N° 2495

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 11 décembre 2019.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur la politique européenne de l’eau

ET PRÉSENTÉ

par MM. Jean-Claude LECLABART et Didier QUENTIN

Députés

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(1)    La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, viceprésidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M.  Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Damien ABAD, Patrice ANATO, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, M. Benjamin DIRX, Mmes Coralie DUBOST, Françoise DUMAS, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Alexandre FRESCHI, Bruno FUCHS, Mmes Valérie GOMEZBASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, MM. Christophe JERRETIE, Jérôme LAMBERT, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude LECLABART, David LORION, Ludovic MENDES, Thierry MICHELS, Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, JeanPierre PONT, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, MM. Benoît SIMIAN, Éric STRAUMANN, Mme Michèle TABAROT.

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

I. Une politique ambitieuse qui a permis de rÉelles avancÉes, mais n’a pas atteint tous ses objectifs

A. un arsenal juridique protecteur

1. La directive-cadre sur l’eau, clé de voûte de la politique européenne de l’eau

2. Un cadre européen en cours de réexamen

3. Des objectifs ambitieux, qui ont permis une amélioration significative de l’état des eaux européennes

B. Les eaux européennes restent cependant dans un état préoccupant

1. Une majorité des masses d’eau n’atteignent toujours pas l’objectif de bon état

2. Des États membres en situation de « stress hydrique »

C. Un dispositif qui pÈche par sa mise en Œuvre

1. Limites liées à la conception de la directive-cadre sur l’eau

2. Limites liées à la mise en œuvre du droit européen par les États membres

a. Une confusion entre ambition politique et obligation de résultat

b. Un large usage des dérogations

c. Un nombre important de contentieux

3. Limites liées aux contradictions entre les politiques européennes

a. Une politique agricole encore trop intensive

b. Les problèmes posés par le droit de la concurrence

II. Les textes en cours de négociation : une première réponse aux nouveaux dÉfis climatiques et environnementaux

A. La refonte de la directive « Eau potable » : d’une logique de traitement de l’eau à une logique de prévention des risques

1. Une révision nécessaire

2. Les objectifs de la révision de la directive « Eau potable »

3. L’état des négociations

B. Le rÈglement relatif À la rÉutilisation des eaux usÉes traitÉes : le passage À une logique d’Économie circulaire

1. Un texte opportun

2. Les objectifs du règlement relatif aux exigences minimales requises pour la réutilisation de l’eau

C. conserver les ambitions et les principes fondateurs de la directive-cadre sur l’EAU

1. Une révision du texte semble inopportune

2. Un besoin d’harmonisation de la mise en œuvre de la directive-cadre par les États membres

III. faire de l’eau un objectif transversal des politiques europÉennes

A. Améliorer l’ARTICULATION Des politIques européennes

1. Réussir le « verdissement » de la politique agricole commune

2. Mettre en cohérence politique de l’eau et politique énergétique

B. Du « Green Deal » au « Blue Deal »

1. Intégrer les engagements internationaux dans la politique européenne de l’eau

2. Lutter contre les polluants émergents

IV. Agir au niveau national en cohÉrence avec les ambitions européennes

A. S’adapter aux conséquences des changements climatiques en s’inspirant des bonnes pratiques des États membres

1. Répondre à l’excès d’eau : l’exemple suédois

2. Répondre à la rareté de l’eau : l’exemple maltais

B. Amplifier la dynamique amorcée par le plan biodiversité de 2018 et les Assises de l’eau de 2019

1. Résoudre les conflits d’usage en améliorant la gouvernance

2. Mieux protéger les aires de captage

3. Adapter les villes aux dérèglements climatiques

4. Sécuriser les financements de la politique de l’eau

5. Améliorer l’information du public

6. Développer le recours à la réutilisation des eaux usées

Conclusion : propositions pour la politique de l’eau

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs


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   Introduction

 

 

Mesdames, Messieurs,

 

Les défis liés à la protection de la ressource en eau, par nature et en majorité transfrontaliers ([1]), ont justifié que l’Union européenne définisse, en la matière, l’une de ses politiques les plus abouties : l’Europe s’est dotée d’un arsenal juridique protecteur, dont la clé de voûte est la directive-cadre sur l’eau de 2000, novatrice lors de sa conception, et complétée par plusieurs directives, plus ciblées.

Nous sommes aujourd’hui à un moment charnière pour la politique européenne de l’eau : l’Union européenne s’est engagée dans l’évaluation ou la révision de pans entiers de sa législation en la matière. Compte tenu de cette actualité et de l’ampleur du sujet, vos rapporteurs ont fait le choix de se concentrer sur les enjeux liés à la préservation des eaux douces.

Les nouveaux défis auxquels est confrontée l’Union européenne imposent en effet un réexamen de la politique de l’eau. Le premier de ces défis est le dérèglement climatique. Près d’un tiers du territoire de l’Union européenne est d’ores et déjà exposé à un « stress hydrique », et les dangers liés au manque d’eau – sécheresses – ou à son excès – inondations – risquent de s’accroître, dans les décennies à venir. La moitié des bassins fluviaux de l’Union européenne devrait être affectée en 2030 par la pénurie d’eau ([2]). Dans ce contexte, l’un des grands enjeux de la politique européenne de l’eau sera de compléter l’approche environnementale, qualitative, par une approche quantitative, axée sur la disponibilité de la ressource en eau ([3]).

Le deuxième défi porte sur la qualité de la ressource : l’émergence des nouveaux polluants, comme les micropolluants et les perturbateurs endocriniens, susceptibles d’interférer avec le système hormonal, constituent un défi de taille. Les principales difficultés, à cet égard, sont la détectabilité de certaines substances, ainsi que l’incertitude sur les seuils de toxicité et le manque de connaissance des effets « cocktails » (liés au mélange de substances). En la matière, l’Union européenne doit passer d’une logique de traitement de l’eau a posteriori à une logique de prévention des risques.

Le troisième défi provient de la pression croissante de l’opinion publique, qui demande un meilleur accès à la ressource et davantage de transparence sur la qualité de l’eau. À cet égard, il est révélateur que la toute première initiative européenne ait porté sur l’accès à l’eau : la pétition « Right2water » a recueilli, en 2013, 1,8 million de signatures, ce qui a conduit la Commission européenne à proposer une révision de la directive « Eau potable ».

Enfin, s’il est opportun de réexaminer le cadre législatif et réglementaire de l’Union européenne spécifiquement lié à l’eau, il convient de rappeler que l’état de la ressource est étroitement corrélé à l’évolution d’autres politiques européennes. À cet égard, la politique de l’eau ne dépend pas uniquement de l’eau : elle dépend également de la politique agricole commune, énergétique, climatique et, plus largement, économique. À ce titre, l’avenir de l’eau est indissociable de l’ampleur de l’infléchissement vers une économie circulaire et du « Green Deal » annoncé par la nouvelle présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, qui devra être également un « Blue Deal ». Dans un contexte où la lutte contre les dérèglements climatiques devient la priorité des politiques publiques, l’eau a un rôle majeur à jouer : elle en est la première victime, mais sa capacité d’absorption du carbone en fait également l’une de nos armes les plus puissantes.

S’agissant spécifiquement de l’eau, l’Union européenne a défini une politique très ambitieuse et un outil principal, qui lui sert de boussole : l’objectif de bon état des eaux. Malgré d’indéniables progrès, l’état des eaux européennes demeure préoccupant (I). Les difficultés de mise en œuvre de la législation européenne et la nécessité de la repenser à l’aune des défis du changement climatique et des nouveaux polluants conduisent aujourd’hui l’Union européenne à réexaminer sa législation relative à l’eau (II).

Au-delà d’une législation ciblée, l’état de la ressource implique d’urgence une réponse plus globale et plus ambitieuse : l’eau doit « irriguer » toutes les politiques européennes, et les politiques sectorielles doivent être cohérentes avec l’objectif de préservation de la ressource (III). Enfin, le défi de la préservation de l’eau implique des mesures fortes au niveau national, s’inscrivant dans la dynamique lancée par l’Union européenne (IV).

 

 

 


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I.   Une politique ambitieuse qui a permis de rÉelles avancÉes, mais n’a pas atteint tous ses objectifs

A.   un arsenal juridique protecteur

1.   La directive-cadre sur l’eau, clé de voûte de la politique européenne de l’eau


La directive-cadre sur l’eau – DCE – de 2000 est complétée par des directives ciblées, qui ont d’abord concerné les usages de l’eau (eau potable, eaux de baignade) avant de s’intéresser à la réduction des risques, qu’il s’agisse de la prévention des inondations ou de la réduction des pollutions (eaux usées, nitrates d’origine agricole).

Source : Commission européenne, colloque du Cercle français de l’eau, novembre 2019.


Source : Agence européenne de l’environnement, L’eau en Europe - évaluation de l'état et des pressions, 2018.

La DCE vise à prévenir et réduire la pollution des eaux, promouvoir son utilisation durable, protéger l’environnement, améliorer l’état des écosystèmes aquatiques et atténuer les effets des inondations et des sécheresses. Elle fixe des objectifs très ambitieux, qui sont la boussole de toutes les politiques publiques en matière d’eau : le bon état de toutes les masses d’eau de surface et d’eau souterraine, évalué en fonction de critères biologiques, chimiques, physico-chimiques et hydro-morphologiques.

Inspirée par le modèle de gestion des eaux français, la DCE innove en définissant la protection des eaux sur la base des limites géographiques naturelles : les bassins hydrographiques.

2.   Un cadre européen en cours de réexamen

L’Union européenne s’est engagée dans l’évaluation et la révision de pans entiers de sa législation relative à l’eau : elle a proposé un règlement relatif à la réutilisation des eaux usées traitées ([4]) et un projet de refonte de la directive « Eau potable » ([5]), qui devraient pouvoir faire l’objet d’un accord avant la fin de l’année 2019. Cinq directives sont en cours d’évaluation : la directive-cadre elle-même, la directive « Eaux résiduaires urbaines » ([6]), la directive « Inondation » ([7]), la directive « Eaux souterraines » ([8]), et la directive 2008/105/CE établissant des normes de qualité environnementale dans le domaine de l’eau.


Source : Commission européenne, colloque du Cercle français de l’eau, novembre 2019.

3.   Des objectifs ambitieux, qui ont permis une amélioration significative de l’état des eaux européennes

Cet arsenal législatif et réglementaire ambitieux a permis d’indéniables avancées sur le plan environnemental et sanitaire : la population européenne peut, dans son immense majorité, boire de l’eau du robinet (99 % de l’eau potable est conforme aux exigences de la directive « Eau potable ») et nager dans des milliers de kilomètres carrés de zones côtières, de cours d’eau et de lacs (environ 85 % des eaux de baignades surveillées sont en excellent état ([9])). Plus de 80 % des Européens sont aujourd’hui raccordés à une station d’épuration des eaux urbaines résiduaires. Enfin, la réduction de l’azote et du phosphore dans l’agriculture s’est traduite par une amélioration notable de la qualité de l’eau.  

