N° 2408

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 novembre 2019.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission flash constituée le 29 mai 2019

sur l’audit et le contrôle des processus de gestion de postes diplomatiques,

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Anne GENETET et Didier QUENTIN

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. « Action publique 2022 » : une réforme nÉcessaire qui fait Évoluer le cadre de gestion des postes diplomatiques

A. Une réforme de modernisation de l’État dÉCLINÉe à l’action extÉrieure de l’État

1. La commande : baisser la dépense publique et rationaliser l’administration de l’État à l’étranger

a. La réduction de la dépense publique

b. L’administration de l’État à l’étranger restait perfectible

2. Le projet de réforme : une réduction de la masse salariale couplée à une mutualisation des fonctions support entre les mains du SGA

a. La réduction de la masse salariale

b. La mutualisation des fonctions support

c. Le SGA, clef de voute de la réforme

3. La méthode : une mise en œuvre précipitée mais désormais stabilisée

B. Un cadre de gestion rÉnové

1. Les processus de gestion ont été améliorés…

a. Les services extérieurs déchargés des fonctions support

b. Une plus grande souplesse dans la gestion

c. Une plus grande cohérence et unité dans l’action de l’État à l’étranger

d. Des économies de fonctionnement et de masse salariale

2.  ce que favorise la bonne culture de gestion du ministère

II. Pour que la réforme rÉussisse, plusieurs points de vigilance devront Être pris en compte

A. Un angle mort : la surcharge de travail des SGA

B. Un sentiment d’arbitraire vis-À-vis de certaines dÉcisions de rationalisation

C. Une réforme qui reste encore incomplÈte

1. Les crédits non transférés

2. Les emplois non transférés

D. Le pilotage de l’administration de l’État À l’Étranger reste encore incertain

1. Vers le bas : vis-à-vis des services extérieurs et des opérateurs

2. Vers le haut : vis-à-vis de l’administration centrale du Quai d’Orsay

3. Sur les côtés : vis-à-vis des autres ministères à l’étranger

CONCLUSION

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Annexe 1 : liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs et déplacements

ANNEXE 2 : exemple type de fiche de poste DU secrÉtaire gÉNÉral d’ambassade

annexe 3 : CONVENTION INTERMINISTÉRIELLE DE GESTION CONCERNANT LES RÉSEAUX DE L’ÉTAT À L’ÉTRANGER


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   Introduction

En application de l’article 24 de la Constitution, le Parlement contrôle l’action du Gouvernement et évalue les politiques publiques. C’est dans ce cadre que la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a la responsabilité du suivi de l’action du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE). Or, si les travaux permettant d’analyser les objectifs et de mesurer les résultats de l’action diplomatique et consulaire sont constants, en particulier à l’occasion des débats qui entourent la préparation, le vote et le contrôle de l’exécution de la loi de finances, la commission des affaires étrangères se penche plus rarement sur le fonctionnement interne du ministère. En d’autres termes, les débats sont nombreux sur la politique étrangère de la France, mais plus rares sur les services qui la mettent en œuvre. Aux yeux de beaucoup, le Quai d’Orsay fait figure, à cet égard, d’authentique forteresse.

Depuis de nombreuses années, le ministère connaît un profond bouleversement sous l’effet des efforts budgétaires demandés au réseau diplomatique et consulaire. Le programme « Action publique 2022 », lancé à l’automne 2018, se traduit par une nouvelle diminution des effectifs et une réforme des réseaux de l’État à l’étranger, qui a pour conséquence une évolution importante des processus de gestion des postes diplomatiques. La réforme consiste en la mutualisation des emplois et des crédits de soutien des administrations de l’État à l’étranger entre les mains des secrétaires généraux d’ambassade (SGA), eux-mêmes placés sous la tutelle des ambassadeurs, qui voient leur rôle de coordination des moyens de l’État à l’étranger renforcé.

Ce rapport vise à établir un premier bilan du cadre de gestion qui se dessine dans les ambassades un an après le lancement de la réforme. Le nouveau cadre de gestion concerne avant tout les fonctions « support », par opposition aux fonctions « métiers » – la chancellerie diplomatique, le consulat, les conseillers sectoriels – qui ne sont pas modifiées dans leur fonctionnement, bien qu’elles soient mises à contribution dans la réalisation des objectifs de réduction de la masse salariale. Les fonctions « support », autrement dit de soutien, incluent les finances, les ressources humaines, l’immobilier et la logistique, les systèmes d’information et la sécurité diplomatique, toutes ces fonctions étant gérées, en administration centrale, par la direction générale de l’administration et de la modernisation (DGAM).

Compte tenu du caractère « flash » de la mission, vos rapporteurs ont préféré ne pas passer en revue chaque fonction support, en dépit de l’intérêt que présenterait un tel exercice. De toutes les fonctions support, vos rapporteurs estiment que l’immobilier est le secteur qui requiert le plus de vigilance en ce qu’il nécessite un rattrapage très conséquent dans son entretien lourd et sa mise aux normes, en raison de la faiblesse des moyens engagés dans ce domaine. Il s’agira plutôt de regarder les fonctions support dans ce qu’elles ont en commun, à savoir l’évolution de leur mode de gestion sous l’impulsion du programme « Action publique 2022 ». L’espoir est que ce premier travail débouchera sur des missions de plus long terme sur des aspects particuliers du fonctionnement du ministère.

Cette mission « flash » s’est déroulée en deux temps. D’abord, vos rapporteurs ont auditionné les différents services en administration centrale qui mettent en œuvre la réforme des réseaux de l’État à l’étranger. Ensuite, ils ont rencontré les personnels de deux postes diplomatiques, en Norvège et au Vietnam, jugés « représentatifs » du réseau diplomatique et consulaire de la France.

À l’issue de leurs travaux, les rapporteurs estiment que la réforme était nécessaire pour corriger certaines inefficiences et pour accompagner les objectifs de baisse de la masse salariale fixés au Quai d’Orsay. Bien que la réforme ait été menée dans une certaine précipitation et qu’elle ait suscité des tensions entre les ministères, elle fait l’objet d’un consensus assez large au sein des personnels. Les gestionnaires du ministère devront être attentifs à plusieurs points, à commencer par la charge de travail qui repose sur les SGA, afin d’atteindre les objectifs fixés, voire même d’éviter que la réforme ne se traduise par une fragilisation du réseau.


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I.   « Action publique 2022 » : une réforme nÉcessaire qui fait Évoluer le cadre de gestion des postes diplomatiques

A.   Une réforme de modernisation de l’État dÉCLINÉe à l’action extÉrieure de l’État

1.   La commande : baisser la dépense publique et rationaliser l’administration de l’État à l’étranger

Lancé à l’été 2018, le programme « Action publique 2022 » irrigue l’ensemble des secteurs de l’action publique. Lors de son discours à l’occasion de la conférence des ambassadrices et des ambassadeurs, le 28 août 2018, le Premier ministre a décliné ce programme à l’action extérieure de l’État avec un double objectif : réduire la dépense publique et moderniser l’administration de l’État à l’étranger.

a.   La réduction de la dépense publique

Comme tous les autres ministères, le MEAE doit participer aux objectifs de réduction de la dépense publique et il a largement pris sa part en réalisant d’importants efforts au cours des dernières années. En effet, en dix ans, il a connu une baisse de ses effectifs de 17 %. En 2020, son personnel représentera 0,7 % des effectifs de l’État, soit 13 524 emplois équivalent temps plein travaillé (ETPT). Compte tenu de la difficulté à réaliser des efforts supplémentaires dans ce contexte, les objectifs de réduction de la masse salariale de l’administration de l’État à l’étranger, initialement fixés à 10 %, ont été réduits à 5,7 % d’ici à 2022. Cette cible globale représente une économie de 90 millions d’euros au sein de laquelle le MEAE doit réaliser la moitié des efforts attendus, soit 45 millions d’euros de baisse de masse salariale d’ici 2022.

b.   L’administration de l’État à l’étranger restait perfectible

L’administration de l’État à l’étranger méritait d’être rationalisée. Avant la réforme, les fonctions support, pourtant interchangeables d’un ministère à l’autre, étaient propres à chaque ministère. Chaque service extérieur avait ses crédits et emplois de soutien relevant de son propre programme budgétaire et de son propre plafond d’emploi ministériel. Les fonctions support relevaient ainsi de plus de huit ministères et de près de quarante programmes budgétaires. À titre d’illustration, chaque ministère disposait de son ou de ses chauffeurs, et l’ambassadeur n’avait la main que sur le « pool » de chauffeurs relevant du Quai d’Orsay.

Ce système était facteur de rigidité, puisqu’un ministère ne pouvait avoir recours aux emplois et aux crédits de soutien d’un autre ministère, quand bien même ces derniers étaient sous-employés. Il était également facteur de complexité puisque la gestion des moyens de soutien des ambassades se caractérisait par une hétérogénéité des textes et des pratiques ministérielles s’agissant, par exemple, des crédits pour frais de représentation ou des gratifications pour les stagiaires.

De fait, il en résultait un fonctionnement en silo de l’administration de l’État à l’étranger qui ne favorisait pas le pilotage d’ensemble par l’ambassadeur. Celui-ci disposait des crédits et des emplois relevant de la chancellerie politique, du consulat et du service culturel, mais pas des services extérieurs, comme la mission économique ou la mission défense. Certes, le décret du 1er juin 1979 avait reconnu la responsabilité interministérielle de l’ambassadeur sur les services de l’État à l’étranger mais, dans les faits, celle-ci restait limitée, faute de pouvoir maîtriser les moyens des différents services. L’absence d’un véritable chef de poste aboutissait à une myopie des instruments de l’État qui faisait oublier la ligne politique. « Action publique 2022 » est venue casser les tuyaux d’orgue.

2.   Le projet de réforme : une réduction de la masse salariale couplée à une mutualisation des fonctions support entre les mains du SGA

a.   La réduction de la masse salariale

● Le premier objectif de la réforme « Action publique 2022 » est de réaliser des économies sur la masse salariale des réseaux de l’État à l’étranger. En dépit de la révision à la baisse de la cible de réduction des effectifs de la fonction publique décidée par le Président de la République, l’objectif de réduction de la masse salariale du MEAE reste fixé à 416 ETP et 45 millions d’euros d’économies. Cet effort se concentre à l’étranger.

● Trois critères ont permis d’arbitrer les mesures de suppressions et de créations de postes à l’étranger. Selon un premier critère politique, un effort accru a été demandé au Maghreb, en Europe et en Amérique tandis que l’Asie, les pays émergents et les pays du G5 Sahel ont été plutôt préservés. Le deuxième critère est lié à la taille des postes, les postes de grande taille étant présumés disposer de plus de marge de manœuvre pour se rationaliser. Le dernier critère a trait à la relation bilatérale et au plan d’action des ambassadeurs, qui ont pu contribuer à l’exercice mené à l’automne 2018 et mener un dialogue avec l’administration centrale avec, si nécessaire, des arbitrages au niveau du secrétaire général du Quai d’Orsay.

Les cibles de réduction de la masse salariale initialement demandées ont été différenciées selon les postes sur la base de ces critères. Elles se sont étalées entre 7 % et 13 %, avec une cible intermédiaire fixée à 10 %.

● Les postes ont plusieurs moyens pour réduire leur masse salariale.

D’une part, les ambassadeurs peuvent décider la suppression de certains postes et le remplacement de certains expatriés par des agents de droit local (ADL), lorsque le salaire d’un ADL est localement moins élevé que celui d’un expatrié, ce qui n’est pas le cas dans certains pays tels les États-Unis. De manière générale, les suppressions d’emplois métiers occupés par des expatriés permettent de réaliser davantage d’économies que les suppressions d’emplois de soutien, qui sont le plus souvent occupés par des agents de droit local. Toutefois, lorsque des emplois métiers sont supprimés, certaines missions disparaissent, alors que lorsque des emplois de soutien sont supprimés, les missions restent et doivent être redéployées sur d’autres personnels.

D’autre part, la mutualisation entre administrations de l’État à l’étranger permet de générer des économies de personnel sur les emplois de soutien. A contrario, les fonctions métiers ne sont pas substituables les unes aux autres et ne peuvent donc être mutualisées.

● L’effort de réduction de la masse salariale porte sur le réseau diplomatique, mais aussi sur les autres réseaux de l’État à l’étranger, comme le réseau de la direction générale du Trésor. Le réseau économique de la France s’est profondément rationalisé ces dernières années, alors même que la diplomatie économique était érigée en priorité. À Oslo, le poste de conseiller économique a été « sauvé » in extremis après la décision de fermer le bureau de Business France et de supprimer le poste de volontaire international en entreprise (VIE) au sein de la mission économique.

La régionalisation

La régionalisation est une des solutions pour adapter le format des services extérieurs de l’État à la réduction continue des moyens. Si la régionalisation est écartée pour le réseau diplomatique, compte tenu du principe d’universalité du réseau, les autres réseaux ministériels ont été régionalisés. Ainsi, il n’existe pas d’attaché de défense dans chaque ambassade : certains attachés de défense tendent à avoir une compétence qui s’étend au-delà de leur pays de résidence. Si l’aire couverte est trop importante, l’action de l’attaché sectoriel tend à se diluer et perdre en efficacité. Vos rapporteurs jugent que la régionalisation doit donc être maîtrisée.

