N° 1833

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 3 avril 2019.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 24 octobre 2017

sur la lutte contre le financement du terrorisme international

Co-rapporteures

Mme Valérie BOYER

Mme Sonia KRIMI

Députées

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SOMMAIRE

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Pages

synthÈse du rapport

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURES

introduction

PREMIÈRE PARTIE : LA PERSISTANCE D’UNE MENACE TERRORISTE TRANSNATIONALE

I. Une menace durable et évolutive, dotée d’une forte capacité de nuisance

A. Malgré des revers, le terrorisme islamiste reste une menace mondiale, qui se joue des frontières

1. En 2017 et en 2018, l’Europe a été touchée à de multiples reprises par le terrorisme islamiste

2. La menace terroriste reste entière au plan mondial

a. En Irak et en Syrie

b. Dans la péninsule arabique

c. En Afrique du Nord

d. En Afrique de l’Ouest

e. En Afrique de l’Est

f. En Asie du Sud et Asie du Sud est

3. Les risques posés par les relocalisations des combattants étrangers

B. Une capacité de nuisance assise sur des moyens financiers considérables

II. un financement protÉiforme et pragmatique

A. Le financement du terrorisme : des macro-financements nourris par six principaux types de revenus

1. La question des donations et financements extérieurs

a. Une tendance en recul

b. Le développement des micro-financements extérieurs

2. Le développement de l’autofinancement du terrorisme

3. L’imbrication entre financement du terrorisme et criminalité

a. Les organisations terroristes ont recours à des pratiques criminelles pour se financer

b. Les liens entre terrorisme et criminalité prospèrent dans des zones fragiles institutionnellement

B. Le financement des terroristes : un terrorisme « low cost » permis par des microfinancements

1. Le financement des attaques terroristes : vers un terrorisme low cost ?

2. Un financement qui mêle revenus légaux et revenus illégaux

a. Le recours à des flux illégaux

b. Le détournement de flux légaux

C. Suivre l’argent : des flux financIers qui mobilisent différents canaux

1. Le système de la « hawala » et les réseaux de collecteurs

2. Le recours aux nouveaux moyens de paiement

3. Le rôle d’ONG et d’associations « écrans »

DEUXIème partie : les moyens et les outils de la lutte contre le financement du terrorisme international

I. une mobilisation croissante de la communauté internationale depuis 2001

A. UN ARSENAL JURIDIQUE Étoffé

B. Des instances d’action et de coopération dédiées à la lutte contre le financement du terrorisme

1. Le rôle central du GAFI : élaborer des standards communs pour lutter contre le financement du terrorisme

2. Le réseau EGMONT

3. Les outils dédiés à l’assistance technique

C. La mise à profit d’outils de coopération généraux

1. Les échanges bilatéraux

2. La coopération policière multilatérale

II. POUR LA France, la lutte contre le financement du terrorisme est aujourd’hui une priorité

A. UN ARSENAL LéGISLATIF ET OPéRATIONNeL solide

1. Protéger et contrôler

a. Le rôle pivot de Tracfin

i. Une mission de surveillance et de renseignement

ii. Une mission informative

iii. Une action tournée vers la coopération internationale

b. L’apport déterminant du renseignement financier

i. Des outils et méthodes calibrés pour répondre à la problématique du financement du terrorisme

ii. Le renseignement financier s’inscrit dans la mobilisation globale de la communauté du renseignement contre le terrorisme

c. Le contrôle du respect des obligations liées à la lutte contre le financement du terrorisme

2. Réprimer et sanctionner

a. Réprimer et sanctionner le délit de financement du terrorisme

b. Les gels d’avoirs

c. Les sanctions disciplinaires de l’ACPR

3. Les outils de coordination

a. L’approche financière

b. La coordination des services de renseignement et la création de la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

c. L’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT)

B. LA France A RENFORCé son dispositif national de lutte contre le financement du terrorisme depuis 2015

1. Faire reculer l’anonymat dans l’économie

2. Renforcer la vigilance des acteurs concernés

3. Renforcer l’efficacité du dispositif de gel d’avoirs

4. Le renforcement du dispositif de lutte contre les trafics de biens culturels

C. UNE Nécessaire mobilisation du secteur privé

1. Les professionnels assujettis jouent un rôle crucial dans la mise en œuvre concrète de la lutte contre le financement du terrorisme

a. Le secteur bancaire

b. Le secteur financier dans son ensemble

i. Le secteur de l’assurance

ii. Les plateformes de financement participatif

iii. Les établissements de monnaie électronique

iv. Les établissements de paiement

c. Les professionnels du secteur non financier

2. La vigilance du secteur privé est encadrée et soutenue par la coopération public-privé

3. La participation du secteur privé à la lutte contre le financement du terrorisme connaît toutefois des marges de progression

a. Une mobilisation insuffisante de la part de certaines professions

b. La problématique du derisking : un dommage collatéral de la lutte contre le financement du terrorisme

III. VERS UNE RÉPONSE COMMUNE AU NIVEAU DE L’UNION EUROPéENNE : UNE HARMONISATION CROISSANTE DES RÉGLEMENTATIONS ET DES OUTILS

A. L’UNION EUROPÉENNE S’EST DOTÉE D’UN CORPUS RÉGLEMENTAIRE POUR LUTTER CONTRE LE FINANCEMENT DU TERRORISME

B. la coopération policière et judiciaire européenne est également mobilisée dans la lutte contre le financement du terrorisme

1. Europol

2. Eurojust

troisième partie : 23 recommandations pour renforcer la lutte contre le financement du terrorisme international

I. Axe 1 Œuvrer en faveur d’une réponse internationale renforcée et toujours plus efficace

A. Recommandation n° 1 : Agir en faveur d’une mise en application élargie et effective des outils internationaux existants et d’un respect accru des normes en vigueur

B. Recommandation n° 2 : Renforcer le recours aux listes de sanctions et aux listes de gels d’avoirs

C. Recommandation n° 3 : Élargir et renforcer le réseau international des cellules de renseignement financier

D. Recommandation n° 4 : Promouvoir le développement des outils opérationnels qui ont prouvé leur efficacité

E. Recommandation n° 5 : Renforcer la coopération internationale avec les pays touchés par les conflits armés et le djihadisme

F. Recommandation n° 6 : Renforcer la lutte contre les trafics transnationaux mobilisés dans le financement du terrorisme

II. Axe 2 : Renforcer l’assistance internationale aux États les plus vulnérables

A. Recommandation n° 7 : Faire de l’assistance technique aux États les plus vulnérables une priorité de la lutte contre le financement du terrorisme international

B. Recommandation n° 8 : Faire de l’assistance technique et opérationnelle un pilier de l’action du GAFI

III. Axe 3 : Renforcer l’harmonisation européenne, en droit et plus encore dans les faits

A. Recommandation n° 9 : Renforcer l’homogénéisation des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme existantes.

B. Recommandation n° 10 : renforcer les moyens opérationnels de l’Union européenne sur la lutte contre le financement du terrorisme

C. Recommandation n° 11 : Renforcer l’efficacité des dispositifs de gels d’avoirs au niveau européen

D. Recommandation n° 12 : Plaider en faveur d’une agence de supervision européenne compétente en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme

IV. Axe 4 : Au plan national, œuvrer pour une pleine application des outils existants

A. Recommandation n° 13 : Maintenir un engagement gouvernemental à assurer à Tracfin des moyens suffisants pour répondre à la menace terroriste et à ses évolutions.

B. Recommandation n° 14 : améliorer la mise en œuvre des contrôles appliqués lors de la délivrance des prêts à la consommation, qui font partie des outils légaux pouvant être détournés à des fins terroristes.

C. Recommandation n° 15 : augmenter le niveau d’exigence des contrôles appliqués aux cartes prépayées

D. Recommandation n° 16 : Étendre les prérogatives des services de la douane en matière de lutte contre le financement du terrorisme.

V. Axe 5 : Assurer une pleine mobilisation de tous les acteurs concernés et une coopération optimale entre les acteurs

A. Recommandation n° 17 : Renforcer les capacités opérationnelles des banques à mettre en œuvre leurs obligations de vigilance.

B. Recommandation n° 18 : Ouvrir une réflexion sur l’échange d’informations entre le secteur financier et les autorités en charge de la lutte contre le financement du terrorisme

C. Recommandation n° 19 : Renforcer l’engagement des pouvoirs publics face au problème du derisking.

VI. Axe 6 : Renforcer notre vigilance sur certains secteurs et outils

A. Recommandation n° 20 : Renforcer la LCB/FT dans le secteur de l’art et des antiquités.

B. Recommandation n° 21 : Assujettir les sites de cagnotte en ligne aux obligations de vigilance LBC/FT, au même titre que les plateformes de financement participatif.

C. Recommandation n° 22 : Adopter une approche plus prudente dans la rÉglementation des cryptoactifs.

D. Recommandation n° 23 : Renforcer la transparence des associations à but non lucratif, dans le respect du principe de liberté d’association.

examen en COMMISSION

annexes

annexe  1 : LISTE DES PERSONNES ENTENDUES par les co-rapporteurES

Annexe  2 : AGENDA DE PARIS

Annexe N°3 : LES IX RECOMMANDATIONS SPÉCIALES DU GAFI

ANNEXE N° 4 : INSTRUMENTS JURIDIQUES INTERNATIONAUX ADOPTÉS POUR LUTTER CONTRE LE TERRORISME

ANNEXE N°5 : LISTE DES ABRÉviations utilisées dans le rapport


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   synthÈse du rapport

Une menace terroriste transnationale persistante, appuyée sur des moyens financiers considérables

Malgré les revers connus par l’organisation État islamique depuis la fin 2017, jusqu’à la perte totale de son territoire en Irak et en Syrie, la menace  mondiale constituée par le terrorisme islamiste reste très forte. Le passage de l’État islamique dans la clandestinité et l’existence de nombreux autres groupes implantés au Moyen-Orient, en Afrique ou encore en Asie du sud-est, font de la lutte contre le terrorisme un enjeu majeur de la coopération internationale. Les retours et relocalisations de combattants étrangers constituent une dimension particulière de cette menace, nourrie également par la capacité des organisations terroristes à susciter des attaques à distance, en dehors de leurs zones d’implantation.

Or, pour nuire, le terrorisme a besoin d’argent. Les principales organisations terroristes dans le monde auraient accumulé plus d’un milliard de dollars de ressources, l’État islamique à lui seul ayant connu un pic en 2014 estimé à 1,9 milliard de dollars de revenus. Le modèle de « proto-État » de l’organisation, assis sur une emprise territoriale et sur des capacités d’autofinancement, a été renversé, mais les flux de financement du terrorisme international n’en restent pas moins considérables.

Un financement protéiforme et pragmatique, qui mobilise des canaux variés

Le financement du terrorisme permet à la fois le financement des organisations (moyens militaires et de propagande, financement des attaques, rémunérations des combattants et de leurs familles…), on parle alors de macro-financement, par opposition au micro-financement, soit le financement d’attaques ponctuelles ou de départs sur zone de combat, bien que ce phénomène se soit tari avec l’affaiblissement de l’État islamique.

Le financement du terrorisme est d’autant plus redoutable qu’il est multiple et pragmatique. Les terroristes font feu de tout bois pour se financer, mais on relève toutefois des tendances dominantes. Les organisations terroristes sont aujourd’hui d’autant plus à craindre qu’elles parviennent à s’autofinancer, via leur participation à des trafics illégaux ou à d’autres activités criminelles comme les pillages, les extorsions ou les enlèvements contre rançons.  Là encore, la perte territoriale de l’État islamique ne devrait pas tant réduire à néant sa capacité de nuisance que favoriser un recours accru à un financement via des pratiques criminelles.

À côté de ces flux de macro-financement, il faut mentionner l’apparition d’un terrorisme « low cost », fait d’attaques peu sophistiquées et peu coûteuses aujourd’hui dominantes en Europe. Si le coût des attentats du 11 septembre 2001 a été estimé entre 350 et 400 000 dollars, la plupart des attaques commises récemment sur le sol européen ont coûté moins de 10 000 voire moins de 1 000 euros. Ces attaques sont souvent le fait de « loups solitaires » ou de petites cellules, sans nécessaire passage par la zone irako-syrienne.

Si des liens entre financement du terrorisme et criminalité organisée sont avérés au niveau macro et notamment dans des régions comme le Sahel, la réalité observée en France ou en Europe est toute autre, le financement des attaques terroristes manifestant bien plutôt des liens entre terrorisme et délinquance de droit commun. Pour autant, le micro-financement du terrorisme est aussi abondé par un détournement – un « noircissement » - de flux légaux comme des revenus salariaux.

Enfin, le rôle des financements dits extérieurs dans le financement du terrorisme a connu d’importantes évolutions. Plutôt qu’un « sponsoring » d’États, ce sont des flux modestes et ponctuels, essentiellement tournés vers les zones de combat, qu’on observe aujourd’hui. Le financement du terrorisme a besoin de canaux financiers pour se diffuser et à la mobilisation du système traditionnel de la « hawala » et des réseaux de collecteurs situés entre l’Europe et la zone irako-syrienne, s’ajoutent l’utilisation des nouveaux moyens de paiement ou des transferts via mandats, ainsi que le détournement de flux via des associations ou des ONG écrans.

La lutte contre le financement du terrorisme repose sur un arsenal déjà étoffé, à tous les niveaux d’action : international, national et européen

La communauté internationale s’est mobilisée de façon croissante depuis 2001.

Précédée par l’adoption en 1999 de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, qui définit juridiquement le financement du terrorisme comme une infraction, la dynamique internationale de lutte contre le financement du terrorisme a connu une accélération après 2001. L’arsenal opérationnel international a été renforcé par l’adoption de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, dont la résolution 1373 qui enjoint les États à faire du financement du terrorisme une infraction et à se doter de listes nationales de gels d’avoirs. L’ONU a également permis la mise en œuvre de cadres d’adoptions de sanctions à l’encontre des organisations terroristes et de leurs membres.

Au plan opérationnel, il faut mentionner l’existence tant d’outils spécifiquement dédiés à la lutte contre le financement du terrorisme comme le Groupe d’action financière (GAFI), qui élabore des normes internationales en la matière, ou le groupe EGMONT qui permet aux cellules de renseignement financier une coopération sécurisée à travers le monde, que la possibilité de mobiliser un cadre d’action plus général comme INTERPOL.

 

La France a fait de la lutte contre le financement du terrorisme une priorité, manifestée par un arsenal législatif et opérationnel solide.

Au plan national, de nombreux outils sont mobilisés par la lutte contre le financement du terrorisme.  Il faut mentionner le rôle pivot de la cellule française de renseignement financier, Tracfin, dotée à la fois d’une mission de surveillance et de collecte de renseignement et d’une mission d’information à destination du secteur privé. Tracfin s’inscrit dans une coopération internationale active, qui passe aussi par une assistance technique aux États les moins bien outillés. Le rôle central du renseignement financier a été reconnu dans la lutte contre le terrorisme, ce qui inscrit Tracfin dans un effort plus général de mobilisation de la communauté du renseignement.

La mobilisation du secteur privé est cruciale en matière de lutte contre le financement du terrorisme, via notamment les obligations de vigilance auxquels sont soumises plusieurs catégories de professionnels mentionnés par le code monétaire et financier.

Tant entre pouvoirs publics qu’entre les administrations et les acteurs privés, la bonne coopération des acteurs mobilisés est cruciale. Elle est facilitée par l’existence d’instances de coordination comme le conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, et par des contacts fréquents et institutionnalisés ou la diffusion de lignes directrices. Cette coopération est également déterminante pour assurer un partage équilibré des risques, face à une tendance croissante des institutions bancaires au désengagement des zones les plus risquées, qui peut compromettre l’action humanitaire souvent urgente dans ces zones.

À cela s’ajoute un niveau d’exigence et de contrôle élevé, manifesté notamment par les contrôles de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

Face à l’apparition de nouveaux risques et à la capacité d’adaptation des terroristes, la France a renforcé ses moyens de lutte contre le financement du terrorisme ces dernières années selon plusieurs axes, dont le recul de l’anonymat des moyens de paiement, la pleine mobilisation du dispositif national de gel d’avoirs et le renforcement des moyens de Tracfin et des niveaux de vigilance imposés aux professionnels du secteur privé, dont la mobilisation est dans l’ensemble satisfaisante mais demeure inégale.

 

Entre la mobilisation internationale et la réponse élaborée au niveau national, un État comme la France doit inscrire son action contre le financement du terrorisme au niveau de l’Union européenne.

Si le développement d’outils de coopération policière et judiciaire et l’adoption d’un cadre législatif conçu pour lutter contre le terrorisme et son financement sont à saluer, l’harmonisation européenne ne doit pas s’arrêter à son niveau actuel. Les outils existants, et notamment les directives dites anti-blanchiment dont la dernière actualisation a été adoptée en mai 2018, doivent être appliqués en pratique avec le même niveau d’exigence. D’autres domaines doivent encore faire l’objet d’une réponse juridique commune consolidée, à commencer par l’encadrement des nouveaux moyens de paiement.

 

 

 

 

 

 

 


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   SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURES

Axe 1 : œuvrer en faveur d’une réponse internationale renforcée et toujours plus efficace

1) Agir en faveur d’une mise en application élargie et effective des outils internationaux existants et d’un respect accru des normes en vigueur (veiller à ce que l’ensemble des Etats signataires de la convention de 1999 pour la répression du financement du terrorisme intègrent dans le droit national le délit de financement du terrorisme, œuvrer en faveur d’un recours accru aux réseaux de coopération policière AMON et CARIN) ;

2) Renforcer le recours aux listes de sanctions et aux listes de gels d’avoirs, la mise en œuvre d’une liste nationale de gels d’avoirs étant une obligation au sens de la résolution 1373 ;

3) Élargir et renforcer le réseau international des cellules de renseignement financier, avec des cellules de renseignement financier dotées de suffisamment de moyens et de prérogatives, à l’instar du droit de communication total ;

4) Promouvoir le développement des outils opérationnels qui ont prouvé leur efficacité, comme le Ficoba ou le registre des bénéficiaires effectifs ;

5) Renforcer la coopération internationale avec les pays touchés par les conflits armés et le djihadisme ;

6) Renforcer la lutte contre les trafics transnationaux mobilisés dans le financement du terrorisme.

Axe 2 : Renforcer l’assistance internationale aux États les plus vulnérables

7) Faire de l’assistance technique aux États les plus vulnérables une priorité de la lutte contre le financement du terrorisme international, via notre action en bilatéral et notre aide publique au développement et via un soutien renforcé aux outils multilatéraux ;

8) Faire de l’assistance technique et opérationnelle un pilier de l’action du GAFI.

Axe 3 : renforcer l’harmonisation européenne, en droit et plus encore dans les faits

9) Renforcer l’homogénéisation des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme existantes, à l’instar de l’encadrement des plafonds de paiement en espèces ou de l’asujettissement des acteurs de la finance participative aux obligations de vigilance ;

10) Renforcer les moyens opérationnels de l’Union européenne sur la lutte contre le financement du terrorisme, en gardant ouverte la possibilité de se doter d’un « TFTS » européen, apte à couvrir les échanges inter-bancaires intra-européens ;

11) Renforcer l’efficacité des dispositifs de gels d’avoirs au niveau européen, notamment en mettant en œuvre des mesures empêchant le contournement des gels décidés au niveau national ;

12) Plaider en faveur d’une agence de supervision européenne compétente en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, qui pourrait favoriser l’harmonisation des pratiques de contrôle et éventuellement se substituer à un superviseur national en cas de défaillance grave.

Axe 4 : au plan national, œuvrer pour une pleine application des outils existants

13) Maintenir un engagement gouvernemental à assurer à Tracfin des moyens suffisants pour répondre à la menace terroriste et à ses évolutions ;

14) Améliorer la mise en œuvre des contrôles appliqués lors de la délivrance des prêts à la consommation, qui font partie des outils légaux pouvant être détournés à des fins terroristes ;

15) Augmenter le niveau d’exigence des contrôles appliqués aux cartes prépayées, avec des prises d’identité plus systématiques ;

16) Étendre les prérogatives des services de la douane en matière de lutte contre le financement du terrorisme.

Axe 5 : Assurer une pleine mobilisation de tous les acteurs concernés et une coopération optimale entre les acteurs

17) Renforcer les capacités opérationnelles des banques à mettre en œuvre leurs obligations de vigilance ;

18) Ouvrir une réflexion sur l’échange d’informations entre le secteur financier et les autorités en charge de la lutte contre le financement du terrorisme ;

19) Renforcer l’engagement des pouvoirs publics face au problème du derisking, via la diffusion d’une charte pour les banques et une aide renforcée aux ONG dans leur prise en compte des risques liés au financement du terrorisme.

Axe 6 : Renforcer notre vigilance sur certains secteurs et outils

20) Renforcer la LCB/FT dans le secteur de l’art et des antiquités ;

21) Assujettir les sites de cagnotte en ligne aux obligations de vigilance LBC/FT, au même titre que les plateformes de financement participatif ;

22) Adopter une approche plus prudente dans la règlementation des cryptoactifs ;

23) Renforcer la transparence des associations à but non lucratif, dans le respect du principe de liberté d’association, par exemple en étendant les obligations annuelles de publication comptable aux associations les plus exposées aux risques liés au financement du terrorisme, et en mettant en œuvre un dispositif incitant les acteurs du culte à se constituer sous la forme d’associations cultuelles soumises aux dispositions de la loi de 1905, en quittant le statut associatif de la loi 1901.

 

 


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   introduction

La lutte contre le financement du terrorisme international a longtemps été reléguée à sa seule dimension technique, sans véritable portage politique.

Pourtant, l’argent est le nerf du terrorisme et « suivre l’argent » est souvent un très bon moyen d’identifier et de neutraliser les terroristes. Le terrorisme, et tout particulièrement le terrorisme islamiste qui a frappé la France et l’Europe à de nombreuses reprises ces dernières années, continue à tuer chaque année des milliers de personnes dans un grand nombre d’États de la planète. Il doit donc faire l’objet d’une mobilisation sans faille de la communauté internationale.

Dans ce contexte, la France a organisé en avril 2018 une grande conférence portant spécifiquement sur la lutte contre le financement du terrorisme, « No money for terror », qui a débouché sur l’adoption d’une feuille de route en dix points, l’Agenda de Paris. Ce rendez-vous, qui a permis de réunir au plus haut niveau plus de 70 États et organisations, doit connaître sa seconde édition en novembre 2019 en Australie. L’engagement de la France sur ce sujet reste entier, avec la présentation le 28 mars 2019 au Conseil de sécurité des Nations unies d’une résolution contraignante, adoptée à l’unanimité, sur la lutte contre le financement du terrorisme.

À l’heure où la lutte contre le terrorisme est l’un des rares sujets à faire consensus sur la scène internationale, on ne peut que saluer le choix fait par la France de porter ce combat. Dans un contexte où les dispositifs nationaux de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme doivent être évalués en 2020 par le Groupe d’action financière (GAFI), la mobilisation de la France sur ce sujet a tout intérêt à se maintenir. Au niveau de l’Union européenne, la France a également joué un rôle moteur, notamment dans l’adoption des dernières directives anti-blanchiment.

Le financement du terrorisme est pragmatique et évolutif. Le terrorisme noircit des volumes d’argent importants à l’échelle mondiale, mais des sommes modiques suffisent pour commettre des actes terroristes isolés mais meurtriers. Suivant les pays et les régions du monde, les flux captés par le terrorisme varient. Ils reposent sur le détournement de flux légaux comme sur le recours à des pratiques criminelles.

C’est pourquoi à tous les niveaux d’action - national, européen et multilatéral - la lutte contre le financement du terrorisme exige une pleine mobilisation. En la matière, un seul maillon faible suffit à compromettre tout un édifice.

De nombreux outils existants qui ont prouvé leur efficacité doivent être utilisés de façon optimale et élargie. D’autres doivent être conçus pour répondre à l’apparition de risques inédits. La coopération internationale et européenne est indispensable sur ce sujet, tant par la promotion de bonnes pratiques et l’assistance aux États les plus vulnérables que pour pouvoir répondre au jour le jour à une menace qui se joue des frontières.

Vos rapporteures formulent en ce sens 23 recommandations afin de renforcer à tous les niveaux d’action la lutte contre le financement du terrorisme international. Si les propositions de l’Agenda de Paris permettent de formuler de grandes priorités sur ce sujet, les recommandations de vos rapporteures s’inscrivent à la fois en écho et en complément des conclusions de No money for terror.

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce rapport d’information est le premier rapport réalisé à l’Assemblée nationale sur le thème du financement du terrorisme dans son ensemble ([1]) . Vos rapporteures tiennent à souligner qu’il s’agit d’un rapport visant à dresser un état des lieux des modalités du financement du terrorisme et des moyens dont nous disposons pour le neutraliser, afin de formuler des recommandations pour renforcer la lutte contre le financement du terrorisme.

Il ne s’agit pas d’un rapport sur la géopolitique du terrorisme ni sur le traitement diplomatique d’ensemble du terrorisme par la France. De tels thèmes, incontournables, pourraient par ailleurs faire l’objet d’une nouvelle mission d’information qui s’inscrirait dans la continuité de ce rapport.

La question des trafics illégaux transnationaux, abordée dans le présent rapport dans la mesure où elle est liée à celle du financement du terrorisme, pourrait également faire l’objet d’un rapport d’information tant ces trafics, très divers (ressources naturelles, espèces protégées, êtres humains, drogues, armes etc) représentent des volumes immenses au plan mondial et appellent à une réponse forte de la communauté internationale.

 


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   PREMIÈRE PARTIE : LA PERSISTANCE D’UNE MENACE TERRORISTE TRANSNATIONALE

 

I.   Une menace durable et évolutive, dotée d’une forte capacité de nuisance

A.   Malgré des revers, le terrorisme islamiste reste une menace mondiale, qui se joue des frontières

1.   En 2017 et en 2018, l’Europe a été touchée à de multiples reprises par le terrorisme islamiste

Le nombre d’attaques perpétrées constitue une première indication de la capacité de nuisance des terroristes. Ainsi, selon les données du rapport annuel d’Europol ([2]), les États membres de l’Union européenne ont connu en 2017 10 actes de terrorisme islamiste, pour un total de 33 attaques déjouées, ratées et effectivement réalisées, soit plus du double par rapport à 2016.

Ces attaques ont causé la mort de 62 personnes, dont 3 en France, et ont fait 819 blessés.

En 2018, l’Europe a de nouveau été touchée par le terrorisme islamiste, à trois reprises en France : attaques perpétrées à Carcassonne et à Trèbes par Radouane Lakdim en mars, qui ont fait cinq morts (dont l’auteur des attaques) et 15 blessés, attaque de Khamzat Azimov au couteau en mai à Paris, qui a fait deux morts (dont l’auteur de l’attaque) et quatre blessés, fusillade de Strasbourg en décembre, qui a fait cinq morts (dont l’auteur de l’attaque Chérif Chekatt) et onze blessés. Dans les trois cas, les attaques ont été revendiquées par l’État islamique.

Selon les tendances dégagées par le rapport d’Europol, les récentes attaques terroristes ayant touché l’Europe ont été essentiellement le fait d’individus radicalisés dans leur État de résidence, sans avoir préalablement effectué de voyage en zone irako-syrienne. Les attaques ont le plus souvent été conduites par des individus agissant seuls ou avec l’aide d’une ou deux autres personnes. Ce mode opératoire, parfois décrit comme un terrorisme de « loups solitaires », est lié à un mode de financement particulier, reposant sur un autofinancement individuel d’attaques peu coûteuses.

En outre, ces attaques ont eu pour la plupart en commun de viser des personnes plutôt que des infrastructures, dans le but de faire un grand nombre de victimes et de s’attaquer à des symboles du mode de vie occidental, comme dans le cas de l’attentat de Manchester le 22 mai 2017.

En 2017, 705 personnes soupçonnées d’avoir participé à des activités liées au terrorisme islamiste ont été arrêtées dans 18 États membres, dont 373 en France.

2.   La menace terroriste reste entière au plan mondial

Les données fournies par le Global terrorism index ([3]) pour 2018 permettent de tirer plusieurs enseignements sur l’état de la menace terroriste mondiale. Pour la troisième année consécutive et après le pic de 2014, le nombre de victimes du terrorisme a reculé en 2017, à hauteur de 27 %. Le nombre de morts liées aux attaques de l’État islamique a même reculé de 52 %, l’Irak étant le pays qui a connu la plus forte baisse du nombre de décès causés par le terrorisme, à hauteur de 56 %.

Si ces données doivent être prises avec des précautions et constituent avant tout un ordre de grandeur, le terrorisme n’en a pas moins tué 18 814 personnes en 2017 ([4]).

Si l’État islamique a connu des pertes territoriales et financières de taille, on compte aussi un grand nombre de groupes affiliés à l’organisation : en Afghanistan, en Afrique de l’ouest, en Asie du Sud-est, en Libye, et, quoique dans une moindre mesure, au Sahel, dans le Sinaï, en Somalie et au Yémen. Selon le dernier rapport de l’équipe de surveillance des sanctions créée par les résolutions 1526 et 2253 du Conseil de sécurité des Nations unies, il faut aussi mentionner l’apparition de petites cellules liées à l’État islamique dans d’autres pays et régions.

Selon ce même rapport, le réseau mondial d’Al-Qaida « continue à faire preuve de résilience », et dans plusieurs régions dont l’Asie du sud, le Sahel, la Somalie et le Yémen, les groupes affiliés et alliés à Al-Qaida sont décrits comme « bien plus puissants » que les groupes associés à l’État islamique.

La menace terroriste, qu’il faut évaluer tant dans son implantation territoriale que dans sa capacité de projection, est ainsi marquée aujourd’hui à la fois par une expansion d’Al-Qaida et par un basculement progressif dans la clandestinité de l’État islamique, dont la perte de territoire s’est traduite par une dissémination à travers la Syrie et l’Irak.

Surtout, il est crucial de faire la part entre la baisse du nombre d’attaques, liées à un recul des moyens, et la persistance de réseaux opérationnels et d’une motivation à commettre des actes terroristes, y compris en dehors des zones d’implantation des groupes terroristes actifs.

a.   En Irak et en Syrie

Malgré les revers militaires subis par l’État islamique en Irak et en Syrie, la menace posée par l’organisation terroriste reste entière, et son influence suffisante pour susciter de nouvelles attaques.

Comme le rappelle le dernier rapport de l’équipe de surveillance des sanctions du Conseil de sécurité, l’État islamique a connu d’importants revers militaires en 2017 et en 2018, du fait notamment de l’action de la Coalition arabo-occidentale formée en 2014. Selon un rapport paru en septembre 2018, l’État islamique conserverait un maximum de 5 000 combattants en Irak et en Syrie, le nombre de combattants en fuite mais restés fidèles à l’organisation étant plus difficile encore à estimer.

Le 23 mars 2019, les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenues par la Coalition internationale, ont annoncé la chute de la dernière poche de territoire sous le contrôle de l’État islamique, le village de Baghouz en Syrie à la frontière irakienne. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, 58 000 personnes – combattants et civils – ont quitté l’enclave depuis décembre 2018. Les flux se sont accentués à partir de février et du lancement par les FDS d’un nouvel assaut, qui a rendu plus délicate encore l’estimation du nombre de combattants présents sur place et disséminés dans d’autres régions.

Malgré cette perte territoriale, un État islamique passé dans la clandestinité reste menaçant. Il faut rappeler à cet égard que la situation actuelle du groupe rappelle la situation connue à la fin des années 2000, en Irak. L’organisation, qui venait de connaître une défaite militaire, ne comptait plus que quelques centaines de membres et avait perdu son assise territoriale. Pourtant, l’État islamique a su se reconstituer et on constate déjà l’apparition de nouvelles cellules dormantes en Syrie (notamment dans la province rurale de Deir ez-Zor) et en Irak (provinces d’al-Anbar, de Karbala et de Nadjaf). Ce sont des milliers de djihadistes, qui selon les informations disponibles en mars 2019, se seraient déjà dispersés en Syrie et en Irak.

 

L'effondrement du groupe Etat islamique/AFP

Source : AFP

Or, si les défaites militaires subies ont imposé à l’État islamique un changement de modèle, elles n’ont pas anéanti sa capacité de nuisance. D’une part, certaines structures seraient toujours en place, à l’instar des bureaux chargés de la sécurité et des finances, et l’organisation reste forte de personnels et de la complicité de certains civils. L’État islamique a toujours la capacité de conduire une activité médiatique et de propagande. La diffusion est globalement moins importante et de moins bonne qualité, mais certains vecteurs, comme l’hebdomadaire Al-Naba, restent actifs.

Ainsi, selon le rapport de l’équipe de surveillance, « certains États membres estiment néanmoins que les facteurs sous-jacents qui favorisent le terrorisme sont tous bien là, plus menaçants peut-être que jamais auparavant ». La diminution globale du nombre d’attaques terroristes observée à partir de la fin 2017 ne pourrait donc être que temporaire, jusqu’à ce que l’État islamique parvienne à se réorganiser. Comme cela a pu être souligné en audition, notamment par Mme Myriam Benraad, l’État islamique reste en mesure de « représenter une menace durable » et de fragiliser les opérations de stabilisation dans de nombreux territoires. Il s’agit là d’une menace permanente et évolutive, d’autant plus tenace que l’idéologie et les discours survivent aux défaites territoriales. Paradoxalement, le passage à la clandestinité peut rendre la menace plus difficile à identifier et à déjouer.

Ainsi, selon le chef des forces américaines au Moyen-Orient, le général Joseph Votel, « la population de l’EI qui est évacuée des derniers vestiges du califat reste largement impénitente, résolue et radicalisée  ([5]) ».

Pour l’Europe et notamment pour la France, la persistance de cette menace passe à la fois par des capacités de projection sur le territoire national - qui bien qu’amoindries par les frappes militaires n’ont pas été anéanties – et par une capacité à inciter au passage à l’acte sur le territoire national, sous la forme d’attaques souvent peu sophistiquées et peu coûteuses.

En Syrie, la menace constituée par le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS) ([6]), ne doit pas être sous-estimée : elle est selon certains observateurs au moins comparable à la menace posée par l’État islamique. Le groupe a ainsi renforcé début janvier 2019 son emprise sur Idleb dans le nord-ouest du pays. De même, Al-Qaida a fait preuve d’une certaine résilience sur le territoire syrien. 

b.   Dans la péninsule arabique

Dans la péninsule arabique et tout particulièrement au Yémen, la présence de l’État islamique n’est que résiduelle. En revanche, AQPA (Al-Qaida dans la péninsule arabique) y serait dotée d’une base considérable, constituée au Yémen de 6 à 7 000 hommes, et jouant sur une implantation locale solide, facilitée par l’absence d’un gouvernement central fort. Qasim Mohamed Mahdi al-Rimi, émir yéménite d’AQPA, est à la tête d’une structure organisée et divisée en plusieurs services, en charge de la doctrine, de la propagande, de l’armée, de la sécurité et des finances.

c.   En Afrique du Nord

Quelques données majeures caractérisent l’implantation terroriste dans la région. En Libye, l’État islamique disposerait encore de plusieurs cellules implantées notamment aux alentours de Tripoli, de Misrata et de Sabrata. L’organisation peut s’appuyer sur un certain soutien tribal et profiter de l’instabilité du pays. Al-Qaida connaitrait une phase de progression dans le pays, tandis qu’en Tunisie, et notamment dans les zones montagneuses, des éléments de l’État islamique et d’Al-Qaida sont implantés.

Le rapport de l’équipe de surveillance des sanctions mentionne également les inquiétudes suscitées par le retour des combattants étrangers dans la région, où ils auraient déjà contribué à « grossir les rangs des Soldats du califat en Algérie et d’Al-Mourabitoun ».

d.   En Afrique de l’Ouest

Au Sahel, la menace terroriste reste très forte, dans un contexte où la faiblesse de certains gouvernements et la porosité des frontières favorisent l’implantation et le maintien de plusieurs organisations terroristes. Au Mali, environ 25 % du territoire n’est pas contrôlé par le gouvernement, tandis que le Burkina Faso apparaît comme de plus en plus vulnérable face à la propagation du terrorisme sur son sol. L’opération Barkhane a ainsi apporté son aide au Burkina Faso à plusieurs reprises en octobre dernier.

Il faut notamment mentionner la présence du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), né d’une fusion d’une branche d’AQMI (Al-Qaida au Maghreb islamique), d’Ansar Eddine, du Front de libération du Macina et d’une partie d’Al- Mourabitoun, et celle de l’État islamique au Grand Sahara, qui est principalement actif à la frontière entre le Mali et le Niger et au Burkina Faso.

La constitution du GSIM a permis aux djihadistes de renforcer leurs capacités opérationnelles, et a conduit à une hausse importante du nombre de victimes dans la région. Le GSIM a été à l’origine des attentats de mars 2018 contre l’ambassade de France et le quartier général des forces armées à Ouagadougou, et des attaques contre les bases de la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali) en avril 2018.

Les forces militaires françaises au Mali ont été ciblées à plusieurs reprises en 2018, en avril et en juillet, tandis que le 8 mai 2018, AQMI a appelé à s’en prendre aux entreprises privées françaises.

Si l’État islamique au Grand Sahara, qui ne bénéficie pas du soutien de la structure centrale, apparaît comme une menace moins forte, il n’en est pas moins une source de déstabilisation pour le Sahel.

Le groupe Boko Haram, initialement apparu au nord-est du Nigéria, a été considérablement affaibli par les offensives militaires de l’armée nigériane et de ses alliés. À l’été 2016, la scission en deux factions, l’une dirigée par Abubakar Shekau et l’autre par Abu Musab al-Barnawi et affiliée à l’État islamique, a également contribué à affaiblir le groupe, dont les djihadistes n’en conservent pas moins une capacité de nuisance à l’encontre des populations civiles et dans une moindre mesure des cibles militaires.

e.   En Afrique de l’Est

Dans cette région et notamment en Somalie, les Shebab, groupe affilié à Al-Qaida, apparaissent toujours comme le groupe terroriste dominant. Ce groupe demeure influent malgré les offensives militaires qui l’ont ciblé, et a même renforcé ses capacités. Les Shebab sont principalement à l’origine d’attaques en Somalie, notamment contre l’AMISOM (Mission de l’Union africaine en Somalie), mais ont visé à plusieurs reprises les pays voisins et notamment le Kenya, où ils ont été à l’origine de l’attaque d’un complexe hôtelier en janvier dernier à Nairobi, qui a causé la mort de 21 personnes. Les Shebab ont été à l’origine de l’attentat de Mogadiscio le 14 octobre 2017, attaque terroriste la plus meurtrière de l’année, et pire attentat jamais connu par le pays.

f.   En Asie du Sud et Asie du Sud est

En Asie du sud, il faut mentionner d’une part la persistance d’Al-Qaida, qui est un allié proche des Talibans, et d’autre part, la volonté de l’État islamique d’étendre sa présence en Afghanistan. La structure centrale y favorise notamment la relocalisation de certains de ses combattants.

En Asie du sud-est, on compte plusieurs groupes affiliés à l’État islamique, notamment aux Philippines, où est basé « l’EIIL-Philippines » ou « Daulah Islamiyah ». La capacité de nuisance de ces groupes reste forte malgré d’importantes pertes subies.

3.   Les risques posés par les relocalisations des combattants étrangers

Face aux revers militaires subis par l’État islamique en Irak et en Syrie, les retours et relocalisations des combattants étrangers apparaissent comme un nouveau risque terroriste. Si le nombre d’individus concernés est difficile à quantifier, les estimations hautes font état de 15 à 25 000 combattants étrangers ayant gagné la zone irako-syrienne ces dernières années, en provenance de 80 États, et essentiellement déployés en Syrie, dans les rangs de l’État islamique en majorité. On estime qu’entre 700 et 900 ressortissants français ont rejoint les zones de combat, et que jusqu’à 1 500 ont été impliqués dans l’organisation des filières djihadistes liées à la zone irako-syrienne.

À ce stade, les flux vers l’Irak et la Syrie se sont quasiment taris, et les flux de combattants étrangers hors de la zone sont moins importants que ce qui pouvait être redouté initialement. Ces retours et relocalisations, qui concernent notamment l’Afghanistan, n’en demeurent pas moins un sujet d’inquiétude. Ces combattants disposent en effet de compétences acquises sur le terrain, et ont souvent une capacité accrue à commettre des actes terroristes ou à recruter de nouveaux djihadistes potentiels. Ainsi à l’occasion de la présentation du septième rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la menace posée par l’État islamique, le chef du Bureau de lutte contre le terrorisme des Nations unies M. Voronkov a mis en avant le rôle prépondérant des retours et relocalisations des combattants étrangers dans la définition actuelle de la menace terroriste.

