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N° 2025

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 juin 2019.

RAPPORT DINFORMATION

DÉPOSÉ

en application de larticle 145-7 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

sur lévaluation de la loi n° 2016-138
du 11 février 2016 relative à la lutte
contre le gaspillage alimentaire

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Graziella MELCHIOR et M. Guillaume GAROT

Députés.

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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. Qui gaspille et combien ? LE défi de la quantification du gaspillage alimentaire

A. Mesurer le gaspillage tout au long de la chaîne ALIMENTAIRE : un défi méthodologique

1. Des données encore trop générales ou lacunaires

2. Le groupe de travail ADEME « indicateurs et mesures », pour un indicateur commun prometteur

3. Vers une méthodologie européenne de suivi du gaspillage

B. Des études pilotes permettent néanmoins dappréhender limportance du gaspillage alimentaire par secteur en France

1. Dans le secteur agroalimentaire

2. Dans le secteur de la distribution

3. Dans le secteur de la restauration

4. Au sein des ménages

C. Lévaluation de la loi de 2016 doit donc dépasser le bilan statistique

II. un bilan positif salué par lensemble des acteurs, qui ont identifié des axes de progrès

A. Le vecteur dune prise de conscience générale ayant conduit à un changement de culture et a de nombreuses avancées concrètes

B. Des principes importants et un apport primordial : la sécurisation du cadre juridique du don alimentaire

1. Linterdiction de détruire des denrées : un nouveau rapport à lalimentation

2. La reconnaissance dune hiérarchie des actions de lutte contre le gaspillage alimentaire

3. Le conventionnement du don alimentaire entre les grandes et moyennes surfaces et les associations habilitées

4. Laccent porté sur la nécessité daméliorer léducation alimentaire des jeunes à lécole

5. La lutte contre le gaspillage alimentaire dans la responsabilité sociale des entreprises

C. la mise en œuvre de la loi rencontre néanmoins des freins réglementaires et pratiques

1. Des contrôles manifestement insuffisants

2. Une qualité des dons parfois problématique

3. Une incitation publique qui demeure nécessaire : la déduction fiscale des dons alimentaires

D. La loi de 2016 a parfois été perçue uniquement comme une loi sur le don alimentaire

1. Le délicat équilibre de la hiérarchie de la lutte contre le gaspillage alimentaire

2. Un dispositif contraignant qui ne touche quune partie de la filière agroalimentaire

III. La loi de 2016 au fondement dune politique publique

A. La loi dite « EGALIM » a approfondi les exigences fixées par la loi de 2016

1. Plusieurs dispositions de la loi de 2016 ont été précisées

2. Lextension de la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire dans la restauration collective et dans le secteur agroalimentaire

3. Lévolution du cadre réglementaire doit rester cohérente avec la philosophie de la loi de 2016

B. la loi a contribué à stimuler un véritable écosystème de la lutte contre le gaspillage alimentaire

1. Lécosystème pré-loi existait et reposait sur les associations daide alimentaire

2. La loi et un contexte favorable à léconomie sociale et solidaire ont contribué à lémergence dintermédiaires et dapplications innovants

3. Une politique à structurer dans les territoires : une clé de réussite

IV. Les propositions de la mission

1. Davantage de contrôles et des sanctions plus fermes

2. Un label « anti-gaspi » et une fiscalité écologique cohérente : donner plutôt que jeter

3. Des produits sans limitation de date

4. Un Fonds national de lutte contre le gaspillage alimentaire

5. Associer les petits commerces alimentaires à la lutte contre le gaspillage alimentaire par le don

6. De nouveaux gisements daliments à sauver de la poubelle

7. Favoriser les dons entre particuliers en clarifiant les responsabilités juridiques

8. Davantage de traçabilité : les dates de consommation dans les codes-barres

9. Mieux coordonner la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire

10. Achats publics : intégrer des recommandations « anti-gaspi »

11. La lutte contre le gaspillage dans les enseignements scolaires

12. Donner une définition législative au gaspillage alimentaire

13. Transparence : une enquête nationale de mesure du gaspillage alimentaire

14. Mettre en place une politique de prévention du gaspillage du champ à lassiette

CONCLUSION

Synthèse des propositions

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexe : Liste des personnes auditionnées


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   introduction

Le présent rapport a pour objet de conduire lévaluation parlementaire de la loi  2016-138 du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire (ci-après, « loi de 2016 » ou « Loi Garot »). Conformément à l’article 145-7 du Règlement de l’Assemblée nationale, cette évaluation s’effectue dans un délai de trois ans suivant l’entrée en vigueur de la loi. Elle est menée par deux rapporteurs, dont l’un appartient à un groupe d’opposition. La commission des affaires économiques a nommé, dans ces fonctions, Mme Graziella Melchior (groupe La République en Marche) et M. Guillaume Garot (groupe Socialistes et apparentés), qui fut le rapporteur de ce texte.

Le gaspillage alimentaire pose trois questions fondamentales au citoyen, au consommateur et au décideur public ou privé :

‑ produit de notre société de consommation et même de surconsommation, il nous interroge sur notre éthique de production et de consommation ;

‑ contributeur aux changements climatiques, il nous questionne sur le caractère durable et soutenable de nos comportements et de nos modes de production et de consommation ;

‑ facteur de perte de pouvoir d’achat, il nous interroge enfin sur son aberration économique, affectant aussi bien le producteur et le consommateur, en passant par le transformateur ou le distributeur.

Le gaspillage alimentaire est donc dabord un problème de société. Produire pour jeter : un non-sens, une absurdité. Il nous renvoie frontalement au fait que, collectivement, nous surproduisons, nous surconsommons et nous jetons l’excédent, de façon massive, sans que les causes soient recherchées ou que les conséquences en soient tirées – ou, en tout cas, trop insuffisamment. Alors que la précarité alimentaire demeure une réalité des sociétés développées du XXIe siècle, le modèle de l’hypermarché encourage les ménages à acquérir des denrées périssables par lots de douze, à coups de promotions alléchantes largement financées par la pratique de prix trop bas que subissent les fournisseurs, au premier rang desquels figurent les agriculteurs. Toutefois, la responsabilité de cette perte des justes proportions et de cette dévalorisation de la nourriture est collective. Ce qui veut dire que la lutte contre le gaspillage alimentaire est également un enjeu collectif et politique.

Le gaspillage alimentaire contribue ensuite à la crise écologique que nous traversons. Selon des données de 2011, la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, révélait qu’un tiers de toute l’alimentation produite au niveau mondial n’atteignait jamais l’assiette du consommateur([1]). Ce gaspillage alimentaire correspond à une empreinte écologique équivalente à celle d’un pays entier – plus précisément, si c’était un pays, ce serait le 3e plus gros émetteur de CO2 après les États-Unis et la Chine. Si la France cessait de gaspiller ses denrées alimentaires, elle réduirait ses émissions de 3 %, selon une étude pionnière de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) parue en 2016 ([2]). Les impacts négatifs du gaspillage alimentaire sur l’environnement ne se limitent pas au réchauffement climatique : pollution des sols et des océans, production de plastiques, etc. La prise de conscience citoyenne du caractère insoutenable du gaspillage alimentaire devient, heureusement, plus forte chaque jour, comme en témoigne la mobilisation des lycéens pour le climat. En France, le Président de la République a souligné à l’issue du Grand débat national que la transition la plus urgente est le climat, qui doit être au cœur du projet national et européen.

Le gaspillage alimentaire est, enfin, une aberration économique : perte de production pour l’amont de la filière agroalimentaire, « casse » pour les distributeurs, perte de pouvoir d’achat pour les consommateurs. Pourtant, le gaspillage alimentaire demeure substantiel alors même que notre pays traverse une crise du pouvoir d’achat et que la précarité alimentaire touche au moins une personne sur cinq, selon le baromètre 2018 du Secours populaire. Selon l’étude de l’ADEME de 2016, précitée, 16 milliards d’euros sont ainsi perdus chaque année au titre du gaspillage et des pertes alimentaires, tandis que les ménages subissent une perte de pouvoir d’achat de 108 euros par an et par personne. Les autres acteurs de la filière ne sont pas en reste : la perte de denrées au stade de la distribution dépasse la valeur de 4,5 milliards d’euros ; la transformation de la nourriture servant d’intrant à l’industrie agroalimentaire contribue à perdre pour 2,2 milliards d’euros de denrées ; enfin, les producteurs eux-mêmes, toujours selon l’ADEME, perdent l’équivalent de 2 milliards d’euros.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics ont voulu prendre leurs responsabilités et bâtir une politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire. Adoptée en 2016, après un premier Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire signé en 2013, la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire a, comme le présent rapport va en témoigner, accéléré la prise de conscience collective du problème sociétal, environnemental et économique que constitue le gaspillage alimentaire. La loi a conféré une force symbolique manifeste à ce combat ; elle a également posé un cadre juridique clair et fixé des règles, reconnues par l’ensemble des professionnels de la filière.

Pour autant, la loi ne résume pas à elle seule la lutte contre le gaspillage alimentaire. Étape centrale d’une politique en cours de structuration, elle a notamment été complétée par la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi « Egalim ». Tandis que la loi de 2016 se concentrait sur le secteur de la distribution, la loi de 2018 a habilité le Gouvernement à prendre des mesures, par ordonnances, pour l’élargir au secteur de la restauration collective et aux opérateurs agroalimentaire. Les ordonnances doivent être publiées avant la fin du mois de juillet 2019.

Les dispositions de la loi de 2018 sont issues, en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire, des travaux de l’atelier n° 10 des États généraux de l’alimentation. Plusieurs propositions du présent rapport reprennent d’ailleurs des conclusions de ce travail.

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Le présent rapport porte donc sur l’évaluation de la loi de 2016, et a pour objet, selon les termes de l’article 145-7 du Règlement, précité, de faire « état des conséquences juridiques, économiques, financières, sociales et environnementales de la loi (…) ainsi que des éventuelles difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de ladite loi ».

Une première partie dresse l’état des lieux de la connaissance quantitative du gaspillage alimentaire, phénomène complexe et difficile à saisir statistiquement et tente de tirer quelques éléments de bilan quantitatif de la loi, dans l’attente des travaux actuellement en cours. Une deuxième partie porte sur une approche plus qualitative, qui a permis aux nombreux acteurs rencontrés par la mission de faire-valoir leurs attentes initiales sur la loi de 2016, les effets qu’ils ont pu mesurer et la manière d’aller plus loin, si besoin en était.

Enfin, les rapporteurs proposent une série de 14 propositions, étayées par le fruit des auditions et par celui de leurs réflexions et de leur expérience du sujet. Si toutes ne sont pas de nature législative, elles s’inscrivent directement dans la philosophie de la loi de 2016.

Il faut rappeler que la France est à la proue de la lutte contre le gaspillage alimentaire au niveau mondial. Les mesures de la loi de 2016 ont essaimé et ont directement inspiré plusieurs politiques nationales, comme la Finlande, la Suède, le Pérou ou encore la Malaisie. Au niveau européen, le début de la nouvelle législature doit être l’occasion pour la France de reprendre le flambeau de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Elle doit faire valoir son expérience et promouvoir son savoir-faire auprès des autres États membres de l’Union européenne et plaider pour une harmonisation des législations dans un sens favorable à une meilleure lutte contre le gaspillage alimentaire.


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I.   Qui gaspille et combien ? LE défi de la quantification du gaspillage alimentaire

La mission d’évaluation a dû adapter sa méthode à l’état des connaissances empiriques du gaspillage alimentaire, dont la définition et les outils de mesure sont encore en phase de construction.

A.   Mesurer le gaspillage tout au long de la chaîne ALIMENTAIRE : un défi méthodologique

1.   Des données encore trop générales ou lacunaires

Le gaspillage alimentaire est un objet d’étude extrêmement difficile à délimiter et à mesurer, ce qui rend complexe l’évaluation quantitative des progrès réalisés depuis 2016. La rareté des données est à souligner. Certains acteurs ignorent eux-mêmes ce qu’ils gaspillent faute de protocoles de collecte de données. D’autres sont réticents à les communiquer par peur du risque d’atteinte à leur image de marque ou parce qu’ils ne considèrent pas certains déchets valorisés comme du gaspillage. D’autre part, estimer les pertes est difficile en raison de l’hétérogénéité des procédés de production, de transformation ou de distribution.

Par exemple, au sein de l’industrie agroalimentaire, la définition d’indicateurs chiffrés agrégés manquerait de sens, car les filières de production sont différemment exposées au risque de pertes alimentaires. La filière du sucre, par exemple, connaît peu de transformation et peu de gaspillage. Au contraire, la filière de la viande, qui est beaucoup transformée entre l’abattoir et le produit final, engendre mécaniquement plus de pertes.

Le périmètre du gaspillage alimentaire est néanmoins précisé au niveau national depuis le Pacte national contre le gaspillage alimentaire lancé en 2013, qui définit les pertes alimentaires (ou « pertes matière ») comme « toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à une étape de la chaîne alimentaire, est perdue, jetée, dégradée », quelle que soit sa valorisation. Le gaspillage alimentaire, lui, comprend uniquement les pertes qui ne sont pas valorisées en alimentation humaine, comme présenté ci-dessous ([3]) :

Cette définition fait l’objet d’un relatif consensus, bien que des débats existent encore sur la qualification en gaspillage des pertes valorisées en alimentation animale, qui sont considérées par certaines institutions ou pays étrangers comme restituées indirectement à l’alimentation humaine.

La référence pour quantifier le gaspillage alimentaire en France demeure l’étude de l’ADEME publiée en mai 2016, après l’adoption de la loi de 2016 ([4]). Fondée sur l’interrogation et le recueil de données auprès de 570 acteurs intervenant dans les différentes filières de l’alimentation, aux stades de la production, de la transformation, de la distribution et de la consommation, elle a permis d’établir que le gaspillage alimentaire :

– s’élève à 10 millions de tonnes par an ;

– représente une valeur de 16 milliards d’euros annuels ;

– pèse 3 % du bilan carbone national (soit 15,3 millions de tonnes équivalent CO2).

Cette étude constitue un état des lieux à date fixe, et non un indicateur de suivi périodique permettant d’évaluer les effets de la loi de 2016. Une évaluation quantitative de celle-ci a bien été commandée par le ministère de l’agriculture au cabinet EY, mais les résultats ne seront connus qu’en septembre 2019.

2.   Le groupe de travail ADEME « indicateurs et mesures », pour un indicateur commun prometteur

La construction d’un indicateur commun à toutes les filières, qui permettrait l’évaluation des progrès d’une politique nationale de réduction du gaspillage, a connu des progrès significatifs depuis 2016. L’ADEME pilote au sein des acteurs du Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire le groupe de travail « indicateurs et mesures », composé de quatre sous-groupes réunissant les acteurs spécialisés dans la production, la transformation, la distribution et la consommation de denrées.

L’objectif est de développer, pour et par les acteurs, des dispositifs d’observation pour chaque maillon de la chaîne permettant de montrer que les acteurs répondent à l’objectif d’une réduction de 50 % du gaspillage alimentaire d’ici 2025. Par la suite, un travail statistique pourra permettre à moyen terme de proposer un chiffrage total national, malgré des zones d’ombre pouvant subsister concernant les retraits ou rappels des industries agroalimentaires et de la grande distribution, ou les marchés de plein air, etc. ([5])

Cet indicateur pourrait reposer sur les données concernant les volumes de biodéchets dont peuvent disposer la plupart des acteurs de la production, de la transformation, de la distribution et de la consommation de denrées. Le cas des ménages nécessiterait une étude particulière. Ensuite, par un travail d’extrapolation à partir d’un échantillon représentatif de chaque secteur et de chaque catégorie d’acteurs, des statistiques robustes pourraient être publiées. La réalisation de ces échantillons et la production de l’indicateur sont donc des chantiers importants, qui doivent aboutir en 2020.

