce qui s’est traduit par une multiplication du prix par dix. Or, l’économie locale ne peut supporter cette raréfaction des exportations. Madagascar est le seul pays au monde où le revenu par habitant a régressé depuis 1960 : sur 25 millions d’habitants, trois quarts vivent sous le seuil de pauvreté.
Prenant un autre exemple, celui d’Haïti, régulièrement touché, Mme Catherine Meur-Ferec, professeure de l’Université de Bretagne Occidentale, en conclut également que la « vulnérabilité systémique » est une donnée particulièrement importante de l’incidence des catastrophes naturelles : leurs répercussions sur le littoral sont d’autant plus fortes et durables que l’organisation de la zone, son tissu économique et sa concentration d’activités présentent des faiblesses.
Les conséquences économiques des événements climatiques sont ainsi d’autant plus marquées qu’ils se produisent dans des pays dont les structures économiques, sanitaires, les réseaux de communication et d’énergie, les infrastructures sont fragiles. Les conséquences sont d’autant plus durables que la reconstruction y est entravée par la précarité économique. La justice climatique présente donc deux volets complémentaires : une part de l’effort doit se porter vers une justice préventive, et nous devons en outre trouver les voies et moyens d’une justice réparatrice. Mais les aspects préventifs se heurtent à d’autres logiques.
La concentration des populations sur les zones côtières, comme les conditions d’implantations d’habitat parfois lourdes de conséquences, sont autant de phénomènes qui ne peuvent qu’aggraver les conséquences des tempêtes, ouragans et cyclones. Alors, naturellement, il faut toujours développer la culture du risque et garder à l’esprit la probabilité de survenance d’un événement, fût-il exceptionnel, et la possibilité d’un enchaînement de catastrophes.
Ceci est d’autant plus vrai que la France est un pays fortement littoral : la France compte environ 19 200 kilomètres de côtes, dont 4 500 kilomètres pour la Polynésie et plus de 3 300 kilomètres en Nouvelle Calédonie, 720 kilomètres pour la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane et 460 kilomètres pour La Réunion.
Zone |
Longueur du trait de côte en km |
Manche Atlantique Méditerranée (dont Corse) Métropole |
1 759 2 400 1 694 688 5 853 |
Martinique Guadeloupe
St-Martin |
293 405 50 24 608 1 380 |
Source : SHOM.
Les mesures de protection, la veille scientifique, les dispositifs d’alerte ont naturellement un coût. Comme l’indique judicieusement M. Jean Marc Perès directeur adjoint, responsable du pôle santé de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) : « c’est un peu comme une assurance automobile : au fil des années, si on n’a pas d’accident, on se demande pourquoi on la paie. La préparation à la crise présente la même difficulté : à quoi bon s’y préparer si elle ne survient pas ? La capacité à s’adapter fait partie de la nature humaine, et si la raison d’être de la préparation à la crise n’est pas démontrée par un retour d’expérience au bout de quelques années, on a du mal à percevoir l’intérêt d’un tel investissement ».
M. Jacques Witkowski, lors de son audition, confirme que le bon usage de la planification large ne se situe pas lors de la crise, mais en amont de celui-ci : il faut s’y préparer le plus continûment et globalement possible pour parer aux incidences de l’événement, aléatoire et ponctuel. Nous ne pouvons nous en remettre à une croyance en la technique salvatrice, qui prévoirait tout, sécuriserait tout, ce qui conduit à devoir « agir dans un monde incertain » ([12]). La conscience du risque, mais aussi la mémoire des événements, la « culture du risque » sont indispensables.
Votre rapporteur a très fréquemment lu ou entendu, au cours des auditions comme dans les nombreuses rencontres, le mot « résilience » associé à un objectif à atteindre. Le présent rapport, au-delà de la sémantique, doit cependant s’interroger sur le sens profond du mot ([13]) : la résilience est-elle le retour à la situation antérieure, c’est-à-dire un objectif illusoire à atteindre après une catastrophe naturelle, ou ce qui permet de résister et se reconstruire après une telle catastrophe, ce qui impliquerait un état de préparation et de veille permanents, adapté à l’aléa ? Sans négliger la reconstruction, qui est au cœur du sujet, il convient surtout de mettre l’accent sur la résilience entendue comme un état de résistance à des événements graves et inéluctables. Comme l’indique justement notre collègue Justine Benin : « nous ne sommes plus des résignés réclamants, nous sommes des populations résilientes », cette réflexion a d’ailleurs vocation à largement s’appliquer à toutes les zones où le littoral est menacé.
Tout repose donc sur la constance de la force de préparation, invisible, pour tenter de faire face à la force, elle bien visible, des catastrophes climatiques.
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PREMIÈRE PARTIE : UN CONSTAT INCONTOURNABLE : L’AGGRAVATION DES RISQUES
Il est indéniable que les événements climatiques majeurs sont d’autant plus perturbateurs qu’ils se produisent dans un contexte de changements climatiques que nul n’ignore : la prise de conscience d’un risque aggravé, d’une dégradation perturbatrice, d’un déséquilibre accentué est de plus en plus répandue. On peut remarquer, par exemple, sa prise en compte progressive dans les stratégies des grandes entreprises et des investisseurs, comme dans les systèmes de notations financières et extra-financières ([14]).
L’évolution du climat affecte notre mode vie lui-même, notre système de production et de consommation, nos habitudes de transports, nos mentalités. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la COP 21 et l’accord de Paris ont, entre autres, permis une large prise de conscience sur le sujet, laissant apparaître que l’appropriation des questions climatiques ne peut être qu’un sujet partagé, et que, même si les liens de causalité ne sont ni mécaniques ni automatiques, il est certain que la dégradation de notre environnement joue un rôle dans l’ampleur et les conséquences des événements climatologiques. Il y aura 140 millions de réfugiés climatiques d’ici 30 ans, beaucoup d’entre eux du fait d’événements naturels.
I. LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE
L’article 8 de l’accord de Paris ([15]) vise à une meilleure prévention et prise en compte des événements météorologiques extrêmes ([16]). Cette prise en compte ne peut désormais qu’être mondialisée : le cadre étatique n’est pas le plus pertinent, en particulier pour l’organisation des secours d’urgence.
Si ces événements ne touchent que des endroits déterminés, c’est bien la solidarité d’ensemble de la planète et les incidences de l’implantation humaine qui sont en cause. On peut d’ailleurs, sans nuire au principe de laïcité, citer la prise en compte religieuse de ces phénomènes ([17]) comme preuve d’une prise de conscience de plus en plus marquée, qui dépasse la sphère des décisions politiques.
Or, la planète doit répondre à un défi désormais évident : les changements climatiques ont des conséquences certaines sur la montée du niveau des mers ou le développement erratique de certains phénomènes climatiques. De très nombreuses analyses fournissent des données permettant d’extrapoler les effets du réchauffement climatique, comme celui de l’institut de l’environnement de Stockholm (SEI) qui développe une modélisation précise ([18]) : « climate equity reference project » laquelle fait d’ailleurs apparaître que la France est en pointe dans la lutte contre les changements climatiques. C’est loin d’être le seul site à fournir des données fiables, disponibles et actualisées ; votre rapporteur a pu apprécier la pertinence et la précision des données scientifiques disponibles.