En Bretagne, par exemple, la réglementation européenne et les contentieux pour non-conformité aux exigences de la directive « Nitrate » ont très fortement incité les pouvoirs publics à améliorer la qualité des eaux. Dans les années 1990, la proportion de masses d’eau en bon état était d’à peine 10 % : elle a été multipliée par quatre en vingt ans. En 1995, le taux moyen de nitrates dans les cours d’eau atteignait 51,6 milligrammes par litre : en 2015, il était de 33,6 milligrammes par litre ([10]). La Bretagne est ainsi la première région européenne à être sortie des procédures de contentieux sur l’eau, après une trentaine d’années d’accompagnement volontariste de la transition du modèle agricole.

Surtout, la politique européenne de l’eau a permis d’améliorer considérablement la connaissance de l’état des masses d’eau en Europe, sans laquelle aucune politique ambitieuse n’est possible. Selon la Commission européenne, les premiers résultats de l’évaluation (fitness check) de la directive-cadre montrent que la détérioration de l’eau a cessé et que des progrès importants ont été réalisés dans la réduction des pressions. La gestion de l’eau est également plus intégrée ; la surveillance et la transparence de l’information se sont améliorées.

B.   Les eaux européennes restent cependant dans un état préoccupant

1.   Une majorité des masses d’eau n’atteignent toujours pas l’objectif de bon état

Malgré ces progrès, seules 40 % des eaux de surface et 74 % des eaux souterraines sont en bon état ([11]). Aucun État membre n’a atteint l’objectif de bon état des masses d’eau, mais l’écart avec la cible est très variable selon les pays, selon le type de masses d’eau (de surface ou souterraines) et le type d’altération (écologique ou chimique).

En France, 44 % des masses d’eau de surface et 67 % des eaux souterraines sont en bon état ([12]). Les principales menaces sur l’état des eaux sont les pollutions issues du secteur agricole, l’altération hydromorphologique qui entrave notamment la continuité écologique (barrages, digues, etc.), et le traitement inadéquat des eaux provenant des activités domestiques. La France se caractérise notamment par un nombre important de systèmes d’assainissement individuel non conformes à la réglementation européenne.

Source : Agence européenne de l’environnement, L’eau en Europe - évaluation de l'état et des pressions, 2018

2.   Des États membres en situation de « stress hydrique »

Près d’un tiers du territoire de l’Union européenne est, d’ores et déjà, en situation de « stress hydrique », c’est-à-dire que la demande en eau y est supérieure à l’offre disponible pendant une période donnée. Le nombre de régions touchées par la sécheresse a augmenté d’environ 20 % entre 1976 et 2006 ; 11 % de la population européenne connaît un problème de rareté de la ressource en eau toute l’année et 23 % durant les périodes estivales. En 2030, 30 % des Européens pourraient être atteints par des tensions sur l’approvisionnement en eau tout au long de l’année, et 45 % en été ([13]).

Les États membres ne sont pas égaux devant ce phénomène : le dérèglement climatique se traduit pour le nord de l’Europe par un excès de la ressource en eau et une attention accrue portée à la lutte contre les inondations, alors que le sud de l’Europe doit davantage s’adapter à la rareté de la ressource, avec néanmoins des épisodes récurrents de violentes précipitations et de fortes crues. À cet égard, l’enjeu des politiques européennes ne doit pas être seulement l’atténuation du changement climatique, mais également l’adaptation à ses conséquences.

C.   Un dispositif qui pÈche par sa mise en Œuvre

1.   Limites liées à la conception de la directive-cadre sur l’eau

Trois facteurs contribuent à masquer les progrès accomplis et conduisent à un certain découragement des acteurs :

– l’instabilité des critères établis pour évaluer la qualité de l’eau ;

– le critère excessif du « one out, all out », ou « élément déclassant » : l’état de l’eau est déclassé lorsqu’un seul des critères n’est pas rempli, même si tous les autres paramètres s’améliorent ;

– l’inertie des nappes : le mauvais état chimique des eaux européennes s’explique par la présence d’un petit nombre de substances, notamment le mercure, qui ont la particularité de rester présentes dans l’eau des décennies après le tarissement de la source de pollution ; cela pose la question de la durée du cycle d’évaluation prévu par la DCE, qui est, à l’heure actuelle, de six ans.

Aussi, serait-il opportun de :

 mesurer les progrès accomplis à « thermomètre constant » : les évolutions des polluants doivent être mesurées par rapport à un point de référence et une composition identique ;

 repenser l’élément déclassant (« one out, all out »), qui conduit à déclasser l’état de l’eau lorsqu’un seul critère n’est pas rempli ; il doit être tenu compte des améliorations constatées sur les autres critères.

2.   Limites liées à la mise en œuvre du droit européen par les États membres

a.   Une confusion entre ambition politique et obligation de résultat

La France s’est fixée comme ambition politique, lors du Grenelle de l’environnement de 2007, d’atteindre deux tiers des masses d’eau en bon état pour 2015, mais n’y est parvenue que pour environ 43 % d’entre elles. L’écart entre l’ambition et les résultats s’explique d’abord par une confusion entre l’ambition politique affichée par le Parlement français et l’obligation de résultat prévue par la directive. Le Parlement a voulu annoncer une mesure symbolique, sans étude de faisabilité approfondie, et alors qu’il avait seulement une connaissance très partielle de l’état des masses d’eaux. En outre, la France a sans doute sous-estimé les difficultés liées à la réduction des pollutions et l’ampleur des investissements nécessaires, notamment pour l’amélioration de la morphologie des cours d’eau (largeur du lit, profondeur, pente, forme des méandres, etc.).

b.   Un large usage des dérogations

Les dérogations prévues par la DCE concernent aujourd’hui environ la moitié des masses d’eau en Europe, qu’il s’agisse de la possibilité de reporter les échéances, d’établir des objectifs moins stricts, d’autoriser une détérioration temporaire de l’état des eaux ou la non-réalisation des objectifs de la DCE ([14]).

c.   Un nombre important de contentieux

Les contentieux liés notamment à la non-conformité aux directives « Nitrates » et « Eaux résiduaires urbaines » sont nombreux en Europe. Après deux condamnations pour manquements à ses obligations à la directive « Nitrates », en 2013 et en 2014, la France a modifié le programme national d’actions dans les zones vulnérables pour réduire la pollution des eaux par le nitrate d’origine agricole, et elle est sortie de la procédure en 2016.

En 2017, la France a également été mise en demeure pour manquement à l’obligation de mettre pleinement en œuvre la directive « Eaux résiduaires urbaines ». Près de 100 agglomérations (dont Bordeaux, Marseille, Lyon ou Toulouse) restent concernées par la procédure. La non-conformité ne porte cependant que sur 8 % des eaux collectées, et s’explique notamment par des problèmes de maintenance et de vétusté des équipements, qui, selon le Gouvernement, devraient être résolus d’ici à 2022.

3.   Limites liées aux contradictions entre les politiques européennes

a.   Une politique agricole encore trop intensive

La politique agricole commune s’inscrit encore largement dans une logique de rendements, même si a été introduit, depuis 2003, le principe de l’éco-conditionnalité, selon lequel les aides financières aux agriculteurs sont conditionnées au respect de critères environnementaux. La Cour des comptes européenne a publié, en 2017, un rapport au titre explicite : « Le verdissement : complexité accrue du régime d’aide au revenu et encore aucun bénéfice pour l’environnement. » Elle dresse un constat très sévère des limites du verdissement des aides, en regrettant notamment l’absence d’objectifs environnementaux clairement définis et suffisamment ambitieux, ainsi que les effets d’aubaine. Elle conclut que « le paiement vert reste, fondamentalement, une mesure d'aide au revenu. »

b.   Les problèmes posés par le droit de la concurrence

Le droit européen de la concurrence peut, dans certains cas, constituer une entrave à la bonne gestion de l’eau.

Ainsi, la mise en concurrence des laboratoires chargés du contrôle de la qualité de l’eau et la guerre des prix qui s’en est suivie ont conduit nombre d’entre eux à cesser leur activité, si bien que le marché est désormais concentré sur un petit nombre d’acteurs. En Île-de-France, par exemple, le laboratoire CARSO est en situation de monopole. L’agence régionale de santé – ARS – Île-de-France n’a donc pas d’autre solution que d’avoir recours aux services de ce laboratoire, alors même que de nombreux défauts dans l’exécution des prestations ont été constatés (défauts d’information de l’ARS, erreurs et retards de transmission, demandes de l’ARS non prises en compte, insuffisance de formation des préleveurs.) S’agissant d’une mission qui relève de l’intérêt général, cette situation est préoccupante : c’est bien sur la base du travail de ce laboratoire que se fondent la gestion des alertes, la gestion des non-conformités, la communication auprès du public, la mise en œuvre de procédures administratives ou de mesures correctives.

Par ailleurs, dans le secteur agricole, la concurrence entre pays européens et pays tiers, et entre les États membres eux-mêmes, peut être déloyale : les règles plus strictes émises par un État pour lutter contre les pollutions diffuses peuvent nuire aux agriculteurs locaux, confrontés aux importations venues de pays ne respectant pas les mêmes exigences.

Dans ce contexte, vos rapporteurs proposent d’inviter la Commission à autoriser les États membres à refuser l’entrée sur leur territoire de fruits et de légumes issus d’États tiers, ayant été traités avec des produits phytosanitaires susceptibles de dégrader la qualité de l’eau, et dont l’usage est interdit dans les États qui prennent cette mesure.

II.   Les textes en cours de négociation : une première réponse aux nouveaux dÉfis climatiques et environnementaux

A.   La refonte de la directive « Eau potable » : d’une logique de traitement de l’eau à une logique de prévention des risques

1.   Une révision nécessaire

Pilier de la protection de la santé des citoyens européens, la directive « Eau potable » devait être révisée, pour plusieurs raisons. D’abord, la Commission a dû répondre à l’initiative citoyenne Right2water de 2013, revendiquant un droit à l’eau et à l’assainissement : 23 millions d’habitants de l’Union Européenne ne sont toujours pas raccordés à un réseau de distribution d’eau potable. Ensuite, il était nécessaire de rétablir la confiance des Européens en l’eau du robinet : 20 % d’entre eux n’ont pas confiance en l’eau du robinet, ce qui explique le recours important à l’eau en bouteille plastique. Enfin, les progrès des connaissances scientifiques imposaient une mise à jour des valeurs paramétriques et une meilleure prise en compte des risques pesant sur la qualité de l’eau potable.

2.   Les objectifs de la révision de la directive « Eau potable »

Le texte proposé par la Commission a plusieurs objectifs : actualiser les normes de qualité de l’eau ; améliorer l’accès de tous à l’eau potable, notamment l’accès à l’eau des populations les plus vulnérables ; renforcer la transparence de l’information des citoyens sur la disponibilité des services, la qualité et le coût de l’eau.