Le nombre de combattants étrangers toujours présents sur place demeure très difficile à évaluer. Lors d’une audition devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale le 13 février 2019, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères M. Jean-Yves Le Drian a donné un ordre de grandeur de 130 Français qui seraient toujours présents sur place, chiffre à prendre avec d’autant plus de précautions qu’on compte des enfants dans ce total.

B.   Une capacité de nuisance assise sur des moyens financiers considérables

Les ressources financières dont disposent les organisations terroristes constituent l’un des pans du financement du terrorisme, qui correspond au « macro-financement » du terrorisme, par opposition au « micro-financement », qui désigne le financement direct des actes terroristes.

Selon un récent rapport, établi par Interpol, le RHIPTO et la Global Initiative Against Transnational Organized Crime ([7]), les ressources des sept principaux groupes rebelles / terroristes actifs dans le monde ([8]) s’établiraient selon les dernières données connues entre 1 et 1,39 milliard de dollars.

En 2017, le groupe Boko Haram aurait perçu entre 5 et 10 millions de dollars, les Shebabs environ 20 millions de dollars, les estimations de revenus pour le GSIM s’établissant entre 5 et 35 millions de dollars. Le groupe Hayat Tahrir al-Cham aurait perçu des revenus s’établissant entre 18 et 35 millions de dollars.  Pour ce qui est des Talibans, les revenus perçus ont été estimés entre 75 et 95 millions de dollars.

L’État islamique, organisation terroriste réputée être la « plus riche », a connu une chute drastique de ses revenus par rapport au pic atteint en 2014, estimé à 1,9 milliard de dollars ([9]).

Évolution des revenus de l’État islamique depuis 2014

Septembre 2014

1,1 milliard $ de revenus et 436 millions $ de dépenses

Février 2015

670 millions $ de revenus et 435 millions $ de dépenses

Février 2016

285 millions $ de revenus et 222 millions $ de dépenses

Juin 2017

130 millions $ de revenus et 117 millions $ de dépenses

Source : Atlas Illicit Flows

Selon les dernières estimations disponibles, le budget annuel du groupe s’établissait en 2018 autour de 100 millions de dollars.

Toutefois, il faut distinguer entre ces revenus et les sommes exfiltrées par le groupe et réinvesties dans l’économie réelle. On estime que le groupe aurait investi – et ainsi dissimulé – des sommes allant de 350 à 400 millions de dollars dans plusieurs pays ([10]), notamment en Irak. Plusieurs secteurs d’activité sont concernés (fermes piscicoles, bureaux de change, compagnies de taxi, sociétés d’import-export…), les investissements s’étant répartis dans un grand nombre de sociétés-écran souvent difficiles à identifier. Selon Hicham al-Hachemi, expert irakien du djihadisme cité par Le Monde ([11]), le groupe disposerait ainsi de suffisamment de ressources financières pour assurer sa survie pendant quinze ans.

On constate donc une évolution et une adaptation du modèle de financement de l’État islamique. Par opposition à Al-Qaida, l’État islamique s’est caractérisé, dès la formation en 2006 de l’État islamique d’Irak, par un modèle autofinancé, limitant au maximum le recours à des fonds extérieurs. Selon des données fournies à vos rapporteures en audition, les apports extérieurs n’auraient pas représenté plus de 5 % du budget total de l’État islamique lorsque le pic de ressources a été atteint en 2014.

Du fait de son assise territoriale et du contrôle exercé sur les populations locales en zone irako-syrienne, l’État islamique a pu éviter d’avoir à recourir aux financements extérieurs et au système financier traditionnel, sur lesquels la lutte contre le financement du terrorisme international s’était concentrée depuis le début des années 2000. Inversement, si l’expansion territoriale du groupe lui avait permis d’augmenter sensiblement ses revenus, et de se constituer en « proto-État », les pertes territoriales subies depuis le début des frappes militaires ont été la principale cause de la baisse de ses ressources.

Le passage du groupe à la clandestinité s’est ainsi accompagné d’un recours à de nouveaux modes de financements tournés vers des pratiques criminelles comme l’extorsion et la contrebande. Surtout, la perte drastique de revenus de l’organisation n’a pas réduit dans des proportions équivalentes sa capacité de nuisance.


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II.   un financement protÉiforme et pragmatique

Plutôt que de décrire le financement du terrorisme, ce sont en réalité plusieurs modes de financements qu’il faut mentionner. Au-delà de la distinction entre macro et micro financement, le financement du terrorisme repose sur un certain pragmatisme, voire un opportunisme, qui peut faire feu de tout bois.

En termes de dépenses, ce financement est alloué à plusieurs postes. Au niveau micro, il s’agit essentiellement du financement des attaques, les départs en zones de combat s’étant sensiblement taris. Au niveau macro, les organisations terroristes ont besoin de financements pour l’organisation des attaques, la rémunération des combattants et de leurs familles, et pour financer leurs moyens militaires et de propagande.

A.   Le financement du terrorisme : des macro-financements nourris par six principaux types de revenus

1.   La question des donations et financements extérieurs

a.   Une tendance en recul

Le fait qu’il y ait non pas un mais des financements du terrorisme tient d’abord aux évolutions historiques des modes de financement. Si l’État islamique s’est distingué par un modèle d’autofinancement, rendu possible par l’emprise territoriale du groupe, la période de la Guerre froide avait vu se développer des financements étatiques, avec un soutien à des groupes terroristes ou rebelles dans le cadre d’une guerre par procuration ([12]). Dans le cas d’Al-Qaida, le recours à des donations extérieures a fait pleinement partie du financement du groupe, bien qu’il faille distinguer entre un véritable « sponsoring » étatique et des financements privés, notamment via des ONG ou fondations.

Le rôle éventuel de « sponsor » qui serait joué par certains États aujourd’hui fait l’objet de débats. Le discours de clôture du président de la République Emmanuel Macron à l’issue de la conférence No money for terror est ainsi revenu sur le rôle ambigu que la majorité des États ont pu jouer, notamment en Syrie, en apportant leur soutien à certains groupes ([13]).

Par ailleurs, un sujet d’inquiétude plus clairement délimité perdure : le financement du prosélytisme religieux, qui peut nourrir des courants comme le salafisme pouvant à leur tour devenir un terreau pour le djihadisme. Ce sujet d’inquiétude, évoqué notamment en audition par Monsieur l’Ambassadeur Patrick Maisonnave, chargé de la stratégie internationale en matière de lutte contre le terrorisme, renvoie à ce qui a pu être qualifié par Mme Anne-Clémentine Larroque, chercheuse, de financement de « l’infra-terrorisme ». Ce prosélytisme est à relier au « soft-power » développé par l’Arabie saoudite et qui a notamment visé une expansion du wahhabisme dans différentes régions du monde, et ce dès la Guerre froide pour contrer l’influence américaine comme l’influence soviétique. Aujourd’hui, le financement par l’Arabie saoudite de certaines mosquées dans des États tiers – y compris la France dans le cas par exemple de la mosquée de Cannes – et le rôle prêté à ce pays dans le financement d’un islam radical hors de ses frontières, restent des sujets sensibles, comme l’a rappelé la publication en 2017 d’un rapport sur le sujet par un institut de recherche britannique, la Henry Jackson society. Selon ce rapport, l’Arabie saoudite dépenserait jusqu’à 4 milliards de dollars chaque année dans le monde pour promouvoir le wahhabisme, avec, dans le cas du Royaume-Uni, l’apport de financements pour des mosquées ou des écoles ([14]).

Il faut toutefois noter quelques évolutions récentes qui pourraient ouvrir la voie d’un contrôle renforcé. L’Arabie saoudite a ainsi imposé une labellisation aux ONG et organismes de collecte qui quêtent pendant le Hadj, avec des peines d’emprisonnement et des amendes en cas de non-respect des règles. En avril 2018, le président de la République Emmanuel Macron a par ailleurs annoncé que des mesures seraient prises pour clarifier le fonctionnement et le financement des mosquées, ce qui pourrait passer par des décisions conjointes avec l’Arabie saoudite.

Selon M. Bruno Dalles, interrogé sur le rôle des États du Golfe, et notamment de l’Arabie saoudite et du Qatar, dans le financement du terrorisme : « en matière de renseignement, nous n’avons pas pu démontrer de financement étatique de ces pays vers des terroristes ou des organisations terroristes. Depuis les récents déplacements du PR sur place, il y a eu une évolution dans l’engagement politique des autorités locales à coopérer. Nous nous sommes vus avec mes homologues.  Nous avons échangé sur des méthodologies de travail et nous nous sommes engagés à travailler sur des cas précis. Ce n’est pas encore parfait mais c’est nouveau ([15]) ».

b.   Le développement des micro-financements extérieurs

Si l’État islamique aurait perçu des donations d’individus ou de fondations des États du Golfe ([16]), le mode de fonctionnement de l’organisation a révélé l’existence des transferts de fonds plus modestes, essentiellement vers la zone irako-syrienne plutôt qu’en provenance de cette zone, et émis par des sympathisants de l’organisation ou des familles de combattants étrangers partis sur zone. Afin d’en garantir l’anonymat et d’échapper aux contrôles, ces transferts se font essentiellement en dehors du système bancaire, via des systèmes informels comme la hawala (voir infra).

Après les attentats de 2015, la cellule de renseignement financier française, Tracfin, a ainsi travaillé à l’identification de filières de financement de djihadistes français partis combattre dans les rangs de l’État islamique. Ces investigations ont permis d’identifier plus de 300 « collecteurs » situés dans les pays frontaliers de la zone irako-syrienne, essentiellement la Turquie et le Liban, et plus de 400 individus présents sur le territoire français contributeurs à ces filières de financement. Ce financement estimé à hauteur du million d’euros pour le seul territoire national a permis les départs, l’entretien des djihadistes sur zone et leurs retours.

Malgré l’affaiblissement de l’État islamique en zone irako-syrienne, l’organisation continue de bénéficier de soutiens étrangers, notamment en provenance d’Europe. Selon Europol, il existe toujours un fort potentiel de mobilisation à distance pour réaliser des levées de fonds, que les appels soient faits au sein de mosquées ou via internet.

Enfin, d’autres groupes auraient toujours recours, en complément d’autres sources de revenus autofinancées, à des dons extérieurs. Cela a pu être mis en avant notamment dans le cas du HTS ou de Boko Haram.

À noter que dans certains cas, les transferts de fonds ont pu avoir lieu depuis la zone irako-syrienne et vers l’Europe. Les auteurs des attentats de novembre étaient des membres de l’État islamique, qui ont bu bénéficier d’une aide financière. D’après le Centre d’analyse du terrorisme, ces transferts auraient représenté 2 à 3 000 euros par individu impliqué. En revanche, rien n’a permis dans le cas des attentats de janvier de confirmer les déclarations de Nasser Bin Ali al-Ansi, l’un des chefs d’AQPA ayant revendiqué le financement des attentats, ni celles de Cherif Kouachi qui a pu déclarer avoir été financé par l’un des principaux idéologues de l’organisation, Anwar al-Awlaqi, décédé en 2011.

2.   Le développement de l’autofinancement du terrorisme

Comme cela a pu être souligné à de nombreuses reprises en auditions, l’une des principales forces des organisations terroristes actives aujourd’hui a été de développer des capacités d’autofinancement. L’État islamique, qui demeure un cas singulier, a porté ce modèle à son paroxysme du fait de l’emprise territoriale acquise. À l’inverse, plusieurs études réalisées sur le financement de l’État islamique s’accordent pour dire que rien ne permet de penser que les donations étrangères ont joué un rôle significatif dans le financement de l’organisation ([17]).

Ce modèle d’autofinancement s’est appuyé sur plusieurs types de ressources. Tout d’abord, les ressources naturelles et notamment le pétrole et le gaz. Les revenus générés grâce au pétrole ont été évalués en 2014 entre 150 et 400 millions d’euros, et auraient atteint un pic de 550 millions d’euros en 2015, de l’ordre de 40 000 barils par jour, avant de connaître une chute drastique du fait des frappes de l’opération Tidal Wave II (octobre 2015) et des pertes territoriales au nord de Syrie et dans l’ouest de l’Irak. En 2014 et 2015, le gaz aurait aussi permis à l’organisation terroriste de dégager des revenus, estimés par le Centre d’analyse du terrorisme à 489 millions et 350 millions de dollars. À son apogée, le groupe a également eu accès à des ressources de phosphate et de ciment.

La mise en place d’un système d’impôts et de redevances a également permis de générer de très importants revenus pour le groupe, les estimations hautes allant jusqu’à 400 millions d’euros pour 2014 et 800 millions d’euros pour 2015. La perte de villes centrales et de points de transit en Syrie a précipité une chute de cette manne en 2016, à un niveau estimé entre 200 et 400 millions d’euros. Les pillages, enfin, ont permis au groupe de générer jusqu’à 1 milliard d’euros de revenus en 2014, du fait notamment du pillage de Mossoul qui aurait assuré à lui seul 500 millions d’euros de revenus. Pour 2015 et 2016, les estimations ont été établies à des fourchettes de 200 à 300 millions d’euros et 110 à 190 millions d’euros.

À côté de ces trois principales sources de revenus, d’autres sources mineures ont pu être identifiées, telles que les enlèvements contre rançons (autour de 20 à 40 millions d’euros en 2014, et de 10 à 30 millions d’euros pour 2016, essentiellement à l’encontre des populations locales), et les antiquités.

 

 

 

 

 

 

Quels liens entre le trafic des biens culturels et le financement du terrorisme ?

 

Parallèlement à la constitution de l’État islamique en proto-État et aux destructions et pillages de sites archéologiques comme le site de Palmyre, de nombreuses données, souvent largement exagérées, ont circulé sur les liens entre trafics de biens culturels et financement du terrorisme.

Premièrement, une estimation exacte de ces trafics et de leurs liens potentiels avec le financement du terrorisme est impossible, du fait du caractère délictueux de ces flux, de la difficulté à établir une preuve formelle entre trafic de biens culturels et financement du terrorisme, et des caractéristiques particulières des pièces archéologiques, qui ne peuvent être répertoriées qu’après avoir été interceptées une première fois. INTERPOL ne dispose d’aucune donnée fiable sur ces liens, et au niveau de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), les enquêtes judiciaires menées n’ont pas démontré de liens. Un seul procès en cours aujourd’hui, en Espagne, a établi un lien entre trafic de biens culturels issus de Libye et financement du terrorisme ([18]).

De façon générale, il est fort probable que des organisations terroristes aient pu dégager des revenus grâce aux trafics des biens culturels, mais en se greffant à des trafics préexistants souvent anciens, et, dans le cas de l’État islamique, essentiellement en prélevant des taxes et en organisant des fouilles clandestines sur le territoire contrôlé – via son département des antiquités Diwan al-Rikaz – plutôt que par une participation directe aux trafics.

Malgré la faiblesse probable de ces liens au plan financier, qui devrait se confirmer du fait des pertes territoriales subies par l’État islamique, la vigilance de la communauté internationale à l’égard des trafics de biens culturels issus du Moyen-Orient et dans une moindre mesure d’Afrique du Nord s’est sensiblement renforcée ces dernières années. En outre, il est possible que certains biens pillés aient été détournés en dehors des points de vente traditionnels situés en Europe et au profit de zones moins surveillées, ou encore qu’ils soient à ce jour stockés en attente d’une revente, dans la mesure où les biens pillés sont généralement revendus après un temps de latence dans le but de brouiller les pistes. En outre, le développement des enchères et des ventes en ligne a créé de nouvelles opportunités pour l’écoulement de ces trafics.

Vos rapporteures se félicitent de cette mobilisation croissante, qui a conduit à l’adoption des résolutions 2199 et 2347 du Conseil de sécurité et à la création en 2017 de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (ALIPH), dotée d’un fonds dédié à la lutte contre les trafics des biens culturels. Au mois de février 2019, et à la faveur des risques liés au financement du terrorisme, Europol a mis en place à titre expérimental un bureau dédié au trafic des biens culturels, qui permettra de mettre à profit les capacités et moyens de l’organisation sur ce sujet.

Si le modèle de financement de l’État islamique a connu un affaiblissement considérable, le groupe conserve un accès à plusieurs sources de revenus. Selon le dernier rapport de l’Équipe de surveillance des Nations unies, l’État islamique a pu conserver en 2018 un accès ponctuel à des champs pétrolifères au nord-est de la Syrie. Le pétrole resterait une source de revenus, soit revendu à la population locale, soit par des extorsions de fonds aux réseaux de distribution. Quand on sait que le groupe prédécesseur de l’État islamique a pu, entre 2006 et 2009, générer d’importances sommes d’argent grâce au pétrole, sans pour autant s’appuyer sur une large emprise territoriale, on peut redouter que cette source de revenus reste active malgré l’affaiblissement du groupe.

En 2018, l’État islamique continuait également de prélever des « taxes », notamment auprès de commerces situés dans les zones encore sous son contrôle. Les pertes territoriales du groupe devraient toutefois s’accompagner d’un tarissement de cette source de revenus.

Les enlèvements contre rançons, qui visent essentiellement les populations locales et notamment des hommes d’affaires locaux, restent également une source de revenus, quoique très difficile à évaluer. Les sommes ainsi gagnées représenteraient aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de dollars en Irak et en Syrie, avec la réserve toutefois que la peur de représailles incite les civils à rester extrêmement discrets sur ce sujet.

À ce jour, les revers connus par l’État islamique imposent le recours à des modes de financement plus diversifiés. Comme évoqué, le groupe a déjà réinvesti plusieurs centaines de millions d’euros dans l’économie réelle, lui permettant ainsi de conserver d’importantes réserves. Pis encore, il est fort probable que l’organisation se tourne toujours plus à l’avenir vers des sources de financement criminelles telles que les extorsions, les pillages et les enlèvements. On peut craindre un appui croissant sur les cellules terroristes situées en dehors de la zone d’implantation de l’organisation, qui recourent déjà à différents modes de « micro-financements » (voir infra).

De façon générale, l’imbrication du terrorisme et de la grande criminalité, si elle parvient à se constituer en « nexus », peut créer de sérieuses menaces. Si le terrorisme et la criminalité répondent à deux logiques différentes – l’idéologie dans un cas, et l’enrichissement dans l’autre – les deux phénomènes peuvent, souvent par opportunisme et pragmatisme, se rencontrer.

3.   L’imbrication entre financement du terrorisme et criminalité

a.   Les organisations terroristes ont recours à des pratiques criminelles pour se financer

Les liens entre financement du terrorisme et criminalité appellent plusieurs séries de remarques. Tout d’abord, il faut bien voir que cette problématique ne se pose pas de la même manière suivant les pays. En France et de façon générale en Europe, comme cela a pu être souligné en audition par Mme Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d'appel de Paris, il n’y a pas de liens avérés entre terrorisme et criminalité organisée ([19]). En revanche, il existe des liens réels et parfois importants entre terrorisme et petite délinquance.

Pour d’autres États, notamment dans la région du Sahel, en Afrique de l’ouest ou encore en Asie du sud, les liens entre terrorisme et crime organisé sont à l’inverse étroits. Comme cela a été expliqué en audition par Mme Delphine Schantz, experte en charge de la lutte contre le financement du terrorisme au sein de la direction exécutive du Comité contre le terrorisme, l’implication des groupes terroristes dans des activités criminelles, et notamment des trafics illégaux, n’est pas systématique et relève davantage du pragmatisme et de l’opportunisme. Dans les zones faiblement contrôlées où ces activités interviennent le plus souvent, il est par ailleurs très difficile d’assurer une traçabilité des flux et de pouvoir prouver les liens avec le terrorisme.

Deuxièmement, il est très difficile d’obtenir des données exhaustives et fiables sur l’ampleur des trafics illégaux et plus encore de leurs liens avec le financement du terrorisme.

Le recours des organisations terroristes aux activités criminelles n’en demeure pas moins réel et protéiforme : criminalité organisée et participation à des trafics, contrebande, extorsions et prélèvements de « taxes », enlèvements contre rançons. Plus encore, ces activités ont même pu faire l’objet d’une justification idéologique, alors qu’elles sont absentes de la Charia et vont même à l’encontre de valeurs prônées par le Coran. Comme l’a souligné Anne-Clémentine Larroque, ces idéologues sont parvenus à démontrer que telle ou telle activité illicite répondait avant tout à la finalité du djihad. Cette « halalisation des trafics » a pu toutefois susciter des tensions avec certains chefs de Katiba dans la région du Sahel. Ainsi au moment de la constitution d’AQMI dans la zone, plusieurs ont refusé de s’associer au trafic de drogue, qui est « haram » pour les textes islamiques.

En Afrique, le GSIM compte parmi ses sources principales de financement les rançons, la contrebande de cigarettes et de drogues, le prélèvement de taxes illégales ou encore les revenus liés au trafic de migrants. Dans le cas de Boko Haram, il faut mentionner les extorsions de fonds, les rançons, les braquages de banque, et la participation aux trafics de migrants et d’êtres humains. Après une interruption de ces activités, les Shebab ont recommencé à tirer un revenu important du commerce de charbon de bois, sur lequel le groupe prélève des taxes. Ces revenus représenteraient aujourd’hui environ 10 millions de dollars par, après avoir atteint des sommes qui auraient été jusqu’à 56 millions de dollars. Aujourd’hui, l’autre source principale de financement du groupe est abondée par d’autres formes de taxation illégale très diverses : eau potable aux puits, agriculture et élevage, extorsions d’entreprises.

Concernant plus spécifiquement le Maghreb, le groupe AQMI a également recours à des pratiques criminelles pour se financer. Le trafic de drogue et notamment de cocaïne est ainsi de plus en plus utilisé par le groupe, qui génère des revenus en prélevant des taxes en l’échange de sa protection. D’après le « World Atlas of illicit flows », ce mode de financement est aujourd’hui privilégié par le groupe, qui continue dans une moindre mesure à pratiquer des enlèvements contre rançons.

En revanche, et toujours selon le même rapport, des rumeurs selon lesquelles les Shebab auraient tiré d’importants revenus du trafic d’ivoire ont été réfutées. De même, l’équipe de surveillance des Nations unies a indiqué dans son dernier rapport que rien ne permettait de confirmer l’implication des groupes terroristes présents au Maghreb dans des trafics de drogue ou des traites de personnes. 

En Syrie, le HTS a principalement recours aux extorsions, notamment en prélevant des taxes illicites sur la circulation des marchandises au niveau de différents postes de contrôle, ainsi qu’à des enlèvements contre rançons qui, comme dans le cas de l’État islamique, visent principalement les ressortissants locaux. 

En Asie enfin, certains trafics ont été identifiés de longue date comme une source de financement des organisations terroristes, à commencer par le trafic d’opium pour les Talibans en Afghanistan. Selon l’ONU, s’appuyant sur les estimations du gouvernement afghan, jusqu’à un quart des revenus des Talibans aurait été lié, au début des années 2010, aux activités liées à l’opium, soit 100 millions dollars.

Ainsi, la participation de groupes terroristes à ces différentes activités criminelles est à la fois répandue et variable suivant les zones, chaque groupe et chaque territoire ayant ses spécificités. Le plus souvent, ces activités criminelles ont toutefois d’autant plus de facilités à prospérer que les institutions étatiques sont affaiblies.

b.   Les liens entre terrorisme et criminalité prospèrent dans des zones fragiles institutionnellement

Comme a pu le souligner Laurence Bindner dans un article portant sur les liens entre commerce illicite et financement du terrorisme ([20]), les organisations criminelles et les organisations terroristes ont pour point commun de proliférer « sur certaines zones en raison de la faiblesse des États et de la porosité des frontières ». Le cas du Sahel en constitue un bon exemple, évoqué en audition à plusieurs reprises et notamment par M. Serge Michailof, chercheur. Les zones de conflit sont de façon générale particulièrement exposées à cette porosité des flux criminels.

Dans le cas du nord de l’Afrique, les liens entre groupes terroristes et trafics sont un phénomène relativement ancien. Le djihadisme qui s’est développé au Maghreb dès les années 1990 a ainsi été favorisé par le choix des cadres d’Al-Qaida de « s’affilier les tribus gérant les trafics de drogue, de cigarettes ou de métaux rares ». Pour reprendre les analyses d’Anne-Clémentine Larroque, le djihadisme africain « joue sur la concurrence entre tribus et s’impose dans la gestion des trafics ([21]) ». Ces alliances sont le plus souvent d’opportunité et restent précaires, tant elles peuvent être remises en cause par les jeux d’influence entre organisations terroristes.

La situation actuelle de plusieurs États africains reste fragile et favorable au maintien de ces liens. La fragilité de l’État au Mali, l’instabilité institutionnelle au Tchad où l’armée n’est pas systématiquement payée ou encore la vulnérabilité croissante du Burkina Faso sont ainsi autant de facteurs d’inquiétude face à l’implantation de plusieurs organisations terroristes. Dans le Sahel, il est de façon générale très difficile pour les États d’agir contre ces trafics et la lutte contre le financement du terrorisme doit s’inscrire dans une stratégie plus globale d’assistance technique et institutionnelle et d’aide au développement

B.   Le financement des terroristes : un terrorisme « low cost » permis par des microfinancements

1.   Le financement des attaques terroristes : vers un terrorisme low cost ?

Si le coût des attaques du 11 septembre 2001 a pu être estimé entre 350 et 400 000 dollars, et celui de l’attaque de l’hôtel Mariott de Bali en 2002 à 74 000 dollars, la majorité des attaques terroristes perpétrées aujourd’hui, tout particulièrement en Europe, ont été réalisées avec peu voire très peu de moyens.

L’affaire Merah, en 2012, a pu apparaître à plusieurs égards comme un révélateur de ce terrorisme à bas coût. Les attentats de Paris, en janvier et novembre 2015, ont été réalisés pour un coût estimé respectivement à 26 000 et 82 000 euros : ces sommes, quoique trop importantes pour parler de terrorisme low cost, n’en demeurent pas moins relativement modestes par rapport au retentissement et à l’impact de ces attaques.

Si les auteurs des attentats de novembre ont pu bénéficier d’un appui financier de l’État islamique et d’un soutien de ses membres ou sympathisants, les terroristes de janvier se sont en revanche totalement autofinancés.

Les documents suivants, réalisés par Jean-Charles Brisard et Gabriel Poirot pour le Centre d’analyse du terrorisme, fournissent une estimation des différents postes de dépenses mobilisés pour commettre ces attaques terroristes :

budget des attentats de Paris

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Source : Centre d’analyse du terrorisme

Aujourd’hui, la plupart des attaques commises sur le sol européen coûtent moins de 10 000 voire moins de 1 000 euros. L’attentat de Nice en juillet 2016 aurait par exemple coûté environ 2 500 euros, soit le montant nécessaire pour acheter une arme et louer pour quelques jours un camion de 19 tonnes. Selon le dernier rapport d’Europol, la hausse du nombre d’attaques en Europe en 2017, déjouées comme réussies, s’est accompagnée en parallèle d’une sophistication décroissante, tant au niveau de la préparation que de l’exécution. On peut relever quelques exceptions, comme l’attentat de Manchester en 2017, exécuté au moyen d’un engin explosif improvisé, qui a exigé un certain niveau de maîtrise technique dans son élaboration.

Pour autant, l’affaiblissement sur zone de l’État islamique et sa perte de moyens laissent à penser que ce type d’attaques risque de devenir complètement prédominant. Cette tendance tient aussi à la propagande de l’organisation, dont les chefs ont rapidement appelé à commettre des attaques contre des civils par tous les moyens possibles. La déclaration du porte-parole de l’État islamique Abou Mohammed al-Adnani, en septembre 2014, avait ainsi appelé à s’en prendre aux « incroyants », et notamment aux Français, « de n’importe quelle manière ».

2.   Un financement qui mêle revenus légaux et revenus illégaux

La notion d’autofinancement du terrorisme s’applique aux organisations terroristes, mais aussi au financement direct des terroristes, qu’ils fonctionnent en cellules ou agissent seul avec une aide très limitée. Une étude du Norwegian Defense Research Establishment, parue en 2014 et portant sur 40 cellules djihadistes européennes, entre 1994 et 2013, a ainsi mis en avant un autofinancement de ces groupes dans 90 % des cas. Dans 47 % des cas, cet autofinancement avait même été intégral, tandis que seules 25 % des cellules djihadistes étudiées avaient bénéficié de l’aide de réseaux terroristes internationaux ([22]).

Cet autofinancement a pour caractéristiques de mêler flux illégaux, liés à des actes de délinquance de droit commun, et détournement de flux légaux.

a.   Le recours à des flux illégaux

L’imbrication entre financement du terrorisme et flux illégaux s’évalue d’abord à l’aune des liens entre terrorisme et délinquance de droit commun.

Selon les informations fournies à vos rapporteures par la Direction centrale de la police judiciaire, d’après une étude menée par la SDAT (sous-direction anti-terroriste) à l’automne 2017, 58 % des terroristes qui étaient passés à l’action en France depuis 2012, ou avaient tenté le faire, étaient connus pour des faits de droit commun. Parmi ces 58 %, 99 % d’entre eux l’étaient notamment pour des faits de violence, 25 % avaient des relations dans le milieu du crime organisé, 42 % avaient commis leurs premiers faits délictuels alors qu’ils étaient mineurs et 59 % avaient fait de la prison.

Pour Catherine Champrenault, ces liens forts entre terrorisme et délinquance de droit commun peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs. D’une part, certains djihadistes ont été recrutés par des idéologues en prison, alors qu’ils purgeaient des peines pour délinquance. D’autre part, car les djihadistes recrutent parmi les éléments les plus faibles de la société, à l’aide d’un discours qui légitime la violence et anoblit les comportements déviants, et parvient à procurer à des délinquants qui n’avaient aucune reconnaissance sociale une nouvelle identité et une nouvelle fraternité.

Ces liens entre terrorisme et délinquance se sont manifestés en France de multiples façons : individus basculant dans la délinquance vers le terrorisme (les frères Kouachi, terroristes de Charlie Hebdo, certains membres du commando du 13 novembre 2015, Mohammed Lahouaiej Bouhlel, responsable de la tuerie de Nice le 14 juillet 2016, etc.), individus basculant dans la radicalisation tout en conservant un lien étroit avec le monde de la délinquance (Mohammed Merah, Amédy Coulibaly…).

Dans les faits, plusieurs pratiques ont pu être utilisées :

-          Les vols à main armée, utilisés par Mohammed Merah pour financer ses voyages à l’étranger et les attentats de mars 2012, ou encore dans le cas d’affaires comme Cannes-Torcy et Sylla-Rouberti (braquage) ;

-          Les escroqueries au crédit à la consommation, auxquelles ont eu recours Amedy Coulibaly et Hayat Boumedienne, qui étaient parvenus à souscrire trois prêts à la consommation (dont deux prêts automobile) pour un montant de 60 200 euros, en utilisant de faux bulletins de paie ;

-          Le commerce illicite, dont les frères Kouachi ont notamment utilisé les bénéfices, dans le domaine des contrefaçons de vêtements et de chaussures, et auquel Amedy Coulibaly aurait également eu recours (contrebande de cigarettes).

b.   Le détournement de flux légaux

Le recours à des flux d’origine légale, détournés à des fins terroristes, a également été constaté à de nombreuses reprises en France.

De façon générale, le soutien familial a pu être une source de financement de voyages sur zone ou d’actes terroristes. Il est basé sur des fonds légaux, mais dont la transmission est illégale : vente de biens personnels, revenus du travail, crédits à la consommation, appel à la solidarité particulièrement dans une communauté où la charité est profondément ancrée (appel à la zakat –aumône qui est l’un des 5 piliers de l’Islam), paiements de billets d’avion par des tiers. Comme cela a pu être précisé à vos rapporteures par M. Bruno Dalles, directeur de Tracfin, en audition, le soutien familial est une donnée observée dans l’ensemble de l’Europe, et n’est pas propre à la France.

Le détournement, parfois qualifié de « noircissement », de ressources légales a pu concerner dans certains cas les prestations familiales et allocations chômages, notamment lorsque les familles ont pu continuer à les percevoir malgré les départs sur zone, en utilisant la substitution de personnes aux rendez-vous et des faux documents.

Sur ce point, il faut savoir que la SDAT a mis en place dès 2014 un partenariat privilégié avec la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF), dans le but de stopper ou de recalculer les prestations indues en cas de départ sur zone, en application de l’article L. 114-16-1 du Code de la sécurité sociale. Dans ce cadre, une suspension des droits sur une vingtaine de ménages a pu être établie. Les agents de Pôle emploi sont également soumis à ces dispositions, aux termes de l’article L. 114-16-3 du Code de la sécurité sociale, toutefois la notion de prestations « indues » se comprend en fonction de l’application des règles de l’assurance chômage. En pratique, une personne partie en zone irako-syrienne ne sera pas disponible pour sa recherche d’emploi et sera donc susceptible d’être radiée. Pôle emploi ne dispose pas d’outils spécifiquement calibrés pour stopper les prestations d’individus partis sur zone.

Si des détournements ont été constatés, les services concernés, qui ont été sollicités par vos rapporteures, ne disposent pas d’une évaluation globale ni de chiffres précis. Les sommes concernées restent modestes, et leur mobilisation dans le financement d’actes terroristes tient d’abord au profil socio-économique des radicalisés (voir supra).

C.   Suivre l’argent : des flux financIers qui mobilisent différents canaux

Le financement du terrorisme implique des sources de financement, mais aussi le recours à des canaux financiers. Ces canaux sont nécessaires pour effectuer des paiements ou pour réaliser des transferts de fonds dans le cas d’apports financiers extérieurs. Comme évoqué (voir supra), ces transferts restent un outil précieux pour des organisations comme l’État islamique, qui connaît un affaiblissement de ses sources d’autofinancement mais conserve des sympathisants en dehors de sa zone d’implantation.

Les terroristes recourent à des canaux financiers variés. Surtout, outre le système bancaire traditionnel sur lesquels de nombreux contrôles ont été mis en place, le financement du terrorisme mobilise des produits et acteurs alternatifs. Avant toute chose, les réseaux terroristes recherchent une certaine sécurité dans leur usage des moyens de paiement ou de communication. En pratique, différents outils ont pu être utilisés : cartes prépayées, services de transfert d’argent comme Western union ou Moneygram, paiements en espèces auxquels ont principalement recouru les auteurs des attentats de Paris en janvier et en novembre 2015.

1.   Le système de la « hawala » et les réseaux de collecteurs

Les différents outils utilisés sont mis à profit dans le cadre d’une organisation en réseau, qui s’appuie sur un système de compensation traditionnel, la « hawala », et en pratique sur des réseaux de « collecteurs » financiers. Il s’agit là de filières transnationales, particulièrement efficaces pour éviter les contrôles aux frontières, qui permettent via l’entremise de « banquiers occultes » faisant appel à des intermédiaires de confiance de récupérer des espèces pour les remettre ensuite à une clientèle très diversifiée ayant besoin de liquidités.

La « hawala », selon la définition fournie en audition par Anne-Clémentine Larroque, renvoie à un système de paiement apparu dès les débuts de l’Islam, au VIIIème siècle. Il s’agit d’un processus de transfert d’argent, au sein d’un réseau d’agents nommés les hawaladars. Un client transfère une somme d’argent à l’un de ces agents, en contact avec l’agent le plus proche du destinataire de la somme, à qui il demande de lui verser cette somme en échange de la promesse d’un remboursement ultérieur. Il s’agit d’un système qui repose sur la confiance établie entre les différents relais, et qui a l’avantage de brouiller la traçabilité des transferts.

Les « collecteurs » sont les principaux architectes des flux financiers collectés au profit de l’État islamique. Pour reprendre les éléments de définition fournis par Tracfin, il s’agit « facilitateurs financiers », qui proposent un ensemble de services.

Le rôle des collecteurs dans le financement du terrorisme

 

- Garder l’argent d’un combattant étranger voyageant de/vers les pays de l’arc de crise afin de réduire le risque lié au franchissement de la frontière avec des espèces ;

- Sécuriser le montant dû à un passeur par un combattant en réglant la somme lorsque la frontière a été franchie ;

- Recevoir des fonds au nom d’un bénéficiaire qui n’a pas de carte d’identité valide ou pour qui il serait trop risqué de la dévoiler ;

- Apporter de l’argent directement vers une zone de combat pour en faire bénéficier un combattant ;

- Envoyer, par un système de compensation de type hawala, un montant vers une zone de combat.

 

Source : Tracfin, Rapport d’activité 2016

En pratique, les sommes réunies en vue d’un transfert peuvent combiner plusieurs sources de micro-financements, le plus souvent sous la forme d’un envoi unique qui transite vers des pays frontaliers de la zone de conflit, essentiellement le Liban et la Turquie, avec pour destination finale les pays de l’arc de crise au Proche-Orient.

Certaines affaires emblématiques, comme l’affaire « Syrian Wallet » qui a été évoquée en audition par les services de la DCPJ, ont permis de manifester l’ampleur de ce phénomène. Cette affaire, qui portait sur les services organisés par l’État islamique pour soutenir financièrement les combattants étrangers en Syrie, Irak et Libye, a permis de mettre en évidence un réseau de collecteurs implantés en Turquie et au Liban et chargés de récupérer les sommes envoyées via mandats par Western union ou MoneyGram afin de les remettre aux combattants étrangers en zone de conflit, via le système de la hawala.

 

Le phénomène des collecteurs a connu un succès important jusqu’en 2017. Il s’est atténué au fil des revers de l’État islamique, mais cet affaiblissement sur zone de l’organisation constitue aussi une incitation à davantage se tourner vers des apports extérieurs, en provenance d’Europe ou des zones actuelles et potentielles de repli des combattants étrangers.

Le fonctionnement d’un réseau de collecteurs

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Source : Rapport Tendance et analyse des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en 2017-2018 - TRACFIN

2.   Le recours aux nouveaux moyens de paiement

En plus du recours aux espèces et aux cartes prépayées, les flux de financement du terrorisme investissent aussi d’autres moyens de paiement, dans le but de garantir l’anonymat de ceux qui en font l’usage.

À cet égard, les nouveaux produits financiers suscitent des risques dans la mesure où ils permettent « d’opacifier les transactions », comme l’a souligné en audition Bruno Dalles. Certains outils comme les cagnottes ou plateformes de financement participatif peuvent être utilisés pour mobiliser des fonds afin de soutenir la cause terroriste ou du moins la radicalisation. D’autres produits peuvent poser des problèmes comme les comptes de paiement, notamment ceux qui ne sont pas inscrits au Ficoba (Fichier national des comptes bancaires et assimilés) : les comptes C-Zam de Carrefour banque, les produits européens alternatifs (N-26, REVOLUT) qui proposent des IBAN allemands ou anglais utilisables sur notre territoire mais échappent à toute identification nationale.

En revanche, le recours aux monnaies virtuelles reste à ce stade limité en matière de financement du terrorisme. Quelques cas ont pu être constatés : en janvier 2017, des sympathisants de l’État islamique en Indonésie ont utilisé de l’argent reçu via Bitcoins – la monnaie virtuelle la plus populaire aujourd’hui – pour financer leurs activités ([23]), tandis qu’en juin 2015, un adolescent a été arrêté en Virginie après avoir posté via Twitter des instructions pour effectuer des dons à l’État islamique au moyen de Bitcoins ([24]). La complexité d’utilisation de ces outils et l’accès à Internet limité dans les zones de conflit préservent à ce stade d’une utilisation plus large, même si cette menace doit être prise au sérieux et anticipée.

3.   Le rôle d’ONG et d’associations « écrans »

En France comme dans d’autres pays, les risques liés aux pratiques de certaines associations et ONG et au manque de transparence de leur financement ont fait l’objet d’une attention croissante, jusqu’à la conférence No money for terror qui a alerté sur les détournements de ressources opérés par des associations caritatives ou cultuelles à des fins de terrorisme.

Dans le cas de la France, la police judiciaire classe parmi les détournements de flux légaux observés dans le financement du terrorisme le dévoiement des fonds d’associations, surtout, les derniers rapports d’analyse de Tracfin ont mis en avant le manque de transparence de certaines structures associatives : opérations financières suspectes comme des dépôts ou retraits d’espèce de montants anormalement élevés, transferts de fonds vers des pays à risque et sans bénéficiaire identifié, dépenses sans lien avec l’objet de l’association. Les flux suspects vers des associations font partie des signaux pouvant alerter Tracfin, et on a identifié des cas de financement par le biais d’associations – dont certaines ont fonctionné comme les points de convergence de flux financiers destinés à financer des réseaux djihadistes – parmi les dossiers judiciarisés émanant de Tracfin.