Par ailleurs, la réforme des réseaux de l’État à l’étranger peut s’avérer contradictoire avec la régionalisation. En effet, l’ambassadeur, qui a autorité sur les attachés sectoriels, a une compétence nationale, et non régionale. Un conseiller régional ne travaille qu’une partie de son temps pour le pays de résidence, ce qui réduit son utilité pour l’ambassadeur. La mutualisation des services supports à l’étranger, qui donne aux ambassadeurs la maîtrise sur les moyens des attachés sectoriels, multiplie les sources de conflit potentiel. Elle suppose que l’ambassadeur accepte que son conseiller sectoriel se concentre sur ses priorités, même si celles-ci sont orientées hors de son pays de compétence.

b.   La mutualisation des fonctions support

La réforme « Action publique 2022 » a donné lieu à la mutualisation des crédits et des emplois de soutien des administrations de l’État à l’étranger.

● Un total de 411 emplois support a été transféré au MEAE, dont 387 au 1er janvier 2019 et le reste en 2020, afin de rassembler tous les emplois support sous un plafond d’emploi ministériel unique. Les emplois transférés sont des emplois de secrétaires, d’agents d’entretien, d’interprètes ou de chauffeurs, qui peuvent facilement faire l’objet d’une mutualisation entre réseaux. Lorsque l’ensemble des effectifs auront été transférés, le MEAE comptera un total de 3 081 agents positionnés sur des fonctions support dans le réseau, ce qui représente environ 16 % du total de la masse salariale à l’étranger.

● En complément, les ministères ont transféré 15 millions d’euros de crédits de fonctionnement afférents aux emplois transférés sur le programme 105. Ce programme est devenu le budget unique des services de l’État à l’étranger, mettant fin à la complexité induite par les multiples programmes budgétaires.

● Enfin, le Quai d’Orsay a récupéré l’ensemble du patrimoine immobilier de l’État à l’étranger. En comptant les 215 biens transférés au 1er janvier 2019, le MEAE est aujourd’hui affectataire de plus de 2 200 biens immobiliers, ce qui permet une gestion du parc de logement commune à l’ensemble des services de l’État à l’étranger.

Ces transferts se sont accompagnés d’une harmonisation des règles et des pratiques ministérielles des agents de l’État en ambassade de telle manière à simplifier et à mieux organiser la gestion en ambassade. À titre d’exemple, les rémunérations des personnels transférés ont été rapprochées des grilles de rémunérations du MEAE et les règles d’utilisation des véhicules ont été alignées sur le mode de fonctionnement de l’ambassade.

c.   Le SGA, clef de voute de la réforme

Les secrétaires généraux d’ambassade (SGA)

Anciennement appelés directeurs des services communs de gestion (SCG), dont ils ont conservé toutes les attributions, les SGA sont les personnels qui ont la responsabilité des fonctions support en ambassade. À ce titre, ils réalisent la programmation des effectifs, la programmation du budget de fonctionnement, le suivi des opérations immobilières ou encore le suivi des dispositifs de sécurité des implantations immobilières. Les SGA existent dans toutes les ambassades, à l’exception des vingt-cinq postes de présence diplomatique (PPD). Selon la taille du poste, les SGA ont une équipe de gestionnaires comptables et administratifs plus ou moins importante pour les assister dans leurs fonctions.

Le SGA, qui est apparu en 2019, est l’aboutissement d’un long processus de regroupement des fonctions de gestion au sein des ambassades ces quinze dernières années. Conséquence de la mutualisation des fonctions support des services de l’État à l’étranger décidé dans le cadre du programme « Action Publique 2022 », il est désormais le service unique interministériel de gestion des moyens de support sur les plans administratif et financier. Aujourd’hui, les chefs de service de l’ambassade ne dialoguent plus avec leurs administrations de rattachement respectives pour leurs moyens de fonctionnement mais avec un interlocuteur unique, le SGA.

Le SGA est placé à la confluence de toutes les activités de l’ambassade. Il est le pivot du dialogue de gestion entre :

– le chef de poste, qui est l’ordonnateur secondaire unique de l’État dans son pays d’accréditation ;

– les chefs de service de l’ambassade, pour leur permettre d’exercer efficacement leur mission avec les moyens et dans des conditions adéquates ;

– l’administration centrale du ministère, et en particulier les services de la DGAM qui sont des interlocuteurs quotidiens.

3.   La méthode : une mise en œuvre précipitée mais désormais stabilisée

● Le lancement précipité de la réforme, par ailleurs principalement dictée par des considérations budgétaires, a suscité des tensions avec les personnels.

Pour rappel, les travaux pour rénover la gestion des réseaux internationaux de l’État se sont engagés dès l’été 2017 en lien avec le « Comité action publique 2022 ». La réforme « Action publique 2022 », qui irrigue l’ensemble des secteurs de l’action publique, a été lancée à l’été 2018. Le MEAE s’est vu assigner trois objectifs : réaliser des économies sur la masse salariale, mutualiser les fonctions support des administrations de l’État à l’étranger et conforter le MEAE dans son rôle de pilotage interministériel de l’action extérieure. La réduction des effectifs a été engagée dès le projet de loi de finances 2019 alors même que les contours de la réforme des réseaux de l’État à l’étranger n’étaient pas encore arrêtés.

● La définition des contours de la réforme a exigé un effort de coordination interministérielle complexe et d’une ampleur inédite qui a été piloté par une « task force » présidée par l’ambassadeur Alain Le Roy.

Au départ, la négociation s’est nouée autour des transferts des emplois support et des crédits de fonctionnement des autres ministères vers le MEAE. Vos rapporteurs ont pu mesurer, au travers des propos des personnes auditionnées, la difficulté de cette négociation, chaque ministère ayant déployé une énergie considérable pour conserver chaque effectif et chaque ligne de crédit qui étaient les siens.

Par ailleurs, les administrations centrales concernées se sont entendues sur la convention interministérielle du 21 novembre 2018 pour servir de cadre général aux nouvelles règles de gestion en ambassade. Cette convention fixe des règles générales de gestion fondées sur quatre principes : la responsabilité du chef de poste, la transparence, l’équité entre agents et l’interministérialité. Elle ménage une certaine autonomie à chaque ambassade pour décliner ces principes dans des contextes locaux très différents.

● Si les postes ont été faiblement associés dans les objectifs qui leur ont été assignés, ils ont pu faire remonter des difficultés au stade de la mise en œuvre conduisant, parfois, à certains arbitrages favorables.

Au mois de septembre 2018, les postes se sont vus assigner un objectif de réduction de leur masse salariale, situé entre 7 et 13 %, tous réseaux confondus, d’ici 2022. En novembre, les ambassadeurs ont réalisé des propositions pour atteindre leur propre objectif, réévaluant s’il le fallait les missions du poste. De manière générale, les postes interrogés estiment que leurs propositions n’ont pas été suffisamment prises en compte par l’administration centrale, mettant à mal l’idée selon laquelle les chefs de poste seraient libres de composer leurs équipes. Néanmoins, dans certains cas, les postes ont réussi à faire valoir l’importance des missions exercées par certains de leurs personnels. À Hanoï, le poste d’attaché agricole, initialement visé par les objectifs de suppression, a finalement été pérennisé.

L’arbitrage rendu par le Premier ministre le 25 janvier 2019, qui a réduit l’effort à réaliser en termes de masse salariale à 5,7 % d’ici 2022, a conduit à une approche plus inclusive avec les postes. L’administration centrale a pu faire preuve d’une plus grande souplesse vis-à-vis des propositions des postes même si leur mise en œuvre a été renvoyée au dialogue de gestion pour les années 2020, 2021 et 2022. Cette réduction de l’objectif global a permis une plus grande écoute sans renoncer à un effort qui reste important.

● Pour plus de pragmatisme dans la mise en œuvre de la réforme, l’année 2019 a été érigée en année de transition.

Au 1er janvier 2019, le portage des fonctions support a changé. Les emplois support et des crédits de fonctionnement ont basculé vers le MEAE, même si quelques emplois ne seront transférés qu’en 2020. Les ambassades ont pu bénéficier d’un accompagnement par des instructions précises sur les sujets les plus problématiques, liées par exemple à la gestion du parc automobile et du parc de logement, et de réponses en temps réel aux questions de chaque poste.

En revanche, pour l’année 2019, les postes ont reçu l’instruction de reconduire les crédits des services extérieurs sans faire jouer la fongibilité des enveloppes. Cette parfaite continuité budgétaire ne jouera pas en 2020, première année lors de laquelle l’ambassadeur aura la maîtrise de l’ensemble des moyens des services extérieurs, ce qui pourrait tendre à nouveau les relations entre les ministères.

B.   Un cadre de gestion rÉnové

1.   Les processus de gestion ont été améliorés…

a.   Les services extérieurs déchargés des fonctions support

La mutualisation des fonctions support a permis de décharger les services extérieurs des tâches administratives pour leur permettre de se recentrer sur le cœur du métier auquel ils ont été formés et de gagner ainsi en efficacité. Les chefs de service continuent de passer les commandes, mais les tâches de gestion ont été transférées aux équipes du SGA. À titre d’illustration, si l’attaché de défense, situé dans un autre immeuble que l’ambassade, a besoin de fournitures de bureau, il n’a plus à s’approvisionner lui-même mais peut se tourner vers le SGA qui en fera l’acquisition à sa place.

L’effet est particulièrement bénéfique pour les petits services dans lesquels la gestion administrative, comptable et budgétaire occupait une place démesurée par rapport aux moyens humains du service. De manière collatérale, les autres ministères n’ont plus la charge de superviser la gestion de leur réseau.

b.   Une plus grande souplesse dans la gestion

La mutualisation des moyens apporte une plus grande flexibilité de gestion. Les rapporteurs ont bien rencontré des chefs de service qui craignaient, particulièrement dans des situations d’urgence, de perdre en souplesse puisqu’ils n’ont plus directement la main sur leurs moyens. Compte tenu de la solidité du modèle de gestion à l’étranger dont dispose le MEAE au travers des SGA, ces situations seront vraisemblablement exceptionnelles. En tout état de cause, ces hypothèses ne justifiaient pas de se priver des bénéfices de la mutualisation.

La mutualisation est, dans la plupart des cas, une réelle opportunité. Auparavant, un service de l’ambassade qui manquait de crédits en gestion devait solliciter un ré-abondement en urgence à son administration d’origine, créant un système en tuyaux d’orgue particulièrement rigide. Aujourd’hui, la fongibilité des enveloppes permet le ré-abondement d’un service en fonction de l’activité et des priorités définies par l’ambassadeur. Par exemple, si le chef du service économique dispose d’une enveloppe de frais de représentation insuffisante, l’ambassadeur pourra piocher dans les crédits mutualisés pour lui apporter le complément nécessaire à la conduite de ses missions. En sens inverse, si l’attaché de défense ne dépense pas l’ensemble de son budget, les crédits restants pourront être transférés vers un service qui en aurait davantage besoin.

Il en va de même pour les biens qui ont été mis en commun. Ainsi s’agissant des véhicules, l’ensemble des services partagent désormais un même « pool » de chauffeurs, assurant à chacun d’avoir un personnel à disposition plus régulièrement, y compris en cas d’absence de l’agent qui lui était précédemment affecté. Le transfert des biens immobiliers au MEAE est également une opportunité pour mettre en place, par le biais d’un pilotage efficace du parc immobilier de l’État à l’étranger, plus de cohérence et d’unité dans l’action de l’État.

c.   Une plus grande cohérence et unité dans l’action de l’État à l’étranger

La réforme des réseaux de l’État renforce l’ambassadeur dans son rôle de chef de poste. Si l’ambassadeur disposait déjà d’une mission d’animation des différents réseaux, celui-ci récupère désormais l’ensemble des moyens afférents, ce qui permet de créer une véritable chaîne de commandement dont l’ambassadeur est responsable. L’ambassadeur devient la seule autorité en relation avec l’administration centrale pour déterminer les moyens de l’ensemble des réseaux.

Cette responsabilisation du chef de poste est utile pour assurer une plus grande cohérence dans la politique diplomatique de la France. Les services de l’administration de l’État à l’étranger sont mieux arrimés aux objectifs politiques définis par le Gouvernement et déclinés par l’ambassadeur. Si une nouvelle priorité politique est identifiée, l’ambassadeur sera plus facilement en mesure de mobiliser l’« équipe France » autour de cette priorité, quelle qu’elle soit.

En conséquence, la part de management dans la fonction d’ambassadeur s’accroît ce qui, dans le contexte actuel de restriction budgétaire, pourra conduire celui-ci à réaliser des « choix cruels » vis-à-vis de certains services. En d’autres termes, la réforme a pour effet de déconcentrer les éventuels conflits. Chaque chef de service sera amené à défendre ses dossiers devant l’ambassadeur qui aura la charge d’affecter les crédits en fonction des priorités qu’il décide. Plusieurs chefs de service rencontrés par vos rapporteurs ont partagé avec eux le scénario catastrophe d’un ambassadeur hostile à leur action. La réforme change donc le profil des ambassadeurs, qui devront être, plus que jamais, de bons manageurs.

d.   Des économies de fonctionnement et de masse salariale

● Les crédits de fonctionnement des ambassades sont demeurés stables ces dernières années ce qui a exigé un gros effort de gestion pour absorber la hausse des charges à l’étranger, en particulier la perte au change-prix, la hausse des dépenses d’énergie et la hausse du coût du travail à l’étranger.