Le projet de révision marque d’abord un infléchissement de la logique : la priorité est mise sur la prévention des risques en amont, pour alléger au maximum les traitements en fin de cycle. Ainsi, la Commission introduit l’obligation pour les États de veiller à ce que les masses d’eau utilisées pour le captage de plus de dix mètres cube par jour fassent l’objet d’une évaluation des dangers, ce qui implique l’identification des substances potentiellement problématiques pour la qualité de l’eau potable sur la zone de captage concernée. Le plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux aura ainsi un caractère plus contraignant pour les opérateurs. En outre, sous l’impulsion de la France, de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni, le Conseil a souhaité introduire la question de la sécurité sanitaire des matériaux en contact avec l’eau : il est favorable à une harmonisation européenne sur le sujet.

Ensuite, s’agissant de l’amélioration de l’accès à l’eau, le projet de révision de la directive « Eau potable » prévoit la mise en place d’équipements permettant l’accès à l’eau potable dans les lieux publics, le lancement de campagnes d’information sur la qualité de l’eau, la mise à disposition d’un accès à l’eau potable dans les administrations et les lieux publics.

3.   L’état des négociations

Les trilogues ont commencé à l’automne 2019, mais la perspective d’un accord avant la fin de l’année 2019 s’éloigne tant divergent encore les positions sur l’accès du public à l’information, les matériaux en contact avec l’eau, l’accès à l’eau, ainsi que les valeurs paramétriques et la surveillance des substances dans l’eau (plomb, perturbateurs endocriniens, bore, sélénium, microplastiques.) Les négociations sont difficiles car le Conseil n’était pas demandeur d’une révision de la directive « Eau potable », considérant qu’elle est très bien respectée par les États membres (99 % de l’eau potable est conforme aux exigences de la directive.)

Les points les plus discutés concernent les perturbateurs endocriniens, ces substances capables d’interférer avec le système hormonal et susceptibles d’avoir des effets indésirables sur la santé (sommeil, fertilité, développement cognitif, etc.), ainsi que les microplastiques. Le Parlement européen souhaite que cette directive serve de première étape dans la lutte contre ces substances en proposant des valeurs limites pour certains d’entre eux (le bisphénol A et le bêta‑oestradiol). Le Conseil européen plaide pour le suivi des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, qui ne propose pas de valeurs limites pour les perturbateurs endocriniens, considérant qu’il n’y a pas de risque d’exposition à ces substances via l’eau potable. Soucieux de l’équilibre entre exigence de qualité de l’eau et faisabilité opérationnelle du dispositif, le Conseil européen est favorable à ce que les perturbateurs endocriniens et les microplastiques soient placés sur une liste de vigilance renforcée.

La France soutient l’approche fondée sur une meilleure prévention des risques, d’autant qu’elle a déjà été adoptée par plusieurs agences régionales de santé, notamment celles du bassin Adour-Garonne et d’Île-de-France. Elle est favorable à la prise en compte la plus large possible des perturbateurs endocriniens dans la liste de vigilance, afin de renforcer la surveillance de ces substances et de leurs potentiels effets cocktail. S’agissant des microplastiques, la France soutient l’approche ambitieuse du Parlement européen, qui souhaite que ces substances soient comprises dans l’évaluation des risques sur les points de captage, et est favorable à l’élaboration d’une méthodologie permettant de les mesurer. Cette position ne fait cependant pas consensus au Conseil.

Par ailleurs, le Conseil européen estimant que les dispositions relatives à l’amélioration de l’accès à l’eau ne relèvent pas de la compétence de l’Union européenne et y voyant une entorse au principe de subsidiarité, le Parlement européen pourrait accepter une formulation non contraignante, insistant sur les efforts à faire par les États membres pour améliorer l’accès à l’eau potable.

Enfin, certains États membres, notamment l’Allemagne, s’opposent aux dispositions sur la transparence, pour ce qui concerne notamment la structure de coûts sur laquelle reposent les tarifs facturés par le fournisseur d’eau, et les frais liés à la collecte et au traitement des eaux usées.

B.   Le rÈglement relatif À la rÉutilisation des eaux usÉes traitÉes : le passage À une logique d’Économie circulaire

1.   Un texte opportun

Dans un contexte de raréfaction de la ressource liée au réchauffement climatique, à la croissance des activités économiques et aux dynamiques démographiques, la réutilisation des eaux usées traitées a, en Europe, un grand potentiel de développement : l’objectif de la Commission européenne est d’atteindre 6,6 milliards de mètres cubes d’eaux usées réutilisées en 2025, soit six fois plus qu’aujourd’hui. Cela représente plus de la moitié du volume des eaux traitées par les stations d’épuration de l’Union européenne répondant aux critères de qualité définis pour l’irrigation.

Cette pratique est beaucoup plus développée dans les États du sud de l’Europe, comme l’Espagne, l’Italie ou Malte, qui sont davantage confrontés à la rareté de la ressource en eau. La pratique est plus marginale dans le reste de l’Europe, en raison d’une moindre tension sur la ressource ou des craintes des conséquences potentielles de cette pratique sur la santé.

2.   Les objectifs du règlement relatif aux exigences minimales requises pour la réutilisation de l’eau

Le texte répond à plusieurs objectifs : en favorisant la réutilisation sûre des eaux résiduaires à des fins agricoles, il s’inscrit dans une logique de préservation de la ressource et d’économie circulaire. Le moindre recours aux prises d’eau dans les cours d’eau et les nappes a, en outre, un impact positif sur la biodiversité.

Les institutions sont parvenues, lors du trilogue du 3 décembre 2019, à un accord sur le projet de règlement, qui préserve à la fois la flexibilité demandée par les États membres ayant déjà recours à la pratique et la possibilité de ne pas autoriser la pratique pour ceux qui le souhaitaient. En vertu de l’accord, les eaux urbaines usées, qui ont déjà fait l’objet de certains traitements en vertu des règles de la directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires, seraient soumises à un traitement supplémentaire pour satisfaire aux nouveaux paramètres de qualité minimale exigés pour l’irrigation agricole. Le texte prévoit également des exigences minimales harmonisées en matière de surveillance, des dispositions de gestion des risques pour évaluer et traiter les risques potentiels pour la santé et l’environnement, et une procédure d’autorisation. Enfin, la transparence est renforcée : les informations essentielles sur tout projet de réutilisation de l’eau seraient rendues publiques.

Nous pouvons regretter que le règlement se limite, à ce stade, aux usages agricoles, même si la Commission européenne est chargée, dans les cinq ans, d’étudier la pertinence d’autres usages. La réutilisation des eaux usées traitées peut toutefois être autorisée, avant cette échéance, par les États membres dans l’industrie, les équipements et l’environnement.

C.   conserver les ambitions et les principes fondateurs de la directive-cadre sur l’EAU

 

1.   Une révision du texte semble inopportune

Conduite pour l’évaluation de la directive-cadre sur l’eau, la consultation publique s’est achevée le 4 mars 2019, sans que l’on sache, à ce stade, si elle aboutira à une révision du texte fondateur. Selon la Commission européenne, les premiers résultats de la consultation publique témoignent d’un besoin d’améliorer la prise en compte des dérèglements climatiques, des nouveaux polluants et des eaux pluviales.

Certes, la DCE de 2000 ne mentionne explicitement aucun de ces enjeux. Cependant, elle comprend les outils pour y faire face, puisqu’elle fixe l’objectif de prévenir et réduire toutes les pressions sur les masses d’eau et toutes les substances dangereuses. Selon nous, il serait plus pertinent d’aborder explicitement ces nouveaux défis dans le cadre de la révision des directives ciblées ou, de façon plus opportune, dans le cadre du plan d’action sur l’eau, qui, nous l’espérons, fera partie du Green Deal de la nouvelle Commission.

Surtout, les objectifs de la directive-cadre ont incité les États membres à conduire des politiques ambitieuses, qui se sont traduites par une amélioration significative des eaux européennes. Une révision risquerait de conduire à une diminution de ces ambitions. En outre, nombreuses sont les personnes auditionnées qui déplorent la perte d’influence de la France sur la thématique de l’eau dans les instances européennes. Une révision risquerait de remettre en cause un modèle d’organisation qui avait été significativement inspiré par France.

Les grands principes et les objectifs de la DCE doivent, à notre sens, rester la colonne vertébrale de la politique européenne de l’eau et il convient, à ce titre, de les réaffirmer.

Il s’agit notamment de :

– l’objectif de bon état des eaux en 2027 au plus tard : il convient de garder le même niveau d’ambition, en établissant un calendrier plus réaliste ;

– la récupération des coûts et le principe pollueur-payeur : les différents secteurs économiques doivent contribuer de manière appropriée à la récupération des coûts des services de l'eau ;

– la gestion par bassin hydrographique, qui permet de mettre fin à la division artificielle et contre-productive entre petit cycle (cycle domestique) et grand cycle (cycle naturel).

2.   Un besoin d’harmonisation de la mise en œuvre de la directive-cadre par les États membres

Si une révision ne nous semble pas opportune, il n’en reste pas moins que la mise en œuvre de la directive-cadre diffère sensiblement selon les États membres. Ceux-ci auraient besoin de précisions sur l’interprétation de certains points de la directive, afin d’harmoniser son application à l’échelle européenne.

C’est le cas notamment de la notion de « continuité écologique », qui n’est pas définie de la même façon selon les États membres. En France notamment, les projets de retenue d’eau se heurtent très fréquemment à des blocages au niveau local : la possibilité de déroger à la directive est sous-utilisée, en raison notamment de l’interprétation du principe de non-détérioration par les pouvoirs publics, confortés par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ([15]). Il serait opportun que la Commission définisse plus clairement la notion de continuité écologique et établisse un guide des bonnes pratiques en la matière.

En France, ce problème de surtransposition ne concerne d’ailleurs pas seulement la directive-cadre : dans certaines zones dites « vulnérables », la teneur maximale en nitrate est fixée à 18 milligrammes par litre, ce qui est bien en dessous de la valeur limite fixée par la directive « Nitrates », qui est de 50 milligrammes par litre. Ce décalage suscite l’incompréhension de nombreux acteurs, notamment parmi les agriculteurs.

En outre, la notion de récupération des coûts prévue par la directive-cadre mériterait également d’être précisée. Elle doit reposer sur une répartition plus équilibrée entre les « 3T », les tarifs, les taxes et les transferts, comme nous y incite la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ([16]). En Europe, la principale source de financement reste les tarifs, et le principe de récupération appropriée des coûts par secteur est peu appliqué. Ainsi, en France, la charge du financement de la politique de l’eau et de l’assainissement repose à environ 80 % sur les usagers individuels, via la facture d’eau. Dans la plupart des États membres, une partie des coûts est également couverte par des taxes. Aux Pays‑Bas, par exemple, l’assainissement fait encore partie des impôts locaux. Enfin, certains États membres ont recours à des transferts : en Allemagne, beaucoup de collectivités distributrices d’eau payent les agriculteurs pour ne pas polluer la ressource.

Dans ce contexte, il conviendrait de :

– préciser l’usage des dérogations prévues par la DCE afin d’harmoniser les pratiques des États membres et d’éviter, en France, la « surtransposition par interprétation » ;

– repenser la répartition des coûts entre tarifs, taxes et transferts.