CAS PRATIQUES DE TRACFIN SUR LES ASSOCIATIONS

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Source : Tracfin, Rapport d’analyse 2016-2017

Les associations concernées s’exposent ainsi à plusieurs types de risques, dont le risque pénal en cas de détournement de fonds, et le risque d’ingérence étrangère, « qui ne peut être écarté dans le cas de certaines associations disposant de sources de financement opaques ([25]) ». Selon Tracfin, trois catégories d’associations peuvent être concernées : des associations à vocation humanitaire, des associations culturelles, des associations cultuelles. Leurs modes de financement reposent essentiellement sur des dons de particuliers, même si des financements de l’étranger ont pu être ponctuellement signalés et si certaines associations ont pu bénéficier de subventions publiques dans le cadre de leur activité officielle.

Selon la Direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l’Intérieur, on peut identifier trois secteurs comme particulièrement exposés :

-          les associations qui peuvent intervenir en zones de combat ou viennent en aide à d’autres structures dans ces zones (assistance médicale, aide humanitaire d’urgence etc.) ;

-          les fonds de dotation, qui ne sont pas autorisés en théorie à financer des cultes mais qui ont pu être utilisés par des associations pour financer leurs activités, notamment la construction de lieux de culte ;

-          les associations cultuelles à objet mixte (associations déclarées « loi de 1901 » mais ayant un objet en partie cultuel) bénéficient d’un régime juridique beaucoup moins contraignant que le régime juridique des associations cultuelles, et donc plus propice à un mode de gestion peu transparent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le régime juridique encadrant le financement des associations culturelles et cultuelles

Pour se financer, le tissu associatif français a en majorité recours à des ressources propres et privées (56 %), les ressources publiques ne comptent que pour 20 % du total. La part majoritaire des financements provient des recettes tirées des activités des associations, à hauteur de 66 %.

Il faut par ailleurs souligner la dichotomie entre les petites associations, dont le budget est de moins de 10 000 euros et qui représentent 75 % du secteur, et les grandes associations, avec un budget de plus de 500 000 euros et qui représentent 1,3 % du secteur. Elles absorbent l’essentiel des financements publics et privés.

Si les associations sont exposées à certaines vulnérabilités, le cadre juridique existant ne leur impose pas moins une série de contrôles, dans le respect de la liberté d’association, principe fondamental reconnu par les lois de la République ([26]) :

 

Les associations régies par la loi du 1er juillet 1901

Les ressources de ces associations sont listées à l’article 6 du titre I de la loi du 1er juillet 1901 : cotisations des adhérents, dons « manuels » qui se font « de la main à la main » ou via un virement, sans nécessiter d’acte notarié (l’association doit toutefois déposer une déclaration en préfecture en cas de collecte sur la voie publique), les donations et legs, uniquement pour les associations qui disposent de la « grande capacité » (soit les associations reconnues d’utilité publique et sous certaines conditions les associations simplement déclarées ([27])), les subventions (de l’État, des collectivités ou d’établissements publics), que toutes les associations peuvent recevoir et qui doivent faire l’objet d’un compte rendu d’emploi à l’autorité d’octroi ([28]), les financements propres.

Toute association doit être déclarée pour pouvoir bénéficier de la personnalité juridique, et déclarer en préfecture les changements survenus dans son administration. Ces informations sont réunies dans le répertoire national des associations (RNA).

Au-delà de 153 000 euros annuels de dons ou de subventions, les associations doivent établir un bilan, un compte de résultat et une annexe publiés sur le site de la DILA ([29]). Ces associations peuvent être contrôlées par les juridictions financières et différents corps de contrôle comme l’IGA ou l’IGAS, et l’absence d’établissement des documents comptables, qui doivent être certifiés par un commissaire aux comptes, est sanctionnée depuis 2014 par une amende de 9 000 euros.

Toute association qui demande un agrément d’État doit satisfaire aux conditions de délivrance du tronc commun d’agrément. L’association doit avoir un objet d’intérêt général, un fonctionnement démocratique et présenter des règles de nature à garantir la transparence financière ([30]).

 

Les associations cultuelles soumises au titre IV de la loi du 9 décembre 1905

Les ressources de ces associations sont prévues à l’article 19 de la loi de 1905 : cotisations, produits des quêtes et collectes pour les frais du culte, rétributions diverses, libéralités testamentaires et entre vifs. Le régime juridique en vigueur prévoit aussi des avantages qui constituent des sources de financement tels que la capacité à percevoir des dons ouvrant droit à avantage fiscal ou différentes exonérations fiscales.

Ces associations sont tenues d’établir des comptes annuels, et de présenter à l’administration des comptes annuels à l’appui de différentes demandes (déclaration de libéralité, rescrit administratif, rescrit fiscal) et lorsqu’elles reçoivent annuellement plus de 153 000 euros de dons ouvrant droit à réduction fiscale. Les comptes annuels doivent alors être certifiés par un commissaire aux comptes et publiés, ainsi que son rapport.

Les associations cultuelles doivent soumettre chaque année les actes de gestion financière et d’administration légale des biens au contrôle et à l’approbation de l’assemblée générale de ses membres, établir un procès-verbal et dresser l’état inventorié de ses biens.

Une association cultuelle régie par la loi de 1905 peut être contrôlée par la Cour des comptes sur la conformité entre ses objectifs et l’utilisation des dons lorsqu’elle reçoit annuellement plus de 153 000 euros de dons ouvrant droit à avantage fiscal, et par l’administration fiscale, à compter du 1er janvier 2018, sur l’adéquation entre les montants portés sur les reçus fiscaux délivrés et ceux des dons effectivement reçus.

Surtout, les associations peuvent être un secteur particulièrement vulnérable dans la mesure où elles sont largement composées de bénévoles et ne disposent en général pas des réflexes liés à la mise en œuvre de l’évaluation et de la prévention des risques, d’où l’exposition particulière des petites associations simplement déclarées et des fonds de dotation. Selon la DLPAJ, ce sont les structures les moins contrôlées aujourd’hui tant du fait de leur nombre (1,6 million d’associations actives enregistrées dans le RNA et plus de 3 000 fonds de dotation) qu’en raison de l’absence de dispositif juridique le permettant et du moindre volume de flux financiers constatés par entités.

Au-delà d’une menace directe de financement du terrorisme, les associations, au même titre que d’autres lieux collectifs, peuvent être des lieux de radicalisation ou du moins de « socialisation radicale », pour reprendre un terme employé en audition par Anne-Clémentine Larroque. Ces risques concernent des structures comme les associations sportives ou encore les associations d’aide aux devoirs, où des discours radicaux et particulièrement anti-républicains peuvent être proférés.

Au niveau international, les organisations à but non lucratif et notamment les organisations humanitaires ont rapidement été considérées comme des acteurs devant faire l’objet d’une vigilance particulière, compte tenu des risques de détournements de fonds. Les organisations à but non lucratif font ainsi l’objet de la huitième des recommandations spéciales du GAFI sur le financement du terrorisme, et du point de vue du Comité contre le terrorisme de l’ONU tous les pays devraient identifier les associations nationales les plus vulnérables. Pour autant, le GAFI a aussi reconnu les efforts déployés par les organisations humanitaires pour lutter contre les risques de détournements et la recommandation n° 8 a été modifiée et prône désormais une approche par les risques dans la mise en place des règles et contrôles. Comme l’a souligné en audition Delphine Schantz, il est également nécessaire de tenir compte des risques de voir certains États utiliser les lois conçues pour lutter contre le financement du terrorisme afin de museler des associations.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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   DEUXIème partie : les moyens et les outils de la lutte contre le financement du terrorisme international

S’ils ne datent pas de 2001, les outils déployés dans le monde pour lutter contre le fléau terroriste ont connu un développement et un perfectionnement croissants sur les quinze dernières années. Le caractère transnational de la menace impose une mobilisation sur plusieurs niveaux : national, international et, pour un État comme la France, européen.

De l’aveu de nombreuses personnes auditionnées par vos rapporteures – notamment lors d’un déplacement aux États-Unis – la France apparaît aujourd’hui comme l’un des chefs de file de la lutte contre le financement du terrorisme international. Ce statut s’explique tant par la robustesse des dispositifs nationaux que par le portage politique de ce sujet sur la scène internationale, qui a connu un point culminant avec l’organisation en avril 2018 à Paris de la conférence « No money for terror ». Cette conférence a permis de mettre sur le devant de la scène politique un sujet trop souvent relégué à sa seule dimension technique, en réunissant plus de 70 États, 17 organisations internationales et régionales ainsi que le Groupe d’action financière et ses déclinaisons régionales.

La conférence, dont le suivi doit être assuré par l’Australie à l’automne 2019, a permis l’adoption d’une feuille de route internationale (voir la déclaration finale en annexe) autour de dix recommandations :

Les dix recommandations finales de la conférence « No money for terror »

 

 (1) Poursuivre le renforcement de nos cadres juridiques et opérationnels internes pour la collecte, l'analyse et le partage des informations par les autorités nationales

(2) Lutter contre les transactions financières anonymes

(3) Accroître la traçabilité et la transparence des fonds destinés aux organisations à but non lucratif et aux œuvres caritatives

(4) Anticiper et prévenir le risque de détournement des nouveaux instruments financiers

(5) Travailler en collaboration avec le secteur privé, en particulier l'industrie du numérique, pour lutter contre le financement du terrorisme

(6) Réaffirmer l'utilité des mécanismes nationaux et internationaux de gel et de saisie des avoirs

(7) Renforcer l'efficacité de la coopération internationale

(8) Soutenir la légitimité, la visibilité et les ressources du GAFI et des ORTG

(9) Renforcer notre engagement collectif envers les États qui ne satisfont pas aux normes ou manquent de capacités

(10) Maintenir notre mobilisation commune contre le financement du terrorisme


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I.   une mobilisation croissante de la communauté internationale depuis 2001

Dans un contexte où le multilatéralisme et la coopération internationale connaissent des revers, la lutte contre le terrorisme et contre son financement apparaissent comme des sujets particulièrement consensuels. À l’issue du G20 de Hambourg en 2017, les États membres avaient ainsi adopté une déclaration spécifique sur la lutte contre le terrorisme, appelant à renforcer le Groupe d’action financière (GAFI) et à respecter ses standards.

A.   UN ARSENAL JURIDIQUE Étoffé

Sur les vingt dernières années, une série d’instruments normatifs internationaux ont été adoptés dans le but de renforcer la lutte contre le financement du terrorisme international, les attentats du 11 septembre 2001 ayant constitué un tournant. Si ces instruments ont pu spécifiquement cibler le financement du terrorisme, il apparaît surtout que cet aspect du terrorisme a très rapidement été considéré comme une dimension incontournable du phénomène.

Deux instruments doivent être mentionnés en priorité. Tout d’abord, la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (1999), entrée en vigueur le 10 avril 2002. Elle fait partie des 19 instruments adoptés par la communauté internationale depuis 1963 pour organiser la lutte contre le terrorisme (voir annexe). Elle a d’abord pour intérêt de définir juridiquement le financement du terrorisme comme une infraction, même si plusieurs États ont nuancé la définition retenue des actes terroristes dans leurs réserves.

Au sens de l’article 2 de la convention, commet une infraction « toute personne qui, par quelque moyen que ce soit, directement ou indirectement, illicitement et délibérément, fournit ou réunit des fonds dans l'intention de les voir utilisés ou en sachant qu'ils seront utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre : a)  Un acte qui constitue une infraction au regard et selon la définition de l'un des traités énumérés en annexe ; b) Tout autre acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas
directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque. »

La convention, à laquelle 190 États sont parties, invite à prendre les mesures nécessaires à la lutte contre le financement d’activités terroristes, et neuf traités y sont annexés ([31]).

Au point de vue opérationnel, c’est la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 28 septembre 2001, qui a joué un rôle pivot.

Cette résolution enjoint les États à « ériger en infraction la fourniture ou la collecte délibérée, par leurs nationaux ou sur leur territoire, de fonds que l’on prévoit d’utiliser ou dont on sait qu’ils seront utilisés pour perpétrer des actes de terrorisme ». Elle impose également aux États de se doter de systèmes de gels d’avoirs, pouvant neutraliser les ressources de personnes et d’entités liées au terrorisme. Les États ont interdiction de fournir un appui « aux entités ou personnes impliquées dans des actes de terrorisme, notamment en réprimant le recrutement de membres de groupes terroristes et en mettant fin à l’approvisionnement en armes des terroristes », et ne doivent pas « donner refuge » à ceux qui financent, organisent ou commettent des actes terroristes. Le principe de la coopération internationale et de l’assistance entre États est également acté, les États devant se prêter « mutuellement la plus grande assistance lors des enquêtes criminelles et autres procédures portant sur le financement d’actes de terrorisme ou l’appui dont ces actes ont bénéficié », ce principe de coopération étant également affirmé concernant les échanges d’informations et de renseignements et les domaines administratif et judiciaire.

Dès 2001, la question du financement du terrorisme et la nécessité d’agir à son encontre sont donc pleinement prises en compte, et définies comme des priorités. De nombreuses résolutions ont ensuite été adoptées par le Conseil de sécurité, et font régulièrement mention du problème du financement. Entre 2001 et 2014, les résolutions adoptées ont essentiellement visé la menace constituée par Al-Qaida, tandis que les résolutions adoptées depuis 2014 ont cherché à renforcer plus spécifiquement la lutte contre l’État islamique. La résolution 2178, adoptée en septembre 2014, s’attaque à la problématique des combattants étrangers et demande aux États de renforcer leurs législations nationales pour empêcher les départs de leurs ressortissants vers les zones de conflit. Elle demande notamment aux États de prévenir et d’éliminer le financement des voyages et des activités des personnes concernées. La résolution 2249, présentée par la France et adoptée dans le but de renforcer la mobilisation et la coordination des États dans la lutte contre l’État islamique, fait également référence à la problématique du financement du terrorisme.

En décembre 2015, la résolution 2253, adoptée à l’issue d’une réunion des ministres des Finances au niveau du Conseil de sécurité, a mis un accent particulier sur la lutte contre le financement du terrorisme. Elle appelle les États à contrôler les mouvements financiers suspects, à geler les avoirs des personnes et entités listées, et à limiter l’usage de l’argent liquide dans l’économie, et étend le régime des sanctions contre Al-Qaida pour y inclure l’État islamique et les groupes associés. Plus tôt en 2015, le Conseil avait déjà adopté à l’unanimité la résolution 2199, qui « renforce les mesures existantes visant à tarir les sources de financement de l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL), du Front el-Nosra et de toutes autres personnes, groupes, entreprises et entités associés à Al-Qaida ». La résolution, entre autres, réaffirme l’importance des gels d’avoirs et des sanctions financières, enjoint les États d’empêcher l’accès des groupes terroristes au système financier international et de prendre les mesures nécessaires pour empêcher le commerce illicite des biens culturels dérobés en Irak en Syrie.

En matière de financement du terrorisme, le Conseil de sécurité a également permis la mise en œuvre d’un cadre d’adoption de sanctions à l’encontre des organisations terroristes et de leurs membres. Un premier régime de sanctions a été créé en 1999 contre Al-Qaida et les Talibans, par la résolution 1267. Ce régime permet de mettre en œuvre des gels d’avoirs, des embargos sur les armes ou encore des interdictions de voyager. Son suivi est assuré par le Comité 1267, qui bénéficie d’une équipe de surveillance. En 2011, ce régime a été scindé pour s’adapter aux évolutions de la situation en Afghanistan, en distinguant entre Al-Qaida et les groupes affiliés d’une part (régime 1267) et les Talibans d’autre part (régime 1988). En 2015, le régime 1267 a été rebaptisé « Comité de sanctions 1267/1989/2253 sur l’État islamique et Al-Qaida » pour prendre en compte l’État islamique (résolution 2253). Sa dernière actualisation date de juillet 2017, avec l’adoption de la résolution 2368, qui a notamment précisé que le gel d’avoirs devait s’appliquer à toutes les activités génératrices de revenus pour le terrorisme, y compris, sans exclusive, le « commerce des produits pétroliers, des ressources naturelles, des produits chimiques ou agricoles, des armes ou des antiquités, par des personnes, groupes entreprises et entités, les enlèvements contre rançon et le produit d’autres infractions, y compris la traite d’êtres humains, l’extorsion et le cambriolage de banques ».

Enfin, on peut mentionner quelques résolutions plus spécifiques, comme la résolution 2347, portée par la France et l’Italie afin de souligner les liens entre le commerce illicite de biens culturels et le financement du terrorisme. Cette résolution s’inscrit dans une dynamique dans laquelle la France a joué un rôle moteur, avec la création en 2017 de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (ALIPH), à la suite de la conférence internationale pour la protection du patrimoine en péril à Abu Dhabi, organisée par la France et les Émirats Arabes Unis en décembre 2016.

Afin d’assurer une cohérence entre l’ensemble des instruments onusiens dédiés à la lutte contre le terrorisme, et de renforcer la coopération entre États, l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a adopté en 2006 une Stratégie anti-terroriste mondiale, qui repose sur quatre piliers :

 

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Source : Représentation permanente de la France auprès de l’ONU

 

Plusieurs résolutions ont en outre permis la création d’instances d’action et de coopération internationale au sein de l’ONU. La résolution 1373 a débouché sur la création du comité contre le terrorisme, assisté d’une direction exécutive, chargée du contrôle de mesures adoptées par le Conseil de sécurité. La résolution 71/291 de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée le 15 juin 2017, a permis la création d’un Bureau de lutte contre le terrorisme, confié à un secrétaire général adjoint, M. Vladimir Voronkov, avec pour « mission de mettre en œuvre les mandats de l’AG, de mieux coordonner l’action des entités impliquées dans la stratégie et de renforcer les capacités des États ». Ce bureau, qui a placé la lutte contre le terrorisme au cœur des réformes institutionnelles de l’ONU, a cinq fonctions principales :

-          Piloter l’action menée au titre des divers mandats de lutte contre le terrorisme de l’Assemblée générale qui ont été confiés au Secrétaire général à l’échelle du système des Nations Unies ;

-          Renforcer la coordination et la cohérence des activités des 38 entités signataires du Pacte mondial de coordination contre le terrorisme pour assurer la mise en œuvre équilibrée des quatre piliers de la Stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies ;

-          Accroître l’aide que l’Organisation fournit aux États Membres pour renforcer leurs capacités de lutte contre le terrorisme ;

-          Promouvoir davantage les activités de lutte contre le terrorisme de l’Organisation, leur donner une plus grande visibilité et renforcer la mobilisation de ressources dans ce domaine ;

-          Veiller à ce que la priorité voulue soit accordée à la lutte contre le terrorisme dans l’ensemble du système des Nations Unies et que les travaux importants menés s’agissant de la prévention de l’extrémisme violent soient fermement ancrés dans la Stratégie.

Comme indiqué à l’une de vos rapporteures à New York par M. Vladimir Voronkov, le Bureau de lutte contre le terrorisme travaille également avec l’Union interparlementaire à l’élaboration d’un mémorandum sur le sujet, afin d’associer pleinement les parlementaires à la lutte contre le terrorisme.

B.   Des instances d’action et de coopération dédiées à la lutte contre le financement du terrorisme

1.   Le rôle central du GAFI : élaborer des standards communs pour lutter contre le financement du terrorisme

Le Groupe d’action financière ou GAFI a été créé en 1989 sur décision du G7, pour doter la communauté internationale de normes communes de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT) et les autres menaces pouvant attenter à l’intégrité du système financier mondial. Une première série de 40 recommandations a été adoptée, complétée en 2001 par 9 recommandations portant spécifiquement sur la lutte contre le financement du terrorisme. Ces recommandations, qui ont vocation à orienter les pratiques nationales, ont fait l’objet d’une révision en 2012 (voir annexe) :

Les IX recommandations spéciales du GAFI

 

I. Ratification et mise en œuvre des instruments des Nations Unies (Convention de 1999, résolutions du Conseil de sécurité et notamment la résolution 1373)

II. Incrimination du financement du terrorisme et du blanchiment de capitaux commis dans le cadre des activités terroristes

III. Gel et confiscation des biens terroristes

IV. Déclaration des transactions suspectes liées au terrorisme

V. Coopération Internationale

VI. Remise de fonds alternative

VII. Virements électroniques

VIII. Organismes à but non lucratif

IX. Les passeurs du fonds « Cash Couriers »

Source : GAFI

Le GAFI réunit aujourd’hui 38 membres et neuf « organismes régionaux de type GAFI » (ORTG), qui composent un réseau mondial de plus de 190 juridictions ([32]).

Budget du GAFI pour 2017 et 2018

Source : Rapport annuel du GAFI 2017-2018

Le GAFI est financé par ses membres. Les contributions annuelles ne sont pas publiques, mais il est possible d’en connaitre les ordres de grandeur dans la mesure où elles sont indexées sur la clé de répartition des contributions au budget de l’OCDE ([33]). La France, avec une contribution annuelle de 290 000 euros (2019) et une contribution volontaire d’1 million d’euros depuis 2018, conformément à l’engagement pris par le président de la République à l’occasion de la conférence No money for terror, est l’un des principaux contributeurs du GAFI.

Cet organisme intergouvernemental ne dispose pas de pouvoir de contraintes sur les États. Ses recommandations ont le statut de droit souple, un État ne les respectant pas ne s’expose donc pas à des sanctions directes. Toutefois, le mode de fonctionnement du GAFI, qui repose sur des évaluations régulières conduites par les pairs, créé une réelle pression sur les États, tout particulièrement en cas d’inscription sur la liste « grise » ou la liste « noire » du GAFI, dont les effets sur le système financier national peuvent être très rapides.

L’approche du GAFI repose sur une évaluation régulière des risques et de leurs évolutions, chaque État devant conduire une analyse au plan national. Cette approche est indispensable pour adapter les standards d’action aux menaces ciblées. Par exemple, dans la continuité du G20 Finances de mars 2018 qui a appelé à se doter de standards sur la régulation des cryptoactifs, le GAFI a modifié d’une part son glossaire pour y intégrer une définition des « actifs virtuels » et des prestataires de services d’actifs virtuels, et d’autre part la recommandation numéro 15 liée aux nouvelles technologies, afin de préconiser la régulation LCB-FT de ces prestataires de services et leur enregistrement ou leur agrément par les États membres. Lors de la plénière de février 2019, une feuille de route sur la régulation internationale des cryptoactifs, qui devrait entrer en application en 2020, a été adoptée.

Si le GAFI permet l’élaboration de normes, l’organisation s’intéresse donc indissociablement à la portée opérationnelle de ces standards et à leur application effective. Les cycles d’évaluations des pays comportent ainsi deux volets principaux : la conformité technique (mise en place dans chaque État des instruments juridiques et institutionnels requis) et l’efficacité (opérationnalité des outils mis en place et résultats obtenus). Par exemple, le rapport d’évaluation de l’Albanie a insisté sur la sous-estimation des risques liés au financement du terrorisme et au recrutement de combattants étrangers. Le manque de contrôle du secteur associatif national et la faible prise en compte du risque posé par les personnes morales ont été mis en avant, de même que la persistance d’une forte corruption, qui peut favoriser le financement du terrorisme. Autre exemple, le rapport d’évaluation de Singapour a souligné la vulnérabilité du pays du fait de sa position géographique et de son statut de place financière mondiale, et le fait que le secteur financier peinait à intégrer les risques de financement du terrorisme dans ses pratiques.

Dans le cadre du quatrième cycle d’évaluations mutuelles, lancé en 2013, les rapports d’évaluation sur le Yémen et le Pakistan devraient être publiés en 2019. La France ([34]) et les Émirats arabes unis seront évalués en 2020, le Liban en 2021, 2022 sera consacrée à l’Algérie et à l’Afghanistan.

2.   Le réseau EGMONT

Créé en 1995, le groupe Egmont rassemble 159 cellules de renseignement financier à travers le monde, dans le but d’assurer une coopération opérationnelle et sécurisée. La cellule française de renseignement financier, Tracfin, en a été l’un des membres fondateurs et assume aujourd’hui les fonctions de référent régional pour l’Union européenne et les pays de l’Espace économique européen.

Les échanges intervenant au sein du réseau Egmont, qui bénéficie d’un système sécurisé « Egmont Secure Web », visent notamment à promouvoir des bonnes pratiques et à échanger les expériences de chaque cellule.

L’action du groupe s’articule autour de quatre objectifs, mentionnés par sa charte :

-          Développer les échanges opérationnels entre les cellules de renseignement financier, afin de lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ;

-          Encourager les programmes d’échange, d’assistance technique et de formation à destination des cellules de renseignement financier ;

-          Soutenir le renforcement des capacités de ces structures afin d’assurer leur autonomie, conformément aux normes du GAFI ;

-          Promouvoir la création de cellules de renseignement financier, capables de recevoir et d’analyser des déclarations de soupçons et toute autre information utile à la LCB/FT et de les diffuser aux autres autorités compétentes concernées.

À noter qu’il existe également au sein du groupe EGMONT un « Cercle des CRF Francophones », au sein duquel la France s’est impliquée activement via Tracfin. Une session de formation a par exemple été organisée en juillet 2017 en marge de la plénière de Macao, à l’occasion de laquelle Tracfin a pu présenter l’expérience française en matière de lutte contre le financement du terrorisme.

3.   Les outils dédiés à l’assistance technique

Les États touchés par le terrorisme, tout particulièrement lorsque des organisations terroristes y sont directement implantées, connaissent souvent des situations de conflit et d’instabilité, que leurs institutions sont rarement en mesure de maîtriser. Or, en matière de lutte contre le terrorisme, il suffit qu’un État soit vulnérable pour que la communauté internationale dans son ensemble s’en trouve fragilisée. Même en l’absence de conflits ouverts, l’assistance internationale apportée aux États dont les dispositifs institutionnels sont les plus fragiles revêt donc une importance capitale, manifestée par la neuvième recommandation formulée à l’issue de la conférence No money for terror.

Cette assistance passe d’abord par des outils spécifiquement dédiés à la lutte contre le terrorisme. La Direction exécutive du comité contre le terrorisme, qui a pour cœur de métier l’évaluation des dispositifs existants, tâche au gré des visites réalisées de maintenir un dialogue régulier avec les pays qui connaissent les marges de progression les plus importantes.

Par exemple, la DECT a apporté à partir de 2015 une assistance à la Tunisie, selon trois axes : mise en place d’une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme, renforcement de la lutte contre l’extrémisme violent et de la coopération avec le secteur associatif, et mise en place d’un dispositif national autonome de gels des avoirs, qui a débouché sur la publication d’une première liste fin 2018. Dans le cas de la Tunisie, la France a pu fournir une expertise technique en appui, et le dispositif belge de gels d’avoirs a pu servir de source d’inspiration dans la mesure où il cible essentiellement les combattants étrangers, dont le contingent tunisien a été particulièrement élevé.

L’assistance technique apportée aux États n’a donc de sens que si elle s’inspire de bonnes pratiques tout en veillant à ce qu’elles soient adaptées aux spécificités nationales.

L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) dispose d’un Service de prévention du terrorisme, dont les missions principales consistent à apporter une assistance juridique et technique aux États tiers. Ce service aide les États à ratifier les instruments internationaux de référence en la matière et à les incorporer dans le droit national, et à renforcer leurs capacités d’action pour lutter contre le terrorisme. Pour ce qui concerne plus spécifiquement le financement, le service travaille en étroite collaboration avec le Programme mondial de l'ONUDC contre le blanchiment d'argent, le produit du crime et le financement du terrorisme.

Comme indiqué à l’une de vos rapporteures lors d’une rencontre au siège des Nations unies à New York, l’ONUDC a récemment mis un point un manuel d’assistance technique, qui vise à présenter différentes méthodologies existantes en matière de lutte contre le terrorisme et son financement, dans la mesure où un modèle unique ne saurait être dupliqué à l’identique partout dans le monde.

C.   La mise à profit d’outils de coopération généraux

Si la lutte contre le terrorisme et a fortiori contre son financement requiert des outils spécifiques, la coopération internationale peut aussi passer par des outils généraux, utilisés notamment dans le cadre de la coopération policière.

1.   Les échanges bilatéraux

Dans le cas de la France, la coopération bilatérale portée par le réseau des officiers de liaison étrangers basés dans les ambassades est ainsi mise à profit en matière de contre-terrorisme. Le réseau des attachés de sécurité intérieure de la direction de la coopération internationale de la police nationale est également mobilisé, dans de nombreux pays étrangers. Ces attachés ont un rôle de point de contact, et facilitent les échanges d’informations et l’accomplissement des demandes d’entraide judiciaire internationales.

Dans certains domaines comme le renseignement, il faut bien voir que la coopération bilatérale est traditionnellement privilégiée sur la coopération multilatérale, compte tenu des enjeux de souveraineté et d’échanges d’informations, particulièrement sensibles dans le cas du contre-terrorisme.

2.   La coopération policière multilatérale

Au niveau multilatéral, il faut souligner le rôle joué par INTERPOL, qui regroupe aujourd’hui 194 pays membres. Le rôle d’INTERPOL comme voie de transmission pour l’échange d’informations est affirmé par la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, et plusieurs résolutions du Conseil de sécurité portant sur le terrorisme y font référence.

INTERPOL intervient en collaboration avec des instances spécifiquement dédiées au contre-terrorisme, comme le comité 1267 ou l’équipe spéciale de lutte contre le terrorisme de l’ONU, et dispose de nombreux outils précieux pour la coopération internationale. Il s’agit d’outils d’échanges d’informations comme le réseau de communication i-27/7, ou d’unités dédiées comme l’unité anti-blanchiment, qui cherche à améliorer les échanges d’informations entre cellules de renseignement financier à travers le monde via des officiers de liaison nationaux.

L’outil principal d’Interpol au service de la lutte contre le financement du terrorisme est le groupe de travail « FUSION », qui s’intéresse au financement des attaques terroristes et des déplacements de combattants étrangers, ainsi qu’aux modes de transferts d’argent utilisés. Six groupes de travail régionaux ont été créés dans des régions considérées comme particulièrement exposées à l’activité terroriste : Al Qabdah (Moyen-Orient et Afrique du Nord) / Projet Amazon (Amérique centrale et du Sud) / Projet Baobab (Afrique orientale, occidentale et australe) / Projet Kalkan (Asie centrale et du Sud) / Projet Nexus (Europe) / Projet Pacific (Asie du Sud-est et îles du Pacifique).

De façon générale, INTERPOL s’est dotée d’une stratégie globale de lutte antiterroriste, qui comprend cinq axes dont le financement, en appui aux autorités nationales compétentes et notamment aux cellules de renseignement financier.

La coopération policière repose aussi sur des outils plus spécifiques comme le réseau AMON (Anti Money Laundering Operational Network) relatif à la lutte contre le blanchiment de fonds, dont l’OCRGDF est le point de contact pour la France, ou le réseau CARIN pour la détection et la saisie des avoirs criminels.


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II.   POUR LA France, la lutte contre le financement du terrorisme est aujourd’hui une priorité

Frappée à plusieurs reprises par le terrorisme islamiste ces dernières années, la France a fait de la lutte contre le terrorisme et contre son financement une priorité, qui sera sanctionnée l’année prochaine à l’occasion de l’évaluation périodique du GAFI.

A.   UN ARSENAL LéGISLATIF ET OPéRATIONNeL solide

1.   Protéger et contrôler

La lutte contre le financement du terrorisme passe d’abord par un travail de surveillance et de contrôle, qui se situe essentiellement en amont de la menace. Le renseignement, et tout particulièrement le renseignement financier, sont pleinement mobilisés, de même que des autorités de contrôle comme l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution).

a.   Le rôle pivot de Tracfin

i.   Une mission de surveillance et de renseignement

La cellule de renseignement financier française, Tracfin (« Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins »), actuellement dirigée par M. Bruno Dalles, est un organisme incontournable de la lutte contre le financement du terrorisme.

Tracfin est un organisme du Ministère de l'Action et des Comptes publics, et l’un des six services de renseignement dits « du premier cercle ([35])  ». Créé le 9 mai 1990, à la suite du sommet de l’Arche du G7, Tracfin a d’abord été dédié à la seule lutte contre le blanchiment de capitaux avant de voir son champ de compétence s’élargir à la lutte contre le financement du terrorisme en 2001, ainsi qu’aux fraudes aux finances publiques (fraude fiscale en 2009 et fraude sociale en 2012). Il s’agit d’un service unique au monde de par son domaine d’action, et vos rapporteures se félicitent de la réputation d’efficacité et de fiabilité de cet organisme, en France comme à l’étranger.

Sa mission principale est de recueillir, analyser et approfondir les informations fournies par les professionnels assujettis selon l’article L561-2 du Code monétaire et financier (CMF) : banques, services de change, antiquaires, maisons de ventes aux enchères …. Ces professionnels doivent déclarer « les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu'elles proviennent d'une infraction passible d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme » (article L561-15 du CMF). La déclaration de soupçon peut se faire en ligne ou en remplissant un formulaire.

Une fois le soupçon déclaré par un professionnel assujetti, Tracfin peut demander au professionnel de lui transmettre davantage d’informations en rapport avec l’opération ou la personne soupçonnée, de consulter sur place des documents et de bloquer une opération non encore exécutée. Le service peut, en outre, demander à des services étrangers analogues de lui communiquer des informations, ainsi qu’à toute administration nationale ou organisme chargé d’une mission de service public (URSSAF, syndicats, …). Ces prérogatives permettent à Tracfin d’élaborer des renseignements transmis par la suite aux autorités judiciaires, à la police judiciaire ou aux services de renseignements.

Le droit de communication de Tracfin

 

En plus de recevoir des déclarations de soupçons, Tracfin dispose d’un droit d’obtention des documents conservés par les professionnels assujettis (article L. 561-26 du CMF) et par les administrations publiques (article L. 561-27 du CMF), selon un dispositif qui s’inspire du droit de communication dont dispose les douanes.

La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement a élargi ce droit d’obtention aux entreprises de transport et aux opérateurs de voyage ou de séjour, et la loi du 3 juin 2016 l’a élargi aux gestionnaires de systèmes de cartes de paiement ou de retrait.

L’activité de Tracfin a connu une très forte tendance à la hausse ces dernières années. En 2017, Tracfin a reçu et analysé 71 070 informations. Ce flux a augmenté de 10 % en 1 an, de 57 % en 2 ans et de 160 % en 5 ans. Dans cette perspective, le nombre d’agents du Service a augmenté de 14 % en 2017 et de 74 % en 5 ans. 12 518 enquêtes ont été réalisées en 2017, déclenchées par des informations reçues en 2017 ou antérieurement.

Le changement de dimension de la menace terroriste en France et la priorité gouvernementale donnée à la lutte contre le terrorisme et son financement ont fortement impacté l’évolution et l’activité de Tracfin depuis 2015. Le renforcement des moyens humains et l’approfondissement de l’intégration du service dans la communauté du renseignement ont favorisé une nouvelle dynamique, l’évolution des méthodes de travail à des fins d’analyse rapide de l’information et la perception du renseignement financier comme élément clé de la lutte contre le financement du terrorisme.

Au sein de Tracfin, une division dédiée à la lutte contre le financement du terrorisme a été constituée en octobre 2015 afin de traiter les signaux faibles remontés par les déclarants du secteur privé et de développer les relations avec les autres services spécialisés de la communauté nationale du renseignement et les services administratifs ou judiciaires qui concourent à la lutte contre le terrorisme. Un agent de cette division est intégré au sein de la cellule inter agence de la DGSI dès son lancement en juillet 2015.

Cette division a reçu et analysé 1 379 informations en 2017 (+17 % par rapport à 2016) et adressé 685 notes « Lutte contre le financement du terrorisme » aux autorités judiciaires, policières et aux services de renseignement, soit 73 % de plus qu’en 2016.

ii.   Une mission informative

Dans le cadre des recommandations du GAFI, Tracfin présente chaque année deux rapports : un rapport d’activité, et un rapport intitulé « Tendances et analyses des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ».

Des rapports sur des thèmes plus précis sont également publiés. En 2017, un document portant sur « les collecteurs financiers de Daech », relatif à des données analysées sur un échantillon de 139 collecteurs – soit 6 800 opérations financières – a ainsi été élaboré.

Tracfin fournit aussi un travail important à l’attention des professionnels assujettis, avec la publication de lignes directrices (voir infra).

iii.   Une action tournée vers la coopération internationale

Au-delà de la coopération organisée dans le cadre du groupe Egmont (voir supra), Tracfin s’implique activement dans la coopération internationale entre cellules de renseignement financier. Une division est entièrement consacrée au traitement des demandes adressées par les homologues de Tracfin. Des délégations étrangères sont régulièrement accueillies, et les agents de Tracfin participent à des missions de formation et d’assistance technique.

Les échanges entre CRF passent d’abord par des sollicitations ou transmissions d’informations. Tracfin traite les demandes d’informations des CRF étrangères comme des déclarations de soupçon, avec les mêmes prérogatives qu’en cas de signalement d’un professionnel assujetti français ([36]). Sur la base d’une sollicitation étrangère, Tracfin peut utiliser son droit de communication auprès des professionnels assujettis et demander des informations aux autorités nationales. Les CRF étrangères peuvent aussi  adresser spontanément des informations à Tracfin.

Le volume d’informations transmises et sollicitées par Tracfin atteste du dynamisme de la coopération internationale entre cellules de renseignement financier, dont vos rapporteures se félicitent.

En 2017, Tracfin a reçu 1 303 informations – soit un volume comparable à celui de l’année précédente – concernant près de 7 000 personnes morales ou physiques. On dénombrait 719 demandes de renseignement et 550 informations spontanées. Les informations spontanées au sein de l’Union européenne ont connu une hausse importante (+42 %), résultant de la mise en œuvre progressive de l’article 53 de la 4ème directive LCB/FT ([37]), qui vise à ce chaque CRF qui reçoit une déclaration de soupçon concernant un autre État membre la lui transfère sans délai.

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Source : Tracfin, Rapport d’activité 2017

En 2017, Tracfin a adressé 910 réponses aux sollicitations étrangères, après avoir adressé plus de 860 droits de communication.

Les agents de Tracfin jouent par ailleurs un rôle de premier plan dans l’assistance technique fournie par la France. En 2017, Tracfin a participé à l’organisation d’une formation régionale sur la lutte contre le financement du terrorisme à Dakar, en lien avec la CRF canadienne, ainsi qu’à plusieurs formations de l’ONUDC avec des CRF des pays des Balkans occidentaux.

Vos rapporteures tiennent à souligner l’importance de cette forme de coopération internationale dans la lutte contre le financement du terrorisme, qui ne peut être efficace sans une robustesse de l’ensemble de nos moyens d’action. 

 

b.   L’apport déterminant du renseignement financier

i.   Des outils et méthodes calibrés pour répondre à la problématique du financement du terrorisme

De l’avis de nombreux interlocuteurs auditionnés par vos rapporteures, le renseignement financier joue un rôle crucial dans la lutte contre le financement du terrorisme. Ses méthodes sont particulièrement adaptées à la détection de critères révélateurs permettant d’anticiper le passage à l’acte, Tracfin évoquant des « signaux faibles mais fiables ». Le renseignement financier permet également, dans un contexte où les terroristes ont appris à agir dans l’anonymat, d’établir des éléments d’identification et de localisation, ainsi que des liens entre différents individus constituant des réseaux terroristes. En d’autres termes, les flux financiers jouent pour l’ensemble de la communauté du renseignement un rôle de marqueurs particulièrement utile. Enfin, le renseignement financier permet de mettre en évidence un tableau le plus exhaustif possible des individus ou structures qui soutiennent ou appartiennent aux organisations terroristes.

En termes de méthodes, l’action de renseignement de Tracfin a dû s’adapter au développement de micro-financements dont la traçabilité est très difficile à assurer. Comme le souligne le rapport d’analyse 2016 de Tracfin, « les flux caractéristiques d’un passage à l’acte ne se démarquent que rarement des volumes de micro-transactions légitimes ». Il faut donc recouper les éléments financiers avec des éléments comportementaux, des signes extérieurs de radicalisation ou de départ imminent vers une zone de combat :

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Source : Tracfin, Rapport d’analyse 2016

De façon générale, le renseignement financier permet de rechercher des indices de départ ou retours d’individus radicalisés, d’identifier des collectes de fonds pour soutenir des combattants sur zone ou des actions prosélytes ou encore des détournements d’aides humanitaires. Les outils du renseignement financier s’intéressent aussi aux nouvelles formes de financement du terrorisme comme le recours aux monnaies électroniques, aux paiements mobiles ou au financement participatif.

Selon Jean-Charles Brisard, on peut résumer le renseignement financier à trois effets majeurs : un effet dissuasif, un effet préventif et un effet perturbateur.

ii.   Le renseignement financier s’inscrit dans la mobilisation globale de la communauté du renseignement contre le terrorisme

La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a un rôle de chef de file dans la lutte contre le terrorisme sur le territoire national. En coopération étroite avec d’autres services comme Tracfin (voir infra), la DGSI mène des enquêtes visant à identifier les modes de fonctionnement du financement du terrorisme et à détecter les réseaux de soutien actifs.

La Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), qui a un fonctionnement mixte civilo-militaire, cherche à recueillir et exploiter le renseignement pour détecter les menaces le plus en amont possible, en dehors du territoire national. Elle cherche donc à identifier et à connaître les groupes, individus et réseaux terroristes ainsi que leurs capacités d’action, dont leurs ressources financières, en s’appuyant sur l’expertise de Tracfin concernant les flux financiers.

La Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), qui fait également partie du premier cercle du renseignement, contribue au contrôle des flux financiers et des flux de marchandises. Depuis 2015, la lutte contre le financement du terrorisme figure parmi les priorités de son action. Le GOLT (groupe opérationnel de lutte contre le terrorisme), intégré à la direction des opérations douanières, a ainsi été considérablement renforcé. On compte aujourd’hui 16 personnes spécialisées dans la lutte contre le terrorisme au sein de la DNRED. Les contrôles, qui doivent reposer sur un certain ciblage pour ne pas entraver le commerce légal de marchandises, sont réalisés à partir des obligations déclaratives et d’un ensemble de données, dans le but d’assurer une orientation en amont. La DNRED joue donc principalement un rôle de détecteur en matière de financement du terrorisme, en coopération notamment avec les services de police. Plus spécifiquement, le GOLT a pour atout de permettre des réactions très rapides en cas d’alerte, en liens avec les services douaniers de terrain.

Tracfin est amené à collaborer avec les services en charge du renseignement, via trois structures : la division de lutte contre le financement du terrorisme, le pôle prédation économique et financière (DE) et le pôle renseignement (DARI). Cette coopération se fait selon plusieurs étapes : demandes de criblage auprès d’un ou plusieurs autres services du premier cercle du renseignement afin d’établir d’éventuels liens avec des informations détenues par ces services, transmissions spontanées d’informations enrichies aux services concernés. Tracfin reçoit également des demandes de la part des services de renseignement, afin d’apporter une expertise complémentaire.

Depuis 2015, Tracfin participe à la cellule inter agence mise en place par la DGSI, la cellule « Allat ». On observe globalement une intensification de la coopération au sein de la communauté du renseignement, avec une tendance à la hausse du nombre de notes transmises aux différents services par Tracfin (à hauteur de 26 % sur 2016-2017, soit un passage de 488 à 614 notes).

 

c.   Le contrôle du respect des obligations liées à la lutte contre le financement du terrorisme 

L’un des atouts du dispositif français de lutte contre le financement du terrorisme repose sur les contrôles exercés afin de veiller au respect des obligations en vigueur. Ce « contrôle du contrôle » est notamment exercé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), dont l’une des trois missions principales consiste à contrôler les dispositifs déployés dans le secteur bancaire et le secteur assurantiel en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Ce contrôle s’applique aussi à certains acteurs qui ne sont pas agréés par l’ACPR, comme les changeurs manuels ou les intermédiaires en financement participatif.

Les contrôles menés par l’ACPR portent plus spécifiquement sur trois aspects : conformité et efficacité des dispositifs préventifs, mise en œuvre effective des obligations de vigilance et transmission des déclarations de soupçon à Tracfin, efficacité des dispositifs de détection des personnes ou entités soumises à des mesures restrictives et de gels d’avoirs.

L’ACPR, qui dispose d’un effectif de 80 agents affectés à la LCB-FT, peut conduire des contrôles sur pièces et des contrôles sur place (entre 20 et 30 chaque année). L’approche de supervision par les risques promue par le GAFI implique une adaptation des contrôles aux risques présentés par les différents secteurs et en leur sein, par chacun des organismes, l’ACPR réalisant chaque année un profil de risque individuel pour chaque organisme soumis à son contrôle ([38]). Pour ce faire, l’ACPR a recours à un questionnaire annuel LCB-FT et tient compte des résultats de son contrôle, et des éventuels signalements transmis par Tracfin et par d’autres autorités (services de police, autorités judiciaires…). À noter qu’à partir de 2019, les organismes financiers devront remettre à l’ACPR un rapport portant spécifiquement sur le contrôle interne des dispositifs LCB-FT et le gel des avoirs.

Enfin, l’ACPR contrôle aussi le respect des mesures nationales et européennes de gels des avoirs, qui sont prises pour partie dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme (voir infra).

En matière de lutte contre le financement du terrorisme, l’ACPR collabore étroitement avec Tracfin. Un agent assure depuis 2015 un rôle de liaison avec la cellule de renseignement financier, et Tracfin participe aux réunions de la commission consultative de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme de l’ACPR. En application de l’article L. 561-28 du CMF, l’ACPR adresse à Tracfin les dossiers clients pour lesquels elle estime qu’une déclaration de soupçon aurait dû être faite, et relevés à l’occasion de contrôles sur place. En 2017, 288 dossiers ont été transmis. L’ACPR transmet également à Tracfin tout fait susceptible d’être lié au financement du terrorisme (c’est, par exemple, le cas lorsqu’elle détecte une éventuelle violation d’une mesure de gel des avoirs terroristes, en complément de l’information effectuée au Procureur de la République en application de l’article L. 612-28 du CMF). De son côté, Tracfin adresse à l’ACPR des signalements qui peuvent être d’ordre général (typologies) ou individuels et qui peuvent déboucher sur des contrôles sur place et éventuellement des actions disciplinaires.

2.   Réprimer et sanctionner

a.   Réprimer et sanctionner le délit de financement du terrorisme

En droit français, le financement du terrorisme est défini comme un délit par l’article 421-2-2 du code pénal : "Constitue également un acte de terrorisme le fait de financer une entreprise terroriste en fournissant, en réunissant ou en gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en donnant des conseils à cette fin, dans l'intention de voir ces fonds, valeurs ou biens utilisés ou en sachant qu'ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre l'un quelconque des actes de terrorisme prévus au présent chapitre, indépendamment de la survenance éventuelle d'un tel acte."

Les services de police sont pleinement impliqués dans la lutte contre le terrorisme, à commencer par la sous-direction anti-terroriste (SDAT) qui en constitue le pivot au sein de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). La SDAT est un service à compétence nationale, chargée de la prévention et de la répression du terrorisme national et international, y compris dans ses aspects financiers, et de la neutralisation judiciaire d’individus ayant commis des actes de terrorisme ou susceptibles d’en commettre. En matière de financement du terrorisme, l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), crée par le même décret que Tracfin où l’office dispose d’un officier de liaison, est tout particulièrement mobilisé. À la suite des attentats du 11 septembre 2001, l’OCRGDF s’est doté d’un groupe spécialisé en matière de financement du terrorisme. Ce groupe, qui comporte une dizaine de personnes, poursuit trois objectifs principaux :

-          Identifier les sources de financement des activités terroristes, en France et pour les individus partis combattre sur zone ;

-          Interpeller les auteurs et complice du financement ;

-          Saisir les avoirs de ces individus.

Les saisies d’avoirs criminels

La DCPJ a procédé depuis 2015 à la saisie d’avoirs criminels pour un montant de 247 920 euros. Il s’agit essentiellement de numéraires, d’avoirs crédits sur les comptes bancaires et de véhicules. En matière de terrorisme, la confiscation peut être générale et donc porter sur tous les biens appartenant aux condamnés ou dont ils ont la libre disposition. Généralement, ces derniers n’ont cependant pas ou peu de patrimoine.

En 2005, une plateforme d’identification des avoirs criminels, la PIAC, a été créée. Elle joue le rôle de bureau de recouvrement des avoirs criminels français, et est chargée du dépistage et de la saisie des avoirs criminels. L’action de la PIAC s’inscrit en collaboration avec l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) depuis sa création en 2011, et dans un cadre international au sein des réseaux ARO (Asset recovery office) et CARIN (Camden asset recovery interagency network).

Source : DCPJ

Au niveau des services de police judiciaire, la SDAT et l’OCRGDF travaillent en étroite collaboration avec le département judiciaire de la DGSI et avec la section anti-terroriste de la brigade criminelle de Paris, au sein de la direction régionale de la police judiciaire. Sous l’égide des magistrats spécialisés sur le terrorisme du Parquet de Paris, des réunions sont régulièrement organisées entre ces services.

Depuis 2016, le service national de la douane judiciaire (SNDJ) est un acteur compétent en matière de financement du terrorisme. L’OCRGDF a ainsi développé ses échanges d’informations avec ce service.

L’action des services de police trouve son prolongement au sein des juridictions amenées à traiter de dossiers relatifs au terrorisme et plus spécifiquement à son financement.

La compétence en matière de poursuite, d’instruction et de jugement des actes de terrorisme, y compris en matière de financement, est définie à l’article L. 706-17 du code de procédure pénale : « le procureur de la République, le pôle de l'instruction, le tribunal correctionnel et la cour d'assises de Paris exercent une compétence concurrente à celle qui résulte de l'application des articles 43, 52 et 382 ».

La section C1 du Parquet de Paris est compétente à l’échelle nationale pour tous les dossiers relatifs au terrorisme. En matière de financement, la méthode privilégiée aujourd’hui dans la conduite des enquêtes consiste non pas à repérer les flux financiers, qui ne sont pas détectables individuellement, mais à partir d’une cible et à examiner toutes ses relations, en sollicitant Tracfin pour contrôler les flux financiers.

De façon générale, la coopération entre Tracfin et la section C1 s’est intensifiée, selon un axe de travail adopté en 2016 et renforcé en 2017. Ainsi pour 6 signalements adressés par Tracfin en 2015 en matière de lutte contre le financement du terrorisme, 36 ont été adressés en 2016 et 246 en 2017. Les informations circulent dans les deux sens, la section C1 transmettant sur la base de l’article L. 521-27 du CMF des informations de soupçon à Tracfin.

Selon les informations transmises par Tracfin à vos rapporteures, un quart des dossiers ouverts en cours en 2018 à la section C1 avaient été initiés ou impactés par un signalement Tracfin, ce qui souligne à la fois la qualité de la coopération entre ces deux entités et le rôle déterminant du prisme financier dans la répression du terrorisme.

Au plan juridique, le financement du terrorisme apparaît comme un sous-ensemble de l’association de malfaiteurs en matière terroriste (AMT), qui consiste à soutenir une organisation terroriste et ses activités par un ou plusieurs actes matériels ou logistiques (armement, propagande, logement, préparation directe d’un attentat). Il s’agit d’un délit autonome sur le plan du code pénal, qui peut être puni au maximum de dix ans, alors que l’AMT fait encourir 30 ans d’emprisonnement, voire la réclusion criminelle à perpétuité en cas de participation ou direction d’une organisation terroriste. Le délit de financement du terrorisme n’exige que la démonstration d’un acte de financement, en toute connaissance de cause de la destination des fonds. Il n’est pas nécessaire de démontrer l’intention de voir utiliser ces fonds à des fins terroristes, il suffit de donner des fonds à une organisation terroriste pour caractériser l’infraction.

En pratique, les deux infractions sont simultanément poursuivies dans la mesure où le financement est souvent associé à des faits de recrutement pour des filières terroristes, des actes préparatoires à des attentats ou départs sur zone. L’existence d’un délit distinct n’en constitue pas moins une plus-value juridique, comme l’a rappelé la mise en examen de la SA Lafarge pour « financement d’une entreprise terroriste » en juin 2018.

Du point de vue des enquêteurs de l’OCRGDF, la difficulté potentielle à établir la preuve juridique du financement du terrorisme peut conduire à privilégier une approche consistant à confondre judiciairement les individus soupçonnés de terrorisme sur des infractions de droit commun, les liens entre terrorisme et délinquance de droit commun étant comme évoqué plus haut fréquents.

La coopération entre Tracfin et les juridictions et services de police judiciaire

 

Tracfin dispose d’un pôle juridique et judiciaire, doté de cinq agents et de quatre officiers de liaison, et permettant d’assurer un rôle d’interface au quotidien avec les juridictions et services de police judiciaire.

Les échanges entre services sont réciproques. Le pôle juridique et judiciaire de Tracfin vérifiera ainsi que les informations détenues par le service ne sont pas susceptibles d’intéresser des procédures en cours, et répondra aux demandes de l’autorité judiciaire concernant les informations susceptibles d’être détenues par le service en lien avec les procédures en cours.

En vertu de l’article L. 560-30-1 du CMF, si des faits susceptibles de relever du financement du terrorisme ([39]) sont mis en évidence par une enquête de Tracfin, le service saisit le procureur de la République par note d’information. Tracfin peut aussi transmettre des informations à d’autres destinataires visés par le CMF. Ainsi en vertu de l’article L. 561- 31, Tracfin peut communiquer des informations susceptibles d’être utiles aux autorités judiciaires et aux services de police judiciaire ou à différents services ou organismes publics, dont l’administration fiscale, ainsi que les autres services spécialisés de renseignement lorsque les faits en question concernent l’une des finalités mentionnées à l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure.

Enfin, Tracfin peut aussi adresser à l’autorité judiciaire toute information pouvant lui être utile, en dehors du cadre d’une présomption d’infraction pénale : informations susceptibles d’abonder une enquête judiciaire en cours, informations relatives aux missions non pénales de l’autorité judiciaire.

En 2017, 891 notes ont été adressées par Tracfin aux juridictions et aux services de police judiciaire (contre 662 en 2016) : 468 notes d’informations portant sur une présomption d’une ou plusieurs infractions pénales, 325 transmissions de renseignement aux magistrats dont 224 en matière de terrorisme, 98 transmissions de renseignement aux services de police, de gendarmerie et de douanes judiciaires, dont 84 réponses à des réquisitions judiciaires. Le nombre de notes de renseignement transmises à également augmenté, passant de 125 en 2016 à plus de 320 en 2017, notamment en raison de l’intensification de la coopération entre Tracfin et la section C1 du parquet de Paris.

En outre, la loi du 3 juin 2016 a permis, via la modification de l’article L. 561-27 du CMF, d’élargir l’accès des agents habilités de Tracfin au fichier des antécédents judiciaires (TAJ) pour l’ensemble de ses missions.

 

Source : Tracfin et DCPJ

 

b.   Les gels d’avoirs

Outil à la fois répressif et préventif, le gel d’avoirs peut être décidé à trois niveaux pour s’appliquer en France : l’ONU, l’Union européenne et le niveau national, en tant que mesure de police administrative.

Les gels d’avoirs ont l’avantage, en matière de lutte contre le financement du terrorisme, d’avoir une valeur opérationnelle (couper l’accès aux fonds et ressources économiques) et d’information, en orientant la vigilance des institutions financières.

Au niveau de l’ONU, les gels d’avoirs s’inscrivent dans le cadre des régimes de sanctions, qui visent notamment en matière de terrorisme l’État islamique et Al-Qaida ainsi que les groupes leur étant associés. La liste des personnes ou entités concernées est établie par le « Comité du Conseil de sécurité créé par les résolutions 1267 (1999), 1989 (2011) et 2253 (2015) concernant l’EIIL (Daesh) et le réseau Al-Qaida et les personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés », qui formule des propositions et examine les demandes d’inscriptions pouvant émaner de tout État membre. Les critères en vigueur pour motiver une inscription sur cette liste – qui appelle aussi à d’autres types de sanctions (interdictions de voyager, embargo sur les armes) – sont définis par les paragraphes 3 et 5 de la résolution 2253 du Conseil de sécurité :

- Le fait de concourir à financer, organiser, faciliter, préparer ou exécuter des actes ou activités de l’EIIL (Daesh) ou du réseau Al-Qaida, en association avec ceux-ci, sous leur nom ou pour leur compte, ou le fait de les soutenir ;

- Le fait de fournir, vendre ou transférer des armements et matériels connexes à l’EIIL (Daesh) ou à Al-Qaida ;

- Le fait de recruter pour le compte du réseau Al-Qaida et de l’EIIL (Daesh) ou de soutenir, de toute autre manière, des actes ou activités du réseau Al-Qaida et de l’EIIL (Daesh) ou de toute cellule, filiale ou émanation ou tout groupe dissident de ceux-ci.

Le comité, composé d’experts des 15 États membres du Conseil de sécurité, statue à l’unanimité, et l’inscription d’une personne ou entité sur la liste fait souvent l’objet de luttes d’influence politiques. Par ailleurs les États-Unis refusent de placer sur une liste internationale une personne qui ne serait pas déjà sur leurs propres listes, ce qui complexifie la procédure d’inscription, déjà limitée dans son efficacité par la nécessité du consensus. Depuis 1999 et la création d’une première liste de sanctions, 140 mesures ont été prises au titre des sanctions contre les Talibans et 357 ont été prises au titre du régime de sanctions portant sur l’État islamique et Al-Qaida. Au début du mois de janvier 2019, on comptait 265 individus et 83 entités répertoriés dans le cadre du régime de sanctions portant sur l’État islamique et Al-Qaida.

Au niveau de l’Union européenne, deux règlements, le règlement 2580/2001 pris à la suite de la résolution 1373 et le règlement 2016/1686 qui porte sur l’État islamique et Al-Qaida, ont permis d’établir des listes de personnes et entités (respectivement 36 et 4) dont les avoirs doivent être gelés. La France est très active dans l’établissement de ces listes – elle a proposé 3 des quatre personnes ciblées en application du règlement de 2016, parmi lesquelles figurait notamment le djihadiste Fabien Clain. Du point de vue de la France, les gels d’avoirs restent sous-utilisés au niveau de l’Union européenne et la coopération entre États pourrait être renforcée en la matière, malgré la sensibilité du partage d’informations entre services de renseignement.

Le blocage provient à la fois de la difficulté à travailler à 28 et d’un manque de volonté de certains États membres, qui tient entre autres au caractère extrêmement liberticide des gels d’avoirs. En effet, si la résolution 1373 précise que chaque État doit disposer d’un système de gel des avoirs, l’effectivité de l’outil dépend de la volonté de chaque État d’y recourir. En outre, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur le système européen de gel des avoirs exige de la part des juridictions la fourniture de preuves de sources ouvertes pour justifier le gel, ce qui est contre-productif au niveau opérationnel, bien que justifiable pour protéger effectivement les libertés de chacun. Enfin, le processus d’établissement des listes est très long.

Le régime national de gel des avoirs, autonome, est à la fois plus immédiat et plus efficace. Il repose sur l’article L.562-2 du CMF, qui en définit le cadre d’application :

-          Un gel d’avoirs est décidé par arrêté conjoint du ministre chargé de l’économie et du ministre de l’intérieur ;

-          Il porte sur les fonds et ressources économiques appartenant ou étant détenus ou contrôlés par des personnes physiques ou morales, ou toute autre entité qui « commettent, tentent de commettre, facilitent ou financent des actes de terrorisme, y incitent ou y participent », ou « qui appartiennent à, sont possédés, détenus ou contrôlés par des personnes morales ou toute autre entité elles-mêmes détenues ou contrôlées par les personnes mentionnées au 1° ou agissant sciemment pour le compte ou sur instruction de celles-ci ».

-          Les gels d’avoirs sont valables pour six mois et renouvelables.

Vos rapporteures se félicitent de l’augmentation du recours aux gels d’avoirs, qui ont été un temps sous-utilisés au niveau national. Ainsi pour 44 mesures de gel appliquées en 2012, on en comptait 187 en 2018. 117 étaient en vigueur en février 2019, auxquelles s’ajoutaient 40 mesures en cours d’instruction. Les gels d’avoir pris au niveau national visent soit les groupes terroristes dans leur totalité, soit les hauts dirigeants, qui détiennent toutefois rarement des avoirs en France. Surtout, le ciblage des gels tâche de s’adapter aux évolutions de la menace terroriste et de son financement : combattants étrangers, financiers des groupes et individus y compris les familles… À noter que les éventuelles prestations sociales indûment perçues par un combattant parti sur zone sont neutralisées en cas de gel d’avoirs.

Si le montant des avoirs gelés – qui pour des raisons de confidentialité ne peut être rendu public – a pu être critiqué en ce qu’il serait trop faible pour neutraliser le financement du terrorisme ([40]), la valeur informative du gel invite à ne pas se focaliser exclusivement sur les montants en jeu. Le gel n’est pas qu’un outil d’entrave, et y compris à ce titre, de faibles montants gelés ne sauraient être pris pour le signe d’un manque d’efficacité tant le terrorisme peut se contenter aujourd’hui de budgets modestes.

c.   Les sanctions disciplinaires de l’ACPR

L’action de contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution trouve son prolongement dans le pouvoir de sanction qui lui est conféré. Ces sanctions vont de l’avertissement à la radiation/retrait d’agrément. L’ACPR peut également prononcer des sanctions pécuniaires, dont le montant pouvait jusqu’à fin 2016 aller jusqu’à 100 millions d’euros, et peut désormais atteindre 10 % du chiffre d’affaires de l’organisme si ce plafond est plus élevé, en vertu de l’article L. 561-36-1 du CMF modifié dans le cadre de la transposition de la quatrième directive anti-blanchiment. L’ACPR dispose également de divers pouvoirs de police administrative : mise en demeure, mesures conservatoires comme des interdictions ou suspensions temporaires d’activité etc.

Les sanctions concernent essentiellement les lacunes dans la mise en œuvre des obligations de vigilance des professionnels assujettis (ex : défauts de déclarations de soupçon, défauts d’identification ou de vérification de l’identité d’un client), les lacunes organisationnelles (ex : inadéquation du dispositif d’approche par les risques, insuffisance des moyens humains) et les carences dans le contrôle interne. L’ACPR peut aussi sanctionner – et c’est un des atouts du dispositif français – les manquements relatifs au respect des mesures de gel d’avoirs, dont l’efficacité repose principalement sur les établissements du secteur bancaire et financier.             

Comme cela a été indiqué à vos rapporteures par l’ACPR, les défauts relatifs aux déclarations de soupçon et aux examens renforcés dans les dossiers examinés par la Commission des sanctions ont porté sur des risques de blanchiment, à une exception près qui portait exclusivement sur des lacunes dans la mise en œuvre des obligations de vigilance en matière de financement de terrorisme et un défaut de déclaration de soupçon de FT (décision 2017-08 du 22 mars 2018).

 

Sanctions prononcées par l’ACPR depuis 2016 en matière de Lcb/FT
et de gels d’avoirs

 

Décisions de sanctions en matière de LCB-FT

Décisions de sanctions en matière de LCB-FT incluant un grief sur le gel des avoirs

Décisions portant exclusivement sur des lacunes en matière de gel

Montant total des amendes prononcées

2016

6

4

0

4,87 millions d’euros

2017

6

1

0

17,86 millions d’euros

2018

8

4

1

69,66 millions d’euros ([41])

Source : ACPR

3.   Les outils de coordination

a.   L’approche financière

Lors des nombreuses auditions menées dans le cadre de leur mission d’information, vos rapporteures ont pu constater l’important travail de coopération déployé par les services mobilisés en France par la lutte contre le financement du terrorisme. Face à la complexité et à l’ampleur de la menace terroriste, vos rapporteures se félicitent de cette coopération, qui passe notamment par plusieurs structures plus ou moins formalisées.

Le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme « COLB », crée par le décret n° 2010-69 du 18 janvier 2010 ([42])vise ainsi à fournir un cadre de coordination, sans fonction opérationnelle ni capacité de sanction. Il réunit l’ensemble des services de l’État impliqué sur ces sujets, et l’ensemble des professions concernées par la mise en œuvre des règles de surveillance et de contrôle, à l’occasion de réunions en formation plénière et de groupes de travail plus spécifiques.

Le COLB a donc pour principal atout de favoriser les échanges entre autorités publiques et professionnels, qui peuvent faire remonter d’éventuels problèmes dans la mise en œuvre de la LCB/FT, dont le traitement ne nécessite pas nécessairement d’évolutions législatives ou réglementaires et peut ainsi faire l’objet d’une réponse directe.

Afin d’optimiser l’efficacité du dispositif des gels d’avoirs, un groupe opérationnel a été créé en 2017 pour améliorer la communication et la coopération au niveau interministériel entre les services concernés, qui s’étaient quelque peu détournés de l’outil. Le GABAT permet de développer un véritable pilotage étatique de cet outil, qui vaut pour les différentes étapes de la mesure : personnes désignées, méthode, garanties de sécurité juridique…

b.   La coordination des services de renseignement et la création de la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

À l’occasion du Conseil de défense et de sécurité nationale du 7 juin 2017, la création d’une Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, d’un Coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme et d’un Centre national de contre-terrorisme a été décidée, avant d’être formalisée par un décret du 15 juin 2017 ([43]). Le CNCT a remplacé la Coordination nationale du renseignement, créée en 2008.

Le Coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) est chargé de mener une analyse globale de la menace terroriste et de proposer sur cette base des orientations opérationnelles au président de la République, fixées ensuite aux services compétents. Il est également chargé de coordonner les initiatives prises par la France sur la scène internationale et européenne en matière de renseignement et de lutte contre le terrorisme.

Le CNRLT assure aussi le pilotage stratégique de structures de coordination récemment mises en place, dont un comité stratégique qui réunit l’ensemble des directeurs des services en charge de la lutte anti-terroriste (DGSI, DGSE, DRM, DRSD, DNRED, Tracfin, SCRT, DRPP, BCRP, SDAO, DCPJ, DRPJ Paris, UCLAT) ainsi que le Procureur de la République de Paris, de façon mensuelle. Un comité de pilotage opérationnel réunit chaque semaine les responsables en charge spécifiquement de la prévention et de la lutte anti-terroriste.

c.   L’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT)

Créée par un arrêté de 1984 ([44]), l’UCLAT est en charge de la coordination des services mobilisés par la lutte contre le terrorisme. Elle s’est vue confier en 2014 un rôle pivot dans la lutte contre la radicalisation violente et les filières djihadistes. Elle remplit plusieurs missions : évaluation de la menace terroriste dans le but d’y adapter les dispositifs de sécurité, centralisation des signalements de radicalisation, centralisation de l’ensemble des mesures de police administrative visant à prévenir le terrorisme, sensibilisation à la menace liée à la radicalisation, contribution à l’élaboration de contre-discours sur les réseaux sociaux.

B.   LA France A RENFORCé son dispositif national de lutte contre le financement du terrorisme depuis 2015

La présentation du large dispositif déployé en France pour lutter contre le financement du terrorisme a permis d’esquisser le constat suivant : robuste, ce dispositif a connu un renforcement soutenu depuis 2015 et les attentats qui ont frappé la France cette année-là. Plusieurs mesures ont alors été adoptées dans le cadre d’un plan d’action intitulé « Lutter contre le financement du terrorisme » et présenté en mars 2015, et la directive 2015/849 du 20 mai 2015 dite « 4ème directive anti-blanchiment » a suscité diverses adaptations du cadre réglementaire et législatif français. Le vote de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale a également participé à cette dynamique réformatrice.

Si les axes identifiés au lendemain des attentats de janvier 2015 demeurent pertinents pour progresser dans la lutte contre le financement du terrorisme, plusieurs des avancées engagées alors doivent faire l’objet d’une vigilance maintenue et soutenue.

1.   Faire reculer l’anonymat dans l’économie

Le premier axe du plan d’action de 2015, « identifier », s’est attaché à renforcer la traçabilité des opérations financières liées aux actes de terrorisme et à leur préparation.

Le plafond de paiement en espèces pour les transactions entre professionnels ou d’un professionnel à un particulier a été abaissé de 3 000 à 1 000 euros pour personnes physiques ou morales résidentes en France, et de 15 000 à 10 000 euros pour les non-résidents ([45]).

Si cet abaissement a pu susciter des critiques, dénonçant dans cet abaissement de plafonds une possible entrave au commerce, vos rapporteures, sensibles à ce risque, tiennent à souligner que cette mesure n’empêche pas les transactions mais incite à se tourner vers d’autres moyens de paiement non « anonymisables ». Pour éviter de nuire à la fluidité des transactions au sein de l’Union européenne, une harmonisation de ce type de seuils semble toutefois souhaitable (voir infra).

Deuxièmement, et là encore pour assurer une meilleure traçabilité des fonds, le contrôle des dépôts et retraits d’espèces par les professionnels assujettis a été renforcé. Le décret n° 2015-324 du 23 mars 2015 impose ainsi un signalement automatique à Tracfin de ces mouvements d’espèces à partir du moment où ils dépassent 10 000 euros.

Au niveau des transferts frontaliers, l’obligation déclarative en douane en vigueur en cas de transferts de capitaux par des personnes physiques entre les pays de l’Union européenne et la France et à partir de 10 000 euros, a été étendue aux transferts physiques de capitaux par voie de fret. 

Enfin, des mesures ont été prises pour mieux encadrer le recours aux « nouveaux moyens de paiement ». En application de la 4ème directive anti-blanchiment, les conditions d’usage des cartes prépayées ont été revues. Les cartes prépayées sont un outil de stockage, de transfert et d’utilisation de fonds qui présentent des risques non négligeables en matière de financement du terrorisme, comme le cas des attentats du 13 novembre 2015 a pu le rappeler ([46]).

Conformément aux dispositions actuellement en vigueur, toute carte prépayée abondée à partir de moyens de paiement non traçables comme des espèces doit faire l’objet d’une prise d’identité au premier euro, et ce depuis le 1er janvier 2017. Lorsque le moyen de paiement utilisé est traçable (compte bancaire nominatif), la prise d’identité intervient dès que le rechargement dépasse 250 euros mensuels, conformément au seuil imposé par la 4ème directive. La transposition de la directive 2018-843 dite 5ème directive anti-blanchiment doit conduire, d’ici janvier 2020, à un abaissement à 150 euros de ce seuil. En outre, depuis l’entrée en vigueur du décret n° 2016-1742 au 1er janvier 2017, les cartes prépayées sont soumises à des plafonds de stockage, de chargement et de retrait en plus de l’obligation d’identification du client :

– Le plafond de stockage d’une carte prépayée est fixé à 10 000 euros ;

– Le plafond de chargement est fixé à 1 000 euros par mois calendaire ;

– Le plafond de retrait est fixé à 1 000 euros par mois.

La loi du 3 juin 2016 a par ailleurs créé un nouvel article – l’article L. 315‑9 – au sein du CMF, en vertu duquel « la valeur monétaire maximale stockée sous forme électronique et utilisable au moyen d'un support physique est fixée par décret ».

Les obligations relatives à la conservation d’informations sur l’usage des cartes prépayées ont été définies par la modification de l’article L. 561-12 du CMF. Les prestataires de services bancaires et les établissements de monnaie électronique doivent recueillir et conserver les informations et les données techniques relatives à l’activation, au chargement et à l’utilisation de la monnaie électronique au moyen d’un support physique.

Malgré cette vigilance renforcée, vos rapporteures ont pu être alertées sur certaines fragilités du dispositif. Les premières sont dues à l’application des obligations de vigilance par certains établissements étrangers établis au sein de l’Union européenne et distribuant en France dans le cadre du passeport européen. Les deuxièmes tiennent à la mise en œuvre des obligations de vigilance par les agents de service de paiement, essentiellement des buralistes qui ne sont par définition pas des professionnels du secteur financier et pour lesquels l’ACPR a pu constater un défaut de conservation des informations sur le mode de paiement utilisé dans les chargements, d’où l’attention accrue de l’ACPR à l’égard de ces prestataires.

Concernant les comptes de paiement, les comptes de paiement « Nickel » ont été inscrits au Ficoba, qui permet depuis sa création en 1971 de recenser les comptes existants – qu’ils soient bancaires, postaux ou encore d’épargne – et de fournir des informations aux personnes habilitées. Pour autant, tous les comptes de paiement utilisés aujourd’hui ne figurent pas encore sur ce fichier et échappent donc à la traçabilité qu’il garantit.

2.   Renforcer la vigilance des acteurs concernés

Le deuxième axe du plan d’action de 2015 s’est attaché à favoriser une vigilance renforcée des acteurs et notamment des professionnels concernés par la lutte contre le financement du terrorisme.

Conformément au décret 2015-1338 du 22 octobre 2015, une prise d’identité est obligatoire depuis le 1er janvier 2016 pour toute opération de change manuel supérieure à 1 000 euros, contre 8 000 euros auparavant. À noter que pour les opérations par internet, la prise d’identité intervient au 1er euro.

Afin de renforcer la vigilance exercée par les professionnels assujettis, la loi du 3 juin 2016 a créé un article L. 561-29-1 du CMF qui permet à Tracfin de désigner à ces professionnels, pour un maximum de six mois renouvelable et selon des modalités définies par décret en Conseil d’État, les opérations et les personnes qui présentent un risque élevé de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

3.   Renforcer l’efficacité du dispositif de gel d’avoirs

Le plan d’action de 2015 a posé les jalons d’une réforme du dispositif national de gel d’avoirs, mise en place via l’ordonnance n° 2016-1575. Conformément à l’objectif annoncé dès 2015, l’article L. 562-1 du CMF a été modifié afin d’étendre les mesures de gel aux biens immobiliers et mobiliers.

L’ordonnance a également rendu automatique l’interdiction pour les professionnels assujettis de mettre à disposition des fonds et des ressources économiques au profit des personnes qui font l’objet d’une mesure de gel, et précisé les modalités de déblocage partiel des avoirs gelés afin de tenir compte des nécessités liées aux frais du foyer familial et à la conservation du patrimoine personnel de la personne touchée par un gel d’avoirs.

4.   Le renforcement du dispositif de lutte contre les trafics de biens culturels

En plus de porter sur la scène internationale plusieurs initiatives visant à renforcer la lutte contre les trafics de biens culturels, la France a également renforcé son arsenal national. La loi du 3 juin 2016 a ainsi créé dans le code pénal ([47]) une nouvelle infraction qui réprime le trafic de biens culturels émanant de « théâtres d’opérations de groupements terroristes ([48])». En vertu du nouvel article L. 322-3-2 du code pénal, est puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende le fait d’importer, d’exporter, de faire transiter, de détenir, de vendre, d’acquérir ou d’échanger un bien culturel présentant un intérêt archéologique, artistique, historique ou scientifique en sachant qu’il provient d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes et sans pouvoir justifier de la licéité de ce bien.

La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine a permis de consolider plus largement le dispositif français de lutte contre les trafics des biens culturels, par l’adoption de plusieurs mesures :

-          Création d’une faculté de contrôle douanier à l’importation spécifique pour les biens culturels, là où les contrôles sur les mouvements internationaux de biens culturels étaient tournés vers l’exportation. L’introduction de ce dispositif a permis à la France de mieux se conformer à ses engagements internationaux, en particulier la convention l’UNESCO du 17 novembre 1970 ;

-          Création en France de refuges pour les biens culturels menacés, en prévoyant de mettre à disposition des locaux sécurisés pour recevoir ces biens en dépôt, en cas de situation d’urgence et de grave danger du fait d’un conflit armé ou d’une catastrophe sur le territoire de l’État qui les possède ou détient, en vertu de l’article L. 111-11 du code du patrimoine ;

-          Interdiction formulée à l’article L. 111-9 du code du patrimoine de faire circuler des biens culturels ayant quitté illicitement un État lorsqu’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU a été prise en ce sens, notamment la résolution 2199 dont l’article 17 vise les biens culturels enlevés illégalement d’Irak depuis le 6 août 1990 et de Syrie depuis le 15 mars 2011 ;

-          Création d’un dispositif permettant aux propriétaires publics de biens acquis de bonne foi, mais qui se sont avérés vols ou exportés illicitement d’un autre État partie à la convention de l’Unesco de 1970, de demander au juge judiciaire l’annulation du contrat ou du legs par lequel ils en ont fait l’acquisition.

C.   UNE Nécessaire mobilisation du secteur privé

En matière de lutte contre le financement du terrorisme, la mobilisation du secteur privé - et tout particulièrement des professionnels assujettis aux obligations de vigilance – est indispensable. Si les administrations auditionnées par vos rapporteures ont dans l’ensemble fait état d’une implication satisfaisante de ces professionnels, facilitée par la coopération public-privé, cette participation reste inégale et connaît des marges de progression.

Liste des personnes soumises aux obligations relatives à la lutte
contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme
en application de l’article L. 561-2 du code monétaire et financier

 

Dans le secteur financier :

- Les établissements de crédit ;

- Les changeurs manuels ;

- Les compagnies d’assurance ;

- Les établissements de paiement ;

- Les instituts d’émission ;

- Les entreprises d’investissement ;

- Les mutuelles et institutions de prévoyance ;

- Les conseillers en investissements financiers ;

- Les intermédiaires en investissement financier ;

- Les intermédiaires en assurance ;

- Les sociétés de gestion de portefeuille ;

- Les établissements de monnaie électronique ;

- Les intermédiaires de financement participatif ;

- Les commerçants et intermédiaires en monnaies virtuelles ;

- Les intermédiaires en opérations de banque et services de paiement.

 

Dans le secteur non financier :

- Les notaires ;

- Les professionnels de l’immobilier ;

- Les cercles, jeux de hasard, pronostics sportifs ou hippiques ;

- Les casinos ;

- Les opérateurs de jeux en ligne ;

- Les administrateurs de justice et mandataires judiciaires ;

- Les experts-comptables ;

- Les commissaires aux comptes ;

- Les marchands de biens précieux ;

- Les commissaires-priseurs et sociétés de vente ;

- Les huissiers ;

- Les avocats ;

- Les sociétés de domiciliation ;

- Les agents sportifs.

1.   Les professionnels assujettis jouent un rôle crucial dans la mise en œuvre concrète de la lutte contre le financement du terrorisme

a.   Le secteur bancaire

Si les banques font partie du secteur financier, leur part prépondérante dans la mise en œuvre des obligations de vigilance invite à en faire un cas à part.

Au plan quantitatif, les banques représentent plus de la moitié des déclarations de soupçon adressées à Tracfin : 68 % du total en 2017, et 73 % des déclarations adressées par le secteur financier, un peu plus d’une déclaration sur dix faisant l’objet d’une investigation. En 2017, 9 221 droits de communication ont été adressés aux principaux établissements bancaires, soit 31,5 % du total, Tracfin soulignant dans son rapport d’activité la bonne réactivité moyenne des établissements, parfois soumis à l’urgence.

Comme cela a été présenté à vos rapporteures, le secteur bancaire a mis en place des contrôles s’étalant sur 4 niveaux :

-          Contrôles de base exercés par les chargés de clientèle et déclarants Tracfin, assurant la liaison avec le service dans chaque établissement ;

-          Contrôles internes mis en place par les banques pour évaluer leurs dispositifs de contrôle ;

-          Inspections apériodiques et aléatoires portant sur l’ensemble des outils déployés par l’établissement bancaire ;

-          Contrôles de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, susceptibles de déboucher sur des procédures disciplinaires et des sanctions.

Comme l’ont souligné en audition les représentants de la Fédération bancaire française ([49]), le secteur bancaire se conforme à ses obligations de vigilance non seulement car cela est dans l’intérêt du secteur bancaire – les amendes pouvant être infligées par l’ACPR ayant un impact négatif pécuniaire mais plus encore en termes d’image – mais aussi en tant que citoyens.

Du point de vue de l’ACPR, la coopération du secteur bancaire est globalement bonne et le niveau d’exigences existant est suffisant – il est même reconnu comme particulièrement élevé. En matière de gels d’avoirs par exemple, l’obligation de mise en œuvre « immédiate » des mesures est ainsi une obligation de résultat.

Le respect des obligations de vigilance suppose donc des investissements humains et financiers importants, d’autant que la lutte contre le financement du terrorisme a imposé un abaissement considérable du seuil de vigilance afin de s’adapter à des flux multiples et portant le plus souvent sur de faibles montants, avec un nombre d’opérations à surveiller qui a sensiblement augmenté.

b.   Le secteur financier dans son ensemble

i.   Le secteur de l’assurance

L’ensemble du secteur de l’assurance au sens de l’article L. 310-1 du CMF a été assujetti dès l’origine aux dispositifs LCB-FT.

Selon le dernier rapport d’activité de Tracfin, l’activité déclarative du secteur des assurances connaît une tendance à la hausse depuis 2012, confirmée en 2017 avec 5 283 déclarations de soupçon. On relève toutefois des disparités au sein du secteur, avec une activité déclarative en hausse de la part des compagnies d’assurance et des mutuelles et institutions de prévoyance, mais en baisse du côté des intermédiaires en assurance.

En matière de financement du terrorisme, l’essentiel des opérations à risque se concentre sur l’assurance non-vie plutôt que sur l’assurance vie. Les risques concernent ainsi des biens ou une responsabilité liée à un bien qui a pu servir ou aider à commettre un acte de terrorisme, comme un véhicule par exemple.

Comme l’a souligné le dernier rapport d’analyse de Tracfin, le secteur de l’assurance joue un rôle particulièrement utile dans la mesure où les signalements effectués ont souvent une valeur opérationnelle immédiate.

ii.   Les plateformes de financement participatif

Si le financement participatif ne représente encore que des montants limités au sein de l’économie – on estime qu’1,4 milliard d’euros a été collecté en France depuis 2015 – les risques liés à ces nouveaux produits existent bel et bien, par exemple pour collecter sur le territoire national des fonds afin de soutenir la cause terroriste ou du moins la radicalisation.