La réforme de 2019 est une étape supplémentaire dans la rationalisation de la gestion des moyens des ambassades. La fin de l’organisation en silos génère plusieurs types de gains d’efficience :

– une simplification sur les plans budgétaire et comptable, lié au regroupement des crédits sur le seul programme 105, et un allégement des procédures administratives, compte tenu de l’harmonisation des règles de gestion des crédits ;

– des économies d’échelle progressives grâce aux solutions de gestion des SGA, comme la réduction des parcs automobiles ou le regroupement des contrats (téléphone, nettoyage, assurance automobile notamment).

Une grande partie des économies de fonctionnement dépendent toutefois du regroupement des différents services sur un nombre réduit d’emprises, voire sur un site unique lorsque cela est possible. Outre les produits de cession qu’elle rapporte, la rationalisation des emprises immobilières est la condition à de nombreuses mutualisations qui permettent de réaliser des économies d’échelle. Ces projets de co-localisation exigent des opérations immobilières préalables qui ont un coût à court terme.

 

Le projet de regroupement des services sur un site unique en Norvège

L’ambassade de France en Norvège est éclatée sur trois sites :

– un site principal, qui comprend la chancellerie politique, le consulat, le SGA et le service de presse et de communication ;

– une maison qui comprend la mission défense ;

– et un grand immeuble en plein centre de la ville qui héberge la mission économique et l’Institut français.

L’ambassadeur de France en Norvège, M. Pierre-Mathieu Duhamel, a le projet de regrouper tous les services de l’ambassade au sein du grand immeuble en plein centre, qui se vide en raison de la suppression du bureau de Business France et de la fermeture programmée de l’Institut français de Norvège.

Les économies de fonctionnement liées au regroupement sur un seul site ont été évaluées par l’ambassade à 90 000 euros, ce qui représente 60 % des coûts consolidés de fonctionnement des trois sites actuels. Ce projet de site unique permettrait par ailleurs d’améliorer les conditions de travail des personnels, qui ont besoin de se voir pour travailler ensemble.

Compte tenu des bénéfices dont ce projet est porteur, vos rapporteurs regrettent que le début des travaux, prévu en 2021, soit fixé à un horizon aussi lointain.

● La mutualisation des fonctions support doit conduire à des économies de masse salariale au sein des ambassades. Ces économies résultent d’une meilleure utilisation de personnels qui, lorsqu’ils dépendaient de différents ministères, n’étaient pas employés à leur plein potentiel. En Norvège comme au Vietnam, la constitution de « pool » de chauffeurs a permis de supprimer un ETP. Si ces économies sont parfaites, en ce qu’elles ne se traduisent pas par une dégradation du service rendu, elles portent surtout sur des agents de droit local, qui ne représentent pas la majeure partie de la masse salariale à l’étranger. La baisse de la masse salariale suppose, en parallèle, de supprimer ou de transformer des fonctions métiers, et donc d’abandonner certaines missions.

2.   … ce que favorise la bonne culture de gestion du ministère

Le nouveau cadre de l’action extérieure de l’État peut s’appuyer sur la solide culture de gestion du Quai d’Orsay. La gestion des postes est pilotée par l’ambassadeur qui préside un comité de gestion composé des attachés sectoriels, du SGA et des agents comptables et administratifs. Le comité de gestion fait le point, trois fois par an, sur la gestion de l’ambassade et des services extérieurs.

S’agissant de la programmation et du suivi des crédits, la vie de l’ambassade est rythmée par trois grands moments :

– le mois de septembre correspond à la programmation des crédits de l’ambassade, qui donne lieu à un dialogue avec le niveau central au cours du mois d’octobre et de novembre ;

– en janvier, le comité de gestion fait le point sur l’arrivée des crédits ;

– en juin a lieu la réunion de milieu de gestion, qui fait le bilan sur la gestion des crédits et qui permet, le cas échéant, de demander des crédits supplémentaires à l’administration centrale.

Vos rapporteurs estiment que, de manière générale, le dialogue de gestion entre les postes et le niveau central est fluide et confiant. En particulier, le dialogue est permanent sur la programmation des effectifs et l’allocation des ressources humaines qui en procède. Les postes sont demandeurs d’instructions précises et n’hésitent pas à développer leurs attentes ou leurs besoins d’aménagement. Ces derniers sont devenus plus exigeants à mesure que les tensions sur les effectifs se sont accrues ces dernières années, en acceptant de plus en plus mal que l’administration centrale ne les suive pas dans leurs propositions.

La gestion des ambassades fait l’objet de contrôles réguliers et approfondis. Ce contrôle est exercé, au premier chef, par l’administration centrale, au moment de la programmation budgétaire, puisque les budgets des ambassades doivent être justifiés au premier euro (ce qui signifie qu’il n’y a aucune reconduction systématique de crédits), et tout au long de la gestion sur des sujets ponctuels à fort enjeu, comme le renouvellement des véhicules ou l’appel à projet « ambassade verte » pour inciter à optimiser la maintenance et la recherche d’économie d’énergie. Le contrôle des postes se fait, à un deuxième niveau, à l’occasion des missions de l’inspection générale des affaires étrangères (IGAE), qui exerce une activité d’inspection des postes et d’audit de l’administration centrale à la demande du secrétaire général du ministère ou de sa propre initiative.

Si la gestion est robuste dans son ensemble, vos rapporteurs regrettent néanmoins certaines rigidités, en particulier le temps de réaction qui peut parfois être un peu long pour répondre aux demandes des postes, le manque de motivation de certaines décisions qui peut susciter des frustrations chez les personnels et le manque de souplesse dans le cadre de la procédure de fin de gestion qui interdit, sauf urgence, de procéder à des dépenses entre le 5 et le 31 décembre.


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II.   Pour que la réforme rÉussisse, plusieurs points de vigilance devront Être pris en compte

A.   Un angle mort : la surcharge de travail des SGA

Vos rapporteurs ont observé que la réforme s’est traduite par une surcharge de travail importante pour les SGA, avec un risque majeur d’usure, de démotivation et de troubles psycho-sociaux.

Les responsabilités qui pèsent sur les épaules des SGA n’ont cessé de s’accroître à mesure que ces personnels ont récupéré les fonctions support des autres services de l’État à l’étranger. Les SGA ont vécu moins une hausse de leurs attributions qu’un accroissement de leur périmètre d’activité. La nature des tâches exercées par les SGA tend par ailleurs à se complexifier en lien avec la hausse des exigences de redevabilité, à l’égard du niveau central et des personnels : les SGA doivent par exemple consacrer un temps de plus en plus important au dialogue social au sein du poste. Il faut ajouter à cela que certains SGA ont plusieurs « casquettes » : à Oslo, le SGA est également chef de section consulaire et régisseur. Malgré ces responsabilités, les moyens humains des SGA n’ont pas été renforcés pendant la période transitoire de mise en œuvre de la réforme.

Vos rapporteurs estiment que la situation actuelle n’est pas soutenable. Or, les SGA sont un maillon indispensable au fonctionnement des ambassades : si ces derniers ne sont pas au rendez-vous, nos postes diplomatiques et consulaires sont paralysés. Afin que la réforme des réseaux de l’État à l’étranger réussisse, il est nécessaire de mieux prendre en compte la situation de ces personnels.

Les tâches des SGA devraient être progressivement allégées grâce aux gains de productivité permis par la dématérialisation d’un certain nombre de tâches. À titre d’illustration, le nouvel outil comptable et budgétaire « Crocus », qui devrait remplacer le logiciel « Corège » à partir de 2021, permettra la transmission par voie informatique de pièces originales qui partent actuellement par la valise diplomatique. La mise en place de « Crocus » s’accompagne par ailleurs d’une nouvelle « carte achat » qui facilitera le paiement des fournisseurs.

La dématérialisation doit s’accompagner de l’allégement d’un certain nombre de freins réglementaires. L’administration doit notamment parvenir à accepter des pièces non originales, ce qu’elle ne fait pas, autant pour des considérations légitimes de sécurité informatique qu’en raison de certaines réticences culturelles qu’il conviendrait de lever.

Dans l’attente des gains de productivité permis par la simplification et la dématérialisation, le Quai d’Orsay a commencé à dédoubler certains postes de SGA qui ont plusieurs casquettes, comme à Kaboul, Khartoum et Doha. Si cette démarche devrait se poursuivre pour les SGA en situation de plus grande tension, elle reste insuffisante. Vos rapporteurs estiment que les équipes des SGA devraient être complètement épargnées des objectifs de réduction de la masse salariale du ministère, voire même être renforcées.

Vos rapporteurs considèrent que des progrès importants restent à faire dans la gestion de ces personnels sur le plan de la formation et de la carrière.

Aujourd’hui, la formation des SGA est lacunaire, alors que ces personnels sont amenés à traiter des sujets très techniques, allant de la comptabilité à l’immobilier. Certes, les journées annuelles des SGA permettent la transmission des instructions ministérielles et un échange de bonnes pratiques entre les personnels. Par ailleurs, les SGA disposent d’une plateforme en ligne qui leur permet, en cas de difficulté, de solliciter l’avis de leurs collègues dans d’autres pays. Si ces dispositifs sont utiles, vos rapporteurs considèrent qu’il est nécessaire d’offrir une réelle formation aux primo-partants.

Le manque de « tuilage » au Quai d’Orsay

Le « tuilage » désigne la brève période pendant laquelle deux agents occupent le même poste afin de favoriser la prise en main de ses nouvelles fonctions par un agent qui en remplace un autre. Si le « tuilage » est formalisé pour les ambassadeurs, la plupart des personnels arrivent sur un poste sans avoir pu bénéficier ni des conseils, ni d’une transmission de la mémoire du poste de la part de leurs prédécesseurs. Il faut saluer ici les personnels qui acceptent de sacrifier certains jours de vacances pour venir en reconnaissance dans leur futur poste, gagnant ainsi en efficacité lors de leur prise de fonction.

Lorsqu’un tiers des personnels du Quai d’Orsay change d’affectation chaque année, on comprend que le « tuilage » puisse coûter très cher pour le ministère. Il s’agit d’un argument supplémentaire pour réduire la fréquence de rotation des personnels…

Par ailleurs, l’importance du poste de SGA reste insuffisamment prise en compte dans la carrière. Le changement de nom de ces personnels, aligné sur celui de secrétaire général du MEAE, illustre la volonté de rehaussement symbolique de leurs fonctions. Il faut désormais entrer dans le concret : l’importance de ce poste devrait être mieux reconnue dans le déroulement des carrières.

B.   Un sentiment d’arbitraire vis-À-vis de certaines dÉcisions de rationalisation

Vos rapporteurs l’ont souvent répété : il existe un risque que le ministère se retrouve dans une situation d’injonction contradictoire, entre des missions qui ne cessent de s’étendre et des moyens qui ne cessent de se réduire. Par exemple, l’ambition affichée dans le domaine de l’aide publique au développement (APD) se traduit par un accroissement de la charge de travail pour les ambassades, qui sont redevables de l’utilisation de l’ensemble de ces fonds.

Au-delà de cette évidence, vos rapporteurs déplorent l’impression d’arbitraire dont sont empreintes certaines décisions de rationalisation, ce qui peut susciter du découragement chez les personnels. Sur le terrain, les agents interrogés ont souvent l’impression que l’administration centrale reste sourde à leurs propositions, y compris lorsqu’ils tentent, de manière constructive, de proposer des solutions de rationalisation. Les ambassades doivent être mieux associées aux prises de décision, ce qui exige de la part des décideurs du ministère qu’ils soient plus fréquemment au contact direct du poste et de ses personnels et motivent davantage leurs décisions.

Afin de dissiper ce sentiment d’arbitraire, vos rapporteurs proposent que le ministère fasse un effort dans la mesure de la performance afin de formaliser les critères qui président à la décision de fermeture d’un service ou la suppression d’un poste. Vos rapporteurs sont conscients qu’une partie de l’activité diplomatique et consulaire est difficilement mesurable. Dans la branche consulaire, le décès d’un ressortissant français peut par exemple se révéler très chronophage et désorganiser tout un service.

Vos rapporteurs considèrent qu’il est néanmoins possible de produire des mesures objectives pour quantifier une large partie de l’activité des postes, ce d’autant plus que les personnels remplissent, chaque année, un certain nombre d’enquêtes sur leur travail qui devraient servir à produire de tels indicateurs. L’administration centrale pourrait avoir recours aux indicateurs de performance employés par l’IGAE, aussi bien dans le champ de l’activité politique (nombre de visites bilatérales, nombre de correspondances diplomatiques, etc.) que de l’activité économique (nombre d’entreprises accompagnées, nombre d’événements de promotion organisés, etc.) et culturelle (montants du mécénat levés, heures de cours de français dispensés, nombre de certifications de maîtrise de la langue française distribuées, nombre de sections bilingues ouvertes, etc.).

La fermeture de l’Institut français de Norvège

Lors de leur déplacement en Norvège, vos rapporteurs ont découvert le projet de fermer l’Institut français à l’été 2020 et de transférer les personnels vers le service de coopération et d’action culturelle (SCAC) de l’ambassade.

Vos rapporteurs peinent encore à comprendre les raisons qui justifient la fermeture de l’Institut français de Norvège (IFN), dès lors que :

– l’IFN est considéré comme le meilleur centre d’apprentissage du français en Norvège, avec un nombre d’élèves en augmentation ;

– l’IFN est rentable et dégage un excédent d’environ 100 000 euros ;

– la France a manifesté la volonté de développer ses relations avec la Norvège au travers d’un récent accord-cadre de coopération ;

– la Norvège est très demandeuse de présence française – elle apporte près de 300 000 euros de subventions à l’IFN –, notamment dans le contexte du « Brexit », qui conduit la Norvège à vouloir se rapprocher de la France et de l’Allemagne.