III.   faire de l’eau un objectif transversal des politiques europÉennes

A.   Améliorer l’ARTICULATION Des politIques européennes

1.   Réussir le « verdissement » de la politique agricole commune

La conquête d’une eau de qualité passera par une profonde évolution du modèle agricole. À cet égard, le projet de nouvelle PAC rehausse les ambitions environnementales et renforce les exigences de préservation de la ressource, en s’appuyant sur trois axes :

– l’instauration, dans le cadre des mesures de soutien des revenus agricoles du premier pilier, d’un paiement forfaitaire sur la base de critères environnementaux : les schémas écologiques (dits « éco-régimes », ou « ecoschemes ») ;

– le renforcement de la conditionnalité des aides, en incluant certaines dispositions de la politique européenne de l’eau dans les exigences obligatoires pour les agriculteurs, notamment pour ce qui concerne le contrôle des sources de pollution diffuses par les phosphates, les obligations établies par la directive sur les nitrates, la bonne condition agricole et environnementale – BCAE – « Protection adéquate des zones humides et des tourbières », la BCAE relative aux bandes tampons, la BCAE « Utilisation de l’outil de gestion des nutriments pour une agriculture durable », et la BCAE « Pas de terre nue pendant les périodes les plus sensibles » ;

– l’inscription, parmi les objectifs prioritaires des stratégies nationales, de la protection des ressources naturelles dans un objectif de développement durable, et de préservation des paysages et de la biodiversité.

Pour favoriser la transition du modèle agricole, il convient de :

 rendre obligatoires pour les États membres les schémas écologiques (« ecoschemes »), qui conditionnent au respect de critères environnementaux une partie des aides directes aux agriculteurs (dites du premier pilier) ;

 assigner à la PAC un objectif quantifié de réduction de l’usage des produits phytosanitaires.

2.   Mettre en cohérence politique de l’eau et politique énergétique

La politique énergétique et la politique de l’eau souffrent, à certains égards, d’injonctions contradictoires. L’objectif de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et le paquet « climat-énergie » imposent aux États membres de développer les énergies renouvelables. Or l’interprétation du principe de continuité écologique peut conduire à une réduction du potentiel de développement de l’hydroélectricité ([17]), en bloquant les projets de barrage. Selon le Cercle français de l’eau, en France, la liste des cours d’eau à équiper et le coût des équipements exigés sont hors de proportion avec les enjeux biologiques : les actions en faveur de la continuité écologique auraient coûté 100 millions par an, depuis 2008, à la profession hydroélectrique.

À notre sens, cette opposition entre eau, énergie et biodiversité est stérile et artificielle : l’atténuation du changement climatique est indispensable pour préserver la biodiversité. Les impacts positifs de l’hydroélectricité sur la biodiversité et le changement climatique doivent être pris en compte. Dans ce contexte, il convient de fixer des priorités et de rechercher les solutions les plus efficaces, au coût le plus acceptable, en fonction des spécificités locales.

Il convient de faciliter le développement de barrages hydroélectriques, lorsque les bénéfices environnementaux, notamment en matière de réduction de gaz à effets de serre, sont supérieurs aux coûts.

B.   Du « Green Deal » au « Blue Deal » 

1.   Intégrer les engagements internationaux dans la politique européenne de l’eau

Une politique spécifique sur l’eau ne suffira pas à répondre aux menaces qualitatives et quantitatives qui pèsent sur la ressource : l’eau doit irriguer toutes les politiques européennes. Pour l’heure, il semble manquer, à Bruxelles, d’une vision globale et coordonnée : le sujet de l’eau est, selon ses aspects, traité en silo par différentes directions générales.

Ce besoin de vision globale se comprend également au sens propre du terme « global » : l’Union européenne doit tenir compte des engagements internationaux pris en 2015. L’eau a un rôle majeur à jouer dans le cadre de l’Accord de Paris, tant sur le plan de l’adaptation au changement climatique que de son atténuation. De même, l’Assemblée générale des nations unies a adopté en 2015 les Objectifs de développement durable, dont certains portent sur l’eau. Ainsi, le sixième objectif vise à un accès universel et équitable à l’eau potable, à l’hygiène et à l’assainissement d’ici à 2030, en particulier pour les populations vulnérables.

À cet égard, le Green Deal annoncé par la nouvelle Commission européenne devra aussi être un Blue deal : il devra comporter un plan d’action sur l’eau, qui sera l’occasion de faire de l’eau un objectif transversal des politiques européennes, en intégrant l’Accord de Paris et les Objectifs de développement durable des Nations unies adoptés en 2015.

2.   Lutter contre les polluants émergents

La présence croissante, dans l’eau, de polluants susceptibles d’être toxiques – métaux lourds, plastiques, nanoparticules, pesticides, rejets des produits d’entretien domestique, résidus médicamenteux… – imposent un contrôle accru des substances mises sur le marché, pour réduire les polluants à la source. Certaines de ces sources sont clairement identifiées (rejets industriels, rejets d’eaux usées domestiques, rejets des hôpitaux), d’autres sont diffuses (activités agricoles, retombées atmosphériques).

Les conséquences de la diffusion des plastiques ainsi que des perturbateurs endocriniens et de leurs potentiels effets « cocktail » (liés au mélange de ces substances) dans les milieux aquatiques sont mal connues ([18]).


Il convient d’approfondir la recherche sur les conséquences des plastiques et des perturbateurs endocriniens sur les milieux aquatiques, et d’analyser les enjeux en matière d’épandage des boues de station d’épuration. Parallèlement, la réglementation européenne sur ces substances doit être rendue plus stricte. Actuellement, l’usage des produits chimiques est encadré par le règlement « REACh » – Registration, Evaluation, Autorisation of Chemical products – , qui prend en compte les perturbateurs endocriniens avérés. Conformément au principe de précaution, il serait pertinent de tenir compte des perturbateurs endocriniens suspectés et présumés, reposant sur un niveau de preuve moins élevé, afin de pouvoir graduer les mesures de prévention. Il conviendrait également d’introduire la possibilité d’interdire simultanément une molécule et celle dont la structure est très proche, sans attendre la multiplication des études scientifiques sur toutes les molécules alternatives de la même famille. C’est le cas, par exemple, des substituts au bisphénol A, comme le bisphénol B, dont la toxicité a été mise en évidence par les chercheurs de l’ANSES ([19]).

S’agissant des résidus médicamenteux, la communication de la Commission de mars 2019 concernant l’approche stratégique relative aux produits pharmaceutiques dans l’environnement est une première étape. Elle invite à améliorer l’évaluation des risques, sensibiliser à un usage prudent, réduire les déchets et améliorer leur gestion, améliorer la surveillance et la connaissance, et promouvoir des procédés moins nocifs.

Enfin, les microplastiques et les nanomatériaux présents dans l’eau sont également de nouveaux enjeux des politiques européennes. Parallèlement à l’élaboration d’une méthodologie à l’échelle européenne pour les mesurer, il convient de réduire autant que possible la pollution à la source. À cet égard, il faut saluer les récentes initiatives de la Commission sur les plastiques ([20]), et la révision du règlement « REACh » prévoyant de renforcer les exigences requises pour l’enregistrement des nanomatériaux, à compter de 2020.

Dans cette logique, il serait opportun de réviser le règlement REACh pour interdire les microplastiques ajoutés intentionnellement à certains produits (cosmétiques, peintures, détergents, certains produits agricoles, de construction, médicaux), conformément à la proposition de janvier 2019 de l’Agence européenne des produits chimiques.

IV.   Agir au niveau national en cohÉrence avec les ambitions européennes

A.   S’adapter aux conséquences des changements climatiques en s’inspirant des bonnes pratiques des États membres

1.   Répondre à l’excès d’eau : l’exemple suédois

En Europe du nord, le dérèglement climatique se traduit notamment par des épisodes de très fortes inondations, qui impliquent de réaménager les villes en s’appuyant sur les « infrastructures grises » (digues de protection, barrières fixes et mobiles, vannes de sécurité...) et les « infrastructures vertes » (solutions fondées sur la nature, comme les zones inondables et les zones humides).

À Stockholm, vos rapporteurs ont eu un bon exemple de la façon dont une ville peut s’adapter au risque d’inondations et gérer de façon innovante ses ressources en eau. Ils ont pu visiter les travaux de Slussen, site symbolique de l’adaptation au dérèglement climatique : en raison de la montée des eaux du lac Mälar, dans l’embouchure duquel est située Stockholm, la ville a décidé d’augmenter les capacités de déversement du lac Mälar dans la mer Baltique, en rénovant l’écluse de Stockholm-Slussen. Les ingénieurs ont prévu un système réversible : à l’horizon 2070, la hausse du niveau de la mer Baltique due au réchauffement climatique se traduira par un déversement de la mer dans le lac et contaminera le réservoir d’eau potable de la ville par de l’eau salée.

Les solutions innovantes d’Hammarby Sjöstad, premier éco-quartier européen
situé au sud de Stockholm.

Vos rapporteurs ont également eu l’occasion de visiter l’éco-quartier de Stockholm, premier éco-quartier européen par le nombre d’habitants (30 000), qui innove en matière de gestion des eaux pluviales et de traitement des eaux usées.

Les eaux pluviales des zones piétonnes sont traitées séparément, avec de nombreux avantages : peu chargées en polluants, elles sont acheminées via des rigoles en granit, au pied des toitures, vers des canaux d’aires de récréation, avant d’être rejetées dans la mer Baltique. Ce système permet, en complément des toits végétaux et des dispositifs de stockage d’eau pluviale sous les arbres (biocharbon), de retenir les eaux pluviales et de retarder les écoulements lors des grands orages. Les eaux pluviales des routes, plus polluées, sont également traitées localement dans des bassins de rétention avec des végétaux pour capter les métaux lourds. Ces innovations permettent de réduire la présence de polluants dans les boues d’épuration issues de la station de traitement des eaux et rendent possible leur utilisation pour cultiver des cultures énergétiques (source de biomasse pour la centrale de cogénération).

Les déchets alimentaires des ménages, triés à la source et collectés par un système pneumatique souterrain, sont traités avec les eaux grises pour produire du biogaz pour les gazinières des habitations et les bus. La valorisation des eaux usées pour promouvoir les transports verts est très développée en Suède.

2.   Répondre à la rareté de l’eau : l’exemple maltais

Malte est l’un des dix pays au monde le plus affecté par un déficit en eau, le pays étant confronté au double défi du climat et de la densité démographique, accrue par les importants flux saisonniers de touristes. Il y répond en conjuguant politique de dessalement des eaux marines, d’économies d’eau et de réutilisation des eaux usées.

La politique en matière d’économies d’eau de Malte repose sur un vaste programme de réparation des fuites, et la mise en place d’une tarification incitative à la sobriété : le tarif de l’eau progresse en fonction de la quantité consommée ([21]). Ainsi, la demande actuelle en eau municipale est d’environ 60 % de ce qu’elle était en 1992 ([22]).