Il faut d’emblée préciser la différence entre le financement participatif et les cagnottes en ligne. Le financement participatif désigne un outil de collecte de fonds opéré via une plateforme en ligne, afin de financer collectivement des projets identifiés, là où les cagnottes, qui sont censées être utilisées entre individus qui se connaissent, doivent servir à financer un objet ou événement particulier (anniversaires, pots de départs etc.). Surtout, si les plateformes de financement participatif disposent depuis le 1er octobre 2014 d’un statut, et sont soumises depuis 2016 aux obligations de vigilance LBC/FT, ça n’est pas le cas des cagnottes en ligne. Plus spécifiquement, sur les 190 acteurs immatriculés en France auprès de l’ACPR ou de l’Autorité des marchés financiers (AMF), on compte 150 plateformes ayant un statut d’intermédiaire en financement participatif (dons ou prêts), et 40 ayant un statut de conseiller en investissement participatif. Les cagnottes peuvent, si elles le souhaitent, adopter l’un de ces deux agréments. Dans ce cas, elles sont soumises aux mêmes règles que les plateformes de financement participatif.

À cet égard, vos rapporteures s’interrogent sur cette différence de traitement : aujourd’hui, les risques posés par les cagnottes en ligne en matière de financement du terrorisme sont en effet très semblables aux risques posés par les plateformes de financement participatif.

Le financement participatif représente encore un nombre très modeste de déclarations de soupçons, on a ainsi compté 25 en 2017, qui n’ont que rarement pour objet le financement du terrorisme. En outre, aucune n’a donné lieu à une investigation.

Si Tracfin fait état de déclarations qui sont dans l’ensemble de bonne qualité, le service déplore aussi une insuffisante mobilisation des acteurs de la finance participative, notamment de la part de « certains des principaux acteurs du financement participatif hexagonal ».

iii.   Les établissements de monnaie électronique

On entend par établissements de monnaie électronique (EME) les établissements qui gèrent, émettent, et mettent à disposition de la monnaie électronique au sens de l’article L. 315-1 du CMF. Ils peuvent aussi fournir des services de paiement et des services connexes à la monnaie électronique ou aux services de paiement.

La majorité des EME actifs en France exercent dans le cadre du passeport européen (125 sur 132) et en libre prestation de services (111), seuls 7 étaient agréés auprès du régulateur français, l’ACPR.

L’activité déclarative des EME a connu une importante progression en 2017 (+394 %), avec 178 déclarations de soupçon envoyées. Cette progression n’est toutefois pas partagée par l’ensemble des acteurs du secteur et une grande disparité peut être relevée.

iv.   Les établissements de paiement

En matière de déclarations de soupçon, l’année 2017 a été marquée par une très forte hausse de l’activité déclarative des établissements de paiement, en hausse de 68,4 % par rapport à 2016. De façon plus spécifique, la part du secteur de la transmission de fonds a confirmé une tendance décroissante, alors que celle des opérateurs proposant la fourniture de nouveaux services de paiement comme les néo-banques, a augmenté.

Vos rapporteures, qui ont eu l’opportunité de rencontrer aux États-Unis et en France des représentants de Western union, entreprise américaine spécialisée dans les transferts de fonds internationaux, souhaiteraient revenir sur le cas particulier de cette entreprise, dont les services ont déjà été utilisés à plusieurs reprises dans la préparation d’attentats terroristes.

Le cas de Western union est d’autant plus intéressant que l’entreprise est présente dans plus de 200 pays et territoires, par le biais d’environ 550 000 points de vente et pour un volume de 37 à 40 transactions par seconde dans le monde.

Face à ces volumes considérables et à la commodité de cet outil de transfert, l’entreprise a mis au point un important système de contrôles afin d’assurer la maîtrise des risques liés au blanchiment des capitaux et au financement du terrorisme.

Premièrement, Western union exerce une série de contrôles : identification des activités suspectes au moyen des systèmes électroniques et de détections automatisées, identification globale des clients, mise en application de 49 listes de sanctions dans le monde, analyse des flux et notamment de certains « corridors » suspects (ex : le corridor France-Turquie) pour en dégager des données macroéconomiques, détection de signes (ex : à partir de l’identité d’une personne identifiée comme terroriste, les données permettront d’établir des liens financiers avec d’autres personnes).

D’autre part, Western union est amené à coopérer avec les services de police en cas d’attentat. Sous 48 heures, l’entreprise communique aux forces de police un document d’analyse récapitulant les différents contacts que l’auteur d’un attentat a pu avoir si ses services ont été utilisés. Cette coopération s’est notamment mise en place à l’occasion des attentats de Carcassonne et de Trèbes, ou encore dans l’affaire « Syrian Wallet » qui a mobilisé plusieurs pays européens. Surtout, comme cela a pu être mis en avant en audition, la coopération entre Western union et les services de police fonctionne au mieux lorsqu’une relation de confiance peut s’établir, favorisée par la présence d’un référent dédié. En France, les services de Western union ont également collaboré avec la SDAT pour identifier les zones les plus sensibles à la frontière syro-turque du fait de la présence de collecteurs de l’État islamique.

Toutefois, l’attention de vos rapporteures a été attirée sur un point qui limite la capacité de coopération de Western union. Dans de nombreux pays dont la France, l’entreprise ne peut communiquer – sur la base d’une réquisition judiciaire - d’informations que sur des transactions reçues et faites en France. Il est donc impossible de livrer directement aux services de police un tableau d’ensemble, ce que la législation américaine permet. Le partage de ces informations est en revanche possible via des canaux comme Europol ou Eurojust. Si les enjeux liés à la protection des données sont sensibles et non négligeables, le cadre législatif pourrait évoluer, au moins au niveau de l’Union européenne, pour lever cette entrave.

Sur les contrôles exercés par l’entreprise, certains points doivent faire l’objet d’une vigilance soutenue malgré la robustesse des dispositifs déployés. D’une part, Western union reste présent dans certaines zones à risque comme la Syrie. Si l’entreprise réévalue régulièrement sa présence sur place, et peut procéder à des remontées d’information, certaines zones restent impossibles d’accès et ne peuvent donc pas faire l’objet d’une évaluation approfondie. Par ailleurs, les informations qui peuvent être obtenues sur les flux ne permettent pas – en Syrie comme ailleurs - d’identifier la finalité effective des fonds transférés, ce qui vaut a fortiori en cas d’usage malveillant.

Selon l’ACPR, Western union, à l’instar d’autres établissements exerçant en France dans le cadre du passeport européen, en libre établissement, est particulièrement exposé aux risques liés au financement du terrorisme mais connaît une marge de progression dans sa connaissance du dispositif réglementaire français, comme l’a souligné l’amende d’un million d’euros infligée à l’entreprise début janvier pour cause de lacunes dans son dispositif LBC-FT.

c.   Les professionnels du secteur non financier

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Source : Tracfin, rapport d’activité 2017

Selon le dernier rapport d’activité de Tracfin, on constate une tendance à la hausse du nombre de déclarations de soupçon transmises par les professionnels du secteur non financier (+23,4 % en 2017), dont les notaires et les administrateurs et mandataires judiciaires sont les principaux artisans.

Il faut toutefois relever une disparité à la fois géographique et professionnelle derrière cette hausse.

Les professionnels de l’immobilier restent trop peu impliqués malgré une hausse de leurs déclarations, et la qualité des déclarations connaît une marge de progression notamment du côté des sociétés de domiciliation. D’autres professions comme les avocats ou les marchands d’art pourraient être davantage impliquées (voir infra).

2.   La vigilance du secteur privé est encadrée et soutenue par la coopération public-privé

Face à la nécessité d’une implication commune du secteur privé et du secteur public dans la lutte contre le financement du terrorisme, une coopération public-privé a été mise en place, essentiellement portée par Tracfin et l’ACPR.

Ainsi Tracfin a fait évoluer son organisation interne depuis 2015 pour renforcer ses relations avec les assujettis, afin d’assurer des retours réguliers sur leur activité déclarative. Deux divisions sont désormais dédiées à cette mission, avec plusieurs référents en charge du suivi de plusieurs assujettis.

En amont de l’activité déclarative, Tracfin et l’ACPR publient, de façon ou non conjointe, des lignes directrices à destination des professionnels assujettis, régulièrement réactualisées. L’explosion du flux déclaratif observée en 2016, qui s’est traduite par une dégradation de la qualité des informations reçues, a rendu indispensable la dernière réactualisation des lignes directrices à destination du secteur financier. La version publiée en 2018 des lignes directrices conjointes a ainsi invité les professionnels assujettis à exercer une vigilance soutenue non seulement sur les transferts de fonds vers des zones à risques, mais aussi sur les crédits à la consommation dont une large part est retirée en espèces, ou encore sur les opérations à destination des personnes incarcérées.

En matière de financement du terrorisme, la division dédiée de Tracfin travaille également à l’élaboration de typologies, qui ont vocation à être partagées avec les services de conformité des acteurs financiers pour renforcer leurs capacités de détection. Ces typologies ont prouvé leur efficacité au fil du temps, notamment pour assurer une veille contre la radicalisation ou les tentatives de départs sur zone.

Tracfin a également entrepris depuis 2016 un important travail d’élaboration et d’actualisation des lignes directrices à destination du secteur non financier, dans de nombreux secteurs.

L’ACPR et la DGTRESOR mettent également au point des lignes directrices sur les mesures de gels d’avoirs, dont l’actualisation est en cours afin d’intégrer les modifications issues de la dernière réforme du dispositif (voir supra).

Tracfin et l’ACPR veillent à maintenir des échanges réguliers avec les principaux professionnels assujettis, notamment sous la forme d’une réunion annuelle organisée depuis 2017 avec les établissements bancaires et de paiements, complétée pour la première fois en décembre 2018 par une réunion avec le secteur de l’assurance.

De façon générale, les contacts et échanges sont fréquents : groupes de travail, entretiens de surveillance rapprochée de l’ACPR, actions de communication et de sensibilisation.

Au sein de cette coopération, les échanges entre Tracfin et l’ACPR gagnent également à être soutenus. En effet, comme cela a été souligné en audition par les représentants de la FBF, les établissements bancaires ont parfois des difficultés à trouver un équilibre dans leur activité déclarative entre les exigences de Tracfin, qui demande des déclarations de soupçon les plus instruites possibles, et les exigences de l’ACPR qui invite à formuler des déclarations de façon plus immédiate.

3.   La participation du secteur privé à la lutte contre le financement du terrorisme connaît toutefois des marges de progression

a.   Une mobilisation insuffisante de la part de certaines professions

Si le niveau de mobilisation des professionnels assujettis est jugé dans l’ensemble satisfaisant, vos rapporteures ont été alertées sur certaines insuffisances, au-delà des cas déjà évoqués en liens avec le financement participatif, les cagnottes en ligne et les établissements de paiement.

Au niveau de Tracfin, on constate une certaine réticence persistante de la part des avocats. Les déclarations de soupçon sont très peu nombreuses, et limitées à un très faible nombre d’opérations dans la mesure où le cadre légal exclut tout ce qui relève des droits de la défense. D’autre part, le cadre légal ne couvre pas le champ des consultations juridiques de l’avocat, sauf si cette consultation est à des fins de blanchiment, ce qui n’a pas de sens. Le champ extrêmement limité des déclarations de soupçon est donc le premier facteur en expliquant le nombre restreint (18 depuis 2013).

Les Carpa (caisses des règlements pécuniaires des avocats) ne sont pas soumises aux obligations de vigilance, toutefois dans le cadre de la transposition de la 4ème directive anti-blanchiment, l’ordonnance du 1er décembre 2016 a rendu possible l’exercice du droit de communication de Tracfin, avec le maintien du filtre exercé par le canal du bâtonnier.

Un autre secteur demeurant insuffisamment impliqué dans la mise en œuvre de ses obligations de vigilance est celui du marché de l’art. Alors que le risque de financement du terrorisme s’est accru pour ce secteur après la vague de pillages perpétrés au Proche-Orient ces dernières années, la participation des professionnels du secteur à la LBC/FT reste limitée, les risques étant selon Tracfin minimisés par la profession.

Tracfin constate toutefois une bonne réaction des commissaires-priseurs aux actions de sensibilisation entreprises par le service, et une hausse des déclarations de soupçon reçues. Malgré tout, l’activité déclarative reste trop faible compte tenu des volumes en question sur le marché de l’art, et les autres marchands d’art (antiquaires et galeries) restent trop réticents.

Au niveau du secteur financier, l’ACPR constate globalement une moins bonne « culture de la conformité » dans les structures de petite taille ou parmi les plus récentes comme les établissements de monnaie électronique, les établissements de paiement (voir supra) et les changeurs manuels, compte tenu notamment de la faiblesse de leurs moyens humains et techniques.

Pour ce qui est des banques, et en accord avec les professionnels du secteur, l’ACPR déplore les obstacles rencontrés par le secteur bancaire pour mettre en place un suivi consolidé entre filiales, en raison des différences de réglementations nationales qui peuvent créer des entraves dans les échanges d’informations. Ce problème a déjà fait l’objet d’une remontée d’informations, et fait actuellement l’objet d’une réflexion au sein du GAFI.

b.   La problématique du derisking : un dommage collatéral de la lutte contre le financement du terrorisme

En imposant aux systèmes bancaires et financiers le respect d’obligations de vigilance et la réalisation de contrôles, la lutte contre le financement du terrorisme a eu pour dommage collatéral d’exclure certains pays du système financier global. Face aux risques associés aux transactions financières effectuées dans certains pays – dont les zones de conflit mais sans exclusive – les institutions financières ont eu tendance à pratiquer le « derisking », à savoir, une atténuation des risques qui consiste à éviter certaines zones plutôt qu’à y pratiquer une gestion des risques.

Or, ce phénomène touche tout particulièrement les ONG humanitaires intervenant dans les pays en question et notamment dans des zones de conflit. Un rapport récent publié par le CODSSY (Collectif de développement et secours syrien), qui réunit plusieurs associations, a permis de dresser un tableau des obstacles rencontrés par les ONG intervenant en Syrie et de revenir sur les conséquences du derisking ([50]).

Sur la base des remontées d’information de 25 associations actives en Syrie et basées en France, qui représentent environ 60 % du total de ces associations, l’enquête menée a fait ressortir que les associations interrogées – de tailles et d’effectifs variables - avaient subi pour 72 % d’entre elles des rejets de virement, pour 45 % d’entre elles des clôtures de compte bancaire et pour 30 % d’entre elles des refus d’ouverture de comptes. Ce phénomène, qui a pu toucher des ONG de grande ampleur comme ACTED, est observé dans la majorité des pays occidentaux. Ainsi selon une étude du Charity & Security network, deux tiers des ONG américaines qui mènent des activités au niveau international font face à des difficultés d’accès aux services financiers ([51]). Si l’étude du CODSSY porte sur la Syrie, le derisking est observé dans de nombreux pays tels que l’Irak, l’Afghanistan ou encore les pays du Sahel et de la Corne de l’Afrique.

Or, ces difficultés d’accès aux services financiers ont des conséquences lourdes pour l’action des ONG. En effet, on observe une forme de superposition entre crises humanitaires et terrorisme, les zones les plus touchées par le terrorisme connaissant souvent d’importants besoins humanitaires. Le retard dans la mise en œuvre des projets des ONG voire l’impossibilité de les mener à bien a donc des effets immédiats sur les zones concernées, mais aura aussi des effets probables sur le long terme et la sortie de crise des pays touchés.

En pratique, les vérifications et contrôles appliqués par les banques peuvent s’étaler sur plusieurs mois. Par exemple, l’hôpital de l’Union des organisations de secours et de soins médicaux, à Rakka, financé par l’Union européenne et géré en partenariat avec un établissement public français, a dû fermer car ses salariés locaux n’avaient pas reçu de salaire pendant quatre mois. Ce retard s’explique par les contrôles effectués par la banque de l’UOSSM avant de procéder aux virements, afin de s’assurer qu’aucun des salariés ne figurait sur une liste de sanctions ou une liste d’Interpol. Les pièces d’identité de plus de 2 000 salariés ont ainsi dû être fournies avant chaque virement.

De l’aveu de tous les acteurs concernés, le problème du derisking est particulièrement difficile à traiter et fait aujourd’hui d’une vigilance soutenue, y compris à l’ONU et à la Banque mondiale. Pour les banques, les contrôles rendus nécessaires par les risques liés au terrorisme imposent des vérifications tant au niveau des associations – qui n’ont pas toujours les moyens opérationnels d’y répondre exhaustivement – et au niveau des banques étrangères, dont le niveau de contrôle doit être équivalent à celui des contrôles nationaux. Or, en l’absence de contrôles internes dans les établissements bancaires en question ou de cellule de renseignement financier nationale, ces garanties sont extrêmement difficiles à obtenir. Il apparaît en conséquence que pour les institutions financières, la rentabilité d’une organisation humanitaire est insuffisante pour compenser le coût des mesures de contrôle de conformité.


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III.   VERS UNE RÉPONSE COMMUNE AU NIVEAU DE L’UNION EUROPéENNE : UNE HARMONISATION CROISSANTE DES RÉGLEMENTATIONS ET DES OUTILS

Au niveau de l’Union européenne, la nécessité d’une action coordonnée en matière de lutte contre le financement du terrorisme international a conduit au développement d’un cadre d’action juridique et opérationnel commun.

La lutte contre le terrorisme est une compétence partagée entre l’Union et ses États membres, et l’on trouve plusieurs articles des traités qui s’y réfèrent. C’est le cas notamment de l’article 83 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui précise que le Parlement européen et le Conseil peuvent adopter des directives pour établir des règles minimales « relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans des domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière résultant du caractère ou des incidences de ces infractions ou d'un besoin particulier de les combattre sur des bases communes ». L’article 75 du TFUE revient plus spécifiquement sur la possibilité de définir, par voie de règlements, « un cadre de mesures administratives concernant les mouvements de capitaux et les paiements, telles que le gel des fonds, des avoirs financiers ou des bénéfices économiques qui appartiennent à des personnes physiques ou morales, à des groupes ou à des entités non étatiques, sont en leur possession ou sont détenus par eux ».

Un premier plan d’action global a été adopté après les attentats du 11 septembre 2001. À la suite des attentats de Madrid (2004) et de Londres (2005), une stratégie dédiée a été adoptée et un poste de coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme a été créé.

Les attentats de Paris en 2015 ont été à l’origine d’une nouvelle dynamique dans la réponse de l’Union européenne, au sein de laquelle la France a joué et continue de jouer un rôle moteur. Un plan d’action pour la lutte contre le financement du terrorisme a été présenté le 2 février 2016 par la Commission européenne. Il se concentre principalement sur deux axes :

- Renforcement du ciblage des fonds et des biens détenus par les organisations terroristes ;

- Neutralisation des sources de financement du terrorisme.

A.   L’UNION EUROPÉENNE S’EST DOTÉE D’UN CORPUS RÉGLEMENTAIRE POUR LUTTER CONTRE LE FINANCEMENT DU TERRORISME

Depuis 2016, l’Union européenne a adopté ou révisé plusieurs instruments visant à doter les États membres d’un socle commun en matière de lutte contre le financement du terrorisme et, dans une certaine mesure, d’harmoniser les dispositions nationales.

La directive 2017/541 relative à la lutte contre le terrorisme érige en infraction pénale des actes tels que l’entraînement ou les voyages à des fins terroristes, l’organisation ou la facilitation de ce type de voyage, ou encore le fait de fournir ou de réunir des fonds à des fins terroristes. Sur la base de l’article L. 421-2-2 du code pénal, la France a estimé être en conformité avec les dispositions de la directive.

La directive 2018/1673 visant à lutter contre le blanchiment de capitaux au moyen du droit pénal s’inscrit également dans la lutte contre le financement du terrorisme dans la mesure où elle vise à perturber et bloquer l’accès des criminels aux ressources financières, y compris celles utilisées pour des activités terroristes.

Il faut également mentionner un projet de directive portant sur les échanges d’informations entre cellules de renseignement financier et autorités répressives ([52]), qui abroge la décision 2000/642/JAI du Conseil et qui devrait entrer en vigueur d’ici mai 2019. Ce projet de directive, auquel la France a activement contribué, vise principalement à renforcer la coopération entre les services répressifs et les CRF au sein de l’Union européenne, et à faciliter les échanges d’informations entre Europol et les CRF. L’objectif est également de fournir aux autorités compétentes un accès direct, au cas par cas, à des informations bancaires. La dernière version du projet de directive introduit notamment une possibilité d’accès « direct et immédiat » des autorités compétentes aux fichiers centralisateurs des comptes bancaires, et élargit le champ de la coopération entre cellules de renseignement financier (CRF) européennes au terrorisme et à la criminalité organisée en lien avec le terrorisme (dans des cas exceptionnels et urgents).

Comme évoqué, l’Union européenne a également mis en place dès 2001 un dispositif de gels d’avoirs, qui repose sur les règlements 2580/2001 et 2016/1686. Ce dispositif a été complété en 2018 par l’adoption du règlement 2018/1805 sur la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et des décisions de confiscation, qui ne concerne toutefois que les décisions de gel émises dans le cadre de procédures pénales, à des fins de confiscation, et non les décisions émises dans le cadre de procédures administratives ([53]).

Enfin, l’Union européenne a adopté en 2016 le règlement 2016/1375, qui vise le « recensement des pays tiers à haut risque présentant des carences stratégiques » en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Sur cette base, une liste de pays est proposée aux États membres par la Commission européenne. La version actuelle de la liste comporte 16 États et territoires, et la dernière proposition de révision, qui portait le total à 23, a fait l’objet d’un rejet quasi unanime de la part des États membres. L’objection, qui portait avant tout sur la méthodologie retenue, enjoint la Commission à proposer une nouvelle réévaluation de cette « liste noire », qui impose des contrôles renforcés sur les opérations financières impliquant des clients ou des établissements financiers situés dans les pays inscrits.

Le dispositif pivot élaboré par l’Union européenne en matière de lutte contre le financement du terrorisme est toutefois passé par l’adoption de quatre directives « anti-blanchiment » en 1991, 2001, 2005 et 2015. La dernière actualisation de cet outil, la directive 2018/843 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment des capitaux ou du financement du terrorisme ou 5ème directive anti-blanchiment, a été adoptée le 30 mai 2018, et sa transposition doit intervenir d’ici le 10 janvier 2020.

La 4ème directive, dont la transposition a été réalisée dans le droit français via l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, a permis plusieurs avancées notables parmi lesquelles la création d’un registre des bénéficiaires effectifs, un encadrement des cartes prépayées (voir supra) ou encore une extension de la notion de personne politiquement exposée.

Le registre des bénéficiaires effectifs

Conformément à l’article 30 de la directive 2015/849, « les États membres veillent à ce que les sociétés et autres entités juridiques constituées sur leur territoire aient l'obligation d'obtenir et de conserver des informations adéquates, exactes et actuelles sur leurs bénéficiaires effectifs, y compris des précisions sur les intérêts effectifs détenus. Les États membres veillent à ce que ces entités soient tenues de fournir, outre des informations sur leur propriétaire légal, des informations sur le bénéficiaire effectif aux entités assujetties lorsque celles-ci prennent des mesures de vigilance à l'égard de la clientèle conformément au chapitre II (…) Les États membres veillent à ce que les informations visées au paragraphe 1 soient conservées dans un registre central dans chaque État membre ».

L’ordonnance du 1er décembre 2016 a ainsi créé une nouvelle section au sein du CMF, intitulée « le registre des bénéficiaires effectifs » et précisée par l’adoption de plusieurs décrets.

En pratique, le bénéficiaire effectif désigne la ou les personnes physiques qui contrôlent en dernier, directement ou indirectement, le client, ou pour laquelle une opération est exécutée ou une activité exercée. Toutes les sociétés et entités juridiques tenues de s’inscrire au Registre du commerce et des sociétés (RCS) ([54]) doivent désormais alimenter ce registre, et le tenir à jour sous maximum 30 jours après intervention d’un acte rendant nécessaire une rectification ou un complément.

Afin de mettre à profit cet outil dans le cadre de la LCB/FT, le registre des bénéficiaires effectifs peut être consulté par les autorités compétentes en la matière : autorités judiciaires, TRACFIN, l’administration fiscale et douanière, ACPR, AMF etc. Le droit de communication est également ouvert aux professionnels assujettis, dans le cadre de la mise en œuvre de leurs obligations de vigilance.

La directive 2018/843, dont le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) autorise la transposition via des ordonnances, constitue la dernière mise à jour du dispositif européen de lutte contre le financement du terrorisme. La France, qui a beaucoup œuvré pour l’adoption de cette directive, a déjà transposé une partie des mesures qu’elle contient dès la transposition de la 4ème directive.

La 5ème directive prévoit une série de mesures relatives à l’encadrement des cartes prépayées (voir supra) et des crypto actifs, à l’amélioration des contrôles sur les transactions dans les pays à « haut risque », au renforcement de la transparence de l’information sur les bénéficiaires effectifs des sociétés et fiducies, ou encore à l’amélioration de la coopération entre les cellules de renseignement financier et au renforcement de leurs compétences. Par rapport à la 4ème directive, la 5ème directive a un champ d’application élargi à de nouvelles professions : conseillers fiscaux, experts-comptables, toute personne fournissant aide, conseil et assistance en matière fiscale s’il s’agit de son activité principale, ainsi que les agents immobiliers lorsqu’ils sont intermédiaires pour la location de biens immobiliers dont le loyer est égal ou supérieur 10 000 euros par mois, et les différents acteurs intervenant sur le marché de l’art lorsque la valeur d’une transaction ou de plusieurs transactions liées est égale ou supérieure à 10 000 euros.

Parmi les avancées notables, il faut également souligner l’exigence de mise en place dans tous les États membres d’un registre permettant d’identifier les bénéficiaires des comptes bancaires et des comptes de paiement, à l’instar du FICOBA français.

La France a également anticipé la 5ème directive sur les mesures de vigilance renforcées exigées dans le cas d’entrées en relation d’affaires à distance qui ne sont pas assorties de certaines garanties telles que le recours à des moyens d’identification électronique et qui présentent des risques plus élevés en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme. La réglementation française prévoit depuis le 1er octobre 2018 que la vérification de l’identité du client dans le cadre d’une entrée en relation d’affaires à distance peut s’appuyer sur un moyen d’identification électronique présentant un niveau de garantie élevé au sens du règlement « eIDAS », reconnu comme équivalent à une identification en face à face. Ce n’est que lorsque la vérification d’identité n’a pas été effectuée en y ayant recours qu’il est exigé des organismes financiers, au vu des risques plus élevés, de mettre en œuvre deux mesures de vigilance complémentaires parmi une liste de six mesures.

B.   la coopération policière et judiciaire européenne est également mobilisée dans la lutte contre le financement du terrorisme

L’action de l’Union européenne en matière de lutte contre le financement du terrorisme met également à profit les outils généraux de la coopération policière et judiciaire.

1.   Europol

Agence européenne consacrée à la répression des activités criminelles, EUROPOL joue un rôle pivot dans la lutte contre le terrorisme et son financement. À la suite des attentats de novembre 2015, l’implication de l’agence dans ce domaine a pris une dimension nouvelle, avec la création de taskforce « Fraternité » et son implication dans l’équipe commune d’enquête qui a associé la France et la Belgique à Europol. Un centre européen de lutte contre le terrorisme (ECTC) a été créé en janvier 2016, il réunit les dispositifs de l’agence dédiés à la lutte contre le terrorisme.

L’agence apporte un soutien opérationnel et stratégique aux États membres, grâce à de nombreux outils :

-          l’unité de renseignement financier d’Europol, qui produit des rapports stratégiques à destination des services répressifs, des CRF et des services de douanes et apporte un soutien opérationnel aux États via deux fichiers d’analyse dont le fichier ASSET RECOVERY qui porte sur les avoirs criminels. L’unité gère également plusieurs réseaux de praticiens dont le réseau CARIN (Camden Asset Recovery Inter-Agency Network), le groupe de travail tripartite sur les monnaies numériques (Europol, Interpol, Institut de Bâle sur la gouvernance) et le groupe consultatif du réseau FIU.net ;

-          le réseau FIU.net, qui relie les 28 cellules de renseignement financier de l’Union européenne ;

-          le canal dédié aux échanges sur la thématique terroriste « canal SIENA » crée pour sécuriser et fluidifier les échanges entre les services d’investigations sur ce sujet ;

-          le partenariat public-privé « EFIPPP » créé fin 2017, qui rassemble des banques et des services répressifs afin de faciliter l’échange de renseignements tactiques ou opérationnels associés à des enquêtes en cours. À ce jour, aucun service répressif français ne participe à cette initiative ;

-          le partenariat avec l’US Immigration and Customs Enforcement (ICE), qui permet à deux agents spéciaux de l’ICE, basés à l’ECTC, d’émettre des assignations administratives auprès de sociétés américaines de transfert d’argent comme Western union ou Money Gram

-          l’unité IRU (Internet Referral Unit), chargée de la surveillance d’internet. Dans la mesure où les groupes terroristes utilisent de façon croissante Internet à des fins de propagande ou de levées de fonds, le rôle d’Europol dans ce domaine est à souligner. L’agence met ainsi à disposition des outils d’aide au traçage et à l’interprétation des monnaies virtuelles, et a traité de nombreux dossiers en lien avec des sites de donations ou d’achats d’armes sur le darknet.

-          La coopération avec Europol a prouvé à plusieurs reprises son efficacité sur la période récente. On peut mentionner notamment l’affaire « Syrian wallet », qui a impliqué plusieurs pays européens dont la France (SDAT et OCRGDF et SAT DRPJ Paris), avec l’assistance d’Europol, et qui a permis de mettre au jour des services organisés par l’État islamique pour soutenir financièrement les combattants étrangers en Syrie, en Irak et en Libye.

À noter également que l’UCLAT a pris, pour 2019, la présidence du Comité de programmation de la lutte contre le terrorisme qui fait office de structure de gouvernance du Centre européen de contre-terrorisme. Le Centre bénéficie également d’une équipe de liaison externe composée d’officiers de liaison spécialisés au sein des bureaux de liaison nationaux, au niveau des États membres ou d’États tiers ayant un accord de coopération opérationnel, afin de favoriser les échanges d’informations directs entre les services d’enquêtes nationaux et avec Europol.

Le Terrorist Finance Tracking Program (TFTP)

 

 Europol gère l’accès européen au TFTP (Terrorist Finance Tracking Program), programme américain qui vise la prévention et la lutte contre le financement du terrorisme. L’accès européen à ce programme se fait dans le cadre d’un accord unique au monde entre l’Union européenne et les États-Unis, l’accord TFTP ou « accord swift » du nom de la société SWIFT ([55]). L’accord prévoit un accès des États-Unis aux données de la société SWIFT, et un accès des services répressifs européens aux données collectées par les États-Unis, via le fichier d’analyse TFTP d’Europol. Le TFTP a pu être utilisé avec profit à plusieurs reprises ces dernières années, notamment suite aux attentats de Paris et de Bruxelles et dans le cadre de l’affaire du Thalys et de celle de « Strasbourg », traitées par la DCPJ/SDAT.

2.   Eurojust

L’agence de coopération judiciaire de l’Union européenne, qui vise à promouvoir et à renforcer la coopération entre les autorités judiciaires compétentes dans la lutte contre la criminalité transfrontalière grave et la coordination des enquêtes et des poursuites au niveau de l’Union européenne, est également mobilisée dans la lutte contre le terrorisme et son financement. À la requête d’un État membre, Eurojust peut apporter son soutien concernant des enquêtes ou des poursuites.

On constate depuis 2017 une hausse du nombre de dossiers soumis à l’agence et concernant le terrorisme. Eurojust a apporté son aide aux enquêtes sur un nombre important d’attaques survenues en Europe ces dernières (Paris, Bruxelles, Nice, Stockholm, Barcelone etc.), ainsi que sur des dossiers relatifs au recrutement, à la propagande et au financement à des fins terroristes.

Les États membres peuvent s’appuyer sur plusieurs outils, dont les équipes communes d’enquête (ECE), à l’instar de l’ECE franco-belge mise en place au lendemain des attaques du 13 novembre 2015. La coordination d’Eurojust a permis de révéler des liens potentiels entre les attaques de Paris et l’attentat du Thalys, et de remettre aux autorités françaises deux suspects arrêtés en Autriche et un suspect détenu en Allemagne.


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   troisième partie : 23 recommandations pour renforcer la lutte contre le financement du terrorisme international

 

À l’issue de la conférence No Money for terror, l’Agenda de Paris a été adopté afin de doter la communauté internationale d’une feuille de route en dix points pour renforcer la lutte contre le financement du terrorisme international.

Vos rapporteures plaident pour un suivi attentif et soutenu de la mise en œuvre de ces recommandations. Les recommandations du présent rapport, qui font en partie écho à l’Agenda de Paris, se lisent comme une feuille de route opérationnelle qui associe à de grandes priorités affirmées à Paris en avril 2018 (renforcer l’efficacité de la coopération internationale et l’assistance aux États les plus vulnérables, promouvoir des outils existants comme le gel d’avoirs et soutenir pleinement le GAFI, lutter contre les transactions financières anonymes et anticiper les risques liés aux nouveaux instruments financiers, œuvrer en faveur d’une pleine participation des acteurs concernés et d’une coopération optimale entre secteur public et secteur privé), des propositions plus spécifiques et abordant tous les niveaux de notre action : national, européen et international.

Surtout, le caractère régalien de la lutte contre le terrorisme n’empêche en rien l’existence d’une coopération et d’une diplomatie parlementaire sur le sujet. Votre rapporteure Sonia Krimi a ainsi pu participer en décembre 2018 à Washington au « Parliamentary intelligence and security forum », évènement qui permet plusieurs fois par an de réunir des parlementaires et intervenants du monde entier sur des sujets liés à la sécurité. D’autres instances, comme l’Union interparlementaire (UIP) ou l’assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN), dont votre rapporteure Sonia Krimi est membre, se prêtent également très bien à des échanges sur la lutte contre le terrorisme international.

Vos rapporteures appellent ainsi de leurs vœux une meilleure reconnaissance et une promotion du rôle de ces instances dans la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme.

I.   Axe 1 Œuvrer en faveur d’une réponse internationale renforcée et toujours plus efficace

A.   Recommandation n° 1 : Agir en faveur d’une mise en application élargie et effective des outils internationaux existants et d’un respect accru des normes en vigueur

Les normes et outils internationaux dédiés à la lutte contre le financement du terrorisme sont aujourd’hui nombreux et font l’objet d’une adaptation régulière, au gré des évolutions de la menace.

Pour autant, ils pâtissent d’une certaine sous-utilisation à laquelle vos rapporteures appellent à remédier. Ainsi, de nombreux pays ne se sont toujours pas dotés d’une définition du délit de financement de terrorisme correspondant à la convention de 1999 et le fait de financer un individu terroriste sans lien avec un acte terroriste précis peut ne pas être considéré comme du financement du terrorisme. En Europe, toutes les législations ne prévoient pas de délit du financement du terrorisme. En Belgique, au Royaume-Uni ou encore en Italie, l’aide financière au terrorisme ne peut pas être incriminée spécifiquement mais uniquement par le biais d’une incrimination plus globale.

D’autre part, l’adhésion internationale aux outils opérationnels mobilisés par la lutte contre le financement du terrorisme pourrait également être élargie. C’est le cas par exemple des réseaux d’échanges informels d’informations entre services de police AMON (Anti Money Laundering Operational Network) et CARIN (détection et saisie des avoirs criminels), auxquels de nombreux États n’ont pas encore adhéré.

Vos rapporteures préconisent l’adoption d’une stratégie diplomatique d’incitation à l’adoption ou à la mise en œuvre effective des normes et des outils internationaux déjà créés. Cette action pourrait se déployer tant au niveau bilatéral, y compris à l’occasion de négociations de conventions bilatérales qui pourraient intégrer des clauses minimales relatives à la lutte contre le financement du terrorisme lorsque leur objet présente des liens avec cette problématique, qu’au sein des nombreuses enceintes multilatérales concernées, à commencer par l’ONU.

B.   Recommandation n° 2 : Renforcer le recours aux listes de sanctions et aux listes de gels d’avoirs

L’utilité et l’importance des mécanismes de gels d’avoirs peuvent également être méconnues ou sous-estimées. Tous les États ne se sont pas encore dotés de listes nationales de gels d’avoirs, alors qu’il s’agit d’une obligation en vertu de la résolution 1373 de 2001. D’autres sont dotés en théorie du dispositif mais n’y ont que très peu recours en pratique. Cette sous-utilisation se constate dans des pays aussi différents que l’Allemagne – où le recours aux gels d’avoirs est culturellement peu admis du fait des atteintes qu’ils induisent aux libertés individuelles – et les États membres de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine), où malgré l’adoption dès 2002 d’un règlement relatif aux gels d’avoirs, très peu de suites ont été données en pratique.

Lorsque les listes de gels d’avoirs ou de sanctions existent, elles peuvent n’être qu’insuffisamment alimentées. La France gagnerait à faire pression sur les autres membres de l’Union européenne pour qu’ils proposent davantage de noms à inscrire sur les listes européennes de gels d’avoirs, et développent le recours à cet outil au plan national. Cela importe d’autant plus que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne peut faire redouter un impact négatif sur la capacité de l’UE à procéder à des désignations, compte tenu de la capacité britannique à fournir du renseignement et à mobiliser les autres États membres sur ce sujet.

C.   Recommandation n° 3 : Élargir et renforcer le réseau international des cellules de renseignement financier

Le renseignement financier et les cellules nationales qui y sont dédiées jouent un rôle fondamental dans la lutte contre le financement du terrorisme. Or, les échanges internationaux entre cellules restent encore inégaux et surtout, les moyens dont sont dotés ces services sont extrêmement variables, quand on ne constate pas une absence de CRF. Ainsi là où la CRF australienne – Austrac - est dotée d’environ 300 personnes et où Tracfin en compte plus de 150, certaines cellules restent encore très peu dotées, y compris en Europe.

En outre, toutes n’ont pas les mêmes prérogatives ni les mêmes outils pour mener à bien leurs missions. Selon les données du réseau EGMONT, 70 % des États n’ont pas mis en place de droit de communication total pour leur CRF. En d’autres termes, la CRF en question ne disposera pas d’un droit de communication élargi aux demandes venant de l’étranger, ce qui fragilise considérablement la coopération internationale. Tous les États dotés d’une CRF ne permettent pas non plus de coopération avec les autres services de renseignement nationaux.

Vos rapporteures plaident donc pour le développement d’un réseau de cellules de renseignement financier suffisamment dotées de moyens humains et opérationnels et à même de coopérer efficacement entre elles.

D.   Recommandation n° 4 : Promouvoir le développement des outils opérationnels qui ont prouvé leur efficacité

S’ils ne constituent pas un modèle unique, plusieurs outils déployés en France mériteraient d’être développés dans la mesure du possible dans d’autres pays. C’est le cas notamment des fichiers recensant les comptes bancaires et de paiement comme le Ficoba, dont la transposition de la 5ème directive anti-blanchiment doit permettre le développement au sein de l’Union européenne. En dehors de l’Union européenne, le développement de ce type de fichiers serait pertinent dans les États suffisamment bancarisés et dotés de moyens suffisants pour assurer le recensement des comptes ouverts.

De même, et dans la lignée des recommandations du GAFI, le registre des bénéficiaires effectifs, également promu par la 5ème directive, constitue un outil pertinent à développer, en tenant compte naturellement des capacités techniques et administratives des États.

La promotion de ces outils pourrait être assurée lors des actions de formation et de sensibilisation de Tracfin.

E.   Recommandation n° 5 : Renforcer la coopération internationale avec les pays touchés par les conflits armés et le djihadisme

Si la communauté internationale est touchée dans son ensemble par le terrorisme islamiste, la coopération avec les pays directement touchés par l’implantation d’organisations terroristes ou situés à proximité des zones de crise doit faire l’objet d’une attention particulière. C’est le cas notamment avec des États comme la Turquie, le Liban, l’Irak, la Libye et les pays du Maghreb.

Par exemple, la mobilisation des autorités libanaises et turques pour le contrôle de leurs frontières, face au risque de laisser entrer dans le pays des collecteurs, doit être totale. Il en va même dans le cas de l’Irak pour neutraliser les réinvestissements de l’État islamique dans l’économie réelle.

L’ONUDC a ainsi accentué l’attention apportée aux États touchés par des conflits. Cela vaut aussi pour les États en phase de stabilisation tels que l’Irak, où il existe un risque que les aides humanitaires soient détournées à des fins terroristes.