Aujourd’hui, l’ambassade de France en Norvège s’organise pour faire évoluer l’IFN vers une association de droit local, qui reprendra l’ensemble des professeurs et des élèves, afin de continuer à donner des cours de français.

Vos rapporteurs s’étonnent du choix de fermer l’IFN, qui illustre la faible association des ambassades à la prise de décision, le manque d’indicateurs fiables permettant de fonder certaines orientations et l’absence de motivation des décisions.

Au-delà de l’IFN, vos rapporteurs observent un mouvement de balancier, selon les périodes, entre une volonté d’extension et de recentrement du réseau culturel. Pour savoir s’il est nécessaire d’ouvrir ou de fermer un Institut français, vos rapporteurs invitent à regarder deux indicateurs simples : la rentabilité et la cohérence avec la commande présidentielle de faire de la langue française la première 2ème langue étrangère apprise dans le monde.

C.   Une réforme qui reste encore incomplÈte

Certains crédits et emplois de soutien n’ont pas été transférés au Quai d’Orsay. De ce fait, l’objectif de la réforme, consistant à créer un budget unique et un plafond d’emploi unique, n’a pas été complètement atteint, ce qui limite les gains de productivité et la capacité à générer des économies.

1.   Les crédits non transférés

Certains crédits continuent d’être maîtrisés par les autres ministères. Réticents à l’idée de perdre leurs moyens, les ministères se sont battus pour conserver la gestion des crédits relatifs aux frais de mission et aux stagiaires. De ce fait, les différents programmes budgétaires, comme le programme 305 pour la mission économique ou le programme 144 pour la mission défense, continuent de financer une partie de l’administration de l’État à l’étranger.

Alors que la charge de gestion a bien été transférée au Quai d’Orsay, l’ensemble des crédits correspondants à ce travail n’ont pas été transférés : le MEAE est donc, à ce stade, perdant dans cette réforme. Le budget pour 2020 prévoit des transferts complémentaires, d’environ un million d’euros, pour compenser l’insuffisance des moyens transférés par les autres ministères.

Néanmoins, il reste de nombreux crédits non transférés qui devront donc être trouvés par le MEAE. Le meilleur exemple est celui de l’immobilier : le Quai d’Orsay a récupéré l’ensemble des biens immobiliers de l’État à l’étranger mais pas les crédits d’entretien lourd afférents. Dans la négociation interministérielle, les autres ministères ont avancé le fait que ces crédits d’entretien lourd étaient principalement constitués des recettes de cessions immobilières et ont donc incité le Quai d’Orsay à vendre une partie du patrimoine transféré…

Vos rapporteurs estiment que les cessions immobilières ne font qu’appauvrir l’État et appellent donc à trouver d’autres sources de financement pour rénover nos emprises à l’étranger. Ces derniers saluent la hausse des crédits budgétaires inscrite dans le budget pour 2020, même si les moyens restent largement en deçà des besoins d’entretien. Le Quai d’Orsay peut aussi compter sur certaines recettes exceptionnelles, liées à l’organisation de manifestations payantes dans les résidences de France et à la participation de sponsors au financement de certains évènements, comme la fête du 14 juillet. Il y a néanmoins des limites à ces recettes exceptionnelles compte tenu, d’une part, des règles qui visent à éviter qu’un sponsor ou une manifestation portent des valeurs qui placeraient la France dans une situation de conflit d’intérêts et, d’autre part, de la charge de travail qu’elles induisent pour les SGA. Vos rapporteurs considèrent, à tout le moins, qu’il est nécessaire de faire payer systématiquement l’hébergement des visiteurs de passage dans les ambassades, voire même de supprimer tout hébergement dès lors que l’environnement local dispose des infrastructures hôtelières ad hoc.

2.   Les emplois non transférés

De même, il n’existe pas, en pratique, de plafond d’emplois unique en ambassade. Certains emplois de soutien continuent d’être gérés par les autres ministères ce que favorise la limite parfois floue entre les notions de fonction support et de fonctions métiers.

Dans certains cas, certains emplois combinant support et métier ont été classés comme des fonctions métiers par les autres ministères. Les ministères ont pu se prévaloir du caractère hybride de certains postes, comme celui de secrétaire ou d’interprète, pour s’opposer à la mutualisation de plusieurs ETP.

Dans d’autres cas, certaines fonctions hybrides ont été basculées vers le MEAE mais sont restées fléchées auprès de certains attachés sectoriels. Vos rapporteurs ont entendu de nombreux attachés sectoriels expliquer que les interprètes ou les secrétaires ne sont pas substituables : ces personnels se spécialisent dans certains domaines. Il était donc important que ces personnels restent à leur disposition pour ne pas nuire à leur activité. Cette situation est néanmoins complexe pour les personnels du Quai d’Orsay qui récupèrent la gestion de ces agents sans bénéficier du fruit de leur travail.

D.   Le pilotage de l’administration de l’État À l’Étranger reste encore incertain

Comme on l’a vu, la mutualisation des fonctions support à l’étranger renforce la capacité de l’ambassadeur à faire des arbitrages en fonction des priorités qu’il a lui-même définies. Néanmoins, les pouvoirs de l’ambassadeur restent limités vis-à-vis des services extérieurs et des opérateurs, de l’administration centrale du MEAE et des autres ministères à l’étranger.

1.   Vers le bas : vis-à-vis des services extérieurs et des opérateurs

Le champ de la mutualisation des moyens est resté limité, ce qui entrave la capacité de l’ambassadeur à mobiliser l’ensemble des services à l’étranger.

D’une part, la mutualisation ne concerne pas les opérateurs de l’État à l’étranger compte tenu de leur autonomie de gestion. À titre d’exemple, les instituts français gèrent eux-mêmes leurs propres fonctions support en raison de leur statut particulier d’établissement à autonomie financière (EAF), qui se traduit par une autonomie du budget de l’État et une capacité à percevoir des recettes propres. Vos rapporteurs ont pu constater que la gestion des instituts français, qui obéit à des règles propres, est « acrobatique ». Certaines mutualisations avec les opérateurs sont possibles au cas par cas, mais elles sont au mieux limitées à la colocation immobilière et à la sécurité diplomatique. À Hanoï, l’ambassade et l’Institut français ont par exemple conclu une convention pour mettre en commun leurs véhicules. Il reste que les opérateurs sont faiblement arrimés aux objectifs politiques fixés par le chef de poste.

D’autre part, le champ de la mutualisation concerne les crédits et les emplois de soutien, mais pas les fonctions métiers des ministères présents à l’étranger. Des expérimentations d’hébergement du service économique au sein de la chancellerie politique devraient être lancées dans six postes (Chili, Ghana, Malaisie, Mauritanie, Norvège et Hongrie). Ce type d’expérimentation, consistant à créer une équipe intégrée auprès de l’ambassadeur, pourrait être une première étape vers la mutualisation des fonctions métiers des autres ministères.

Vos rapporteurs considèrent qu’il faut continuer à faire tomber les clivages afin de se doter d’une véritable « équipe France » à l’étranger. En parallèle de la mutualisation des moyens, il est nécessaire de passer à une étape plus positive, mais aussi plus politique, pour fédérer l’« équipe France ». Le chef de poste doit pouvoir définir des priorités communes afin de développer une gamme d’interventions plus efficace. Sans doute est-il nécessaire de commencer par adopter une identité unique à l’étranger, en évitant d’avoir un logo par opérateur. Cet effort est le préalable avant d’imaginer pouvoir décloisonner les ambassades européennes pour agir conjointement sur des projets européens.

2.   Vers le haut : vis-à-vis de l’administration centrale du Quai d’Orsay

Compte tenu du poids de l’administration centrale, les ambassadeurs ne sont pas très libres d’organiser les effectifs et les emplois dans leur poste. L’autonomie de gestion des ambassadeurs reste étroite et le respect du cadre fait l’objet d’un suivi régulier par l’administration centrale. Par exemple, les chefs de poste n’ont aucune influence sur les rémunérations, à l’exception de certaines primes très faibles dont peuvent bénéficier les salariés locaux. Si l’administration centrale est garante de la cohérence générale du dispositif, de sa continuité et de sa viabilité, vos rapporteurs considèrent que cette dernière reste trop directive, conséquence de notre tradition jacobine. Le plan « Action publique 2022 » doit s’accompagner d’une plus grande confiance faite au niveau local.

3.   Sur les côtés : vis-à-vis des autres ministères à l’étranger

Comme expliqué plus avant, les autres ministères à l’étranger ont été très réticents à se déposséder de leurs fonctions support. Aujourd’hui, la plupart des attachés sectoriels rencontrés par vos rapporteurs reconnaissent que la réforme était inéluctable et que celle-ci se passe plutôt bien. Pour preuve, les attachés d’armement ont décidé de rejoindre la réforme à partir de l’année 2020. La réforme a également permis de développer un dialogue de gestion entre administrations centrales concernant le fonctionnement des ambassades, via des contacts informels fréquents et des réunions de cadrage régulières.

Toutefois, 2019 est une année de transition, au cours de laquelle les crédits ont été reconduits à l’identique. En 2020, les ambassadeurs pourront faire jouer la fongibilité des enveloppes en fonction de leurs priorités, ce qui pourrait réenclencher la guerre entre les ministères. Chaque ministère restera vigilant, dans chaque poste, à ce que l’ambassadeur ne répartisse pas les moyens au détriment des missions de ses attachés sectoriels. Interrogé sur le sujet, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, estime « qu’il [n’y aura pas] de difficultés au niveau interministériel car le pragmatisme l’emportera ».

Vos rapporteurs restent néanmoins inquiets car le Quai d’Orsay pourrait faire l’objet de pressions de la part des autres ministères, ce qui serait de nature à remettre en cause le rôle du MEAE comme ministère « chef-de-file » à l’étranger. En bout de chaîne, la capacité laissée aux ambassadeurs d’affecter les crédits entre les attachés sectoriels pourrait être paralysée. Les ambassadeurs devront donc faire l’objet d’un fort soutien face aux autres ministères à l’étranger, sous peine de remettre en cause un des grands apports de la réforme

 


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   CONCLUSION

Vos rapporteurs ont réalisé cette mission d’évaluation quelques mois seulement après le lancement de la réforme des réseaux de l’État à l’étranger, alors que cette dernière n’est pas complètement achevée.

Si vos rapporteurs manquent encore de recul pour apprécier les résultats de cette réforme, ce rapport aura permis de développer les bénéfices qui peuvent en être attendus, du point de vue notamment de la maîtrise de la dépense publique et de la qualité du pilotage de l’action de l’État à l’étranger, ainsi que de définir les conditions nécessaires à sa réussite, en particulier la prise en compte de la surcharge de travail qui pèse sur les SGA.

Surtout, vos rapporteurs appellent à ne pas réduire le plan « Action publique 2022 » à un simple exercice comptable qui compromettrait l’avenir du Quai d’Orsay. Bien que nécessaire, la maîtrise de la dépense publique ne peut justifier toutes les décisions de rationalisation du réseau.

Enfin, le délai très court d’une mission « flash » ne permettait pas d’explorer en détail les procédures de décision régissant les fonctions support pour y repérer d’éventuelles lourdeurs ou incohérences.

Vos rapporteurs appellent la commission des affaires étrangères à lancer une nouvelle évaluation de la réforme des réseaux de l’État à l’étranger à la fin de la législature, ce qui permettra de vérifier que les recommandations émises dans ce rapport auront bien été prises en compte dans les prochaines étapes de la mise en œuvre de cette réforme.

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 13 novembre 2019, la commission examine le présent rapport.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Notre réunion ce matin est consacrée à la présentation du rapport de la mission « flash » d’audit et de contrôle des processus de gestion de postes diplomatiques réalisé par nos deux rapporteurs, Anne Genetet et Didier Quentin.

Si notre commission se penche très souvent sur les différents aspects de la politique étrangère de la France, cette mission « flash » avait pour objet d’évaluer, de manière très pratique et très concrète, la gestion interne et d’identifier les éventuels dysfonctionnements des services qui, à l’étranger, mettent en œuvre notre politique étrangère.

Le cadre de gestion de l’action extérieure de l’État est actuellement en pleine transformation dans le but affiché de réduire la dépense publique et de rationaliser le fonctionnement de l’administration à l’étranger, objectif, pour ne pas dire antienne, qui, pour le Quai d’Orsay, remonte à 1995.

Lancée à l’été 2018, la réforme des réseaux de l’État à l’étranger s’est traduite par la mutualisation des fonctions support des différents ministères à l’étranger entre les mains d’un acteur, le secrétaire général d’ambassade – le SGA –, véritable clef de voûte du fonctionnement interne de nos ambassades. Le SGA est placé sous l’autorité directe de l’ambassadeur, dont le rôle de coordination de l’action de l’État à l’étranger se retrouve renforcé.

Pour élaborer votre rapport, vous avez rencontré les services de l’administration centrale qui suivent, au quotidien, la gestion interne des postes diplomatiques et consulaires. Vous vous êtes également rendus dans deux de nos postes, en Norvège et au Vietnam, pour recueillir l’expérience des personnels.

Un an après le lancement de la réforme, vous estimez que celle-ci était inéluctable et que, malgré des débuts difficiles, celle-ci est plutôt bien vécue des personnels. Vous alertez néanmoins le ministère sur plusieurs points, comme la charge de travail qui pèse sur les SGA, qui doivent être pris en compte pour garantir le succès de cette réforme.