Pour autant, les facteurs de causalité et leur enchaînement sont toujours l’objet d’un débat public. La revue Nature a publié, le 13 juin 2018 une étude signée par 84 chercheurs de l’équipe IMBIE, acronyme anglais de l’« exercice de comparaison de la masse des calottes glaciaires ». Cette étude conclut que depuis 2012, le rythme de fonte de l’antarctique a fortement accéléré, passant de 76 milliards de tonnes à 219 milliards de tonnes par an. Entre 1992 et 2017, l’Antarctique aurait ainsi perdu 2 720 ± 1 390 milliards de tonnes de glace, ce qui correspond à une augmentation du niveau moyen de la mer de 7,6 ± 3,9 millimètres, supérieure aux 3 millimètres généralement retenus pas les interlocuteurs de votre rapporteur.
Obtenue par une combinaison d’observations satellitaires et de modélisation, l’évaluation de cette perte de masse de glace traduit une accélération du réchauffement, même si la marge d’incertitude est assez forte, et la causalité incertaine, en particulier l’intrusion d’eaux chaudes d’origine volcaniques sous la calotte glaciaire. Pour autant les conclusions de l’étude confortent le constat d’une élévation du niveau des mers, de façon continue.
Comme l’indique, au nom du Legos, Mme Anny Cazenave : « quelle que soit la trajectoire future des émissions de gaz à effet de serre, la mer continuera à monter au cours des prochaines décennies et même pendant plusieurs siècles à cause de la grande inertie thermique de l’océan et de la longue durée de vie des gaz à effet de serre déjà émis par les humains. Les simulations climatiques les plus récentes suggèrent qu’à l’horizon 2100, la mer devrait être en moyenne plus haute qu’aujourd’hui, dans une fourchette de 1m à 1m50, estimation plus haute de dans le 5ème rapport du GIEC publié en 2013. Ces nouvelles estimations se basent sur une modélisation plus réaliste de l’évolution future des calottes polaires et de leur comportement potentiellement instable. Elles suggèrent que l’Antarctique à elle seule pourrait produire +1m d’élévation du niveau de la mer en 2100. De plus, comme aujourd’hui, la hausse de la mer ne sera pas uniforme. Cette variabilité régionale qui se superpose à la hausse moyenne amplifiera le phénomène d’environ 30 % dans un certain nombre de régions, par exemple les Tropiques ».
Ce dérèglement climatique joue un rôle indéniable dans l’impact des événements climatiques, et sans doute leur ampleur. L’organisation météorologique mondiale a présenté au cours d’une plateforme qui s’est déroulée du 20 au 22 juin 2018 à Cartagena, les résultats d’une évaluation « Enseignements tirés des systèmes d’alerte précoce durant la saison des ouragans 2017 dans les Caraïbes ». Elle conclut que : « la saison des ouragans 2017 a été l’une des plus dévastatrices jamais observée dans les Caraïbes, faisant des centaines de victimes, détruisant des infrastructures et nuisant au développement socio-économique des régions les plus fortement touchées, telles qu’Anguilla, Antigua-et-Barbuda, la Dominique, Sint Maarten et Porto Rico » – alors que généralement c’est la partie française de Saint-Martin qui est présentée comme la plus dévastée – et plaide pour l’élaboration d’une stratégie régionale indispensable pour renforcer les systèmes d’alerte précoce, axés sur la population sur les différentes îles de la région, et la création d’un système de suivi des alertes, afin de vérifier la bonne réception et la bonne compréhension des avis. Cette proposition rejoint d’ailleurs certaines de celles formulées dans le présent rapport.
L’année 2017 aura donc eu au moins, comme effet positif, une prise de conscience, au niveau international, de l’ampleur des catastrophes climatiques et de leur inscription dans une dégradation générale des conditions environnementales, même si votre rapporteur répète qu’un lien systématique entre le réchauffement climatique et la fréquence ou l’ampleur des événements climatiques ne peut être établi, mais qu’un tel lien existe bien entre ces changements et l’intensité des événements exceptionnels, dont les conséquences sont notamment aggravées du fait de la fragilisation des façades maritimes.
L’importance de l’étendue de la façade littorale de la France fait donc apparaître le pays comme plus exposé que d’autres à de tels risques, et l’actualité témoigne des conséquences dramatiques de ces risques, notamment outre-mer.
Certes, et votre rapporteur en citera plusieurs exemples, les zones littorales ont toujours été exposées : l’histoire porte la trace régulière de nombreux cyclones, d’événements violents, de submersions comme celle de Lisbonne en 1755, restée célèbre grâce à Voltaire :
« Philosophes trompés qui criez : « Tout est bien » ;
Accourez, contemplez ces ruines affreuses,
Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses,
Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés,
Sous ces marbres rompus ces membres dispersés ;
Cent mille infortunés que la terre dévore. »
Loin de toute poésie, c’est aujourd’hui le constat des dégâts et le discours scientifique et opérationnel auquel les acteurs publics, les entreprises comme les habitants doivent être sensibles. Selon un scénario optimiste de réchauffement, la Fédération française de l’assurance (FFA) a établi les prévisions d’un doublement du coût de l’assurance du fait de l’évolution du climat. Mais, comme le précise M. Stéphane Pénet, au cours de son audition, 70 % de cette augmentation a pour cause l’augmentation du prix des biens, 10 % le déplacement du littoral et l’érosion côtière et 20 % seulement sont la conséquence du réchauffement climatique.
Les effets combinés de l’explosion démographique, des implantations précaires sur le littoral, plus généralement de la sur occupation des zones de rivages maritimes, des changements climatiques, renouvellent donc les risques climatiques et amplifient ses conséquences. Les progrès de la prévision, qu’elle soit scientifique, ou, comme on vient de le voir, financière, sont indéniables. Pour autant, les risques qu’ils tracent sont d’autant plus insupportables pour nos concitoyens confrontés à un aléa, qu’il est facile d’oublier tant qu’il ne se réalise pas.
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II. des perspectives inquiÉtantes : une vulnÉrabilitÉ littorale accrue face au changement climatique
D’une manière générale, votre Rapporteur doit souligner que les données scientifiques exploitables sont de plus en plus fiables. Les sources, diverses : mesures au sol, observations satellitaires, contrôles radar, références historiques, etc. se complètent plus qu’elles ne se contredisent.
A. Une fiabilitÉ des donnÉes de plus en plus affinÉe
1. Des observations multiples mais convergentes
a. Des organismes performants, des prévisions fiables
On ne peut d’emblée que souligner la grande diversité des organismes scientifiques compétents, à un titre ou à un autre, en matière de mesure et de prévention des risques climatiques. Mais cette diversité est source non de divergences, mais au contraire d’un progrès dans la fiabilité des observations. M. Éric Guilyardi, Directeur de recherches au CNRS ([19]), auditionné par la mission, a souligné la nécessité de combiner les différents instruments d’observation, à la fois satellitaires et in situ, et d’intégrer l’ensemble des mesures réalisées. La compréhension de l’évolution des littoraux est encore très insuffisante or, le besoin de connaissance doit être satisfait, compte tenu des concentrations humaines en bord de mer.