F.   Recommandation n° 6 : Renforcer la lutte contre les trafics transnationaux mobilisés dans le financement du terrorisme

Face aux liens avérés entre financement du terrorisme et criminalité organisée, qui se matérialisent par la mise à profit de différents trafics illicites par des organisations terroristes, la communauté internationale doit maintenir et renforcer les efforts engagés pour lutter contre ces trafics.

D’une part, la réponse internationale apportée dans la lutte contre les trafics peut, sans cibler spécifiquement le financement du terrorisme, contribuer à en tarir les sources.

L’ONUDC apparaît comme un organisme particulièrement approprié pour surveiller la bonne application d’outils existants comme la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, dite Convention de Palerme (2000), et pour conduire des actions d’assistance technique à destination des États les plus fragiles. D’autres outils peuvent aussi être mis à profit dans la lutte contre les trafics. Les listes rouges mises au point par l’ICOM (Conseil international des musées), constituent ainsi un outil de référence dans la lutte contre les trafics de biens culturels, qui peuvent être déclinées selon les risques et les régions, et répertorient les catégories d’objets culturels exposés aux vols et aux trafics. Ces listes répertorient également les législations en vigueur dans les pays concernés par les trafics, sur ce modèle, des listes pourraient être établies afin de diffuser de bonnes pratiques de lutte contre les différents trafics transnationaux, dans les pays source, les pays de transit et les pays de destination.

En matière de lutte contre les trafics de biens culturels, il faut notamment mentionner la présentation en juillet 2017 d’un projet de règlement relatif à l’importation de biens culturels, qui vise à doter l’Union européenne d’un véritable instrument légal de lutte contre les trafics illicites dans ce domaine. À cet égard, on peut regretter que la Commission se soit limitée à la perspective d’un contrôle des exportations, alors que la demande initiale portée par la France – aux côtés de l’Italie et de l’Allemagne – préconisait une extension du livre de police et une définition partagée du recel comme un délit continu. Vos rapporteures sont favorables à ce que la France plaide de façon soutenue et continue en faveur d’une telle extension du cadre juridique européen.

D’autre part, le rôle des trafics illicites dans le financement du terrorisme doit être intégré pris en compte dans la mise en application des outils juridiques et opérationnels existants, et dans l’élaboration future de nouveaux outils.

 

II.   Axe 2 : Renforcer l’assistance internationale aux États les plus vulnérables

A.   Recommandation n° 7 : Faire de l’assistance technique aux États les plus vulnérables une priorité de la lutte contre le financement du terrorisme international

En matière de lutte contre le financement du terrorisme, il suffit d’un seul maillon faible pour fragiliser la réponse internationale dans son ensemble. Or, si le manque de mobilisation peut tenir à une insuffisante volonté politique, il dépend aussi pour beaucoup des moyens financiers, humains et techniques dont disposent les États.

Vos rapporteures sont ainsi en faveur d’un renforcement de l’assistance apportée aux États les plus vulnérables par les États dont les dispositifs opérationnels sont plus aboutis. La bonne application de la résolution 2395 du Conseil de sécurité (2017), qui invite à une meilleure articulation entre les évaluations et recommandations de la Direction exécutive du comité contre le terrorisme (DECT) et la mise en œuvre de l’assistance technique multilatérale et bilatérale, doit à cet égard faire l’objet d’une vigilance particulière.

En plus des actions de formation et d’assistance menées par Tracfin et par la DGTrésor, l’Agence française de développement pourrait également intégrer à ses programmes tournés vers le secteur financier un volet lié à la mise en place des réglementations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. D’autres acteurs contribuent d’ores et déjà à la coopération technique menée par la France, à l’instar d’Expertise France, qui met en œuvre plusieurs programmes d’assistance dans la lutte contre « les menaces globales et la criminalité organisée ».  

Par ailleurs, l’assistance apportée aux États tiers en matière de développement de l’état civil ou de recours à la biométrie peut aussi être utile pour faire reculer l’anonymat des moyens de paiement hors espèces.

À cet égard, vos rapporteures plaident en faveur d’une coordination renforcée entre les différents services français mobilisés par l’assistance technique et opérationnelle à destination des États tiers. Cette coordination renforcée pourrait prendre la forme d’un groupe de travail ou d’une taskforce, en conservant une structure relativement souple et informelle, et pourrait être pilotée par Tracfin.

Au plan multilatéral, vos rapporteures plaident pour un soutien maintenu et réaffirmé de la France aux outils de coopération existants notamment dans le cadre des Nations unies. C’est le cas notamment du GPML (Global Programme against Money-Laundering) qui vise à assurer la bonne application des recommandations du GAFI en apportant une assistance technique aux États (groupes de travail, échanges de bonnes pratiques entre juridictions, assistance auprès des services de renseignement financier…).

B.   Recommandation n° 8 : Faire de l’assistance technique et opérationnelle un pilier de l’action du GAFI

Si le GAFI est d’abord une instance de définition des standards internationaux en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, la définition de normes n’a de sens qu’à pouvoir s’appliquer efficacement aux situations concrètes, souvent très différentes.

Vos rapporteures sont en ce sens favorables à un renforcement de la dimension d’assistance technique et opérationnelle dans l’action du GAFI. Certains exemples, comme le plan d’action en faveur de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme dans la zone franc ([56]), adopté au printemps 2018 sur la base d’un document préliminaire co-signé par deux des organismes régionaux du GAFI, le GIABA et le GABAC, constituent des précédents qui pourraient être répliqués dans d’autres régions du monde.

La France et plus particulièrement la Banque de France se sont associées à l’élaboration de ce plan, et vos rapporteures tiennent à souligner que la France, qui fait partie des principaux contributeurs du GAFI – avec une hausse de la contribution budgétaire annoncée à hauteur de 3 millions d’euros sur trois ans, soit un niveau équivalent aux États-Unis – est particulièrement légitime à plaider pour un renforcement de l’action d’assistance technique du GAFI.


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III.   Axe 3 : Renforcer l’harmonisation européenne, en droit et plus encore dans les faits

Les liens étroits qui lient les États membres de l’Union européenne doivent être pleinement pris en compte face à la menace terroriste. Malgré d’importantes avancées, des marges de progression existent sur l’harmonisation des réglementations d’une part, et sur l’homogénéisation de leur mise en application d’autre part.

Les différences de réglementations persistantes en matière de LCB/FT et la variabilité des niveaux d’exigence entre les superviseurs nationaux entraînent une forme de nivellement par le bas, qui expose l’ensemble des pays aux risques créés par les pays les moins stricts. Pour rappel, la Commission européenne a décidé en 2018 de poursuivre quatre États (la Roumanie, la Grèce et l’Irlande en juillet et le Luxembourg en novembre) du fait de graves retards dans la transposition de la 4ème directive anti-blanchiment.

A.   Recommandation n° 9 : Renforcer l’homogénéisation des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme existantes.

Plusieurs mesures relatives à la lutte contre le financement du terrorisme gagneraient à être homogénéisées au sein de l’UE. C’est le cas notamment des plafonds pour les paiements en espèce, que la France a choisi d’abaisser en 2015. Or, les autres États membres n’ont dans l’ensemble pas suivi cette initiative et certains pays frontaliers ont des seuils beaucoup plus bas, voire aucun seuil de plafonnement. Comme l’a souligné en audition Bruno Dalles, les détenteurs d’espèce illicites en France peuvent ainsi facilement les écouler dans des pays voisins, d’où la nécessité d’un seuil de plafonnement bas, unique, et s’imposant à tous les États membres.

Par ailleurs, il pourrait être pertinent de revoir le dispositif français qui apparaît aujourd’hui trop complexe, du fait des distinctions entre résidents et non-résidents, et entre transactions commerciales et transactions individuelles.

De façon générale, le processus d’harmonisation initié via les directives anti-blanchiment doit être poursuivi, tout particulièrement concernant l’encadrement des moyens de paiement anonymes.

Vos rapporteures sont ainsi favorables à un assujettissement de l’ensemble des acteurs de la finance participative aux obligations de vigilance LCB/FT, et à l’adoption d’un cadre juridique commun pour les plateformes et les cagnottes en ligne. La France devrait plaider au niveau du Conseil pour une harmonisation qui ne soit pas seulement a minima mais intègre pleinement les dispositifs LCB/FT.

Concernant les cartes prépayées, les réglementations nationales et européennes sont fragilisées par la possibilité d’utiliser au sein de l’UE des cartes prépayées émises par des établissements qui ne sont pas soumis à ce cadre juridique. Or, certains pays extra-européens ne prévoient pas de plafonds, ou alors pour des montants très élevés. La France devrait donc porter cette préoccupation au niveau du GAFI, afin d’agir en faveur d’une généralisation internationale de l’encadrement des cartes prépayées, à l’instar de ce qui a été initié sur les crypto-actifs.

Enfin, le dispositif LCB/FT est également affaibli par les possibilités induites par le passeport européen. Ce point a été mis en avant à plusieurs reprises lors des auditions menées par vos rapporteures et figure dans les derniers rapports d’analyse de Tracfin, notamment à propos des prestataires de services de paiement et de monnaie électronique (PSP/ME). La majorité des PSP/ME interviennent en France via le passeport européen, qui permet à un acteur agréé dans un État de l’Espace économique européen de distribuer ses produits dans les autres États membres. Ce passeport se décline selon deux modalités, le libre établissement et la libre prestation de services. Dans le premier cas, les établissements exerçant en France sont soumis à la même réglementation que les établissements agréés en France, mais on observe en pratique des difficultés de contrôle pour certains établissements. Dans le second cas, il faut voir que certains pays de l’EEE ont un degré d’exigence faible concernant la supervision LCB/FT, ce qui fragilise les efforts faits au niveau national pour les États plus stricts.

Vos rapporteures sont donc favorables à ce que la France plaide en faveur d’une homogénéisation des mesures de contrôle et de sanction appliquées aux prestataires de services de paiement et de monnaie électronique par les superviseurs nationaux européens.

B.   Recommandation n° 10 : renforcer les moyens opérationnels de l’Union européenne sur la lutte contre le financement du terrorisme

Certains outils comme le TFTP, dont l’accès européen est géré par Europol, présente des limites opérationnelles auxquelles il conviendrait de remédier. Le TFTP ne permettant de couvrir les échanges interbancaires réalisés au niveau intra-européen, dont les mouvements SEPA, vos rapporteures sont favorables à ce que les États membres restent ouverts à la possibilité d’adopter un « TFTS » (Terrorism finance tracking system) européen. Les discussions sur le sujet, relancées en 2015, ont pu se heurter à plusieurs difficultés techniques et légales liées à la centralisation des données et aux accès qui seraient ouverts, et restent en attente depuis un point d’étape fin 2017. Or en plus de couvrir les mouvements intra-européens, un tel outil permettrait de faciliter l’accès direct des enquêteurs aux données du système SWIFT.

Par ailleurs, plusieurs obstacles techniques et juridiques entravent aujourd’hui la coopération policière européenne dans la lutte contre le terrorisme et son financement. C’est le cas notamment du chiffrement, et des interrogations suscitées par la jurisprudence de la CJUE, dont l’arrêt Tele2 Sverige du 21 décembre 2016 a été perçu comme une menace pour le déroulement des enquêtes contre les réseaux criminels et terroristes. Vos rapporteures sont donc favorables à ce que des réponses soient apportées aux services de police et aux autorités judiciaires européens face à des inquiétudes persistantes plus de deux ans après cet arrêt.

C.   Recommandation n° 11 : Renforcer l’efficacité des dispositifs de gels d’avoirs au niveau européen

Pour renforcer l’efficacité des mécanismes de gels d’avoirs, des évolutions seront aussi nécessaires au niveau de l’Union européenne, au-delà de la nécessité pour la majorité des États membres de davantage se constituer en forces de proposition pour le développement des listes européennes.

 Pour maximiser l’efficacité des gels en Europe, il faudrait mettre au point des mécanismes empêchant le contournement des mesures nationales de gel, par exemple via la libre prestation de services, et afin de s’assurer que les personnes dont les fonds sont gelés en France ne puissent en pratique agir en France en accédant à des services bancaires par internet. D’autre part, il faudrait renforcer les exigences relatives au pilotage du dispositif de mise en œuvre des mesures nationales et européennes de gels des avoirs au niveau des groupes, afin de s’assurer que ces mesures sont également prises en compte dans les implantations étrangères des groupes. L’entreprise mère devrait pouvoir s’assurer que ses implantations à l’étranger concourent à éviter le contournement des mesures de gels. Au niveau national, il faudrait dans un premier temps compléter la réglementation en vigueur sur les obligations imposées à la maison-mère.

D.   Recommandation n° 12 : Plaider en faveur d’une agence de supervision européenne compétente en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme

Tant face aux risques créés par les nouveaux moyens de paiement (prestataires de services de paiement distribuant des cartes prépayées ou dispensant services de change et transferts de fonds numériques, crypto-actifs, plateformes de financement et cagnottes) que pour une application homogène de l’ensemble des réglementations LCB/FT, vos rapporteures sont favorables à ce que la France plaide au niveau de l’Union européenne en faveur de la création d’une agence de supervision européenne qui serait compétente en matière de LCB/FT et qui pourrait favoriser l’harmonisation des pratiques de contrôle des superviseurs nationaux, et se substituer à l’un d’entre eux en cas de défaillance grave.

La création d’une telle autorité serait aussi à même de favoriser l’harmonisation des pratiques en matière de contrôle des mesures de gels d’avoirs.


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IV.   Axe 4 : Au plan national, œuvrer pour une pleine application des outils existants

A.   Recommandation n° 13 : Maintenir un engagement gouvernemental à assurer à Tracfin des moyens suffisants pour répondre à la menace terroriste et à ses évolutions.

Si les moyens de Tracfin ont augmenté ces dernières années – de 74 % en cinq ans – pour répondre à la hausse de son volume d’activité, vos rapporteures estiment nécessaire de maintenir une vigilance particulière sur ce point pour assurer les capacités de Tracfin à répondre non seulement aux évolutions du financement du terrorisme, mais aussi aux évolutions régulières des dispositifs LCB/FT.

B.   Recommandation n° 14 : améliorer la mise en œuvre des contrôles appliqués lors de la délivrance des prêts à la consommation, qui font partie des outils légaux pouvant être détournés à des fins terroristes.

Cela pourrait passer par la création d’un registre central des prêts à la consommation, par une systématisation des vérifications de l’authenticité des pièces justificatives et par la mise en place d’un signalement à Tracfin de tout doute portant sur l’authenticité des documents justificatifs, et un développement de l’accès des opérateurs économiques aux données du risque du crédit comme cela existe au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Vos rapporteures sont également favorables à ce qu’une réflexion soit ouverte pour faciliter la mise en œuvre de l’obligation de vigilance prévue pour les professionnels assujettis à l’égard de leurs clients par l’article L. 561-5 du CMF. Pour les établissements de crédit, cette obligation peut en effet être très difficile à mettre en œuvre du fait du délai très bref requis pour le traitement des dossiers. Il est dans ce contexte peu réaliste d’exiger un examen approfondi de la situation de chaque client, surtout pour des sommes modestes.

C.   Recommandation n° 15 : augmenter le niveau d’exigence des contrôles appliqués aux cartes prépayées 

Malgré l’adoption de plusieurs mesures allant dans ce sens, telles que les évolutions des plafonds de stockage, de chargement et de retrait et l’abaissement du plafond à partir duquel une pièce d’identité doit être présentée pour continuer à utiliser la carte (de 2 500 à 1 000 euros) ([57]), un renforcement des contrôles semble nécessaire et envisageable. Cela pourrait passer par la présentation obligatoire d’une pièce d’identité lors de l’inscription par internet ou de l’achat d’une carte, par une extension de l’exigence d’identification aux cartes prépayées non rechargeables qui peuvent être achetées anonymement à hauteur de 250 euros par an, et par le rattachement des cartes prépayées rechargeables au FICOBA.

De façon générale, une extension du recours à la biométrie dans les prises d’identité serait favorable à un recul de l’anonymat des moyens de paiement. Le recours à la biométrie dans des usages publics est encadré par la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et par le règlement n°2016/679 dit règlement général sur la protection des données. La Commission nationale informatique et libertés (CNIL), habilitée à émettre des « règlements types » sur le traitement des données biométriques, pourrait être saisie au préalable sur le sujet.

Votre rapporteure Valérie Boyer tient à souligner qu’au-delà de cette éventuelle saisie de la CNIL, l’extension de la biométrie doit rester une décision avant tout politique, qui doit tenir compte des enjeux liés à la sécurité des citoyens.

On peut mentionner à cet égard la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au renforcement de la sécurité des cartes d'identité des citoyens de l'Union et des titres de séjour délivrés aux citoyens de l'Union et aux membres de leur famille exerçant leur droit à la libre circulation, présentée en 2018. Cette proposition vise à rendre obligatoire les données biométriques pour les pays délivrant des cartes d’identité et à fixer des normes de sécurité communes conformes aux normes de sécurité minimales édictées par l’Organisation de l’aviation civile internationale, dans le but notamment de limiter l’utilisation de documents frauduleux auxquels les terroristes peuvent avoir recours pour entrer au sein de l’Union européenne depuis des Etats tiers.

D.   Recommandation n° 16 : Étendre les prérogatives des services de la douane en matière de lutte contre le financement du terrorisme.

Quelques évolutions ponctuelles devraient être envisagées. D’une part, permettre aux services de la DNRED d’avoir accès au « Fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste », en modifiant le décret du 5 mars 2015 qui en a permis la création. D’autre part, permettre à ces services de rémunérer les sources fournissant des informations d’ordre financier, en modifiant l’arrêté de référence du 18 avril 1957 ([58]).


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V.   Axe 5 : Assurer une pleine mobilisation de tous les acteurs concernés et une coopération optimale entre les acteurs 

A.   Recommandation n° 17 : Renforcer les capacités opérationnelles des banques à mettre en œuvre leurs obligations de vigilance.

Certaines banques françaises ou implantées en France ont encore des difficultés à adresser à Tracfin des déclarations pertinentes et de bonne qualité,  ce qui s’explique notamment par la qualité des scénarios de détection mis en place. Certaines banques utilisent en effet des scénarios très basiques qui ne permettent pas de mettre au jour les schémas les plus complexes. Vos rapporteures se joignent donc à Tracfin pour appeler les établissements concernés à développer des scénarios plus pertinents. Des séances de travail dédiées avec Tracfin, l’ACPR et le secteur bancaire pourraient être organisées pour mener à ce bien ce processus. En contrepartie, les droits de communication et les appels à vigilance adressés par Tracfin aux banques pourraient être accompagnés d’éléments de contexte afin d’aider les banques à orienter leur surveillance, sans pour autant pré-déterminer et réduire leur vigilance. De même, les typologies liées au financement du terrorisme, qui sont actuellement diffusées aux banques sur une périodicité annuelle, devraient être communiquées de façon plus régulière.

Par ailleurs, les freins à l’échange d’informations entre banques et au sein de filiales implantées dans différents pays doivent être levés, ce qui appelle une réponse nationale d’une part, et à tout le moins européenne d’autre part. Actuellement, les banques n’appartenant pas au même groupe ne peuvent échanger d’informations qu’en cas de client commun et de transaction commune, même en cas de risque de financement du terrorisme.

B.   Recommandation n° 18 : Ouvrir une réflexion sur l’échange d’informations entre le secteur financier et les autorités en charge de la lutte contre le financement du terrorisme

Dans le cadre de dossiers judiciarisés portant sur des affaires de terrorisme, l’incapacité juridique d’entreprises de paiement comme Western union à transmettre toutes les informations dont elles disposent sur tel ou un tel réseau ou individu peut sensiblement freiner la rapidité de la réponse policière et judiciaire. Vos rapporteures appellent à l’ouverture d’une réflexion au niveau de la CNIL puis du Comité européen de la protection des données afin de pouvoir faire évoluer les réglementations en vigueur et de rendre possible, dans un respect proportionné de la protection des données, la transmission aux autorités d’informations liées à des transactions reçues et faites dans un autre pays ([59]).

C.   Recommandation n° 19 : Renforcer l’engagement des pouvoirs publics face au problème du derisking.

Pour répondre au problème du derisking, en France comme dans les autres États concernés, vos rapporteures appellent à une réponse forte et à un engagement de tous les acteurs concernés, à commencer par les pouvoirs publics.

Cette réponse pourrait passer à la fois par une codification via un instrument de droit souple comme une charte des attentes envers le secteur bancaire, afin de limiter le risque d’une « surconformité » aux réglementations et de renforcer la sécurité juridique des banques. Une sensibilisation accrue des banques à leur rôle dans le déploiement de l’action humanitaire est également souhaitable, elle pourrait être assurée en France par le Centre de crise et de soutien. Enfin, un engagement fort de l’État pourrait passer par l’adoption de lettres d’honorabilité dispensées par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères aux ONG après réalisation des contrôles nécessaires, et permettant d’apporter des garanties au secteur bancaire dans leurs relations commerciales avec les ONG concernées. Un tel outil permettrait à la fois un meilleur partage du risque entre secteur public et secteur privé, et une compensation face à l’insuffisance de moyens de certaines ONG pour apporter les garanties demandées par les banques.

Ces recommandations, formulées pour le cas français, pourraient être déclinées dans d’autre pays. La France pourrait, via la proposition d’une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU ou d’une nouvelle modification de la recommandation n° 8 du GAFI, plaider en faveur de la généralisation de tels dispositifs. On peut dans ce contexte se féliciter que la résolution présentée par la France le 28 mars 2019 au CSNU sur la lutte contre le financement du terrorisme mentionne la nécessité de prendre en compte l’impact sur les ONG de la lutte contre le financement du terrorisme.


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VI.   Axe 6 : Renforcer notre vigilance sur certains secteurs et outils

A.   Recommandation n° 20 : Renforcer la LCB/FT dans le secteur de l’art et des antiquités.

Plus spécifiquement, numériser le registre de police tenu par les professionnels du secteur de l’art et y intégrer la photographie des objets enregistrés, et mettre en place un groupe de travail relatif aux certificats d’exportation propre aux antiquités, le dispositif actuel étant jugé inadapté pour les antiquités orientales pillées à l’étranger, et le délai de quatre mois laissé à l’administration pour évaluer la nature des biens culturels destinés à l’exportation est très court.

B.   Recommandation n° 21 : Assujettir les sites de cagnotte en ligne aux obligations de vigilance LBC/FT, au même titre que les plateformes de financement participatif.

En effet, les cagnottes en ligne présentent les mêmes risques que les plateformes de financement participatif, ce qui justifie leur inscription à l’article L. 141-2 du CMF et la création d’une agrémentation obligatoire.

C.   Recommandation n° 22 : Adopter une approche plus prudente dans la rÉglementation des cryptoactifs.

L’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 a permis d’assujettir les plateformes de monnaies virtuelles, qui assurent le change entre monnaie réelle et monnaie virtuelle, à la réglementation relative à la LCB-FT.

Le projet de loi PACTE prévoit l’ajout d’un chapitre X au  titre IV du livre V du Code monétaire et financier afin d’introduire un véritable encadrement juridique des cryptoactifs en droit français. Deux types de services sur actifs numériques ([60]) sur cinq identifiés devront faire l’objet d’un enregistrement obligatoire auprès de l’AMF, et seront soumis aux obligations de vigilance Lcb/FT grâce à une modification de l’article L.561-2 du CMF. L’ensemble des prestataires de services pourront demander un agrément optionnel à l’AMF, dont l’obtention soumettra le prestataire en question aux obligations de vigilance.

Si le projet de loi prévoit qu’un rapport soit remis par le gouvernement sous dix-huit mois pour évaluer les effets de ces nouveaux dispositifs et étudier la pertinence d’un agrément obligatoire, vos rapporteures regrettent qu’une position plus prudente, conformément aux recommandations du GAFI, n’ait pas été retenue. Dans un contexte où la France doit être évaluée dès cette année par le GAFI, une soumission de l’ensemble de ces services sur actifs numériques à un enregistrement auprès de l’AMF – qui s’accompagne d’une série de vérifications préalables – et au respect des obligations LCB/FT aurait été souhaitable.

Vos rapporteures appellent le Gouvernement à inciter dès à présent les prestataires de services à recourir à l’agrément optionnel de l’AMF, via une campagne de communication numérique claire qui intègre la responsabilité de ces acteurs dans la LBC/FT.

D.   Recommandation n° 23 : Renforcer la transparence des associations à but non lucratif, dans le respect du principe de liberté d’association.

Une telle démarche pourrait passer par plusieurs évolutions, préconisées notamment par Tracfin. Pour remédier aux limites du RNA, qui ne permet pas de centralisation nationale et où l’identité des dirigeants d’association ne peut être fournie que sur une base déclarative, un nouveau registre unique pourrait être créé, sous une forme numérisée et centralisée. Les associations seraient dotées d’un numéro de Siren ou de Siret avec des éléments d’informations obligatoires (identité des dirigeants et des trésoriers, statuts, dépôts d’actes modificatifs, éléments de connaissance clients). Le Conseil national des greffiers de tribunaux de commerce pourrait être responsable de ce registre, à condition toutefois de pouvoir proposer des tarifs adaptés aux contraintes financières des associations.

Toutefois, une telle évolution devrait être précédée d’une évaluation de son impact potentiel sur la liberté d’association. Dans un premier temps, il pourrait ainsi être envisagé d’accélérer la dématérialisation des démarches administratives des associations et de mettre en œuvre un portail unique où l’ensemble des informations disponibles seraient réunies et accessibles à l’ensemble des administrations. D’autre part, une évolution du RNA pourrait être envisagée pour intégrer un moteur de recherche par nom des dirigeants déclarés, accessible aux administrations habilitées dont Tracfin pourrait faire partie.

D’autre part, Tracfin préconise de créer des obligations annuelles de publication comptable pour les associations, afin d’assurer une meilleure traçabilité des fonds et de leur emploi. Ces obligations existent déjà au-delà du seuil de 153 000 annuels de dons et de subventions, elles sont assorties d’une obligation d’audit légal. Si l’extension de ces obligations au premier euro d’argent public reçu risquerait de créer des contraintes lourdes pour des structures modestes, vos rapporteures jugent nécessaire une extension ciblée, non pas en fonction d’un seuil financier mais selon la vulnérabilité des associations aux risques liés au financement du terrorisme. Cette extension pourrait aussi englober les associations dont l’objet comprend l’exercice ou le soutien au culte, et, conformément à la proposition de Tracfin, un audit légal spécifique intégrant les vigilances LBC/FT pourrait être créé.

Par ailleurs, le « Guide de bonne conduite à l’attention des associations eu égard au risque de financement du terrorisme », élaboré par la DGTrésor et diffusé par la DLPAJ en 2016, pourrait être intégré sur service-public.fr pour les télédéclarants.

Enfin, vos rapporteures plaident en faveur d’un renforcement des obligations de transparence financière et comptable des associations cultuelles et des associations à objet mixte, et en faveur de la mise en place d’un dispositif incitant les acteurs du culte à se constituer sous la forme d’associations cultuelles soumises aux dispositions de la loi de 1905, en quittant le statut associatif de la loi 1901 ([61]).

 

 

 

 

 

 

 

 


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   examen en COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 3 avril 2019, la commission des affaires étrangères examine le présent rapport.

Un débat suit l’exposé des rapporteures.

Mme Jacqueline Maquet souligne la qualité et la très grande précision du rapport. Elle rappelle que les Français de Daech sont les ennemis de la France. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, par la voix de son secrétaire général, Édouard Fernandez-Bollo, a mis en évidence des faiblesses dans les procédures et dans la mise en œuvre effective des obligations de vigilance, particulièrement en matière d’identification de la clientèle en relations d’affaires et de respect des obligations de gel des avoirs. De même, des manquements dans les obligations de déclaration de soupçons à TRACFIN sont fréquemment relevés. M. Fernandez-Bollo lie ces carences à une insuffisance de moyens humains et techniques. Abondant dans ce sens, la recommandation no 13 du rapport insiste sur la nécessité d’investir continuellement dans la détection et l’analyse des opérations. En effet, le financement du terrorisme est en perpétuelle évolution. On observe ainsi de nombreuses opérations anormales réalisées par la clientèle, qui sait faire preuve de créativité pour passer inaperçue.

Si les rapporteures notent une augmentation régulière des moyens de TRACFIN depuis cinq ans, elles préconisent néanmoins une vigilance particulière sur ce point. Mme Maquet souhaite donc savoir si les moyens financiers, humains et techniques alloués à TRACFIN sont suffisants pour lui permettre d’accomplir sa mission et, si tel n’est pas le cas, à combien les rapporteures estiment le montant nécessaire pour combler ce retard d’investissement. Enfin, le rôle de l’Europe en la matière ne devrait-il pas être renforcé, au-delà de l’harmonisation des droits nationaux ?

M. Michel Herbillon félicite les rapporteures ; il salue un travail tout à fait remarquable et innovant, car il n’existait pas jusque-là de présentation aussi complète sur la question du financement du terrorisme. Jean-Jacques Rousseau, Pierre Manent ou encore le général de Gaulle ont été cités. M. Herbillon pensait quant à lui, en écoutant la présentation des rapporteures, à cette phrase de Bertolt Brecht : « On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent. » Les rapporteures ont montré à la fois la diversité du terrorisme – dans ses formes les plus perfectionnées comme dans sa version low cost – et ce qui l’enserre, c’est-à-dire les moyens mis en place, au niveau national, européen et international, en particulier par l’Organisation des Nations unies (ONU), pour endiguer son financement. Les rapporteures ont évoqué à juste titre le terrorisme low cost, qui a pris dans notre pays des formes multiples – il a été question de Nice, mais on aurait également pu faire mention de l’attentat de la gare Saint-Charles, à Marseille, ou encore de ce qui s’est passé dans le train Thalys en 2015.

M. Herbillon apprécie les recommandations qui figurent dans le rapport. Si les rapporteures ont souligné à plusieurs reprises que la France était un exemple, certaines choses doivent également être améliorées. Il souhaite savoir, à cet égard, quelles sont les trois mesures qui leur paraissent prioritaires pour améliorer la situation au niveau national, au niveau européen et au niveau de la coopération internationale.

M. Michel Fanget remercie lui aussi les rapporteures pour ce travail important et de très grande qualité, qui permet d’appréhender tous les aspects de la lutte contre le financement du terrorisme international. Chacun est bien sûr concerné par ce sujet majeur, tant il est difficile de saisir la nature et la nationalité des acteurs du phénomène, qui sont très divers. C’est pourquoi il est essentiel que la France s’engage dans cette lutte. Le ministre des affaires étrangères était d’ailleurs récemment à New York, où siège l’ONU, pour défendre la position de la France. Celle-ci a été accueillie favorablement par l’ensemble des présents. En décembre 2018, l’Assemblée générale des Nations unies s’était saisie du sujet par l’adoption à l’unanimité d’une résolution intitulée « Retour ou restitution des biens culturels à leurs pays d’origine ». Par cette résolution, elle acte l’importance de lutter contre le pillage des biens culturels, notamment dans les zones de conflit, qui sont particulièrement vulnérables au phénomène – on pense, bien sûr, à la Syrie et à l’Irak. Conséquence directe de ce pillage, la vente d’objets culturels volés est une source avérée de financement du terrorisme. C’est pourquoi la résolution engage les États à prendre toutes les mesures nécessaires pour tracer l’origine des objets culturels et des antiquités, afin de limiter le plus possible la vente de biens culturels pillés. Cette traçabilité se traduit par des moyens concrets, comme le souligne la recommandation no 20 du rapport, qui prévoit la numérisation du registre de police tenu par les professionnels en y ajoutant la photographie de chaque objet enregistré. Toutefois, la mise en œuvre d’un tel traçage ne peut se faire sans la coopération des milieux professionnels et demande un travail considérable de recensement des objets culturels, afin de déterminer lesquels sont issus du pillage par les groupes terroristes. À la suite de l’adoption de cette résolution des Nations unies, les rapporteures disposent-elles d’éléments d’analyse et d’évaluation sur les mesures prises par la France pour tenir son engagement de lutter efficacement contre la vente de biens culturels pillés sur le marché français et, si oui, ces mesures sont-elles suffisantes ?

Selon M. Meyer Habib, le rapport, en dépit de ses grandes qualités, n’est pas complet. Il est même, d’une certaine façon, hémiplégique. En effet, comme l’ont d’ailleurs souligné les rapporteures, sans le soutien – notamment financier – de certains États, il ne peut pas y avoir de terrorisme. Or, ces États, on les connaît, on les fréquente ; parfois même, on flirte avec eux. Il y a, bien sûr, le Qatar, qui bénéficie même d’un régime fiscal particulier pour ses investissements en France, notamment dans le domaine de l’immobilier. D’autres pays sont également en cause, notamment le Pakistan, le Yémen et le Soudan, sans parler de l’Iran, qui a inventé le terrorisme islamique international et, pas plus tard que l’année dernière, a fomenté un attentat à Villepinte. Sans l’aide du Mossad, il aurait fait des dizaines voire des centaines de morts. Telle est la réalité, que certains, peut-être, ne veulent pas voir. Or la commission des affaires étrangères a reçu M. Zarif. Celui-ci avait beau être souriant et talentueux, il n’en demeure pas moins que l’Iran est une des matrices du terrorisme.

Il y a aussi des organisations terroristes comme le Hezbollah, qui opère au Liban et participe même au gouvernement de ce pays. À cause de lui, les chrétiens du Liban sont devenus des dhimmis. Or personne n’en parle. Soit dit en passant, l’action du Hezbollah se traduit par nombreux vetos posés au sein de l’Organisation internationale de la francophonie. En dépit de tout cela, la France entretient des rapports normaux avec ce pays. C’est un véritable problème. Pire encore, il y a deux semaines de cela, la France a condamné Israël pour avoir bloqué le versement de 130 millions d’euros qui, par l’intermédiaire de l’Autorité palestinienne, allaient aux familles des terroristes.

Il n’y a pas de bons et de mauvais terroristes. Quelles que soient sa couleur, sa race ou sa religion, un homme qui tue des civils – tuer des soldats, c’est autre chose – doit être considéré comme un terroriste. M. Meyer Habib regrette que certains membres de la commission témoignent d’une certaine empathie pour le Hamas. S’il est tout à fait possible, et même normal, d’avoir de la sympathie pour une cause, y compris celle des Palestiniens, on ne saurait en avoir pour un mouvement terroriste, quel qu’il soit. Enfin, M. Meyer Habib salue la mémoire de Michel Bacos, ce commandant de bord qui, en 1976, lors du détournement d’un vol d’Air France à Entebbe, avait eu à cœur de rester avec les otages juifs. Il est décédé la semaine dernière ; il était normal qu’un hommage officiel soit rendu à l’un des héros de la France.

M. Alain David remercie lui aussi les rapporteures pour le travail considérable qu’elles ont accompli ; il permet d’entrer en profondeur dans le sujet vaste et complexe qu’est le financement du terrorisme international. M. David espère que les préconisations rencontreront rapidement un écho et que la lutte contre les multiples voies du financement du terrorisme sera améliorée.

La liste du Groupe d’action financière (GAFI), sur laquelle figurent seize États, aurait dû être élargie par l’Union européenne, le 7 mars, à sept nouveaux États, dont le Panama, l’Arabie Saoudite, les Samoa américaines, Guam, Porto-Rico et les îles Vierges américaines. Néanmoins, la réunion des ministres de l’intérieur de l’Union européenne n’a pas débouché sur un accord. Cette reculade illustre la difficulté d’avancer en matière de blanchiment international, comme cela avait été le cas en 2017, quand l’Europe avait maladroitement tenté d’établir une liste des paradis fiscaux ou quand, encore récemment, un commissaire européen affirmait sans sourciller qu’il n’y avait pas de paradis fiscaux en Europe. La France ne devrait-elle pas, comme le font les États-Unis lorsqu’ils identifient une menace terroriste, prendre des mesures unilatérales contre certains pays qui financent le terrorisme ?

Mme Clémentine Autain souligne à quel point ce rapport est précieux. En effet, il importe de s’attaquer aux moyens financiers dont dispose le djihadisme : c’est le nerf de la guerre. Elle voit néanmoins deux manques dans le rapport et un point auquel il faut être vigilant.

Premier manque : il n’est pas question d’évasion fiscale. Or il existe un lien entre les paradis fiscaux, le blanchiment d’argent et le financement du djihadisme, notamment de Daech. Dans l’affaire des Swissleaks, qui concernait en particulier la banque HSBC, avait été établi le fait qu’en 2015 cette banque avait organisé une fraude fiscale massive avec des clients proches des réseaux de type Al-Qaïda.

Le second manque concerne l’affaire Lafarge, qui est certes mentionnée dans le rapport, mais uniquement pour préciser de quel type d’infraction relève, en droit français, le financement du terrorisme. Or Lafarge a tout de même, visiblement, donné 13 millions d’euros à Daech. La question de la responsabilité du Quai d’Orsay entre 2011 et 2015 n’est pas posée, non plus que celle de la France, qui continue de donner de l’argent à Lafarge, à travers le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), ou en lui confiant des contrats publics, et pas des moindres – 110 millions d’euros, par exemple, dans le cadre du futur supermétro du Grand Paris Express. On ne saurait se payer de mots, en se contentant de dire que la France veut être la première de la classe dans la lutte contre le financement de Daech alors que, dans la réalité, on ne se met pas au clair et on ne fait pas en sorte d’être offensif.

Le sujet auquel il faut être vigilant concerne les liens diplomatiques, militaires, économiques et commerciaux de la France avec certains pays comme le Qatar et l’Arabie Saoudite. Il importe de savoir à quoi ont servi toutes les armes qui leur ont été vendues. Le Parlement devrait pouvoir interpeller le Gouvernement, en particulier M. Le Drian, sur la réalité des accusations portées contre ces États.

Tout en remerciant les rapporteures pour leur travail très fouillé, M. Jean-Michel Clément indique qu’il est assez partagé : d’un côté, un sentiment d’impuissance se dégage du rapport mais, de l’autre, celui-ci traduit une volonté de commencer à ériger des barrières contre une réalité déjà bien ancrée dans l’écosystème financier de certaines régions ou sous-régions du monde.

Comment s’étonner que le terrorisme soit financé par des moyens illégaux ou légaux dès lors que le blanchiment est une activité financière couverte par le secret bancaire ? Comment s’étonner que le terrorisme soit financé par des moyens que d’autres activités utilisent déjà – on pense à la faiblesse de certains États dont le système bancaire est fragilisé et ne fait pas l’objet de contrôles, aux paradis fiscaux, ou encore aux cryptomonnaies – car ne pas s’intéresser à ce sujet, c’est faire partie de l’ancien monde. La dimension financière internationale a pris le pas sur l’économie du monde. Comment imaginer que l’on puisse contrecarrer le financement du terrorisme ? Dire cela, ce n’est pas faire aveu d’impuissance, c’est regarder la réalité en face : il existe un décalage entre les moyens dont bénéficie le terrorisme pour son financement et ceux que nous déployons pour lutter contre lui. Autant nos services de renseignement sont désormais très bien organisés pour faire face au terrorisme, autant on ne sait pas comment s’attaquer à ses sources de financement. M. Clément fait part de son inquiétude à cet égard : on a beau déployer tous les moyens nécessaires une fois que le terrorisme est identifié, on n’est pas en mesure de remonter à la source et on ne le pourra sans doute pas davantage à l’avenir. Quoi qu’il en soit, la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme prévoit une clause de revoyure en 2020.

Le rapport évoque la faiblesse des moyens alloués à TRACFIN. On voit bien que, malgré l’existence de liens entre les différents services – notamment la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) –, si le système repose seulement sur une poignée de personnes, on ne peut pas aller très loin. Il y a là une faiblesse endémique qu’il faudra corriger.

Mme Samantha Cazebonne remercie les rapporteures pour leur analyse très claire. La grande majorité des attaques terroristes ne nécessite que très peu de moyens financiers. Dans ce contexte, comment continuer d’améliorer les liens entre les services de renseignement financier et le reste de l’appareil de renseignement, afin notamment de repérer le microfinancement ?

Mme Laëtitia Saint-Paul salue l’intérêt du rapport. L’empreinte territoriale de l’État islamique a enfin été annihilée, mais cela se traduit-il par un trésor de guerre, ou bien les ressources ont-elles déjà été injectées dans les réseaux ? Le rapport propose un historique des finances de l’État islamique, mais qu’en est-il de l’avenir ? Quelle est, par ailleurs, la part des réseaux de passeurs dans le financement du terrorisme ? Enfin, comme d’autres l’ont déjà souligné, le terrorisme actuel est peu coûteux – l’exemple atroce de Nice l’a montré. En outre, certaines armes, qui étaient auparavant réservées à des États, peuvent se retrouver entre les mains de terroristes du fait de l’importante diminution de leur coût – on pense notamment aux drones armés. D’où la question suivante, dot la simplicité n’est qu’apparente : l’argent reste-t-il vraiment le nerf de la guerre ?