Par ailleurs, je tiens à souligner l’utilité pour nous de nous saisir, par le biais des missions « flash », de ce type de problématiques. Cela nous permet, une nouvelle fois, de mettre en lumière, de manière très pragmatique, des difficultés dans le fonctionnement de certains dispositifs publics fondamentaux pour le bon exercice de notre politique étrangère. Et nous ne pouvons que constater qu’une fois encore, la rationalisation des moyens ne saurait à elle seule constituer une politique, en particulier lorsque l’influence de la France dans le monde est en jeu.

M. Didier Quentin, rapporteur. La mission « flash » dont nous faisons aujourd’hui le compte rendu présente effectivement une singularité comme l’a dit notre président : pour une fois, elle n’avait pas pour objet d’évaluer la politique étrangère de la France, mais d’analyser la mécanique interne à nos postes diplomatiques et consulaires. La voix de la France dans le monde porte, notamment, grâce à ses ambassades : il est donc essentiel de s’assurer de la qualité de leur fonctionnement.

En préalable, nous pensons nécessaire de dire quelques mots sur la méthode avec laquelle nous avons conduit cette mission.

En dépit de son caractère « flash », le champ de notre mission était très vaste. Il serait donc sans doute nécessaire de conduire d’autres missions pour passer en revue tous les processus de gestion des postes diplomatiques, identifier les éventuels dysfonctionnements et proposer des pistes d’amélioration.

Nous avons fait le choix, comme vient de le rappeler le président, de concentrer notre attention sur les « fonctions support », à savoir les services qui assurent le soutien, matériel et humain, indispensable à l’exercice des fonctions diplomatiques et consulaires, les fameuses « fonctions métier ».

Ces « fonctions support » regroupent les affaires financières, les ressources humaines, l’immobilier et la logistique, les systèmes d’information et la sécurité diplomatique. Toutes relèvent de la direction générale de l’administration et de la modernisation du Quai d’Orsay.

Plutôt que d’analyser ces fonctions de soutien une par une, il nous a paru important de prendre de la hauteur pour nous pencher sur le cadre de gestion global des postes diplomatiques et consulaires.

Or, ce cadre de gestion est en plein bouleversement, sous l’effet du plan « Action publique 2022 ». Notre mission « flash » s’apparente ainsi à une première analyse des conséquences de cette modernisation de l’État sur la gestion interne des postes.

Nous commencerons par exposer les contours de la réforme, avant de développer les bénéfices qui peuvent en être attendus. Nous détaillerons ensuite plusieurs points de vigilance qui devront être pris en compte lors des prochaines étapes de la réforme.

Le Quai d’Orsay, « vielle maison » s’il en est, et comme ancien agent je dis cela avec une nuance affective, n’est pas exonéré du programme de modernisation de l’État, inscrit dans le plan « Action publique 2022 ».

Alors, la question se pose : pourquoi réformer le Quai d’Orsay ?

Le premier objectif est de générer de nouvelles économies, en dépit des efforts déjà fournis par le ministère ces dernières années et qui avaient fait dire à un ancien secrétaire général du Quai d’Orsay reçu par notre commission, M. Maurice Gourdault-Montagne : « Nous sommes à l’os ! »

« Action publique 2022 » comprend une cible de réduction de la masse salariale de l’État à l’étranger fixée à 5,7 %, objectif revu à la baisse, après avoir été initialement fixé à 10 %...

Sans doute est-il utile de rappeler, à ce stade, que cet effort porte sur l’ensemble des administrations de l’État à l’étranger, et pas seulement sur le Quai d’Orsay ; mais celui-ci supporte tout de même la moitié des efforts attendus…

Aussi, pour atteindre cette cible, sera-t-il nécessaire de procéder à des suppressions de postes et à des reconversions de postes d’expatriés en agents de droit local.

Mais l’exercice n’est pas purement comptable. Le Quai d’Orsay souhaite faire d’« Action publique 2022 » – et on ne peut que s’en féliciter – une opportunité pour rationaliser le fonctionnement de l’État à l’étranger, caractérisé par une multitude de ministères gérant chacun leurs propres fonctions support : budgets, chauffeurs ou interprètes, à titre d’exemples.

En conséquence, depuis la rentrée 2018 et le budget pour 2019, le Quai d’Orsay est engagé dans une réforme des réseaux de l’État à l’étranger, qui a de fortes conséquences sur le cadre de gestion de nos postes diplomatiques.

Cette réforme consiste essentiellement en la mutualisation des fonctions support – budgets, emplois de soutien, biens immobiliers, véhicules – des différents ministères à l’étranger. Prenons un exemple concret : chaque attaché sectoriel, qui disposait auparavant de son propre chauffeur, a désormais recours à un « pool » de chauffeurs, commun à toute l’ambassade.

L’ensemble de ces moyens sont concentrés entre les mains d’un acteur central, le secrétaire général d’ambassade. Dans le nouveau système, le SGA s’impose comme le correspondant unique pour tous les services extérieurs. Ceux-ci n’auront donc plus à se tourner vers leur administration de rattachement à Paris dès qu’ils ont un problème de gestion.

Il ne faut pas se cacher le que la mise en œuvre de la réforme a initialement suscité de nombreuses tensions. Des tensions avec les personnels, car la réforme a été lancée de manière précipitée, sans réelle concertation avec les postes. Des tensions aussi avec les autres ministères, car la mutualisation a donné lieu à une intense négociation sur les moyens budgétaires et humains transférés au Quai d’Orsay.

La mise en œuvre de la réforme paraît néanmoins aujourd’hui stabilisée. La réduction de l’objectif de baisse de la masse salariale, qui est passé – je le répète – de 10 à 5,7 %, a permis de mieux associer les postes dans la définition des choix de rationalisation. Par ailleurs, l’année 2019 a été érigée en « année de transition » : malgré la mutualisation, les crédits des services extérieurs ont été reconduits à l’identique. Ce n’est qu’à partir de 2020 que la fongibilité des moyens budgétaires de l’ensemble des ministères à l’étranger sera pleinement effective.

Mme Anne Genetet, rapporteure. Si la plupart des personnels du ministère que nous avons rencontrés, tant ici à Paris qu’à Oslo et à Hanoi, estiment que les efforts demandés au Quai d’Orsay sont trop importants, la plupart reconnaissent aussi que la réforme des réseaux de l’État à l’étranger était inéluctable.

De fait, les bénéfices attendus de cette réforme sont nombreux.

La réforme a d’abord pour effet de décharger les services extérieurs de l’État de la gestion des fonctions support. Cette gestion était très lourde pour les petits services, composés d’un unique attaché sectoriel. La constitution d’un pool de personnels de soutien commun à toute l’ambassade permet aux attachés de sectoriel, de défense ou de sécurité intérieure par exemple, de gagner considérablement en efficacité, en écartant les soucis liés aux congés ou aux absences des personnels de soutien qui leur étaient précédemment affectés.

Ensuite, la mutualisation des crédits se traduit par une plus grande souplesse dans la gestion interne des postes. Un service, disons par exemple le service économique, dont les activités sont jugées prioritaires par l’ambassadeur, pourra bénéficier d’un réabondement en gestion de ses moyens, sans avoir à se tourner vers Paris comme il devait le faire jusqu’à présent.

Par ailleurs, la réforme renforce l’ambassadeur dans son rôle de chef de poste. L’ambassadeur ne dispose plus seulement d’une mission d’animation des différents réseaux de l’État à l’étranger, mais il en a désormais la maîtrise des moyens. La chaîne de commandement est consolidée ce qui renforce l’unité de l’« équipe France » à l’étranger. Je nuance d’ores et déjà cette affirmation en rappelant que, si notre ambassadeur a bien un rôle de chef de poste pour coordonner les moyens mis à sa disposition, il n’a pas la main sur les personnels eux-mêmes, à savoir sur l’attaché de défense ou l’attaché de sécurité intérieure. Le chef de poste n’a pas la maîtrise sur la composition de ses équipes ou sur la masse salariale que cette équipe représente. Ce dernier a la main sur les fonctions support qui entourent les fonctions métier mais pas sur le métier en lui-même.

Enfin, la réforme doit également permettre de dégager des économies. Des économies de masse salariale, grâce à la meilleure utilisation de certains personnels qui, lorsqu’ils dépendaient de certains ministères, n’étaient pas employés à leur plein potentiel. Des économies de fonctionnement aussi, grâce à la mutualisation de certains contrats, comme les contrats d’énergie ou de téléphonie. Il est plus rationnel d’avoir un contrat global pour l’ensemble des personnels que pour chaque service. Les économies seront facilitées par le meilleur pilotage du patrimoine immobilier de l’État à l’étranger dont le Quai d’Orsay est devenu, depuis 2019, l’affectataire unique. À titre d’exemple, en Norvège, le projet de regroupement des services de l’ambassade, actuellement dispersés sur trois sites, au sein d’une emprise unique permettra de générer d’importantes d’économies.

Si les bénéfices attendus de la réforme des réseaux de l’État à l’étranger sont nombreux, ils ne sont pas garantis pour autant. Parlons donc des points de vigilance. Cette réforme reste marquée par certaines fragilités et insuffisances qui devront être prises en compte pour que cette dernière tienne ses promesses.

Le premier angle mort de la réforme est la surcharge de travail qui pèse sur les SGA. Cette surcharge nous a particulièrement frappés. Avec la mutualisation des fonctions supports, les attributions de ces personnels se sont élargies. Les SGA ont plus de personnels avec lesquels ils entrent en interaction, plus de missions à prendre en charge, mais sans renforcement concomitant de leurs moyens. Or, les SGA sont vraiment la clef de voûte de nos postes : ils sont à la confluence de toutes les activités de l’ambassade. Il faut être très clair sur le fait que, sans eux, nos postes sont à l’arrêt.

Aujourd’hui, le Quai d’Orsay compte sur les chantiers de dématérialisation en cours pour accroître la productivité de ces agents. En attendant ces bénéfices encore lointains, nous considérons que les SGA et leurs équipes doivent être épargnés au plus vite des efforts qui sont demandés sur la masse salariale du ministère et doivent même, dans certains cas, être renforcés.

Sur un plan plus qualitatif, nous regrettons également que ces personnels ne disposent pas d’une formation et d’un parcours de carrière à la hauteur de leurs responsabilités.

Notre deuxième sujet d’inquiétude porte sur le sentiment d’arbitraire qui entoure certaines décisions de rationalisation, ce qui entame la confiance et la motivation des personnels en poste à l’étranger qui ne comprennent pas toujours les décisions qui sont prises. Je l’ai souvent dit dans d’autres rapports, la dynamique consistant à vouloir « couper des têtes » n’est pas toujours comprise par les personnels, ce que l’on retrouve dans la mise en œuvre de cette réforme des réseaux de l’État à l’étranger.

Nous avons ainsi appris, lors de notre déplacement à Oslo, le projet de fermeture de l’Institut français de Norvège, ce qui est totalement incompréhensible. C’est un Institut qui est excédentaire sur le plan budgétaire, qui a un nombre d’élèves qui ne cesse de croître et qui bénéficie d’une aide du gouvernement norvégien qui reconnaît l’importance de la présence française à travers cet Institut. Il est donc au cœur des relations franco-norvégiennes et nous ne comprenons absolument pas pourquoi sa fermeture a été décidée et actée. Cette fermeture n’est pas explicable. Évidemment, les personnels sur place ne le comprennent pas non plus.

Ce type de décision reflète, de manière plus générale, le manque de critères et d’indicateurs qui permettent de fonder certaines orientations, la faible association des postes à la prise de décision en amont – en l’occurrence, le poste avait alerté sur l’importance de cette Institut, mais il n’a absolument pas été écouté –, et en aval, l’insuffisante motivation des décisions prises par l’administration centrale.

Pour écarter tout malentendu, nous ne contestons pas la légitimité de l’administration centrale dans sa capacité à redéfinir le périmètre du réseau, mais il est nécessaire de dissiper le sentiment d’arbitraire à l’origine d’un certain malaise chez les personnels du ministère qui, je le répète, sont des personnels engagés, motivés, passionnés pour beaucoup d’entre eux et qui ne comprennent pas qu’on entame une partie de leur passion.

Troisièmement, la réforme reste encore incomplète. Nous l’avons dit, la mutualisation des fonctions support a exigé une négociation interministérielle très difficile pour déterminer les moyens qui devaient être transférés au ministère des affaires étrangères. Les ministères se sont battus ligne de crédit par ligne de crédit, emploi par emploi, pour tenter de conserver leurs moyens.

En conséquence, certains crédits n’ont pas été transférés, notamment une partie des frais de mission et les crédits relatifs aux stagiaires, qui restent sous la coupe de chacun des ministères. Par ailleurs, les ministères ont pu se prévaloir du caractère « hybride » de certains emplois qui, comme les interprètes, relèvent à la fois des fonctions support et des fonctions métier, pour refuser tout transfert. Un interprète qui travaille pour une fonction métier économique ou de sécurité utilise un vocabulaire qui est très spécifique et, pour cette raison, certains ministères ont souhaité conserver certaines de leurs fonctions support.

Le caractère incomplet de la réforme limite aujourd’hui certains des bénéfices, en particulier les économies qui pourront être générées. Au final, les grands gagnants de cette réforme, à court terme, ce sont les autres ministères, à savoir l’intérieur, la défense ou les finances, qui ont transféré leur charge de travail en matière de soutien, qui demande beaucoup de temps et d’énergie, sans transférer l’intégralité de leurs crédits et emplois de soutien, sans même parler du transfert des fonctions métier. Ce sont eux les gagnants, et la charge de travail pèse sur le dos des SGA et du Quai d’Orsay.