Météo France est naturellement le premier acteur qui doit être cité. Il convient tout d’abord de souligner que pour votre rapporteur, ce service public remplit de manière très satisfaisante sa mission d’information « en temps et heure » du public. La facilité d’accès, l’ergonomie, la clarté et la rapidité de l’information fournie ([20]) ne souffrent guère le débat.
L’établissement public a pour mission d’exercer les attributions de l’État en matière de sécurité météorologique des personnes et des biens, et donc de répondre aux besoins des services de la sécurité civile, de la prévention des risques majeurs et de la sûreté nucléaire. Météo France exerce auprès de ces services un « rôle d’expertise dans les domaines de sa compétence » aux termes du décret (n° 93-861) du 18 juin 1993 modifié portant création de l’établissement public. Conformément au code de la sécurité intérieure, Météo-France est en charge de fournir les éléments météorologiques pour permettre aux services des préfectures de diffuser l’alerte vers les collectivités locales.
Météo-France est donc l’opérateur de l’État en matière d’informations et de données météorologiques, qu’il a pour mission d’observer et de restituer ([21]). Il exerce pour ce faire une veille permanente, en métropole comme en outre-mer. Cette veille implique la présence constante des techniciens et ingénieurs chargés de maintenir les systèmes d’observation et de prévision numérique, d’analyser sans délai les données produites et d’alerter les autorités locales et nationales. Cette veille comprend également des cadres de permanence en astreinte à même d’assurer la gestion des situations de crise.
Météo-France est en contact avec les services de la sécurité civile au niveau central : le centre national de prévision est en relation constante avec le centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), et les sept directions interrégionales de Météo-France sont en relation avec les Centres opérationnels des zones de défense. Au niveau des départements, les correspondants de chaque département sont joignables par les Centres opérationnels. Ces correspondants sont, selon les cas, situés au sein des directions interrégionales ou de centres météo spécialisés.
En cohérence avec la stratégie nationale d’adaptation au changement climatique, Météo-France offre également une grille d’analyse afin de permettre aux collectivités, aux décideurs publics et privés de tenir compte de l’évolution du climat dans leurs choix ayant des effets à long terme, en matière d’urbanisme, d’aménagement du territoire ou de systèmes de transport.
En conclusion, s’agissant de ces missions et des moyens dont dispose Météo-France, votre rapporteur ne peut que souligner la qualité du service rendu mais aussi sa fiabilité. En moyenne, la qualité de la prévision a progressé d’une journée tous les dix ans avec, aujourd’hui, une prévision à cinq jours de bonne qualité et des résultats significatifs au moins jusqu’à dix jours. Cependant, il n’est évidemment pas possible d’observer précisément l’atmosphère dans toutes ses dimensions, à toutes ses échelles de temps et d’espace. Cet état de fait contribue aux erreurs de prévision.
Votre rapporteur souligne ici une nouvelle fois, comme il l’a fait en 2018 et 2019 dans ses rapports pour avis sur les projets de loi de finances pour 2018 et 2019 ([22]), l’enjeu que constitue le remplacement du supercalculateur de Météo‑France. Votre rapporteur a ainsi défendu, le 5 novembre dernier, un amendement au projet de loi de finances pour 2019, qui n’a pas été adopté, visant à augmenter de cinq millions d’euros les crédits de Météo-France, pour permettre de couvrir en 2019 le coût du lancement de l’acquisition de ce nouveau supercalculateur (le projet de loi de finances ayant déjà engagé une mesure nouvelle à cet effet à hauteur de 5 millions d’euros, pour un coût estimé de 10 millions d’euros en 2019, et un coût total évalué à 144 millions d’euros). Le nouveau supercalculateur est indispensable à l’expertise de l’opérateur et lui permettra de multiplier par cinq sa puissance de calcul. Le retour sur investissement de cet équipement pour l’ensemble de la collectivité, en termes de dommages aux biens et aux personnes évités notamment, est estimé à 12 euros pour 1 euro investi, et conditionne le maintien du positionnement de cet opérateur stratégique au plan mondial ainsi que la qualité de la recherche, des prévisions et de la veille.
Quelles que soient les améliorations de la fiabilité des prévisions, il convient également de tenir compte d’évolutions erratiques de certains événements, comme celle qui a concerné Irma.
Il a parfois été avancé que s’agissant des Antilles, on pouvait identifier des manques et que Météo-France reprend, pour cette zone les données provenant du National Hurricane Center, centre météorologique de Miami (Floride) ([23]).
S’agissant de manques techniques, le présent rapport entend dresser un état aussi précis que possible. S’agissant de la répartition zonale de la surveillance météo, votre rapporteur constate, d’une part, que, si effectivement le centre de Miami est le premier fournisseur d’informations de la zone Antilles, les services de Météo-France les enrichissent et que, d’autre part, Météo-France joue dans toute la zone de La Réunion le rôle de premier informateur, la répartition des tâches étant équilibrée au niveau mondial.
Au final, votre rapporteur a rencontré des services performants et des personnes particulièrement motivées, parfois matériellement gênées en temps de crise par l’afflux de demandes ou de présences médiatiques, comme ce fut le cas du centre de Pointe-à-Pitre lors de la gestion d’Irma. S’il est normal que les medias puissent aller à la source de l’information, il n’est pas pour autant logique qu’ils puissent, même involontairement, gêner l’activité de Météo-France par une présence dans les locaux.
Il convient donc que les préfectures désignent des interlocuteurs uniques, par exemple, soit un, et un seul, porte-parole identifié au sein des services de Météo France, soit un relais au sein des centres opérationnels départementaux (COD) des préfectures, lesquels centres canalisent par ailleurs l’information générale en temps de crise.
Les moyens de Météo-France sont complétés par l’observation satellitaire, dont votre rapporteur donnera un exemple illustré infra. Celle-ci est largement gérée par le Centre national d’études spatiales (CNES), qui a signé avec Météo‑France un accord de coopération en mai 2017, et dont l’activité en matière de phénomènes climatiques a été précisément décrite par les réponses, ci-dessous, fournies par le Centre à la mission et par l’audition de son Président, M. Jean‑Yves le Gall, par la mission.
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1. Quels sont les principaux apports de l’analyse spatiale à l’étude des phénomènes climatiques majeurs en zone littorale ? Le spatial apporte à la modélisation, qu’elle soit immédiate, saisonnière ou climatique, les observations essentielles auxquelles elle s’ajuste, soit comme contraintes dans les prévisions (processus d’assimilation), soit en sortie de celles-ci pour valider ses résultats. Ceci est particulièrement vrai pour des événements extrêmes statistiquement rares, difficiles à prévoir, et mal documentés in situ du fait de leur dangerosité. Un grand nombre de variables pertinentes pour l’étude de ces phénomènes sont accessibles depuis l’espace.