Vos rapporteurs sont conscients des obstacles à surmonter et du temps nécessaire pour que le groupe de travail de l’ADEME parvienne à un résultat stable et pertinent. Ils insistent toutefois sur la nécessité de construire sans tarder une méthodologie cohérente, notamment pour répondre aux nouvelles exigences européennes en matière de suivi du gaspillage alimentaire.

3.   Vers une méthodologie européenne de suivi du gaspillage

La Commission européenne estime qu’environ 20 % des denrées produites dans l’Union européenne (UE) sont perdues annuellement. Des instruments pour une politique de lutte contre le gaspillage alimentaire se structurent donc aussi au niveau européen, conformément à la directive (UE) 2018/851 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets qui considère que : « les États membres devraient mesurer les progrès accomplis dans la réduction des déchets alimentaires. Pour mesurer ces progrès et afin de faciliter l’échange de bonnes pratiques dans l’ensemble de l’Union, à la fois entre les États membres et entre les exploitants du secteur alimentaire, une méthodologie commune devrait être établie pour ce type de mesures. Sur la base de cette méthodologie, la communication d’informations sur les niveaux de gaspillage alimentaire devrait s’effectuer sur une base annuelle ».

L’évaluation de la loi de 2016 s’inscrit à part entière dans les objectifs de cette directive, dont l’article 9 dispose que  « les États membres suivent et évaluent la mise en œuvre de leurs mesures de prévention des déchets alimentaires en mesurant les niveaux de déchets alimentaires sur la base de la méthodologie établie par l’acte délégué visé au paragraphe 8 ». Cet acte délégué, adopté par la Commission européenne le 3 mai 2019, a établi une méthodologie commune au niveau européen visant à mesurer le volume de déchets alimentaires, sur la base de laquelle les États membres devront remettre leurs données à partir de mi-2022.

L’acte délégué précise quels déchets doivent être mesurés comme gaspillage alimentaire, pour chaque stade de la chaîne d’approvisionnement : production primaire, transformation et fabrication, commerce de détail et autres formes de distribution, restauration et ménages. La quantité gaspillée « est déterminée en mesurant le volume de déchets alimentaires généré par un échantillon d’exploitants du secteur alimentaire ou de ménages, selon l’une des méthodologies suivantes ou une combinaison de ces méthodologies, ou selon toute autre méthodologie équivalente sur le plan de la pertinence, de la représentativité et de la fiabilité ». La Commission laisse donc une part de liberté aux États membres dans le choix méthodologique du mode de mesure, mais fixe des standards de qualité. Les méthodes à mobiliser en priorité sont :

– mesure directe : pesée ou évaluation volumétrique ;

– scanning/comptage : évaluation du nombre d’éléments constitutifs des déchets alimentaires et utilisation des résultats pour en déterminer la masse ;

– analyse de la composition des déchets : séparation physique des déchets alimentaires d’autres fractions afin de déterminer la masse des fractions triées ;

– registres d’informations actualisés de manière régulière.

Ces ambitions communautaires sont saluées par vos rapporteurs, qui y voient un facteur d’accélération de la recherche française en cours sur les outils de mesure du gaspillage alimentaire ainsi qu’une internationalisation de la lutte engagée de manière pionnière dans notre pays.

B.   Des études pilotes permettent néanmoins d’appréhender l’importance du gaspillage alimentaire par secteur en France

Si un indicateur global est encore en préparation, des études menées par des acteurs de l’alimentation nous permettent d’estimer quantitativement le gaspillage alimentaire à différents niveaux.

1.   Dans le secteur agroalimentaire

20 sites de transformation ont bénéficié, durant 9 mois en 2018, de l’accompagnement du programme « Industries agroalimentaires (IAA) témoins contre les pertes & gaspillages alimentaires » de l’ADEME, précité. Ce programme a d’abord procédé à un diagnostic initial, avant d’élaborer des plans d’actions concrets, mis en œuvre et suivis dans un troisième temps.

Les plans ont permis de faire émerger une dizaine de catégories d’actions particulièrement efficaces, parmi lesquelles la recherche de nouvelles voies de valorisation des pertes, les investissements dans de nouvelles machines plus économes en déchets, ou encore la révision des exigences des clients du secteur de la distribution, qui peuvent pousser à la constitution de rebuts finalement jetés (calibrage des produits, quantités livrées, etc.).

Les résultats ont mis en lumière les bénéfices rapides et significatifs d’une démarche d’accompagnement des industriels ([6]). Après seulement quelques mois, des actions simples ont permis de réduire en moyenne le gaspillage alimentaire de 18 %, la part de chiffre d’affaires représentée par les pertes diminuant de 12,8 %, et l’empreinte carbone des pertes de 14 %.

Source : ADEME

Parmi les entreprises bénéficiaires, la conserverie de poisson bretonne Jean-François Furic a ainsi pu agir contre ses deux principales sources de gaspillage : les chutes au sol en usine et les pertes lors des levées de filets. En investissant dans une machine d’extraction de chair afin de limiter les pertes au parage des maquereaux, et en diversifiant la revalorisation des collets de sardines, le site a atteint 97 % de ses objectifs et attend l’économie d’environ 140 tonnes de pertes annuelles !

De même, certains partenaires industriels ont pu économiser en moyenne près de 60 tonnes de nourriture, ce qui a toutefois nécessité la mobilisation de plusieurs salariés et des investissements dans la modernisation de l’appareil productif. Parfois, des modifications purement techniques suffisent à supprimer certaines pertes. Ainsi, dans le site de production Jacquet Brossard, 35 % des pertes économisées recensées dans l’expérimentation proviennent d’une nouvelle façon de couper le talon du pain de mie.

La Confédération générale de l’alimentation en détail (CGAD) émet toutefois un bémol : la mise en place, dans une entreprise, d’une démarche d’audit ou d’une méthodologie de mesure du gaspillage alimentaire peut être une source d’inquiétude pour les salariés. En effet, sur une chaîne de production, l’analyse des sources de pertes de production pourrait conduire à mettre en cause le facteur humain ou à mettre en place des procédures vécues comme de la surveillance.

2.   Dans le secteur de la distribution

Vos rapporteurs ont constaté l’absence dommageable de données sur le gaspillage alimentaire dans le secteur de la grande distribution, qui est pourtant au cœur du dispositif de la loi de 2016.

La Fédération française des banques alimentaires (FFBA) a néanmoins fourni quelques données à vos rapporteurs, permettant de dévoiler des ordres de grandeur. Ainsi, le bilan de la collecte de denrées (dons et ramasse) auprès des magasins et des plateformes de distribution se chiffre à 41 000 tonnes en 2016, 46 000 tonnes en 2017 et 48 000 tonnes en 2018.

Le groupe Carrefour est, pour sa part, un des rares acteurs de la distribution à avoir pu présenter à la mission d’évaluation des données agrégées du don alimentaire, souvent difficilement accessibles aux réseaux de franchisés ou d’indépendants. Groupe coté et intégré, Carrefour fait mention dans son reporting RSE de dons s’élevant à :

– 2014 : 88 millions de repas ;

– 2015 : 100 millions de repas ;

– 2016 : 102 millions de repas ;

– 2017 : 107 millions de repas ;

– 2018 : 76 millions de repas.

Le groupe explique cette baisse significative en 2018 par la mise en place de sa politique de prévention du gaspillage. Le groupe utilise, pour rapporter le poids de dons en nombre de repas, l’indicateur de la FFBA : un repas représente environ 500 grammes ; 100 millions de repas représentent donc 50 tonnes de dons.

3.   Dans le secteur de la restauration

L’estimation des pertes en hôtellerie et restauration a fait l’objet d’une expérimentation du Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers traiteurs (GNI-Synhorcat) à Nantes. Celle-ci a montré que le gaspillage intervenait à toutes les étapes de la vie des produits, de la réception et du stockage des denrées, jusqu’aux retours d’assiettes des clients en passant par la phase de préparation ([7]).

L’étude a fait apparaître des disparités entre cuisine d’assemblage et cuisine « fait maison », la seconde engendrant plus de gaspillage. La cuisine d’assemblage produit en moyenne 74 g de gaspillage par client, pour une valeur de 0,34 €, contre 307 g par client en moyenne pour le « fait maison », pour un coût matière de 1,94 €. Tous types de restaurateurs confondus, entre deux et dix tonnes de biodéchets sont générés annuellement par restaurant, pour un coût estimé entre 3 000 et 33 000 € par restaurant.

Des actions simples ont néanmoins fait preuve d’efficacité permettant de diminuer de 10 à 20 % le gaspillage alimentaire au sein du restaurant. Ces mesures incluent une meilleure surveillance de la date limite des produits, une diminution du volume des commandes, la rotation des stocks et la formation du personnel. Comme pour les industries agroalimentaires, cette enquête a donc permis de cerner des pistes d’amélioration à partir d’un travail d’enquête réalisé auprès de professionnels.

4.   Au sein des ménages

Trois associations de consommateurs, Familles rurales, Consommation logement cadre de vie (CLCV) et la Confédération syndicale des familles (CSF), sont, avec le soutien de l’ADEME, engagées dans une opération « Zéro Gâchis Académie » visant à évaluer le gaspillage au domicile de 250 foyers témoins. Alors qu’une grande part du gaspillage alimentaire intervient au niveau du foyer ([8]), recueillir des données sur les ménages est essentiel. La collecte de telles données représente néanmoins un défi méthodologique. La « Zéros Gâchis Académie » a ainsi procédé à des périodes de pesées entre janvier et avril 2019, entrecoupées de phases consacrées à des ateliers de sensibilisation. Les rapporteurs se félicitent donc de cette initiative, dont les résultats seront communiqués le 16 octobre 2019 lors de la journée de lutte contre le gaspillage alimentaire.

Le projet de recherche-action « Sens Gaspi » mené conjointement par CLCV, l’université de Nîmes et le bureau de recherche Environnons, avec le financement de l’ADEME, vise également à quantifier le gaspillage alimentaire auprès de foyers témoins aux profils variés et à les accompagner vers une diminution de celui-ci. « Sens Gaspi » prévoit notamment, entre mai 2019 et janvier 2020, des visites à domicile et des ateliers collectifs afin d’identifier les bonnes pratiques et de mettre en place des gestes simples réduisant le gaspillage au quotidien.

C.   L’évaluation de la loi de 2016 doit donc dépasser le bilan statistique

Le constat fait dans les développements précédents est que le besoin d’une culture statistique du gaspillage alimentaire se fait ressentir de manière urgente. Sans les chiffres, l’évaluation de la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire avance à l’aveugle.

Vos rapporteurs ont également dû adapter leur propre démarche d’évaluation. Une analyse quantitative, menée à partir de données brutes, aurait pu permettre de mettre en évidence des corrélations entre l’adoption de la loi de 2016 et certains indicateurs (volume des dons alimentaires, réduction des pertes ou des gaspillages alimentaires à chaque étape de la chaîne agroalimentaire, etc.). L’absence de données en quantité suffisante rendrait, toutefois, l’exercice périlleux.

Plutôt qu’une analyse quantitative, c’est donc une approche qualitative qui a été retenue. La mission a tâché d’auditionner, à l’aide de questionnaires, les représentants de chaque composante de la filière agroalimentaire, du tissu associatif, des institutions publiques et des ministères compétents. Ces auditions ont toutes été conduites autour de trois principaux axes de questionnement :

– quelles étaient vos attentes envers la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire de 2016 ?

– quel bilan dressez-vous de cette loi, sur un plan quantitatif, d’une part, et qualitatif, d’autre part ?

– que préconisez-vous pour compléter la loi de 2016, voire aller plus loin ?

Les éléments d’analyse qui composent les développements à venir sont principalement issus de ces auditions, ainsi que des contributions écrites éventuellement envoyées aux membres de la mission par les acteurs rencontrés.


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Le bilan quantitatif de la loi ne peut donc sappuyer que sur des données encore partielles, donc incomplètes. Ces données sont néanmoins intéressantes, en ce qu’elles sont indicatives d’un résultat de fond : la loi a rempli son office et a sans doute permis de freiner une tendance continue au gaspillage. Au-delà, lenjeu de la mesure du gaspillage reste posé. C’est la quantification générale et la transparence des données qui permettront d’inverser la tendance dans le cadre d’une politique publique volontariste conjuguant information des consommateurs, formation des acteurs, éducation des citoyens et mobilisation locale.

Les données disponibles sont donc les suivantes :

-         prévention du gaspillage dans lindustrie alimentaire (plan d’action de l’ADEME) : réduction de 14,5 % du taux de perte moyen sur les premiers sites suivis ;

-         prévention du gaspillage dans la restauration (étude du GNI‑Synhorcat) : réduction de 10 % à 20 % des pertes ;

-         prévention du gaspillage dans la distribution, d’après le baromètre Comerso/Ipsos ([9]) : accélération des actions anti-gaspillage suite à la loi de 2016 chez 34% des magasins interrogés avec en moyenne 5,4 actions mises en place par magasin.

Stickage : 92 % des magasins le pratiquent, mais 38 % d’entre eux ne suivent pas régulièrement les ventes de produits stickés, qui, lorsqu’ils sont invendus, demeurent jetés à 34 %.

Dons aux associations : 94 % des magasins interrogés pratiquent le don, dont les deux-tiers avant 2016, mais 55 % des magasins ne donnent pas quotidiennement.

-         don alimentaire des grandes surfaces aux associations de solidarité :

Banques Alimentaires

2015 : 39 057 tonnes (magasins et plateformes)

2018 : 48 021 tonnes (magasins et plateformes)

Soit une augmentation de 23 %.

Restos du Cœur

2016 - 2018 : augmentation de 24 % de la ramasse (même si le mouvement était amorcé avant le vote de la loi).


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II.   un bilan positif salué par l’ensemble des acteurs, qui ont identifié des axes de progrès

A.   Le vecteur d’une prise de conscience générale ayant conduit à un changement de culture et a de nombreuses avancées concrètes

Les acteurs auditionnés par vos rapporteurs ont unanimement souligné leffet structurant de la loi de 2016 sur les acteurs de lalimentation ; la plupart ayant été témoins d’une prise de conscience collective de la nécessité de réduire le gaspillage alimentaire. Cette loi, par sa dimension générale, a permis de créer un cadre cohérent rassemblant les mesures sanitaires, administratives et fiscales de la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Ce rôle moteur de la loi était d’ailleurs une attente partagée par la plupart des acteurs, qui souhaitaient la définition d’un cadre clair pour lutter efficacement contre le gaspillage, alors que beaucoup étaient déjà impliqués dans les réseaux existants. La loi de 2016 s’inscrit dans la continuité naturelle du Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire de 2013. Elle en est l’aboutissement symbolique et politique, puisqu’elle permet à la lutte contre le gaspillage alimentaire d’accéder à un des niveaux les plus importants de fabrication de normes, et d’être reconnue ainsi comme une politique publique à part entière.

Selon France nature environnement (FNE), la loi a promu une symbolique forte : la politique publique de la lutte contre le gaspillage existe désormais. Plus précisément, la hiérarchie des normes et la définition du gaspillage alimentaire ont été très utiles, notamment pour régler certains débats : faire du compostage n’est pas d’abord lutter contre le gaspillage alimentaire mais contribue à réduire ses déchets. Toutefois, ce qui donne à la France un coup de projecteur mondial lui confère également une responsabilité.