Mme Nicole Trisse remercie à son tour les rapporteures pour leur exposé très complet. Pour enrichir leur analyse, elle évoque le rapport présenté en avril 2018 par M. Phil Wilson, député britannique, à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Selon ce rapport, aux sources de financement détaillées par Mme Krimi et Mme Boyer s’ajoutait le fait que le régime syrien permettait aux banques de Daech d’opérer sur son territoire et qu’il faisait même des affaires avec cette organisation. Est-ce toujours le cas et, si oui, comment endiguer ce phénomène ?

Par ailleurs, les rapporteures ont souligné à quel point les terroristes collectaient, transféraient et dépensaient l’argent de façon remarquablement ordinaire. Or c’est cet argent qui permet de monter les campagnes de recrutement sur internet qui ont conduit à l’enrôlement d’un si grand nombre d’Européens. Mme Boyer posait également la question du financement, lors des dernières élections législatives, de certaines candidatures par des pays étrangers. Le milieu associatif a lui aussi été mentionné : est-ce à dire qu’il faudrait aller jusqu’à vérifier les dons faits aux associations d’utilité publique, y compris celles organisant des spectacles à la télévision ?

M. Guy Teissier s’associe à ce qui a été dit par les intervenants précédents quant à l’excellence du rapport et surtout au travail important fourni par les deux rapporteures. La France s’est dotée de nombreux services et institutions pour répondre à la menace terroriste, mais elle dispose également de services chargés de lutter contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. La lutte contre le financement du terrorisme est ainsi au cœur des préoccupations de la cellule de renseignement financier TRACFIN ; cela n’a pas été suffisamment rappelé. En novembre dernier, lors d’une conférence de presse, TRACFIN a d’ailleurs rappelé sa volonté d’accroître ses efforts en matière de lutte contre le financement du terrorisme et a souligné l’importance de maintenir une vigilance forte en la matière. La mission est claire : il s’agit de tarir les sources de financement d’activités terroristes sur le territoire français.

Outre cet objectif, le haut fonctionnaire responsable de la cellule a particulièrement insisté sur le manque de transparence des associations françaises, mais aussi sur les dérives liées aux monnaies virtuelles, qui présentent des risques élevés en matière de fraude. Une première difficulté tient bien sûr aux caractéristiques de ces monnaies virtuelles : l’anonymat et l’absence de présence physique pour les transferts sont susceptibles d’encourager leur usage à des fins criminelles, en particulier de favoriser le contournement des règles relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Or, dans le rapport, il est précisé que, malgré le fait que les flux de financement du terrorisme passent par de nouveaux moyens de paiement dans le but de garantir l’anonymat de ceux qui en font usage, « le recours aux monnaies virtuelles reste à ce stade limité en matière de financement du terrorisme ». Il y a là une sorte de contradiction et un décalage par rapport à la position de TRACFIN, pour qui les cryptoactifs présentent des risques élevés et avérés en matière de fraude et de blanchiment des capitaux. Des précisions sur cette question seraient les bienvenues.

M. Jean-François Mbaye s’interroge sur la collusion existant entre les organisations terroristes et le crime organisé, et plus particulièrement sur les flux financiers issus du trafic d’espèces rares et/ou menacées. Dans le cadre de son travail sur l’avis budgétaire qu’il avait rendu au nom de la commission sur le dernier projet de loi de finances, il était apparu que le trafic d’espèces animales ou végétales constituait une pratique particulièrement profitable pour les organisations criminelles et terroristes. Certaines auditions, en amont de la rédaction du rapport, ont-elles porté sur ce sujet ?

Mme Bérengère Poletti félicite les rapporteures pour le travail considérable qu’elles ont accompli et pour leur exposé sur un sujet extrêmement délicat, à savoir le terrorisme, qui est lié à celui du fondamentalisme religieux. Il est donc, d’une certaine manière, question ici de religion. En s’appuyant sur un besoin de fraternité et de communauté, le terrorisme va chercher ses soldats sur le terrain. Le sujet est également lié au pouvoir et à l’argent. Le financement, lit-on dans le rapport, va dans deux directions : le fonctionnement des organisations et les actions terroristes elles-mêmes. Ces dernières, on le voit bien, ont de moins en moins besoin de financement. En ce qui concerne le fonctionnement, en revanche, le sujet reste entier : un reportage très intéressant, diffusé il y a quelque temps, montrait la manière dont Daech payait à prix d’or des communicants et des experts en informatique pour diffuser ses idées dans des pays comme la France.

Le rapport évoque à plusieurs reprises l’expertise française en matière de lutte contre le terrorisme, mais le pays est également l’une des premières victimes du terrorisme : il a payé un très lourd tribut. Il semble donc normal que la France ait développé un certain nombre d’outils pour lutter contre le terrorisme. On pourrait aussi se demander pourquoi la France a été à ce point visée par le terrorisme.

Dans les recommandations du rapport, reviennent souvent les verbes « renforcer », « élargir », « maintenir », « améliorer », « augmenter », « étendre » : on voit donc, en définitive, que les outils existent déjà, mais qu’ils sont insuffisamment développés.

Il a été question de l’entreprise Lafarge, mais on parle aussi de certaines organisations non gouvernementales (ONG) qui ont dû payer des droits de passage ou verser des rançons, ce qui a fourni des recettes importantes à Daech. Quels sont les moyens développés en Europe ? Combien l’Europe, et d’abord la France, dépensent-elles actuellement pour lutter contre le terrorisme ? Conviendrait-il de multiplier ces moyens ? Si oui, cela doit être par dix, par vingt ? Les rapporteures sont-elles en mesure de donner à la commission des chiffres un peu plus précis ?

Mme Mireille Clapot félicite à son tour les rapporteures pour la présentation de ce très bon rapport. La communauté internationale doit en effet isoler les terroristes en asséchant leurs sources de financement. Malgré sa chute, l’État islamique dispose encore de 50 à 300 millions de dollars de réserves financières. D’autres groupes terroristes comme Al-Qaïda dans la péninsule arabique ont tiré plusieurs centaines de millions de dollars de demandes de rançon et de leurs actions sur le terrain. En ce sens, le 28 mars, le Conseil de sécurité des Nations unies, sous présidence française, a adopté à l’unanimité une résolution invitant les pays membres à renforcer leur arsenal contre le financement du terrorisme. Il s’agit du premier texte spécifiquement dédié à ce sujet ; il faut se féliciter de son adoption. Cette « doctrine de référence », comme l’a qualifiée Jean-Yves Le Drian, stipule que les États membres sont appelés à créer des cellules de renseignement financier pour combattre l’entretien du terrorisme et à mieux coopérer avec le secteur privé. Ils doivent aussi agir contre l’anonymat des transactions – à travers l’usage de cartes prépayées, de services bancaires mobiles, de cryptomonnaies, ou encore de nouvelles start-up financières – et empêcher le paiement de rançons, qui constituent la principale source de revenus pour l’État islamique.

Mme Clapot souhaite donc connaître, à l’aune du rapport qu’elles ont rédigé, quel est le point de vue des rapporteures sur cette résolution et son application par les différents États signataires, notamment à l’égard des ONG. Valérie Boyer a déclaré avoir reçu les ONG avec Sonia Krimi. Ces organisations sont pour la plupart de bonne foi. Or, bien que, dans la résolution, deux paragraphes mentionnent l’obligation pour les États de respecter le droit international humanitaire et les droits humains fondamentaux, les ONG ont fait part de leur inquiétude : elles craignent de voir leur travail sur le terrain en faveur des droits humains empêché par les États dans lesquels elles opèrent, au motif que, indirectement, elles soutiendraient les organisations ou individus terroristes. On est donc sur une ligne de crête.

M. Pierre-Henri Dumont remercie les rapporteures pour la qualité de leur travail et pour leurs explications. Le rapport évoque un réservoir de plus de 1 milliard d’euros pour les organisations terroristes, notamment Daech. Toutefois, cette dernière organisation ne dispose plus de territoire : ses fonds se sont donc totalement évaporés dans la nature. Quel est, par ailleurs, le montant estimé des transferts de fonds en provenance de France à destination des organisations terroristes internationales ? Y a-t-il un profil particulier – aussi bien en termes de catégories socioprofessionnelles que de localisation sur le territoire – des personnes se livrant à ces opérations ? Existe-t-il des données sur le nombre de Français qui sont actuellement emprisonnés pour avoir aidé à financer le terrorisme, en France ou ailleurs dans le monde ?

Mme Amal Amélia Lakrafi se joint à ses collègues pour féliciter les rapporteures. Elle forme le vœu que les vingt-trois recommandations du rapport connaissent une suite. La lutte contre le financement du terrorisme international occupe une part essentielle dans l’action menée contre les groupes terroristes au Levant et au Sahel, mais également sur le territoire national, même si elle est moins visible et moins connue que la lutte armée. Le devoir de vigilance des acteurs privés est nécessaire à la signalisation des transferts de fonds suspects. Cependant, la lutte contre le financement du terrorisme international entraîne des dommages collatéraux, notamment le « de-risking », qui perturbe l’activité de certaines ONG, principalement dans les régions de la Corne de l’Afrique et du Levant.

Étant députée des Français de l’étranger pour cette zone – entre autres –, Mme Lakrafi a eu l’occasion de constater d’autres dommages collatéraux, comme la fermeture des comptes bancaires de Français résidant à l’étranger. En effet, la loi oblige désormais les banques à exercer davantage de contrôles sur l’environnement économique, en particulier pour ceux vivant dans des pays n’ayant pas souscrit à l’échange automatique d’informations. Elles préfèrent donc fermer inopinément les comptes bancaires de ces particuliers plutôt que de s’engager à effectuer toutes les procédures de contrôle nécessaires. Ces citoyens français, pour le règlement de certains frais personnels, ont besoin de garder des comptes actifs en France et se retrouvent donc en grande difficulté lorsque leur compte est clôturé. Malgré l’existence du droit à l’ouverture d’un compte bancaire, la situation de ces citoyens reste très compliquée. Parmi les recommandations figurant dans le rapport, on trouve des solutions pour renforcer l’engagement des pouvoirs publics face aux problèmes de « de-risking » pour les ONG françaises. Les rapporteures ont-elles rencontré le problème des fermetures de comptes de Français et d’étrangers lors de leurs travaux et, si oui, pensent-elles à des solutions semblables à celles qu’elles préconisent dans leur rapport pour concilier le droit à la détention d’un compte de dépôt en France et la nécessité de vérifier l’environnement économique des propriétaires de ces comptes bancaires dans ces zones proches de zones contrôlées par les terroristes ?

M. Christian Hutin tire son chapeau aux deux rapporteures : il fallait au moins une députée n’ayant pas le doigt sur la couture du pantalon et une autre ayant eu le courage de faire ce qu’elle a fait pour l’Arménie pour rendre un tel rapport.

S’agissant de Lafarge, il convient d’être un peu moins critique que certains ne l’ont été. En effet, il y a le Bureau de l’Assemblée nationale, mais il y a aussi le Bureau des légendes. Or, à l’époque, la France était totalement aveugle en Syrie. D’ailleurs, le précédent directeur de Lafarge a été entièrement exonéré : on lui avait conseillé, dans l’intérêt de la nation, de poursuivre son activité. L’ambassade avait fermé, de même que le lycée français de Damas : il fallait bien que la France conserve un œil en Syrie. Il est vrai que cela a coûté cher. Quoi qu’il en soit, Lafarge était alors l’œil du ministère des affaires étrangères et du Bureau des légendes. Il importe de ne pas l’oublier : les choses sont beaucoup plus complexes qu’on ne l’imagine.

Concernant le financement d’un certain nombre d’élus par des groupes terroristes, M. Hutin rappelle qu’il a lui-même dû faire face à une candidature soutenue par le centre Zahra, à Grande-Synthe. Pour entrer dans le temple de cette secte chiite intégriste, les fidèles devaient s’essuyer les pieds sur un drapeau israélien. De telles sources de financement ne sont pas admissibles. M. Hutin interroge Mme la présidente de la commission, qui connaît mieux que lui les institutions européennes : ne serait-il pas possible de créer une commission d’enquête européenne sur le sujet ?

Mme Anne Genetet souligne que le rapport présente des recommandations qui sortent du « y’a qu’à, faut qu’on » : cela fait du bien. Elle établit un rapprochement entre les recommandations nos 15 et 22 et souhaite faire écho aux propos de Mme Saint-Paul, qui se demandait si l’argent serait toujours le nerf de la guerre à l’avenir. Qu’appelle-t-on « argent » ? La recommandation no 15 invite à « augmenter le niveau d’exigence des contrôles appliqués aux cartes prépayées » et la recommandation no 22 consiste à « adopter une approche plus prudente dans la réglementation des cryptoactifs ». Certains pays ont choisi d’élargir la définition de la monnaie en y incluant tous les paiements dématérialisés, y compris par bitcoins, darkcoins ou encore ethereums, pour protéger l’émetteur des montants et le montant lui-même. D’autres ont également créé, pour les fournisseurs de services payés en cryptomonnaies, l’obligation de posséder une licence. Ce sont là autant de façons de contrôler les autres moyens de paiement par lesquels peuvent transiter des financements peu avouables.

Les rapporteures sont-elles en mesure d’évaluer le poids de tous les moyens de paiement dématérialisés – au-delà des seuls cryptoactifs, car il n’y a pas que cela : il faut sortir de la vision un peu étroite dont témoigne la recommandation no 22 –, en dehors des monnaies légales, dans le financement des organisations terroristes ? Quels sont les outils dont dispose la France pour les surveiller et les évaluer ? Sommes-nous prêts à transformer la définition de notre monnaie ? Sommes-nous prêts à exiger une licence pour les émetteurs de moyens de paiement dématérialisés ? Enfin, quels seraient, à moyen terme, les risques réels, en matière de financement du terrorisme, si on ne faisait rien de tout cela ?

M. Jean Lassalle estime que le travail des rapporteures est courageux et vivifiant. Bien que l’on ait guerroyé dans l’ensemble de la zone en question depuis 30 ans, la responsabilité de notre pays est très gravement engagée dans toute cette affaire, depuis au moins les années 2010 : nous avons fermé ambassades et consulats. Nous aurions pu renforcer ceux qui se battaient pour la liberté, au lieu de quoi nous sommes partis comme des chiens. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de traverser la Méditerranée pour se rendre compte qu’il y a dans nos banlieues des jeunes hommes et des jeunes femmes – et parfois même des moins jeunes – qui ne rêvent que d’une chose : détruire notre civilisation, détruire la France et l’Europe, parce qu’ils ne les supportent pas, parce que ce n’est pas leur histoire, ils se souviennent vaguement de grands-pères que l’on avait massacrés ou envoyés au front, dans des tempêtes absolument ingérables. Ils se considèrent comme abandonnés dans des territoires de non-droit. Il y a là aussi des hommes et des femmes qui n’ont qu’une idée en tête : faire du mal à ce que nous sommes. Le résultat du travail des rapporteures est clair. M. Lassalle se dit heureux de ce que fait cette commission : cela permet d’envisager le futur de manière un peu différente.

M. Christophe Blanchet rappelle que, selon les rapporteures, la contrefaçon – et non la contrebande – peut financer le terrorisme. Quand on sait qu’elle représente 6 milliards d’euros en France, 70 milliards en Europe et 590 milliards dans le monde, on peut très bien imaginer, effectivement, que la contrefaçon finance le terrorisme, et cela d’autant plus qu’elle est peu sanctionnée et difficilement décelable. En effet, il est plus difficile pour un chien de repérer dans un container un faux sac Vuitton qu’un sachet de drogue. De plus, en France, les contrevenants sont très rarement sanctionnés par de lourdes amendes. Sur les 1,3 milliard d’euros ayant alimenté le terrorisme en 2018, combien provient de la contrefaçon et quelles sont les recommandations des rapporteures sur ce point ?

Selon M. Claude Goasguen, le rapport est impeccable : au moins, on a ainsi des arguments qui permettront de faire croire à la population qu’on s’occupe de lutter contre le financement du terrorisme. Pourquoi « faire croire » ? Parce que le terrorisme est une arme internationale très utilisée. Il a été question de Lafarge, mais on n’a rien contre cette entreprise. On sait très bien que des camions et même des trains entiers, remplis de pétrole, partaient de Mossoul et traversaient la frontière. Des avions les ont photographiés. Or y a-t-il eu des sanctions contre les compagnies pétrolières, y compris les compagnies françaises, d’ailleurs ? Non. S’agissant des financements privés, les Saoudiens eux-mêmes savent très bien qu’il y en a eu pour soutenir le terrorisme. Ils ne le nient pas. Y a-t-il eu des sanctions ? Non. Dans le cadre d’une commission d’enquête, M. Bajolet, à l’époque patron de la DGSE, avait été interrogé. Il avait été obligé de reconnaître que les Français avaient fourni des armes à la Syrie et qu’elles avaient été utilisées par Daech et Al-Qaïda – la presse s’en est d’ailleurs fait l’écho. Là non plus, il n’y a pas eu de sanctions. Par conséquent, si tous les mécanismes qui ont été mis en place sont importants, il ne faut pas non plus se faire trop d’illusions sur leurs résultats.

M. Goasguen soulève deux questions. D’abord, à l’heure du big data, la France est-elle indépendante des Américains ? Il est évident que non. La puissance du renseignement français, quand il s’agit de lutter contre le financement du terrorisme, est liée à l’obtention de quantités de renseignements massives – ce que l’on appelle le big data. Or les Français sont très en retard, comme tous les Européens. D’ailleurs, la CIA et les autres organismes américains ne se gênent pas pour le dire et ils ont investi très largement en France pour montrer à la DGSE et à la DGSI qu’ils étaient présents. Il n’est pas sûr que, dans les appels d’offres, on soit très clairs s’agissant du big data.

Ensuite – et, à cet égard, M. Goasguen rejoint les propos de son ami Meyer Habib –, il y avait au moins un cas flagrant et bien connu d’organisation terroriste : le Hamas. Voilà une organisation terroriste internationale, réputée comme telle dans le monde entier : au sein de l’ONU comme en Europe, tous les pays reconnaissent le Hamas comme une organisation terroriste – ce qui n’est pas tout à fait le cas du Hezbollah. Or le Hamas n’est pas cité dans le rapport. Pourtant, nous lui donnons de l’argent en quantité, puisque c’est pour ainsi dire l’Europe qui fait vivre cette organisation, par l’intermédiaire de l’Autorité palestinienne – et pas pour faire de la confiture ni pour acheter des pneumatiques : le Hamas, encore une fois, est une organisation terroriste. En dépit de cela, il n’y a aucun élément sur le financement du Hamas par la France et par l’Europe. C’est insensé. Que la France demande au moins à quoi sert son argent ! C’est là quelque chose d’essentiel pour faire croire qu’on lutte contre le terrorisme.

Mme Ramlati Ali s’associe à ses collègues pour remercier les rapporteures pour la qualité de leur travail. S’agissant de la recommandation no 5, relative au renforcement de la coopération internationale avec les pays touchés par les conflits armés et le djihadisme, le rapport évoque la Turquie, le Liban, l’Irak, la Libye et les pays du Maghreb, mais il y a une autre zone de crise : la région du Sahel, particulièrement vulnérable, avec la multiplication d’actes terroristes, d’attentats, d’enlèvements et d’assassinats. Malgré le déploiement de l’armée française, on observe une recrudescence du terrorisme : comment renforcer notre coopération avec le G5 Sahel, notamment en termes d’assistance technique aux pays concernés pour lutter contre le financement du terrorisme international ?

M. Jacques Maire félicite Mme Boyer et Mme Krimi pour leur rapport qui présente un nombre important de convergences avec celui qu’il vient lui-même de présenter, au nom du comité d’évaluation et de contrôle, sur la lutte contre la délinquance financière. Un point est très important : dans un grand nombre de cas de figure, les blanchisseurs blanchissent toutes sortes d’activités criminelles, et pas uniquement le terrorisme : le banditisme, le trafic de drogue, ou encore le travail dissimulé sont également en cause. Ce sont les mêmes techniques qui sont utilisées, souvent par les mêmes acteurs, pour blanchir le terrorisme, notamment celui que l’on appelle low cost, dans le bas du spectre.

De ce point de vue, M. Maire souhaite compléter et affiner cinq des propositions du rapport. Premièrement, concernant les comptes en ligne et les cartes prépayées, il faut augmenter la pression pour avoir le plus rapidement possible l’identification numérique publique, qui permettra, le moment venu, de disposer de procédures dématérialisées mais complètement sécurisées. Une stratégie interministérielle existe d’ailleurs en la matière ; il faut que cela débouche rapidement sur un résultat.

Deuxièmement, s’agissant du renforcement des effectifs, l’analyse faite dans le rapport que M. Maire a rédigé avec Ugo Bernalicis est la suivante : les moyens de TRACFIN sont déjà importants par rapport à ceux dont disposent les services d’enquête et les juridictions de base. Il faut plutôt renforcer la détection des blanchisseurs à la base, sur le terrain. En effet, c’est au moins aussi important et, sur ce plan, la France est relativement dépourvue.

Troisièmement, au niveau européen, le rapport propose de créer une agence de supervision dédiée au blanchiment. Il vaudrait mieux, dans un premier temps, donner des responsabilités dans la lutte contre le blanchiment aux agences européennes existantes chargées de superviser le secteur bancaire, les marchés financiers et les assurances, comme c’est le cas en France.

Quatrièmement, il faut renforcer et promouvoir les modes d’échange automatique de données par l’intermédiaire de plateformes sous le contrôle de la justice entre établissements financiers et services d’enquête. On ne peut pas se permettre d’envoyer simplement des fax et de masquer des comptes.

Enfin, M. Maire soutient la proposition consistant à soumettre l’ensemble des plateformes de cryptomonnaies aux recommandations du GAFI, et pas uniquement sur une base volontaire, comme le prévoit la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE), qui vient d’être votée.

M. Olivier Dassault s’associe à son tour aux félicitations adressées aux rapporteures. L’engagement unanime des membres de l’ONU, jeudi dernier, est une victoire importante dans la lutte contre le terrorisme. Quelles actions concrètes la communauté internationale pourra-t-elle désormais mener à la suite de cette déclaration ? L’évolution des modes de fonctionnement démontre qu’il reste de nombreux défis à relever. Il convient toutefois de saluer, comme l’ont fait les autres intervenants, la réelle efficacité et le rôle pivot, unique au monde, de la cellule de renseignement financier française TRACFIN.

L’accroissement du financement low cost des actes de terrorisme est extrêmement inquiétant, puisque d’autant plus difficile à identifier. Les rapporteures relèvent ainsi que la plupart des attaques commises sur le sol européen coûtent désormais moins de 10 000 euros, voire moins de 1 000 euros. Il y a peu, le procureur chargé notamment des affaires terroristes en France annonçait que même la souscription de crédits à la consommation ou l’achat de billets d’avion participait d’une forme de soutien au terrorisme. Les rapporteures signalent également que les cagnottes en ligne sont susceptibles de faire l’objet de détournements. Qu’en est-il des acteurs de la finance participative ? Comment adapter et renforcer nos dispositifs nationaux dans ce domaine ?

Fin 2017, les services anti-terroristes avaient identifié qu’environ 20 % des djihadistes français recevaient des allocations sociales venant de Pôle Emploi ou de la caisse d’allocations familiales, avec la complicité des membres de leur famille. Quels éléments les rapporteures ont-elles recueilli à ce sujet ?

Enfin, la recommandation no 16 consiste à étendre les prérogatives des services des douanes en matière de lutte contre le financement du terrorisme. S’agit-il d’étendre les compétences des douaniers ? M. Dassault rappelle, à cet égard, que ces agents réclament des augmentations de salaires et d’effectifs et des moyens supplémentaires, surtout pour gérer le flux lié à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Ou bien s’agit-il d’un renforcement des pouvoirs de la douane judiciaire et de l’évolution de la rémunération des aviseurs ?

M. Pieyre-Alexandre Anglade remercie Mme Krimi et Mme Boyer pour leur rapport extrêmement détaillé. Il se réjouit notamment qu’elles aient mis l’accent sur la coopération européenne : c’est un axe absolument fondamental, car il n’y a pas de réponse uniquement nationale au terrorisme. Le rapport contient, entre autres propositions, celle de créer une agence européenne de supervision en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. C’est une belle proposition, mais ne serait-il pas plus judicieux de renforcer les moyens existant déjà au niveau européen, notamment ceux de la Commission européenne et de son département anti-blanchiment, qui possède assez peu de moyens, ou encore de renforcer les compétences de l’Autorité bancaire européenne en matière de blanchiment ?

Une autre préoccupation est pointée de façon récurrente, notamment par le Parlement européen : le manque de coopération entre les cellules de renseignement financier des différents États membres. Certains appellent à la création d’une cellule de renseignement financier européenne pour pallier ce problème. M. Anglade souhaite connaître l’opinion des rapporteures sur cette proposition.

Pour répondre à M. Hutin, qui appelait de ses vœux la création d’une commission d’enquête européenne, il rappelle qu’une commission spéciale sur le terrorisme avait été mise en place par le Parlement européen, présidée par Nathalie Griesbeck, du Mouvement démocrate ; elle a rendu un rapport en décembre dernier.

Mme la présidente Marielle de Sarnez indique que la commission évoquée par M. Anglade a effectivement traité de la question du financement. Elle a proposé la confiscation des biens du crime liés au terrorisme, de réguler la circulation des espèces, de mettre en œuvre une directive anti-blanchiment, de mettre en avant le dispositif français « No Money for Terror », de développer la coopération entre les cellules de renseignement financier des États membres et de créer une cellule européenne. Cette commission a donc produit énormément de propositions. La commission des affaires étrangères pourrait continuer le travail sur le sujet et organiser une audition conjointe de la présidente et de la rapporteure de cette commission spéciale sur le terrorisme.

M. Didier Quentin félicite très sincèrement et chaleureusement les deux rapporteures pour la qualité de leur rapport. Elles évoquent une extension des prérogatives des services douaniers pour lutter contre le financement du terrorisme. Quelles en seraient les modalités ? Songent-elles à une harmonisation de ces prérogatives au niveau européen, à travers une directive ou un règlement ? Enfin, M. Quentin estime qu’il serait utile, dans quelque temps, de faire le point sur le devenir des vingt-trois recommandations des rapporteures.

Mme Monica Michel s’associe aux intervenants précédents pour remercier les rapporteures pour leur travail remarquable. Comme elles l’ont souligné, la communauté internationale – et la France en premier lieu – est pleinement engagée depuis une vingtaine d’années dans la lutte contre le financement du terrorisme, comme l’illustre l’adoption récente d’une résolution des Nations Unies sur le sujet. Pourtant, au-delà des modes de financement illicites du terrorisme, qui, par définition, passent sous les radars, il semble que certaines organisations ont bénéficié de modes de financement légaux. Dès lors, quels freins les rapporteures identifient-elles, qu’il s’agisse d’États eux-mêmes ou de secteurs de l’économie auxquels il faut porter une attention particulière pour accentuer la lutte contre le financement du terrorisme ?

Mme Boyer a parlé du financement du terrorisme par l’intermédiaire de technologies telles que les cryptomonnaies. Pourrait-elle éclairer la commission sur le type d’actions concrètes qui seront menées par les autorités pour lutter contre ce type de financement ?

Enfin, les rapporteures expliquent que le terrorisme low cost se développe, consistant dans des attaques relativement peu coûteuses, donc difficiles à identifier en amont par les services de renseignement. Dans ce contexte, et au-delà des vérifications d’identité biométriques qui sont recommandées, quels pourraient être les moyens de lutte pertinents ?

Mme Laurence Dumont, comme M. Hutin, tire son chapeau aux deux rapporteures, même si elle ne partage pas entièrement les propos introductifs de Valérie Boyer, quand celle-ci évoquait la victoire que les terroristes avaient déjà enregistrée sur notre mode de vie eu égard à la fréquentation des terrasses de café, par exemple. Ce qui est sûr, c’est que les terroristes auront gagné si la France ne parvient pas à maintenir l’équilibre entre la liberté et la sécurité.

Les recommandations contenues dans le rapport sont vraiment précieuses et riches. Mme Dumont appelle toutefois à la vigilance sur deux sujets traités dans le rapport. Il y a, d’abord, ce qui concerne les associations : il faut creuser un peu plus pour ne pas aller au-delà du raisonnable. Ensuite, les rapporteures écrivent : « De façon générale, une extension du recours à la biométrie dans les prises d’identité serait favorable à un recul de l’anonymat des moyens de paiement. » Certes, mais il importe de faire attention à ce que ce ne soit pas préjudiciable aussi à d’autres notions auxquelles on tient par-dessus tout. Une phrase aussi lourde de conséquences ne devrait pas figurer telle quelle dans le rapport d’une mission d’information sans que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et un certain nombre d’autres organismes aient été auditionnés – même si, bien sûr, tel n’était pas l’objet du rapport. Mme Dumont souligne, en conclusion, que cette remarque n’enlève rien à la qualité des recommandations qui sont faites par ailleurs.

M. Bernard Deflesselles estime qu’un rapport réussi s’appuie sur deux piliers : d’un côté, un constat précis et exhaustif et, de l’autre, des propositions qui ne le sont pas moins. Tel est le cas du présent rapport. Le nœud du problème est la clandestinité, à la fois dans les actions et dans le financement. Tous les intervenants ont fait le même constat : Daech a perdu son territoire et a vu son financement asséché. Cela dit, il serait funeste de baisser la garde. Il est question, dans le rapport, des efforts consentis par la France. M. Deflesselles considère que l’on est un peu trop critique à cet égard : la France en fait beaucoup.

Il pointe deux éléments. D’abord, s’agissant du terrorisme low cost, il est toujours impressionné par les chiffres de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016 : cette opération funeste, qui a fait 86 morts, n’a coûté que 2 500 euros. Voilà qui doit interpeller les responsables politiques : que peut-on faire très précisément pour débusquer le financement low cost ? Ensuite, au niveau international, M. Deflesselles dit avoir été impressionné par un chiffre qui figure dans le rapport : le Mali possède certes un équivalent de TRACFIN, mais le service n’emploie que deux personnes. Que peut-on donc faire concrètement, au-delà des décisions prises par l’ONU, pour aider les pays qui sont au cœur du financement du terrorisme ?

Mme Valérie Thomas souligne qu’une enquête très approfondie du New York Times, en juillet 2014, s’était penchée sur le versement de rançons par les États pour la libération de certains de leurs ressortissants qui avaient été enlevés par les groupes terroristes. Cette enquête estimait que, pour la seule année 2013, 66 millions de dollars avaient été versés par les pays européens. Mme Thomas souhaite donc savoir si, au cours des auditions, la question du paiement des rançons a été abordée. Quels montants ont-ils été versés au cours des dernières années ? Quelles ont été modalités de versement ? L’identification de leurs destinataires a-t-elle été possible ? Plus généralement, quelle est la doctrine française actuelle en matière de paiement de rançons ? Existe-t-il une doctrine européenne, autrement dit un accord entre les différents pays pour avoir la même réponse face à ce phénomène ?

Mme Valérie Boyer, rapporteure, remercie les membres de la commission pour l’intérêt qu’ils ont porté à ce travail. Il s’agit d’un rapport technique, faisant un état des lieux. Ce n’était d’ailleurs pas facile car il ne s’agissait pas d’un sujet qu’elle ni Mme Krimi maîtrisaient au départ. Néanmoins, il était important de procéder à cet état des lieux. Mme Boyer fait part de sa frustration concernant plusieurs sujets. D’abord, s’agissant des œuvres d’art et du trafic d’animaux, les personnes auditionnées n’avaient pas tellement envie de répondre aux rapporteures, ce qui a compliqué le travail. Les recommandations sur ces sujets qui figurent dans le rapport n’en sont pas moins importantes.

En ce qui concerne Lafarge, un collectif de défense des chrétiens d’Orient a déposé plainte contre l’entreprise pour crime de génocide, comme le sait M. Goasguen, qui co-préside le groupe d’études sur les chrétiens d’Orient, auquel d’autres membres de la commission appartiennent eux aussi. Tout en partageant les propos de M. Hutin, qui a souligné la complexité de la situation sur place, Mme Boyer précise que l’on touche là aux limites du rapport, qui portait sur les modalités techniques de financement du terrorisme et non sur la politique et le terrorisme. À cet égard, elle souhaiterait que le travail soit prolongé dans cette direction. Si cette question avait été abordée, les frustrations auraient peut-être été encore plus importantes, mais il aurait tout de même été possible de traiter un certain nombre des sujets évoqués par M. Meyer Habib, pour lesquels Mme Boyer manifeste son intérêt, notamment en ce qui concerne le Hamas. Il serait d’ailleurs intéressant de mettre en place une commission d’enquête sur les financements européens reçus par cette organisation : alors que la Palestine est la zone du monde la plus aidée sur le plan financier, la transparence fait entièrement défaut.

S’agissant du rôle de l’Arabie Saoudite, les rapporteures n’ont pas pu auditionner Pierre Conesa, en raison d’un empêchement de dernière minute. Quoi qu’il en soit, il a largement décrit la situation du pays. Si l’on parle de « terrorisme low cost » eu égard aux moyens déployés pour une opération, le mouvement dont participe cette tendance n’a quant à lui rien de low cost dans la mesure où, depuis plus d’une génération, l’Arabie Saoudite déverse, à travers son ministère de la propagande religieuse, des milliards de dollars dans le monde entier : c’est sur ce terreau qu’ont germé les funestes actions dont il est ici question. Mme Boyer redit son souhait de voir prolonger la mission en direction de l’impact des financements, notamment pour étudier les influences étrangères qui expliquent en partie pourquoi la France a été tellement touchée par les actions terroristes. Toutefois, comme l’a souligné Mme Poletti, le terrorisme n’est pas seulement affaire d’argent, sinon les gens ne seraient pas prêts à mourir pour cette cause. Le terrorisme, et c’est là toute sa perversité, tue la plupart du temps des civils et des personnes sans défense, mais il est le fruit d’un engagement de la part de ceux qui commettent ces actes – ce qui est lié à la propagande islamiste évoquée précédemment, sur notre territoire et dans le monde entier.

Pour ce qui est des prestations servies par les CAF et par Pôle Emploi, Mme Boyer rappelle qu’elle a elle-même demandé, avec plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains, la création d’une commission d’enquête relative à leur utilisation à des fins terroristes, ce qui a été refusé – mais cela ne concerne pas la commission des affaires étrangères. Elle aurait surtout aimé savoir ce que sont devenues les personnes ayant ainsi consacré au financement du terrorisme le montant de ces prestations sociales, autrement dit l’argent de la collectivité, participant ainsi au « noircissement », c’est-à-dire le processus par lequel de l’argent légal devient de l’argent illégal – sujet dont il est question pratiquement à chaque page du rapport.

Mme Thomas a évoqué le problème du versement de rançons. Il n’est pas abordé spécifiquement dans le rapport, mais c’est un sujet qui a été traité dans le cadre de la commission : Mme la présidente a notamment organisé une rencontre avec des Yézidis. Il mériterait toutefois d’être lui aussi approfondi. Lorsque la commission avait reçu Élise Boghossian et Vian Dakhil, celles-ci avaient fait part du fait que, dans un pays membre de l’OTAN, c’est-à-dire l’un de nos alliés – la Turquie, pour ne pas la citer –, des Yézidis étaient obligés d’organiser des collectes pour racheter des personnes, notamment des enfants et des femmes, retenues dans ce pays. Quels que soient les individus se livrant à ce commerce – peut-être s’agit-il de chrétiens ou de membres d’autres minorités –, il est certain qu’ils ont dû participer également au va-et-vient sordide qui a eu lieu entre la Turquie et la Syrie pendant toute la durée du conflit. Le sujet mériterait à l’évidence d’être approfondi.

S’agissant tout d’abord du braconnage, Mme Sonia Krimi, rapporteure, indique que les auditions et les travaux n’ont pas permis d’établir un lien direct avec le financement du terrorisme. De nombreuses rumeurs ont couru quant à l’utilisation de ce moyen par les Shebab. On ne peut exclure que la pratique ait existé ; toutefois, les rapporteures ne sont pas en mesure de donner des montants. Du reste, il convient de rappeler que les terroristes se sont incrustés dans toutes les organisations criminelles.

Le seul procès relatif au trafic de biens culturels à des fins de financement du terrorisme se tient en Espagne. Il s’agit de biens ayant été récupérés en Libye. Les experts précisent que Daech a prélevé des taxes sur les familles riches détenant des œuvres d’art plutôt qu’il n’a cherché à s’approprier directement ces œuvres. Il n’empêche que de telles pratiques ont existé – chacun ici en a vu des images atroces. Tout ce que l’on sait, c’est que les biens en question sont stockés quelque part, en attendant de pouvoir être revendus, dans quelques années, quand les choses se seront calmées. En février 2019, Europol a mis en place, à titre expérimental, un bureau dédié au trafic des biens culturels, en liaison avec des spécialistes – il n’est pas simple de trouver des personnes ayant aussi des compétences dans le domaine du renseignement. Mme Krimi espère que cette démarche permettra de mobiliser les capacités et les moyens d’Europol sur le sujet.

Pour répondre à M. Herbillon, qui avait demandé une liste de trois mesures, Mme Krimi précise qu’au niveau national, il faut renforcer le contrôle sur les cryptomonnaies. On ne peut pas non plus attendre qu’un attentat soit financé par une cagnotte en ligne ou du financement participatif pour se rendre compte que ces pratiques peuvent poser problème. Elle souscrit à ce qui a été dit concernant la loi PACTE : les licences doivent être obligatoires. Au niveau européen, il faut parvenir à une harmonisation sur le modèle du Fichier national des comptes bancaires et assimilés (FICOBA). Au niveau international, enfin, il importe d’aider les pays vulnérables.

Peut-on créer un TRACFIN européen, comme le proposait M. Anglade ? La réponse ne peut être que mitigée. En effet, les services de renseignement ne veulent pas partager les informations dont ils disposent. Le propre du renseignement est de garder pour soi les informations. Même quand ces informations ne concernent pas seulement la France, on sait très bien que les services préfèrent les échanges bilatéraux. On peut donc envisager d’élargir, mais en faisant attention à qui on donne l’information et comment on le fait. La France a la capacité de sécuriser ses informations, mais les services s’interrogent sur la capacité des pays d’Europe de l’Est à faire de même. Cela dit, Interpol fonctionne très bien.

D’autres questions sont liées au sujet : comment, par exemple, reconnaît-on un terroriste ? TRACFIN précise les critères susceptibles de donner l’alerte, parmi lesquels des achats de plus en plus nombreux dans des librairies islamiques et dans des boutiques communautaires, d’importants retraits d’espèces, un grand nombre de voyages dans des pays européens – autrement dit, la mobilité croissante de personnes ne gagnant pas beaucoup d’argent –, ou encore un changement récent d’apparence vestimentaire. On a ainsi donné l’exemple d’un couple dont l’homme ne serrait plus la main à des femmes, tandis que sa compagne avait changé totalement d’apparence vestimentaire. De même, si quelqu’un qui n’est pas sportif se met, du jour au lendemain, à acheter chez Decathlon du matériel de camping, cela peut donner l’alerte. Ce sont là autant de signaux faibles que TRACFIN et les organismes bancaires ont appris à reconnaître.

Mme Krimi souligne qu’elle-même et Mme Boyer font évidemment de la politique, mais qu’il s’agissait là d’un premier rapport sur le sujet : leur travail est donc très technique. Elles étaient même un peu dépassées, au départ, par les termes techniques. Plusieurs personnes leur ont d’ailleurs dit que le sujet était trop technique – réponse habituelle que l’on donne quand on n’a pas envie de traiter d’un sujet. Mme Krimi considère avoir démontré avec Mme Boyer que ce n’était pas seulement un sujet technique : il nécessite également beaucoup de volonté politique.

Enfin, la CNIL est évidemment un organisme très important. Les rapporteures se sont contentées d’ouvrir une réflexion et ne l’ont pas auditionnée. Un grand nombre d’experts les ont d’ailleurs mises en garde : si la conséquence de leur proposition est d’ouvrir nos données aux Américains, même si ce sont des alliés, cela n’est pas acceptable.

Mme Valérie Boyer, rapporteure, indique, pour compléter les propos de Mme Krimi, qu’elles ont tenu compte de la CNIL et de son rôle protecteur. Elles l’invitent d’ailleurs, dans le rapport, à s’associer à leur réflexion sur les échanges de données.

Quoi qu’il en soit, le mode opératoire des attaques terroristes qui ont eu lieu en France, et même en Europe, a changé : il y a très peu de grosses opérations. Les services de renseignement ont expliqué qu’une opération comme celle du 11 septembre 2001 serait très compliquée à organiser désormais, car cela suppose un grand nombre d’acteurs, donc beaucoup de personnes qui parlent, alors qu’elles sont surveillées. Mme Krimi faisait allusion à des personnes que l’on surveillerait si elles achetaient du matériel de camping : il s’agit bien évidemment de celles qui sont déjà fichées.