En complément des satellites météorologiques qui mesurent opérationnellement la température de surface de la mer, la vitesse du vent, la hauteur de la mer, déjà pris en compte par les modèles opérationnels, d’autres observations sont apportées par les satellites. En particulier : le suivi des trajectoires et des systèmes convectifs à large échelle par imagerie radar Sentinel 1 et radiométrie micro-ondes (Megha-Tropiques CNES/ISRO) la vitesse des vents extrêmes (Copernicus-Sentinel 1 et radiomètres ESA-CNES SMOS) spectres de vagues Sentinel 1. La mission CFOSAT (coopération du CNES avec la Chine) qui sera lancée en fin d’année apportera des mesures nouvelles sur les états de mer (vent, vagues).
L’assimilation de ces observations dans les modèles de dernière génération, couplant l’atmosphère et l’océan à haute résolution montre des améliorations significatives en terme de hauteur de vagues (+15 %) et amélioration de la prévision de trajectoire. Par ailleurs l’imagerie optique à haute résolution (Pléiades) ou Sentinel 2 couplé à la modélisation permet de réaliser un suivi des côtes littoral et d’appréhender leur vulnérabilité ainsi que les processus d’érosion.
2. En quoi les satellites ont-ils notamment révolutionné l’océanographie (connaissances sur la circulation océanique, les courants, les vents de surface et les vagues, la fonte des glaces du Groenland et l’élévation du niveau des mers résultant du réchauffement climatique avec les satellites altimétriques) ?
Les océans étant des zones inhospitalières et difficiles d’accès, seuls les satellites peuvent apporter la couverture globale et régulière nécessaire à leur connaissance. Parmi les différentes mesures satellites qui sont utiles à cette connaissance (altimétrie, température de surface, salinité de surface, vent de surface, couleur de l’eau en particulier) l’altimétrie joue un rôle particulier. En effet toute variation en profondeur (sur le profil thermique, le profil de salinité ou des courants) entraîne une variation en surface du niveau des océans qui peut ainsi être détectée depuis l’espace.
Le développement de cette technique de mesure a été ainsi associé à la naissance d’une nouvelle discipline, l’océanographie opérationnelle qui consiste à élaborer une analyse continue et une prévision de l’état physique (courants, température, salinité) tridimensionnel de l’océan. Ceci se fait par assimilation dans un modèle de l’ensemble des observations disponibles spatiales et in situ, de façon analogue à la prévision météorologique pour l’atmosphère. Ce service est étendu à la connaissance de l’état biologique de l’océan (plancton) et à la connaissance des états de mer.
La France a joué un rôle de premier plan dans cette innovation majeure de par sa contribution à l’ensemble des missions altimétriques opérationnelles dans le monde (en coopération avec les USA, l’Europe, l’Inde et la Chine), et de par la création de la société Mercator Océan qui est aujourd’hui responsable du service Européen d’analyse et de prévision de l’environnement marin dans le cadre du programme Copernicus de l’Union Européenne.
De plus cette mesure altimétrique permet, grâce à ses caractéristiques de couverture et de précision absolue de suivre l’évolution du niveau moyen des océans qui est un des principaux indicateurs du changement global du climat de notre planète. Il reflète à la fois le réchauffement des océans et les échanges de masse d’eau entre continents et océans, du fait en particulier de la fonte des glaciers.
3. Quelles sont les limites à l’observation des phénomènes cycloniques par la voie satellitaire ? Préciser les difficultés à analyser certains vents par exemple. La principale limitation actuelle des satellites est liée à l’accessibilité et à la revisite. Avec 2 satellites en orbite et une agilité de pointage, l’imagerie haute résolution Pléiades offre une revisite de 24 heures avec un préavis d’au moins 12 heures, mais avec un champ de vue perpendiculairement à la trace au sol limité à 20 km et masqué par la couverture nuageuse. Il interviendra donc plutôt après l’événement pour en évaluer l’impact. Très complémentaire, l’imagerie radar Copernicus Sentinel 1 apporte une vision tout temps, jour et nuit avec une résolution de 50 m et une fauchée de 400 km et pourra donc être utile pendant l’événement. Par contre la mission n’a pas été conçue avec une boucle de programmation courte et de ce fait le nombre d’images de cyclones disponible est encore très faible. La demande des scientifiques (IFREMER/LOPS/LACy) et des centres opérationnels en temps réel (Météo France Centre des Cyclones Tropicaux de La Réunion WMO/RSMC for the South-West Indian Ocean) peine à être satisfaite par les instances européennes.
Or, en particulier grâce à la mission SMOS (ESA/CNES), de nouvelles voies s’ouvrent pour la mesure des vents extrêmes par imagerie radar mais requièrent un jeu d’observations plus conséquent que celui disponible actuellement, du fait de l’absence de mesures de terrain dans ces situations hasardeuses.
L’enjeu est à la fois une meilleure prévision immédiate des trajectoires des cyclones, essentielles à la protection des populations et l’amélioration des produits vents actuels ou pour la prochaine génération des missions opérationnelles météorologiques (Metop-SG, EUMETSAT).
Source : CNES, réponses écrites aux questions adressées par la mission d’information.
En conclusion sur ce point, votre rapporteur a pu constater que le CNES incarne toujours l’excellence française en matière spatiale, et que cette position est largement sollicitée en matière d’observation météo. Les données obtenues permettent, non seulement une meilleure prévisibilité des événements, mais fournissent également une aide à la reconstruction. S’agissant de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, les pouvoirs publics ont souhaité bénéficier de prises de vue en 2018, 2019 et 2020, afin d’alimenter les équipes techniques en charge des risques, de l’aménagement et des ressources naturelles. La Délégation interministérielle a activé le service Copernicus « EMS Risk and Recovery Mapping » afin d’obtenir des cartographies régulières de l’état du bâti et des zones de stockage de gravats, épaves et des décharges. Celles-ci s’appuient sur les acquisitions d’images Pléiades planifiées par le CNES dès la mi-septembre 2017.
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Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) est un établissement public créé en 2014, par fusion d’une dizaine d’organismes antérieurs. L’objectif de prévention des risques est inscrit dans le décret constitutif de l’établissement (n° 2013-1 273) du 27 décembre 2013, lequel doit notamment « contribuer, en lien étroit avec les collectivités territoriales, à la connaissance des territoires et des espaces maritimes ainsi qu’à la réflexion prospective sur les enjeux et les risques auxquels ceux-ci sont exposés ». Trois objectifs en lien avec les risques sont inscrits dans le projet stratégique qui couvre la période 2015-2020 :
– apporter aux acteurs des territoires une vision intégrée de l’ensemble des risques naturels et technologiques à prendre en compte dans leurs projets ;
– contribuer aux nécessaires adaptations des politiques publiques nationales et européennes de prévention des risques ;
– développer, avec les établissements partenaires, les plateformes et les expérimentations sur les risques et la gestion de crise.
Le Cerema participe aux différentes phases de la prévention et de la gestion des risques climatiques, et plus généralement des risques naturels : amélioration des connaissances, intégration des risques dans les politiques publiques, normalisation, certification, réduction de la vulnérabilité des territoires, dimensionnement, appui au contrôle, inspection des dispositifs de protection, prévention, expertise et appui à la gestion de crise, retours des expériences post-catastrophe, etc. Le Cerema gère les données de houles des vingt-cinq stations du réseau Candhis (centre d’archivage national des données de houle in situ). Ces données sont utilisées pour élaborer les plans de prévention des risques naturels majeurs (PPRN), reconnaître les états de catastrophe naturelle, et, plus généralement, suivre l’évolution du climat et de son impact sur le littoral.