La dynamique fut partagée par-delà les frontières de secteurs hétérogènes. La Confédération générale de l’alimentation en détail (CGAD) estime, par exemple, avoir bénéficié d’une « véritable dynamique pour embarquer les entreprises [qu’elle représente] dans une réflexion anti-gaspi ».

Les représentants des entreprises de la grande distribution se sont aussi fait les relais de cette prise de conscience, considérant que la loi avait su « créer un momentum » autour de la question cruciale du gaspillage alimentaire. La médiatisation croissante de cette problématique a en effet favorisé la sensibilisation du consommateur, poussant les enseignes à intégrer la lutte contre le gaspillage dans leurs politiques de responsabilité sociale (RSE).

Dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration, des associations professionnelles comme l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) ou le GNI-Synhorcat ont mis en place des guides de bonnes pratiques à destination de leurs adhérents, indiquant des actions concrètes permettant de réduire le gaspillage depuis la gestion des stocks jusqu’à l’adaptation des quantités servies, en passant par la conception des cartes. Des initiatives exemplaires sont aussi en cours avec de grands chefs, comme l’opération menée en partenariat avec les cuisines de l’Élysée ou Matignon qui a vocation à entraîner l’ensemble des acteurs de la restauration collective publique et privée vers une meilleure valorisation des restes alimentaires.

Ce mouvement de fond est également ressenti par les professionnels de la restauration collective qui attendaient de la loi qu’elle permette de « lever des tabous, faire prendre conscience à tous les acteurs de [leur] chaîne de valeur (producteurs, distributeurs, restaurateurs, donneurs d’ordre clients, convives) que nous étions face à ce sujet inacceptable moralement et économiquement absurde ». Cela aurait entre autres permis de mettre fin à la « course au grammage » qui permettait de remporter des appels d’offres par des quantités généreuses mais surdimensionnées.

Selon ces représentants, plus de la moitié du secteur de la restauration collective scolaire s’est inscrit dans une démarche de tri et de réduction des pertes alimentaires. En revanche, les avancées sont moins notables dans le secteur hospitalier, notamment au sein des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), sauf dans les plus grandes structures qui ont mis en place des démarches de réduction des coûts, passant par une diminution du gaspillage alimentaire. En effet, selon ces acteurs auditionnés, les petites structures connaissent des proportions de gaspillage alimentaire souvent plus importantes dans la mesure où une petite cuisine pourra plus difficilement normaliser son activité pour réduire les pertes. En revanche, la production des cuisines centrales, qui gèrent de larges quantités de denrées, peut plus facilement être optimisée, grâce à la mise en place de normes, de protocoles et de pratiques adaptées. Reconnaissons que de petites unités, grâce à des cuisiniers passionnés, ont obtenu des résultats remarquables.

La loi de 2016 a donc permis denclencher des actions limitant le gaspillage même au-delà des secteurs qui nétaient pas directement visés par la mise en place des conventions de don ou la javellisation des produits, soulignant son caractère transversal.

Comme cela sera évoqué ultérieurement, la loi a aussi permis de poser un cadre propice aux initiatives innovantes, notamment dans le secteur du numérique où de nombreuses solutions ont émergé. La loi de 2016 a ainsi su créer un contexte d’émulation collective indispensable à la mise en place d’une réelle politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire dans notre pays. Cet environnement dynamique aurait par exemple incité la fondatrice danoise de l’application Too Good To Go à s’implanter en France.

Pour être complète, cette prise de conscience devra néanmoins monter en puissance au sein de secteurs impliqués plus récemment dans la logique de réduction du gaspillage alimentaire, comme celui de la production et de la transformation alimentaires. Les représentants de l’ANIA et de COOP de France ont ainsi mis en lumière des initiatives qui marquent un nouvel état d’esprit avec des résultats notables contre le gaspillage. L’Institut de liaisons et d’études des industries de consommation (ILEC), association réunissant producteurs et distributeurs de produits de grande consommation, fait aussi état d’initiatives encourageantes parmi ses adhérents du domaine de l’agroalimentaire. La logique anti-gaspillage peut ainsi se retrouver dans les contrats d’approvisionnement de Bonduelle, le programme de formation « Chef’eco » de Bel, ou la participation à un guide des bonnes pratiques des acteurs de la chaîne d’approvisionnement. Cette tendance devrait être renforcée avec le nouveau cadre normatif instauré par la loi dite Egalim (voir ci-après).

Les avancées permises par la loi de 2016 :

-          la force symbolique de la loi ;

-          une reconnaissance pour tous les acteurs engagés dans la lutte contre le gaspillage alimentaire ;

-          un cadre cohérent pour agir ;

-          l’accélération d’une dynamique sur les territoires.

B.   Des principes importants et un apport primordial : la sécurisation du cadre juridique du don alimentaire

Les principales dispositions de la loi de 2016 ont modifié différents codes pour fixer l’assise de la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire.

1.   L’interdiction de détruire des denrées : un nouveau rapport à l’alimentation

La loi de 2016 contient une disposition marquante par son caractère inédit : pour la première fois, le fait de détruire volontairement un bien qui appartient encore à son auteur devient répréhensible. Il s’agit d’interdire la « javellisation », à savoir la pratique ayant pour objet de rendre impropres à la consommation des produits alimentaires invendus bien qu’encore consommables.

Il s’agit, par le biais de la loi, de poser avec force le principe selon lequel la nourriture n’est pas un bien comme les autres, dont son propriétaire peut disposer à loisir. Le droit, avec sa force juridique et symbolique, fixe donc un nouveau rapport à la nourriture, qui est celui d’une consommation responsable.

La sanction pénale, une amende de 3 750 €, se double d’une sanction complémentaire de publicité de l’amende, afin d’informer le grand public de l’existence de telles pratiques et de l’inviter à en tirer les conséquences.

2.   La reconnaissance d’une hiérarchie des actions de lutte contre le gaspillage alimentaire

L’article 1er de la loi de 2016 définit le principe de « responsabiliser et de mobiliser les producteurs, les transformateurs et les distributeurs de denrées alimentaires, les consommateurs et les associations »  afin de lutter contre le gaspillage alimentaire. L’outil mis au service de ce principe est la création de la hiérarchie de lutte contre le gaspillage alimentaire, qui fixe la priorité à respecter. Cette priorité s’organise dans l’ordre suivant :

1° La prévention du gaspillage alimentaire ;

2° L’utilisation des invendus propres à la consommation humaine, par le don ou la transformation ;

3° La valorisation destinée à l’alimentation animale ;

4° L’utilisation à des fins de compost pour l’agriculture ou la valorisation énergétique, notamment par méthanisation.

Le rapport ([10]) qui accompagne la proposition de loi tâchait de préciser l’intention du législateur :

« Les producteurs, transformateurs et les distributeurs doivent en tout premier lieu prévenir le gaspillage alimentaire au sein même de leur processus de production. Il s’agit donc de mettre en place les processus, les dispositifs techniques et les méthodes qui permettent de réduire au maximum les pertes. En second lieu, les produits alimentaires qui n’ont pas pu être vendus et qui risquent donc d’être gaspillés doivent d’abord être orientés vers la consommation humaine. Ces produits peuvent être donnés, à chaque étape du circuit de production (depuis les agriculteurs jusqu’aux surfaces de distribution) ou faire l’objet d’une nouvelle transformation. Enfin, les denrées alimentaires qui ne peuvent plus être destinées à la consommation humaine doivent, avant d’être jetées, pouvoir être valorisées par d’autres circuits de récupération : l’alimentation animale et la valorisation énergétique.

« Cet ordre de priorité, permet de conférer une portée juridique à une priorité logique des actions de lutte contre le gaspillage alimentaire. Certes, techniquement, des denrées encore consommables qui sont utilisées à des fins énergétiques, par méthanisation, ne sont pas gaspillées. Toutefois, un tel usage ne correspond pas à l’optimum social qui doit être atteint par l’action publique ».

En complément de la définition de la hiérarchie, la loi de 2016 a explicité le contenu de la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire, qui comprend « la sensibilisation et la formation de tous les acteurs, la mobilisation des acteurs au niveau local et une communication régulière auprès des consommateurs, en particulier dans le cadre des programmes locaux de prévention des déchets » (article L. 541-15-4 du code de l’environnement).

3.   Le conventionnement du don alimentaire entre les grandes et moyennes surfaces et les associations habilitées

Le même article 1er met plusieurs obligations à la charge des distributeurs du secteur alimentaire :

– tous les distributeurs doivent respecter la hiérarchie de lutte contre le gaspillage alimentaire ;

– tous les distributeurs sont tenus de ne pas rendre leurs invendus alimentaires encore consommables impropres à la consommation ou à toute forme de valorisation ;

– les distributeurs dont la surface de vente dépasse 400 m2 (les grandes et moyennes surfaces – GMS) qui souhaitent donner des denrées alimentaires consommables à des associations d’aide alimentaire sont tenus d’établir une convention de don alimentaire.

En outre, ces mêmes GMS avaient un an pour conclure au moins une de ces conventions de don alimentaire avec l’association ou les associations de leur choix. Cette disposition, volontairement contraignante, visait à stimuler l’écosystème de la lutte contre le gaspillage alimentaire, dont un des principaux axes est le don de denrées alimentaires invendues mais encore consommables.

Le décret du 28 décembre 2016 ([11]) vient préciser les conditions dans lesquelles les dons de denrées alimentaires doivent être réalisés entre les GMS et les associations d’aide alimentaire habilitées. Ce décret dispose notamment que le tri des denrées alimentaires est effectué par le commerce de détail alimentaire et que pour les denrées soumises à une date limite de consommation (DLC), au jour de prise en charge du don par l’association d’aide alimentaire, le délai restant avant expiration doit être égal ou supérieur à 48 heures. Il précise que ce délai peut être inférieur si l’association est en mesure de justifier sa capacité à redistribuer les denrées concernées avant expiration de la date limite de consommation. Ce décret dispose également que les dons de denrées des GMS doivent respecter les exigences réglementaires en vigueur en matière d’hygiène et de sécurité sanitaire.

4.   L’accent porté sur la nécessité d’améliorer l’éducation alimentaire des jeunes à l’école

Au sein de la section du code de l’éducation relative à « l’éducation à l’alimentation », l’article L. 312-17-3 imposait aux établissements scolaires une information et une éducation à l’alimentation, cohérentes avec les orientations du programme national pour l’alimentation (PNA) et du programme national relatif à la nutrition et à la santé (PNNS).

La loi de 2016 a intégré plus directement la lutte contre le gaspillage alimentaire dans ce parcours scolaire d’information et d’éducation. Dans l’esprit de la loi, plus largement que l’éducation alimentaire dans les cantines, cette disposition concerne en effet la sensibilisation à la nécessité d’une alimentation durable, respectueuse de la nourriture et des ressources qui ont permis sa production.

5.   La lutte contre le gaspillage alimentaire dans la responsabilité sociale des entreprises

L’article L. 225-102-1 du code de commerce prévoit les éléments que doivent obligatoirement contenir les rapports que présentent chaque année le conseil d’administration ou le directoire des sociétés anonymes à leur assemblée générale d’actionnaires. Parmi ces éléments figure un reporting relatif à la responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui comprend leurs « engagements sociétaux en faveur du développement durable, de l’économie circulaire et en faveur de la lutte contre les discriminations et de la promotion des diversités ».

La loi de 2016 a inclus la lutte contre le gaspillage alimentaire dans le champ de la RSE, en l’ajoutant à la liste des engagements sociétaux de l’article L. 225-102-1 du code de commerce dont les entreprises de grande taille doivent rendre compte.

C.   la mise en œuvre de la loi rencontre néanmoins des freins réglementaires et pratiques

1.   Des contrôles manifestement insuffisants

Si la loi de 2016 a consacré de nombreuses avancées, en rendant répréhensible la destruction volontaire de denrées ou l’absence de conclusion de convention de dons entre grandes et moyennes surfaces et associations habilitées, vos rapporteurs déplorent labsence de moyens consacrés à la mise en œuvre de ces obligations. Après une phase d’adaptation des acteurs longue de trois ans, le déploiement d’une politique de contrôle se justifie désormais pleinement. Sans l’intervention des services de l’État, il demeure impossible d’évaluer l’ampleur des progrès réalisés ou des manquements qui persisteraient sur le terrain. Pourtant, aucune ressource ministérielle n’assure aujourd’hui le suivi de l’application effective de la loi, créant les conditions d’un « trou dans la raquette » dans la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Aujourd’hui, la loi sanctionne deux pratiques : d’une part, l’absence de conventionnement avec une association habilitée à recevoir des dons alimentaires pour les commerces alimentaires dont la surface dépasse 400 m2 ; d’autre part, la destruction de denrées alimentaires consommables (« javellisation »). Force est de constater que ces pratiques illégales font l’objet de très peu de contrôles effectifs et, partant, sont faiblement sanctionnées. Les services de l’État auditionnés n’ont d’ailleurs pas fait état de cas signalés par les services déconcentrés.

Ainsi, en matière de destruction volontaire de denrées, acte passible d’une amende de 3 750 euros, peu de verbalisations ont été recensées par les services du ministère de l’agriculture et de l’alimentation. Le cas de l’hypermarché Leclerc de Mimizan, qui aurait rendu impropre à la consommation 50 kilos de nourriture le 4 février 2019, à l’aide de désinfectant, vient rappeler à chacun que de mauvaises pratiques, même isolées, perdurent. Si la pratique ciblée d’affichage des mauvais élèves (« name and shame ») est jugée efficace par le ministère de la transition écologique et solidaire, la lutte contre le gaspillage alimentaire ne peut se contenter d’opérations de communication ponctuelles, et nécessite d’associer des vérifications régulières aux sanctions prévues par la loi.

Le contrôle apparaît lui aussi inexistant pour vérifier la contractualisation de conventions entre magasin de plus de 400 m2 et associations. Le non respect de cette obligation est pourtant passible d’une amende de troisième classe (450 euros).

2.   Une qualité des dons parfois problématique

Plus que la conclusion de nouvelles conventions, c’est la conformité des partenariats actuels au droit applicable en matière de qualité du don qui préoccupe les associations.

Ainsi, une des principales difficultés rencontrées par les associations caritatives est la qualité des denrées données par les commerces alimentaires. Les associations sont la plupart du temps dans une relation de dépendance vis-à-vis de ces grandes surfaces. Elles doivent souvent accepter tout ce qu’elles reçoivent, sauf à ne plus recevoir de dons...

Alors même qu’il revient à la grande surface de trier avant de donner, les associations signalent l’existence de dérives problématiques : produits périssables livrés à l’association le jour de péremption, rendus difficiles à redistribuer ; arrivage de produits frais sans date limite de consommation indiquée (légumes et fruits en particulier), dans un état parfois avancé de vieillissement… Ces dérives existent, même si elles ne constituent pas, loin s’en faut, la majorité des pratiques constatées. À titre d’exemple, les Banques Alimentaires signalent des taux de rebuts compris entre 8 % en 2016 et 11 % en 2018, qui augmentent donc à mesure que les volumes de dons augmentent eux-mêmes.

Ajoutons que les associations hésitent à se transformer en « inspecteurs de la qualité » de produits consommables et surtout, redistribuables, ce qui donne en théorie droit à la déduction fiscale. En conséquence, elles peuvent avoir à subir de plein fouet les pratiques peu scrupuleuses de certaines GMS qui se débarrassent ainsi de denrées alimentaires de mauvaise qualité à moindres frais. Toutefois, les associations ont également rappelé aux rapporteurs les bons exemples de dirigeants de GMS, souvent des franchisés bien implantés dans la vie locale du quartier ou de la ville, qui mettent en œuvre de réels efforts pour garantir la qualité des dons qu’ils effectuent, ou qui s’efforcent de diffuser dans leur réseau des bonnes pratiques de don.