Cependant, la demande est telle que les économies d’eau ne suffisent pas : Malte doit recourir au dessalement des eaux marines, en s’appuyant sur des technologies dont l’efficacité énergétique s’est beaucoup améliorée ces dernières années, et en s’attachant à réduire l’incidence de cette pratique sur l’environnement marin, avec l’appui des fonds de cohésion et du programme européen LIFE.

B.   Amplifier la dynamique amorcée par le plan biodiversité de 2018 et les Assises de l’eau de 2019

En France, le plan Biodiversité de juillet 2018 et les Assises de l’eau conclues en juillet 2019 ont opportunément permis de remettre l’eau en haut de l’agenda politique. Il faut saisir ce nouvel élan pour accélérer la transformation de la politique de l’eau, dans le sens des ambitions fixées à l’échelle européenne.

1.   Résoudre les conflits d’usage en améliorant la gouvernance

Les tensions sur les ressources en eau et les conflits d’usage sont déjà une réalité : au 18 septembre 2019, 87 départements métropolitains faisaient l’objet d’une restriction d’eau. Dans certains départements comme la Corrèze ou la Saône, des communes ont dû, par exemple, être ravitaillées en eau potable par camion-citerne pendant l’été de 2019. Or, la gouvernance actuelle ne permet pas de résoudre de façon optimale les conflits d’usage : la France se caractérise par un très grand morcellement de la gestion de l’eau, une dilution des compétences et une grande divergence de fonctionnement entre les territoires, les regroupements dépendant fortement de la volonté politique locale.


Dans ce contexte, vos rapporteurs préconisent de développer les projets de territoire pour la gestion de l’eau, fondés sur un dialogue avec l’ensemble des acteurs, qui permettront d’identifier les ressources et les besoins ainsi que de définir notamment les projets en matière de stockage et de transfert de la ressource. À cet égard, les rapporteurs souscrivent à l’objectif du Gouvernement d’atteindre 50 projets d’ici à 2022 et 100 projets à l’horizon 2027.

2.   Mieux protéger les aires de captage

La protection des aires de captage est un enjeu primordial, tant sur le plan sanitaire qu’économique : le Commissariat général du développement durable a évalué le coût induit par la dépollution entre 750 millions et 1,3 milliard d’euros, auquel doit s’ajouter le coût de la fermeture des captages non conformes.

À la suite du Grenelle de l’environnement de 2007, ont été identifiés 1 000 captages prioritaires, qui ont donné lieu à une protection particulière s’appuyant notamment sur une délimitation de la zone de protection de l’aire d’alimentation du captage et la mise en œuvre d’un programme d’action, sur la base du volontariat, comportant des objectifs d’évolution des pratiques. Dans ces zones de protection, la priorité a été donnée à l’agriculture biologique, au reboisement, et aux modes de cultures peu polluants.

Le succès de cette démarche a conduit le Gouvernement à annoncer, dans le cadre des Assises de l’eau, des nouvelles mesures de protection pour ces 1 000 captages prioritaires, d’ici à la fin 2021: la bonne volonté des agriculteurs sera encouragée par des financements pour services environnementaux, et un programme d’action réglementaire sera appliqué sur les bassins où la qualité de l’eau est la plus problématique. Les financements pour services environnementaux devront être expérimentés, en 2020, dans vingt territoires.

Certains territoires ont, d’ores et déjà, engagé les expérimentations en matière de financements pour services environnementaux aux agriculteurs. Ainsi, l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse a prévu une enveloppe de 150 millions d’euros, d'ici à 2021, pour soutenir notamment les projets situés sur une aire d'alimentation de captage ou stratégiques pour l'alimentation en eau potable. L’agence de l’eau Seine-Normandie a également lancé récemment un appel à initiatives en ce sens.

Enfin, il faut souligner, dans le cadre du projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, en cours de discussion au Parlement, les dispositions attribuant aux collectivités la compétence en matière de protection des captages, et la possibilité pour ces dernières d’exercer un droit de préemption sur les zones de captage d’eau potable.


Ces démarches peuvent être encouragées par les mesures suivantes :

– conférer aux collectivités territoriales une compétence en matière de protection des captages et développer les plans d’actions encourageant les modes de production agricole durables, en s’appuyant notamment sur les paiements pour services environnementaux, les baux environnementaux ou la possibilité, pour les collectivités, de préempter le foncier et les droits acquis ; appliquer un programme d’action réglementaire sur les bassins où la qualité de l’eau est la plus problématique ;

– généraliser les expérimentations de paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs ;

– faire bénéficier de crédits carbone les agriculteurs dont les pratiques favorisent la capture du carbone, en s’appuyant sur l’initiative du label « Bas carbone » ;

– déployer des systèmes innovants de surveillance qualitative et quantitative des masses d’eau, sur le modèle du projet « i-water » de la ville de Stockholm, qui prévoit une surveillance digitale en temps réel de la qualité de l’eau par 4G, avec un système d’alerte précoce et d’information des usagers.

3.   Adapter les villes aux dérèglements climatiques

Le visage de certaines villes européennes, comme Copenhague ou Stockholm, a été redessiné pour tenir compte de l’impact structurel du réchauffement climatique sur l’urbanisme. La France doit, à son tour, intégrer de façon systématique ce paramètre structurant dans sa politique en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Elle doit plus spécifiquement s’attaquer à l’artificialisation des sols (qui équivaut à un département tous les dix ans), et améliorer la gestion et le traitement des eaux pluviales, en s’inspirant des bonnes pratiques des pays européens en la matière.  

L’Union européenne a fixé en 2011 l’objectif de « zéro artificialisation nette » en 2050 ([23]). Le plan « Biodiversité » de juillet 2018 a repris cet objectif ambitieux, quoique sans limite temporelle. Le Gouvernement prévoit notamment d’instaurer une obligation légale de favoriser la densification pour éviter l'étalement urbain, ainsi que la possibilité pour les préfets de suspendre des opérations d'aménagement commercial compromettant des opérations de revitalisation urbaine, et l’obligation de perméabiliser les nouvelles surfaces de parking construites.

À cet égard, la circulaire du 29 juillet 2019 esquisse une nette inflexion dans la politique du logement : elle demande aux préfets de mettre l’accent sur la rénovation, la densification et la lutte contre la vacance, en veillant à la conformité des documents d’urbanisme (plans locaux d’urbanisme, plans locaux d’urbanisme intercommunaux et schémas de cohérence territoriale) avec ces objectifs.

Dans l’esprit du « Pacte pour repenser l’eau dans la ville » et des « dix engagements pour que nos villes de demain restent viables » du comité de bassin Adour-Garonne, vos rapporteurs proposent :

 d’améliorer la gestion et le traitement des eaux pluviales, sur le modèle de certaines villes européennes, comme Stockholm ou Copenhague (zones de végétation et zones humides ; réduction des polluants des boues d’épuration ; récupération des eaux pluviales) ;

– d’instaurer l’obligation pour les collectivités territoriales de tester les conséquences de leur développement sur la ressource en eau, de l’approvisionnement à l’assainissement, sur le modèle du « water test » des Pays-Bas ;

 de modifier les règles d’urbanisme pour favoriser la densification et éviter l’étalement urbain ; d’intégrer l’objectif de lutte contre l’imperméabilisation des sols dans les normes applicables à certains types de constructions ;

 de rendre à la nature les friches bétonnées.

4.   Sécuriser les financements de la politique de l’eau

Dans un contexte de baisse de la consommation d’eau potable et de croissance des besoins d’investissements pour améliorer la qualité de l’eau et adapter les villes au changement climatique, les financements de la politique de l’eau doivent être sécurisés.

En France, les principes du « pollueur-payeur » et de récupération appropriée des coûts sont mal appliqués : la charge du financement de l’eau et l’assainissement reposent à environ 80 % sur les usagers individuels ([24]). Il convient donc d’élargir les sources de financement. Dans cette logique, Jean Launay, président du Comité national de l’eau et du Partenariat français pour l’eau, a proposé, dans son rapport sur la phase 2 des Assises de l’eau remis le 16 mai 2019 à Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, la création de redevances pour l’artificialisation des sols et pour l’usage de l’azote minéral, ainsi que l’élargissement de « l’aquaprêt » de la Banque des territoires au financement du grand cycle de l’eau.

En outre, les financements européens sont sous-utilisés par les régions. Parmi les priorités du Fonds européen de développement régional (FEDER) figurent les investissements favorisant l’adaptation au changement climatique, ainsi que la prévention et la gestion des risques. Ces fonds financent, par exemple, des infrastructures de prévention comme les zones d’expansion des crues. Les régions, qui sont les gestionnaires des fonds européens, n’utilisent pas suffisamment cette possibilité.

Vos rapporteurs proposent donc d’optimiser les financements des investissements liés à gestion de l’eau par le Fonds européen de développement régional – FEDER –, au titre de l’adaptation au changement climatique, et de défendre le maintien de cette possibilité de financement dans le prochain cadre financier pluriannuel.

5.   Améliorer l’information du public 

Dans la lignée du projet de révision de la directive « Eau potable », les informations destinées au public doivent être améliorées. S’agissant de la qualité de l’eau, le ministère de la santé publie, sur son site internet, les données issues de ses contrôles réguliers et approfondis.

Il semble opportun d’afficher sur la facture d’eau, en plus des informations sur la qualité de l’eau, le prix de l’eau par litre, afin de sensibiliser le consommateur à la différence de prix entre l’eau du robinet et l’eau en bouteille, ainsi que la distinction entre le coût de la production et de l’assainissement, et le coût moyen de l’eau avant assainissement dans le département.

6.   Développer le recours à la réutilisation des eaux usées

Dans le cadre des Assises de l’eau, le ministère de la transition écologique et solidaire a prévu de réduire les prélèvements dans la ressource de 10 % en cinq ans, et de 25 % en quinze ans. Cela passe notamment par l’élévation des ambitions en matière de réutilisation des eaux usées traitées, qu’il s’agisse du volume d’eau concerné ou des usages autorisés. La France réutilise moins de 1 % de ses eaux usées traitées, essentiellement pour l'arrosage d'espaces verts, alors que l’Italie en réutilise 9 % et l’Espagne 13 %. Or, 86 % des Français sont prêts à utiliser une eau issue du recyclage pour les usages domestiques (hygiène, sanitaires, ménage), et 75 % sont disposés à consommer des légumes arrosés avec des eaux usées dépolluées ([25]), d’autant qu’ils consomment déjà beaucoup de produits importés qui ont été cultivés avec cette pratique.

Dans ce contexte, le Gouvernement souhaite tripler les volumes d’eaux non conventionnelles réutilisées d’ici à 2035. Les eaux usées traitées doivent être davantage utilisées pour l’usage urbain, le lavage des voiries, des voitures et des bateaux. Dans certains cas, combiner réutilisation et ré-infiltration des eaux usées traitées dans les eaux souterraines permettra aussi d’inciter les utilisateurs à économiser l’eau, car ils devront la pomper.