Il a récemment diffusé un indicateur national de recul du trait de côte ([24]) et une estimation du nombre de logements susceptibles d’être menacés par ce recul. Trois départements de métropole, avec chacun environ un peu plus de 5 km² de terres perdues en 50 ans, concentrent la moitié de la perte de surface totale : il s’agit de la Gironde (recul quasi-généralisé de la côte sableuse), de la Charente-Maritime (recul au sud-ouest de l’île d’Oléron et au niveau de la Tremblade) et des Bouches-du-Rhône (recul particulièrement marqué en Camargue).
Si le Cerema ne saurait prétendre à l’exclusivité de la compétence en matière de recul du trait de côte, où un nombre important de travaux scientifiques existent, comme ceux du GIP littoral aquitain, votre rapporteur souligne la qualité des productions du centre qui a récemment publié un guide de la Gemapi (voir infra) ou une étude sur le coût de protection des aléas littoraux.
Le Cerema a dépêché une mission à Saint-Martin pour cartographier les submersions marines générées par Irma. Quatre experts du Cerema se sont rendus à Saint-Martin du 6 au 15 octobre 2017 pour réaliser cette mission d’expertise à la demande du ministère de la transition écologique. L’objectif de cette mission était de produire une carte des hauteurs de submersions marines et des érosions du littoral à Saint-Martin.
Par ailleurs, il produit des études statistiques sur ses propres données d’états de mer et sur les données de niveaux en liaison avec le service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM) et mène des travaux de modélisation (modélisations estuariennes et littorales, fluviales, cartographie de territoires à risques, etc.). Le Cerema a développé une application pour smartphones, « Rivages », qui permet de relever la position du trait de côte sur les plages ([25]).
L’ambition et la diversité de ces objectifs et de ces travaux contrastent avec la situation budgétaire de l’établissement. Il semble que depuis sa création, pourtant récente, l’évolution des missions et de la structure administrative de l’établissement public ne soit pas en adéquation avec l’évolution de ses moyens. Les crédits sont inscrits au sein du programme 159 de la mission Écologie, développement et mobilités durables, la subvention pour charges de service public est régulièrement en baisse.
Comme le soulignait votre rapporteur dans son avis budgétaire sur les crédits des programmes 113 et 159 de la mission Écologie dans le projet de loi de finances pour 2019 ([26]), « la subvention pour charges de service public du Cerema est de nouveau en baisse en 2019 : elle passe ainsi de 206 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2018 à 201,4 millions d’euros (–2,25 %). Les ressources propres de l’établissement s’élèvent à 30 millions d’euros en 2018. Leur développement demeure une des priorités des prochaines années. Elles devraient atteindre 32 millions d’euros en 2019.
Comme les années précédentes, l’objectif a été en 2018 de prioriser les dépenses d’investissement et de limiter les dépenses de fonctionnement. L’établissement doit en effet impérativement renouveler ses matériels de production, indispensables à ses travaux.
L’effort de maîtrise des dépenses se traduit également par le rythme de réduction des ETPT sous plafond qui diminueraient à 2 695, contre 2 796 en 2018 (2 899 en 2017 et 2 979 en 2016). Votre rapporteur pour avis souligne une nouvelle fois les difficultés de l’établissement à faire face au rythme des baisses d’emplois ».
évolution du plafond d’emplois du cerema
Années |
Plafonds d’emplois en ETPT |
2014 |
3 155 |
2015 |
3 152 |
2016 |
3 024 |
2017 |
2 899 |
2018 |
2 796 |
2019 |
2 695 |
Source : Annexes aux projets de loi de finances, bleus budgétaires.
Refusant une nouvelle réduction de crédits de 5 millions d’euros, le maire de Saint Étienne, M. Gaël Perdriau, qui présidant l’établissement en a démissionné le 4 octobre 2017, suivi par le directeur général en décembre 2017. Le 27 avril 2018, M. Pascal Bertaud a été nommé directeur général. La présidence a été ensuite assurée par Patricia Blanc, ancienne directrice générale de la prévention des risques puis, depuis le 13 juillet 2018 par Pierre Jarlier, maire de Saint Flour, qui avait déjà occupé ces fonctions en 2014.
La situation de gouvernance d’ensemble du CEREMA apparaît donc tendue, les démissions ou les successions rapides ont pour cause les restrictions budgétaires.
Pour autant l’audition du CEREMA, en tome annexe au présent rapport, fait apparaître que l’établissement public poursuit ses missions sans mettre en avant de telles difficultés. Le projet de fermeture de la direction territoriale d’île de France, envisagé en octobre 2017, a été abandonné ([27]).
Votre rapporteur souhaite qu’une cartographie générale du risque en milieu littoral soit rendue opposable, notamment pour juger du risque de fragilisation des zones côtières, des risques de recul du trait de côte ([28]) et pour permettre un meilleur établissement et une meilleure révision des PPRN. Or, le CEREMA, s’il peut s’appuyer sur les réalisations de l’IGN ([29]) ou sur ceux du GIP Aquitaine, jouerait un rôle majeur dans l’élaboration de cette cartographie. Il convient donc d’être particulièrement attentif au maintien de moyens suffisants au CEREMA.
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Créé en 1959, sous forme d’EPIC, le Bureau d’études géologiques et minières (BRGM) est plutôt connu au titre de ses activités de contrôle et de sécurité minière, ou pour ses actions scientifiques en matière de connaissance géologique et de compréhension des phénomènes liés au sol et au sous-sol. Depuis 2006, il exerce au nom de l’État la surveillance et les actions de prévention des pollutions et des risques des anciens sites miniers. Le BRGM est, par exemple, maître d’ouvrage délégué pour les travaux de mise en sécurité.
Pour autant, il joue un rôle essentiel en matière de risques naturels majeurs. Il est ainsi très impliqué dans la connaissance et la gestion des risques côtiers, dans le contexte du changement climatique. Il intervient également dans le suivi du trait de côte au travers d’Observatoires du littoral en Métropole et Outre-mer. Dans le domaine du littoral, le BRGM mène des actions de recherche et d’expertise sur les risques côtiers, aux échelles événementielles comme pluriannuelles, locales comme globales, portant sur l’évolution du trait de côte ou la submersion marine des zones côtières, qu’elle soit d’origine hydrométéorologique, comme les tempêtes et cyclones, ou bien induite par les tsunamis.
Le BRGM analyse aussi les conséquences des changements globaux, comme l’élévation du niveau de la mer ou les modifications des climats de vagues. En particulier, il développe des actions de modélisation des niveaux d’eau, depuis le large jusqu’à la côte, des courants et des vagues lors d’événements météorologiques intenses, de tsunamis, depuis leur genèse jusqu’à leur déferlement jusqu’aux côtes. Il est à l’origine d’une base de données « tsunamis » référençant l’histoire et les caractéristiques des tsunamis observés en France. Il analyse également l’évolution du trait de côte, la vulnérabilité des milieux physiques et les enjeux environnementaux, économiques et humains et dresse une cartographie des risques.