Selon Les Restos du cœur, l’inadéquation qui existe désormais entre l’obligation de donner, née de la loi de 2016, et l’incapacité des associations caritatives de gérer, d’un point de vue logistique, la nouvelle ampleur de l’afflux de don alimentaire risque donc de devenir un problème structurel. Les associations caritatives ne peuvent devenir une filière d’écoulement des grandes et moyennes surfaces ou, comme souligne la FFBA, un « Véolia gratuit ». Inversement, la loi de 2016 ne dit rien de la fréquence du don, laissant les co-contractants fixer librement le rythme de don. Dans l’absolu, un seul don par an suffit à une grande surface de distribution à être en conformité avec la lettre de la loi. Moins conforme dans l’esprit, à l’évidence…

Face à cette disparité des pratiques en matière de don, la mise en place de contrôles semble indispensable pour garantir un cadre équilibré du don alimentaire, censé assurer la qualité des produits proposés aux bénéficiaires, et accorder des déductions fiscales aux distributeurs uniquement en cas de conformité aux exigences fixées par la loi de 2016 et sa déclinaison réglementaire. Il semble donc grand temps de concrétiser cette ambition en investissant véritablement les services de l’État d’une mission de contrôle de la politique anti-gaspillage.

3.   Une incitation publique qui demeure nécessaire : la déduction fiscale des dons alimentaires

Le cadre du don alimentaire en France repose sur un système de déduction fiscale consolidé en 2003 par la loi  2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations, dite « Aillagon ». Comme l’indique la Cour des comptes dans un rapport récent ([12]), « outre une réduction d’impôt à un taux élevé (60 %) et un plafonnement peu contraignant, les entreprises peuvent bénéficier d’un échelonnement de l’avantage fiscal sur cinq ans et de contreparties, dans une limite de 25 % du don. Enfin, une définition large de l’intérêt général permet à de nombreux organismes et secteurs d’activité de recevoir des dons ».

Les magasins sont donc fortement incités à donner leurs invendus, dont ils peuvent déduire 60 % de la valeur de leur résultat soumis à l’impôt sur les sociétés, dans la limite de cinq pour mille de leur chiffre d’affaires. La logique de défiscalisation est un moteur essentiel du don et peut même, dans certains cas, en être la condition. Certains acteurs auditionnés déplorent en effet un effet de seuil induit par le plafonnement des déductions fiscales, certaines grandes surfaces cessant de procéder à des dons une fois ce plafond atteint. Les représentants des enseignes de la grande distribution évoquent pour leur part des cas isolés et non représentatifs.

Alors qu’une discussion sur la rationalisation des niches fiscales ouvertes au titre du mécénat est en cours, force est de constater quune révision à la baisse de la défiscalisation accordée au don alimentaire viendrait fragiliser la hiérarchie des actions de lutte contre le gaspillage établie par la loi de 2016. Vos rapporteurs appellent sans réserve à une préservation de ce cadre fiscal. Il est en effet crucial pour l’incitation au don alimentaire, qui vise à apporter une aide matérielle aux personnes en situation de précarité.

En effet, en l’absence de défiscalisation, un écosystème d’intermédiaires utiles et d’innovations sociales ne pourrait pas prospérer, voire subsister. Les associations historiques d’aide alimentaire seraient probablement asphyxiées : un coup porté à cette incitation tarirait certainement les dons aux acteurs associatifs dans des proportions significatives, mettant en danger leur capacité à poursuivre leurs activités d’intérêt général. Les ajustements fiscaux effectués après l’adoption de la loi de 2016, avec la valorisation à 50 % du coût de revient d’un produit donné dans les trois derniers jours précédant sa date limite de consommation, ont déjà montré ce risque de déstabilisation fiscale de l’écosystème du don, comme le montre l’encadré ci-dessous.

Évolutions récentes des dispositions relatives aux dons de produits alimentaires

Depuis août 2016, parallèlement à la loi n° 2016-138 du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire, le ministère de l’économie et des finances a engagé une modification des règles applicables aux dons en nature des entreprises. Pour les produits alimentaires soumis à une date limite de consommation (DLC), la valeur retenue pour le calcul de la réduction d’impôt était égale d’une part, à son coût de revient pour un bien donné avant les trois derniers jours de sa DLC et, d’autre part, à 50 % de son coût de revient pour un bien donné dans les trois derniers jours de sa DLC.

Ces précisions ont entraîné, en 2016, un nombre important de redressements fiscaux dans le secteur de la distribution et une baisse des dons aux associations assurant l’alimentation de personnes démunies. Le système de décote pénalisait le don de denrées alimentaires et occasionnait de fortes charges administratives et logistiques pour les organismes donataires.

Aussi, l’article 19 de la loi de finances pour 2017, introduit par amendement parlementaire, a modifié l’article 238 bis du code général des impôts. Désormais, le dernier alinéa du 1 de cet article prévoit que, lorsque les versements sont effectués sous forme de dons en nature, leur valorisation est effectuée au coût de revient du bien donné ou de la prestation de service, indépendamment des dispositions de la loi du 11 février 2016.

Source : Cour des comptes, « Le soutien public au mécénat des entreprises », 2018

 

D.   La loi de 2016 a parfois été perçue uniquement comme une loi sur le don alimentaire

1.   Le délicat équilibre de la hiérarchie de la lutte contre le gaspillage alimentaire

La lutte contre le gaspillage alimentaire passe par un grand nombre d’initiatives, de politiques et de pratiques différentes, et pas toujours compatibles entre elles. La hiérarchie de lutte créée par la loi a le mérite de rationaliser et de fixer une priorité d’action.

L’enjeu, aujourd’hui, est la prévention du gaspillage, à chaque étape de la chaîne alimentaire. Cette indispensable prévention devrait prendre une forme adaptée au public concerné : éducation à l’école, information du consommateur, sensibilisation des professionnels, audits des unités de production de restauration et de distribution, etc.

Toutefois, les concurrences dusages peuvent être vives. Par exemple, les politiques de « stickage » (l’étiquetage avec des prix au rabais de produits proches de leur date limite de consommation [DLC]) réduisent le nombre de produits donnés, mais aussi la qualité des denrées qui restent invendues, car elles sont mécaniquement données plus tard, sinon trop tard. Ainsi, les associations rencontrées par les rapporteurs ont remarqué l’arrivée de plus en plus fréquente de dons de denrées dont la DLC était à J-1 ou à J-0. Même si la défiscalisation de ces dons est applicable uniquement si les denrées sont « redistribuables », en vertu de la doctrine fiscale en vigueur, la réalité est plus complexe. Les associations, surtout les plus petites, sont dans un rapport de forces particulièrement défavorable avec les GMS. Elles ont besoin d’avoir des circuits d’approvisionnement stables auprès de ces dernières, tandis que les GMS peuvent toujours menacer de se tourner vers d’autres associations plus dociles.

Dans un autre ordre d’idée, la conception du gaspillage alimentaire peut fluctuer : un agriculteur ne considère pas toujours que l’utilisation de ses surplus de production en intrant énergétique, dans le méthaniseur de son exploitation, est une perte ; d’autres acteurs, par exemple les associations de glanage, y voient bien du gaspillage alimentaire.

Une autre forme de cette concurrence d’usage se matérialise par l’essor de nouvelles applications « anti-gaspi », comme Too Good To Go, qui permet aux consommateurs de connaître quels produits en fin de vie sont disponibles, à prix cassés, près de chez eux. Les GMS ont intérêt à recourir à ce type de plateformes pour gérer l’écoulement de leurs stocks, tout en offrant un avantage substantiel aux consommateurs.

C’est un équilibre nouveau qui devra être trouvé : la dynamique contre le gaspillage alimentaire est largement positive et doit être poursuivie et amplifiée.

À ce titre, le rôle de la loi doit rester celui dempêcher tout biais dans la hiérarchie de lutte contre le gaspillage alimentaire : vos rapporteurs y seront vigilants.

En miroir, la politique de l’État doit gagner en cohérence pour encourager au maximum les comportements les plus vertueux des acteurs économiques et des citoyens.

Aujourd’hui, une entreprise de la grande distribution est incitée à donner, via la déduction fiscale. Le coût est non négligeable pour l’État, même s’il n’est pas quantifié à ce jour. Mais simultanément, le coût de traitement n’est semble-t-il pas suffisamment dissuasif, du point de vue de la lutte contre le gaspillage, pour encourager à diminuer les volumes jetés. Une analyse plus fine serait utile, pour l’ensemble des maillons de la chaîne alimentaire, de la transformation, de la distribution et de la restauration, afin de mesurer l’efficacité et le coût des politiques publiques au regard des objectifs de réduction du gaspillage.

2.   Un dispositif contraignant qui ne touche qu’une partie de la filière agroalimentaire

Un biais existe toutefois dans la loi de 2016 : ce sont les distributeurs qui sont les principaux cœurs de cible des dispositifs contraignants qu’elle a mis en œuvre. La loi de 2016 a amorcé la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire : il était délicat, dans le contexte de l’époque, de créer ab initio un dispositif total. D’où le constat qu’un effet indésirable a pu apparaître : en ciblant les GMS et l’écosystème du don alimentaire, les autres acteurs de la filière, en amont en particulier, ont pu se considérer hors du champ de la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire.

De ce constat découle naturellement un autre : il faut approfondir cette politique publique, et continuer de construire l’édifice de 2016. Comme les prochains développements vont le montrer, la loi dite « Egalim » a déjà enclenché le mouvement.

La mise en œuvre de la loi :

-          la dimension « don alimentaire » a souvent pris le pas sur les autres dimensions de la loi ;

-          la qualité des dons est parfois problématique ;

-          l’action de l’État se résume à une incitation fiscale. Le contrôle de la bonne application est aujourd’hui inexistant ;

-          la prévention du gaspillage, léducation ou la mobilisation locale relèvent uniquement de la bonne volonté des acteurs.

 


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III.   La loi de 2016 au fondement d’une politique publique

A.   La loi dite « EGALIM » a approfondi les exigences fixées par la loi de 2016

Le projet initial de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous contenait d’emblée des dispositions pour renforcer la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Au cours de la navette, les députés et les sénateurs se sont emparés de la question pour amender le projet de loi, avec la volonté d’approfondir l’ambition de la précédente loi de 2016.

1.   Plusieurs dispositions de la loi de 2016 ont été précisées

Le projet de loi initial a modifié la loi de 2016 en précisant la définition de l’aide alimentaire et en l’érigeant en composante explicite de la politique de lutte contre la précarité alimentaire nouvellement définie. La loi dispose désormais, à l’article L. 266-2 du code de l’action sociale et des familles, que « l’aide alimentaire a pour objet la fourniture de denrées alimentaires aux personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale, assortie de la proposition d’un accompagnement ». Tandis que les personnes morales habilitées à mettre en œuvre l’aide alimentaire, et à recevoir des contributions publiques pour cela, peuvent être des personnes de droit public ou de droit privé, la loi précise que seules les associations peuvent conventionner avec les grandes et moyennes surfaces (GMS) pour recevoir les dons alimentaires de ces dernières, dans l’esprit de la loi de 2016.

En outre, la loi dite « Egalim » dispose que les commerces alimentaires concernés par la loi de 2016 « s’assurent de la qualité du don » alimentaire qu’ils cèdent aux associations, dans des conditions précisées par le décret n° 2019-302 du 11 avril 2019. Comme les développements antérieurs l’ont montré, la question de la qualité du don alimentaire (souvent mesurée en fonction de la date limite de consommation, qui ne doit pas être trop proche) est un point de crispation des relations entre les associations caritatives et les GMS.

Le décret précité dispose que les commerces de détail alimentaires de plus de 400 m2 de surface de vente doivent mettre en place un « plan de gestion de la qualité du don de denrées alimentaires ».

Le décret dispose également qu’un responsable du plan de gestion doit être désigné dans la GMS et que l’association qui reçoit des dons alimentaires doit en obtenir communication.

Ces dispositions entrent en vigueur le 1er janvier 2020 : il n’est donc pas possible pour vos rapporteurs d’en évaluer l’impact. Toutefois, la réponse apportée par le décret à la préoccupation du législateur sur la qualité du don semble proportionnée. Les GMS qui s’étaient déjà engagées dans une démarche vertueuse (charte de qualité des dons, cahier des charges, responsable opérationnel pour le suivi des opérations de dons) ne subiront pas de contraintes supplémentaires, tandis que les GMS qui doivent développer de meilleures pratiques y seront directement encouragées par la mise en place de ce plan de gestion.

En troisième lieu, l’article L. 312-17-3 du code de l’éducation, créé par la loi de 2016, a été étendu. Il prévoit qu’une information et une éducation à l’alimentation et à la lutte contre le gaspillage alimentaire sont dispensées dans les établissements d’enseignement scolaire (et non plus uniquement les écoles). En outre, « cette information et cette éducation s’accompagnent d’un état des lieux du gaspillage alimentaire constaté par le gestionnaire des services de restauration collective scolaire de l’établissement ». Il s’agit d’assurer le caractère concret de cet enseignement et de promouvoir des expérimentations et des changements de pratiques au sein même de la cantine des écoles, collèges et lycées visés par ces dispositions. Reste que cette responsabilité incombe aux collectivités locales chargées de la restauration, non au ministère de l’éducation nationale…

La loi dite « Egalim » a également pu permettre que les projets alimentaires territoriaux (PAT) comprennent expressément des volets de lutte contre le gaspillage alimentaire et contre la précarité alimentaire. Comme le présent rapport s’attachera à le montrer, les PAT peuvent être des outils particulièrement utiles afin de structurer des réseaux de lutte contre le gaspillage alimentaire au niveau local, en réunissant de nombreux acteurs publics et privés, intéressés à cet enjeu.

Enfin, l’article 66 de la loi dite « Egalim » a missionné l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) afin qu’elle remette au Parlement un rapport avant le 1er janvier 2022 sur la gestion du gaspillage alimentaire par la restauration collective et la grande distribution.

2.   L’extension de la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire dans la restauration collective et dans le secteur agroalimentaire

Précisément, la loi dite « Egalim » a également eu l’ambition d’élargir sensiblement le périmètre de la loi de 2016, en ce qui concerne les conventions de dons alimentaires. Tandis que seules les GMS d’une certaine surface sont aujourd’hui concernées, la loi dite « Egalim » habilite le Gouvernement à prendre des ordonnances afin d’élargir l’obligation de conventionner à la restauration collective et au secteur agroalimentaire.

Plus précisément, les ordonnances, qui doivent être prises dans un délai de douze mois après la publication de la loi et qui devraient être publiées prochainement, pourront :

– élargir à tous les services de restauration collective, publics et privés, l’obligation de s’inscrire dans une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire ([13]) ;

– imposer aux services de restauration collective la réalisation d’un diagnostic préalable à la démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire incluant l’approvisionnement durable ;

– prévoir l’extension du conventionnement obligatoire entre GMS et associations de don alimentaire à « certains opérateurs de l’industrie agroalimentaire et de la restauration collective » ;

– imposer à ces mêmes acteurs de « rendre publics leurs engagements en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire », notamment les procédures de contrôle interne qu’ils mettent en œuvre en la matière.

Comme cette énumération le montre, lambition des pouvoirs publics en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire ne doit pas faiblir ; elle s’appuie sur les avancées de la loi de 2016 et accentue l’exigence qui est désormais attendue de tous les acteurs de la filière agroalimentaire.

3.   L’évolution du cadre réglementaire doit rester cohérente avec la philosophie de la loi de 2016

Si la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire s’est développée depuis que ses jalons ont été posés en 2016, il convient de veiller à ce que l’édifice normatif qui accompagne cette politique publique demeure pertinent. Les auditions que vos rapporteurs ont menées ont mis en évidence plusieurs difficultés, principalement d’ordre réglementaire.