Quant au contrôle des paiements, compte tenu des mouvements de population qui ont lieu partout dans le monde – en particulier chez nous – et de la mobilité des groupements terroristes, il est impératif d’avoir des identités plus sécurisées. Peut-être la CNIL donnera-t-elle un avis sur le sujet, mais cela relève avant tout d’une décision politique. Selon Mme Boyer, c’est absolument nécessaire pour assurer notre sécurité et mettre un terme aux trafics en tout genre. Il n’y a pas de raison de ne pas utiliser les outils de sécurisation de l’identité, et cela d’autant plus que ce sont les Français qui les ont développés.

En conclusion du débat, Mme la présidente Marielle de Sarnez remercie les deux rapporteures, au nom de la commission, pour la qualité de leur travail. C’est la première mission d’information sur le sujet, à l’Assemblée nationale comme au Sénat. Il y avait eu une mission d’information sur les moyens de Daech, mais qui ne portait pas exclusivement sur le financement et était particulièrement ciblée sur cette organisation. C’est donc un travail pionnier, qui mérite d’être poursuivi. À cet égard, Mme la présidente reprend la proposition de Didier Quentin consistant à évaluer la mise en œuvre des vingt-trois recommandations au fil du temps, donc à organiser une autre réunion sur la question du financement du terrorisme. On pourrait également envisager de faire venir la présidente et la rapporteure de la commission spéciale du Parlement européen sur le terrorisme, pour croiser les demandes et les propositions.

Au terme du débat, la commission autorise la publication du rapport.

 

 


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   annexes

 

   annexe n° 1 :
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
par les co-rapporteurES

 

 

-          Mme Stéphanie Savel, présidente de Financement Participatif France et Mme Anaële Toubiana, responsable des relations institutionnelles ;

-          M. Benoît de la Chapelle Bizot, directeur général délégué de la Fédération bancaire française, M. Martin Lagane, chargé des relations institutionnelles, et Mme Judith Azevedo, chargée de mission juridique.

-          Mme Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections de la direction générale des patrimoines du service des musées de France du ministère de la culture ;

-          M. Laurent Stéfanini, ambassadeur de France auprès de l’UNESCO ;

-          M. le colonel Didier Berger, chef de l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels du ministère de l’intérieur.

 

Déplacement à New York du 3 au 5 décembre 2018

Déplacement à Washington du 5 au 7 décembre 2018

6 décembre : participation au Parliamentary Intelligence Security Forum

 

 


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   Annexe n° 2 : AGENDA DE PARIS

 

Agenda de Paris
26 avril 2018

En hommage à toutes les victimes du terrorisme,

Nous, États membres du Groupe d’action financière (GAFI), des organismes régionaux de type GAFI (ORTG), du G20 et de la Coalition internationale contre Daech, en présence d’organisations et d’agences internationales et régionales, nous sommes réunis à Paris le 26 avril 2018 pour étudier les moyens de renforcer l’efficacité de notre action de lutte contre le financement du terrorisme, en nous appuyant sur le travail accompli depuis l’adoption de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (1999), sur la Résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations Unies et sur l’expérience acquise au cours de notre lutte commune pour vaincre l’État islamique en Irak et au Levant (EI/Daech) en Syrie et en Irak.

Nous soulignons qu’une approche intégrée est essentielle pour lutter contre le terrorisme et son financement. Ensemble, nous nous engageons à renforcer notre contribution nationale et collective à la lutte contre le financement d’individus, de groupes, d’entreprises et d’entités terroristes associés à l’État islamique (Daech) et à Al-Qaïda, qui se fonde sur le cadre de notre engagement de longue date à lutter contre le financement de tous les groupes terroristes.

Nous nous engageons en particulier à prendre les décisions et les mesures suivantes :

(1) Poursuivre le renforcement de nos cadres juridiques et opérationnels internes pour la collecte, l’analyse et le partage des informations par les autorités nationales

En criminalisant pleinement le financement du terrorisme, notamment le financement des déplacements et du recrutement des terroristes, et en appliquant des sanctions pénales efficaces, proportionnées et dissuasives, même en l’absence de lien avec un acte terroriste spécifique.

En améliorant l’efficacité de la chaîne opérationnelle : chacun d’entre nous s’engage à mettre en place ou à renforcer, au niveau national, le cadre (groupes de travail interagences et centres de fusion des informations, par exemple) permettant aux cellules de renseignement financier, aux services de renseignement et d’enquête, aux autorités judiciaires et/ou de poursuites, aux services de police et de justice ainsi qu’aux autres autorités compétentes de collecter et de partager des informations sur le financement des individus, groupes, entreprises et entités liés à des groupes terroristes, en particulier les combattants terroristes étrangers, ceux qui reviennent dans leur pays d’origine ou qui se réinstallent dans un pays tiers, en mettant le moins d’obstacles possible à ces échanges, et dans le respect des cadres juridiques en vigueur relatifs aux droits de l’Homme, à la vie privée et à la protection des données.

En encourageant les autorités nationales compétentes, en particulier les cellules de renseignement financier et les services de renseignement, à mettre en place de réels partenariats avec les secteurs privé et financier concernant l’évolution des tendances, des sources et des méthodes de financement des individus, groupes, entreprises et entités terroristes, ainsi qu’à partager des informations tactiques en tant que de besoin.

En renforçant les capacités de nos autorités compétentes, en particulier des cellules de renseignement financier, notamment les ressources informatiques pertinentes.

En intensifiant la consultation d’entités comptables et leur implication dans l’élaboration et la mise en œuvre de lignes directrices et d’indicateurs de transactions suspectes pour le secteur privé, afin d’améliorer les stratégies d’entrave, la détection précoce et la prévention du financement du terrorisme, tout comme la qualité des informations transmises par le secteur privé.

En sensibilisant les représentants du secteur privé et les autorités concernées, notamment les organismes de contrôle des exportations, au risque d’acquisition par des individus, groupes entreprises et entités terroristes d’armes, en particulier d’armes de destruction massive, ainsi que de technologies et de biens sensibles.

(2) Lutter contre les transactions financières anonymes

En améliorant la traçabilité et la transparence des flux financiers : nous nous engageons à renforcer en tant que de besoin les cadres de partage d’informations avec le secteur privé, qui peuvent permettre aux autorités compétentes d’obtenir des informations pertinentes, y compris sur les bénéficiaires effectifs. Ces cadres devraient également permettre de lutter contre la fraude documentaire, de tracer, de détecter, de sanctionner et de démanteler efficacement les intermédiaires financiers clandestins, ainsi que de faire face aux risques liés à l’utilisation du paiement en liquide, des systèmes informels de transfert financier (hawalas par exemple), des cartes prépayées et des moyens de paiement anonymes.

En travaillant avec les institutions financières et les entreprises et professions non financières désignées afin de veiller à ce qu’elles respectent les obligations imposées par la législation nationale de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, en imposant des sanctions effectives, proportionnelles et dissuasives, qu’elles soient pénales, civiles ou administratives (ex : avertissements, amendes, retraits d’accréditation ou d’enregistrement) et, le cas échéant, en informant promptement le superviseur de leur État d’origine afin qu’il puisse agir de façon appropriée.

En tirant le meilleur parti des opportunités offertes par les technologies financières et de régulation nouvelles et émergentes (innovations en matière d’identité numérique et de banque mobile), afin de promouvoir l’inclusion financière et de faciliter l’accès et la fourniture de services financiers aux clients, aux entreprises et aux communautés qui, à défaut, utiliseraient des canaux informels, tout en développant les cadres juridiques et de contrôle afin de sécuriser encore l’identification des clients.

(3) Accroître la traçabilité et la transparence des fonds destinés aux organisations à but non lucratif et aux œuvres caritatives

En garantissant de manière urgente la mise en œuvre effective des normes du GAFI relatives aux organisations à but non lucratif, pour atténuer les risques de détournement à des fins de financement du terrorisme par des mesures ciblées et fondées sur les risques, en veillant à ne pas entraver ou dissuader les activités de la société civile.

(4) Anticiper et prévenir le risque de détournement des nouveaux instruments financiers

En reconnaissant que les technologies, produits et services financiers innovants peuvent offrir des occasions économiques substantielles mais qu’il est également possible d’en faire mauvais usage, en particulier pour le financement du terrorisme. Nous nous engageons à appliquer les normes du GAFI en ce qui concerne les crypto-actifs, à rester attentifs à la vérification de ces normes par le GAFI et appelons le GAFI à promouvoir leur mise en œuvre dans le monde entier.

 

(5) Travailler en collaboration avec le secteur privé, en particulier l’industrie du numérique, pour lutter contre le financement du terrorisme

En promouvant une coopération plus active de la part de l’industrie du numérique, notamment des principales plateformes internet et des principaux réseaux sociaux, avec les cellules de renseignement financier, les services de police et de justice, de renseignement et d’enquête, pour lutter contre le financement du terrorisme et les contenus terroristes sur internet, en particulier le recrutement terroriste, l’extrémisme violent conduisant au terrorisme, notamment via le dialogue engagé par certains États participants et organisations internationales avec les plateformes internet et des réseaux sociaux.

En encourageant les plateformes internet et des réseaux sociaux à promouvoir davantage les contre discours de la société civile. S’agissant des risques liés à la collecte de fonds en ligne, en appliquant intégralement les normes actuelles et en appelant ensemble l’industrie du numérique, notamment les principales plateformes internet et les principaux réseaux sociaux, à adopter des principes directeurs robustes pour le financement participatif et les services de paiement, ainsi que les conditions générales d’utilisation pour régir les communautés.

En appelant le secteur privé à envisager de renforcer les mesures de vigilance raisonnable lors des activités dans des secteurs et des juridictions à haut risque, afin d’atténuer les risques de financement du terrorisme dans toutes ses chaînes d’approvisionnement.

(6) Réaffirmer l’utilité des mécanismes nationaux et internationaux de gel et de saisie des avoirs

En rappelant l’importance de ratifier et de mettre en œuvre la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (1999), toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations Unies relatives au financement du terrorisme, ainsi que du droit international et des autres normes pertinentes, et en continuant d’encourager les États participants à proposer d’inscrire des individus, des groupes, des entreprises et des entités impliqués dans le financement d’activités terroristes sur les Listes de sanctions des Nations Unies, notamment sur la Liste relative aux sanctions contre l’État islamique (Daech) et Al-Qaïda, en utilisant des informations aussi détaillées que possible lorsqu’ils proposent ces inscriptions.

En appliquant efficacement les dispositions financières de la lutte contre le terrorisme de la Stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies.

En appliquant efficacement les mécanismes de gel des avoirs, conformément à la résolution 1373 du Conseil de sécurité des Nations Unies, afin d’entraver les activités terroristes.

En renforçant la coopération avec les services de renseignement et les cellules de renseignement financier, conformément à leurs compétences respectives, en matière d’identification des réseaux financiers soutenant des organisations terroristes et d’élaboration des décisions et des demandes de gel des avoirs.

En utilisant les Notices spéciales INTERPOL-CSNU pour contribuer à la mise en oeuvre des sanctions du Conseil de sécurité en signalant aux services de police et de justice dans le monde entier qu’un individu ou une entité est soumis à une mesure, par exemple à une interdiction de voyager ou à un gel d’avoirs.

En renforçant nos mesures de lutte contre le terrorisme, y compris en engageant des moyens pour développer et mettre en œuvre des régimes nationaux de sanction et pour saisir des fonds dans le cadre d’enquêtes.

(7) Renforcer l’efficacité de la coopération internationale

En améliorant la qualité des informations partagées au niveau international entre nos cellules de renseignement financier sur le financement du terrorisme, les combattants terroristes étrangers, ceux qui reviennent dans leur pays d’origine ou qui se réinstallent dans un pays tiers, les acteurs isolés et les activités des collecteurs de fonds destinés au terrorisme, dans toutes les juridictions.

En rendant publiques les décisions nationales de gel des avoirs.

En réagissant sans délai et de manière appropriée aux demandes de coopération internationale en matière de lutte contre le financement du terrorisme adressées par tout acteur de la chaîne opérationnelle à ses homologues pertinents, et en partageant de notre propre initiative des informations, avec l’aide des organisations internationales et des organismes compétents en tant que de besoin.

En répondant le cas échéant aux demandes d’entraide judiciaire et d’extradition des autorités judiciaires compétentes.

En luttant contre toutes les sources de financement du terrorisme et de ses réseaux, notamment celles émanant de la criminalité organisée transnationale et d’activités illégales, en particulier des trafics illicites, et en renforçant la coopération transfrontalière entre autorités douanières et fiscales, ainsi que les opérations internationales de police et de douanes coordonnées.

(8) Soutenir la légitimité, la visibilité et les ressources du GAFI et des ORTG

En réaffirmant le rôle central joué par le GAFI, en sa qualité d’organe normatif mondial en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et en appelant à une application intégrale, effective et rapide des normes du GAFI partout dans le monde.

En encourageant le GAFI à continuer de renforcer son assise institutionnelle, sa gouvernance et ses moyens et de les adapter à son rôle renforcé.

En renforçant la procédure d’évaluation mutuelle, en donnant au GAFI et aux organismes régionaux de type GAFI les moyens nécessaires à cet effet, avec notamment la mise à disposition d’évaluateurs expérimentés.

En améliorant la publicité et la diffusion des rapports et des recherches du GAFI sur les risques, les évolutions et les méthodes de financement du terrorisme, ainsi que celles des rapports d’évaluation mutuelle du GAFI et des ORTG.

(9) Renforcer notre engagement collectif envers les États qui ne satisfont pas aux normes ou manquent de capacités

En améliorant la coordination de l’assistance technique et financière que nous apportons aux États ne disposant pas des capacités nécessaires pour faire face au risque de financement du terrorisme et en assurant des formations adaptées pour leurs experts.

En reconnaissant que toutes les parties prenantes, États comme organisations internationales, doivent tirer les conséquences appropriées lorsque le GAFI identifie une juridiction donnée qui ne respecte pas ses engagements de remédier à ses carences stratégiques en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Conformément aux normes du GAFI, les États doivent être capables de mettre en œuvre des contre-mesures adaptées et proportionnelles aux risques lorsque le GAFI les invite à le faire, ou de leur propre initiative si nécessaire. Outre ces contre-mesures, les conséquences tirées par les pays ou les organisations internationales pourraient inclure notamment un renforcement de l’assistance technique ou toute autre mesure pouvant permettre aux juridictions listées par le GAFI de réaliser des progrès. Nous nous félicitons des cadres déjà mis en place par certains pays ou organisations internationales. En particulier, nous soulignons l’importance des cadres d’action actuels établis par le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les Nations Unies. Nous appelons toutes les parties prenantes, États comme organisations internationales, à envisager de mettre en place des politiques coordonnées et, quand elles existent déjà, à procéder à leur examen et à les actualiser si nécessaire avant fin 2018.

(10) Maintenir notre mobilisation commune contre le financement du terrorisme

Nous remercions le GAFI pour son rôle moteur dans la lutte contre le financement du terrorisme, ainsi que le FMI, l’OCDE, les Nations Unies et la Banque mondiale pour leur soutien constant.

Nous avons décidé de nous réunir à nouveau en 2019 pour faire le bilan des progrès accomplis et nous remercions l’Australie d’accueillir cette conférence.


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   Annexe N°3 : LES IX RECOMMANDATIONS SPÉCIALES DU GAFI


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   ANNEXE N° 4 : INSTRUMENTS JURIDIQUES INTERNATIONAUX ADOPTÉS POUR LUTTER CONTRE LE TERRORISME

 

Instruments concernant l’aviation civile

 

1. La Convention de 1963 relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs

S’applique aux actes qui compromettent la sécurité des aéronefs en vol ;

Autorise le commandant d’aéronef à prendre des mesures raisonnables, y compris les mesures de contrainte qui sont nécessaires pour garantir la sécurité de l’aéronef, à l’égard d’une personne dont il est fondé à croire qu’elle a commis ou est sur le point de commettre un acte de ce type ; et

Fait obligation à l’État contractant d’assurer la détention de l’auteur de l’infraction et de restituer le contrôle de l’aéronef au commandant légitime.

2. La Convention de 1970 pour la répression de la capture illicite d’aéronefs

Dispose que commet une infraction toute personne qui, à bord d’un aéronef en vol, illicitement et par violence ou menace de violence, s’empare de cet aéronef ou en exerce le contrôle ou tente de commettre l’un de ces actes ;

Fait obligation aux parties contractantes de réprimer l’infraction de « peines sévères » ;

Fait obligation aux parties contractantes qui en assurent la détention d’extrader les auteurs de l’infraction ou de soumettre l’affaire à leurs autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale ; et

Fait obligation aux parties contractantes de s’accorder l’entraide judiciaire la plus large possible dans toute procédure pénale engagée au titre de la Convention.

3. La Convention de 1971 pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile

Dispose que commet une infraction toute personne qui, illicitement et intentionnellement, accomplit un acte de violence à l’encontre d’une personne se trouvant à bord d’un aéronef en vol, lorsque cet acte est de nature à compromettre la sécurité de cet aéronef, place un engin explosif sur un aéronef, tente de commettre un tel acte, ou est le complice de la personne qui commet ou tente de commettre l’une de ces infractions ;

Fait obligation aux parties contractantes de réprimer ces infractions de « peines sévères » ; et

Fait obligation aux parties contractantes qui en assurent la détention d’extrader les auteurs de l’infraction ou de soumettre l’affaire à leurs autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale.

4. Le Protocole de 1988 pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports servant à l’aviation civile internationale, complémentaire à la Convention pour la répression d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile

Étend l’application des dispositions de la Convention de Montréal aux actes de terrorisme commis dans les aéroports servant à l’aviation civile internationale

5. La Convention de 2010 sur la répression des actes illicites dirigés contre l’aviation civile internationale

Érige en infraction le fait d’utiliser un aéronef civil comme une arme dans le but de provoquer la mort ou de causer des dommages corporels ou des dégâts ;

Érige en infraction le fait d’utiliser un aéronef civil pour déverser des substances biologiques, chimiques et nucléaires (BCN) ou des substances semblables dans le but de provoquer la mort ou de causer des dommages corporels ou matériels, ou le fait d’utiliser de telles substances pour attaquer un aéronef civil ;

Érige en infraction le fait de transporter illégalement des armes BCN ou certaines matières associées ;

Dispose que toute cyber-attaque sur des installations de navigation aérienne constitue une infraction ;

Dispose que la menace de commettre une infraction peut constituer une infraction, lorsqu’elle est crédible.

Dispose que toute entente en vue de commettre une infraction – ou toute entreprise équivalente – est répréhensible.

6. Le Protocole additionnel de 2010 à la Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs

Complète la Convention pour la répression de la capture illicite d’aéronefs en étendant son application à différentes formes de capture illicite d’aéronefs, notamment avec les moyens technologiques modernes ;

Intègre les dispositions de la Convention de Beijing concernant la menace de commettre une infraction et l’entente en vue de commettre cette infraction.

7. Protocole de 2014 portant amendement de la Convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs

 

Instrument concernant la protection du personnel recruté sur le plan international

 

8. La Convention de 1973 sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d’une protection internationale

Dispose que l’expression « personne jouissant d’une protection internationale » s’entend de tout chef d’État, de tout ministre des affaires étrangères, de tout représentant ou agent officiel d’un État ou d’une organisation internationale qui a droit à une protection spéciale dans un État étranger, ainsi que des membres de sa famille ;

Fait obligation à tout État partie d’ériger en infractions passibles de « peines appropriées qui prennent en considération leur gravité » le fait intentionnel de commettre un meurtre, un enlèvement ou une autre attaque contre la personne ou la liberté d’une personne jouissant d’une protection internationale, de commettre ou de menacer de commettre, en recourant à la violence, une attaque contre les locaux officiels, le logement privé ou les moyens de transport d’une personne, et « de participer en tant que complice » à une telle attaque.

Instrument concernant la prise d’otages

9. La Convention internationale de 1979 contre la prise d’otages

Dispose que « quiconque s’empare d’une personne ou la détient et menace de la tuer, de la blesser ou de continuer à la détenir afin de contraindre une tierce partie, à savoir un État, une organisation internationale intergouvernementale, une personne physique ou morale ou un groupe de personnes, à accomplir un acte quelconque ou à s’en abstenir en tant que condition explicite ou implicite de la libération de l’otage, commet l’infraction de prise d’otages au sens de la Convention. »

 

Instruments concernant les matières nucléaires

 

10. La Convention de 1980 sur la protection physique des matières nucléaires

Érige en infractions le recel, l’utilisation et la cession illicites ou le vol de matières nucléaires et la menace d’utiliser des matières nucléaires pour provoquer la mort ou blesser grièvement autrui ou causer des dommages considérables aux biens.

11. L’Amendement de 2005 à la Convention sur la protection physique des matières nucléaires

Contraint juridiquement les États parties à assurer la protection des installations nucléaires employées à des fins pacifiques en cours d’utilisation, en entreposage ou en cours de transport et celle des installations nucléaires utilisées à des fins pacifiques ;

Prévoit une coopération élargie entre les États pour assurer l’application de mesures rapides et complètes destinées à localiser et récupérer des matières nucléaires manquantes ou volées, à atténuer les conséquences radiologiques d’un sabotage, et à prévenir et combattre les infractions dans ce domaine.

Instruments concernant la navigation maritime

12. La Convention de 1988 pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime

Établit un régime juridique applicable aux actes commis contre la navigation maritime internationale qui est semblable aux régimes établis pour l’aviation internationale ;

Dispose que commet une infraction toute personne qui, illicitement et intentionnellement, s’empare d’un navire ou en exerce le contrôle par violence, menace de violence ou intimidation, accomplit un acte de violence à l’encontre d’une personne se trouvant à bord d’un navire, lorsque cet acte est de nature à compromettre la sécurité de la navigation du navire, place sur un navire un dispositif ou une substance propre à le détruire ou accomplit d’autres actes contre la sécurité des navires.

13. Le Protocole de 2005 à la Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime

Érige en infraction le fait d’utiliser un navire pour perpétrer un acte de terrorisme ;

Érige en infraction le transport de diverses matières à bord d’un navire, en sachant que celles-ci sont destinées à provoquer ou à menacer de provoquer la mort ou des dommages corporels ou matériels graves, dans l’intention de perpétrer un acte de terrorisme ;

Érige en infraction le transport à bord d’un navire de personnes ayant commis un acte de terrorisme ;

Institue des procédures d’arraisonnement des navires soupçonnés d’être impliqués dans la commission d’une infraction au regard de la Convention.

14. Le Protocole de 1988 à la Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plateformes fixes situées sur le plateau continental

Établit un régime juridique applicable aux actes perpétrés contre les plateformes fixes situées sur le plateau continental qui est semblable aux régimes établis pour l’aviation internationale.

15. Le Protocole de 2005 relatif au Protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plateformes fixes situées sur le plateau continental

Adapte au contexte des plateformes fixes situées sur le plateau continental les modifications apportées à la Convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime.

Instrument concernant les matières explosives

16. La Convention de 1991 sur le marquage des explosifs plastiques et en feuilles aux fins de détection

Vise à contrôler et à restreindre l’utilisation des explosifs plastiques non marqués et non détectables ;

Fait obligation aux Parties, dans leurs territoires respectifs, d’exercer un contrôle effectif sur les explosifs plastiques « non marqués », c’est-à-dire ceux qui ne contiennent pas un des agents de détection visés à l’annexe technique au traité ;

Fait notamment obligation à chaque État partie de prendre les mesures nécessaires et effectives pour interdire et empêcher la fabrication d’explosifs non marqués ; d’empêcher l’entrée sur son territoire ou la sortie de son territoire d’explosifs plastiques non marqués ; d’exercer un contrôle strict et effectif sur la détention et les échanges des explosifs non marqués qui ont été fabriqués ou introduits sur son territoire avant l’entrée en vigueur de la Convention ; de faire en sorte que tous les stocks d’explosifs non marqués qui ne sont pas détenus par ses autorités exerçant des fonctions militaires ou de police, soient détruits ou utilisés à des fins non contraires aux objectifs de la Convention, marqués ou rendus définitivement inoffensifs dans un délai de trois ans ; de faire en sorte que tous les stocks d’explosifs non marqués qui sont détenus par ses autorités exerçant des fonctions militaires ou de police, soient détruits ou utilisés à des fins non contraires aux objectifs de la Convention, marqués ou rendus définitivement inoffensifs dans un délai de quinze ans ; de s’assurer de la destruction, dès que possible, des explosifs non marqués fabriqués depuis l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de cet État.

Instrument concernant les attentats terroristes à l’explosif

17. La Convention internationale de 1997 pour la répression des attentats terroristes à l’explosif

Établit un régime de compétence universelle concernant l’utilisation illicite et intentionnelle d’un engin explosif ou autre engin meurtrier dans ou contre divers lieux publics, dans l’intention de provoquer la mort ou des dommages corporels graves, ou dans l’intention de causer des destructions massives de ce lieu.

 

Instrument concernant le financement du terrorisme

 

18. La Convention internationale de 1999 pour la répression du financement du terrorisme

Fait obligation aux Parties de prendre des mesures pour prévenir et empêcher le financement de terroristes, qu’il s’effectue soit de manière directe, soit indirectement, par l’intermédiaire d’organisations qui prétendent avoir un but caritatif, culturel ou social, ou qui sont également impliquées dans des activités illégales telles que le trafic de stupéfiants ou le trafic d’armes ;

Fait obligation aux États de tenir responsables aux plans pénal, civil ou administratif ceux qui financent le terrorisme ;

Prévoit l’identification, le gel ou la saisie des fonds alloués à des activités terroristes, ainsi que le partage des fonds provenant des confiscations avec d’autres États au cas par cas. Le secret bancaire ne saurait plus être invoqué pour justifier un refus de coopérer.

 

Instrument concernant le terrorisme nucléaire

19. La Convention internationale de 2005 pour la répression des actes de terrorisme nucléaire

S’applique à un large éventail d’actes et de cibles possibles, y compris les centrales et les réacteurs nucléaires ;

S’applique aux menaces ou tentatives de commettre de tels crimes ou d’y participer en tant que complice ;

Dispose que les auteurs de l’infraction doivent être extradés ou poursuivis ;

Engage les États à collaborer afin de prévenir les attaques terroristes en échangeant des renseignements et à s’entraider pour toute enquête et procédure pénale ;

Traite à la fois des situations de crise (assistance à apporter aux États pour régler la situation) et de la gestion de l’après-crise [mesures à prendre pour assurer la sûreté des matières nucléaires avec l’aide de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)].

 

 

 


—  1  —

   ANNEXE N°5 : LISTE DES ABRÉviations utilisées dans le rapport

  

 

A

 

ACPR

Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

AGRASC

Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués

AGNU

Assemblée générale des Nations Unies

AIEA

Agence internationale de l’énergie atomique

ALIPH

Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit

AMISOM

Mission de l’Union africaine en Somalie

AMON (réseau)

Anti-Money Laundering Operational Network

AMF

Autorité des marchés financiers

AMT

Association de malfaiteurs en matière terroriste

ASML

Association de soutien aux Médias libres

ARO

Asset Recovery Office

 

B

 

BCN (armes)

Biologiques, chimiques et nucléaires

BCRP

Bureau central du renseignement pénitentiaire

 

C

 

CARIN (réseau)

Camden Asset Recovery Interagency Network

CJUE

Cour de justice de l’Union européenne

CMF

Code monétaire et financier

CNAF

Caisse nationale d’allocations familiales

CNCT

Centre national de contre-terrorisme

CNIL

Commission nationale de l’informatique et des libertés

CNRLT

Coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme

CODSSY

Collectif de développement et secours syrien

COLB

Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme

CRF

Cellule de renseignement financier

 

D

 

DARI (Tracfin)

Département de l’analyse, du renseignement et de l'information

DCPJ

Direction centrale de la police judiciaire

DE (Tracfin)

Département des enquêtes

DECT

Direction exécutive du comité contre le terrorisme

DGSI

Direction générale de la sécurité intérieure

DGSE

Direction générale de la sécurité extérieure

DGTRESOR

Direction générale du Trésor

DILA

Direction de l'information légale et administrative

DLPAJ

Direction des libertés publiques et des affaires juridiques

DNRED

Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières

DNRTIS

Division nationale pour la répression du terrorisme international et séparatiste

DRM

Direction du renseignement militaire

DRPJ

Direction régionale de la police judiciaire

DRPP

Direction du Renseignement de la préfecture de police de Paris

DRSD

direction du renseignement et de la sécurité de la Défense

 

E

 

ECE

Équipes communes d’enquête

ECTC

Centre européen de lutte contre le terrorisme

EEE

Espace économique exclusif

EFIPPP 

Europol Financial Intelligence. Public Private Partnership

EME

Établissements de monnaie électronique

EUROJUST

Unité de coopération judiciaire de l'Union européenne

EUROPOL

European Police Office

 

F

 

FBF

Fédération bancaire française

FDS

Forces démocratiques syriennes

FICOBA

Fichier national des comptes bancaires et assimilés

FMI

Fonds monétaire international

 

G

 

GABAT

Groupe d’action sur le gel à but anti-terroriste

GAFI

Groupe d’action financière

GOLT

Groupe opérationnel de lutte contre le terrorisme

GPML

Global Program against Money-Laundering

 

I

 

ICE (US)

US Immigration and Customs Enforcement

ICOM

Conseil international des musées

IGA

Inspection générale de l’administration

IGAS

Inspection générale des affaires sociales

IRU

Internet Referral Unit

 

L

 

LCB/FT

Lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme

 

M

 

MINUSMA

Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali

O

 

OCBC

Office central de lutte contre le trafic des biens culturels

OCDE

Organisation de coopération et de développement

OCRGDF

Office central pour la répression de la grande délinquance financière

ONU

Organisation des Nations unies

ONUDC

Office des Nations unies contre la drogue et le crime

ORTG

Organismes régionaux de type GAFI 

 

P

 

PIAC

Plateforme d’identification des avoirs criminels

PSP/ME

Prestataires de services de paiement et de monnaie électronique

 

R

 

RCS

Registre du commerce et des sociétés

RNA

Répertoire national des associations

S

 

SAT

Section Anti-Terroriste

SCRT

Service central du renseignement territorial

SDAO

Sous-direction de l'anticipation opérationnelle

SDAT

Sous-direction anti-terroriste

SEPA

Single Euro Payments Area

SIENA

Secure Information Exchange Network Application

SNDJ

Service national de la douane judiciaire

SWIFT 

Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication

 

T

 

TAJ

Traitement d'antécédents judiciaires

TFTP

Terrorist Finance Tracking Program

TFTS 

Terrorist Finance Tracking System

TFUE

Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

TRACFIN

Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins

 

U

 

UCLAT

Unité de coordination de la lutte antiterroriste

UEOMA

Union économique et monétaire ouest africaine

UNESCO 

Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture

UOSSM

Union des organisations de secours et de soins médicaux

 

 

Organisations terroristes

 

AQMI

Al-Qaida au Maghreb islamique

AQPA

Al-Qaida dans la péninsule arabique

EIIL

État islamique d’Iraq et du Levant

GSIM

Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans

HTS

Hayat Tahrir al-Cham

 

 


([1]) Une mission d’information sur « les moyens de Daech » a présenté ses travaux en juillet 2016.

([2])  https://www.europol.europa.eu/activities-services/main-reports/european-union-terrorism-situation-and-trend-report-2018-tesat-2018

([3])  http://visionofhumanity.org/app/uploads/2018/12/Global-Terrorism-Index-2018-1.pdf

([4])  Il s’agit là des actes de terrorisme dans leur ensemble et non seulement du terrorisme islamiste.

([5])  https://www.la-croix.com/Monde/En-Syrie-califat-chancele-partisans-revent-retour-sanglant-2019-03-08-1301007366

([6])  Issu en 2017 de la fusion du Front Fatah al-Cham, du Harakat Nour al-Din al-Zenki, du Front Ansar Dine, du Liwa al-Haq, de Jaych al-Sunna et de Jaych al-Ahrar.

([7])  https://globalinitiative.net/wp-content/uploads/2018/09/Atlas-Illicit-Flows-FINAL-WEB-VERSION-copia-compressed.pdf

([8])  Le rapport inclut dans ce calcul les Shebabs, Boko Haram, les FARC, Hayat Tahrir al-Cham, le GSIM, l’État islamique et les Talibans, ainsi que les principaux groupes actifs à l’est de la République démocratique du Congo.

([9])  https://icsr.info/wp-content/uploads/2017/02/ICSR-Report-Caliphate-in-Decline-An-Estimate-of-Islamic-States-Financial-Fortunes.pdf

([10])  Données fournies à vos rapporteures en audition.

([11])  « En Irak, la difficile traque de l’argent de l’EI », Hélène Sallon, édition du 24 avril 2018.

([12])  Voir notamment les analyses de Colin P. Clarke, « An overview of current trends in terrorism and illicit finance », RAND corporation, Septembre 2018.

([13])  « Les responsabilités sont largement partagées et je ne veux ici stigmatiser personne parce que je crois que la force de cette réunion c'est d'être tous rassemblés mais regardons les choses en face y compris parfois dans des années récentes, nous avons pensé que c'était une bonne idée de financer tel ou tel groupe pour essayer de contrebalancer l'influence de telle puissance, de telle sensibilité religieuse, de telle puissance régionale et nous avons été parfois collectivement des apprentis-sorciers soit par naïveté, soit par conviction, le résultat a été le même. Beaucoup trop de pays ont nourri des mouvements directement terroristes ou liés au terrorisme pensant défendre leur intérêt propre dans la région ou pensant contrecarrer les intérêts d'une puissance hostile, c'est cela ce qui a été fait. »

([14])  https://henryjacksonsociety.org/wp-content/uploads/2017/07/Foreign-Funded-Islamist-Extremism-final.pdf.

([15])  http://www.leparisien.fr/faits-divers/lutte-contre-le-financement-de-daech-l-argent-permet-d-identifier-des-terroristes-25-04-2018-7683828.php

([16])  https://cat-int.org/wp-content/uploads/2016/06/ISIS-Financing-2015-Report.pdf

([17])  https://icsr.info/wp-content/uploads/2017/02/ICSR-Report-Caliphate-in-Decline-An-Estimate-of-Islamic-States-Financial-Fortunes.pdf

([18])  En mars 2018 en Espagne, un marchand d’art et de deux experts ont été interpellés pour commerce d’objets antiques volés sur des sites archéologiques libyens.

([19])  Ce constat a également été mis en avant par le rapport du comité de surveillance des Nations unies.

([20])  http://cat-int.org/wp-content/uploads/2017/03/Note-interm%C3%A9diaire-commerce-illicite-d%C3%A9cembre-2016.pdf

([21])  « Enjeux et défis du Sahel en matière de terrorisme ».

([22])  https://www.ffi.no/no/Rapporter/14-02234.pdf

([23])  https://www.wsj.com/articles/bitcoin-paypal-used-to-finance-terrorism-indonesian-agency-says-1483964198

([24])  https://www.justice.gov/opa/pr/virginia-teen-pleads-guilty-providing-material-support-isil

([25])  Tracfin, rapport d’analyse 2017-2018, p. 19.

([26])  En vertu de la liberté d’association, tout individu est libre de constituer une association sans avoir besoin d’une autorisation préalable, tout individu est libre d’adhérer à une association et de s’en retirer à tout moment.

([27])  Trois conditions cumulatives sont exigées : avoir été régulièrement déclarée, avoir trois années d’existence au minimum, sauf dérogation visée au dernier alinéa de l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901, que l’ensemble de ses activités soit mentionné au b du 1 de l’article 200 du code général des impôts.

([28])  Si une subvention excède 23K€, une convention doit être obligatoirement conclue.

([29])  Voir l’article L.612-4 du code de commerce.

([30])  Voir l’article 25-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et les articles 15 du décret 2017-908 du 6 mai 2017.

([31])  1. Convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs (La Haye, 16 décembre 1970).

2. Convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile (Montréal, 23 septembre 1971).

3. Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d'une protection internationale, y compris les agents diplomatiques, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 14 décembre 1973.

4. Convention internationale contre la prise d'otages, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 17 décembre 1979.

5. Convention internationale sur la protection physique des matières nucléaires (Vienne, 3 mars 1980).

6. Protocole pour la répression d'actes illicites de violence dans les aéroports servant à l'aviation civile internationale, complémentaire à la Convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile (Montréal, 24 février 1988).

7. Convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime (Rome, 10 mars 1988).

8. Protocole pour la répression d'actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental (Rome, 10 mars 1988).

9. Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 15 décembre 1997.

([32])  GAP, GAFIC, Groupe Eurasie, GABAOA, GABAC, GAFILAT, GIABA, GAFIMOAN et groupe Moneyval au niveau du Conseil de l’Europe.

([33])  http://www.oecd.org/fr/apropos/budget/contributions-pays-membres.htm

([34])  La dernière évaluation de la France remonte à 2011.

([35]) Le premier cercle du renseignement comporte les services suivants : la DGSE, la DRSD, la DRM, la DGSI, la DNRED et Tracfin.

([36])  En vertu du principe de réciprocité, le demandeur ne sollicite que des informations qu’il serait susceptible d’obtenir dans son pays.

([37])  Directive 2015/849.

([38])  Ce profil de risque repose sur une évaluation en deux étapes : l’évaluation du risque inhérent d’une part, et l’évaluation du dispositif de gestion du risque blanchiment des capitaux / financement du terrorisme et de contrôle interne de l’organisme en question d’autre part.

([39])  Ou du « blanchiment du produit d'une infraction punie d'une peine privative de liberté supérieure à un an ».

([40])  Voir notamment https://www.foreignaffairs.com/articles/2017-06-13/dont-follow-money

([41])  Ce montant s’explique par l’amende de 50 millions d’euros prononcée à l’encontre de La Banque postale, sanctionnant l’absence d’un dispositif de gel des avoirs couvrant son activité de « mandats cash ».

([42])https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000021712355&dateTexte=&categorieLien=id

([43])  https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000034938469&categorieLien=id

([44])  Abrogé par l’arrêté du 2 août 2018 portant organisation de l’unité de coordination de la lutte anti-terroriste https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2018/8/2/INTC1821649A/jo/texte

([45])  Voir les articles L. 112-6 et D. 112-3 du CMF.

([46])  Des cartes prépayées ont été utilisées pour des activités logistiques, en amont des attaques.

([47])  Au chapitre 1er relatif aux actes de terrorisme du titre II du livre IV.

([48])  La définition des zones est celle qui est retenue dans le code de la sécurité intérieure à l’article L. 224-1 s’agissant de l’interdiction de sortie du territoire.

([49])  La Fédération bancaire française compte 347 adhérents, soit l’ensemble des banques travaillant en France, dont les banques étrangères et en ligne.

([50])  http://codssy.org/defense-daider/

([51])  https://www.charityandsecurity.org/FinAccessReport

([52])  Projet de directive fixant les règles facilitant l’utilisation d’informations financières et d’autre nature aux fins de la prévention et de la détection de certaines infractions pénales, et des enquêtes et des poursuites en la matière.

([53])  En vertu du paragraphe 13  « Les décisions de gel et les décisions de confiscation qui sont émises dans le cadre de procédures en matière civile ou administrative devraient être exclues du champ d'application du présent règlement. »

([54])  En vertu de l’article L561-46 du CMF et de l’article L.123-1 du Code de commerce, sont visées les personnes morales suivantes : les sociétés non cotées ou GIE ayant leur siège en France, les sociétés commerciales dont le siège est situé hors de France et qui ont un établissement dans un des départements français et les autres personnes morales dont l’immatriculation est prévue par les dispositions législatives ou réglementaires.

([55])  Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication.

([56])  https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/062d4e71-d2c1-4dea-a4b6-8eca2c97c8b3/files/3dbfcdbf-5128-4ea6-be6d-47616002b4f7

([57])  Décret n° 2016-1742 du 15 décembre 2016 relatif au plafonnement des cartes prépayées.

([58])  Arrêté du 18 avril 1957 portant fixation des modalités d'application de l'article 391 du code des douanes relatif à la répartition des produits des amendes et confiscations

([59])  La législation en vigueur aux États-Unis (Section 314 (a) et (b) du Patriot Act) permet des échanges d’informations plus fluides entre le secteur financier et les autorités américaines.

([60])  Voir article 26 bis a : « 1° le service de conservation pour le compte de tiers actifs numériques ou d’accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques, 2° le service d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal ».

([61])  Selon le vice-président du Conseil français du culte musulman, plus de 90% des mosquées relèvent aujourd’hui de la loi de 1901. Voir https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/01/08/loi-de-1905-le-conseil-francais-du-culte-musulman-rassure-par-macron_5406280_3224.html