À titre d’exemple, le BRGM mène actuellement une étude prospective sur la prise en compte de l’élévation du niveau de la mer sur l’estimation du recul du trait de côte.
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Créé en 1988 par l’ONU, le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC), dont la mission a auditionné les experts français, a pour fonction d’étudier les risques climatiques qu’encourent les pays en voie de développement comme les pays développés. Le rôle du GIEC est “d’expertiser l’information scientifique, technique et socio-économique qui concerne le risque de changement climatique provoqué par l’homme”. Il est donc au cœur du sujet de la mission.
L’organisme a été fondé par deux institutions de l’ONU : l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). Créée en 1950, l’Organisation Météorologie Mondiale (OMM-WMO) est devenue en 1951 une institution des Nations Unies spécialisée dans la météorologie, l’hydrologie opérationnelle et les sciences géophysiques connexes, pour tout ce qui concerne l’état et le comportement de l’atmosphère terrestre, son interaction avec les océans, le climat et la répartition des ressources en eau. Elle compte 189 États et territoires membres. Elle a également pour mission de fédérer des recherches au niveau international.
Le GIEC, qui mène ses travaux sous l’égide de l’OMM, compte 195 membres. Chaque gouvernement dispose d’un point focal national. En France, cette mission est dévolue à l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC).
Le GIEC n’est pas en lui-même un laboratoire de recherche : il collecte des travaux scientifiques menés dans le monde entier, les contredit et les synthétise, et élabore des stratégies pour permettre aux sociétés d’éviter ou de s’adapter aux conséquences des changements climatiques.
Le GIEC fonctionne en trois groupes :
– le groupe 1 travaille sur les principes physiques et environnementaux de l’évolution du climat ;
– le groupe 2 a pour mission d’identifier les conséquences probables du changement climatique sur nos sociétés ;
– le groupe 3 recherche les moyens de minimiser les risques du changement climatique.
À l’appui de son audition, Mme Valérie Masson–Delmotte, paléoclimatologue, membre du bureau du GIEC, co-présidente du groupe de travail n° 1 du GIEC, a rappelé les principaux travaux à venir, menés dans le cadre du 6ème cycle d’évaluation.
TRAVAUX DU GIEC
Un rapport spécial est paru en octobre 2018 sur les impacts de 1,5 °C de réchauffement au-dessus du niveau pré-industriel, et les trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre associées, dans le contexte du renforcement de la réponse globale aux menaces du changement climatique, du développement durable, et des efforts pour éradiquer la pauvreté. Ce rapport, demandé par la COP21, constitue l’information scientifique pour le dialogue de Talanoa de la COP24, en décembre 2018. Il est préparé de manière transverse aux 3 groupes de travail du GIEC, ce qui est une première. Il comporte une évaluation du changement de risques pour 0,5 °C de plus par rapport à aujourd’hui et aussi les risques évités par rapport à un réchauffement de 2 °C ou davantage, y compris pour les événements extrêmes.
En préparation pour 2019, un rapport spécial portera sur le changement climatique et l’usage des terres qui intègre la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres. Le dernier chapitre porte sur les risques et les options de gestion des risques, dans le contexte du développement durable.
Également en préparation pour 2019, un rapport spécial portera sur les océans et la cryosphère dans un climat qui change. Ce rapport est préparé entre les groupes de travail I et II et porte sur les mécanismes des changements et leurs implications pour les océans et les zones enneigées et englacées, les écosystèmes et les populations qui en dépendent, et les options pour renforcer leur résilience. Ce rapport comporte entre autres un chapitre sur la montée du niveau des mers et les zones et communautés littorales, un chapitre sur les océans et écosystèmes marins et les communautés qui en dépendent, et un chapitre sur les risques associés aux événements extrêmes et abrupts ainsi qu’un encadré transverse dédié aux îles et aux régions côtières de faible altitude, portant en particulier sur les risques en cascade.
La préparation des rapports des 3 groupes de travail a débuté en juin 2018. Le rapport du groupe 1 comportera 12 chapitres, en particulier sur le cycle hydrologique ; sur les océans, la cryosphère et la montée du niveau des mers ; sur l’information climatique régionale, y compris pour les petites îles et les littoraux ; un chapitre sur les événements extrêmes météorologiques et climatiques, y compris les événements extrêmes composites et les cyclones tropicaux ; et sur l’information climatique pour l’évaluation des impacts régionaux et des risques, en relation avec le niveau de réchauffement global et les scénarios socio-économiques.
Le rapport du groupe 2 comprendra des chapitres dédiés à différents secteurs et à différentes régions, dont les petites îles.
Le GIEC a organisé une conférence scientifique internationale sur les villes et les sciences du changement climatique, pour susciter la production et la publication de nouvelles connaissances, dans l’optique d’un rapport spécial sur cette thématique après 2023.
Ce cycle du GIEC permettra donc de fournir régulièrement une évaluation de l’état des connaissances.
Certains des interlocuteurs de votre mission ont suggéré de faire porter l’analyse du GIEC à un niveau plus régional.
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Il existe également de nombreux laboratoires universitaires, dont le Laboratoire d’Études en géophysique et océanographie Spatiales (LEGOS), laboratoire mixte de recherche, sous une quadruple tutelle comprenant le CNES, le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS, Département des Sciences de l’Univers), l’Institut de Recherche pour le Développement et l’Université Paul Sabatier de Toulouse. Il est un des six laboratoires de l’Observatoire Midi-Pyrénées, dont les recherches couvrent l’ensemble des sciences de l’univers. Le LEGOS regroupe environ 115 personnes : 46 chercheurs, 26 personnels Ingénieurs, techniciens et personnels administratifs (ITA), et 44 doctorants ou contractuels post-doctorants, ainsi que des stagiaires ou autres contractuels.
Les recherches menées au LEGOS concernent l’étude de l’environnement terrestre, centrée sur la physique océanique hauturière et côtière, la biogéochimie marine, l’hydrologie continentale et la dynamique des calottes polaires. Ces recherches utilisent comme outil d’observation privilégié la télédétection spatiale, principalement les missions d’altimétrie spatiale développées par le CNES, la NASA, et l’Agence Spatiale Européenne, mais aussi les mesures in situ et la simulation numérique. Le LEGOS consacre des travaux à l’élévation du niveau des mers et à son lien avec le changement climatique actuel. Cette recherche inclut la mesure de la hausse actuelle de la mer par altimétrie satellitaire et l’étude des causes de cette élévation. Des collaborations sur ce thème existent avec Metéo-France, l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL) et la société MERCATOR-Océan ([30]), pour la comparaison des observations avec les simulations climatiques et les modèles de circulation générale océanique, avec le BRGM pour l’étude des impacts de la hausse de la mer sur les zones côtières, ainsi qu’avec de nombreux laboratoires étrangers menant des recherches sur le climat.