Dernièrement, le pilotage de l’administration de l’État à l’étranger reste encore incertain, alors même qu’un des principaux objectifs est de renforcer l’« équipe France ». Les pouvoirs du chef de poste, je l’ai dit tout à l’heure, restent limités à plusieurs égards. Compte tenu de l’autonomie dont ils disposent, les opérateurs de l’État à l’étranger – l’Agence française de développement (AFD), Business France, Atout France, Campus France – ne sont pour le moment pas tous concernés par cette réforme. Par ailleurs, le pouvoir des chefs de poste est limité vis-à-vis de l’administration centrale qui, ici en France, reste très directive et réduit assez souvent les marges de manœuvre sur le terrain. L’autonomie des ambassadeurs risque aussi d’être limitée par les autres ministères à l’étranger, qui seront vigilants à ce que la mutualisation des moyens ne se fasse pas au détriment des missions de leurs attachés sectoriels.

L’administration centrale du Quai d’Orsay est donc mise au défi de donner plus d’autonomie aux ambassadeurs tout en les protégeant contre les pressions dont ils peuvent faire l’objet de la part des autres ministères à l’étranger.

M. Didier Quentin, rapporteur. Au moment de conclure, je suis tenté de citer Gustave Flaubert selon lequel : « La bêtise, c’est de vouloir conclure ! ». Je dirai donc plutôt : affaire à suivre…

Au moment de conclure, nous souhaitons rappeler que le travail d’évaluation que nous avons réalisé intervient de manière précoce, seulement quelques mois après le lancement de la réforme des réseaux de l’État à l’étranger. Notre apport – je n’oserai pas dire notre valeur ajoutée – n’est pas tant d’avoir réalisé un bilan de cette réforme que d’avoir identifié les conditions nécessaires à sa réussite.

Aussi, nous appelons notre commission à lancer, avant la fin de la présente législature, un nouveau travail d’évaluation de cette réforme afin, cette fois, d’en dresser le bilan et de vérifier si nos préconisations ont bien été suivies. Je disais donc bien : affaire à suivre… Je dirais pour terminer que, en attendant, le Quai est au milieu du gué.

M. Rodrigue Kokouendo, président. Vous avez soulevé plusieurs difficultés ou plutôt, plusieurs points de vigilance comme le transfert des moyens de soutien qui doit être en adéquation avec la charge de travail transférée aux SGA. Nous discuterons de l’idée d’une mission complémentaire avant la fin de cette législature en présence de la présidente de notre commission, Mme Marielle de Sarnez.

Mme Marion Lenne. Comme nous avons pour rapporteurs des personnalités de terrain – Anne Genetet est députée des Français établis hors de France, Didier Quentin est un ancien du Quai d’Orsay, et j’ai moi-même vécu à l’étranger –, je voudrais évoquer l’importance que représentent les consulats et les ambassades pour les Français de l’étranger, en particulier en cas de crise. Pour ma part, j’ai vécu trois coups d’État à l’étranger, ce qui fait comprendre l’importance d’un passeport et d’une ambassade.

Les personnes travaillant en ambassade m’ont souvent expliqué que l’on pouvait être très satisfait de l’action de nos postes sur le plan quantitatif mais sans doute moins de l’aspect qualitatif, qui concerne moins de personnes, notamment lors des crises. À chaque fois que j’ai évoqué la qualité du service qui ne m’était pas rendu en tant que Français de l’étranger, on m’a répondu que, sur le plan quantitatif, notre action était absolument extraordinaire.

Vous avez évoqué la baisse de la masse salariale, qui était certainement nécessaire, mais comment garantir dans ce contexte la qualité des services rendus par les agents alors même qu’ils sont très loin de l’administration centrale parisienne ? Vous avez rappelé que ce sont les fonctions support qui sont principalement concernées par le nouveau cadre de gestion. Les fonctions métier ne mériteraient-elles pas aussi d’être rénovées dans un contexte où le rôle de l’ambassadeur s’accroît ?

M. Guy Teissier. Ce que vous nous avez expliqué est particulièrement édifiant. Si j’ai bien compris, il appartient désormais au ministère des affaires étrangères d’assurer un pilotage efficace de son parc immobilier. La marge d’amélioration semble importante puisque, dans une belle formule, il est rappelé que le Quai d’Orsay doit dynamiser la gestion de son parc, notamment en renforçant les schémas pluriannuels de stratégie immobilière pour les grands sites.

Les biens immobiliers des autres ministères ont été transférés au Quai d’Orsay, notamment les biens du Trésor qui en représentent une grande partie. La situation est très problématique quand on prend conscience du fait que le Quai d’Orsay finance les travaux de rénovation en vendant ses biens. On s’appauvrit d’une certaine façon.

Certes, le budget immobilier du ministère a augmenté, pour passer de 72 à 80 millions d’euros en 2020, ce qui représente 7,7 millions d’augmentation. Cela reste très largement insuffisant pour le parc immobilier de l’État à l’étranger. Pourquoi rien n’est fait ? Le Quai d’Orsay va-t-il continuer à céder ses biens pour combler son budget consacré à l’entretien immobilier ? Il en va de l’image de la France à l’étranger et de la qualité de l’accueil qu’on peut y attendre. Il semblerait que le Quai soit au milieu du gué, comme vous l’avez formulé dans ce rapport.

M. Frédéric Petit. En tant que rapporteur pour avis du budget de la diplomatie culturelle et député des Français établis hors de France, j’ai été ravi par la lecture de votre rapport. Il complète un certain nombre de choses que j’essaie d’approfondir et d’expliquer depuis deux ans.

Je voudrais revenir sur le cas des secrétaires généraux d’ambassade. C’est vrai qu’ils ont une surcharge de travail. Cette évolution est très révélatrice de ce qu’on demande à une ambassade en tant que chef d’orchestre. Le fait qu’il y ait une tension sur le secrétaire général d’ambassade, c’est un bon signe. Cela montre qu’on a mis les choses dans le bon ordre. Même si cette réforme n’est pas finie, je trouve cela intéressant. Le ministère des affaires étrangères gère des ressources humaines et non plus des carrières. La fonction de SGA n’est plus « sous-diplomatique » ou « sous-consulaire ». Secrétaire général d’ambassade devient un métier particulier.

Je souhaite revenir sur un autre point avec lequel je suis moins d’accord. Vous dites qu’il faudrait faire pour les fonctions métier ce qu’on a fait avec les fonctions support. Je considère ici qu’il y a un mur à ne pas franchir. J’ai toujours rappelé que, si l’on allait vers une diplomatie climatique, il ne fallait pas avoir des personnels qui restent dans un pays seulement trois ou quatre ans. Une véritable diplomatie du climat nécessite des experts qui devront rester longtemps sur un même poste. Pour moi, on doit avoir des métiers avec des particularités.

Je précise que, outre l’Institut français de Norvège, quatre autres établissements à autonomie financière (EAF) ont été fermés dans le monde cette année.

M. Alain David. Nous sommes attentifs à la performance de la France dans un certain nombre de domaines, notamment celui concernant le « soft power ». À plusieurs reprises, nous avons considéré qu’un des éléments qui fonde cette performance est la qualité de notre réseau diplomatique ainsi que la compétence de nos collègues expatriés. Or, vous craignez vous-même que la réforme ne se traduise par une fragilisation du réseau.

Je constate en particulier que l’Institut français de Norvège va fermer. Vous vous étonnez de la fermeture de cet instrument de rayonnement culturel rentable, considéré comme le meilleur outil d’apprentissage du français dans ce pays avec un nombre d’élèves en augmentation et un soutien important des autorités norvégiennes. Pourriez-vous revenir sur ce cas particulier et nous expliquer comment des économies budgétaires pourraient bien être réalisées ?

J’ai une autre question relative aux emplois contractuels, donc précaires. Les contractuels étrangers de droit local du Quai d’Orsay donnent-ils suffisamment de garanties de loyauté vis-à-vis de la France, en particulier en cas de crise grave ?

M. M’jid El Guerrab. En tant qu’élu des Français de l’étranger, je me sens particulièrement concerné par ce rapport. Je suis en lien permanent avec nos postes diplomatiques dans les pays de ma circonscription. Dans ma circonscription, où résident 150 000 de nos compatriotes dans des conditions de plus en plus difficiles à cause notamment du terrorisme et des migrations, les services des ambassades, et surtout les consulats, sont vitaux pour nos citoyens et nos partenaires.

Ainsi, si votre rapport se concentre sur la mutualisation des fonctions support, qui permet au ministère de réduire les dépenses, je souhaite attirer votre attention sur les efforts déjà consentis par le Quai d’Orsay. Vous avez utilisé une expression très physique, en rappelant que « nous sommes à l’os ». Les nombreux échanges portant sur l’action extérieure de l’État et l’aide publique au développement à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2020 ont montré les énormes sacrifices déjà consentis ces dernières années par le ministère, alors même que les missions ont connu une forte croissance, notamment en matière de diplomatie culturelle, économique ou éducative.

Pour ma part, je souhaite qu’on s’intéresse à un sujet souvent évoqué par les personnes qui ont accès à nos services consulaires : la politique de visas, qui est la première vitrine de la France à l’étranger et la source de nombreux malentendus avec nos partenaires du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest. À ce titre, j’ai proposé le lancement d’une mission pour évaluer les solutions d’externalisation du traitement des dossiers de visas. Ce n’est pas le cœur de votre rapport, mais je pense que cela participe aussi au rayonnement de la France et à nos bonnes relations avec nos partenaires.

M. Jean-Paul Lecoq. Je m’attendais à un rapport sur le rôle de nos ambassadeurs ainsi que sur leurs missions. Ces derniers agissent-ils pour la France? Portent-ils ses valeurs ? Ont-ils les moyens de le faire ?

J’ai entendu qu’il fallait « faire des économies » et améliorer la « productivité des agents ». Comment évalue-t-on la productivité des agents ? Un ambassadeur de France qui se trouve dans un pays où se déroule un coup d’État a-t-il mal travaillé ? L’ambassadeur de France en Israël qui n’a pas fait de déclaration condamnant les crimes d’État commis par Israël est-il productif, alors qu’il avait condamné les roquettes venant de la bande de Gaza ?

Vous dites, à juste titre, que les SGA ont une surcharge de travail et qu’ils manquent de moyens. Je ne peux pas considérer que cette réforme est efficace si on ne donne pas les moyens suffisants aux SGA.

Je ne comprends pas que cette réforme ne se fasse pas dans la concertation, alors même qu’on est dans l’espace diplomatique, qui est le lieu de la négociation par excellence, et que l’on parle de la nécessité de la concertation avec la notion d’« équipe France ».

Certains ambassadeurs sont polyvalents. J’ai testé la polyvalence quand j’étais maire. Parmi les missions données aux agents municipaux polyvalents, il y a toujours une mission qui passe à la trappe. Il y a des missions qui passionnent et d’autres qui passionnent moins et qui passent à l’as. Il faudrait donc faire un point rapide sur les missions diplomatiques qui risquent de passer à la trappe. Nous serons peut-être bons sur les ventes d’armes et mauvais sur la préservation de la paix dans le monde. Je pense que la mission du Quai d’Orsay, c’est d’assurer la paix dans le monde et de partager les valeurs de la France. Or, les valeurs de la France, ce ne sont pas simplement des intérêts économiques.

Mme Clémentine Autain. Le corps diplomatique, comme l’a rappelé Jean-Paul Lecoq, est en souffrance : le nombre de personnels en poste est en diminution constante et le gouvernement n’a pas infléchi cette courbe.

Le corps diplomatique est essentiel si l’on croit que la guerre n’est pas la bonne réponse aux désordres contemporains. Si l’on croit à la paix, le corps diplomatique est décisif.

Or, la réorganisation dont on parle nous inquiète car elle est tournée vers les intérêts des entreprises. On augmente le portefeuille des missions données aux diplomates en faveur des missions tournées vers les intérêts des entreprises. Les ambassadeurs deviennent les agents d’une économie capitaliste qu’il faudrait encourager. C’est une rupture avec le sens même que doit prendre le corps diplomatique dès lors qu’il est au service de la République et non des intérêts financiers. Je sais bien que le gouvernement encourage ces intérêts et pense que la République peut se mettre au service de la finance mondialisée.

Même si le corps diplomatique est considéré comme privilégié, il est tout de même en souffrance. C’est une souffrance sur le sens de la mission et les moyens de faire son travail.

Mme Anne Genetet, rapporteure. Pour répondre à ma collègue Marion Lenne sur les services rendus aux Français à l’étranger, les choses ont changé. Il y a vraiment le souci d’un service de qualité à travers le référentiel Marianne auquel tous les consulats doivent souscrire. Une enquête annuelle vient par ailleurs de se terminer. Elle a été faite auprès de l’ensemble des Français pour leur demander quelle était la qualité du service. N’oublions pas que beaucoup de nos concitoyens n’interagissent pas du tout avec nos consulats puisqu’on s’y rend, tous les dix ans, pour refaire un passeport. Si on reste trois ans dans un pays, on peut ne jamais s’y rendre.

La dématérialisation d’un certain nombre d’actes a permis de dégager du temps humain, ce en quoi je crois beaucoup. Il faut, comme je l’ai souligné dans mon récent avis budgétaire, s’inspirer du modèle britannique de façon à dégager du temps humain pour le réinvestir dans l’aide sociale. L’aide sociale va forcément augmenter. Or, elle n’est pas divisible. Certains aspects de l’aide sociale ne sont pas encore assez développés, notamment l’aide face aux violences conjugales. Les violences conjugales sont aussi présentes à l’étranger, elles franchissent les frontières.