En premier lieu, les obligations détiquetage des produits, en particulier les produits sensibles sur le plan sanitaire (denrées d’origine animale, plats déjà cuisinés et mis en barquette), doivent pouvoir être adaptées au contexte du don. Par exemple, l’étiquetage de l’origine de la viande ou la liste de tous les ingrédients contenus (et non seulement des ingrédients principaux) d’un plat cuisiné en cuisine centrale puis mis en barquette peut sembler une obligation disproportionnée, sinon décourageante. Une solution devra être trouvée, pour respecter la traçabilité des produits, l’information du consommateur.

Les obligations d’étiquetage peuvent également paraître inadaptées lorsqu’elles s’appliquent à des lots de denrées alimentaires, comme des lots de fruits et légumes. Si, dans le lot, un fruit ou un légume est mal calibré ou de qualité moindre, les distributeurs peuvent le « déloter » pour l’inclure dans un panier antigaspillage, donné ou vendu à bas prix ; toutefois, il est complexe d’étiqueter ces produits délotés conformément aux obligations en vigueur. Une souplesse pourrait ici être autorisée.

Enfin, un éclaircissement juridique des responsabilités individuelles et collectives, applicables aux éventuels incidents sanitaires pouvant suivre un don alimentaire, devrait être réalisé par ladministration. Plusieurs initiatives, individuelles ou collectives, sont aujourd’hui freinées par la crainte d’une mise en cause juridique, qui pourrait être facilement levée si les personnes concernées – physiques ou morales – maîtrisaient pleinement le cadre juridique applicable et les responsabilités qu’elles encourent.

B.   la loi a contribué à stimuler un véritable écosystème de la lutte contre le gaspillage alimentaire

1.   L’écosystème pré-loi existait et reposait sur les associations d’aide alimentaire

Les réseaux de lutte contre le gaspillage alimentaire et la précarité, en particulier dans le secteur du don et de la solidarité, sont anciens et n’ont pas attendu la loi de 2016 pour se structurer. Les associations d’aide alimentaire en particulier, jouent un rôle historique dans la lutte contre le gaspillage alimentaire et la précarité alimentaire. Elles concentrent leur action sur le don des denrées invendues ou non consommées. Cet objectif concilie deux intérêts généraux : ne pas gaspiller des denrées parfaitement consommables et aider des personnes en situation de précarité alimentaire. Les principales associations, dont le réseau est souvent national, sont le Secours populaire, le Secours Catholique, la Croix-Rouge française, les banques alimentaires et les Restos du Cœur. Des milliers d’associations de quartier, d’épiceries solidaires (dont 370 regroupées dans l’Association nationale de développement des épiceries solidaires, l’ANDES) et de fraternités complètent un paysage associatif mobilisé pour lutter contre la précarité et le gaspillage en France.

En particulier, les banques alimentaires, réunies dans une fédération comptant 79 associations locales, ont comme objectif principal de collecter gratuitement partout en France des produits alimentaires, et ce tout au long de l’année. Elles récoltent des denrées auprès de plus de 2 700 grandes et moyennes surfaces. Elles distribuent l’équivalent de 226 millions de repas, à deux millions de personnes.

Les Restos du Cœur ont mis en place plusieurs types de soutien alimentaire : la distribution de paniers repas à cuisiner chez soi ; la fourniture de repas chauds ; une aide spécifique pour l’alimentation des bébés.

Le Secours populaire, à côté de la distribution d’un soutien alimentaire traditionnel, a mis en œuvre plusieurs initiatives ayant pour objet d’accompagner les personnes précaires au-delà du seul repas. Les libres services de la solidarité permettent aux personnes accueillies de faire librement leurs courses, en échange d’une somme symbolique. Le Secours populaire sensibilise également les personnes accueillies à une meilleure nutrition, afin d’éviter le cumul de la précarité sociale et de mauvaises habitudes alimentaires, qui renforcent les inégalités de santé dont elles sont victimes. Enfin, des jardins solidaires ont été créés afin de renforcer le lien social qui accompagne la récolte de fruits et de légumes.

La Croix-Rouge possède également un éventail d’actions d’aide alimentaire qui repose en partie sur la collecte de dons en nature. Une aide d’urgence peut ainsi être attribuée sous différente formes, comme la distribution de paniers, de repas chauds, de sandwiches, ou encore l’accès à un réseau de 80 épiceries sociales. Le bénéficiaire s’acquitte de seulement 10 % de la valeur des produits qu’il y consomme. La Croix Rouge met aussi à disposition des plus démunis des fiches recettes pour préparation des fruits et légumes, qui permettent de promouvoir une alimentation saine tout en sensibilisant à la bonne conservation de ces aliments fragiles trop souvent jetés.

Toutes ces associations ont une mission sociale qui va bien au-delà du soutien alimentaire stricto sensu : la distribution de denrées va de pair avec un accompagnement social, des échanges, des conseils, des moments de sociabilité pour lutter contre l’isolement et pour encourager l’insertion des publics accueillis. C’est un des objectifs des « ateliers cuisine » organisés par les associations, en parallèle de la volonté d’assurer l’éducation alimentaire des familles participantes (guide de recettes simples, accommodement des restes, équilibre nutritionnel des repas).

D’autres associations agissent indirectement pour lutter contre le gaspillage alimentaire, souvent au travers du prisme du développement durable : le gaspillage n’est pas un mode de consommation soutenable sur le long terme, alors que les ressources naturelles sont déjà sous tension, que la démographie mondiale s’accroît, et que l’agriculture intensive a montré ses limites. L’association France nature environnement (FNE) est ainsi particulièrement mobilisée sur ce domaine, et a conclu des partenariats avec des acteurs publics comme l’ADEME ou le ministère de l’écologie.

Le soutien aux acteurs de l’aide alimentaire s’inscrit également au niveau européen. La politique européenne historique de solidarité et de lutte contre le gaspillage est le programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD). Créé en 1986, le PEAD permettait d’apporter une aide alimentaire aux 13 millions d’Européens vivant sous le seuil de pauvreté. En France, le programme allouait 72 millions d’euros de denrées à quatre associations – les banques alimentaires, la Croix‑Rouge française, les Restos du Cœur et le Secours populaire français – afin de soutenir près de 4 millions de personnes.

Originellement, le PEAD permettait de concilier deux intérêts généraux : aider les populations en situation de précarité alimentaire et ne pas gaspiller les « stocks d’intervention » de la politique agricole commune (PAC) qui n’étaient pas utilisés pour réguler les marchés agricoles. Afin d’assurer un niveau d’aide alimentaire continu, le PEAD a été modifié au milieu des années 1990 afin de compléter les stocks d’intervention, qui baissaient, avec des achats directs sur le marché, financés par les fonds de la PAC.

Depuis 2004, la France complétait les achats européens, par le Programme national d’aide alimentaire (PNAA), répondant aux besoins non pourvus par le PEAD (protéines animales, fruits, légumes).

La polémique de la suppression du PEAD

Les réformes successives de la PAC ont conduit à mettre en place un système qui ne fait presque plus appel aux stocks d’intervention. La pérennité du PEAD, qui était financé sur les fonds de la politique agricole commune, a été questionnée : un arrêt du Tribunal de l’Union européenne, rendu en 2011, a confirmé que la base juridique du PEAD était à revoir, puisque l’achat de denrées sur le marché constituait une exception à la règle. Pour l’exercice budgétaire 2012, la Commission, tenant compte de ce jugement, a donc réparti une enveloppe de 113,5 M€ entre les 20 États membres bénéficiaires, soit une réduction de 500 M€ en une seule année.

Le tollé suscité par cette décision, soutenue par certains États comme l’Allemagne, a entraîné la recherche d’un accord diplomatique, la France souhaitant quant à elle la continuité du programme. Le PEAD a finalement été prolongé sur 2012 et 2013 avec un budget de 500 M€ par an. Une déclaration franco-allemande a acté la fin du PEAD en 2014 et la création d’un nouveau fonds.

La création du FEAD

À partir de 2014, l’Union européenne s’est donc dotée du Fonds européen d’aide alimentaire (FEAD). Pour la période 2014-2020, la France dispose d’une enveloppe budgétaire de 500 M€, complétée par 88 M€ de crédits nationaux. En effet, les États Membres doivent désormais cofinancer au minimum 15 % du coût de leur programme national.

Le FEAD permet aux pays de l’UE, via les associations partenaires des autorités nationales, d’acquérir et de distribuer des denrées alimentaires, des vêtements ou d’autres biens essentiels à usage personnel, tels que des chaussures, du savon ou du shampooing. Cette assistance matérielle doit s’accompagner de mesures d’intégration sociale, notamment des services de conseil et d’assistance visant à aider les personnes à sortir de la pauvreté. Néanmoins, l’optique de lutte contre le gaspillage alimentaire n’est plus présente dans ce fonds.

2.    La loi et un contexte favorable à l’économie sociale et solidaire ont contribué à l’émergence d’intermédiaires et d’applications innovants

Si la loi du 11 février 2016 a accompagné l’activité des acteurs du secteur caritatif qui œuvraient de longue date, les rapporteurs font le constat aussi qu’au-delà du travail quotidien mené par les associations en faveur de la lutte contre la précarité alimentaire, une nouvelle économie du don alimentaire et de la lutte contre le gaspillage alimentaire est apparue. Cette économie, profitable, issue de l’économie sociale, est souvent issue d’initiatives ou d’idées mises en musique par de jeunes start-ups.

Parmi ces initiatives, une première catégorie dacteurs à distinguer est celle des « nouveaux intermédiaires » tels que Phénix, Eqosphere, Comerso ou Linkee dont le cœur d’activité est de jouer un rôle d’interface entre leurs clients, généralement les grandes et moyennes surfaces (ou parfois des artisans, acteurs de la restauration collective, collectivités...), et les associations caritatives perceptrices de dons. Présentant chacun des modèles originaux avec leurs spécificités propres, ils sont devenus de bons baromètres des pratiques anti‑gaspillage dans le secteur de la grande distribution.

L’émergence des nouveaux acteurs économiques du don tient à leur capacité à fluidifier les circuits des dons devenus plus volumineux avec la loi de 2016. Les intermédiaires viennent ainsi livrer des prestations « clefs en main » aux GMS en leur offrant des diagnostics de gestion de leur stock et des débouchés pour leurs invendus, dont ils assurent parfois eux-mêmes l’acheminement logistique vers les associations. La défiscalisation accordée aux dons assure la pérennité du modèle économique de ces acteurs, une part de la déduction d’impôt des GMS étant attribuée à la rémunération de leurs services.

Mais ces « entreprises intermédiaires » ou « sociales », en particulier Comerso et Eqosphère, insistent sur un point : la démarche contre le gaspillage ne sera efficace que si elle est conduite en cohérence et en globalité d’action, conjuguant meilleur suivi des stocks, formation des salariés et don alimentaire. Faute de cohérence et de constance, les actions peuvent se résumer à du « gaspiwashing » selon des représentants d’Eqosphère.

Certains acteurs ont néanmoins fait part de leur préoccupation face à ce qu’ils considèrent être une tendance à la « marchandisation » du don, apparue entre la logique caritative et la logique économique. Les observations varient d’un acteur à l’autre et il convient ici de les restituer objectivement.

D’un côté, selon certaines associations, si certaines jeunes entreprises qui optimisent efficacement les circuits de dons alimentaires prospèrent au point d’assécher les circuits d’approvisionnement des petites associations, qui sont parfois les seules à couvrir certaines parties du territoire, il pourrait y avoir des laissés-pour-compte et des exclus. En d’autres termes, ce mouvement d’optimisation des circuits du don alimentaire, par l’émergence des nouveaux intermédiaires de l’économie sociale à la recherche d’économies d’échelle, risquerait d’accentuer la « concentration » des associations et des structures qui gèrent les dons. Les associations regrettent que les entreprises intermédiaires les privent d’un contact direct avec les responsables de magasins, souhaitable pour une relation humaine et de confiance dans la durée.

Mais d’un autre côté, du point de vue des intermédiaires, nombre de petites associations caritatives, loin d’être menacées, sont au contraire valorisées par leur travail. En marge des circuits reliant directement aux grandes enseignes ou aux grandes marques agroalimentaire, le recours aux intermédiaires leur permet d’accéder à des ressources plus diverses et plus pérennes. Autrement dit, les intermédiaires du don alimentaire agissent comme des grossistes et, à ce titre, seraient des soutiens aux plus petites associations.

Cette complémentarité des intermédiaires avec les acteurs historiques du don est aussi à souligner quand ceux-ci rendent possible la redistribution quasi immédiate de produits prêts à consommer comme des plats chauds du secteur de la restauration, qui n’auraient pas pu être valorisés dans l’alimentation humaine par les vecteurs traditionnels. Soulignons néanmoins que ces initiatives dans la restauration collective existent aussi sans intermédiaires.

Par exemple, l’association Le Chaînon manquant, comme son nom l’indique, focalise son action sur l’optimisation logistique de certains circuits impliquant des denrées alimentaires, et donc du gaspillage. Les partenaires de l’association se situent surtout dans l’événementiel, où beaucoup de chemin reste à parcourir en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire. En intervenant auprès de grands événements sportifs, Roland Garros par exemple, Le Chaînon manquant permet une redistribution le jour même en garantissant le respect de la chaîne du froid pour des produits à date limite de consommation immédiate.

Les Camions du Cœur récupèrent ainsi des repas chauds préparés mais non servis dans des unités de restauration collectives, comme les cantines des lycées, pour les distribuer le soir-même. Idem pour les initiatives à partir des cuisines de centres hospitaliers, comme au Mans, redistribués le jour-même par des associations de solidarité locale, grâce au départ à la ténacité et l’ingéniosité des cadres de l’hôpital et des responsables associatifs.

La loi de 2016 est aussi venue stimuler les initiatives mobilisant les outils numériques en matière de gaspillage alimentaire. De nombreuses applications innovantes ont germé ces dernières années, proposant chacune à leur manière un débouché à des invendus auprès de consommateurs soucieux d’accéder à des denrées à prix réduit.

Ainsi, l’entreprise Graapz, comme l’application Proxidon, ont comme particularité de s’adresser aux commerces alimentaires de moins de 400 m2, qui ne sont pas concernés par les dispositions contraignantes de la loi de 2016 sur le don alimentaire. Dans ce type de surfaces, les invendus ont tendance à être davantage jetés : les associations de don alimentaire n’ont souvent pas la maille assez fine ou la logistique suffisante pour aller vers ces commerces de petite taille. Graapz propose des paniers anti-gaspi, composé de fruits et légumes qui sont restés invendus et à un prix attractif, à venir chercher dans ces commerces directement. C’est la même démarche qui anime Too Good To Go avec un vrai succès auprès du grand public.

Selon Zero-gachis.fr, qui déploie des solutions d’offres promotionnelles anti-gaspillage chez les magasins partenaires, à l’aide de « stickages », la loi a eu comme vertu d’amplifier le mouvement du don alimentaire, dans un contexte apaisé par la sécurisation du cadre juridique.

Les représentants de Disco Soupe, plateforme en ligne permettant d’organiser des événements festifs basés sur le lien social autour de la lutte contre le gaspillage alimentaire, déclarent que la loi de 2016 a, effectivement, permis d’accentuer les relations avec l’ensemble des GMS. En particulier, grâce aux formations et aux sensibilisations sur le sujet, le management des magasins a évolué dans un sens plus ouvert aux différents partenariats que les associations ou les intermédiaires leur proposent.