L’IPSL a été créé en 1995 et regroupe neuf laboratoires. Ses principaux objectifs sont de comprendre les processus dynamiques, chimiques et biologiques à l’œuvre dans les océans et dans l’atmosphère et les processus d’échange de matière et d’énergie entre l’atmosphère, les océans, et la biosphère, et en particulier comprendre les cycles de l’eau et du carbone ; de comprendre la variabilité naturelle du climat aux échelles régionale et globale, et l’évolution passée et future de notre planète ; de comprendre les impacts des activités humaines sur la couche d’ozone et sur le climat et de prédire l’évolution du climat.
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L’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC) a pour mission de collecter un ensemble d’indicateurs représentatifs des effets du changement climatique sur le territoire national, et de contribuer à diffuser les connaissances les plus récentes sur les impacts du changement climatique, en lien avec la communauté scientifique et en s’appuyant sur les travaux du GIEC, d’élaborer et de mettre en œuvre la stratégie nationale d’adaptation au changement climatique, notamment à travers les plans nationaux d’adaptation au changement climatique, dont le 2ème est en cours de finalisation. Concernant le littoral, les indicateurs suivis sont le niveau moyen global de la mer ainsi que la température et la salinité de la surface de la mer dans certains territoires outre-mer. Ces indicateurs sont produits par la communauté scientifique et mis à jour en fonction de l’avancement de leurs travaux.
L’ONERC a commandé à un groupe de scientifiques piloté par M. Jean Jouzel une série de rapports « Le climat de la France au XXIe siècle » dont le volume 5, paru en 2014, était intitulé Changement climatique et niveau de la mer : de la planète aux côtes françaises, et dont ce dernier a rappelé les conclusions lors de son audition par la mission. Une synthèse a fait l’objet du rapport annuel de l’ONERC au Premier Ministre et au Parlement, publié en 2015 et présenté en octobre 2015 à l’Association Nationale des Élus du Littoral (ANEL).
L’ONERC a contribué au financement de certains projets de recherche, dans le cadre du programme de recherche « Gestion des Impacts du Changement Climatique » du ministère. L’un des plus récents a porté sur la détection et l’attribution des impacts du changement climatique sur les événements extrêmes. Même si aucun de ces événements ne portait directement sur les cyclones tropicaux, les méthodes développées pourront servir à l’avenir à qualifier dans quelle mesure les cyclones exceptionnels ont pu être favorisés par le changement climatique.
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L’Observatoire national des risques naturels ([31]) (ONRN) a été créé suite à la tempête Xynthia, par la signature, le 3 mai 2012 d’une convention entre le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, la Caisse centrale de réassurance et la Mission des sociétés d’assurances pour la connaissance et la prévention des risques naturels (MRN, association entre la FFSA et le GEMA). Cette convention a été reconduite le premier juillet 2014. L’objectif de l’Observatoire est de contribuer à l’amélioration de la culture du risque, en liaison avec le monde économique et assurantiel. Depuis mars 2013, l’ONRN dispose d’un site dont l’objet est de permettre à tous, professionnels et particuliers, un accès facile aux données relatives aux risques naturels produites par les organismes œuvrant en France pour une meilleure connaissance de ces phénomènes et de leurs impacts.
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Enfin, mais la liste n’est pas exhaustive, le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) est un établissement public administratif sous la tutelle du ministère des Armées. Il a pour mission de connaître l’environnement physique marin dans ses relations avec l’atmosphère, avec les fonds marins et les zones littorales, d’en prévoir l’évolution et d’assurer la diffusion des informations correspondantes. L’exercice de cette mission se traduit par trois activités primordiales :
• l’hydrographie nationale, pour satisfaire les besoins de la navigation de surface, dans les eaux sous juridiction française et dans les zones placées sous la responsabilité cartographique de la France ;
• le soutien de la défense, caractérisé par l’expertise apportée par le SHOM dans les domaines hydro-océanographiques à la direction générale de l’armement et par ses capacités de soutien opérationnel des forces ;
• le soutien aux politiques publiques de la mer et du littoral, par lequel le SHOM valorise ses données patrimoniales et son expertise en les mettant à la disposition des pouvoirs publics, et plus généralement de tous les acteurs de la mer et du littoral.
En particulier, le SHOM, assure l’entretien d’un réseau de 48 marégraphes pour un coût annuel de 550 000 €.
Votre rapporteur constate que cette multiplicité d’acteurs ne pose pas de problèmes en termes de coordination : ces acteurs ont pris spontanément l’habitude de travailler ensemble, de se concerter, d’échanger données et expériences. La question a été posée, au cours des auditions, du risque d’appréciations disparates ou contraires qu’entraîne une telle multiplicité d’organismes et d’acteurs. Un consensus scientifique est en effet d’autant plus difficile à établir que le nombre et l’autorité des intervenants sont divers. Pourtant cette diversité est un facteur de richesse plus que de dispersion.
D’une part, votre rapporteur a pu constater à quel point les équipes de recherche ne sont pas cloisonnées : la communauté scientifique dialogue de manière permanente, de manière informelle, par le biais de colloques ou de publications communes. Il n’y a pas de « rivalité d’appropriation » entre les structures scientifiques ou universitaires.
D’autre part, il y a une tutelle ministérielle unique, quelle que soit l’implication du ministre chargé des outre mers. La coordination est assurée par l’administration centrale ; la direction générale de la prévention des risques assure la tutelle de l’ensemble des opérateurs, la politique des risques étant liée à des politiques d’aménagement : la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte est ainsi pilotée, au sein du même ministère, par la direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature.
Le dix-septième congrès météorologique mondial, mené sous l’égide de l’OMM en mai 2015, a approuvé un plan stratégique pour la période 2016-2019 qui a décidé de développer un programme de recherche « PROVIA » sur les incidences des changements climatiques et la vulnérabilité et l’adaptation à ces changements, dans lequel la coordination entre chercheurs tient une place essentielle, développant les axes suivants :
Pogramme PROVIA
a) Instaurer et maintenir un dialogue actif entre les chercheurs, les décideurs et les autres parties prenantes qui s’intéressent aux incidences des changements climatiques ainsi qu’à la vulnérabilité et à l’adaptation à ces changements ;
b) Promouvoir la communication entre les chercheurs qui s’intéressent aux enjeux précités et les bénéficiaires du Programme en créant un lieu d’échange des derniers résultats de la recherche, en encourageant la coopération face à certains défis qui se posent en matière de recherche, et en servant de cadre de concertation pour améliorer la pertinence de la recherche ;
c) Déceler les lacunes de la recherche sur les incidences des changements climatiques et sur la vulnérabilité et l’adaptation à ces changements, fixer des priorités et définir les nouveaux enjeux qui sont importants pour les scientifiques comme pour les décideurs ;
d) S’attacher avec les chercheurs et les praticiens, à renforcer la rigueur et la solidité des travaux de recherche et d’évaluation portant sur les incidences des changements climatiques et sur la vulnérabilité et l’adaptation à ces changements ;
e) Permettre aux décideurs d’accéder à des informations scientifiques essentielles face aux nouveaux enjeux politiques ;
f) Renforcer l’aptitude des jeunes scientifiques des pays en développement à mener à bien recherches et évaluations concernant les incidences des changements climatiques ainsi que la vulnérabilité et l’adaptation à ces changements.