Dans cette même logique, vos rapporteurs appellent à accélérer l’application des mesures annoncées dans le cadre des Assises de l’eau, comme la mise en place d’une tarification incitative aux économies d’eau ou la sensibilisation du public à l’enjeu des économies d’eau, par la création de référentiels et d’outils de comparaison des consommations d’eau, la nomination d’ambassadeurs de l’eau, notamment des volontaires du service civique, pour aider les consommateurs à mieux maîtriser leur consommation et à détecter les fuites.

S’agissant de la réutilisation des eaux usées traitées, il convient :

 de rehausser les ambitions en matière de réutilisation des eaux usées traitées en introduisant un objectif quantitatif d’utilisation des eaux usées, à échéance de cinq à dix ans ;

 d’assouplir la réglementation pour développer la réutilisation des eaux usées en matière de lavage des voiries, des voitures et des bateaux, de restauration de zones humides, de création de zones de loisirs, et d’élargir leur usage à l’industrie et aux équipements.


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   Conclusion : propositions pour la politique de l’eau

 

AU NIVEAU EUROPÉEN

 

1. Réviser la politique européenne de l’eau à l’aune des défis du dérèglement climatique et des « polluants émergents »

     Garder le même niveau d’ambition en établissant un calendrier plus réaliste pour atteindre le bon état des eaux.

     Réviser le principe qui conduit à déclasser l’état de l’eau lorsqu’un seul critère n’est pas rempli (principe du « one out, all out »), pour tenir compte des améliorations sur les autres critères.

     Mesurer les progrès accomplis à « thermomètre constant » : les évolutions des polluants doivent être mesurées par rapport à un point de référence et une composition identique.

     Dans le cadre du « Green Deal » voulu par la nouvelle Commission européenne, faire de l’eau un objectif global des politiques européennes, et intégrer l’Accord de Paris de 2015 et les Objectifs de développement durable adoptés en 2015 par les États membres des Nations unies.

     Approfondir la recherche sur les conséquences des plastiques et des perturbateurs endocriniens sur les milieux aquatiques, et analyser les enjeux en matière d’épandage des boues de station d’épuration.

     Renforcer la réglementation européenne encadrant l’usage des produits chimiques (le règlement « REACh » – Registration, Evaluation, Autorisation of Chemical products) :

2. Favoriser la transition du modèle agricole dans le cadre de la nouvelle politique agricole commune 

     Rendre obligatoires pour les États membres les schémas écologiques (« ecoschemes »), qui conditionnent une partie des aides directes aux agriculteurs du premier pilier au respect de critères environnementaux.

     Autoriser les États membres à refuser l’entrée sur leur territoire de fruits et de légumes issus d’États tiers ayant été traités avec des produits phytosanitaires susceptibles de dégrader la qualité de l’eau, et dont l’usage est interdit dans les États qui prennent cette mesure.

     Assigner à la PAC un objectif quantifié de réduction de l’usage des produits phytosanitaires.

3. Mettre en cohérence politique de l’eau et politique énergétique

     Faciliter le développement de barrages hydroélectriques lorsque les bénéfices environnementaux, notamment en matière de réduction de gaz à effets de serre, sont supérieurs aux coûts.

 

AU NIVEAU NATIONAL

 

4. Améliorer la mise en œuvre des politiques européennes

     Préciser l’usage des dérogations prévues par la directive-cadre sur l’eau, et mettre un terme à la « surtransposition par interprétation ».

     Créer une « équipe de France de l’eau » auprès des institutions européennes, disposant d’une vision transversale des enjeux liés à l’eau, et capable de défendre notre modèle.

5. Résoudre les conflits d’usage en améliorant la gouvernance 

     Développer les projets de territoire pour la gestion de l’eau, fondés sur un dialogue réalisé en amont avec l’ensemble des acteurs, et intégrant des plans de développement des retenues collinaires. 

6. Favoriser la transition du modèle agricole, notamment sur les aires de captage

     Conférer aux collectivités territoriales et aux syndicats une compétence en matière de protection des captages et développer les plans d’actions encourageant les modes de production agricoles durables, en s’appuyant notamment sur les paiements pour services environnementaux, les baux environnementaux ou la préemption du foncier et des droits acquis par les collectivités ; appliquer un programme d’action réglementaire sur les bassins où la qualité de l’eau est la plus problématique.

     Généraliser les expérimentations de paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs.

     Faire bénéficier de crédits carbone les agriculteurs dont les pratiques favorisent la capture du carbone, en s’appuyant sur l’initiative du label « Bas carbone ».

     Déployer des systèmes innovants de surveillance qualitative et quantitative en temps réel des masses d’eaux. 

7. Optimiser les financements européens

     Optimiser les financements des investissements liés à gestion de l’eau par le Fonds européen de développement régional – FEDER –, au titre de l’adaptation au changement climatique, et défendre le maintien de cette possibilité dans le nouveau cadre financier pluriannuel.

8. Améliorer l’information du public

     Afficher sur la facture d’eau, en plus des informations sur la qualité de l’eau, le prix de l’eau par litre, afin de sensibiliser le consommateur à la différence de prix entre l’eau du robinet et l’eau en bouteille, ainsi que la distinction entre le coût de la production et de l’assainissement, et le coût moyen de l’eau avant assainissement dans le département.

 

9. Adapter les villes aux dérèglements climatiques

     Instaurer l’obligation pour les collectivités territoriales de tester les conséquences de leur développement urbain sur la politique de l’eau, de l’approvisionnement à l’assainissement, sur le modèle du « water test » des Pays-Bas.

     Modifier les règles d’urbanisme pour favoriser une certaine densification et éviter l’étalement urbain.

     Rendre à la nature les friches bétonnées.

     Intégrer l’objectif de lutte contre l’imperméabilisation des sols dans les normes applicables à certains types de constructions.

     Améliorer la gestion et le traitement des eaux pluviales, sur le modèle de certaines villes européennes, comme Stockholm ou Copenhague (zones de végétation et zones humides ; réduction des polluants des boues d’épuration ; récupération des eaux pluviales).

10. Développer le recours à la réutilisation des eaux usées traitées

     Rehausser les ambitions en introduisant un objectif quantitatif d’utilisation des eaux usées, à échéance de cinq à dix ans.

     Assouplir la réglementation pour développer la réutilisation des eaux usées en matière de lavage des voiries, des voitures et des bateaux, de restauration de zones humides, de création de zones de loisirs, et élargir leur usage à l’industrie et aux équipements.


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 11 décembre 2019, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

M. Jean-Claude Leclabart, rapporteur. Madame la Présidente, chers collègues, pendant la « COP bleue » et le jour même de la présentation, par la nouvelle présidente de la Commission européenne, du Green Deal, qui doit prévoir un plan d’action sur l’eau, le moment est bien choisi pour présenter notre rapport sur la politique européenne de l’eau. En outre, nous nous trouvons à un moment charnière pour la politique de l’eau, qui est elle-même en cours de réexamen.

À titre liminaire, je souhaite préciser que, compte tenu de l’ampleur du sujet et de l’actualité législative européenne sur la question, nous nous sommes concentrés sur les enjeux relatifs à la préservation des eaux douces.

En tout premier lieu, je tiens à rappeler le cadre européen en la matière. L’Union européenne s’est dotée d’un arsenal juridique protecteur, dont la pierre angulaire est la directive-cadre sur l’eau de 2000, qui est complétée par des directives ciblées (directive « Inondation », directive « Eau potable », directive « Eaux résiduaires urbaines »…).

Toute cette architecture est en cours d’évaluation ou de révision. En cours d’évaluation : la directive-cadre sur l’eau, la directive « Inondations », la directive « Eaux souterraines », la directive sur les normes de qualité environnementales, la directive sur les eaux résiduaires urbaines. En cours de négociation : le projet de révision de la directive « Eau potable » et le projet de règlement sur la réutilisation des eaux usées.

En deuxième lieu, il faut préciser que la politique européenne de l’eau dépend de nombreuses autres politiques : elle dépend de la politique agricole commune, de la politique énergétique, climatique et, plus largement, économique. À ce titre, l’avenir de l’eau est indissociable du Green Deal et de l’ampleur de l’infléchissement de l’économie vers une économie circulaire.

La quantité impressionnante de plastiques et microplastiques retrouvés dans les eaux européennes a fait l’objet de l’actualité récente, et c’est l’un des enjeux du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire en cours de discussion. Elle démontre le lien entre qualité de l’eau et modes de consommation, et la nécessité de surveiller les substances introduites sur le marché européen, dont une partie finit, en bout de chaîne, dans les milieux aquatiques.

M. Didier Quentin, rapporteur. Après de très nombreuses auditions, nous sommes parvenus à un premier constat positif : les objectifs ambitieux de la politique européenne de l’eau ont permis une amélioration significative de la qualité des eaux européennes. Grâce à elle, l’immense majorité des Européens peut, sans danger, boire de l’eau du robinet et se baigner dans les eaux européennes. Vous permettrez à l’ancien député-maire de la station balnéaire de Royan, titulaire du pavillon bleu, d’être très sensible à cette question de la qualité des eaux de baignade. La réduction de l’azote et du phosphore dans l’agriculture s’est traduite par une amélioration notable de la qualité de l’eau.

Surtout, cette politique a permis d’améliorer significativement la connaissance sur l’état des eaux. Ces progrès tiennent aux objectifs ambitieux de la politique européenne de l’eau, et notamment celui du bon état des eaux, qui lui sert de boussole. À l’origine, cet objectif devait être atteint en 2015, mais l’impossibilité d’y parvenir a conduit les États membres à reporter l’objectif en 2027. Dans une région comme la Bretagne, condamnée pour non-conformité à la directive « Nitrates », la politique européenne a été une puissante incitation pour améliorer l’état de l’eau, à telle enseigne que la Bretagne est la première région européenne à être sortie des procédures de contentieux sur l’eau, après une trentaine d’années d’accompagnement volontariste de la transition du modèle agricole.

Le deuxième constat est moins positif. Malgré ces résultats, l’état des eaux européennes reste très préoccupant, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Seules 40 % des masses d’eau sont en bon état au sens de la directive-cadre, et aucun État membre n’atteindra l’objectif en 2027. Les résultats sont très variables selon les pays. En France, environ 44 % des eaux sont en bon état, alors que, lors du Grenelle de l’environnement, l’objectif était de parvenir à deux tiers des masses d’eau en bon état en 2015. Le décalage entre ambition et résultats s’explique notamment par une méconnaissance de l’état initial des eaux et par la sous-estimation des investissements nécessaires à l’amélioration de la qualité des eaux. Les principales menaces sur l’eau sont, en France, les pollutions issues du secteur agricole (malgré tous les efforts réalisés par la profession), les atteintes à la continuité écologique provenant d’infrastructures comme les barrages ou les digues, et le traitement inadéquat des eaux provenant des activités domestiques.