Dans le cadre de cette mission « flash », nous avons beaucoup travaillé sur les fonctions support. Jean-Paul Lecoq, nous n’avons pas eu le temps de nous concentrer sur les fonctions métier. Certains ambassadeurs se plaignent du manque de moyens et de personnels. On ne s’est pas intéressé au périmètre de leurs missions, mais à leurs moyens.

Frédéric Petit, nous demandons à nos chefs de poste de faire des réductions sur la masse salariale de l’ensemble du poste alors qu’ils n’ont pas la main sur la masse salariale d’un certain nombre de métiers qui ne dépendent pas du Quai d’Orsay. Il y a donc un problème.

La fermeture de l’Institut français de Norvège va-t-elle permettre de générer des économies ? Dans un premier temps, il y aura une double dépense. L’institut est situé dans un bâtiment qu’il va devoir quitter alors que le ministère en restera propriétaire. Le Quai d’Orsay va devoir garder un certain temps ce bâtiment quasi vide et donc en supporter les charges d’entretien. À long terme, cela reste à voir. Nous sommes très réservés sur la fermeture de cet Institut. Si l’on veut répondre au souhait du Président de la République d’augmenter notre influence dans le monde, et en particulier notre diplomatie culturelle, on ne comprend pas pourquoi on ferme cet institut. Cette décision a été prise en centrale. L’Institut français va se reconstituer sous la forme d’une association locale.

M’jid El Guerrab, les visas sont en marge des fonctions support. Nos collègues britanniques font instruire les visas courts et longs séjours entièrement en Grande-Bretagne. Des sociétés externes recueillent les données, notamment biométriques, à l’étranger. Une équipe d’audit régionale réalise fréquemment des audits pour s’assurer de la qualité du service rendu. L’externalisation est donc, ainsi organisée, une bonne chose. J’ai le souvenir que notre présidente, Marielle de Sarnez, avait déjà proposé une mission sur les visas. Cela serait intéressant.

M. Didier Quentin, rapporteur. Guy Teissier a évoqué la nécessité de dynamiser la gestion du parc immobilier des ambassades. Oui, il y a sans doute une tendance à vouloir vendre les « bijoux de famille ». Un rapport parlait même de vendre le Quai d’Orsay… Nous recommandons de réduire les cessions immobilières. Il n’y a en a pas énormément en cours et nos ambassades les plus prestigieuses ne le feront pas. Pour trouver des sources de financement alternatives, il y a d’autres idées qui déplairont à nos collègues Jean-Paul Lecoq et Clémentine Autain. Il s’agit de trouver des mécènes. Là, on peut évidemment critiquer la confusion des intérêts privés avec les intérêts publics. Une autre piste est d’inciter les chefs de poste à louer les locaux des ambassades. Cela peut aussi conduire à des dérives.

Pour répondre à Frédéric Petit, la revalorisation des SGA est surtout symbolique à ce stade. Des efforts restent à faire sur la formation et le parcours de carrière de ces agents afin qu’ils ne soient pas considérés comme des subalternes. Vous avez fait une suggestion intéressante à propos de la diplomatie climatique en proposant que certaines affectations soient plus longues. Il y a une tendance au « zapping » dans les postes diplomatiques. Il pourrait y avoir plus de continuité sur certains postes bien particuliers, par exemple sur certains postes qui requièrent la maîtrise d’une langue rare ou difficile.

Le directeur général de la mondialisation du Quai d’Orsay a, nous a-t-on rapporté, eu une espèce d’obsession sur la fermeture de l’Institut français de Norvège. Je rejoins ici la réflexion faite par Clémentine Autain sur la souffrance de certains agents. Nous avons rencontré la directrice de l’Institut français dont l’engagement d’une vie est réduit à néant par une décision inexplicable. Nous allons faire savoir à M. Le Drian que cette fermeture est hors de propos.

Alain David a posé la question de la fragilisation du réseau. Nous sommes tout de même un des rares pays à avoir une diplomatie universelle. Périodiquement, nous fermons certaines ambassades.

Je reviens à ce qu’a dit Clémentine Autain sur la souffrance des personnels du ministère. On pense souvent que les diplomates sont privilégiés. La souffrance peut être réelle, ne serait-ce que par l’expatriation. Il y a par ailleurs des vraies souffrances quand on supprime du jour au lendemain des postes comme au sein de l’Institut français de Norvège. Anne Genetet avait lancé l’idée d’une série télévisée sur les fonctions diplomatiques et consulaires, sur le modèle d’Urgence.

Mme Brigitte Liso. Ma question concerne la carrière des femmes diplomates. Les derniers chiffres sont encourageants. Aujourd’hui, 26 % des ambassadeurs sont des ambassadrices, alors qu’elles n’étaient que 11 % en 2002. Cette évolution participe d’une volonté politique poussée notamment par la loi « Sauvadet » de 2012 et par l’engagement du ministère dans ce domaine. Des femmes à responsabilités en poussent d’autres à s’engager.

Pourtant, le plafond de verre est toujours aussi prégnant, notamment quand il s’agit de fonctions de directeur ou sous-directeur, des postes incontournables pour gravir les échelons et prétendre au poste d’ambassadrice. En 2018, le Quai d’Orsay a dû payer une amende de 450 000 euros pour infraction liée à cette inégalité femmes-hommes dans les postes d’encadrement.

Plusieurs possibilités existent pour remédier à cette situation. On pourrait favoriser les postes permettant aux deux conjoints de travailler dans la même ambassade ou renforcer le réseau des correspondants égalité femmes-hommes. Que préconisez-vous pour que les concours fassent émerger plus de femmes diplomates et que celles-ci progressent avec les mêmes chances que les hommes ?

M. Michel Herbillon. Je voudrais mettre en avant une contradiction. On affiche des objectifs ambitieux en matière de diplomatie culturelle et d’influence. M. Le Drian nous a dit qu’il s’agissait d’une priorité. Dans le même temps, on ferme l’Institut français de Norvège. Cela alors que M. Le Drian nous a dit qu’il n’était plus question de vendre, selon ses propres termes, les « bijoux de famille ». Je vous propose donc que, de façon unanime, la commission des affaires étrangères saisisse le Quai d’Orsay pour s’opposer à la fermeture de l’Institut français de Norvège. Votre rapport aura ainsi une traduction concrète. On ne peut se contenter de déplorer les choses sans agir.

M. Jean-Louis Bourlanges. Je m’associe à ce que vient de dire Michel Herbillon d’autant plus que, selon le rapporteur, il s’agirait d’une lubie personnelle.

La façon dont on aborde les problèmes d’économies au Quai d’Orsay me paraît très insatisfaisante. J’avais été associé à l’époque de Nicolas Sarkozy à la mission sur l’effort de rationalisation. François Hollande a ensuite fait la même chose et Emmanuel Macron à nouveau. À chaque fois, il y a les mêmes carences.

On doit s’interroger sur la contribution du Quai d’Orsay aux économies. Il s’agit d’une administration peu coûteuse, dispersée et éclatée. Il est donc difficile de faire des économies sans que les services en pâtissent.

Deuxièmement, depuis le début, on confond les économies et la réforme d’un système. L’économie doit être le résultat d’une réflexion sur les missions. Le cas de l’Institut français de Norvège est significatif. La notion d’économie doit être appréciée de façon beaucoup plus rigoureuse.

Troisièmement, vous avez signalé l’intérêt de mutualiser un certain nombre de dépenses support. Cependant, on voit bien que le Département n’a pas fait la bonne analyse.

Pour l’avenir, il faut passer de la mission « flash » à une analyse en profondeur. Il faudrait la consacrer à deux sujets : un bilan qui prenne en compte la totalité des coûts et des avantages et une analyse qui désigne clairement les perdants.

M. Pierre Cordier. Je n’ai rien à ajouter par rapport à ce qui a été dit par Michel Herbillon et Jean-Louis Bourlanges. Je voudrais, malgré tout, relever quelques paradoxes. Vous avez évoqué une réforme positive mais, dans le rapport, on lit les mots suivants : « arbitraire », « malaise », « réforme incomplète ». Anne Genetet, vous êtes membre de la majorité, vous devez tenir le même discours quand nous recevons le ministre des affaires étrangères en audition.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Je suis également d’accord avec Michel Herbillon et Jean-Louis Bourlanges.

Il y a une contradiction incroyable entre l’ambition du Président de la République énoncée lors de la conférence des ambassadeurs et des ambassadrices et la réduction permanente des moyens, ce qui était déjà le cas sous les gouvernements précédents. Notre outil diplomatique est un atout qui doit nous permettre d’affronter les problèmes majeurs au Moyen-Orient ou encore ceux liés à la mondialisation. Nous sommes en train de démolir notre outil diplomatique. La souffrance des personnels est considérable.

J’aimerais également rappeler les dégâts en termes de sécurité. Nous sommes en train de fermer notre ambassade dans un pays de l’Est pour mettre son personnel dans un immeuble, sans conditions de sécurité et à proximité de l’ambassade chinoise. Nous sommes en train de supprimer des postes d’expatriés et les remplacer par des personnels du pays sans garantie de sécurité face à des risques d’espionnage. On demande au consul de New York de réduire ses dépenses alors que 100 000 Français résident à New York et que ce consulat a un rôle considérable. C’est une mécanique absurde.

On dit que le ministère est privilégié. En réalité, Bercy tord le bras du Quai d’Orsay sur des sommes, de surcroît, dérisoires. Nous gâchons un outil diplomatique pour des économies de bouts de chandelle. Nous devons dire au ministre ce qu’il se passe, s’il ne le sait pas lui-même. C’est un problème d’arbitrage et d’incohérence générale du gouvernement. Je ne comprends pas que cela puisse durer depuis vingt ans, rapport après rapport. Madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, cette réforme n’est pas positive.

Mme Ramlati Ali. Dans votre rapport, vous rappelez que le plan « Action publique 2022 » doit s’accompagner d’une plus grande confiance faite au niveau local. Vous évoquez même la tradition jacobine de l’administration centrale. Que préconisez-vous pour renforcer le pouvoir de gestion des ambassadeurs afin qu’ils puissent, comme vous le dites, organiser leurs équipes et avoir une influence sur les rémunérations au sein de leur ambassade ?

Mme Bérengère Poletti. Je suis sur la même ligne que mes collègues qui viennent de s’exprimer. Vous qualifiez cette réforme de positive, mais de quelle réforme s’agit-il ? Une réforme s’appuie normalement sur une stratégie. Quelle est la stratégie de la France vis-à-vis de ses ambassades ? Quels sont les pays que nous considérons comme importants ? Quelles sont les missions que nous souhaitons absolument préserver ? En réalité, on procède à des coupes budgétaires et on affaiblit la totalité de nos ambassades.

Par contraste, les Pays-Bas ont procédé à une réforme de la présence néerlandaise à l’étranger. Cette réforme s’est appuyée sur une vraie stratégie. Les Pays-Bas ont défini les pays partenaires importants pour lesquels ils ont augmenté les moyens et ils ont fermé certaines petites ambassades qu’ils ont éventuellement mutualisées avec d’autres pays européens.

Vous évoquez dans votre rapport la difficulté à mutualiser nos propres services entre eux. Vous expliquez que cela est dû à la concurrence, voire à la guerre, que se mènent les ministères entre eux. Cette difficulté à achever la mutualisation nous met dans l’impossibilité de le faire au niveau européen.

Lorsque l’on voit, sur le terrain, les moyens qui sont donnés à l’AFD, des moyens qui sont en augmentation, et que l’on voit à côté les faibles moyens dont disposent les ambassadeurs et les personnels diplomatiques, cela interroge. En outre, l’AFD ne parle pas toujours forcément de la France. Vous évoquez un logo commun pour les différents acteurs qui agissent à l’étranger au nom de la France. Pourtant, en parallèle, on affaiblit notre diplomatie sans mettre en place un pilotage réellement unifié de l’action de l’État à l’étranger.

Je n’ai pas l’impression d’être en face d’une réforme. J’ai l’impression d’être en face d’une logique d’économies qu’on fait à l’aveugle sans véritable stratégie.

Mme Valérie Boyer. Vous avez rappelé que, depuis le 1er janvier 2019, a été mise en place, dans le cadre du plan « Action publique 2022 », la réforme des réseaux de l’État à l’étranger annoncée par le Premier ministre en 2018 lors de la conférence des ambassadeurs et ambassadrices. Comme vous, je m’inquiète de la réduction des moyens des postes mais, plus grave encore, je m’inquiète de l’incohérence de ce qui n’est pas une réforme mais des économies en silos, sans aucune réflexion d’ensemble, même pas une réflexion sur le corps diplomatique lui-même.

Cette réforme laisse de côté le problème de la souffrance des personnels. Surtout, on a un manque de vision de l’action de la France à l‘étranger, ce qui est très grave, ainsi qu’une aide publique au développement qui n’est pas calculée, pas évoquée. Il y a un décalage entre, d’un côté, les économies de bouts de chandelle et, de l’autre, l’opacité absolue de l’aide publique au développement.

Je m’associe à la proposition faite par Michel Herbillon pour protester contre la fermeture de l’Institut français de Norvège, qui est présent en Norvège depuis 1963 et qui est un acteur majeur de la coopération culturelle, scientifique, universitaire et éducative franco-norvégienne. Cet Institut est un des symboles de l’arbitraire puisque, comme l’a dit Didier Quentin, une obsession personnelle est à l’origine de la fermeture de l’Institut, qui se trouve en plus à côté de l’Institut du prix Nobel. Cette décision est incohérente, délirante et presque insultante en plus d’être en contradiction totale avec les propos du Président de la République qui vante la francophonie, la diplomatie d’influence, la diplomatie féministe.