Source : OMM https://library.wmo.int/pmb_ged/wmo_1157_fr.pdf
Cette coordination, ainsi assurée y compris au niveau international et cette diversité de travaux, rend-elle les événements climatiques plus prévisibles ?
2. Des phénomènes prévisibles ?
a. Des classifications claires
Comme les risques telluriques, les cyclones ont historiquement toujours été identifiés comme des risques majeurs. Le « risque cyclonique » est de mieux en mieux connu, dans ses causes, sa fréquence, comme dans ses effets.
Il existe bien une « souffrance cataclysmale », qui peut être appréhendée d’abord sous l’angle historique. On peut en prendre pour témoignage par exemple la relation des cyclones à Saint-Barthélemy : « le 20 septembre 1819, un cyclone d’une violence inouïe s’abattit sur l’île. Cinquante-six navires de divers tonnages furent perdus et de nombreux autres mis en morceaux. De son côté, l’île de Saint Eustache avait été entièrement dévastée par cet ouragan et ressemblait à un amas de ruines… En septembre 1821, nouveau cyclone. Le temple luthérien et un grand nombre de maisons furent détruits par l’ouragan. Onze bateaux américains furent perdus et d’autres sous pavillon suédois et anglais firent naufrage ([32])».
Le 12 septembre 1928 le cyclone San Felipe faisait 1024 morts en Guadeloupe, dont 227 à Pointe-à-Pitre et 110 à Sainte-Anne. Mais comme l’indique Jean-Claude Huc, ([33]) il y eut également « des effets pour une fois bénéfiques… une partie substantielle des crédits et aides destinés à la reconstruction a été affectée à la construction d’immeubles de prestige : … palais d’Orléans, conseil général, palais de justice, églises, hôpitaux ». Dans les Antilles, 66 cyclones sont passés entre 1950 et 2006. En 1970, Dorothy fait 44 morts à la Martinique.
Cet auteur cité également l’ouragan Hugo en 1989, qui saccagea 60 % de la canne à sucre en Guadeloupe et l’habitat de Grande-Terre. En 1995, le cyclone Marylin, de classe 1, se traduisit par une chute de 600 mm de pluies en 12 heures à Basse-Terre, ce qui représente environ deux mois de pluies. L’histoire devrait ainsi conduire à développer la culture du risque. Or, il existe également des périodes de très relatif répit, comme on en a connu outre-mer entre deux événements majeurs, c’est-à-dire entre 1970 et le passage d’Irma en 2017. Ce laps de temps relativement long explique que la tradition perde ses repères : nul n’a plus de mémoire d’événements vécus. Or, la culture du risque est un élément essentiel de la prévention.
La fréquence des cyclones dans les zones ultramarines est désormais bien connue : chaque saison cyclonique, maximale entre le mois d’août et de septembre, permet de mettre en évidence la succession de 77 cyclones en soixante ans.
Votre rapporteur est convaincu que la fiabilité des prévisions météorologiques et leur transmission dans le temps sont désormais parfaitement assurées, même si la science la plus éprouvée ne peut que donner des prévisions.
Depuis 1953, les cyclones sont appelés par des noms donnés par le National Hurricane Center (NHC). Une seule année, en 2005, la liste a été épuisée. On connaît donc à l’avance les noms des prochains cyclones :
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
Alberto |
Andrea |
Arthur |
Ana |
Alex |
Arlene |
(*) En cours en septembre 2018
La classification en est la suivante.
Un vent de moins de 62 km/h est caractéristique d’une dépression tropicale, tandis qu’entre 63 et 117 km/h, le vent provoque une tempête tropicale. Au-delà de cette vitesse, le phénomène est qualifié d’ouragan, selon l’échelle de Saffir‑Simson, qui distingue les dépressions tropicales (vent inférieur à 64 km/heure) des tempêtes (jusqu’à 117 km/heure), et classe au-delà les ouragans en cinq catégories.
ÉCHELLE DE SAFFIR-SIMSON ( vitesse des vents)
(en km/h)
Catégorie 1 |
Catégorie 2 |
Catégorie 3 |
Catégorie 4 |
Catégorie 5 |
118 à 153 |
154 à 177 |
178 à 209 |
210 à 249 |
Plus de 250 |
Cette échelle est la plus utilisée. Il existe aussi, depuis 1974, l’échelle de Dvorak, fondée sur l’observation satellitaire, et qui comporte huit niveaux.
Source : http://chasseurs-de-cyclones.fr/2-explication/
Quelle que soit l’échelle prise en compte, elle aboutit aux constats suivants. Entre 1950 et 2011, 42 tempêtes tropicales et 35 ouragans ont atteint les petites Antilles, dont Dean, en juillet 2007, avec des vitesses de vent de près de 200 kilomètres/heure et Tomas en octobre 2010, qui a principalement touché Sainte-Lucie. Mais aucun phénomène n’est comparable à Irma. Il faut rappeler qu’Irma est ainsi passé en moins de 24 heures de la catégorie 1 à la catégorie 5 et que son intensité maximale s’est produite avec des vents dépassant les 400 kilomètres par heure, et que trois ouragans majeurs ont circulé sur les Antilles en 2017 : Irma, José et Maria. Jamais depuis 1970 (voire depuis 1851 pour les petites Antilles) des ouragans de cette intensité (catégorie 5 pour Irma et Maria) n’avaient dévasté les Antilles.
Or, naturellement, l’intensité de l’événement détermine la durée d’un retour à la normale, comme en témoigne l’analyse faite par Orange en fonction de l’échelle de Saffir-Simson : les délais estimés d’un retour à la normale sont de deux semaines pour un événement de niveau 1, de deux à quatre semaines au-delà, avec un délai supérieur à quatre semaines pour le niveau 5. Orange a mis en place un processus de traitement des crises dit « plan radial » et assure une veille permanente en fonction des données de Météo-France.
Si l’anticipation de tels événements est bien plus grande aujourd’hui qu’il y a encore quelques années, José, et surtout Irma et Maria, rappellent la nécessité de poursuivre les efforts de connaissance et de modélisation numérique de phénomènes qui restent complexes et sujets à des phénomènes de petite échelle (dynamique interne à proximité de l’œil du cyclone, interactions avec l’océan et les vents d’altitude, effets de surcote, comportement des vagues à proximité du littoral). Les chaînes numériques déployées opérationnellement par Météo-France en 2016-2017 ont donné la preuve de la pertinence des choix scientifiques et techniques opérés, mais montrent également le chemin qui reste à parcourir avant de pouvoir disposer de deux ou trois jours d’anticipation sur la localisation précise et l’intensité de tels phénomènes, comme le montre l’exemple de La Réunion avec le passage de l’ouragan Birguetta en janvier 2018, dont on prévoyait initialement le passage dans le cœur de l’île.
L’imagerie satellitaire est en tout cas devenue suffisamment précise pour mesurer l’impact exact des phénomènes, comme en attestent les images fournies par le CNES sur le passage d’Irma à Saint-Martin.
Vue 1
Vue 2