Surtout, la ressource en eau est de plus en plus menacée, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, par les dérèglements climatiques et l’essor des nouveaux polluants (microplastiques, nanomatériaux, pollutions diffuses…) Nous assistons déjà à des épisodes de sécheresse ou à des inondations d’intensité inégalée. En 2030, 30 % des Européens pourraient être atteints par des tensions sur l’approvisionnement en eau tout au long de l’année. S’agissant de la qualité de l’eau, prenons l’exemple de la Suède, où nous nous sommes rendus : en raison des rejets de substances toxiques, 20 % des fonds marins de la mer Baltique sont classés en zone morte, et 28 % sont en manque d’oxygène. L’état de l’eau est tel que le pays ne peut plus exporter son saumon, ses harengs et ses truites, car ils sont trop contaminés par les dioxines.

M. Jean-Claude Leclabart, rapporteur. C’est à l’aune des défis du dérèglement climatique et des nouvelles pollutions qu’il faut donc examiner la politique européenne de l’eau. Le projet de révision de la directive eau potable, qui pourrait faire l’objet d’un accord avant la fin de l’année, et le projet de règlement relatif à la réutilisation des eaux usées, qui a fait l’objet d’un accord lors du trilogue du 2 décembre dernier, sont une première réponse.

En premier lieu, le projet de révision de la directive eau potable marque le passage d’une logique de traitement de l’eau à une logique de prévention des risques. Il prévoit notamment de renforcer la surveillance du plomb, des perturbateurs endocriniens et des microplastiques. Les négociations sont difficiles, mais un accord avant la fin de l’année n’est pas exclu, sur la base de la proposition qui prévoit de placer les perturbateurs endocriniens sur une liste de vigilance renforcée.

En second lieu, le projet de règlement sur la réutilisation des eaux usées inscrit l’eau dans une logique d’économie circulaire et de gestion durable de la ressource. Dans un contexte de réchauffement climatique, cette pratique a un grand potentiel de développement : l’objectif de la Commission européenne est de multiplier par six le volume d’eaux usées réutilisées en 2025. Le moindre recours aux prises d’eau dans les cours d’eau et les nappes aura, en outre, un impact positif sur la biodiversité. Nous disposons désormais d’un cadre harmonisé pour développer la pratique, dans le respect des exigences sanitaires.

Au-delà de ces deux projets, le Green Deal nous semble l’occasion de repenser la politique européenne de l’eau de façon plus transversale. Dans cette optique, nos propositions s’articulent autour de trois axes.

Premièrement, il faut conforter les objectifs ambitieux et les principes de la directive-cadre, qui sont des boussoles stimulantes pour les politiques publiques. Une révision du texte fondateur nous semble trop risquée : elle pourrait conduire à la remise en question des ambitions initiale. Il nous semble cependant que certaines dispositions méritent d’être précisées : l’évaluation doit se faire à thermomètre constant, et l’élément déclassant, selon lequel l’état de l’eau est qualifié de mauvais lorsqu’un seul paramètre vient à manquer, doit être corrigé, car il est décourageant pour les acteurs.

Deuxièmement, il convient de lutter contre les nouveaux polluants en réduisant les émissions à la source. Dans cette optique, la recherche sur les conséquences des plastiques et des perturbateurs endocriniens sur les milieux aquatiques doit être approfondie. En outre, il convient de renforcer la réglementation européenne qui encadre l’usage des produits chimiques (le règlement REACh), afin de prendre davantage en compte le principe de précaution et d’interdire les microplastiques ajoutés intentionnellement dans certains produits.

Troisièmement, il convient de mettre en cohérence les politiques européennes sectorielles avec l’objectif de préservation de la ressource en eau. Cela passe d’abord par l’évolution de la politique agricole commune. Nous proposons notamment d’autoriser les États membres à refuser l’entrée sur leur territoire de fruits et de légumes issus d’États tiers ayant été traités avec des produits phytosanitaires susceptibles de dégrader la qualité de l’eau, et d’assigner à la PAC un objectif quantifié de réduction des produits phytosanitaires.

Il convient également de mettre en cohérence politique de l’eau et politique de l’énergie, en autorisant le développement de barrages hydroélectriques lorsque les bénéfices environnementaux, notamment en matière de réduction de gaz à effets de serre, sont supérieurs aux coûts.

M. Didier Quentin, rapporteur. Au niveau national, il convient d’agir en cohérence avec les ambitions européennes. Nos propositions, au nombre de sept, s’articulent autour de plusieurs axes.

Premièrement, améliorer la mise en œuvre des directives européennes, en évitant la surtransposition, qui conduit, au niveau local, au blocage de certains ouvrages de retenue d’eau. De même, s’agissant de la directive nitrate, la fixation dans les zones vulnérables de valeurs limites inférieures à celles prévues par la directive suscite l’incompréhension des agriculteurs. À cet égard, on retrouve les phénomènes pointés tout à l’heure par notre collègue Jean-Louis Bourlanges sur le caractère hétérogène de l’application de la réglementation européenne, à cause du problème de surtransposition.

Deuxièmement, adapter les règles d’urbanismes aux dérèglements climatiques : il convient notamment d’instaurer l’obligation pour les collectivités territoriales de tester les conséquences de leur développement urbain sur la politique de l’eau, de l’approvisionnement à l’assainissement, sur le modèle du « water test » des Pays-Bas. La France peut utilement s’inspirer du modèle de certains pays du Nord de l’Europe en matière de gestion et de traitement des eaux pluviales. Pour lutter contre l’artificialisation des sols, il faut modifier les règles d’urbanisme, afin de favoriser une certaine densification et rendre à la nature les friches bétonnées. Il faut d’ailleurs bien expliquer ce concept de « densification », parce que beaucoup de nos chers concitoyens l’assimilent à la construction de tours. Or, la densification ne revient pas forcément à construire des tours.

Troisièmement, résoudre les conflits d’usage en améliorant la gouvernance : il convient notamment de développer les projets de territoire pour la gestion de l’eau, dans l’esprit du « Pacte pour repenser l’eau dans la ville » et des « Dix engagements pour que nos villes de demain restent vivables », élaborés par le comité de bassin Adour-Garonne, présidé par l’ancien ministre Martin Malvy.

Quatrièmement, encourager les pratiques agricoles vertueuses, notamment sur les aires de captage. C’est une étape importante à laquelle tient, à juste titre, Jean-Claude Leclabart.

Cinquièmement, optimiser les financements européens liés à la gestion de l’eau par le Fonds européen de développement régional – FEDER –, qui sont sous-utilisés par les régions, comme l’indiquait d’ailleurs un récent rapport de la Commission des affaires européennes sur le sujet.

Sixièmement, améliorer l’information du public en affichant, en plus des informations sur la qualité de l’eau, le prix de l’eau par litre, afin de sensibiliser le consommateur à la différence de prix entre l’eau du robinet et l’eau en bouteille. Nous avons fait des calculs tout à fait étonnants : la consommation d’eau en bouteille coûte entre 250 euros et 300 euros par personne contre quelques euros pour la consommation d’eau du robinet. À une époque où on parle beaucoup de pouvoir d’achat, il faut donc avoir conscience de ces écarts !

Septième recommandation : assouplir la réglementation sur la réutilisation des eaux usées traitées pour élargir ses usages (lavage des voiries, des voitures et des bateaux, de restauration de zones humides, de création de zones de loisirs, industrie…).

Pour conclure (même si j’aime répéter la formule de Gustave Flaubert, un autre grand Normand : « la bêtise, c’est de vouloir conclure »), je tiens à rappeler que l’eau est l’une des premières victimes du dérèglement climatique, mais sa capacité d’absorption du carbone en fait également l’une de nos armes les plus puissantes. C’est la raison pour laquelle il est urgent de la remettre en haut de l’agenda politique européen et national. Je vous dirais donc Madame la Présidente : « affaire à suivre ! ».

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Cette problématique montre bien que tous les sujets sont liés entre eux. Nous souhaitons vous entendre de nouveau devant notre Commission après les résultats du trilogue.

 

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

 

M. Damien Pichereau. L’Europe s’est dotée d’un arsenal juridique conséquent, dont la clef de voûte est la directive-cadre de 2000, complétée par plusieurs directives sectorielles. L’eau est essentielle à la croissance économique, à la santé humaine et à l’environnement. La gestion rationnelle de l’eau est donc un enjeu majeur de politique publique. L’accélération de l’urbanisation sur fond de croissance démographique et la transformation des dynamiques économiques traduisent à moyen terme une accentuation de la pression sur la ressource hydrique. C’est pourquoi il est nécessaire, comme vous le soulignez dans le rapport, de réviser la politique de l’eau. La présidence finlandaise entend promouvoir une politique agricole commune qui tienne mieux compte de ces enjeux. Sous son impulsion, un projet de directive révisée sur l’eau potable et un projet de règlement sur la réutilisation des eaux usées ont déjà fait l’objet de propositions du Conseil et du Parlement en première lecture. Elle souhaite obtenir un accord interinstitutionnel avant la fin de l’année. Où en sont les discussions sur ce sujet ?

Par ailleurs, et je suis d’accord avec vous, une refonte de la politique européenne de l’eau ne peut avoir lieu que dans un cadre environnemental, c’est-à-dire en complément des politiques climatiques, énergétiques et sur l’alimentation. Je crois qu’elle ne peut aussi avoir lieu que dans un cadre international. Sachant que l’Europe est capable de coordonner sa politique climatique avec le reste du monde (on le voit en ce moment avec la COP 25 à Madrid), comment l’Union européenne pourrait-elle se coordonner avec les organisations internationales ?

M. Jean-Louis Bourlanges. Le problème central de l’Union européenne est d’afficher des ambitions parfaitement légitimes, mais avec des moyens qui sont nécessairement limités en raison de la taille du budget européen. Cette politique prend essentiellement la forme de la contrainte, de la norme, avec tout ce que cela comporte d’artificiel et d’irréaliste. Les moyens de l’Union européenne ne sont pas appropriés aux ambitions qui sont légitimement les siennes. Pour le reste, je salue bien évidemment le travail qui a été fait par les rapporteurs.

M. Didier Quentin, rapporteur. Cette remarque est en effet justifiée. Il n’y a qu’à voir le décalage entre les objectifs initialement fixés pour 2015, désormais reportés à 2027, et ce que faisait remarquer la Présidente, à savoir que certains pays de l’Union européenne ont des résultats très médiocres (ce qui montre les limites de la politique européenne de l’eau !).

La dimension internationale de ce problème n’est par ailleurs pas à négliger. On en vient à envisager pour le XXIe siècle des « guerres de l’eau ». Nous sommes allés récemment avec la Commission des affaires étrangères en Érythrée et en Éthiopie : il y a un conflit entre le Soudan, l’Éthiopie et l’Égypte sur le Haut-Nil. Cela peut être un enjeu majeur du XXIe siècle. En Israël, on fait des choses très intéressantes pour la désalinisation. Il faut aussi tenir compte du dérèglement climatique et de la montée des eaux. La montée des eaux dans le Golfe du Bengale peut conduire des dizaines millions de populations du Bangladesh à remonter vers le nord. Il semble que les Indiens soient en train de construire un mur plus grand que la muraille de Chine pour se prémunir contre ces mouvements migratoires.