Toutefois, force est aussi de constater que les relations humaines et les situations particulières demeurent un ingrédient essentiel de la réussite de tels partenariats. Selon Disco Soupe, la lutte contre le gaspillage alimentaire demeure une activité « bonus » des managers de GMS, un « supplément d’âme » qui leur est plus facilement loisible de développer lorsqu’ils ne connaissent pas de problèmes de ressources humaines, de gestion des stocks ou de travaux.

L’association Hop Hop Food offre elle aussi un modèle singulier et non-lucratif de plateforme digitale qui permet d’identifier les denrées mises à disposition par les utilisateurs dans un réseau de garde-mangers solidaires situé à proximité de grandes surfaces. Elle permet ainsi de mettre en relation des particuliers et d’aborder avec une approche solidaire la problématique du gaspillage des ménages, qui ne diminuerait pas. Les développeurs de la plateforme soulignent par ailleurs le lien entre gaspillage et précarité alimentaires : alors que les personnes précaires ne disposent en moyenne que de 2,5 euros par jour destinés à l’alimentation, seules 4,5 millions d’entre elles sur 13 millions bénéficieraient d’une aide mensuelle.

D’autres services numériques cherchent à réduire le gaspillage au niveau des foyers, qui reste difficilement atteignable par l’action des pouvoirs publics en raison de son ancrage dans les modes de consommation et les comportements individuels. Par exemple, l’application Frigo Magic propose des recettes de cuisine simples que l’utilisateur peut ajuster aux ingrédients dont il dispose. Cela renverse le paradigme habituel de la recette qui dicte le contenu des courses et évite de gaspiller des aliments approchant de leur date limite de consommation tout en participant d’une revalorisation de l’alimentation.

L’émergence de ces nombreuses initiatives encourage la prise de conscience collective contre le gaspillage alimentaire à laquelle appellent vos rapporteurs. Le législateur devra favoriser cette diversité de solutions innovantes permettant à chacun d’améliorer ses pratiques de consommation et d’alimentation, tout en veillant à assurer l’équilibre entre les différents débouchés auxquels les invendus alimentaires des grandes surfaces sont aujourd’hui rendus disponibles. Les rapporteurs rappellent que la part la plus importante de cet équilibre vise à permettre la récupération de produits consommables pour les personnes en situation de précarité.

3.   Une politique à structurer dans les territoires : une clé de réussite

Les initiatives locales élaborées autour de la lutte contre le gaspillage alimentaire sont nombreuses : historiquement, il s’agit d’associations d’aide alimentaire, de glanage, des épiceries solidaires, etc. Toutefois, des volontés de structurer localement les réseaux de lutte contre le gaspillage alimentaire se sont également fait jour.

Ainsi, plusieurs réseaux pour éviter le gaspillage alimentaire (REGAL) se sont créés à partir de 2013, quand le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire a été signé. Il s’agit de structures encourageant le développement d’initiatives locales, notamment dans les milieux scolaires, dans la restauration collective ou privée, afin de faciliter l’essor de pratiques vertueuses de lutte contre le gaspillage alimentaire. La philosophie qui anime les REGAL est bien celle de la facilitation : en accompagnant des professionnels qui n’ont souvent guère de temps ou de ressources à accorder à cette préoccupation, les REGAL les dégagent de cette « charge mentale » et contribuent à la diffusion de bonnes pratiques. Parmi les acteurs sensibilisés par ces réseaux, dont celui de Normandie auditionné par la mission, figurent les élus locaux, acteurs essentiels des projets locaux. Sans volonté politique locale, pas de résultats durables.

À l’initiative des REGAL figure le CREPAQ, centre de ressources d’écologie pédagogique d’Aquitaine, dont les représentants ont également précisé les limites des missions d’accompagnement ou de sensibilisation que les réseaux locaux proposent. Dans une école, un collège ou une cuisine centrale, la lutte contre le gaspillage alimentaire doit passer par un projet commun, partagé par tous les professionnels, et non uniquement par des « pionniers » qui en feraient leur cheval de bataille. Un seul cuisinier, intendant ou professeur ne peut assumer cette charge si la collectivité dans son ensemble ne se mobilise pas. C’est en tout cas une des conditions de résultats tangibles sur le long terme.

Parmi les efforts à mener, actuellement, pour améliorer l’efficacité et l’ampleur de l’action des REGAL, figure le déploiement des projets alimentaires territoriaux (PAT), qui disposent parfois déjà d’un volet consacré à la lutte contre le gaspillage alimentaire. Ces PAT permettent de rapprocher naturellement tous les principaux acteurs jouant un rôle dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, ce qui permet de rationaliser les échanges, d’identifier les interlocuteurs (notamment publics) et de définir des stratégies communes. En Nouvelle Aquitaine, le CREPAQ a identifié plus de 380 structures qui seraient des interlocuteurs utiles, sur l’ensemble de la chaîne de production agroalimentaire.

Les PAT permettent, en outre, d’aller plus loin que la seule lutte contre le gaspillage alimentaire. Ils sont un outil de « reterritorialisation » de l’alimentation qui permet de créer des synergies au niveau local. De façon concrète, une collectivité territoriale qui se fournit chez une coopérative d’agriculteurs locaux peut mettre en lien les agriculteurs qui y sont sociétaires avec des associations caritatives soutenues par cette collectivité, afin qu’ils créent une convention de don de leurs excédents de production alimentaire.

Force est de constater qu’aujourd’hui, les projets alimentaires territoriaux (PAT) sont un outil de structuration territoriale très utile mais sous-exploité : vos rapporteurs appellent à leur plus importante mobilisation.

La loi de 2016 a favorisé le développement dun écosystème contre le gaspillage :

-          les bénévoles des associations de solidarité sont souvent, localement, au premier plan de la lutte contre le gaspillage, au titre de la solidarité ;

-          les entreprises intermédiaires et les entreprises sociales ont investi avec succès le champ de la lutte contre le gaspillage, apportant fluidité et dynamisme au mouvement engagé, en particulier pour le don alimentaire, sur lequel repose en grande partie leur modèle économique ;

-          des applications numériques ont également fait florès et participent de la mobilisation des consommateurs dans la lutte contre le gaspillage ;

-          les relations entre tous les acteurs engagés ne sont guère mises en cohérence à léchelle locale, chacun restant le plus souvent dans son champ de responsabilité et de compétence

 


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IV.   Les propositions de la mission

Vos rapporteurs souhaitent conclure l’évaluation de la loi de 2016 par la formulation de quatorze propositions pour prolonger l’ambition qu’elle avait fixée.

1.   Davantage de contrôles et des sanctions plus fermes

Vos rapporteurs souhaitent que les services de l’État au niveau national (la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DCCRF, et la direction générale de l’alimentation - DGAL), au niveau régional (les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement – DREAL, et les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt – DRAAF) et au niveau départemental (les directions départementales de la protection des populations – DDPP) accentuent et commencent par mettre en œuvre les contrôles pour respecter la loi de 2016. En particulier, linspection des grandes et moyennes surfaces visées par la loi pourrait avoir lieu pendant les contrôles de sécurité sanitaire qui sont déjà conduits à l’heure actuelle de façon itinérante.

Quoi qu’il en soit, et quelle que soit l’organisation retenue par l’État pour ses services, la notion de « chef de file » est à retenir, pour donner corps à de véritables contrôles « anti-gaspillage », reconnus comme tels, en dotant inspecteurs et contrôleurs d’un service de l’État d’une mission clairement définie.

Ces contrôles doivent porter nécessairement sur :

‑ le respect de l’interdiction de jeter la nourriture consommable

‑ le respect des clauses de la convention de don et des dispositions du décret n° 2016-1962 du 28 décembre 2016.

Il faudrait également que ces tournées d’inspection permettent le contrôle de l’existence et du respect des plans de gestion de la qualité du don alimentaire, mis en place par le décret du 11 avril 2019, précité.

En outre, afin de faciliter la mise en conformité de l’ensemble des entreprises de la filière agroalimentaire aux exigences de la loi, il conviendrait qu’un référent « gaspillage alimentaire » soit désigné dans chaque établissement, parmi les salariés. Ce référent pourrait utilement coïncider avec le référent « sécurité sanitaire » dont la création a été préconisée par le rapport de la commission d’enquête chargée de tirer les enseignements de l’affaire Lactalis et d’étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d’information, de la production à la distribution, et l’effectivité des décisions publiques (dite « Lactalis ») ([14]).

Vos rapporteurs souhaitent également accroître les sanctions applicables, car les mentalités et les pratiques ayant notablement et favorablement évolué, il convient d’être plus ferme vis-à-vis des acteurs récalcitrants à appliquer la loi.

La sanction de non-conventionnement est aujourd’hui punie d’une contravention forfaitaire de troisième classe. Il pourrait être envisagé de la rehausser à une amende de cinquième classe, soit 1 500 euros, prononcée par un juge et donc ajustable selon les circonstances.

La sanction pour destruction de denrées alimentaires consommables est une amende administrative de 3 750 euros, qui ne concerne aujourd’hui que les distributeurs du secteur alimentaire. Il pourrait être pertinent d’augmenter sensiblement le montant de cette amende par infraction constatée, ou de la moduler selon certains critères :

‑ amende forfaitaire de 10 000 € ;

‑ amende prononcée en proportion du poids des denrées jetées – par exemple, 1 000 € le kilo ;

‑ amende prononcée en proportion du chiffre d’affaires (pour un hypermarché au chiffre d’affaires de 80 M€, une amende de 1 pour mille correspond à 80 000 €).

2.   Un label « anti-gaspi » et une fiscalité écologique cohérente : donner plutôt que jeter

Cette proposition intervient dans un contexte préservé de fiscalité rattachée au don. L’incitation fiscale du don alimentaire ne doit pas être remise en cause.

La loi de 2016 a eu l’effet escompté : développer sensiblement le conventionnement entre les grandes et moyennes surfaces et les associations d’aide alimentaire. Toutefois, la loi ne récompense pas les comportements les plus vertueux, notamment ceux qui s’engagent pour le respect de la hiérarchie de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Pourtant, beaucoup de pratiques méritent d’être reconnues et encouragées : les entreprises de l’amont de la filière agroalimentaire, qui auditent leurs processus de production et investissent dans la réduction des pertes alimentaires ; les entreprises d’insertion qui se spécialisent dans la récupération ou le glanage (avec enfin la publication d’une circulaire pénale pour l’encadrer et le sécuriser juridiquement) ; les acteurs qui s’assurent de la qualité des dons qu’ils fournissent aux associations ; les enseignes qui développent des politiques anti-gaspillage au-delà du « stickage » ou de la confection de paniers de fruits et légumes « anti-gaspi ».

Pour ces comportements vertueux, vos rapporteurs appellent à la création dun label, qui pourrait être reconnu au niveau législatif dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’économie circulaire et qui pourrait compter des niveaux dexigence progressifs, sur le modèle de la haute valeur environnementale (HVE de niveau 1, 2 ou 3). Ce label d’excellence dans la lutte contre le gaspillage alimentaire serait décerné lorsque l’entreprise répond aux exigences d’un cahier des charges rigoureux.

En cohérence, afin de stimuler les acteurs qui aujourd’hui bravent l’interdiction de jeter plutôt que de respecter la hiérarchie de la lutte contre le gaspillage alimentaire, la dispense de régularisation de TVA pour les marchandises détruites volontairement devrait être levée dans le cas de denrées alimentaires invendues.

Ce mécanisme fiscal, décrit à l’article 273 du code général des impôts, autorise aujourd’hui que, dans certains cas particuliers, la TVA déduite, en amont, d’opérations commerciales en vue de la vente des marchandises ne fasse pas l’objet d’une « récupération » lorsque la vente n’a pas lieu, en aval ([15]). Cette régularisation, qui est le principe, n’est en effet pas exigée lorsque les biens en stock sont détruits (soit accidentellement, soit volontairement), ou font l’objet d’usage particuliers – notamment le don alimentaire à des associations d’aide alimentaire.

Vos rapporteurs souhaiteraient cibler très précisément le cas d’une destruction volontaire de denrées alimentaires, invendues mais n’ayant fait l’objet ni d’un don, ni d’une valorisation. Dans ce cas de figure, le droit à non-régularisation de la TVA déduite devrait être supprimé, d’autant que le fait de jeter de la nourriture consommable est interdit depuis la loi de 2016 !

3.   Des produits sans limitation de date

Depuis plusieurs années, les dates limites de consommation appliquées par les industriels sur leurs produits frais ou secs ont connu d’importantes modifications, dans un sens favorable au combat contre le gaspillage alimentaire :

‑ certaines dates limites de consommation ont été supprimées, car elles n’avaient aucune raison, sanitaire ou pour l’information du consommateur, d’apparaître sur certains produits non périssables : le sel, le vinaigre notamment. L’article 103 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte dispose ainsi que l’inscription de la date de durabilité minimale (DDM) est interdite sur certains produits alimentaires dont la liste est fixée au niveau européen ([16]) ;

‑ certaines dates limites de consommation ont été, selon les industriels, allongées au fil du temps, notamment sur les produits frais, sans pour autant nuire à la protection du consommateur ;

‑ l’étiquetage des produits a également évolué, avec une distinction plus nette entre les dates limites de consommation, qui matérialisent une péremption imminente des produits et un risque pour le consommateur, et les dates de durabilité minimale (DDM), qui matérialisent un risque d’affaiblissement de la qualité organoleptique de la denrée mais aucunement son caractère consommable.

Vos rapporteurs se félicitent que ce mouvement, largement mené au niveau européen, se soit enclenché. Mais il serait temps que la France nourrisse l’ambition d’aller plus loin, pour éviter de continuer à gaspiller des denrées comestibles tout en préservant le respect d’une protection sanitaire sans faille du consommateur.

Ils proposent, à ce titre de revoir et d’étendre, sous expertise de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), la liste des produits pour lesquels il n’est pas pertinent d’indiquer une date de durabilité minimale (DDM), mais uniquement une date de fabrication :

‑ les boîtes de conserve en bon état ;

‑ les produits lyophilisés ;

‑ certains produits sans matière grasse comme les pâtes, le riz, les flocons d’avoine ;

‑ les huiles, le miel, les épices.

À l’instar de nombreux produits désormais vendus en vrac, par définition sans DDM, il convient de faire davantage confiance au(x) bon(s) sens des consommateurs (présence de moisissures, changement d’odeur, emballage abîmé, mauvaises conditions de conservation, etc.).

Vos rapporteurs proposent également :

‑ de promouvoir, dans le programme de travail de la nouvelle Commission européenne, la reconnaissance réglementaire du choix lexical « meilleur avant », plutôt que la « date de durabilité minimale », qui évoque mieux le fait qu’après une certaine date, un produit ne cesse pas d’être consommable, et donc qu’il n’y a pas de raison de le jeter ;

‑ de soutenir les initiatives de la grande distribution d’intégrer les dates limites de consommation dans les codes-barres des produits (voir proposition n° 8), afin de faciliter la transparence et la collecte de ces données à des fins de lutte contre le gaspillage alimentaire ;

‑ de mener des campagnes de sensibilisation à destination du grand public, afin de rappeler le sens réel des dates limites de consommation et de promouvoir des comportements plus éco-responsables.

4.   Un Fonds national de lutte contre le gaspillage alimentaire

La mise en place d’un Fonds constituerait le bras armé de la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire. Aujourd’hui, cette lutte repose essentiellement sur la responsabilité sociale des entreprises, sur l’engagement bénévole de nombreux citoyens au sein d’associations et sur l’adoption de comportements éco-responsables. L’effort financier de l’État est principalement de nature fiscale : il s’agit de la déduction fiscale applicable aux dons de denrées alimentaires aux associations habilitées.