Il faut ajouter une autre protestation vis-à-vis de l’incohérence de ce qui n’est pas une réforme mais une économie réalisée sur nos postes diplomatiques. Nous devons aussi protester contre la totale déconnexion de l’aide au développement de notre réseau diplomatique.

Je suis inquiète par rapport au rayonnement de la France, pas seulement sur le plan culturel, pas simplement sur le plan économique, mais aussi sur le plan de sa sécurité. La faiblesse diplomatique entraîne l’insécurité.

En réalité, dans cette incohérence générale, il y a bien une cohérence : celle de la fermeture d’organismes qui servent à la France, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Je regrette que l’on apprenne, au détour d’un journal, la fermeture d’organismes connus du monde entier comme la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Il en va de même pour la fermeture d’organismes diplomatiques. Autant, nous sommes d’accord pour faire des économies, autant nous ne sommes pas d’accord pour faire des économies incohérentes avec les propos du Président de la République, des économies qui sont par ailleurs opaques et sans vision.

M. Olivier Dassault. Je m’associe à tous les propos qui ont été tenus et je trouve qu’il y a, dans ce rapport, un paradoxe. Pourquoi le Quai d’Orsay doit-il, plus que les autres ministères, supporter ces économies de bouts de chandelle ?

J’apprécie l’idée de fédérer « l’équipe France » et la volonté d’avancer vers des entités uniques à l’étranger en intégrant, par exemple, le service économique et la chancellerie politique. Cela a un intérêt certain en termes de visibilité, de rationalisation des dépenses publiques et d’efficacité. Une telle mesure me semble effectivement indispensable. Didier Quentin a expliqué l’intérêt d’un maintien plus long de certains agents sur certains postes, comme aux États-Unis, pour plus d’efficacité. Mais justement, il est dommage que cette évolution se fasse au détriment de l’influence de la France dans le monde.

Qui a décidé la fermeture de l’Institut français de Norvège, qui est très important pour permettre aux Norvégiens d’accéder à la connaissance de notre langue et qui en plus est un institut performant ? Comment cette décision peut-elle entraîner des économies ? Je m’associe tout à fait à l’idée de saisir le ministère des affaires étrangères mais peut-être aussi celui de l’éducation nationale pour montrer que la commission des affaires étrangères est choquée par cette décision.

M. Jérôme Lambert. En tant qu’ancien rapporteur spécial de la mission Action extérieure de l’État à la commission des finances, je constate que, cinq ans après avoir occupé ces fonctions, les questions restent les mêmes. À l’époque, les personnels dans nos ambassades et dans nos consulats employaient déjà les expressions que vous avez rappelées aujourd’hui : « nous sommes à l’os » ou « nous n’y arrivons pas ». Pourtant, ils y arrivent parce que tous ces personnels sont éminemment compétents et parce qu’ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’on leur donne.

Je vois beaucoup de postes diplomatiques et consulaires avec des moyens de misère. Pour ne citer qu’un cas parmi des dizaines, notre consul général à Saint-Pétersbourg, qui n’est pas une petite bourgade, n’a pas de chauffeur. Par rapport aux autres pays européens présents à Saint Pétersbourg, la France fait figure de parent pauvre.

La question que nous nous posons tous, et je ne perçois pas de dissonance, est la suivante : faut-il faire des économies là où sont nos priorités ? On répète suffisamment que la politique étrangère est essentielle parce que nos intérêts sont partout dans le monde. En Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie, quel que soit le pays, là où il y a une crise, là où il y a un problème, c’est la situation des Français mais aussi la politique mondiale qu’entend conduire la France qui est en cause.

Je suis donc d’accord avec tout ce qui a été dit et j’aimerais aussi protester contre la fermeture de l’Institut français en Norvège. Après avoir engagé cette réflexion ensemble, nous devons la poursuivre au service de notre politique étrangère.

Mme Anne Genetet, rapporteure. En préalable, je voudrais être clair sur un point. Certes, des économies sont demandées au Quai d‘Orsay, mais elles sont proportionnellement les mêmes que celles demandées aux autres ministères. On n’en demande pas plus au Quai d’Orsay qu’aux autres ministères. Simplement, quand on part de peu et qu’on en enlève un peu, il ne reste pas grand-chose. Dans le cas du Quai d’Orsay, c’est le budget de départ qui est faible et qui fait que toute économie se voit beaucoup plus que sur un ministère avec un budget plus important.

Nous avons fait le choix d’une diplomatie universelle, ce qui a un coût. Comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, notre diplomatie est partout présente dans le monde. Les Britanniques y avaient renoncé avant de revenir à une diplomatie universelle. Le Foreign Office britannique a fait, il y a quelques années, une étude comparative sur les systèmes diplomatiques : la diplomatie française est sortie gagnante de cette comparaison internationale. J’en profite pour saluer l’action de notre ministre, Jean-Yves le Drian, qui défend, comme peu de ministres des affaires étrangères avant lui, les moyens de son ministère, puisqu’il a réussi à augmenter les crédits du Quai d’Orsay récemment.

Plusieurs députés ont souligné les incohérences de la réforme, car ils ont davantage entendu les points négatifs que les points positifs. La mutualisation des fonctions support est rationnelle. Il est rationnel de partager une imprimante plutôt que d’en avoir deux. Ce débat est valable pour les fonctions support mais pas pour les fonctions métier. Nous ne pouvons pas répondre à toutes les questions sur les fonctions métiers qui feraient l’objet d’un autre rapport.

Au-delà des économies, le partage des fonctions support est extrêmement utile et bénéfique pour améliorer la fluidité du travail des personnels et la qualité du service. Tous les personnels que nous avons rencontrés nous l’ont dit. Lorsqu’un interlocuteur unique est responsable de l’organisation des déplacements, cela simplifie les choses et améliore la qualité du service rendu, par rapport à l’ancien système dans lequel les demandes devaient remonter jusqu’au ministère de tutelle avant de redescendre dans les ambassades. Sur cet aspect-là, la réforme est indubitablement positive.

Cette réforme n’a pas pour seul objectif de « couper des têtes », il s’agit également de rationnaliser pour avoir un fonctionnement des postes plus intelligent. Notre ambassade en Norvège va pouvoir regrouper ses services sur un seul site au lieu des trois emprises existantes. L’histoire explique cette dispersion des services de l’ambassade de France en Norvège sur plusieurs emprises : en plus d’un poste diplomatique, on a un jour décidé d’ouvrir un Institut français, puis une mission économique. L’histoire a créé trois emprises que l’on projette aujourd’hui de réunir. C’est aussi ce qui s’est passé en Corée, où l’ambassade de France a regroupé tous ses services sur un seul site, mais également au Japon. Il ne faut pas condamner tout ce qui a été fait par le passé car il y a une logique historique derrière et, aujourd’hui, on essaye de rationnaliser. En parallèle, on a une volonté consistant à pousser plus loin les économies budgétaires et à vouloir « couper des têtes » qui est extrêmement critiquable.

Brigitte Liso, la carrière des femmes n’est pas abordée dans ce rapport. Je vous renvoie à mon avis budgétaire dans lequel je souligne l’incohérence entre l’ambition affichée par le ministère et ce qui est fait en pratique. Je propose qu’il y ait une réelle parité au niveau des candidatures aux fonctions à responsabilité en administration centrale ou à l’étranger. Lorsqu’il était ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius avait créé ce système de « shortlist » paritaire et je souhaiterais que cette idée soit reprise. Il faudra veiller à ce que la procédure de sélection soit totalement équitable, c’est-à-dire à ce qu’on ne propose pas, au milieu de la procédure de sélection, un poste immédiat à la femme retenue en phase finale, qui l’amènerait à se désengager de la course paritaire initiale. Il faut qu’il y ait une vraie équité, au niveau des candidatures et du traitement des candidats.

M. Didier Quentin, rapporteur. Je suis d’accord avec les constats d’incohérence soulevés par les uns et les autres. Je pense que la suggestion de Michel Herbillon, consistant à protester contre la fermeture de l’Institut français de Norvège, fait l’unanimité au sein de notre commission. Je propose de soumettre cette idée à Madame la Présidente afin que, lors d’une réunion de commission ultérieure, nous puissions approuver une motion pour défendre l’Institut français de Norvège qui sera transmise au ministre. J’ai en effet parlé d’une espèce de lubie, à savoir d’une obsession des fonctionnaires en administration centrale pour fermer cet Institut sans réelle explication.

Lorsque l’on réalise des économies, il faut que nous sachions à quoi est consacré l’argent ainsi économisé. Dans certains cas, l’argent semble s’être perdu, dans d’autres, on voit comment celui-ci est réutilisé. Par exemple, il y a quelques années, l’ancien ambassadeur de France à Tokyo, Bernard de Montferrand, a vendu une partie très importante des terrains de l’ambassade. Avec cet argent, ce dernier a modernisé la chancellerie, ce qui lui a permis de montrer sa qualité de bon gestionnaire en plus d’être un bon ambassadeur.

Nicolas Dupont-Aignan, cela fait longtemps que le Quai d’Orsay perd les arbitrages budgétaires. L’un des derniers cas où le ministère des affaires étrangères a imposé ses vues contre Bercy remonte à 1974, lorsque Michel Jobert, qui avait l’oreille du Président de la République, Georges Pompidou, avait obtenu un excellent budget. Il y a eu d’autres cas par la suite : Alain Juppé et Laurent Fabius ont également obtenu des budgets assez satisfaisants. Jean-Yves Le Drian semble aussi avoir un certain poids dans le gouvernement actuel et j’espère qu’il tiendra compte de nos recommandations.

N’oublions pas que le Quai d’Orsay ne représente que 0,7 % des personnels de l’État, ce qui ne représente qu’une goutte d’eau par rapport à la quantité totale. Ces moyens limités peuvent sembler contradictoires avec la volonté française de maintenir une diplomatie universelle. Plusieurs d’entre vous ont souligné le décalage avec les moyens consacrés à l’aide publique au développement.

Un des objectifs de la réforme est de renforcer le pouvoir des ambassadeurs en tant que chefs de poste. C’est un processus initié au mois de Messidor de l’ère républicaine et qui a été repris dans un décret de 1979, ce qui montre la continuité de la République française. La poursuite du processus de renforcement des ambassadeurs est un aspect plutôt positif cette réforme. Mais il y a encore beaucoup à faire. Nous sommes au milieu du gué et il y a encore du chemin à parcourir.

Olivier Dassault, l’effort demandé au Quai d’Orsay n’est pas plus important que celui imposé aux autres ministères, comme l’a dit Anne Genetet. Bercy fait aussi un gros effort dans nos territoires. Beaucoup de nos maires, conseillers départementaux ou conseillers régionaux se plaignent de la fermeture de trésoreries. L’influence de la France dans le monde reste un objectif prioritaire et, pour le moment, nous gardons cette universalité du réseau qui fait que nous sommes présents partout dans le monde, même si certaines ambassades ont des moyens assez limités. Il y aura des choix à faire.

Comme nous l’avons dit tout à l’heure, c’est une affaire à suivre et je vous renvoie à l’un des points de la conclusion de notre rapport : « Surtout, vos rapporteurs appellent à ne pas réduire le plan " Action publique 2022 " à un simple exercice comptable qui compromettrait l’avenir du Quai d’Orsay. Bien que nécessaire, la maîtrise de la dépense publique ne peut justifier toutes les décisions de rationalisation du réseau. » Faisons donc revenir un peu de bon sens et surtout du sens de l’essentiel dans ces affaires.

Mme Anne Genetet, rapporteure. J’ajoute, dans le prolongement de la proposition de Michel Herbillon, qu’il serait intéressant que Didier Quentin et moi-même remettions en mains propres notre rapport au ministre et que nous lui expliquions ce que nous avons vu et entendu.

Mme Samantha Cazebonne. J’aimerais répondre aux collègues qui remettent en question la détermination d’Anne Genetet à défendre les moyens du Quai d’Orsay ou, du moins, à interroger la pertinence de certaines orientations devant le ministre lui-même. S’il y a bien quelqu’un ici qui a dit ses quatre vérités au ministre lorsque celui-ci est venu devant notre commission, c’est bien notre collègue Anne Genetet. Je tiens à préciser qu’elle le dit régulièrement au ministre, ce qui mérite d’être salué, car c’est un engagement de sa part comme de nous tous ici.

La commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport de la mission « flash » d’audit et de contrôle des processus de gestion de postes diplomatiques en vue de sa publication.

 

 


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   Annexe 1 : liste des personnes auditionnÉes par les rapporteurs et déplacements

Auditions à Paris

Déplacement à l’ambassade de France en Norvège

Déplacement à l’ambassade de France au Vietnam

 

 


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   ANNEXE 2 : exemple type de fiche de poste
DU secrÉtaire gÉNÉral d’ambassade

Affection :

AMBASSADE DE FRANCE À XXX / SECTION CONSULAIRE / CHANCELLERIE CONSULAIRE

Lieu de travail :

 

Numéro de poste de travail

 

 


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   annexe 3 : CONVENTION INTERMINISTÉRIELLE DE GESTION CONCERNANT LES RÉSEAUX DE L’ÉTAT À L’ÉTRANGER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Annexe B

Type de frais de déplacement gérés par les SGA