M. Jean-Claude Leclabart, rapporteur. Je réponds à Damien Pichereau au sujet du calendrier. En ce qui concerne l’eau potable, le dernier trilogue aura lieu le 18 décembre. Les négociations sont difficiles, mais il n’est pas exclu qu’un accord soit trouvé avant la fin de l’année.

Pour les eaux usées, l’accord date du trilogue du 3 décembre.

Nous avions envisagé de repousser l’examen du rapport pour attendre ces décisions, elles ont été plus rapides que prévu. Certaines de nos préconisations me paraissent tout à fait pouvoir être satisfaites d’ici la fin de l’année. Nous sommes par ailleurs très heureux de retrouver un certain nombre de nos préconisations dans le Green deal présenté ce matin.

Je remercie Madame la Présidente de nous avoir permis de faire ce rapport, et Damien Pichereau de m’avoir cédé sa place de rapporteur. J’ai eu grand plaisir à travailler avec Didier Quentin, qui est un diplomate aguerri, et beaucoup appris à son contact. J’ai retenu aussi de ses conseils que plus un rapport est épais, plus il est mauvais : il faut faire court pour que le rapport soit lu et compris. Nous avons passé beaucoup de temps à faire ce court rapport, parce qu’il a beaucoup coupé !

M. Didier Quentin, rapporteur. Nous appellerons cela l’opération Jivaro !

M. Jean-Louis Bourlanges. J’ai connu Didier Quentin avant qu’il soit diplomate et avant qu’il soit aguerri, il était déjà très avisé et très agréable.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je n’ai plus d’autre choix que de me joindre à ces compliments ! Il est vrai qu’il est agréable d’avoir des rapports qui ne sont pas trop longs et qui vont à l’essentiel. Nous attendons votre communication à l’issue du trilogue.

M. Didier Quentin, rapporteur. On parle de la réutilisation des eaux usées : on pourrait aller jusqu’à les boire. Je crois que cela se fait déjà, même si ceux qui les boivent n’en sont pas nécessairement informés. Héraclite disait qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, finalement on peut arriver à boire deux fois la même eau. Il faudra le signaler au président Trump, qui semble avoir des problèmes avec les chasses d’eau !

Mme la Présidente Sabine Thillaye. D’une certaine manière, on réutilise toujours l’eau usée, c’est un circuit.

À l’issue de la discussion, la commission a autorisé la publication du rapport

 

 

 

 


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   Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs

● Mme Sophie Auconie, députée de l’Indre-et-Loire, ancienne membre du directoire du Conseil mondial de l'eau

 

● Agence de l’eau Loire-Bretagne

– M. Claude Gitton, directeur général adjoint

 

 Agence de l’Eau Seine-Normandie

– Mme Patricia Blanc, directrice générale

– M. Christophe Poupard, directeur de la connaissance et de la planification

 

 Agence Française de la Biodiversité

– M. Paul Michelet, directeur général adjoint

 

● Agence régionale de santé Ile-de-France

– M. Luc Ginot, directeur de la santé publique

– Mme Pascale Giry, responsable du département santé et environnement

– M. Raphaël Povert, responsable de la cellule eau potable

 

 Cercle Français de l’eau

– M. Pierre Victoria, délégué général

– M. Bernard Barraque, membre du conseil d’administration

– Mme Clotilde Terrible, secrétaire générale Les canaliseurs

– Mme Chiara De Leonardis, chargée des affaires publiques à la FP2E

– M. Gilles Crosnier, chargé de mission « coordination de l'eau » à EDF

 

 Coalition eau

– Mme Édith Guiochon, chargée de mission « plaidoyer pour l'accès à l'eau et à l'assainissement »

– Mme Justine Richer, chargée de programme Droit à l'eau à France Libertés

– M. Bernard Drobenko, professeur des Universités émérite ULCO, consultant

 

● Comité de bassin Loire-Bretagne

– M. Thierry Burlot, vice-président de la Région Bretagne chargé de l’environnement, président du comité de bassin Loire-Bretagne, président du Cercle français de l’eau

 

 Conseil général de l’environnement et du développement durable

– Mme Anne-Marie Levraut, vice-présidente du conseil général de l’Environnement et du développement durable, coordinatrice du rapport de 2013 sur l’évaluation de la politique de l’eau

– M. Nicolas Forray, président de la section milieux, ressources et risques

 

● Fédération professionnelle des entreprises de l’eau

– M. Tristan Mathieu, délégué général

 

● Ministère de la Transition écologique et solidaire Cabinet d’Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État

– M. Guillaume Canneva, conseiller.

 

● Ministère de la Transition écologique et solidaire - Direction de l’eau et de la biodiversité

– Mme Amélie Coantic, sous-directrice de la protection et de la gestion de l'eau, des ressources minérales et des écosystèmes aquatiques

 

● Ministère des solidarités et de la santé

– Mme Corinne Feliers, cheffe du bureau de la qualité des eaux

– Mme Nathalie Franques

– M. Sébastien Gorecki

 

● Ministère de l'agriculture et de l'alimentation

– M. Serge Lhermitte, chef du service compétitivité et performance environnementale, direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises

– Mme Pauline Buchheit

– M. Constantin Girard

– M. Benjamin Balique

 

● Parlement européen

– M. Michel Dantin, député (PPE, France), rapporteur sur la proposition de directive relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine

 

 Partenariat français pour l’eau

– M. Jean Launay, président

– M. Philippe Guettier, directeur général

 

 Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

– Mme Océane Thiériot, conseillère climat, biodiversité, eau, OGM

 

 Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

– Mme Maud Casier, unité environnement marin et industrie de l’eau, direction générale de l’environnement

– M. Joaquim Capitao, unité eau propre, direction générale de l’environnement.

 

● UFC que Choisir

– M. Olivier Andrault, chargé de mission alimentation / environnement

– M. Pierre Guillaume, administrateur

 

● VEOLIA

– M. Bruno Tisserand directeur du programme Eau, Veolia Recherche & Innovation, ancien président d'EUREAU, Fédération européenne des services de l'eau

– M. David Berman, directeur des affaires publiques, représentant de VEOLIA auprès des institutions européennes

– Mme Marie-Thérèse Suart-Fioravant, directrice des relations institutionnelles

 


En Suède

 

Agence nationale de sécurité civile (Myndigheten för Samhällsskydd och Beredskap)

– Mme Sara Myrdal, Chef du secrétariat international

– Mme Barbro Näslund Landmark, conseillère en charge des inondations

 

Agence suédoise de l’Eau (Havs och Vattenmyndigheten)

– M. Mats Svensson, directeur de la direction de la gestion de l’eau en charge de la mise en œuvre de la directive cadre de l’Union européenne sur l’eau

 

Ambassade et service économique régional de Stockholm

– M. Romain Saudrais, conseiller financier, Service Économique Régional

– M. Julien Grosjean, conseiller énergie, environnement, matières premières, SER

– M. David Behar, chargé d’affaires de l’Ambassade

 

Experts francophones du secteur de l’eau en Suède

 M. Francois Brikke, conseiller au Global Water Partnership de Stockholm (GWP)

– Mme Maggie Whyte, conseillère au Stockholm International Water Institute (SIWI)

– Mme Elisabeth Kvarnström, spécialiste du traitement des eaux noires urbaines (RISE)

 

Gouvernement

– Mme Gunvor Ericson, Secrétaire d’État en charge de l’Environnement

 

Keolis Stockholm

– M. Damien Ganansia, Stratège d’offres, Keolis Stockholm

 

Ministère suédois de l’Environnement

– Mme Malin Rinnan, sous-directrice de la direction de l’eau

 

– Mme. Johanna Blomberg, Stratège sur la gestion de l’eau, Entreprise Stockholm Vatten &Avfall

– Mme Jenny Pirard, Conseillère sur la gestion de l’eau, ville de Stockholm

– M. Magnus Sannebro, Conseiller sur l’adaptation au dérèglement climatique, Stockholm

 

Ministère suédois des entreprises

 Mme Pernilla Ivarsson, directrice de la direction de l’eau et des produits alimentaires

– M. Anders Wannberg, Conseiller à la direction de l’eau et des produits alimentaires

– M. Niklas Damm, Conseiller à la direction de l’eau et des produits alimentaires

 

Ville de Stockholm

– Mme Katarina Luhr, Maire-adjointe de Stockholm en charge de l’Environnement

– Maya Mitell, Chef du projet i-Water, Direction environnementale de la ville de Stockholm

 


([1]) 60 % des bassins hydrographiques de l’Union européenne sont transfrontaliers.

([2]) Signaux de l’Agence européenne de l’environnement, « L’eau, c’est la vie », 2018.

([3]) Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, rapport d’information sur la ressource en eau, 2018.

([4]) Règlement relatif aux exigences minimales requises pour la réutilisation de l’eau.

([5]) Directive 98/83/CE relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine.

([6]) Directive 91/271/CEE relative au traitement des eaux urbaines résiduaires.

([7]) Directive n° 2007/60/CE relative à l’évaluation et à la gestion des risques d’inondation.

([8]) Directive 2006/118/CE sur la protection des eaux souterraines contre la pollution et la détérioration.

([9]) Agence européenne de l’environnement, Qualité des eaux de baignade européennes en 2018, 2019.

([10]) Qualité de l’eau en Bretagne, une lente reconquête, article du journal Le Monde, 5 février 2018.

([11]) Agence européenne de l’environnement, L’eau en Europe - évaluation de l'état et des pressions, 2018.

([12]) Quelles priorités pour l’eau en France à l’horizon 2025 ? Cercle français de l’eau, janvier 2017.

([13]) Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, rapport d’information sur la ressource en eau, 2018.

([14]) Rapport sur la mise en œuvre de la directive-cadre sur l’eau et de la directive « Inondations », Commission européenne, 2019.

([15]) CJUE, 1er juillet 2015, arrêt « Weser ».

([16]) CJUE, affaire C-525/12, 2014.

([17]) La perte du potentiel de production hydroélectrique est estimée en France par EDF à 5 %.

([18]) La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale ont publié, en décembre 2019, un rapport d’information sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique.

([19]) Environmental Health Perspectives, octobre 2019.

([20]) Stratégie sur les matières plastiques de janvier 2018 et directive « Plastiques à usage unique » de mai 2018.

([21]) Les utilisateurs paient 1,39 euro par mètre cube pour les 33 premiers mètres cubes par an, puis 5,14 euros par mètre cube.

([22]) Signaux de l’Agence européenne de l’environnement 2018, L’eau c’est la vie.

([23]) Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources, COM(2011)571.

([24]) Sur cette part, environ 30 % sont payés par les activités économiques raccordées aux réseaux des communes. Ainsi, nous obtenons globalement : 50 % pour les usagers non économiques ; 45 % pour les industriels ; environ 5 % pour les activités agricoles (rapport d’information sur la ressource en eau de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, 2018.)

([25]) Baromètre C.I Eau / TNS Sofres « Les Français et l’eau », 2018.