Or, l’État, les entreprises et les collectivités territoriales devraient s’engager dans une démarche financière d’investissement, pour garantir des résultats durables.

À cette fin, vos rapporteurs préconisent que ce Fonds national de lutte contre le gaspillage alimentaire fasse lobjet dun co-financement systématique des acteurs privés et publics. Les aides publiques ne pourraient être débloquées qu’en cas d’investissement privé, de nature financière ou en nature, par exemple avec du mécénat de compétences.

Les contributions publiques nationales proviendraient de l’affectation d’une partie de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) ([17]) tandis qu’une ligne de dépenses d’intervention, dans les budgets des collectivités territoriales, pourrait abonder le fonds.

Le fonds aurait pour mandat de soutenir financièrement :

‑ la maintenance et l’acquisition de moyens logistiques par les associations d’aide alimentaire, notamment des véhicules propres, afin qu’elles puissent assumer la réception de volumes croissants de dons alimentaires ainsi que leur redistribution ;

‑ la mise en place d’une prime à la conversion des véhicules déjà détenus par les associations, mais potentiellement polluants et vieillissants ;

‑ le recours à des équipes d’audit, qui auraient pour mission d’accompagner les entreprises dans leur politique de lutte contre le gaspillage alimentaire (optimisation des appareils de production, des chaînes logistiques, de la gestion des stocks, etc.), notamment en vue de leur labellisation (voir proposition n° 2). Ces diagnostics, dans le cadre d’une action nationale volontariste, pourraient être obligatoires et cofinancés par l’entreprise elle-même, avec un soutien public issu du Fonds national ([18]).

5.   Associer les petits commerces alimentaires à la lutte contre le gaspillage alimentaire par le don

La loi de 2016 prévoit un seuil d’application de l’obligation de conventionner avec les associations d’aide alimentaire, fixé à 400 m2 de surface de vente. De nombreux commerces de plus petite taille, dont les artisans de bouche, sont déjà engagés dans une démarche de don alimentaire mais sur une base volontaire uniquement.

Vos rapporteurs estiment qu’il serait, dans certaines circonstances, contre-productif d’obliger tous les petits commerces à établir des conventions d’aide alimentaire, en particulier si les associations d’aide alimentaire du secteur ne sont pas en mesure de venir collecter les dons dans de bonnes conditions, faute de volumes suffisants.

En revanche, il pourrait être pertinent que la loi évolue pour prévoir que les GMS de moins de 400 m2 et les artisans de bouche signent une convention de don alimentaire dans le cas où un besoin est identifié, c’est-à-dire lorsqu’au moins une association d’aide alimentaire se manifeste pour conclure une telle convention.

6.   De nouveaux gisements d’aliments à sauver de la poubelle

Le présent rapport ne peut s’achever sans préconiser de nouveaux chantiers d’approfondissement de la lutte contre le gaspillage alimentaire. Vos rapporteurs souhaitent que les pistes suivantes soient explorées :

‑ les denrées alimentaires confisquées par les services des douanes ;

‑ les repas produits mais non servis en restauration privée, notamment en restauration rapide ;

‑ la réglementation applicable aux facilités de compostage des établissements de restauration ;

‑ l’extension du diagnostic obligatoire de lutte contre le gaspillage alimentaire à tous les opérateurs agroalimentaires, et non uniquement à la restauration collective.

7.   Favoriser les dons entre particuliers en clarifiant les responsabilités juridiques

Les initiatives pour recréer du lien social et de la solidarité entre particuliers gagnent à être connues et à être diffusées. Ce sont les applications numériques ou les associations qui promeuvent les dons entre particuliers, entre voisins, entre habitants d’un même quartier. La symbolique du don est importante : qu’il s’agisse de donner à ceux qui en ont besoin ou de donner pour éviter de gaspiller, la philosophie reste celle d’une démonétisation qui est enfin déconnectée de la dévalorisation de la nourriture. En somme, ce n’est pas parce que la nourriture est donnée qu’elle est bonne à jeter ; au contraire, elle est donnée comme un partage, comme un outil de convivialité et de vivre-ensemble.

Vos rapporteurs préconisent que la loi garantisse un cadre clair et sécurisé pour de tels dons entre particuliers. La confiance existe dans certaines situations de convivialité (kermesses, goûters associatifs, etc.) et mériterait d’être étendue. La question de la responsabilité juridique de la denrée donnée – à la différence de la denrée vendue, où le transfert de propriété, donc de responsabilité, est clair – doit donc être tranchée dans un sens qui ne décourage pas le don des particuliers.

Dans les conventions-type de don alimentaire entre GMS et association habilitée, le transfert de responsabilité vers l’association est une clause ordinaire. Toutefois, il n’est pas possible d’envisager une relation contractuelle pour chaque don entre particuliers. Aussi, c’est une règle clairement énoncée dans la loi, ou à défaut une doctrine administrative claire, qui doit décharger le donneur de tout risque d’être menacé de poursuites s’il est de bonne foi et bien intentionné.

8.   Davantage de traçabilité : les dates de consommation dans les codes-barres

L’amélioration de la gestion logistique des industriels de l’agroalimentaire et des distributeurs est, pour vos rapporteurs, un axe fort de la réduction du gaspillage alimentaire, plus précisément de sa prévention. Les auditions ont montré que des efforts ont déjà été réalisés, notamment à l’aide de services dédiés proposés à destination des entreprises (Phénix, Eqosphere, etc.).

Toutefois, vos rapporteurs appellent les entreprises concernées à se saisir de tous les outils que linnovation technologique a permis de développer : le recours à l’internet des objets (des capteurs intelligents permettant de contrôler en direct les flux logistiques, l’emballage intelligent, etc ;), à l’instar de l’utilisation qui en est faite par Biotraq, ou encore la blockchain ([19]). Les gains en termes de transparence des relations commerciales tout au long de la filière seraient, en outre, substantiels.

En second lieu, c’est linformation véhiculée par les codes-barres qui pourrait être enrichie dans un sens favorable à la lutte contre le gaspillage alimentaire. En particulier, l’enregistrement des données relatives aux dates limites de consommation dans les codes-barres permettrait aux industriels et aux distributeurs de mieux maîtriser leurs stocks, leurs rayonnages et de faciliter leurs pratiques de « stickage » (réduction du prix de produits approchant la péremption), et de dons. Des initiatives très prometteuses sont en cours.

En outre, comme l’information présente dans les codes-barres peut être accessible sur des plateformes de collecte de données en libre accès (comme openfoodfacts.org), des tiers pourraient utiliser ces données pour créer des services de lutte contre le gaspillage alimentaire, comme la possibilité pour les consommateurs de mieux connaître ce qui se périme bientôt dans leur réfrigérateur ou leurs placards.

9.   Mieux coordonner la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire

L’évaluation de la loi de 2016 s’inscrit dans un calendrier parlementaire qui met très prochainement à l’ordre du jour un projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui pourrait avoir l’ambition de revoir la gouvernance de l’action publique en matière de lutte contre tous les gaspillages : alimentaire, d’électroménager, de vêtements, etc.

Dans cette logique, vos rapporteurs appellent à ce que le Gouvernement donne une forme concrète à la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire, qui assurerait les missions suivantes :

‑ la coordination de moyens publics mobilisés pour la lutte contre le gaspillage alimentaire ;

‑ l’accompagnement de toutes les initiatives nationales ou locales en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire (ingénierie de projet, conseils juridiques, mises en relation, etc.) ;

‑ la labellisation et le suivi des volets « gaspillage alimentaire » des projets alimentaires territoriaux (PAT) ;

‑ la mesure du gaspillage alimentaire, au moyen d’une méthodologie et d’indicateurs de suivi statistiques ;

‑ la définition d’actions de sensibilisation et la mise en œuvre de campagnes de communication, ainsi que la création de modules de formations librement accessibles en ligne (e-learning) à destination des citoyens, des associations, des établissements scolaires ou encore des entreprises.

10.   Achats publics : intégrer des recommandations « anti-gaspi »

Les auditions menées par les rapporteurs ont rappelé l’importance de remobiliser le groupement d’étude des marchés en restauration collective et nutrition (GEM-RCN), afin de permettre la publication de recommandations à jour des évolutions sociétales. Le travail mené par ce groupe est précieux mais la dernière version de ces « recommandations nutrition » date de juillet 2015, avant la publication de la loi de 2016 et avant l’émergence de nombre d’initiatives et de prises de conscience de l’importance de la lutte contre le gaspillage alimentaire dans la restauration collective publique.

Ainsi, les pratiques de la commande publique pourraient évoluer vers davantage de durabilité des critères des appels d’offres. En particulier, il serait pertinent que les donneurs dordre attribuent moins dimportance aux offres qui proposent, à prix équivalent, un grammage plus important – c’est-à-dire des repas plus copieux.

Si, d’un point de vue de gestion, cette concurrence des offres peut être vertueuse pour diminuer les coûts des marchés publics, elle peut conduire à privilégier des projets proposant aux usagers – notamment aux enfants ou aux jeunes – des grammages parfois inadaptés à leurs besoins nutritifs, ce qui ouvre la voie à un gaspillage alimentaire inévitable.

Ainsi, les grammages préconisés par le GEM-RCN dans ses recommandations « nutrition » de 2015 sont différents selon les établissements scolaires (école maternelle, primaire, collège) mais pourraient faire l’objet d’une granularité plus importante. Aujourd’hui, un même grammage (de pain, de viande, de riz) est souvent proposé pour tous les enfants d’école maternelle ou d’école primaire, alors que leurs besoins évoluent en fonction de leur croissance : un enfant de 6 ans et un enfant de 10 ans n’ont physiologiquement pas le même appétit

11.   La lutte contre le gaspillage dans les enseignements scolaires

Comme les développements précédents du rapport l’ont montré, la lutte contre le gaspillage alimentaire fait déjà partie des préoccupations prises en charge par le législateur au sein du code de l’éducation, dont la mise en œuvre dépend ensuite de la bonne volonté des établissements scolaires. Toutefois, les programmes scolaires ne sont pas conçus pour accorder une place suffisante à ces sujets d’éducation à des comportements durables, alors que cette responsabilité incombe naturellement à l’État.

Vos rapporteurs préconisent qu’une révision profonde de la façon d’organiser les cursus ait lieu. L’éducation à l’éco-responsabilité, aussi appelée « éducation au développement durable » (EDD) devrait avoir une place plus systématique dans le projet pédagogique des établissements scolaires, et non se limiter à des traitements ponctuels (classes vertes, projets extrascolaires, etc.). La lutte contre le gaspillage alimentaire serait une des thématiques traitées à des niveaux d’approfondissement qui évolueraient au fil des années ; d’autres thématiques d’apprentissage de la transition écologique seraient également traitées : la lutte contre les changements climatiques, contre la pollution de l’air ou contre la surconsommation de plastiques.

L’éducation secondaire spécialisée (lycées agricoles, lycées maritimes, lycées hôteliers), qui comportent déjà des modules plus avancés que dans les cursus généralistes, devraient également être concernés par ce changement en profondeur.

La formation continue des acteurs et des utilisateurs est également nécessaire pour parvenir à des résultats tangibles et sur le long terme : un vrai levier de lutte contre le gaspillage alimentaire serait de mettre à disposition des référentiels, des grilles de lecture, des dispositifs clé-en-main pour les acteurs concernés. Comme souvent, la difficulté avec la mise en place d’outils d’accompagnement ou de formation est leur accessibilité pour les petites structures. Des économies d’échelle (regroupements d’acteurs, cours en ligne) pourraient toutefois être trouvées.

12.   Donner une définition législative au gaspillage alimentaire

La définition retenue par le ministère de l’agriculture est de l’alimentation indique que « toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à une étape de la chaîne alimentaire, est perdue, jetée, dégradée, constitue le gaspillage alimentaire ». Cette définition mériterait d’être inscrite dans la loi française, pour consolider à son fondement toute la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire et permettre ensuite ses déclinaisons dans le champ réglementaire.

Rappelons que l’Union européenne n’est plus dotée, dans son droit positif, de définition commune du gaspillage alimentaire. En revanche, dans l’acte délégué de la Commission européenne du 3 mai 2019, précité, il est indiqué que la méthodologie statistique dont la Commission s’est dotée aura, parmi ses objectifs, de parvenir à trouver une telle définition commune.

La France pourrait donc mettre à profit son rôle de nation pilote dans la lutte contre le gaspillage alimentaire pour promouvoir la future définition proposée.

En outre, il serait utile de rappeler que la prévention figure en tête de la hiérarchie de lutte contre le gaspillage alimentaire, avant l’utilisation des invendus propres à la consommation humaine, par le don ou la transformation. D’ici fin 2020, il est impératif de mettre au point les indicateurs de mesure, tels que l’ADEME et le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire les auront définis. Cette inscription dans la loi serait un accélérateur des initiatives et permettrait de mobiliser les énergies locales et nationales vers l’objectif fixé, faisant de la France le leader mondial de la lutte contre le gaspillage alimentaire, facteur du réchauffement climatique.

13.   Transparence : une enquête nationale de mesure du gaspillage alimentaire

Vos rapporteurs ont constaté l’ampleur de la tâche en matière de mise en place d’une méthodologie de quantification du gaspillage alimentaire. La mesure du gaspillage demeure toutefois un prérequis pour évaluer et donc orienter efficacement la politique publique « antigaspi ».

Si la mise en place d’outils de quantification est amenée à progresser rapidement au sein des filières de distribution ou de production, qui disposent d’un savoir-faire logistique et de gestion des stocks, mesurer le gaspillage au niveau des ménages ne saura s’effectuer sans un programme public volontariste. Cela est pourtant indispensable : les consommateurs sont les premiers gaspilleurs.

La Commission européenne a pris les devants, avec l’acte délégué de mai 2019 proposant des méthodologies communes au niveau européen afin de mesurer le gaspillage alimentaire dans chaque secteur : vos rapporteurs encouragent fortement les pouvoirs publics à la suivre dans cette voie.

Ils proposent ainsi d’aller plus loin que les actuelles enquêtes-témoins menées par des associations de consommateurs en lien avec l’ADEME. Elles représentent déjà une bonne base pour appréhender le gaspillage alimentaire des ménages, mais reposent souvent sur des réseaux de volontaires, pouvant biaiser les résultats, et n’ont pas la force de frappe ni l’expertise statistique des administrations spécialisées (Insee, DARES, etc.).

Une grande enquête menée à l’aide d’un échantillon suffisamment représentatif de la population pourra ainsi être réalisée par les pouvoirs publics en s’appuyant sur les préconisations de la Commission européenne.

Mais chacun des maillons de la chaîne alimentaire doit jouer le jeu : nous devons aller vers une transparence des données, collectées entreprise après entreprise, qui indiquent clairement les volumes préservés de la poubelle, selon un référentiel propre à chaque secteur (volumes « stickés », volumes donnés, volumes méthanisés, etc.). La consolidation de ces données permettrait de dessiner un tableau précis du gaspillage, et des progrès réalisés, année après année.

14.   Mettre en place une politique de prévention du gaspillage du champ à l’assiette

Vos rapporteurs appellent à appliquer la méthode de gestion « Lean » de chasse aux gaspillages, du champ à l’assiette. Si la loi de 2016 a conduit à favoriser l’écoulement des surplus ou invendus alimentaires en facilitant les dons alimentaires aux associations, elle a produit des effets non mesurés sur les quantités gaspillées.  Or, le gaspillage alimentaire se constitue au fil de la chaîne alimentaire et doit être contenu à chaque étape. Il faut amener tous les acteurs à prendre leurs responsabilités et à mettre tout en œuvre pour réduire leur contribution au gaspillage alimentaire en limitant les excédents.

Cela passe par une sensibilisation et un accompagnement des professionnels qui pourraient être confiés aux chambres consulaires (chambres de commerce et d’industrie, chambres de métiers et de l’artisanat et chambres d’agriculture) afin de promouvoir auprès de leurs réseaux les bonnes pratiques de lutte contre le gaspillage alimentaire et de tri des déchets. Par exemple, pour les chambres d’agriculture, cette mission entrerait dans le champ de l’article L. 510-1 du code rural et de la pêche maritime, qui dispose que le réseau des chambres d’agriculture contribue « au développement durable des territoires ruraux et des entreprises agricoles, ainsi qu’à la préservation et à la valorisation des ressources naturelles, à la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et à la lutte contre le changement climatique ».

Les actions concrètes qui pourraient être menées par les réseaux consulaires viseraient à :

‑ constituer le relais local de la politique nationale de lutte contre le gaspillage alimentaire, informer les acteurs qui interviennent dans leur ressort ;

‑ réaliser des audits dans les unités de production, de restauration et de distribution avec une approche « Lean management » ciblée sur le gaspillage, en lien avec des partenaires externes. Cela consisterait à repérer les sources de gaspillage et à optimiser les processus et la chaîne logistique en vue de produire la juste quantité (chasse au stock, au volume, réduction des tailles de lots, réduction des portions,…), dans un triple objectif environnemental, éthique et économique ;

‑ fournir des prestations de formation continue et de sensibilisation ;

‑ mettre en relation différents acteurs complémentaires pour mener des initiatives conjointes de lutte contre le gaspillage alimentaire (un boulanger et une épicerie solidaire ; un traiteur et une banque alimentaire, etc.) ;

Il faudra également poursuivre et renforcer les campagnes d’information et de sensibilisation à l’intention des consommateurs afin qu’ils s’autodisciplinent et adoptent les bons réflexes anti-gaspillage.


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CONCLUSION

La mission conclut ses travaux en établissant le constat suivant : la loi de 2016 a rempli ses objectifs.

Elle a pu s’inscrire dans un contexte où le pays était prêt à s’engager dans une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire et elle a largement contribué à cristalliser cette démarche. Trois ans plus tard, les résultats sont là, et vos rapporteurs s’en félicitent.

Toutefois, à l’appui de la loi de 2016, c’est une politique publique du don alimentaire qui a prospéré, avec ses outils d’intervention (les décrets de 2016 et de 2019), ses incitations fiscales et ses obligations légales. La politique publique de la lutte contre le gaspillage alimentaire a donc été amorcée, mais est encore loin dêtre parachevée. Si l’interdiction de la destruction des denrées alimentaires consommables a été promue en principe, si la hiérarchie de la lutte contre le gaspillage alimentaire a été définie comme un cadre de référence pour les acteurs, il reste encore un important volet dont les responsables publics doivent s’emparer : la prévention du gaspillage alimentaire. Plus que rattraper les dérives dune société de surconsommation, il faut éviter ces dérives, le plus en amont possible.

Une autre réserve est exprimée par vos rapporteurs : le besoin, impérieux, dune mesure du gaspillage alimentaire. L’évaluation de l’efficacité d’une politique publique, sans données à son appui, prend le risque de rester vaine. Pour parvenir à cette mesure, il faudra que tous les acteurs concernés soient au rendez-vous de la transparence. Il faudra que les producteurs, que les distributeurs, que les opérateurs agro-alimentaires, acceptent de rendre compte de leurs engagements à moins gaspiller, par la publication de données qui pourront aider la lutte contre le gaspillage alimentaire à gagner en efficacité.

La volonté gouvernementale d’agir contre le gaspillage alimentaire semble, heureusement, au rendez-vous. Les conclusions de la présente mission d’évaluation arrivent à point nommé pour nourrir les travaux à venir. Outre les ordonnances en cours de rédaction, un projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire doit être proposé en conseil des ministres début juillet et pourra constituer un véhicule législatif à plusieurs mesures relevant de la lutte contre toutes les formes de gaspillages.


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   Synthèse des propositions

  1. Davantage de contrôles et des sanctions plus fermes
  2. Un label « anti-gaspi » et une fiscalité écologique cohérente : donner plutôt que jeter
  3. Des produits sans limitation de date
  4. Un Fonds national de lutte contre le gaspillage alimentaire
  5. Associer les petits commerces alimentaires à la lutte contre le gaspillage alimentaire par le don
  6. De nouveaux gisements d’aliments à sauver de la poubelle
  7. Favoriser les dons entre particuliers en clarifiant les responsabilités juridiques
  8. Davantage de traçabilité : les dates de consommation dans les codes-barres
  9. Mieux coordonner la politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire
  10. Achats publics : intégrer des recommandations « anti-gaspi »
  11. La lutte contre le gaspillage dans les enseignements scolaires
  12. Donner une définition législative au gaspillage alimentaire
  13. Transparence : une enquête nationale de mesure du gaspillage alimentaire
  14. Mettre en place une politique de prévention du gaspillage du champ à l’assiette

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 12 juin 2019, la commission a autorisé, à l’unanimité, la publication du rapport d’information sur l’évaluation de la loi n° 2016-138 du 11 février 2016 relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire (M. Guillaume Garot et Mme Graziella Melchior, rapporteurs).

 

Ce point de l’ordre du jour ne fait pas l’objet d’un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l’Assemblée à l’adresse suivante :

http://assnat.fr/d8DN7w

 

    


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   annexe : Liste des personnes auditionnées

 

Agence de lenvironnement et de la maîtrise de lénergie (ADEME)

M. Pierre Galio, chef du service consommation et prévention

Table ronde « associations de défense de lenvironnement » en présence de :

France nature environnement (FNE)

Mme Éléonore Kubik*, chargée de la lutte contre le gaspillage alimentaire

Les Amis de la Terre

Mme Alma Dufour*, chargée de campagne Extraction et surconsommation

Table ronde « restauration collective », en présence de :

Sodexo

Mme Myriam Bouffaut, directrice des projets stratégiques et de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE)

Restauco

M. Éric Lepêcheur, président

Syndicat national de la restauration collective (SNRC) *

M. Philippe Pont-Nourat, président

Table ronde « restauration privée », en présence de :

Syndicat national de l’alimentation et de la restauration rapide (SNARR) *

M. Dominique-Philippe Bénézet, délégué général

Mme Claudine Martin*, responsable des Affaires réglementaires

Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) *

M. Hubert Jan, président UMIH Restauration

M. Jean Terlon, vice-président général - président des restaurateurs

M. Laurent Prigent, chef de projet développement durable

Mme Ophélie Rota, directrice de la communication et des relations institutionnelles

Groupement national des indépendants de l’hôtellerie & de la restauration (GNI-SYNHORCAT) *

M. Stéphan Martinez, président de la commission qualité & développement durable

M. Franck Trouet, conseiller du président, directeur des relations institutionnelles et de la communication

M. Thomas Leroy, Directeur Général GNI Grand Ouest/Territoires

Table ronde « associations de consommateurs », en présence de :

Familles rurales

Mme Anne Legentil, conseillère technique

Consommation logement cadre de vie (CLCV)

Mme Wendy Si Hassen, chargée de mission alimentation

M. Vincent Licheron, chargé de mission environnement

Table ronde « associations caritatives », en présence de :

Croix-Rouge

Mme Elisabeth Oulhen, en charge des approvisionnements

Réseau des banques alimentaires *

M. Jacques Bailet, président

Mme Marie Castagné, chargée des relations extérieures

Les Restaurants du Cœur *

M. Jean-Claude Guesdon, secrétaire général

M. Louis Cantuel, responsable des relations institutionnelles

Secours populaire

M. Nicolas Champion, membre du Bureau national

M. Mathieu Humbert, directeur des relations et ressources institutionnelles

Table ronde « initiatives anti-gaspi », en présence de :

Réseaux pour éviter le gaspillage alimentaire (REGAL) – Normandie & Nouvelle-Aquitaine & Centre Armor

Mme Nathalie Villermet, animatrice du REGAL Normandie

Centre ressource d’écologie pédagogique de Nouvelle-Aquitaine (CREPAQ)

Mme Dorothée Despagne Gatti, directrice

Disco Soupe

Mme Laura Thierry, co-fondatrice

M. Erwan Flatard, architecte diplômé d’État

Table ronde « nouveaux intermédiaires », en présence de :

Le chaînon manquant

Mme Sabine Tuffal, administratrice

M. Grégoire Nicolet, administrateur

Phenix

M. Jean Moreau, co-fondateur et président

M. Nicolas Perrin, associé

 

Graapz

M. Alexandre Durand, cofondateur

Linkee

M. Julien Meimon, président

Zéro-gâchis

M. Christophe Menez, directeur général

Table ronde « filière agroalimentaire », en présence de :

Solidarité des producteurs agricoles et des filières alimentaires (SOLAAL)

Mme Dorothée Briaumont, directrice

Confédération générale de l’alimentation en détail (CGAD) *

Mme Sandrine Bize, chef du département hygiène, sécurité, qualité et environnement

Coop de France *

Mme Maud Anjuere, directrice Coop de France agroalimentaire

Mme Barbara Mauvilain-Guillot, responsable des relations publiques

Association nationale des industries alimentaires (ANIA)

Mme Léa Mathieu-Figueiredo, responsable environnement

Table ronde « solutions B-to-B », en présence de :

Biotraq

M. Olivier Duchesne de Lamotte, co-fondateur et président de Biotraq

M. Dominique Cagnon, cofondateur de Biotraq et ingénieur de recherche à AgroParisTech

Table ronde « grande distribution », en présence de :

Fédération du commerce et de la distribution (FCD) *

Mme Emilie Tafournel, directrice qualité

Mme Sophie Amoros, chargée de mission - Affaires Publiques et communication

Groupement Les Mousquetaires *

M. Frédéric Thuillier, directeur des affaires publiques

M. Baptiste Carpentier, responsable développement durable

Groupe Carrefour *

M. Bertrand Swiderski, directeur RSE

Mme Nathalie Namade, directrice des affaires publiques

Groupe Leclerc *

M. Stephan Arino, directeur RSE et qualité

Table ronde « Applications innovantes »

Hop Hop Food

M. Michel Montagu, cofondateur et président

M. Jean-Claude Mizzi, cofondateur et trésorier

Too Good to Go

Mme Rose Boursier-Wyler, en charge des affaires publiques

Mme Elsa Canot, directrice marketing

Frigo Magic

M. Sébastien Burel, directeur général

Mme Muriel Bodolec-Burel, directrice commerciale

Ministère de la transition écologique et solidaire - Cabinet de Mme Brune Poirson, secrétaire dÉtat auprès du ministre dÉtat

M. Pierre-Yves Burlot, conseiller en charge de l’économie circulaire

M. Alphone Corone, responsable des affaires parlementaires et affaires réservées

Mme Cécile Fèvre, direction générale de la prévention des risques

Comerso

M. François Vallée, directeur communication & marketing

Ministère de lagriculture

Mme Anne Bronner, conseillère en charge de la qualité, de la sécurité et de la performance sanitaires de l’alimentation, du bien-être animal et de la lutte contre la maltraitance animale

M. Cédric Prevost, sous-directeur de la politique de l’alimentation au service de l’alimentation de la direction générale de l’alimentation

Institut national de la recherche agronomique (INRA)

Mme Barbara Redlingshofer, Ingénieure d’études à l’unité mixte de recherche sciences action développement-activités produits territoires (SAD-APT)

M. Marc Gauchée, conseiller du président pour les relations parlementaires et institutionnelles

Institut de liaisons et détudes des industries de consommation (ILEC)

M. Richard Panquiault, directeur général

Mme Sophie Palauqui, responsable pôle marketing et stratégie RSE

Eqosphère

M. Xavier Corval, président fondateur

Ministère de léconomie et des finances

Mme Alexandra Barreau-Jouffroy, cheffe du bureau champ, taux, exonération de la fiscalité directe des entreprises de la direction de la législation fiscale

 

* Ces représentants dintérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire des représentants dintérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants dintérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.

 

    


([1]) FAO, “Food Wastage Footprint: Impacts on Natural Resources”, Summary Report, 2013.

([2]) ADEME, « État des lieux des masses de gaspillages alimentaires et de sa gestion aux différentes étapes de la chaîne alimentaire », 2016.

([3]) ADEME, «  Industries agroalimentaires (IAA) témoins – Moins de gaspillage alimentaire pour plus de performance », 2019

([4]) INCOME Consulting, AK2C pour l’ADEME, « Pertes et gaspillages alimentaires : l’état des lieux et leur gestion par étapes de la chaîne alimentaire », 2016

([5]) Contribution de l’ADEME fournie à vos rapporteurs.

([6]) ADEME, « IAA Témoins –moins de gaspillage alimentaire pour plus de performance », 2019

([7]) Contribution du GNI-Synhorcat transmise à vos rapporteurs

([8]) 53 % d’après : FUSIONS, “Estimates of European food waste levels”, 2016

([9]) Comerso, Ipsos,  « Baromètre 2018 de la valorisation des invendus en grande distribution », 2018

([10]) Rapport n° 3223 de M. Guillaume Garot, fait au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi visant à lutter contre le gaspillage alimentaire (n° 3052), 17 novembre 2015.

([11]) Décret n° 2016-1962 du 28 décembre 2016 relatif aux dons de denrées alimentaires entre un commerce de détail alimentaire et une association d'aide alimentaire habilitée en application de l'article L. 230-6 du code rural et de la pêche maritime

([12]) Cour des Comptes, « Le soutien public au mécénat des entreprises », 2018

([13]) Cette disposition, créée par l’article 102 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, ne vise aujourd’hui que les services de restauration collective de l’État, de ses établissements publics et des collectivités territoriales.

([14]) Rapport d’enquête n° 1179 de M. Grégory Besson-Moreau, fait au nom de la commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques, 19 juillet 2018

([15]) Dans le fonctionnement classique de la TVA, celle-ci ne peut être initialement déduite lors de l'acquisition de la marchandise concernée que lorsqu’elle donne lieu à une opération ouvrant droit à déduction, généralement une cession à titre onéreux, c’est-à-dire une revente. Dans le cas contraire, la déduction doit être remboursée.

([16]) Il s’agit, en application de l’annexe X au règlement n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, des denrées suivantes :

-       des fruits et légumes frais, y compris les pommes de terre, qui n’ont pas fait l’objet d’un épluchage, d’un découpage ou d’autres traitements similaires ; (…)

-       des vins, vins de liqueur, vins mousseux, vins aromatisés et des produits similaires obtenus à partir de fruits autres que le raisin (…) ;

-       des boissons titrant 10 % ou plus en volume d’alcool ;

-       des produits de la boulangerie et de la pâtisserie ;

-       des vinaigres ;

-       du sel de cuisine ;

-       des sucres à l’état solide ;

-       des produits de confiserie consistant presque uniquement en sucres aromatisés et/ou colorés ;

-       des gommes à mâcher et produits similaires à mâcher.

([17]) Comme le proposait l’atelier 10 des États généraux de l’alimentation.

([18]) Cette phase de diagnostic a été rendue obligatoire pour la restauration collective des services de l’État dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015, précitée. Le temps est venu de généraliser ces diagnostics, préalables à des actions de transformation des modes de production, pour éviter de produire surplus et invendus.

([19]) À ce propos, les rapporteurs renvoient aux travaux de leurs collègues Laure de La Raudière et Jean-Michel Mis, qui ont remis un rapport de mission d’information commune sur les chaînes de blocs, le 12 décembre 2018 (n° 1501). Le rapport présente des cas d’usage dans le champ de la grande distribution, de l’agroalimentaire et de la logistique (pp. 53-56).